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(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de l'énergie et des ressources est réunie
aujourd'hui en vue d'examiner les circonstances entourant la décision du
conseil d'administration de la Société d'énergie de la
Baie-James de régler hors cour la poursuite civile intentée
à la suite du saccage du chantier LG 2 survenu en 1974 et, plus
spécifiquement, le rôle du premier ministre et de son bureau
à cet égard.
Les membres de la commission sont: M. Bordeleau (Abitibi-Est), M.
Ciaccia (Mont-Royal), M. Duhaime (Saint-Maurice), M. Bourbeau (Laporte), M.
Tremblay (Chambly), M. Gratton (Gatineau), M. Lavigne (Beauharnois), M. LeBlanc
(Montmagny-L'Islet), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Perron (Duplessis),
M. Rodrigue (Vimont).
Les intervenants sont M. Blouin (Rousseau), M. Bisaillon (Sainte-Marie),
M. Desbiens (Dubuc), M. Dussault (Châteauguay), M. Lafrenière
(Ungava), M. Paradis (Brome-Missisquoi), M. Pagé (Portneuf), M. Doyon
(Louis-Hébert), M. Laplante (Bourassa), M. Saintonge (Laprairie).
J'aurais besoin qu'on me signale le nom du rapporteur de cette
commission. Est-ce que quelqu'un est suggéré?
M. Laplante: M. LeBlanc (Montmagny-L'Islet).
Le Président (M. Jolivet): M. LeBlanc (Montmagny-L'Islet)
est-il accepté?
Une voix: Accepté.
Le Président (M. Jolivet): M. LeBlanc.
Avant de commencer, je dois lire l'ordre du jour qui m'a
été fourni ce matin. Les personnes suivantes seront
convoquées au cours de la journée: M. Claude Laliberté. M.
Robert Boyd, est-il présent dans la salle? Oui? Merci. M. Lucien
Saulnier, merci. M. Hervé Hébert.
M. Hébert: Présent.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Mme Nicolle Forget.
Mme Forget: Présente.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. Georges Gauvreau.
M. Gauvreau: Présent.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. André
Thibaudeau.
M. Thibaudeau: Présent.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. Pierre
Laferrière.
M. Laferrière: Présent.
Ordre des travaux
Le Président (M. Jolivet): Merci. Une autre question que
nous devrons discuter avant de commencer nos travaux, c'est celle du partage du
temps pour chacun des témoins de la journée, en tenant compte que
nous commençons nos travaux à 10 h 10 ce matin jusqu'à 13
heures. Nous reprendrons normalement après la période des
questions, quand on aura l'avis pour revenir ici à cette commission,
c'est-à-dire possiblement vers 16 heures jusqu'à 18 heures. Cela
nous donne environ cinq heures de travaux aujourd'hui, quatre heures et demie
ou cinq heures. Comme le règlement ne prévoit pas que nous
puissions continuer après 18 heures ce soir, à moins qu'il n'y
ait entente de part et d'autre et qu'on ne m'indique qu'on a l'intention de
continuer ce soir, pour le moment, je dois déterminer que nous devrions
terminer nos travaux à 18 heures. C'est ce que je crois comprendre de
part et d'autre. M. le ministre.
M. Duhaime: Sur ce point, M. le Président, je pense que ce
serait peut-être utile et sage, si je puis vous le suggérer,
d'aviser ceux qui ont été prévenus que leur
témoignage serait entendu aujourd'hui et qui ne seraient peut-être
pas tous familiers avec la procédure de l'Assemblée nationale
que, normalement, il y aurait un ordre de la Chambre de donné cet
après-midi, à savoir si nous allons siéger ce soir
à compter de 20 heures jusqu'à 22 heures ou 23 heures 59. En
conséquence, puis-je vous suggérer de demander aux témoins
qui ont été convoqués pour aujourd'hui de rester à
la disposition de l'Assemblée nationale? Vous pourriez peut-être
faire rapport à nouveau cet après-midi, lors de la reprise de nos
travaux.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys, vous avez une question.
M. Lalonde: M. le Président, je n'ai pas demandé la
parole. Je pense que les propos du ministre sont sages. Il faudrait aviser
à la reprise de nos travaux, cet après-midi. Au moment où
je vous parle, nous n'avons pas l'intention de siéger ce soir. Comme
nous avions été convoqués par le leader du gouvernement
pour siéger seulement jusqu'à 18 heures aujourd'hui, plusieurs
membres de notre groupe ont pris des engagements qu'ils ne peuvent pas
facilement changer. Cependant, si j'avais un avis différent cet
après-midi, à la reprise des travaux, je vous le
communiquerai.
Le Président (M. Jolivet): Donc, compte tenu des
circonstances, je demande aux huit personnes que nous avons mentionnées
ce matin, tant et aussi longtemps que l'Assemblée nationale n'aura pas
pris une autre décision, de se tenir à la disposition de la
commission. Justement parce qu'il y a huit personnes et que le temps qu'on a
à répartir s'étend jusqu'à 18 heures selon le
règlement, à moins du changement dont on a fait mention,
j'aimerais savoir quel est le temps que la commission veut donner à
chacune des personnes qui doivent témoigner ce matin. M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: En ce qui nous concerne, nous n'avons pas l'intention
de nous astreindre à des limites de temps très rigides. Au
contraire, lorsque le premier ministre a répondu à une de mes
questions mercredi de la semaine dernière, juste à l'ouverture de
la session, il a bien indiqué que la commission parlementaire aurait
tout le loisir. Je pourrais vous citer le passage de sa réponse. De
toute façon, sa réponse est inscrite au journal des
Débats.
On sait quand un interrogatoire commence, mais on ne sait pas quand il
se termine. Il ne s'agit pas ici - je pense que tout le monde en conviendra -
d'une commission parlementaire qui invite des groupes à venir
communiquer leurs opinions sur un projet gouvernemental, soit un projet de loi
ou un problème écologique. Il s'agit d'une commission que le
premier ministre a lui-même convoquée pour faire toute la
lumière et pour que toutes les personnes qui connaissent les
circonstances de ce règlement hors cour soient entendues. Alors, il se
peut que, dans certains cas, ce soit très court et, dans certains autres
cas, très long. C'est, je pense, la seule façon logique dont nous
pouvons organiser nos travaux.
Le Président (M. Jolivet): Si les membres de cette
commission sont d'accord, j'agirai donc comme ayant devant moi la
possibilité d'élargir le temps qu'on a l'habitude de prendre,
compte tenu des circonstances dans lesquelles se tient cette commission.
Nous allons commencer par une déclaration préliminaire de
M. le ministre de l'Énergie et des Ressources. M. le ministre.
Remarques préliminaires M. Yves Duhaime
M. Duhaime: M. le Président, conformément au mandat
de la commission de l'énergie et des ressources dont vous venez de faire
la lecture, je dois vous indiquer que nous avons dû arrêter les
travaux normaux de cette commission de l'énergie et des ressources qui
avait commencé à entendre des groupes sur un sujet
d'économie, l'énergie comme levier de développement
économique. Nous avons, à ce jour, entendu une dizaine de groupes
et nous avons reporté nos travaux sine die. Très probablement,
nous serons en mesure de les reprendre les 19, 20, 21 et 22 avril, pour ces
quatre premières journées de reprise. Ensuite, très
probablement, nous aurons à travailler encore trois ou quatre jours
à cause de l'importance de ce dossier.
Je dois signaler, M. le Président, qu'aujourd'hui, demain et
subséquemment, si nécessaire, selon le mandat de cette
commission, nous avons à examiner les circonstances entourant la
décision du conseil d'administration de la SEBJ de régler hors
cour la poursuite civile intentée à la suite du saccage du
chantier de LG 2 survenu en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle
du premier ministre et de son bureau à cet égard.
Je pourrais peut-être rappeler, très brièvement, que
cette question n'est pas soulevée aujourd'hui pour la première
fois. À l'Assemblée nationale, le 12 février 1979 -
à ce sujet on pourrait référer au journal des
Débats, mais, dans ma déclaration d'ouverture, je vais tenter de
prendre le moins de temps possible et d'aller rapidement - M. Lalonde,
député de Marguerite-Bourgeoys, adressait une première
question au ministre de la Justice à propos de ce dossier. Quelques
jours plus tard, le 20 février 1979, nouvelle question de M. Lalonde,
cette fois au premier ministre. Il y a eu, bien sûr, un échange de
questions et réponses - vous retrouverez cela au journal des
Débats, aux pages 5739 et suivantes -mais le même jour, le 20
février 1979, suivant les dispositions de l'article 174 de notre
règlement, M. Lalonde donnait un avis de débat. Ces débats
se tiennent ordinairement à 21 h 50; c'est ce qu'on appelait des
mini-débats. Il y a eu effectivement, le 20 février 1979, en fin
de
séance, un mini-débat auquel ont participé M.
Lalonde, député de Marguerite-Bourgeoys, et le premier ministre.
Enfin, quelques jours plus tard, c'est-à-dire trois semaines plus tard,
le 14 mars 1979, une nouvelle question de M. Lalonde, député de
Marguerite-Bourgeoys, au ministre délégué à
l'Énergie qui, à l'époque, était M. Guy Joron.
Je veux simplement dire, M. le Président, que ce n'est pas la
première fois aujourd'hui qu'on traite de cette affaire. La question que
tout le monde se pose, sans aucun doute, est de savoir: Pourquoi, aujourd'hui,
la commission permanente de l'énergie et des ressources a-t-elle
reçu ce mandat de l'Assemblée nationale de faire l'examen des
circonstances du règlement hors cour? Je répondrai ceci: Le jeudi
17 mars 1983, il y avait, dans le quotidien La Presse, une manchette qui n'est
pas passée inaperçue, semble-t-il, de même que des articles
de fond, et le premier titre était: René Lévesque a
trompé l'Assemblée nationale.
Je ne veux pas pour l'instant entrer dans tous les détails. Nous
aurons l'occasion de le faire dans les jours qui viennent. Ce que je retiens
cependant, c'est que le lendemain, le 18 mars, le premier ministre, dans un
communiqué écrit, offrait un démenti formel tant à
l'article, à son contenu qu'au titre dont on l'avait affublé dans
le journal La Presse. Le même jour, cependant, le journal La Presse
publie un encart qu'on retrouve facilement dans le quotidien, un encart que je
vais lire: "La Presse maintient la version des faits qu'elle a
présentée hier - c'est-à-dire le 17 mars -et publiera
demain, sous la signature de Michel Girard, une réponse à la
déclaration du premier ministre." Effectivement, le 19 mars, il y avait
un autre article du journaliste Michel Girard, de la Presse, de même
qu'un article signé par M. Yvan Latouche qui donnait sa version des
faits.
Tous en conviennent, M. le Président, cette situation est grave.
Elle est sérieuse aussi. J'ajouterais que c'est sans
précédent, je crois, dans l'histoire de l'Assemblée
nationale que l'on mette en cause la crédibilité de la parole
d'un premier ministre dans l'exercice de ses fonctions, et que ce soit fait
à partir d'une déclaration qu'il aurait faite sous son serment
d'office à l'Assemblée nationale, de son siège. Cette
situation étant grave et sérieuse, nous voici convoqués en
commission parlementaire pour faire le tour de cette question.
Cette question est si sérieuse et si grave, à mon sens,
qu'aucun député de l'Opposition libérale n'a repris
à son compte le tout ou partie de ce qui a été
écrit dans le journal La Presse les 17, 18 ou 19 mars. Je dois dire
qu'il y a eu des offres faites pour qu'un député de l'Opposition
endosse, prenne à sa charge ou prenne à son compte les
écrits du journaliste, M. Michel Girard, soit ceux dont j'ai
parlé tout à l'heure. Si telle chose s'était produite - je
me permets de le rappeler, mais le premier ministre aura certainement
l'occasion de le faire lui-même; même que cela a déjà
été dit à l'Assemblée nationale - si un
député de l'Opposition avait repris - et ceci n'est pas une
menace; je le dis en toute déférence - ces allégations, ce
n'est pas la commission de l'énergie et des ressources qui
siégerait ce matin; ce serait très certainement la commission de
l'Assemblée nationale. Cela aurait signifié qu'un
député de l'Opposition aurait, selon les dispositions de
l'article 79 et suivants, porté une accusation. Nous nous serions donc
retrouvés probablement devant la commission de l'Assemblée
nationale, avec ce que peuvent impliquer comme sanction les conclusions ou le
rapport qu'aurait ultérieurement fait cette commission de
l'Assemblée nationale à l'Assemblée nationale
elle-même.
Mais nous n'en sommes pas là. Le seul recours qui existe, selon
les règlements de l'Assemblée nationale et de ses commissions
restait, suivant l'engagement qu'avait pris lui-même le premier ministre,
de convoquer la commission de l'énergie et des ressources avec le mandat
qui a été lu tout à l'heure par le président.
Nous allons donc, au cours des prochains jours et des prochaines heures,
faire l'examen des faits rapportés dans le journal La Presse,
également de ceux qui ont pu être relayés par d'autres
médias d'information. Nous allons entendre, bien sûr, tous les
témoins que l'on souhaiterait entendre. Je dis même que, si des
témoins qui n'ont pas été convoqués avaient,
à tout hasard, des choses à apprendre à cette commission,
ils n'ont qu'à communiquer avec le secrétariat de la commission
de l'énergie et des ressources, à faire connaître leur nom,
leur identité. Je pense que je pourrai parler avec mon collègue
de l'Opposition et, d'où qu'elle vienne, cette personne, si son
témoignage peut éclairer les membres de cette commission, de
même que tout le public, je pense que ce serait notre devoir de
l'entendre.
M. le Président, j'ai fait ces distinctions au départ pour
bien indiquer que cette commission n'est pas un tribunal. Il n'y aura ni un, ni
deux procès autour de cette table. Je le dis tout de suite au cas
où des procureurs, soit par nostalgie, soit en mal de pratique, auraient
le goût de se lancer dans pareille aventure. Nous ne sommes régis
ni par la loi de la preuve, ni par les règles du Code de
procédure civile. Je donne un simple exemple; puisque nous sommes
à la télévision, je verrais mal quelqu'un exiger
l'exclusion de témoins.
Ceci étant dit, nous aurons tout de même l'occasion de
vérifier de façon
exhaustive, détaillée, méticuleuse et minutieuse
les faits et les titres des manchettes que j'évoquais tout à
l'heure, publiés par le quotidien La Presse. Nous aurons
également l'occasion, je le rappelle, à la suite des
démentis formels prononcés et réitérés
à au moins deux reprises par le premier ministre, de son siège
à l'Assemblée nationale... Je le dis tout de suite parce que je
ne voudrais pas qu'on ait un long débat là-dessus: Le premier
ministre préside actuellement le Conseil des ministres régulier,
comme à chaque mercredi; il sera présent à cette table
demain comme tout autre intervenant.
M. le Président, sans vouloir tout lire -ce serait vraiment trop
long - je voudrais simplement évoquer maintenant quelques-uns des faits
qui m'apparaissent être des points importants qui ont été
rapportés dans les journaux. D'abord, est-ce que les négociations
du règlement hors cour ont été faites dans le bureau du
premier ministre en sa présence ou en présence d'un de ses
représentants? Je dis bien les négociations du règlement.
Est-ce que cela a été fait à l'insu de la
Société d'énergie de la Baie-James, de son conseil
d'administration ou de ses dirigeants? Est-ce que quelqu'un a imposé un
règlement? "Imposé" au sens que le dictionnaire veut dire. Est-ce
qu'il y a eu du tordage, comme on dit dans notre jargon? Est-ce qu'il y a eu
des gestes qui ont été posés pour remercier la FTQ? Est-ce
que ce règlement était contraire à l'intérêt
public ou, plutôt, dans le sens de l'intérêt public? Est-ce
que le bureau du premier ministre Lévesque a donné des armes
à la FTQ? Et, enfin, est-ce que le premier ministre a trompé
l'Assemblée nationale? (10 h 30)
Je pense, M. le Président, que nos travaux vont, d'abord et avant
tout, dans le sens de faire toute la lumière. Si vous voulez mon
sentiment et ma conviction, je crois que le premier ministre a dit la
vérité. Le mandat de cette commission est donc le plus large
possible pour bien nous permettre à tous de situer le contexte de ce
règlement hors cour. Les travaux de cette commission sont
également télévisés. Je répète que
tous les témoins, tant du côté ministériel que de
l'Opposition, qui pourraient être convoqués le seront.
M. le Président, je reviens là-dessus parce que ces trois
conditions, en quelque sorte, étaient exactement celles qui avaient
été demandées par le député de
Marguerite-Bourgeoys, le 23 mars 1983, à l'Assemblée nationale.
Vous allez retrouver cela à la page 3 du journal des Débats.
J'ajoute également la demande du chef de l'Opposition qui, le 23 mars
1983, souhaitait que cette commission parlementaire ait lieu avant le
congé pascal. Nous sommes avant le congé pascal et la commission
de l'énergie et des ressources siège sur cette affaire.
Ce qui m'a amusé un peu - on ne peut pas faire autrement que d'en
parler - c'est qu'après que le député de
Marguerite-Bourgeoys eut demandé lui-même... Et je vais lire la
question qu'il posait, à la page 3 toujours, le 23 mars 1983. Vous vous
souviendrez que, ce jour-là, la question du député de
Marguerite-Bourgeoys ne pouvant pas s'adresser au président de
l'Assemblée nationale est adressée au secrétaire
général de l'Assemblée nationale. Question de M. Lalonde:
"M. le secrétaire général, la pertinence des propos de
votre serviteur vient d'être prouvée par les propos du premier
ministre. Si vous le permettez, comme vous avez permis au premier ministre
d'expliquer cette question de la commission parlementaire, j'aimerais
m'assurer, avant que nous procédions, au nom de l'Opposition, que le
mandat de cette commission parlementaire sera le plus large possible, que cette
commission parlementaire sera télévisée et que tous les
témoins que nous, de l'Opposition, voudrons convoquer le seront." C'est
la question de M. Lalonde. C'était le 23 mars 1983. Le samedi 26 mars -
je lis les journaux comme tout le monde -dans le Soleil, à la suite
d'une conférence de presse, le 25 mars, le mandat de la commission est
jugé trop large.
Je crois savoir que nous avons un mandat ce matin qui est suffisamment
large pour permettre aux parlementaires, ici autour de cette table, et à
tous ceux et celles qui nous écoutent à la
télévision de se faire une idée sur ce dossier et,
ensuite, d'en tirer leurs propres conclusions.
M. le Président, en terminant, quant au déroulement des
travaux de cette commission, aujourd'hui, le 30 mars, suivant la liste des
témoins que nous voulons entendre et que nous avons fait parvenir au
secrétariat de la commission, je pourrais proposer que nous entendions
tous les membres du conseil d'administration de la Société
d'énergie de la Baie-James qui étaient en poste en 1979, de
même que le président du conseil, le P.-D.G. de la
Société d'énergie de la Baie-James et le P.-D.G.
d'Hydro-Québec à cette époque; que, demain, nous puissions
entendre les membres du bureau du premier ministre, le premier ministre
lui-même comme intervenant et, ensuite, tous les avocats de toutes les
parties qui ont été impliquées dans le dossier. J'ajoute
tout de suite que j'offre au leader parlementaire de l'Opposition
d'évaluer avec lui à quel moment cela serait le plus utile, pour
l'agencement, le bon entendement et la bonne compréhension de nos
travaux, d'entendre les personnes dont ils ont voulu la présence,
à quel moment il souhaiterait qu'elles soient entendues, à quel
moment nous pourrions les inscrire.
Voilà, M. le Président, ce sont les mots
que je voulais dire. J'ajoute aussi essentiellement que notre commission
aura, au terme de ses travaux, à décider si elle fait un rapport
à l'Assemblée nationale indiquant qu'elle a terminé ses
travaux ou encore si elle joindra à ce rapport de fin des travaux un
rapport plus substantiel. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le ministre. Avant de
donner la parole au député de Marguerite-Bourgeoys, j'aimerais
faire remarquer qu'à la suite de l'invitation du ministre ceux qui
veulent intervenir à cette commission comme témoins doivent faire
parvenir leur nom et leurs obligations au secrétariat des commissions,
au soin de M. Valmond Bouliane.
M. le député de Marguerite-Bourgeoys, vous avez la
parole.
M. Fernand Lalonde
M. Lalonde: Merci, M. le Président. Je voudrais, d'abord,
dire seulement quelques mots pour situer les travaux de cette commission tels
que nous les entendons dans l'Opposition. Cette commission a été
convoquée par le premier ministre à la suite de notre demande,
à l'ouverture de la session. Je pense que les propos du ministre
à cet égard sont justes. On s'entend, je pense, des deux
côtés de la table sur la gravité des accusations
portées par le journal La Presse et sur la nécessité de
faire la lumière là-dessus. Nous avions demandé qu'une
enquête complète, publique et indépendante soit faite sur
les accusations publiées dans le journal. Nous aurions
préféré une enquête indépendante des partis
politiques. Mais cela nous a été refusé et nous
voilà dans un forum politique. Nous allons, quand même, tenter de
faire toute la lumière là-dessus.
Je ne reprendrai pas les accusations du journal La Presse. Je pense que
ce que le ministre vient de dire décrit assez bien le problème.
Mais je pense qu'il est pertinent de rappeler que l'accusation repose sur la
réponse que le premier ministre donnait à l'Assemblée
nationale le 20 février 1979 à une question que je lui posais et
que la commission parlementaire dont nous commençons les travaux
aujourd'hui est reliée directement à l'accusation du journal La
Presse. Le mandat qu'on nous a imposé -parce que, après
consultation et après avoir exprimé mon désaccord, le
leader du gouvernement n'a pas cru bon d'accepter mes remarques - est le
suivant: examiner les circonstances entourant la décision du conseil
d'administration de la SEBJ de régler hors cour, etc., et plus
spécifiquement le rôle du premier ministre et de son bureau
à cet égard.
Étant donné les circonstances qui ont entouré la
convocation de cette commission, il eut été plus juste de donner
le mandat d'examiner non pas les circonstances entourant la décision de
régler, mais le rôle du premier ministre et de son bureau dans
cette négociation de règlement hors cour. J'ai quand même
dit que malgré ce qui m'est apparu, à ce moment, comme
étant peut-être une petite tentative de diversion, le mandat est
assez large parce qu'à la fin il comprend plus spécifiquement le
rôle du premier ministre et de son bureau à cet égard.
C'est pour cela, d'ailleurs, que j'ai été très
surpris quand le ministre nous a annoncé tout à l'heure la
présence du premier ministre à cette table. Puisque c'est son
rôle, le rôle de son personnage lui-même et de son bureau qui
doit être examiné ici, à même des témoignages,
je me demande au nom de quelle décence le personnage lui-même dont
le rôle est examiné par la commission parlementaire viendrait
siéger à cette table. J'ai rarement vu, même si les
comparaisons avec le tribunal ne sont pas complètement justes, un
accusé siéger dans le jury. Il reste qu'on verra demain ce que le
premier ministre décidera de faire. S'il veut être entendu
à la table, c'est son droit le plus strict et nous serons heureux de
l'entendre à la table des témoins. Je soulève cette
question maintenant parce que le ministre nous l'a annoncé et que je
l'invite à y songer avant de provoquer un débat inutile demain
lorsque le premier ministre, s'il fait ce que le ministre vient de nous dire,
se présentera à la table de la commission.
Donc, c'est à la suite d'une réponse à une question
que le journal La Presse conclut que le premier ministre a trompé
l'Assemblée nationale. Je vais vous relire, si vous me le permettez, M.
le Président, la question et la réponse qui semblent créer
le problème d'après le journal. C'était une question
posée le 20 février 1979. Voici donc la question, après un
préambule: "Premièrement, est-il exact qu'un tel règlement
est envisagé? Deuxièmement, est-il exact que c'est dans le bureau
du premier ministre, en présence du premier ministre ou d'un de ses
représentants, qu'une partie de cette négociation de
règlement a eu lieu? Enfin, dans l'affirmative..." Comme la
réponse était négative, la troisième question n'a
plus sa pertinence. Deux questions précises: "Est-il exact qu'un tel
règlement a été envisagé? Deuxièmement,
est-il exact que c'est dans le bureau du premier ministre, en présence
du premier ministre ou d'un de ses représentants, qu'une partie de cette
négociation de règlement a eu lieu?" La question ne supposait
même pas la participation des représentants du premier ministre
dans la négociation, mais la présence.
Voici la réponse du premier ministre:
"M. le Président, il y avait trois questions du
député. Premièrement, il est exact qu'il est question d'un
règlement. C'est même, paraît-il, pour ce que j'en sais,
assez avancé." Une réponse claire à une question claire.
Première question: "Est-il exact qu'un règlement est
envisagé?" La réponse est oui. (10 h 45) "Deuxièmement,
dit le premier ministre, ce n'est pas du tout, ni de près ni de loin,
dans le bureau du premier ministre que le règlement ou partie du
règlement a eu lieu." Peut-on imaginer une réponse aussi claire,
aussi catégorique à ma question de savoir si cela a
été fait en présence de ses représentants? "Mais il
y a eu une consultation..." On n'a pas dit "des consultations". C'est le
premier ministre qui poursuit: "Mais il y a eu une consultation, au bureau du
premier ministre, oui, avec des gens du conseil d'administration
d'Hydro-Québec et de la Société d'énergie de la
Baie-James". Et le premier ministre commence une très longue
réponse sur les raisons de son point de vue à savoir qu'un
règlement devait intervenir.
Je ne ferai pas comme le ministre de l'Énergie et des Ressources
qui, semble-t-il, d'après ce qu'il vient de dire, a son idée
toute faite à savoir que le premier ministre n'a pas trompé
l'Assemblée nationale. Je ne conclus pas, à ce stade-ci de nos
travaux, que le premier ministre a trompé l'Assemblée nationale,
parce que, contrairement à un certain nombre de personnes assujetties
à la loi 111, le premier ministre a le bénéfice du doute.
Il peut en profiter. Il est présumé innocent.
Donc, c'est sur des renseignements qu'il prétend détenir
que le journal La Presse, sur la base de ces questions-réponses, conclut
que le premier ministre a trompé l'Assemblée nationale,
c'est-à-dire qu'il n'a pas dit la vérité. Le premier
ministre m'invitait jeudi dernier à prendre à mon compte ces
accusations. Je ne sais pas si c'est diversion ou naïveté, mais
comment penser qu'un député sérieux puisse accuser un
collègue sans détenir la preuve? Le ministre rappelait qu'aucun
député de l'Opposition n'avait cru bon de prendre à sa
charge les accusations. Je pourrais dire qu'il y a un lapsus là-dedans.
Si un député, qu'il soit de l'Opposition ou ministériel,
détenait la preuve que le premier ministre a trompé la Chambre,
il serait de son devoir de mettre son siège en jeu, comme on dit dans le
jargon parlementaire, c'est-à-dire de porter une accusation formelle. Je
ne vois pas pourquoi les propos du ministre excluaient les
députés ministériels. Ne sont-ils pas, comme tous les
autres députés, les gardiens de l'intégrité de
l'Assemblée nationale?
D'ailleurs, cette position, je l'ai eue depuis le début. Ma
demande d'une enquête démontrait déjà que je
désirais que la lumière soit faite, donc que je ne
possédais pas cette preuve. Nous n'avons donc, en ce qui nous concerne,
pas de cause à défendre, sauf celle de la vérité,
dans le seul but de restaurer l'intégrité de l'Assemblée
nationale. Nous ne sommes pas dans le meilleur forum. Une enquête
indépendante aurait plus de facilité pour faire la lumière
dans ce dossier que cette commission parlementaire dont les traditions, les
règles de procédure s'accordent mal avec ce genre de travail.
C'est aussi un forum partisan. Vous allez, au cours des jours qui viennent,
entendre des interruptions compte tenu de la question ou de la réponse.
Vous allez entendre des quolibets, des exclamations. On n'entend pas cela dans
une commission d'enquête. Les témoins peuvent témoigner en
toute tranquillité.
