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(Quatorze heures douze minutes)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Mesdames et messieurs les membres de la commission parlementaire de
l'économie et du travail, bienvenue à cette consultation
générale. Je voudrais également souhaiter la bienvenue aux
gens qui se retrouvent ici dans l'enceinte du Parlement, au salon rouge, et aux
téléspectateurs qui vont assister pendant les trois prochaines
semaines aux audiences de la commission parlementaire.
Je vous rappelle dès maintenant le mandat de la commission qui
nous a été donné par l'Assemblée nationale, soit de
procéder à une consultation générale afin de
recevoir les représentations de personnes et organismes en ce qui a
trait à la position québécoise concernant les
négociations sur la libéralisation des échanges
commerciaux qui sont présentement en cours entre le Canada et les
États-Unis.
Comme il n'y a pas de remplacement du côté de l'Opposition,
je demanderais au vice-président de la commission, le
député de Vimont, s'il y a des remplacements du côté
du groupe parlementaire ministériel,
M. Théorêt: Oui, M. le Président.
Effectivement, M. Georges Farrah, député des
Îles-de-la-Madeleine, est remplacé par M. Michel Tremblay,
député de Rimouski, M. Gilles Fortin, député de
Marguerite-Bourgeoys, est remplacé par M. Yvon Lemire,
député de Saint-Maurice, et M. Guy Rivard, député
de Rosemont, est remplacé par M. Jean-Guy Lemieux, député
de Vanter.
Je vous rappelle, M. le Président, pour l'enregistrement des
débats, que le premier ministre, M. Robert Bourassa, ainsi que le
ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique,
M. Pierre MacDonald, seront membres à part entière de la
commission et ce, pour la durée de la consultation
générale.
Le Président (M. Charbonneau): C'est exact, tout comme le
chef de l'Opposition est membre d'office de cette commission. Je rappelle
immédiatement, à ce moment-ci, avant de vous présenter
l'ordre du jour, que le président de la commission est un membre
à part entière et les membres réguliers de la commission
sont habitués à voir le président intervenir. Alors, je
n'ai pas l'intention de cesser cette bonne habitude sauf que c'est clair que,
dans la mesure où j'aurai à le faire, je le ferai dans le temps
qui sera imparti au groupe parlementaire de l'Opposition et selon les
règles en usage.
En ce qui concerne l'ordre du jour, on assistera d'abord à des
remarques préliminaires. Le premier ministre et le chef de l'Opposition
auront 20 minutes chacun pour présenter leurs remarques
préliminaires. Ils seront suivis du ministre du Commerce
extérieur et du Développement technologique, qui aura 25 minutes
tout comme le porte-parole de l'Opposition. Par la suite, nous aurons 30
minutes additionnelles pour d'autres remarques préliminaires qui
pourront être utilisées, par exemple, dans un échange entre
les porte-parole, le premier ministre et le chef de l'Opposition. Mais ce qui
est clair, c'est que le temps maximum que je viens d'indiquer, je vais
respecter la banque de temps afin qu'on puisse conserver le maximum de temps
pour nos invités.
Quant à eux, nous aurons d'abord, après les remarques
préliminaires, la présence de M. Pierre-Paul Proulx,
économiste de l'Université de Montréal. Par la suite,
l'Association du camionnage du Québec, et nous ajournerons vers 18
heures. Je vous indique immédiatement qu'il y aura une séance de
travail de quelques minutes pour approuver l'horaire des travaux pour la
semaine prochaine.
En soirée, nous recevrons la Centrale des syndicats
démocratiques, la CSD, qui sera suivie de l'Association des
propriétaires d'autobus du Québec et, finalement, nous entendrons
M. Gabriel Fontaine, député fédéral de
Lévis.
Alors, à moins qu'il y ait des questions sur l'organisation des
travaux, ce qui ne devrait pas causer trop de problèmes étant
donné que nous avons déjà eu une séance de travail
à cet égard, je vais immédiatement céder la parole
au premier ministre pour sa présentation d'ouverture. M. le premier
ministre.
Déclarations préliminaires
M.
Robert Bourassa
M. Bourassa: M. le Président, je vous remercie beaucoup.
Je veux souhaiter la bienvenue à tous les participants. Nous nous
étions engagés à faire une commission parle-
mentaire sur le libre-échange. Nous sommes évidemment en
pleine négociation, nous abordons la période la plus cruciale, la
période finale des négociations et nous avons voulu faire cette
commission parlementaire avant la conclusion de la première étape
des négociations.
J'aimerais dire ici que ce qui va se conclure ou ne pas se conclure le 4
octobre est une ratification ou une entente de principe par les
négociateurs américains et canadiens. Par la suite, les
différents gouvernements impliqués pourront examiner l'entente en
question et la ratifier ou refuser de la ratifier d'ici la fin de
l'année. Donc, il y aura possibilité après le 5 octobre
d'examiner cette entente de principe.
Je crois qu'il sera utile au gouvernement, même à ce
stade-ci des négociations, d'entendre les représentations des
différents groupes et des experts. D'ailleurs, depuis le début
des travaux préparatoires, au début de 1986, le gouvernement a
associé toutes les parties intéressées au processus de
détermination des intérêts du Québec et de sa
position. Au cours des prochains jours, à l'occasion des discussions sur
l'agriculture, sur les industries culturelles, sur le commerce, les petites et
moyennes entreprises, nous pourrons préciser davantage les positions du
gouvernement.
J'essaierai d'être le plus concis possible puisqu'il me sera
donné l'occasion tantôt de donner la réplique ou de
compléter mes remarques à la suite des propos du chef de
l'Opposition.
Le véhicule principal jusqu'à maintenant de cette
préparation à la négociation a été le
Comité consultatif sur la libéralisation des échanges
présidé par M. Jake Warren et le rapport du comité a
été rendu public hier. Depuis avril 1986, une cinquantaine
d'organismes ont été entendus et la majorité s'est
déclarée favorable. En mai 1987, on se le rappelle, il y a eu la
publication de l'essentiel de nos analyses sur l'ensemble des sujets qui font
l'objet des négociations et la synthèse, à ce jour, de ce
document a également été publiée.
Quel est l'enjeu, M. le Président, de cette négociation
sur le libre-échange ou sur un commerce plus libre? De fait, il s'agit
de viser à obtenir un commerce avec moins d'entraves, moins d'obstacles,
entre le Canada et les États-Unis. L'enjeu n'est pas de rechercher
l'établissement d'institutions supranationales comme il en existe,
notamment, au marché commun européen. Nous avons exprimé
au tout début de la négociation certaines réticences
mettant en relief les implications que pourrait avoir une intégration
économique trop poussée puisqu'elle pourra conduire, d'une
façon correspondante, à une intégration politique. Nous
avons signalé à ce moment-là, à plusieurs reprises,
ce phénomène de la dynamique interne qui existe dans le processus
d'intégration économique, c'est-à-dire qu'une entente
traditionnelle, classique, complète sur le libre-échange conduit,
avec une certaine logique commerciale et économique, à une union
douanière, laquelle conduit par la suite, à cause de la
mobilité de la main-d'oeuvre, du capital et des marchandises, à
un marché commun. Et là nous devons considérer à
cette étape-là, comme c'est arrivé dans d'autres
régions du monde, une communauté monétaire avec les
risques que cela comporte pour l'intégration politique. Mais ce n'est
pas l'enjeu en cause et c'est pourquoi nous avons une approche essentiellement
pragmatique comme, je crois, les Québécois la partagent.
Nous aurons donc l'occasion, au cours de cette commission parlementaire,
de constater que les points de vue dépassent les clans
idéologiques ou les lignes partisanes. Nous aurons tantôt M.
Pierre-Paul Proulx, comme vous l'avez dit; M. André Raynauld. Nous
aurons également des membres influents d'un autre parti politique que
connaît bien le chef de l'Opposition, M. Jacques Parizeau et M. Bernard
Landry, qui a publié un livre très intéressant à
cet égard. Le chef de l'Opposition me permettra de le mentionner,
d'autant plus que les droits d'auteur ne doivent pas aller à la caisse
du parti. Donc, on doit constater que l'ensemble des experts proviennent de
différents milieux idéologiques ou de différents
partis.
Mais pourquoi donc le Québec et le Canada sont-ils
intéressés à signer cette entente de libre-échange?
Il y a plusieurs raisons. II y a d'abord l'importance du commerce international
pour le Canada. Nous sommes l'un des pays qui dépend le plus, pour son
dynamisme économique, du commerce international. On sait que dans le cas
du Canada c'est environ le tiers de l'ensemble de son activité
économique qui provient du commerce international; environ 10 % dans le
cas des États-Unis; dans le cas du Japon, 12 %. Donc, pour nous, le
développement, le dynamisme du commerce international sont vitaux pour
notre économie.
La deuxième raison qu'on peut mentionner sur l'importance
d'arriver à une entente sur le libre-échange c'est cette
évolution actuelle du commerce international, cette évolution que
nous connaissons depuis quelques années, notamment avec l'apparition de
concurrents extrêmement efficaces et compétitifs, notamment dans
L'Asie de l'Est. Donc, les pays comme le Canada entre autres et ceux qui
dépendent beaucoup du commerce international pour leur progrès
économique sont obligés de tenir compte de la venue de ces
nouveaux concurrents qui rendent la concurrence plus difficile, qui
l'augmentent et la rendent plus exigeante.
Qu'est-ce que cette évolution du
commerce international a fait sur notre principal partenaire
économique que sont, comme on le sait, les États-Unis? Ils
représentent environ les deux tiers, et parfois 70 %, de l'ensemble de
nos exportations et de nos importations. Qu'est-ce que cette évolution a
créé chez nos partenaires américains? On le sait, pour la
première fois de son histoire, les États-Unis sont devenus un
pays débiteur après avoir été le pays
créancier le plus important du monde. Il y a eu un déficit
budgétaire énorme. Un déficit, également, dans le
commerce international, un déficit qui se maintient et qui demeure
très impartant malgré une évolution très rapide des
taux de change. On sait, par exemple, que malgré une
dépréciation du dollar américain depuis 18 mois d'environ
45 %, le déficit se maintient et augmente. Cela crée donc
beaucoup d'inquiétudes chez les Américains. J'étais
à Washington lundi et mardi dernier, j'ai rencontré plusieurs
experts américains. On m'a informé sur la situation politique
mais également économique et c'est évident qu'au
Congrès américain actuellement, alors qu'on discute des lois sur
le libre-échange, sur le commerce international, il y a beaucoup
d'inquiétudes qui s'expriment à un an des élections
générales. Donc, c'est un contexte dont on doit tenir compte et
qui, évidemment, a eu comme conséquences, depuis un an et demi,
plusieurs décisions américaines qui ont nui au commerce
international entre le Québec et le Canada. Donc, cette évolution
du commerce international qui a frappé l'économie
américaine a conduit les Américains à poser des gestes -
que ce soit dans le bois d'oeuvre ou la potasse ou le bois de cèdre ou
le porc ou le poisson, etc. - qui entravent ce commerce international entre le
Québec, le Canada et les États-Unis. Ces entraves et
décisions font des travailleurs les principales victimes.
Alors, notre but, c'est de négocier un traité de
libre-échange qui nous permette de corriger cette situation, dans toute
la mesure du possible, d'une façon pragmatique et pratique, encore une
fois sans but idéologique, et de permettre d'accroître la richesse
collective du Québec et le bien-être de l'ensemble de ses
citoyens.
Nous pouvons, très brièvement, évoquer d'autres
raisons qui nous justifient d'éliminer ou de réduire le
protectionnisme. Tout simplement la productivité. Le chef de
l'Opposition réfère très souvent à la
nécessité de la productivité de l'économie
québécoise. Les Américains sont également d'accord,
je l'ai dit à plusieurs reprises. J'ai été invité
à adresser la parole aux gouverneurs qui se réunissaient en
conférence annuelle à Traverse City au Michigan, il y a quelques
semaines. J'ai été à même de leur dire, à ce
moment-là, que s'ils étaient d'accord - et ils le sont - pour
accroître la productivité de l'économie américaine
devant la concurrence accrue de plusieurs pays, notamment le Japon, le
protectionnisme était le pire chemin pour devenir plus productif. Donc,
pour être productif, pour avoir des économies d'échelle, il
faut viser à moins d'entraves au commerce international entre le
Québec, le Canada et les États-Unis.
D'autres raisons nous incitent à être productifs. Le
vieillissement de la population qui, à moyen terme, va réduire la
population active de nos sociétés. Logiquement, cela doit nous
inciter à augmenter la production par tête, donc à
rechercher une plus grande productivité pour maintenir notre niveau de
vie et essayer de l'améliorer, si possible.
Une autre raison qui nous incite à éliminer ces entraves
et à être plus productifs, les déficits que l'ensemble de
nos sociétés et le Québec, depuis une dizaine
d'années, ont accumulés, des déficits énormes qui
constituent un poids pour la jeunesse d'aujourd'hui.
Il y a aussi le fait que le contexte actuel est favorable pour le
Québec, notamment, pour faire face à une concurrence accrue,
à certaines conditions. L'économie québécoise est
en bonne santé et on me permettra de citer quelques chiffres. On sait
que ce n'est peut-être pas la meilleure journée pour le chef de
l'Opposition d'entendre quelques chiffres étant donné le
résultat de l'élection partielle, hier, mais on me permettra de
les lui mentionner, parce qu'on me reprochait d'être cachotier en fin de
semaine, on reprochait au gouvernement de cacher ses bons coups. Alors, je fais
mea culpa et je vais citer quelques chiffres pour montrer comment
l'économie du Québec est en bonne santé.
On sait, par exemple, que depuis le début de l'année nous
avons créé une moyenne de nouveaux emplois, sur les huit premiers
mois, de 97 000. Si la moyenne se maintient nous pourrons obtenir près
de 100 000 nouveaux emplois pour 1987; 62 000 en 1986, 100 000 en 1987. Notre
objectif de création de nouveaux emplois est atteint. Nous nous
étions engagés à créer 80 000 nouveaux emplois par
année. Je pense que ceci mérite d'être dit. Peut-être
qu'on aurait dû le dire avant mais je pense que l'occasion est propice
pour le mentionner. Nous avons atteint l'objectif à 100 % de
création de nouveaux emplois. On sait que le taux de croissance au
Québec est l'un des plus élevés des sociétés
industrialisées, supérieur à la plupart des pays et nous
voulons le maintenir. D'ailleurs, un signe de confiance qui existe dans
l'économie québécoise c'est cette baisse du taux
d'épargne. Alors qu'on a atteint dans les années de grande crise
économique, dans les pires années de la crise économique
jusqu'à 18 % de taux d'épargne en 1981-1982, en 1987, le chiffre
est
d'environ 10 %. Donc, c'est la meilleure preuve que les ciyoyens du
Québec ont confiance dans notre avenir. (14 h 30)
M. le Président, il y a plusieurs études qui ont
été rendues publiques et d'autres qui le seront. On me permettra
de mentionner celle du Conseil économique du Canada, un organisme
très respecté dont on ne peut certainement pas contester le
sérieux, l'expertise et la pertinence. Comme on le sait, cette
étude a révélé que, dans une situation de
libre-échange, nous aurons, d'ici 1995, 350 000 nouveaux emplois. C'est
quand même un chiffre intéressant et qui nous permet d'envisager
cette négociation avec confiance, mais elle ne peut pas se faire
à n'importe quelle condition. Le ministre du Commerce extérieur a
mentionné à plusieurs reprises - et nous pourrons en parler
abondamment au cours des prochains jours -qu'il fallait des programmes de
réadaptation et pour les travailleurs et pour les entreprises. Il est
évident qu'il n'est pas question, qu'il n'a jamais été
question, d'établir le libre-échange sans période de
transition, sans protéger des secteurs bien précis comme celui de
l'agriculture, et nous l'avons fait constamment depuis le début des
négociations.
Disons au passage que le gouvernement du Québec est
étroitement impliqué dans cette négociation. Il faut
signaler ce fédéralisme de concertation de la part du
gouvernement fédéral et du premier ministre
fédérai, M. Mulroney, qui implique d'une façon aussi
étroite et régulière les différents gouvernements
des provinces dans un domaine qui est de juridiction fédérale.
Dans ces négociations qui sont entreprises par le gouvernement
fédéral au nom du gouvernement et des provinces, nous avons
l'occasion d'insister constamment sur les priorités du Québec, et
le ministre du Commerce extérieur et son équipe dirigée
par M. Warren.
Donc, M. le Président, en concluant, avant de reprendre la parole
probablement tantôt à la suite du chef de l'Opposition, nous
avons, sur cette question, une approche essentiellement pratique. En jargon, on
peut dire une approche coûts-bénéfices. Qu'est-ce qu'il en
coûte à l'économie québécoise d'entreprendre
et de signer cette entente et quels sont les bénéfices qui
peuvent en résulter? Les coûts, nous essayons de tes
prévenir et de les assouplir avec des périodes de transition. Les
bénéfices, je pense qu'ils sont essentiels à l'avenir de
l'économie du Québec. Ce que nous faisans, c'est de
préparer cet avenir d'une façon réaliste et efficace. En
un mot: relever le défi de la modernité. C'était
l'objectif du gouvernement il y a deux ans lorsqu'il a été
élu et c'est ce qu'il essaie d'appliquer dans l'ensemble de ses
politiques qui donnent déjà beaucoup de résultats
positifs, y compris dans cette négociation sur le
libre-échange.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le premier
ministre. Je vais maintenant céder la parole au chef de
l'Opposition.
M. Pierre Marc Johnson
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je remercie le
premier ministre, bien que très tardivement, de nous avoir permis la
tenue de cette commission parlementaire.
Permettez-moi d'emblée de dire que le sujet dont il est question
ici, la libéralisation des échanges avec les Américains,
est un sujet qui, normalement, ne devrait pas passer par-dessus la tête
des citoyens. Pourquoi? Parce que ce sont des centaines de milliers d'emplois
qui sont en cause» C'est aussi l'idée qu'on se fait du genre
d'évolution qu'on veut connaître comme société pour
les années à venir et l'idée qu'on se fait
précisément de ce que cela va impliquer, à court et
à moyen terme, à la fois dans le développement
économique du Québec, dans le partage de la richesse et dans les
instruments qu'on se donne collectivement, pour arriver à des objectifs
de société.
Si les citoyens au Québec peuvent avoir l'impression qu'ils sont
bousculés à dix-huit jours de la signature possible -
peut-être hypothétique - de cette entente, c'est essentiellement
parce que le gouvernement du Québec n'a pas fait son travail depuis un
an et demi. Le premier ministre me permettra de le lui dire.
Je vois ici un rapport qui a été publié, il y a
déjà de nombreux mois, par le Select Committee on Economic
Affairs, The Ontario Trade Review, une commission parlementaire ontarienne qui
a siégé sur cette question pendant un an et demi en impliquant
des députés des deux côtés de la Chambre, des
spécialistes, des économistes, en allant voir des citoyens et des
experts. Ici, on n'a même pas droit à un communiqué de
presse. Au lac Meech, on avait un communiqué de presse. Là, on
n'a même pas un communiqué de presse. Alors, on va discuter du
sexe des anges et la seule réponse à ces appréhensions sur
le fond que nous a donnée le gouvernement jusqu'à maintenant,
cela a été la réaction un peu étonnante, hier, de
son ministre, M. MacDonald, avec M. Warren qui est le fonctionnaire no 1 du
gouvernement du Québec dans ce dossier.
J'ai été frappé, au moment où M. Bourassa
sortait de la réunion des premiers ministres, hier, à Ottawa, on
avait l'impression qu'un manteau de prudence venait de tomber sur les
épaules des premiers ministres du Canada qui disaient: Attention, il y a
un torrent! À Québec, on avait M. MacDonald et M. Warren qui nous
disaient qu'il fallait sauter dedans à pieds
joints. J'ai été frappé de voir aussi que dans ses
commentaires M. Warren - malheureusement, nous ne pourrons l'entendre
qu'à la fin de cette commission, ce qui, quant à nous, est
regrettable, mais cela semble être le choix du gouvernement. Il parle de
dislocation de secteurs entiers de l'économie et, pourtant, il ne
précise pas. Il ne se prononce pas sur les questions de
développement économique régional, il dit que, quant
à la culture, à sa connaissance, tout va bien, mais on ne sait
pas ce qu'il connaît, et qu'il est entendu que l'agriculture aura un
statut particulier, alors que nous jugeons qu'elle devrait être exclue
totalement de cette entente.
Il ne faudrait pas que cela passe pardessus la tête des citoyens,
parce que ça va les toucher. Cela va les toucher dans quel contexte?
D'abord, un des drames du Canada, c'est qu'il y manque 100 000 000 d'habitants.
25 000 000 de personnes réparties sur à peu près 3000
milles de long, sur une bande de terre qui longe les États-Unis pour
l'essentiel, cela a amené ce pays-là à se construire de
façon totalement aberrante. Cela a donné des situations de
monopole et des interventions de l'État central inacceptables pour
certains et, évidemment, absolument inacceptables pour le Québec.
Le Canada a tenté de compenser cette situation absurde où il n'y
avait pas un grand marché, essentiellement, en tentant d'exporter. C'est
ce qu'il est parvenu à faire, au fur et à mesure des
années, avec le résultat qu'à peu près 30 % du
produit intérieur brut au Canada - c'est applicable au Québec
aussi - est relié directement aux exportations.
Cela veut dire quoi? Cela veut dire qu'en pratique on exporte du bois,
du papier, des produits finis, des chaises, des vêtements, des logiciels,
des chaussures, de l'acier, du matériel de transport. Tout cela,
ça fait tourner des usines au Québec et au Canada. Cela donne des
emplois. En face de cela, on a chez nos voisins du Sud, notre principal
partenaire commercial, 250 000 000 habitants, un marché gigantesque.
Mais ce marché, comme le premier ministre l'évoquait tout
à l'heure, est en mutation. Mais cette mutation, d'où vient-elle
essentiellement? Elle vient d'abord et avant tout du fait que les
Américains ont constaté depuis un certain nombre d'années
que leur déficit budgétaire, en dépit des projets de M.
Reagan, était encore de 200 000 000 000 $ et, deuxièmement, que
leur balance des paiements est déficitaire de 140 000 000 000 $.
Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire qu'en pratique ce qui se vend aux
États-Unis comme télévision, c'est fait au Japon, que de
plus en plus d'ordinateurs sont faits en Corée, que les voitures que les
Américains achètent sont des voitures souvent asiatiques. Ils
sont tannés de voir leurs usines fermer d'un bout à l'autre des
États-Unis. Alors, depuis quelques années, ils se sont mis
à tenter de se protéger contre cette invasion de produits qui
leur viennent de l'extérieur de leur pays alors qu'ils ont l'impression
que ces mêmes pays, le Japon, la Corée, Taïwan, Singapour et
d'autres, ne leur rendent pas la pareille, c'est-à-dire qu'en pratique
ces pays asiatiques ne leur facilitent pas la tâche quand ils
écoulent ou veulent écouler leurs produits sur ces marchés
également considérables. On oublie souvent que les marchés
asiatiques sont aussi importants que le marché européen ou le
marché nord-américain.
Or, qu'est-ce qu'ils font? Ils adoptent depuis un certain nombre
d'années des mesures protectionnistes, des tarifs spéciaux. Ils
invoquent des raisons de normes et, en cours de route, on s'est rendu compte
que leur partenaire principal qui était le Canada, dont ils ignorent
souvent l'existence... Imaginez-vous le Québec pour eux! Imaginez-vous
les régions-ressources du Québec pour eux! Cela ne veut rien
dire.. Et, de façon accessoire, le Canada est devenu victime des mesures
protectionnistes que les Américains dirigaient essentiellement contre
les Asiatiques. Concrètement, ces mesures nous ont touchés. Vingt
enquêtes antidumping depuis 1980 visant des produits canadiens, onze
affaires de droit de compensation, treize affaires de droit de sauvegarde dans
des secteurs aussi variés qui touchaient le Québec ou te Canada
que le bois d'oeuvre -on l'a vu récemment - les wagons de passagers, les
fleurs, les tuyaux d'acier, les souliers sans compter un certain nombre de
produits du secteur agricole. On assiste donc, semble-t-il, à une
fermeture du marché américain et, donc, le danger pour cette
économie qui est la nôtre de perdre un marché qui est son
marché principal pour 30 % de son activité économique et,
donc, des centaines de milliers d'emplois que cela représente au Canada
et au Québec.
Quel est donc le but de la négociation pour le Canada? Cela doit
être d'abord et avant tout de préserver pour le Canada et le
Québec la garantie d'un accès au marché américain.
Cela doit être le but de la négociation pour le Québec et
le Canada. Deuxièmement, c'est de soustraire le Canada et donc le
Québec aux humeurs passagères du Congrès américain
qui a tendance à adopter des lois... D'ailleurs, les projets de loi au
Congrès américain - je vous le ferai remarquer - sont
déposés là-bas presque sous la forme que les
pétitions prennent ici à l'Assemblée nationale
étant donné que l'initiative législative repose sur les
membres de cette Assemblée alors qu'en pratique, chez nous, l'initiative
législative relève du gouvernement. Mais si on n'atteint pas
cela, la conservation ou la préservation d'une garantie d'accès
au marché américain pour
nos produits et si on n'atteint pas une protection contre Ies humeurs du
Congrès américain, il faudrait se demander pourquoi on veut faire
du libre-échange. Pourquoi, en échange, on exposerait des pans
entiers de notre économie, des dizaines de milliers d'emplois des
secteurs aussi vitaux que la culture, l'agriculture, la capacité
d'intervention de l'État québécois, nos moyens de
développement régionaux, nos programmes sociaux, notre
régime fiscal, dans un univers de plus en plus lié avec les
Américains? Il faut donc aller chercher ces garanties, autrement, on
passe à côté. La garantie d'accès et,
deuxièmement, la garantie de nous soustraire aux humeurs arbitraires et
passagères ou occasionnelles du Congrès américain.
Cela, c'est la fameuse question de l'arbitre. C'est évident,
nous, on mesure à peu près cinq pieds, dix pouces, on pèse
150 livres, on est un peu vigoureux sur le plan commercial, surtout au
Québec depuis quelques années, mais en avant, il faut être
bien conscient, il mesure six pieds six pouces et il pèse 275 livres,
c'est le géant américain. On est mieux de trouver un arbitre,
parce que, pour nous "coltailler" avec cela, cela serait utile d'avoir un
arbitre. En ce sens, il est évident qu'une chose essentielle dans la
recherche d'une entente visant à protéger les marchés des
produits canadiens et québécois sur le marché
américain, l'une des questions essentielles qui se pose, c'est cette
question d'un tribunal d'arbitrage.
Il faut cependant en cours de route éviter des pièges.
D'abord, il faut être conscient que les objectifs des Américains
ne sont pas les mêmes que les nôtres. Les objectifs des
Américains ne sont pas compliqués, il veulent importer moins et
exporter plus. C'est simple, simple, simple, et Dieu sait qu'ils connaissent
cela, les négociations. Ils sont durs, à part cela, dans les
négociations. Vous pourriez demander à bien du monde autour de la
terre comment ça marche. Alors que le Canada vise à abaisser les
barrières tarifaires des deux côtés réciproquement,
les Américains, pour leur part, sont extrêmement
préoccupés par ce qu'ils appellent les pratiques commerciales
déloyales que constituent à leurs yeux nos barrières ou
même, dans certains cas, juste nos programmes de soutien à
certaines entreprises au Québec. Ils considèrent que c'est
déloyal parce que, si au Québec on subventionne une entreprise
qui fait un produit et que ce produit se ramasse sur le marché
américain, il y a des chances qu'il coûte moins cher que celui qui
aux États-Unis n'a pas été subventionné. Donc,
c'est déloyal è leurs yeux.
Finalement, il faut éviter ce qu'on appelle la clause Israël
qui est l'article 5 de l'entente entre les États-Unis et Israël
signée en 1985 qui, à toutes fins utiles, permet au
Congrès américain, en dépit de l'existence d'une entente
entre les Américains et Israël, d'intervenir par ce qu'on appelle
les clauses de sauvegarde. Cela veut dire que, quand il juge qu'un de ses
secteurs est menacé par des produits qui viennent de ce pays qu'est
Israël dans le cadre du traité qu'ils ont avec Israël le
Congrès américain peut quand même intervenir. Il faut par
ailleurs s'assurer que nous protégeons des secteurs
québécois -la culture, cela va de soi, l'édition, le
disque, le cinéma - des secteurs où nous sommes
littéralement envahis par la production nord-américaine, et pas
seulement américaine. (14 h 45)
Ce sont des choses aussi précises, Mme la ministre, que la
possibilité de continuer à appliquer la loi 101, par exemple, sur
l'étiquetage des produits, s'assurer qu'on n'est pas envahis ici par des
produits où il n'y a pas un étiquetage qui peut être
compris et lu par les gens dans leur langue, partout, dans les
épiceries, dans les pharmacies, dans les magasins, dans les
quincailleries. Ce sont des choses concrètes. Est-ce qu'on va laisser
à un tribunal extérieur ou supranational, ou à une
commission quelconque où nous serions quelques personnes seulement,
sûrement une minorité, de décider, par exemple, que des
pans de mur d'application de la réglementation au Québec en
matière linguistique sont considérés comme "an
infringement to commerce", c'est-à-dire un empêchement de
circulation des biens? Il faut prendre les moyens pour cela.
Deuxièmement, il faut exclure le secteur de l'agriculture,
carrément. Il y a des usines à quelques dizaines ou centaines de
kilomètres de la ville de Sherbrooke, au sud, qui, en tournant trois
heures de plus par fin de semaine, peuvent envahir le marché
québécois en entier dans certains secteurs de production.
Le développement économique régional. C'est
essentiel. Je pense au plan quinquennal que nous avons adopté au
Québec à la fin des années soixante-dix, quand Yves
Bérubé dirigeait le ministère de l'Énergie et des
Ressources, et qui a permis par des subventions à l'industrie des
pâtes et papiers au Québec de se rééquiper pour
être concurrentielle, pour ne pas se faire dépasser par
l'industrie américaine, particulièrement du sud des
États-Unis, C'était une intervention majeure de l'État.
Cela a sauvé des milliers d'emplois en Abitibi-Témiscamingue,
dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, au Saguenay-Lac-Saint-Jean,
dans l'Estrie, parce qu'on pouvait intervenir avec un instrument qui s'appelait
des sociétés d'État et des programmes particuliers
d'intervention avec des objectifs de développement économique
régional. Je
n'ai pas entendu un mot des gens du gouvernement du Québec sur la
garantie qu'on va avoir qu'on va conserver ces moyens, que ce soit REXFOR, que
ce soit nos interventions dans le secteur minier, les actions
accréditives qui ont permis le développement et, par la suite,
des programmes particuliers pour l'exploitation des mines dans le Nord-Est du
Québec par des sociétés d'État. Est-ce que le
rôle de nos sociétés d'État va être
limité par la conclusion d'un accord de libre-échange? L'aide
à certains secteurs particuliers - j'ai donné celui des
pâtes et papiers - ce sera vrai ou ce devrait censé être
vrai dans le secteur du vêtement, sa modernisation et
particulièrement dans le secteur des nouvelles technologies.
L'énergie, on vend aux États-Unis - le premier ministre le
sait - à 0,06 $ le kilowattheure. On vend pourtant au Québec
à 0,024 $. Est-ce qu'un jour un tribunal entre les deux pays pourrait
considérer que c'est déloyal que de vendre aux manufactures, ici,
l'énergie à 0,02 $ le kilowattheure alors qu'on le vend 0,06 $
aux Américains quand on exporte, et que c'est déloyal parce que
cela met ces compagnies dans une position où elles peuvent utiliser de
l'énergie pour faire des produits, donc cela leur coûte moins cher
les faire, donc elles vont pouvoir vendre le produit moins cher? C'est tout le
secteur des richesses naturelles et du contrôle par des décisions
étatiques dans une société qui s'est formée
beaucoup par l'intervention de l'État, pas pour des motifs
idéologiques d'ailleurs, pour des raisons bien pratiques, notamment,
parce que c'est ce qui a permis au Québec de se développer
largement depuis 25 ans et même de se donner des moyens de former une
génération qui, elle, est en train de se bâtir grâce,
notamment, au régime d'épargne-actions qui, à ma
connaissance, n'a pas été implanté par le Parti
libéral.
Ensuite, il faut être conscients à moyen terme des
conséquences d'une intégration de plus en plus grande de notre
économie à celle des États-Unis, notamment à
l'égard de l'existence de programmes sociaux et d'un régime
fiscal de taxation, oui, qui est plus élevé qu'aux
États-Unis, mais qui fait qu'au Québec tout le monde a
accès à des soins de santé gratuits, par exemple, ce qu'on
ne peut pas dire dans le cas des Américains. Je ne prends que cet
exemple.
Les objectifs derrière tout cela, ce sont donc des instruments de
notre développement au niveau des garanties et des protections qu'on
veut aller chercher, mais aussi la personne, l'individu, le citoyen. Je pense,
notamment, à la période de transition que le premier ministre a
évoquée si rapidement et sur laquelle, je suis sûr, il
reviendra, ou son ministre. Est-ce que vous avez préparé la
période de transition? Les avez-vous les dizaines de millions de dollars
que cela prend? Avez-vous obtenu les décisions de l'État
fédéral, avant qu'on se jette dans le torrent, pour nous assurer
ici que, si cela ferme dans le secteur du textile, les gens ne se retrouvent
pas avec rien, pas de revenu, pas de recyclage possible? Ces choses-là
se préparent. Je n'ai rien vu de ce gouvernement depuis un an et demi
qui me démontre que cela a été préparé,
parce que le gouvernement en a traité strictement sur un plan
idéologique ou politique et il vient ici nous faire des leçons de
pragmatisme.
Il faut finalement nous assurer qu'au-delà de tout cela, sur le
plan constitutionnel - la question n'a pas été
évoquée par le premier ministre, je présume qu'il le fera
ou un de ses ministres - le Québec n'en perd pas plus qu'il en a perdu
jusqu'à maintenant quant à l'utilisation de la constitution et
ses pouvoirs. On sait les appétits du fédéral d'amener un
jour la Cour suprême à renverser le jugement du Conseil
privé en matière de ratification et de rôle international
des gouvernements st des États provinciaux.
S'assurer également que l'État fédéral ne
profite pas de la lancée du libre-échange pour centraliser des
pouvoirs, notamment en ce qui touche les institutions financières, quand
on sait que s'est développé au Québec un réseau
fort solide, de plus en plus fort et solide, mais à qui il reste des pas
à faire dans le secteur des institutions financières:
l'assurance, le courtage, la Bourse. S'assurer que le fédéral ne
se sert pas du libre-échange pour nous amener, à toutes fins
utiles, à devoir subir la réglementation fédérale
dans ce secteur-là.
Finalement, sur le plan intérieur, qu'il y ait une entente ou
qu'il n'y en ait pas, M. le premier ministre, cela prendra un jour des
politiques de développement économique et cela présuppose
que vous avez une vision claire des grands secteurs qui sont les secteurs en
développement du Québec et que vous ne laissez pas cela seulement
et uniquement entre les mains d'une loi du marché qui est faite en
général pour les plus forts ou les détenteurs du pouvoir
ou ceux qui ont les dés pipés dans leurs mains - je pense ici
à l'État fédéral et à l'Ontario. Vous devrez
faire appel à une certaine vision qui présuppose que,
collectivement, on se forme des projets, on se rende compte du coût de ce
que cela représente comme société de choisir d'être
différent et ne pas, de façon trop simple, abandonner un certain
nombre de projets communs dont les racines sont non seulement dans notre
histoire mais dans la fibre de tous les Québécois. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le chef de
l'Opposition. Le premier ministre m'a indiqué qu'il voulait vous
donner
la réplique, ce qui serait normal, sauf que je dois vous indiquer
que le temps que l'un et l'autre intervenant prendra sera pris dans la banque
de 30 minutes prévue pour des commentaires additionnels soit d'autres
membres de la commission, soit des premiers intervenants. Donc, nous entendrons
le premier ministre. Je présume qu'il y aura possiblement une
réplique de l'autre côté. Par la suite nous donnerons la
parole au ministre du Commerce extérieur.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, si le premier
ministre me le permet, je n'aurais pas d'objection à échanger un
peu avec le premier ministre sauf que je voudrais m'assurer que mon
collègues M. Jean-Guy Parent, qui est député de Bertrand
et que le premier ministre connaît bien, puisse intervenir au cours de ce
débat et qu'il en ait le temps. On nous avait dit que, normalement, il
aurait à peu près 25 minutes. Si le premier ministre prend le
temps de son ministre et me dit ensuite que je ne veux pas lui donner la
réplique... Je tiens absolument à ce que M. Parent puisse
intervenir.
Le Président (M. Charbonneau): M. le chef de
l'Opposition, il n'est pas question qu'on procède de cette
façon-là. C'est à l'intérieur des 30 minutes
prévues pour des commentaires additionnels que les répliques
peuvent être faites. Donc, cela conserve le temps pour les interventions
du ministre et du député de Bertrand qui sont prévues et
gelées - si on peut s'exprimer ainsi - dans le ciment en fonction de
l'entente qu'on a déjà et qui a été ratifiée
à l'occasion de notre séance de travail.
M. le premier ministre.
M. Robert Bourassa
M. Bourassa: "Réplique" c'est un grand mot, M. le
Président, parce qu'il y a beaucoup de choses qui ont été
dites par le chef de l'Opposition qui confirment le point de vue du
gouvernement. En l'entendant, je me demandais si, à l'occasion, il ne
pourrait pas me remplacer à la table de négociation.
M. Johnson (Anjou): Cela viendra un jour! Ne vous en faites
pas!
M. Bourassa: Ce n'est peut-être pas la meilleure
journée pour dire cela.
Je voudrais dire ceci à mon ami le chef de l'Opposition, sur
quelques reproches qu'il a faits au gouvernement par rapport au délai
qui était donné. On nous a reproché, relativement aux
audiences parlementaires concernant l'entente du lac Meech, d'arriver
après l'entente. Je me souviens que le chef de l'Opposition a dit:
Qu'est-ce que cela donne d'avoir des audiences publiques? C'est
réglé! Là, je fais un effort pour qu'on soit en position
de connaissance du dossier, sans que ce soit complété. Le
gouvernement et le ministre du Commerce extérieur font un effort pour
qu'on puisse discuter avant la conclusion de la première étape.
Là, le chef de l'Opposition nous en fait des reproches. C'est un
problème de logique que j'ai parfois avec lui, de comprendre sa
démarche, sa dialectique. Je retrouve encore cela aujourd'hui.
Quand il dit qu'au moins les membres avaient un communiqué de
presse dans le cas de l'entente du lac Meech, il y a quand même des
études qui ont été rendues publiques, dont "La
libéralisation des échanges avec les États-Unis: une
perspective québécoise"; je crois que le député de
Bertrand en a eu une copie. C'est 88 pages, c'est plus qu'un communiqué
de presse. Il y a eu un document de synthèse de la position
québécoise qui a été rendu public hier, je crois,
qui s'ajoute à ce document. Donc, je suis obligé de dire que
c'est plus qu'un communiqué de presse. Je dis au chef de l'Opposition...
Également...
M. Johnson (Anjou): Bel effort!
M. Bourassa: Non, on rétablit les faits. Pour ce qui a
trait à l'étude de l'Ontario, je vois dans cette étude
qu'elle date de novembre 1985, alors que le chef de l'Opposition était
premier ministre durant ces quelques semaines.
M. Johnson (Anjou): Octobre 1986.
M. Bourassa: J'en ai une ici, c'est novembre...
M. Johnson (Anjou): Le rapport a été
commencé...
M. Bourassa: ...septembre 1986, novembre... Cela date quand
même d'avant que les négociations soient entreprises
sérieusement. Donc, c'est un peu exagé ou inexact de la part du
chef de l'Opposition d'invoquer cette étude. Nous sommes, sauf erreur,
la seule province qui tient des audiences publiques sur les négociations
en cours, non pas sur le libre-échange sectoriel ou d'autres genres de
négociations.
M. le Président, juste pour reiever certains points puisque l'on
doit constater, heureusement, cet après-midi, que l'Opposition est
d'accord avec le point de vue du gouvernement. Je pense que l'Opposition
manifeste son accord pour qu'on essaie d'avoir une entente de
libre-échange moyennant certaines conditions.
L'établissement d'un mécanisme protégeant contre
les décisions unilatérales du gouvernement américain, je
crois que j'ai eu l'occasion - le ministre également, ainsi
que plusieurs de mes collègues - d'insister sur cet aspect.
Sur l'agriculture, on est également d'accord; j'en ai
parlé dès le mois de janvier dernier à Mme Carney, alors
que nous étions ensemble à Davos pour un séminaire sur
l'économie internationale. J'ai dit qu'il fallait que ce soit
exempté étant donné que le Québec, notamment, avait
des intérêts très importants. Cela a été
accepté et pour une raison bien simple, c'est que ce sera
négocié au GATT parce que le Canada n'est pas un partenaire
majeur dans les questions agricoles par rapport aux États-Unis et au
marché commun.
Il y a juste l'expression du chef de l'Opposition que "cela doit
être exclu totalement". J'espère qu'il pourra nous donner
certaines indications, ou encore le député de Bertrand qui a
quand même démontré une bonne connaissance; je suis
d'accord avec lui. Le chef de l'Opposition n'était pas obligé de
l'improviser ministre six semaines avant l'élection dans un comté
à tradition péquiste, il avait sa propre expertise. Ce que je dis
au chef de l'Opposition, c'est que, lorsqu'il parle d'agriculture étant
exclue totalement, est-ce qu'il veut dire que toute la question des normes, par
exemple, leur assouplissement qui pourrait faciliter les exportations agricoles
du Québec, qu'on devrait refuser de négocier cela? Il n'y a pas
seulement la question des subsides dans le domaine de l'agriculture, il y a
d'autres aspects dans le commerce international. Je voudrais peut-être
qu'il clarifie sa pensée sur ce point. (15 heures)
Sur la question de la centralisation fédérale, j'ai eu
l'occasion de mentionner qu'on n'a pas au Canada, actuellement, un gouvernement
qui vise à centraliser davantage l'exercice du pouvoir. Je tiens
à le répéter. Nous avons été
convoqués régulièrement, à tous les trois mois. On
sait fort bien que ce n'est pas une situation qui existe aux États-Unis.
À ma connaissance, le président américain ne convoque pas
les gouverneurs régulièrement, à tous les trois mois, pour
discuter d'une question qui relève de la juridiction
fédérale. Â ma connaissance, dans un autre régime
fédéral qui peut se comparer à celui du Canada, le
chancelier allemand ne convoque pas les ministres-présidents des
länder pour discuter de politiques du marché commun. Nous avons un
gouvernement qui, conscient de l'importance des provinces dans le
fonctionnement politique de notre pays, convoque systématiquement les
premiers ministres pour participer à cette négociation.
Pour ce qui a trait aux clauses de sauvegarde qu'a
évoquées le chef de l'Opposition, c'est clair que ceci nous
ramène aux mécanismes comme tels. C'est une grosse concession
pour les Américains. Je l'ai constaté la semaine dernière
en discutant avec des experts. C'est une grosse concession pour eux parce
qu'ils ont été, à ce jour, toujours extrêmement
réticents à faire la moindre concession sur la
souveraineté. Souvenons-nous, par exemple, du président Wilson
qui, en raison de recommandations de la Ligue des nations, avait essayé
d'obtenir à la suite de la première Guerre mondiale des
concessions du Congrès pour l'application de sanctions. Il n'a pas
été capable d'obtenir cette concession du Congrès.
Souvenons-nous du Traité sur le droit de la mer où les
États-Unis ont été probablement le seul pays à
refuser d'accepter une concession de leur souveraineté. Donc, ce n'est
pas un objectif qui sera facile à atteindre. Mais l'Opposition et le
gouvernement sont d'accord sur cela pour constater que si nous n'avons pas une
forme de mécanisme qui nous protège contre des actions
unilatérales... Je comprends que le chef de l'Opposition mentionne des
fermetures d'usine aux États-Unis mais je veux dire que cela existe
aussi du côté canadien. Le taux de chômage au Canada est
nettement plus élevé, 35 % plus élevé qu'aux
États-Unis; 6,1 % par rapport à 8,8 %. Je crois que sur cela nous
sommes tout à fait d'accord pour obtenir des Américains une forme
de mécanisme nous protégeant contre ce type d'action.
Pour ce qui a trait au secteur de la culture, Mme la ministre en
parlera. Je crois que sur cela encore il y aura facilement consensus.
Sur le développement régional, je voudrais simplement
signaler au chef de l'Opposition que nous sommes en face d'une situation
où les États-Unis tiennent également à garder leur
politique de développement régional. La Louisiane, l'Ohio, la
Californie; ils veulent être encore capables d'attirer Toyota ou Honda ou
d'autres entreprises. Ils veulent garder leurs pouvoirs. Ils me l'ont dit
à Traverse City au Michigan, à la fin de juillet. Les gouverneurs
américains veulent garder leurs pouvoirs pour favoriser le
développement régional dans leurs États. Les
Américains ne peuvent pas logiquement et sérieusement demander au
Québec, aux provinces et au gouvernement fédéral
d'abandonner leur pouvoir de favoriser le développement régional
en exigeant qu'eux puissent le garder. Donc, il y a tout de même dans
cette négociation une situation qui nous protège d'une certaine
façon et qu'on a constatée évidemment à la table de
négociation.
Sur l'énergie, j'aurai peut-être l'occasion d'y revenir, je
pourrais en parler très longuement comme probablement le devine le chef
de l'Opposition. C'est le grand atout économique du Québec, le
développement nordique et l'énergie hydroélectrique.
