Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
Audition des mémoires sur
le projet de loi no 1 :
Charte de la langue française
au Québec
(Dix heures treize minutes)
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Je constate qu'il y a quorum et nous allons commencer
immédiatement. Tout d'abord, c'est une nouvelle séance.
L'appel des membres de la commission: M. Alfred (Papineau), M. Bertrand
(Vanier) on m'indique les remplacements s'il y en a M. Bisaillon
(Sainte-Marie)...
M. Chevrette: M. Charbonneau, Mais M. Charbonneau n'y est
pas.
Le Président (M. Cardinal): ...remplacé par M.
Charbonneau (Verchères)...
M. Chevrette: (Verchères).
Le Président (M. Cardinal): ...M. Chevrette
(Joliette-Montcalm), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille
(Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M.
Grenier (Mégantic-Compton)...
M. Le Moignan: Remplacé par William Shaw.
Le Président (M. Cardinal): ...remplacé par M. Shaw
(Pointe-Claire), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M.
Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le
Moignan (Gaspé), M. Pa-quette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M.
Saint-Germain (Jacques-Cartier) remplacé par M. Goldbloom (D'Arcy
McGee), M. Samson (Rouyn-Noranda).
Quant à l'ordre du jour, les organismes convoqués sont les
suivants. Je les prierais de répondre à l'appel de leur nom, s'il
vous plaît. Positive Action Committee, merci, mémoire 218;
Comité anglophone pour un Québec unifié, merci,
mémoire 186; Mouvement Québec français, merci,
mémoire 30; The Montreal Board of Trade, merci, mémoire 88;
Provincial Association of Catholic Teachers, merci, mémoire 1; Conseil
pour l'unité canadienne, merci, mémoire 72; Association des
conseillers en francisation du Québec, mémoire 197.
Je fais cet appel afin que personne ne perde son tour. Il est bien
sûr que nous allons commencer vers 10 h 20 ou à peu
près.
Nous allons ajourner nos travaux sine die à 13 heures, pour les
reprendre après les affaires courantes de l'Assemblée nationale,
ce qui veut dire après 16 heures, pour les suspendre à 18 heures,
recommencer à 20 heures, et terminer à 23 heures ce qui a
toujours été dépassé, cependant Alors, s'il
y a lieu de faire de nouvelles ententes au cours de la journée, ou de
nouveaux arrangements, nous y procéderons, avec la collaboration de
tous. Je rappelle aussi pour tous la motion qui lie la commission
parlementaire, c'est que chaque groupe a 20 minutes pour présenter son
mémoire ou ses mémoires, ou un résumé ou un
exposé. A deux ou trois reprises, les membres de la commission ont
accordé plus de temps, mais ce temps a été pris à
même le temps accordé à chacun des partis,
c'est-à-dire 30 minutes pour le parti ministériel, 20 minutes
pour l'Opposition officielle, 10 minutes pour le parti reconnu de l'Union
Nationale et 5 minutes pour chacun des représentants des deux autres
partis. Alors, ce sont les mêmes règles qui s'appliqueront
aujourd'hui.
J'appelle immédiatement the Positive Action Committee.
Oui, Mme le député de L'Acadie.
Comité d'action positive
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, il semble que nous ayons
deux mémoires du Comité d'action positive. Je ne sais pas
si...
Le Président (M. Cardinal): Je vais justement demander des
explications. Je vais vous demander tout d'abord d'identifier votre organisme,
d'identifier les porte-parole et d'expliquer à la commission comment il
se fait que nous avons deux mémoires devant nous. Alors, messieurs, la
parole est à vous.
M. Yarofsky (Harvey): Nous allons nous identifier et nous allons
vous fournir l'explication. Tout d'abord, j'ai à ma droite Me Douglas
Robertson, avocat et membre d'un comité spécial sur la langue du
travail du Comité d'action positive à sa droite, M. Christopher
Hampson, vice-président à la compagnie CIL et membre du
même comité spécial; à ma gauche, M. Louis Grenier,
vice-président personnel du groupe SNC et membre du comité
spécial sur la langue du travail ensuite, le professeur Storrs McCall,
de l'Université McGill, coprésident du Comité d'action
positive et, à sa gauche, Me Alex Paterson, avocat et coprésident
du Comité d'action positive.
Le Président (M. Cardinal): Et vous-même, quel est
votre nom?
M. Yarofsky: Je m'excuse, je m'appelle Harvey Yarofsky, avocat et
membre du Comité d'action positive.
M. le Président, M. le ministre, membres de la commission, le
Comité d'action positive, dont les origines et l'histoire sont
décrites dans notre mémoire, a soumis à la commission un
mémoire sur le projet de loi et ce mémoire est de couleur grise
et porte notre nom, cela veut dire le Comité d'action positive.
Le Président (M. Cardinal): Pour les membres de la
commission, c'est le mémoire 89.
M. Yarofsky: Merci, M. le Président.
Le Comité d'action positive a mis en place un comité
spécial des personnes qui ont une expérience profonde du monde du
travail pour étudier le projet de loi dans la perspective de son impact
sur le monde du travail. Ce comité spécial, indépendamment
du Comité d'action positive proprement dit, a préparé un
mémoire spécial, à ce sujet et a soumis,
indépendamment de notre comité, ce mémoire à la
commission. Le mémoire en question est de couleur bleue et porte le nom
du "Comité d'étude sur la langue du travail du Comité
d'action positive".
Le Président (M. Cardinal): No 218.
M. Yarofsky: Maintenant, M. le Président, vu le travail
très élaboré que nous avons fait et les recommandations
assez précises que nous avons faites et que nous avons dans les deux
mémoires, je demanderais j'espère que c'est dans l'ordre,
et vu que nous n'aurons que le temps de résumer les grandes lignes des
deux mémoires dans le temps qui est à notre disposition
à la commission et au président de faire inscrire, si c'est
possible, les deux mémoires dans le journal des Débats.
De cette façon, la commission et les membres de
l'Assemblée nationale pourront en bénéficier.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. C'est tout à
fait dans l'ordre et c'est la juridiction du président. Ce que vous
direz aujourd'hui sera enregistré au journal des Débats et vos
deux mémoires seront portés en annexe au journal des
Débats; ils seront donc publiés par l'Assemblée nationale.
(Voir annexe)
M. Yarofsky: C'est bien, M. le Président.
Une dernière demande avant que je commence. Nous avons
essayé de voir à ce que nos présentations et ce
seront des présentations de trois personnes ne dépassent
pas les vingt minutes accordées. Toutefois, je demanderais un peu
d'indulgence de la part du président et de la commission si on
dépasse de quelques minutes les vingt minutes qui nous sont
accordées.
Le Président (M. Cardinal): Toujours l'indulgence du
président. Quant à la commission, je ne puis me prononcer pour
elle. Elle est composée de représentants de cinq partis, et il me
faut l'unanimité pour accorder une générosité
particulière. Alors, nous verrons quand nous arriverons à la fin
des vingt minutes.
M. Yarofsky: D'accord, merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Alors, nous commençons
à 10 h 23.
M. Yarofsky: Les origines et l'histoire de notre groupe, comme je
l'ai dit tout à l'heure, sont relatées dans notre mémoire.
Il suffit de dire maintenant que le Comité d'action positive n'a pas
été formé pour contester l'adoption d'une loi efficace et
solide, destinée à promouvoir la langue française au
Québec. Nous avons tenté, dès notre création, de
chercher les moyens qui permettraient à la minorité anglophone et
aux autres minorités de participer pleinement et d'une façon
positive à la vie du Québec. C'est à cette fin et dans cet
esprit que notre mémoire vous est soumis.
Certains vous disent: Méfiez-vous des Anglais. Ils vont
prétendre être d'accord avec les objectifs du projet de loi, mais
au fond, ils veulent le saboter. M. le Président et MM. les membres de
la commission, je vous dis carrément que ceux qui prétendent ceci
ont tort et que ce qu'ils vous disent est faux.
Vous n'avez qu'à lire attentivement et objectivement notre
mémoire pour vous rendre compte que nos commentaires et nos
recommandations sont sains, modérés et raisonnables et que nous
ne cherchons pas à détruire le projet de loi, mais plutôt
à faire enlever du projet des aspects qui sont indûment et
inutilement négatifs et menaçants pour les minorités et
pour la société québécoise en
général. En fait, en analysant nos recommandations, vous allez
constater qu'en grande partie elles rejoignent celles d'autres organismes comme
la Commission des droits de la personne, le Conseil supérieur de
l'éducation, le Barreau du Québec et d'autres dont
l'objectivité et la valeur sont incontestables. Je n'ai pas l'intention,
dans les quelques minutes qui sont à ma disposition, de vous
répéter ou même de résumer les
représentations qui se trouvent dans notre mémoire. Je tiens pour
acquis que vous les avez lues ou que vous allez les lire. Je
préfère vous épargner la répétition et
l'ennui qui vous sont trop souvent réservés ici au salon rouge.
Evidemment, je serai très heureux de discuter de toutes nos
recommandations pendant la période réservée aux questions.
Tout ce que je veux faire, c'est vous tracer brièvement quelques-uns des
principes qui nous motivent et quelques-unes des grandes lignes de notre
position.
Premièrement, nous sommes ici à titre de
Québécois à part entière. Nous sommes
attachés au Québec. Nous comptons y rester et nous comptons
participer entièrement, positivement et pleinement à la
croissance et au développement du Québec. Il est possible que
certains nous voient tout simplement comme faisant partie de la majorité
anglophone du Canada et de l'Amérique du Nord. Je vous assure qu'une
telle perception est inexacte et que notre attachement au Québec est
réel et profond.
Deuxièmement, nous sommes d'avis qu'il est important de
sauvegarder la nature pluraliste et multiculturelle de la société
québécoise.
La minorité anglophone et les autres minorités ont
contribué d'une façon importante à l'enrichissement du
Québec, tant comme individus que par nos institutions, et il faut
maintenir au Québec un climat dans lequel les minorités peuvent
continuer de se sentir chez elles et peuvent continuer à apporter une
contribution dynamique à la vie québécoise dans
l'intérêt de tous les Québécois.
Troisièmement, il faut préserver et protéger
les valeurs et les principes énoncés dans la Charte des
droits et libertés de la personne. Le peuple québécois est
fier de cette charte et elle mérite plus de respect que celui que lui
accorde l'article 172 du projet de loi. Toute suppression de la charte doit
inquiéter tout Québécois. Nous comprenons que le
gouvernement s'est engagé à réviser cet aspect du projet
et nous en sommes heureux.
Quatrièmement, nous nous sentons très menacés par
les dispositions du projet qui traitent de la langue de l'enseignement. Nous
reconnaissons que cette question est troublante, tant pour la majorité
que pour les minorités. En principe, nous croyons que les parents,
plutôt que l'Etat, devraient choisir la langue de l'enseignement
donné à leurs enfants. Toutefois, si le législateur juge
que la majorité francophone est menacée au point où des
correctifs législatifs sont nécessaires, ces mesures devraient
être proportionnées à la menace perçue.
Le livre blanc énonce que "l'anglais tout particulièrement
aura toujours une place importante au Québec, non pas seulement, comme
on le répète souvent, parce qu'il est le moyen de communication
le plus répandu en Amérique du Nord, mais parce qu'il tient aussi
à l'héritage culturel des Québécois." Le livre
blanc énonce aussi que la population et la culture anglophone
constituent une composante irréductible de notre
société.
Ceci étant le cas, n'est-il pas normal qu'un anglophone,
d'où qu'il vienne, puisse se joindre à son groupe culturel qu'il
trouve ici et n'est-il pas normal que la population anglophone, pour
préserver sa vitalité puisse admettre dans ses écoles tous
les anglophones qui viennent au Québec?
La protection de la majorité francophone n'exige aucunement qu'on
ne permette pas aux immigrants anglophones d'envoyer leurs enfants aux
écoles anglaises. La question des immigrants allophones récents
est troublante aussi.
Au moment de leur décision de s'établir ici, ils
jouissaient d'un droit important de choisir la langue de l'enseignement
donnée à leurs enfants. Est-ce que la menace perçue par la
majorité est telle qu'il est vraiment nécessaire de les priver
rétroactivement de ce droit? Nous pensons que non.
En conclusion, nous croyons que l'Assemblée nationale est
à la veille de prendre une décision cruciale qui aura une
influence énorme sur le climat social et sur l'avenir du Québec.
Le législateur peut affirmer la primauté du français de
deux façons: il peut imposer une loi qui inspirera la méfiance et
provoquera une résistance; il peut, par contre, adopter une loi qui fera
vigoureusement valoir les droits de la majorité, mais qui sera
perçue comme raisonnable et équitable et qui méritera la
confiance et le respect de tous les Québécois. La loi que vous
adopterez pourra refléter un nouveau contrat social entre la
majorité et les minorités.
Nous voulons que la nouvelle loi soit un pont plutôt qu'un
fossé entre la majorité et les minorités. C'est à
vous de faire le choix.
Maintenant, M. le Président, je passe la parole à Me
Douglas Robertson.
M. Robertson (Douglas): M. le Président, je crois et
j'espère qu'en tant que groupe de Québécois
indépendants impliqués dans le monde des affaires, nous sommes
conscients de la nature et de la complexité du problème
linguistique au Québec.
Pour cette raison, nous reconnaissons et nous approuvons l'objectif
selon lequel le français soit non seulement préservé, mais
activement favorisé au Québec, pour qu'il puisse être
assuré de la position qui lui revient historiquement et de droit et pour
qu'il puisse devenir enfin la langue prééminente au Québec
et la langue commune de tous les Québécois, tout en respectant
les traditions et droits des minorités.
Mais en même temps, nous sommes particulièrement conscients
du fait que les moyens adoptés pour favoriser l'usage du français
au Québec auront des répercussions importantes sur la vie
économique de la province.
Comme le démontre l'Analyse structurelle à moyen terme de
l'économie du Québec, éditée en février
dernier par l'Office de planification et de développement du
Québec, l'économie de cette province passe à travers une
phase sensible et délicate et notre croissance est engagée sur
une trajectoire de déclin relativement à l'Ontario.
Nous ne prétendons pas que la loi linguistique en soi peut
radicalement modifier cette situation, mais une loi contraignante peut
compliquer les efforts de rétablissement et voilà le défi.
Comment atteindre un but culturel sans gêner l'expansion
économique qui seule peut assurer la survie et la réussite de la
culture française dans le contexte Québec-Amérique du
Nord?
Nous espérons avoir, dans notre mémoire,
suggéré certains amendements au projet de loi dont l'adoption
permettrait une meilleure harmonisation des deux objectifs, le culturel et
l'économique.
Ce que nous cherchons, c'est le juste milieu auquel a fait allusion le
ministre, hier après-midi, l'équilibre, le jamais trop de
zèle mais la tolérance, qui permettrait au gouvernement de
poursuivre de manière équitable et rationnelle l'objectif de la
francisation tout en encourageant l'expansion de nos institutions de libre
entreprise et tout en assurant le respect pour les minorités, leurs
droits et leurs traditions.
Notre mémoire commente, dans ses 48 pages, beaucoup des
dispositions du projet de loi et ceci en grand détail, mais nous n'avons
pas le temps, aujourd'hui, de vous en faire un sommaire.
Toutefois, certains points de principe peuvent y être
modifiés dont l'un, notre préoccupation pour les droits de
l'homme, vient d'être évoqué par Me Yarofsky. Certains
autres seront traités dans un instant par M. Grenier.
Pour ma part, j'aimerais toucher, en terminant, quatre points qui
animent notre présentation. Premièrement, nous sommes
préoccupés de la structure bureaucratique dont l'institution est
prévue par le projet de loi et ceci, tant sur le plan administratif que
juridique. Cette préoccupation est fondée sur quatre
éléments: le danger pour les libertés personnelles et
collectives, l'absence de
responsabilités devant l'Assemblée nationale et le peuple,
l'absence de recours en appel qui devrait être accordé aux
administrés et le coût de processus de francisation
administré par l'Office de la langue française, tant pour le
gouvernement que pour les entreprises.
A titre corollaire, nous voulons noter que ces quatre
éléments découlent en grande partie du pouvoir de
réglementation accordé par le projet de loi à l'Office de
la langue française. Les élus du peuple doivent, à notre
avis, créer la loi et non pas les agents de l'administration
publique.
L'ingérence dans notre système parlementaire de la
loi-cadre représente une tendance à laquelle on doit tous
résister.
Nous recommandons fortement, en conséquence, que les
différents organismes prévus par le projet de loi soient
regroupés sous un seul service public; que le pouvoir de
réglementation de l'Office de la langue française soit aboli en
faveur du gouvernement; que le texte du projet de loi soit modifié pour
que soient clairement décrites toutes les dispositions
nécessaires à son application, réservant au gouvernement
le pouvoir de suppléer à ses dispositions par règlement,
seulement où cela se démontre complètement et absolument
nécessaire et, finalement, que toute disposition de la loi qui permet
l'imposition d'une sanction ou l'exercice d'une discrétion
administrative soit assortie d'un droit d'appel clair et spécifique.
Deuxièmement, nous regrettons que la politique de la langue du
travail soit liée, dans le projet de loi, directement au domaine des
relations industrielles à travers les dispositions des articles 36
à 40 et même 114 et 115. Ce sont, à notre avis, deux
domaines différents dans leurs éléments, leur
portée et leurs objectifs.
Pour cette raison, nous recommandons fortement que l'article 36 du
projet de loi soit modifié pour confier aux tribunaux le contrôle
de son application et que, dans les autres dispositions, le projet de loi ne
mélange pas les conventions collectives à la loi
linguistique.
De cette façon, ces deux domaines recevront, à notre avis,
chacun dans son cadre juridique, l'attention qu'il mérite, sans que l'un
ne souffre de l'ingérence de l'autre et sans que les complexités
de l'un ne gênent l'autre. Troisièmement, nous regrettons que dans
plusieurs de ces dispositions le projet de loi, en limitant ou en interdisant
l'usage de l'anglais dans les communications entre le gouvernement,
l'administration publique et les services sociaux, d'une part, et le public,
d'autre part, dans l'affichage et dans les raisons sociales, fasse preuve d'un
certain dirigisme et d'un manque de réalisme, surtout dans le contexte
nord-américain.
En conséquence, nous recommandons fortement, tout en respectant
cet énoncé de politique contenu dans le livre blanc, et je
cite: "le Québec que nous voulons construire sera essentiellement
français", que le projet de loi permette de façon
cohérente et pratique l'usage de l'anglais dans les domaines ci-dessus
mentionnés, pourvu que l'usage primordial du français soit
également obligatoire.
Quatrièmement, nous partageons les soucis d'autres groupes qui se
sont prononcés contre les sanctions démesurées
prévues par le projet de loi. L'essor et la prééminence de
la langue française au Québec doivent s'assurer par des mesures
d'incitation, d'exemples et d'attraction, et non par la menace. Sur ce chef,
nous recommandons que les sanctions de pertes de permis et d'amendes soient
supprimées dans le projet de loi. Je passe maintenant la parole à
M. Grenier.
M. Grenier (Louis): J'aimerais maintenant commenter la situation
des sièges sociaux. Notre mémoire met en évidence
l'importance que nous attachons aux mesures visant à encourager les
sièges sociaux et les entreprises offrant des services s'appuyant sur
une technologie avancée à demeurer au Québec. Nous
demandons qu'on favorise l'installation de nouvelles entreprises de ce genre.
Nous parlons ici d'un secteur très vaste qui touche, entre autres, la
recherche et le développement, les sociétés
d'ingénieurs-conseils, les experts-conseils, les services très
spécialisés et tous les secteurs dont la propriété
intellectuelle est un élément important. Nous affirmons que les
uns et les autres procurent à la province des avantages qui
dépassent les effets économiques résultant directement de
leur présence. L'influence qu'exercent des entreprises nationales d'une
telle importance, le prestige qu'elles aportent à la province, les
possibilités d'avancement qu'elles représentent pour les
Québécois tout en restant dans la province, leur contribution et
celle de leurs employés au développement culturel du
Québec sont autant d'aspects très importants. Les secteurs qui
utilisent une technologie très avancée requièrent un
personnel expérimenté et très
spécialisé.
Il est indiscutable qu'une partie et, espérons-le, un pourcentage
élevé de ces professionnels pour être recruté parmi
les Québécois. Il reste, cependant, qu'il sera toujours
nécessaire de recourir à des spécialistes de
l'extérieur de la province.
Enfin, les industries qui emploient une technologie avancée se
caractérisent par la mobilité de leurs employés
spécialisés qui, au cours de leurs déplacements, font
connaître de nouvelles techniques et permettent ainsi de tenir les
connaissances à jour. De la même manière, les
spécialistes du Québec doivent acquérir de
l'expérience à l'extérieur de la province pour parfaire
leur formation. Par conséquent, tout ce qui nuit au recrutement et
à la mutation des spécialistes nécessaires ou qui incite
les professionnels à partir, va à l'encontre des
intérêts du Québec. L'absence de personnes
qualifiées peut entraîner la diminution ou même la
disparition de tout un secteur de l'activité économique. Une
telle situation n'ouvrirait certainement pas de nouvelles perspectives aux
Québécois, mais gênerait, au contraire,
l'établissement et la croissance dans la province d'industries et de
services de pointe. Le besoin de personnel qualifié, parlant d'autres
langues, pour les entreprises qui vendent leurs produits à
l'extérieur du Québec est assez évident pour se passer de
commentaires.
L'élément le plus précieux pour une entre-
prise est son effectif de personnel compétent. S'il existe des
conditions, telles que des exigences irréalistes en matière de
langue ou l'interdiction de s'inscrire dans les écoles anglaises, qui
empêchent les employés de venir au Québec, les
sièges sociaux seront contraints de s'installer ailleurs et il en
résultera une perte d'emplois pour la province. Si, au contraire, les
sièges sociaux et les entreprises de services technologiques demeurent
au Québec, il est possible d'envisager, en ce qui concerne cette
catégorie d'emplois, une plus grande pénétration du
français et des francophones.
Nous sommes d'avis que la loi proposée devrait tenir compte de
cette réalité et nous indiquons comment le faire dans nos
suggestions. Avec l'article 113, nous accueillons très favorablement la
reconnaissance du principe exprimé dans cet article, mais il nous semble
que le texte est trop vague. Nous suggérons que cet article soit
augmenté de dispositions donnant priorité à l'article 113
sur les articles généraux qui se trouvent ailleurs dans le projet
de loi. Il nous semble essentiel, par exemple, que la portée des
articles 4, 33, 36 et 37 soit subordonnée aux besoins reconnus de
l'administration, au Québec, des sièges sociaux des entreprises
nationales ou multinationales et aussi à ceux des divisions et autres
subdivisions des entreprises dont les activités s'étendent
à l'extérieur de la province.
Nous suggérons que les exigences linguistiques, dont il est fait
état à l'article 30, ne devraient pas s'appliquer aux
professionnels qui n'offrent pas leurs services au grand public et les
dispositions de l'article 32 devraient être libéralisées.
Pour tout le moins, cet article devrait être parachevé par des
dispositions pour faciliter les transferts des personnels professionnels dans
les situations où les intéressés ne traitent pas
directement avec le public. Le statut de l'avenir du Québec en tant que
centre commercial, industriel et financier ne devrait pas être mis en
péril par une interprétation étroite de l'article 113.
Le caractère essentiel de l'utilisation de l'anglais, à
plusieurs niveaux des entreprises dont le siège social se trouve au
Québec, doit être reconnu. Les programmes de francisation devront
prendre en considération, non seulement les cas mentionnés
à l'article 113, mais aussi les contraintes provenant de la situation,
de la structure, de la clientèle, des marchés, de la technologie,
des processus de recherche et de mise au point et des impératifs
financiers et concurrentiels des entreprises en question, ainsi que des
rapports qui existent, le cas échéant, entre les
différentes unités organisationnelles, y compris le siège
social, les succursales, filiales et sociétés affiliées au
Québec et à l'extérieur. De plus, tant dans le cas des
sièges sociaux installés au Québec par des
sociétés ou entreprises dont les activités
s'étendent à l'extérieur de la province que dans les cas
où les entreprises qui ont des relations économiques, techniques
ou administratives particulières qui s'étendent à
l'extérieur de la province, les programmes de francisation devraient
tenir compte de l'effet qu'ils pourraient avoir sur le recrutement, la
mobilité et l'avancement du personnel.
Finalement, dans de tels cas, les programmes de francisation devraient
reconnaître spécifiquement le rôle et l'utilisation de
l'anglais et d'autres langues, à tous les niveaux de la direction ou de
l'exploitation où l'utilisation de ces langues est
nécessaire.
Pour des raisons historiques, et des considérations d'ordre
géographique, Montréal a perdu, en grande partie, son statut de
capitale économique du Canada, qui est de plus en plus acquis à
Toronto. Cette tendance n'est pas irréversible. Montréal est un
endroit privilégié, une plaque tournante qui permet d'allier la
technologie nord-américaine et la culture française. Avec la
richesse de son réservoir de personnel et de cadres dont le bilinguisme
va s'accentuant et par l'attrait de son environnement physique, Montréal
pourrait devenir la cité globale de demain. Cela ne se produira que si
le milieu dans lequel les entreprises évoluent est
caractérisé par une diminution et non par une augmentation des
ingérences bureaucratiques et des restrictions, demandes et tracasseries
imposées par l'administration publique.
Tout au contraire, le Québec devra miser de façon positive
sur tous les éléments de la société qui la
composent, sur tous les talents disponibles. La présentation,
aujourd'hui, de ces mémoires reflète notre détermination
à contribuer à l'élaboration et à l'application de
politiques dynamiques dans tous les aspects de la vie au Québec, y
compris celui de la langue.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Grenier. J'ai
présumé du consentement unanime de la commission pendant trois
minutes et demie.
M. le ministre d'Etat au développement culturel.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier le Positive Action Committee
pour le mémoire abondant, volumineux qu'il vient de nous
présenter. Evidemment, ils n'ont pas eu le temps de le lire
entièrement puisqu'il comporte un chapeau général qui est
étoffé et ensuite, deux sous-chapitres, un sur l'enseignement et
l'autre sur la langue de travail qui, eux aussi, sont très longs. J'ai
quand même eu l'occasion, au moment où ces mémoires sont
parus, d'en prendre connaissance, de les étudier très
attentivement, et je pense bien me rappeler l'essentiel des
considérations qu'ils contiennent ainsi que des recommandations qu'ils
nous font. Je peux assurer le Positive Action Committee que, même s'il
n'a pas eu le temps de lire tout son mémoire, même si nous n'avons
pas le temps de lui poser des questions sur chacun de ses aspects, nous avons
déjà pris connaissance de la totalité de sa
représentation, de ses considérations, de ses suggestions et que
nous en tiendrons compte au moment de la révision de la loi.
Evidemment, vous touchez un très grand nombre de points qui ont
été repris par d'autres groupes qui ont
précédé le vôtre à cette commis-
sion. Beaucoup des points que vous avez touchés ont
déjà fait l'objet de commentaires ou de prises de position de
notre part. Donc, je n'y reviendrai pas.
Je veux d'abord m'attacher à quelques considérations
générales, comme vous le faites vous-même d'ailleurs dans
votre mémoire principal. Peut-être ce mémoire doit-il
quelque chose au moment où il a été rédigé.
C'est-à-dire à peine après la parution du livre blanc.
Bien de l'eau a coulé sous le pont depuis ce temps-là et j'ai
l'impression que si vous aviez à le réécrire, aujourd'hui,
peut-être que vous ne l'écririez pas avec la même encre
à la suite de tous les commentaires, les échanges, les dialogues
qui ont pu avoir lieu, aussi bien à cette commission que dans le public.
Ceci pour dire qu'il vous paraîtrait peut-être difficile au moment
où nous nous parlons, de dire que le gouvernement, par exemple, entend
isoler la communauté francophone de ses voisins canadiens ou
américains ou mondiaux. Il n'a jamais été l'intention du
gouvernement d'isoler les francophones, mais, au contraire, de leur donner les
moyens, les outils, la dignité aussi, la fierté dont ils ont
besoin pour s'ouvrir au monde et participer aux échanges culturels. Ce
n'est donc pas dans un esprit d'isolement, mais d'ouverture que nous pensons
à assurer au peuple québécois la possession de ce bien
nationale que représente sa langue officielle, sa langue commune.
Il n'a jamais été non plus dans l'esprit du gouvernement
de supprimer la minorité anglophone, de l'inciter à immigrer,
comme vous le dites, à un moment donné dans votre mémoire,
ou de la réduire à l'état de minorité invisible ou
silencieuse. Bien au contraire, dans le livre blanc, dès le
deuxième principe, nous parlons de la minorité anglophone comme
une minorité dynamique qui a contribué et qui doit encore
contribuer d'une façon notable, pour ne pas dire fondamentale, à
l'élaboration, au développement aussi bien culturel
qu'économique du Québec. Nous ne croyons pas du tout pour notre
part que la politique gouvernementale aura pour résultat de
l'éliminer, de la supprimer ou même de la diminuer d'une
façon notable. Je pense que plusieurs mémoires ici sont venus
dire que la minorité anglophone, même avec l'adoption du projet de
loi gouvernemental, n'a rien à craindre pour sa disparition, son
élimination et qu'elle continuera à être une
minorité très importante, très vivante, très
dynamique, si l'on considère tous les réseaux qu'elle
contrôle, tous les moyens qu'elle a à sa disposition pour assurer
sa vitalité, à condition, bien sûr, qu'elle le veuille,
qu'elle se définisse dans un nouveau contexte et qu'elle prenne appui
sur tous les éléments qu'elle possède pour augmenter sa
vitalité. J'ai donc l'impression que votre mémoire, au moment
où il a été écrit, était marqué au
coin d'un pessimisme que vous-mêmes devez maintenant trouver
exagéré.
Evidemment, vous mettez l'accent sur le bilinguisme. Je pense qu'il y a
là une équivoque à dissiper et que nous avons
déjà tenté de dissiper, mais sur laquelle il importe
peut-être de revenir. Ce que nous préconisons, c'est un
unilinguisme institutionnel, c'est-à-dire lié aux services que
l'Etat veut procurer, lié aux situations d'interface, où la
majorité doit communiquer avec la minorité, mais ceci est
parfaitement compatible avec un bilinguisme au niveau des individus,
bilinguisme d'ailleurs que nous n'avons cessé d'encourager et que nous
essaierons de rendre possible. Cette équivoque sur le bilinguisme existe
un peu partout au Canada. Il n'est que de nous rappeler l'opposition qu'a
affrontée la politique de M. Trudeau dans toutes les provinces du Canada
pour s'en rendre compte. M. Trudeau s'en est plaint à plusieurs reprises
lui aussi, parce que ce qu'il préconisait, c'est un bilinguisme
institutionnel et non pas un bilinguisme au niveau des personnes. Nous
retrouvons d'ailleurs un écho de ces représentations du premier
ministre du Canada dans le récent livre blanc que le gouvernement du
Canada vient de faire paraître. Par exemple, quand M. Roberts s'exprime
ainsi: "It is not the intention of the Federal Government now, nor has it been
its intention in the past, to propose a policy that would bi-lingualise the
country by spreading French and English evenly across the country. Nobody,
least of all the Federal Government, wants a mindless universal bilingualism in
Canada. Much damage has been done to the fabric of this country by the misuse
and misunderstanding of that word." Je pense que nous pourrions reprendre
complètement à notre compte cette remarque de M. Roberts. A
l'instar du gouvernement fédéral, ce à quoi nous pensons,
c'est un unilinguisme institutionnel comme le gouvernement
fédéral pense à un bilinguisme institutionnel qui est
parfaitement compatible avec un bilinguisme au niveau des individus,
bilinguisme qui, à ce moment-là, devient un atout, devient un
instrument additionnel de progrès. Je pense qu'à plusieurs
endroits, dans votre mémoire, il y a ce glissement ou cette confusion
entre les deux notions.
Ce que le gouvernement veut, c'est véritablement donner à
ce Québec la caractéristique principale qui exprime son
identité, c'est-à-dire un unilinguisme qui exprime son
identité française en tant que province, en tant que peuple, en
tant que pays et pas autre chose. Ceci est parfaitement compatible avec ce que
vous exprimiez au début de vos remarques, que vous voulez être des
Québécois à part entière. Ceci n'empêche en
rien tous les Québécois de se sentir Québécois
à part entière dans le Québec. Ceci n'empêche en
aucune façon le pluralisme culturel dont vous faites état aussi,
dont vous avez fait état au début de vos remarques, et même
il n'y a pas de plus fervent partisan que ce gouvernement actuel, il n'y a pas
de plus fervent partisan du pluralisme culturel que le gouvernement actuel.
Nous voulons même inciter les minorités à pousser au
maximum leur potentiel caractéristique pour le plus grand
bénéfice du Québec.
Vous parlez aussi, souvent, du contexte nord-américain, surtout
le comité qui s'est occupé de la langue des affaires. On nous l'a
assez dit depuis les débuts de la commission, qu'il ne fallait jamais
oublier le contexte nord-américain. C'est une contrainte qui pèse
sur toutes les provinces
du Canada et peut-être en particulier sur le pays français
que constitue le Québec. Nous en sommes, mais nous ne voulons quand
même pas que ce soit le contexte qui décide, qui préside
aux décisions fondamentales qu'un peuple doit prendre pour assurer son
identité, la développer dans toute les dimensions et atteindre
à son plein développement. Le contexte ne peut jamais se
substituer à la volonté d'un individu pour les décisions
que seul il doit prendre pour assurer son épanouissement maximal.
Donc, même si nous avons tout le respect qu'il se doit pour le
contexte nord-amérjcain, il reste que nous revendiquons la pleine
autonomie de décision en ce qui concerne notre être, en ce qui
concerne notre avenir. Je pense que nous sommes assez réalistes pour
pouvoir aboutir à un compromis heureux entre cette volonté
fondamentale qui est la nôtre, et les contraintes que peut faire peser
sur nous le contexte nord-américain. De la même façon, il
est peut-être très intéressant pour un touriste de
considérer Montréal comme une ville cosmopolite, comme une ville
bicultu-relle, mais pour nous, Montréal est d'abord la première
ville du Québec, pays français. C'est d'abord dans cette
perspective que nous voulons la voir, étant donné le rôle
essentiel fondamental qu'elle joue dans notre développement futur, comme
coeur aussi bien de notre vie culturelle que de notre vie économique et
politique.
Comme beaucoup d'autres groupes, également, vous voudriez qu'on
adopte plutôt la solution incitative, particulièrement dans le
domaine des affaires plutôt que de recourir à des mesures que vous
appelez punitives ou que vous qualifiez parfois de menaces. Je pense que la
décision du gouvernement se justifie de bien des façons. La
première, au point de vue juridique, au point de vue de
l'équité, en mettant toutes les entreprises sur le même
pied. Le fait d'adopter une politique incitative, au fond, privilégiait
certaines compagnies alors qu'elle en pénalisait d'autres. Maintenant
que la loi les met toutes sur le même pied, peut-être plusieurs
d'entre elles trouveront-elles qu'il est plus équitable d'observer tous
ensemble une loi plutôt que d'en voir certaines pouvoir tirer leur
épingle du jeu plus facilement que d'autres, ce qui pourrait se traduire
par des pertes sur le plan compétitif ou concurrentiel.
Cette loi n'est pas plus punitive que d'autres puisqu'elle met toutes
les entreprises sur le même pied et qu'elle applique les sanctions
prévues comme dans toute autre loi pour les contrevenants. Mais à
l'appui de la décision du gouvernement, il y avait aussi une autre
raison; c'est que, contrairement à ce que vous dites dans le
mémoire, les progrès de la francisation au niveau des industries,
n'ont pas été spectaculaires à ce point qu'on puisse se
contenter de laisser aller les choses. D'ailleurs, ce n'est pas seulement le
gouvernement qui le dit, mais là aussi, nous avons trouvé des
justifications à notre position dans les déclarations de
spécialistes qui connaissent bien la situation. Je m'en
réfère, par exemple, à une conférence que donnait
récemment M. Anthony Abbott, le ministre de la Consommation et des
Corpora- tions à Ottawa, où il disait que sur les 104 plus
grosses compagnies qui font des affaires au Québec, il n'y en avait que
sept qui avaient un président francophone; sur les 1868 directeurs de
ces compagnies, il n'y en avait que 98 francophones.
Dans 40 de ces compagnies, il n'y avait aucun francophone au niveau
supérieur ou parmi les directeurs de la compagnie et, sur les 900
positions les plus élevées à l'intérieur de ces
compagnies, il n'y en avait que 85 qui étaient occupées par des
francophones, soit moins de 10% du total.
Donc, on ne peut pas dire que, malgré tout ce que nous avons pu
entendre à ce sujet, les progrès ont été à
ce point spectaculaires et, si nous avions le temps, nous pourrions apporter
beaucoup d'autres études qui montrent qu'à tous les niveaux de
l'entreprise, aussi bien au niveau le plus bas comme au niveau le plus
élevé, il y a un effort énergique à tenter. Au
niveau le plus bas, pour franciser les opérations qui ont conduit
à une anglicisation subtile, mais quand même peut-être
encore plus dangereuse, et, au sommet, où il y a une absence
numérique de l'élément francophone qui constitue quand
même 80% de la population du Québec.
Vous voulez évidemment défendre les droits des individus.
Cela a aussi été notre volonté. Nous sommes aussi
conscients que vous du respect qu'il faut attacher à ces droits, de la
nécessité de les préserver et nous partageons avec vous
cette conviction. Je suis sûr que, lorsque vous verrez la version finale
du projet de loi, vous verrez que, là aussi, vous n'aviez aucune raison
de douter de notre attachement aux mêmes principes et aux mêmes
valeurs qui sont les vôtres.
Vous nous faites des suggestions spécifiques en ce qui concerne
plusieurs aspects des projets de loi. Par exemple, vous voudriez, aux articles
25 et 27, que toute personne puisse demander, dans sa langue, les services dont
elle a besoin. J'ai déjà eu l'occasion de le dire et je le
répète aujourd'hui: Tout ce qui n'est pas interdit par la loi est
permis. Tous les usages actuels qui ne viendront pas en contravention avec un
des articles de la loi pourront continuer à prévaloir. Je pense
qu'à ce moment-là, cela peut devenir un faux problème.
Vous voudriez aussi que nous révisions tout le chapitre de la loi
qui concerne la commission de surveillance. Je profite de l'occasion pour vous
dire que la commission de surveillance n'est pas une police linguistique telle
que plusieurs articles de journaux ont tendu à la présenter.
C'est simplement un organisme de surveillance, comme son nom l'indique. Elle
aura à sa disposition les moyens usuels des commissions de surveillance,
comme au ministère de l'Agriculture, comme au ministère des
Coopératives, c'est-à-dire des inspecteurs qui iront
étudier les situations qu'on voudra bien leur signaler. Et aussi, vous
verrez que ces inspecteurs vont se comporter d'une façon très
humaine, en se sens que, s'ils voient une contravention quelque part, si on
leur signale une contravention, leurs attitudes seront souples, en ce sens
qu'ils étudieront la demande. Si la demande est inutile, vexatoire,
frivole, de mauvaise foi, elle ne sera pas acceptée. Si elle
relève de la
Commission des droits et libertés de la personne, elle sera
renvoyée à la Commission des droits et libertés de la
personne ou à l'Ombudsman, si tel est le cas.
Mais si, effectivement, une contravention est constatée, la
commission de surveillance demandera au contrevenant de s'amender, de
réparer la situation et ce n'est qu'en face d'une mauvaise
volonté évidente que la loi suivra son cours et que les
infractions seront signalées au Procureur général qui,
ensuite, prendra action, comme dans n'importe quelle autre situation du
même genre.
Vous voudriez aussi que, pour les amendes, la loi accorde un traitement
spécial à ceux qui auraient contrevenu à la loi. La
recommandation que vous nous faites me semble aller à l'encontre de tout
principe de droit. Je pense qu'il appartient au juge, dans chacun des cas qui
lui sont soumis, de décider la part de bonne foi, d'ignorance ou de
mauvaise volonté qui est liée à la commission de tel ou
tel acte. Il n'appartient pas au législateur de s'immiscer dans ce
domaine. Pour ma part, je préfère faire confiance à
l'appareil judiciaire pour juger de la situation.
Vous nous faites également d'autres recommandations, à
savoir, nommer, au Conseil consultatif de la langue française, des gens
qui soient de la plus grande intégrité ou de la plus grande
qualité possible. Il est bien évident que le gouvernement tente
toujours de choisir les meilleurs titulaires pour ses postes extrêmement
importants. Je ne voudrais pas, encore une fois, que vous nous fassiez de
procès d'intention au point que vous soupçonniez le gouvernement
de faire des nominations qui iraient dans le sens de préjugé que
vous lui prêtez, car si tel était le cas, ce serait vraiment
insultant pour ce présent gouvernement.
Je pense que pour cet organisme très important que constituera le
Conseil de la langue française en particulier qui est chargé
d'entendre les groupes ou les organismes qui auront des représentations
à faire sur la façon dont la loi est appliquée, il est
particulièrement important de trouver des hommes qui ont atteint une
certaine notoriété dans la société, qui ont une
expertise, qui sont reconnus pour leur respect des valeurs sur lesquelles est
basée notre société, notre civilisation et soyez
assurés que nous essaierons de trier sur le volet les personnes qui
participeront à l'avis de cet important organisme.
Je ne voudrais pas m'étendre trop longtemps quand même sur
votre mémoire, même si j'en aurais le goût, étant
donné son intérêt, mais je voudrais vous dire, en
terminant, que nous partageons votre conviction que, dans cette nouvelle
définition des rôles respectifs de la majorité et de la
minorité, nous voudrions faire en sorte, pour autant que nous sommes
concernés, d'éliminer, dans toute la mesure du possible, toute
trace de méfiance, de résistance de la part de tous les secteurs
de la société et éliminer aussi, de notre part, toute
trace d'hostilité ou d'esprit de revanche, comme on nous a souvent
accusé de le faire.
Je ne crois pas qu'on puisse nous accuser de ces maux, pas plus qu'on
puisse vous accuser, vous-mêmes, de résister, d'une façon
délibérée, à tout changement. Je pense qu'il faut
tabler sur ce qu'il y a de meilleur en nous-mêmes, aussi bien sur le plan
individuel que sur le plan collectif, qu'il faut tenter, dans toute la mesure
du possible, d'atteindre aux solutions les meilleures sur le plan objectif
aussi bien que sur le plan social, sociologique et, par la suite, lorsque du
fruit de ces efforts communs naîtra une loi qui définira la
nouvelle situation, aussi bien les francophones que les anglophones, que les
membres des autres minorités devront se mettre au travail pour mettre en
oeuvre cet amour du Québec dont ils se réclament.
Je pense que si cette fidélité au Québec, si cet
amour du Québec sont authentiques, véritables, elle nous
inspirera à tous le zèle et les attitudes qu'il convient et que
mérite ce développement du Québec qui nous tient tous
à coeur.
Je veux vous répéter, en terminant, à quel point
j'ai pris beaucoup de plaisir et d'intérêt à la lecture de
votre mémoire. Je pense d'ailleurs que, comme je l'ai dit pour certains
autres mémoires, on ne peut en épuiser la substance en aussi peu
de temps, mais nous le tiendrons à portée de notre main pour nous
y référer au besoin pour toutes les discussions
ultérieures que nous aurons encore à avoir à l'occasion de
ce projet de loi.
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. Yarofsky.
M. Yarofsky: Si vous permettez juste quelques remarques, suite
aux...
Le Président (M. Cardinal): Oui, monsieur.
M. Yarofsky: Premièrement, nous apprécions
énormément les assurances du ministre. Je veux seulement
commenter deux ou trois points soulevés dans ses remarques.
M. le ministre a parlé d'un certain pessimisme auprès des
anglophones quand il traitait de la réaction au projet de loi. Je crois
qu'il est important de noter que, comme le ministre lui-même l'a
noté à maintes reprises durant le dialogue qui a lieu depuis un
certain temps, la façon dont ceux qui sont sujets à la loi
perçoivent la loi peut être aussi importante que le contenu de la
loi elle-même.
Pour expliquer un peu ce pessimisme indu, je veux vous donner seulement
deux exemples des dispositions dans la loi qui, pour beaucoup d'anglophones,
comportent un message d'hostilité ou un message, je ne veux pas
exagérer, mais pour certains, un message même de vengeance. Les
deux exemples sont les suivants. Prenons les dispositions qui traitent, par
exemple, de l'affichage au Québec: il semble que le message de la loi
soit le suivant: On veut que les anglophones restent au Québec. On veut
que les anglophones continuent à contribuer à la vie
québécoise, mais quand on se promène au Québec et
quand on regarde les affiches, on ne veut aucunement voir de l'anglais, parce
que, si je comprends bien le texte du projet, l'anglais y est totalement
interdit. Maintenant, nous comprenons que le gouvernement et l'Assemblée
nationale voudraient que l'affichage au Québec reflète mieux la
réalité de la société qué-
bécoise. Nous comprendrions des mesures qui auraient pour effet
de garantir que, dans l'affichage, on voie le français au moins autant
que d'autres langues. De là, M. le ministre, à interdire
complètement l'anglais, cela pour nous veut dire: On veut que vous
restiez invisibles, on ne veut pas voir, on ne veut pas se rappeler que vous
êtes ici. Est-ce qu'il est vraiment nécessaire d'aller si loin
pour accomplir ce que vous voulez accomplir? C'est une mesure qui, pour nous,
contient le genre de message que je viens de mentionner.
Nous souhaitons que l'Assemblée repense peut-être ces
mesures pour permettre aux anglophones et aux autres minorités de
s'exprimer dans leur affichage, comme ailleurs, parce que nous faisons partie
aussi de la réalité québécoise.
Deuxièmement, il y a la disposition qui veut et c'est un
exemple que je vous donne que, dans les organismes municipaux ou
scolaires, dans les districts et dans le contexte anglophones, on oblige les
anglophones à communiquer entre eux en français. Nous comprenons
mal une telle disposition, M. le ministre. Pour nous, nous ne voyons aucunement
l'utilité d'une telle disposition. Pour nous, encore une fois, nous ne
voyons pas la raison d'être d'une telle mesure. Nous nous disons:
Pourquoi est-ce qu'on le voit dans le projet? Est-ce que c'est parce qu'on veut
nous imposer certains handicaps? Est-ce que c'est parce que le
législateur a une certaine vengeance à exercer? C'est simplement
à titre d'exemple que je mentionne ces deux cas, ces deux mesures, pour
essayer de vous expliquer pourquoi vous avez trouvé ou vous allez
peut-être trouver un certain pessimisme dans la réaction de la
communauté anglophone et dans d'autres communautés.
Vous avez aussi parlé, M. le ministre, de la question de
francisation. Nous ne voulons pas vraiment entrer dans un débat,
à savoir si le progrès a été spectaculaire ou non.
Je crois que ce ne serait pas productif, mais je crois que tout le monde admet
qu'il y a quand même eu un certain progrès. Personne ne va nier
qu'il y a uh certain progrès. Maintenant, nous croyons que ce serait
productif d'examiner les moyens les meilleurs pour accélérer le
progrès au lieu d'argumenter si, oui ou non, ce serait productif, parce
que je crois que, M. le ministre, vous avez vous-même dit, dans un
article du Devoir, que vous n'avez pas les données précises de ce
problème.
Il faut des études, il faut approfondir les études. Je
crois que c'est mieux d'examiner raisonnablement les mesures vraiment
appropriées et raisonnables pour faire accélérer le
progrès.
Cela m'amène à la question de la correction. Il faut
admettre, comme vous l'avez dit souvent, M. le ministre, qu'une loi, par sa
nature même, doit être coercitive dans une certaine mesure. Mais il
y a des degrés. Il y a des lois qui sont beaucoup plus coervitives que
d'autres. Nous soutenons que dans le projet, tel qu'il existe actuellement, il
y a trop de coercition. Dans un chapitre, on donne au gouvernement le pouvoir
de priver les entreprises, non seulement de leur permis d'exploitation, mais
aussi de leurs ressources, de l'électricité, etc., qui sont
nécessaires à leur survie.
Dans un autre chapitre, on permet des poursuites pénales contre
toute entreprise qu'on soupçonne d'avoir violé la loi. Il y a
aussi tous les pouvoirs, que vous avez mentionnés, donnés aux
inspecteurs. Nous vous demandons si, dans la situation actuelle, il est
vraiment nécessaire d'apporter dans la loi un tel degré de
coercition. De plus, nous vous demandons si la loi ne serait pas plus efficace
si, jusqu'à un certain point, des mesures coercitives étaient
enlevées de la loi pour que ceux qui dirigent les entreprises puissent
avoir une certaine liberté de franciser de bonne foi, en s'assurant
qu'ils le feront de bonne foi.
Le Président (M. Cardinal): M. Yarofsky, je vais vous
demander de résumer, parce que j'ai permis quand même beaucoup de
temps.
M. Yarofsky: D'accord, c'est tout ce que j'ai à dire. Si
je peux juste ajouter un mot, il y a un sujet que nous n'avons pas
traité et il semble, peut-être, qu'il y ait eu un oubli de part et
d'autre. Il s'agit d'un groupe de citoyens particulièrement
affecté par la loi et je parle des enfants handicapés. Je parle
des enfants qui sont dans les écoles ou dans les institutions
spécialisées. Il nous semble que le projet de loi ne tient pas
compte de la situation très spéciale de ces enfants qui devraient
avoir le droit d'aller dans les institutions les plus aptes à
répondre à leurs besoins, quelle que soit la langue de l'enfant
ou de l'institution. Nous demandons au gouvernement de se pencher sur cet
aspect.
M. Laurin: Un bref commentaire sur ces trois points. Je vous
remercie beaucoup de les avoir relevés, ce sont, en effet, trois points
majeurs.
Je pense que nous commençons à mieux voir nos points de
vue respectifs sur ces trois points majeurs. En ce qui concerne l'affichage,
par exemple, nous avons un point de vue qui nous est propre. C'est que, par
suite de la domination économique anglaise au Québec, il est
arrivé, peut-être ne le savez-vous pas, mais je pense que vous le
savez, que le visage du Québec a beaucoup plus porté la marque de
cette domination économique que de ses caractéristiques
culturelles propres. Ce qui fait que le Québec a été
inondé, par exemple, d'affiches, même dans les villages ou les
villes à très grande majorité francophone, d'affiches ou
bilingues ou anglaises. Ce qui constituait une antinomie par rapport à
l'identité réelle de la population.
Evidemment, en vertu du principe cartésien selon lequel,
lorsqu'il y a une langue officielle, elle doit se traduire aussi bien au niveau
extérieur qu'au niveau institutionnel, nous avons voulu, à des
fins de concordance, à des fins également de redressement,
effectuer les réformes qui nous semblaient découler, logiquement,
du principe du français comme langue officielle.
Je reconnais quand même dans ce que vous avez dit un point de vue
valable et soyez sûr que nous allons l'examiner avec attention.
La même chose pour les organismes municipaux et scolaires. Je
pense que beaucoup de groupes ont vu dans la loi plus qu'il n'y avait.
Quand nous voulons que les organismes municipaux et scolaires
communiquent en français, dans la langue officielle, c'est parce
qu'elles sont des composantes de l'administration et qu'il est
nécessaire que cette langue commune soit utilisée par tous les
organismes qui participent à l'administration. Et ce n'est que pour ces
activités, et non pas pour les autres qui touchent à la vie
intime, à la vie intérieure des organismes que l'usage de la
langue officielle est requis. Mais, là aussi il y a peut-être des
ajustements à faire afin de tempérer ce principe et nous verrons
jusqu'à quel point nous pouvons concourir à votre point de
vue.
La même chose pour la coercition. Je pense que vous admettez mon
point de vue et je suis prêt à admettre avec vous que le
législateur pourrait peut-être réviser ses attitudes en ce
qui concerne les degrés de sanction ou les types de sanction ou le
nombre de sanctions auxquels il pourrait songer. J'ai déjà eu
l'occasion de m'en entretenir devant d'autres groupes, mais à la suite
de vos représentations, nous allons également
réétudier cette question.
Quant aux enfants handicapés, il n'y a en fait que deux groupes
qui nous en ont parlé. Je n'ai pas trouvé qu'il était
opportun de commenter ces suggestions ici, mais soyez sûrs que je ne les
oublie pas.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le ministre. Parce
que vraiment il va falloir, même si on peut le faire lentement,
accélérer. Mme le député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. J'espère
quand même que vous aurez autant de souplesse pour l'Opposition
officielle que vous en avez eu pour le parti ministériel.
Le Président (M. Cardinal): J'en ai
particulièrement ce matin, madame.
Mme Lavoie-Roux: Bon! Merci. Je voudrais d'abord remercier les
représentants du Comité d'action positive pour le mémoire
extrêmement positif qu'ils viennent de présenter à la
commission qui fait l'étude du projet de loi no 1. Je pense que votre
approche est extrêmement raisonnable, pour utiliser vos termes. Elle est
modérée. Peut-être, a-t-elle déjà reçu
une oreille attentive de la part du ministre car je l'entends, pour la
première fois, dire, que quant à la langue de l'administration
dans les institutions anglaises, qu'il y aurait peut-être place pour
révision ou certaines précisions; c'est la première fois
que j'entends un tel propos.
De toute façon, j'espère que vous aurez convaincu le
gouvernement de vos intentions et qu'on ne les interprétera pas comme on
l'a fait à l'égard d'autres groupes anglophones comme un
attachement au statu quo. Parce que, à bien des égards, les
recommandations que vous faites sont très semblables à celles que
d'autres groupes minoritaires sont venus faire à la commission.
Votre mémoire et les suggestions d'amendements qu'il contient,
indiquent, d'une façon assez précise, les failles du projet de
loi no 1 de même que celles du livre blanc et particulièrement de
l'esprit qui sous-tend les deux. On tente de convaincre la majorité
francophone, à partir d'une vision presque apocalyptique de la situation
du français au Québec, que si, enfin, on arrive à une
société totalement unilingue, ceci aura un effet
d'entraînement sur les minorités qui, le cas
échéant, s'intégreront plus volontiers à la
majorité. C'est ce propos que nous avons entendu hier soir et auquel le
ministre a soucrit. Je pense que c'est un leurre. Nous avons au Québec
des minorités culturelles dynamiques et je ne pense pas que le fait de
légiférer, à partir de mesures trancassières qui ne
tiennent pas compte de réalités sociales dynamiques, va faciliter
cette intégration des minorités à la majorité
francophone. Ce qu'on oublie, ce ne sont pas là des minorités qui
vont arriver demain. Ce sont des minorités qui sont au Québec,
qui ont une histoire, histoire que le livre blanc reconnaît fort bien
d'ailleurs, quoiqu'il la nie dans la réalité. Pour ma part, je
pense que ce n'est pas à partir d'articles comme les articles 11, 13, 23
et 46 qui ne tiennent pas compte des réalités que nous allons
arriver à faciliter cette intégration des minorités.
Même si le livre blanc croit à ce miracle lorsqu'il dit que,
lorsque la langue et la culture nationales ne sont pas menacées,
l'existence de groupes culturels minoritaires vigoureux et actifs ne peuvent
être qu'un acquis.
Je pense que c'est ignorer que les changements ne se produisent pas
nécessairement à partir de lois restrictives, mais à
partir bien plus d'une philosophie de main ouverte, de main tendue, et que
toutes les mesures coercitives et le nombre de fonctionnaires qui vont
être en place pour s'assurer que tout le monde obéit bien à
la loi, même dans les détails, créeront beaucoup plus de
résistance qu'ils ne vont apporter de collaboration.
Vous avez mentionné vos appréhensions
particulièrement quant aux articles 23 et 46. Le ministre vient d'ouvrir
la porte, je m'en réjouis, mais je pense que lorsqu'il dit que certaines
précisions seront apportées et qu'il ne s'agit que de la langue
de l'administration, ce qu'il oublie, c'est que l'administration, par exemple,
d'une commission scolaire, ce ne sont pas uniquement les rapports de la
commission scolaire avec le ministère de l'Education, ce à quoi
je ne m'oppose pas à ce qu'ils se fassent en français, mais
qu'ils impliquent aussi d'autres niveaux d'administration. Il y a une
administration à l'intérieur des écoles et elle doit
communiquer avec l'administration centrale qui est leur commission scolaire. Je
ne vois pas beaucoup non plus que, par exemple, deux commissions scolaires
à majorité anglophone, comme le Lakeshore et le PSBGM, soient
demain matin non il y a quand même un délai prévu
soient, d'ici 1983, obligées de communiquer strictement en
français. De toute façon, nous attendrons les précisions
du ministre là-dessus.
Il vous dit également qu'il y a une communauté anglophone,
que vous n'avez pas raison d'être pessimistes. Mais je pense que ce qui
est prévu à l'article 51 nie dans les faits l'existence de cette
communauté anglophone et, pas plus tard
qu'hier soir, il s'efforçait de démontrer à un
groupe que la migration des autres provinces vers la province de Québec
justifiait les restrictions imposées à l'admissibilité
à l'école anglaise, même des anglophones venant des autres
provinces. D'ailleurs, ceci, pour moi, m'est toujours apparu en contradiction
avec les données démographiques auxquelles on fait allusion, dans
le livre blanc, dans lequel on dit, entre autres choses, que la fraction des
Britanniques risque de devenir infime au Québec et même à
Montréal. En dépit de cela, on semble vouloir continuer de faire
la preuve que l'intégration des anglophones venant des autres provinces
serait une menace pour les francophones, alors que tous les groupes qui sont
venus ici, qu'ils soient francophones ou anglophones, ont vraiment fait la
démonstration qu'il s'agissait beaucoup plus d'un problème de
transfert linguistique du secteur francophone au secteur anglophone et de
l'intégration d'immigrants non anglophones au secteur anglophone des
différentes commissions scolaires qui ont créé ou qui
pourraient créer ce problème de déséquilibre
démographique entre les deux groupes linguistiques du Québec.
Il y a une seule question que je voudrais vous poser pour laisser la
chance à mes collègues. En page 17, si je ne m'abuse, vous
soulevez le problème de l'anxiété que crée ce
projet de loi pour les bénéficiaires des services sociaux. Je
pense que c'est une préoccupation qu'on doit avoir, mais qu'est-ce qui
vous fait croire, dans la loi, que ces personnes ne pourraient pas être
servies dans leur langue maternelle ou d'origine dans la mesure du
possible?
M. Yarofsky: II n'y a rien de précis dans la loi qui soit
à la source de cette inquiétude. C'est plutôt une omission,
si vous voulez. Parmi la population dont on fait mention ici, il y en a
beaucoup qui ont peur. Il y a un seul article, c'est l'article 25, je crois,
qui se lit comme suit: Les services de santé et les services sociaux,
les entreprises d'utilité publique et les ordres professionnels doivent
offrir leurs services au public dans la langue officielle.
Ils doivent également utiliser la langue officielle pour
s'adresser à l'administration."
