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(Dix heures quatre minutes)
Le Président (M. Théorêt): À l'ordre,
s'il vous plaît! Je vous rappelle le mandat de la commission de
l'économie et du travail ce matin qui est l'interpellation du
député de Bertrand au ministre du Commerce extérieur et du
Développement technologique sur le sujet suivant: le dossier du
libre-échange. M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
Le Secrétaire: Oui, M. le Président. II y a deux
remplacements: M. Charbonneau (Verchères) est remplacé par M.
Boulerice (Saint-Jacques) et M. Leclerc (Taschereau) est remplacé par M.
Lemieux (Vanier).
Le Président (M. Théorêt): Merci. Je vous
rappelle les règles qui vont prévaloir durant cette
interpellation. Le député qui a donné l'avis
d'interpellation intervient le premier pendant dix minutes, le ministre
interpellé intervient ensuite pendant dix minutes. Il y a ensuite
alternance dans les interventions: un député de l'Opposition, le
ministre, un député du groupe formant le gouvernement. Chaque
intervenant a un temps de parole de cinq minutes au cours du débat. Si
un intervenant utilise moins de cinq minutes, le temps non utilisé est
perdu et on passe la parole à un député d'un autre groupe
parlementaire. Vingt minutes avant la fin de la séance, je vous le
rappellerai et j'accorderai un dernier temps de parole de dix minutes au
ministre et dix minutes à l'interpellant. M. le député de
Bertrand.
Exposé du sujet M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Sans perdre
de temps, on va immédiatement enclencher ce qu'on appelle la
procédure d'interpellation. Ce matin, pour nous ici, de l'Opposition, et
en tant que porte-parole officiel en cette matière de
libre-échange, j'aimerais dire que l'interpellation se veut le
déclenchement d'une offensive et même d'une vaste offensive que
nous entreprenons sur la question du libre-échange. Je tiens à
préciser immédiatement que ce n'est pas une offensive contre le
gouvernement, c'est une offensive avec le gouvernement, mais à la
condition qu'il accepte d'ouvrir le débat, qu'il accepte de mettre
toutes les cartes sur la table et qu'il accepte de travailler de concert avec
nous. Sinon, on se verra contraints, bien sûr, de lutter pour obtenir ces
choses-là. Je pense qu'il est trop important - et je tiens à le
souligner ici au ministre du Commerce extérieur et du
Développement technologique responsable de ce dossier - que les enjeux,
l'avenir économique du Québec est trop important pour que nous
ayons à lutter l'un contre l'autre. Je pense que l'Opposition officielle
a un travail à faire qui est celui de veiller aux intérêts
qui se passent au Québec et veiller à ce que le gouvernement
fasse bien son travail. C'est un peu dans cet esprit que je m'inscris et que va
se dérouler l'interpellation et aussi les prochaines démarches
qui suivront au cours des prochaines semaines.
Ce qu'il faut savoir, M. le Président, pour bien situer le
contexte, c'est qu'il y a un échéancier très serré
de par la procédure américaine qui s'appelle le "fast track
procedure", le 3 janvier 1988. Dans à peine sept mois, le Congrès
américain acceptera ou rejettera en bloc tout le traité du
libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Quatre-vinqt-dix
jours avant, soit le 4 octobre 1987, tout devra être signé, conclu
entre le Canada et les États-Unis. Donc, M. le Président, il faut
être conscient qu'il y a un compte à rebours de commencé et
nous sommes à peine à seize semaines, soit les quatre prochains
mois, de conclure une entente entre le Canada et les États-Unis.
Je voudrais que ce débat d'aujourd'hui, M. le Président,
de même que ceux qui suivront s'élèvent au-dessus de toute
partisanerie politique, si la chose est possible. Quant à moi, je peux
vous assurer d'une ouverture d'esprit et d'une collaboration.
D'ailleurs, dans cet esprit, M. le Président, la position
officielle du Parti québécois et de l'Opposition ici, a
l'Assemblée nationale, s'est voulue une attitude positive, à
savoir: nous disons oui au libre-échange par rapport à ce qu'il
peut représenter pour l'avenir économique du Québec, mais
nous disons oui à certaines conditions et, comme l'ont traduit certains
médias: Oui, mais, et les "mais" sont très importants.
Je pense que ceux qui, à ce jour, ont rejeté du revers de
la main ou accepté d'un coup de main rapide de dire non au libre-
échange ou oui très facilement, me portent à me
poser beaucoup de questions. Si on est impliqué déjà
depuis un peu plus d'un an dans ce dossier et qu'on le suit de façon
particulièrement intensive au cours des derniers mois, je peux vous
dire, M. le Président, que plus on fouille dans ce dossier et plus on
entre dans les détails, plus on est inquiet. Je demeure quand même
optimiste, pour autant qu'on décide d'ouvrir les débats. Je
pense, à la suite de la demande que j'ai faite ce matin en tant que
critique en cette matière pour ouvrir le débat, que le ministre
de même que le gouvernement accepteront d'ouvrir vraiment le
débat. Comme je l'ai mentionné, à quelques semaines d'un
échéancier très serré et de par les informations
que nous avons qui sont très restreintes à ce jour, on se trouve
très mal situé, à savoir où on s'en va exactement,
pour autant que le Québec est concerné.
Ce qu'il faut bien comprendre, M. le Président, c'est que le
Canada négocie avec les États-Unis et que le Québec doit
s'assurer que dans cette négociation, il y ait toutes les
recommandations et spécificités à retenir et il faut
s'assurer que le Québec en fasse la demande.
Nous traiterons ce matin de différents secteurs ou aspects et le
plan de travail est le suivant: Deux " de mes collègues interviendront
pour une période de cinq minutes, soit mon collègue dans le
domaine de la culture et mon collègue dans le domaine de l'agriculture.
Quant à moi, j'axerai mon intervention sur différents domaines,
particulièrement les domaines des ressources naturelles, des services et
des investissements. Je terminerai avec cette recommandation
particulière que j'aimerais apporter au gouvernement.
Le document déposé il y a quelques semaines par le
ministre du Commerce extérieur est un document qui est un peu une toile
de fond et pour l'avoir consulté et consulté, il ne nous apporte
rien vraiment de neuf quant aux orientations et nous apprend très peu
quant à l'attitude du gouvernement dans ses revendications
vis-à-vis du gouvernement fédéral. Il faut être
conscient que nous n'avons pas directement voix au chapitre et qu'ici
l'Assemblée nationale, qui est celle qui représente les
intérêts du Québec, devra d'une certaine façon
être capable d'être consultée.
Ce qu'il faut aussi savoir en débutant ce débat que je
veux constructif, et je le répète, c'est que l'on parle beaucoup
de libre-échange, de libéralisation des échanges, mais je
ne pense pas que de ce côté-ci ni de l'autre côté
nous ayons la conviction, de quelque façon que ce soit, que l'on puisse
arriver à un traité complet de libre-échange,
c'est-à-dire qu'il n'y aurait aucune barrière tarifaire de part
et d'autre. Il ne faut pas se leurrer et je ne pense pas que ce soit la
volonté d'un côté et de l'autre de la Chambre, la
même chose pour la position canadienne.
Il faut quand même réaliser qu'il y a déjà 80
% de nos exportations, soit le montant d'environ 165 000 000 000 $, qui se font
entre le Canada et les États-Unis, 80 % de ce chiffre se font
déjà avec franchises, c'est-à-dire dans un marché
de libre-échanqe, et que tous les adeptes du libre-échanqe
inconditionnel réalisent que déjà nous avons une large
partie de notre commerce avec les États-Unis qui se fait en franchises.
Donc, lorsqu'on parle de libre-échange, de nouvelles attitudes et de
nouvelles choses à négocier, il s'agit actuellement de ces fameux
20 %, mais Dieu sait quels 20 % importants puisqu'ils concernent des domaines
très spécifiques.
Cette négociation est complexe et à cause du fait que le
débat n'a vraiment pas été ouvert jusqu'à
maintenant, n'a pas été mis sur la place publique et s'est fait
à travers des comités, aujourd'hui, on doit dépasser le
cadre de ces comités. Ce n'est pas que je n'ai pas de respect pour les
fonctionnaires qui sont dans ces comités de négociations, mais je
pense que les élus, ceux qui sont là pour représenter les
intérêts de la population du Québec, sont là aussi
pour avoir un mot à dire et j'ai déjà été
suffisamment clair envers le ministre et le gouvernement quant à
l'ouverture du débat.
La vraie question qu'il faut poser ce matin - et elle met un peu le
débat dans un autre sens - c'est: Pourquoi les États-Unis
veulent-ils à tout prix un libre-échange? Pourquoi les
États-Unis veulent-ils signer un traité de libre-échange
et cela à peu près à tout prix? Essentiellement, et sans
entrer dans les détails, je vous dirai que les États-Unis sont
terriblement isolés sur le plan commercial. Leur balance commerciale est
déficitaire et, en ce sens-là, être capable de venir
à bout d'un traité avec le Canada, qui est un partenaire
important, serait une ouverture extraordinaire pour les prochaines
négociations du GATT. Dans certains domaines - et j'y reviendrai plus
tard -particulièrement dans le domaine des services qui
représentent une activité commerciale américaine
importante aux États-Unis, soit 70 % du total de leurs activités,
cet aspect de négociations sur le plan des services se veut une
percée importante au Canada, Cette entente étant conclue sur cet
aspect, ils pourront définitivement ouvrir les négociations du
GATT avec d'autres pays dans le même sens.
Dans ces préliminaires, je me dois de bien situer le
débat, parce qu'on a un peu l'impression de parler sondage des gens en
général, y compris le monde des affaires, quoique l'on commence
à voir depuis une semaine, dix jours, des bémols dans ce
sens-là. Je lisais justement un énoncé de la posi-
tion du Conseil du patronat ce matin, M. Ghislain Dufour, dans La Presse
qui disait: Oui au libre-échange. Oui, mais avec aussi des bémols
de ce côté-là, parce qu'il y a des préoccupations.
Il faudra toujours se souvenir que la priorité numéro un du
président des États-Unis, M. Reagan, confirmée encore la
semaine dernière, c'est de faire un traité avec le Canada; la
question est de savoir pourquoi. Merci, M. le Président. (10 h 15)
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
critique officiel et député de Bertrand. M. le ministre du
Commerce extérieur et du Développement technologique.
Réponse du ministre M. Pierre MacDonald
M. MacDonald: M. le Président, c'est avec grand plaisir
que j'ai accueilli la demande d'interpellation du député de
Bertrand, afin de discuter ensemble et publiquement du dossier de la
libéralisation des échanges tant, si vous le voulez bien, M. le
député, dans un contexte bilatéral, eu égard
à la négociation avec les États-Unis, que dans le contexte
multilatéral du GATT qu'on ne peut séparer des
négociations américaines, de toute façon.
Je suis d'autant plus heureux d'entendre les paroles du
député de Bertrand que, en faisant un petit rappel historique de
notre implication dans le dossier, je me rappelle bien lui avoir dit, au tout
début, en décembre 1985, après que le premier ministre a
bien voulu me confier ce dossier, que j'avais l'intention, justement, de
traiter ce dossier d'une façon non partisane, au-delà des partis
pris, qu'il fallait le faire d'une façon professionnelle, que les
études que nous aurions à entreprendre, les lectures que nous
aurions à faire, les rencontres multiples allaient représenter un
travail énorme, un travail qui, cependant, devait se faire, parce que
traité ou pas avec les États-Unis, de toute façon, le
Canada et la province de Québec étant très ouverts sur le
reste du monde, dépendant de leurs exportations pour la qualité
de vie que nous connaissons, il fallait absolument qu'on se penche de plus en
plus sur notre capacité d'exporter aujourd'hui, mais encore plus
particulièrement sur ce que cette capacité sera demain.
Vous vous rappellerez, M. le Président, que, dès le
départ, nous avions à faire face à un débat
lancé à Québec en mars 1985, un débat lancé
par le gouvernement canadien, réalisant, comme le reste du monde,
d'ailleurs, qu'un climat de protectionnisme s'établissait aux
États-Unis avec une virulence qu'on n'avait jamais connue dans les temps
modernes. Il y avait une atmosphère autour du Congrès à
Washington qui ne faisait aucune différence entre les pays amis,
collaborateurs, le plus grand partenaire commercial que représente le
Canada vis-à-vis des États-Unis, et d'autres pays qui,
peut-être, pour des raisons qui sont les leurs, montraient un peu moins
de scrupules dans leur commerce avec notre grand voisin du Sud.
Nous avons réalisé que nous ne pouvions échapper
à cet esprit de protectionnisme et qu'en conséquence il fallait
prendre les mesures nécessaires non seulement pour y faire face
aujourd'hui mais pour s'assurer que, advenant que ledit climat se continue au
cours des années, des effets néfastes ne viennent pas nous
troubler dans deux ans, dans trois ans et dans cinq ans. En conséquence,
il y a lieu d'envisager d'ouvrir avec les États-Unis - ce qui avait
déjà été tenté, d'ailleurs - une
négociation de façon à encadrer plus formellement, d'une
façon plus rationnelle, les relations des deux plus grands partenaires
commerciaux au monde.
Du côté de la province de Québec, nous avons
décidé de faire preuve du professionnalisme nécessaire
dans ce genre de dossier et de faire appel non seulement à toutes les
ressources du gouvernement dans tous les ministères qui pouvaient
être concernés par une telle négociation, mais
également de faire appel à des ressources extérieures, en
formant, d'abord, un comité "aviseur" présidé par une des
personnes les plus compétentes dans le domaine des transactions
commerciales internationales ou du commerce international, c'est-à-dire
M. Jake Warren, qui a bien accepté non seulement de venir
présider le comité "aviseur" mais également d'agir comme
principal conseiller du gouvernement dans la matière.