Encore là, je vois qu'il y a un ralliement de l'Opposition au point de
vue du gouvernement. Cela n'a pas toujours été leur
attitude. Il n'est pas question pour le Québec de sacrifier ses
pouvoirs qu'il possède à cause d'une richesse naturelle fabuleuse
pour améliorer le bien-être économique des
Québécois.
Je veux féliciter le chef de l'Opposition pour la façon
responsable, non démagogique avec laquelle il a abordé cette
discussion et je veux me réjouir que sur une question aussi fondamentale
pour notre avenir collectif l'Opposition et le gouvernement sont en très
bonne partie d'accord.
Le Président (M. Charbonneau): M. le chef de
l'Opposition.
M. Pierre Marc Johnson
M. Johnson (Anjou): Oui, M. le Président. Puisque le
premier ministre est dans la rectification des faits, je ferai remarquer qu'en
Allemagne les länder sont consultés systématiquement sur les
questions communautaires. Deuxièmement, dans l'affaire du Traité
du droit de la mer il n'était pas question de concession sur la
souveraineté. Un certain nombre d'autres États, par exemple,
comme le Royaume-Uni et la République fédérale
d'Allemagne, se sont opposés à ces traités.
Le premier ministre nous dit que... Ce sont les mots qu'il emploie qui
m'inquiètent. Il nous dit: Je n'ai pas d'objection qu'on protège
l'agriculture. Non, non, j'ai demandé: Est-ce votre objectif? Ce n'est
pas la même chose. Je ne dis pas: si vous n'avez pas d'objection
à...
Vous nous dites que, oui, il va sûrement y avoir un consensus sur
la nécessité de faire attention à la culture. Ce n'est pas
cela que je lui demande. Cela serait bien le bout si le gouvernement du
Québec, fût-il libéral, n'était pas sensible
à la nécessité de protéger le secteur culturel; ce
n'est pas cela que je lui demande. Je lui demande simplement: Est-ce qu'il va
l'obtenir? Parce que c'est cela son rôle, ce n'est pas de venir nous
expliquer ici, en commission parlementaire, qu'il trouve qu'on a raison sur un
certain nombre de conditions de base qui nous apparaissent essentielles, sans
lesquelles nous n'en voulons pas de ce traité. Mais il s'agit de savoir
s'il va les obtenir et ce qu'il a fait pour les obtenir. La question n'est pas
là, parce que cela pourrait être un exercice un peu inutile.
D'autant plus que, dans le cas de la négociation constitutionnelle, je
le rappellerai au premier ministre, quand il s'est rendu au lac Meech, il a
négocié quelque chose sur la langue et il s'est aperçu en
revenant qu'il avait donné sa chemise sur la langue sans s'en
apercevoir, entre la société distincte et le caractère
bilingue du Canada, et il a été obligé d'essayer de jouer
cela comme il a pu dans l'édifice Langevin quelques semaines
après pour essayer d'obtenir une vague modification qui, elle, n'offre
aucune garantie au Québec en matière linguistique. Je parle ici
du processus, je suis inquiet devant le processus, devant les mots trop vagues
que le premier ministre utilise. Je suis inquiet de voir que le Québec a
l'air de courir après une entente de libre-échange alors qu'il
est pris pour subir une réalité que les Américains
imposent à tous les partenaires commerciaux depuis quelques
années et que, â toutes fins utiles, on se retrouve à
négocier à genoux. Je comprends que le Canada, ce n'est pas gros
à côté des États-Unis, mais on sait aussi que, pour
des raisons... Si le premier ministre pouvait expliquer à son
député qu'il aura l'occasion de s'exprimer par la suite, je lui
promets de ne pas l'interrompre.
On sait très bien que le Canada et les États-Unis ont des
intérêts géopolitiques évidents. Les
États-Unis sont la plus puissante des démocraties occidentales.
Le Canada est un pays qui a réussi, en dépit de ses
difficultés intérieures constantes et qui ne sont pas
terminées soit dit en passant, â quand même s'asseoir
à une certaine place sur le plan des démocraties occidentales
dans les questions internationales et les Américains tiennent à
garder la qualité des relations avec le Canada. C'est d'ailleurs pour
cela que ça les fait frémir un peu d'entendre que M. Broadbent
dit qu'il va se retirer de l'OTAN et de NORAD et probablement que cela... Je ne
sais pas, d'après moi, ils aimeraient mieux régler avec vous tant
qu'à y être plutôt qu'avec Broadbent, tant qu'à
être mal pris sur une question comme celle-là.
Il est évident qu'il y a un certain nombre
d'intérêts importants entre le Canada et les États-Unis qui
transcendent les questions quotidiennes sur le plan commercial qui sont
importantes pour nous; c'est important pour les emplois, bon Dieu! dans nos
usines. Parmi les motifs qu'ont les Américains d'aborder cette question,
c'est de conserver des relations de qualité avec le Canada, pour des
raisons qui dépassent, dans le fond, et le Québec et le Canada,
disons-le bien. Mais il ne faudrait pas qu'au nom de cela on se retrouve dans
une situation où on dit: On n'aurait pas d'objection à obtenir,
mais il faut aller chercher des choses dans cette entente. Il faut sortir de
l'espèce de logique défensive dans laquelle le Canada s'est mis
depuis un certain nombre d'années. Si on ne sort pas de la logique
défensive, on va signer un traité qui sera mauvais pour le
Québec et le Canada. Je n'aime pas voir cette attitude trop
défensive du premier ministre dans le dossier. C'est
inquiétant.
Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que j'ai vu hier le
premier ministre, en sortant de la réunion des premiers ministres
à Ottawa, évoquer le fait qu'il serait prêt à des
concessions sur la question du tribunal
d'arbitrage. Il faut bien se comprendre, s'il n'y a pas
d'autorité librement consentie par les deux parties qui décide
des questions litigieuses entre le Canada et les États-Unis ou encore,
je m'exprime autrement, si le Congrès des États-Unis conserve la
capacité d'adopter systématiquement des mesures au nom des droits
de sauvegarde ou des droits compensatoires, il faudrait bien se comprendre, on
n'a rien gagné.
On a peut-être gagné un peu naïvement. On a
l'impression que nous allons, comme des Tarzan, envahir le marché
américain. Minutel 85 % de nos produits ont accès au
marché américain. Je rencontre des gens d'entreprises au
Québec et je leur dis: Qu'est-ce qui t'empêche, toi, d'aller aux
États-Unis? Ce ne sont pas les tarifs. Ce ne sont pas les lois
américaines. C'est parce qu'on n'est peut-être pas assez
organisé dans certains secteurs pour exporter; parce qu'on n'a pas les
moyens ou parce que le ministre MacDonald doit fermer des
délégations du Québec aux États-Unis qui
s'occupaient de cela. Cela n'a rien à voir avec le libre-échange.
Il ne faut pas donner au libre-échange des vertus qu'il n'a pas. Je
trouve que le premier ministre, au nom d'un prétendu pragmatisme, donne
beaucoup dans l'idéologie en ce moment. Il donne beaucoup dans
l'idéologie. Cela, je trouve ça préoccupant, parce que,
quand un libéral se met à être idéologique, c'est
dangereux. Nous avons une tradition, chez nous. On contrôle mieux cela
que vous quant à ses effets. Mais, que vous vous mettez à
être idéologiques, vous êtes dangereux, pour les citoyens,
j'entends. On a déjà vu cela entre 1970 et 1976.
Je me permets de terminer en disant au premier ministre que - je veux
bien croire qu'il m'a posé une question - le comité ontarien dont
je lui parle a été formé en 1985, qu'il a établi un
rapport préliminaire quelque temps après et un rapport de nature
définitive en septembre 1986. Ils étaient un an d'avance sur
vous, les Ontariens. Ce qui m'inquiète, c'est qu'ils se retrouvent dix
ans en avance sur nous après cette affaire, si on ne fait pas attention.
Merci.
Le Président (M. Charbonneau):
Mesdames, messieurs, il reste - je vous le rappelle, parce qu'on vient
de me demander d'utiliser encore des minutes - huit minutes de chaque
côté dans la banque de 3D minutes. Le premier ministre m'a
demandé ainsi que son collègue du Commerce extérieur d'en
utiliser encore. Alors, je signale à vous deux que vous avez, au
maximum, huit minutes. Allez-y.
M. Bourassa: D'accord. Je voudrais juste reprendre un point du
chef de l'Opposition. D'abord, je ne ferai pas de querelles sur la question de
l'Ontario. Il reste quand même que ce n'était pas relié
directement, comme actuellement, aux négociations du
libre-échange. Cela remonte à juillet 1986, au-delà de 20
mois. Si le chef de l'Opposition veut nous donner l'occasion, on pourrait
également discuter du fonctionnement du fédéralisme
allemand à travers les institutions communautaires. On pourrait avoir un
bon débat là-dessus, mais je ne crois pas que c'est prioritaire
aujourd'hui.
Je pourrais, encore là, comme c'est devenu mon habitude,
rectifier les faits. Mais ce qui est important ou plus pertinent dans ce qu'il
a dit, c'est la question du mécanisme. Le chef de l'Opposition a dit
dans ses remarques: II ne faudrait pas qu'il y ait un jugement qui pourrait
affecter la souveraineté culturelle du Québec à cause de
ce mécanisme d'arbitrage et, après, il me reproche d'essayer
peut-être d'envisager comme hypothèse de limiter ce
mécanisme d'arbitrage aux questions commerciales.
Je ne comprends pas, encore une fois, parce que si on prend comme
hypothèse, étant donné la nouveauté du
mécanisme, de limiter ou de considérer... C'est purement une
hypothèse que je mentionnais hier; ce n'est pas une concession. C'est
une hypothèse qui peut peut-être favoriser une entente. Je ne veux
pas interférer, surtout à l'étape cruciale des
négociations, publiquement dans la négociation actuelle. Mais si,
par hasard, c'était une formule qu'on peut considérer, sa crainte
qu'une décision d'un tribunal pourrait affecter l'autonomie culturelle
du Québec n'existe plus. Pourquoi m'en faire le reproche?
M. Johnson (Anjou): Si le premier ministre me permet de
répondre là-dessus deux secondes, vous comprendrez que nous
travaillons avec les commentaires que vous donnez debout dans les couloirs
quand vous avez le temps de parler aux journalistes. C'est pour cela qu'on vous
demande des documents et des choses précises que vous ne nous donnez pas
depuis un an et demi.
Le premier ministre vient de nous dire que l'interprétation qu'il
donne... Ce que j'ai compris, c'est que toute la presse au Canada a
interprété ses propos comme étant une concession majeure
et il vient de me dire: Non, au contraire! Je veux vraiment que ce soit un
"binding arbitration system" - c'est de cela qu'il parle - en matière
commerciale, pour reprendre le vocabulaire qui est utilisé à
Ottawa de ce temps-ci. (15 h 15)
Je dis au premier ministre: Est-ce que, oui ou non, il pourrait nous
dire s'il soumet l'approbation du Québec à une telle entente dont
les conséquences peuvent être considérables à la
condition sine qua non de la réalisation de l'objectif suivant: II faut
que le mécanisme d'arbitrage qui fait que le
Congrès américain se départit de son pouvoir
unilatéral d'imposer des tarifs s'applique à toutes les
matières commerciales? Est-ce que c'est bien ce qu'il me dit?
M. Bourassa: Ce que je dis... D'abord, le chef de l'Opposition
dit que j'ai... Il m'a mal interprété hier. Je ne lui demande pas
d'avoir toujours un...
M. Johnson (Anjou): Je n'ai pas eu l'impression que
j'étais tout seul.
M. Bourassa: ...niveau très élevé de
subtilité politique, mats il me semble qu'il est en mesure de
comprendre, étant donné qu'il avance ces arguments, qu'un
mécanisme d'arbitrage qui pourrait s'appliquer aux industries
culturelles, au secteur culturel pourrait comporter des risques.
M. Johnson (Anjou): D'accord.
M. Bourassa: Encore une fois, on est d'accord. Mais c'est moi qui
suis obligé de poser des questions, d'argumenter pour montrer ce
consensus profondément québécois qui existe sur cette
question. Quant au reste, on verra les conclusions des négociations.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je n'ai pas
d'objection à ce qu'on entende le ministre. Cela va peut-être
être plus substantif.
Le Président (M. Charbonneau): Alors...
M. Bourassa: C'est la seule réponse que vous avez?
Le Président (M. Charbonneau):
Considérant que...
M. Bourassa: ...répondre aux questions. M. Johnson
(Anjou): Oui.
Le Président (M. Charbonneau): À ce moment-ci, je
pense que c'est bien parti. Je voudrais bien que cela continue comme cela tout
le long de nos délibérations. Je vous invite à retenir vos
élans éventuels. Je vais céder la parole au ministre du
Commerce extérieur et du Développement technologique en vous
rappelant qu'il reste quelques minutes de chaque côté, ce qui
permettra au ministre et au critique de l'Opposition de répliquer aussi
mutuellement dans un temps moins long que celui du premier ministre et du chef
de l'Opposition. M. le ministre.
M. Pierre MacDonald
M. MacDonald: M. le Président, les audiences publiques que
la commission parle- mentaire de l'économie et du travail entreprend
aujourd'hui sur la position du Québec concernant le libre-échange
sont sans précédent et ce, à plusieurs égards.
Sans précédent d'abord parce que, pour la première
fois dans son histoire, le Québec est intimement impliqué dans
une négociation commerciale internationale de grande envergure. Si elle
réussit, cette négociation pourrait bien amener le Québec
à prendre des engagements politiques importants auxquels
l'Assemblée nationale sera appelée à donner une forme
législative pour les matières qui relèvent de sa
compétence.
Une voix: Il n'est pas trop arrogant, non.
M. MacDonald: Sans précédent également parce
que le gouvernement du Québec est le seul gouvernement au Canada qui a
estimé nécessaire de tenir des audiences publiques sur la
position qu'il défend dans le cadre des négociations du
libre-échange avant leur conclusion. Je crois qu'il vaut la peine de
souligner cet aspect original de la démarche du Québec et de
répondre aux préoccupations du chef de l'Opposition.
Depuis le début des travaux préparatoires, depuis le
début de 1986, ce gouvernement a tenu à associer toutes les
parties intéressées, c'est-à-dire les entreprises et leurs
associations, les travailleurs et leurs syndicats, ainsi que la population en
général, au processus de détermination des
intérêts du Québec et, partant, de sa position dans le
dossier du libre-échange.
Le principal véhicule de cette démarche a
été, bien sûr, le Comité consultatif sur ta
libéralisation des échanges, qu'on désigne plus
familièrement sous le nom de comité Warren, du nom de son
président. J'ai rendu public hier le rapport du comité et ses
recommandations et nous pourrons en faire état plus en détail au
moment le plus opportun des travaux de ta commission. Je vous signale cependant
que, depuis le mois d'avril 1986, une cinquantaine d'organismes ont
été entendus et que la majorité des témoignages
s'avèrent positifs face à la libéralisation des
échanges. Le premier ministre, mes collègues ministres et
députés et moi-même avons également eu l'occasion
à plusieurs dizaines de reprises au cours des 18 derniers mois
d'évoquer publiquement les enjeux du libre-échange pour le
Québec.
Le gouvernement a également publié en mai dernier
l'essentiel de ses analyses sur l'ensemble des sujets qui font l'objet des
négociations. Nous avons déposé aujourd'hui une mise
à jour et une synthèse de ce document. Encore une fois, te
gouvernement du Québec est le seul gouvernement, à ma
connaissance, à avoir démontré ce degré
d'ouverture.
Les audiences que nous entreprenons aujourd'hui s'inscrivent donc dans
une suite d'actions concrètes qui visent à faire jouer le
faisceau le plus large possible d'opinions et de points de vue dans la
détermination des intérêts du Québec. Même si
nous approchons de l'étape finale des négociations proprement
dites, il serait faux de penser que tout est joué et que les
représentations que nous allons recevoir dans les prochains jours de la
bouche même des parties les plus intéressées ne vont servir
qu'un but pédagogique, qu'à informer un plus grand nombre de
citoyens des enjeux de ces négociations. Comme dans toute
négociation, la plupart des grandes questions ne feront l'objet d'accord
que dans les derniers jours, voire même les dernières heures de la
négociation. Il importe donc, pour tous ceux et celles qui prendront la
peine de venir témoigner devant nous, de savoir que le gouvernement est
à l'écoute et qu'il reste possible d'accentuer tel ou tel point
de la position que le Québec a défendue jusqu'ici ou de corriger
carrément le tir, s'il s'avérait que nous avions mal
visé.
M. le Président, permettez-moi d'insister sur deux aspects
fondamentaux de la forme que devront prendre nos délibérations
dans les prochains jours. Le Québec, comme toutes les autres provinces,
est associé de près au processus des négociations par le
biais de mécanismes que j'exposerai en détail dans quelques
minutes. Cependant, c'est au gouvernement fédéral qu'incombe la
tâche de négocier comme telle. De plus, les négociations
sont maintenant dans leur phase la plus délicate. Vous comprendrez donc
qu'il ne sera pas question pour moi ou mes collaborateurs d'évoquer
directement le déroulement des négociations ou tel et tel
élément de tactique de la partie canadienne ou américaine,
autrement qu'en termes très généraux. Le moment de ces
questions viendra une fois que les termes de l'accord seront connus,
après le 5 octobre. Pour le moment, le but de nos audiences est
d'examiner la position du Québec dans ces négociations et les
intérêts qui la sous-tendent.
L'autre donnée fondamentale qui donnera le ton à nos
délibérations concerne les relations entre le gouvernement et
l'Opposition sur le dossier du libre-échange. À toutes les
occasions que nous avons eues de débattre ce dossier à
l'Assemblée nationale ou ailleurs, et je rappelle à tous que le
libre-échange a fait l'objet plus particulièrement d'une
interpellation le 22 mai dernier à l'occasion de laquelle nous avons
répondu aux questions de l'Opposition pendant trois heures, chaque fois
que nous avons discuté de libre-échange, le ton a
été serein, le débat objectif et dénué de
partisanerie des deux câtés. Je crois qu'il sied à un
dossier de cette importance nationale que cette attitude d'objectivité
et de non-partisanerie continue de caractériser nos interventions comme
membres de cette commission,, J'ose espérer que cette attitude
caractérisera également les témoignages que nous
entendrons durant la tenue de la commission.
Après ces remarques préliminaires, j'en viens maintenant
à mon propos principal. Avant de commencer à entendre nos
témoins qui tiendront sans aucun doute pour leur part à
éclairer les aspects plus spécifiques qui les intéressent,
je crois qu'il n'est pas inutile de rappeler les circonstances récentes
qui ont en quelque sorte déterminé la situation qui est la
nôtre aujourd'hui en matière de politique commerciale
canadienne.
J'ai l'intention de rappeler d'abord: la raison d'être et la
nature des négociations; ensuite, l'attitude du Québec face
à l'initiative qu'a prise le gouvernement fédéral de
demander l'ouverture de telles négociations et, finalement,
j'évoquerai certaines des conséquences possibles du succès
ou de l'échec de ces négociations pour le Québec.
Dans un document majeur publié en septembre 1983 et
intitulé "La politique commerciale du Canada pour les années 80",
le gouvernement fédéral d'alors avait tiré quelques
grandes conclusions sur l'importance et sur la gestion de nos relations
commerciales qu'il convient de rappeler brièvement.
Le Canada est essentiellement tributaire du commerce extérieur
pour maintenir son niveau de vie. Près du tiers de chaque chèque
de paie au Canada provient des exportations. Je souligne tout de suite que
cette situation n'a pas changé et qu'elle n'est pas sensiblement
différente pour le Québec. Comme vous pouvez le constater au
milieu du tableau 1, le Québec expédie 40 % de son produit
intérieur brut en dehors de ses frontières et près de la
moitié de ses exportations sont des exportations internationales.
Le Canada est aussi de plus en plus dépendant du marché
américain pour ses exportations. Alors que la part de nos exportations
absorbée par les États-Unis a oscillé entre 65 % et 70 %
durant les années 1960 et 1970, c'est maintenant près de 80 % de
nos exportations qui prennent le chemin du sud. Encore ici, la situation n'est
pas différente pour le Québec, comme on le voit au tableau
suivant: 77,5 % de nos exportations internationales sont allées aux
États-Unis en 1986 alors que cette proportion n'était que de 65 %
en 1981. Dans le même intervalle, nos exportations vers la
Communauté économique européenne diminuaient et
atteignaient un plateau dans le cas du Japon.
Même si le GATT a bien servi les
intérêts du Canada, il montre des signes de vieillissement
et présente certaines lacunes importantes. Ainsi, nous avons un
intérêt certain à l'amélioration et au renforcement
du système multilatéral, et le nouveau round de
négociations lancé il y a un an à Punta del Este, en
Uruguay, est porteur d'avenir. Cependant, il s'agit d'un processus long et dont
les résultats sont loin d'être probants à ce moment-ci.
Enfin, depuis le début des années quatre-vingt, les
États-Unis poursuivent très agressivement leurs
intérêts commerciaux et font montre d'un protectionnisme
croissant. En 1980, 20 % des biens produits aux États-Unis
étaient protégés par une large panoplie de mesures
restrictives à l'importation. Aujourd'hui, ce pourcentage est de 35 %.
Qu'il s'agisse de mesures de sauvegarde, d'actions contre le dumping ou les
exportations subventionnées ou les pratiques commerciales
déloyales, le nombre d'enquêtes et de mesures restrictives s'est
multiplié. On voit d'ailleurs une compilation de celles-ci au tableau
suivant.
Bien entendu, toutes ces mesures n'affectent pas également nos
exportations. II faut encore souligner que la majeure partie de nos
exportations franchissent la frontière sans problème. Cependant,
l'effet cumulatif peut être important. Ainsi, comme on le voit au tableau
suivant, quelque 6 500 000 000 $ d'exportations canadiennes ont
été affectés annuellement entre 1982 et 1985. Ce qu'il y a
de plus inquiétant cependant, au-delà de l'augmentation du nombre
d'enquêtes, c'est l'incertitude créée au Canada par cette
augmentation et par le succès retentissant qu'ont obtenu certains
producteurs américains par une utilisation abusive du système de
protection contingente. Le cas du bois d'oeuvre résineux, le bois de
sciage, est assez frais dans nos mémoires pour ne pas l'évoquer
à nouveau en détail.
Les deux versions du nouveau "Trade Bill" adoptées cette
année par la Chambre des représentants et le Sénat vont
très certainement accentuer cette tendance, par ailleurs
déjà très inquiétante. Un spécialiste du
droit commercial américain qui ne plaisantait qu'à demi affirmait
récemment dans un colloque que l'investissement le plus rentable qu'une
compagnie ou un groupe de compagnies pouvait faire ces temps-ci aux
États-Unis était de retenir les services d'un avocat et de
déposer une pétition au gouvernement pour obtenir qu'on
restreigne les importations de produits concurrents. Plus sérieusement,
l'effet le plus pernicieux de ces actions protectionnistes et aussi le plus
difficile à mesurer, c'est évidemment l'érosion de la
confiance dont ont besoin les investisseurs et les entrepreneurs au Canada. Il
n'y a en effet que peu de secteurs industriels pour lesquels le marché
canadien à lui seul justifie des installations de taille optimale. On
voit donc clairement le danger.
Que faire devant une telle situation? Le statu quo n'est clairement et
carrément plus viable. Les auteurs du rapport de 1983, pour qui la
détérioratio.n du climat des relations commerciales
n'était pas aussi marquée qu'elle ne l'est aujourd'hui, avaient
examiné l'option du libre-échange entre le Canada et les
États-Unis, une option poursuivie sporadiquement et sans succès
depuis plus d'un siècle par différents gouvernements canadiens.
Un rapport du Comité permanent sur les affaires étrangères
du Sénat canadien avait suggéré à nouveau une telle
approche en 1982. Du côté américain, la Loi sur les accords
commerciaux de 1979 évoquait aussi cette possibilité. Toutefois,
après avoir énuméré les arguments pour et contre un
accord de libre-échange, le rapport fédéral rejetait cette
option essentiellement pour des raisons politiques. (15 h 30)
À la place, on évoquait la possibilité plus
limitée de négocier des accords sectoriels de
libéralisation des échanges un peu sur le modèle du pacte
de l'automobile conclu entre le Canada et les États-Unis en 1965 ou de
l'accord sur les aéronefs civils issu des négociations
multilatérales du Tokyo Round en 1979. Cette idée suscita de
l'intérêt de la part des autorités américaines et
des discussions préliminaires eurent lieu en 1984, d'abord sur les
textiles, le transport en commun et les produits pétrochimiques. Le
secteur de l'acier s'y ajouta plus tard. Les provinces furent tenues
informées de ces discussions. On se rendit vite compte, cependant, de
part et d'autre, que l'approche sectorielle comportait des difficultés
considérables. D'une part, le nombre limité des secteurs retenus
au départ et la nécessité d'en arriver à un
équilibre de concession à l'intérieur de chaque secteur
rendaient la tâche potentielle des négociateurs très ardue.
D'autre part, une approche aussi limitée est difficile à
réconcilier avec le GATT, un traité qui lie le Canada et les
États-Unis et 90 autres pays et qui stipule qu'un accord de
libre-échange doit couvrir l'essentiel des échanges entre les
partenaires. Ces difficultés techniques conjuguées avec les
échéances électorales des deux côtés de la
frontière ont fait que ces discussions sectorielles n'ont rien
donné de concret et n'ont pas abouti à de véritables
négociations.
Avec l'arrivée d'un nouveau gouvernement à Ottawa,
l'ensemble du dossier fut réévalué et une consultation fut
menée à l'échelle de tout le pays au début de 1985.
La rencontre MM. Reagan et Mulroney à Québec au mois de mars (le
Shamrock Summit) fut l'occasion pour les deux leaders de se mettre d'accord sur
la nécessité de combattre le protectionnisme et de
libéraliser les échanges sans toutefois qu'on
propose l'ouverture de négociations comme telle. Ce n'est que le
26 septembre 1985 que le premier ministre Mulroney proposait, dans une lettre
adressée au président américain, des négociations
globales visant à libéraliser le commerce des biens et des
services entre les deux pays. Les négociations proprement dites ont
débuté au printemps de 1986 avec un vote serré, on se le
rappellera, au comité des finances du Sénat américain.
De quel type de négociation s'agit-il? Au départ, d'une
négociation de libre-échange assez classique avec, cependant,
l'ajout des services, ce qui constituait à ce moment-là un
précédent dans une négociation commerciale. Dans le
passé, on cherchait généralement à
libéraliser le commerce des biens, les services n'étant inclus
que lorsqu'ils étaient complémentaires aux biens. Depuis, les
services ont également été inclus au programme des
négociations multilatérales du GATT en cours présentement.
Il faut également ajouter qu'à la demande des États-Unis
la question de l'investissement a également été introduite
comme sujet de négociation. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point
tout à l'heure.
Est-ce que tout est négociable? Cette question est sur toutes les
lèvres au moment du lancement des négociations et on l'entend
encore fréquemment poser à telle ou telle enseigne. La
réponse se trouve évidemment dans la demande canadienne, demande
qui fut expliquée plus en détail par les autorités
fédérales quelques jours après la lettre de M. Mulroney a
M. Reagan. Brièvement, on peut la résumer ainsi: II s'agit d'une
négociation globale visant à éliminer les obstacles sur
l'ensemble du commerce des biens et services entre les deux pays. A priori, pas
d'exclusion. Cependant, il faut souligner tout de suite que le premier ministre
canadien a lui-même précisé, au moment même où
il demandait l'ouverture des négociations, que les
éléments suivants, tels qu'énumérés au
tableau, n'étaient pas négociables. Il s'agit, bien sûr, de
la souveraineté politique, du dispositif des programmes sociaux, de la
lutte contre les disparités régionales, de l'identité
culturelle et nécessairement, et si important pour le Québec, du
caractère linguistique particulier du Canada. Je suis certain que nous
aurons l'occasion d'évoquer à nouveau ces conditions pendant le
déroulement des audiences.
Quels sont alors les principaux objectifs poursuivis par le Canada dans
le cadre des négociations? Schématiquement, je crois qu'on peut
les regrouper sous une demi-douzaine de rubriques, tel que nous l'avons fait
sur le prochain tableau, sans leur assigner nécessairement un ordre
d'importance.
Premièrement, l'élimination des tarifs douaniers sur une
période de transition plus ou moins longue selon les produits.
Il faut savoir que l'importance des tarifs douaniers comme moyen de
protection a beaucoup diminué à la suite des sept rondes de
négociations commerciales multilatérales du GATT depuis 1948.
Ainsi, depuis le début de cette année, 85 % des exportations
canadiennes entrent aux États-Unis en franchise alors que 70 % des
exportations américaines au Canada ont le même traitement. Les
tarifs qui subsistent sont de l'ordre de 4 % à 5 % en moyenne aux
États-Unis et de 9 % à 10 % en moyenne au Canada. Cependant, ces
moyennes cachent des écarts importants pour certains groupes de produits
comme les vêtements, les chaussures, les textiles et les meubles.
Deuxièmement, le remplacement des recours aux mesures
unilatérales à la frontière par un système unique
de règles mutuellement convenues et appliquées.
Il s'agit ici, avec la question reliée du mécanisme de
règlement des différends, du point central de toute la
démarche canadienne. Le négociateur, M. Reisman, et les
autorités fédérales ont répété
à maintes reprises qu'il ne saurait y avoir un accord global qui ne
donnait pas satisfaction au Canada sur ce point. On conçoit mal, en
effet, l'utilité de réduire et d'éliminer les obstacles au
commerce si, du jour au lendemain, de nouvelles barrières peuvent
être érigées par l'utilisation de droits compensateurs, par
exemple. Nous comprenons aussi qu'il n'est pas question non plus de demander
d'être exclus purement et simplement de l'application de lois
commerciales américaines, lois dont nous avons d'ailleurs la
contrepartie au Canada. Il s'agirait plutôt de substituer aux deux
systèmes actuels un nouveau système unique qui s'appliquerait de
la même façon aux exportations de l'un et l'autre pays. Ce nouveau
système éliminerait le recours unilatéral à des
mesures frontalières contre les exportations du partenaire, instaurerait
une nouvelle discipline sur l'utilisation des programmes d'aide à
l'industrie et comporterait un mécanisme souple et efficace de
règlement des différends.
Troisièmement, l'établissement d'un tel mécanisme
de règlement des litiges pourrait comporter un arbitrage obligatoire
dans les rares cas de différends commerciaux où il n'y aurait pas
moyen de résoudre le problème autrement.
Quatrièmement, les marchés publics consomment une part de
plus en plus grande de la production nationale de tous les pays et, dans
presque tous les cas, les marchés publics font l'objet d'une
réglementation visant à réserver partiellement ou
entièrement ces marchés aux fournisseurs nationaux ou locaux. Une
première tentative de libéraliser ces types de marché a
été faite pendant le Tokyo Round, mais l'accord qui
en est résulté ne s'applique qu'à une faible partie
des achats des gouvernements centraux. Nous comprenons que l'approche
canadienne vise à réduire substantiellement ce qui est l'une des
plus importantes barrières non tarifaires entre les deux pays.
Cinquièmement, ce sont les États-Unis qui
préconisent l'inclusion des services dans les négociations
commerciales internationales depuis plusieurs années. Le Canada supporte
également cet objectif, mais, vu la nouveauté du sujet, la
pauvreté relative des données en matière de services et la
grande diversité d'activités que recouvre ce secteur, il est
encore difficile de percevoir la forme d'un accord sur ce point.
Finalement, le commerce des produits agricoles fait depuis longtemps
l'objet d'un traitement spécial, pour ne pas dire d'un traitement
d'exception, lors des négociations commerciales. Il en sera sans doute
de même dans le cadre des négociations du libre-échange.
Sans être exclus du champ du négociable, M. le premier ministre en
a donné des exemples, nous comprenons cependant qu'il n'est pas question
de remettre en cause - j'insiste sur le sujet -les systèmes de soutien
à l'agriculture qui existent sous des formes différentes des deux
côtés de la frontière. Il est clair que les graves
problèmes qui affectent le commerce mondial des produits agricoles,
problèmes qui impliquent surtout la Communauté économique
européenne et les États-Unis, vont plutôt faire l'objet de
négociations au GATT qu'entre purement le Canada et les
États-Unis.
J'en viens maintenant à la position du gouvernement du
Québec dans le dossier des négociations du libre-échange.
Avant de passer au fond des choses, j'aimerais prendre quelques minutes pour
expliquer la façon choisie par le gouvernement pour préparer
cette position. Les dossiers en négociation sont nombreux et complexes
et, conséquemment, il a fallu suppléer à la machine
administrative existante en créant un certain nombre de comités
et de groupes de travail pour conseiller le gouvernement.
Le 8 janvier 1986, le premier ministre m'invitait à
présider un sous-comité ministériel sur la
libéralisation des échanges. Sous la responsabilité du
Comité ministériel permanent au développement
économique, le mandat confié à ce sous-comité
consiste à assurer la coordination générale du dossier sur
la libéralisation des échanges avec les États-Unis,
notamment en proposant au CMPDE et au Conseil des ministres la position du
Québec sur la question, en surveillant le processus des
négociations, en faisant rapport périodiquement sur leur
déroulement et en assurant le suivi des décisions du Conseil des
ministres.
Les autres membres du sous-comité sont Mme Lise Bacon,
vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles, M. Gil
Rémillard, ministre des Relations internationales et ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, M.
Daniel Johnson, ministre de l'Industrie et du Commerce, et M. André
Vallerand, ministre délégué aux Petites et moyennes
entreprises. D'autres ministres, selon les besoins, se sont joints au
sous-comité, dont le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et
de l'Alimentation, M. Michel Pagé, le ministre de l'Énergie et
des Ressources, M. Ciaccia, et le ministre délégué
à la Privatisation, M. Fortier. Le secrétariat de ce
sous-comité est assumé par le secrétariat au
Développement économique.
Le sous-comité ministériel se réunit lorsque les
dossiers le nécessitent. J'informe mes collègues du
sous-comité ministériel du CMPDE et du Conseil des ministres sur
une base régulière, soit par des présentations sur
l'évolution de l'ensemble du dossier, soit par la transmission de
mémoires ou de documents sur des points particuliers.
Afin que le sous-comité puisse remplir efficacement son mandat,
le gouvernement s'est doté d'une structure politique et administrative
fonctionnelle lui permettant d'identifier clairement les intérêts
québécois en jeu, d'assumer pleinement son rôle dans le
cadre des négociations commerciales entre le Canada et les
États-Unis. J'ajoute que les mêmes mécanismes servent
également à l'occasion de discussions sur les négociations
commerciales multilatérales du GATT.
Structure administrative. M. Jake Warren, ancien ambassadeur à
Washington et coordinateur pour le Canada du Tokyo Round, qui connaît
bien le secteur privé, a été nommé conseiller
principal du gouvernement dans le dossier des négociations commerciales.
Trois comités ont été formés et charqés de
définir les objectifs et les priorités du Québec: le
Comité consultatif sur la libéralisation des échanges, le
Comité technique interministériel et le Groupe restreint de
coordination.
Le comité consultatif de M. Warren est composé de 17
représentants des secteurs privé et public. Leur mandat est
double: Aider le gouvernement à établir ses objectifs et ses
priorités pour les négociations internationales et recevoir les
avis de groupes ou d'individus désirant informer le gouvernement de leur
position sur la libéralisation des échanqes. J'ai
déjà mentionné que le comité consultatif vient de
me remettre un rapport que j'ai rendu public hier.
Le Comité technique interministériel, sous la
responsabilité du secrétaire général associé
au développement économique, M. Michel Audet, a pour fonction de
produire les analyses techniques et spécifiques nécessaires
à la définition des objectifs québécois dans le
dossier.
Ce Comité technique interministériel regroupe une
quinzaine de ministères et organismes gouvernementaux qui ont tous
été appelés à contribuer à nos travaux selon
la compétence des domaines qui les intéressent.
Le Groupe restreint de coordination, sous l'autorité du
secrétaire général associé au développement
économique et du conseiller principal du gouvernement a comme mandat
d'assurer le suivi et la coordination des dossiers de l'appareil administratif
gouvernemental en vue de définir les positions du Québec. Ce
groupe a fait l'analyse des documents de travail transmis par tous, a suivi de
près le déroulement des négociations, a
élaboré à l'aide des travaux et des informations
reçues des projets de positions du gouvernement et a joué le
rôle-conseil auprès du sous-comité ministériel, du
CMPDE et du Conseil des ministres sur l'évolution des
négociations. Composé de neuf membres, ce groupe de travail se
réunit hebdomadairement et plus fréquemment lorsque
nécessaire.
Le gouvernement du Québec perçoit des négociations
commerciales comme un moyen d'atteindre plusieurs grands objectifs qui vont au
coeur du continuel exercice de redéploiement et de modernisation de la
structure industrielle du Québec. Nous voulons faire du Québec
une société productive et plus compétitive face à
la concurrence domestique et internationale et développer un climat
d'encouragement à l'investissement, tant domestique qu'étranger.
Il faut offrir à la population active de meilleures possibilités
de création d'emplois stables et qualifiés, renforcer notre base
technologique et combattre le protectionnisme montant, en particulier, ses
nouvelles formes. Bref, le Québec souhaite développer une
économie dynamique capable de s'adapter avec plus de flexibilité
à son environnement et de mieux saisir les opportunités de
changements qu'offre l'internationalisation de ses perspectives de
marché.
Le Québec considère qu'une entente commerciale
réciproquement avantageuse avec les États-Unis pourrait
contribuer de façon significative à l'atteinte de ses objectifs
de développement économique dans la mesure où un
accès amélioré et garanti pour les produits des deux pays
serait réalisé. Dans cette perspective, le Québec
coopère avec le gouvernement fédéral et les gouvernements
des autres provinces pour réaliser une telle entente commerciale
où ses intérêts seront pris en compte.
Par ailleurs, le Québec a toujours exigé, dans les
négociations, le respect intégral du cadre constitutionnel et du
partage des compétences législatives des gouvernements, tout en
exerçant son influence sur toutes les questions affectant son avenir
économique. Nous avons défendu l'intégralité des
lois, programmes et politiques qui, dans les domaines de la politique sociale,
des communications, de la langue et de la culture, contribuent à la
spécificité de la société
québécoise.
De même, nous avons voulu nous assurer de maintenir, en
matière d'intervention gouvernementale, la marge de manoeuvre suffisante
pour atteindre les objectifs de modernisation économique que nous nous
sommes fixés, tout en accordant une attention particulière aux
petites et moyennes entreprises que la taille ou l'éloignement
géographique rendent particulièrement vulnérables.
Le Québec est conscient qu'un accès amélioré
et garanti pour les biens ne peut être obtenu que par une
négociation portant à la fois sur les tarifs et les obstacles non
tarifaires.
S'agissant des tarifs, le Québec souhaite une approche qui tienne
compte du plus haut niveau de protection des biens canadiens et de la
disparité de taille des deux économies. Nous avons insisté
auprès des autorités fédérales sur la
nécessité d'obtenir des périodes de transition et de
programmes d'assistance appropriés afin de faciliter l'ajustement au
nouveau contexte concurrentiel des entreprises et des travailleurs oeuvrant
dans des secteurs moins compétitifs. Les négociations sur les
tarifs devraient également être complétées par des
accommodements en matière de règles d'origine, de
rétrocessions et de redevances douanières. (15 h 45)
Le Québec reconnaît la nécessité de
l'élimination des obstacles non tarifaires, particulièrement ceux
associés à la question de la protection contingente. II s'agit
indiscutablement, à ses yeux, du point central de toute la
néqociation. Il est clair en effet que, si un accès libre et
préférentiel au marché américain peut, à
tout moment, être remis en cause par le biais de mesures restrictives
à la frontière, alors, les bénéfices
recherchés ne se matérialisent pas dans les proportions que
paraissent justifier nos avantages comparatifs en matière de ressources
naturelles et pour de nombreux biens et services, notamment de haute
technologie.
Quelle que soit la formule retenue à cet important chapitre, le
gouvernement du Québec croit que la gestion d'un accord, dont les
ramifications structurelles pourront potentiellement être si importantes,
exige la mise en place d'un mécanisme de règlement des
différends auquel devront être associées les provinces,
notamment lorsque leurs intérêts propres seront en cause.
Le Québec cherche toujours, dans ces négociations,
à conserver pour l'agriculture un statut spécial, lequel
correspond à un état de fait dans l'ensemble des
sociétés industrialisées et reflète l'importance
des interventions gouvernementales considérées
comme nécessaires au maintien d'une certaine stabilité
dans ce secteur. Il fera également valoir la nécessité de
bien reconnaître les besoins et le caractère distinct du secteur
des pêcheries.
Le Québec considère comme essentiel que soit maintenue la
capacité d'intervention des gouvernements en matière de
développement régional et insiste pour que les modalités
d'application retenues permettent aux deux niveaux de gouvernement d'assumer
leurs pleines responsabilités.
M. le Président, on m'avise qu'il ne me reste que 60 secondes, je
vais donc terminer en disant que je voulais traiter des conséquences
possibles du succès ou de l'échec des négociations. Je
voulais également conclure en disant ou en répétant
plutôt ce qu'on a entendu, à savoir que le gouvernement du
Québec favorise...
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre, je pense
qu'on pourrait peut-être vous permettre, si vous nous indiquez que cela
ne prendra pas encore...
M. MacDonald: Environ cinq minutes.
Le Président (M. Charbonneau): Je pense que, pour cinq
minutes, on pourrait s'entendre de part et d'autre pour que vous puissiez,
quitte à ce que, éventuellement, le député de
Bertrand...
M. Lefebvre: ...donnera les cinq minutes...
Le Président (M. Charbonneau): ...s'il a besoin de temps
additionnel lui aussi, puisse bénéficier de... Allez-y. Je pense
que le sujet mérite que...
M. Bourassa: Est-ce que cela veut dire que mes cinq minutes
demeurent?
Le Président (M. Charbonneau): Non, non, vous, M. le
premier ministre, vous avez écoulé tout le temps qui vous
était imparti.
Une voix: II vous reste quatre minutes, M. Bourassa.
Le Président (M. Charbonneau): Et pour être certain
que... Le ministre vient d'utiliser la bande qui aurait pu vous être
utile éventuellement; il ne vous reste plus de temps, M. le premier
ministre, à ce moment-ci.
M. Bourassa: Merci, M. le Président. Une voix:
Merci du cadeau.
M. MacDonald: Merci. En matière d'achats publics, le
Québec estime qu'il est indispensable de tenir compte des coûts
administratifs liés à la mise en application de règles de
transparence et de trouver un seuil d'application lui permettant de conserver
une marge de manoeuvre raisonnable, mais suffisante, à la promotion de
ses objectifs de développement économique.
De même, le Québec considère la possibilité,
compte tenu des disparités de taille des économies et des
unités de production des deux pays, de conserver au-delà de la
période de transition le recours à des mesures de sauvegarde,
quitte à les définir le plus strictement possible et à n'y
recourir qu'en des situations d'urgence, à savoir dans des circonstances
de fortes hausses d'importations (ou dans le cas du risque imminent d'une telle
éventualité).
En matière de propriété intellectuelle, le
Québec est en attente des projets de modifications législatives
fédérales. Il souhaite fortement que les révisions en
cours servent à moderniser les mesures canadiennes de protection de la
propriété intellectuelle afin que toutes les catégories
d'oeuvres soient protégées adéquatement.
En raison de ses intérêts propres au chapitre des
exportations de services (notamment les services financiers, l'informatique, le
génie-conseil et autres services professionnels et le tourisme) de
même qu'en raison de son intérêt général
vis-à-vis d'une entente valable de libéralisation
canado-américaine des échanges, le Québec souscrit
à l'inclusion des services à l'ordre du jour d'un éventuel
accord. II procédera toutefois à l'évaluation finale de
toute entente à ce chapitre au moment où seront connus les
principes généraux, les secteurs impliqués et les mesures
spécifiques à mettre en oeuvre à la suite d'un accord dans
ce domaine.
À la fois pour assurer sa croissance économique et pour
favoriser son ajustement à un espace commercial
libéralisé, le Québec désire que les
négociations commerciales bilatérales suscitent et maintiennent
un climat d'investissement plus ouvert et plus libéral. L'effet de
détournement d'investissements qu'implique le protectionnisme
américain comme la surenchère des aides publiques
nécessaires à son renversement démontrent bien la
nécessité de progrès sur cette question.
Jusqu'à présent, les procédures de consultation
fédérale-provinciale mises en place ont permis au Québec
de participer de façon satisfaisante à l'évolution de ce
dossier. Toutefois, la question d'adhésion des provinces à
l'accord et la façon dont elles poseront les gestes administratifs et
les modifications législatives pour mettre en oeuvre les dispositions de
l'accord qui relèvent de leur compétence reste posée.
Enfin, le gouvernement maintient sa position initiale en ce sens que
sa
participation active dans le processus de négociation ne
préjuge en rien de son adhésion finale à toute entente
éventuelle. Le gouvernement du Québec se réserve le droit,
au moment de la conclusion de ce processus de négociation, d'en faire
une évaluation ultime en fonction de ses intérêts
fondamentaux et de donner ou non son approbation, le cas
échéant.
En terminant, M. le Président, je veux tenter de dégager
quelques-unes des conséquences possibles du succès ou de
l'échec pour le Québec des négociations en cours. Quelle
que soit la perspective que l'on adopte et d'après les mémoires
reçus à ce jour - je crois que nous en aurons un bon
échantillonnage dans les prochains jours -l'importance de ces
négociations ne fait de doute pour personne.