J'ai donc dit que le mandat est un peu "croche", mais il est assez large
pour poser toutes les questions pertinentes et pour répondre à
cette question: Le premier ministre a-t-il, oui ou non, trompé
l'Assemblée nationale? Les témoins invités par le
gouvernement ne seront peut-être pas suffisants pour informer la
commission de tous les aspects pertinents à la question. C'est pourquoi
j'accueille avec empressement l'offre du ministre que tout autre témoin,
qu'il soit proposé par des députés de l'Opposition ou des
députés ministériels, ou encore que ce soient des
témoins qui viendraient volontairement soit entendu pour
compléter le dossier, pour établir des faits qui ne l'auraient
pas été jusque-là. Nous avons déjà un
témoin dont la pertinence nous est apparue très récemment.
Il s'agit de M. Maurice Pouliot qui devrait être ajouté à
la liste. Je communiquerai cette demande au ministre dans les heures qui
viennent.
Afin d'assurer - c'est tout à fait normal dans une commission
d'enquête publique établie par la voie de la Loi sur les
commissions d'enquête - la plus grande limpidité aux
témoignages qui seront entendus, je vous avise tout de suite, M. le
Président, que nous avons l'intention de nous prévaloir de
l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale qui prévoit
qu'à la demande d'un membre les personnes convoquées à une
commission doivent être assermentées. Nous considérons que
cette demande vous est faite pour tous les témoins qui seront entendus.
En ce qui nous concerne, nous sommes prêts à procéder.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Je voudrais, d'abord, corriger le tir du
député de Marguerite-Bourgeoys. À ce que je sache et
après avoir relu encore tout récemment tous les échanges
de questions et de réponses sur cette affaire, en aucun moment
l'Opposition
libérale n'a demandé une enquête publique. Je pense
qu'il y a confusion. C'est M. Robert Bourassa qui, dans une manchette
récente, demandait une enquête publique.
Deuxième chose, le premier ministre du Québec est d'abord
et avant tout député. La nouvelle Loi sur l'Assemblée
nationale, telle que nous la connaissons, à l'article 43, dit:" Un
député jouit d'une entière indépendance dans
l'exercice de ses fonctions." Cela vaut pour le député de Taillon
comme pour le député de Saint-Maurice et pour tout
député membre de l'Assemblée nationale. J'ai bien
souligné tantôt que le premier ministre ferait une
déclaration, ferait des déclarations et est disponible pour
répondre à toutes les questions que les députés,
des deux côtés de cette table, voudront bien lui poser. Il le fera
à partir de cette table, sous son serment d'office, non pas comme membre
de la commission, mais à titre d'intervenant, comme nos
règlements le permettent.
C'est peut-être - je vais le dire en badinant - une nostalgie de
procureur de vouloir voir à la barre un jour un premier ministre et
l'interroger. Vous en avez tout le loisir, M. le député de
Marguerite-Bourgeoys. Vous connaissez bien votre règlement. Vous n'avez
qu'à invoquer l'article 80, à faire vôtres les accusations
qui sont étendues dans les journaux et je proposerai dans les secondes
qui vont suivre l'ajournement de nos travaux, et je suggérerai au leader
parlementaire du gouvernement de faire motion, cet après-midi, pour
convoquer "instanter" la commission de l'Assemblée nationale qui
remplace l'ancienne commission sur les privilèges et élections.
Si tel est votre désir, nous le ferons tout de suite et, à cette
occasion-là, vous aurez le malin plaisir d'interroger un témoin
et de lui poser toutes les questions, mais votre siège de
député sera en jeu et celui du député de Taillon
aussi.
M. Lalonde: Et qui va rendre le jugement? Un jury
indépendant?
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! S'il
vous plaît!
M. Duhaime: Je suis en quelque sorte heureux - je n'ai pas
changé d'idée, je l'ai dit tout à l'heure très
clairement - car j'ai remarqué une évolution notable dans la
pensée du député de Marguerite-Bourgeoys. Dans la Presse
du vendredi 18 mars, il y a quelques jours à peine - c'est le lendemain
même du premier article fracassant en première page de la Presse
du 17 mars; je vais vous faire grâce de tout cela - la manchette est: Que
Lévesque se justifie ou démissionne (Lalonde). Nous parlons
toujours du député de Marguerite-Bourgeoys, cela va de soi. C'est
un article signé par le journaliste Michel Girard, le même
journaliste qui a écrit la manchette du 17 mars, donc quelqu'un qui est
au courant du dossier.
Je vais lire l'article: "C'est à la suite d'une question de M.
Lalonde que le chef du gouvernement du Québec, M. René
Lévesque, avait répondu, le 20 février 1979, devant les
membres de l'Assemblée nationale, que "ce n'est pas du tout, ni de
près ni de loin, dans le bureau du premier ministre, que le
règlement ou partie du règlement a eu lieu", dans l'affaire de la
poursuite de 31 000 000 $ intentée par la Société
d'énergie de la Baie James contre la FTQ-Construction." C'est ici
où cela est important. "Je suis déprimé de savoir que mon
premier ministre m'a menti. C'est très grave puisque toute
l'intégrité de l'institution (l'Assemblée nationale) a
été affectée. Tous les membres du Parlement ont
l'obligation de dire la vérité", a ajouté le
député et leader de l'Opposition, Fernand Lalonde, en se
référant aux articles suivant lesquels M. Lévesque a
induit l'Assemblée nationale en erreur dans cette affaire.
C'est à la suite de cet article du 18 mars et de la
déclaration du député de Marguerite-Bourgeoys qui y est
rapportée que le premier ministre et député de Taillon a
offert, à deux reprises, au député de Marguerite-Bourgeoys
de répéter ce que la Presse avait publié, mais de son
siège, au salon bleu de l'Assemblée nationale, avec les
conséquences, bien sûr, que j'ai évoquées tout
à l'heure. L'offre tient toujours.
Un dernier point. M. le Président, je voudrais avoir un
éclaircissement de votre part. Je n'ai pas objection à ce que
l'Opposition utilise le projet de loi no 90 et se prévale d'une
disposition qui lui permet d'exiger que quelqu'un qui a été
convoqué, appelé à rendre un témoignage, doive
prêter serment. La seule question que je vous adresse est la suivante, M.
le Président. Il y a des gens convoqués qui sont
déjà sous leur serment d'office. Je pense, entre autres, à
des dirigeants de sociétés d'État. Je pense aussi à
des membres du cabinet politique du premier ministre qui sont
déjà sous leur serment d'office. Est-il nécessaire
d'assermenter ces personnes une deuxième fois ou si elles peuvent
être entendues et rendre leur témoignage sous leur serment
d'office, de la même façon qu'un premier ministre, un ministre ou
un député, lorsqu'il prend la parole de son siège, dans
l'exercice de ses fonctions agit, bien sûr, sous son serment
d'office?
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le ministre. M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Seulement deux points, M. le Président. Le
ministre semble s'étonner qu'un député, qui a pris la
parole du premier
ministre quatre ans auparavant, ne trouve pas réjouissant
d'apprendre, un bon matin, en lisant la manchette, que "René
Lévesque a trompé l'Assemblée nationale". C'est vrai que
j'ai trouvé cela particulièrement déprimant parce que je
l'ai cru il y a quatre ans. La preuve, si vous examinez le journal des
Débats, lorsque j'ai fait le mini-débat le soir même, ce
n'est pas sur la participation de son bureau; c'est plutôt sur
l'à-propos de faire un règlement hors cour de 200 000 $.
La réponse du premier ministre était tellement
catégorique, à savoir que ce n'était ni de près ni
de loin dans son bureau, que je l'ai cru. Quatre ans après, on vient me
dire: Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas réjouissant. Mais, dans le
même souffle, par exemple, je trouvais incroyable que le premier ministre
ait menti. J'ai tout de suite demandé qu'une enquête publique soit
faite. Si j'avais connu, de ma connaissance personnelle, des faits qui auraient
prouvé que le premier ministre avait menti, je me serais levé en
Chambre et j'aurais pu porter une accusation. Je me demande comment le
ministre, qui a aussi fréquenté le prétoire pendant une
certaine partie de sa carrière, pourrait recommander à un de ses
clients de porter une accusation sans qu'il en détienne la preuve. Vous
me permettrez, M. le ministre, d'aller consulter peut-être un de vos
confrères plutôt que vous, si jamais je suis mal pris dans
l'avenir. (11 heures)
Aussi, peut-être faudrait-il le dire à un moment
donné, lorsque le premier ministre m'a tendu ce piège à
ours de prendre à ma charge les accusations de la Presse et que j'ai
refusé, plusieurs ont conclu que je confirmais qu'il n'y avait rien
là. Ce n'est pas du tout cela. La veille, le premier ministre confirmait
lui-même qu'il y avait quelque chose puisqu'il venait de convoquer une
commission parlementaire pour faire toute la lumière. On ne fait pas des
commissions parlementaires basées sur des ragots qui paraissent dans des
journaux à potins. Le premier ministre a reconnu qu'il s'agissait d'une
accusation très sérieuse et de par la nature de l'institution qui
l'apportait, le journal La Presse, et - je présume, parce qu'il ne m'a
pas confié ses états d'âme - de par le contenu de l'article
et les faits qui y étaient rapportés.
M. le Président, mettre son siège en jeu, cela veut dire
quoi? Cela veut dire accuser un collègue. Si cette accusation est suivie
d'une motion pour que la commission de l'Assemblée nationale se
réunisse et que soit faite une enquête sur l'accusation, si
l'accusation est jugée fondée par la commission de
l'Assemblée nationale où la majorité siège - je ne
dirai pas la majorité servile encore, on verra plus tard... On verra
pour le rapport de cette commission. Ce n'est pas un forum indépendant,
c'est la commission de l'Assemblée nationale. Si la commission de
l'Assemblée nationale trouve que les accusations sont mal
fondées, elle peut recommander des sanctions pouvant aller
jusqu'à la perte du siège de celui qui a accusé. Mais qui
décide? C'est la majorité.
Alors, premièrement, qui va se soumettre à cette
espèce de "kangaroo court" où le jury est "chum" avec
l'accusé? Deuxièmement, surtout, je dirais, qui pourrait me
recommander, comme le ministre vient de le faire, de porter des accusations
dont je ne connais pas la preuve? Nous sommes ici pour la faire.
En ce qui concerne la question du serment d'office, M. le
Président, je sais qu'à peu près tout le monde dans cette
salle a prêté un serment un jour ou l'autre. Les avocats l'ont
fait lorsqu'ils ont été admis au barreau, on va voir des avocats
qui viennent ici, les serments d'office sur la confidentialité, etc.
Mais là, ici, il s'agit de prêter serment que tout ce que l'on va
dire sera la vérité, seulement vérité; c'est un
serment d'une autre nature.
Le Président (M. Jolivet): Merci. La question m'est
posée en vertu de l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée
nationale, qui dit: "Le président ou tout membre de l'Assemblée,
d'une commission ou d'une sous-commission peut demander à une personne
qui comparaît devant elle de prêter le serment ou de faire la
déclaration solennelle prévus à l'annexe II, laquelle
déclaration se lit comme suit: Je, (nom et prénom du
témoin), jure (ou déclare solennellement) que je dirai toute la
vérité et rien que la vérité."
Compte tenu du fait qu'on a regardé, puisque j'avais à
présider cette commission, ce dossier de serment ou de
déclaration solennelle, je peux dire au départ que la Loi sur
l'Assemblée nationale ne fait aucune restriction quant à ceux qui
doivent prêter serment à la demande d'un des membres ou du
président de la commission. Pour le moment, c'est un des membres de la
commission qui en fait la demande. Il ne s'agit donc pas d'une motion, mais
cela peut être simplement l'expression d'un seul membre de la commission
en vue d'obliger un témoin à prêter serment.
Si le témoin refusait de prêter serment, en vertu de la Loi
sur l'Assemblée nationale, il y a des sanctions qui sont prévues.
Je fais simplement la lecture des dispositions pénales au chapitre V de
la loi 90, où on dit: "La personne autre qu'un député qui
commet un acte ou une omission visés aux articles 55 et 56 commet une
infraction et est passible, sur poursuite sommaire, en outre des frais, d'une
amende maximale de 10 000 $.
Donc, si le témoin, à la demande d'un des membres, ne
s'exécutait pas, il serait automatiquement une personne qui
porterait
atteinte aux droits de la commission en dépit du fait que la
demande ne provient pas de la commission elle-même mais d'un membre de la
commission. Donc, le serment dont il est question ici peut être requis
aussi d'un député qui se prêterait - et je fais bien
attention aux termes que j'emploie - aux questions des membres de la commission
parce que le témoignage serait rendu.
Donc, le témoin qui rend un témoignage faux ou incomplet,
qu'il soit assermenté, qu'il fasse la déclaration solennelle ou
pas, porte atteinte, en vertu de l'article 55, aux droits de l'Assemblée
ou de la commission qui siège actuellement. Je n'en fais pas la
nomenclature mais on dit que "nul ne peut porter atteinte aux droits de
l'Assemblée". On énumère une série de
possibilités qui peuvent se présenter, qui constituent notamment
une atteinte aux droits de l'Assemblée.
Par conséquent, la demande ayant été faite, je n'ai
qu'à exécuter la demande. Tout témoin qui viendra ici
témoigner devant la commission, ou bien prêtera serment ou fera la
déclaration solennelle prévue à l'annexe II de la Loi sur
l'Assemblée nationale.
La première personne, étant donné que les
préliminaires sont faits, à ma gauche et à ma droite, je
demanderais à M. Claude Laliberté, président-directeur
général de la Société d'énergie de la
Baie-James, de s'avancer à la table devant nous. En conséquence,
M. le greffier va demander l'exécution.
Témoignages M. Claude Laliberté
Le greffier (M. Jean Bédard): Voudriez-vous
répéter après moi: Je - vos nom et prénom -
déclare solennellement que je dirai toute la vérité et
rien que la vérité.
M. Laliberté (Claude): Je, Claude Laliberté,
déclare solennellement que je dirai toute la vérité et
rien que la vérité.
Le greffier (M. Jean Bédard): Merci.
Le Président (M. Jolivet): Vous êtes seul, M.
Laliberté?
M. Laliberté: Oui, pour le moment.
Le Président (M. Jolivet): D'accord. Vous avez une
déclaration préliminaire à faire ou... M. le ministre.
M. Duhaime: M. Laliberté, on vient de nous distribuer un
texte qui, j'imagine, va vous servir d'aide-mémoire, je ne sais trop.
Mais, avant, je voudrais peut-être que vous précisiez; vous
êtes en poste actuellement comme président et directeur de la
Société d'énergie de la Baie-James mais vous êtes
à cette fonction depuis combien de temps? Depuis quelle date?
M. Laliberté: M. le Président, j'occupe cette
fonction depuis le 1er octobre 1978.
Mon mandat est de cinq ans, nomination du premier ministre.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Voulez-vous, M. Laliberté, nous dire quel
était le nom de votre prédécesseur à ce poste?
M. Laliberté: M. Boyd.
M. Duhaime: Qui, j'imagine, cumulait les fonctions de P.-D.G.
d'Hydro-Québec et de la SEBJ.
M. Laliberté: Oh, la dernière année, durant
la dernière année...
M. Duhaime: Avant le 1er octobre 1978?
M. Laliberté: Avant mon arrivée, juste avant mon
arrivée exactement.
M. Duhaime: Je vous remercie. Vous avez une déclaration
à faire, allez-y.
M. Laliberté: Si la commission m'autorise, M. le
Président, je vais lire ma déclaration.
Le Président (M. Jolivet): Vous êtes
autorisé.
M. Laliberté: Dans le but de mieux comprendre, en quelque
sorte, les circonstances, j'ai cru bon de faire un historique des
activités du conseil d'administration sur le dossier.
Il faut donc remonter au 18 mars 1974 pour retrouver les causes
immédiates du saccage de LG 2. Ce jour-là, le refus d'un
entrepreneur d'expulser deux journaliers affiliés à la CSN donne
lieu à un arrêt de travail illégal mais limité au
chantier de cet entrepreneur. Cependant, des rassemblements syndicaux ont lieu
dans les locaux de la SEBJ. Comme ces locaux sont utilisés sans
autorisation malgré les règlements en vigueur, une
réprimande écrite de la SEBJ est adressée, le 19 mars,
à M. Yvon Duhamel, le représentant du Conseil provincial du
Québec des métiers de la construction, affilié à la
FTQ.
Pour toute réponse, ce dernier organise un arrêt de travail
illégal sur tout le chantier de LG 2 et exige l'expulsion du chantier de
l'auteur de la réprimande et, dans le même souffle, le
réembauchage d'un
délégué de chantier du local 791, expulsé
quelques jours auparavant pour voies de fait. Le lendemain, donc le 20 mars, le
chef de chantier informe les représentants syndicaux qu'il lui est
impossible d'accepter leurs demandes. Ce refus déclenche le saccage du
21 mars 1974 qui, par les dommages considérables qu'il cause, prive le
chantier d'eau, d'électricité et de chauffage par un froid de
moins 25 degrés Celcius et force ainsi l'évacuation des
travailleurs. De plus, au lendemain du saccage, les syndicats en attribuent la
responsabilité à la SEBJ.
Le campement n'est rouvert que 51 jours plus tard et il faut un mois
additionnel pour remobiliser complètement le chantier et ramener
l'effectif au même niveau que celui du 21 mars 1974.
Les dommages physiques et les pertes matérielles qui en
résultent et pour lesquels la société d'énergie est
assurée, se chiffrent par un peu plus de 1 000 000 $. Les dommages
additionnels subis par la SEBJ, incluant les frais d'évacuation et de
remobilisation, les coûts additionnels de rattrapage, la remise en
état du chantier et les coûts additionnels d'assurance se
chiffrent, eux, à 31 000 000 $. C'est cette somme qui fait l'objet de la
cause instituée par la SEBJ en Cour supérieure.
L'enquête du commissaire des incendies, qui débute le 23
mars 1974, donne lieu à plusieurs conclusions de la part du notaire
Cyrille Delage. Il rend son verdict le 15 juillet suivant et affirme que, et je
cite: "L'incendie d'une partie des installations de la Société
d'énergie de la Baie-James a été causé de
façon volontaire et est un incendie d'origine criminelle."
Le saccage de LG 2 donne lieu, dès le 27 mars 1974, à la
création d'une commission d'enquête présidée par feu
le juge Robert Cliche. Cette commission remet son rapport le 2 mai 1975. Ce
rapport contient 134 recommandations portant sur le libre exercice de la
liberté syndicale dans l'industrie de la construction.
Maintenant, voyons comment la SEBJ en est arrivée à
inscrire une poursuite en Cour supérieure, le 26 février 1976. Le
conseil d'administration de l'époque décide d'abord de retenir,
à compter d'octobre 1974, les services de l'étude juridique
Pouliot, Dion et Guilbault. À la fin de 1975, le conseil
d'administration décide de faire appel à une autre étude
juridique, Geoffrion, Prud'homme et Associés, pour agir conjointement
avec la précédente. Leur mandat est de formuler des
recommandations quant aux recours en dommages auxquels la SEBJ a droit par
suite du saccage de LG 2.
Le 16 décembre 1975, Geoffrion, Prud'homme et Associés
émettent une opinion dans laquelle ils concluent que les règles
de droit pertinentes et l'ensemble des faits qu'ils connaissent justifient que
la SEBJ prenne action contre Yvon Duhamel, Michel Mantha, Maurice Dupuis, le
local 791 et l'Union des opérateurs de machinerie lourde du
Québec.
Ils poursuivent en affirmant que, si la cour retient le principe qu'un
délégué de chantier est véritablement le
représentant ou le mandataire de son syndicat, la SEBJ a de bonnes
chances d'établir la responsabilité de la Fraternité unie
des charpentiers et menuisiers d'Amérique. Ils pensent également
qu'il y a des éléments de preuve qui permettent d'établir
celle de l'International Union of Operating Engineers, de René Mantha,
d'André Desjardins et du Conseil provincial du Québec des
métiers de la construction.
Après avoir pris connaissance de ce rapport et en avoir
discuté avec les procureurs, le conseil d'administration donne
instruction, en janvier 1976, d'instituer contre les responsables des
procédures judiciaires en Cour supérieure du district de
Montréal. (11 h 15)
L'action est intentée le 26 février 1976. Par ces
procédures, la SEBJ vise les trois objectifs fondamentaux de toute
poursuite civile. Je me permets de vous les rappeler: Premièrement,
faire déclarer responsables les individus ou les institutions
désignées dans la poursuite; deuxièmement, faire
établir le montant des dommages subis et, troisièmement,
exécuter, si possible, le jugement advenant que la décision
rendue est favorable.
Voilà la situation, donc, lorsque j'entre en fonction comme
président-directeur général de la Société
d'énergie de la Baie-James, le 1er octobre 1978.
Avant d'entreprendre la chronologie des événements qui
mènent au règlement dont il est question, je désire
rappeler les changements apportés à la
représentativité et à la composition du conseil
d'administration de la SEBJ par la loi 41 adoptée en 1978.
Le conseil d'administration de la SEBJ comprend onze membres, au lieu de
cinq comme précédemment. Ceux-ci proviennent de
l'extérieur de l'entreprise majoritairement. Il se compose du
président du conseil, M. Lucien Saulnier, nommé pour deux ans, du
P.-D.G. d'Hydro-Québec, M. Robert Boyd et de moi-même,
nommés tous les deux pour une durée de cinq ans, et de huit
autres membres dont le mandat est de deux ans: Mme Nicolle Forget, MM. Georges
Gauvreau, Roland Giroux, Hervé Hébert, Pierre Laferrière,
Guy Monty, Claude Roquet et André Thibaudeau.
La première implication du conseil dans le dossier des poursuites
relatives au saccage de LG 2 remonte au 20 novembre 1978, alors qu'il adopte
une résolution qui approuve un engagement monétaire estimé
à 500 000 $ pour l'année 1979 afin de couvrir les
honoraires et autres dépenses des procureurs. À cette
occasion, le conseil prend connaissance de tous les éléments
juridiques dont je vous ai fait part plus haut.
Mentionnons que nous connaissons alors la date du procès, le 15
janvier 1979, sa durée probable, six mois, et le nom du juge qui doit le
présider, l'honorable juge Claude Bisson.
À la réunion du conseil, la semaine suivante, soit le 27
novembre, une première étude est demandée sur les liens de
responsabilité financière des défendeurs et sur leur
capacité de payer.
À la réunion du 11 décembre 1978, les
administrateurs prennent connaissance des opinions émises en 1975 par
nos procureurs et qui ont mené à la décision d'engager des
poursuites.
Le 3 janvier 1979, je rencontre brièvement, au bureau du premier
ministre à Montréal, M. Jean-Roch Boivin qui m'informe du souhait
du premier ministre qu'un règlement hors cour intervienne.
À la réunion du conseil du 9 janvier 1979, deux documents,
que je me permettrai de citer, sont déposés. En premier lieu,
l'étude demandée en novembre à nos procureurs et portant
sur la solvabilité des défendeurs. Cette étude est
datée du 5 janvier. La principale conclusion se lit comme suit: "Hormis
l'International Union of Operating Engineers, la solvabilité de tous les
autres défendeurs est extrêmement relative." L'étude
rappelle cependant que les cotisations dues par les syndiqués aux
organismes syndicaux dont la responsabilité aura été
établie pourraient être saisies en exécution d'un
jugement.
Le deuxième document est un rapport interne préparé
par des gestionnaires de l'entreprise et qui trace, à l'intention des
membres du conseil, l'historique de la cause dans laquelle s'est engagée
la SEBJ en 1976. Ce document se termine par les rappels suivants: "En
instituant cette action, la société d'énergie était
consciente du fait que la plupart des défendeurs ne seraient pas en
mesure de pouvoir satisfaire à un jugement rendu dans cette
cause..."
Cependant, elle était consciente qu'à titre d'entreprise
à caractère parapublic, gérant des fonds et des biens du
domaine public, elle se devait de tenir les individus et organismes
responsables de leurs actes dans le but d'établir un climat de confiance
pour les travailleurs et les entrepreneurs présents et futurs sur les
chantiers de la Baie-James.
Le rapport conclut également qu'"il est important pour le
maintien de ce climat de confiance, qui est devenu apparent depuis la reprise
des travaux à la Baie-James et l'institution de l'action, que les
responsabilités des parties soient déterminées par le
tribunal et que la société d'énergie soit reconnue comme
un organisme qui ne fléchit pas dans la poursuite d'un but qu'elle
reconnaît amplement justifié".
Après discussion du dossier, les membres du conseil se disent
d'avis que les décisions prises antérieurement par le conseil
d'administration de la SEBJ relativement à la poursuite n'ont pas
à être modifiées. Compte tenu qu'il n'y a aucun
élément nouveau au dossier, les membres du conseil
considèrent que la cause doit suivre son cours devant les tribunaux.
Comme je vous l'indiquais précédemment, l'ouverture du
procès avait été fixée au lundi 15 janvier. A la
toute veille, cependant, soit le vendredi 12 janvier, nos procureurs
m'informent qu'une offre de règlement hors cour est en
préparation de la part de certains défendeurs.
Le jour de l'ouverture du procès, je rencontre nos avocats qui
désirent obtenir une précision de mandat en rapport avec cette
offre de règlement éventuelle. Je leur indique clairement que
leur mandat se limite à écouter les offres des
défendeurs.
La première offre écrite de règlement m'est
présentée, le 17 janvier, par Me Michel Jasmin qui dit
détenir un mandat de la part de trois des cinq syndicats
impliqués: l'Union des opérateurs de machinerie lourde du
Québec, local 791, le Conseil provincial du Québec des
métiers de la construction et l'Union des opérateurs du
Québec.
Deux syndicats sur cinq reconnaissent leur responsabilité et le
dédommagement proposé est de 50 000 $, incluant la part des
assureurs. J'informe nos procureurs que cette offre n'est pas acceptable parce
que seulement deux syndicats sur cinq reconnaissent leur responsabilité
et que le montant du dédommagement est beaucoup trop faible.
Néanmoins, je vous ferai remarquer que c'est la première fois
qu'un syndicat fait une admission de sa responsabilité.
Le 22 janvier, je reçois une nouvelle offre de règlement
au montant de 125 000 $ de la part du procureur de l'International Union of
Operating Engineers, représentant la position cette fois de l'ensemble
des syndicats dans cette cause.
Cette nouvelle démarche de la part des défendeurs
mérite qu'on y porte attention puisque deux des cinq syndicats
reconnaissent l'existence d'un lien de responsabilité avec les auteurs
du saccage. L'un de ces deux syndicats, le local 791, reconnaît
même qu'une partie substantielle de la réclamation est
fondée.
En outre, à mesure que le temps passe, je doute de plus en plus
de nos chances de pouvoir éventuellement faire exécuter un
jugement contre l'International Union of Operating Engineers.
Je constate également que le procès coûte
présentement à la SEBJ près de
25 000 $ par semaine. À la réunion du conseil du 23
janvier, j'informe mes collègues que je suis personnellement favorable
à un règlement hors cour et je les invite dès ce moment
à explorer cette possibilité à la lumière des faits
nouveaux admis par la partie syndicale. Après une longue discussion, le
conseil reporte toute décision à une séance
ultérieure.
Le 30 janvier, le sujet revient à l'ordre du jour. Devant les
interrogations soulevées par plusieurs administrateurs, il est
proposé que le président du conseil sollicite une entrevue
auprès du premier ministre pour connaître sa position à ce
sujet. Cette rencontre a lieu le 1er février. J'y assiste en compagnie
du président du conseil et du président-directeur
général d'Hydro-Québec. Le premier ministre,
accompagné de son chef de cabinet, expose les raisons pour lesquelles il
favorise un règlement hors cour.
Le 5 février, je prends connaissance de deux rapports distincts
préparés par les procureurs des syndicats faisant part de
considérations diverses à l'appui de leur proposition de
règlement hors cour. Lors de la réunion du conseil
d'administration du 6 février, le président du conseil fait
rapport aux membres de la rencontre tenue avec le premier ministre, et je cite
ici un extrait du procès-verbal: "Le président du conseil informe
les membres que le chef du gouvernement souhaite que soient explorées
les possibilités d'un règlement hors cour de cette cause". Les
membres du conseil prennent connaissance des deux rapports du 5 février
auxquels sont jointes les offres de règlement des 16 et 22 janvier.
