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Version finale

33rd Legislature, 1st Session
(December 16, 1985 au March 8, 1988)

Tuesday, September 15, 1987 - Vol. 29 N° 70

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les Etats-Unis


Journal des débats

 

(Quatorze heures douze minutes)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

Mesdames et messieurs les membres de la commission parlementaire de l'économie et du travail, bienvenue à cette consultation générale. Je voudrais également souhaiter la bienvenue aux gens qui se retrouvent ici dans l'enceinte du Parlement, au salon rouge, et aux téléspectateurs qui vont assister pendant les trois prochaines semaines aux audiences de la commission parlementaire.

Je vous rappelle dès maintenant le mandat de la commission qui nous a été donné par l'Assemblée nationale, soit de procéder à une consultation générale afin de recevoir les représentations de personnes et organismes en ce qui a trait à la position québécoise concernant les négociations sur la libéralisation des échanges commerciaux qui sont présentement en cours entre le Canada et les États-Unis.

Comme il n'y a pas de remplacement du côté de l'Opposition, je demanderais au vice-président de la commission, le député de Vimont, s'il y a des remplacements du côté du groupe parlementaire ministériel,

M. Théorêt: Oui, M. le Président. Effectivement, M. Georges Farrah, député des Îles-de-la-Madeleine, est remplacé par M. Michel Tremblay, député de Rimouski, M. Gilles Fortin, député de Marguerite-Bourgeoys, est remplacé par M. Yvon Lemire, député de Saint-Maurice, et M. Guy Rivard, député de Rosemont, est remplacé par M. Jean-Guy Lemieux, député de Vanter.

Je vous rappelle, M. le Président, pour l'enregistrement des débats, que le premier ministre, M. Robert Bourassa, ainsi que le ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique, M. Pierre MacDonald, seront membres à part entière de la commission et ce, pour la durée de la consultation générale.

Le Président (M. Charbonneau): C'est exact, tout comme le chef de l'Opposition est membre d'office de cette commission. Je rappelle immédiatement, à ce moment-ci, avant de vous présenter l'ordre du jour, que le président de la commission est un membre à part entière et les membres réguliers de la commission sont habitués à voir le président intervenir. Alors, je n'ai pas l'intention de cesser cette bonne habitude sauf que c'est clair que, dans la mesure où j'aurai à le faire, je le ferai dans le temps qui sera imparti au groupe parlementaire de l'Opposition et selon les règles en usage.

En ce qui concerne l'ordre du jour, on assistera d'abord à des remarques préliminaires. Le premier ministre et le chef de l'Opposition auront 20 minutes chacun pour présenter leurs remarques préliminaires. Ils seront suivis du ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique, qui aura 25 minutes tout comme le porte-parole de l'Opposition. Par la suite, nous aurons 30 minutes additionnelles pour d'autres remarques préliminaires qui pourront être utilisées, par exemple, dans un échange entre les porte-parole, le premier ministre et le chef de l'Opposition. Mais ce qui est clair, c'est que le temps maximum que je viens d'indiquer, je vais respecter la banque de temps afin qu'on puisse conserver le maximum de temps pour nos invités.

Quant à eux, nous aurons d'abord, après les remarques préliminaires, la présence de M. Pierre-Paul Proulx, économiste de l'Université de Montréal. Par la suite, l'Association du camionnage du Québec, et nous ajournerons vers 18 heures. Je vous indique immédiatement qu'il y aura une séance de travail de quelques minutes pour approuver l'horaire des travaux pour la semaine prochaine.

En soirée, nous recevrons la Centrale des syndicats démocratiques, la CSD, qui sera suivie de l'Association des propriétaires d'autobus du Québec et, finalement, nous entendrons M. Gabriel Fontaine, député fédéral de Lévis.

Alors, à moins qu'il y ait des questions sur l'organisation des travaux, ce qui ne devrait pas causer trop de problèmes étant donné que nous avons déjà eu une séance de travail à cet égard, je vais immédiatement céder la parole au premier ministre pour sa présentation d'ouverture. M. le premier ministre.

Déclarations préliminaires M. Robert Bourassa

M. Bourassa: M. le Président, je vous remercie beaucoup. Je veux souhaiter la bienvenue à tous les participants. Nous nous étions engagés à faire une commission parle-

mentaire sur le libre-échange. Nous sommes évidemment en pleine négociation, nous abordons la période la plus cruciale, la période finale des négociations et nous avons voulu faire cette commission parlementaire avant la conclusion de la première étape des négociations.

J'aimerais dire ici que ce qui va se conclure ou ne pas se conclure le 4 octobre est une ratification ou une entente de principe par les négociateurs américains et canadiens. Par la suite, les différents gouvernements impliqués pourront examiner l'entente en question et la ratifier ou refuser de la ratifier d'ici la fin de l'année. Donc, il y aura possibilité après le 5 octobre d'examiner cette entente de principe.

Je crois qu'il sera utile au gouvernement, même à ce stade-ci des négociations, d'entendre les représentations des différents groupes et des experts. D'ailleurs, depuis le début des travaux préparatoires, au début de 1986, le gouvernement a associé toutes les parties intéressées au processus de détermination des intérêts du Québec et de sa position. Au cours des prochains jours, à l'occasion des discussions sur l'agriculture, sur les industries culturelles, sur le commerce, les petites et moyennes entreprises, nous pourrons préciser davantage les positions du gouvernement.

J'essaierai d'être le plus concis possible puisqu'il me sera donné l'occasion tantôt de donner la réplique ou de compléter mes remarques à la suite des propos du chef de l'Opposition.

Le véhicule principal jusqu'à maintenant de cette préparation à la négociation a été le Comité consultatif sur la libéralisation des échanges présidé par M. Jake Warren et le rapport du comité a été rendu public hier. Depuis avril 1986, une cinquantaine d'organismes ont été entendus et la majorité s'est déclarée favorable. En mai 1987, on se le rappelle, il y a eu la publication de l'essentiel de nos analyses sur l'ensemble des sujets qui font l'objet des négociations et la synthèse, à ce jour, de ce document a également été publiée.

Quel est l'enjeu, M. le Président, de cette négociation sur le libre-échange ou sur un commerce plus libre? De fait, il s'agit de viser à obtenir un commerce avec moins d'entraves, moins d'obstacles, entre le Canada et les États-Unis. L'enjeu n'est pas de rechercher l'établissement d'institutions supranationales comme il en existe, notamment, au marché commun européen. Nous avons exprimé au tout début de la négociation certaines réticences mettant en relief les implications que pourrait avoir une intégration économique trop poussée puisqu'elle pourra conduire, d'une façon correspondante, à une intégration politique. Nous avons signalé à ce moment-là, à plusieurs reprises, ce phénomène de la dynamique interne qui existe dans le processus d'intégration économique, c'est-à-dire qu'une entente traditionnelle, classique, complète sur le libre-échange conduit, avec une certaine logique commerciale et économique, à une union douanière, laquelle conduit par la suite, à cause de la mobilité de la main-d'oeuvre, du capital et des marchandises, à un marché commun. Et là nous devons considérer à cette étape-là, comme c'est arrivé dans d'autres régions du monde, une communauté monétaire avec les risques que cela comporte pour l'intégration politique. Mais ce n'est pas l'enjeu en cause et c'est pourquoi nous avons une approche essentiellement pragmatique comme, je crois, les Québécois la partagent.

Nous aurons donc l'occasion, au cours de cette commission parlementaire, de constater que les points de vue dépassent les clans idéologiques ou les lignes partisanes. Nous aurons tantôt M. Pierre-Paul Proulx, comme vous l'avez dit; M. André Raynauld. Nous aurons également des membres influents d'un autre parti politique que connaît bien le chef de l'Opposition, M. Jacques Parizeau et M. Bernard Landry, qui a publié un livre très intéressant à cet égard. Le chef de l'Opposition me permettra de le mentionner, d'autant plus que les droits d'auteur ne doivent pas aller à la caisse du parti. Donc, on doit constater que l'ensemble des experts proviennent de différents milieux idéologiques ou de différents partis.

Mais pourquoi donc le Québec et le Canada sont-ils intéressés à signer cette entente de libre-échange? Il y a plusieurs raisons. II y a d'abord l'importance du commerce international pour le Canada. Nous sommes l'un des pays qui dépend le plus, pour son dynamisme économique, du commerce international. On sait que dans le cas du Canada c'est environ le tiers de l'ensemble de son activité économique qui provient du commerce international; environ 10 % dans le cas des États-Unis; dans le cas du Japon, 12 %. Donc, pour nous, le développement, le dynamisme du commerce international sont vitaux pour notre économie.

La deuxième raison qu'on peut mentionner sur l'importance d'arriver à une entente sur le libre-échange c'est cette évolution actuelle du commerce international, cette évolution que nous connaissons depuis quelques années, notamment avec l'apparition de concurrents extrêmement efficaces et compétitifs, notamment dans L'Asie de l'Est. Donc, les pays comme le Canada entre autres et ceux qui dépendent beaucoup du commerce international pour leur progrès économique sont obligés de tenir compte de la venue de ces nouveaux concurrents qui rendent la concurrence plus difficile, qui l'augmentent et la rendent plus exigeante.

Qu'est-ce que cette évolution du

commerce international a fait sur notre principal partenaire économique que sont, comme on le sait, les États-Unis? Ils représentent environ les deux tiers, et parfois 70 %, de l'ensemble de nos exportations et de nos importations. Qu'est-ce que cette évolution a créé chez nos partenaires américains? On le sait, pour la première fois de son histoire, les États-Unis sont devenus un pays débiteur après avoir été le pays créancier le plus important du monde. Il y a eu un déficit budgétaire énorme. Un déficit, également, dans le commerce international, un déficit qui se maintient et qui demeure très impartant malgré une évolution très rapide des taux de change. On sait, par exemple, que malgré une dépréciation du dollar américain depuis 18 mois d'environ 45 %, le déficit se maintient et augmente. Cela crée donc beaucoup d'inquiétudes chez les Américains. J'étais à Washington lundi et mardi dernier, j'ai rencontré plusieurs experts américains. On m'a informé sur la situation politique mais également économique et c'est évident qu'au Congrès américain actuellement, alors qu'on discute des lois sur le libre-échange, sur le commerce international, il y a beaucoup d'inquiétudes qui s'expriment à un an des élections générales. Donc, c'est un contexte dont on doit tenir compte et qui, évidemment, a eu comme conséquences, depuis un an et demi, plusieurs décisions américaines qui ont nui au commerce international entre le Québec et le Canada. Donc, cette évolution du commerce international qui a frappé l'économie américaine a conduit les Américains à poser des gestes - que ce soit dans le bois d'oeuvre ou la potasse ou le bois de cèdre ou le porc ou le poisson, etc. - qui entravent ce commerce international entre le Québec, le Canada et les États-Unis. Ces entraves et décisions font des travailleurs les principales victimes.

Alors, notre but, c'est de négocier un traité de libre-échange qui nous permette de corriger cette situation, dans toute la mesure du possible, d'une façon pragmatique et pratique, encore une fois sans but idéologique, et de permettre d'accroître la richesse collective du Québec et le bien-être de l'ensemble de ses citoyens.

Nous pouvons, très brièvement, évoquer d'autres raisons qui nous justifient d'éliminer ou de réduire le protectionnisme. Tout simplement la productivité. Le chef de l'Opposition réfère très souvent à la nécessité de la productivité de l'économie québécoise. Les Américains sont également d'accord, je l'ai dit à plusieurs reprises. J'ai été invité à adresser la parole aux gouverneurs qui se réunissaient en conférence annuelle à Traverse City au Michigan, il y a quelques semaines. J'ai été à même de leur dire, à ce moment-là, que s'ils étaient d'accord - et ils le sont - pour accroître la productivité de l'économie américaine devant la concurrence accrue de plusieurs pays, notamment le Japon, le protectionnisme était le pire chemin pour devenir plus productif. Donc, pour être productif, pour avoir des économies d'échelle, il faut viser à moins d'entraves au commerce international entre le Québec, le Canada et les États-Unis.

D'autres raisons nous incitent à être productifs. Le vieillissement de la population qui, à moyen terme, va réduire la population active de nos sociétés. Logiquement, cela doit nous inciter à augmenter la production par tête, donc à rechercher une plus grande productivité pour maintenir notre niveau de vie et essayer de l'améliorer, si possible.

Une autre raison qui nous incite à éliminer ces entraves et à être plus productifs, les déficits que l'ensemble de nos sociétés et le Québec, depuis une dizaine d'années, ont accumulés, des déficits énormes qui constituent un poids pour la jeunesse d'aujourd'hui.

Il y a aussi le fait que le contexte actuel est favorable pour le Québec, notamment, pour faire face à une concurrence accrue, à certaines conditions. L'économie québécoise est en bonne santé et on me permettra de citer quelques chiffres. On sait que ce n'est peut-être pas la meilleure journée pour le chef de l'Opposition d'entendre quelques chiffres étant donné le résultat de l'élection partielle, hier, mais on me permettra de les lui mentionner, parce qu'on me reprochait d'être cachotier en fin de semaine, on reprochait au gouvernement de cacher ses bons coups. Alors, je fais mea culpa et je vais citer quelques chiffres pour montrer comment l'économie du Québec est en bonne santé.

On sait, par exemple, que depuis le début de l'année nous avons créé une moyenne de nouveaux emplois, sur les huit premiers mois, de 97 000. Si la moyenne se maintient nous pourrons obtenir près de 100 000 nouveaux emplois pour 1987; 62 000 en 1986, 100 000 en 1987. Notre objectif de création de nouveaux emplois est atteint. Nous nous étions engagés à créer 80 000 nouveaux emplois par année. Je pense que ceci mérite d'être dit. Peut-être qu'on aurait dû le dire avant mais je pense que l'occasion est propice pour le mentionner. Nous avons atteint l'objectif à 100 % de création de nouveaux emplois. On sait que le taux de croissance au Québec est l'un des plus élevés des sociétés industrialisées, supérieur à la plupart des pays et nous voulons le maintenir. D'ailleurs, un signe de confiance qui existe dans l'économie québécoise c'est cette baisse du taux d'épargne. Alors qu'on a atteint dans les années de grande crise économique, dans les pires années de la crise économique jusqu'à 18 % de taux d'épargne en 1981-1982, en 1987, le chiffre est

d'environ 10 %. Donc, c'est la meilleure preuve que les ciyoyens du Québec ont confiance dans notre avenir. (14 h 30)

M. le Président, il y a plusieurs études qui ont été rendues publiques et d'autres qui le seront. On me permettra de mentionner celle du Conseil économique du Canada, un organisme très respecté dont on ne peut certainement pas contester le sérieux, l'expertise et la pertinence. Comme on le sait, cette étude a révélé que, dans une situation de libre-échange, nous aurons, d'ici 1995, 350 000 nouveaux emplois. C'est quand même un chiffre intéressant et qui nous permet d'envisager cette négociation avec confiance, mais elle ne peut pas se faire à n'importe quelle condition. Le ministre du Commerce extérieur a mentionné à plusieurs reprises - et nous pourrons en parler abondamment au cours des prochains jours -qu'il fallait des programmes de réadaptation et pour les travailleurs et pour les entreprises. Il est évident qu'il n'est pas question, qu'il n'a jamais été question, d'établir le libre-échange sans période de transition, sans protéger des secteurs bien précis comme celui de l'agriculture, et nous l'avons fait constamment depuis le début des négociations.

Disons au passage que le gouvernement du Québec est étroitement impliqué dans cette négociation. Il faut signaler ce fédéralisme de concertation de la part du gouvernement fédéral et du premier ministre fédérai, M. Mulroney, qui implique d'une façon aussi étroite et régulière les différents gouvernements des provinces dans un domaine qui est de juridiction fédérale. Dans ces négociations qui sont entreprises par le gouvernement fédéral au nom du gouvernement et des provinces, nous avons l'occasion d'insister constamment sur les priorités du Québec, et le ministre du Commerce extérieur et son équipe dirigée par M. Warren.

Donc, M. le Président, en concluant, avant de reprendre la parole probablement tantôt à la suite du chef de l'Opposition, nous avons, sur cette question, une approche essentiellement pratique. En jargon, on peut dire une approche coûts-bénéfices. Qu'est-ce qu'il en coûte à l'économie québécoise d'entreprendre et de signer cette entente et quels sont les bénéfices qui peuvent en résulter? Les coûts, nous essayons de tes prévenir et de les assouplir avec des périodes de transition. Les bénéfices, je pense qu'ils sont essentiels à l'avenir de l'économie du Québec. Ce que nous faisans, c'est de préparer cet avenir d'une façon réaliste et efficace. En un mot: relever le défi de la modernité. C'était l'objectif du gouvernement il y a deux ans lorsqu'il a été élu et c'est ce qu'il essaie d'appliquer dans l'ensemble de ses politiques qui donnent déjà beaucoup de résultats positifs, y compris dans cette négociation sur le libre-échange.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le premier ministre. Je vais maintenant céder la parole au chef de l'Opposition.

M. Pierre Marc Johnson

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je remercie le premier ministre, bien que très tardivement, de nous avoir permis la tenue de cette commission parlementaire.

Permettez-moi d'emblée de dire que le sujet dont il est question ici, la libéralisation des échanges avec les Américains, est un sujet qui, normalement, ne devrait pas passer par-dessus la tête des citoyens. Pourquoi? Parce que ce sont des centaines de milliers d'emplois qui sont en cause» C'est aussi l'idée qu'on se fait du genre d'évolution qu'on veut connaître comme société pour les années à venir et l'idée qu'on se fait précisément de ce que cela va impliquer, à court et à moyen terme, à la fois dans le développement économique du Québec, dans le partage de la richesse et dans les instruments qu'on se donne collectivement, pour arriver à des objectifs de société.

Si les citoyens au Québec peuvent avoir l'impression qu'ils sont bousculés à dix-huit jours de la signature possible - peut-être hypothétique - de cette entente, c'est essentiellement parce que le gouvernement du Québec n'a pas fait son travail depuis un an et demi. Le premier ministre me permettra de le lui dire.

Je vois ici un rapport qui a été publié, il y a déjà de nombreux mois, par le Select Committee on Economic Affairs, The Ontario Trade Review, une commission parlementaire ontarienne qui a siégé sur cette question pendant un an et demi en impliquant des députés des deux côtés de la Chambre, des spécialistes, des économistes, en allant voir des citoyens et des experts. Ici, on n'a même pas droit à un communiqué de presse. Au lac Meech, on avait un communiqué de presse. Là, on n'a même pas un communiqué de presse. Alors, on va discuter du sexe des anges et la seule réponse à ces appréhensions sur le fond que nous a donnée le gouvernement jusqu'à maintenant, cela a été la réaction un peu étonnante, hier, de son ministre, M. MacDonald, avec M. Warren qui est le fonctionnaire no 1 du gouvernement du Québec dans ce dossier.

J'ai été frappé, au moment où M. Bourassa sortait de la réunion des premiers ministres, hier, à Ottawa, on avait l'impression qu'un manteau de prudence venait de tomber sur les épaules des premiers ministres du Canada qui disaient: Attention, il y a un torrent! À Québec, on avait M. MacDonald et M. Warren qui nous disaient qu'il fallait sauter dedans à pieds

joints. J'ai été frappé de voir aussi que dans ses commentaires M. Warren - malheureusement, nous ne pourrons l'entendre qu'à la fin de cette commission, ce qui, quant à nous, est regrettable, mais cela semble être le choix du gouvernement. Il parle de dislocation de secteurs entiers de l'économie et, pourtant, il ne précise pas. Il ne se prononce pas sur les questions de développement économique régional, il dit que, quant à la culture, à sa connaissance, tout va bien, mais on ne sait pas ce qu'il connaît, et qu'il est entendu que l'agriculture aura un statut particulier, alors que nous jugeons qu'elle devrait être exclue totalement de cette entente.

Il ne faudrait pas que cela passe pardessus la tête des citoyens, parce que ça va les toucher. Cela va les toucher dans quel contexte? D'abord, un des drames du Canada, c'est qu'il y manque 100 000 000 d'habitants. 25 000 000 de personnes réparties sur à peu près 3000 milles de long, sur une bande de terre qui longe les États-Unis pour l'essentiel, cela a amené ce pays-là à se construire de façon totalement aberrante. Cela a donné des situations de monopole et des interventions de l'État central inacceptables pour certains et, évidemment, absolument inacceptables pour le Québec. Le Canada a tenté de compenser cette situation absurde où il n'y avait pas un grand marché, essentiellement, en tentant d'exporter. C'est ce qu'il est parvenu à faire, au fur et à mesure des années, avec le résultat qu'à peu près 30 % du produit intérieur brut au Canada - c'est applicable au Québec aussi - est relié directement aux exportations.

Cela veut dire quoi? Cela veut dire qu'en pratique on exporte du bois, du papier, des produits finis, des chaises, des vêtements, des logiciels, des chaussures, de l'acier, du matériel de transport. Tout cela, ça fait tourner des usines au Québec et au Canada. Cela donne des emplois. En face de cela, on a chez nos voisins du Sud, notre principal partenaire commercial, 250 000 000 habitants, un marché gigantesque. Mais ce marché, comme le premier ministre l'évoquait tout à l'heure, est en mutation. Mais cette mutation, d'où vient-elle essentiellement? Elle vient d'abord et avant tout du fait que les Américains ont constaté depuis un certain nombre d'années que leur déficit budgétaire, en dépit des projets de M. Reagan, était encore de 200 000 000 000 $ et, deuxièmement, que leur balance des paiements est déficitaire de 140 000 000 000 $. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire qu'en pratique ce qui se vend aux États-Unis comme télévision, c'est fait au Japon, que de plus en plus d'ordinateurs sont faits en Corée, que les voitures que les Américains achètent sont des voitures souvent asiatiques. Ils sont tannés de voir leurs usines fermer d'un bout à l'autre des États-Unis. Alors, depuis quelques années, ils se sont mis à tenter de se protéger contre cette invasion de produits qui leur viennent de l'extérieur de leur pays alors qu'ils ont l'impression que ces mêmes pays, le Japon, la Corée, Taïwan, Singapour et d'autres, ne leur rendent pas la pareille, c'est-à-dire qu'en pratique ces pays asiatiques ne leur facilitent pas la tâche quand ils écoulent ou veulent écouler leurs produits sur ces marchés également considérables. On oublie souvent que les marchés asiatiques sont aussi importants que le marché européen ou le marché nord-américain.

Or, qu'est-ce qu'ils font? Ils adoptent depuis un certain nombre d'années des mesures protectionnistes, des tarifs spéciaux. Ils invoquent des raisons de normes et, en cours de route, on s'est rendu compte que leur partenaire principal qui était le Canada, dont ils ignorent souvent l'existence... Imaginez-vous le Québec pour eux! Imaginez-vous les régions-ressources du Québec pour eux! Cela ne veut rien dire.. Et, de façon accessoire, le Canada est devenu victime des mesures protectionnistes que les Américains dirigaient essentiellement contre les Asiatiques. Concrètement, ces mesures nous ont touchés. Vingt enquêtes antidumping depuis 1980 visant des produits canadiens, onze affaires de droit de compensation, treize affaires de droit de sauvegarde dans des secteurs aussi variés qui touchaient le Québec ou te Canada que le bois d'oeuvre -on l'a vu récemment - les wagons de passagers, les fleurs, les tuyaux d'acier, les souliers sans compter un certain nombre de produits du secteur agricole. On assiste donc, semble-t-il, à une fermeture du marché américain et, donc, le danger pour cette économie qui est la nôtre de perdre un marché qui est son marché principal pour 30 % de son activité économique et, donc, des centaines de milliers d'emplois que cela représente au Canada et au Québec.

Quel est donc le but de la négociation pour le Canada? Cela doit être d'abord et avant tout de préserver pour le Canada et le Québec la garantie d'un accès au marché américain. Cela doit être le but de la négociation pour le Québec et le Canada. Deuxièmement, c'est de soustraire le Canada et donc le Québec aux humeurs passagères du Congrès américain qui a tendance à adopter des lois... D'ailleurs, les projets de loi au Congrès américain - je vous le ferai remarquer - sont déposés là-bas presque sous la forme que les pétitions prennent ici à l'Assemblée nationale étant donné que l'initiative législative repose sur les membres de cette Assemblée alors qu'en pratique, chez nous, l'initiative législative relève du gouvernement. Mais si on n'atteint pas cela, la conservation ou la préservation d'une garantie d'accès au marché américain pour

nos produits et si on n'atteint pas une protection contre Ies humeurs du Congrès américain, il faudrait se demander pourquoi on veut faire du libre-échange. Pourquoi, en échange, on exposerait des pans entiers de notre économie, des dizaines de milliers d'emplois des secteurs aussi vitaux que la culture, l'agriculture, la capacité d'intervention de l'État québécois, nos moyens de développement régionaux, nos programmes sociaux, notre régime fiscal, dans un univers de plus en plus lié avec les Américains? Il faut donc aller chercher ces garanties, autrement, on passe à côté. La garantie d'accès et, deuxièmement, la garantie de nous soustraire aux humeurs arbitraires et passagères ou occasionnelles du Congrès américain.

Cela, c'est la fameuse question de l'arbitre. C'est évident, nous, on mesure à peu près cinq pieds, dix pouces, on pèse 150 livres, on est un peu vigoureux sur le plan commercial, surtout au Québec depuis quelques années, mais en avant, il faut être bien conscient, il mesure six pieds six pouces et il pèse 275 livres, c'est le géant américain. On est mieux de trouver un arbitre, parce que, pour nous "coltailler" avec cela, cela serait utile d'avoir un arbitre. En ce sens, il est évident qu'une chose essentielle dans la recherche d'une entente visant à protéger les marchés des produits canadiens et québécois sur le marché américain, l'une des questions essentielles qui se pose, c'est cette question d'un tribunal d'arbitrage.

Il faut cependant en cours de route éviter des pièges. D'abord, il faut être conscient que les objectifs des Américains ne sont pas les mêmes que les nôtres. Les objectifs des Américains ne sont pas compliqués, il veulent importer moins et exporter plus. C'est simple, simple, simple, et Dieu sait qu'ils connaissent cela, les négociations. Ils sont durs, à part cela, dans les négociations. Vous pourriez demander à bien du monde autour de la terre comment ça marche. Alors que le Canada vise à abaisser les barrières tarifaires des deux côtés réciproquement, les Américains, pour leur part, sont extrêmement préoccupés par ce qu'ils appellent les pratiques commerciales déloyales que constituent à leurs yeux nos barrières ou même, dans certains cas, juste nos programmes de soutien à certaines entreprises au Québec. Ils considèrent que c'est déloyal parce que, si au Québec on subventionne une entreprise qui fait un produit et que ce produit se ramasse sur le marché américain, il y a des chances qu'il coûte moins cher que celui qui aux États-Unis n'a pas été subventionné. Donc, c'est déloyal è leurs yeux.

Finalement, il faut éviter ce qu'on appelle la clause Israël qui est l'article 5 de l'entente entre les États-Unis et Israël signée en 1985 qui, à toutes fins utiles, permet au Congrès américain, en dépit de l'existence d'une entente entre les Américains et Israël, d'intervenir par ce qu'on appelle les clauses de sauvegarde. Cela veut dire que, quand il juge qu'un de ses secteurs est menacé par des produits qui viennent de ce pays qu'est Israël dans le cadre du traité qu'ils ont avec Israël le Congrès américain peut quand même intervenir. Il faut par ailleurs s'assurer que nous protégeons des secteurs québécois -la culture, cela va de soi, l'édition, le disque, le cinéma - des secteurs où nous sommes littéralement envahis par la production nord-américaine, et pas seulement américaine. (14 h 45)

Ce sont des choses aussi précises, Mme la ministre, que la possibilité de continuer à appliquer la loi 101, par exemple, sur l'étiquetage des produits, s'assurer qu'on n'est pas envahis ici par des produits où il n'y a pas un étiquetage qui peut être compris et lu par les gens dans leur langue, partout, dans les épiceries, dans les pharmacies, dans les magasins, dans les quincailleries. Ce sont des choses concrètes. Est-ce qu'on va laisser à un tribunal extérieur ou supranational, ou à une commission quelconque où nous serions quelques personnes seulement, sûrement une minorité, de décider, par exemple, que des pans de mur d'application de la réglementation au Québec en matière linguistique sont considérés comme "an infringement to commerce", c'est-à-dire un empêchement de circulation des biens? Il faut prendre les moyens pour cela.

Deuxièmement, il faut exclure le secteur de l'agriculture, carrément. Il y a des usines à quelques dizaines ou centaines de kilomètres de la ville de Sherbrooke, au sud, qui, en tournant trois heures de plus par fin de semaine, peuvent envahir le marché québécois en entier dans certains secteurs de production.

Le développement économique régional. C'est essentiel. Je pense au plan quinquennal que nous avons adopté au Québec à la fin des années soixante-dix, quand Yves Bérubé dirigeait le ministère de l'Énergie et des Ressources, et qui a permis par des subventions à l'industrie des pâtes et papiers au Québec de se rééquiper pour être concurrentielle, pour ne pas se faire dépasser par l'industrie américaine, particulièrement du sud des États-Unis, C'était une intervention majeure de l'État. Cela a sauvé des milliers d'emplois en Abitibi-Témiscamingue, dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, dans l'Estrie, parce qu'on pouvait intervenir avec un instrument qui s'appelait des sociétés d'État et des programmes particuliers d'intervention avec des objectifs de développement économique régional. Je

n'ai pas entendu un mot des gens du gouvernement du Québec sur la garantie qu'on va avoir qu'on va conserver ces moyens, que ce soit REXFOR, que ce soit nos interventions dans le secteur minier, les actions accréditives qui ont permis le développement et, par la suite, des programmes particuliers pour l'exploitation des mines dans le Nord-Est du Québec par des sociétés d'État. Est-ce que le rôle de nos sociétés d'État va être limité par la conclusion d'un accord de libre-échange? L'aide à certains secteurs particuliers - j'ai donné celui des pâtes et papiers - ce sera vrai ou ce devrait censé être vrai dans le secteur du vêtement, sa modernisation et particulièrement dans le secteur des nouvelles technologies.

L'énergie, on vend aux États-Unis - le premier ministre le sait - à 0,06 $ le kilowattheure. On vend pourtant au Québec à 0,024 $. Est-ce qu'un jour un tribunal entre les deux pays pourrait considérer que c'est déloyal que de vendre aux manufactures, ici, l'énergie à 0,02 $ le kilowattheure alors qu'on le vend 0,06 $ aux Américains quand on exporte, et que c'est déloyal parce que cela met ces compagnies dans une position où elles peuvent utiliser de l'énergie pour faire des produits, donc cela leur coûte moins cher les faire, donc elles vont pouvoir vendre le produit moins cher? C'est tout le secteur des richesses naturelles et du contrôle par des décisions étatiques dans une société qui s'est formée beaucoup par l'intervention de l'État, pas pour des motifs idéologiques d'ailleurs, pour des raisons bien pratiques, notamment, parce que c'est ce qui a permis au Québec de se développer largement depuis 25 ans et même de se donner des moyens de former une génération qui, elle, est en train de se bâtir grâce, notamment, au régime d'épargne-actions qui, à ma connaissance, n'a pas été implanté par le Parti libéral.

Ensuite, il faut être conscients à moyen terme des conséquences d'une intégration de plus en plus grande de notre économie à celle des États-Unis, notamment à l'égard de l'existence de programmes sociaux et d'un régime fiscal de taxation, oui, qui est plus élevé qu'aux États-Unis, mais qui fait qu'au Québec tout le monde a accès à des soins de santé gratuits, par exemple, ce qu'on ne peut pas dire dans le cas des Américains. Je ne prends que cet exemple.

Les objectifs derrière tout cela, ce sont donc des instruments de notre développement au niveau des garanties et des protections qu'on veut aller chercher, mais aussi la personne, l'individu, le citoyen. Je pense, notamment, à la période de transition que le premier ministre a évoquée si rapidement et sur laquelle, je suis sûr, il reviendra, ou son ministre. Est-ce que vous avez préparé la période de transition? Les avez-vous les dizaines de millions de dollars que cela prend? Avez-vous obtenu les décisions de l'État fédéral, avant qu'on se jette dans le torrent, pour nous assurer ici que, si cela ferme dans le secteur du textile, les gens ne se retrouvent pas avec rien, pas de revenu, pas de recyclage possible? Ces choses-là se préparent. Je n'ai rien vu de ce gouvernement depuis un an et demi qui me démontre que cela a été préparé, parce que le gouvernement en a traité strictement sur un plan idéologique ou politique et il vient ici nous faire des leçons de pragmatisme.

Il faut finalement nous assurer qu'au-delà de tout cela, sur le plan constitutionnel - la question n'a pas été évoquée par le premier ministre, je présume qu'il le fera ou un de ses ministres - le Québec n'en perd pas plus qu'il en a perdu jusqu'à maintenant quant à l'utilisation de la constitution et ses pouvoirs. On sait les appétits du fédéral d'amener un jour la Cour suprême à renverser le jugement du Conseil privé en matière de ratification et de rôle international des gouvernements st des États provinciaux.

S'assurer également que l'État fédéral ne profite pas de la lancée du libre-échange pour centraliser des pouvoirs, notamment en ce qui touche les institutions financières, quand on sait que s'est développé au Québec un réseau fort solide, de plus en plus fort et solide, mais à qui il reste des pas à faire dans le secteur des institutions financières: l'assurance, le courtage, la Bourse. S'assurer que le fédéral ne se sert pas du libre-échange pour nous amener, à toutes fins utiles, à devoir subir la réglementation fédérale dans ce secteur-là.

Finalement, sur le plan intérieur, qu'il y ait une entente ou qu'il n'y en ait pas, M. le premier ministre, cela prendra un jour des politiques de développement économique et cela présuppose que vous avez une vision claire des grands secteurs qui sont les secteurs en développement du Québec et que vous ne laissez pas cela seulement et uniquement entre les mains d'une loi du marché qui est faite en général pour les plus forts ou les détenteurs du pouvoir ou ceux qui ont les dés pipés dans leurs mains - je pense ici à l'État fédéral et à l'Ontario. Vous devrez faire appel à une certaine vision qui présuppose que, collectivement, on se forme des projets, on se rende compte du coût de ce que cela représente comme société de choisir d'être différent et ne pas, de façon trop simple, abandonner un certain nombre de projets communs dont les racines sont non seulement dans notre histoire mais dans la fibre de tous les Québécois. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le chef de l'Opposition. Le premier ministre m'a indiqué qu'il voulait vous donner

la réplique, ce qui serait normal, sauf que je dois vous indiquer que le temps que l'un et l'autre intervenant prendra sera pris dans la banque de 30 minutes prévue pour des commentaires additionnels soit d'autres membres de la commission, soit des premiers intervenants. Donc, nous entendrons le premier ministre. Je présume qu'il y aura possiblement une réplique de l'autre côté. Par la suite nous donnerons la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, si le premier ministre me le permet, je n'aurais pas d'objection à échanger un peu avec le premier ministre sauf que je voudrais m'assurer que mon collègues M. Jean-Guy Parent, qui est député de Bertrand et que le premier ministre connaît bien, puisse intervenir au cours de ce débat et qu'il en ait le temps. On nous avait dit que, normalement, il aurait à peu près 25 minutes. Si le premier ministre prend le temps de son ministre et me dit ensuite que je ne veux pas lui donner la réplique... Je tiens absolument à ce que M. Parent puisse intervenir.

Le Président (M. Charbonneau): M. le chef de l'Opposition, il n'est pas question qu'on procède de cette façon-là. C'est à l'intérieur des 30 minutes prévues pour des commentaires additionnels que les répliques peuvent être faites. Donc, cela conserve le temps pour les interventions du ministre et du député de Bertrand qui sont prévues et gelées - si on peut s'exprimer ainsi - dans le ciment en fonction de l'entente qu'on a déjà et qui a été ratifiée à l'occasion de notre séance de travail.

M. le premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: "Réplique" c'est un grand mot, M. le Président, parce qu'il y a beaucoup de choses qui ont été dites par le chef de l'Opposition qui confirment le point de vue du gouvernement. En l'entendant, je me demandais si, à l'occasion, il ne pourrait pas me remplacer à la table de négociation.

M. Johnson (Anjou): Cela viendra un jour! Ne vous en faites pas!

M. Bourassa: Ce n'est peut-être pas la meilleure journée pour dire cela.

Je voudrais dire ceci à mon ami le chef de l'Opposition, sur quelques reproches qu'il a faits au gouvernement par rapport au délai qui était donné. On nous a reproché, relativement aux audiences parlementaires concernant l'entente du lac Meech, d'arriver après l'entente. Je me souviens que le chef de l'Opposition a dit: Qu'est-ce que cela donne d'avoir des audiences publiques? C'est réglé! Là, je fais un effort pour qu'on soit en position de connaissance du dossier, sans que ce soit complété. Le gouvernement et le ministre du Commerce extérieur font un effort pour qu'on puisse discuter avant la conclusion de la première étape. Là, le chef de l'Opposition nous en fait des reproches. C'est un problème de logique que j'ai parfois avec lui, de comprendre sa démarche, sa dialectique. Je retrouve encore cela aujourd'hui.

Quand il dit qu'au moins les membres avaient un communiqué de presse dans le cas de l'entente du lac Meech, il y a quand même des études qui ont été rendues publiques, dont "La libéralisation des échanges avec les États-Unis: une perspective québécoise"; je crois que le député de Bertrand en a eu une copie. C'est 88 pages, c'est plus qu'un communiqué de presse. Il y a eu un document de synthèse de la position québécoise qui a été rendu public hier, je crois, qui s'ajoute à ce document. Donc, je suis obligé de dire que c'est plus qu'un communiqué de presse. Je dis au chef de l'Opposition... Également...

M. Johnson (Anjou): Bel effort!

M. Bourassa: Non, on rétablit les faits. Pour ce qui a trait à l'étude de l'Ontario, je vois dans cette étude qu'elle date de novembre 1985, alors que le chef de l'Opposition était premier ministre durant ces quelques semaines.

M. Johnson (Anjou): Octobre 1986.

M. Bourassa: J'en ai une ici, c'est novembre...

M. Johnson (Anjou): Le rapport a été commencé...

M. Bourassa: ...septembre 1986, novembre... Cela date quand même d'avant que les négociations soient entreprises sérieusement. Donc, c'est un peu exagé ou inexact de la part du chef de l'Opposition d'invoquer cette étude. Nous sommes, sauf erreur, la seule province qui tient des audiences publiques sur les négociations en cours, non pas sur le libre-échange sectoriel ou d'autres genres de négociations.

M. le Président, juste pour reiever certains points puisque l'on doit constater, heureusement, cet après-midi, que l'Opposition est d'accord avec le point de vue du gouvernement. Je pense que l'Opposition manifeste son accord pour qu'on essaie d'avoir une entente de libre-échange moyennant certaines conditions.

L'établissement d'un mécanisme protégeant contre les décisions unilatérales du gouvernement américain, je crois que j'ai eu l'occasion - le ministre également, ainsi

que plusieurs de mes collègues - d'insister sur cet aspect.

Sur l'agriculture, on est également d'accord; j'en ai parlé dès le mois de janvier dernier à Mme Carney, alors que nous étions ensemble à Davos pour un séminaire sur l'économie internationale. J'ai dit qu'il fallait que ce soit exempté étant donné que le Québec, notamment, avait des intérêts très importants. Cela a été accepté et pour une raison bien simple, c'est que ce sera négocié au GATT parce que le Canada n'est pas un partenaire majeur dans les questions agricoles par rapport aux États-Unis et au marché commun.

Il y a juste l'expression du chef de l'Opposition que "cela doit être exclu totalement". J'espère qu'il pourra nous donner certaines indications, ou encore le député de Bertrand qui a quand même démontré une bonne connaissance; je suis d'accord avec lui. Le chef de l'Opposition n'était pas obligé de l'improviser ministre six semaines avant l'élection dans un comté à tradition péquiste, il avait sa propre expertise. Ce que je dis au chef de l'Opposition, c'est que, lorsqu'il parle d'agriculture étant exclue totalement, est-ce qu'il veut dire que toute la question des normes, par exemple, leur assouplissement qui pourrait faciliter les exportations agricoles du Québec, qu'on devrait refuser de négocier cela? Il n'y a pas seulement la question des subsides dans le domaine de l'agriculture, il y a d'autres aspects dans le commerce international. Je voudrais peut-être qu'il clarifie sa pensée sur ce point. (15 heures)

Sur la question de la centralisation fédérale, j'ai eu l'occasion de mentionner qu'on n'a pas au Canada, actuellement, un gouvernement qui vise à centraliser davantage l'exercice du pouvoir. Je tiens à le répéter. Nous avons été convoqués régulièrement, à tous les trois mois. On sait fort bien que ce n'est pas une situation qui existe aux États-Unis. À ma connaissance, le président américain ne convoque pas les gouverneurs régulièrement, à tous les trois mois, pour discuter d'une question qui relève de la juridiction fédérale. Â ma connaissance, dans un autre régime fédéral qui peut se comparer à celui du Canada, le chancelier allemand ne convoque pas les ministres-présidents des länder pour discuter de politiques du marché commun. Nous avons un gouvernement qui, conscient de l'importance des provinces dans le fonctionnement politique de notre pays, convoque systématiquement les premiers ministres pour participer à cette négociation.

Pour ce qui a trait aux clauses de sauvegarde qu'a évoquées le chef de l'Opposition, c'est clair que ceci nous ramène aux mécanismes comme tels. C'est une grosse concession pour les Américains. Je l'ai constaté la semaine dernière en discutant avec des experts. C'est une grosse concession pour eux parce qu'ils ont été, à ce jour, toujours extrêmement réticents à faire la moindre concession sur la souveraineté. Souvenons-nous, par exemple, du président Wilson qui, en raison de recommandations de la Ligue des nations, avait essayé d'obtenir à la suite de la première Guerre mondiale des concessions du Congrès pour l'application de sanctions. Il n'a pas été capable d'obtenir cette concession du Congrès. Souvenons-nous du Traité sur le droit de la mer où les États-Unis ont été probablement le seul pays à refuser d'accepter une concession de leur souveraineté. Donc, ce n'est pas un objectif qui sera facile à atteindre. Mais l'Opposition et le gouvernement sont d'accord sur cela pour constater que si nous n'avons pas une forme de mécanisme qui nous protège contre des actions unilatérales... Je comprends que le chef de l'Opposition mentionne des fermetures d'usine aux États-Unis mais je veux dire que cela existe aussi du côté canadien. Le taux de chômage au Canada est nettement plus élevé, 35 % plus élevé qu'aux États-Unis; 6,1 % par rapport à 8,8 %. Je crois que sur cela nous sommes tout à fait d'accord pour obtenir des Américains une forme de mécanisme nous protégeant contre ce type d'action.

Pour ce qui a trait au secteur de la culture, Mme la ministre en parlera. Je crois que sur cela encore il y aura facilement consensus.

Sur le développement régional, je voudrais simplement signaler au chef de l'Opposition que nous sommes en face d'une situation où les États-Unis tiennent également à garder leur politique de développement régional. La Louisiane, l'Ohio, la Californie; ils veulent être encore capables d'attirer Toyota ou Honda ou d'autres entreprises. Ils veulent garder leurs pouvoirs. Ils me l'ont dit à Traverse City au Michigan, à la fin de juillet. Les gouverneurs américains veulent garder leurs pouvoirs pour favoriser le développement régional dans leurs États. Les Américains ne peuvent pas logiquement et sérieusement demander au Québec, aux provinces et au gouvernement fédéral d'abandonner leur pouvoir de favoriser le développement régional en exigeant qu'eux puissent le garder. Donc, il y a tout de même dans cette négociation une situation qui nous protège d'une certaine façon et qu'on a constatée évidemment à la table de négociation.

