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Version finale

33rd Legislature, 1st Session
(December 16, 1985 au March 8, 1988)

Friday, May 22, 1987 - Vol. 29 N° 55

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Interpellation: Le dossier du libre-échange


Journal des débats

 

(Dix heures quatre minutes)

Le Président (M. Théorêt): À l'ordre, s'il vous plaît! Je vous rappelle le mandat de la commission de l'économie et du travail ce matin qui est l'interpellation du député de Bertrand au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique sur le sujet suivant: le dossier du libre-échange. M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. II y a deux remplacements: M. Charbonneau (Verchères) est remplacé par M. Boulerice (Saint-Jacques) et M. Leclerc (Taschereau) est remplacé par M. Lemieux (Vanier).

Le Président (M. Théorêt): Merci. Je vous rappelle les règles qui vont prévaloir durant cette interpellation. Le député qui a donné l'avis d'interpellation intervient le premier pendant dix minutes, le ministre interpellé intervient ensuite pendant dix minutes. Il y a ensuite alternance dans les interventions: un député de l'Opposition, le ministre, un député du groupe formant le gouvernement. Chaque intervenant a un temps de parole de cinq minutes au cours du débat. Si un intervenant utilise moins de cinq minutes, le temps non utilisé est perdu et on passe la parole à un député d'un autre groupe parlementaire. Vingt minutes avant la fin de la séance, je vous le rappellerai et j'accorderai un dernier temps de parole de dix minutes au ministre et dix minutes à l'interpellant. M. le député de Bertrand.

Exposé du sujet M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Sans perdre de temps, on va immédiatement enclencher ce qu'on appelle la procédure d'interpellation. Ce matin, pour nous ici, de l'Opposition, et en tant que porte-parole officiel en cette matière de libre-échange, j'aimerais dire que l'interpellation se veut le déclenchement d'une offensive et même d'une vaste offensive que nous entreprenons sur la question du libre-échange. Je tiens à préciser immédiatement que ce n'est pas une offensive contre le gouvernement, c'est une offensive avec le gouvernement, mais à la condition qu'il accepte d'ouvrir le débat, qu'il accepte de mettre toutes les cartes sur la table et qu'il accepte de travailler de concert avec nous. Sinon, on se verra contraints, bien sûr, de lutter pour obtenir ces choses-là. Je pense qu'il est trop important - et je tiens à le souligner ici au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique responsable de ce dossier - que les enjeux, l'avenir économique du Québec est trop important pour que nous ayons à lutter l'un contre l'autre. Je pense que l'Opposition officielle a un travail à faire qui est celui de veiller aux intérêts qui se passent au Québec et veiller à ce que le gouvernement fasse bien son travail. C'est un peu dans cet esprit que je m'inscris et que va se dérouler l'interpellation et aussi les prochaines démarches qui suivront au cours des prochaines semaines.

Ce qu'il faut savoir, M. le Président, pour bien situer le contexte, c'est qu'il y a un échéancier très serré de par la procédure américaine qui s'appelle le "fast track procedure", le 3 janvier 1988. Dans à peine sept mois, le Congrès américain acceptera ou rejettera en bloc tout le traité du libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Quatre-vinqt-dix jours avant, soit le 4 octobre 1987, tout devra être signé, conclu entre le Canada et les États-Unis. Donc, M. le Président, il faut être conscient qu'il y a un compte à rebours de commencé et nous sommes à peine à seize semaines, soit les quatre prochains mois, de conclure une entente entre le Canada et les États-Unis.

Je voudrais que ce débat d'aujourd'hui, M. le Président, de même que ceux qui suivront s'élèvent au-dessus de toute partisanerie politique, si la chose est possible. Quant à moi, je peux vous assurer d'une ouverture d'esprit et d'une collaboration.

D'ailleurs, dans cet esprit, M. le Président, la position officielle du Parti québécois et de l'Opposition ici, a l'Assemblée nationale, s'est voulue une attitude positive, à savoir: nous disons oui au libre-échange par rapport à ce qu'il peut représenter pour l'avenir économique du Québec, mais nous disons oui à certaines conditions et, comme l'ont traduit certains médias: Oui, mais, et les "mais" sont très importants.

Je pense que ceux qui, à ce jour, ont rejeté du revers de la main ou accepté d'un coup de main rapide de dire non au libre-

échange ou oui très facilement, me portent à me poser beaucoup de questions. Si on est impliqué déjà depuis un peu plus d'un an dans ce dossier et qu'on le suit de façon particulièrement intensive au cours des derniers mois, je peux vous dire, M. le Président, que plus on fouille dans ce dossier et plus on entre dans les détails, plus on est inquiet. Je demeure quand même optimiste, pour autant qu'on décide d'ouvrir les débats. Je pense, à la suite de la demande que j'ai faite ce matin en tant que critique en cette matière pour ouvrir le débat, que le ministre de même que le gouvernement accepteront d'ouvrir vraiment le débat. Comme je l'ai mentionné, à quelques semaines d'un échéancier très serré et de par les informations que nous avons qui sont très restreintes à ce jour, on se trouve très mal situé, à savoir où on s'en va exactement, pour autant que le Québec est concerné.

Ce qu'il faut bien comprendre, M. le Président, c'est que le Canada négocie avec les États-Unis et que le Québec doit s'assurer que dans cette négociation, il y ait toutes les recommandations et spécificités à retenir et il faut s'assurer que le Québec en fasse la demande.

Nous traiterons ce matin de différents secteurs ou aspects et le plan de travail est le suivant: Deux " de mes collègues interviendront pour une période de cinq minutes, soit mon collègue dans le domaine de la culture et mon collègue dans le domaine de l'agriculture. Quant à moi, j'axerai mon intervention sur différents domaines, particulièrement les domaines des ressources naturelles, des services et des investissements. Je terminerai avec cette recommandation particulière que j'aimerais apporter au gouvernement.

Le document déposé il y a quelques semaines par le ministre du Commerce extérieur est un document qui est un peu une toile de fond et pour l'avoir consulté et consulté, il ne nous apporte rien vraiment de neuf quant aux orientations et nous apprend très peu quant à l'attitude du gouvernement dans ses revendications vis-à-vis du gouvernement fédéral. Il faut être conscient que nous n'avons pas directement voix au chapitre et qu'ici l'Assemblée nationale, qui est celle qui représente les intérêts du Québec, devra d'une certaine façon être capable d'être consultée.

Ce qu'il faut aussi savoir en débutant ce débat que je veux constructif, et je le répète, c'est que l'on parle beaucoup de libre-échange, de libéralisation des échanges, mais je ne pense pas que de ce côté-ci ni de l'autre côté nous ayons la conviction, de quelque façon que ce soit, que l'on puisse arriver à un traité complet de libre-échange, c'est-à-dire qu'il n'y aurait aucune barrière tarifaire de part et d'autre. Il ne faut pas se leurrer et je ne pense pas que ce soit la volonté d'un côté et de l'autre de la Chambre, la même chose pour la position canadienne.

Il faut quand même réaliser qu'il y a déjà 80 % de nos exportations, soit le montant d'environ 165 000 000 000 $, qui se font entre le Canada et les États-Unis, 80 % de ce chiffre se font déjà avec franchises, c'est-à-dire dans un marché de libre-échanqe, et que tous les adeptes du libre-échanqe inconditionnel réalisent que déjà nous avons une large partie de notre commerce avec les États-Unis qui se fait en franchises. Donc, lorsqu'on parle de libre-échange, de nouvelles attitudes et de nouvelles choses à négocier, il s'agit actuellement de ces fameux 20 %, mais Dieu sait quels 20 % importants puisqu'ils concernent des domaines très spécifiques.

Cette négociation est complexe et à cause du fait que le débat n'a vraiment pas été ouvert jusqu'à maintenant, n'a pas été mis sur la place publique et s'est fait à travers des comités, aujourd'hui, on doit dépasser le cadre de ces comités. Ce n'est pas que je n'ai pas de respect pour les fonctionnaires qui sont dans ces comités de négociations, mais je pense que les élus, ceux qui sont là pour représenter les intérêts de la population du Québec, sont là aussi pour avoir un mot à dire et j'ai déjà été suffisamment clair envers le ministre et le gouvernement quant à l'ouverture du débat.

La vraie question qu'il faut poser ce matin - et elle met un peu le débat dans un autre sens - c'est: Pourquoi les États-Unis veulent-ils à tout prix un libre-échange? Pourquoi les États-Unis veulent-ils signer un traité de libre-échange et cela à peu près à tout prix? Essentiellement, et sans entrer dans les détails, je vous dirai que les États-Unis sont terriblement isolés sur le plan commercial. Leur balance commerciale est déficitaire et, en ce sens-là, être capable de venir à bout d'un traité avec le Canada, qui est un partenaire important, serait une ouverture extraordinaire pour les prochaines négociations du GATT. Dans certains domaines - et j'y reviendrai plus tard -particulièrement dans le domaine des services qui représentent une activité commerciale américaine importante aux États-Unis, soit 70 % du total de leurs activités, cet aspect de négociations sur le plan des services se veut une percée importante au Canada, Cette entente étant conclue sur cet aspect, ils pourront définitivement ouvrir les négociations du GATT avec d'autres pays dans le même sens.

Dans ces préliminaires, je me dois de bien situer le débat, parce qu'on a un peu l'impression de parler sondage des gens en général, y compris le monde des affaires, quoique l'on commence à voir depuis une semaine, dix jours, des bémols dans ce sens-là. Je lisais justement un énoncé de la posi-

tion du Conseil du patronat ce matin, M. Ghislain Dufour, dans La Presse qui disait: Oui au libre-échange. Oui, mais avec aussi des bémols de ce côté-là, parce qu'il y a des préoccupations. Il faudra toujours se souvenir que la priorité numéro un du président des États-Unis, M. Reagan, confirmée encore la semaine dernière, c'est de faire un traité avec le Canada; la question est de savoir pourquoi. Merci, M. le Président. (10 h 15)

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le critique officiel et député de Bertrand. M. le ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique.

Réponse du ministre M. Pierre MacDonald

M. MacDonald: M. le Président, c'est avec grand plaisir que j'ai accueilli la demande d'interpellation du député de Bertrand, afin de discuter ensemble et publiquement du dossier de la libéralisation des échanges tant, si vous le voulez bien, M. le député, dans un contexte bilatéral, eu égard à la négociation avec les États-Unis, que dans le contexte multilatéral du GATT qu'on ne peut séparer des négociations américaines, de toute façon.

Je suis d'autant plus heureux d'entendre les paroles du député de Bertrand que, en faisant un petit rappel historique de notre implication dans le dossier, je me rappelle bien lui avoir dit, au tout début, en décembre 1985, après que le premier ministre a bien voulu me confier ce dossier, que j'avais l'intention, justement, de traiter ce dossier d'une façon non partisane, au-delà des partis pris, qu'il fallait le faire d'une façon professionnelle, que les études que nous aurions à entreprendre, les lectures que nous aurions à faire, les rencontres multiples allaient représenter un travail énorme, un travail qui, cependant, devait se faire, parce que traité ou pas avec les États-Unis, de toute façon, le Canada et la province de Québec étant très ouverts sur le reste du monde, dépendant de leurs exportations pour la qualité de vie que nous connaissons, il fallait absolument qu'on se penche de plus en plus sur notre capacité d'exporter aujourd'hui, mais encore plus particulièrement sur ce que cette capacité sera demain.

Vous vous rappellerez, M. le Président, que, dès le départ, nous avions à faire face à un débat lancé à Québec en mars 1985, un débat lancé par le gouvernement canadien, réalisant, comme le reste du monde, d'ailleurs, qu'un climat de protectionnisme s'établissait aux États-Unis avec une virulence qu'on n'avait jamais connue dans les temps modernes. Il y avait une atmosphère autour du Congrès à Washington qui ne faisait aucune différence entre les pays amis, collaborateurs, le plus grand partenaire commercial que représente le Canada vis-à-vis des États-Unis, et d'autres pays qui, peut-être, pour des raisons qui sont les leurs, montraient un peu moins de scrupules dans leur commerce avec notre grand voisin du Sud.

Nous avons réalisé que nous ne pouvions échapper à cet esprit de protectionnisme et qu'en conséquence il fallait prendre les mesures nécessaires non seulement pour y faire face aujourd'hui mais pour s'assurer que, advenant que ledit climat se continue au cours des années, des effets néfastes ne viennent pas nous troubler dans deux ans, dans trois ans et dans cinq ans. En conséquence, il y a lieu d'envisager d'ouvrir avec les États-Unis - ce qui avait déjà été tenté, d'ailleurs - une négociation de façon à encadrer plus formellement, d'une façon plus rationnelle, les relations des deux plus grands partenaires commerciaux au monde.

Du côté de la province de Québec, nous avons décidé de faire preuve du professionnalisme nécessaire dans ce genre de dossier et de faire appel non seulement à toutes les ressources du gouvernement dans tous les ministères qui pouvaient être concernés par une telle négociation, mais également de faire appel à des ressources extérieures, en formant, d'abord, un comité "aviseur" présidé par une des personnes les plus compétentes dans le domaine des transactions commerciales internationales ou du commerce international, c'est-à-dire M. Jake Warren, qui a bien accepté non seulement de venir présider le comité "aviseur" mais également d'agir comme principal conseiller du gouvernement dans la matière.