Article 26: "Tout intéressé peut exiger des services de
santé, des services sociaux et des entreprises", etc. Les gens ont peur
en lisant les articles, étant donné qu'il n'y a aucune garantie
qu'ils pourront continuer à avoir les services sociaux dans la langue
anglaise; ils ont peur qu'une interprétation soit donnée à
ces articles pour les empêcher de continuer à avoir ces services.
Tout ce que nous suggérons dans notre mémoire, c'est qu'on ajoute
une garantie pour faire face à cette inquiétude.
Mme Lavoie-Roux: C'est davantage au niveau des perceptions, comme
vous le signaliez au début. Je pense qu'il y a plusieurs autres articles
qui prêtent à ces appréhensions, le ministre a tenté
de nous rassurer là-dessus. Je partage votre point de vue. Il est
important aussi, pour obtenir la collabo- ration de tout le monde, qu'on essaie
de réduire le plus possible ces appréhensions qui ne sont
peut-être pas justifiées dans les faits. Il va y avoir un gros
travail à faire, parce qu'il va falloir convaincre le gouvernement que
le mot anglais n'est pas devenu un mot tabou. Si vous remarquez, dans la loi,
on l'utilise le moins possible. Cela rejoint un peu le raisonnement que vous
faisiez au point de vue de l'affichage il y a quelques instants.
Je vous remercie, encore une fois.
M. Yarofsky: Je voudrais juste ajouter qu'il ne faut pas oublier
que, quand on parle des gens qui se fient aux services sociaux, on parle
souvent des gens qui sont les plus faibles de notre société. Pour
eux, je crois que c'est très important d'avoir une garantie pour que
cette inquiétude puisse disparaître.
Mme Lavoie-Roux: Là-dessus, je voudrais ajouter que je
partage votre point de vue vis-à-vis des personnes qui sont les plus
faibles dans notre société. Cela me rappelle l'incident qui s'est
produit à l'Assemblée nationale touchant les employés
occasionnels, de qui on exigeait qu'ils parlent français à
l'avenir. Ce qu'on oublie, c'est que ces gens-là, même si on dit
qu'ils ont à leur disposition tel tribunal, l'Ombudsman, etc., sont des
gens qui, de leur propre initiative, vont difficilement faire appel à
tous ces moyens. Ces gens doivent être protégés car on sait
fort bien que, souvent, ils ne se sentiront pas capables de prendre une telle
initiative.
Je me souviens du ministre des Transports qui a dit: Amenez-moi un seul
cas! Ces gens se plaindront difficilement, ils resteront chez eux, ils ne
diront rien. C'est ça qu'il faut prévenir, je pense.
Le Président (M. Dussault): Merci, Mme le
député de L'Acadie. M. le député de
Gaspé.
M. Le Moignan: Merci, M. le Président. J'ai
été aussi favorablement impressionné par le sérieux
et la profondeur de l'étude de votre mémoire. Vous faites
allusion, une certaine référence à des points qui ont
été déjà débattus devant cette commission,
qui ont été apportés par d'autres groupes. Comme Mme le
député de L'Acadie vient de le mentionner, il n'y a aucun doute
que le ministre semble tenir compte de vos suggestions, semble rassurer ceux
qui diffèrent d'opinion avec lui.
On sent très bien ce matin qu'en vous écoutant, le
ministre n'a peut-être pas l'intention de chanter, comme il l'a fait avec
d'autres groupes: Enfin, la parenté est arrivée. Je comprends
très bien les idées du ministre qui doit appliquer le projet de
loi no 1. Le ministre a pris connaissance du projet de loi no 22. Il y a des
petits points sur lesquels j'aimerais être éclairé. Vous
vous dites favorable à l'objectif fondamental, mais, tout de même,
au long de votre mémoire, vous apportez des suggestions, des
corrections, des modifications. Si vous reconnaissez que le français est
la langue normale et habituelle du Québec, vous semblez ne pas accepter
que par extension, il devienne la langue exclusive de l'Etat et de la loi.
En somme, le projet de loi no 1 marche dans ce sens.
Et quand le ministre a parlé d'unilinguisme institutionnel et
qu'il a fait allusion au bilinguisme de M. Trudeau j'ai regardé
votre mémoire un peu en vitesse il me semble que vous proclamez
plutôt le bilinguisme institutionnel. Est-ce que vous pourriez commenter
ce point?
M. Yarofsky: Me Robertson va répondre à votre
question.
M. Robertson: Je crois, M. le Président, qu'il est trop
facile de dresser une distinction nette entre l'unilinguisme institutionnel et
le bilinguisme personnel. Le gouvernement ne fonctionne pas que dans le
contexte d'une collectivité d'individus et l'individu n'agit et ne vit
que dans la collectivité.
Ce que nous préconisons n'est pas le contraire de l'unilinguisme
institutionnel, mais comme le ministre lui-même l'a dit, hier, le juste
milieu. Pour ce qui est de la loi de l'Assemblée nationale et les
tribunaux, je crois que certains droits et traditions sont installés
depuis plusieurs années au Québec. Je crois que ces droits et
traditions qui protègent les droits de la minorité anglophone ne
nuisent pas à la prééminence de la langue
française, ni dans l'application des lois, ni dans la vie de la
collectivité.
Mais je ne crois pas non plus que pour assurer la réussite et la
survie de la langue française, on doive briser si abruptement cette
tradition qui dure depuis des années. Je crois que l'accès aux
tribunaux dans sa langue maternelle, qui est une tradition et un droit acquis
au Québec est tellement précieux qu'on ne peut pas
légèrement le mettre de côté.
C'est la même chose relativement aux débats parlementaires
et à l'adoption des lois. La confusion historique sera peut-être
solutionnée en permettant une interprétation d'une loi publique
contenant deux versions, une française et une anglaise. Cette
façon favoriserait mieux les libertés personnelles. Mais rendre
le texte français d'une loi officiel et le seul texte officiel, est, je
crois, non seulement un changement, mais une rupture avec une tradition
équitable qu'on ne peut pas accepter. C'est dans ce sens que nous
n'acceptons pas l'idée d'un unilinguisme institutionnel.
Que la langue française soit la première langue, la langue
commune au Québec, nul ne peut contester. Mais dans des domaines
très spécifiques comme l'accès aux tribunaux, les
jugements rendus par des juges anglophones, les textes législatifs, je
crois que nous avons une tradition précieuse à conserver.
M. Yarofsky: M. le député, votre question semble
avoir provoqué une réaction. Notre coprésident, le
professeur McCall, aimerait bien vous répondre aussi, si on le lui
permet.
M. McCall (Storrs): M. le député, si je puis
ajouter un mot sur le bilinguisme personnel, le bilinguisme que nous
recommandons, ce n'est pas l'obligation de tout le monde de parler les deux
langues. C'est plutôt le droit de chacun de parler sa propre langue.
C'est une distinction assez nuancée, si je peux comprendre, mais c'est
actuellement notre position sur le bilinguisme.
M. Le Moignan: C'est parce qu'aux pages 14 et 15, vous ne faites
pas tellement état du statut des langues, mais vous mentionnez la langue
courante. La langue courante, par exemple, de l'Etat, de l'enseignement,
etc.
Dans votre vocabulaire, la langue courante, évidemment, s'agit-il
du français ou s'agit-il des deux langues? Vous mentionnez la langue
courante.
M. Yarofsky: La langue courante, c'est le français, M. le
député, pour nous.
Je crois que la langue commune au Québec et la langue courante,
c'est le français, sauf que, dans certains domaines, il faut, quant
à nous, préserver le droit et l'opportunité aux
anglophones et aux autres de parler leur propre langue, mais nous souscrivons
entièrement à l'objectif qui veut que la langue française
devienne la langue commune et prééminente du Québec.
M. Le Moignan: Même à Pointe-Claire?
M. Yarofsky: Pardon?
M. Le Moignan: Même à Pointe-Claire?
M. McCall: II ne faut pas que tout le monde soit forcé de
parler les deux langues, ce n'est pas notre position.
M. Ciaccia: Ce n'est pas une scission dans le caucus, M. le
député de Gaspé, non?
M. Le Moignan: Non, je défends les intérêts
de Pointe-Claire.
Une Voix: ...au Forum, monsieur.
M. Le Moignan: Vous avez parlé du monstre administratif
vous ne l'avez peut-être pas dit dans ces termes-là
avec justement l'office qui va régir tout cela. Je comprends que vous
ayez les mêmes inquiétudes en pensant aux fonctionnaires.
Allez-vous suggérer quelque chose pour remplacer cet office, quelque
chose de plus concret, de plus positif?
M. Robertson: La seule chose que nous ayons
suggérée, M. le député, c'est que l'Office de la
langue française et le Conseil consultatif de la langue
française, ainsi que le Comité de surveillance et tous les autres
organismes prévus par la loi soient regroupés dans un seul
service, que celui-ci soit concentré et limité en personnel et en
activités et assujetti à un contrôle à la fois
structurel et économique par le gouvernement pour éviter la
multiplication des services. Dieu sait, je crois que nous avons assez,
suffisamment d'administrations publiques, aujourd'hui, pour que ce ne soit pas
nécessaire de créer un autre organisme.
Avec les pouvoirs qui figurent à l'article 75, je crois, de la
loi, l'Office de la langue française, muni d'un personnel
adéquat, peut remplir toutes les fonctions qui sont accordées aux
autres organismes et c'est simplement à cause de notre désir, si
vous voulez, de rationalisation de l'aménagement administratif que nous
suggérons qu'ils soient regroupés pour éviter que ces
tâches et son étendue augmentent, croissent tous les ans.
M. Le Moignan: J'aurais une dernière question. Evidemment,
nous sommes d'accord avec vous pour la langue des anglophones dans les
écoles et les immigrants qui sont déjà ici
installés au pays et, à un moment donné, vous seriez
favorables à la liberté pour les parents de choisir leur
école, mais, les futurs immigrants qui ne sont pas anglophones, vous les
verriez très bien à l'école française? Vous
êtes d'accord avec le principe de la loi à ce moment-là?
Les immigrants qui ne sont pas anglophones, les futurs immigrants seraient
normalement intégrés dans les écoles françaises
pour la langue de l'enseignement.
M. Yarofsky: M. le député, notre position, c'est la
suivante: nous ne sommes pas du tout confortables avec toute dérogation
du principe du choix par les parents. Nous ne pouvons pas être à
l'aise avec une politique qui déroge au libre choix.
Par contre, nous reconnaissons, si l'Assemblée nationale
décide que la menace aux francophones, à la population
francophone est telle qu'il faut enlever ce choix aux futurs immigrants non
anglophones, que l'Assemblée nationale le fasse. Ne me demandez pas
d'être heureux ou content, parce qu'en principe, je crois que tout le
monde serait d'accord avec le principe du libre choix. Par contre, si
l'Assemblée nationale décide de déroger à ce choix
en dirigeant les futurs immigrants non anglophones aux écoles
françaises, nous prétendons que c'est tout ce qui sera
nécessaire, que des mesures autres que celles-là ne seraient pas
nécessaires pour faire face au problème perçu par la
majorité. Je crois que c'est là notre position.
M. Le Moignan: Mais si on assurait aux futurs immigrants cette
possibilité de recevoir une bonne formation tout de même dans la
langue seconde ou la langue anglaise, à ce moment-là, seriez-vous
plus rassurés?
M. Yarofsky: Plus...
M. Grenier (Louis): Je pense qu'on serait plus rassurés,
mais il y a une question pratique là-dedans. Si on veut recruter, par
exemple, dans les cadres techniques, des gens, s'ils viennent de pays
anglophones et que les enfants ont déjà une éducation
anglophone, ou s'ils viennent de pays allophones, mais où la langue
seconde est un anglais assez bien parlé, les parents perçoivent
qu'il sera plus facile d'intégrer les enfants dans le nouveau pays
à travers un système anglais, et c'est naturel. Maintenant, avec
le visage de la province de Québec qui change et qui devient de plus en
plus français, il sera normal que ces gens, s'ils déci- dent de
rester d'une façon permanente au pays, tranquillement, passent de
l'anglais au français, parce qu'ils voudront que leurs enfants
participent à la vie de la communauté et qu'ils ne soient pas
isolés. C'est un peu une question pragmatique ici et un peu
individuelle.
M. Le Moignan: Je vous remercie. Je pense que M. le
Président voulait indiquer...
Le Président (M. Cardinal): Vous avez largement
dépassé le temps. M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Merci, M. le Président. Je veux remercier le
groupe du Comité d'étude sur la langue du travail d'abord, et
aussi le Comité d'action positive lui-même de ce mémoire et
de la façon dont il a réagi aux remarques des différents
députés et en particulier du ministre. Vous avez demandé
au ministre si, actuellement, une loi aussi coercitive est nécessaire.
Je ne pense pas que le ministre vous ait donné une réponse
spécifique à cette question. Quant à moi, je pense que, de
plus en plus, à mesure qu'on voit se dérouler devant nous la
réalité québécoise, à mesure qu'on voit
jusqu'à quel point le livre blanc ne mérite pas son nom, qu'il se
destinait strictement à être un tableau nécessaire pour
supporter le choix politique du gouvernement, je pense que, de plus en plus, on
s'aperçoit que la coercition n'est pas nécessaire. De plus en
plus, on s'aperçoit que le gouvernement a manqué à ses
responsabilités en ne faisant pas l'inventaire de la situation du
français au Québec en 1977, la situation après la
commission Gendron et après la loi 22. Des gens sont venus hier soir.
Ils nous ont présenté une étude que quelques-uns ont
rejetée cavalièrement, du revers de la main, mais qui, au moins,
se voulait un effort que le gouvernement aurait dû faire lui-même
pour évaluer les conséquences socio-économiques d'un tel
projet de loi.
Vous soulevez des questions, je pense, que plusieurs autres ont
soulevées. Veuillez croire que je ne vous reproche pas de le faire.
C'est notre devoir ici d'écouter tous ceux qui ont l'intention de venir
s'adresser à nous, et même si plusieurs soulèvent les
mêmes questions, nous n'en sommes pas blasés, au contraire. Je
pense que c'est de nature à éclairer davantage le gouvernement.
Vous lui reprochez le dirigisme et la coercition qui sont les
conséquences directes du choix du gouvernement de recourir à
l'unilinguisrne dans une société pluraliste. Comment voulez-vous
imposer l'unilinguisme dans une société pluraliste, sinon en la
forçant et en tombant dans l'odieux que cette loi comporte,
c'est-à-dire de forcer des gens à parler une autre langue. Ce
qu'on doit faire, c'est créer une situation où cela devient
profitable, où cela devient nécessaire de parler une langue, en
l'occurrence la langue française. C'est ce que la Loi sur la langue
officielle tentait de faire. Je ne pense pas qu'il n'y ait que deux choix, le
bilinguisme institutionnel ou l'unilinguisme institutionnel. Je pense qu'il y
en a un autre: la promotion du français, tout en reconnaissant des
droits, comme la
Commission des droits de la personne, d'ailleurs, l'a dit au ministre
dans son mémoire, en les reconnaissant, soit dans la Charte des droits
et libertés de la personne, ce serait le désir de la commission,
soit dans la loi linguistique, en définissant les droits des
minorités. C'est faux de dire qu'il n'y a que deux choix: l'unilinguisme
institutionnel ou le bilinguisme institutionnel. Il y en a un troisième.
C'était le choix que la loi 22 avait fait.
Je vais m'en tenir à ces remarques, étant donné que
je n'ai pas beaucoup de temps. Soyez sûrs, toutefois, que, surtout
parce que c'est peut-être ce qui m'intéresse davantage
votre mémoire, concernant la langue du travail, va nous servir, quant
à nous, députés de l'Opposition et je suis
sûr aussi, au gouvernement, le ministre nous en a assurés
beaucoup à nous former un jugement sur des amendements à
apporter. Le ministre a dit à plusieurs reprises que l'article 172
n'était là que pour provoquer la discussion. Je trouve que c'est
une énormité épouvantable que de dire cela de la part d'un
gouvernement responsable, mais, quand même, prenons une attitude
optimiste. Si l'article 172 était là pour provoquer la
discussion, imaginez-vous quelle est la valeur de tous les autres articles. On
peut être optimiste, et ils peuvent être changés.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je voudrais
premièrement remercier nos invités, non seulement pour leur
mémoire, mais aussi pour la façon avec laquelle ils ont
répondu aux questions du parti ministériel et des partis de
l'Opposition. Cependant, M. le Président, et spécialement
à l'égard d'un mémoire comme celui du Positive Action
Committee, j'ai souvent l'impression, et je ne voudrais pas l'avoir, je
voudrais réagir aussi positivement qu'eux, mais j'ai l'impression que
nous sommes engagés dans un dialogue de sourds. Les témoins
viennent ici, ils relèvent des points, des articles de la loi. Ils sont
préoccupés par certaines tendances qu'ils voient, par un certain
esprit, par certains articles particuliers et on semble du côté
ministériel, M. le Président, ignorer totalement ce qui est dit.
On donne une telle interprétation aux articles que, parfois, je me
demande si j'ai le même projet de loi devant moi que le ministre. De la
façon dont il interprète ces articles, si j'ai le même
projet de loi... parce qu'il y a de la coercition, il y a des articles
impératifs et le ministre continue à dire: Ne vous
inquiétez pas... Il ne dit pas que les articles vont être
amendés, sauf qu'il a ouvert la porte un peu, après que tant de
groupes, même le Barreau et la Ligue des droits de l'homme, aient
mentionné l'article 172. Il n'avait pas le choix relativement à
cet article.
Vous avez souligné beaucoup d'autres articles. Il vous a
même dit que vous aviez écrit ce mémoire après le
livre blanc et que si vous deviez le récrire aujourd'hui, vous
l'écririez différemment. Puis-je vous demander si le
mémoire que vous nous présentez aujourd'hui porte
particulièrement sur le projet de loi et si c'est quelque chose sur
lequel vous changeriez d'idée?
M. McCall: C'est particulièrement sur le projet de loi, M.
le député.
M. Ciaccia: Pourrais-je vous demander, quand vous parlez des...
non, mais vous riez, M. le député de Papineau.
M. Laplante: Non, mais n'oubliez pas que vous avez la presse
francophone ici aussi.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, messieurs, à
l'ordre! Un instant, M. le député de Mont-Royal. Je vous laisse
continuer parce que rien dans ce que vous dites n'est un accroc aux usages de
l'Assemblée nationale. Cependant, je ne voudrais pas qu'un débat
s'ensuive. Veuillez poursuivre, s'il vous plaît.
M. Ciaccia: Ce n'est pas mon intention, M. le Président,
de susciter un débat. Je voudrais vous demander si, à la
lumière de la réponse du ministre sur les articles que vous avez
relevés, vous êtes d'accord, comme principe de loi, que vous avez
le droit de faire tout ce qui n'est pas explicitement prohibé. Ou
doit-on regarder l'esprit de la loi et le comparer à la lettre de la
loi? Autrement dit, si la lettre de la loi est tellement restrictive et, de mon
point de vue, comme vous l'avez souligné dans plusieurs articles,
intolérable, l'esprit de la loi, tel que le ministre voudrait le
définir, peut-il être un esprit de tolérance et de
liberté?
M. Yarofsky: Pour répondre à votre question, il y a
un principe de loi publique qui veut que tout ce qui n'est pas interdit soit
permis. Par contre, il y a d'autres principes dans le domaine de
l'interprétation des lois. Il y a un principe qui veut qu'on
interprète certains articles d'une loi par d'autres articles de la loi.
Je crois qu'on peut obtenir des réponses différentes en
appliquant ce principe plutôt que celui selon lequel tout ce qui n'est
pas interdit est permis. Ce n'est pas le seul principe qui existe. Il y a
d'autres principes qui veulent que, quand on traite un sujet, et on fait une
règle là-dessus, on soit censé avoir traité
exclusivement ce sujet: c'est le principe exclusio unius. Les avocats de la
commission pourraient peut-être l'expliquer mieux que moi. Finalement, M.
le député, comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a la
perception de la loi qui est tellement importante.
Je crois qu'il ne faut jamais oublier que l'esprit de la loi et la
manière dont les gens vont comprendre l'attitude du législateur
surtout ce que sous-tend la loi est tellement important qu'il ne faut pas
s'arrêter tout simplement au principe voulant que tout ce qui n'est pas
interdit est permis. C'est beaucoup plus nuancé que cela. Je pense que
c'est la meilleure réponse que...
M. Ciaccia: Une dernière question, M. le Président.
Quand vous parlez du bilinguisme, le ministre vous a cité quelques
déclarations du secré-
taire d'Etat, M. Roberts. Apparemment, celui-ci disait que ce
n'était pas son intention qu'il y ait du bilinguisme dans tout le pays,
dans le sens que le ministre l'a mentionné, mais ne croyez-vous pas que
la situation, ici au Québec, n'est pas la même que celle dans les
autres provinces? Spécifiquement, je voudrais dire ceci: Nous avons
déjà ici un système. Nous avons un genre de bilinguisme.
Le projet de loi tenterait-il de détruire ce bilinguisme, qu'on
l'appelle institutionnel ou personnel? C'est un système qui nous a bien
servis, mais le projet de loi irait-il à l'encontre de ce genre de
bilinguisme qui, jusqu'à maintenant, a servi notre société
et dans lequel on pourrait prendre d'autres avantages dans l'avenir?
M. Bertrand: C'est parfait.
M. Yarofsky: Je ne veux pas trop entrer dans ce sujet. Tout ce
que je veux dire est ceci: Evidemment, la situation de la minorité
anglophone n'est pas la même que la situation des minorités
francophones dans les autres provinces. Je tiens à vous dire que nous
avons, dans notre mémoire et dans les faits, déploré
je veux que vous en soyez certain il y a certaines injustices
dans les autres provinces envers les minorités francophones et nous
avons déploré ces injustices. Tout dernièrement, nous
avons le Comité d'action positive envoyé un
télégramme au premier ministre de l'Ontario en ce qui concerne,
par exemple, l'accès aux tribunaux en Ontario pour des francophones,
dans le cas Filion, mais nous avons peur...
Il ne faut pas, à partir des injustices qu'on perçoit dans
d'autres provinces, en faire payer le prix aux anglophones du Québec. Ce
n'est pas nous qui sommes responsables de certaines injustices dans les autres
provinces et, encore une fois, sous l'angle de la perception, nous avons peur,
jusqu'à un certain point, qu'on se serve de nous, ici au Québec,
comme instruments de vengeance pour les injustices dans les autres
provinces.
Nous sommes sûrs que l'Assemblée nationale ne voudra pas
être motivée par un esprit de vengeance en
légiférant et nous ne vous disons pas que c'est le cas. Je vous
dis tout simplement qu'au niveau de la perception, il y a cette crainte...
Le Président (M. Cardinal): Brièvement, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Goldbloom: Une seule question, M. le Président.
J'aimerais que le Comité d'action positive réagisse à une
des affirmations du ministre qui a dit que la loi doit être coercitive
dans le secteur du travail, de la langue du travail parce que c'est plus juste
quand la loi est rigoureuse à l'endroit de tout le monde et parce que
des programmes incitatifs ont tendance à créer des
inégalités et des injustices.
Il me semble que, s'il s'agissait d'une action qui, par sa nature,
serait contre la collectivité, on pourrait justifier l'application
rigoureuse d'une loi coercitive, mais, à cette époque où
le Québec est en train de se franciser, il me semble qu'une telle
action, c'est-à-dire qu'une entreprise traîne la patte pendant que
d'autres se francisent, cela serait plutôt une action contre
elle-même.
J'aimerais avoir votre réaction à cette déclaration
du ministre.
M. Yarofsky: M. Grenier va répondre à cette
question.
M. Grenier (Louis): II n'y a pas de doute qu'il faut tenir compte
des circonstances particulières. Alors, une loi qui s'adresse de la
même façon à tout le monde, même avec l'article 113,
il y a tellement de circonstances particulières dans chacune des
industries. Si on prend une industrie manufacturière au Québec
par rapport à une industrie de service qui s'adresse à l'ensemble
du Canada ou qui fonctionne au niveau international, les aspects de la loi qui
donnent les mêmes principes pour tout le monde et avec les mêmes
pénalités, la même surveillance, qui oblige à la
même identification et la permission de l'Office de la langue avant de
demander une autre langue pour le candidat qui viendra occuper un poste, en
particulier, ce sont tous des aspects qui nous semblent tellement
arrêtés d'une façon brusque que c'est difficile de tenir
compte des réalités dans l'ensemble.
Deuxièmement, l'encouragement. Comme vous l'avez
mentionné, M. Goldbloom, aujourd'hui, il n'est pas possible pour une
industrie de rester strictement au niveau anglophone, ce qu'on percevait il y a
20 ans, il y a 30 ans. Une industrie qui fonctionne au niveau manufacturier, au
niveau général dans la province même, ce n'est plus
possible. On n'a pas besoin de forcer personne pour cela, ce n'est plus
possible de le faire.
Le Président (M. Cardinal): Si les partis d'Opposition
permettent que j'accorde la même générosité au parti
ministériel que j'ai accordée à chacun, je permettrais une
très brève, mais très brève intervention du
député de Rosemont avant que nous ne terminions cette
audition.
M. Paquette: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier
les membres du Positive Action Committee pour leur mémoire et aussi pour
leur attachement au Québec. Je pense qu'ils se sont placés dans
l'optique où le Québec était leur pays autant que celui
des membres de la majorité francophone, mais nous sommes d'accord avec
cette optique-là. Cependant, je vais simplement, puisque je n'ai pas le
temps, me borner à vous poser une question. Dans votre mémoire,
vous commencez par dire qu'un tel projet de loi n'est pas nécessaire
parce que la situation s'est améliorée, mais vous dites: Puisque
le gouvernement a décidé de légiférer, nous allons
lui faire des amendements à son projet de loi. Vous nous en proposez
150. A 150 articles, il y a des amendements, qui nous ramènent, à
mon avis, pas mal au niveau de la loi 22. Ici, je suis d'accord avec le
député de Marguerite-Bourgeoys. Ce n'est ni l'unilinguisme
institutionnel, ni le bilinguisme institutionnel, c'est le français
langue prioritaire et l'anglais langue
seconde disponible à tous les gens de langue maternelle anglaise.
Vous nous avez dit tout à l'heure attendez que je le retrouve
qu'il s'agit du droit pour chacun de parler sa langue et non de
l'obligation pour tous de parler les deux langues. Je pense que c'est
incompatible. Tout le monde ne peut pas avoir le droit de parler sa langue si
on ne fait pas l'obligation à certaines personnes d'être
bilingues.
Alors, je pense que c'est la différence fondamentale entre votre
mémoire et le projet de loi. Le projet de loi dit: Nous voulons que
dorénavant, avec des périodes d'adaptation, comme dans tous les
pays du monde, ce soit la minorité qui porte le fardeau du bilinguisme,
les membres de la minorité puissent parler anglais et français de
façon que tous les francophones puissent, par exemple, travailler en
français. Est-ce que j'interprète bien l'essentiel de votre
mémoire? J'ai l'impression que la différence fondamentale est
là. Par exemple, quand vous dites, dans les services anglophones,
réservés à la communauté anglophone jusqu'à
maintenant, les hôpitaux, les maisons d'enseignement: II ne faut pas
exiger l'usage du français, ou quand vous demandez à tous les
citoyens anglophones de pouvoir communiquer ou à ces organismes de
pouvoir communiquer dans leur langue, en anglais, avec l'administration
publique, vous mettez en même temps l'exigence, pour un très grand
nombre de postes, sur ces gens-là d'être bilingues... Alors, je
pense que c'est faux de dire que vous voulez laisser le droit pour chacun de
parler sa langue. Vous allez, par vos recommandations, augmenter
considérablement le nombre de postes bilingues nécessaires du
côté, en particulier, des francophones.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Rosemont, je vais laisser le soin à nos invités de
répondre. Je les inviterai, cependant, à le faire
brièvement. Vraiment l'audition commençait à 10 h 23, nous
avions 90 minutes, il est 12 h 5, alors, il y en a d'autres qui doivent venir
au cours de la journée. S'il vous plaît, Me Yarofsky ou Me
Grenier.
M. Grenier: Si on parle de langue commune, de langue courante, il
est sûr que l'obligation est beaucoup plus du côté anglais
de devenir bilingue que du côté français; il n'y a pas de
doute dans notre esprit.
Mais si on parle de la seule langue possible et qu'on veut franciser, au
niveau institutionnel, les institutions qui sont anglaises au départ, on
a les mêmes problèmes que ceux qu'on a soulevés tout au
long des mémoires. C'est une nuance très fine, mais elle est
là.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Alors, MM.
Robertson, Hampson, Grenier, McCall, Pater-son et Yarofsky, merci de cette
longue patience en ce jour si chaud avec nous à Québec. Merci
pour votre mémoire et merci aussi aux députés pour leur
collaboration, dans le cas où, vraiment, on a présumé,
comme je le disais au début, qu'il y avait consentement unanime pour que
nous prenions le temps. Il faudrait cependant que je n'établisse pas un
précédent qui pourrait se répéter à chaque
mémoire.
Merci, et j'appelle immédiatement le prochain organisme.
M. Yarofsky: C'est nous qui vous remercions et surtout pour la
souplesse et l'indulgence que vous nous avez apportées ce matin.
Comité anglophone pour un Québec
unifié
Le Président (M. Cardinal): Le Comité anglophone
pour un Québec unifié, mémoire no 186.
Mêmes règles du jeu, si vous voulez bien identifier votre
organisme et ses représentants, s'il vous plaît.
Approchez votre micro, s'il vous plaît.
Mme Collier (Lynda): M. le Président, madame et messieurs,
je vous présente mes collègues, M. Gary Caldwell, M. Henry
Milner, M. Stefan Muzynski et moi-même, Lynda Collier. On
représente un groupe d'anglophones qui ont voulu participer au
débat sur la question linguistique. En tant qu'anglophones voués
à l'unité du Québec, nous avons choisi de nous expliquer
pour les raisons suivantes c'est une déclaration de nos principes
afin que l'on sache qu'il y a des anglophones qui reconnaissent le droit
du Québec à l'autodétermination et qui appuient une
politique de francisation qui soit juste et efficace; pour faire valoir le fait
que la francisation, bien qu'essentielle à l'unification du
Québec, doit s'accompagner de garanties de sécurité
d'emploi pour la minorité anglophone et son recyclage linguistique; pour
affirmer que la francisation doit être rapidement suivie de changements
majeurs sur le plan social et économique, sans quoi elle ne sera, tant
pour les francophones que pour les anglophones, qu'une promesse creuse qui ne
modifiera en rien les fondements structurels du pouvoir politique et
économique.
Nous ferons une présentation verbale un peu abrégée
de notre mémoire déposé devant la commission. Je vais
commencer et, ensuite, je passerai la parole à mes collègues,
Stefan Muzynski et Henry Milner.
Les media donnent l'impression, depuis quelques semaines, que les
anglophones du Québec sont unifiés derrière leurs
"leaders" du monde des affaires et de l'éducation dans leur opposition
au bill no 1. Cela est nettement faux. Notre groupe, le Comité
anglophone pour un Québec unifié, appuie une politique juste et
efficace de francisation du Québec.
Pour exposer clairement, dès le départ, notre position,
mentionnons que, selon nous, les francophones du Québec constituent une
nation; si, pour certains, cela va de soi, il y a un grand nombre de Canadiens
anglais qui n'endossent pas cette position. Une nation se distingue d'un
État en ce que ce dernier n'est qu'une entité légale,
tandis que la nation est une entité sociale.
C'est une communauté humaine formée sur les bases d'une
langue et d'une culture communes, d'une expérience économique et
historique et d'un territoire commun. Il existe incontestablement une nation
québécoise et, en tant que telle, elle devrait avoir droit
à l'autodétermination. Nous croyons que le renforcement de la
langue et de la culture nationales est essentiel au renversement des
barrières et, partant, à l'établissement de la
solidarité nécessaire à la réalisation de
transformations plus fondamentales.
Les événements de ces derniers mois ont montré
qu'une bonne partie de l'élite économique anglophone du
Québec est opposée à la politique de francisation. Pour
comprendre cette réaction, il est nécessaire de connaître
le rôle que ce petit groupe a joué dans la société
québécoise. La conséquence la plus importante de la
conquête de 1759 fut le remplacement de l'élite économique
française par un petit groupe d'anglophones qui en vint à dominer
l'économie de cette portion du continent nord-américain. Cette
élite s'est transformée pour s'adapter aux nouvelles conditions
au cours des deux derniers siècles, sa forme la plus récente
étant l'entreprise américaine. Mais ce qui n'a pas changé,
c'est le contrôle effectif de l'économie du Québec par
l'élite anglophone.
Il ne fait aucun doute que l'élite anglophone du Québec a
su se maintenir dans une position privilégiée grâce
à son pouvoir économique, celui-ci se reflétant et se
renforçant par la prédominance de la langue anglaise. Nous
pensons, en outre, qu'un tel privilège est injuste pour la vaste
majorité des Québécois, tant francophones qu'anglophones,
et il doit être aboli.
En conséquence, nous nous élevons contre les
déclarations d'autres groupes anglophones qui, après avoir
souscrit à l'idée que le français devrait être la
langue commune au Québec, s'opposent à toute tentative de
modification véritable du statu quo. Nous croyons que le statu quo doit
être modifié si nous voulons remédier à la situation
aberrante du Québec, et c'est parce que nous croyons en une modification
progressive de la société que nous appuyons cette politique. Nous
percevons la francisation comme étant un pas dans cette voie. Toutefois,
nous ne soutenons pas pour autant le maintien ou l'essor d'une élite
francophone.
Contrairement à d'autres groupes anglophones, nous croyons que
les appels émotifs lancés au nom desdits "droits acquis de la
minorité" et de la sauvegarde de la minorité anglophone en tant
qu'entité culturelle sont injustifiables lorsqu'ils sont motivés
par un désir de maintenir les privilèges d'une élite. Les
droits humains fondamentaux doivent toutefois être
protégés.
Certains groupes ou individus ont avancé que le bill no 1
obligerait les anglophones à quitter le Québec; d'autres ont
déclaré que la communauté anglophone sera
étouffée, qu'elle dépérira. Etant donné la
prédominance de l'anglais en Amérique du Nord, nous ne trouvons
pas valable l'argument selon lequel le projet de loi menacerait la survie de la
communauté anglophone. Le projet de loi sup- pose toutefois des
changements. Les Québécois de langue anglaise devraient demeurer
au Québec et participer à ses institutions et utiliser la langue
de la majorité.
Un des problèmes dans le présent débat sur la
langue vient de fausses conceptions à propos de la communauté
anglophone. Un fait demeure: c'est que la majorité des anglophones ne
sont pas membres de l'élite économique du Québec. Ils
sont, pour la plupart, des travailleurs qui, comme leurs semblables de langue
française, luttent pour gagner leur vie. Pendant nombre d'années,
l'élite anglophone, par le biais de son contrôle des media, du
système d'éducation et des institutions culturelles, a
cherché à dominer la communauté anglophone. Mais cela
aussi est en train de s'effriter. De plus en plus, les travailleurs
francophones et anglophones s'unissent dans des syndicats, des associations de
locataires et des comités de citoyens afin d'atteindre des buts
politiques et économiques communs.
Peu importent les menaces d'exode de l'élite anglophone, il ne
fait pas de doute que la majorité des travailleurs anglophones, dans la
mesure où on les traitera à l'égal des autres
Québécois, ont l'intention de continuer à vivre et
à travailler ici. Le gouvernement doit réagir favorablement
à cette attitude et chercher à leur faciliter la transition de
l'anglais au français. Nous croyons que si le gouvernement répond
par des programmes appropriés permettant aux travailleurs de s'adapter
à ses politiques linguistiques, la majorité des travailleurs
anglophones en viendra avec le temps à accepter le changement, et
même à lui faire bon accueil. C'est dans le but de proposer des
moyens concrets à cette fin que nous avons rédigé le
présent mémoire.
Pour conclure, nous sommes convaincus que le Québec doit
être francisé dans le cadre de sa décolonisation, mais il
doit être clairement entendu que la francisation est un pas
nécessaire, mais insuffisant dans cette voie.
Les compagnies multinationales, à ce que nous sachions, peuvent
faire fonctionner leurs usines dans la langue du pays qui les accueille, sans
que cela n'ait conduit nulle part à une reprise en main de
l'économie. Noranda et l'Alcan peuvent bien gérer leurs nouveaux
investissements au Chili en espagnol sous le régime de terreur
militaire, mais personne ne voit en cela une reprise en main de
l'économie par les Chiliens. Les travailleurs qui se battirent contre la
presse n'étaient guère réconfortés par les origines
francophones de Paul Desmarais. Cette question mérite d'être
sérieusement démystifiée.
Nous aimerions voir le gouvernement se servir de la politique de
francisation dans le but d'unir la population du Québec et comme d'une
étape importante dans le processus de rapatriement et de restructuration
de l'économie. Ce n'est que lorsque le Québec sera la
propriété de tous les Québécois et
géré par eux que nous pourrons vraiment contrôler notre
propre destin. Cet objectif est dans l'intérêt des travailleurs
francophones et anglophones et une politique de francisation du
genre proposé est un moyen d'unifier les différents
éléments de la population.
Je passe la parole à M. Stefan Muzynski.
M. Muzynski (Stefan): Comme groupe, le Comité anglophone
est fermement engagé en faveur d'une politique de francisation juste et
efficace. Nous croyons qu'il est important de distinguer, d'une part, la
réaction émotive d'un groupe minoritaire d'anglophones qui
perdent certains de leurs privilèges et, d'autre part, le souci
réel parmi beaucoup de travailleurs non francophones quant à la
possibilité de perdre leur emploi pendant cette période. Il est
essentiel qu'on donne à ces travailleurs les instruments linguistiques
nécessaires pour qu'ils puissent travailler en français sans
mettre leur sécurité financière en danger.
La solution juste est que le bill no 1 garantisse la
sécurité d'emploi à tous les Québécois non
francophones pendant la période de francisation. Cette mesure
enlèvera à la réaction anglophone au bill no 1
l'élément émotif de l'insécurité d'emploi,
tout en garantissant le droit humain élémentaire d'avoir le moyen
de gagner sa vie.
Ce serait aussi la reconnaissance que les travailleurs ne sont pas les
responsables de la situation linguistique et, par le fait même, ne
devraient pas avoir à subir le poids des changements
nécessaires.
Tout recyclage linguistique devrait se faire avec plein salaire et
avantages, sans perdre d'ancienneté et pendant les heures normales de
travail. Il ne faudrait pas s'attendre que les travailleurs, en plus de leurs
heures de travail, aient assez de temps disponible pour acquérir les
nouvelles qualités maintenant nécessaires à l'exercice de
leurs fonctions. Les deux méthodes possibles pour intégrer
l'apprentissage du français dans le travail sont:
Premièrement, une formation sur les lieux de travail qui
permettrait de passer quelques heures par jour à suivre des cours et,
deuxièmement, des sessions d'étude payées durant
lesquelles on apprendrait le français.
Quelle que soit la méthode employée, il est important de
s'assurer que les travailleurs qui parlent déjà le
français n'aient pas à subir une surchage de travail durant cette
période de transition.
Différents niveaux de formation linguistique seront
nécessaires, étant donné que les travailleurs sont
à différents stades d'apprentissage du français. Comme
premier pas, les cours de langue doivent permettre à l'individu de
connaître suffisamment le français pour accomplir son travail et
doivent être élaborés en fonction des besoins de l'emploi.
Une fois l'apprentissage fondamental terminé, d'autres cours plus
avancés devraient permettre aux travailleurs une grande mobilité
d'emploi et une plus grande intégration à la vie politique,
économique et sociale du Québec. Les travailleurs anglophones,
dans les services sociaux, dans les secteurs de la santé et de
l'éducation dont les emplois ne sont pas francisés, doivent avoir
accès aux mêmes programmes de formation linguistique afin
d'assurer leur mobilité d'emploi et leur intégration à la
société québécoise.
La qualité de l'enseignement de la langue est un
élément crucial pour une francisation réussie. Beaucoup de
non-francophones, malgré leurs efforts, n'ont pas augmenté leurs
connaissances linguistiques, parce que ni le contenu, ni la qualité de
leurs cours n'étaient en relation avec leurs besoins et leurs
expériences. Il doit y avoir une évaluation constante des
nouveaux programmes. Les travailleurs doivent déterminer si les cours
suffisent à leurs besoins et à leurs buts.
Le recyclage linguistique est une solution qui devrait être
satisfaisante pour la plupart des employés, mais pourrait se
révéler difficile pour d'autres. Dans ces cas, un emploi
équivalent qui ne requiert pas la connaissance du français
devrait être fourni par l'employeur. Le choix d'une retraite
prématurée, avec tous les avantages sociaux, pourrait être
offert également. Ces personnes ne devraient perdre, pour aucune
considération, leur sécurité d'emploi et leur salaire.
Il est inacceptable de demander à l'individu de payer le
coût de la francisation tel qu'il est prévu actuellement dans le
bill no 1, celui-ci ne prévoyant aucune clause de sécurité
d'emploi. Cela équivaudrait à blâmer le travailleur
individuel pour les divisions linguistiques qui existent.
Le groupe qui a gardé et profité de ces divisions et du
développement économique inégal du Québec a
été celui des propriétaires des compagnies. Le poids
financier de la francisation devrait alors incomber à l'employeur, quel
que soit le nombre de travailleurs à son emploi.
Cela pourrait être fait par l'entremise d'un réseau de
centres de formation linguistique gérés par l'Etat et
financés soit par une taxe d'entreprise, soit par la compagnie
directement, soit par une combinaison des deux, coordonnée par l'Office
de la langue française. Le gouvernement doit alors prendre la
responsabilité financière d'un tel programme dans le secteur
public.
Il serait possible d'inclure les points de la sécurité
d'emploi et du recyclage linguistique dans le bill no 1, dans la section des
relations du travail. L'article 40 du bill no 1 fait de toute la section une
partie intégrante de toute convention collective et de n'importe quel
syndicat. L'incorporation des clauses de la sécurité d'emploi
dans la section des relations du travail en ferait donc une partie de toute
convention collective. Les travailleurs syndiqués pourraient alors se
servir des procédures de grief déjà établies si
leur droit fondamental à la sécurité d'emploi est
menacé.
Toutefois, il existe une difficulté réelle pour les
travailleurs non syndiqués, puisqu'ils n'ont aucune procédure de
grief. Ceci démontre clairement le besoin immédiat pour le
gouvernement de promulguer des lois facilitant la syndicalisation de ces
travailleurs afin que leur droit à la sécurité d'emploi
soit protégé.
Les personnes présentement sans emploi retirant des prestations
du bien-être social ou de l'assurance-chômage devraient avoir
accès à des cours d'immersion linguistique gratuits sans per-
dre leurs avantages. Cette mesure les protégerait contre les
difficultés auxquelles ils pourraient faire face en entrant sur le
marché du travail.
Je vous présente Henry Milner pour la section de
l'éducation.
M. Milner (Henry): Selon les critères établis par
le projet de loi no 1, le système d'écoles anglaises ne sera plus
artificiellement gonflé par de nouveaux arrivants qui s'assimilent au
système scolaire de la minorité. De fait, quelque 85% des enfants
des nouveaux arrivants ont fréquenté des écoles anglaises
dans les années soixante-dix. Ceci est attribuable à deux
facteurs majeurs: 1. Le manque de contrôle du Québec sur
l'immigration dans le régime fédéral actuel contribue
à la forte proportion d'anglophones. 2. La réalisation par les
immigrants, en général, qu'au Québec, il n'est pas
nécessaire de parler français, car la plupart des emplois les
mieux rémunérés, ne nécessitent que la connaissance
de l'anglais, et que le système anglais fournit les plus grandes
possibilités d'avancement.
Ce dernier facteur est mis en lumière par le "Island Council
Poverty Report" de Montréal, qui démontre que dans les 65
catégories d'évaluation les plus riches, sur plus de 400 dans
l'île, seulement 27,4% de la population emploie le français comme
langue de travail, alors que dans les 65 catégories les plus pauvres,
88,6% des personnes utilisent le français.
Etant donné l'importance de l'école, pour
l'intégration des immigrants à la société, il
arrive que les enfants d'immigrants qui fréquentent l'école
anglaise, sont mal préparés à évoluer dans le
nouveau pays à 80% francophone. Cette intégration des nouveaux
immigrants à la communauté anglophone, en plus d'un taux
inférieur de natalité chez les francophones, a contribué
à l'érosion continue de la langue française dans le seul
endroit en Amérique du Nord où les francophones pourraient, d'une
manière réaliste, espérer vivre et travailler dans leur
langue.
Nous sommes d'accord avec l'effort de l'actuel gouvernement pour
régulariser l'entrée aux écoles de la minorité,
bien que nous reconnaissions pleinement que les réformes de
l'éducation ne peuvent en elles-mêmes amener la restructuration
économique fondamentale qui est ultimement requise.
De fait, nous croyons que tout Québécois doit être
encouragé à envoyer ses enfants à l'école
française afin de mieux les préparer à participer à
la société qu'ils ont adoptée. Pour que les enfants qui
deviennent des adultes au Québec puissent jouer leur rôle
politique et social, ils doivent comprendre et se sentir à l'aise, non
seulement dans la langue, mais aussi dans la culture de la majorité.
De plus, tandis que les leaders, dans le secteur anglais de
l'éducation, défendent le libre choix pour les parents et le
maintien, sinon l'expansion du secteur anglais, ils envoient leurs enfants en
grand nombre à des écoles privées, à des
écoles françaises et à des programmes d'immersion en
français.
En fait, plus de 20% des élèves au niveau
élémentaire à la PSBGM suivent des programmes d'immersion
en français dont aucun n'est donné dans le centre-ville ou dans
les quartiers ouvriers. Ce sont en fait les personnes qui vivent dans les
quartiers ouvriers qui auront besoin du français d'avantage que les
parents de la classe mobile bourgeoise du West Island, dont les enfants
apprendront le français dans les classes d'immersion et qui parleront
quand même la langue de l'élite dominante.
Néanmoins, notre appui aux dispositions sur la langue
d'enseignement dans le projet de loi no 1 est conditionné par deux
impératifs.
Premièrement, nous sommes opposés à l'existence des
écoles privées qui servent les élites
subventionnées par des contribuables québécois.
Deuxièmement, la confessionalité des écoles doit
être abolie et le système scolaire actuel restructuré. Nous
croyons que cela est primordial.
Le Québec possède actuellement un système scolaire
archaïque et anormal qui se fonde sur le faux postulat voulant que les
enfants tombent sous la juridiction cléricale.
Ce n'est que lors de la dernière décennie que le
Québec a connu les services, souvent douteux, d'un ministère de
l'Education, puisqu'avant le rapport Parent, les écoles étaient
gérées par les diverses Eglises. Les écoles doivent
être enlevées du contrôle nominal et réel des Eglises
pour être placées sous un seul système. La religion, comme
la langue, ne doit pas être une cause de division entre les
communautés québécoises. Nous proposons un système
de commissions scolaires régionales, offrant des écoles de langue
anglaise, là où elles sont requises. De plus, les nouvelles
structures éducatives doivent être créées en
fonction de la communauté et fondées sur le principe de la
gestion communautaire.
Nous sommes affligés, lorsque nous entendons le ministre de
l'Education déclarer, comme ce fut le cas dernièrement, qu'il
croit fermement dans la nécessité d'avoir plus de religion dans
les écoles et que Montréal conservera son système
archaïque. Comment le gouvernement peut-il parler d'encourager tous et
chacun à fréquenter les écoles françaises alors que
la majorité des écoles feront sentir aux non-catholiques qu'ils
sont malvenus, différents et étrangers? Nous ne pouvons nous
lasser d'insister sur l'importance que nous attachons à la
nécessité d'un seul système scolaire
décentralisé et non confessionnel.
Jusqu'à ce que le gouvernement agisse dans ce domaine, les
anglophones de religion protestante, juive, islamique, agnostique, zoroastriane
ou athéees ne pourront s'attendre à être bienvenus à
l'intérieur de l'école française.
L'argent économisé en éliminant les nombreuses
commissions scolaires et la bureaucratie ainsi que plusieurs écoles
à moitié vides pourrait servir aux services scolaires, par
exemple l'éducation spécialisée. Des programmes pourraient
être planifiés pour servir à l'évaluation continue
des progrès des non-francophones et pour s'assurer qu'ils apprennent les
rudiments de la langue française.
Un seul système scolaire serait la première étape
en vue d'abolir les différences lamentables de l'enseignement offert
dans les régions riches et pauvres. Le système actuel maintient
le statu quo et ne fait rien pour atténuer le cycle de la
pauvreté. En unifiant le système scolaire, le gouvernement
pourrait répartir les ressources plus équitablement entre les
régions. Peut-être qu'alors, tous les Québécois
pourraient s'y mettre et construire de bonnes écoles. Cette
première étape franchie et dans un processus plus large, nous
déboucherons ensemble sur des modifications sociales nécessaires,
sur une transformation, qu'une réforme éducative de politique
linguistique ne saurait résoudre à elle seule, mais plutôt
par une politique de redistribution des richesses et du pouvoir.
On finit ici notre présentation.
Le Président (M. Blank): Merci. Vous avez
dépassé seulement de deux minutes le temps qui vous était
alloué.
M. le ministre d'Etat aux Affaires culturelles.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier chaleureusement le
Comité anglophone pour un Québec unifié pour le
mémoire très intéressant qu'il vient de nous
présenter.
De tous les mémoires que nous ont présentés les
groupes anglophones qui se sont présentés à la commission,
c'est sûrement le plus original et le plus prometteur pour l'avenir.
Je n'ai jamais pensé que le groupe anglophone du Québec
était monolithique. Je sais qu'il s'exprime le plus souvent par la voix
de ses élites, comme vous les avez appelés, par le biais de ses
media d'information électroniques ou journalistiques et qu'il transmet
un point de vue très particulier. Mais vous venez de nous dire, ce
matin, que ce projet de vue particulier ne rejoint pas l'opinion, et surtout
une opinion qui se fait, qui se forme constamment au sein des couches les plus
nombreuses de la minorité anglophone du Québec.
J'ai dit que c'était le mémoire le plus prometteur et le
plus original parce que c'est un début très important pour
l'avenir qui nous donne beaucoup d'espoir pour la création de
solidarité au niveau des idées, au niveau des grandes
préoccupations de notre société et ceci nous laisse
entrevoir qu'il sera possible, pour ne pas dire certain, de travailler la main
dans la main pour l'édification d'une société humaine.
Vous soulignez avec raison que cette collaboration est
déjà commencée dans la vie concrète, dans la vie
quotidienne, par exemple lorsque vous soulignez que des anglophones se
retrouvent au coude à coude avec des francophones pour les Iuttes
importantes que nous avons connues pour l'amélioration des conditions de
vie, qu'il s'agisse de groupes communautaires, qu'il s'agisse d'associations de
locataires, qu'il s'agisse de luttes sur le plan scolaire, sur le plan
municipal, qu'il s'agisse de luttes également pour la restructuration de
notre économie, pour une nouvelle répartition des richesses, une
redistribution des revenus.
Je pense que ce sont là des objectifs majeurs, essentiels pour
les groupes de citoyens et je sais, je reconnais avec vous que ce coude
à coude, cette solidarité se manifeste avec une fréquence
et une abondance de plus en plus grandes dans notre société et
que ceci se fait au-dessus, au-delà des particularismes linguistiques.
C'est ce qui me paraît le plus prometteur dans cette nouvelle
évolution de notre société québécoise.
Nous partageons avec vous la presque totalité des opinions que
vous avez exprimées sur cette conception d'une société
plus juste, plus humaine où les citoyens, quelle que soit la langue
qu'ils parlent, ont droit aux mêmes avantages, aux mêmes atouts,
aux mêmes accès aux ressources collectives pour atteindre leur
plein épanouissement individuel aussi bien que collectif, mais d'abord
individuel.
Plusieurs des thèses que vous soutenez dans votre mémoire,
par exemple en ce qui concerne le rapatriement de l'économie, la
restructuration de l'économie, la restructuration du système
scolaire, nous les partageons et il m'est rarement arrivé de voir un
plaidoyer aussi vigoureux et articulé et intelligent, par exemple, pour
l'unification scolaire, des structures scolaires que celui que vous nous avez
présenté ce matin.
Je voudrais également commenter brièvement quelques-unes
des recommandations spécifiques que vous nous faites. Nous sommes tout
à fait d'accord avec vous pour affirmer qu'il faut considérer
comme Québécois tous ceux qui oeuvrent au Québec, qui
participent à la vie collective.
J'accepte avec enthousiasme votre définition du
Québécois comme celui d'un citoyen qui est intégré
à la société québécoise ou qui entend s'y
intégrer. Ceci, bien sûr, inclut la notion de langue, mais
dépasse de loin la notion de langue, parce que, vous l'avez dit
vous-même, il n'est pas suffisant, par exemple, pour un anglophone de
connai-tre la langue de la majorité, la langue commune.
Il lui faut également connaître la culture de ce groupe que
constitue la majorité du Québec, de la même façon
qu'il est important, également, pour un francophone, non seulement de
connaître la langue de la minorité la plus importante, mais
également sa culture. Et il est important que ces individus, que ces
citoyens, ces groupes participent en commun à l'élaboration d'une
culture québécoise où les apports de chacun des groupes
sont reconnus et valorisés. Donc, nous acceptons totalement votre
définition d'un Québécois.
Vous nous mettez en garde contre certaines perceptions que pourraient
avoir de notre projet de loi certains anglophones qui voudraient participer
à la définition de nos objectifs et à la vision que nous
nous faisons du Québec de demain. Nous vous en remercions. Nous vous en
sommes reconnaissants également. Vous situez ces craintes, ces
méfiances au niveau du domaine du travail en particulier, d'où
l'importance que vous accordez à vos recommandations sur la
sécurité d'emploi et sur le recyclage linguistique des
anglophones. Nous sommes tout à fait d'accord sur l'esprit de ces deux
recommandations. Il a tou-
jours été dans les intentions du gouvernement
d'éviter toute discrimination à l'endroit des travailleurs
anglophones pour des raisons linguistiques et particulièrement dans le
processus de francisation des entreprises. Nous ferons en sorte que cette
discrimination soit évitée et nous ferons en sorte
également que le principe de la sécurité d'emploi avec
lequel nous sommes parfaitement d'accord, puisse s'incarner dans les structures
appropriées.
Il n'est peut-être pas facile de mettre ce principe de la
sécurité d'emploi, ainsi que toutes les modalités que vous
nous suggérez, dans un projet de loi qui s'appelle Charte de la langue
française, niais je transmettrai vos recommandations au ministère
de l'Education ainsi qu'au ministère du Travail pour faire en sorte que
cette sécurité d'emploi aux anglophones en train de se franciser,
aussi bien au sein de l'administration qu'au sein des entreprises, soit
respectée intégralement et puisse trouver également des
modalités d'application qui correspondent à ce souci de justice
qui paraît dans votre mémoire.
Il est possible, cependant, que nous puissions faire droit, d'une
certaine façon, d'une façon limitée, à ces demandes
dans la Charte de la langue française par le biais des programmes de
francisation, programmes de francisation auxquels seront soumis, comme vous le
savez, les entreprises, certains organismes municipaux et scolaires ainsi que
certains services de santé et certains services sociaux. Je pense qu'il
nous reviendra, au gouvernement, à l'Office de la langue
française, de faire en sorte , premièrement, que dans ces
programmes de francisation, aucune discrimination à l'endroit des
anglophones n'existe; deuxièmement; que le principe de la
sécurité d'emploi soit respecté dans
l'établissement et l'application des programmes de francisation et que,
également, des ressources soient mobilisées aussi bien au niveau
des entreprises que du gouvernement pour procurer aux travailleurs anglophones
qui en ont besoin le temps, les modalités, les conditions de travail et
les fonds aussi pour que ce travail de francisation puisse se poursuivre dans
l'objectif que vous avez mentionné.
Donc, je peux dire que je reprends à mon compte la
totalité de vos propos, la totalité de l'esprit qui
préside à vos recommandations et que je ferai en sorte que les
modalités d'application que vous suggérez soient transmises aux
organismes appropriés, soit l'Office de la langue française, soit
les ministères gouvernementaux pour qu'on puisse y donner suite avec le
plus de rapidité possible.
Encore une fois, merci pour un mémoire qui nous fait entrevoir
l'avenir, la collaboration éventuelle entre nos deux groupes, sous la
lumière la plus positive et la plus prometteuse pour l'avenir.
M. Muzynski: Merci.
Le Président (M. Blank): M. le député de
L'Acadie. Avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Muzynski: Peut-être quelques remarques concernant la
question de la sécurité d'emploi et du recyclage linguistique. On
est très content que vous soyez d'accord avec notre position. Il me
semble que ce serait assez facile d'inclure dans le projet de loi une clause
pour la sécurité d'emploi en relation avec le recyclage
linguistique, comme il y a déjà des clauses dans la charte qui
seront une partie intégrante des conventions collectives. Il me semble
que ce serait assez facile de mettre ça aussi dans le projet de loi pour
garantir les droits d'emploi à des non-francophones.
Le Président (M. Blank): Merci. Le député de
L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Je veux remercier...
M. Milner: Sur la question de l'enseignement, on est heureux
d'entendre la position du ministre, mais je veux souligner que sur la question
de l'enseignement, soit créer un système scolaire unifié,
il n'est pas question pour nous d'une autre législation, un autre
principe dont il faut discuter. Pour nous, cela va de pair avec l'idée
que le système d'éducation publique doit être
utilisé pour produire un Québec où tout le monde, de
n'importe quelle langue, puisse participer. Si on veut adopter un tel
système d'éducation publique, la question de la langue est
importante, mais il y a la question de la confessionnalité aussi. On ne
peut séparer les deux.
Nous sommes d'accord qu'on parle maintenant de la Charte de la langue
française. Mais qu'on commence à parler de l'éducation et
d'un nouveau système d'éducation. Selon nous, ça va
ensemble. De ne parler que d'une recommandation à un autre ministre qui
va y penser, selon nous, ce n'est pas assez. On veut que ce soit dans le
même esprit et qu'on voit les résultats bientôt.
M. Laurin: M. Milner, je voulais simplement dire que le
problème de la restructuration scolaire est à l'étude,
comme vous le savez, depuis une dizaine d'années au Québec. Il y
a eu le projet de loi 62 qui n'a jamais vu le jour, le projet de loi 28 qui n'a
pu s'incarner dans les faits, parce que le gouvernement l'a retiré. Il y
a eu le projet de loi 71 qui refilait la patate chaude au Conseil scolaire de
l'île de Montréal. Le conseil de l'île a terminé son
étude, le gouvernement n'a pas encore reçu son rapport. Mais,
dès que le gouvernement aura reçu le rapport du Conseil scolaire
de l'île de Montréal, il est évident qu'il devra, à
nouveau, se pencher sur ce problème et prendre une décision le
plus rapidement possible. Tous les problèmes qui traînent, au lieu
de se régler, se compliquent avec le temps et deviennent de plus en plus
difficiles à régler.