Sur l'énergie, j'aurai peut-être l'occasion d'y revenir, je pourrais en parler très longuement comme probablement le devine le chef de l'Opposition. C'est le grand atout économique du Québec, le développement nordique et l'énergie hydroélectrique. Encore là, je vois qu'il y a un ralliement de l'Opposition au point de vue du gouvernement. Cela n'a pas toujours été leur

attitude. Il n'est pas question pour le Québec de sacrifier ses pouvoirs qu'il possède à cause d'une richesse naturelle fabuleuse pour améliorer le bien-être économique des Québécois.

Je veux féliciter le chef de l'Opposition pour la façon responsable, non démagogique avec laquelle il a abordé cette discussion et je veux me réjouir que sur une question aussi fondamentale pour notre avenir collectif l'Opposition et le gouvernement sont en très bonne partie d'accord.

Le Président (M. Charbonneau): M. le chef de l'Opposition.

M. Pierre Marc Johnson

M. Johnson (Anjou): Oui, M. le Président. Puisque le premier ministre est dans la rectification des faits, je ferai remarquer qu'en Allemagne les länder sont consultés systématiquement sur les questions communautaires. Deuxièmement, dans l'affaire du Traité du droit de la mer il n'était pas question de concession sur la souveraineté. Un certain nombre d'autres États, par exemple, comme le Royaume-Uni et la République fédérale d'Allemagne, se sont opposés à ces traités.

Le premier ministre nous dit que... Ce sont les mots qu'il emploie qui m'inquiètent. Il nous dit: Je n'ai pas d'objection qu'on protège l'agriculture. Non, non, j'ai demandé: Est-ce votre objectif? Ce n'est pas la même chose. Je ne dis pas: si vous n'avez pas d'objection à...

Vous nous dites que, oui, il va sûrement y avoir un consensus sur la nécessité de faire attention à la culture. Ce n'est pas cela que je lui demande. Cela serait bien le bout si le gouvernement du Québec, fût-il libéral, n'était pas sensible à la nécessité de protéger le secteur culturel; ce n'est pas cela que je lui demande. Je lui demande simplement: Est-ce qu'il va l'obtenir? Parce que c'est cela son rôle, ce n'est pas de venir nous expliquer ici, en commission parlementaire, qu'il trouve qu'on a raison sur un certain nombre de conditions de base qui nous apparaissent essentielles, sans lesquelles nous n'en voulons pas de ce traité. Mais il s'agit de savoir s'il va les obtenir et ce qu'il a fait pour les obtenir. La question n'est pas là, parce que cela pourrait être un exercice un peu inutile. D'autant plus que, dans le cas de la négociation constitutionnelle, je le rappellerai au premier ministre, quand il s'est rendu au lac Meech, il a négocié quelque chose sur la langue et il s'est aperçu en revenant qu'il avait donné sa chemise sur la langue sans s'en apercevoir, entre la société distincte et le caractère bilingue du Canada, et il a été obligé d'essayer de jouer cela comme il a pu dans l'édifice Langevin quelques semaines après pour essayer d'obtenir une vague modification qui, elle, n'offre aucune garantie au Québec en matière linguistique. Je parle ici du processus, je suis inquiet devant le processus, devant les mots trop vagues que le premier ministre utilise. Je suis inquiet de voir que le Québec a l'air de courir après une entente de libre-échange alors qu'il est pris pour subir une réalité que les Américains imposent à tous les partenaires commerciaux depuis quelques années et que, â toutes fins utiles, on se retrouve à négocier à genoux. Je comprends que le Canada, ce n'est pas gros à côté des États-Unis, mais on sait aussi que, pour des raisons... Si le premier ministre pouvait expliquer à son député qu'il aura l'occasion de s'exprimer par la suite, je lui promets de ne pas l'interrompre.

On sait très bien que le Canada et les États-Unis ont des intérêts géopolitiques évidents. Les États-Unis sont la plus puissante des démocraties occidentales. Le Canada est un pays qui a réussi, en dépit de ses difficultés intérieures constantes et qui ne sont pas terminées soit dit en passant, â quand même s'asseoir à une certaine place sur le plan des démocraties occidentales dans les questions internationales et les Américains tiennent à garder la qualité des relations avec le Canada. C'est d'ailleurs pour cela que ça les fait frémir un peu d'entendre que M. Broadbent dit qu'il va se retirer de l'OTAN et de NORAD et probablement que cela... Je ne sais pas, d'après moi, ils aimeraient mieux régler avec vous tant qu'à y être plutôt qu'avec Broadbent, tant qu'à être mal pris sur une question comme celle-là.

Il est évident qu'il y a un certain nombre d'intérêts importants entre le Canada et les États-Unis qui transcendent les questions quotidiennes sur le plan commercial qui sont importantes pour nous; c'est important pour les emplois, bon Dieu! dans nos usines. Parmi les motifs qu'ont les Américains d'aborder cette question, c'est de conserver des relations de qualité avec le Canada, pour des raisons qui dépassent, dans le fond, et le Québec et le Canada, disons-le bien. Mais il ne faudrait pas qu'au nom de cela on se retrouve dans une situation où on dit: On n'aurait pas d'objection à obtenir, mais il faut aller chercher des choses dans cette entente. Il faut sortir de l'espèce de logique défensive dans laquelle le Canada s'est mis depuis un certain nombre d'années. Si on ne sort pas de la logique défensive, on va signer un traité qui sera mauvais pour le Québec et le Canada. Je n'aime pas voir cette attitude trop défensive du premier ministre dans le dossier. C'est inquiétant.

Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que j'ai vu hier le premier ministre, en sortant de la réunion des premiers ministres à Ottawa, évoquer le fait qu'il serait prêt à des concessions sur la question du tribunal

d'arbitrage. Il faut bien se comprendre, s'il n'y a pas d'autorité librement consentie par les deux parties qui décide des questions litigieuses entre le Canada et les États-Unis ou encore, je m'exprime autrement, si le Congrès des États-Unis conserve la capacité d'adopter systématiquement des mesures au nom des droits de sauvegarde ou des droits compensatoires, il faudrait bien se comprendre, on n'a rien gagné.

On a peut-être gagné un peu naïvement. On a l'impression que nous allons, comme des Tarzan, envahir le marché américain. Minutel 85 % de nos produits ont accès au marché américain. Je rencontre des gens d'entreprises au Québec et je leur dis: Qu'est-ce qui t'empêche, toi, d'aller aux États-Unis? Ce ne sont pas les tarifs. Ce ne sont pas les lois américaines. C'est parce qu'on n'est peut-être pas assez organisé dans certains secteurs pour exporter; parce qu'on n'a pas les moyens ou parce que le ministre MacDonald doit fermer des délégations du Québec aux États-Unis qui s'occupaient de cela. Cela n'a rien à voir avec le libre-échange. Il ne faut pas donner au libre-échange des vertus qu'il n'a pas. Je trouve que le premier ministre, au nom d'un prétendu pragmatisme, donne beaucoup dans l'idéologie en ce moment. Il donne beaucoup dans l'idéologie. Cela, je trouve ça préoccupant, parce que, quand un libéral se met à être idéologique, c'est dangereux. Nous avons une tradition, chez nous. On contrôle mieux cela que vous quant à ses effets. Mais, que vous vous mettez à être idéologiques, vous êtes dangereux, pour les citoyens, j'entends. On a déjà vu cela entre 1970 et 1976.

Je me permets de terminer en disant au premier ministre que - je veux bien croire qu'il m'a posé une question - le comité ontarien dont je lui parle a été formé en 1985, qu'il a établi un rapport préliminaire quelque temps après et un rapport de nature définitive en septembre 1986. Ils étaient un an d'avance sur vous, les Ontariens. Ce qui m'inquiète, c'est qu'ils se retrouvent dix ans en avance sur nous après cette affaire, si on ne fait pas attention. Merci.

Le Président (M. Charbonneau):

Mesdames, messieurs, il reste - je vous le rappelle, parce qu'on vient de me demander d'utiliser encore des minutes - huit minutes de chaque côté dans la banque de 3D minutes. Le premier ministre m'a demandé ainsi que son collègue du Commerce extérieur d'en utiliser encore. Alors, je signale à vous deux que vous avez, au maximum, huit minutes. Allez-y.

M. Bourassa: D'accord. Je voudrais juste reprendre un point du chef de l'Opposition. D'abord, je ne ferai pas de querelles sur la question de l'Ontario. Il reste quand même que ce n'était pas relié directement, comme actuellement, aux négociations du libre-échange. Cela remonte à juillet 1986, au-delà de 20 mois. Si le chef de l'Opposition veut nous donner l'occasion, on pourrait également discuter du fonctionnement du fédéralisme allemand à travers les institutions communautaires. On pourrait avoir un bon débat là-dessus, mais je ne crois pas que c'est prioritaire aujourd'hui.

Je pourrais, encore là, comme c'est devenu mon habitude, rectifier les faits. Mais ce qui est important ou plus pertinent dans ce qu'il a dit, c'est la question du mécanisme. Le chef de l'Opposition a dit dans ses remarques: II ne faudrait pas qu'il y ait un jugement qui pourrait affecter la souveraineté culturelle du Québec à cause de ce mécanisme d'arbitrage et, après, il me reproche d'essayer peut-être d'envisager comme hypothèse de limiter ce mécanisme d'arbitrage aux questions commerciales.

Je ne comprends pas, encore une fois, parce que si on prend comme hypothèse, étant donné la nouveauté du mécanisme, de limiter ou de considérer... C'est purement une hypothèse que je mentionnais hier; ce n'est pas une concession. C'est une hypothèse qui peut peut-être favoriser une entente. Je ne veux pas interférer, surtout à l'étape cruciale des négociations, publiquement dans la négociation actuelle. Mais si, par hasard, c'était une formule qu'on peut considérer, sa crainte qu'une décision d'un tribunal pourrait affecter l'autonomie culturelle du Québec n'existe plus. Pourquoi m'en faire le reproche?

M. Johnson (Anjou): Si le premier ministre me permet de répondre là-dessus deux secondes, vous comprendrez que nous travaillons avec les commentaires que vous donnez debout dans les couloirs quand vous avez le temps de parler aux journalistes. C'est pour cela qu'on vous demande des documents et des choses précises que vous ne nous donnez pas depuis un an et demi.

Le premier ministre vient de nous dire que l'interprétation qu'il donne... Ce que j'ai compris, c'est que toute la presse au Canada a interprété ses propos comme étant une concession majeure et il vient de me dire: Non, au contraire! Je veux vraiment que ce soit un "binding arbitration system" - c'est de cela qu'il parle - en matière commerciale, pour reprendre le vocabulaire qui est utilisé à Ottawa de ce temps-ci. (15 h 15)

Je dis au premier ministre: Est-ce que, oui ou non, il pourrait nous dire s'il soumet l'approbation du Québec à une telle entente dont les conséquences peuvent être considérables à la condition sine qua non de la réalisation de l'objectif suivant: II faut que le mécanisme d'arbitrage qui fait que le

Congrès américain se départit de son pouvoir unilatéral d'imposer des tarifs s'applique à toutes les matières commerciales? Est-ce que c'est bien ce qu'il me dit?

M. Bourassa: Ce que je dis... D'abord, le chef de l'Opposition dit que j'ai... Il m'a mal interprété hier. Je ne lui demande pas d'avoir toujours un...

M. Johnson (Anjou): Je n'ai pas eu l'impression que j'étais tout seul.

M. Bourassa: ...niveau très élevé de subtilité politique, mats il me semble qu'il est en mesure de comprendre, étant donné qu'il avance ces arguments, qu'un mécanisme d'arbitrage qui pourrait s'appliquer aux industries culturelles, au secteur culturel pourrait comporter des risques.

M. Johnson (Anjou): D'accord.

M. Bourassa: Encore une fois, on est d'accord. Mais c'est moi qui suis obligé de poser des questions, d'argumenter pour montrer ce consensus profondément québécois qui existe sur cette question. Quant au reste, on verra les conclusions des négociations.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je n'ai pas d'objection à ce qu'on entende le ministre. Cela va peut-être être plus substantif.

Le Président (M. Charbonneau): Alors...

M. Bourassa: C'est la seule réponse que vous avez?

Le Président (M. Charbonneau):

Considérant que...

M. Bourassa: ...répondre aux questions. M. Johnson (Anjou): Oui.

Le Président (M. Charbonneau): À ce moment-ci, je pense que c'est bien parti. Je voudrais bien que cela continue comme cela tout le long de nos délibérations. Je vous invite à retenir vos élans éventuels. Je vais céder la parole au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique en vous rappelant qu'il reste quelques minutes de chaque côté, ce qui permettra au ministre et au critique de l'Opposition de répliquer aussi mutuellement dans un temps moins long que celui du premier ministre et du chef de l'Opposition. M. le ministre.

M. Pierre MacDonald

M. MacDonald: M. le Président, les audiences publiques que la commission parle- mentaire de l'économie et du travail entreprend aujourd'hui sur la position du Québec concernant le libre-échange sont sans précédent et ce, à plusieurs égards.

Sans précédent d'abord parce que, pour la première fois dans son histoire, le Québec est intimement impliqué dans une négociation commerciale internationale de grande envergure. Si elle réussit, cette négociation pourrait bien amener le Québec à prendre des engagements politiques importants auxquels l'Assemblée nationale sera appelée à donner une forme législative pour les matières qui relèvent de sa compétence.

Une voix: Il n'est pas trop arrogant, non.

M. MacDonald: Sans précédent également parce que le gouvernement du Québec est le seul gouvernement au Canada qui a estimé nécessaire de tenir des audiences publiques sur la position qu'il défend dans le cadre des négociations du libre-échange avant leur conclusion. Je crois qu'il vaut la peine de souligner cet aspect original de la démarche du Québec et de répondre aux préoccupations du chef de l'Opposition.

Depuis le début des travaux préparatoires, depuis le début de 1986, ce gouvernement a tenu à associer toutes les parties intéressées, c'est-à-dire les entreprises et leurs associations, les travailleurs et leurs syndicats, ainsi que la population en général, au processus de détermination des intérêts du Québec et, partant, de sa position dans le dossier du libre-échange.

Le principal véhicule de cette démarche a été, bien sûr, le Comité consultatif sur ta libéralisation des échanges, qu'on désigne plus familièrement sous le nom de comité Warren, du nom de son président. J'ai rendu public hier le rapport du comité et ses recommandations et nous pourrons en faire état plus en détail au moment le plus opportun des travaux de ta commission. Je vous signale cependant que, depuis le mois d'avril 1986, une cinquantaine d'organismes ont été entendus et que la majorité des témoignages s'avèrent positifs face à la libéralisation des échanges. Le premier ministre, mes collègues ministres et députés et moi-même avons également eu l'occasion à plusieurs dizaines de reprises au cours des 18 derniers mois d'évoquer publiquement les enjeux du libre-échange pour le Québec.

Le gouvernement a également publié en mai dernier l'essentiel de ses analyses sur l'ensemble des sujets qui font l'objet des négociations. Nous avons déposé aujourd'hui une mise à jour et une synthèse de ce document. Encore une fois, te gouvernement du Québec est le seul gouvernement, à ma connaissance, à avoir démontré ce degré d'ouverture.

Les audiences que nous entreprenons aujourd'hui s'inscrivent donc dans une suite d'actions concrètes qui visent à faire jouer le faisceau le plus large possible d'opinions et de points de vue dans la détermination des intérêts du Québec. Même si nous approchons de l'étape finale des négociations proprement dites, il serait faux de penser que tout est joué et que les représentations que nous allons recevoir dans les prochains jours de la bouche même des parties les plus intéressées ne vont servir qu'un but pédagogique, qu'à informer un plus grand nombre de citoyens des enjeux de ces négociations. Comme dans toute négociation, la plupart des grandes questions ne feront l'objet d'accord que dans les derniers jours, voire même les dernières heures de la négociation. Il importe donc, pour tous ceux et celles qui prendront la peine de venir témoigner devant nous, de savoir que le gouvernement est à l'écoute et qu'il reste possible d'accentuer tel ou tel point de la position que le Québec a défendue jusqu'ici ou de corriger carrément le tir, s'il s'avérait que nous avions mal visé.

M. le Président, permettez-moi d'insister sur deux aspects fondamentaux de la forme que devront prendre nos délibérations dans les prochains jours. Le Québec, comme toutes les autres provinces, est associé de près au processus des négociations par le biais de mécanismes que j'exposerai en détail dans quelques minutes. Cependant, c'est au gouvernement fédéral qu'incombe la tâche de négocier comme telle. De plus, les négociations sont maintenant dans leur phase la plus délicate. Vous comprendrez donc qu'il ne sera pas question pour moi ou mes collaborateurs d'évoquer directement le déroulement des négociations ou tel et tel élément de tactique de la partie canadienne ou américaine, autrement qu'en termes très généraux. Le moment de ces questions viendra une fois que les termes de l'accord seront connus, après le 5 octobre. Pour le moment, le but de nos audiences est d'examiner la position du Québec dans ces négociations et les intérêts qui la sous-tendent.

L'autre donnée fondamentale qui donnera le ton à nos délibérations concerne les relations entre le gouvernement et l'Opposition sur le dossier du libre-échange. À toutes les occasions que nous avons eues de débattre ce dossier à l'Assemblée nationale ou ailleurs, et je rappelle à tous que le libre-échange a fait l'objet plus particulièrement d'une interpellation le 22 mai dernier à l'occasion de laquelle nous avons répondu aux questions de l'Opposition pendant trois heures, chaque fois que nous avons discuté de libre-échange, le ton a été serein, le débat objectif et dénué de partisanerie des deux câtés. Je crois qu'il sied à un dossier de cette importance nationale que cette attitude d'objectivité et de non-partisanerie continue de caractériser nos interventions comme membres de cette commission,, J'ose espérer que cette attitude caractérisera également les témoignages que nous entendrons durant la tenue de la commission.

Après ces remarques préliminaires, j'en viens maintenant à mon propos principal. Avant de commencer à entendre nos témoins qui tiendront sans aucun doute pour leur part à éclairer les aspects plus spécifiques qui les intéressent, je crois qu'il n'est pas inutile de rappeler les circonstances récentes qui ont en quelque sorte déterminé la situation qui est la nôtre aujourd'hui en matière de politique commerciale canadienne.

J'ai l'intention de rappeler d'abord: la raison d'être et la nature des négociations; ensuite, l'attitude du Québec face à l'initiative qu'a prise le gouvernement fédéral de demander l'ouverture de telles négociations et, finalement, j'évoquerai certaines des conséquences possibles du succès ou de l'échec de ces négociations pour le Québec.

Dans un document majeur publié en septembre 1983 et intitulé "La politique commerciale du Canada pour les années 80", le gouvernement fédéral d'alors avait tiré quelques grandes conclusions sur l'importance et sur la gestion de nos relations commerciales qu'il convient de rappeler brièvement.

Le Canada est essentiellement tributaire du commerce extérieur pour maintenir son niveau de vie. Près du tiers de chaque chèque de paie au Canada provient des exportations. Je souligne tout de suite que cette situation n'a pas changé et qu'elle n'est pas sensiblement différente pour le Québec. Comme vous pouvez le constater au milieu du tableau 1, le Québec expédie 40 % de son produit intérieur brut en dehors de ses frontières et près de la moitié de ses exportations sont des exportations internationales.

Le Canada est aussi de plus en plus dépendant du marché américain pour ses exportations. Alors que la part de nos exportations absorbée par les États-Unis a oscillé entre 65 % et 70 % durant les années 1960 et 1970, c'est maintenant près de 80 % de nos exportations qui prennent le chemin du sud. Encore ici, la situation n'est pas différente pour le Québec, comme on le voit au tableau suivant: 77,5 % de nos exportations internationales sont allées aux États-Unis en 1986 alors que cette proportion n'était que de 65 % en 1981. Dans le même intervalle, nos exportations vers la Communauté économique européenne diminuaient et atteignaient un plateau dans le cas du Japon.

Même si le GATT a bien servi les

intérêts du Canada, il montre des signes de vieillissement et présente certaines lacunes importantes. Ainsi, nous avons un intérêt certain à l'amélioration et au renforcement du système multilatéral, et le nouveau round de négociations lancé il y a un an à Punta del Este, en Uruguay, est porteur d'avenir. Cependant, il s'agit d'un processus long et dont les résultats sont loin d'être probants à ce moment-ci.

Enfin, depuis le début des années quatre-vingt, les États-Unis poursuivent très agressivement leurs intérêts commerciaux et font montre d'un protectionnisme croissant. En 1980, 20 % des biens produits aux États-Unis étaient protégés par une large panoplie de mesures restrictives à l'importation. Aujourd'hui, ce pourcentage est de 35 %. Qu'il s'agisse de mesures de sauvegarde, d'actions contre le dumping ou les exportations subventionnées ou les pratiques commerciales déloyales, le nombre d'enquêtes et de mesures restrictives s'est multiplié. On voit d'ailleurs une compilation de celles-ci au tableau suivant.

Bien entendu, toutes ces mesures n'affectent pas également nos exportations. II faut encore souligner que la majeure partie de nos exportations franchissent la frontière sans problème. Cependant, l'effet cumulatif peut être important. Ainsi, comme on le voit au tableau suivant, quelque 6 500 000 000 $ d'exportations canadiennes ont été affectés annuellement entre 1982 et 1985. Ce qu'il y a de plus inquiétant cependant, au-delà de l'augmentation du nombre d'enquêtes, c'est l'incertitude créée au Canada par cette augmentation et par le succès retentissant qu'ont obtenu certains producteurs américains par une utilisation abusive du système de protection contingente. Le cas du bois d'oeuvre résineux, le bois de sciage, est assez frais dans nos mémoires pour ne pas l'évoquer à nouveau en détail.

Les deux versions du nouveau "Trade Bill" adoptées cette année par la Chambre des représentants et le Sénat vont très certainement accentuer cette tendance, par ailleurs déjà très inquiétante. Un spécialiste du droit commercial américain qui ne plaisantait qu'à demi affirmait récemment dans un colloque que l'investissement le plus rentable qu'une compagnie ou un groupe de compagnies pouvait faire ces temps-ci aux États-Unis était de retenir les services d'un avocat et de déposer une pétition au gouvernement pour obtenir qu'on restreigne les importations de produits concurrents. Plus sérieusement, l'effet le plus pernicieux de ces actions protectionnistes et aussi le plus difficile à mesurer, c'est évidemment l'érosion de la confiance dont ont besoin les investisseurs et les entrepreneurs au Canada. Il n'y a en effet que peu de secteurs industriels pour lesquels le marché canadien à lui seul justifie des installations de taille optimale. On voit donc clairement le danger.

Que faire devant une telle situation? Le statu quo n'est clairement et carrément plus viable. Les auteurs du rapport de 1983, pour qui la détérioratio.n du climat des relations commerciales n'était pas aussi marquée qu'elle ne l'est aujourd'hui, avaient examiné l'option du libre-échange entre le Canada et les États-Unis, une option poursuivie sporadiquement et sans succès depuis plus d'un siècle par différents gouvernements canadiens. Un rapport du Comité permanent sur les affaires étrangères du Sénat canadien avait suggéré à nouveau une telle approche en 1982. Du côté américain, la Loi sur les accords commerciaux de 1979 évoquait aussi cette possibilité. Toutefois, après avoir énuméré les arguments pour et contre un accord de libre-échange, le rapport fédéral rejetait cette option essentiellement pour des raisons politiques. (15 h 30)

À la place, on évoquait la possibilité plus limitée de négocier des accords sectoriels de libéralisation des échanges un peu sur le modèle du pacte de l'automobile conclu entre le Canada et les États-Unis en 1965 ou de l'accord sur les aéronefs civils issu des négociations multilatérales du Tokyo Round en 1979. Cette idée suscita de l'intérêt de la part des autorités américaines et des discussions préliminaires eurent lieu en 1984, d'abord sur les textiles, le transport en commun et les produits pétrochimiques. Le secteur de l'acier s'y ajouta plus tard. Les provinces furent tenues informées de ces discussions. On se rendit vite compte, cependant, de part et d'autre, que l'approche sectorielle comportait des difficultés considérables. D'une part, le nombre limité des secteurs retenus au départ et la nécessité d'en arriver à un équilibre de concession à l'intérieur de chaque secteur rendaient la tâche potentielle des négociateurs très ardue. D'autre part, une approche aussi limitée est difficile à réconcilier avec le GATT, un traité qui lie le Canada et les États-Unis et 90 autres pays et qui stipule qu'un accord de libre-échange doit couvrir l'essentiel des échanges entre les partenaires. Ces difficultés techniques conjuguées avec les échéances électorales des deux côtés de la frontière ont fait que ces discussions sectorielles n'ont rien donné de concret et n'ont pas abouti à de véritables négociations.

Avec l'arrivée d'un nouveau gouvernement à Ottawa, l'ensemble du dossier fut réévalué et une consultation fut menée à l'échelle de tout le pays au début de 1985. La rencontre MM. Reagan et Mulroney à Québec au mois de mars (le Shamrock Summit) fut l'occasion pour les deux leaders de se mettre d'accord sur la nécessité de combattre le protectionnisme et de libéraliser les échanges sans toutefois qu'on

propose l'ouverture de négociations comme telle. Ce n'est que le 26 septembre 1985 que le premier ministre Mulroney proposait, dans une lettre adressée au président américain, des négociations globales visant à libéraliser le commerce des biens et des services entre les deux pays. Les négociations proprement dites ont débuté au printemps de 1986 avec un vote serré, on se le rappellera, au comité des finances du Sénat américain.

De quel type de négociation s'agit-il? Au départ, d'une négociation de libre-échange assez classique avec, cependant, l'ajout des services, ce qui constituait à ce moment-là un précédent dans une négociation commerciale. Dans le passé, on cherchait généralement à libéraliser le commerce des biens, les services n'étant inclus que lorsqu'ils étaient complémentaires aux biens. Depuis, les services ont également été inclus au programme des négociations multilatérales du GATT en cours présentement. Il faut également ajouter qu'à la demande des États-Unis la question de l'investissement a également été introduite comme sujet de négociation. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point tout à l'heure.

Est-ce que tout est négociable? Cette question est sur toutes les lèvres au moment du lancement des négociations et on l'entend encore fréquemment poser à telle ou telle enseigne. La réponse se trouve évidemment dans la demande canadienne, demande qui fut expliquée plus en détail par les autorités fédérales quelques jours après la lettre de M. Mulroney a M. Reagan. Brièvement, on peut la résumer ainsi: II s'agit d'une négociation globale visant à éliminer les obstacles sur l'ensemble du commerce des biens et services entre les deux pays. A priori, pas d'exclusion. Cependant, il faut souligner tout de suite que le premier ministre canadien a lui-même précisé, au moment même où il demandait l'ouverture des négociations, que les éléments suivants, tels qu'énumérés au tableau, n'étaient pas négociables. Il s'agit, bien sûr, de la souveraineté politique, du dispositif des programmes sociaux, de la lutte contre les disparités régionales, de l'identité culturelle et nécessairement, et si important pour le Québec, du caractère linguistique particulier du Canada. Je suis certain que nous aurons l'occasion d'évoquer à nouveau ces conditions pendant le déroulement des audiences.

Quels sont alors les principaux objectifs poursuivis par le Canada dans le cadre des négociations? Schématiquement, je crois qu'on peut les regrouper sous une demi-douzaine de rubriques, tel que nous l'avons fait sur le prochain tableau, sans leur assigner nécessairement un ordre d'importance.

Premièrement, l'élimination des tarifs douaniers sur une période de transition plus ou moins longue selon les produits.

Il faut savoir que l'importance des tarifs douaniers comme moyen de protection a beaucoup diminué à la suite des sept rondes de négociations commerciales multilatérales du GATT depuis 1948. Ainsi, depuis le début de cette année, 85 % des exportations canadiennes entrent aux États-Unis en franchise alors que 70 % des exportations américaines au Canada ont le même traitement. Les tarifs qui subsistent sont de l'ordre de 4 % à 5 % en moyenne aux États-Unis et de 9 % à 10 % en moyenne au Canada. Cependant, ces moyennes cachent des écarts importants pour certains groupes de produits comme les vêtements, les chaussures, les textiles et les meubles.

Deuxièmement, le remplacement des recours aux mesures unilatérales à la frontière par un système unique de règles mutuellement convenues et appliquées.

Il s'agit ici, avec la question reliée du mécanisme de règlement des différends, du point central de toute la démarche canadienne. Le négociateur, M. Reisman, et les autorités fédérales ont répété à maintes reprises qu'il ne saurait y avoir un accord global qui ne donnait pas satisfaction au Canada sur ce point. On conçoit mal, en effet, l'utilité de réduire et d'éliminer les obstacles au commerce si, du jour au lendemain, de nouvelles barrières peuvent être érigées par l'utilisation de droits compensateurs, par exemple. Nous comprenons aussi qu'il n'est pas question non plus de demander d'être exclus purement et simplement de l'application de lois commerciales américaines, lois dont nous avons d'ailleurs la contrepartie au Canada. Il s'agirait plutôt de substituer aux deux systèmes actuels un nouveau système unique qui s'appliquerait de la même façon aux exportations de l'un et l'autre pays. Ce nouveau système éliminerait le recours unilatéral à des mesures frontalières contre les exportations du partenaire, instaurerait une nouvelle discipline sur l'utilisation des programmes d'aide à l'industrie et comporterait un mécanisme souple et efficace de règlement des différends.

Troisièmement, l'établissement d'un tel mécanisme de règlement des litiges pourrait comporter un arbitrage obligatoire dans les rares cas de différends commerciaux où il n'y aurait pas moyen de résoudre le problème autrement.

Quatrièmement, les marchés publics consomment une part de plus en plus grande de la production nationale de tous les pays et, dans presque tous les cas, les marchés publics font l'objet d'une réglementation visant à réserver partiellement ou entièrement ces marchés aux fournisseurs nationaux ou locaux. Une première tentative de libéraliser ces types de marché a été faite pendant le Tokyo Round, mais l'accord qui

en est résulté ne s'applique qu'à une faible partie des achats des gouvernements centraux. Nous comprenons que l'approche canadienne vise à réduire substantiellement ce qui est l'une des plus importantes barrières non tarifaires entre les deux pays.

Cinquièmement, ce sont les États-Unis qui préconisent l'inclusion des services dans les négociations commerciales internationales depuis plusieurs années. Le Canada supporte également cet objectif, mais, vu la nouveauté du sujet, la pauvreté relative des données en matière de services et la grande diversité d'activités que recouvre ce secteur, il est encore difficile de percevoir la forme d'un accord sur ce point.

Finalement, le commerce des produits agricoles fait depuis longtemps l'objet d'un traitement spécial, pour ne pas dire d'un traitement d'exception, lors des négociations commerciales. Il en sera sans doute de même dans le cadre des négociations du libre-échange. Sans être exclus du champ du négociable, M. le premier ministre en a donné des exemples, nous comprenons cependant qu'il n'est pas question de remettre en cause - j'insiste sur le sujet -les systèmes de soutien à l'agriculture qui existent sous des formes différentes des deux côtés de la frontière. Il est clair que les graves problèmes qui affectent le commerce mondial des produits agricoles, problèmes qui impliquent surtout la Communauté économique européenne et les États-Unis, vont plutôt faire l'objet de négociations au GATT qu'entre purement le Canada et les États-Unis.

J'en viens maintenant à la position du gouvernement du Québec dans le dossier des négociations du libre-échange. Avant de passer au fond des choses, j'aimerais prendre quelques minutes pour expliquer la façon choisie par le gouvernement pour préparer cette position. Les dossiers en négociation sont nombreux et complexes et, conséquemment, il a fallu suppléer à la machine administrative existante en créant un certain nombre de comités et de groupes de travail pour conseiller le gouvernement.

Le 8 janvier 1986, le premier ministre m'invitait à présider un sous-comité ministériel sur la libéralisation des échanges. Sous la responsabilité du Comité ministériel permanent au développement économique, le mandat confié à ce sous-comité consiste à assurer la coordination générale du dossier sur la libéralisation des échanges avec les États-Unis, notamment en proposant au CMPDE et au Conseil des ministres la position du Québec sur la question, en surveillant le processus des négociations, en faisant rapport périodiquement sur leur déroulement et en assurant le suivi des décisions du Conseil des ministres.

Les autres membres du sous-comité sont Mme Lise Bacon, vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles, M. Gil Rémillard, ministre des Relations internationales et ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Daniel Johnson, ministre de l'Industrie et du Commerce, et M. André Vallerand, ministre délégué aux Petites et moyennes entreprises. D'autres ministres, selon les besoins, se sont joints au sous-comité, dont le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, M. Michel Pagé, le ministre de l'Énergie et des Ressources, M. Ciaccia, et le ministre délégué à la Privatisation, M. Fortier. Le secrétariat de ce sous-comité est assumé par le secrétariat au Développement économique.

Le sous-comité ministériel se réunit lorsque les dossiers le nécessitent. J'informe mes collègues du sous-comité ministériel du CMPDE et du Conseil des ministres sur une base régulière, soit par des présentations sur l'évolution de l'ensemble du dossier, soit par la transmission de mémoires ou de documents sur des points particuliers.

Afin que le sous-comité puisse remplir efficacement son mandat, le gouvernement s'est doté d'une structure politique et administrative fonctionnelle lui permettant d'identifier clairement les intérêts québécois en jeu, d'assumer pleinement son rôle dans le cadre des négociations commerciales entre le Canada et les États-Unis. J'ajoute que les mêmes mécanismes servent également à l'occasion de discussions sur les négociations commerciales multilatérales du GATT.

Structure administrative. M. Jake Warren, ancien ambassadeur à Washington et coordinateur pour le Canada du Tokyo Round, qui connaît bien le secteur privé, a été nommé conseiller principal du gouvernement dans le dossier des négociations commerciales. Trois comités ont été formés et charqés de définir les objectifs et les priorités du Québec: le Comité consultatif sur la libéralisation des échanges, le Comité technique interministériel et le Groupe restreint de coordination.

Le comité consultatif de M. Warren est composé de 17 représentants des secteurs privé et public. Leur mandat est double: Aider le gouvernement à établir ses objectifs et ses priorités pour les négociations internationales et recevoir les avis de groupes ou d'individus désirant informer le gouvernement de leur position sur la libéralisation des échanqes. J'ai déjà mentionné que le comité consultatif vient de me remettre un rapport que j'ai rendu public hier.

Le Comité technique interministériel, sous la responsabilité du secrétaire général associé au développement économique, M. Michel Audet, a pour fonction de produire les analyses techniques et spécifiques nécessaires à la définition des objectifs québécois dans le dossier.

Ce Comité technique interministériel regroupe une quinzaine de ministères et organismes gouvernementaux qui ont tous été appelés à contribuer à nos travaux selon la compétence des domaines qui les intéressent.

Le Groupe restreint de coordination, sous l'autorité du secrétaire général associé au développement économique et du conseiller principal du gouvernement a comme mandat d'assurer le suivi et la coordination des dossiers de l'appareil administratif gouvernemental en vue de définir les positions du Québec. Ce groupe a fait l'analyse des documents de travail transmis par tous, a suivi de près le déroulement des négociations, a élaboré à l'aide des travaux et des informations reçues des projets de positions du gouvernement et a joué le rôle-conseil auprès du sous-comité ministériel, du CMPDE et du Conseil des ministres sur l'évolution des négociations. Composé de neuf membres, ce groupe de travail se réunit hebdomadairement et plus fréquemment lorsque nécessaire.

Le gouvernement du Québec perçoit des négociations commerciales comme un moyen d'atteindre plusieurs grands objectifs qui vont au coeur du continuel exercice de redéploiement et de modernisation de la structure industrielle du Québec. Nous voulons faire du Québec une société productive et plus compétitive face à la concurrence domestique et internationale et développer un climat d'encouragement à l'investissement, tant domestique qu'étranger. Il faut offrir à la population active de meilleures possibilités de création d'emplois stables et qualifiés, renforcer notre base technologique et combattre le protectionnisme montant, en particulier, ses nouvelles formes. Bref, le Québec souhaite développer une économie dynamique capable de s'adapter avec plus de flexibilité à son environnement et de mieux saisir les opportunités de changements qu'offre l'internationalisation de ses perspectives de marché.

Le Québec considère qu'une entente commerciale réciproquement avantageuse avec les États-Unis pourrait contribuer de façon significative à l'atteinte de ses objectifs de développement économique dans la mesure où un accès amélioré et garanti pour les produits des deux pays serait réalisé. Dans cette perspective, le Québec coopère avec le gouvernement fédéral et les gouvernements des autres provinces pour réaliser une telle entente commerciale où ses intérêts seront pris en compte.

Par ailleurs, le Québec a toujours exigé, dans les négociations, le respect intégral du cadre constitutionnel et du partage des compétences législatives des gouvernements, tout en exerçant son influence sur toutes les questions affectant son avenir économique. Nous avons défendu l'intégralité des lois, programmes et politiques qui, dans les domaines de la politique sociale, des communications, de la langue et de la culture, contribuent à la spécificité de la société québécoise.

De même, nous avons voulu nous assurer de maintenir, en matière d'intervention gouvernementale, la marge de manoeuvre suffisante pour atteindre les objectifs de modernisation économique que nous nous sommes fixés, tout en accordant une attention particulière aux petites et moyennes entreprises que la taille ou l'éloignement géographique rendent particulièrement vulnérables.

Le Québec est conscient qu'un accès amélioré et garanti pour les biens ne peut être obtenu que par une négociation portant à la fois sur les tarifs et les obstacles non tarifaires.

S'agissant des tarifs, le Québec souhaite une approche qui tienne compte du plus haut niveau de protection des biens canadiens et de la disparité de taille des deux économies. Nous avons insisté auprès des autorités fédérales sur la nécessité d'obtenir des périodes de transition et de programmes d'assistance appropriés afin de faciliter l'ajustement au nouveau contexte concurrentiel des entreprises et des travailleurs oeuvrant dans des secteurs moins compétitifs. Les négociations sur les tarifs devraient également être complétées par des accommodements en matière de règles d'origine, de rétrocessions et de redevances douanières. (15 h 45)

Le Québec reconnaît la nécessité de l'élimination des obstacles non tarifaires, particulièrement ceux associés à la question de la protection contingente. II s'agit indiscutablement, à ses yeux, du point central de toute la néqociation. Il est clair en effet que, si un accès libre et préférentiel au marché américain peut, à tout moment, être remis en cause par le biais de mesures restrictives à la frontière, alors, les bénéfices recherchés ne se matérialisent pas dans les proportions que paraissent justifier nos avantages comparatifs en matière de ressources naturelles et pour de nombreux biens et services, notamment de haute technologie.

Quelle que soit la formule retenue à cet important chapitre, le gouvernement du Québec croit que la gestion d'un accord, dont les ramifications structurelles pourront potentiellement être si importantes, exige la mise en place d'un mécanisme de règlement des différends auquel devront être associées les provinces, notamment lorsque leurs intérêts propres seront en cause.

Le Québec cherche toujours, dans ces négociations, à conserver pour l'agriculture un statut spécial, lequel correspond à un état de fait dans l'ensemble des sociétés industrialisées et reflète l'importance des interventions gouvernementales considérées

comme nécessaires au maintien d'une certaine stabilité dans ce secteur. Il fera également valoir la nécessité de bien reconnaître les besoins et le caractère distinct du secteur des pêcheries.

Le Québec considère comme essentiel que soit maintenue la capacité d'intervention des gouvernements en matière de développement régional et insiste pour que les modalités d'application retenues permettent aux deux niveaux de gouvernement d'assumer leurs pleines responsabilités.

M. le Président, on m'avise qu'il ne me reste que 60 secondes, je vais donc terminer en disant que je voulais traiter des conséquences possibles du succès ou de l'échec des négociations. Je voulais également conclure en disant ou en répétant plutôt ce qu'on a entendu, à savoir que le gouvernement du Québec favorise...

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre, je pense qu'on pourrait peut-être vous permettre, si vous nous indiquez que cela ne prendra pas encore...

M. MacDonald: Environ cinq minutes.

Le Président (M. Charbonneau): Je pense que, pour cinq minutes, on pourrait s'entendre de part et d'autre pour que vous puissiez, quitte à ce que, éventuellement, le député de Bertrand...

M. Lefebvre: ...donnera les cinq minutes...

Le Président (M. Charbonneau): ...s'il a besoin de temps additionnel lui aussi, puisse bénéficier de... Allez-y. Je pense que le sujet mérite que...

M. Bourassa: Est-ce que cela veut dire que mes cinq minutes demeurent?

Le Président (M. Charbonneau): Non, non, vous, M. le premier ministre, vous avez écoulé tout le temps qui vous était imparti.

Une voix: II vous reste quatre minutes, M. Bourassa.

Le Président (M. Charbonneau): Et pour être certain que... Le ministre vient d'utiliser la bande qui aurait pu vous être utile éventuellement; il ne vous reste plus de temps, M. le premier ministre, à ce moment-ci.

M. Bourassa: Merci, M. le Président. Une voix: Merci du cadeau.

M. MacDonald: Merci. En matière d'achats publics, le Québec estime qu'il est indispensable de tenir compte des coûts administratifs liés à la mise en application de règles de transparence et de trouver un seuil d'application lui permettant de conserver une marge de manoeuvre raisonnable, mais suffisante, à la promotion de ses objectifs de développement économique.

De même, le Québec considère la possibilité, compte tenu des disparités de taille des économies et des unités de production des deux pays, de conserver au-delà de la période de transition le recours à des mesures de sauvegarde, quitte à les définir le plus strictement possible et à n'y recourir qu'en des situations d'urgence, à savoir dans des circonstances de fortes hausses d'importations (ou dans le cas du risque imminent d'une telle éventualité).

En matière de propriété intellectuelle, le Québec est en attente des projets de modifications législatives fédérales. Il souhaite fortement que les révisions en cours servent à moderniser les mesures canadiennes de protection de la propriété intellectuelle afin que toutes les catégories d'oeuvres soient protégées adéquatement.

En raison de ses intérêts propres au chapitre des exportations de services (notamment les services financiers, l'informatique, le génie-conseil et autres services professionnels et le tourisme) de même qu'en raison de son intérêt général vis-à-vis d'une entente valable de libéralisation canado-américaine des échanges, le Québec souscrit à l'inclusion des services à l'ordre du jour d'un éventuel accord. II procédera toutefois à l'évaluation finale de toute entente à ce chapitre au moment où seront connus les principes généraux, les secteurs impliqués et les mesures spécifiques à mettre en oeuvre à la suite d'un accord dans ce domaine.

À la fois pour assurer sa croissance économique et pour favoriser son ajustement à un espace commercial libéralisé, le Québec désire que les négociations commerciales bilatérales suscitent et maintiennent un climat d'investissement plus ouvert et plus libéral. L'effet de détournement d'investissements qu'implique le protectionnisme américain comme la surenchère des aides publiques nécessaires à son renversement démontrent bien la nécessité de progrès sur cette question.

Jusqu'à présent, les procédures de consultation fédérale-provinciale mises en place ont permis au Québec de participer de façon satisfaisante à l'évolution de ce dossier. Toutefois, la question d'adhésion des provinces à l'accord et la façon dont elles poseront les gestes administratifs et les modifications législatives pour mettre en oeuvre les dispositions de l'accord qui relèvent de leur compétence reste posée.

Enfin, le gouvernement maintient sa position initiale en ce sens que sa

participation active dans le processus de négociation ne préjuge en rien de son adhésion finale à toute entente éventuelle. Le gouvernement du Québec se réserve le droit, au moment de la conclusion de ce processus de négociation, d'en faire une évaluation ultime en fonction de ses intérêts fondamentaux et de donner ou non son approbation, le cas échéant.

En terminant, M. le Président, je veux tenter de dégager quelques-unes des conséquences possibles du succès ou de l'échec pour le Québec des négociations en cours. Quelle que soit la perspective que l'on adopte et d'après les mémoires reçus à ce jour - je crois que nous en aurons un bon échantillonnage dans les prochains jours -l'importance de ces négociations ne fait de doute pour personne.

