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(Dix heures sept minutes)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! La commission
élue permanente de l'énergie et des ressources est à
nouveau réunie aux fins d'examiner les circonstances entourant la
décision du conseil d'administration de la Société
d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite
civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu
en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de
son bureau à cet égard.
Les membres de cette commission sont: MM. Vaillancourt
(Jonquière), Ciaccia (Mont-Royal), Duhaime (Saint-Maurice), Bourbeau
(Laporte), Laplante (Bourassa), Paradis (Brome-Missisquoi), Lavigne
(Beauharnois), LeBlanc (Montmagny-L'Islet), Lalonde
(Marguerite-Bourgeoys), Perron (Duplessis), Tremblay (Chambly).
Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Baril
(Rouyn-Noranda-
Témiscamingue), Desbiens (Dubuc), Dussault (Châteauguay),
Mme Harel (Maisonneuve), MM. Gratton (Gatineau), Pagé (Portneuf), Doyon
(Louis-Hébert), Saintonge (Laprairie); le rapporteur étant
toujours M. LeBlanc de Montmagny-L'Islet.
Les personnes qui sont invitées devant nous aujourd'hui sont Me
Jean-Roch Boivin, pour terminer les questions qu'on a à lui poser, et
l'honorable juge Michel Jasmin. Je dois aussi vous rappeler que l'horaire de la
journée est de maintenant jusqu'à 12 h 30 à la suite d'une
entente intervenue sur une motion présentée par le leader
à l'Assemblée nationale. Nous devrions normalement reprendre
après la période des questions; comme l'Assemblée
nationale se réunit à 15 heures, cela veut dire vers 16 heures ou
16 h 30. Je rappelle aussi que nous devons siéger demain à
compter de 10 heures, selon les heures habituelles. C'est le travail que nous
avons à faire pour cette semaine, puisque vendredi il n'y aura pas de
commission parlementaire.
Au moment où nous nous sommes quittés...
M. Ouhaime: Je voudrais vous dire un mot là-dessus, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): Sur vendredi, M. le
ministre?
Ordre des travaux
M. Duhaime: M. le Président, j'avais indiqué mardi,
c'est-à-dire hier à l'ouverture de la commission, que normalement
nous ne siégerions pas le vendredi 27 mai. C'était, bien
sûr, dans une hypothèse de travail selon laquelle en gros, des
marges de manoeuvre y étant ajoutées, nous aurions terminé
depuis hier après-midi ou hier soir 18 heures le témoignage de Me
Jean-Roch Boivin. Cela fera une semaine demain que Me Boivin est devant la
commission, si on compte cela en semaine de calendrier. Cela fait quatre jours.
Ses remarques préliminaires ont pris 21 minutes du temps de la
commission. J'ai moi-même pris 35 minutes du temps de la commission.
L'Opposition a pris sept heures et quarante minutes, en incluant, bien
sûr, les interruptions sur les questions de règlement. Mais les
questions de règlement sont-elles imputables au parti ministériel
lorsqu'elles sont bien fondées et imputables au parti de l'Opposition
lorsqu'elles ne sont pas fondées? Pour faire une histoire courte, M. le
Président, nous sommes très en retard dans les travaux de cette
commission, peut-être de trois semaines. Dans le but de tenter de
terminer vendredi, je proposerai tout à l'heure au leader du
gouvernement de convoquer la commission pour vendredi matin et, si c'est
nécessaire, pour vendredi après-midi et il n'est pas exclu pour
vendredi soir. Je pense qu'il faut que cela finisse un jour. Nous sommes dans
la huitième semaine. Il m'apparaît raisonnable que le
piétinement cesse. À moins d'être sourds, muets, aveugles
et d'avoir complètement perdu le contact avec la réalité,
je pense qu'il y a seulement quelques membres de cette commission qui,
j'oserais dire, veulent continuer de s'amuser en continuant.
M. le Président, je le dis sous réserve, parce que je n'ai
pas eu l'occasion de parler au leader du gouvernement, mais je le ferai.
Suivant les motions qui pourraient être données jeudi, à
l'Assemblée nationale, on verra. Si c'est nécessaire qu'il y ait
d'autres consultations entre le leader de l'Opposition et le leader du
gouvernement, je pense que cela pourrait être fait.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: On est habitué aux sautes
d'humeur du ministre, mais en fin de soirée; c'est rare le matin
en se levant. Vraiment, M. le Président, je ne comprends pas
l'excitation intellectuelle du ministre aujourd'hui. Nous procédons
très régulièrement. D'ailleurs, les heures et les minutes
consacrées par un côté ou l'autre de la table
démontrent bien l'intérêt respectif de chacun des partis
à faire éclater la vérité.
M. Duhaime: On va s'en parler, puisque vous abordez cela.
M. Lalonde: Cela ne m'impressionne pas, si le ministre, au bout
de 21 minutes, n'avait plus d'essence et ne savait plus quelle question poser
sur un événement qui a couvert une période de quatre ou
cinq mois, peut-être plus que cela si on retourne au rapport Cliche, le
saccage de la Baie-James qui a coûté des millions de dollars aux
Québécois.
En ce qui concerne la proposition du ministre de siéger vendredi
matin, ce n'est pas nouveau. Je pense qu'on a siégé au moins
quatre ou cinq fois le vendredi matin. Trois fois ou quatre fois?
M. Duhaime: Non, deux fois.
M. Lalonde: Ah, plus que cela, je regrette. Même un
vendredi après-midi, avec notre consentement. Je suggère au
ministre de faire les vérifications nécessaires avec le leader du
gouvernement avant de nous menacer. C'est le ton de menace du ministre ce matin
qui me fait rire un peu, de faire siéger la commission vendredi
après-midi et vendredi soir. Alors, nous avions compris que le ministre
ne voulait pas faire siéger la commission vendredi matin parce que
plusieurs parlementaires et membres du gouvernement, y compris le chef du
gouvernement, je pense...
M. Duhaime: Y compris le ministre qui vous parle.
M. Lalonde: ...y compris le ministre de l'Énergie et des
Ressources et plusieurs députés des deux côtés de la
table sont convoqués à l'inauguration du Palais des
congrès à Montréal.
M. Duhaime: De toute façon, je ne vois pas ce que vous
allez faire là.
M. Lalonde: Nous n'avions pas du tout protesté à ce
changement dans le programme mensuel ou hebdomadaire de nos travaux à
cause de cet événement que nous respectons. Si le ministre veut
faire siéger la commission vendredi matin, libre à lui; en ce qui
concerne vendredi après-midi et vendredi soir, je lui rappelle que cela
prendrait le consentement de l'Opposition. Nous pourrons faire les
consultations nécessaires à cet égard.
Nous croyons qu'il reste deux témoins après Me Boivin: Me
Jasmin et le premier ministre. Ce dernier ne sera pas un témoin,
c'est-à-dire qu'il va témoigner sans être un témoin;
enfin, je ne sais pas comment il va s'arranger pour répondre à
des questions sans témoigner ou à siéger à cette
commission parlementaire comme membre pour examiner son propre rôle et le
rôle de son propre cabinet dans l'événement. C'est à
voir. Enfin, j'espère qu'on verra cela bientôt.
Il reste peut-être M. Maurice Pouliot, à la suite d'une
motion que nous avons l'intention de faire éventuellement; M. Yvan
Latouche qui, semble-t-il, a beaucoup de choses à dire et
peut-être d'autres, pour reprendre ou enchaîner avec ce que le
ministre disait il y a quelques semaines déjà, au début
des travaux de notre commission, qu'il se peut qu'on doive rappeler des
témoins qui ont déjà été invités.
Cela n'a pas été réglé encore car le ministre ne
m'a pas consulté à ce sujet.
M. le Président, nous continuons de procéder dans le but
de trouver toute la vérité et ce n'est pas facile. À
certains moments, c'est même pénible. Nous ne nous laisserons pas
impressionner par les sautes d'humeur du ministre.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Je n'ai pas voulu donner l'impression à
quiconque que mon caractère avait changé ce matin; au contraire,
je me sens d'excellente humeur. Ce qui me gêne dans le fond, c'est de
bretter pendant autant de temps. Pour l'information précise des membres
de la commission, je vous dirai que la quatrième journée de nos
travaux était le vendredi 15 avril, la huitième journée
était le vendredi 22 avril, la onzième le vendredi 29 avril et la
dix-septième journée le vendredi 13 mai 1983.
M. Lalonde: II y a eu deux séances ce
vendredi-là.
M. Duhaime: II y a eu effectivement deux séances. Cela a
été la seule fois ou nous avons siégé un vendredi
après-midi pour rattraper, je crois, un mardi précédent ou
une journée où, d'un commun accord, nous avions
décidé de ne pas faire siéger la commission.
Ce que je dis tout simplement - M. le Président, ce n'est pas une
saute d'humeur, je voudrais rassurer mes collègues là-dessus
-c'est que j'ai l'impression cependant, quand je leur dis qu'ils ont tout le
loisir de poser des questions, que je les encourage moi-même à
prolonger puisque, au 24 mai
inclusivement, il y a eu 20 jours d'auditions, soit 92 heures et 15
minutes. Je n'ai pas la compilation exacte encore, mais je pense que le parti
ministériel a pris moins de 20% du temps des travaux de la
commission.
M. Lalonde: Ils ne sont pas intéressés.
M. Duhaime: Non pas que nous ne soyons pas
intéressés, M. le Président, comme me le suggère le
député de Marguerite-Bourgeoys, mais lorsque la même
question est posée une fois, deux fois, trois fois et que la même
réponse revient, je ne vois pas l'utilité de la poser quinze
fois. Chacun a sa façon de travailler, chacun a sa propre logique. Je
n'ai fait aucune menace. M. le député de Marguerite-Bourgeoys
vous connaissant comme je vous connais, cela vous en prend passablement et pour
vous menacer et pour vous déstabiliser. Tout ce que je dis, c'est que
mon objectif est de terminer les travaux de cette commission vendredi. Je suis
à peu près certain qu'au cours des heures qui vont venir, sinon
au cours de la journée, j'aurai l'occasion de vérifier si
l'Opposition a également l'intention de terminer vendredi.
Pour ce qui est des motions qui viendront, vous les ferez quand vous le
jugerez utile. Mais je vous dis tout de suite que, vendredi matin, j'ai
l'intention de faire siéger la commission et que je le proposerai au
leader du gouvernement. Je ne vois pas pourquoi l'Opposition pleurerait
beaucoup, du moins les membres qui sont ici, puisqu'ils seraient absents de la
cérémonie d'ouverture du Palais des congrès. Durant toutes
les années où j'ai eu la responsabilité de ce dossier,
cela ne vous a intéressés que dans la mesure où vous avez
pu dénigrer le projet. Alors, je ne vois pas pourquoi vous auriez des
larmes de crocodile ce matin.
M. Gratton: À part cela, ça va bien? Ça va
bien à part cela?
M. Duhaime: Vendredi après-midi, si nous n'avons pas
terminé nos travaux, je proposerai que nous ayons une séance de
travail, si cette séance devait présumément être la
dernière. S'il y a encore deux ou trois jours d'ouvrage,
l'évidence est criante: à ce moment-là, on pourra
décaler.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, je voudrais demander une
précision. À ce moment-là, il est possible qu'on en soit
rendu à l'invitation - appelez cela comme vous voulez - à la
comparution, à l'apparition, enfin, du premier ministre. Est-ce que,
vendredi matin, on peut s'assurer de la présence du premier ministre,
puisqu'il est censé - c'est ce que j'avais compris - présider
l'inauguration du Palais des congrès?
M. Duhaime: Avec la collaboration que l'Opposition manifeste, il
me fait plaisir de vous informer que M. Lévesque ne sera pas ici
vendredi.
M. Lalonde: M. Pouliot?
M. Duhaime: On va rester là-dessus. Faites votre
motion.
M. Lalonde: Yvan Latouche, on peut peut-être l'appeler.
Est-ce que vous avez son numéro?
M. Duhaime: Yvan Latouche, vous pouvez lui parler quand bon vous
semble. Il est à votre service, même que vous payez ses
dépenses.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Ne
commençons pas ce débat. Cependant, je sais très bien que
le président de la commission est à votre service. J'avais eu
l'occasion de vous demander une permission pour une certaine journée.
Comme on avait prévu qu'on ne siégerait pas vendredi, j'avais
projeté d'aller aux confins de mon comté en avion parce qu'il n'y
a pas de chemin pour s'y rendre de mon côté vers Clova et Parent.
Mais je ferai en sorte, si vous me dites au cours de la journée qui
vient que je ne peux m'absenter, d'annuler mon voyage. Je le reporterai
à un autre jour.
M. Lalonde: M. le Président, vous voyez que les sautes
d'humeur du ministre, ce sont quasiment des crimes de
lèse-présidence.
Le Président (M. Jolivet): Ah! Ah! Ahl
Sauf, que cela me permet de faire un peu de publicité pour mon
comté.
M. le député de Brome-Missisquoi, vous avez la parole.
M. Paradis: M. le Président, il est 10 h 20. Je suis
certain que le ministre va compiler tout ce temps-là sur celui de
l'Opposition dans cette commission.
M. Duhaime: Ce n'est pas moi qui fais cela, M. le
Président, je m'excuse. M. le Président, cela me paraîtrait
important d'apporter des précisions.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Je vous dirai que le minutage dont j'ai fait
état tantôt, pour l'information du député de
Brome-Missisquoi, m'est fourni par le Secrétariat des commissions
parlementaires et que ce n'est
compilé ni par mes services, ni par les services du bureau du
leader du gouvernement.
M. Lalonde: Donc, on va vous croire.
M. Duhaime: Ces chiffres-là vous sont accessibles
également.
M. Lalonde: Merci de l'avoir précisé.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Brome-Missisquoi, vous avez maintenant la parole pour commencer les questions
que vous avez à poser et terminer, si possible.
Témoignage M. Jean-Roch
Boivin
(suite)
M. Paradis: Oui, M. le Président, en suivant votre sage
conseil. Essentiellement, j'ai une question à adresser au chef de
cabinet du premier ministre, ce matin. De janvier 1979 à février
1979, soit pendant deux mois, vous avez eu avec les procureurs, celui du
syndicat québécois et celui du syndicat américain, ainsi
que ceux de la Société d'énergie de la Baie James, une
dizaine de rencontres qui ont duré une dizaine d'heures. Vous ne nous
avez fourni à peu près aucun détail concernant ces
rencontres et aucun concernant les rencontres des 16 janvier, 2 février
et 9 février. La nuit portant conseil et vous ayant fait part de mes
inquiétudes, hier soir, quant à ce trou de mémoire, est-ce
que vous pouvez, ce matin, ajouter des éléments qui vous seraient
revenus à la mémoire au cours de la nuit concernant ces dix
heures de réunion au bureau du premier ministre concernant la cause?
M. Boivin: Vos inquiétudes ne m'ayant pas
empêché de dormir, j'ai dormi profondément. Donc, je n'ai
pas eu le temps de songer à d'autres détails. D'ailleurs, cela
fait cinq ou six semaines que vous siégez; donc, cela fait cinq ou six
semaines que j'ai l'occasion d'essayer de me rafraîchir la mémoire
le plus possible. Quant à ces rencontres, je maintiens ce que j'ai dit.
Je trouve que ma mémoire n'est pas si mal parce que, par exemple, ce
matin, j'ai regardé rapidement un cahier intitulé Correspondance
et lettres de Geoffrion et Prud'homme et j'ai vu que cela négociait
pendant tout le mois de janvier et qu'on s'échangeait des documents de
transactions puisqu'il y avait des montants qui changeaient. J'appelle cela des
"transactions". Contrairement à ce que vous m'avez dit, qu'il n'y avait
pas de mandat avant le 6 février, je ne sais pas s'ils avaient un
mandat, mais je vois que cela négociait.
Deuxièmement, j'ai vu rapidement, ce matin, que, dès le
mois de décembre 1975 -M. le député de Laprairie n'a pas
eu la bonté de me citer ce paragraphe - "les avocats Geoffrion et
Prud'homme s'inquiétaient de la solvabilité des défendeurs
québécois". Je présume que cela a été
vérifié par la Société d'énergie de la Baie
James. Pour répondre à votre question, M. le
député, je n'ai pas d'autres détails.
M. Paradis: Cela va. J'aurai quelques commentaires, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): Vous en avez parfaitement le
droit, sachant qu'il n'y aura pas de question après.
M. Paradis: Très bien, M. le Président.
M. Duhaime: Ce sont vos commentaires, là?
M. Paradis: Oui. Hier, M. le Président, le chef de cabinet
du premier ministre, celui qui est en autorité au bureau du premier
ministre, nous a dit que, quant à la nomination, le 26 octobre 1977, de
Me Yves Gauthier - qui est un de ses amis, qui est un organisateur
politique, qui a été organisateur en chef des campagnes
électorales pour le Parti québécois - comme tuteur d'un
des syndicats poursuivis par la Société d'énergie de la
Baie, il ne se souvenait pas s'il avait été consulté. Il a
également ajouté que la recommandation faite par Me Gauthier au
syndicat américain à l'hiver 1977-1978 d'embaucher à titre
de procureur son exassocié d'affaires et ami personnel, Me Rosaire
Beaulé, ne l'avait pas frappé dans ce dossier. Quant au
dîner qu'il avait eu le 26 juin 1978 avec Me Beaulé, il avait
été très peu question de cette fameuse poursuite.
Le 3 octobre 1978, lorsque Me Yves Gauthier, qui a été
tuteur pendant un an, s'est vu offrir une position de conseiller spécial
au bureau du premier ministre, Me Boivin se souvient d'avoir été
consulté quant à cette nomination, mais il n'a accordé
aucune importance au fait que Me Gauthier, pendant l'année qui a
précédé sa nomination comme conseiller spécial au
bureau du premier ministre, avait occupé la présidence de la
tutelle d'un syndicat poursuivi par la Société d'énergie
de la Baie James. Tous ces éléments ne font pas partie de son
mémoire parce que cela n'est pas important et on nous demande de croire
cela.
M. le Président, j'ai été frappé de
façon positive de la mémoire que Me Boivin, chef de cabinet du
premier ministre, a conservée des éléments qui sont
survenus en novembre et en décembre 1978. Il a dit que sa mémoire
avait été aidée par une reconstitution des faits. Il se
souvient d'un coup de téléphone de M. Louis Laberge en novembre
1978. Il se souvient, parce que Me
Beaulé lui a aidé à s'en souvenir, d'une rencontre
à Québec à ses bureaux, le 1er décembre, où
Me Beaulé lui a remis une défense. Il se souvient d'une rencontre
du 4 décembre avec Me Jasmin qui a duré au maximum 40 minutes. Il
se souvient d'une rencontre du Il décembre avec Me Beaulé qui a
duré une cinquantaine de minutes. Il se souvient d'avoir consulté
des opinions de Geoffrion et Prud'homme de 1975 - là, on était
à la fin de 1978 - et il se souvient d'en avoir discuté avec Me
Jean-Paul Cardinal.
Pour novembre et décembre 1978, une excellente mémoire et
je suis conscient que le témoin a dû faire plusieurs efforts pour
être capable de reconstituer tous les faits qui l'ont amené
à recommander au premier ministre du Québec de demander à
la Société d'énergie de la Baie James d'abandonner les
poursuites et de régler hors cour. Il y avait au total quatre
réunions qui ont duré un maximum de deux heures. On a bien
reconstitué ces événements.
Ce qui m'inquiète, M. le Président - et c'était
là le sens de ma première question de ce matin - c'est la
mémoire, pour 1979, du même chef de cabinet. Ce qui est curieux,
c'est que 1979 est plus proche que 1978. Je ne dirai pas qu'il y a un an de
différence pour imiter le ministre; je vais dire qu'il y a quelques mois
de différence: fin 1978, début 1979.
On a dix réunions qui ont duré au maximum de 707 minutes,
onze heures et trois quarts. Disons une dizaine de réunions pour une
dizaine d'heures et on ne sait pas ce qui s'est passé, sauf qu'il y
avait des gens nerveux qui se promenaient dans le bureau du premier ministre
à qui on servait des cafés. C'est pratiquement tout ce qu'on a
retiré de cette dizaine d'heures. Cela crée un trou béant
dans la preuve qu'on est en train d'essayer de faire comme parlementaires. On
parle de faire toute la lumière et on a une dizaine d'heures de
réunions où c'est nébuleux et ombragé. Cette
dizaine d'heures nous démontre clairement que les avocats de toutes les
parties impliquées se sont promenés dans le bureau du premier
ministre et ont rencontré le témoin qui est devant nous.
Je comprends que c'est loin, 1979; je comprends que le témoin
peut avoir des difficultés à s'en souvenir, mais l'observation
que je fais n'est pas une observation strictement personnelle quant à
votre mémoire, Me Boivin, pour les mois de janvier et février
1979. C'est une observation que m'a faite un citoyen de Mistassini, en fin de
semaine, M. Eugène Gagné, âgé de 90 ans; il est
né le 6 janvier 1894. Ce dernier m'a dit qu'à son âge il
possédait une meilleure mémoire que vous. Il suivait les
débats et c'était son appréciation personnelle. (10 h
30)
M. le Président, il y a davantage. À l'occasion des
témoignages de tous les administrateurs de la Société
d'énergie de la Baie James, ceux-ci nous ont assurés que ce
n'était pas eux qui avaient négocié. Quant au bureau
Geoffrion et Prud'homme, je vous ai référé et je vous le
rappelle au ruban R 747 page 1 et 2 du témoignage de Me Cardinal qui
déclare, - là-dessus, on a une interprétation
différente - : "J'ai entendu, depuis de longues semaines, de longs
jours, cet argument que nous avons: Ils ont eu 300 000 $ et qu'on aurait
dû avoir plus ou on aurait dû avoir moins." Il est clairement
question d'argent: 300 000 $ plus ou moins. "La question est simple - il dit
que ce n'est pas compliqué; n'essayons pas de compliquer cela, gardons
cela simple - en autant que je suis concerné - c'est Me Cardinal qui
parle - en autant que le bureau d'avocats est concerné - c'est Geoffrion
et Prud'homme, le bureau d'avocats - cette négociation n'était
pas une négociation financière. Toute cette négociation,
quand on a écouté, quand on en a parlé, cela s'adressait
toujours à des questions de principe, à savoir qui admettrait sa
responsabilité qui ne l'admettrait pas." Donc, si ce ne sont pas les
administrateurs, si ce ne sont pas les avocats de Geoffrion et Prud'homme, qui
a négocié? Et c'est là que je reviens dans le trou de dix
heures, dans le blanc de mémoire ou dans peut-être la bonne
mémoire, mais de chef de cabinet d'un témoin.
Ce qui m'inquiète, M. le Président, c'est qu'on refuse, du
côté ministériel, du côté du Parti
québécois, d'entendre M. Maurice Pouliot, un représentant
syndical qui a signé et qui avait un lien direct...
Le Président (M. Jolivet): M. le député,
j'ai fait mention que nous devions avoir une motion pour discuter de cette
question.
M. Paradis: Oui, M. le Président. Je ne fais que souligner
qu'on refuse de l'entendre. Je n'ai pas fait de motion. J'ai le droit de
souligner que le ministre refuse de le convoquer sans motion, disons cela,
comme il l'a fait avec les autres témoins qu'il a voulu entendre. Et M.
Pouliot nous apprenait - et cela pourrait peut-être apporter de
l'éclairage sur les dix heures où on n'a plus de mémoire -
dans le Soleil du 18 mai 1983 sous le titre Le rôle du bureau de
Lévesque est évident - un article du journaliste Jean-Jacques
Samson dont je cite un extrait -"Selon les propos de M. Pouliot, le Conseil
provincial des métiers de la construction ne cherche d'aucune
façon à dissimuler qu'il y a bel et bien eu des
négociations au bureau du premier ministre, en février 1979,
impliquant leur procureur, Me Michel Jasmin. "Ce n'est pas marqué dans
ses comptes d'honoraires professionnels, mais je pense que c'est tout de
même assez connu. C'est
évident qu'il y a eu un va-et-vient dans le bureau du premier
ministre et sûrement qu'on ne rencontre pas le premier ministre (ou l'un
de ses plus proches collaborateurs) pour lui parler d'une partie de pêche
ou une partie de golf ou de choses semblables. C'est évident qu'on
discutait du règlement hors cour et, par la suite, le premier ministre a
mentionné (à l'Assemblée nationale) qu'il était
favorable à un règlement hors cour."
Si vous voulez qu'on vous croie comme parlementaires, à savoir
que la nomination de Me Yves Gauthier comme tuteur était
complètement indépendante de ce qui s'en venait; si vous voulez
qu'on vous croie sur le fait que Me Beaulé, votre ami personnel et
ex-associé d'affaires, a été recommandé au syndicat
américain comme avocat par Me Gauthier et que cela n'a aucune relation
avec le règlement hors cour; si vous voulez qu'on vous croie qu'il n'y
avait eu aucune relation entre le fait que Me Gauthier était tuteur et
qu'il s'est retrouvé conseiller spécial au bureau du premier
ministre à l'automne 1978; si vous voulez qu'on vous croie sur
l'ensemble des dix heures pendant lesquelles vous n'avez pas eu de
mémoire -ou vous avez une excellente mémoire de chef de cabinet -
il va falloir que vous nous donniez des éléments additionnels. Il
va falloir, comme chef de cabinet du premier ministre, que vous fassiez autant
d'efforts pour aller rencontrer les gens qui vous ont aidé à
préparer votre témoignage qui a porté sur les mois de
novembre et décembre 1978, alors que vous avez pu reconstituer avec ces
gens-là l'essentiel de ce qui s'est passé d'une façon
chronologique, d'une façon crédible.
Si ces efforts-là ne sont pas faits pour les mois de janvier et
février 1979, comment voulez-vous qu'on vous croie? Ce sont les deux
mois qui ont suivi et la qualité de la mémoire ou la
qualité de votre témoignage est complètement
différente sur ces deux portions-là. Vous nous demandez un effort
impossible. Je suis prêt, même si c'était vendredi, à
ce que vous reveniez, que vous alliez rencontrer Me Beaulé si cela peut
vous aider, que vous rencontriez Me Jasmin et que vous fassiez cet
effort-là de vraiment éclairer la commission sur ces dix heures
de va-et-vient de tous les procureurs dans le bureau du premier ministre.
Peut-être, à ce moment-là, pourrez-vous vous convaincre,
vous, qu'il y a eu négociation sur le montant strictement dans le bureau
du premier ministre et peut-être pourrez-vous nous convaincre aussi qu'il
y a eu des négociations sur le montant dans le bureau du premier
ministre. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: M. le Président...
Le Président (M. Jolivet): Oui.
M. Boivin: Je voudrais non pas répliquer, car je pense que
ce serait déplacé...
Le Président (M. Jolivet): Me Boivin. Me Boivin. M. le
député! Me Boivin.
M. Boivin: Je voudrais juste dire quelques mots qui sont...
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! M. le
député.
M. Boivin: ...de fait, qui sont factuels; d'autres qui sont un
commentaire quant à l'article du Soleil dont vous avez exhibé la
photocopie. Le titre, Le rôle du bureau de Lévesque est
évident, quant à moi, cela m'apparaît évident depuis
la déclaration de M. Lévesque du 20 février 1979 en
Chambre, c'est-à-dire que le premier ministre a joué un
rôle là-dedans. Cela m'apparaît évident, il l'a dit
lui-même.
Deuxièmement, quant à l'article même,
c'est-à-dire les déclarations de M. Pouliot, il est
peut-être un excellent syndicaliste - je ne m'en souviens pas, je l'ai
rencontré une fois - mais quand il dit rencontres, discussions,
négociations ou ingérence, c'est du pareil au même, je ne
l'engagerais pas au bureau pour écrire des lettres, parce qu'il ne
semble pas avoir une connaissance du français très
poussée.
Maintenant, M. le député, vous me dites: - cela s'applique
à vous et cela s'applique à tous vos collègues - Si vous
voulez qu'on vous croie... Je suis ici et je ne vous demande pas de me croire.
Je m'adresse à l'opinion publique. Je ne m'adresse pas à vous,
parce que je me rends compte que nous sommes dans un cadre partisan et les
partisans en politique me font penser au poisson théologien qui
soutenait que l'univers était liquide et aucun de ses semblables ne
l'avait contredit. Je ne m'adresse pas ici aux hommes politiques, je m'adresse
à l'opinion publique. Merci.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Je pense, M. le Président, que je pourrais
enchaîner avec ce que Me Boivin a dit en affirmant que nous, de notre
côté, M. le Président ou Me Boivin, nous nous adressons
aussi à l'opinion publique, parce que nous sommes fort conscients que
nous travaillons dans un contexte partisan. C'est celui qu'on nous a
imposé. Nous avions demandé une enquête indépendante
non partisane. Je pense que tous les spectateurs, tous les participants et
vous-même comme témoin avez pu vous rendre compte jusqu'à
quel point il est pénible de tenter de faire
fonctionner un processus de question-réponse, un processus de
recherche de la vérité dans un contexte de la sorte:
interruptions, interférence politique des deux côtés, mais
comme c'est nous qui posons les questions... Donc, M. le Président,
c'est une introduction aux quelques questions que j'ai à poser.
Je veux simplement enchaîner sur ce que le témoin a dit.