Nous sommes très satisfaits de la collaboration que nous avons su établir à l'intérieur du gouvernement et nous sommes éqalement très satisfaits de la collaboration que nous avons offerte au député de Bertrand et à l'Opposition dès le début sur le fait de partager avec tous les gens concernés les détails de ce dossier à l'intérieur, nécessairement, des éléments de confidentialité qui entourent une négociation. Il ne saurait être - je me permets de reprendre ces paroles du député de Bertrand - de partisanerie politique pour un dossier aussi important pour l'avenir du Québec et il faut absolument que, de part et d'autre, nous recherchions la collaboration, la contribution de toutes les personnes, de tous les milieux du Québec qui ont quelque chose à apporter au dossier.

M. le Président, dans ce contexte, nous avons aqi avec une ouverture unique, tant au Canada qu'aux États-Unis, sur ce dossier. Le document que nous avons publié, qui s'appelle La libéralisation des échanges avec les États-Unis, est le document le plus important et le plus complet que quelque gouvernement que ce soit, fédéral, provincial, les États ou le

gouvernement fédéral américain, ait publié sur le sujet.

L'ouverture du comité Warren vis-à-vis du public, cette ouverture que nous avions annoncée à travers la province, à savoir que qui que ce soit voulant apporter quelque chose au dossier pouvait se présenter devant le comité Warren, a résulté en des dizaines et des dizaines de groupes: favorables, se posant des questions ou non favorables à un traité de libre-échange. Ces groupes, dis-je, se sont présentés ou vont se présenter devant le comité Warren et leurs paroles sont écoutées, sont prises en considération, sont parties très souvent de la position du Québec dans son travail avec ses partenaires canadiens dans le but d'établir une position de négociations canadiennes vis-à-vis des États-Unis et dans ce suivi que l'on fait régulièrement.

J'ai demandé à quelques collègues de m'accompagner aujourd'hui et de traiter plus précisément de certains aspects. Le député de Rosemont et mon adjoint parlementaire, le Dr Rivard, va prendre l'occasion qui lui est offerte pour parler des motivations du gouvernement du Québec et du gouvernement du Canada à entretenir ces négociations avec les États-Unis tant sur un plan positif que sur un plan défensif, c'est-à-dire cette protection qu'on cherche à se donner vis-à-vis de la montée protectionniste américaine. Nous allons parler de notre participation active à la formation du groupe canadien, à la préparation du mandat. Nous allons demander à notre collègue, le député de Vanier, M. Lemieux, de parler cependant du "mais". M. le député de Bertrand a dit: Nous sommes favorables au fait de discuter de la libéralisation des échanges, nous aussi, mais pas à n'importe quelle condition. Dans les documents que nous avons publiés, dans les présentations publiques que nous avons faites, nous avons régulièrement stipulé qu'il y avait des "mais". Je demanderai au député de Vanier de bien vouloir en parler.

Je veux également souligner ceci et je reconnais que depuis le tout début, ces relations que nous avons eues sur le sujet, l'Opposition et son représentant et moi-même, ont été justement très professionnelles. Je crois que nous devons tous deux profiter, peut-être, de cette présentation publique que nous faisons aujourd'hui pour souligner à nouveau certains des éléments qui font que le dossier ne doit pas être émotif, qu'il doit demeurer sous contrôle.

Finalement, comme dans toute négociation bilatérale dans le contexte du GATT, l'agriculture a toujours fait le sujet d'un traitement spécial. Nous allons très bien accueillir les remarques que les représentants de l'Opposition peuvent vouloir faire sur le sujet. J'ai demandé plus particulièrement à M. le député de Vanier de traiter également de ce sujet très sensible, très crucial, très spécial de l'agriculture.

Je terminerai, M. le Président, en disant et en renouvelant que le Québec a accepté de travailler avec le Canada dans un contexte bilatéral avec les États-Unis, mais qu'il l'a accepté en stipulant dès le départ que la spécificité sociale, politique et culturelle du Québec n'était pas en jeu.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. Je reconnais maintenant le député de Bertrand, critique officiel.

Argumentation M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. Je suis très heureux maintenant que les positions soient établies de part et d'autre, aussi heureux de voir l'attitude du ministre et qu'il a la même position avec un "oui, mais". Alors, on va parler des "mais" maintenant, puisqu'on est sur cette même longueur d'onde. S'il est vrai que les relations à ce jour entre le gouvernement et l'Opposition ont été bonnes - et je le confirme - j'espère qu'elles vont le demeurer, compte tenu de l'attitude du gouvernement. Le ministre me connaît depuis fort longtemps et, lorsque je décide de passer à l'attaque, je deviens un peu agressif tout en gardant mon calme et en restant très serein. Je dirais que le gouvernement se doit de changer d'attitude, pas la semaine prochaine, dès ce matin, parce que l'attitude qu'il a eue jusqu'ici est une attitude d'"attentisme". J'ai un peu l'impression, tout en regardant évoluer les différents comités et en n'attaquant personne, parce que j'ai beaucoup de respect, que ce soit pour M. Warren ou les autres personnes qui sont là, mais il se s'agit pas de cela... Il s'agit que les instances politiques, le ministre, le premier ministre, interviennent le plus rapidement possible dans le débat, parce que l'heure est arrivée de mettre les cartes sur table et d'ouvrir le débat. Cela me semble important qu'il y ait un changement d'attitude vers l'offensive. On n'a vu nulle part, M. le Président, ce que le Québec s'attend d'obtenir dans cette négociation. On n'a vu nulle part ce que j'appellerai ce matin la liste d'épicerie. Quelles sont les différentes conditions auxquelles on est prêt à adhérer? C'est quoi, le "mais"? Je peux comprendre que, pour des fins stratégiques, on ne voudrait pas mettre effectivement sur la place publique toute cette stratégie. Mais je pense qu'on doit au moins, les membres de l'Assemblée nationale et ceux qui sont impliqués dans ce dossier, savoir où l'on s'en va. Je pense que ce changement de cap, ce changement d'attitude doit s'opérer rapidement. Je serai très vigilant dans ce dossier,

parce que je crois qu'il y va de l'avenir économique du Québec. Je pense qu'on n'a pas le choix, lorsqu'on voit particulièrement depuis quelques semaines l'attitude des Américains, quand on voit depuis quelques semaines l'attitude d'autres personnes dans d'autres provinces, que ce soît en Ontario ou ailleurs, quant à la position qui semble vouloir se dégager du Québec,

La position américaine. Lorsqu'on lit les déclarations du président Reagan ou de quelques-uns de ses porte-parole... Pour en citer un et non le moindre, le président d'American Express, M. Robinson, qui dit: L'accord? Oui, on le veut. On veut qu'il porte sur tout, on veut qu'il porte sur le commerce, sur les marchandises, sur les services, sur les investissements, sur la propriété intellectuelle, et on se devra de trouver un mécanisme pour l'agriculture. Les porte-parole, les ténors américains disent: On veut un traité de libre-échange. Oui, mais on le veut sur tout. Quelle est la position du Québec? Quelle est la position du ministre sur la question des investissements? Pas plus tard qu'hier, le ministre a commencé à prendre certaines positions. Il faut rapidement se "canter" et donner notre position pour autant que le Québec est concerné par les questions d'investissements. II faut donner notre position exacte par rapport aux questions de ressources naturelles que nous avons. Je pense qu'on doit protéger une certaine partie de notre marché et il faut immédiatement dresser la liste de ce qu'on entend protéger. Est-ce que, par exemple, dans un traité de libre-échange, on sera capables d'être exemptés comme cela nous est arrivé dans le cas du bois d'oeuvre d'une surtaxe de 15 %? Est-ce que le gouvernement américain mettra une clause comme il en a mis une dans le cas de son traité, le seul traité de libre-échange qui a été fait à ce jour? Il mettra une clause, appelée la clause 5, la clause de sauvegarde, comme à l'intérieur de cedit traité qui a été signé avec Israël au mois de septembre 1985 et qui dit à toutes fins utiles: les deux gouvernements qui ont signé cette entente pourront dans le cas de concurrence déloyale ou de dumping appliquer leur loi. Donc, préséance aux lois américaines, aux lois antidumping et aux lois pour clause de concurrence déloyale. Est-ce qu'on l'appliquera dans ce cas-là? Qu'est-ce qui arrivera dans le cas de nos ressources naturelles? Qu'est-ce qui arrivera dans le cas de nos tarifs d'électricité que l'on vend actuellement 0,024 $ le kilowattheure à nos entreprises québécoises et 0,06 $ le kilowattheure aux entreprises américaines? Qu'est-ce qu'il arrivera dans le cas du bois d'oeuvre? Est-ce qu'on sera capable d'empêcher - et je termine là-dessus, M. le Président - des surtaxes de 15% ou si, malgré un traité de libre échange, on se verra imposer des surtaxes de 15% parce que le gouvernement américain aura décidé, lui, que nous faisions du commerce déloyal? (10 h 30)

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand. M. le ministre du Commerce extérieur.

M. Pierre MacDonald

M. MacDonald: Nous avons mentionné à maintes reprises ce fameux chiffre de 40% du produit intérieur brut du Québec qui est exporté à l'extérieur du Québec. La moitié de ces 40 % vont vers le reste du Canada, l'autre moitié à l'échelle internationale.

Cette année, de cette autre moitié, environ 77% ou 78% vont être dirigés vers les États-Unis. Nous avons mentionné, M. le Président, ce climat de protectionnisme montant, ce protectionnisme même brutal quant à la façon dont on l'exerce autour du Congrès. On a remarqué éqalement, et je dois à ce moment-ci peut-être le préciser pour M. le député de Bertrand, que oui il y a aux États-Unis des éléments qui y retrouvent des avantages. Il faudrait bien qu'il y ait certains éléments qui retrouvent des avantages à un traité bilatéral avec le Canada; sans cela, on n'en parlerait pas du tout. Mais si je vous rappelle le "omnibus trade bill" qui est discuté, si je vous rappelle les déclarations faites de part et d'autre et quasi journellement à Washington, vous avez également un énorme lobby très puissant et la dernière chose dont il veut entendre parler, c'est la libération des échanges avec qui que ce soit.

Or, c'est justement là le point, M. le Président. Pour le Canada et pour le Québec il n'est pas question de penser élarqir leurs marchés avec les États-Unis seulement. Il est plutôt question, vis-à-vis de ce protectionnisme, de se garantir une continuité dans l'accès que nous avons au marché américain.

M. le député de Bertrand a parlé, à juste titre, de cet accord qui a été signé avec Israël. On a sûrement remarqué, à la lecture des documents que nous avons publiés, qu'une des conditions fondamentales pour le Québec et le Canada dans la réalisation d'une entente avec les États-Unis, c'est de trouver un moyen qui va nous permettre de régler d'une façon plus intelligente, plus rationnelle, plus civilisée, dirais-je, nos différends commerciaux avec les États-Unis. Vous avez fait une "longue liste d'endroits où nous avons subi les contrecoups du protectionnisme américain, de leur "trade remedy laws". Vous avez soulevé le sujet des richesses naturelles. Vous avez soulevé le sujet particulier de nos exportations d'électricité.

C'est justement pour cela, M. le Président, que nous avons l'impression

qu'aucune de nos exportations vers les États-Unis n'est à l'abri de la demande ou de la préoccupation d'un membre du Congrès, Sénat ou Chambre des représentants, qui verrait, à son avis, des emplois menacés dans son État, qu'il n'y a aucune protection contre l'introduction au Congrès, par cette personne-là, d'un projet de loi qui aurait pour effet de diminuer la capacité du Canada et du Québec d'exporter vers les États-Unis. Je le répète donc, parce que c'est absolument fondamental: II ne saurait être question de traiter avec les État-Unis, pour le Québec, et nous l'avons maintenu régulièrement, il ne saurait être question de ce genre de négociations qui représentent du "give-and-take" - j'en prends, j'en donne; c'est la résultante de toute négociation - il ne saurait être d'adhésion pour le Québec s'il n'y a pas une meilleure façon de régler nos différends, et je le répète, allant au-delà, de ce qui pu être traité par les États-Unis et Israël dernièrement.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. Je reconnaîtrai maintenant l'adjoint parlementaire et député de Rosemont.

M. Guy Rivard

M. Rivard: Merci, M. le Président. Le député de Bertrand tout à l'heure a souligné qu'il croyait important d'examiner les raisons qui peuvent pousser les États-Unis à vouloir conclure un accord de libre-échange avec le Canada. Je pense qu'il est non moins important d'examiner les raisons que nous pouvons avoir au Québec d'appuyer le Canada dans cette démarche.