Nous sommes très satisfaits de la collaboration que nous avons su
établir à l'intérieur du gouvernement et nous sommes
éqalement très satisfaits de la collaboration que nous avons
offerte au député de Bertrand et à l'Opposition dès
le début sur le fait de partager avec tous les gens concernés les
détails de ce dossier à l'intérieur,
nécessairement, des éléments de confidentialité qui
entourent une négociation. Il ne saurait être - je me permets de
reprendre ces paroles du député de Bertrand - de partisanerie
politique pour un dossier aussi important pour l'avenir du Québec et il
faut absolument que, de part et d'autre, nous recherchions la collaboration, la
contribution de toutes les personnes, de tous les milieux du Québec qui
ont quelque chose à apporter au dossier.
M. le Président, dans ce contexte, nous avons aqi avec une
ouverture unique, tant au Canada qu'aux États-Unis, sur ce dossier. Le
document que nous avons publié, qui s'appelle La libéralisation
des échanges avec les États-Unis, est le document le plus
important et le plus complet que quelque gouvernement que ce soit,
fédéral, provincial, les États ou le
gouvernement fédéral américain, ait publié
sur le sujet.
L'ouverture du comité Warren vis-à-vis du public, cette
ouverture que nous avions annoncée à travers la province,
à savoir que qui que ce soit voulant apporter quelque chose au dossier
pouvait se présenter devant le comité Warren, a
résulté en des dizaines et des dizaines de groupes: favorables,
se posant des questions ou non favorables à un traité de
libre-échange. Ces groupes, dis-je, se sont présentés ou
vont se présenter devant le comité Warren et leurs paroles sont
écoutées, sont prises en considération, sont parties
très souvent de la position du Québec dans son travail avec ses
partenaires canadiens dans le but d'établir une position de
négociations canadiennes vis-à-vis des États-Unis et dans
ce suivi que l'on fait régulièrement.
J'ai demandé à quelques collègues de m'accompagner
aujourd'hui et de traiter plus précisément de certains aspects.
Le député de Rosemont et mon adjoint parlementaire, le Dr Rivard,
va prendre l'occasion qui lui est offerte pour parler des motivations du
gouvernement du Québec et du gouvernement du Canada à entretenir
ces négociations avec les États-Unis tant sur un plan positif que
sur un plan défensif, c'est-à-dire cette protection qu'on cherche
à se donner vis-à-vis de la montée protectionniste
américaine. Nous allons parler de notre participation active à la
formation du groupe canadien, à la préparation du mandat. Nous
allons demander à notre collègue, le député de
Vanier, M. Lemieux, de parler cependant du "mais". M. le député
de Bertrand a dit: Nous sommes favorables au fait de discuter de la
libéralisation des échanges, nous aussi, mais pas à
n'importe quelle condition. Dans les documents que nous avons publiés,
dans les présentations publiques que nous avons faites, nous avons
régulièrement stipulé qu'il y avait des "mais". Je
demanderai au député de Vanier de bien vouloir en parler.
Je veux également souligner ceci et je reconnais que depuis le
tout début, ces relations que nous avons eues sur le sujet, l'Opposition
et son représentant et moi-même, ont été justement
très professionnelles. Je crois que nous devons tous deux profiter,
peut-être, de cette présentation publique que nous faisons
aujourd'hui pour souligner à nouveau certains des éléments
qui font que le dossier ne doit pas être émotif, qu'il doit
demeurer sous contrôle.
Finalement, comme dans toute négociation bilatérale dans
le contexte du GATT, l'agriculture a toujours fait le sujet d'un traitement
spécial. Nous allons très bien accueillir les remarques que les
représentants de l'Opposition peuvent vouloir faire sur le sujet. J'ai
demandé plus particulièrement à M. le député
de Vanier de traiter également de ce sujet très sensible,
très crucial, très spécial de l'agriculture.
Je terminerai, M. le Président, en disant et en renouvelant que
le Québec a accepté de travailler avec le Canada dans un contexte
bilatéral avec les États-Unis, mais qu'il l'a accepté en
stipulant dès le départ que la spécificité sociale,
politique et culturelle du Québec n'était pas en jeu.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. Je reconnais maintenant le député de Bertrand, critique
officiel.
Argumentation M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. Je suis
très heureux maintenant que les positions soient établies de part
et d'autre, aussi heureux de voir l'attitude du ministre et qu'il a la
même position avec un "oui, mais". Alors, on va parler des "mais"
maintenant, puisqu'on est sur cette même longueur d'onde. S'il est vrai
que les relations à ce jour entre le gouvernement et l'Opposition ont
été bonnes - et je le confirme - j'espère qu'elles vont le
demeurer, compte tenu de l'attitude du gouvernement. Le ministre me
connaît depuis fort longtemps et, lorsque je décide de passer
à l'attaque, je deviens un peu agressif tout en gardant mon calme et en
restant très serein. Je dirais que le gouvernement se doit de changer
d'attitude, pas la semaine prochaine, dès ce matin, parce que l'attitude
qu'il a eue jusqu'ici est une attitude d'"attentisme". J'ai un peu
l'impression, tout en regardant évoluer les différents
comités et en n'attaquant personne, parce que j'ai beaucoup de respect,
que ce soit pour M. Warren ou les autres personnes qui sont là, mais il
se s'agit pas de cela... Il s'agit que les instances politiques, le ministre,
le premier ministre, interviennent le plus rapidement possible dans le
débat, parce que l'heure est arrivée de mettre les cartes sur
table et d'ouvrir le débat. Cela me semble important qu'il y ait un
changement d'attitude vers l'offensive. On n'a vu nulle part, M. le
Président, ce que le Québec s'attend d'obtenir dans cette
négociation. On n'a vu nulle part ce que j'appellerai ce matin la liste
d'épicerie. Quelles sont les différentes conditions auxquelles on
est prêt à adhérer? C'est quoi, le "mais"? Je peux
comprendre que, pour des fins stratégiques, on ne voudrait pas mettre
effectivement sur la place publique toute cette stratégie. Mais je pense
qu'on doit au moins, les membres de l'Assemblée nationale et ceux qui
sont impliqués dans ce dossier, savoir où l'on s'en va. Je pense
que ce changement de cap, ce changement d'attitude doit s'opérer
rapidement. Je serai très vigilant dans ce dossier,
parce que je crois qu'il y va de l'avenir économique du
Québec. Je pense qu'on n'a pas le choix, lorsqu'on voit
particulièrement depuis quelques semaines l'attitude des
Américains, quand on voit depuis quelques semaines l'attitude d'autres
personnes dans d'autres provinces, que ce soît en Ontario ou ailleurs,
quant à la position qui semble vouloir se dégager du
Québec,
La position américaine. Lorsqu'on lit les déclarations du
président Reagan ou de quelques-uns de ses porte-parole... Pour en citer
un et non le moindre, le président d'American Express, M. Robinson, qui
dit: L'accord? Oui, on le veut. On veut qu'il porte sur tout, on veut qu'il
porte sur le commerce, sur les marchandises, sur les services, sur les
investissements, sur la propriété intellectuelle, et on se devra
de trouver un mécanisme pour l'agriculture. Les porte-parole, les
ténors américains disent: On veut un traité de
libre-échange. Oui, mais on le veut sur tout. Quelle est la position du
Québec? Quelle est la position du ministre sur la question des
investissements? Pas plus tard qu'hier, le ministre a commencé à
prendre certaines positions. Il faut rapidement se "canter" et donner notre
position pour autant que le Québec est concerné par les questions
d'investissements. II faut donner notre position exacte par rapport aux
questions de ressources naturelles que nous avons. Je pense qu'on doit
protéger une certaine partie de notre marché et il faut
immédiatement dresser la liste de ce qu'on entend protéger.
Est-ce que, par exemple, dans un traité de libre-échange, on sera
capables d'être exemptés comme cela nous est arrivé dans le
cas du bois d'oeuvre d'une surtaxe de 15 %? Est-ce que le gouvernement
américain mettra une clause comme il en a mis une dans le cas de son
traité, le seul traité de libre-échange qui a
été fait à ce jour? Il mettra une clause, appelée
la clause 5, la clause de sauvegarde, comme à l'intérieur de
cedit traité qui a été signé avec Israël au
mois de septembre 1985 et qui dit à toutes fins utiles: les deux
gouvernements qui ont signé cette entente pourront dans le cas de
concurrence déloyale ou de dumping appliquer leur loi. Donc,
préséance aux lois américaines, aux lois antidumping et
aux lois pour clause de concurrence déloyale. Est-ce qu'on l'appliquera
dans ce cas-là? Qu'est-ce qui arrivera dans le cas de nos ressources
naturelles? Qu'est-ce qui arrivera dans le cas de nos tarifs
d'électricité que l'on vend actuellement 0,024 $ le kilowattheure
à nos entreprises québécoises et 0,06 $ le kilowattheure
aux entreprises américaines? Qu'est-ce qu'il arrivera dans le cas du
bois d'oeuvre? Est-ce qu'on sera capable d'empêcher - et je termine
là-dessus, M. le Président - des surtaxes de 15% ou si,
malgré un traité de libre échange, on se verra imposer des
surtaxes de 15% parce que le gouvernement américain aura
décidé, lui, que nous faisions du commerce déloyal? (10 h
30)
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand. M. le ministre du Commerce
extérieur.
M. Pierre MacDonald
M. MacDonald: Nous avons mentionné à maintes
reprises ce fameux chiffre de 40% du produit intérieur brut du
Québec qui est exporté à l'extérieur du
Québec. La moitié de ces 40 % vont vers le reste du Canada,
l'autre moitié à l'échelle internationale.
Cette année, de cette autre moitié, environ 77% ou 78%
vont être dirigés vers les États-Unis. Nous avons
mentionné, M. le Président, ce climat de protectionnisme montant,
ce protectionnisme même brutal quant à la façon dont on
l'exerce autour du Congrès. On a remarqué éqalement, et je
dois à ce moment-ci peut-être le préciser pour M. le
député de Bertrand, que oui il y a aux États-Unis des
éléments qui y retrouvent des avantages. Il faudrait bien qu'il y
ait certains éléments qui retrouvent des avantages à un
traité bilatéral avec le Canada; sans cela, on n'en parlerait pas
du tout. Mais si je vous rappelle le "omnibus trade bill" qui est
discuté, si je vous rappelle les déclarations faites de part et
d'autre et quasi journellement à Washington, vous avez également
un énorme lobby très puissant et la dernière chose dont il
veut entendre parler, c'est la libération des échanges avec qui
que ce soit.
Or, c'est justement là le point, M. le Président. Pour le
Canada et pour le Québec il n'est pas question de penser élarqir
leurs marchés avec les États-Unis seulement. Il est plutôt
question, vis-à-vis de ce protectionnisme, de se garantir une
continuité dans l'accès que nous avons au marché
américain.
M. le député de Bertrand a parlé, à juste
titre, de cet accord qui a été signé avec Israël. On
a sûrement remarqué, à la lecture des documents que nous
avons publiés, qu'une des conditions fondamentales pour le Québec
et le Canada dans la réalisation d'une entente avec les
États-Unis, c'est de trouver un moyen qui va nous permettre de
régler d'une façon plus intelligente, plus rationnelle, plus
civilisée, dirais-je, nos différends commerciaux avec les
États-Unis. Vous avez fait une "longue liste d'endroits où nous
avons subi les contrecoups du protectionnisme américain, de leur "trade
remedy laws". Vous avez soulevé le sujet des richesses naturelles. Vous
avez soulevé le sujet particulier de nos exportations
d'électricité.
C'est justement pour cela, M. le Président, que nous avons
l'impression
qu'aucune de nos exportations vers les États-Unis n'est à
l'abri de la demande ou de la préoccupation d'un membre du
Congrès, Sénat ou Chambre des représentants, qui verrait,
à son avis, des emplois menacés dans son État, qu'il n'y a
aucune protection contre l'introduction au Congrès, par cette
personne-là, d'un projet de loi qui aurait pour effet de diminuer la
capacité du Canada et du Québec d'exporter vers les
États-Unis. Je le répète donc, parce que c'est absolument
fondamental: II ne saurait être question de traiter avec les
État-Unis, pour le Québec, et nous l'avons maintenu
régulièrement, il ne saurait être question de ce genre de
négociations qui représentent du "give-and-take" - j'en prends,
j'en donne; c'est la résultante de toute négociation - il ne
saurait être d'adhésion pour le Québec s'il n'y a pas une
meilleure façon de régler nos différends, et je le
répète, allant au-delà, de ce qui pu être
traité par les États-Unis et Israël dernièrement.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. Je reconnaîtrai maintenant l'adjoint parlementaire et
député de Rosemont.
M. Guy Rivard
M. Rivard: Merci, M. le Président. Le député
de Bertrand tout à l'heure a souligné qu'il croyait important
d'examiner les raisons qui peuvent pousser les États-Unis à
vouloir conclure un accord de libre-échange avec le Canada. Je pense
qu'il est non moins important d'examiner les raisons que nous pouvons avoir au
Québec d'appuyer le Canada dans cette démarche.
Le ministre a rappelé tout à l'heure jusqu'à quel
point notre économie québécoise est ouverte, en soulignant
que 40 % de votre produit intérieur brut est exporté en dehors de
nos frontières. Notre plus grand marché est près de nous,
mais ce n'est pas un marché libre dans le même sens que ce
marché libre dont jouissent tous les pays industrialisés partout
sur la planète. La compétition pour le marché
américain, comme la compétition pour les autres marchés,
est féroce et pour survivre, le Québec doit augmenter sa propre
capacité concurrentielle.