Quand on fait des leçons de français aux syndicalistes, on
pourrait peut-être leur suggérer la consultation de certains
dictionnaires. J'en ai un qui s'appelle le Larousse analogique. Au mot
"négocier", je retrouve certaines choses. C'est divisé en deux:
négocier entre États ou entre particuliers. "Entre particuliers:
Traiter, conduire une affaire". Je vais les dire tous pour qu'on ne m'accuse
pas d'avoir donné seulement ce qui fait mon affaire. Donc: "Traiter,
conduire une affaire. Agent d'affaires. Cabinet d'affaires.
Intermédiaire. Médiateur, médiation. Intervenir,
intervention. S'entremettre, entremise". C'est le premier sous-paragraphe. Le
deuxième et dernier: "S'aboucher. Prendre langue. Discuter, discussion."
Peut-être que le député de Châteauguay pourrait
m'écouter attentivement.
M. Dussault: C'est ce que je fais.
M. Lalonde: "Débattre, débat". Cela, c'est toujours
dans le dictionnaire analogique de Larousse au mot "négocier".
M. Dussault: Analogique? Vous le dites bien!
M. Lalonde: "Jeter les bases de. Proposer, proposition. Arranger,
arrangement. Régler, règlement", M. le député de
Châteauguay.
M. Laplante: C'est un des dictionnaires de M. Doyon?
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!
M. Lalonde: "Convenir, convention. S'accorder, accord. Rapprocher
les parties". Comme on se retrouve! "Transiger, transaction. Accomodement.
Concordant". Je pense que M. Pouliot n'a pas péché...
M. Duhaime: C'est vous, cela.
M. Lalonde: ...de façon aussi grave que vos propos le
suggéraient contre la langue française si le journaliste a bien
rapporté ses propos.
M. Duhaime: Est-ce qu'on peut dire qu'il a péché
par analogie?
M. Dussault: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Non,
non, je m'excuse, je ne voudrais pas que vous interveniez dans ce que le
député...
M. Dussault: Article 96, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Je ne peux pas le permettre, M.
le député.
M. Dussault: Pourquoi donc ne pouvez-vous pas me le permettre, M.
le Président?
Le Président (M. Jolivet): Non, il faut attendre que le
député ait terminé.
M. Dussault: Puis-je vous demander une directive, M. le
Président, en vertu de l'article du règlement que vous
voudrez?
Le Président (M. Jolivet): Vous pouvez toujours me
demander une directive.
M. Dussault: Oui? M. le Président, si le
député de Marguerite-Bourgeoys me met en cause en signalant qu'il
s'agit d'un dictionnaire analogique qui fait référence à
des propos que j'ai tenus, quand allez-vous pouvoir me donner la parole pour
réagir là-dessus?
Le Président (M. Jolivet): À la fin.
M. Dussault: Parce que le député de
Marguerite-Bourgeoys s'est trahi...
Le Président (M. Jolivet): A la fin, M. le
député.
M. Dussault: ...en disant que c'est un dictionnaire
analogique.
Le Président (M. Jolivet): M. le député,
vous m'avez demandé une directive et je vous dis: À la fin.
M. Dussault: À la fin? Je vous remercie, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Et c'est président de commissions! M. le
Président, j'aurais seulement une correction que vous avez
vous-même apportée, Me Boivin, mais je pense qu'on ne vous a pas
laissé... C'était? Excusez-moi, parce qu'il y a eu une promotion,
je m'excuse.
M. Dussault: Vous errez beaucoup, M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Si vous
posiez directement votre question, M. le député de
Marguerite-Bourgeoys, cela m'aiderait beaucoup.
M. Lalonde: Je voulais donner satisfaction à l'adjoint
parlementaire.
Le Président (M. Jolivet): Oui. Bon, allez donc.
M. Lalonde: Donc, cette correction, Me Boivin, vous l'avez faite
à la page... Non, vous ne l'avez pas faite à la page... La phrase
que vous vouliez corriger se trouve au ruban 1398. Lorsque vous rapportiez
votre conversation du 1er février, vous avez dit -et c'est au bas de la
page - "Là-dessus, je ne me souviens pas si c'est moi ou le premier
ministre qui avait demandé à ces syndicats d'admettre leur
responsabilité." Vous avez fait une mise au point, mais, quand on la
relit, on ne retrouve pas... Vous avez référé à ce
que j'avais compris. Pourriez-vous nous dire ce que vous avez dit à ce
moment-là, autrement dit apporter vous-même la correction et non
pas le faire par personne interposée?
M. Boivin: Quant à la faire, on va essayer de la faire
comme il le faut.
M. Lalonde: Oui, oui.
M. Boivin: Alors, vous citez le ruban 1398, page 1.
M. Lalonde: Pages 1 et 2.
M. Boivin: Oui, c'est cela, pages 1 et 2, au bas de la page 1 et
en haut de la page 2. Au bas de la page 1, je cite: "Là-dessus, je ne me
souviens pas si c'est moi ou le premier ministre qui avait demandé
à ces syndicats d'admettre leur responsabilité. Il va être
clairement établi qu'il n'y a pas de responsabilité
partagée." J'ai dit: La phrase n'a pas de sens. De plus, elle est
fausse. Ni moi ni le premier ministre n'avons demandé à quelque
syndicat que ce soit d'admettre sa responsabilité. Mais lors d'une
discussion avec M. Boyd où il a dit qu'il était important, pour
l'honneur ou pour le nom ou le bon renom de la SEBJ, d'obtenir un jugement afin
de bien démontrer que la responsabilité de la SEBJ n'est
aucunement engagée dans le saccage, je lui ai dit à ce
moment-là, je crois, ou le premier ministre lui a dit, mais je serais
porté à penser que c'est moi: S'ils admettent leur
responsabilité, cela revient au même. Voilà le sens de la
correction.
M. Lalonde: Bon, je vous remercie. J'aurais une question
concernant, le plus modestement possible, la question que j'avais posée
le 12 février au ministre de la Justice.
Cela a été soulevé, je pense, par mon
collègue, le député de Brome-Missisquoi, hier. J'avais
posé une question au ministre de la Justice, après qu'un poste de
radio au moins eut publié certains éléments de ce
règlement...
M. Perron: Cela doit être André Arthur.
M. Lalonde: ...publication, d'ailleurs, qui avait, d'après
les témoignages qu'on a eus ici, influencé un peu le conseil
d'administration à ne pas publier dans les procès-verbaux les
discussions qu'il y avait sur cette question pour les réunions des 23 et
30 janvier. Donc, cela a dû être publié par ce
journal-là ou par ce poste de radio au cours du mois de janvier. (10 h
45)
Le ministre de la Justice - si vous le lisez, car je ne veux pas le lire
puisque vous l'avez devant vous - de toute évidence, ignorait tout de
l'intervention que vous faisiez à ce moment ou que vous aviez faite
depuis le 3 janvier ou même auparavant, c'est-à-dire en
décembre; il ignorait tout de ce que le gouvernement avait fait
là-dedans. Je pense que le député de Brome-Missisquoi vous
a demandé si vous aviez communiqué avec le ministre de la
Justice, mais vous avez enchaîné sur autre chose dans votre
réponse d'hier en disant que vous aviez préparé des notes
au cas où une autre question serait posée.
Je veux reprendre cette partie de la question: Est-ce que vous avez fait
une démarche pour communiquer avec le ministre de la Justice pour
l'informer que le premier ministre et vous-même, son chef de cabinet,
étiez impliqués dans cette démarche?
M. Boivin: J'ai dit hier que je ne m'en souvenais pas, mais je me
demande si, après la question et la réponse... Comme vous le
dites, visiblement à ce moment c'est le 12 février, M. le
ministre de la Justice n'était pas au courant du rôle du premier
ministre dans cette affaire. Possiblement, mais là j'invente,
possiblement qu'après, ayant entendu... Parce que je suis la
période de questions à l'Assemblée nationale, cela
m'apparaîtrait normal que j'aie dit: M. Bédard ou
Marc-André, voici, c'est nous qui nous nous occupons de cela, mais aussi
brièvement que cela.
M. Lalonde: Le ministre de la Justice, à la fin de sa
réponse, offre d'entrer en communication avec le ministre de
l'Énergie et des Ressources d'alors, M. Joron, pour nous donner des
renseignements supplémentaires à une date ultérieure.
Est-ce que M. Joron vous en a parlé à ce moment-là?
M. Boivin: Je ne crois pas, M. le Président. Je ne le
crois pas. Je pense que M. Joron ne m'a pas parlé une fois de cela.
C'est pour cela que je ne semble pas trop hésiter là-dessus.
M. Lalonde: Seulement quelques points que je voudrais couvrir
avec vous. La question de l'incapacité de payer me chicote dans le sens
suivant. Vous l'invoquez, peut-être chronologiquement, mais enfin en
premier lieu, je ne sais pas si c'est par ordre d'importance, comme
étant un élément qui vous a amené à prendre
la décision que vous avez prise, soit de recommander au premier ministre
que la poursuite soit abandonnée et qu'il y ait un règlement.
On vous a demandé ici sur quels documents vous fondiez votre
connaissance de cette incapacité de payer des syndicats. Vous avez dit
que vous n'aviez consulté aucun document, mais que vous aviez
demandé à la SEBJ de vérifier cette chose. Là
où il y a un hiatus - je voudrais que vous l'expliquiez - c'est que
cette incapacité de payer est un facteur de décision pour vous de
recommander... Lorsque vous demandez à la SEBJ de vérifier, cette
décision est déjà en marche. Vous avez déjà
dit à la SEBJ: Le premier ministre désire ou souhaite que ce soit
abandonné ou réglé hors cour. C'est difficile de faire
vérifier par un autre après coup ce qui est un
élément de votre propre décision avant. Voulez-vous
m'expliquer cette...?
M. Boivin: C'est curieux, cela m'apparaissait d'une telle
évidence, puis cela m'apparaît encore d'une telle évidence
qu'ils n'étaient pas capables de payer quelque montant sérieux de
règlement que ce soit, ni même de payer les intérêts,
ma foil Vous avez raison, à l'époque je n'ai fait que ce que j'ai
dit. La suite des événements a prouve que j'avais raison puisque
la SEBJ a obtenu des rapports comptables vérifiés qui l'ont
convaincue qu'ils n'avaient aucune capacité de payer. Mais c'est par la
suite; alors, je vous donne raison, je ne l'ai pas fait dans le temps. Cela
m'apparaissait d'une évidence...
M. Lalonde: Bon, très bien. D'ailleurs, vous dites dans
votre mémoire que c'était évident.
M. Boivin: Voilà.
M. Lalonde: Si vous étiez si convaincu de
l'incapacité de payer des syndicats, pourquoi demander à la SEBJ
de s'en convaincre elle-même et de faire la vérification?
M. Boivin: Cela me paraît, quand même, d'une prudence
élémentaire. La preuve: il me semble que vous me le reprochiez.
Il me semble que c'est évident. Les avocats le disaient dans leur
correspondance. Il faut, quand même, faire les gestes, comme on dit en
bon français.
M. Lalonde: Est-ce que la prudence élémentaire
n'aurait pas été aussi pour vous de vérifier avant de
faire votre recommandation au premier ministre?
M. Boivin: M. le député, vous semblez faire
nécessairement une relation directe entre l'incapacité de payer
et un règlement hors cour. Même si vous avez une capacité
de payer, cela peut être de payer 1 500 000 $ au lieu de 17 000 000 $.
Donc, il y a encore une nécessité de régler hors cour.
C'est relatif.
M. Lalonde: Écoutez, M. le Président, je m'excuse,
je ne veux pas vous mettre de mots dans la bouche, ni de lettres dans votre
mémoire - pas la mémoire, mais le mémoire - mais c'est
vous-même, M. Boivin, qui, dans votre mémoire, invoquez...
Laissez-moi retrouver la page.
M. Boivin: C'est à la page 2.
M. Lalonde: À la page 2. Alors, je vous cite: Avant de me
former une opinion - au paragraphe 4 - j'ai écouté les
représentations de M. Laberge - M. Louis Laberge, président de la
FTQ - Me Beaulé et Me Jasmin, j'ai pris des informations au sujet de la
poursuite auprès du bureau d'avocats Geoffrion et Prud'homme... Vous
avez expliqué comment vous l'avez fait. "J'en suis venu à la
conclusion qu'il devrait y avoir règlement hors cour pour les raisons
suivantes: l'incapacité évidente des syndicats..." C'est
vous-même qui faites la relation entre l'incapacité
évidente et le règlement hors cour, ce n'est pas moi.
M. Boivin: On le fait exprès... On ne le fait pas
exprès, je veux dire, mais on veut faire vite et on oublie de citer
chaque fois ma phrase au complet. "L'incapacité évidente des
syndicats québécois défendeurs de payer une somme d'argent
qui puisse avoir quelque rapport que ce soit avec le montant réel des
dommages". Alors, ce que je dis - c'est ce que j'essayais de dire tantôt
- c'est que, suivant l'information superficielle et assez fragmentaire que
j'avais à ce moment-là quant au montant de la valeur de la
réclamation, je vous ai dit que j'avais téléphoné
à François Aquin. Il m'avait dit: Ne me chicane pas, c'est de
l'ordre de 17 000 000 $ ou 18 000 000 $. Aquin me dit: Si on va en jugement, on
va obtenir 17 000 000 $ ou 18 000 000 $. Je dis: II est évident que les
syndicats québécois sont dans l'incapacité de payer une
somme
d'argent qui puisse avoir quelque rapport que ce soit avec 17 000 000 $
ou 18 000 000 $. C'est ce que la phrase dit. Donc, je dis: Réglez hors
cour. Maintenant, la capacité de payer demeure une question actuelle
puisqu'on peut avoir une capacité de payer 200 000 $ en réglant
hors cour ou une capacité de payer 1 000 000 $ ou 1 500 000 $ en
réglant hors cour. Alors, cela se vérifie, ces choses-là.
Et je présume qu'ayant fait toutes ces vérifications la SEBJ a
obtenu le maximum. Je le présume.
M. Lalonde: Est-ce que, lors de votre rencontre du 3 janvier avec
M. Laliberté pour lui exprimer ou lui transmettre le souhait du premier
ministre à savoir que cette cause soit abandonnée et qu'il y ait
règlement hors cour, vous avez invoqué en particulier cet
argument de l'incapacité de payer?
M. Boivin: Oui, M. le Président.
M. Lalonde: Oui. Est-ce que M. Laliberté a dit quelque
chose sur cette question en particulier?
M. Boivin: Je me souviens d'avoir dit: Je présume que vous
allez vérifier cela et il a dit oui.
M. Lalonde: Est-ce qu'il vous a dit oui à savoir qu'il
était d'accord sur l'incapacité de payer?
M. Boivin: Non, qu'il allait vérifier.
M. Lalonde: Ah, c'est la vérification. J'essaie de
concilier cela avec ce que je trouve dans votre mémoire, à la
page 7, qui est, en fait, le cinquième élément de votre
décision: "Enfin, mais de façon subsidiaire, le climat sur le
chantier était bon..." À la fin, vous dites, à la
dernière phrase: "De plus -et vous expliquez toujours votre cheminement
de pensée, votre réflexion avant de prendre votre décision
- ...
M. Boivin: Ah bien!
M. Lalonde: "...à la connaissance même de la SEBJ,
le syndicat québécois n'était pas en mesure d'y
satisfaire", c'est-à-dire de satisfaire à un jugement. Est-ce que
vous aviez vérifié à ce moment-là la connaissance
de la SEBJ de l'incapacité?
M. Boivin: Là, vous avez raison, il y a peut-être
une imprécision, parce que l'ensemble de mon texte semble dire que je
vise cette période-là, c'est-à-dire le 3 janvier, alors
que, en disant "à la connaissance même de la SEBJ", je vise
peut-être une période subséquente, soit janvier ou
février.
M. Lalonde: Bon. Est-ce que vous voulez corriger votre texte et
comment? Vous enlevez simplement "la connaissance".
M. Boivin: Je dirais: De plus, il s'est avéré plus
tard, à la connaissance même de la SEBJ, que les syndicats
québécois n'étaient pas en mesure d'y satisfaire.
M. Lalonde: Merci. Je vais terminer avec cette
question-là, M. le Président. Il s'agit des trois
éléments - moi, je dis, trois, mais vous me corrigerez s'il y en
a deux ou cinq - majeurs du règlement hors cour. Je pense que c'est le
député de Gatineau qui, par une question, vous demandait quels
étaient les éléments des défendeurs. Là,
vous me corrigerez si je fais erreur. Je n'emploie peut-être pas vos
mots. La reconnaissance de la responsabilité, que vous qualifiez de
très importante dans vos réponses, et autre contribution des
syndicats, l'argent. Cela en fait deux de la part des défendeurs. En
fait, je vais poser plus directement la question. Est-ce que l'abandon de la
poursuite est l'élément majeur, la contribution majeure de la
demanderesse, de la SEBJ, dans ce règlement?
M. Boivin: J'imagine, M. le Président. M. Lalonde:
Bien...
M. Boivin: Non, non, mais ce que je veux dire par là - je
ne veux pas essayer de jouer sur les mots et vous non plus, j'en suis certain -
c'est que...
M. Lalonde: Non, non.
M. Boivin: ...les syndicats défendeurs dont on parle, le
syndicat américain et les syndicats représentés par Me
Jasmin, demandaient, plaidaient ou intervenaient auprès de nous pour
demander un règlement hors cour. Ils l'ont obtenu. Donc, j'imagine que
c'était l'objet de leur désir. Cela semblait très
important.
M. Lalonde: Oui, oui. Cela a été établi,
d'ailleurs, par Me Beaulé que l'objectif ultime recherché
était l'abandon de la poursuite.
M. Boivin: Oui, oui.
M. Lalonde: Je pense même que je vous avais posé des
questions là-dessus, jeudi dernier. Un règlement hors cour, une
transaction, pour employer le terme juridique, c'est un échange de
compromis. La demanderesse, elle, qu'a-t-elle fait, la SEBJ? Elle a mis fin
à la poursuite.
M. Boivin: Voilà.
M. Lalonde: D'ailleurs, on retrouve cela dans le document. Les
défendeurs, eux, certains ont reconnu leur responsabilité en des
termes différents, du moins parfois, et quelques-uns aussi ont
payé en argent.
M. Boivin: Voilà.
M. Lalonde: Donc, est-il exact de dire que les trois
éléments majeurs de cette transaction, de ce règlement
sont - l'élément sine qua non et l'objectif ultime des
défendeurs - premièrement, l'abandon de la poursuite par la SEBJ,
deuxièmement, la reconnaissance de leur responsabilité par
certains syndicats et, troisièmement, le paiement d'une certaine
somme?
M. Boivin: Cela me paraît être le cas, M. le
député. Je sais que, pour le premier ministre, c'est un peu plus
large que cela. Je l'ai dit, je pense, dans mon mémoire. Mais, pour la
SEBJ, cela me semble être les éléments importants que vous
venez de mentionner.
M. Lalonde: Je ne parle pas des motivations. Naturellement, il
peut y avoir un discours beaucoup plus large de philosophie sociale pour savoir
si on l'a favorisé ou si on l'a défavorisé.
M. Boivin: Oui.
M. Lalonde: Je ne veux pas entrer là-dedans.
M. Boivin: Ah bon!
M. Lalonde: J'entre simplement dans les faits. Quand on lit cette
transaction - je ne sais pas si vous l'avez devant vous - on y retrouve,
à part les attendus...
M. Boivin: De mémoire, je dirais que vous résumez
très bien, me semble-t-il, les trois éléments -
pourrait-on s'exprimer ainsi? - de la transaction. Une partie demanderesse dit:
J'abandonne la poursuite ou je règle hors cour et vous,
défenderesses ou certaines d'entre elles, vous reconnaissez votre
responsabilité et d'autres d'entre elles, vous payez une somme d'argent.
Grosso modo, cela me semble... (Il heures)
M. Lalonde: M. le Président, si je tiens compte de la
réunion du 3 janvier avec M. Laliberté, de la rencontre du 1er
février entre le premier ministre et vous-même, d'une part, et les
deux P.-D.G., M. Boyd, et M. Laliberté et M. Saulnier, président
du conseil, de votre repas avec les avocats de Geoffrion et Prud'homme le 2
février dans le premier élément, l'abandon de la
poursuite, vous êtes impliqué jusque-là. Vous avez
vous-même...
M. Duhaime: Je voudrais soulever une question de
règlement.
M. Lalonde: ...pris l'initiative de cet
élément.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre sur une question
de règlement.
M. Duhaime: M. le Président, je voudrais soulever une
question de règlement - je pense que cela va bien ce matin, le
député de Marguerite-Bourgeoys était sur une excellente
voie jusqu'à il y a quelques minutes - pour la raison suivante. Vous
allez comprendre rapidement. Il s'agit beaucoup plus d'une argumentation que
développe actuellement le député de Marguerite-Bourgeoys.
Au fur et à mesure qu'il développe son argumentation, il demande
au témoin, Me Boivin, s'il est d'accord avec ses vues.
Je ne crois pas que cette façon de procéder puisse faire
normalement partie de ce que j'appellerais une période de questions et
de réponses. Vous avez votre propre opinion, cela me semble assez
évident. Je ne crois pas que la commission soit davantage
éclairée si, en présence d'un témoin, avec ou sans
son aide, vous vouliez vérifier votre propre argumentation. Il y a
d'autres occasions que vous aurez très certainement pour le faire. Je ne
pense pas que cela soit dans le but d'amener un éclairage ou des faits
nouveaux ou encore des informations additionnelles devant la commission. Vous
faites une argumentation, vous avez la vôtre; j'ai noté cela, un,
deux ou trois. Je ne vois pas l'utilité que vous veniez vérifier
votre propre argumentation.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: C'est un autre bel effort. Cela donne le temps
à tout le monde de prendre un peu de recul, de prendre son "respir".
M. Duhaime: Je vais le prendre, moi aussi.
M. Lalonde: M. le Président, ce que je demande au
témoin, c'est si, dans le premier élément du
règlement à savoir l'abandon de la poursuite par la SEBJ, il
s'est impliqué personnellement et si le bureau du premier ministre s'est
impliqué, s'il a fait des démarches. Je lui rappelle - pour
être bien sûr qu'on l'aide comme il faut - la réunion du 3
janvier, celle du 1er février, celle du 2 février; je
pourrais peut-être aller à d'autres réunions, mais
là je parle strictement de ses interventions à l'égard de
la SEBJ. Je ne parle pas des avocats des défendeurs pour tout de suite.
SEBJ et procureurs. Est-ce que vous vous êtes impliqué dans ce
premier
élément de l'abandon de la poursuite: que la SEBJ cesse sa
poursuite?
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: M. le Président, j'ai soulevé une
question de règlement. Je peux la reformuler. Je vois venir cela comme
une charge de foin. Si vous avez votre dictionnaire des analogies il pourrait
peut-être vous aider par analogie à comprendre aussi. Dans mon
esprit, ce que vous nous dites de votre siège, c'est: Le
règlement consiste, premièrement dans l'abandon de la poursuite;
deuxièmement: l'autre élément, l'admission de
responsabilité; troisième élément: la
capacité de payer. Dans l'esprit de tout le monde - je ne vois pas le
virage que l'on tente ce matin dans les derniers milles - le règlement,
c'est ce que Me Aquin a appelé - cela m'a frappé comme expression
- la transaction multilatérale qui a été signée
avec les parties. Point. C'est cela qui fait l'objet du règlement hors
cour qui a été déposé en mars 1979.
M. Lalonde: C'est de l'argumentation, M. le Président.
M. Paradis: C'est de l'argumentation. Avez-vous une question?
M. Lalonde: Ce n'est pas une question de règlement.
M. Paradis: Ce n'est pas une question de règlement. C'est
quoi, la question de règlement?
M. Duhaime: Alors, ce que le député de
Marguerite-Bourgeoys fait actuellement, c'est dire que le règlement,
dans son esprit, va bien au-delà du règlement hors cour
signé par les parties...
M. Paradis: Ce n'est pas une question de règlement.
M. Duhaime: ...qui a été déposé.
M. Lalonde: M. le Président, une question de
règlement.
M. Paradis: Une question de règlement. C'est de
l'obstruction, cela.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys...
M. Duhaime: Je ne vois pas comment vous pourriez permettre une
argumentation.
Le Président (M. Jolivet): ...vous avez la parole sur une
question de règlement.
M. Laplante: C'est le règlement.
M. Lalonde: Le ministre fait de l'argumentation. Il aura le
loisir de le faire lorsqu'il aura le droit de parole. Il peut l'avoir à
tous les tours, même en enlever au député de
Châteauguay comme hier soir.
Le Président (M. Jolivet): M. le député.
M. Lalonde: II pourra faire toute l'argumentation qu'il voudra.
C'est mon droit actuellement - je vous demande de le protéger - de poser
des questions pertinentes au témoin sur des faits sur - et c'est dans
notre mandat - le rôle du premier ministre et de son bureau. Nous avons
le chef de cabinet du premier ministre ici et qu'y a-t-il de plus pertinent que
le règlement hors cour? Nous sommes dans la période la plus
pertinente; nous ne sommes pas au-delà du 13 mars 1979.
Le Président (M. Jolivet): M. le député,
puis-je vous aider en vous disant de poser vos questions?
M. Lalonde: Alors, j'ai posé une question, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): Oui. Me Boivin, vous pouvez y
répondre.
M. Boivin: M. le Président, ce n'est pas un secret. Je
l'ai dit depuis que je suis ici, depuis jeudi matin, que j'ai fait une
recommandation. En plus, je l'ai écrit; je pense que les paroles sont
aussi importantes que les écrits, quant à moi, mais en tout cas.
Je l'ai dit et je l'ai écrit, que j'ai recommandé un
règlement hors cour, et le premier ministre a dit, le 20 février
1979 en Chambre - vous étiez présent, M. le député
de Marguerite-Bourgeoys - qu'il a fait connaître son sentiment
très clairement aux administrateurs de la SEBJ qu'il était
favorable à un règlement hors cour. Alors, ma réponse est
évidente.
M. Lalonde: C'est oui? M. Boivin: Bien oui.
M. Lalonde: Maintenant, le deuxième élément,
à savoir que certains défendeurs reconnaissent leur
responsabilité. Le 1er février, lors de la réunion, vous
ou le premier ministre, d'après votre témoignage tel que
corrigé ce matin, vous avez vous-même suggéré
à la SEBJ qu'une reconnaissance de responsabilité produirait les
mêmes résultats qu'un jugement. Je mets cela dans mes mots, mais
je pense que vous les avez acceptés tels quels la dernière fois,
à savoir que la SEBJ ne reconnaisse aucune responsabilité
elle-même dans le saccage.
Deuxièmement, d'après le témoignage de Me Aquin,
vous avez appelé Me Aquin le 8 février pour vous informer s'il
était exact que la SEBJ exigeait la reconnaissance de la
responsabilité. Vous avez vous-même fait rapport d'appels
téléphoniques que vous avez eus avec Me Jasmin, avec M.
Laliberté sur cette question, à savoir: Est-ce que la
reconnaissance de responsabilité est exigée? Vous vous êtes
donc impliqué, disons, jusque-là, pour le deuxième
élément.
M. Boivin: Je ne me suis pas impliqué jusque-là, je
ne me suis pas impliqué du tout quant à la reconnaissance de
responsabilité. Je viens de me rendre compte ce matin, par hasard, en
lisant des projets de transaction, que la question de reconnaissance de
responsabilité des syndicats québécois était
réglée ou admise dès le mois de janvier. D'après ce
que je peux comprendre de la correspondance ou des projets de transaction, il
restait en cause la responsabilité du syndicat américain au sujet
de laquelle je ne me suis aucunement impliqué. La raison
m'apparaît évidente parce que cela a été dit par Me
Beaulé. Si la SEBJ exigeait une reconnaissance de responsabilité
du syndicat américain, il n'y avait pas de règlement hors cour.
Or je présume que la SEBJ a jugé que cela ne valait pas la peine
ou que ce n'était pas légitime pour elle d'exiger la
reconnaissance de responsabilité du syndicat américain et,
partant, de mettre en danger le règlement hors cour. Mais je ne me suis
aucunement mêlé de cette question.
M. Lalonde: Si vous ne vous êtes pas mêlé de
la reconnaissance de responsabilité, pourquoi avez-vous appelé Me
Aquin le 8 février 1979 pour lui demander - ce que Me Aquin a
rapporté ici à la commission - s'il était exact que la
SEBJ demandait la reconnaissance de responsabilité du syndicat
américain?
M. Boivin: Probablement pour la raison que j'ai invoquée
antérieurement, à savoir que Me Beaulé a dû me
demander si c'était vraiment une exigence de la SEBJ ou une exigence de
Geoffrion et Prud'homme.
M. Lalonde: Est-ce que Me Beaulé, lorsqu'il vous a
demandé si c'était une exigence de la SEBJ ou de Geoffrion et
Prud'homme, vous a dit s'il avait appris cette exigence de Geoffrion et
Prud'homme?
M. Boivin: Oui. Oui.
M. Lalonde: Est-ce que, à ce moment, vous étiez
conscient que les avocats, Me Beaulé d'un côté pour le
syndicat américain et Geoffrion et Prud'homme pour la SEBJ,
étaient en contact, en conversation sur cette question?
M. Boivin: Bien oui.
M. Lalonde: Alors, pourquoi intervenir de la part du bureau du
premier ministre à ce moment?
