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(Dix heures douze minutes)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission élue permanente de l'énergie et des
ressources reprend ses travaux afin d'examiner les circonstances entourant la
décision du conseil d'administration de la Société
d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite
civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu
en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de
son bureau à cet égard.
Les membres de cette commission sont: M. Dussault (Châteauguay),
M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Duhaime (Saint-Maurice), M. Bourbeau (Laporte), M.
Laplante (Bourassa), M. Gratton (Gatineau), M. Lavigne (Beauharnois), M.
LeBlanc (Montmagny-L'Islet), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Tremblay
(Chambly), M. Rodrigue (Vimont).
Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Perron
(Duplessis), M. Desbiens (Dubuc), Mme Harel (Maisonneuve), M. Paradis
(Brome-Missisquoi), M. Pagé (Portneuf), M. Doyon (Louis-Hébert),
M. Saintonge (Laprairie). Le rapporteur de cette commission est M. LeBlanc
(Montmagny-L'Islet).
Les travaux de cette journée commencent à l'instant pour
aller jusqu'à 13 heures. Nous reviendrons, à la suite d'une
motion en Chambre, après la période des questions,
c'est-à-dire vers 16 heures, 16 h 30, pour clôturer nos travaux
à 18 heures. Les invités sont Me François Aquin, Me Michel
Jetté, Me Jean-Paul Cardinal et Me Michel Jasmin.
À la fin de nos travaux, vendredi dernier, à 13 heures, la
parole devait être donnée au député de
Mont-Royal.
M. le député de Gatineau.
Les personnes convoquées
M. Gratton: M. le Président, avant qu'on aborde ou qu'on
continue les questions à nos invités de ce matin, est-ce que je
pourrais m'enquérir auprès du ministre sur l'état de
certaines demandes, notamment celle du député de Brome-Missisquoi
qui, vendredi matin, avait exprimé notre désir d'inviter Me
André Gadbois, avocat de la SEBJ? Est-ce que le ministre y a
réfléchi?
M. Duhaime: C'est tout réfléchi, M. le
Président. En principe, nous n'avons aucune espèce d'objection
à ce que Me Gadbois puisse revenir devant la commission. Je crois
même me souvenir que nous avions...
Le Président (M. Jolivet): Qu'il puisse venir, puisqu'il
n'a pas encore été invité. Il était assistant des
gens.
M. Duhaime: Je l'ai vu ici pendant une semaine. Il ne devait
être pas bien loin. Franchement!
Le Président (M. Jolivet): Mais comme invité, M. le
ministre.
M. Duhaime: II était assis dans le siège à
la place de Me Jetté. J'ai le clair souvenir de vous avoir offert de
l'assermenter, si vous le jugiez utile, pour qu'il puisse répondre
directement aux questions. Vous avez dit non. J'ai été
informé, hier, - je ne me souviens plus qui m'a donné cette
information parce que je ne voudrais pas revenir devant une autre commission
parlementaire, un jour, pour essayer de vous dire qui aurait pu me dire cela -
que Me Gadbois a subi une opération - je ne sais pas si elle est
chirurgicale ou non chirurgicale -mineure et qu'il a besoin de quelques jours
de convalescence. Cela n'a rien à voir avec nos travaux, soyez-en
assurés. Je puis vous confirmer qu'il pourrait venir devant la
commission, sauf que je ne peux pas vous donner de date, à moins que
vous ne me disiez un peu comment vous voyez le scénario des travaux.
J'ai fait faire un petit relevé, M. le Président, qui est
très éloquent. Je le garde pour plus tard.
J'ai du travail pour la semaine. Si on finit vendredi, on va faire le
nécessaire pour s'enquérir auprès de Me Gadbois. Si vous
me disiez que vous êtes prêts à siéger vendredi
après-midi et vendredi soir, on pourrait peut-être finir cette
semaine. Sinon, on finira vendredi, à 13 heures, et on ira dans l'autre
semaine. L'Assemblée nationale ajourne ses travaux avant la
Saint-Jean-Baptiste. Je veux dire que cela ne pose pas de problème.
Pour ce qui est de M. Pouliot, le député de
Marguerite-Bourgeoys m'en avait fait la demande; j'ai fait les
vérifications et, sauf erreur, M. Pouliot, à l'époque de
1978, 1979, était directeur général ou un des directeurs
généraux de son syndicat. La seule
chose que je sache de la pertinence probable de son témoignage
est le fait qu'il ait déclaré que, si cela a coûté
plus que 125 000 $ aux parties défenderesses, c'est parce que le
député de Marguerite-Bourgeoys avait interrogé le premier
ministre à l'Assemblée nationale, en mars 1979, suivant ce que
les journaux ont rapporté.
J'avoue honnêtement ne pas voir du tout le lien entre le
règlement intervenu entre la Société d'énergie de
la Baie James et les parties défenderesses et le témoignage de M.
Pouliot qui n'est pas une personne autorisée. À moins que le
député de Marguerite-Bourgeoys n'ait d'autres précisions,
je n'aurais pas l'intention de lui demander de venir devant la commission. Je
suggère au député de Marguerite-Bourgeoys que, s'il a des
comptes à régler avec M. Pouliot, il le fasse dans une autre
enceinte. Ce n'était pas une personne en autorité. Il
n'était pas président de son syndicat, à moins qu'on ne me
dise le contraire.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, je dois répondre
à cette question et je vais le faire de la façon suivante. Tout
d'abord, je refuse de demander la permission au ministre pour convoquer un
témoin. Je refuse cette approche arrogante de la part du gouvernement
qui dit: Venez nous dire ce que vos témoins vont dire et, si cela nous
plaît et si nous jugeons que c'est pertinent, nous allons les convoquer.
Ce serait, d'ailleurs, le premier témoin suggéré par
l'Opposition à être refusé...
M. Duhaime: Le deuxième.
M. Lalonde: ...si M. Pouliot n'était pas convoqué
le deuxième. Je ne me souviens pas de l'autre s'il y en a eu un
autre.
M. Duhaime: Daniel Latouche, c'était le vôtre.
M. Lalonde: Pardon?
M. Duhaime: Daniel Latouche, ce n'était pas à votre
suggestion?
M. Lalonde: Daniel Latouche est venu. M. Duhaime: Oui.
M. Lalonde: II n'a pas été refusé. M. Duhaime:
C'est ce que je dis.
M. Lalonde: Ce serait le premier à ma connaissance
à être refusé. Si les scrupules du ministre reposent sur sa
présomption que M. Pouliot ne serait appelé ici que pour venir
expliquer ce qu'il aurait déclaré dans les journaux, soit que
l'offre aurait augmenté à la suite d'une question d'un
député, que le ministre dorme en paix, il ne s'agit pas de cela
du tout. Mais je refuse tout de même de dire d'avance au ministre ce que
je crois que ce témoin peut venir donner comme éclairage à
cette commission. C'est une attitude inacceptable et nous n'allons pas entrer
dans ce jeu.
M. Duhaime: La réponse va être claire: II ne sera
pas convoqué pour la raison suivante. Je n'ai pas l'intention de donner
suite à une convocation de tout un chacun qui aurait quelque chose
à dire à un journaliste quelque part dans ce dossier, car, on va
finir l'année prochaine. Comme membre de l'Assemblée nationale,
je sais que des discussions peuvent se faire avec l'Opposition en dehors des
caméras. Je pense que le député de Marguerite-Bourgeoys
connaît ce genre de choses; nous ne le pratiquons pas tellement ensemble,
mais peut-être que cela viendra, je ne le sais pas; on va s'habituer
à travailler ensemble. Je suis prêt à l'écouter,
mais comprenez ma position. Si un permanent ou un directeur
général d'un syndicat fait une déclaration, est-ce qu'il
fait cela au nom de son conseil d'administration ou au nom de son
exécutif syndical? Le seul lien que je vois, c'est ce qui est paru dans
le journal et, si le député de Marguerite-Bourgeoys veut nous en
dire davantage ce matin, je ne veux pas qu'on perde notre temps ici et je ne
veux pas qu'on fasse perdre le temps de tout le monde également. Je ne
convoquerai pas tous les "faiseux", incluant ceux qui font du travail de
recherche bénévolement pour le Parti libéral du
Québec et qui font des déclarations ou encore écrivent des
lettres à des journaux. Ce n'est pas automatique qu'ils vont
comparaître ici, je vous préviens tout de suite.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Comment se fait-il que le ministre et même le
premier ministre ont déclaré à différentes reprises
que tous ceux et celles qui ont eu un rapport avec le problème que nous
examinons pourraient être entendus, et que, maintenant, on les refuse? M.
le Président, je vous avise - parce que c'est par vous que je dois
exprimer cet avis que l'Opposition n'acceptera pas de travailler dans ce climat
de fermeture, qui est tout à fait nouveau, d'ailleurs. Le premier
ministre disait ceci, le 23 mars 1983, c'est à la page 4 du journal des
Débats: "II me semble, M. le Président, que c'est exactement ce
que j'ai dit sans prétendre définir un mandat: tous les gens
intéressés de quelque coin qu'ils soient,
pourvu qu'ils aient un lien avec cette affaire."
Il a dit un peu plus tard: "Et là-dessus, non plus, je ne mens
pas." Je ne sais pas pourquoi cette distinction. Il a dit un peu plus loin:
"J'ajoute simplement ceci: Le mandat le plus large possible, défini
convenablement tout de môme; les témoins qui ont quelque rapport
pourront être convoqués aussi longtemps qu'on le voudra et cela,
dans les meilleurs délais. Et là-dessus, non plus, je ne mens pas
à la Chambre." Voilà ce que dit le premier ministre.
Nous apprécions cette précision, mais, s'il ne ment pas,
comme il le dit, comment se fait-il que le ministre peut se payer le luxe de
venir nous refuser un témoin qui était membre d'un syndicat? On
n'a pas abusé de représentants du côté syndical
depuis le début. Les seuls que nous avons entendus sont ceux que le
ministre a bien voulu inviter, c'est-à-dire tous les membres du conseil
d'administration de la demanderesse, la SEBJ. Je pense qu'on n'a pas
abusé, en ce qui concerne la représentation des
défendeurs. Nous allons commencer à peine aujourd'hui à
entendre leur avocat, Me Jasmin. Je vous dis que M. Pouliot doit être
entendu; il a un éclairage à donner à cette commission et
je réitère ma demande pour qu'il soit entendu.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Pour faire une histoire courte, si le
député de Marguerite-Bourgeoys insiste, je vais lui demander de
dire à la commission quel est le lien ou quel est le rapport. C'est le
droit de la commission parlementaire de prendre une décision et, si la
commission parlementaire en vient à la conclusion que M. Pouliot,
suivant ce que vous nous direz dans les minutes qui vont suivre, a un lien ou
quelque rapport, mais pertinent, au mandat et aux discussions que nous avons
depuis maintenant trois semaines, nous allons le convoquer; mais tant et aussi
longtemps que je n'en aurai pas davantage, j'avoue honnêtement que je
devrai me limiter à ce que j'ai déclaré tantôt. Je
ne le dis pas par menace ou par chantage; nous sommes ici depuis 40 heures et
32 minutes, nous entamons la neuvième journée.
M. Paradis: Des parties de journées.
M. Duhaime: Ces sont des parties de journées, oui, je suis
bien prêt à le concéder. Je pense que tout le monde avait
compris cela.
M. Paradis: C'est bon de le préciser.
M. Duhaime: Le temps utilisé par les partis à ce
jour, le parti ministériel: 9 heures 36 minutes; le parti de
l'Opposition: 23 heures et 6 minutes. Je regrette que le député
de Marguerite-Bourgeoys ait été absent vendredi matin, parce
qu'il a raté un plaidoyer de votre collègue de Gatineau sur ce
que j'appellerais un procès d'intention.
S'il y a une liste de personnes que vous voulez inviter ici, je pense
que le premier ministre l'a dit très clairement à
l'Assemblée nationale et je le réitère ce matin, s'il y a
un rapport, je vous demande de nous le dire tout de suite. Il n'y a aucun
problème avec cela. On va la régler vite la question, cela va
prendre quinze secondes.
M. Lalonde: Bon, alors, je pense que...
M. Duhaime: Si cela se limite à la déclaration de
M. Pouliot à des journaux, vous réglerez vos comptes avec lui
autrement...
M. Lalonde: Je viens de dire que cela n'a rien à voir avec
cela.
M. Duhaime: ...et vous vous servirez de votre immunité
parlementaire.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Je pense que le ministre doit prendre ma parole,
suivant le règlement: Cela n'a rien à voir avec cela. Que
quelqu'un trouve pertinent de lui poser une question là-dessus, fort
bien, je ne veux empêcher personne, au nom de la liberté de parole
qui existe ici, de poser des questions pertinentes. Mais le but que j'ai de
demander à la commission de convoquer M. Pouliot n'est pas directement
relié à ce qu'il a dit aux journaux, à savoir que les
offres auraient augmenté à la suite d'une des questions que
j'aurais posées en Chambre. C'est autre chose. Je n'ai pas à le
révéler ici. Je me suis laissé dire, et j'ai raison de le
croire, que M. Pouliot a des renseignements pertinents, qu'il occupait à
ce moment-là une fonction qui le mettait en état de
connaître des choses qu'il a à nous dire. C'est ce que je demande
à la commission. Ce n'est pas à moi de faire son
témoignage d'avance et de dire ce qu'il dirait. C'est tout ce que je
peux dire, parce que je refuse au ministre le droit d'examiner d'avance la
preuve que nous avons à offrir à la commission. Tout ce que j'ai
à dire, c'est que cela m'apparaît fort pertinent. Je demande au
ministre d'être patient, d'attendre et il sera très
intéressé par le témoignage de M. Pouliot.
Le Président (M. Jolivet): Est-ce que le ministre a autre
chose à ajouter?
M. Duhaime: Quant à moi, c'est réglé, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: J'aurais une question. Une voix: C'est
réglé.
M. Gratton: On verra, j'imagine, comment c'est
réglé, éventuellement, mais, pour le moment, il
m'intéresse de savoir...
M. Laplante: M. le Président...
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gatineau a la parole.
M. Laplante: C'est une demande de directive.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Bourassa, une demande de directive?
M. Laplante: Oui. Il faudra que vous m'écoutiez jusqu'au
bout avant de rendre votre directive. C'est très pertinent.
Le Président (M. Jolivet): Je verrai, M. le
député.
M. Laplante: Au début du témoignage des
invités qui sont ici, le député de Marguerite-Bourgeoys a
exprimé le désir de ne pas siéger pendant le
témoignage des invités qui sont ici, ne voulant pas être en
conflit d'intérêts pour avoir travaillé...
M. Lalonde: M. le Président...
M. Laplante: Voudriez-vous me laisser finir, s'il vous
plaît?
M. Lalonde: C'est une question de règlement, parce que je
veux quand même corriger...
Le Président (M. Jolivet): Question de
règlement.
M. Laplante: Non.
Le Président (M. Jolivet): Sur une question de
règlement, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: J'ai dit que, aussi longtemps que les avocats de
Geoffrion et Prud'homme témoigneraient, je désirais ne pas
participer aux débats et non pas ne pas siéger, quoique, à
ce moment-là, j'ai quitté mon siège pour ne pas tomber
dans le piège et poser une question. C'est par souci d'éthique et
pour ne pas me mettre dans une situation de conflit d'intérêts
où j'aurais l'air d'être trop méchant ou pas assez compte
tenu du fait que j'ai déjà été associé
à un ou l'autre de ces avocats.
M. Laplante: C'est justement là-dessus, M. le
Président...
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Bourassa.
M. Laplante: Toute la population a compris que le
député de Marguerite-Bourgeoys venait de faire deux
catégories d'invités à cette commission, dont une
où il y aurait probablement conflit d'intérêts. Mais le
député de Marguerite-Bourgeoys a toujours dit qu'il voulait une
lumière complète sur les allégations, sur les arrangements
de la Baie-James. Dans l'opinion publique, on a actuellement l'impression que
l'Opposition a voulu faire deux catégories. Il y a un conflit
d'intérêts en rapport avec le bureau de Geoffrion parce que le
député de Marguerite-Bourgeoys aurait travaillé avec eux.
Je me demande où est la justice pour les autres invités qui sont
ici si le député de Marguerite-Bourgeoys continue à
siéger et à questionner d'autres témoins, parce que,
semble-t-il, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, s'il y a
conflit d'intérêts, c'est parce qu'il sait des choses et il y a
des questions qu'il ne peut poser aux procureurs d'Hydro-Québec. Dans ce
cas, on peut se servir de ce qu'on sait actuellement pour essayer de
questionner d'autres invités à cette commission.
Pour le bien-être de cette commission et pour une justice - parce
que nous sommes des parlementaires avant d'être des avocats, on a une
justice à rendre à la population du Québec; on a
été élus comme députés, non pas pour
protéger un bureau d'avocats - ce serait décent que le
député de Marguerite-Bourgeoys puisse se retirer en douce de
cette commission et ne plus poser de questions.
Vous trouvez cela drôle, vous autres? C'est cela, votre
démocratie actuellement? (10 h 30)
Une voix: Son souci est venu bien tard.
M. Laplante: Oui.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît, s'il
vous plaît!
M. Laplante: Votre souci est venu tard. Je vous demande une
directive, à savoir que le député de Marguerite-Bourgeoys,
tout bonnement, puisse s'effacer de cette commission pour la protection des
autres invités qu'on peut avoir ici.
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, à
l'ordre! M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, cette intervention me
surprend, mais quand même, je vais essayer de la comprendre. Les
seuls
reproches que j'ai eus jusqu'à maintenant de m'être
abstenu, c'est que j'avais poussé trop loin, possiblement, le souci
d'éthique et que je n'avais pas réellement besoin de me retirer.
À cet égard, je veux, dans le cas de conflit
d'intérêts, appliquer les règles les plus rigoureuses pour
ne pas donner même l'impression que je puisse être en conflit
d'intérêts.
Je le répète, j'ai quitté le bureau Geoffrion et
Prud'homme au mois d'octobre 1971, cela fait quand même un bon moment. Il
y a, à la table, d'anciens associés professionnels et je ne veux
pas les mettre dans l'embarras.
M. Laplante: Même chose pour les invités.
M. Lalonde: Maintenant, je pourrais régler le
problème du député de Bourassa en allant travailler avec
les autres bureaux, mais je ne peux pas le faire rétroactivement.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gatineau.
M. Laplante: Pas de directive.
M. Gratton: Vous ne m'invitez pas à donner une
directive?
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: M. le Président, dans un autre ordre
d'idées, on indique, ce matin, sur la liste des personnes qui doivent
être entendues devant la commission après nos invités
actuels, Me Michel Jasmin, l'avocat des syndicats québécois. La
semaine dernière, j'avais compris que ce serait plutôt Me Rosaire
Beaulé, procureur du syndicat américain, qui viendrait avant Me
Jasmin. Est-ce que je peux demander au ministre s'il y a eu changement dans
l'horaire et pour quelle raison?
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Effectivement, on constate qu'il y a eu un changement
pour la raison suivante. Me Beaulé - je ne veux pas faire de
réclame à son enseigne - est un avocat qui pratique et qui a des
causes en instance devant les tribunaux. Nous avons tenté de convenir
d'une date qui lui conviendrait. Si ma mémoire est fidèle, il
avait à plaider mardi, donc hier. Il avait également une cause
pour jeudi; si je me souviens, c'était devant le tribunal de la faillite
dans un des districts judiciaires du Québec. Je ne pourrais en dire
davantage. Mais je pense qu'avec ses confrères dans ce dossier ils se
sont entendus pour que la cause procède aujourd'hui. Cela faisait
également l'affaire de l'honorable juge Jasmin qui, lui, est pris dans
une autre affaire demain. Alors, c'est la seule raison. Vous savez, au prix
qu'on paie pour recevoir les témoignages de gens qui sont dans la
pratique, je pense que la première règle est de tenter de marier
leur propre horaire avec les travaux de notre commission. Si vous voulez que je
me fasse plus rassurant, M. le député de Gatineau, j'ai eu
l'occasion de lire les journaux en fin de semaine et je pense que vous ne
perdez rien pour attendre, dans votre cas.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gatineau a-t-il autre chose à ajouter avant qu'on passe aux
questions?
M. Gratton: Oui. On verra quant à la dernière
remarque du ministre. J'accepte volontiers les raisons qu'invoque le ministre
pour avoir interverti l'ordre d'invitation des témoins. Je lui rappelle,
cependant, que lui-même et surtout le leader du gouvernement en Chambre
avaient bien dit qu'on ne ferait plus ce genre de changement qu'on avait
dénoncé au début de nos travaux. Le moins que je puisse
dire, c'est que nous aurions souhaité, quant à nous, savoir avant
les travaux de ce matin que ce n'est pas Me Beaulé qu'on entendrait
d'abord, mais Me Jasmin. Cela aurait pu faciliter notre travail de
préparation. J'inviterais le ministre, s'il doit y avoir d'autres
changements - en souhaitant qu'il n'y en ait pas, sauf pour des raisons de
force majeure - à en informer l'Opposition le plus tôt
possible.
M. Duhaime: À ce sujet, vous avez mon engagement
très clair. Je n'ai pas eu connaissance, personnellement, de tout ce qui
a pu se passer hier. Je peux vous raconter ma journée, si ça vous
intéresse. J'ai commencé à Varennes, je suis rentré
à Québec et j'ai prononcé un discours à
l'Assemblée nationale sur les crédits forestiers. J'ai
été en réunion pour discuter du problème de la
tordeuse. Ensuite, j'ai eu à discuter avec mes hauts fonctionnaires sur
des investissements miniers. J'ai passé la soirée d'hier au
Comité ministériel permanent du développement
économique dont la réunion s'est terminée à 1 h 15,
cette nuit. Alors, il y a des gens autour de moi qui font un certain nombre de
choses et soyez assuré que nous essayons d'accommoder tout le monde
à cette commission.
Je sais que le député de Gatineau n'abuse pas du temps de
cette commission. Je le dis même sans rire, ce matin, en espérant
qu'il a de bonnes intentions pour la semaine qu'on aborde. Cependant, je ne
vois pas tellement ce que cela peut déranger dans les scénarios.
Enfin, s'il y a d'autres changements, vous serez prévenus le plus
rapidement possible. J'avoue que ce n'est pas
facile de faire le va-et-vient au téléphone avec tous ces
gens-là pour le secrétariat de la commission qui
téléphone et retéléphone.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gatineau.
Mise au point de M. Gratton
sur une déclaration de Me Beaulé
M. Gratton: Je remercie le ministre de son engagement. J'aurais
un dernier point, M. le Président, avant qu'on procède. Le
ministre y a, d'ailleurs, fait allusion lui-même. On a tous lu, dans les
journaux de fin de semaine, le compte rendu des événements
survenus ici à la commission, vendredi dernier. Me Rosaire
Beaulé, procureur du syndicat américain, impliqué dans le
règlement hors cour de 1979, a interprété une
déclaration que j'ai faite devant la commission comme un abus de mon
immunité parlementaire visant à détruire sa
crédibilité comme témoin, avant même qu'il soit
invité à comparaître devant la commission. Le journaliste
Normand Girard lui attribue la déclaration suivante, dans la livraison
du 23 avril du Journal de Montréal: "Je considère sa
déclaration diffamante et contraire à la Charte des droits et
libertés de la personne. La lumière a le droit d'être
faite, mais Gratton n'a pas le droit de me diffamer."
De plus, selon le journaliste, M. Louis Falardeau, dans la Presse du 23
avril, Me Beaulé m'aurait invité "à avoir assez de courage
et de sens du fair-play pour répéter ma déclaration
à l'extérieur de l'Assemblée nationale de façon
qu'il puisse me poursuivre pour diffamation devant les tribunaux."
Face à cette accusation grave de Me Beaulé, je me sens
dans l'obligation de faire une courte mise au point. M. le Président, je
maintiens... Il y a des échos de l'autre côté, c'est
achalant!
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! M. le
député, c'est le député de Gatineau qui avait la
parole.
M. Blouin: En dehors, en conférence de presse.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!
M. Gratton: Avec vous, dehors, on va faire autre chose.
M. Blouin: Un autre avec "les bras". Deuxième cas.
M. Gratton: D'abord, M. le Président...
Une voix: Ils sont forts sur "les bras", eux.