Je pense que vous admettrez avec moi que le problème de la
restructuration scolaire dépasse de loin les questions linguistiques et
touche aussi les questions confessionnelles. Il touche des questions
administratives, des questions politiques
comme celle de la décentralisation. Je ne pense donc pas qu'on
puisse régler ce problème immédiatement en même
temps qu'on règle le problème de la charte linguistique,
même si, idéalement, je suis d'accord avec vous que cela aurait
été préférable... Mais il y a eu des retards que
nous essayons d'éviter, comme tant d'autres retards; tout ce dont je
peux vous assurer, c'est que nous procéderons avec le plus de
célérité possible et dans le sens de ce que vous nous
proposez, pour autant que je suis concerné, en tout cas.
Nous essaierons d'aller le plus vite possible dans le contexte qui est
le nôtre, avec les procédures, les cheminements qui ont
déjà été prévus par des législateurs
antérieurs.
Le Président (M. Blank): Merci. Mme le
député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
les représentants du Comité anglophone pour un Québec
unifié d'être venus présenter un point de vue qui, s'il
n'est peut-être pas original, parce qu'il y avait plusieurs de ces points
de vue qu'on avait déjà entendus, donne au moins peut-être
un son de cloche différent. Je suis d'accord avec le ministre d'Etat au
développement culturel sur ce point, quoique faudrait-il encore
l'examiner de plus près pour voir s'il y a vraiment des positions
totalement différentes des autres groupes anglophones qui sont venus
nous voir, sauf que, dans votre cas, vous souscrivez déjà, je
pense, au projet de l'indépendance ou de la possibilité
d'autodétermination du Québec, ce qui, déjà, est
certainement différent.
Je veux vous féliciter pour la partie concernant le recyclage
linguistique des travailleurs. Cette préoccupation a déjà
été mise de l'avant par la FTQ, qui était d'ailleurs le
premier organisme, si ma mémoire est bonne, à le faire valoir. Il
me semble très important et se situe justement dans la ligne de
certaines représentations que l'Opposition officielle a faites a
l'Assemblée nationale dans le cas des occasionnels que l'on voulait
traiter peut-être un peu cavalièrement.
Ce qui est intéressant, c'est la demande que vous faites de
l'évaluation constante des programmes. Je pense que plusieurs programmes
de recyclage linguistique, si on l'appelle comme cela, s'avèrent
inadéquats, parce que, justement, ils ne sont pas vraiment
appropriés aux tâches que les gens doivent remplir. J'estime que,
quand vous parlez de la francisation et que vous dites que les ouvriers sont
prêts à marcher là-dessus, vous maintenez quand même,
au plan individuel, le droit aux personnes anglophones ou d'autres langues, de
s'exprimer dans leur langue d'origine, j'imagine. C'est vraiment une
francisation dans le terme d'une meilleure adaptation au milieu de travail.
Une question sur laquelle j'aimerais que vous développiez votre
pensée, c'est que, à plusieurs endroits, vous faites allusion
en page 2, par exemple à la réalisation de
transformations plus fondamentales dans la société; à la
page 3, vous parlez d'une modification progressive de la so-
ciété. D'ailleurs, votre appui à la loi 1 se situe dans
cette perspective d'une modification ou d'une transformation majeure de la
société.
Est-ce que vous pourriez élaborer un peu plus cette vision de la
transformation de la société que vous envisagez?
M. Caldwell (Gary): Merci beaucoup, madame. Je vais essayer de
répondre à cette question. Je pense que ce qui nous distingue,
c'est un certain enthousiasme pour le projet québécois,
c'est-à-dire un effort de maintenir une société qui a une
certaine autonomie culturelle et économique qui lui permettrait de
développer une certaine justice sociale, de garder certaines valeurs
humaines, de maintenir une certaine indépendance envers un
matérialisme un peu exagéré, une technologie un peu trop
envahissante.
Dans le projet québécois, si on parle en termes
très généreux, on voit une volonté d'un peuple,
d'une société de conserver certaines valeurs, un certain sens de
la communauté et un certain sens de l'histoire qui lui permettrait de
progresser comme une société moderne et vers une justice sociale
plus grande. C'est cela qui nous enthousiasme et qui nous amène, comme
anglophones, à partager ces objectifs et à admettre le besoin
d'un véhicule commun de justice, de développement social qui, par
accident historique, est le français. Nous sommes prêts à
nous intégrer, non pas à nous assimiler, mais à nous
intégrer, c'est-à-dire à participer à cette
société, à ce projet, parce que cela nous permettrait de
participer à une plus grande justice sociale.
Nous croyons que maintenir l'autonomie suffisante pour faire cela
demande aussi une certaine autonomie économique, c'est-à-dire que
le Québec ne peut pas devenir trop dépendant
économiquement d'une grande puissance et, dans ce cas-ci, c'est
probablement les Etats-Unis. Le Québec aurait besoin de certaines
restructurations sociales pour maintenir cette économie suffisamment
indépendante pour, par exemple, corriger l'équilibre structurel
dont on a parlé depuis longtemps dans l'économie
québécoise, pour corriger le déclin économique qui
se fait sentir depuis 1966-1967, un manque d'investissements dans le niveau
manufacturier, peut-être une consommation trop haute et pas assez
d'investissements dans la structure technologique. C'est cela qu'on veut dire
par la restructuration économique. Je pense que le symbole le plus
évident dans l'histoire récente du Québec, c'est la
question de l'amiante, le besoin de faire transformer l'amiante ici pour
créer les 50 000 emplois qui nous manquent plutôt que de se
contenter de 5000 emplois. Je vous offre cela comme un symbole de ce qu'on veut
dire, c'est-à-dire réduire la dépendance d'autres
sociétés, avoir un certain équilibre dans la structure
économique du Québec qui peut apporter une certaine
économie, non pas un isolement, mais une certaine autonomie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, monsieur.
Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez,
M. le député de Pointe-Claire, avant de vous donner la
parole, je souligne qu'à 13 heures, je devrai...
Mme Lavoie-Roux: ...
Le Président (M. Cardinal): Pardon?
M. Ciaccia:... Non, non; excusez!
Le Président (M. Cardinal): Mais est-ce que vous n'aviez
pas terminé?
Mme Lavoie-Roux: Oui.
Le Président (M. Cardinal): Pourquoi avez-vous dit:
"pardon"?
Mme Lavoie-Roux: C'est parce qu'on avait l'air de vous
déranger.
Le Président (M. Cardinal): Pas du tout, non; il y a des
choses pires, je m'excuse. Trente secondes. Nous devons ajourner les travaux
à 13 heures. Il est donc impossible que tous les députés
puissent poser leurs questions dans la période de 70 minutes
prévue. Je demande aux représentants du Comité anglophone
pour un Québec unifié s'ils sont disposés à revenir
avec nous après les travaux de l'Assemblée nationale.
M. Milner: Notre problème, c'est qu'il n'y a que la
moitié de notre délégation qui peut revenir. Je crois que
cela va, mais on vous propose ceci: On peut rester peut-être dix ou
quinze minutes après 13 heures, cela nous conviendrait mieux.
Le Président (M. Cardinal): C'est malheureusement
très difficile. Vous comprendrez que, d'une part, nous fonctionnons
jusqu'à 23 heures ou 23 h 30 ce soir et, d'autre part, il y a les
travaux de l'Assemblée nationale et, en plus, le règlement.
J'hésite, lorsqu'il est 13 heures, à demander un consentement
parce que nous fonctionnons en vertu d'une motion et non pas d'un avis de
l'Assemblée nationale et, en vertu de l'article 158, il me paraît
difficile, pour une commission, de modifier une motion. En plus, si on prenait
dix minutes, nous n'emploierions pas le temps des députés.
A cette heure-ci, je vais vous donner le décompte
immédiatement. Il resterait 15 minutes au parti ministériel, 15
minutes au parti de l'Opposition officielle et 10 minutes au parti de l'Union
Nationale, ce qui fait 40 minutes, plus une partie des réponses. Alors,
je peux m'en remettre aux opinions de la commission, mais je rendrai une
décision avant 13 heures. Oui, M. le député de
Deux-Montagnes, ensuite, M. le député de Rosemont.
M. de Bellefeuille: Cela me paraîtrait très
souhaitable que nous consacrions à ce mémoire la même
période qu'à tous les autres mémoires, et que par
conséquent, nous invitions instamment, au moins ceux des
représentants du comité qui pourront revenir vers 16 h 30,
à le faire si c'est possible.
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Rosemont.
M. Lalonde: Nous appuyons cette suggestion, M. le
Président.
Le Président (M. Cardinal): Alors, MM. les invités
ou témoins, vous êtes invités, pas immédiatement,
vous ne partez pas tout de suite, après la période des questions
de l'Assemblée nationale. Sur ce, j'accorde la parole à M. le
député de Pointe-Claire.
M. Shaw: First of all, I would like to ask a question to this
group, an anglophone group. How many members are there in your association?
M. Wilner: We have about 110 individuals who have given us their
names an members. Many of whom, I should add, have participated in actually
writing this document. This document was put together by approximately 60
individuals. It is a very collectively drawn document. There are approximately
110 names that we have, that are people who have whole-heartedly endorsed our
position and participated in it to some extent. There are a certain number of
individuals who have made contact with us, who have said, for reasons due to
their own particular position in certain institutions, they would rather not
have their names attached to our position, but they are with us, and they want
us to know that they are with us. How many such people there are, I cannot
say.
M. Shaw: The second question is: Do you not consider that 1,5
million people are also an "entité sociale".
M. Wilner: What? Que veut dire "entité sociale'?
M. Shaw: You use it in your mémoire to refer to the French
Canadian community in Québec. Do you not also recognize that there are
1,5 million anglophone or non-francophone Quebecers who also consider
themselves as a social entity in this province?
M. Caldwell: M. le député, if you permit I will
reply to your question. For us, one of the problems in the English-speaking
population of the post-war period has been a high rate of demographic
instability or turnover. We know that roughly half the English population of
Québec were born in Québec, the other half consists of new
arrivals. That is, we have a population in which there is a high rate of
turnover, a lot of English-speaking Quebecers leaving Québec, and we
know that the rate of out migration of English Quebecers leaving Québec
is about three times that of French-speaking Quebecers. This has not been that
noticeable until recently because these people have been replaced by new
arrivals, English-speaking immigrants or by those whose language was not
English and who...
M. Shaw: One second, where are you getting these figures? For
example, the figure from the federal government concerning emigrants
"émigrés du Québec" is almost equal, English
or French. So, where are you getting those figures that you are throwing at
me?
I do not mind listening to figures, but at least, base them on some kind
of study. Another thing is that you suggest that 50% of the people living in
the province of Québec who are non-francophones, are the mobile people
who are not originally Quebecers. What difference does that make in the
description of a social entity?
M. Caldwell: I do not think that it makes any difference with
regards to their status as Quebecers. What I am suggesting is that you have a
population in which there has been a high rate of turnover and in which it has
been difficult to identify with the jurisdiction in which we function. One of
the consequences of that is that you get a group of young students who, when
they finish in educational systems in English-speaking Québec, are not
in a position to choose to stay. They have not been equipped, culturally or
linguistically, in a way that they may choose to stay, and that creates...
M. Shaw: I agree with you that there has been a weakness in the
educational system, similarly as there has been a weakness in the French
educational system vis-à-vis the language. But, I am asking you, are one
and a half million people a social entity?
M. Caldwell: In the sense that their cultural and institutional
leadership has not allowed them to identify themselves with Québec, they
have been obliged to choose between the...
M. Shaw: One second now. You are telling me that a group of
people are not allowed to identify with Québec?
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît! A l'ordre, s'il vous plaît!
M. Shaw: I am always calm. Je suis toujours calme.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. M. le
député de Mont-Royal sur une question de règlement.
M. Ciaccia: Je crois que le député de Pointe-Claire
essaie de poser des questions qui, d'après lui, sont légitimes
et, d'après le règlement, il a tout le droit parmi les
règlements de l'Assemblée nationale et de cette commission
de poser des questions aux témoins. Si les témoins n'ont pas les
réponses...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mont-Royal... Non, vraiment, vous n'êtes pas dans l'ordre. Vous allez
à l'encontre du règlement et je ne me cache pas pour le dire. Ce
pourquoi j'ai rappelé les membres de la commission à l'ordre. En
vertu de l'article 100 je m'excuse lorsque quelqu'un parle, les
autres l'écoutent et actuellement, nous sommes dans un débat et
sur ce, les travaux de la commission...
Vous revenez cet après-midi, M. le député de
Pointe-Claire?
M. Shaw: J'aurais une autre question, s'il vous plaît.
Le Président (M. Cardinal): D'accord, oui.
M. Shaw: J'ai simplement une autre question. ...which I will be
very pleased to let you answer. Simply, do you feel that it would be just for
the English-speaking majority of Canada to assume a posture of forced
assimilation for the French-speaking Canadians of this country using your
rationale for the need of the minority to accommodate to the majority?
This is your rationale in this thing. Should we transfer this in the
greater context?
M. Caldwell: I would argue that it has been generally accepted
that it is false to establish a parallel between the French-speaking population
of Canada, outside of Québec, and the English-speaking population of
Canada inside Québec. The balance of influence and power is not
comparable and that the English-speaking population of Québec has a base
upon which to build and to maintain itself that is anglophone, North American,
and I do not consider it reasonable to make the comparison between
French-speaking Quebecers outside of Québec and English-speaking
Quebecers in Québec given the cultural context and the economic context
in which we live.
M. Shaw: D'accord.
Le Président (M. Cardinal): II est 13 heures. La
commission ajourne ses travaux sine die. Ceux qui pourront demeurer avec nous
sont invités cet après-midi.
(Fin de la séance à 13 heures)
Reprise de la séance à 16 h 27
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Je constate le quorum et ne perdons point de temps, du moins au
début. Comme c'est une nouvelle séance, je revois la liste des
membres de la commission, demandant qu'on m'indique bien les changements.
M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie),
est-ce qu'il est remplacé par M. Charbonneau (Verchères)?
Une Voix: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): II est remplacé par M.
Charbonneau (Verchères); M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Ciaccia
(Mont-Royal), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault
(Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton)
remplacé par M. Shaw (Pointe-Claire); M. Guay (Taschereau), M. Lalonde
(Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme
Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Paquette (Rosemont),
M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain) (Jacques-Cartier), M. Samson
(Rouyn-Noranda).
Je ne fais pas l'appel de l'ordre du jour à la suite de ce que
j'ai mentionné ce matin, afin de ne préjudicier les droits
d'aucun organisme et afin d'éviter la procédurite. Nous avons
devant nous le Comité anglophone pour un Québec unifié. Il
reste 35 minutes de débats ainsi possiblement distribuées: Parti
ministériel, 15 minutes; Opposition officielle, 15 minutes; Union
Nationale, 5 minutes. Personne n'a demandé la parole à
l'ajournement. Je ne sais. Je dois passer la parole au député de
Mont-Royal, ou au député de Pointe-Claire. C'est parce que vous
ne l'avez pas demandé à l'ajournement, c'est pour cela que je le
souligne.
M. Shaw: Je n'ai pas fini.
Le Président (M. Cardinal): Non, vous n'êtes pas
fini et vous n'avez pas terminé.
M. Ciaccia: Je vais laisser le député de
Pointe-Claire terminer, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le
député de Pointe-Claire.
M. Shaw: M. le Président, si je peux, je voudrais poser la
même question avec laquelle j'ai fini avant le lunch, peut-être
cette fois-ci à madame. I would like to repeat the question that I asked
this morning concerning the comparison you have enunciated in your brief that
you feel the majority has the right to force integration of the minorities, as
a principle. Now, I ask the question, using the majority, for example, of the
Canadian majority, do you feel that it is justified that the Canadian majority
impose the same kind of attitude to impose the integration of the minority in
Canada?
M. Muzynski: A couple of things I would like to say, but to that,
first of all, the francophone minorities in other provinces are in fact already
integrated, if not assimilated, into the anglophone majorities of those
provinces.
M. Shaw: Are you speaking as someone who is a French Canadian
living in an another province, are you respecting how they feel as French
Canadians living in these other provinces, or are you speaking as someone, a
sort of a hearsay representative, because most of the French Canadians I have
met from other provinces consider that they are just as French Canadian as
anyone sitting at this table. I mean, let us not use an illustration which does
not have basis in fact.
M. Muzynski: What I am trying to make the distinction between is
integration and assimilation. Francophones in other provinces are by a marge
already integrated, if not assimilated, into the majorities in those provinces.
In Québec, the vast majority of anglophones are not at all integrated
into la société québécoise, into the Québec
society. That is largely because of the lack of linguistic ability. In most
other provinces, you find that the francophones, in fact...
M. Shaw: Wait a second, I think you miss my question.
M. Muzinski: M. le Président, est-ce que je peux
continuer...
Le Président (M. Cardinal): S'il vous plaît. M. le
député de Pointe-Claire, à la fin de la séance de
ce matin, j'ai dû vous rappeler à l'ordre, je pense, gentiment. Il
ne s'agit pas d'un débat, le mandat de la commission est
d'écouter des invités, des témoins. Je vous prierais de
laisser le témoin terminer avant de le contre-interroger.
M. Shaw: Je voudrais seulement préciser ma question, M. le
Président. Je n'ai pas parlé du tout des minorités
canadiennes-françaises dans les autres provinces.
Le Président (M. Cardinal): D'accord, mais...
M. Shaw: J'ai dit seulement que nous avions besoin de faire une
comparaison entre la majorité canadienne et la minorité
canadienne; c'est dans ce contexte que je pose la question.
Le Président (M. Cardinal): Dans ce cas, vous laissez la
parole à monsieur.
M. Shaw: Did you understand my precision?
M. Muzynski: J'ai bien compris la question. Il me semble que,
lorsqu'on parle, je reviens sur le point, on n'est pas pour l'assimilation des
anglophones québécois, on est pour l'intégration à
la majorité, à la langue de la majorité au Québec
qui est le français. Dans les autres provinces où les
francophones se trouvent en minorité, c'est très vrai; je pense
qu'ils sont déjà intégrés d'une façon
très poussée, peut-être même, dans beaucoup de
cas, assimilés à la majorité anglaise.
Ici, au Québec, la minorité anglophone, dans la
majorité des cas, n'est pas intégrée dans la
société québécoise. C'est surtout à cause du
fait linguistique. La plupart des anglophones au Québec sont unilingues.
Ceci veut dire qu'ils sont incapables de vraiment s'intégrer à la
société québécoise. On n'est pas en faveur de
l'assimilation totale de la culture anglaise au Québec. Ce serait
même impossible, une assimilation des anglophones, étant
donné le contexte nord-américain dans lequel on vit.
M. Shaw: The question I asked you, and I am trying to precise it
again for you: Is it perhaps that there are those of us in the province of
Québec who also consider ourselves as Canadians? You may not be amongst
them, but I certainly consider that there are a large number of that too. So,
if we consider ourselves as a part of this Canadian context, therefore, we
should feel confortable, living in our province as anglophones, without feeling
an imposed integration.
Mme Collier: J'aimerais moi-même répondre à
votre question. Je pense que c'est le fond du débat, c'est-à-dire
qu'il y a beaucoup d'anglophones qui n'acceptent pas qu'il y ait deux nations
au sein du Canada. Ce qui est fondamental pour nous, dans notre affaire, c'est
qu'il y a une nation québécoise et une autre nation canadienne
anglaise. Donc, il y a deux nations au Canada. D'ailleurs, monsieur, vous
verrez qu'on n'a jamais dit qu'on était d'accord pour forcer n'importe
qui à faire n'importe quoi dans notre document, si vous le lisez comme
il le faut. On dit que c'est tout à fait normal que, quand on arrive au
sein d'une communauté telle que celle-ci, on accepte de fonctionner dans
la langue de la majorité, comme les Canadiens français en
Alberta, en Ontario, en Colombie-Britannique, acceptent de fonctionner en
anglais dans ces provinces. Nous, ce qu'on dit, c'est que Québec n'est
pas une province comme les autres. C'est l'hypothèse fondamentale de
notre mémoire.
Si vous n'acceptez pas cela, c'est évident qu'on ne peut pas
être d'accord.
M. Shaw: Can I have one last question?
Le Président (M. Cardinal): Une dernière question,
le temps est déjà écoulé. Mais quand
même...
M. Shaw: In this context, with this concept that we could make a
society in Québec that would be "vraiment unilingue française",
pensez-vous qu'il y a des moyens pour qu'un unilingue français, dans la
province de Québec, puisse aspirer à partager dans le secteur
d'expertises en Amérique du Nord. Si oui, lequel?
Mme Collier: Je pense qu'en ce moment, unilingue français,
qu'est-ce que cela veut dire? C'est évident qu'il y a une langue
prédominante de l'en- treprise et de la technologie, c'est-à-dire
qu'en Amérique du Nord, c'est l'anglais. Pourtant, en France, à
ce que je sache, les techniciens fonctionnent très bien en
français. J'aimerais aussi vous signaler que les gens qui quittent les
universités francophones au Québec, en tant qu'ingénieurs,
par exemple, sont très capables de lire l'anglais. Ils ne le parlent pas
nécessairement très bien, mais ils le lisent. Ils sont tout
à fait aptes ils le font actuellement, l'Hydro-Québec en
est le témoin à fonctionner en tant que techniciens dans
la langue française.
M. Shaw: Les techniciens?
Mme Collier: Comme techniciens, comme ingénieurs, comme
gérants de l'entreprise, je ne sais pas, moi, comme avocats même.
Il y a même des vice-présidents de compagnies aussi francophones
et cela fonctionne très bien.
M. Shaw: J'ai dit, madame, unilingues français.
Le Président (M. Cardinal): S'il vous plaît, c'est
déjà dépassé de près de trois minutes.
M. Shaw: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Vous dites, dans votre
mémoire, que les anglophones, de la façon dont vous les
décrivez, c'est l'élite économique anglophone du
Québec qui est opposée, d'après vous, à la
politique de francisation. Tous les mémoires qui ont été
présentés à cette commission et dont j'ai pris
connaissance ne semblent pas être contre le principe de francisation,
mais plutôt dans les moyens pour atteindre cette francisation. Je
voudrais vous demander si cela ne vous préoccupe pas que, dans le projet
de loi no 1, cela donne au gouvernement des pouvoirs sur les citoyens, des
pouvoirs qui sont presque absolus, parce que les citoyens, par exemple,
n'auraient pas de recours aux tribunaux, car l'article 172 enlève leur
recours à la Charte des droits de l'homme. Est-ce que cela ne vous
préoccupe pas, ces deux aspects du projet de loi?
M. Muzynski: Premièrement, comme vous l'avez dit, il y a
eu beaucoup de groupes d'anglophones venant des élites
économiques, c'est-à-dire des entreprises, qui étaient
pour un programme de francisation. Si on regarde bien les mémoires
qu'ils ont déposés devant la commission, on peut rappeler qu'ils
disent au début qu'ils sont en faveur, en principe, de la francisation.
Mais si on regarde, dans les faits, les propositions qui sont faites dans les
mémoires, on voit qu'à chaque proposition, c'est une façon
de retarder la francisation, de rendre la francisation moins complète,
d'essayer de mettre le plus de trous possible dans une Charte de la langue
française pour qu'il y ait plus de place pour la langue anglaise.
M. Ciaccia: Ma question, ce n'est pas tellement sur la
question... Je sais votre opinion sur les autres mémoires. Ma perception
des autres mémoires, ce n'est pas la vôtre. Mais voici ma
question: Est-ce que cela ne vous préoccupe pas, le fait que le
gouvernement a des pouvoirs qui sont presque absolus, que cela enlève
les recours aux tribunaux, que cela enlève les recours à la
Charte des droits et libertés de la personne? Cet aspect du projet de
loi ne vous préoccupe pas, vous l'acceptez?
M. Muzynski: Si on parle de la mise en vigueur d'une loi, c'est
sûr qu'il faut des moyens pour rendre une loi applicable. On sait
très bien qu'il y a d'autres lois, comme la Loi sur le salaire minimum
et la Loi sur la sécurité physique de l'emploi, qui ne sont pas
très bien appliquées. Il faut des lois qui obligent les
entreprises à appliquer ces lois. Je pense que c'est la même chose
pour la Loi sur la langue française.
M. Ciaccia: Alors, vous mettez sur le même pied les droits
qui sont affectés, le fait d'enlever le recours à la Charte des
droits et libertés de la personne, le fait d'enlever le recours aux
tribunaux sur des droits fondamentaux, vous mettez cela sur un pied
d'égalité avec une mesure administrative comme l'administration
du salaire minimum?
M. Muzynski: Disons qu'on n'a pas tellement abordé la
question de la Charte des droits et libertés de la personne. Quand on a
a regardé le mémoire, on a axé surtout notre argumentation
sur les deux politiques, la politique sur la langue du travail et la politique
sur la langue de l'éducation. Je pense qu'il y avait déjà
des mémoires en ce sens, et même le ministre a dit que
peut-être il enlèverait cette clause de la charte.
Personnellement, je ne suis pas opposé à ce que cela soit
enlevé du projet de loi.
M. Ciaccia: Pensez-vous que le concept de la séparation
des pouvoirs n'est pas accepté ici. Il n'y a pas de séparation de
pouvoirs entre l'aspect législatif, l'exécutif et l'aspect des
tribunaux? Ne croyez-vous pas que cette approche par le gouvernement est un
potentiel d'abus assez considérable dans le projet de loi qui est devant
nous?
Mme Collier: Je pense qu'il faut insister, encore une fois, sur
le fait que chaque loi doit être réglementée et doit
être appliquée. On ne voit pas que ces lois soient tellement
dangereuses. En fait, on aimerait voir d'autres lois encore mieux
appliquées, comme M. Muzynski a dit. Par exemple le gouvernement vient
d'indexer le salaire minimum. On préférerait voir cette loi
encore mieux appliquée. On n'aimerait pas, par exemple, que le projet de
loi no 1 passe et que rien ne change parce qu'on ne fait pas assez attention
sur la façon dont cela sera appliqué. Alors, nous ne sommes pas
du tout d'accord que cela va être comme un état policier où
il y aura des policiers de la langue, je ne suis pas d'accord avec ce
sentiment. On trouve que c'est normal que, dans une démocratie, une loi
soit appliquée.
M. Ciaccia: Vous trouvez que c'est normal d'enlever les droits de
la Charte des droits de l'homme, que c'est normal d'enlever les recours aux
tribunaux, que c'est normal de donner tout le pouvoir au ministre, que c'est
normal de donner tous les pouvoirs discrétionnaires aux fonctionnaires.
Vous trouvez tout cela normal, quand il s'agit de droit individuels, de droits
fondamentaux, non seulement pour la collectivité anglophone, mais
même pour la collectivité francophone. Vous trouvez cela normal,
vous?
Mme Collier: Je ne suis pas avocate, mais ce matin j'ai entendu
mon avocat qui disait que chaque loi enlève des libertés. Alors,
il me semble que c'est normal que lorsqu'on légifère on
enlève certains droits. En les enlevant, on donne des droits à
d'autres personnes. C'est-à-dire que pour chaque fois, maintenant, qu'un
anglophone unilingue va dans un magasin et qu'il n'est pas capable de demander
ce qu'il veut en français, il y a un francophone qui, lui, a le droit de
parler français. Alors, qui perd son droit là-dedans? Je me le
demande. Est-ce l'Anglais qui va perdre le droit de parler anglais? D'accord,
d'une certaine façon. Par contre, le Français va avoir le droit
de travailler dans sa propre langue. C'est-à-dire qu'en enlevant une
petite partie ici, on la redonne sur l'autre côté. Il me semble
que c'est normal que le processus législatif marche de cette
façon.
M. Ciaccia: II y a très peu de lois il n'y en a pas
à ma connaissance. Il n'y a que celle-ci qui enlève les
droits reconnus dans la Charte des droits et libertés de la personne et
c'est une des très rares lois qui enlève le recours aux
tribunaux.
La situation dont vous parlez... Quand un francophone ne peut pas
être servi dans sa langue, il a droit à des recours d'après
la Charte des droits et libertés de la personne. Il est
protégé et il peut avoir recours aux tribunaux. Il peut faire
valoir ses droits, mais d'après ce projet de loi-ci, cela ne pourra plus
se produire. Un individu n'a plus ces droits et c'est l'aspect un peu
malheureux de ce projet de loi. Ce n'est pas la question de la francisation. Ce
sont les moyens et les méthodes.
Comment voyez-vous le nombre considérable quelle est votre
opinion? de francophones qui sont venus devant cette commission et qui
se sont opposés à plusieurs aspects du projet de loi? Comment
voyez-vous cela?
Mme Collier: Je ne suis pas ici pour vous expliquer...
M. Ciaccia: D'après vos explications, selon la
façon dont vous voyez l'évolution de la société,
pensez-vous que notre dynamisme social... Voyez-vous cela en termes d'un
conflit de classes?
M. Muzynski: II y a certainement des conflits entre les gens qui
sont des travailleurs, qui travaillent pour un salaire, et l'élite
économique, comme on le dit très bien, je pense, dans notre
mémoire. C'est une partie du problème des groupes, des leaders
anglophones, qui ne représentent pas le monde ordinaire anglophone qui
travaille, qui
s'occupe plus des problèmes de la sécurité
d'emploi. Comme on a mentionné plus tôt dans la journée, on
est un groupe anglophone original du fait qu'on exige une
sécurité d'emploi. Les autres groupes n'ont pas mentionné
le problème de la sécurité d'emploi et du recyclage
linguistique. Si on regarde qui sont ces groupes, on voit que ce sont des
vice-présidents de grosses compagnies, des directeurs de personnel et
ainsi de suite. Il y a certainement un conflit entre ces deux classes.
M. Ciaccia: D'après votre mémoire ou d'après
votre perception de la société, quel rôle voyez-vous pour
les droits individuels? Quel rôle doivent-ils jouer dans notre
société?
Mme Collier: Les droits individuels... M. Ciaccia: Les
droits des minorités.
Mme Collier: C'est-à-dire qu'on aimerait voir une
société épanouie dans laquelle chaque personne peut jouer
un rôle complet et approfondi dans sa société. Dans ce
cas-là tout le monde va jouir des droits individuels.
M. Ciaccia: Vous écrivez dans votre mémoire que
vous êtes intéressés par la justice sociale. Les aspects du
mémoire, quand vous parlez de recyclage qui ont été
commentés, c'est un aspect positif de votre mémoire, où un
individu, un travailleur qui parle seulement l'anglais ne devrait pas
être pénalisé... mais quant à votre
intérêt dans la justice sociale, est-ce que vous pensez que le
nationalisme est le moteur pour arriver à cette justice sociale, le
genre de loi qui est basée, qui a une orientation ethnocentrique?
Croyez-vous que cela va arriver au but que vous cherchez, dans votre
mémoire, une justice sociale?
Mme Collier: C'est-à-dire que comme on voit le projet de
loi, on le voit dans l'ensemble des changements économiques et sociaux
qui doivent venir au Québec, c'est-à-dire que nous voyons la
francisation comme une étape nécessaire pour unir le peuple
québécois. Jusqu'à maintenant, on pense que la langue a
divisé le peuple québécois et on trouve que c'est vraiment
dommage que deux communautés vivent d'une façon parallèle,
qu'elles mettent leurs énergies, leurs talents à discuter entre
elles plutôt que de travailler ensemble, mettre leurs énergies
ensemble pour transformer la société.
M. Ciaccia: Tantôt, vous avez dit que les lois peuvent
brimer certains droits pour les mettre en vigueur, mais je remarque à la
page 3 de votre mémoire que vous dites que les droits humains
fondamentaux doivent toutefois être protégés. Cette phrase
semble aller à l'encontre de l'article 172. Est-ce qu'il n'y a pas une
contradiction?
Mme Collier: On pense que c'est un droit fondamental que de
pouvoir travailler et de pouvoir garder son emploi. Alors, quand on parle droit
fondamental, on pense plutôt au droit de chaque personne même
si...
M. Ciaccia: Anglophone et francophone.
Mme Collier: Anglophone et francophone. D'ailleurs à la
page 3, ce sont surtout les anglophones unilingues dont on parle,
c'est-à-dire quelqu'un qui a 45 ans, qui est unilingue anglophone. On ne
veut pas voir cette personne-là perdre son emploi. On trouve que c'est
un droit fondamental qu'il a de gagner de l'argent pour vivre.
M. Ciaccia: Mise à part la question des immigrants futurs
ou des immigrants qui sont déjà ici, que pensez-vous de l'aspect
du projet de loi qui va donner aux anglophones une liberté de choix dans
l'enseignement qui est niée aux francophones? Que pensez-vous de cet
aspect du projet de loi?
M. Muzynski: C'est très vrai d'une certaine façon
que le projet de loi enlève le droit aux francophones d'aller à
l'école anglaise comme la loi 22 a fait aussi, mais on trouve cela
très normal. Cela donne même plus de droits aux anglophones dans
ce sens que cela donne des droits aux francophones.
C'est très vrai. On ne trouve pas que c'est aberrant du tout. On
trouve que c'est normal, on pense...
M. Ciaccia: Vous pensez que ça aussi, c'est normal, que
les anglophones vont avoir plus de droits que les francophones, d'après
ce projet de loi. D'après vous, c'est une autre mesure normale.
M. Muzynski: C'est la première fois que j'entends dire que
les anglophones vont voir plus de droits...
M. Ciaccia: Bien sûr. Un anglophone, tel qu'il est
défini dans l'article 52, va avoir la liberté de choix, il pourra
aller aux écoles anglophones ou aux écoles francophones, tandis
que le francophone pourra aller seulement à l'école francophone.
Vous ne trouvez pas que quelqu'un va avoir plus de droit que l'autre?
Mme Collier: Si je peux répondre à cette question,
ça laisse vraiment, encore une fois, le fond du débat. Les
écoles anglaises existent au Québec parce qu'il y avait une
communauté anglophone, 13% de langue maternelle anglaise. Ce qui est
arrivé au Québec, c'est que les allophones, les gens qui
n'avaient pas l'anglais comme langue maternelle, sont allés à ces
écoles. Toutes les circonstances au Québec ont fait que si on
parle anglais, on est privilégié, on peut avoir un meilleur
travail, on peut faire tout ce qu'on veut dans la vie. Il y a, sur tous ces
grands points du continent nord-américain, des liens économiques
qui ont fait que le Québec s'est laissé aller dans une situation
où on voyait l'école anglaise comme un droit, mais ce n'est pas
normal pour un peuple de penser que ses écoles ne sont pas les
meilleures écoles. Je veux dire que c'est tout à fait...
M. Ciaccia: Vous ne répondez à ma question.
Le Président (M. Cardinal): Très brièvement,
le temps est déjà dépassé.
M. Ciaccia: Ah! Je n'ai pas cinq minutes encore, M. le
Président?
Le Président (M. Cardinal): Non, je m'excuse. M.
Ciaccia: Excusez-moi, ça passe bien vite.
Le Président (M. Cardinal): Les auditions ont
commencé à 12 h 8 et vous avez commencé à 16 h
38.
M. Ciaccia: Seulement pour terminer, vous n'avez pas
répondu à ma question, parce que le projet de loi consacre cette
liberté de choix, même si vous pensez que c'est aberrant, quoique
cela existe dans d'autres pays, il consacre cette liberté de choix pour
un groupe de citoyens tandis qu'il ne le donne pas à l'autre. Ma
question était donc: Est-ce que vous ne trouvez pas qu'un groupe de
notre société est avantagé plutôt qu'un autre
groupe?
Mme Collier: Est-ce que je peux quand même avoir le droit
de répondre, M. le Président?
Le Président (M. Cardinal): Certainement oui. M. le
député a terminé, mais vous avez encore le droit de
continuer.
Mme Collier: J'aimerais demander à M. le
député s'il trouverait normal qu'on inscrive dans la loi que les
anglophones n'ont pas le droit d'aller aux écoles françaises?
M. Ciaccia: Non. Un instant! Savez-vous, il y a
différentes manières de formuler des questions et des lois. Je
trouverais aberrant de dire qu'un anglophone ne pourrait pas aller aux
écoles françaises, naturellement, quand le but du projet de loi
est de franciser, la langue de communication étant le français,
de permettre à des gens de communiquer, de travailler et de vivre en
français.
Mais ce n'est pas ma question. Je ne pense pas qu'on puisse
répondre à une question par une autre question. C'est une
tactique qu'on peut utiliser, je l'utilise parfois moi aussi, mais, dans ce
cas-ci, je ne pense pas que vous puissiez répondre à ma question
en en posant une autre. Vous n'avez pas répondu, seulement pour fins
d'enregistrement M. le Président. On n'a pas répondu à ma
question.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Cela vous a quand
même donné trois minutes de plus. Madame, avez-vous quelque chose
à ajouter?
Mme Collier: Non, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Cette audition va se terminer
avec l'intervention de M. le député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Mme Collier,
je pense que le plaisir que les ministériels ont eu à entendre
votre mémoire et vos observations, vos réponses aux questions,
est évident.
Nous ne sommes nullement gênés de manifester ce plaisir. Ce
plaisir n'est pas accompagné d'étonnement ni de surprise, parce
que nous savons que nos idées, pour l'essentiel, sont partagées
par un nombre croissant d'anglophones du Québec, surtout dans les
couches populaires.
C'est peut-être un phénomène qui a
échappé à l'attention d'autres formations politiques qui
sont plus près des élites. Votre mémoire, vos
déclarations, ont provoqué, comme vous avez pu le constater, un
certain désarroi dans les rangs de l'Opposition à cette
commission, mais je ne m'étendrai pas là-dessus.
Je voudrais revenirle ministre l'a déjà
faitsur la nouveauté, en quelque sorte...
M. Ciaccia: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mont-Royal, sur une question de règlement.
M. Ciaccia: On a imputé certains motifs aux questions que
nous avons soulevées. Il n'y a pas eu de bouleversement ni de
désarroi dans nos questions. Nous cherchions des réponses
à des questions assez précises.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît! Remarquez que j'aurais pu demander quel article vous invoquiez.
C'est presque une question de privilège. C'est en vertu de l'article 96
que je vous ai permis votre question, parce que vous veniez de faire un
discours.
M. le député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Je n'interviendrai pas sur cette
prétendue question de règlement, M. le Président, je vais
reprendre le fil de ce que j'étais en train de dire à nos
invités.
Le ministre a déjà souligné que, d'une certaine
façon, votre mémoire est nouveau en ce sens qu'il tranche sur un
certain nombre d'autres mémoires que des groupes anglophones ont
présentés à la commission et il est nouveau aussi, en ce
sens qu'il est un de ceux qui ont apporté le plus
d'éléments concrets pour employer un mot qui faisait
partie de nom du groupe qui vous a précédé, des
éléments "positifs" par exemple, quant à l'aide
à la francisation, vous nous présentez des propositions qui
résultent manifestement d'une étude fouillée de la
question et vous envisagez, Dieu merci, l'aide à la francisation, non
seulement au niveau des entreprises, parce que, à ce niveau-là,
on en a entendu de toutes les couleurs, mais vous l'envisagez au niveau des
travailleurs qui sont, eux, touchés, évidemment par les
programmes de francisation et vous proposez des modalités d'aide qui
fassent en sorte que cette
aide soit financée à la fois par l'Etat et par les
entreprises. Je crois que vous en attribuez principalement le fardeau aux
entreprises, mais que vous reconnaissez un rôle de l'Etat et que vous
souhaitez en particulier que l'Etat s'occupe des travailleurs qui sont
temporairement retirés du monde du travail parce qu'ils sont
chômeurs ou assités sociaux. Ce sont là des propositions
que nous allons étudier très attentivement et qui
présentent un intérêt indubitable.
Tout à l'heure, on vous a interrogés sur des questions de
droits individuels. De vos réponses, j'ai dégagé la notion
d'un droit individuel qui semble parfois échapper à l'attention
de certains de nos collègues.
C'est un droit individuel que je crois que vous avez entrepris de
soutenir et le gouvernement aussi est bien résolu à le soutenir,
c'est le droit individuel des Québécois, de chaque
Québécois, puisque c'est un droit individuel, de participer
à la vie commune du Québec et je crois que c'est là un
fondement de votre mémoire, un fondement extrêmement important et
qui aide à situer la Charte du français dans une juste
perspective. La Charte du français est un instrument qui va nous
permettre de lutter pour faire prévaloir les droits individuels et, en
particulier, le droit individuel de participer à la vie commune, droit
qui est en filigrane de la déclaration universelle des droits de
l'homme.
Je voudrais signaler aussi un autre élément de
nouveauté dans votre mémoire, à la page 12, là
où vous observez, là où vous parlez des cours, des classes
d'immersion. Mais vous êtes les premiers à nous signaler "que
c'est en fait les personnes qui vivent dans les quartiers ouvriers qui auront
besoin du français davantage que les parents de la classe mobile
bourgeoise du West Island dont les enfants apprendront le français dans
des classes d'immersion et qui parleront quand même la langue de
l'élite dominante." Je crois que cette observation est tout à
fait pertinente et que cela aide à situer ces fameuses classes
d'immersion dans leur véritable contexte. Si l'élite anglophone
se préoccupe vraiment de la condition des anglophones au Québec,
elle devrait, comme vous, se préoccuper des dispositions que l'on prend
pour que les classes populaires anglophones au Québec puissent elles
aussi apprendre le français à l'école et au milieu de
travail.
Je voudrais, en troisième lieu, Mme Collier, vous poser une
question à laquelle il est peut-être difficile de répondre,
une question qui est peut-être délicate, mais une question qui a
trait a des attitudes et à des comportements et, lorsqu'il s'agit de
questions de langue et de culture, on n'échappe guère aux
questions d'attitude et de comportement. La question que je veux vous poser a
trait au fait qu'une certaine proportion des Québécois soit de
souche britannique, soit d'autres souches, mais ayant choisi l'anglais comme
langue d'usage, une certaine proportion de ces gens je parle de ceux qui
sont établis au Québec depuis des générations; je
dis bien depuis des générations, je ne parle pas de
Néo-Québécois, je ne parle pas d'immigrants se sont
abstenus d'apprendre le français. J'ai parfois l'impression que les
gens, justement, qui viennent nous parler de classes d'immersion sont
ceux-là même qui, depuis des générations,
s'étant abstenus d'apprendre le français, cherchent à
passer le fardeau à leurs enfants. Il y a une question que je veux vous
poser. Avez-vous une idée... Moi, je suis Québécois de
souche francophone, ce que je connais des anglophones, cela vient de
l'observation, cela ne vient pas du tréfonds de moi-même. Vous, je
ne sais pas si vous êtes mieux placée pour savoir ce qui se passe
au tréfonds des gens. La question que je veux vous poser, c'est:
Pourquoi ce phénomène s'est-il présenté? Pourquoi
ce nombre X de Québécois s'est-il, génération
après génération, abstenu d'apprendre le
français?
Mme Collier: II y a au moins je pense comme cela
deux raisons. Une raison, c'est qu'au Québec, l'anglais a toujours
été la langue la plus payante. On a les études de la
Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, qui ont
démontré que les francophones étaient les deuxièmes
sur quatorze catégories de groupes ethniques au point de vue des
salaires.
On a de plus récentes études qui ont été
publiées dans le Devoir par un sociologue à l'Université
de Montréal qui démontre que la situation n'a pas encore beaucoup
changé, que les unilin-gues anglophones gagnent encore plus que les
bilingues francophones. Les gens n'ont pas eu l'encouragement économique
dans ce sens-là pour apprendre le français.
Deuxièmement, le Québec, c'est la seule province où
on trouve tout un système d'institutions parallèles pour le
groupe ethnique anglophone, c'est-à-dire qu'il y a le système
scolaire, le système des hôpitaux, les services sociaux qui font
qu'un anglophone est tout à fait capable de se débrouiller de
jour en jour en anglais. Je pense que ce sont surtout pour ces deux raisons que
ce n'est pas tout le monde qui a appris le français. C'est très
facile au Québec de se débrouiller sans le français.
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: M. le Président, avec votre
permission, j'ai une dernière question. Vous avez parlé de la
restructuration scolaire, Mme Collier, dans votre mémoire. Il arrive,
comme le ministre vous l'a indiqué, que ces questions sont actuellement
à l'étude. Il arrive, par ailleurs, que le député
qui vous parle a lui aussi ses idées là-dessus. La question que
je veux vous poser est celle-ci: Dans le cadre d'un régime scolaire
unifié, éventuel, dans le cas où cela se produirait,
seriez-vous en faveur de l'enseignement, non seulement de la langue officielle,
le français, non seulement de l'anglais considéré comme
langue utile et quasi indispensable, du moins pour la majorité des
Québécois, mais seriez-vous aussi en faveur de l'enseignement
d'autres langues dans les localités ou les quartiers où il y a,
par exemple, une concentration d'Italiens, de Grecs, de Portugais
ou de Polonais, concentration qui, selon certaines normes qui
resteraient à fixer, serait suffisante, sur demande des parents, pour
que l'on donne aux enfants, à l'école publique et aux frais de
l'Etat, l'enseignement d'une tierce langue?
M. Muzynski: II faut dire que notre comité n'a pas
tellement abordé cette question, mais je pense qu'en parlant pour le
comité, on peut dire qu'on serait entièrement d'accord, en
même temps qu'une réorganisation scolaire basée sur des
décisions plus démocratiques, des décisions venant plus de
la base, pour que, dans les quartiers où se trouve une proportion assez
élevée de gens, d'autres groupes ethniques, italiens, grecs ou
portugais, il y ait l'enseignement de leur propre langue et un enseignement de
qualité. Je pense qu'on est bien d'accord avec cela.
Le Président (M. Cardinal): Merci, Mme Collier; merci, M.
Muzynski; merci à votre organisme, qui s'est représenté
devant nous cet après-midi. J'appelle immédiatement le prochain
organisme, le Mouvement Québec français, mémoire 30.
Alors, merci. Au revoir.
M. Muzynski: Merci.
Mme Collier: M. le Président, messieurs et madame le
député, je vous remercie.
Le Président (M. Cardinal): Merci, madame. M.
François-Albert Angers, je vous prierais, suivant l'usage, d'identifier
ceux qui vous accompagnent, ainsi que votre organisme ou mouvement. Vous aurez
20 minutes pour exposer votre mémoire ou en faire un
résumé. M. Angers, vous avez la parole.
Mouvement Québec français
M. Angers (François-Albert): M. le Président,
même si je pense qu'un peu tout le monde connaît le Mouvement
Québec français, il est peut-être bon de signaler que c'est
une sorte de front commun qui s'est formé à un moment
donné, devant l'urgence qu'il y avait à régler la question
de la langue, front commun qui est certainement des plus représentatifs
de la société québécoise, puisqu'il comprend
l'Alliance des professeurs de Montréal, l'Association
québécoise des professeurs de français, la Centrale de
l'enseignement du Québec, la Confédération des syndicats
nationaux, la Fédération des travailleurs du Québec, le
Mouvement national des Québécois, la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal et l'Union des producteurs
agricoles.
L'ensemble de ces associations, en excluant certaines d'entre elles qui
sont un peu reliées, forme un total de 775 000 membres, donc
représente, on peut dire, beaucoup plus d'un million de
Québécois.
Ici avec moi, aujourd'hui, se trouvent... Enfin, je vais les
énumérer. Ils pourront peut-être se lever pour se
distinguer. M. Manuel Coelho, représentant de l'Alliance des professeurs
de Montréal; M. Jean-Paul Champagne, représentant la
Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal; Mme Ruth Paradis,
représentant le Mouvement national des Québécois; Mlle
Christiane Fradette, représentant la Centrale d'enseignement du
Québec; Mme Fran-cine Lalonde et M. Michel Rioux, représentant la
CSN et M. Fernant Daoust qui devrait être ici d'un moment à
l'autre, il était ici tout à l'heure. Ce dernier
représente la Fédération des travailleurs du
Québec.
D'une façon générale, je vous signale que ce
mouvement, justement, étant donné son importance, a comme
représentants des mouvements, toujours le président de
l'association ou son collaborateur le plus immédiat, plus une autre
personne qui est intimement liée à l'action du président.
En somme, on a voulu montrer l'importance qu'on attachait à ce front
commun, en y désignant non pas une personne
déléguée, mais vraiment le président ou son
collaborateur le plus immédiat et un autre de ses collaborateurs pour
que cela soit vraiment représentatif du mouvement. Alors, voilà
ce qu'est le Mouvement Québec français et les personnes qui sont
ici avec nous.
Le Président (M. Cardinal): Nous commençons donc
je m'excuse de ce minutage, mais il le faut à 17 h 13.
M. Angers: M. le Président, puisque nous n'avons pas le
temps d'exposer notre mémoire au complet, je vais vous demander
l'autorisation, à vous et à la commission, d'inscrire notre
mémoire au journal des Débats et aussi, je crois que vous devez
avoir les deux pièces, soit un addenda.
Le Président (M. Cardinal): M. Angers, le président
vous accorde tout simplement ce droit. Votre mémoire et l'addenda ou les
addenda seront reproduits en annexe au journal des Débats. (Voir annexe
3).
M. Angers: Je vous en remercie, M. le Président.
J'ajoute ceci qui est caractéristique de la situation du MQF
à cause de sa nature même. Ce que nous présentons, ce n'est
pas une analyse de l'ensemble de la question, ceci est fait par chacun de nos
mouvements. Les points dont nous allons parler sont des points sur lesquels les
associations membres ont fait l'unanimité. Par conséquent, il
s'agit de ce qui est essentiel dans le débat sur la langue que nous
considérons comme quelque chose d'intangible, parce que,
précisément, c'est le minimum de ce qui est possible
d'établir comme exigence dans un ensemble de mouvements aussi importants
qui ont des intérêts très divers.
Partant de là, je vous signale rapidement les sujets que vous
trouverez traités dans le mémoire qui est en cinq parties, en
somme. Une partie sur l'enjeu du débat linguistique au Québec qui
nous paraît la partie principale. Une deuxième partie sur la
portée du projet de loi qui a son importance aussi; nous y reviendrons.
Une troisième et une quatrième parties qui portent sur ce que
nous appelons les faiblesses de la loi et qui concernent deux aspects
particuliers qui sont la question de
l'article 133 de l'AANB et la question des droits scolaires des
anglophones. Et finalement, une cinquième partie qui traite des
problèmes de l'Office de la langue française.
La question de l'enjeu nous paraît une des parties essentielles de
notre mémoire et aussi du problème auquel ont à faire face
les députés, la commission parlementaire, le cabinet et le
gouvernement en Assemblée nationale. Le point que nous essayons de faire
valoir, c'est que nous sommes dans un Québec qui est français par
ses origines d'abord. Il n'y a pas de raison, par conséquent,
d'être à moitié français, à moitié
anglais, trois quarts français, un quart anglais.
Un Québec qui est français par ses origines.
Un Québec qui est toujours resté français à
travers les constitutions accordées par l'Angleterre elle-même;
donc, une situation de droit fondamental qui a fait du Québec un Etat
français après avoir été une colonie
française, même si c'est à l'intérieur de la
Confédération.
Le problème en jeu dans le débat linguistique depuis 1969
c'est ce que nous essayons de faire valoir, de faire saisir à
tous les Québécois, à tous les députés
c'est: Consentons-nous aujourd'hui à nous départir de ce
qui est notre seule patrie? Consentons-nous à y installer un droit
nouveau qui serait la reconnaissance d'une part d'égalité ou de
cohabitation, de communauté avec ceux qui sont aujourd'hui les
descendants du conquérant et leurs alliés?
Ce qui voudrait dire, à partir de ce moment, que nous n'avons
plus de véritable patrie, que nous n'avons plus un pays à nous
où nous pouvons nous exprimer dans ce que nous sommes sans avoir
à tenir compte d'une autre culture, sans avoir à intégrer
une autre culture. C'est un problème fondamental sur lequel nous
insistons dans tout le mémoire en faisant les rappels historiques
nécessaires.
Cette question nous paraît très grave et elle ne nous
paraît pas avoir été bien perçue par aucun des
gouvernements qui ont précédé celui-ci.
Il y a dans ce problème une confusion totale entre une situation
de droit et une situation de fait, une situation de droit qui vient des luttes
de nos ancêtres et qui a été reconnue par le
conquérant, reconnue par l'Angleterre, ratifiée dans des
constitutions, nous donnant le droit, à nous, de faire un Québec
français, et une situation de fait qui nous a été
imposée par les abus et les injustices des anglophones envers le
français, en vertu de leur pouvoir de domination, soit politique, soit
économique, selon les différentes périodes de notre
histoire.
Le mémoire, justement, insiste beaucoup sur cet aspect et relate
certains des épisodes majeurs de notre histoire à cet
égard en vous signalant que la démonstration complète de
ce fait a été déjà présentée soit
devant la commission Gendron, soit devant la commission parlementaire pour la
loi 22.
L'Acte de Québec est la base de ces droits je le rappelle
rapidement. Dès ce moment, Chartier de Lotbinière avait dit au
gouvernement anglais: Inscrivez donc dans la loi la langue française
comme langue du Québec, et la ré- ponse du Parlement de Londres
n'a pas été aussi claire que cela parce qu'on a réagi
à la britannique au lieu de réagir à la française,
mais la réponse de Londres a été claire, en ce sens qu'on
a dit: Outre le droit criminel, les habitants du Québec se retrouvent
dans leurs lois, us et coutumes d'avant la conquête exactement comme si
la proclamation de 1763 n'avait pas été faite et n'avait pas
existé.
C'était donc, à ce moment, dire clairement: Le
Québec est un Etat Français. Bien plus que cela. Les
volontés de Londres sont très claires par les documents. Il y a
eu des correspondances qui expriment très clairement ce qu'a voulu faire
Londres et je cite seulement une phrase d'un des textes importants,
fondamentaux dont vous trouverez le sens dans notre mémoire: "Ce que le
cabinet veut d'une façon unanime...", a dit le pilote de la loi à
un lord qui contestait cette position "...c'est d'établir un
gouvernement civil pour des établissements de nombreux sujets
français." Donc, l'intention de Londres a été vraiment de
reconnaître le Québec comme une colonie française dans
l'empire, ayant le droit de rester française et de s'administrer selon
les us et coutumes de la majorité à travers les constitutions qui
sont venues et aucune constitution, à l'extérieur, n'a jamais
changé ce chef fondamental.
Toutes l'ont confirmé, au contraire, par leurs implications, et
1791 qui a séparé les deux Canadas pour donner un Canada anglais,
qui était français avant 1791, aux Anglais et laisser aux gens du
Québec leur Etat français, leur colonie française; et 1840
qui a maintenu le régime des deux systèmes à
l'intérieur d'un même Parlement; et 1867 qui a mis l'article 133
précisément pour accorder un minimum de droits aux anglophones du
Québec afin que, justement, la majorité n'enlève pas ces
droits, étant considéré que l'on accorderait aussi les
droits similaires aux francophones du reste du Canada.
Alors, tout cela, c'est une reconnaissance formelle du droit du
Québec de rester français, et nous soulignons dans notre
mémoire, très fortement que ce n'est pas parce que nous avons
été soumis à la domination, ce n'est pas parce que nous
avons été soumis à des régimes qui ont
été des régimes où on a essayé d'impliquer
dans des parties canadiennes une collaboration canadienne-française pour
faire changer certaines choses, pour nous assimiler en douce, comme l'avait
affirmé Pitt en 1791 en disant: "On va peut-être les assimiler en
douce, mais, de toute façon, il faut leur donner ce qu'ils veulent". Eh
bien! ils n'ont pas réussi à nous assimiler en douce.
Nous voulons l'Etat français, nous y avons droit et,
précisément, c'est un droit reconnu. Il n'est pas question qu'on
accepte des concessions sur ce point-là. Et c'est bien ainsi que nos
ancêtres ont compris la situation et qu'ils ont mené leurs
affaires tant que nous n'avons pas eu les confusions qui sont nées de la
Confédération, parce que le grand débat à ce point
de vue a été le débat de 1792 où on a
proposé, pour l'Assemblée, un orateur qui ne savait pas l'anglais
et où Papineau, le père de Louis-Joseph, s'est levé contre
les anglophones qui protestaient et a dit: "II est
inadmissible que, dans cette province reconnue française par
Londres, une personne quelconque ne puisse pas aspirer aux plus hauts postes du
Québec parce qu'elle ne sait pas l'anglais." Par conséquent,
l'orateur du premier Parlement du Québec a été un orateur
qui ne savait pas l'anglais et qui était obligé de
présider à des débats avec des anglophones. C'était
l'affirmation de base qui montrait que nos ancêtres avaient bien compris
ce qui leur avait été donné par Londres et avaient
l'intention de le défendre. Or, les premières brèches
c'est cela qui est grave qui ont été faites
à cette situation de droit... il n'y en a eu aucune avant le bill 63, il
n'y en a eu aucune avant le bill 22, qui ont essayé d'introduire un
nouveau principe qui était le principe d'un Etat québécois
bilingue en droit. Même si l'anglais s'était répandu en
fait, cela ne changeait pas la situation de droit et, évidemment, si on
est obligé de légiférer aujourd'hui, c'est parce que la
portée du droit n'a pas été reconnue par les anglophones
du Québec qui, en dépit des lois de leur propre souverain, ont
constamment violé ces lois et n'ont pas respecté les droits de la
population du Québec en lui imposant l'anglais, en lui imposant de
travailler en anglais.
Voilà la base historique sur laquelle nous nous fondons pour vous
dire: Vous avez à décider aujourd'hui si vous nous ôtez la
patrie française du Québec pour en donner une partie à des
anglophones, en tant que communauté ayant le droit de partager avec nous
ou si notre seule patrie, vous allez nous la donner en faisant du Québec
un Etat français où on respectera les droits des
minorités, mais non pas le droit d'une communauté qui voudrait
être égale à nous en se décrétant peuple
fondateur, non seulement du Canada, mais du Québec, ce qui n'est pas la
même chose.
Alors, rapidement, la portée de la loi, nous l'approuvons. Nous
disons: Le projet de loi déposé établit vraiment le
français comme seule langue officielle et nationale, même s'il
comporte certaines faiblesses qui sont susceptibles d'ouvrir la porte à
des interprétations contradictoires. Ces faiblesses, nous les discutons
et nous proposons des changements. Ces faiblesses sont dangereuses pour
l'intégrité du droit du français au Québec, parce
qu'elles peuvent ouvrir la porte à des interprétations juridiques
qui élargiraient le droit des anglophones, droit qu'ils n'ont pas, droit
qui n'existe pas. Nous allons leur donner des droits scolaires qu'ils n'ont
jamais eus. Nous allons leur donner sous forme de droit une situation de fait
que nous avons acceptée, mais qui n'a jamais été une
situation de droit.