Après discussion, ils décident unanimement de donner le mandat
à nos procureurs d'explorer auprès des syndicats la
possibilité d'un règlement hors cour sur la base d'une
reconnaissance par tous les défendeurs de leurs responsabilités
pour les dommages; du paiement à la compagnie d'une somme d'argent qui
pourrait lui être acceptable; le tout sous condition que les actions
instituées par les compagnies d'assurances soient réglées
préalablement.
À la suite de cette réunion, le président du
conseil demande à nos procureurs une nouvelle opinion sur la
possibilité de faire exécuter un jugement aux États-Unis.
Le 13 février 1979, les procureurs de la SEBJ me soumettent un rapport
assorti d'une nouvelle proposition de règlement datant de la veille. En
résumé, l'offre globale est augmentée à 175 000 $,
soit 100 000 $ pour la SEBJ et 75 000 $ pour les assureurs. Bien que
contribuant au versement de ces montants dans une proportion de 50%,
l'International Union of Operating Engineers refuse toujours de faire un aveu
de responsabilité.
Je prends connaissance, le 19 février, des résultats de
l'étude demandée par le président du conseil. Voici les
principales conclusions de cette étude: 1o Il est possible et même
probable que toute demande adressée par la SEBJ devant un tribunal
américain sera contestée; 2o L'union américaine dispose de
fonds considérables et a les moyens d'en appeler jusqu'au plus haut
tribunal du pays, ici comme aux États-Unis; 3o Toutes ces
procédures pourraient être très longues et
entraîneraient de part et d'autre des frais considérables. (11 h
30)
C'est ce nouvel éclairage que donnent nos procureurs aux membres
du conseil d'administration le 20 février. L'espoir d'un recouvrement du
côté américain s'atténue. Après discussion,
le conseil décide unanimement: lo De requérir les états
financiers les plus récents des syndicats québécois; 2 de
proposer aux procureurs des défendeurs les termes d'un règlement
hors cour de ladite cause sur la base: 1° d'une reconnaissance par tous les
défendeurs de leur responsabilité pour les dommages; 2 du
paiement à la compagnie d'une somme représentant
substantiellement les frais juridiques encourus à ce jour; 3° le
tout sous condition que les actions instituées par les compagnies
d'assurances contre les mêmes défendeurs soient
réglées préalablement.
Le 27 février, je reçois de nos procureurs, en
présence du président du conseil, une nouvelle proposition de
règlement accompagnée du rapport sur les états financiers
des syndicats québécois. L'offre de règlement se
résume comme suit: 1° un troisième syndicat
québécois reconnaît sa responsabilité; 2° le
montant des dommages réclamés est considéré comme
fondé pour une part substantielle; 3 le montant du dédommagement
passe de 175 000 $ à 300 000 $, soit 200 000 $ à la SEBJ et 100
000 $ à ses assureurs.
L'étude des états financiers permet de conclure à
l'incapacité des syndicats québécois de payer des sommes
supérieures à celles proposées. Ces documents sont soumis
au conseil à sa réunion du 6 mars. Après discussion, le
conseil d'administration de la SEBJ décide majoritairement d'autoriser
un règlement sur la base de cette proposition. L'entente est
signée le 12 mars 1979 et une copie des documents est versée au
dossier à la réunion du conseil du 20 mars.
Si je reprends les éléments du règlement hors cour,
j'en conclus que cette décision a été sage puisque le
règlement hors cour comporte un aveu de responsabilité de la part
des principaux défendeurs. C'est là un fait rare dans les annales
judiciaires. Pour nous, cet élément était primordial
étant donné que, lors du saccage, les défendeurs avaient
laissé entendre que la SEBJ était responsable des
événenements.
En deuxième lieu, le règlement établit que la
réclamation est fondée pour une part
substantielle selon certain des défendeurs. Ce point était
également très important pour nous car il avait été
mis en cause tout au long des procédures. De telles admissions,
incorporées à un règlement hors cour, ont une
portée souvent comparable à celle d'un jugement.
Troisièmement, en ce qui a trait à la question des
montants récupérés, on peut penser, que si, au bout du
compte, le lien de droit avait été établi avec
l'International Union of Operating Engineers, la SEBJ a laissé
échapper des millions de dollars. J'ai personnellement la conviction que
la possibilité de récupérer des sommes importantes de la
centrale syndicale américaine, advenant un jugement favorable à
notre cause, était bien douteuse. Je demeure également convaincu,
compte tenu des opinions reçues et des pièces justificatives au
dossier, que le montant final, soit 200 000 $ versés à la SEBJ et
100 000 $ versés à ses assureurs, représente un montant
raisonnable en regard de la capacité de payer des syndicats
québécois impliqués.
J'aimerais rappeler, pour compléter cet exposé des faits,
que, en ce qui a trait aux dommages directs, la SEBJ a reçu de ses
assureurs une somme de plus de 1 100 000 $, en plus des 200 000 $ du
règlement hors cour.
À la lumière de tous ces éléments, je
continue à croire que la décision d'accepter le règlement
hors cour, tel que libellé, a constitué une saine décision
administrative. Cette décision, je la reprendrais encore aujourd'hui. Je
vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. Laliberté.
Avant de passer à l'interrogation par le ministre, j'aimerais vous dire
que j'appliquerai le règlement qui indique que les questions et les
réponses doivent porter sur un laps de temps de 20 minutes. Nous ferons
l'alternance, quitte à revenir pour des questions additionnelles. On m'a
demandé d'être souple au départ. Donc, le ministre pourra
avoir 20 minutes ainsi que le représentant de l'Opposition. Si, par la
suite, tous les intervenants veulent y revenir, ils le pourront. M. le
ministre. Oui, M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, j'ai avec moi les
extraits des procès-verbaux de la SEBJ du 20 novembre 1978 au 30 mars
1979, traitant des procédures judiciaires instituées par la SEBJ
dans cette affaire. Cependant, il manque l'extrait de la réunion du 11
décembre 1978, lequel sera disponible plus tard aujourd'hui. Je peux
vous le distribuer, si vous le permettez.
Le Président (M. Jolivet): Merci.
M. Duhaime: M. le Président, pour les fins des travaux de
notre commission, je pense qu'il faudrait accepter. J'allais vous le demander
de toute façon. Est-ce que vous pouvez déposer ces documents? Ce
sont les procès-verbaux du conseil d'administration de la
Société d'énergie de la Baie James? De quelle date
à quelle date?
M. Laliberté: Du 20 novembre 1978 au 30 mars 1979. Ce sont
tous les documents qui traitent des procédures juridiques.
M. Duhaime: D'accord.
Le Président (M. Jolivet): Quelqu'un ira les chercher.
M. Laliberté: Merci.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Je voudrais, avant de poser d'autres questions, vous
demander, M. Laliberté, en suivant la déclaration que vous venez
de lire... À la page 4 de votre déclaration, vous dites: "Le 16
décembre 1975, Geoffrion, Prud'homme et Associés émettent
une opinion dans laquelle ils concluent que les règles de droit
pertinentes et l'ensemble des faits qu'ils connaissent justifient que la SEBJ
prenne action contre Duhamel, etc." Avez-vous cette opinion juridique des
procureurs Geoffrion,
Prud'homme et Associés avec vous? Si elle était
disponible, je vous en fais maintenant la demande. Je vous en demanderai
d'autres. Si quelqu'un, à vos côtés, pouvait les noter et
en cours de journée ou à la suspension, entre 13 heures et 15
heures, vous pourriez faire faire cet inventaire, parce qu'on va très
certainement en avoir besoin ensuite pour la bonne marche de nos travaux.
Alors, il y a cette première opinion juridique.
Je voulais aussi vous demander de déposer, pour les fins de la
commission, ce que vous évoquez vous-même en page 7. Oui,
pardon?
M. Laliberté: En réponse à cette
première question, ce sera déposé avec le
procès-verbal de la réunion du 11 décembre, qui n'est pas
dans le document que vous avez présentement. Mais lorsqu'on l'aura, elle
sera déposée...
M. Duhaime: Avec le procès-verbal de la réunion du
11 décembre 1978?
M. Laliberté: À cette réunion du 11
décembre, les administrateurs avaient exigé justement cette
série de documents. D'accord?
Le Président (M. Jolivet): Simplement pour les besoins de
notre façon de
fonctionner, c'est une distribution qui est faite aux membres et non pas
un dépôt, afin d'éviter qu'ils soient inclus au journal des
Débats.
M. Duhaime: Cela pourrait être utile pour ceux qui nous
reliraient un jour. Je le regrette.
À la page 7 de votre déclaration, M. Laliberté,
vous référez à deux documents: le premier est
l'étude demandée à vos procureurs portant sur la
solvabilité des défendeurs. Cette étude est datée
du 5 janvier 1979. Est-ce que cette opinion juridique est également
disponible pour les fins de distribution?
M. Laliberté: Elle est annexée à la
réunion du 9 janvier.
M. Duhaime: Le deuxième document, dont vous parlez, qui
est un rapport interne préparé par les gestionnaires de
l'entreprise, fait-il également partie du document qui est
déjà déposé?
M. Laliberté: De la réunion du 9 janvier.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Le rapport des gestionnaires est à la
page 16 du document. Le rapport de nos procureurs est à la page 24.
M. Duhaime: Merci. Dans votre déclaration de ce matin,
à la page 9, vous parlez d'une première offre écrite de
règlement qui vous est présentée le 17 janvier. Je dois
lire, j'imagine, d'après la chronologie, cela doit être le 17
janvier 1979...
M. Laliberté: C'est bien cela.
M. Duhaime: Est-ce que ce document qui comporte une offre est
également déposé?
M. Laliberté: Oui.
M. Duhaime: Oui.
M. Laliberté: À la réunion du conseil du 6
février.
M. Duhaime: À la page 12, vous dites: "Les membres du
conseil prennent connaissance des deux rapports du 5 février auxquels
sont jointes les offres de règlement des 16 et 22 janvier. Après
discussion, ils décident unanimement de donner mandat à nos
procureurs d'explorer auprès des syndicats la possibilité d'un
règlement hors cour."
Est-ce que vous pourriez, à l'aide du procès-verbal, nous
donner la liste des personnes présentes à ce conseil
d'administration qui a pris une décision unanime?
M. Laliberté: M. le Président, c'est à la
page 69 de votre document. Nous sommes donc à la réunion du 6
février. Les personnes présentes sont: MM. Saulnier,
Laliberté, Boyd, Mme Forget, MM. Gauvreau, Giroux, Hébert,
Laferrière et Roquet. Se sont excusés: MM. Monty et
Thibaudeau.
M. Duhaime: À l'aide du procès-verbal de votre
réunion du 6 mars 1979, le conseil d'administration de la
Société d'énergie de la Baie-James décide
majoritairement d'autoriser un règlement sur la base de cette
proposition. Est-ce que vous avez cette bonne ou mauvaise habitude, je ne sais
pas, de noter, lorsque les votes sont pris, combien sont pour, combien sont
contre et qui est pour et qui est contre, ou bien si vous dites comme certains
jours à l'Assemblée nationale: Adopté, sur division?
M. Laliberté: À la page 140, le quatrième
paragraphe: "Après discussion sur proposition dûment faite et
appuyée et après un vote à main levée suite auquel
six membres présents ont voté pour la proposition, trois membres
présents ont voté contre la proposition et un membre
présent s'étant abstenu, il est majoritairement
résolu..."
M. Duhaime: Alors, il n'y a pas d'indication des noms à
votre procès-verbal.
Je tiens pour acquis que l'entente signée le 12 mars 1979 et une
copie des documents versés au dossier à la réunion du
conseil du 20 mars, nous les avons d'ores et déjà en main avec
les autres documents que vous avez déposés en liasse tout
à l'heure. L'entente hors cour.
M. Laliberté: Oui.
M. Duhaime: Je me réfère à la page 15 de
votre déclaration, à la toute fin.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: La question, M. le Président?
Le Président (M. Jolivet): À la page 15.
M. Duhaime: À la page 15, le dernier paragraphe, les deux
dernières lignes.
M. Laliberté: Oui.
M. Duhaime: Vous dites: "L'entente est signée le 12 mars
1979 et une copie des
documents est versée au dossier à la réunion du
conseil du 20 mars." Alors, je tiens pour acquis que c'est une entente
signée par les procureurs des parties et qui constitue le
règlement hors cour.
M. Laliberté: C'est bien cela.
M. Duhaime: Est-ce que cela fait partie du document que vous avez
déposé tout à l'heure?
M. Laliberté: Oui, à la page 181, M. le
Président.
M. Duhaime: À la page 181.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté, j'ai
remarqué que des gens vous accompagnent. Ils peuvent s'asseoir à
côté de vous, si vous le désirez, pour...
M. Laliberté: ...faciliter.
Le Président (M. Jolivet): C'est cela.
M. Laliberté: M. le Président, à ma droite,
Me André Gadbois qui était l'avocat en chef de la
Société d'énergie de la Baie-James au moment de la
poursuite et qui est présentement le chef du contentieux
d'Hydro-Québec. À ma gauche, Me Jean Bernier qui est le
secrétaire de la Société d'énergie de la
Baie-James.
Le Président (M. Jolivet): Merci.
M. Duhaime: M. Laliberté, peut-être que vos
procureurs pourraient vous aider. Je sais que vous êtes plutôt fort
en ingénierie. Est-ce que, lorsque vous vous référez
à l'entente signée, vous vous référez à la
déclaration de transactions faites suivant les articles 18, 19 et
suivants du Code civil, tel que cela apparaît à la page 187 et
suivantes du document que vous avez déposé tout à
l'heure?
Le Président (M. Jolivet): M. Gadbois.
M. Gadbois (André): Oui, nous faisons
référence à ce document mais en plus des
déclarations de règlement hors cour qui ont été
signées par chacun des défendeurs dans la cause. (11 h 45)
M. Duhaime: Est-ce qu'on pourrait avoir une précision tout
de suite? À quel jour, exactement, la déclaration de
règlement hors cour a-t-elle été déposée
devant la Cour supérieure?
Le Président (M. Jolivet): Juste un instant. J'ai fait
mention d'une chose. C'est M. Laliberté qui est le témoin. Les
gens peuvent lui donner les renseignements mais c'est M. Laliberté qui
doit répondre.
M. Laliberté: M. le Président, la réponse
est le 13 mars.
M. Duhaime: Le 13 mars. M. Laliberté: 1979.
M. Duhaime: Bon. Alors, M. Laliberté, je voudrais vous
demander quelques précisions à la suite de la déclaration
que vous venez de faire devant cette commission; ensuite, peut-être que
mes collègues auront des questions eux aussi.
À la page 2, vous référez au saccage du 21 mars
1974 "qui, par les dommages considérables qu'il cause, prive le chantier
d'eau, d'électricité et de chauffage". Est-ce qu'on peut conclure
que c'étaient des génératrices qui avaient
été endommagées et brisées au point de les rendre
complètement inopérantes?
M. Laliberté: C'est bien le cas, M. le Président.
Nous possédions à ce moment deux génératrices de
800 kilowatts dont l'une a été endommagée le jour du
saccage.
M. Duhaime: Est-ce que vous pouvez préciser à la
commission en combien de temps, à partir du 21 mars 1974, ces
génératrices ont été réparées,
remises en marche ou remplacées?
M. Laliberté: M. le Président, j'ai dit dans ma
déclaration que le chantier a été rouvert 52 ou 53 jours
plus tard et ce n'est qu'un mois après ces 53 jours que le chantier a
retrouvé la totalité du personnel qu'on avait dû
évacuer au moment même du saccage.
M. Duhaime: Oui, mais ma question est la suivante: Vous dites, 51
jours plus un mois additionnel. Donc, en gros, 80, 81 jours avant que le
chantier ne reprenne son rythme normal. J'imagine que cela ne prend pas 80 ou
81 jours pour remonter deux génératrices de 800 kilowatts. Est-ce
que je pourrais avoir cette précision, si elle est disponible? Si vous
n'avez pas la réponse, vous pouvez vous retourner vers les techniciens
ou les ingénieurs qui se sont occupés du dossier, prendre note de
cette question et y répondre plus tard.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté, vous allez
répondre plus tard, si je comprends bien?
M. Laliberté: Oui, on prend note.
Le Président (M. Jolivet): Merci.
M. Duhaime: À la page 2, vous dites
toujours: "Les dommages physiques et les pertes matérielles qui
en résultent et pour lesquelles la Société
d'énergie de la Baie-James est assurée se chiffrent à un
peu plus de 1 000 000 $." Vous nous avez dit plus loin que les assurances ont
payé 1 100 000 $ plus 200 000 $ payés par les syndicats, ce qui
fait un 1 300 000 $. Est-ce que je dois comprendre de votre déclaration,
M. Laliberté, que les dommages physiques et les pertes
matérielles ont été payés presque à
100%?
M. Laliberté: Oui, on peut en déduire qu'ils ont
été payés à plus de 100% parce que les assurances
ont payé effectivement 1 100 000 $; elles ont refusé de payer un
autre montant de 100 000 $. Je ne pourrais vous dire exactement en quoi cela
pouvait consister et il y avait un autre montant de 100 000 $ résiduel
qui faisait partie de la réclamation comme telle, ce qui veut dire aux
alentours de 1 300 000 $.
Donc, le montant de 1 100 000 $ souscrit par les assureurs, plus les 200
000 $ obtenus du règlement hors cour donnent un montant d'argent
substantiellement équivalent aux dommages physiques et matériels
sur le chantier.
M. Duhaime: Cette réclamation de 31 000 000 $,
peut-être que Me Gadbois, qui est à vos côtés,
pourrait vous aider - moi-même je vais essayer de me retrouver -c'est
180...
Une voix: 181...
M. Duhaime: ...la déclaration détaillée,
telle que déposée devant la cour avec le bref d'assignation,
j'imagine, qui se chiffre à 31 000 000 $. Ma question va être
très simple. J'imagine qu'il doit y avoir des allégués de
dommages très précis et ensuite, sous une rubrique plus
générale, dommages généraux. Je voudrais
peut-être que vous nous donniez le détail, s'il vous est
disponible, de cette réclamation de 31 000 000 $, sans aller dans les
cents. On n'en est pas à une piastre près si on poursuit pour 31
000 000 $ mais je voudrais peut-être avoir les grands blocs, M.
Laliberté.
M. Laliberté: Si vous permettez, M. le Président,
Me Gadbois...
Le Président (M. Jolivet): Je n'ai malheureusement aucun
pouvoir de vous le permettre, c'est vous qui...
M. Laliberté: C'est moi qui décide?
M. Duhaime: Je le consentirais volontiers.
Le Président (M. Jolivet): À moins que les
membres... C'est parce que le serment est prêté par M.
Laliberté, en vertu de la loi.
M. Duhaime: Je ne voudrais pas que Me Gadbois témoigne
avec le serment de son voisin, mais je serais prêt à donner tout
de suite mon consentement pour que, si l'Opposition était d'accord, si
besoin est... Quant à moi, cela m'est égal, mais, si on pense que
c'est mieux d'assermenter Me Gadbois, qu'on le fasse sur-le-champ. Je pense que
cela sera même moins compliqué que de voir Me Gadbois passer une
demi-heure à souffler les réponses dans l'oreille du
président de la Société d'énergie de la
Baie-James.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Si vous le permettez, je peux lire la
description des dommages. On les trouve à la page 51 du document qu'on
vous a distribué. Est-ce qu'on tient à lire...
M. Duhaime: Peut-être avoir les blocs.
M. Laliberté: À l'article 68, on a parlé des
dommages physiques et des pertes matérielles qui étaient
évaluées à 1 230 000 $. Donc, un tableau en est fourni
comme pièce de support P-4.
M. Duhaime: Je m'excuse, M. Laliberté. Lorsque vous parlez
de l'article 68, vous parlez du paragraphe 68 de la déclaration de la
Société d'énergie de la Baie-James?
M. Laliberté: C'est cela, oui.
M. Duhaime: Dans le dossier de cour no... On va le donner parce
que j'écoutais attentivement le député de
Marguerite-Bourgeoys tantôt et j'ai l'impression qu'on va peut-être
s'en reparler. Alors, c'est le dossier no 500-05-003562-764, Cour
supérieure, district de Montréal.
M. Laliberté: Qui débute à la page 34.
M. Duhaime: À l'article 68, c'est 1 200 000 $, chiffres
arrondis.
M. Laliberté: 1 230 000 $ et on remarque, au paragraphe
69, qu'il y a un résidu, comme je le mentionnais tout à l'heure,
de 97 538 $.
M. Duhaime: Pourquoi?
M. Laliberté: M. le Président, c'est
évidemment une partie que je n'ai pas vécue personnellement. Si
vous tenez à avoir ce détail, on peut faire en sorte de faire
venir les personnes impliquées.
M. Duhaime: Ah bon! Mais...
M. Laliberté: Mais je vous avoue que...
M. Duhaime: Non. Cela répond. On lit les paragraphes 68 et
69 en même temps. Il y a une réclamation de 1 200 000 $. Les
assurances ont payé 1 132 000 $ et il restait 97 000 $ à
réclamer. Ce qui est fait au paragraphe 69, si je comprends bien.
M. Laliberté: C'est cela.
M. Duhaime: Alors, il y a 69 000 $ réclamés au
paragraphe...
M. Laliberté: 97 000 $ au paragraphe 69.
M. Duhaime: Pardon, 97 000 $ au paragraphe 69. Oui.
M. Laliberté: Au paragraphe 78, c'est le dommage sur les
groupes générateurs. Excusez-moi, paragraphe 70, 46 000 $ ou 47
000 $.
Paragraphe 71, à la page 52... Excusez.
M. Duhaime: N'allez pas trop vite, M. Laliberté.
M. Lalonde: M. le Président, si cela peut aider, nos
services ont préparé une petite liste de la réclamation.
On pourrait la distribuer. Peut-être que le ministre veut suspendre la
séance pour faire son "home work"...
M. Duhaime: Non, je vous remercie.
M. Lalonde: Non?
M. Duhaime: Mon "home work" est fait.
M. Lalonde: Oui? Je l'ai tout ici, cela tombe à...
M. Duhaime: J'ai fait tous mes devoirs, je vous remercie. Quand
je reçois une offre de vous, je deviens généralement
très méfiant. Alors, j'aimerais mieux l'entendre du
président de la Société d'énergie de la Baie-James.
Au paragraphe 70, il y a un montant de 47 000 $ qui est réclamé.
Au paragraphe 71, c'est?
M. Laliberté: Au paragraphe 71, donc, il s'agit d'un
camion appartenant à la SEBJ qui a été incendié:
4800 $.
M. Duhaime: Paragraphe 72.
M. Laliberté: Paragraphe 72, la perte de nourriture,
propriété de la défenderesse: 1981 $.
M. Duhaime: Au paragraphe 73, c'est un allégué
général. Paragraphe 74.
M. Laliberté: Paragraphe 74, il s'agit de
réclamations de la part de laboratoires qui avaient du personnel sur le
chantier au moment du saccage: 23 400 $.
M. Duhaime: Ensuite, on va au paragraphe 76.
M. Laliberté: On va au paragraphe 76. Ce sont les
réclamations des entrepreneurs au moment même du saccage. Donc,
Spino, Désourdy, les Comptoirs Abitibi, Bédard, Girard et
Crawley, pour un total de 1 967 000 $.
M. Duhaime: Ensuite, vous allez au paragraphe 77.
M. Laliberté: Au paragraphe 77, d'autres entrepreneurs,
mais associés à la SDBJ, dans le cas de Désourdy, pour un
total de 78 700 $. Donc, les entrepreneurs qui oeuvraient pour d'autres
personnes physiques que la SEBJ.
M. Duhaime: Ensuite, vous allez aux paragraphes 79 et 80?
M. Laliberté: Les paragraphes 78 et 79, en fait, c'est
l'amas de construction. Par suite de la fermeture du chantier, cet entrepreneur
a présenté une réclamation de 329 000 $. C'est en 1979 et
1980, effectivement.
M. Duhaime: Ensuite.
M. Laliberté: En 1981, Spino Construction, qui avait la
responsabilité du percement des galeries de dérivation, 188 000
$, et celui octroyé à Impreglio Spino, 21 000 $, pour tenir
compte, évidemment, des modifications dans les travaux. C'est la grosse
partie de la réclamation. Impreglio Spino a réalisé le
barrage principal de LG 2 et il était à la veille de commencer
ses travaux au moment où le saccage a eu lieu.
M. Duhaime: II faudrait peut-être vous demander une
précision. Au paragraphe 81 de la déclaration, si je comprends
bien, on réclame 188 377 $ pour un contrat à Spino
Construction?
M. Laliberté: Ce contrat, c'est le percement des galeries
de dérivation, contrat qui avait débuté - si ma
mémoire est bonne - en 1972.
M. Duhaime: L'autre élément du paragraphe 81, c'est
un montant de dommage qui est réclamé pour une somme de
21 313 875 $.
M. Laliberté: C'est bien cela.
M. Duhaime: Pour un ajout qui aurait été
octroyé à la firme Impreglio et Spino Ltée?
M. Laliberté: C'est cela. Un ajout au contrat, dès
l'adjudication de ce contrat.
M. Duhaime: Vous pouvez continuer avec les autres
paragraphes.
M. Laliberté: On dit, au paragraphe 82, que, à
cause de la fermeture du chantier, évidemment, une bonne partie du
personnel de la SEBJ s'est retrouvée affectée à des
tâches tout à fait improductives. Pour cette raison, on
réclame - au paragraphe 83 -301 000 $.
M. Duhaime: Oui, ensuite vous allez au paragraphe 84.
M. Laliberté: Paragraphe 84, évacuation sur les
autres chantiers, 102 000 $.
M. Duhaime: Paragraphe 85.
M. Laliberté: Paragraphe 85, majoration des primes
d'assurance à la suite du saccage, 5 869 000 $.
M. Duhaime: 5 869 000 $, oui.
M. Laliberté: Paragraphe 86, certains frais additionnels
de transport, 16 000 $. Paragraphe 87, pour permettre la recherche de solutions
de rechange, évidemment, cela a pris du temps technique - si on peut
employer l'expression - 167 000 $.
M. Duhaime: Oui, paragraphe 88.
M. Laliberté: Paragraphe 88, donc, la remise...
M. Duhaime: Donnez-nous seulement le total.
M. Laliberté: ...en état du chantier comme tel, les
éléments sont élaborés là, 376 000 $.
M. Duhaime: Paragraphe 89.
M. Laliberté: Donc, au paragraphe 89, il s'agit de la
fermeture du chantier de LG 3, 388 000 $, pour finalement en arriver au total
de 31 275 000 $.
M. Duhaime: Bon. Suivant la déclaration qui est
déposée devant la cour, on réclame 31 000 000 $ au total,
dont 21 000 000 $ est un montant de dommages présumés pour
Impreglio et Spino Construction; un montant de 5 800 000 $ qui est la
majoration d'une prime d'assurance; ce qui fait 26 000 000 $. Il resterait 5
000 000 $ qui étaient réclamés au moment où
l'action a été intentée, en 1976; c'est ce que vous avez
mentionné tout à l'heure; vous le dites vous-même dans
votre propre déclaration à la page 2. C'est sur cette
déclaration que je voudrais avoir un éclaircissement. Est-ce que
cela veut dire que les 5 000 000 $, c'est-à-dire tous les montants
à part les 21 000 000 $ et les 5 800 000 qui sont la majoration de la
prime d'assurance, les dommages matériels qui étaient de 5 000
000 $, est-ce que c'est ce montant qui, dans votre esprit, devient un peu plus
d'un million de dollars, suivant ce que vous nous avez dit tout à
l'heure.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, je ne saisis pas
très bien la question, est-ce qu'on pourrait la répéter,
s'il vous plaît?
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre. (12 heures)
M. Duhaime: Dans la déclaration qui est devant la cour, on
réclame 31 000 000 $. Je vais prendre trois éléments.
D'abord, vous avez 21 000 000 $ pour des postes réclamés en ajout
d'un contrat, c'est le paragraphe 81 de la déclaration. Ensuite, vous
avez un montant de 5 869 132 $ au paragraphe 85 de la déclaration, qui
est une prime d'assurance supplémentaire. Tout le reste,
mathématiquement, nous donne autour de 6 000 000 $. Ma question est la
suivante. Dans votre déclaration, à la page 2, vous dites: "Les
dommages physiques et les pertes matérielles qui en résultent et
pour lesquels la société d'énergie est assurée se
chiffrent à un peu plus de 1 000 000 $." Alors, on parlait tantôt
de 1 100 000 $ payés par les compagnies d'assurances et 200 000 $ que
vous avez obtenus dans un règlement hors cour. Est-ce que ce montant de
1 300 000 $ correspond aux 31 000 000 $ ou bien si cela correspond au montant
d'à peu près 5 000 000 $, en disant: 31 000 000 $ moins 21 000
000 $, moins 5/8 pour donner...