On conviendra avec moi, M. le Président, qu'il est difficile pour
le Québec de concurrencer des pays en voie de s'industrialiser quant au
coût de la main-d'oeuvre. Il est donc essentiel pour nous d'axer
l'augmentation de notre capacité concurrentielle sur notre essor
technologique, non seulement en favorisant l'émergence de nouvelles
technologies, en particulier des entreprises de haute technologie, mais aussi
-et ce n'est pas négligeable, comme le rappelait le ministre tout
à l'heure - en introduisant le plus rapidement possible des technologies
nouvelles dans les entreprises, même les plus traditionnelles. Or, si
nous dépendons de nos voisins américains pour étendre
notre marché d'exportation, nous dépendons aussi de la
capacité d'invention de nouvelles technologies par les Américains
pour accroître notre propre capacité concurrentielle.
Je m'explique. Le Canada et le Québec sont de très faibles
producteurs de nouvelles technologies. On connaît ce chiffre de 0,6 % de
la technologie mondiale qui est inventée au Québec, alors que pas
loin d'ici, dans la seule région de Boston, c'est 25 % de la technologie
mondiale qui y naît. Même si le dernier budget de M. Levesque donne
un coup de pouce extraordinaire à la recherche et au
développement au Québec, on conviendra aussi que notre retard, en
ce qui concerne le développement technologique, est trop important pour
pouvoir le combler sans cet apport de technologie de la part des
Américains. Donc, nos préoccupations quant aux échanges
avec les États-Unis doivent embrasser non seulement les échanges
commerciaux, mais aussi les transferts de technologie. Notre propre
développement technologique dépend d'une combinaison heureuse
d'invention sur place et d'importation dans le contexte le plus libre
possible.
Tout cela, M. le Président, crée des emplois en grand
nombre. Plus le marché est grand, plus les occasions d'affaires sont
nombreuses. Lorsqu'on parle de développement technologique, cela
crée des emplois stables et des emplois de qualité. Mme Carney
emploie pour décrire ces emplois l'expression suivante: ce sont les
emplois du XXIe siècle. Pour nous, au Québec, qui avons
donné librement accès à l'enseignement supérieur au
niveau des cégeps et des universités, nous nous sommes
créés l'obligation comme société de créer
des débouchés intéressants pour nos diplômés
qui sont orientés vers les sciences et les technologies.
Tout cela également, M. le Président, c'est dans
l'intérêt des consommateurs. Le jugement populaire veut que plus
une entreprise vend, plus elle peut baisser ses prix. Cela est important pour
nous tous, et surtout pour ceux qui ont des revenus modestes. Et qui plus est,
lorsqu'une entreprise est capable de faire face à la concurrence, en
règle générale, c'est parce qu'elle est capable non
seulement de vendre en grand nombre mais aussi de vendre un produit de
qualité. Nous sommes donc gagnants sur tous les plans. Le Québec
ne peut espérer créer de nouveaux emplois et améliorer son
niveau de vie s'il n'exporte davantage ou fait porter cet effort additionnel
vers le marché le plus important, le plus proche et, d'une certaine
façon, le plus naturel.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M.
l'adjoint parlementaire et député de Rosemont. Je reconnais
maintenant le critique de la culture et député de
Saint-Jacques.
M. André Boulerice
M. Boulerice: M. le Président, mon intervention va porter
essentiellement sur les dangers d'un éventuel traité de
libre-échange canado-américain qui inclurait le secteur des
industries culturelles. Quand je dis industries culturelles, j'entends la
culture et la communication. Ce secteur représente actuellement au
Québec 58 000 emplois. Il génère des retombées
économiques directes de 2 000 000 000 $ et des retombées
indirectes de plus de 3 000 000 000 $. Je pense que ces chiffres illustrent de
façon concrète l'importance de ce secteur d'activité pour
notre économie. Ce secteur a une importance fondamentale. Je pense que
vous ne le nierez pas dans le cas du Québec en raison de notre
spécificité culturelle comme seule collectivité
majoritairement francophone en Amérique du Nord.
Depuis plusieurs mois, on assiste à un ensemble de
déclarations contradictoires, à mon point de vue, de la part des
négociateurs américains, d'une part, et canadiens, d'autre part,
à savoir si les industries culturelles seront ou ne seront pas incluses
dans le traité de libre-échange. J'aimerais vous rappeler que le
texte de M. MacDonald - et il faut s'entendre, le M. MacDonald
fédéral et non pas le nôtre -n'exclut pas le secteur
culturel du traité de libre-échange. Nous sommes inquiets, M. le
ministre, de l'impact de l'application de la logique américaine
sous-jacente aux négociations qui prétend que les
États-Unis subissent une concurrence déloyale en raison
d'interventions de l'État canadien ou de l'État
québécois dans le secteur de la culture par divers moyens qui
sont la réglementation, les subventions, les mesures fiscales.
Quand on sait pertinemment qu'en 1984 notre déficit commercial
dans le secteur des biens culturels s'est élevé à
près de 900 000 000 $ et dans les services culturels à plus de
200 000 000 $, notre culture n'a véritablement pas les moyens de voir un
traité de libre-échange limiter la capacité d'intervention
de l'État dans le secteur des industries culturelles. L'édition,
notamment, le cinéma, la vidéo ou le disque sont les secteurs les
plus vulnérables face à un traité de libre-échange
qui aurait un effet véritablement dévastateur pour ces
secteurs.
Nos industries culturelles sont des créatures récentes,
elles sont de petite taille, ce sont des petites et moyennes entreprises
offrant une faible capitalisation. Elles doivent donc composer avec
l'exiguïté d'un marché culturel québécois qui
implique des possibilités de rentabilité pour le moins
aléatoires. J'aimerais vous rappeler d'ailleurs - selon une étude
de l'UNESCO, qui est quand même un organisme prestigieux et reconnu
mondialement - qu'un bassin de population d'au moins 15 000 000 de personnes ne
peut survivre sans l'aide de l'État au niveau culturel. Étant
donné l'exiguïté de notre marché, l'État doit
intervenir de façon directe ou indirecte pour soutenir les
activités de nos industries culturelles et assurer leur
développement.
Cette intervention de l'État prend la forme de subventions,
d'actions d'entreprises d'État comme Radio-Canada, d'abris fiscaux ou de
réglementations comme celle du CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et
des télécommunications canadiennes, sur le contenu canadien que
doivent repecter les diffuseurs. La barrière linguistique,
évidemment, est là, mais ne saurait seule prétendre
enrayer une pénétration accrue des produits culturels
américains dans un contexte de libre-échange. À l'heure
actuelle, 97,2 % des films présentés au Québec proviennent
de l'extérieur dont près de 35 %, des États-Unis; 82 % des
vidéocassettes distribuées au Québec sont de langue
anglaise et 77 % viennent des États-Unis; 85 % des revues ou magazines
viennent de l'extérieur du Canada.
Une intervention réduite de l'État, M. le ministre, dans
le secteur des industries culturelles, selon la logique américaine
sous-jacente au traité de libre-échange, laisserait ce secteur
aux seules lois du marché. Dans un tel contexte, nos industries
culturelles, sans aide de l'État, seront incapables de concurrencer
efficacement sur le marché québécois une industrie
culturelle américaine aux ressources financières
considérables. Un traité de libre-échange provoquera sans
aucun doute un accroissement de notre dépendance à l'égard
des produits culturels américains, au détriment des produits
culturels de nos industries et de nos créateurs, ce qui risque de porter
un coup direct, fatal à la spécificité culturelle que nous
réclamons.
Vu les dangers pour notre identité culturelle, nous demandons au
ministre du Commerce extérieur et du Développement technoloqique
de nous donner l'assurance que les industries culturelles ne seront d'aucune
façon touchées par le traité de libéralisation des
échanges. En terminant, est-ce que M. le ministre du Commerce
extérieur peut nous donner l'assurance que les industries culturelles
seront exclues du traité de libre-échange et que son gouvernement
refusera toute limite à sa capacité d'intervention par le biais
de réglementations, de programmes d'aide ou de mesures fiscales visant
à assurer le développement des industries culturelles? Peut-il
nous donner aujourd'hui cette garantie, compte tenu de l'impact néfaste
d'un traité de libre-échange qui
affecterait notre spécificité culturelle? Je me
permettrais d'ajouter en terminant, M. le Président, que je pose
effectivement cette question sachant pertinemment que je traduis, je crois, le
plus fidèlement possible la position de la FTQ, de la CSN, de la CEQ, de
l'UDA et de l'ensemble du monde culturel québécois. (10 h 45)
Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie,
M. le député de Saint-Jacques, en vous rappelant que vous avez
dépassé votre temps de quelque quarante secondes. Nous
espérons que ça ne se produira plus. M. le ministre du Commerce
extérieur.
M. Pierre MacDonald
M. MacDonald: Merci, M. le Président. Je crois que nos
écrits sur le sujet dont a traité le député de
Saint-Jacques parlent par eux-mêmes et vous me permettrez, s'il vous
plaît, de lire quelques lignes. À la page 66 du volume que nous
avons publié, il est écrit: "Pour le Québec, comme pour le
Canada..." Bien que je doive préciser que je parle comme un ministre du
Québec, on a écrit tout de même: "Pour le Québec,
comme pour le Canada, les activités culturelles sont essentielles au
maintien et au développement de leur caractère distinctif."
On continue en disant: "C'est pourquoi le Québec défendra
l'intégralité des lois, programmes et politiques contribuant
à la spécificité de la société canadienne."
On continue en disant: "Le Québec, comme le Canada, insiste sur le fait
que son identité culturelle et son caractère linguistique
particulier ne doivent pas être en jeu dans ces négociations."
Après cette remarque tantôt sur certaines
imprécisions de nos documents, nébulosité, etc., je suis
sûr que les députés de Bertrand et de Saint-Jacques
conviendront qu'il n'y a pas de nébulosité sur ce sujet.
Je me permettrais de prendre le document qu'a publié hier le
gouvernement fédéral. Je tire en page 5 une déclaration
qui, sous un en-tête gras, dit: "Les non négociables". Sous cet
en-tête, on retrouve: "Notre patrimoine national. Nous maintenons notre
droit d'établir nos politiques sociales et culturelles et de favoriser
notre développement régional."
Plus loin, si vous me permettez, en parlant d'intégrité
culturelle, on dit: "Les négociations commerciales sont, en quelque
sorte, un processus d'apprentissage dans lequelle les parties se sondent
mutuellement pour trouver le défaut de leur cuirasse". "N'ayant
peut-être pas compris l'importance que les Canadiens attachent à
leur souveraineté culturelle..." Nous avons d'ailleurs
déjà mentionné que pour les Américains, la culture,
pour la majorité, c'est synonyme de "entertainement", spectacle. Ils
n'ont certainement pas compris la spécificité canadienne et
québécoise dans ce domaine.
Je continue donc en disant; "N'ayant peut-être pas compris
l'importance que les Canadiens attachent à leur souveraineté
culturelle, les États-Unis ont pu croire que nous avions quelque chose
à céder dans ce domaine. Mais les déclarations contraires
faites à maintes reprises par les plus hautes instances canadiennes -
permettez-moi d'ajouter "québécoises" - les ont
détrompés sur ce point".
Il n'est absolument pas question, M. le Président, de mettre en
danger, sous quelque forme que ce soit, ce qui fait du Québec le
Québec et ce qui fait de cette entité ou de cette
spécificité canadienne également - je peux me permettre de
parler comme Canadien dans ce dossier-là - il n'est pas question,
dis-je, de négocier cela avec les Américains. On leur a dit, on
leur a répété; si on revenait sur le sujet, on le
répéterait encore.
Je suis d'accord avec vous et il est normal, lorsque nous parlons
culture, qu'on veuille empiéter dans le domaine des investissements,
dans le domaine des subventions. Ce sont des sujets qui peuvent être
traités sous différents en-têtes dans une
négociation bilatérale, mais lorsqu'il sera question de culture,
lorsqu'il sera question de cette réalité française qu'est
le Québec en Amérique du Nord, je vous le dis, venant d'un
Québécois qui est un Québécois de choix qui
pourrait aujourd'hui vivre à l'extérieur, mais qui a choisi de
vivre ici et de travailler au Québec, il n'est pas question de
négocier ceci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. Je reconnais maintenant le député de Vanter.
M. Jean-Guy Lemieux
M. Lemieux: Merci, M. le Président. Effectivement, c'est
avec intérêt que j'ai écouté le député
de Bertrand, tout particulièrement une de ses interroqations, à
mon avis, qui est primordiale, le pourquoi du député de Bertrand.
À ce pourquoi du député de Bertrand, je dirais pourquoi
pas? Pourquoi pas permettre au Québec d'avoir accès, sans
bâton dans les roues, à un marché de consommateurs
d'environ 250 000 000 $? Pourquoi pas? N'est-ce pas là une porte en tant
que telle vers l'expansion, vers le développement? N'avons-nous pas au
Québec le leadership, l'ouverture d'esprit nécessaire à
tout cela? Je le dis, M. le Président, au député de
Bertrand, surtout parce que lui-même est un homme d'entreprise, un homme
de PME qui, je me souviens fort bien, lors du débat sur le discours sur
le budget, nous
a fait valoir ses préoccupations à ce niveau.
Mais ce qui intéresse peut-être davantage le
député de Bertrand, c'est le "mais" dans ses grandes lignes.