M. Boivin: Je n'interviens pas, je m'informe.
M. Lalonde: Est-ce que l'information que Me Beaulé vous
donnait, à savoir que Geoffrion et Prud'homme ou la SEBJ exigeait...
M. Boivin: Si je me souviens, M. Beaulé m'a dit: On exige
la reconnaissance de responsabilité du syndicat américain.
Jean-Roch, es-tu bien sûr que ce n'est pas une exigence inventée
par Geoffrion et Prud'homme ou une exigence de la SEBJ? Je lui ai dit:
Beaulé, il me semble que tu es soupçonneux, mais pour te faire
plaisir, je vais vérifier. J'appelle Aquin et il me donne la
réponse. Voilà.
M. Lalonde: Vous ne considérez pas votre fonction
d'intermédiaire dans cette question comme une implication sur la
question?
M. Boivin: C'est tout à fait clair.
M. Lalonde: Pourquoi, à ce moment-là, lorsque Me
Jasmin vous appelle et vous pose la question que vous avez rapportée
ici, à savoir qu'il était inhabituel - je pense que ce sont les
mots qu'on retrouve - qu'on exige la reconnaissance de responsabilité
des défendeurs, avez-vous appelé M. Laliberté et non pas
Me Aquin ou Geoffrion et Prud'homme?
M. Boivin: Bien, c'est une exigence du client. J'appelle M.
Laliberté. Cela me paraît une route assez directe.
M. Lalonde: Dans le cas de Me Beaulé aussi, c'était
une exigence du client? Vous appelez Me Aquin.
M. Boivin: Écoutez là, ne vous imaginez pas que je
me pose de profondes questions là-dessus.
M. Lalonde: Non, non.
M. Boivin: D'ailleurs, je me rends compte - c'est simplement les
écrits qui me le disent, je n'ai aucun souvenir de cela -que ce n'est
pas à la même époque parce qu'il semble que la
reconnaissance de responsabilité des syndicats québécois a
été une question réglée et admise beaucoup plus
tôt que dans le cas du syndicat américain.
M. Lalonde: Cela fait deux fois que
vous faites référence au fait que cela a été
admis plus tôt. Est-ce que cela a été admis avant le 3
janvier 1979?
M. Boivin: Non, non, non.
M. Lalonde: Donc, cela a été admis pendant la
période où vous aviez commencé à vous impliquer
dans le dossier?
M. Boivin: Oui, oui, bien sûr.
M. Lalonde: M. le Président, le troisième
élément, l'argent qui semblait être la dernière
préoccupation de tout le monde. Là-dessus, on a un trou, un
immense gouffre de mémoire. Personne ne se souvient d'avoir parlé
d'argent. Enfin, on se souvient surtout de ne pas en avoir parlé.
J'aurais une question qui ferait suite à une compréhension que
j'avais de certaines réponses que vous avez données hier,
compréhension, qui selon ce que je vois, est partagée par au
moins celui qui fait les titres au journal La Presse, parce qu'on ne peut pas
accuser le journaliste de faire les titres. Dans la Presse d'aujourd'hui, on
dit: "Boivin tient - je m'excuse, ce n'est pas monsieur, je vous appelle
monsieur ou Me - la SEBJ responsable de ne pas avoir obtenu davantage." Je ne
vous demanderai pas si cela est vrai.
Je voudrais vous poser une question sur la capacité de la SEBJ
d'obtenir beaucoup, d'obtenir le maximum lorsque, premièrement, vous,
chef de cabinet du premier ministre et le premier ministre lui-même dites
à la SEBJ: II faut régler. Réglez (juron) ou nous allons
le faire à votre place, d'une part. D'autre part, vous laissez savoir -
parce que cela a été établi ici que M. Laliberté le
savait - que les avocats des défendeurs sont dans votre bureau presque
quotidiennement, passent une dizaine d'heures ensemble, globalement pendant
cette période et, en plus, vous laissez savoir à l'avocat des
défendeurs québécois, Me Jasmin, que vous avez dit aux
demandeurs: II faut régler. Dans quelle mesure cela laissait-il à
la SEBJ un "bargaining power", si vous voulez, pour obtenir beaucoup des
défendeurs quand ils savaient que le premier ministre, l'actionnaire
principal, le seul actionnaire, avait dit: Vous allez régler, on ne veut
pas que cela procède, autrement dit; il faut que cela se
règle?
M. Duhaime: C'est une question d'opinion, M. le Président,
je pense. (Il h 15)
M. Boivin: J'ai simplement feuilleté, ce matin, en prenant
un café, parce que je me suis levé assez tard, des journaux des
Débats. M. Aquin a longuement parlé d'argent. M. Laliberté
a longuement parlé d'argent. J'ai aussi feuilleté cela. Donc, je
me rends compte qu'il y a des gens qui ont parlé d'argent dans cette
cause.
Deuxièmement, il y a un jeu de mots dans votre question. Je
m'excuse de vous le dire. Votre question est un sophisme, M. le
député. Quand une autorité politique dit à une
société d'État: Nous souhaiterions fortement que vous
régliez, ceci ne veut aucunement dire, il n'y a aucune commune mesure et
personne ne l'a entendu dans ce sens: Veuillez régler hors cour pour des
"pinottes". Cela veut dire: Veuillez régler hors cour. La
responsabilité du montant du règlement n'est absolument pas
impliquée dans la phrase: Veuillez régler hors cour. Le premier
ministre a même eu la prudence, comme il l'a souvent, d'ajouter: Veuillez
régler hors cour aux conditions dont vous conviendrez avec les parties.
Où voyez-vous qu'on enlève un "bargaining power"? Si les
syndicats défendeurs ne veulent pas payer aux conditions que trouve
raisonnables la SEBJ, le procès qui a duré cinq ou six semaines
n'a qu'à continuer et bonjour, la visite!
M. Lalonde: M. le Président, on m'a dit que ma question
est un sophisme. Je vais demander au témoin si, lorsqu'un premier
ministre, s'adresse aux plus hauts dirigeants d'une société
d'État et dit: Vous réglez, "crisse", ou je vais régler
à votre place, c'est une petite invitation, un petit souhait ou si c'est
un sophisme que de dire que c'est un ordre et une menace, en plus.
M. Boivin: Si vous me posez la question, je vais y
répondre.
M. Lalonde: Oui.
M. Boivin: C'est une forte incitation à régler,
mais, quand on parle à des gens responsables - les interlocuteurs
étaient et sont encore des gens responsables - il va de soi que - cela
n'a pas besoin d'être dit, mais cela a été dit - c'est une
forte incitation à régler aux conditions que vous jugerez
raisonnables.
M. Lalonde: Mais lorsqu'on dit aux procureurs des
défendeurs: Nous avons dit aux demandeurs dont nous sommes l'actionnaire
qu'il faut que cela se règle, n'est-ce pas là - ou est-ce un
sophisme de le dire - une forte incitation pour les défendeurs à
payer le moins possible?
M. Boivin: Je ne trouve pas que c'est un sophisme; je trouve que
c'est une fausse conclusion.
M. Lalonde: Ce n'est pas un sophisme, on a au moins eu cela. Mais
c'est une fausse conclusion. Alors, lorsque vous dites à Me Jasmin, le 3
janvier: J'ai dit à M. Laliberté:
Vous allez régler...
Le Président (M. Jolivet): Un instant, M. le
député.
M. Lalonde: ...vous ne trouvez pas que c'est une incitation
à Me Jasmin de dire à ses clients: Le premier ministre est de
notre bord, on n'a qu'à faire le mort et à payer le moins
possible.
M. Boivin: Non, je ne trouve pas cela du tout, M. le
Président.
M. Lalonde: Très bien.
M. Boivin: C'est pour cela que j'ai parlé des poissons
théologiens tantôt.
M. Lalonde: En parlant de poisson... M. Boivin:
Théologien.
M. Lalonde: Très bien, théologien. Lorsqu'un
premier ministre dit...
Le Président (M. Jolivet): M. le député, un
instant, parce que j'ai un petit problème. Je voudrais seulement savoir
si vous entrez dans la partie des commentaires ou si vous avez une autre
question à poser.
M. Lalonde: J'ai une autre question.
Le Président (M. Jolivet): Allez-y et vous ferez vos
commentaires après, si vous voulez.
M. Lalonde: Oui, mais je suis encore dans les questions, M. le
Président. On en trouve des belles.
Le Président (M. Jolivet): C'est parce qu'actuellement
cela a beaucoup plus l'air de parties de commentaires avec des bouts de
questions qui donnent les réponses qu'on connaît. Je veux
simplement vous demander si vous avez des commentaires, je vous le permettrai
après. Posez vos questions, s'il vous plaît.
M. Lalonde: M. le Président, le premier ministre...
M. Lavigne: Faites-le.
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît:
M. Lalonde: Le premier ministre, le 20 février 1979,
après la réponse que l'on sait à la question à
savoir si son bureau était impliqué, si la négociation
avait été faite en sa présence, en partie ou en tout, nous
avait dit: Ni de près, ni de loin. Le soir, lors d'un mini-débat,
il a dit ceci et je vous réfère à la page 5797...
Avant, à la page 5741 - c'est la période des questions du
20 février - dans sa dernière réponse, à la colonne
de droite, le premier ministre dit: "M. le Président, inutile d'ajouter
que ce que j'ai dit tout à l'heure, c'était après avoir
été passablement mis au courant des avis juridiques assez
nombreux qui ont été accumulés", etc. À la page
5793, à la colonne de droite vers la fin, il dit: "Mais ce syndicat
américain, d'après les avis juridiques qui m'ont
été expliqués longuement avant que je donne mon humble
sentiment, cette responsabilité des syndicats américains est plus
qu'aléatoire", etc.
Me Boivin, avez-vous expliqué vous-même des avis juridiques
au premier ministre?
M. Boivin: J'ai fait état au premier ministre de mon avis,
oui.
M. Lalonde: Vous m'avez répondu que vous avez fait
état de votre avis; je vous demande si vous avez expliqué
longuement, comme le premier ministre l'a dit, des avis juridiques, non pas le
vôtre.
M. Boivin: J'ai expliqué celui du 16 décembre 1975
de Mes Geoffrion et Prud'homme.
M. Lalonde: Est-ce le seul que vous avez expliqué au
premier ministre?
M. Boivin: Et le mien. M. Lalonde: Et le vôtre?
M. Boivin: Voilà! M. Lalonde: Mais...
M. Boivin: C'est le seul. Je trouve que les autres sont...
M. Lalonde: Parce qu'il me semblait que dans votre mémoire
vous aviez eu la prudence - enfin, c'est un commentaire, M. le Président
- de dire que vous n'étiez pas là pour donner...
M. Boivin: Je l'ai dit, oui.
M. Lalonde: ...des avis juridiques.
M. Boivin: Formels.
M. Lalonde: Formels. Bon. Est-ce que, compte tenu, comme vous
l'avez reconnu, que le règlement contient au moins, mais surtout trois
éléments fondamentaux, l'abandon de la poursuite par la SEBJ, la
reconnaissance de la responsabilité par certains défendeurs et le
troisième, le paiement d'argent, vous pouvez jurer que
vous n'avez jamais, ni de près, ni de loin, ni en partie,
été impliqué dans ce règlement?
M. Boivin: Si vous excluez, parce que je ne sais pas le sens que
vous lui donnez, ma recommandation favorable au règlement hors
cour...
M. Lalonde: Je n'exclus rien.
M. Boivin: Bien. Cela fait trois jours que je suis ici. J'ai dit
que j'ai fait une recommandation favorable hors cour et que j'étais
moi-même très favorable à un règlement hors cour.
Quant au reste, c'est vous qui m'avez fait la remarque, M. le
député. Je suis toujours sous serment, m'avez-vous dit, est-il
nécessaire de dire que je jure que je n'ai jamais été
impliqué -j'aimerais avoir mon texte - dans les modalités, termes
ou conditions du règlement?
M. Lalonde: C'est tout, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: M. le Président, on vient d'assister à
une tentative de consolider l'échafaudage dans l'argumentation. Je
voudrais reprendre la dernière question du député de
Marguerite-Bourgeoys et dire que je diffère diamétralement
d'opinion quant à l'interprétation et au sens à donner aux
mots du dictionnaire. Quand le député de Marguerite-Bourgeoys
veut dire que le règlement hors cour, cela implique trois choses:
l'abandon de la poursuite, la question de la responsabilité et la
capacité de payer, je dis qu'il...
M. Lalonde: Pas la capacité de payer.
M. Duhaime: ..."confusionne". Le montant...
M. Lalonde: Le montant, oui.
M. Duhaime: C'est une confusion, à mon sens. Je voudrais,
aux fins de la bonne compréhension de nos travaux, tenter de lui donner
mon point de vue à partir des commentaires fort brillants qui viennent
d'être faits. À mon sens, il y a une distinction très nette
à faire entre la décision politique qui est prise de la part du
premier ministre et faire valoir ce souhait aux autorités de la SEBJ
pour que cette poursuite se règle hors cour. C'est la première
étape. La question qu'il faut se poser est la suivante: Est-ce qu'il
appartenait au premier ministre de manifester son souhait ou son voeu, d'autant
plus qu'on le lui avait demandé? Ma réponse, M. le
Président, c'est oui. Le premier ministre l'a toujours dit à
partir du mois de février 1979. On a fait grand état de
l'interprétation des mots "implication", "intervention", etc. La
question que je me pose: Est-ce qu'il s'agit là d'un
précédent?
Si je me reporte au témoignage de M. Gauvreau, membre du conseil
d'administration de la SEBJ à l'époque où ces
événements se déroulent, qui a été une
trentaine d'années membre de la Commission hydroélectrique,
membre du conseil d'Hydro, membre de la SEBJ, il a dit qu'il en avait vu passer
sous tous les gouvernements et qu'il y avait eu des interventions beaucoup plus
lourdes de conséquences dans le passé.
Je me reporte aussi de mémoire au témoignage de M. Boyd,
dans le même sens; à celui de M. Giroux, même si, dans un
premier temps, ce dernier nous a dit que, quant à lui, pendant qu'il
était président du conseil, le premier ministre du Québec
n'était jamais intervenu dans les affaires d'Hydro, ce qui s'est
révélé faux dans les cinq minutes qui ont suivi, puisque
M. Roland Giroux présidait la séance du conseil d'administration
le 15 novembre 1976, c'est-à-dire le jour des élections, à
laquelle assistaient également MM. Boyd, Gauvreau, Dozois et Monty. M.
Roland Giroux, président au fauteuil, suivant le procès-verbal
qui a été déposé devant cette commission.
Je voudrais, M. le Président, non pas résumer tout
l'arrière-plan qui a amené cette décision prise au conseil
d'administration d'Hydro le 15 novembre 1976, pour le rappeler à nos
amis à gauche, mais c'était le jour des élections, le jour
même des élections. "AC-1269-76 conflit syndical à
HydroQuébec. Résolu. "Considérant que les recommandations
contenues au rapport du ministre des Richesses naturelles, M. Jean Cournoyer,
en vue du règlement du conflit de travail qui sévit à
Hydro-Québec comportent pour cette dernière des
difficultés et des inconvénients au point de vue administratif et
des désavantages au point de vue financier; "Considérant que,
afin d'éviter des conséquences désastreuses pour tous les
abonnés - il faut se rappeler qu'il y avait une grève -
Hydro-Québec s'est rendue à la limite des concessions qu'elle
pouvait faire et à accepté toutes les recommandations du ministre
sauf quatre articles dont l'application ne lui permettrait pas d'assurer la
continuation d'une saine gestion et le maintien de la qualité de son
service aux citoyens du Québec; "Considérant que cette position
de la commission a été appuyée spontanément par 37
cadres relevant directement de la commission et 2800 cadres de direction et de
maîtrise, spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec;
"Considérant que le premier ministre a
convoqué les membres de la commission à une réunion
qui s'est tenue le 8 novembre 1976."
M. Lavigne: Quel premier ministre, M. le ministre?
M. Duhaime: Le 8 novembre 1976, cela m'apparaît assez
évident que ce n'était pas M. René Lévesque.
M. Lavigne: Ah! bon.
M. Duhaime: "Considérant qu'à cette réunion
du 8 novembre le premier ministre a alors exigé verbalement des quatre
commissaires présents - celui qui était absent, c'était M.
Giroux - a) d'appliquer les quatre recommandations contenues audit rapport du
ministre Cournoyer et qui demeuraient alors en litige; b) d'accepter de signer
une lettre d'entente selon laquelle la formule de promotion par
ancienneté pourra être soumise à l'arbitrage quand les
parties le jugeront à propos, les termes de cette entente étant
ceux soumis par le premier ministre; c) de verser à chacun des
syndiqués un montant forfaitaire maximal de 800 $ après la
signature des conventions collectives."
M. Perron: On parle d'argent.
M. Duhaime: "Considérant que M. Robert Bourassa, chef du
gouvernement, en formulant les exigences susdites, s'est engagé
formellement à les confirmer par écrit à la commission
dans les jours suivant la réunion; "Considérant que le
gouvernement a la responsabilité ultime des politiques qu'il juge les
meilleures pour le bien-être des citoyens de la province;
"Considérant que les syndicats ont fait part à
Hydro-Québec qu'ils sont maintenant consentants à signer une
entente de retour au travail, selon le texte intégral qui leur avait
été transmis par Hydro-Québec le 9 novembre 1976." Comme
on dit, le lendemain de la veille. (Il h 30) "Considérant que les
syndicats ont accepté de parapher le texte des conventions collectives
à être signé par les parties, tel que soumis par
Hydro-Québec et qui est conforme aux recommandations contenues audit
rapport du ministre Cournoyer;
En conséquence, que Hydro-Québec accepte d'appliquer les
quatre recommandations contenues audit rapport du ministre Cournoyer et qui
faisaient l'objet du litige; "Que Hydro-Québec accepte de signer une
lettre d'entente selon laquelle la formule de promotion par ancienneté
pourra être soumise à l'arbitrage quand les parties le jugeront
à propos, les termes de cette entente étant ceux soumis par le
premier ministre - étant ceux soumis par le premier ministre, oui, je
lis bien - et qui sont contenus aux documents versés au dossier du
présent procès-verbal; "Que Hydro-Québec accepte de verser
à chacun des syndiqués une somme forfaitaire maximale de 800$
à titre de rétroactivité pour tenir compte de certains
avantages prévus aux conventions collectives et pour autres
considérations, le tout selon les modalités
déterminées dans une lettre d'entente à intervenir
à ce sujet entre les parties, copie de ladite lettre étant
versée au dossier du présent procès-verbal; "Que
Hydro-Québec accepte de signer une entente de retour au travail selon
les termes de la lettre soumise par Hydro-Québec aux syndicats le 9
novembre 1976, copie de ladite lettre étant versée au dossier du
présent procès-verbal."
M. le Président, si j'ai pris la peine de lire tout l'extrait du
procès-verbal de la réunion du conseil d'administration
d'Hydro-Québec tenue le 15 novembre 1976, c'était pour
établir très clairement que le premier ministre, M. Bourassa,
suivant ce qu'il était de son devoir, à bon ou à mauvais
escient, a pris les responsabilités qui lui incombaient de par sa
tâche de premier ministre du Québec. Hydro-Québec
reconnaît cela aussi en disant: "Considérant que le gouvernement a
la responsabilité ultime des politiques qu'il juge les meilleures pour
le bien-être des citoyens de la province." Il faut croire que ce
n'était pas sa meilleure, parce que le soir même, son gouvernement
était défait. Ce que je veux dire, M. le Président, c'est
que le fait que M. Lévesque ait été appelé à
donner son sentiment - il ne s'est pas imposé; on lui a demandé
son sentiment, il l'a donné et c'était parfaitement son
rôle - ne fait pas partie de l'un des trois éléments du
règlement. C'est une étape; c'est la première
étape.
La deuxième étape, qui m'apparaît découler de
la première, c'est le règlement de cette cause. Comme le dirait
un de mes anciens collègues, deux points, a) et b). Le point a): la
question de la responsabilité. Elle est multiple, la question de la
responsabilité. Il faut se souvenir que le syndicat américain
imputait une part de responsabilité à la Société
d'énergie de la Baie James. Il y avait la responsabilité civile
du syndicat américain; il y avait la responsabilité civile de
chacun des syndicats québécois; il y avait aussi la question de
la responsabilité civile de chacun des individus qui étaient
poursuivis comme défendeurs. Toute cette question de la
responsabilité relève, bien sûr, du jugement du conseil
d'administration de la SEBJ qui, par la voie de ses procureurs, doit en faire
l'évaluation. Le point b), c'est la même chose: le montant du
règlement qui peut être plus haut ou plus bas selon
l'évaluation qu'on peut faire de la capacité de payer ou
non des défendeurs.
Je vais simplement faire référence à la
déclaration du premier ministre du 20 février 1979 lors du
mini-débat, à la page 5793, au deuxième paragraphe du
haut. Je vais essayer de retenir l'essentiel: "Partant de là - c'est le
premier ministre qui parle - sachant aussi que les syndicats
québécois qui sont intimés sont incapables, de toute
façon, de payer des sommes le moindrement substantielles, j'ai
donné mon sentiment. C'était que, puisqu'un règlement a
été demandé par quelques-uns des syndicats ou par leurs
procureurs au début de 1979, quant à moi, il me semblait
meilleur, dans l'intérêt du Québec et d'une certaine paix
sociale nécessaire - il ne s'agit pas de favoritisme politique, il
s'agit de chantiers lointains où il est important que la paix
règne - si un règlement était possible, de le soutenir, de
l'appuyer, mais que c'est aux parties, à commencer par la
Société d'énergie de la Baie James qui est demanderesse
là-dedans, de décider ce qu'elles veulent faire."
Maintenant, pour terminer, j'apprendrai peut-être aux
députés et à d'autres que, dans ce règlement qui
n'est pas intervenu encore et qui, je l'espère, interviendra d'une
façon satisfaisante, la Société d'énergie de la
Baie James a exigé, ce qui est parfaitement normal, que certains des
syndicats québécois au moins, qui peuvent être
juridiquement et techniquement impliqués, admettent leur
responsabilité.
Je pense qu'il est très clair, de la déclaration du
premier ministre le 20 février 1979, lors du mini-débat, que,
tant sur le plan de la responsabilité des uns et des autres dans ce
dossier que sur le montant du règlement dans l'évaluation de la
capacité de payer des défendeurs, c'était du ressort de la
Société d'énergie de la Baie James. Alors, pour faire
l'histoire plus courte, quand le député de Marguerite-Bourgeoys
veut donner une "extensibilité", - qui n'existe pas au dictionnaire -
à un mot tel que "règlement", je lui rappelle ce que je disais
tantôt: a) une première étape, qui est une volonté
politique de favoriser un règlement hors cour; b) la seconde
étape: comment maintenant cela va-t-il se régler dans les faits?
Le premier ministre l'a dit de façon très claire - il l'a
toujours dit, d'ailleurs - Sur les deux éléments, la question de
la responsabilité et la question du montant de l'indemnité comme
tel appartiennent à la Société d'énergie de la Baie
James, n'en déplaise au député de
Marguerite-Bourgeoys.
On ne tentera pas, M. le Président, après diverses
opérations de "repositionnement" dans ce dossier par manque
d'éléments, de se "repositionner" sur la fin des travaux et de
donner une définition beaucoup plus globale et beaucoup plus englobante
que ce qu'a dit le premier ministre lui-même en répondant aux
questions en Chambre, en février 1979. Il s'agit de lire le texte. Il
est limpide. Lorsque M. Lévesque parle du règlement, il se
réfère, explicitement, peut-être pas à un document
comme tel, mais à la deuxième étape dont je viens de faire
la description. Je vous remercie, M. le Président, de m'avoir
écouté avec beaucoup de patience.
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le ministre.
Cependant, avant de donner la parole au député de
Marguerite-Bourgeoys, je n'ai pas voulu vous déranger, M. le ministre,
dans votre intervention, mais je voudrais savoir s'il y a des gens qui ont
encore des questions à poser à Me Boivin. Si on n'a pas de
questions... Oui, M. le député de Châteauguay? Alors, j'y
reviendrai par la suite. Je voulais libérer Me Boivin, mais, compte tenu
des circonstances, je vais donner la parole au député de
Marguerite-Bourgeoys et je libérerai M. Boivin plus tard. M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, je m'excuse auprès de
Me Boivin, mais il semble que le député de Châteauguay ait
des questions à lui poser. Je serai bref, mais je voudrais...
M. Dussault: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): Oui, M. le député
de Châteauguay.
M. Dussault: Est-ce que je dois comprendre qu'il y a une sorte de
consentement en commission pour que, si je ne parle pas, personne ne parle et,
si je parle, le député de Marguerite-Bourgeoys va parler? Est-ce
cela qui se passe?
Le Président (M. Jolivet): Non, non. M. Lalonde:
Non, non.
Le Président (M. Jolivet): M. le député, ce
n'est pas cela...
M. Dussault: D'accord. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Ce n'est pas cela du tout, M.
le député. C'est simplement le principe de l'alternance qui
fonctionne et le député de Marguerite-Bourgeoys a la parole.
M. Lalonde: M. le Président, je veux simplement
réagir à l'espèce de discours de panique du ministre qui
est allé chercher, en 1976, une bouée avec laquelle il veut
tenter de se tenir la tête au-dessus de l'eau. L'intervention du premier
ministre d'alors, M.
Robert Bourassa, qui a exigé d'Hydro-Québec le
règlement d'une grève générale qui affectait tous
les Québécois, grève que même plusieurs membres,
j'en suis convaincu, de son gouvernement sont maintenant d'avis qu'on ne peut
tolérer, de toute façon, dans les services essentiels, cette
intervention-là -et je ne veux pas prendre la défense a
posteriori de cette décision - semble-t-il, a été faite
ouvertement. Jamais le premier ministre d'alors, M. Bourassa, n'a dit à
l'Assemblée nationale: Ni de près ni de loin, en tout ou en
partie, mon bureau n'a été impliqué dans cette
décision. C'est cela la question. Vous pourrez aller chercher dans les
archives et même dans l'Almanach du peuple, qui est la lecture de chevet
du ministre, on l'a appris hier, toutes les interventions, retourner à
M. Duplessis, à M. Tachereau, cela ne changera pas la question qui nous
est posée à la commission parlementaire: Est-ce que le premier
ministre du Québec, M. René Lévesque, le 20 février
1979, a trompé l'Assemblée nationale quand il a dit en
réponse à une question: Ce n'est pas du tout, ni de près,
ni de loin, dans le bureau du premier ministre que le règlement ou une
partie du règlement a eu lieu?
M. le Président, en ce qui concerne le règlement et la
définition du règlement, je laisse à la population le soin
de juger. Je pense qu'il a été établi ici même par
le témoin que les trois éléments importants sont l'abandon
de la poursuite par la SEBJ, la reconnaissance de responsabilité par
certains défendeurs et le paiement d'une somme d'argent. Ce n'est pas
moi qui l'ai établi, ce n'est pas moi qui l'invente. Ce n'est pas du
"repositionnement"; c'est comme cela depuis le début. C'est tellement
vrai que - je lis la suite de la réponse, j'étais rendu à
ni de près, ni de loin, etc. - le premier ministre dit ceci: Mais il y a
eu une consultation au bureau du premier ministre avec des gens du conseil
d'administration d'Hydro-Québec et de la Société
d'énergie de la Baie James.
Plus loin, il dit: On a demandé mon sentiment, la
Société d'énergie de la Baie James a voulu avoir le
sentiment de celui qui vous parle là-dessus. Quand on écoute
cela, que se dit-on? On se dit: La Société d'énergie de la
Baie James a reçu des offres - il l'a dit, le premier ministre - en
janvier. N'étant pas tout à fait sûre de ce qu'elle allait
faire, elle est allée demander au premier ministre: Qu'est-ce que vous
en pensez? C'est ce que cela dit. Cela ne dit pas que l'initiative de toute
l'opération a commencé par un téléphone de M. Louis
Laberge à M. Jean-Roch Boivin, chef de cabinet du premier ministre,
qu'elle a été suivie par des consultations de celui-ci
auprès de tous les avocats, Me Jasmin, le 4 décembre, Me
Beaulé le 1er et le Il décembre 1978, Me Cardinal, où il
est allé s'informer de la valeur de l'opinion de 1975. Cela ne dit pas
que Me Boivin, chef de cabinet du premier ministre, a pris le
téléphone, a appelé le président-directeur
général de la Société d'énergie de la Baie
James, le no 1, et lui a dit: Voulez-vous venir me voir à mon bureau le
3 janvier? Cela ne dit pas qu'il a dit: Le premier ministre désire que
vous régliez, pour employer les mots de M. Laliberté, que la
poursuite soit abandonnée, c'est-à-dire souhaite l'abandon de la
poursuite et qu'il y ait règlement hors cour.
M. Lavigne: C'était un souhait.
M. Lalonde: Quand j'ai entendu cela le 20 février 1979,
avec tous mes collègues qui étaient là, et qu'on a
été informés de cela...
Une voix: C'est normal.
M. Lalonde: ...est-ce que j'ai su à ce moment qu'il y
avait eu une quinzaine de visites des avocats à gauche et à
droite de Me Jasmin, de Me Beaulé, de Me Cardinal? Est-ce que j'ai
appris que le 2 février il y avait eu un repas où le chef de
cabinet du premier ministre...