Alors, pour les anglophones, cette loi est extrêmement
généreuse dans sa portée, elle leur confère des
droits nouveaux scolaires qu'ils n'ont jamais eus auparavant comme droits et,
quant au reste, elle laisse aux anglophones toutes les possibilités
normales d'utiliser l'anglais dans un pays normalement français. Le vice
de toute l'argumentation des groupes anglophones, c'est qu'ils n'admettent pas
un vrai Québec français et qu'ils veulent un Québec
bilingue avec le libre choix, égalité des deux langues dans le
débat linguisti- que. Elle ne paraît contraignante et je
voudrais qu'on ait le temps de l'examiner article par article, nous le faisons
dans le mémoire, vous l'avez lu que pour ceux qui ne respectent
pas la population du Québec et qui refusent de lui accorder la
reconnaissance de son droit légitime à un Québec
français. Elle n'empêche personne de parler anglais entre eux, de
discuter en anglais, même de faire des réunions de commissions
scolaires, si ce sont des commissions scolaires anglaises, mais on n'a pas
à leur reconnaître ce droit-là. Elles peuvent le faire si
des Anglais se trouvent tous ensemble, s'il y a des Canadiens français,
des Québécois francophones qui exigent le français, il est
normal qu'on leur donne le français.
Elle est donc contraignante pour ceux qui ne veulent pas respecter les
droits fondamentaux d'un Québec français et des citoyens
français du Québec. Ceci, encore une fois, contre toute justice,
contre tout respect envers le peuple du Québec et ses droits
fondamentaux, à l'encontre de toutes les constitutions qui nous viennent
de Londres même.
A partir de là, c'est là que nous contestons certaines
faiblesses de la loi, en particulier à l'article 133 où nous
trouvons que le gouvernement a évité le problème dans ses
articles 7 à 13 en essayant d'avaliser l'article 133 pour le corriger
dans ses détails plutôt que de poser le vrai problème qui
devra être résolu un jour, donc c'est une perte de temps que de ne
pas le poser, est-ce que l'article 133 peut être amendé pour faire
un vrai Québec français et à quelle condition?
Nous croyons que vous devriez mettre dans la loi un article qui dit:
L'article 133 n'est plus une opération au Québec et on voit ce
qui en résultera quant à savoir si nous avons le droit ou non de
l'amender.
L'article 52 de la loi pose aussi des problèmes parce que le
principe du droit d'admissibilité à l'enseignement en anglais par
la seule fréquentation scolaire des anglophones n'est pas un principe.
C'est un mode administratif qui va justement aller à l'encontre de ce
qui est la vraie base de droit que nous voulons accepter, nous reconnaissons,
nous acceptons qu'à cause de l'association historique des anglophones
qui vivent actuellement au Québec, nous acceptons de leur
reconnaître des droits scolaires qu'ils n'ont jamais eus. Mais c'est pour
les gens du Québec, ce n'est pas pour ceux qui viennent du monde entier,
c'est pour les anglophones du Québec. C'est pour les seuls anglophones.
Or, la fréquentation scolaire d'un des parents va amener des
francophones, des Italiens, des Ukrainiens, toutes sortes de gens qui ne sont
pas des vrais anglophones à avoir le droit perpétuel à
l'école anglaise, c'est un principe qui va porter discrimination par
rapport à d'autres groupes qui n'ont pas fréquenté
l'école anglaise, alors qu'ils ne sont pas anglophones.
Nous insistons beaucoup sur ce point et nous vous proposons un
amendement fondamental à l'article 52 que vous retrouverez à
l'addenda, et sur lequel nous sommes tous unanimes, dans nos groupes, qui a
pour objet de rétablir le principe de la langue, mais de vous le
présenter, puisque tout
le monde a été tellement frappé par la
difficulté des tests, sous une forme plus souple qui retient le principe
de la fréquentation scolaire des parents comme critère
déterminant dans le moment, mais qui pose le principe fondamental de la
langue de l'enfant de telle façon que s'il y a des contestations devant
les tribunaux, ce soit le principe de la langue qui soit la base de
l'interprétation juridique.
Alors, nous vous proposons donc cet amendement et nous vous demandons de
le faire, parce que nous croyons que c'est extrêmement important, c'est
la partie la plus faible de la loi, parce qu'elle n'a pas la clarté et
la fermeté des autres principes qui sont posés et elle ne
réserve pas aux seuls anglophones mais elle étend à
d'autres le droit d'aller aux écoles anglaises. Alors, si on
l'étend de cette façon, où seront les limites
éventuelles après interprétation par les tribunaux.
Voila donc les parties essentielles de notre mémoire. Je vais
demander à Mme Monique Richer-Gasse de lire rapidement les conclusions
qui vont terminer notre présentation.
Mme Richard-Gasse: Nous terminons en soulignant au gouvernement
que, sauf peut-être sur des points en détail, à examiner de
près d'ailleurs pour voir si quelque changement mettrait en jeu des
principes de base et vicierait toute la loi, ainsi que cela se produisait dans
la loi 22, la Charte de la langue française, telle que
rédigée, n'est à peu près pas amendable, dans le
sens d'un élargissement de la place de l'anglais. Sa rédaction
soignée et précautionneuse montre bien que le gouvernement a
déjà été suffisamment influencé par
l'atmosphère ambiante qu'ont créé les deux lois
antérieures, 63 et 22 et qu'il a, en conséquence, introduit dans
la loi le maximum et un peu plus, de ce qu'il était possible d'accorder
aux anglophones sans mettre en cause l'économie même d'une loi qui
veut et qui doit rester la Charte de la langue française, seule langue
officielle au Québec.
C'est en restant ferme dans son souci d'assurer le respect et la
dignité du caractère intégralement français du
Québec que le gouvernement se fera respecter par la minorité
anglophone elle-même. Tenter de la démobiliser par des concessions
ne fera que l'encourager à réclamer encore davantage. Le meilleur
moyen d'en finir avec l'opposition anglophone, c'est de tenir bon jusqu'au
bout, du moment que nous avons la certitude d'être parfaitement dans
notre droit.
C'est pourquoi il est psychologiquement si important de nous donner la
peine de bien comprendre notre histoire, de la bien connaître, afin
d'éviter d'avoir des doutes sur nos propres droits, de nous sentir
obligés de reconnaître aux anglophones des espèces de
droits qu'ils considéreront ensuite comme sacrés pour nous
impressionner davantage.
Tout en manifestant la plus grande confiance au gouvernement sur cette
matière, confiance qu'il a déjà largement
méritée en osant déposer le projet de loi actuel, le MQF
sait tout de même que la partie n'est pas finie tant que la loi n'aura
pas été votée et que, par suite, le gouvernement devra
subir un assaut majeur avant que le rideau tombe sur le sort de cette loi.
Aussi, nous nous croyons obligés et nous estimons que c'est
l'honnêteté qui nous y oblige, de dire que nous ne pourrions
accepter, sans rentrer dans la lutte et redevenir des opposants acharnés
comme nous l'avons été contre les lois 63 et 22, quelque
amendement que ce soit qui aurait pour conséquence, même si l'on
prétend que cela n'est pas l'objet, d'établir l'anglais au
Québec dans une situation de droit fondamental sur quelque point que ce
soit. D'ailleurs, nous prenons la présente charte pour ce qu'elle est en
regard des droits accordés aux anglophones, une loi statutaire, donc
modifiable à volonté par l'Assemblée nationale, selon les
effets fastes ou néfastes qui pourraient en résulter.
En vertu du respect des droits fondamentaux de la personne ou des
collectivités ethniques de portée non nationale, les avantages
qu'accorde le projet de loi no 1 à la minorité anglaise
excèdent en effet de beaucoup ce que réclament dans ces cas les
chartes universelles des droits de l'homme et les conventions internationales.
Nulle part dans ces textes fondamentaux, il n'est question du droit au libre
choix de la langue d'enseignement. Tout au contraire, c'est d'abord la
protection des droits des langues nationales pour les peuples justifiés
de s'autodéterminer qui prime.
La Cour internationale des droits de l'homme a déjà
clairement porté jugement dans des causes de ce genre, et son jugement a
été catégorique. Il n'existe pas de droits linguistiques
fondamentaux qui permettent le libre choix de la langue d'enseignement. Ce qui
existe, c'est le droit fondamental de toute minorité ethnique de
créer des écoles, au besoin avec l'aide de l'Etat, où elle
pourra faire enseigner sa langue, non pas donner l'enseignement dans sa langue,
et ceci, à deux conditions: a) Que les minorités ne se servent
pas de ces écoles pour s'isoler de la communauté nationale; b)
Que le fonctionnement de ces écoles ne constitue pas un danger pour la
souveraineté nationale.
Il est évident que la minorité anglophone du Québec
jouira de beaucoup plus que cela en vertu de la charte proposée. Nous
sommes convaincus que c'est la trop grande ignorance de notre histoire en
général, comme celle même de ces événements
des dernières années, qui expliquent les réticences ou les
tiraillements qu'éprouvent tant des nôtres à mettre un
point final à cette lutte où nous avons dépensé
tant de nos énergies, comme si le monde anglophone s'était
donné le mot pour nous y occuper pendant qu'il s'installait dans le
contrôle de l'économie.
Il est temps que nous renversions au moins la vapeur et que notre
gouvernement nous redonne la liberté de passer nos journées
à autre chose qu'à des activités pour nous tenir tout
simplement en vie et pour survivre.
C'est pourquoi nous voulons que le présent gouvernement,
étant donné toute sa valeur symbolique dans notre histoire, garde
la fermeté nécessaire pour ne rien céder sur nos droits en
la matière.
C'est pourquoi nous applaudissons à l'effort sérieux qu'il
a entrepris pour cela. C'est pourquoi nous voulons aussi qu'il le règle
de façon claire dans tous les aspects de la question.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous
remercie beaucoup.
M. Angers: J'ajoute juste un mot pour vous dire que, dans cette
conclusion vous le rappeler il y a une partie historique qui
était trop longue pour être lue et qui montre que ce n'est pas
nous qui avons commencé le bal des lois linguistiques, mais qu'au
contraire, nous avons été forcés de
légiférer parce que ce sont les anglophones qui, à partir
de 1969, ont exigé des lois pour se faire donner un libre choix qui
n'avait jamais été dans nos lois. C'est à partir de la loi
63, résultant de l'effort et de la pression des anglophones sur
Jean-Jacques Bertrand, que la lutte qui nous a amenés aux lois actuelles
a commencé et nous a obligés à faire des lois claires et
nettes pour que le droit du Québec soit franchement et clairement
établi. Cette partie est importante, parce qu'on nous accuse souvent de
faire de l'agitation sur le français, mais l'agitation, nous ne l'avons
pas faite, ce n'est pas nous qui l'avons commencée, elle a
commencé par la volonté des anglophones d'amener le Parlement du
Québec à légiférer pour imposer le principe du
libre choix qui n'avait jamais été dans nos lois.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous
remercie beaucoup, M. Angers. Votre temps est maintenant expiré. Je
cède la parole au ministre.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier profondément le
Mouvement du Québec français pour avoir pris la peine de
préparer et de nous apporter un mémoire aussi complet, aussi
étoffé et aussi lumineux dans tous les sujets qu'il aborde.
Nous sommes heureux qu'il reprenne à son compte une phrase que
nous avons déjà utilisée il y a quelque temps selon
laquelle le peuple québécois, et particulièrement sa
majorité francophone, attend ce projet de loi depuis 200 ans.
C'était bien, en effet, la volonté du gouvernement de donner
enfin une expression légale, juridique, législative, claire,
à une situation de fait que personne, à moins de n'être
aveugle, ne peut s'empêcher de voir, qu'un peuple habite ici depuis
quatre siècles qui parle le français depuis ses origines, qui a
créé ses institutions, qui a une culture, ses traditions, son
territoire, qui s'est enrichi, bien sûr, de l'apport de plusieurs autres
groupes ethniques au fil des siècles qui ont participé à
son développement, mais qui entend demeurer fidèle à sa
ligne de force, à sa trajectoire existentielle et qui entend utiliser
tous les riches apports de sa nature originelle pour apporter sa contribution
au patrimoine universel.
Il est devenu nécessaire d'affirmer ces vérités
évidentes dans une loi et je pense qu'en le faisant, nous comblons, en
effet, les attentes du peuple québécois. Le mémoire que
vous nous présentez est extrêmement important, en raison aussi du
groupe que vous représentez. Quand je vous entendais dire, au
début, que votre groupe représentait à la fois tous les
secteurs de la population et, en particulier, les travailleurs qui oeuvrent
dans tous les secteurs de la collectivité, qu'il s'agisse des
travailleurs industriels ou agricoles, des intellectuels, des professeurs de
français, je pense bien qu'on peut dire que nous avons ici une sorte de
microcosme de notre société. Constater que le Front du
Québec français, le Mouvement du Québec français,
qui a lutté avec tellement de courage et de ténacité pour
l'affirmation de notre identité collective, vienne maintenant dire son
accord au gouvernement, avec ses 775 000 membres qui en représentent
bien d'autres, constitue pour nous la meilleure preuve que nous avons pris la
bonne décision, que nous avons orienté nos efforts dans la bonne
direction et que nous mettons résolument le cap vers l'avenir.
Votre mémoire est important aussi en ce sens qu'après en
avoir lu et entendu plusieurs, je pense que c'est le mémoire qui a le
mieux cerné l'esprit, les principes et les règles que le
gouvernement a voulu donner au projet de loi. J'aimerais bien pouvoir
"substancier" mon argumentation avec plusieurs des passages de votre
mémoire. Là aussi, je me félicite de cette correspondance,
heureux que le projet de loi puisse au moins être compris pour ce qu'il
est par les secteurs importants de l'opinion.
Je voudrais vous poser quelques questions qui nous permettront
peut-être de mieux apprécier certaines des représentations
qui nous ont été faites. Vous dites, à la page 14, qu'il
importe de distinguer entre la situation de droit et la situation de fait. Vous
poursuivez en disant que le rôle des lois est d'établir les
situations de droit et que tout ce qu'une loi ne défend pas reste
permis.
Je pense que c'est là une notion capitale, fondamentale, qui n'a
pas toujours été perçue au cours des derniers mois, notion
capitale qui a inspiré toute l'action législative du gouvernement
et qui pourrait nous permettre de nous reconnaître dans le dédale
des articles, comme fil directeur qui donne sa cohésion et sa
cohérence au projet de loi.
J'aimerais quand même que vous nous disiez davantage comment vous
concevez cette distinction que vous faites entre les situations de droit et les
situations de fait, et comment vous concevez le plus clairement possible le
rôle des lois pour nous permettre de légiférer sur les
situations de fait et de droit.
M. Angers: Dans le cas présent, les situations de droit
établissent des choses qu'il faut respecter. Toute la loi... D'ailleurs,
la première partie les énonce. Elle pose le droit des
Québécois, des citoyens du Québec de réclamer la
langue commune, la langue française, dans leurs activités. Cela
ne leur interdit pas d'utiliser l'anglais quand ils le veulent ou comme ils le
veulent. Dès qu'un citoyen exige ou veut qu'on lui parle dans la langue
commune, son opinion doit être respectée. C'est ce que le droit
établit. Ce sont les normes
fondamentales qui doivent être respectées, qui doivent
être pratiquées. Comme on ne dit pas: II est interdit de parler
anglais, on dit simplement que le droit des Québécois est
d'exiger le français, ceux qui ne l'exigeront pas n'ont pas à
s'en plaindre. Leur droit doit être respecté, mais la
liberté de parler anglais, allemand, italien, chinois ou toute autre
langue n'est absolument pas atteinte, sauf que personne ne peut
s'émanciper de la langue commune et de la langue nationale. C'est cela
qui fait la différence.
La situation de fait qui s'établit au Québec, comme nous
avons essayé de le montrer, est tout à fait contradictoire avec
toutes nos constitutions. Elle résulte d'une histoire qu'on pourrait
reprendre en détail et qui est surtout une histoire de domination et de
refus de reconnaître le Québec français. La loi, à
l'heure actuelle, dit: Maintenant, vous allez reconnaître le
Québec français. Ce qui, au fond, n'empêche pas ces gens de
continuer, entre eux, à faire le même genre d'activités en
anglais, mais ils ne devront pas exiger l'anglais pour donner des emplois quand
l'anglais n'est pas absolument nécessaire, comme ils ont fait depuis
toujours, en s'arrogeant le droit d'imposer leur langue.
C'est le point important. Le commissaire McWhinney, à ce point de
vue, à la Commission Gendron, a bien éclairé le
problème. Une situation de fait ne crée pas de droits acquis,
quand le droit fondamental a déjà édicté que cette
situation de fait n'existe que par tolérance. La tolérance d'une
situation ne supprime pas le droit fondamental des gens. Le droit fondamental
existait. Là, vous l'écrivez en clair dans une loi. Avant cela,
cela découlait d'un ensemble de constitutions. C'est un peu cela qui est
important. Vous avez été très prudents dans la loi, nous
disant, à un moment donné... Parce que vous avez pris soin de
définir les droits sans interdire l'usage qui serait conforme aux
droits, l'usage de la langue étrangère qui resterait conforme aux
droits, c'est-à-dire qui respecterait la langue commune et la population
fondamentale du Québec.
M. Laurin: Est-ce à dire que la déclaration de
certains droits qui sont énoncés à l'origine du projet de
loi, les articles 2 à 6, par exemple, est parfaitement compatible avec
le respect des droits individuels de tous les citoyens de la
collectivité québécoise?
M. Angers: C'est évident que tous ces
énoncés sont parfaitement compatibles avec la liberté des
droits de la personne, sauf qu'il y a une grande confusion qui est en train de
s'établir chez nous. On finit par nier le droit de la
collectivité d'imposer des règles communes pour l'action
collective, pour prétendre que les droits des individus vont primer le
droit de la langue nationale. On n'a jamais vu cela dans aucun pays du monde,
des prétentions comme celles-là. La langue nationale, la langue
officielle d'un pays ne viole pas les droits de la personne. Remarquez bien
qu'on n'applique cela qu'à l'anglais.
Je vous jure que si un Italien se présente chez vous et qu'il ne
sait un mot ni de français ni d'anglais, vous ne lui donnerez pas
d'emploi, parce que vous n'êtes pas capable de le comprendre, tout
simplement. Vous allez vous attendre à pouvoir vous comprendre. Alors,
ce genre de réaction est bien typique du raisonnement qu'on fait au
Québec parce qu'on a pris l'habitude de raisonner en fonction d'une
situation coloniale, au fond. Des gens ont accepté que l'anglais soit
imposé et, aujourd'hui, on en fait un droit que I on continue à
nous imposer. Il est clair qu'il n'y a aucune violation des droits de la
personne dans l'affirmation d'une langue nationale et dans la prétention
que tout le monde doit connaître la langue nationale et que tout le monde
a le droit d'exiger qu'on communique avec lui dans la langue nationale. Cela
existe partout dans le monde.
M. Laurin: S'il ne vous paraît pas exister de
discrimination au niveau des principes, vous paraît-il en exister au
niveau des modalités d'application de ces principes qui donnent des
effets juridiques aux modalités d'application de ces droits,
particulièrement en ce qui concerne la langue de l'administration,
administration étant comprise non seulement au sens des
ministères, des services gouvernementaux, mais des municipalités
et des commissions scolaires, et même de certains organismes
parapublics?
M. Angers: Vous croyez y voir que le fait d'imposer le
français serait discriminatoire?
M. Laurin: Oui. Je vous pose la question. Si, au niveau des
principes, vous ne voyez pas d'opposition entre l'affirmation de ces principes
et les droits individuels, en est-il de même au niveau des
modalités d'application qui donnent un effet juridique à ces
droits dans divers domaines, par exemple dans l'administration?
M. Angers: Dans la mesure où l'effet juridique a
simplement comme conséquence d'amener des gens qui, jusqu'ici, n'ont pas
respecté le principe, à agir en le respectant, je ne vois pas ce
qu'il y a de discriminatoire. C'est une conséquence logique du principe.
Je pense que nous avons dit quelque part que le fait qu'on ne permette pas en
droit, comme l'avait fait la loi 22, qui donnait un droit nouveau aux Anglais,
de pouvoir imposer la langue anglaise dans les délibérations des
commissions scolaires. Cela n'empêche pas que, dans une commission
scolaire où les gens parleront anglais, et que les gens voudront les
laisser parler, qu'il n'y a pas de problème; que, dans une commission
scolaire où les gens réunis ne sont que des Anglais, ils pourront
se parler en anglais, il n'y a pas de problème. La seule chose que la
loi dit, c'est qu'ils n'ont pas le droit de l'imposer. Evidemment cela
dérange un certain nombre de gens à l'heure actuelle qui,
jusqu'ici, dans certaines commissions scolaires du Québec, refusaient
même de parler français aux anglophones qui étaient leurs
administrés. Cela les gêne un peu.
Mais nous les obligeons à respecter la règle normale.
Parlez anglais tant que vous voudrez, tant que vous êtes tous d'accord
pour parler anglais. Seulement, les documents officiels de votre commission
scolaire doivent être dans la langue du pays, doivent être tenus
dans la langue du pays, quitte, si vous voulez, à vous faire une version
anglaise, cela n'est pas défendu, et ainsi de suite. Alors, toutes ces
réglementations n'ont pour objet que d'amener une population qui,
jusqu'ici, s'est crue "légitimement" sous prétexte de la
"conquête" et des "plaines d'Abraham", autorisée à dire: Si
les Canadiens français veulent communiquer avec nous, ils nous parleront
en anglais. Leur dire: Non, vous n'obligerez pas les Canadiens français
à vous parler en anglais, vous allez leur parler français s'ils
le veulent, je ne vois pas ce qu'il y a de discriminatoire et d'injurieux pour
eux. Evidemment, cela les gêne dans les circonstances actuelles. Ils sont
pris à constater qu'ils vont être obligés de faire des
choses qu'ils n'ont pas faites jusqu'ici, mais ils étaient dans
l'injustice. Nous corrigeons l'injustice. Et que peut-il y avoir de
discriminatoire dans la correction de l'injustice? Cela n'a pas de rapport avec
la liberté des personnes, avec la Charte des droits et libertés
de la personne et ainsi de suite. Cela me paraît bien évident.
M. Laurin: Vous paraît-il excessif ou discriminatoire que
l'Etat exige l'utilisation de la langue officielle, par exemple, pour ses
communications avec les personnes morales qui composent la
société ou que d'exiger que les ordres professionnels
communiquent dans la langue officielle avec l'ensemble de leurs membres ou
qu'il exige l'utilisation de la langue officielle pour l'affichage public ou
pour les raisons sociales.
M. Angers: C'est déjà très large parce
qu'après tout, dans un pays normal, tout le monde doit s'adresser
à l'administration dans la langue nationale. S'il y a des gens dans
l'administration qui consentent à parler des langues
étrangères et qui veulent les pratiquer quand ils voient
quelqu'un, rien ne les en empêche, mais au fond, la courtoisie
élémentaire, cela s'applique même aux personnes physiques
à qui vous n'imposez rien à l'heure actuelle...
On ne pense pas que les gens s'adresseraient au gouvernement
français dans une langue étrangère à moins que cela
ne soit un bureau où on sait qu'il y a des traducteurs qui
reçoivent la correspondance des gens qui ne savent pas le
français et qui la traduisent; mais normalement, la courtoisie
élémentaire veut qu'on s'adresse, autant que possible, dans la
langue du pays au gouvernement du pays. Alors, je trouve que la loi est
très large à ce point de vue puisqu'elle n'impose qu'aux
personnes morales qui, elles, ont clairement le moyen de se payer les
employés qu'il faut, les traducteurs qu'il faut pour écrire en
anglais... Vous respectez complètement les personnes physiques et vous
dites: Elles sont habituées à nous écrire en anglais. Si
elles nous écrivent en anglais, on verra ce qu'on fera, mais cela ne
doit pas être un droit reconnu.
C'est implicite dans la loi, parce que vous mentionnez les personnes
morales, ce qui crée une espèce de droit aux personnes physiques,
implicite. C'est très large.
Alors, je ne vois pas du tout ce qu'il y a de discriminatoire dans cela,
sauf que, encore une fois, dans la mesure où on perçoit le
Québec comme un pays bilingue, où on prétend que la
communauté anglophone a des droits qui peuvent être à peu
près égaux à ceux des francophones et qu'on devrait
respecter les deux communautés et développer deux cultures,
évidemment, dans cette perspective, on se trouve à admettre que
l'autre communauté a des droits historiques ou autres et il serait
illégitime de lui enlever ses droits, mais justement, tout cela a
été réglé depuis longtemps. C'est à Londres
même qu'on a dit que le droit de conquête n'enlève aucun
droit à un peuple et ne crée aucun droit acquis à ceux du
pays conquérant qui s'installent dans le pays qui pratiquent leur langue
ou leurs coutumes. C'est spécifié. Les juristes de la couronne
l'ont dit dès 1766.
Par conséquent, tout cela, ce sont des habitudes prises et qui
font qu'on continue à nous dire: On veut bien l'Etat français du
Québec. On veut bien que le français, au fond, devienne
égal à l'anglais parce que le français a été
inégal à l'anglais depuis toujours, même au Québec
et, à l'heure actuelle, les anglophones se montrent
généreux comme ils ne l'ont jamais été auparavant
en nous disant: On veut bien accepter, même la primauté du
français, mais vous allez reconnaître tous nos droits de
communauté anglophone et on va pouvoir continuer d'avoir le libre choix
et on va pouvoir continuer à faire ce qu'on veut ou à peu
près. Comptez sur notre bonne volonté pour l'avenir. Il n'y a
rien dans cela qui relève des droits de la personne. C'est une
argumentation d'ordre politique et la loi par rapport à ces
argumentations est tout à fait juste puisqu'elle part d'un principe: Le
Québec est français et tout doit s'y faire en français sur
le plan officiel, juridique et autres. Et déjà comme je vous le
dis, c'est très large puisqu'il y a des espaces de tolérance pour
l'anglais qui sont très généreux.
M. Laurin: Selon vous, le gouvernement est-il justifié,
dans ses articles 36 et 37 d'exiger qu'aucun employeur n'exige l'utilisation
d'une langue autre que le français pour un emploi à moins qu'il
n'en établisse la preuve?
M. Angers: Cela me paraît évident, fondamental et je
pense que je pourrais peut-être demander à M. Daoust et à
Mme Lalonde, qui représentent les travailleurs, de dire ce qu'ils en
pensent et qui est bien en cohérence avec tout ce que le MQF a dit sur
ce sujet-là.
M. Daoust: Oui, somme toute, il s'agit de rétablir un
équilibre ou un rapport de force, plutôt, qui depuis toujours a
joué contre les Canadiens français et le parlant français
au Québec. On mentionne dans le mémoire et dans d'autres
mémoires qui viennent des centrales syndicales tout le poids de la
domination économique des anglophones.
Ces derniers ont imposé leur langue, c'est devenu la langue de la
rentabilité, la langue du pouvoir, la langue des fonctions les plus
exaltantes, les plus motivantes et les mieux rémunérées.
Il s'agit de rétablir une espèce d'équilibre maintenant,
de faire en sorte qu'on puisse rentabiliser les investissements incroyables que
la société fait dans son système d'éducation en
formant des jeunes dans les CEGEP et dans les universités et en leur
permettant de se servir de cet outil tellement indispensable qu'est la langue
pour gagner adéquatement leur vie, qu'on oblige des employeurs ou qu'on
exige que des employeurs ne posent pas comme condition la connaissance d'une
langue seconde, à moins que la preuve puisse être faite qu'il est
essentiel de connaître une langue seconde, nous semble, à nous
tous, la plus grande des normalités qu'on puisse examiner.
Encore une fois j'emploie l'expression de M.
François-Albert Angers la courtoisie aurait exigé que les
détenteurs du pouvoir économique au Québec s'en tiennent
à une façon de procéder et à une acceptation de
notre réalité depuis des années et des années. Or,
ce n'est pas cela qu'on a constaté. On le sait, il y a des statistiques
qui le prouvent. Là où les postes sont les plus
intéressants, les mieux rémunérés, on voit une
concentration d'anglophones unilingues et on voit des Canadiens français
de service, des francophones de service qui, de temps à autre s'occupent
de ces fonctions pour donner bonne figure ou bonne conscience à un tas
d'entreprises au Québec. Cela, à mon sens, c'est
générateur de perturbations sociales, de drames qui, s'ils ne
sont pas réglés à ce moment-ci, auront des
répercussions d'une gravité inouïe dans les années
à venir. Encore une fois, cela nous semble tout à fait normal, en
deçà de cela, ce serait une faiblesse tout à fait
inacceptable de la part d'un gouvernement.
M. Laurin: Au point que vous n'accorderiez pas toute l'importance
que certains groupes accordent aux risques que cela constitue de perte
d'emploi, par exemple, ou de disparition ou d'exode d'entreprises et autres
catastrophes qu'on a invoqués jusqu'ici?
M. Daoust: Absolument pas. Pour moi, c'est une forme de chantage
auquel on est habitué depuis qu'il est question de droits linguistiques
et de législation linguistique au Québec. Cela me semble aberrant
de penser que des entreprises vont quitter le Québec parce qu'elles
devront se conduire au Québec comme elles se conduisent partout dans
tous les pays du monde, sauf au Québec. Quand elles sont au Japon, en
Allemagne, en Italie, les grandes multinationales parlent la langue du pays, il
n'y a pas de problème. Si elles ne le faisaient pas, il y aurait des
révolutions sans aucun doute, les gens ne l'accepteraient pas. De penser
qu'au Québec, ça va être un cas d'exception sur la boule
terrestre, ça dépasse l'entendement.
Cela devient, à mon sens, une forme de chantage à laquelle
il faut résister. En tout cas, nous, dans le mouvement syndical et au
MFQ, on s'est penché là-dessus et on est convaincu, tout à
fait convaincu, que ce sont des épouvantails à moineaux pour
énerver et tâcher d'infléchir les politiques
gouvernementales. Les gens ne quitteront pas le Québec, les gens
viennent s'installer au Québec et c'est tout à fait normal, ce
sont des lois universelles sur le plan de la rentabilisation des capitaux que,
quant on peut rentabiliser les capitaux qu'on investit, on reste dans les pays
qui nous accueillent. Le facteur linguistique n'est pas un facteur qui repousse
les investissements au Québec.
Je pense, par ailleurs, que les gestionnaires canadiens-anglais de ces
grandes multinationales dont les propriétaires ne sont pas des Canadiens
anglais, sauf quelques cas, les gestionnaires offrent une certaine
résistance parce qu'ils perdent des privilèges incroyables,
indescriptibles. On a déjà parlé de la minorité
anglophone au Québec comme étant la minorité la plus
scolarisée, la plus riche et celle qui occupe les emplois les plus
intéressants, sur tous les plans, de toutes les minorités et de
tous les peuples au monde.
Il est peut-être temps qu'on s'ouvre les yeux collectivement et
qu'on se dise que cela n'est pas et cela n'est plus acceptable. Pour nous,
encore une fois, la règle qui fait que les compagnies viennent
s'installer au Québec, c'est le profit qui est au bout des
investissements et la langue n'est pas un facteur déterminant pour
décider ou non d'un investissement au Québec.
Le Président (M. Cardinal): D'accord, je vais... est-ce
que vous avez une intervention de plus? Oui, madame?
Mme Lalonde (Francine): On peut ajouter...
Le Président (M. Cardinal): Je ne voudrais pas vous couper
la parole. Dans 90 secondes, je devrai suspendre. Tout de suite, je dis que
vous êtes réinvités à venir avec nous ce soir,
à vingt heures.
Est-ce que vous voulez tout de suite intervenir?
Mme Lalonde: Seulement pour ajouter un mot dans le même
sens. Il y a des années d'humiliation et d'injustice à l'endroit
des travailleurs à corriger, des humiliations qui sont vécues
encore quotidiennement, des cas de congédiements pour des causes
semblables qui nous sont régulièrement
référées.
Quant au chantage, dans le mouvement syndical, on est habitué
à divers niveaux, au chantage des fermetures et des départs.
M. Angers: Je termine sur un mot. Nous rappelons le principe qui
résume un peu tout cela. Nous sommes tous en faveur de la liberté
et des libertés dans notre mouvement, tous. Mais je rappelle le principe
bien connu: A certains moments, c'est la liberté qui opprime et c'est la
loi qui libère. Je pense que cela s'applique parfaitement à ce
cas-là. .
Le Président (M. Cardinal): Sur ce, selon le
règlement, le président, à 18 h, se lève, les
travaux sont suspendus jusqu'à 20 h.
(Suspension de la séance à 17 h 59)
Reprise de la séance à 20 h 13
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
M. le député de Gaspé.
M. Laurin: Je n'avais pas fini, mais je reviendrai.
Le Président (M. Cardinal): La séance se continue.
Il y a quorum. Le ministre d'Etat au développement culturel avait la
parole, mais il m'informe qu'il désire laisser la parole à
quelqu'un d'autre. Mme le député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Permettez-moi
d'abord de remercier et de féliciter le MNQ, le Mouvement national...
pardon, le Mouvement Québec français pour le mémoire qu'il
a soumis à cette commission.
Je pense que l'argumentation de nature juridique mise de l'avant dans le
mémoire et explicitée abondamment par le président est
extrêmement intéressante. J'y reviendrai.
Cependant, afin que ne subsiste pas de doute, surtout dans l'esprit du
président, il convient de rappeler qu'il nous apparaît tout
à fait légitime d'affirmer l'existence d'une langue officielle,
d'une langue nationale, ce que la loi 22 a fait, que cette langue devienne la
langue commune et d'usage, et que les dispositions nécessaires soient
prises pour que tous les résidants du Québec, autant que
possible, compte tenu de certaines contingences géographiques et
personnelles particulières je pense que le secrétaire de
la FTQ a fait allusion à quelques-unes de ces conditions lorsqu'il est
venu présenter le mémoire de la FTQ soient aidés et
motivés à faire l'acquisition de cette langue, afin que cette
langue commune de communication soit un véritable facteur de
compréhension et de rapprochement.
Là-dessus, je voudrais qu'il ne subsiste pas de confusion.
L'argumentation juridique que développe le Mouvement Québec
français, à partir de la conquête, dans laquelle il affirme
que, par suite de cette conquête, il n'y a pas eu de droits juridiques
conférés à la minorité anglophone quant à la
langue, est exacte.
Un peu plus loin dans le mémoire, vous distinguez entre une
situation de droit et une situation de fait. Si on se réfère
à la conquête uniquement pour rétablir une situation de
droit, vous avez sans doute raison. Cependant, si on se réfère
à la situation de fait, soit celle de 1977, 200 ans plus tard, on doit
considérer qu'il s'agit, je pense, d'une situation politique, sociale,
économique dont toute la complexité n'échappe à
aucun d'entre nous. C'est une situation qui a évolué et dont on
ne peut ignorer les dimensions humaines, voire morales.
Il est vrai qu'une minorité ne peut se réclamer de droits
juridiques, à moins que ceux-ci ne lui aient été
conférés de façon explicite, pour réclamer des
institutions, mais lorsqu'un peuple, lorsqu'un pays, lorsqu'une nation
décide de lui accorder des institutions, de lui reconnaître, dans
le cas
présent, des droits historiques, je pense qu'il s'agit là,
et on ne devra pas l'oublier, d'une mesure conforme à l'idéal
démocratique qui indique la maturité politique d'une
société, son respect des droits de l'homme et de l'humain. Je
pense qu'il faut se placer non pas en fonction de la légalité,
parce que même, à ce moment, si vous approuvez la charte ou le
projet de loi no 1, il y a déjà un accroc sérieux quand
cette charte prévoit l'existence d'institutions anglophones, pour cette
minorité anglophone, auxquelles le livre blanc se réfère
comme étant partie de l'héritage culturel
québécoise. Alors, je pense que ce n'est pas strictement en
fonction de la légalité, mais je dirai peut-être en
fonction de la moralité d'un peuple, de son ouverture et de son
idéal démocratique que le problème doit être
examiné. Je m'en tiendrai à deux points plus particuliers de
votre mémoire, un touchant la langue d'enseignement et l'autre touchant
la toponymie.
Je dois dire en passant que vous êtes les premiers, à ma
connaissance, à moins que j'aie eu des absences, qui abordez ce
problème, et j'ai été fort étonnée que
personne ne l'ait fait avant aujourd'hui.
En ce qui a trait à la langue d'enseignement et au critère
que vous retenez comme étant davantage l'aboutissement normal d'une
reconnaissance de la minorité anglophone, me semble un critère
beaucoup plus judicieux que le critère de la fréquentation
scolaire des parents durant leurs études élémentaires.
J'ai eu l'occasion de le dire ici, à plusieurs reprises, ce
critère crée des ambiguïtés et il n'empêchera
même pas les tracasseries qu'on avait reprochées aux fameux tests
avec lesquels, soit dit en passant, je n'étais pas d'accord. Mais quand
on songe à toute la paperasse, à tous les affidavits que l'on
réclame, que l'on pourra remettre en question et, compte tenu que ce
critère, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, est davantage un
critère d'accommodement, parce que cela a semblé une solution
facile pour éviter les tests, je pense qu'il n'aura même pas cet
avantage d'établir une situation aussi claire qu'on l'aurait
souhaité.
La question que je me pose, que j'aimerais vous poser, est la suivante.
Pourquoi réduisez-vous cet accès à l'école
anglophone, une fois que vous avez reconnu le critère de la langue
maternelle et qu'au plan pratique, vous l'élargissiez à la langue
de l'enfant, pourquoi limitez-vous uniquement aux anglophones qui sont
présentement au Québec, compte tenu toutefois de d'autres mesures
transitoires que la loi prévoit, soit à l'égard des
frères et soeurs, quoique j'oublie si vous parlez des frères et
soeurs. Dans votre addenda, je pense que vous permettez maintenant que les
enfants francophones qui sont déjà dans le circuit scolaire
anglais puissent y rester. Alors, peut-être que vous avez accepté
la même dérogation pour les frères et soeurs, mais, enfin,
c'est un détail à ce moment-ci.
Alors, pourquoi le réduisez-vous aux enfants des parents qui
vivent présentement au Québec alors que...
Je ne sais pas si... M. Daoust est vice-président du Mouvement
Québec français, mais il se souviendra que dans des études
qu'il a vues de près alors qu'il était associé au monde
scolaire et ailleurs, tous les chiffres qui ont été
apportés ici, même par les commissions scolaires protestantes, et
non seulement par les commissions scolaires catholiques, ont toujours
montré que ce n'est pas la présence d'enfants qu'on dit d'origine
anglophone véritable qui sont une menace à l'équilibre
démographique, d'autant plus que je pense qu'il peut y avoir un danger
de discrimination par la suite et vous voulez l'éviter.
Quand se retrouveront, même dans un Québec
indépendant, des citoyens qui seront peut-être à ce moment,
tous des citoyens québécois, vous aurez quand même deux
poids, deux mesures à l'égard de citoyens qui ont la même
culture d'origine et qui, pour les uns, auront accès au
développement de cette culture et au maintien de cette culture alors
que, pour d'autres, ceci leur sera défendu. Même, à l'heure
actuelle, si on se réfère uniquement au critère de la
langue maternelle, il y a une certaine spoliation des droits des enfants
à naître de parents qui sont présentement au Québec
parce que l'article 52 parle uniquement d'enfants déjà
nés, qui, peut-être, ont des frères et soeurs, mais il se
peut qu'il y ait au Québec présentement des parents d'origine
britannique ou de culture anglophone de part et d'autre, du côté
du père comme du côté de la mère, et qui auront des
enfants dans un avenir plus ou moins rapproché.
Ces enfants n'auront pas le même accès, si tel est le
désir des parents toujours, à l'école anglaise que ceux
qui sont déjà nés et je pense qu'on retrouve là,
à mon point de vue, deux situations où il est possible qu'il
s'exerce de la discrimination.
Je ne sais pas si vous voulez commenter là-dessus.
M. Angers: D'abord le problème fondamental que vous
posez... Il faut partir des bases. Les deux poids deux mesures que vous
invoquez, si on veut les supprimer complètement, cela ne peut tendre
qu'à une chose: l'élimination complète de tout
enseignement en anglais au Québec. Parce que c'est un privilège
que nous acceptons le MQF l'accepte au moment où on
établit une législation définitive sur le Québec
français, que nous consentons à consacrer dans des droits
spécifiques, pour une communauté spéciale, pour un groupe
spécial dont la caractéristique qui peut justifier la
reconnaissance du privilège est que ce sont des gens qui ont vécu
avec nous dans une perspective historique depuis de nombreuses années.
Cela ne leur crée aucun droit. C'est un accommodement que l'on accepte
de reconnaître. Cela ne peut pas s'appliquer à tous les Anglais du
monde ni à tous les Anglais du Canada, surtout à tous les
anglophones. Les anglophones du Canada, cela veut dire des Ukrainiens, des
Allemands, des Canadiens français anglicisés, cela veut dire
toutes sortes de gens qui ne sont pas des Anglais au sens historique du terme,
ce qui peut nous justifier, nous au Québec, de concéder cet
accroc.
Vous avez raison. C'est un accroc à la thèse fondamentale
et c'est pourquoi certains de nos mouvements nous le disent: Vous acceptez un
accroc et vous ne devriez pas l'accepter. Alors, on accepte l'accroc, mais on
le reconnaît comme tel. Il ne s'agit pas de l'ouvrir encore davantage
parce que la confusion vient de toute la discussion qui est faite à
partir de certains droits, les droits de la personne, toute une discussion
qu'on fait venir. On viole la démocratie parce qu'on interdit
l'enseignement en anglais, toutes sortes d'arguments qui ont été
jetés dans le débat et qui le compliquent terriblement.
Le fait important, c'est simplement dans la mesure où on s'appuie
sur un argument fondamental qui peut tenir par rapport à la thèse
fondamentale que le Québec est français, intégralement
français et a le droit d'être français. A partir de ce
moment-là, le reste, ce sont des choses qui ne sont pas en vertu des
droits de l'homme, qui ne sont pas en vertu des chartes internationales, qui
sont en vertu de notre perception à nous de notre situation et de notre
intention, de notre acceptation de définir certains privilèges
où on dit: Voici, ces privilèges, vous les avez eus, vous les
avez pris, on vous les reconnaît comme des droits. Mais on les
reconnaît comme des droits seulement à ceux qui ont un fondement
historique, non pas à les réclamer, mais à ce qu'on les
leur reconnaisse.
Les seuls qui peuvent avoir cet élément de fondement
historique, ce sont les véritables anglophones du Québec, qui ont
vécu avec nous justement cette notion de vie en société
commune pendant un temps, que nous acceptons de reconnaître, pour leur
laisser la possibilité de rester ce qu'ils sont dans un cadre de
minorité et non de communauté ethnique qui se prétendrait
capable de s'agrandir, d'avoir des immigrants pour elle. Tout est là,
tout est dans la définition de base et toute la confusion des
discussions vient de ce qu'on a mêlé la question avec des notions
de citoyenneté qui n'ont rien à faire dans ça.
C'est un pur geste de générosité, on peut dire de
générosité, après la façon dont nous avons
été traités. Je ne parle pas du reste du Canada
même, mais dans le Québec même, quand on pense à
toutes les luttes, nous l'invoquons à la fin de notre mémoire,
quand on pense à tous les efforts, à tout le temps qu'on a
dépensé en ce Québec, à partir du moment où,
même au Bell Téléphone, à Montréal, il n'y
avait pas moyen de se faire répondre en français. Quand on
remonte assez en arrière, à toutes ces luttes, à tout ce
qu'on a investi pour faire reconnaître notre droit au français
dans le Québec, c'est déjà bien généreux, au
moment où cela arrive, de dire: Ecoutez, on va vous laisser avoir vos
écoles. C'est pour ça que, dans cette perspective, ce n'est pas
deux poids deux mesures, c'est rien de pareil, c'est vraiment un accroc
à notre thèse fondamentale, c'est un accroc qui doit être
limité à un groupe de personnes bien déterminé,
mais qui ne peut pas s'étendre pour des considérations...
Qu'est-ce que vous voulez, on invoque le Canada, les immigrants, tout
ça, ça va être des immi- grants, mais quand un
Français part du Québec, s'en va dans une province où il
n'y a pas de système d'écoles françaises, est-ce qu'on se
préoccupe de ça?
Mme Lavoie-Roux: Pour ma part, je m'en préoccupe. Je
m'excuse de vous interrompre, on vient de me dire qu'il ne me reste que
quelques minutes. Je vous ai quand même entendu dire, M. Angers, que
cette tolérance ou ce privilège pour les écoles
était accordé à une communauté linguistique. Je
pense que là où on diffère d'opinion, c'est dans notre
conception de ce qu'est une communauté. Pour moi, une communauté,
c'est quelque chose de vivant, c'est quelque chose de mouvant, c'est quelque
chose qui subit des gains et des pertes. Il m'apparaît que ce que vous
voulez conférer comme privilège, pour utiliser votre terme, vous
le conférez non pas à une communauté, mais à des
individus. La preuve est que, dans l'étape ultérieure, il y aura
justement des différences entre des individus d'une même culture
et de même origine.
Je ne veux pas m'attarder là-dessus plus longuement et je dois
vous dire...
M. Angers: Je dis simplement que c'est une minorité
ethnique. Autrement, si vous parlez de communauté, ils auraient le droit
à l'autodétermination. Vous posez un problème de nation
à l'intérieur du Québec.
Mme Lavoie-Roux: Vous avez parlé de communauté, M.
Angers.
M. Angers: Nous n'acceptons pas ça, nous. Ce n'est pas une
nation à l'intérieur du Québec, c'est une minorité
ethnique. On peut lui reconnaître les droits d'une minorité, on
les a exposés, on lui donne beaucoup plus que ça.
Mme Lavoie-Roux: Vous trouvez que les gens brouillent les cartes.
Je ne conteste pas votre argumentation juridique si on se situe en relation
avec la conquête, mais, si on se situe en relation avec une situation de
fait qui existe aujourd'hui, je m'excuse, si ces arguments viennent brouiller
votre argumentation. C'est une réalité vivante, c'est une
réalité sociale, avec des dimensions humaines extrêmement
complexes dont on ne peut pas faire fi.
Dans le fond, poursuivre votre argumentation jusqu'au bout, vous ne
devriez pas appuyer la charte de la loi 1, même dans ce qu'elle
tolère vis-à-vis des anglophones parce que même le
gouvernement a dû aussi s'embrouiller dans des arguments de cette nature
puisqu'il n'a pas suivi notre raisonnement.
Ma deuxième question porte sur la toponymie...
M. Angers: Une situation de fait ne crée jamais de droits.
Les Chinois, dans le quartier chinois, parlent tous chinois depuis bien
longtemps et je ne pense pas qu'ils puissent jamais réclamer
un statut pour la langue chinoise. Notre raisonnement vis-à-vis
des Anglais est vraiment un argument de colonisés habitués
à se soumettre aux Anglais. On leur reconnaît une espèce
d'auréole ou de perspective très différente de la
réalité mondiale des problèmes des minorités. Le
fait d'avoir parlé chinois pendant 50 ou 100 ans à New-York n'a
jamais donné le droit aux Chinois de New-York de demander des droits
linguistiques. Voyez-vous?
Mme Lavoie-Roux: J'arrête ma question ici pour donner la
chance à un collègue de pouvoir ajouter quelque chose.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le
député de... Enfin, il reste ayant été
généreux encore une fois à l'égard du parti de
l'Opposition officielle trois minutes à M. le
député de Gaspé.
M. Le Moignan: Merci, M. le Président. M. Angers, comme
tous les autres membres, j'ai écouté avec beaucoup d'attention le
résumé que vous avez fait cet après-midi. Vous
n'êtes pas sans vous douter que j'ai lu avec beaucoup d'attention vos
articles dans l'Action nationale à laquelle je suis abonné depuis
de très nombreuses années.
Vous nous avez fait un beau résumé de l'histoire du
Québec et de nos luttes. Mais il y a quelque chose qui me frappe en
passant, peut-être parce que je n'étais pas député
avant le 15 novembre et c'est facile pour moi de m'en sortir les mains
blanches. Vous mentionnez que, malheureusement, à cause de tous ces
politiciens louvoyants, enfin, le 15 novembre, une espèce de
génération spontanée de Québécois a jailli,
a fait surface. Ce n'est pas dans ces termes que vous le dites, mais cela m'a
frappé en passant.
Je me dis que le Québec est un pays en devenir. C'est un pays qui
va continuer d'évoluer. L'histoire du Québec ne commence ni ne
s'arrête le 15 novembre.
Je comprends que vous avez insisté sur le fait que, sous cette
domination anglaise, le rôle économique, ici au Québec,
comme vous venez de dire, a peut-être fait de nous des colonisés,
que nous avons subi un peu leur empire, leur dominion et qu'on est porté
à tout leur donner. Evidemment, on ne parle pas de droits acquis, nous
avons expliqué toutes ces choses-là, et on tente aussi
d'expliquer un peu toutes nos failles économiques en rejetant souvent le
blâme sur le dos des Anglais.
Je comprends que les Anglais ont aidé à développer
notre Québec. Peut-être que vous allez me répondre qu'ils
ont servi leurs intérêts égoïstes, c'est dans l'ordre
du possible. Toute histoire du passé, vu qu'on parle des autres
provinces, vu qu'on parle des minorités, ce sont des
phénomènes d'histoire et je sais que vous n'êtes pas
d'accord. Si on doit traiter la minorité anglaise comme les
minorités françaises ont été traitées dans
les autres provinces, je pourrais vous dire que vous avez peut-être
raison: on leur rend simplement la politesse qu'ils ont faite aux nôtres.
Mais je ne juge pas cet aspect.
Votre mémoire, évidemment, est très positif. Je
comprends vos positions vis-à-vis des anglophones. Je me demande tout de
même... Nous allons continuer de vivre avec de véritables
anglophones, avec des allophones qui ont été
intégrés ou assimilés par les anglophones au cours des
années. C'est une situation de fait historique, de l'histoire ancienne
dans un sens. On pense à l'avenir; on pense aux futurs immigrants; on
pense à bâtir une collectivité
québécoise.
Evidemment, dans notre programme de l'Union Nationale, nous sommes
d'accord sur les grands objectifs du projet de loi no 1. Il y a peut-être
des petits points où il y a des nuances, mais il reste que nous sommes
tout de même d'accord sur les grandes lignes. Je vous poserai simplement
une petite question parce que je laisserai à mon confrère, tout
à l'heure, le soin d'en poser d'autres. De quelle façon
voyez-vous cette forme d'association que nous aurons, que nous devrons avoir
avec les anglophones ou ceux qui ont été assimilés au
groupe au cours des prochaines années, une fois le projet de loi
adopté?
M. Angers: Je pense que vous l'avez dans ce que nous acceptons
nous-mêmes. Nous disons: Voilà, nous reconnaissons que ces gens
pourront continuer d'avoir l'enseignement je ne dirai pas leurs
écoles, parce que cela pose un problème de structure dans lequel
on ne veut pas entrer en anglais. Donc, on leur donne l'essentiel pour
continuer à exister comme une minorité qui a la
possibilité de ne pas s'assimiler si elle ne le veut pas, parce qu'elle
pourra toujours avoir de l'enseignement en anglais qu'elle pourra transmettre
la connaissance de l'anglais comme un élément fondamental d'un
enseignement. On lui reconnaît cela.
Quant au reste, ce qu'on veut, c'est que le Québec devienne un
pays normal où...
M. Le Moignan: Mais si ces gens n'ont pas leurs écoles
excusez-moi ils devront...
M. Angers: Ils auront l'enseignement en anglais. La question des
écoles, le mot "école" et le mot "classe", c'est un
problème de structuration scolaire. On n'y entre pas pour le moment. Il
faudra peut-être en discuter, mais enfin on peut percevoir que, dans un
endroit où il y a beaucoup d'anglophones, l'enseignement en anglais va
fatalement finir par être au moins des classes anglaises et
peut-être même une école où on enseigne l'anglais.
C'est un problème qui sera déterminé par la
géographie des lieux, etc., ou par d'autres dispositions.
L'essentiel, c'est qu'ils vont conserver, on leur reconnaît
je parle du MQF qui est d'accord avec la loi, même si nous ne sommes pas
d'accord sur le critère de base unique de continuer à
donner... c'est le principal. Si nos francophones avaient eu cela dans le reste
du Canada, il n'y aurait pas l'assimilation qu'on a connue. On leur donne
l'essentiel: l'école, l'enseignement en anglais pour leurs enfants.
Alors, avec cela, ils ont la possibilité de continuer à rester
des anglophones,
mais, par exemple, à condition qu'ils reconnaissent que c'est un
avantage énorme qu'ils ont là. Qu'ils n'en profitent pas pour
assimiler à leur groupe des immigrants qui doivent être
intégrés dans le nôtre et qu'ils ne s'en servent pas comme
d'un moyen pour nous rendre minoritaires à un certain moment parce que
notre natalité est à la baisse. On ne tolère pas cela.
Nous sommes chez nous au Québec et nous voulons former un pays
normalement français, où une minorité déjà
privilégiée devra cependant reconnaître qu'elle vit dans un
pays français, qu'elle peut conserver sa langue pour ses fins
particulières de groupe ethnique, mais qu'elle doit être
prête à communiquer en français avec tout le reste de la
population, à faire ses affaires en français avec tout le reste
de la population, à vivre la vie normale d'un pays français, avec
un privilège que d'autres minorités n'ont pas, parce que,
évidemment, on ne trouve pas que les Italiens, les Allemands, les
Ukrainiens ont connu la même situation historique qui nous justifierait
d'étendre de pareils privilèges à toutes les
minorités. Ils sont déjà privilégiés.
M. Le Moignan: Je crois que c'est très facile d'être
d'accord avec vous sur les points que vous venez d'énoncer. Il n'y a
aucun doute là-dessus dans mon esprit. Avec le temps, d'ailleurs,
certains groupes d'ailleurs, ont tenté de nous prouver qu'ils avaient
déjà commencé à apprendre le français parce
qu'ils en sentent le besoin pour les années à venir mais j'aurais
une dernière petite question.
Dès le début de votre mémoire, quand vous parlez
des droits et des véritables intérêts du peuple
québécois, je vois un peuple québécois qui s'est
formé depuis 200 ou 300 ans. Nous avons des coins, je ne veux pas vous
en nommer, je sais que 80% des anglophones sont peut-être dans la
région de Montréal, mais si je prends mon coin, que je connais
particulièrement, la Gaspésie, nous avons des anglophones deuis
200 ans, qui sont arrivés pauvres, se sont intégrés, qui
ont développé et qui ont bâti le pays. Est-ce que vous les
considérez comme des Québécois, même si un certain
nombre n'a pas encore réussi à atteindre le niveau de la parlure
française?
M. Angers: Dans tous les pays, c'est encore un autre argument
qu'on emploie et qui est un peu extraordinaire; dans tous les pays du monde, il
y a des gens qui paient des taxes, qui habitent dans ces pays, et qui ne sont
ni des Français, ni des Anglais, ni des Canadiens. Pour devenir citoyen
canadien, il faut passer par certaines épreuves et il faut savoir la
langue officielle. On ne devient pas citoyen canadien sans savoir la langue
officielle. Le certificat de citoyenneté est décerné
à ceux qui savent au moins une des langues officielles. Il y a des
conditions pour être citoyen. Il peut même arriver qu'on soit
citoyen et qu'on ne soit pas du pays. Prenez les Anglais. Depuis quand sont-ils
Canadiens? Avant 1940 et surtout avant 1920, ils refusaient de se dire
Canadiens. Ils étaient Britishers, Britanniques. Alors, un
Québécois, cela peut être n'importe qui, à condition
qu'il accepte d'être dans la communauté québécoise
un élément qui vit avec la communauté
québécoise, qui est fondamentalement française par toute
son histoire et, par conséquent, il peut avoir une appartenance
allemande, anglaise ou autre, mais il accepte le Québec et il veut vivre
avec le Québec, pas se mettre à part du Québec, pas se
mettre à part de la communauté nationale, pas tâcher
d'entraîner la communauté nationale dans la diminution, dans
l'assimilation. Celui qui veut faire cela n'est pas un vrai
Québécois, c'est un Canadien qui essaiedes'emparerdu
Québec. Ce n'est pas la même chose.
M. Le Moignan: Alors, M. Angers, je vous remercie infiniment.
Le Président (M. Cardinal): Nous recommençons la
tournée. M. le Ministre d'Etat au développement culturel.
M. Laurin: J'aimerais vous poser une question sur
l'affichage.
Les dispositions du projet de loi ont souvent été
attaquées ici par certains groupes à la commission comme portant
atteinte au droit d'expression, portant atteinte au droit sacré de la
liberté commerciale, portant atteinte au droit historique de la
communauté anglophone. Avez-vous l'impression, de votre
côté, que tel est bien le cas et que les justifications que l'on
pourra apporter à l'appui de cette politique d'unilinguisme dans
l'affichage sont mal fondées?
M. Angers: Ecoutez! Cette question est peut-être une des
questions les plus délicates et les plus discutées, parce que
c'est peut-être un des seuls articles il y en a peut-être
d'autres, mais il y en a pas beaucoup qui interdit l'usage de l'anglais
en proclamant que ce doit être français. C'est d'ailleurs
peut-être cet article que tous ceux qui prétendent que la loi est
contraignante, arbitraire, intolérante, attaquent, c'est le seul qu'ils
mentionnent la plupart du temps.
D'abord, je constate que cet article, après la proclamation du
principe, il y a un long paragraphe qui tient compte de toutes sortes de
considérations spéciales, donne par suite, dans les
règlements, il faudra voir comment ce sera formulé au
ministre un pouvoir assez large de tenir compte des situations
particulières où ça ne semblerait pas opportun d'aller
jusqu'à imposer l'affichage unilingue français. Mais, il reste
que c'est un point très sensible de tout le problème de la
langue, puisque ça concerne le visage français du Québec.
Je crois que cette prescription est nécessaire, parce que je doute
fort... ou alors, il faudrait que tous les anglophones viennent signer un
traité devant la commission, ici, pour nous dire qu'ils vont respecter
une loi qui ne dit pas qu'ils sont obligés de le faire et qu'ils vont
afficher partout en français. Il n'y a pas de raison pour que, dans le
Québec, comme dant tous les pays du monde, l'affichage,
généralement, ne soit pas fait dans la lan-
gue du pays. Or, comme on peut douter que ça ne se ferait pas si
ce n'était pas imposé, je crois qu'il est légitime de
l'imposer dans la situation où nous sommes. Le reste, c'est
précisément que, dans la loi, on ait mis ce qu'il faut pour que
le ministre puisse éventuellement assouplir le principe et autoriser
certaines formes d'affichage, soit unilin-gue, ou soit dans deux langues ou
autrement, en tenant compte de certaines circonstances particulières.
Mais c'est un point très sensible, parce qu'il touche à quelque
chose de fondamental dans l'établissement du visage français du
Québec. Il faut que le visage français du Québec soit
restauré et au plus vite. Il est clair que l'affichage est
particulièrement ce point qui fait dire à beaucoup de gens que
Montréal, par exemple, c'est la plus grande ville française...
C'est la seconde ville française de langue anglaise au monde. Pourquoi?
Parce que Montréal a l'air d'une ville anglaise, à cause de
l'affichage, à cause de la présentation des choses. Alors, c'est
une mesure nécessaire pour rectifier une situation anormale et dont on
peut s'attendre que si la loi n'est pas rigoureuse, elle ne se corrigera pas,
parce que, précisément, c'est une des parties de la loi qu'on
respectera sûrement le moins dans son esprit, si on laisse le libre choix
aux gens de ne pas se considérer liés par la loi.