Effectivement, personnellement, je ne suis pas contre le libre-échange;
je dis surtout qu'il ne faut pas le redouter, mais il faut l'organiser avec
concertation, collaboration, méthodiquement, sur une base progressive
pour protéger ce qu'il y a de plus primordial ici au Québec:
notre intérêt national au sein de la Fédération
canadienne et aussi une des préoccupations du député de
Bertrand, protéger notre industrie québécoise. Car, en
somme, quel est l'objectif commun que nous avons comme Québécois,
et ce, sans partisanerie politique? C'est davantage - et je pense que ce doit
être cela - le bien-être des Québécois.
Pour assurer ce bien-être des Québécois, le "mais"
québécois est le suivant: Nous avons effectivement, M. le
Président -et j'en fais part au député de Bertrand - des
exigences. Il nous apparaît élémentaire, M. le
député de Bertrand, que le Québec jouisse d'un droit de
veto dans des secteurs qui relèvent de sa compétence exclusive.
Effectivement, vous n'êtes pas sans savoir que la constitution canadienne
donne au gouvernement tous les pouvoirs pour conclure un traité portant
sur le commerce et que l'opposition des provinces ne lui enlèverait pas
cette légalité-là. Par contre, le gouvernement
fédéral ne peut ignorer les provinces qui ont juridiction en
matière de commerce - je dis bien - local et interprovincial. Celles-ci
ne peuvent être obligées de respecter un tel traité lorsque
leurs compétences sont en cause. Ceci est effectivement une de nos
préoccupations principales.
Il y a aussi d'autres exigences qui nous apparaissent
élémentaires, soit de participer au processus de prises de
décisions sur toutes les questions pouvant affecter l'avenir
économique du Québec, de défendre les lois, programmes et
politiques qui sont dans les domaines des affaires sociales, des communications
et de la culture, qui contribuent au caractère distinctif du
Québec. Voilà deux des grands paramètres, M. le
député de Bertrand, et je vais vous en citer quelques autres. Il
est nécessaire pour nous de conserver les outils nécessaires au
renforcement du tissu industriel et de la base technologique du Québec,
de faire reconnaître la nécessité absolue des
périodes de transition et des problèmes d'adaptation, chose de
laquelle vous vous êtes tout particulièrement - M. le
Président, j'en fais mention - préoccupé, puisque, encore
une fois, je me souviens fort bien qu'en ce qui concerne les PME, ceci
était un des points majeurs que vous avez soulevés à M.
Gérard D. Levesque, ministre des Finances.
II est nécessaire aussi d'assurer le maintien d'une clause de
sauvegarde au-delà des mesures de transition et des programmes
d'adaptation industrielle. II est nécessaire de se réserver le
droit, au moment de la conclusion du processus de négociation, d'en
faire une évaluation ultime en fonction de ces intérêts
fondamentaux et de donner ou non son approbation.
Voilà, M. le Président, les grands paramètres et le
"mais" du Québec à cette entente sur le libre-échange.
Notre premier ministre est tout aussi préoccupé.
Déjà, en novembre 1985, eu égard à la PME
québécoise, il disait que le Québec ferait connaître
la nécessité d'obtenir des périodes de transition et des
programmes d'assistance appropriés, afin de faciliter au nouveau
contexte concurrentiel des entreprises et des travailleurs oeuvrant dans les
secteurs moins compétitifs. C'est là une de nos
préoccupations nécessaires et essentielles.
Je vous dirai que nous avons comme priorité le bien-être
des Québécois et, en ce sens-là, évidemment, M. le
Président, nous ne laisserons aller aucune de nos compétences en
la matière. Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Vanier. Je reconnais maintenant M. le
député de Bertrand.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): M. le Président, en l'absence de mon
collègue de l'Agriculture qui est retenu, j'interviendrai sur l'aspect
de l'agriculture. Cependant, vous me permettrez d'apporter quelques
commentaires rapides à l'aspect qui vient d'être souligné
par le député de Rosemont et par le député de
Vanier.
D'abord, je dirais au député de Rosemont: C'est beau
d'avoir le discours que l'on tient, à savoir que l'on est d'accord pour
avoir accès à un marché beaucoup plus grand. Je pense que,
comme toile de fond, tout le monde s'entend, sauf que c'est lorsqu'on pousse un
peu plus loin... C'est quand on s'aperçoit que les barrières
tarifaires, là où il y en a, parce que 80 % du marché
actuellement se fait en état de franchises, donc, il n'y a pas de
problème... Mais sur les 20 %, ce qu'il faut bien retenir, c'est que les
tarifications d'entrée au Canada sont le double de celles des
États-Unis, c'est-à-dire que nous sommes actuellement
protégés, sur la plupart des secteurs protégés,
deux fois plus que le sont, entre autres, les États-Unis. Pour ne donner
aue quelques exemples, dans le domaine des plastiques, les tarifs canadiens
sont de 13,7 % et les tarifs américains varient de 0,0 % à 8,7 %.
Dans le domaine du cuir à chaussures, c'est 10 % au Canada et 5 % aux
États-Unis. Dans le domaine du textile, c'est 18 % au Canada et 10 % aux
États-
Unis. Dans le domaine du meuble, c'est 15 % au Canada et entre 2,5 % et
6,6 % aux États-Unis. Le jour où on fera tomber ces
barrières tarifaires, nous serons doublement pénalisés. Ce
que je dis et ce que je demande... Je pense que c'est légitime et que
cela fait partie des belles paroles et, j'en suis sûr, des convictions du
député de Vanier: on veut le bien-être des
Québécois. Moi aussi, vous savez, je veux le bien-être des
Québécois sauf qu'on n'a pas été assez fermes
à ce jour; on n'a pas vraiment réalisé notre mandat et je
ne suis pas sûr que le comité Warren actuellement a tout le mandat
qu'il lui faut.
J'ai écouté les déclarations de Mme Pat Carney,
hier ou avant-hier, qui disait par rapport au mandat qu'elle a confié
à son comité, mandat des négociateurs canadiens, que le
mandat, précise-t-elle, a toujours été respecté: II
est, entre autres, d'écouter les Américains et d'essayer de
déterminer les secteurs qu'ils aimeraient inclure dans les
négociations du libre-échange puisque les avertissements ne sont
pas sur la table, etc. Le mandat clair est d'être à
l'écoute de ce que les Américains veulent. 5i c'est le mandat que
le Canada a et auquel nous sommes accrochés, on est un peu à la
remorque de ce mandat parce que ce n'est pas le Québec qui va
négocier avec les États-Unis, nous passons par ta filière
canadienne dans le système dans lequel nous vivons. Je veux bien, mais
là, on se doit d'être non seulement offensif, on se doit
d'être agressif. Il faut dire ce que nous voulons, quelle est notre liste
d'épicerie, quelles sont les choses que nous ne voulons pas. Le ministre
a été clair, tantôt, concernant l'aspect de la culture. Il
a dit et j'espère que je l'ai bien interprété: II n'en est
pas question. C'est clair. Mais qu'on le mette et publiquement. La culture ne
sera pas touchée. Qu'en est-il maintenant de l'agriculture?
Dans le domaine de l'agriculture, je vous donnerai quelques exemples qui
sont un peu et même beaucoup frappants. Le chiffre d'affaires de
l'agro-alimentaire au Québec est de 12 000 000 000 $. La production
laitière représente 45 % de la production agricole du
Québec et son chiffre d'affaires est de 7 200 000 000 $ par
année. Le marché canadien est protégé par des forts
quotas sur les importations. Le litre de lait se vend 0,70 $ à Albany
tandis qu'il se vend 0,90 $ à Montréal. Que coûte une
douzaine d'oeufs à Montréal? Elle coûte 1,50 $ et, à
Albany, elle coûte 0,69 $. Le Québec n'est autosuffisant que dans
sa production laitière et porcine. Un accord de libre-échange
réduirait cette autosuffisance. À quoi servirait cet accord de
libre-échange dans le domaine de l'agriculture alors que la plupart des
productions québécoises n'arrivent pas à suppléer
le marché québécois? Si on élimine l'aide à
la production, l'aide à l'établissement, les systèmes de
péréquation, comment arriverons-nous à concurrencer la
production américaine alors qu'une partie seulement de leurs surplus
agricoles arriverait à déstabiliser l'agriculture
québécoise? Je pourrais donner maints exemples, mais devant le
temps que nous avons, j'y reviendrai tantôt. On devra avoir un
débat beaucoup plus large. On ne peut pas en cinq minutes parler de
culture, on ne peut pas en cinq minutes parler d'agriculture. J'y reviendrai
lorsque le temps me sera donné. Merci. (11 heures)
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand. M. le ministre.
M. Pierre MacDonald
M. MacDonald: M. le Président, je suis heureux de voir le
député de Bertrand citer les statistiques que nous avons
insérées dans le document que nous avons publié, des
statistiques qui sont connues, des statistiques sur lesquelles se base
effectivement toute personne intéressée par ce dossier pour
redire ce que nous avons dit catégoriquement, que l'agriculture, ayant
déjà été traitée de façon
spéciale, continuera pour nous à être traitée de
façon très spéciale et cela, j'ose l'espérer, c'est
également assez catégorique. Il n'y a rien à cacher dans
l'agriculture. L'indépendance d'un pays, cette volonté de vouloir
être autosuffisant en matière de choses aussi
élémentaires que sa nourriture, ce n'est pas quelque chose qui se
négocie ouvertement, qu'on laisse aller librement au gré d'un
marché, à la puissance des tiers qui viennent saboter comme bon
leur semble ce qui a pris des années et des années à
développer, ce qui est une richesse en soi et ce qui représente
en plus un marché d'exportation pour les agriculteurs et les
agri-industries québécoises.
J'aimerais vous réconforter, si je peux me permettre, surtout en
m'adressant aux agriculteurs et aux pêcheurs du Québec. Il n'est
absolument pas question d'un traité de libre-échange
intégral dans le domaine de l'agriculture et dans le domaine des
pêcheries, quoique les pêcheries se tirent très bien
d'affaire. On n'a qu'à regarder et on pourra parler peut-être plus
longuement des actions en droits compensatoires que les États-Unis ont
prises vis-à-vis du Canada et vis-à-vis des pêcheurs
canadiens, pensant qu'ils étaient traités injustement. Je
répète donc: II n'est pas question de traité ouvert,
inconditionnel dans ces domaines, en aucune façon.
En ce qui concerne les tarifs en agriculture, vous vous rappellerez, M.
le Président, que les tarifs y sont relativement bas et que ce n'est pas
là réellement le grand problème de l'agriculture. Le grand
problème de l'agriculture concerne plutôt les
victimes canadiennes, les victimes québécoises de la
chicane, je dirais même, de la guerre entre les grands producteurs
agricoles, particulièrement les États-Unis et la
Communauté économique européenne. On se sent
peut-être un peu étranger à cette chicane, mais on ne
devrait pas l'être parce que, comme contribuables canadiens,
particulièrement en 1986, cela nous aura coûté environ 1
200 000 000 $ d'aide aux producteurs de grain de l'Ouest, mais payés en
bonne partie par la proportion qu'on paie des taxes canadiennes, payés
en grande partie par les Québécois, victimes que nous sommes de
cette compétition de subventions entre ces grands pays. Aujourd'hui,
à Ottawa, se réunit le groupe de Cairns, 14 pays très
concernés par des choses comme la guerre des grains entre les
États-Unis et la Communauté économique européenne,
mais également très concernés par le fait que plusieurs
pays ont une surproduction agricole, surproduction qu'ils cherchent à
écouler. Ils ont par contre des sous-productions dans certains domaines.
Pendant que tout ceci se passe, on ne peut pas être indifférents
au fait que certains prétendent qu'un quart de la population de la terre
va se coucher en ayant faim. Le groupe de Cairns a exercé, à mon
avis, suffisamment de pression pour que, à la dernière
conférence de l'OCDE, on ait accepté de cesser cette escalade de
subventions et accepté de continuer à discuter du sujet. Le
Québec est fort préoccupé de l'ensemble du dossier de
l'agriculture et participe activement à la position canadienne, et cela
non seulement dans le contexte des négociations bilatérales.
Permettez-moi encore une fois de le répéter: Le Québec
n'embarquera pas et ne mettra pas en péril son agriculture et ses
pêcheries en embarquant dans un traité de libre-échange
intégral avec qui que ce soit.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. Je reconnais maintenant le député de Saguenay.
M. Ghislain Maltais
M. Maltais: Merci, M. le Président. Lorsqu'on parle de
libre-échange, particulièrement au Québec, il faudrait se
poser la question suivante: Jusqu'où pourrait aller le protectionnisme
américain? À l'heure actuelle, il y a une industrie qui a
été particulièrement touchée par le protectionnisme
américain, c'est celle du bois de sciage; et le quart des exportations
du bois de sciage provient de ma région.
Il faut se poser des questions sérieuses. Jusqu'où
pourrait aller, sans accord entre les deux pays, l'industrie du bois de sciage
au Québec? M. le Président, il faut se rappeler que cette
industrie est fragile, c'est une industrie de base qui commande des
investissements majeurs et qui est soumise à un libre marché
à l'intérieur du Québec.
Il est devenu impératif de stabiliser, au cours des prochaines
années, et de sécuriser, par le fait même, l'industrie du
bois de sciage. J'ai connu personnellement, dans mon comté, des
difficultés énormes et les scieries ont connu de ces
difficultés. II faudrait regarder jusqu'à quel point ce qenre
d'insécurité peut causer des problèmes majeurs. Ce sont
des exemples particuliers, mais, finalement, ça se passe chez nous au
Québec. Ce n'est pas dans un paramètre de discussion
pancanadienne; c'est dans mon comté, le comté de Saguenay.