Le ministre a rappelé tout à l'heure jusqu'à quel point notre économie québécoise est ouverte, en soulignant que 40 % de votre produit intérieur brut est exporté en dehors de nos frontières. Notre plus grand marché est près de nous, mais ce n'est pas un marché libre dans le même sens que ce marché libre dont jouissent tous les pays industrialisés partout sur la planète. La compétition pour le marché américain, comme la compétition pour les autres marchés, est féroce et pour survivre, le Québec doit augmenter sa propre capacité concurrentielle.

On conviendra avec moi, M. le Président, qu'il est difficile pour le Québec de concurrencer des pays en voie de s'industrialiser quant au coût de la main-d'oeuvre. Il est donc essentiel pour nous d'axer l'augmentation de notre capacité concurrentielle sur notre essor technologique, non seulement en favorisant l'émergence de nouvelles technologies, en particulier des entreprises de haute technologie, mais aussi -et ce n'est pas négligeable, comme le rappelait le ministre tout à l'heure - en introduisant le plus rapidement possible des technologies nouvelles dans les entreprises, même les plus traditionnelles. Or, si nous dépendons de nos voisins américains pour étendre notre marché d'exportation, nous dépendons aussi de la capacité d'invention de nouvelles technologies par les Américains pour accroître notre propre capacité concurrentielle.

Je m'explique. Le Canada et le Québec sont de très faibles producteurs de nouvelles technologies. On connaît ce chiffre de 0,6 % de la technologie mondiale qui est inventée au Québec, alors que pas loin d'ici, dans la seule région de Boston, c'est 25 % de la technologie mondiale qui y naît. Même si le dernier budget de M. Levesque donne un coup de pouce extraordinaire à la recherche et au développement au Québec, on conviendra aussi que notre retard, en ce qui concerne le développement technologique, est trop important pour pouvoir le combler sans cet apport de technologie de la part des Américains. Donc, nos préoccupations quant aux échanges avec les États-Unis doivent embrasser non seulement les échanges commerciaux, mais aussi les transferts de technologie. Notre propre développement technologique dépend d'une combinaison heureuse d'invention sur place et d'importation dans le contexte le plus libre possible.

Tout cela, M. le Président, crée des emplois en grand nombre. Plus le marché est grand, plus les occasions d'affaires sont nombreuses. Lorsqu'on parle de développement technologique, cela crée des emplois stables et des emplois de qualité. Mme Carney emploie pour décrire ces emplois l'expression suivante: ce sont les emplois du XXIe siècle. Pour nous, au Québec, qui avons donné librement accès à l'enseignement supérieur au niveau des cégeps et des universités, nous nous sommes créés l'obligation comme société de créer des débouchés intéressants pour nos diplômés qui sont orientés vers les sciences et les technologies.

Tout cela également, M. le Président, c'est dans l'intérêt des consommateurs. Le jugement populaire veut que plus une entreprise vend, plus elle peut baisser ses prix. Cela est important pour nous tous, et surtout pour ceux qui ont des revenus modestes. Et qui plus est, lorsqu'une entreprise est capable de faire face à la concurrence, en règle générale, c'est parce qu'elle est capable non seulement de vendre en grand nombre mais aussi de vendre un produit de qualité. Nous sommes donc gagnants sur tous les plans. Le Québec ne peut espérer créer de nouveaux emplois et améliorer son niveau de vie s'il n'exporte davantage ou fait porter cet effort additionnel vers le marché le plus important, le plus proche et, d'une certaine façon, le plus naturel.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. l'adjoint parlementaire et député de Rosemont. Je reconnais maintenant le critique de la culture et député de Saint-Jacques.

M. André Boulerice

M. Boulerice: M. le Président, mon intervention va porter essentiellement sur les dangers d'un éventuel traité de libre-échange canado-américain qui inclurait le secteur des industries culturelles. Quand je dis industries culturelles, j'entends la culture et la communication. Ce secteur représente actuellement au Québec 58 000 emplois. Il génère des retombées économiques directes de 2 000 000 000 $ et des retombées indirectes de plus de 3 000 000 000 $. Je pense que ces chiffres illustrent de façon concrète l'importance de ce secteur d'activité pour notre économie. Ce secteur a une importance fondamentale. Je pense que vous ne le nierez pas dans le cas du Québec en raison de notre spécificité culturelle comme seule collectivité majoritairement francophone en Amérique du Nord.

Depuis plusieurs mois, on assiste à un ensemble de déclarations contradictoires, à mon point de vue, de la part des négociateurs américains, d'une part, et canadiens, d'autre part, à savoir si les industries culturelles seront ou ne seront pas incluses dans le traité de libre-échange. J'aimerais vous rappeler que le texte de M. MacDonald - et il faut s'entendre, le M. MacDonald fédéral et non pas le nôtre -n'exclut pas le secteur culturel du traité de libre-échange. Nous sommes inquiets, M. le ministre, de l'impact de l'application de la logique américaine sous-jacente aux négociations qui prétend que les États-Unis subissent une concurrence déloyale en raison d'interventions de l'État canadien ou de l'État québécois dans le secteur de la culture par divers moyens qui sont la réglementation, les subventions, les mesures fiscales.

Quand on sait pertinemment qu'en 1984 notre déficit commercial dans le secteur des biens culturels s'est élevé à près de 900 000 000 $ et dans les services culturels à plus de 200 000 000 $, notre culture n'a véritablement pas les moyens de voir un traité de libre-échange limiter la capacité d'intervention de l'État dans le secteur des industries culturelles. L'édition, notamment, le cinéma, la vidéo ou le disque sont les secteurs les plus vulnérables face à un traité de libre-échange qui aurait un effet véritablement dévastateur pour ces secteurs.

Nos industries culturelles sont des créatures récentes, elles sont de petite taille, ce sont des petites et moyennes entreprises offrant une faible capitalisation. Elles doivent donc composer avec l'exiguïté d'un marché culturel québécois qui implique des possibilités de rentabilité pour le moins aléatoires. J'aimerais vous rappeler d'ailleurs - selon une étude de l'UNESCO, qui est quand même un organisme prestigieux et reconnu mondialement - qu'un bassin de population d'au moins 15 000 000 de personnes ne peut survivre sans l'aide de l'État au niveau culturel. Étant donné l'exiguïté de notre marché, l'État doit intervenir de façon directe ou indirecte pour soutenir les activités de nos industries culturelles et assurer leur développement.

Cette intervention de l'État prend la forme de subventions, d'actions d'entreprises d'État comme Radio-Canada, d'abris fiscaux ou de réglementations comme celle du CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, sur le contenu canadien que doivent repecter les diffuseurs. La barrière linguistique, évidemment, est là, mais ne saurait seule prétendre enrayer une pénétration accrue des produits culturels américains dans un contexte de libre-échange. À l'heure actuelle, 97,2 % des films présentés au Québec proviennent de l'extérieur dont près de 35 %, des États-Unis; 82 % des vidéocassettes distribuées au Québec sont de langue anglaise et 77 % viennent des États-Unis; 85 % des revues ou magazines viennent de l'extérieur du Canada.

Une intervention réduite de l'État, M. le ministre, dans le secteur des industries culturelles, selon la logique américaine sous-jacente au traité de libre-échange, laisserait ce secteur aux seules lois du marché. Dans un tel contexte, nos industries culturelles, sans aide de l'État, seront incapables de concurrencer efficacement sur le marché québécois une industrie culturelle américaine aux ressources financières considérables. Un traité de libre-échange provoquera sans aucun doute un accroissement de notre dépendance à l'égard des produits culturels américains, au détriment des produits culturels de nos industries et de nos créateurs, ce qui risque de porter un coup direct, fatal à la spécificité culturelle que nous réclamons.

Vu les dangers pour notre identité culturelle, nous demandons au ministre du Commerce extérieur et du Développement technoloqique de nous donner l'assurance que les industries culturelles ne seront d'aucune façon touchées par le traité de libéralisation des échanges. En terminant, est-ce que M. le ministre du Commerce extérieur peut nous donner l'assurance que les industries culturelles seront exclues du traité de libre-échange et que son gouvernement refusera toute limite à sa capacité d'intervention par le biais de réglementations, de programmes d'aide ou de mesures fiscales visant à assurer le développement des industries culturelles? Peut-il nous donner aujourd'hui cette garantie, compte tenu de l'impact néfaste d'un traité de libre-échange qui

affecterait notre spécificité culturelle? Je me permettrais d'ajouter en terminant, M. le Président, que je pose effectivement cette question sachant pertinemment que je traduis, je crois, le plus fidèlement possible la position de la FTQ, de la CSN, de la CEQ, de l'UDA et de l'ensemble du monde culturel québécois. (10 h 45)

Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie, M. le député de Saint-Jacques, en vous rappelant que vous avez dépassé votre temps de quelque quarante secondes. Nous espérons que ça ne se produira plus. M. le ministre du Commerce extérieur.

M. Pierre MacDonald

M. MacDonald: Merci, M. le Président. Je crois que nos écrits sur le sujet dont a traité le député de Saint-Jacques parlent par eux-mêmes et vous me permettrez, s'il vous plaît, de lire quelques lignes. À la page 66 du volume que nous avons publié, il est écrit: "Pour le Québec, comme pour le Canada..." Bien que je doive préciser que je parle comme un ministre du Québec, on a écrit tout de même: "Pour le Québec, comme pour le Canada, les activités culturelles sont essentielles au maintien et au développement de leur caractère distinctif."

On continue en disant: "C'est pourquoi le Québec défendra l'intégralité des lois, programmes et politiques contribuant à la spécificité de la société canadienne." On continue en disant: "Le Québec, comme le Canada, insiste sur le fait que son identité culturelle et son caractère linguistique particulier ne doivent pas être en jeu dans ces négociations."

Après cette remarque tantôt sur certaines imprécisions de nos documents, nébulosité, etc., je suis sûr que les députés de Bertrand et de Saint-Jacques conviendront qu'il n'y a pas de nébulosité sur ce sujet.

Je me permettrais de prendre le document qu'a publié hier le gouvernement fédéral. Je tire en page 5 une déclaration qui, sous un en-tête gras, dit: "Les non négociables". Sous cet en-tête, on retrouve: "Notre patrimoine national. Nous maintenons notre droit d'établir nos politiques sociales et culturelles et de favoriser notre développement régional."

Plus loin, si vous me permettez, en parlant d'intégrité culturelle, on dit: "Les négociations commerciales sont, en quelque sorte, un processus d'apprentissage dans lequelle les parties se sondent mutuellement pour trouver le défaut de leur cuirasse". "N'ayant peut-être pas compris l'importance que les Canadiens attachent à leur souveraineté culturelle..." Nous avons d'ailleurs déjà mentionné que pour les Américains, la culture, pour la majorité, c'est synonyme de "entertainement", spectacle. Ils n'ont certainement pas compris la spécificité canadienne et québécoise dans ce domaine.

Je continue donc en disant; "N'ayant peut-être pas compris l'importance que les Canadiens attachent à leur souveraineté culturelle, les États-Unis ont pu croire que nous avions quelque chose à céder dans ce domaine. Mais les déclarations contraires faites à maintes reprises par les plus hautes instances canadiennes - permettez-moi d'ajouter "québécoises" - les ont détrompés sur ce point".

Il n'est absolument pas question, M. le Président, de mettre en danger, sous quelque forme que ce soit, ce qui fait du Québec le Québec et ce qui fait de cette entité ou de cette spécificité canadienne également - je peux me permettre de parler comme Canadien dans ce dossier-là - il n'est pas question, dis-je, de négocier cela avec les Américains. On leur a dit, on leur a répété; si on revenait sur le sujet, on le répéterait encore.

Je suis d'accord avec vous et il est normal, lorsque nous parlons culture, qu'on veuille empiéter dans le domaine des investissements, dans le domaine des subventions. Ce sont des sujets qui peuvent être traités sous différents en-têtes dans une négociation bilatérale, mais lorsqu'il sera question de culture, lorsqu'il sera question de cette réalité française qu'est le Québec en Amérique du Nord, je vous le dis, venant d'un Québécois qui est un Québécois de choix qui pourrait aujourd'hui vivre à l'extérieur, mais qui a choisi de vivre ici et de travailler au Québec, il n'est pas question de négocier ceci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. Je reconnais maintenant le député de Vanter.

M. Jean-Guy Lemieux

M. Lemieux: Merci, M. le Président. Effectivement, c'est avec intérêt que j'ai écouté le député de Bertrand, tout particulièrement une de ses interroqations, à mon avis, qui est primordiale, le pourquoi du député de Bertrand. À ce pourquoi du député de Bertrand, je dirais pourquoi pas? Pourquoi pas permettre au Québec d'avoir accès, sans bâton dans les roues, à un marché de consommateurs d'environ 250 000 000 $? Pourquoi pas? N'est-ce pas là une porte en tant que telle vers l'expansion, vers le développement? N'avons-nous pas au Québec le leadership, l'ouverture d'esprit nécessaire à tout cela? Je le dis, M. le Président, au député de Bertrand, surtout parce que lui-même est un homme d'entreprise, un homme de PME qui, je me souviens fort bien, lors du débat sur le discours sur le budget, nous

a fait valoir ses préoccupations à ce niveau.