M. Laurin: Même dans la partie anglaise de
Montréal?
M. Angers: Même dans la partie anglaise de
Montréal.
M. Laurin: Ou même dans les comtés presque
exclusivement anglophones comme celui de Pon-tiac?
M. Angers: Bien sûr! Parce que si on affiche en anglais,
cela pourrait être à l'aéroport international, pour
recevoir des étrangers, comme on peut le voir dans les autres villes du
monde où on affiche dans des langues étrangères à
l'aéroport, parce que beaucoup d'étrangers y passent, mais le
fait que le comté est anglophone, ça ne change pas le
caractère. Ce n'est pas par comtés que le Québec existe,
c'est par Québec, et il faut qu'il soit français partout.
Si les anglophones savent le français, étant une
minorité et se conformant à la loi, il n'y a pas de
problème à ce que l'affichage soit en français, ils seront
rejoints.
On prévoit déjà d'ailleurs que dans le domaine de
la santé et de la sécurité, de toute façon, on va
leur donner les deux langues. C'est déjà prévu. Alors, je
crois que cet article, comme nous l'avons dit quelque part dans notre
mémoire, comme d'autres articles, laisse au ministre une marge
d'application intelligente, suffisante, d'un principe qui est fondamental. Tout
le monde est d'accord, je pense, que dans un pays français, l'affichage
doit être en français. Il faut prendre les moyens pour que cela
devienne vrai et je suis convaincu que c'est un des points qui ne se
réglera pas si la loi n'est pas sévère.
M. Rioux (Michel): Je voudrais renchérir sur les propos de
M. Angers. Je vous ferai part du fait que cette question a fait l'objet, au
sein du MQF de débats et de discussions quand même assez longs,
sauf que nous sommes arrivés à la conclusion qui était la
suivante. L'objectif fondamental de ce projet de loi no 1 n'est-il pas de faire
en sorte que le français, que les Québécois francophones
finissent par être respectés et à se sentir chez eux dans
un pays qui s'appelle le Québec.
Or, étant donné le fait que le projet de loi, à sa
face même, manifeste extrêmement de souplesse dans l'application de
chacun de ses articles, ce qui n'est pas nécessairement de la mollesse
comme le faisait remarquer quelqu'un la semaine dernière ici devant la
commission parlementaire, le problème étant le fait que
l'anglais, que cela soit sa faute ou non, comme langue, étant
l'incarnation comme ailleurs dans d'autres pays, que cela soit le portuguais ou
que cela soit l'espagnol ou que cela soit le français dans d'autres pays
comme la Belgique, par exemple, la figure du dominant... Le dominant au
Québec, c'est l'anglais.
Or le problème... l'article 46 couvre fort bien les
chatouillements que certains pourraient avoir sur ce plan de l'affichage.
L'article donne la largesse d'esprit nécessaire au gouvernement, dans
son application, au fait suivant, à savoir que ce n'est pas la
communauté chinoise sur la rue la Gauchetière à
Montréal qui est un danger pour l'avenir de la francophonie au
Québec, ce qui fait que, je pense en tout cas personnellement, et je
pense refléter le point de vue du Mouvement Québec
français là-dessus, il ne serait pas interdit, malgré la
promulgation de la loi 1, que le restaurant au numéro 67 de la rue la
Gauchetière, le Sun Kuo Min continue de s'appeler le Sun Kuo Min parce
que ce n'est pas la langue chinoise qui met en danger l'avenir de la
francophonie au Québec. De la même façon que ce n'est pas
le Yiddish qui met en danger l'avenir de la francophonie dans Westmount. C'est
la langue anglaise. Avec toute la souplesse nécessaire, souplesse
déjà contenue dans le projet de loi, je réfère
encore à l'article 46, avec cela, je pense que toutes les
minorités québécoises devraient se sentir quand même
assurées d'avoir une protection suffisante et être convaincues que
cette loi, en ce qui a trait à l'affichage, comme le soulignait le
ministre Laurin dans sa question, ne fera pas en sorte qu'un pauvre diable qui
a une petite épicerie au coin de la rue qui ne dessert qu'un minimum
restreint de personnes, sera appelé à fournir tous ses papiers ou
toutes ses annonces dans la langue française.
La question n'est absolument pas là. Il s'agit tout simplement de
voir dans quel esprit une loi est faite et de voir si, pour tuer un moineau, on
doit sortir un B-52 ou bien si on doit laisser voler le moineau tranquillement
pour autant que les droits ancestraux et bicentenaires d'une majorité
sont respectés et que la souplesse nécessaire dans l'application
de ces droits fondamentaux est appliquée.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mégantic-Compton, il vous reste trois minutes.
M. Grenier: Bien rapidement, d'abord, M. Angers, inutile de vous
dire qu'on vous connaît de réputation et que vous êtes un
véhicule important, je pense, de la pensée française non
seulement au Québec mais en Amérique du Nord et je vous connais,
si vous ne...
Le Président (M. Cardinal): Voulez-vous rapprocher votre
micro, s'il vous plaît?
M. Grenier: Je m'excuse, je pensais l'utiliser. Je voudrais vous
dire que si le contraire ne se produit pas, on connait votre façon
honnête, je pense, de travailler pour la francophonie
québécoise. J'ai eu l'avantage de vous rencontrer lors des grands
débats qui se tenaient avec M. Jacques-Yvan Morin à
l'Université de Montréal. J'aimerais savoir de vous, bien
honnêtement, si vous ressentez depuis une dizaine d'années,
peut-être en dehors de votre mémoire, personnellement, qu'il y a
une amélioration de la minorité anglophone, face à la
majorité francophone, une tentative d'incorporation ou de bon vouloir,
d'amélioration?
M. Angers: Une certaine amélioration, c'est
incontestable.
M. Grenier: Est-ce que vous le sentez, est-ce que vous vivez
cela? Je ne vous cache pas que je ne suis pas un citoyen de Montréal, je
vis dans un secteur des Cantons de l'Est où ces problèmes, on n'a
pas à les affronter quotidiennement, mais, dans Montréal, c'est
tout à fait autre chose, j'imagine. Mais vous sentez, dans des faits,
qu'il y a des améliorations importantes.
M. Angers: II y a des améliorations. C'est encore,
remarquez bien, la pointe d'un iceberg. Cela émerge, les
améliorations, mais, dans les circonstances où nous vivons depuis
quelques années, remarquez bien, d'ailleurs, que j'ai bien dit dans le
mémoire que ce n'est pas nous qui avons ouvert le jeu des
législations linguistiques. Nous vivions...
M. Grenier: D'accord. C'était lors d'une élection
complémentaire dans l'ouest de Montréal, avec le bill 85.
M. Angers: C'est cela. Nous vivions une situation qui
était celle de 1774, et nous essayions par incitation, on nous a
parlé souvent d'incitation, mais l'incitation, on la pratique depuis
au-delà de 200 ans, et on essayait graduellement, par des luttes de
mouvements, d'amener les anglophones à reconnaître qu'ils sont en
pays français. On a été d'une gentillesse extrême
pendant ces 200 ans. Alors, le point, c'est qu'il fallait aller plus loin,
parce que cela n'allait pas assez vite quand même...
M. Grenier: M. Angers je m'excuse, j'entends des choses que j'ai
entendues cet après-midi à d'autres réponses. J'aimerais
vous poser d'autres questions qui porteraient sur d'autres régions en
dehors de Montréal.
M. Angers: Bien.
M. Grenier: Le danger n'est pas le même, bien sûr,
dans des régions rurales, et je fais allusion à d'autres
régions du Québec où il y a des minorités
anglophones et c'est bien clair que ce projet de loi vise principalement la
ville de Montréal, le West Island, j'imagine, en tout cas toute la ville
de Montréal, si vous voulez. Vous me dites qu'il y a certaines
améliorations, peut-être pas suffisamment sensibles, et vous
semblez d'accord qu'il devrait y avoir une loi. On vit des tracasseries quand
même et je vous ai entendu dire, cet après-midi, que les personnes
morales n'ont pas à se faire de la bile avec cela parce qu'elles ont ce
qu'il faut pour se payer des traducteurs. Je vois de petites
municipalités où les anglophones ne posent pas de problème
dans notre région des Cantons de l'Est, je vois des gens qui se parlent
en anglais, qui n'ont pas envie de faire de chicane, mais qui seront
obligés de se payer, avec la loi, des traducteurs pour communiquer avec
Québec.
M. Angers: En 1983.
M. Grenier: C'est un problème qu'un traducteur à
$10 000 de salaire par année et je me demande à ce
moment-là si...
M. Angers: Ils ont jusqu'en 1983. Ils pourront élire tout
simplement un secrétaire français ou engager un secrétaire
bilingue sans avoir à engager des traducteurs, parce que plus elles vont
être petites, plus leurs obligations vont être faibles.
M. Grenier: Ma dernière question, avant que le
président ne me dise que c'est ma dernière. Voyez-vous un danger
dans les secteurs en dehors de Montréal, non pas à
Montréal, mais en dehors de Montréal, avec l'application de la
loi, à l'article 52, qui dit que les parents qui n'auront pas fait leur
cours à l'école primaire dans la province de Québec
n'auront pas droit à ce que leurs enfants puissent fréquenter
l'école anglaise lors de la deuxième génération.
Est-ce que c'est pour vous un danger, puisque je vois que vous
représentez quand même des organismes qui ne sont pas uniquement
de Montréal, mais qui sont quand même de tout le Québec.
Vous êtes certainement sensibilisé à ce problème
qu'il n'existe à peu près plus d'écoles primaires dans des
minorités anglophones de plusieurs villages de la province.
M. Angers: Ecoutez, on présente trop toute cette question
en termes de danger. C'est sûr qu'il faut légiférer, parce
que la situation de droit établie, n'étant pas suffisamment
éclaircie, n'est pas respectée. Enfin, l'idée de la loi,
ce n'est pas tellement la question du danger de la minorité
française. Cette loi est une loi qui établit les fondements, qui
établit dans un texte clair, écrit, ce qui est le droit
fondamental du Québec depuis toujours.
M. Grenier: M. Angers, en pratique, il se produit d'autres
problèmes.
M. Angers: Qu'il y ait danger ou non, on aurait dû la voter
depuis longtemps. Pardon?
M. Grenier: II se produit des problèmes, en pratique.
L'application pratique de cette loi fera que dans la très grande
majorité des endroits où il y a des minorités anglophones
dans la province de Québec, en dehors de Montréal, qui ne sont
pas pourvues d'écoles primaires, cette loi va faire que dans une
génération et demie, on éteindra les minorités
anglophones. Bien sûr, cela peut laisser froid plusieurs personnes, mais
il faut quand même se préoccuper de ce problème
vis-à-vis de la loi.
Ne pensez-vous pas qu'un amendement sérieux pourrait être
apporté, qui dirait: écoles primaires et secondaires ou bien l'un
ou l'autre.
M. Angers: Je ne vois pas la nécessité. Il faudrait
examiner ça de près. Le problème, c'est toujours la
question d'établir un droit fondamental. Toute dérivation...
s'ils ont fréquenté l'école primaire française,
c'est celles-là qu'ils vont avoir fréquentées, ce sont des
anglophones qui vont fréquenter des écoles françaises?
M. Grenier: Oui, pour la deuxième
génération. Rendus à la deuxième
génération, ils auront fréquenté l'école
primaire française, parce que, n'en ayant pas dans leurs
municipalités, ils ne pourront pas envoyer leurs enfants a
l'école anglaise à la deuxième
génération.
M. Angers: Ecoutez, la loi va leur permettre d'en demander. Ou
alors, c'est parce qu'ils seront très peu nombreux. S'ils sont
très peu nombreux, on ne peut quand même pas maintenir des droits
artificiels comme ça indéfiniment. Cela va être comme dans
toutes les provinces, j'imagine que les règlements vont dire que ces
droits ne peuvent être exercés. S'il n'y a qu'un enfant, il ne
pourra pas exercer son droit d'avoir de l'enseignement en anglais ou les
parents devront l'envoyer dans une école privée plus loin,
à Montréal, comme dans tous les pays. Je ne pense pas qu'il
faille établir des dérogations à la loi qui posent des
principes dangereux de reconnaissance de l'anglais, simplement pour faire face
à des situations comme celles-là qui peuvent se régler
autrement.
M. Grenier: Je comprends que ça peut être une
situation d'exception...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mégantic-Compton, si vous voulez terminer.
M. Grenier: Terminer, oui. Je comprends que ça peut
sembler des cas d'exception, mais j'aurais aimé que parmi vos
mouvements, on pose... j'aimerais ça si vous aviez l'occasion d'ici
l'adoption de la loi de nous laisser savoir votre opinion bien précise,
parce que c'est un cas que vous voyez peut-être en particulier, mais qui
se multiplie dans la province de Québec.
M. Angers: On peut y repenser, mais notre opinion bien
précise, c'est que là où il n'y a pas vraiment de groupes
ethniques importants, capables de se payer des écoles ou d'avoir des
écoles publiques en nombre suffisant pour qu'on juge à propos de
leur donner de l'enseignement en anglais, les parents devront eux-mêmes
régler leurs problèmes en envoyant leurs enfants ailleurs,
là où il y a des écoles.
Autrement, cela n'a pas de sens. La loi va devenir un ensemble de
petites exceptions. Elle va se trouver mitée par toutes ces
dérogations à un principe général selon lequel
l'enseignement en anglais peut être accordé à des gens
d'une minorité, répondant à certaines
caractéristiques. On a déterminé les meilleures
caractéristiques possibles. Nous admettons que la fréquentation
scolaire n'est pas suffisante. Si on ajoute la langue, ce sera mieux. Je pense
que vous entrez dans des considérations qu'on retrouve dans tous les
pays où il y a des minorités. C'est aux parents eux-mêmes
à voir l'intérêt qu'ils portent au maintien de leur propre
appartenance ethnique, comme nous on l'a fait ailleurs. Cela les regarde. S'ils
jugent à propos que ça ne vaut pas la peine et qu'ils
s'assimilent au milieu parce qu'ils ne se trouvent pas assez nombreux, pourquoi
ferions-nous des efforts monstres pour les obliger à rester anglais,
alors qu'au fond, ils vont manifester qu'ils n'y tiennent pas tellement et
qu'ils sont prêts à s'intégrer à la
communauté francophone.
M. Grenier: Merci beaucoup.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Papineau, en songeant qu'il faudrait conclure pour 21 heures.
M. Alfred: Je remercie, M. le Président, le Mouvement
Québec français de son mémoire. Je remercie surtout le
Mouvement Québec français qui a réussi à
réunir, dans un seul bloc, la classe laborieuse et syndicale du
Québec, celle, bien sûr, qui veille à la libération
de notre droit québécois.
L'argumentation que vous nous founissez ici est irréfutable, donc
je n'ai pas à vous poser de questions là-dessus, je suis
convaincu. Je relève surtout une phrase qui me plaît
énormément, à la troisième page: "Cette loi
revêt un caractère d'urgence nationale, vu la
nécessité de corriger sans délai les effets
néfastes des véritables lois de trahison nationale qu'ont
été les lois dites 63 et 22".
Monsieur, je ne peux qu'être d'accord avec vous. Soyez
assuré, Mouvement Québec français, que désormais le
Québec va être un Etat français où les
Québécois vont être fiers d'y vivre. Soyez assuré
aussi que les arguments que vous nous donnez ici ne tombent pas dans les
oreilles de sourds. Soyez assuré aussi que flexibilité ne sera
jamais synonyme de mollesse. Soyez assuré que le gouvernement que la
masse laborieuse et syndicale du Québec a élu le 15 novembre
saura prendre ses responsabilités et compte sur vous pour l'aider
à mener à bien ce projet de loi que vous avez endossé.
Merci.
Le Président (M. Cardinal): M. Angers, ou quelqu'un
d'autre.
M. Angers: Le mot de la fin?
Le Président (M. Cardinal): Non pas une réplique,
non pas le dernier mot ni une réplique, mais le mot de la fin.
M. Angers: Je reviendrais simplement sur le point qui me
paraît essentiel, c'est que tout le monde, toute la deputation, tout le
cabinet soient bien conscients que l'enjeu, c'est de nous donner, à
nous, notre patrie, en y instituant un régime qui corresponde à
l'identité de la communauté nationale et non pas d'entreprendre
toutes sortes de formes de partage sous prétexte que des situations de
fait nous ont mis dans l'état d'une présence importante des
anglophones en tant qu'ils ont été les colonisateurs au sens de
conquête et d'occupation. Ce phénomène doit se terminer et
toute faiblesse, toute concession qu'on va faire dans la reconnaissance de
certains droits à des anglophones c'est pour cela que la loi 22
était si mauvaise aboutit simplement à nous enlever notre
patrie, à faire en sorte que nous soyons obligés de vivre
à deux ou à trois dans un pays qui doit être le nôtre
dans le respect des minorités et des minorités qui partent du
point de vue de la reconnaissance que nous sommes dans un pays français
et qu'ils doivent respecter le caractère français du pays.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Angers. Nous avons
commencé à 17 h 13. C'est vraiment beaucoup de discipline pour
tous. Nous terminons à temps. A M. Angers, à M. Coelho, à
M. Champagne, à Mme Paradis, à Mlle Fredette, à Mme
La-londe, à M. Rioux et à M. Daoust, au nom du Mouvement
Québec français que vous avez représenté, merci de
votre mémoire, merci de vos réponses aux questions des membres de
la commission, merci de votre patience. C'est maintenant terminé pour
vous. J'appelle immédiatement le prochain organisme. Merci,
messieurs.
M. Angers: Merci, M. le Président et merci, Messieurs de
la commission.
Le Président (M. Cardinal): The Montreal Board of Trade,
mémoire 88.
Messieurs du Montreal Board of Trade, bonsoir. Vous connaissez les
règles du jeu. Je vous prie auparavant de tous vous identifier et
ensuite, vous aurez vingt minutes pour exposer votre mémoire. M. Tracy?
Non?
M. Groome (Réginald): Non, je suis M. Groome, M. le
Président.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Je vous laisse la
parole.
Montreal Board of Trade
M. Groome: M. le Président, M. le ministre,
distingués membres de cette commission, il me fait plaisir de vous
transmettre les salutations des membres du Montreal Board of Trade.
Je suis Réginald Groome, président de cet organisme. J'ai,
à mes côtés, pour représenter le Board, à ma
droite, M. Claude Molleur, président du comité d'étude qui
a préparé notre mémoire; à sa droite, M. Dennis
Jotcham, premier vice-président du Board et à ma gauche, M. Paul
Na-deau, également membre de notre comité d'étude.
Ces trois messieurs m'assisteront dans la lecture de cette
présentation. J'aimerais aussi vous présenter M. Arthur Earle et
Emmet Kierans, tous deux membres de notre conseil; notre directeur
général, M. Lome Tracy et notre directeur général
adjoint, M. Alex Harper, qui nous accompagnent à titre
d'observateurs.
Mes collègues et moi-même voulons vous épargner la
lecture de notre mémoire et de son résumé, dont vous avez
tous reçu un exemplaire.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. Groome.
Puis-je vous demander si vous décidez cependant que votre mémoire
soit porté en annexe au journal des Débats en entier?
M. Groome: S'il vous plaît, M. le Président. Le
Président (M. Cardinal): C'est accordé.
M. Groome: Merci bien. C'est exactement cela que j'allais
demander.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse de vous
précéder, mais je tente que la commission soit aussi efficace
qu'il est possible dans notre système.
M. Groome: Merci, on va sauver du temps.
Le Montreal Board of Trade, M. le Président, compte parmi ses
membres 2900 entreprises, grandes et petites, oeuvrant dans tous les secteurs
économiques et industriels de la région montréalaise, ce
qui en fait le deuxième plus grand organisme du genre au Canada.
Le Board a pour unique raison d'être de servir au mieux les
intérêts économiques de la collectivité au sein de
laquelle oeuvrent ses membres.
Le Board partage avec le gouvernement du Québec le souci
d'assurer la prospérité du Québec. Il partage aussi avec
le gouvernement la volonté de promouvoir l'utilisation du
français au Québec et d'encourager les diplômés
francophones à faire carrière dans les affaires.
Le Board est d'avis que l'incitation est le meilleur outil pour
promouvoir l'utilisation et l'amélioration de la qualité du
français au Québec.
Des incidences serviraient également au mieux l'objectif
d'accroître le nombre de cadres francophones dans les entreprises.
Le Board accorde son appui à toute initiative de l'entreprise
privée et du gouvernement, qui contribuerait à l'avancement des
francophones en favorisant un climat propice à l'essor économique
et à la création d'emplois.
Toutefois, nous voyons dans le projet de loi no 1 diverses mesures qui
pourraient causer un tort grave aux entreprises nationales et internationales
et à d'autres entreprises oeuvrant par exemple
dans le domaine de la recherche et du génie. Ces entreprises ne
recrutent pas seulement leur personnel au Québec, mais aussi dans le
reste du pays et à l'étranger.
Nous sommes convaincus que le gouvernement, pas plus que les
Québécois, ne voudrait tourner le dos au progrès, alors
que le Québec a un plus grand besoin d'industries et d'entreprises.
Il convient également de noter que l'accession aux postes
supérieurs des entreprises est un processus qui demande un certain temps
et qui doit tenir compte de la progression des carrières individuelles.
Plus les francophones seront nombreux à faire carrière dans les
affaires au Québec, plus ils seront nombreux à accéder aux
postes de direction, conséquence logique et normale du processus de
promotion.
Un nombre considérable de francophones sont actuellement
engagés dans ce processus et nous en constatons actuellement les
effets.
Maintenant, avec votre permission, je passe la parole à M. Paul
Nadeau.
M. Nadeau (Paul): Le Montreal Board of Trade ressent une
très vive inquiétude face aux dispositions suivantes contenues
dans le projet de loi no 1.
Le premier commentaire porte sur l'article 52. Le Board reste d'avis,
dans l'intérêt de tous, qu'il vaut mieux laisser le libre choix de
la langue d'enseignement aux parents des élèves en cause. Cela a
été notre position dès le commencement, mais si,
toutefois, le gouvernement juge à propos de diriger les enfants
d'immigrants vers le système scolaire français, en dépit
de tous les risques que cela suppose, ces mesures devraient se limiter aux
futurs immigrants non anglophones et non francophones, qu'il conviendrait de
prévenir de ces exigences avant qu'ils ne fassent leur demande
d'immigration.
Quantité de sièges sociaux d'entreprises nationales et
internationales, de même que d'organismes internationaux comme
l'Organisation de l'aviation civile internationale, sont installés au
Québec, notamment dans la région montréalaise. Ce
phénomène s'explique entre autres par le fait que l'enseignement
y est disponible à tous les niveaux, en français et en anglais,
deux des langues les plus parlées dans le monde.
Cette présence des sièges sociaux a également
été rendue possible par l'utilisation
généralisée dans la région montréalaise de
deux langues internationales.
Maintenant, sur l'article 32. Tout comme l'article 52, l'article 32 peut
également priver le Québec de compétences. Qu'il suffise
de rappeler cet extrait de notre mémoire: Bon nombre d'employés
d'entreprises provinciales, nationales et internationales établies au
Québec proviennent d'autres provinces ou d'autres régions du
monde et sont tenus d'être membres d'ordre professionnel provinciaux afin
de pouvoir exercer leur profession au Québec. Quantité d'entre
eux ne traitent pas avec le public québécois. Et l'essentiel de
leur travail, au sein de ces entreprises, est strictement soit in- terne ou
exclusivement avec une clientèle de l'extérieur du Québec.
Plutôt que d'assujettir ces employés à la
réglementation relative à la langue officielle, le gouvernement
nous le proposons devrait leur offrir, en collaboration avec les
ordres professionnels, les incitations, les moyens voulus, pour leur permettre
d'apprendre le français à titre d'attrait supplémentaire
de leur travail au Québec.
L'obligation imposée aux membres d'ordres professionnels de se
présenter à des examens pour le renouvellement de leur permis,
est de nature à influer sur la venue au Québec de
spécialistes en provenance d'autres régions du Canada et du monde
qui pourraient assurer un apport à l'économie du
Québec.
Maintenant, l'article 55. Les commentaires que nous avons sur ce sujet
c'est que le Board s'inquiète du fait que cet article et d'autres
dispositions du projet de loi, ne prévoient aucun droit d'en appeler
devant les tribunaux des décisions de la commission d'appel relatives
à l'enseignement et des décisions de l'Office de la langue
française relatives aux permis. Je crois qu'il a été
mentionné dernièrement que cela serait probablement
changé. Mais toutefois, comme il existe présentement, nous devons
porter cet article-là à votre attention, M. le Président,
M. le ministre.
Le Board a maintes fois exprimé son inquiétude face
à des dispositions prévoyant des décisions sans appel de
la part des agences chargées d'un pouvoir de réglementation. De
telles dispositions ont pour effet de donner à une même
institution ou à un même organisme, à la fois le rôle
de promoteur, d'enquêteur et de juge. C'est là une situation qu'il
convient d'éviter.
Je vais maintenant demander à M. Jotcham de continuer.
M. Jotcham (Dennis): Le Board recommande fortement à
l'Assemblée nationale d'amender l'article 106 de façon à
ne pas donner à l'article le pouvoir de condamner l'entreprise à
mort. Refuserait-on une transfusion de sang à un individu parce que
l'article juge ses connaissances du français insuffisantes? Le
même raisonnement doit s'appliquer dans les cas des entreprises.
Les permis de la fourniture de gaz et d'électricité, les
services d'ascenseurs, etc., sont essentiels à la viabilité de
l'entreprise.
L'émission et le maintien de tout genre de permis ou de licence
ne peuvent être assujettis à des considérations autres que
celles pour lesquelles le permis ou la licence a été
institué. Exemples: Les règlements de zonage, la santé, la
sécurité. De même, la fourniture de tout bien ou service
aux consommateurs par un organisme public ou régi par l'Etat, exemple,
comme l'autre fois, l'électricité, le gaz, le transport etc., ne
devrait être assujettie à aucune considération d'ordre
politique.
Compte tenu de ce qui précède, le Board recommande que la
ligne de conduite dont le libellé apparaît ci-dessous soit
incorporée à la charte et fasse l'objet de l'article 106.
Les entreprises de 50 salariés ou plus devront posséder un
certificat de francisation pour avoir le droit de recevoir de l'administration
des primes, subventions, concessions ou avantages et de fournir au gouvernement
des biens et services.
Article 114: Les dispositions de l'article 114, relatives au
comité de francisation, sont également une source
d'inquiétude pour le Board. Puisque le projet de loi no 1 confie la
responsabilité de la francisation à l'entreprise, c'est à
l'administration de l'entreprise, qui est chargée du respect des lois et
règlements, qu'il devrait appartenir d'assurer l'élaboration et
la mise en oeuvre des programmes de francisation. Par conséquent, aucun
autre comité ou organisme ne devrait avoir la responsabilité de
voir à ce que l'entreprise se conforme à l'article 106.
On pourrait cependant charger la direction d'affecter une seule personne
à la mise en oeuvre du programme, et cette dernière pourrait
alors constituer un comité de l'importance voulue, composé
d'employés et d'autres collaborateurs afin de la seconder.
Claude.
M. Molleur: M. le Président, M. le ministre. M. le
ministre, vous avez indiqué qu'il y aurait des amendements à
l'article 172, mais je vais quand même vous donner nos remarques
concernant l'article tel qu'il apparaît dans le moment.
Le Board recommande d'accorder la priorité à la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne sur toute
loi adoptée par l'Assemblée nationale. Le respect des droits et
libertés de la personne constitue le fondement même de la
démocratie au Québec. Une loi destinée à promouvoir
la langue française ne devrait pas diluer les éléments de
base de la société libre que l'on trouve actuellement chez nous.
Il importe de fortifier et non d'affaiblir les sociétés libres.
Le Montreal Board of Trade reconnaît, néanmoins, qu'il est, en
général, difficile de concilier les droits collectifs et les
droits individuels dans une loi, tout en sauvegardant les principes de base de
notre régime démocratique. Celui-ci exige que les droits et
libertés individuels ne soient réduits qu'en cas d'extrême
urgence. Aussi est-ce dans cette perspective que le Board of Trade
désire signaler au gouvernement les éléments du projet de
loi qui lui semblent déroger à ce principe.
L'actuel gouvernement se souviendra qu'il a lui-même fait cette
recommandation à son prédécesseur quand la Charte des
droits et libertés de la personne a été adoptée en
1975.
Nous avons voulu porter à votre attention quelques aspects du
projet de loi qui ne manqueront pas de causer de graves problèmes dans
les affaires courantes des grandes entreprises qui offrent aux
Québécois les plus grandes possibilités d'accéder
à des postes d'envergure internationale.
Le Montreal Board of Trade croit que les Québécois
francophones sont capables d'exceller dans tous les domaines, y compris celui
des affaires, et que l'on devrait envisager l'avenir, en somme, avec beaucoup
plus de confiance qu'on semble le faire.
Le Montreal Board of Trade vient de mener une enquête plus
approfondie auprès de ses membres afin de jeter un peu plus de
lumière sur la situation des Québécois de langue
maternelle dans l'entreprise privée. Plus de 500 compagnies ont
participé à ce sondage et leurs réponses reflètent
concrètement la situation actuelle quant au nombre de cadres
québécois de langue maternelle française dans la
région de Montréal.
Il nous fait plaisir de mettre à la disposition des membres de la
commission les résultats de ce sondage, qui sont compilés dans un
rapport, lequel contient également une liste partielle des
répondants. Nous avons ici des exemplaires, M. le Président, nous
déposons donc ce document entre les mains de M. Pouliot, le
secrétaire des commissions, et nous vous demandons de l'annexer à
notre mémoire.
Vous noterez, sans doute avec intérêt que les
réponses reçues portent sur 19 211 postes de cadres dans la
région de Montréal et que 59% de ces postes sont occupés
par des personnes dont la langue maternelle est le français.
Vous noterez également que le nombre de cadres francophones a
considérablement augmenté depuis 1967 dans les sièges
sociaux, les bureaux régionaux et les usines.
Nous croyons que cette tendance va se poursuivre sans aucune mesure
coercitive.
Le Montreal Board of Trade prie donc le gouvernement de faire davantage
pour encourager les jeunes francophones à s'orienter vers les affaires
et pour assurer un bon enseignement de l'anglais dans les écoles
françaises. Ainsi, les fonctionnaires qui choisiront de faire
carrière dans les affaires auront tout le bagage linguistique
nécessaire pour accéder aux postes supérieurs des
entreprises nationales et internationales.
Le contraire risquerait de limiter les francophones à des postes
de direction régionale au Québec. Les anglophones qui s'orientent
vers les affaires au Québec doivent aussi posséder le bagage
linguistique nécessaire pour participer pleinement à
l'activité québécoise. C'est pourquoi le Board prie
également le gouvernement d'assurer un bon enseignement du
français dans les écoles anglaises.
Le Montreal Board of Trade s'inquiète aussi de l'attitude qui se
manifeste à l'égard du monde des affaires dans le système
d'enseignement québécois et dans les autres milieux
d'enseignement en Amérique du Nord. A long terme, cette attitude ne peut
que contrecarrer tous les efforts entrepris dans les autres secteurs pour
promouvoir l'avancement des francophones dans le milieu des affaires.
M. Groome, notre président, va maintenant conclure.
M. Groome: Enfin, M. le Président, le Montreal Board of
Trade veut porter à l'attention des membres de la commission le
caractère international de Montréal, siège de nos
activités.
Grâce à sa situation géographique
privilégiée, qui facilite les communications avec le reste de
l'Amérique du Nord et les autres pays du monde,
la région montréalaise jouit d'une position des plus
enviables. Elle est en mesure d'offrir une qualité de vie que
peut-être nulle autre ville d'Amérique du Nord ne pourrait
égaler.
Aussi, le Montreal Board of Trade recommande-t-il instamment au
gouvernement d'assurer, dans toute législation qu'il présentera
à l'Assemblée nationale, y compris le projet de loi no 1,
à la fois la sauvegarde et la mise en valeur de cette marque distinctive
de la région montréalaise.
Le Montreal Board of Trade reconnaît que d'autres villes
canadiennes livrent une concurrence intense à Montréal sur le
plan économique et commercial en vue d'attirer chez elles des
sièges sociaux de grandes entreprises.
Montréal n'en demeure pas moins le siège de bon nombre
d'entreprise d'envergure nationale et internationale. Nous demandons
respectueusement au gouvernement qu'il évite d'introduire dans des lois
des mesures qui viendraient mettre en péril le caractère unique
en son genre de cette ville nord-américaine où il fait si bon
vivre.
C'est la réputation que Montréal a réussi à
se bâtir. M. le Président, M. le ministre, distingués
membres de cette commission, nous vous remercions de votre attention et nous
demeurons à votre disposition pour répondre à vos
questions.
Merci.
Le Président (M. Dussault): Messieurs du Montreal Board of
Trade, je vous remercie beaucoup. La parole est maintenant au ministre d'Etat
au développement culturel.
M. Laurin: Je voudrais d'abord remercier le Board of Trade pour
le mémoire qu'il nous a soumis que j'ai lu et relu avec attention. Je le
remercie aussi pour son exposé qui diffère assez du
mémoire qu'il nous a présenté et que j'ai aussi
écouté avec attention. Le Board of Trade est sûrement un
organisme important; il représente 2900 entreprises. Il a joué un
rôle important dans l'histoire économique de Montréal et du
Québec. Il ne fait aucun doute donc que ses prises de position ont un
grand poids auprès de l'opinion. C'est la raison pour laquelle,
évidemment, nous accordons une grande attention à ses
représentations et à ses recommandations.
Dans son mémoire écrit, aussi bien que dans son
exposé oral, le Montreal Board of Trade manifeste plusieurs fois son
inquiétude ou ses réserves sur un grand nombre d'articles. J'ai
déjà commenté un bon nombre de ces articles lors de la
présentation d'un mémoire antérieur et je ne voudrais pas
y revenir. Je préfère renvoyer le Board of Trade au journal des
Débats pour connaître l'opinion du gouvernement sur ces diverses
recommandations.
Je retiens cependant que le Board of Trade met en garde le gouvernement
contre le danger qu'il y aurait de limiter le recrutement venant de
l'extérieur du personnel spécialisé dont il a besoin. Je
reconnais aussi que le Board of Trade manifeste l'intention de faire pression
auprès de ses membres pour que le nombre de francopho- nes pouvant
accéder aux postes supérieurs augmente de façon
régulière, bien qu'il admette que c'est là un processus
graduel et qui ne peut que s'étaler dans le temps.
Il profite de l'occasion aussi pour nous présenter les
résultats d'une autre enquête ou d'un autre questionnaire dont il
vient tout juste de compiler les résultats. Evidemment, j'aurais
préféré de beaucoup que ce rapport sur le questionnaire
nous parvienne, ne serait-ce qu'hier, ou avant-hier, ou la semaine
dernière, parce que là, nous sommes dans l'impossibilité
absolue de le commenter. Evidemment, vous le distribuez à la presse qui,
à cause du poids de votre organisme, y accordera toute l'audience
désirable, comme la presse l'a fait pour le premier mémoire que
vous avez présenté le 27 mai. J'aurais beaucoup aimé avoir
l'occasion de réagir face à ce questionnaire dès ce soir,
mais malheureusement, comme vous venez juste de me le remettre, ce n'est pas
possible pour moi de le commenter.
Mais je profite quand même de l'occasion pour commenter le premier
rapport sur le questionnaire que vous avez effectué le 27 mai.
Evidemment, le rapport que vous nous présentez ce soir a
déjà quand même deux avantages: d'abord, il est
présenté en français et en anglais, ce qui n'était
pas le cas du premier mémoire, et deuxièmement, il porte sur un
plus grand nombre d'entreprises. Vous mentionnez 500 dans l'exposé oral
que je viens d'entendre. C'est sûrement une amélioration, puisque
votre premier questionnaire ne portait que sur 100 entreprises sur 2900. C'est
un échantillon qui nous apparaissait bien petit, étant
donné que ces 100 entreprises recouvraient à la fois les
sièges sociaux, certaines entreprises de Montréal et des
entreprises situées au Québec. L'échantillon nous
paraissait donc très limité et peu susceptible de se prêter
à des conclusions scientifiques. Par ailleurs, vous aviez
distribué à la presse les résultats bruts de ce
questionnaire sans aucun texte et vous ne mentionniez aucunement la
méthode que vous aviez suivie. On ne savait pas comment vous aviez
effectué le choix de ces 100 entreprises, pas plus que je ne sais
comment vous avez effectué le choix de ces 500 entreprises. Est-ce qu'il
s'agit, par exemple, d'un échantillon stratifié? Est-ce qu'il
s'agit d'un échantillon au hasard?
Nous ne connaissions pas au mois de mai, ni aujourd'hui les
critères de votre choix. Nous ne savions pas aussi comment
l'enquête était effectuée, est-ce que c'est simplement par
l'envoi d'un questionnaire, est-ce que cela a été suivi d'appels
téléphoniques, est-ce qu'il y a eu une critique des
réponses reçues?
Je pense que ces vices méthodologiques, déjà au
départ, rendaient aléatoire le résultat scientifique du
premier rapport que vous nous avez donné le 27 mai. Même ces
questions de méthodologie mises à part, votre mémoire,
votre premier questionnaire n'apportait pas des résultats qui
modifiaient d'une façon sensible les résultats des enquêtes
précédentes. On voyait, par exemple, que même dans les
sièges sociaux ou dans ce que vous appelez "top management jobs",
où il n'y
avait que 10% de francophones dont la langue maternelle était le
français à la période antérieure à 1970, il
y en avait 25%. Mais en chiffre absolu, le chiffre n'avait grimpé que de
32 à 98 sur un nombre total de 393.
Bien sûr, c'est une augmentation de 206%, mais il est difficile
d'apprécier l'augmentation de ces pourcentages quand on a affaire
à des chiffres aussi minimes que ceux-là, quand on passe de 1
à 2, évidemment l'augmentation est de 100%, 1 à 3,
l'expansion est de 300%. Il faut donc tenir compte, doser, tempérer ces
augmentations de pourcentage par des rapports sur les chiffres absolus. Je
remarque encore quand même qu'à ce niveau du "top management",
dans l'espace des quelques années couvertes par votre enquête, les
changements n'ont pas été majeurs.
De plus, dans votre mémoire du mois de mai, vous ne disiez pas si
la langue utilisée était le français ou l'anglais. Vous ne
mentionniez pas si ceux qui disent dont la langue maternelle est le
français fonctionnaient en anglais au travail. On sait très bien
qu'au niveau des sièges sociaux, il faut une très forte
concentration de personnel francophone pour que la langue de communication soit
le français. Ceci peut parfois se produire en province, mais rarement
à Montréal.
On voit aussi que même au niveau du "middle management", vos
chiffres, pour l'enquête du mois de mai, manifestent bien sûr une
augmentation de 18% à 33%, de 249 à 505, mais sur un grand total
de 1537 postes. On peut dire que pour une ville où le pourcentage des
francophones est de 80%, c'est un pourcentage qui est loin de respecter et
très loin, les proportions de la population.
Même au niveau des "first line supervisors", malgré une
augmentation de 23% à 40%, quand on tient compte encore une fois du
pourcentage de la population réelle, on constate que même à
ce niveau de "management" qu'on pourrait qualifier d'inférieur,
même si l'augmentation paraît, à première vue, assez
considérable, elle est loin de correspondre ou même de s'approcher
d'une façon sensible des proportions de la population.
Je crois donc que malgré ces rapports que vous nous avez faits,
le progrès n'est sûrement pas, même s'il est marqué,
qualifié de spectaculaire d'une part et, deuxièmement, il ne peut
sûrement pas laisser croire au gouvernement que le travail est
terminé comme M. Finestone l'avait dit à l'époque: "French
Canadians have arrived. There is no further need for any legislation". Cela me
semblait une extrapolation, une généralisation, un cri de
victoire qu'aucun francophone, sain d'esprit, n'aurait pu lancer à la
suite de la publication des résultats de votre première
enquête.
Evidemment, je n'ai pas pu, encore une fois, commenter les
résultats de celle que vous nous apportez ce soir, je continue de
déplorer qu'elle nous soit parvenue aussi tard, mais j'espère
qu'étant donné un échantillon plus large, nous aurons une
idée plus exacte de la situation.
Mais je serais étonné qu'elle nous conduise à des
conclusions différentes de celles que nous avons déjà
données à savoir que, particulièrement au niveau
très supérieur, et même au niveau moyen,
particulièrement dans la région de Montréal, il y a
sûrement un rattrapage à effectuer, un redressement, qui, bien
sûr, devra s'étaler dans le temps, devra être soumis
à certaines conditions, à certaines contraintes que nous
reconnaissons, que nous avons déjà reconnues, mais qui
m'empêchent pas l'Etat, le gouvernement, de considérer comme de
son devoir de s'attaquer d'une façon sérieuse à ce
problème.
J'en viens maintenant à certaines recommandations que vous nous
faites. Par exemple, vous voudriez que l'article 18 soit libellé de
façon à permettre à l'administration de contracter dans
n'importe quelle langue avec une personne morale dont le lieu d'affaires est au
Québec.
Ceci nous apparaît assez difficile à comprendre, s'il est
vrai que toutes les entreprises seront soumises à un processus de
francisation et que, d'ici 6 ou 7 ans, ce processus sera bien engagé. Si
le gouvernement antérieur, aussi bien que celui-ci, prend la peine de
soumettre des entreprises à des programmes de francisation, il nous
semble qu'il ne sera pas nécessaire pour l'administration dont la langue
officielle est le français de contracter dans une autre langue que dans
la langue officielle.
Vous nous demandez aussi de permettre que les conventions collectives
soient libellées en anglais pour les entreprises dont le personnel est
en majorité anglophone. Ceci nous semble aller à l'en- contre du
principe de l'article 4 qui énonce qu'au Québec, tout travailleur
a le droit de travailler en français. Et même s'il n'est pas
majoritaire dans une entreprise, il reste que ce droit existe, ce droit qui n'a
pas toujours été suffisamment reconnu et qu'au nom de ce droit,
il nous semble parfaitement justifié de libeller dans un article que les
conventions collectives doivent être déposées en
français pour acquérir les effets juridiques qu'elles
comportent.
Vous voudriez aussi qu'à l'article 55 il y ait un autre appel,
par-dessus l'appel qui est déjà permis. Si nous acceptons votre
suggestion, je me demande où nous devrions nous arrêter? Y
aurait-il ensuite un autre appel à une instance supérieure? Je
pense qu'il importe quand même, tout en reconnaissant le droit à
l'appel, en une matière aussi délicate, de reconnaître
qu'à un moment donné, une instance supérieure doit se
prononcer d'une façon définitive sur le projet.
Vous voudriez aussi que les programmes de francisation prévus
à l'article 113 soient définis dans la loi. Ceci nous
paraît difficile, étant donné
l'hétérogénéité des sièges sociaux.
C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu, pour le moment, à
tout le moins, en parler dans la loi. Nous attendions les résultats de
la mission qui nous a remis son rapport, rapport qui sera rendu public
très bientôt.
Mais, sur ce sujet comme sur d'autres, je voudrais laisser plutôt
à mon collègue, le ministre d'Etat au développement
économique, le soin de vous donner l'opinion du gouvernement.
Le Président (M. Cardinal): M. le ministre d'Etat au
développement économique.
M. Landry: M. le Président, de par mes fonctions
spécifiques, je suis particulièrement heureux de remercier au nom
du gouvernement ce puissant agent économique qu'est le Montreal Board of
Trade, pour sa coopération et l'intérêt qu'il porte
à des questions culturelles qui, visiblement, ont un
intérêt pour les affaires et l'économie, mais
excèdent de beaucoup les intérêts purement
économiques et financiers.
Je voudrais vous dire aussi au nom du gouvernement, dans l'optique
économique, que ce gouvernement a la conviction profonde que c'est une
richesse prodigieuse que d'avoir sur son territoire et d'avoir pour toujours
une grande partie de ses citoyens qui sont également de langue et de
culture anglophones.
Imaginez ce que cela peut représenter pour un espace
économique occidental de pouvoir contacter directement et facilement
dans leur langue autant de consommateurs et autant de marchés. Je pense
que si les Québécois réussissent à exploiter
à fond cette virtualité commerciale et économique qu'ils
ont de participer aux deux plus grandes langues véhiculaires en
Occident, cela pourrait se transformer en un actif extraordinaire.
Ceci dit, il me semble que, pour la vie intérieure de la
collectivité, il est bon que les individus, autant que les entreprises
évoluant au Québec, pour s'épanouir pleinement et arriver
à leur niveau maximal d'efficacité, doivent, dans toute la mesure
du possible et le plus rapidement possible, sans contraintes pour les
individus, avec de légères contraintes pour les entreprises,
pouvoir communiquer dans la langue française qui est la langue du
Québec. Je pense que vous admettez cela et je vous en félicite
d'ailleurs.
Quant aux aspects plus spécifiques de votre mémoire, je
voudrais, sous forme de remarques, provoquer chez vous quelques commentaires.
Sur la question des sièges sociaux, par exemple, vous parlez des
avantages spécifiques de Montréal en disant que c'est une ville
qui est en mesure d'offrir une qualité de vie que nulle autre ville en
Amérique du Nord ne pourrait égaler, que c'est une ville au
caractère unique en son genre, où il fait si bon vivre, etc.
J'aimerais, comme responsable du développement économique, que
vous commentiez le fait que, depuis 1955, alors que Maurice Le Noblet Duplessis
était le premier ministre du Québec et qu'il n'y avait ni loi 22,
ni loi 63, ni Charte de la langue française, depuis cette époque,
un exode des sièges sociaux s'est amorcé de Montréal vers
Toronto et d'autres villes de même qu'un exode des entreprises. N'y
aurait-il pas là des facteurs économiques beaucoup plus profonds
qui n'ont rien à voir avec les législations linguistiques et pour
lesquels, peut-être, vous pourriez nous faire quelques petites
suggestions dont nous pourrions tirer les moyens de contrer ce
phénomène déjà commencé? Vous êtes
bien au courant qu'il y a un exode des sièges sociaux depuis fort
longtemps.
Sur la question des sièges sociaux toujours, vous émettez
des réserves, prétendant que la loi, et, partant, le
caractère français de Montréal, pourrait éloigner
des sièges sociaux de venir s'y installer ou en éloigner qui y
sont déjà. Je voudrais vous soumettre le cas suivant et avoir
votre réaction. Vous avez mentionné l'OACI qui est un des seuls
organismes internationaux véritables que nous ayons à
Montréal. Je voudrais que vous commentiez un cas particulier qui est
celui de la ville de Genève, la ville la plus multinationale, la plus
cosmopolite, la plus remplie d'organisations internationales que l'on puisse
imaginer. Cela a commencé avec la Société des Nations,
toute la kyrielle des organisations de la Société des Nations,
plus celle des Nations Unies, plus le Gatt. Toutes les
délégations étrangères sont là. Il y a
quasiment plus d'étrangers dans Genève que de Genevois. Or, c'est
une ville française, avec un système d'écoles publiques de
langue française, une signalisation routière de langue
française je vais commenter là-dessus des services
de police, des services d'hôpitaux français et c'est cette ville
qui, dans l'histoire du monde, a réussi à concentrer le plus
d'organisations internationales et multinationales.
J'ai parlé de celles du secteur public, je pourrais vous parler
de celles du secteur privé, car, mises à part les multinationales
suisses il y en a quelques-unes un très grand nombre de
sociétés d'assurance, de fiducie, de grandes institutions
financières ont choisi cette ville à caractère
français pour établir le siège de leurs opérations
internationales.
Si une telle chose peut se produire sur le territoire de la
confédération helvétique, quelle crainte pouvez-vous avoir
que le fait que Montréal devienne une ville française puisse
être un facteur qui repousse les sièges sociaux ou
l'activité économique internationale, particulièrement en
regard de l'article 113 qui fait une exception pour les activités
à l'intérieur des sièges sociaux et également de
cette provision qui veut que, ce qui n'est pas le cas à Genève,
par exception, des enfants temporairement venus à Montréal
puissent aller au secteur public anglophone gratuitement? J'aimerais avoir vos
commentaires là-dessus.
Une autre chose qui n'a rien d'économique, mais cela m'a
amusé. Pour la sécurité routière, pour la
signalisation routière, vous parlez de sécurité. Cela me
fait penser aux arguments de la CALPA, de l'association des pilotes, qui
mêlent la sécurité à un débat qui n'a rien
à voir avec la sécurité, parce que vous faites allusion au
tourisme. Il y a des pays beaucoup plus touristiques que le Québec, je
le déplore d'ailleurs, mais il y en a: l'Espagne, la France, l'Italie.
Avez-vous déjà entendu dire que les mouvements touristiques vers
ces magnifiques pays ont été freinés par le fait qu'il n'y
avait pas d'annonces en langue anglaise sur les routes et que l'on utilise la
langue locale et des pictogrammes?
Enfin! Je vous fais ces petites remarques stimulantes pour essayer
d'obtenir vos commentaires et je vous redis formellement que les ministres
économiques qui ont eu à travailler avec le ministre d'Etat au
développement culturel ont évidemment scruté tous les
articles de cette loi et toutes les provisions qui pourraient être
néfastes à l'acti-
vite économique. Cependant je vous rappelle que, même pour
les ministres économiques, même pour les hommes d'affaires,
l'homme n'est pas uniquement économique et que les questions culturelles
et les questions de fierté nationale sont parfois extrêmement
importantes et déterminantes dans les arbitrages à faire. Merci,
M. le Président.
M. Nadeau: M. le ministre, je suis allé très
souvent à Genève que je connais très bien; vous avez
mentionné cette ville. Mais n'est-il pas vrai aussi qu'à
Genève, le grand nombre de sa population est élevé dans
plusieurs langues? Le français et l'allemand sont très courants
à Genève, dans les hôtels, ainsi que l'anglais; dans le
reste de la Suisse on y parle deux ou trois langues. Cette situation ne peut
pas être comparée du tout avec celle de Montréal, si nous
élevons une population dans une seule langue et si nous ne lui donnons
pas au moins les moyens de pouvoir apprendre une deuxième langue, soit
le français, soit l'anglais, et de l'apprendre très bien.
L'instruction en Europe, et à Genève, est excellente dans toutes
les langues. Dans toutes les langues. Et les enseignes qu'on voit, même
dans le coin de Genève, sont aussi de langue française comme
elles sont de langue anglaise, pas de langue anglaise excepté à
l'aéroport, mais de langue allemande sur certaines de leurs routes
où les enseignes sont nationales.
Mais j'aurais seulement un point à ajouter sur tout le projet
législatif, parce qu'on veut dire aussi, comme Canadiens
français, que tout le projet législatif ne doit non seulement
servir les véritables aspirations linguistiques des
Québécois, dont je suis, mais aussi contribuer indirectement
à leur prospérité et à leur bien-être. C'est
probablement une très mauvaise chose que d'aller trop vite. Nous
espérons que dans la disposition de la loi, les changements vont
être faits pour pouvoir donner le temps à l'établissement
d'une francisation beaucoup plus lentement qu'on ne l'a vu dans les rapports
qui ont été soumis.
M. Groome: M. le Président, si vous permettez, je pense
que nous avons des réponses à toutes vos questions et je vais
demander à mon collègue, M. Molleur, de parler, s'il vous
plaît.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Molleur.
M. Molleur: M. le Président, je voudrais d'abord
m'adresser à M. le ministre Laurin. Pour ce qui est du questionnaire, M.
le ministre, le fameux questionnaire du mois de mai, le Board of Trade, pour
différentes questions, comme par exemple est-ce que les entreprises
donnent tel jour comme congé, a un échantillonnage de 100
entreprises qui est pris à même ses membres. Ces entreprises, on
les croit représentatives de la population, de tous nos membres. Lors de
notre première lecture du livre blanc, et dans un premier effort de
vouloir connaître un peu la situation parmi nos propres membres, nous
avons décidé de distribuer un premier questionnaire à cet
échantillonnnage dont je viens de vous faire part. Evidemment,
étant donné le temps, nous n'avons eu que 33 réponses sur
l'échantillonnage de 100. Nous en avons fait part lors de notre
première conférence de presse. Maintenant, évidemment,
nous n'avons pas prétendu qu'il s'agissait d'un échantillonnage
exhaustif, mais nous l'avons fait nous-mêmes pour avoir un premier
indice.
Maintenant, ce questionnaire a fait assez de bruit et, dans un effort
pour obtenir un échantillon que nous considérons plus valable,
nous avons décidé d'envoyer le questionnaire à tous nos
membres, soit les 2900 membres du Board of Trade, les 2900 entreprises. Ceci
explique le choix des critères. Le questionnaire est divisé en
trois sections, comme vous pouvez le voir devant vous. D'abord, il est à
la fois en français et en anglais, et la première section
concerne les sièges sociaux, la seconde section couvre les bureaux
régionaux au Québec, à savoir la direction de la division
Québec d'une entreprise et, troisièmement, toutes les usines de
la même entreprise situées au Québec.
Nous avons tenté d'obtenir le plus de réponses possible,
et c'est ce qui explique, M. le ministre, que nous avons retardé la
décision du questionnaire, de façon à avoir une population
la plus représentative possible.
La liste d'un grand nombre de répondants est annexée au
document qui vous a été remis et elle couvre une très
grande variété d'entreprises et de domaines.
Vous aviez mentionné, M. le ministre, que M. Finestone avait dit
que le travail était terminé pour ce qui est de l'accession des
francophones aux postes de commande. Je crois que ce que M. Finestone
j'étais à ses côtés lorsqu'il a fait cette
affirmation voulait dire, c'est que les portes sont ouvertes et que les
francophones qui se dirigent vers le milieu des affaires n'ont pas de portes
à enfoncer. Le Board ne voulait pas signifier par là que tous les
francophones qui devraient être dans l'entreprise y sont actuellement,
pas du tout, mais ce que le Board voulait signifier, c'est qu'en somme les
portes sont ouvertes. Il y a un plus grand nombre et un nombre sans cesse
croissant de francophones qui font carrière dans les entreprises, et le
questionnaire que nous avons des 538 entreprises qui ont répondu indique
bien le phénomène qui se produit depuis environ dix ans. On
constate, par exemple, qu'il faut un certain temps à un individu pour
atteindre le poste de président d'une société ou de
vice-président ou de premier vice-président, et, si on regarde,
par exemple, au niveau des bureaux régionaux du Québec, il y a
trois différents paliers, soit la haute direction, la moyenne direction
et le premier niveau de direction.
La haute direction indique un pourcentage de tous les postes et 73% sont
maintenant occupés par des francophones, enfin, des gens dont la langue
maternelle est le français.
A la moyenne direction, soit les gérants de bureaux, ainsi de
suite, 77% des postes sont occupés par des gens dont la langue
maternelle est le français.
Et enfin, au premier niveau de direction, 84%.
Evidemment, lorsqu'on regarde la première section, celle des
sièges sociaux, les pourcentages sont moins importants, mais, encore une
fois, on voit que lorsqu'on part du premier niveau de direction au stade des
sièges sociaux, il y a, dans le moment, 54% des postes détenus
par des francophones, 41% à la moyenne direction, et 32% à la
haute direction.
En somme, les réponses au questionnaire montrent une progression
et, évidemment, une progression à l'intérieur d'une
entreprise prend un certain temps. Nous croyons que si nous comparons avec
1967je ne vais pas vous répéter les pourcentages, les
différences d'il y a dix ans vous verrez qu'il y a une
progression et qu'à mesure qu'on monte de palier, en palier la
relève, pour la haute direction, est maintenant essentiellement, en
grande partie, francophone.
M. Laurin, vous aviez aussi mentionné qu'à l'article 18
nous recommandions que les personnes morales puissent s'adresser dans la langue
de leur choix, à savoir pour le Québec, à toutes fins
pratiques, le français ou l'anglais. Pardon?
M. Laurin: Pour les contrats.
M. Molleur: Pour les contrats. Vous n'avez pas mentionné
le fait de s'adresser au gouvernement.
M. Laurin: Non, pour les contrats.
M. Molleur: Pour les contrats. Pour les conventions collectives,
lors d'une négociation d'une convention avec un groupe d'employés
essentiellement anglophone, on ne recommande que le texte français ne
fasse pas partie de la convention. On recommande, compte tenu de la situation
à ce moment, qu'il soit possible, vu que les parties sont
essentiellement anglophones, qu'on ait les deux textes, français et
anglais.
Pour ce qui est de la commission d'appel l'article 55 le
point, M. le ministre, qui nous chatouille ou qui nous inquiète est le
suivant: II est une théorie reconnue dans notre droit qui nous vient de
différentes origines selon laquelle le pouvoir dans notre pays, au
Canada, ainsi que dans toutes les provinces, contient trois grandes sections:
Le législatif, l'exécutif et le judiciaire. Nous voyons dans le
projet de loi no 1 ainsi que dans d'autres projets que différents
gouvernements présentent... Nous voyons des mesures qui, parfois, ne
maintiennent pas la séparation des pouvoirs. Nous reconnaissons,
étant donné la complexité de la vie moderne, qu'il n'est
pas toujours possible de le faire, mais dans la mesure du possible, nous
recommandons instamment au gouvernement de ne pas créer un appareil qui
réunit à la fois les trois pouvoirs dans différents
organismes sous un seul ministère, soit l'Exécutif du
gouvernement.
Nos remarques, quant aux sièges sociaux, M. le ministre...
Pardon?
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Avant que vous ne
commenciez... vous savez que cette audition est dans un cadre précis. Il
faudrait accélérer ou enfin réduire l'exposé, sans
quoi, ce seront les membres de la commission qui devront en supporter les
conséquences.
M. Molleur: Je vous remercie, M. le Président. M.
Saint-Germain: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Jacques-Cartier.
M. Saint-Germain: II faudrait peut-être dire, M. le
Président, que nous recevons un organisme extrêmement important.
Je crois que notre ministre invité ce soir a très bien
exposé le problème... des principes qui sous-tendent ce projet de
loi. Alors, je me demande bien pourquoi nous ne laisserions pas unanimement...
qu'on ne donnerait pas la permission au Montreal Board of Trade de donner son
opinion, surtout pour répondre aux questions du ministre.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le
député de Jacques-Cartier. Si on veut laisser aux porte-parole du
Montreal Board of Trade plus de temps, il faudra que les représentants
des partis renoncent à leur temps, parce que nous avons une motion
devant nous qui nous lie et cette motion ne peut être modifiée ce
soir.
M. Ciaccia: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Ce n'est pas seulement une question de temps. Notre
règlement donnait aux invités une période de 20 minutes
pour faire leur exposé.
Le Président (M. Cardinal): 20 minutes, oui.
M. Ciaccia: Ils en ont pris 19. Alors, ils se sont
conformés au règlement. Il n'y a rien dans le règlement
qui empêche les invités de répondre aux questions
soulevées par les deux ministres. Je crois que ce serait brimer les
droits de nos témoins, de nos invités...
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre, s'il
vous plaît! A l'ordre!