L'industrie du bois de sciage, lorsqu'elle devient insécure,
n'investit plus; elle a un manque à gagner. La coupe diminue; ça
touche automatiquement les travailleurs forestiers; ça touche les petits
entrepreneurs. Comme la planification des coupes de bois de sciage se fait un
an d'avance, on s'aperçoit que, déjà, à cause de ce
protectionnisme... Il y a deux ou trois ans, on parlait à peine de cela,
mais jusqu'au jour où on l'a reçu en pleine face, d'un coup bas,
qui a mis en péril presque toute l'industrie du bois de sciage du
Québec qui est quand même une matière très
importante, une industrie primaire, mais importante pour les travailleurs et
les travailleuses du domaine forestier.
Chez moi, ce ralentissement de l'industrie du bois de sciage a
causé du chômage, a causé des pertes d'emplois, a aussi
causé des faillites de petites entreprises parce que, de plus en plus,
la coupe du bois, pour les industries de sciaqe, est confiée à de
petits entrepreneurs et, dès qu'on a connu un ralentissement - on sait
que la coupe est de plus en plus mécanisée et ces gens-là
doivent faire des investissements importants - on a assisté à une
suite de faillites de petits entrepreneurs qui font des investissements de
l'ordre de 100 000 $ et 200 000 $ et qui se regroupent à quatre ou cinq
personnes pour être ce qu'on appelle des entrepreneurs forestiers.
Il est important de savoir jusqu'à quand ce protectionnisme va
continuer. Je me souviens fort bien que, en 1984, du jour au lendemain, les
États-Unis ont imposé une taxe directe aux pêcheurs sur le
poisson salé et séché. Personne n'avait pu prévoir
ça. Quelles ont été les conséquences pour nos
pêcheurs canadiens, nos pêcheurs québécois dans le
domaine de la morue séchée et fortement salée?
Il faut regarder, aujourd'hui, qu'est-ce que sont devenus ces
pêcheurs. Il ne faudrait pas réserver à nos travailleurs
forestiers, à nos entrepreneurs, à nos industriels du sciage le
même sort qui a été réservé à
certaines industries de pêche. Oui, un traité de
libre-échange avec nos "partners", certainement, mais pas à
n'importe quel prix.
Est-ce qu'on peut se permettre de continuer ou est-ce qu'on peut aller
dans le vide avec ça? Est-ce qu'on peut se permettre de laisser planer
cette insécurité? Je parle d'un domaine particulier qui est le
bois de sciage. Est-ce que, comme société, comme gouvernement, on
a te droit de laisser planer ces doutes pour les prochaines années sur
les industriels du sciage?
Le Québec a adopté une nouvelle Loi sur les forêts;
il est grand temps, je pense, que, finalement, on donne une
sécurité à ces investisseurs qui ont tant besoin
d'être rassurés pour les prochaines années. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Saguenay. M. le député de Bertrand.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Oui, je répondrai
immédiatement aux propos du député de Saguenay en lui
disant que je suis très sympathique à sa cause. Je comprends
très bien, sauf qu'il y a une partie qu'il n'a pas comprise, avec tout
le respect que je lui dois. C'est que, même advenant un accord de
libre-échange, M. le député, il risque fort de se
retrouver, et toutes les preuves l'indiquent, une clause de sauvegarde,
c'est-à-dire que les États-Unis pourront en tout temps exercer ce
qu'ils ont exercé dans un cadre de non-libre-échange,
c'est-à-dire imposer une surtaxe de 15 % parce que eux
prévoyaient que c'était un commerce déloyal.
D'ailleurs, à cet effet, pas plus tard que le 11 avril 1987, John
Heinz, sénateur républicain de la Pennsylvanie, un membre
influent du comité des finances du Sénat" américain
déclarait que le Congrès américain n'approuverait un
accord de libre-échange avec le Canada que s'il avait l'assurance que
les provinces s'y conformeraient - c'est le Québec, entre autres - et
à la condition qu'il permette aux États-Unis de continuer
à exercer des représailles en cas de pratiques commerciales
jugées déloyales. C'est exactement le cas du bois d'oeuvre; je
voudrais qu'on me rassure si ce n'est pas le cas et je voudrais qu'on nous
prouve le contraire. Effectivement, c'est la position américaine
actuellement: pas question de faire un traité avec le Canada si on ne
garde pas cette clause. D'ailleurs, dans le seul traité qui a
été fait jusqu'à maintenant, avec Israël en septembre
1985, il y a cette clause, l'article 5 du traité.
Cela dit, je vous dis que je ne me sentirai pas rassuré si on ne
réussit pas à renverser la vapeur et si on ne réussit pas
à faire comprendre aux négociateurs canadiens que, pour nous,
pour le Québec du moins, c'est inacceptable. Quand je parle de prendre
des positions fermes, quand je parle d'élever le ton, c'est que je
comprends très bien ces revendications, mais c'est un peu ce qu'on
retrouve un peu partout. Je rencontrais les dirigeants de la Chambre de
commerce du Québec pas plus tard qu'il y a deux jours; vous les avez
rencontrés aussi. Bien oui, ils sont d'accord et ils appuient le
libre-échange, sauf qu'il faut aller plus loin que cela. Il n'est pas
acceptable qu'on aille juste à ce niveau et c'est pour cela que le
débat doit s'ouvrir. C'est pour cela que l'exercice ce matin
était tellement important, mais ce n'est qu'un embryon. Je dis qu'on
doit pousser plus loin.
Je voudrais revenir rapidement, car le temps s'écoule, sur les
ressources naturelles, sur la question des services, sur la question des
investissements. Mais, d'abord, je voudrais rappeler que, lorsqu'on a
parlé de culture tantôt, même si le ministre nous a
donné toute cette assurance, dans une petite note échappée
qui s'en allait au bureau de Peter Murphy, son assistant, Bill Merkins, disait
à M. Murphy, concernant cette question de la culture
québécoise, des industries culturelles, que, selon les
Américains, leur protection serait surtout symbolique. Ce qu'il voit au
niveau culturel, c'est dans une petite note échappée,
ramassée, entre autres, par le Toronto Star. Pour les Américains,
la protection culturelle, c'est surtout symbolique, car les négociateurs
américains vont accepter une définition très
étroite, "narrowly", qu'ils utilisent comme expression de la
culture.
Quant à l'agriculture, au-delà des paroles du ministre, y
a-t-il moyen d'avoir une position ferme là où le Québec
est concerné? D'après ce que le ministre nous a mentionné,
le Canada... On se fie sur la préoccupation canadienne, mais il y a dans
le domaine de l'agriculture, M. le ministre, aussi une
spécificité québécoise. Il y a des domaines dans
l'agriculture qui nous touchent plus particulièrement et qui ne
concernent pas le reste du Canada. C'est là que sont mes
préoccupations. C'est sûr que le Canada va négocier des
choses, mais on est à la remarque et, dans nos domaines
spécifiques, il faut faire une liste d'épicerie, il faut faire
une liste de recommandations et de préoccupations.
J'enchaîne immédiatement sur la question des ressources
naturelles. Je veux conclure. Dans le cas du bois d'oeuvre, on y a
touché tantôt, la surtaxe de 15 % est un excellent exemple
où il faudra essayer de trouver une formule pour se protéger. Les
Américains, jugeant que nos droits de coupe étaient insuffisants,
voyaient là un exemple de concurrence déloyale. Qu'en sera-t-il
dans le cas des droits de l'électricité? Aux États-Unis,
par exemple, les compagnies exploitant des barrages doivent payer des droits
d'exploitation. Est-ce qu'on va nous servir la clause de concurrence
déloyale et nous
forcer à augmenter nos tarifs ou à mettre un tarif
égal sur l'utilisation de notre électricité? Vous savez,
il y a une similitude entre les droits de coupe et les droits d'utilisation de
nos rivières et de nos ressources naturelles.
Je reviendrai tantôt sur la question très précise
des services et des investissements, laquelle je devrai condenser parce que je
m'aperçois que mon temps est déjà écoulé.
Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand. M. le ministre. (11 h 15)
M. Pierre MacDonald
M. MacDonald: M. le Président, je pense que je dois
m'excuser auprès de cette Assemblée parce que, assurément,
je n'ai pas été assez clair dans mes explications. Je constatais
que le député de Bertrand, bien que sympathique à
l'énoncé du député traitant du bois de sciage et
des effets de la surtaxe de 15%, disait: On demande... Un sénateur
américain mentionne: Cela ne saurait être sans clause de
sauvegarde, etc.
Permettez-moi de répéter ce qu'est la position du
Québec dans ces négociations. Un élément tout
à fait fondamental à notre participation à la signature
d'un traité avec les États-Unis, c'est l'établissement
d'une façon plus intelligente, plus rationnelle - et je l'ai
mentionné tantôt - plus civilisée de régler nos
différends à la frontière. Il n'est pas question pour nous
d'ouvrir nos frontières sous quelque forme que ce soit, même de
recevoir certaines concessions de tarifs, par exemple, s'il n'est pas inclus
dans le traité une nouvelle façon de traiter nos
différends qui va au-delà - et je l'ai mentionné - de ce
qui a pu être le sujet de l'entente entre Israël et les
États-Unis, et j'oserais même dire bien au-delà.
Le deuxième sujet que vous avez mentionné et qui vous
préoccupait, c'était la culture et le troisième,
l'agriculture. Encore là, cela va expliquer peut-être l'objet de
mes excuses: On ne se comprend pas. Les Américains, je l'ai
mentionné, ne comprennent pas la notion culturelle canadienne. J'irais
même jusqu'à dire que, lorsque vous parlez de ressources
naturelles, ils ne comprennent pas non plus l'entité canadienne, la
réalité canadienne dans le domaine des ressources naturelles.
À la base même de ce contentieux qui a amené la surtaxe de
15% dans le bois d'oeuvre, était cette notion américaine que si
l'État est propriétaire de la ressource naturelle... Par exemple,
si l'État québécois est propriétaire de ses
forêts, pour un Américain, cela veut dire automatiquement des
subventions. La plus grande partie des forêts exploitées aux
États-Unis l'est sur des territoires privés de compagnies,
d'où cette notion, cette incompréhension du système
canadien qui prévaut ici.
Je vous dirais donc, M. le Président, encore une fois, qu'il
n'est pas question de se placer dans une posture où on pourrait laisser
les Américains, à partir d'une notion fausse, à partir
d'ignorance de la réalité québécoise et canadienne,
et encore pire, à l'intérieur d'un traité que nous aurions
signé, les laisser mettre en péril l'exploitation de nos
richesses naturelles et la vente du produit de celles-ci dans des
marchés et d'une fàçon tout à fait
légitime.
M. le Président, je dirai ceci en conclusion, et j'y reviendrai
de toute façon: c'est justement cette notion fondamentale d'une nouvelle
façon de régler nos différends qui est très
incomprise chez nous. Tous les intéressés au dossier,
l'Opposition, nous, les associations de consommateurs et l'Association
canadienne des consommateurs, par exemple, qui se dit favorable - et qui le dit
publiquement - à une entente de libéralisation des
échanges... Je crois que nous devons nous engager plus que jamais dans
un processus d'éducation, un processus d'information partout au Canada
et particulièrement, pour ce qui nous intéresse, partout au
Québec, parce qu'il y a beaucoup de gens qui, à partir des
incertitudes, à partir d'objections semblables à celles que vous
avez formulées, ont des craintes légitimes et des raisons
légitimes de s'opposer à une trop grande libéralisation,
si telle est leur hypothèse de base. C'est à nous de bien leur
expliquer le contexte des négociations.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. Je reconnais maintenant M. le député de Rosemont.
M. Guy Rivard
M. Rivard: M. le Président, je crois qu'il y a eu
suffisamment d'échanges maintenant sur la question du protectionnisme
américain pour qu'on puisse réaliser qu'il s'agit d'une question
fort importante, mais sur laquelle je voudrais revenir quand même.
En effet, l'accès plus larqe au marché américain
n'a vraiment de sens que pour autant qu'il n'est pas soumis aux humeurs du
Congrès américain; donc, accès d'abord et expansion
ensuite. Je suis d'accord avec le député de Bertrand que, lorsque
nous voulons ainsi défendre le Québec contre le protectionnisme
américain, nous sommes en bonne compagnie. Nous avons tous probablement
vu dans les quotidiens francophones et anglophones du pays, vendredi dernier,
cette annonce pleine page qui a été publiée par l'Alliance
canadienne pour le commerce et l'emploi, ce regroupe-
ment coprésidé par Peter Lougheed et Donald Macdonald.
Dieu sait que nous sommes en bonne compagnie lorsque nous citons, comme je
m'apprête à le faire, un court passage de cette annonce qui dit:
Il nous faut nous assurer l'accès à nos principaux marchés
et, ces dernières années, de nombreux produits canadiens, dont la
valeur totale s'élève à quelque 8 000 000 000 $, ont
été touchés par différentes mesures antidumping et
de contingentement, ou encore par des droits additionnels ou compensatoires.
Quelque 200 000 Canadiens travaillent dans les industries ainsi
menacées.