Un changement des règles du jeu de l'ampleur de celui qui est
recherché par le Canada ne peut manquer d'avoir des répercussions
profondes à long terme sur la structure de l'économie et, donc,
sur la qualité de nos vies individuelles. Il est clair également
que, malgré la nature très globale de l'approche canadienne, la
dimension finale de l'accord qui pourrait être conclu pourra être
moins ambitieuse. Il n'y a rien là qui puisse vraiment nous
étonner. Il s'agit d'une négociation et il est maintenant rare
que chacune des parties à une négociation atteigne pleinement
tous les objectifs qu'elle s'était fixés au départ.
Je crois qu'il faut se garder de concevoir un accord de
libre-échange, si important fût-il, comme une panacée ou
une baguette magique qui résoudrait d'un seul coup tous les
problèmes de notre commerce avec les Etats-Unis. Il serait encore plus
faux de percevoir un accord de libre-échange comme un fléau sans
précédent qui menacera non seulement l'emploi, mais notre
identité même. La réalité sera beaucoup plus
modérée.
Je l'ai déjà souligné, le gouvernement du
Québec a réalisé un grand nombre d'analyses pour essayer
de jauger l'impact d'une libéralisation des échanges sur
l'économie du Québec. L'essentiel de ces analyses a
été rendu public il y a déjà plusieurs mois et nous
aurons sans doute l'occasion d'y faire référence dans les
prochains jours. De nombreuses études de toute nature ont
été réalisées par des organismes et des chercheurs
indépendants au cours des derniers mois. Pratiquement sans exception,
ces études démontrent que la libéralisation des
échanges entraînerait une création nette d'emplois, une
augmentation de la productivité et de la production et un gain net en
termes de revenu réel.
J'aimerais faire état brièvement de la plus récente
de ces études, celle du Conseil économique du Canada, rendue
publique le mois dernier. Cette étude, comme toutes les autres, ne peut
être considérée comme ayant une valeur de
prédiction; on doit toujours avoir à l'esprit la valeur
indicative de ces études; elles ont toutes un caractère statique
qui découle de la nature même des hypothèses retenues et
des modèles utilisés. Il est encore impossible de mettre en
équation le dynamisme des entrepreneurs ou la capacité
d'invention de nos chercheurs. Cependant, la prudence qui a guidé les
analystes du Conseil économique du Canada dans le choix de leurs
hypothèses nous a frappés et impressionnés. Le bilan
positif des gains et des pertes que cette étude établit pour les
industries et les régions à la suite de la conclusion d'un accord
de libre-échange est donc encourageant. Ainsi, le conseil
économique prévoit des gains de production et d'emplois dans 30
groupes industriels sur 36, et ce, dans toutes les régions, une
diminution de l'inflation et une hausse de notre dollar par rapport au dollar
américain, ce qui serait normal si la productivité de
l'économie canadienne s'améliore.
J'aimerais m'attarder quelques secondes sur la question de l'emploi.
Pour plusieurs, la question de l'impact du libre-échange sur l'emploi
est cruciale et c'est normal. Or, l'étude du conseil économique
est intéressante à ce chapitre. Comme le montre le graphique
suivant, quelques 350 000 nouveaux emplois seraient créés d'ici
à 1995. Ces nouveaux emplois se manifesteraient surtout dans le secteur
des services, 240 000, de la construction, 48 000 et des industries
manufacturières, 42 000. La répartition régionale de ces
emplois présente elle aussi un certain intérêt et elle est
illustrée au graphique suivant. Ainsi, on voit que le Québec
récolterait 84 000 de ces nouveaux emplois ou 24 % du total. Même
en gardant à l'esprit leur valeur indicative et la modération des
hypothèses sur lesquelles ils reposent, ces chiffres parlent par
eux-mêmes.
Je crois aussi que ces chiffres nous aident à mettre les
conséquences positives d'un accord en perspective. L'an dernier
seulement, 62 000 emplois nets ont été créés au
Québec. Cette année, si la tendance actuelle se poursuit et comme
le disait auparavant le premier ministre, près de 100 000 emplois nets
seraient créés. Nous vivons déjà au milieu d'une
économie qui est en changement continuel et les variations
supplémentaires que la libéralisation des échanges
introduirait seraient relativement peu importantes, mais positives, par rapport
aux changements qui découlent d'autres sources comme l'évolution
technologique, par exemple.
Sans jouer les prophètes de malheur, je crois que la question se
pose: Qu'arriverait-il si les deux parties ne s'entendaient pas au plus tard le
4 octobre? Bien sûr, le monde ne s'écroulerait pas le lendemain
matin et le
flat des échanges entre le Canada et les États-Unis
continuerait largement sans entraves. Toutefois, nous croyons qu'une occasion
historique d'améliorer le sort des producteurs et des consommateurs des
deux côtés de la frontière aurait été
ratée. Nous resterions vulnérables, comme nous le sommes
maintenant au jeu des groupes d'intérêts américains et de
l'influence néfaste qu'ils réussissent parfois à avoir
auprès des autorités américaines. Il est, bien entendu,
impossible de prévoir à quel moment une pareille occasion aussi
pourrait se représenter.
Il y a, bien sûr, les négociations commerciales
multilatérales du GATT qui sont en cours à Genève. Il faut
toutefois se rappeler que la portée, en ce qui a trait au Canada, du
résultat anticipé de ces négociations ne serait pas du
même ordre que celle qui est recherchée avec les
États-Unis.
Je crois, M. le Président, d'un commun accord, que j'en ai assez
dit. Le gouvernement est maintenant à l'écoute des
représentations. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. Je
cède maintenant la parole au député de Bertrand, critique
de l'Opposition en matière de commerce. Alors, M. le
député de Bertrand.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président.
D'abord, quelques remarques préliminaires, avant de
débuter comme telle ma présentation, concernant l'exposé
que vient de faire le ministre du Commerce extérieur. J'ai un petit peu
l'impression qu'il n'a pas mis en pratique ce que son premier ministre lui a
demandé, c'est-à-dire d'être très pragmatique. J'ai
un peu l'impression que ce qu'il nous a brossé comme tableau, on le
retrouvait d'abord dans "Une perspective québécoise". Aussi, la
plupart des grandes lignes de fond qui ont été
évoquées au cours de la dernière demi-heure sont les
propos qui ont été tenus le 22 mai dernier, c'est-à-dire
qu'à toutes fins utiles on n'en sait pas tellement plus qu'on en savait
à ce moment-là. Tout le problème, M. le Président,
vient essentiellement du fait que le gouvernement nous dit: Voici les grands
objectifs, voici les grandes lignes. Mais on est à 18 jours d'une
entente et on ne sait toujours pas où l'on se branche.
Enfin, le débat public sur le libre-échange est
arrivé. Voilà près de 18 mois que les gouvernements
américain et canadien négocient. Voilà des mois et des
mois que nous réclamons des études d'impact et un débat
sur la place publique. On s'en est fait promettre et on en a entendu de toutes
sortes. Mais voilà que 18 jours à peine avant que soit
scellée une entente canado-américaine qui va modifier de
façon importante et irrémédiable les règles du jeu,
on est toujours dans l'ignorance à peu près totale de ce qui
s'est négocié en notre nom et peut-être sur notre dos par
le gouvernement fédéral.
Le premier ministre du Québec a été remarquablement
discret. C'est le moins qu'on puisse dire. II s'est habitué avec le
temps à en dire le moins possible. Le gouvernement pense qu'il est plus
facile de ne rien dire que de répondre aux questions difficiles. Il a
raison, c'est plus facile, mais c'est aussi - et le mot n'est pas trop fort
-irresponsable. Le premier ministre de l'Ontario, lui, n'a pas eu peur de s'en
mêler. Il a défini ses conditions et les a dites haut et fort pour
être bien sûr que tout le monde le comprenne et surtout le
gouvernement fédéral. Il a même fait une élection,
et on en connaît les résultats, là-dessus au cours des
derniers jours. (16 heures)
Est-ce que le premier ministre du Québec se sentirait quelque peu
les mains liées vis-à-vis son homologue fédéral
depuis l'accord du lac Meech? À moins que, carrément, il ne sache
pas où il va et cela, j'en doute, du moins je l'espère. Serait-il
gêné parce que sa position a changé depuis deux ans alors
qu'il dénonçait le libre-échange qui devait mener, selon
lui, à rien de moins qu'à la perte de la souveraineté du
Canada? Depuis qu'il est devenu le grand défenseur du
libre-échange, particulièrement ces derniers jours, il est
même prêt à des compromis importants. De quels compromis
s'agit-il, M. le premier ministre? On aimerait beaucoup profiter des
lumières du premier ministre, de même que de celles de ses
ministres. Jusqu'à maintenant, ils ont été plutôt
évasifs, l'un promettant des études, l'autre s'y dérobant.
On ne peut pas dire que cette stratégie profite au gouvernement puisque
les sondages indiquent que l'appui populaire au libre-échange a
dégringolé de 78 % à 42 % depuis 18 mois. Voilà ce
qui arrive lorsqu'on cache des choses à la population.
C'est feu Mgr Proulx qui, le printemps dernier, disait au nom de la
Conférence des évêques catholiques du Canada: "Dans une
saine démocratie, toute décision d'ordre national doit être
connue et soumise à un débat populaire. Les évêques
trouvent que les enjeux de cet accord sont trop importants pour qu'on laisse en
marge du débat la majorité de la population et surtout ceux qui
ont le moins de pouvoir, mais qui subiront le plus les conséquences. Ils
insistent pour dire que ni les gouvernements provinciaux ni Ottawa n'ont le
mandat de négocier une entente globale avec les États-Unis." Nous
sommes pleinement d'accord, M. le Président, avec ces
déclarations et elles montrent bien
qu'à tous les niveaux on est préoccupé.
De son côté, plus récemment, dans une entrevue qu'il
accordait à la revue PME, en septembre 1987, le ministre MacDonald
déclarait que le débat avait bel et bien eu lieu. Il faisait
référence, bien sûr, aux différents groupes qui ont
pu comparaître devant le comité Warren. M. le ministre, le
débat sur la place publique, ce n'est pas cela. Une fois de plus, on ne
parle pas le même langage. Il ne faudrait pas, M. le ministre,
répéter tout haut que le débat a déjà eu
lieu puisqu'on risque de ne plus vous prendre au sérieux. La population
est inquiète et elle a raison de l'être. Les enjeux sont
énormes. Une mauvaise décision pourrait coûter des milliers
d'emplois et jeter par terre des secteurs entiers de notre économie.
Mais, finalement, de quoi parlons-nous? Encore une fois, les
journalistes, les évêques, les syndiqués, tout le monde
déplore la même chose: on a pris prétexte du secret qui
doit entourer les négociations pour finalement tout nous cacher. Comme
il n'y a pas moyen de savoir ce qui est en train d'être
négocié sur notre dos, on en est réduit à examiner
la théorie. Les partisans du libre-échange nous disent à
peu près ceci: Abaissons les barrières tarifaires entre le Canada
et les États-Unis, libéralisons le commerce entre nos deux pays;
comme ça, on achètera plus des Américains et, surtout, on
leur vendra plus. Tout le monde aura plus d'argent et il va y avoir plus
d'emplois. C'est la théorie du libre-échange exprimée
simplement.
Mais nous, ce qui nous préoccupe, c'est ce qui arrive au monde
ordinaire, ce qui arrive au vrai monde, surtout avec les impacts de ces grandes
théories, Quand on y regarde d'un peu plus près, on
réalise que, dans la vie de tous les jours, ce qui se passe n'est pas
toujours ce qui a été écrit dans les livres. On a quelques
tableaux, beaucoup plus sobres que ceux du gouvernement, mais avec un langage
qui se veut le plus simple possible afin de bien faire comprendre les enjeux
que nous y voyons, sous le thème "Le libre-échange, ça se
prépare". Par exemple, le libre-échange, cela veut dire, entre
autres, qu'on abolit tes tarifs douaniers. On doit réaliser
qu'actuellement 80 % des marchandises traversent la frontière dans les
deux sens sans obstacle. C'est ce qu'on appelle le commerce en franchise. Avec
le libre-échange, cela passerait probablement à tout près
de 100 %. De 80 % à 100 %, on nous dira: "Y a rien là", mais ces
20 %, attention, touchent les secteurs névralgiques, les secteurs tels
que l'agriculture, les industries culturelles, le textile. Pour ne prendre
qu'un exemple, dans le domaine du textile, les barrières tarifaires qui
protègent le Canada sont de l'ordre de 18 %. Si on ouvre toutes grandes
nos portes aux produits américains sans prendre de précautions,
les agriculteurs d'ici vont se ramasser sur la paille, c'est le cas de le dire.
Même chose dans le domaine des livres, de l'édition et des revues:
il nous faut protéger nos éditeurs.
Les périodes de transition - on y reviendra un peu plus tard -
doivent, à mon avis, être bien éclairées à ce
stade-ci.
Le libre-échange, toujours selon la théorie, cela veut
dire aussi l'abolition des tarifs. Après le libre-échange, il n'y
aura plus de tarifs alors que, maintenant, les tarifs imposés par le
Canada sont en moyenne deux fois plus élevés que les tarifs
imposés aux États-Unis, c'est-à-dire que le Canada est
protégé à 10 % et les Américains à 5 %. Par
exemple, dans des domaines plus particuliers, le domaine du tapis, on voit que
les barrières tarifaires sont de l'ordre de 20 % au Canada, tandis
qu'elles sont de 7,6 %, c'est-à-dire, dans ce cas-là
particulièrement, trois fois plus élevées ici au Canada.
Cela veut dire que les industries québécoises auront à
compenser en moyenne deux fois plus fort que les industries américaines.
Au départ, si on ne fait rien pour les aider, elles seront
désavantagées.
Ces questions sont d'autant plus importantes que l'économie du
Québec est basée sur une structure industrielle,
particulièrement sur des petites et moyennes entreprises. On parle
beaucoup des Lavalin, Bombardier et Cascades, en fait ces chefs de file, bravo!
Mais, encore là, la grande majorité des emplois au Québec
se retrouve dans des PME et non dans les grandes entreprises.
Ce n'est pas moi qui le dis. Le ministre délégué
aux PME publiait, le printemps dernier, un volume que je cite à la page
168. Le ministre Vallerand disait: "Les PME sont donc très importantes.
Les PME sont de très importants employeurs au Québec même
si leur voix semble moins entendue que d'autres. Leur présence est
même relativement plus déterminante ici au Québec
qu'ailleurs au Canada et aux États-Unis." Je pense que c'est très
important. "Le dynamisme qu'elles ont affiché en termes de contribution
nette à l'emploi au cours des années récentes a aussi
été plus marquant au Québec qu'ailleurs en
Amérique."
La PME, le gouvernement le sait, du moins en théorie, est plus
vulnérable que la grande entreprise. Et si on veut qu'elles deviennent
un jour de grandes entreprises, il faut leur donner une attention
particulière et leur fournir, quand elles en ont besoin des coffres
d'outils pour leur développement. Le gouvernement est-il prêt
à leur fournir ce support nécessaire? On peut en douter
particulièrement lorsqu'on regarde ce qui s'est passé depuis deux
ans, et je reviendrai avec quelques exemples tout à l'heure. Il
faut bien comprendre que la grande entreprise, comparativement à
la petite, est capable de se défendre, particulièrement face
à la concurrence internationale, à cause de sa taille, de ses
capacités financières et de ses ressources humaines.
Dans le deuxième tableau, si on le regarde d'un peu plus
près, on voit qu'on a bien des raisons de s'inquiéter, que le
portrait n'est pas aussi beau que cela. Quand on examine secteur par secteur,
l'économie québécoise, les questions se multiplient. Dans
le secteur culturel, par exemple, les Américains sont 250 000 000. Quand
on publie un livre ou qu'on fait des films là-bas, il y a tellement de
monde pour acheter que le problème de la rentabilité ne se pose
même pas. Ici, au Québec, on est beaucoup plus vulnérable
et nous aurons la chance certes, au cours des prochains jours, d'en discuter
plus en profondeur. Au Québec, ce n'est pas pareil, notamment en ce qui
concerne les produits culturels français. On n'est pas 250 000 000; on
n'est que 6 000 000. Bien peu de nos éditeurs survivraient sans le
soutien des pouvoirs publics. Pour nous, c'est clair, la culture n'est pas un
domaine comme les autres. Il faut absolument la soustraire aux
négociations sur le libre-échange. La culture, cela ne se
négocie pas. Cela nous appartient et on doit prendre toutes les mesures
pour la préserver.
C'est la même chose dans le domaine de l'agriculture et des
pêcheries. Si on ouvre la porte toute grande à nos agriculteurs et
à nos pêcheurs, ceux-ci vont souffrir du libre-échange;
beaucoup n'y résisteront pas. Pour les oeufs, pour le poulet, par
exemple, c'est la faillite pure et simple du jour au lendemain. Il faut
soustraire l'agriculture et les pêcheries aux négociations du
libre-échange.
A titre d'exemple, dans le domaine du marché laitier, à
cause des quotas à l'importation et aussi à la production, il
faut réaliser qu'un litre de lait se vend, à Montréal, aux
environs de 0,90 $ tandis qu'à Albany, c'est 0,70 $. Le lait
représente 41 % de la production agricole du Québec et, au
Canada, la gestion des approvisionnements permet d'équilibrer l'offre et
la demande. Aux États-Unis, les règles du jeu sont
différentes. Entre autres, le gouvernement doit racheter les surplus. En
dollars, ces surplus, juste dans le domaine du beurre, représentent 405
000 000 $; dans le fromage, cela représente 748 000 000 $. Tout cela
pour dire que le gouvernement des Etats-Unis a des mesures particulières
et qu'elles sont différentes d'ici.
Dans le domaine avicole - celui du poulet et des oeufs - un autre
exemple peut nous faire réaliser les différences qui existent
entre nos deux marchés. Une douzaine d'oeufs ici, à
Montréal, coûte environ 1,50 $ alors qu'à Albany elle ne
coûte que 0,69 $. Seulement les oeufs cassés dans le transport aux
États-Unis représentent un volume supérieur à toute
la production canadienne. Le libre-échange, cela veut dire une
disparité énorme et aussi une disparition éventuelle de
toute cette production canadienne.
Quant à nos ressources naturelles, on sait que le Québec
est riche sur son territoire. Depuis toujours notre prospérité
est liée à notre bois, à nos mines, à notre
électricité. On a même bâti le Québec moderne
en grande partie autour de cela. Prenons, par exemple,
l'électricité. On a attiré ici de grandes entreprises. On
a aussi permis à plusieurs entreprises québécoises de
grandir en leur consentant des tarifs préférentiels. Par contre,
on vend notre énergie plus cher aux Américains. C'est
évident que ces derniers aimeraient payer moins cher et que nos
entreprises paient plus cher. Je pense qu'il nous faut absolument conserver nos
outils de développement économique et les avantages que nous
avons. Actuellement, comme on l'a dit précédemment, le prix de
notre électricité vendue à nos entreprises est d'environ
0,024 $ le kilowattheure tandis qu'il est de 0,063 $ selon les derniers
contrats signés aux États-Unis, c'est-à-dire un rapport
d'environ trois fois moins ici.
Le développement régional, bien sûr, on l'a
déjà abordé. Depuis 20 ans, le Québec s'est
donné des programmes pour aider les différentes régions
à développer leur potentiel économique, à
créer de l'emploi chez elles plutôt que d'exporter leurs jeunes
vers les villes. Par exemple, on a beaucoup parlé d'un projet de
papeterie dans le Bas-du-FIeuve. Il ne faudrait pas qu'au nom du
libre-échange le gouvernement arrête d'appuyer les dynamismes
régionaux. Il faut conserver nos outils de développement
régional. Il ne faut pas perdre notre capacité d'intervention. Il
nous faut garder les coudées franches. Il faut préserver ce
pouvoir d'intervention du Québec.
Enfin, il y a la question des investissements. Grâce aux
politiques d'achat du secteur public, entre autres, on a attiré au
Québec bon nombre d'entreprises étrangères grâce
à des exigences de contenu québécois. Si on laisse aller
ces politiques, qui nous dit que ces entreprises ne fermeront pas purement et
simplement leur filiale québécoise pour alimenter le
marché québécois à partir d'une usine
américaine? On a plusieurs exemples, particulièrement chez des
fournisseurs d'Hydro-Québec et d'autres sociétés
d'État.
Barrières non tarifaires. Bien sûr que les barrières
tarifaires sont importantes, mais les barrières non tarifaires le sont
aussi. Les mesures, les différentes réglementations, les
subventions, les politiques d'achat sont toutes
parmi les barrières non tarifaires qui font partie de la
négociation. Mais à 18 jours de la conclusion d'une entente,
à ce que je sache et à moins que le gouvernement ne puisse nous
dire le contraire, on ne s'entend même pas sur la définition de ce
qu'est une subvention entre le Canada et les Etats-Unis selon toutes les formes
qu'elle peut prendre. On sait que les Américains sont passés
maîtres dans la façon de donner des subventions à leur
entreprises.
Il y a donc, dans le troisième tableau, beaucoup de questions qui
demeurent sans réponse. M. le Président, après 18 mois et
à 18 jours de l'échéance, le gouvernement du Québec
a caché à la population tant la position qu'il défend que
sa stratégie de négociation. Nous mettrons donc à profit
cette commission parlementaire tardive pour donner une chance au gouvernement
d'informer comme il se doit de le faire. Au strict minimum, le gouvernement
doit répondre aux questions suivantes s'il veut éclairer la
population sur le débat. (16 h 15)
D'abord, où sont ces fameuses études d'impact? Le ministre
du Commerce extérieur nous les a pourtant promises à plusieurs
occasions et, entre autres, lors de la publication du fameux document "Une
perspective québécoise". Il disait même que les annexes
devaient suivre. Cependant, son collègue, le ministre de l'Industrie et
du Commerce, a refusé de les rendre publiques. Il a vu les choses sous
un autre angle. Finalement, le 31 juillet, un vendredi après-midi, par
une manoeuvre de diversion, il rendait public un document qu'il avait
baptisé pour l'occasion "Études d'impact" -mais c'était
carrément des études statistiques - qui ne formulait aucune
recommandation, pas plus de conclusion sur les enjeux importants, que ce soit
dans le domaine des emplois des différents secteurs touchés et
des investissements.
Pourtant, ces études existent, je l'espère. 11 faut les
rendre publiques, que ce soit au ministère de l'Industrie et du
Commerce, au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation, au ministère de l'Énergie et des Ressources ou
encore à l'Office de planification et de développement du
Québec, à l'OPDQ, puisqu'il y a eu des études de faites
dans tous ces différents ministères. Comment voulez-vous que les
entreprises québécoises se préparent à un
changement si on ne leur donne pas de l'information? C'est carrément
indécent et je ne charrie pas.
Quelle période de transition Je gouvernement entend-il
réclamer, secteur par secteur, pour permettre à nos entreprises
de faire les changements nécessaires au niveau contexte du
libre-échange?
Qu'en est-il des secteurs protégés? Le gouvernement
s'assurera-t-il que l'agriculture et la culture soient carrément exclues
du libre-échange? Quels moyens mettra-t-il en oeuvre pour faire
respecter les intérêts du Québec? On voyait tantôt,
dans les documents et dans les tableaux publiés par le ministre du
Commerce extérieur, que les sept conditions sont celles qu'on retrouve
pratiquement mot pour mot à l'intérieur du document qu'on avait
publié en mai dernier.
Que fera le gouvernement pour prévenir les pertes d'emplois dans
les secteurs dit vulnérables? Quels programmes et quelles politiques le
gouvernement entend-il soumettre aux entreprises. Qu'a-t-il
négocié à ce sujet avec le gouvernement
fédéral? Le gouvernement a-t-il une position sur les programmes
de soutien aux entreprises? Le gouvernement a-t-il fait valoir au
négociateur fédéral l'importance de maintenir la
capacité de l'État québécois de conserver la
capacité de mettre en oeuvre une stratégie de
développement économique? Va-t-on seulement être capable de
continuer à favoriser les implantations des nouvelles entreprises dans
différentes régions sans se faire dire qu'on fait du commerce
déloyal? Enfin, et cette question est absolument fondamentale, que fera
le gouvernement si une éventuelle entente de libre-échange ne
donne pas un accès garanti au marché américain? On sait
que toutes les mesures protectionnistes unilatérales nous ont
affectés ces dernières années, voire ces derniers
mois.
Il faut bien voir que c'est là une clé essentielle. Si les
lois américaines concernant le dumping et te commerce déloyal
continuent de s'appliquer malgré une entente de libre-échange,
alors on est certain d'avoir tous les inconvénients et aucun avantage.
Les Américains auraient fait un bon coup, mais les
Québécois et les Canadiens se retrouveront dans une situation
pire qu'aujourd'hui. Le premier ministre du Québec doit affirmer
clairement, publiquement, sans aucune ambiguïté qu'il refusera
toute entente de libre-échange qu'il ne prévoit pas
l'instauration d'un tribunal pas seulement consultatif, mais décisionnel
pour trancher les litiges.
Finalement, dans un dernier tableau, nos attentes sont donc
élevées car l'enjeu est énorme. L'enjeu, en
définitive, ce n'est pas une question abstraite comme l'attitude du
gouvernement le laisse croire. Ce n'est pas de savoir si les mérites
théoriques du libre-échange l'emportent sur ceux de la situation
actuelle. L'enjeu, très concrètement pour des milliers et des
dizaines de milliers de Québécois et de
Québécoises, c'est leur job, c'est l'emploi. Le
libre-échange presque par définition, même dans des
conditions idéales, implique un chambardement économique majeur.
Quand on considère que les entreprises d'ici sont globalement moins
productives, environ de l'ordre de 30 %, et davantage protégées
que les entreprises
américaines, on réalise à quel point l'ajustement
pourrait être dramatique s'il doit se faire uniquement en fonction des
lois brutales de la théorie économique du laisser-faire. À
jouer la loi du plus fort, on est certain d'être perdant.
Malheureusement, c'est, justement, cette voie que le gouvernement
fédéral a choisie il y a près de deux ans. Ce gouvernement
a érigé en politique le démantèlement des outils
que le Québec avait mis des années à construire pour
bâtir notre économie. Où est sa préoccupation pour
l'emploi? Il n'a pas de politique globale d'emploi, alors même que le
libre-échange exige un effort énorme sur le plan du recyclage de
la main-d'oeuvre, de sa formation, des programmes de transition pour favoriser
le passage de la main-d'oeuvre d'un secteur moins productif à un autre
secteur plus productif. Compte tenu de l'impact sur l'emploi du
libre-échange, l'absence du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu à cette commission est carrément
inacceptable.
Où est la préoccupation du gouvernement pour le soutien
à l'entreprise et le développement économique des
régions? Au moment même où il serait plus important que
jamais de soutenir l'entreprise et l'entrepreneurship, de lui donner une chance
de s'adapter, de se moderniser et d'améliorer sa
compétitivité, le gouvernement se débarrasse de
sociétés d'Etat et démantèle les programmes de
soutien à l'entreprise, particulièrement ceux de la
Société de développement industriel du Québec. On
sait que, dans ce cas-là, plus de vingt programmes sont réduits
à quelque quatre programmes actuellement. Et plus
précisément ce qui se passe à la SDI depuis un an, c'est
que 80 % des entreprises qui font des demandes sont rejetées en fin de
compte.
Je suis convaincu que le Québec doit être plus productif.
La question, c'est de savoir dans quelles conditions nous serons mieux
placés pour le faire. Or, je crois, M. le Président qu'en se
désarmant lui-même le Québec court à l'échec,
ce qui se traduira par des fermetures et des mises à pied.
Déjà, l'attitude, la façon de faire du gouvernement
actuel, est inquiétante et, avec la venue du libre-échange, c'est
doublement inquiétant. Le gouvernement du Québec devrait faire
exactement le contraire de ce qu'il fait présentement, il devrait se
doter d'une politique globale de plein-emploi, il devrait agrandir et non
réduire le coffre d'outils à la disposition des entreprises
québécoises. C'est, d'abord, cela qui mènera le
Québec vers la prospérité, la productivité et le
succès.
Il est dommage que le dossier du libre-échange soit devenu un
dossier purement politique, que les enjeux économiques, les vrais enjeux
soient carrément exclus. Quel prix la politique fera-t-elle payer
à l'économie du Québec dans les années à
venir? M. le premier ministre, MM. les ministres, MM. du gouvernement, nous
attendons vos réponses. Je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le
député de Bertrand. Je veux simplement vérifier si...
Alors, on m'indique, M. le député de Bertrand et M. le chef de
l'Opposition, qu'il reste quinze minutes à la formation de l'Opposition.
Je ne sais pas si l'un d'entre vous veut intervenir à ce moment-ci.
M. Johnson (Anjou): Alors, M. le Président, je sais qu'il
ne reste pas de temps du côté du gouvernement. Je sais que le
premier ministre a dû nous quitter pour des engagements à
l'extérieur, ce que je devrai faire, moi aussi, un peu plus tard.
Simplement un rappel qui m'apparaît important, à ce moment-ci. La
question de la libéralisation des échanges a suscité un
certain intérêt chez des économistes, de plus en plus chez
les politiciens, depuis deux ans, trois ans et depuis un peu plus de temps chez
ceux qui voyaient cela venir. Mais moi, je suis extrêmement
préoccupé par l'absence d'un certain nombre de personnes ici.
D'abord, de l'absence du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, quand on sait que l'éventuelle
application du libre-échange sur notre territoire pourrait amener des
changements profonds au niveau de la main-d'oeuvre, quelle que soit la
période d'adaptation que vous puissiez négocier, si vous pouvez
en négocier une, des mises à pied, des programmes importants de
réinsertion, de réentraînement ou de recyclage de la
main-d'oeuvre, un financement de ça - ça coûte une fortune
de faire ça - une nécessité de collaboration entre les
institutions fédérales et les institutions du Québec dans
ce domaine-là et je me rends compte que le ministre n'est pas là.
D'ailleurs, j'ai cru comprendre que le ministre ne faisait même pas
partie du sous-comité ministériel. Je me demande si vous aviez la
politique de l'emploi à l'esprit quand vous avez formé votre
comité.
Deuxièmement, dans les semaines qui viennent, quatre jours par
semaine dans les trois prochaines semaines, on va être appelé
à entendre un certain nombre de personnes: des experts, des gens qui
représentent des groupes d'intérêts, du côté
des affaires, évidemment, des syndicats, des gens du secteur de
l'agriculture. Je souhaiterais que les membres de la commission aient à
l'esprit les gens qui n'ont pas de voix autour de cette table et qui n'en
auront pas pendant cette commission. Je pense, au départ, aux
travailleurs et aux travailleuses d'un secteur comme celui du textile, du
vêtement, de la chaussure, à un certain
nombre d'industries qui risquent d'être affectées parce
que, dans certains cas, elles sont protégées par des tarifs plus
élevés au Canada que ce n'est le cas des Américains. J'ai
peur que ces personnes soient sans voix, bien que les centrales syndicales, je
le sais, ont préparé un mémoire substantiel et
intéressant; d'ailleurs nous concourons à un nombre important des
conclusions qu'elles y apportent.
Deuxièmement, il y a les petites et les moyennes entreprises du
Québec qui, d'après ce que j'ai pu lire, ne seront pas
représentées autrement que par deux ou trois personnes sur un
total de près de 50, je crois. Les petites et les moyennes entreprises
au Québec sont partout sur notre territoire, notamment, grâce
à l'intervention d'un certain nombre de programmes gouvernementaux
à la fois sous forme de subventions, de prêts garantis, sans
parler du Régime d'épargne-actions qui a joué un
rôle extrêmement important à compter de la fin des
années soixante-dix. Ces personnes ont souvent besoin des services de
l'État québécois. Une fois qu'elles sont lancées,
elles n'en ont plus besoin, on tient cela pour acquis. L'État n'est pas
là pour tenir les entreprises par la main, mais l'État est
là, cependant, pour mettre à la disposition de ceux qui ont le
sens de l'initiative, de l'entrepreneurship, un certain nombre de ressources
qui n'existent pas sur le marché facilement parce qu'on n'est pas aux
États-Unis, justement, ici. Il n'y a pas 250 000 000 de personnes, il y
en a 6 000 000 et quelques au Québec. L'État a donc un râle
important d'appuyer ces groupes et ces initiatives.
Ces individus, ils ne seront pas ici. Je ne pense pas qu'un certain
nombre de personnes qui représentent les groupes patronaux viendront
nous parler des petites et moyennes entreprises. Elles vont représenter,
probablement, pour une forte proportion d'entre elles, je ne dis pas
exclusivement, mais très largement, le point de vue des grandes
entreprises. Les grandes entreprises au Canada, il faut en être
conscient, sont en bonne partie contrôlées par les
Américains déjà, à l'exclusion, évidemment,
du secteur des banques.
En conclusion, M. le Président, je souhaite qu'au cours de ces
trois semaines on ait à l'esprit les gens du Québec, non
seulement les chiffres, les courbes économétriques, les affaires
brillantes sûrement que vont venir nous exposer les spécialistes
de ce domaine, les hauts fonctionnaires, etc. - et on sait qu'ils ont tous
travaillé très fort là-dessus - mais comment tout cela va
affecter les gens. Je n'ai pas senti cette sensibilité de l'autre
côté depuis le début de l'amorce de ce dossier. L'absence
de M. Paradis comme ministre de la Main-d'Oeuvre est, à mon avis,
significative dans ce sens.
Finalement, je souhaiterai qu'au cours de cette commission le
gouvernement, peut-être, précise un certain nombre de choses.
Parce qu'il faut bien le dire, ce qui a marqué l'absence de
débats à l'Assemblée nationale et dans le public au
Québec autour de cette question, c'est le fait que le gouvernement se
soit traîné les pieds. Ce n'est pas vrai que le discours que nous
a lu M. MacDonald tout à l'heure ou le document schématique qu'il
a présenté il y a quelques mois peut nous amener à
conclure que le gouvernement a fait ses devoirs. Ce n'est pas vrai: le
gouvernement du Québec n'a pas fait ses devoirs en termes
d'études d'impact, le gouvernement du Québec n'a pas fait ses
devoirs en termes de protection des secteurs comme la culture, l'agriculture,
le gouvernement n'a pas fait ses devoirs en termes de ce qu'il exige comme
tribunal des litiges entre les États-Unis et le Canada dans
l'éventualité de la signature d'un tel accord, alors que
l'Ontario a fait ses devoirs, c'est évident et mon collègue vous
le rappelait tout à l'heure. Cela m'inquiète au plus haut point
parce que le libre-échange, cela se prépare et vous n'êtes
pas pour entraîner le Québec dans une aventure si vous êtes
impréparés. Je crains que le gouvernement du Québec ne
manipule ce dossier que de façon politique et je trouve cela dangereux
pour l'avenir du Québec.
Peut-être aurons-nous des réponses de la part du ministre
ou d'un de ses collègues sur un certain nombre d'enjeux et qu'on pourra
faire autrement qu'être obligés de suivre l'interprétation
possible que peuvent donner les journalistes quand ils réussissent
à mettre la main au collet du premier ministre à la sortie des
conférences. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le
député de Bertrand, quelques minutes encore.
M. Parent (Bertrand): II nous reste un peu de temps, M. le
Président. C'est sur les commentaires que le ministre a faits
lui-même tantôt concernant l'étude du Conseil
économique du Canada rendue publique il y a quelques semaines.
J'aimerais dire au ministre qu'il faudrait peut-être prendre toutes les
précautions. Sans être un spécialiste sur le plan
économique, je peux dire que les deux scénarios que le Conseil
économique du Canada a pris comme prémisses de base pour faire
son étude et pour arriver à ses conclusions, il faut juste se les
rappeler pour bien les situer.
D'abord, ils ont pris un premier scénario: ils abolissent toutes
les barrières tarifaires et non tarifaires sur les produits entre les
deux pays. Deuxièmement, c'est la suppression des barrières
tarifaires et des barrières commerciales. Dans le deuxième
cas on a ajouté à la suppression des barrières
commerciales des hausses de productivité propres à chacune des
industries du secteur manufacturier canadien. Cela veut dont dire que le
Conseil économique du Canada, dans son étude, a pris comme
prémisse de base que, au départ, du fait qu'il y avait une
situation de libre-échange, il y avait automatiquement augmentation de
la productivité; on a mis automatiquement dans le modèle, si on
peut dire, une augmentation de la productivité. Je pense qu'il faut
faire attention à cela quand on le mesure en termes de résultats.
Il est loin d'être évident, dans notre cas, à nous, par
rapport aux Américains, qu'un libre-échange mènerait
automatiquement à une situation d'augmentation de
productivité.
Je m'explique. Particulièrement, par exemple, dans le domaine des
brasseries, on sait qu'on pourrait faire fonctionner à Milwaukee une
brasserie et qui pourrait desservir en quelques heures l'ensemble des
brasseries canadiennes, une seule brasserie là-bas. L'inverse ne peut
pas se faire. On sait aussi que l'augmentation de la productivité et des
volumes en ce qui regarde le Québec n'est certes pas notre force. On
n'ira pas concurrencer sur la plupart des marchés des Américains
sur des questions de volume, et de cela, j'en ai la profonde conviction. On va
être capable de compenser la petite taille de nos entreprises, de notre
structure, par le dynamisme, l'ingéniosité, la
créativité, la recherche et le développement, le design
qui font que les produits québécois, dans bien des cas, sont
différents. C'est comme cela qu'on va être capable d'aller percer
sur les marchés américains. Ce n'est pas en augmentant, doublant,
triplant nos productions.
J'ai fait le tour du Québec au cours de la dernière
année et, particulièrement dans les derniers mois, j'ai
rencontré beaucoup de gens d'affaires pour essayer de voir l'impact
qu'ils auraient dans leur PME. Je peux dire que peu d'entre eux voient cette
augmentation de productivité. Tout cela pour dire que le cas particulier
à partir duquel on a établi le scénario du Conseil
économique du Canada, c'est à prendre avec certaines
précautions.
J'aimerais, en terminant, déplorer le fait que le ministre a
décidé de rendre public hier le rapport du comité Warren.
À toutes fins utiles, je l'ai vu à 6 heures ce matin en ouvrant
le journal et je ne suis pas d'accord avec cela. Je le déplore. Je
trouve dommage qu'à la veille d'une commission parlementaire on ait
décidé, d'une part, de rendre public un document qui est
important, qui résume essentiellement ce qui a pu se passer au
comité Warren. C'est bien sûr que cela fait partie des
stratégies, mais cela fait partie des revendications qu'on faisait
tantôt. On l'a fait une fois pour toutes en début de commission;
je pense qu'on va pouvoir maintenant essayer de travailler de façon
constructive. Je trouve dommage qu'on ait peu de documents et que, quand on les
a, on les a un peu tard. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le
député de Bertrand. Cela termine la partie remarques
préliminaires de notre programme d'aujourd'hui. Nous allons suspendre
une ou ou deux minutes, le temps de faire une pause-santé, d'une part,
et de permettre à notre premier invité, M. Pierre-Paul Proulx, de
prendre place à la table des invités.
(Suspension de la séance à 16 h 34)
(Reprise à 16 h 40)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
On va maintenant régler immédiatement le problème
d'horaire. J'avais indiqué qu'on ferait une séance de travail
à la fin des travaux de cet après-midi. On va la faire
maintenant. Il s'agit simplement, d'une certaine façon, d'adopter le
programme de la semaine prochaine et de l'autre semaine. II y a eu une entente
entre les deux formations politiques sur la liste. Je vous ferai grâce de
ta lecture de la liste. Je pense qu'en temps et lieu les membres de la
commission et le public qui assiste à nos travaux verront les gens qui
sont invités et qui comparaîtront. Mais dans le mesure où
il y a eu une entente, s'il n'y a pas d'objection, nous allons formellement
l'adopter.
Une voix: Adopté.
Le Président (M. Charbonneau): Cette entente figera
maintenant un peu dans le ciment les invités...
M. Lefebvre: M. le Président, c'était le seul point
à l'ordre du jour concernant la séance de travail de 18
heures?
Le Président (M. Charbonneau): Oui, il n'y a pas d'autres
points à l'ordre du jour.
M. Lefebvre: La séance de travail de 18 heures est
annulée?
Le Président (M. Charbonneau): C'est exactement cela et,
donc, la convocation qui avait été envoyée aux membres de
la commission. Je voudrais également signaler que,
généralement, durant ces trois semaines, je présiderai
moi-même les travaux de la commission sauf qu'à certains moments
le vice-président de la commission, le député de Vimont,
M. Théorêt, pourra également présider certaines
parties de séance ou
certaines comparutions.
Auditions
Ces précisions étant faites, nous allons maintenant
céder la parole à M. Pierre-Paul Proulx. Je vous rappelle, M.
Proulx, que nous avons une heure. Donc, vous avez d'abord vingt minutes qui
vous sont réservées pour votre présentation. Vous
n'êtes pas obligé de les utiliser au complet, mais vous avez un
maximum de temps. Par la suite, le reste du temps est réparti
également entre les deux formations politiques pour la discussion, les
échanges et les questions.
Alors, sans plus tarder, M. Proulx.
M. Pierre-Paul Proulx
M. Proulx (Pierre-Paul): M. le Président, MM. les membres
de l'Assemblée nationale, chers confrères et consoeurs
québécois. Mon mémoire est un peu long car j'ai
visé deux objectifs à l'invitation qu'on nous a faite. D'une
part, c'est un peu tenter d'amener des éléments pour alimenter le
débat et, d'autre part, j'ai parsemé dans le texte des
réactions toutes personnelles qui, je l'espère, seront
intéressantes et qui proposent des éléments de
négociation pour la position du Québec.
Je vais faire trois choses. C'est un peu mon diagnostic du contexte dans
lequel ces négociations se déroulent parce que, partant du
contexte, je dis qu'il y a des choses qu'on comprend mieux et qu'on explique
mieux. Deuxièmement, je vais passer, mais très rapidement, sur
les travaux des économistes. Troisièmement, comme je le disais,
je vais laisser ici et là des suggestions qui me sont inspirées
par ce diagnostic et par le résultat des travaux des
économistes.
Alors, la première partie. J'ai l'impression qu'on peut mieux
comprendre ce qu'est l'aboutissement possible des négociations, ce qui
est à l'ordre du jour, si on fait un tour rapide du contexte dans lequel
ces négociations se déroulent. J'ai énuméré
- je vais passer très rapidement -certaines caractérisques
politiques, socioculturelles, économiques, administratives qui sont
mondiales, nord-américaines ou bien québécoises et qui
permettent de comprendre un peu les aboutissements potentiels. C'est du moins
mon avis. Une des premières choses qu'on a largement identifiées,
c'est que presque toutes les économies s'internationalisent. Le commerce
extérieur devient plus important dans toutes les économies. Cela
a des effets. Le premier, cela signifie qu'avant on parlait de tarif,
là, on va commencer à parler en plus de ce qu'on appelle des
barrières non tarifaires. En d'autres mots, le menu change. Le menu qui
était des tarifs devient tarif plus tout un ensemble de politiques
domestiques des pays.
Quand on s'internationalise, on devient interdépendant. L'autre
effet de l'internationalisation, c'est qu'une politique domestique d'un pays a
des impacts sur les autres à côté. Donc, le menu est
changé. Il faut parler de politiques domestiques ainsi
qu'internationales.
Le deuxième constat qui m'aide à comprendre - du moins,
j'essaie de comprendre ce qui se dessine - c'est ce qui arrive aux
États-Unis. Je vais vous épargner tous les chiffres et toutes ces
choses, mais je prétends que les États-Unis sont en déclin
sur le plan mondial. J'ai regardé les chiffres de revenu per capita, les
parts de marché. On a parlé ici même de la balance
commerciale déficitaire des Américains. Cela fait depuis 1972, je
pense, qu'ils ont assez régulièrement des déficits sur la
balance commerciale. Ils n'avaient pas eu cela auparavant. Puis, ils ont sur le
plan du déficit gouvernemental une situation qui est assez
inquiétante et qui les laisse avec un déficit qui est maintenant
le plus gros sur le plan mondial. Mais l'effet de ce déficit
gouvernemental, c'est de faire en sorte que les Américains, pour payer
l'intérêt sur leurs dettes, sont obligés d'exporter
l'équivalent de 110 000 000 000 $ de biens et services par année.
Je continue là-dessus, mais cela me porte à prévoir que
dans les années futures on verra une dévaluation encore accrue -
on a parlé de quelque 40 % du dollar américain - et je crois que,
pour régler ces problèmes, il faut que la dévaluation se
poursuive un peu. Si on dévalue, il va arriver des problèmes
d'inflation. Cela me porte à comprendre que, parmi les problèmes
des Américains et leurs objectifs, il y a celui de régler le
déficit de leur balance commerciale. Comment fait-on cela? En exportant
plus, en faisant absorber par les autres une partie du déficit
américain. En d'autres mots, on a, d'une part, une poussée par
les Américains pour se donner un accès aux marchés des
autres; ils négocient avec les Japonais, les Brésiliens pour
avoir accès à leurs marchés afin de leur passer une partie
de leur déficit et, d'autre part, ils sont devenus relativement
protectionnistes.
Alors, ce que je vois, c'est un déclin inévitable dans le
standing de vie des Américains dans les années qui viennent de
par le legs de l'histoire qu'on vient de vivre. Cette réalité,
à mon avis, est importante pour nous. Je ne développerai pas
longuement ma pensée là-dessus, mais moi je suis partisan de ce
qu'on appelle avec quelques collègues une quatrième option pour
les relations internationales et les relations commerciales du Québec.
C'est dans ce contexte que j'envisage la libéralisation avec les
Américains comme étant un pas vers autre chose qui est la
diversification des relations commerciales du Québec. C'est l'objectif
de fond et la libéralisation
bilatérale, c'est un pas pour y arriver. Cela change
drôlement ce qu'il est intéressant de faire avec les
Américains, mais je n'ai pas le temps de développer ce sujet.