Un changement des règles du jeu de l'ampleur de celui qui est recherché par le Canada ne peut manquer d'avoir des répercussions profondes à long terme sur la structure de l'économie et, donc, sur la qualité de nos vies individuelles. Il est clair également que, malgré la nature très globale de l'approche canadienne, la dimension finale de l'accord qui pourrait être conclu pourra être moins ambitieuse. Il n'y a rien là qui puisse vraiment nous étonner. Il s'agit d'une négociation et il est maintenant rare que chacune des parties à une négociation atteigne pleinement tous les objectifs qu'elle s'était fixés au départ.

Je crois qu'il faut se garder de concevoir un accord de libre-échange, si important fût-il, comme une panacée ou une baguette magique qui résoudrait d'un seul coup tous les problèmes de notre commerce avec les Etats-Unis. Il serait encore plus faux de percevoir un accord de libre-échange comme un fléau sans précédent qui menacera non seulement l'emploi, mais notre identité même. La réalité sera beaucoup plus modérée.

Je l'ai déjà souligné, le gouvernement du Québec a réalisé un grand nombre d'analyses pour essayer de jauger l'impact d'une libéralisation des échanges sur l'économie du Québec. L'essentiel de ces analyses a été rendu public il y a déjà plusieurs mois et nous aurons sans doute l'occasion d'y faire référence dans les prochains jours. De nombreuses études de toute nature ont été réalisées par des organismes et des chercheurs indépendants au cours des derniers mois. Pratiquement sans exception, ces études démontrent que la libéralisation des échanges entraînerait une création nette d'emplois, une augmentation de la productivité et de la production et un gain net en termes de revenu réel.

J'aimerais faire état brièvement de la plus récente de ces études, celle du Conseil économique du Canada, rendue publique le mois dernier. Cette étude, comme toutes les autres, ne peut être considérée comme ayant une valeur de prédiction; on doit toujours avoir à l'esprit la valeur indicative de ces études; elles ont toutes un caractère statique qui découle de la nature même des hypothèses retenues et des modèles utilisés. Il est encore impossible de mettre en équation le dynamisme des entrepreneurs ou la capacité d'invention de nos chercheurs. Cependant, la prudence qui a guidé les analystes du Conseil économique du Canada dans le choix de leurs hypothèses nous a frappés et impressionnés. Le bilan positif des gains et des pertes que cette étude établit pour les industries et les régions à la suite de la conclusion d'un accord de libre-échange est donc encourageant. Ainsi, le conseil économique prévoit des gains de production et d'emplois dans 30 groupes industriels sur 36, et ce, dans toutes les régions, une diminution de l'inflation et une hausse de notre dollar par rapport au dollar américain, ce qui serait normal si la productivité de l'économie canadienne s'améliore.

J'aimerais m'attarder quelques secondes sur la question de l'emploi. Pour plusieurs, la question de l'impact du libre-échange sur l'emploi est cruciale et c'est normal. Or, l'étude du conseil économique est intéressante à ce chapitre. Comme le montre le graphique suivant, quelques 350 000 nouveaux emplois seraient créés d'ici à 1995. Ces nouveaux emplois se manifesteraient surtout dans le secteur des services, 240 000, de la construction, 48 000 et des industries manufacturières, 42 000. La répartition régionale de ces emplois présente elle aussi un certain intérêt et elle est illustrée au graphique suivant. Ainsi, on voit que le Québec récolterait 84 000 de ces nouveaux emplois ou 24 % du total. Même en gardant à l'esprit leur valeur indicative et la modération des hypothèses sur lesquelles ils reposent, ces chiffres parlent par eux-mêmes.

Je crois aussi que ces chiffres nous aident à mettre les conséquences positives d'un accord en perspective. L'an dernier seulement, 62 000 emplois nets ont été créés au Québec. Cette année, si la tendance actuelle se poursuit et comme le disait auparavant le premier ministre, près de 100 000 emplois nets seraient créés. Nous vivons déjà au milieu d'une économie qui est en changement continuel et les variations supplémentaires que la libéralisation des échanges introduirait seraient relativement peu importantes, mais positives, par rapport aux changements qui découlent d'autres sources comme l'évolution technologique, par exemple.

Sans jouer les prophètes de malheur, je crois que la question se pose: Qu'arriverait-il si les deux parties ne s'entendaient pas au plus tard le 4 octobre? Bien sûr, le monde ne s'écroulerait pas le lendemain matin et le

flat des échanges entre le Canada et les États-Unis continuerait largement sans entraves. Toutefois, nous croyons qu'une occasion historique d'améliorer le sort des producteurs et des consommateurs des deux côtés de la frontière aurait été ratée. Nous resterions vulnérables, comme nous le sommes maintenant au jeu des groupes d'intérêts américains et de l'influence néfaste qu'ils réussissent parfois à avoir auprès des autorités américaines. Il est, bien entendu, impossible de prévoir à quel moment une pareille occasion aussi pourrait se représenter.

Il y a, bien sûr, les négociations commerciales multilatérales du GATT qui sont en cours à Genève. Il faut toutefois se rappeler que la portée, en ce qui a trait au Canada, du résultat anticipé de ces négociations ne serait pas du même ordre que celle qui est recherchée avec les États-Unis.

Je crois, M. le Président, d'un commun accord, que j'en ai assez dit. Le gouvernement est maintenant à l'écoute des représentations. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. Je cède maintenant la parole au député de Bertrand, critique de l'Opposition en matière de commerce. Alors, M. le député de Bertrand.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président.

D'abord, quelques remarques préliminaires, avant de débuter comme telle ma présentation, concernant l'exposé que vient de faire le ministre du Commerce extérieur. J'ai un petit peu l'impression qu'il n'a pas mis en pratique ce que son premier ministre lui a demandé, c'est-à-dire d'être très pragmatique. J'ai un peu l'impression que ce qu'il nous a brossé comme tableau, on le retrouvait d'abord dans "Une perspective québécoise". Aussi, la plupart des grandes lignes de fond qui ont été évoquées au cours de la dernière demi-heure sont les propos qui ont été tenus le 22 mai dernier, c'est-à-dire qu'à toutes fins utiles on n'en sait pas tellement plus qu'on en savait à ce moment-là. Tout le problème, M. le Président, vient essentiellement du fait que le gouvernement nous dit: Voici les grands objectifs, voici les grandes lignes. Mais on est à 18 jours d'une entente et on ne sait toujours pas où l'on se branche.

Enfin, le débat public sur le libre-échange est arrivé. Voilà près de 18 mois que les gouvernements américain et canadien négocient. Voilà des mois et des mois que nous réclamons des études d'impact et un débat sur la place publique. On s'en est fait promettre et on en a entendu de toutes sortes. Mais voilà que 18 jours à peine avant que soit scellée une entente canado-américaine qui va modifier de façon importante et irrémédiable les règles du jeu, on est toujours dans l'ignorance à peu près totale de ce qui s'est négocié en notre nom et peut-être sur notre dos par le gouvernement fédéral.

Le premier ministre du Québec a été remarquablement discret. C'est le moins qu'on puisse dire. II s'est habitué avec le temps à en dire le moins possible. Le gouvernement pense qu'il est plus facile de ne rien dire que de répondre aux questions difficiles. Il a raison, c'est plus facile, mais c'est aussi - et le mot n'est pas trop fort -irresponsable. Le premier ministre de l'Ontario, lui, n'a pas eu peur de s'en mêler. Il a défini ses conditions et les a dites haut et fort pour être bien sûr que tout le monde le comprenne et surtout le gouvernement fédéral. Il a même fait une élection, et on en connaît les résultats, là-dessus au cours des derniers jours. (16 heures)

Est-ce que le premier ministre du Québec se sentirait quelque peu les mains liées vis-à-vis son homologue fédéral depuis l'accord du lac Meech? À moins que, carrément, il ne sache pas où il va et cela, j'en doute, du moins je l'espère. Serait-il gêné parce que sa position a changé depuis deux ans alors qu'il dénonçait le libre-échange qui devait mener, selon lui, à rien de moins qu'à la perte de la souveraineté du Canada? Depuis qu'il est devenu le grand défenseur du libre-échange, particulièrement ces derniers jours, il est même prêt à des compromis importants. De quels compromis s'agit-il, M. le premier ministre? On aimerait beaucoup profiter des lumières du premier ministre, de même que de celles de ses ministres. Jusqu'à maintenant, ils ont été plutôt évasifs, l'un promettant des études, l'autre s'y dérobant. On ne peut pas dire que cette stratégie profite au gouvernement puisque les sondages indiquent que l'appui populaire au libre-échange a dégringolé de 78 % à 42 % depuis 18 mois. Voilà ce qui arrive lorsqu'on cache des choses à la population.

C'est feu Mgr Proulx qui, le printemps dernier, disait au nom de la Conférence des évêques catholiques du Canada: "Dans une saine démocratie, toute décision d'ordre national doit être connue et soumise à un débat populaire. Les évêques trouvent que les enjeux de cet accord sont trop importants pour qu'on laisse en marge du débat la majorité de la population et surtout ceux qui ont le moins de pouvoir, mais qui subiront le plus les conséquences. Ils insistent pour dire que ni les gouvernements provinciaux ni Ottawa n'ont le mandat de négocier une entente globale avec les États-Unis." Nous sommes pleinement d'accord, M. le Président, avec ces déclarations et elles montrent bien

qu'à tous les niveaux on est préoccupé.

De son côté, plus récemment, dans une entrevue qu'il accordait à la revue PME, en septembre 1987, le ministre MacDonald déclarait que le débat avait bel et bien eu lieu. Il faisait référence, bien sûr, aux différents groupes qui ont pu comparaître devant le comité Warren. M. le ministre, le débat sur la place publique, ce n'est pas cela. Une fois de plus, on ne parle pas le même langage. Il ne faudrait pas, M. le ministre, répéter tout haut que le débat a déjà eu lieu puisqu'on risque de ne plus vous prendre au sérieux. La population est inquiète et elle a raison de l'être. Les enjeux sont énormes. Une mauvaise décision pourrait coûter des milliers d'emplois et jeter par terre des secteurs entiers de notre économie.

Mais, finalement, de quoi parlons-nous? Encore une fois, les journalistes, les évêques, les syndiqués, tout le monde déplore la même chose: on a pris prétexte du secret qui doit entourer les négociations pour finalement tout nous cacher. Comme il n'y a pas moyen de savoir ce qui est en train d'être négocié sur notre dos, on en est réduit à examiner la théorie. Les partisans du libre-échange nous disent à peu près ceci: Abaissons les barrières tarifaires entre le Canada et les États-Unis, libéralisons le commerce entre nos deux pays; comme ça, on achètera plus des Américains et, surtout, on leur vendra plus. Tout le monde aura plus d'argent et il va y avoir plus d'emplois. C'est la théorie du libre-échange exprimée simplement.

Mais nous, ce qui nous préoccupe, c'est ce qui arrive au monde ordinaire, ce qui arrive au vrai monde, surtout avec les impacts de ces grandes théories, Quand on y regarde d'un peu plus près, on réalise que, dans la vie de tous les jours, ce qui se passe n'est pas toujours ce qui a été écrit dans les livres. On a quelques tableaux, beaucoup plus sobres que ceux du gouvernement, mais avec un langage qui se veut le plus simple possible afin de bien faire comprendre les enjeux que nous y voyons, sous le thème "Le libre-échange, ça se prépare". Par exemple, le libre-échange, cela veut dire, entre autres, qu'on abolit tes tarifs douaniers. On doit réaliser qu'actuellement 80 % des marchandises traversent la frontière dans les deux sens sans obstacle. C'est ce qu'on appelle le commerce en franchise. Avec le libre-échange, cela passerait probablement à tout près de 100 %. De 80 % à 100 %, on nous dira: "Y a rien là", mais ces 20 %, attention, touchent les secteurs névralgiques, les secteurs tels que l'agriculture, les industries culturelles, le textile. Pour ne prendre qu'un exemple, dans le domaine du textile, les barrières tarifaires qui protègent le Canada sont de l'ordre de 18 %. Si on ouvre toutes grandes nos portes aux produits américains sans prendre de précautions, les agriculteurs d'ici vont se ramasser sur la paille, c'est le cas de le dire. Même chose dans le domaine des livres, de l'édition et des revues: il nous faut protéger nos éditeurs.

Les périodes de transition - on y reviendra un peu plus tard - doivent, à mon avis, être bien éclairées à ce stade-ci.

Le libre-échange, toujours selon la théorie, cela veut dire aussi l'abolition des tarifs. Après le libre-échange, il n'y aura plus de tarifs alors que, maintenant, les tarifs imposés par le Canada sont en moyenne deux fois plus élevés que les tarifs imposés aux États-Unis, c'est-à-dire que le Canada est protégé à 10 % et les Américains à 5 %. Par exemple, dans des domaines plus particuliers, le domaine du tapis, on voit que les barrières tarifaires sont de l'ordre de 20 % au Canada, tandis qu'elles sont de 7,6 %, c'est-à-dire, dans ce cas-là particulièrement, trois fois plus élevées ici au Canada. Cela veut dire que les industries québécoises auront à compenser en moyenne deux fois plus fort que les industries américaines. Au départ, si on ne fait rien pour les aider, elles seront désavantagées.

Ces questions sont d'autant plus importantes que l'économie du Québec est basée sur une structure industrielle, particulièrement sur des petites et moyennes entreprises. On parle beaucoup des Lavalin, Bombardier et Cascades, en fait ces chefs de file, bravo! Mais, encore là, la grande majorité des emplois au Québec se retrouve dans des PME et non dans les grandes entreprises.

Ce n'est pas moi qui le dis. Le ministre délégué aux PME publiait, le printemps dernier, un volume que je cite à la page 168. Le ministre Vallerand disait: "Les PME sont donc très importantes. Les PME sont de très importants employeurs au Québec même si leur voix semble moins entendue que d'autres. Leur présence est même relativement plus déterminante ici au Québec qu'ailleurs au Canada et aux États-Unis." Je pense que c'est très important. "Le dynamisme qu'elles ont affiché en termes de contribution nette à l'emploi au cours des années récentes a aussi été plus marquant au Québec qu'ailleurs en Amérique."

La PME, le gouvernement le sait, du moins en théorie, est plus vulnérable que la grande entreprise. Et si on veut qu'elles deviennent un jour de grandes entreprises, il faut leur donner une attention particulière et leur fournir, quand elles en ont besoin des coffres d'outils pour leur développement. Le gouvernement est-il prêt à leur fournir ce support nécessaire? On peut en douter particulièrement lorsqu'on regarde ce qui s'est passé depuis deux ans, et je reviendrai avec quelques exemples tout à l'heure. Il

faut bien comprendre que la grande entreprise, comparativement à la petite, est capable de se défendre, particulièrement face à la concurrence internationale, à cause de sa taille, de ses capacités financières et de ses ressources humaines.

Dans le deuxième tableau, si on le regarde d'un peu plus près, on voit qu'on a bien des raisons de s'inquiéter, que le portrait n'est pas aussi beau que cela. Quand on examine secteur par secteur, l'économie québécoise, les questions se multiplient. Dans le secteur culturel, par exemple, les Américains sont 250 000 000. Quand on publie un livre ou qu'on fait des films là-bas, il y a tellement de monde pour acheter que le problème de la rentabilité ne se pose même pas. Ici, au Québec, on est beaucoup plus vulnérable et nous aurons la chance certes, au cours des prochains jours, d'en discuter plus en profondeur. Au Québec, ce n'est pas pareil, notamment en ce qui concerne les produits culturels français. On n'est pas 250 000 000; on n'est que 6 000 000. Bien peu de nos éditeurs survivraient sans le soutien des pouvoirs publics. Pour nous, c'est clair, la culture n'est pas un domaine comme les autres. Il faut absolument la soustraire aux négociations sur le libre-échange. La culture, cela ne se négocie pas. Cela nous appartient et on doit prendre toutes les mesures pour la préserver.

C'est la même chose dans le domaine de l'agriculture et des pêcheries. Si on ouvre la porte toute grande à nos agriculteurs et à nos pêcheurs, ceux-ci vont souffrir du libre-échange; beaucoup n'y résisteront pas. Pour les oeufs, pour le poulet, par exemple, c'est la faillite pure et simple du jour au lendemain. Il faut soustraire l'agriculture et les pêcheries aux négociations du libre-échange.

A titre d'exemple, dans le domaine du marché laitier, à cause des quotas à l'importation et aussi à la production, il faut réaliser qu'un litre de lait se vend, à Montréal, aux environs de 0,90 $ tandis qu'à Albany, c'est 0,70 $. Le lait représente 41 % de la production agricole du Québec et, au Canada, la gestion des approvisionnements permet d'équilibrer l'offre et la demande. Aux États-Unis, les règles du jeu sont différentes. Entre autres, le gouvernement doit racheter les surplus. En dollars, ces surplus, juste dans le domaine du beurre, représentent 405 000 000 $; dans le fromage, cela représente 748 000 000 $. Tout cela pour dire que le gouvernement des Etats-Unis a des mesures particulières et qu'elles sont différentes d'ici.

Dans le domaine avicole - celui du poulet et des oeufs - un autre exemple peut nous faire réaliser les différences qui existent entre nos deux marchés. Une douzaine d'oeufs ici, à Montréal, coûte environ 1,50 $ alors qu'à Albany elle ne coûte que 0,69 $. Seulement les oeufs cassés dans le transport aux États-Unis représentent un volume supérieur à toute la production canadienne. Le libre-échange, cela veut dire une disparité énorme et aussi une disparition éventuelle de toute cette production canadienne.

Quant à nos ressources naturelles, on sait que le Québec est riche sur son territoire. Depuis toujours notre prospérité est liée à notre bois, à nos mines, à notre électricité. On a même bâti le Québec moderne en grande partie autour de cela. Prenons, par exemple, l'électricité. On a attiré ici de grandes entreprises. On a aussi permis à plusieurs entreprises québécoises de grandir en leur consentant des tarifs préférentiels. Par contre, on vend notre énergie plus cher aux Américains. C'est évident que ces derniers aimeraient payer moins cher et que nos entreprises paient plus cher. Je pense qu'il nous faut absolument conserver nos outils de développement économique et les avantages que nous avons. Actuellement, comme on l'a dit précédemment, le prix de notre électricité vendue à nos entreprises est d'environ 0,024 $ le kilowattheure tandis qu'il est de 0,063 $ selon les derniers contrats signés aux États-Unis, c'est-à-dire un rapport d'environ trois fois moins ici.

Le développement régional, bien sûr, on l'a déjà abordé. Depuis 20 ans, le Québec s'est donné des programmes pour aider les différentes régions à développer leur potentiel économique, à créer de l'emploi chez elles plutôt que d'exporter leurs jeunes vers les villes. Par exemple, on a beaucoup parlé d'un projet de papeterie dans le Bas-du-FIeuve. Il ne faudrait pas qu'au nom du libre-échange le gouvernement arrête d'appuyer les dynamismes régionaux. Il faut conserver nos outils de développement régional. Il ne faut pas perdre notre capacité d'intervention. Il nous faut garder les coudées franches. Il faut préserver ce pouvoir d'intervention du Québec.

Enfin, il y a la question des investissements. Grâce aux politiques d'achat du secteur public, entre autres, on a attiré au Québec bon nombre d'entreprises étrangères grâce à des exigences de contenu québécois. Si on laisse aller ces politiques, qui nous dit que ces entreprises ne fermeront pas purement et simplement leur filiale québécoise pour alimenter le marché québécois à partir d'une usine américaine? On a plusieurs exemples, particulièrement chez des fournisseurs d'Hydro-Québec et d'autres sociétés d'État.

Barrières non tarifaires. Bien sûr que les barrières tarifaires sont importantes, mais les barrières non tarifaires le sont aussi. Les mesures, les différentes réglementations, les subventions, les politiques d'achat sont toutes

parmi les barrières non tarifaires qui font partie de la négociation. Mais à 18 jours de la conclusion d'une entente, à ce que je sache et à moins que le gouvernement ne puisse nous dire le contraire, on ne s'entend même pas sur la définition de ce qu'est une subvention entre le Canada et les Etats-Unis selon toutes les formes qu'elle peut prendre. On sait que les Américains sont passés maîtres dans la façon de donner des subventions à leur entreprises.

Il y a donc, dans le troisième tableau, beaucoup de questions qui demeurent sans réponse. M. le Président, après 18 mois et à 18 jours de l'échéance, le gouvernement du Québec a caché à la population tant la position qu'il défend que sa stratégie de négociation. Nous mettrons donc à profit cette commission parlementaire tardive pour donner une chance au gouvernement d'informer comme il se doit de le faire. Au strict minimum, le gouvernement doit répondre aux questions suivantes s'il veut éclairer la population sur le débat. (16 h 15)

D'abord, où sont ces fameuses études d'impact? Le ministre du Commerce extérieur nous les a pourtant promises à plusieurs occasions et, entre autres, lors de la publication du fameux document "Une perspective québécoise". Il disait même que les annexes devaient suivre. Cependant, son collègue, le ministre de l'Industrie et du Commerce, a refusé de les rendre publiques. Il a vu les choses sous un autre angle. Finalement, le 31 juillet, un vendredi après-midi, par une manoeuvre de diversion, il rendait public un document qu'il avait baptisé pour l'occasion "Études d'impact" -mais c'était carrément des études statistiques - qui ne formulait aucune recommandation, pas plus de conclusion sur les enjeux importants, que ce soit dans le domaine des emplois des différents secteurs touchés et des investissements.

Pourtant, ces études existent, je l'espère. 11 faut les rendre publiques, que ce soit au ministère de l'Industrie et du Commerce, au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, au ministère de l'Énergie et des Ressources ou encore à l'Office de planification et de développement du Québec, à l'OPDQ, puisqu'il y a eu des études de faites dans tous ces différents ministères. Comment voulez-vous que les entreprises québécoises se préparent à un changement si on ne leur donne pas de l'information? C'est carrément indécent et je ne charrie pas.

Quelle période de transition Je gouvernement entend-il réclamer, secteur par secteur, pour permettre à nos entreprises de faire les changements nécessaires au niveau contexte du libre-échange?

Qu'en est-il des secteurs protégés? Le gouvernement s'assurera-t-il que l'agriculture et la culture soient carrément exclues du libre-échange? Quels moyens mettra-t-il en oeuvre pour faire respecter les intérêts du Québec? On voyait tantôt, dans les documents et dans les tableaux publiés par le ministre du Commerce extérieur, que les sept conditions sont celles qu'on retrouve pratiquement mot pour mot à l'intérieur du document qu'on avait publié en mai dernier.

Que fera le gouvernement pour prévenir les pertes d'emplois dans les secteurs dit vulnérables? Quels programmes et quelles politiques le gouvernement entend-il soumettre aux entreprises. Qu'a-t-il négocié à ce sujet avec le gouvernement fédéral? Le gouvernement a-t-il une position sur les programmes de soutien aux entreprises? Le gouvernement a-t-il fait valoir au négociateur fédéral l'importance de maintenir la capacité de l'État québécois de conserver la capacité de mettre en oeuvre une stratégie de développement économique? Va-t-on seulement être capable de continuer à favoriser les implantations des nouvelles entreprises dans différentes régions sans se faire dire qu'on fait du commerce déloyal? Enfin, et cette question est absolument fondamentale, que fera le gouvernement si une éventuelle entente de libre-échange ne donne pas un accès garanti au marché américain? On sait que toutes les mesures protectionnistes unilatérales nous ont affectés ces dernières années, voire ces derniers mois.

Il faut bien voir que c'est là une clé essentielle. Si les lois américaines concernant le dumping et te commerce déloyal continuent de s'appliquer malgré une entente de libre-échange, alors on est certain d'avoir tous les inconvénients et aucun avantage. Les Américains auraient fait un bon coup, mais les Québécois et les Canadiens se retrouveront dans une situation pire qu'aujourd'hui. Le premier ministre du Québec doit affirmer clairement, publiquement, sans aucune ambiguïté qu'il refusera toute entente de libre-échange qu'il ne prévoit pas l'instauration d'un tribunal pas seulement consultatif, mais décisionnel pour trancher les litiges.

Finalement, dans un dernier tableau, nos attentes sont donc élevées car l'enjeu est énorme. L'enjeu, en définitive, ce n'est pas une question abstraite comme l'attitude du gouvernement le laisse croire. Ce n'est pas de savoir si les mérites théoriques du libre-échange l'emportent sur ceux de la situation actuelle. L'enjeu, très concrètement pour des milliers et des dizaines de milliers de Québécois et de Québécoises, c'est leur job, c'est l'emploi. Le libre-échange presque par définition, même dans des conditions idéales, implique un chambardement économique majeur. Quand on considère que les entreprises d'ici sont globalement moins productives, environ de l'ordre de 30 %, et davantage protégées que les entreprises

américaines, on réalise à quel point l'ajustement pourrait être dramatique s'il doit se faire uniquement en fonction des lois brutales de la théorie économique du laisser-faire. À jouer la loi du plus fort, on est certain d'être perdant.

Malheureusement, c'est, justement, cette voie que le gouvernement fédéral a choisie il y a près de deux ans. Ce gouvernement a érigé en politique le démantèlement des outils que le Québec avait mis des années à construire pour bâtir notre économie. Où est sa préoccupation pour l'emploi? Il n'a pas de politique globale d'emploi, alors même que le libre-échange exige un effort énorme sur le plan du recyclage de la main-d'oeuvre, de sa formation, des programmes de transition pour favoriser le passage de la main-d'oeuvre d'un secteur moins productif à un autre secteur plus productif. Compte tenu de l'impact sur l'emploi du libre-échange, l'absence du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu à cette commission est carrément inacceptable.

Où est la préoccupation du gouvernement pour le soutien à l'entreprise et le développement économique des régions? Au moment même où il serait plus important que jamais de soutenir l'entreprise et l'entrepreneurship, de lui donner une chance de s'adapter, de se moderniser et d'améliorer sa compétitivité, le gouvernement se débarrasse de sociétés d'Etat et démantèle les programmes de soutien à l'entreprise, particulièrement ceux de la Société de développement industriel du Québec. On sait que, dans ce cas-là, plus de vingt programmes sont réduits à quelque quatre programmes actuellement. Et plus précisément ce qui se passe à la SDI depuis un an, c'est que 80 % des entreprises qui font des demandes sont rejetées en fin de compte.

Je suis convaincu que le Québec doit être plus productif. La question, c'est de savoir dans quelles conditions nous serons mieux placés pour le faire. Or, je crois, M. le Président qu'en se désarmant lui-même le Québec court à l'échec, ce qui se traduira par des fermetures et des mises à pied. Déjà, l'attitude, la façon de faire du gouvernement actuel, est inquiétante et, avec la venue du libre-échange, c'est doublement inquiétant. Le gouvernement du Québec devrait faire exactement le contraire de ce qu'il fait présentement, il devrait se doter d'une politique globale de plein-emploi, il devrait agrandir et non réduire le coffre d'outils à la disposition des entreprises québécoises. C'est, d'abord, cela qui mènera le Québec vers la prospérité, la productivité et le succès.

Il est dommage que le dossier du libre-échange soit devenu un dossier purement politique, que les enjeux économiques, les vrais enjeux soient carrément exclus. Quel prix la politique fera-t-elle payer à l'économie du Québec dans les années à venir? M. le premier ministre, MM. les ministres, MM. du gouvernement, nous attendons vos réponses. Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le député de Bertrand. Je veux simplement vérifier si... Alors, on m'indique, M. le député de Bertrand et M. le chef de l'Opposition, qu'il reste quinze minutes à la formation de l'Opposition. Je ne sais pas si l'un d'entre vous veut intervenir à ce moment-ci.

M. Johnson (Anjou): Alors, M. le Président, je sais qu'il ne reste pas de temps du côté du gouvernement. Je sais que le premier ministre a dû nous quitter pour des engagements à l'extérieur, ce que je devrai faire, moi aussi, un peu plus tard. Simplement un rappel qui m'apparaît important, à ce moment-ci. La question de la libéralisation des échanges a suscité un certain intérêt chez des économistes, de plus en plus chez les politiciens, depuis deux ans, trois ans et depuis un peu plus de temps chez ceux qui voyaient cela venir. Mais moi, je suis extrêmement préoccupé par l'absence d'un certain nombre de personnes ici. D'abord, de l'absence du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, quand on sait que l'éventuelle application du libre-échange sur notre territoire pourrait amener des changements profonds au niveau de la main-d'oeuvre, quelle que soit la période d'adaptation que vous puissiez négocier, si vous pouvez en négocier une, des mises à pied, des programmes importants de réinsertion, de réentraînement ou de recyclage de la main-d'oeuvre, un financement de ça - ça coûte une fortune de faire ça - une nécessité de collaboration entre les institutions fédérales et les institutions du Québec dans ce domaine-là et je me rends compte que le ministre n'est pas là. D'ailleurs, j'ai cru comprendre que le ministre ne faisait même pas partie du sous-comité ministériel. Je me demande si vous aviez la politique de l'emploi à l'esprit quand vous avez formé votre comité.

Deuxièmement, dans les semaines qui viennent, quatre jours par semaine dans les trois prochaines semaines, on va être appelé à entendre un certain nombre de personnes: des experts, des gens qui représentent des groupes d'intérêts, du côté des affaires, évidemment, des syndicats, des gens du secteur de l'agriculture. Je souhaiterais que les membres de la commission aient à l'esprit les gens qui n'ont pas de voix autour de cette table et qui n'en auront pas pendant cette commission. Je pense, au départ, aux travailleurs et aux travailleuses d'un secteur comme celui du textile, du vêtement, de la chaussure, à un certain

nombre d'industries qui risquent d'être affectées parce que, dans certains cas, elles sont protégées par des tarifs plus élevés au Canada que ce n'est le cas des Américains. J'ai peur que ces personnes soient sans voix, bien que les centrales syndicales, je le sais, ont préparé un mémoire substantiel et intéressant; d'ailleurs nous concourons à un nombre important des conclusions qu'elles y apportent.

Deuxièmement, il y a les petites et les moyennes entreprises du Québec qui, d'après ce que j'ai pu lire, ne seront pas représentées autrement que par deux ou trois personnes sur un total de près de 50, je crois. Les petites et les moyennes entreprises au Québec sont partout sur notre territoire, notamment, grâce à l'intervention d'un certain nombre de programmes gouvernementaux à la fois sous forme de subventions, de prêts garantis, sans parler du Régime d'épargne-actions qui a joué un rôle extrêmement important à compter de la fin des années soixante-dix. Ces personnes ont souvent besoin des services de l'État québécois. Une fois qu'elles sont lancées, elles n'en ont plus besoin, on tient cela pour acquis. L'État n'est pas là pour tenir les entreprises par la main, mais l'État est là, cependant, pour mettre à la disposition de ceux qui ont le sens de l'initiative, de l'entrepreneurship, un certain nombre de ressources qui n'existent pas sur le marché facilement parce qu'on n'est pas aux États-Unis, justement, ici. Il n'y a pas 250 000 000 de personnes, il y en a 6 000 000 et quelques au Québec. L'État a donc un râle important d'appuyer ces groupes et ces initiatives.

Ces individus, ils ne seront pas ici. Je ne pense pas qu'un certain nombre de personnes qui représentent les groupes patronaux viendront nous parler des petites et moyennes entreprises. Elles vont représenter, probablement, pour une forte proportion d'entre elles, je ne dis pas exclusivement, mais très largement, le point de vue des grandes entreprises. Les grandes entreprises au Canada, il faut en être conscient, sont en bonne partie contrôlées par les Américains déjà, à l'exclusion, évidemment, du secteur des banques.

En conclusion, M. le Président, je souhaite qu'au cours de ces trois semaines on ait à l'esprit les gens du Québec, non seulement les chiffres, les courbes économétriques, les affaires brillantes sûrement que vont venir nous exposer les spécialistes de ce domaine, les hauts fonctionnaires, etc. - et on sait qu'ils ont tous travaillé très fort là-dessus - mais comment tout cela va affecter les gens. Je n'ai pas senti cette sensibilité de l'autre côté depuis le début de l'amorce de ce dossier. L'absence de M. Paradis comme ministre de la Main-d'Oeuvre est, à mon avis, significative dans ce sens.

Finalement, je souhaiterai qu'au cours de cette commission le gouvernement, peut-être, précise un certain nombre de choses. Parce qu'il faut bien le dire, ce qui a marqué l'absence de débats à l'Assemblée nationale et dans le public au Québec autour de cette question, c'est le fait que le gouvernement se soit traîné les pieds. Ce n'est pas vrai que le discours que nous a lu M. MacDonald tout à l'heure ou le document schématique qu'il a présenté il y a quelques mois peut nous amener à conclure que le gouvernement a fait ses devoirs. Ce n'est pas vrai: le gouvernement du Québec n'a pas fait ses devoirs en termes d'études d'impact, le gouvernement du Québec n'a pas fait ses devoirs en termes de protection des secteurs comme la culture, l'agriculture, le gouvernement n'a pas fait ses devoirs en termes de ce qu'il exige comme tribunal des litiges entre les États-Unis et le Canada dans l'éventualité de la signature d'un tel accord, alors que l'Ontario a fait ses devoirs, c'est évident et mon collègue vous le rappelait tout à l'heure. Cela m'inquiète au plus haut point parce que le libre-échange, cela se prépare et vous n'êtes pas pour entraîner le Québec dans une aventure si vous êtes impréparés. Je crains que le gouvernement du Québec ne manipule ce dossier que de façon politique et je trouve cela dangereux pour l'avenir du Québec.

Peut-être aurons-nous des réponses de la part du ministre ou d'un de ses collègues sur un certain nombre d'enjeux et qu'on pourra faire autrement qu'être obligés de suivre l'interprétation possible que peuvent donner les journalistes quand ils réussissent à mettre la main au collet du premier ministre à la sortie des conférences. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le député de Bertrand, quelques minutes encore.

M. Parent (Bertrand): II nous reste un peu de temps, M. le Président. C'est sur les commentaires que le ministre a faits lui-même tantôt concernant l'étude du Conseil économique du Canada rendue publique il y a quelques semaines. J'aimerais dire au ministre qu'il faudrait peut-être prendre toutes les précautions. Sans être un spécialiste sur le plan économique, je peux dire que les deux scénarios que le Conseil économique du Canada a pris comme prémisses de base pour faire son étude et pour arriver à ses conclusions, il faut juste se les rappeler pour bien les situer.

D'abord, ils ont pris un premier scénario: ils abolissent toutes les barrières tarifaires et non tarifaires sur les produits entre les deux pays. Deuxièmement, c'est la suppression des barrières tarifaires et des barrières commerciales. Dans le deuxième

cas on a ajouté à la suppression des barrières commerciales des hausses de productivité propres à chacune des industries du secteur manufacturier canadien. Cela veut dont dire que le Conseil économique du Canada, dans son étude, a pris comme prémisse de base que, au départ, du fait qu'il y avait une situation de libre-échange, il y avait automatiquement augmentation de la productivité; on a mis automatiquement dans le modèle, si on peut dire, une augmentation de la productivité. Je pense qu'il faut faire attention à cela quand on le mesure en termes de résultats. Il est loin d'être évident, dans notre cas, à nous, par rapport aux Américains, qu'un libre-échange mènerait automatiquement à une situation d'augmentation de productivité.

Je m'explique. Particulièrement, par exemple, dans le domaine des brasseries, on sait qu'on pourrait faire fonctionner à Milwaukee une brasserie et qui pourrait desservir en quelques heures l'ensemble des brasseries canadiennes, une seule brasserie là-bas. L'inverse ne peut pas se faire. On sait aussi que l'augmentation de la productivité et des volumes en ce qui regarde le Québec n'est certes pas notre force. On n'ira pas concurrencer sur la plupart des marchés des Américains sur des questions de volume, et de cela, j'en ai la profonde conviction. On va être capable de compenser la petite taille de nos entreprises, de notre structure, par le dynamisme, l'ingéniosité, la créativité, la recherche et le développement, le design qui font que les produits québécois, dans bien des cas, sont différents. C'est comme cela qu'on va être capable d'aller percer sur les marchés américains. Ce n'est pas en augmentant, doublant, triplant nos productions.

J'ai fait le tour du Québec au cours de la dernière année et, particulièrement dans les derniers mois, j'ai rencontré beaucoup de gens d'affaires pour essayer de voir l'impact qu'ils auraient dans leur PME. Je peux dire que peu d'entre eux voient cette augmentation de productivité. Tout cela pour dire que le cas particulier à partir duquel on a établi le scénario du Conseil économique du Canada, c'est à prendre avec certaines précautions.

J'aimerais, en terminant, déplorer le fait que le ministre a décidé de rendre public hier le rapport du comité Warren. À toutes fins utiles, je l'ai vu à 6 heures ce matin en ouvrant le journal et je ne suis pas d'accord avec cela. Je le déplore. Je trouve dommage qu'à la veille d'une commission parlementaire on ait décidé, d'une part, de rendre public un document qui est important, qui résume essentiellement ce qui a pu se passer au comité Warren. C'est bien sûr que cela fait partie des stratégies, mais cela fait partie des revendications qu'on faisait tantôt. On l'a fait une fois pour toutes en début de commission; je pense qu'on va pouvoir maintenant essayer de travailler de façon constructive. Je trouve dommage qu'on ait peu de documents et que, quand on les a, on les a un peu tard. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le député de Bertrand. Cela termine la partie remarques préliminaires de notre programme d'aujourd'hui. Nous allons suspendre une ou ou deux minutes, le temps de faire une pause-santé, d'une part, et de permettre à notre premier invité, M. Pierre-Paul Proulx, de prendre place à la table des invités.

(Suspension de la séance à 16 h 34)

(Reprise à 16 h 40)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

On va maintenant régler immédiatement le problème d'horaire. J'avais indiqué qu'on ferait une séance de travail à la fin des travaux de cet après-midi. On va la faire maintenant. Il s'agit simplement, d'une certaine façon, d'adopter le programme de la semaine prochaine et de l'autre semaine. II y a eu une entente entre les deux formations politiques sur la liste. Je vous ferai grâce de ta lecture de la liste. Je pense qu'en temps et lieu les membres de la commission et le public qui assiste à nos travaux verront les gens qui sont invités et qui comparaîtront. Mais dans le mesure où il y a eu une entente, s'il n'y a pas d'objection, nous allons formellement l'adopter.

Une voix: Adopté.

Le Président (M. Charbonneau): Cette entente figera maintenant un peu dans le ciment les invités...

M. Lefebvre: M. le Président, c'était le seul point à l'ordre du jour concernant la séance de travail de 18 heures?

Le Président (M. Charbonneau): Oui, il n'y a pas d'autres points à l'ordre du jour.

M. Lefebvre: La séance de travail de 18 heures est annulée?

Le Président (M. Charbonneau): C'est exactement cela et, donc, la convocation qui avait été envoyée aux membres de la commission. Je voudrais également signaler que, généralement, durant ces trois semaines, je présiderai moi-même les travaux de la commission sauf qu'à certains moments le vice-président de la commission, le député de Vimont, M. Théorêt, pourra également présider certaines parties de séance ou

certaines comparutions.

Auditions

Ces précisions étant faites, nous allons maintenant céder la parole à M. Pierre-Paul Proulx. Je vous rappelle, M. Proulx, que nous avons une heure. Donc, vous avez d'abord vingt minutes qui vous sont réservées pour votre présentation. Vous n'êtes pas obligé de les utiliser au complet, mais vous avez un maximum de temps. Par la suite, le reste du temps est réparti également entre les deux formations politiques pour la discussion, les échanges et les questions.

Alors, sans plus tarder, M. Proulx.

M. Pierre-Paul Proulx

M. Proulx (Pierre-Paul): M. le Président, MM. les membres de l'Assemblée nationale, chers confrères et consoeurs québécois. Mon mémoire est un peu long car j'ai visé deux objectifs à l'invitation qu'on nous a faite. D'une part, c'est un peu tenter d'amener des éléments pour alimenter le débat et, d'autre part, j'ai parsemé dans le texte des réactions toutes personnelles qui, je l'espère, seront intéressantes et qui proposent des éléments de négociation pour la position du Québec.

Je vais faire trois choses. C'est un peu mon diagnostic du contexte dans lequel ces négociations se déroulent parce que, partant du contexte, je dis qu'il y a des choses qu'on comprend mieux et qu'on explique mieux. Deuxièmement, je vais passer, mais très rapidement, sur les travaux des économistes. Troisièmement, comme je le disais, je vais laisser ici et là des suggestions qui me sont inspirées par ce diagnostic et par le résultat des travaux des économistes.

Alors, la première partie. J'ai l'impression qu'on peut mieux comprendre ce qu'est l'aboutissement possible des négociations, ce qui est à l'ordre du jour, si on fait un tour rapide du contexte dans lequel ces négociations se déroulent. J'ai énuméré - je vais passer très rapidement -certaines caractérisques politiques, socioculturelles, économiques, administratives qui sont mondiales, nord-américaines ou bien québécoises et qui permettent de comprendre un peu les aboutissements potentiels. C'est du moins mon avis. Une des premières choses qu'on a largement identifiées, c'est que presque toutes les économies s'internationalisent. Le commerce extérieur devient plus important dans toutes les économies. Cela a des effets. Le premier, cela signifie qu'avant on parlait de tarif, là, on va commencer à parler en plus de ce qu'on appelle des barrières non tarifaires. En d'autres mots, le menu change. Le menu qui était des tarifs devient tarif plus tout un ensemble de politiques domestiques des pays.

Quand on s'internationalise, on devient interdépendant. L'autre effet de l'internationalisation, c'est qu'une politique domestique d'un pays a des impacts sur les autres à côté. Donc, le menu est changé. Il faut parler de politiques domestiques ainsi qu'internationales.

Le deuxième constat qui m'aide à comprendre - du moins, j'essaie de comprendre ce qui se dessine - c'est ce qui arrive aux États-Unis. Je vais vous épargner tous les chiffres et toutes ces choses, mais je prétends que les États-Unis sont en déclin sur le plan mondial. J'ai regardé les chiffres de revenu per capita, les parts de marché. On a parlé ici même de la balance commerciale déficitaire des Américains. Cela fait depuis 1972, je pense, qu'ils ont assez régulièrement des déficits sur la balance commerciale. Ils n'avaient pas eu cela auparavant. Puis, ils ont sur le plan du déficit gouvernemental une situation qui est assez inquiétante et qui les laisse avec un déficit qui est maintenant le plus gros sur le plan mondial. Mais l'effet de ce déficit gouvernemental, c'est de faire en sorte que les Américains, pour payer l'intérêt sur leurs dettes, sont obligés d'exporter l'équivalent de 110 000 000 000 $ de biens et services par année. Je continue là-dessus, mais cela me porte à prévoir que dans les années futures on verra une dévaluation encore accrue - on a parlé de quelque 40 % du dollar américain - et je crois que, pour régler ces problèmes, il faut que la dévaluation se poursuive un peu. Si on dévalue, il va arriver des problèmes d'inflation. Cela me porte à comprendre que, parmi les problèmes des Américains et leurs objectifs, il y a celui de régler le déficit de leur balance commerciale. Comment fait-on cela? En exportant plus, en faisant absorber par les autres une partie du déficit américain. En d'autres mots, on a, d'une part, une poussée par les Américains pour se donner un accès aux marchés des autres; ils négocient avec les Japonais, les Brésiliens pour avoir accès à leurs marchés afin de leur passer une partie de leur déficit et, d'autre part, ils sont devenus relativement protectionnistes.

Alors, ce que je vois, c'est un déclin inévitable dans le standing de vie des Américains dans les années qui viennent de par le legs de l'histoire qu'on vient de vivre. Cette réalité, à mon avis, est importante pour nous. Je ne développerai pas longuement ma pensée là-dessus, mais moi je suis partisan de ce qu'on appelle avec quelques collègues une quatrième option pour les relations internationales et les relations commerciales du Québec. C'est dans ce contexte que j'envisage la libéralisation avec les Américains comme étant un pas vers autre chose qui est la diversification des relations commerciales du Québec. C'est l'objectif de fond et la libéralisation

bilatérale, c'est un pas pour y arriver. Cela change drôlement ce qu'il est intéressant de faire avec les Américains, mais je n'ai pas le temps de développer ce sujet.