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! Un instant,
M. le député de Gatineau.
Une voix: Un autre Desjardins.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! S'il
vous plaît! Permettez au député, en vertu de notre
règlement, d'intervenir. Si vous avez quelque chose à dire, vous
n'avez qu'à demander le droit de parole, je vous l'accorderai ensuite.
M. le député de Gatineau.
M. Gratton: Merci, M. le Président. Je dis donc que,
d'abord, je maintiens intégralement ma déclaration de vendredi
dernier. Les faits que j'ai allégués quant aux différentes
offres de règlement faites par les procureurs des syndicats, Mes Michel
Jasmin et Rosaire Beaulé, en janvier et février 1979, ont tous
été puisés dans les documents déposés devant
cette commission par le président directeur-général de la
SEBJ, M. Claude Laliberté, et par les procureurs de la SEBJ, la firme
Geoffrion et Prud'homme.
Quant aux rencontres que Mes Jasmin et Beaulé ont eues au bureau
du premier ministre avec Me Jean-Roch Boivin, chef de cabinet du premier
ministre, ou avec Me Yves Gauthier, conseiller spécial du premier
ministre, et auxquelles j'ai fait référence vendredi, elles sont
toutes rapportées dans la liste qui a été fournie aux
membres de la commission par le premier ministre lui-même.
Dans ma déclaration de vendredi, je me suis limité
à faire référence à ces offres et à ces
rencontres dans l'ordre chronologique où elles ont eu lieu en janvier et
en février 1979. Je répète ce que j'ai dit vendredi. S'il
est vrai, comme l'a déclaré le premier ministre à
l'Assemblée nationale le 20 février 1979, que des
négociations n'ont pas eu lieu dans son bureau, ce n'est pas, à
la lumière de la liste qu'il nous a lui-même fournie, parce qu'il
n'y a pas eu d'occasion de négocier durant cette période
où les procureurs de la SEBJ, soit la firme Geoffrion et Prud'homme,
n'avaient pas encore le mandat de négocier sur le montant du
règlement, c'est-à-dire jusqu'au 7 février 1979.
La question que j'ai posée, vendredi, à savoir qui avait
négocié avec les procureurs des syndicats, demeure toujours aussi
pertinente aujourd'hui. Je crois toujours que c'est là une des
principales tâches de cette commission que d'établir qui a
négocié. Quant à l'appel de Me Beaulé à mon
courage et à mon sens du fair-play pour répéter ma
déclaration à l'extérieur de l'Assemblée nationale
où je ne serais pas protégé par mon immunité
parlementaire - ce qui lui permettrait de me poursuivre pour diffamation - je
déclare être prêt à le faire, mais pas avant que la
commission ait
terminé ses travaux et qu'une conclusion ait été
tirée à l'Assemblée nationale sur toute cette affaire.
M. Tremblay: Le courage, d'abord.
M. Gratton: Car, si je devais le faire avant, M. le
Président...
M. Laplante: Plus d'immunité parlementaire.
M. Gratton: ...je risquerais de compromettre la bonne marche des
travaux de la commission, puisque toute discussion de cette affaire pourrait
être interdite durant toute la durée d'une poursuite
éventuelle, fondée ou pas. Je n'ai aucune intention de concourir
à permettre à quiconque de saborder nos travaux avant que nous
nous soyons acquittés du mandat qui nous a été
confié par l'Assemblée nationale, soit de faire toute la
lumière autour de ce règlement hors cour.
Les propos de Me Beaulé m'amènent, enfin, à
répéter ici ce que disait le député de
Marguerite-Bourgeoys, mardi dernier, à la suite des insultes dont les
membres libéraux de cette commission avaient été la cible
de la part du premier ministre. Quelles que soient les humeurs du premier
ministre ou de toute autre personne impliquée dans ce dossier, nous ne
nous laisserons pas intimider et nous ne nous laisserons pas dicter une
façon de procéder qui pourrait nous empêcher de faire notre
travail de la manière qui nous paraît la mieux indiquée
dans le respect du règlement de l'Assemblée nationale. Je le
répète également à l'intention du ministre de
l'Énergie et des Ressources qui, lui aussi, a eu ses sautes d'humeur qui
l'ont amené à apprécier notre travail à sa
manière. Il nous a relu plusieurs fois la semaine dernière les
mêmes passages d'un éditorial de Marcel Adam dans la Presse.
J'aimerais à mon tour lui citer un court passage du billet de Lysiane
Gagnon dans le même journal, samedi dernier. En parlant du premier
ministre, elle écrivait: "II est inadmissible qu'un homme investi d'une
pareille autorité se livre à de tels abus verbaux, qu'il semble
incapable de se contrôler et qu'il ne tolère même plus que
l'Opposition joue son rôle. Tenez-vous bien, M. le ministre, un
rôle d'ailleurs qu'elle joue très convenablement pour autant qu'on
puisse en juger à la télévision." Plus loin elle
enchaînait: "II est parfaitement normal que l'Opposition, qu'il s'agisse
des libéraux cette année ou des péquistes qui ont fait la
même chose entre 1970 et 1976, tente d'en savoir plus long sur une
question d'intérêt et qu'elle contre-interroge les
témoins".
M. le Président, n'en déplaise au premier ministre, au
ministre de l'Énergie et des Ressources ou à quiconque, c'est ce
que nous entendons continuer de faire et ce, jusqu'à ce nous sachions
vraiment qui a fait quoi dans toute cette affaire. En particulier, à
l'intention de Me Beaulé qui m'accuse de l'avoir diffamé en
insinuant, semble-t-il, des choses concernant son comportement, je dis que je
n'ai rien insinué. Je n'ai porté aucun jugement sur son
comportement. Je ne l'ai pas fait, parce que, justement, j'estime que c'est
seulement lorsque la commission aura terminé ses travaux que moi et les
autres membres de la commission serons en mesure de le faire en connaissance de
cause. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Je voudrais remercier le député de
Gatineau et le féliciter sur un point. Je pense qu'il reconnaît,
ce matin, que, vendredi dernier, la partie de son intervention dans laquelle il
formulait des conclusions était, suivant ce que j'ai compris ce matin,
prématurée. Je suis heureux de constater que, la sagesse lui
étant revenue, il va tirer des conclusions lorsque tous nos travaux
seront terminés. Je ne sais pas si quelqu'un écoute pour Me
Beaulé la déclaration qui vient d'être faite, qui va sans
doute le rejoindre par la télévision, mais je ne puis pas faire
plus que prendre acte du fait que le député de Gatineau s'est
engagé, devant cette commission parlementaire, à
répéter ce qu'il avait dit vendredi dernier, mais lorsque les
travaux seront terminés. C'est ce que j'ai bien compris. Ensuite, chacun
prendra ses décisions.
Quant au billet de Mme Lysiane Gagnon, on apprécie toujours la
lecture de ses écrits, parfois avec beaucoup d'humour. Je vous dirai
qu'il y a toujours une ou des exceptions qui confirment la règle et
l'impression générale. Je n'aurai pas d'autres commentaires
à faire sur ce que Mme Lysiane Gagnon écrit.
M. Gratton: En vertu de l'article 96, très
brièvement.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gatineau. (10 h 45)
M. Gratton: Je ne peux permettre au ministre de tirer des
conclusions sur ce que je viens de dire qui seraient autres que celles que j'ai
moi-même tirées. Je ne reconnais pas avoir tiré des
conclusions de façon prématurée, vendredi dernier, dans ma
déclaration. Je m'en tiens à la déclaration que j'ai faite
ce matin, c'est-à-dire une constatation des faits et d'avoir posé
des questions. J'espère que le ministre ne me fera pas, lui non plus, de
procès d'intention.
Le Président (M. Jolivet): Cela étant
fait, en sachant, cependant, que le but de la rencontre de ce matin
était de continuer les questions qu'on avait à poser à nos
invités et que, finalement, à 10 h 45, nous débutons, je
donne donc la parole au député de Mont-Royal, en espérant
qu'on se dirigera vers cette façon d'agir pour le reste des travaux.
Témoignages
Mes François Aquin, Michel Jetté et
Jean-Paul Cardinal (suite)
M. Ciaccia: Certainement, M. le Président. Je vous
remercie. MM. les procureurs, ne vous sentez pas des invités de
deuxième catégorie. J'espère que vous sentez que vous
êtes des invités sur le même pied d'égalité
que tous les autres, en dépit des propos du député de
Bourassa.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Mont-Royal, allez donc aux questions.
M. Gratton: Allons donc.
M. Ciaccia: M. Cardinal, M. Aquin ou M. Jetté, juste pour
préciser la déclaration de transaction, le règlement hors
cour, quelles sont les principales modalités - juste pour résumer
- de ce règlement, grosso modo?
M. Aquin: Vous parlez de résumer la formule de
transaction?
M. Ciaccia: Non, juste les principales modalités, le
contenu de ce règlement.
M. Aquin: Si on regarde le contenu de la formule de
transaction...
M. Ciaccia: Par exemple, je présume que le montant serait
une des modalités.
M. Aquin: Prenons la formule finale, celle du 12 mars à la
page 156. Si on parle de la formule de transaction elle-même, vous avez
la déclaration des syndicats québécois, vous avez un aveu
de responsabilité du local 791, vous avez un aveu de
responsabilité nuancé du Conseil provincial du Québec des
métiers de la construction, vous n'avez pas d'aveu de
responsabilité des autres syndicats. La Société
d'énergie de la Baie James a un texte purement déclaratoire et,
évidemment, non pas dans le texte, mais dans la transaction, le montant
clé est le montant du règlement.
M. Ciaccia: Alors, d'après vous, si je comprends bien, les
principales modalités seraient le montant - sans porter jugement sur le
montant - et les aveux de responsabilité.
M. Aquin: Les aveux de responsabilité.
M. Ciaccia: Très bien. Merci. Avez-vous fait rapport, M.
Aquin ou M. Cardinal, à Me Gadbois des interventions du bureau du
premier ministre?
M. Cardinal: D'abord, le fait que les avocats soient allés
au bureau du premier ministre est une chose qu'on savait plus ou moins. C'est
seulement ici qu'on a appris vraiment le nombre de fois et les dates. Quant
à moi, personnellement, je pense qu'une fois je suis parti directement
du bureau de M. André Gadbois pour aller au bureau de M. Jean-Roch
Boivin, mais cela ne l'a pas étonné, parce que cela m'arrivait
souvent, en dehors de cette cause, quand j'étais à
Hydro-Québec, de faire cela quelquefois. Je pense que M. André
Gadbois, en tout cas, savait que j'étais allé voir M. Boivin,
mais il ne savait pas pourquoi et je n'ai pas eu l'occasion de lui rapporter
quoi que ce soit, parce que, lorsque M. Boivin nous a dit, le 2 février,
que le premier ministre avait déjà rencontré les P.-D.G.,
c'est une chose que M. Gadbois savait. Je pense que c'est lui qui me l'avait
dit le matin et, quand, le 27 février, je suis allé dire bonjour
à M. Jean-Roch Boivin, je suis parti en vacances et je n'ai pas
rapporté cela à M. André Gadbois.
M. Ciaccia: Par exemple, M. Aquin, le 26 janvier, quand M.
Gauthier nous a confessé que les adversaires se rendaient au bureau du
premier ministre, en avez-vous parlé à votre client?
M. Aquin: À M. Gadbois, non. Je penserais que M. Cardinal
a peut-être parlé à M. Gadbois - il répondra - ou
peut-être moi de la rencontre du 2 février avec M. Boivin.
M. Ciaccia: Mais vous n'avez pas parlé de la rencontre
avec M. Gauthier. En avez-vous parlé à d'autres? À M.
Saulnier, par exemple?
M. Aquin: Non, absolument. Je ne suis même pas sûr
d'en avoir parlé à M. Cardinal. Je vous ai dit pourquoi:
C'était un renseignement que je voulais à titre privé;
alors, il n'y avait aucune...
M. Ciaccia: Mais avez-vous parlé du lunch que vous avez eu
avec M. Boivin le 2, avec M. Laliberté?
M. Aquin: Ah non, pas du tout.
M. Cardinal: Pas avec M. Laliberté.
M. Aquin: La seule possibilité est que M. Cardinal en ait
parlé à M. Gadbois. Je le
laisse répondre.
M. Cardinal: C'est cela. On n'en a certainement pas parlé
à d'autres, mais ce n'est pas impossible qu'à la suite du lunch
j'aie dit à André Gadbois: M. Boivin m'a annoncé ce midi
ce que tu m'avais dit ce matin. Sûrement une chose dans ce
genre-là, mais on n'a jamais fait rapport parce qu'on n'avait rien
à dire.
M. Ciaccia: Par exemple, avez-vous fait rapport à vos
clients de l'appel téléphonique de M. Jean-Roch Boivin à
M. Aquin le 8 février?
M. Aquin: Je ne penserais pas. J'en ai parlé à M.
Cardinal. Je ne sais pas s'il en a parlé après. Moi, je n'ai pas
fait de rapport.
M. Ciaccia: Alors, si je comprends bien, vous n'avez pas fait
rapport de ces discussions que vous avez eues, soit avec M. Boivin, soit avec
M. Gauthier; vous n'avez pas jugé bon que votre client soit au courant
de ces conversations et des discussions qui ont eu lieu avec le bureau du
premier ministre?
M. Aquin: Je comprends que c'est à moi que vous posez la
question, M. Ciaccia. Pour répondre à votre question, je suis
obligé de référer aux trois dates. Dans le cas de M.
Gauthier, je n'avais pas à faire rapport. C'est une information que je
voulais savoir à titre privé et je l'ai eue. Le client aurait
peut-être pu nous le mentionner, si le client le savait. Je ne l'ai
communiquée à personne, sauf à M. Cardinal. Le lunch que
nous avons eu avec M. Boivin, je suis à peu près sûr que M.
Cardinal, qui, lui, faisait généralement le lien avec le client,
en a parlé. L'appel téléphonique que j'ai reçu de
M. Boivin, j'en ai peut-être parlé à M. Cardinal, mais
comme c'est un appel téléphonique purement interrogateur qui ne
changeait rien à la situation, je ne me suis pas senti dans l'obligation
d'en faire rapport, non plus, à qui que ce soit.
M. Ciaccia: M. Cardinal, sur la discussion que vous avez eue avec
M. Boivin lors du lunch le 2 février, avez-vous fait un rapport?
M. Cardinal: C'est fort possible et même probable que j'en
aie parlé à André Gadbois, mais ce n'est pas une chose
à laquelle on attachait beaucoup d'importance à l'époque.
J'aurais rapporté à mes clients des négociations et des
instructions, mais ce n'était pas le cas. À part cela, quand on
rencontre le chef de cabinet du premier ministre, ce n'est pas une chose qui me
semble, à moi, en tout cas, répréhensible ou scandaleuse.
En effet, à l'occasion de cette cause, j'ai rencontré d'autres
conseillers d'autres premiers ministres, parce qu'on préparait notre
cause depuis 1975.
M. Ciaccia: Non, je n'ai pas suggéré que rencontrer
quelqu'un dans le bureau du premier ministre devrait être
répréhensible ou scandaleux; je voulais seulement savoir si, dans
le contexte de l'importance du sujet du règlement, spécialement
lorsque vous appreniez que vos adversaires faisaient directement affaires avec
vos clients, vous aviez rapporté vos discussions avec M. Boivin.
M. Cardinal: Ce n'était pas si clair que cela dans le
temps que les avocats des unions se promenaient dans le bureau du premier
ministre, pour nous. C'est certainement une chose qu'on a apprise en cours de
route. On l'a apprise définitivement ici.
M. Ciaccia: Oui, je réfère encore au 26 janvier
lorsque M. Gauthier a confirmé qu'il avait eu des rencontres...
M. Cardinal: Ce n'est pas une chose qu'on ignorait, mais on n'en
savait pas vraiment l'ampleur.
M. Ciaccia: Vous ne vous souvenez pas dans quels termes vous
auriez fait rapport à vos clients de vos rencontres avec M. Boivin ou
des pourparlers avec d'autres personnes, soit M. Gauthier?
M. Cardinal: Pour répondre précisément
à votre question, je n'ai pas fait rapport officiellement à mes
clients de cela. Je leur en ai parlé probablement, mais je n'ai pas fait
un rapport comme tel.
M. Ciaccia: Entre le 1er octobre 1978 et le 6 mars 1979, pour
situer ces dates, avez-vous remis ou transmis des documents, lettres, projets
ou autres, relatifs à ce règlement, à M. Jean-Roch Boivin?
Je vais le demander à chacun. M. Aquin?
M. Aquin: Non, d'abord, nous n'en avons pas transmis et,
deuxièmement, au 1er octobre, il n'était pas du tout question de
transactions. Alors, pour les transactions, les documents commencent à
se confectionner en janvier, février et mars. Je n'ai rien transmis
personnellement.
M. Ciaccia: Est-ce que M. Boivin lui-même vous aurait
transmis ou remis des documents durant la même période?
M. Aquin: Non.
M. Ciaccia: M. Cardinal?
M. Cardinal: Moi, non plus.
M. Ciaccia: Vous, non plus. M. Jetté?
M. Jetté: Dans mon cas, non plus.
M. Ciaccia: À la réunion du 9 janvier 1979, le
conseil d'administration de la SEBJ, après avoir eu une rencontre avec
les procureurs, donc votre bureau, décide de maintenir et de continuer
la poursuite. C'est confirmé dans le procès-verbal. M. Aquin,
est-ce que vous avez parlé à Me Beaulé ou à Me
Jasmin de votre rencontre avec le conseil d'administration du 9 janvier?
M. Aquin: Non.
M. Ciaccia: M. Cardinal?
M. Cardinal: Je n'étais pas là. M. Jetté
était là.
M. Jetté: Je ne pense pas. Je ne pense vraiment pas que
j'en aie informé qui que ce soit.
M. Ciaccia: Mais même si vous n'étiez pas là,
M. Cardinal, vous avez sûrement eu...
M. Cardinal: Vous avez raison.
M. Ciaccia: ...un rapport de vos collègues de ce qui s'est
produit. Est-ce que vous en auriez parlé à M. Beaulé ou
à M. Jasmin?
M. Cardinal: Non, M. le Président.
M. Ciaccia: Avez-vous eu des rencontres ou des conversations
téléphoniques avec M. Jean-Roch Boivin entre le 25 février
et le 6 mars 1983, il y a quelques semaines?
M. Aquin: Entre le 25 février et le 6 mars? M. Boivin,
à ma connaissance, est venu deux fois à notre bureau. Il a
rencontré M. Cardinal une fois et moi, je l'ai vu quelques minutes. Je
pense qu'il venait vérifier de la sténographie ou des
pièces de la contestation liée du dossier. Il est revenu aussi
pour voir d'autres documents. Je ne pourrais pas vous dire la date. Il me
semble que c'est il y a deux semaines. Je l'ai rencontré quelques
minutes. Nous avons échangé très brièvement.
M. Ciaccia: Est-ce qu'il y a eu des discussions sur le
saccage?
M. Aquin: Non, il n'y a pas eu de discussions sur la substance de
la commission parlementaire. Je pense qu'il voulait lire des pièces de
la contestation liée. M. Cardinal pourra vous dire ce qu'on a mis
à sa disposition ou des bouts de la sténographie.
Je sais aussi que - je l'ai rencontré quelques secondes - M.
Beaulé avait demandé la permission, je pense que c'était
à M. Jetté, de venir lire des bouts de la sténographie.
Nous sommes les seuls qui détenons toute la sténographie de
toutes les enquêtes. On l'a gardée. Quand j'ai vu M. Boivin, il
n'y a pas eu d'autres choses. Je lui ai dit tout simplement comment je voulais
procéder. Mon exposé n'était même pas fait à
ce moment-là, il n'a pas été question de le lui
communiquer. J'ai dit tout simplement comment je voulais procéder en
faisant un exposé général de tout ce que j'avais fait.
M. Ciaccia: Durant votre rencontre avec M. Boivin, est-ce qu'il y
a eu des conversations téléphoniques?
M. Aquin: Non.
M. Ciaccia: M. Cardinal?
M. Cardinal: Moi, je suis allé chez M. Boivin dans le
Nord. Nos femmes nous ont dit que, si on parlait de la commission
parlementaire, elles nous mettraient dehors. Vraiment, je n'en ai pas
parlé.
M. Ciaccia: Alors, il n'y a pas eu de discussions sur le
saccage?
M. Cardinal: Non, pas du tout.
M. Ciaccia: Mais vous l'avez rencontré durant cette
période sans parler de...
M. Cardinal: Oui. J'en ai parlé une fois à notre
bureau. L'autre fois, on n'en a pas parlé, non pas par principe, mais
volontairement, parce qu'on voulait vraiment avoir des vacances et non pas
parler d'affaires.
M. Ciaccia: Pendant qu'il était à votre bureau avec
vous, est-ce que vous avez eu connaissance qu'il avait eu une conversation
téléphonique?
M. Cardinal: Non, il n'y a pas eu de conversation
téléphonique.
M. Ciaccia: Non plus que M. Boivin ait eu une conversation
téléphonique avec d'autres pendant qu'il était à
votre bureau?
M. Cardinal: Non.
M. Ciaccia: Je voudrais revenir à la période du 1er
février au 12 février. Il me semble que cette période de
1979 était assez importante et je voudrais en faire un petit
résumé. Je voudrais le faire à l'aide de quelques
questions. (11 heures)
Si je comprends bien, le 1er février,
dans le contexte des rencontres, à ce moment-là, vous
n'aviez pas le mandat de négocier. Vous aviez seulement le mandat de
préparer un projet de transaction et d'écouter les offres que les
parties adverses pourraient vous faire. Est-ce exact?
M. Aquin: Oui.
M. Ciaccia: Alors, je voudrais juste faire un petit
résumé pour situer les questions que je vais vous poser.
Si on se rappelle, le 1er février, il y a eu la rencontre au
bureau du premier ministre. MM. Boyd, Claude Laliberté, Lucien Saulnier
se rendaient au bureau du premier ministre où M. Jean-Roch Boivin
était présent. Durant cette rencontre, le premier ministre a fait
savoir qu'il souhaitait un règlement hors cour dans le langage que tout
le monde connaît. Il a vraiment pris une position assez claire selon
laquelle il voulait un règlement.
Le 2 février, M. Boivin vous a invités,
c'est-à-dire MM. Cardinal et Aquin, à dîner au restaurant
Le Piémontais et, là, M. Boivin vous a informé de la
réunion du 1er février. Il vous a informés
également que MM. Michel Jasmin et Rosaire Beaulé devaient vous
faire parvenir des rapports sur les difficultés de recouvrement et la
situation financière des syndicats québécois. M. Aquin a
parlé à M. Boivin de divers textes de règlement qu'il
avait rédigés. Si je comprends bien, M. Boivin lui aurait dit
-cela est au ruban 692 du journal des Débats - "Si vous faites quelque
chose, ne vous accrochez pas uniquement à des papiers, à des
textes de transaction." Cela c'est au cours du lunch du 2 février.
M. Aquin: La dernière phrase, c'était de ne pas
faire passer l'accessoire devant le principal.
M. Ciaccia: Les mots que je cite, c'est: "Si vous faites quelque
chose, ne vous accrochez pas uniquement à des papiers, à des
textes de transaction." Je cite textuellement le journal des Débats.
Le 6 février, le conseil d'administration mandate le bureau de
ses procureurs d'explorer auprès des procureurs des défendeurs,
la possibilité d'un règlement hors cour sur la base d'une
reconnaissance par tous les organismes défendeurs de leur
responsabilité pour les dommages et du paiement à la SEBJ d'une
somme d'argent qui pourrait lui être acceptable. Le tout, sous condition
que les actions instituées par les compagnies d'assurances contre les
mêmes défendeurs soient réglées
préalablement.
Le conseil d'administration prend connaissance des projets de
règlement rédigés par MM. Michel Jasmin et Rosaire
Beaulé proposant 125 000 $ en dédommagement. Le 6 février,
la décision est prise. Le 7 février, M. Gadbois écrit
à M. Cardinal pour lui confirmer le mandat d'explorer la
possibilité d'un règlement hors cour à la condition que
tous les défendeurs reconnaissent leurs responsabilités.