M. Vaillancourt (Jonquière): Vous n'avez pas posé
la question.
M. Lalonde: ...a dit: Ne vous accrochez pas dans les fleurs du
tapis, le premier ministre veut que cela soit réglé?
Une voix: Cela n'est pas fort.
M. Lalonde: II l'a dit à vos clients lors de la
consultation: Vous réglez, "crisse", ou bien donc on va le faire
à votre place? M. le Président, qu'est-ce que c'est tromper
l'Assemblée nationale si ce n'est pas cela?
M. Tremblay: Mettez votre siège en jeu. On a
hâte.
M. Laplante: Qu'est-ce que vous attendez?
M. Lalonde: Ce n'est pas inventé. C'est cela, la vraie
question. Est-ce que le premier ministre a été transparent?
Est-ce qu'il nous a tout dit?
M. Tremblay: Arrêtez de faire des menaces et passez aux
actes.
M. Lalonde: D'ailleurs, c'est tellement vrai que je
n'étais pas satisfait de la réponse du premier ministre que, le
règlement me le permettant, j'ai fait un mini-débat. C'est
très rare qu'on fait un mini-débat surtout au premier ministre.
Enfin, je ne me souviens pas qu'il y en ait eu plusieurs depuis six ans.
(Il h 45)
M. Laplante: À toutes les semaines.
M. Duhaime: Vous n'en faites pas, vous êtes trop
paresseux!
M. Lalonde: J'ai fait un mini-débat. Pour l'expliquer aux
gens, si on n'est pas satisfait d'une réponse qu'on a obtenue lorsqu'on
a posé une question à la période des questions, au moment
où on l'a posée, on peut envoyer un avis au président de
l'Assemblée nationale et lui dire - c'est un privilège de celui
ou de celle qui a posé la question - Je ne suis pas satisfait de la
réponse. Je veux donc, à l'ajournement ce soir, à 22
heures, avoir un mini-débat. À ce moment, le questionneur a cinq
minutes pour expliquer son problème, la question qu'il a posée,
le pourquoi de son insatisfaction et celui ou celle qui répond a aussi
cinq minutes pour donner son explication. Alors, j'ai fait un
mini-débat. Avez-vous remarqué que je ne suis pas revenu sur
l'implication du premier ministre dans la négociation? Pour moi,
c'était réglé. Il m'a dit: Non, ni de près ni de
loin...
M. Tremblay: Vous aviez compris.
M. Lalonde: ...on n'a été impliqué.
L'initiative du bureau du premier ministre au règlement n'est pas
là-dedans. La réunion du 3 janvier n'est pas là-dedans.
Alors, je fais mon mini-débat sur quoi? Je fais mon minidébat sur
l'à-propos d'un règlement de 32 000 000 $ et à savoir si
on n'aurait pas dû plutôt consulter les opinions juridiques. Je
demande même à un moment donné de produire en Chambre tous
les documents, opinions juridiques et autres qui répondraient à
nos questions. C'est cela parce que, pour moi, c'était
complètement réglé. Un non catégorique. Pas
été impliqué. Oui, on a eu une réunion, une
consultation. Ils sont venus me voir et m'ont demandé une fois: Qu'en
pensez-vous? Mon sentiment était que cela devait se régler. Ah
oui! Ah certainl S'il vous plaît!
Écoutez, vous avez toutes une "job".
Une voix: C'est votre ouvrage.
M. Lalonde: Je sais que votre conclusion à vous autres -
ce serait, d'ailleurs très difficile, de vous demander de faire le
contraire; quand je dis "vous autres", c'est pour les députés
péquistes - est que votre premier ministre ne peut avoir trompé
l'Assemblée nationale. D'ailleurs, vous l'avez dit à l'ouverture
de cette commission, M. le ministre.
M. Laplante: II ne nous a jamais menti.
M. Lalonde: Vous avez déjà rendu jugement avant que
le procès ait lieu.
M. Tremblay: Vous autres, c'est quoi votre conclusion?
M. Lalonde: Mais...
M. Tremblay: Quelle est votre conclusion, à vous?
M. Lalonde: Mais vous avez un gros problème parce que la
population qui nous écoute se dit: II y a eu quelque chose que le
premier ministre n'a pas dit.
M. Tremblay: Vous, les libéraux, quelle est votre
position?
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Châteauguay.
M. Dussault: Merci, M. le Président. Mon intervention fera
suite au début de l'intervention précédente du
député de Marguerite-Bourgeoys. Lors de cette intervention, il a
laissé croire qu'il y avait une sorte d'équation entre le champ
que j'ai couvert lorsque j'ai fait des distinctions sémantiques et celui
qu'il vient de couvrir.
M. Gratton: M. le Président, le témoin, est-ce
qu'il peut s'en aller?
M. Dussault: M. le Président, quand j'ai fait mon
intervention, j'ai pris bien soin d'utiliser un dictionnaire qui donnait le
sens propre des mots et non pas un dictionnaire qui donnait le sens
étymologique des mots. J'ai voulu être le plus honnête
possible. Ce n'est pas ce qu'on a pu constater de l'autre côté
tout à l'heure. Quand on règle des questions légales,
quand on règle des choses importantes qui ont une portée
légale, on utilise un dictionnaire qui donne le sens propre des mots.
D'ailleurs, j'ai pris bien soin de poser la question aux avocats qui
étaient là, Me Jetté, Me Cardinal et Me Aquin. Je leur ai
posé la question individuellement, l'un après l'autre. Je leur ai
dit: Dans votre travail d'avocat, est-ce que vous faites une distinction nette
entre une négociation et un règlement? Tous les trois, l'un
après l'autre, m'ont dit que c'était une disctinction importante.
On n'invente rien.
M. le Président, le député de Marguerite-Bourgeoys
voudrait bien pouvoir faire la preuve que c'est la même chose; cela lui
permettrait de dire que cela appuie sa thèse à lui. Mais les mots
du dictionnaire veulent bien dire ce qu'ils veulent dire et on ne leur fera pas
dire n'importe quoi. J'ai apporté un élément nouveau ce
matin. C'est un dictionnaire des synonymes. Je ne ferai pas d'analogie, moi, M.
le Président. Je vais prendre les mots au sens propre. Regardons ce que
l'on dit au mot "négociation". "Négociation: discussion,
échange de vues,
pourparler, tractation". C'est clair, M. le Président...
M. Lalonde: Allez, allez, s'il vous plaît! S'il vous
plaît!
M. Dussault: C'est clair, M. le Président, que...
Le Président (M. Jolivet): M. le député,
juste un instant. Juste un instant. S'il vous plaît! S'il vous
plaît! De la même façon qu'on a demandé que chacun
puisse intervenir en vertu de l'article 100, je vous demanderais la même
tolérance. M. le député de Châteauguay.
M. Dussault: M. le Président, c'est clair ici que ces
mots-là évoquent une première étape dans un
échange. C'est ce que j'avais dit lors de mon intervention l'autre jour.
J'avais dit que, dans un échange, on peut arriver à un
résultat. On commence par se parler. Dans ce cas-ci, tout
démontre qu'il y a eu de l'information, que des gens ont tenu à
informer le bureau du premier ministre. Cela est clair, tout le monde...
Personne ne peut nier cela. On fait donc référence au mot
"négociation", à une première étape
d'échange.
Quand on regarde le mot "règlement", on dit au mot
"règlement", toujours dans les synonymes: arrêté,
décret, ordonnance, consigne, règle, réglementation,
statut, accord, arrangement, conclusion. Le mot le plus significatif est sans
doute le mot "accord". Cela fait référence, quand on regarde le
mot "règlement", à la dernière étape d'un
échange, c'est-à-dire quand on arrête quelque chose. Dans
la question qui a été posée au premier ministre à
l'Assemblée nationale par le député de
Marguerite-Bourgeoys - vous savez, le député de
Marguerite-Bourgeoys a posé sa question de façon très,
très explicite - et les mots qu'il a employés, l'ordre des mots
qu'il a employé est très important - on dit: Est-il exact que
c'est dans le bureau du premier ministre...? Vous savez quand on emploie cette
expression: est-il exact que c'est, les mots qui suivent sont encore plus
importants parce qu'on met l'accent sur ces mots-là. Je n'apprendrai pas
cela au député de Marguerite-Bourgeoys, lui qui est avocat
devrait savoir cela. Il dit: Est-il exact que c'est dans le bureau du premier
ministre...? L'accent sur cette question-là était nettement mis
sur le fait que quelque chose s'était passé dans le bureau du
premier ministre.
Que répond le premier ministre? Le premier ministre, qui savait
très bien ce qui s'était passé pour avoir
été bien renseigné par Me Boivin, savait que là
où le premier ministre a été mis en cause c'était
sur des questions de consultation. L'essentiel, le plus important,
c'était la question du règlement et cela ne s'est pas
passé dans le bureau. C'est pour cela que le premier ministre
répond: "Ce n'est pas du tout, ni de près, ni de loin, dans le
bureau du premier ministre que le règlement ou partie du
règlement a eu lieu." On voit, M. le Président, que l'accent est
mis ici carrément sur le même objet que visait le
député de Marguerite-Bourgeoys, à savoir si cela
s'était passé dans le bureau du premier ministre ou si cela ne
s'était pas passé dans le bureau du premier ministre.
Le député de Marguerite-Bourgeoys pose une question qui
vise la négociation d'un règlement et le premier ministre
répond sur le règlement. Comment peut-on honnêtement,
devant une telle réalité, qui est claire, dire que le premier
ministre a menti? Il n'y a que des gens malhonnêtes pour continuer
à essayer de faire croire que le premier ministre a menti. Jamais ils
n'arriveront à faire la preuve. Je demande que le souffleur de
"ballounes" en règle du Parti libéral mette son siège en
jeu. Le whip, le député de Portneuf, celui qui souffle les
"ballounes" habituellement, je demande qu'il mette son siège en jeu et
qu'il vienne faire la démonstration que le premier ministre a menti. On
va avoir beaucoup de plaisir. Je pense qu'il n'y a que celui-là qui
pourrait véritablement venir nous dire à l'Assemblée
-parce qu'il a l'habitude de cela, il en a soufflé des "ballounes": la
"balloune" de l'électronique, la "balloune" du porno, ce qui m'avait
fait dire que c'était le député de "Porno".
M. Gratton: Est-ce que c'est toujours pertinent, M. le
Président?
M. Dussault: C'est lui que j'aimerais voir mettre son
siège en jeu parce que jamais, sur cette base-là, ils
n'arriveront à démontrer que le premier ministre a menti. Le
premier ministre a du vocabulaire et, quand il dit règlement, il ne dit
pas négociation de règlement.
Le Président (M. Jolivet): Votre intervention est
terminée?
M. Lalonde: C'est tout?
M. Dussault: J'attendais que le président intervienne.
M. Lalonde: Ah bon!
Le Président (M. Jolivet): Mon problème
était là.
M. Lalonde: Oui, oui.
Le Président (M. Jolivet): Vous auriez dû commencer
par votre question et finir par
votre intervention.
M. Lalonde: Est-ce que votre question est si...
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Châteauguay.
M. Lalonde: ...le chef de cabinet va vous engager pour
écrire ses...
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Châteauguay.
M. Dussault: Je vais le régler, votre
problème...
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît:
M. Dussault: ...M. le Président. Je vais poser une
dernière question à notre invité. Lui qui a
été un avocat, mais qui n'agit plus comme avocat - il nous l'a
dit lors de ses exposés - je voudrais savoir, lui quand il était
avocat, s'il faisait une distinction entre le règlement et la
négociation ou s'il mêlait cela comme les libéraux le
font.
M. Lalonde: M. le Président...
Le Président (M. Jolivet): M. le député,
j'ai un malheur. Je vais être obligé encore une fois de vous dire
que votre question est irrecevable. Je ne peux pas permettre à Me Boivin
de vous donner une opinion. Il a dit qu'il ne donnait aucune opinion juridique
formelle au premier ministre; je ne pense pas qu'il en donnera à cette
commission parlementaire.
M. Dussault: Alors, je reprends la question autrement, M. le
Président. Est-ce que je peux?
M. Lalonde: Oui, oui.
Le Président (M. Jolivet): Excusez?
M. Dussault: Je peux la reprendre autrement, M. le
Président?
Le Président (M. Jolivet): Allez, oui, vous avez le
droit.
M. Dussault: Me Boivin, si, dans le travail que vous avez
à faire comme chef de cabinet du premier ministre, vous avez à
vous occuper de négociation ou si vous avez à vous occuper de
règlement, est-ce que, dans votre travail, vous vous sentirez
obligé de tenir compte de la distinction entre un règlement et
une négociation de règlement?
Le Président (M. Jolivet): Je sais bien que c'est
irrecevable. Le problème que j'ai est le suivant...
M. Dussault: II peut répondre, s'il le veut, M. le
Président, il n'y a personne qui l'en empêche.
Le Président (M. Jolivet): Non, justement, mon
problème, c'est que je n'ai même pas le droit de lui permettre de
répondre. Ce que vous demandez, M. le député, est
totalement hypothétique et je ne permettrai pas à Me Boivin de
répondre.
M. Dussault: Question de directive, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Question de directive.
M. Dussault: Est-ce que cela veut dire que, si les travaux se
poursuivaient pendant trois semaines ou si on reprenait les travaux dans une
autre commission sous l'égide d'une autre vocation, comme celle de
l'Assemblée nationale, cette règle que vous venez
d'édicter s'appliquerait, à savoir que la question que je pose
demeurerait une question d'opinion?
M. Lalonde: C'est hypothétique.
Le Président (M. Jolivet): Oui, je pense que, d'une
façon ou d'une autre...
M. Dussault: Donc, il est clair, M. le Président, que
jamais on n'arrivera à faire la preuve que le premier ministre a menti
à l'Assemblée nationale.
Le Président (M. Jolivet): C'est donc une question
d'opinion. C'est simplement pour permettre... S'il vous plaît! J'ai
devant moi une seule personne qui a demandé de parler, c'est le
député de Gatineau qui voulait faire une courte intervention,
m'a-t-il dit. Je voudrais, à moins que je n'aie autre chose,
libérer Me Boivin, puisque nous aurons l'occasion, après
l'intervention du député de Gatineau, de passer à une
autre personne. Donc, je libère Me Boivin.
M. Boivin: Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Merci, Me Boivin. M. le
député de Gatineau pour votre dernière intervention.
M. Gratton: Oui, M. le Président. D'abord, j'aimerais
rappeler au député de Châteauguay que, avec les deux
dernières questions qu'il a tenté de poser, celle d'aujourd'hui
et celle d'hier, il a maintenant deux "strikes" contre lui, deux prises.
Le Président (M. Jolivet): M. le député
de Gatineau, c'est votre intervention qui m'importe le plus,
cependant.
M. Gratton: Oui, moi aussi, M. le Président, mais je peux
difficilement laisser passer l'occasion de rappeler au député de
Châteauguay qu'il pourrait mourir au prochain "strike".
M. Dussault: M. le Président, le député de
Gatineau est déjà passé dans la "mitt" dix fois depuis le
début des travaux et personne ne s'en est préoccupé.
M. Gratton: M. le Président, le but de mon intervention,
qui sera très brève, est de tenter d'enchaîner avec ce que
disaient le député de Marguerite-Bourgeoys ce matin et le
ministre, mais non pas en donnant mon point de vue à moi ou le point de
vue d'un autre libéral, parce qu'on sait tout de suite que la
réaction de l'autre côté sera de dire: Vous autres, vous
avez des oeillères, vous voyez les choses seulement d'une façon.
Donc, il est inutile de prendre cela au sérieux, c'est de la
partisanerie.
Je vais plutôt lire, M. le Président, une lettre ouverte
qui est signée par deux péquistes, deux indépendantistes,
qui a paru dans le journal La Presse de ce matin. M. Robert Barberis, qui
enseigne la littérature au collège de Sorel-Tracy, et M. Yves
Miron qui, lui, est professeur de sciences économiques au collège
d'Ahuntsic. Ils ont signé cette lettre qu'on retrouve dans
l'édition du journal La Presse de ce matin. Il est utile de rappeler que
ce sont deux indépendantistes de la première heure, deux
péquistes de la première heure et qui le sont toujours. Je pense
qu'il est peut-être utile de voir ce qu'ils pensent, ce qu'est leur
perception de ce qu'ils ont vu ici à la commission. J'en fais lecture,
M. le Président, et je lirai intégralement non pas tout
l'article, parce qu'il est un peu long, mais toute la première partie,
incluant les passages qui sont peut-être moins élogieux à
l'endroit du Parti libéral, parce que je ne voudrais pas donner
ouverture à quelque accusation et permettre de faire des
interprétations. Je lis le texte tel quel. "Aux débuts du Parti
québécois, quand nous avons combattu le comité politique,
nous pensions que les anciens libéraux qui dominaient ce comité
auraient un jour ou l'autre une influence négative sur M.
Lévesque. En voyant parader les anciens ténors du comité
politique devant la commission parlementaire sur le saccage de la Baie-James,
nous avons songé aux débats orageux entre les participationistes
et les avocats pragmatiques du comité politique formés aux
méthodes des vieux partis. "Selon nous, il est clair que René
Lévesque n'a pas menti quand il a affirmé à
l'Assemblée nationale, le 20 février 1979, que "ce n'est pas ni
de près ni de loin dans le bureau du premier ministre que le
règlement ou partie de règlement a eu lieu". Mais le va-et-vient
entre les avocats des différentes parties impliquées peut-il
être qualifié de simple consultation?" Il y a eu consultation, a
affirmé le premier ministre en Chambre. Le moins que l'on puisse dire,
c'est que cette affirmation est nettement en dessous de la
réalité (en anglais, un "understatement"). (12 heures) "II aurait
été préférable de dire les choses simplement. Tout
le monde sait maintenant ce qui s'est passé. Sur le fond, tout
observateur de bonne foi reconnaîtra que la décision de
régler hors cour était la bonne décision à prendre.
Par conséquent, les libéraux qui harcèlent les
témoins qui passent devant la commission ne font que se
discréditer eux-mêmes. "Mais pourquoi le premier ministre n'a-t-il
pas dit les choses simplement, sans ambiguïté? Car
l'ambiguïté, ce pourrait être le contraire de la
transparence. Car l'astuce, dont l'exemple le plus célèbre est la
question référendaire, ce pourrait être le signe d'une
faiblesse politique. On pourrait multiplier les exemples. L'attitude de M.
Lévesque dans l'affaire de la liste du ministère de l'Immigration
a été ambiguë. L'affaire du saccage de la Baie-James ne
pourrait-elle pas suggérer au premier ministre que la transparence est
préférable à l'ambiguïté en politique? Ce
grave défaut du chef politique est peut-être encouragé par
ses conseillers politiques. Au moment où il veut relancer l'option
souverainiste, M. Lévesque devrait songer à renouveler son
entourage. Car, nous l'avons toujours dit, l'astuce ne suffira pas à
faire accéder le peuple québécois à son
indépendance. Nous le disions en 1968, vous vous souvenez, M.
Lévesque? Nous vous le redisons aujourd'hui amicalement, comme toujours.
"Car, d'astuces en ambiguïtés, des Fêtes nationales à
la SHQ, de la liste de l'Immigration à l'affaire de la Baie-James, des
échecs du référendum et des négociations avec
Trudeau sur la constitution et la péréquation, des affirmations
que les prochaines élections porteront sur l'indépendance
après avoir traité en ennemis pendant un an les 40% des membres
du PQ faisant partie du Front commun, que résulte-t-il de tout cela? Une
baisse de crédibilité."
M. le Président, je vous fais grâce du reste de la
citation, mais, voilà, quand deux péquistes
indépendantistes de la première heure et qui le demeurent
toujours nous parlent au minimum d'une baisse de crédibilité,
nous parlent au minimum des astuces et des ambiguïtés entretenues
par le premier ministre, notamment dans le cas qui nous occupe,
c'est-à-dire celui du saccage de la Baie-James, le moins que l'on puisse
dire,
c'est que cela semble être beaucoup moins clair pour M. Yves Miron
et M. Robert Barberis que cela ne l'est pour les machines à voter qui
nous font face ce matin et qui sont prêtes à endosser le premier
ministre, quoi qu'il dise et quoi qu'il fasse, ces machines à voter que
M. Louis Falardeau, du journal La Presse, a traitées de "floppée
de back-benchers". Ce n'est pas le fait qu'ils soient des "back-benchers" qu'on
doit leur reprocher, on en est tous des "back-benchers" avant d'être
autre chose, mais c'est probablement cette façon que les
députés ministériels ont de se fermer les deux yeux, de se
boucher les deux oreilles et, malheureusement, pas assez souvent de se boucher
la bouche également et de faire n'importe quoi, n'importe quand,
à condition que ce soit le chef qui l'ait commandé.
M. Laplante: II est temps qu'on le change. Jusqu'aux enfants qui
dorment.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!
M. Gratton: Je reviens sur un des paragraphes de la lettre
ouverte lorsque M. Barberis et M. Miron écrivent: "Sur le fond, tout
observateur de bonne foi reconnaîtra que la décision de
régler hors cour était la bonne décision à prendre.
Par conséquent, les libéraux qui harcèlent les
témoins qui passent devant la commission ne font que se
discréditer eux-mêmes." Agréons pour un instant que
c'était la bonne décision à prendre de régler hors
cour. Je ne partage pas ce point de vue, mais je vous l'accorde pour les fins
de la discussion. Mais, M. le Président, régler hors cour
à n'importe quel prix, régler hors cour à n'importe quelle
condition? Le député de Marguerite-Bourgeoys et d'autres de mes
collègues l'ont démontré, on avait deux parties dans ce
litige. Il y avait la Société d'énergie de la Baie James
dans un cas... J'ai droit à 20 minutes, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Allez-y, allez-y!
M. Gratton: Cela ne prendra pas 20 minutes, à condition
qu'on me laisse aller.
M. Perron: Allez-y!
M. Gratton: Je répète donc qu'il y avait deux
parties. D'une part, la Société d'énergie de la Baie James
qui, à ce que je sache, n'avait pas de responsabilité dans le
saccage. En tout cas, ce n'est sûrement pas un employé de la
société qui avait été à l'origine du
saccage. D'autre part, il y avait les syndicats défendeurs. Le
gouvernement a décidé qu'il était d'intérêt
public de régler l'affaire hors cour malgré que la
Société d'énergie de la Baie James se considérait
justifiée de réclamer 32 000 000 $ en dommages en cour, devant
les tribunaux. Pour qu'il y ait règlement hors cour, forcément,
il faut qu'il y ait du "give and take" du donnant donnant, de chaque
côté.
À la Société d'énergie de la Baie James, on
demandait de renoncer à une partie des dommages subis, à de
l'argent représentant une partie des dommages subis. On lui demandait,
bien sûr, de renoncer à poursuivre, à maintenir la
poursuite devant les tribunaux pour obtenir ce montant. De l'autre
côté, aux syndicats, on demandait, d'une part, de
reconnaître leur responsabilité dans le saccage;
deuxièmement, de dédommager la Société
d'énergie de la Baie James pour un montant qu'ils étaient
capables de payer.
Qu'est-ce qu'on voit comme résultat final dans le
règlement? On voit que, cinq ans après qu'on a offert à la
société d'énergie un règlement hors cour de 400 000
$ en 1975, quelques mois après qu'on a offert 500 000 $ de
règlement à la Société d'énergie de la Baie
James, sans même qu'on ait encore dépensé des fonds pour
les honoraires d'avocats, puisque c'est au tout début de janvier 1979,
on est parti de 400 000 $ ou de 500 000 $ et on s'est ramassé avec un
règlement final de 200 000 $ après avoir dépensé
à la société, en frais d'avocats seulement et en frais
juridiques, la belle somme de 900 000 $. Donc, ce n'est quand même pas
sur le montant du règlement que la société a trouvé
son compte. A-t-elle trouvé son compte dans la reconnaissance de la
responsabilité par les syndicats défendeurs? Elle exigeait que
chacun des syndicats impliqués dans la poursuite reconnaisse sa
responsabilité. Or, tous les syndicats ne l'ont pas reconnue dans le
règlement final. Donc, la Société d'énergie de la
Baie James s'est retrouvée avec quoi? Elle s'est retrouvée avec
le minimum qu'elle pouvait obtenir. On n'est même pas sûr, on n'est
même pas en mesure d'affirmer qu'elle a obtenu le maximum de ce que les
syndicats québécois pouvaient payer, parce qu'il n'y a personne
qui s'est préoccupé de cela, il n'y a personne, semble-t-il,
selon les témoignages qu'on a entendus, qui s'est
préoccupé de s'assurer que la Société
d'énergie de la Baie James, qui dépense les deniers
publics...
M. Tremblay: M. le Président, le député n'a
pas assisté à la commission, j'en suis certain.
M. Gratton: Personne ne s'est occupé de faire en sorte
qu'on protège cette affaire.
M. Laplante: Est-ce qu'ils ont droit à deux discours de
conclusion?
M. Gratton: On a droit à 20 minutes, M. le
député.
Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse, M. le
député.
M. Laplante: Est-ce qu'on a droit à deux discours?
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Bourassa, vous allez me permettre une chose. L'interruption que vous faites me
permet simplement d'intervenir, pour mes besoins personnels et ceux des membres
de la commission, pour une décision qu'on aura probablement à
rendre cet après-midi. J'ai fait un petit signe au député
de Gatineau, lui demandant de raccourcir, simplement parce que nous terminons
à 12 h 30. J'ai une permission à donner à Me Lussier, qui
représente Me Jasmin, de nous faire une courte demande de façon
qu'on puisse avoir le temps de la prendre en délibéré cet
après-midi. C'était simplement pour cela.
Pour répondre à la question du député de
Bourassa, oui, effectivement, dans la commission, on avait fait mention de la
possibilité d'un deuxième tour et je continue à donner la
parole au député de Gatineau.
M. Gratton: Je termine, M. le Président, en disant que, en
face de péquistes sincères, je n'ai jamais rien eu contre
quelqu'un qui se dit ouvertement indépendantiste, qui a le courage de le
dire. Malheureusement, je n'en ai pas trouvé beaucoup devant moi au
dernier référendum. Là, on en parle de
l'indépendance, mais c'est stratégique. On n'en a pas
parlé depuis 1976. Bravo! Si vous êtes
indépendantiste...
M. Tremblay: Y est t'y menteur! Vous êtes menteur! T'es un
menteur!
M. Gratton: ...vous avez maintenant le courage de le dire! On va
pouvoir débattre de vrais sujets, M. le Président.
M. Tremblay: T'es un traître, un vendu, un pourri!
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! S'il
vous plaît! S'il vous plaît!
M. Gratton: M. le Président, est-ce que vous avez entendu
cela?
Le Président (M. Jolivet): Oui, je l'ai entendu.
M. Gratton: Je demande au député de Chambly
de...
Le Président (M. Jolivet): M. le député, je
dois vous dire...
M. Gratton: ...retirer ses paroles.
Le Président (M. Jolivet): ...qu'en vertu de l'ancien
règlement vos mots sont antiparlementaires...
M. Tremblay: Je les retire...
Le Président (M. Jolivet): ...et je demanderais que vous
les retiriez.
M. Tremblay: Je les retire, pour être conforme au
règlement, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Gatineau.
M. Gratton: Alors que je suis en train de leur dire que je suis
prêt à respecter les gens qui ont le courage d'affirmer ce qu'ils
sont, on me traite de bandit, de traître et de vendu, parce que j'ai le
malheur...
M. Tremblay: J'ai ajouté "pourri".
M. Gratton: ...de ne pas partager votre point de vue. Et quand je
vois ce genre d'intolérance, M. le Président, je me
félicite de ne pas partager...
Le Président (M. Jolivet): M. le député. M.
le député.
M. Gratton: ...le point de vue de gens comme cela.
Le Président (M. Jolivet): Tout ce que je peux dire, c'est
qu'il a retiré ses paroles.
M. Gratton: Donc, en terminant, M. le Président, si des
indépendantistes, des péquistes sincères, voient dans les
travaux de la commission ce qu'écrivent ce matin M. Barberis et M.
Miron, à savoir que l'affirmation du premier ministre, en Chambre, le 20
février 1979, le moins que l'on puisse dire, est nettement en
deçà de la réalité et concluent que toutes ces
astuces, toutes ces ambiguïtés entretenues par le premier ministre,
ont pour résultat une baisse de crédibilité, je dis que,
manifestement, on doit se rendre compte que le premier ministre, le 20
février 1979, n'a pas bien informé l'Assemblée nationale,
qu'il a effectivement trompé les membres de l'Assemblée nationale
en ne donnant pas une réponse claire, nette, précise,
transparente, comme en parlent MM. Barberis et Miron. En l'occurrence, M. le
Président, quand, de l'autre côté, on fait des gorges
chaudes quand on est nettement cantonné dans sa majorité, sachant
fort bien qu'en fin de compte, on va dire que c'est noir, même si la
population tout entière juge que c'est blanc, et qu'on nous dit: Mettez
votre siège en jeu, on vous jugera, pourquoi n'avez-vous
pas le courage de faire appel à l'article 81 du règlement
et de porter une accusation contre le journaliste de la Presse? Pourquoi, vous,
n'avez-vous pas eu le courage de le faire?
M. Laplante: On va en venir à cela.
M. Gratton: Oui, on va en venir à cela, me dit le
député de Bourassa.