Troisièmement, on a fait état plus tôt de l'apparition de nouveaux compétiteurs. Ce que ceux-ci ont fait, c'est de faire disparaître l'hégémonie des Américains sur le plan mondial. On sait que les Américains ont joué un rôle prépondérant dans l'après-guerre dans les institutions du GATT et dans toutes sortes d'autres mécanismes. Ce que je me suis posé comme question, c'est que, si le rôle politique des Américains est en train de changer, cela a des implications intéressantes d'autant plus qu'aux États-Unis il y a toujours eu une tension entre la politique commerciale des exportations et une politique des relations internationales. On a le même problème au Québec, il nous faut concilier nos objectifs de relations internationales avec nos objectifs de politique commerciale. J'ai tenté, è la page 4, d'identifier un peu les objectifs de la politique des relations internationales québécoises qui font voir que ce qu'on négocierait avec les Américains, c'est tout à fait relatif dans ce contexte, parce que - je ne dis pas qu'on sera nécessairement d'accord sur la liste des objectifs que j'ai énumérés pour une politique de relations internationales - si on est d'accord avec cela, cela nous pousse tout de suite à penser à la francophonie, à un rôle international pour des villes qui ont un rôle très important sur le plan international, à une politique technologique de développement qui implique toutes sortes de moyens. On voit dans un contexte plus large la négociation bilatérale qui n'en est qu'un aspect. Cela change beaucoup ce qu'il devient intéressant et moins intéressant de négocier avec les Américains.

Un autre fait du contexte mondial que je trouve très important, c'est l'affaiblissement du GATT. J'ai tenté d'identifier diverses raisons pour lesquelles le GATT est en déclin. Je parle un peu du fait que le Congrès américain n'a pas plus de respect qu'il le faut pour le GATT; lorsque, dans le cadre du Kennedy Round, les Américains ont accepté le code antidumping, le Congrès, qui est assez protectionniste, a assuré que la loi américaine aurait préséance. S'il y a désaccord entre ce qui découle du GATT et la politique domestique, c'est celle-ci qui prime. Ce que je vois, c'est qu'on va vers un système où, les Américains étant un peu en déclin dans leur rôle sur le plan mondial, on va voir les instances et les organismes multilatéraux perdre un peu de pouvoir. On a même mis les services sur une table à part à Punta del Este. Cela étant, je nous vois évoluer vers un monde plurilatéral plutôt que multilatéral. Cela aussi a des implications très importantes pour la politique des relations internationales et celle du commerce extérieur du Québec.

La stagflation, je dis qu'on va la revoir. Quand il y a inflation, on a des politiques monétaires serrées, des taux d'intérêt assez élevés et des problèmes d'investissement qui rendent un peu plus difficile notre réadaptation industrielle,, Le fait que les flux de capitaux sont bien plus importants que les flux de commerce pour déterminer les taux de change nous fait aller vers un système où on va avoir beaucoup de problèmes dans l'enlignement des taux de change. On essaie de se concerter. Le Canada est devenu membre du Club des sept, mais ce que cela m'amène à conclure, c'est que, de plus en plus, pour régler le problème des taux de change, on va devoir, et c'est ce qu'on fait, essayer d'harmoniser nos politiques monétaires et fiscales avec celles des autres pays.

Un autre constat que je fais là-dessus, c'est que les économistes laissent un peu de leurs théories traditionnelles qui ont été très utiles pour expliquer les flux de commerce internationaux. Ils s'intéressent de plus en plus à de nouvelles théories du commerce international. Dans celles-là, on parle beaucoup des économies d'échelle qui avaient été très négligées - c'est très présent dans l'étude du Conseil économique du Canada; j'y reviendrai si le temps le permet, c'est bien fait - on parle aussi de toutes sortes d'imperfections, mais il y a tout un développement du côté de la théorie économique qui nous fait voir - c'est à la page 6 que je l'ai noté - qu'il est possible, et on l'a vu... On n'a qu'à regarder ce qui s'est passé dans le Sud-Est asiatique, on a vu les gouvernements s'associer au secteur privé dans ces pays-là pour se donner un avantage technologique, créer des avantages comparatifs. Cela n'était pas dans les manuels, ni dans les "textbooks" qu'on a étudiés il y a quelques années. On est dans un nouveau monde. Cela ne veut pas dire que c'est acceptable et qu'on devrait jouer ces jeux-là, mais la nouvelle théorie du commerce international nous suggère que c'est possible. Je prétends qu'il faudrait tout simplement s'assurer dans la négociation bilatérale avec les Américains qu'on spécule un peu sur notre politique d'adaptation industrielle et sur les politiques de R-D, de développement technologique et autres qu'on voudrait utiliser pour favoriser notre secteur privé afin d'assurer que les règles qui seront négociées ne nous lieront pas trop dans l'utilisation de certaines politiques. Bien qu'on voudra renforcer le contexte multilatéral, même plurilatéral, les règles et les codes, il va rester des pays qui ne joueront pas toujours ces jeux-là et il nous faut, nous aussi, être en mesure et assurer qu'en négociant avec les Américains sur le plan multilatéral, ultérieurement, on ait

quand même une certaine marge de manoeure. C'est donc un voeu, formulons cela un peu pour voir ce que cela donne: Est-ce que cela va nous donner des balises dans la négociation et des choses à éviter dans la négociation avec les Américains?

L'autre commentaire que je fais, c'est, brièvement, un élément diagnostique. Il y a tout un ensemble de graphiques qui le mentionnent. Habituellement, quand on regarde les relations commerciales Canada-États-Unis, on regarde les exportations et les importations. Je pense qu'il est extrêmement important d'aller maintenant au-delà de cela. Il faut regarder ce qui se passe en termes de succursales canadiennes aux États-Unis et de succursales américaines au Canada. J'ai tenté de vous illustrer quelques tableaux et de vous donner des chiffres qui font voir qu'il se passe des affaires assez fantastiques. Regardons comment l'intégration entre l'économie canadienne et l'économie américaine fonctionne. On voit rapidement que les succursales canadiennes deviennent de plus en plus actives aux États-Unis. Les succursales américaines deviennent de moins en moins actives au Canada. La production canadienne aux États-Unis est supérieure à nos exportations aux États-Unis. C'est vrai également pour les succursales américaines au Canada; elles produisent plus au Canada que ce qu'elles exportent des États-Unis. En d'autres mots, il faut changer le contexte et le schéma simple qui dit: Regardez donc la balance commerciale des biens et des services et {'exportation-importation. Il faut regarder tout le processus d'intégration économique. II en ressort une image assez difficile à interpréter. On voit qu'il y a un mouvement dans la production canadienne vers les États-Unis. Les chiffres nous le font voir. C'est, selon l'interprétation, dû au protectionnisme des Américains qui ont incité Bombardier, par exemple, à aller s'installer là-bas alors qu'ils ne le devaient pas. C'est aussi dû au contexte de croissance économique des Américains qui ont eu une croissance rapide alors que la nôtre a été un peu plus lente. Je mentionnais préalablement que je pense que ce n'est pas soutenable. C'est aussi dû au fait que le marché américain est très fort. II y a des études non publiées, dont une, c'est moi qui l'ai commandée lorsque j'étais à Ottawa, et j'en parle avec plaisir. On a fait des enquêtes auprès des maisons mères canadiennes qui se sont dotées de succursales aux États-Unis depuis cinq à dix ans. On leur a demandé: Qu'est-ce qui vous a incitées à aller là-bas? Est-ce que vous feriez cela s'il y avait le libre-échange? Je vous en parle à la page 7 sans entrer dans le détail parce que ce n'est qu'une étude parmi beaucoup d'autres.

Il y a un problème en ce qui concerne la localisation des investissements dans le contexte nord-américain un peu plus intégré parce que si les tarifs sont partis et qu'on vient à bout de régir un peu l'utilisation des barrières non tarifaires, je vois que, du côté des ressources primaires, on n'a pas de problème. Je pense que les Japonais et les Européens, à cause de la nature même de la ressource naturelle, vont venir au Canada, mais en ce qui concerne la localisation, la production, du côté des industries plus -excusez le terme - "footloose", là il nous faut être assez attentifs et assurer à nouveau que les règles, les codes, en ce qui concerne les investissements, nous donnent une certaine marge d'utilisation de nos politiques domestiques pour y arriver. Je ne parle pas de contrôle des investissements. Vous verrez que c'est très négatif sur les flux. Cela ne fonctionne pas. C'est compliqué dans le sens que le gros du financement des succursales vient des profits non distribués. Ce n'est pas de l'investissement direct. Donc, ce sont d'autres politiques dont je parle. Ce sont les politiques domestiques dont beaucoup sont non politiques, où le commerce international et ces règles-là ne sont pas pour beaucoup. Mais il faut changer et regarder, de façon plus poussée, l'intégration pour bien conclure quelles sont les politiques qui sont importantes dans les années qui viennent.

Un autre point, et c'est un peu particulier pour un économiste. J'ai été très curieux depuis un an ou deux de comprendre ce qui se passe aux États-Unis sur le plan institutionnel, sur le plan politique interne, et j'en suis venu à une conclusion dont je fais état aux pages 8, 9 et 10. Pour des raisons que j'ai évoquées tantôt, à savoir que ce ne sont plus de tarifs faciles dont on parle, mais de barrières non tarifaires, de politiques domestiques, puisque le menu de la négociation est changé, le Congrès hésite de plus en plus à donner des mandats au président. Il hésite à donner des mandats au United States Trade Representatives. Ce n'est pas seulement House Ways and Means et le Comité des finances du Congrès américain qui s'intéressent maintenant à la libéralisation des échanges, c'est le comité qui s'intéresse à l'énergie, le comité qui s'intéresse à tel autre aspect d'une politique domestique. Je suis enclin à voir qu'il y a un changement dans le menu des négociations qui fait que le Congrès ne donne plus de mandat au négociateur. Je ne suis pas surpris que le négociateur américain n'arrive pas à être très très explicite dans ses réactions et qu'il nous arrive au dernier moment en disant: Je veux parler des autos vendredi. C'est parce qu'il n'a pas la marge de manoeuvre. Le président est pris. Le négociateur américain n'a pas la marge de manoeuvre qui lui permet, comme c'était le cas auparavant, de négocier aussi ouvertement et directement avec le négociateur canadien. En d'autres mots, le système est

changé. On avait auparavant un Congrès des États-Unis qui écoutait les loffies et qui criait fort. Il disait; Diable! il nous faut des lois protectionnistes pour protéger tel groupe, telle région, telle autre chose, mais il s'était organisé par en arrière avec le président et par des procédures américaines pour diluer ça un petit peu. Donc, les sénateurs recevaient les doléances de ceux qui voulaient du protectionnisme mais un système fonctionnait qui faisait que ça ne débouchait pas et, effectivement, on s'assurait par des mécanismes dans l'administration politique que les doléances protectionnistes ne débouchent pas.

Maintenant ce n'est plus comme ça parce que le Congrès est très hésitant à laisser aller le président. Il est très hésitant à donner des mandats parce que quand c'est un tarif qu'on négocie on peut lui dire: Coupe ou augmente de 50 %, 10 % ou 20 %, mais quand ce sont des barrières non tarifaires les économistes ont du mal à calculer l'équivalent tarifaire de la barrière non tarifaire. Ceci étant, on a donné une laisse extrêmement courte au négociateur qui ne peut pas tellement parler, qui est lié. C'est pour ça que ça prend du temps, c'est pour ça que les Américains ne bougent pas tellement.

Je comprends, par exemple, que M. Reagan ait promis à Québec: On va arrêter pas mal la protection contingente et que, d'autre part, il ne peut pas arrêter ça. Je dis que le "fast track" ne vaut rien. Effectivement ça nous a protégé de très peu de choses pour la raison suivante: Le Congrès a ses lois dans le processus. Le négociateur est obligé de vérifier à tout moment avec lui. C'est vrai, on va arriver avec un paquet qui ne changera pas tellement ultérieurement parce que le Congrès y aura mis son mot.

Après le 5 octobre, si M. Benson décide qu'il veut faire changer quelque chose dans l'entente, le processus politique américain fera changer le contenu de l'entente qu'on aura mise sur la table le 5 octobre. Il y a des réalités politiques que j'essaie de discuter ici, qui sont très importantes pour nous et inquiétantes pour le Canada et pour les États-Unis.

Cela signifie qu'il nous faut chercher des mécanismes pour arriver à fonctionner dans un monde comme ça parce que le contexte international et le contexte domestique nous créent de vrais problèmes. On n'a plus de négociateurs. Les États américains deviennent de plus en plus actifs, d'ailleurs, sur le plan international et ils font leurs affaires.

L'administration américaine n'essaie pas de contraindre les États américains qui deviennent plus actifs sur le plan international, à la suite de nos provinces. Ceci étant, je me suis dit: Qu'est-ce qu'on fait, les Canadiens, les Québécois particulièrement dans un contexte comme celui-là? J'en arrive à des choses qui ne sont pas nouvelles, j'ai l'impression, mais il faut suivre l'exemple des Japonais. Il faut commencer à faire du lobbying. C'est nécessaire, mais pas seulement à Washington. Il faut faire du lobbyinq avec un nombre d'États très très particuliers qui nous touchent de très près. Il faut faire du lobbying auprès des sénateurs. C'est malheureux mais c'est une démarche qui, à cause du contexte politique, me semble essentielle.

Deuxièmement, on a beaucoup de choses à apprendre et au Québec il nous serait utile d'avoir plus de suivi dans l'analyse des politiques domestiques européennes, japonaises, coréennes, américaines qui nous touchent indirectement. Il faut avoir un suivi très très poussé de cela. II faut faire une analyse des coûts et des bénéfices qui découlent de ces politiques-là afin d'aviser et notre secteur privé qui veut adapter sa planification stratégique à cela et le gouvernement du Québec pour qu'on puisse non seulement réagir mais agir à la lumière de ça. Donc, je vois qu'inévitablement on n'y arrive pas par un organisme bilatéral. Cela fait deux ans que je dis qu'il ne sera pas décisionnel. Le Congrès ne veut même pas donner au président un mandat. Comment va-t-il donner un mandat qui amènerait à un tribunal bilatéral décisionnel des choses qu'il ne veut pas déléguer, même à l'administration des États-Unis? J'espère me tromper parce que ce serait plus facile, effectivement, si on avait un organisme bilatéral décisionnel mais, si je ne me trompe pas, il faudra aller au-delà de l'organisme bilatéral, ce que je vois d'autres façons et dont j'ai parlé ici.

Il y a une autre section qui fait revoir tous les textes. On a parlé de l'étude du Conseil économique du Canada. Je crois que malgré ses lacunes... J'ai écrit, j'ai 500 pages de commentaires sur les modèles. Je ne vous en parle pas. Ils sont pleins de lacunes, ils ont des forces mais ils ont des faiblesses mais il y a une force conceptuelle qui ressort de ça c'est qu'ils ne regardent pas seulement les effets directs de la libéralisation des échanges, ils regardent les effets indirects. (17 heures)

Même si c'est fait avec des imperfections, même si on ne peut pas croire les chiffres qui ressortent de cela, il y a dans l'approche, si vous voulez, qui regarde les effets directs et indirects une force qui fait que, moi, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de gens qui vont venir vous voir qui ne regardent que les effets directs et qui ne comprennent pas l'ensemble de la chose. Ceci étant, quoiqu'on ne peut pas croire les chiffres qui ressortent des modèles, celui du

conseil économique, il est plus intéressant, ils ont amélioré la méthodologie, puis leurs résultats, on les a cités. Moi, en les regardant, ce que je conclus c'est que les résultats les plus récents nous donnent des effets positifs sur le produit intérieur brut québécois, sur l'emploi mais ils ne sont pas aussi élevés qu'on le prétendait. En d'autres mots, cela reste positif. J'en ai trouvé deux qui ont des effets négatifs, une américaine et puis une autre ontarienne mais pour des raisons que je pourrai vous expliquer... Je crois que le gros des études conclut que c'est positif. Ce qu'il faut retenir, c'est que c'est positif mais on est au bas de la gamme des impacts. On est rendu avec des impacts qui ne sont pas aussi importants qu'ils l'étaient précédemment parce qu'avant on était dans les sept, huit, on est rendu dans les trois, quatre si vous voulez. On est rendu avec des niveaux d'emploi qui seront positifs, une création d'emploi mais, par contre, ce que ces modèles-là font ressortir c'est que 90 % des problèmes d'adaptation, c'est en Ontario, puis c'est au Québec. 60 % des bénéfices, c'est dans l'ensemble du Canada. Donc, cela documente un peu ce qu'on sait. C'est qu'il y aurait ici, au Québec particulièrement et en Ontario, des problèmes d'adaptation particuliers. Donc, il faut, comme on l'a entendu aujourd'hui je crois, donner beaucoup d'importance à la conception de la politique d'adaptation qu'on voudrait durant la transition parce que, moi, je ne voudrais pas qu'on se réveille le lendemain en se faisant dire: Bien oui, mais votre politique d'adaptation que vous voulez mettre en place ne cadre pas avec les codes et les règles qu'on vient de négocier. Je crois qu'il est essentiel de faire de la spéculation, d'essayer de mettre cela au point rapidement et puis de voir si cela colle, si cela cadre un peu avec ce qu'on pourrait être obligé de négocier dans les jours qui viennent. C'est de la saine prudence, je pense, et c'est essentiel.

J'ai dans la conclusion fait état de quelques idées sur la nature même d'une politique d'adaptation industrielle mais je vous passe cela et peut-être, s'il y a des questions, j'y reviendrai.

Le Québec est gagnant, effectivement, les secteurs, j'en ai parlé rapidement, est-ce que vous me permettez de faire un résumé sur les secteurs gagnants et perdants?

Le Président (M. Charbonneau): Écoutez, j'ai l'impression, M. Proulx, qu'on a déjà épuisé le temps et peut-être que ce qu'il serait le plus intéressant, utile et pertinent, c'est que finalement tout de suite la discussion s'engage. Je présume que et le ministre et les députés de l'Opposition ministérielle ont des questions et pourront peut-être vous amener à préciser des choses que vous avez présentées dans votre mémoire plus loin mais que vous n'avez pas abordées dans votre présentation.

M. Proulx: D'accord.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, merci de votre présentation, M. le ministre.

M. MacDonald: M. Proulx, merci d'être venu. Je dois d'abord vous féliciter parce que vous avez été certainement une des personnes qui, d'une façon non partisane, a le plus publié et s'est le plus prononcée au cours des 18 derniers mois sur une négociation d'une entente de libéralisation des échanges avec les États-Unis. Ceci étant dit, vous nous présentez aujourd'hui des commentaires qui, comme vous les avez qualifiés, sont relativement longs et très étoffés, et nous n'avons pu les recevoir qu'il n'y a pas très longtemps. Je me permettrais de vous demander effectivement, et vous n'avez pas pu le couvrir, de qualifier un peu plus la valeur des modèles économétriques qui ont pu être utilisés par les orqanismes qui généralement parlant, comme vous l'avez dit, ont sorti des études positives sur les effets d'une entente de libéralisation. Certaines des hypothèses, dans les premières études, étaient, pour dire le moins, incomplètes mais nos fonctionnaires du ministère des Finances nous disaient, à la parution de l'étude du Conseil économique du Canada, que c'était la meilleure étude que nous ayons vue sur le sujet et nous pouvions qualifier certains des paramètres utilisés mais, réellement, il y a eu une très sensible, une grande amélioration même dans la préparation de ce modèle-là, les deux simulations dont on a les résultats, etc. En l'absence d'autres études qu'on pourrait qualifier de meilleures, nous avons cherché à étudier, temporiser nécessairement, faire les réserves d'usage mais j'aimerais entendre de vous de plus longues explications sur ce modèle économétrique.

M. Proulx: Bon, très bien. Au préalable, ce que je crois qui est assez utile dans ces modèles-là, c'est qu'ils essaient de concevoir non pas de façon très étroite mais de façon globale l'impact qui découle de la libéralisation des échanges. Je pense que l'étude du Conseil économique du Canada illustre bien la démarche que l'on retrouve dans les autres modèles et, comme vous le disiez, M. le ministre, il y a des améliorations qui ont été faites.

Ce qu'on fait, c'est qu'on dit: Les tarifs, c'est comme une taxe, c'est un phénomène important, alors. Si on enlève une taxe, si on enlève un tarif, il est passible qu'il y ait des effets sur les prix aux consommateurs. Effectivement si on enlève les tarifs canadiens il est possible que les intrants, les facteurs de production - on

importe de la machinerie et de l'équipement des États-Unis, nous autres - que ça diminue et que, donc, on ait des coûts de production un peu plus bas. En d'autres mots, les modèles, pas seulement celui du conseil mais les autres, ont une série de questions auxquelles ils essaient de répandre. La première c'est: Qu'est-ce qui se passe aux États-Unis? La première chose qui se passe aux États-Unis c'est que si les tarifs que les Américains imposent sur nos exportations disparaissent, théoriquement, mais dans les faits ils ont essayé d'estimer cela, les prix des produits canadiens devraient baisser un peu aux États-Unis. Si nos prix baissent relativement à ceux des Européens et des autres pays d'outre-mer, on aurait donc un peu plus d'exportations vers les États-Unis. Ils font des équations, toutes sortes de diable d'affaires pour essayer de chiffrer ça, je vous épargne la technique, il y a des problèmes dans la fixation des prix qui découlent d'un changement de tarif mais ils ont poussé jusqu'à la limite les connaissances que nous avons là-dessus.

L'inverse est vrai aussi. Si on enlève les tarifs canadiens, les produits américains vont rentrer ici à des prix plus bas et les Américains vont déplacer de la production canadienne, ils vont déplacer de l'importation qu'on faisait d'autre part. Les modèles essaient de tenir compte de ces deux effets-là. Sur le papier on peut dire qu'ils se compensent, mais dans les faits ils ne se compensent pas étant donné la réalité de notre capacité concurrentielle.

Il y a trois autres questions que ces modèles-là se posent rapidement. Ils se disent: Qu'est-ce qui arrive aux prix des intrants, aux prix de la machinerie, de l'équipement et des autres facteurs de production dont on se sert au Canada, s'il y a libéralisation des échanges? Nous savons que nous avons des déficits assez importants dans notre balance commerciale en haute technologie. Il découle de ça que, probablement, même si les Américains ne sont pas toujours les plus productifs au monde - je vous parle de cela préalablement - même si les Américains ne sont pas toujours les plus productifs, on va importer de la machinerie et des équipements américains, un peu plus et à des coûts un peu moindres, et donc nos industries et nos entreprises vont devenir un peu plus productives. Si les tarifs baissent, et il y en a qui sont à environ 20 %, la moyenne est de 11 % sur les produits qui sont sujets à des tarifs contre 6 % aux États-Unis, si on les enlève progressivement - moi, je prétends que les tarifs c'est quelque chose qui pourrait effectivement faire l'objet d'une entente dans les mois qui viennent - si on enlève ces tarifs-là, les prix des biens de consommation vont baisser un peu. On irait un peu moins outre-frontières. C'est vrai qu'on va en Ontario pour acheter des choses, on irait un peu moins aussi aux États-Unis pour acheter des choses étant donné la diminution dans le prix de consommation. Si les prix de consommation baissent, le revenu réel augmente, l'épargne augmente un peu, l'investissement augmente un peu, tout se tient, si vous voulez.

La dernière question c'est? Qu'est-ce qui arrive aux investissements? Et c'est là que les modèles traditionnels ont donné beaucoup d'importance à la taille du marché» Les États-Unis, dans les achats publics, ils ont un marché qui est quinze fois plus élevé que les achats publics du gouvernement fédéral. Moi, je dis qu'il n'y aura pas beaucoup d'ouverture et de mouvement, probablement, dans les politiques d'achat respectives et je croîs même que, si la défense américaine nous était accessible, je ne suis pas certain que Montréal et le Québec et l'Ontario en profiteraient parce que ce n'est pas ça qui est arrivé aux Etats-Unis dans les États qui nous ressemblent. Mais, de toute façon, l'ouverture des marchés, qui est un phénomène qui est très très mis en lumière dans ces modèles-là, elle est prise en considération ici mais ce que je trouve fascinant c'est que les modèles du Conseil économique du Canada disent: On a peut-être surfait cet arguement-là et c'est pour ça que les résultats sont un peu plus bas. Parce que maintenant les économies d'échelle, les longues courses de production, produire 100 000 voitures plutôt que 10 000 voitures, c'est important ça, mais de plus en plus on a de nouvelles technologies de production CAO-FAO, production flexible où ce ne sont plus les longues courses de production qui comptent mais le marketing, la distribution, la connaissance des marchés, l'accès aux marchés, pénétrer dans des réseaux de distribution. Cela change complètement la stratégie pour l'exportation de la part de nos entreprises, le rôle du secteur public de nos divers ministères dans la pénétration des marchés extérieurs et c'est assez intéressant parce que le modèle du Conseil économique du Canada prend ça en considération, si vous voulez.

Je ne commenterai pas les données les plus récentes qu'il y a sur les disparités tarifaires. Si on regarde les structures de subventions, c'est dans le secteur agricole agro-alimentaire qu'il y a de grosses subventions. Pour le reste c'est de 0 % à 2,5 %. Le problème des subventions est très important parce que c'est là-dessus que la protection contingente, qu'on veut enrayer par le tribunal bilatéral, se joue, mais disons que les subventions ne sont pas aussi fondamentales, exception faite du secteur agricole, et il semblerait que c'est mis à côté pour le multilatéral, ce qui est une réaction bien plausible, positive et acceptable, il me semble, en l'occurrence.

Alors en résumé, donc, les estimations

de ces modèles-là, modèle d'équilibre général ou modèle macro-économique ou divers autres modèles, sont largement positives et sont en déclin mais nous donnent un concept où l'effet de la libération serait positif.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand, je vous signale, ce n'est pas un blâme, M. Proulx, mais pour vous et peut-être pour les autres qui vont suivre, que votre temps de réponse est compté dans le temps global d'un côté ou de l'autre. Je pense que les membres veulent avoir des réponses complètes, et c'est pour cela qu'on ne vous blâmera pas de nous les donner, mais à l'inverse si c'est possible parfois de condenser pour permettre aux membres de ta commission d'avoir plus de possibilités de vous questionner sur les différents éléments qui les intéressent.

Alors, M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Au nom de l'Opposition, je vous souhaite la bienvenue, M. Proulx. Vous avez terminé votre exposé tantôt en nous parlant très brièvement de la politique d'adaptation industrielle qu'on retrouve dans votre mémoire à la page 16. J'aimerais avoir un peu plus de matière et d'explications pour bien comprendre parce que cela fait partie des préoccupations dont j'ai aussi fait part dans mon exposé. Vous parlez d'une politique d'adaptation industrielle pour faciliter les transitions et l'adaptation. Tout ce nouveau menu ou ces nouvelles règles du jeu nous amènent à être capables de nous adapter le plus rapidement possible sur le plan industriel. Alors, ce que j'aimerais que vous puissiez nous dire, ces politiques d'adaptation, vous les voyez non seulement en ce qui a trait à l'entreprise, à l'industrie, mais aussi, j'imagine, pour ce qui est des ressources et de la main-d'oeuvre pour être capables de relocaliser, d'utiliser au maximum nos ressources tant humaines que nos ressources en ce qui a trait à l'entreprise. Alors, j'aimerais que vous puissiez nous montrer un peu comment vous le voyez dans le cas spécifique du Québec.

M. Proulx: Rapidement, donc, le modèle a des effets positifs globaux mais il y a des perdants et il y a des gagnants. Alors, il y a des secteurs qui ont des problèmes de destruction d'emploi dans le court terme. J'ai fait une étude pour Montréal, elle n'est pas publiée mais vous avez une étude pour Montréal. À Montréal, il y aurait 8000 à 10 000 jobs qui disparaîtraient à la suite de la libéralisation des échanges, mais dans le paquet ce n'est pas beaucoup sur 125 000 dans le secteur manufacturier parce que c'est du câté des services et d'autres côtés que cela mène. Alors, pour ceux qui auraient des problèmes, et c'est bien reconnu à la suite du déclin des tarifs et des barrières non tarifaires, on met en lumière des suggestions pour essayer d'aider, et cela s'appelle des politiques positives d'ajustement industriel. Cela porte, comme vous l'évoquiez, en partie sur des questions de recyclage, sur des questions de formation qui visent les travailleurs. Ce que je crains, dans les suggestions que font mes confrères ontariens aux gouvernements d'Ottawa et de l'Ontario, c'est qu'on met beaucoup de poids sur les mesures visant les travailleurs exclusivement. Alors, partant de la réalité socio-économique et culturelle québécoise, je me dis que cela nous prend un dosage de mesures qui va diminuer un peu le poids des problèmes d'adaptation des travailleurs en faisant un peu quelque chose du côté des entreprises pour la transition et il faut s'interroger sur ce qu'on pourrait faire.

En fait de mesures, il y a toutes sortes de suggestions qui ont été faites. À la page 39, j'en ai énuméré qui sont des choses assez détaillées pour faciliter la transmission. Il y a des retraites accélérées; dans certains cas, les populations actives dans ces secteurs-là sont plus âgées. Donc, favoriser des retraites accélérées, permettre, s'ils changent de secteurs, qu'ils amènent leur fonds de retraite avec eux, ne pas taxer les sommes qu'ils recevraient s'ils sont mis à pied, en l'occurrence, pour faciliter et insister la transition, utiliser, comme on le propose, la formation et le recyclage. Il y en a qui ont proposé des subventions salariales transférables. Si les travailleurs dans telle ville mono-industrielle - dans certains cas, cela va être dans certaines régions, dans certaines villes un peu plus importantes, non dans les grands centres urbains mais dans les petits centres - ont des problèmes de mobilité géographique, qu'ils amènent une partie de leur salaire pour quelques années afin de faciliter leur embauche par leur nouvel employeur dans des secteurs en croissance, parce qu'il va y en avoir plus qu'il y en aurait en déclin, et" pour les inciter à se déplacer un peu. Il y en a qui disent: Les salaires baissent un peu, comblons l'écart dans les salaires. Si le salaire baisse de 25 %, comblons pour deux ou trois ans la moitié de la perte de salaire pour aider le travailleur qui aura à se déplacer. Je sais bien que c'est important et ce sont des suggestions comme celles-là que j'entends à Ottawa et dont on parle en Ontario, mais je pense que ce n'est pas adéquat parce que nous, au Québec, il nous faut un peu donner du poids du côté des politiques visant les entreprises. Et là, du côté des entreprises, c'est une tout autre question; ce que je vois, ce sont des mesures qui, puisque c'est une période de transition, doivent être - il y a trois adjectifs que j'ai mis à la page 40 -temporaires, dégressives et assorties de conditions visant le redéploiement des

entreprises. On a trop souvent vu des mesures, qui persistent et continuent, qui ne donnent pas lieu à un redéploiement de ces entreprises. (17 h 15)

Si on les module, si on fait en sorte qu'elles soient dégressives - et on y tient, mais il y a un problème politique, j'en suis conscient - si on arrive à faire tenir le déclin dans le temps des mesures, on va inciter l'entreprise à bouger et à faire des choses. Cela devrait s'insérer à mon avis dans ce que j'appelle - et c'est un autre chapitre, je vais m'arrêter, M. le Président -le chapitre de la politique technologique du développement économique du Québec. C'est un autre chapitre, c'est un autre sujet.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Merci. J'aimerais profiter des remarques ou des suggestions que vous avez faites pour faire une certaine mise à jour. Vous avez, par exemple, dit qu'il faudrait beaucoup plus de suivi dans l'analyse des politiques commerciales, que ce soit du Japon, de la Corée ou ainsi de suite» Je peux vous rassurer sur ce sujet, effectivement on regarde la négociation bilatérale actuelle comme précurseur strictement de cette négociation multilatérale ou, comme vous l'avez mentionné peut-être, d'une évolution qui nous amènerait à du plurilatéral. Mais dans ce contexte-là, nécessairement, les structures que nous nous sommes données pour faire face particulièrement à la négociation bilatérale, ce sont les structures qu'on désire garder dans les négociations multilatérales du GATT. Donc, on fait un suivi, et un suivi assidu.

Vous nous avez suggéré, M. Proulx, de faire un plus grand lobby vers les États-Unis. Est-ce que vous aimeriez élaborer un peu plus longuement, quelques minutes, sur ce que vous entendez?

M. Proulx: Moi, je me réjouis des mécanismes, procédures et processus qu'on a mis au point au sein de la province, d'une part, et entre la province et le gouvernement fédéral. Ce sont des choses positives qui impliquent les provinces dans des choses qui les regardent de plus en plus et c'est réellement excellent. Mes propos ne visaient pas le suivi de ce qui se dessine durant la période de négociation. C'est ultérieurement qui m'inquiète. Ce que je prétends qui va arriver - le temps ne permettra pas d'entrer dans beaucoup de détails et ce n'est peut-être pas indiqué d'aller dans trop de détails. Après la négociation, on va nous laisser avec des codes, des règles de jeu, des choses assez générales qui vont nécessiter une certaine interprétation de part et d'autre par les pays membres, soit le Canada et les

États-Unis, ou les autres ultérieurement sur le plan multilatéral. Je reprends tout simplement une proposition du GATT qui a mis sur pied un comité des sages il y a cinq à six ans, je crois, qui a dit qu'il est indiqué et important que les pays soient plus informés sur les coûts et les bénéfices des mesures de libéralisation des échanges et de protectionnisme qui se fonte Parce que, si on avise la population, si on rend disponible aux entreprises québécoises, aux syndicats québécois les estimations - d'accord, avec des lacunes - mais plus d'estimations des coûts et bénéfices, pas durant la négociation, mais après, de façon continue et soutenue, on va aider à comprendre un peu mieux. Le défi est d'arriver à faire ce suivi, parce que ce ne sont pas nécessairement des politiques commerciales qui nous touchent, ce sont les politiques domestiques: fiscalité, réglementation, changements dans le domaine financier. Il y a un défi fantastique et c'est ultérieurement que je crois qu'il nous faut -partant de ce qu'on voit venir dans le programme des législations de certains pays européens, de certains pays du Sud-Est asiatique, de certains États aux États-Unis -faire notre lobbying auprès du sénateur qui est impliqué, faire notre lobbying auprès du gouverneur. On a des marchés régionaux très très différents aux États-Unis. Il faut connaître nos marchés régionaux, faire notre lobbying de ce côté-là. Pour arriver à faire cela, il est indiqué et désirable que cela soit dans un mécanisme qui ne sera pas public, un mécanisme autonome au Québec, avec présence, par contre, du secteur public et du secteur privé. Ce mécanisme répondrait aux demandes des industries, des entreprises qui voudraient savoir ce qui se passe effectivement dans tel secteur, quelle législation, dans quel domaine, va les toucher. Il y aurait des clients surtout privés, aussi publics nécessairement, mais les gouvernements ont leur réseau, ont leurs ressources pour faire cela, et vous le faites très bien en l'occurence. C'est pour suppléer à cela et c'est ultérieurement que je visais en faisant cette proposition.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): M. Proulx, vous nous mettez beaucoup l'eau à la bouche. Il y a beaucoup de choses intéressantes. Lorsque vous avez comparu devant le comité Warren - je lisais Le Devoir du 2 juillet dernier -vous avez dit que l'une des conditions les plus importantes que vous posiez au comité Warren, c'était: L'implantation du libre-échange porte sur des politiques nationales, elles doivent converger vers un renforcement de la position concurrentielle. Sur ce point, vous avez soulevé des questions sur la capacité actuelle du Québec de faire face à

cette ouverture des nouvelles frontières. Vous appuyez votre thèse, entres autres, sur la scolarité, les efforts de recherche et développement, achat, équipement, autrement dit la capacité du Québec à faire face à ces nouvelles règles du jeu. J'aimerais que vous puissiez nous dire, dans un premier temps, M, Proulx, si vous voyez cette capacité, bien sûr, avec une aide ou un soutien gouvernemental ou en partenaires, gouvernement-entreprise privée. Est-ce que pour vous, à cause de la structure économique du Québec, à cause du type d'entreprises que nous avons, tant sur le plan de la diversité des secteurs que sur le plan de la taille de nos entreprises, il est pensable qu'on ait les outils nécessaires actuellement pour être capable de faire face sans ces outils?

M. Proulx: M. le Président va m'arrêter si je tente de répondre le moindrement complètement à votre question, mais je vais quand même tenter de réagir un petit peu si vous voulez.

Je crois qu'il y a des secteurs... Il faut se situer au niveau de... Il y a des divergences très très considérables dans la capacité compétitive des différents secteurs québécois et, plus particulièrement, au sein des secteurs. Même dans les secteurs les plus faibles, il y a des entreprises qui peuvent passer réellement au travers dans la mesure où elles empruntent et utilisent des stratégies de pénétration de marché assez particulières, dans la mesure où elles font l'utilisation de nouvelles technologies de production, dans la mesure où elles seront très attentives aux créneaux, aux niches dans l'identification du potentiel de marché américain. Souvent, cela est régional et non national. De plus en plus, ce serait international étant donné ce que je vois comme déclin sur le plan mondial. Donc, cela dépend du secteur effectivement. Globalement, ce que je vois en partant des études, c'est que le Québec tirerait profit globalement de cette libéralisation des échanges. En d'autres mots, les secteurs forts, à cause du dynamisme de nos entrepreneurs, à cause de l'implantation de plus en plus rapide qu'on fait de nouvelles technologies, avec l'aide qu'on donne encore, quoique qu'on pourra discuter des modalités de l'aide à promouvoir et à prôner pour l'avenir, beaucoup de nos secteurs, plus que ceux qui perdent, arriveraient à passer au travers. Donc, il y a une capacité concurrentielle du côté des biens durables. Elle est évidente. Nos écarts de productivité, nos écarts de coûts unitaires de production du côté des biens durables sont tels que les Américains sont inquiets. Ils essaient de se protéger effectivement. Dans beaucoup de secteurs, on a une compétitivité forte.

Notre problème est du côté non durable. Les données de notre structure économique nous le font voir. Du côté des biens non durables, on a une concentration importante de notre activité économique, et là il est inévitable et même désirable qu'il y ait une rationalisation de nos activités dans les secteurs dits mous. Ils sont identifiés dans le texte dans la mesure où les textes le permettent. Mais il ne faut pas faire porter le poids de l'adaptation exclusivement par les travailleurs des secteurs mous, ni les entreprises des secteurs mous. Il faut les aider à passer au travers de ces mécanismes par de la formation, du recyclage, de l'aide à ces entreprises. Les Japonais vont bien plus loin qu'on va en Amérique du Nord puur aider les entreprises à s'adapter à des conditions comme celles-là. Je ne prône pas qu'on "émule" les Japonais nécessairement, mais, essentiellement, il y a un potentiel fantastique si on est de concert, le gouvernement du Québec avec les entrepreneurs et les syndicats québécois, si on emprunte de plus en plus de nouvelles technologies. J'ai défini cela comme étant des technologies de télématique. Si on entre de plain-pied dans le domaine de l'information, les flux d'informations, si on se donne et on assure qu'on a une infrastructure de télécommunications des plus poussées à Montréal, qu'on puisse faire ce marketing, cette distribution et ces analyses de marché, le suivi de l'expédition de nos produits, je dis qu'il y a un potentiel très très intéressant. Cela n'est pas la faute des autres, cela dépend de nous. C'est nos entrepreneurs et nos syndicats, nos travailleurs, leur formation, leur recyclage, d'accord, nos politiques publiques qui vont nous aider, mais je crois que... Je minimise -vous le voyez un peu, c'est ce que vous avez dit, je pense, en commençant - je minimise un peu l'importance de la politique commerciale comme facteur déterminant de l'aboutissement de tout cela. Cela dépend bien plus de nos politiques domestiques à nous et de ce qu'on fait chez nous.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de La Peltrie.

M. Cannon: Merci, M. le Président. M. Proulx, très brièvement, j'aurais peut-être une petite question à vous poser. Mais avant, comme préambule, j'ai entendu cet après-midi le chef du gouvernement, le ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique de même qu'un certain nombre de personnes qui sont spécialisées en la matière nous dire: Voici, écoutez, c'est vrai qu'aux États-Unis, depuis maintenant tout près d'une quinzaine d'années, il y a un déclin, une baisse de productivité, etc. Nous avons engagé ce processus de négociation pour pouvoir permettre l'accès à nos entreprises québécoises et canadiennes au marché américain. Je vous pose une question.

Sentez-vous tout à fait à l'aise d'y répondre, mais j'aimerais, si vous y répondez, que vous me donniez peut-être des explications économiques de ce que pourrait être un scénario où le statu quo serait avancé, c'est-à-dire dans un contexte où il n'y aurait pas de libéralisation des échanges et si, demain matin, tout continuait de la même façon. Vous avez certainement réfléchi à cette chose, j'aimerais que vous nous donniez une réponse.

M. Proulx: Oui. Toutes mes réflexions m'incitent à penser qu'il n'y a pas de statu quo possible. La situation américaine est changée, c'est une donnée et les Américains doivent s'y adapter, en l'occurrence. Leur déclin ne date pas des années quatre-vingt, au contraire, ils sont en croissance, c'est l'économie qui a joué le rôle de moteur sur le plan économique, on en a profité. Ce n'est pas pour rien que notre part des exportations québécoises aux Américains a augmenté. C'est qu'ils ont joué un rôle particulièr. Mais il faut superposer cela; c'est quelque chose à plus long terme. Le statu quo n'est pas possible parce que les Américains ont, sur le plan relatif et, à cause de leur dette, sur le plan absolu, de sérieux problèmes. Ils nous disent: Faites en sorte que les Japonais et l'Allemagne de l'Ouest reprennent le lest afin d'assurer que l'économie mondiale continue à monter. Je pense que c'est plutôt le problème d'ouverture et de reprise des pays en voie de développement de leur endettement qui va un peu régler le problème. Avec les problèmes de fiscalité, ils vont régler leur problème. Donc, d'une part, je crois que le déclin de l'économie américaine est assez circonscrit et fait que les Américains réagissent naturellement en allant vers le protectionnisme, mais, d'autre part, en essayant d'exporter leur déficit, ils veulent avoir accès aux marchés des autres. Ils essaient d'avoir un meilleur accès. Pour eux c'est une question stratégique d'aller voir les Japonais et de leur dire: Ouvrez vos marchés ou nous allons fermer les nôtres. Les gens avec qui je discute à Washington voient cette démarche américaine comme une question de stratégie et se disent: Les autres vont baisser pavillon et l'effet net va être la libéralisation des échanges. Je dis que le contexte domestique de la politique américaine est changé. Il y a un diable de danger que le président Reagan se fasse prendre dans la conjoncture actuelle avec HR-3, la loi no 3, et SR-1460 du Sénat qui vont passer dans un tamisage. Je crains que, pour des raisons de politique domestique, le président Reagan en arrive à devoir nécessairement accepter, pour ses impératifs à lui qui, quelquefois, sont des relations internationales et non des politiques commerciales, une situation plus serrée pour nous. C'est pour cela que j'en arrive -excusez-moi si je suis lonq, je termine là-dessus - à dire que, dans la position québécoise et canadienne, il faut penser à la quatrième option et viser la diversification de nos relations commerciales. Cela vient des objectifs de relations internationales du Québec ainsi que de nos objectifs de politique commerciale,, Cela n'a jamais marché dans le passé, mais c'est dans ce contexte qu'il nous faut aller. Partant - je peux me tromper dans le diagnostic - du déclin américain, il nous faut chercher des marchés et cela suggère toutes sortes de choses nouvelles vis-a-vis de ces marchés.

Le Président (M. Charbormeau): M. le député de Roberval.