Troisièmement, on a fait état plus tôt de
l'apparition de nouveaux compétiteurs. Ce que ceux-ci ont fait, c'est de
faire disparaître l'hégémonie des Américains sur le
plan mondial. On sait que les Américains ont joué un rôle
prépondérant dans l'après-guerre dans les institutions du
GATT et dans toutes sortes d'autres mécanismes. Ce que je me suis
posé comme question, c'est que, si le rôle politique des
Américains est en train de changer, cela a des implications
intéressantes d'autant plus qu'aux États-Unis il y a toujours eu
une tension entre la politique commerciale des exportations et une politique
des relations internationales. On a le même problème au
Québec, il nous faut concilier nos objectifs de relations
internationales avec nos objectifs de politique commerciale. J'ai tenté,
è la page 4, d'identifier un peu les objectifs de la politique des
relations internationales québécoises qui font voir que ce qu'on
négocierait avec les Américains, c'est tout à fait relatif
dans ce contexte, parce que - je ne dis pas qu'on sera nécessairement
d'accord sur la liste des objectifs que j'ai énumérés pour
une politique de relations internationales - si on est d'accord avec cela, cela
nous pousse tout de suite à penser à la francophonie, à un
rôle international pour des villes qui ont un rôle très
important sur le plan international, à une politique technologique de
développement qui implique toutes sortes de moyens. On voit dans un
contexte plus large la négociation bilatérale qui n'en est qu'un
aspect. Cela change beaucoup ce qu'il devient intéressant et moins
intéressant de négocier avec les Américains.
Un autre fait du contexte mondial que je trouve très important,
c'est l'affaiblissement du GATT. J'ai tenté d'identifier diverses
raisons pour lesquelles le GATT est en déclin. Je parle un peu du fait
que le Congrès américain n'a pas plus de respect qu'il le faut
pour le GATT; lorsque, dans le cadre du Kennedy Round, les Américains
ont accepté le code antidumping, le Congrès, qui est assez
protectionniste, a assuré que la loi américaine aurait
préséance. S'il y a désaccord entre ce qui découle
du GATT et la politique domestique, c'est celle-ci qui prime. Ce que je vois,
c'est qu'on va vers un système où, les Américains
étant un peu en déclin dans leur rôle sur le plan mondial,
on va voir les instances et les organismes multilatéraux perdre un peu
de pouvoir. On a même mis les services sur une table à part
à Punta del Este. Cela étant, je nous vois évoluer vers un
monde plurilatéral plutôt que multilatéral. Cela aussi a
des implications très importantes pour la politique des relations
internationales et celle du commerce extérieur du Québec.
La stagflation, je dis qu'on va la revoir. Quand il y a inflation, on a
des politiques monétaires serrées, des taux
d'intérêt assez élevés et des problèmes
d'investissement qui rendent un peu plus difficile notre réadaptation
industrielle,, Le fait que les flux de capitaux sont bien plus importants que
les flux de commerce pour déterminer les taux de change nous fait aller
vers un système où on va avoir beaucoup de problèmes dans
l'enlignement des taux de change. On essaie de se concerter. Le Canada est
devenu membre du Club des sept, mais ce que cela m'amène à
conclure, c'est que, de plus en plus, pour régler le problème des
taux de change, on va devoir, et c'est ce qu'on fait, essayer d'harmoniser nos
politiques monétaires et fiscales avec celles des autres pays.
Un autre constat que je fais là-dessus, c'est que les
économistes laissent un peu de leurs théories traditionnelles qui
ont été très utiles pour expliquer les flux de commerce
internationaux. Ils s'intéressent de plus en plus à de nouvelles
théories du commerce international. Dans celles-là, on parle
beaucoup des économies d'échelle qui avaient été
très négligées - c'est très présent dans
l'étude du Conseil économique du Canada; j'y reviendrai si le
temps le permet, c'est bien fait - on parle aussi de toutes sortes
d'imperfections, mais il y a tout un développement du côté
de la théorie économique qui nous fait voir - c'est à la
page 6 que je l'ai noté - qu'il est possible, et on l'a vu... On n'a
qu'à regarder ce qui s'est passé dans le Sud-Est asiatique, on a
vu les gouvernements s'associer au secteur privé dans ces pays-là
pour se donner un avantage technologique, créer des avantages
comparatifs. Cela n'était pas dans les manuels, ni dans les "textbooks"
qu'on a étudiés il y a quelques années. On est dans un
nouveau monde. Cela ne veut pas dire que c'est acceptable et qu'on devrait
jouer ces jeux-là, mais la nouvelle théorie du commerce
international nous suggère que c'est possible. Je prétends qu'il
faudrait tout simplement s'assurer dans la négociation bilatérale
avec les Américains qu'on spécule un peu sur notre politique
d'adaptation industrielle et sur les politiques de R-D, de développement
technologique et autres qu'on voudrait utiliser pour favoriser notre secteur
privé afin d'assurer que les règles qui seront
négociées ne nous lieront pas trop dans l'utilisation de
certaines politiques. Bien qu'on voudra renforcer le contexte
multilatéral, même plurilatéral, les règles et les
codes, il va rester des pays qui ne joueront pas toujours ces jeux-là et
il nous faut, nous aussi, être en mesure et assurer qu'en
négociant avec les Américains sur le plan multilatéral,
ultérieurement, on ait
quand même une certaine marge de manoeure. C'est donc un voeu,
formulons cela un peu pour voir ce que cela donne: Est-ce que cela va nous
donner des balises dans la négociation et des choses à
éviter dans la négociation avec les Américains?
L'autre commentaire que je fais, c'est, brièvement, un
élément diagnostique. Il y a tout un ensemble de graphiques qui
le mentionnent. Habituellement, quand on regarde les relations commerciales
Canada-États-Unis, on regarde les exportations et les importations. Je
pense qu'il est extrêmement important d'aller maintenant au-delà
de cela. Il faut regarder ce qui se passe en termes de succursales canadiennes
aux États-Unis et de succursales américaines au Canada. J'ai
tenté de vous illustrer quelques tableaux et de vous donner des chiffres
qui font voir qu'il se passe des affaires assez fantastiques. Regardons comment
l'intégration entre l'économie canadienne et l'économie
américaine fonctionne. On voit rapidement que les succursales
canadiennes deviennent de plus en plus actives aux États-Unis. Les
succursales américaines deviennent de moins en moins actives au Canada.
La production canadienne aux États-Unis est supérieure à
nos exportations aux États-Unis. C'est vrai également pour les
succursales américaines au Canada; elles produisent plus au Canada que
ce qu'elles exportent des États-Unis. En d'autres mots, il faut changer
le contexte et le schéma simple qui dit: Regardez donc la balance
commerciale des biens et des services et {'exportation-importation. Il faut
regarder tout le processus d'intégration économique. II en
ressort une image assez difficile à interpréter. On voit qu'il y
a un mouvement dans la production canadienne vers les États-Unis. Les
chiffres nous le font voir. C'est, selon l'interprétation, dû au
protectionnisme des Américains qui ont incité Bombardier, par
exemple, à aller s'installer là-bas alors qu'ils ne le devaient
pas. C'est aussi dû au contexte de croissance économique des
Américains qui ont eu une croissance rapide alors que la nôtre a
été un peu plus lente. Je mentionnais préalablement que je
pense que ce n'est pas soutenable. C'est aussi dû au fait que le
marché américain est très fort. II y a des études
non publiées, dont une, c'est moi qui l'ai commandée lorsque
j'étais à Ottawa, et j'en parle avec plaisir. On a fait des
enquêtes auprès des maisons mères canadiennes qui se sont
dotées de succursales aux États-Unis depuis cinq à dix
ans. On leur a demandé: Qu'est-ce qui vous a incitées à
aller là-bas? Est-ce que vous feriez cela s'il y avait le
libre-échange? Je vous en parle à la page 7 sans entrer dans le
détail parce que ce n'est qu'une étude parmi beaucoup
d'autres.
Il y a un problème en ce qui concerne la localisation des
investissements dans le contexte nord-américain un peu plus
intégré parce que si les tarifs sont partis et qu'on vient
à bout de régir un peu l'utilisation des barrières non
tarifaires, je vois que, du côté des ressources primaires, on n'a
pas de problème. Je pense que les Japonais et les Européens,
à cause de la nature même de la ressource naturelle, vont venir au
Canada, mais en ce qui concerne la localisation, la production, du
côté des industries plus -excusez le terme - "footloose",
là il nous faut être assez attentifs et assurer à nouveau
que les règles, les codes, en ce qui concerne les investissements, nous
donnent une certaine marge d'utilisation de nos politiques domestiques pour y
arriver. Je ne parle pas de contrôle des investissements. Vous verrez que
c'est très négatif sur les flux. Cela ne fonctionne pas. C'est
compliqué dans le sens que le gros du financement des succursales vient
des profits non distribués. Ce n'est pas de l'investissement direct.
Donc, ce sont d'autres politiques dont je parle. Ce sont les politiques
domestiques dont beaucoup sont non politiques, où le commerce
international et ces règles-là ne sont pas pour beaucoup. Mais il
faut changer et regarder, de façon plus poussée,
l'intégration pour bien conclure quelles sont les politiques qui sont
importantes dans les années qui viennent.
Un autre point, et c'est un peu particulier pour un économiste.
J'ai été très curieux depuis un an ou deux de comprendre
ce qui se passe aux États-Unis sur le plan institutionnel, sur le plan
politique interne, et j'en suis venu à une conclusion dont je fais
état aux pages 8, 9 et 10. Pour des raisons que j'ai
évoquées tantôt, à savoir que ce ne sont plus de
tarifs faciles dont on parle, mais de barrières non tarifaires, de
politiques domestiques, puisque le menu de la négociation est
changé, le Congrès hésite de plus en plus à donner
des mandats au président. Il hésite à donner des mandats
au United States Trade Representatives. Ce n'est pas seulement House Ways and
Means et le Comité des finances du Congrès américain qui
s'intéressent maintenant à la libéralisation des
échanges, c'est le comité qui s'intéresse à
l'énergie, le comité qui s'intéresse à tel autre
aspect d'une politique domestique. Je suis enclin à voir qu'il y a un
changement dans le menu des négociations qui fait que le Congrès
ne donne plus de mandat au négociateur. Je ne suis pas surpris que le
négociateur américain n'arrive pas à être
très très explicite dans ses réactions et qu'il nous
arrive au dernier moment en disant: Je veux parler des autos vendredi. C'est
parce qu'il n'a pas la marge de manoeuvre. Le président est pris. Le
négociateur américain n'a pas la marge de manoeuvre qui lui
permet, comme c'était le cas auparavant, de négocier aussi
ouvertement et directement avec le négociateur canadien. En d'autres
mots, le système est
changé. On avait auparavant un Congrès des
États-Unis qui écoutait les loffies et qui criait fort. Il
disait; Diable! il nous faut des lois protectionnistes pour protéger tel
groupe, telle région, telle autre chose, mais il s'était
organisé par en arrière avec le président et par des
procédures américaines pour diluer ça un petit peu. Donc,
les sénateurs recevaient les doléances de ceux qui voulaient du
protectionnisme mais un système fonctionnait qui faisait que ça
ne débouchait pas et, effectivement, on s'assurait par des
mécanismes dans l'administration politique que les doléances
protectionnistes ne débouchent pas.
Maintenant ce n'est plus comme ça parce que le Congrès est
très hésitant à laisser aller le président. Il est
très hésitant à donner des mandats parce que quand c'est
un tarif qu'on négocie on peut lui dire: Coupe ou augmente de 50 %, 10 %
ou 20 %, mais quand ce sont des barrières non tarifaires les
économistes ont du mal à calculer l'équivalent tarifaire
de la barrière non tarifaire. Ceci étant, on a donné une
laisse extrêmement courte au négociateur qui ne peut pas tellement
parler, qui est lié. C'est pour ça que ça prend du temps,
c'est pour ça que les Américains ne bougent pas tellement.
Je comprends, par exemple, que M. Reagan ait promis à
Québec: On va arrêter pas mal la protection contingente et que,
d'autre part, il ne peut pas arrêter ça. Je dis que le "fast
track" ne vaut rien. Effectivement ça nous a protégé de
très peu de choses pour la raison suivante: Le Congrès a ses lois
dans le processus. Le négociateur est obligé de vérifier
à tout moment avec lui. C'est vrai, on va arriver avec un paquet qui ne
changera pas tellement ultérieurement parce que le Congrès y aura
mis son mot.
Après le 5 octobre, si M. Benson décide qu'il veut faire
changer quelque chose dans l'entente, le processus politique américain
fera changer le contenu de l'entente qu'on aura mise sur la table le 5 octobre.
Il y a des réalités politiques que j'essaie de discuter ici, qui
sont très importantes pour nous et inquiétantes pour le Canada et
pour les États-Unis.
Cela signifie qu'il nous faut chercher des mécanismes pour
arriver à fonctionner dans un monde comme ça parce que le
contexte international et le contexte domestique nous créent de vrais
problèmes. On n'a plus de négociateurs. Les États
américains deviennent de plus en plus actifs, d'ailleurs, sur le plan
international et ils font leurs affaires.
L'administration américaine n'essaie pas de contraindre les
États américains qui deviennent plus actifs sur le plan
international, à la suite de nos provinces. Ceci étant, je me
suis dit: Qu'est-ce qu'on fait, les Canadiens, les Québécois
particulièrement dans un contexte comme celui-là? J'en arrive
à des choses qui ne sont pas nouvelles, j'ai l'impression, mais il faut
suivre l'exemple des Japonais. Il faut commencer à faire du lobbying.
C'est nécessaire, mais pas seulement à Washington. Il faut faire
du lobbyinq avec un nombre d'États très très particuliers
qui nous touchent de très près. Il faut faire du lobbying
auprès des sénateurs. C'est malheureux mais c'est une
démarche qui, à cause du contexte politique, me semble
essentielle.
Deuxièmement, on a beaucoup de choses à apprendre et au
Québec il nous serait utile d'avoir plus de suivi dans l'analyse des
politiques domestiques européennes, japonaises, coréennes,
américaines qui nous touchent indirectement. Il faut avoir un suivi
très très poussé de cela. II faut faire une analyse des
coûts et des bénéfices qui découlent de ces
politiques-là afin d'aviser et notre secteur privé qui veut
adapter sa planification stratégique à cela et le gouvernement du
Québec pour qu'on puisse non seulement réagir mais agir à
la lumière de ça. Donc, je vois qu'inévitablement on n'y
arrive pas par un organisme bilatéral. Cela fait deux ans que je dis
qu'il ne sera pas décisionnel. Le Congrès ne veut même pas
donner au président un mandat. Comment va-t-il donner un mandat qui
amènerait à un tribunal bilatéral décisionnel des
choses qu'il ne veut pas déléguer, même à
l'administration des États-Unis? J'espère me tromper parce que ce
serait plus facile, effectivement, si on avait un organisme bilatéral
décisionnel mais, si je ne me trompe pas, il faudra aller au-delà
de l'organisme bilatéral, ce que je vois d'autres façons et dont
j'ai parlé ici.
Il y a une autre section qui fait revoir tous les textes. On a
parlé de l'étude du Conseil économique du Canada. Je crois
que malgré ses lacunes... J'ai écrit, j'ai 500 pages de
commentaires sur les modèles. Je ne vous en parle pas. Ils sont pleins
de lacunes, ils ont des forces mais ils ont des faiblesses mais il y a une
force conceptuelle qui ressort de ça c'est qu'ils ne regardent pas
seulement les effets directs de la libéralisation des échanges,
ils regardent les effets indirects. (17 heures)
Même si c'est fait avec des imperfections, même si on ne
peut pas croire les chiffres qui ressortent de cela, il y a dans l'approche, si
vous voulez, qui regarde les effets directs et indirects une force qui fait
que, moi, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de gens qui vont venir vous voir
qui ne regardent que les effets directs et qui ne comprennent pas l'ensemble de
la chose. Ceci étant, quoiqu'on ne peut pas croire les chiffres qui
ressortent des modèles, celui du
conseil économique, il est plus intéressant, ils ont
amélioré la méthodologie, puis leurs résultats, on
les a cités. Moi, en les regardant, ce que je conclus c'est que les
résultats les plus récents nous donnent des effets positifs sur
le produit intérieur brut québécois, sur l'emploi mais ils
ne sont pas aussi élevés qu'on le prétendait. En d'autres
mots, cela reste positif. J'en ai trouvé deux qui ont des effets
négatifs, une américaine et puis une autre ontarienne mais pour
des raisons que je pourrai vous expliquer... Je crois que le gros des
études conclut que c'est positif. Ce qu'il faut retenir, c'est que c'est
positif mais on est au bas de la gamme des impacts. On est rendu avec des
impacts qui ne sont pas aussi importants qu'ils l'étaient
précédemment parce qu'avant on était dans les sept, huit,
on est rendu dans les trois, quatre si vous voulez. On est rendu avec des
niveaux d'emploi qui seront positifs, une création d'emploi mais, par
contre, ce que ces modèles-là font ressortir c'est que 90 % des
problèmes d'adaptation, c'est en Ontario, puis c'est au Québec.
60 % des bénéfices, c'est dans l'ensemble du Canada. Donc, cela
documente un peu ce qu'on sait. C'est qu'il y aurait ici, au Québec
particulièrement et en Ontario, des problèmes d'adaptation
particuliers. Donc, il faut, comme on l'a entendu aujourd'hui je crois, donner
beaucoup d'importance à la conception de la politique d'adaptation qu'on
voudrait durant la transition parce que, moi, je ne voudrais pas qu'on se
réveille le lendemain en se faisant dire: Bien oui, mais votre politique
d'adaptation que vous voulez mettre en place ne cadre pas avec les codes et les
règles qu'on vient de négocier. Je crois qu'il est essentiel de
faire de la spéculation, d'essayer de mettre cela au point rapidement et
puis de voir si cela colle, si cela cadre un peu avec ce qu'on pourrait
être obligé de négocier dans les jours qui viennent. C'est
de la saine prudence, je pense, et c'est essentiel.
J'ai dans la conclusion fait état de quelques idées sur la
nature même d'une politique d'adaptation industrielle mais je vous passe
cela et peut-être, s'il y a des questions, j'y reviendrai.
Le Québec est gagnant, effectivement, les secteurs, j'en ai
parlé rapidement, est-ce que vous me permettez de faire un
résumé sur les secteurs gagnants et perdants?
Le Président (M. Charbonneau): Écoutez, j'ai
l'impression, M. Proulx, qu'on a déjà épuisé le
temps et peut-être que ce qu'il serait le plus intéressant, utile
et pertinent, c'est que finalement tout de suite la discussion s'engage. Je
présume que et le ministre et les députés de l'Opposition
ministérielle ont des questions et pourront peut-être vous amener
à préciser des choses que vous avez présentées dans
votre mémoire plus loin mais que vous n'avez pas abordées dans
votre présentation.
M. Proulx: D'accord.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, merci de votre
présentation, M. le ministre.
M. MacDonald: M. Proulx, merci d'être venu. Je dois d'abord
vous féliciter parce que vous avez été certainement une
des personnes qui, d'une façon non partisane, a le plus publié et
s'est le plus prononcée au cours des 18 derniers mois sur une
négociation d'une entente de libéralisation des échanges
avec les États-Unis. Ceci étant dit, vous nous présentez
aujourd'hui des commentaires qui, comme vous les avez qualifiés, sont
relativement longs et très étoffés, et nous n'avons pu les
recevoir qu'il n'y a pas très longtemps. Je me permettrais de vous
demander effectivement, et vous n'avez pas pu le couvrir, de qualifier un peu
plus la valeur des modèles économétriques qui ont pu
être utilisés par les orqanismes qui généralement
parlant, comme vous l'avez dit, ont sorti des études positives sur les
effets d'une entente de libéralisation. Certaines des hypothèses,
dans les premières études, étaient, pour dire le moins,
incomplètes mais nos fonctionnaires du ministère des Finances
nous disaient, à la parution de l'étude du Conseil
économique du Canada, que c'était la meilleure étude que
nous ayons vue sur le sujet et nous pouvions qualifier certains des
paramètres utilisés mais, réellement, il y a eu une
très sensible, une grande amélioration même dans la
préparation de ce modèle-là, les deux simulations dont on
a les résultats, etc. En l'absence d'autres études qu'on pourrait
qualifier de meilleures, nous avons cherché à étudier,
temporiser nécessairement, faire les réserves d'usage mais
j'aimerais entendre de vous de plus longues explications sur ce modèle
économétrique.
M. Proulx: Bon, très bien. Au préalable, ce que je
crois qui est assez utile dans ces modèles-là, c'est qu'ils
essaient de concevoir non pas de façon très étroite mais
de façon globale l'impact qui découle de la libéralisation
des échanges. Je pense que l'étude du Conseil économique
du Canada illustre bien la démarche que l'on retrouve dans les autres
modèles et, comme vous le disiez, M. le ministre, il y a des
améliorations qui ont été faites.
Ce qu'on fait, c'est qu'on dit: Les tarifs, c'est comme une taxe, c'est
un phénomène important, alors. Si on enlève une taxe, si
on enlève un tarif, il est passible qu'il y ait des effets sur les prix
aux consommateurs. Effectivement si on enlève les tarifs canadiens il
est possible que les intrants, les facteurs de production - on
importe de la machinerie et de l'équipement des
États-Unis, nous autres - que ça diminue et que, donc, on ait des
coûts de production un peu plus bas. En d'autres mots, les
modèles, pas seulement celui du conseil mais les autres, ont une
série de questions auxquelles ils essaient de répandre. La
première c'est: Qu'est-ce qui se passe aux États-Unis? La
première chose qui se passe aux États-Unis c'est que si les
tarifs que les Américains imposent sur nos exportations disparaissent,
théoriquement, mais dans les faits ils ont essayé d'estimer cela,
les prix des produits canadiens devraient baisser un peu aux États-Unis.
Si nos prix baissent relativement à ceux des Européens et des
autres pays d'outre-mer, on aurait donc un peu plus d'exportations vers les
États-Unis. Ils font des équations, toutes sortes de diable
d'affaires pour essayer de chiffrer ça, je vous épargne la
technique, il y a des problèmes dans la fixation des prix qui
découlent d'un changement de tarif mais ils ont poussé
jusqu'à la limite les connaissances que nous avons là-dessus.
L'inverse est vrai aussi. Si on enlève les tarifs canadiens, les
produits américains vont rentrer ici à des prix plus bas et les
Américains vont déplacer de la production canadienne, ils vont
déplacer de l'importation qu'on faisait d'autre part. Les modèles
essaient de tenir compte de ces deux effets-là. Sur le papier on peut
dire qu'ils se compensent, mais dans les faits ils ne se compensent pas
étant donné la réalité de notre capacité
concurrentielle.
Il y a trois autres questions que ces modèles-là se posent
rapidement. Ils se disent: Qu'est-ce qui arrive aux prix des intrants, aux prix
de la machinerie, de l'équipement et des autres facteurs de production
dont on se sert au Canada, s'il y a libéralisation des échanges?
Nous savons que nous avons des déficits assez importants dans notre
balance commerciale en haute technologie. Il découle de ça que,
probablement, même si les Américains ne sont pas toujours les plus
productifs au monde - je vous parle de cela préalablement - même
si les Américains ne sont pas toujours les plus productifs, on va
importer de la machinerie et des équipements américains, un peu
plus et à des coûts un peu moindres, et donc nos industries et nos
entreprises vont devenir un peu plus productives. Si les tarifs baissent, et il
y en a qui sont à environ 20 %, la moyenne est de 11 % sur les produits
qui sont sujets à des tarifs contre 6 % aux États-Unis, si on les
enlève progressivement - moi, je prétends que les tarifs c'est
quelque chose qui pourrait effectivement faire l'objet d'une entente dans les
mois qui viennent - si on enlève ces tarifs-là, les prix des
biens de consommation vont baisser un peu. On irait un peu moins
outre-frontières. C'est vrai qu'on va en Ontario pour acheter des
choses, on irait un peu moins aussi aux États-Unis pour acheter des
choses étant donné la diminution dans le prix de consommation. Si
les prix de consommation baissent, le revenu réel augmente,
l'épargne augmente un peu, l'investissement augmente un peu, tout se
tient, si vous voulez.
La dernière question c'est? Qu'est-ce qui arrive aux
investissements? Et c'est là que les modèles traditionnels ont
donné beaucoup d'importance à la taille du marché»
Les États-Unis, dans les achats publics, ils ont un marché qui
est quinze fois plus élevé que les achats publics du gouvernement
fédéral. Moi, je dis qu'il n'y aura pas beaucoup d'ouverture et
de mouvement, probablement, dans les politiques d'achat respectives et je
croîs même que, si la défense américaine nous
était accessible, je ne suis pas certain que Montréal et le
Québec et l'Ontario en profiteraient parce que ce n'est pas ça
qui est arrivé aux Etats-Unis dans les États qui nous
ressemblent. Mais, de toute façon, l'ouverture des marchés, qui
est un phénomène qui est très très mis en
lumière dans ces modèles-là, elle est prise en
considération ici mais ce que je trouve fascinant c'est que les
modèles du Conseil économique du Canada disent: On a
peut-être surfait cet arguement-là et c'est pour ça que les
résultats sont un peu plus bas. Parce que maintenant les
économies d'échelle, les longues courses de production, produire
100 000 voitures plutôt que 10 000 voitures, c'est important ça,
mais de plus en plus on a de nouvelles technologies de production CAO-FAO,
production flexible où ce ne sont plus les longues courses de production
qui comptent mais le marketing, la distribution, la connaissance des
marchés, l'accès aux marchés, pénétrer dans
des réseaux de distribution. Cela change complètement la
stratégie pour l'exportation de la part de nos entreprises, le
rôle du secteur public de nos divers ministères dans la
pénétration des marchés extérieurs et c'est assez
intéressant parce que le modèle du Conseil économique du
Canada prend ça en considération, si vous voulez.
Je ne commenterai pas les données les plus récentes qu'il
y a sur les disparités tarifaires. Si on regarde les structures de
subventions, c'est dans le secteur agricole agro-alimentaire qu'il y a de
grosses subventions. Pour le reste c'est de 0 % à 2,5 %. Le
problème des subventions est très important parce que c'est
là-dessus que la protection contingente, qu'on veut enrayer par le
tribunal bilatéral, se joue, mais disons que les subventions ne sont pas
aussi fondamentales, exception faite du secteur agricole, et il semblerait que
c'est mis à côté pour le multilatéral, ce qui est
une réaction bien plausible, positive et acceptable, il me semble, en
l'occurrence.
Alors en résumé, donc, les estimations
de ces modèles-là, modèle d'équilibre
général ou modèle macro-économique ou divers autres
modèles, sont largement positives et sont en déclin mais nous
donnent un concept où l'effet de la libération serait
positif.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand, je vous signale, ce n'est pas un blâme, M. Proulx, mais pour
vous et peut-être pour les autres qui vont suivre, que votre temps de
réponse est compté dans le temps global d'un côté ou
de l'autre. Je pense que les membres veulent avoir des réponses
complètes, et c'est pour cela qu'on ne vous blâmera pas de nous
les donner, mais à l'inverse si c'est possible parfois de condenser pour
permettre aux membres de ta commission d'avoir plus de possibilités de
vous questionner sur les différents éléments qui les
intéressent.
Alors, M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Au nom de
l'Opposition, je vous souhaite la bienvenue, M. Proulx. Vous avez
terminé votre exposé tantôt en nous parlant très
brièvement de la politique d'adaptation industrielle qu'on retrouve dans
votre mémoire à la page 16. J'aimerais avoir un peu plus de
matière et d'explications pour bien comprendre parce que cela fait
partie des préoccupations dont j'ai aussi fait part dans mon
exposé. Vous parlez d'une politique d'adaptation industrielle pour
faciliter les transitions et l'adaptation. Tout ce nouveau menu ou ces
nouvelles règles du jeu nous amènent à être capables
de nous adapter le plus rapidement possible sur le plan industriel. Alors, ce
que j'aimerais que vous puissiez nous dire, ces politiques d'adaptation, vous
les voyez non seulement en ce qui a trait à l'entreprise, à
l'industrie, mais aussi, j'imagine, pour ce qui est des ressources et de la
main-d'oeuvre pour être capables de relocaliser, d'utiliser au maximum
nos ressources tant humaines que nos ressources en ce qui a trait à
l'entreprise. Alors, j'aimerais que vous puissiez nous montrer un peu comment
vous le voyez dans le cas spécifique du Québec.
M. Proulx: Rapidement, donc, le modèle a des effets
positifs globaux mais il y a des perdants et il y a des gagnants. Alors, il y a
des secteurs qui ont des problèmes de destruction d'emploi dans le court
terme. J'ai fait une étude pour Montréal, elle n'est pas
publiée mais vous avez une étude pour Montréal. À
Montréal, il y aurait 8000 à 10 000 jobs qui
disparaîtraient à la suite de la libéralisation des
échanges, mais dans le paquet ce n'est pas beaucoup sur 125 000 dans le
secteur manufacturier parce que c'est du câté des services et
d'autres côtés que cela mène. Alors, pour ceux qui auraient
des problèmes, et c'est bien reconnu à la suite du déclin
des tarifs et des barrières non tarifaires, on met en lumière des
suggestions pour essayer d'aider, et cela s'appelle des politiques positives
d'ajustement industriel. Cela porte, comme vous l'évoquiez, en partie
sur des questions de recyclage, sur des questions de formation qui visent les
travailleurs. Ce que je crains, dans les suggestions que font mes
confrères ontariens aux gouvernements d'Ottawa et de l'Ontario, c'est
qu'on met beaucoup de poids sur les mesures visant les travailleurs
exclusivement. Alors, partant de la réalité
socio-économique et culturelle québécoise, je me dis que
cela nous prend un dosage de mesures qui va diminuer un peu le poids des
problèmes d'adaptation des travailleurs en faisant un peu quelque chose
du côté des entreprises pour la transition et il faut s'interroger
sur ce qu'on pourrait faire.
En fait de mesures, il y a toutes sortes de suggestions qui ont
été faites. À la page 39, j'en ai
énuméré qui sont des choses assez détaillées
pour faciliter la transmission. Il y a des retraites
accélérées; dans certains cas, les populations actives
dans ces secteurs-là sont plus âgées. Donc, favoriser des
retraites accélérées, permettre, s'ils changent de
secteurs, qu'ils amènent leur fonds de retraite avec eux, ne pas taxer
les sommes qu'ils recevraient s'ils sont mis à pied, en l'occurrence,
pour faciliter et insister la transition, utiliser, comme on le propose, la
formation et le recyclage. Il y en a qui ont proposé des subventions
salariales transférables. Si les travailleurs dans telle ville
mono-industrielle - dans certains cas, cela va être dans certaines
régions, dans certaines villes un peu plus importantes, non dans les
grands centres urbains mais dans les petits centres - ont des problèmes
de mobilité géographique, qu'ils amènent une partie de
leur salaire pour quelques années afin de faciliter leur embauche par
leur nouvel employeur dans des secteurs en croissance, parce qu'il va y en
avoir plus qu'il y en aurait en déclin, et" pour les inciter à se
déplacer un peu. Il y en a qui disent: Les salaires baissent un peu,
comblons l'écart dans les salaires. Si le salaire baisse de 25 %,
comblons pour deux ou trois ans la moitié de la perte de salaire pour
aider le travailleur qui aura à se déplacer. Je sais bien que
c'est important et ce sont des suggestions comme celles-là que j'entends
à Ottawa et dont on parle en Ontario, mais je pense que ce n'est pas
adéquat parce que nous, au Québec, il nous faut un peu donner du
poids du côté des politiques visant les entreprises. Et là,
du côté des entreprises, c'est une tout autre question; ce que je
vois, ce sont des mesures qui, puisque c'est une période de transition,
doivent être - il y a trois adjectifs que j'ai mis à la page 40
-temporaires, dégressives et assorties de conditions visant le
redéploiement des
entreprises. On a trop souvent vu des mesures, qui persistent et
continuent, qui ne donnent pas lieu à un redéploiement de ces
entreprises. (17 h 15)
Si on les module, si on fait en sorte qu'elles soient dégressives
- et on y tient, mais il y a un problème politique, j'en suis conscient
- si on arrive à faire tenir le déclin dans le temps des mesures,
on va inciter l'entreprise à bouger et à faire des choses. Cela
devrait s'insérer à mon avis dans ce que j'appelle - et c'est un
autre chapitre, je vais m'arrêter, M. le Président -le chapitre de
la politique technologique du développement économique du
Québec. C'est un autre chapitre, c'est un autre sujet.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Merci. J'aimerais profiter des remarques ou des
suggestions que vous avez faites pour faire une certaine mise à jour.
Vous avez, par exemple, dit qu'il faudrait beaucoup plus de suivi dans
l'analyse des politiques commerciales, que ce soit du Japon, de la Corée
ou ainsi de suite» Je peux vous rassurer sur ce sujet, effectivement on
regarde la négociation bilatérale actuelle comme
précurseur strictement de cette négociation multilatérale
ou, comme vous l'avez mentionné peut-être, d'une évolution
qui nous amènerait à du plurilatéral. Mais dans ce
contexte-là, nécessairement, les structures que nous nous sommes
données pour faire face particulièrement à la
négociation bilatérale, ce sont les structures qu'on
désire garder dans les négociations multilatérales du
GATT. Donc, on fait un suivi, et un suivi assidu.
Vous nous avez suggéré, M. Proulx, de faire un plus grand
lobby vers les États-Unis. Est-ce que vous aimeriez élaborer un
peu plus longuement, quelques minutes, sur ce que vous entendez?
M. Proulx: Moi, je me réjouis des mécanismes,
procédures et processus qu'on a mis au point au sein de la province,
d'une part, et entre la province et le gouvernement fédéral. Ce
sont des choses positives qui impliquent les provinces dans des choses qui les
regardent de plus en plus et c'est réellement excellent. Mes propos ne
visaient pas le suivi de ce qui se dessine durant la période de
négociation. C'est ultérieurement qui m'inquiète. Ce que
je prétends qui va arriver - le temps ne permettra pas d'entrer dans
beaucoup de détails et ce n'est peut-être pas indiqué
d'aller dans trop de détails. Après la négociation, on va
nous laisser avec des codes, des règles de jeu, des choses assez
générales qui vont nécessiter une certaine
interprétation de part et d'autre par les pays membres, soit le Canada
et les
États-Unis, ou les autres ultérieurement sur le plan
multilatéral. Je reprends tout simplement une proposition du GATT qui a
mis sur pied un comité des sages il y a cinq à six ans, je crois,
qui a dit qu'il est indiqué et important que les pays soient plus
informés sur les coûts et les bénéfices des mesures
de libéralisation des échanges et de protectionnisme qui se fonte
Parce que, si on avise la population, si on rend disponible aux entreprises
québécoises, aux syndicats québécois les
estimations - d'accord, avec des lacunes - mais plus d'estimations des
coûts et bénéfices, pas durant la négociation, mais
après, de façon continue et soutenue, on va aider à
comprendre un peu mieux. Le défi est d'arriver à faire ce suivi,
parce que ce ne sont pas nécessairement des politiques commerciales qui
nous touchent, ce sont les politiques domestiques: fiscalité,
réglementation, changements dans le domaine financier. Il y a un
défi fantastique et c'est ultérieurement que je crois qu'il nous
faut -partant de ce qu'on voit venir dans le programme des législations
de certains pays européens, de certains pays du Sud-Est asiatique, de
certains États aux États-Unis -faire notre lobbying auprès
du sénateur qui est impliqué, faire notre lobbying auprès
du gouverneur. On a des marchés régionaux très très
différents aux États-Unis. Il faut connaître nos
marchés régionaux, faire notre lobbying de ce
côté-là. Pour arriver à faire cela, il est
indiqué et désirable que cela soit dans un mécanisme qui
ne sera pas public, un mécanisme autonome au Québec, avec
présence, par contre, du secteur public et du secteur privé. Ce
mécanisme répondrait aux demandes des industries, des entreprises
qui voudraient savoir ce qui se passe effectivement dans tel secteur, quelle
législation, dans quel domaine, va les toucher. Il y aurait des clients
surtout privés, aussi publics nécessairement, mais les
gouvernements ont leur réseau, ont leurs ressources pour faire cela, et
vous le faites très bien en l'occurence. C'est pour suppléer
à cela et c'est ultérieurement que je visais en faisant cette
proposition.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): M. Proulx, vous nous mettez beaucoup l'eau
à la bouche. Il y a beaucoup de choses intéressantes. Lorsque
vous avez comparu devant le comité Warren - je lisais Le Devoir
du 2 juillet dernier -vous avez dit que l'une des conditions les plus
importantes que vous posiez au comité Warren, c'était:
L'implantation du libre-échange porte sur des politiques nationales,
elles doivent converger vers un renforcement de la position concurrentielle.
Sur ce point, vous avez soulevé des questions sur la capacité
actuelle du Québec de faire face à
cette ouverture des nouvelles frontières. Vous appuyez votre
thèse, entres autres, sur la scolarité, les efforts de recherche
et développement, achat, équipement, autrement dit la
capacité du Québec à faire face à ces nouvelles
règles du jeu. J'aimerais que vous puissiez nous dire, dans un premier
temps, M, Proulx, si vous voyez cette capacité, bien sûr, avec une
aide ou un soutien gouvernemental ou en partenaires, gouvernement-entreprise
privée. Est-ce que pour vous, à cause de la structure
économique du Québec, à cause du type d'entreprises que
nous avons, tant sur le plan de la diversité des secteurs que sur le
plan de la taille de nos entreprises, il est pensable qu'on ait les outils
nécessaires actuellement pour être capable de faire face sans ces
outils?
M. Proulx: M. le Président va m'arrêter si je tente
de répondre le moindrement complètement à votre question,
mais je vais quand même tenter de réagir un petit peu si vous
voulez.
Je crois qu'il y a des secteurs... Il faut se situer au niveau de... Il
y a des divergences très très considérables dans la
capacité compétitive des différents secteurs
québécois et, plus particulièrement, au sein des secteurs.
Même dans les secteurs les plus faibles, il y a des entreprises qui
peuvent passer réellement au travers dans la mesure où elles
empruntent et utilisent des stratégies de pénétration de
marché assez particulières, dans la mesure où elles font
l'utilisation de nouvelles technologies de production, dans la mesure où
elles seront très attentives aux créneaux, aux niches dans
l'identification du potentiel de marché américain. Souvent, cela
est régional et non national. De plus en plus, ce serait international
étant donné ce que je vois comme déclin sur le plan
mondial. Donc, cela dépend du secteur effectivement. Globalement, ce que
je vois en partant des études, c'est que le Québec tirerait
profit globalement de cette libéralisation des échanges. En
d'autres mots, les secteurs forts, à cause du dynamisme de nos
entrepreneurs, à cause de l'implantation de plus en plus rapide qu'on
fait de nouvelles technologies, avec l'aide qu'on donne encore, quoique qu'on
pourra discuter des modalités de l'aide à promouvoir et à
prôner pour l'avenir, beaucoup de nos secteurs, plus que ceux qui
perdent, arriveraient à passer au travers. Donc, il y a une
capacité concurrentielle du côté des biens durables. Elle
est évidente. Nos écarts de productivité, nos
écarts de coûts unitaires de production du côté des
biens durables sont tels que les Américains sont inquiets. Ils essaient
de se protéger effectivement. Dans beaucoup de secteurs, on a une
compétitivité forte.
Notre problème est du côté non durable. Les
données de notre structure économique nous le font voir. Du
côté des biens non durables, on a une concentration importante de
notre activité économique, et là il est inévitable
et même désirable qu'il y ait une rationalisation de nos
activités dans les secteurs dits mous. Ils sont identifiés dans
le texte dans la mesure où les textes le permettent. Mais il ne faut pas
faire porter le poids de l'adaptation exclusivement par les travailleurs des
secteurs mous, ni les entreprises des secteurs mous. Il faut les aider à
passer au travers de ces mécanismes par de la formation, du recyclage,
de l'aide à ces entreprises. Les Japonais vont bien plus loin qu'on va
en Amérique du Nord puur aider les entreprises à s'adapter
à des conditions comme celles-là. Je ne prône pas qu'on
"émule" les Japonais nécessairement, mais, essentiellement, il y
a un potentiel fantastique si on est de concert, le gouvernement du
Québec avec les entrepreneurs et les syndicats québécois,
si on emprunte de plus en plus de nouvelles technologies. J'ai défini
cela comme étant des technologies de télématique. Si on
entre de plain-pied dans le domaine de l'information, les flux d'informations,
si on se donne et on assure qu'on a une infrastructure de
télécommunications des plus poussées à
Montréal, qu'on puisse faire ce marketing, cette distribution et ces
analyses de marché, le suivi de l'expédition de nos produits, je
dis qu'il y a un potentiel très très intéressant. Cela
n'est pas la faute des autres, cela dépend de nous. C'est nos
entrepreneurs et nos syndicats, nos travailleurs, leur formation, leur
recyclage, d'accord, nos politiques publiques qui vont nous aider, mais je
crois que... Je minimise -vous le voyez un peu, c'est ce que vous avez dit, je
pense, en commençant - je minimise un peu l'importance de la politique
commerciale comme facteur déterminant de l'aboutissement de tout cela.
Cela dépend bien plus de nos politiques domestiques à nous et de
ce qu'on fait chez nous.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de La Peltrie.
M. Cannon: Merci, M. le Président. M. Proulx, très
brièvement, j'aurais peut-être une petite question à vous
poser. Mais avant, comme préambule, j'ai entendu cet après-midi
le chef du gouvernement, le ministre du Commerce extérieur et du
Développement technologique de même qu'un certain nombre de
personnes qui sont spécialisées en la matière nous dire:
Voici, écoutez, c'est vrai qu'aux États-Unis, depuis maintenant
tout près d'une quinzaine d'années, il y a un déclin, une
baisse de productivité, etc. Nous avons engagé ce processus de
négociation pour pouvoir permettre l'accès à nos
entreprises québécoises et canadiennes au marché
américain. Je vous pose une question.
Sentez-vous tout à fait à l'aise d'y répondre, mais
j'aimerais, si vous y répondez, que vous me donniez peut-être des
explications économiques de ce que pourrait être un
scénario où le statu quo serait avancé,
c'est-à-dire dans un contexte où il n'y aurait pas de
libéralisation des échanges et si, demain matin, tout continuait
de la même façon. Vous avez certainement réfléchi
à cette chose, j'aimerais que vous nous donniez une réponse.
M. Proulx: Oui. Toutes mes réflexions m'incitent à
penser qu'il n'y a pas de statu quo possible. La situation américaine
est changée, c'est une donnée et les Américains doivent
s'y adapter, en l'occurrence. Leur déclin ne date pas des années
quatre-vingt, au contraire, ils sont en croissance, c'est l'économie qui
a joué le rôle de moteur sur le plan économique, on en a
profité. Ce n'est pas pour rien que notre part des exportations
québécoises aux Américains a augmenté. C'est qu'ils
ont joué un rôle particulièr. Mais il faut superposer cela;
c'est quelque chose à plus long terme. Le statu quo n'est pas possible
parce que les Américains ont, sur le plan relatif et, à cause de
leur dette, sur le plan absolu, de sérieux problèmes. Ils nous
disent: Faites en sorte que les Japonais et l'Allemagne de l'Ouest reprennent
le lest afin d'assurer que l'économie mondiale continue à monter.
Je pense que c'est plutôt le problème d'ouverture et de reprise
des pays en voie de développement de leur endettement qui va un peu
régler le problème. Avec les problèmes de
fiscalité, ils vont régler leur problème. Donc, d'une
part, je crois que le déclin de l'économie américaine est
assez circonscrit et fait que les Américains réagissent
naturellement en allant vers le protectionnisme, mais, d'autre part, en
essayant d'exporter leur déficit, ils veulent avoir accès aux
marchés des autres. Ils essaient d'avoir un meilleur accès. Pour
eux c'est une question stratégique d'aller voir les Japonais et de leur
dire: Ouvrez vos marchés ou nous allons fermer les nôtres. Les
gens avec qui je discute à Washington voient cette démarche
américaine comme une question de stratégie et se disent: Les
autres vont baisser pavillon et l'effet net va être la
libéralisation des échanges. Je dis que le contexte domestique de
la politique américaine est changé. Il y a un diable de danger
que le président Reagan se fasse prendre dans la conjoncture actuelle
avec HR-3, la loi no 3, et SR-1460 du Sénat qui vont passer dans un
tamisage. Je crains que, pour des raisons de politique domestique, le
président Reagan en arrive à devoir nécessairement
accepter, pour ses impératifs à lui qui, quelquefois, sont des
relations internationales et non des politiques commerciales, une situation
plus serrée pour nous. C'est pour cela que j'en arrive -excusez-moi si
je suis lonq, je termine là-dessus - à dire que, dans la position
québécoise et canadienne, il faut penser à la
quatrième option et viser la diversification de nos relations
commerciales. Cela vient des objectifs de relations internationales du
Québec ainsi que de nos objectifs de politique commerciale,, Cela n'a
jamais marché dans le passé, mais c'est dans ce contexte qu'il
nous faut aller. Partant - je peux me tromper dans le diagnostic - du
déclin américain, il nous faut chercher des marchés et
cela suggère toutes sortes de choses nouvelles vis-a-vis de ces
marchés.
Le Président (M. Charbormeau): M. le député
de Roberval.