M. Laplante: On s'en vient à cela, là.
M. Gratton: Mais, avant d'implorer ou d'invoquer le courage des
gens d'ici qui sont minoritaires et de leur demander de faire face au genre de
justice dont le député de Chambly vient de faire preuve...
M. le Président, je sais que vous êtes impatient, mais cela
me dérange quand vous me faites des signes.
Le Président (M. Jolivet): Oui, c'est que, M. le
député, j'ai une décision importante à rendre cet
après-midi et je voudrais avoir la chance de la rendre.
M. Gratton: J'ai une bonne conclusion à faire à mon
intervention et j'aimerais pouvoir la faire.
Le Président (M. Jolivet): Allez-yl Je m'excuse de vous
déranger, M. le député.
M. Gratton: Je dis donc, M. le Président, que, quand ces
gens-là font appel au courage des députés de l'Opposition,
nettement cantonnés dans leur majorité, et qu'on se rend compte
que ce sont des gens comme le député de Chambly qui vient de me
traiter de traître, de vendu et de tout ce qu'on voudra, parce que j'ai
eu le malheur de le traiter d'indépendantiste, M. le
Président...
Le Président (M. Jolivet): M. le député.
Là, je vous dérange, c'est vrai, mais c'est pour rendre justice
au député de Chambly, je lui ai demandé de retirer ses
paroles et il les a retirées. En conséquence, je vous demande
d'en tenir compte, s'il vous plaît!
M. Tremblay: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Chambly, question de règlement.
M. Tremblay: M. le Président, lorsque je me suis
impatienté tout à l'heure, c'était parce que le
député...
Le Président (M. Jolivet): Ce n'est pas une question de
règlement, M. le député.
M. Tremblay: Bon!
Le Président (M. Jolivet): Non, il a parlé de moi
comme de quelqu'un qui s'impatientait. Effectivement, je me suis
impatienté...
M. Tremblay: Non, moi.
Le Président (M. Jolivet): ...parce que je sais que moi,
j'ai une décision à rendre cet après-midi et je voudrais
être capable de la rendre en connaissant le pour et le contre de
l'intervention de Me Lussier. Si vous me dérangez encore plus, cela va
me prendre encore plus de temps.
M. Tremblay: Je veux seulement dire, M. le Président, ils
veulent mettre leur siège en jeu, qu'ils le fassent et qu'ils ne
l'écrivent pas dans les journaux.
Le Président (M. Jolivet): M. le député, ce
n'est pas une question de règlement. M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: M. le Président, en terminant, je pense que la
phrase du député de Chambly est plus éloquente que
n'importe quelle phrase que je pourrais moi-même évoquer. On nous
demande de remettre le sort des membres de la commission dans les mains de
personnages semblablesl
M. Tremblay: Ne nous menacez pas dans les journaux.
M. Gratton: Savez-vous, M. le Président, que, pour ma
part, je suis prêt à le faire?
M. Dussault: II se cherche une porte de sortie.
M. Gratton: On prendra les décisions qui s'imposent en
temps voulu.
M. Tremblay: Arrêtez de le dire, faites-le!
M. Gratton: Mais les "courageux" de l'autre côté, M.
le Président, je les invite à faire un petit examen de
conscience, à relire le règlement et à faire preuve du
courage qu'ils réclament des députés de l'Opposition. A ce
moment-là, on pourra s'entendre et discuter d'égal à
égal, comme on l'a déjà dit. (12 h 15)
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le
député. Je m'excuse, si j'ai été impatient envers
vous.
M. Laplante: On est prêt. Mettez votre siège en jeu
et on est prêt.
Le Président (M. Jolivet): J'ai permis à Me
Lussier, comme je l'ai fait pour les
autres... S'il vous plaît, M. le député de
Bourassa...
M. Dussault: II est à la recherche d'une porte de
sortie.
Le Président (M. Jolivet): Je vais être
obligé, si cela continue, d'utiliser l'article 45 pour des gens qui
m'interrompent continuellement. J'ai permis à Me Lussier de s'installer
avec l'honorable juge Michel Jasmin, parce qu'il m'a mentionné qu'il
avait l'intention de faire une demande. Je tiens à redire devant cette
commission que toute personne qui n'est pas membre de cette commission ne peut
faire aucune demande ou requête au président. Mais, pour les
besoins de la cause, je suis prêt à l'entendre et j'aurai à
rendre une décision cet après-midi, à la reprise des
travaux. Me Lussier m'a dit qu'il avait besoin d'une vingtaine de minutes et
j'ai eu la permission du député de Marguerite-Bourgeoys de
dépasser de quelques minutes 12 h 30, et j'ai eu celle du ministre
aussi, mais je ne le lui ai pas demandé, parce que j'avais presque
acquis cette chose-là. Je le demande au ministre. Le ministre me
l'accorde aussi?
M. Lalonde: Vous pourriez le demander aux deux.
M. Duhaime: On verra, M. le Président.
M. Lalonde: On verra.
M. Duhaime: Mais, en partant, cela me fait plaisir d'y consentir,
si c'est vous qui me le demandez.
Le Président (M. Jolivet): C'est moi qui vous le
demande.
M. Duhaime: Oui.
Le Président (M. Jolivet): Donc, je permets à Me
Lussier de faire la première intervention pour ensuite suspendre
jusqu'après le dîner.
Représentations au nom de M. Michel
Jasmin
M. Jean-Pierre Lussier
M. Lussier (Jean-Pierre): Alors, comme vous l'avez dit, M. le
Président, je ne suis pas ici pour faire une requête. J'ai un peu
suivi les travaux de votre commission et je sais que ce n'est pas recevable
comme tel. Je suis quand même ici pour vous faire...
Le Président (M. Jolivet): Pour les besoins du journal des
Débats, vous êtes Me Lussier, Jean-Pierre.
M. Lussier: Oui, mon nom est Jean-Pierre Lussier. Je suis avocat
et je suis ici pour représenter le juge Michel Jasmin. Je vais,
d'ailleurs, donner un bref historique des événements qui m'ont
amené à être ici.
Je vais commencer tout de suite en vous brossant rapidement un tableau
de certains problèmes d'ordre juridique qui se posent relativement au
témoignage de M. Jasmin. Vous savez, quand la commission a
été convoquée et que le juge Jasmin a su qu'il serait
convoqué comme témoin, la première démarche qu'il a
faite a été faite auprès du Barreau du Québec. Il
est entré en communication avec le bâtonnier d'alors, Me Tellier,
et il lui a fait part du fait qu'il serait appelé à
témoigner et que, étant donné qu'il était
maintenant magistrat, il lui était difficile d'entrer en communication
avec les clients qu'il représentait à l'époque.
Or, comme votre mandat, évidemment, porte spécifiquement
sur le règlement d'un dossier dans lequel Me Jasmin, tel qu'il
était alors, a été impliqué, il a demandé au
barreau de faire ces démarches. Le barreau -vous le savez parce que vous
avez reçu devant vous Me Jean-Marie Larivière - a
délégué un avocat, Me Jean-Marie Larivière, qui est
venu vous faire les représentations du Barreau du Québec sur la
portée et l'étendue que le Barreau du Québec voyait
à la notion de confidentialité. Au lieu de secret professionnel,
maintenant on parle plutôt de droit à la confidentialité.
À la suite de ces représentations, la présidence a rendu
une décision - sur laquelle j'aurai d'ailleurs, à vous faire
certaines remarques, c'est sur cela que porte mon intervention. À la
suite de cette décision, le barreau a offert à M. le juge Jasmin
de lui fournir les services d'un avocat. C'est comme cela que Me Jasmin est
entré en contact avec moi.
Par la suite, cependant, pour finir de brosser le tableau des
événements, vous le savez, vous avez tous été
saisis de certaines procédures qui ont été entreprises par
un ancien client du juge Jasmin, qui est l'Union des opérateurs de
machinerie lourde, local 791, procédure en injonction qui avait pour but
d'empêcher la commission de convoquer Me Michel Jasmin à
témoigner tant que la Cour supérieure ne se serait pas
prononcée sur une requête en jugement déclaratoire pour
faire statuer sur la portée et l'étendue du secret professionnel
ou du droit à la confidentialité dans une enquête comme
celle-ci. Incidemment, cette requête en jugement déclaratoire a
été plaidée le jeudi 19 mai dernier devant le juge Yvan
Macerola, de la Cour supérieure de Montréal. L'audition a
duré toute la journée et le juge a pris la cause en
délibéré et, à ma connaissance, jusqu'à
maintenant, le jugement n'est pas encore rendu.
Cela me permet l'entrée de jeu de vous soumettre rapidement deux
types de
représentations. D'abord, la première me vient à la
suite de la lecture attentive que j'ai faite de la décision que la
présidence a rendue le 3 mai dernier. Je ne sais pas, je ne l'ai pas
dans le journal des Débats, mais je l'ai dans un document qui s'appelle
"Projet de décision" et qui, en fait, est la décision. Ce que je
veux citer se retrouve à la page 4 de ce document. On y lit ceci: "Le
droit au respect du secret professionnel est reconnu par la Charte des droits
et libertés de la personne. C'est un droit fondamental reconnu à
toute personne depuis l'adoption de cette charte en 1975. Ce droit s'impose
à nos travaux et les droits et privilèges de l'Assemblée
et de ses membres doivent compter et composer avec l'existence des droits
fondamentaux des citoyens. Il ne saurait en être autrement sans
indication précise et explicite dans la Loi sur l'Assemblée
nationale. Or, cette loi ne contient aucune disposition permettant à
l'Assemblée nationale de se soustraire à la Charte des droits et
libertés de la personne."
D'abord, je suis un peu mal à l'aise. Je sais que vous me
comprenez. Tous tant que vous êtes, surtout ceux dont le métier a
été longtemps celui d'avocat, vous savez ce qu'est la position
d'un témoin qui doit invoquer le secret professionnel. Les gens, en
général - c'est une chose que j'ai constatée
moi-même - ont l'impression qu'il s'agit d'un privilège,
finalement, qui est rattaché à la personne du professionnel alors
qu'au moins, depuis 1975, s'il y a quelque chose de certain, c'est le
contraire. Ce n'est pas du tout un privilège qui est rattaché
à la personne du professionnel, mais c'est un droit fondamental et un
droit qui est reconnu à la personne qui consulte le professionnel.
Évidemment, comme on ne peut pas demander, non plus, à la
personne qui consulte un professionnel de dire devant n'importe quelle instance
ce qu'elle a dit au professionnel parce que cette personne a un droit
fondamental à la confidentialité, le corollaire de ce droit,
c'est l'obligation pour le professionnel de s'en tenir à la
confidentialité des renseignements qu'il a reçus.
Donc, lorsque c'est le professionnel, comme dans ce cas-ci, qui est
appelé, il n'invoque pas un droit pour lui. Il invoque un devoir qui lui
est imposé par la loi. Il est obligé de le faire; à
défaut de quoi, il violerait à la fois la Loi sur le barreau et
la charte.
Le problème que nous cause l'article 9 de la charte des droits et
libertés, c'est qu'il n'a pas encore été
interprété par les tribunaux. Depuis 1975, à ma
connaissance, aucun tribunal, sûrement pas un tribunal supérieur -
à ma connaissance, je dis bien -n'a eu à se prononcer sur la
portée et l'étendue de ce droit alors qu'auparavant - je ne veux
pas m'étendre longuement là-dessus, vous avez eu des
représentations amplement étayées de la part du Barreau du
Québec - il s'agissait plutôt d'un privilège qui
était assez circonscrit à des communications entre client et
avocat. La jurisprudence ayant fait certaines réserves, ayant
rajouté d'autres choses, la rédaction particulière de
l'article 9 nous laisse penser - c'est, d'ailleurs, en ce sens que Me
Larivière avait fait des représentations - que la portée
et l'étendue que vous, comme législateurs, avez voulu donner
à ce droit était beaucoup plus large que ce qui existait
auparavant.
Donc, dans sa décision la présidence disait: La charte des
droits s'applique. Et j'ai compris - vous me corrigerez si je fais erreur - que
ce que la présidence a dit, c'est non seulement que l'article 9 de la
charte s'applique aux travaux de votre commission, mais aussi tous les droits
fondamentaux qui appartiennent aux citoyens en vertu de cette charte des droits
de la personne.
Aujourd'hui, je veux attirer votre attention très
particulièrement sur l'article 23 de la charte. Je reviens sur ce que je
vous ai dit par rapport aux recours qui avaient été
exercés par l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local
791, qui est titulaire du droit. L'article 23 se lit comme suit: "Toute
personne a droit, en pleine égalité, à une audition
publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne
soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de
ses droits et obligations ou du bien-fondé, etc.". Je vous soumets pour
votre considération qu'à mon avis les recours qu'exerce
actuellement l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791,
sont des recours qu'elle peut exercer en vertu de l'article 23 de la charte:
faire déterminer judiciairement l'étendue de ses droits à
la confidentialité et même faire déterminer judiciairement
l'étendue de l'obligation de son procureur d'alors.
Je comprends que l'Assemblée a déclaré qu'elle
n'est pas liée par une décision des tribunaux. Ce n'est pas en ce
sens que je vous fais des représentations. Je vous dis -et je suis
persuadé que c'est dans ce sens-là qu'allait votre
décision - que, si effectivement la Charte des droits et libertés
de la personne s'applique à vos travaux, vous devriez, à mon
sens, permettre qu'une personne - n'importe laquelle - puisse exercer de
façon utile des droits judiciaires. Dans ce sens, je soumets cela
à votre considération.
Je ne m'étendrai pas longuement là-dessus parce qu'il ne
s'agit pas, comme tel, de droit qui appartienne en propre au juge Jasmin que je
représente. Je le répète encore une fois que celui-ci est
ici à titre de professionnel et qu'il a l'obligation, le devoir de
respecter ce droit à la confidentialité de ses anciens mandants.
Si
vous demandez aujourd'hui au juge Jasmin de rendre témoignage
dans l'affaire qui vous préoccupe et pour laquelle vous avez mandat
d'enquêter, je veux quand même que vous réalisiez que la
détermination judiciaire qui a été demandée par
l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791, devient
parfaitement inutile.
Je vais me permettre de lire les conclusions de cette requête. Je
les lis en vrac sauf celle: Accueillir la requête, etc. La requête
à la Cour supérieure demande ceci: "Déclarer que l'avocat,
Michel Jasmin, ne peut être contraint de témoigner devant la
commission permanente de l'énergie et des ressources vu son obligation
au secret professionnel." Vous comprendrez que cette première conclusion
va directement sur le sujet de la contraignabilité. Encore une fois, je
vous répète que je ne fais pas ces représentations dans le
but de mettre en doute la décision qu'a rendue la présidence,
mais pour simplement montrer à la présidence que la
détermination judiciaire, qui est actuellement en Cour
supérieure, des droits de l'Union des opérateurs de machinerie
lourde va certainement entrer en conflit avec le fait qu'on pourrait demander
à Michel Jasmin de rendre témoignage aujourd'hui.
On continue ces conclusions qui sont: "Déclarer
l'indivisibilité des renseignements confidentiels,
l'impossibilité de respecter le droit à la confidentialité
de la requérante en forçant un témoignage morcelé,
partiel et/ou incomplet." Je vous rappelle, d'ailleurs, là-dessus que
c'était aussi dans ce sens que Me Larivière avait fait des
représentations, soit que, à un moment donné - je me
rappelle à peu près ses mots - le sillon est très
difficile à tracer entre ce qui peut être couvert et ce qui n'est
pas couvert, d'autant plus - je me permets d'insister là-dessus -que,
jamais encore jusqu'à maintenant, un tribunal ne s'est prononcé
sur l'article 9. Vous comprendrez que si vous mettez un témoin dans la
position de décider, lui, assisté ou non d'un procureur, ce que
sont l'étendue et la portée du secret professionnel, vous le
placez dans la position de devoir être à la fois juge et partie.
Je ne veux pas faire de jeux de mots là-dedans. Il n'est pas ici comme
juge aujourd'hui; il est ici comme témoin. Demain, à la cour,
s'il est appelé à siéger, il peut avoir à trancher
un problème en tant que tribunal. Aujourd'hui, il est ici en tant que
témoin et, jamais encore, un organisme judiciaire n'a
déterminé l'étendue et la portée de l'obligation
à la confidentialité. Vous le forceriez, lui, aujourd'hui,
à trancher un problème qui est déjà devant la Cour
supérieure qui a été plaidé la semaine
dernière. Je pense que c'est une situation absolument non seulement
délicate, mais intenable pour le témoin comme tel.
Le deuxième problème - je le mentionnerai très
rapidement - est la question de l'immunité face à des
procédures. À mon avis, la règle du sub judice peut
recevoir ici une application. Je vous ai expliqué que la requête
pour jugement déclaratoire est actuellement en
délibéré devant la Cour supérieure. (12 h 30)
Je sais que vous avez déclaré que l'indépendance de
l'Assemblée, la souveraineté du Parlement ne peut souffrir
d'intrusion du pouvoir judiciaire. Mais, par contre, je sais aussi - je l'ai
même retracé dans vos règlements - que l'Assemblée
nationale a toujours été respectueuse, ne serait-ce que par
simple courtoisie, des attributions du pouvoir judiciaire. Je prends, par
exemple, votre article 99, au paragraphe 4. On dit qu'il est interdit à
un député qui a la parole de parler d'une affaire qui est devant
les tribunaux, devant un organisme quasi judiciaire etc., tant que, finalement,
l'affaire n'est pas tranchée. Je sais que, même si vous
n'êtes pas liés par des décisions de tribunaux, vous vous
êtes toujours montrés soucieux de respecter les attributions
judiciaires. Par ailleurs, je sais aussi que si vous enfreignez - si je peux me
permettre l'expression - la règle du sub judice alors que vous
êtes dans vos travaux, vous avez une immunité à titre de
parlementaires, vous avez des privilèges à titre de
parlementaires. Le témoin ici, le juge Michel Jasmin, est seulement
témoin; ce n'est pas un parlementaire, évidemment. Il ne jouit
pas des privilèges et des immunités qui sont accordés
habituellement aux parlementaires. Pardon?
Le Président (M. Jolivet): La Loi sur l'Assemblée
nationale.
M. Lussier: J'y arrive. Je sais que la Loi sur l'Assemblée
nationale prévoit, à l'article 54, qu'aucune poursuite judiciaire
ne peut être intentée en raison d'un acte officiel, etc. Je me
pose des questions parce que, dans le cas présent, je pense que ce
à quoi le témoin pourrait s'exposer - je ne sais pas si on peut
le qualifier comme tel, il ne s'agit pas d'une poursuite judiciaire au sens
habituel - cela pourrait être plutôt de la nature d'une
requête en outrage au tribunal étant donné qu'il aurait
rendu un témoignage alors que la cour est déjà saisie, du
fait de son obligation à ou à ne pas rendre
témoignage.
Quoi qu'il en soit, quelle que soit la position juridique qui devrait
nous gouverner dans cette affaire, même si le juge Jasmin, à cause
de l'article 54, avait finalement une immunité contre toute poursuite
judiciaire, je veux simplement que vous notiez la position d'un témoin
qui est juge maintenant et qui pourrait être appelé à
rendre témoignage sur
des questions qui font actuellement l'objet d'un examen judiciaire. Je
pense que vous poser la question, c'est y répondre. Vous allez admettre
avec moi que le témoin est placé devant une situation qui est
absolument intenable. Il ne sait pas l'étendue et la portée que
les tribunaux donnent à la notion de secret professionnel. Il sait qu'il
y a un recours qui est exercé devant la Cour supérieure par un
ancien client pour faire déterminer, entre autres, qu'il n'a pas
à témoigner. Il est pris dans cette situation où, si vous
l'assermentez et l'interrogez, il devra nécessairement se comporter
d'une manière telle qu'il ne sera sûrement pas en mesure, en tout
cas, vous en conviendrez avec moi, de rendre un témoignage en toute
liberté et sans aucune contrainte.
Je sais que vous suspendez habituellement la séance à 12 h
30. J'ai d'autres remarques sur d'autres sujets.
Le Président (M. Jolivet): Allez-y, allez-y.
M. Lussier: D'accord. Avant de passer à la question de la
libération - parce que je veux y arriver de façon
subsidiaire, quand même - je voudrais, encore une fois, attirer votre
attention sur les représentations qui vous furent faites par Me
Jean-Marie Larivière, au nom du Barreau du Québec, sur la
situation dans laquelle pourrait se trouver le témoin, Me Michel Jasmin.
J'attire, de plus, votre attention sur le fait que, lorsque ces
représentations ont été faites, il n'y avait aucun recours
pendant devant la Cour supérieure. Je vous soumets que le fait qu'il y
ait ces recours devrait vous inciter à prendre encore plus en
considération les énoncés que je vais vous soumettre.
J'attire votre attention sur le ruban 851, page 1, du 28 avril 1983,
ainsi que sur le ruban 843. Le ruban 843, j'y arrivais tout à l'heure
quand je vous parlais du sillon ou de quelque chose de semblable, que l'avocat,
Me Larivière, vous disait qu'il était extrêmement
pénible et difficile de tracer. Je vous soumets que c'est encore plus
difficile quand il y a une procédure pendante devant la Cour
supérieure.
Je lis ceci au milieu de la page, au ruban 843. Il parlait à ce
moment de la possibilité que Me Jasmin soit appelé à
témoigner sur des rencontres auxquelles il aurait assisté avec
des représentants du bureau du premier ministre. Je cite: "II est
évident que, si l'avocat va à une rencontre -vous connaissez
déjà les dates de rencontres, elles sont là - dès
qu'il ouvre la bouche pour parler à cette rencontre, il est en train de
faire état d'une partie de son mandat ou d'une partie des choses qu'il
sait parce que son client les lui a révélées. Il est
évident que Me Jasmin dans ceci n'a jamais agi à titre personnel.
Il a toujours agi au sens de la charte en raison de sa profession d'avocat et
comme mandataire, et non pas personnellement comme une des parties au litige.
C'est pour cela que je vois bien mal comment on pourrait se mettre à
tracer un sillon autour des choses qui peuvent être dites et des choses
qui ne peuvent pas être dites."
Au ruban 851, page 1, du 28 avril 1983, toujours l'opinion du Barreau du
Québec: "Je pense qu'un témoin doit ou bien témoigner en
toute liberté ou, alors, il est injuste et pour lui et pour ses clients
et pour cette commission de le forcer à témoigner en ne disant
que des bouts ou en relatant des sections de faits, en ayant l'obligation de
s'interrompre à mi-phrase parce que le secret professionnel entre en
jeu. De la même façon que le secret professionnel est basé
ou prend son assise dans la saine administration de la justice, pour une saine
administration de la justice, il faut qu'un témoin soit dans les
conditions matérielles requises pour rendre un témoignage en
toute sérénité et en toute liberté."
Je pense que la démonstration que je vous ai faite tout à
l'heure devrait suffire à vous convaincre que les conditions dans
lesquelles se trouve le témoin ne sont, évidemment, pas des
conditions de sérénité et de liberté qu'on serait
en droit d'attendre non seulement - et je le répète - à
cause de son obligation au respect de la confidentialité, mais encore et
surtout à cause du fait que des procédures judiciaires sont
actuellement en délibéré, procédures judiciaires
dans lesquelles il est mis en cause. Et, de surcroît, à cause de
la fonction qu'il occupe aujourd'hui.
Le dernier problème que je voulais soulever est un
problème subsidiaire. À mon sens, vous devrez le trancher si vous
n'agréez pas au fait que M. le juge Jasmin est dans une situation
où il lui est extrêmement difficile, sinon impossible, de
témoigner. C'est le problème de la libération de ses
anciens clients. J'ai lu attentivement la décision de la
présidence du 3 mai. Encore une fois, on me corrigera si je fais erreur.
Il me semble que la présidence tient pour acquis le fait que M. le juge
Jasmin ait été lilbéré par l'un des quatre mandants
qu'il représentait à l'époque. Je n'en fais pas grief
à la présidence, parce que c'est aussi ce que l'avocat qui
représentait le barreau avait tenu pour acquis à l'époque,
s'étant laissé - je dirais - tromper, peut-être, par une
similitude de noms. Et je vais m'expliquer.
Quant à moi, je ne vous dis pas que M. le juge Jasmin n'est pas
libéré par cet ancien mandant. Je vous dis bien
honnêtement, bien candidement, que je l'ignore. Et je pense qu'il est
important que la question soit tranchée. Je vais vous soumettre les
points, les observations qui me
font penser que ce problème devrait être tranché
avant qu'on puisse l'interroger. Remarquez que je tiens cela pour acquis,
étant donné que la décision de la présidence disait
que c'est le fait qu'il soit libéré par l'un de ses mandants qui
pourrait donner ouverture au fait qu'il soit appelé à
témoigner. Vous savez que Me Larivière a envoyé une lettre
à tous les clients que Me Jasmin représentait à
l'époque. Il a envoyé une lettre à un organisme qui
s'appelle le Conseil provincial des métiers de la construction
(International). Le client en question, le client que représentait le
juge Jasmin à l'époque, était le Conseil provincial des
métiers de la construction (FTQ). Ce Conseil provincial des
métiers de la construction (FTQ), qu'on appelait, d'ailleurs,
communément FTQ-Construction, regroupait 42 unions distinctes dont,
entre autres, l'Union des opérateurs de machinerie lourde, la
Fraternité des charpentiers-menuisiers. Je mentionne ces unions parce
qu'elles sont dans les procédures qui vous intéressent. Ce
conseil provincial, donc, était formé de 42 unions. Vers 1980,
à la suite d'une certaine bisbille à l'intérieur de ces
unions, je dirais, il y a eu deux organismes disctincts qui ont
été formés à la suite de l'adoption par
l'Assemblée nationale de la loi 109 qui modifiait la Loi sur les
relations du travail dans l'industrie de la construction.
Vous savez que la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de
la construction - je m'excuse si c'est technique, mais je crois que je suis
obligé d'entrer dans ces détails - crée des associations
représentatives, tant des associations d'employeurs, comme l'Association
des entrepreneurs en construction du Québec, que des associations de
salariés, comme, par exemple, en 1978, le Conseil provincial des
métiers de la construction (FTQ). Ces associations d'unions ont des
droits spécifiques prévus dans la Loi sur les relations du
travail. Je crois que vous devriez vous interroger s'ils n'ont que ces droits
ou s'ils n'ont... Par exemple, je veux que vous gardiez à l'esprit,
quand je fais ces représentations, qui est le titulaire du droit
à la confidentialité.
Ces associations représentatives, à mon sens, ont des
droits spécifiques prévus par la loi. Je pense au droit à
la négociation. Je pense au droit de recourir à la conciliation
ou à des droits de cette nature. Quant aux droits civils, le
problème, à mon avis, se pose à savoir qui les
détient. Est-ce cette association ou sont-ce les unions qui la
composent? Parce que toutes ces unions possèdent ces droits civils.
Elles ne se regroupent au sein de l'association représentative qu'aux
fins spécifiques prévues par la Loi sur les relations du travail
dans l'industrie de la construction.
Finalement, en 1980, l'Assemblée nationale adopte la loi 109. On
constate que, maintenant, dans les unions représentatives, dans les
associations de salariés, on ne retrouve plus, finalement, le Conseil
provincial des métiers de la construction (FTQ). On retrouve maintenant
le Conseil provincial des métiers de la construction (International) et
la Fédération des travailleurs du Québec, qu'on appelle
FTQ-Construction.
Alors, le client, si vous voulez, que représentait le juge Jasmin
à l'époque, était le Conseil provincial des métiers
de la construction, qu'on appelait FTQ-
Construction. Maintenant, on a deux organismes distincts: le conseil
provincial (International) et la FTQ-Construction. Les unions qui
étaient membres du Conseil provincial des métiers de la
construction (FTQ) - j'ai même de la difficulté à ne pas me
mêler moi-même quand je compare les différentes associations
- se sont séparées, je dirais, à part à peu
près égale entre le conseil provincial (International) et la
FTQ-Construction. Il y a des différences importantes en ce qui a trait
aux membres. Je fais peut-être erreur mais, grosso modo, l'ancien conseil
provincial que représentait Me Jasmin, regroupait environ 70 000 membres
et, maintenant je dirais qu'environ 40 000 ou 50 000 sont dans la
FTQ-Construction et à peu près 25 000 dans le conseil
(International).
Le problème que je me suis posé, quand j'ai
été consulté par M. le juge Jasmin, est: Est-ce que
vraiment il y a eu une libération valable dans ce cas? Je vous avoue
bien honnêtement que je suis incapable d'arriver à cette
réponse. Je peux donner une opinion d'avocat, mais il faut que ce
problème soit tranché. Vous comprendrez que la position dans
laquelle se trouve un avocat qui ne peut savoir avec certitude s'il est ou non
libéré de son obligation à la confidentialité lui
pose un problème majeur. Il ne peut être délié de
son obligation à la confidentialité, nous dit la charte, que par
son client expressément ou implicitement. J'ai personnellement
écrit la même lettre que M. Jean-Marie Larivière, pour le
Barreau du Québec, avait écrite à tous les autres
organismes impliqués pour m'assurer que ce n'était pas un faux
problème. J'ai écrit à la FTQ-Construction la même
lettre. À mon sens, les unions que l'on retrouvait dans le conseil
provincial de l'époque se retrouvent maintenant aussi dans la
FTQ-Construction. J'ai reçu une communication du président, M.