Le 12 février, vous faites rapport de vos négociations. Le
1er février, il y a la réunion avec le premier ministre. Le 2
février, vous rencontrez M. Jean-Roch Boivin. Le 6 février, le
conseil d'administration décide de donner un mandat. Le 7
février, vous êtes avisés. Le 12 février, M.
Cardinal écrit à M. Gadbois pour faire rapport du mandat qu'il a
reçu le 6 février. La lettre dit que l'offre globale faite par
certains défendeurs a été augmentée de 125 000 $
à 175 000 $, soit 100 000 $ pour la SEBJ et 75 000 $ pour les assureurs.
De plus, il est fait rapport sur la reconnaissance ou non de leur
responsabilité par les divers défendeurs.
Revenons à la réunion du 9 février. Le 9
février, M. Cardinal, vous avez admis être allé au bureau
du premier ministre pour rencontrer M. Jean-Roch Boivin. À la page 704,
du journal des Débats vous dites ceci: "Quant à ma rencontre du 9
février 1979, mon nom apparaissant dans les registres, je suis sûr
que j'y suis allé. Je suis sûr également que si j'y suis
allé, j'ai parlé avec M. Boivin des procédures qui
étaient en cours et des règlements qui se faisaient."
Est-ce que vous vous souvenez de l'heure à laquelle vous
êtes allé voir M. Boivin?
M. Cardinal: Je ne me souviens même pas d'y être
allé. Je me rends seulement à l'évidence que j'y suis
certainement allé. Le 9 février 1979, vraiment je ne sais pas
où j'étais. Et, comme dans tous les rapports qu'on a
préparés pour la commission, ce n'est pas tellement le souvenir
que nous en avons quand nous racontons ces choses-là, c'est parce qu'on
a reconstitué, avec des documents, les événements qui se
sont passés. Mais celui du 9 février, je n'ai vraiment rien sur
quoi appuyer ma mémoire.
M. Ciaccia: La raison pour laquelle vous auriez pu,
peut-être, vous en souvenir, c'est le contexte. C'était vraiment
une période cruciale dans tout le processus, quand on parle des
réunions... Finalement, cela aboutissait à des décisions,
à un mandat, à un mandat plus précis. Là, vous
êtes allé voir M. Boivin. Est-ce qu'il y aurait eu quelqu'un
d'autre à cette réunion? Je voudrais seulement vous rappeler la
réponse que vous avez donnée à cette question à mon
collègue, le député de Laprairie. Vous avez dit que vous
ne vous souveniez pas, mais vous n'avez pas nié qu'il y avait
peut-être quelqu'un d'autre.
M. Cardinal: Je ne pense pas avoir dit cela, non. Mais je suis
bien mal placé pour dire: premièrement, je ne m'en souviens pas
et, deuxièmement, je me souviens qu'il y avait quelqu'un.
M. Ciaccia: Sur la liste fournie par le bureau du premier
ministre...
M. Cardinal: On voit que M. Jasmin y était aussi, cette
journée-là.
M. Ciaccia: Oui. On voit que le 9 février, Michel Jasmin
était au bureau du premier ministre. Et on voit que le 9 février,
Me Jean-Paul Cardinal était au bureau du premier ministre.
Je voudrais demander au ministre: Est-ce que vous pourriez
déposer ou nous donner communication du registre démontrant les
visites et les heures auxquelles les différentes personnes ont
visité le bureau du premier ministre?
M. Duhaime: Je vais m'informer avec plaisir, M. le
Président. Je ne suis pas en mesure de dire si ce registre tient compte
des heures. Je n'ai jamais signé dans ce registre.
M. Ciaccia: Oui, il tient compte des heures.
M. Duhaime: Je vais m'informer.
M. Ciaccia: Et, est-ce que vous pourriez le déposer
à la commission parlementaire?
M. Duhaime: Sous réserve, oui.
M. Ciaccia: Sous réserve de quoi?
M. Duhaime: C'est qu'il y a peut-être...
M. Ciaccia: Je pourrais peut-être porter à votre
attention...
M. Duhaime: ...d'autres personnes qui se rendent voir le premier
ministre en une journée. Si vous voulez avoir l'ordre du jour complet du
premier ministre, sur toute et chacune de ses allées et venues. Est-ce
que vous me demandez, si je comprends bien votre question, de voir s'il n'y a
pas moyen, à partir du registre, de mettre des heures sur les dates et
les noms qui apparaissent sur les listes qui ont déjà
été déposées? Alors, je vous réponds que,
dans la mesure où ces documents sont disponibles, oui, je vais le faire
avec plaisir. Est-ce que vous avez compris ma réponse?
M. Ciaccia: J'ai compris votre réponse, M. le ministre.
Mais je voudrais attirer votre attention sur les informations que M.
Laliberté nous a données, en parlant du 1er février
et des heures où il a pu y avoir une rencontre avec le bureau du premier
ministre. Je lis, à la page 243 du journal des Débats...
M. Duhaime: Quel ruban?
M. Ciaccia: Le ruban 243, page 1. M. Laliberté dit: "C'est
bien le 1er février..." -on lui avait demandé si la
réunion était le 1er février - "Nous avons les
enregistrements de l'accès au bureau du premier ministre. Nous avons
consulté ces enregistrements." Alors, plus tard, seulement pour corriger
ce qu'il a dit, il dit: "Est-ce que je pourrais faire une correction, je
m'excuse, au sujet de la rencontre du 1er février: ce ne peut être
dans le registre des signatures parce que cette réunion, cette
rencontre, a eu lieu à 18 heures et, effectivement, il n'y a rien dans
les registres. Donc, c'est plutôt dans mon agenda." Ce qui a
été confirmé, évidemment, par les autres
participants à cette réunion. Autrement dit, après 18
heures, ce n'est pas enregistré. Mais, voici un fonctionnaire, un
P.-D.G. de la SEBJ qui a accès - c'est un des témoins, un des
invités devant cette commission - au registre du bureau du premier
ministre. Il me semble que, nous, comme parlementaires, nous devrions avoir le
même droit. C'est pour cela que je vous demandais quelles sont vos
réserves. Je voudrais que vous preniez l'engagement que vous allez nous
fournir ce registre.
M. Duhaime: Non, je ne m'engage pas à vous fournir tout le
registre qui peut exister à Hydro-Québec. Ce que je vous dis,
c'est que je vais demander des informations...
M. Ciaccia: Seulement pour cette journée du 9.
M. Duhaime: ...pour voir si on peut mettre des heures sur les
dates qui apparaissent sur les deux listes qui ont été
déposées par le bureau du premier ministre, étant bien
convaincu d'avance que vous pourrez comparer le document que je
déposerai avec celui que vous avez en main, afin de voir si cela
correspond.
M. Ciaccia: On voudrait connaître les heures
d'entrée et de sortie des différents invités qui se sont
rendus au bureau.
M. Duhaime: Je dois vous dire que vous avez d'excellents
recherchistes et, si ces documents sont disponibles, je vais les
déposer. Cela fait trois fois que je vous le dis. J'ajoute que vous
pourrez comparer ces heures, ces dates et ces noms avec le document que vous
avez en main, peut-être pas sous vos yeux, mais vous pourrez les
confronter. On n'a absolument rien à cacher là-dedans.
Tout ce que je dis est sous réserve, pour autant que ces documents
seront disponibles. Je ne les ai jamais vus. J'ai appris ici, en commission
parlementaire, qu'il existait un registre. Je n'ai jamais eu à le
signer. Je dois conclure, pour ma propre gouverne, qu'à chaque fois
où je mets les pieds à Hydro-Québec, il y a quelqu'un qui
prend mon nom et qui inscrit l'heure quelque part. On verra. Ce doit être
pour la postérité. Tout de même, je vais m'informer et je
vous donnerai une réponse dès cet après-midi.
M. Ciaccia: Merci. M. Cardinal, le but de mes questions est
d'essayer de porter certains faits à votre attention afin de
rafraîchir votre mémoire, car je sais qu'il est difficile de se
souvenir de certaines rencontres et des dates précises. J'espère,
en vous rapportant ces faits et en vous rappelant certains aspects du
règlement ainsi que certaines choses qui sont contenues dans les
registres, que cela pourrait vous aider à vous rafraîchir un peu
la mémoire pour qu'on puisse vraiment arriver à obtenir certaines
informations.
Si je vous disais que, le 9 février, d'après les registres
du bureau du premier ministre, M. Jasmin est entré au bureau du premier
ministre pour voir M. Jean-Roch Boivin à 14 h 20 et que l'heure de son
départ est inscrite à 17 h 15. Vous êtes inscrit, dans le
même registre, chez le même destinataire, M. Jean-Roch Boivin,
à 16 h 30 heure d'arrivée et à 17 h 05, heure de
départ. Est-ce que cela vous dit quelque chose?
Le Président (M. Jolivet): Un instant! M. le ministre.
M. Duhaime: Je voudrais savoir pourquoi le député
de Mont-Royal m'a demandé de m'enquérir des heures? Est-ce que
celles que vous avez ne sont pas celles que vous souhaiteriez avoir?
M. Ciaccia: Non. C'est l'information que nous avons. La raison
pour laquelle je vous l'ai demandé est parce que je voudrais avoir
officiellement la confirmation de ces heures. Ce sont les heures qui
étaient indiquées au registre et que nous avons obtenues. Elles
devraient être les mêmes.
M. Duhaime: Vous avez une photocopie, cela devrait être
bon. Ne me faites pas travailler pour rien.
M. Ciaccia: Non, mais on voudrait avoir une confirmation. C'est
la seule...
Une voix: Ce n'est pas son rôle.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! M. le
député de Mont-Royal, vous avez la parole.
M. Ciaccia: Oui. Je voulais seulement le demander à M.
Cardinal, personnellement.
M. Cardinal: Si vos renseignements sont exacts, M. le
député de Mont-Royal, j'aurais été une demi-heure
dans le bureau du premier ministre pendant que M. Jasmin y était.
M. Ciaccia: Pardon? Vous étiez...
M. Cardinal: Si vos renseignements sont exacts, pendant une
demi-heure ou 35 minutes, j'aurais été physiquement dans le
bureau du premier ministre pendant que Me Jasmin y était aussi.
M. Ciaccia: Est-ce que vous vous souvenez...
M. Cardinal: Ce qui ne veut pas dire nécessairement qu'on
aurait été tous les deux dans le bureau de M. Jean-Roch Boivin,
par exemple. Mais enfin, c'est sans...
M. Ciaccia: C'était le même destinataire et les
heures sont...
M. Cardinal: Oui. Il est bien sûr que, parlant pour moi, si
j'étais là le 9 mai, ce n'était pas pour voir d'autre
personne que M. Jean-Roch Boivin. Je ne connais personne d'autre à part
lui.
M. Ciaccia: Alors, vous ne vous souvenez pas d'avoir
rencontré M. Jasmin ou d'avoir...
M. Cardinal: Non. Vraiment.
M. Ciaccia: M. le Président, pour le moment, je n'ai plus
d'autre question. Merci.
Le Président (M. Jolivet): Cela va. M. le
député de Châteauguay. (11 h 15)
M. Dussault: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord
commencer par rappeler que, si nous sommes ici, à l'Assemblée
nationale en commission parlementaire de l'énergie et des ressources,
pour discuter du saccage de la Baie-James, c'est parce qu'il y a eu, un jour,
le 17 mars 1983, un article dans la Presse signé du journaliste Michel
Girard qui disait textuellement ceci: "Le chef du gouvernement du
Québec, René Lévesque, a induit l'Assemblée
nationale en erreur lorsqu'il a déclaré, le 20 février
1979, que le bureau du premier ministre n'avait aucunement été
impliqué dans les négociations du règlement, je
répète, dans les négociations du règlement hors
cour
intervenu dans la poursuite intentée par la Société
d'énergie de la Baie James (SEBJ Hydro-Québec) contre la FTQ
construction à la suite du saccage de la Baie-James."
J'ai fait une intervention, M. le Président, à la
commission parlementaire jeudi dernier où je faisais des distinctions
à caractère sémantique en distinguant les mots
"règlement" et "négociation". Je pense d'ailleurs que nos
invités, ce matin, étaient présents lorsque j'ai fait
cette intervention et c'est dans cette lignée que je vais leur poser
deux questions.
Je voudrais savoir de chacun, comme avocats, s'ils font habituellement
une distinction entre une négociation d'un règlement et un
règlement comme tel? Je voudrais savoir de la part de Me Aquin d'abord.
Vous comme avocat, dans votre travail quotidien habituel, est-ce que vous
faites une distinction entre une négociation de règlement et un
règlement comme tel? Est-ce que les nuances entre les deux sont
suffisamment importantes pour que, dans votre travail, vous en teniez
compte?
M. Aquin: Oui, j'en tiens compte. La seule chose, c'est que vous
avez dit avoir fait une distinction entre les deux et de laquelle je ne me
souviens pas parfaitement. Est-ce que vous pourriez me la rappeler?
M. Dussault: Oui, à partir du dictionnaire, j'ai dit que
la négociation était une série d'entretiens,
d'échanges de vues, de démarches qu'on entreprend pour parvenir
à un accord, pour conclure une affaire. La conclusion de l'affaire
étant, à ce moment, le résultat de la démarche que
je viens d'identifier dans la première partie de la définition.
Par contre, pour ce qui est du règlement, le dictionnaire disait:
l'action de régler et son résultat, de discipliner son
résultat. On dit plus loin: l'action de régler et de
décider, de terminer quelque chose définitivement ou exactement.
Au verbe régler, on dit fixer définitivement ou exactement,
résoudre définitivement, terminer.
M. Aquin: Je fais la même distinction que vous, une
négociation est une suite de démarches pour arriver à un
accord, c'est-à-dire à un règlement. Il y a donc une
différence entre la préparation et le résultat. Si je
comprends bien, vous faites cette distinction.
Me Cardinal, est-ce que vous faites aussi cette distinction entre une
négociation de règlement et le règlement comme tel?
M. Cardinal: II y a une chose qui m'a frappé depuis que je
suis ici. On a souvent parlé des mandats d'écouter; c'est rare
qu'un avocat écoute et qu'il ne parle pas.
M. Dussault: Oui. Vous, Me Jetté, est-ce que vous faites
aussi cette distinction?
M. Jetté: C'est bien sûr qu'elle est
évidente. À mon sens, ce qu'on appelle le règlement c'est
l'aboutissement du processus. Alors c'est deux moments bien distincts dans le
temps.
M. Dussault: Merci. Deuxièmement, le journaliste a
employé l'expression "négociation du règlement" quand il
dit que le premier ministre a menti il parle de "négociation du
règlement". En ce qui vous concerne vous trois, je vous pose à
chacun la question, y a-t-il eu négociation d'un règlement dans
le bureau du premier ministre. Vous, Me Aquin, en ce qui vous concerne, y
a-t-il eu négociation d'un règlement?
M. Aquin: En ce qui me concerne, il n'y a pas eu de
négociation de règlement dans le bureau du premier ministre.
M. Dussault: Vous, Me Cardinal.
M. Cardinal: II n'y a pas eu de négociation dans le bureau
du premier ministre en ce qui me concerne.
M. Dussault: Non plus. Pour vous, Me Jetté?
M. Jetté: Ma réponse est exactement la
même.
M. Dussault: Je vous remercie vous trois.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: M. le Président, en écoutant le
député de Châteauguay, j'ai eu une partie de l'explication
du fort pourcentage de "dropout" dans nos écoles secondaires.
Le Président (M. Jolivet): Vous savez très bien que
vous devez adresser vos questions en face.
M. Dussault: Une question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Châteauguay.
M. Dussault: Je comprends aussi pourquoi le député
de Louis-Hébert s'est procuré autant de dictionnaires quand il
est devenu député, il en a besoin, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous
plaît, passons donc en face de nous. Une question aux
invités, M. le député de Louis-Hébert.
M. Blouin: II se sert du dictionnaire payé avec les fonds
publics.
M. Doyon: M. le Président, pendant que mon collègue
de Châteauguay s'énerve pour pas grand-chose, j'aimerais savoir de
nos invités si je comprends bien la situation quand j'exprime le fait
suivant: préalablement à une certaine date, la modalité
d'un règlement éventuel qui aurait consisté dans un aveu
de responsabilité de la part de tous les défendeurs, était
un élément essentiel de tout règlement que pouvait
éventuellement considérer la compagnie, c'est-à-dire la
SEBJ. C'est exact? Maintenant, quand je dis que...
M. Aquin: Excusez-moi, je ne voudrais pas vous contredire mais je
pense que, formellement, l'aveu de responsabilité de tous les organismes
fait partie de notre... Je ne dis pas que ce n'était pas un souhait
avant, mais il y a tellement de papier, je ne veux pas me tromper. Mais je
pense que c'était peut-être un souhait des clients, il faudrait
avoir tous les documents. Mais, formellement, dans un mandat - on trouve cela
dans notre mandat du 7, c'est pour cela que cela me surprend. C'est dans notre
mandat du 7 qu'on dit: Aveu de responsabilité de tous les organismes
défendeurs. Je penserais que c'est la première fois. Il y avait
eu avant des demandes pour avoir -d'ailleurs on avait eu dès le
début l'aveu de responsabilité du syndicat 791; ensuite, c'est
précédemment qu'on a réussi à avoir un aveu de
responsabilité mitigé du conseil provincial mais l'aveu des
organismes défendeurs, je peux me tromper mais je penserais que c'est
dans notre mandat du 7 qui est à la page 107 de nos documents.
M. Doyon: On peut donc situer dans le temps cette exigence de la
SEBJ d'un aveu de responsabilité de tous les défendeurs comme se
situant le 6 ou le 7 ou à peu près à ces dates. Si
on...
M. Cardinal: Vous permettez. Si vous regardez à la page
107, le mandat écrit vient de la SEBJ à cet effet.
M. Doyon: Oui. On se rend compte, en voyant le règlement
qui est intervenu et le règlement qui a été discuté
ultérieurement, qu'à un certain moment dans le temps, cette
exigence qui concernait tous les défendeurs est devenue moins totale,
c'est-à-dire qu'elle a pu être morcelée, être
parcellaire si vous voulez.
M. Aquin: Oui parce que, comme je l'ai dit dans mon exposé
- ce n'est pas que je veuille toujours répondre aux questions mais parce
que comme c'est moi qui avais fait cette partie de l'exposé - on a
atteint un texte de la transaction le 5. Après, le texte ne bougera
plus, sauf le chiffre.
M. Doyon: Et si on se réfère à cet
élément important, cette modalité importante que vous avez
mentionnée, qui sont les aveux de responsabilité, pouvez-vous
nous situer dans le temps à quel moment il vous a semblé que la
SEBJ était prête à considérer un règlement
tout en n'obtenant pas un aveu de responsabilité de tous les
défendeurs, y compris du syndicat américain?
M. Aquin: À mon souvenir, c'est... Je ne l'ai pas dit
l'autre fois mais quand on a l'appel téléphonique de M. Gadbois
à la suite du conseil d'administration - je vous rappelle toujours qu'on
n'est jamais présent au conseil d'administration et on n'en comprend pas
toujours la teneur que vous connaissez aujourd'hui. Alors quand on a des
communications de M. Gadbois du conseil d'administration du 6 février,
à mon souvenir, le conseil d'administration, dans un premier temps,
avant d'avoir la lettre de M. Gadbois, laquelle lettre est à notre page
107, à moins que je me sois trompé, M. Gadbois semble me parler
d'un aveu de responsabilité de tous les défendeurs. Je ne
comprends plus rien parce que ce n'est pas logique, étant donné
qu'il y a des individus qui sont en appel de leur propre condamnation.
Quand on reçoit la lettre du 7 - page 107 - on parle d'aveux des
organismes défendeurs. À notre esprit - je pense en avoir
parlé avec M. Gadbois - il est sûr qu'il ne puisse s'agir que du
syndicat américain parce que - M. Jetté pourra s'exprimer sur le
local 134 - c'est peut-être le local sur lequel on avait la cause la plus
discutable, celui qui était représenté par Me Phil Cutler;
les deux autres ne bougeaient sûrement pas.
Ce qui était donc dans l'esprit de notre client, c'était
l'aveu du syndicat américain. C'est donc le 7 février que
j'essaie d'obtenir cet aveu de Me Beaulé. Le 7 février, M.
Beaulé me dit qu'il ne voit pas, ni d'Ève ni d'Adam, comment nous
l'aurons. C'est le 8 février qu'il me confirme qu'on ne l'aura pas.
C'est aussi le 8 février que j'ai parlé à Me Boivin. Je
vous ai dit la teneur de notre conversation. C'est aussi le 8 février,
avant l'appel téléphonique de Me Boivin, que j'avais eu un appel
téléphonique de Me Gadbois, disant que ce n'était
peut-être pas une chose absolument nécessaire, qu'on n'avait
peut-être pas les pieds dans le ciment sur cette question. Ce qui ne me
surprenait pas dans un sens, parce que j'ai toujours pensé dans mon for
intérieur que cet aveu du syndicat américain, on ne l'aurait
jamais obtenu. Mais
cela, c'est une impression purement personnelle.
M. Doyon: Est-ce que je me trompe en affirmant que la
possibilité d'obtenir un règlement sans aveu de
responsabilité du syndicat américain, ce qui fut le cas par
après, est devenue une chose réalisable après que vous
ayez eu l'occasion d'informer M. Jean-Roch Boivin que le syndicat
américain ne voulait d'aucune façon, comme vous le dites
vous-même, ni d'Adam ni d'Ève, reconnaître sa
responsabilité? Est-ce que cette possibilité d'acceptation de
règlement sans aveu de responsabilité de la part du syndicat
américain se situe dans le temps après la rencontre et la
conversation téléphonique avec M. Jean-Roch Boivin?
M. Aquin: Vous faites une interprétation que je n'ai pas
à discuter, mais si vous me permettez, je ne veux pas être long,
de reprendre rapidement la marche des choses, vous pourrez faire les
déductions que vous désirez. Le 7 février, je rencontre M.
Beaulé, on parle du chiffre, mais on parle aussi de l'aveu de
responsabilité des syndicats américains. Il me dit que, selon
lui, c'est totalement impossible et qu'il va vérifier quand même
avec ses clients - je laisse de côté la question d'argent. Le 8
février, M. Boivin me téléphone et me dit: Je comprends
que le conseil d'administration demande l'aveu du syndicat américain. Il
a l'air surpris. Je pense qu'il a eu une conversation avec M. Beaulé,
mais je ne suis pas là pour parler pour eux et je pense qu'il est
surpris parce qu'il est peut-être comme moi, pensant qu'on ouvre la
première ronde de négociations en demandant quelque chose qui est
peut-être plus difficile que l'argent avec le syndicat américain.
C'est la seule teneur de ma conversation téléphonique. Je ne
voudrais pas aller plus loin. Je téléphone à Me Gadbois,
parce que depuis que j'ai reçu le document et depuis que j'ai vu Me
Beaulé la veille, je pense qu'on est dans une impasse. Me Gadbois me dit
qu'en effet, il pense bien que cette question de l'aveu du syndicat
américain pourrait être révisée ou revue.
M. Doyon: À quel moment, M. Aquin? M. Aquin: C'est
le 8. M. Doyon: Le 8 février.
M. Aquin: Je reçois un appel téléphonique de
Me Boivin et je continue ma journée, mais je sais que ce sera le
problème de la journée, parce que M. Beaulé m'a dit qu'il
téléphonait aux États-Unis et qu'il attendait sa
réponse aujourd'hui le 8 février. Je crois savoir ce que sera sa
réponse parce que, comme je vous le dis, c'est une impression
personnelle, mais j'ai l'impression, à ce moment-là, que ce sera
non. Je téléphone de nouveau à Me Gadbois pour lui dire ce
qui se passe. À la fin de l'après-midi, Me Beaulé me
rappelle pour dire qu'il a eu la réponse du syndicat américain et
qu'il a une réponse négative. Je fais rapport à Me Gadbois
verbalement. Le 9 février, je ne suis pas au bureau. Le 12
février, on a notre rapport écrit dans lequel nous vous
mentionnons cette chose.
M. Doyon: Plus spécifiquement, quand apprenez-vous de
façon autorisée de la SEBJ, soit par le président, M.