M. Gauthier: M. Proulx, une question me vient à l'esprit.
En développement économique, quand on observe ce qui se passe au
Canada et au Québec, à long terme, il y a une tendance à
concentrer les investissements importants de développement dans le
domaine industriel dans des milieux plus urbanisés où il y a de
plus grands regroupements de population. On observe cela au niveau canadien et
au niveau du Québec. Est-ce qu'avec un marché entièrement
libre on risque à long ou à moyen terme, ce qui serait encore
plus dramatique, d'avoir une sortie d'investissements, que le
phénomène se reproduise mais au niveau des deux pays
Canada-États-Unis, et que les investisseurs étrangers, comme les
investisseurs du continent nord-américain, aient tendance à aller
investir dans les milieux où la population se regroupe
majoritairement?
M. Proulx: Bon. Je vais tenter de répondre
brièvement. La nature du changement technologique qui, autrefois,
impliquait beaucoup plus d'utilisation et de transformation de ressources
naturelles, minières, forestières, où nous sommes
très bien dotés, passe et va vers des choses qui impliquent plus
des cerveaux, des ressources humaines, de l'éducation, de la formation,
de l'intelligence. Cela étant, la localisation de ces activités
est maintenant plus "footlose". La technologie permet de se situer de
façon un peu plus libre que lorsqu'on avait à se rapprocher de la
ressource primaire, la forêt, la mine, les matières
premières. D'ailleurs, les termes d'échange nous sont
désavantageux sur ce plan. C'est la toile de fond qui fait qu'on est
dans un autre jeu où la localisation peut changer beaucoup plus
rapidement. Les déterminants de la localisation sont très
très nombreux. Beaucoup d'entre eux sont justement d'ordre domestique.
Alors, si on laisse fonctionner - mais, c'est un mythe des manuels, les
marchés ne fonctionnent pas comme cela, il y a des interventions et des
entraves de toutes sortes, les pays sont là
pour cela et se dotent de gouvernements pour influer là-dessus,
le marché ne fonctionne pas complètement - mais si on laisse
fonctionner les marchés, je crois que les nouvelles technologies ont un
potentiel d'aller à l'encontre de la concentration qu'on voit dans les
grandes villes, mais les forces centrifuges sont extrêmement fortes. (17
h 30)
Cela dit, si on regarde l'Amérique du Nord, j'ai
évoqué que j'ai des soucis quant à la localisation de
certains investissements provenant d'outre-mer, des Japonais et des
Coréens. Si on n'avait pas négocié fermement avec les
Coréens et les Japonais, où auraient-ils établi leurs
industries de l'automobile? Il nous faut garder une certaine marge de manoeuvre
pour influer, mais, pour beaucoup, ce n'est pas du contrôle des
investissements étrangers. C'est notre fiscalité, c'est la
qualité de nos ressources humaines et de tout un ensemble de politiques
domestiques qui dépendent de nous autres. Mais il faut s'assurer que les
règles vont nous permettre de jouer parce que ce que vous évoquez
est un souci réel et on voit cette concentration; les nouvelles
technologies le permettent.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Vanier.
M. Lemieux: À vous entendre, M. Proulx, je crois que vous
avez confiance en l'entrepreneurship québécois. On voit, à
la page 37 de votre mémoire, "certaines industries y sortiraient
gagnantes". Vous prétendez, du moins selon certaines études qui
auraient été faites, qu'il y aurait des effets positifs pour le
libre-échange. Ce qui m'inquiète moi aussi, ce n'est pas
davantage la loi. Ce sont les règlements. C'est le contenu des
règlements. C'est l'après. Eu égard à
l'après, en quelques minutes, puisque le temps dont je dispose est assez
court, comment envisagez-vous cette période de transition dans les
secteurs non durables comme tels? Vous avez souligné tout à
l'heure que, s'il y a des problèmes, c'est là qu'ils seront.
Cette période transitoire, de quelle manière pouvez-vous
l'envisager? Est-ce qu'il y a des éléments, est-ce qu'il y a des
solutions concrètes dont vous pourriez nous faire part pour certains de
ces secteurs?
M. Proulx: Disons que ce sont des voeux plutôt qu'autre
chose.
M. Lemieux: De l'intérieur et de l'extérieur, eu
égard au Québec, au Canada et aux États-Unis.
M. Proulx: Ce sont des voeux plutôt qu'autre chose. Je n'ai
absolument aucune information quant au contenu de ce qui pourrait nous arriver.
J'espérerais qu'on verrait une diminution dans les tarifs de part et
d'autre, mais plus lente de notre côté que de l'autre
côté. C'est une première chose. Qu'on y aille plus
lentement dans la diminution des tarifs qui protègent certains de nos
secteurs qui ont des problèmes d'adaptation, et c'est encore très
important. Cette protection, en l'occurrence, c'est dans les 21 %, 22 %, 23 %.
C'est une première chose.
Deuxièmement, je crois que l'industrie doit continuer ses efforts
de concertation visant, d'une part, à adopter les nouvelles
technologies, mais c'est très avancé et ce n'est pas la solution.
Les Italiens, il y a dix ans, ont essayé de rationaliser leur industrie
du vêtement, de la chaussure, et ils ont abandonné même
s'ils sont très forts en design et en marketing. Il faut donc avoir un
dosage d'approche, dans les secteurs qui auraient des problèmes
d'adaptation, favorisant l'implantation et l'utilisation de nouvelles
technologies, mais aussi les aider à faire du marketing ou de la
distribution, de l'analyse de marché, ce qui est extrêmement
fondamental. Il nous faut innover sur le plan des produits, des processus de
production, oui, et des services.
L'autre volet, ce sont les services. Excusez-moi si je m'écarte
légèrement de votre question, mais les services y sont pour
beaucoup dans l'adaptation des secteurs mous parce que, s'il n'y a pas
d'alternative, s'il n'y a pas de jobs, je comprends n'importe qui qui dit: Je
reste ici, je fais mon lobbying et je vais tout faire avant de bouger. Il nous
faut donc voir à créer des emplois dans les autres secteurs et,
dans la mesure où il y aurait de la création, d'autre part, cela
va aider à faire fonctionner les diverses formules que j'ai
évoquées pour la mobilité des travaillleurs, la transition
des entreprises. Cela va donc inciter ces entreprises à accepter un
déclin presque inévitable.
L'autre chose qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'il faut se situer sur
le plan mondial. On a là maintenant dans des secteurs des productions
avec des valeurs ajoutées et des niveaux de salaires qui sont
inférieurs à ceux dans les secteurs plus intéressants,
mais de beaucoup supérieurs à ceux qu'il y a dans les pays en
voie de développement. Si on a une conscience sociale vis-à-vis
des pays en voie de développement, on va peut-être, encore
là, en tirer quelque chose qui voudrait dire: Essayons de créer
des emplois pour nos qens dans les secteurs mous, pour les aider à
passer vers les services. Passer vers les services, c'est facilement dit et
difficilement fait. Encore là, selon le secteur des services, les
barrières sont différentes, les potentiels sont
différents, les implications de formation sont toutes différentes
et le dossier n'est pas très avancé quant à nos
connaissances sur les possibilités de ce
côté-là.
M. Lemieux: Cela va. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le
député de Vanier.
J'ai une question à vous poser, M. Proulx. Vous avez
indiqué tantôt que cela supposait l'intervention gouvernementale
en ce qui concerne l'aide aux entreprises et également l'aide aux
travailleurs pour la période d'adaptation. Si je comprends bien, vous
indiquez qu'i est nécessaire, pour qu'une entente sur le
libre-échange fonctionne, réussisse et soit positive pour le
Québec, que le gouvernement intervienne d'une certaine façon pour
aider les entreprises et aussi mettre en place des programmes pour l'adaptation
de la main-d'oeuvre et l'adaptation des entreprises. Dans ce sens-là,
dans quelle mesure doit-on se comporter à l'égard des programmes
d'aide aux entreprises? Est-ce qu'on doit accélérer un
désengagement de l'État dans les programmes d'intervention aux
entreprises ou si, au contraire, à cause de ce qui peut arriver,
c'est-à-dire une négociation qui pourrait aboutir, on doit
plutôt maintenir l'aide aux entreprises, et même l'accentuer, et
aussi aux travailleurs?
M. Proulx: Premièrement, je prétends qu'il faut
profiter du coût, pas aussi présent et fort qu'on le voudrait, qui
viendrait de la libéralisation. Cela nous aidera un peu, quoique cela
mettra en évidence les problèmes dont on parle et qui touchent
des secteurs: 8000 à 10 000 jobs à Montréal, et on a
estimé à je ne me rappelle plus combien l'ensemble du
Québec. Cela mettra donc en lumière ces
problèmes-là. J'ai aussi entendu aujourd'hui qu'on
s'intéresserait à mettre au point une politique d'adaptation
industrielle pour la transition. On a brièvement parlé de la
nature et des caractéristiques de cette politique d'adaptation
industrielle. Ma seule réaction était de réagir aux propos
que j'entends, d'autre part, parce qu'il ne faut pas oublier les entreprises.
Si on fait porter le poids de l'adaptation seulement aux travailleurs, je crois
que ce n'est pas équitable ni efficace. Il nous faut faire des choses
pour les entreprises aussi et nos interlocuteurs ne sont pas assez ouverts
à ça parce que le processus d'ajustement par la mobilité
des ressources humaines est très acquis dans la formation des
économistes et de ceux qui sont les conseillers que je rencontre et
croise.
Le rôle du gouvernement, particulièrement dans ce processus
d'adaptation: Je vais vous dire honnêtement que ma réflexion n'est
pas très avancée là-dessus. Je travaille plutôt sur
des questions de technologie de ce temps-ci que sur des questions du genre. Je
vais donc me défiler devant votre question précise mais j'y vois
un rôle évident et possiblement une modulation et un "repackaging"
en partie de certaines de nos politiques industrielles pour la transition.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le ministre.
M. MacDonald: M. Proulx, je vous remercie beaucoup de vos
réponses-J'aimerais souligner, pour reprendre un peu, que vous avez
à vous préoccuper de technologie et c'est également ma
responsabilité. Au niveau de la responsabilité du gouvernement
concernant la période d'adaptation et les mesures d'adaptation, j'ai
été heureux de constater effectivement que l'Opposition
partageait à 100 % nos préoccupations sur le sujet. Dès le
départ, une exigence du gouvernement du Québec à la table
de M. Reisman a été la formulation de la position
québécoise. Comme province, nous avons introduit à ce
moment-là cette dimension que vous avez soulignée, à
savoir qu'il ne faut pas seulement regarder recyclage et optimisation de la
capacité de la main-d'oeuvre mais regarder les entreprises, leurs
facteurs de productivité autres que la main-d'oeuvre. C'est un autre des
sine qua non que nous avons listés cet après-midi, sans quoi il
ne saurait être d'adhésion à une entente quelconque.
Les mesures, l'ampleur de la mesure, tant sur le plan des
périodes que sur le plan des sommes d'argent, seront
nécessairement "commensurées" à ce que nous
déterminerons comme période d'adaptation d'une réduction
de mesures tarifaires ou de mesures non tarifaires.
En cours de route, vous avez dit que le "fast track" ne donnera rien et
que le sénateur Benson pourra intervenir après le 5 octobre. Il
est aussi important de noter, M. Proulx, qu'au Canada dix provinces doivent
approuver et voudront ajouter leur grain de sel à la formule finale.
Cette possibilité d'intervention n'est pas unilatérale. Des deux
côtés de la frontière, à mon avis, il y aura sans
aucun doute des retouches s'il y a entente.
M. Proulx: Une brève remarque si vous me le permettez,
rapidement.
Le Président (M. Charbonneau): Oui, rapidement.
M. Proulx: Ce qui m'a inquiété sur le "fast track"
c'est le prix qu'on a payé. En l'occurrence les conseillers et mes
collègues à Washington me disent qu'on a payé le bois
d'oeuvre pour avoir un "fast track" qui n'est pas très très
utile. Le président Reagan a dû promettre aux sénateurs qui
voteraient: Je vais régler le problème des bardeaux de
cèdre des Canadiens dans la mesure où vous voterez pour moi. Je
trouve qu'on a payé
cher. Si on avait eu un éclairage un peu plus poussé sur
le processus politique interne, sur le lobbying et les positions des
Américains» on aurait peut-être dit: D'accord, on va aborder
ça autrement et différemment. Je me réjouis en effet que
notre mécanisme et nos procédures permettront cette
flexibilité-là parce que même après la signature de
l'entente bilatérale il y a le projet de loi omnibus qui s'en vient
aussi. On ne sait pas comment on va accorder et harmoniser le projet de loi
omnibus qui pourrait ressortir assez protectionniste avec les mesures qu'on va
négocier sur le plan bilatéral. Donc, il nous faut avoir du
suivi, faire la suite et s'assurer qu'on soit drôlement vigilant
là-dessus dans les années à venir.
M. MacDonald: Comme...
Le Président (M. Charbonneau): Je m'excuse. Si on veut
fonctionner, M. le ministre, je vais donner la parole à M. le
député de Bertrand.
M. MacDonald: Très bien! C'est parfait.
M. Parent (Bertrand): Une dernière question de ce
côté-ci. M. Proulx, vous nous avez dit tantôt que le statu
quo est pratiquement impossible. Vous êtes catégorique
là-dessus, il n'y aura pas de statu quo, on aura quelque chose qui va
bouger. Vous nous avez dit aussi que la balance commerciale américaine
était déficitaire et qu'il y a une volonté politique du
président Reagan d'en venir à une entente concernant le
libre-échange et une volonté politique canadienne - on en a une
au niveau québécois - de la part des premiers ministres.
Dans ce contexte-là, M. Prouix, on est dans une situation, avec
le "fast track" actuellement, qui fait qu'on a un compte à rebours qui
fonctionne, un compte à rebours qui fait que, dans quelques jours, on
devra réussir à s'entendre. Il y a une volonté politique
qui est prête sûrement à laisser tomber des morceaux
importants dans la négociation. D'une part, aux États-Unis on
veut se ramasser dans une situation où on sera capable de dire au reste
du monde qu'on est capable de s'entendre avec le Canada. D'autre part, au
Canada, on a un premier ministre qui, sur le plan politique, veut montrer au
reste du Canada qu'il est capable de conclure des ententes avec les
États-Unis. N'est-on pas dans une situation où on devra laisser
des morceaux importants de la négociation sur la table, s'entendre dans
un cadre minimal, ce qui ferait qu'on se retrouverait avec un entente-cadre
où finalement, après 18 mois, on ne se sera pas entendu sur les
choses dites de fond et importantes? On devra, après les 90 jours et
après la procédure du "fast track" en janvier 1988... J'imagine
que si ceci devait se passer... Vous mentionnez que vous êtes
assuré qu'il n'y aura pas une situation de statu quo et je suis un peu
de votre avis, dans ce cas-là. Va-t-on se retrouver, après avoir
attaché, si on peut dire, un cadre, dans cette entente-là, avant
le 4 octobre 1987, va-t-on se ramasser dans une situation... On n'aura pas les
mains attachées au Québec vis-à-vis du Canada qui aura
à bouger à l'intérieur d'un cadre qui va être fixe.
Va-ton se ramasser, d'après vous, dans une situation où il y a
une volonté politique de régler à tout prix une entente de
libre-échange?
M. Proulx: Je crois que vous avez raison d'identifier qu'il y a
un désir politique de part et d'autre d'en arriver à quelque
chose parce qu'il y a des avantages pour l'un et l'autre., Nous, on a
été les demandeurs initialement, partant de la crainte du
protectionniste des Américains, ce qui était un motif
négatif; ce n'est pas comme cela qu'on gagne des batailles, cela j'en
conviens. Il faut penser à des aspects positifs et à d'autres
choses. Les Américains en tirent parti parce qu'ils veulent en partie se
servir de l'exemple bilatéral sur le plan multilatéral, mais il y
a aussi d'autres avantages économiques qui en découlent.
Ma réaction, je ne sais si elle va être trop tangentielle,
parce que c'est une question difficile que vous m'avez posée. Il ne faut
pas mettre tous nos oeufs dans le même panier; en d'autres mots, on se
prépare, on travaille un peu sur le plan multilatéral, mais il
nous faut, sur le plan des politiques domestiques, penser comment on va
rivaliser - c'est la façon de résumer ma pensée
là-dessus - contre les Américains outre-mer. Si on se sert de
cela pour lire nos politiques industrielles, nos politiques régionales,
nos politiques de formation, nos politiques de recherche-développement
en science et technologie, je crois qu'on va dire qu'il faudra faire attention
dans telle discussion pour que le cadre ne nous empêche pas de faire cet
effort visant à nous permettre à rivaliser contre les
Américains outre-mer. Si on pense dans ce contexte-là, je crois
qu'on va vouloir des choses assez générales. Donc, que le cadre
qui risque de naître le 5 octobre ne soit pas très très
précis, cela pourra nous avantager.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Prouix, cette réponse termine votre présentation. Je vous
remercie au nom des tous les membres de la commission d'avoir participé
à notre exercice et je crois que les gens qui ont suivi nos travaux cet
après-midi vont sûrement avoir apprécié votre
présentation ainsi que les discussions que nous avons eues.
Alors merci, et sans plus tarder j'invite
maintenant l'autre groupe qui est présent, l'Association du
camionnage du Québec, à prendre place.
C'est Mme Louise Pelletier qui est présidente, c'est ça,
madame?
Mme Pelletier (Louise): Oui, monsieur, présidente du
conseil d'administration.
Le Président (M. Charbonneau): Et M. Jacques Alary,
vice-présent exécutif de l'Association du camionnage du
Québec. Alors, je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour
présenter votre point de vue, au maximum, et que le reste du temps est
réparti équitablement entre les membres de la commission. Je vous
indique immédiatement que, pour votre présentation et pour le
reste de la séance de cet après-midi, le vice-président
présidera les délibérations, M. le député de
Vimont. Alors, madame.
Association du camionnage du Québec
Mme Pelletier: Merci. Messieurs les membres de la commission et
madame, je dois vous mentionner que notre exposé est relativement bref.
Nous vous avons fait parvenir un exposé. Il est bref et il pose des
questions très pratiques. (17 h 45)
Alors, l'Association du camionnage du Québec est l'association
qui représente les intérêts de la majorité des
camionneurs publics au Québec auprès des différents
organismes gouvernementaux. Notre intervention porte principalement sur des
interrogations qu'ont les transporteurs routiers publics face à un
libre-échange plus ou moins libre. Le libre-échange est-il bon ou
pas? Nous ne le savons pas et nous ne pouvons guère répondre
à cette question. Cependant, nous désirons partager certaines
interrogations que nous avons aussi soumises au bureau des négociations
commerciales du gouvernement du Canada il y a quelques mois.
D'abord, le libre-échange, qu'est-ce que c'est? Est-ce que
ça sera simplement l'élimination ou la réduction des
tarifs douaniers? Dans un tel cas, c'est sûrement à notre
avantage, ce qui viendra réduire le prix de nos camions, des
matériaux de transport et des composantes. Est-ce que le
libre-échange signifiera aussi la liberté de faire affaire aux
États-Unis, sans barrière, tout comme peut le faire une
entreprise américaine dans son propre territoire? Serons-nous en mesure
de bénéficier de cet avantage si les Américains arrivent
à s'implanter aussi chez nous et à prendre le contrôle des
mouvements de transport principaux?
Nous voulons rappeler quelque chose qui est évident, situation
géographique. La majorité de nos grands centres commerciaux
canadiens sont à quelques centaines de kilomètres des
frontières. Plus on s'éloigne vers le nord moins il y a de
population et, par le fait même, de marchés de transport à
grand volume. Pour être en mesure de desservir efficacement les centres
commerciaux et à un coût moindre, les camionneurs canadiens et
québécois se sont dotés, évidemment, de
véhicules qui sont plus robustes, qui peuvent aussi transporter des
charges plus grandes, permettant ainsi de compenser le
déséquilibre démographique et commercial entre les
différentes régions. Ce déséquilibre
démograhique se traduit aussi par un tonnage qui est peut-être
élevé à transporter dans une direction - produits bruts,
produits semi-finis - et faible dans l'autre, constitué surtout de
produits de consommation. Quel sera l'impact sur le prix de revient de nos
entreprises canadiennes, dont l'équipement est plus coûteux,
lorsqu'elles seront en concurrence sur le marché américain,
où les équipements n'ont pas besoin d'être aussi robustes
et où les équipements coûtent moins cher à
l'achat?
Une autre interrogation: Qu'arrivera-t-il avec la loi sur l'immigration
aux États-Unis? Actuellement, nous savons qu'un chauffeur canadien ne
peut transporter de la marchandise à l'intérieur même des
États-Unis. Évidemment, cette même protection existe aussi
au Canada. Là où il faut soulever l'impact majeur, c'est
principalement en termes de distances. Prenons l'exemple qui vous est
mentionné dans notre texte, d'un voyage de légumes qui vient de
Montréal, destiné à l'État de New York, où
un transporteur a aussi un voyage de retour de fruits. Évidemment, les
fruits sont un peu plus au sud, donc, vers la Floride. Le transporteur canadien
ne peut actuellement effectuer un mouvement de transport entre, par exemple,
New York et la Floride, pour aller chercher ce voyage de fruits à
destination du Canada.
Le camionneur américain peut faire ce transport
intra-États-Unis et aussi intra-États. L'impact de ce
kilométrage à vide pour les compagnies canadiennes, que
sera-t-il? Est-ce que les lois sur l'immigration seront changées aux
États-Unis pour permettre aux Canadiens d'effectuer et d'exécuter
des mouvements intra-États-Unis? C'est une des questions que nous avons.
Il est à peu près impossible, dans le contexte actuel, d'obtenir
des permis de transport pour effectuer du transport à l'intérieur
de certains États américains. Une déréglementation,
oui, à la grandeur des États-Unis et du transport
inter-États mais il subsiste encore de la réglementation pour du
transport intra-États. Il est plus difficile aujourd'hui d'obtenir un
permis de transport pour faire du transport à l'intérieur de
l'État de la Georgie qu'il ne l'est d'en obtenir un au Québec.
Est-ce que le libre-échange et la
déréglementation permettront aux Canadiens d'obtenir plus
facilement ces permis intra-États? C'est une question que nous
posons.
Il y a aussi certaines barrières qui existent actuellement aux
États-Unis. Prenons l'exemple de la taxe sur l'utilisation des
autoroutes, ce qu'on appelle communément des "user pay", où une
taxe de 500 $ canadiens, par année, par équipement
motorisé, est imposée aux transporteurs canadiens.
Qu'adviendra-t-il dans un contexte de libre-échange, est-ce que cette
taxe américaine subsistera? L'État de New York impose une taxe
d'affaires qui se calcule au prorata du millage effectué à
l'intérieur de l'État et incluant le millage transit.
Qu'adviendra-t-il de cette taxe de l'État de New York?
Évidemment, les camionneurs québécois sont principalement
touchés par cette taxe de l'État de New York, étant
presque un port d'entrée pour les camionneurs canadiens vers les
marchés du sud.
Par l'entente du libre-échange, nous verrons aussi probablement
disparaître le pacte de l'automobile mais la question que nous nous
posons - je ne veux pas m'avancer sur un sujet glissant - qu'adviendra-t-il du
contenu canadien requis dans la partie des produits vendus au Canada? Cette
question, nous nous la posons en ce sens: Qu'adviendra-t-il du mouvement des
marchandises et de l'impact de ce rôle en matière du transport
dans la chaîne de production des différents produits?
Les compagnies américaines propriétaires de filiales
canadiennes décideront peut-être aussi de les fermer, de fabriquer
aux États-Unis les biens destinés au marché canadien. Or,
exîstera-t-il aussi un déplacement des centres de décision,
ne serait-ce qu'en ce qui concerne le trafic, ce qu'on appelle un directeur
national de distribution d'une entreprise nationale américaine ayant une
filiale au niveau canadien ou même québécois?
Qu'adviendra-t-il en ce qui a trait à la prise de décision de
l'octroi des contrats de transport dans notre système de distribution
totale?
On sait qu'aujourd'hui plusieurs transporteurs américains offrent
des prix d'escompte en garantie d'un volume de transport minimum qui inclut
aussi une notion de réseau signifiant que la majorité des
endroits de fabrication sont inclus dans ce contrat. Un directeur national de
distribution situé aux État-Unis favorisera-t-il plus un
transporteur américain qui pourra opérer dans tout le Canada, ou
favorisera-t-il un transporteur canadien et québécois? C'est une
question que nous posons. Nous avons aussi certaines questions relativement aux
barrières canadiennes. Est-ce que nos gouvernements, par exemple, sont
prêts à réviser les obligations sociales et fiscales pour
nous permettre d'être plus concurrentiels? On sait qu'aux
États-Unis ils ont vécu une réforme fiscale importante.
Certains fiscalistes experts disent qu'il apparaîtrait que les Canadiens
paieraient plus d'impôts que les Américains depuis cette
réforme fiscale. Quel sera aussi l'impact sur une entreprise canadienne
par rapport à une entreprise américaine, si on ne songe qu'aux
nouvelles lois sur l'équité en matière d'emploi, les lois
sur la santé et la sécurité du travail, la taxe d'accise
sur l'essence, la taxe de 5 % sur les assurances, peut-être la future
taxe sur les transactions sur la valeur ajoutée, la réforme
fiscale canadienne? Nous pensons, évidemment, que le
libre-échange va bien au-delà des frontières et de
l'ouverture des frontières. Il faut aussi que, de part et d'autre, nous
ayons les mêmes chances de succès. C'est pourquoi nous croyons
qu'avant d'entreprendre l'aventure du libre-échange il faut analyser
l'impact en tenant compte d'un ensemble d'irrirants qui parfois nous placent en
position d'infériorité face au marché international. Pour
le libre-échange, nous ne pouvons vous dire oui ou non, bon ou pas. Nous
avons des questions et nous croyons que ce sont des éléments qui
doivent assurément faire partie des préoccupations des
représentants. Nous vous remercions de votre attention. Si vous avez
quelques questions plus pratiques, il me fera plaisir d'y répondre.
Le Président (M. Théorêt): Merci, madame. Je
vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce extérieur
et du Développement technologique.
M. MacDonald: Merci, madame. Je note qu'en effet cette
présentation que vous nous faites aujourd'hui se rapproche assez bien de
celle que vous aviez faite devant le comité Warren au mois de juin
dernier. À ce moment, vous posiez des questions et vous les reposez
aujourd'hui; par contre, vous me permettrez de suggérer que plusieurs
des questions que vous posez devraient normalement recevoir réponse
quant à ce que vous souhaitez voir se produire en tant que regroupement
sectoriel. Je crois que je peux vous dire qu'après audition au
comité Warren, où vous aviez fait le point sur vos
préoccupations à ce moment, on vous a répondu et on peut
vous répondre encore aujourd'hui qu'il ne serait pas question
d'engagements ou d'adhésion de la part du gouvernement du Québec
à une formule qui ne retrouverait pas - comme je crois que votre
collègue l'avait mentionné à ce moment-là -"a level
playing field", c'est-à-dire que vous puissiez jouer ou plutôt
travailler en tant qu'industrie de camionnage avec les mêmes
règles.
Il y a des choses que vous avez mentionnées, à savoir que
les camions canadiens sont plus solides, ont une structure
qui répond plus aux exigences climatologiques, etc., que les
véhicules américains, d'où un point défavorable.
Nécessairement, je ne veux pas m'arrêter sur ces points
techniques, mais, si les Américains étaient obligés de
compétionner ou voulaient compétionner à
l'intérieur du Québec ou du Canada, ils devraient se doter
d'équipements semblables, d'où un "level playing field". Mais le
point important pour nous, et je me permets de vous le répéter,
c'est qu'il n'est pas question de participer à l'élaboration d'un
projet de règlement qui toucherait particulièrement le domaine
des transports routiers sans qu'il y ait réciprocité. Il ne
serait pas question pour nous d'encourager une situation, un règlement
où vous vous retrouveriez dans une situation défavorable.
Je peux par contre vous faire un commentaire général qui
se rapproche très bien de vos préoccupations, à savoir que
les Américains ont été demandeurs dans le domaine des
services. Ce sont eux-mêmes qui ont menacé à Punta Del Este
de quitter en quelque sorte le GATT et de négocier de façon
bilatérale avec le pays de leur choix les divers sujets à
l'intérieur de l'en-tête Services. Or, il s'avère, par des
déclarations publiques que vous avez vues, que, par exemple, dans le
cabotage maritime, le "Jones Act" est quelque chose de sacré que les
propriétaires et les syndicats américains ne veulent pas toucher.
Il s'avère que, dans le domaine du transport routier qui vous
intéresse particulièrement, beaucoup d'États ne veulent
absolument pas souscrire à ce qui pourrait être une ouverture
fédérale, etc. Alors, je me permets de vous poser une
première question ou plutôt de vous faire une suggestion.
J'aimerais avoir vos commentaires sur la base suivante et sur la base,
particulièrement, des qualificatifs que j'ai donnés. Est-ce que
vous ne pourriez pas, dans les jours qui vont suivre, répondre à
quelques-unes de vos questions, c'est-à-dire de ne pas seulement nous
soulever votre préoccupation, mais de nous donner d'une façon un
peu plus précise ce que vous souhaiteriez être la prise de
position canadienne en la matière?
M. Alary (Jacques): Si vous me permettez, M. MacDonald, oui, il
nous sera certainement possible de dire ce que nous voulons être
après une entente de libre-échange ou après
différentes autres ententes du même genre. On vous le dit un peu
par le biais de questions ou d'interrogations que nous avons. Ce qu'on demande,
en résumé, c'est de pouvoir faire du transport à
l'intérieur des États-Unis sous les mêmes règles que
les Américains pourront le faire à l'intérieur du Canada
et, à cause des distances des centres que nous avons à desservir
à l'intérieur du Québec par rapport aux centres à
l'intérieur des États-Unis, de s'assurer que le lendemain,
lorsqu'on va permettre aux Américains de venir, comme on pourrait dire,
jouer un peu dans nos marchés, ces mêmes Américains ne se
servent pas de moyens détournés pour nous imposer des
barrières. C'est cette partie qui nous inquiète le plus. Je vous
donne l'exemple de la taxe sur l'utilisation des routes américaines. Si
cette même taxe était au prorata du millage parcouru aux
États-Unis plutôt qu'un montant fixe par véhicule, on
serait sur un pied d'égalité avec les Américains, on
serait prêt à payer, mais les Américains voient d'un
mauvais oeil de nous imposer une taxe au prorata parce qu'à ce
moment-là on vient les concurrencer de manière
égaiitaire.
Il y a une autre chose, c'est lorsque les Américains sont aux
prises avec des problèmes... On a vu dernièrement un projet de
loi qui a été bloqué avant d'être
présenté au Congrès où on voulait imposer à
l'industrie canadienne du camionnage une inspection systématique de tous
les véhicules aux frontières avant qu'ils puissent aller
desservir la clientèle américaine. C'est ce genre de
barrières au sujet desquelles on voudrait être assuré que,
dans toutes les ententes de libre-échange, on n'aura pas à les
subir. Â concurrence égale, si on est placé sur un pied
d'égalité, on va probablement être en mesure de rendre les
produits québécois sur les différents marchés
américains. (18 heures)
Mais s'il y a une série de barrières, soit par des taxes
qui s'appliquent seulement à nous, à toutes les fois qu'on doit
assumer une taxe américaine on s'éloigne des marchés
à atteindre parce que plus notre coût de transport augmente, moins
les produits québécois sont en mesure d'atteindre les
marchés les plus au sud. C'est pourquoi ces choses-là sont
très importantes pour nous. Ce n'est pas juste le fait que la
barrière tarifaire tombe ou le fait qu'on puisse payer nos
équipements moins cher, mais c'est tout ce qui entoure, si vous voulez,
les autres taxes ou les autres barrières qui sont parfois sournoises et
qui font plus de mal qu'une barrière vraiment définie.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. M. le député de Bertrand, critique officiel.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. te Président. Je comprends
que vous ne savez pas où vous vous en allez dans le domaine du
camionnage au Québec. Vous posez plusieurs questions. Le ministre vous
répond en vous demandant de faire vos devoirs. Ça
m'inquiète. Surtout que le ministre, en mai dernier, lors de
déclarations, avait secoué l'industrie du transport en lui
demandant de s'impliquer.
Face à tout cela je me demande si, parce qu'on parle d'une
entente de libre-échange qui sera conclue incessamment, dans un premier
temps vous pouvez nous dire si l'harmonisation - peut-être que le
ministre aussi pourra y répondre par la suite - de la législation
inter-provinciale actuellement n'est pas déjà une des
premières mesures à prendre de façon que, même si on
avait une entente de libre-échange, vous vous retrouviez dans une
position où vous seriez capables de jouer les mêmes règles
du jeu, non seulement ici au Québec mais un peu partout ailleurs. Ce que
vous mentionniez tantôt, c'est qu'effectivement vous voulez passer le
message au gouvernement, au ministre, que, si les règles du jeu changent
et s'il y a dans le domaine du transport entente de quelque nature que ce soit,
vous voulez vous ramasser sur un pied d'égalité et que les droits
qui seront acquis pour les autres, vous puissiez les avoir.
Dans ces conditions-là, si je comprends bien, vous me rectifierez
si je comprends mal, vous dîtes: Ce sont les conditions dans lesquelles
ça serait acceptable. Je ne suis pas spécialiste en ces
matières de transport, mais il y a beaucoup de réglementations
différentes et ce, autant du côté des Américains. On
ne peut pas, à moins de revenir d'un État à l'autre, avec
de la marchandise ou de revenir d'un voyage si on peut dire, d'une
expédition, à moins qu'on suive les règles qui sont bien
précises, autant d'un État à l'autre ou autant d'une
province à l'autre ici... Alors, comment vivez-vous actuellement cette
harmonisation au niveau de la réglementation, d'une part, et, d'autre
part, est-ce que les conditions minimales que vous demandez ici, vous pouvez
les expliciter? Le message que vous venez nous passer aujourd'hui, le message
que moi je comprends, le message que vous laissez au gouvernement, c'est de
dire: Écoutez, nous autres, on veut savoir exactement où on s'en
va. Et le ministre nous dit, à toutes fins pratiques: Donnez-nous
réponse à plusieurs de vos questions. Alors moi je pense qu'on a
besoin de se comprendre comme il faut avant que vous ne quittiez, sans
ça vous allez retourner... Vous allez avoir des problèmes de
transport.
M. Alary: Alors, pour répondre à votre question, M.
Parent, c'est peut-être de dire qu'à compter du 1er janvier 1988
les règles du jeu, dans le domaine de l'industrie du camionnage, vont
changer. Ce qu'on connaît de l'industrie canadienne, de l'industrie
québécoise de transport contre rémunération va
être complètement différent. On s'en va dans le processus
de déréglementation et de la façon que les cartes se sont
jouées et que les textes législatifs ont été
écrits par l'Assemblée ou la Chambre des communes, par celui qui
a juridiction sur le transport interprovincial, international, à partir
du 1er janvier 1988 c'est une déréglementation totale dans le
secteur du camionnage, déréglementation qui va permettre aux
Américains d'entrer facilement au Canada et d'entrer facilement sur les
différents marchés québécois,
déréglementation qui va amener une concurrence sauvage à
l'intérieur des gens du même milieu, que ça soit entre
concurrents québécois, concurrents canadiens. Cela est un
début pour nous de libre-échange ou d'un contexte dans lequel
nous allons avoir à nous adapter et à changer nos manières
d'agir et nos manières de faire du commerce. Si, en même temps, on
a d'autres barrières, parce que pour nous ce n'est pas seulement la
réglementation économique, le fait d'obtenir le droit d'utiliser
un camion pour faire du transport contre rémunération, pour nous
les barrières, on les a dans toutes les obligations sociales et fiscales
qui nous sont imposées.
Pour vous donner un exemple au sujet de la réforme fiscale, la
réforme fiscale américaine permet à un camionneur
américain d'amortir un véhicule de 100 000 $ dans une
période d'un an, maximum deux ans. Pour nous, en tant que
Québécois ou en tant que Canadiens, on doit l'amortir à 20
% par année. Cela veut dire que, pour créer des capitaux
financiers ou de la finance à l'intérieur d'une entreprise, le
fait d'être aidé au niveau de la fiscalité va permettre de
peut-être être plus agressif sur les marchés.
On sait, lorsqu'on regarde la situation, de nos entreprises
québécoises et canadiennes, nos entrepreneurs canadiens et
québécois en doivent plus aux banques qu'ils s'en doivent
à eux en tant que prêteurs à l'intérieur de leurs
entreprises. On a vu des entreprises américaines de chemin de fer
acheter des compagnies de camionnage, payer des sommes astronomiques et payer
cela en argent sonnant et permettre à l'entreprise de camionnage d'aller
compétitionner et pouvoir couper les prix sans avoir de crainte de faire
faillite parce qu'elle a les fonds pour pouvoir passer à travers. Ces
entreprises-là sont en train de s'établir tranquillement au
Québec et au Canada et se préparent pour lorsqu'elles auront
l'accord d'opérer à l'intérieur du Canada ou à
l'intérieur des provinces pour pouvoir prendre les marchés qui
les intéressent. Vous savez, cela va bien quand moi j'arrive puis je dis
entre telle ville et telle ville, je me permets de couper mes prix de 50 % pour
une période de six mois sachant bien que mon concurrent ne passera pas
à travers et sachant aussi que, dans bien des cas, il n'y a pas les
mêmes obligations.
On a toutes les protections sociales auxquelles l'industrie du
camionnage doit faire face autant au niveau des réglementations
fédérales que des réglementations
provinciales parce que la majorité des entreprises de transport
sont de juridiction fédérale et cela va être de plus en
plus vrai, plus on va avancer dans le temps. À compter de 1988,
étant donné que la réglementation fédérale
va être moins rigide et va permettre à un groupe de personnes
d'offrir des services selon une facilité plus grande, cela va encourager
ceux qui vont être "encarcanés" dans des obligations provinciales
plus sévères que les obligations fédérales à
s'en aller sur le palier fédéral et, de l'autre
côté, on va voir aussi les Américains faire de la pression
parce que, je veux dire, ils vont peut-être vous imposer des taxes, et ce
sont ces choses-là qu'on aura à vivre. Remarquez bien,
libre-échange ou non, on va avoir à les vivre ces
choses-là mais, c'est pour cela, lorsqu'on parle de libre-échange
pour nous, c'est d'essayer de négocier non pas l'élimination des
barrières tarifaires mais négocier tout ce qui est la
facilité d'opérer à l'intérieur des
États-Unis.
Le Président (M. Théorêt): M. le
ministre.
M. MacDonald: J'aimerais, madame et monsieur, vous remercier et
vous avez effectivement éliminé ma dernière question qui
était une observation auquelle je voulais avoir votre réaction,
à savoir il y aurait ou il n'y aurait pas de négociation de
libéralisation de libre-échange, le processus de
déréglementation est en marche. Il y en aurait ou il n'y en
aurait pas, ces mesures non tarifaires américaines qui vous touchent
à l'heure actuelle sont assez néfastes et vous nuisent
énormément.
Je conclus en vous disant tout simplement que je prends note. Je vous ai
dit que la position du Québec, en formulant une position et des
objectifs canadiens, prend pleinement en considération les observations
que vous nous avez faites. Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Moi aussi, je vous remercie du sujet que
vous avez porté à notre attention de par vos questions et vos
préoccupations. Je pense qu'elles sont tout à fait
légitimes même si, comme vous l'avez mentionné, elles ne
sont pas directement dues au libre-échange, parce que vous avez à
vivre un chambardement vous-mêmes avec la déréglementation.
Vous avez porté à l'attention du gouvernement des
préoccupations que vous avez et tout ce que j'espère c'est que
vous continuerez à vous faire entendre très haut, parce que c'est
important. Merci beaucoup.
Le Président (M. Théorêt): Mme Pelletier.
Mme Pelletier: Nous vous remercions et, si je peux me permettre
un dernier commentaire, MM. les députés et M. le ministre, je
pense que, pour revenir à ce que M. le ministre MacDonald disait, les
réponses que vous demandez à l'industrie du camionnages, elles
ont déjà été soulevées et on a entendu des
ébauches de réponses et de solutions dans la présentation
soit de M. Proulx ou dans les présentations antérieures. Alors
qu'on parle d'une organisation de surveillance, vous avez déjà,
je pense, les éléments de réponse. Soit dit en passant, un
élément que j'avais oublié dans ma présentation,
l'industrie du camionnage du Québec est principalement une industrie de
PME.
Le Président (M. Théorêt): Mme
Pelletier, M. Alary, les membres de la commission vous remercient et
vous souhaitent un bon voyage de retour. Nous suspendons les travaux de la
commission jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 10)
(Reprise à 20 h 5)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Nous reprenons ce soir la consultation générale sur le
dossier du libre-échange. Nous accueillerons d'abord, comme je l'ai
indiqué précédemment, la Centrale des syndicats
démocratiques qui sera suivie de l'Association des propriétaires
d'autobus du Québec et, finalement, du député
fédéral de Lévis, M. Gabriel Fontaine.
Je vais reconnaître le président de la Centrale des
syndicats démocratiques, un concitoyen du comté de
Verchères.
Centrale des syndicats démocratiques
M. Hétu (Jean-Paul): C'est exact.
Le Président (M. Charbonneau): M. Hétu, bonsoir.
Je vous demanderais d'identifier les personnes qui vous accompagnent. Je pense
que vous avez l'habitude de la procédure en commission parlementaire. Je
vous signale que nous disposons d'une heure. Donc, vous avez un maximum de 20
minutes pour faire la présentation et le reste du temps sera
divisé à parts égales pour la discussion entre les membres
de la commission et vous-même. Sans plus tarder, je vous cède la
parole.
M. Hétu (Jean-Paul): Pour répondre à votre
voeu, M. le Président, je voudrais tout d'abord vous présenter,
à ma droite, M. Jeannot Picard, secrétaire-trésorier de la
CSD, et, à ma gauche, Mme Josée
Chartrand, représentante de la centrale assignée aux
communications.
M. le Président, M. le ministre, MM. les députés,
la CSD n'a pas une peur morbide d'une zone nord-américaine de
libre-échange. C'est pourquoi la CSD ne s'oppose pas pour s'opposer
à la négociation en cours. Il est important qu'on sache les uns
les autres que la CSD, dans ses responsabilités quotidiennes comme
centrale syndicale, ne se limite pas è la négociation collective,
elle assume d'autres responsabilités. En fait, elle a une
expérience concrète du commerce international. En effet, depuis
notre fondation, il y a quinze ans - on célèbre notre
quinzième anniversaire de fondation cette année - la Centrale des
syndicats démocratiques a revendiqué des politiques de commerce
international dans le cadre des négociations du Canada en tant que
signataire du GATT. Nous sommes intervenus à plusieurs reprises. Notre
objectif principal était de protéger les intérêts
des travailleurs et des travailleuses que nous représentons dans le
cadre des politiques du commerce international du Canada. De façon plus
concrète encore, la CSD a plaidé pour faire appliquer des mesures
de protection des emplois quand les travailleurs et les travailleuses membres
de la CSD étaient menacés par les importations. On a, de plus,
exigé, devant différents tribunaux ou commissions
fédérales, des droits compensateurs, entre autres, devant le
tribunal antidumping. Il n'y a pas longtemps, en effet, la Corée a
exercé un dumping par rapport aux bicyclettes qui a mis en péril
les emplois des travailleurs et travailleuses du Québec, membres chez
nous, affectés à l'assemblage des bicyclettes. On a de plus
réclamé souventefois devant la Commission du textile et du
vêtement de stopper les importations parce que l'emploi était
perturbé, qu'il y avait des pertes d'emploi ou que des emplois
étaient menacés de l'être. On a aussi travaillé
d'arrache-pied pour mettre en oeuvre des politiques sectorielles qui avaient
pour objectif de renforcer des industries et leur permettre de concurrencer sur
le marché international dans la perspective, toute récente
d'ailleurs, d'il y a cinq, six, sept ou huit ans, où le gouvernement
fédéral envisageait d'être moins protectionniste. Nous nous
référons plus spécifiquement à l'outil
économique de redressement d'un certain nombre d'entreprise que le
gouvernement canadien avait établi, notamment l'OCRI. On a
contribué aussi à utiliser au maximum la loi d'adaptation de la
main-d'oeuvre, plus communément appelée préretraite
fédérale, en vertu de laquelle 5000 de nos membres,
âgés de 54 ans et plus, ont pu prendre une préretraite
méritée. Cette loi sociale a été mise en oeuvre par
le gouvernement fédéral en vue de négocier, dan3 le cadre
des accords du GATT, des politiques plus libérales en matière
d'importation.
Enfin, depuis que le gouvernement canadien a entrepris la
négociation avec les États-Unis, la CSD a procédé
à des consultations systématiques auprès des
différents secteurs, entre autres, le secteur manufacturier, non
seulement dans le textile, non seulement dans le vêtement, mais dans la
métallurgie, dans le papier, enfin, dans tout ce qu'on peut qualifier de
manufacturier au Québec, y compris l'agro-alimentaire. À la suite
de cette consultation auprès de nos membres, on a défini une
position générale, puis on a participé
régulièrement au comité consultatif qui a
été créé par le gouvernement canadien dans le cadre
de la négociation actuelle du libre-échange
nord-américain.
Ce soir, je n'ai pas l'intention de vous exposer en détail notre
position générale, qu'on vous a remise d'ailleurs à la
suite d'une demande du secrétaire de la commission parlementaire. Je
veux cependant soulever deux enjeux économiques majeurs qui nous
paraissent vitaux, essentiels pour l'avenir, c'est-à-dire dans le cadre
de la protection et de la création d'emplois. La seule
préoccupation ou la principale préoccupation de la CSD dans le
cadre de la politique commerciale ou de la négociation en cours sur le
libre-échange, ce sont les emplois. On a conscience, et cela est
important qu'on le sache, que la CSD a pris un autre chemin que les autres
centrales syndicales du Québec. Au lieu de s'opposer au
libre-échange, on a plutôt décidé de suivre pas
à pas la négociation actuelle se réservant la
liberté de s'opposer ou d'accepter l'accord qui sera conclu entre les
deux pays. C'est la perspective qui va nous animer ce soir devant cette
commission parlementaire.