Mais ce qui intéresse peut-être davantage le député de Bertrand, c'est le "mais" dans ses grandes lignes. Effectivement, personnellement, je ne suis pas contre le libre-échange; je dis surtout qu'il ne faut pas le redouter, mais il faut l'organiser avec concertation, collaboration, méthodiquement, sur une base progressive pour protéger ce qu'il y a de plus primordial ici au Québec: notre intérêt national au sein de la Fédération canadienne et aussi une des préoccupations du député de Bertrand, protéger notre industrie québécoise. Car, en somme, quel est l'objectif commun que nous avons comme Québécois, et ce, sans partisanerie politique? C'est davantage - et je pense que ce doit être cela - le bien-être des Québécois.

Pour assurer ce bien-être des Québécois, le "mais" québécois est le suivant: Nous avons effectivement, M. le Président -et j'en fais part au député de Bertrand - des exigences. Il nous apparaît élémentaire, M. le député de Bertrand, que le Québec jouisse d'un droit de veto dans des secteurs qui relèvent de sa compétence exclusive. Effectivement, vous n'êtes pas sans savoir que la constitution canadienne donne au gouvernement tous les pouvoirs pour conclure un traité portant sur le commerce et que l'opposition des provinces ne lui enlèverait pas cette légalité-là. Par contre, le gouvernement fédéral ne peut ignorer les provinces qui ont juridiction en matière de commerce - je dis bien - local et interprovincial. Celles-ci ne peuvent être obligées de respecter un tel traité lorsque leurs compétences sont en cause. Ceci est effectivement une de nos préoccupations principales.

Il y a aussi d'autres exigences qui nous apparaissent élémentaires, soit de participer au processus de prises de décisions sur toutes les questions pouvant affecter l'avenir économique du Québec, de défendre les lois, programmes et politiques qui sont dans les domaines des affaires sociales, des communications et de la culture, qui contribuent au caractère distinctif du Québec. Voilà deux des grands paramètres, M. le député de Bertrand, et je vais vous en citer quelques autres. Il est nécessaire pour nous de conserver les outils nécessaires au renforcement du tissu industriel et de la base technologique du Québec, de faire reconnaître la nécessité absolue des périodes de transition et des problèmes d'adaptation, chose de laquelle vous vous êtes tout particulièrement - M. le Président, j'en fais mention - préoccupé, puisque, encore une fois, je me souviens fort bien qu'en ce qui concerne les PME, ceci était un des points majeurs que vous avez soulevés à M. Gérard D. Levesque, ministre des Finances.

II est nécessaire aussi d'assurer le maintien d'une clause de sauvegarde au-delà des mesures de transition et des programmes d'adaptation industrielle. II est nécessaire de se réserver le droit, au moment de la conclusion du processus de négociation, d'en faire une évaluation ultime en fonction de ces intérêts fondamentaux et de donner ou non son approbation.

Voilà, M. le Président, les grands paramètres et le "mais" du Québec à cette entente sur le libre-échange. Notre premier ministre est tout aussi préoccupé. Déjà, en novembre 1985, eu égard à la PME québécoise, il disait que le Québec ferait connaître la nécessité d'obtenir des périodes de transition et des programmes d'assistance appropriés, afin de faciliter au nouveau contexte concurrentiel des entreprises et des travailleurs oeuvrant dans les secteurs moins compétitifs. C'est là une de nos préoccupations nécessaires et essentielles.

Je vous dirai que nous avons comme priorité le bien-être des Québécois et, en ce sens-là, évidemment, M. le Président, nous ne laisserons aller aucune de nos compétences en la matière. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Vanier. Je reconnais maintenant M. le député de Bertrand.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): M. le Président, en l'absence de mon collègue de l'Agriculture qui est retenu, j'interviendrai sur l'aspect de l'agriculture. Cependant, vous me permettrez d'apporter quelques commentaires rapides à l'aspect qui vient d'être souligné par le député de Rosemont et par le député de Vanier.

D'abord, je dirais au député de Rosemont: C'est beau d'avoir le discours que l'on tient, à savoir que l'on est d'accord pour avoir accès à un marché beaucoup plus grand. Je pense que, comme toile de fond, tout le monde s'entend, sauf que c'est lorsqu'on pousse un peu plus loin... C'est quand on s'aperçoit que les barrières tarifaires, là où il y en a, parce que 80 % du marché actuellement se fait en état de franchises, donc, il n'y a pas de problème... Mais sur les 20 %, ce qu'il faut bien retenir, c'est que les tarifications d'entrée au Canada sont le double de celles des États-Unis, c'est-à-dire que nous sommes actuellement protégés, sur la plupart des secteurs protégés, deux fois plus que le sont, entre autres, les États-Unis. Pour ne donner aue quelques exemples, dans le domaine des plastiques, les tarifs canadiens sont de 13,7 % et les tarifs américains varient de 0,0 % à 8,7 %. Dans le domaine du cuir à chaussures, c'est 10 % au Canada et 5 % aux États-Unis. Dans le domaine du textile, c'est 18 % au Canada et 10 % aux États-

Unis. Dans le domaine du meuble, c'est 15 % au Canada et entre 2,5 % et 6,6 % aux États-Unis. Le jour où on fera tomber ces barrières tarifaires, nous serons doublement pénalisés. Ce que je dis et ce que je demande... Je pense que c'est légitime et que cela fait partie des belles paroles et, j'en suis sûr, des convictions du député de Vanier: on veut le bien-être des Québécois. Moi aussi, vous savez, je veux le bien-être des Québécois sauf qu'on n'a pas été assez fermes à ce jour; on n'a pas vraiment réalisé notre mandat et je ne suis pas sûr que le comité Warren actuellement a tout le mandat qu'il lui faut.

J'ai écouté les déclarations de Mme Pat Carney, hier ou avant-hier, qui disait par rapport au mandat qu'elle a confié à son comité, mandat des négociateurs canadiens, que le mandat, précise-t-elle, a toujours été respecté: II est, entre autres, d'écouter les Américains et d'essayer de déterminer les secteurs qu'ils aimeraient inclure dans les négociations du libre-échange puisque les avertissements ne sont pas sur la table, etc. Le mandat clair est d'être à l'écoute de ce que les Américains veulent. 5i c'est le mandat que le Canada a et auquel nous sommes accrochés, on est un peu à la remorque de ce mandat parce que ce n'est pas le Québec qui va négocier avec les États-Unis, nous passons par ta filière canadienne dans le système dans lequel nous vivons. Je veux bien, mais là, on se doit d'être non seulement offensif, on se doit d'être agressif. Il faut dire ce que nous voulons, quelle est notre liste d'épicerie, quelles sont les choses que nous ne voulons pas. Le ministre a été clair, tantôt, concernant l'aspect de la culture. Il a dit et j'espère que je l'ai bien interprété: II n'en est pas question. C'est clair. Mais qu'on le mette et publiquement. La culture ne sera pas touchée. Qu'en est-il maintenant de l'agriculture?

Dans le domaine de l'agriculture, je vous donnerai quelques exemples qui sont un peu et même beaucoup frappants. Le chiffre d'affaires de l'agro-alimentaire au Québec est de 12 000 000 000 $. La production laitière représente 45 % de la production agricole du Québec et son chiffre d'affaires est de 7 200 000 000 $ par année. Le marché canadien est protégé par des forts quotas sur les importations. Le litre de lait se vend 0,70 $ à Albany tandis qu'il se vend 0,90 $ à Montréal. Que coûte une douzaine d'oeufs à Montréal? Elle coûte 1,50 $ et, à Albany, elle coûte 0,69 $. Le Québec n'est autosuffisant que dans sa production laitière et porcine. Un accord de libre-échange réduirait cette autosuffisance. À quoi servirait cet accord de libre-échange dans le domaine de l'agriculture alors que la plupart des productions québécoises n'arrivent pas à suppléer le marché québécois? Si on élimine l'aide à la production, l'aide à l'établissement, les systèmes de péréquation, comment arriverons-nous à concurrencer la production américaine alors qu'une partie seulement de leurs surplus agricoles arriverait à déstabiliser l'agriculture québécoise? Je pourrais donner maints exemples, mais devant le temps que nous avons, j'y reviendrai tantôt. On devra avoir un débat beaucoup plus large. On ne peut pas en cinq minutes parler de culture, on ne peut pas en cinq minutes parler d'agriculture. J'y reviendrai lorsque le temps me sera donné. Merci. (11 heures)

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand. M. le ministre.

M. Pierre MacDonald

M. MacDonald: M. le Président, je suis heureux de voir le député de Bertrand citer les statistiques que nous avons insérées dans le document que nous avons publié, des statistiques qui sont connues, des statistiques sur lesquelles se base effectivement toute personne intéressée par ce dossier pour redire ce que nous avons dit catégoriquement, que l'agriculture, ayant déjà été traitée de façon spéciale, continuera pour nous à être traitée de façon très spéciale et cela, j'ose l'espérer, c'est également assez catégorique. Il n'y a rien à cacher dans l'agriculture. L'indépendance d'un pays, cette volonté de vouloir être autosuffisant en matière de choses aussi élémentaires que sa nourriture, ce n'est pas quelque chose qui se négocie ouvertement, qu'on laisse aller librement au gré d'un marché, à la puissance des tiers qui viennent saboter comme bon leur semble ce qui a pris des années et des années à développer, ce qui est une richesse en soi et ce qui représente en plus un marché d'exportation pour les agriculteurs et les agri-industries québécoises.

J'aimerais vous réconforter, si je peux me permettre, surtout en m'adressant aux agriculteurs et aux pêcheurs du Québec. Il n'est absolument pas question d'un traité de libre-échange intégral dans le domaine de l'agriculture et dans le domaine des pêcheries, quoique les pêcheries se tirent très bien d'affaire. On n'a qu'à regarder et on pourra parler peut-être plus longuement des actions en droits compensatoires que les États-Unis ont prises vis-à-vis du Canada et vis-à-vis des pêcheurs canadiens, pensant qu'ils étaient traités injustement. Je répète donc: II n'est pas question de traité ouvert, inconditionnel dans ces domaines, en aucune façon.

En ce qui concerne les tarifs en agriculture, vous vous rappellerez, M. le Président, que les tarifs y sont relativement bas et que ce n'est pas là réellement le grand problème de l'agriculture. Le grand problème de l'agriculture concerne plutôt les

victimes canadiennes, les victimes québécoises de la chicane, je dirais même, de la guerre entre les grands producteurs agricoles, particulièrement les États-Unis et la Communauté économique européenne. On se sent peut-être un peu étranger à cette chicane, mais on ne devrait pas l'être parce que, comme contribuables canadiens, particulièrement en 1986, cela nous aura coûté environ 1 200 000 000 $ d'aide aux producteurs de grain de l'Ouest, mais payés en bonne partie par la proportion qu'on paie des taxes canadiennes, payés en grande partie par les Québécois, victimes que nous sommes de cette compétition de subventions entre ces grands pays. Aujourd'hui, à Ottawa, se réunit le groupe de Cairns, 14 pays très concernés par des choses comme la guerre des grains entre les États-Unis et la Communauté économique européenne, mais également très concernés par le fait que plusieurs pays ont une surproduction agricole, surproduction qu'ils cherchent à écouler. Ils ont par contre des sous-productions dans certains domaines. Pendant que tout ceci se passe, on ne peut pas être indifférents au fait que certains prétendent qu'un quart de la population de la terre va se coucher en ayant faim. Le groupe de Cairns a exercé, à mon avis, suffisamment de pression pour que, à la dernière conférence de l'OCDE, on ait accepté de cesser cette escalade de subventions et accepté de continuer à discuter du sujet. Le Québec est fort préoccupé de l'ensemble du dossier de l'agriculture et participe activement à la position canadienne, et cela non seulement dans le contexte des négociations bilatérales. Permettez-moi encore une fois de le répéter: Le Québec n'embarquera pas et ne mettra pas en péril son agriculture et ses pêcheries en embarquant dans un traité de libre-échange intégral avec qui que ce soit.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. Je reconnais maintenant le député de Saguenay.

M. Ghislain Maltais

M. Maltais: Merci, M. le Président. Lorsqu'on parle de libre-échange, particulièrement au Québec, il faudrait se poser la question suivante: Jusqu'où pourrait aller le protectionnisme américain? À l'heure actuelle, il y a une industrie qui a été particulièrement touchée par le protectionnisme américain, c'est celle du bois de sciage; et le quart des exportations du bois de sciage provient de ma région.

Il faut se poser des questions sérieuses. Jusqu'où pourrait aller, sans accord entre les deux pays, l'industrie du bois de sciage au Québec? M. le Président, il faut se rappeler que cette industrie est fragile, c'est une industrie de base qui commande des investissements majeurs et qui est soumise à un libre marché à l'intérieur du Québec.

Il est devenu impératif de stabiliser, au cours des prochaines années, et de sécuriser, par le fait même, l'industrie du bois de sciage. J'ai connu personnellement, dans mon comté, des difficultés énormes et les scieries ont connu de ces difficultés. II faudrait regarder jusqu'à quel point ce qenre d'insécurité peut causer des problèmes majeurs. Ce sont des exemples particuliers, mais, finalement, ça se passe chez nous au Québec. Ce n'est pas dans un paramètre de discussion pancanadienne; c'est dans mon comté, le comté de Saguenay.