Pour être bien sûr, un peu comme l'a fait le ministre tout
à l'heure, que le critique de l'Opposition comprend dans quelle mesure
nous sommes fermes là-dessus, je le ramène toujours à ce
document unique et qui a été publié par notre
ministère, à la page 9, lorsqu'on parle, dans le chapitre des
mesures de protection exceptionnelles qui peuvent toucher tant le commerce
loyal que le commerce déloyal, et je cite: "Arriver à
éviter ce type de recours unilatéral à des mesures
frontalières américaines (trade remedy laws) constitue l'objectif
crucial de toute la stratégie canadienne de négociation et, par
voie de conséquence, de la stratégie québécoise
aussi. Et le défi est de taille. Le document du fédéral
qui a été rendu public hier, mentionne que, depuis 1980, vingt
enquêtes antidumping, onze affaires de droits compensatoires et treize
mesures de sauvegarde constituent le menu du protectionnisme américain
au cours des dernières années. Mais ce protectionnisme a des
effets doubles. Le premier effet négatif, ce ne sont pas seulement les
échanges commerciaux, mais aussi l'attrait que peut offrir le
Québec pour les investisseurs étrangers. On conviendra avec moi
que, si on a une fiscalité concurrentielle - et elle l'est de plus en
plus, voir le dernier budget de M. Levesque - notre entrepreneurship, la
qualité de notre main-d'oeuvre, notre paix sociale, notre
diversité culturelle, notre effort de réglementation, tous des
dossiers sur lesquels notre gouvernement travaille, il ne faut quand même
pas se faire d'illusions, l'accès facile que le Québec peut avoir
au marché américain constitue un atout majeur. Et, s'il faut
à tout bout de champ remettre en question cet accès, c'est
certainement au détriment du Québec. Cela nous fait perdre un
certain sex-appeal face aux investisseurs étrangers.
Il y a un autre effet négatif. Lorsque nous voulons nous
défendre, et nous voulons nous défendre contre le protectionnisme
américain, nous ne protégeons pas seulement les emplois de
l'avenir, mais les emplois actuels. On dit qu'une diminution de 10 % des
exportations canadiennes vers les États-Unis, notre partenaire
commercial principal, représente une perte de 250 000 emplois. Cette
seule constatation nous interdit de souhaiter le maintien du statu quo dans nos
relations commerciales avec les États-Unis. Nous avons plus à
perdre comme pays que tout autre pays au monde.
Je voudrais, puisque c'est la fin de ma dernière intervention,
souligner, de ma position privilégiée d'adjoint parlementaire au
ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique,
que le Québec est en excellente position dans le dossier du
libre-échange, étant donné la qualité des acteurs
québécois. Le ministre lui-même a été
désigné par Mme Carney pour faire partie du comité
ministériel fédéral-provincial sur la question et nous
avons, en la personne du conseiller principal Jake Warren, cet ancien
ambassadeur à Washington, cet ancien coordonnateur, pour le Canada, du
"Tokyo Round", une personne crédible et qui fait actuellement un travail
gigantesque dans une structure gouvernementale solide.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Rosemont. M. le député de Bertrand.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. D'abord, deux
ou trois commentaires concernant des interventions antérieures. J'ai
bien compris le ministre tantôt nous dire de façon très
ferme qu'il n'est nullement question pour le Québec d'accepter une
entente sur le libre-échanqe s'il y avait une clause antidumping et des
clauses qui soient similaires à celles du traité signé
avec Israël. Il n'en est pas question pour le Québec.
Quant à la question de la souveraineté culturelle, de la
spécificité culturelle, le ministre nous a dit: Je suis
persuadé que ces gens-là ne nous comprennent pas. C'est justement
ce qui m'inquiète. Ce qui m'inquiète encore plus, c'est que je
suis loin d'être sûr que dans les comités
négociateurs à Ottawa, bien que je respecte ces
personnes-là, je ne suis pas sûr qu'elles comprennent elles aussi
très bien quelle est notre spécificité en ces
matières. Voici juste un exemple. Vous me direz que c'est juste un autre
sénateur parmi tant d'autres, mais parmi les sénateurs
américains qui sont impliqués il y a, entre autres, celui qui est
président du sous-comité du commerce du Sénat
américain. Ce doit être quelqu'un qui a un certain poids
là-bas, M. Matsunaga. Il déclarait, il y a quelques semaines, le
8 avril: Je crois que plus vite votre culture -parlant des Canadiens - et notre
culture fusionneront, mieux cela sera pour nos deux pays. N'est-ce pas beau? II
a poursuivi: Vous
parlez la même langue que nous. Là, il parlait aux
Canadiens. Lorsque le journaliste de la Presse canadienne lui a dit: Oui, mais
le Québec parle français, il a rétorqué: Oui, mais
vous savez, on parle aussi anglais. C'est loin d'être rassurant, mais je
ne veux pas être alarmiste. Je ne voudrais pas être
interprété de cette façon-là, mais veuillez me
croire, ce n'est pas rassurant. C'est pour cela, M. le ministre, que je vous
demande de montrer non seulement vos dents mais tout votre dentier.
La question des services est fort importante. Un des aspects les moins
fouillés de la libéralisation des échanges concerne
l'inclusion des services. Jamais encore sous les accords du GATT ce secteur n'a
fait l'objet de négociations. Toutefois, le gouvernement se dit
favorable à ce que le secteur des services soit inclus mais sans
reconnaître tous les impacts réels, à mon point de vue.
Alors que les conséquences sont méconnues et les
orientations gouvernementales encore imprécises, s'il est un secteur
où on se doit d'agir avec prudence, c'est bien celui des services. Et
encore là, dans une petite note à M. Murphy qui a circulé
d'un bureau à l'autre, on s'aperçoit à quel point eux
aussi ont des préoccupations de ce côté-là. Ce qu'il
faut se rappeler, c'est que l'industrie des services occupe 71 % de la
main-d'oeuvre québécoise et, à ma connaissance,
aujourd'hui, dans ce domaine, il n'y a aucune étude d'impact
sérieuse qui ait été faite jusqu'à maintenant. Je
me demande si les études d'impact que le ministre nous a
annoncées et qui doivent être déposées dans les
prochains jours de la part de son collègue, le ministre de l'Industrie
et du Commerce et de son collègue, le ministre
délégué aux Pêcheries... Est-ce qu'il y aura des
études d'impact dans le domaine des services. J'en doute fort mais je
vous dis que cela représente 71 % de notre main-d'oeuvre.
Les Américains, eux, tiennent à inclure les services dans
l'accord sur le libre-échange, et ce, dans le but de servir de
précédent aux accords du GATT. En 1980, les Américains ont
exporté pour 60 000 000 000 $ de services et ils tiennent à ce
que ce marché en pleine expansion demeure ouvert. Par exemple, pour bien
comprendre, le Canada a déjà imposé des restrictions dans
les services à caractère culturel, comme la radio et la
télévision. Les Américains aimeraient bien voir ces
barrières non tarifaires disparaître. Entre autres aussi, selon la
Loi sur l'assurance-dépôts, les sociétés de fiducie
étrangères ne peuvent recevoir de dépôt.
Déjà, les sociétés de fiducie n'ont pas un niveau
de capitalisation assez élevé pour percer le marché
américain.
Quelles concessions devrons-nous faire aux Américains? Dans le
domaine bancaire, dans le domaine des institutions financières, il y a
là une absence de réciprocité des privilèges. Je
vous dirai que beaucoup d'impacts, voire la majeure partie des impacts qui nous
préoccupent actuellement, devront se situer dans le domaine des
services. Le ministre, dans cette Assemblée, lors de la période
des questions, nous a dit que ce domaine n'a pas encore été
abordé ou commence à peine à être abordé et
que l'on ne sait pas encore, en date du 22 mai 1987, exactement où on
s'en va. Vous savez, à quelques semaines d'une conclusion dans un
domaine aussi important que celui-là, veuillez me croire, cela me
préoccupe. Merci.
Le Président M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand. M. le ministre.
(11 h 30)
M. Pierre MacDonald
M. MacDonald: M. le Président, j'aimerais
répéter encore une fois, pour être très clair, ce
que j'ai énoncé comme condition fondamentale à
l'adhésion du Québec à un traité de
libéralisation des échanges avec les États-Unis. J'ai dit
qu'il ne saurait être question pour nous d'y adhérer si on
n'était pas capables d'y inclure une façon beaucoup plus
rationnelle, beaucoup plus logique, beaucoup plus "d'affaires", beaucoup plus
bilatérale de régler nos différends. Cela ne veut pas dire
qu'à l'intérieur de cette entente, à titre d'exception, il
n'y aurait pas des dispositions de sauvegarde antidumping. Nous, comme
Canadiens, faut-il se le rappeler, constituons un dixième de la
population des États-Unis et une fraction encore moins importante de
l'économie. Nous pourrions vouloir bénéficier de certaines
mesures de sauvegarde à certaines conditions. Donc, je dis et je le
répète, nous ne saurions signer si nous ne sommes pas capables de
trouver un moyen bilatéral, meilleur que celui qui existe à
l'heure actuelle, de régler nos différends. Je n'ai pas dit que,
exceptionnellement, nous n'exigerions pas nous-mêmes, à
l'intérieur du traité, certaines mesures de sauvegarde.
Pour ce qui est de la compréhension, oui, je crois que c'est
absolument vrai. Vous remarquerez qu'ayant vécu 38 ans à
Québec et étant déménagé à
Montréal depuis un certain nombre d'années, je réalise
que, souvent, les Montréalais et les Québécois ne se
comprennent pas. On voit cela, quelquefois, durant le temps du hockey. Il est
de même évident qu'il y a souvent une incompréhension entre
les intervenants de différentes provinces ou entre ceux de la province
de Québec et ceux du gouvernement fédéral. Je dois vous
dire que c'est avec plaisir qu'on a constaté, au sein de ce qui est
devenu le comité Reisman, à la suite de
certaines négociations, de quelle façon les provinces
auraient une pleine participation au processus de négociation avec les
États-Unis. Ce comité Reisman, dis-je, s'est réuni quinze
fois et nous y sommes représentés, comme vous le savez, par M.
Warren, qui est généralement accompagné d'un certain
nombre de nos experts. Ils ont, de plus, des conversations
téléphoniques fréquentes. J'ajouterais qu'ils se sont
échangés environ, si je ne me trompe pas, 400 documents qui nous
sont transmis sous le sceau de la confidentialité, à
différents degrés du gouvernement fédéral ou
d'autres intervenants sur le sujet, cherchant à partager nos
expériences, nos statistiques et l'interprétation de ces
statistiques.
Je l'ai mentionné et je le répète, oui, il y a
incompréhension et c'est pourquoi, souvent, on se rencontre, souvent, on
se parle, souvent, on s'échange des documents de façon à
être bien certains qu'on n'oublie jamais que, dans toute cette
négociation bilatérale et éventuellement
multilatérale, ce ne sont pas les provinces qui négocient entre
elles, l'une contre l'autre, ou contre le gouvernement fédéral,
mais c'est plutôt la recherche de la meilleure position canadienne
possible vis-à-vis des tiers.
Finalement, M. le Président, on a abordé la question des
services et je voudrais y toucher en conclusion de cette interpellation. Je
dois dire que, dans le domaine des services, comme dans le domaine des
investissements et de la propriété intellectuelle d'ailleurs, les
États-Unis sont demandeurs. Ils sont demandeurs non seulement à
l'échelle de cette négociation bilatérale, mais ils l'ont
été, en tout premier lieu, à l'ouverture de la nouvelle
ronde de négociations du GATT, la ronde de l'Uruguay. Ils ont même
menacé, à un moment donné, si ce sujet n'était pas
traité, si les parties contractantes n'acceptaient pas de parler de ces
trois sujets, de se retirer des négociations du GATT pour régler
leurs différends ou leurs ententes de façon bilatérale
avec les autres pays.
Alors, étant les demandeurs, nous cherchons encore de la part des
Américains des précisions. Il y a eu certaines notions qui ont
été mises de l'avant pour fins de discussions. Il y a des choses
très connues: la présence du secteur financier américain
au Canada, la présence du secteur financier canadien aux
États-Unis, les restrictions qu'on s'impose, soit directement ou
indirectement. Il y a des restrictions quant aux transports, quant aux
communications -quoiqu'il y en ait moins - on connaît ces
choses-là. Mais la position exacte, l'ouverture totale que les
États-Unis aimeraient avoir sur ce sujet avec nous, nous sommes encore
en attente de certaines précisions. Donc, il n'y a pas lieu de se
formaliser, de se geler dans le béton sur une position aujourd'hui.
Le Président (M. Théorêt): ... M. Jean-Guy
Lemieux
M. Lemieux: M. le Président, c'est avec
intérêt que je vois apparaître dans cette salle le
député de Lévis et c'est avec autant
d'intérêt aujourd'hui que je m'adresse à cette
Assemblée, dans le cadre de cette interpellation dans un domaine qui est
pour moi bien important, soit celui de l'agriculture. Ce pourquoi ce domaine
est si important - et je vois sursauter le député de Lévis
- c'est que je suis originaire d'un petit coin du Lac-Saint-Jean qu'on appelle
Satnt-Coeur-de-Marie. J'ai été élevé sur une ferme
et, chez nous, l'agriculture était une préoccupation vraiment
journalière et importante et, relativement aux préoccupations du
député de Bertrand, j'aimerais lui rappeler quelques paroles,
tout à l'heure, du ministre du Commerce extérieur, M. MacDonald,
qui a dit qu'en ce qui concerne l'agriculture, effectivement, c'est très
spécial et que nous allons prendre les précautions
nécessaires.