Évidemment, la CSD est consciente qu'il y a beaucoup plus
d'enjeux que les deux grands enjeux économiques sur lesquels on veut
attirer davantage votre attention. Je vais faire un survol de trois enjeux
importants aussi, mais sans aucun doute que ce sera abordé par d'autres
groupements devant cette commission parlementaire.
Premier enjeu: le libre-échange nord-américain peut mettre
en cause la sauvegarde et le développement de notre identité
culturelle. En effet, quel sera l'impact du libre-échange en particulier
sur la langue française au travail? Il nous apparaît clair que le
bilinguisme devra être étendu au Québec, sinon les emplois
au sein des entreprises, en particulier exportatrices, seront assumés
par les anglophones. Quant à nous, ce serait un recul catastrophique par
rapport à notre identité culturelle, en particulier pour la
nouvelle génération de travailleurs et travailleuses qui aura
à occuper ces nouvelles fonctions.
Outre la langue française au travail, il y a les droits de
propriété intellectuelle qui concernent les droits d'auteur et de
marque de commerce. Selon la section 337 du "Tariff Act" de 1930, les
États-Unis peuvent juger que ce genre de produit' étranger est
matière à concurrence déloyale et, donc, nos produits,
dans le cadre des droits d'auteur, des marques de commerce, peuvent se voir
refuser l'accès aux États-Unis.
Le Canada a maintenu que les États-Unis appliquent des mesures
plus protectionnistes que celles stipulées par le GATT.
Concrètement, comment le Québec pourra-t-il développer des
produits nouveaux, dotés, par exemple, de marques de commerce
originales, et en particulier compétitionner sur le marché
américain? Est-ce que le Québec sera en mesure de poursuivre et
de mettre en oeuvre la politique qu'il soutient actuellement dans le cadre du
centre de la mode?
Ce soir, nous ne traiterons pas plus à fond de ces deux questions
qui sont fort importantes et qui ont rapport à notre identité
culturelle, je le répète, la langue française au travail
et les droits de propriété intellectuelle. (20 h 15)
J'aborderai une troisième question qui concerne les règles
d'origine canadienne. Le Canada a conclu des ententes principales avec trois
pays où l'on a établi des tarifs de préférence
britannique, des tarifs de préférence avec les Antilles du
Commonwealth, et l'entente la plus connue au Canada est celle qui a trait au
pacte de l'automobile. En gros, le pacte de l'automobile stipule que les
véhicules ainsi que les pièces automobiles provenant du Canada
peuvent entrer en franchise aux États-Unis à la condition que
leur contenu étranger ne représente pas plus de 50 % de la valeur
en douane au moment de leur entrée aux États-Unis. On voit tout
de suite l'effet de cette règle générale sur l'emploi
direct et indirect, entre autres, pour les différentes entreprises
canadiennes. La question fondamentale qui est soulevée par la
règle d'origine des produits est capitale pour l'emploi et la protection
des emplois: Quelle sorte de règle d'origine des produits le Canada
va-t-il conclure et négocier avec les Américains? La formule
idéale, quant à nous, ce serait, bien sûr, celle du pacte
de l'automobile. Mais, quand on regarde l'évolution de la
négociation actuelle, il semble que nous allions plutôt
négocier des clauses qui comprendront différentes formules
d'application et qui seront propres à chaque secteur économique,
voire à chaque produit. Les États-Unis ont négocié
de telles formules, entre autres, avec les Caraïbes, les îles
Vierges, etc. Est-ce que le Canada, par exemple, va avoir accès à
ces ententes? Est-ce que les industriels canadiens vont pouvoir utiliser ces
ententes? Si tel était le cas, comme c'est l'intention, par exemple, du
patronat dans le textile et le vêtement, quel sera l'impact d'avoir
recours aux ententes que les États-Unis ont conclues avec des pays qui
sont dans l'arrondissement ou l'environnement des Caraïbes, du Mexique,
etc.? Quel impact sur l'emploi? Il est certain que des emplois canadiens seront
perdus au Québec si les industriels, notamment du textile et du
vêtement, ont accès aux produits semi-finis venant de ces petites
îles proches des États-Unis. Par ailleurs, si le Canada n'a pas
accès à la production des produits semi-finis, fabriqués
dans les Caraïbes, entre autres, il est certain que les coûts de
production canadiens risquent d'être plus élevés que les
coûts américains. Dans le fond, le problème est
compliqué, mais il est réel: ou bien on sacrifie les emplois, ou
bien on donne une plus grande chance aux industriels de concurrencer sur le
marché américain dans le cadre d'un libre-échange.
On est conscient que cette question de la règle d'origine des
produits est une question complexe, délicate, mais nous voulions attirer
votre attention sur cette question parce que c'est une autre question
importante qu'il ne faut pas négliger dans le cadre des
négociations en cours entre les États-Unis et le Canada
concernant l'établissement d'une zone de libre-échange
nord-américaine.
Je vais aborder maintenant les deux enjeux économiques que nous
estimons majeurs. Quels sont-ils? Les mesures protectionnistes actuelles,
exceptionnelles, qu'appliquent les Américains dans le contexte du
commerce international sont un des enjeux clés de la négociation
actuelle. La . question de fond, c'est de savoir si les Américains vont
accepter de ne pas recourir à ces mesures protectionnistes
exceptionnelles qu'ils utilisent à profusion dans le cadre des ententes
du GATT.
Est-ce que les Américains vont consentir à utiliser les
règles qu'ils utilisent pour se protéger? Deuxième
question qui constitue pour nous un enjeu capital, majeur: Quelles sont les
mesures d'adaptation nécessaires qu'il faut mettre en oeuvre pour
développer, protéger les emplois et, aussi, bien sûr,
permettre aux entreprises de concurrencer dans le contexte d'un
libre-échange nord-américain?
Prenons le premier enjeu. Dans l'hypothèse où il y aurait
un accord sur le libre-échange Canada-USA, la CSD est convaincue qu'on
subira une perte d'emplois importante, tant dans l'ensemble du Canada qu'au
Québec en particulier. On tire cette conviction de l'expérience
vécue par les travailleurs et travailleuses qui sont membres chez nous
et qui ont été affectés concrètement, pratiquement,
par suite des accords consentis par le Canada dans le cadre des
ententes multilatérales qui définissent les règles
du jeu actuelles du commerce international. À titre d'exemple, dans le
secteur du textile et du vêtement, les données de la Commission du
textile et du vêtement sur l'emploi indiquent qu'à la fin de mars
1985 ces industries avaient perdu quelque 24 000 emplois par rapport à
1981. Ces pertes d'emplois - et c'est ce qui est important - sont
reliées non seulement aux importations, mais aussi à la
productivité; 15 000 emplois perdus sur les 24 000 emplois ont
été attribués directement aux importations. C'est un
rapport officiel de la Commission du textile et du vêtement. Ce n'est pas
nébuleux, ce ne sont pas des statistiques patentées, c'est un
calcul simple, pas compliqué, réel, provenant de la Commission du
textile et du vêtement à la suite des accords
négociés dans le cadre du GATT. Il faut bien se dire que ce n'est
pas le libre-échange qui existe. C'est pourquoi la CSD ne croit pas
à l'affirmation gratuite des partisans qui s'opposent à la
négociation bilatérale entre le Canada et les USA et qui, du
même souffle, favorisent la négociation multilatérale
alléguant qu'elle serait plus avantageuse pour les travailleurs et les
travailleuses. Ces propos sont plutôt théoriques et
méprisent les réalités concrètes qu'ont
vécues des hommes et des femmes dans le textile, entre autres, dans le
vêtement, et qui ont été affectés par le commerce
international.
On est conscient aussi que le commerce international a
profondément changé depuis les deux dernières
décennies. Tout le monde sait qu'il y a eu l'émergence du Japon
et qu'il y a eu aussi plusieurs autres pays en voie de développement qui
ont pris une place fort importante. Par exemple, dans le vêtement et le
textile, 75 % des importations viennent de quatre pays du Pacifique ou du
Moyen-Orient: la Chine, Taïwan, la Corée et Hong Kong; 75 % des
importations en vêtement et en textile viennent de ces quatre pays.
Évidemment, le Japon et ces nouveaux pays ont importé massivement
des biens sur le continent nord-américain. Quelle a été
-et c'est important dans tout le débat qu'on fait - la réaction
des États-Unis? Ils ont appliqué des mesures commerciales de
restriction pour se protéger et plusieurs de ces mesures ont
affecté le Canada et ce, même si les Américains avaient
consenti à réduire les barrières tarifaires dans le cadre
du GATT. En somme, les États-Unis se sont protégés. Dans
ce contexte, il faut se méfier des partisans du libre-échange
nord-américain qui allèguent qu'il sera fort avantageux pour les
entreprises parce qu'elles vont avoir accès au marché
américain à la suite de l'élimination des barrières
tarifaires. La CSD prétend que c'est une mesure nettement insuffisante.
En d'autres termes, l'élimination des barrières tarifaires ne
constitue pas l'enjeu le plus important de la néqociation actuelle. Dans
cette négociation, le Canada doit avoir comme grand objectif de garantir
la sécurité de l'accès des exportateurs sur le
marché américain. Cette sécurité est capitale pour
protéger les emplois. C'est la base de la confiance, c'est la base du
climat de confiance qu'il faut instaurer, qui va permettre l'investissement au
Canada, qui va permettre aussi de tirer avantage de l'élimination des
tarifs.
Enfin, je m'aperçois que le temps passe. Je vais donc
éliminer un certain nombre de réflexions relativement aux mesures
de protection particulières que las États-Unis utilisent de
façon substantielle comparativement au Canada pour se protéger,
pour aborder tout de suite le deuxième enjeu socio-économique
qu'on trouve capital.
Le Président (M. Charbonneau): M. Hétu, il ne vous
reste plus de temps pour aborder ce deuxième enjeu, sauf que, si vous me
dites qu'en quelques minutes...
M. Hétu (Jean-Paul): En quelques minutes.
Le Président (M. Charbonneau): ...vous pourriez
résumer, j'ai l'impression qu'on pourrait obtenir un consentement de
part et d'autre pour vous permettre de résumer votre pensée sur
cette deuxième question.
Une voix: Ça va.
Le Président (M. Charbonneau):
D'accord?
M. Hétu (Jean-Paul): Le deuxième enjeu, quant
à nous, c'est la politique d'adaptation de la main-d'oeuvre dans un
contexte de libre-échange. Il y a une première constatation
devant laquelle on est placé. Il y a un travailleur sur cinq de toute la
main-d'oeuvre active au Canada qui change d'emploi chaque année, un sur
cinq. Là-dessus, il y en a la moitié qui perdent leur emploi
à cause des fermetures d'usines et du ralentissement de
l'activité économique. Il est clair que le libre-échange
va accroître toute cette question de changement et d'adaptation de ta
main-d'oeuvre. Or, la question fondamentale, c'est: Que faut-il faire, quelles
sortes de programmes, de politiques faut-il développer? Quant à
nous, la première et la meilleure politique d'adaptation de la
main-d'oeuvre est une politique de plein emploi. Dans le contexte actuel, quand
on regarde le taux de chômage élevé, on est loin du plein
emploi et les programmes de recyclage, d'incitation au travail n'apportent pas
les résultats escomptés parce qu'il n'y a pas d'emplois
disponibles. À notre avis, il y a diverses
politiques qu'il faudrait mettre en oeuvre, en particulier au
Québec. Lorsqu'on évalue la politique budgétaire
gouvernementale, on s'aperçoit que le gouvernement met beaucoup plus
d'emphase sur les politiques macroéconomiques liées au budget par
rapport aux politiques de main-d'oeuvre qui sont beaucoup moins importantes. Je
serais même porté à dire qu'on traite cela un peu à
la légère. Dans un contexte de développement
économique maximal, c'est moins important, mais, dans une situation
comme celle qu'on vit et celle à laquelle on ferait face si jamais il y
avait libre-échange, cela va devenir très important qu'on
développe des politiques d'adaptation de la main-d'oeuvre. On pourrait,
bien sûr, énumérer un certain nombre de ces politiques;
peut-être qu'on en aura l'occasion par vos questions. Je vous remercie de
votre attention.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Hétu, de
votre collaboration. M. le ministre.
M. MacDonald: M. Hétu, monsieur et madame qui
l'accompagnez, merci de votre présentation. Vous me permettrez un petit
aparté. Vous mentionniez qu'il y a quinze ans que la CSD existe: Un peu
plus de quatorze ans et demi ont passé depuis que je négociais ma
première convention collective avec un local de votre syndicat dans une
industrie manufacturière du Québec dont j'étais le
directeur général. À ce moment-là, cela avait
été une très dure négociation, mais j'avais pu
constater avec mes collègues qu'il y avait moyen de lutter pour les
avantages et le bien-être des travailleurs, tout en étant
conscients du besoin de viabilité de l'entreprise. Il me semble
constater ce soir dans votre approche et votre présentation cette
même maturité et c'est agréable de le voir chez des
représentants des travailleurs du Québec. (20 h 30)
Vous avez parlé de ce qui était un objectif primordial
pour vous. L'appréciation que vous aviez de la situation, c'était
de garantir la sécurité de l'accès aux produits et aux
biens québécois sur le marché des États-Unis. C'est
effectivement notre objectif.
Vous avez, au tout début, émis certaines réserves
et parlé des enjeux essentiels pour l'avenir. Vous avez mentionné
l'identité culturelle. Dès le départ, le premier ministre
Mulroney avait stipulé, et nous en avons fait comme gouvernement du
Québec une condition de participation à la négociation, un
élément non négociable au chapitre de l'entité
culturelle, comme nous le montrions cet après-midi au tableau
affiché dans le coin de la salie. Vous avez parlé de
propriété intellectuelle. La propriété
intellectuelle est un enjeu, un sujet de discussions. Vous avez absolument
raison, il est primordial qu'il y ait une protection sous ce couvert.
Vous avez parlé des règles d'origine. Il est
évident qu'il ne faut pas voir des produits bon marché entrer par
une porte américaine et se retrouver chez nous à noyer un
marché qu'on serait incapable de concurrencer» J'attire votre
attention sur le fait qu'en cours de négociation la partie
américaine a fait exactement la même mise au point, Somme toute et
sans vouloir tout relever, vous dites essentiellement ce que le gouvernement du
Québec, le député de Bertrand et moi-même avons
régulièrement dit à propos de la libéralisation des
échanges: Oui, nous sommes prêts à considérer un
traité de libéralisation des échanges, mais pas à
n'importe quelle condition.
Cela dit, M. le Président, j'aimerais continuer sur ce dont vous
avez parlé à la toute fin. Vous avez abordé les mesures de
transition. C'est quoi pour vous les mesures de transition dans le temps ou
dans les méthodes advenant qu'il y ait un traité de
libéralisation, plus particulièrement pour le genre d'industries
où on retrouve les gens que vous représentez?
M. Hétu (Jean-Paul): M. le Président, les mesures
de transition, nous estimons qu'il y en a de deux ordres principalement:
formation professionnelle et protection des travailleurs âgés.
Nous estimons qu'il faut revoir la formation professionnelle telle qu'elle est
dispensée à compter du secondaire et revoir la formation
professionnelle qui est aussi dispensée dans les cégeps et les
universités. La formation professionnelle dans les entreprises est aussi
à revoir. Prenons ce dernier point. Regardons l'ensemble de l'accord qui
a été négocié entre le gouvernement du
Québec et le fédéral. Dans l'ensemble de l'argent qui a
été octroyé au Québec, il y en a peu qui va servir
à la formation en entreprise. La formation professionnelle, de
manière générale, est diffusée, distribuée
dans le cadre de ce qu'on appelle le recyclage. On recycle des travailleurs.
C'est de l'assurance-chômage déguisée. Il n'y a pas
d'emplois disponibles. Si c'est de l'assurance déguisée, qu'on le
dise donc clairement, qu'on les paie pour cela, point, mais qu'on ne leur
raconte pas d'histoire en faisant accroire aux travailleurs chômeurs
qu'ils n'ont plus droit à une rémunération de
l'assurance-chômage, et, aux femmes et aux jeunes, qu'on leur dise donc
clairement que la formation professionnelle qu'on leur donne ne servira pas. Il
faut qu'on revoie cela. Dans un contexte de libre-échange, il faut qu'on
développe la formation professionnelle axée sur l'entreprise, sur
les travailleurs. Il ne s'agit pas de donner uniquement à l'entreprise
des sommes
d'argent, il faut que les travailleurs et que l'entreprise aient convenu
de programmes et qu'on donne de l'argent pour réaliser ces programmes
sur une base conjointe. Cela suppose une réforme majeure de la loi de la
qualification professionnelle qui existe au Québec.
Formation dans les cégeps, formation dans les polyvalentes.
Aujourd'hui, la formation dans les polyvalentes, il faut qu'on se le dise entre
nous, est pratiquement un échec. Pourquoi voulons-nous faire des stages
d'apprentissage en milieu de travail? Parce qu'on s'aperçoit que le lien
école et travail n'existe pas. Dans un contexte de libre-échange,
il faut que la formation professionnelle soit orientée de façon
différente de celle d'aujourd'hui de manière
générale.
Enfin, je vais terminer, parce que c'est un gros problème dont on
discute, il faut également que des protections soient consenties aux
travailleurs âgés. Il y a eu un programme, je l'ai
évoqué il y a quelques instants dans mon exposé, la loi
d'adaptation de la main-d'oeuvre. Ce programme a existé, cela a
été une expérience pratique. Pour la première fois
dans notre histoire, on avait un programme qui venait en aide comme soutien,
dans le cadre de la préretraite, à des travailleurs
affectés par le commerce international. Récemment, lors de la
venue du gouvernement conservateur, on a aboli le programme. Bien sûr, on
renégocie ce programme avec les provinces, mais le gouvernement
fédéral, il faut qu'on se le dise, propose de diminuer les sommes
d'argent de ce qui est payé dans le cadre du bien-être. Ce n'est
pas tellement une préretraite. Par rapport à ce qui était
donné dans le passé, c'était l'équivalent de
l'assurance-châmage. II y a quand même une différence
substantielle.
Ce sont des mesures, M. le ministre. Bien sûr, dans ce cadre-ci,
elles sont générales, mais, comme perspective, c'est ce qu'on
entend par mesures nouvelles en regard de la formation, entre autres,
professionnelle et de protection des travailleurs d'un certain âge, de 54
ans et plus.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Nous aurons
la chance de revenir, M, Hétu. Mon collègue, le
député de Verchères, poursuivra tantôt sur la
question de l'emploi puisque c'est quelque chose que nous avons
énoncé cet après-midi et qui fait partie de nos
préoccupations aussi, nous, de l'Opposition, toute cette politique du
plein emploi que je trouve fort intéressante.
Dans votre mémoire et dans le journal La Base qui a
été publié en avril 1987, la position de la CSD me
semblait un peu plus catégorique puisqu'on titrait que la CSD s'opposait
au libre-échange absolu. On s'entend bien parce que cela semble laisser
un petit peu... J'aimerais que vous puissiez l'éclaircir ce soir parce
que vous avez semblé prendre vos distances en tant que centrale
syndicale par rapport à la coalition qui est absolument contre. Vous
semblez avoir, si j'ai bien compris, une attitude beaucoup plus ouverte et vous
gardez une certaine marge de manoeuvre. Cela, c'est le premier point.
Quant aux périodes de transition par rapport à ce que vous
demandait le ministre du Commerce extérieur il y a quelques minutes,
vous mentionniez, toujours dans votre journal La Base, la période de
transition indispensable de dix ans. En tant que centrale syndicale, est-ce que
vous croyez, particulièrement dans les secteurs que vous
représentez, que la norme de dix ans doit être ferme ou si,
suivant les secteurs et la période d'adaptation dont auront besoin
différents secteurs plus vulnérables les uns que les autres, les
périodes pourraient être plus courtes? D'après ce que j'ai
pu lire dans votre mémoire, vous semblez très catégoriques
quand vous parlez de la période de dix ans. J'aimerais savoir de quelle
façon vous l'envisagez par rapport aux différents secteurs.
M. Hétu (Jean-Paul): Disons que la position
générale à laquelle vous avez référé
comporte deux pivots, deux pôles que je n'ai pas cru bon rappeler dans
l'exposé. À la suite de votre invitation, on va
l'éclaircir. Dans un premier temps, on est opposé à un
libre-échange absolu, c'est-à-dire un libre-échange qui
n'offre aucune mesure de protection, aucun recours lorsque des emplois, ou des
secteurs industriels, ou des villes sont menacés, aucun recours dans
l'application du libre-échange. On est opposé à ce type de
libre-échange. On y serait opposé même actuellement si
l'entente du gouvernement canadien ou des gouvernements canadien et
américain ne contenait, par exemple, que l'élimination des
barrières tarifaires maintenant le droit à chacun des pays dans
le cadre de leurs législations particulières d'utiliser
différents recours, différents harcèlements pour faire
appliquer, quand cela fait leur affaire, une protection. On s'y opposerait
parce que le Canada, à coup sûr et de manière certaine,
déjà, est perdant.
On est plutôt pour un libre-échange contrôlé
parce que le commerce international, l'échange n'est pas libre, comme on
l'entend selon la théorie économique du libre-échange ou
de la libre entreprise. Ce n'est pas vrai. Cela n'existe plus, si cela a
déjà existé. C'est pour cela que sans mentionner qu'on
parlait de libre-échange contrôlé, les Américains
ont développé des
mesures de protection exceptionnelles. Même s'ils
réduisaient, dans les négociations générales avec
l'ensemble des pays signataires du GATT, même s'ils réduisaient
les tarifs, ils se protégeaient "à la planche". C'est ce qu'on
appelle du libre-échange contrôlé. Le Canada, par rapport
au gouvernement américain dans le cadre de ses lois, de ses outils et de
ses moyens, n'est pas doté des mêmes instruments que les
États-Unis se sont donnés au fur et à mesure des
années. Donc, on est beaucoup plus pour un libre-échange
contrôlé.
Par exemple, lorsqu'on parle de culture, on parle de protection de notre
culture; culture du Québec, culture canadienne. Quand on parle de
souveraineté du pays, protection de la souveraineté de nos
institutions politiques, c'est une notion de protection, toute une dimension
que je n'ai pas évoquée. Par exemple, quelle sera l'attitude du
gouvernement par rapport à la réglementation des subventions? On
sait que lors des derniers débats qui ont eu cours aux États-Unis
dans les politiques de protection, on a prétendu que le Canada - et sans
doute que le Québec était dans le coup - subventionnait les
entreprises qui exportaient chez eux. Selon les lois américaines,
c'était considéré comme une pratique déloyale et le
gouvernement a dû modifier ses règles du jeu. Mais, dans le fond,
si on pousse le raisonnement jusqu'au bout, est-ce que les gouvernements
canadiens, les provinces, pourront continuer à avoir des politiques de
développement régional, sectoriel? Il faut donc qu'il y ait des
mesures de protection pour nos outils économiques, publics. Quand on
parle de libéralisme contrôlé, on se réfère
déjà à des outils, à des choses qui existent.
Période de transition: dix ans. Il y a deux types de
réponse à cela. Si on examine le phénomène des
barrières tarifaires, c'est-à-dire des tarifs qu'on impose
à la douane sur des produits, de manière générale,
tout le monde sait qu'il y a à peu près 30 % des biens qui sont
taxés par un tarif. Il y en a 70 % qui ne le sont pas. Dans
l'application d'un libre-échange, dans l'élimination progressive
des barrières tarifaires, est-ce que, par exemple, comme première
avenue, on envisagerait d'un commun accord de diminuer, de dire: Vu qu'il n'y a
pas de tarif, on laisse cela libre, mais, quant aux autres, parce qu'il y a des
tarifs - il y a des raisons à cela s'il y a des tarifs, il y a des
mesures de protection - on va retarder l'échéance? Cela peut
être au bout de trois ans, quatre ans, cinq ans, etc. Là, cela
touche des produits. On sait, et vous le savez, qu'il y a des milliers de
produits au Canada et en particulier au Québec. (20 h 45)
Alors, mesures de transition qui peuvent être différentes
vues sous cet angle par rapport aux barrières tarifaires. Mais, en ce
qui concerne les barrières non tarifaires, on inclut dans notre
conception toutes les politiques d'adaptation de la main-d'oeuvre, d'adaptation
des entreprises. Qu'est-ce qu'il faut qu'on articule, qu'est-ce qu'il faut
qu'on prépare? Je vais donner un cas bien pratique. Quand on a fait des
consultations, les travailleurs nous ont soulevé, pour ne pas la nommer,
la compagnie Bandag, de La Mauricie, qui fait du pneu rechapé. Quand on
a discuté du libre-échange, la première question que les
travailleurs se sont posée, elle est simple, elle n'est pas
compliquée: Est-ce que, dans le contexte du libre-échange, la
compagnie va décider de fermer l'usine Bandag qui fait du pneu
rechapé, mais qui est une compagnie américaine? La compagnie
américaine s'est établie sur notre territoire pour mieux avoir
accès à notre marché, mais, dans un contexte de
libre-échange, est-ce que cette entreprise-là va
disparaître? Est-ce qu'elle va disparaître? On pourrait citer
d'autres entreprises qui appartiennent aux États-Unis.
Politiques de transition. Dans les politiques de transition, il y a un
tas de choses qui relèvent, à cause de notre régime
économique de libre entreprise, de la décision des entreprises.
Que vont-elles faire, ces compagnies multinationales, qui, pour des raisons
historiques, ont agi en implantant des , entreprises ayant une stature
canadienne ou québécoise? Qu'est-ce qui va arriver?
Ensuite, il peut y avoir des éléments positifs. Si on
regarde les frontières, par exemple, les frontières de l'Estrie
par rapport aux États-Unis, si an regarde la Beauce, quelle sorte de
transition quant à la circulation des travailleurs et des travailleuses
qui iront de l'autre bord, quant aux achats qui pourraient être faits,
etc.? De quelle sorte d'outils faudrait-il se doter en ce qui regarde, par
exemple, le commerce ou l'emploi? Enfin, il y a différents types de
transition qu'il faut mettre en place, cela va de soi, si jamais on en arrive
à un accord.
Je pourrais continuer, mais le président-me fait signe et
c'était mon intention de permettre...
Le Président (M. Charbonneau): Je vois qu'on est sur la
même longueur d'onde, M. Hétu, alors je vais céder la
parole au ministre.
M. MacDonald: M. Hétu, vous avez soulevé plusieurs
considérations dont vous voulez qu'il soit tenu compte et même,
j'irais plus loin, que vous considérez comme des éléments
non négociables. Eh bien, je partage avec vous, et le gouvernement
aussi, à peu près la totalité des éléments
que vous avez mis de l'avant, et je reprends ce tableau où vous avez
parlé de souveraineté politique. Il n'est absolument pas question
de négocier cela. Vous avez abordé la question
des programmes sociaux qui sont uniques au Canada et qu'on ne retrouve
pas aux États-Unis, c'est non négociable. Vous avez parié
de se garder une capacité de parer à ce qu'on pourrait appeler
les disparités régionales, venir en aide aux régions plus
défavorisées, c'est une question non négociable, c'est un
pouvoir que nous avons et que nous devons garder. Vous avez parlé
d'identité culturelle et vous avez parlé à un moment
donné - je ne l'avais pas relevé - de la 'question linguistique.
La langue au Québec, dans un traité de libéralisation des
échanges, c'est non négociable.
Ceci dit, M. le Président, j'aimerais connaître, parce que
vous avez approfondi le sujet - le mémoire que vous nous avez
présenté est le mémoire sûrement le plus complet et
le plus détaillé que j'aie vu chez des représentants des
travailleurs et des travailleuses du Québec - j'aimerais avoir vos
commentaires - vous en avez abordé - sur ce que vous croyez qui pourrait
aller au-delà de se garantir l'accès ou de continuer à se
garantir l'accès aux biens et services québécois et
canadiens aux États-Unis. Quels sont les autres avantages que vous voyez
à la réalisation, à l'intérieur des barèmes,
des barrières et des balises que j'ai donnés, d'un traité
de libéralisation des échanges avec les États-Unis?
M. Hétu (Jean-Paul): Je dois vous avouer qu'il y a
beaucoup d'inconnues, beaucoup d'inquiétude. Un des problèmes
qu'il faut déplorer au départ, c'est que l'information n'est pas
disponible. Cela, c'est un problème sérieux. Évidemment,
il y a un certain nombre d'informations qui appartiennent ou qui appartiendront
aux entreprises, compte tenu de l'écart. Les entreprises donnent peu ou
pas d'information. Elles se disent, pour suivre le mouvement des entreprises...
Je me souviens fort bien qu'au tout début, quand le gouvernement
canadien a annoncé sa volonté de négocier, on a eu des
pressions qui venaient de la base et, quand on a scruté ça un peu
avec eux, ça venait des structures des compagnies, mais, tout à
coup, les jeux se sont définis. Il y en a qui, comme secteurs, ont
annoncé leur position, d'autres pas. Mais il y a un paquet
d'associations patronales qui ont fait part de leur volonté d'y
souscrire à conditon qu'elles y trouvent leur intérêt, et
c'est normal. Mais, pour ce qui est des travailleurs: manque d'information.
L'autre élément qu'on déplore: Est-ce qu'on va
négocier? Est-ce qu'il y a des objectifs entre les pays? Est-ce que le
Québec a aussi un objectif là-dessus, de négocier le plein
emploi? N'est-ce pas drôle qu'en consultant la grande convention, disons,
collective internationale - on lui donne le nom de GATT - les pays signataires
s'engagent, premièrement, à développer l'emploi dans tous
les pays signataires du commerce international; deuxièmement, à
relever le niveau de vie - c'est quelque chosel - et, troisièmement, ils
vont parler de commerce international. Ah bon! Mais est-ce que le
Québec, à cet égard, peut indiquer par ses positions ce
qu'il entend développer dans le contexte de ces négociations, le
développement des emplois? Cela, pour nous, est très important.
À la fois en ce qui a trait au gouvernement canadien et au gouvernement
du Québec, c'est très important.
Quelles sont les garanties? L'inquiétude qui est là est
profonde, partout, dans toutes les consultations qu'on a faites. Le monde a la
trouille du libre-échange et ils ont raison d'avoir la trouille, on ne
les renseigne pas ou on fait de la propagande. On ne discute pas des enjeux
concrets, pratiques qu'ils vivent. Ce qui m'apeure le plus dans les
négociations, c'est quand j'entends, et je l'ai entendu et j'ai
protesté, j'ai entendu des négociateurs fédéraux
dire qu'on ne se préoccupera pas dans les négociations des
priorités qu'eux appellent régionales, mais on sait que ce sont
des priorités provinciales. Ce qui leur importe avant tout, c'est
d'avoir un accord global, d'avoir un accord canadien, mais ma foi du bon Dieu
c'est vécu par le monde! Cela me fait peur. H y a des inconnues.
Je suis content d'apprendre que vous avez des positions claires. Vous
vous référez à un tableau que je ne vois pas, mais ce
n'est pas grave, je vous entends, c'est déjà important. Si on
n'est pas capable de garantir, d'énoncer des politiques réelles
de développement social, comme, par exemple, ce que le gouvernement
entend faire par rapport à des réglementations... J'entends des
personnes qui disent que la loi du salaire minimum est plus
élevée au Québec qu'au Canada par rapport aux
États-Unis et à certains États américains. Il
faudrait donc légaliser. Ensuite, le Code du travail, on n'en a pas peur
parce que tout le Code du travail est inspiré de la législation
américaine, avec les adaptations propres au Québec, mais
enfin...
Il faut donc qu'on clarifie un certain nombre de positions. Sans doute
que la commission parlementaire - on m'a dit que cela avait été
négocié et par le gouvernement et par l'Opposition - c'est
quelque chose d'unique, d'original. Cela va permettre, y compris à la
CSD et aux autres, d'exprimer leurs points de vue et de donner des informations
sur les différents enjeux, et aux partis et au gouvernement de faire
connaître davantage leurs positions. Est-ce que je peux vous poser une
question? Quelle autorité avez-vous comme gouvernement du Québec
par rapport aux juridictions du Québec? Avez vous, par exemple, un droit
de veto là-dessus? Là, je suis pratique. Y a-t-il un droit de
veto là-dessus par rapport aux
juridictions fondamentales du Québec? Le développement de
ses richesses naturelles, par exemple. Je ne veux pas être "barbeux",
mais je trouve cela fondamental et important. Évidemment, les premiers
ministres se rencontrent, c'est intéressant, mais quelle est
l'autorité, dans le fond, du gouvernement par rapport à notre
identité culturelle, par rapport à tout ce que vous venez de
mentionner comme étant des choses non négociables? C'est quoi?
Est-ce que vous avez un droit de veto ou est-ce que vous avez...
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Sur un plan purement juridique, la Loi
constitutionnelle canadienne prévoit, comme vous le savez, M. le
Président, que la responsabilité du commerce international est
celle du gouvernement fédéral. Cependant, dès le Tokyo
Round, et sûrement dans le Kennedy Round et ensuite dans le Tokyo Round,
on s'est aperçu qu'on débordait des juridictions
fédérales pour tomber dans des matières et des sujets de
juridiction provinciale. On s'est aperçu, par exemple, que des
engagements pris en 1979 dans le Tokyo Round sur le commerce des boissons
alcooliques, le fédéral pouvait prendre toutes les ententes qu'il
voulait, ce n'était pas mis en application si les provinces n'abondaient
pas dans le même sens. Dans ce sens-là, aujourd'hui, lorsqu'on
élargit les sujets traités aux services, à la
propriété intellectuelle et aux investissements, de facto, par le
fait qu'un grand nombre de sujets sont de juridiction provinciale, nous avons
un veto de fait et légal. Sur un autre plan, la province de
Québec représente un quart du Canada en population et un
pourcentage très important sur le plan de l'activité
économique. Il est évident que, si le Québec s'opposait
absolument - c'est une hypothèse que j'émets - à une
entente de libéralisation, je doute que la deuxième partie ou que
la partie américaine accepterait de faire ce qu'on appelle un "deal"
avec seulement les autres 75 %. De facto, M. le Président, nous avons eu
l'impression, dès le début, que le gouvernement
fédéral comprenait la présence et le rôle des
provinces. C'est dans ce sens que nous avons joué notre rôle,
présenté et maintenu - et nous continuons à le faire -les
positions de la province de Québec.
Le Président (M. Charbonneau): Si vous me permettez,
j'aurais deux questions brèves, M. Hétu, à vous poser. La
première: Depuis le début des négociations et depuis le
moment où on a parlé de cette question du libre-échange,
est-ce que, de la part du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu du Québec, de la part du
ministère de l'Éducation du Québec, de la part des
commissions de formation professionnelle du Québec, de la part du
ministère fédéral de l'Emploi et de l'Immigration, il y a
eu des contacts avec votre centrale, avec des parties de votre centrale qui
concerneraient la mise en application de programmes d'adaptation de la
main-d'oeuvre qui suivraient cette libéralisation des échanges?
Deuxième questions Vous avez dit dans votre mémoire que la
négociation d'une zone de libre-échange nord-américain
était subordonnée pour vous à une politique de plein
emploi. Comment réagissez-vous face à la situation de fait qui
est que ni le gouvernement du Québec ni le gouvernement
fédéral - et en particulier le gouvernement fédéral
qui est le premier interlocuteur avec les Américains - n'ont comme
objectifs socio-économiques premiers le plein emploi. La création
d'emplois pour les deux gouvernements actuellement est un objectif corollaire
à la croissance économique. On peut comprendre que la croissance
économique peut produire de l'emploi, mais pas nécessairement. On
a juste à penser à des investissements qui créent plus de
compétitivité, plus d'équipements manufacturiers, mais pas
nécessairement plus d'emplois: donc, plus de croissance, mais pas
nécessairement plus d'emplois. Comment réagissez-vous à
cette situation de fait?
M. Hétu (Jean-Paul): Première questions On doit
rencontrer le ministre du Travail et ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu vendredi le 25 où on va débattre
la question de la formation professionnelle dans le cadre de sa juridiction. En
ce qui concerne l'Éducation, on a initié des rencontres avec le
ministre de l'Éducation pour examiner un certain nombre de choses
là-dessus. Le débat n'est pas terminé. À notre
congrès qui a eu lieu en juin dernier, par suite d'une consultation
d'au-delà de deux ans avec nos membres, on a tracé le profil et
le détail des positions diverses qui couvrent ce qui apparaît
important pour les travailleurs et les travailleuses que nous
représentons, le profil, dis-je, de la matière de formation
professionnelle.
Emploi et immigration, on a débattu cette question, mais il n'y a
rien de fait. Quand je dis emploi et immigration, je me réfère au
fédéral. Au comité consultatif, la CSD a soumis un
document sur la formation professionnelle qui a été adopté
par l'ensemble des membres sans exception. (21 heures)
Là où on ne s'est pas entendus, les anglophones parlent de
"labor adjustment", nous parlons d'adaptation de la main-d'oeuvre. "Labor
adjustment" est plus limitatif pour le ministère qui traite de la
négociation. Pour eux, on ne doit pas s'attaquer à la formation
professionnelle,
mais plutôt à des programmes particuliers et concrets de
recyclage, d'adaptation pratique aux postes de travail. Pour nous, c'est
beaucoup plus large parce qu'on parle de politique de plein emploi. Dans leur
cadre, comme techniciens, il n'en est pas question. Ils disent que ce n'est pas
de notre ressort et que ce n'est pas dans le mandat qu'ils ont eu. C'est pour
cela qu'il y a des subtilités de cette nature qu'on trouve
difficiles.
Donc, cela m'amène à aborder votre question, soit le plein
emploi. Quand on regarde un peu l'histoire économique du Canada depuis
la deuxième guerre mondiale, que voit-on? On voit qu'il y a eu un
rapprochement vers une politique de plein emploi. À l'époque,
dans les années soixante, un peu avant, autour, lorsqu'il y avait moins
de 4 % de chômage, on ne chicanait pas trop. On disait qu'on avait
atteint, par rapport à notre capacité, pratiquement le plein
emploi. Disons que cela allait assez bien. C'est ce qu'on disait à
l'époque. Cependant, à ce moment-là, il y avait un
développement économique important. Dans le fond, articuler des
politiques de plein emploi, on ne le faisait pas parce que l'activité
économique suffisait à elle-même à créer des
emplois. Or, les politiques traditionnelles de recyclage, de relocalisation des
travailleurs d'un milieu à l'autre avaient de l'importance, mais, dans
le fond, c'était l'activité économique qui
résolvait les problèmes d'emploi. Mais constituer, créer
une politique de plein emploi dans une situation difficile comme celle qu'on
vit, cela prend des outils, une volonté qui, je dois le dire, n'existe
pas parce qu'on met davantage l'emphase sur... Évidemment, d'un
côté, on vit aussi dans un régime de libre entreprise. On
met plutôt l'emphase sur l'investissement, l'impôt, enfin,
différents incitatifs pour que les entreprises puissent créer ou
continuer à vivre, ou, tout au moins, créer de nouveaux emplois.
Mais, de politique de plein emploi dans le contexte actuel, il n'y en a pas.
Par ailleurs, on n'est pas très sophistiqué ni théoricien
chez nous, mais on trouve qu'il y a au moins une coordination de base
fondamentale qu'on ne sent pas entre les gouvernements dans
l'élaboration d'une politique. Le Québec assume sans doute ses
propres objectifs, aucune raison contre, mais une politique canadienne, par
exemple, sur le libre-échange, j'aimerais savoir si elle existe. Je n'ai
jamais entendu parler de cela.
M. MacDonald: Si vous me te permettez, M. le Président,
j'aimerais faire une observation et passer la parole au député de
Vanier pour la question. L'observation que je fais à M. le
président, c'est qu'effectivement non seulement il faut se garantir
l'accès au marché que nous avons actuellement pour
protéger en premier lieu les emplois que nous avons, mais il ne saurait
être question pour nous d'envisager une ouverture de part et d'autre sans
que l'objectif soit de créer de l'emploi. Cette visée que vous
avez de chercher à atteindre le plein emploi, ou le plein emploi avec
pondération, comme vous le disiez, de 3 % ou 4 %, qui est le quasi plein
emploi, c'est une visée, un objectif qui doit se retrouver aujourd'hui
dans n'importe quel plan économique d'un gouvernement responsable, et
c'est le nôtre.
M. le député de Vanier.
M. Lemieux: Merci, M. le ministre.
J'ai trouvé votre exposé très intéressant.
Vous vous dites contre un libre-échange absolu, pour un
libre-échange contrôlé. J'aimerais vous faire remarquer,
comme l'a d'ailleurs souligné M. le ministre, que le Québec
considère aussi la nécessité d'une période de
transition avec des programmes d'adaptation pour la main-d'oeuvre et
l'industrie touchées. Je veux bien que vous sachiez que c'est aussi une
préoccupation, mais il y a certains éléments qui ont
attiré davantage mon attention. Lorsque vous parlez de
spécificité culturelle, je veux bien que vous sachiez qu'on tient
aussi à notre langue, à notre culture, à nos institutions.
Pour nous, c'est aussi important.
Vous avez parlé d'histoire économique du Québec.
L'histoire politique du Québec: à compter de 1760, si vous voulez
bien, la capitulation; en 1763, le Traité de Paris; en 1774, l'Acte de
Québec; en 1791, l'Acte constitutionnel; en 1840, l'Acte d'Union; en
1848, le gouvernement responsable, pour en arriver, en 1867, au partage des
compétences. Vous n'êtes pas sans savoir, comme l'a si bien dit M.
le ministre, qu'effectivement c'est non négociable. Je pense que dans
les articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, nos
fonctions et nos pouvoirs sont clairement définis et, là-dessus,
je pense que M. le ministre a été assez clair, c'est non
négociable et, nous, comme parlementaires, on est sensibles aussi
à ces choses-là. J'ai retrouvé cela dans votre
mémoire un peu entre les lignes, mais je peux vous dire que comme
Québécois on veut tout simplement conserver ce qu'on a
appelé, lors de la négociation du lac Meech, la
société distincte. Je voulais simplement faire cette petite
parenthèse.
J'ai une question à vous poser. Est-ce que vous croyez que le
statu quo est vraiment la voie de l'avenir pour le Québec? Est-ce qu'on
ne bouqe pas, est-ce qu'on conserve cela comme c'est actuellement eu
égard aux mesures protectionnistes du gouvernement américain?
Pensez au bois d'oeuvre et à la potasse. Quelle est votre position
à l'égard du statu quo?
M. Hétu (Jean-Paul): La position qu'on défend est
simple. On dit qu'il ne faut pas se faire avoir par les Américains.
C'est rien que cela qu'on dit. On a une position de négociation.
À titre d'exemple, l'expérience du Canada, de 1980 à 1995,
dans l'application des mesures protectionnistes par le gouvernement du Canada
à l'égard des États-Unis et des États-Unis è
notre égard, pour toutes les questions de sauvegarde, il y a eu treize
enquêtes de faites par les États-Unis contre les produits
canadiens et deux par le Canada. Voyez-vous la différence? Droit
antidumping, 17 enquêtes aux États-Unis; au Canada, 38. Si on ne
se protège pas, on va faire face à des problèmes
antidumping par les Américains parce qu'ils ont une capacité de
production - je pense que vous en convenez - qu'on n'a pas du tout. À
l'égard des droits compensatoires, 11 enquêtes faites par les
Américains contre les produits du Québec, une au Canada. Les
autres pratiques déloyales, 21 enquêtes aux États-Unis et
le Canada n'en a pas fait.
Si vous voulez, je pourrais vous énumérer de
manière concrète et pratique les produits sur lesquels une
enquête a été faite par les Américains. C'est
très clair, déjà, les Américains ont un arsenal,
ils sont équipés pour faire appliquer dans leur pays des mesures
de protection et si, dans la négociation, on ne résout pas ce
problème par un mécanisme quelconque... Par exemple, certains
disent qu'un tribunal pourrait être la solution, mais ce qui est fort
important, c'est de surveiller la juridiction de ce tribunal. Est-ce qu'il va
juste se limiter pendant dix ans à l'élimination graduelle des
barrières tarifaires? Est-ce qu'il va traiter des différents
droits ou des mesures de protection que les Américains se sont
données pour se protéger des produits ou des pays
étrangers qui menacent la partie privée? Ce ne sont pas Ies
gouvernements qui ont cette autorité qui déclenchent le processus
d'enquête, ce sont les entreprises. C'est ce qu'on dit. Alors, dans le
fond, notre préoccupation, c'est de ne pas nous faire avoir. Dans le
langage populaire, il ne faut pas qu'on se fasse "fourrer" par cela. Il faut
surveiller un certain nombre de pôles, de pistes, et on en a
indiqué.