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, ce paragraphe que
nous lisons à la page 2 de ma déclaration, concernant les
dommages physiques et les pertes matérielles, correspond à ce qui
est mentionné au paragraphe 68 de la déclaration,
c'est-à-dire que la demanderesse a évalué à 1 230
000 $ les dommages physiques et les pertes matérielles qu'elle a subis.
De ce montant de 1 230 000 $, les assurances ont remboursé à
la SEBJ 1 100 000 $, laissant un résidu de 97 000 $ qu'on
retrouve au paragraphe 69, ce qui fait évidemment l'objet de la
réclamation de la SEBJ.
M. Duhaime: Je comprends que vous nous avez indiqué qu'il
a fallu attendre 51 jours plus un mois additionnel pour arriver au niveau de
fonctionnement qu'on avait connu antérieurement. Effectivement,
après cet arrêt de 80 jours, une fois que le chantier a
été remis en marche au cours de l'année 1974 et ensuite,
au cours de la poursuite des travaux, en 1975, 1976, 1977, pour terminer LG 2,
quel est votre point de vue aujourd'hui sur la réclamation
générale de l'ordre de 21 000 000 $ pour des dépassements
de coûts sur l'ensemble du chantier?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, je répondrais
ceci quant aux mesures prises en 1974. On a parlé, dans la
réclamation, d'études qui ont mené effectivement à
des décisions bien précises sur les moyens de
récupération de l'échéancier et qui ont
porté fruits. Effectivement, à la fin, la Société
d'énergie de la Baie-James a pu mettre en service les groupes au moment
déterminé par l'échéancier directeur de 1974. Donc,
on peut en déduire que les décisions qui ont
entraîné les investissements mentionnés dans la
réclamation ont été prises à bon escient.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Oui. Je comprends que d'autres personnes viendront
après vous donner des explications sur ce syndicat américain,
Union of Operating Engineers. C'est le seul syndicat américain qui
était impliqué. Pourquoi en êtes-vous venus un jour
à douter que vous ne puissiez réclamer de ce syndicat
américain?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Vous permettez, M. le Président?
Le Président (M. Jolivet): Oui.
M. Duhaime: Vous l'avez évoqué à la page 10
de votre déclaration.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Oui, M. le Président.
Après avoir reçu, en quelque sorte, les deux offres de
règlement hors cour, c'est-à-dire celle de Me Jasmin,
datée du 16, et celle de
Me Beaulé, du 22, pour moi, dans la continuité des
objectifs que l'on recherche dans toute poursuite civile, c'est-à-dire
la déclaration de responsabilité et l'établissement d'un
montant des dommages, je considérais à ce moment avoir atteint ce
que je pourrais appeler une partie des objectifs. Il restait à savoir
s'il était toujours possible d'exécuter le jugement sur les
sommes impliquées, c'est-à-dire 31 000 000 $. Or, ce lien de
préposition - c'est l'expression qu'on emploie - entre l'International
Union of Operating Engineers et l'individu impliqué, Yvon Duhamel,
déjà les procureurs de la société
l'évaluaient avec ce que je pourrais qualifier d'une certaine prudence.
Et cela, on le retrouve répété dans le document qu'ils
m'ont fait parvenir le 5 janvier. Je vais essayer de retrouver la mention -
c'est à la page 4 de ma déclaration où il est dit que, "si
la cour retient le principe qu'un délégué de chantier est
véritablement le représentant ou le mandataire de son syndicat,
la SEBJ a de bonnes chances d'établir la responsabilité de la
Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique"; et on
continue pour parler de l'International Union. Les procureurs pensent
également qu'il y a aussi des éléments de preuve qui
permettent d'établir la responsabilité de l'International Union
of Operating Engineers, de René Mantha, d'André Desjardins et du
Conseil provincial du Québec des métiers de la construction.
Donc, dans l'offre de règlement que je reçois de Me
Beaulé, le 22 janvier, le même argument est soulevé,
évidemment, à la défense de la partie syndicale.
Pour moi, à ce moment des discussions, parce que cela faisait
quand même trois mois qu'on touchait le dossier assez
profondément, ce qui m'intéressait, c'était surtout d'en
arriver à me justifier personnellement sur le fait qu'il était
possible et économiquement justifiable de pousser cette poursuite, non
seulement à travers les cours canadiennes, mais de transposer le tout du
côté des tribunaux américains. Déjà, le 23
janvier, au conseil d'administration, j'ai fait part aux administrateurs que,
personnellement, je trouvais cela douteux. Je reconnais qu'à ce
moment-là les procureurs de la SEBJ n'avaient pas modifié leur
opinion; ce qu'ils vont faire - je ne dirais pas modifier - c'est
tempérer leur opinion à la fin du mois de février.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Je voudrais laisser ce sujet pour l'instant. Vous
avez mentionné dans votre déclaration que vous aviez
rencontré brièvement, le 3 janvier, au bureau du premier ministre
à Montréal, M. Boivin, et je vous cite, "qui m'informe du souhait
du premier ministre qu'un règlement hors cour intervienne". Voulez-vous
nous dire, si vous vous en souvenez, quelles ont été les
paroles
qui ont été échangées? Cela a-t-il
été une conversation qui a duré une heure, quinze minutes,
cinq minutes? Qu'est-ce que M. Boivin vous a dit? Si vous vous souvenez des
mots qu'il a utilisés, on voudrait bien les entendre.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, cette rencontre date
de plusieurs années. Je n'ai souvenir que de l'esprit. C'est la raison
pour laquelle je parle d'un souhait du premier ministre de régler hors
cour. Je considérais -je dois l'admettre - qu'il était logique,
compte tenu de l'importance de cette poursuite, compte tenu du nombre
d'individus qui pouvaient être touchés éventuellement par
les décisions que prendrait le conseil d'administration, que le premier
ministre, par l'intermédiaire de son chef de cabinet, me fasse part de
son souhait. Je maintiens cette expression-là, "souhait", parce qu'il
n'y a rien eu d'autre.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Maintenant, M. Laliberté, si je comprends bien
le déroulement - je comprends que vous n'êtes pas lié par
les articles des journaux, moi non plus - vous semblez être très
ferme, très catégorique en disant que la réunion qui a eu
lieu entre vous-même, M. Boyd, M. Saulnier et le premier ministre, aurait
eu lieu le 1er février 1979, à Montréal, en fin de
journée. Je crois que c'est un jeudi, j'ai vérifié cela
moi-même. La Presse parle du 19 février. Je voudrais savoir de
vous si vous avez des indications précises ou un agenda meilleur que le
mien qui vous amène à conclure que c'est bien le 1er
février.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: C'est bien le 1er février. Nous avons
les enregistrements de l'accès au bureau du premier ministre. Nous avons
consulté ces enregistrements.
M. Duhaime: Maintenant, est-ce qu'en aucun moment, que ce soit
à partir du début de janvier 1979 jusqu'au jour du
dépôt d'un règlement hors cour par les parties dans ce
dossier, vous-même avez discuté soit avec M. Lévesque, le
premier ministre, soit avec M. Boivin, son chef de cabinet, ou soit encore avec
Me Gauthier, un conseiller au cabinet du premier ministre? Est-ce que
vous-même avez discuté de quelque montant d'argent que ce soit
relativement à ce règlement hors cour?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Jamais.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Je voudrais que vous nous disiez à la demande
de qui - vous avez mentionné quelque part que vous vouliez rencontrer le
premier ministre pour obtenir son sentiment sur l'ensemble de cette question -
à l'initiative de qui cela a été fait.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: À l'initiative du conseil
d'administration. Le procès-verbal de la réunion du 6
février est très explicite à ce sujet.
M. Duhaime: Explicite dans quel sens?
M. Laliberté: Explicite dans le sens... Je pourrais vous
lire un extrait, à la page 70. Je vais lire le premier paragraphe du
procès-verbal. "Le président du conseil, M. Lucien Saulnier, fait
rapport aux membres du conseil que le président-directeur
général de la compagnie, le président-directeur
général d'Hydro-Québec et lui-même ont
rencontré le premier ministre du Québec. Cette rencontre avait
été sollicitée par le président du conseil,
à la suggestion des membres, au cours d'une réunion
antérieure."
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Quel est votre souvenir de cette réunion au
bureau du premier ministre, le jeudi 1er février 1979?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Dans mon cas, une réunion
plutôt aux écoutes. Je vous rappelle qu'à ce
moment-là, déjà depuis pratiquement dix jours, neuf jours
plus exactement, j'avais fait part au conseil d'administration du souhait
d'explorer un règlement hors cour avec les défendeurs. Donc, mon
comportement devait être à l'écoute. C'était
effectivement le désir, disons, des administrateurs de vouloir savoir,
avoir en quelque sorte l'opinion ou plutôt, disons le désir du
gouvernement sur la question. (12 h 15)
Donc, je qualifierais l'atmosphère d'excellente. M.
Lévesque a énuméré les raisons qui motivent son
choix. Je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup d'interventions, compte tenu du
fait, évidemment, que nous voulions plutôt connaître l'avis
du gouvernement qu'émettre l'avis du conseil qui n'avait pas pris de
décision d'une manière ou d'une autre, à ce
moment-là.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre, une
dernière question avant que je passe la parole à M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Duhaime: Oui, quitte à revenir, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): Cela va.
M. Duhaime: Oui, je voudrais peut-être en poser une
dernière.
Le Président (M. Jolivet): II n'y a pas de
problème?
M. Lalonde: Si le ministre veut continuer, étant
donné qu'il a déjà sa cadence...
Le Président (M. Jolivet): Parfait! Allez, M. le
ministre.
M. Lalonde: Je ne compte pas le temps et je présume qu'il
fera de même à notre égard.
Le Président (M. Jolivet): Parfait! Continuez, M. le
ministre.
M. Lalonde: Est-ce que l'on suspend à 12 h 30 ou à
13 heures?
Le Président (M. Jolivet): À 13 heures.
M. le ministre.
M. Duhaime: M. Laliberté, vous dites que
l'atmosphère était excellente. Est-ce que vous pouvez vous
rappeler des paroles échangées entre le premier ministre,
vous-même ou avec M. Saulnier ou avec M. Boyd? Est-ce qu'il y a des mots
ou des phrases, que je qualifierais de percutants ou frappants, qui auraient
été échangés et qui font en sorte qu'on les
enregistre pour longtemps dans nos mémoires?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Ce qui a été dit là,
personnellement, je le considère comme s'adressant aux trois personnes
qui avaient convoqué ou demandé de rencontrer le premier
ministre. Pour supporter un argument, il nous arrive quelquefois d'utiliser des
expressions. Ce peut être "vous réglez, maudit!", "vous
réglez (pire que maudit") ou, effectivement, "vous réglez, sinon
on réglera nous-mêmes!" C'est effectivement ce qui s'est dit. Pour
moi, j'ai pris cela dans le sens que je viens d'indiquer soit mettre de
l'emphase, disons, sur une argumentation. D'autant plus qu'il était
impensable que cette question soit réglée en dehors du conseil
d'administration de la SEBJ, qui était la seule autorité
habilitée à prendre cette décision. Donc, pour moi, cela
n'avait en théorie aucune signification.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Si je comprends bien votre déclaration, cela
n'a pas dû vous influencer beaucoup parce que vous-même, avant le
1er février, étiez déjà favorable à un
règlement?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté. M.
Laliberté: C'est le cas.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Maintenant, est-ce que des membres du conseil
d'administration de la Société d'énergie de la Baie-James
vous auraient fait part à un moment ou à un autre, pendant ces
événements qui ont duré plusieurs mois, qu'ils se
sentaient sous pression ou encore qu'ils avaient subi des pressions de qui que
ce soit?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Je n'ai aucun souvenir de tels
commentaires.
M. Duhaime: Pour l'instant, c'est tout pour moi, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Laliberté: M. le Président...
Le Président (M. Jolivet): Oui, M. Laliberté.
M. Laliberté: Est-ce que je pourrais faire une correction?
Je m'excuse. Au sujet de la rencontre du 1er février, ce ne peut
être dans le registre des signatures parce que cette réunion,
cette rencontre a eu lieu à 18 heures et, effectivement, il n'y a rien
dans le registre. Donc, c'est plutôt dans mon ordre du jour. Ce qui a
été confirmé évidemment par les autres participants
à cette réunion.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Cela va. Je m'excuse car j'aurais dû
poser cette question tout à l'heure. Vous avez parlé, même
en le citant, du procès-verbal du 6 février, si ma mémoire
est bonne. Est-ce qu'il n'a pas été question d'une rencontre avec
le premier ministre à votre réunion régulière du 30
janvier, également à la Société d'énergie de
la Baie-James?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Duhaime: Vous dites, à la page 11 de votre
déclaration, "le 30 janvier, le sujet revient à l'ordre du jour".
Est-ce qu'il y a une mention quelconque au procès-verbal de la
réunion du 30 janvier?
M. Laliberté: Non, il n'y aucune mention, aux
procès-verbaux des 23 et 30 janvier, des discussions que le conseil a
eues sur le sujet, la raison principale étant qu'aucune décision
n'a été prise. La seule référence à cette
rencontre avec le premier ministre, c'est au procès-verbal de la
réunion du 6 février où le président du conseil,
tout en rendant compte de cette réunion, fait référence
à la réunion du 30 janvier, réunion durant laquelle cette
invitation a été demandée par les administrateurs
eux-mêmes.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Même s'il n'en est pas fait mention
expressément, je voudrais que vous repreniez la page 11 de votre propre
déclaration, tout à l'heure. "Le 30 janvier, le sujet revient
à l'ordre du jour. Devant les interrogations soulevées par
plusieurs administrateurs, il est proposé que le président du
conseil sollicite une entrevue auprès du premier ministre pour
connaître sa position à ce sujet." Est-ce que cela a pris la forme
d'une résolution?
M. Laliberté: Aucunement, M. le Président.
M. Duhaime: Alors, vous le dites de mémoire, si je
comprends bien.
M. Laliberté: Je le dis ici de mémoire pour
l'avoir, évidemment, vérifié auprès de mes autres
confrères.
Le Président (M. Jolivet): Merci.
M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, j'aurais quelques questions
à poser à M. Laliberté. Le ministre a établi au
début, avant même que vous lisiez votre mémoire, que vous
avez commencé vos fonctions de président-directeur
général de la Société d'énergie de la
Baie-James le 1er octobre 1978. Avant le 1er octobre 1978, quelle fonction
occupiez-vous?
M. Laliberté: M. le Président, j'étais
directeur général de ce qu'on appelait Électricité
et énergies nouvelles. Ce n'était pas encore un ministère,
comme vous le savez, mais c'était sous M. Joron qui était
ministre délégué à l'Énergie.
M. Lalonde: Vous étiez donc au ministère ou, enfin,
dans la boîte de M. Joron qui était le ministre responsable
d'Hydro-Québec et de la Société d'énergie de la
Baie-James. Depuis combien de temps étiez-vous avec M. Joron?
M. Laliberté: Depuis le 2 septembre 1977 au 1er octobre
1978.
M. Lalonde: Pendant votre séjour, est-ce que vous
étiez attaché au cabinet ou à l'organisation
politique?
M. Laliberté: Comme fonctionnaire.
M. Lalonde: Comme fonctionnaire auprès de M. Joron, est-ce
que vous avez entendu parler de cette question de la réclamation de la
Société d'énergie de la Baie-James contre les
syndicats?
M. Laliberté: En aucun moment, M. le Président.
M. Lalonde: Après votre entrée en fonction, le 1er
octobre 1978, vous dites dans votre mémoire que vous avez
rencontré M. Jean-Roch Boivin, chef de cabinet du premier ministre, le 3
janvier 1979. Avant cette date, n'y a-t-il eu aucune autre communication de la
part du premier ministre à votre égard concernant la
réclamation de la Société d'énergie de la
Baie-James?
M. Laliberté: Je n'en ai pas souvenir, M. le
Président. Je ne pourrais pas vous l'assurer, mais je n'ai pas souvenir
qu'il y ait eu d'autres rencontres ou d'autres communications avant.
M. Lalonde: Quand je parle de communications, j'inclus les
communications téléphoniques.
M. Laliberté: Téléphoniques.
M. Lalonde: Le 3 janvier, qui a convoqué? Est-ce que c'est
vous qui avez demandé à voir Me Boivin ou si c'est M. Boivin qui
vous a convoqué?
M. Laliberté: Encore là, je ne pourrais pas vous
l'assurer. Je crois que c'est M. Boivin qui m'a demandé de le
rencontrer.
M. Lalonde: Vous dites dans votre mémoire qu'il vous
exprime le désir - je ne veux pas vous donner des mots qui ne vous
appartiennent pas, c'est à la page 7...
M. Laliberté: Sept.
M. Lalonde: ...de votre mémoire - que M. Jean-Roch Boivin
vous informe du souhait
du premier ministre qu'un règlement hors cour intervienne. Est-ce
que vous vous êtes informé de la nature du règlement hors
cour qui faisait l'objet du souhait du premier ministre?
M. Laliberté: Aucunement.
M. Lalonde: Alors, n'importe quel règlement hors cour
aurait satisfait aux désirs du premier ministre?
M. Laliberté: Nous ne sommes pas entrés dans le
détail du règlement hors cour. Le souhait qui m'a
été exprimé est que la cause soit abandonnée et
qu'il y ait un règlement hors cour.
M. Lalonde: Je vais vous soumettre simplement la proposition
suivante: C'est que n'importe quelle poursuite judiciaire peut être
réglée et que - sauf les avocats, probablement, mais sans
être péjoratif - le client, le demandeur ou le défendeur a
intérêt à mettre fin aux poursuites parce que cela engage
des frais. Mais cela dépend du montant du règlement. Est-ce que
vous ne vous êtes pas posé la question à savoir:
Écoutez, c'est 32 000 000 $? D'accord, on va regarder si on peut
régler, mais quel chiffre aviez-vous en tête à ce moment
quand M. Jean-Roch Boivin vous a exprimé ce souhait? Est-ce que
c'était la moitié? 15 000 000 $? 10 000 000 $? C'était
quoi?
M. Laliberté: Bien, je ne me suis certainement pas
posé cette question devant M. Boivin, le 3 janvier, mais je me la suis
certainement posée, disons, avant ma démarche auprès du
conseil du 23 janvier, c'est inévitable.
Ma logique était basée sur le fait qu'on ne pouvait pas
tenir responsable l'International Union of Operating Engineers. À partir
de ce moment, je croyais également qu'on ne pouvait pas exercer -
comment dire un jugement qui nous soit favorable, jugement qui aille
au-delà de la capacité de payer de la partie défenderesse
québécoise. Et je trouve que l'avis de nos procureurs,
daté du 5 janvier 1979, est assez précis à cet
égard car il parle de solvabilité "extrêmement
relative".
M. Lalonde: Mais il mentionne aussi la possibilité de
saisir les cotisations.
M. Laliberté: II mentionne également la
possibilité de saisir les cotisations.
M. Lalonde: Bon, ce qui améliore la solvabilité, on
en conviendra. Mais, le 3 janvier, vous ne vous posez pas de question sur la
sorte de règlement. Vous acceptez donc le souhait. Vous prenez acte,
j'imagine, du souhait exprimé ou transmis par M.
Boivin, souhait du premier ministre, que cela se règle.
Comment cela se fait-il que le 9 janvier, après l'avis du 5
janvier que vous venez de recevoir de vos procureurs ou de vos avocats - on le
retrouve dans le procès-verbal - une décision est prise au
conseil d'administration de continuer, de ne pas modifier les décisions
antérieures? Et dans les décisions antérieures, que je
sache, à moins que vous nous l'annonciez maintenant, il n'y avait pas de
projet de règlement hors cour.
Alors, le 3 janvier, vous avez ce souhait du premier ministre. Le 5
janvier, vous recevez l'avis de vos procureurs qui contient des réserves
mais qui ne dit pas qu'il y a impossibilité d'obtenir quoi que ce soit
contre le syndicat américain et, le 9 janvier, vous examinez tout cela
et vous procédez à continuer la cause parce que c'est important,
c'est le 15 janvier que cela commence, dans six jours; alors comment
expliquez-vous cette attitude?
M. Laliberté: Enfin, je voulais employer un peu le
même argument, sauf à ma façon. C'est que, avant le 16
janvier 1979, il n'y avait, selon moi, aucun nouvel élément qui
puisse justifier auprès du conseil d'administration la démarche
que j'ai finalement faite le 23 janvier. Vous êtes d'accord avec moi,
j'espère, que l'avis de nos procureurs du 5 janvier ne changeait rien
à l'historique de la poursuite comme telle.
M. Lalonde: C'est votre réponse. (12 h 30)
M. Laliberté: Donc, le texte de nos gestionnaires, je le
faisais mien. Cela finissait donc par être une recommandation au conseil
d'administration de ne rien changer à quoi que ce soit, de ne rien
modifier et de procéder, comme il le faut, au début du
procès, le 15 janvier suivant. Donc, c'était mon attitude au 9
janvier.
M. Lalonde: Quel est cet élément nouveau qui est
intervenu?
M. Laliberté: Entre le 9 janvier et le conseil
d'administration du 23 - il ne faut pas oublier qu'il y en a eu un autre le
16... Je suppose même, le 16, même si ce n'est pas au
procès-verbal, avoir fait rapport aux administrateurs sur le premier
jour du procès, les avoir avertis qu'il y avait effectivement une offre
dans les airs, laquelle offre je recevais le jour même du conseil
d'administration, le 16. Donc, cette première offre m'était
adressée par Me Jasmin qui ne représentait qu'une partie des
défendeurs.
M. Lalonde: Excusez-moi, si vous voulez préciser. Vous
avez dit qu'il y avait dans
l'air une offre de règlement même avant que vous en
receviez formellement la copie. Qui vous avait averti qu'il y avait une offre
qui allait vous être remise?
M. Laliberté: M. le Président, les procureurs de la
SEBJ.
M. Lalonde: Vos procureurs?
M. Laliberté: C'est cela. C'est mentionné à
la page 9 de ma déclaration.
M. Lalonde: Oui. Cette offre, si je me souviens bien, est de 50
000 $. Quelques jours auparavant, vous avez, tout le conseil d'administration,
unanimement, je crois, décidé de ne modifier d'aucune
façon les décisions antérieures, c'est-à-dire de
procéder à une poursuite de 32 000 000 $. Prétendez-vous
que recevoir une offre de 50 000 $ pour une réclamation de 32 000 000 $
est un élément déterminant?
M. Laliberté: Les 50 000 $ ne sont certainement pas un
élément déterminant, mais la reconnaissance par deux des
syndicats en est un.
M. Lalonde: Quels syndicats? Voulez-vous préciser?
M. Laliberté: On parle de l'Union des opérateurs de
machinerie lourde du Québec, local 791, et de l'Union des
opérateurs du Québec.
M. Lalonde: Le local 134 de la
Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique
n'a pas reconnu sa responsabilité?
Alors, avec cette offre de 50 000 $, vous dites que c'est un
élément nouveau qui vous permet de changer d'orientation?
M. Laliberté: Je répète, M. le
Président, que ce n'est pas l'aspect des 50 000 $ qui m'amène
à changer d'avis, c'est plutôt la reconnaissance pour la
première fois dans ce dossier d'une responsabilité de la part de
deux des défendeurs. Cela, pour moi, c'était capital.
M. Lalonde: Oui, mais vous aviez déjà une opinion
juridique, deux opinions, une de 1975 et une du 5 janvier, qui
établissaient la responsabilité ou, enfin, qui devaient la
prétendre puisque vous avez engagé des frais considérables
pour aller jusqu'au tribunal. Alors, qu'est-ce que la reconnaissance de
responsabilité pouvait apporter de si important à la SEBJ? Si je
vous faisais la proposition suivante, par exemple: Croyez-vous que moins cela
coûte cher, plus c'est facile de reconnaître sa
responsabilité?
M. Laliberté: M. le Président, ce n'est
certainement pas l'argument que j'aurais employé le 23 janvier devant le
conseil d'administration. Vous savez, au tout début, pour la
Société d'énergie de la Baie-James, se faire dire qu'elle
était responsable du saccage - cela a été
répété à maintes occasions entre 1974 et 1979 -
c'était une chose que je considère un peu viscérale. Donc,
si, pour la première fois - et j'en reviens à cet
élément parce que cela demeure toujours quand même un des
trois objectifs de toute poursuite en dommages au civil - la reconnaissance,
indépendamment du montant pour le moment, parce que les procureurs
eux-mêmes de la Société d'énergie de la Baie-James
avaient indiqué que la solvabilité des défendeurs
québécois était très relative. Donc, je n'en
étais pas à la logique des 50 000 $ versus un montant
supérieur. J'en étais, à ce moment-là, le 16
janvier, à la reconnaissance de deux des cinq parties. Cela, pour moi,
demeurait capital.
M. Lalonde: Je ne veux pas élargir le débat, mais
vous accordez beaucoup d'importance à la reconnaisance de la
responsabilité de la couronne. Je comprends qu'un gestionnaire qui se
fait faussement accuser, croit-il, par une autre partie d'être
responsable veuille laver son honneur et dire: Bon, voici, j'ai un papier qui
dit que je ne suis pas responsable. Mais, pour les Québécois,
pour l'ensemble de la population qui est propriétaire de cette
société d'État et qui a des droits contre un groupe, vous
ne trouvez pas que c'est un peu cher pour cette reconnaissance de
responsabilité, 50 000 $? On a fini avec 200 000 $. Je ne vois pas
comment cela préoccupe la population en général de savoir
si c'était la Société d'énergie de la Baie-James ou
les syndicats qui étaient responsables du saccage. Puisque,
légalement, vous aviez l'assurance, par des opinions juridiques, que la
responsabilité reposait sur les épaules des défendeurs,
pourquoi cette responsabilité vous inquiétait-elle tant?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, on fait
référence à une opinion juridique qui disait pouvoir
démontrer cette responsabilité. Donc, aussi longtemps que les
défendeurs ne l'avaient pas reconnue, je ne pouvais pas être
satisfait moi-même. Le 16, il y en avait deux sur la table.
C'était cela qui était important. Ce n'était pas
nécessairement l'avis légal qui datait de 1976 comme celui qui
datait du début de janvier 1979.
M. Lalonde: Vous dites que vos avocats vous disent que vous
êtes dans vos droits et que cela prend une autre intervention pour vous
confirmer dans vos droits, c'est-à-dire
la reconnaissance du défendeur de sa responsabilité.
Puis-je vous suggérer qu'un jugement de cour aurait pu, si on en croit
vos avocats, accomplir le même résultat?
M. Laliberté: M. le Président, les procureurs
doivent, selon moi, être utilisés comme les autres - comment dire
consultants de la SEBJ. La décision finale revient au gestionnaire
principal, aux gestionnaires et au conseil d'administration. Donc, l'avis des
procureurs, j'espère qu'on peut concéder, à tout le moins,
au gestionnaire principal, le P.-D.G., la possibilité, je ne dirais pas
de le contredire, mais de poser des gestes qui soient en désaccord avec
ses propres procureurs. Cela arrive assez fréquemment, à ce que
je sache.
M. Lalonde: Qu'est-ce qui pesait le plus lourd dans votre
décision: le souhait du premier ministre ou l'avis juridique que vous
aviez?
M. Laliberté: Ce qui pesait le plus lourd, M. le
Président, c'était de régler cette question selon mon
meilleur jugement. S'il avait fallu poursuivre le procès comme tel, je
l'aurais fait. Compte tenu de l'opinion qui se dessinait chez moi de ne pas
croire en la possibilité d'aller chercher la partie internationale des
syndicats, dès ce moment-là, le quantum, c'est-à-dire les
32 000 000 $, je ne le considérais plus comme tel si le jugement nous
était favorable, exerçable. Donc, il fallait se limiter aux deux
premiers objectifs de cette poursuite: d'une part, l'élément
responsabilité, l'élément reconnaissance des dommages, ce
que l'on a obtenu seulement le 22 janvier et, finalement, un
dédommagement qui soit acceptable compte tenu de la vision que nous
avions de la part de nos procureurs de la solvabilité des parties qui,
finalement, admettaient leur responsabilité.