Il y a eu des déclarations du président de l'UPA
relativement au libre-échange. Celui-ci nous disait dans La Tribune
de Sherbrooke du vendredi 4 octobre: "Je suis favorable à une
libéralisation des échanges commerciaux, mais à une
libéralisation ordonnée." C'est une chose tout à fait
normale et, à mon avis, compréhensible. Quand on regarde
exactement l'agriculture au Québec, qu'est-ce que cela veut dire? Et, en
ce sens-là, j'attire l'attention du député de Lévis
en lui disant que - chose sans doute qu'il connaît - l'agriculture
représente 2% du PIB et fournit 80 000 emplois directs. De plus, cette
activité soutient quelque 260 000 emplois dans la transformation
alimentaire, la distribution et les services connexes. Ce secteur élargi
compte donc environ 10% de la main-d'oeuvre totale du Québec, ce qui
illustre bien son effet d'entraînement dans les colonies
québécoises. Les recettes à la ferme pour le Québec
dépassent 3 000 000 000 $, ce qui représente 15% de l'ensemble
canadien.
Pour ce qui est du marché américain, il a constitué
le véritable pivot de nos exportations agro-alimentaires puisque 61% de
nos ventes internationales y sont destinées alors que l'importance
relative de ces débouchés n'est que de 36% pour l'ensemble du
Canada.
Vous comprendrez, M. le Président, eu égard à ces
faits, qu'il est tout à fait normal qu'on ne puisse pas du jour au
lendemain laisser tomber les agriculteurs et leur dire: Allez tout bonnement
vous débrouiller avec les lois du marché, comme
l'a dit si bien, tout à l'heure, le ministre du Commerce
extérieur. Dans le cadre d'un traité de libre-échange, il
a dit ceci: II n'est pas question d'un traité de libre-échange
intégral dans le domaine de l'agriculture.
À ceci, M. le Président, je crois que le
député de Bertrand a une réponse qui est claire, nette et
précise, car il ne faut pas oublier une chose: dans la perspective
où le principal enjeu pour le Québec consiste à
accroître et à obtenir de meilleures garanties d'accès
comme telles au marché américain, il est souhaitable que les
questions concernant les règlements techniques et usages
légitimes des subventions soient comme telles abordées. J'invite
le député de Bertrand à jeter un coup d'oeil attentif
à ce document La libéralisation des échanges avec les
États-Unis: une perspective québécoise. À la
page 22, au dernier paragraphe, il a une réponse claire, nette,
précise et explicite- On dit: "II ne saurait toutefois être
question de modifier de manière importante les programmes de mise en
marché et de soutien des revenus. En effet, bien que dans une certaine
mesure le secteur agricole fasse partie des sujets possibles de
négociation entre le Canada et les États-Unis, un statut
spécial lui a été reconnu. Ce sont les systèmes de
soutien en vigueur qui lui confèrent un statut particulier. Aussi,
étant donné que de telles pratiques sont
généralisées au plan international - et j'attire son
attention tout particulièrement sur la phrase suivante - il est
plausible d'anticiper que les questions de fond sur les principaux programmes
de soutien à l'agriculture ne feront pas, comme tels, partie des
négociations avec les États-Unis mais seront plutôt
traitées dans le contexte des négociations commerciales,
multilatérales du GATT."
Je crois, M. le Président, que vous avez là une
réponse claire, nette et précise aux orientations du gouvernement
du Québec en matière d'agriculture dans le cadre des
négociations du libre-échange. Je terminerai avec cette parole du
ministre du Commerce extérieur qui nous a dit, il y a quelques instants:
C'est d'une manière très spéciale que nous accorderons une
attention tout à fait particulière à l'agriculture dans le
cadre de ces échanges.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Vanier. M. le député de Bertrand.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Oui, merci, M. le Président. Mes
premiers propos à l'égard du député de Vanier: Oui,
j'ai lu et relu le document dont il fait mention. À la page 22, je
pèse bien les mots, mais les derniers mots que je vois, c'est: il est
plausible. Pour moi, "il est plausible"... Il aurait été pas mal
plus catégorique, si le gouvernement veut être catégorique,
de dire: II n'est pas question. On ne jouera pas sur les mots ce matin. Mais
quand je dis qu'il faut avoir du mordant, qu'il faut être clair et qu'il
faut établir très clairement notre position, je pense que la
position du gouvernement établie dans le document, à plusieurs
égards - je ne reviendrai pas là-dessus parce qu'on n'a pas le
temps de le faire, on aura d'autres occasions, je l'espère - c'est ce
que j'appelle une position très nuancée.
J'aimerais consacrer les cinq prochaines minutes aux questions
d'investissement. Vous comprendrez, M. le Président, que cinq minutes
pour parler d'un secteur aussi important que la question des investissements,
c'est inacceptable, mais j'accepte les règles du jeu.
S'il est avantageux de s'installer au Québec pour
bénéficier de son énergie abondante et peu coûteuse,
il s'en trouvera beaucoup d'autres pour lesquels desservir le marché
canadien à partir d'une localisation américaine sera beaucoup
plus avantageux. Il est plus facile d'augmenter la capacité de
production d'une usine américaine de 10 % pour desservir le
marché canadien que d'agrandir une usine de production canadienne ou
québécoise, même de 1000 %, pour desservir le marché
américain. Ce que je veux démontrer par là sur la question
des investissements, c'est qu'il faudrait peut-être penser à la
partie "désinvestissement". Si 5 % des entreprises
québécoises actuelles sont de propriété
américaine, il y a quand même tout près de 24 à 25 %
de la main-d'oeuvre du secteur manufacturier qui est touchée par ces
entreprises. Et le jour où on aura un traité de
libre-échange, il faudra quand même réaliser que,
graduellement, il est possible que ces entreprises américaines en sol
québécois puissent faire volte-face et retourner aux
États-Unis parce qu'elles n'auront plus d'avantages à demeurer
ici. Elles auront bénéficié au cours de ces
dernières années de plusieurs soutiens. Je vous laisse cela
à penser.
Du côté des investissements, il en a été
question pas plus tard qu'hier avec Mme Carney et j'aimerais certainement que
le ministre, dans sa dernière intervention, puisse nous dire plus ce
qu'il en est, parce que j'en ai pris des bribes à la radio et des bribes
dans les journaux, mais il semble que le ministre avait quelque
difficulté à insérer ses propos à
l'intérieur de ceux de Mme Carney, m'a-t-on dit.
Dans cet esprit, je vous dirai que, cette semaine, oui, la pression a
monté dans le domaine des négociations du libre-échange
parce que, justement, on a touché au domaine des investissements. Le
premier ministre du Canada se montre très ouvert, lorsqu'il
déclare: Nous sommes en faveur des
investissements étrangers parce qu'ils créent des emplois.
C'est beau, c'est bien, c'est un grand principe. Tout le monde applaudit, mais
on fait quoi quand on a dit cela? On sait que le gouvernement Mulroney, en
arrivant au pouvoir en 1984, a fait disparaître la FIRA, les
Américains ont applaudi et ils ne veulent surtout pas la voir revenir.
Mais, nous, ici, au Québec, quelle va être notre position
très claire quant à la question des investissements? Le
négociateur canadien a déclaré hier - mais, là, je
suis dans les journaux de ce matin ou d'hier, donc on parle d'une
déclaration récente -avoir accepté d'intensifier les
négociations sur les investissements par la création d'un atelier
de négociations spécialement affecté à cette
question. M. Riesman s'est inquiété devant le fait que le
gouvernement canadien n'a pas encore décidé s'il acceptera, comme
le souhaitent les États-Unis, que toutes les restrictions sur les
investissements apparaissent à la table des négociations.
Imaginez-vous qu'on ne connaît pas encore la position du gouvernement
canadien! Nous autres, ici, au Québec, on a tout lieu de se poser des
questions. Il y a lieu de savoir où l'on s'en va et ce qu'il va se
passer. Vous comprendrez que la position canadienne n'est pas
arrêtée quant à la façon dont on va accepter, de
façon restrictive ou non restrictive, les investissements
américains, ici, au Canada. Mais qu'en est-il du Québec? Quelle
est la position du Québec de façon précise sur la question
des investissements? Vous comprendrez que cela me préoccupe et que cela
devrait préoccuper finalement tout le monde au même niveau, au
même degré. Et je vous dirai en terminant, puisque mon temps est
déjà écoulé, que l'envers de la médaille,
puisque, comme principe de base, oui, un plus grand marché possible, la
venue d'investissements possibles, mais aussi la possibilité de
"désinvestissement" par rapport aux entreprises américaines en
sol québécois.
Le Président (M.Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand. J'aimerais vous rappeler que, dans le temps
qui nous est alloué pour l'interpellation d'aujourd'hui, il reste un
dernier temps de parole au ministre de dix minutes et un dernier temps de
parole également au critique officiel et député de
Bertrand de dix minutes.
M. le ministre. (11 h 45)
Conclusions M. Pierre MacDonald
M. MacDonald: M. le Président, je suis parfaitement
d'accord avec le député de Bertrand que de traiter de l'ensemble
de la politique commerciale internationale québécoise et
canadienne en l'espace de deux heures est insuffisant. Je suis également
d'accord avec lui que, d'aborder le sujet des investissements en quelques
minutes... On n'est sûrement pas capable de dialoguer et d'informer
suffisamment sur le sujet dans ces quelques minutes. Mais je voudrais le
rassurer en lui disant que l'esprit d'ouverture, tant sur les
préoccupations de l'Opposition que les préoccupations en
généra! de tous les Québécois, que nous avons
démontré dans ce dossier dès le moment où il nous a
été confié, nous avons l'intention de maintenir cette
ouverture. Il faudrait même dire que, aujourd'hui, le comité
Warren reçoit six intervenants à Montréal, en fait, des
intervenants particulièrement intéressés ou du milieu de
l'agriculture, et qu'il y a au moins encore une vingtaine d'autres
organisations qui ont demandé à être entendues. Je profite
de l'occasion pour mentionner que cette audition ou cette possibilité de
présenter son point de vue est offerte à qui que ce soit encore
qui voudrait se présenter devant le comité Warren, qui fera des
efforts pour les recevoir le plus rapidement possible.
M. le Président, nous avons dit que l'ouverture
québécoise tant sur l'attitude que sur la présentation de
documents comme celui que nous avons mis à la disposition du public
récemment, cette ouverture doit se maintenir. Elle est unique au Canada,
elle va être amplifiée. Nous nous sommes dotés
d'instruments d'écoute, nous avons des instruments d'analyse, nous avons
des instruments d'appréciation de ces analyses et nous nous sommes,
croyons-nous, dotés des meilleurs outils possibles pour collectivement
prendre les décisions qui seront le plus favorable au Québec dans
ce dossier. Vous allez admettre avec moi, M. le Président, que le monde
est en transformation continuelle et que, sur le plan de la politique
commerciale, cette transformation se fait quasi à une progression
géométrique. Le statu quo est une position inacceptable et je
sais, pour en avoir discuté avec lui et l'avoir entendu, que c'est
inacceptable également pour M. le député de Bertrand. Nous
devons chercher des méthodes nouvelles pour faire plus d'exportations et
pour améliorer le statut et la capacité concurrentielle de nos
entreprises. Il y va de la qualité même de notre vie. Il ne
saurait être question - et là, je veux être le plus
précis possible - de conservation de notre niveau de vie actuel, encore
moins de l'améliorer, si on ne réussit pas dans le temps à
accroître considérablement notre capacité de vendre nos
services et nos biens à l'étranger. Cet esprit ouverture va
à l'encontre, si vous voulez, de cette catastrophe qu'est celle qu'a
mentionnée le député de Bertrand de gens qui se sont
positionnés dès le départ ou, même encore
aujourd'hui, qui se sont installés dans une position totalement
négative ou totalement positive. J'ai
remarqué, et j'espère avoir l'occasion de discuter avec
ces groupes, que ceux qui forment la coalition contre la libéralisation
des échanges - principalement trois grandes centrales syndicales et
auxquelles s'est ajoutée l'UPA - le font ou l'ont fait et j'ai pu
relever ceci dans certains écrits, en prenant cette prémisse qui,
d'ailleurs, inquiétait le député de Bertrand, à
savoir qu'il n'y aura pas de changement à la façon que les
Américains ont de traiter les différends dans leur politique
commerciale, dans leurs échanges commerciaux avec d'autres pays. Si vous
prenez cette prémisse, je peux dire que moi aussi je suis contre un
traité de libéralisation des échanges avec les
États-Unis si nous ne changeons pas cette façon de traiter nos
différends. Je crois qu'à partir de l'acceptation des mêmes
prémisses, des mêmes hypothèses, nous sommes
généralement d'accord avec tous ceux qui se sont opposés
à ce jour parce que nous disons: Oui, libéralisation des
échanges avec les États-Unis, mais pas à n'importe quelle
condition. Généralement, les conditions sur lesquelles les
opposants tablent, ce sont les mêmes pour lesquelles nous avons une
préoccupation et pour lesquelles nous cherchons à nous assurer
qu'en cours de négociation la position québécoise est
protégée.
Il faudrait se rappeler qu'avant de penser à accroître nos
marchés avec les États-Unis, la raison fondamentale pour laquelle
le Québec a accepté de s'inscrire avec les autres provinces et le
gouvernement fédéral dans une négociation, c'était
pour rechercher la garantie que nous pourrions conserver nos marchés,
avant même de penser les accroître. Cette garantie fait partie
justement du processus de règlement des différends. Nous ne
pouvons pas continuer, dans un climat protectionniste montant aux
États-Unis, à être victimes des intentions de tel ou tel
groupe industriel américain qui, se sentant lésé, inscrit
des actions en droit compensatoire et d'avoir très peu de
défenses vis-à-vis d'un tel mécanisme. La garantie de nos
marchés passe avant l'ouverture. L'ouverture doit être, mais la
garantie est plus importante.