L'autre question que j'aimerais que vous abordiez et développiez,
je suis bien d'accord que la question de la langue française n'est pas
négociable, mais qu'est-ce qu'on va faire concrètement pour le
danger, le problème soulevé par le contexte du
libre-échange? Est-ce que les Québécois sont prêts,
la génération montante, est-ce que l'éducation les forme
au bilinguisme? Est-ce que les anglophones ne seront pas plus aptes à
prendre les jobs nouvelles, nécessaires pour articuler... Dans les
sociétés d'exportation, les entreprises qui font du commerce
à l'extérieur, les anglophones ne seront-ils pas plus aptes
à occuper les emplois parce qu'ils connaissent mieux la langue de la
majorité, des Américains, que les Québécois? Il
faut faire attention à cela, on va avoir de petits problèmes et
peut-être que, dans cinq ou dix ans, on va reculer de manière
catastrophique. C'est tout ce que je dis. Je ne dis pas que cela va arriver, je
ne veux pas que cela arrive du tout, mais il y a un sérieux
problème là.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Hétu. Je
cède maintenant la parole à M. le député de
Bertrand en lui indiquant qu'il reste environ huit minutes, questions et
réponses comprises. Alors, M. le député.
M. Parent (Bertrand): Alors, deux ou trois commentaires et une
question, M. le Président. D'abord, vos préoccupations, M.
Hétu, sont terre à terre et je vous en félicite. Je pense
qu'elles rejoignent celles des travailleurs et des travailleuses, et c'est
important. Tantôt, vous avez mentionné le problème; vous y
avez touché directement. C'est qu'il n'y a pas vraiment de
volonté politique de résoudre le problème de toutes les
ressources humaines, d'une meilleure utilisation, d'une réaffectation,
d'une formation des ressources humaines. La politique du plein emploi, c'est,
à toutes fins utiles, de s'assurer que l'offre et la demande puissent se
rencontrer. Actuellement, on a l'offre et on a la demande, mais elles ne se
rencontrent pas, et ce sera ainsi tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas de
politique bien ancrée, bien précise de la part du gouvernement du
Québec.
La question que je vous pose: Avez-vous l'impression qu'il y a, dans
toutes les rencontres que vous avez en tant que président d'une centrale
syndicale, des choses en marche? Est-ce que vous pensez que le Québec a
actuellement toute la marge de manoeuvre pour mettre en marche ces politiques
et obtenir du gouvernement fédéral ce qu'il faut? Vous, en tant
que centrale syndicale - ce serait important de le savoir, pendant que vous
êtes de passage parmi nous quelle est votre contribution, votre ouverture
pour mettre en marche ces politiques qui vont demander un effort de
concertation de tous les agents économiques, puisqu'il y a les
entreprises, le gouvernement, mais aussi les représentants des
employés et les centrales syndicales? Vous, en tant que centrale
syndicale, est-ce que vous seriez prêts à participer à
l'élaboration de ces politiques de façon qu'on puisse atteindre
ce fameux plein emploi s'il y avait volonté politique? Et là, je
ne suis pas sûr, il faudrait que le ministre me le confirme.
M. Hétu (Jean-Paul): Pour établir une politique de
plein emploi, ce n'est pas uniquement une volonté politique qu'on
doit
retrouver. La volonté politique est très importante. Pour
moi, c'est capital. J'ai l'impression qu'un gouvernement le moindrement
soucieux d'assumer ses responsabilités doit développer l'emploi
au maximum. Il y a aussi une autre dimension qui est importante. On vit en
régime de libre entreprise. C'est quoi l'effort, c'est quoi la
possibilité d'avoir de nouveaux industriels qui vont créer ces
emplois? C'est quoi l'effort qui est fait par le gouvernement et qui a
été fait par les gouvernements antérieurs de
développer, de favoriser un climat permettant des investissements plus
grands, plus importants pour créer des emplois? Il est clair que, dans
le contexte de la crise qu'on a vécue, on a été
sapés à la base même de notre économie et il semble
y avoir une impuissance réelle, de fait, de réaliser la
création d'emplois. Mais ce ne sont pas uniquement les gouvernements, il
y a aussi les investisseurs, les entrepreneurs. Est-ce que, dans un contexte de
libre-échange, il y a possibilité d'attirer au Canada, en
particulier au Québec, plus d'investisseurs, des investisseurs
intéressés à accéder à un marché plus
considérable? Je ne suis pas capable de répondre à cette
question. Si vous parlez de volonté politique de dénicher ce
type-là pour vraiment asseoir une politique de plein emploi, je vous dis
que les politiques répondent. Moi, je ne suis pas au courant de cela,
mais il faudrait qu'on le sache. Il faudrait que les habitants de ce pays, les
travailleurs et les travailleuses du Québec soient au courant, mais on
ne le sait pas. Je vous disais tout à l'heure qu'il n'y a pas
d'information là-dessus.
M. Parent (Bertrand): Mais, M. Hétu, il y a un rôle
important à jouer de la part du gouvernement qui se veut quand
même le moteur et l'incitatif. Vous avez siégé au conseil
d'administration de la SDI. On a eu la chance de travailler ensemble pendant
quelques années. Durant la crise de 1981-1982, s'il n'y avait pas eu,
d'une part, des mesures précises pour aider les entreprises, nos PME
québécoises à passer à travers et s'il n'y avait
pas eu, d'autre part, des mesures incitatives de quelque ordre que ce soit, on
n'en serait certainement pas où on en est aujourd'hui. Je pense que le
gouvernement n'est pas le seul à tout mettre en marche, sauf qu'il est
le moteur. (21 h 15)
C'est lui qui peut décider de donner tel ou tel genre
d'orientation. Quand le gouvernement du Québec a décidé,
à travers un programme de la SDI, d'aider des entreprises à avoir
accès à la Bourse, cela a permis à des PME d'avoir
accès à la Bourse parce qu'elles payaient des études de
faisabilité, etc. Cela devient des incitatifs et, s'il y a un incitatif
de la part du gouvernement dans le cadre d'une politique de plein emploi, s'il
y a collaboration de la part des agents économiques et des centrales
syndicales, je pense que cela permettra sûrement d'avoir des politiques
de plein emploi et d'atteindre votre objectif, qui est le nôtre,
finalement, mais il faudra que quelqu'un démarre la roue à un
moment donné.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Hétu.
M. Hétu (Jean-Paul): C'est l'effort de concertation qui
était le deuxième aspect de votre question. Dans le fond, c'est:
Quelle formule de concertation devons-nous développer? Il y a des
formules générales selon lesquelles les représentants des
grandes associations syndicales et patronales ou d'autres vont participer
à l'élaboration de politiques générales pour
créer le plein emploi. Je vous dirai que notre vision à cet
égard est plus une politique de terrain, une politique qui a pour objet
- premier point -le fait qu'il faut qu'on prenne des mesures pour qu'au
Québec les travailleurs et les travailleuses puissent travailler en
santé. Pour mot, c'est clair. D'accord, un projet de loi a
été adopté. Cependant, il y a beaucoup de freins qui
empêchent le développement de la santé au travail. Il n'y a
pas de programme qui existe pour qu'on puisse inciter les entreprises à
investir dans les infrastructures nécessaires pour que les travailleurs
puissent oeuvrer dans la santé et la sécurité. On ne
reconnaît pas que les dépenses en matière de santé
et de sécurité sont des investissements, on considère que
c'est un coût. Il y a toute une mentalité qu'il faut changer. Cela
est un aspect.
Il y a d'autres éléments dynamiques qu'il faut
développer au niveau de la base. Ce n'est pas par de grandes structures
provinciales uniquement qu'on résoudra ces problèmes-là.
Il y a donc un certain nombre de mentalités à développer
et il faut dégager aussi des leçons de la crise économique
qu'on vient de vivre parce que l'avenir ne semble pas être ce qu'on a
connu des années 1960 à 1970. Je ne suis pas certain qu'on ait
dégagé ce consensus-là entre nous, mais il faudrait le
débattre, cependant. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
M. Hétu, je voudrais, au nom des membres de la commission, vous
remercier, vous et vos collègues, d'avoir participé à
l'exercice. Je sais que vous partirez d'ici un peu frustré de ne pas
avoir eu tout le temps. Je pense que les membres de la commission auraient
aimé aussi avoir un peu plus de temps, mais les jours qui suivront
seront longs et chargés. Alors, on est obligé de limiter le
temps, à un moment donné. Néanmoins, on vous remercie de
cette participation.
M. Hétu (Jean-Paul): Permettez-moi de vous dire que je ne
serai pas frustré parce que je sais que vous appliquerez la même
règle pour tout le monde.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Au revoir et bon
retour.
J'invite maintenant les représentants de l'Association des
propriétaires d'autobus du Québec à se
présenter.
Bonsoir, messieurs. Je vous indique que vous avez, comme les autres
intervenants une heure globalement pour la discussion. En ce qui vous concerne,
vous avez 20 minutes au maximum pour la présentation de vos points de
vue et, par la suite, le temps qui reste est réparti
équitablement entre les membres de la commission pour la discussion.
J'ai quatre personnes devant moi. J'ai les noms, mais je ne sais pas
lequel d'entre vous agira comme porte-parole. Je lui demanderais, d'une part,
de s'identifier et, deuxièmement, d'identifier ses collègues pour
les fins du Journal des débats.
Association des propriétaires d'autobus du
Québec
M. Girard (Romain): Mon nom est Romain Girard. Je suis
vice-président exécutif et directeur général de
l'association. À mon extrême droite, M. Real Boissonneault,
président de Transport Fontaine et ex-président de l'association;
M. Sylvain Langis, représentant de Voyageur et de Voyageur Colonial, de
même que président du comité de transport urbain,
interurbain et aéroportuaire de l'association. À ma gauche, Me
Guy Poliquin, conseiller juridique.
D'abord, nous remercions la présente commission d'avoir bien
voulu recevoir notre mémoire et d'avoir souhaité l'entendre ce
soir. Par opposition au mémoire précédent, il faudra
comprendre, tout d'abord, que c'est un mémoire beaucoup plus pointu,
dans ce sens qu'il dégage et décrit un secteur bien précis
du transport au Québec. Les seuls éléments abordés
dans ce mémoire sont pertinents à l'équilibre qui est
maintenu dans ce domaine d'activité par une volonté politique
réglementaire et légale.
L'Association des propriétaires d'autobus du Québec
regroupe un très grand nombre de transporteurs par autobus au
Québec, lesquels oeuvrent tant dans le transport en commun, urbain et
interurbain, le transport de groupes, le transport aéroportuaire et le
transport scolaire.
Depuis plus de soixante ans, l'APAQ défend les droits des
transporteurs, tout en recherchant le meilleur intérêt pour le
public. Les transporteurs qu'elle représente possèdent plus de
800 autocars destinés au transport public et plus de 2500 autobus
scolaires. Presque tous les transporteurs en commun privés du
Québec font partie de l'APAQ.
Très tôt, les intervenants ont réalisé que
l'exclusivité des droits était nécessaire pour maintenir
un service de qualité sur cet immense territoire peu peuplé.
Dès 1926, les transporteurs ont demandé que soit reconnue
l'exclusivité de leurs droits à une époque où le
transport de personnes était ouvert à tout individu
désirant donner des services de transport. Il y avait à ce moment
absence totale de réglementation et d'organismes de contrôle.
Nous avons, dès lors, vu apparaître la formation de
certains organismes qui assuraient un contrôle sur l'émission des
permis de transport au Québec, sans toutefois consacrer
l'exclusivité des droits d'un transporteur sur un parcours. C'est au
cours des années quarante qu'a été formée la
Régie des transports qui a existé jusqu'en 1974 et qui avait tous
les pouvoirs. C'est elle qui a reconnu pour la première fois le principe
de l'exclusivité d'un seul permis sur un parcours afin d'assurer au
public voyageur la meilleure qualité des services.
Au cours de ces 30 années, la régie a
développé et ce, en l'absence d'un règlement
d'encadrement, différents critères d'intérêt public.
La Régie des transports a permis que soient développés des
réseaux de transport en commun afin que s'installe l'interfinancement
des revenus d'un service plus rentable à un service moins rentable,
autrement exprimé l'interfinancement interlignes. Par ailleurs, en
accordant l'exclusivité des voyages de groupes sur les parcours des
transporteurs publics, la régie a permis de maintenir des services
réguliers et d'améliorer leur qualité, autrement
appelé l'interfinancement entre services.
Le premier règlement sur le transport en commun au Québec
fut préparé en 1974. Au cours de ces années, l'application
du principe de l'exclusivité plus le privilège du transport
nolisé ont permis au Québec de se doter d'un réseau de
transport en commun comparable è beaucoup d'autres. Toutefois, dans le
secteur touristique, l'industrie ne pouvait être dynamique et
motivée en raison des droits exclusifs en vigueur à ce
moment.
C'est ainsi qu'en 1983 une modification à l'ordonnance
générale no 17 sur les voyages spéciaux ou à
charte-partie a été accordée à notre demande,
permettant à tous les transporteurs qui desservaient un endroit
d'effectuer des voyages de groupes de cet endroit à une destination
quelconque. Cette nouvelle réglementation a de même accordé
au transporteur scolaire la possibilité d'effectuer des voyages de
groupes du territoire de la commission scolaire avec laquelle il était
lié par contrat de transport scolaire dans un rayon n'excédant
pas 100 kilomètres. Ceci représentait une modification
fondamentale aux règles du jeu en vigueur jusque-là.
Pour ce qui est des lignes de transport interurbain, l'industrie a
jugé que ta Commission des transports du Québec était
l'organisme le mieux habilité à contrôler et à
réglementer ce type d'activité. L'industrie était unanime
à lui confier le pouvoir d'émettre des nouveaux permis. Elle a
décidé de lui faire confiance. Ainsi l'exclusivité des
permis ne s'érigeait plus automatiquement comme critère de base,
mais la protection des droits des transporteurs pouvait encore être faite
par l'interfinancement de certains services si celui-ci était
démontré et qu'il était prouvé que c'était
le meilleur outil pour satisfaire à l'intérêt du
public.
En considérant la perspective historique, les données
géographiques et la dispersion démographique de la population sur
le territoire, il apparaît clairement que l'intérêt du
public en général, en ce qui regarde le transport par autobus,
transcende et dépasse l'intérêt immédiat d'un
transporteur ou d'un client. Ainsi, il est nécessaire de faire que les
règles du marché ne s'appliquent pas en toute liberté. Si
c'était le cas, les intérêts des collectivités
locales ou régionales ou même ceux de transporteurs pourraient
menacer l'économie générale du système.
Le choix de faire confiance à la Commission des transports du
Québec s'avère donc le meilleur, cette dernière
étant l'organisme le plus apte à pouvoir évaluer,
apprécier et analyser la pertinence, par rapport à
l'intérêt public, des intérêts particuliers et
souvent divergents.
Depuis plusieurs années, les transporteurs
québécois qui désirent effectuer, en partance du Canada,
des voyages nolîsés aux États-Unis doivent se conformer aux
exigences américaines, telles que détenir un permis de
l'Interstate Commerce Commission et surtout obtenir toutes les autorisations de
tous les États qu'ils ont à traverser, soit les permis de
circuler, les taxes sur les carburants à payer, les vérifications
mécaniques à subir, les couvertures d'assurance
supplémentaires à fournir et de nombreuses autres exigences
à respecter.
Par ailleurs, tes transporteurs américains, eux, sont
exemptés de détenir un permis pour venir au Québec en
vertu de l'article 4 du Règlement sur le transport par autobus qui
stipule qu'un "transporteur dont le principal établissement est
situé hors du Québec et qui effectue au Québec un
transport nolisé est exempté de l'obligation d'être
titulaire d'un permis pour les services de transport qu'il fournit s'il remplit
les conditions suivantes: le point de départ et la destination finale du
voyage nolisé sont situés à l'extérieur du
Québec; il est autorisé à effectuer ce voyage par
l'État ou la province où est immatriculé l'autobus."
Les transporteurs américains ne subissent pas, eux, d'obligations
telles la taxe sur les carburants ou une couverture d'assurance
spécifique à fournir ou à produire, si bien que ces
transporteurs peuvent venir circuler librement au Québec et, même,
effectuer des visites touristiques à l'intérieur des villes
à l'aide de guides. Ainsi, le législateur québécois
procure depuis plusieurs années, en ce qui concerne le permis de
circuler, des avantages aux transporteurs américains dont les
transporteurs québécois ne jouissent pas aux
États-Unis.
L'industrie de l'autobus, qui consiste en transport nolisé et en
transport interurbain régulier, est un des secteurs faisant l'objet de
discussions dans le cadre de la libéralisation des échanges
commerciaux. Cependant, en vertu de sa structure réglementaire, des
subventions élevées accordées à son
compétiteur sur le corridor dont l'achalandage est le plus
élevé, c'est-à-dire Via Rail, et de l'interfinancement
reconnu par le régulateur, l'industrie canadienne de l'autobus est
unique parmi tous les modes de transport canadiens. Cette industrie ne peut pas
être regroupée parmi les autres modes de transport de passagers
comme le transport aérien ou, encore moins, comme le transport
ferroviaire, non plus que dans le transport de marchandises. L'unicité
de l'industrie canadienne de l'autobus signifie que, même si le
libre-échange est faisable en regard de l'industrie du camionnage ou du
transport aérien, ce sur quoi nous ne portons pas de jugement ici, ces
solutions ne peuvent être appliquées que par extension ou par
analogie au transport par autobus. (21 h 30)
II est vrai que la déréglementation américaine de
1982 en matière de transport par autobus peut permettre à des
transporteurs canadiens d'effectuer du transport à partir du territoire
américain et d'obtenir des permis de transport par autobus aux fins de
fournir des services de transport en commun réguliers ou de transport
nolisé. Ces permis pouvaient cependant être émis pour la
desserte des transports interÉtats, car la réglementation
concernant le transport à l'intérieur d'un État
relève de celui-ci comme c'est, d'ailleurs, te cas à
l'intérieur de chacune des provinces canadiennes qui ont des
juridictions autonomes sur le transport effectué à
l'intérieur de celles-ci.
Après cinq ans de cette ouverture américaine, aucun
transporteur canadien n'a, cependant, pu réellement en
bénéficier en vertu du fait que la clientèle
américaine est répartie à de très grandes distances
des centres d'opération canadiens et surtout en raison des
différences dans les conditions d'exploitation d'une entreprise
américaine par rapport aux conditions canadiennes.
Il en serait autrement si le Canada autorisait les transporteurs
américains à
venir librement desservir les clientèles canadiennes. Les grands
marchés américains sont situés loin des frontières
canadiennes, alors que les plus grandes villes canadiennes, telles
Montréal, Toronto et les autres, sont toutes situées à
proximité des frontières. Les transporteurs du nord des
États-Unis auraient ainsi un accès direct aux marchés les
plus importants parmi les marchés canadiens, alors que les transporteurs
canadiens sont nettement désavantagés par la grande distance qui
les sépare des villes américaines importantes.
Dans un contexte de libre-échange, il ne suffit pas que
l'accessibilité soit possible pour toutes les parties, mais il faut
aussi que les conditions d'exercice soient semblables. Même si
l'environnement réglementaire est différent entre le Canada et
les États-Unis, on peut affirmer dans ce sens que les transporteurs
canadiens et les transporteurs américains ont un traitement
équitable et identique et peuvent tous deux fonctionner dans des
conditions similaires de lois et de réglementations sur le territoire
canadien. De même, les transporteurs canadiens qui souhaitent
opérer sur le territoire américain reçoivent, dans cet
environnement, un traitement égal aux transporteurs
américains.
Toutefois, les considérations du libre-échange n'ont pas
pour objet d'assurer que les deux types de transporteurs ont les mêmes
conditions sur un territoire donné, mais bien que ces conditions sont
identiques d'un territoire à l'autre.
Le Québec a une législation et une réglementation
qui offrent à ses travailleurs des conditions qui sont loin d'être
comparables à celles des Américains. Il suffit de penser à
la loi sur le salaire minimum, à la Loi sur les normes du travail,
à la Loi sur la santé et la sécurité du travail et
aux diverses dispositions du Code du travail relatives aux transferts de droits
et obligations, de même qu'aux dispositions antibriseurs de grèves
pour bien comprendre les spécificités de l'encadrement
législatif québécois par rapport aux lois régissant
les mêmes domaines d'activités sur le territoire
américain.
Comme les entreprises américaines ne sont pas soumises aux
mêmes règles, il en résulte un déséquilibre
qui ne peut qu'être préjudiciable à l'industrie
québécoise du transport par autobus.
Dans le contexte des réglementations québécoises et
des autres réglementations provinciales et canadiennes, les entreprises
de transport par autobus subissent différentes contraintes relatives
à une forte taxation des coûts du carburant, qui représente
pour elles une part importante de leurs coûts de fonctionnement, une
normalisation à la hausse des conditions de travail du personnel de ces
entreprises, qui représente, quant à lui, une part importante des
coûts de ces entreprises, de même que des situations de concurrence
avec une société de la couronne fortement subventionnée,
Via Rail pour ne pas la nommer une seconde fois, et une obligation à
l'intérieur de l'industrie d'affecter elle-même la redistribution
des revenus pour assurer l'équilibre et le maintien des services en
périphérie, ce qui était, précédemment,
appelé interfinancement dans le présent mémoire.
Toutes ces conditions créent des pressions sur les entreprises
canadiennes de transport par autobus et limiteraient, dans le cadre d'une
libéralisation des échanges, la capacité de ces
entreprises de demeurer compétitives. Dans la mesure où toutes
ces contraintes peuvent être revues et redistribuées à
l'ensemble des entreprises canadiennes et américaines effectuant le
transport de personnes, les transporteurs québécois
considèrent qu'il leur serait ainsi possible d'être en situation
d'égalité.
Tel que nous l'avons mentionné précédemment,
l'industrie du transport de personnes au Québec a toujours
été relativement encadrée et réglementée.
Les principales raisons de cet encadrement tiennent au fait d'un territoire
immense et peu densément peuplé, principalement distribué
sur un axe à faible distance des frontières.
Ne pouvant mettre de côté ces deux facteurs
spécifiques au Québec, le gouvernement a
réitéré, dans un règlement du début de
janvier 1987, la protection de l'intérêt public en permettant au
régulateur économique, qui est la Commission des transports du
Québec, d'émettre des permis, mais en l'obligeant, cependant,
à tenir compte de certains critères. Ainsi, la Commission des
transports du Québec ne pourra émettre un permis de transport par
autobus, interurbain, nolisé, aéroportuaire ou autre, si un
transporteur démontre que la qualité d'un service
déjà offert à la population risque d'être
affectée ou mise en péril par l'émission d'un tel permis
supplémentaire.
Comme il est à craindre que la concurrence s'exerce sur les
corridors rentables au détriment des services en régions, qui
perdront petit à petit les services réguliers de transport en
commun, n'est-il pas nécessaire, pour discuter de la
libéralisation des échanges dans ce domaine précis, de
remettre en question ces choix historiques du législateur
québécois pour le maintien d'un équilibre sur le
territoire québécois? Dans ce sens, il serait pertinent de
recommander, d'abord, une déréglementation
québécoise du transport par autobus avant de discuter du
réalisme des échanges libres, à ce niveau
d'activités, entre le territoire américain et le territoire
québécois. Par ailleurs, dans cette
éventualité, l'État devra-t-il prendre la
relève des services non rentables en régions qui devront
être abandonnés?
L'industrie du camionnage a toujours vécu dans un environnement
de compétition et de concurrence. Tel n'est pas le cas de l'industrie de
l'autobus, qui est plus fragile. L'expérience américaine, au
niveau de la déréglementation dans le transport de passagers,
est, d'ailleurs, désastreuse et cinq ans après les preuves ne
sont plus à faire.
Nous devons nous interroger sérieusement sur les
conséquences que peut engendrer un processus de
déréglementation et de libre concurrence dans un secteur de
l'économie aussi fragile. L'équilibre socio-économique de
toute la population du Québec en dépend.
Tous les choix historiques du législateur, de même que de
l'industrie pour encadrer ou exploiter les services de transport par autobus
offerts à la clientèle québécoise ont toujours
reconfirmé la nécessité d'un équilibre maintenu
à l'intérieur de l'industrie par celle-ci pour permettre le
maintien des services en périphérie et pour permettre que les
activités plus rentables et, dans certains cas, en croissance puissent
supporter les activités déficitaires et en
décroissance.
L'ensemble du volume de passagers sur les lignes
régulières de transport par autobus est en décroissance de
manière soutenue depuis plusieurs années. Il est peu probable que
le libre-échange nous permette de bénéficier, sur ces
services en décroissance et non rentables, de services plus
compétitifs et plus efficaces fournis par des transporteurs
étrangers. Il est plutôt à craindre que la
libéralisation des échanges ne permette à d'autres
entreprises d'attaquer et de vouloir desservir les créneaux rentables de
services et qu'il soit, en conséquence, impossible de maintenir de
manière autonome l'équilibre à la grandeur du territoire
québécois entre les divers services de transport par autobus.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le ministre.
M. MacDonald: Merci, M. le Président. Merci d'être
ici ce soir. Vous avez, le 25 juin, défendu ou présenté
effectivement devant le comité Warren essentiellement le même
mémoire. À ce moment-là, je peux vous rassurer qu'à
la fois le mémoire, l'analyse et les commentaires qu'a pu en faire le
comité Warren ont été remis au ministre des Transports et
à son représentant au sein du comité responsable de
traiter le dossier de la libéralisation des échanges. En
conséquence, les remarques que vous avez pu faire, les réserves
que vous aviez ont été prises en considération lorsque
nous avons abordé, avec la partie fédérale et avec
d'autres provinces, la question du transport en commun.
Il y a, cependant, certains points que, comptant sur votre
présence ici ce soir, j'aimerais clarifier. Plus particulièrement
à la page 3 de votre mémoire, vous dites et je cite: "Ainsi, il
est nécessaire de faire que les règles du marché ne
s'appliquent pas en toute liberté". Vous continuez: "Si c'était
le cas, les intérêts de collectivités locales ou
régionales ou même de transporteurs pourraient menacer
l'économie générale du système." Pourriez-vous nous
expliciter cette idée et nous donner, pour nous éclairer encore
plus, quelques exemples pratiques, s'il vous plaît?
M. Girard: II faut comprendre que la réglementation
encadrant le transport par autobus vise, d'une part, à contraindre un
transporteur à fournir un service qui peut, occasionnellement ou
généralement, être déficitaire, en contrepartie
duquel un certain nombre d'activités reconnues plus rentables lui seront
accordées sous forme de permis et, par la Commission des transports du
Québec, seront annuellement revues, examinées, discutées,
renouvelées ou remises en cause à partir des résultats
d'achalandage, à partir des résultats financiers de ces
compagnies.
Il faut comprendre, avec les modifications au transport nolisé
apportées en juin 1983 à l'intérieur d'une
réglementation qu'on qualifie des 100 kilomètres, qu'une grande
part du marché dit lucratif des transporteurs par autobus a
été partagée avec 800 transporteurs de plus, qui sont les
800 transporteurs d'écoliers du Québec. En conséquence,
beaucoup de transporteurs réguliers, interurbains ou urbains en
régions, ont remis en question leur devoir de maintenir en
opération, à l'intérieur de villes ou entre des villes sur
des services peu achalandés, des services interurbains. J'illustre par
ce que je viens d'exprimer ce qu'on appelle l'interfinancement entre services.
Dans le langage de la Commission des transports du Québec, on disait que
l'accessoire, qui était le transport nolisé, permettait de
financer le principal, qui était le transport régulier. Cet
exemple est valide à la grandeur du territoire québécois.
Cet interfinancement entre deux services différents au public existe
à la grandeur du territoire québécois à
l'intérieur de toutes les entreprises de transport nolisé.
Par ailleurs, à l'intérieur d'un certain nombre
d'entreprises plus restreintes, parce qu'on parle cette fois-ci
d'interfinancement interlignes, donc, le nombre d'entreprises est plus
restreint parce qu'il faut avoir au moins deux lignes pour faire de
l'interfinancement, on voit - l'exemple le plus patent au Québec est,
bien sûr, Voyageur - une entreprise exploiter des corridors dits
rentables, en
contrepartie de quoi elle assure un service plus que satisfaisant
à des régions qui, autrement, n'en mériteraient pas tant
si on examinait ce service uniquement sous l'aspect
coûts-bénéfices.
Donc, les règles du marché, si elles devaient être
appliquées, auraient sûrement pour effet qu'un transporteur
interromprait son service déficitaire pour se concentrer sur son service
dit rentable ou sur le type de service à l'intérieur duquel il
peut être compétitif. Le transport en commun interurbain
régulier ou urbain régulier est encadré en termes de
tarifs par la Commission des transports du Québec et ces tarifs doivent
être appliqués.
Par ailleurs, à l'intérieur du transport nolisé, il
y a plus de latitude pour appliquer un tarif, il y a plus de latitude pour
attaquer de nouveaux marchés, pour donner de nouveaux services à
de nouveaux clients et ce créneau de marchés apparaîtrait
plus intéressant à beaucoup de transporteurs. En
conséquence, une contrainte réglementaire doit être
maintenue. Pour nous amener au débat du libre-échange, s'il y
avait des transporteurs étrangers qui devaient venir, entre guillemets,
"jouer dans ce terrain" sur le territoire québécois, ils
devraient se soumettre à ces règles du jeu. C'est l'essence du
mémoire.
Peut-être que M. Sylvain Langis, de Voyageur, peut illustrer avec
plus de chiffres à l'appui des données qui le concernent plus sur
l'interfinancement interlignes.
M. Langis (Sylvain): Je suis plutôt ici pour
représenter, comme mes collègues de l'association, l'ensemble des
propriétaires d'autobus du Québec. Cependant, ce que M. Girard a
dit concernant l'interfinancement, en termes clairs, cela se traduit, par
exemple, pour certaines entreprises, dont une, la nôtre, par des services
sur certains corridors qui génèrent des revenus plus
intéressants que d'autres. Cependant, le système a fait en sorte
qu'au fil des ans, et cette réglementation existe depuis une soixantaine
d'années maintenant, dans des régions comme la Gaspésie,
les circuits internes de l'Abitibi ou même tous les circuits dits locaux
par rapport à des circuits express, c'est-à-dire ces circuits
où, vraiment, on arrête dans chacun des petits villages, dans
chacune des petites municipalités . pour donner un service de transport
en commun, ces municipalités sont desservies par un seul mode de
transport qui s'appelle l'autobus parce que d'autres systèmes, comme le
système aérien ou le système ferroviaire ne les desservent
pas. Simplement pour vous donner un exemple, au Québec,
approximativement 500 communautés sont desservies par l'autobus, alors
que le train en dessert approximativement 150 et les services aériens,
une quarantaine.
(21 h 45)
Cela dit, le système de l'interfinancement fait en sorte que
nous-mêmes, de l'entreprise privée, on subventionne, par nos
revenus générés sur des circuits plus importants, des
services qui, autrement, n'existeraient pas et, si on voulait qu'ils existent,
l'État serait possiblement dans l'obligation de les subventionner. Cela
fait un peu drôle de voir des gens de l'entreprise privée venir
dire: Oui, on a une réglementation et on ne veut pas la perdre. Ce qu'on
vient vous dire, c'est que cette réglementation est là au
bénéfice de l'ensemble des Québécois et des
Québécoises qui sont des usagers du transport en commun ou qui
n'ont pas d'autres services de transport en commun chez eux. S'il y avait le
libre-échange demain matin, on connaîtrait une
déréglementation automatique qui irait, à notre avis,
à l'encontre de l'intérêt public des
Québécois et des Québécoises.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Je voudrais vous
rappeler, messieurs,, comme j'essaierai de le rappeler dorénavant aux
autres invités, que notre problème est un problème de
temps et que, dans la mesure où vos réponses sont très
longues, il reste moins de temps aux membres de la commission pour aborder un
certain nombre de sujets qui peuvent les intéresser et sur lesquels vous
pouvez les avoir aiguillonnés par la présentation de votre
mémoire.
M. le député de Roberval.
M. Gauthier: Merci, M. le Président. Deux questions
relatives au mémoire que vous venez de nous présenter qui est
fort intéressant, par ailleurs. Vous mentionnez que les conditions
d'exploitation sont différentes et que le Québec possède
une législation très avantageuse pour les travailleurs: Loi sur
les normes du travail, Loi sur la santé et la sécurité du
travail, Code du travail, etc., et que cela vous complique l'existence, conduit
à un déséquilibre qui est préjudiciable à
l'industrie québécoise. Est-ce que l'association a fait de
façon systématique une comparaison entre ses coûts de
main-d'oeuvre, compte tenu des lois québécoises, mais aussi
compte tenu des niveaux de salaires chez nos voisins du Sud, des avantages
sociaux et des plans d'assurance qui doivent être plus
généreux pour pallier à certains manques des politiques
sociales? Est-ce qu'il y a eu une étude systématique qui vous
permet d'affirmer cela ou si c'est plutôt le fruit d'une réflexion
sommaire?
M. Langis: II n'y a pas eu d'étude systématique de
faite en peu de temps. Il y a, cependant, eu des recherches de faites non
seulement par l'Association des propriétaires d'autobus du
Québec, mais également par des associations semblables au
Canada. Je pense à l'Ontario Motor Coach Association qui, elle
aussi, a fait des représentations chez elle, à son niveau ou
encore à l'association canadienne de l'autobus qui nous regroupe tous
pour l'ensemble du pays. Les recherches qu'on a faites nous indiquent que, du
côté des lois du travail, on se rend compte que, s'il y avait le
libre-échange demain matin sans qu'on modifie ces lois tant chez nous
qu'aux États-Unis, il y aurait de très sérieuses
différences entre fonctionner chez nous et fonctionner aux
États-Unis. C'est déjà le cas dans la mesure où,
par exemple, chez nous, si une compagnie veut vendre, il y a des droits de
suite d'une convention collective. Si quelqu'un nous achète demain
matin, il reprend la convention collective des employés au même
taux que le propriétaire précédent les payait. Or, aux
États-Unis, ce n'est pas le cas. Si quelqu'un vend sa compagnie, le
nouvel employeur, le nouveau propriétaire n'est pas tenu aux droits de
la convention collective. C'est arrivé très récemment dans
le cas de Greyhound qui est de loin te plus gros transporteur interurbain par
autobus au monde. Lorsque Greyhound a été vendue l'hiver dernier,
la compagnie qui en était propriétaire payait des salaires
à un certain niveau; le nouvel acquéreur a carrément
coupé les prix en deux et, du jour au lendemain, a été en
mesure d'exploiter une entreprise de façon* rentable, alors que,
quelques jours auparavant, elle avait de la difficulté à
survivre. C'est un exemple que je vous donne. Il y a d'autres exemples qui
existent.
M. Gauthier: Si vous me le permettez, parce que le temps est pas
mal limité, je comprends votre point de vue, mais est-ce que vous avez,
de façon quantitative, sous la main, un pourcentage de cet écart?
On l'a mentionné plus tôt dans un autre mémoire et la
question me trotte dans la tête. L'avez-vous quantifié
réellement? Je comprends bien tout ce système de la convention
collective sur les travailleurs. Dans l'exploitation quotidienne, ce n'est pas,
dans bien des cas, un coût supplémentaire, sauf dans les cas de
transactions, comme vous le dites.
M. Langis: Le plus bel exemple que je peux vous donner, c'est
Voyageur. C'est une industrie qui est très génératrice de
main-d'oeuvre. Chez nous, au-delà de 50 % de nos coûts sont
carrément en main-d'oeuvre et ce, même après avoir
réduit substantiellement nos coûts à ce chapitre l'hiver
dernier. Les autres entreprises ont à vivre exactement avec les
mêmes exigences et ce sont des entreprises qui nécessitent
beaucoup de main-d'oeuvre pour être en mesure de fonctionner.
Un autre exemple que je peux vous donner, la taxe sur les carburants.
Aux États-Unis, il y a un remboursement pour les transporteurs en
commun, les transporteurs par autobus. Il y a un remboursement de la taxe sur
les carburants qui est versé aux entreprises. Ce n'est pas le cas chez
nous. C'est également une composante importante de nos entreprises.
Elles sont nettement avantagées comparativement à nous.
M. Gauthier: Une autre chose que j'aimerais faire expliquer. Dans
votre mémoire, on dit qu'avec un accord de libre-échange - je me
permets de vous citer à peu près textuellement - les
transporteurs du nord des États-Unis pourraient desservir les
clientèles canadiennes, alors que l'absence de grandes villes
américaines à proximité de la frontière
désavantage les entreprises canadiennes. J'ai comme un problème
à comprendre cet énoncé dans le domaine du transport. Si
c'est facile et avantageux pour les transporteurs américains de venir
transporter au Canada, je connais quelques grandes villes américaines
qui sont relativement proches du Québec, de l'Ontario et d'autres
provinces du Canada. J'aimerais que vous m'expliquiez cela avec un peu plus de
détails, s'il vous plaît.
M. Langis: Vous connaissez bien votre géographie...
M. Gauthier: Un peu.
M. Langis: ...des États-Unis et du Canada. Quoi qu'on en
pense, lorsqu'on regarde cela à première vue, il peut sembler
beaucoup plus intéressant pour les Canadiens d'aller puiser dans le
marché américain où les bassins de population sont
beaucoup plus importants que ceux du Canada. Cependant, en pratique, lorsqu'un
transporteur doit aller chercher un groupe à un endroit - par exemple,
le transport nolisé - il doit effectuer un certain millage mort,
c'est-à-dire sans passagers, pour aller cueillir son groupe et le
ramener. Ce millage mort lui occasionne des coûts. Lorsqu'on examine la
démographie ou la dispersion démographique au Canada
comparativement à celle des États-Unis, les bassins de population
importants au Canada sont tous localisés pas très loin de la
frontière entre le Canada et les États-Unis. Je pense à
des bassins comme Montréal, Toronto, Windsor et même plus vers
l'ouest, à Calgary ou à Vancouver. Or, depuis le Maine jusqu'au
Montana, les transporteurs qui sont localisés dans les petites
municipalités des États-Unis où il y a moins de
population, dans ces petites régions tireraient un avantage beaucoup
plus grand à venir chercher des passagers dans les grands bassins
canadiens, toutes proportions gardées, que les transporteurs canadiens
n'en auraient à tenter d'aller puiser dans des marchés
américains où les bassins de population similaires sont beaucoup
plus loin. Par
exemple, pour quelqu'un qui est à Montréal, le premier
marché intéressant est à New York, approximativement,
alors que, pour quelqu'un qui est à Burlington, c'est beaucoup plus
intéressant de venir à Montréal que d'aller vers New York.
C'est la même chose si on s'éloigne vers l'Ontario. Il est
beaucoup plus intéressant, pour quelqu'un qui est localisé
à Buffalo, d'aller cueillir des passagers à Toronto que de
descendre vers le sud pour trouver un marché équivalent. C'est la
même chose tout le long de la frontière et c'est une autre raison
très importante pour laquelle nous nous opposons à ce que notre
secteur de l'industrie fasse partie d'un éventuel accord sur le
libre-échange.
M. Gauthier: Je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Tel que je vous l'ai mentionné, vous avez
été entendu. Nous avons eu le privilège de vous avoir ce
soir. Vous me permettrez de souligner que je trouve un peu paradoxales tout de
même, connaissant l'esprit d'entreprise privée et
d'entrepreneurship de plusieurs des membres de votre industrie, cette
recommandation que vous nous faites de continuer à vivre dans un cadre
réglementaire sous la surveillance de la Commission des transports. De
toute façon, ayant reçu très sérieusement une
première fois votre mémoire, c'est également dans cet
esprit qu'on reçoit votre présentation ce soir et je vous en
remercie.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand, est-ce qu'il y a une question?
M. Parent (Bertrand): Oui, j'aurais deux questions à
poser. On sait qu'il y a quelques années le gouvernement a mis sur pied
les CIT, corporations intermunicipales de transport, subventionnées en
partie par le gouvernement et les municipalités. Premièrement,
dans ce cadre-là, est-ce que vous croyez qu'une
déréglementation et une libéralisation des échanges
pourraient affecter la formule des corporations intermunicipales de
transport?
Deuxièmement, vous mentionnez dans votre mémoire que vous
avez fait valoir, il y a déjà quelques mois, devant le
comité Warren que, dans l'éventualité d'une
déréglementation, l'État devrait probablement prendre la
relève des services non rentables, les fameux bouts de ligne que
personne ne veut, mais qu'il faut desservir. Puisque le ministre du Commerce
extérieur a mentionné précédemment qu'il en avait
déjà saisi son collègue, le ministre des Transports,
est-ce que vous auriez eu quelque nouvelle que ce soit de la part du ministre
des Transports quant à sa réaction à la suite des
préoccupations que vous avez et aussi à la suite de la commission
parlementaire qui s'est tenue à Montréal, il y a quelques
semaines, concernant toute la dimension du transport en commun?
M. Girard: On parle effectivement de deux commissions
parlementaires. En ce qui regarde les conseils intermunicipaux de transport,
pour bien comprendre ce qu'est la relation contractuelle d'un CIT en 1987, on
se situe dans une perspective historique de retrait volontaire ou non des
organismes publics de transport en commun sur le territoire où la
responsabilité a été déléguée ou
dévolue aux élus locaux pour décider du service qu'ils
auraient à se donner sur leur territoire pour desservir leurs citoyens
dans le cadre d'une desserte suburbaine par rapport à Montréal et
des pouvoirs pour contracter avec qui ils voudraient bien ce service.
Dans le cadre de savoir comment le libre-échange peut menacer ou
faire évoluer cette relation contractuelle, c'est peut-être une
question qui vient en réponse à ça. Dans quelle mesure le
pouvoir des élus des corridors, des conseils intermunicipaux de
transport sera-t-il modifié dans ce sens de décider du service
qu'ils ont à se donner sur leur territoire pour leurs clientèles?
La responsabilité est donnée à des élus municipaux
qui doivent se donner leurs propres services. S'il y avait des transporteurs
américains qui venaient contracter avec ces CIT, ils le feraient avec
les règles du jeu des entreprises québécoises comme cela
peut être fait actuellement dans le transport scolaire. Des entreprises
américaines peuvent faire du transport d'écoliers ou du transport
public au Québec à la condition de correspondre aux
critères du règlement, d'avoir une charte depuis plus de six mois
au Québec, d'avoir une place d'affaires.
Donc, il y aurait peut-être des transporteurs étrangers ou
des transporteurs non québécois qui pourraient contracter avec
des CIT, mais cela ne remettrait pas en question le pouvoir ou !e devoir de ces
élus de décider de leurs services et de se les donner avec les
moyens qu'ils ont.
Quant à la deuxième question, effectivement, à la
suite de la commission parlementaire d'il y a trois semaines sur le transport
en commun dans la région de Montréal et à la suite de ce
qu'on avait soumis il y a déjà quelques mois au comité
Warren, il nous a été confirmé que la
réglementation québécoise sur le transport par autobus
était là pour bien confirmer un choix responsable des élus
de maintenir cet équilibre que nous décrivons et pour lequel nous
plaidons. (22 heures)
Jusqu'à preuve du contraire nous ne croyons pas que cet
équilibre sera menacé par les transporteurs étrangers dans
la mesure où on souhaite et on pense que, si jamais ils venaient ici
exploiter des services de transport par autobus, ils devront le faire avec nos
règles du jeu.
M. Langis: Et ce serait possiblement seulement dans deux secteurs
qui seraient certains corridors d'importance du type
Montréal-Québec, Montréal-Ottawa-Toronto et dans le
secteur des services nolisés où il y a une croissance depuis un
certain nombre d'années dans notre industrie. Il ne faut pas oublier que
nos entreprises gèrent leur décroissance depuis quelques
années dans la mesure où il y a de moins en moins de passagers
sur les véhicules interurbains par autocar.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
nous allons terminer la discussion avec l'Association des propriétaires
d'autobus du Québec. Je voudrais vous remercier, messieurs, d'avoir
participé à cette consultation générale sur le
dossier du libre-échange et vous indiquer que les membres de la
commission ont apprécié le mémoire et l'échange
qu'ils ont eu avec vous. Nous vous souhaitons un bon retour. Sans plus tarder,
nous allons maintenant inviter le député fédéral de
Lévis, M. Gabriel Fontaine, à prendre place à la table des
invités.
M. Girard: Nous vous remercions et nous retournons en autobus. Il
n'y a aucune question quant à notre retour. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Bonne route!
M. Girard: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Bonjour, M. Fontaine. Je
présume que vous êtes un peu habitué au fonctionnement des
parlementaires. Néanmoins, je vous rappelle que vous avez un maximum de
20 minutes pour présenter vos points de vue. Par la suite, les membres
de la commission engageront la discussion avec vous. Je vous cède la
parole sans plus tarder.
M. Gabriel Fontaine
M. Fontaine (Gabriel): Je vous remercie, M. le Président.
J'aimerais mentionner que c'est à titre personnel que je viens faire mes
représentations devant votre commission de l'économie et du
travail. J'aimerais féliciter les initiateurs de cet
événement. Je pense que cela donne à tous la chance
d'être entendus. Je pense que cela donne aux Canadiens et aux
Québécois l'occasion de se renseigner davantage sur le
développement d'un accord commercial avec les États-Unis.
Je veux aussi remercier les gens qui font partie de la commission, MM.
les députés, d'avoir reçu mon rapport. Je vous remercie
également de m'avoir donné l'occasion de venir faire des
représentations personnelles devant vous.
M. le Président, est-ce qu'on peut tenir pour acquis que le
rapport que j'ai déposé le 8 septembre fait partie
intégrante du compte-rendu des réunions?
Le Président (M. Charbonneau): Oui.
M. Fontaine: Cela m'éviterait de le lire dans son
ensemble.
Le Président (M- Charbonneau): Oui, oui. Écoutez,
à moins que vous ne teniez à le lire, non seulement les membres
de la commission ont eu votre mémoire, mais ils ont également eu
un résumé de votre mémoire qui a été
préparé par les services de l'Assemblée nationale. Donc,
je pense que ce qui serait peut-être plus intéressant pour les
membres de la commission ainsi que pour les gens qui nous écoutent ce
soir, c'est de présenter un résumé de votre point de vue,
ce qui nous permettra par la suite d'engager la discussion.