M. Lalonde: Mais est-ce que ce n'est pas le 19 février que
l'opinion légale - vous avez dit "modifiée" tout d'abord;
ensuite, vous avez retiré ce mot; je ne sais pas quel mot vous voulez
utiliser et je ne veux pas vous en suggérer - commence à soulever
de façon beaucoup plus sérieuse la question de la
responsabilité du syndicat américain? Là, je ne vous parle
pas du 19 février. Nous ne sommes pas rendus là encore. C'est
seulement à ce moment que vous allez pouvoir vous appuyer sur un avis
légal dans le sens que vous voulez. Avant cela, vous aviez deux opinions
légales dans le même sens, 1975 et 1979, et un souhait du premier
ministre. Est-ce que le souhait du premier ministre, exprimé le 3
janvier et répété de sa bouche même le 1er
février, a compté dans votre décision d'aller vers un
règlement hors cour?
M. Laliberté: Je m'excuse, M. le Président, la
question?
M. Lalonde: Est-ce que le souhait du premier ministre, qui vous a
été transmis par son chef de cabinet le 3 janvier et qu'il vous a
répété - d'ailleurs, dans ces termes: "Vous réglez
maudit ou pire, comme vous l'avez dit, ou je vais voir à le faire",
enfin quelque chose comme cela - c'est un souhait assez clair - a compté
dans votre décision de vous orienter vers un règlement hors
cour?
M. Laliberté: M. le Président, on est conscient
qu'on est rendu au 1er février.
M. Lalonde: J'ai commencé le 3 janvier. Ce souhait a
été exprimé le 3 janvier d'abord...
M. Laliberté: Excusez-moi, mais vous vous
référez...
M. Lalonde: ...et, ensuite, il a été vertement
confirmé le 1er février. Est-ce que ce souhait a compté
dans votre décision de vous orienter, malgré l'opinion
légale du 5 janvier, malgré la décision du conseil
d'administration du 9 janvier, vers un règlement hors cours?
M. Laliberté: Bon, prenons les souhaits l'un après
l'autre; celui du 3 janvier en premier, d'accord? Cela n'a pas du tout
compté parce que, finalement, c'est moi qui devais faire la
démonstration au conseil d'administration. On sent encore, si je puis
dire, les hésitations des autres administrateurs. Le 23, je recommande,
si l'on peut employer l'expression, d'aller explorer. Aucune décision
n'est prise. Le 30, nous revenons sur le sujet. On peut supposer que la
même proposition de ma part est encore sur la table et on en discute. On
ne prend pas de décision au conseil d'administration. On opte
plutôt pour obtenir un rendez-vous avec le premier ministre. Donc, durant
toute cette période, on ne peut dire que cela a influé. On arrive
à la réunion du 1er février. Cela n'a pas pu changer quoi
que ce soit compte tenu du fait que déjà, depuis le 23 janvier,
j'avais, si on peut dire indiqué mes couleurs.
M. Lalonde: Alors, si je comprends bien, le souhait du premier
ministre du 3 janvier et du 1er février, cela n'a pas compté du
tout dans votre décision.
M. Laliberté: Selon moi, non. Il faut qu'il y ait une
logique au conseil d'administration parce que, selon moi, cela demeure la seule
autorité qui puisse dire oui ou non à la fin.
M. Lalonde: À la réunion du 3 janvier
avec M. Jean-Roch Boivin, est-ce qu'il y avait une ou plusieurs autres
personnes présentes?
M. Laliberté: Aucune autre personne.
M. Lalonde: Aucune autre, vous étiez seuls. Qui a
suggéré au procureur de la SEBJ d'ajouter une autre opinion,
celle du 19 février?
M. Laliberté: Le président du conseil. M.
Lalonde: Dans quel but?
M. Laliberté: M. le Président, il faudrait poser
cette question à M. Saulnier.
M. Lalonde: Est-ce qu'en dehors de la rencontre du 3 janvier avec
M. Boivin et du 1er février avec le premier ministre vous avez eu une
communication téléphonique avec l'un ou l'autre, ou avec M.
Gauthier qui est au cabinet du premier ministre?
M. Laliberté: Je n'en ai pas le souvenir, M. le
Président.
M. Lalonde: Vous ne vous souvenez pas d'avoir
téléphoné ou reçu un appel
téléphonique?
M. Laliberté: Je veux clarifier ma réponse:
Certainement pas avec le premier ministre, parce que cela ne s'oublie pas.
M. Lalonde: Surtout...
M. Laliberté: Certainement pas avec le notaire Gauthier,
à qui je n'ai jamais adressé la parole, à ce que je sache.
Mais, quant à M. Boivin, je ne pourrais pas vous l'assurer. Je ne peux
pas répondre. (12 h 45)
M. Lalonde: Alors, vous vous souvenez très bien du premier
ministre et de M. Gauthier, mais pour M. Boivin... Est-ce que vous vous parlez
de temps en temps, à l'occasion?
M. Laliberté: Une personne à qui on n'a jamais
parlé, c'est facile de s'en souvenir. Quant au premier ministre...
M. Lalonde: Mais ceux à qui on a peut-être
parlé, c'est plus difficile, si je suis votre logique? Alors, vous ne
pouvez pas affirmer ne pas avoir eu de communication avec M. Boivin, entre le 3
janvier...
M. Laliberté: Non.
M. Lalonde: ...et la fin de mars? Peut-être quelques
conversations téléphoniques?
M. Laliberté: Je ne peux pas l'affirmer.
M. Lalonde: Alors, vous ne pouvez pas affirmer que vous n'en avez
pas eu? C'est exact?
M. Laliberté: C'est exact, oui.
M. Lalonde: Le 6 février, le conseil d'administration
donne un mandat de négocier pour "un montant acceptable", si je cite les
termes de la résolution. Quel était pour vous ce montant
acceptable? Un peu plus de 50 000 $ peut-être?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Oui, M. le Président. Il est dit plus
spécifiquement que ce devrait être un montant ou une somme
d'argent qui pourrait lui être acceptable, d'accord? Donc, je reviens
à ma vision du 23 janvier. Ce ne peut pas être quelque chose qui
soit de beaucoup supérieur à la capacité ou à la
solvabilité des défendeurs québécois, selon moi. Je
parle en mon nom, mais je n'exprime pas nécessairement ce qui est
indiqué ici et qui est l'opinion du conseil d'administration.
M. Lalonde: Alors, vous comme P.-D.G., responsable de la gestion
de cette société d'État considérable, vous
calculiez le montant acceptable uniquement en fonction de la capacité de
payer du défendeur ou des défendeurs?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté. M.
Laliberté: Oui, c'est exact.
M. Lalonde: Est-ce que, dans cette capacité de payer, vous
incluiez ce que vos avocats vous ont dit, c'est-à-dire la
possibilité de saisir les cotisations?
M. Laliberté: Je n'ai jamais cru à cette
possibilité, dès le départ. On sait pertinemment que le
local 791 soutire une cotisation de 0,01 $ l'heure travaillée. On peut
supposer que cela impliquait, à ce moment-là, 1 000 000 $ de
revenu. Aurait-on pu imaginer la Société d'énergie de la
Baie-James encaissant encore, d'une union, 29 ans plus tard, dans le but
d'obtenir 30 000 000 $? Je crois que cela est totalement stupide. Dans la
logique d'un règlement hors cour, il fallait penser à la
continuité des activités sur le terrain. Nous avions des
chantiers de première importance. En 1979, nous étions à
la pointe des engagements qui devaient déjà atteindre, à
ce moment-là, 6 000 000 000 $ ou 7 000 000 000 $ et qui devaient mener
à des dépenses globales de 15 000 000 000 $. Ce n'est
certainement pas un geste à poser. Je vous donne mon avis
là-dessus.
M. Lalonde: Si je vous réfère à l'opinion de
vos propres avocats du 5 janvier, je lis seulement le dernier paragraphe: "La
solvabilité actuelle du défendeur américain, International
Union, est telle qu'il semble que ce syndicat a les moyens financiers de
satisfaire au jugement qui pourrait être prononcé." Or, ce n'est
que le 19 février que cette possibilité commence à
s'atténuer dans l'esprit de vos procureurs. Comment se fait-il que
déjà le 6 février, deux semaines auparavant - vous l'avez
dit, je pense, tout à l'heure - le conseil d'administration change ses
couleurs sans avoir reçu l'avis selon lequel la capacité ou la
possibilité d'être payé par le syndicat américain
s'estompait? Vous avez su cela le 19 février.
M. Laliberté: C'est cela.
M. Lalonde: Et, le 6 février, vous changez vos couleurs en
disant que les syndicats canadiens ne peuvent pas payer. Le syndicat
américain restait toujours dans le tableau.
M. Laliberté: M. le Président, je ne peux que
répéter l'opinion que j'avais; c'est une opinion personnelle. On
pourrait souhaiter que la question soit posée également aux
autres administrateurs.
M. Lalonde: Je vous le demande pour vous...
M. Laliberté: Pour moi?
M. Lalonde: Ce qui vous a fait changer d'idée vers le 6
février, ce n'est pas le souhait du premier ministre. Vous avez dit que
cela n'avait pas du tout compté.
M. Laliberté: Non.
M. Lalonde: Qu'est-ce que c'est?
M. Laliberté: Je n'avais pas à changer
d'idée à ce moment-là, car j'avais déjà
exprimé le même avis ouvertement, le 23 janvier, devant le conseil
d'administration.
M. Lalonde: Combien de temps a duré la réunion du
1er février avec le premier ministre?
M. Laliberté: De mémoire, je dirais quinze
minutes.
M. Lalonde: Est-ce que, à votre connaissance, le bureau du
premier ministre communiquait avec vos procureurs?
M. Laliberté: Les procureurs de la SEBJ n'ont obtenu le
mandat de négocier, d'explorer plus exactement, que le 7 février
1979 par une lettre de Me Gadbois qui leur était adressée. Donc,
avant cette date, je n'étais pas au courant si réunion il y a eu
ou si rencontre il y a eu de quoi que ce soit. Ce n'était pas le mandat
que j'avais donné à mes procureurs.
M. Lalonde: Je veux qu'on s'entende bien. Ma question
n'était pas de savoir si vous aviez donné mandat à vos
procureurs de communiquer avec le bureau du premier ministre. Le mandat que
vous avez donné -le 7 février, vous dites? - c'est...
M. Laliberté: C'est cela.
M. Lalonde: ...un mandat de négocier, d'explorer un
règlement, pas avec le bureau du premier ministre, mais avec les autres
procureurs. Ma question était: Êtes-vous au courant si le bureau
du premier ministre a communiqué pendant toute cette période,
disons de janvier à mars, avec vos procureurs?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, j'essaie de
trouver... On a parlé dans les journaux de rencontre entre les
procureurs au bureau du premier ministre. Je maintiens ce que je viens de dire:
Ce n'était pas le mandat et je n'étais pas au courant. Mais,
depuis ce temps-là, j'ai effectivement obtenu l'information et je peux
vous assurer qu'avant la lettre qu'a adressée Me Gadbois aux procureurs
il n'y a eu aucune présence des procureurs de la SEBJ au bureau du
premier ministre.
M. Lalonde: On ne vous a pas fait rapport qu'il y aurait eu des
communications téléphoniques, non plus?
M. Laliberté: Aucunement.
M. Lalonde: Le montant du règlement est de 200 000 $ pour
la SEBJ. On ne compte pas les 100 000 $ qui ont été payés
à l'assurance, qui avait déboursé d'ailleurs 1 000 000
$...
M. Laliberté: 1 100 000 $.
M. Lalonde: ...1 100 000 $. C'est beaucoup moins que les frais de
la cause. Pouvez-vous nous indiquer combien ont coûté à la
SEBJ les frais légaux et autres? Tous les frais de préparation
des dossiers et de préparation de la cause?
M. Laliberté: Les honoraires des procureurs de la
compagnie se sont élevés à 435 000 $, incluant les frais
légaux.
M. Lalonde: Excusez-moi, j'ai mal compris. Les honoraires...
M. Laliberté: Les honoraires des procureurs.
M. Lalonde: ...des procureurs, y compris les frais de cour.
M. Laliberté: Incluant les frais de cour.
M. Lalonde: Maintenant, il y a eu d'autres dépenses
directement reliées à la préparation de cette cause: les
techniciens, les experts. Est-ce que vous avez comptabilisé ces
frais?
M. Laliberté: Oui. Enfin, c'est ce que l'on peut qualifier
de coûts encourus en salaires lors des événements et de la
préparation des dépositions en actions civiles. Cela totalise,
pour la Société d'énergie de la Baie-James, 465 000 $;
donc, cela recoupe grossièrement le chiffre que j'ai mentionné
dans la Presse, 800 000 $.
M. Lalonde: J'arrive plus à 900 000 $ qu'à 800 000
$, avec 435 000 $ plus 465 000 $, dans mon livre.
M. Laliberté: Vous avez raison, c'est exact.
M. Lalonde: Vous dites dans votre mémoire: Je constate
également que le procès coûte présentement à
la Société d'énergie de la Baie-James près de 25
000 $ par semaine. Est-ce que cela excédait le montant de 500 000 $,
lequel en 1978 - vous allez me rappeler la date - avait été
adopté par le nouveau conseil? En fait, plusieurs membres du conseil
venaient d'arriver et ils avaient adopté un budget, je pense, de 500 000
$ pour couvrir les frais de la cause, frais légaux et autres, j'imagine.
Est-ce que, tout à coup, vous vous êtes aperçus, au mois de
janvier, deux mois après, que cela coûtait plus que les 500 000 $
qui avaient été prévus?
M. Laliberté: Non. Le procès-verbal daté du
27 novembre...
M. Lalonde: Novembre, c'est cela.
M. Laliberté: ...du 20 novembre -excusez-moi - stipule que
ces 500 000 $ devaient couvrir les honoraires des procureurs pour
l'année 1979. Or, nous nous étions déjà
donné, je pense, une vision de la durée même du
procès qui était de six mois. Donc, vous arrivez
grossièrement à cette somme de 20 000 $ ou 22 000 $ par semaine,
pour un total de 500 000 $ pour six mois.
M. Lalonde: Autrement dit, dans le cheminement que vous suivez
à ce moment, si je vous comprends bien...
M. Laliberté: Oui.
M. Lalonde: ...le 22 janvier, vous recevez une nouvelle offre de
125 000 %. Vous doutez de plus en plus de vos chances de pouvoir
éventuellement faire exécuter un jugement contre l'union
américaine, quoique l'on ne sait pas rendu au 19 février. Je peux
peut-être vous demander pourquoi vous en doutez de plus en plus. Est-ce
que vous avez reçu un avis juridique dont on ne connaît pas
l'existence?
M. Laliberté: Non, aucunement. C'est une opinion
personnelle et une rencontre aussi. Il faut reconnaître que,
déjà, les procureurs sont venus effectivement au conseil du 9
janvier. Donc, on écoute et on se fait une opinion.
M. Lalonde: Vous voulez dire que ce sont les procureurs des
autres parties ou vos procureurs?
M. Laliberté: Non, les procureurs de la
société, le 9 janvier.
M. Lalonde: Ah, vos procureurs. Je sais que les procureurs des
défendeurs communiquaient - on en a des copies - leurs arguments en
faveur d'un règlement. C'est tout à fait normal. Mais vos
procureurs ne se sont pas laissés impressionner, semble-t-il. Là,
je ne calcule pas le 19 février, mais disons jusqu'au 19 février
- je ne porte pas de jugement sur l'opinion du 19 février -vous n'avez
rien de nouveau officiellement et vous doutez de plus en plus des chances de
recouvrer contre le syndicat américain.
M. Laliberté: C'est bien cela.
M. Lalonde: Quelles sont les raisons - il me reste deux minutes -
que vous mentionnez que le premier ministre vous a exposées pour
lesquelles il favorise un règlement hors cour?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Lalonde: À. part le: "Vous allez régler, maudit,
ou pire"?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, il est très
difficile pour moi de parler au nom du premier ministre.
M. Lalonde: Mais c'est cela. Les raisons que vous avez
entendues.
M. Laliberté: Évidemment, l'impossibilité
d'exécuter le jugement était capitale.
M. Lalonde: Contre qui, contre le
syndicat américain?
M. Laliberté: Contre la totalité des
défendeurs, incluant le syndicat américain.
M. Lalonde: À ce moment l'avis juridique disait que vous
pouviez.
M. Laliberté: Là, vous me demandez quels
étaient les arguments qu'employait le premier ministre.
M. Lalonde: Alors, le premier ministre ne croyait pas en vos
avocats.
M. Duhaime: Je m'excuse, mais cela n'a jamais été
dit nulle part. Il ne faudrait pas partir dans cette direction.
M. Lalonde: Je le suggère.
M. Duhaime: Non, non. Faites attention. Le premier
ministre...
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît, à
l'ordre! À l'ordre!
M. Duhaime: ...quand son tour va venir, il va être ici. Ne
soyez pas inquiet. Ne lui faites rien dire.
Le Président (M. Jolivet): Compte tenu qu'il est 13
heures, je suspends les travaux jusqu'après la période des
questions. Simplement, j'aimerais vous avertir qu'il y avait un document que M.
Laliberté devait remettre et qu'il y avait une réponse à
donner au ministre. Merci.
(Suspension de la séance à 13 h 01)
(Reprise de la séance à 16 h 40)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission permanente de l'énergie et des ressources continue
ses travaux commencés ce matin en vue d'examiner les circonstances
entourant la décision du conseil d'administration de la
Société d'énergie de la Baie-James de régler hors
cour la poursuite civile intentée à la suite du saccage du
chantier de LG 2 survenu en 1974 et plus spécifiquement, le rôle
du premier ministre et de son bureau à cet égard.
Les membres de cette commission sont: M. Bordeleau (Abitibi-Est), M.
Ciaccia (Mont-Royal), M. Duhaime (Saint-Maurice), M. Bourbeau (Laporte), M.
Tremblay (Chambly), M. Gratton (Gatineau), M. Lavigne (Beauharnois), M. LeBlanc
(Montmagny-L'Islet), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Perron (Duplessis)
et M. Rodrigue (Vimont).
Les intervenants sont: M. Blouin
(Rousseau), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Desbiens (Dubuc), M.
Dussault (Châteauguay), M. Lafrenière (Ungava), M. Paradis
(Brome-Missisquoi), M. Pagé (Portneuf), M. Doyon (Louis-Hébert),
M. Laplante (Bourassa) et M. Saintonge (Laprairie), le rapporteur étant
toujours M. LeBlanc (Montmagny-L'Islet).
Je tiens à vous rappeler que la décision est de terminer
à 18 heures ce soir. Nous avons comme intervenant actuellement M.
Laliberté. Nous continuerons son interrogatoire, mais, avant d'aller
à M. Laliberté et à M. le député de
Marguerite-Bourgeoys, pour la continuité de ses questions, je tiens
à vérifier un détail concernant la personne qui a fait la
demande à M. le député de Marguerite-Bourgeoys et au
ministre d'être interrogée dans les dix ou quinze dernières
minutes de la séance d'aujourd'hui, parce qu'elle doit quitter pour
l'extérieur dès demain soir. Donc, si cette entente fonctionne,
c'est peut-être le député de Marguerite-Bourgeoys qui me
donnerait le résultat.
M. Lalonde: On m'informe que M. Daniel Latouche, qui a
été convoqué ici, doit quitter d'urgence. Alors, il m'a
demandé de passer. Ce ne sera pas très long, peut-être une
dizaine de minutes. On pourrait suspendre, vers 17 h 45, 17 h 50, si on n'a pas
terminé avec M. Laliberté.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre, vous n'avez pas
d'objection?
M. Duhaime: Non, je n'y vois pas d'inconvénient. Je serais
même prêt à prolonger après 18 heures, si c'est
nécessaire.
Le Président (M. Jolivet): Comme il y a entente, on verra
vers la fin de la commission spéciale.
M. Duhaime: Dois-je comprendre qu'on terminerait d'abord la
comparution de M. Laliberté?
Le Président (M. Jolivet): Au départ, c'est
cela.
M. Duhaime: Et ensuite, M. Latouche, dont vous avez
demandé la comparution?
M. Lalonde: C'est cela, vers 17 h 50.
Le Président (M. Jolivet): D'accord. Mais avant, je dois
vous faire mention d'un télégramme dont copie va vous être
distribuée et qui est adressé à M. Jean Bédard,
greffier de la commission parlementaire de l'énergie et des ressources:
"M. le greffier, la présente est pour excuser M. Roland Giroux qui est
retenu au lit pour cause de maladie. Présentement, M. Giroux
est au repos à Miami, sous les soins du Dr Nestor J. Madariaca,
pour au moins un mois. Ci-après, vous trouverez copie du texte
envoyé à M. René Lévesque la semaine
dernière: "1° J'étais contre le règlement hors cour
intervenu en 1979. "2° Je serais encore aujourd'hui du même avis.
"3° Je savais que vous étiez favorable à ce règlement
hors cour par M. Claude Laliberté, président de la SEBJ. "4°
Au retour des trois membres qui sont allés vous rencontrer, M. Boyd, M.
Saulnier et M. Laliberté, M. Saulnier nous a rapporté qu'il
était de votre désir de régler hors cour. "5° Vous ne
m'avez jamais parlé de cette affaire; vous n'avez donc pu exercer sur
moi quelque pression que ce soit".
Donc, ce télégramme vous sera transmis par les
responsables de la commission parlementaire.
M. Duhaime: C'est signé par qui?
Le Président (M. Jolivet): C'est signé par-Une
voix: Roland Giroux.
Le Président (M. Jolivet): ...Roland Giroux, mais je pense
que c'est envoyé par quelqu'un en son nom.
Je passe donc maintenant la parole à M. le député
de Marguerite-Bourgeoys pour la continuité de son interrogatoire.
M. Lalonde: Lorsque nous avons suspendu nos travaux vers 13
heures, M. Laliberté, je vous avais demandé quelles
étaient les raisons que le premier ministre vous avait données
lors de la réunion du 1er février pour vous persuader
d'être en faveur d'un règlement hors cour.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, avant de
répondre à la question, me permettez-vous d'apporter une
réponse à la question qu'on a posée ce matin sur les
génératrices, ainsi que de donner un peu plus de détails
sur les documents qu'on a ajoutés à votre document?
Le Président (M. Jolivet): Oui.
M. Laliberté: Tout d'abord, j'ai parlé de deux
génératrices. Je m'excuse, c'est plutôt trois
génératrices. J'ai ici les dates de remise en état des
génératrices. On se souvient que le saccage a eu lieu le 18 mars.
Donc, la première a été remise en état le 22 mars,
la seconde le 29 mars, et la troisième le 6 avril. On m'indique ici que,
subséquemment, deux des génératrices remises en
état temporairement ont du être retournées au manufacturier
pour subir un examen plus complet. Quant aux autres systèmes, c'est
là que c'est plus important, parce que vous savez que, dans le but
d'alimenter chacun des bâtiments qui sont sur ces chantiers, nous faisons
usage d'utilidors dans lesquels on retrouve tous les conduits d'alimentation en
eau, en huile. Donc, le chantier n'est pas redevenu sécuritaire avant le
14 ou le 15 avril à cause, justement, des réparations qu'il
fallait effectuer aux réseaux d'utilidors. Cela, c'est ce qui regarde
les génératrices et la remise en état du chantier
globalement.
Maintenant, cet extrait du procès-verbal qu'on vous a
distribué, c'est celui du 11 décembre et vous devriez l'ajouter
après la page 13 de votre document. Les documents annexés, en
quelque sorte, permettent de comprendre exactement à quels documents on
se réfère dans le procès-verbal lui-même. C'est tout
pour cela.
Le Président (M. Jolivet): Maintenant, la réponse
à la question.
M. Laliberté: Quant à la question, j'ai
parlé ce matin de la question. J'ai dit que M. Lévesque avait
employé l'argument de l'insolvabilité en quelque sorte des
défendeurs québécois. Il y a eu également la
question de la responsabilité comme telle des travailleurs
eux-mêmes, en quelque sorte un retour à une des conclusions de la
commission Cliche. Je me souviens également d'un troisième point
et celui-là, je l'ai mentionné moi-même. C'était le
coût du procès comme tel. Après s'être engagé
pour une période de six mois, 500 000 $, évidemment, s'il avait
fallu continuer, les sommes auraient été certainement
supérieures. C'est un peu ce dont je me souviens.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Alors, c'est ce qui a permis au premier ministre de
vous demander d'appuyer un règlement hors cour. Pouvez-nous dire, dans
les mots exacts que le premier ministre a employés, la réponse
qu'il a donnée à un moment donné? Vous en avez
donné un aperçu ce matin. "Vous réglez", puis il y a eu un
juron, quelque chose. Exactement qu'a-t-il dit?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Je ne puis confirmer à 100% les
expressions qui ont été mentionnées dans la Presse. Mais
cela ressemble à ça.
M. Lalonde: C'est cela: "Vous réglez... M.
Laliberté: ...ou nous allons régler...
M. Lalonde: ...à votre place." Vous, vous m'avez dit tout
à l'heure que vous n'avez pas pris cela comme une pression.
M. Laliberté: Pas du tout.
M. Lalonde: Vous êtes P-.D.G., président-directeur
général d'une grande entreprise.
M. Laliberté: Oui.
M. Lalonde: Le premier ministre vient vous dire que vous allez
faire ce qu'il dit...
M. Laliberté: Oui.
M. Lalonde: ...sinon, il va le faire à votre place, puis
cela ne vous impressionne pas. C'est tout à fait acceptable,
d'après vous.
M. Laliberté: Cela ne m'impressionne pas, dans le sens
qu'il n'a pas les outils pour régler lui-même. J'ai dit que la
seule autorité habilitée pour clore ce dossier de quelque
façon que ce soit, c'est le conseil d'administration qui est
habilité par la loi. Puis moi, ainsi que les deux autres personnes qui
ont assisté à cette réunion, nous sommes, comment dire,
trois onzièmes d'un conseil d'administration. Ce ne pouvait être
que le conseil d'administration qui, majoritairement, pourrait
éventuellement, comme il l'a fait le 6 mars, adopter une
résolution touchant un règlement hors cour.
M. Lalonde: Et vous me répétez que cela ne vous a
influencé en aucune manière?
M. Laliberté: Aucunement.
M. Lalonde: Pensez-vous que... Excusez-moi.
M. Laliberté: D'autant plus que c'était ma vision,
comme je l'ai clairement indiqué, depuis le 23 janvier.
M. Lalonde: Alors, si cela vous avait influencé, par
hypothèse, cela aurait pu simplement vous confirmer le bien-fondé
de votre vision? Est-ce que cela a pu vous influencer dans ce sens?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Je ne saisis pas la question, M. le
Président.
M. Lalonde: Écoutez, tout à coup, il y aurait eu,
par hypothèse, une occasion, quelques jours plus tard, de changer
d'idée, par exemple, toutes sortes d'événements auraient
pu se produire où vous auriez eu l'occasion de changer votre vision des
choses, est-ce que la visite au premier ministre n'aurait pas été
plutôt dans le but de conserver votre attitude?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, la question, pour
moi, n'est pas pertinente. Cela ne s'est pas passé comme cela.
M. Lalonde: Alors, comme cela, ça ne vous a
influencé en aucune façon? Pourquoi êtes-vous allé
voir le premier ministre lorsque vous saviez déjà que son souhait
était de régler hors cour? Vous le saviez depuis le 3
janvier.
M. Laliberté: Le choix n'est pas uniquement celui du
président-directeur général de la société.
C'est un choix qu'a fait le conseil d'administration.
M. Lalonde: Est-ce que vous aviez communiqué,
privément ou en groupe, aux membres ou à quelques-uns des membres
du conseil d'administration, le "souhait" du premier ministre exprimé
par son chef de cabinet le 3 janvier?
M. Laliberté: Je l'ai fait privément. M.
Lalonde: À tous les membres?
M. Laliberté: À tous les membres, je ne le crois
pas.
M. Lalonde: À quels membres?
M. Laliberté: À ma connaissance, à M.
Thibaudeau, à Mme Forget, à M. Roquet, à M.