Lavallée, qui m'a dit spécifiquement qu'à la suite d'une
réunion de l'exécutif on avait décidé de ne pas
délier le juge Jasmin de son obligation à la
confidentialité et qu'on me ferait parvenir dès la prochaine
réunion, qui devait se tenir jeudi ou vendredi dernier, une
résolution en bonne et due forme à cet effet, parce que c'est ce
que je lui
demandais. C'est ce qui était, d'ailleurs, la teneur des lettres
que Me Jean-Marie Larivière avait envoyées. (12 h 45)
Je n'ai pas encore avec moi la résolution. Tout ce que j'ai,
c'est une communication du président ou du secrétaire
général de cet organisme, M. Lavallée, au nom de cet
organisme, pour me dire qu'il ne déliait pas le juge Jasmin de son
obligation à la confidentialité. Je vous soumets le
problème parce que je vous ferai remarquer qu'il est important pour
nous, il est important pour savoir comment nous conduire dans les travaux. Je
crois que c'est important pour vous aussi. Je vous avoue que j'ai - je vous le
dis, encore une fois, bien candidement - de la difficulté aussi à
voir comment on va s'y prendre pour résoudre cette difficulté,
parce que je ne sais pas si la commission veut ou peut trancher ce type de
problème qui est lié, finalement, à la libération
ou la non-libération d'une obligation au secret professionnel. Je ne
sais pas si la commission estime être le forum approprié ou si ce
n'est pas quelque chose qui devrait être déterminé devant
un tribunal. Je sais que cela pose des problèmes sérieux, mais,
aujourd'hui, j'en suis là et je ne peux faire autre chose que vous
soumettre le problème, comme je vous le dis, en toute candeur, mais en
toute honnêteté aussi.
J'avoue que, dès que je me suis aperçu de cet état
de choses, je me suis empressé aussi - parce que je ne voulais prendre
personne par surprise - d'en aviser les gens concernés; je me suis
empressé d'en aviser la cour aussi, parce que, lorsque la Cour
supérieure s'est enquise de savoir s'il y avait des problèmes
quant à nous, je lui ai soumis ce problème, sachant bien que la
cour n'était pas là pour trancher tout de suite ce
problème qui n'est visé par aucune requête. C'est,
finalement, une illustration d'un problème qui est susceptible de se
poser à n'importe quel moment devant vous.
J'ai pris pas mal de votre temps, un peu plus que prévu. Vous
savez, ce que sont des quinze ou des vingt minutes d'avocat. Alors, je crois
que...
Le Président (M. Jolivet): Je veux simplement vous dire
qu'on a pris bonne note de ce que vous nous avez représenté. Je
dois vous dire au départ qu'il y a une chose qui est certaine, c'est
qu'il n'est pas question qu'aucun membre de cette commission remette en cause
une décision prise par la présidence. J'ai, cependant, compris
que des éléments nouveaux nous permettaient de vérifier
à nouveau nos travaux et on va prendre cela en
délibéré. Je vais demander à une personne de
l'Opposition et à une personne du parti ministériel, lors du
retour après la période des questions, de faire leurs
commentaires. Je verrai à ce moment, à la suite de leurs
représentations et peut-être des questions qui pourront vous
être posées pour compléter l'ensemble du dossier,
probalement, à suspendre de nouveau nos travaux pour une décision
finale sur cette question.
Entre-temps, je suspends nos travaux jusqu'après la
période de questions.
(Suspension de la séance à 12 h 48)
(Reprise de la séance à 16 h 30)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! La commission
élue permanente de l'énergie et des ressources est à
nouveau réunie aux fins d'examiner les circonstances entourant la
décision du conseil d'administration de la Société
d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite
civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu
en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de
son bureau à cet égard.
Les membres de cette commission sont: MM. Vaillancourt
(Jonquière), Ciaccia (Mont-Royal), Duhaime (Saint-Maurice), Bourbeau
(Laporte), Laplante (Bourassa), Paradis (Brome-Missisquoi), Lavigne
(Beauharnois), LeBlanc (Montmagny-L'Islet), Lalonde
(Marguerite-Bourgeoys), Perron (Duplessis), Tremblay (Chambly).
Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Baril
(Rouyn-Noranda-
Témiscamingue), Desbiens (Dubuc), Dussault (Châteauguay),
Mme Harel (Maisonneuve), MM. Gratton (Gatineau), Page (Portneuf), Doyon
(Louis-Hébert), Saintonge (Laprairie), le rapporteur étant
toujours M. LeBlanc, de Montmagny-L'Islet.
Au moment où nous nous sommes quittés à l'heure du
lunch, nous avions devant nous Me Jean-Pierre Lussier, qui faisait une
représentation au nom de l'honorable juge Michel Jasmin. J'avais dit
à ce moment-là qu'à la suite de son intervention je
permettrais une intervention du côté ministériel et du
côté de l'Opposition pour éclairer la présidence de
cette Assemblée en vue de la décision qui devrait être
rendue. Compte tenu des éléments qui nous ont été
apportés à la fermeture entre 12 h 20 et 12 h 45 et des arguments
qui seront apportés de part et d'autre - s'il y a des
éléments d'information additionnels qu'on veut avoir de la part
de Me Jean-Pierre Lussier, on pourra lui poser des questions - j'indique
dès maintenant qu'à la suite de ces deux interventions et des
questions qui pourront être posées, je vais ajourner les travaux
jusqu'à demain matin, 10 heures. Nous aurons donc des décisions
à rendre demain matin à 10 heures, de façon qu'on puisse
avoir une décision finale sur la
question pour demain. Cela donne à M. le ministre, qui aura
à discuter avec le leader, les éléments essentiels de la
journée de demain, ce qui aura à être
déterminé par le leader du gouvernement à
l'Assemblée nationale.
Qui commence? Est-ce M. le ministre? Allez, M. le ministre.
M. Yves Duhaime
M. Duhaime: M. le Président, je ne sais pas si mes
remarques vont être une contribution utile au
délibéré que vous allez entreprendre. J'ai comme
l'impression qu'on a un joyeux problème. Je voudrais, d'abord, faire un
commentaire sur ce qu'évoquait, il y a au-delà de deux semaines,
celui qui s'est dénommé l'amicus curiae, Me Larivière, qui
représentait le Barreau du Québec sur un aspect important du
problème qui consistait à traiter, en l'occurrence - Me Jasmin,
à l'époque où il agissait comme procureur, avait quatre
clients, trois ayant refusé carrément de le relever de
l'obligation à la confidentialité ou encore de son secret
professionnel et le quatrième étant le Conseil provincial des
métiers de la construction (International) - devant la commission de
l'indivisibilité du secret professionnel.
M. le Président, je vous dirai que, sans aller sur le fond, ce
problème se résout de lui-même si vous en venez à la
conclusion découlant des représentations qui ont
été faites ce matin par Me Lussier. Je vous avoue que Me Lussier
vous l'a formulé sous forme de question. Je vais faire de même,
c'est peut-être la meilleure façon de poser le problème. Le
Conseil provincial des métiers de la construction (International), tel
qu'on le connaît aujourd'hui en 1983, regroupe 20 000 à 25 000
membres, c'est-à-dire un groupe d'unions qui se retrouvaient en 1979
parmi les 42 et qui s'appelaient à l'époque le Conseil provincial
des métiers de la construction. Le problème de
l'indivisibilité se règle de lui-même si on pose et si on
répond à la question suivante: Est-ce que le Conseil provincial
des métiers de la construction, tel qu'on le connaît en 1983, peut
délier de son obligation au secret professionnel l'honorable juge Michel
Jasmin qui, en 1979, agissait comme procureur du Conseil provincial des
métiers de la construction (FTQ)? Si la réponse à cela,
c'est que le Conseil provincial des métiers de la construction
d'aujourd'hui n'a pas la capacité juridique de délier Me Jasmin,
on revient à la situation suivante: trois clients ayant refusé et
le quatrième ne pouvant juridiquement le faire, parce qu'il n'en a pas
la capacité, la question de l'indivisibilité ne se pose plus.
Cela voudrait dire que Me Jasmin n'aurait été délié
ni par l'un ni par l'autre de ses clients. C'est le premier point.
Deuxième point: est-ce que le fait qu'une instance, qui est en
délibéré entre les mains d'un juge de la Cour
supérieure à Montréal sur une requête pour jugement
déclaratoire - je ne reprendrai pas les conclusions de la requête;
Me Lussier l'a fait ce matin - est-ce que cette affaire, qu'on a l'habitude de
qualifier d'affaire sub judice, a plein effet face aux dispositions de
l'article 99.4 de notre règlement? L'article 99.4 dit ceci: "II est
interdit à un député qui a la parole - les paragraphes 1,
2 et 3 ne s'appliquent pas ici, c'est le paragraphe 4 -de parler d'une affaire
qui est devant les tribunaux ou devant un organisme quasi judiciaire ou d'une
affaire qui est sous enquête, lorsque, dans ce dernier cas, les paroles
prononcées peuvent être préjudiciables à une
personne."
Sans faire l'exégèse du règlement, M. le
Président, on va régler une chose tout de suite. Le dernier
membre du sous-paragraphe 4 dit: "lorsque, dans ce dernier cas, les paroles
prononcées peuvent être préjudiciables à une
personne." Cela s'applique donc à une affaire qui est sous
enquête. Cela ne s'applique donc pas à une affaire qui est devant
les tribunaux ou devant un organisme. La question qu'il faut se poser est la
suivante: Quelle est l'affaire qui est devant le tribunal actuellement?
Si on lit le mandat de la commission et les travaux que cette commission
poursuit à l'intérieur de son mandat, il est bien évident
que c'est de façon très accessoire en quelque sorte que
l'instance qui est devant la cour peut être reliée aux travaux de
la commission. Deux des principales conclusions de la requête qui a
été plaidée, je pense que c'est la principale, à la
page 12, M. le Président... Si vous référez à cette
requête, la requérante est l'Union des opérateurs de
machinerie lourde, le local 791 qui, lui, maintient auprès de son ancien
procureur, Me Jasmin, son obligation à la confidentialité. La
requérante, le local 791, demande à la cour de déclarer:
a) Que l'interprétation de la disposition législative
précitée relève de la compétence judiciaire; b) Que
la commission parlementaire, par ses membres et par son président, ne
peut statuer sur l'étendue du secret professionnel à l'occasion
de chacune des questions à être posée au témoin,
Michel Jasmin; enfin, déclarer que la commission permanente, par ses
membres et par son président, est liée: a) Par une
déclaration générale de l'avocat à l'effet que les
informations qu'il détient sur le sujet examiné sont couvertes
par le secret professionnel; b) Subsidiairement, par une déclaration
spécifique dite à l'occasion de chaque question posée. Je
ne veux pas préjuger du jugement qui pourrait être
éventuellement rendu par l'honorable juge Macerola, je crois, qui le
tient en délibéré. Cependant, je peux me
référer au jugement
du Il mai 1983... Pardon?
M. Lussier: Vous avez lu les conclusions de la requête. Il
y a plusieurs autres conclusions juste avant celles que vous avez lues.
M. Duhaime: Absolument, oui, d'accord. J'ai lu la partie qui me
paraissait la plus pertinente, si vous le voulez. Peut-être que je serai
dans l'obligation d'y revenir. Je voudrais me référer au jugement
prononcé par l'honorable juge Pierre Pinard le Il mai 1983 sur une
requête pour une procédure interlocutoire. Une chose m'a
frappé, c'est à la page 6 du jugement, je comprends qu'on est sur
l'interlocutoire: "Par conséquent, rien dans la requête ne permet
raisonnablement de conclure que le droit à la confidentialité de
la requérante serait sérieusement mis en péril. La
requête est prématurée, c'est le moins qu'on puisse dire
à ce stade: Vu l'absence d'intérêt réel de la
requérante à intenter ce recours en injonction, la requête
doit être rejetée. "Il ne sera donc pas nécessaire que je
décide si je peux délivrer une injonction provisoire à
l'encontre d'une commission élue du Parlement, mais je dois dire
qu'aucune autorité ne m'a été citée par la
requérante qui me permettrait de penser le moindrement que le Parlement
serait maintenant assujetti aux pouvoirs de réforme et de surveillance
de la Cour supérieure. Cette proposition constitutionnelle irait certes
à l'encontre des principes séculaires et rien dans la Loi sur
l'Assemblée nationale ne m'indique une volonté du Parlement
d'être assujetti à d'autres règles de procédure que
les siennes." Ce n'est pas toute la lecture du jugement, M. le
Président, vous le comprendrez, mais c'est ce qui m'apparaît
être le coeur du jugement.
Donc, qu'est-ce qui est maintenant devant le tribunal, si je lis en
fonction de l'article 99.4 du règlement? C'est une requête pour un
jugement déclaratoire pour ce qui est du secret professionnel et de son
applicabilité, tenant compte des dispositions de la Charte des droits et
libertés de la personne, tenant compte de la Loi sur l'Assemblée
nationale, tenant compte de la Loi du Barreau.
Mais, M. le Président, je réponds - je ne sais pas si cela
va vous être d'un grand secours - que l'instance qui est devant le
tribunal ne constitue pas un affaire qui est principalement et
substantiellement le mandat de cette commission. Par voie de conséquence
- je le dis en toute déférence pour l'honorable juge ou les
honorables juges qui auront à se pencher sur ce délicat
problème, puisque je crois comprendre qu'une pareille instance peut
être portée devant la Cour d'appel et même au-delà -
je dis qu'on ne peut préjuger des travaux de notre commission
parlementaire, ni des questions qui pourraient être posées par un
de ses membres et qu'il serait très certainement prématuré
de dire maintenant, sur une simple déclaration générale,
qu'un témoin convoqué par une commission puisse affirmer, en
invoquant le secret professionnel, s'il peut être invoqué, qu'une
déclaration générale a pour effet, à toutes fins
utiles, de lui permettre de ne pas être entendu par la commission
parlementaire de l'énergie et des ressources ou encore par toute autre
commission.
En d'autres mots, M. le Président, le fait qu'une requête
soit pendante devant la Cour supérieure à Montréal et dans
l'attente d'un jugement n'a pas pour effet de placer sub judice les affaires de
cette commission parlementaire, par voie de conséquence, je comprends la
très grande prudence de Me Lussier, qui plaide ou argumente à la
fois devant une commission élue et qui est également au fait
qu'il y a une instance en attente de jugement devant la Cour supérieure.
Je suis parfaitement solidaire avec vous. Je ne me suis jamais trouvé
moi-même dans une pareille situation, un peu coincé entre deux
feux, si vous me passez l'expression, ou encore entre deux droits, comme le
député de Jonquière me le souligne.
Alors, ma conclusion, M. le Président, lorsque vous aurez
réfléchi et rejoint votre délibéré, je pense
que nous devrions entendre l'honorable juge Jasmin, à mon point de vue,
en tout cas, suivant l'évaluation qu'il en fera lui-même,
répondre aux questions qui pourraient lui être posées. Une
fois, je crois, qu'il aura décidé, j'ai des réserves
à dire qu'il appartient à la commission de décider si le
Conseil provincial des métiers de la construction, tel qu'on le
connaît aujourd'hui depuis l'adoption de la loi 109, a la capacité
juridique d'agir en lieu et place du Conseil provincial des métiers de
la construction (FTQ) qu'on connaissait en 1979. Je ne crois pas qu'il
appartienne à la commission, ni à son président de prendre
cette décision. Il appartient plutôt à celui ou à
celle qui veut invoquer le secret professionnel de le déclarer et d'agir
en conséquence. (16 h 45)
Je vous soumets, M. le Président, que, pour la suite des choses,
au fur et à mesure du déroulement des questions, même si je
suis d'accord pour dire que cela pourra paraître abracadabrant sous
certains aspects, c'est le risque que nous aurons à courir. Je vois le
député de Gatineau qui semble partager mon opinion
là-dessus. Tout le monde doit admettre que nous avons un
problème. Je pense que Me Lussier a souligné avec raison ce matin
qu'il n'y avait pas de précédent judiciaire ou d'affaire
décidée par une cour de justice sous cet aspect particulier et
sous cet angle
particulier. À mon sens, ce n'est pas une raison de ne pas agir.
Je comprends que, en pareille matière, la plus grande prudence est
requise. M. le Président, selon ce que vous déciderez demain sur
la démarche que fait aujourd'hui devant la commission Me Lussier, et,
ensuite, selon la position que prendra l'honorable juge Jasmin sur l'ensemble
du dossier, en particulier quant au fait de savoir si, oui ou non, il se croit
juridiquement délié de son secret professionnel, je dis tout de
suite que j'aime mieux m'abstenir de poser des questions que de risquer de
brimer le secret professionnel que la Charte des droits et des libertés
de la personne reconnaît à un individu, à une corporation,
à un syndicat ou à quiconque. Alors, c'est ce que je voulais vous
dire, M. le Président, dans mes remarques.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Fernand Lalonde
M. Lalonde: M. le Président, dans l'ensemble, je m'accorde
avec les propos du ministre en ce qui concerne la demande - ce n'est pas une
requête - ou les représentations faites par Me Lussier. J'ai
compris que le sens de vos représentations allait vers une conclusion.
Je m'excuse, il n'y a pas de document qui nous le dit, mais j'ai compris que
vous souhaiteriez que Me Jasmin ne soit pas contraint à témoigner
maintenant. Vous invoquez, entre autres, l'instance judiciaire qui est
actuellement pendante. Malheureusement, et je dis, malheureusement, à
plusieurs points de vue et, en particulier, du point de vue du témoin
lui-même, parce qu'il s'agit d'une contrainte additionnelle qui s'ajoute
aux autres, malheureusement, dis-je, reconnaître cette demande ou y
donner suite serait admettre que l'Assemblée nationale est assujettie au
pouvoir de surveillance de la Cour supérieure ou, enfin, assujettie
à une décision d'un tribunal, ce qui semble aller à
l'encontre de la décision du président, celle du 3 mai, je crois,
où le président de la commission a affirmé le principe de
la compétence exclusive de l'Assemblée nationale sur ses travaux
et procédures, ainsi que l'obligation pour les individus qui sont
invités à témoigner devant elle - je ne prétends
pas la citer, mais simplement m'y référer - de répondre
aux questions qui leur sont adressées. Parce qu'il faut bien comprendre
que, si on accepte le pouvoir de contraindre un témoin, si on accepte ce
pouvoir, si on accepte qu'il existe, il s'ensuit nécessairement
l'obligation du témoin de répondre aux questions qui sont
déclarées régulières.
Donc, ce serait aussi un peu donner effet à l'injonction qui a
été refusée, parce que le sens de l'injonction,
c'était un peu aussi que Me Jasmin ne soit pas contraint de
comparaître. Alors, à cette question, j'irais dans le même
sens que le ministre, à savoir que l'Assemblée nationale, que la
commission de l'énergie devrait avoir le loisir, le pouvoir de
contraindre et de poser des questions à Me Jasmin lorsqu'il
comparaîtra devant nous, malgré l'existence de cette instance
judiciaire et ce, en toute déférence à l'égard des
tribunaux.
Sur la question de savoir si la libération du secret
professionnel qui a été accordée par le conseil provincial
est valide, parce que cette entité juridique ne serait pas la même
que celle qui était le client de Me Jasmin pour la période qui
nous intéresse, je pense que la présidence devra se pencher
là-dessus et je vous dirai pourquoi tout à l'heure, non pas parce
qu'il appartient à l'Assemblée nationale de statuer, non pas
parce qu'il appartient à la commission parlementaire de statuer,
c'est-à-dire de déclarer si la libération est valide ou
non, mais parce qu'il appartiendra au président de la commission
parlementaire de dire, si une question est valide, si une réponse doit
être donnée à une telle question compte tenu du secret
professionnel.
Je m'éloigne ici un peu des propos du ministre. Permettez-moi de
demander, M. le Président, simplement pour illustrer qu'il ne s'agit pas
d'un problème unique, si le local 791 qui est devant les tribunaux n'est
pas une nouvelle entité juridique, lui aussi? C'est peut-être
à Me Lussier que je devrais m'adresser. Je n'ai pas eu le loisir, depuis
la suspension de ce midi, ayant eu d'autres occupations, d'étudier en
profondeur cette question. J'ai eu juste le temps de colliger les documents qui
me permettraient de le faire. Je n'irai donc pas plus avant là-dedans,
mais il y a eu une révocation en décembre 1980.
Le 15 décembre 1980, l'International Union a
révoqué la charte du local 791. Il y a une lettre de M. Turner
à cet effet. L'International Union a accordé une nouvelle
accréditation au local 905, pour remplacer le local 791, dont la charte
avait été révoquée. À l'occasion de la
révocation de la charte en décembre 1980, M. Yves Paré,
qu'on retrouve à ce moment-là - a ressuscité l'Union des
opérateurs de machinerie lourde du Québec, local 791, qui
détient une charte québécoise depuis janvier 1973. Il
semble qu'il y ait eu un changement de statut. À ce moment-là,
est-ce qu'on pourrait préciser? Je ne sais pas si cela a
été soulevé par les procureurs lors de l'audition de votre
requête devant l'honorable juge Macerola, mais il semble que là
aussi on a un problème d'identité.
En ce qui concerne l'article 99.4 de notre règlement, je
m'accorde assez largement avec les propos du ministre lorsqu'on dit qu'il est
interdit à un député
qui a la parole "de parler d'une affaire qui est devant les tribunaux ou
devant un organisme quasi judiciaire ou d'une affaire qui est sous
enquête, lorsque, dans ce dernier cas, les paroles prononcées
peuvent être préjudiciables à une personne". Il faut bien
distinguer, M. le Président, que ce qui est devant les tribunaux, c'est
une requête dont vous avez sûrement pris connaissance des
conclusions, étant une des parties, non pas défenderesses, mais
mises en cause dans cette requête, comme, d'ailleurs, le Procureur
général l'a été.
Les conclusions de cette requête sont -aussi bien les lire - que
l'avocat Michel Jasmin ne peut être contraint de témoigner devant
la commission parlementaire de l'énergie et des ressources, vu son
obligation au secret professionnel; de déclarer l'indivisibilité
des renseignements confidentiels, l'impossibilité de respecter le droit
à la confidentialité de la requérante en forçant un
témoignage morcelé, partiel, etc.; de déclarer que la
commission permanente, par ses membres et par son président, est
liée par une déclaration générale de l'avocat,
à savoir que les informations qu'il détient sur le sujet
examiné sont couvertes par le secret professionnel, etc.
Donc, ce qui est devant le tribunal, c'est la portée et
l'étendue de l'obligation de M. le juge Jasmin créée par
le secret professionnel dans la cause du saccage de la Baie-James, alors que le
mandat de la commission est d'examiner les circonstances entourant la prise de
décision, ainsi que le rôle du premier ministre et de son bureau.
Ce sont donc deux affaires qui ne sont pas étrangères l'une
à l'autre, de toute évidence, parce que l'une est soulevée
à l'occasion de l'autre, mais il ne s'agit pas de la même affaire.
Donc je ne pense pas que l'article 99.4 nous empêcherait de poser des
questions à Me Jasmin.
En ce qui concerne les contraintes, chaque témoin a ses propres
contraintes sur le plan personnel, sur le plan de la mémoire, mais on
invoque là des contraintes de type plutôt institutionnel. Je pense
que Me Lussier a parlé de trois contraintes: le secret professionnel,
l'instance judiciaire et aussi la fonction qu'occupe M. le juge Jasmin
actuellement. J'avoue que j'ai plus de difficulté à accorder une
importance absolue à la troisième. Est-ce que j'ai fait erreur
lorsque vous avez parlé d'une triple contrainte?
M. Lussier: Je n'avais pas parlé de cela à titre de
contrainte, mais j'y reviendrai, si vous me le permettez, quand je
répondrai tout à l'heure.
M. Lalonde: Ah bon! Alors, je n'en dis pas davantage
là-dessus. D'ailleurs, Me Jasmin me fait signe que non, il sait
très bien qu'un juge peut être appelé à
témoigner dans un accident d'automobile ou dans toutes sortes de
circonstances.
Là où je ne m'accorde pas avec le ministre et, non plus,
avec Me Lussier, c'est sur l'étendue de l'obligation au secret
professionnel. Votre décision, d'ailleurs, comportait un deuxième
volet, à savoir que vous reconnaissez au témoin invité le
droit de soulever une objection relative à la protection du secret
professionnel de son client dans chaque cas - et cela c'est très
important - où la question posée serait susceptible de
compromettre le secret. Il s'agit d'un principe qui a été
fermement énoncé par l'honorable juge Dickson dans l'arrêt
Solosky versus la reine, qu'on a eu l'occasion non pas d'étudier en
profondeur, mais de discuter un peu lorsque Me Larivière est venu devant
nous il y a quelques semaines.
Enfin, un autre volet de la décision du président le 3
mai, c'est au président de la commission qu'il appartient de statuer sur
les différentes objections qui pourront être soulevées par
le témoin invité. Donc, la décision de la
présidence de la commission jusqu'à maintenant est en ce sens que
la compétence exclusive de l'Assemblée lui interdit de suspendre
ses travaux à chaque occasion où une instance judiciaire pouvant
avoir un effet direct sur ses travaux est instituée; de plus, qu'un
congé général de témoigner, un peu comme on le
suggère dans les conclusions de la requête, n'est pas, non plus,
acceptable. (17 heures)
II y a deux obligations. Le ministre parlait du conflit entre deux
droits, je dirais que c'est un conflit entre deux obligations: l'obligation du
témoin de répondre, qui est prévue par la Loi sur
l'Assemblée nationale, et son obligation de respecter la
confidentialité, qui est prévue par la Charte des droits et
libertés de la personne. Ce conflit entre les deux obligations doit
être réglé pour chaque question qui peut être
posée. La conception que le ministre a énoncée de son
obligation ici de participer aux travaux de la commission lui fait dire que,
de peur, par crainte de violer, ne serait-ce que d'un iota, le secret
professionnel, il préférait - je ne pense pas qu'il ait
annoncé son attitude à la commission, il pourra me corriger, si
je fais erreur - même ne pas poser de question plutôt que de
risquer de mettre en danger, en péril, cette obligation du
témoin.
Nous sommes un peu comme le témoin, nous aussi, nous avons deux
obligations. D'abord l'obligation, comme députés, membres et
intervenants de cette commission, de remplir le mandat qui nous a
été confié par l'Assemblée nationale,
c'est-à-dire d'examiner toutes les circonstances entourant la prise de
décision, ainsi que le
rôle du premier ministre et du bureau du premier ministre dans
l'affaire du règlement hors cour du saccage de la Baie-James. Nous avons
aussi l'obligation - je pense que tout le monde la reconnaît; enfin, je
peux parler pour moi - de respecter l'obligation du témoin de respecter
son secret professionnel. Ce n'est pas une situation commode, mais c'est,
malheureusement, une situation dans laquelle peut se trouver à peu
près tout professionnel de ce bas monde, professionnel dans le sens
très large, toute personne qui est susceptible de recevoir la confidence
de quelqu'un dans l'exercice de sa profession.
Donc, en conclusion, pour appuyer le dernier point que je viens de
soulever, à savoir s'il appartient au président de statuer sur
chaque question, j'invoque aussi, encore une fois, l'arrêt Solosky, qui
date de 1980, il est très récent, où l'honorable juge
Dickson s'exprimait ainsi: "Le privilège ne peut être
invoqué que pour chaque document pris individuellement." Il s'agissait
ici de documents et non pas de questions. Les critères sont importants,
M. le Président. Ce privilège doit répondre aux
critères suivants: une communication entre l'avocat et son client, qui,
deuxièmement, comporte une consultation et un avis juridique et,
troisièmement, que les parties considèrent de nature
confidentielle. Pour que le privilège soit reconnu, il faut que ces
trois critères ou conditions se rencontrent en même temps.
Je vois d'avance, M. le Président, et je m'en excuse d'avance,
les problèmes auxquels nous serons confrontés lorsque des
questions seront posées sur lesquelles vous devrez, si le témoin
invoque son obligation à la confidentialité, statuer. À ce
moment-là, cela peut donner ouverture à un échange
d'arguments. Nous essaierons de le faire dans le plus grand respect du
témoin et de la présidence de la commission.
C'est reconnu aussi, M. le Président, et je me
réfère - peut-être que Me Lussier pourrait nous en dire
plus long - à l'arrêt Trempe versus Dow Chemical of Canada Ltd de
1980, en Cour d'appel, à la page 580, qu'il s'agit, en ce qui concerne
l'application de l'article 9 de la charte, d'une disposition qui
nécessite une interprétation restrictive. Je pense que c'est dans
cet arrêt, où un témoin invoque le secret professionnel et
lorsque le juge lui demande de répondre, le témoin invoque encore
son secret professionnel. C'est un peu comme les trois questions, les trois
"strikes" du député de Gatineau. Au bout de la troisième
fois, le juge peut déclarer le témoin coupable d'outrage au
tribunal.