Laliberté, soit par M. Gadbois, soit par le président du conseil
d'administration, M. Saulnier, en tout cas, d'une personne autorisée
qu'un règlement sans aveu de responsabilité par le syndicat
américain est concevable? (11 h 30)
M. Aquin: Pour ma part, je dois vous dire qu'on a fait notre
rapport le 12 pour dire qu'on n'avait pas réussi sur ce point. Comme je
le disais dans mon témoignage, il y a eu une longue pause. Nous
attendions la réponse du conseil d'administration. Elle va nous revenir
à un moment où je ne suis plus là - je laisserai parler M.
Cardinal - dans le nouveau mandat qui nous est donné, le 21
février, qui est à la page 111. Là, je ne pense plus qu'on
parle de cet aveu de responsabilité. J'aime autant que Me Cardinal
s'exprime sur cette question.
M. Cardinal: Le 20 février, Michel Jetté et moi
allons au conseil d'administration où tout se discute en notre
présence et, j'imagine, quand nous ne sommes plus là. Si vous
remarquez, le 21 février, à la page 111 de notre recueil, on nous
dit encore de proposer aux procureurs des défendeurs dans la cause
ci-haut mentionnée les termes d'un règlement hors cour de ladite
cause sur la base d'une reconnaissance par tous les défendeurs de leurs
responsabilités. Même à ce moment-là, le 21
février, on nous demande encore qu'il y ait la reconnaissance de la
responsabilité de la part des syndicats, y compris le syndicat
américain.
À un moment donné, en cours de route, il paraît que
le conseil d'administration change d'idée. Notre dernière lettre
est du 27 février, c'est la veille de mon départ... Le 27
février, on réitère que des unions sont prêtes
à admettre leur responsabilité et le fait que le syndicat
américain n'est pas prêt à admettre la sienne. Je donne mon
rapport le 27 février et je m'en vais. Lorsque je reviens, c'est
réglé. C'est clair que, à un moment donné, le
conseil d'administration ne veut plus régler sans accepter cette
reconnaissance de la responsabilité. Même le 21 février,
notre dernière instruction par écrit est encore d'avoir
l'acceptation de tout
le monde.
M. Doyon: M. Cardinal, M. Aquin ou M. Jetté, on
connaît les arguments qui ont été mis de l'avant par Me
Beaulé qui visaient à vous expliquer, à vous faire valoir
son point de vue en ce sens qu'un aveu de responsabilité était
quelque chose qu'il ne pouvait absolument pas donner pour les raisons que vous
avez eu l'occasion d'expliquer. Quand vous avez mentionné cela à
M. Jean-Roch Boivin et que vous l'avez informé, en même temps, que
le syndicat américain se refusait de reconnaître sa
responsabilité, est-ce que le chef de cabinet du premier ministre, M.
Boivin, vous a fait valoir des arguments en faveur de la
non-nécessité d'obtenir cet aveu de responsabilité de la
part du syndicat américain?
M. Cardinal: Pour ma part, sur le plan juridique, Jean-Roch
Boivin n'a jamais discuté avec moi des opinions que nous avions
données. Pour ce qui est du reste, à savoir si cela se
réglerait d'une façon ou d'une autre, vraiment, je ne le sais
pas. Mais, sur le plan juridique, il n'a jamais discuté de la valeur des
opinions qu'on donnait assez souvent dans ce temps-là.
M. Doyon: Sans discuter sur le plan juridique des arguments qui
pouvaient être avancés de part et d'autre sur ce point
particulier, M. Jean-Roch Boivin vous a-t-il dit ou vous a-t-il fait percevoir,
d'une façon ou d'une autre, son idée sur cette
nécessité ou non-nécessité d'avoir, dans le
règlement, un aveu de responsabilité du syndicat
américain?
M. Cardinal: Je pense que M. Boivin savait deux choses.
Premièrement, nous persistions, nous, à dire qu'il y avait une
cause contre le syndicat américain sur le plan juridique.
Deuxièmement, M. Beaulé avait dit à tout le monde que non,
le syndicat américain n'accepterait pas d'admettre sa
responsabilité. Ce sont des faits qu'il connaissait. Qu'est-ce qu'il en
a fait? Je ne le sais pas.
M. Doyon: Selon votre compréhension des choses dans les
conversations ou les entretiens que vous avez pu avoir avec M. Boivin, plus
particulièrement sur ce sujet, est-ce que vous pouvez informer cette
commission à savoir si M. Boivin avait une idée personnelle qu'il
vous aurait exprimée d'une façon ou d'une autre sur cette
reconnaissance de responsabilité par le syndicat américain?
M. Aquin: À ma connaissance, je ne veux pas parler pour
autrui, dans d'autres circonstances, j'ai parlé à M. Boivin une
fois au téléphone et je l'ai rencontré une fois.
Cette question de l'aveu de responsabilité n'est
évoquée que dans l'appel téléphonique du 8
février. Dans l'appel téléphonique du 8 février M.
Boivin me dit: "Est-il exact que vous exigez maintenant un aveu de
responsabilité du syndicat américain?" Je lui ai dit oui. Je
pense qu'il en avait été informé par M. Beaulé. Sur
cela, je ne veux pas parler pour autrui. Cela se termine là. Je ne dis
pas que cela est bien ou non. Il a l'air surpris.
M. Doyon: II a l'air surpris.
M. Aquin: Comme je vous le dis, moi aussi de mon
côté, j'avais l'air surpris. On n'a pas communiqué les
causes de nos surprises. Je ne sais pas du tout si M. Boivin avait la
même perception que moi de la difficulté ou non d'obtenir un aveu
du syndicat américain. Il ne m'en a pas parlé. J'en avais
parlé longuement avec Me Beaulé. Il a répété
que c'était, selon lui, totalement impossible.
M. Doyon: Est-ce que lors du lunch que vous avez eu avec Me
Boivin le 2 février 1979, auquel lunch Me Cardinal assistait si je ne me
trompe pas, il s'est enquis d'une façon ou d'une autre, ou si vous, vous
avez donné votre idée sur le sentiment du conseil
d'administration, à ce moment précis, concernant un
règlement éventuel des procédures qui étaient en
cours?
M. Aquin: On va peut-être avoir des versions un peu
contradictoires Me Cardinal et moi parce qu'on n'en reparle plus parce qu'on ne
veut pas se mélanger. C'est que M. Boivin nous a dit: Hier, le premier
ministre a rencontré les trois présidents: MM. Saulnier,
Laliberté et Boyd. Il a dit vous allez recevoir des lettres des
procureurs.
J'ai eu l'impression, je pense que M. Cardinal avait eu plus
d'information que moi, qu'il y avait eu un consensus la veille. Quand j'ai
écouté la preuve ici, je me suis aperçu que mes
impressions n'avaient peut-être pas été tout à fait
exactes. C'est pour dire qu'il ne nous a pas communiqué autre chose sur
ce qui était arrivé à cette réunion. Il n'a pas
parlé non plus du conseil d'administration.
M. Doyon: Alors, ce que vous nous dites Me Aquin...
Le Président (M. Jolivet): ...un instant, je pense que Me
Aquin...
M. Aquin: ...non, non...
M. Doyon: ...c'est pour continuer là-dessus...
Le Président (M. Jolivet): ...cela va.
Allez-y.
M. Doyon: Merci, M. le Président. Vous dites M. Aquin que
vous aviez l'impression qu'il y avait un consensus à l'intérieur
du conseil d'administration.
M. Aquin: Le conseil d'administration nous avait dit - cela c'est
une interprétation purement personnelle - hier, le premier ministre a
rencontré MM. Saulnier, Laliberté et Boyd et puis vous allez
recevoir un rapport de Me Jasmin et un de Me Beaulé. J'ai
peut-être été trop hâtif. J'ai pensé
qu'à ce moment, tout le monde était d'accord lors de la rencontre
de la veille. C'est tout simplement ce que je veux dire. Je ne parle pas pour
Me Cardinal qui a eu un autre son de cloche.
M. Doyon: Je comprends bien cela mais pour en revenir, est-ce que
vous, Me Aquin, le 2 février 1979, vous aviez une idée
formée concernant la façon que le conseil d'administration voyait
les choses à ce moment précis?
M. Aquin: La seule idée que je pouvais avoir, parce que
nous n'avions aucun contact avec le conseil d'administration, c'était
l'idée de la rencontre que j'avais eue le 9 janvier ou par les questions
qui étaient posées. Il serait très difficile
d'établir qui posait quelle question. Par les questions qui
étaient posées, je sentais manifestement deux tendances.
M. Ooyon: Un tiraillement. Est-ce que c'était...
M. Aquin: ...et par la suite quand je voyais les mandats qu'on
recevait du conseil, je pensais y revoir un caractère
évolutif.
M. Doyon: Est-ce que cette impresssion que vous aviez
gardée de la réunion du 9 janvier, à l'occasion du lunch
que vous avez eu avec Me Boivin, vous lui avez fait part? Avez-vous dit
à Me Boivin comment vous aviez perçu l'attitude du conseil
d'administration?
M. Aquin: Je pense vraiment que non. Ce n'était vraiment
plus mon propos rendu au 2 février.
M. Doyon: Me Cardinal, si je comprends bien, vous avez
peut-être quelque chose à ajouter là-dessus?
M. Cardinal: Je pense que j'avais fait plus de contacts
personnels avec le conseil d'administration. Il y avait des gens
là-dessus, comme M. Boyd, que je connaissais depuis toujours. Je savais
peut-être plus que M. François Aquin qu'il y avait des gens au
conseil d'administration qui étaient contre le règlement et qui
voulaient continuer la poursuite comme MM. Boyd et Giroux, par exemple. Est-ce
que, lors du lunch, c'est venu sur le tapis? Si c'est venu sur le tapis, c'est
dans ce sens-là que M. Robert Boyd et M. Roland Giroux, pour en nommer
deux que je connais très bien, ne voyaient pas ce
règlement-là d'un bon oeil. Comme question de fait, je n'ai
jamais été sûr que cela se réglerait tant qu'on n'a
pas reçu des instructions et tant que je ne l'ai pas appris. Pour autant
que je suis concerné, cela n'aurait pas été possible dans
mon esprit que cela ne se règle pas.
Le Président (M. Jolivet): Oui, M. le ministre.
M. Duhaime: M. le député de Louis-Hébert. Je
ne sais pas si on appelle cela un laïus ou un lapsus, mais, dans votre
question tantôt, vous avez parlé du lunch du 9 février. Je
crois que vous vouliez dire le 2 février?
M. Doyon: Le 2 février. Si j'ai dit le 9, M. le
Président, je m'excuse.
M. Duhaime: C'est pour les fins de notre journal, qui va nous
suivre pour de longues années.
Le Président (M. Jolivet): Moi aussi, je me posais la
question. La rencontre avec le conseil d'administration avait eu lieu le
9...
M. Doyon: Le 9 janvier.
Le Président (M. Jolivet): ...janvier. D'accord. C'est
pour bien comprendre la discussion.
M. Doyon: C'est le lunch du 2 février.
Me Cardinal, vous avez indiqué que vous saviez, personnellement,
que M. Boyd et M. Giroux étaient contre un règlement. Est-ce que
vous connaissiez d'autres membres du conseil d'administration qui
étaient contre aussi?
M. Cardinal: Non. À part ces deux-là,
personnellement, je pense que je connaissais seulement M. Saulnier. Je ne
connaissais pas les autres. Je dis cela, mais j'ai rencontré
également M. Laliberté. Enfin, c'étaient les plus vieux
que je connaissais le mieux parce que c'est avec eux que j'avais fait affaires
avant.
M. Doyon: Sans les connaître, Me Cardinal, avez-vous
appris, à un moment donné, qu'il y avait d'autres personnes que
M. Giroux ou M. Boyd qui étaient ou qui seraient contre un
règlement? Sans connaître personnellement les personnes qui
auraient
été contre?
M. Cardinal: Je ne pense pas, non.
M. Doyon: Est-ce que cette information que vous déteniez,
à savoir que M. Giroux et M. Boyd étaient contre, vous en avez
discuté avec M. Boivin, à un moment donné?
M. Cardinal: Je ne pense pas, mais cela ne me surprendrait pas
non plus. En fait, pour ceux qui étaient au courant de cette
affaire-là, c'était une chose connue que ces deux-là ne
voyaient pas d'un bon oeil un règlement.
M. Doyon: Et les raisons qui faisaient que M. Boyd et M. Giroux
étaient contre vous avaient-elles été communiquées
à vous, d'une façon ou d'une autre, Me Cardinal?
M. Cardinal: Au cours de cette période, je n'ai pas vu M.
Roland Giroux, qui n'était pas souvent à Montréal, il me
semble. Mais j'ai certainement vu M. Boyd, que je connaissais très bien.
J'ai probablement dû en discuter avec lui. M. Boyd ne se cachait pas pour
dire qu'il était contre le règlement.
M. Doyon: En ce qui concerne une proposition initiale de
règlement de 50 000 $ qui a été refusée,
d'après ce que je comprends, directement par M. Laliberté, sans
qu'elle soit formellement présentée au conseil d'administration -
si mes notes sont exactes, cela date du 16 janvier - est-ce que, au moment
où M. Laliberté vous a fait part que cette offre était
inacceptable, il vous a donné les raisons pour lesquelles il
considérait cette offre inacceptable? On a déterminé tout
à l'heure qu'il y avait deux éléments principaux, à
l'intérieur du règlement qui, éventuellement, est
intervenu, c'est-à-dire des reconnaissances de responsabilité et
aussi, évidemment, l'offre financière. Premièrement,
est-ce qu'il l'a faite, oui ou non? Et, deuxièmement, si c'est oui,
quelles raisons ont été invoquées par M. Laliberté
pour refuser immédiatement le règlement de 50 000 $?
M. Cardinal: Je me souviens que M. Laliberté avait dit que
c'était inacceptable. Il n'a pas été plus loin. Mais si je
fais une déduction par le reste de la conversation, je pense que le
texte de la proposition était considéré comme inacceptable
et le montant aussi. Il nous a dit ensuite d'écouter - et cela, je pense
que ça concernait le montant. Il nous a dit de préparer un texte
qui lui serait acceptable et qui serait le texte de tout le monde aussi, et,
à ce moment-là, cela implique, selon moi, qu'il n'était
pas satisfait du texte de la proposition.
M. Doyon: Et pour vous demander de préparer un texte qui
répondrait aux exigences de la société, est-ce qu'il vous
a donné des indications sur ce qu'étaient, à ce
moment-là, ces exigences?
M. Cardinal: Sur le texte?
M. Doyon: Sur le texte, oui. (11 h 45)
M. Aquin: Non, à mon souvenir, il m'a dit qu'il faudrait
préparer un texte qui ferait que, si le syndicat voulait faire une
proposition sous-entendue ou même claire pour le conseil d'administration
qui se réunissait la semaine suivante, c'est-à-dire la semaine du
23, cela prenait un texte qui soit acceptable à la SEBJ et à
toutes les parties. Après cela, la conversation que j'ai eue avec Me
Gadbois, le lendemain, dans la préparation du texte, où nous
avons décidé des tenants et aboutissants, je vous ai dit comment
j'avais procédé. La première personne à qui j'ai
téléphoné, pour savoir si c'était dans les
paramètres de ce qu'il souhaitait, c'est à Me Gadbois. Je n'ai
pas eu de détails de la part de M. Laliberté sur cette
question.
M. Doyon: Si je comprends bien, le texte de règlement
multilatéral que vous nous avez présenté - vous nous avez
expliqué comment vous aviez procédé - a été
préparé, premièrement, à la suite du refus de M.
Laliberté d'accepter l'offre de 50 000 $ et des instructions de sa part
d'avoir à préparer un texte qui serait acceptable à tout
le monde ainsi que les détails sur ce que serait un texte acceptable, en
ce qui concerne la SEBJ, bien sûr, vous sont venus peu de temps
après, le lendemain ou le surlendemain, de la part de Me Gadbois.
M. Aquin: Je ne veux pas vous contredire, mais, en fait, ils
viennent passablement de moi, dans un certain sens. Une fois que j'ai
pensé, le lendemain 18, que la meilleure formule était une
formule multilatérale, j'ai pris le texte de Me Jasmin, pour eux et j'ai
- Me Jasmin a parlé pour les autres - ensuite pris grosso modo son
texte. Je n'y ai pas changé grand-chose. Quand je vous disais, tout
à l'heure, qu'il avait trouvé son texte inacceptable, je suis
peut-être allé trop loin parce que j'ai pris son texte presque mot
à mot.
Ensuite, il m'a dit ce que les autres admettraient. La seule chose qui
venait de nous était ce que la SEBJ dirait. Là, j'ai
été obligé d'extrapoler. Je me disais que je faisais le
cadre dans lequel on allait nous faire une offre. Si notre cliente accepte - la
SEBJ - j'imagine qu'elle va dire ce que sont les motifs qui l'amènent
à régler. Les motifs qui l'auraient amenée à
régler, je faisais référence aux discussions qu'il y avait
eu entre Me Jasmin et M. Laliberté sur les
dimensions sociales et internationales. J'en ai parlé à M.
Gadbois et il m'a dit de lui envoyer cela et qu'il verrait si, dans la
perspective ultime d'un règlement, ce sont des propositions qui seraient
acceptables à la SEBJ. Je n'ai pas eu beaucoup de succès parce
que c'est le bout qui a été continuellement taillé par nos
clients, par la suite, de telle manière qu'il n'en reste que la
moitié.
M. Doyon: Cette préparation de la formule
multilatérale, M. Aquin, s'est donc faite sans beaucoup de jalons, si je
comprends bien.
M. Aquin: Peu. Parce que j'ai proposé un texte aux clients
en me disant que si le client veut régler - j'ai toujours dit que les
avocats sont là pour donner des opinions, préparer des causes,
essayer de les gagner et que les clients décident s'ils vont les
régler ou non - comme disait Me Cardinal, ce n'était
sûrement pas une question d'argent au point où on en était.
On n'a pas commencé à négocier à 30 000 000 $ pour
finir à 200 000 $. Dans la rencontre avec M. Jasmin, les dimensions
internationales et sociales avaient beaucoup été invoquées
par Me Jasmin. J'ai dit que si le client veut régler, ce sont
probablement deux dimensions qu'il voudra mettre dans son texte. Mais je parle
en mon nom personnel. La preuve, c'est que le client, par la suite, a
enlevé la plupart de ces choses de mon texte. Mais M. Gadbois
était d'accord sur mon texte parce que, quand je l'ai fait, le 18, je le
lui ai envoyé et il l'a corrigé. Je l'ai remis ensuite aux
procureurs des parties syndicales.
M. Doyon: Pour revenir à un autre élément,
M. Aquin, on fait état ici - M. Jetté, plus
particulièrement - des longueurs et des coûts engagés dans
des procédures d'exemplification, c'est-à-dire pour obtenir un
jugement qui serait exécutoire aux États-Unis à la suite
d'un jugement final obtenu dans la province de Québec. Est-ce qu'on peut
dire, concernant ces procédures d'exemplification, premièrement,
que ces procédures sont beaucoup moins coûteuses qu'un
véritable procès, étant donné que le procès,
dans ce cas-là, ne porte que sur le jugement et la façon dont il
a été obtenu au Québec. Est-ce que je m'avance trop en
disant que ce n'est pas du tout le même genre de procès et que les
procédures sont moins longues et moins coûteuses que si on
recommence de A à Z une preuve avec audition des témoins,
etc.?
M. Jetté: S'il s'agit véritablement d'une action en
exemplification, on n'a pas à rouvrir le débat à son
mérite. C'est certain que cela n'impliquait pas le même genre de
preuve que celui qu'on devait faire devant les tribunaux de la province de
Québec.
M. Doyon: Par conséquent, cela n'impliquait pas non plus
le même genre de coûts.
M. Jetté: Non, mais cela aurait été tout de
même coûteux; je présume que les Américains auraient
fait flèche de tout bois. Alors, ils n'auraient rien
négligé, j'imagine qu'ils auraient attaqué sur la base des
questions de juridiction, etc. Il aurait pu y avoir une foule d'incidents,
présumément. On ne peut peut-être pas parler d'une
enquête de la même ampleur que celle qui aurait eu lieu ici pour
débattre la responsabilité du syndicat américain en
supposant, bien sûr, qu'une action en exemplification devait être
recevable là-bas. Pour être réaliste, je présume que
cela impliquait des coûts assez considérables. Ces gens ne se
seraient pas laissé condamner par défaut.
M. Cardinal: Je pense que vous avez raison, M. le
député: ce sont les frais d'enquête qui n'auraient pas
été là, cela aurait été naturellement moins
coûteux.
M. Doyon; C'est cela. Il me revient à la mémoire
que lors du début des procédures quand on a voté les 500
000 $ en 1978, on parlait d'un procès de six mois avec audition de
témoins etc. et c'était cela qui prenait beaucoup de temps et qui
retenait en cour trois ou quatre avocats de votre bureau, pour les six
prochains mois d'après ce que vous aviez pu évaluer à ce
moment. Ce que je voulais savoir de Me Jetté...? Je comprends que les
procureurs américains auraient contesté et auraient pris tous les
moyens à leur disposition, et on doit reconnaître - si je me
trompe, je suis sûr que vous allez me reprendre - qu'on n'était
pas dans un cas semblable, devant une cause qui aurait duré six mois
avec audition de témoins. C'est difficile de faire une évaluation
précise, mais ce n'était pas le même genre de procès
qui s'entamait, c'est le moins qu'on puisse dire, aux États-Unis que ce
qui se serait passé dans la province de Québec.
M. Jetté: Je pense que vous avez raison.
M. Doyon: À quelques reprises on a fait état, en ce
qui concerne l'obtention d'un jugement éventuel contre les syndicats
québécois, du fait que cela aurait mis la société
dans une situation possiblement difficile en ce qui concerne l'exécution
de ces jugements. C'est mon collègue de Vimont qui a fait valoir qu'on
pouvait modifier assez facilement - c'était son appréciation -
les syndicats de façon que les personnes qui en faisaient partie soient
transférées d'un organisme à l'autre, ce qui laissait un
syndicat condamné avec finalement peu ou pas de membres
éventuellement pour payer
un jugement obtenu contre ce syndicat particulier. Ma question est la
suivante: Est-ce que, dans un cas semblable, on n'est pas dans une situation
identique quand on poursuit un individu qui, à la suite de l'obtention
d'un jugement contre lui, peut aujourd'hui pour demain déclarer une
faillite personnelle, ce qui met les détenteurs du jugement dans une
situation semblable, à toutes fins utiles? Je comprends que la
comparaison est boiteuse, elles le sont toutes vis-à-vis d'un individu
contre qui on obtient un jugement. Il a toujours la possibilité de
déclarer faillite et à ce moment, se mettre dans une situation
où il ne pourra pas payer le jugement qui a été obtenu
contre lui, de la même façon qu'un syndicat se voit vidé
volontairement de ses membres, comme le faisait hypothétiquement mon
collègue de Vimont. Il ne pourrait pas, faute de contribution,
satisfaire un jugement obtenu contre lui.
M. Jetté: C'est exact qu'il y a toujours des aléas
au plan du recouvrement. Un débiteur qui se voit frappé par un
jugement pour une somme substantielle fait parfois faillite ou disparaît;
cela arrive.
M. Doyon: Vous êtes des avocats d'expérience,
malgré tout cela, normalement, quand le client a une bonne cause, comme
vous avez identifié cette cause, ce n'est pas une raison suffisante pour
abandonner les poursuites devant cette menace toujours présente d'une
faillite d'une personne qui serait trouvée irresponsable civilement.
Le Président (M. Jolivet): Me Jetté, avant que vous
répondiez, en faisant toujours la même réserve, je
dis...
M. Jetté: J'allais simplement dire que chaque cas est
vraiment un cas d'espèce. Il est impossible d'affirmer un principe
général, et ici c'est certain. On ne se trouvait pas devant une
situation standard. Je pense bien qu'il n'est pas possible d'affirmer de
principe. Chaque cas doit être analysé suivant les circonstances
de l'espèce.
M. Doyon: Alors, je n'ai pas d'autre question.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Bourassa.
M. Laplante: Ce n'est pas une question trop longue, M. le
Président. C'est que depuis le début on tourne autour du pot.
Personne ne vous pose la vraie question qui devrait être posée ici
autour de la table.