Laferrière. Je ne saurais dire après tout. Mais certainement
à ces personnes.
M. Lalonde: À moins que je ne fasse erreur, le
dénominateur commun des quatre personnes que vous avez
mentionnées est d'avoir été nommées au conseil
d'administration le 1er octobre 1978. Donc, quatre nouveaux membres. Oui? M. le
Président, on n'enregistre pas les signes de tête.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté. M.
Laliberté: Pardon?
Le Président (M. Jolivet): Que donnez-vous en
réponse à la question?
M. Laliberté: Ce sont effectivement quatre nouveaux
membres du conseil.
M. Lalonde: Lorsque M. Saulnier, le président du conseil
d'administration, a informé le conseil d'administration, lors de la
réunion du 6 février, je crois - vous me
corrigerez si je fais erreur - que vous étiez allés voir
le premier ministre, vous-même, M. Saulnier et M. Boyd, pour l'informer
qu'il était du désir - je peux retrouver le texte même - du
premier ministre que cela se règle hors cour, pensez-vous que cela ait
pu influencer ou que cela ait pu compter dans la décision du conseil
d'administration?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Je pense que oui. Il faudrait le demander
aux autres administrateurs.
M. Lalonde: Bien. J'aurais quelques autres questions.
Une voix: C'est tout?
Le Président (M. Jolivet): M. le député.
M. Lalonde: Je vais laisser mes collègues poursuivre. Oh!
Une chose que je voudrais simplement clarifier. On parle de 100 000 $ qui ont
été payés à un assureur dans le règlement.
D'un autre côté, on dit que les assureurs ont remboursé
environ 1 100 000 $. Ne faudrait-il pas préciser que la
réclamation de cet assureur ou de ces assureurs n'était pas de 1
100 000 $, mais d'environ 300 000 $?
M. Laliberté: C'est bien cela.
M. Lalonde: De sorte que la compagnie d'assurances... Je pense
qu'il y en avait seulement une?
M. Laliberté: II y en avait trois.
M. Lalonde: II y avait trois compagnies d'assurances qui ont,
elles, recueilli environ 30% de leur réclamation, soit 100 000 $ sur
environ 300 000 $.
M. Laliberté: C'est cela.
M. Lalonde: Ce qui est beaucoup plus agréable que
0,4%.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: II faut également souligner que les
cinq autres compagnies d'assurances ont décidé, dès le
début, de laisser tomber leur portion des prix qu'elles ont
payés.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Merci, M. le Président. M. Laliberté,
je voudrais vous demander si les procès-verbaux ou les documents
auxquels vous avez accès indiquent que le conseil d'administration de la
Société d'énergie de la Baie-James, par la voie de son
président ou de ses officiers supérieurs, a consulté le
premier ministre Bourassa au moment d'entamer des procédures pour un
montant de 31 000 000 $ contre les syndicats. À votre connaissance,
est-ce qu'il y a eu une consultation avec le bureau du premier ministre, M.
Bourassa?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Je ne le sais tout simplement pas, M. le
Président.
M. Duhaime: À votre connaissance à vous?
M. Laliberté: À ma connaissance à moi,
non.
M. Duhaime: Je voudrais maintenant vous demander si, à
votre connaissance, le Procureur général du Québec ou le
ministre de la Justice à l'époque, c'est-à-dire au moment
où la première procédure a été
signifiée par la Société d'énergie de la Baie-James
le jurisconsulte, comme on l'appelle dans notre jargon, a eu à donner
une opinion dans ce dossier.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté. M.
Laliberté: À ce que je sache, non. M. Duhaime: Pardon?
M. Laliberté: La question c'est: Est-ce que le
ministre...
M. Duhaime: Est-ce qu'à votre connaissance le ministre de
la Justice de l'époque ou le Procureur général de
l'époque a été consulté avant que des
procédures soient entamées?
Le Président (M. Jolivet): M.
Laliberté.
M. Laliberté: À ma connaissance, non, M. le
Président.
M. Duhaime: Je vous remercie. J'aurais juste deux autres
questions, M. le Président. Une dernière question sur la
précision que vous avez apportée tout à l'heure au sujet
des délais de remise en marche des génératrices. Sans
être un expert dans ce genre de dossier, si deux ou trois
génératrices ne fonctionnent pas sur le chantier de LG 2 en 1974
après le saccage, il m'apparaît assez clair pour tout le monde que
les opérations du chantier sont en suspens. Si j'ai bien saisi votre
témoignage, le saccage a eu lieu au mois de mars, le 14, je crois?
M. Laliberté: Excusez. Le 20 mars exactement.
M. Duhaime: Le 20. Donc, deux jours plus tard, il y avait
déjà une génératrice qui était prête
à démarrer; neuf jours plus tard, il y en a une autre.
M. Laliberté: On donne les dates du 22 mars, la seconde,
le 29 mars et la troisième, le 6 avril.
M. Duhaime: C'est cela, oui. Alors, cela veut donc dire, dans un
cas, en résumant, 12 jours, 19 jours et 26 ou 27 jours. Vous disiez ce
matin dans votre déclaration que les activités du chantier ont
été arrêtées pendant 51 jours et qu'ensuite il y a
eu un autre mois de remise en route. Est-ce que, suivant les informations que
vous avez, il y aurait une explication à ces délais très
longs puisque les génératrices étaient déjà
en marche, dans un cas, douze jours et, dans l'autre cas, dix-neuf jours
après? Je comprends que vous n'étiez pas là en 1974 mais
s'il y a des documents qui pourraient nous être utiles...
M. Laliberté: Je ne peux, malheureusement, pas
répondre à cette question, mais, si les membres de la commission
le désirent, on peut obtenir la réponse. Ce qu'on indique
finalement, c'est une période de 30 jours, en gros.
M. Duhaime: Alors, on attendra une autre occasion pour reprendre
la question. Je voudrais, M. le Président, avant de poser une
dernière question, lire à la page 99 du rapport de la Commission
d'enquête sur l'exercice de la liberté syndicale dans l'industrie
de la construction, rapport déposé en mai 1975, mieux connu sous
le nom de rapport Cliche, le dernier paragraphe: "Les commissaires ont acquis
la conviction que les travailleurs ordinaires n'encourent pas la
responsabilité de ce qui est arrivé. Il ne s'agit aucunement
d'une réaction de masse, mais bien d'une affaire montée par un
noyau de mécréants dirigés par Duhamel pour montrer, une
fois pour toutes, qui était le maître à la Baie-James.
L'impression nette que nous tirons de l'interrogatoire des témoins du
saccage est que les travailleurs ont été de simples spectateurs
et même des victimes des actes insensés posés par un
Duhamel en délire." (17 heures)
II a été question dans votre déclaration de ce
matin d'une évaluation de la solvabilité des syndicats
québécois qui étaient assignés comme
défendeurs dans ce dossier. Je laisse de côté toute la
question du syndicat américain qui, tout en étant solvable,
d'après ce que j'ai pu comprendre de votre déclaration,
était difficile à rejoindre pour des raisons que, j'imagine,
d'autres vont nous expliquer.
À la lumière de ce que je viens de lire du rapport de la
commission Cliche, vous-même, comme administrateur et comme
président de cette compagnie, qui aviez à diriger ces
travailleurs, est-ce que vous auriez trouvé normal - j'ai cru deviner
une avenue qu'on vous ouvrait ou une perche qu'on vous tendait venant du
député de Marguerite-Bourgeoys - de pousser de l'avant et de
saisir les cotisations syndicales de travailleurs que la commission Cliche
déclare n'avoir rien à voir avec tout le saccage de la
Baie-James?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, j'ai dit que je
trouvais et que j'ai toujours trouvé cette solution tout simplement
aberrante. À ce que je sache, il n'en a jamais été
question au conseil d'administration.
M. Duhaime: M. le Président, une dernière question.
Si j'ai bien compris tout à l'heure et si j'ai bien saisi, avant la
réunion du 1er février 1979 avec le premier ministre, en
compagnie de M. Saulnier et de M. Boyd, vous aviez déjà une
opinion passablement arrêtée sur la conduite à tenir dans
ce dossier. Au meilleur de votre connaissance, y a-t-il d'autres
administrateurs qui vous accompagnaient lors de cette réunion qui
avaient également leur idée faite sur la marche à suivre
dans le dossier? Le souhait exprimé par le premier ministre lors de
cette rencontre les a-t-il fait changer d'idée?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, je
préférerais que les administrateurs eux-mêmes
répondent à ce genre de question.
M. Duhaime: Je me range à votre suggestion et je vous
remercie.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Brome-Missisquoi.
M. Paradis: M. Laliberté, parmi les quatre administrateurs
que vous avez mentionnés et à qui vous aviez fait part des
intentions ou des suggestions du PM qui vous ont été
communiquées par son chef de cabinet, vous avez cité les noms de
Thibaudeau, Forget, Roquet et Laferrière. Est-ce que ce sont des
administrateurs à temps plein de la Société
d'énergie de la Baie-James?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté. M.
Laliberté: Tout dépend de ce que
veut dire à temps plein. Non, ce ne sont pas des employés
à temps plein; ce sont des administrateurs dans le sens pur du
terme.
M. Paradis: Les connaissez-vous personnellement?
M. Laliberté: Est-ce que je les connais
personnellement?
M. Paradis: Oui.
M. Laliberté: Je ne connaissais que M. Roquet avant ma
nomination, M. Roquet ayant été un confrère de travail au
ministère de l'Énergie et des Ressources.
M. Paradis: M. Roquet travaillait-il encore à
l'époque au ministère de l'Énergie et des Ressources?
M. Laliberté: À cette époque, oui, il
était sous-ministre.
M. Paradis: Ah! Il était sous-ministre au ministère
de l'Énergie et des Ressources à cette époque. Les autres
avaient-ils également des occupations de fonctionnaire?
M. Laliberté: Je ne le crois pas.
M. Paradis: Aucun des autres? Mais M. Roquet avait une occupation
de fonctionnaire.
Je vais revenir à votre exposé de ce matin et je vais
tenter de comprendre ce que vous nous avez exposé. On se replace au 15
janvier, qui est le début du procès sur le saccage. Deux jours
après le début du procès - je vous réfère
à la page 9 de votre exposé - vous parlez de la première
offre que vous avez reçue. Si j'ai bien compris votre exposé,
vous en étiez venu à la conclusion personnelle - c'était
votre impression - que les syndicats québécois étaient
démunis financièrement ou ne pourraient pas faire face à
une condamnation extravagante au niveau financier et que ce serait difficile
d'établir un lien de droit avec les syndicats américains. Ce qui
importait pour vous, un des principes à retenir et qui a motivé
votre décision fondamentalement, c'était le fait que les
syndicats reconnaissent leur culpabilité. C'était important pour
vous.
On se replace à ce moment-là. Je vous cite au texte
à partir de la page 9: "La première offre écrite de
règlement m'est présentée le 17 janvier par Me Michel
Jasmin qui dit détenir un mandat de la part de trois des cinq syndicats
impliqués." Vous nommez les trois syndicats. "Deux syndicats sur cinq
reconnaissent leur responsabilité et le dédommagement
proposé est de 50 000 $, incluant les assureurs. J'informe nos
procureurs que cette offre n'est pas acceptable, parce que seulement deux
syndicats sur cinq reconnaissent leur responsabilité et que le montant
du dédommagement est beaucoup trop faible. Néanmoins, je vous
ferai remarquer que c'est la première fois qu'un syndicat fait une
admission de responsabilité." L'élément qui vous avait
frappé, à ce moment-là, était le fait qu'il y ait
une admission de responsabilité. Est-ce exact?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: C'est exact. Il faut reconnaître,
cependant, que l'offre qui m'était faite le 16 janvier ne l'était
qu'au nom des trois syndicats qui sont mentionnés dans le paragraphe
précédent. D'accord?
M. Paradis: Oui, mais même si elle était faite au
nom de trois syndicats, il y avait strictement deux...
M. Laliberté: Donc, en soi, c'était -comment dire -
un règlement hors cour, tel que proposé, incomplet.
M. Paradis: Partiel. M. Laliberté: D'accord?
M. Paradis: Partiel. À ce moment-là, il y en avait
deux et c'était un élément très important pour
vous?
M. Laliberté: C'était très important.
M. Paradis: D'accord. On continue. À la page 10, vous
dites: "Le 22 janvier, je reçois une nouvelle offre de règlement
au montant de 125 000 $ - on avait la première offre à 50 000 $,
la deuxième à 125 000 $ - de la part du procureur de
l'International Union of Operating Engineers représentant la position,
cette fois, de l'ensemble des syndicats dans cette cause." Est-ce que vous
pourriez identifier quel était ce procureur?
M. Laliberté: Me Beaulé.
M. Paradis: Me Beaulé. Est-ce que vous connaissiez Me
Beaulé avant?
M. Laliberté: Non, je ne l'ai jamais rencontré
moi-même.
M. Paradis: Vous ne le connaissiez pas. Est-ce qu'il vous a
transmis cela personnellement?
M. Laliberté: Ce sont nos procureurs qui ont reçu
une offre écrite datée du 22 janvier.
M. Paradis: Là, vous ajoutez: "Cette nouvelle
démarche de la part des défendeurs mérite qu'on y porte
attention puisque deux
des cinq syndicats reconnaissent l'existence d'un lien de
responsabilité avec les auteurs du saccage. L'un de ces deux syndicats,
le local 791, reconnaît même qu'une partie substantielle de la
réclamation est fondée." Au niveau de la responsabilité,
est-ce que votre dossier avait progressé à ce
moment-là?
M. Laliberté: Entre le 16 et le 22, non. Cependant -
élément clé - on touchait le deuxième objectif de
toute poursuite qui est de faire établir le montant des dommages subis.
L'écriture, telle que libellée, faisait dire au local 791: Nous
reconnaissons le quantum des dommages substantiellement, tel que la
réclamation le dit. C'était le deuxième
élément positif.
M. Paradis: Mais cet élément n'a pas compté
qu'il y avait plus de syndicats, etc. Vous avez renoncé à
acquérir la confession de responsabilité des autres syndicats
à ce moment-là.
M. Laliberté: Je n'avais pas renoncé. L'invitation
au conseil d'administration, telle que libellée le 23, est une
exploration. Le principe de l'entente hors cour, je le faisais mien. Mais il
fallait aller voir, dans le but éventuel d'obtenir plus. Je crois qu'il
faut reconnaître que le règlement final obtient plus,
effectivement.
M. Paradis: J'essaie de concilier cela avec vos propos de ce
matin. Vous disiez: La question monétaire, dans ces chiffres,
était la capacité de payer et les liens de droit. Ce
n'était pas l'élément essentiel, parce que, dans ma
tête, j'étais convaincu qu'il y en avait un qui n'était pas
capable et que l'autre n'avait pas de lien de droit. Vous disiez: Ce qui
était important, c'était la reconnaissance de culpabilité.
Il y en a une que vous rejetez du revers de la main, si vous me permettez cette
expression, et l'autre vous intéresse.
M. Laliberté: M. le Président, je ne saisis pas la
question, je m'excuse.
M. Duhaime: Je ne comprends pas.
M. Paradis: Je pensais que c'était le président,
mais je constate que le président avait saisi. C'est le ministre qui n'a
pas saisi. Je répète.
Le Président (M. Jolivet): Je ne suis pas témoin.
Je ne suis témoin de rien, j'écoute.
M. Paradis: Très bien, M. le Président. Vous aviez
rejeté du revers de la main la première offre, alors qu'il y
avait deux syndicats qui reconnaissaient leur culpabilité.
À la deuxième offre, vous n'avez pas plus de syndicats qui
reconnaissent leur culpabilité, mais vous ne rejetez pas celle-là
du revers de la main. Pourquoi?
M. Laliberté: Je répète. On retrouve
toujours, dans la deuxième offre de Me Beaulé, qui est une
consolidation, en quelque sorte, de l'offre de tous les syndicats, les deux
mêmes syndicats qui reconnaissent leur responsabilité. Je reviens
sur cette partie très importante du paragraphe que vous avez
vous-même lue; c'est que là s'ajoute un élément
clé qui constitue, justement, le deuxième objectif que nous
recherchions, la reconnaissance du quantum des dommages. Je trouve que c'est
une opinion clé.
Maintenant, à partir de là, je ne crois pas qu'on puisse
dire: J'adopte cette solution. Mon intention, c'est de préconiser
auprès du conseil d'administration que nous allions explorer, nous.
C'est finalement ce qu'on a fait le 6 février. Je préconisais
qu'on le fasse le 22 janvier. Donc, je pense qu'il est très important
qu'on comprenne que je n'adoptais pas cela intégralement. Je ne me
contentais pas nécessairement de cela. À partir du moment
où j'ajoutais à cela ce doute de plus en plus fort qu'on ne
pouvait pas impliquer l'International Union of Operating Engeneers, eh bien,
à ce moment je portais le gros argument, si vous le voulez, au niveau du
quantum. Puis tout cela combiné faisait qu'effectivement j'ai
préconisé ce que j'avais préconisé à la
séance du 23.
M. Paradis: D'accord. Mais revenons à cet
élément du quantum. Dans votre témoignage de ce matin,
vous avez clairement dit que vous ne croyiez pas à la possibilité
pour votre société de récupérer des syndicats
québécois à cause de problèmes de
solvabilité. À la page 13 de votre mémoire, cette fois-ci,
vous ne croyez pas à la possibilité de récupérer du
syndicat américain parce qu'il est trop solvable. J'ai de la
difficulté à concilier cela. D'un côté, vous
abandonnez la poursuite contre un syndicat parce qu'il n'est pas assez
solvable, puis, de l'autre côté, vous abandonnez contre un autre
parce qu'il est trop solvable. Comment conciliez-vous cela, dans votre
esprit?
M. Laliberté: Vous dites que j'abandonne la cause parce
qu'il est trop solvable?
M. Paradis: À la page 13 de votre mémoire...
M. Laliberté: Oui.
M. Paradis: ...vous dites: Je prends connaissance le 19
février des résultats de
l'étude demandée par le président du conseil. Voici
les principales conclusions de cette étude. Là, je le lis au
texte: "II est possible et même probable que toute demande
adressée par la SEBJ devant un tribunal américain sera
contestée." J'imagine qu'il n'y a pas un syndicat américain qui
va payer 31 000 000 $ sans contester. Cela, on devait le savoir depuis
1975.
Le deuxième élément: "L'union américaine
dispose de fonds considérables et a les moyens d'en appeler jusqu'au
plus haut tribunal du pays, ici comme aux États-Unis." Je pense qu'on
devait savoir cela également dès le début de la poursuite.
Là, on dit qu'ils sont très solvables. "Toutes ces
procédures pourraient être très longues - cela aussi on le
savait, en 1975, que c'est long lorsqu'on fait le cheminement devant les
tribunaux ici et là-bas - et entraîneraient de part et d'autre des
frais légaux considérables." Vous deviez en avoir une idée
lorsque vous avez voté un demi-million comme base de départ pour
un an, parce que vous le votiez pour un an. Qu'est-ce qu'il y a de
changé? Pourquoi abandonnez-vous contre le syndicat
québécois parce qu'il n'est pas assez solvable et contre le
syndicat américain parce qu'il est trop solvable? C'est cela que je ne
réussis pas à concilier.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, ce document du 19
février, je m'y suis référé moi-même ce
matin. Après la réunion du conseil d'administration du 6
février, le conseil avait accepté d'aller explorer sur la base de
certains critères qui sont énumérés dans le
procès-verbal. Il demeurait dans la tête du président du
conseil, ainsi que dans la tête de certains administrateurs certains
doutes en ce qui regarde cet aspect. Je vous ai dit moi-même que
j'étais convaincu, si vous voulez, basé sur aucun avis juridique,
déjà depuis le 22, le 17 ou dans ce coin-là. En tout cas,
à force d'entendre parler les procureurs, évidemment, on peut se
faire une opinion personnelle et c'était la mienne.
Donc, devant les hésitations de certains administrateurs sur cet
aspect spécifique, compte tenu du fait que le dernier avis que nous
avions datait du 5 janvier 1979, document paraissant au conseil
d'administration du 9 janvier, le président du conseil, s'adressant
directement au chef du contentieux d'Hydro-Québec, Me Gadbois, lui
demande d'émettre une opinion qu'il voulait voir entériner par
les procureurs de la SEBJ. C'est ce document que vous avez. On retrouve ces
documents aux pages 130, 131, 132 et 133 dans le cas du document du contentieux
d'Hydro, et à 134 et 135, on a l'opinion juridique de Geoffrion et
Prud'homme endossant l'avis juridique.
Ce qu'il est important de noter, c'est qu'entre les deux
évaluations qu'on en faisait, c'est-à-dire celle du début
de janvier 1979 et celle qu'on retrouve dans le document auquel vous faites
allusion, comment dire, les difficultés semblent être plus
prononcées. On ne nie pas qu'il y ait possibilité d'aller
chercher, d'exercer ou d'exécuter un jugement auprès du syndicat
américain. (17 h 15)
Si vous le permettez, je vais vous lire une partie, du document du
contentieux d'Hydro-Québec, à la page 133, au dernier paragraphe:
"Toutes ces procédures - on parle des procédures à
intenter tant au plan canadien qu'au plan américain - pourraient
être très longues et entraîneraient de part et d'autre des
frais légaux considérables. Voilà des facteurs dont il
faut tenir compte si l'on ne considère que l'aspect monétaire
comme motif pour procéder à jugement dans cette cause et nous
avons jugé bon de vous les mentionner". L'écriture n'a jamais
ressemblé à cela. On y disait la même chose, mais en ne
mettant pas l'emphase sur cet aspect des difficultés qui pourraient
résulter.
Dans le document de Geoffrion et Prud'homme, à la page 135, on
parle de cette notion d'exemplification entre les cours canadiennes et les
cours américaines. Or, sur une action en exemplification intentée
devant la cour fédérale du district de Columbia, comme le
suggèrent nos correspondants américains - parce qu'on avait
permis, effectivement, à Geoffrion et Prud'homme de consulter des
avocats américains - la sympathie de ce tribunal pourrait naturellement
pencher en faveur du défendeur américain, habitué qu'il
est à appliquer l'article no 6 du Norris-LaGuardia Act qui stipule comme
suit..." Je vous en épargne la lecture. D'accord, je vais le lire: "No
officer or member of any association or organization, and no association or
organization participating or interested in a labor dispute, shall be held
responsible or liable in any court of the United States for the unlawful acts
of individual officers, members or agents, except upon - et c'est
souligné - clear proof of actual participation in, or actual
authorization of, such acts, or of ratification of such acts after actual
knowledge thereof". Donc, pour la première fois, cette notion
d'exemplification, qui semblait être un acquis, est mitigée et
implique, ce faisant, des délais beaucoup plus longs. Donc, pour nous -
en tout cas, pour moi, en tant qu'administrateur - c'est un peu le genre
d'écrit que j'aurais souhaité avoir dès le 22 janvier,
mais que je n'ai malheureusement obtenu que le 19 février.
M. Paradis: Est-ce que vous êtes d'accord pour confirmer
que l'opinion
juridique de Geoffrion et Prud'homme que vous venez de citer et qui est
signée par Me Jean-Paul Cardinal, immédiatement à la suite
de ce que vous avez lu, conclut quand même ce qui suit: "Les tribunaux
fédéraux américains pourraient, dans ce contexte,
être tentés d'appliquer la règle de
réciprocité que la jurisprudence récente semble avoir
répudiée?" Vous avez également pris connaissance de cette
partie de texte.
Vous avez abandonné les poursuites au Québec parce que les
gens n'avaient pas d'argent, mais vous étiez convaincu, vous-même,
depuis toujours - cela vous l'a confirmé - que le syndicat
américain avait amplement d'argent. Ce sont des questions de
délais et de coûts qui vous inquiétaient. C'est cela?
M. Laliberté: Point d'intérêt: le 19
février, nous n'avions pas encore abandonné la poursuite. Cela
n'a été fait que le 28.
M. Paradis: Est-ce que vous l'aviez abandonnée sur la base
de cet avis juridique?
M. Laliberté: Si on n'avait pas pu trouver la preuve qui
est mentionnée là, cela reste à voir.
M. Paradis: Quelle preuve? Je m'excuse.
M. Laliberté: Excusez-moi. Replaçons les choses
dans le temps. Ces avis nous parviennent le 19 février et le conseil du
20 reprend à peu près le même genre de discussion, dans le
même contexte mais cette fois-ci avec ce double avis, qui est beaucoup
plus fort, sur la question d'exemplification et la possibilité
d'exécuter un jugement qui aurait été favorable, du
côté américain. C'est cela qui est percutant.
M. Paradis: Est-ce que, le 19 février, vous avez
communiqué avec le bureau du premier ministre ou si le bureau du premier
ministre a communiqué avec vous?
M. Laliberté: Pardon?
M. Paradis: Le 19 février...
M. Laliberté: Oui.
M. Paradis: ...est-ce que vous avez communiqué avec le
bureau du premier ministre ou si le bureau du premier ministre a
communiqué avec vous.
M. Laliberté: Aucunement.
M. Paradis: Aucunement. Lorsque vos premiers doutes, à
titre d'administrateur responsable de la société, vous sont venus
à l'esprit sur la possibilité d'exécuter le jugement
contre le syndicat américain, est-il exact que vous aviez dans les mains
des opinions de l'étude Geoffrion, Prud'homme et Associés qui
dataient de 1975? Aviez-vous également des opinions de l'étude
Pouliot, Dion et Guilbault?
M. Laliberté: C'est bien cela.
M. Paradis: Vous aviez ces opinions-là reconfirmées
en janvier?
M. Laliberté: En janvier 1976.
M. Paradis: Vous, lorsque, à titre d'administrateur, vous
avez eu un doute - je vous regarde témoigner depuis ce matin et
lorsqu'il s'agit de question légale, le premier réflexe que vous
avez comme administrateur est de vous tourner vers des avocats - est-ce que
vous vous êtes tourné vers d'autres avocats pour confirmer ce
petit doute-là?
M. Laliberté: Non, aucunement.
M. Paradis: À ce moment-là, vous n'aviez pas le
même réflexe?
M. Laliberté: Je voudrais rappeler que j'ai aussi dit ce
matin que les procureurs, pour moi, sont des conseillers. On n'a pas
nécessairement à suivre leurs conseils ad vitam aeternam.
M. Paradis: C'est important. Lorsque vous avez un conseil d'un
professionnel, d'un expert dans le domaine, qui est répété
- là, on a deux avis de Geoffrion et Prud'homme et on en a un d'un autre
bureau d'avocats, tout va dans le même sens - vous, à titre
d'administrateur - je pense qu'il est permis d'avoir des doutes et, comme vous
le dites, vous les utilisez, vous les engagez ces gens-là - lorsque vous
avez un doute, ce n'est pas votre réflexe d'aller faire vérifier
ce doute-là auprès d'autres professionnels du même
métier? Avez-vous des compétences juridiques qui vous
permettaient de dire qu'il n'y avait pas moyen d'aller contre le syndicat
américain?
M. Laliberté: Non. Me Gadbois me souligne que les
procureurs de la compagnie s'étaient informés auprès de
procureurs américains, auprès d'avocats américains. On
peut donc dire déjà que c'était un avis de
l'extérieur. Quant à moi, je n'ai pas jugé à
propos...
M. Paradis: Est-ce que l'avis des procureurs américains
n'appuyait pas les opinions de Geoffrion et Prud'homme, selon lesquelles il y
avait possibilité d'aller au bout?
M. Laliberté: Si on retourne au
document que j'ai reçu le 5 janvier, ce document signé de
Geoffrion et Prud'homme, à la page 30, je lis dans le premier
paragraphe, à mi-chemin: "Nous avons reçu une opinion de nos
correspondants américains, Elarbee, Clark & Paul, sur la
reconnaissance, en vertu de la loi américaine, des jugements
prononcés à l'étranger. Ils nous confirment qu'un jugement
rendu dans la province de Québec n'est pas automatiquement
exécutoire aux États-Unis, mais qu'il peut, cependant, fonder
avec succès une action intentée là-bas."
M. Paradis: C'est le même cas pour l'Ontario; il faut qu'il
soit repris là-bas.
Le Président (M. Jolivet): D'autres questions M. le
député?