M. Ciaccia: ...si on ne leur donne pas la chance de
répondre.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre, s'il
vous plaît. A l'ordre, M. le député de Mont-Royal! Je ne le
permettrai pas. Vous attaquez la présidence et je ne le permettrai
pas.
M. Ciaccia: Non, non...
Le Président (M. Cardinal): Je ne le permettrai pas.
M. Ciaccia: Je n'ai pas attaqué la présidence.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, M. le
député de Mont-Royal. C'est la commission qui a adopté une
motion. Je ne peux modifier cette motion et je ne veux pas du tout brimer les
droits de nos invités. Je ne l'ai fait en aucun moment. Je ne voudrais
qu'en aucun moment, même dans le journal des Débats, ni devant le
public, on laisse entendre que par une intervention de la présidence,
les droits des invités ont été brimés.
Monsieur, vous pouvez continuer. Ce que j'ai fait, ce n'est pas pour
brimer vos droits ni pour vous interrompre. Tantôt les membres à
cette table me reprocheront d'avoir laissé trop de temps à un des
cinq partis, parce qu'ils comprendront, en totalité ou en partie, la
période des réponses dans la période des questions. Je
voulais que ceci fût clair et je vous laisse la parole.
M. Mackasey: M. le Président...
M. Ciaccia: M. le Président, je voudrais une
directive.
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Jacques-Cartier.
M. Saint-Germain: Ce temps limité est le résultat
d'une motion qui a été acceptée par cette commission. Une
autre motion peut être présentée ce soir pour permettre
à nos invités...
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Si vous permettez,
je ne me suis pas prononcé là-dessus. Si on demandait une
directive sur cette question, je vous le dis tout de suite, pour éviter
un débat, je la prendrais en délibéré, parce que
j'ai vraiment étudié cette question cet après-midi, et il
n'est pas sûr que, pendant une même session, dans une même
commission, siégeant dans un même mandat, l'on puisse, même
dans une séance subséquente, contrairement à ce qui se
fait dans les sociétés, compagnies, etc., modifier une motion
adoptée à cette commission. Je ne prends pas la décision.
Je vous dis que je la prendrais en délibéré et qu'à
ce moment-là cela ne changerait pas la règle pour ce soir.
M. Saint-Germain: Je ne vous dis pas que, nécessairement,
je veux en faire une motion. Ce serait la plus belle façon de ne pas
écouter nos invités.
Le Président (M. Cardinal): Exactement. Merci, M. le
député de Jacques-Cartier.
M. Saint-Germain: Je veux simplement vous souligner que ce que
nous avons dit ne s'attaquait pas à la présidence, mais
sous-tendait simplement que, par un avis unanime, nous puissions accepter de
laisser...
Le Président (M. Cardinal): Si vous demandez une
directive, je vous reprends. Celle qui a été rendue à
trois reprises, c'est que le temps additionnel sera pris à même le
temps de la députation et c'est ce que j'avais indiqué quand je
me suis permis d'interrompre monsieur.
M. Ciaccia: M. le Président, est-ce que je pourrais
demander une directive, s'il vous plaît?
Le Président (M. Cardinal): Oui, certainement, M. le
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Avant de demander la directive, je ne voulais pas
faire allusion à la possibilité que la présidence
brimât les droits des témoins, pas du tout. Mais est-ce possible
de demander à la présidence de donner une directive au ministre
d'Etat au développement culturel et aux autres ministériels, pour
que, s'ils ne veulent pas que les témoins prennent tant de temps
à répondre, peut-être le ministre ne soulève pas
autant de questions en même temps et laisse l'occasion aux témoins
de répondre.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Je répondrai
tantôt. M. le député de Rosemont.
M. Paquette: Nous n'avons en aucun moment exprimé
l'opinion que les réponses de nos invités étaient trop
longues. C'est le président qui a tout simplement mentionné
qu'avec les réponses des invités on allait dépasser le
temps du parti ministériel. Si vous êtes d'accord pour qu'on le
dépasse de cette façon, nous sommes tout à fait d'accord
pour entendre les réponses des invités aux questions des deux
ministres. Cela va de soi.
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Mackasey: C'est pour une information seulement. A ma
connaissance, vous avez raison. Je crois que votre rôle est
d'interpréter le mandat que nous, les membres, mettons à votre
disposition et de l'appliquer. C'est votre rôle. Alors, il n'y a rien du
tout pour restreindre les députés qui sont membres de cette
commission, qui ont devant eux un mémoire très objectif et qui
cherchent à arriver au même but principal qu'on désire tous
pour le Québec. Je vous demande s'il serait conforme au
règlement, par une motion unanime de tous les membres, de prolonger le
temps mis à la disposition du Board of Trade...
Le Président (M. Cardinal): Dans le fond, si vous
voulez...
M. Mackasey: ...parce que ce mémoire est objectif,
basé sur les faits et non sur l'émotion. Le Board of Trade existe
depuis 18 ou 20 ans et représente les hommes d'affaires et les
entreprises anglophones et francophones. Il peut peut-être changer les
esprits qui sont encore ouverts. Je vous demande donc si on peut accueillir une
motion d'un membre permanent de cette commission, aux fins de suspendre, si
vous voulez, les li-
mitations sur les périodes de temps qui gouvernent normalement
les mémoires qui nous sont soumis.
Le Président (M. Cardinal): Avant de répondre, je
donne la parole au député de Vanier, et je vous dis que je serai
suffisamment informé ensuite pour répondre immédiatement
à votre question. M. le député de Vanier.
M. Bertrand: M. le Président, je veux d'abord noter que,
du côté ministériel, il n'est certainement pas question
d'accorder des coefficients d'importance aux différents groupes qui
viennent devant la commission et que tous doivent être traités
avec équité, c'est-à-dire sur un pied
d'égalité.
Deuxièmement, nous avons bien compris, quant à nous le
sens de votre remarque comme voulant signifier que nous en sommes
déjà à 40 minutes, du côté ministériel
depuis que le groupe a terminé la lecture de son mémoire; vous
vouliez donc signifier simplement que les ministériels avaient
écoulé leur période de questions et que si les
réponses se prolongeaient trop au-delà de la période de
trente minutes, c'est toute la motion même de l'heure trente qui s'en
trouvait affectée et à partir de là, le temps même
laissé aux Oppositions dans le cadre de cette heure trente.
M. le Président, je trouve qu'on a soulevé là une
tempête inutile, on fait perdre du temps aux membres de la commission, je
propose de continuer.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Vanier, à l'ordre s'il vous plaît. M. le député de
Vanier...
M. Paquette: Etes-vous d'accord avec ça...
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît! A l'ordre, s'il vous plaît! On m'a demandé une
directive, je vais la rendre.
M. le député de Vanier, tout d'abord, vous feriez un
excellent président. Ce que j'ai voulu dire et je vais le
répéter...
Mme Lavoie-Roux: ... promotion...
Le Président (M. Cardinal): ... c'est très simple,
c'est que les députés ministériels ont
épuisé leur temps, si on tient compte des questions et des
réponses. Les seuls députés qui peuvent être
pénalisés par le temps employé pour les réponses
sont les députés de l'Opposition. La directive que je rends est
très précise et c'est une directive définitive, quant
à ce soir. Si on veut accorder plus de temps au porte-parole du Board of
Trade, aucune motion ne sera acceptable, il faudra le prendre à
même le temps de la députation et il reste vingt minutes au parti
de l'Opposition officielle et dix minutes au parti reconnu de l'Union
Nationale; il n'y a pas d'autres représentants d'autres partis.
M. Ciaccia: Seulement une question, M. le Président,
comment pouvons-nous...
Le Président (M. Cardinal): Pas sur la directive, elle est
rendue.
M. Ciaccia: Une autre question, pas sur cette directive, comment
pouvons-nous prendre sur notre temps des questions soulevées par le
ministre?
Le Président (M. Cardinal): Un instant, je ne vous
enlève pas de votre temps. Je vous dis que le temps des
ministériels est terminé. Je ne l'enlève pas sur votre
temps, je viens de vous dire que vous aviez encore trente minutes, ce qui est
le maximum du temps accordé par la motion qui nous lie tous. Je voudrais
bien que je sais que j'ai une voix qui est mauvaise ce soir sans
passion, l'on m'écoute; mon seul désir est que ces débats
se déroulent sans émotivité avec le moins d'interventions
que possible, en dehors de la question, et quand j'interviens, c'est pour qu'on
reste dans le cadre de l'audition.
M. Mackasey: ... motion en ordre ou non, simplement ce que j'ai
demandé. Est-ce qu'une autre motion est acceptable ou non?
Le Président (M. Cardinal): Non, elle serait
irrecevable... c'est-à-dire que, soyons clairs, encore plus
précis. Je ne dis pas qu'elle serait irrecevable, je veux dire qu'il y a
des précédents, nous savons... Ecoutez, est-ce qu'il faut que je
recommence un cours de procédure parlementaire? Vous savez que nous
vivons dans un système britannique et que les précédents
à l'Assemblée nationale et en commission parlementaire, en vertu
de l'article 163 nous lient. Deuxièmement, que la motion du
député de Taschereau, modifiée par le parti de
l'Opposition officielle, je pense que c'est le député de
Marguerite-Bourgeoys et sous-amendée par le député de
Beauce-Sud, a été adoptée, non pas à
l'unanimité, mais majoritairement.
J'ai indiqué tantôt que si une motion dans le même
sens était présentée, je la prendrais en
délibéré et que ça ne réglera rien de cette
question pour ce soir et que les gens du Board of Trade ne feraient que nous
entendre discuter de procédure.
M. Lalonde: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Est-il possible de demander aux gens du Board of
Trade de continuer de répondre s'il vous plaît?
Le Président (M. Cardinal): Entièrement d'accord,
je vous en remercie. Monsieur, voue avez la parole.
M. Molleur: Merci, M. le Président. Avec votre permission,
je vais tenter de répondre le plus brièvement possible aux autres
questions qui ont été posées par M. le ministre Laurin et
M. le ministre Landry.
M. le ministre Laurin a soulevé nos remarques quant aux
sièges sociaux et nous a indiqué l'existence de l'article 113.
Nous reconnaissons que l'article 113 ouvre la porte à un traitement
particulier étant donné la situation spéciale des
sièges sociaux de compagnies nationales et internationales
situées au Québec. Toutefois, nous avons voulu, dans notre
mémoire et nos différentes représentations, souligner
l'importance de considérer la situation très particulière
des sièges sociaux et également étant donné que
l'article 113 est assez vague et M. le ministre Laurin l'a souligné
lui-même en disant qu'on n'a pas voulu préciser trop à ce
moment-ci, nous voulons, dans la mesure du possible, recommander au
gouvernement... on tente de préciser les dispositions ou l'encadrement
du traitement des sièges sociaux.
M. le ministre Landry, évidemment, le Board of Trade, vous le
comprendrez, doit se préoccuper, étant donné son mandat,
principalement des questions économiques et commerciales. Evidemment,
ceci n'empêche pas le Board of Trade, qui est une association
d'entreprises, mais qui oeuvre par l'entremise de délégués
de ces entreprises, qui sont des individus, de se préoccuper aussi
d'autres questions sociales, culturelles et ainsi de suite. Vous constaterez
dans notre mémoire qu'on a peut-être élargi la gamme de
commentaires que les différentes commissions parlementaires ont
l'habitude de recevoir de notre organisme. C'est dans cet esprit, étant
donné l'importance que nous voyons dans le projet de loi no 1, que nous
avons voulu tenter d'élargir nos remarques, sans toutefois nous
prétendre des experts dans tous les domaines. Notre domaine principal
est celui du commerce, de l'industrie et des entreprises et c'est dans cette
optique que nous voulons concentrer nos commentaires.
Vous avez souligné, M. Landry, la présence utile d'un
groupe anglophone important au Québec, à l'intérieur de la
collectivité québécoise. Evidemment, je voudrais ici
souligner, comme M. Mackasey l'a fait, que le Board of Trade est d'abord un
organisme qui réunit des entreprises; contrairement à d'autres
organismes comme les chambres de commerce, qui réunissent à la
fois entreprises et individus, le Board of Trade est essentiellement un
organisme d'entreprises. Il est difficile de le qualifier d'essentiellement
anglophone ou d'essentiellement francophone. Il s'agit plutôt ici d'un
mélange des deux, les communications du Board se font dans les deux
langues et les délégués des entreprises sont des deux
groupes linguistiques.
Maintenant, vous avez mentionné qu'il y a, depuis peut-être
20 ans, un certain exode de sièges sociaux ou d'entreprises en
général du Québec vers l'Ontario et d'autres
régions. Nous reconnaissons le fait que la région de Toronto, par
exemple, a attiré, par le fait même de sa situation, de son
expansion économique, énormément d'entreprises de
différentes parties du continent nord-américain.
Mais, évidemment, notre préoccupation est de tenter, par
tous les moyens possibles, de préserver ce que Montréal
possède encore et d'essayer de l'enrichir. Nous reconnaissons qu'il y a
un exode, qu'il y a eu des entreprises qui y ont participé, pour
différentes raisons et nous sommes d'accord avec vous que ce
n'est pas uniquement pour des raisons d'ordre culturel et linguistique
mais ceci n'empêche pas notre préoccupation de vouloir maintenir
ce qui nous reste et de tenter de l'enrichir.
Vous avez fait une référence à la ville de
Genève. Evidemment, nous ne prétendons pas être des experts
dans toutes les situations où il y a plusieurs langues en contact dans
le monde. Nous croyons quand même que nous avons certains commentaires
à apporter quant à ce qui existe dans la région de
Montréal et au Québec. C'est dans cette optique que nous avons
fait nos recommandations. Il est possible que nos recommandations ne soient pas
applicables dans d'autres régions du monde, mais nous croyons qu'elles
sont dans le plus grand intérêt de la région que nous
connaissons.
Quant à la remarque incidente des enseignes, je crois, si vous
lisez notre mémoire, que nous avons indiqué qu'en somme, on
devrait tenter, autant que possible, ce qui est déjà
commencé, d'avoir des enseignes internationales. A ce moment-là,
on n'a pas, pour employer un canadianisme, à "s'obstiner" sur le
français ou l'anglais dans ce domaine-là.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Dussault): Je vous remercie. M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Merci, M. le Président. Je tenterai
d'être bref, étant donné que le temps qu'il nous reste,
globalement, est assez court. Je voudrais remercier le Montreal Board of Trade
de s'intéresser à la question linguistique. Ce n'est pas la
première fois, mais il reste que c'est quand même assez
récent que le Montreal Board of Trade, entre autres, comme d'autres
organismes du milieu des affaires, accède à un niveau de
conscience civique ou sociale, surtout au niveau culturel français.
Je sais que vous avez pleinement conscience de la réalité
du milieu qui doit être français au Québec et je pense
aussi que votre collaboration, comme association, de même que du pendant
francophone de la Chambre de commerce de Montréal, entre autres, sont
des facteurs indispensables à la réussite de ce que la
société québécoise veut faire.
Je voudrais simplement passer quelques minutes sur la question des
sièges sociaux. Je suis d'accord avec vous que l'article 113 ne
règle pas le problème. Le problème des sièges
sociaux et des sièges divisionnaires est beaucoup plus complexe que ne
le laisse prévoir la disposition de la loi et je suis, quant à
moi, assez optimiste à l'égard de la conscience que le ministre a
de cette question. Je sais qu'une mission a été
dépêchée, par la Régie de la langue
française, je crois, en Europe et que le rapport a été
remis au ministre. Je suis confiant que le gouvernement va lui apporter toute
l'attention que cette question mérite.
On est tenté, lorsqu'on parle de sièges sociaux,
éventuellement, parce que cela semble un problème difficile
à régler, de l'écarter et de dire que ce n'est pas si
important. C'est inexact, c'est très important. C'est important au
niveau des postes directement affectés, au niveau du caractère
que cela donne, non seulement à Montréal, mais à la
province de Québec et aussi au niveau des postes indirectement
affectés. L'étude de SECOR, à ce propos, même si on
peut en contester cela a été fait déjà
la grande rigueur d'ailleurs, elle ne prétend pas l'être;
elle ne prétend pas avoir pu y apporter toute la rigueur scientifique
nécessaire quand même, c'est une indication sérieuse
et j'invite le gouvernement, et je profite de cette occasion, à prendre
toutes les dispositions possibles pour, tout en francisant dans une bonne
mesure je pense qu'il y a de la place pour la francisation, même
au niveau des sièges sociaux agir avec beaucoup de prudence et
beaucoup de clairvoyance à ce propos-là.
Vous avez mentionné la coercition dans la première page de
votre mémoire. Je l'ai sous forme de lettre datée du 26 mai 1977
où vous préférez la promotion incitative et vous exprimez
des doutes sérieux quant aux chances de réussite d'une
législation coercitive. C'est une affirmation. J'aimerais que vous en
fassiez la démonstration, rapidement s'il vous plaît.
M. Molleur: Notre remarque se situe sur ce qui s'est
réalisé jusqu'à maintenant et ce qui s'est
réalisé jusqu'à maintenant s'est fait avant la loi 22 et
sous l'égide de la loi 22. Nous croyons qu'il y a eu un travail
énorme d'effectué entre la régie, pour l'implantation de
programmes de francisation, et les entreprises, travail qui doit être
continué et, devant cette situation-là, nous nous posons vraiment
des questions quant au bien-fondé d'ajouter tout un appareil additionnel
et d'ajouter un ensemble de dispositions additionnelles qui se voient
coercitives plutôt qu'incitatives.
Si l'implantation de programmes de francisation, en vertu de ce qui
s'est déjà fait, était démontrée comme
étant une faillite complète, à ce moment-là, on
pourrait se poser la question, mais nous croyons qu'il est certainement pour le
moins prématuré d'annoncer la faillite des programmes qui
commencent à se réaliser selon les dispositions de la loi 22.
Evidemment, à partir de maintenant, ce sera selon les
dispositions de la loi no 1.
M. Lalonde: Pensez-vous qu'il y a une certaine résistance
enfin, je ne veux pas vous mettre les mots dans la bouche une
allergie à la coercition dans le milieu des affaires? Pourquoi la
coercition ne marcherait-elle pas?
M. Molleur: Nos objections se situent sur le plan des
exigences.
Par exemple dans les sièges sociaux, nous voyons certaines
exigences pour le fonctionnement des sièges sociaux. Dans le projet de
loi no 1, nous voyons des dispositions qui peuvent créer des
problèmes d'application sérieux vis-à-vis des exigences
que nous connaissons tous les jours dans les sièges sociaux. Il s'agit
plutôt ici de considérations très pratiques, et c'est dans
ce sens que nous disons qu'il y a tout un effort qui a été fait
et qu'il y a bien des choses qui se produisent. Pourquoi changer de cap
à ce moment-ci?
M. Lalonde: Si l'incitation devait mieux réussir, est-ce
que le Montreal Board of Trade a actuellement des programmes ou a l'intention
d'établir des programmes comme association regroupant près de
3000 industries, je crois, de façon à encourager ou persuader ses
membres de se franciser et aussi de se francophoniser? Je fais
référence de façon directe au sondage dont vous nous avez
donné les résultats ce soir. Est-ce que, comme association, le
Board of Trade fait quelque chose de positif, d'effectif?
M. Molleur: Le Board of Trade n'a pas à son emploi des
experts pour la francisation des entreprises. Le Board of Trade est
évidemment en contact avec beaucoup de bureaux qui se
spécialisent dans l'implantation de ce genre de programmes ou de bureaux
de traduction, etc., il est créé justement pour donner des
services aux entreprises qui sont membres. Si le besoin se fait sentir, au sein
même du Board of Trade, pour un tel service de consultation pour les
programmes de francisation, je suis certain que la direction du Board of Trade
va le considérer très sérieusement. Nous sommes là
justement pour apporter à nos membres les services dont ils ont besoin
de temps en temps, et si le besoin de ce genre se fait sentir, nous tenterons
de le donner.
M. Lalonde: Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Dussault): M. le député de
Gaspé.
M. Le Moignan: Merci, M. le Président. En parlant de
sièges sociaux, vous avez évidemment une expérience
personnelle. Ici, au Québec, nous avons des multinationales et
déjà des membres ont témoigné. En Europe, vous avez
peut-être visité des sièges sociaux en Italie, en
Allemagne, en France ou ailleurs. Est-ce exact? Dans ces pays où il y a
des multinationales, que ce soit en Italie, dans le domaine de l'automobile, en
Allemagne, au Japon ou d'autres pays, quand elles font affaires avec la
communauté mondiale, quelle langue emploient-elles?
M. Nadeau: C'est généralement la langue anglaise,
peu importe, je crois, aujourd'hui, le pays où ces multinationales sont
situées. Si elles sont situées en France, si elles font affaires
avec des Allemands ou des Italiens, et si la langue n'est naturellement pas
connue de l'Américain ou du Canadien qui est là, c'est
généralement la langue anglaise qui facilite les affaires. Elle
est très reconnue, premièrement, à cause de la venue de
plusieurs firmes nord-américaines qui sont établies là, ou
même des Canadiens qui vont dans les sièges internationaux pour
quelques années pour y
acquérir une expérience de trois à cinq ans. Ils ne
sont là que temporairement, mais les enfants de nos compatriotes n'ont
pas besoin d'aller à l'école allemande, s'ils sont à
Munich, ou d'aller à l'école française. Ils peuvent
naturellement aller à une école américaine...
M. Landry: En payant.
M. Nadeau: ...ou à des écoles privées, non
pas des écoles d'Etat.
M. Mackasey: ...peut-être que le ministre... ...pas la
même chose.
M. Le Moignan: Mais tout de même, dans les pays...
M. Nadeau: Mais la langue anglaise est très reconnue en
Europe.
M. Le Moignan: Mais dans les pays d'Europe, tout de même,
il doit y avoir des relations en langue française qui
s'établissent entre la France, la Belgique, l'Italie peut-être et
d'autres pays. Il n'y a rien d'incompatible à ce que cela se fasse en
français aussi...
M. Nadeau: Non, pas du tout...
M. Le Moignan: ...avec plusieurs pays.
M. Nadeau: ...certainement en français. Il faut dire aussi
que très souvent dans le monde des affaires, des Européens, qui
sont européens, qui sont dans le monde des affaires, vont parler
plusieurs langues et, entre autres, même l'anglais. Ils vont certainement
parler au moins deux à trois langues et, en plus, très souvent,
l'anglais.
M. Le Moignan: Maintenant, dans un autre domaine... Etant
donné que vous représentez 2900 entreprises, on nous dit souvent
que les entreprises quittent la province à la centaine depuis des mois
et des mois. En somme, vous êtes peut-être en état de nous
donner une réponse...
Mme Lavoie-Roux: Depuis sept mois. M. Ciaccia: Depuis sept
mois.
M. Le Moignan: ...depuis sept mois... On va commencer à
sept mois. On ira peut-être plus loin, mais est-ce vrai que depuis sept
mois... vous avez peut-être des statistiques pour nous faire la
lumière là-dessus. Est-ce vrai ou non? Est-ce qu'on sème
la panique ou est-ce fondé? J'aimerais avoir votre opinion.
M. Nadeau: Je n'ai pas de statistiques personnellement, mais
peut-être que mon ami, M. Groome, en a. Très souvent, quand on dit
qu'un siège social doit déménager, il ne
déménage effectivement pas complètement. Ce n'est
peut-être qu'une section du siège social qui
déménage, mais le danger, c'est qu'une autre section
déménage dans un autre six mois et, éventuellement, dans
un an ou deux, tout le siège social sera
déménagé.
M. Le Moignan: Comme vous représentez presque 3000
entreprises, depuis sept mois toujours, est-ce que vous avez eu connaissance
que beaucoup vous aient quittés, à un niveau ou à un
autre?
M. Nadeau: Pour ma part, je suis dans le domaine pharmaceutique
et je dois vous dire qu'il n'y a aucune compagnie de produits pharmaceutiques
qui ait indiqué qu'elle allait quitter. Aucune n'a quitté
présentement. Mais on ne sait pas, naturellement...
M. Le Moignan: Mais vous n'avez pas de statistiques non plus sur
le fait que beaucoup d'anglophones ou de francophones spécialisés
quittent aussi la province pour aller vivre ailleurs, quoi, à
cause...
M. Nadeau: Personnellement, dans notre compagnie, nous en avons
eu.
M. Le Moignan: Est-ce à un rythme assez inquiétant,
non?
M. Nadeau: Non, c'est peut-être... Nous sommes
peut-être un peu nerveux, et même des Canadiens français,
entre autres, ont voulu partir. C'est bien de valeur...
M. Le Moignan: Est-ce qu'ils ont plus d'avancement ailleurs ou
est-ce simplement en raison de l'inquiétude que leur cause le projet de
loi?
M. Nadeau: Je crois bien que c'est l'avancement.
M. Le Moignan: Je vous remercie. Peut-être que mon
compagnon, tout à l'heure, quand son tour viendra... Le temps n'est pas
épuisé, non?
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le
député de Gaspé. Non, il reste trois minutes au parti de
l'Union Nationale.
M. le député de Mont-Royal, il reste treize minutes au
parti de l'Opposition officielle.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président.
Au début de sa réponse à votre mémoire, le
ministre d'Etat au développement culturel a semblé mettre en
doute le sondage que vous avez fait et le fait que vous ayez remis les
résultats aux journalistes. Je voudrais seulement attirer l'attention du
ministre, M. le Président, sur un article qui a paru dans le journal
d'aujourd'hui, dans lequel on dit qu'il tient toujours à la clause
Québec, c'est-à-dire à l'article 52 et, apparemment, le
ministre donne comme raison qu'il pourrait y avoir et on le cite
une menace d'envahissement des écoles anglophones
québécoises. Pour
soutenir sa thèse si le ministre a été mal
cité, M. le Président, je l'inviterais à corriger les
propos que je vais...
Le Président (M. Cardinal): M n'y a pas de question de
privilège en commission parlementaire, et...
M. Ciaccia: Alors, je vais seulement citer l'article pour exposer
aux témoins certains faits et voir s'ils ont des commentaires.
Pour soutenir sa thèse sur l'article 52, il a donné des
statistiques disant qu'un certain nombre d'enfants immigrants âgés
entre 0 et 14 ans ont été admis au Québec entre 1969 et
1976. Sur 133 000, il y en avait 90 000 qui venaient des autres provinces
canadiennes, mais le ministre n'a pas donné le nombre de ceux qui
quittaient la province. Or, d'après d'autres mémoires, notamment
celui de l'Université McGill, apparemment, il y a plus de personnes de
langue anglaise qui quittent la province que celles qui y viennent".
Autrement dit, il y a une perte nette d'anglophones des autres provinces
au Québec. La seule chose que je dirais, c'est qu'avant de mettre en
question le sondage que vous avez fait, je crois qu'il devrait corriger ses
statistiques incomplètes qu'il a données pour soutenir sa vision
de l'article 52.
Je voudrais vous poser une question. Il y a plusieurs organismes qui
viennent ici et qui accusent les organismes comme le Montreal Board of Trade ou
les chefs d'entreprises, les hommes d'affaires de ne pas vouloir de
francisation, qu'ils combattent la francisation. Pouvez-vous me dire si vous
êtes contre la francisation ou êtes-vous contre l'ingérance
d'un gouvernement dans vos administrations internes? Pourrais-je avoir un
commentaire sur cette question?
M. Jotcham: Je suis un anglophone et je pense que de temps en
temps nous parlons la même langue, parce que le ministre désire
que plus de francophones occupent les positions "in hierarchy", et M. Landry
désire que les sièges sociaux restent ici au Québec. Nous
ne sommes pas en Espagne et nous avons pourtant, avec la loi 22, les programmes
de francisation et pour cette raison, nous partageons ce point de vue
aussi.
Vous avez l'article 113 qui n'est pas clair. Vous avez l'article 102 qui
est très coercitif. Avec cette loi, la situation des sièges
sociaux est comme une personne qui place sa tête sous la guillotine. Le
couteau est suspendu au-dessus de son cou. S'il continue dans cette position,
il est possible que sa tête soit perdue. S'il quitte cette position, le
risque est disparu. Pour les compagnies nationales et internationales, il est
facile de conduire des affaires également efficacement en dehors de la
province.
J'espère que l'Assemblée connaît bien l'importance
des sièges sociaux. Ce n'est pas seulement une question d'emploi, mais
aussi la puissance de leur achat. Ces achats sont très importants pour
les autres industries dans la province. Par exemple, les imprimeries, la
publicité, l'équi- pement pour les bureaux et beaucoup d'autres
choses. Aussi leur présence ici attire-t-elle beaucoup de visiteurs,
d'assemblées, des conférences, qui apportent plus de revenus pour
cette province.
Vous avez une situation maintenant en Alberta, une province avec
beaucoup de riches, où la ville d'Edmonton a beaucoup d'industries
secondaires, mais pas beaucoup de sièges sociaux. En même temps,
vous avez la ville de Calgary qui a beaucoup de sièges sociaux, mais n'a
pas assez d'industries secondaires.
Chaque cité travaille fort pour assurer un meilleur
équilibre. Pourquoi? Parce que les deux villes connaissent bien
l'importance de chaque section de l'industrie. Si cette loi est trop
coercitive, il y aura un grand risque de perdre ces sièges sociaux. Il
peut être également important de ne pas attirer les autres. Si
cela se passe, nous pensons que ce sera tragique pour l'économie et pour
la population de cette province.
M. Ciaccia: Je crois que le même point a été
soulevé par M. Jean De Grandpré, président de Bell Canada,
quand il nous a dit que ce n'était pas seulement la perte de
sièges sociaux qui l'inquiétait, mais c'était aussi la
difficulté d'attirer d'autres investissements à cause du projet
de loi. Vous vouliez ajouter quelque chose?
M. Groome: Pour clarifier, pour répondre à votre
question, nous ne sommes pas contre la francisation, mais seulement contre la
manière proposée pour la mettre en vigueur.
M. Ciaccia: M. le Président, je vais céder la
parole à mon collègue.
Le Président (M. (Blank): Le député de
Jacques-Cartier. Il reste sept minutes aux libéraux.
M. Saint-Germain: Alors, M. le Président... Vous voulez
parler, je vais laisser...
M. Mackasey: Non. Sept minutes, c'est assez pour les deux.
Allez.
M. Saint-Germain: M. le Président, je crois qu'il y a un
consensus qui s'est établi dans cette province et le consensus veut que
tout le monde accepte la primauté de la langue française. Si on
discute, je crois bien, en fait, ce qu'on discute, comme vous l'avez dit tout
à l'heure, c'est la façon de l'appliquer et d'établir
cette priorité. Je pense qu'on admet tous aussi qu'au niveau de
l'industrie, du commerce, de la finance, les raisons historiques, si on avait
le temps de le faire, qui pourraient très bien expliquer la situation
existant dans le moment. Je ne dis pas qu'on devrait le faire comme M.
François-Albert Angers l'a fait, parce que l'on arriverait à peu
près à n'importe quelle conclusion, mais il y aurait moyen de le
faire.
Ceci dit, je trouve un peu comme vous que c'est regrettable. Il ne faut
pas être universitaire ou grand philosophe pour savoir que le
français, ces dernières années, a progressé au
niveau de
l'industrie, du commerce et de la finance. Je viens d'un comté
industriel et, pour moi, cela me paraît tout à fait
évident. Et voilà que, lorsque cette compréhension
s'établit, que cette évolution prend naissance, prend forme,
c'est le moment où arrive une loi qui, telle que rédigée
est à mon avis coercitive à la limite. C'est peut-être une
loi qu'on aurait dû faire dans le passé. Il aurait peut-être
été préférable de légiférer sur les
langues il y a 25 ans, 30 ans ou 35 ans. On n'aurait pas eu à
résoudre les problèmes qu'on a aujourd'hui. Mais, ceci dit, je
crois qu'il ne faut pas désespérer non plus, parce qu'il me
semble que le ministre de l'Industrie et du Commerce est sensibilisé
à la situation, et je crois que le ministre des Affaires culturelles
évolue aussi. C'est avec des mémoires comme les vôtres
qu'on peut réellement établir la situation de fait qui existe
dans le Québec. Il y a tout de même un principe que vous avez
mentionné tout à l'heure en parlant de l'immigration. Vous
n'êtes pas sans savoir que, dans tous les pays, la loi ne permet jamais,
même chez ceux qui sont les plus civilisés, du moins selon notre
échelle occidentale, notre échelle de valeurs, qu'il y ait des
lois sur l'immigration qui créent des réactions sociales ou
perturbent l'équilibre social d'un milieu donné. Ici, c'est un
pays et une province où on reçoit tout de même des
immigrants en nombre assez considérable malgré les baisses des
dernières années. Que les craintes du groupe de langue
française soient fondées ou pas, il faut tout de même
admettre qu'elles existent; par ce fait, on sent une certaine obligation, au
niveau du gouvernement, comme on le constate, et au niveau des partis
politiques au gouvernement, il semble aussi y avoir un certain consensus sur la
politique de l'immigration. Vous laissez le libre choix de l'école, vous
semblez revenir en arrière, vers le statu quo, et je me demandais en
vertu de quelle philosophie, si vous admettez qu'un gouvernement ne doit pas
laisser un déséquilibre social s'établir à cause de
l'immigration.
A Québec, en particulier, qu'est-ce que vous considérez
qu'on doive faire pour maintenir cet équilibre social relativement
à nos politiques d'immigration?
M. Nadeau: C'est encore très difficile de répondre.
Comme mon grand ami Claude Molleur l'a dit tout à l'heure, nous
représentons le Board of Trade qui regroupe des industries, des
commerces dans le Montréal métropolitain. Nos
préoccupations sont économiques, en général, et je
suis certain aussi de nos préoccupations quant à la survivance de
la langue française et de la francisation. Nous le voulons certainement.
La question de l'éducation des enfants des immigrants qui viennent ici
au pays est une question qu'on se pose au Board; nous sommes encore d'avis que
le vrai choix devrait rester aux parents quand il s'agit de l'éducation.
Mais, si on peut créer un centre économique à
Montréal qui les attirerait, avec une francisation de l'industrie
à tous les niveaux, cela aiderait beaucoup plus les immigrants à
rester au Québec et à apprendre le français.
Si on s'aperçoit que le Québec ne devient pas une province
francophone, le but ne sera pas atteint parce que l'immigrant qui devra signer
devra venir ici; peut-être qu'il ne voudra pas venir.
La question de l'éducation revient toujours. Si le gouvernement
juge préférable que l'immigrant, qu'il soit non-francophone ou
non-anglophone, doit aller dans des écoles françaises, le
gouvernement doit le faire, mais en le prévenant de ce qui va arriver
quand il viendra ici; son instruction va être payée par le public,
par nous et ce doit être en français. Je ne vois rien de mal
à ça, mais il faudrait le faire, naturellement, pour les nouveaux
groupes qui entreraient et non pas pour ceux qui sont ici au Canada, au
Québec. Ceux-ci sont arrivés avec l'idée que les deux
langues étaient officielles.
Le Président (M. Blank): Le député de
Notre-Dame-de-Grâce. Il reste une minute.
M. Mackasey: Je suis chanceux, je pense que je vais m'affilier
demain avec le Crédit social; on me donnerait peut-être dix
minutes pour poser des questions. Qu'est-ce qu'on peut dire dans dix minutes?
Tout simplement féliciter les membres du Montreal Board of Trade pour
leur mémoire et les chiffres qu'ils ont présentés ce soir.
Je sais que ces gens sont impartiaux parce qu'il y a dix ans, j'avais le
privilège de faire amender la charte à la Chambre des communes
qui leur permettait, je pense, de siéger au Beaver Hall Hill au lieu de
la rue Saint-Paul. Je sais par expérience que, sans le Montreal Board of
Trade, beaucoup d'industries qui existent aujourd'hui n'existeraient pas,
surtout au dernier siècle.
Je vais dire que vous êtes un peu prudents ce soir dans vos
réponses aux questions relativement aux sièges sociaux qui
quittent le Québec.
Quand vous avez parlé des sections... Je n'ai aucun respect pour
vos membres qui prétendent qu'ils ne s'en vont pas, mais qui prennent
section par section et vont les établir en Ontario. Je n'ai aucune
raison de partir d'une province quand tout le monde essaie de créer une
meilleure atmosphère pour tout le monde. Beaucoup de portes
étaient fermées aux Canadiens d'expression française
auparavant, étaient fermées aussi aux catholiques, aux Irlandais,
aux Juifs dans le domaine des finances. Heureusement, cette discrimination est
partie et on ne veut pas essayer de régler les débuts qui
existent par un bill qui est discriminatoire. Le bill 1 est discriminatoire,
tel qu'il est décrit. Merci beaucoup.
Le Président (M. Blank): Le député de
Pointe-Claire, il reste trois minutes.
M. Shaw: Je voudrais vous poser une question. Il y a autre chose
que des sièges sociaux qui sont affectés par la position du
projet de loi no 1. Premièrement, dans le secteur d'expertises, les
ingénieurs, les compagnies d'ingénieurs, les compagnies
pharmaceutiques dans lesquelles vous avez des représentants aujourd'hui,
dans le
domaine de l'aérospatial... Je viens d'avoir une lettre qui
était envoyée à tous les employés de
sociétés d'aérospatiales à Montréal.
Prévoyez-vous que ce domaine est aussi menacé que les
sièges sociaux à Montréal et la position du projet de loi
no 1?
M. Groome: Je pense que la plupart de ces compagnies pensent
qu'elles sont menacées même si peut-être elles ne sont pas
menacées. C'est ce qu'elles pensent.
M. Shaw: La situation est vraie, les anglophones de la ville de
Montréal craignent que leur position comme collectivité soit
menacée. Ce n'est pas seulement la question des compagnies dans
lesquelles ils travaillent, mais vraiment tous les droits des anglophones de la
province de Québec sont menacés.
M. Molleur: Je voudrais rappeler au député de
Pointe-Claire que le Board of Trade parle au nom d'entreprises et ne parle pas
au nom d'un groupe culturel en particulier. Quant à l'opinion de
l'inquiétude des individus au sein des entreprises, il n'y a pas de
doute qu'elle est là. Tous les jours, on reçoit des
téléphones, au Board of Trade, nous demandant: Qu'est-ce qui se
passe? Qu'est-ce qu'on doit faire? Qu'est-ce que vous suggérez?
Nous voulons que nos entreprises membres demeurent chez nous, comme nous
disons: II fait bon de vivre ici et nous voulons y rester. Mais ce que nous
voulons aussi, c'est que nos entreprises puissent posséder les moyens
nécessaires pour faire leurs affaires.
Je voudrais juste ajouter un petit mot. Je suis Canadien
français, j'oeuvre dans une entreprise qui a un rayonnement
international et si elle n'était pas à Montréal, je
n'aurais pas le poste que je possède dans le moment et je n'aurais pas
eu la chance d'avoir l'expérience que j'aie eue depuis les neuf ans que
je suis au sein de la société pour laquelle je travaille. J'ai
plusieurs de mes confrères qui sont sensiblement de mon âge, qui
ont des postes semblables. Comme francophone Québécois, je
voudrais recommander fortement aux membres de la commission, au gouvernement et
à l'Assemblée nationale de ne pas nous laisser tomber.
On a ici des chances fantastiques, comme Canadiens français,
comme Québécois francophones, de faire une carrière
à rayonnement mondial que nous sommes très capables de
réaliser et, tout ce que je demande, c'est qu'on me conserve les chances
à moi et à d'autres.
M. Shaw: Merci.
Le Président (M. Blank): Au nom de la commission, je veux
remercier M. Groome, M. Molleur, M. Nadeau, M. Earle, M. Kierans et M. Tracey
pour leur mémoire et pour la patience avec laquelle ils ont attendu leur
tour.
M. Groome: Cela a été un plaisir de venir ici. J'ai
seulement une question avant de partir. N'est-il pas possible de fermer le
chauffage?
Le Président (M. Cardinal): II faudrait demander...
M. Groome: L'été est arrivé.
Le Président (M. Cardinal):... à Dieu le
père...
Mme Lavoie-Roux: ... à Josué.
Le Président (M. Cardinal): ... et non pas au
président de la commission.
M. Lalonde: Ce n'est pas la même personne? Le
Président (M. Cardinal): Non, pas encore. Une Voix: On va
continuer.
Le Président (M. Cardinal): Si vous me permettez, je vous
remercie, comme l'a fait M. Harry Blank, député de Saint-Louis,
qui m'a remplacé et j'appelle immédiatement le groupe suivant,
Provincial Association of Catholic Teachers, mémoire 1. Est-ce que ce
groupe est ici?
S'il vous plaît, à l'ordre! Avant que vous ne commenciez,
je veux quand même indiquer que, normalement, nous ajournons à 23
heures. Ce n'est seulement qu'à cette heure que je demanderai l'opinion
de la commission parlementaire. Je vous prierais, cependant, pour être
devant nous officiellement, d'identifier votre organisme et ses porte-parole,
s'il vous plaît.
M. Kirby (Steve): We are representatives of the Provincial
Association of Catholic Teachers, representing over 5000 English Catholic
teachers in the province of Quebec. To my left, Mr Phil Shore, who is a teacher
and the chairman of our language committee; to my right, Mr Bob Dobie,
secretary general of PACT and I am Steve Kirby, president of the Provincial
Association of Catholic teachers.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Oui, Mme le
député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: C'est une question. Une fois de plus, nous avons
devant nous un groupe d'éducateurs. Je voudrais simplement vous demander
si vous avez reçu une réponse positive concernant l'invitation
que vous avez adressée au ministre de l'Education.
Le Président (M. Cardinal): Oui, madame: Dès lundi,
j'ai tenté de communiquer avec le ministre de l'Education, vice-premier
ministre et député de Sauvé et, aujourd'hui, j'ai eu la
réponse suivante: Dès lundi prochain, M. le ministre de
l'Education sera parmi nous.
Une Voix: Ah!
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, nous sommes tout à
fait honorés par la condescendance du ministre. Réellement, vous
nous faites un plaisir épouvantable. Les mots me manquent
réellement et j'espère que j'aurai repris mes sens pour le
féliciter d'avoir bien voulu se joindre à nous, descendre
jusqu'à notre niveau.
Mais, après avoir discuté avec Mme le député
de L'Acadie de l'intention que j'avais de vous adresser quelques mots, on a
discuté avec les représentants du excusez-moi, vous savez,
dans ce monde pluraliste on fait parfois erreur PACT, je sais que cela
s'appelle ainsi... De toute évidence les représentants n'auront
pas le temps de présenter tout leur mémoire ce soir. Mais, quand
même, nous avons tenté de faire preuve de la plus grande
courtoisie possible pour les aviser qu'aussitôt après leur
présentation, nous aurions quelques questions à leur poser.
Le Président (M. Cardinal): Justement, par courtoisie pour
nos invités, pourrais-je vous demander immédiatement si vous
pourriez être avec nous demain matin à 10 heures.
M. Kirby: Oui.
Le Président (M. Cardinal): Alors, si vous permettez, M.
le député de Marguerite-Bourgeoys et les autres membres de la
commission, je vais immédiatement non pas donner un ordre du jour, mais
agir comme à l'habitude et donner une indication de la journée de
demain. Nous aurions donc, à la première heure,
c'est-à-dire 10 heures, the Provincial Association of Catholic Teachers,
mémoire 1; suivi par le Conseil pour l'unité canadienne,
mémoire 72; l'Association des conseils en francisation du Québec,
mémoire 197 vous permettez que je me retourne du
côté de l'Opposition officielle les jeunes libéraux
du Québec, mémoire 114.
M. Bertrand: Ils n'ont pas confiance en leurs
représentants?
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît. Université McGill M. le député de
Bourassa Université McGill, mémoire 172. Centre des
dirigeants d'entreprises, mémoire 246...
Mme Lavoie-Roux: ...ça aussi.
Le Président (M. Cardinal): Participation Québec,
mémoire 73. Je rappelle, tout de suite et sans prendre de temps, que,
demain, nous allons fonctionner...
Une Voix: Quel numéro?
Le Président (M. Cardinal): Participation Québec,
73. ...nous allons fonctionner de 10 heures à midi, puisque, en vertu
d'une entente entre les partis et d'une directive, nous ajournons à
midi. Nous reprendrons après les affaires courantes de
l'Assemblée nationale, jusqu'à 18 heures, et je pense que ce
n'est pas un secret de polichinelle... c'en est un plutôt, c'est un
secret de polichinelle que nous reprendrons nos travaux à 20 heures,
jusque vers 23 heures. Oui, M. le député de Vanier.
M. Bertrand: La semaine dernière, M. le Président,
le député de Marguerite-Bourgeoys avait eu la courtoisie de
prévenir les membres de la commission de sa volonté de
présenter un certain nombre de motions le mercredi soir. Est-ce qu'on
doit penser que, n'ayant pas eu ce geste de courtoisie à 20 heures ce
soir, c'est donc signe que l'Opposition va accepter de collaborer à
l'avancement des travaux et à l'audition des groupes?
M. Lalonde: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: ...naturellement, la courtoisie étant, je
pense, une qualité qu'on doit avoir de façon habituelle, si
j'avais eu l'intention de présenter des motions demain soir, j'en aurais
sûrement donné avis. Maintenant, étant donné que je
n'aurai pas le plaisir d'être des vôtres demain, je laisserai
à mes collègues le soin de présenter toutes les motions
qu'elle ou qu'ils voudront bien faire.
Une Voix: ...on va penser à vous...
M. Lalonde: Toutefois, en toute candeur, disons que nous
considérons, d'après l'avis que nous avons reçu du leader
du gouvernement, que, demain soir, c'est jeudi soir, étant donné
que nous avons, en quelque sorte, après négociation, choisi de
siéger le mercredi soir au lieu du jeudi soir. C'est le contenu, grosso
modo, de nos conversations. C'est un peu pour cette raison que je voulais poser
certaines questions ici, avant l'ajournement, M. le Président.
Nous avons déjà commencé à discuter d'une
motion que j'ai faite pour inviter le président de la Régie de la
langue française à nos délibérations.
Naturellement, le temps s'écoule, et il y a des rumeurs aussi qu'on
entend voulant que le gouvernement je ne veux prêter d'intention
d'aucune nature au gouvernement mais, on entend quand même dire
entre les branches que le gouvernement aurait éventuellement l'intention
de mettre fin à nos délibérations, avant d'avoir entendu
les 264 mémoires.
Ce serait peut-être une première question. Je sais que M.
le ministre n'est pas obligé de me répondre. Cela me donnerait un
peu un cadre dans lequel je pourrais fonctionner en ce qui concerne ma
motion.
Si naturellement, nous nous attendons de continuer nos
délibérations, jusqu'à la fin de juillet, je pourrai bien
prendre un autre jour pour continuer la motion. Si on doit s'attendre à
une clôture d'ici quelques jours, je voudrais bien qu'on vide la motion
pour savoir... tout à coup, si le gouvernement voyait la lumière
et décidait d'approu-
ver la motion, à ce moment, il faudrait quand même, donner
avis au président de la régie.
C'est la première question. Et à greffer à cette
première question, le gouvernement ou le parti ministériel a-t-il
l'intention d'approuver cette motion? A ce moment, on n'a plus besoin de la
débattre.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît! Il y a deux questions devant nous. Je les prends dans l'ordre dans
lequel elles ont été posées par le député de
Marguerite-Bourgeoys et je demande au ministre s'il veut répondre
à la première question.
M. Laurin: Je pense qu'il ne m'appartient pas de répondre.
C'est à la commission de répondre.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Et à la
deuxième question, la motion du député de
Marguerite-Bourgeoys se lit comme suit: "Que cette commission entende le
président de la Régie de la langue française le 20 juillet
1977, à 20 heures, afin que la présente commission soit
pleinement informée de la portée du projet de loi no 1, Charte de
la langue française au Québec..." c'est l'amendement qui a
rendu la motion recevable "...touchant en particulier la langue de
travail et des affaires."
Cette motion a été déclarée recevable et le
débat a été suspendu lors de l'une de nos séances
précédentes.
M. Lalonde: Pourrais-je apporter une précision? Je ne
suggère pas qu'on passe au vote maintenant. Je ne voudrais pas que vous
demandiez, à savoir si c'est adopté ou non. Il y a sûrement
des députés qui auraient le désir d'exercer leur droit de
parole.
Si le gouvernement avait l'intention de voter en faveur, à ce
moment, cela pourrait raccourcir les débats.
Le Président (M. Cardinal): Je n'ai rien demandé.
Je veux simplement, suite à votre suggestion, si je la comprends
parfaitement, demander si cette motion est adoptée, sans demander le
consentement unanime.
M. Bertrand: Nous sommes prêts à coopérer, M.
le Président, et je pense que la meilleure façon de
connaître le résultat est de prendre le vote.
Mme Lavoie-Roux: Non.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le
député de Vanier. En vertu de l'article 160, il y a le droit de
parole au proposeur, à tous les députés, en vertu de
l'article 160.
M. Lalonde: Je crois que je ne vois pas que le gouvernement se
soit ouvert les yeux.
Alors, je pense que nous nous devons, dans un avenir très
rapproché je vous en donne avis, je ne sais pas exactement
à quelle date précise, probablement pas demain de remettre
cette motion sur la table pour que nous puissions continuer la
délibération sur cette motion de façon à
déterminer si le président sera invité ou non. Quant
à la réponse du ministre, M. le Président, je vous
demanderais une directive. C'est, je crois, l'article 118a...
Le Président (M. Cardinal): Alinéa 6, je pense.
M. Lalonde: Ce n'est pas l'article 32.
Le Président (M. Cardinal): Non.
M. Lalonde: Ni 54. Alors, est-ce que c'est le gouvernement, M. le
Président, ou le ministre ou la commission qui, éventuellement,
détermine si elle est bien informée, ou suffisamment
informée?
Le Président (M. Cardinal): Article 118a, alinéa 6.
Lorsqu'elle croit être suffisamment renseignée c'est donc
la commission la commission peut décider de cesser les auditions.
Je rappelle que j'ai déjà rendu une directive à ce sujet,
en mentionnant que ce peut être de consentement unanime, que cela peut
être, à la suite de l'application de l'article 156, une
réunion des leaders des partis convoqués par le président
où l'on s'entend, alinéa 1, ou, si on ne s'entend pas,
alinéa 2, l'on va à l'Assemblée nationale où, tout
simplement, cet article permettrait à un député ou
à un ministre membre de la commission, de faire une motion dont je ne
connais pas le texte présentement, qui devra être
déclarée recevable ou non, et qui sera débattue en vertu
de l'article 160.
M. Lalonde: Alors, M. le Président, je pense que lundi,
quelque part dans la journée, lorsque nous serons honorés par la
présence du vice-premier ministre, nous pourrons continuer de
débattre cette motion.
Le Président (M. Cardinal): Est-ce que, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys, je comprends qu'à des fins
de procédure, à nouveau, vous proposez que le débat sur
cette motion soit suspendu?
M. Lalonde: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Est-ce que j'ai le
consentement unanime? Consentement obtenu.
Les travaux de cette commission sont ajournés à demain 10
heures.
(Fin de la séance à 23 h 3)
ANNEXE I
Mémoire du Comité d'action
positive
Projet de loi numéro 1 intitulé
"La Charte de la langue française
au Québec"
Commission parlementaire de l'Education des Affaires
culturelles et des Communications
Introduction
Le Comité d'action positive a été formé le
23 décembre 1976 pour étudier les développements survenus
dans notre province depuis le 15 novembre et déterminer le rôle
constructif que pourrait y jouer la minorité. Le Comité a
tenté de persuader les Québécois anglophones qu'il est
dans leur intérêt de rester au Québec au lieu
d'émigrer. Il s'est proposé et se propose toujours de rechercher
les moyens permettant à la minorité de participer d'une
façon positive à la vie du Québec et ce dans
l'intérêt de tous les Québécois.
En février, le Comité a organisé des
réunions avec le secteur scolaire puis avec les universités et
les Cégeps et enfin avec un groupe de trente hommes d'affaires.
Après la publication du Livre blanc, ces trois groupes
participèrent à la rédaction d'une réponse qui fut
signée par cent quinze éducateurs, hommes d'affaires,
professionnels et personnalités marquantes de la
collectivité.
Depuis la publication de cette réponse, 30 000 personnes
réparties dans toute la province et représentant toutes les
cultures et toutes les positions sociales ont exprimé par écrit
leur accord envers l'attitude adoptée par le Comité d'action
positive. C'est au nom des cent-quinze premières personnes, des milliers
de personnes qu'elles représentent et des milliers d'autres
Québécois qui nous ont donné leur appui que nous
soumettons le présent mémoire.
Ce mémoire est rédigé par des
Québécois et au nom des Québécois. Nous aimons le
Québec. Nous sommes attachés au Québec. Nous comptons y
rester et participer entièrement à la croissance et au
développement du Québec à titre de citoyens libres et
à part entière.
Nous regrettons profondément et rejetons absolument toute
implication du Projet de loi No 1 voulant que le peuple québécois
se compose de la seule majorité ethnique. Nous avons vécu,
travaillé et contribué au bien-être général
de cette société, tant à titre d'individus que grâce
aux institutions édifiées et entretenues par nous. C'est ce que
nous faisons à présent et c'est ce que nous continuerons à
faire.
Nous souscrivons au préambule du projet de loi dans la mesure
où il affirme que le français est la langue prédominante
du Québec et nous souscrivons à l'article 112 dans la mesure
où il vise à accroître l'emploi du français à
tous les niveaux de l'entreprise. Ces objectifs reflètent les
aspirations naturelles et légitimes de la majorité.
Nous rejetons par contre toute déclaration ou disposition du
Projet de loi qui identifierait le peuple québécois aux seules
personnes qui appartiennent à la majorité et qui créerait
en droit deux classes fondamentales de citoyens basées sur des raisons
ethniques et linguistiques, une classe étant définie comme celle
des Québécois et l'autre ne correspondant pas à cette
définition. Un tel concept représente une violation fondamentale
des valeurs d'une société libre et démocratique et ne peut
servir de fondement à une loi qui doit commander l'obéissance et
le respect de tous les Québécois.
L'objectif du présent mémoire n'est point d'opposer une
résistance à la promulgation d'une loi solidement
structurée destinée à développer l'usage du
français à tous les niveaux et dans tous les aspects de la vie au
Québec. Le Comité d'action positive reflète notre
détermination à contribuer à l'élaboration et
à l'application de politiques dynamiques dans tous les aspects de la vie
au Québec, y compris celui de la langue.
Nous avons déjà affirmé ce qui suit dans le
document intitulé "Une politique linguistique positive". "En tant que
Québécois, nous aspirons ardemment à voir se
développer chez nous une société prospère et
douée de vitalité, une société aussi où
chaque citoyen peut continuer à se sentir chez lui au même titre
que n'importe quel autre citoyen. Nous trouvons normal que le français
soit la langue principale. Nous reconnaissons que le français est la
langue de la majorité et qu'il constitue la langue commune de la
société québécoise. Nous convenons que les
Québécois d'expression française devraient être en
mesure d'assumer intégralement en français tous les aspects de
leur vie. Les Québécois d'expression anglaise ont l'obligation
très nette de parler français s'ils désirent participer
à la vie du Québec avec la majorité d'expression
française"
Notre engagement envers cette déclaration demeure ferme. Nous
voulons l'application d'une loi qui soit non seulement efficace, mais encore
positive et équitable. Nous voulons l'application d'une loi qui inspire
le respect et l'esprit de collaboration des Québécois non
francophones plutôt que le ressentiment et la résistance de leur
part.
Le préambule du Projet de loi fait état d'une intention de
traiter les minorités dans un climat de justice et d'ouverture. Cette
déclaration restera lettre morte a moins que les dispositions
fondamentales de la loi ne reflètent effectivement une telle
équité. Nous nous permettons de rappeler au Ministre d'Etat au
développement culturel une remarque faite à maintes reprises par
lui-même, à savoir que la manière dont une loi est
perçue par les individus qu'elle régit est aussi importante que
les dispositions mêmes de cette loi.
Le présent Projet de loi offre certains aspects qui sont d'une
sévérité et d'une nature restrictive et négative
inutiles et qui, tant par la forme que par le fond, menacent de manière
injustifiée les minorités anglophones et autres du Québec.
On y trouve certaines dispositions qui, de manière
délibérée, ou non, expriment un message d'hostilité
appelé à compromettre le type d'atmosphère sociale qui
doit régner pour que la loi soit efficace et que l'ensemble de la
population puisse en bénéficier.
Nous croyons sincèrement que l'élimination des
dispositions en question renforcera au lieu d'affaiblir la Charte.
Nous sommes persuadés que grâce à des modifications
appropriées, le Projet de loi No 1 pourra donner naissance à une
charte qui, non seulement établira le français comme langue
normale et courante de tous les aspects de la vie au Québec, mais encore
qui aboutira à ce résultat d'une manière que tous les
Québécois pourront approuver, respecter et obéir.
Nous souhaitons l'applicationd'une telle loi et c'est à cette fin
et dans cet esprit que nous soumettons le présent mémoire.
Nos commentaires particuliers du Projet de loi figurent aux pages qui
suivent. Nous avons concentré notre attention sur les dispositions qui
nous touchent particulièrement et dont nous sollicitons la modification.
Ces commentaires suivent l'ordre dans lequel les sujets sont
développés dans le Projet de loi.
PRÉAMBULE
Nous avons déjà expliqué pourquoi le concept du
peuple québécois qui semble se dégager du préambule
et des autres chapitres du Projet de loi est inexact et inacceptable.
A l'heure actuelle, le texte du document nie un fait historique,
à savoir que l'anglais a été la langue d'un nombre
considérable de Québécois depuis quelque deux cents ans et
que des cultures autres que celles de la majorité ont occupé et
continuent d'occuper une place importante dans la société
québécoise. La promotion d'un emploi plus général
du français n'impose pas de faire régresser une
société libérale, dynamique et multiculturelle au rang
d'une société monolithique qui définit le peuple
québécois en termes de la seule majorité.
Les premier et deuxième paragraphes du préambule devront
faire l'objet d'une nouvelle rédaction pour refléter de
manière plus exacte et plus appropriée la réalité
du Québec.
TITRE PREMIER
Statut de la langue française
CHAPITRE II
Droits linguistiques fondamentaux
Afin d'éliminer tout malentendu possible sur l'identité
d'un Québécois, nous suggérons le remplacement des mots
"tout Québécois" figurant aux articles 2 et 6 par les mots "toute
personne". Dans sa forme actuelle, l'article 4 est irréaliste et
excessif. Il stipule en effet: "Les travailleurs ont le droit fondamental
d'exercer leurs activités en français quelles que soient la
nature, la forme et la taille de l'entreprise".
Il y a de nombreuses circonstances où la nature, la forme et la
taille d'une entreprise commerciale imposent à ceux qui y travaillent
d'exercer leurs activités dans une langue autre que le français.
Une maison d'édition qui publie des livres dans une langue autre que le
français, une entreprise qui traite avec des personnes habitant une
autre province ou un autre pays, un restaurant chinois, une épicerie ou
boucherie qui dessert une clientèle presque totalement non francophone,
n'en sont que quelques exemples. Dans les cas de ce genre, la nature, la forme
ou la taille de l'entreprise doit nécessiter l'emploi d'une langue autre
que le français.