M. Cardinal: ...la question...
M. Laplante: Vous faites partie d'une grande maison, tel que vous
l'avez dit au début, la maison Geoffrion, une des plus vieilles maisons
du Québec, pour qui le député de Marguerite-Bourgeoys a
travaillé et qui est un ancien collègue à vous. Je vous
pose la question très directement: Avez-vous le sentiment d'avoir
été manipulés et d'avoir été forcé de
conclure un règlement de 200 000 $ dans le saccage de la Baie-James?
J'aimerais que chacun de vous, Mes Aquin, Cardinal et Jetté, puissiez
répondre à cette question. C'est à cette question que les
auditeurs s'attendent d'avoir une réponse.
M. Aquin: Ce n'est pas nous qui avons conclu un règlement.
Nous avons été les exécutants dans la conclusion d'un
règlement et, ce faisant, nous n'avons pas senti que nous étions
manipulés ni forcés par qui que ce soit.
M. Laplante: Me Cardinal?
M. Cardinal: C'est ma réponse aussi.
M. Laplante: Me Jetté?
M. Jetté: La décision revenait à notre
cliente. Nous n'avons pas à la juger. Nous n'avons certainement pas
été manipulés au niveau du travail que nous avons eu
à exécuter pour le bénéfice de la SEBJ.
M. Laplante: J'espère que le député de
Marguerite-Bourgeoys, qui est un de vos collègues, pourra prendre votre
parole, vous qui êtes sous serment à ce moment-ci. Je vous
remercie, messieurs.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Brome-Missisquoi.
M. Paradis: M. le Président, j'aurais deux petits points
à éclaircir avec la collaboration, entre autres, de Me Aquin. On
a établi... ce sont les propos de Me Cardinal qui permettent de
l'établir. Je pense que, pour le moins, Geoffrion et Prud'homme est un
bon bureau d'avocats. Je pense qu'on a établi également - c'est
la collaboration de Me Jetté ainsi que de Me Cardinal qui nous a permis
de le faire - qu'on avait une bonne cause.
Le procès commence le 15 janvier 1979. Le mandat que votre bureau
détient de ses clients est de plaider et, sous la réserve qu'a
faite Me Cardinal, d'écouter les offres des syndicats. Je dis "sous la
réserve", parce que Me Cardinal a dit: Quand un avocat écoute,
c'est bien dur de l'empêcher de parler. C'est la réserve que je
fais à ce point.
Donc, on est le 15 janvier 1979. La liste des visites au bureau du
premier ministre, qui nous a été remise par le bureau du premier
ministre, nous indique que le 15,
la journée de l'ouverture du procès, le 16, le 17, le 19
janvier, dans cette semaine, chaque jour il y a eu des visites, soit de Me
Beaulé, soit de Me Jasmin, au bureau de M. Jean-Roch Boivin, qui est le
chef de cabinet du premier ministre, ainsi qu'au bureau de Me Yves "Ti-Lou"
Gauthier, qui est l'attaché politique au bureau du premier ministre. Me
Jetté nous a également dit sous serment: On n'avait pas eu
l'occasion d'entendre la preuve de l'autre côté, mais notre preuve
allait bien. Ce n'était pas décourageant comme première
semaine de procès. Au contraire, cela nous rendait optimistes.
Vous avez été prévenu, vers la fin de janvier -
suivant votre témoignage, vous avez été dans
l'impossibilité, même en fouillant votre mémoire, de mettre
une date exacte -vous avez été prévenu par Me Jasmin et Me
Beaulé qu'ils avaient des rencontres au bureau du premier ministre et,
à partir du journal des Débats, Me Beaulé vous aurait
même dit ce qui suit: II est plus normal, entre avocats, de vous
prévenir que nous avons eu des contacts avec le bureau du premier
ministre, que nous avons vu des gens au bureau du premier ministre. Cela
ressort de votre témoignage, vous en conviendrez, Me Aquin.
Et votre sentiment à ce moment - je reviens également
à la transcription - vous avez dit: Dans un processus de travail avec
d'autres avocats, je trouve très déstabilisant ce genre
d'information. Je voulais savoir si c'était exact, c'est-à-dire
qu'il semblait y avoir une volonté, un souhait politique que cette
question se règle, que la cause se règle. (12 heures)
Pour vérifier cela, vous avez alors communiqué, et
là on est à la fin de janvier 1979, avec Me Yves Gauthier,
adjoint politique au bureau du premier ministre que vous connaissiez plus
intimement que les autres membres du cabinet du premier ministre. Là, je
vous recite encore, c'est vous qui l'avez appelé à son bureau,
pour savoir si ce que vos adversaires, c'est-à-dire le procureur de
l'union internationale, Me Rosaire Beaulé, et le procureur des syndicats
québécois, Me Jasmin, vous avaient dit était un fait
avéré ou strictement un "bluff". C'est l'expression que vous avez
utilisée. À ce moment-là, suivant votre témoignage,
Me Gauthier vous a dit: Je passe dans le coin de votre résidence ce
soir, j'arrête vous expliquer ce qui en est. À l'occasion de cette
visite, il vous fait part du souhait du premier ministre. On est toujours
à la fin de janvier.
Le 2 février 1979, début du mois qui suit, Me Jean-Roch
Boivin, suivant les témoignages que vous avez rendus, appelle Me
Cardinal du bureau de Mes Geoffrion et Prud'homme. Il vous invite à
manger tous les deux, Me Aquin et Me Cardinal. Sans vouloir faire de
publicité, vous avez appelé à un bon restaurant Le
Piémontais. Il vous informe, suivant votre témoignage, à
l'occasion de cette réunion, de la réunion de la veille que le
premier ministre du Québec, M. René Lévesque, avait eue
dans son bureau avec MM. Lucien Saulnier, Robert Boyd et M. Laliberté,
P.-D.G. de la Société d'énergie de la Baie James. Il
ajoute, toujours suivant votre témoignage, que Me Jasmin, le procureur
du syndicat américain, un de vos adversaires, excusez-moi, le procureur
des syndicats québécois, ainsi que Me Beaulé, lui,
procureur du syndicat américain, qu'ils doivent vous faire rapport sur
les difficultés de recouvrement des sommes d'argent, ainsi que sur la
solvabilité des syndicats québécois.
Toujours à l'occasion du même lunch au Piémontais,
il vous dit, suivant le témoignage que vous avez rendu: Si vous faites
quelque chose, ne vous accrochez pas uniquement à des papiers ou
à des textes de transaction. À partir du moment où vous
avez été informé par Me Jasmin et Me Beaulé, vos
deux adversaires qui représentaient les syndicats, que ces gens avaient
des rencontres avec les gens du bureau du PM - parce que là on avait une
grosse cause dans les mains, c'étaient 32 000 000 $ et il y avait une
vingtaine de millions déjà de pas mal établis en cour -
vous avez voulu savoir si c'était un "bluff" ou si c'était un
fait avéré. Au cours des jours qui ont suivi, Me Yves "Ti-Lou"
Gauthier, conseiller spécial du premier ministre, vous a dit à
votre résidence, ce n'est pas un "bluff". Autrement dit, il vous a
confirmé les propos de Me Jasmin et de Me Beaulé, les procureurs
des syndicats.
Le 2 février, quelques jours après, dans un restaurant
à Montréal, le chef de cabinet du premier ministre, M. Jean-Roch
Boivin, vous dit: Écoutez, ce n'est pas un "bluff", on les rencontre.
Autrement dit, il vous confirme: Vous avez "callé" le "bluff" pour
savoir si c'était un fait avéré. Il vous dit: Non, ce
n'est pas un "bluff", des rencontres ont lieu. Vous êtes également
mis au courant que le premier ministre lui-même a rencontré des
administrateurs de la SEBJ, soit M. Saulnier, M. Boyd et M. Laliberté,
pour leur dire qu'il souhaiterait que cela se règle et que la cause soit
abandonnée. Vous étiez donc dans une position où vous avez
demandé à votre adversaire, c'est-à-dire que vous avez
vérifié le "bluff callé" par votre adversaire et vous vous
êtes rendu compte que c'était bien vrai que le premier ministre
était au courant et qu'il souhaitait un règlement, que son chef
de cabinet était au courant et qu'il souhaitait un règlement et
que son attaché politique était au courant et qu'il souhaitait un
règlement.
Vu qu'on parle de "bluff", cela m'a amené la question suivante:
Vous aviez une grosse mise maximale de 32 000 000 $; il y avait
déjà une vingtaine de millions de
dollars qui étaient sur la table, si on jouait aux cartes, et
là, votre adversaire vous dit: Moi, j'ai tous les as, j'ai même
des jokers et des valets frimés. Et vous voyez que votre adversaire, ce
qu'on appelle en terme de poker, il a une "straight flush royal". Qu'est-ce que
cela vous laissait comme cartes pour négocier?
M. Aquin: La question est assez longue. Vous me permettrez d'en
reprendre certains éléments. Le premier élément a
trait aux événements de janvier quand surtout M. Beaulé et
peut-être aussi M. Jasmin - mais c'est surtout M. Beaulé - m'a dit
avoir eu des rencontres au bureau du premier ministre et avoir rencontré
Jean-Roch Boivin. Il m'a aussi dit qu'il y avait, semble-t-il, un souhait, un
désir gouvernemental que cela se règle. Il ne faisait pas du tout
référence aux visites, que je n'ai connues que par les journaux
depuis quelques semaines, du 15, 16 ou 17 janvier. C'est...
M. Paradis: Si Me Aquin permet une question à ce
moment-là?
M. Aquin: Oui.
M. Paradis: C'est parce que je...
M. Aquin: Si vous me permettez, seulement un instant. Vous
questionnerez vous-même Me Beaulé, il est arrivé la semaine
dernière. Je pense qu'il l'a répété la semaine
dernière. Il a toujours pensé que notre bureau avait abusivement
poursuivi le syndicat américain. Il m'a dit dès décembre
que notre poursuite contre le syndicat américain était abusive,
que c'était un coup de force, qu'on n'a pas pensé que, en droit,
ce n'était pas fondé, qu'il y avait des dimensions sociales,
internationales, etc. C'est à ce moment-là que l'idée se
dégage chez moi, lorsqu'il me dit - est-ce en décembre ou au
début de janvier? - qu'il a eu un contact au bureau du premier ministre
et qu'il y aurait un souhait gouvernemental. Mais je ne savais pas qu'il y
avait eu plusieurs rencontres. Je l'ai appris il y a un mois. Ce que vous avez
dit est exact, en mettant côte à côte des faits dont vous
avez la preuve. Mais, ce que je savais à l'époque, c'est qu'il y
avait peut-être eu une rencontre. Je ne le sais pas. Je sais qu'il y en a
eu une, il me l'a dit. Je sais qu'il m'a dit qu'il y aurait un souhait du
premier ministre. Cela, je veux le vérifier. Je ne contredis pas ce que
vous avez dit, vous ferez vous-même les déductions de la preuve
qui est devant vous. Je ne savais pas qu'il y avait des rencontres en janvier
au bureau du premier ministre avec les personnes que vous avez
mentionnées. Cela, c'était sur les événements de
janvier. Ce que je voulais vérifier avec vous, c'est ceci: On parle des
rencontres au bureau du premier ministre; dans mon esprit, il n'y en avait
peut-être eu qu'une seule.
M. Paradis: D'accord. Vous saviez, d'abord, qu'il y avait au
moins eu une rencontre de vos adversaires au bureau du premier ministre...
M. Aquin: Et je savais que...
M. Paradis: ...et vous vous demandiez si cette histoire
était un "bluff"?
M. Aquin: Ce n'était pas cette rencontre qui me frappait,
c'est qu'on me disait: II y a un souhait gouvernemental voulant que cela se
règle. C'est cela que je voulais vérifier.
M. Paradis: D'accord.
M. Aquin: Là, je vérifie avec Me Gauthier en
janvier. Vous me diriez que je l'ai vérifié à la toute fin
de décembre, ce ne serait pas une impossibilité, mais je crois
que c'est plutôt en janvier. Je suis pas mal sûr que c'est en
janvier. Je n'ai aucun registre me confirmant cette date. Ensuite, vous
évoquez le fait que, le 2 février, nous rencontrons Me Boivin.
Là, il nous dit, d'une façon beaucoup plus officielle que Me
Gauthier - d'ailleurs, je lui ai demandé si la conversation était
officieuse: Non, c'est clair - qu'il y a eu une rencontre la veille et que le
premier ministre a manifesté son désir aux trois
présidents.
Je reviens donc à votre question: Dans quelle position
étions-nous pour négocier? Là, il se passe deux choses.
Nous sommes, comme avocats, des gladiateurs engagés pour la guerre. M.
Jetté pourra vous le confirmer, on ne ralentit notre preuve d'aucune
façon. On y va au fond. On est là pour une cause. Si nos clients
veulent régler, ils nous diront dans quelle mesure et on essaiera
d'avoir ce qu'ils nous demandent. Alors, dans quelle position
étions-nous? On était dans la position d'avoir reçu deux
mandats: un, le 7 février - je vous ai expliqué, dans une
première ronde de négociations, comment on a essayé de le
rencontrer - et l'autre, le 21 février, deuxième ronde de
négociations dont M. Cardinal a eu la charge. La réponse que je
veux donner à votre question, après avoir fait des
précisions sur certains points, est celle-ci: Nous n'étions pas
dans le cas de l'avocat agissant pour le client individuel qui dit:
Maître, je voudrais régler, voulez-vous me sortir le meilleur de
la situation? On n'a pas cela avec des grosses corporations,
c'est-à-dire le client qui vous dit: Faites quelque chose. Nous autres,
on a eu des mandats précis: le mandat du 7 février et le mandat
du 21 février. On exécute ces mandats.
M. Paradis: Mais, rendu au 2 février, vous saviez
que...
M. Aquin: ...on continue toujours notre cause à fond. Je
dois vous dire, si je vous donne une impression personnelle, que, voyant les
mandats que nous recevions du conseil d'administration, quand je pars en
vacances le 16 février je n'aurais jamais pu, si on revient au langage
du jeu, parier ni sur un bord ni sur l'autre que cela se réglerait ou ne
se réglerait pas. Je ne le savais pas.
M. Paradis: Le 2 février, vous aviez vérifié
ce que vos adversaires vous avaient dit et le seul actionnaire de votre client,
et cela vous est rapporté par Me Boivin, Me Gauthier, il y a le premier
ministre, son chef de cabinet, son attaché politique. Donc vous
êtes conscient du souhait ou du voeu pieux politique.
Maintenant, on s'en va au mandat - et je suis content que vous le
rapportiez - que vous recevez cinq jours après cette rencontre, soit le
mandat du 7 février. Textuellement, on le retrouve à la page 107
du cahier que vous nous avez distribué. Votre mandat était que
"vous exploriez auprès des procureurs des défendeurs la
possibilité d'un règlement hors cour de la cause ci-haut
mentionnée sur la base d'une reconnaissance par tous les organismes qui
sont défendeurs dans cette cause de leur responsabilité pour les
dommages et du paiement à la Société d'énergie
d'une somme d'argent qui pourrait lui être acceptable, le tout sous
condition que les actions, etc., par les assureurs soient
réglées"... en même temps.
La même journée soit le 7 février, suivant votre
témoignage, Me Beaulé, le procureur des syndicats
américains, et Me Jasmin, le procureur des syndicats
québécois, se rendent à vos bureaux. Personnellement, Me
Aquin vous négociez ou vous discutez avec Me Beaulé, et votre
associé, Me Cardinal, discute avec Me Jasmin. Suivant votre
témoignage, dans la discussion que vous avez eue, vous avez dit: J'ai
essayé de partir de 1 000 000 $ à peu près. M.
Beaulé est un négociateur dur. Il est revenu à dire 1 $
presque. Finalement, cela ne semblait pas aboutir là-dessus.
Le 8 février, il y a un appel téléphonique de M.
Jean-Roch Boivin, chef de cabinet du premier ministre à vos bureaux.
Le 9 février, le lendemain, Me Cardinal, votre associé,
ainsi que Me Jasmin, suivant les documents qui nous ont été remis
par le bureau du premier ministre, se retrouvent au bureau du PM et, le 12
février, vous faites rapport de votre mandat.
J'ai eu l'occasion de prendre la parole précédemment dans
cette commission et j'ai adressé des questions à Me Cardinal,
votre associé, au niveau de la négociation en espèces.
Celui-ci m'a répondu, et là je vous cite le ruban R-747 du 21
avril 1983, et c'est Me Cardinal qui parle: "J'ai entendu depuis de longues
semaines, de longs jours, cet argument que nous avons eu 300 000 $, qu'on
aurait dû avoir plus, qu'on aurait dû avoir moins. La question est
simple: pour autant que je suis concerné, j'imagine, qu'il parlait en
son nom personnel et au nom de Geoffrion et Prud'homme, pour autant que le
bureau d'avocats est concerné, cette négociation n'était
pas une négociation financière. On n'est pas parti de 20 000 000
$ pour se rendre à 300 000 $ en commençant par 100 000 $.
Vraiment, là, il serait temps qu'on démissionne. Alors, toute
cette négociation, quand on a écouté et qu'on a
parlé, cela touchait toujours à des questions de principe
à savoir qui admettait sa responsabilité, qui ne l'admettait pas.
Par exemple, tout à coup, on nous a dit: II faudrait tout de même
que vous couvriez vos frais...
Plus tard, Me Cardinal, à une question que je lui posais sur le
plan financier: "Vous n'étiez nullement impliqués
là-dedans?" me répond: "C'est sûr qu'on ne l'était
pas."
Il ajoute: "II faut bien s'entendre. Le principe était que nos
clients, avec les frais qu'il y avait sur la table, prenaient un
règlement pour d'autres raisons que de l'argent..."
M. Cardinal: Si vous me le permettez, juste un instant.
M. Paradis: Oui.
M. Cardinal: Ce que j'ai voulu dire, c'est que c'était
l'ordre de grandeur qui était là. Je ne veux pas dire par
là que cela n'aurait pas fait mon affaire et l'affaire de mes clients
d'avoir 600 000 $ au lieu de 300 000 $. Il y avait un autre ordre de grandeur
tout à coup que l'ordre de grandeur du montant de l'action qui avait
été prise.
M. Paradis: Cela va. Lorsque vous avez eu votre rencontre, c'est
un peu dans cet ordre de grandeur qu'on se retrouvait et qu'on parlait de 1 000
000 $ à 1 $ à l'occasion de la rencontre que vous avez eue avec
Me Beaulé le 7 février dans vos bureaux. (12 h 15)
M. Aquin: Ce n'est pas lui qui était descendu à 1
$. C'est M. Jasmin avant. Lui, il n'avait cependant pas beaucoup bougé.
Je pense que c'est M. Jasmin, avant, qui avait baissé à 1 $.
M. Paradis: De toute façon, ils ont baissé à
1 $.
M. Aquin: Ils n'avaient pas fait un grand bout de chemin.
M. Paradis: Vous, comme avocat dans cette cause, vous aviez
vérifié le "bluff" de vos adversaires. Vous vous êtes rendu
compte que c'est vrai qu'il y avait un voeu pieux politique, émis par le
premier ministre, transmis par son chef de cabinet, transmis par son
attaché politique. Lorsque vous avez négocié, est-ce pour
cela que vous avez négocié dans le paramètre que Me
Cardinal vient de nous expliquer, parce que vous saviez que vous ne pouviez
avoir plus à cause d'une décision politique?
M. Aquin: Non, nous avons négocié dans les
paramètres du mandat qui nous a été donné dans la
lettre que vous retrouvez à la page 107.
M. Paradis: Pour couvrir les frais?
M. Aquin: C'est-à-dire que c'est ça le mandat qui
nous a été donné, à la page 107...
M. Paradis: Est-ce que vous avez couvert les frais dans votre
négociation?
M. Aquin: Non. M. Paradis: Non.
M. Aquin: À la page 107, on nous dit: "Reconnaissance par
tous les organismes qui sont défendeurs dans cette cause de leur
responsabilité et du paiement à la société
d'énergie d'une somme d'argent qui pourrait lui être acceptable."
Là, Me Cardinal vérifie avec Me Gadbois et on parle d'à
peu près 500 000 $. Ce sera plus clair dans le mandat du 21
février. Ce sur quoi je voudrais être clair, c'est que nous, dans
cette cause-là, on plaide la cause. Si on avait eu des influences
gouvernementales, on aurait pu ralentir la cause, essayer d'être moins
bons. Ce n'est pas notre genre, on plaide jusqu'au bout. Alors, c'est une chose
qu'on continue de faire; on la plaide comme si elle ne devait jamais se
régler. Me Jetté sera très...
M. Paradis: Sauf le 15 janvier où vous acceptez une
demande d'ajournement?
M. Aquin: Cela arrive de donner une semaine à la partie
adverse pour voir s'il va y avoir une offre. Ensuite, on fonctionne à
fond et on n'a pas envie d'arrêter. Quand on nous demande de fixer le
cadre de référence des négociations ou de
négociations éventuelles, on n'est pas du genre de ceux qui
facilitent le règlement. La preuve, c'est que c'est moi qui dis:
À part cela, si jamais vous réglez, vous nous devez 300 000 $. On
veut être assez clair à ce sujet. Ensuite, quand le conseil nous
donne le mandat de régler pour une somme qui est acceptable et que son
avocat nous dit que c'est entre 400 000 $ et 500 000 $, on commence par
demander 1 000 000 $; on ne l'a pas, et vous voyez comment cela se termine.
Nous faisons, dans ce cas-ci - comme cela arrive, d'ailleurs, pour de
très grosses corporations -des négociations; nous sommes
encadrés dans un corset assez précis et assez rigoureux. Ce que
M. Cardinal a dit est exact. Si on nous avait dit: On a une cause de 30 000 000
$, essayez de nous régler cela au meilleur taux, je pense qu'on ne
serait pas ici, ce matin, on serait trop gêné. Cela n'a pas
été une question d'ordre financier.
Quels ont été les motifs qui ont inspiré le conseil
d'administration? Vous les avez écoutés. Il y en a qui ont
invoqué la dimension sociale, d'autres, la dimension internationale,
l'aspect socio-politique. Je ne vais pas du tout revenir là-dessus. Mais
on ne les a pas rencontrés, les membres du conseil, dans ce
sens-là. Ce qu'on sait, nous, de notre bout de la lunette, c'est que le
conseil d'administration a l'air partagé et c'est pour cela qu'on
reçoit des mandats très précis. On sait aussi qu'il y a un
souhait gouvernemental. Quel est le rapport qui peut se faire entre les deux?
C'est l'une des tâches de cette commission de le savoir. Vous n'avez pas
encore réussi aujourd'hui, ou vous espérez tous le trouver. Mais,
nous, à l'époque - quel est le rapport entre les deux? je ne sais
pas s'il y a un rapport entre les deux - tout ce qu'on sait, c'est qu'on fait
les tâches qui nous sont dévolues et on ne négocie que dans
des paramètres très rigoureux.
Le 7, à toutes fins utiles, on nous demande d'aller chercher une
somme de 500 000 $ et, le 21, on nous demande d'aller chercher une somme
à peu près identique. Finalement, notre client se dit satisfait
de ce que M. Cardinal fait dans son rapport du 27. C'est notre tâche. Sur
le plan des plaidoiries, on est allé à fond. Sur le plan des
négociations, on est allé dans les paramètres qui nous
étaient fixés par notre client. On n'est pas des enfants. On se
doutait qu'au conseil d'administration, il pouvait y avoir une situation
évolutive. C'est pour cela qu'on avait des mandats très
rigoureux.
M. Paradis: Mais vous avez quand même été mis
au courant du souhait directement par le bureau du premier ministre? Ce ne sont
pas strictement vos clients qui vous l'ont dit.
M. Aquin: Ah! cela. Comme je vous l'ai dit, M. Gauthier avait
été prudent en disant qu'il y avait un souhait du gouvernement,
mais que le conseil était partagé. M. Boivin avait
été clair. Il avait dit: Hier, le premier ministre les a
rencontrés. D'ailleurs, je pensais même qu'il y avait eu une
plus
grande unanimité la veille que ce que j'ai appris ici.
M. Paradis: Maintenant...
M. Jetté: Si vous me permettez...
M. Paradis: Oui, Me Jetté.
M. Jetté: ...je voudrais simplement ajouter une petite
précision. C'était tellement vrai qu'on était d'abord
là pour plaider que j'ai... Si vous avez - comme vous l'avez
sûrement fait - épluché nos comptes, vous avez vu que,
même dans la semaine qui a suivi le 27 février, on a
continué à se préparer. En revoyant mon dossier, je me
suis aperçu que j'avais plusieurs subpoenas encore en circulation et que
j'avais même établi, pour la semaine du 6 mars, un ordre de
témoins.