M. Gauthier: M. Proulx, une question me vient à l'esprit. En développement économique, quand on observe ce qui se passe au Canada et au Québec, à long terme, il y a une tendance à concentrer les investissements importants de développement dans le domaine industriel dans des milieux plus urbanisés où il y a de plus grands regroupements de population. On observe cela au niveau canadien et au niveau du Québec. Est-ce qu'avec un marché entièrement libre on risque à long ou à moyen terme, ce qui serait encore plus dramatique, d'avoir une sortie d'investissements, que le phénomène se reproduise mais au niveau des deux pays Canada-États-Unis, et que les investisseurs étrangers, comme les investisseurs du continent nord-américain, aient tendance à aller investir dans les milieux où la population se regroupe majoritairement?

M. Proulx: Bon. Je vais tenter de répondre brièvement. La nature du changement technologique qui, autrefois, impliquait beaucoup plus d'utilisation et de transformation de ressources naturelles, minières, forestières, où nous sommes très bien dotés, passe et va vers des choses qui impliquent plus des cerveaux, des ressources humaines, de l'éducation, de la formation, de l'intelligence. Cela étant, la localisation de ces activités est maintenant plus "footlose". La technologie permet de se situer de façon un peu plus libre que lorsqu'on avait à se rapprocher de la ressource primaire, la forêt, la mine, les matières premières. D'ailleurs, les termes d'échange nous sont désavantageux sur ce plan. C'est la toile de fond qui fait qu'on est dans un autre jeu où la localisation peut changer beaucoup plus rapidement. Les déterminants de la localisation sont très très nombreux. Beaucoup d'entre eux sont justement d'ordre domestique. Alors, si on laisse fonctionner - mais, c'est un mythe des manuels, les marchés ne fonctionnent pas comme cela, il y a des interventions et des entraves de toutes sortes, les pays sont là

pour cela et se dotent de gouvernements pour influer là-dessus, le marché ne fonctionne pas complètement - mais si on laisse fonctionner les marchés, je crois que les nouvelles technologies ont un potentiel d'aller à l'encontre de la concentration qu'on voit dans les grandes villes, mais les forces centrifuges sont extrêmement fortes. (17 h 30)

Cela dit, si on regarde l'Amérique du Nord, j'ai évoqué que j'ai des soucis quant à la localisation de certains investissements provenant d'outre-mer, des Japonais et des Coréens. Si on n'avait pas négocié fermement avec les Coréens et les Japonais, où auraient-ils établi leurs industries de l'automobile? Il nous faut garder une certaine marge de manoeuvre pour influer, mais, pour beaucoup, ce n'est pas du contrôle des investissements étrangers. C'est notre fiscalité, c'est la qualité de nos ressources humaines et de tout un ensemble de politiques domestiques qui dépendent de nous autres. Mais il faut s'assurer que les règles vont nous permettre de jouer parce que ce que vous évoquez est un souci réel et on voit cette concentration; les nouvelles technologies le permettent.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Vanier.

M. Lemieux: À vous entendre, M. Proulx, je crois que vous avez confiance en l'entrepreneurship québécois. On voit, à la page 37 de votre mémoire, "certaines industries y sortiraient gagnantes". Vous prétendez, du moins selon certaines études qui auraient été faites, qu'il y aurait des effets positifs pour le libre-échange. Ce qui m'inquiète moi aussi, ce n'est pas davantage la loi. Ce sont les règlements. C'est le contenu des règlements. C'est l'après. Eu égard à l'après, en quelques minutes, puisque le temps dont je dispose est assez court, comment envisagez-vous cette période de transition dans les secteurs non durables comme tels? Vous avez souligné tout à l'heure que, s'il y a des problèmes, c'est là qu'ils seront. Cette période transitoire, de quelle manière pouvez-vous l'envisager? Est-ce qu'il y a des éléments, est-ce qu'il y a des solutions concrètes dont vous pourriez nous faire part pour certains de ces secteurs?

M. Proulx: Disons que ce sont des voeux plutôt qu'autre chose.

M. Lemieux: De l'intérieur et de l'extérieur, eu égard au Québec, au Canada et aux États-Unis.

M. Proulx: Ce sont des voeux plutôt qu'autre chose. Je n'ai absolument aucune information quant au contenu de ce qui pourrait nous arriver. J'espérerais qu'on verrait une diminution dans les tarifs de part et d'autre, mais plus lente de notre côté que de l'autre côté. C'est une première chose. Qu'on y aille plus lentement dans la diminution des tarifs qui protègent certains de nos secteurs qui ont des problèmes d'adaptation, et c'est encore très important. Cette protection, en l'occurrence, c'est dans les 21 %, 22 %, 23 %. C'est une première chose.

Deuxièmement, je crois que l'industrie doit continuer ses efforts de concertation visant, d'une part, à adopter les nouvelles technologies, mais c'est très avancé et ce n'est pas la solution. Les Italiens, il y a dix ans, ont essayé de rationaliser leur industrie du vêtement, de la chaussure, et ils ont abandonné même s'ils sont très forts en design et en marketing. Il faut donc avoir un dosage d'approche, dans les secteurs qui auraient des problèmes d'adaptation, favorisant l'implantation et l'utilisation de nouvelles technologies, mais aussi les aider à faire du marketing ou de la distribution, de l'analyse de marché, ce qui est extrêmement fondamental. Il nous faut innover sur le plan des produits, des processus de production, oui, et des services.

L'autre volet, ce sont les services. Excusez-moi si je m'écarte légèrement de votre question, mais les services y sont pour beaucoup dans l'adaptation des secteurs mous parce que, s'il n'y a pas d'alternative, s'il n'y a pas de jobs, je comprends n'importe qui qui dit: Je reste ici, je fais mon lobbying et je vais tout faire avant de bouger. Il nous faut donc voir à créer des emplois dans les autres secteurs et, dans la mesure où il y aurait de la création, d'autre part, cela va aider à faire fonctionner les diverses formules que j'ai évoquées pour la mobilité des travaillleurs, la transition des entreprises. Cela va donc inciter ces entreprises à accepter un déclin presque inévitable.

L'autre chose qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'il faut se situer sur le plan mondial. On a là maintenant dans des secteurs des productions avec des valeurs ajoutées et des niveaux de salaires qui sont inférieurs à ceux dans les secteurs plus intéressants, mais de beaucoup supérieurs à ceux qu'il y a dans les pays en voie de développement. Si on a une conscience sociale vis-à-vis des pays en voie de développement, on va peut-être, encore là, en tirer quelque chose qui voudrait dire: Essayons de créer des emplois pour nos qens dans les secteurs mous, pour les aider à passer vers les services. Passer vers les services, c'est facilement dit et difficilement fait. Encore là, selon le secteur des services, les barrières sont différentes, les potentiels sont différents, les implications de formation sont toutes différentes et le dossier n'est pas très avancé quant à nos connaissances sur les possibilités de ce côté-là.

M. Lemieux: Cela va. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le député de Vanier.

J'ai une question à vous poser, M. Proulx. Vous avez indiqué tantôt que cela supposait l'intervention gouvernementale en ce qui concerne l'aide aux entreprises et également l'aide aux travailleurs pour la période d'adaptation. Si je comprends bien, vous indiquez qu'i est nécessaire, pour qu'une entente sur le libre-échange fonctionne, réussisse et soit positive pour le Québec, que le gouvernement intervienne d'une certaine façon pour aider les entreprises et aussi mettre en place des programmes pour l'adaptation de la main-d'oeuvre et l'adaptation des entreprises. Dans ce sens-là, dans quelle mesure doit-on se comporter à l'égard des programmes d'aide aux entreprises? Est-ce qu'on doit accélérer un désengagement de l'État dans les programmes d'intervention aux entreprises ou si, au contraire, à cause de ce qui peut arriver, c'est-à-dire une négociation qui pourrait aboutir, on doit plutôt maintenir l'aide aux entreprises, et même l'accentuer, et aussi aux travailleurs?

M. Proulx: Premièrement, je prétends qu'il faut profiter du coût, pas aussi présent et fort qu'on le voudrait, qui viendrait de la libéralisation. Cela nous aidera un peu, quoique cela mettra en évidence les problèmes dont on parle et qui touchent des secteurs: 8000 à 10 000 jobs à Montréal, et on a estimé à je ne me rappelle plus combien l'ensemble du Québec. Cela mettra donc en lumière ces problèmes-là. J'ai aussi entendu aujourd'hui qu'on s'intéresserait à mettre au point une politique d'adaptation industrielle pour la transition. On a brièvement parlé de la nature et des caractéristiques de cette politique d'adaptation industrielle. Ma seule réaction était de réagir aux propos que j'entends, d'autre part, parce qu'il ne faut pas oublier les entreprises. Si on fait porter le poids de l'adaptation seulement aux travailleurs, je crois que ce n'est pas équitable ni efficace. Il nous faut faire des choses pour les entreprises aussi et nos interlocuteurs ne sont pas assez ouverts à ça parce que le processus d'ajustement par la mobilité des ressources humaines est très acquis dans la formation des économistes et de ceux qui sont les conseillers que je rencontre et croise.

Le rôle du gouvernement, particulièrement dans ce processus d'adaptation: Je vais vous dire honnêtement que ma réflexion n'est pas très avancée là-dessus. Je travaille plutôt sur des questions de technologie de ce temps-ci que sur des questions du genre. Je vais donc me défiler devant votre question précise mais j'y vois un rôle évident et possiblement une modulation et un "repackaging" en partie de certaines de nos politiques industrielles pour la transition.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le ministre.

M. MacDonald: M. Proulx, je vous remercie beaucoup de vos réponses-J'aimerais souligner, pour reprendre un peu, que vous avez à vous préoccuper de technologie et c'est également ma responsabilité. Au niveau de la responsabilité du gouvernement concernant la période d'adaptation et les mesures d'adaptation, j'ai été heureux de constater effectivement que l'Opposition partageait à 100 % nos préoccupations sur le sujet. Dès le départ, une exigence du gouvernement du Québec à la table de M. Reisman a été la formulation de la position québécoise. Comme province, nous avons introduit à ce moment-là cette dimension que vous avez soulignée, à savoir qu'il ne faut pas seulement regarder recyclage et optimisation de la capacité de la main-d'oeuvre mais regarder les entreprises, leurs facteurs de productivité autres que la main-d'oeuvre. C'est un autre des sine qua non que nous avons listés cet après-midi, sans quoi il ne saurait être d'adhésion à une entente quelconque.

Les mesures, l'ampleur de la mesure, tant sur le plan des périodes que sur le plan des sommes d'argent, seront nécessairement "commensurées" à ce que nous déterminerons comme période d'adaptation d'une réduction de mesures tarifaires ou de mesures non tarifaires.

En cours de route, vous avez dit que le "fast track" ne donnera rien et que le sénateur Benson pourra intervenir après le 5 octobre. Il est aussi important de noter, M. Proulx, qu'au Canada dix provinces doivent approuver et voudront ajouter leur grain de sel à la formule finale. Cette possibilité d'intervention n'est pas unilatérale. Des deux côtés de la frontière, à mon avis, il y aura sans aucun doute des retouches s'il y a entente.

M. Proulx: Une brève remarque si vous me le permettez, rapidement.

Le Président (M. Charbonneau): Oui, rapidement.

M. Proulx: Ce qui m'a inquiété sur le "fast track" c'est le prix qu'on a payé. En l'occurrence les conseillers et mes collègues à Washington me disent qu'on a payé le bois d'oeuvre pour avoir un "fast track" qui n'est pas très très utile. Le président Reagan a dû promettre aux sénateurs qui voteraient: Je vais régler le problème des bardeaux de cèdre des Canadiens dans la mesure où vous voterez pour moi. Je trouve qu'on a payé

cher. Si on avait eu un éclairage un peu plus poussé sur le processus politique interne, sur le lobbying et les positions des Américains» on aurait peut-être dit: D'accord, on va aborder ça autrement et différemment. Je me réjouis en effet que notre mécanisme et nos procédures permettront cette flexibilité-là parce que même après la signature de l'entente bilatérale il y a le projet de loi omnibus qui s'en vient aussi. On ne sait pas comment on va accorder et harmoniser le projet de loi omnibus qui pourrait ressortir assez protectionniste avec les mesures qu'on va négocier sur le plan bilatéral. Donc, il nous faut avoir du suivi, faire la suite et s'assurer qu'on soit drôlement vigilant là-dessus dans les années à venir.

M. MacDonald: Comme...

Le Président (M. Charbonneau): Je m'excuse. Si on veut fonctionner, M. le ministre, je vais donner la parole à M. le député de Bertrand.

M. MacDonald: Très bien! C'est parfait.

M. Parent (Bertrand): Une dernière question de ce côté-ci. M. Proulx, vous nous avez dit tantôt que le statu quo est pratiquement impossible. Vous êtes catégorique là-dessus, il n'y aura pas de statu quo, on aura quelque chose qui va bouger. Vous nous avez dit aussi que la balance commerciale américaine était déficitaire et qu'il y a une volonté politique du président Reagan d'en venir à une entente concernant le libre-échange et une volonté politique canadienne - on en a une au niveau québécois - de la part des premiers ministres.

Dans ce contexte-là, M. Prouix, on est dans une situation, avec le "fast track" actuellement, qui fait qu'on a un compte à rebours qui fonctionne, un compte à rebours qui fait que, dans quelques jours, on devra réussir à s'entendre. Il y a une volonté politique qui est prête sûrement à laisser tomber des morceaux importants dans la négociation. D'une part, aux États-Unis on veut se ramasser dans une situation où on sera capable de dire au reste du monde qu'on est capable de s'entendre avec le Canada. D'autre part, au Canada, on a un premier ministre qui, sur le plan politique, veut montrer au reste du Canada qu'il est capable de conclure des ententes avec les États-Unis. N'est-on pas dans une situation où on devra laisser des morceaux importants de la négociation sur la table, s'entendre dans un cadre minimal, ce qui ferait qu'on se retrouverait avec un entente-cadre où finalement, après 18 mois, on ne se sera pas entendu sur les choses dites de fond et importantes? On devra, après les 90 jours et après la procédure du "fast track" en janvier 1988... J'imagine que si ceci devait se passer... Vous mentionnez que vous êtes assuré qu'il n'y aura pas une situation de statu quo et je suis un peu de votre avis, dans ce cas-là. Va-t-on se retrouver, après avoir attaché, si on peut dire, un cadre, dans cette entente-là, avant le 4 octobre 1987, va-t-on se ramasser dans une situation... On n'aura pas les mains attachées au Québec vis-à-vis du Canada qui aura à bouger à l'intérieur d'un cadre qui va être fixe. Va-ton se ramasser, d'après vous, dans une situation où il y a une volonté politique de régler à tout prix une entente de libre-échange?

M. Proulx: Je crois que vous avez raison d'identifier qu'il y a un désir politique de part et d'autre d'en arriver à quelque chose parce qu'il y a des avantages pour l'un et l'autre., Nous, on a été les demandeurs initialement, partant de la crainte du protectionniste des Américains, ce qui était un motif négatif; ce n'est pas comme cela qu'on gagne des batailles, cela j'en conviens. Il faut penser à des aspects positifs et à d'autres choses. Les Américains en tirent parti parce qu'ils veulent en partie se servir de l'exemple bilatéral sur le plan multilatéral, mais il y a aussi d'autres avantages économiques qui en découlent.

Ma réaction, je ne sais si elle va être trop tangentielle, parce que c'est une question difficile que vous m'avez posée. Il ne faut pas mettre tous nos oeufs dans le même panier; en d'autres mots, on se prépare, on travaille un peu sur le plan multilatéral, mais il nous faut, sur le plan des politiques domestiques, penser comment on va rivaliser - c'est la façon de résumer ma pensée là-dessus - contre les Américains outre-mer. Si on se sert de cela pour lire nos politiques industrielles, nos politiques régionales, nos politiques de formation, nos politiques de recherche-développement en science et technologie, je crois qu'on va dire qu'il faudra faire attention dans telle discussion pour que le cadre ne nous empêche pas de faire cet effort visant à nous permettre à rivaliser contre les Américains outre-mer. Si on pense dans ce contexte-là, je crois qu'on va vouloir des choses assez générales. Donc, que le cadre qui risque de naître le 5 octobre ne soit pas très très précis, cela pourra nous avantager.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Prouix, cette réponse termine votre présentation. Je vous remercie au nom des tous les membres de la commission d'avoir participé à notre exercice et je crois que les gens qui ont suivi nos travaux cet après-midi vont sûrement avoir apprécié votre présentation ainsi que les discussions que nous avons eues.

Alors merci, et sans plus tarder j'invite

maintenant l'autre groupe qui est présent, l'Association du camionnage du Québec, à prendre place.

C'est Mme Louise Pelletier qui est présidente, c'est ça, madame?

Mme Pelletier (Louise): Oui, monsieur, présidente du conseil d'administration.

Le Président (M. Charbonneau): Et M. Jacques Alary, vice-présent exécutif de l'Association du camionnage du Québec. Alors, je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour présenter votre point de vue, au maximum, et que le reste du temps est réparti équitablement entre les membres de la commission. Je vous indique immédiatement que, pour votre présentation et pour le reste de la séance de cet après-midi, le vice-président présidera les délibérations, M. le député de Vimont. Alors, madame.

Association du camionnage du Québec

Mme Pelletier: Merci. Messieurs les membres de la commission et madame, je dois vous mentionner que notre exposé est relativement bref. Nous vous avons fait parvenir un exposé. Il est bref et il pose des questions très pratiques. (17 h 45)

Alors, l'Association du camionnage du Québec est l'association qui représente les intérêts de la majorité des camionneurs publics au Québec auprès des différents organismes gouvernementaux. Notre intervention porte principalement sur des interrogations qu'ont les transporteurs routiers publics face à un libre-échange plus ou moins libre. Le libre-échange est-il bon ou pas? Nous ne le savons pas et nous ne pouvons guère répondre à cette question. Cependant, nous désirons partager certaines interrogations que nous avons aussi soumises au bureau des négociations commerciales du gouvernement du Canada il y a quelques mois.

D'abord, le libre-échange, qu'est-ce que c'est? Est-ce que ça sera simplement l'élimination ou la réduction des tarifs douaniers? Dans un tel cas, c'est sûrement à notre avantage, ce qui viendra réduire le prix de nos camions, des matériaux de transport et des composantes. Est-ce que le libre-échange signifiera aussi la liberté de faire affaire aux États-Unis, sans barrière, tout comme peut le faire une entreprise américaine dans son propre territoire? Serons-nous en mesure de bénéficier de cet avantage si les Américains arrivent à s'implanter aussi chez nous et à prendre le contrôle des mouvements de transport principaux?

Nous voulons rappeler quelque chose qui est évident, situation géographique. La majorité de nos grands centres commerciaux canadiens sont à quelques centaines de kilomètres des frontières. Plus on s'éloigne vers le nord moins il y a de population et, par le fait même, de marchés de transport à grand volume. Pour être en mesure de desservir efficacement les centres commerciaux et à un coût moindre, les camionneurs canadiens et québécois se sont dotés, évidemment, de véhicules qui sont plus robustes, qui peuvent aussi transporter des charges plus grandes, permettant ainsi de compenser le déséquilibre démographique et commercial entre les différentes régions. Ce déséquilibre démograhique se traduit aussi par un tonnage qui est peut-être élevé à transporter dans une direction - produits bruts, produits semi-finis - et faible dans l'autre, constitué surtout de produits de consommation. Quel sera l'impact sur le prix de revient de nos entreprises canadiennes, dont l'équipement est plus coûteux, lorsqu'elles seront en concurrence sur le marché américain, où les équipements n'ont pas besoin d'être aussi robustes et où les équipements coûtent moins cher à l'achat?

Une autre interrogation: Qu'arrivera-t-il avec la loi sur l'immigration aux États-Unis? Actuellement, nous savons qu'un chauffeur canadien ne peut transporter de la marchandise à l'intérieur même des États-Unis. Évidemment, cette même protection existe aussi au Canada. Là où il faut soulever l'impact majeur, c'est principalement en termes de distances. Prenons l'exemple qui vous est mentionné dans notre texte, d'un voyage de légumes qui vient de Montréal, destiné à l'État de New York, où un transporteur a aussi un voyage de retour de fruits. Évidemment, les fruits sont un peu plus au sud, donc, vers la Floride. Le transporteur canadien ne peut actuellement effectuer un mouvement de transport entre, par exemple, New York et la Floride, pour aller chercher ce voyage de fruits à destination du Canada.

Le camionneur américain peut faire ce transport intra-États-Unis et aussi intra-États. L'impact de ce kilométrage à vide pour les compagnies canadiennes, que sera-t-il? Est-ce que les lois sur l'immigration seront changées aux États-Unis pour permettre aux Canadiens d'effectuer et d'exécuter des mouvements intra-États-Unis? C'est une des questions que nous avons. Il est à peu près impossible, dans le contexte actuel, d'obtenir des permis de transport pour effectuer du transport à l'intérieur de certains États américains. Une déréglementation, oui, à la grandeur des États-Unis et du transport inter-États mais il subsiste encore de la réglementation pour du transport intra-États. Il est plus difficile aujourd'hui d'obtenir un permis de transport pour faire du transport à l'intérieur de l'État de la Georgie qu'il ne l'est d'en obtenir un au Québec. Est-ce que le libre-échange et la

déréglementation permettront aux Canadiens d'obtenir plus facilement ces permis intra-États? C'est une question que nous posons.

Il y a aussi certaines barrières qui existent actuellement aux États-Unis. Prenons l'exemple de la taxe sur l'utilisation des autoroutes, ce qu'on appelle communément des "user pay", où une taxe de 500 $ canadiens, par année, par équipement motorisé, est imposée aux transporteurs canadiens. Qu'adviendra-t-il dans un contexte de libre-échange, est-ce que cette taxe américaine subsistera? L'État de New York impose une taxe d'affaires qui se calcule au prorata du millage effectué à l'intérieur de l'État et incluant le millage transit. Qu'adviendra-t-il de cette taxe de l'État de New York? Évidemment, les camionneurs québécois sont principalement touchés par cette taxe de l'État de New York, étant presque un port d'entrée pour les camionneurs canadiens vers les marchés du sud.

Par l'entente du libre-échange, nous verrons aussi probablement disparaître le pacte de l'automobile mais la question que nous nous posons - je ne veux pas m'avancer sur un sujet glissant - qu'adviendra-t-il du contenu canadien requis dans la partie des produits vendus au Canada? Cette question, nous nous la posons en ce sens: Qu'adviendra-t-il du mouvement des marchandises et de l'impact de ce rôle en matière du transport dans la chaîne de production des différents produits?

Les compagnies américaines propriétaires de filiales canadiennes décideront peut-être aussi de les fermer, de fabriquer aux États-Unis les biens destinés au marché canadien. Or, exîstera-t-il aussi un déplacement des centres de décision, ne serait-ce qu'en ce qui concerne le trafic, ce qu'on appelle un directeur national de distribution d'une entreprise nationale américaine ayant une filiale au niveau canadien ou même québécois? Qu'adviendra-t-il en ce qui a trait à la prise de décision de l'octroi des contrats de transport dans notre système de distribution totale?

On sait qu'aujourd'hui plusieurs transporteurs américains offrent des prix d'escompte en garantie d'un volume de transport minimum qui inclut aussi une notion de réseau signifiant que la majorité des endroits de fabrication sont inclus dans ce contrat. Un directeur national de distribution situé aux État-Unis favorisera-t-il plus un transporteur américain qui pourra opérer dans tout le Canada, ou favorisera-t-il un transporteur canadien et québécois? C'est une question que nous posons. Nous avons aussi certaines questions relativement aux barrières canadiennes. Est-ce que nos gouvernements, par exemple, sont prêts à réviser les obligations sociales et fiscales pour nous permettre d'être plus concurrentiels? On sait qu'aux États-Unis ils ont vécu une réforme fiscale importante. Certains fiscalistes experts disent qu'il apparaîtrait que les Canadiens paieraient plus d'impôts que les Américains depuis cette réforme fiscale. Quel sera aussi l'impact sur une entreprise canadienne par rapport à une entreprise américaine, si on ne songe qu'aux nouvelles lois sur l'équité en matière d'emploi, les lois sur la santé et la sécurité du travail, la taxe d'accise sur l'essence, la taxe de 5 % sur les assurances, peut-être la future taxe sur les transactions sur la valeur ajoutée, la réforme fiscale canadienne? Nous pensons, évidemment, que le libre-échange va bien au-delà des frontières et de l'ouverture des frontières. Il faut aussi que, de part et d'autre, nous ayons les mêmes chances de succès. C'est pourquoi nous croyons qu'avant d'entreprendre l'aventure du libre-échange il faut analyser l'impact en tenant compte d'un ensemble d'irrirants qui parfois nous placent en position d'infériorité face au marché international. Pour le libre-échange, nous ne pouvons vous dire oui ou non, bon ou pas. Nous avons des questions et nous croyons que ce sont des éléments qui doivent assurément faire partie des préoccupations des représentants. Nous vous remercions de votre attention. Si vous avez quelques questions plus pratiques, il me fera plaisir d'y répondre.

Le Président (M. Théorêt): Merci, madame. Je vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique.

M. MacDonald: Merci, madame. Je note qu'en effet cette présentation que vous nous faites aujourd'hui se rapproche assez bien de celle que vous aviez faite devant le comité Warren au mois de juin dernier. À ce moment, vous posiez des questions et vous les reposez aujourd'hui; par contre, vous me permettrez de suggérer que plusieurs des questions que vous posez devraient normalement recevoir réponse quant à ce que vous souhaitez voir se produire en tant que regroupement sectoriel. Je crois que je peux vous dire qu'après audition au comité Warren, où vous aviez fait le point sur vos préoccupations à ce moment, on vous a répondu et on peut vous répondre encore aujourd'hui qu'il ne serait pas question d'engagements ou d'adhésion de la part du gouvernement du Québec à une formule qui ne retrouverait pas - comme je crois que votre collègue l'avait mentionné à ce moment-là -"a level playing field", c'est-à-dire que vous puissiez jouer ou plutôt travailler en tant qu'industrie de camionnage avec les mêmes règles.

Il y a des choses que vous avez mentionnées, à savoir que les camions canadiens sont plus solides, ont une structure

qui répond plus aux exigences climatologiques, etc., que les véhicules américains, d'où un point défavorable. Nécessairement, je ne veux pas m'arrêter sur ces points techniques, mais, si les Américains étaient obligés de compétionner ou voulaient compétionner à l'intérieur du Québec ou du Canada, ils devraient se doter d'équipements semblables, d'où un "level playing field". Mais le point important pour nous, et je me permets de vous le répéter, c'est qu'il n'est pas question de participer à l'élaboration d'un projet de règlement qui toucherait particulièrement le domaine des transports routiers sans qu'il y ait réciprocité. Il ne serait pas question pour nous d'encourager une situation, un règlement où vous vous retrouveriez dans une situation défavorable.

Je peux par contre vous faire un commentaire général qui se rapproche très bien de vos préoccupations, à savoir que les Américains ont été demandeurs dans le domaine des services. Ce sont eux-mêmes qui ont menacé à Punta Del Este de quitter en quelque sorte le GATT et de négocier de façon bilatérale avec le pays de leur choix les divers sujets à l'intérieur de l'en-tête Services. Or, il s'avère, par des déclarations publiques que vous avez vues, que, par exemple, dans le cabotage maritime, le "Jones Act" est quelque chose de sacré que les propriétaires et les syndicats américains ne veulent pas toucher. Il s'avère que, dans le domaine du transport routier qui vous intéresse particulièrement, beaucoup d'États ne veulent absolument pas souscrire à ce qui pourrait être une ouverture fédérale, etc. Alors, je me permets de vous poser une première question ou plutôt de vous faire une suggestion. J'aimerais avoir vos commentaires sur la base suivante et sur la base, particulièrement, des qualificatifs que j'ai donnés. Est-ce que vous ne pourriez pas, dans les jours qui vont suivre, répondre à quelques-unes de vos questions, c'est-à-dire de ne pas seulement nous soulever votre préoccupation, mais de nous donner d'une façon un peu plus précise ce que vous souhaiteriez être la prise de position canadienne en la matière?

M. Alary (Jacques): Si vous me permettez, M. MacDonald, oui, il nous sera certainement possible de dire ce que nous voulons être après une entente de libre-échange ou après différentes autres ententes du même genre. On vous le dit un peu par le biais de questions ou d'interrogations que nous avons. Ce qu'on demande, en résumé, c'est de pouvoir faire du transport à l'intérieur des États-Unis sous les mêmes règles que les Américains pourront le faire à l'intérieur du Canada et, à cause des distances des centres que nous avons à desservir à l'intérieur du Québec par rapport aux centres à l'intérieur des États-Unis, de s'assurer que le lendemain, lorsqu'on va permettre aux Américains de venir, comme on pourrait dire, jouer un peu dans nos marchés, ces mêmes Américains ne se servent pas de moyens détournés pour nous imposer des barrières. C'est cette partie qui nous inquiète le plus. Je vous donne l'exemple de la taxe sur l'utilisation des routes américaines. Si cette même taxe était au prorata du millage parcouru aux États-Unis plutôt qu'un montant fixe par véhicule, on serait sur un pied d'égalité avec les Américains, on serait prêt à payer, mais les Américains voient d'un mauvais oeil de nous imposer une taxe au prorata parce qu'à ce moment-là on vient les concurrencer de manière égaiitaire.

Il y a une autre chose, c'est lorsque les Américains sont aux prises avec des problèmes... On a vu dernièrement un projet de loi qui a été bloqué avant d'être présenté au Congrès où on voulait imposer à l'industrie canadienne du camionnage une inspection systématique de tous les véhicules aux frontières avant qu'ils puissent aller desservir la clientèle américaine. C'est ce genre de barrières au sujet desquelles on voudrait être assuré que, dans toutes les ententes de libre-échange, on n'aura pas à les subir. Â concurrence égale, si on est placé sur un pied d'égalité, on va probablement être en mesure de rendre les produits québécois sur les différents marchés américains. (18 heures)

Mais s'il y a une série de barrières, soit par des taxes qui s'appliquent seulement à nous, à toutes les fois qu'on doit assumer une taxe américaine on s'éloigne des marchés à atteindre parce que plus notre coût de transport augmente, moins les produits québécois sont en mesure d'atteindre les marchés les plus au sud. C'est pourquoi ces choses-là sont très importantes pour nous. Ce n'est pas juste le fait que la barrière tarifaire tombe ou le fait qu'on puisse payer nos équipements moins cher, mais c'est tout ce qui entoure, si vous voulez, les autres taxes ou les autres barrières qui sont parfois sournoises et qui font plus de mal qu'une barrière vraiment définie.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand, critique officiel.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. te Président. Je comprends que vous ne savez pas où vous vous en allez dans le domaine du camionnage au Québec. Vous posez plusieurs questions. Le ministre vous répond en vous demandant de faire vos devoirs. Ça m'inquiète. Surtout que le ministre, en mai dernier, lors de déclarations, avait secoué l'industrie du transport en lui demandant de s'impliquer.

Face à tout cela je me demande si, parce qu'on parle d'une entente de libre-échange qui sera conclue incessamment, dans un premier temps vous pouvez nous dire si l'harmonisation - peut-être que le ministre aussi pourra y répondre par la suite - de la législation inter-provinciale actuellement n'est pas déjà une des premières mesures à prendre de façon que, même si on avait une entente de libre-échange, vous vous retrouviez dans une position où vous seriez capables de jouer les mêmes règles du jeu, non seulement ici au Québec mais un peu partout ailleurs. Ce que vous mentionniez tantôt, c'est qu'effectivement vous voulez passer le message au gouvernement, au ministre, que, si les règles du jeu changent et s'il y a dans le domaine du transport entente de quelque nature que ce soit, vous voulez vous ramasser sur un pied d'égalité et que les droits qui seront acquis pour les autres, vous puissiez les avoir.

Dans ces conditions-là, si je comprends bien, vous me rectifierez si je comprends mal, vous dîtes: Ce sont les conditions dans lesquelles ça serait acceptable. Je ne suis pas spécialiste en ces matières de transport, mais il y a beaucoup de réglementations différentes et ce, autant du côté des Américains. On ne peut pas, à moins de revenir d'un État à l'autre, avec de la marchandise ou de revenir d'un voyage si on peut dire, d'une expédition, à moins qu'on suive les règles qui sont bien précises, autant d'un État à l'autre ou autant d'une province à l'autre ici... Alors, comment vivez-vous actuellement cette harmonisation au niveau de la réglementation, d'une part, et, d'autre part, est-ce que les conditions minimales que vous demandez ici, vous pouvez les expliciter? Le message que vous venez nous passer aujourd'hui, le message que moi je comprends, le message que vous laissez au gouvernement, c'est de dire: Écoutez, nous autres, on veut savoir exactement où on s'en va. Et le ministre nous dit, à toutes fins pratiques: Donnez-nous réponse à plusieurs de vos questions. Alors moi je pense qu'on a besoin de se comprendre comme il faut avant que vous ne quittiez, sans ça vous allez retourner... Vous allez avoir des problèmes de transport.

M. Alary: Alors, pour répondre à votre question, M. Parent, c'est peut-être de dire qu'à compter du 1er janvier 1988 les règles du jeu, dans le domaine de l'industrie du camionnage, vont changer. Ce qu'on connaît de l'industrie canadienne, de l'industrie québécoise de transport contre rémunération va être complètement différent. On s'en va dans le processus de déréglementation et de la façon que les cartes se sont jouées et que les textes législatifs ont été écrits par l'Assemblée ou la Chambre des communes, par celui qui a juridiction sur le transport interprovincial, international, à partir du 1er janvier 1988 c'est une déréglementation totale dans le secteur du camionnage, déréglementation qui va permettre aux Américains d'entrer facilement au Canada et d'entrer facilement sur les différents marchés québécois, déréglementation qui va amener une concurrence sauvage à l'intérieur des gens du même milieu, que ça soit entre concurrents québécois, concurrents canadiens. Cela est un début pour nous de libre-échange ou d'un contexte dans lequel nous allons avoir à nous adapter et à changer nos manières d'agir et nos manières de faire du commerce. Si, en même temps, on a d'autres barrières, parce que pour nous ce n'est pas seulement la réglementation économique, le fait d'obtenir le droit d'utiliser un camion pour faire du transport contre rémunération, pour nous les barrières, on les a dans toutes les obligations sociales et fiscales qui nous sont imposées.

Pour vous donner un exemple au sujet de la réforme fiscale, la réforme fiscale américaine permet à un camionneur américain d'amortir un véhicule de 100 000 $ dans une période d'un an, maximum deux ans. Pour nous, en tant que Québécois ou en tant que Canadiens, on doit l'amortir à 20 % par année. Cela veut dire que, pour créer des capitaux financiers ou de la finance à l'intérieur d'une entreprise, le fait d'être aidé au niveau de la fiscalité va permettre de peut-être être plus agressif sur les marchés.

On sait, lorsqu'on regarde la situation, de nos entreprises québécoises et canadiennes, nos entrepreneurs canadiens et québécois en doivent plus aux banques qu'ils s'en doivent à eux en tant que prêteurs à l'intérieur de leurs entreprises. On a vu des entreprises américaines de chemin de fer acheter des compagnies de camionnage, payer des sommes astronomiques et payer cela en argent sonnant et permettre à l'entreprise de camionnage d'aller compétitionner et pouvoir couper les prix sans avoir de crainte de faire faillite parce qu'elle a les fonds pour pouvoir passer à travers. Ces entreprises-là sont en train de s'établir tranquillement au Québec et au Canada et se préparent pour lorsqu'elles auront l'accord d'opérer à l'intérieur du Canada ou à l'intérieur des provinces pour pouvoir prendre les marchés qui les intéressent. Vous savez, cela va bien quand moi j'arrive puis je dis entre telle ville et telle ville, je me permets de couper mes prix de 50 % pour une période de six mois sachant bien que mon concurrent ne passera pas à travers et sachant aussi que, dans bien des cas, il n'y a pas les mêmes obligations.

On a toutes les protections sociales auxquelles l'industrie du camionnage doit faire face autant au niveau des réglementations fédérales que des réglementations

provinciales parce que la majorité des entreprises de transport sont de juridiction fédérale et cela va être de plus en plus vrai, plus on va avancer dans le temps. À compter de 1988, étant donné que la réglementation fédérale va être moins rigide et va permettre à un groupe de personnes d'offrir des services selon une facilité plus grande, cela va encourager ceux qui vont être "encarcanés" dans des obligations provinciales plus sévères que les obligations fédérales à s'en aller sur le palier fédéral et, de l'autre côté, on va voir aussi les Américains faire de la pression parce que, je veux dire, ils vont peut-être vous imposer des taxes, et ce sont ces choses-là qu'on aura à vivre. Remarquez bien, libre-échange ou non, on va avoir à les vivre ces choses-là mais, c'est pour cela, lorsqu'on parle de libre-échange pour nous, c'est d'essayer de négocier non pas l'élimination des barrières tarifaires mais négocier tout ce qui est la facilité d'opérer à l'intérieur des États-Unis.

Le Président (M. Théorêt): M. le ministre.

M. MacDonald: J'aimerais, madame et monsieur, vous remercier et vous avez effectivement éliminé ma dernière question qui était une observation auquelle je voulais avoir votre réaction, à savoir il y aurait ou il n'y aurait pas de négociation de libéralisation de libre-échange, le processus de déréglementation est en marche. Il y en aurait ou il n'y en aurait pas, ces mesures non tarifaires américaines qui vous touchent à l'heure actuelle sont assez néfastes et vous nuisent énormément.

Je conclus en vous disant tout simplement que je prends note. Je vous ai dit que la position du Québec, en formulant une position et des objectifs canadiens, prend pleinement en considération les observations que vous nous avez faites. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Moi aussi, je vous remercie du sujet que vous avez porté à notre attention de par vos questions et vos préoccupations. Je pense qu'elles sont tout à fait légitimes même si, comme vous l'avez mentionné, elles ne sont pas directement dues au libre-échange, parce que vous avez à vivre un chambardement vous-mêmes avec la déréglementation. Vous avez porté à l'attention du gouvernement des préoccupations que vous avez et tout ce que j'espère c'est que vous continuerez à vous faire entendre très haut, parce que c'est important. Merci beaucoup.

Le Président (M. Théorêt): Mme Pelletier.

Mme Pelletier: Nous vous remercions et, si je peux me permettre un dernier commentaire, MM. les députés et M. le ministre, je pense que, pour revenir à ce que M. le ministre MacDonald disait, les réponses que vous demandez à l'industrie du camionnages, elles ont déjà été soulevées et on a entendu des ébauches de réponses et de solutions dans la présentation soit de M. Proulx ou dans les présentations antérieures. Alors qu'on parle d'une organisation de surveillance, vous avez déjà, je pense, les éléments de réponse. Soit dit en passant, un élément que j'avais oublié dans ma présentation, l'industrie du camionnage du Québec est principalement une industrie de PME.

Le Président (M. Théorêt): Mme

Pelletier, M. Alary, les membres de la commission vous remercient et vous souhaitent un bon voyage de retour. Nous suspendons les travaux de la commission jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 10)

(Reprise à 20 h 5)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

Nous reprenons ce soir la consultation générale sur le dossier du libre-échange. Nous accueillerons d'abord, comme je l'ai indiqué précédemment, la Centrale des syndicats démocratiques qui sera suivie de l'Association des propriétaires d'autobus du Québec et, finalement, du député fédéral de Lévis, M. Gabriel Fontaine.

Je vais reconnaître le président de la Centrale des syndicats démocratiques, un concitoyen du comté de Verchères.

Centrale des syndicats démocratiques

M. Hétu (Jean-Paul): C'est exact.

Le Président (M. Charbonneau): M. Hétu, bonsoir. Je vous demanderais d'identifier les personnes qui vous accompagnent. Je pense que vous avez l'habitude de la procédure en commission parlementaire. Je vous signale que nous disposons d'une heure. Donc, vous avez un maximum de 20 minutes pour faire la présentation et le reste du temps sera divisé à parts égales pour la discussion entre les membres de la commission et vous-même. Sans plus tarder, je vous cède la parole.

M. Hétu (Jean-Paul): Pour répondre à votre voeu, M. le Président, je voudrais tout d'abord vous présenter, à ma droite, M. Jeannot Picard, secrétaire-trésorier de la CSD, et, à ma gauche, Mme Josée

Chartrand, représentante de la centrale assignée aux communications.

M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, la CSD n'a pas une peur morbide d'une zone nord-américaine de libre-échange. C'est pourquoi la CSD ne s'oppose pas pour s'opposer à la négociation en cours. Il est important qu'on sache les uns les autres que la CSD, dans ses responsabilités quotidiennes comme centrale syndicale, ne se limite pas è la négociation collective, elle assume d'autres responsabilités. En fait, elle a une expérience concrète du commerce international. En effet, depuis notre fondation, il y a quinze ans - on célèbre notre quinzième anniversaire de fondation cette année - la Centrale des syndicats démocratiques a revendiqué des politiques de commerce international dans le cadre des négociations du Canada en tant que signataire du GATT. Nous sommes intervenus à plusieurs reprises. Notre objectif principal était de protéger les intérêts des travailleurs et des travailleuses que nous représentons dans le cadre des politiques du commerce international du Canada. De façon plus concrète encore, la CSD a plaidé pour faire appliquer des mesures de protection des emplois quand les travailleurs et les travailleuses membres de la CSD étaient menacés par les importations. On a, de plus, exigé, devant différents tribunaux ou commissions fédérales, des droits compensateurs, entre autres, devant le tribunal antidumping. Il n'y a pas longtemps, en effet, la Corée a exercé un dumping par rapport aux bicyclettes qui a mis en péril les emplois des travailleurs et travailleuses du Québec, membres chez nous, affectés à l'assemblage des bicyclettes. On a de plus réclamé souventefois devant la Commission du textile et du vêtement de stopper les importations parce que l'emploi était perturbé, qu'il y avait des pertes d'emploi ou que des emplois étaient menacés de l'être. On a aussi travaillé d'arrache-pied pour mettre en oeuvre des politiques sectorielles qui avaient pour objectif de renforcer des industries et leur permettre de concurrencer sur le marché international dans la perspective, toute récente d'ailleurs, d'il y a cinq, six, sept ou huit ans, où le gouvernement fédéral envisageait d'être moins protectionniste. Nous nous référons plus spécifiquement à l'outil économique de redressement d'un certain nombre d'entreprise que le gouvernement canadien avait établi, notamment l'OCRI. On a contribué aussi à utiliser au maximum la loi d'adaptation de la main-d'oeuvre, plus communément appelée préretraite fédérale, en vertu de laquelle 5000 de nos membres, âgés de 54 ans et plus, ont pu prendre une préretraite méritée. Cette loi sociale a été mise en oeuvre par le gouvernement fédéral en vue de négocier, dan3 le cadre des accords du GATT, des politiques plus libérales en matière d'importation.

Enfin, depuis que le gouvernement canadien a entrepris la négociation avec les États-Unis, la CSD a procédé à des consultations systématiques auprès des différents secteurs, entre autres, le secteur manufacturier, non seulement dans le textile, non seulement dans le vêtement, mais dans la métallurgie, dans le papier, enfin, dans tout ce qu'on peut qualifier de manufacturier au Québec, y compris l'agro-alimentaire. À la suite de cette consultation auprès de nos membres, on a défini une position générale, puis on a participé régulièrement au comité consultatif qui a été créé par le gouvernement canadien dans le cadre de la négociation actuelle du libre-échange nord-américain.