Nous suggérons donc que l'article 4 soit modifié pour se
lire comme suit: "4. Les travailleurs ont le droit fondamental d'exercer leurs
activités en français à moins que la nature, la forme ou
la taille de l'entreprise n'impose l'emploi d'une autre langue".
CHAPITRE III
La langue de la législation et de la
justice
Sous sa forme actuelle, l'article 7 pourrait laisser entendre que
l'emploi de toute langue autre que le français n'est permis pour la
législation et devant les tribunaux du Québec. Comme cet article
ne poursuit pas une telle intention, nous suggérons qu'il soit
modifié pour se lire comme suit: "7. Le français est la langue
prédominante de la législation et de la justice au
Québec".
L'Assemblée nationale et les tribunaux sont des lieux où
Québécois francophones et Québécois anglophones ont
travaillé de concert, dans une atmosphère particulièrement
sereine et harmonieuse.
Comme nous le disions dans le document "Une politique linguistique
positive au Québec" à propos des tribunaux: "A quelques rares
exceptions près, bien que le français prédomine en
pratique, l'anglais est utilisé lorsque l'équité et la
décence y invitent".
Il reste que le Projet de loi, sous sa forme actuelle, impose des
conditions rigides qui sont superflues et qui finiront inévitablement
par soulever des conflits constitutionnels et de longs délais dans
l'issue des procès en cours ou futurs. Une conséquence encore
plus importante est que ces dispositions contribueront très certainement
à altérer au lieu d'améliorer la qualité de la
justice au Québec.
Nous appuyons entièrement le droit de tout
Québécois francophone d'exiger que les citations, mises en
demeure et assignations lui soient adressées en français (article
12) ainsi que son droit d'obtenir une version française de tout jugement
qui le concerne (article 13).
Par contre, il est à la fois inutile et contraire au bon sens de
stipuler, comme le fait la dernière phrase de l'article 13 que: "Seule
la version française du jugement est officielle".
Le jugement officiel devrait être le jugement original rendu par
le juge dans la langue où celui-ci s'exprime le mieux. Nous
suggérons donc la suppression de la dernière phrase de l'article
13.
Le ministre d'Etat au développement culturel a reconnu qu'il
importe, dans l'intérêt de la justice, de maintenir le droit des
individus de s'adresser en anglais aux tribunaux ainsi qu'à d'autres
organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires. Ce
droit devrait être clairement stipulé par une modification
appropriée.
L'article 11, par ailleurs, en obligeant les personnes morales à
s'adresser aux tribunaux et organismes similaires dans la langue officielle
"à moins que toutes les parties à l'instance ne consentent
à plaider en langue anglaise" ignore le fait que des milliers de
particuliers exploitent de petites entreprises du type société
commerciale. Les mêmes raisons qui militent en faveur de la protection du
droit des particuliers à plaider en anglais sont tout aussi valables
dans ce cas. L'article en question ignore également le fait que les
personnes morales ne sont pas toutes des entreprises commerciales. Bon nombre
d'entre elles sont des établissements à caractère social,
culturel et éducatif dont les membres sont anglophones et les ressources
modestes. L'équité commande qu'elles se voient accorder le droit
de s'adresser aux tribunaux dans la langue que leurs membres comprennent le
mieux.
L'article 11 stipule bien que les personnes morales peuvent plaider en
anglais si toutes les parties à l'instance y consentent. A notre humble
avis, le droit d'un plaignant de s'adresser aux tribunaux dans la langue qu'il
connaît le mieux ne devrait pas dépendre du consentement d'un
adversaire et la procédure imposée par cet article serait
impraticable. On ne peut demander, par exemple, au chef d'une petite entreprise
constituée en société qui veut poursuivre le
propriétaire de son immeuble de solliciter la permission de celui-ci
pour lui intenter un procès en anglais.
Les rédacteurs de l'article 11 avaient probablement à
l'esprit de vastes entreprises commerciales disposant de ressources
considérables, alors que dans sa version actuelle, cet article risque de
porter atteinte au droit d'accès à la justice d'un grand nombre
de personnes.
Nous demandons instamment l'élimination de cet article.
Lors des discussions consacrées à ce chapitre du Projet de
loi, nous avons souvent entendu dire que l'anglais a été la
langue de la législation et de la justice dans les autres provinces du
Canada et que les droits de la minorité francophone de ces provinces ont
été largement lésés. Nous ne pouvons que
déplorer les situations de ce genre qui se produisent dans les autres
provinces et ajouter notre voix à celle d'autres qui militent contre cet
état de chose. Des changements ont déjà commencé
à se produire. Il reste néanmoins que la législation de
notre province ne doit pas être inspirée des agissements qui ont
été pratiqués ailleurs et qui ont été
critiqués et à juste raison. La législation du
Québec ne doit pas non plus être motivée par un esprit de
vengeance; elle doit être inspirée par des exemples fondés
sur la raison et non l'injustice.
Nous croyons que les modifications suggérées par les
présentes permettront de rédiger une loi moins susceptible
d'être contestée pour des motifs constitutionnels et qui soit
équitable, logique et d'application pratique sans réduire
nullement la portée de son affirmation sur la priorité de la
langue française.
CHAPITRE IV La langue de l'administration
Aux termes de l'article 64 et de l'Annexe, l'Administration comprend non
seulement le Gouvernement, ses ministères et les organismes
gouvernementaux, mais aussi les organismes municipaux et scolaires. Ainsi, sous
réserve de rares exceptions, les dispositions de ce chapitre
obligeraient des organismes municipaux et scolaires, dont les
administrés sont en majorité de langue anglaise de se
désigner par leur seule dénomination française de se
servir du français pour communiquer avec d'autres gouvernements et les
personnes morales; de rédiger en français leurs contrats ainsi
que les contrats de sous-traitance; de se servir du français pour
communiquer entre eux, ainsi que dans leurs communications internes; de
rédiger en français les ordres du jour et les
procès-verbaux de toute assemblée délibérante, de
se servir du français dans l'affichage, sauf pour des raisons tenant
à la santé ou la sécurité publique et de se servir
uniquement du français pour la signalisation routière.
L'article 23 stipule que les organismes municipaux et scolaires dont les
administrés sont en majorité de langue anglaise doivent se
conformer à la plupart de ces dispositions avant l'expiration de
l'année 1983 et, entre temps, prendre les mesures voulues pour atteindre
cet objectif, à défaut de quoi l'Office de la langue
française peut intervenir conformément à l'article 99.
Nous comprenons et appuyons la volonté de conférer
à l'Administration un caractère à prédominance
française et certaines des dispositions ci-dessus sont raisonnables dans
ce contexte.
Par contre il est contraire au bon sens et à l'esprit de justice
d'imposer l'emploi exclusif du français aux Anglophones traitant entre
eux dans le contexte de collectivités qui sont en majorité de
langue anglaise. Le Projet de loi dépasse le cadre de ce qui est
nécessaire, pratique et opportun en interdisant aux
Québécois d'expression anglaise de communiquer dans leur propre
langue entre eux, soit verbalement, soit par écrit.
Nous demandons donc instamment que les exceptions prévues aux
articles 14 à 24 soient étendues pour permettre l'emploi tant du
français que de l'anglais dans les organismes municipaux et
scolaires.
Nous nous permettons de rappeler au ministre d'Etat au
développement culturel les déclarations publiques selon
lesquelles les particuliers auraient le droit de communiquer en anglais avec
l'Administration et de recevoir une réponse dans cette langue. C'est ce
qu'affirmait le Livre blanc sur la politique linguistique: "Quant à
l'administration, la documentation qui en émanera, au lieu d'être
bilingue, sera uniquement française. Ce qui, cependant,
n'empêchera pas les particuliers de s'adresser à l'Etat et d'en
recevoir une réponse dans une autre langue".
Nous supposons que l'omission d'une disposition à cet effet dans
le Projet de loi No 1 est due à un oubli et nous suggérons que la
disposition en question soit incluse dans le texte de la loi.
CHAPITRE V La langue de certains organismes
parapublics
Ce chapitre traite des services de santé, des services sociaux,
des entreprises d'utilité publique et des ordres professionnels.
Nous sommes inquiets des effets que ces dispositions risquent d'avoir
sur les services de santé et les services sociaux qui s'adressent dans
une large mesure aux membres de la société qui sont le plus
déshérités, qui ont le plus de mal à s'adapter et
qui ont le plus besoin de protection.
Dans certaines régions de notre province, les services de
santé et les services sociaux ont été organisés de
façon traditionnelle avec la participation active du gouvernement
selon des critères culturels et linguistiques afin que ces
services soient offerts par des établissements et des personnes à
même de comprendre et d'aider au mieux ceux à qui ils s'adressent.
Certains établissements ont donc établi des critères
culturels et linguistiques particuliers.
Nous sommes entièrement d'accord avec le principe selon lequel
toute personne a le droit d'exiger que communiquent en français avec lui
les services de santé et les services sociaux (article 2) et que ces
services lui soient offerts dans la langue officielle (article 25). Cependant,
c'est avec anxiété que les bénéficiaires non
francophones de ces services accueillent ladite Loi, car ils craignent qu'on
refuse de les soigner dans la seule langue qu'ils connaissent. Toute personne
âgée finissant ses jours dans un foyer de l'âge d'or, toute
personne traitée d'urgence pour crise cardiaque, tout indigent au
chômage qui ne se fie qu'au soutien moral et économique du
travailleur social, tous ces gens dépendent de façon dramatique
des établissements et des personnes en qui ils ont confiance et qui les
secourent dans leur détresse. La crainte de ne plus pouvoir comprendre
ceux et celles qui leur viennent en aide est loin d'être vaine pour tous
ces gens.
Afin d'apaiser les craintes mentionnées ci-dessus, nous proposons
d'ajouter un paragraphe à l'article 25, se lisant comme suit;
"Toute personne peut néanmoins demander à ce que les
services dont il est question ci-dessus lui soient offerts dans la langue
officielle ou en anglais".
L'article 27 qui traite des ordres professionnels stipule que: "7. Les
ordres professionnels doivent communiquer en français avec leurs membres
ainsi qu'avec le public".
Le texte actuel interdit à un ordre professionnel de communiquer
en anglais avec un anglophone unilingue qui désire déposer une
plainte contre un de ses membres. Une personne âgée, un
handicapé ou un plaignant blessé se verra donc refuser le recours
à la procédure établie pour donner suite à ce genre
de plainte, l'injustice qui pourrait en résulter est manifeste.
Eu égard à ce qui précède, nous
suggérons d'ajouter le paragraphe suivant à l'article 27: "Au cas
où une personne s'adresserait en anglais à un ordre
professionnel, celui-ci devra joindre à sa réponse une traduction
en anglais et pourra utiliser l'anglais pour toute communication verbale avec
cette personne".
CHAPITRE VI La langue du travail
Un Comité d'étude sur la langue du travail, mis en place
par le Comité d'action positive, et composé de personnes ayant
une très grande expérience ainsi qu'une profonde connaissance du
monde des affaires, soumet à la Commission parlementaire un
mémoire spécial sur la loi de la langue dans le contexte de
l'entreprise. Ce mémoire contient des commentaires
détaillés sur les diverses dispositions du projet de loi, dont le
chapitre VI. Nous appuyons sans réserve ces commentaires.
CHAPITRE VII La langue du commerce et des
affaires
Nous appuyons les commentaires du Comité d'étude sur la
langue du travail, dans le cadre du chapitre VII.
Nous nous permettons cependant d'attirer l'attention sur un point
particulier de ce chapitre. Nous voulons parler de l'article 46 qui
précise, à certaines exceptions près, que: "l'affichage
commercial doit se faire uniquement en français".
Nous comprenons très bien le désir du gouvernement de
veiller à ce que l'environnement, au Québec, reflète plus
justement le caractère français de cette province et de sa
majorité. Nous sommes d'accord sur la nécessité d'une loi
en ce domaine, telle que l'article 35 de la Loi sur les langues officielles,
actuellement appliqué, et qui prévoit, à certaines
exceptions près, que les enseignes et les affiches publiques doivent
être rédigées en français ou, si elles sont
bilingues, en français et dans une autre langue. Nous souscrivons
totalement à la proposition du Comité d'étude sur la
langue du travail qui va plus loin que l'article 35 en suggérant,
à certaines exceptions près, que dans tout affichage commercial
le texte français doit avoir une importance au moins égale
à celle du texte rédigé dans une autre langue. Une telle
mesure, qui traduit l'expression légitime et normale de la
véritable nature du Québec, ne peut qu'être
approuvée.
Nous ne pouvons toutefois souscrire au texte actuel de l'article 46 qui
interdit, purement et simplement, l'affichage commercial dans toute autre
langue que le français au Québec. Cette mesure fait totalement
abstraction de la réalité de certaines parties de la campagne
québécoise et même de Montréal, où au moins
un tiers de la population n'est pas de langue maternelle française.
L'adoption de cet article ne ferait que remplacer une situation apparemment
anormale par une autre qui le serait également, dans un autre sens. Si
l'affichage commercial ne comporte pas actuellement suffisamment de
français, compte tenu des réalités de la province,
l'obligation de n'utiliser que le français et l'interdiction de toute
expression publique dans une autre langue, ne refléterait pas davantage
cette réalité.
Le Québec n'a rien d'une société monolithique,
uniculturelle et unilingue et ne doit pas être appelé à le
devenir. La minorité anglophone et les autres minorités ont
été et continueront d'être les éléments
vitaux de cette société et l'expression publique de leur
identité ne doit, en aucun cas, être interdite. Montréal
est l'un des grands centres internationaux et cosmopolites du monde. Est-il
raisonnable de penser que ses communautés chinoises, italiennes,
grèques, portugaises, juives et autres élimineront leur
publicité commerciale pour se fondre dans un ensemble francophone
unidimensionnel? L'Assemblée nationale interdira-t-elle à la
population anglophone de Montréal, qui représente une partie
importante de la population urbaine, d'utiliser la langue anglaise dans la
publicité commerciale?
Des mesures de cet ordre poussent la promotion de la langue
française à des extrêmes qui ne sont, ni
nécessaires, ni rationnels, ni équitables.
Nous demandons instamment que le texte actuel de l'article 46 soit
remplacé par une formule autorisant l'affichage publicitaire en
français, ou en français et en une autre langue, pourvu que le
texte français ait une importance égale à celui de l'autre
langue.
CHAPITRE VIII La langue de l'enseignement
Les dispositions les plus radicales et les plus inquiétantes du
projet de loi no 1 se retrouvent dans les articles 51 à 59, traitant de
la langue d'enseignement.
Les arguments mis de l'avant pour justifier ces mesures s'appuient
principalement sur le danger, perçu par la majorité, d'une baisse
relative de ses effectifs par rapport à ceux de la minorité;
l'intégration d'un nombre important d'immigrants à la
communauté anglophone étant reconnue comme la cause principale de
ce déséquilibre éventuel.
Plusieurs analyses, que l'Université McGill vient de terminer,
indiquent que les prévisions faites il y a quelques années sur
l'augmentation absolue et relative de la population anglophone du Québec
se sont révélées inexactes. Les mêmes études
montrent:
(1)que les projections démographiques pour le Québec, par
catégorie de langue, ont conduit à dresser un tableau inutilement
pessimiste du développement du secteur francophone, puisqu'en
réalité l'érosion prévue ne semble pas s'être
manifestée;
(2) que les études, selon lesquelles les immigrants seraient une
des principales sources de croissance du secteur anglophone, ont
surestimé l'effet net de l'immigration sur la population du
Québec;
(3)que les inscriptions dans les écoles publiques anglaises du
Québec, même sans le projet de loi no 1, baissent de façon
marquée;
(4) que si le projet de loi no 1 était appliqué sous sa
forme actuelle, les effectifs prévisionnels des écoles publiques
anglaises baisseraient de façon radicale pour atteindre un peu plus de
40% de leur ampleur actuelle, au cours des dix prochaines années.
Il est malheureux que les appréhensions du gouvernement au sujet
des tendances démographiques soient si pessimistes qu'elles
requièrent l'application de mesures imposant aux parents immigrants la
décision de l'État, plutôt que la leur, sur le choix de la
langue dans laquelle leurs enfants seront éduqués.
En principe, nous pensons que les parents, plutôt que
l'État, doivent choisir l'école que fréquenteront leurs
enfants. Si, malgré tout, le gouvernement décide de diriger les
enfants des futurs immigrants sur le système scolaire français,
cette mesure ne devrait s'appliquer qu'aux non-anglophones qui devront en
être avisés avant de venir au Canada.
Les dispositions du projet de loi no 1 déniant aux parents
anglophones des autres provinces du Canada et d'autres pays le droit
d'éduquer leurs enfants dans leur propre langue sont totalement inutiles
à la réalisation des objectifs que le gouvernement s'est
fixé. Même si l'Assemblée nationale devait continuer
d'exiger que les enfants des immigrants non-anglophones soient dirigés
sur les écoles françaises, rien ne justifie d'autres mesures en
ce sens. Elles ne feraient d'une part que mettre des obstacles au recrutement
du personnel hautement qualifié qui fait actuellement cruellement
défaut à la province et, d'autre part, elles menaceraient la base
même de la population anglophone, dont les effectifs diminuent
déjà.
S'il est facile d'imposer des restrictions lorsqu'elles sont
manifestement nécessaires, il est en revanche beaucoup plus dangereux de
légiférer lorsque la nécessité ne s'appuie que sur
des données hypothétiques et contestées. Lorsque de telles
restrictions entravent les déplacements d'une population qui, de tout
temps, a été mobile, elles peuvent avoir des effets dommageables
à long terme. La population anglophone du Québec a toujours
été mobile et bien que son importance relative soit restée
constante, les individus ont changé. Si des obstacles à la libre
migration des personnes sont dressés par le Québec, la
communauté anglophone y décroîtra
inévitablement.
La nécessité de telles mesures est encore plus difficile
à saisir lorsque l'on constate la détermination manifestée
au cours des dernières années par les parents anglophones
à faire apprendre le français à leurs enfants, et à
les équiper pour participer à la vie du Québec d'une
façon radicalement différente de ce que nous avions connu
jusqu'alors, dans notre histoire. Les autres mémoires qui seront soumis
à la Commission parlementaire feront d'ailleurs certainement allusion
à l'augmentation sensible de la participation aux cours d'immersion en
français dans les écoles anglaises, et à l'importance des
pressions exercées par les parents anglophones pour que des cours de
français soient offerts à leurs enfants.
Le français est enseigné à tous les niveaux, dans
toutes les écoles anglaises, et innombrables sont les parents qui
réclament que soient consacrés plus de temps et plus de
professeurs à cette tâche qui est essentiellement limitée
par l'insuffisance des ressources accordées par le ministère de
l'Éducation du Québec pour l'enseignement de la langue seconde.
Il est déplorable que, malgré l'appui officiel des gouvernements
successifs au bilinguisme des anglophones du Québec et de l'exigence
faite à tous les diplômés des écoles secondaires de
posséder couramment le français, ces gouvernements n'aient
virtuellement rien fait pour l'enseignement du français dans les
écoles anglaises. Par conséquent, plutôt que d'imposer des
restrictions à ceux qui désirent s'inscrire dans les
écoles anglaises, nous demandons instamment au gouvernement de prendre
des mesures décisives, et notamment d'accorder un appui financier
soutenu pour accroître l'enseignement du français dans les
écoles anglaises. Il s'en suivrait inévitablement une
collaboration très active de la part de la communauté anglophone
à une progression encore plus forte de la langue anglaise, créant
une atmosphère de coopération et de compréhension
plutôt qu'un climat de confrontation et de contestation.
Si le gouvernement choisit de diriger les enfants des futurs immigrants
sur le système scolaire français, nous insistons pour que le
chapitre IV soit modifié de façon à permettre à
tous les parents anglophones arrivant au Québec d'envoyer leurs enfants
dans les écoles anglaises.
Nous comprenons parfaitement la méfiance du gouvernement envers
l'adoption de politiques nécessitant la vérification de la langue
maternelle comme préalable à toute inscription. Nous pensons que
l'expérience malheureuse des tests linguistiques requis par la
présente loi prêche en faveur d'une prudence légitime en ce
domaine. Cependant, il nous semble beaucoup plus facile de mettre en place un
système de vérification, dans le cadre d'une loi faisant appel au
respect et à la coopération de ceux qui y ont soumis,
plutôt que dans celui d'une loi perçue comme un instrument de
menace et d'injustice qui, en aucun cas, ne se méritera le respect de
ceux qu'elle vise. Nous sommes convaincus que si la loi appliquée tient
compte des modifications suggérées, des mécanismes
objectifs mis en place avec la collaboration de toutes les personnes
concernées permettront de déterminer avec justesse et
équité, au moyen d'entrevues appropriées avec les
familles, si les enfants sont admissibles à l'école anglaise.
Les immigrants récents au Québec sont très
sérieusement préoccupés par le projet de loi no 1 dans la
mesure où, sous sa forme actuelle, il retire aux parents un droit
important dont ils jouissaient lorsqu'ils ont décidé
d'émigrer. Nous demandons à la Commission d'examiner la
possibilité d'étendre les exceptions actuelles afin que ces
familles, venues au Québec en sachant qu'elles pourraient décider
librement de la langue dans laquelle leurs enfants seraient
éduqués, soient autorisées à conserver ce
droit.
Il nous semble qu'une telle mesure, incitant les personnes
concernées à participer à la vie du Québec, avec la
majorité, aurait un effet beaucoup plus positif qu'une loi qui les
forcerait à s'intégrer au système scolaire
français.
CHAPITRE IX Dispositions diverses
L'article 61 stipule que les avis de l'administration dont une loi
prescrit la publication en français et en anglais peuvent
néanmoins être publiés uniquement en français et, de
même, que les avis de l'administration dont une loi prescrit la
publication dans le journal de langue française et dans un journal de
langue anglaise peuvent être publiés uniquement dans un journal de
langue française.
Les avis dont il est question ont pour objectif d'informer l'ensemble
des résidents de certains faits qui peuvent affecter leur vie, leur
santé, leur sécurité ou leurs biens. Tous les
résidents du Québec ne sont pas actuellement capables de lire le
français et tous ne consultent pas les journaux français.
L'adoption de l'article 61 aurait donc pour effet de restreindre l'accès
à l'information que la loi reconnaît elle-même comme
essentiel. A notre avis, cette mesure n'est ni équitable, ni logique, ni
réaliste, à l'heure actuelle. Nous insistons pour qu'elle soit
abolie.
TITRE II
L'office de la langue française et la
francisation
Nous appuyons les commentaires du Comité d'étude sur la
langue du travail concernant cette partie du projet de loi.
Un accroissement indéniable de l'utilisation du français a
été enregistré au cours des dernières
années. Cette progression peut être sensiblement
accélérée par des mesures beaucoup moins rigoureuses que
celles dont traite le chapitre III, dans le cadre de la francisation des
services et des entreprises.
Nous insistons pour que soit soigneusement examiné le texte de
l'article 106 qui, au moyen des certificats de francisation, confère
à un vaste appareil administratif l'autorité nécessaire
pour suspendre les activités de toute entreprise en lui refusant les
permis et les services essentiels tels que l'électricité, l'eau
et les transports publics dont elle a besoin pour survivre. Des pouvoirs aussi
énormes placés dans les mains d'une bureaucratie laissent les
entreprises à la merci d'un caprice administratif et pourraient
donner lieu à des abus notoires. De plus, des pouvoirs de cet
ordre peuvent paraître inutiles étant donné que le projet
de loi prévoit, dans le Titre V, que les personnes contrevenant à
la loi, ou à tout règlement qu'elle comporte, sont passibles de
poursuites judiciaires et d'amendes. Nous demandons avec insistance que
l'article 106 soit modifié en conséquence.
Nous avons déjà fait nos commentaires sur les termes de
l'article 112(b) et la signification du mot "Québécois".
Nous suggérons que l'article 112(b) soit amendé et se lise
ainsi: "b) l'augmentation du nombre des personnes parlant français,
à tous les niveaux de l'entreprise, y compris au sein du conseil
d'administration et au niveau des cadres supérieurs, de manière
à assurer la généralisation de l'utilisation du
français:"
Nous demandons également que soient retirés du projet de
loi les comités de francisation prévus par l'article 114. Ces
comités n'ont aucune place dans notre société. Leur
création serait une source de tension et de conflits. Ils
encourageraient la résistance à la loi plutôt que son
respect.
TITRE III La commission de surveillance et les
enquêtes
Nous admettons très bien qu'il soit nécessaire de mettre
en place les mécanismes permettant d'administrer et de faire appliquer
une loi. Il nous semble cependant que l'appareil de surveillance prévu
par le projet de loi aille au-delà de ce que l'on peut considérer
comme nécessaire et approprié.
Les articles 121 et suivants prévoient la mise en place de trois
catégories de fonctionnaires: a) les commissaires-enquêteurs; b)
les inspecteurs et c) les autres fonctionnaires et employés.
L'article 139 confère aux commissaires-enquêteurs et aux
inspecteurs délégués par eux: "les pouvoirs et
l'immunité accordés aux commissaires nommés en vertu de la
loi des commissions d'enquête (Statut refondu, 1964, Chapitre II)."
Par conséquent, non seulement les commissaires-enquêteurs
mais les inspecteurs délégués par eux, auraient pouvoir
d'exiger la présence de témoins et le témoignage ainsi que
la production de livres, de documents et d'autres pièces, tout ceci sous
menace d'outrage au tribunal et de peine pouvant inclure l'emprisonnement. Les
commissaires et les inspecteurs auraient également les mêmes
protections et privilèges que ceux qui sont conférés aux
juges de la cour supérieure pour tout acte ou omission dans
l'exécution de leur tâche.
Est-il réellement dans l'intérêt des
Québécois de créer un groupe d'inspecteurs, dotés
de tels pouvoirs, pour surveiller le monde des affaires?
La progression de la langue française requiert-elle
réellement que l'homme d'affaire ordinaire, dirigeant son entreprise,
soit soumis à une telle autorité, et à tout l'arbitraire
et aux abus qu'elle peut facilement engendrer?
Nous rappelons à la Commission parlementaire les audiences tenues
devant une autre commission de l'Assemblée nationale, en juillet
dernier, sur le projet de loi 41, et les avertissements soulevés par le
Barreau du Québec et d'autres personnes, dont des membres du
gouvernement actuel, alors dans l'opposition, vis-à-vis des dangers que
peut présenter l'accord de pouvoirs trop étendus à des
fonctionnaires.
Il nous semble que les articles 121 et suivants, sous leur forme
actuelle, représentent un empiétement inutile sur les
libertés civiles des Québécois et devraient être
modifiés en conséquence.
TITRE IV
Le conseil consultatif de la langue
française
La valeur et l'efficacité d'un conseil consultatif sont
essentiellement fonction de la qualité de ses sembres et de l'importance
que lui accorde le Ministre responsable.
Si le conseil est établi, nous demandons instamment au
gouvernement de nommer des personnes de la plus haute qualité, dont la
compétence, l'équité et l'intégrité sont
reconnues par l'ensemble de la population.
Nous sommes persuadés que l'étude des questions concernant
la situation de la langue française, entreprise dans un climat de
sérénité et d'objectivité, confirmera notre
opinion, selon laquelle
l'utilisation du français peut être sensiblement
étendue et généralisée par des méthodes qui
n'apparaissent pas inutilement coercitives, hostiles et menaçantes
à la minorité anglophone et aux autres minorités du
Québec.
TITRE V Infractions et peines
Les mesures d'application des dispositions du projet de loi no 1 vont
beaucoup plus loin que celles de la Loi sur les langues officielles,
actuellement en vigueur. Le titre II du projet de loi accorde des pouvoirs
beaucoup plus étendus aux responsables administratifs et le Titre V
prévoit des poursuites pénales devant les tribunaux, ce qui n'est
pas le cas actuellement.
Nous avons déjà analysé les dispositions contenues
dans le Titre II et nous avons indiqué les raisons pour lesquelles nous
estimons qu'elles sont trop sévères, en particulier si l'on
considère le Titre V.
A ce chapitre, nous proposons deux amendements. Le premier consisterait
à ajouter un paragraphe à l'article 163, se lisant comme suit:
"Dans le cadre de toute poursuite, le défendeur sera acquitté
s'il établit, la charge de la preuve lui revenant, qu'il a agi de bonne
foi et sans l'intention de violer la loi ou ses règlements".
"L'ignorance de la loi ne pourra être avancée".
Le deuxième amendement consisterait à ajouter un
paragraphe à l'article 164, se lisant comme suit: "Avant d'entreprendre
les poursuites en vertu de cette loi, le procureur général, ou
toute personne généralement ou spécialement
autorisée par lui, avisera la personne contre laquelle les poursuites
sont envisagées de la nature desdites poursuites, et lui accordera un
délai de 30 jours pour remédier à la situation
présumant constituer contravention. S'il apparaît, à la
suite de cet avis, que la loi est respectée, les poursuites ne seront
pas recevables."
Le premier amendement s'appuie sur le fait qu'il n'est pas
d'intérêt public de punir des personnes qui, même si elles
ne respectent pas totalement la loi d'un point de vue technique, ont agi de
bonne foi et sans intention d'y contrevenir.
Le deuxième amendement se fonde sur l'idée que la loi doit
être curative plutôt que punitive et qu'il est
préférable d'accorder la priorité à des mesures
permettant d'en assurer le respect, qu'à des poursuites judiciaires
auxquelles il ne doit être recouru qu'en dernier ressort.
TITRE VI
Dispositions transitoires et finales
Dans le livre blanc "La politique québécoise de la langue
française", suivant immédiatement un paragraphe qui insiste sur
le rôle de la minorité anglaise et le respect qu'il convient de
lui accorder, on trouve le texte suivant: "Pour traduire ce principe dans la
réalité, la Charte contiendra une déclaration des droits
fondamentaux de tout Québécois en matière linguistique.
Elle complétera donc, en matière de langue, les droits reconnus
aux individus par la Charte des droits et libertés de la personne."
Nous sommes consternés par le texte de l'article 172 du projet de
loi no 1 qui, d'un simple coup de plume, retirerait le domaine de la langue de
la Charte des droits et des libertés de la personne. Il est malheureux
qu'une charte aussi fondamentale puisse être reniée aussi
facilement, et l'on peut alors s'interroger sur le respect dont elle jouira par
la suite.
Nous pensons sincèrement que la langue française peut se
développer au Québec, sans viol des droits fondamentaux de la
personne.
Nous rappelons à la Commission l'article 27 du Pacte
international relatif aux droits civils, et politiques adoptés à
l'unanimité par l'assemblée générale des Nations
Unies le 16 décembre 1966, précisant que: "Dans les états
où il existe des minorités ethniques, religieuses ou
linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne
peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres
membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de
pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue."
Nous demandons instamment que l'article 172 soit aboli.
CONCLUSION
L'existence même du gouvernement actuel constitue une nouvelle
force pour la progression du français et donne un élan
supplémentaire à toute loi visant ce but.
Le gouvernement doit reconnaître que des changements importants se
sont produits au Québec et que les mesures qui auraient pu être
autrement nécessaires ne sont plus requises ou appropriées.
La communauté anglophone a prouvé, de façon
indéniable, qu'elle était déterminée a collaborer
à la progression des objectifs fondamentaux de la politique sur la
langue et a contribué, de façon positive, à cette
politique et au bien-être de tous les Québécois.
Cette collaboration à laquelle nous faisons allusion ne peut se
manifester face à des mesures inutilement restrictives et
coercitives.
Le Premier Ministre de la province a dit récemment que le
Québec avait eu plus que sa part de conflits sociaux et qu'un nouveau
contrat social s'imposait. Ne substituons donc pas aux conflits sociaux du
passé, un conflit culturel et linguistique. Il apparaît
plutôt qu'il nous faille également un nouveau contrat social dans
le domaine culturel et linguistique.
Les changements positifs que nous proposons garantiraient l'adoption
d'une loi qui se gagnerait le soutien de la vaste majorité des
Québécois non-francophones.
L'Assemblée nationale est à la veille de prendre une
décision vitale.
Elle peut adopter une loi qui inspirera l'inquiétude, le
ressentiment et la résistance.
Elle peut, au contraire, adopter une loi qui fera vigoureusement valoir
les droits de la langue française et, perçue comme
appropriée et équitable, se méritera le respect, le
soutien et la collaboration de tous les Québécois.
Il nous semble clair que ce choix pourrait non seulement faire
progresser plus efficacement la langue française, mais également
être un gage de bien-être pour toute la population.
Ce choix est le vôtre.
ANNEXE 2
Mémoire
à la commission parlementaire de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications
soumis par
le Comité d'étude sur la langue du
travail du Comité d'action positive
sur
le projet de loi numéro 1 Charte de la langue
française au Québec
Brief
to the Parliamentary Committee on Education, Cultural
affairs and Communications
Positive Action Committee
on
BUM
Charter of the French language in Quebec
Version française French version
Le 2 juin 1977 June 2,1977
Le jeudi 2 juin 1977
Commission parlementaire sur l'éducation, les affaires
culturelles et les communications, Assemblée nationale du
Québec, Hôtel du Gouvernement, Québec, Province de
Québec
Monsieur le Président, membres de la Commission
parlementaire,
Le comité d'étude sur la langue de travail du
Comité d'action positive se réjouit de pouvoir présenter
ses opinions sur le projet de loi no 1 établissant la Charte de la
langue française au Québec, dont la Commission parlementaire de
l'Assemblée nationale est actuellement saisie.
Le comité d'étude sur la langue de travail est un
sous-comité du Comité d'action positive, une association
indépendante d'enseignants, d'hommes d'affaires, de membres des
professions et d'autres Québécois qui se sont regroupés
dans le but d'étudier et de commenter le Livre blanc intitulé "La
politique québécoise de la langue française"
présenté à l'Assemblée nationale et au peuple du
Québec par le ministre d'Etat au développement culturel.
Le comité d'étude sur la langue de travail est un groupe
indépendant et sans caractère officiel de citoyens du
Québec qui, en raison de leurs intérêts ou de leurs
activités, sont particulièrement préoccupés des
répercussions éventuelles de la législation linguistique
sur les entreprises. Dans le présent mémoire, ils parlent en leur
nom personnel et pas nécessairement au nom des institutions, des
entreprises ou des autres organismes dont ils font partie.
Notre mémoire n'entend nullement contrarier, entraver ou
critiquer les efforts déployés par le gouvernement pour que la
langue française accède au Québec à la position qui
lui revient historiquement et de droit. Nous voulons simplement soumettre des
suggestions qui, à notre avis, sont de nature à permettre que ce
but puisse être atteint au profit de tous les Québécois en
perturbant le moins possible le milieu délicat où évolue
notre secteur des affaires et notre économie.
Cela dit, et en guise de réserve générale pour
introduire les observations contenues dans notre mémoire, nous croyons
devoir préciser que nous révoquons en doute la
nécessité même d'une loi générale sur la
langue.
Quiconque a vécu au Québec ces dernières
années peut attester que la francisation du milieu
québécois a réalisé des progrès
spectaculaires non seulement dans le domaine de l'enseignement et de la
culture, mais également dans le monde des affaires, comme le montre le
relevé fait récemment par le Board of Trade de Montréal.
Il est fort possible que ce processus soit maintenant si bien entamé
que, sauf pour des dispositions interdisant toute discrimination linguistique
et garantissant aux francophones le droit de recevoir la documentation en
français, et surtout la documentation destinée aux consommateurs,
on peut dire qu'une loi générale n'est pas nécessaire.
Certes, le retour à une charte plus limitée,
dépouillée des lourds mécanismes de la francisation,
serait bien accueilli par le monde des affaires.
Nous reconnaissons toutefois que le gouvernement s'est engagé,
vis-à-vis de l'institution de la charte de la langue française et
comme le processus législatif est déjà bien avancé,
nous avons entrepris d'analyser le projet de loi, compte tenu de la
réserve susmentionnée.
INTRODUCTION
Dans notre mémoire sur le Livre blanc soumis au premier ministre,
au ministre de l'Education et au ministre d'Etat au développement
culturel, et dont on peut se procurer des exemplaires sur demande, nous
déclarons: "En qualité de résidents du Québec, et
pour certains d'entre nous depuis de nombreuses générations, nous
nous intéressons à l'évolution de la société
québécoise qui nous touche directement. Nous admirons la
vitalité culturelle du Québec, nous aimons le mode de vie d'ici,
nous avons la conviction qu'il s'y trouve une société fascinante
et enrichissante au sein de laquelle il fait bon vivre et voir grandir les
siens. Nous reconnaissons que la langue joue un rôle capital dans le
développement de toute société, et nous admettons
volontiers la légitimité de l'objectif selon lequel le
français devrait être la langue commune des
Québécois. Aussi, nous adhérons à la philosophie du
Livre blanc qui, selon nous, vise non seulement la préservation, mais
aussi et surtout la promotion du français dans la province. Nous y
voyons également le souci de favoriser une plus large utilisation de
cette langue dans tous les aspects de la vie au Québec. Tout en
étant d'accord sur le principe, nous croyons en outre que les
modalités envisagées par le Gouvernement du Québec pour
atteindre le but visé auront, plus que le but lui-même,
d'importantes répercussions sur l'avenir de la société
qu'on se propose de promouvoir. Nous sofrtmes persuadés que les moyens
choisis pour encourager l'usage du français comme langue de travail
peuvent avoir des effets très nets sur la vitalité
économique de la province. Bien plus, nous croyons indéniable que
la réalisation des objectifs culturels passe par une économie
forte et dynamique".
Dans notre premier mémoire sur le Livre blanc, nous avons
également insisté sur la nécessité d'atteindre ces
objectifs qui visent à une plus large utilisation de la langue
française d'une manière qui permette en même temps à
l'économie du Québec de s'épanouir. En effet, la
réalisation de ces objectifs dépend largement du dynamisme de
l'économie québécoise qui doit fournir les ressources
nécessaires au développement social et culturel de la province,
en plus de stimuler l'expansion de la communauté francophone en la
rendant attrayante pour les personnes de culture différente. C'est
toujours notre conviction que ces objectifs économiques ne sont pas
incompatibles avec la réalisation des buts culturels et linguistiques,
dans la mesure où ceux-ci font l'objet d'une application réaliste
et non discriminatoire.
Le développement culturel est tellement lié à la
situation économique qu'il serait dérisoire de vouloir nier
l'interdépendance de ces deux facteurs. Il suffit d'ailleurs de se
pencher quelque peu sur l'histoire pour constater que presque aucune culture ne
s'est développée dans le monde, de façon saine et
harmonieuse, sans s'appuyer sur une économie forte et dynamique. Les
raisons sont facile à comprendre puisque dans une économie
stagnante ou qui marque le pas, il est difficile, sinon impossible, pour la
population d'assumer les coûts de l'éducation, des
activités théâtrales, littéraires, musicales et des
arts en général, et qu'en outre, les domaines de la science et de
la technologie accusent du retard à cause de la rareté des fonds
pouvant être affectés à la recherche et de l'absence de
possibilités d'expérimenter de nouveaux procédés
techniques et de mettre en marché de nouveaux produits. De son
côté, le gouvernement n'est guère mieux armé pour
financer de tels projets puisque son assiette fiscale est
considérablement amoindrie. En revanche, il convient de noter que
l'extraordinaire épanouissement de l'activité artistique,
culturelle et scientifique, dont tous les Québécois ont
été témoins au cours des quinze dernières
années, s'est produit parallèlement à une période
où l'économie avait connu un rythme de croissance sans
précédent.
Nous avons fait remarquer dans notre premier mémoire, comme nous
le faisons ici, que les milieux d'affaires ont toujours mal réagi
à la coercition, aux mesures autoritaires mais, par contre, ont bien
accueilli la persuasion et les mesures incitatrices. Nous croyons aussi que le
monde des affaires est un puissant levier dont le gouvernement peut se servir
pour faire aboutir les objectifs qu'il poursuit, sous réserve toutefois
de lui prescrire des directives claires et précises et de ne pas
l'handicaper par l'incertitude ou des changements arbitraires. Notre
mémoire contient à cet égard des suggestions utiles sur
ces aspects du projet de loi.
Dans notre précédent mémoire, nous avons
signalé le fait que, à notre avis, la francisation des milieux
d'affaires avait accompli des progrès substantiels durant la
dernière décennie et même depuis le rapport de la
Commission Gendron. Dès 1971, M. Robert N. Morrison, professeur à
la Faculté des sciences de l'administration de l'Université
McGill, faisait remarquer dans une étude approfondie,
effectuée
pour la Commission Gendron, que l'utilisation du français
était alors beaucoup plus répandue dans les milieux d'affaires
que ne le soupçonnaient les gens. L'étude faisait en outre
ressortir que les francophones ayant opté pour des carrières
commerciales, faisaient preuve, par comparaison avec leurs collègues de
langue anglaise, de dispositions égales et, que, dans de nombreux cas,
ils réussissent mieux. Une étude à cet égard
révèle que les ingénieurs francophones au service des
entreprises, comparativement à l'ensemble des francophones
diplômés d'universités canadiennes, sont plus nombreux que
leurs homologues dans la population générale. Le rapport conclut
que les ingénieurs et les diplômés en commerce d'origine
canadienne française ayant opté pour le secteur industriel, sont
dans l'ensemble, par comparaison avec leurs collègues de langue
anglaise, plus mobiles, plus bilingues, mieux rémunérés et
qu'ils progressent plus rapidement. Cette tendance semble d'ailleurs
confirmée par les résultats du sondage que le Board of Trade de
Montréal a fait effectuer entre le 11 et le 24 mai 1977 et qui indique,
dans certains cas, une augmentation de 200% de la participation francophone aux
postes les plus élevés de la hiérarchie. Il va de soi que
nous souhaitons voir cette tendance s'accentuer et nos suggestions visent
essentiellement à faciliter une situation qui ne cesse de
s'améliorer.
Notre mémoire mettra en évidence l'importance que nous
attachons aux mesures visant à encourager les sièges sociaux et
les entreprises offrant des services s'appuyant sur une technologie
avancée à demeurer au Québec et à favoriser
l'installation de nouvelles entreprises de ce genre. Nous affirmons que les uns
et les autres procurent à la province des avantages qui dépassent
les effets économiques résultant directement de leur
présence. L'influence qu'exercent des entreprises nationales d'une telle
importance qui font partie intégrante du contexte
québécois, le prestige qu'elles apportent à la province,
les possibilités qu'elles représentent pour les
Québécois d'avancer en restant dans la province, leur
contribution et celle de leurs employés au développement culturel
du Québec sont autant d'aspects très importants. Peut-être,
s'agit-il là de points soulignés moins souvent que les
dépenses exprimées en dollars, mais leur valeur n'en demeure pas
moins réelle.
Comme l'ont fait remarquer les porte-parole du monde des affaires,
l'élément d'actif le plus précieux pour une entreprise est
son effectif de personnel compétent. Pour subsister et faire face
à la concurrence, il lui faut réussir à attirer ses
employés les plus doués à son siège social. S'il
existe des conditions, telles que des exigences irréalistes en
matière de langue, ou l'interdiction de s'inscrire dans les
écoles anglaises, qui empêchent ces employés de venir au
Québec, les sièges sociaux seront contraints de s'installer
ailleurs et il en résultera une perte d'emplois pour la province. Si, au
contraire, les sièges sociaux et les entreprises de services
technologiques demeurent au Québec, il est possible d'envisager, en ce
qui concerne cette catégorie d'emplois, une plus grande
pénétration du français et des francophones. Nous sommes
d'avis que la loi proposée devrait tenir compte de cette
réalité et nous indiquons comment le faire. Selon nous, toute la
question des sièges sociaux et l'utilisation en leur sein d'autres
langues que le français exigent une étude permettant d'en
évaluer la portée économique.
Dans les pages qui suivent, nous indiquons les principaux aspects du
projet de loi qu'il convient de modifier pour mieux répondre aux
aspirations de tous les Québécois. Nous proposons aussi des
modifications particulières à apporter au texte. La section 2
énonce les principes généraux et les raisons des
changements proposés; la section 3 contient les détails des
modifications suggérées et la section 4 résume nos
conclusions.
Principaux motifs de préoccupation
Commenter judicieusement et de manière constructive un texte de
loi aussi élaboré et aussi complexe que le projet de loi no 1
n'est pas une mince tâche et nous n'entendons pas, en tant que groupe de
particuliers concernés, poser en experts sur tous les aspects de la
réglementation proposée. Outre les considérations
inhérentes à l'un ou l'autre article de la Charte, nos
commentaires doivent également tenir compte de la portée de cette
loi sur la vie économique au Québec et de l'interrelation des
divers secteurs d'activité. Dans cette optique, nous avons jugé
préférable pour des raisons de clarté et de
cohérence, d'encadrer nos commentaires dans de grandes lignes de
pensée et de proposer ensuite des amendements qui respectent ces
principes. Nous espérons que notre mémoire saura exposer
clairement notre point de vue à la Commission et que nos recommandations
sauront retenir son attention.
Tout au long de notre exposé nous avons tenu compte des deux
grands principes suivants: a) Nous souscrivons d'emblée à
l'objectif fondamental d'encourager et d'intensifier l'usage du français
dans le monde du travail et avons de ce fait tenté dans nos remarques de
trouver le meilleur moyen d'y parvenir en nous basant sur notre
expérience collective. b) Nous sommes absolument persuadés que le
plein épanouissement de la langue et de la culture est tributaire de la
croissance économique et de la prospérité. C'est pourquoi
le projet de loi devrait permettre la réalisation des objectifs
visés sans nuire inconsidérément au développement
économique du Québec.
En ce qui a trait au premier point, nous estimons que, pour être
efficace, la loi doit être pragmatique et dépourvue de toute
ambiguïté, autrement, elle amène à la confusion,
à l'inefficience et aux abus. La loi doit définir une
orientation, avoir un caractère incitatif et créer un milieu
propice à son implanta-
tion. Elle doit en outre tenir compte des conditions économiques
telles qu'elles sont et non pas telles qu'on voudrait qu'elles soient. C'est
dans cette perspective pragmatique, réaliste et positive que
s'inscrivent nos commentaires et nos suggestions.
Pour ce qui est du second point, nous croyons que pour réaliser
ses objectifs sociaux et culturels, le Québec doit avant tout renforcer
son économie. La force économique est nécessaire non
seulement pour créer les richesses et produire les ressources
indispensables à l'expansion culturelle et linguistique, mais aussi pour
fournir un milieu dans lequel on peut se consacrer a des activités
culturelles sans être constamment préoccupé par la lutte
pour la survie. Selon nous, la relation entre les développements
économique et culturel est vitale. Au Québec, le rayonnement de
la culture est indissociable d'une économie saine et vigoureuse.
Les commentaires qui suivent reprennent en détail notre point de
vue sur ces deux aspects. 1) Les droits de l'homme et les affaires
Nous ne pouvons entamer nos remarques autrement qu'en faisant
état du lien existant entre ce projet de loi et les droits et
libertés de la personne. Une entreprise est généralement
le résultat d'un groupe d'individu qui unissent leurs efforts afin
d'atteindre un but commun. Dans la mesure où les droits et
libertés des personnes sont brimés arbitrairement ou autrement
par le projet de loi no 1, nous croyons que cela nuit au climat contre
quelqu'un est une atteinte aux droits et aux libertés de la
collectivité.
C'est pourquoi nous sommes en désaccord avec la distinction faite
dans le préambule de la loi entre "le peuple québécois" ou
les "Québécois" et un autre groupe appelé
"minorités". Toutes les personnes domiciliées au Québec
devraient être considérées comme des
Québécois tant dans le préambule que dans le projet de loi
lui-même; s'il y a lieu de faire une distinction à l'égard
d'un groupe particulier de Québécois, cette distinction ne devra
pas porter atteinte, volontairement ou non, à leur qualité de
Québécois.
Dans le même esprit, nous estimons qu'il conviendrait dans le
préambule de reconnaître l'importance des cultures des
minorités. Comme l'a exprimé le premier ministre à
plusieurs reprises, on évalue le degré de civilisation d'une
culture à la façon dont elle traite ses minorités.
L'apport culturel des minorités devrait à notre avis être
reconnu comme le veut la Convention internationale sur les droits civils et
politiques adoptée à l'unanimité par l'Assemblée
générale des Nations Unies le 16 décembre 1966.
Nous croyons enfin que certaines parties du texte proposé,
particulièrement celles qui portent sur la langue de la
législature et des tribunaux, contredisent l'article 133 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique. Et qui plus est, les dispositions de ces
parties risquent de priver la minorité anglophone de
l'égalité d'accès à la loi et d'une égale
possibilité de la comprendre et de la possibilité de participer
pleinement, par l'entremise de ses députés, à
l'élaboration des lois.
La liberté, un gouvernement représentatif et
l'égalité devant la loi sont, dans nos démocraties,
consacrées autant par la tradition que par la loi. Abroger ces
traditions pour assurer la domination linguistique de la majorité
reviendrait à créer un dangereux précédent.
Nous sommes persuadés que les objectifs du projet de loi peuvent
être atteints sans qu'il faille recourir à des mesures aussi
rigoureuses, ainsi que nous l'avons fait observer dans les commentaires qui
suivent la présente section. 2) L'importance des sièges
sociaux
Un grand nombre des commentaires sur le projet de loi ont porté
sur le problème des sièges sociaux. Ce problème est certes
réel, mais il est envisagé sous un angle trop limité. En
réalité, il concerne un secteur beaucoup plus vaste de
l'activité économique. Il touche entre autres la recherche et le
développement, les sociétés d'ingénieurs-conseils,
les experts-conseils, des services très spécialisés et
tous les secteurs dont la propriété intellectuelle est un
élément important. Ces domaines de technologie de pointe et de
valeur ajoutée élevée, constituent
précisément le genre d'activités dont l'économie du
Québec a besoin et, par conséquent, on doit favoriser leur
développement. Le problème des sièges sociaux touche aussi
tous les bureaux dont les activités s'étendent en dehors de la
province, que ce soit pour commercialiser des produits, diriger d'autres
opérations ou partager des techniques à l'extérieur du
Québec. Il faut donc rechercher les conditions favorables au maintien et
à l'expansion de ce genre d'activités dans la province, et non
pas faire le contraire, pour que le Québec puisse atteindre son plein
potentiel économique.
Les secteurs qui utilisent une technologie avancée
requièrent un personnel très spécialisé et
expérimenté. Il est indiscutable qu'une partie et,
espérons-le, un pourcentage élevé de ces professionnels
peuvent être recrutés parmi les Québécois, mais il
reste cependant qu'il sera toujours nécessaire de recourir à des
spécialistes de l'extérieur de la province. En fait, les
industries qui emploient une technologie avancée se caractérisent
par la mobilité de leurs employés spécialisés qui,
au cours de leurs déplacements, font connaître les nouvelles
techniques et permettent ainsi de tenir les connaissances techniques à
jour. De la même manière, les employés
spécialisés du Québec doivent acquérir de
l'expérience à l'extérieur de la province pour parfaire
leur formation. Par conséquent, tout ce qui nuit au recrutement
et à la mutation des spécialistes nécessaires ou
qui incite les professionnels à partir va à l'encontre des
intérêts du Québec. L'absence des personnes
qualifiées requises peut entraîner la disparition de tout un
secteur de l'activité économique. Une telle situation n'ouvrirait
certainement pas de nouvelles perspectives aux Québécois, mais
gênerait au contraire l'établissement et la croissance dans la
province d'industries et de services de pointe.
Le besoin de personnel qualifié et parlant d'autres langues, dans
les entreprises qui vendent leurs produits à l'extérieur du
Québec, est assez évident pour se passer de commentaires.
Mais pour ce qui est des sièges sociaux eux-mêmes, en quoi
consiste leur importance? Le Québec ne serait-il pas aussi
prospère si les sièges sociaux des entreprises nationales ou
internationales déménageaient et devaient laisser au
Québec un bureau régional dont le personnel serait probablement
composé de Québécois francophones? La réponse est
évidemment non et ce, pour plusieurs raisons. a) Les emplois qui ont
été créés ici, à la fois directement et
indirectement, en raison de la présence des sièges sociaux et qui
s'élèvent entre 150 000 et 300 000 ont un effet direct sur
l'économie. b)Si les entreprises mettent sur pied des bureaux
régionaux au Québec et établissent leur siège
social ailleurs, des décisions d'une grande importance pour le
Québec seront prises par des dirigeants qui vivent dans un autre
contexte. Même avec la meilleure volonté du monde, ces dirigeants
ne pourront pas porter le même jugement ni avoir la même
compréhension et la même sympathie à l'égard des
opérations effectuées au Québec que ne le feraient des
gestionnaires basés au Québec. Une telle division ne pourrait
donc qu'être préjudiciable au Québec. c)En cas de
déménagement des sièges sociaux, les francophones qui
travaillent dans les entreprises au Québec devraient sans doute
émigrer pour avancer dans leur carrière ou bien accepter de
limiter leurs possibilités. Le Québec pourrait alors perdre un
grand nombre des personnes les plus dynamiques et les plus douées de son
élite.
Du point de vue historique, Montréal a toujours été
un centre de décision des affaires. Par son milieu et son emplacement,
cette ville possède toutes les richesses nécessaires pour
continuer à jouer un tel rôle. Les centres de décision des
affaires de cette importance jouissent d'un grand prestige qui amène
beaucoup d'autres avantages matériels et non matériels.
Mais les sièges sociaux et les bureaux qui offrent des services
très spécialisés connaissent une très grande
mobilité à tous les points de vue et rien ne peut empêcher
ce fait. L'une de leurs principales préoccupations réside dans
les problèmes de prendre toutes les mesures qui sont en son pouvoir pour
attirer et retenir ces bureaux au Québec. A cette fin, nous
désirons faire plusieurs suggestions sur le sujet en ce qui concerne le
projet de loi. 3) Langue des relations de travail
La législation envisagée compliquera inutilement, selon
nous, les relations industrielles et pourrait bien alimenter de nouvelles
sources d'affrontement au moment même où l'on s'efforce d'assainir
le climat social au Québec. Ainsi, la loi prévoit que tout
salarié qui estime avoir été congédié ou
rétrogradé parce qu'il ne connaît pas suffisamment une
langue autre que le français peut soumettre son cas à un
commissaire-enquêteur nommé en vertu du Code du travail. Il
n'existe aucun droit d'appel. Une telle disposition ouvre la voie à
toutes sortes de tracasseries qui risquent d'accaparer les
commissaires-enquêteurs et de les empêcher d'accomplir d'autres
tâches. De même, l'Office de la langue française
décidera par règlement ou décision arbitraire si un
employeur est en droit d'exiger pour l'accès à un poste la
connaissance d'une langue autre que le français. Un tel pouvoir ne
devrait pas être accordé à des fonctionnaires, car il leur
permet de prendre des décisions qui affectent la vie même de
l'entreprise. Là encore, il n'existe aucune possibilité d'appel.
Dans les deux cas, puisque les mesures prévues seront
intégrées dans les conventions collectives, il s'agit de
soumettre les litiges aux mécanismes d'arbitrage et de règlement
des griefs. Ainsi, des personnes habilitées à se prononcer sur
des conflits de travail, mais n'ayant aucune compétence en
matière de législation concernant la langue devront
dorénavant juger des griefs en application de la loi no 1, et leurs
décisions, en vertu de l'article 81 du Code du travail, auront force
exécutoire au même titre que l'ordonnance d'un tribunal. Des
décisions contradictoires sont donc à craindre et risquent de
rendre tous les citoyens, et non pas seulement les employeurs, perplexes quant
à la signification réelle de la loi. Des arbitres privés
ne devraient pas être appelés à interpréter et
à appliquer une loi publique, car cela est du ressort des tribunaux.
En outre, le projet de loi prévoit la constitution, dans toute
entreprise de cent salariés ou plus, d'un comité de francisation
dont au moins le tiers des membres seront nommés par les associations de
salariés ou les syndicats. Ce comité de francisation devra
procéder à l'analyse de la situation linguistique de l'entreprise
et à l'établissement du programme de francisation. De telles
dispositions ne manqueront pas de paralyser toute action dans le cas
d'entreprises dont le comité, du fait de la présence de plusieurs
syndicats, aura une taille telle qu'il lui sera impossible de fonctionner. Il
en sera vraisemblablement de même dans les entreprises où la
représentation syndicale au comité n'a aucune commune mesure avec
le nombre réel d'employés. En créant un niveau
supplémentaire de négociation, les mesu-
res envisagées incorporeront les programmes de francisation dans
le processus de négociation, ce qui ne servira certainement pas les
objectifs de la charte. Nous croyons qu'il existe de meilleurs moyens de
s'assurer que les salariés soient consultés sur des
décisions qui les concernent, et de les y faire participer. 4) Pouvoirs
arbitraires: Un climat d'incertitude
De nombreux aspects de la législation envisagée feront
l'objet de règlements et ne figurent donc pas dans la loi
elle-même. Cette façon de procéder par règlements
est dangereuse pour deux raisons:
(a)des dispositions importantes de la loi sont prises au niveau
administratif et échappent donc au contrôle des
représentants élus du peuple qui siègent à
l'Assemblée nationale;
(b) comme les règlements peuvent être modifiés, la
population est placée dans l'incertitude quant à l'objet et
à la portée de la loi.
Pour ce qui est du premier point, considéré sous l'angle
de la langue des affaires et de ses effets sur l'économie de la
province, il semble qu'un grand nombre de questions de la plus haute importance
donneront lieu à des règlements. Ainsi, ce sont des
règlements qui détermineront le genre d'emplois pour lesquels on
pourra exiger la connaissance d'une autre langue que le français
(article 37); ce sont des règlements qui régiront l'utilisation
des langues autres que le français dans les catalogues et brochures
ainsi que sur les étiquettes (article 4); ce sont des règlements
qui s'appliqueront au contenu non français des raisons sociales (Article
50); ce sont des règlements qui fixeront les conditions d'obtention des
certificats de francisation (articles 106, 109, 110), les normes de
constitution des comités de francisation (article 114) et de suspension
ou d'annulation de certificats de francisation (article 119) et ainsi de suite.
Les entreprises ont prouvé qu'elles sont capables de s'organiser en
fonction d'un contexte et de s'y adapter dès l'instant où elles
savent à quoi s'en tenir. Par contre, il leur est impossible de
fonctionner dans un climat d'incertitude qui les rend tributaires de
fonctionnaires chargés d'émettre, de préciser et
d'interpréter des règlements dont dépend leur survie, car
elles se trouvent ainsi placées dans une situation qui les laisse
désemparées. C'est pourquoi nous exhortons le gouvernement
à préciser plus clairement dans le texte de loi l'objet et la
portée de la législation de façon que l'Assemblée
nationale puisse se prononcer et que toute modification soit aussi
approuvée par les représentants du peuple. Dès lors, les
entreprises et particuliers connaîtront exactement l'étendue de la
loi.