M. Fontaine: Alors, je vais aller dans certaines étapes de
mon rapport étant donné que le dialogue est
préférable au monologue. Après cela, on passera à
la période des questions.
Le Président (M. Charbonneau): Très bien.
M. Fontaine: Le Canada est un des rares pays
industrialisés qui n'a pas accès à un marché
suffisant, comptant au moins 100 000 000 de consommateurs. Des pays comme les
États-Unis, la Communauté économique européenne et
te Japon peuvent se permettre des économies de masse dans leur processus
de production étant donné que le réseau de production a
accès à une clientèle très vaste.
Le Canada, à cause de sa clientèle interne limitée,
devient très dépendant du marché américain.
Les contraintes de l'économie américaine quant à la
balance des échanges de biens et services avec les autres pays
concernant la compétitivité internationale rendent de moins en
moins sûr l'accès au marché américain, si on tient
compte de plus de la concurrence de certains pays récemment
industrialisés comme le Brésil, l'Inde, la Corée,
Taïwan, etc.
De plus, le "Trade Bill", soutenu actuellement aux États-Unis par
les deux Chambres, prévoit une législation qui élargira de
beaucoup les possibilités qu'auront les Américains d'imposer des
droits compensatoires sur différents produits importés.
Pour plusieurs de ces raisons, le premier ministre du Canada
annonçait le 26 septembre 1985, à la suite de discussions tenues
avec le président des États-Unis lors de la réunion
à Québec en mars 1985, l'intention de son gouvernement de
négocier le plus large éventait possible de réductions de
barrières tarifaires et non tarifaires qui entravent le commerce entre
le Canada et les États-Unis.
On sait que le Sénat américain a donné son
approbation, en avril 1986, à la négociation commerciale entre
nos deux pays et a autorisé le président américain
à étudier la formule "fast track", formule qui permettrait, d'ici
le 5 octobre 1987, de présenter au Congrès un projet d'accord le
plus large possible sur l'élimination de nos tarifs douaniers, soit
d'ordre tarifaire ou autres. Selon les dispositions de la législation
américaine, après une période de consultation qui se
terminerait le 2 janvier 1988, le Congrès pourrait accepter ou refuser
globalement notre projet d'entente, la formule "fast track" l'empêchant
d'apporter des modifications particulières.
Le Conseil économique du Canada, dans son récent rapport
rendu public le 25 août 1987, a déclaré que six secteurs
industriels sur les 30 secteurs industriels enregistrés à
Statistique Canada pourraient être négativement touchés, et
d'une façon probablement significative, par la conclusion d'une entente
entre le Canada et les États-Unis. Il s'agit là d'un
problème qui doit être immédiatement apprécié
et nous nous devons d'identifier des mesures temporaires d'adaptation qui
viendront en aide aux entrepreneurs, aux gens d'affaires et aux travailleurs
des secteurs impliqués.
On soulève beaucoup d'appréhensions sur la mise en place
d'un organisme de gestion des différends. Jusqu'à présent,
les Canadiens et les Américains ont de la difficulté sur la
définition dudit organisme. Je dois vous faire remarquer que mon rapport
a été déposé dans l'échéance
prévue, c'est-à-dire le 8 septembre. Il y a une ouverture
nouvelle et additionnelle sur la réceptivité des
Américains à l'organisme de règlement des
différends. Les Canadiens considèrent de leur côté
qu'il n'est pas opportun de signer une entente si on ne reconnaît pas,
à l'intérieur de ladite entente, l'autorité d'un organisme
capable de régler les différends.
Les négociateurs canadiens et américains devront convenir
de la mise en place d'un organisme définitivement bilatéral et
qui aura la capacité de régler sans appel les
différends.
L'organisme en question ne devra, en aucune façon, être
contraint par les législations américaines actuelles qui
prévoient l'imposition de droits compensatoires, ni par les
élargissements de ces législations qui pourraient être
autrement applicables en vertu du "Trade Bill" actuellement en processus de
législation.
Pour respecter l'autonomie des deux pays impliqués et pour
garantir la protection significative des intérêts canadiens au
moment d'un différend, l'organisme de règlement des disputes
devra pouvoir se référer à une réglementation
contractuelle bien définie, bien claire et bien articulée, afin
que ce soient vraiment les règles du jeu préalablement
établies et acceptées qui permettent à l'organisme de
règlement des conflits une décision expéditive à
l'abri des intérêts uniquement ponctuels, humains, nationaux et
politiques.
Les quelque 6 600 000 habitants de la province de Québec vivent
à l'intérieur d'une économie très
diversifiée et très développée. Le marché
extérieur est très important pour l'économie du
Québec et, de fait, les Québécois exportent pour 40% de
leur produit intérieur brut. Ces exportations se dirigent vers les
autres provinces du Canada dans une proportion de 20% du produit
intérieur brut et les autres 20% sont dirigés vers
l'étranger, dont 75% aux États-Unis.
Les exportations du Québec sont concentrées, par ordre
d'importance, dans les domaines suivants, et ça représente au
total 20 000 000 000 $: le papier à imprimerie, les automobiles et les
châssis, l'aluminium et ses alliages, le bois d'oeuvre, les tubes
électroniques et semi-conducteurs, les moteurs et les pièces
d'avions, l'électricité, les minerais, les concentrés de
fer, la viande, etc.
L'accord du lac Meech que le gouvernement du Québec a
été le premier è ratifier devant son Assemblée
nationale a reconnu le Québec comme société distincte. Ce
caractère distinct de la société québécoise
sera conservé à condition que les activités culturelles
continuent à se développer au Canada et au Québec Les
négociations commerciales doivent se faire exclusivement en dehors de
toute atteinte au caractère spécifique du Québec, à
sa langue, à sa culture, à sa différence.
On sait qu'il existe également des entraves entre les
différentes provinces canadiennes. Je fais allusion, par exemple,
à la production et au commerce de la bière. On constate que neuf
provinces canadiennes sur dix imposent deux fois, par les taxes et par
l'obligation, à leurs citoyens et citoyennes la consommation d'une
bière locale. Des contraintes semblables d'entrave au commerce entre les
provinces s'appliquent par exemple dans le domaine de l'industrie de la
construction où le décret de la
province de Québec prévoit certaines qualités
exigées d'un travailleur, qualités qui sont
généralement non compatibles avec celles détenues par les
travailleurs de la construction des provinces voisines ou autres provinces
canadiennes.
Il existe également de nombreuses autres entraves au commerce,
par exemple, dans le domaine des secteurs financiers, des services
professionnels - je pense à l'Office des professions du Québec -
de la législation du travail, des critères de protection du
consommateur qui sont différents d'une province à l'autre, des
critères de mobilité des travailleurs, des programmes de
priorité accordés aux travailleurs d'une province, je pense au
dossier Hibernia à Terre-Neuve. Les différents programmes
d'achats préférentiels des organismes gouvernementaux,
paragouvernementaux et municipaux sont également une entrave
additionnelle à l'efficacité de notre processus de production
entre les différentes provinces canadiennes.
La conclusion d'une entente commerciale avec les Américains devra
permettre, en parallèle, la disparition graduelle mais définitive
de toute entrave légale ou réglementée au commerce de
l'est à l'ouest du Canada et de l'ouest à l'est du Canada.
On comprendra aussi que les marchés publics représentent
un potentiel de débouchés excessivement significatifs pour le
commerce international. Au Québec, les seuls achats du gouvernement du
Québec représentent 6 000 000 000 $ et, si on ajoute à
cette somme les achats des sociétés de la couronne du
Québec, le total atteint est de 18 000 000 000 $. Les achats publics
pour l'ensemble du Canada représentent 74 000 000 000 $ et les achats
publics au niveau du gouvernement américain représentent 750 000
000 000 $. Le marché potentiel au niveau des gouvernements
québécois, canadien et américain représente donc
824 000 000 000 $. Les politiques d'achat ont une importance très grande
en ce qui concerne nos exportations vers les organismes gouvernementaux et
publics américains.
Les gouvernements du Québec, du Canada et des États-Unis
ont énormément de politiques et de réglementations qui
visent à favoriser les fournisseurs locaux. Le gouvernement
américain, par exemple, ne s'approvisionne à l'extérieur
de son pays que pour 1 % des 740 000 000 000 $ de ses achats. Le gouvernement
canadien achète à l'étranger pour 18% des 74 000 000 000 $
de ses achats globaux. Il devient donc important que l'entente
bilatérale tende à diminuer les politiques favorisant les achats
locaux, qu'elles soient d'ordre municipal, régional ou central, tant au
Canada qu'au États-Unis.
De plus, aux États-Unis, nous connaissons les dispositions du
"Buy America" et autres préférences locales qui affectent les
exportations québécoises de minéraux industriels, de
matériaux de construction, d'équipement de
télécommunication, de composantes électroniques
liées entre autres au secteur militaire.
On sait aussi que des normes qui se sont développées au
niveau de la protection de la santé peuvent avoir des effets
négatifs sur nos exportations, par exemple, l'amiante et le cadmium. Les
politiques d'achat des États-Unis entravent le commerce dans le domaine
du transport en commun, des véhicules à usage spécial, des
véhicules routiers. Au niveau de la défense américaine, on
identifie des entraves dans l'aéronautique et la construction navale.
Ces entraves dans ces domaines nous ont déjà coûté
des déplacements d'usines du Québec vers les États-Unis,
je pense particulièrement au cas de Bombardier.
Également, les gouvernements se font la lutte au niveau des
subventions directes ou indirectes aux politiques d'achats locaux. Nous pouvons
également identifier des contraintes législatives telles que, par
exemple, le "Jones Act" qui prohibe l'importation de navires étrangers
lorsque ces navires font du cabotage dans les zones territoriales
américaines. Nos négociations doivent aussi prévenir
l'expansion injustifiée des normes environnementales exclusivement
nationales qui, souvent, ont pour effet de limiter les importations entre nos
deux pays. Toutes ces considérations sur les politiques d'achat ouvrent
la porte à un élargissement de l'éventail des
marchés accessibles du Québec et du Canada vers les acheteurs
publics des États-Unis.
Nous avons récemment été en mesure de constater, au
niveau du bois d'oeuvre, de la potasse, des bardeaux de cèdre et de
l'acier, que le Congrès américain est très soucieux, dans
ses interventions, de protéger les producteurs américains
particulièrement en ce qui a trait à certaines importations qui
sont jugées nuisibles à l'industrie américaine à
cause de la prétendue aide reliée à ces exportations vers
les États-Unis de la part d'organismes gouvernementaux du Canada ou du
Québec. (22 h 15)
Les États-Unis ont souvent tenté et réalisent, dans
certaines circonstances - on l'a vu pour les bardeaux de cèdre, pour le
bois d'oeuvre, pour la potasse - l'application de droits compensatoires qui ont
des effets, par comparaison, très différents sur nos entreprises
canadiennes, si on compare les effets que de telles décisions
canadiennes auraient sur des entreprises américaines.
L'entente commerciale devra prévoir des précisions
très formelles afin d'éviter, dans la plus grande mesure
possible, toute référence possible à un organisme de
règle-
ment des disputes, tout en excluant l'application au Canada des
législations américaines visant à imposer, par exemple,
des droits compensatoires ou à entraver le libre commerce entre les deux
pays lorsque ce libre commerce est considéré comme nuisible pour
une certaine partie de l'industrie américaine.
Chaque pays a son système de protection en ce qui concerne la
propriété intellectuelle. Il y aura lieu d'harmoniser ces
différents systèmes et de réviser les prévisions
légales de chaque pays relativement au droit d'auteur, au dessin
industriel, aux brevets d'invention, aux secrets de fabrique, aux marques de
commerce, le tout dans un contexte éventuellement
multilatéral.
Dans le but de protéger temporairement certaines industries
locales, l'entente bilatérale devra prévoir des conditions
appropriées pour permettre l'adaptation de certains secteurs de
production à nous, les Canadiens et les Québécois,
à ce nouveau marché de 240 000 000 de clients
éventuels.
Il appert que l'industrie du meuble résidentiel pourrait
être négativement touchée par l'entente commerciale. Les
négociateurs devront donc prévoir une période de
transition relativement longue dans le but, non seulement de protéger
les acquis des producteurs de meuble résidentiel, mais de leur permettre
de développer leur processus de production en rapport avec le nouveau
marché de 250 000 000 de clients éventuels et de devenir ainsi
concurrentiels au niveau États-Unis/Canada.
Par contre, l'industrie du meuble et des fournitures de bureau n'aura
pas à subir de tort et pourra s'adapter rapidement.
Les industries du textile qui représentent 167 000 emplois au
Canada, dont ta majorité au Québec, on devra leur accorder une
attention particulière et préciser des programmes d'adaptation
qui devront leur permettre, encore une fois, de s'adapter au nouveau
marché en respectant bien entendu également l'Arranqement
Multifibre et le dernier renouvellement de cet arrangement en 1986
jusqu'à à peu près 1992.
La construction navale connaît actuellement une période
très difficile sur le plan mondial. Cette constatation s'applique
également au Canada et au Québec. La province de Québec
contient d'importants chantiers de construction navale, plus
particulièrement à Montréal, Sorel et Lauzon, dans mon
comté.
Même si les experts en construction maritime s'accordent à
dire que nos chantiers navals ne sont pas actuellement compétitifs sur
le plan mondial, on s'accorde fort bien cependant sur le fait que nos chantiers
de construction navale sont très bien organisés pour
concurrencer, au niveau de la compétitivité et de
l'efficacité, les chantiers navals américains.
Cependant, le "Jones Act" qui protège les constructeurs de
navires américains, en prévoyant l'obligation pour tout armateur
américain qui navigue à l'intérieur des eaux territoriales
des États-Unis, d'utiliser un navire construit aux États-Unis, ce
"Jones Act" est très préjudiciable aux chantiers maritimes
canadiens et la disparition de son application sera très significative
pour les travailleurs canadiens qui oeuvrent dans la construction de
navires» Sa disparition devrait se faire à l'intérieur de
nos ententes qui devraient être signées.
Les services professionnels et commerciaux procurent de l'emploi
à plus d'un million de Canadiens et génèrent des revenus
de plusieurs milliards de dollars annuellement. L'expertise des Canadiens est
reconnue à travers le monde au niveau de la haute techbnologie, des
services d'informatique, de télécommunication,
d'ingénierie technique, de conseil en management de
télécommunication.
On sait que le Québec se situe au quatrième rang mondial
pour l'importance des effectifs reliés aux disciplines
précédemment énumérées. En 1983, 30 % du
travail de consultation au Canada était réalisé par des
entreprises québécoises. En 1987, trois des cinq plus grandes
entreprises canadiennes en consultation sont québécoises.
L'entente commerciale bilatérale consacrera un marché
acquis aux entreprises canadiennes de services professionnels et commerciaux et
leur permettra un accès beaucoup plus facile aux secteurs du
matériel de la défense et des services informatiques.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous invite à
conclure parce que...
M. Fontaine: Très bien.
Le Président (M. Charbonneau): ...le temps est presque
terminé.
M. Fontaine: M. le Président, j'aurais quelques
considérations à apporter sur l'agriculture si vous me permettez
une minute de plus. On sait que le gouvernement fédéral, dans sa
motion sur le libre-échange, a décidé de respecter les
acquis des agriculteurs. Je m'étendrai sur ce sujet au cours de la
période des questions. Je veux mentionner que le Conseil
économique du Canada a mentionné des privilèges
significatifs pour les consommateurs canadiens, une diminution des prix de 6 %
en moyenne.
Pour conclure d'une façon formelle, je dirai que le marché
américain procure actuellement aux Canadiens un emploi sur quatre. Les
effets du protectionnisme américain, à moins d'être
prévenus par une entente positive, coûteraient 500 000 emplois
à nos travailleurs et nos travailleuses canadiens. Une entente,
si elle est signée, créerait 350 000 nouveaux emplois dans un
premier temps. Seuls les Canadiens et les Canadiennes inefficaces ou qui
veulent cacher leur inefficacité peuvent être contre une entente
commerciale. Nous vivons de plus en plus dans un village mondial. Â
chacun sa spécialité et sa compétence. Les lois immuables
de la nature et de l'économie ne peuvent plus supporter les entraves. Je
vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Fontaine, je vous remercie. M. le ministre.
M. MacDonald: M. Fontaine, je vous remercie d'avoir
décidé de présenter, j'ai bien compris, à titre
personnel une étude assez détaillée des implications d'un
traité éventuel de libéralisation des échanges avec
les États-Unis. Enfin, votre document devrait probablement circuler plus
parce qu'il rend, tout en n'étant certainement pas simplet, simples
certaines notions qu'on a de la difficulté à transmettre au
public. Vous êtes clair dans la majorité de vos exposés. Il
y en a un sur lequel - vous ne m'en voudrez pas - le député de
Bertrand et moi-même sommes d'accord, c'est le domaine de
l'aérospatiale. Vous avez abordé ce sujet tout
particulièrement. Pourriez-vous nous donner une idée de ce que
pourrait représenter pour ces industries qui sont
généralement concentrées au Québec, comme vous
l'avez mentionné, et qui s'ouvriraient ou pourraient s'ouvrir sur le
marché américain... Quelles sortes de conséquences
pourrait avoir un traité de libéralisation des échanges
sur ce secteur si important de notre industrie québécoise?
M. Fontaine: Par exemple, l'industrie québécoise
dans l'avionnerie et dans la construction d'hélicoptères vient de
se mettre sur la mappemonde récemment d'une façon assez
significative. Je pense que, par l'accès aux énormes contrats des
organismes gouvernementaux américains, avec l'ingéniosité
et l'agressivité des entrepreneurs canadiens, il y a un marché
à conquérir qui est très significatif. Le quantifier
aujourd'hui, c'est un "guess" que je ne peux pas me permettre, mais c'est un
marché public de près de 750 000 000 000 $ aux États-Unis.
Je pense qu'on a d'énormes ouvertures de ce côté.
M. MacDonald: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. J'ai bien
compris, moi aussi, que vous étiez là à titre personnel et
non pour le gouvernement. Vous comprendrez que c'est curieux de voir un
député du gouvernement fédéral dans ce contexte
venir s'exprimer ici à l'Assemblée nationale. Mais, chacun ayant
ses droits, je vous remercie de l'effort et de l'apport que vous y donnez.
J'aimerais que vous m'expliquiez bien simplement comment vous pouvez
concilier cette précaution que vous avez concernant la protection de la
propriété intellectuelle que chaque pays doit s'assurer de
protéger dans votre exposé de la propriété
intellectuelle à la page 13, avec votre exposé à la page 8
où là aussi vous défendez en tant que
Québécois, j'imagine, la spécificité
québécoise. En d'autres mots, comment pouvez-vous concilier cette
propriété intellectuelle que chaque pays se doit de
protéger et la spécificité québécoise qui se
doit d'être exclue de toute entente Canada-Etats-Unis?
M. Fontaine: M. le député, je vais répondre
à votre question, mais vous m'avez fait une ouverture pour justifier un
peu ma présence ici. Ma présence ici a pour but également
de donner l'occasion à ceux qui sont ici et qui représentent les
deux partis politiques... Vous avez légiféré sous votre
gouvernement et ce gouvernement a continué de légiférer,
par exemple, le programme d'épargne-actions, le REA. Lorsque vous avez
légiféré le programme REA, vous avez
développé des assises financières à de nouvelles
entreprises et je vois aujourd'hui dans le fait que vous épaulez les
négociations bilatérales d'une façon significative que
vous êtes logique avec vos politiques antérieures et les
entreprises auxquelles vous avez permis de bonnes assises financières
vont pouvoir maintenant avoir un accès plus facile au marché
américain. C'est l'une des choses que je voulais vous dire ce soir.
Lorsque vous me parlez de la propriété intellectuelle,
vous savez que les négociations n'ont pas pour but de mettre en danger
la culture et l'aspect de la société distincte du Québec,
mais la propriété intellectuelle peut s'appliquer à autre
chose. Elle s'applique par exemple, ces temps-ci - là encore, votre
gouvernement à deux reprises, unanimement, a donné un grand appui
à mon propre gouvernement - aux brevets; la loi sur les brevets
permettrait à des entreprises d'être plus sûres en ce qui
concerne les profits à retirer de leurs découvertes par la suite.
C'est dans ce sens qu'on doit protéger la propriété
intellectuelle et les Américains désirent savoir de quelle
façon on entend la protéger. Je pense qu'ils examinent
actuellement un échantillon concernant le "Bill" C-22 qui est retenu au
Sénat.
Le Président (M. Charbonneau): M. le
député de Taschereau.
M. Leclerc: Merci, M. le Président. M. Fontaine, je
voudrais d'abord vous remercier de vous être présenté
devant nous avec un mémoire aussi bien fait. Je dois vous dire qu'on est
peu habitués en cette Chambre d'avoir des avis aussi clairs de la part
d'un député de Lévis,
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Leclerc: Cela dit et pour vous tendre une perche, parce que
j'ai bien vu que vous n'aviez pas eu le temps de vous exprimer comme vous le
vouliez sur l'agriculture, j'aimerais que vous preniez une minute ou deux pour
nous exprimer votre position sur l'agriculture.
M. Fontaine: On sait que l'agriculture est une entreprise
où on connaît beaucoup de garanties de commercialisation, de
quotas. C'est très réglementé et je pense que les
négociations concernant l'agriculture, si elles donnaient ouverture
à des applications immédiates, auraient pour effet de mettre en
péril beaucoup de nos produits agricoles, excluant les carcasses de porc
et le porc vivant. Pour le lait, il y a des quotas, pour les poulets, les
oeufs, le boeuf, etc. Dans la motion que mon gouvernement a
déposée, il a été bien convenu que les
négociations n'allaient pas toucher au système de
commercialisation actuellement en place au pays et le très honorable Joe
Clark l'a également spécifié à la Chambre des
communes et le ministre de l'Agriculture, John Wise, l'a également
spécifié parce que c'est important que les agriculteurs, les
producteurs agricoles connaissent la position du gouvernement et l'avenir des
négociations. C'est tellement important que leurs propres
créanciers, les institutions prêteuses qui avancent des fonds aux
agriculteurs, se sont questionnés et ils commencent à voir plus
clair et à comprendre que les systèmes de commercialisation ne
seront pas affectés. S'ils l'avaient été, ce sont les
prêteurs qui auraient mis les agriculteurs en grande difficulté.
Pour toutes ces raisons, les questions agricoles ne feront pas l'objet d'un
accord. Elles seront traitées ultérieurement, et c'est normal,
à l'intérieur des accords du GATT. Cela a été un
sujet qui a été proposé à la conférence de
Tokyo pour qu'on inclue les questions d'agriculture dans le GATT. Si les
questions d'agriculture sont incluses dans le GATT, cela deviendra moins
difficile pour les Canadiens de s'adapter, parce qu'on sait qu'en Europe,
lorsqu'il y a une piastre de produits agricoles, il y a 0,70 $ de subvention,
aux États-Unis, il y a 0t50 $ de subvention et au Canada, il
y a 0,16 $ de subvention. Si on faisait abstraction de tout le système
de subvention des gouvernements d'Europe et de celui des États-Unis, nos
agriculteurs canadiens seraient les gagnants. Mais cela fera partie d'ententes
dans le GATT avec 92 autres pays. (22 h 30)
M. Leclerc: M. Fontaine, vous êtes un député
de la région de Québec. Le chantier maritime de Lauzon est
situé dans votre circonscription é!ectorale, mais les
travailleurs de ce chantier proviennent de toute la région et aussi de
mon comté. Je voudrais qu'on prenne quelques instants pour regarder d'un
peu plus près votre position pour ce qui est de la construction navale.
Vous avez semblé dire qu'avec le "Jones Act", dans
l'éventualité de la ratification d'un accord, cet effort serait
tout à l'avantage des chantiers maritimes et, par conséquent, du
chantier maritime qui est situé dans votre circonscription
électorale. Cependant, les chantiers maritimes au Canada sont fortement
subventionnés. Les chantiers maritimes bénéficient d'un
préjugé fort favorable du gouvernement fédéral qui
leur donne des contrats et, parfois, sans soumission. J'aimerais que vous
expliquiez votre point de vue parce que ce que j'ai compris enfin, c'est que
vous êtes certain que l'accord sur le libre-échange ne serait
favorable qu'aux chantiers maritimes canadiens. Je vous avoue que j'aimerais
avoir un peu plus d'éclaircissement là-dessus.
M. Fontaine: Je vous remercie beaucoup de penser à mes
chantiers. Vous y pensez ce soir et c'est pour moi l'occasion également
de rendre hommaqe au gouvernement, à la province de Québec, qui a
bien voulu s'impliquer au mois de mars 1987. M. MacDonald était
d'ailleurs présent. Au mois de mars 1987, la province de Québec,
par l'entremise d'une de ses compagnies publiques qui s'appelle la
Société générale de financement et d'une filiale de
cette dernière, Marine Industrie, a décidé d'acheter des
commandes parce que les actifs, à ce moment-là, étaient
des actifs en potentiel. Elle a décidé de s'impliquer, d'y mettre
de l'argent, de réorganiser et de développer des meilleures
assises, des immobilisations additionnelles, de spécialiser les
chantiers de Montréal, Sorel et Lauzon. Votre implication de ce soir...
mais l'autre a été pour moi très importante parce qu'elle
a assuré 1300 emplois en permanence. Ce sont peut-être les 1300
qu'on veut avoir à Montréal avec l'industrie pharmaceutique. Vous
me permettrez de faire de la politique de temps en temps. C'est quasiment mon
métier, M. Leclerc.
Si l'entente bilatérale est signée, les entraves au
commerce disparaissant, le "Jones Act" doit disparaître. Avant son
apparition, nous étions compétitifs et le niveau de
compétitivité des Américains et des Canadiens dans le
domaine de la
construction de navires est à peu près semblable. Lorsque
nous pourrons soumissionner sans cette entrave du "Jones Act", on pourra
obtenir des contrats de ceux qui font le commerce de navires et du transport
dans les eaux intérieures des États-Unis et cela va certainement
nous faire avoir des commandes additionnelles à Lauzon, à
Montréal, à Sorel, dans le Québec et dans le Canada.
Le Président (M. Charbonneau): On va respecter
l'alternance. J'ai seulement deux brefs commentaires à faire avant de
donner la parole à un autre collègue. Comme vous y êtes
sans doute habitués depuis le début de ces travaux, le
président intervient et c'est à mon tour cette fois-ci.
Un premier commentaire. J'ai été un peu surpris, M.
Fontaine, de vous entendre tantôt quand vous avez dit: Finalement, seuls
les gens inefficaces sont contre le libre-échange. J'ai l'impression que
c'est un peu vite comme affirmation. Je pense qu'il y a beaucoup d'entreprises
qui sont actuellement craintives, vulnérables, et leurs craintes n'ont
rien à voir avec leur inefficacité ou leur efficacité. Je
pense qu'elles ont des raisons très objectives de craindre compte tenu
de leur situation, de leur capacité de concurrence à court terme
et des difficultés historiques, parfois, de certains secteurs
industriels du Québec d'avoir pu se développer comparativement
à d'autres régions du Canada. Je pensais simplement à
l'Ontario.
Deuxièmement, je crois qu'il y a bien des travailleurs et des
travailleuses qui sont inquiets, à juste titre. Pas parce qu'ils sont
inefficaces dans leur entreprise, mais simplement parce qu'ils se demandent si
ce ne sont pas eux qui vont payer la note. Toutes les études nous
l'indiquent, tout le monde qui a fait des études s'est entendu sur le
fait qu'il y aurait des perdants. On nous dit: II y aura plus de gagnants que
de perdants. Mais le problème, c'est qu'on nous a dit aussi qu'il y aura
des perdants. Personne ne peut dire exactement qui seront ces
perdants-là. Ce sont des pères et des mères de famille qui
travaillent, qui ne veulent pas payer la note et qui ne veulent pas se
retrouver à 50 ans en recyclage sur les bancs d'école sans
nécessairement avoir la garantie qu'après coup ils retrouveront
un emploi rémunérateur pour pouvoir faire vivre leur famille. Je
pense que c'est important et c'est à cet égard que j'introduis
mon deuxième commentaire. Ce qui m'étonne de la part de votre
gouvernement, vous l'avez qualifié comme ça... Vous conviendrez
avec moi que vous êtes plus un...
M. Fontaine: ...leader.
Le Président (M. Charbonneau): C'est ça. Vous
maintenez ce qouvernement au pouvoir comme je l'ai fait quand j'étais
député ministériel non ministre. Le gouvernement
conservateur pas plus que le gouvernement libéral actuellement n'a
entrepris de démarche pour mettre en place des politiques pour
l'adaptation de la main-d'oeuvre. Rien n'a été amorcé ni
pour la mise en place de programmes qui suivraient un accord de
libre-échange, ni pour le financement, même partagé, de ces
mesures-là. Dans ce sens-là, on ne parle même pas du
problème constitutionnel de la juridiction du Québec dans le
domaine de la formation professionnelle.
Comment peut-on venir faire un plaidoyer pour le libre-échange
sans nous donner l'assurance qu'un minimum de choses doivent être faites?
...ces choses-là ont été faites alors que, on le sait
très bien, ces choses-là n'ont pas été faites. Je
vous rappelle simplement toute la question de la préparation de la
main-d'oeuvre. Qu'est-ce qui se fait au niveau du gouvernement
fédéral qui ne serait pas connu, qui n'aurait pas
été dévoilé jusqu'à maintenant et qui
pourrait nous rassurer et rassurer, finalement, les travailleurs et
travailleuses du Québec quant aux conséquences éventuelles
d'un accord de libre-échange?
M. Fontaine: Vous avez raison lorsque vous dites qu'il y a des
craintes de la part de certaines entreprises qui se sentent vulnérables.
Il faut dire également qu'il y a des gagnants en quantité
beaucoup plus importante au niveau des consommateurs. Je répète
que les consommateurs sortent toujours gagnants d'une négociation
réussie.
En ce qui concerne les manufacturiers, ceux qui sont dans le processus
de production, il y a 6 secteurs sur 30 définis par Statistique Canada
qui sont supposés connaître des difficultés. Les
négociateurs canadiens négocient pour le Canada. Il est sûr
que dans leur négociation ils et elles conviendront des processus
d'adaptation qui s'étendront sur un certain nombre d'années. Ils
tiendront compte également des responsabilités constitutionnelles
des provinces et du Québec en particulier en ce qui concerne la
formation professionnelle, etc. Ce sont des étapes qui seront
conséquentes à une entente nécessaire. Une fois que ces
entreprises auront reçu une aide substantielle également
demandée par la province de Québec, une aide de transition et
d'adaptation, je pense qu'ensuite tout l'intérêt des entreprises
canadiennes n'en sera que mieux servi.
Le Président (M. Charbonneau): J'espère simplement
que, si tel était le cas, si l'accord intervenait, les fonds
fédéraux existeront pour financer ces programmes-là.
M. le député de Vanter.
M. Lemieux: M. le Président... Est-ce que cela va, M. le
député de Roberval? Oui, très bien, M. le
député de Roberval, malgré l'heure tardive. M. le
député de Lévis, effectivement votre mémoire est
très intéressant parce que, dans un premier temps, il reprend
peut-être les grands objectifs visés par les négociations,
mécanismes de règlements de différends, mesures de
protection exceptionnelle. Il est aussi intéressant parce que vous nous
suggérez quand même un mécanisme de règlement ' des
différends par la mise en place d'un organisme bilatéral. Vous
nous proposez aussi l'abolition de certaines barrières
interprovinciales. Vous faites un survol général du
libre-échange sur certains secteurs économiques. On pense
à l'industrie du meuble, du textile ou du vêtement comme tel.
Je dois vous avouer que, et je le dis bien objectivement, je ne suis pas
habitué à autant de profondeur, devrais-je dire de logique, de
cohérence de la part, dirais-je entre guillemets, "de votre homonyme"
qui se situe sur la rive sud et qui siège au provincial.
M. Gauthier: S'il vous plaît, M. le Président.
Question de règlement.
M. Lemieux: Je n'ai pas terminé, M. le
député de Roberval.
M. Gauthier: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Charbonneau): Oui. Allez-y.
M. Gauthier: M. le Président, il m'apparaît que
c'est la deuxième fois qu'un député de la formation
ministérielle ce soir, sans aucune espèce de raison, s'en prend
au représentant des citoyens de Lévis à l'Assemblée
nationale. D'autant plus qu'ils le font absolument gratuitement sans aucune
espèce de motivation à ce moment-ci sinon celle de profiter
peut-être des caméras de télévision qui ne leur
appartiennent pas assez souvent pour essayer de faire ce qu'on n'avait pas fait
depuis le début de la commission parlementaire et ce qu'on n'a pas
l'intention de faire de ce côté-ci, c'est-à-dire profiter
du sérieux du travail de cette commission pour porter ce qu'on appelle
des coups bas ici, en commission parlementaire, qui n'ont absolument rien
à voir avec la nature de nos travaux, qui n'intéressent
probablement pas M. Fontaine.
M. Lemieux: M. le Président, sur la question de
règlement.
Le Président (M. Charbonneau): Oui, sur la question de
règlement, je vous inviterais à...
M. Lemieux: Sur la question de règlement, écoutez,
je rejoins les préoccupations du député de Roberval. Je
suis complètement en accord avec lui sauf que, instinctivement, je ne
suis pas habitué à cela. On procède sans démagogie,
tout simplement et sans politicaillerie. Je rejoins le député de
Roberval sur son argumentation. Je pense que nous nous devons de conserver ce
haut niveau de professionalisme que la commission a connu.
Le Président (M. Charbonneau): Je vnus inviterais de part
et d'autre à ne pas faire indirectement ce qu'on ne veut pas faire
directement. Je pense qu'on s'est entendu dès le départ de la
commission qu'il n'y aurait pas de partisanerie inutile et mesquine. Je pense
que le ministre et les critiques s'étaient déclarés pour
une approche comme celle-là. Jusqu'à maintenant, cela s'est bien
déroulé, mais je pense que par ailleurs il faut aussi respecter
nos collèques qui ne sont pas ici pour se défendre. Il ne s'agit
pas de faire de3 attaques indirectes quand les gens ne sont pas capables
d'être ici pour se défendre.
M. Lemieux: Je suis pleinement d'accord avec vous.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Vanier, vous êtes vous-même président d'une commission.
Alors, je demanderais votre collaboration pour que vos propos concernent
directement le sujet qui est devant nous.
M. Lemieux: Je suis pleinement d'accord avec vous, M. le
Président. Si dans ce cas on en arrivait à une chose pareille en
ce qui me concerne je trouverais cela odieux, permettez-moi de vous le
dire.
J'aimerais peut-être vous poser une question, M. le
député de Lévis, M. Lafontaine. Croyez-vous que le statu
quo est possible si les négociations comme telles ne donnaient pas les
résultats escomptés?
M. Fontaine: M. Lemieux, mon nom c'est Fontaine.
M. Lemieux: M. le député de Lévis, oui, M.
Fontaine. Ce que je vous demande, M. Fontaine, M. le député de
Lévis, c'est: Est-ce qu'effectivement...
M. Fontaine: Oui, je vais... C'est parce que vous avez dit: M.
Lafontaine.
M. Lemieux: Ah! Je m'excuse.
M. Fontaine: C'est simplement pour corriger. Je pense que, si les
négociations
n'aboutissent pas d'une façon concluante et positive,
c'est-à-dire à une signature dans le sens qu'on le désire
actuellement, en plus d'avoir des droits compensatoires qui se sont
appliqués sur le bois d'oeuvre, sur le bardeau de cèdre, sur la
potasse, vous savez qu'actuellement aux États-Unis, cette semaine, parmi
les sénateurs et parmi les congressistes, on est en train de choisir des
représentants de ces deux Chambres-là pour obtenir un consensus
sur le fameux "Trade Bill" qui va être une nouvelle loi très
protectionniste qui serait présentée à l'administration
à la fin du mois de septembre. Le "Trade Bill" va développer
d'énormes assises additionnelles pour que les Américains puissent
prendre des mesures de protection contre l'importation de produits, il va
ouvrir toutes sortes de portes. Non seulement ça devient des
possibilités offertes par une loi protectionniste, mais, dans certains
cas, si le "Trade Bill" passe, il y aura obligation de la part des
législateurs de prendre des mesures.
Par exemple, il y a une porte ouverte dans le "Trade Bill": si un
commerce entre deux pays est trop excédentaire pendant un certain temps
en faveur, par exemple, du Canada versus les États-Unis, sans aucune
autre raison le "Trade Bill" prévoirait immédiatement des mesures
compensatoires même s'il n'y a pas de subventions, même si c'est
juste dû à la supériorité du processus de production
des Canadiens. (22 h 45)
Alors, si on n'aboutit pas dans nos négociations, il y a le
"Trade Bill", il y a aussi les mesures compensatoires, les mesures de
sauvegarde. Il y a un danger, d'après le Conseil économique du
Canada. On sait qu'il y a un travailleur sur quatre - on a 11 000 000 de
travailleurs au Canada, ça veut dire à peu près 2 900 000
- qui travaille parce qu'on exporte. Si on ne signait pas d'entente, à
cause du réveil américain... Ils ont 15 000 000 000 $ par mois de
ce temps-ci de déficit, 170 000 000 000$ par année. Alors, ils
veulent l'arrêter, ce déficit entre leurs exportations et leurs
importations. Ils vont prendre les moyens. Et, dans notre négociation
actuellement, premièrement, c'est très important de
protéger nos acquis à travers le Canada et au Québec
également. C'est essentiel.
M. Lemieux: Merci, M. Fontaine.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le
député de Roberval.
M. Gauthier: Merci, M. le Président. M. Fontaine, à
la page 9 de votre mémoire, vous faites état des entraves au
commerce entre les provinces et je me permets de vous citer: "La conclusion
d'une entente commerciale avec les Américains devra permettre, en
parallèle, la disparition graduelle, mais définitive de toute
entrave légale ou réglementée au commerce de l'est
à l'ouest du Canada ou de l'ouest à l'est du Canada".
M. Fontaine, parmi ces entraves, vous en identifiez un certain nombre
et, entre autres, le décret de la construction du Québec,
l'Office des professions du Québec, la législation du travail,
entre autres, du Québec qui est particulière, les critères
de protection du consommateur, les critères de mobilité des
travailleurs. M. Fontaine, à votre point de vue - c'est votre point de
vue personnel, ce n'est pas celui du gouvernement, j'imagine - est-ce que vous
en faites une condition sine qua non, c'est-à-dire que, si on veut qu'un
traité de libre-échange fonctionne avec les États-Unis, il
faut absolument en arriver à l'abolition de ce que vous appelez des
entraves au commerce interprovincial?
M. Fontaine: M. le député de Roberval, d'abord,
lorsque je parle des entraves et que je donne des exemples, je donne des
exemples du Québec; vous me permettrez de connaître mieux le
Québec que les autres provinces, même si je suis un
député fédéral. Alors, c'est pour cela que j'ai
donné des exemples d'ici, mais je ne qualifiais pas l'opportunité
de telle ou telle chose par comparaison avec une autre entrave
éventuelle qui viendrait d'une autre province.
On négocie avec les États-Unis et le but de nos
négociations, c'est d'enlever les tarifs, d'enlever les entraves du nord
au sud. Parce que de plus en plus on vit, nous du monde occidental, dans un
grand village où il y a des habiletés qui sont reliées
à des situations géographiques, de climat, etc., alors ça
aussi, c'est vrai de l'est à l'ouest. Si on admet qu'il faut
éliminer les entraves du nord au sud pour se donner un marché, il
faut admettre aussi qu'il y a des compétences, dans certaines parties du
pays, plus grandes pour certaines sortes de productions. Alors, c'est pour cela
qu'il faut, à un moment donné, diminuer d'une façon
progressive, bien orchestrée et bien articulée pour ne faire de
plaie incurable à personne... De la même façon que je
conseille des procédures d'adaptation pour les industries, il faut
également planifier sur un certain nombre d'années des mesures
favorisant la disparition des réglementations différentes entre
les provinces, autrement dit, des entraves au processus de production
provincial.
M. Gauthier: M. Fontaine, si vous le permettez, un traité
de libre-échange tel que préconisé par le gouvernement
canadien fait état de l'abolition des tarifs douaniers et des
barrières qui, actuellement, perturbent en
quelque sorte le commerce entre les deux pays. Mais en aucun temps je
n'avais compris - et je ne sais pas si c'est là votre
compréhension - qu'un traité de libre-échange entre le
Canada et les États-Unis amènerait les États-Unis, par
exemple, ou les États américains à changer les
réglementations qui leur sont propres et qui sont souvent des acquis de
plusieurs années et d'une évolution bien différente d'un
État à l'autre. Je n'avais pas compris que les exigences
canadiennes pourraient être d'amener les États entre eux à
abolir des réglementations, des faits de la vie courante qui sont le
résultat de législations de plusieurs années
passées. De même, je n'avais pas compris que cela impliquait au
Canada que les provinces se préparent - je ne sais pas si le ministre du
Commerce extérieur l'avait compris comme cela - à éliminer
un paquet de législations qui sont aussi le fruit d'une évolution
et, dans le cas du Québec, du caractère propre de la
société québécoise qui n'a pas
nécessairement évolué avec exactement les mêmes
priorités que les autres sociétés des autres provinces du
Canada qui ont peut-être des préoccupations d'ordre
différent.
Est-ce là vraiment la compréhension qu'on doit avoir,
selon vous, d'un traité de libre-échange?
M. Fontaine: Oans le mémoire, il y a une certaine partie
que je n'ai pas pu lire, mais je parie également du fait que les
Américains, eux aussi, devront procéder à une
révision de leurs législations dans certains États. Par
exemple, en ce qui concerne les investissements et finances, on a un cas
pratique aujourd'hui: la Banque de Montréal achète une firme de
courtage canadienne qui s'appelle Nesbitt Thomson et aux États-Unis. Or,
on ne peut pas permettre qu'une banque ait des activités dans deux Etats
et cela implique que Nesbitt Thomson devra vendre une de ses filiales aux
États-Unis pour satisfaire à des règlements entre
États aux États-Unis.
Si ici on ne modifie pas certains règlements provinciaux, par
exemple, en ce qui concerne les brasseries, si on ne permet pas à une
brasserie de centraliser ses opérations, de les rationaliser davantage,
ce sera difficile pour cette brasserie quelle qu'elle soit de concurrencer la
brasserie américaine dans le contexte du libre-échange. Alors,
c'est dans ce sens-là qu'il va falloir repenser nos législations
respectives d'une province à l'autre pour permettre à nos
entreprises de devenir compétitives versus la grosse clientèle de
250 000 000 d'Américains.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, peut-être en conclusion
étant donné que l'heure passe assez rapidement. Sur les
commentaires que vous apportez à la page 10, j'ai beaucoup de
préoccupation quant à la politique d'achat. Vous mentionnez
qu'à toutes fins utiles, à la suite d'une entente
bilatérale canado-américaine, on devra laisser tomber nos
politiques favorisant les achats locaux. Je me permets juste de vous dire que
j'ai beaucoup de préoccupation, je ne peux pas être en accord avec
vous.
En terminant, étant donné que le temps est à peu
près écoulé, M. Fontaine, puisque vous semblez être
bien au fait - d'ailleurs, on en a appris plus ce soir sur l'état des
négociations que le ministre a pu nous en dire depuis 18 mois, je suis
persuadé, que vous auriez avantage à rester avec nous tout au
cours de la commission parce que vous nous tenez au courant de ce qui est en
train de se négocier et je suis sûr que vous allez avoir des
entretiens très fructueux avec le ministre - pensez-vous qu'il va y
avoir un traité dans dix-sept jours, selon vous, en tant que
député?
M. Fontaine: Oui. Je vous remercie de me l'avoir soufflé,
mais je pensais réellement qu'il y en aurait un, certainement. Je suis
optimiste. Le gros point qui restait, c'était le fameux organisme de
règlement des disputes. Il semble y avoir, depuis une couple de jours,
une ouverture significative. Deuxièmement, j'ai été
très flatté par le dernier éditorial du Wall Street
Journal qui commente le développement des négociations. Je pense
que c'est un média très important aux États-Unis et que
son implication dans le déroulement des quinze prochains jours peut
avoir une influence. Cela nous manifeste que les Américains sont, eux
aussi, très intéressés à faire affaire avec nous
à l'intérieur d'une nouvelle entente. C'est utile pour eux, pour
conserver 20 % de leurs exportations. 20 % de 400 000 000 000 $, c'est
déjà important. C'est utile dans les négociations du GATT
d'ici quelques années. C'est utile aussi parce que nous sommes des amis
et cela développe et cela cimente une amitié qui doit
continuer.
Moi aussi, je dois tous vous remercier, messieurs du Quéhec, et,
si cela vous adonne de passer à Ottawa, n'hésitez pas; nous
aussi, nous sommes très accueillants et on va être aimables pour
vous autres.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Fontaine, vous qui êtes aussi un monsieur du Québec, mais
qui nous représentez à un autre niveau de gouvernement, nous vous
remercions de cette participation à nos travaux. Pour ma part, c'est une
première. Cela fait onze ans que je siège à
l'Assemblée nationale et je pense que c'est la première fois que
je vois un de nos collègues, comme j'ai l'habitude de le dire
à
la blague, d'outre-frontières, venir devant nous
témoigner. Je vous remercie d'avoir pris la peine de faire cet exercice,
en espérant peut-être que cette première sera imitée
à d'autres moments et sur d'autres sujets.
Sur ce, les travaux de la commission sont ajournés - je pense que
tout le monde est d'accord - à demain, 10 heures, alors que nous aurons
une journée chargée. Bonne nuit, tout le monde.
(Fin de la séance à 22 h 55)