Ce soir, je n'ai pas l'intention de vous exposer en détail notre position générale, qu'on vous a remise d'ailleurs à la suite d'une demande du secrétaire de la commission parlementaire. Je veux cependant soulever deux enjeux économiques majeurs qui nous paraissent vitaux, essentiels pour l'avenir, c'est-à-dire dans le cadre de la protection et de la création d'emplois. La seule préoccupation ou la principale préoccupation de la CSD dans le cadre de la politique commerciale ou de la négociation en cours sur le libre-échange, ce sont les emplois. On a conscience, et cela est important qu'on le sache, que la CSD a pris un autre chemin que les autres centrales syndicales du Québec. Au lieu de s'opposer au libre-échange, on a plutôt décidé de suivre pas à pas la négociation actuelle se réservant la liberté de s'opposer ou d'accepter l'accord qui sera conclu entre les deux pays. C'est la perspective qui va nous animer ce soir devant cette commission parlementaire.

Évidemment, la CSD est consciente qu'il y a beaucoup plus d'enjeux que les deux grands enjeux économiques sur lesquels on veut attirer davantage votre attention. Je vais faire un survol de trois enjeux importants aussi, mais sans aucun doute que ce sera abordé par d'autres groupements devant cette commission parlementaire.

Premier enjeu: le libre-échange nord-américain peut mettre en cause la sauvegarde et le développement de notre identité culturelle. En effet, quel sera l'impact du libre-échange en particulier sur la langue française au travail? Il nous apparaît clair que le bilinguisme devra être étendu au Québec, sinon les emplois au sein des entreprises, en particulier exportatrices, seront assumés par les anglophones. Quant à nous, ce serait un recul catastrophique par rapport à notre identité culturelle, en particulier pour la nouvelle génération de travailleurs et travailleuses qui aura à occuper ces nouvelles fonctions.

Outre la langue française au travail, il y a les droits de propriété intellectuelle qui concernent les droits d'auteur et de marque de commerce. Selon la section 337 du "Tariff Act" de 1930, les États-Unis peuvent juger que ce genre de produit' étranger est matière à concurrence déloyale et, donc, nos produits, dans le cadre des droits d'auteur, des marques de commerce, peuvent se voir refuser l'accès aux États-Unis.

Le Canada a maintenu que les États-Unis appliquent des mesures plus protectionnistes que celles stipulées par le GATT. Concrètement, comment le Québec pourra-t-il développer des produits nouveaux, dotés, par exemple, de marques de commerce originales, et en particulier compétitionner sur le marché américain? Est-ce que le Québec sera en mesure de poursuivre et de mettre en oeuvre la politique qu'il soutient actuellement dans le cadre du centre de la mode?

Ce soir, nous ne traiterons pas plus à fond de ces deux questions qui sont fort importantes et qui ont rapport à notre identité culturelle, je le répète, la langue française au travail et les droits de propriété intellectuelle. (20 h 15)

J'aborderai une troisième question qui concerne les règles d'origine canadienne. Le Canada a conclu des ententes principales avec trois pays où l'on a établi des tarifs de préférence britannique, des tarifs de préférence avec les Antilles du Commonwealth, et l'entente la plus connue au Canada est celle qui a trait au pacte de l'automobile. En gros, le pacte de l'automobile stipule que les véhicules ainsi que les pièces automobiles provenant du Canada peuvent entrer en franchise aux États-Unis à la condition que leur contenu étranger ne représente pas plus de 50 % de la valeur en douane au moment de leur entrée aux États-Unis. On voit tout de suite l'effet de cette règle générale sur l'emploi direct et indirect, entre autres, pour les différentes entreprises canadiennes. La question fondamentale qui est soulevée par la règle d'origine des produits est capitale pour l'emploi et la protection des emplois: Quelle sorte de règle d'origine des produits le Canada va-t-il conclure et négocier avec les Américains? La formule idéale, quant à nous, ce serait, bien sûr, celle du pacte de l'automobile. Mais, quand on regarde l'évolution de la négociation actuelle, il semble que nous allions plutôt négocier des clauses qui comprendront différentes formules d'application et qui seront propres à chaque secteur économique, voire à chaque produit. Les États-Unis ont négocié de telles formules, entre autres, avec les Caraïbes, les îles Vierges, etc. Est-ce que le Canada, par exemple, va avoir accès à ces ententes? Est-ce que les industriels canadiens vont pouvoir utiliser ces ententes? Si tel était le cas, comme c'est l'intention, par exemple, du patronat dans le textile et le vêtement, quel sera l'impact d'avoir recours aux ententes que les États-Unis ont conclues avec des pays qui sont dans l'arrondissement ou l'environnement des Caraïbes, du Mexique, etc.? Quel impact sur l'emploi? Il est certain que des emplois canadiens seront perdus au Québec si les industriels, notamment du textile et du vêtement, ont accès aux produits semi-finis venant de ces petites îles proches des États-Unis. Par ailleurs, si le Canada n'a pas accès à la production des produits semi-finis, fabriqués dans les Caraïbes, entre autres, il est certain que les coûts de production canadiens risquent d'être plus élevés que les coûts américains. Dans le fond, le problème est compliqué, mais il est réel: ou bien on sacrifie les emplois, ou bien on donne une plus grande chance aux industriels de concurrencer sur le marché américain dans le cadre d'un libre-échange.

On est conscient que cette question de la règle d'origine des produits est une question complexe, délicate, mais nous voulions attirer votre attention sur cette question parce que c'est une autre question importante qu'il ne faut pas négliger dans le cadre des négociations en cours entre les États-Unis et le Canada concernant l'établissement d'une zone de libre-échange nord-américaine.

Je vais aborder maintenant les deux enjeux économiques que nous estimons majeurs. Quels sont-ils? Les mesures protectionnistes actuelles, exceptionnelles, qu'appliquent les Américains dans le contexte du commerce international sont un des enjeux clés de la négociation actuelle. La . question de fond, c'est de savoir si les Américains vont accepter de ne pas recourir à ces mesures protectionnistes exceptionnelles qu'ils utilisent à profusion dans le cadre des ententes du GATT.

Est-ce que les Américains vont consentir à utiliser les règles qu'ils utilisent pour se protéger? Deuxième question qui constitue pour nous un enjeu capital, majeur: Quelles sont les mesures d'adaptation nécessaires qu'il faut mettre en oeuvre pour développer, protéger les emplois et, aussi, bien sûr, permettre aux entreprises de concurrencer dans le contexte d'un libre-échange nord-américain?

Prenons le premier enjeu. Dans l'hypothèse où il y aurait un accord sur le libre-échange Canada-USA, la CSD est convaincue qu'on subira une perte d'emplois importante, tant dans l'ensemble du Canada qu'au Québec en particulier. On tire cette conviction de l'expérience vécue par les travailleurs et travailleuses qui sont membres chez nous et qui ont été affectés concrètement, pratiquement, par suite des accords consentis par le Canada dans le cadre des

ententes multilatérales qui définissent les règles du jeu actuelles du commerce international. À titre d'exemple, dans le secteur du textile et du vêtement, les données de la Commission du textile et du vêtement sur l'emploi indiquent qu'à la fin de mars 1985 ces industries avaient perdu quelque 24 000 emplois par rapport à 1981. Ces pertes d'emplois - et c'est ce qui est important - sont reliées non seulement aux importations, mais aussi à la productivité; 15 000 emplois perdus sur les 24 000 emplois ont été attribués directement aux importations. C'est un rapport officiel de la Commission du textile et du vêtement. Ce n'est pas nébuleux, ce ne sont pas des statistiques patentées, c'est un calcul simple, pas compliqué, réel, provenant de la Commission du textile et du vêtement à la suite des accords négociés dans le cadre du GATT. Il faut bien se dire que ce n'est pas le libre-échange qui existe. C'est pourquoi la CSD ne croit pas à l'affirmation gratuite des partisans qui s'opposent à la négociation bilatérale entre le Canada et les USA et qui, du même souffle, favorisent la négociation multilatérale alléguant qu'elle serait plus avantageuse pour les travailleurs et les travailleuses. Ces propos sont plutôt théoriques et méprisent les réalités concrètes qu'ont vécues des hommes et des femmes dans le textile, entre autres, dans le vêtement, et qui ont été affectés par le commerce international.

On est conscient aussi que le commerce international a profondément changé depuis les deux dernières décennies. Tout le monde sait qu'il y a eu l'émergence du Japon et qu'il y a eu aussi plusieurs autres pays en voie de développement qui ont pris une place fort importante. Par exemple, dans le vêtement et le textile, 75 % des importations viennent de quatre pays du Pacifique ou du Moyen-Orient: la Chine, Taïwan, la Corée et Hong Kong; 75 % des importations en vêtement et en textile viennent de ces quatre pays. Évidemment, le Japon et ces nouveaux pays ont importé massivement des biens sur le continent nord-américain. Quelle a été -et c'est important dans tout le débat qu'on fait - la réaction des États-Unis? Ils ont appliqué des mesures commerciales de restriction pour se protéger et plusieurs de ces mesures ont affecté le Canada et ce, même si les Américains avaient consenti à réduire les barrières tarifaires dans le cadre du GATT. En somme, les États-Unis se sont protégés. Dans ce contexte, il faut se méfier des partisans du libre-échange nord-américain qui allèguent qu'il sera fort avantageux pour les entreprises parce qu'elles vont avoir accès au marché américain à la suite de l'élimination des barrières tarifaires. La CSD prétend que c'est une mesure nettement insuffisante. En d'autres termes, l'élimination des barrières tarifaires ne constitue pas l'enjeu le plus important de la néqociation actuelle. Dans cette négociation, le Canada doit avoir comme grand objectif de garantir la sécurité de l'accès des exportateurs sur le marché américain. Cette sécurité est capitale pour protéger les emplois. C'est la base de la confiance, c'est la base du climat de confiance qu'il faut instaurer, qui va permettre l'investissement au Canada, qui va permettre aussi de tirer avantage de l'élimination des tarifs.

Enfin, je m'aperçois que le temps passe. Je vais donc éliminer un certain nombre de réflexions relativement aux mesures de protection particulières que las États-Unis utilisent de façon substantielle comparativement au Canada pour se protéger, pour aborder tout de suite le deuxième enjeu socio-économique qu'on trouve capital.

Le Président (M. Charbonneau): M. Hétu, il ne vous reste plus de temps pour aborder ce deuxième enjeu, sauf que, si vous me dites qu'en quelques minutes...

M. Hétu (Jean-Paul): En quelques minutes.

Le Président (M. Charbonneau): ...vous pourriez résumer, j'ai l'impression qu'on pourrait obtenir un consentement de part et d'autre pour vous permettre de résumer votre pensée sur cette deuxième question.

Une voix: Ça va.

Le Président (M. Charbonneau):

D'accord?

M. Hétu (Jean-Paul): Le deuxième enjeu, quant à nous, c'est la politique d'adaptation de la main-d'oeuvre dans un contexte de libre-échange. Il y a une première constatation devant laquelle on est placé. Il y a un travailleur sur cinq de toute la main-d'oeuvre active au Canada qui change d'emploi chaque année, un sur cinq. Là-dessus, il y en a la moitié qui perdent leur emploi à cause des fermetures d'usines et du ralentissement de l'activité économique. Il est clair que le libre-échange va accroître toute cette question de changement et d'adaptation de ta main-d'oeuvre. Or, la question fondamentale, c'est: Que faut-il faire, quelles sortes de programmes, de politiques faut-il développer? Quant à nous, la première et la meilleure politique d'adaptation de la main-d'oeuvre est une politique de plein emploi. Dans le contexte actuel, quand on regarde le taux de chômage élevé, on est loin du plein emploi et les programmes de recyclage, d'incitation au travail n'apportent pas les résultats escomptés parce qu'il n'y a pas d'emplois disponibles. À notre avis, il y a diverses

politiques qu'il faudrait mettre en oeuvre, en particulier au Québec. Lorsqu'on évalue la politique budgétaire gouvernementale, on s'aperçoit que le gouvernement met beaucoup plus d'emphase sur les politiques macroéconomiques liées au budget par rapport aux politiques de main-d'oeuvre qui sont beaucoup moins importantes. Je serais même porté à dire qu'on traite cela un peu à la légère. Dans un contexte de développement économique maximal, c'est moins important, mais, dans une situation comme celle qu'on vit et celle à laquelle on ferait face si jamais il y avait libre-échange, cela va devenir très important qu'on développe des politiques d'adaptation de la main-d'oeuvre. On pourrait, bien sûr, énumérer un certain nombre de ces politiques; peut-être qu'on en aura l'occasion par vos questions. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Hétu, de votre collaboration. M. le ministre.

M. MacDonald: M. Hétu, monsieur et madame qui l'accompagnez, merci de votre présentation. Vous me permettrez un petit aparté. Vous mentionniez qu'il y a quinze ans que la CSD existe: Un peu plus de quatorze ans et demi ont passé depuis que je négociais ma première convention collective avec un local de votre syndicat dans une industrie manufacturière du Québec dont j'étais le directeur général. À ce moment-là, cela avait été une très dure négociation, mais j'avais pu constater avec mes collègues qu'il y avait moyen de lutter pour les avantages et le bien-être des travailleurs, tout en étant conscients du besoin de viabilité de l'entreprise. Il me semble constater ce soir dans votre approche et votre présentation cette même maturité et c'est agréable de le voir chez des représentants des travailleurs du Québec. (20 h 30)

Vous avez parlé de ce qui était un objectif primordial pour vous. L'appréciation que vous aviez de la situation, c'était de garantir la sécurité de l'accès aux produits et aux biens québécois sur le marché des États-Unis. C'est effectivement notre objectif.

Vous avez, au tout début, émis certaines réserves et parlé des enjeux essentiels pour l'avenir. Vous avez mentionné l'identité culturelle. Dès le départ, le premier ministre Mulroney avait stipulé, et nous en avons fait comme gouvernement du Québec une condition de participation à la négociation, un élément non négociable au chapitre de l'entité culturelle, comme nous le montrions cet après-midi au tableau affiché dans le coin de la salie. Vous avez parlé de propriété intellectuelle. La propriété intellectuelle est un enjeu, un sujet de discussions. Vous avez absolument raison, il est primordial qu'il y ait une protection sous ce couvert.

Vous avez parlé des règles d'origine. Il est évident qu'il ne faut pas voir des produits bon marché entrer par une porte américaine et se retrouver chez nous à noyer un marché qu'on serait incapable de concurrencer» J'attire votre attention sur le fait qu'en cours de négociation la partie américaine a fait exactement la même mise au point, Somme toute et sans vouloir tout relever, vous dites essentiellement ce que le gouvernement du Québec, le député de Bertrand et moi-même avons régulièrement dit à propos de la libéralisation des échanges: Oui, nous sommes prêts à considérer un traité de libéralisation des échanges, mais pas à n'importe quelle condition.

Cela dit, M. le Président, j'aimerais continuer sur ce dont vous avez parlé à la toute fin. Vous avez abordé les mesures de transition. C'est quoi pour vous les mesures de transition dans le temps ou dans les méthodes advenant qu'il y ait un traité de libéralisation, plus particulièrement pour le genre d'industries où on retrouve les gens que vous représentez?

M. Hétu (Jean-Paul): M. le Président, les mesures de transition, nous estimons qu'il y en a de deux ordres principalement: formation professionnelle et protection des travailleurs âgés. Nous estimons qu'il faut revoir la formation professionnelle telle qu'elle est dispensée à compter du secondaire et revoir la formation professionnelle qui est aussi dispensée dans les cégeps et les universités. La formation professionnelle dans les entreprises est aussi à revoir. Prenons ce dernier point. Regardons l'ensemble de l'accord qui a été négocié entre le gouvernement du Québec et le fédéral. Dans l'ensemble de l'argent qui a été octroyé au Québec, il y en a peu qui va servir à la formation en entreprise. La formation professionnelle, de manière générale, est diffusée, distribuée dans le cadre de ce qu'on appelle le recyclage. On recycle des travailleurs. C'est de l'assurance-chômage déguisée. Il n'y a pas d'emplois disponibles. Si c'est de l'assurance déguisée, qu'on le dise donc clairement, qu'on les paie pour cela, point, mais qu'on ne leur raconte pas d'histoire en faisant accroire aux travailleurs chômeurs qu'ils n'ont plus droit à une rémunération de l'assurance-chômage, et, aux femmes et aux jeunes, qu'on leur dise donc clairement que la formation professionnelle qu'on leur donne ne servira pas. Il faut qu'on revoie cela. Dans un contexte de libre-échange, il faut qu'on développe la formation professionnelle axée sur l'entreprise, sur les travailleurs. Il ne s'agit pas de donner uniquement à l'entreprise des sommes

d'argent, il faut que les travailleurs et que l'entreprise aient convenu de programmes et qu'on donne de l'argent pour réaliser ces programmes sur une base conjointe. Cela suppose une réforme majeure de la loi de la qualification professionnelle qui existe au Québec.

Formation dans les cégeps, formation dans les polyvalentes. Aujourd'hui, la formation dans les polyvalentes, il faut qu'on se le dise entre nous, est pratiquement un échec. Pourquoi voulons-nous faire des stages d'apprentissage en milieu de travail? Parce qu'on s'aperçoit que le lien école et travail n'existe pas. Dans un contexte de libre-échange, il faut que la formation professionnelle soit orientée de façon différente de celle d'aujourd'hui de manière générale.

Enfin, je vais terminer, parce que c'est un gros problème dont on discute, il faut également que des protections soient consenties aux travailleurs âgés. Il y a eu un programme, je l'ai évoqué il y a quelques instants dans mon exposé, la loi d'adaptation de la main-d'oeuvre. Ce programme a existé, cela a été une expérience pratique. Pour la première fois dans notre histoire, on avait un programme qui venait en aide comme soutien, dans le cadre de la préretraite, à des travailleurs affectés par le commerce international. Récemment, lors de la venue du gouvernement conservateur, on a aboli le programme. Bien sûr, on renégocie ce programme avec les provinces, mais le gouvernement fédéral, il faut qu'on se le dise, propose de diminuer les sommes d'argent de ce qui est payé dans le cadre du bien-être. Ce n'est pas tellement une préretraite. Par rapport à ce qui était donné dans le passé, c'était l'équivalent de l'assurance-châmage. II y a quand même une différence substantielle.

Ce sont des mesures, M. le ministre. Bien sûr, dans ce cadre-ci, elles sont générales, mais, comme perspective, c'est ce qu'on entend par mesures nouvelles en regard de la formation, entre autres, professionnelle et de protection des travailleurs d'un certain âge, de 54 ans et plus.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Nous aurons la chance de revenir, M, Hétu. Mon collègue, le député de Verchères, poursuivra tantôt sur la question de l'emploi puisque c'est quelque chose que nous avons énoncé cet après-midi et qui fait partie de nos préoccupations aussi, nous, de l'Opposition, toute cette politique du plein emploi que je trouve fort intéressante.

Dans votre mémoire et dans le journal La Base qui a été publié en avril 1987, la position de la CSD me semblait un peu plus catégorique puisqu'on titrait que la CSD s'opposait au libre-échange absolu. On s'entend bien parce que cela semble laisser un petit peu... J'aimerais que vous puissiez l'éclaircir ce soir parce que vous avez semblé prendre vos distances en tant que centrale syndicale par rapport à la coalition qui est absolument contre. Vous semblez avoir, si j'ai bien compris, une attitude beaucoup plus ouverte et vous gardez une certaine marge de manoeuvre. Cela, c'est le premier point.

Quant aux périodes de transition par rapport à ce que vous demandait le ministre du Commerce extérieur il y a quelques minutes, vous mentionniez, toujours dans votre journal La Base, la période de transition indispensable de dix ans. En tant que centrale syndicale, est-ce que vous croyez, particulièrement dans les secteurs que vous représentez, que la norme de dix ans doit être ferme ou si, suivant les secteurs et la période d'adaptation dont auront besoin différents secteurs plus vulnérables les uns que les autres, les périodes pourraient être plus courtes? D'après ce que j'ai pu lire dans votre mémoire, vous semblez très catégoriques quand vous parlez de la période de dix ans. J'aimerais savoir de quelle façon vous l'envisagez par rapport aux différents secteurs.

M. Hétu (Jean-Paul): Disons que la position générale à laquelle vous avez référé comporte deux pivots, deux pôles que je n'ai pas cru bon rappeler dans l'exposé. À la suite de votre invitation, on va l'éclaircir. Dans un premier temps, on est opposé à un libre-échange absolu, c'est-à-dire un libre-échange qui n'offre aucune mesure de protection, aucun recours lorsque des emplois, ou des secteurs industriels, ou des villes sont menacés, aucun recours dans l'application du libre-échange. On est opposé à ce type de libre-échange. On y serait opposé même actuellement si l'entente du gouvernement canadien ou des gouvernements canadien et américain ne contenait, par exemple, que l'élimination des barrières tarifaires maintenant le droit à chacun des pays dans le cadre de leurs législations particulières d'utiliser différents recours, différents harcèlements pour faire appliquer, quand cela fait leur affaire, une protection. On s'y opposerait parce que le Canada, à coup sûr et de manière certaine, déjà, est perdant.

On est plutôt pour un libre-échange contrôlé parce que le commerce international, l'échange n'est pas libre, comme on l'entend selon la théorie économique du libre-échange ou de la libre entreprise. Ce n'est pas vrai. Cela n'existe plus, si cela a déjà existé. C'est pour cela que sans mentionner qu'on parlait de libre-échange contrôlé, les Américains ont développé des

mesures de protection exceptionnelles. Même s'ils réduisaient, dans les négociations générales avec l'ensemble des pays signataires du GATT, même s'ils réduisaient les tarifs, ils se protégeaient "à la planche". C'est ce qu'on appelle du libre-échange contrôlé. Le Canada, par rapport au gouvernement américain dans le cadre de ses lois, de ses outils et de ses moyens, n'est pas doté des mêmes instruments que les États-Unis se sont donnés au fur et à mesure des années. Donc, on est beaucoup plus pour un libre-échange contrôlé.

Par exemple, lorsqu'on parle de culture, on parle de protection de notre culture; culture du Québec, culture canadienne. Quand on parle de souveraineté du pays, protection de la souveraineté de nos institutions politiques, c'est une notion de protection, toute une dimension que je n'ai pas évoquée. Par exemple, quelle sera l'attitude du gouvernement par rapport à la réglementation des subventions? On sait que lors des derniers débats qui ont eu cours aux États-Unis dans les politiques de protection, on a prétendu que le Canada - et sans doute que le Québec était dans le coup - subventionnait les entreprises qui exportaient chez eux. Selon les lois américaines, c'était considéré comme une pratique déloyale et le gouvernement a dû modifier ses règles du jeu. Mais, dans le fond, si on pousse le raisonnement jusqu'au bout, est-ce que les gouvernements canadiens, les provinces, pourront continuer à avoir des politiques de développement régional, sectoriel? Il faut donc qu'il y ait des mesures de protection pour nos outils économiques, publics. Quand on parle de libéralisme contrôlé, on se réfère déjà à des outils, à des choses qui existent.

Période de transition: dix ans. Il y a deux types de réponse à cela. Si on examine le phénomène des barrières tarifaires, c'est-à-dire des tarifs qu'on impose à la douane sur des produits, de manière générale, tout le monde sait qu'il y a à peu près 30 % des biens qui sont taxés par un tarif. Il y en a 70 % qui ne le sont pas. Dans l'application d'un libre-échange, dans l'élimination progressive des barrières tarifaires, est-ce que, par exemple, comme première avenue, on envisagerait d'un commun accord de diminuer, de dire: Vu qu'il n'y a pas de tarif, on laisse cela libre, mais, quant aux autres, parce qu'il y a des tarifs - il y a des raisons à cela s'il y a des tarifs, il y a des mesures de protection - on va retarder l'échéance? Cela peut être au bout de trois ans, quatre ans, cinq ans, etc. Là, cela touche des produits. On sait, et vous le savez, qu'il y a des milliers de produits au Canada et en particulier au Québec. (20 h 45)

Alors, mesures de transition qui peuvent être différentes vues sous cet angle par rapport aux barrières tarifaires. Mais, en ce qui concerne les barrières non tarifaires, on inclut dans notre conception toutes les politiques d'adaptation de la main-d'oeuvre, d'adaptation des entreprises. Qu'est-ce qu'il faut qu'on articule, qu'est-ce qu'il faut qu'on prépare? Je vais donner un cas bien pratique. Quand on a fait des consultations, les travailleurs nous ont soulevé, pour ne pas la nommer, la compagnie Bandag, de La Mauricie, qui fait du pneu rechapé. Quand on a discuté du libre-échange, la première question que les travailleurs se sont posée, elle est simple, elle n'est pas compliquée: Est-ce que, dans le contexte du libre-échange, la compagnie va décider de fermer l'usine Bandag qui fait du pneu rechapé, mais qui est une compagnie américaine? La compagnie américaine s'est établie sur notre territoire pour mieux avoir accès à notre marché, mais, dans un contexte de libre-échange, est-ce que cette entreprise-là va disparaître? Est-ce qu'elle va disparaître? On pourrait citer d'autres entreprises qui appartiennent aux États-Unis.

Politiques de transition. Dans les politiques de transition, il y a un tas de choses qui relèvent, à cause de notre régime économique de libre entreprise, de la décision des entreprises. Que vont-elles faire, ces compagnies multinationales, qui, pour des raisons historiques, ont agi en implantant des , entreprises ayant une stature canadienne ou québécoise? Qu'est-ce qui va arriver?

Ensuite, il peut y avoir des éléments positifs. Si on regarde les frontières, par exemple, les frontières de l'Estrie par rapport aux États-Unis, si an regarde la Beauce, quelle sorte de transition quant à la circulation des travailleurs et des travailleuses qui iront de l'autre bord, quant aux achats qui pourraient être faits, etc.? De quelle sorte d'outils faudrait-il se doter en ce qui regarde, par exemple, le commerce ou l'emploi? Enfin, il y a différents types de transition qu'il faut mettre en place, cela va de soi, si jamais on en arrive à un accord.

Je pourrais continuer, mais le président-me fait signe et c'était mon intention de permettre...

Le Président (M. Charbonneau): Je vois qu'on est sur la même longueur d'onde, M. Hétu, alors je vais céder la parole au ministre.

M. MacDonald: M. Hétu, vous avez soulevé plusieurs considérations dont vous voulez qu'il soit tenu compte et même, j'irais plus loin, que vous considérez comme des éléments non négociables. Eh bien, je partage avec vous, et le gouvernement aussi, à peu près la totalité des éléments que vous avez mis de l'avant, et je reprends ce tableau où vous avez parlé de souveraineté politique. Il n'est absolument pas question de négocier cela. Vous avez abordé la question

des programmes sociaux qui sont uniques au Canada et qu'on ne retrouve pas aux États-Unis, c'est non négociable. Vous avez parié de se garder une capacité de parer à ce qu'on pourrait appeler les disparités régionales, venir en aide aux régions plus défavorisées, c'est une question non négociable, c'est un pouvoir que nous avons et que nous devons garder. Vous avez parlé d'identité culturelle et vous avez parlé à un moment donné - je ne l'avais pas relevé - de la 'question linguistique. La langue au Québec, dans un traité de libéralisation des échanges, c'est non négociable.

Ceci dit, M. le Président, j'aimerais connaître, parce que vous avez approfondi le sujet - le mémoire que vous nous avez présenté est le mémoire sûrement le plus complet et le plus détaillé que j'aie vu chez des représentants des travailleurs et des travailleuses du Québec - j'aimerais avoir vos commentaires - vous en avez abordé - sur ce que vous croyez qui pourrait aller au-delà de se garantir l'accès ou de continuer à se garantir l'accès aux biens et services québécois et canadiens aux États-Unis. Quels sont les autres avantages que vous voyez à la réalisation, à l'intérieur des barèmes, des barrières et des balises que j'ai donnés, d'un traité de libéralisation des échanges avec les États-Unis?

M. Hétu (Jean-Paul): Je dois vous avouer qu'il y a beaucoup d'inconnues, beaucoup d'inquiétude. Un des problèmes qu'il faut déplorer au départ, c'est que l'information n'est pas disponible. Cela, c'est un problème sérieux. Évidemment, il y a un certain nombre d'informations qui appartiennent ou qui appartiendront aux entreprises, compte tenu de l'écart. Les entreprises donnent peu ou pas d'information. Elles se disent, pour suivre le mouvement des entreprises... Je me souviens fort bien qu'au tout début, quand le gouvernement canadien a annoncé sa volonté de négocier, on a eu des pressions qui venaient de la base et, quand on a scruté ça un peu avec eux, ça venait des structures des compagnies, mais, tout à coup, les jeux se sont définis. Il y en a qui, comme secteurs, ont annoncé leur position, d'autres pas. Mais il y a un paquet d'associations patronales qui ont fait part de leur volonté d'y souscrire à conditon qu'elles y trouvent leur intérêt, et c'est normal. Mais, pour ce qui est des travailleurs: manque d'information. L'autre élément qu'on déplore: Est-ce qu'on va négocier? Est-ce qu'il y a des objectifs entre les pays? Est-ce que le Québec a aussi un objectif là-dessus, de négocier le plein emploi? N'est-ce pas drôle qu'en consultant la grande convention, disons, collective internationale - on lui donne le nom de GATT - les pays signataires s'engagent, premièrement, à développer l'emploi dans tous les pays signataires du commerce international; deuxièmement, à relever le niveau de vie - c'est quelque chosel - et, troisièmement, ils vont parler de commerce international. Ah bon! Mais est-ce que le Québec, à cet égard, peut indiquer par ses positions ce qu'il entend développer dans le contexte de ces négociations, le développement des emplois? Cela, pour nous, est très important. À la fois en ce qui a trait au gouvernement canadien et au gouvernement du Québec, c'est très important.

Quelles sont les garanties? L'inquiétude qui est là est profonde, partout, dans toutes les consultations qu'on a faites. Le monde a la trouille du libre-échange et ils ont raison d'avoir la trouille, on ne les renseigne pas ou on fait de la propagande. On ne discute pas des enjeux concrets, pratiques qu'ils vivent. Ce qui m'apeure le plus dans les négociations, c'est quand j'entends, et je l'ai entendu et j'ai protesté, j'ai entendu des négociateurs fédéraux dire qu'on ne se préoccupera pas dans les négociations des priorités qu'eux appellent régionales, mais on sait que ce sont des priorités provinciales. Ce qui leur importe avant tout, c'est d'avoir un accord global, d'avoir un accord canadien, mais ma foi du bon Dieu c'est vécu par le monde! Cela me fait peur. H y a des inconnues.

Je suis content d'apprendre que vous avez des positions claires. Vous vous référez à un tableau que je ne vois pas, mais ce n'est pas grave, je vous entends, c'est déjà important. Si on n'est pas capable de garantir, d'énoncer des politiques réelles de développement social, comme, par exemple, ce que le gouvernement entend faire par rapport à des réglementations... J'entends des personnes qui disent que la loi du salaire minimum est plus élevée au Québec qu'au Canada par rapport aux États-Unis et à certains États américains. Il faudrait donc légaliser. Ensuite, le Code du travail, on n'en a pas peur parce que tout le Code du travail est inspiré de la législation américaine, avec les adaptations propres au Québec, mais enfin...

Il faut donc qu'on clarifie un certain nombre de positions. Sans doute que la commission parlementaire - on m'a dit que cela avait été négocié et par le gouvernement et par l'Opposition - c'est quelque chose d'unique, d'original. Cela va permettre, y compris à la CSD et aux autres, d'exprimer leurs points de vue et de donner des informations sur les différents enjeux, et aux partis et au gouvernement de faire connaître davantage leurs positions. Est-ce que je peux vous poser une question? Quelle autorité avez-vous comme gouvernement du Québec par rapport aux juridictions du Québec? Avez vous, par exemple, un droit de veto là-dessus? Là, je suis pratique. Y a-t-il un droit de veto là-dessus par rapport aux

juridictions fondamentales du Québec? Le développement de ses richesses naturelles, par exemple. Je ne veux pas être "barbeux", mais je trouve cela fondamental et important. Évidemment, les premiers ministres se rencontrent, c'est intéressant, mais quelle est l'autorité, dans le fond, du gouvernement par rapport à notre identité culturelle, par rapport à tout ce que vous venez de mentionner comme étant des choses non négociables? C'est quoi? Est-ce que vous avez un droit de veto ou est-ce que vous avez...

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Sur un plan purement juridique, la Loi constitutionnelle canadienne prévoit, comme vous le savez, M. le Président, que la responsabilité du commerce international est celle du gouvernement fédéral. Cependant, dès le Tokyo Round, et sûrement dans le Kennedy Round et ensuite dans le Tokyo Round, on s'est aperçu qu'on débordait des juridictions fédérales pour tomber dans des matières et des sujets de juridiction provinciale. On s'est aperçu, par exemple, que des engagements pris en 1979 dans le Tokyo Round sur le commerce des boissons alcooliques, le fédéral pouvait prendre toutes les ententes qu'il voulait, ce n'était pas mis en application si les provinces n'abondaient pas dans le même sens. Dans ce sens-là, aujourd'hui, lorsqu'on élargit les sujets traités aux services, à la propriété intellectuelle et aux investissements, de facto, par le fait qu'un grand nombre de sujets sont de juridiction provinciale, nous avons un veto de fait et légal. Sur un autre plan, la province de Québec représente un quart du Canada en population et un pourcentage très important sur le plan de l'activité économique. Il est évident que, si le Québec s'opposait absolument - c'est une hypothèse que j'émets - à une entente de libéralisation, je doute que la deuxième partie ou que la partie américaine accepterait de faire ce qu'on appelle un "deal" avec seulement les autres 75 %. De facto, M. le Président, nous avons eu l'impression, dès le début, que le gouvernement fédéral comprenait la présence et le rôle des provinces. C'est dans ce sens que nous avons joué notre rôle, présenté et maintenu - et nous continuons à le faire -les positions de la province de Québec.

Le Président (M. Charbonneau): Si vous me permettez, j'aurais deux questions brèves, M. Hétu, à vous poser. La première: Depuis le début des négociations et depuis le moment où on a parlé de cette question du libre-échange, est-ce que, de la part du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu du Québec, de la part du ministère de l'Éducation du Québec, de la part des commissions de formation professionnelle du Québec, de la part du ministère fédéral de l'Emploi et de l'Immigration, il y a eu des contacts avec votre centrale, avec des parties de votre centrale qui concerneraient la mise en application de programmes d'adaptation de la main-d'oeuvre qui suivraient cette libéralisation des échanges? Deuxième questions Vous avez dit dans votre mémoire que la négociation d'une zone de libre-échange nord-américain était subordonnée pour vous à une politique de plein emploi. Comment réagissez-vous face à la situation de fait qui est que ni le gouvernement du Québec ni le gouvernement fédéral - et en particulier le gouvernement fédéral qui est le premier interlocuteur avec les Américains - n'ont comme objectifs socio-économiques premiers le plein emploi. La création d'emplois pour les deux gouvernements actuellement est un objectif corollaire à la croissance économique. On peut comprendre que la croissance économique peut produire de l'emploi, mais pas nécessairement. On a juste à penser à des investissements qui créent plus de compétitivité, plus d'équipements manufacturiers, mais pas nécessairement plus d'emplois: donc, plus de croissance, mais pas nécessairement plus d'emplois. Comment réagissez-vous à cette situation de fait?

M. Hétu (Jean-Paul): Première questions On doit rencontrer le ministre du Travail et ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu vendredi le 25 où on va débattre la question de la formation professionnelle dans le cadre de sa juridiction. En ce qui concerne l'Éducation, on a initié des rencontres avec le ministre de l'Éducation pour examiner un certain nombre de choses là-dessus. Le débat n'est pas terminé. À notre congrès qui a eu lieu en juin dernier, par suite d'une consultation d'au-delà de deux ans avec nos membres, on a tracé le profil et le détail des positions diverses qui couvrent ce qui apparaît important pour les travailleurs et les travailleuses que nous représentons, le profil, dis-je, de la matière de formation professionnelle.

Emploi et immigration, on a débattu cette question, mais il n'y a rien de fait. Quand je dis emploi et immigration, je me réfère au fédéral. Au comité consultatif, la CSD a soumis un document sur la formation professionnelle qui a été adopté par l'ensemble des membres sans exception. (21 heures)

Là où on ne s'est pas entendus, les anglophones parlent de "labor adjustment", nous parlons d'adaptation de la main-d'oeuvre. "Labor adjustment" est plus limitatif pour le ministère qui traite de la négociation. Pour eux, on ne doit pas s'attaquer à la formation professionnelle,

mais plutôt à des programmes particuliers et concrets de recyclage, d'adaptation pratique aux postes de travail. Pour nous, c'est beaucoup plus large parce qu'on parle de politique de plein emploi. Dans leur cadre, comme techniciens, il n'en est pas question. Ils disent que ce n'est pas de notre ressort et que ce n'est pas dans le mandat qu'ils ont eu. C'est pour cela qu'il y a des subtilités de cette nature qu'on trouve difficiles.

Donc, cela m'amène à aborder votre question, soit le plein emploi. Quand on regarde un peu l'histoire économique du Canada depuis la deuxième guerre mondiale, que voit-on? On voit qu'il y a eu un rapprochement vers une politique de plein emploi. À l'époque, dans les années soixante, un peu avant, autour, lorsqu'il y avait moins de 4 % de chômage, on ne chicanait pas trop. On disait qu'on avait atteint, par rapport à notre capacité, pratiquement le plein emploi. Disons que cela allait assez bien. C'est ce qu'on disait à l'époque. Cependant, à ce moment-là, il y avait un développement économique important. Dans le fond, articuler des politiques de plein emploi, on ne le faisait pas parce que l'activité économique suffisait à elle-même à créer des emplois. Or, les politiques traditionnelles de recyclage, de relocalisation des travailleurs d'un milieu à l'autre avaient de l'importance, mais, dans le fond, c'était l'activité économique qui résolvait les problèmes d'emploi. Mais constituer, créer une politique de plein emploi dans une situation difficile comme celle qu'on vit, cela prend des outils, une volonté qui, je dois le dire, n'existe pas parce qu'on met davantage l'emphase sur... Évidemment, d'un côté, on vit aussi dans un régime de libre entreprise. On met plutôt l'emphase sur l'investissement, l'impôt, enfin, différents incitatifs pour que les entreprises puissent créer ou continuer à vivre, ou, tout au moins, créer de nouveaux emplois. Mais, de politique de plein emploi dans le contexte actuel, il n'y en a pas. Par ailleurs, on n'est pas très sophistiqué ni théoricien chez nous, mais on trouve qu'il y a au moins une coordination de base fondamentale qu'on ne sent pas entre les gouvernements dans l'élaboration d'une politique. Le Québec assume sans doute ses propres objectifs, aucune raison contre, mais une politique canadienne, par exemple, sur le libre-échange, j'aimerais savoir si elle existe. Je n'ai jamais entendu parler de cela.

M. MacDonald: Si vous me te permettez, M. le Président, j'aimerais faire une observation et passer la parole au député de Vanier pour la question. L'observation que je fais à M. le président, c'est qu'effectivement non seulement il faut se garantir l'accès au marché que nous avons actuellement pour protéger en premier lieu les emplois que nous avons, mais il ne saurait être question pour nous d'envisager une ouverture de part et d'autre sans que l'objectif soit de créer de l'emploi. Cette visée que vous avez de chercher à atteindre le plein emploi, ou le plein emploi avec pondération, comme vous le disiez, de 3 % ou 4 %, qui est le quasi plein emploi, c'est une visée, un objectif qui doit se retrouver aujourd'hui dans n'importe quel plan économique d'un gouvernement responsable, et c'est le nôtre.

M. le député de Vanier.

M. Lemieux: Merci, M. le ministre.

J'ai trouvé votre exposé très intéressant. Vous vous dites contre un libre-échange absolu, pour un libre-échange contrôlé. J'aimerais vous faire remarquer, comme l'a d'ailleurs souligné M. le ministre, que le Québec considère aussi la nécessité d'une période de transition avec des programmes d'adaptation pour la main-d'oeuvre et l'industrie touchées. Je veux bien que vous sachiez que c'est aussi une préoccupation, mais il y a certains éléments qui ont attiré davantage mon attention. Lorsque vous parlez de spécificité culturelle, je veux bien que vous sachiez qu'on tient aussi à notre langue, à notre culture, à nos institutions. Pour nous, c'est aussi important.

Vous avez parlé d'histoire économique du Québec. L'histoire politique du Québec: à compter de 1760, si vous voulez bien, la capitulation; en 1763, le Traité de Paris; en 1774, l'Acte de Québec; en 1791, l'Acte constitutionnel; en 1840, l'Acte d'Union; en 1848, le gouvernement responsable, pour en arriver, en 1867, au partage des compétences. Vous n'êtes pas sans savoir, comme l'a si bien dit M. le ministre, qu'effectivement c'est non négociable. Je pense que dans les articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, nos fonctions et nos pouvoirs sont clairement définis et, là-dessus, je pense que M. le ministre a été assez clair, c'est non négociable et, nous, comme parlementaires, on est sensibles aussi à ces choses-là. J'ai retrouvé cela dans votre mémoire un peu entre les lignes, mais je peux vous dire que comme Québécois on veut tout simplement conserver ce qu'on a appelé, lors de la négociation du lac Meech, la société distincte. Je voulais simplement faire cette petite parenthèse.

J'ai une question à vous poser. Est-ce que vous croyez que le statu quo est vraiment la voie de l'avenir pour le Québec? Est-ce qu'on ne bouqe pas, est-ce qu'on conserve cela comme c'est actuellement eu égard aux mesures protectionnistes du gouvernement américain? Pensez au bois d'oeuvre et à la potasse. Quelle est votre position à l'égard du statu quo?

M. Hétu (Jean-Paul): La position qu'on défend est simple. On dit qu'il ne faut pas se faire avoir par les Américains. C'est rien que cela qu'on dit. On a une position de négociation. À titre d'exemple, l'expérience du Canada, de 1980 à 1995, dans l'application des mesures protectionnistes par le gouvernement du Canada à l'égard des États-Unis et des États-Unis è notre égard, pour toutes les questions de sauvegarde, il y a eu treize enquêtes de faites par les États-Unis contre les produits canadiens et deux par le Canada. Voyez-vous la différence? Droit antidumping, 17 enquêtes aux États-Unis; au Canada, 38. Si on ne se protège pas, on va faire face à des problèmes antidumping par les Américains parce qu'ils ont une capacité de production - je pense que vous en convenez - qu'on n'a pas du tout. À l'égard des droits compensatoires, 11 enquêtes faites par les Américains contre les produits du Québec, une au Canada. Les autres pratiques déloyales, 21 enquêtes aux États-Unis et le Canada n'en a pas fait.

Si vous voulez, je pourrais vous énumérer de manière concrète et pratique les produits sur lesquels une enquête a été faite par les Américains. C'est très clair, déjà, les Américains ont un arsenal, ils sont équipés pour faire appliquer dans leur pays des mesures de protection et si, dans la négociation, on ne résout pas ce problème par un mécanisme quelconque... Par exemple, certains disent qu'un tribunal pourrait être la solution, mais ce qui est fort important, c'est de surveiller la juridiction de ce tribunal. Est-ce qu'il va juste se limiter pendant dix ans à l'élimination graduelle des barrières tarifaires? Est-ce qu'il va traiter des différents droits ou des mesures de protection que les Américains se sont données pour se protéger des produits ou des pays étrangers qui menacent la partie privée? Ce ne sont pas Ies gouvernements qui ont cette autorité qui déclenchent le processus d'enquête, ce sont les entreprises. C'est ce qu'on dit. Alors, dans le fond, notre préoccupation, c'est de ne pas nous faire avoir. Dans le langage populaire, il ne faut pas qu'on se fasse "fourrer" par cela. Il faut surveiller un certain nombre de pôles, de pistes, et on en a indiqué.