M. Paradis: Cet avis continuait de la façon suivante: "Le
droit américain fait montre de générosité à
l'égard des jugements étrangers, de telle sorte que si certains
prérequis existent, le défendeur de l'action intentée aux
États-Unis sur la foi du jugement étranger ne peut plus
réouvrir le débat à son mérite." C'est
ajouté.
Maintenant, si on revient à la rencontre que vous avez eue avec
l'honorable premier ministre à son bureau le 1er février, vous
avez mentionné ce matin, dans votre témoignage, que cela avait
duré approximativement, si ma mémoire est fidèle, quinze
minutes. Durant ces quinze minutes, le premier ministre vous aurait dit - je
vous cite du mieux que j'ai pu en prendre note - "Vous réglez, maudit
(pire que maudit) sinon, on réglera nous-mêmes!" Est-ce que ce
sont les seules paroles de ce genre ou de ce caractère que le premier
ministre a prononcées au cours de cette réunion?
M. Laliberté: De mémoire, oui.
M. Paradis: De mémoire, ce sont les seules. Il n'en a pas
prononcé d'autres à l'endroit de M. Boyd ou d'autres personnes
présentes? Vous ne vous en souvenez pas?
M. Laliberté: Non.
M. Tremblay: À quoi dit-il non?
M. Paradis: On va tirer cela au clair. Est-ce que vous affirmez
qu'il n'en a pas prononcé ou si vous affirmez que vous ne vous en
souvenez pas? C'est à vous de répondre.
M. Laliberté: C'est de mémoire.
M. Paradis: C'est de mémoire. On fait appel à votre
souvenir, donc, vous ne vous en souvenez pas? Je veux que cela soit clair,
à la demande du député de Chambly qui voulait que cela
soit très clair. Lorsque vous avez rencontré le chef de cabinet
du premier ministre, combien de temps la rencontre a-t-elle duré?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Je dirais le même nombre de minutes,
quinze minutes, quoi.
M. Paradis: Quinze minutes. Est-ce que ce sont sensiblement les
mêmes choses qui ont été dites par les deux personnes? Les
propos tenus par M. Boivin, à votre première rencontre,
étaient identiques à ceux tenus par le premier ministre ou d'une
même nature?
M. Laliberté: Non, il faut mettre les choses dans leur
contexte. Évidemment, nous sommes un mois plus tôt. Les arguments
ne sont pas les mêmes.
M. Paradis: Quels arguments avait M. Boivin à cette
époque?
M. Laliberté: Principalement, toujours cette notion de
solvabilité de la partie québécoise et le coût du
procès comme tel.
M. Paradis: Les mêmes arguments que ceux du premier
ministre?
M. Laliberté: Sauf que le premier ministre a ajouté
la question de... Je crois que oui. J'en ai mentionné un
troisième, tout à l'heure, qui était celui des
travailleurs. J'ai parlé des travailleurs qui n'étaient pas
responsables en quelque sorte de ces incidents. C'était le lot de
quelques individus qui ont finalement été condamnés au
criminel.
M. Paradis: Vous avez dit, ce matin: Je ne me souviens pas
pendant une certaine période. Je me souviens que je n'ai pas
parlé au premier ministre. Je me souviens que je n'ai pas parlé
à aucun autre de ses adjoints, mais je ne me rappelle pas si j'ai
parlé à M. Boivin. Là, vous avez dit quelque chose qui m'a
frappé. Vous avez dit: Lorsqu'on parle au premier ministre, cela, on ne
l'oublie pas. Je me souviens que vous avez déclaré cela ce matin
devant la commission. Si vous n'oubliez pas les paroles de notre premier
ministre, quand le premier ministre vous a déclaré: Vous
réglez ou bien je règle, d'après votre jugement, est-ce
que cela n'a pas porté un poids? Si un appel téléphonique
du premier ministre a une importance pour vous, est-ce que ses paroles n'ont
pas influencé votre jugement dans les décisions qui ont
été prises par la suite?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: J'ai parlé des deux raisons pour
lesquelles je n'ai pas été influencé. Premièrement,
c'est parce que j'étais du même avis, si on peut dire, depuis le
22 janvier, donc, avant cette rencontre avec le premier ministre.
Deuxièmement, je considérais, à ce moment-là, que
la seule autorité habilitée, selon la loi, à régler
le problème était le conseil d'administration. J'avais la chance
d'assister à cette réunion, mais comme un des onze membres de ce
conseil d'administration. Donc, je ne voyais pas comment on aurait pu
régler le problème autrement que par le conseil
d'administration.
M. Paradis: Mais vous savez que le premier ministre, à
partir de son rôle de premier ministre et comme président de
l'Exécutif et président de la majorité
ministérielle en Chambre, peut changer les lois. Est-ce que vous le
saviez à cette époque? Est-ce que vous savez, s'il l'avait voulu,
qu'il aurait pu modifier la loi et régler autrement? Est-ce que vos
connaissances juridiques allaient jusque-là?
M. Laliberté: On peut faire des choses, mais il y a des
choses qui sont tout simplement aberrantes à faire.
M. Lalonde: Oui, on l'a vu. On sait cela.
M. Paradis: Très bien.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: M. Laliberté, tout à l'heure, en
répondant au savant procureur de Brome-Missisquoi sur les questions
d'exemplification d'un jugement qui pourrait éventuellement être
rendu par un tribunal de première instance, après, bien
sûr, possiblement une Cour d'appel et, après, un appel en Cour
suprême, il faut passer la frontière et recommencer en
première instance, vous avez mentionné - cela m'a frappé -
que vous preniez connaissance de cette procédure en exemplification d'un
jugement rendu par un tribunal canadien pour la première fois. Vous avez
dit, tout à l'heure, que c'était la première fois que
cette question d'exemplification était portée à votre
connaissance. (17 h 30)
M. Laliberté: Excusez-moi, M. le Président.
M. Duhaime: Est-ce que j'ai mal saisi? M. Laliberté:
Pardon?
Une voix: II ne comprend pas encore, c'est comme
tantôt.
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Duhaime: Je vais reprendre ma question, M. le
Président. Cette question de l'exemplification des jugements, la
procédure de reconnaissance d'un jugement rendu par un tribunal canadien
pour être reconnu devant une cour américaine pour ensuite
être exécutoire contre un syndicat américain, a-t-elle
été portée à votre connaissance pour la
première fois au cours du mois de janvier 1979 ou bien si à votre
dossier il y a des documents qui indiquent que cette question d'exemplification
avait été étudiée auparavant, c'est-à-dire
au moment d'intenter la poursuite et qu'à votre arrivée à
la Société d'énergie de la Baie-James on vous en a fait
part?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Oui, M. le Président. Les avis
juridiques de Geoffrion et Prud'homme datant du 16 décembre 1975
couvraient déjà cette notion. Donc, dans les premiers jours
après mon arrivée, lorsque j'ai commencé à
m'intéresser à cette question, j'ai été, comment
dire, assujetti à cette notion avant le 1er janvier. J'ai donc
été assujetti à cette notion avant le mois de janvier.
M. Duhaime: Je termine là-dessus, M. le Président,
avec le document que vous avez déposé, ce matin, qui se reporte
à l'opinion des procureurs Geoffrion, Prud'homme et qui porte la date du
19 février 1979. Je pense que, pour les fins de la bonne
compréhension de nos travaux, je ne prendrai pas sur moi de traduire
l'article 6 du Norris-LaGuardia Act, mais on va demander à des gens de
nous en faire une traduction. Il y a toute cette question d'exemplification
avec l'avis juridique du 19 février 1979 qui est signé par Me
Jean-Paul Cardinal, de la même firme de procureurs depuis le début
de cette instance devant la cour. Est-ce à ce moment que vous-même
avez consolidé l'opinion que vous vous êtes faite qu'il
était risqué de continuer les procédures même dans
l'hypothèse où un lien de causalité et une
responsabilité était établie devant une cour canadienne et
que le problème restait entier dans votre esprit à faire
reconnaître ce jugement devant un tribunal américain avant de
l'exécuter, peu importe le montant?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, à cette
question, je réponds certainement oui. La raison principale en est que
nous souhaitions que durant le procès nous puissions démontrer
cette relation directe entre M. Duhamel et le syndicat impliqué. Ce qui
vient, c'est une exigence qui nous est
clairement démontrée dans le document de Geoffrion et
Prud'homme, lorsqu'on dit: "Clear proof of actual participation in, or actual
authorization of, such acts, or of ratification of such acts after actual
knowledge thereof". Je mentionnerai aux membres de la commission que, dans le
cas de la Gaspé Copper Mines, évidemment, tous ces
éléments ont clairement été
démontrés. C'est la raison pour laquelle les procureurs Geoffrion
et Prud'homme en parlent dans la page qui précède.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Laporte.
M. Bourbeau: Merci, M. le Président. M. Laliberté,
le 3 janvier 1979, vous étiez P.-D.G. de la Société
d'énergie de la Baie-James depuis environ trois mois, n'est-ce pas?
M. Laliberté: C'est le cas, M. le Président.
M. Bourbeau: Vous avez été convoqué au
bureau du chef de cabinet du premier ministre, M. Jean-Roch Boivin. À ce
moment - je crois que c'est ce que vous avez dit ce matin - M. Boivin vous a
indiqué que le premier ministre souhaitait que la cause se règle.
À ce moment, vous n'aviez pas encore - pour employer votre expression -
changé votre vision des choses, n'est-ce pas?
M. Laliberté: C'est exact.
M. Bourbeau: Donc, vous vous êtes présenté
dans le bureau de M. Boivin étant convaincu, selon les opinions
juridiques que vous avez depuis toujours, que la cause était bonne, que
vous aviez un débiteur solvable en la personne des syndicats
américains, et M. Boivin vous dit: Non, il faut régler. Quelle a
été votre réaction à vous?
M. Laliberté: Quelle a été ma
réaction devant les arguments soulevés par M. Boivin?
M. Bourbeau: Vous étiez d'avis qu'il fallait continuer la
cause à ce moment et on vous dit: II faut arrêter. Quelle a
été votre réaction?
M. Laliberté: M. Boivin a soulevé des arguments
dont j'étais conscient. Par exemple, la question d'insolvabilité
des défendeurs québécois; c'était connu depuis les
premiers avis juridiques de nos procureurs. Le deuxième point, je ne
m'en souviens plus. Donc, dans ce contexte, compte tenu du document que j'avais
déjà devant moi pour le conseil du 9, ce document des
gestionnaires, compte tenu également de l'avis juridique dont j'avais eu
la chance de discuter partiellement avant qu'il me soit transmis officiellement
le 5 janvier, dans tout ce que pouvait me dire M. Boivin, pour moi, il n'y
avait pas d'élément nouveau qui puisse m'amener, en quelque
sorte, à suggérer ou, même, à demander au conseil
d'administration de retarder le début du procès.
Et quand je dis élément nouveau, j'ai employé
également cette expression dans le cas des documents que j'ai
reçus le 1er et le 16 de la part de Me Jasmin et, le deuxième, le
22. Élément nouveau dans le sens que, aussi longtemps qu'il n'y
avait pas reconnaissance de responsabilité, aussi longtemps qu'il n'y
avait pas reconnaissance du quantum des dommages impliqués, pour moi il
n'y avait pas d'élément qui puisse me faire changer
d'idée. Dans ce contexte, les arguments soulevés par M. Boivin ne
m'étaient pas inconnus. Je les avais moi-même dans les documents
devant moi et ce n'était certainement pas une raison pour changer mon
approche a ce moment.
M. Bourbeau: M. Laliberté, le 3 janvier, vous aviez une
opinion juridique qui vous disait: La cause est bonne, on a un débiteur
éminemment solvable et on peut le faire payer. C'est à peu
près, si je résume, l'opinion juridique, avec quelques nuances.
À ce moment, en quoi les arguments de M. Boivin pouvaient-ils vous
influencer? Le fait que votre débiteur reconnaisse sa
responsabilité ne mettait pas d'argent dans les poches de la SEBJ.
L'autre raison que vous avez invoquée, qu'ils admettent le quantum des
dommages, ne mettait rien, non plus, dans les poches de la SEBJ. Est-ce que
votre premier intérêt n'était pas de percevoir une somme de
32 000 000 $ pour rembourser les dommages que votre organisme avait subis?
M. Laliberté: L'intérêt de la
société aurait été et demeure toujours...
M. Bourbeau: Mais en tant qu'administrateur de fonds publics,
est-ce que ce n'est pas votre intérêt de percevoir vos fonds?
M. Laliberté: De percevoir la totalité des
dommages, certainement, mais à partir du moment où on
découvre qu'on ne peut pas exécuter ce jugement de 32 000 000 $,
vous devez donc changer votre orientation. C'est exactement ce que j'ai
fait.
M. Bourbeau: Le doute que vous ne pouviez percevoir vos 32 000
000 $, il est venu le 19 février, un mois et demi plus tard, quand vos
avocats, tout à coup, ont modifié leur opinion juridique. Avant
cette date, vous n'aviez absolument rien qui vous justifiait de penser que vos
débiteurs deviendraient tout à coup moins solvables. Alors,
pourquoi avez-vous changé d'idée
entre-temps?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: Pourquoi les procureurs, si je comprends
bien la question, M. le Président, ont-ils changé d'idée
entre-temps?
M. Bourbeau: Non, non. Non, vous-même, M. Laliberté,
le 19 février. C'est uniquement le 19 février que vos avocats ont
tout à coup dit: Le recours contre les syndicats américains n'est
peut-être pas aussi solide qu'on le pensait. Mais, jusqu'à cette
date, vous n'aviez rien qui vous indiquait que vous ne pouviez pas percevoir
vos 32 000 000 $. Pourquoi avez-vous changé votre opinion avant cette
date?
M. Laliberté: Question d'opinion, M. le Président.
Que voulez-vous? On s'en fait une opinion, peu importent les documents qu'on a
devant nous.
M. Bourbeau: Oui, mais en tant qu'administrateur de fonds
publics, qui doit voir à ce que la société que votre
dirigez perçoive ses créances, quelle opinion vous permettait de
changer d'idée?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: M. le Président, si vous le
permettez, on va retourner un peu en arrière et consulter les documents
que je vous ai fait distribuer juste avant le dîner, ces documents
datés du 11 décembre 1978, pour tenter de peut-être,
comment dire, inclure dans l'évolution de ma pensée cette
question d'exemplification et d'exécution de jugements favorables
auprès des Américains.
Donc, on se souvient qu'en janvier 1975 - c'est bien cela? - un premier
avis nous est fourni par les deux procureurs: Geoffrion et Prud'homme, d'une
part, et l'autre bureau. Donc, on en déduit que tout ce monde a pu
démontrer sa responsabilité et qu'en fin de compte on pourra
exécuter un jugement qui devrait nous être favorable
jusqu'à concurrence de 32 000 000 $. On se retrouve pratiquement trois
ans plus tard, le 11 décembre 1978, avec le document de Geoffrion et
Prud'homme que vous avez entre les mains, au deuxième paragraphe...
Avez-vous le document?
Le Président (M. Jolivet): Oui. Il a été
distribué.
M. Laliberté: Je cite au texte: "Toute procédure
d'exécution dirigée contre les défendeurs Yvon Duhamel,
Michel Mantha, Maurice Dupuis, André Desjardins et René Mantha
serait extrêmement aléatoire et les actifs qu'ils pourraient
posséder n'auraient aucune commune mesure avec la somme
réclamée dans notre action. Nos enquêteurs nous assurent
que, d'ici quelques jours, nous pourrions être en mesure de vous donner
des informations assez précises sur la solvabilité du local 791
de l'International Union of Operating Engineers, de l'Union des
opérateurs de machinerie lourde du Québec, du local 134 de la
Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique et du
Conseil provincial du Québec des métiers de la construction."
Ceci faisait suite à la demande de l'administrateur datée du 27
novembre. "Il est à présumer cependant que cette
solvabilité est extrêmement relative eu égard à la
réclamation."
Donc, on redit ce qu'on a toujours dit et ce qu'on va confirmer dans
l'avis juridique du 5 janvier. "Quant à la capacité de payer de
l'International Union of Operating Engineers, elle ne fait pas de doute." Les
documents qu'on vous a distribués, vous pourrez les consulter. Elle ne
fait certainement pas de doute. Nos correspondants américains, MM.
Elarbee, Clark & Paul, doivent nous faire parvenir d'ici peu certains
renseignements concernant la situation financière actuelle, de ce
syndicat aux États-Unis. Il est toutefois peu probable que ce syndicat
ait des actifs de quelque importance au Québec et l'on peut
déjà présumer, au cas où un jugement interviendrait
contre lui, que seules les cotisations qui doivent lui être
versées par les travailleurs québécois pourraient
être saisies. Mais il n'est absolument pas exclu que ce syndicat
américain se sente moralement lié par tout jugement qui pourrait
être prononcé contre lui de telle sorte qu'une exécution
volontaire demeure du domaine des possibilités. Afin d'être en
mesure de vous éclairer davantage sur les possibilités de
recouvrement à la suite de tout jugement qui pourrait être
prononcé contre l'International Union of Operating Engineers nous avons
requis une opinion de nos correspondants."
Donc, d'après ce deuxième paragraphe: "Toute
procédure d'exécution dirigée contre les défendants
serait extrêmement aléatoire", je pense que déjà on
devine chez les procureurs une certaine mitigation.
M. Bourbeau: M. le Président, une question de
règlement. M. Laliberté, je ne veux pas vous bousculer, mais la
question que je pose ne traite pas du tout du sujet que vous traitez. Je ne
vous parle pas des syndicats québécois. Admettons qu'ils
n'étaient pas très solvables. Une opinion juridique que vous avez
eue vous disait plus tard, d'ailleurs, que la totalité des actifs du
syndicat des métiers de la construction, si je me souviens bien,
n'excédait pas 100 000 $. Vous le saviez et je suis bien d'accord avec
vous qu'à ce moment, on perdait du temps de tenter de percevoir ces
sommes. Mais
vous me parlez encore de MM. Mantha et Duhamel. Le deuxième
paragraphe traite des individus québécois, le troisième
parle encore des locaux québécois.
Je vous parle des syndicats américains et uniquement des
syndicats américains. Je vous répète ma question de
tantôt. L'opinion juridique que vous avez obtenue le 5 janvier 1979, qui
est subséquente à celle dont vous parlez, vous disait en
substance que vos débiteurs américains, enfin, les syndicats
américains, étaient éminemment solvables, que leurs actifs
dépassaient même les 32 000 000 $ et que que vous auriez
probablement de bonnes chances de percevoir contre eux la créance,
évidemment en prenant le temps qu'il faut, en dépensant les frais
juridiques qu'il faut. Mais, en tant que P-.D.G., vous saviez que vous aviez un
débiteur solvable. Dans ces conditions, qu'est-ce qui vous a fait
changer votre vision des choses entre le 3 janvier et, disons, le 15
février? Parce que vous avez dit que vous aviez changé votre
vision des choses le 23 janvier. Que s'est-il produit le 23 janvier pour que,
tout à coup, vous ne pensiez plus qu'on pouvait percevoir les 32 000 000
$ de ce syndicat américain?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté.
M. Laliberté: J'ai dit, M. le Président, que mon
doute avait augmenté graduellement et que, aux alentours du 22 janvier,
compte tenu des deux offres que nous avions reçues de la part du
défendeur, compte tenu du fait que nous avions deux
éléments nouveaux et capitaux pour moi, c'est-à-dire la
reconnaissance de la responsabilité par certaines parties des
défendeurs et la reconnaissance des quanta en ce qui regarde les
dommages; pour moi, combiné à ce doute qui augmentait, cela m'a
amené à préconiser au conseil...
Je ne peux pas me baser - je dois le reconnaître - sur un avis
juridique qui me dit: Ne fais pas confiance à cela. Je ne peux tout
simplement pas le faire. Mais disons que c'est là. Je pense que cela
fait partie de la logique de tout gestionnaire de faire la "balance" des
évévements et d'en faire une déduction. Cela a
été ma déduction. Je crois qu'elle n'a pas
été fausse, finalement, parce que, dans ces avis juridiques que
nous avons reçus le 19 février, le point était beaucoup
plus clairement exposé. (17 h 45)
M. Bourbeau: M. Laliberté, quand vous avez
rencontré M. Jean-Roch Boivin, le 3 janvier, vous n'aviez pas de doute
à ce moment-là, n'est-ce pas?
M. Laliberté: Je n'avais pas de doutes sur quoi?
M. Bourbeau: Sur la possibilité de recouvrer les sommes du
syndicat américain et de gagner l'action.
M. Laliberté: On peut dire que c'est graduel. Donc, on
peut supposer que cela a commencé à ce moment-là ou
avant.
M. Bourbeau: Est-ce que la rencontre avec M. Boivin vous a
aidé à augmenter ces doutes?
M. Laliberté: Pas du tout.
M. Bourbeau: M. le Président, il faudrait qu'il
réponde.
Le Président (M. Jolivet): Une réponse, M.
Laliberté.
M. Bourbeau: M. Laliberté, est-ce que vous pourriez
répondre à ma question, s'il vous plaît? Vous comprendrez
qu'il y a un journal des Débats.
M. Laliberté: Excusez-moi, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Oui. M. Laliberté, vous
pouvez répondre à la question qui est posée?
M. Laliberté: Est-ce qu'on pourrait la
répéter? Je m'excuse.
M. Bourbeau: II semblait que vous n'aviez pas tellement de doutes
avant la rencontre du 3 janvier avec M. Jean-Roch Boivin. Je vous demandais:
Est-ce que la rencontre avec M. Boivin a aidé à augmenter vos
doutes?
M. Laliberté: J'ai dit non. M. Bourbeau:
Aucunement? M. Laliberté: Non.
M. Bourbeau: Si je comprends bien ce que vous nous dites, c'est
que, au début de janvier, vous aviez une bonne cause, vous êtes
P-.D.G., vos avocats disent: Cela va bien, on devrait gagner le procès
et percevoir les sommes des Américains, pas des syndicats
québécois, mais des syndicats américains. Là, tout
à coup, un doute s'installe, un peu après la rencontre avec M.
Boivin. Le doute augmente jusqu'au 23 janvier où là, tout
à coup, votre vision des choses change et vous devenez convaincu qu'il
faut régler.
Vous nous dites que ce qui vous a influencé, c'est que le
débiteur a fait une offre de 50 000 $ à un moment donné,
puisqu'il est monté à 125 000 $ et que le débiteur a dit
qu'il allait reconnaître sa responsabilité et reconnaître
aussi le
montant des dommages. Quand un débiteur reconnaît le
montant des dommages et sa responsabilité, mais qu'il me dit: Je ne vous
paie pas, est-ce que, en tant que P-.D.G., vous trouvez cela satisfaisant?
Le Président (M. Jolivet): M. Laliberté. Oui, M. le
ministre.
M. Duhaime: Dans ma déclaration d'ouverture ce matin, au
début de nos travaux, j'ai dit que nous tenions une commission
parlementaire pour faire devant cette commission toute la lumière
possible sur les événements qui sont visés par le mandat
de la commission. Je viens d'écouter très attentivement la
dernière question qui est adressée à M. Laliberté.
Dans un premier temps, cela contient un résumé que je
qualifierais de subjectif, d'un témoignage qui vient d'être
entendu tout à l'heure et, ensuite, on enchaîne avec une
question.
Cette façon de procéder, M. le Président, je vous
le soumets respectueusement, est généralement utilisée
devant des tribunaux soit au civil, soit au criminel, et on appelle cela une
procédure de contre-interrogatoire. Je suis parfaitement d'accord et
tout à fait à l'aise pour dire, M. le Président, qu'on
peut tester les réponses qui ont été rendues, mais pas
emberlificoter quelqu'un par des questions comme celle que je viens d'entendre
pour ensuite essayer d'aller chercher un oui ou un non.
Je vous avoue honnêtement, M. le Président, que je devrai
vous demander à vous, comme président de nos travaux, de
protéger les gens qui sont convoqués ici, dans un premier temps,
et ensuite de faire en sorte qu'on ne se retrouve pas tout à l'heure
avec les éminents membres du barreau de la rive sud de Montréal,
de Brome-Missisquoi, de Gatineau, de l'ouest de Montréal ou d'ailleurs,
qui, à tour de rôle, vont se succéder dans un
contre-interrogatoire systématique.
J'ai pris la peine de faire ces nuances, M. le Président, elles
sont importantes. Je répète ce que je disais ce matin, ce n'est
pas un procès qui a lieu ici. Il n'y a pas d'accusé. Il n'y a
même pas d'accusateur, je l'ai souligné. Alors, je demanderais,
d'abord, à la présidence de veiller au grain et à nos
travaux. Peut-être que je pourrais demander aussi à nos
collègues de l'Opposition, s'ils veulent s'inscrire au dossier comme
procureurs, que l'on change les règles du jeu pour tout le monde. Je
vais m'opposer systématiquement, M. le Président, à ce
qu'on fasse des recoupages, des résumés des témoignages
pour tenter ensuite, par une question suggestive, d'aller chercher un oui ou un
non, suivant que cela fasse l'affaire ou pas.
Le Président (M. Jolivet): La nuit portant conseil et
sachant qu'on doit suspendre le témoignage de M. Laliberté pour
un moment pour entendre M. Daniel Latouche, je pense que je vais me permettre
sur-le-champ de dire que le député de Laporte aura le droit de
parole à 10 heures, demain matin.
M. Duhaime: M. le Président, nous avions convenu que nous
finirions d'entendre M. Laliberté avant de passer à M. Latouche.
C'est dans ce sens-là que j'ai donné mon consentement, même
si on dépassait 18 heures.
M. Lalonde: M. le Président, je ne me souviens pas d'avoir
convenu de quoi que ce soit. J'espérais que le témoignage de M.
Laliberté puisse se terminer avant 18 heures. On a voulu accommoder M.
Latouche pour quelques minutes. Maintenant, je ne peux pas m'interposer si des
députés ont des questions à poser. Il s'agit probablement
du témoin le plus important, le P.-D.G de la SEBJ, qui a autorisé
ce règlement. Le mandat de la commission dit bien qu'on examine toutes
les circonstances entourant le règlement. M. le Président, je
m'excuse auprès des témoins qui sont ici et qui attendent, mais
ce n'est pas l'Opposition qui a décidé d'inviter ici aujourd'hui
une dizaine de personnes. C'est manquer d'un peu de réalisme que de
l'avoir fait, mais enfin.
Le Président (M. Jolivet): M. le député, il
reste que j'ai un problème, quand même. Je ne peux pas
dépasser 18 heures. Ensuite, le député de Laporte n'a pas
terminé ses questions. Le député de Louis-Hébert a
demandé le droit de parole ainsi que le député de
Gatineau. Compte tenu qu'on ne pourrait pas aller plus loin, puisque si chacun
prenait 20 minutes, on dépasserait amplement 18 heures, compte tenu que
j'avais compris qu'on permettait à M. Latouche, à cause des
occupations qu'il a, à partir de demain, de pouvoir au moins, dans les
quelques minutes qui suivent, faire son témoignage qui, semble-t-il, ne
serait pas trop long d'après les renseignements que vous nous fournissez
de part et d'autre, puisque vous m'aviez dit environ 10 ou 15 minutes, c'est
dans ce sens que je demandais de suspendre l'interrogatoire de M.
Laliberté pour passer à M. Latouche et j'invite M.
Laliberté à être ici demain matin, à 10 heures.
M. Duhaime: Seulement une dernière remarque, M. le
Président.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Vous savez que, par consentement, nous pouvons faire
beaucoup de choses. J'offre donc notre consentement
pour que nous puissions filer un peu après 18 heures pour que
tous les députés ici puissent intervenir, s'ils le veulent, pour
terminer le témoignage ou la comparution de M. Laliberté.
Ensuite, on pourrait entendre M. Latouche. Si vous dites que vous en avez
encore pour deux heures, je vais me rendre à votre demande, mais s'il
n'y en a que pour 10 ou 15 minutes, je pense que personne ne va mourir si on
filait jusqu'à 18 h 15, en incluant le témoignage de M. Latouche.
Quand j'ai donné mon consentement, tout à l'heure, j'ai bien
précisé - j'ai cru recevoir un signe de tête - que nous
disposions de M. Laliberté.
Le Président (M. Jolivet): Je ne voudrais pas faire de
procédure pour le moment, compte tenu que, d'une façon ou d'une
autre, je n'ai pas le consentement pour aller plus loin que 18 heures, sauf
pour entendre M. Latouche.