L'industrie du bois de sciage, lorsqu'elle devient insécure, n'investit plus; elle a un manque à gagner. La coupe diminue; ça touche automatiquement les travailleurs forestiers; ça touche les petits entrepreneurs. Comme la planification des coupes de bois de sciage se fait un an d'avance, on s'aperçoit que, déjà, à cause de ce protectionnisme... Il y a deux ou trois ans, on parlait à peine de cela, mais jusqu'au jour où on l'a reçu en pleine face, d'un coup bas, qui a mis en péril presque toute l'industrie du bois de sciage du Québec qui est quand même une matière très importante, une industrie primaire, mais importante pour les travailleurs et les travailleuses du domaine forestier.

Chez moi, ce ralentissement de l'industrie du bois de sciage a causé du chômage, a causé des pertes d'emplois, a aussi causé des faillites de petites entreprises parce que, de plus en plus, la coupe du bois, pour les industries de sciaqe, est confiée à de petits entrepreneurs et, dès qu'on a connu un ralentissement - on sait que la coupe est de plus en plus mécanisée et ces gens-là doivent faire des investissements importants - on a assisté à une suite de faillites de petits entrepreneurs qui font des investissements de l'ordre de 100 000 $ et 200 000 $ et qui se regroupent à quatre ou cinq personnes pour être ce qu'on appelle des entrepreneurs forestiers.

Il est important de savoir jusqu'à quand ce protectionnisme va continuer. Je me souviens fort bien que, en 1984, du jour au lendemain, les États-Unis ont imposé une taxe directe aux pêcheurs sur le poisson salé et séché. Personne n'avait pu prévoir ça. Quelles ont été les conséquences pour nos pêcheurs canadiens, nos pêcheurs québécois dans le domaine de la morue séchée et fortement salée?

Il faut regarder, aujourd'hui, qu'est-ce que sont devenus ces pêcheurs. Il ne faudrait pas réserver à nos travailleurs forestiers, à nos entrepreneurs, à nos industriels du sciage le même sort qui a été réservé à certaines industries de pêche. Oui, un traité de libre-échange avec nos "partners", certainement, mais pas à n'importe quel prix.

Est-ce qu'on peut se permettre de continuer ou est-ce qu'on peut aller dans le vide avec ça? Est-ce qu'on peut se permettre de laisser planer cette insécurité? Je parle d'un domaine particulier qui est le bois de sciage. Est-ce que, comme société, comme gouvernement, on a te droit de laisser planer ces doutes pour les prochaines années sur les industriels du sciage?

Le Québec a adopté une nouvelle Loi sur les forêts; il est grand temps, je pense, que, finalement, on donne une sécurité à ces investisseurs qui ont tant besoin d'être rassurés pour les prochaines années. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Saguenay. M. le député de Bertrand.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Oui, je répondrai immédiatement aux propos du député de Saguenay en lui disant que je suis très sympathique à sa cause. Je comprends très bien, sauf qu'il y a une partie qu'il n'a pas comprise, avec tout le respect que je lui dois. C'est que, même advenant un accord de libre-échange, M. le député, il risque fort de se retrouver, et toutes les preuves l'indiquent, une clause de sauvegarde, c'est-à-dire que les États-Unis pourront en tout temps exercer ce qu'ils ont exercé dans un cadre de non-libre-échange, c'est-à-dire imposer une surtaxe de 15 % parce que eux prévoyaient que c'était un commerce déloyal.

D'ailleurs, à cet effet, pas plus tard que le 11 avril 1987, John Heinz, sénateur républicain de la Pennsylvanie, un membre influent du comité des finances du Sénat" américain déclarait que le Congrès américain n'approuverait un accord de libre-échange avec le Canada que s'il avait l'assurance que les provinces s'y conformeraient - c'est le Québec, entre autres - et à la condition qu'il permette aux États-Unis de continuer à exercer des représailles en cas de pratiques commerciales jugées déloyales. C'est exactement le cas du bois d'oeuvre; je voudrais qu'on me rassure si ce n'est pas le cas et je voudrais qu'on nous prouve le contraire. Effectivement, c'est la position américaine actuellement: pas question de faire un traité avec le Canada si on ne garde pas cette clause. D'ailleurs, dans le seul traité qui a été fait jusqu'à maintenant, avec Israël en septembre 1985, il y a cette clause, l'article 5 du traité.

Cela dit, je vous dis que je ne me sentirai pas rassuré si on ne réussit pas à renverser la vapeur et si on ne réussit pas à faire comprendre aux négociateurs canadiens que, pour nous, pour le Québec du moins, c'est inacceptable. Quand je parle de prendre des positions fermes, quand je parle d'élever le ton, c'est que je comprends très bien ces revendications, mais c'est un peu ce qu'on retrouve un peu partout. Je rencontrais les dirigeants de la Chambre de commerce du Québec pas plus tard qu'il y a deux jours; vous les avez rencontrés aussi. Bien oui, ils sont d'accord et ils appuient le libre-échange, sauf qu'il faut aller plus loin que cela. Il n'est pas acceptable qu'on aille juste à ce niveau et c'est pour cela que le débat doit s'ouvrir. C'est pour cela que l'exercice ce matin était tellement important, mais ce n'est qu'un embryon. Je dis qu'on doit pousser plus loin.

Je voudrais revenir rapidement, car le temps s'écoule, sur les ressources naturelles, sur la question des services, sur la question des investissements. Mais, d'abord, je voudrais rappeler que, lorsqu'on a parlé de culture tantôt, même si le ministre nous a donné toute cette assurance, dans une petite note échappée qui s'en allait au bureau de Peter Murphy, son assistant, Bill Merkins, disait à M. Murphy, concernant cette question de la culture québécoise, des industries culturelles, que, selon les Américains, leur protection serait surtout symbolique. Ce qu'il voit au niveau culturel, c'est dans une petite note échappée, ramassée, entre autres, par le Toronto Star. Pour les Américains, la protection culturelle, c'est surtout symbolique, car les négociateurs américains vont accepter une définition très étroite, "narrowly", qu'ils utilisent comme expression de la culture.

Quant à l'agriculture, au-delà des paroles du ministre, y a-t-il moyen d'avoir une position ferme là où le Québec est concerné? D'après ce que le ministre nous a mentionné, le Canada... On se fie sur la préoccupation canadienne, mais il y a dans le domaine de l'agriculture, M. le ministre, aussi une spécificité québécoise. Il y a des domaines dans l'agriculture qui nous touchent plus particulièrement et qui ne concernent pas le reste du Canada. C'est là que sont mes préoccupations. C'est sûr que le Canada va négocier des choses, mais on est à la remarque et, dans nos domaines spécifiques, il faut faire une liste d'épicerie, il faut faire une liste de recommandations et de préoccupations.

J'enchaîne immédiatement sur la question des ressources naturelles. Je veux conclure. Dans le cas du bois d'oeuvre, on y a touché tantôt, la surtaxe de 15 % est un excellent exemple où il faudra essayer de trouver une formule pour se protéger. Les Américains, jugeant que nos droits de coupe étaient insuffisants, voyaient là un exemple de concurrence déloyale. Qu'en sera-t-il dans le cas des droits de l'électricité? Aux États-Unis, par exemple, les compagnies exploitant des barrages doivent payer des droits d'exploitation. Est-ce qu'on va nous servir la clause de concurrence déloyale et nous

forcer à augmenter nos tarifs ou à mettre un tarif égal sur l'utilisation de notre électricité? Vous savez, il y a une similitude entre les droits de coupe et les droits d'utilisation de nos rivières et de nos ressources naturelles.

Je reviendrai tantôt sur la question très précise des services et des investissements, laquelle je devrai condenser parce que je m'aperçois que mon temps est déjà écoulé. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand. M. le ministre. (11 h 15)

M. Pierre MacDonald

M. MacDonald: M. le Président, je pense que je dois m'excuser auprès de cette Assemblée parce que, assurément, je n'ai pas été assez clair dans mes explications. Je constatais que le député de Bertrand, bien que sympathique à l'énoncé du député traitant du bois de sciage et des effets de la surtaxe de 15%, disait: On demande... Un sénateur américain mentionne: Cela ne saurait être sans clause de sauvegarde, etc.

Permettez-moi de répéter ce qu'est la position du Québec dans ces négociations. Un élément tout à fait fondamental à notre participation à la signature d'un traité avec les États-Unis, c'est l'établissement d'une façon plus intelligente, plus rationnelle - et je l'ai mentionné tantôt - plus civilisée de régler nos différends à la frontière. Il n'est pas question pour nous d'ouvrir nos frontières sous quelque forme que ce soit, même de recevoir certaines concessions de tarifs, par exemple, s'il n'est pas inclus dans le traité une nouvelle façon de traiter nos différends qui va au-delà - et je l'ai mentionné - de ce qui a pu être le sujet de l'entente entre Israël et les États-Unis, et j'oserais même dire bien au-delà.

Le deuxième sujet que vous avez mentionné et qui vous préoccupait, c'était la culture et le troisième, l'agriculture. Encore là, cela va expliquer peut-être l'objet de mes excuses: On ne se comprend pas. Les Américains, je l'ai mentionné, ne comprennent pas la notion culturelle canadienne. J'irais même jusqu'à dire que, lorsque vous parlez de ressources naturelles, ils ne comprennent pas non plus l'entité canadienne, la réalité canadienne dans le domaine des ressources naturelles. À la base même de ce contentieux qui a amené la surtaxe de 15% dans le bois d'oeuvre, était cette notion américaine que si l'État est propriétaire de la ressource naturelle... Par exemple, si l'État québécois est propriétaire de ses forêts, pour un Américain, cela veut dire automatiquement des subventions. La plus grande partie des forêts exploitées aux États-Unis l'est sur des territoires privés de compagnies, d'où cette notion, cette incompréhension du système canadien qui prévaut ici.

Je vous dirais donc, M. le Président, encore une fois, qu'il n'est pas question de se placer dans une posture où on pourrait laisser les Américains, à partir d'une notion fausse, à partir d'ignorance de la réalité québécoise et canadienne, et encore pire, à l'intérieur d'un traité que nous aurions signé, les laisser mettre en péril l'exploitation de nos richesses naturelles et la vente du produit de celles-ci dans des marchés et d'une fàçon tout à fait légitime.

M. le Président, je dirai ceci en conclusion, et j'y reviendrai de toute façon: c'est justement cette notion fondamentale d'une nouvelle façon de régler nos différends qui est très incomprise chez nous. Tous les intéressés au dossier, l'Opposition, nous, les associations de consommateurs et l'Association canadienne des consommateurs, par exemple, qui se dit favorable - et qui le dit publiquement - à une entente de libéralisation des échanges... Je crois que nous devons nous engager plus que jamais dans un processus d'éducation, un processus d'information partout au Canada et particulièrement, pour ce qui nous intéresse, partout au Québec, parce qu'il y a beaucoup de gens qui, à partir des incertitudes, à partir d'objections semblables à celles que vous avez formulées, ont des craintes légitimes et des raisons légitimes de s'opposer à une trop grande libéralisation, si telle est leur hypothèse de base. C'est à nous de bien leur expliquer le contexte des négociations.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. Je reconnais maintenant M. le député de Rosemont.

M. Guy Rivard

M. Rivard: M. le Président, je crois qu'il y a eu suffisamment d'échanges maintenant sur la question du protectionnisme américain pour qu'on puisse réaliser qu'il s'agit d'une question fort importante, mais sur laquelle je voudrais revenir quand même.

En effet, l'accès plus larqe au marché américain n'a vraiment de sens que pour autant qu'il n'est pas soumis aux humeurs du Congrès américain; donc, accès d'abord et expansion ensuite. Je suis d'accord avec le député de Bertrand que, lorsque nous voulons ainsi défendre le Québec contre le protectionnisme américain, nous sommes en bonne compagnie. Nous avons tous probablement vu dans les quotidiens francophones et anglophones du pays, vendredi dernier, cette annonce pleine page qui a été publiée par l'Alliance canadienne pour le commerce et l'emploi, ce regroupe-

ment coprésidé par Peter Lougheed et Donald Macdonald. Dieu sait que nous sommes en bonne compagnie lorsque nous citons, comme je m'apprête à le faire, un court passage de cette annonce qui dit: Il nous faut nous assurer l'accès à nos principaux marchés et, ces dernières années, de nombreux produits canadiens, dont la valeur totale s'élève à quelque 8 000 000 000 $, ont été touchés par différentes mesures antidumping et de contingentement, ou encore par des droits additionnels ou compensatoires. Quelque 200 000 Canadiens travaillent dans les industries ainsi menacées.