L'autre question que j'aimerais que vous abordiez et développiez, je suis bien d'accord que la question de la langue française n'est pas négociable, mais qu'est-ce qu'on va faire concrètement pour le danger, le problème soulevé par le contexte du libre-échange? Est-ce que les Québécois sont prêts, la génération montante, est-ce que l'éducation les forme au bilinguisme? Est-ce que les anglophones ne seront pas plus aptes à prendre les jobs nouvelles, nécessaires pour articuler... Dans les sociétés d'exportation, les entreprises qui font du commerce à l'extérieur, les anglophones ne seront-ils pas plus aptes à occuper les emplois parce qu'ils connaissent mieux la langue de la majorité, des Américains, que les Québécois? Il faut faire attention à cela, on va avoir de petits problèmes et peut-être que, dans cinq ou dix ans, on va reculer de manière catastrophique. C'est tout ce que je dis. Je ne dis pas que cela va arriver, je ne veux pas que cela arrive du tout, mais il y a un sérieux problème là.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Hétu. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bertrand en lui indiquant qu'il reste environ huit minutes, questions et réponses comprises. Alors, M. le député.

M. Parent (Bertrand): Alors, deux ou trois commentaires et une question, M. le Président. D'abord, vos préoccupations, M. Hétu, sont terre à terre et je vous en félicite. Je pense qu'elles rejoignent celles des travailleurs et des travailleuses, et c'est important. Tantôt, vous avez mentionné le problème; vous y avez touché directement. C'est qu'il n'y a pas vraiment de volonté politique de résoudre le problème de toutes les ressources humaines, d'une meilleure utilisation, d'une réaffectation, d'une formation des ressources humaines. La politique du plein emploi, c'est, à toutes fins utiles, de s'assurer que l'offre et la demande puissent se rencontrer. Actuellement, on a l'offre et on a la demande, mais elles ne se rencontrent pas, et ce sera ainsi tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas de politique bien ancrée, bien précise de la part du gouvernement du Québec.

La question que je vous pose: Avez-vous l'impression qu'il y a, dans toutes les rencontres que vous avez en tant que président d'une centrale syndicale, des choses en marche? Est-ce que vous pensez que le Québec a actuellement toute la marge de manoeuvre pour mettre en marche ces politiques et obtenir du gouvernement fédéral ce qu'il faut? Vous, en tant que centrale syndicale - ce serait important de le savoir, pendant que vous êtes de passage parmi nous quelle est votre contribution, votre ouverture pour mettre en marche ces politiques qui vont demander un effort de concertation de tous les agents économiques, puisqu'il y a les entreprises, le gouvernement, mais aussi les représentants des employés et les centrales syndicales? Vous, en tant que centrale syndicale, est-ce que vous seriez prêts à participer à l'élaboration de ces politiques de façon qu'on puisse atteindre ce fameux plein emploi s'il y avait volonté politique? Et là, je ne suis pas sûr, il faudrait que le ministre me le confirme.

M. Hétu (Jean-Paul): Pour établir une politique de plein emploi, ce n'est pas uniquement une volonté politique qu'on doit

retrouver. La volonté politique est très importante. Pour moi, c'est capital. J'ai l'impression qu'un gouvernement le moindrement soucieux d'assumer ses responsabilités doit développer l'emploi au maximum. Il y a aussi une autre dimension qui est importante. On vit en régime de libre entreprise. C'est quoi l'effort, c'est quoi la possibilité d'avoir de nouveaux industriels qui vont créer ces emplois? C'est quoi l'effort qui est fait par le gouvernement et qui a été fait par les gouvernements antérieurs de développer, de favoriser un climat permettant des investissements plus grands, plus importants pour créer des emplois? Il est clair que, dans le contexte de la crise qu'on a vécue, on a été sapés à la base même de notre économie et il semble y avoir une impuissance réelle, de fait, de réaliser la création d'emplois. Mais ce ne sont pas uniquement les gouvernements, il y a aussi les investisseurs, les entrepreneurs. Est-ce que, dans un contexte de libre-échange, il y a possibilité d'attirer au Canada, en particulier au Québec, plus d'investisseurs, des investisseurs intéressés à accéder à un marché plus considérable? Je ne suis pas capable de répondre à cette question. Si vous parlez de volonté politique de dénicher ce type-là pour vraiment asseoir une politique de plein emploi, je vous dis que les politiques répondent. Moi, je ne suis pas au courant de cela, mais il faudrait qu'on le sache. Il faudrait que les habitants de ce pays, les travailleurs et les travailleuses du Québec soient au courant, mais on ne le sait pas. Je vous disais tout à l'heure qu'il n'y a pas d'information là-dessus.

M. Parent (Bertrand): Mais, M. Hétu, il y a un rôle important à jouer de la part du gouvernement qui se veut quand même le moteur et l'incitatif. Vous avez siégé au conseil d'administration de la SDI. On a eu la chance de travailler ensemble pendant quelques années. Durant la crise de 1981-1982, s'il n'y avait pas eu, d'une part, des mesures précises pour aider les entreprises, nos PME québécoises à passer à travers et s'il n'y avait pas eu, d'autre part, des mesures incitatives de quelque ordre que ce soit, on n'en serait certainement pas où on en est aujourd'hui. Je pense que le gouvernement n'est pas le seul à tout mettre en marche, sauf qu'il est le moteur. (21 h 15)

C'est lui qui peut décider de donner tel ou tel genre d'orientation. Quand le gouvernement du Québec a décidé, à travers un programme de la SDI, d'aider des entreprises à avoir accès à la Bourse, cela a permis à des PME d'avoir accès à la Bourse parce qu'elles payaient des études de faisabilité, etc. Cela devient des incitatifs et, s'il y a un incitatif de la part du gouvernement dans le cadre d'une politique de plein emploi, s'il y a collaboration de la part des agents économiques et des centrales syndicales, je pense que cela permettra sûrement d'avoir des politiques de plein emploi et d'atteindre votre objectif, qui est le nôtre, finalement, mais il faudra que quelqu'un démarre la roue à un moment donné.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Hétu.

M. Hétu (Jean-Paul): C'est l'effort de concertation qui était le deuxième aspect de votre question. Dans le fond, c'est: Quelle formule de concertation devons-nous développer? Il y a des formules générales selon lesquelles les représentants des grandes associations syndicales et patronales ou d'autres vont participer à l'élaboration de politiques générales pour créer le plein emploi. Je vous dirai que notre vision à cet égard est plus une politique de terrain, une politique qui a pour objet - premier point -le fait qu'il faut qu'on prenne des mesures pour qu'au Québec les travailleurs et les travailleuses puissent travailler en santé. Pour mot, c'est clair. D'accord, un projet de loi a été adopté. Cependant, il y a beaucoup de freins qui empêchent le développement de la santé au travail. Il n'y a pas de programme qui existe pour qu'on puisse inciter les entreprises à investir dans les infrastructures nécessaires pour que les travailleurs puissent oeuvrer dans la santé et la sécurité. On ne reconnaît pas que les dépenses en matière de santé et de sécurité sont des investissements, on considère que c'est un coût. Il y a toute une mentalité qu'il faut changer. Cela est un aspect.

Il y a d'autres éléments dynamiques qu'il faut développer au niveau de la base. Ce n'est pas par de grandes structures provinciales uniquement qu'on résoudra ces problèmes-là. Il y a donc un certain nombre de mentalités à développer et il faut dégager aussi des leçons de la crise économique qu'on vient de vivre parce que l'avenir ne semble pas être ce qu'on a connu des années 1960 à 1970. Je ne suis pas certain qu'on ait dégagé ce consensus-là entre nous, mais il faudrait le débattre, cependant. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, M. Hétu, je voudrais, au nom des membres de la commission, vous remercier, vous et vos collègues, d'avoir participé à l'exercice. Je sais que vous partirez d'ici un peu frustré de ne pas avoir eu tout le temps. Je pense que les membres de la commission auraient aimé aussi avoir un peu plus de temps, mais les jours qui suivront seront longs et chargés. Alors, on est obligé de limiter le temps, à un moment donné. Néanmoins, on vous remercie de cette participation.

M. Hétu (Jean-Paul): Permettez-moi de vous dire que je ne serai pas frustré parce que je sais que vous appliquerez la même règle pour tout le monde.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Au revoir et bon retour.

J'invite maintenant les représentants de l'Association des propriétaires d'autobus du Québec à se présenter.

Bonsoir, messieurs. Je vous indique que vous avez, comme les autres intervenants une heure globalement pour la discussion. En ce qui vous concerne, vous avez 20 minutes au maximum pour la présentation de vos points de vue et, par la suite, le temps qui reste est réparti équitablement entre les membres de la commission pour la discussion.

J'ai quatre personnes devant moi. J'ai les noms, mais je ne sais pas lequel d'entre vous agira comme porte-parole. Je lui demanderais, d'une part, de s'identifier et, deuxièmement, d'identifier ses collègues pour les fins du Journal des débats.

Association des propriétaires d'autobus du Québec

M. Girard (Romain): Mon nom est Romain Girard. Je suis vice-président exécutif et directeur général de l'association. À mon extrême droite, M. Real Boissonneault, président de Transport Fontaine et ex-président de l'association; M. Sylvain Langis, représentant de Voyageur et de Voyageur Colonial, de même que président du comité de transport urbain, interurbain et aéroportuaire de l'association. À ma gauche, Me Guy Poliquin, conseiller juridique.

D'abord, nous remercions la présente commission d'avoir bien voulu recevoir notre mémoire et d'avoir souhaité l'entendre ce soir. Par opposition au mémoire précédent, il faudra comprendre, tout d'abord, que c'est un mémoire beaucoup plus pointu, dans ce sens qu'il dégage et décrit un secteur bien précis du transport au Québec. Les seuls éléments abordés dans ce mémoire sont pertinents à l'équilibre qui est maintenu dans ce domaine d'activité par une volonté politique réglementaire et légale.

L'Association des propriétaires d'autobus du Québec regroupe un très grand nombre de transporteurs par autobus au Québec, lesquels oeuvrent tant dans le transport en commun, urbain et interurbain, le transport de groupes, le transport aéroportuaire et le transport scolaire.

Depuis plus de soixante ans, l'APAQ défend les droits des transporteurs, tout en recherchant le meilleur intérêt pour le public. Les transporteurs qu'elle représente possèdent plus de 800 autocars destinés au transport public et plus de 2500 autobus scolaires. Presque tous les transporteurs en commun privés du Québec font partie de l'APAQ.

Très tôt, les intervenants ont réalisé que l'exclusivité des droits était nécessaire pour maintenir un service de qualité sur cet immense territoire peu peuplé. Dès 1926, les transporteurs ont demandé que soit reconnue l'exclusivité de leurs droits à une époque où le transport de personnes était ouvert à tout individu désirant donner des services de transport. Il y avait à ce moment absence totale de réglementation et d'organismes de contrôle.

Nous avons, dès lors, vu apparaître la formation de certains organismes qui assuraient un contrôle sur l'émission des permis de transport au Québec, sans toutefois consacrer l'exclusivité des droits d'un transporteur sur un parcours. C'est au cours des années quarante qu'a été formée la Régie des transports qui a existé jusqu'en 1974 et qui avait tous les pouvoirs. C'est elle qui a reconnu pour la première fois le principe de l'exclusivité d'un seul permis sur un parcours afin d'assurer au public voyageur la meilleure qualité des services.

Au cours de ces 30 années, la régie a développé et ce, en l'absence d'un règlement d'encadrement, différents critères d'intérêt public. La Régie des transports a permis que soient développés des réseaux de transport en commun afin que s'installe l'interfinancement des revenus d'un service plus rentable à un service moins rentable, autrement exprimé l'interfinancement interlignes. Par ailleurs, en accordant l'exclusivité des voyages de groupes sur les parcours des transporteurs publics, la régie a permis de maintenir des services réguliers et d'améliorer leur qualité, autrement appelé l'interfinancement entre services.

Le premier règlement sur le transport en commun au Québec fut préparé en 1974. Au cours de ces années, l'application du principe de l'exclusivité plus le privilège du transport nolisé ont permis au Québec de se doter d'un réseau de transport en commun comparable è beaucoup d'autres. Toutefois, dans le secteur touristique, l'industrie ne pouvait être dynamique et motivée en raison des droits exclusifs en vigueur à ce moment.

C'est ainsi qu'en 1983 une modification à l'ordonnance générale no 17 sur les voyages spéciaux ou à charte-partie a été accordée à notre demande, permettant à tous les transporteurs qui desservaient un endroit d'effectuer des voyages de groupes de cet endroit à une destination quelconque. Cette nouvelle réglementation a de même accordé au transporteur scolaire la possibilité d'effectuer des voyages de groupes du territoire de la commission scolaire avec laquelle il était lié par contrat de transport scolaire dans un rayon n'excédant pas 100 kilomètres. Ceci représentait une modification fondamentale aux règles du jeu en vigueur jusque-là.

Pour ce qui est des lignes de transport interurbain, l'industrie a jugé que ta Commission des transports du Québec était l'organisme le mieux habilité à contrôler et à réglementer ce type d'activité. L'industrie était unanime à lui confier le pouvoir d'émettre des nouveaux permis. Elle a décidé de lui faire confiance. Ainsi l'exclusivité des permis ne s'érigeait plus automatiquement comme critère de base, mais la protection des droits des transporteurs pouvait encore être faite par l'interfinancement de certains services si celui-ci était démontré et qu'il était prouvé que c'était le meilleur outil pour satisfaire à l'intérêt du public.

En considérant la perspective historique, les données géographiques et la dispersion démographique de la population sur le territoire, il apparaît clairement que l'intérêt du public en général, en ce qui regarde le transport par autobus, transcende et dépasse l'intérêt immédiat d'un transporteur ou d'un client. Ainsi, il est nécessaire de faire que les règles du marché ne s'appliquent pas en toute liberté. Si c'était le cas, les intérêts des collectivités locales ou régionales ou même ceux de transporteurs pourraient menacer l'économie générale du système.

Le choix de faire confiance à la Commission des transports du Québec s'avère donc le meilleur, cette dernière étant l'organisme le plus apte à pouvoir évaluer, apprécier et analyser la pertinence, par rapport à l'intérêt public, des intérêts particuliers et souvent divergents.

Depuis plusieurs années, les transporteurs québécois qui désirent effectuer, en partance du Canada, des voyages nolîsés aux États-Unis doivent se conformer aux exigences américaines, telles que détenir un permis de l'Interstate Commerce Commission et surtout obtenir toutes les autorisations de tous les États qu'ils ont à traverser, soit les permis de circuler, les taxes sur les carburants à payer, les vérifications mécaniques à subir, les couvertures d'assurance supplémentaires à fournir et de nombreuses autres exigences à respecter.

Par ailleurs, tes transporteurs américains, eux, sont exemptés de détenir un permis pour venir au Québec en vertu de l'article 4 du Règlement sur le transport par autobus qui stipule qu'un "transporteur dont le principal établissement est situé hors du Québec et qui effectue au Québec un transport nolisé est exempté de l'obligation d'être titulaire d'un permis pour les services de transport qu'il fournit s'il remplit les conditions suivantes: le point de départ et la destination finale du voyage nolisé sont situés à l'extérieur du Québec; il est autorisé à effectuer ce voyage par l'État ou la province où est immatriculé l'autobus."

Les transporteurs américains ne subissent pas, eux, d'obligations telles la taxe sur les carburants ou une couverture d'assurance spécifique à fournir ou à produire, si bien que ces transporteurs peuvent venir circuler librement au Québec et, même, effectuer des visites touristiques à l'intérieur des villes à l'aide de guides. Ainsi, le législateur québécois procure depuis plusieurs années, en ce qui concerne le permis de circuler, des avantages aux transporteurs américains dont les transporteurs québécois ne jouissent pas aux États-Unis.

L'industrie de l'autobus, qui consiste en transport nolisé et en transport interurbain régulier, est un des secteurs faisant l'objet de discussions dans le cadre de la libéralisation des échanges commerciaux. Cependant, en vertu de sa structure réglementaire, des subventions élevées accordées à son compétiteur sur le corridor dont l'achalandage est le plus élevé, c'est-à-dire Via Rail, et de l'interfinancement reconnu par le régulateur, l'industrie canadienne de l'autobus est unique parmi tous les modes de transport canadiens. Cette industrie ne peut pas être regroupée parmi les autres modes de transport de passagers comme le transport aérien ou, encore moins, comme le transport ferroviaire, non plus que dans le transport de marchandises. L'unicité de l'industrie canadienne de l'autobus signifie que, même si le libre-échange est faisable en regard de l'industrie du camionnage ou du transport aérien, ce sur quoi nous ne portons pas de jugement ici, ces solutions ne peuvent être appliquées que par extension ou par analogie au transport par autobus. (21 h 30)

II est vrai que la déréglementation américaine de 1982 en matière de transport par autobus peut permettre à des transporteurs canadiens d'effectuer du transport à partir du territoire américain et d'obtenir des permis de transport par autobus aux fins de fournir des services de transport en commun réguliers ou de transport nolisé. Ces permis pouvaient cependant être émis pour la desserte des transports interÉtats, car la réglementation concernant le transport à l'intérieur d'un État relève de celui-ci comme c'est, d'ailleurs, te cas à l'intérieur de chacune des provinces canadiennes qui ont des juridictions autonomes sur le transport effectué à l'intérieur de celles-ci.

Après cinq ans de cette ouverture américaine, aucun transporteur canadien n'a, cependant, pu réellement en bénéficier en vertu du fait que la clientèle américaine est répartie à de très grandes distances des centres d'opération canadiens et surtout en raison des différences dans les conditions d'exploitation d'une entreprise américaine par rapport aux conditions canadiennes.

Il en serait autrement si le Canada autorisait les transporteurs américains à

venir librement desservir les clientèles canadiennes. Les grands marchés américains sont situés loin des frontières canadiennes, alors que les plus grandes villes canadiennes, telles Montréal, Toronto et les autres, sont toutes situées à proximité des frontières. Les transporteurs du nord des États-Unis auraient ainsi un accès direct aux marchés les plus importants parmi les marchés canadiens, alors que les transporteurs canadiens sont nettement désavantagés par la grande distance qui les sépare des villes américaines importantes.

Dans un contexte de libre-échange, il ne suffit pas que l'accessibilité soit possible pour toutes les parties, mais il faut aussi que les conditions d'exercice soient semblables. Même si l'environnement réglementaire est différent entre le Canada et les États-Unis, on peut affirmer dans ce sens que les transporteurs canadiens et les transporteurs américains ont un traitement équitable et identique et peuvent tous deux fonctionner dans des conditions similaires de lois et de réglementations sur le territoire canadien. De même, les transporteurs canadiens qui souhaitent opérer sur le territoire américain reçoivent, dans cet environnement, un traitement égal aux transporteurs américains.

Toutefois, les considérations du libre-échange n'ont pas pour objet d'assurer que les deux types de transporteurs ont les mêmes conditions sur un territoire donné, mais bien que ces conditions sont identiques d'un territoire à l'autre.

Le Québec a une législation et une réglementation qui offrent à ses travailleurs des conditions qui sont loin d'être comparables à celles des Américains. Il suffit de penser à la loi sur le salaire minimum, à la Loi sur les normes du travail, à la Loi sur la santé et la sécurité du travail et aux diverses dispositions du Code du travail relatives aux transferts de droits et obligations, de même qu'aux dispositions antibriseurs de grèves pour bien comprendre les spécificités de l'encadrement législatif québécois par rapport aux lois régissant les mêmes domaines d'activités sur le territoire américain.

Comme les entreprises américaines ne sont pas soumises aux mêmes règles, il en résulte un déséquilibre qui ne peut qu'être préjudiciable à l'industrie québécoise du transport par autobus.

Dans le contexte des réglementations québécoises et des autres réglementations provinciales et canadiennes, les entreprises de transport par autobus subissent différentes contraintes relatives à une forte taxation des coûts du carburant, qui représente pour elles une part importante de leurs coûts de fonctionnement, une normalisation à la hausse des conditions de travail du personnel de ces entreprises, qui représente, quant à lui, une part importante des coûts de ces entreprises, de même que des situations de concurrence avec une société de la couronne fortement subventionnée, Via Rail pour ne pas la nommer une seconde fois, et une obligation à l'intérieur de l'industrie d'affecter elle-même la redistribution des revenus pour assurer l'équilibre et le maintien des services en périphérie, ce qui était, précédemment, appelé interfinancement dans le présent mémoire.

Toutes ces conditions créent des pressions sur les entreprises canadiennes de transport par autobus et limiteraient, dans le cadre d'une libéralisation des échanges, la capacité de ces entreprises de demeurer compétitives. Dans la mesure où toutes ces contraintes peuvent être revues et redistribuées à l'ensemble des entreprises canadiennes et américaines effectuant le transport de personnes, les transporteurs québécois considèrent qu'il leur serait ainsi possible d'être en situation d'égalité.

Tel que nous l'avons mentionné précédemment, l'industrie du transport de personnes au Québec a toujours été relativement encadrée et réglementée. Les principales raisons de cet encadrement tiennent au fait d'un territoire immense et peu densément peuplé, principalement distribué sur un axe à faible distance des frontières.

Ne pouvant mettre de côté ces deux facteurs spécifiques au Québec, le gouvernement a réitéré, dans un règlement du début de janvier 1987, la protection de l'intérêt public en permettant au régulateur économique, qui est la Commission des transports du Québec, d'émettre des permis, mais en l'obligeant, cependant, à tenir compte de certains critères. Ainsi, la Commission des transports du Québec ne pourra émettre un permis de transport par autobus, interurbain, nolisé, aéroportuaire ou autre, si un transporteur démontre que la qualité d'un service déjà offert à la population risque d'être affectée ou mise en péril par l'émission d'un tel permis supplémentaire.

Comme il est à craindre que la concurrence s'exerce sur les corridors rentables au détriment des services en régions, qui perdront petit à petit les services réguliers de transport en commun, n'est-il pas nécessaire, pour discuter de la libéralisation des échanges dans ce domaine précis, de remettre en question ces choix historiques du législateur québécois pour le maintien d'un équilibre sur le territoire québécois? Dans ce sens, il serait pertinent de recommander, d'abord, une déréglementation québécoise du transport par autobus avant de discuter du réalisme des échanges libres, à ce niveau d'activités, entre le territoire américain et le territoire québécois. Par ailleurs, dans cette

éventualité, l'État devra-t-il prendre la relève des services non rentables en régions qui devront être abandonnés?

L'industrie du camionnage a toujours vécu dans un environnement de compétition et de concurrence. Tel n'est pas le cas de l'industrie de l'autobus, qui est plus fragile. L'expérience américaine, au niveau de la déréglementation dans le transport de passagers, est, d'ailleurs, désastreuse et cinq ans après les preuves ne sont plus à faire.

Nous devons nous interroger sérieusement sur les conséquences que peut engendrer un processus de déréglementation et de libre concurrence dans un secteur de l'économie aussi fragile. L'équilibre socio-économique de toute la population du Québec en dépend.

Tous les choix historiques du législateur, de même que de l'industrie pour encadrer ou exploiter les services de transport par autobus offerts à la clientèle québécoise ont toujours reconfirmé la nécessité d'un équilibre maintenu à l'intérieur de l'industrie par celle-ci pour permettre le maintien des services en périphérie et pour permettre que les activités plus rentables et, dans certains cas, en croissance puissent supporter les activités déficitaires et en décroissance.

L'ensemble du volume de passagers sur les lignes régulières de transport par autobus est en décroissance de manière soutenue depuis plusieurs années. Il est peu probable que le libre-échange nous permette de bénéficier, sur ces services en décroissance et non rentables, de services plus compétitifs et plus efficaces fournis par des transporteurs étrangers. Il est plutôt à craindre que la libéralisation des échanges ne permette à d'autres entreprises d'attaquer et de vouloir desservir les créneaux rentables de services et qu'il soit, en conséquence, impossible de maintenir de manière autonome l'équilibre à la grandeur du territoire québécois entre les divers services de transport par autobus.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le ministre.

M. MacDonald: Merci, M. le Président. Merci d'être ici ce soir. Vous avez, le 25 juin, défendu ou présenté effectivement devant le comité Warren essentiellement le même mémoire. À ce moment-là, je peux vous rassurer qu'à la fois le mémoire, l'analyse et les commentaires qu'a pu en faire le comité Warren ont été remis au ministre des Transports et à son représentant au sein du comité responsable de traiter le dossier de la libéralisation des échanges. En conséquence, les remarques que vous avez pu faire, les réserves que vous aviez ont été prises en considération lorsque nous avons abordé, avec la partie fédérale et avec d'autres provinces, la question du transport en commun.

Il y a, cependant, certains points que, comptant sur votre présence ici ce soir, j'aimerais clarifier. Plus particulièrement à la page 3 de votre mémoire, vous dites et je cite: "Ainsi, il est nécessaire de faire que les règles du marché ne s'appliquent pas en toute liberté". Vous continuez: "Si c'était le cas, les intérêts de collectivités locales ou régionales ou même de transporteurs pourraient menacer l'économie générale du système." Pourriez-vous nous expliciter cette idée et nous donner, pour nous éclairer encore plus, quelques exemples pratiques, s'il vous plaît?

M. Girard: II faut comprendre que la réglementation encadrant le transport par autobus vise, d'une part, à contraindre un transporteur à fournir un service qui peut, occasionnellement ou généralement, être déficitaire, en contrepartie duquel un certain nombre d'activités reconnues plus rentables lui seront accordées sous forme de permis et, par la Commission des transports du Québec, seront annuellement revues, examinées, discutées, renouvelées ou remises en cause à partir des résultats d'achalandage, à partir des résultats financiers de ces compagnies.

Il faut comprendre, avec les modifications au transport nolisé apportées en juin 1983 à l'intérieur d'une réglementation qu'on qualifie des 100 kilomètres, qu'une grande part du marché dit lucratif des transporteurs par autobus a été partagée avec 800 transporteurs de plus, qui sont les 800 transporteurs d'écoliers du Québec. En conséquence, beaucoup de transporteurs réguliers, interurbains ou urbains en régions, ont remis en question leur devoir de maintenir en opération, à l'intérieur de villes ou entre des villes sur des services peu achalandés, des services interurbains. J'illustre par ce que je viens d'exprimer ce qu'on appelle l'interfinancement entre services. Dans le langage de la Commission des transports du Québec, on disait que l'accessoire, qui était le transport nolisé, permettait de financer le principal, qui était le transport régulier. Cet exemple est valide à la grandeur du territoire québécois. Cet interfinancement entre deux services différents au public existe à la grandeur du territoire québécois à l'intérieur de toutes les entreprises de transport nolisé.

Par ailleurs, à l'intérieur d'un certain nombre d'entreprises plus restreintes, parce qu'on parle cette fois-ci d'interfinancement interlignes, donc, le nombre d'entreprises est plus restreint parce qu'il faut avoir au moins deux lignes pour faire de l'interfinancement, on voit - l'exemple le plus patent au Québec est, bien sûr, Voyageur - une entreprise exploiter des corridors dits rentables, en

contrepartie de quoi elle assure un service plus que satisfaisant à des régions qui, autrement, n'en mériteraient pas tant si on examinait ce service uniquement sous l'aspect coûts-bénéfices.

Donc, les règles du marché, si elles devaient être appliquées, auraient sûrement pour effet qu'un transporteur interromprait son service déficitaire pour se concentrer sur son service dit rentable ou sur le type de service à l'intérieur duquel il peut être compétitif. Le transport en commun interurbain régulier ou urbain régulier est encadré en termes de tarifs par la Commission des transports du Québec et ces tarifs doivent être appliqués.

Par ailleurs, à l'intérieur du transport nolisé, il y a plus de latitude pour appliquer un tarif, il y a plus de latitude pour attaquer de nouveaux marchés, pour donner de nouveaux services à de nouveaux clients et ce créneau de marchés apparaîtrait plus intéressant à beaucoup de transporteurs. En conséquence, une contrainte réglementaire doit être maintenue. Pour nous amener au débat du libre-échange, s'il y avait des transporteurs étrangers qui devaient venir, entre guillemets, "jouer dans ce terrain" sur le territoire québécois, ils devraient se soumettre à ces règles du jeu. C'est l'essence du mémoire.

Peut-être que M. Sylvain Langis, de Voyageur, peut illustrer avec plus de chiffres à l'appui des données qui le concernent plus sur l'interfinancement interlignes.

M. Langis (Sylvain): Je suis plutôt ici pour représenter, comme mes collègues de l'association, l'ensemble des propriétaires d'autobus du Québec. Cependant, ce que M. Girard a dit concernant l'interfinancement, en termes clairs, cela se traduit, par exemple, pour certaines entreprises, dont une, la nôtre, par des services sur certains corridors qui génèrent des revenus plus intéressants que d'autres. Cependant, le système a fait en sorte qu'au fil des ans, et cette réglementation existe depuis une soixantaine d'années maintenant, dans des régions comme la Gaspésie, les circuits internes de l'Abitibi ou même tous les circuits dits locaux par rapport à des circuits express, c'est-à-dire ces circuits où, vraiment, on arrête dans chacun des petits villages, dans chacune des petites municipalités . pour donner un service de transport en commun, ces municipalités sont desservies par un seul mode de transport qui s'appelle l'autobus parce que d'autres systèmes, comme le système aérien ou le système ferroviaire ne les desservent pas. Simplement pour vous donner un exemple, au Québec, approximativement 500 communautés sont desservies par l'autobus, alors que le train en dessert approximativement 150 et les services aériens, une quarantaine.

(21 h 45)

Cela dit, le système de l'interfinancement fait en sorte que nous-mêmes, de l'entreprise privée, on subventionne, par nos revenus générés sur des circuits plus importants, des services qui, autrement, n'existeraient pas et, si on voulait qu'ils existent, l'État serait possiblement dans l'obligation de les subventionner. Cela fait un peu drôle de voir des gens de l'entreprise privée venir dire: Oui, on a une réglementation et on ne veut pas la perdre. Ce qu'on vient vous dire, c'est que cette réglementation est là au bénéfice de l'ensemble des Québécois et des Québécoises qui sont des usagers du transport en commun ou qui n'ont pas d'autres services de transport en commun chez eux. S'il y avait le libre-échange demain matin, on connaîtrait une déréglementation automatique qui irait, à notre avis, à l'encontre de l'intérêt public des Québécois et des Québécoises.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Je voudrais vous rappeler, messieurs,, comme j'essaierai de le rappeler dorénavant aux autres invités, que notre problème est un problème de temps et que, dans la mesure où vos réponses sont très longues, il reste moins de temps aux membres de la commission pour aborder un certain nombre de sujets qui peuvent les intéresser et sur lesquels vous pouvez les avoir aiguillonnés par la présentation de votre mémoire.

M. le député de Roberval.

M. Gauthier: Merci, M. le Président. Deux questions relatives au mémoire que vous venez de nous présenter qui est fort intéressant, par ailleurs. Vous mentionnez que les conditions d'exploitation sont différentes et que le Québec possède une législation très avantageuse pour les travailleurs: Loi sur les normes du travail, Loi sur la santé et la sécurité du travail, Code du travail, etc., et que cela vous complique l'existence, conduit à un déséquilibre qui est préjudiciable à l'industrie québécoise. Est-ce que l'association a fait de façon systématique une comparaison entre ses coûts de main-d'oeuvre, compte tenu des lois québécoises, mais aussi compte tenu des niveaux de salaires chez nos voisins du Sud, des avantages sociaux et des plans d'assurance qui doivent être plus généreux pour pallier à certains manques des politiques sociales? Est-ce qu'il y a eu une étude systématique qui vous permet d'affirmer cela ou si c'est plutôt le fruit d'une réflexion sommaire?

M. Langis: II n'y a pas eu d'étude systématique de faite en peu de temps. Il y a, cependant, eu des recherches de faites non seulement par l'Association des propriétaires d'autobus du Québec, mais également par des associations semblables au

Canada. Je pense à l'Ontario Motor Coach Association qui, elle aussi, a fait des représentations chez elle, à son niveau ou encore à l'association canadienne de l'autobus qui nous regroupe tous pour l'ensemble du pays. Les recherches qu'on a faites nous indiquent que, du côté des lois du travail, on se rend compte que, s'il y avait le libre-échange demain matin sans qu'on modifie ces lois tant chez nous qu'aux États-Unis, il y aurait de très sérieuses différences entre fonctionner chez nous et fonctionner aux États-Unis. C'est déjà le cas dans la mesure où, par exemple, chez nous, si une compagnie veut vendre, il y a des droits de suite d'une convention collective. Si quelqu'un nous achète demain matin, il reprend la convention collective des employés au même taux que le propriétaire précédent les payait. Or, aux États-Unis, ce n'est pas le cas. Si quelqu'un vend sa compagnie, le nouvel employeur, le nouveau propriétaire n'est pas tenu aux droits de la convention collective. C'est arrivé très récemment dans le cas de Greyhound qui est de loin te plus gros transporteur interurbain par autobus au monde. Lorsque Greyhound a été vendue l'hiver dernier, la compagnie qui en était propriétaire payait des salaires à un certain niveau; le nouvel acquéreur a carrément coupé les prix en deux et, du jour au lendemain, a été en mesure d'exploiter une entreprise de façon* rentable, alors que, quelques jours auparavant, elle avait de la difficulté à survivre. C'est un exemple que je vous donne. Il y a d'autres exemples qui existent.

M. Gauthier: Si vous me le permettez, parce que le temps est pas mal limité, je comprends votre point de vue, mais est-ce que vous avez, de façon quantitative, sous la main, un pourcentage de cet écart? On l'a mentionné plus tôt dans un autre mémoire et la question me trotte dans la tête. L'avez-vous quantifié réellement? Je comprends bien tout ce système de la convention collective sur les travailleurs. Dans l'exploitation quotidienne, ce n'est pas, dans bien des cas, un coût supplémentaire, sauf dans les cas de transactions, comme vous le dites.

M. Langis: Le plus bel exemple que je peux vous donner, c'est Voyageur. C'est une industrie qui est très génératrice de main-d'oeuvre. Chez nous, au-delà de 50 % de nos coûts sont carrément en main-d'oeuvre et ce, même après avoir réduit substantiellement nos coûts à ce chapitre l'hiver dernier. Les autres entreprises ont à vivre exactement avec les mêmes exigences et ce sont des entreprises qui nécessitent beaucoup de main-d'oeuvre pour être en mesure de fonctionner.

Un autre exemple que je peux vous donner, la taxe sur les carburants. Aux États-Unis, il y a un remboursement pour les transporteurs en commun, les transporteurs par autobus. Il y a un remboursement de la taxe sur les carburants qui est versé aux entreprises. Ce n'est pas le cas chez nous. C'est également une composante importante de nos entreprises. Elles sont nettement avantagées comparativement à nous.

M. Gauthier: Une autre chose que j'aimerais faire expliquer. Dans votre mémoire, on dit qu'avec un accord de libre-échange - je me permets de vous citer à peu près textuellement - les transporteurs du nord des États-Unis pourraient desservir les clientèles canadiennes, alors que l'absence de grandes villes américaines à proximité de la frontière désavantage les entreprises canadiennes. J'ai comme un problème à comprendre cet énoncé dans le domaine du transport. Si c'est facile et avantageux pour les transporteurs américains de venir transporter au Canada, je connais quelques grandes villes américaines qui sont relativement proches du Québec, de l'Ontario et d'autres provinces du Canada. J'aimerais que vous m'expliquiez cela avec un peu plus de détails, s'il vous plaît.

M. Langis: Vous connaissez bien votre géographie...

M. Gauthier: Un peu.

M. Langis: ...des États-Unis et du Canada. Quoi qu'on en pense, lorsqu'on regarde cela à première vue, il peut sembler beaucoup plus intéressant pour les Canadiens d'aller puiser dans le marché américain où les bassins de population sont beaucoup plus importants que ceux du Canada. Cependant, en pratique, lorsqu'un transporteur doit aller chercher un groupe à un endroit - par exemple, le transport nolisé - il doit effectuer un certain millage mort, c'est-à-dire sans passagers, pour aller cueillir son groupe et le ramener. Ce millage mort lui occasionne des coûts. Lorsqu'on examine la démographie ou la dispersion démographique au Canada comparativement à celle des États-Unis, les bassins de population importants au Canada sont tous localisés pas très loin de la frontière entre le Canada et les États-Unis. Je pense à des bassins comme Montréal, Toronto, Windsor et même plus vers l'ouest, à Calgary ou à Vancouver. Or, depuis le Maine jusqu'au Montana, les transporteurs qui sont localisés dans les petites municipalités des États-Unis où il y a moins de population, dans ces petites régions tireraient un avantage beaucoup plus grand à venir chercher des passagers dans les grands bassins canadiens, toutes proportions gardées, que les transporteurs canadiens n'en auraient à tenter d'aller puiser dans des marchés américains où les bassins de population similaires sont beaucoup plus loin. Par

exemple, pour quelqu'un qui est à Montréal, le premier marché intéressant est à New York, approximativement, alors que, pour quelqu'un qui est à Burlington, c'est beaucoup plus intéressant de venir à Montréal que d'aller vers New York. C'est la même chose si on s'éloigne vers l'Ontario. Il est beaucoup plus intéressant, pour quelqu'un qui est localisé à Buffalo, d'aller cueillir des passagers à Toronto que de descendre vers le sud pour trouver un marché équivalent. C'est la même chose tout le long de la frontière et c'est une autre raison très importante pour laquelle nous nous opposons à ce que notre secteur de l'industrie fasse partie d'un éventuel accord sur le libre-échange.

M. Gauthier: Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Tel que je vous l'ai mentionné, vous avez été entendu. Nous avons eu le privilège de vous avoir ce soir. Vous me permettrez de souligner que je trouve un peu paradoxales tout de même, connaissant l'esprit d'entreprise privée et d'entrepreneurship de plusieurs des membres de votre industrie, cette recommandation que vous nous faites de continuer à vivre dans un cadre réglementaire sous la surveillance de la Commission des transports. De toute façon, ayant reçu très sérieusement une première fois votre mémoire, c'est également dans cet esprit qu'on reçoit votre présentation ce soir et je vous en remercie.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand, est-ce qu'il y a une question?

M. Parent (Bertrand): Oui, j'aurais deux questions à poser. On sait qu'il y a quelques années le gouvernement a mis sur pied les CIT, corporations intermunicipales de transport, subventionnées en partie par le gouvernement et les municipalités. Premièrement, dans ce cadre-là, est-ce que vous croyez qu'une déréglementation et une libéralisation des échanges pourraient affecter la formule des corporations intermunicipales de transport?

Deuxièmement, vous mentionnez dans votre mémoire que vous avez fait valoir, il y a déjà quelques mois, devant le comité Warren que, dans l'éventualité d'une déréglementation, l'État devrait probablement prendre la relève des services non rentables, les fameux bouts de ligne que personne ne veut, mais qu'il faut desservir. Puisque le ministre du Commerce extérieur a mentionné précédemment qu'il en avait déjà saisi son collègue, le ministre des Transports, est-ce que vous auriez eu quelque nouvelle que ce soit de la part du ministre des Transports quant à sa réaction à la suite des préoccupations que vous avez et aussi à la suite de la commission parlementaire qui s'est tenue à Montréal, il y a quelques semaines, concernant toute la dimension du transport en commun?

M. Girard: On parle effectivement de deux commissions parlementaires. En ce qui regarde les conseils intermunicipaux de transport, pour bien comprendre ce qu'est la relation contractuelle d'un CIT en 1987, on se situe dans une perspective historique de retrait volontaire ou non des organismes publics de transport en commun sur le territoire où la responsabilité a été déléguée ou dévolue aux élus locaux pour décider du service qu'ils auraient à se donner sur leur territoire pour desservir leurs citoyens dans le cadre d'une desserte suburbaine par rapport à Montréal et des pouvoirs pour contracter avec qui ils voudraient bien ce service.

Dans le cadre de savoir comment le libre-échange peut menacer ou faire évoluer cette relation contractuelle, c'est peut-être une question qui vient en réponse à ça. Dans quelle mesure le pouvoir des élus des corridors, des conseils intermunicipaux de transport sera-t-il modifié dans ce sens de décider du service qu'ils ont à se donner sur leur territoire pour leurs clientèles? La responsabilité est donnée à des élus municipaux qui doivent se donner leurs propres services. S'il y avait des transporteurs américains qui venaient contracter avec ces CIT, ils le feraient avec les règles du jeu des entreprises québécoises comme cela peut être fait actuellement dans le transport scolaire. Des entreprises américaines peuvent faire du transport d'écoliers ou du transport public au Québec à la condition de correspondre aux critères du règlement, d'avoir une charte depuis plus de six mois au Québec, d'avoir une place d'affaires.

Donc, il y aurait peut-être des transporteurs étrangers ou des transporteurs non québécois qui pourraient contracter avec des CIT, mais cela ne remettrait pas en question le pouvoir ou !e devoir de ces élus de décider de leurs services et de se les donner avec les moyens qu'ils ont.

Quant à la deuxième question, effectivement, à la suite de la commission parlementaire d'il y a trois semaines sur le transport en commun dans la région de Montréal et à la suite de ce qu'on avait soumis il y a déjà quelques mois au comité Warren, il nous a été confirmé que la réglementation québécoise sur le transport par autobus était là pour bien confirmer un choix responsable des élus de maintenir cet équilibre que nous décrivons et pour lequel nous plaidons. (22 heures)

Jusqu'à preuve du contraire nous ne croyons pas que cet équilibre sera menacé par les transporteurs étrangers dans la mesure où on souhaite et on pense que, si jamais ils venaient ici exploiter des services de transport par autobus, ils devront le faire avec nos règles du jeu.

M. Langis: Et ce serait possiblement seulement dans deux secteurs qui seraient certains corridors d'importance du type Montréal-Québec, Montréal-Ottawa-Toronto et dans le secteur des services nolisés où il y a une croissance depuis un certain nombre d'années dans notre industrie. Il ne faut pas oublier que nos entreprises gèrent leur décroissance depuis quelques années dans la mesure où il y a de moins en moins de passagers sur les véhicules interurbains par autocar.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, nous allons terminer la discussion avec l'Association des propriétaires d'autobus du Québec. Je voudrais vous remercier, messieurs, d'avoir participé à cette consultation générale sur le dossier du libre-échange et vous indiquer que les membres de la commission ont apprécié le mémoire et l'échange qu'ils ont eu avec vous. Nous vous souhaitons un bon retour. Sans plus tarder, nous allons maintenant inviter le député fédéral de Lévis, M. Gabriel Fontaine, à prendre place à la table des invités.

M. Girard: Nous vous remercions et nous retournons en autobus. Il n'y a aucune question quant à notre retour. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Bonne route!

M. Girard: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Bonjour, M. Fontaine. Je présume que vous êtes un peu habitué au fonctionnement des parlementaires. Néanmoins, je vous rappelle que vous avez un maximum de 20 minutes pour présenter vos points de vue. Par la suite, les membres de la commission engageront la discussion avec vous. Je vous cède la parole sans plus tarder.

M. Gabriel Fontaine

M. Fontaine (Gabriel): Je vous remercie, M. le Président. J'aimerais mentionner que c'est à titre personnel que je viens faire mes représentations devant votre commission de l'économie et du travail. J'aimerais féliciter les initiateurs de cet événement. Je pense que cela donne à tous la chance d'être entendus. Je pense que cela donne aux Canadiens et aux Québécois l'occasion de se renseigner davantage sur le développement d'un accord commercial avec les États-Unis.

Je veux aussi remercier les gens qui font partie de la commission, MM. les députés, d'avoir reçu mon rapport. Je vous remercie également de m'avoir donné l'occasion de venir faire des représentations personnelles devant vous.

M. le Président, est-ce qu'on peut tenir pour acquis que le rapport que j'ai déposé le 8 septembre fait partie intégrante du compte-rendu des réunions?

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

M. Fontaine: Cela m'éviterait de le lire dans son ensemble.

Le Président (M- Charbonneau): Oui, oui. Écoutez, à moins que vous ne teniez à le lire, non seulement les membres de la commission ont eu votre mémoire, mais ils ont également eu un résumé de votre mémoire qui a été préparé par les services de l'Assemblée nationale. Donc, je pense que ce qui serait peut-être plus intéressant pour les membres de la commission ainsi que pour les gens qui nous écoutent ce soir, c'est de présenter un résumé de votre point de vue, ce qui nous permettra par la suite d'engager la discussion.