Finalement, M. le Président, tout cet exercice auquel on doit
s'assujettir nous a sensibilisés comme parlementaires et comme personnes
ressources, a sensibilisé les gens d'affaires, les gens des affaires
culturelles -ce sont des affaires également - et les gens des milieux
sociaux, nous a sensibilisés, dis-je, à cette relation
journalière, continuelle, et qui sera toujours, de nos relations avec
les pays étrangers. C'est donc un exercice bilatéral que nous
avons avec les États-Unis, mais qui est précurseur de cet
exercice multilatéral dans lequel nous nous sommes engagés
lorsque nous avons participé, avec les représentants canadiens,
à la nouvelle ronde de négociations du GATT, alors que nous
étions à Punta del Este. C'est à ce moment-là que
les États-Unis, et je l'ai mentionné tantôt, ont introduit
avec force qu'ils voulaient que les sujets de services, de
propriété intellectuelle et d'investissement soient inscrits
à l'agenda. M. le Président, dans la négociation actuelle
avec les États-Unis, ceux-ci sont encore demandeurs sur ces trois
sujets. Ils n'ont pas encore précisé... Ils ont
déposé certaines déclarations. Il y a eu sûrement
certaines conversations. Le député de Bertrand parlait de
rapports dans les journaux ce matin. Moi, je préparais cette
interpellation, alors je n'ai pas lu les journaux de ce matin. Ces rapports
témoignent effectivement de l'intérêt américain,
mais rappelons-nous, et je répète ce que j'ai dit hier,
catégoriquement, à la question qui m'était posée
par les journalistes: Est-ce que le Québec serait favorable à une
demande américaine d'ouvrir sans aucune condition quelconque le
marché canadien aux investissements américains? Et, reprenant ce
qualificatif "sans aucune condition", j'ai dit: Non, catégoriquement
non!
Les principes fondamentaux que vous retrouvez dans nos documents, que
nous avons répétés et que j'aimerais effectivement que
vous m'aidiez à répéter, M. le député de
Bertrand, dans les représentations que vous faites, ces principes
fondamentaux du respect de la spécificité
québécoise, sociale, politique, culturelle, je dirais même
économique, le respect de cette spécificité est une
condition fondamentale à notre adhésion à un traité
de libéralisation des échanges avec les États-Unis. Nous
n'avons pas l'intention de fléchir sur cela et nous allons maintenir
notre fermeté. Nous allons, avec nos dents - je n'ai pas de dentier, je
m'excuse - certainement maintenir ce climat de coopération. Vous avez
parlé d'agressivité. Oui, une agressivité, si vous voulez,
mais très positive. J'appellerais cela plutôt, et je pense que
vous vouliez dire la même chose que moi, une participation active, que
nous avons exigée, et, d'ailleurs, je crois que vous-même l'aviez
exigée lorsque vous étiez responsable du portefeuille que le
premier ministre a bien voulu me donner, c'est-à-dire que le
Québec participe à la préparation des mandats, qu'il
participe au suivi de la négociation, qu'il participe à la mise
en place d'une entente finale, le Québec, toujours, se réservant
le droit, même si nous avions accepté des parties, de dire non
à l'ensemble d'une entente s'il n'y va pas de l'intérêt des
Québécois. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. M. le député de Bertrand.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Oui, merci, M. le Président. Je
tiens d'abord, en cette fin d'interpellation, à remercier le ministre,
messieurs les députés et les différents collaborateurs
qui, autant de ce côté de la Chambre que de ce
côté-ci, ont permis la préparation la plus adéquate
possible à ce mini-débat.
Vous conviendrez, M. le Président, qu'on a à peine
effleuré les sujets. L'avenir du Québec sur le plan
économique est en train de se jouer. Je pense que le ministre a
été clair. Sur ce point, on est d'accord. L'avenir
économique du Québec est en train de se jouer. M. le ministre, je
vous ferai remarquer qu'on est quatre élus de l'Assemblée
nationale, ici, ce matin, et je doute fort que les autres soient dans leurs
bureaux en train de nous regarder à la télévision. C'est
vendredi matin. Ils sont dans leur bureau de comté ou en transit,
quelque part. Je vous dirai que, de mon côté, j'ai demandé
et obtenu une rencontre de deux heures et demie avec les membres de mon caucus
pour leur donner en détail tout ce qui se faisait ce matin parce que,
pour moi, c'est important que les élus soient au courant. Je dois vous
dire que, depuis ce temps-là, beaucoup de mes collègues - les 23
ou les 22 autres - sont éveillés de plus en plus à ce
sujet. J'espère, M. le ministre, que vous avez eu la chance de faire de
même avec les 98 autres collègues chez vous et j'espère
que, si vous ne l'avez pas fait, vous le ferez dans les prochains jours.
Mais au-delà, je vous dirai, M. le ministre, que le débat
doit être plus large que ça. Je vous dirai, M. le ministre, avec
tout le respect que je peux avoir pour M. Warren et le comité Warren,
qu'il n'est pas vrai que les députés vont aller comparaître
devant le comité Warren. Je pense que les élus de
l'Assemblée nationale doivent être ceux qui reçoivent les
gens qui ont à être écoutés. Je pense, M. le
ministre, que, si vous êtes un ministre du Commerce extérieur
responsable, vous n'accepterez pas... Je suis très sérieux en ce
moment et, je l'ai mentionné dans la première partie de mon
intervention, nous allons connaître la guerre si on ne s'entend pas
là-dessus: vous allez obtenir du premier ministre une commission
parlementaire. Je pense - vous me passerez l'expression - que c'est un "must".
Le but n'est pas de faire un débat politique, mais d'avoir tous les
éclairages nécessaires. Je peux vous assurer à l'avance
que les débats dans une commission parlementaire seront tout aussi
sereins que ce matin, si jamais telles étaient vos
préoccupations, parce que j'ai cru comprendre de la part du premier
ministre et de certains de vos collègues ministériels avec
lesquels j'ai eu la chance de m'entretenir... L'un d'entre eux m'a même
dit, il y a trois semaines, qu'il y aurait une commission parlementaire et que
j'étais mieux d'être prêt. Alors, vous savez, moi, on ne me
dit pas ça deux fois, j'étais déjà prêt. Je
vous dis que c'est non seulement important, mais que ce serait inacceptable,
inadmissible qu'il n'y ait pas de commission parlementaire, pas seulement pour
faire parader des qens qui vont être néqatifs, des gens qui vont
mettre des bâtons dans les roues... Mais vous comprendrez que, seulement
ce matin, j'ai appris des choses et sûrement qu'on s'est instruit
mutuellement.
Mais, vous savez, à part les médias qui peuvent nous
suivre ce matin, car il y a un autre débat dans l'autre salle qui est
aussi très important, les négociations du lac Meech, je vous
dirai que la couverture que nous aurons rejoindra 1 %, 2 %, 5 %, 10 % de la
population. Mais qu'en est-il des 90 % et plus qui restent? Ceux qui auront
à vivre avec les nouvelles règles du jeu à compter de 1988
et des années suivantes doivent nous dire ce qu'ils en pensent. Quand la
Chambre de commerce du Québec donne un chèque en blanc et
applaudit, moi, je me dis qu'il y a un bout de la parade qu'elle a
manqué et il y a un bout d'analyse qu'elle n'a pas fait. J'ai
été président de chambres de commerce; j'ai
siégé au conseil d'administration de la Chambre de commerce de la
province de Québec pendant deux ans. Je sais comment ça
fonctionne avec tout le respect que j'ai pour ces organismes.
Vous savez fort bien que les membres n'ont pas été
consultés en profondeur. J'ai fait une tournée pour rencontrer
quelque 200 à 300 industriels depuis un mois ou un mois et demi pour
savoir ce qu'ils pensaient du libre-échange. Première
réaction, toute positive. Pas de problème, on fait
déjà des affaires et on va en faire plus. Oui, mais attention!
Là, quand tu commences à leur allumer les lumières, les
précisions et les dangers, ils disent: Oui, bien, sais-tu, je ne savais
pas ça, je n'étais pas au courant.
Vous savez, c'est important. Moi, je me dis qu'on a été
élu, ici, en cette Assemblée. On a un mandat. Si on n'est pas
capable de faire la lumière sur ce sujet, on est aussi bien de prendre
nos cliques et nos claques et s'en aller chez nous.
J'ai accepté de piloter ce dossier parce que M. Johnson me l'a
demandé et parce que cela fait partie des dossiers économiques et
des dossiers majeurs qui sont en train de se passer au Québec. M. le
ministre, il faut une commission parlementaire et, s'il fallait que je prenne
d'autres moyens, je les prendrais, mais nous devrons tenir une commission
parlementaire, et rapidement.
Sept conditions ont été mises sur la table, je le
répète, pour que dans le "mais" nous soyons capables de continuer
à travailler, et je les résume de la façon suivante:
premièrement, nous demandons au
gouvernement le dépôt de sa stratégie de
développement économique dans laquelle s'inscrit le
libre-échange. Ce qui veut dire que, jusqu'à aujourd'hui,
après 18 mois au pouvoir, le gouvernement n'a pas de politique ni de
stratégie de développement économique. Le
député de Vanier nous parlait tantôt de la structure
industrielle du Québec, de la façon dont cela se passerait. Je
vous dis: Si le gouvernement, si le ministre de l'Industrie et du Commerce, qui
est le porteur du dossier dans le cadre d'une stratégie de
développement économique, de concert avec les autres
collègues dans le domaine économique, n'ont pas de politique
claire, on va manquer le bateau. Il va falloir que l'on dise clairement que
l'on décide de prioriser tel secteur par rapport à tel autre
secteur, que l'on décide de soutenir la recherche et le
développement, que l'on décide de moderniser des entreprises et
d'investir les sommes d'argent nécessaires. Cela prend une politique,
une stratégie de développement économique. Je l'ai
demandé dans le cadre de la privatisation, on ne l'a jamais obtenu. On
se doit de l'avoir et de savoir comment elle va s'inscrire dans le cadre du
libre-échange.
Deuxièmement, le dépôt dans les plus brefs
délais possible de toutes les études d'impact sectorielles et
réqionales sur le libre-échange, incluant le secteur des
services, comme je l'ai mentionné précédemment.
Troisièmement, le dépôt des mesures de transition,
toute cette négociation des mesures transitoires. J'ai appris ce matin
par les journaux que le ministre a dit dix ans. J'aimerais savoir dans quel
domaine et si c'est dans tout. On se devra de l'étayer. Donc, le
dépôt des mesures de transition pour les industries
éventuellement touchées par le libre-échange, de
même que les mesures d'adaptation des travailleurs affectés,
incluant la participation financière du gouvernement
fédéral. Hé! oui, il faut immédiatement
négocier ce que le gouvernement fédéral mettra
là-dedans pour le recyclage de notre main-d'oeuvre, pour le recyclage de
nos entreprises, pour la modernisation de nos entreprises, pour la robotisation
de nos entreprises. On a une quote-part à recevoir du gouvernement
fédéral. II ne faudrait pas le négocier après le 3
janvier 1988, il va être trop tard. Il y aura peut-être des
changements de gouvernement, puis ils diront: On n'en a pas pris d'engagement.
On aura de l'argent à investir dans nos entreprises pour que, dans trois
ou cinq ans, il y ait de la robotisation dans l'industrie de la chaussure,
qu'il y en ait dans l'industrie du meuble. Il va falloir recycler des gens.
Cela n'est pas vrai que le Québec va porter le fardeau fiscal, cet
impact tout seul. On a de l'argent à Ottawa, il faut
immédiatement l'obtenir.
Quatrièmement, l'exclusion du domaine de la culture et de
l'agriculture, les négociations en cours, on en a parlé
précédemment.
Cinquièmement, des précisions quant aux orientations
gouvernementales sur ces domaines de la culture et de l'aqriculture et une
position claire, nette et précise concernant les secteurs reliés
aux ressources naturelles, au domaine des services et aux investissements - on
en a parlé aussi ce matin.
Sixièmement, ta tenue d'une commission parlementaire publique,
afin qu'ait Heu un véritable débat public, et je le dis, un
débat qui se voudra certainement des plus positifs.
Septièmement, ce qui me semble le plus important, c'est que
l'Assemblée nationale devra ratifier, sous quelque forme que ce soit,
sous forme de résolution ou autrement, toute entente que le
Québec apportera au gouvernement fédéral pour une entente
canado-arnéricaine. D'ailleurs, à cet effet, le ministre, le 13
mai en cette Chambre a déclaré, à une question que je lui
posais: "Je ne le sais pas, c'est en discussion. Mais je doute fortement, M. le
Président, que nous signerions l'adhésion de la province dans un
processus aussi important sans se présenter aux représentants de
l'électorat québécois." Donc, on devra avoir une
résolution qui passera par ici et je ne vois pas comment pourront voter
librement les 122 députés s'il n'y a pas eu de débat dans
une commission parlementaire, puisqu'on devra mettre très clairement
quels sont les enjeux et, à la face de cela, les élus pourront
faire rapport au peuple québécois et dire: Oui, nous
l'entérinons. J'espère, en terminant, que lorsque nous
ratifierons cette résolution dans cette Chambre - parce que c'est la
seule Assemblée délibérante capable de prendre des
décisions - nous pourrons avoir un vote unanime. Je vous remercie et
j'espère que vous pourrez donner suite à ces sept
recommandations. Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand. M. le ministre et chers collègues, la
maturité, le professionnalisme et la sérénité de
vos interventions ont rendu ma tâche fort agréable comme
président de l'Assemblée et, la commission ayant rempli son
mandat, je mets fin aux travaux de la commission.
(Fin de la séance à 12 h 5)