Pour être bien sûr, un peu comme l'a fait le ministre tout à l'heure, que le critique de l'Opposition comprend dans quelle mesure nous sommes fermes là-dessus, je le ramène toujours à ce document unique et qui a été publié par notre ministère, à la page 9, lorsqu'on parle, dans le chapitre des mesures de protection exceptionnelles qui peuvent toucher tant le commerce loyal que le commerce déloyal, et je cite: "Arriver à éviter ce type de recours unilatéral à des mesures frontalières américaines (trade remedy laws) constitue l'objectif crucial de toute la stratégie canadienne de négociation et, par voie de conséquence, de la stratégie québécoise aussi. Et le défi est de taille. Le document du fédéral qui a été rendu public hier, mentionne que, depuis 1980, vingt enquêtes antidumping, onze affaires de droits compensatoires et treize mesures de sauvegarde constituent le menu du protectionnisme américain au cours des dernières années. Mais ce protectionnisme a des effets doubles. Le premier effet négatif, ce ne sont pas seulement les échanges commerciaux, mais aussi l'attrait que peut offrir le Québec pour les investisseurs étrangers. On conviendra avec moi que, si on a une fiscalité concurrentielle - et elle l'est de plus en plus, voir le dernier budget de M. Levesque - notre entrepreneurship, la qualité de notre main-d'oeuvre, notre paix sociale, notre diversité culturelle, notre effort de réglementation, tous des dossiers sur lesquels notre gouvernement travaille, il ne faut quand même pas se faire d'illusions, l'accès facile que le Québec peut avoir au marché américain constitue un atout majeur. Et, s'il faut à tout bout de champ remettre en question cet accès, c'est certainement au détriment du Québec. Cela nous fait perdre un certain sex-appeal face aux investisseurs étrangers.

Il y a un autre effet négatif. Lorsque nous voulons nous défendre, et nous voulons nous défendre contre le protectionnisme américain, nous ne protégeons pas seulement les emplois de l'avenir, mais les emplois actuels. On dit qu'une diminution de 10 % des exportations canadiennes vers les États-Unis, notre partenaire commercial principal, représente une perte de 250 000 emplois. Cette seule constatation nous interdit de souhaiter le maintien du statu quo dans nos relations commerciales avec les États-Unis. Nous avons plus à perdre comme pays que tout autre pays au monde.

Je voudrais, puisque c'est la fin de ma dernière intervention, souligner, de ma position privilégiée d'adjoint parlementaire au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique, que le Québec est en excellente position dans le dossier du libre-échange, étant donné la qualité des acteurs québécois. Le ministre lui-même a été désigné par Mme Carney pour faire partie du comité ministériel fédéral-provincial sur la question et nous avons, en la personne du conseiller principal Jake Warren, cet ancien ambassadeur à Washington, cet ancien coordonnateur, pour le Canada, du "Tokyo Round", une personne crédible et qui fait actuellement un travail gigantesque dans une structure gouvernementale solide.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Rosemont. M. le député de Bertrand.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. D'abord, deux ou trois commentaires concernant des interventions antérieures. J'ai bien compris le ministre tantôt nous dire de façon très ferme qu'il n'est nullement question pour le Québec d'accepter une entente sur le libre-échanqe s'il y avait une clause antidumping et des clauses qui soient similaires à celles du traité signé avec Israël. Il n'en est pas question pour le Québec.

Quant à la question de la souveraineté culturelle, de la spécificité culturelle, le ministre nous a dit: Je suis persuadé que ces gens-là ne nous comprennent pas. C'est justement ce qui m'inquiète. Ce qui m'inquiète encore plus, c'est que je suis loin d'être sûr que dans les comités négociateurs à Ottawa, bien que je respecte ces personnes-là, je ne suis pas sûr qu'elles comprennent elles aussi très bien quelle est notre spécificité en ces matières. Voici juste un exemple. Vous me direz que c'est juste un autre sénateur parmi tant d'autres, mais parmi les sénateurs américains qui sont impliqués il y a, entre autres, celui qui est président du sous-comité du commerce du Sénat américain. Ce doit être quelqu'un qui a un certain poids là-bas, M. Matsunaga. Il déclarait, il y a quelques semaines, le 8 avril: Je crois que plus vite votre culture -parlant des Canadiens - et notre culture fusionneront, mieux cela sera pour nos deux pays. N'est-ce pas beau? II a poursuivi: Vous

parlez la même langue que nous. Là, il parlait aux Canadiens. Lorsque le journaliste de la Presse canadienne lui a dit: Oui, mais le Québec parle français, il a rétorqué: Oui, mais vous savez, on parle aussi anglais. C'est loin d'être rassurant, mais je ne veux pas être alarmiste. Je ne voudrais pas être interprété de cette façon-là, mais veuillez me croire, ce n'est pas rassurant. C'est pour cela, M. le ministre, que je vous demande de montrer non seulement vos dents mais tout votre dentier.

La question des services est fort importante. Un des aspects les moins fouillés de la libéralisation des échanges concerne l'inclusion des services. Jamais encore sous les accords du GATT ce secteur n'a fait l'objet de négociations. Toutefois, le gouvernement se dit favorable à ce que le secteur des services soit inclus mais sans reconnaître tous les impacts réels, à mon point de vue.

Alors que les conséquences sont méconnues et les orientations gouvernementales encore imprécises, s'il est un secteur où on se doit d'agir avec prudence, c'est bien celui des services. Et encore là, dans une petite note à M. Murphy qui a circulé d'un bureau à l'autre, on s'aperçoit à quel point eux aussi ont des préoccupations de ce côté-là. Ce qu'il faut se rappeler, c'est que l'industrie des services occupe 71 % de la main-d'oeuvre québécoise et, à ma connaissance, aujourd'hui, dans ce domaine, il n'y a aucune étude d'impact sérieuse qui ait été faite jusqu'à maintenant. Je me demande si les études d'impact que le ministre nous a annoncées et qui doivent être déposées dans les prochains jours de la part de son collègue, le ministre de l'Industrie et du Commerce et de son collègue, le ministre délégué aux Pêcheries... Est-ce qu'il y aura des études d'impact dans le domaine des services. J'en doute fort mais je vous dis que cela représente 71 % de notre main-d'oeuvre.

Les Américains, eux, tiennent à inclure les services dans l'accord sur le libre-échange, et ce, dans le but de servir de précédent aux accords du GATT. En 1980, les Américains ont exporté pour 60 000 000 000 $ de services et ils tiennent à ce que ce marché en pleine expansion demeure ouvert. Par exemple, pour bien comprendre, le Canada a déjà imposé des restrictions dans les services à caractère culturel, comme la radio et la télévision. Les Américains aimeraient bien voir ces barrières non tarifaires disparaître. Entre autres aussi, selon la Loi sur l'assurance-dépôts, les sociétés de fiducie étrangères ne peuvent recevoir de dépôt. Déjà, les sociétés de fiducie n'ont pas un niveau de capitalisation assez élevé pour percer le marché américain.

Quelles concessions devrons-nous faire aux Américains? Dans le domaine bancaire, dans le domaine des institutions financières, il y a là une absence de réciprocité des privilèges. Je vous dirai que beaucoup d'impacts, voire la majeure partie des impacts qui nous préoccupent actuellement, devront se situer dans le domaine des services. Le ministre, dans cette Assemblée, lors de la période des questions, nous a dit que ce domaine n'a pas encore été abordé ou commence à peine à être abordé et que l'on ne sait pas encore, en date du 22 mai 1987, exactement où on s'en va. Vous savez, à quelques semaines d'une conclusion dans un domaine aussi important que celui-là, veuillez me croire, cela me préoccupe. Merci.

Le Président M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand. M. le ministre.

(11 h 30)

M. Pierre MacDonald

M. MacDonald: M. le Président, j'aimerais répéter encore une fois, pour être très clair, ce que j'ai énoncé comme condition fondamentale à l'adhésion du Québec à un traité de libéralisation des échanges avec les États-Unis. J'ai dit qu'il ne saurait être question pour nous d'y adhérer si on n'était pas capables d'y inclure une façon beaucoup plus rationnelle, beaucoup plus logique, beaucoup plus "d'affaires", beaucoup plus bilatérale de régler nos différends. Cela ne veut pas dire qu'à l'intérieur de cette entente, à titre d'exception, il n'y aurait pas des dispositions de sauvegarde antidumping. Nous, comme Canadiens, faut-il se le rappeler, constituons un dixième de la population des États-Unis et une fraction encore moins importante de l'économie. Nous pourrions vouloir bénéficier de certaines mesures de sauvegarde à certaines conditions. Donc, je dis et je le répète, nous ne saurions signer si nous ne sommes pas capables de trouver un moyen bilatéral, meilleur que celui qui existe à l'heure actuelle, de régler nos différends. Je n'ai pas dit que, exceptionnellement, nous n'exigerions pas nous-mêmes, à l'intérieur du traité, certaines mesures de sauvegarde.

Pour ce qui est de la compréhension, oui, je crois que c'est absolument vrai. Vous remarquerez qu'ayant vécu 38 ans à Québec et étant déménagé à Montréal depuis un certain nombre d'années, je réalise que, souvent, les Montréalais et les Québécois ne se comprennent pas. On voit cela, quelquefois, durant le temps du hockey. Il est de même évident qu'il y a souvent une incompréhension entre les intervenants de différentes provinces ou entre ceux de la province de Québec et ceux du gouvernement fédéral. Je dois vous dire que c'est avec plaisir qu'on a constaté, au sein de ce qui est devenu le comité Reisman, à la suite de

certaines négociations, de quelle façon les provinces auraient une pleine participation au processus de négociation avec les États-Unis. Ce comité Reisman, dis-je, s'est réuni quinze fois et nous y sommes représentés, comme vous le savez, par M. Warren, qui est généralement accompagné d'un certain nombre de nos experts. Ils ont, de plus, des conversations téléphoniques fréquentes. J'ajouterais qu'ils se sont échangés environ, si je ne me trompe pas, 400 documents qui nous sont transmis sous le sceau de la confidentialité, à différents degrés du gouvernement fédéral ou d'autres intervenants sur le sujet, cherchant à partager nos expériences, nos statistiques et l'interprétation de ces statistiques.

Je l'ai mentionné et je le répète, oui, il y a incompréhension et c'est pourquoi, souvent, on se rencontre, souvent, on se parle, souvent, on s'échange des documents de façon à être bien certains qu'on n'oublie jamais que, dans toute cette négociation bilatérale et éventuellement multilatérale, ce ne sont pas les provinces qui négocient entre elles, l'une contre l'autre, ou contre le gouvernement fédéral, mais c'est plutôt la recherche de la meilleure position canadienne possible vis-à-vis des tiers.

Finalement, M. le Président, on a abordé la question des services et je voudrais y toucher en conclusion de cette interpellation. Je dois dire que, dans le domaine des services, comme dans le domaine des investissements et de la propriété intellectuelle d'ailleurs, les États-Unis sont demandeurs. Ils sont demandeurs non seulement à l'échelle de cette négociation bilatérale, mais ils l'ont été, en tout premier lieu, à l'ouverture de la nouvelle ronde de négociations du GATT, la ronde de l'Uruguay. Ils ont même menacé, à un moment donné, si ce sujet n'était pas traité, si les parties contractantes n'acceptaient pas de parler de ces trois sujets, de se retirer des négociations du GATT pour régler leurs différends ou leurs ententes de façon bilatérale avec les autres pays.

Alors, étant les demandeurs, nous cherchons encore de la part des Américains des précisions. Il y a eu certaines notions qui ont été mises de l'avant pour fins de discussions. Il y a des choses très connues: la présence du secteur financier américain au Canada, la présence du secteur financier canadien aux États-Unis, les restrictions qu'on s'impose, soit directement ou indirectement. Il y a des restrictions quant aux transports, quant aux communications -quoiqu'il y en ait moins - on connaît ces choses-là. Mais la position exacte, l'ouverture totale que les États-Unis aimeraient avoir sur ce sujet avec nous, nous sommes encore en attente de certaines précisions. Donc, il n'y a pas lieu de se formaliser, de se geler dans le béton sur une position aujourd'hui.

Le Président (M. Théorêt): ... M. Jean-Guy Lemieux

M. Lemieux: M. le Président, c'est avec intérêt que je vois apparaître dans cette salle le député de Lévis et c'est avec autant d'intérêt aujourd'hui que je m'adresse à cette Assemblée, dans le cadre de cette interpellation dans un domaine qui est pour moi bien important, soit celui de l'agriculture. Ce pourquoi ce domaine est si important - et je vois sursauter le député de Lévis - c'est que je suis originaire d'un petit coin du Lac-Saint-Jean qu'on appelle Satnt-Coeur-de-Marie. J'ai été élevé sur une ferme et, chez nous, l'agriculture était une préoccupation vraiment journalière et importante et, relativement aux préoccupations du député de Bertrand, j'aimerais lui rappeler quelques paroles, tout à l'heure, du ministre du Commerce extérieur, M. MacDonald, qui a dit qu'en ce qui concerne l'agriculture, effectivement, c'est très spécial et que nous allons prendre les précautions nécessaires.