Il y aurait dans mon esprit, M. le Président, aucun doute que, si
vous concluez qu'une question est permise, qu'elle n'est pas
protégée par l'obligation à la confidentialité et
que le témoin refusait de répondre, il s'agirait d'une violation
des droits de l'Assemblée nationale. Cela va aussi loin que cela dans la
pratique. L'exercice de ce droit à la confidentialité, lorsqu'il
est invoqué, il faut que ce soit statué pour chaque question par
le président du tribunal. Est-ce que par analogie ce serait vous, M. le
Président? Je pense que oui. Est-ce que le président pourrait
recourir à la commission pour en décider? Ce pouvoir existe dans
le règlement lorsque le président le juge à propos. Si ce
n'est pas le président, si ce n'est pas la commission parlementaire qui
décide, qui va décider? À ce moment-là, ce serait
strictement au témoin de dire: La réponse à la question
qui m'est posée est couverte par mon obligation à la
confidentialité. Ce n'est pas un droit strict.
Comme le disait le juge - je parlais, tout à l'heure, de
l'arrêt Trempe versus Dow Chemical à la page 580 et je vous lis
ceci -"Si l'appel était accueilli, il deviendrait trop facile à
tout membre d'un ordre professionnel - il y a déjà 38
corporations professionnelles dans la province de Québec -d'affirmer,
d'abord, un état de choses sans autre preuve que son serment, pour
ensuite se réfugier à l'abri de son secret professionnel et
refuser de répondre au contre-interrogatoire." On parlait d'un
contre-interrogatoire et les mêmes règles s'appliquent pour
l'interrogatoire j'en suis sûr. "Il pourrait y avoir entrave à la
justice et ce serait le professionnel qui, en somme, exercerait en l'occasion
la justice. C'est inadmissible en droit et en équité. À
défaut d'une preuve satisfaisante du bien-fondé des objections -
je fais un aparté, l'invocation du secret professionnel est une
objection à la question totalement - le juge de la Cour
supérieure qui a exercé judiciairement son pouvoir
discrétionnaire n'a commis aucune erreur en ordonnant au témoin
de répondre à toutes et chacune des questions qui lui furent
posées et, vu son refus, en le condamnant pour outrage au tribunal."
L'appel avait été rejeté à ce moment-là.
M. le Président, il s'agit d'une conclusion à laquelle
vous devez arriver dans votre décision à savoir que le droit au
secret professionnel existe, mais doit être invoqué pour chaque
question. Nous, quoique les circonstances sont extrêmement
pénibles, nous n'avons pas l'intention de ne pas poser de questions,
parce qu'à ce moment ce serait reconnaître que le droit au secret
professionnel donne un congé général de tout
interrogatoire. Ce serait reconnaître ni plus ni moins qu'on peut
invoquer le secret professionnel pour ne pas être contraint, ce qui est
contraire à votre décision.
En conséquence, je pense que Me Jasmin, lorsque la
décision sera prise qu'il doit comparaître, devra répondre
aux questions qui ne sont pas couvertes par le secret professionnel et que
c'est au président de la commission, ou de l'Assemblée, -
enfin,
si ce n'est pas à lui, je ne sais pas, car on ne peut, quand
même, pas demander à un tribunal de statuer chaque fois - de
décider si le témoin doit répondre à une
question.
Le Président (M. Jolivet): Juste un instant, avant de
donner le droit de parole au député de Jonquière. Je dois
vous dire que c'est une question au niveau de l'ensemble tellement importante
qu'on aura à examiner dans les heures qui viennent pour rendre une
décision demain matin qu'avec ce qui a été dit je pense
que je pourrais permettre au député de Jonquière, sans
vouloir faire un débat, d'émettre une opinion.
M. Lalonde: Oui, oui, il n'y a aucun problème.
Le Président (M. Jolivet): Oui.
M. Lalonde: D'ailleurs, si on a, de l'autre côté, un
éclairage.
M. Vaillancourt (Jonquière): Non, non, sur un point.
Le Président (M. Jolivet): D'accord. M. le
député de Jonquière.
M. Claude Vaillancourt
M. Vaillancourt (Jonquière): M. le Président, je
n'ai pas l'intention d'aborder l'ensemble des sujets que le ministre a
abordés et ceux du député de Marguerite-Bourgeoys, avec
lesquels, d'ailleurs, je suis généralement d'accord sauf
peut-être le dernier point que je ne partage pas du tout, quoique,
à la fin, le député de Marguerite-Bourgeoys lui-même
se posait des questions en se disant: Je ne sais pas si c'est au
président ou à quiconque de faire cela.
M. Lalonde: Ce n'est pas dans le règlement.
M. Vaillancourt (Jonquière): Alors, M. le
Président, - et je vais parler seulement de ce point précis - je
voudrais vous reporter à la décision que vous avez rendue le 3
mai dernier. À la page 7, au haut de la page vous dites ceci: "D'autre
part, il n'appartient pas à la commission ou à ses membres de
porter un jugement sur l'invocation, par une personne, d'un droit fondamental."
Il faut faire la distinction fondamentale entre la recevabilité d'une
question que vous-même devez juger: Est-ce qu'une question est recevable,
irrecevable? Est-ce que la question est conforme ou non à l'article 168
de notre règlement? C'est votre râle, M. le Président, et
personne, je pense - je ne pense pas que c'était l'intention du
député de Marguerite-Bourgeoys - ne veut vous l'enlever. Mais, en
ce qui concerne l'obligation à la confidentialité, aucune autre
personne, M. le Président - et je vous le soumets respectueusement - que
l'invité n'est en mesure de savoir si, à la question qui est
posée, la réponse peut entraîner une violation de cette
obligation à la confidentialité. La question est toujours
adressée à un témoin et non pas à vous, M. le
Président, et je maintiens, d'ailleurs, conformément à
votre décision, qu'à chaque question recevable qui sera
posée il appartiendra au témoin d'invoquer ou non son obligation
à la confidentialité.
Et si, par hasard, le témoin, peu importe le nombre de fois qu'il
le fera, invoque cette obligation à la confidentialité, je
maintiens et je soumets, conformément à votre décision,
qu'aucun des membres ici présents à cette commission n'a le droit
et n'aurait le droit, par des questions de privilège, de
règlement, de directive ou autrement, de commenter, d'en appeler de
quelque façon que ce soit de cette décision qui appartient au
témoin invité de cette commission et ce, M. le Président,
c'est votre jugement du 3 mai 1983 qui l'indique de façon très
très expresse. Vous faire jouer le rôle de décider
vous-même, alors que vous ne connaissez pas les conversations ou les
mandats qui ont été confiés à notre témoin
invité, je pense que ce serait vous demander de remplir un rôle
absolument impossible. Ce serait une mission impossible parce que seul le
témoin est en mesure d'évaluer si, à une question
donnée, une réponse peut entraîner une violation de son
obligation à la confidentialité.
M. le Président, je m'entends généralement avec le
ministre et avec le député de Marguerite-Bourgeoys sur l'ensemble
des points qu'ils ont touchés. Je voulais toucher seulement au dernier,
parce que, autant le droit du client à la confidentialité est un
droit personnel qui n'est pas cessible, autant cette obligation qui est celle
du témoin est une obligation également personnelle. Et, c'est
à lui, M. le Président, que revient la responsabilité de
décider si, en répondant à une question, il viole ou non
cette obligation personnelle qui est la sienne.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Je pense qu'il y a confusion ici. On se souvient que
Me Larivière, lorsqu'il a plaidé devant nous le droit fondamental
au secret professionnel prévu à l'article 9 de la charte - droit
nouveau - avait fait une observation à savoir que c'est un droit qui,
lorsqu'il est exercé -je pourrais retrouver cela dans la transcription -
doit l'être en toute liberté. Et je pense que c'est important
qu'on suive cela, parce qu'il s'agissait, autrement dit, de
ne pas se poser, ni de poser des questions sur les motifs qui pourraient
amener un client ou un autre - en l'occurrence un syndicat ou un autre -
à ne pas libérer. C'est un droit fondamental, autrement dit,
qu'on n'est pas appelé à justifier, c'est-à-dire dont on
n'est pas obligé de justifier l'exercice. On ne peut pas mettre en doute
la bonne foi d'un ancien client d'un avocat ou d'un client d'un avocat qui dit:
Je ne vous libère pas de votre secret professionnel. Le droit
fondamental dont on parle n'appartient pas à l'avocat. Je pense que Me
Lussier a été très clair là-dessus. Ce droit
appartient au client. L'avocat a, lui, l'équivalent, c'est-à-dire
la contrepartie, l'obligation. (17 h 15)
De plus, le président dit, ici - peut-être, M. le
Président, pourriez-vous nous dire ce que vous vouliez dire - "D'autre
part, il n'appartient pas à la commission ou à ses membres de
porter un jugement sur l'invocation par une personne d'un droit fondamental."
L'invocation, par une personne, du droit fondamental, cela ne peut être
que par les syndicats, anciens clients de Me Jasmin, qui invoquent un droit
fondamental, à savoir de conserver la confidentialité de leurs
communications.
Maintenant, sur l'autre point, dans votre décision, vous dites,
à la page 6: "La commission doit, sur cette question, s'en remettre
à l'invité ou au témoin. En effet, il appartient à
ce bureau de faire valoir le secret professionnel..."
Une voix: À ce dernier.
M. Lalonde: À ce dernier. J'ai le mot "bureau" sur ma
copie. "Il appartient à ce dernier de faire valoir le secret
professionnel dès qu'une question porte sur un aspect touchant l'un des
trois mandats où il n'a pas reçu dispense de son obligation au
respect du secret professionnel." C'est vrai. C'est exact. C'est comme cela que
cela se passe. Mais, M. le Président, vous n'êtes pas allé
jusqu'au bout, je pense, de l'exercice, à savoir ce qui - je ne veux pas
répéter ici - est soulevé par la jurisprudence que j'ai
mentionnée. Cet exercice d'invoquer son obligation n'est pas un droit
absolu. Ce n'est pas un exercice définitif. Il est assujetti à
l'appréciation du juge dans le cas d'un tribunal, du président de
la commission d'enquête dans le cas d'une commission d'enquête et,
par analogie - je regrette de vous le dire, M. le Président -du
président de la commission dans le cas d'une commission parlementaire.
Qui d'autre? Mais ce n'est pas un droit absolu ou une obligation absolue dans
le sens où c'est assujetti à mon secret professionnel. Il faut
que cela soit démontré, il faut que le président ou le
juge du tribunal... Et c'est le sens de l'arrêt Trempe versus Dow
Chemical que j'ai mentionné tout à l'heure. C'est pour cela, M.
le Président, que je vous invite à compléter votre
décision dans celle que vous allez rendre bientôt, me dit-on, pour
nous permettre à nous d'exercer nos droits, d'accomplir notre devoir,
c'est-à-dire de poser des questions et que nous puissions avoir des
réponses lorsqu'il sera statué que les réponses ne sont
pas couvertes par l'obligation à la confidentialité.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Sur un point, M. le Président, qui a
été soulevé tantôt et que j'ai moi-même
soulevé en parlant de l'entité juridique que constituait
aujourd'hui le Conseil provincial des métiers de la construction
(International), tel qu'on le connaît depuis l'adoption de la loi 109, le
député de Marguerite-Bourgeoys a fait référence,
par analogie, au local 791 qui n'est plus la même instance aujourd'hui
qu'en 1978-1979. Je pense qu'il est important de se poser la question sur ce
dont il s'agit. Est-ce que nous sommes en face de la même entité
juridique? Je pense que c'est le problème. Dans le cas du local 791, si
je me réfère à la requête qui est pendante devant la
Cour supérieure, devant l'honorable Macerola, le premier
allégué de la requête se lit comme suit, en parlant de
l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791:
"Premièrement, elle est le successeur dans les droits et obligations de
l'Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec, ainsi que
de l'Union internationale des opérateurs-ingénieurs, local 791".
Comme les règles de procédure l'imposent, la requête est
accompagnée d'un affidavit qui soutient l'allégué. J'ai
comme l'impression que l'honorable juge Macerola va se poser la question:
Est-ce que le local 791, l'Union des opérateurs de machinerie lourde,
qui est requérante devant la Cour supérieure en 1983, a un
intérêt à faire valoir cette requête? Et la
première démarche ou la première preuve à faire,
c'est de faire la démonstration que la personnalité juridique du
local 791 a été continuée des années 1974, 1975,
1976 jusqu'à 1983.
Je pense que c'est Me Lussier, ce matin, qui a donné un peu plus
d'explications en disant que le Conseil provincial des métiers de la
construction a déjà regroupé 65 000 ou 70 000
travailleurs, enfin plus ou moins, qui étaient dans 42 locaux ou unions,
alors qu'aujourd'hui ces mêmes unions sont chapeautées, non plus
par une association, mais par deux associations qui, soit dit en passant, sont
loin de faire bon compagnonnage. Je pense que le problème se pose de
cette façon et c'est dans ce sens, M. le Président, que j'ai
compris la demande qui vous était adressée de la part de Me
Lussier au nom de Me Jasmin. Là où je diffère
d'opinion avec Me Lussier, qui vous soumet le problème en vous demandant
de trancher, c'est que je vous suggère plutôt que le
problème doit être tranché par celui qui porte cette
obligation à la confidentialité. C'est à lui de prendre
ses responsabilités et non pas de référer le
problème à la commission.
Je serais tenté de risquer une réponse à la
question que m'a posée le député de Marguerite-Bourgeoys
à savoir: Qu'est-ce que je voulais dire exactement par ce que j'avais
avancé tantôt? Sous réserve du jugement que vous rendrez,
M. le Président, si j'adresse une question à Me Jasmin - dans
l'hypothèse où elle serait recevable - et qu'il me
réponde: J'invoque mon secret professionnel, je dis que je n'irai pas
au-delà, quant à moi parce que je partage plutôt le point
de vue de mon collègue de Jonquière. Je tiendrais pour acquis
que, de bonne foi, voulant, bien sûr, permettre à la commission de
poursuivre ses travaux, l'honorable juge Jasmin n'invoquera pas en vain le
secret professionnel, de la même façon qu'on le voit certains
soirs pluvieux à la télévision américaine. Devant
certaines commissions sénatoriales, on peut entendre "fifth amendment"
à peu près 215 fois. C'est dans ce sens. Et je ne demanderai ni
à la commission, ni à la présidence de trancher lorsque,
dans mon esprit, il y aura un doute, dans le sens qu'une question permise
pourrait entraîner une réponse qui, elle, pourrait commettre un
tort irréparable parce qu'elle viendrait brimer des droits d'une
corporation, en l'occurrence l'association syndicale, et viendrait
également enfreindre l'article 9 de la charte des droits. Autrement dit,
je ne voudrais pas profiter ou encore abuser de l'immunité parlementaire
qui m'appartient et l'utiliser en étant bien à l'abri tout en
enfreignant allègrement la charte des droits et libertés. C'est
dans ce sens, M. le Président, que j'ai fait ma remarque.
M. Lalonde: Si vous me permettez une parole, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): Oui. M. le député
de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Je m'excuse auprès du député de
Mont-Royal qui aurait voulu ajouter quelque chose. Il ne s'agit pas
d'enfreindre allègrement la charte des droits et de se couvrir de
l'immunité parlementaire. L'avocat, comme le député ici,
est appelé à poser des questions. L'avocat qui pose des questions
à un témoin devant le tribunal et qui a un témoin qui
invoque son secret professionnel à tort, comme dans le cas ici de la
cause Trempe versus Dow Chemical, c'est son devoir de faire déterminer
par le tribunal que le témoin l'invoque à tort. Ce n'est pas
mettre en doute la bonne foi du témoin. Si sa conception de son
obligation est tellement étendue que, par réaction de prudence,
pour être bien sûr de donner une couverture, une protection la plus
large possible à ce droit de son ancien client, il croit devoir invoquer
le secret professionnel sur une question à laquelle, d'autre part, je
pense, il doit répondre parce que ce n'est pas couvert par le secret
professionnel, c'est mon devoir et, je regrette, ce n'est pas lui imputer des
motifs indignes ou de mauvaise foi et ce n'est pas abuser de mon
immunité parlementaire que de demander au président de
statuer.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Mont-Royal. Après cela, je passerai, puisque c'est le dernier
intervenant, à Me Lussier.
M. John Ciaccia
M. Ciaccia: Je voudrais seulement m'arrêter sur ce point
qui a été soulevé par le député de
Jonquière, selon lequel - c'était son opinion - le secret
professionnel pouvait être soulevé et la décision finale
appartenait vraiment au témoin. Je pense, si je comprends bien, que le
ministre semble être d'accord sur ce point de vue.
M. Vaillancourt (Jonquière): J'ai dit: Selon la
décision que le président a rendue le 3 mai 1983.
M. Ciaccia: Selon la décision. Premièrement, M. le
Président, si on doit contester ou soulever ce point, cela ne se fera
pas d'une façon irresponsable. Je pense que le principe doit être
établi et le principe est que cela doit être le président
ou la commission qui pourrait être appelé à trancher cette
question. Autrement dit, la décision finale, si une question peut
recevoir une réponse ou non, n'appartient pas au témoin, mais, si
cette décision est contestée, cela appartiendrait au
président.
A l'appui de ce point de vue, je voudrais porter à votre
attention la cause devant les tribunaux qui a été soulevée
par mon collègue de Marguerite-Bourgeoys, la cause de Solosky où
l'honorable juge Dickson s'exprimait ainsi à la page 837: "Le
privilège ne peut être invoqué que pour chaque document
pris individuellement et chacun doit répondre aux critères du
privilège: 1) une communication entre avocat et son client; 2) qui
comporte une consultation et un avis juridique; 3) que les parties
considèrent de nature confidentielle." Il faut que ces trois
critères ou conditions se rencontrent en même temps. Les tribunaux
ont établi les critères. Du fait qu'ils ont établi ces
critères, on ne peut pas dire: On va laisser arbitrairement le
témoin
déterminer si les critères sont respectés ou non.
Autrement, cela ne sert à rien d'établir des critères
parce que le témoin dira: Non, c'est dans mon secret professionnel et il
n'y aura personne qui pourra contester si on a respecté les
critères ou non.
D'ailleurs, si on regarde d'autres décisions, par exemple dans la
reine vs Prentice, la Cour suprême de l'Alberta avait à
décider si un témoin invoquant le secret professionnel pouvait
être tenu de répondre à la question s'il avait
autorisé son avocat à communiquer avec l'avocat de la partie
adverse en prévision ou à l'occasion d'un débat devant les
tribunaux. Nous avons un cas où le témoin a invoqué le
secret professionnel. La partie adverse a contesté cette opinion du
témoin et c'est le tribunal qui a dû trancher la question.
Autrement dit, il est reconnu que c'est le juge devant les tribunaux, le
président d'une commission parlementaire devant la commission
parlementaire qui a l'ultime responsabilité et le devoir et la
décision d'appliquer ou de décider si les critères ont
été respectés. (17 h 30)
Je crois qu'il est important d'établir ce principe. On ne peut
pas laisser au témoin seul la décision parce qu'à ce
moment-là il serait impossible de déterminer si les
critères de la confidentialité ont été
respectés. Il n'y aurait pas de moyen objectif de pouvoir
déterminer ce point. Comme on l'a souligné, peut-être par
prudence, un témoin peut dire: Non, je ne peux pas répondre parce
que c'est dans les critères de mon secret professionnel. Cela se peut
que ce soit une question tellement importante que, pour des raisons assez
valables, quelqu'un soulève cette question et conteste le fait que cela
soit dans le secret professionnel. Car ce ne sont pas tous les faits et toutes
les actions qui sont couverts par le secret professionnel, seulement
certains.
Alors, je crois, M. le Président, que vous devriez prendre en
considération ces décisions qui ont été rendues
devant les tribunaux, quant à la contestation, parce que c'est
déjà arrivé que quelqu'un a invoqué le secret
professionnel et le tribunal a dit: Non, la question ne tombe pas dans les
critères du secret professionnel. De la même façon, par
analogie, vous avez l'ultime responsabilité, si, pour une raison ou pour
une autre, cela était contesté, de trancher la question.
Une voix: M. le Président...
Le Président (M. Jolivet): Oui, seulement un instant.
J'avais promis à Me Lussier de lui donner la parole. Oui, je le sais,
mais, si je vous accorde le droit de parole, le député de
Beauharnois m'a demandé la même chose. J'aimerais entendre ce que
Me Lussier a à dire. On pourra y revenir à la fin. D'accord, je
vais vous le permettre à la fin; je vais commencer par entendre Me
Lussier.
M. Jean-Pierre Lussier
M. Lussier: Je suis un peu embêté parce qu'il y a
beaucoup de points qui ont été soulevés. Je ne veux pas
dire par là que je suis embêté pour y répondre parce
que je crois avoir quelque chose à dire sur chacun d'entre eux, mais je
suis un peu embêté sur l'ordre dans lequel je devrais
procéder. Finalement, je crois que ce qui serait le plus sage, c'est de
procéder un peu en vrac, mais en commençant dans l'ordre des
interventions qui ont eu lieu, parce que j'ai noté au fur et à
mesure certains points sur lesquels je crois de mon devoir d'intervenir.
D'abord, je voudrais faire une petite mise au point relativement
à certains chiffres, parce qu'on a lancé des chiffres concernant
le nombre des membres dans le conseil provincial d'alors et le conseil
provincial de maintenant. Le problème qui est toujours vécu dans
l'industrie de la construction est le suivant: lors d'une période de
maraudage, les membres sont susceptibles de donner leur allégeance
à plusieurs associations représentatives. En l'espèce, en
1980, il y avait cinq associations représentatives, ce qui fait que les
70 000 membres du conseil provincial d'alors ne sont pas nécessairement
les mêmes 70 000 membres qui se répartissent 50 000 dans la
FTQ-Construction d'aujourd'hui et 20 000 dans le conseil provincial
d'aujourd'hui. Ce sont peut-être des gens qui venaient d'une autre
association représentative, de telle sorte que c'est difficile de faire
des liens, sinon les liens qui sont faits par les unions elles-mêmes.
C'est-à-dire que les unions membres du conseil provincial, elles, ont vu
leur existence se prolonger; elles ont dû adhérer à l'une
ou à l'autre des associations représentatives.
La première question qui me vient à l'esprit - c'est M. le
ministre qui la soulevait - c'est sur le fait que M. le juge Jasmin soit
délié par le conseil provincial d'alors. Je vous soumets la chose
suivante: II est extrêmement difficile, je dirais plus qu'inconfortable,
c'est même demander à un témoin quelque chose qu'on ne
devrait jamais lui demander, de décider lui-même s'il est
libéré ou non de son obligation à la
confidentialité. La personne à qui il faut demander cela, c'est
au titulaire du droit à la confidentialité. Demander à un
procureur s'il a la conviction que son client d'alors ou ce que son client est
devenu le libère ou non, vous comprendrez avec moi que cela n'a presque
pas de sens.
J'attire votre attention au dernier paragraphe de l'article 9 de la
Charte des droits et libertés de la personne - et je vais
y revenir souvent - parce que, lorsque votre commission a dit qu'elle
était liée par la charte - et je respecte la décision que
la présidence a rendue le 3 mai - j'ai compris qu'elle était
liée par les trois paragraphes de l'article 9: par le premier paragraphe
qui dit que chacun a droit au respect du secret professionnel, par le
deuxième qui dit que toute personne tenue par la loi au secret
professionnel ne peut même en justice divulguer les renseignements
confidentiels qui lui ont été révélés,
à moins qu'elle n'y soit autorisée par celui qui lui a fait ces
confidences ou par une disposition expresse de la loi, par le troisième
qui dit que c'est le tribunal qui doit, d'office, assurer le respect du secret
professionnel.
Cela m'amène sur le dernier sujet qui a été
abordé par plusieurs députés et par vous, M. le ministre:
les attributions de la commission parlementaire en regard de l'invocation, par
le témoin, de son obligation à la confidentialité.
D'abord, je veux vous souligner que vous avez tous parlé, à un
degré ou à un autre, d'une situation délicate, je dirais
d'une situation inconfortable. J'ai parlé ce matin - je le maintiens
toujours -d'une situation absolument intenable pour un témoin qui est
placé devant la situation où il est devant une émanation
de l'Assemblée nationale. Et, à mon avis - je le dis comme avocat
- ce n'est pas un tribunal au sens de la charte ni dans un autre sens. Vous
l'avez maintes fois souligné, le pouvoir législatif est
complètement distinct du pouvoir judiciaire. Bien sûr, dans
certains types d'actions, il peut y avoir des analogies de faites avec le
pouvoir judiciaire.
Ici, nous sommes face à l'application d'une loi qui est,
finalement, votre loi. C'est la Loi sur l'Assemblée nationale. Votre loi
définit plusieurs choses à l'article 9, à l'article 23 et
à l'article 56. À l'article 9, elle dit que c'est le tribunal qui
doit s'assurer du respect du secret professionnel. À l'article 23, elle
souligne que toute personne, y compris un témoin devant une commission
parlementaire, a le droit de faire décider par un tribunal
indépendant et impartial de ses droits et obligations. Quand vous avez
ici devant vous une personne qui est appelée comme témoin, je
pense que cette personne a le droit le plus strict de faire décider par
- comme on le dit à l'article 23 - un tribunal de ses obligations. Bien
sûr, ce n'est pas lui qui est titulaire du droit à la
confidentialité, mais l'article 9, au deuxième paragraphe, nous
dit qu'il est, si on veut, le titulaire de l'obligation à la
confidentialité. C'est sur lui que repose le fardeau d'invoquer cette
obligation que la loi lui impose. Mais, lorsqu'il voudra faire
déterminer l'étendue de son obligation - c'est la même
charte qui lui donne ce droit - il a le droit de le faire déterminer par
un tribunal impartial et indépendant.
Évidemment, le forum que vous constituez ici, je ne crois pas que
ce soit un forum qui entre dans la définition de l'article 23. J'y
reviendrai tout de suite. Par définition - certains l'ont même dit
ce matin, j'étais présent - il s'agit ici d'un forum partisan,
dans le bon sens du mot; c'est un forum partisan et c'est normal à
l'Assemblée nationale.
D'ailleurs, c'est la raison, à mon avis, pour laquelle, encore
une fois, votre loi, la Charte des droits et libertés de la personne,
à l'article 56, nous dit que, pour les articles 9, 23 et d'autres
articles, le mot "tribunal", en plus de l'acception normale de ce qu'on entend
par ce qu'est un tribunal, c'est-à-dire ce qu'on appelle les tribunaux
de droit commun, inclut certains organismes spécifiques. Il inclut un
coroner, un commissaire enquêteur sur les incendies, une commission
d'enquête - évidemment, au sens de Loi sur les commissions
d'enquête - une personne ou un organisme exerçant des fonctions
quasi judiciaires.
Quand on dit que l'organisme devant lequel quelqu'un doit invoquer son
obligation à la confidentialité, doit trancher,
évidemment, il faut garder en arrière de la tête que,
habituellement, à mon avis - vous me corrigerez si vous avez des
exemples que je ne connais pas - ce n'est jamais arrivé que l'invocation
du secret professionnel soit faite devant un autre organisme qu'un tribunal au
sens de la charte.
Quand M. le député de Mont-Royal parlait de la cause de
l'Alberta, quand on parlait de différentes autres causes,
évidemment que, à ce moment-là, le témoin est
placé devant une tout autre situation. La personne devant laquelle il se
trouve, l'organisme devant lequel il se trouve est un tribunal. Le
témoin peut demander, s'il n'est pas sûr, des directives au
tribunal. Il peut demander différents types de procédure, des
règles de procédure particulières. On le voit
régulièrement. Lorsqu'une telle question se soulève,
combien de fois on peut demander, par exemple, le huis clos, on peut demander
des règles de procédure particulières, on peut demander de
raturer des choses du dossier. Comment voulez-vous qu'on fasse cela ici?
Ma première réaction - je vous le dis encore une fois bien
innocemment - si vous nous demandez, à un moment donné, pourquoi,
à telle question qui peut sembler anodine, on est obligé
d'invoquer notre obliqation à la confidentialité, pensez-vous
qu'on est dans une situation où on est capable d'expliquer cela sans
faire référence à la nature, puis au contenu du mandat que
nous avions? Pensez-vous qu'on est dans une situation où on est capables
de l'expliquer? Dans la mesure où on commence à donner une
explication, il n'y a plus de secret professionnel.
Si c'est la situation, vous nous placez
dans une situation intenable. Comme on le dit en anglais: "You can't
have your cake and heat it". Vous ne pouvez pas nous dire: Vous, vous allez
décider de tous les problèmes relatifs au secret, quand c'est
votre secret, quand vous êtes délié parce que nous ne
sommes pas un tribunal, nous ne sommes pas le bon forum pour décider
cela et, quand il sera question de l'obligation à la
confidentialité, nous dire, en même temps: Dites-nous pourquoi
dans ce cas-ci vous invoquez l'obligation à la confidentialité?
Comment pensez-vous qu'on peut être placé? Je pense que ce serait
une situation injuste non seulement pour le témoin, mais même pour
la commission parlementaire.
Si effectivement il est de vos priorités de respecter les droits
qui sont prévus à la Charte des droits et libertés de la
personne, je crois qu'il doit y avoir des précautions de prises. Il va
falloir que vous nous donniez des directives. Il va falloir que vous nous
disiez quelle est pour vous l'étendue et la nature du secret
professionnel.
Ce matin, je vous ai fait état que ce problème
était devant les tribunaux. Si ce problème n'est pas
tranché, quelqu'un devra le trancher. Si vous demandez au témoin
de le trancher, imaginez quel fardeau vous lui mettez sur les épaules.
Je pense que c'est un fardeau que personne n'a intérêt à
mettre sur les épaules d'un témoin devant une commission comme la
vôtre.