Alors, il n'était pas du tout certain à la fin de
février qu'on allait régler. En tout cas, dans mon esprit, je ne
voulais pas entendre parler du règlement parce qu'il est difficile de
plaider, quand on sait que tout cela ne mènera peut-être à
rien. Je me tenais personnellement un peu loin des négociations et je
n'aimais pas en entendre parler.
Je peux vous dire pertinemment que, même à partir du 27, et
jusqu'au 6 mars, on a continué à se préparer pour
continuer la bataille. Nous avions des témoins d'alignés pour les
jours qui suivaient.
M. Aquin: Je suis content que M. Jetté dise cela, parce
que l'autre écueil dans ces choses-là, c'est qu'à un
certain moment, le client décide qu'il n'y a plus de règlement
pour une raison ou pour une autre. Il vous dit: Comment se fait-il que vous
ayez ralenti? Comment se fait-il que vous ne soyez plus prêts à
continuer? Alors, il faut être prêt à continuer et nous
l'étions.
M. Paradis: C'est pour cela que Me Jetté n'allait pas aux
lunchs?
M. Aquin: Pardon?
M. Paradis: C'est pour cela que Me Jetté n'allait pas aux
lunchs?
M. Jetté: Je fuyais cela.
M. Paradis: Je suis content, Me Jetté, que vous attiriez
mon attention sur la facturation du mois de février. Justement, elle
nous a été remise par M. Laliberté, dans un document
appelé "Lettres et documents annexes transmis par la
Société d'énergie de la Baie James à la commission
parlementaire de l'énergie et des ressources". À la page 31, en
date du 20 février 1979, date fatidique à laquelle le
député de Marguerite-
Bourgeoys adresse une question au premier ministre du Québec
portant sur cette affaire à laquelle le premier ministre répond,
date également à laquelle il y a une rencontre avec le conseil
d'administration de la SEBJ, on retrouve, comme dernier article facturé
-dans un compte d'honoraires d'avocats, c'est la première fois que je
vois cela, je n'en ai peut-être pas vu assez, me direz-vous
vérification des dates de session à l'Assemblée nationale
du Québec. Qu'est-ce que c'est?
M. Jetté: Je vais vous expliquer pourquoi c'est là.
On a eu un petit problème à un moment donné - je pense que
cela pouvait être à la fin du mois de janvier ou au début
du mois de février - devant le juge Bisson. Les médias avaient
rapporté que la cause se réglait. Je pense même qu'on avait
mentionné le chiffre de 125 000 $. Le juge Bisson travaille, lui aussi,
comme nous. Le matin, lorsque la cause a commencé, il nous a fait la
remarque suivante: J'espère que je ne suis pas en train de siéger
pour une cause déjà réglée. La situation est un peu
délicate, quand les médias annoncent un règlement et que
les avocats et le juge travaillent là-dessus. Cet incident
s'était produit et on avait dû rassurer le tribunal en lui disant
qu'il n'y avait pas de règlement et qu'on poursuivait cette instance de
façon normale.
De mémoire, je me rappelle que, vers cette date du 20, de nouveau
les médias d'information avaient laissé entrevoir qu'il pouvait y
avoir un règlement. À ce moment-là, j'étais un peu
inquiet parce qu'il y avait une question de courtoisie pour le tribunal et il y
avait une question de crédibilité pour nous. Je pense qu'on en
avait discuté, comme cela, d'une façon très simple au
bureau. Quelqu'un avait dit: J'espère qu'il n'y a pas un politicien qui
va annoncer à l'Assemblée nationale que la cause est
réglée pendant qu'on est en train de la plaider. Je ne me
rappelle pas qui c'était, mais je m'en souviens. On avait alors
demandé à quelqu'un de téléphoner ou de s'informer
pour savoir si l'Assemblée nationale siégeait afin d'essayer
d'éviter ou de prévoir si un politicien quelconque ne nous
annoncerait pas en Chambre que cette affaire, qu'on débattait, se
réglait. C'était cela. Cela a été inscrit dans le
compte, parce que probablement que celui qui avait fait la vérification
avait inscrit sur sa charge de temps, cette journée-là, qu'il
avait fait des appels pour savoir ce qui se passait ici à Québec,
à toutes fins utiles. C'est simplement l'histoire.
M. Paradis: II a dû y avoir beaucoup de nouvelles le 20
février, parce que...
M. Jetté: Oui. Il a fallu réitérer que la
cause n'était pas réglée parce que je pense que c'est dans
ces journées que M. Lalonde a
posé sa question, quelque chose comme cela. C'était
simplement cela.
M. Paradis: Cela m'étonne parce qu'en date du 20
février - là, j'y vais de mémoire - le premier ministre a
déclaré, justement en réponse à une question de M.
Lalonde, le député de Marguerite-Bourgeoys, que c'était en
voie de règlement et que cela allait bien.
M. Jetté: Je ne pense pas que ce soit cela qu'il ait dit.
Comme je vous le dis, les détails, je ne m'en souviens pas. Je me
rappelle simplement la préoccupation, à un moment précis
dans le temps, d'essayer d'éviter ce qui s'était produit
antérieurement, c'est-à-dire de se faire faire une remarque par
le tribunal, en ce sens que c'était un peu discourtois d'apprendre par
la voie des journaux qu'une cause qui se plaide est réglée.
C'était bien normal.
M. Paradis: Vous m'excuserez d'y revenir, mais j'ai le journal
des Débats du 20 février 1979, M. Lalonde, le
député de Marguerite-Bourgeoys, ou le premier ministre, sous le
titre: "Dommages causés au chantier de LG 2. M. Lalonde dit: "Or, on
apprenait, il y a quelques semaines, que la Société
d'énergie de la Baie James - cela faisait suite à une question
qu'il avait posée le 12 février - envisageait de régler la
réclamation de 32 000 000 $ pour la modique somme d'environ 125 000 $.
La semaine dernière, j'ai posé des questions au ministre de la
Justice, M. le Président, et vous vous souvenez que ses réponses
ont fait état d'une ignorance évidente de ce dossier."
C'était le cas en relisant les réponses. "Aujourd'hui, je veux
poser mes questions au premier ministre - c'est M. Lalonde qui parle -
Premièrement, est-il exact qu'un tel règlement est
envisagé? Deuxièmement, est-il exact que c'est dans le bureau du
premier ministre, en présence du premier ministre ou d'un de ses
représentants, qu'une partie de cette négociation de
règlement a eu lieu?"
M. Lévesque de répondre: "M. le Président,
il y avait trois questions du député. Premièrement, il est
exact qu'il est question d'un règlement..." C'est le 20 février
en Chambre...
M. Jetté: C'est possible, vous avez le texte devant
vous.
M. Paradis: "C'est même, paraît-il, pour ce que j'en
sais, assez avancé." Est-ce que vous avez reçu cette information
cette journée-là?
M. Jetté: Non. M. Paradis: Non.
M. Duhaime: Je m'excuse, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: II faudrait lire toute la réponse du premier
ministre. Oui, allez-y: "Deuxièmement...
M. Paradis: Si le ministre et le président insistent, je
vais continuer à la lire.
M. Duhaime: Oui, c'est important.
M. Paradis: Je la reprends. On est le 20 février et,
à la question du député de Marguerite-Bourgeoys, le
premier ministre dit: "Premièrement, il est exact qu'il est question
d'un règlement. C'est même, paraît-il, pour ce que j'en
sais, assez avancé. Deuxièmement, ce n'est pas du tout, ni de
près ni de loin, dans le bureau du premier ministre que le
règlement ou partie de règlement a eu lieu. Mais il y a eu une
consultation au bureau du premier ministre, oui, avec des gens du conseil
d'administration de l'Hydro et de la Société d'énergie de
la Baie James. Je crois qu'en toute bonne foi, parce qu'il s'agit de quelque
chose de très important qui concerne une propriété
publique, le député permettra que je donne
l'arrière-plan." Là, je pourrais...
M. Dussault: C'est très intéressant.
M. Duhaime: Je peux bien le lire. Aimeriez-vous que je le
lise?
M. Paradis: Le premier ministre a continué en faisant
allusion, dans le paragraphe qui suit, au saccage, aux dommages de 32 000 000
$. Il a insisté sur le fait que la décision appartenait quand
même, forcément... C'est mon droit de parole.
M. Duhaime: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): Une question de
règlement de la part du ministre. M. le ministre.
M. Duhaime: M. le Président, on fait
référence à une réponse qu'a donnée le
premier ministre à l'Assemblée nationale le 20 février
1979; c'est rapporté aux pages 5739 et suivantes. Il serait important de
bien situer la réponse du premier ministre, puisque je pense que le
député de Brome-Missisquoi a l'intention d'enchaîner avec
des questions. Le grand danger de ce genre d'exercice, c'est qu'on fasse des
extractions d'une déclaration qui forme un tout. On a tout le temps
qu'il
faut, vous savez. Si cela vous fatigue de le lire, je peux le lire
à votre place. Cela serait important que vous continuiez le paragraphe:
"À la suite du saccage dont tout le monde, hélas, se souvient, il
y a eu une poursuite d'intentée..." Le reste est très important
pour la bonne compréhension.
M. Gratton: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! M. le
député de Gatineau ou M. le député de
Brome-Missisquoi?
M. le député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: Cela serait important qu'on continue à le
lire, s'il veut qu'on le lise au complet, parce qu'on apprend que le premier
ministre, contrairement aux avocats, était au courant que l'aide
juridique avait une responsabilité financière dans cela et qu'on
pourrait finir plus déficitaire...
M. Duhaime: Oui, c'est cela.
M. Paradis: ...même si on réglait pour 300 000 $,
que cela pourrait coûter plus cher. Il était au courant de tout
cela et il a tout de même réglé sa cause pour... On
pourrait tout faire cela.
M. Duhaime: Est-ce que vous le lisez ou si je vais demander
à M. le président de me permettre de le lire?
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gatineau.
M. Paradis: Je vais poser ma question. Si le ministre...
Le Président (M. Jolivet): Juste un instant.
M. Paradis: ...veut poser d'autres questions en vertu de son
droit de parole tantôt, il le fera.
Le Président (M. Jolivet): Juste un instant. J'ai cru
comprendre que le député de Gatineau voulait poser une question
de règlement. (12 h 30)
M. Gratton: Tout simplement pour dire au ministre que, lorsqu'il
dit que le député de Brome-Missisquoi doit bien situer la
réponse du premier ministre, ce n'est pas ce que le député
de Brome-Missisquoi doit faire. Le député de Brome-Missisquoi
doit bien situer la question qu'il désire poser à nos
invités et, si le ministre n'est pas satisfait de la situation qu'il a
faite de la réponse du premier ministre le 20 février 1979, il
rétablira les faits au moment où il aura la parole. Mais,
présentement, c'est le député de Brome-Missisquoi qui a la
parole.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Brome-Missisquoi.
M. Paradis: M. le Président, je reprends donc, pour nous
situer dans le décor, une question du député de
Marguerite-Bourgeoys qui se lisait comme suit: "Premièrement, est-il
exact qu'un tel règlement est envisagé?" On est le 20
février, la date de la facturation. Deuxièmement, est-il exact
que c'est dans le bureau du premier ministre, en présence du premier
ministre ou d'un de ses représentants, qu'une partie de cette
négociation de règlement a eu lieu? Enfin, dans l'affirmative, en
vertu de quel principe la SEBJ renonce-t-elle ou est-elle prête à
renoncer à une réclamation de 32 000 000 $ pour moins de 0,4%?
Est-ce en vertu du préjugé favorable envers les travailleurs ou
en fonction d'une évaluation objective des droits et des
intérêts de la population dans cette réclamation?
Le président de l'Assemblée nationale dit: "M. le premier
ministre." M. Lévesque (Taillon) dit: "M. le Président, il y
avait trois questions du député. Premièrement - et ma
question va porter là-dessus, sur le premièrement et le
deuxièmement - il est exact qu'il est question d'un règlement.
C'est même, paraît-il, pour ce que j'en sais, assez avancé.
Deuxièmement, ce n'est pas du tout, ni de près ni de loin, dans
le bureau du premier ministre que le règlement ou partie de
règlement a eu lieu. Mais il y a eu une consultation au bureau du
premier ministre, oui, avec des gens du conseil d'administration de
l'Hydro-Québec et de la Société d'énergie de la
Baie James. Je crois qu'en toute bonne foi, parce qu'il s'agit de quelque chose
de très important qui concerne une propriété publique, le
député permettra que je donne l'arrière-plan..." Et
pendant trois ou quatre autres pages que le ministre lira tantôt, il lui
donne un arrière-plan. Il lui donne un arrière-plan. Il le lira
tantôt.
Ma question est: Est-ce que cela a été porté
à votre connaissance lorsque vous avez fait des vérifications le
20 février 1979? C'est aussi simple que cela.
M. Jetté: Mon souvenir de la chose est que je ne suis pas
certain du tout si cette demande de vérification a été
faite après que ce que vous m'avez lu tantôt a été
connu. Cela a pu être tôt le matin. Mon souvenir est que cela
n'avait rien à voir avec cela. C'était plutôt que des
médias d'information, peut-être pendant la fin de semaine,
à peu près à ce moment, avaient laissé entrevoir de
nouveau cette question de règlement, et cela m'avait
préoccupé. D'ailleurs, je ne me souviens pas d'avoir pris
connaissance, de façon bien formelle à l'époque, de ce que
vous avez lu tantôt. Ma
préoccupation était ailleurs.
Ce que je voulais, c'était de ne pas poser vis-à-vis du
tribunal un geste qui soit interprété comme étant
discourtois et je devais aussi protéger notre crédibilité
comme avocats de la demanderesse. Alors, j'étais un peu inquiet de
savoir qui dirait quoi et que ce soit de nouveau porté aux oreilles de
M. le juge Bisson qui était saisi de l'affaire. C'était vraiment
ma seule préoccupation.
Quand cela a été fait, je me souviens que quelqu'un a
téléphoné ou a fait des démarches. Qui
c'était et à quel moment de la journée c'était? Je
ne pourrais vraiment pas vous en dire davantage.
M. Paradis: Est-ce qu'on peut demander à vos
collègues qui vous accompagnent si c'est l'un d'eux qui aurait fait ces
démarches? Parce que ceux qui ont facturé à votre bureau
cette journée sont Me Michel Jetté, Me Guy Prud'homme, Me
Jean-Paul Cardinal, Me Gilles Guèvremont, Me José Dorais et Me
Jean-Pierre Dépelteau. Donc, ce n'est pas Me Aquin. Est-ce que c'est
Me...
M. Aquin: Je n'étais pas là à ce moment,
mais je pense que c'est un étudiant ou... Je vais vérifier, mais
je pense que c'était un étudiant qui avait facturé.
M. Jetté: Je pense que c'est un des jeunes du bureau. Mais
qui était-ce? Je suis vraiment...
M. Paradis: Mais l'important est que ce que je viens de vous lire
ne vous a pas été rapporté cette journée.
M. Jetté: Ce que vous m'avez lu tantôt?
M. Paradis: Ce que je viens de vous lire, oui.
M. Jetté: Non, de mémoire, cela ne m'avait pas
frappé. Ma préoccupation était plutôt de savoir si
les médias nous parleraient encore de règlement, d'une
façon ou de l'autre. C'était simplement cela qui me
préoccupait.
M. Aquin: Même si je n'étais pas là, je
trouve que la déclaration de M. Jetté est fort logique parce que,
s'il est exact que les médias avaient commencé à
évoquer la question, peut-être que M. Jetté était
à juste titre inquiet de savoir si cela arriverait en Chambre. La preuve
est que c'est arrivé cette journée.
Je remarque dans notre facturation que, le lendemain, Me Jetté
téléphone au juge, ce qui n'est pas dans nos habitudes parce que
les juges aiment toujours être les premiers au courant de ce qui se passe
dans le dossier et les avocats, à ce moment... Ce que Me Jetté
évoquait tout à l'heure, quand cela avait paru à CKAC et
au canal 12, c'était le 24 janvier et il avait fallu l'expliquer au
tribunal le lendemain matin.
M. Paradis: D'accord. Mais lorsque vous avez
téléphoné, Me Jetté, à M. le juge par
courtoisie pour le tribunal et pour le tenir au courant de ce que vous
possédiez comme information, il n'a pas été question -
c'était le lendemain - de cette question en Chambre et de la
réponse du premier ministre.
M. Jetté: L'aspect politique dans cette affaire,
c'était le dernier de mes soucis. J'avais une cause à plaider et
je ne voulais pas manquer de respect vis-à-vis du tribunal et, en
même temps, je voulais protéger ma propre position comme avocat
qui devait être là tous les jours. Alors, j'ai certainement
appelé M. le juge Bisson pour lui dire: Voici, on en parle de nouveau,
mais soyez assuré, M. le juge, qu'il n'y a pas de règlement et on
continue la cause la semaine prochaine.
M. Paradis: Très bien, M. Jetté.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Me Jetté, on va enchaîner
là-dessus. J'avoue ne pas avoir vérifié les journaux
d'avant le 20 février, mais, pour vous situer, il y avait eu une
question de posée également à l'Assemblée
nationale, le 12 février 1979. C'est une question rapportée
à la page 5573 du journal des Débats, sous la rubrique
Réclamations consécutives au saccage de LG 2, à une
question du député de Marguerite-Bourgeoys, M. Lalonde, au
ministre de la Justice, M. Bédard. Ce ne serait pas étonnant que
les journaux en aient parlé, mais j'avoue ne pas avoir
vérifié. Mais cela situe très bien les propos que vous
venez de rapporter.
Cependant, M. le Président, je voudrais poursuivre la lecture
qu'avait si bien commencée le député de Brome-Missisquoi
sur la réponse du premier ministre avant de poser une ou deux questions
rattachées à cela. C'est à la page 5739 du journal des
Débats du 20 février 1979. La question de M. Lalonde au premier
ministre: "Dommages causés au chantier de LG 2", la question a
été lue, la réponse...
M. Paradis: Elle n'a pas été lue au complet.
M. Duhaime: Oui, vous l'avez lue au complet...
M. Paradis: Non.
M. Duhaime: C'est-à-dire que vous avez
lu le premier tiers et, tantôt, en posant une autre question vous
avez lu à partir de deuxièmement...
M. Paradis: Non, non. M. Duhaime: Alors...
M. Paradis: M. le Président, question de
règlement.
M. Duhaime: Vous voulez que je la lise au complet?
M. Paradis: Si le ministre veut être complet.
M. Duhaime: Cela va vous coûter une question de
règlement. Cela va être plus vite. M. Lalonde pose la question:
"M. le Président, le 21 mars 1974, la violence éclatait sur le
chantier de construction de la Baie-James dans ce qu'il a été
convenu d'appeler le saccage à la Baie-James, causant des dommages
considérables et forçant la fermeture du chantier pour une
période de 57 jours. Par suite de ces actes, la Société
d'énergie de la Baie James prenait, le 24 février 1976, une
action en dommages-intérêts au montant d'environ 32 000 000 $
contre un certain nombre de syndicats et d'individus. Le procès a
débuté devant la Cour supérieure à Montréal
le 15 janvier 1979, il y a quelques semaines. Or, on apprenait, il y a quelques
semaines, que la Société d'énergie de la Baie James
envisageait de régler la réclamation de 32 000 000 $ pour la
modique somme d'environ 125 000 $. La semaine dernière, j'ai posé
des questions au ministre de la Justice - on se réfère
nécessairement au 12 février - M. le Président, et vous
vous souvenez que ses réponses ont fait état d'une ignorance
évidente de ce dossier. "Aujourd'hui, je veux poser mes questions au
premier ministre. Premièrement, est-il exact qu'un tel règlement
est envisagé? Deuxièmement, est-il exact que c'est dans le bureau
du premier ministre, en présence du premier ministre ou d'un de ses
représentants, qu'une partie de cette négociation de
règlement a eu lieu? Enfin, dans l'affirmative, en vertu de quel
principe la SEBJ renonce-t-elle ou est-elle prête à renoncer
à une réclamation de 32 000 000 $ pour moins de 0,4%? Est-ce en
vertu du préjugé favorable envers les travailleurs ou en fonction
d'une évaluation objective des droits et des intérêts de la
population dans cette réclamation?"
Le président dit: "M. le premier ministre". Et M.
Lévesque, premier ministre, député de Taillon,
répond: "M. le Président, il y avait trois questions du
député. Premièrement, il est exact qu'il est question d'un
règlement. C'est même, paraît-il, pour ce que j'en sais,
assez avancé. Deuxièmement, ce n'est pas du tout, ni de
près ni de loin, dans le bureau du premier ministre que le
règlement ou partie de règlement a eu lieu. Mais il y a eu une
consultation au bureau du premier ministre, oui, avec des gens du conseil
d'administration de l'Hydro-Québec et de la Société
d'énergie de la Baie James. Je crois qu'en toute bonne foi, parce qu'il
s'agit de quelque chose de très important qui concerne une
propriété publique, le député permettra que je
donne l'arrière-plan." Il est 2 h 30 ou 14 h 30, tel qu'indiqué
au journal des Débats. "A la suite du saccage - c'est le premier
ministre qui continue - dont tout le monde, hélas, se souvient, il y a
eu une poursuite d'intentée, autour du mois de février 1976, en
dommages-intérêts au montant de 32 000 000 $. Cette
décision de poursuivre avait été prise par les
autorités de l'Hydro-Québec, après consultation - je vous
le fais remarquer - avec le premier ministre du temps, M. Bourassa, vers la fin
de 1975. Cette consultation, de même que la décision de
poursuivre, étaient absolument normales. Personne n'avait rien à
redire là-dessus. Après tout, la responsabilité
gouvernementale, au nom des citoyens, existe aussi au niveau politique. La
décision appartient quand même forcément à ceux qui
ont été chargés d'administrer ces biens publics, y compris
pour des poursuites ou pour quoi que ce soit. Il reste cependant que la
consultation - des rapports normaux, civilisés, entre des instances avec
de telles responsabilités - est normale" et c'est ce qui avait
été fait en 1975 avec le premier ministre de l'époque. "En
janvier de cette année, c'est-à-dire il y a quelques semaines, si
je suis bien informé, la Société d'énergie de la
Baie James a reçu des offres de règlement de la part de certains
des défendeurs et, ce qui est assez normal, de nouveau, elle a voulu
savoir le sentiment de celui qui vous parle là-dessus. "Mon sentiment a
été très clair, la décision appartient
forcément à l'Hydro-Québec et à son conseil
d'administration qui coiffe toute l'opération chantier, énergie,
etc. et, bien sûr, à la Société d'énergie de
la Baie James elle-même, qui est là comme partie. "Tout en
étant bien clair, et le demeurant encore aujourd'hui, mon sentiment et
je leur ai donné comme ils le demandaient - est éminemment
favorable à un règlement. Les modalités, je ne veux pas
les connaître, jusqu'au jour où on les connaîtra tous. Ce
n'est sûrement pas à mon bureau de commencer à dire que
cela sera tant, etc. Ce n'est pas de notre affaire. Mais l'idée, le
principe du règlement, oui. "Si on me le permet, je voudrais dire
rapidement pourquoi. Je réfère tout le monde
à la seule enquête - sauf erreur - qui a été
faite d'une façon globale, sur ce saccage de la Baie-James et qu'on
trouve aux pages 68 et 69 - dont je vais citer un bref extrait -du rapport de
la commission Cliche." Je pense qu'il est important, pour
l'équité, d'écouter ces deux paragraphes. C'est un
paragraphe qui m'a également frappé, j'ai eu l'occasion de le
lire à plusieurs reprises. Je vais citer le premier ministre qui,
lui-même, cite deux paragraphes du rapport Cliche: "Les commissaires ont
acquis la conviction que les travailleurs n'encourent pas la
responsabilité de ce qui est arrivé. Il ne s'agit aucunement
d'une réaction de masse, mais bien d'une opération montée
par un noyau de mécréants, dirigés par Duhamel, on s'en
souvient, pour montrer une fois pour toutes qui était le maître et
le "boss" à la Baie-James. L'impression nette que nous tirons de
l'interrogatoire des témoins du saccage est que les travailleurs ont
été de simples spectateurs et même des victimes des actes
insensés posés par un Duhamel en délire. "C'est à
ce genre de catastrophe que devait fatalement aboutir l'irresponsabilité
des aventuriers sans scrupule qui avaient fait main basse sur le contrôle
des principaux locaux syndicaux des chantiers de la FTQ-Construction." Ici, je
pense qu'il y a peut-être une erreur au journal des Débats, parce
qu'on devrait retrouver un guillemet, ce qui correspond à la citation du
rapport Cliche.