Il y a eu des déclarations du président de l'UPA relativement au libre-échange. Celui-ci nous disait dans La Tribune de Sherbrooke du vendredi 4 octobre: "Je suis favorable à une libéralisation des échanges commerciaux, mais à une libéralisation ordonnée." C'est une chose tout à fait normale et, à mon avis, compréhensible. Quand on regarde exactement l'agriculture au Québec, qu'est-ce que cela veut dire? Et, en ce sens-là, j'attire l'attention du député de Lévis en lui disant que - chose sans doute qu'il connaît - l'agriculture représente 2% du PIB et fournit 80 000 emplois directs. De plus, cette activité soutient quelque 260 000 emplois dans la transformation alimentaire, la distribution et les services connexes. Ce secteur élargi compte donc environ 10% de la main-d'oeuvre totale du Québec, ce qui illustre bien son effet d'entraînement dans les colonies québécoises. Les recettes à la ferme pour le Québec dépassent 3 000 000 000 $, ce qui représente 15% de l'ensemble canadien.

Pour ce qui est du marché américain, il a constitué le véritable pivot de nos exportations agro-alimentaires puisque 61% de nos ventes internationales y sont destinées alors que l'importance relative de ces débouchés n'est que de 36% pour l'ensemble du Canada.

Vous comprendrez, M. le Président, eu égard à ces faits, qu'il est tout à fait normal qu'on ne puisse pas du jour au lendemain laisser tomber les agriculteurs et leur dire: Allez tout bonnement vous débrouiller avec les lois du marché, comme

l'a dit si bien, tout à l'heure, le ministre du Commerce extérieur. Dans le cadre d'un traité de libre-échange, il a dit ceci: II n'est pas question d'un traité de libre-échange intégral dans le domaine de l'agriculture.

À ceci, M. le Président, je crois que le député de Bertrand a une réponse qui est claire, nette et précise, car il ne faut pas oublier une chose: dans la perspective où le principal enjeu pour le Québec consiste à accroître et à obtenir de meilleures garanties d'accès comme telles au marché américain, il est souhaitable que les questions concernant les règlements techniques et usages légitimes des subventions soient comme telles abordées. J'invite le député de Bertrand à jeter un coup d'oeil attentif à ce document La libéralisation des échanges avec les États-Unis: une perspective québécoise. À la page 22, au dernier paragraphe, il a une réponse claire, nette, précise et explicite- On dit: "II ne saurait toutefois être question de modifier de manière importante les programmes de mise en marché et de soutien des revenus. En effet, bien que dans une certaine mesure le secteur agricole fasse partie des sujets possibles de négociation entre le Canada et les États-Unis, un statut spécial lui a été reconnu. Ce sont les systèmes de soutien en vigueur qui lui confèrent un statut particulier. Aussi, étant donné que de telles pratiques sont généralisées au plan international - et j'attire son attention tout particulièrement sur la phrase suivante - il est plausible d'anticiper que les questions de fond sur les principaux programmes de soutien à l'agriculture ne feront pas, comme tels, partie des négociations avec les États-Unis mais seront plutôt traitées dans le contexte des négociations commerciales, multilatérales du GATT."

Je crois, M. le Président, que vous avez là une réponse claire, nette et précise aux orientations du gouvernement du Québec en matière d'agriculture dans le cadre des négociations du libre-échange. Je terminerai avec cette parole du ministre du Commerce extérieur qui nous a dit, il y a quelques instants: C'est d'une manière très spéciale que nous accorderons une attention tout à fait particulière à l'agriculture dans le cadre de ces échanges.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Vanier. M. le député de Bertrand.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Oui, merci, M. le Président. Mes premiers propos à l'égard du député de Vanier: Oui, j'ai lu et relu le document dont il fait mention. À la page 22, je pèse bien les mots, mais les derniers mots que je vois, c'est: il est plausible. Pour moi, "il est plausible"... Il aurait été pas mal plus catégorique, si le gouvernement veut être catégorique, de dire: II n'est pas question. On ne jouera pas sur les mots ce matin. Mais quand je dis qu'il faut avoir du mordant, qu'il faut être clair et qu'il faut établir très clairement notre position, je pense que la position du gouvernement établie dans le document, à plusieurs égards - je ne reviendrai pas là-dessus parce qu'on n'a pas le temps de le faire, on aura d'autres occasions, je l'espère - c'est ce que j'appelle une position très nuancée.

J'aimerais consacrer les cinq prochaines minutes aux questions d'investissement. Vous comprendrez, M. le Président, que cinq minutes pour parler d'un secteur aussi important que la question des investissements, c'est inacceptable, mais j'accepte les règles du jeu.

S'il est avantageux de s'installer au Québec pour bénéficier de son énergie abondante et peu coûteuse, il s'en trouvera beaucoup d'autres pour lesquels desservir le marché canadien à partir d'une localisation américaine sera beaucoup plus avantageux. Il est plus facile d'augmenter la capacité de production d'une usine américaine de 10 % pour desservir le marché canadien que d'agrandir une usine de production canadienne ou québécoise, même de 1000 %, pour desservir le marché américain. Ce que je veux démontrer par là sur la question des investissements, c'est qu'il faudrait peut-être penser à la partie "désinvestissement". Si 5 % des entreprises québécoises actuelles sont de propriété américaine, il y a quand même tout près de 24 à 25 % de la main-d'oeuvre du secteur manufacturier qui est touchée par ces entreprises. Et le jour où on aura un traité de libre-échange, il faudra quand même réaliser que, graduellement, il est possible que ces entreprises américaines en sol québécois puissent faire volte-face et retourner aux États-Unis parce qu'elles n'auront plus d'avantages à demeurer ici. Elles auront bénéficié au cours de ces dernières années de plusieurs soutiens. Je vous laisse cela à penser.

Du côté des investissements, il en a été question pas plus tard qu'hier avec Mme Carney et j'aimerais certainement que le ministre, dans sa dernière intervention, puisse nous dire plus ce qu'il en est, parce que j'en ai pris des bribes à la radio et des bribes dans les journaux, mais il semble que le ministre avait quelque difficulté à insérer ses propos à l'intérieur de ceux de Mme Carney, m'a-t-on dit.

Dans cet esprit, je vous dirai que, cette semaine, oui, la pression a monté dans le domaine des négociations du libre-échange parce que, justement, on a touché au domaine des investissements. Le premier ministre du Canada se montre très ouvert, lorsqu'il déclare: Nous sommes en faveur des

investissements étrangers parce qu'ils créent des emplois. C'est beau, c'est bien, c'est un grand principe. Tout le monde applaudit, mais on fait quoi quand on a dit cela? On sait que le gouvernement Mulroney, en arrivant au pouvoir en 1984, a fait disparaître la FIRA, les Américains ont applaudi et ils ne veulent surtout pas la voir revenir. Mais, nous, ici, au Québec, quelle va être notre position très claire quant à la question des investissements? Le négociateur canadien a déclaré hier - mais, là, je suis dans les journaux de ce matin ou d'hier, donc on parle d'une déclaration récente -avoir accepté d'intensifier les négociations sur les investissements par la création d'un atelier de négociations spécialement affecté à cette question. M. Riesman s'est inquiété devant le fait que le gouvernement canadien n'a pas encore décidé s'il acceptera, comme le souhaitent les États-Unis, que toutes les restrictions sur les investissements apparaissent à la table des négociations. Imaginez-vous qu'on ne connaît pas encore la position du gouvernement canadien! Nous autres, ici, au Québec, on a tout lieu de se poser des questions. Il y a lieu de savoir où l'on s'en va et ce qu'il va se passer. Vous comprendrez que la position canadienne n'est pas arrêtée quant à la façon dont on va accepter, de façon restrictive ou non restrictive, les investissements américains, ici, au Canada. Mais qu'en est-il du Québec? Quelle est la position du Québec de façon précise sur la question des investissements? Vous comprendrez que cela me préoccupe et que cela devrait préoccuper finalement tout le monde au même niveau, au même degré. Et je vous dirai en terminant, puisque mon temps est déjà écoulé, que l'envers de la médaille, puisque, comme principe de base, oui, un plus grand marché possible, la venue d'investissements possibles, mais aussi la possibilité de "désinvestissement" par rapport aux entreprises américaines en sol québécois.

Le Président (M.Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand. J'aimerais vous rappeler que, dans le temps qui nous est alloué pour l'interpellation d'aujourd'hui, il reste un dernier temps de parole au ministre de dix minutes et un dernier temps de parole également au critique officiel et député de Bertrand de dix minutes.

M. le ministre. (11 h 45)

Conclusions M. Pierre MacDonald

M. MacDonald: M. le Président, je suis parfaitement d'accord avec le député de Bertrand que de traiter de l'ensemble de la politique commerciale internationale québécoise et canadienne en l'espace de deux heures est insuffisant. Je suis également d'accord avec lui que, d'aborder le sujet des investissements en quelques minutes... On n'est sûrement pas capable de dialoguer et d'informer suffisamment sur le sujet dans ces quelques minutes. Mais je voudrais le rassurer en lui disant que l'esprit d'ouverture, tant sur les préoccupations de l'Opposition que les préoccupations en généra! de tous les Québécois, que nous avons démontré dans ce dossier dès le moment où il nous a été confié, nous avons l'intention de maintenir cette ouverture. Il faudrait même dire que, aujourd'hui, le comité Warren reçoit six intervenants à Montréal, en fait, des intervenants particulièrement intéressés ou du milieu de l'agriculture, et qu'il y a au moins encore une vingtaine d'autres organisations qui ont demandé à être entendues. Je profite de l'occasion pour mentionner que cette audition ou cette possibilité de présenter son point de vue est offerte à qui que ce soit encore qui voudrait se présenter devant le comité Warren, qui fera des efforts pour les recevoir le plus rapidement possible.

M. le Président, nous avons dit que l'ouverture québécoise tant sur l'attitude que sur la présentation de documents comme celui que nous avons mis à la disposition du public récemment, cette ouverture doit se maintenir. Elle est unique au Canada, elle va être amplifiée. Nous nous sommes dotés d'instruments d'écoute, nous avons des instruments d'analyse, nous avons des instruments d'appréciation de ces analyses et nous nous sommes, croyons-nous, dotés des meilleurs outils possibles pour collectivement prendre les décisions qui seront le plus favorable au Québec dans ce dossier. Vous allez admettre avec moi, M. le Président, que le monde est en transformation continuelle et que, sur le plan de la politique commerciale, cette transformation se fait quasi à une progression géométrique. Le statu quo est une position inacceptable et je sais, pour en avoir discuté avec lui et l'avoir entendu, que c'est inacceptable également pour M. le député de Bertrand. Nous devons chercher des méthodes nouvelles pour faire plus d'exportations et pour améliorer le statut et la capacité concurrentielle de nos entreprises. Il y va de la qualité même de notre vie. Il ne saurait être question - et là, je veux être le plus précis possible - de conservation de notre niveau de vie actuel, encore moins de l'améliorer, si on ne réussit pas dans le temps à accroître considérablement notre capacité de vendre nos services et nos biens à l'étranger. Cet esprit ouverture va à l'encontre, si vous voulez, de cette catastrophe qu'est celle qu'a mentionnée le député de Bertrand de gens qui se sont positionnés dès le départ ou, même encore aujourd'hui, qui se sont installés dans une position totalement négative ou totalement positive. J'ai

remarqué, et j'espère avoir l'occasion de discuter avec ces groupes, que ceux qui forment la coalition contre la libéralisation des échanges - principalement trois grandes centrales syndicales et auxquelles s'est ajoutée l'UPA - le font ou l'ont fait et j'ai pu relever ceci dans certains écrits, en prenant cette prémisse qui, d'ailleurs, inquiétait le député de Bertrand, à savoir qu'il n'y aura pas de changement à la façon que les Américains ont de traiter les différends dans leur politique commerciale, dans leurs échanges commerciaux avec d'autres pays. Si vous prenez cette prémisse, je peux dire que moi aussi je suis contre un traité de libéralisation des échanges avec les États-Unis si nous ne changeons pas cette façon de traiter nos différends. Je crois qu'à partir de l'acceptation des mêmes prémisses, des mêmes hypothèses, nous sommes généralement d'accord avec tous ceux qui se sont opposés à ce jour parce que nous disons: Oui, libéralisation des échanges avec les États-Unis, mais pas à n'importe quelle condition. Généralement, les conditions sur lesquelles les opposants tablent, ce sont les mêmes pour lesquelles nous avons une préoccupation et pour lesquelles nous cherchons à nous assurer qu'en cours de négociation la position québécoise est protégée.

Il faudrait se rappeler qu'avant de penser à accroître nos marchés avec les États-Unis, la raison fondamentale pour laquelle le Québec a accepté de s'inscrire avec les autres provinces et le gouvernement fédéral dans une négociation, c'était pour rechercher la garantie que nous pourrions conserver nos marchés, avant même de penser les accroître. Cette garantie fait partie justement du processus de règlement des différends. Nous ne pouvons pas continuer, dans un climat protectionniste montant aux États-Unis, à être victimes des intentions de tel ou tel groupe industriel américain qui, se sentant lésé, inscrit des actions en droit compensatoire et d'avoir très peu de défenses vis-à-vis d'un tel mécanisme. La garantie de nos marchés passe avant l'ouverture. L'ouverture doit être, mais la garantie est plus importante.