Comme je l'ai dit, c'est le tribunal qui a juridiction pour trancher
cela en toute déférence. Je comprends, cependant, que vous
n'êtes pas liés par les décisions des tribunaux et je
l'accepte. C'est pour cela que je vous faisais les représentations que
je vous ai faites ce matin. Si on entre sur ce terrain, vous devrez convenir
avec moi qu'on entre là sur un terrain qui va nous amener une foule
d'embûches. J'ai peine à imaginer comment on pourrait s'en sortir.
J'ai longuement conversé avec M. le juge Jasmin lorsque nous avons eu
à préparer ce qui devait être fait aujourd'hui et
possiblement plus tard, assez au moins pour m'apercevoir personnellement que,
souvent à une question purement anodine, la réponse que le
témoin doit donner doit entrer à un moment ou un autre dans des
éléments qui font partie, à mon avis tout au moins, de son
obligation à la confidentialité.
Vous placez le témoin dans un tel cas dans une situation
où il doit répondre de façon tronquée à une
question, dans une situation, donc, qui ne lui fait pas justice et ce, à
un double point de vue. Non seulement il devra donner une réponse
tronquée, mais, en plus, il devra même tenter d'expliquer je ne
sais trop comment en quoi son obligation est concernée. Je dis que je ne
sais trop comment parce que, évidemment, vous avez des règles
ici; on a la télévision, on a tout cela. Je ne peux pas
comprendre comment on peut le faire sans avoir une certaine garantie
qu'à la fois les droits des autres et les obligations de l'un peuvent
être respectés.
Je continue, car je me rends compte que je me suis laissé aller
à une digression. C'est que, évidemment, cela a été
le sujet des dernières discussions. Quand M. le député de
Marguerite-Bourgeoys parlait de la décision de Trempe et Dow Chemical,
je suis parfaitement d'accord avec M. le député sur le fait que,
devant un tribunal, lorsqu'un témoin invoque son obligation à la
confidentialité, le tribunal peut lui dire: Comment? Expliquez-nous
comment. Et, si le témoin ne peut expliquer comment au tribunal,
celui-ci peut lui ordonner de répondre. Je suis parfaitement d'accord
avec lui, mais le problème, c'est qu'il faut qu'on soit devant un
tribunal pour cela. Il y a des règles qui sont prévues en ces
matières. (17 h 45)
Évidemment, M. le juge me souligne la question du huis clos.
C'est, d'ailleurs, prévu spécifiquement à l'article 23, la
question du huis clos. Je sais que la commission parlementaire n'est pas
habituée, c'est-à-dire que je ne pense pas que les enquêtes
du type de celle que vous menez actuellement sont quelque chose de
fréquent. À ma connaissance, je n'en ai pas vu beaucoup. Je pense
que les règles que vous avez ne sont pas nécessairement
adaptées à tout ce qui peut se produire, comme il en existe
devant une cour de justice. Personnellement, je vous assure que je ne vois pas
comment, de façon ordonnée et sensée, on pourra se sortir
d'un tel guêpier. C'est dans ce sens que je faisais mes remarques ce
matin.
Je voudrais revenir un peu sur ce que j'ai entendu tout à
l'heure. Vous avez exprimé - et je suis d'accord avec vous -que, en
théorie, accepter qu'un témoin n'ait pas à rendre
témoignage, c'est accepter, finalement, qu'on soit lié à
une décision de la Cour supérieure. Ce n'est pas dans ce
sens-là que je vous ai fait mes représentations ce matin. Je ne
crois pas que vous soyez liés par une décision de la Cour
supérieure. Mais le problème qui se pose, ce n'est pas dans le
sens qu'on soit lié ou non à une Cour supérieure; c'est
dans le sens que, dans le cas présent - lorsque votre commission
enquête sur un règlement hors cour du saccage de la Baie-James,
dans lequel Me Jasmin est impliqué comme procureur - le but,
évidemment, le noyau, le centre de votre mandat, c'est d'enquêter
sur quelque chose qui a fait, évidemment, l'objet du recours aux
services de Me Jasmin en tant que professionnel. Et vous admettrez avec moi que
le centre du débat, en rapport avec le témoin qui est ici, il me
semble, personnellement que cela tombe sous le sens que cela concerne des
choses qui sont l'objet de son obligation à la confidentialité,
dans la
mesure où cela touche les relations qu'il a eues avec ses
mandants, d'une part, et avec diverses personnes dans la poursuite de son
mandat comme avocat.
Quand je vous ai fait les représentations ce matin, ce
n'était pas pour vous dire que je croyais que vous étiez
liés par la Cour supérieure, mais dans le sens où c'est
prudent, dans ce cas-ci, d'attendre une détermination judiciaire qui -
je le répète, encore une fois - à mon sens, n'a pas
été faite.
M. le député de Marguerite-Bourgeoys parlait de
l'arrêt Solosky; je le connais bien aussi. Je veux simplement faire
remarquer que cet arrêt concerne toujours le privilège.
D'ailleurs, la citation faite par le député de
Marguerite-Bourgeoys était une question de privilège du secret
professionnel en Common Law. Chez nous, on a l'article 9 et ce n'est plus un
privilège; c'est un droit. C'est un droit dont l'étendue et la
portée doivent être interprétées judiciairement,
à mon avis. L'article 9 n'a pas encore été
interprété judiciairement.
Si la commission veut se lancer dans l'interprétation de
l'étendue et de la portée du secret professionnel,
évidemment, cela regarde la commission parlementaire, mais ne demandez
surtout pas au témoin à la fois d'être témoin,
d'être le juge de l'étendue et de la portée de son
obligation au secret et de justifier publiquement, alors qu'aucune règle
précise n'est établie, en quoi son obligation à la
confidentialité peut être violée. Vous le placez
dans une position non seulement inconfortable, mais impossible. Finalement, la
seule solution qui reste, ce n'est pas un conflit, comme on a dit, entre deux
droits, ce n'est pas un conflit entre deux obligations; c'est pratiquement un
conflit entre deux violations de la loi. En effet, est-ce qu'il va risquer de
violer la loi du barreau ou la charte ou est-ce qu'il va risquer de violer la
Loi sur l'Assemblée nationale en portant atteinte aux droits du
Parlement? Je crois que c'est une situation dans laquelle il est placé
qui ne fait justice à personne.
Le Président (M. Jolivet): Vous avez terminé, Me
Lussier? Non?
M. Lussier: Je voudrais, quand même, revenir sur deux
points: le conseil provincial, d'une part, et le local 791, d'autre part. On a
fait état qu'on pourrait poser au témoin la question de savoir -
je crois que j'en ai traité - s'il était délié par
le conseil provincial ou non. Là-dessus, je crois que ce n'est pas une
position que le témoin peut prendre. Il faudrait que quelqu'un le
décide. Je crois que, si vous voulez entrer dans le domaine, il vous
appartient de rendre cette décision.
Quant au local 791, M. le député de
Marguerite-Bourgeoys a parfaitement raison. L'Union internationale des
opérateurs de machinerie lourde et le local 791 du temps de la
poursuite, cela n'était pas du tout la même union.
C'étaient deux unions qui étaient affiliées au Conseil
provincial des métiers de la construction (FTQ), mais deux unions
complètement distinctes. En 1980, l'International Union of Operating
Engineers s'est fait enlever son accréditation internationale.
Cependant, l'union a continué d'exister, de même que l'Union des
opérateurs de machinerie lourde. Ces deux unions ont
adhéré à la FTQ-Construction et, à ce
moment-là, se sont fusionnées. L'Union des opérateurs de
machinerie lourde du Québec est devenue l'Union des opérateurs de
machinerie lourde du Québec, local 791. C'est une espèce de
fusion, de telle sorte que, évidemment, comme vous l'avez
souligné dans la procédure, on peut dire que celle-ci est
le résultat ou la fusion des deux autres.
Maintenant, le problème du conseil provincial, c'est qu'il ne
s'agit pas ici d'une fusion, mais d'une scission. S'il y a scission,
évidemment, on n'est pas placé devant la même position que
pour une fusion. Ce n'est pas un successeur, pas dans le même sens tout
au moins.
M. le juge Jasmin veut que j'ajoute encore la chose suivante.
Évidemment, je comprends vos préoccupations et je comprends que
vous avez un mandat à exercer. Je respecte cela. Mais je vous assure -
c'est ce dont il veut que je vous fasse part - que nous avons fait l'un et
l'autre un exercice d'une vingtaine d'heures. Je vous assure - je l'ai fait
avec mon client - que les problèmes qui se posent pour des questions en
apparence anodines peuvent être très sérieux. Il est
impossible - je vous le dis et je vous le répète - à
certaines questions où en apparence cela peut sembler anodin, pour nous
de justifier en quoi, à notre avis, l'invocation à l'obligation
à la confidentialité doit être faite sans mettre en
péril la confidentialité même. Nous ne sommes pas capables
de le faire. Évidemment, nous serions capables de le faire s'il y avait
des règles prévues en ce sens. S'il y avait le huis clos, s'il y
avait des règles spéciales comme on en retrouve devant un
tribunal, nous devrions le faire. Nous sommes prêts à le faire,
mais on ne peut pas nous demander cela dans la situation présente de la
commission. Si vous nous demandez de faire une telle chose, je vous assure tout
de suite que le seul conseil que je pourrai donner à M. le juge Jasmin,
c'est de décider, finalement, quelle loi il va violer et je ne veux pas
que vous me placiez dans une telle position parce que, si c'est le cas, on sera
dans une situation tout à fait injuste et inéquitable.
Dernière remarque. On a parlé d'une obligation de
contrainte par rapport au statut
de juge de M. Jasmin. Je n'ai jamais pensé vous souligner que le
statut de juge entraînait une non-contrainte. Comme il s'agit d'un juge
qui est ici comme témoin et qui peut être appelé ici comme
témoin, mais d'un juge qui est mis en cause dans des procédures
judiciaires pour faire déterminer non seulement les droits d'un de ses
anciens clients, mais ses obligations, à lui, comme témoin et
qui, en plus, est un juge qui normalement a charge de faire appliquer la loi,
je vous ai souligné que sa fonction rendait encore plus difficile,
encore plus lourd le fardeau qu'on semble vouloir lui imposer de prendre des
décisions ici comme témoin sur la nature, l'étendue et la
portée de son obligation à la confidentialité.
Je m'excuse d'avoir pris tout ce temps.
Le Président (M. Jolivet): Non, non. Je pense que
c'était quand même important de connaître le fond de cette
décision que la présidence de la commission aura à rendre
demain matin, à 10 heures. J'avais promis de donner la parole au
député de Jonquière. Je ne sais pas s'il veut
intervenir.
M. Vaillancourt (Jonquière): Je vais céder mon
droit de parole parce que ce que je voulais dire - à moins que Me
Lussier ne prenne la parole - c'est exactement ce qu'il a dit. C'est
qu'à partir du moment où on demande au témoin d'expliquer
pourquoi, dans le cas d'une question précise, il invoque son obligation
à la confidentialité, il se met dans la position où il
violera cette obligation à la confidentialité. Les débats
étant télévisés, il y a des personnes dans la
salle, il y a plusieurs témoins. Je comprends qu'il est bon parfois de
s'inspirer du droit commun, mais il est toujours dangereux de le faire. Il ne
faut pas oublier qu'un juge peut faire venir les deux avocats et leurs parties
dans son bureau. Le juge peut ordonner le huis clos. Dans le cas
présent, je pense qu'on doit avouer très honnêtement que
nous n'avons pas ce genre de règles. On ne l'a pas prévu. On ne
prévoyait pas tous les problèmes qu'on aurait lors de cette
commission parlementaire. À partir du moment où on n'accepte pas
que la seule invocation est suffisante, à partir du moment où on
oblige le témoin à dire aux membres de la commission, devant les
caméras de télévision, ce qui le justifie d'invoquer dans
ce cas précis d'une question son obligation à la
confidentialité, on le place dans la situation où il est à
même de renier cette obligation à la confidentialité. Cela
est extrêmement, extrêmement dangereux.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Beauharnois.
M. Lavigne: Très rapidement, M. le Président. Je
pense que Me Lussier vient de faire le tour de la question. Cela a
répondu à plusieurs questions que je me posais parce que,
n'étant pas juriste, c'est un problème qui m'apparaît assez
complexe. Avec tout l'éclairage qu'a apporté Me Lussier, je pense
qu'il est beaucoup plus facile et pour moi et pour tous ceux qui suivent cette
commission de comprendre les difficultés auxquelles nous sommes
confrontés actuellement. Je voudrais quand même poser une
question. M. le Président, est-ce que je peux poser une question pour
être éclairé davantage?
Le Président (M. Jolivet): Certainement, c'est pour cela
que je vous ai donné la parole.
M. Lavigne: II s'agirait de savoir, Me Lussier, si
l'entité juridique de votre cliente telle qu'elle était au moment
où elle a requis les services de Me Jasmin est encore reconnue sur le
plan juridique. Vous nous avez parlé de la scission entre-temps. Vu
qu'elle est scindée en deux groupes, est-ce que juridiquement elle est
encore reconnaissable?
Le Président (M. Jolivet): Me Lussier.
M. Lussier: C'est remarquable combien tous ceux qui ne sont pas
juristes ont le don de poser de bonnes questions. Le problème de droit,
à mon sens, est extrêmement complexe dans une affaire semblable
parce que le Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ)
n'existe pas comme tel, c'est certain, surtout qu'il était
composé de différentes unions qui toutes n'existent plus comme
telles. Quand le député de Marguerite-Bourgeoys disait tout
à l'heure: Le local 791 du temps n'est pas celui qui porte le même
numéro aujourd'hui, il a parfaitement raison parce que le local 791
d'aujourd'hui c'est une fusion de deux unions du temps.
Nous, les avocats, avons la chance de pouvoir émettre des
opinions et non pas des jugements. Je vous dis que, quant à moi, le
problème qui se pose aussi, c'est de savoir qui étaient vraiment,
les détenteurs de ce droit à la confidentialité.
Était-ce le conseil qui n'existe plus comme tel? Étaient-ce les
42 unions? Qui en est le successeur? Est-ce le conseil provincial tel qu'il est
maintenant et la FTQ-Construction? Sont-ce les unions du temps, qu'elles soient
dans la FTQ-Construction ou qu'elles soient dans le Conseil provincial des
métiers de la construction (International) qu'on retrouve maintenant? Je
vous avoue que c'est une question à laquelle je ne peux répondre
comme cela de façon certaine. Je ne suis pas en mesure - ce sont les
difficultés dont je vous faisais état ce matin - de dire à
Michel Jasmin: À mon avis, Michel Jasmin, vous êtes
libéré de votre obligation à la
confidentialité en ce qui concerne le Conseil provincial des
métiers de la construction (FTQ). Je ne suis pas en mesure de lui dire
cela et je vous dis que, si vous nous mettez ce fardeau sur les épaules,
vous nous demandez d'être un tribunal à cet égard. Je ne
sais pas ce qu'on pourrait faire dans une telle situation.
Le Président (M. Jolivet): Justement, compte tenu du temps
qui est devant nous et qu'on devrait normalement ajourner à demain
matin, 10 heures, j'ai deux petites questions, m'a-t-on dit, de la part du
député de Mont-Royal et de la part du ministre. On pourrait
terminer avec ces deux questions, parce que j'aime autant vider la question ce
soir que la vider un autre jour. (18 heures)
M. Ciaccia: Ce n'était pas une question, M. le
Président; c'était un commentaire à la suite des propos de
Me Lussier. Si on accepte le raisonnement de Me Lussier, cela voudrait dire
effectivement que la décision du 3 mai est inopérante.
Le Président (M. Jolivet): C'est un peu ce que j'avais dit
à l'heure du dîner.
M. Ciaccia: Mais pour répondre à une certaine
objection disant qu'un témoin peut invoquer devant les tribunaux le
secret professionnel, qu'il y a des règles devant les tribunaux qui
peuvent protéger le témoin et que ces règles n'existent
pas devant cette commission parlementaire, je ne suis pas tout à fait
d'accord, parce que je prétends que la décision finale vous
appartient. Si vous voyez qu'essayer de faire expliquer certaines choses au
témoin impliquerait qu'il lui faudrait dévoiler certains aspects
confidentiels, vous pouvez arrêter immédiatement notre question,
vous pouvez déclarer que la réponse ferait partie du secret
professionnel. En plus, vous pouvez suspendre, M. le Président, en tout
temps les débats de cette commission pour vous assurer vous-même
d'un certain point, vous assurer que, vraiment, la question est dans les termes
du secret professionnel ou non. Je crois que, même si on n'a pas toutes
les mêmes règles, comme la question du huis clos, vous avez toutes
les règles à votre disposition, premièrement, pour prendre
la décision, deuxièmement, pour protéger le témoin,
troisièmement, pour suspendre les travaux de la commission si, à
votre point de vue, vous jugez que le secret serait peut-être enfreint.
Si le témoin croit que la question tombe vraiment dans les termes du
secret professionnel, c'est à vous de le décider. Pour les autres
raisons, je crois qu'on doit s'en tenir à votre décision du 3
mai.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: M. le Président, j'écoutais
attentivement Me Lussier. Mais je pense qu'on va se comprendre rapidement. Il y
a sûrement lieu de faire une distinction très nette en
matière d'obligation à la confidentialité entre le
titulaire du droit et le titulaire de l'obligation. Je pense que tout le monde
se comprend là-dessus.
Si on va à l'article 9, chacun a droit au respect du secret
professionnel. "Chacun", dans mon esprit, suivant ce qui est maintenant
établi par tout le monde, c'est l'ancienne cliente de Me Jasmin. "Toute
personne tenue par la loi", cela explicite un peu l'obligation. Au dernier
paragraphe, c'est là que nous avons un problème: "Le tribunal
doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel". Dans la
définition, à l'article 56, du mot "tribunal", on ne retrouve pas
et c'est normal aussi, une commission élue ou une commission
parlementaire.
Cela étant dit, il y a une autre chose qu'il faut aussi admettre
- je vais peut-être offenser tous ceux qui admirent beaucoup Montesquieu
- c'est que les trois piliers de la démocratie, le législatif, le
judiciaire et l'exécutif, au fil des années, si on me passe
l'expression, en ont pris un coup pour la raison très simple que,
même la nouvelle Loi sur l'Assemblée nationale qui, sauf erreur, a
été votée à l'unanimité tout
récemment, est assujettie à la Charte des droits et
libertés de la personne. C'est dans ce sens que je veux non pas faire
une mise au point, mais peut-être expliciter davantage ce que j'ai dit
tantôt et qui a suscité à bon droit une question du
député de Marguerite-Bourgeoys sur ce que j'appellerais mon
devoir de prudence. Je ne le fais pas proprio motu, mais je le fais en me
référant à la Charte des droits et libertés de la
personne qui dit à l'article 50, sous la rubrique générale
-chapitre V, - Dispositions spéciales et interprétatives: "La
charte doit être interprétée de manière à ne
pas supprimer ou restreindre la jouissance ou l'exercice d'un droit ou d'une
liberté de la personne qui n'y est pas inscrit." Je pense que cela parle
par soi-même.
L'article 51. "La charte ne doit pas être
interprétée de manière à augmenter, restreindre ou
modifier la portée d'une disposition de la loi - dans la charte
lorsqu'on réfère à "la loi" on réfère
à l'ensemble des lois - sauf dans la mesure prévue par l'article
52."
L'article 52, c'est la possibilité de déroger, mais il
faut que ce soit expressément introduit dans une loi. Je m'appuierai sur
l'article 53, M. le Président, qui se lit comme suit: "Si un doute
surgit dans l'interprétation d'une disposition de la loi, il est
tranché dans le sens indiqué par la charte." Que je
réfère à la Loi sur l'Assemblée nationale, à
la Loi sur le Barreau ou encore à toute autre loi, dont
l'une des dispositions dans son interprétation suivant la Loi
d'interprétation viendrait à entrer en conflit avec une
disposition de la charte ou, si on peut appeler cela un état de doute,
si le doute surgit dans l'interprétation, la charte nous oblige à
trancher dans le sens qu'elle indique. C'est ce qui me faisait dire tout
à l'heure que, plutôt que de risquer...
Ce n'est pas la question qui peut créer un tort ou un
préjudice irréparable, mais c'est la réponse. Je pense que
mon collègue de Jonquière l'a bien explicité. Si je me
mets dans les chaussures de l'honorable juge Jasmin et qu'on me pose une
question bien précise, je pourrais répondre oui, non ou, M. le
Président, je dois invoquer le secret professionnel. Si je suis la
logique du député de Mont-Royal, on va se retrouver dans la
situation que décrivait tantôt Me Lussier où le
président va se tourner vers l'honorable juge Jasmin et va lui dire: En
quoi le secret professionnel de votre ancienne cliente pourrait-il être
touché par la question que je viens de soulever? Ce n'est pas la
question, c'est la réponse parce que je devrai présumer que la
réponse devrait traduire la vérité puisque tout le monde
est sous serment devant cette commission. C'est la réponse, M. le
Président.
À partir du moment où on insisterait pour demander au
témoin, à Me Jasmin ou à toute autre personne qui a une
obligation à la confidentialité d'expliciter sa position eu
égard au secret professionnel, en l'occurrence, automatiquement, il
vient de disparaître. C'est dans ce sens que, personnellement, je serai
très scrupuleux, M. le Président, à ce sujet et, suivant
ce que l'article 53 de la charte des droits et libertés nous impose,
s'il y a un doute dans mon esprit, j'irai plutôt dans le sens de
protéger le secret professionnel. Et c'est dans ce sens que j'ai fait
mon intervention tantôt.
M. Lalonde: Si vous le permettez, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Je suis parfaitement d'accord avec cette attitude, M.
le Président. Je pense, d'ailleurs, qu'elle est dictée par les
textes. Mais le doute, il faut quand même pouvoir le cerner,
l'identifier. C'est vrai, Me Lussier disait qu'il n'y avait pas eu beaucoup de
décisions judiciaires sur la portée jusqu'à maintenant,
sauf si on peut considérer l'arrêt Trempe comme une
décision sur l'interprétation, l'application. J'ai ici devant moi
l'arrêt Trempe du juge Bernier: "L'article 9 de la Charte des droits et
libertés de la personne - c'est de cela qu'on parle - doit être
interprété restrictivement parce que dérogeant à la
règle de la contraignabilité d'un témoin."
Déjà, on a une décision qui peut réduire le doute
en ce qui concerne la portée de l'article 9. Au fond, c'est cette
portée-là. Si, M. le Président, je pose une question
à Me Jasmin: Quelle a été la conversation que vous avez
eue avec votre client, un de ceux qui ne l'ont pas libéré?
fatalement c'est assujetti au secret professionnel. Mais, tout le
problème vient du fait de la portée de ce secret professionnel
lorsque Me Jasmin -après tout ce qu'on a entendu depuis presque deux
mois ici - était présent dans le bureau du premier ministre
à Montréal et a communiqué ce que d'autres témoins
nous ont rapporté qu'il a communiqué. Est-ce que c'est couvert
par le secret professionnel lorsqu'on va voir des tiers? On peut quand
même s'appuyer en partie sur l'arrêt Trempe pour déterminer
quelle est cette portée et quelles questions sont acceptables.
Le Président (M. Jolivet): Me Lussier.
M. Lussier: D'accord. Deux courtes remarques. Je me rappelle,
pour avoir suivi les travaux de votre commission, que le député
de Marguerite-Bourgeoys a posé, à un moment donné, une
question, je crois, à M. Laliberté, à la fin de son
témoignage, à savoir si M. Laliberté dégageait, je
crois, ou déliait ses avocats de la SEBJ de leur obligation à la
confidentialité de telle sorte qu'ils puissent témoigner en toute
liberté. J'ai été frappé par la question parce que
cela dénotait, je pense, une préoccupation de placer les
témoins à une commission parlementaire dans une position
où ils peuvent témoigner en toute liberté. Je comprends
que, dans les cas où l'obligation à la confidentialité est
invoquée, cette obligation, cette capacité de témoigner en
toute liberté est affectée de façon directe. Maintenant,
sur la dernière intervention que vient de faire le député
de Marguerite-Bourgeoys, si c'est dans ce débat que nous sommes pour
entrer, éventuellement, je vous souligne qu'effectivement le
problème va se poser. Je vous souligne aussi que cela vous a
été clairement exposé par le Barreau du Québec par
la voix de Me Larivière. La compréhension que le Barreau du
Québec a de la portée de l'obligation à la
confidentialité est celle qu'on retrouve exprimée par Me
Larivière, le 28 avril 1983, et c'est celle que je crois qu'en toute
prudence je dois faire mienne par rapport au témoignage éventuel
de M. le juge Jasmin.
Là-dessus, je veux revenir à l'affaire Solosky, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys, parce que le problème que
nous avons vécu en matière de secret professionnel tel
qu'interprété par la "Common Law", n'est pas de problème
du secret professionnel tel que nous le connaissons maintenant dans la charte
des
droits. Ce n'est pas la même obligation. Le droit n'est pas le
même. C'est dans ce sens que j'ai compris l'opinion du Barreau du
Québec. C'est dans ce sens que j'ai aussi compris l'acception qu'on doit
donner à la notion de secret professionnel. J'ai eu l'occasion,
d'ailleurs, de plaider une affaire jusqu'en Cour suprême qui mettait en
cause ce droit au secret professionnel, à l'occasion d'un dossier d'aide
juridique. Dans ce dossier, il s'agissait d'une affaire de droit criminel sauf
que, pour cette affaire, le juge Lamer, je crois, a exprimé l'opinion
que c'était maintenant un droit fondamental, même en "Common
Law".
Ici, nous ne sommes pas en "Common Law", nous ne sommes pas en
matière de "privileged communication". Il ne s'agit plus ici de
communications entre un client et son avocat. Il s'agit ici, dans l'opinion du
Barreau du Québec et dans la mienne, évidemment de communications
client avocat mais aussi de toutes les démarches de l'avocat dans
l'exécution de son mandat, démarches qui seraient susceptibles de
mettre en cause la confidentialité des renseignements obtenus.
Concernant cette portée - si c'est le cas demain, selon la
décision que la présidence devra rendre - je vous
référerai - même je peux le faire tout de suite, je l'ai
ici - de façon très précise aux remarques du Barreau du
Québec à cet égard. Quand on parle de rencontres dans le
bureau du premier ministre, je vous souligne que le Barreau du Québec a
parlé de rencontres avec des confrères ou avec une tierce
personne même face à des tiers, aux passages suivants; je vais les
donner suivant l'ordre chronologique: 27 avril, ruban 843, page 1, 27 avril
encore, ruban 845, page 1: il s'agissait là de rencontres avec un
confrère ou une tierce personne, 28 avril maintenant, ruban 851 sur
l'impossibilité de témoigner sur ce qu'on appellerait des petits
bouts - c'est l'expression qui avait été employée - 28
avril, ruban 857, encore une fois face à des tiers, ruban 858 où
il est clairement exprimé que les tiers peuvent témoigner, mais
pas l'avocat. (18 h 15)
Quand M. le député de Marguerite-Bourgeoys disait:
Certains tiers sont venus témoigner, en faisant référence,
j'imagine, à M. Boivin ou à M. Gauthier, à mon sens,
c'était très clair. L'opinion du barreau était la
suivante, en réponse à une question du député de
Marguerite-Bourgeoys, et je cite la page 1 du ruban 858 du 28 avril: Ce que
j'essaie d'analyser avec vous, pour bien montrer jusqu'à quel point
l'extension de l'interprétation que le barreau fait peut créer
des situations dont on doit quand même mesurer les tenants et les
aboutissants, M. Boivin pourrait venir ici n'étant pas dans l'exercice
de ses fonctions d'avocat et nous dire tout ce que Me Jasmin lui a dit pendant
des heures, mais Me Jasmin ne pourrait pas venir nous le dire? La
réponse de Me Larivière: C'est exact. M. Lalonde: C'est ce que
vous voulez dire? La réponse de Me Larivière: C'est exact.
J'ajouterais qu'en matière de secret professionnel c'est toujours comme
cela. "On continue plus bas: "Un avocat n'est pas là pour faire de la
preuve, il est là comme auxiliaire de la justice, pour
représenter un client", il n'est pas là pour faire de la preuve
à partir de connaissances qu'il a pu acquérir dans l'exercice de
ses fonctions; c'est pour cela que le secret professionnel est là.
Cette opinion du Barreau du Québec c'est l'opinion je crois, que
nous devons, quant à nous, faire valoir. C'est l'opinion la plus
prudente, surtout en tenant compte que le litige est aussi devant d'autres
tribunaux, si vous décidez que vous êtes un tribunal au sens de la
charte.
Le Président (M. Jolivet): Je vous remercie. Je dois aussi
vous dire, comme je l'ai laissé entendre au moment où vous avez
dit: Je pourrais le faire demain, qu'effectivement il n'y aura pas d'autre
représentation faite demain. Une décision sera rendue. Une fois
la décision rendue, quelle qu'elle soit, on procédera à
l'interrogation du témoin qui sera Me Jasmin ou une autre personne.
Donc, je dois dire que ceci clôt l'ensemble des représentations
que tous et chacun avaient à faire ce soir.
La commission ajourne ses travaux à demain matin, dix heures, en
vous disant que je rendrai ma décision.
(Fin de la séance à 18 h 17)