M. Lalonde: M. le Président, on le donnerait facilement
s'il restait une dizaine de minutes, mais je comprends qu'il y a 3
collègues de ce côté-ci, et je ne sais pas combien de
députés de l'autre côté sont
intéressés à poser des questions, mais cela prendrait au
moins une heure, peut-être même davantage.
M. Duhaime: Vous auriez pu le dire plus vite. J'aurais
ménagé ma salive. Je suis parfaitement d'accord. Appelons M.
Latouche et suspendons le témoignage de M. Laliberté.
Le Président (M. Jolivet): M. Latouche, vous êtes
demandé. Entre-temps, je vous remercie, M. Laliberté, et je vous
invite à être ici demain matin.
M. Latouche, avec le greffier.
Le greffier (M. Jean Bédard): Voulez-vous mettre la
main sur l'Évangile et répéter après moi, s'il vous
plaît: Je (nom et prénom) jure ou déclare solennellement
que je dirai toute la vérité et rien que la
vérité?
M. Daniel Latouche
M. Latouche (Daniel): Je, Daniel Latouche, déclare
solennellement que je dirai toute la vérité et rien que la
vérité.
Le greffier (M. Jean Bédard): Merci.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Est-ce que vous avez une
déclaration première ou si on passe immédiatement aux
questions?
M. Latouche: Très rapidement, j'étais, de septembre
1978 à janvier 1980, conseiller pour les affaires constitutionnelles et
canadiennes au bureau du premier ministre, en congé de mon
université. Je suis professeur de sciences politiques. À une date
qu'on me dit être le 16 février - je n'ai aucune raison de garder
une telle date - une personne s'est présentée à mon
bureau, se disant être mon cousin, du nom d'Yvan Latouche. Comme je
supposais ne pas avoir de cousin s'appelant Yvan Latouche et comme cette
personne avait l'air respectable, ma curiosité étant
piquée, je l'ai donc fait entrer dans mon bureau. Cette personne, en
toute bonne foi, m'a raconté un certain nombre de déboires
qu'elle avait eus, datant de quelques années, à l'emploi de la
Société d'énergie de la Baie-James. Elle avait
été renvoyée. Je suppose que cela est arrivé
à plusieurs d'entre vous. Cela dit tout en respectant beaucoup M. Yvan
Latouche, je ne comprenais pas tout à fait ce qu'il me racontait. Cela
impliquait des allégations contre la société
Hydro-Québec, des poursuites de plusieurs millions qu'il faisait, M.
Boyd, en tout cas, tout un assemblage judiciaire.
Comme il arrive à plusieurs d'entre nous dans des situations
comme celle-là, vous vous dites tout de suite: Qu'est-ce que je ferais
bien - je m'excuse d'employer l'expression - pour m'en débarrasser? Je
n'ai pas de formation juridique. J'étais là pour m'occuper des
conférences constitutionnelles. Je crois que j'arrivais de Toronto et je
repartais pour Winnipeg. J'ai donc simplement recommandé à M.
Latouche d'aller voir une personne au bureau du premier ministre qui pouvait
probablement -je le savais - s'occuper de ce genre de cas-là, M.
Gauthier. M. Latouche a donc quitté mon bureau. J'ai
téléphoné - je ne pourrais pas dire si c'est cette
journée-là ou le lendemain - probablement cette
journée-là, à M. Gauthier pour lui dire... Je t'envoie
quelqu'un qui a un cas qui me paraît assez bizarre, assez extraordinaire.
Ce n'est pas tous les jours que quelqu'un nous dit qu'il poursuit
Hydro-Québec. Je le lui ai donc référé. Je lui ai
aussi dit qu'il disait être mon cousin. Je ne croyais pas qu'il
l'était, mais c'était assez secondaire. Trois jours plus tard,
j'ai rappelé M. Gauthier pour lui demander littéralement: "Puis,
l'as-tu vu?" -"Oui, je l'ai vu." - "Qu'est-ce que cela a l'air?" Il a dit: "Je
m'en occupe." Je suis donc retourné à mes conférences
constitutionnelles. Cela s'est arrêté là.
Je n'ai donc jamais discuté, pour éviter toutes les
questions, avant, pendant, après, avec le chef de cabinet, avec un
avocat, avec la société de ci et la société de
cela, de cette question du saccage de la Baie-James. La première fois
que j'ai revu le nom de M. Latouche a été, évidemment,
lors de certains événements à la Société
d'habitation du Québec. Je dois, cependant, avouer que ma
curiosité a été satisfaite quand j'ai finalement
remonté cette filiation parentale. Effectivement, nous avons un
ancêtre
commun au XIXe siècle. M. Yvan Latouche est - il faut que je le
dise rapidement - le petit-fils de mon grand-oncle ou quelque chose comme cela.
De ce côté-là, je pense que nous avons la parenté
que des gens qui s'appellent Lévesque peuvent avoir ici, ou Lalonde avec
un autre Lalonde. Je savais que celle-là poignerait! Donc, avant
aujourd'hui, je pense n'avoir jamais rediscuté de cette question.
Voilà. (18 heures)
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Je vais laisser la parole à mon
collègue. S'il n'en tenait qu'à moi, je n'aurais pas
dérangé M. Latouche.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. Latouche, je vous remercie d'être venu nous
rencontrer. Naturellement, on nous a dit que tous les témoins pouvant
faire la lumière sur les allégations publiées dans la
Presse il y a quelques jours seraient les bienvenus. Comme votre nom a
été mentionné dans ce journal comme ayant organisé
une rencontre entre M. Yvan Latouche et M. Yves Gauthier, membre du cabinet
politique du premier ministre, nous croyons que c'était la meilleure
façon de vous le faire dire comme vous l'avez dit très
simplement.
Peut-être une question. Est-ce que M. Gauthier vous fait un
rapport de la réunion du 16 février?
M. Latouche: Je lui ai téléphoné pour lui
demander quelque chose comme: Est-ce que cela a du bon sens, son histoire de
poursuite contre Hydro-Québec? Je ne me souviens pas vraiment de ce
qu'il m'a dit. Il ne m'a pas dit si cela avait du bon sens ou pas de bon sens,
mais qu'il s'occupait du dossier. J'étais très satisfait, je dois
l'avouer, de ne pas pousser le questionnaire plus loin. Pour moi, cela
réglait l'affaire.
M. Lalonde: Savez-vous qu'après - c'est peut-être
une conséquence de cette réunion -on a trouvé de la part
de... je présume -vous pourrez me corriger, si je fais erreur -un emploi
à M. Latouche dans l'entourage de M. Luc Cyr, qui avait des travaux de
réparations majeures? Peut-être que votre influence est plus
grande que vous ne le saviez.
M. Latouche: Quand j'ai vu cela, effectivement, plusieurs mois
plus tard, je me suis dit: Mon doux, c'est efficace! Le système... C'est
ce qui m'est venu à l'idée. J'aurais peut-être dû
m'occuper de ce genre de choses plutôt que de faire des mémos
sur...
M. Lalonde: Bien oui. Ce qu'on ne peut pas faire pour un
frère, on peut le faire pour un cousin.
M. Latouche: J'étais à la période des
questions tout à l'heure.
M. Lalonde: Le rapport que M. Gauthier vous a fait de cette
rencontre, vous vous en souvenez?
M. Latouche: C'est: Je m'en occupe.
M. Lalonde: Vous n'étiez pas à cette rencontre?
M. Latouche: Non, je n'ai jamais revu aucune des personnes
impliquées dans ce dossier; d'ailleurs, je n'en connais aucune.
M. Lalonde: Est-ce que M. Latouche vous avait parlé d'un
document qu'il croyait incriminant à l'égard d'un personnage
à la Baie-James?
M. Latouche: Oui, je me souviens de deux éléments:
sa situation personnelle face à son employeur, qui avait
été la Société d'énergie de la Baie-James,
et un certain nombre de commentaires sur M. Boyd, qui avait été
son employeur ou le président de son employeur. Mais cela, c'est tout ce
dont je me souviens de cette conversation. Je vous avoue qu'à
l'époque je m'étais dit: Tiens, cela doit être cela, faire
du bureau du comté.
M. Lalonde: Oh! J'aimerais, monsieur...
M. Latouche: Je suis politicologue de profession. Je
m'étais donc dit: Ce doit être cela. Des gens viennent vous
exposer des...
M. Lalonde: Nous n'avons pas tous dans nos comtés les
pouvoirs que vous aviez.
M. Latouche: Ah, cela!
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: M. le Président, j'aimerais savoir de M.
Latouche si premièrement, le genre de rencontre qu'il a eue avec son
cousin éloigné était un événement qui
était en dehors de l'ordinaire ou s'il arrivait parfois que des gens
avaient recours à ses services. J'aimerais aussi, dans la même
question, savoir de sa part quelle est la raison pour laquelle il l'a
référé spécifiquement à M. Gauthier.
J'imagine qu'il y a plusieurs personnes à l'intérieur du bureau
du premier ministre qui s'occupent de diverses choses. Quelles étaient
les raisons qui ont fait que vous avez décidé que la personne
à qui on pouvait confier le cas un
peu emberlificoté de votre supposé cousin était
justement M. Gauthier?
M. Latouche: Ce que je savais de M. Gauthier était qu'on
l'appelait le notaire Gauthier et cela m'apparaissait être une question
juridique d'avoir ou de ne pas avoir le droit. Je l'ai donc envoyé au
notaire de la place. Comme je n'avais pas tellement de possibilités de
ce côté, il y avait le chef de cabinet à qui j'aurais pu,
je suppose, l'envoyer. Je ne pensais pas que c'était le genre de
problème qu'on envoyait au chef de cabinet. Je l'inondais assez de
mémos sur à peu près tout et rien. Je l'ai donc
envoyé à celui qu'on appelait le notaire Gauthier dans le
bureau.
Quant à savoir si ce genre de démarche était
exceptionnel, je n'ai eu que quelques cas de problèmes personnels de ce
même type qui allaient de quelqu'un qui voulait avoir une plume du
premier ministre ou le genre de choses qu'on peut recevoir comme cela. J'ai
dû m'en départir probablement de la même façon.
M. Doyon: M. le Président, avec votre permission.
J'imagine, M. Latouche, que votre bureau était situé dans ce qui
est communément appelé le "bunker". Est-ce que c'est cela?
M. Latouche: Oui.
M. Doyon: Alors, j'imagine que n'entre pas là-dedans qui
veut. On n'entre pas là comme on entre dans une grange. Est-ce que cette
personne avait pris rendez-vous auparavant de quelque façon? Comment
cela s'est-il passé physiquement? Est-ce que vous pouvez nous informer
là-dessus?
M. Latouche: Je pense que M. Latouche va s'en souvenir beaucoup
mieux que moi. Cela n'a pu se passer que de deux façons. M. Latouche
aurait pu se présenter au bureau et, en bas, on a
téléphoné à mon bureau disant: II y a un M. Yvan
Latouche qui voudrait vous voir. Vous savez, lorsque vous avez un nom comme
Latouche, cela attire votre curiosité quand quelqu'un arrive. Ou bien,
effectivement, M. Latouche avait téléphoné avant pour me
demander un rendez-vous et je le lui ai accordé. D'une façon ou
d'une autre, je ne m'en souviens pas. Je pense bien que M. Latouche
lui-même doit s'en souvenir beaucoup plus précisément que
moi.
M. Doyon: M. Latouche, pourriez-vous dire à la commission
si, lors de la discussion que vous avez eue avec votre "cousin" entre
guillemets, dans les commentaires qui vous ont été faits - ce que
vous avez appelé des commentaires - il a été question de
M. Robert Boyd? Ces commentaires, de près ou de loin - enfin, les
informations qui vous ont été transmises sur M. Boyd - ont-ils
été pour quelque chose dans le fait que ce M. Latouche a
été référé plus spécifiquement
à M. Gauthier?
M. Latouche: Absolument pas. J'ai su beaucoup plus tard que M.
Boyd était impliqué dans le dossier - appelons-le le dossier -
Yvan Latouche. Mais est-ce que je l'ai su de la part de M. Latouche cette
fois-là ou est-ce que je l'ai su après? Je ne le sais pas. Mais
encore une fois, je vous répète exactement la même chose.
Je l'ai transmis au notaire Gauthier parce qu'on était entré au
bureau du PM, comme on le disait, un peu en même temps. On avait dû
se voir et cela m'apparaissait une décision sage à
l'époque. Je ne sais pas si cela l'a été effectivement,
c'est à vous d'en juger.
M. Doyon: M. Latouche, pouvez-vous nous dire si, dans les
discussions que vous avez eues avec la même personne, il y a
été question de près ou de loin de ce qui nous
réunit ici, c'est-à-dire d'une poursuite intentée contre
des syndicats et de certains événements qui se sont
passés?
M. Latouche: Non. J'avais beaucoup plus l'impression - mes
souvenirs sont assez exacts - que c'était une situation personnelle de
M. Yvan Latouche, qui avait été à l'emploi de la
Société d'énergie de la Baie-James et qui avait
été remercié de ses services pour ce qu'il
considérait, et qu'il m'a exposé, comme étant une
injustice profonde. Mais cela n'avait rien à voir avec les
événements connus sous le nom des événements de la
Baie-James.
Le Président (M. Jolivet): M. le député,
avez-vous terminé?
M. Doyon: Seulement une question de détail. Les bureaux de
M. Gauthier sont-ils à Montréal ou à Québec
normalement?
M. Latouche: Les bureaux de M. Gauthier sont à
Montréal.
M. Doyon: La rencontre dont on nous parle a eu lieu ici à
Québec.
M. Latouche: Je ne le sais pas.
M. Doyon: Vous ne le savez pas?
M. Latouche: J'ai téléphoné.
Une voix: Avec vous?
M. Latouche: Avec moi, oui, à Québec.
M. Doyon: Mais celle qui a eu lieu avec M. Gauthier?
M. Latouche: Je ne le sais pas. Je présume qu'elle a eu
lieu à Montréal puisque M. Gauthier venait très rarement.
Je ne me souviens pas de l'avoir vu à Québec. Donc, je suppose
que M. Latouche s'est rendu à Montréal rencontrer le notaire
Gauthier.
M. Doyon: Pour terminer, M. le Président. Je pense que
vous y avez déjà répondu, mais je ne suis pas très
sûr de la réponse: Est-ce que vous avez revu M. Latouche
après?
M. Latouche: Non, je ne l'ai pas... M. Doyon: En aucune
circonstance? M. Latouche: Je l'ai revu aujourd'hui. M. Doyon:
Oui, mais à part cela?
M. Latouche: Non, je ne l'ai pas revu. Je n'ai pas, à ma
connaissance, non plus, eu de conversation téléphonique avec lui.
Il m'a peut-être téléphoné pour me remercier, mais
on n'a jamais reparlé du dossier.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Rousseau.
M. Blouin: Très rapidement, M. le Président. M.
Latouche, lorsque vous avez rencontré M. Yvan Latouche et qu'il vous a
appris, un peu à votre étonnement, qu'il était votre
cousin, sur le coup, évidemment, je présume que cela vous a -
comme vous l'avez dit - étonné un peu. Cela a piqué votre
curiosité. Mais après coup, après vérification,
lorsque vous vous rendez compte que les origines remonteraient au début
de la colonie, est-ce que vous avez le sentiment que M. Latouche, lorsqu'il
vous a rencontré en utilisant cette demi-vérité, a
adopté une attitude qui n'était pas franche à votre
égard?
M. Latouche: Non. Je n'ai jamais eu l'impression d'avoir
été floué de ce côté-là. On dit cousin
assez largement au Québec. Donc, je n'ai jamais "rappliqué" de ce
côté. Cela ne m'a jamais tellement, pour vous dire franchement,
tracassé. D'ailleurs, ce n'est pas pour cela que je l'avais reçu.
Je l'avais reçu comme, je pense, quiconque se serait nommé
Latouche l'aurait reçu.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Oui, M. le
député de Laprairie.
M. Saintonge: M. Latouche, seulement une question. Pour quelle
raison l'avez-vous envoyé au notaire Gauthier, qui se trouvait
ordinairement à Montréal, plutôt qu'à quelqu'un du
bureau du premier ministre à Québec?
M. Latouche: Poser la question est peut-être aussi la
réponse.
M. Saintonge: Vous étiez à Québec à
ce moment-là?
M. Latouche: Oui. Ce cas-là me semblait, tel que
décrit, tellement... Vous savez, quelqu'un qui dit: Je poursuis
HydroQuébec ou je poursuis la Société d'énergie de
la Baie-James, cela ne m'apparaissait pas quelque chose où l'implication
d'aller à Montréal était très fondamentale. Je ne
me souviens pas que M. Latouche m'ait dit: J'aimerais rencontrer quelqu'un
d'autre ici à Québec. Il a donc dû se rendre à
Montréal. Je suppose d'ailleurs, que la réunion a eu lieu
à Montréal. Je ne le sais pas.
M. Saintonge: Ma question était: Pourquoi l'avoir
référé à quelqu'un qui, usuellement, a son bureau
à Montréal plutôt que, de le référer, avec un
dossier comme cela, à quelqu'un d'autre au bureau du premier ministre
à Québec?
M. Latouche: Vous savez, au bureau du premier ministre à
Québec, il y avait un conseiller économique, il y avait un
conseiller culturel; à part cela, il y avait le chef de cabinet. Comme
j'avais déjà l'impression de le déranger beaucoup, donc la
seule autre personne possible était à Montréal. J'en
étais peut-être désolé, mais je n'avais pas vraiment
d'autre choix qu'elle.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Quelle était la fonction de M. Gauthier au
cabinet du premier ministre à ce moment-là, à votre
connaissance?
M. Latouche: Vous savez, les fonctions des gens, au bureau du
premier ministre, ont toujours été pour moi de grands sujets
d'émerveillement. Je savais qu'il était conseiller politique,
donc qu'il n'avait pas de champ spécifique d'affectation, mais qu'il
avait une formation juridique. Je supposais qu'il s'occupait de cas où
il y avait une dimension juridique d'impliquée. Je savais aussi qu'il
s'occupait de corporations professionnelles, de cas qui pouvaient
dépendre du bureau du premier ministre ou du ministère du Conseil
exécutif.
M. Lalonde: Un conseiller politique, ça fait quoi, en
particulier?
M. Latouche: Une très bonne question. Je me le demande
encore. C'est un de mes sujets de réflexion professionnelle
maintenant.
Le Président (M. Jolivet): M. le
ministre.
M. Duhaime: M. le Président, pour la bonne
compréhension de ce genre de questions, peut-être que le
député de Marguerite-Bourgeoys pourrait poser la question
à son collègue qui est à sa gauche, le
député de Jean-Talon, qui connaît bien ce genre de
fonction.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys. S'il vous plaît!
M. Lalonde: Est-ce que vous connaissiez Me Michel Jasmin,
à ce moment-là?
M. Latouche: Non.
M. Lalonde: Non. Merci. (18 h 15)
Ordre des travaux
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. Latouche. Avant que
je procède à l'ajournement des travaux à demain, 10
heures, je dois faire une correction. Je m'excuse auprès de M.
Laliberté puisque j'ai pris sur moi de lui dire que demain il devait
être présent à 10 heures. Je ne suis pas responsable de
l'ordre du jour. Selon ce que le ministre a dit ce matin, à l'ouverture
des travaux, ce n'est pas la suite de la journée d'aujourd'hui qui doit
se poursuivre. Donc, je crois comprendre qu'on connaîtra demain les gens
qui doivent venir. Je demanderais au ministre de nous dire les gens qui seront
présents demain matin.
M. Duhaime: Oui. Suivant la tradition de ces commissions
parlementaires, qu'elle soit bonne ou mauvaise, nous transmettrons au
Secrétariat des commissions, dans les meilleurs délais, la liste
des témoins pour la séance de demain.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Je suis un peu surpris et presque inquiet. Nous avons
commencé à entendre le témoignage de M. Laliberté.
Nous désirons le terminer le plus tôt possible, sans interruption.
Ensuite, le nom de M. Boyd suit sur la liste qui nous a été
transmise. Alors, nous comptons bien poursuivre. D'ailleurs, cette liste a
été faite par le gouvernement et nous l'avons acceptée. Je
ne vois pas pourquoi on bousculerait les témoins.
Le Président (M. Jolivet): Et moi, je dois vous dire que,
comme président, je dois me soumettre à l'ordre du jour qui m'est
présenté au début de chacune des séances.
Cependant, il est possible que, dans les minutes qui viennent, il puisse y
avoir une discussion entre les deux leaders, celui du gouvernement et celui de
l'Opposition, pour s'entendre sur l'ordre du jour de demain. Mais je n'aurai
pas d'autre choix que de mettre en vigueur l'ordre du jour de demain.
M. Lalonde: Alors, je vous dis maintenant que nous, nous sommes
d'accord, nous donnons notre consentement pour qu'on continue l'ordre du jour
d'aujourd'hui.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Duhaime: Ce consentement n'est pas acquis de notre
côté, M. le Président. Je pense que cela peut se jouer
donnant, donnant. J'aurais souhaité, pour ma part, qu'on puisse avancer
nos travaux considérablement ce soir, même si c'est le temps des
sucres. On aurait pu travailler de 20 heures jusqu'à 23 h 59.
L'Opposition, par la voix de son chef, a insisté
énormément pour que la commission parlementaire qui travaille
actuellement ait lieu avant le congé pascal. Nous avons eu, depuis le
matin, des déclarations de part et d'autre, à l'ouverture. Je ne
blâme personne. Seul M. Laliberté a pu être entendu
jusqu'à maintenant. Et l'Opposition me dit qu'ils en ont pour deux
heures...
M. Lalonde: Je n'ai pas dit deux heures.
M. Duhaime: Vous avez dit 2 deux heures et dans mon esprit...
Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse.
M. Lalonde: Non, je n'ai pas dit deux heures. J'ai dit une heure
au moins, avec trois intervenants à 20 minutes chacun.
M. Duhaime: ...avec la marche des travaux et, disons, une
certaine connaissance de ce métier et, en particulier, avec le
député de Marguerite-Bourgeoys qui m'a déjà fait
passer 70 heures 40 minutes et 22 secondes en commission parlementaire, je suis
enclin à penser que...
M. Lalonde: Ce n'est pas difficile.
M. Duhaime: ...avec huit ou neuf, de l'autre côté
qui vont poser des questions à tour de rôle... Je vous dis que je
garde l'entière liberté, suivant nos règlements, de
proposer un ordre du jour lorsque la séance ouvrira demain matin.
Le Président (M. Jolivet): Un instant.
M. Duhaime: Mais suivant ce qui a toujours été
fait, des deux côtés de
l'Assemblée nationale, l'ordre du jour et la liste des
témoins seront transmis au Secrétariat des commissions le plus
rapidement possible.
M. Lalonde: M. le Président, je désire m'inscrire
en faux contre cette attitude. Nous avons une liste qui semble assez logique
jusqu'à maintenant. Nous l'avons entamée et voici que le
ministre, un peu de mauvaise humeur - c'est, d'ailleurs, lui qui pistonnait le
leader du gouvernement qui a presque manqué à sa parole, et on
sait que c'est un homme de parole - a failli faire une grande erreur -
heureusement qu'on l'a réchappé - et nous faire siéger ce
soir alors que ce n'était pas prévu. Je compte bien, demain,
qu'on ne sera pas devant une espèce de tripotage de la liste des
témoins simplement pour plaire au ministre. Le premier ministre s'est
engagé, mercredi dernier, à ce qu'on ait le loisir d'entendre
tous les témoins. Je ne vois pas, d'ailleurs, comment les témoins
qui sont sur la liste vont savoir lequel viendra demain, à 10 heures.
Quand allons-nous savoir qui nous interrogerons demain? Il faut quand
même préparer nos interventions, nos questions.
M. Duhaime: Vous étiez fin prêts, selon vos
interventions de la semaine dernière en commission parlementaire.
J'ajoute également que la dernière personne qui a
été convoquée, M. Daniel Latouche, l'a été
à votre demande. Je n'avais aucune espèce d'idée, il
n'était même pas à l'ordre du jour d'aujourd'hui. C'est par
le consentement que je vous ai donné qu'on a pu accommoder M. Latouche,
lui permettant de vaquer à d'autres occupations.
M. Lalonde: C'est à sa demande, ce n'est pas à la
nôtre. C'est à sa demande qu'il a passé aujourd'hui parce
qu'il part en voyage demain.
Le Président (M. Jolivet): M. le leader du
gouvernement.
M. Bertrand: C'était à sa demande, mais
c'était un des invités que l'Opposition avait soumis au
secrétaire des commissions parlementaires. De plus, nous avons
effectivement donné notre consentement, nous. Quant à
l'Opposition, quels que soient les afflux verbaux dont elle voudrait enrober la
décision qu'elle a prise cet après-midi, il était
possible, non seulement à partir de ce que le règlement permet,
mais aussi à partir de ce qui s'appelle un simple consentement entre les
formations politiques que nous siégions ce soir.
M. Lalonde: Par consentement, toute la nuit.
M. Bertrand: II aurait été possible que nous le
fassions. L'Opposition n'a pas donné son consentement. Nous
étions prêts à entendre à la suite, après M.
Laliberté, M. Boyd, M. Saulnier et toutes les autres personnes du
conseil d'administration de la Société d'énergie de la
Baie-James. Nous étions prêts à les entendre. Nous
étions prêts à travailler ce soir. Il y avait urgence,
paraît-il, grande urgence à ce que toute la lumière soit
faite. On ne pouvait même pas prononcer le message inaugural, ni
élire un président de l'Assemblée nationale. Cela nous a
été dit la semaine dernière. Cela dit, M. le
Président, nous étions prêts à travailler ce soir.
L'Opposition s'y est refusée.
De plus, il y avait aujourd'hui huit personnes inscrites pour être
entendues. Je me rappelle très bien une commission toute récente,
la commission parlementaire de l'éducation, qui a discuté du
dossier relatif aux problèmes résultant de la grève dans
le secteur de l'éducation; la comparution, ici à
l'Assemblée nationale, de divers groupes nous a beaucoup aidé
à aller vers ce processus de conciliation. Il y a eu des journées
où nous n'avons pas réussi à entendre tous les groupes.
C'est exact. Le lendemain matin, quand nous revenions ici à la
commission parlementaire, dans la même salle, il y avait une nouvelle
liste qui avait été préparée.
M. Lalonde: Avec entente et consultation de l'Opposition, au
moins.
M. Bertrand: II y a des formes de consultation, mais le leader
porte la responsabilité d'acheminer au secrétaire des commissions
parlementaires une liste de personnes qu'on veut entendre.
M. Lalonde: Si vous le voulez, nous serons prêts et, si
cela va mal, ce sera de votre faute.
M. Bertrand: Une chose est certaine, M. le
Président...
Le Président (M. Jolivet): Oui, mais simplement...
M. Bertrand: M. le Président, je tiens à
l'indiquer...
Le Président (M. Jolivet): Oui.
M. Bertrand: Le premier ministre du Québec a
indiqué, la semaine dernière -l'Opposition l'a demandé
formellement à l'Assemblée nationale - qu'il voulait que cela se
fasse dans les meilleurs délais. Le chef de l'Opposition a dit: Avant le
congé pascal? Le premier ministre a dit: J'ai été clair
là-dessus, dans les meilleurs délais.
Je vous indique que nous établirons la liste ce soir ou le plus
rapidement possible
et que nous l'acheminerons, dès qu'elle sera
complétée, à l'Opposition, aux journalistes...
M. Gratton: Merci beaucoup. Vous êtes bien bon.
M. Bertrand: ...au secrétaire des commissions. Le
directeur de cabinet du premier ministre, M. Jean-Roch Boivin et le premier
ministre du Québec, M. René Lévesque, se feront entendre
demain en commission parlementaire, avant le congé pascal. Pour le
reste, nous verrons.
Le Président (M. Jolivet): Je dois dire, au moment
où on se parle, que je n'ai pas d'autre choix que de prendre, de part et
d'autre, vos interventions en vous disant que la meilleure place pour discuter
de ce problème est à l'extérieur de la commission
parlementaire. En conséquence, j'ajourne les travaux à demain, 10
heures.
(Fin de la séance à 18 h 25)