Finalement, M. le Président, tout cet exercice auquel on doit s'assujettir nous a sensibilisés comme parlementaires et comme personnes ressources, a sensibilisé les gens d'affaires, les gens des affaires culturelles -ce sont des affaires également - et les gens des milieux sociaux, nous a sensibilisés, dis-je, à cette relation journalière, continuelle, et qui sera toujours, de nos relations avec les pays étrangers. C'est donc un exercice bilatéral que nous avons avec les États-Unis, mais qui est précurseur de cet exercice multilatéral dans lequel nous nous sommes engagés lorsque nous avons participé, avec les représentants canadiens, à la nouvelle ronde de négociations du GATT, alors que nous étions à Punta del Este. C'est à ce moment-là que les États-Unis, et je l'ai mentionné tantôt, ont introduit avec force qu'ils voulaient que les sujets de services, de propriété intellectuelle et d'investissement soient inscrits à l'agenda. M. le Président, dans la négociation actuelle avec les États-Unis, ceux-ci sont encore demandeurs sur ces trois sujets. Ils n'ont pas encore précisé... Ils ont déposé certaines déclarations. Il y a eu sûrement certaines conversations. Le député de Bertrand parlait de rapports dans les journaux ce matin. Moi, je préparais cette interpellation, alors je n'ai pas lu les journaux de ce matin. Ces rapports témoignent effectivement de l'intérêt américain, mais rappelons-nous, et je répète ce que j'ai dit hier, catégoriquement, à la question qui m'était posée par les journalistes: Est-ce que le Québec serait favorable à une demande américaine d'ouvrir sans aucune condition quelconque le marché canadien aux investissements américains? Et, reprenant ce qualificatif "sans aucune condition", j'ai dit: Non, catégoriquement non!

Les principes fondamentaux que vous retrouvez dans nos documents, que nous avons répétés et que j'aimerais effectivement que vous m'aidiez à répéter, M. le député de Bertrand, dans les représentations que vous faites, ces principes fondamentaux du respect de la spécificité québécoise, sociale, politique, culturelle, je dirais même économique, le respect de cette spécificité est une condition fondamentale à notre adhésion à un traité de libéralisation des échanges avec les États-Unis. Nous n'avons pas l'intention de fléchir sur cela et nous allons maintenir notre fermeté. Nous allons, avec nos dents - je n'ai pas de dentier, je m'excuse - certainement maintenir ce climat de coopération. Vous avez parlé d'agressivité. Oui, une agressivité, si vous voulez, mais très positive. J'appellerais cela plutôt, et je pense que vous vouliez dire la même chose que moi, une participation active, que nous avons exigée, et, d'ailleurs, je crois que vous-même l'aviez exigée lorsque vous étiez responsable du portefeuille que le premier ministre a bien voulu me donner, c'est-à-dire que le Québec participe à la préparation des mandats, qu'il participe au suivi de la négociation, qu'il participe à la mise en place d'une entente finale, le Québec, toujours, se réservant le droit, même si nous avions accepté des parties, de dire non à l'ensemble d'une entente s'il n'y va pas de l'intérêt des Québécois. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Oui, merci, M. le Président. Je tiens d'abord, en cette fin d'interpellation, à remercier le ministre, messieurs les députés et les différents collaborateurs qui, autant de ce côté de la Chambre que de ce côté-ci, ont permis la préparation la plus adéquate possible à ce mini-débat.

Vous conviendrez, M. le Président, qu'on a à peine effleuré les sujets. L'avenir du Québec sur le plan économique est en train de se jouer. Je pense que le ministre a été clair. Sur ce point, on est d'accord. L'avenir économique du Québec est en train de se jouer. M. le ministre, je vous ferai remarquer qu'on est quatre élus de l'Assemblée nationale, ici, ce matin, et je doute fort que les autres soient dans leurs bureaux en train de nous regarder à la télévision. C'est vendredi matin. Ils sont dans leur bureau de comté ou en transit, quelque part. Je vous dirai que, de mon côté, j'ai demandé et obtenu une rencontre de deux heures et demie avec les membres de mon caucus pour leur donner en détail tout ce qui se faisait ce matin parce que, pour moi, c'est important que les élus soient au courant. Je dois vous dire que, depuis ce temps-là, beaucoup de mes collègues - les 23 ou les 22 autres - sont éveillés de plus en plus à ce sujet. J'espère, M. le ministre, que vous avez eu la chance de faire de même avec les 98 autres collègues chez vous et j'espère que, si vous ne l'avez pas fait, vous le ferez dans les prochains jours.

Mais au-delà, je vous dirai, M. le ministre, que le débat doit être plus large que ça. Je vous dirai, M. le ministre, avec tout le respect que je peux avoir pour M. Warren et le comité Warren, qu'il n'est pas vrai que les députés vont aller comparaître devant le comité Warren. Je pense que les élus de l'Assemblée nationale doivent être ceux qui reçoivent les gens qui ont à être écoutés. Je pense, M. le ministre, que, si vous êtes un ministre du Commerce extérieur responsable, vous n'accepterez pas... Je suis très sérieux en ce moment et, je l'ai mentionné dans la première partie de mon intervention, nous allons connaître la guerre si on ne s'entend pas là-dessus: vous allez obtenir du premier ministre une commission parlementaire. Je pense - vous me passerez l'expression - que c'est un "must". Le but n'est pas de faire un débat politique, mais d'avoir tous les éclairages nécessaires. Je peux vous assurer à l'avance que les débats dans une commission parlementaire seront tout aussi sereins que ce matin, si jamais telles étaient vos préoccupations, parce que j'ai cru comprendre de la part du premier ministre et de certains de vos collègues ministériels avec lesquels j'ai eu la chance de m'entretenir... L'un d'entre eux m'a même dit, il y a trois semaines, qu'il y aurait une commission parlementaire et que j'étais mieux d'être prêt. Alors, vous savez, moi, on ne me dit pas ça deux fois, j'étais déjà prêt. Je vous dis que c'est non seulement important, mais que ce serait inacceptable, inadmissible qu'il n'y ait pas de commission parlementaire, pas seulement pour faire parader des qens qui vont être néqatifs, des gens qui vont mettre des bâtons dans les roues... Mais vous comprendrez que, seulement ce matin, j'ai appris des choses et sûrement qu'on s'est instruit mutuellement.

Mais, vous savez, à part les médias qui peuvent nous suivre ce matin, car il y a un autre débat dans l'autre salle qui est aussi très important, les négociations du lac Meech, je vous dirai que la couverture que nous aurons rejoindra 1 %, 2 %, 5 %, 10 % de la population. Mais qu'en est-il des 90 % et plus qui restent? Ceux qui auront à vivre avec les nouvelles règles du jeu à compter de 1988 et des années suivantes doivent nous dire ce qu'ils en pensent. Quand la Chambre de commerce du Québec donne un chèque en blanc et applaudit, moi, je me dis qu'il y a un bout de la parade qu'elle a manqué et il y a un bout d'analyse qu'elle n'a pas fait. J'ai été président de chambres de commerce; j'ai siégé au conseil d'administration de la Chambre de commerce de la province de Québec pendant deux ans. Je sais comment ça fonctionne avec tout le respect que j'ai pour ces organismes.

Vous savez fort bien que les membres n'ont pas été consultés en profondeur. J'ai fait une tournée pour rencontrer quelque 200 à 300 industriels depuis un mois ou un mois et demi pour savoir ce qu'ils pensaient du libre-échange. Première réaction, toute positive. Pas de problème, on fait déjà des affaires et on va en faire plus. Oui, mais attention! Là, quand tu commences à leur allumer les lumières, les précisions et les dangers, ils disent: Oui, bien, sais-tu, je ne savais pas ça, je n'étais pas au courant.

Vous savez, c'est important. Moi, je me dis qu'on a été élu, ici, en cette Assemblée. On a un mandat. Si on n'est pas capable de faire la lumière sur ce sujet, on est aussi bien de prendre nos cliques et nos claques et s'en aller chez nous.

J'ai accepté de piloter ce dossier parce que M. Johnson me l'a demandé et parce que cela fait partie des dossiers économiques et des dossiers majeurs qui sont en train de se passer au Québec. M. le ministre, il faut une commission parlementaire et, s'il fallait que je prenne d'autres moyens, je les prendrais, mais nous devrons tenir une commission parlementaire, et rapidement.

Sept conditions ont été mises sur la table, je le répète, pour que dans le "mais" nous soyons capables de continuer à travailler, et je les résume de la façon suivante: premièrement, nous demandons au

gouvernement le dépôt de sa stratégie de développement économique dans laquelle s'inscrit le libre-échange. Ce qui veut dire que, jusqu'à aujourd'hui, après 18 mois au pouvoir, le gouvernement n'a pas de politique ni de stratégie de développement économique. Le député de Vanier nous parlait tantôt de la structure industrielle du Québec, de la façon dont cela se passerait. Je vous dis: Si le gouvernement, si le ministre de l'Industrie et du Commerce, qui est le porteur du dossier dans le cadre d'une stratégie de développement économique, de concert avec les autres collègues dans le domaine économique, n'ont pas de politique claire, on va manquer le bateau. Il va falloir que l'on dise clairement que l'on décide de prioriser tel secteur par rapport à tel autre secteur, que l'on décide de soutenir la recherche et le développement, que l'on décide de moderniser des entreprises et d'investir les sommes d'argent nécessaires. Cela prend une politique, une stratégie de développement économique. Je l'ai demandé dans le cadre de la privatisation, on ne l'a jamais obtenu. On se doit de l'avoir et de savoir comment elle va s'inscrire dans le cadre du libre-échange.

Deuxièmement, le dépôt dans les plus brefs délais possible de toutes les études d'impact sectorielles et réqionales sur le libre-échange, incluant le secteur des services, comme je l'ai mentionné précédemment.

Troisièmement, le dépôt des mesures de transition, toute cette négociation des mesures transitoires. J'ai appris ce matin par les journaux que le ministre a dit dix ans. J'aimerais savoir dans quel domaine et si c'est dans tout. On se devra de l'étayer. Donc, le dépôt des mesures de transition pour les industries éventuellement touchées par le libre-échange, de même que les mesures d'adaptation des travailleurs affectés, incluant la participation financière du gouvernement fédéral. Hé! oui, il faut immédiatement négocier ce que le gouvernement fédéral mettra là-dedans pour le recyclage de notre main-d'oeuvre, pour le recyclage de nos entreprises, pour la modernisation de nos entreprises, pour la robotisation de nos entreprises. On a une quote-part à recevoir du gouvernement fédéral. II ne faudrait pas le négocier après le 3 janvier 1988, il va être trop tard. Il y aura peut-être des changements de gouvernement, puis ils diront: On n'en a pas pris d'engagement. On aura de l'argent à investir dans nos entreprises pour que, dans trois ou cinq ans, il y ait de la robotisation dans l'industrie de la chaussure, qu'il y en ait dans l'industrie du meuble. Il va falloir recycler des gens. Cela n'est pas vrai que le Québec va porter le fardeau fiscal, cet impact tout seul. On a de l'argent à Ottawa, il faut immédiatement l'obtenir.

Quatrièmement, l'exclusion du domaine de la culture et de l'agriculture, les négociations en cours, on en a parlé précédemment.

Cinquièmement, des précisions quant aux orientations gouvernementales sur ces domaines de la culture et de l'aqriculture et une position claire, nette et précise concernant les secteurs reliés aux ressources naturelles, au domaine des services et aux investissements - on en a parlé aussi ce matin.

Sixièmement, ta tenue d'une commission parlementaire publique, afin qu'ait Heu un véritable débat public, et je le dis, un débat qui se voudra certainement des plus positifs.

Septièmement, ce qui me semble le plus important, c'est que l'Assemblée nationale devra ratifier, sous quelque forme que ce soit, sous forme de résolution ou autrement, toute entente que le Québec apportera au gouvernement fédéral pour une entente canado-arnéricaine. D'ailleurs, à cet effet, le ministre, le 13 mai en cette Chambre a déclaré, à une question que je lui posais: "Je ne le sais pas, c'est en discussion. Mais je doute fortement, M. le Président, que nous signerions l'adhésion de la province dans un processus aussi important sans se présenter aux représentants de l'électorat québécois." Donc, on devra avoir une résolution qui passera par ici et je ne vois pas comment pourront voter librement les 122 députés s'il n'y a pas eu de débat dans une commission parlementaire, puisqu'on devra mettre très clairement quels sont les enjeux et, à la face de cela, les élus pourront faire rapport au peuple québécois et dire: Oui, nous l'entérinons. J'espère, en terminant, que lorsque nous ratifierons cette résolution dans cette Chambre - parce que c'est la seule Assemblée délibérante capable de prendre des décisions - nous pourrons avoir un vote unanime. Je vous remercie et j'espère que vous pourrez donner suite à ces sept recommandations. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand. M. le ministre et chers collègues, la maturité, le professionnalisme et la sérénité de vos interventions ont rendu ma tâche fort agréable comme président de l'Assemblée et, la commission ayant rempli son mandat, je mets fin aux travaux de la commission.

(Fin de la séance à 12 h 5)

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