Le premier ministre continue ensuite: "Puisqu'on demande les
résultats de la consultation que j'ai eue avec les gens qui m'ont
demandé mon opinion - en parlant de cela et de quelques autres faits, il
me semble - c'est le sentiment que j'en ai -qu'il serait injuste de faire payer
par l'ensemble des travailleurs qui sont membres des syndicats
défendeurs, les syndicats québécois, qui peuvent
être tenus techniquement et juridiquement responsables - d'ailleurs, ils
l'admettent - des montants importants pour lesquels ils ne sont franchement pas
responsables. Ils ne sont tellement pas responsables qu'en fait ça se
passe remarquablement très bien à la Baie-James maintenant; -
c'est un mot que je n'entends pas souvent - on sait que, à l'automne
1979, des mois avant les dates prévues, les premiers groupes
générateurs vont être mis en service à LG 2. Ce qui
veut dire que, depuis ces événements, la productivité
s'est accrue sur le chantier et qu'il y a vraiment un climat remarquablement
meilleur que jamais auparavant. "J'ajouterais, tenant compte du rapport Cliche,
que trois des cinq individus défendeurs, y compris celui qui a
été nommé dans le rapport, ont déjà
été condamnés au criminel ou sont présentement
devant les tribunaux. Quant aux deux autres, si on s'imagine qu'ils pourraient
payer les montants éventuels du jugement, on est optimiste. "Il y a
évidemment l'implication - je termine là-dessus du syndicat
américain qui, lui, est solvable, parce que les syndicats
québécois ne sont pas solvables. Il semble que sa
responsabilité soit, le moins qu'on puisse dire, aléatoire; de
toute façon, s'il y avait un jugement, les recouvrements seraient longs
et compliqués, je pense que cela n'est pas difficile à
comprendre. Ce qui semble encore plus important, parce qu'il y a quand
même quelque chose qui est moralement difficile à défendre
à certains points de vue, c'est que l'implication - il y avait un
décrochage à peu près complet de la centrale syndicale
américaine - réelle des Américains est inexistante dans
ces événements. C'est leur faire porter une chose où
vraiment, ni de près ni de loin, ils n'ont eu quoi que ce soit à
faire. (12 h 45) "Finalement, le coût de la cause, si elle continue, est
le suivant, au bas mot, d'après ceux qui nous ont donné leur
opinion. Pour obtenir un jugement, cela coûterait à peu
près 2 000 000 $ ou 3 000 000 $ si on inclut les frais de la
société d'énergie et même ceux de l'aide juridique
du gouvernement qui, pour certains défendeurs, serait obligées de
se substituer aux procédures normales où on paie des avocats,
parce qu'ils n'ont pas les moyens. "Tout ça résume le sentiment
que j'ai donné aux gens qui voulaient l'avoir. Je ne parle même
pas du climat social et de la nécessité d'un bon climat sur des
chantiers lointains, mais les raisons sont là à partir de
là, la décision d'un règlement appartient à la
Société d'énergie de la Baie James, mais, comme elle
l'avait fait en 1975, au moment de poursuivre, en consultant, elle a eu
l'opinion du premier ministre d'aujourd'hui, s'il s'agit d'un règlement
éventuel."
Il y a eu ensuite un autre échange de questions et de
réponses, mais je pense que le bout le plus pertinent est celui que je
viens de citer.
Voici ma question, Me Cardinal. Vous avez commencé tantôt
par répondre aux premières questions du député de
Mont-Royal en disant, au début du témoignage que vous avez rendu
ce matin, que vous ne voyiez rien de répréhensible au fait que
vous-même ayez rencontré le chef de cabinet du premier ministre.
Vous avez ajouté que vous avez rencontré d'autres conseillers du
premier ministre au moment où l'instance a été
intentée, c'est-à-dire en février 1976 ou même
avant.
J'avoue que j'étais en train de prendre des notes sur d'autres
choses et j'ai mal saisi ce bout-là. Est-ce que vous pourriez être
un peu plus explicite?
M. Cardinal: La défense des syndicats
américains, de mémoire, c'était que la
société d'énergie avait une responsabilité elle
aussi dans le saccage. Il fallait revenir en 1975 et même avant cela.
À ce moment-là, naturellement, il a fallu que mon bureau, pour
préparer sa cause, rencontre les autorités du temps. C'est pour
cela qu'un avocat de mon bureau a rencontré quelqu'un du bureau du
premier ministre Bourassa. On a eu beaucoup de collaboration de lui. Il aurait
été prêt à témoigner. Il ne l'a pas fait,
parce que la cause a été réglée.
M. Duhaime: Est-ce que vous avez le souvenir de ce nom?
M. Cardinal: Pardon?
M. Duhaime: Est-ce que vous avez le souvenir du nom de la
personne?
M. Cardinal: C'est M. Paul Durocher. M. Duhaime: Monsieur
qui? M. Cardinal: C'est M. Paul Desrochers. M. Duhaime: Ah
bon!
M. Cardinal: Qui, d'ailleurs, a coopéré à
100% à ce qu'on lui demandait.
M. Duhaime: Est-ce qu'il vous avait mentionné qu'il
était même prêt à témoigner?
M. Cardinal: Bien sûr. M. Duhaime: Maintenant...
M. Cardinal: ...la raison pour laquelle je dis cela, c'est parce
qu'on me demande si j'ai rapporté à mes clients que j'avais vu M.
Boivin. Je ne le leur ai rapporté ni à l'un ni à l'autre.
On ne rapporte pas toujours à ses clients ce que l'on fait pour
préparer une cause.
M. Duhaime: Vous le pensez, mais, des fois... Je voudrais revenir
à ce registre dont on a parlé tantôt. J'avoue que mes
collègues pourraient me faciliter la tâche s'ils me remettaient la
photocopie, qu'ils ont en main, de la liste des rencontres au bureau de M.
Jean-Roch Boivin, avec les heures y attachées. J'avoue que, à
moins qu'elle n'ait une filière spéciale, l'Opposition est mieux
informée que moi ce matin. Des vérifications sont en cours. Je ne
suis pas en mesure de confirmer ou non les heures dont il a été
question, pour ce qui est de la date du 9 février 1979.
Mais je voudrais poser ma question à Me Cardinal. Au meilleur de
votre souvenir, est-ce que, pendant toute cette affaire, à partir de
l'automne 1976, c'est-à-dire lors de l'élection de notre
gouvernement, jusqu'à la date du dépôt à la cour du
document qui a constitué la transaction mettant fin à l'instance,
vous-même vous êtes retrouvé un jour ou à un moment
quelconque, quelque part, en présence de Me Jean-Roch Boivin et de Me
Michel Jasmin?
M. Cardinal: Je ne crois pas. La seule fois où cela aurait
pu arriver, c'est le 9. Je n'ai aucun souvenir d'avoir rencontré les
deux ensemble.
M. Duhaime: Est-ce que vous avez le souvenir, durant cette
même période que j'ai indiquée dans ma question tout
à l'heure, d'avoir été vous-même en présence
de Me Jean-Roch Boivin et de Me Rosaire Beaulé, quelque part, un jour,
à un endroit que j'ignore?
M. Cardinal: Je n'ai aucun souvenir d'une telle rencontre.
M. Duhaime: Je vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Mont-Royal.
M. Ciaccia: C'est seulement pour préciser les rencontres
que vous aviez eues avec M. Paul Desrochers, au sujet...
M. Cardinal: C'est un avocat de mon bureau, naturellement, qui
préparait la cause. Et M. Desrochers était l'une des personnes
qui auraient pu témoigner dans cette cause-là. Alors, en
préparant la cause, on a envoyé quelqu'un le voir...
M. Ciaccia: Je comprends. Ce n'était pas pour
arrêter les procédures...
M. Cardinal: Non, d'aucune façon...
M. Ciaccia: ...ou pour représenter la partie
adverse...
M. Cardinal: ...cela avait affaire avec la défense du
syndicat américain.
M. Ciaccia: Ah! Je comprends. C'était pour continuer les
procédures contre le syndicat américain. Ce n'est pas la
même chose que le lunch du 2, quand M. Jean-Roch Boivin vous a dit: Vous
allez avoir des documents de M. Beaulé, des documents de M. Jasmin. On
va vous faire parvenir la question de la solvabilité des syndicats. On
va vous envoyer un projet de transaction. C'était comme si M. Boivin
agissait comme procureur des défendeurs. Ce n'était pas dans ce
sens-là du tout? Très bien, je voulais seulement rétablir
les faits, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Donc, c'est une opinion que
vous avez exprimée. Comme
il n'y a pas d'autre...
M. Ciaccia: Je pose la question.
Le Président (M. Jolivet): Excusez-moi.
M. Ciaccia: Ce n'était pas une opinion.
Le Président (M. Jolivet): Juste un instant. Juste un
instant. Puisque vous n'aviez pas posé de question, j'avais cru
comprendre... Mais si vous avez une question, allez-y, M. le
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Je pose la question pour savoir si les discussions
que vous avez eues avec M. Boivin n'étaient pas dans le même genre
du tout que celles que vous avez eues avec M. Paul Desrochers.
M. Cardinal: En aucune façon. M. Ciaccia: Merci,
monsieur.
M. Aquin: Si vous permettez, M. Ciaccia, il n'y a aucun de nous
qui a rencontré M. Desrochers - c'est l'un de nos collaborateurs - dans
le but d'un témoignage éventuel et sur lequel - ce n'est pas
nous, d'ailleurs, je ne sais pas du tout ce qu'ils se sont dit - j'attire
l'attention de la commission, nous ne serions pas techniquement
délivrés du secret professionnel. Nous avons un secret avec les
futurs témoins dans une cause. Ici, nous avons été
libérés du secret professionnel dans les rapports entre notre
client et nous.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Il n'y a pas d'autre
question. Alors, je remercie Me Aquin, Me Jetté et Me Cardinal
d'être venus devant la commission. Et, au nom des membres de la
commission, nous vous remercions.
Me Cardinal, oui?
M. Cardinal: Au nom de mes associés et de moi-même,
nous vous remercions également, ainsi que les membres de la
commission.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Compte tenu de l'heure,
sachant que nous avons une autre personne qui est invitée, M. le juge
Jasmin, est-ce que je pourrais vous suggérer de suspendre nos travaux
jusqu'après la période des questions? Nous reviendrions vers les
16 heures, 16 h 30?
Des voix: D'accord, M. le Président. Le
Président (M. Jolivet): D'accord.
M. Duhaime: II faudrait prévenir l'honorable juge Jasmin,
si...
Le Président (M. Jolivet): II est présent. Me
Jasmin est ici. Il est à l'arrière. Donc, nous allons suspendre
nos travaux jusqu'après la période des questions.
(Suspension de la séance à 12 h 53)
(Reprise de la séance à 16 h 31)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît; La commission permanente de l'énergie et des ressources est
de nouveau réunie aux fins d'étudier les circonstances entourant
la décision du conseil d'administration de la Société
d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite
civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu
en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de
son bureau à cet égard.
Les membres de cette commission sont: MM. Dussault (Châteauguay),
Ciaccia (Mont-Royal), Duhaime (Saint-Maurice), Bourbeau (Laporte), Laplante
(Bourassa), Gratton (Gatineau), Lavigne (Beauharnois), LeBlanc
(Montmagny-L'Islet), Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), Tremblay (Chambly) et
Rodrigue (Vimont).
Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Perron (Duplessis),
Desbiens (Dubuc), Mme Harel (Maisonneuve), MM. Paradis (Brome-Missisquoi),
Pagé (Portneuf), Doyon (Louis-Hébert), ainsi que Saintonge
(Laprairie). Le rapporteur est toujours M. LeBlanc (Montmagny-L'Islet).
Au moment où nous avons cessé nos travaux à l'heure
du dîner, nous en étions rendus à l'invitation de
l'honorable juge Michel Jasmin, à qui je demande de s'avancer. J'ai
été mis au courant et je pense qu'on aura possiblement des
décisions à prendre sur la question du secret professionnel. En
conséquence, il a demandé d'être accompagné d'une
autre personne. Je ne lui permettrai pas d'être assermenté tant
qu'on n'aura pas entendu l'avocat qui l'accompagne, M. Jean-Marie
Larivière, à qui je demanderais de faire son explication
d'abord.
Un instant. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, avant d'entrer dans cette
question, j'aimerais demander au ministre s'il a obtenu les renseignements que
nous lui avons demandés au registre du bureau du premier ministre. Ce
matin, il nous a dit que, cet après-midi, il pourrait nous informer de
ces renseignements.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Oui, je suis en train de
les vérifier pour voir si cela correspond bien aux dates. Dans
quelques minutes, je les confierai à la photocopieuse.
Le Président (M. Jolivet): Dans ce cas, aussitôt que
ce sera disponible, on vous les distribuera.
Maintenant, Me Larivière, vous pouvez y aller.
Représentations du barreau du
Québec
sur le secret professionnel au moment
de l'appel de Me Michel Jasmin
M. Larivière: M. le Président, je suis Jean-Marie
Larivière, avocat de Montréal, membre de l'étude Corbeil,
Meloche et Larivière. Je détiens un mandat du barreau du
Québec que j'aimerais vous lire. Si la permission m'en est
donnée, j'aimerais ensuite faire un certain nombre de
représentations préalables au témoignage de Me Jasmin.
Je vous donne lecture d'une lettre du barreau du Québec, le 29
mars 1983, adressée à moi-même, Me Jean-Marie
Larivière. Objet: commission parlementaire permanente de
l'énergie et des ressources. "Cher confrère, à la demande
de M. le juge Michel Jasmin, la présente est pour confirmer votre mandat
de représenter le barreau du Québec comme amicus curiae
auprès de la commission parlementaire permanente de l'énergie et
des ressources, de lui présenter la position du barreau relativement au
secret professionnel de l'avocat en tenant compte des lois applicables et de
l'ordre public et d'y intervenir si vous le jugez à propos. "M. le juge
Jasmin a été invité à se présenter devant
cette commission parlementaire. Il pourrait être appelé à
répondre à des questions relatives à des mandats qui lui
ont été confiés lorsqu'il exerçait la profession
d'avocat. Dans les circonstances, il est du devoir du barreau de voir au
respect du secret professionnel, principe reconnu par le Charte des droits et
libertés et par la Loi sur le barreau. Vous remerciant de votre
collaboration, je vous prie d'agréer, cher confrère, l'expression
de mes sentiments les meilleurs." Et c'est signé: Le bâtonnier du
Québec, Claude Tellier, c.r.
M. le Président, j'aimerais, d'abord, vous expliquer dans quelles
circonstances cette chose s'est produite. Quand le juge Jasmin a appris qu'il
était convoqué ici, il a communiqué avec le barreau du
Québec afin d'avoir des directives quant à son comportement. Il
est évident que M. Jasmin, ayant quitté la pratique du droit
depuis deux ans environ, n'a plus aucun lien avec ses anciens clients et les
fonctions qu'il exerce rendent délicates des tractations entre lui et
ses clients.
Alors, dans un premier temps, le barreau du Québec m'a
demandé de voir ce que je pouvais faire par rapport aux anciens clients
du juge Jasmin, parce que vous savez que le secret professionnel peut
céder le pas si les clients renoncent ou libèrent l'avocat de
l'obligation. J'ai effectivement communiqué avec trois des quatres
clients que représentait le juge Jasmin dans cette poursuite: la
Société d'énergie de la Baie James contre un certain
nombre de défendeurs. Je dis trois, parce que je n'ai pas réussi
à rejoindre un des quatre, qui est une personne physique. Au moment
où j'ai tenté de communiquer avec cette personne pour la
première fois, c'était le 29 mars même, et j'ai appris tout
à fait informellement que cette personne était en dehors du pays.
Je ne sais pas pour combien de temps, mais je n'ai jamais eu son adresse.
Dans le cas des trois autres personnes, soit les deux syndicats que Me
Jasmin représentait et l'un des deux défendeurs comme personne
physique, j'ai communiqué par écrit avec ces personnes et je vais
vous donner lecture, si vous voulez, de la communication que je leur ai
faite.
Dans le cas de la personne physique: "Monsieur, nos services ont
été retenus par le barreau du Québec afin de voir à
ce que l'obligation au secret professionnel assumée par le juge Jasmin
alors qu'il était avocat et qu'il vous représentait dans
l'affaire du "saccage" de la Baie-James soit respectée. "Comme vous le
savez sans doute, le juge Jasmin a été invité à
témoigner devant le commission parlementaire de l'énergie et des
ressources et nous sommes d'opinion que la presque-totalité du
témoignage qu'il pourrait rendre est confidentielle et ne peut
être révélée sans que lui-même soit
libéré par vous-même et ses autres clients de l'obligation
au secret. "Votre consentement, si vous décidez de l'accorder, doit
être complet et sans réserve aucune, de façon à ce
que le juge Jasmin puisse répondre à toutes les questions qui lui
seront adressées. "Étant donné que la commission
parlementaire siège les 30 et 31 mars 1983, nous vous demandons d'agir
avec la plus grande diligence. N'hésitez pas à communiquer avec
nous pour tout renseignement additionnel".
Dans le cas des syndicats, il y avait un paragraphe additionnel qui
disait: "Veuillez nous faire parvenir votre décision par
résolution en bonne et due forme". Nous avons effectivement reçu
de la personne physique que nous avons rejointe une communication verbale.
Cette personne a informé mon bureau qu'elle ne désirait pas
relever le juge Jasmin de son secret professionnel. Nous avons eu
également deux communications écrites des deux syndicats, l'un
libérant complètement et sans réserve le juge Jasmin de
son obligation au secret
professionnel et l'autre, lui refusant une libération de son
secret professionnel.
Évidemment, le secret professionnel est indivisible puisque,
d'abord, ce sont des mandats qui ont été exécutés
en concomitance dans le temps et, même si ce sont quatre mandats
distincts, ils sont exécutés d'un seul jet. Comme le secret est
indivisible, nous sommes d'avis qu'il faut avoir la libération de chacun
des clients pour que M. Jasmin puisse témoigner devant vous. Alors, je
vous fais donc état du fait que, pour le moment, sur les quatre clients
qu'il avait à l'époque, il n'y en a qu'un qui a consenti à
le libérer.
J'aimerais maintenant vous donner lecture des articles pertinents des
deux lois qui traitent du secret professionnel de l'avocat. D'abord, l'article
9 de la Charte des droits et libertés de la personne: "Chacun a droit au
respect du secret professionnel. "Toute personne tenue par la loi au secret
professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent,
même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont
été révélés en raison de leur état ou
profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui
leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. "Le
tribunal doit d'office assurer le respect du secret professionnel". C'est la
disposition pertinente de la Charte des droits et libertés de la
personne.
De plus, il y a l'article 131 de la Loi sur le barreau qui stipule:
"L'avocat doit conserver le secret absolu des confidences qu'il reçoit
en raison de sa profession. Cette obligation cède toutefois dans le cas
où l'avocat en est relevé expressément ou implicitement
par la personne qui lui a fait ces confidences."
Sur le plan du droit, dans la province de Québec, la notion de
secret professionnel est unique en ce sens que, contrairement au reste du
Canada, qui se réfère là-dessus à la "Common law",
contrairement à la France, pour qui c'est une disposition d'ordre
pénal et public - et dans ce système, même le client ne
peut pas renoncer - au Québec, la première caractéristique
de ce droit du client au secret professionnel, c'est qu'il s'agit d'un droit
fondamental. Il est inscrit dans la Charte des droits et libertés. Il a
également été reconnu récemment par la Cour
suprême du Canada comme étant un droit fondamental qui trouve son
assise dans la saine administration de la justice. La Cour suprême
estime, en effet, que, s'il n'y a pas de secret professionnel, l'avocat ne peut
valablement exercer son métier d'avocat. Or, le métier d'avocat
est jugé essentiel pour une saine administration de la justice. Je vous
ai refait en bref et en résumé le raisonnement de la Cour
suprême. Mais, de toute façon, nos lois en font un droit
fondamental.
Je pense que l'Assemblée nationale et ses commissions - je le
soumets respectueusement - devraient respecter et donner la plus large
extension possible à cette notion qui est le droit d'un client au secret
professionnel et, en corollaire, l'obligation d'un avocat, ou d'un ancien
avocat dans le cas qui nous occupe, de respecter le secret dont il n'est pas
délié.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Merci, Me Larivière. Vos propos vont rappeler
avec nostalgie peut-être les années de pratique de plusieurs des
membres de cette commission parlementaire. Je voudrais vous poser une ou deux
questions. Si vous pensez que cela tombe sous le coup de votre propre secret
professionnel, vous l'évaluerez.
M. Larivière: Je vous ferai remarquer que dans ce cas-ci
mon client est le barreau du Québec - c'est important de le
spécifier -et non pas le juge Jasmin que je ne représente pas ici
aujourd'hui.
M. Duhaime: C'est ce que j'ai cru comprendre. D'abord, je pense
bien que les deux syndicats défendeurs sont facilement identifiables ici
dans les procédures. J'ai cru comprendre que l'un des deux acceptait de
libérer l'honorable Jasmin de son secret professionnel et que l'autre
refusait. Est-ce que vous auriez objection à identifier l'un et
l'autre?
M. Larivière: Non, M. le ministre. M. Duhaime: Alors,
allez-y donc.
M. Larivière: Très bien. Le Conseil provincial des
métiers de la construction a libéré M. Jasmin de son
obligation et l'Union internationale des opérateurs de machinerie
lourde, local 791, tel qu'on le décrivait à l'époque dans
les procédures, et qui est maintenant l'Union internationale des
opérateurs de machinerie lourde. Je voudrais être sûr que
j'ai bien les noms. L'Union des opérateurs de machinerie lourde, local
791, qui a pris la succession juridique des deux entités qui
s'appelaient, à l'époque, l'Union du Québec, que vous avez
décrite comme l'Union québécoise des opérateurs de
machinerie lourde, d'une part, et l'Union internationale, local 791.
Ce syndicat, qui s'appelle l'Union des opérateurs de machinerie
lourde, local 791, refuse catégoriquement, soit expressément soit
implicitement, de dégager le juge Jasmin de son secret
professionnel.
M. Duhaime: Cela dispose de deux des clients sur quatre. Les deux
autres, ce sont deux personnes physiques dont une n'a pas pu être jointe.
De qui s'agit-il?
M. Larivière: De M. René Mantha.
M. Duhaime: L'autre, ce serait M. Yvon Duhamel, par
déduction?
M. Larivière: Non. Il s'agit de M. Maurice Dupuis.
M. Duhaime: M. Maurice Dupuis.
M. Larivière: Oui. Le juge Jasmin a
représenté M. Yvon Duhamel uniquement pour les fins de la
signature d'une déclaration de règlement hors cour, mais ne l'a
jamais représenté auparavant. Il y a quatre clients en pratique.
(16 h 45)
M. Duhaime: Si j'ai bien compris l'exposé que vous avez
fait au nom du barreau du Québec, il y a deux choses là-dedans.
Premièrement, l'honorable juge Jasmin représentait
différents clients et, si un, deux ou trois sur quatre refusent -
même s'il n'y en avait qu'un seul - de le délier du secret
professionnel, votre représentation devant cette commission est que,
s'agissant d'un secret professionnel indivisible, nous ne pourrions adresser
des questions à l'honorable Jasmin.
M. Larivière: C'est la prétention du barreau du
Québec, M. le ministre.
M. Duhaime: Maintenant, je voudrais que vous informiez la
commission. J'avoue que nous avons un joyeux problème sur les bras et je
crains même que nous ne soyons obligés, M. le Président,
dans quelques minutes - je vais voir ce que mon collègue de
Marguerite-Bourgeoys va en dire - d'en référer à la
présidence de l'Assemblée nationale.