M. Fontaine: Alors, je vais aller dans certaines étapes de mon rapport étant donné que le dialogue est préférable au monologue. Après cela, on passera à la période des questions.

Le Président (M. Charbonneau): Très bien.

M. Fontaine: Le Canada est un des rares pays industrialisés qui n'a pas accès à un marché suffisant, comptant au moins 100 000 000 de consommateurs. Des pays comme les États-Unis, la Communauté économique européenne et te Japon peuvent se permettre des économies de masse dans leur processus de production étant donné que le réseau de production a accès à une clientèle très vaste.

Le Canada, à cause de sa clientèle interne limitée, devient très dépendant du marché américain.

Les contraintes de l'économie américaine quant à la balance des échanges de biens et services avec les autres pays concernant la compétitivité internationale rendent de moins en moins sûr l'accès au marché américain, si on tient compte de plus de la concurrence de certains pays récemment industrialisés comme le Brésil, l'Inde, la Corée, Taïwan, etc.

De plus, le "Trade Bill", soutenu actuellement aux États-Unis par les deux Chambres, prévoit une législation qui élargira de beaucoup les possibilités qu'auront les Américains d'imposer des droits compensatoires sur différents produits importés.

Pour plusieurs de ces raisons, le premier ministre du Canada annonçait le 26 septembre 1985, à la suite de discussions tenues avec le président des États-Unis lors de la réunion à Québec en mars 1985, l'intention de son gouvernement de négocier le plus large éventait possible de réductions de barrières tarifaires et non tarifaires qui entravent le commerce entre le Canada et les États-Unis.

On sait que le Sénat américain a donné son approbation, en avril 1986, à la négociation commerciale entre nos deux pays et a autorisé le président américain à étudier la formule "fast track", formule qui permettrait, d'ici le 5 octobre 1987, de présenter au Congrès un projet d'accord le plus large possible sur l'élimination de nos tarifs douaniers, soit d'ordre tarifaire ou autres. Selon les dispositions de la législation américaine, après une période de consultation qui se terminerait le 2 janvier 1988, le Congrès pourrait accepter ou refuser globalement notre projet d'entente, la formule "fast track" l'empêchant d'apporter des modifications particulières.

Le Conseil économique du Canada, dans son récent rapport rendu public le 25 août 1987, a déclaré que six secteurs industriels sur les 30 secteurs industriels enregistrés à Statistique Canada pourraient être négativement touchés, et d'une façon probablement significative, par la conclusion d'une entente entre le Canada et les États-Unis. Il s'agit là d'un problème qui doit être immédiatement apprécié et nous nous devons d'identifier des mesures temporaires d'adaptation qui viendront en aide aux entrepreneurs, aux gens d'affaires et aux travailleurs des secteurs impliqués.

On soulève beaucoup d'appréhensions sur la mise en place d'un organisme de gestion des différends. Jusqu'à présent, les Canadiens et les Américains ont de la difficulté sur la définition dudit organisme. Je dois vous faire remarquer que mon rapport a été déposé dans l'échéance prévue, c'est-à-dire le 8 septembre. Il y a une ouverture nouvelle et additionnelle sur la réceptivité des Américains à l'organisme de règlement des différends. Les Canadiens considèrent de leur côté qu'il n'est pas opportun de signer une entente si on ne reconnaît pas, à l'intérieur de ladite entente, l'autorité d'un organisme capable de régler les différends.

Les négociateurs canadiens et américains devront convenir de la mise en place d'un organisme définitivement bilatéral et qui aura la capacité de régler sans appel les différends.

L'organisme en question ne devra, en aucune façon, être contraint par les législations américaines actuelles qui prévoient l'imposition de droits compensatoires, ni par les élargissements de ces législations qui pourraient être autrement applicables en vertu du "Trade Bill" actuellement en processus de législation.

Pour respecter l'autonomie des deux pays impliqués et pour garantir la protection significative des intérêts canadiens au moment d'un différend, l'organisme de règlement des disputes devra pouvoir se référer à une réglementation contractuelle bien définie, bien claire et bien articulée, afin que ce soient vraiment les règles du jeu préalablement établies et acceptées qui permettent à l'organisme de règlement des conflits une décision expéditive à l'abri des intérêts uniquement ponctuels, humains, nationaux et politiques.

Les quelque 6 600 000 habitants de la province de Québec vivent à l'intérieur d'une économie très diversifiée et très développée. Le marché extérieur est très important pour l'économie du Québec et, de fait, les Québécois exportent pour 40% de leur produit intérieur brut. Ces exportations se dirigent vers les autres provinces du Canada dans une proportion de 20% du produit intérieur brut et les autres 20% sont dirigés vers l'étranger, dont 75% aux États-Unis.

Les exportations du Québec sont concentrées, par ordre d'importance, dans les domaines suivants, et ça représente au total 20 000 000 000 $: le papier à imprimerie, les automobiles et les châssis, l'aluminium et ses alliages, le bois d'oeuvre, les tubes électroniques et semi-conducteurs, les moteurs et les pièces d'avions, l'électricité, les minerais, les concentrés de fer, la viande, etc.

L'accord du lac Meech que le gouvernement du Québec a été le premier è ratifier devant son Assemblée nationale a reconnu le Québec comme société distincte. Ce caractère distinct de la société québécoise sera conservé à condition que les activités culturelles continuent à se développer au Canada et au Québec Les négociations commerciales doivent se faire exclusivement en dehors de toute atteinte au caractère spécifique du Québec, à sa langue, à sa culture, à sa différence.

On sait qu'il existe également des entraves entre les différentes provinces canadiennes. Je fais allusion, par exemple, à la production et au commerce de la bière. On constate que neuf provinces canadiennes sur dix imposent deux fois, par les taxes et par l'obligation, à leurs citoyens et citoyennes la consommation d'une bière locale. Des contraintes semblables d'entrave au commerce entre les provinces s'appliquent par exemple dans le domaine de l'industrie de la construction où le décret de la

province de Québec prévoit certaines qualités exigées d'un travailleur, qualités qui sont généralement non compatibles avec celles détenues par les travailleurs de la construction des provinces voisines ou autres provinces canadiennes.

Il existe également de nombreuses autres entraves au commerce, par exemple, dans le domaine des secteurs financiers, des services professionnels - je pense à l'Office des professions du Québec - de la législation du travail, des critères de protection du consommateur qui sont différents d'une province à l'autre, des critères de mobilité des travailleurs, des programmes de priorité accordés aux travailleurs d'une province, je pense au dossier Hibernia à Terre-Neuve. Les différents programmes d'achats préférentiels des organismes gouvernementaux, paragouvernementaux et municipaux sont également une entrave additionnelle à l'efficacité de notre processus de production entre les différentes provinces canadiennes.

La conclusion d'une entente commerciale avec les Américains devra permettre, en parallèle, la disparition graduelle mais définitive de toute entrave légale ou réglementée au commerce de l'est à l'ouest du Canada et de l'ouest à l'est du Canada.

On comprendra aussi que les marchés publics représentent un potentiel de débouchés excessivement significatifs pour le commerce international. Au Québec, les seuls achats du gouvernement du Québec représentent 6 000 000 000 $ et, si on ajoute à cette somme les achats des sociétés de la couronne du Québec, le total atteint est de 18 000 000 000 $. Les achats publics pour l'ensemble du Canada représentent 74 000 000 000 $ et les achats publics au niveau du gouvernement américain représentent 750 000 000 000 $. Le marché potentiel au niveau des gouvernements québécois, canadien et américain représente donc 824 000 000 000 $. Les politiques d'achat ont une importance très grande en ce qui concerne nos exportations vers les organismes gouvernementaux et publics américains.

Les gouvernements du Québec, du Canada et des États-Unis ont énormément de politiques et de réglementations qui visent à favoriser les fournisseurs locaux. Le gouvernement américain, par exemple, ne s'approvisionne à l'extérieur de son pays que pour 1 % des 740 000 000 000 $ de ses achats. Le gouvernement canadien achète à l'étranger pour 18% des 74 000 000 000 $ de ses achats globaux. Il devient donc important que l'entente bilatérale tende à diminuer les politiques favorisant les achats locaux, qu'elles soient d'ordre municipal, régional ou central, tant au Canada qu'au États-Unis.

De plus, aux États-Unis, nous connaissons les dispositions du "Buy America" et autres préférences locales qui affectent les exportations québécoises de minéraux industriels, de matériaux de construction, d'équipement de télécommunication, de composantes électroniques liées entre autres au secteur militaire.

On sait aussi que des normes qui se sont développées au niveau de la protection de la santé peuvent avoir des effets négatifs sur nos exportations, par exemple, l'amiante et le cadmium. Les politiques d'achat des États-Unis entravent le commerce dans le domaine du transport en commun, des véhicules à usage spécial, des véhicules routiers. Au niveau de la défense américaine, on identifie des entraves dans l'aéronautique et la construction navale. Ces entraves dans ces domaines nous ont déjà coûté des déplacements d'usines du Québec vers les États-Unis, je pense particulièrement au cas de Bombardier.

Également, les gouvernements se font la lutte au niveau des subventions directes ou indirectes aux politiques d'achats locaux. Nous pouvons également identifier des contraintes législatives telles que, par exemple, le "Jones Act" qui prohibe l'importation de navires étrangers lorsque ces navires font du cabotage dans les zones territoriales américaines. Nos négociations doivent aussi prévenir l'expansion injustifiée des normes environnementales exclusivement nationales qui, souvent, ont pour effet de limiter les importations entre nos deux pays. Toutes ces considérations sur les politiques d'achat ouvrent la porte à un élargissement de l'éventail des marchés accessibles du Québec et du Canada vers les acheteurs publics des États-Unis.

Nous avons récemment été en mesure de constater, au niveau du bois d'oeuvre, de la potasse, des bardeaux de cèdre et de l'acier, que le Congrès américain est très soucieux, dans ses interventions, de protéger les producteurs américains particulièrement en ce qui a trait à certaines importations qui sont jugées nuisibles à l'industrie américaine à cause de la prétendue aide reliée à ces exportations vers les États-Unis de la part d'organismes gouvernementaux du Canada ou du Québec. (22 h 15)

Les États-Unis ont souvent tenté et réalisent, dans certaines circonstances - on l'a vu pour les bardeaux de cèdre, pour le bois d'oeuvre, pour la potasse - l'application de droits compensatoires qui ont des effets, par comparaison, très différents sur nos entreprises canadiennes, si on compare les effets que de telles décisions canadiennes auraient sur des entreprises américaines.

L'entente commerciale devra prévoir des précisions très formelles afin d'éviter, dans la plus grande mesure possible, toute référence possible à un organisme de règle-

ment des disputes, tout en excluant l'application au Canada des législations américaines visant à imposer, par exemple, des droits compensatoires ou à entraver le libre commerce entre les deux pays lorsque ce libre commerce est considéré comme nuisible pour une certaine partie de l'industrie américaine.

Chaque pays a son système de protection en ce qui concerne la propriété intellectuelle. Il y aura lieu d'harmoniser ces différents systèmes et de réviser les prévisions légales de chaque pays relativement au droit d'auteur, au dessin industriel, aux brevets d'invention, aux secrets de fabrique, aux marques de commerce, le tout dans un contexte éventuellement multilatéral.

Dans le but de protéger temporairement certaines industries locales, l'entente bilatérale devra prévoir des conditions appropriées pour permettre l'adaptation de certains secteurs de production à nous, les Canadiens et les Québécois, à ce nouveau marché de 240 000 000 de clients éventuels.

Il appert que l'industrie du meuble résidentiel pourrait être négativement touchée par l'entente commerciale. Les négociateurs devront donc prévoir une période de transition relativement longue dans le but, non seulement de protéger les acquis des producteurs de meuble résidentiel, mais de leur permettre de développer leur processus de production en rapport avec le nouveau marché de 250 000 000 de clients éventuels et de devenir ainsi concurrentiels au niveau États-Unis/Canada.

Par contre, l'industrie du meuble et des fournitures de bureau n'aura pas à subir de tort et pourra s'adapter rapidement.

Les industries du textile qui représentent 167 000 emplois au Canada, dont ta majorité au Québec, on devra leur accorder une attention particulière et préciser des programmes d'adaptation qui devront leur permettre, encore une fois, de s'adapter au nouveau marché en respectant bien entendu également l'Arranqement Multifibre et le dernier renouvellement de cet arrangement en 1986 jusqu'à à peu près 1992.

La construction navale connaît actuellement une période très difficile sur le plan mondial. Cette constatation s'applique également au Canada et au Québec. La province de Québec contient d'importants chantiers de construction navale, plus particulièrement à Montréal, Sorel et Lauzon, dans mon comté.

Même si les experts en construction maritime s'accordent à dire que nos chantiers navals ne sont pas actuellement compétitifs sur le plan mondial, on s'accorde fort bien cependant sur le fait que nos chantiers de construction navale sont très bien organisés pour concurrencer, au niveau de la compétitivité et de l'efficacité, les chantiers navals américains.

Cependant, le "Jones Act" qui protège les constructeurs de navires américains, en prévoyant l'obligation pour tout armateur américain qui navigue à l'intérieur des eaux territoriales des États-Unis, d'utiliser un navire construit aux États-Unis, ce "Jones Act" est très préjudiciable aux chantiers maritimes canadiens et la disparition de son application sera très significative pour les travailleurs canadiens qui oeuvrent dans la construction de navires» Sa disparition devrait se faire à l'intérieur de nos ententes qui devraient être signées.

Les services professionnels et commerciaux procurent de l'emploi à plus d'un million de Canadiens et génèrent des revenus de plusieurs milliards de dollars annuellement. L'expertise des Canadiens est reconnue à travers le monde au niveau de la haute techbnologie, des services d'informatique, de télécommunication, d'ingénierie technique, de conseil en management de télécommunication.

On sait que le Québec se situe au quatrième rang mondial pour l'importance des effectifs reliés aux disciplines précédemment énumérées. En 1983, 30 % du travail de consultation au Canada était réalisé par des entreprises québécoises. En 1987, trois des cinq plus grandes entreprises canadiennes en consultation sont québécoises.

L'entente commerciale bilatérale consacrera un marché acquis aux entreprises canadiennes de services professionnels et commerciaux et leur permettra un accès beaucoup plus facile aux secteurs du matériel de la défense et des services informatiques.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous invite à conclure parce que...

M. Fontaine: Très bien.

Le Président (M. Charbonneau): ...le temps est presque terminé.

M. Fontaine: M. le Président, j'aurais quelques considérations à apporter sur l'agriculture si vous me permettez une minute de plus. On sait que le gouvernement fédéral, dans sa motion sur le libre-échange, a décidé de respecter les acquis des agriculteurs. Je m'étendrai sur ce sujet au cours de la période des questions. Je veux mentionner que le Conseil économique du Canada a mentionné des privilèges significatifs pour les consommateurs canadiens, une diminution des prix de 6 % en moyenne.

Pour conclure d'une façon formelle, je dirai que le marché américain procure actuellement aux Canadiens un emploi sur quatre. Les effets du protectionnisme américain, à moins d'être prévenus par une entente positive, coûteraient 500 000 emplois

à nos travailleurs et nos travailleuses canadiens. Une entente, si elle est signée, créerait 350 000 nouveaux emplois dans un premier temps. Seuls les Canadiens et les Canadiennes inefficaces ou qui veulent cacher leur inefficacité peuvent être contre une entente commerciale. Nous vivons de plus en plus dans un village mondial. Â chacun sa spécialité et sa compétence. Les lois immuables de la nature et de l'économie ne peuvent plus supporter les entraves. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Fontaine, je vous remercie. M. le ministre.

M. MacDonald: M. Fontaine, je vous remercie d'avoir décidé de présenter, j'ai bien compris, à titre personnel une étude assez détaillée des implications d'un traité éventuel de libéralisation des échanges avec les États-Unis. Enfin, votre document devrait probablement circuler plus parce qu'il rend, tout en n'étant certainement pas simplet, simples certaines notions qu'on a de la difficulté à transmettre au public. Vous êtes clair dans la majorité de vos exposés. Il y en a un sur lequel - vous ne m'en voudrez pas - le député de Bertrand et moi-même sommes d'accord, c'est le domaine de l'aérospatiale. Vous avez abordé ce sujet tout particulièrement. Pourriez-vous nous donner une idée de ce que pourrait représenter pour ces industries qui sont généralement concentrées au Québec, comme vous l'avez mentionné, et qui s'ouvriraient ou pourraient s'ouvrir sur le marché américain... Quelles sortes de conséquences pourrait avoir un traité de libéralisation des échanges sur ce secteur si important de notre industrie québécoise?

M. Fontaine: Par exemple, l'industrie québécoise dans l'avionnerie et dans la construction d'hélicoptères vient de se mettre sur la mappemonde récemment d'une façon assez significative. Je pense que, par l'accès aux énormes contrats des organismes gouvernementaux américains, avec l'ingéniosité et l'agressivité des entrepreneurs canadiens, il y a un marché à conquérir qui est très significatif. Le quantifier aujourd'hui, c'est un "guess" que je ne peux pas me permettre, mais c'est un marché public de près de 750 000 000 000 $ aux États-Unis. Je pense qu'on a d'énormes ouvertures de ce côté.

M. MacDonald: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. J'ai bien compris, moi aussi, que vous étiez là à titre personnel et non pour le gouvernement. Vous comprendrez que c'est curieux de voir un député du gouvernement fédéral dans ce contexte venir s'exprimer ici à l'Assemblée nationale. Mais, chacun ayant ses droits, je vous remercie de l'effort et de l'apport que vous y donnez.

J'aimerais que vous m'expliquiez bien simplement comment vous pouvez concilier cette précaution que vous avez concernant la protection de la propriété intellectuelle que chaque pays doit s'assurer de protéger dans votre exposé de la propriété intellectuelle à la page 13, avec votre exposé à la page 8 où là aussi vous défendez en tant que Québécois, j'imagine, la spécificité québécoise. En d'autres mots, comment pouvez-vous concilier cette propriété intellectuelle que chaque pays se doit de protéger et la spécificité québécoise qui se doit d'être exclue de toute entente Canada-Etats-Unis?

M. Fontaine: M. le député, je vais répondre à votre question, mais vous m'avez fait une ouverture pour justifier un peu ma présence ici. Ma présence ici a pour but également de donner l'occasion à ceux qui sont ici et qui représentent les deux partis politiques... Vous avez légiféré sous votre gouvernement et ce gouvernement a continué de légiférer, par exemple, le programme d'épargne-actions, le REA. Lorsque vous avez légiféré le programme REA, vous avez développé des assises financières à de nouvelles entreprises et je vois aujourd'hui dans le fait que vous épaulez les négociations bilatérales d'une façon significative que vous êtes logique avec vos politiques antérieures et les entreprises auxquelles vous avez permis de bonnes assises financières vont pouvoir maintenant avoir un accès plus facile au marché américain. C'est l'une des choses que je voulais vous dire ce soir.

Lorsque vous me parlez de la propriété intellectuelle, vous savez que les négociations n'ont pas pour but de mettre en danger la culture et l'aspect de la société distincte du Québec, mais la propriété intellectuelle peut s'appliquer à autre chose. Elle s'applique par exemple, ces temps-ci - là encore, votre gouvernement à deux reprises, unanimement, a donné un grand appui à mon propre gouvernement - aux brevets; la loi sur les brevets permettrait à des entreprises d'être plus sûres en ce qui concerne les profits à retirer de leurs découvertes par la suite. C'est dans ce sens qu'on doit protéger la propriété intellectuelle et les Américains désirent savoir de quelle façon on entend la protéger. Je pense qu'ils examinent actuellement un échantillon concernant le "Bill" C-22 qui est retenu au Sénat.

Le Président (M. Charbonneau): M. le

député de Taschereau.

M. Leclerc: Merci, M. le Président. M. Fontaine, je voudrais d'abord vous remercier de vous être présenté devant nous avec un mémoire aussi bien fait. Je dois vous dire qu'on est peu habitués en cette Chambre d'avoir des avis aussi clairs de la part d'un député de Lévis,

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Leclerc: Cela dit et pour vous tendre une perche, parce que j'ai bien vu que vous n'aviez pas eu le temps de vous exprimer comme vous le vouliez sur l'agriculture, j'aimerais que vous preniez une minute ou deux pour nous exprimer votre position sur l'agriculture.

M. Fontaine: On sait que l'agriculture est une entreprise où on connaît beaucoup de garanties de commercialisation, de quotas. C'est très réglementé et je pense que les négociations concernant l'agriculture, si elles donnaient ouverture à des applications immédiates, auraient pour effet de mettre en péril beaucoup de nos produits agricoles, excluant les carcasses de porc et le porc vivant. Pour le lait, il y a des quotas, pour les poulets, les oeufs, le boeuf, etc. Dans la motion que mon gouvernement a déposée, il a été bien convenu que les négociations n'allaient pas toucher au système de commercialisation actuellement en place au pays et le très honorable Joe Clark l'a également spécifié à la Chambre des communes et le ministre de l'Agriculture, John Wise, l'a également spécifié parce que c'est important que les agriculteurs, les producteurs agricoles connaissent la position du gouvernement et l'avenir des négociations. C'est tellement important que leurs propres créanciers, les institutions prêteuses qui avancent des fonds aux agriculteurs, se sont questionnés et ils commencent à voir plus clair et à comprendre que les systèmes de commercialisation ne seront pas affectés. S'ils l'avaient été, ce sont les prêteurs qui auraient mis les agriculteurs en grande difficulté. Pour toutes ces raisons, les questions agricoles ne feront pas l'objet d'un accord. Elles seront traitées ultérieurement, et c'est normal, à l'intérieur des accords du GATT. Cela a été un sujet qui a été proposé à la conférence de Tokyo pour qu'on inclue les questions d'agriculture dans le GATT. Si les questions d'agriculture sont incluses dans le GATT, cela deviendra moins difficile pour les Canadiens de s'adapter, parce qu'on sait qu'en Europe, lorsqu'il y a une piastre de produits agricoles, il y a 0,70 $ de subvention, aux États-Unis, il y a 0t50 $ de subvention et au Canada, il y a 0,16 $ de subvention. Si on faisait abstraction de tout le système de subvention des gouvernements d'Europe et de celui des États-Unis, nos agriculteurs canadiens seraient les gagnants. Mais cela fera partie d'ententes dans le GATT avec 92 autres pays. (22 h 30)

M. Leclerc: M. Fontaine, vous êtes un député de la région de Québec. Le chantier maritime de Lauzon est situé dans votre circonscription é!ectorale, mais les travailleurs de ce chantier proviennent de toute la région et aussi de mon comté. Je voudrais qu'on prenne quelques instants pour regarder d'un peu plus près votre position pour ce qui est de la construction navale. Vous avez semblé dire qu'avec le "Jones Act", dans l'éventualité de la ratification d'un accord, cet effort serait tout à l'avantage des chantiers maritimes et, par conséquent, du chantier maritime qui est situé dans votre circonscription électorale. Cependant, les chantiers maritimes au Canada sont fortement subventionnés. Les chantiers maritimes bénéficient d'un préjugé fort favorable du gouvernement fédéral qui leur donne des contrats et, parfois, sans soumission. J'aimerais que vous expliquiez votre point de vue parce que ce que j'ai compris enfin, c'est que vous êtes certain que l'accord sur le libre-échange ne serait favorable qu'aux chantiers maritimes canadiens. Je vous avoue que j'aimerais avoir un peu plus d'éclaircissement là-dessus.

M. Fontaine: Je vous remercie beaucoup de penser à mes chantiers. Vous y pensez ce soir et c'est pour moi l'occasion également de rendre hommaqe au gouvernement, à la province de Québec, qui a bien voulu s'impliquer au mois de mars 1987. M. MacDonald était d'ailleurs présent. Au mois de mars 1987, la province de Québec, par l'entremise d'une de ses compagnies publiques qui s'appelle la Société générale de financement et d'une filiale de cette dernière, Marine Industrie, a décidé d'acheter des commandes parce que les actifs, à ce moment-là, étaient des actifs en potentiel. Elle a décidé de s'impliquer, d'y mettre de l'argent, de réorganiser et de développer des meilleures assises, des immobilisations additionnelles, de spécialiser les chantiers de Montréal, Sorel et Lauzon. Votre implication de ce soir... mais l'autre a été pour moi très importante parce qu'elle a assuré 1300 emplois en permanence. Ce sont peut-être les 1300 qu'on veut avoir à Montréal avec l'industrie pharmaceutique. Vous me permettrez de faire de la politique de temps en temps. C'est quasiment mon métier, M. Leclerc.

Si l'entente bilatérale est signée, les entraves au commerce disparaissant, le "Jones Act" doit disparaître. Avant son apparition, nous étions compétitifs et le niveau de compétitivité des Américains et des Canadiens dans le domaine de la

construction de navires est à peu près semblable. Lorsque nous pourrons soumissionner sans cette entrave du "Jones Act", on pourra obtenir des contrats de ceux qui font le commerce de navires et du transport dans les eaux intérieures des États-Unis et cela va certainement nous faire avoir des commandes additionnelles à Lauzon, à Montréal, à Sorel, dans le Québec et dans le Canada.

Le Président (M. Charbonneau): On va respecter l'alternance. J'ai seulement deux brefs commentaires à faire avant de donner la parole à un autre collègue. Comme vous y êtes sans doute habitués depuis le début de ces travaux, le président intervient et c'est à mon tour cette fois-ci.

Un premier commentaire. J'ai été un peu surpris, M. Fontaine, de vous entendre tantôt quand vous avez dit: Finalement, seuls les gens inefficaces sont contre le libre-échange. J'ai l'impression que c'est un peu vite comme affirmation. Je pense qu'il y a beaucoup d'entreprises qui sont actuellement craintives, vulnérables, et leurs craintes n'ont rien à voir avec leur inefficacité ou leur efficacité. Je pense qu'elles ont des raisons très objectives de craindre compte tenu de leur situation, de leur capacité de concurrence à court terme et des difficultés historiques, parfois, de certains secteurs industriels du Québec d'avoir pu se développer comparativement à d'autres régions du Canada. Je pensais simplement à l'Ontario.

Deuxièmement, je crois qu'il y a bien des travailleurs et des travailleuses qui sont inquiets, à juste titre. Pas parce qu'ils sont inefficaces dans leur entreprise, mais simplement parce qu'ils se demandent si ce ne sont pas eux qui vont payer la note. Toutes les études nous l'indiquent, tout le monde qui a fait des études s'est entendu sur le fait qu'il y aurait des perdants. On nous dit: II y aura plus de gagnants que de perdants. Mais le problème, c'est qu'on nous a dit aussi qu'il y aura des perdants. Personne ne peut dire exactement qui seront ces perdants-là. Ce sont des pères et des mères de famille qui travaillent, qui ne veulent pas payer la note et qui ne veulent pas se retrouver à 50 ans en recyclage sur les bancs d'école sans nécessairement avoir la garantie qu'après coup ils retrouveront un emploi rémunérateur pour pouvoir faire vivre leur famille. Je pense que c'est important et c'est à cet égard que j'introduis mon deuxième commentaire. Ce qui m'étonne de la part de votre gouvernement, vous l'avez qualifié comme ça... Vous conviendrez avec moi que vous êtes plus un...

M. Fontaine: ...leader.

Le Président (M. Charbonneau): C'est ça. Vous maintenez ce qouvernement au pouvoir comme je l'ai fait quand j'étais député ministériel non ministre. Le gouvernement conservateur pas plus que le gouvernement libéral actuellement n'a entrepris de démarche pour mettre en place des politiques pour l'adaptation de la main-d'oeuvre. Rien n'a été amorcé ni pour la mise en place de programmes qui suivraient un accord de libre-échange, ni pour le financement, même partagé, de ces mesures-là. Dans ce sens-là, on ne parle même pas du problème constitutionnel de la juridiction du Québec dans le domaine de la formation professionnelle.

Comment peut-on venir faire un plaidoyer pour le libre-échange sans nous donner l'assurance qu'un minimum de choses doivent être faites? ...ces choses-là ont été faites alors que, on le sait très bien, ces choses-là n'ont pas été faites. Je vous rappelle simplement toute la question de la préparation de la main-d'oeuvre. Qu'est-ce qui se fait au niveau du gouvernement fédéral qui ne serait pas connu, qui n'aurait pas été dévoilé jusqu'à maintenant et qui pourrait nous rassurer et rassurer, finalement, les travailleurs et travailleuses du Québec quant aux conséquences éventuelles d'un accord de libre-échange?

M. Fontaine: Vous avez raison lorsque vous dites qu'il y a des craintes de la part de certaines entreprises qui se sentent vulnérables. Il faut dire également qu'il y a des gagnants en quantité beaucoup plus importante au niveau des consommateurs. Je répète que les consommateurs sortent toujours gagnants d'une négociation réussie.

En ce qui concerne les manufacturiers, ceux qui sont dans le processus de production, il y a 6 secteurs sur 30 définis par Statistique Canada qui sont supposés connaître des difficultés. Les négociateurs canadiens négocient pour le Canada. Il est sûr que dans leur négociation ils et elles conviendront des processus d'adaptation qui s'étendront sur un certain nombre d'années. Ils tiendront compte également des responsabilités constitutionnelles des provinces et du Québec en particulier en ce qui concerne la formation professionnelle, etc. Ce sont des étapes qui seront conséquentes à une entente nécessaire. Une fois que ces entreprises auront reçu une aide substantielle également demandée par la province de Québec, une aide de transition et d'adaptation, je pense qu'ensuite tout l'intérêt des entreprises canadiennes n'en sera que mieux servi.

Le Président (M. Charbonneau): J'espère simplement que, si tel était le cas, si l'accord intervenait, les fonds fédéraux existeront pour financer ces programmes-là.

M. le député de Vanter.

M. Lemieux: M. le Président... Est-ce que cela va, M. le député de Roberval? Oui, très bien, M. le député de Roberval, malgré l'heure tardive. M. le député de Lévis, effectivement votre mémoire est très intéressant parce que, dans un premier temps, il reprend peut-être les grands objectifs visés par les négociations, mécanismes de règlements de différends, mesures de protection exceptionnelle. Il est aussi intéressant parce que vous nous suggérez quand même un mécanisme de règlement ' des différends par la mise en place d'un organisme bilatéral. Vous nous proposez aussi l'abolition de certaines barrières interprovinciales. Vous faites un survol général du libre-échange sur certains secteurs économiques. On pense à l'industrie du meuble, du textile ou du vêtement comme tel.

Je dois vous avouer que, et je le dis bien objectivement, je ne suis pas habitué à autant de profondeur, devrais-je dire de logique, de cohérence de la part, dirais-je entre guillemets, "de votre homonyme" qui se situe sur la rive sud et qui siège au provincial.

M. Gauthier: S'il vous plaît, M. le Président. Question de règlement.

M. Lemieux: Je n'ai pas terminé, M. le député de Roberval.

M. Gauthier: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Charbonneau): Oui. Allez-y.

M. Gauthier: M. le Président, il m'apparaît que c'est la deuxième fois qu'un député de la formation ministérielle ce soir, sans aucune espèce de raison, s'en prend au représentant des citoyens de Lévis à l'Assemblée nationale. D'autant plus qu'ils le font absolument gratuitement sans aucune espèce de motivation à ce moment-ci sinon celle de profiter peut-être des caméras de télévision qui ne leur appartiennent pas assez souvent pour essayer de faire ce qu'on n'avait pas fait depuis le début de la commission parlementaire et ce qu'on n'a pas l'intention de faire de ce côté-ci, c'est-à-dire profiter du sérieux du travail de cette commission pour porter ce qu'on appelle des coups bas ici, en commission parlementaire, qui n'ont absolument rien à voir avec la nature de nos travaux, qui n'intéressent probablement pas M. Fontaine.

M. Lemieux: M. le Président, sur la question de règlement.

Le Président (M. Charbonneau): Oui, sur la question de règlement, je vous inviterais à...

M. Lemieux: Sur la question de règlement, écoutez, je rejoins les préoccupations du député de Roberval. Je suis complètement en accord avec lui sauf que, instinctivement, je ne suis pas habitué à cela. On procède sans démagogie, tout simplement et sans politicaillerie. Je rejoins le député de Roberval sur son argumentation. Je pense que nous nous devons de conserver ce haut niveau de professionalisme que la commission a connu.

Le Président (M. Charbonneau): Je vnus inviterais de part et d'autre à ne pas faire indirectement ce qu'on ne veut pas faire directement. Je pense qu'on s'est entendu dès le départ de la commission qu'il n'y aurait pas de partisanerie inutile et mesquine. Je pense que le ministre et les critiques s'étaient déclarés pour une approche comme celle-là. Jusqu'à maintenant, cela s'est bien déroulé, mais je pense que par ailleurs il faut aussi respecter nos collèques qui ne sont pas ici pour se défendre. Il ne s'agit pas de faire de3 attaques indirectes quand les gens ne sont pas capables d'être ici pour se défendre.

M. Lemieux: Je suis pleinement d'accord avec vous.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Vanier, vous êtes vous-même président d'une commission. Alors, je demanderais votre collaboration pour que vos propos concernent directement le sujet qui est devant nous.

M. Lemieux: Je suis pleinement d'accord avec vous, M. le Président. Si dans ce cas on en arrivait à une chose pareille en ce qui me concerne je trouverais cela odieux, permettez-moi de vous le dire.

J'aimerais peut-être vous poser une question, M. le député de Lévis, M. Lafontaine. Croyez-vous que le statu quo est possible si les négociations comme telles ne donnaient pas les résultats escomptés?

M. Fontaine: M. Lemieux, mon nom c'est Fontaine.

M. Lemieux: M. le député de Lévis, oui, M. Fontaine. Ce que je vous demande, M. Fontaine, M. le député de Lévis, c'est: Est-ce qu'effectivement...

M. Fontaine: Oui, je vais... C'est parce que vous avez dit: M. Lafontaine.

M. Lemieux: Ah! Je m'excuse.

M. Fontaine: C'est simplement pour corriger. Je pense que, si les négociations

n'aboutissent pas d'une façon concluante et positive, c'est-à-dire à une signature dans le sens qu'on le désire actuellement, en plus d'avoir des droits compensatoires qui se sont appliqués sur le bois d'oeuvre, sur le bardeau de cèdre, sur la potasse, vous savez qu'actuellement aux États-Unis, cette semaine, parmi les sénateurs et parmi les congressistes, on est en train de choisir des représentants de ces deux Chambres-là pour obtenir un consensus sur le fameux "Trade Bill" qui va être une nouvelle loi très protectionniste qui serait présentée à l'administration à la fin du mois de septembre. Le "Trade Bill" va développer d'énormes assises additionnelles pour que les Américains puissent prendre des mesures de protection contre l'importation de produits, il va ouvrir toutes sortes de portes. Non seulement ça devient des possibilités offertes par une loi protectionniste, mais, dans certains cas, si le "Trade Bill" passe, il y aura obligation de la part des législateurs de prendre des mesures.

Par exemple, il y a une porte ouverte dans le "Trade Bill": si un commerce entre deux pays est trop excédentaire pendant un certain temps en faveur, par exemple, du Canada versus les États-Unis, sans aucune autre raison le "Trade Bill" prévoirait immédiatement des mesures compensatoires même s'il n'y a pas de subventions, même si c'est juste dû à la supériorité du processus de production des Canadiens. (22 h 45)

Alors, si on n'aboutit pas dans nos négociations, il y a le "Trade Bill", il y a aussi les mesures compensatoires, les mesures de sauvegarde. Il y a un danger, d'après le Conseil économique du Canada. On sait qu'il y a un travailleur sur quatre - on a 11 000 000 de travailleurs au Canada, ça veut dire à peu près 2 900 000 - qui travaille parce qu'on exporte. Si on ne signait pas d'entente, à cause du réveil américain... Ils ont 15 000 000 000 $ par mois de ce temps-ci de déficit, 170 000 000 000$ par année. Alors, ils veulent l'arrêter, ce déficit entre leurs exportations et leurs importations. Ils vont prendre les moyens. Et, dans notre négociation actuellement, premièrement, c'est très important de protéger nos acquis à travers le Canada et au Québec également. C'est essentiel.

M. Lemieux: Merci, M. Fontaine.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le député de Roberval.

M. Gauthier: Merci, M. le Président. M. Fontaine, à la page 9 de votre mémoire, vous faites état des entraves au commerce entre les provinces et je me permets de vous citer: "La conclusion d'une entente commerciale avec les Américains devra permettre, en parallèle, la disparition graduelle, mais définitive de toute entrave légale ou réglementée au commerce de l'est à l'ouest du Canada ou de l'ouest à l'est du Canada".

M. Fontaine, parmi ces entraves, vous en identifiez un certain nombre et, entre autres, le décret de la construction du Québec, l'Office des professions du Québec, la législation du travail, entre autres, du Québec qui est particulière, les critères de protection du consommateur, les critères de mobilité des travailleurs. M. Fontaine, à votre point de vue - c'est votre point de vue personnel, ce n'est pas celui du gouvernement, j'imagine - est-ce que vous en faites une condition sine qua non, c'est-à-dire que, si on veut qu'un traité de libre-échange fonctionne avec les États-Unis, il faut absolument en arriver à l'abolition de ce que vous appelez des entraves au commerce interprovincial?

M. Fontaine: M. le député de Roberval, d'abord, lorsque je parle des entraves et que je donne des exemples, je donne des exemples du Québec; vous me permettrez de connaître mieux le Québec que les autres provinces, même si je suis un député fédéral. Alors, c'est pour cela que j'ai donné des exemples d'ici, mais je ne qualifiais pas l'opportunité de telle ou telle chose par comparaison avec une autre entrave éventuelle qui viendrait d'une autre province.

On négocie avec les États-Unis et le but de nos négociations, c'est d'enlever les tarifs, d'enlever les entraves du nord au sud. Parce que de plus en plus on vit, nous du monde occidental, dans un grand village où il y a des habiletés qui sont reliées à des situations géographiques, de climat, etc., alors ça aussi, c'est vrai de l'est à l'ouest. Si on admet qu'il faut éliminer les entraves du nord au sud pour se donner un marché, il faut admettre aussi qu'il y a des compétences, dans certaines parties du pays, plus grandes pour certaines sortes de productions. Alors, c'est pour cela qu'il faut, à un moment donné, diminuer d'une façon progressive, bien orchestrée et bien articulée pour ne faire de plaie incurable à personne... De la même façon que je conseille des procédures d'adaptation pour les industries, il faut également planifier sur un certain nombre d'années des mesures favorisant la disparition des réglementations différentes entre les provinces, autrement dit, des entraves au processus de production provincial.

M. Gauthier: M. Fontaine, si vous le permettez, un traité de libre-échange tel que préconisé par le gouvernement canadien fait état de l'abolition des tarifs douaniers et des barrières qui, actuellement, perturbent en

quelque sorte le commerce entre les deux pays. Mais en aucun temps je n'avais compris - et je ne sais pas si c'est là votre compréhension - qu'un traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis amènerait les États-Unis, par exemple, ou les États américains à changer les réglementations qui leur sont propres et qui sont souvent des acquis de plusieurs années et d'une évolution bien différente d'un État à l'autre. Je n'avais pas compris que les exigences canadiennes pourraient être d'amener les États entre eux à abolir des réglementations, des faits de la vie courante qui sont le résultat de législations de plusieurs années passées. De même, je n'avais pas compris que cela impliquait au Canada que les provinces se préparent - je ne sais pas si le ministre du Commerce extérieur l'avait compris comme cela - à éliminer un paquet de législations qui sont aussi le fruit d'une évolution et, dans le cas du Québec, du caractère propre de la société québécoise qui n'a pas nécessairement évolué avec exactement les mêmes priorités que les autres sociétés des autres provinces du Canada qui ont peut-être des préoccupations d'ordre différent.

Est-ce là vraiment la compréhension qu'on doit avoir, selon vous, d'un traité de libre-échange?

M. Fontaine: Oans le mémoire, il y a une certaine partie que je n'ai pas pu lire, mais je parie également du fait que les Américains, eux aussi, devront procéder à une révision de leurs législations dans certains États. Par exemple, en ce qui concerne les investissements et finances, on a un cas pratique aujourd'hui: la Banque de Montréal achète une firme de courtage canadienne qui s'appelle Nesbitt Thomson et aux États-Unis. Or, on ne peut pas permettre qu'une banque ait des activités dans deux Etats et cela implique que Nesbitt Thomson devra vendre une de ses filiales aux États-Unis pour satisfaire à des règlements entre États aux États-Unis.

Si ici on ne modifie pas certains règlements provinciaux, par exemple, en ce qui concerne les brasseries, si on ne permet pas à une brasserie de centraliser ses opérations, de les rationaliser davantage, ce sera difficile pour cette brasserie quelle qu'elle soit de concurrencer la brasserie américaine dans le contexte du libre-échange. Alors, c'est dans ce sens-là qu'il va falloir repenser nos législations respectives d'une province à l'autre pour permettre à nos entreprises de devenir compétitives versus la grosse clientèle de 250 000 000 d'Américains.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, peut-être en conclusion étant donné que l'heure passe assez rapidement. Sur les commentaires que vous apportez à la page 10, j'ai beaucoup de préoccupation quant à la politique d'achat. Vous mentionnez qu'à toutes fins utiles, à la suite d'une entente bilatérale canado-américaine, on devra laisser tomber nos politiques favorisant les achats locaux. Je me permets juste de vous dire que j'ai beaucoup de préoccupation, je ne peux pas être en accord avec vous.

En terminant, étant donné que le temps est à peu près écoulé, M. Fontaine, puisque vous semblez être bien au fait - d'ailleurs, on en a appris plus ce soir sur l'état des négociations que le ministre a pu nous en dire depuis 18 mois, je suis persuadé, que vous auriez avantage à rester avec nous tout au cours de la commission parce que vous nous tenez au courant de ce qui est en train de se négocier et je suis sûr que vous allez avoir des entretiens très fructueux avec le ministre - pensez-vous qu'il va y avoir un traité dans dix-sept jours, selon vous, en tant que député?

M. Fontaine: Oui. Je vous remercie de me l'avoir soufflé, mais je pensais réellement qu'il y en aurait un, certainement. Je suis optimiste. Le gros point qui restait, c'était le fameux organisme de règlement des disputes. Il semble y avoir, depuis une couple de jours, une ouverture significative. Deuxièmement, j'ai été très flatté par le dernier éditorial du Wall Street Journal qui commente le développement des négociations. Je pense que c'est un média très important aux États-Unis et que son implication dans le déroulement des quinze prochains jours peut avoir une influence. Cela nous manifeste que les Américains sont, eux aussi, très intéressés à faire affaire avec nous à l'intérieur d'une nouvelle entente. C'est utile pour eux, pour conserver 20 % de leurs exportations. 20 % de 400 000 000 000 $, c'est déjà important. C'est utile dans les négociations du GATT d'ici quelques années. C'est utile aussi parce que nous sommes des amis et cela développe et cela cimente une amitié qui doit continuer.

Moi aussi, je dois tous vous remercier, messieurs du Quéhec, et, si cela vous adonne de passer à Ottawa, n'hésitez pas; nous aussi, nous sommes très accueillants et on va être aimables pour vous autres.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Fontaine, vous qui êtes aussi un monsieur du Québec, mais qui nous représentez à un autre niveau de gouvernement, nous vous remercions de cette participation à nos travaux. Pour ma part, c'est une première. Cela fait onze ans que je siège à l'Assemblée nationale et je pense que c'est la première fois que je vois un de nos collègues, comme j'ai l'habitude de le dire à

la blague, d'outre-frontières, venir devant nous témoigner. Je vous remercie d'avoir pris la peine de faire cet exercice, en espérant peut-être que cette première sera imitée à d'autres moments et sur d'autres sujets.

Sur ce, les travaux de la commission sont ajournés - je pense que tout le monde est d'accord - à demain, 10 heures, alors que nous aurons une journée chargée. Bonne nuit, tout le monde.

(Fin de la séance à 22 h 55)

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