Est-ce que la prétention du barreau du Québec va dans le
sens que le secret professionnel couvre tout acte, tout agissement, toute
démarche, toute conversation de l'honorable Jasmin dans l'exercice de
son mandat pour l'un ou l'autre des quatre clients mentionnés
tantôt?
M. Larivière: La position du barreau du Québec, M.
le Président, est qu'il faut donner au droit du client au secret
professionnel l'extension la plus large possible. Quand on se
réfère au texte même de l'article 9 de la Charte des droits
et libertés de la personne, vous verrez que, nulle part, on n'utilise
les mots "confidences d'un client". Ce qu'on dit dans la charte, c'est que
toute personne tenue par la loi au secret professionnel ne peut, même en
justice, divulguer les renseignements confidentiels qui lui ont
été révélés en raison de son état ou
de sa profession. Donc, ce n'est pas "qui lui ont été
révélés par son client", mais "qui lui ont
été révélés en raison de son état ou
de sa profession". Alors, de notre point de vue, c'est beaucoup plus large que
la simple confidence de bouche à oreille d'un client à son
avocat. Ce sont aussi les instructions d'un client à son avocat. C'est
aussi la mise en place et l'application de ces instructions avec toutes les
conséquences que cela peut avoir.
Je vous signalerais, d'ailleurs, sans connaître absolument toute
la jurisprudence -parce qu'il y en a quand même, à travers le
Commonwealth, une certaine quantité - que j'en ai vu beaucoup et que,
généralement, la question se pose dans les termes suivants:
Est-ce que l'avocat est lié ou n'est pas lié? Si l'avocat est
lié, on le dispense de témoigner. Si l'avocat n'est pas
lié, il témoigne. Et ça se fait globalement. Le dernier
précédent dont je pourrais faire état, c'est celui de la
commission d'enquête sur les Jeux olympiques, où la ville de
Montréal avait refusé de libérer ses avocats, son
contentieux, de leur obligation au secret professionnel. Le juge Malouf a
reconnu que, effectivement, les avocats étaient liés et que, tant
que la ville de Montréal ne les déliait pas, ils n'étaient
pas aptes à témoigner. Le juge Malouf les a dispensés de
témoigner, généralement et globalement.
M. Duhaime: M. le Président, à ce stade-ci, je me
plierai bien volontiers à ce que vous-même ou encore la
présidence de l'Assemblée nationale déciderez. Je dois
vous avouer, cependant, que nous considérions le témoignage de
l'honorable juge Jasmin comme une contribution essentielle aux travaux de cette
commission et je trouve dommage que ses ex-clients n'aient pas pris cette
responsabilité de le libérer clairement de son secret
professionnel.
M. Larivière: M. le Président, est-ce que je
pourrais très brièvement attirer l'attention du ministre sur une
chose? Il faut faire bien attention. Quand on parle de secret professionnel,
c'est un droit pour les gens. Je ne pense pas qu'on ait à mettre en
doute les raisons pour lesquelles une personne ne libère pas son avocat.
Je ne pense pas, non plus, qu'on ait à commenter cela. Je le dis en tout
respect, mais c'est parce que cela nous échappe souvent. Le secret
professionnel est un droit, un droit qu'on reconnaît dans nos lois et qui
est essentiel à l'exercice de la profession d'avocat et à
l'administration de la justice.
Je pense donc que, pas plus qu'on n'a à demander à
quelqu'un pourquoi il ne veut pas s'abstenir de voter, on n'a à demander
à quelqu'un pourquoi il refuse de libérer son
avocat. Vous comprenez aussi que, s'il fallait qu'une personne se mette
à libérer parfois son avocat et à ne pas le libérer
d'autres fois, son refus de le libérer prendrait une couleur anormale,
compte tenu qu'il s'agit d'un droit.
Je pense que cette commission devrait prendre comme ligne de conduite
que, lorsqu'une personne refuse, c'est tout à fait normal. Elle exerce
un droit comme n'importe quel autre droit. Je m'excuse, M. le ministre. C'est
une remarque que je fais plus qu'autre chose.
M. Duhaime: Elle est fort pertinente. La seule chose que je vous
dis, c'est que je ne qualifie pas le geste qui est posé, sauf,
cependant, que je dis que la conséquence, sous réserve de voir ce
que le président de l'Assemblée nationale en décidera,
après consultation avec ses collègues à la
vice-présidence, j'imagine, c'est qu'il va y avoir des
éléments qui me paraissaient importants qui ne seront pas connus.
C'est tout ce que je veux dire.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, je dois, d'abord, accueillir
avec empressement l'initiative du barreau d'avoir étalé devant
nous les tenants et aboutissants du problème qui est soulevé.
Cela démontre sa vigilance. Naturellement, il faut dire que j'appartiens
au barreau, il faut bien que j'en parle en bien. Quand même, cela
démontre une vigilance tout à fait remarquable. Je voulais le
mentionner au début de mes propos.
Jusqu'à maintenant, on n'a pas rencontré ce
problème. Les avocats qui se sont présentés devant cette
commission avaient été libérés par leurs clients.
Simplement pour tenter de comprendre entièrement les propos de Me
Larivière: Si je vous comprends bien, la presque-totalité,
d'après la lettre dont vous nous avez donné lecture, du
témoignage que M. le juge Jasmin serait appelé à donner
serait couverte par cette obligation de confidentialité. J'imagine que,
pour en arriver à ces conclusions, vous avez dû vous rendre compte
de tout le témoignage qu'il aurait pu être appelé à
donner ici puisque vous vous prononcez sur la presque-totalité
seulement.
M. Larivière: M. le Président, ce n'est pas
après avoir fait un examen détaillé des faits ou du
témoignage qu'il pourrait rendre. Parce qu'il y a un certain malaise
là-dedans. Dans le fond, Me Jasmin, il est seul ici et ce n'est pas mon
client. Je n'ai pas à entrer avec lui dans le dédale du
témoignage qu'il pourrait rendre ici, non plus qu'à simuler que
je suis la commission parlementaire et que je lui pose des questions.
On a tenté, tout de même, une chose. On a tenté de
préparer une déclaration préliminaire comme celle qu'ont
faite certains témoins qui soit à peu près à l'abri
de la violation du secret professionnel et on est arrivé à
quelque chose de tellement insignifiant, finalement, que c'était inutile
de vous en faire part. Quand on regarde cela, tout est intimement lié.
Il est évident que, si l'avocat va à une rencontre... Vous
connaissez déjà les dates des rencontres, elles sont là.
Dès qu'il ouvre la bouche pour parler à cette rencontre, il est
en train de faire état d'une partie de son mandat ou d'une partie de
choses qu'il sait parce que son client les lui a
révélées.
Il est évident que Me Jasmin dans ceci n'a jamais agi à
titre personnel. Il a toujours agi au sens de la charte en raison de sa
profession d'avocat et comme mandataire, et non pas personnellement comme une
des parties au litige. C'est pour cela que je vois mal comment on pourrait se
mettre à tracer un sillon autour de choses qui peuvent être dites
et de choses qui ne peuvent pas être dites.
M. Lalonde: Si je comprends bien, l'opinion que vous
émettez, selon laquelle la presque-totalité de son
témoignage serait couverte par l'obligation de confidentialité,
viendrait plus de l'interprétation large que vous donnez à cette
obligation de confidentialité que vous nous avez décrite tout
à l'heure.
M. Larivière: D'une part, oui, et, d'autre part, bien
sûr, des travaux de la commission que j'ai suivis assez fidèlement
depuis le début.
M. Lalonde: II y a le caractère indivisible aussi que
j'aimerais examiner avec vous. Un ancien client dit à son ancien avocat:
Allez-y vous pouvez dire tout ce que vous connaissez sur cette cause en ce qui
nous concerne. Il faut dire que cette question est liée aussi à
l'extension que vous donnez à cette obligation. On semble - je n'en
plaide pas le bien-fondé, je veux simplement le mentionner - surtout
à la suite de certaines décisions - je pense à une
décision de la Cour suprême Solosky vs la reine 1980; c'est un
jugement de la Cour suprême du Canada - et aussi de certains propos que
je retrouve dans le cours de formation permanente du barreau sur le secret
professionnel et le droit à la confidentialité, on semble,
dis-je, rétrécir un peu plus que vous ne le faites l'extension du
secret professionnel aux communications entre le client et son avocat. C'est
pour cela qu'en tout respect - je ne fais pas de commentaires sur
l'à-propos des clients de libérer ou non, sur leurs droits de ne
pas libérer - je vous fais l'hypothèse suivante
qu'en ce qui concerne le Conseil provincial du Québec des
métiers de la construction Me Jasmin pourrait nous révéler
ce que ce client lui a confié. Donc, la notion d'indivisibilité
pourrait souffrir peut-être cette exception puisque Me Jasmin n'est plus
tenu au secret professionnel quant à ses communications avec le Conseil
provincial des métiers de la construction.
Là où vous allez un peu plus loin, c'est lorsque vous
dites: Ces quatre mandats ont été exécutés
conjointement. Lorsqu'il rencontrait les avocats de la partie adverse pour
négocier, par hypothèse, il exécutait quatre mandats
ensemble. Je pense que c'est relativement facile à comprendre. Mais
lorsque, d'après les listes qu'on nous a remises, Me Jasmin rencontrait
M. Jean-Roch Boivin ou Me Gauthier au bureau du premier ministre, je comprends
que ce n'était pas à titre personnel, mais ces conversations
n'étaient plus des conversations de client à avocat.
C'est ce sur quoi, je pense, la présidence va devoir
décider. En ce qui nous concerne, je pense que c'est à la
présidence de rendre la décision. Si on veut aller plus loin, je
ne sais pas à quel tribunal on pourra en appeler d'une décision
de la présidence. Je ne me suis pas posé la question, mais il n'y
a aucun doute que...
M. Duhaime: Les États-Unis peut-être.
M. Lalonde: ...la première décision, et
peut-être la dernière, serait celle de la présidence de
l'Assemblée nationale. Est-ce que, réellement, cette obligation
de confidentialité couvre non seulement les confidences du client
à Me Jasmin, mais aussi les conversations de Me Jasmin avec M. Jean-Roch
Boivin ou avec M. Yves Gauthier? En fait, c'est cela le problème; cela
ne sert à rien de se le cacher. Il y a eu une douzaine de
réunions dont on nous fait état ici et on voudrait bien
nous-mêmes exécuter notre mandat.
M. Larivière: M. le Président, j'aimerais, d'abord,
faire une rectification. M. le député de Marguerite-Bourgeoys
nous parle de la cause de Solosky, le jugement rendu par la Cour suprême
en 1980. Il y en a un autre qui a été rendu, en 1982, par la Cour
suprême et qui réfère à Solosky notamment et
à une partie plus spécifique du jugement de Solosky. C'est une
cause que j'ai eu le plaisir de plaider.
M. Lalonde: Vous avez gagné, j'imagine?
M. Larivière: En très grande partie, même si
mon appel a été rejeté.
M. Lalonde: Pouvez-vous nous donner la
référence?
M. Larivière: Oui, certainement, il s'agit de la cause de
Centre communautaire juridique de Montréal et Simon Descôteaux,
appelant, versus le juge Mierzynski, qui est décédé
aujourd'hui, et impliquant notamment, comme mis en cause, le Procureur
général du Québec, le barreau du Québec et la
Commission des droits de la personne. C'est un jugement unanime de la cour qui
est rendu pour la cour par l'honorable juge Lamer. (17 heures)
Vous verrez, dans la dernière édition de la Revue du
barreau canadien, un commentaire que fait de cet arrêt le professeur
René Pépin, de l'Université de Montréal, où
il en vient à la conclusion que même, si, dans Solosky, il y avait
deux types de raisonnements proposés par le juge Dickson, un qui
était de la nature du "sollicitor client privilege" qu'on
reconnaît dans la "Common Law" et une autre partie qui faisait allusion
à un droit fondamental ou à un droit civil fondamental, le juge
Dickson se posait la question dans Solosky de dire: Est-ce qu'il ne s'agirait
pas d'un droit fondamental?
De toute façon, on n'est pas prêt à aller là.
Le juge Lamer a franchi ce pas, je pense, quand il a affirmé dans
l'affaire Mierzynski qu'il s'agissait effectivement d'un droit fondamental. Le
professeur Pépin, dans son commentaire, en vient également
à cette conclusion. C'est pour cela qu'il faut lire les deux
arrêts ensemble pour comprendre que la Cour suprême a
évolué là-dessus encore récemment. Bien qu'encore
là, dans ces affaires, il s'agissait de droit criminel et, donc de
choses qui ne sont pas de l'autorité législative de la province
de Québec, le barreau du Québec prétend que, lorsqu'il
s'agit des lois qui sont sous la juridiction de l'Assemblée nationale,
enfin du Parlement du Québec, la notion de secret professionnel est
différente, à cause de la Charte des droits et libertés de
la personne, notamment, de la notion de secret professionnel que l'on retrouve
dans le reste du Canada et que l'on retrouve au Québec en matière
criminelle. C'est assez cocasse, mais c'est comme cela.
Alors, c'était la rectification que je voulais faire. Ensuite,
sur le plan de la compréhension que nous avons de la notion de droit au
secret professionnel et d'obligation au secret professionnel, et pour revenir
à votre question: Les entrevues, est-ce que ce serait confidentiel?
notre opinion, c'est que, dès que vous entrez dans une conversation, que
ce soit avec un confrère ou que ce soit avec une tierce personne, dans
laquelle vous exécutez ou vous êtes en pleine exécution de
votre mandat et où vous livrez des informations en votre qualité
de professionnel, ces informations étant celles
que vous avez reçues de votre client, les choses que vous dites
sont confidentielles et sont couvertes par le secret professionnel et non pas
seulement ce que votre client vous a dit dans votre cabinet.
De la même façon, vous avez souvent le problème au
niveau du médecin de ce qu'il constate sur le corps d'un patient
inconscient, qui ne lui a donc rien révélé. Ce qu'il voit,
ce qu'il constate professionnellement, c'est couvert aussi par le secret
professionnel, et non pas seulement les choses que son client peut lui dire
à l'occasion d'une première ou d'une deuxième entrevue. Le
diagnostic qu'il pose sur un corps inconscient fait partie de son secret
professionnel.
On sait que le vétérinaire, par exemple, est astreint au
secret professionnel. Je ne veux pas faire de mauvaises blagues, mais ce n'est
sûrement pas ce que son patient lui dit qui fait l'objet de ce secret.
Donc, c'est beaucoup plus large que la révélation verbale
client-avocat ou patient-médecin.
Pour terminer sur le dernier volet de votre question, à savoir si
c'est le président qui aura à rendre la décision,
j'aimerais quand même vous faire part d'un éclairage un peu
particulier. Ce que nous demandons au président, c'est de
reconnaître qu'effectivement l'article 9 de la Charte des droits et
libertés de la personne et l'article 131 de la Loi sur le barreau
s'appliquent devant cette commission parlementaire, puisque la Loi sur
l'Assemblée nationale n'exclut par l'article 9 de son application. Nous
lui demandons, en conséquence, de dispenser globalement M. Jasmin de
témoigner. Si sa décision devait être négative, je
crois quand même qu'avant de donner un ordre au sens de l'article 51 de
la Loi sur l'Assemblée nationale il serait plus prudent qu'on revienne.
J'aurai à ce moment-là d'autres représentations à
faire, parce que j'aimerais vous souligner que, lorsque l'Assemblée
nationale adopte des lois et exerce sa fonction législative, quand il
s'agit de les mettre en application, c'est normalement du ressort du judiciaire
de dire quelle est l'extension à donner à cette notion dans
toutes les circonstances.
Je ne pense pas que l'Assemblée nationale, bien qu'elle soit en
commission parlementaire et qu'elle exerce, en plus de son pouvoir
législatif, un pouvoir d'enquête, si vous voulez, mais toujours
sur un mandat de l'Assemblée nationale, ait le pouvoir d'appliquer et de
trancher l'interprétation de ses propres lois autrement que par
amendement. Je le soumets, en tout cas, respectueusement.
Donc, si la décision du président était que le juge
Jasmin n'est pas dispensé, j'aimerais qu'on revienne et qu'on discute
d'une possibilité, parce qu'il va se poser un problème pratique
important qui est de savoir comment nous allons procéder et qui pourra,
légalement, donner un ordre au juge Jasmin de répondre à
une question donnée quand lui estime qu'elle est couverte pas son
secret.
M. Lalonde: Je vais terminer avec une observation et une
question. En ce qui concerne le pouvoir de l'Assemblée nationale, il est
assez mal connu. Pour ce qui est, par exemple, du pouvoir de contraindre les
témoins, c'est un pouvoir qui, traditionnellement, appartient à
l'Assemblée nationale, mais qui n'a presque jamais été
exercé. Il ne faudrait pas l'oublier dans l'examen de cette
situation.
Je terminerais avec une question. Est-ce que je comprends bien que, si
l'Assemblée nationale ou la commission voulait s'ajuster, disons,
à la notion de secret professionnel qui existe, soit en matière
criminelle, soit dans les autres provinces, à savoir en réduire
l'extension qu'on retrouve, en fait, à l'article 9 de la Charte des
droits et libertés de la personne, cela prendrait un amendement à
cette charte et/ou à l'article 131 de la Loi sur le barreau? Je vous
demande une opinion juridique gratuite.
M. Larivière: Très bien. Cela me fait plaisir de
vous la donner. Je pense que l'Assemblée nationale a manifestement fait
un choix législatif dans sa rédaction de l'article 9 de la
charte. Je vois, par exemple, que la commission de réforme du droit au
fédéral a pondu un article relatif au secret professionnel en
s'inspirant de la codification américaine. Cela semble être,
à peu près mot pour mot, la même chose. Il s'agit d'un
choix, j'imagine, que la commission demandera au Parlement
fédéral de faire.
Dans notre cas, je m'aperçois que la rédaction de cet
article 9 est tout à fait sui generis. Elle n'est inspirée
d'aucune autre loi occidentale que je connaisse. Je tiens donc pour acquis que,
quand cette rédaction évite systématiquement le mot
"client" à côté du mot "confidence" ou "fait
révélé", il y a là un choix législatif qui
est de donner une extension plus large.
M. Lalonde: Je ne voulais pas vous demander votre opinion sur le
bien-fondé de ce choix, parce que c'est une décision
politique.
M. Larivière: Non. J'en viens donc à la conclusion
que oui, il faudrait des amendements.
M. Lalonde: C'est cela. Techniquement, c'est là qu'est la
source.
M. Larivière: Oui, parce qu'il faudrait refaire un
choix.
M. Lalonde: C'est là qu'est la source, autrement dit.
M. Larivière: Exactement.
M. Lalonde: C'est ce que je voulais savoir. Merci.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le ministre.
M. Duhaime: Oui, j'aurais seulement une dernière question.
Nous avons entendu le point de vue du barreau du Québec par la voix de
Me Larivière. Je vais courir la chance de poser une question à
l'honorable juge Jasmin, à savoir s'il partage le point de vue qui vient
d'être évoqué devant cette commission parlementaire par Me
Larivière au nom du barreau du Québec.
M. Jasmin (Michel): Je me suis adressé au barreau du
Québec pour avoir une opinion, c'est mon ex-corporation professionnelle.
C'est pour cela que j'ai demandé au barreau du Québec de me
conseiller en ce qui concerne le secret professionnel. Alors, je partage
l'opinion rendue par l'avocat qui a été désigné par
le barreau du Québec.
M. Duhaime: M. le Président, dans ces circonstances, je
vous proposerais une suspension de la séance. Je vous inciterais, et j'y
inviterais également mon collègue, à faire une
démarche auprès de la présidence de l'Assemblée
nationale et nous reviendrions le plus rapidement possible.
Le Président (M. Jolivet): À la suite de ce qu'on a
entendu en face, à ma gauche et à ma droite, c'était
l'intention que j'avais; c'est pour cela que j'ai demandé à
chacun de s'expliquer. On en a fait mention, il y a des choses qu'on pourrait
déjà dire, mais je pense qu'il vaut mieux, à la suite de
ces interprétations, de ces mots qui ont été dits, qu'on
puisse vraiment examiner à fond cette question. Mais je ne pense pas,
compte tenu des circonstances, qu'on puisse rendre une décision d'ici
à 18 heures. Je suggérerais beaucoup plus à la commission
que l'on ajourne nos travaux à demain, 10 heures. Nous aurions amplement
le temps, à la présidence, de regarder l'ensemble du
problème et de rendre une décision demain matin.
Il reste une autre chose à régler, cependant, avant qu'on
se quitte, c'est la question de savoir qui sera là demain matin. Est-ce
que c'est Me Beaulé ou M. le juge Jasmin?
M. Larivière: M. le Président, si vous me le
permettez, rapidement, vous noterez que, dans mon mandat, le barreau me
qualifie d'amicus curiae. Je vous dis donc que, si la présidence a
besoin de quelque éclairage de notre part, nous nous rendrons
disponibles avec plaisir à cette fin.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: M. le Président, sans préjuger de ce
que pourrait être la décision de la présidence, je
prendrais une chance de demander à l'honorable juge Jasmin d'être
à la disposition de la commission dans le sens suivant: que le
secrétariat de notre commission puisse obtenir les numéros de
téléphone de l'honorable Jasmin pour qu'il ne fasse pas de
déplacement inutile demain matin ou le contraire, le cas
échéant, dépendant de la décision à
être prise.
Ensuite, nous pourrions entendre Me Beaulé qui, lui, est l'autre
procureur et l'ami maintenant du député de Gatineau, et qui, lui,
a été délié de son secret professionnel.
M. Lalonde: Me Beaulé a été
délié? M. Duhaime: Pardon.
M. Lalonde: Me Beaulé a été
délié de son secret professionnel?
M. Duhaime: C'est ce que j'ai cru comprendre des conversations
qu'il a eues avec la presse.
M. Lalonde: Non, je pense que le ministre confond bavardages et
le fait d'être délié. On peut être bavard et
être lié quand même.
Le Président (M. Jolivet): D'une façon ou d'une
autre, c'est la personne qui sera convoquée pour demain, à 10
heures. Au niveau de la présidence, j'ai tenu pour acquis le message que
vous nous avez lancé et, en conséquence, nous le prenons en
sérieuse considération. Si je n'ai pas demandé à
d'autres personnes autour de la table d'intervenir, c'est que j'avais d'abord
l'intention de vous entendre et de faire en sorte que...
M. Laplante: Ce n'est pas sur le même sujet...
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Bourassa, je vais quand même terminer en disant que j'avais besoin de
l'éclairage d'un seul représentant de chacun des partis
politiques. M. le député de Bourassa, sur une autre question.
M. Laplante: Sur une autre question qui s'adresserait à M.
Larivière. Je voudrais savoir si le barreau est sensibilisé aux
témoignages que donnent nos invités que l'on reçoit et au
traitement qu'ils reçoivent
actuellement.
M. Lalonde: M. le Président, je m'excuse...
M. Laplante: C'est qu'on a su par une émission de
télévision que le barreau suivait cela de très près
et qu'il devait, à un moment donné, émettre une opinion
sur les événements qui se passaient à cette
commission.
M. Larivière: Vous comprendrez que je ne suis pas le
bâtonnier. J'ai un mandat très limité, très
explicite. Je l'ai lue pour tous les membres de la commission. Je ne
m'autoriserais jamais de l'autorité subite du bâtonnier pour
passer des commentaires sur d'autres questions que celles qui me sont
soumises.
Le Président (M. Jolivet): Concernant l'ensemble de cette
commission, j'ajourne les travaux... Un instant avant d'ajourner, M. le
député de Gatineau.
M. Gratton: Au cas où le ministre aurait terminé
ses vérifications et aurait fait photocopier le registre dont on parlait
tantôt, est-ce qu'il est en mesure de nous le remettre
présentement?
Le Président (M. Jolivet): II a été remis au
greffier pour faire les photocopies nécessaires.
M. Duhaime: II est déjà entre les mains du
secrétariat, et j'espérerais seulement qu'on m'en remette une
copie; autrement, je vais être obligé de le demander aux
recherchistes du Parti libéral. Cela me gênerait.
M. Lalonde: Est-ce qu'on peut l'avoir?
Le Président (M. Jolivet): Aussitôt que possible au
niveau du secrétariat des commissions. J'ajourne donc les travaux
à demain, 10 heures.
(Fin de la séance à 17 h 13)