A côté de l'incertitude signalée plus haut, le
projet de loi présente un aspect inquiétant et dangereux qui
réside dans la possibilité de modification des règlements,
alors que l'application de la loi repose essentiellement sur eux. Ainsi, les
règlements qui s'appliquent à l'obtention des certificats de
francisation peuvent être modifiés arbitrairement; or, une
entreprise ne pouvant exister sans un tel certificat, le maintien, plus
exactement la survie, de toute firme se trouvera donc à la merci de ceux
qui rédigeront et appliqueront les règlements. Comme on ne peut
interjeter appel devant les tribunaux ou l'Assemblée nationale, les
risques d'abus sont évidents. Sur un point aussi crucial pour
l'économie du Québec, nous demandons instamment au gouvernement
de définir clairement dans la loi les dispositions régissant
l'obtention du certificat de francisation.
La même incertitude et la même possibilité d'avoir
à supporter des décisions arbitraires existent dans la loi
à propos des sièges sociaux.
Même si nos observations ont été axées sur
les dispositions s'appliquant à la langue de travail, ce que nous
contestons, nous tenons à le souligner, c'est le principe d'une
loi-cadre complétée par des règlements d'application.
Presque tous les partis politiques s'élèvent contre une telle
façon de procéder lorsqu'ils sont dans l'opposition, mais ils
semblent oublier leur engagement une fois arrivés au pouvoir.
Cette forme de législation complétée par des
règlements et déniant tout droit d'appel tend, nous tenons
à le souligner, à favoriser la mise en place d'un appareil
bureaucratique lourd et coûteux. En l'occurrence, l'Office de la langue
française agira à la fois comme juge et partie, décidera
des règlements et les édictera, puis les interprétera.
Nous présentons un certain nombre de recommandations visant à
améliorer cet aspect du projet de loi. Quoiqu'il en soit, une
modification importante s'impose pour permettre d'interjeter appel devant les
tribunaux. 5) La langue et l'activité économique
Nous donnons notre appui au gouvernement pour les efforts qu'il
déploie en vue de promouvoir l'utilisation de la langue française
dans tous les aspects de la vie au Québec. Nous ne sommes pas d'accord
toutefois pour que cet objectif soit atteint en interdisant l'utilisation des
autres langues. Par conséquent, les dispositions du projet de loi visant
à exclure l'utilisation de la langue anglaise devant les tribunaux, sauf
en circonstances particulières, ou à interdire celle de toute
langue autre que le français dans l'affichage commercial, les
déclarations ou les avis, et même dans la signalisation
routière, nous semblent discriminatoires, inutiles et incompatibles avec
le droit fondamental de l'homme à la liberté d'expression et
contraires aux intérêts de tous les citoyens
québécois. Par contre, il nous semble juste que la loi insiste
pour que tous les services sociaux et commerciaux soient fournis en
français, langue
de la majorité, mais elle ne devrait pas en même temps
interdire l'utilisation des autres langues dans les cas jugés
appropriés; de fait, nous recommandons que ces points soient
établis clairement dans le projet de loi. Le premier ministre et les
autres membres du gouvernement ont exprimé à plusieurs reprises
qu'on juge une société à la façon dont elle
respecte les droits de tous ses citoyens, y compris ceux de ses
minorités. Nous faisons donc appel au gouvernement pour
reconsidérer les aspects du projet de loi qui violent les principes de
l'égalité et avons précisé dans la partie
détaillée de notre mémoire présentée
ci-après les endroits où les changements doivent être
apportés au texte de loi.
En ce qui concerne les dispositions de la loi sur les communications
avec les ordres professionnels, par exemple, où l'efficacité des
échanges d'information revêt une importance particulière,
nous considérons comme essentiel que l'anglais soit utilisé aussi
bien que le français lorsqu'une grande partie de leurs membres sont
d'expression anglaise. Le même principe s'applique dans le cas d'un grand
nombre de panneaux-réclames et d'enseignes, surtout ceux qui sont
installés aux fins d'information. L'interdiction de l'anglais dans de
tels cas alors qu'environ un million de québécois sont
d'expression anglaise se révèle inutilement restrictive. 6)
Approche à caractère coercitif
Nous sommes profondément inquiets de ce que la loi
proposée fasse mention principalement de sanctions de nature très
rigoureuse, même dans le cas de la non-obtention du certificat de
francisation dont la délivrance est laissée à la
discrétion du ministre, sans aucun droit de recours devant les
tribunaux. Ainsi, une entreprise qui ne réussira pas à obtenir un
certificat de francisation ne pourra se procurer le permis nécessaire
pour poursuivre son exploitation. On ne saurait justifier que la suppression
draconienne d'un droit fondamental soit entièrement laissée
à la discrétion d'un fonctionnaire du gouvernement ou même
d'un ministre, sans droit de recours, ni de par les principes
élémentaires de justice ni en raison de la nature de l'infraction
imputée. Il n'est pas davantage juste ni justifiable que les
employés d'une entreprise se retrouvent dans la rue sans emploi en
raison d'une faute imputée à sa direction. Placer des
fonctionnaires dans une position où ils doivent prendre de telles
décisions, assujettir les entreprises aux décisions des
bureaucrates du gouvernement et soumettre les employés à de
telles sanctions est, à notre avis, inutile, discriminatoire, injuste et
injustifiable.
Comme il a été énoncé
précédemment, le gouvernement devrait tenter de s'assurer le
concours et l'appui du monde des affaires pour atteindre ses objectifs. Il ne
peut prendre toutes les décisions lui-même sans se doter d'une
vaste armée de fonctionnaires, d'organismes d'enquête et
d'analystes et appliquer des mesures coercitives. Le monde des affaires
répond de manière plus positive aux mesures incitatives
qu'à la menace de sanctions arbitraires. Nous ne décelons aucune
mesure incitative dans le projet de loi, l'accent étant plutôt mis
sur les sanctions d'ailleurs inutilement rigoureuses.
Sous ce dernier rapport, nous sommes d'avis qu'une sanction aussi
sévère que celle qui enlève à l'entreprise le
permis de poursuivre son exploitation (c'est-à-dire la fermeture d'une
compagnie en raison de la non-obtention de son certificat de francisation)
n'est d'aucune utilité. L'application de cette sanction
pénalisera davantage les innocents que les coupables. En effet,
l'employé en chômage par suite de la fermeture de l'entreprise ne
sera vraisemblablement pas enclin à remercier l'Office de la langue
française pour ses efforts empressés de francisation. Un grand
nombre de sociétés se sont appliquées à
exécuter volontairement des programmes de francisation d'une certaine
ampleur; il serait bon d'après nous que ces efforts soient
encouragés et reconnus de quelque façon (à la
manière de la Grande-Bretagne à l'égard des entreprises
qui ont réalisé un excellent volume de ventes à
l'exportation).
Nous nous devons en outre de faire ressortir un autre aspect: le
coût d'un appareil bureaucratique mis sur pied pour contrôler le
programme de francisation actuellement proposé. A une époque
où le gouvernement devrait s'appliquer à consacrer ses ressources
humaines et monétaires à l'épanouissement de
l'économie du Québec, il nous semble ironique qu'une si grande
partie de ces rares ressources soient utilisées de façon à
inhiber à coup sûr notre croissance.
Les modifications que nous proposons sont exposées dans les
remarques détaillées présentées ci-après. 3.
Commentaires détaillés sur le texte du projet de loi no 1, charte
de la langue française au Québec
Cette partie de notre mémoire porte sur les commentaires
précis que nous désirons formuler sur certaines des dispositions
du projet de loi no 1, y compris son préambule. Pour des raisons de
simplicité et de commodité, nous avons adopté pour cette
présentation un plan parallèle à celui du projet de
loi.
Etant donné que ce mémoire s'attaque au vaste sujet de la
langue dans le milieu des affaires, nous n'avons pas cherché à
commenter individuellement chacun des articles du projet de loi. D'autres
groupes, organismes et associations le feront sans doute sous l'angle de leurs
préoccupations particulières. Toutefois, de nombreuses
dispositions du projet de loi affectent le monde des affaires soit directement
soit par voie de conséquence. Nous avons donc examiné plusieurs
articles qui, bien qu'étant à première vue hors du sujet
traité dans ce mémoire, nous ont semblé mériter
notre attention de par leur contenu intrinsèque ou l'effet qu'ils
pourraient avoir sur la vie commerciale et industrielle au Québec.
Dans certains cas, nous avons soulevé des questions de principe
sans essayer, à cause de la complexité, de suggérer un
texte précis. Dans d'autres, nous avons expliqué quel genre de
modifications nous croyons devoir être apportées à certains
des articles et enfin, nous avons parfois proposé pour ces modifications
un texte précis.
PROJET DE LOI NO 1
Charte de la langue française au Québec
Préambule
Bien que nous acquiescions la philosophie sous-jacente au
préambule dans la mesure où il cherche à
représenter l'objectif du projet de loi, c'est-à-dire la
promotion et le rayonnement de la langue française au Québec,
nous avons trois remarques qui, nous l'espérons, seront bien
reçues et donneront lieu à une modification du texte.
Tout d'abord, il est malencontreux qu'une distinction soit faite dans le
texte entre une classe de personnes appelée "le peuple
québécois" et une autre classe appelée "les
minorités". Certaines minorités vivent sur le territoire
québécois et plus particulièrement une minorité
anglophone assez importante dont la langue maternelle a toujours
été l'anglais. Dans le préambule, comme dans le reste du
texte du projet de loi, toutes les personnes qui choississent le Québec
comme lieu de résidence devraient être considérées
comme des Québécois et si une distinction doit être faite
entre différents groupes au sein de l'appellation de
"Québécois", celle-ci ne devra être entachée
d'aucune réserve, intentionnelle ou non, quant au statut de
"Québécois" conféré à ces groupes.
Deuxièmement, bien que nous comprenions que l'Assemblée
nationale soit résolue à faire du français la langue
normale et habituelle du Québec, nous ne pouvons accepter que par
extension il devienne la langue exclusive de l'Etat et de la loi, étant
donné qu'une telle exclusivité ne peut, de par sa nature, exister
qu'au détriment d'un groupe culturel et linguistique minoritaire
établi de longue date au Québec.
Troisièmement, s'il convient dans le préambule de
remarquer que les observations qui y sont faites et les intentions qui y sont
exprimées "s'inscrivent dans le mouvement universel de revalorisation
des cultures nationales" il serait bon également de noter l'existence
d'un mouvement de revalorisation des cultures minoritaires inscrit à
l'Article 27 de la Convention internationale sur les Droits civils et
politiques de 1966 adoptée à l'unanimité par
l'Assemblée générale des Nations Unies le 16
décembre, 1966 et dont le texte suit: "Article 27
Dans les Etats où il existe des minorités ethniques,
religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces
minorités ne devront pas se voir refuser le droit qu'elles ont en commun
avec les autres membres de la collectivité de jouir de leur culture, de
professer et de pratiquer leur religion ou de se servir de leur langue."
Par conséquent, nous suggérons que le texte suivant soit
adopté comme préambule au projet de loi no 1 :
L'Assemblée nationale constate que la langue française
est, depuis toujours, la langue de la majorité francophone du peuple
québécois et que c'est elle qui permet à cette
majorité d'exprimer son identité.
L'Assemblée nationale reconnaît la volonté des
Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la
langue française; elle est donc résolue à faire du
français la langue commune à tous les Québécois et
la langue courante de l'Etat et de la loi, du travail, de l'enseignement et des
communications.
L'Assemblée nationale entend poursuivre cet objectif dans un
climat de justice et d'ouverture à l'égard des groupes
linguistiques et culturels non-francophones du Québec qui, en tant que
Québécois, ont le droit inaliénable de participer au
développement du Québec avec l'assurance de jouir de leur propre
culture et d'utiliser le,ur propre langue.
Ces principes s'inscrivent dans le mouvement universel de la
revalorisation des cultures nationales et de préservation des droits des
minorités ethniques, religieuses et linguistiques, qui confèrent
à chaque personne l'obligation morale d'apporter une contribution
particulière à la communauté nationale."
Sous cette forme amendée, le préambule reflète de
façon plus généreuse l'esprit et les aspirations des
Québécois sans distinction de religion, de langue ou d'origine
ethnique.
TITRE PREMIER
STATUT DE LA LANGUE FRANÇAISE
CHAPITRE I LA LANGUE OFFICIELLE DU QUÉBEC Article
premier. Comme son nom l'indique, la loi sur la langue officielle ("loi
22") avait comme objet d'établir une langue officielle au Québec.
Le projet de loi no 1 cherche plutôt, et c'est à nos yeux une
intention plus louable, à constituer une charte de la langue
française. Il est donc possible de supprimer l'une des objections de
principe qui ont été soulevées par la loi 22 qui, en
instaurant une langue officielle reléguait implicitement la langue et la
culture de la population anglophone du Québec à une place de
deuxième ordre et érigeait ainsi un obstacle émotionnel
malencontreux. A notre avis, ceci aurait pu être évité avec
la poursuite de l'objectif réel de la loi qui était d'assurer
à la langue française la primauté, émanant de
l'histoire, qui lui revient de droit. Pour atteindre ce but, il n'était
pas nécessaire d'instaurer une langue officielle et dans le projet de
loi no 1 le besoin s'en fait encore moins sentir étant donné
qu'il ne s'agit pas là d'un des principes exprimés en
préambule. Faire du français la langue commune à tous les
Québécois est un objectif qui reçoit l'assentiment de
tous, mais c'est un résultat qui doit être la conséquence
naturelle du statut opérationnel conféré à la
langue par le projet de loi et non pas recherché par la réduction
implicite de l'anglais au statut de langue d'une faction.
Nous suggérons donc que l'Article premier corresponde au texte
amendé du préambule qui figure plus haut, et prenne la forme
suivante: "Article 1. Le français est la langue courante de
l'État, de la loi, du travail, de l'enseignement et des communications
et c'est la langue commune à toutes les personnes résidant au
Québec." et que l'expression "langue officielle" soit remplacée
par "le français" dans la totalité du texte du projet de loi.
CHAPITRE II
DROITS LINGUISTIQUES FONDAMENTAUX Article 2. L'absence de
définition du mot "Québécois" crée la
possibilité de malentendus et introduit une limitation inutile. Les
droits civils énoncés au Chapitre II doivent être
accordés à toutes les personnes. Par conséquent, dans
l'Article 2, le mot "Québécois" devrait être
remplacé par le mot "personne". Article 4. Le projet de loi
devrait reconnaître qu'en nombre de cas, par exemple radiodiffusion en
anglais et en langues étrangères, relations publiques et
publicité, journalisme et édition, pour ne nommer que les plus
évidents, le caractère même de l'entreprise exige de ses
employés qu'ils exercent leurs activités en anglais ou dans une
autre langue. Il faudrait donc modifier l'article 4 de manière à
ce qu'il soit ainsi conçu: "4. Les travailleurs ont le droit fondamental
d'exercer leurs activités en français à moins que le
caractère, la forme ou la taille de l'entreprise n'exigent qu'il en soit
autrement."
Article 6. Le mot "personne" devrait remplacer le mot
"Québécois" pour les raisons invoquées au sujet de
l'Article 2.
CHAPITRE III
LA LANGUE DE LA LÉGISLATION ET DE LA JUSTICE Articles 7
à 11. Il existe un doute suffisant quant à la
constitutionnalité de ces articles à la lumière de
l'article 133 de l'acte de l'Amérique du Nord britannique pour que leur
présence puisse être contestée sur ce seul point. Mais, et
c'est plus important encore, l'existance fondamentale au Québec d'une
minorité non francophone plus importante en nombre que la population de
plusieurs des provinces canadiennes s'oppose impérativement à
l'adoption de mesures qui représentent une rupture abrupte avec les
pratiques antérieures. Le contexte de la société
québécoise milite en faveur d'assurer aux législateurs
anglophones une participation pleine et entière au processus
législatif et assurer aussi une compréhension totale par les
administrés anglophones de la teneur et de la portée des lois qui
les régissent.
L'Article 7 devrait donc être rédigé comme suit:
"Article 7. Sous réserve des autres dispositions de ce chapitre, le
français est au Québec la langue courante de la
législation, de la justice et des organismes exerçant des
fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires".
et les Articles 8, 9 et 10 devraient, comme loi du Québec,
réitérer les principes de l'Article 133 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique.
L'article 11 devrait reconnaître le fait que les personnes morales
sont toujours représentées par des particuliers qui parlent en
leur nom. Nous ne pouvons voir aucune justification à un abandon des
précédents qui pourrait créer une inégalité
de fait au détriment des petites et moyennes entreprises et aux
exploitations familiales anglophones, en imposant le consentement de toutes les
parties à l'instance comme préalable au droit de leurs
représentants de plaider en anglais. Dans un même temps, nous
reconnaissons qu'il est désirable dans le contexte de ce projet de loi
de consacrer le droit fondamental de plaider en français mais ce droit
fondamental n'a pas à limiter le droit fondamental de plaider en anglais
qui existe en contrepartie.
Ainsi l'Article 11 devrait être rédigé de la
façon suivante: "Article 11. Toutes les personnes ont le droit
fondamental de s'adresser en français aux tribunaux et aux organismes
exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires et de plaider
devant eux verbalement ou par écrit dans cette langue. Toutefois, cet
article ne pourra pas être invoqué pour limiter le droit d'une
personne de s'adresser à ces tribunaux et organismes en anglais et de
leur présenter dans cette langue des plaidoiries verbales ou par
écrit".
Article 13. Le maintien de la dernière phrase de cet article ne
servirait pas au mieux les intérêts de l'administration de la
justice. Les tribunaux et les organismes judiciaires ou quasi-judiciaires sont
les dépositaires ultimes de la protection des droits individuels et
collectifs et rien ne doit être fait qui pourrait d'une façon ou
d'une autre entraver leur mission. Un jugement rendu en anglais devrait
être interprété dans cette langue, sinon les droits des
parties affectées pourraient être, par traduction,
déterminés d'une façon différente de celle entrevue
par l'autorité rendant le jugement. La dernière phrase devrait
être purement et simplement supprimée.
CHAPITRE IV
LA LANGUE DE L'ADMINISTRATION
Articles 14 à 16. Dans sa forme actuelle, le texte de ces
articles reflète la philosophie exprimée en page 35 du Livre
blanc: "II ne sera donc plus question d'un Québec bilingue".
Comme nous l'avons indiqué dans notre premier mémoire
relatif au Livre blanc nous considérons que le caractère absolu
de cette exclusion est injustifiable. Toutefois nous acquiesçons le
concept exprimé en page 34 du Livre blanc: "Le Québec que nous
voulons construire sera essentiellement français". mais cet objectif
peut être atteint sans avoir recours à l'exclusion statutaire de
l'emploi de l'anglais dans les communications entre l'administration et les
Québécois de langue anglaise.
Pour cette raison, des exceptions à la règle
générale devraient être incorporées au texte de la
loi.
Ainsi, l'Article 14 devrait permettre aux organismes municipaux et
scolaires qui administrent une population largement anglophone d'apposer une
version anglaise à leur dénomination française
reconnue.
De la même façon, les anglophones devraient pouvoir
recevoir en anglais et en français les textes et documents qui leur sont
adressés par l'administration, surtout si par textes et documents on
entend également les formules de déclarations de revenu, les
formules de sécurité sociale et autres documents essentiels du
même genre.
Pour les mêmes raisons, le bilinguisme devrait être
obligatoire en matière de santé ou de sécurité
publique.
Les Articles 14, 15 et 16 devraient être modifiés en
conséquence et conformément aux déclarations publiques
faites par le ministre d'état au développement culturel
promettant à toutes les personnes le droit de demander à
l'administration de communiquer avec elles en anglais, le chapitre IV devrait
comporter une disposition reconnaissant le droit fondamental de communiquer
dans les deux sens avec l'administration en français et en anglais.
Article 17. Conformément aux principes énoncés
ci-dessus, l'Article 17 devrait être modifié pour rendre
obligatoire, et non facultatif, l'envoi d'une traduction anglaise à
toute personne qui s'est adressée à l'administration dans cette
langue.
Article 22. Etant donné que l'affichage est un moyen de
communication, l'existence au Québec d'une importante minorité
anglophone, la situation géographique du Québec dans le contexte
nord-américain et l'importance de l'industrie touristique devraient
justifier une utilisation rationnelle, quoique sélective, de l'anglais
dans l'affichage.
Article 24. Cet article impose une restriction injustifiable.
L'industrie touristique du Québec dépend pour une large part
d'une clientèle anglophone. Ces touristes doivent pouvoir comprendre la
signalisation
routière, ne serait-ce que pour des raisons de
sécurité. Tant qu'une signalisation routière symbolique et
pictographique n'aura pas été adoptée et
éprouvée dans toute l'Amérique du Nord comme c'est le cas
en Europe, toute la signalisation routière devrait être en anglais
et en français.
CHAPITRE V
LA LANGUE DE CERTAINS ORGANISMES PARAPUBLICS
Article 25. Si l'intention de cet article est de bannir l'utilisation de
l'anglais par les organismes en question (et nous espérons que ce n'est
pas le cas) cela supprimerait le droit des anglophones de recevoir en anglais
les services essentiels des organismes parapublics même dans le cas
où cette pratique est courante. Pour éliminer toute
imprécision nous proposons pour l'Article 25 le libellé suivant:
"Article 25. Chaque personne a le droit d'être servie en français
par les services de santé, les services sociaux, les entreprises
d'utilité publique et les ordres professionnels. Ces organismes
parapublics doivent s'adresser en français à
l'administration."
Article 27. Cet article impose une restriction injustifiée
étant donné que la plupart des ordres professionnels comptent
parmi leurs membres un nombre important d'anglophones. Les ordres
professionnels devraient pouvoir continuer à traiter comme par le
passé avec leurs membres dans les deux langues, et en ce qui concerne
leurs relations avec le public, les dispositions de l'Article 25 rendent
l'article 27 superflu. Cet article devrait être supprimé.
Article 29. Considérant nos commentaires sur l'Article 27, cet
article devrait permettre aux ordres professionnels d'adjoindre une version
anglaise à leur dénomination française quand ils comptent
parmi leurs membres un nombre important d'anglophones.
Articles 30 à 32. Si le Québec et en particulier
Montréal veulent conserver à l'échelle nationale et
internationale la place qu'ils occupent dans le monde des affaires et si les
petites et moyennes entreprises du Québec, dont l'état encourage
le développement, ne veulent pas être cantonnées aux
limites géographiques du Québec, la mobilité du personnel
de direction et des professionnels doit être un fait acquis. De par sa
complexité, notre société exige les services d'un nombre
sans cesse croissant de professionnels de toutes catégories, des
ingénieurs aux médecins en passant par les infirmières.
Nous croyons que le Québec doit essayer par tous les moyens possible
d'encourager la formation professionnelle au Québec mais aussi d'attirer
des professionnels de l'extérieur de la province. Pour ces raisons et
particulièrement si l'on considère la situation des sièges
sociaux et autres activités commerciales qui dépassent les
frontières, ou encore dans le cas des universités et des centres
de recherche, les exigences linguistiques dont il est fait état à
l'Article 30 ne devraient pas s'appliquer aux professionnels qui n'offrent pas
leurs services au grand public et de toute façon les dispositions de
l'Article 32 devraient être libéralisées en supprimant la
dernière phrase du deuxième paragraphe en en laissant à la
discrétion des ordres professionnels le renouvellement des permis
temporaires sans qu'il soit nécessaire de le justifier par la notion
abstraite et indéfinissable de l'intérêt public. Les ordres
professionnels ont été investis de la responsabilité de
déterminer les critères d'admissibilité et de
réglementer l'activité de leurs membres dans le cadre des
professions. Il est raisonnable de supposer qu'en tant qu'organismes
compétents, ils agiront dans l'intérêt du public sans qu'il
soit nécessaire de stipuler cette obligation dans un domaine
particulier.
Pour tout le moins, l'Article 32 devrait être parachevé par
l'adjonction de dispositions similaires à celles contenues à
l'Article 23 de la "loi 22" de façon à faciliter les transferts
de personnel professionnel dans les situations où les
intéressés ne traitent pas directement avec le public.
CHAPITRE VI
LA LANGUE DU TRAVAIL
Article 35. Pour les mêmes raisons, les changements
recommandés pour l'Article 13 devraient être incorporés
dans cet article.
Article 36. Bien que nous comprenions le but de l'Article 36, celui-ci
présente trois difficultés qui doivent être
résolues:
Premièrement, l'interdiction dont il est fait état
à l'Article 36 ne devrait pas s'appliquer dans le cas d'un
employé qui a obtenu son emploi, dans les circonstances décrites
à l'Article 37, grâce à sa connaissance d'une lange autre
que le français et qui, par la suite, serait incapable de confirmer ses
connaissances ou refuserait d'utiliser cette autre langue.
Deuxièmement, aucun fardeau de preuve ne devrait être
stipulé par la loi. La question de savoir si la connaissance d'une autre
langue est nécessaire à l'exécution d'une tâche est
une question de fait qui doit être jugée dans le contexte des
conditions particulières en cause. Une loi comme celle-ci devrait
marquer sa confiance dans la bonne foi des administrés.
Troisièmement, nous ne croyons pets que les dispositions du Code
du travail qui traitent des activités syndicales aient quoi que ce soit
en commun avec les situations envisagées dans cet article et les
personnes rendant les décisions relatives au Code du travail n'auraient
pas dans cet autre domaine la compétence voulue.
Nous croyons que les problèmes posés par le texte actuel
de l'Article 36 pourraient être résolus par l'adoption du
libellé suivant: "Article 36. Un employé ne pourra pas être
congédié ou rétrogradé pour la seule raison qu'il
ne parle que le français ou qu'il ne connaît pas suffisamment une
langue autre que le français, à moins que la nature de ses
fonctions n'exige une connaissance de cette autre langue. Un employé qui
a été congédié ou rétrogradé en
contravention avec les dispositions du paragraphe précédent
pourra faire valoir ses droits en saisissant de sa cause la Cour
supérieure du district dans lequel se trouve sa résidence, soit
personnellement, soit par l'entremise de l'Office de la langue française
si, sur demande et après enquête et audition des parties en cause,
cet organisme considère qu'il y a eu contravention aux dispositions de
cet article. Dans le cas où cela est justifié le tribunal aura le
pouvoir d'ordonner la réintégration du demandeur dans son emploi
et de fixer les dommages-intérêts.
Les recours prévus à cet article ne peuvent être
portés qu'après l'autorisation préalable d'un juge de la
Cour supérieure conformément aux Articles 834 à 837 du
Code de procédure civile."
Article 37. Nous n'acceptons pas que l'Office de la langue
française soit investi, par son pouvoir de réglementation, du
droit de déterminer la nécessité de la connaissance d'une
langue autre que le français pour l'exécution d'une tâche
donnée. D'abord pour une question de principe: la loi devrait être
contenue dans le texte principal et non, comme c'était le cas dans la
"loi 22", dans les règlements d'application. Deuxièmement pour
une raison pratique: il est impossible à toutes fins utiles d'incorporer
dans un texte législatif toutes les nuances et les subtilités qui
pourraient jouer un rôle-clé dans l'évaluation, par
exemple, du degré et de l'étendue de la connaissance d'une langue
autre que le français qui est nécessairement pour un emploi
donné. Cette question est une question de fait et ne peut pas être
considérée autrement.
Par conséquent, l'expression "conformément aux
règlements adoptés à cet effet par l'Office de la langue
française" devrait être éliminée du texte de
l'Article 37.
Article 38. Pour éviter toute possibilité d'effet
rétroactif, nous suggérons que l'Article 38 ne s'applique
expressément qu'aux actes juridiques, décisions et autres
documents établis ou rendus après l'entrée en vigueur de
la loi.
Article 39. Considérant que certaines associations de
salariés du Québec comptent parmi leurs membres un nombre
important d'anglophones nous pensons que, pour éliminer tout malentendu,
cet article autorise expressément les associations à communiquer
en anglais avec les employés anglophones. Par conséquent, la
formule suivante devrait être ajoutée à la fin de l'Article
39: "..., mais cet article ne pourra pas être invoqué pour
empêcher une association d'utiliser, outre le français, l'anglais
dans les communications adressées à ses membres."
Article 40. Non seulement cet article est superflu, en plus il
présente des risques à la fois pour les employeurs et pour les
employés. Cet article a pour effet d'assujettir l'administration des
articles précédents aux mécanismes d'arbitrage
prévus par les conventions collectives. De ce fait, des
médiateurs, ignorant les complexités nouvelles introduites par la
législation linguistique, seront amenés à se prononcer
dans le cadre d'actes sous seing privé sur des différends, qui
devraient rester la prérogative du droit public et, en vertu de
l'Article 81 du Code du travail, les décisions pourront avoir le
même effet qu'une injonction. L'administration du droit public devrait
rester l'exclusivité des tribunaux et, en tout état de cause, le
mécanisme suggéré plus haut pour assurer le respect des
principes énoncés à l'Article 36 diminue la
nécessité d'établir une jonction précise entre les
conventions collectives et la législation linguistique.
Par conséquent, cet article devrait être
supprimé.
CHAPITRE VII
LA LANGUE DU COMMERCE ET DES AFFAIRES
Nous percevons dans ce chapitre une extension de l'application de la
philosophie exprimée en page 34 du Livre blanc: "Le Québec que
nous voulons construire sera essentiellement français. Le fait que la
majorité de sa population est française y sera enfin nettement
visible: dans le travail, dans les communications, dans le paysage".
Cependant, la poursuite de cet objectif, que nous partageons, ne doit
pas employer une méthode qui ne tiendrait pas compte de l'existence au
Québec d'une importante minorité non francophone ou de la
nécessité pour les entreprises du Québec de traiter avec
cette minorité et de mener leurs activités dans le contexte plus
large de l'Amérique du Nord.
Article 41. Cet article illustre bien nos préoccupations.
Dans ses deux premiers paragraphes, il exprime un principe
général à la fois louable et équitable.
Mais le troisième paragraphe soulève la question de savoir
si l'usage d'autres langues ne sera autorisé que par voie d'exception
à l'usage obligatoire du français. Nous espérons que ce
n'est pas le cas.
Par exemple, bien que l'obligation de bilinguisme dans
l'étiquetage et pour les modes d'emploi soit onéreuse, c'est un
facteur de commercialisation largement accepté. L'obligation de fournir
séparément un étiquetage et un libellé des modes
d'emploi en français exclusivement de façon à pouvoir
commercialiser au Québec des produits vendus dans tous les pays
éliminerait les économies d'échelle permises par le
bilinguisme. On peut s'attendre comme résultat à une disparition
de ces produits sur le marché québécois ou à une
augmentation de leur prix.
La sélection des biens et services qui peuvent être offerts
dans les deux langues sera un processus extrêmement difficile à
mettre en place et ses résultats ne seront jamais définitifs.
C'est donc un des domaines dans lesquels, comme nous l'avons recommandé
dans notre mémoire sur le Livre blanc, le bilinguisme devrait être
conservé. Par conséquent, le dernier paragraphe de l'Article 41
devrait être remplacé par la formule suivante: "L'utilisation de
l'anglais ou d'autres langues est permise à condition que le
français domine ou à tout le moins figure de façon aussi
évidente que toute autre langue".
Article 42. Voilà un autre article pour lequel le pouvoir de
réglementation de l'Office n'est pas nécessaire. Les
règlements d'application de la "loi 22" et les précédents
qu'ils ont créés devraient permettre de spécifier les
exceptions dans le texte de la loi en particulier en ce qui a trait à
l'Article 4 du règlement relatif à l'affichage public et aux
annonces publicitaires écrites (A.C. 278-76, 28 janvier 1976).
Article 43. Nous pensons que cet article a été
suffisamment critiqué dans la presse comme un exemple d'excès
législatif pour que nous n'ayons rien à ajouter de nouveau. Nous
recommandons que cet article soit supprimé.
Article 46. Nous percevons le but recherché par cet article mais
nous pensons qu'il est contraire à l'intérêt du public de
restreindre en Amérique du Nord l'affichage à un contenu
exclusivement français. Pourquoi empêcher l'homme d'affaires du
Québec d'utiliser l'anglais dans l'affichage (même si par ailleurs
il utilise le français) et le couper ainsi de sa clientèle
anglophone du Québec, du reste du Canada et des Etats-Unis?
Montréal, en particulier, se trouve à un carrefour
d'échanges en Amérique du Nord et constitue un "centre d'achat"
pour la population mobile et avide de biens de consommation des régions
avoisinantes de l'Ontario et des Etats de New-York, du New-Hampshire, du
Vermont et du Maine. L'emploi de nombreux Québécois dépend
en grande partie de ce commerce et rien ne devrait être fait pour le
gêner. L'exception prévue dans le texte actuel de l'Article 46 et
portant sur les messages destinés aux étrangers ne résoud
pas le problème étant donné que l'affichage n'est pas
destiné spécifiquement aux étrangers et ne peut pas
l'être.
L'Article 46 devrait être remplacé par le texte suivant:
"Article 46. Sous réserve des exceptions prévues dans cet article
les textes utilisés dans l'affichage ou exposés à la vue
du public doivent, au Québec être rédigés en
français ou à la fois en français et dans une autre
langue. Cet article ne s'applique pas:
(a)aux messages de caractère international;
(b)aux messages destinés à des personnes ne parlant pas le
français, à des particuliers en tant que tels ou à des
groupes restreints;
(c)aux messages destinés à des organes d'information
diffusant dans une langue autre que le français;
(d) aux marques de commerce et appellations commerciales correspondant
à la définition donnée dans la loi sur les marques de
commerce (SRC 1970 Ch. T-10);
(e)aux patronymes, toponymes, expressions formées par la
combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de chiffres et expressions
tirées d'autres langues, ni
(f) à l'affichage exempté de l'effet de cet article par
règlement du gouvernement.
Toutes les fois qu'une langue autre que le français est
utilisée dans l'affichage visé par cet article, le texte
français doit dominer ou à tout le moins figurer d'une
façon aussi évidente que cette autre langue".
Article 49. Cet article contredit l'Article 50. L'Article 50 indique
quels mots peuvent être utilisés mais n'assortit pas cette
permission d'une dérogation à l'Article 49. De plus, nous ne
pouvons trouver aucune justification à empêcher une entreprise
d'avoir une version officielle de sa raison sociale en anglais ou dans toute
autre langue. L'Article 49 devrait être remplacé par le
libellé suivant: "Article 49. Sous réserve des dispositions de
l'Article 50, la personnalité juridique ne peut être
conférée à moins que la raison sociale soit en langue
française; la raison sociale pourra, néanmoins, être
accompagnée d'une version anglaise."
Article 50. Les exceptions prévues par l'Article 50 devraient
toutes figurer dans le texte et aucune ne devrait être laissée
à l'appréciation de l'Office de la langue française.
Ainsi, les dispositions du premier paragraphe de l'Article 50 devraient
être élargies pour comprendre, par exemple, les marques de
commerce et les appellations commerciales et l'expression "ou aux
règlements de l'Office de la langue française" devrait être
supprimée.
Le deuxième paragraphe de l'Article 50, s'il est conservé
sous sa forme actuelle, créera une situation impossible. Une entreprise
ne pourrait pas utiliser la version anglaise de sa raison sociale dans
l'affichage même si par ailleurs, l'utilisation de l'anglais y est
autorisée, ni même par exemple dans une lettre postée
à Montréal et destinée à New-York étant
donné que la simple rédaction de la lettre implique l'utilisation
de la raison sociale dans une autre langue.
Exiger des entreprises qu'elles possèdent un stock distinct de
papeterie et de formules bilingues ou anglaises pour l'extérieur du
Québec et n'utilisent au Québec que leur raison sociale
française et un autre exemple d'excès législatif qui ne
manquera pas d'entraîner du gaspillage, des tracas administratifs et une
foule de contraventions accidentelles à la loi. Le deuxième
paragraphe de l'Article 50 devrait être remplacé par le texte
suivant: "La raison sociale française d'une entreprise doit être
utilisée au Québec; elle peut être accompagnée d'une
version dans une autre langue sous réserve que le français domine
ou à tout le moins figure d'une façon aussi évidente que
toute autre langue."
CHAPITRE VIII
LA LANGUE D'ENSEIGNEMENT
La langue d'enseignement est intimement liée au sujet de ce
mémoire. Les caractéristiques de l'enseignement constituent un
élément fondamental de la structure sociale au sein de laquelle
les entreprises du Québec évoluent, qu'on le considère
sous l'angle de la formation des jeunes qui, à la fin de leurs
études, deviendront des participants à part entière de la
vie économique du Québec ou qu'on le considère dans
l'optique plus étroite de l'influence que le système
d'enseignement du Québec aura sur l'immigration et sur la
mobilité du personnel des entreprises à tous les échelons
et par là même sur la viabilité des entreprises du
Québec.
Toute position prise quant à la langue d'enseignement ne peut
ignorer ni la situation du Québec dans le contexte canadien et
nord-américain, ni le rôle de langue commerciale essentielle que
l'anglais joue dans ce contexte, ni encore la réalité
fondamentale du contexte économique mondial qui impose dans une certaine
mesure (et non pas de façon absolue ou universelle) l'utilisation et la
connaissance de l'anglais qui est pour certains Québécois, sinon
tous, une nécessité économique, suivant leur lieu de
résidence et la nature de leur travail.
Plus fondamentalement, tout en reconnaissant la nécessité
de protéger et de promouvoir la langue française, quelle que
puisse être la décision collective de la majorité
francophone au Québec quant à l'exercice de ses propres droits
linguistiques, cette décision ne devrait pas gêner la
liberté essentielle des parents de décider dans quelle langue
l'enseignement sera donné à leurs enfants.
Le principe est consacré au paragraphe 3 de l'Article 26 de la
Déclaration universelle des droits de l'Homme qui stipule que: "3. Les
parents ont un droit antérieur de choisir le genre d'enseignement qui
sera donné à leurs enfants."
On peut déplorer le fait que ce droit n'ait pas été
reconnu ailleurs au Canada. C'est un droit qui devrait être
respecté universellement dans ce pays et comme il a été
reconnu au Québec ainsi qu'en font foi les antécédents
historiques, du moins jusqu'à la promulgation de la "loi 22", il devrait
être rétabli et le caractère universel de la langue de la
majorité du Québec devrait provenir d'un phénomène
d'attraction plutôt que d'une imposition.
Ainsi, la liberté de choix que recommendait le rapport de la
Commission Gendron devrait être la règle adoptée dans cette
loi.
Si cela ne peut être accompli, à tout le moins les portes
de l'enseignement en langue anglaise devraient être ouvertes à
tous les enfants qui reçoivent déjà l'enseignement en
anglais lors de la promulgation de la loi, à tous les enfants
installés au Québec avant la promulgation de la loi, et à
tous les
enfants qui arriveront par la suite en provenance du reste du Canada ou
d'un pays étranger de langue anglaise. En fait, il faut
reconnaître que la plupart des immigrants sont venus au Québec
sans connaître l'existence ou la nature de la législation en
matière de langue. Les immigrants futurs venant de pays non anglophones
devront par conséquent en être informés au moment où
ils demanderont leur visa d'entrée canadien.
Le milieu de l'enseignement et l'accès à l'école
anglaise sont des éléments clés de la capacité des
entreprises, des universités et des centres de recherche du
Québec à recruter dans le reste du Canada et aux Etats-Unis le
personnel qualifié dont ils ont besoin.
Ceci prend une importance particulière dans le cas des
sièges sociaux des entreprises nationales ou multinationales
établis au Québec, mais c'est également important en ce
qui concerne le développement local des entreprises et des installations
de recherche technologique. En Amérique du Nord, leur croissance et leur
développement ne peut se poursuivre que s'il n'existe aucune entrave
à la mobilisation des compétences et des qualifications quelle
que soit leur origine.
Si l'on veut atteindre l'objectif de francisation auquel la loi vise,
l'enseignement du français dans les écoles anglaises doit
être encouragé au maximum et si les Québécois de
langue française veulent bénéficier comme leurs
collègues anglophones de la même mobilité et avoir
accès à la même formation et à la même
expérience dans d'autres centres commerciaux de l'Amérique du
Nord et du reste du monde, l'enseignement de la langue anglaise doit être
généralisé dans le système scolaire francophone. En
tant que Québécois, nous croyons que les enfants de parents
francophones devraient même si on leur refuse le libre choix de
l'enseignement (ce que nous ne pouvons que regretter) avoir un accès au
moins partiel à l'enseignement anglais étant donné que les
deux groupes linguistiques en retireraient des avantages importants.
La loi devrait ainsi sur la justification de principe fondamental
demander d'une manière constructive que l'enseignement de la langue
française soit universalisé dans le système d'enseignement
anglophone au lieu de le faire d'une façon négative par l'article
57, et la loi devrait faire état du droit fondamental, de ceux qui
reçoivent l'enseignement dans le système francophone, à
l'enseignement de l'anglais et à un accès limité aux
écoles anglaises.
Enfin, les dispositions relatives à l'enseignement privé
devraient être rationalisées. Article 51. Le premier
paragraphe de l'article 51 devrait être complété par une
confirmation du droit à l'enseignement de l'anglais par l'adjonction de
la phrase suivante: "Tous les enfants qui, conformément à cet
article reçoivent l'enseignement en français, ont le droit
fondamental sur demande de leur père et de leur mère de recevoir
un enseignement de l'anglais suffisant pour leur permettre d'obtenir une
connaissance fonctionnelle de cette langue; lorsqu'un enfant est à la
garde d'un seul de ses parents ou d'une autre personne, la demande
susmentionnée au présent article doit être faite par ce
parent ou par cette personne, selon le cas".
Le texte actuel des articles 51 et 52 pourrait constituer un vice de
forme étant donné qu'il ne précise pas dans quels
établissements sera donné l'enseignement dans les situations
permises par l'article 52. De plus, le texte actuel n'offre aucune protection
à l'enseignement en anglais donné par les écoles
privées. De façon à contourner cette difficulté
sans avoir à demander aux contribuables du Québec de
subventionner l'enseignement privé en langue anglaise pour ceux qui
devraient normalement recevoir l'enseignement en français, nous
suggérons l'inclusion d'un nouvel article 51A dans les termes suivants:
"Article 51A. Nonobstant les dispositions de l'article 51, l'enseignement
pourra être donné en anglais dans les écoles maternelles,
primaires et secondaires:
(i) qui donnent un enseignement général en anglais
à des enfants pour qui il est permis en raison de l'article 52;
(ii) qui sont régis par la loi de l'enseignement privé et
qui donnent un enseignement général en anglais, mais, dans le cas
de ces établissements on ne devra pas dans le calcul des subventions
envisagées aux articles 14 et 17 de la loi de l'enseignement
privé et affectées également par les dispositions de
l'article 21 de la même loi, tenir compte des élèves qui
les fréquentent si ceux-ci ne sont pas, par ailleurs, admis à
recevoir l'enseignement en anglais aux termes de l'article 52". Article
52. Pour les raisons que nous avons avancées plus haut dans nos
commentaires préliminaires sur ce chapitre, nous croyons que le texte de
l'article 52 devrait être remplacé par celui qui suit: "Article
52. Par dérogation à l'article 51, les enfants suivants peuvent
recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et
de leur mère". a) tous les enfants qui, à la date d'entrée
en vigueur de la présente loi sont domiciliés au Qué-
bec et dont le père ou la mère a reçu en majeure
partie l'enseignement élémentaire en anglais, au Québec ou
ailleurs; b)tous les enfants arrivant au Québec après
l'entrée en vigueur de la présente loi et provenant d'un autre
province ou d'un autre territoire du Canada ou de leur pays d'origine où
l'anglais est la langue de la majorité des nationaux; c)tous les enfants
qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi, reçoivent
l'enseignement en anglais, au Québec; d)tous les enfants qui sont
eux-mêmes, ou dont les parents sont venus au Québec en provenance
d'une autre province ou territoire du Canada ou d'un autre pays, avant
l'entrée en vigueur de cette loi.
Le droit d'un enfant à l'enseignement anglais en raison de cet
article s'étendra à ses frères et soeurs, y compris ceux
à naître, qu'ils soient ou non domiciliés au Québec
à l'entrée en vigueur de la présente loi.
Les enfants qui ne sont pas visés aux alinéas (a), (b),
(c) ou (d) de cet article, pourront à la demande de leur père et
de leur mère recevoir une partie de leur enseignement en anglais dans un
établissement mentionné à l'article 51A aux
époques, pour les périodes et aux conditions établies par
règlement du gouvernement.
Lorsqu'un enfant est confié à la garde d'un seul de ses
parents ou d'une autre personne, les demandes prévues au présent
article doivent être faites par ce parent ou cette personne, selon le
cas.
Article 54. Considérant les dispositions de l'article 55, il se
pourrait que l'article 54 soit redondant et, en tout état de cause,
aucune limite temporelle ne devrait être imposée pour
vérifier l'admissibilité accordée par l'article 52.
Article 55. La décision de la commission d'appel dont il est
question dans cet article devrait ouvrir droit à un appel en Cour
d'appel étant donné qu'il peut s'agir d'interprétation
juridique de points complexes et que les droits des enfants et leur avenir sont
en jeu.
Article 57. Pour les raisons énoncées dans les remarques
préliminaires de ce chapitre, le texte de l'article 57 devrait commencer
par la phrase suivante: "Chaque enfant recevant au Québec l'enseignement
en anglais a le droit fondamental de recevoir un enseignement en
français de qualité, complet et suffisant pour lui permettre de
participer à part entière à la vie culturelle et
linguistique du Québec; et le gouvernement devra, par voie de
règlement, faire en sorte que les programmes d'enseignement du
ministère de l'Education et le personnel et les installations des
organismes scolaires donnant un enseignement général en anglais
soient adéquats pour atteindre cet objectif."
Article 58. Si les dispositions de la loi sont modifiées dans la
ligne suggérée ci-dessus, cet article est inutile. S'il est
conservé, son texte devra être modifié sinon l'article 52
ne pourra pas s'appliquer aux personnes auxquelles il est destiné.
Dans ce cas, les dispositions de l'article 58 devraient prendre la forme
suivante: "Article 58. Aux conditions fixées par règlement du
gouvernement le ministre de l'Education pourra, sur demande, faire que les
dispositions de l'article 52 s'appliquent à tout enfant
séjournant au Québec pour un temps limité ne
dépassant pas cinq (5) ans à partir de la fin de l'année
de son entrée au Québec."
CHAPITRE IX
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 61. Cet article est en conflit avec l'intention implicite des
dispositions du chapitre IV et en tout état de cause si elle est mise en
pratique, la publication unilingue des avis de l'administration créera
une privation de fait à l'égard de ceux qui n'auront pas encore
acquis une connaissance suffisante du français pour leur permettre de
comprendre ces avis.
Le but des avis publics est d'informer le public qui, au Québec
comprend une importante minorité anglophone ainsi qu'une population
anglophone de passage. Aucune dérogation ne devrait être permise
aux dispositions qui cherchent à protéger les droits des
administrés. Si un préjudice quelconque était porté
par cet article à la vie, à la sécurité ou à
la propriété de quiconque, ce serait là un résultat
malheureux et beaucoup trop onéreux.
Cet article devrait être éliminé. Article 65. Nous
croyons que les dispositions de la "loi 22" prévoyant un préavis
de publication des
projets de règlement de quatre-vingt dix (90) jours devrait
être conservé de façon à laisser du temps pour les
discussions publiques et les débats de l'Assemblée nationale.
TITRE II
L'OFFICE DE LA LANGUE FRANÇAISE ET LA FRANCISATION
Nous sommes considérablement alarmés par la
création, avec des pouvoirs et une autorité très
élargis, de l'Office de la langue française successeur de
l'émanation de la "loi 22", la Régie de la langue
française.
Jamais auparavant dans l'histoire du Québec a-t-on vu pareil
pouvoir immense et débridé confié à la fonction
publique avec une absence presque totale de la possibilité d'interjeter
appel.
Outre les pouvoirs précis accordés à l'Office en
raison de l'article 75 du projet de loi, l'Office a été investi,
entre autres, des pouvoirs suivants: a) Pouvoir en raison des articles 23 et 99
d'intervenir en matière de langue dans l'administration interne des
organismes scolaires et municipaux sans avoir à s'en
référer aux ministères directement responsables de
l'administration de ces organismes. En fait, l'autorité statutaire des
ministres de la Couronne responsables devant l'Assemblée nationale est,
en matière de langue (avec toutes les répercussions directes ou
indirectes que cela pourrait avoir sur la nature et la qualité des
services offerts par ces organismes scolaires et municipaux et sur le
recrutement et la gestion de leur personnel), subordonnée à une
entité administrative qui n'a à répondre à
personne. b)Pouvoir de réglementation en raison de l'article 37,
confiant ainsi à une administration plutôt qu'à
l'Assemblée nationale la tâche d'établir une norme dont la
violation entraîne une sanction pénale (sur ce dernier point voir
plus loin nos commentaires sur les articles 163 et 164). c)Le pouvoir, en
raison des articles 41 à 43, 46 et 50, de réglementer
l'utilisation d'autres langues sans référence, là non
plus, à l'Assemblée nationale. d) Le pouvoir en raison de
l'article 76 (b) d'établir des services et comités sans
contrôle ni limite. e) Le pouvoir en raison des articles 81 à 86
de déterminer, sans responsabilité devant l'Assemblée
nationale, la forme et la structure de la langue française qui donne
ainsi à une unité administrative l'autorité de
déterminer le mode d'expression culturelle de la population francophone
du Québec. f) Pouvoir, par l'entremise de la Commission de toponymie de
transformer la nomenclature géographique du Québec sans avoir,
ici non plus, à en référer à l'Assemblée
nationale. g) Pouvoir en raison de l'article 95 de forcer la francisation de
l'administration et des entreprises. h) Pouvoir précis
conféré par les articles 96 à 105 de veiller à la
francisation de l'administration y compris l'autorisation de l'imposition de
sanctions civiles et pénales. i) Pouvoir de contrôler par
l'article 106 la délivrance des certificats de francisation et d'exercer
la vaste autorité définie aux articles 108, 111 et 116 à
119. j) Pouvoir, selon l'article 132 de demander à la Commission de
surveillance d'enquêter sur les entreprises.
Les divers pouvoirs énumérés à l'article 75
sont déjà plus que substantiels. Quand on y ajoute ceux dont la
liste figure ci-dessus et qui sont assortis du mécanisme de discipline
de la Commission de surveillance on assiste à la création d'un
dangereux précédent.
Une machine de ce genre aussi louable que soit sa mission de
protéger et de promouvoir la langue française au Québec
s'accompagne du danger réel que les pouvoirs dont elle est investie
puissent être utilisés à des fins moins louables ou que sur
la base de ce précédent des structures parallèles soient
mises en place dans d'autres domaines au point de miner dangereusement les
processus démocratique et parlementaire et les libertés civiles
elles-mêmes.
Les pouvoirs et l'autorité de l'Office doivent également
être pondérés dans le contexte de l'environnement
commercial du Québec et du Canada. En vertu de la "loi 22", les
entreprises devaient posséder un certificat de francisation pour "avoir
le droit de recevoir de l'administration publique (...) primes, subventions,
concessions ou avantages (...) ou pour conclure avec le gouvernement les
contrats (...)", mais selon les dispositions du projet de loi no 1, ce
certificat devient une condition préalable à leur exploitation.
Dans un milieu commercial où les entreprises sont déjà en
butte à une réglementation exagérée, l'adjonction
d'un nouveau pouvoir de réglementation qui en refusant à
l'entreprise son permis d'exploitation peut en fait l'obliger à fermer
ses portes, décourage au-delà de toute justification raisonnable
le développement d'initiatives commerciales.
Outre ce qui précède, l'institution de l'Office avec des
pouvoirs vastes et tentaculaires nécessitant un personnel bien plus
nombreux que celui qui est actuellement affecté à la Régie
de la langue française soulève une question fondamentale d'ordre
économique. Quels coûts supplémentaires seront
entraînés par l'expansion des pouvoirs de cette administration,
l'institution prévue d'une Commission de toponymie, de Commissions de
terminologie, de la Commission de surveillance et du Conseil consultatif de la
langue française? A une époque où le gouvernement
reconnaît expressément le besoin de restreindre les
dépenses publiques, nous sommes confrontés à un programme
visant à établir une entité bureaucratique de plus, vaste
et peut-être "surpeuplée", capable et même destinée
à dépenser des
millions de dollars, prélevés sur les contribuables qui
pourraient être utilisés à meilleur escient pour le
progrès économique de la province et pour favoriser l'emploi de
sa population.
Enfin, quels que soient les pouvoirs et l'autorité qui seront en
fin de compte, conférés à l'Office de la langue
française et aux autres commissions, conseils et comités
mentionnés plus haut, nous considérons qu'il est essentiel que
ces pouvoirs soient délimités de façon stricte et rigide
et que les décisions de l'un ou l'autre de ces organismes ouvrent droit,
dans la mesure où elles affectent les droits des particuliers, des
collectivités et des entreprises, à un recours en appel net et
précis devant les tribunaux.
Article 80. Cet article devrait décourager dans la
rédaction de rapports toute faiblesse propre à porter
préjudice aux particuliers et aux entreprises, la vérité
et la bonne foi devant être les pierres de touche de toute
évaluation. Cet article devrait être rédigé de la
façon suivante: "Article 80. Aucune action civile ne peut être
intentée en raison ou en conséquence de la publication partielle
ou intégrale des rapports faits par l'Office en vertu de la
présente loi ou la publication de résumés de ces rapports
mais rien dans le présent article ne pourra servir à limiter le
recours en droit de toute personne ayant subi un préjudice du fait que
le rapport ou résumé en cause contient une déclaration
touchant un fait important qui, au moment et dans les circonstances où
elle est faite, est fausse ou trompeuse, ou qui omet d'indiquer tout fait
important dont l'omission rend la déclaration fausse ou trompeuse."
SECTION III
LA RECHERCHE LINGUISTIQUE LES COMMISSIONS DE TERMINOLOGIE
Article 82. L'approbation du gouvernement devrait être une
condition préalable à l'institution de commissions de
terminologie étant donné que non seulement leur composition mais
aussi la rémunération de leurs membres, leur nombre et en
général leurs dépenses de fonctionnement devrait
être soumise à des contrôles précis.
Article 86, L'évolution de la langue ne devrait pas être
laissée à la seule discrétion de la fonction publique
quelle que soit sa compétence. Si le développement naturel de la
langue de la majorité francophone de la population du Québec doit
être dirigé, cela ne peut se faire qu'avec l'assentiment des
représentants élus du peuple. Par conséquent, la liste
visée à l'article 85 ne devra avoir un caractère officiel
qu'après son approbation par l'Assemblée nationale.
SECTION IV
LA COMMISSION DE TOPONYMIE Article 91. Voir le commentaire relatif
à l'article 86.
Article 93. Les noms approuvés par la Commission ne devraient
prendre un caractère officiel qu'après leur approbation par
l'Assemblée nationale.
CHAPITRE III
FRANCISATION DES SERVICES ET ENTREPRISES SECTION PREMIERE OBJECTIF
GÉNÉRAL
Article 95. Le texte de cet article est rédigé de
façon si générale qu'il peut être
interprété en contradiction avec la permission d'utiliser
d'autres langues, qui est accordée ailleurs dans le projet de loi et qui
est recommandée par ce mémoire. Par conséquent, le premier
paragraphe de l'article 95 devrait être remplacé par la formule
suivante: "Article 95. L'Office a pour responsabilité de veiller
à ce que le français devienne le plus tôt possible la
langue courante des communications et du travail dans l'administration et les
entreprises opérant au Québec."
SECTION II SERVICES ET ORGANISMES DE L'ADMINISTRATION
A condition que les autres recommandations contenues dans ce
mémoire soient acceptées, nous n'avons aucun commentaire
précis à formuler sur les articles 96 à 105.
SECTION III PROGRAMMES ET CERTIFICATS DE FRANCISATION
Article 106. Fixer à 50 employés le seuil d'application de
cet article aux entreprises pourrait bien être la preuve d'un manque de
réalisme. Comme nous l'avons soutenu dans notre premier mémoire
sur le Livre blanc, nous croyons que pour les petites entreprises le coût
de la francisation, mesuré tant en valeur absolue que sous l'angle de
ses effets négatifs sur les opérations, aura des
conséquences économiques préjudiciables à leur
avenir. Il est ironique que l'on veuille imposer à ces entreprises un
fardeau administratif et financier supplémentaire alors que le
gouvernement s'est donné comme objectif d'encourager leur
développement. Par conséquent, nous suggérons que ce seuil
soit porté à 500 employés. Cela aurait comme effet
secondaire de réduire le champ d'activité de l'Office de la
langue française et de diminuer les dépenses se rapportant
à ses activités. Pour les raisons avancées dans nos
remarques initiales sur ce titre II, il est essentiel que le mot "permis" soit
supprimé dans le paragraphe (a) de cet article.
Le paragraphe (b) de cet article évoque la possibilité que
les entreprises qui ne sont pas en possession d'un certificat de francisation
ne pourront acheter (et non pas seulement vendre) des biens et services aux
organismes cités dans ce paragraphe. Ainsi, outre les autres sanctions
prévues par la loi, auxquelles elles s'exposent, les entreprises en
contravention ne pourraient pas acheter leur électricité
auprès de l'Hydro-Québec. Nous pensons que ce paragraphe devrait
être modifié pour éliminer cette interprétation
possible.
Article 107. Nous croyons que l'échéancier implicitement
établi à l'article 107 manque de réalisme et nous
suggérons que la date employée soit celle qui figure à
l'article 95.
Article 109. Considérant notre recommandation que soit
porté à 500 employés le seuil d'exigibilité du
certificat de francisation, le dernier paragraphe de cet article devrait
être remplacé par le texte suivant, sous réserve des
remarques qui le suivent: "Le gouvernement peut, de la même façon,
adopter des critères permettant de reconnaître les entreprises
comme appartenant à la catégorie des entreprises de cinq cents
employés ou plus et, à cette fin, définir les expressions
"entreprise" et "salarié".
En remarque générale à cet article, nous devons
souligner qu'une fois de plus les règles qui dicteront la conduite des
entreprises ne sont pas contenues dans la loi mais seront imposées par
réglementation. Une politique aussi délicate, sensible et
pénétrante que la francisation ne devrait être
précisée par voie de règlement que dans la limite de la
nécessité absolue et seulement s'il n'existe aucun autre moyen.
Nous reconnaisons évidemment que les normes ne peuvent pas être
toutes incorporées dans le texte de loi mais on devrait à tout le
moins y retrouver un cadre délimitant la latitude de
réglementation du gouvernement. Les définitions
normalisées contenues dans le règlement concernant la
francisation des entreprises, adopté en raison de la "loi 22", sont
suffisamment élaborées pour être incorporées dans le
texte du projet de loi no 1.
Article 111. Cet article devrait être entièrement
supprimé. Soit que le seuil existe, soit qu'il n'existe pas. Le texte de
cet article dans sa forme actuelle donne à l'Office le pouvoir d'imposer
à discrétion la francisation universelle et obligatoire.
Article 112. Ici encore l'absence de définition du mot
"Québécois" crée un problème d'importance pour
l'interprétation de cet article.
Le paragraphe (b) de l'article 112 envisage d'augmenter le nombre des
Québécois à tous les niveaux de l'entreprise "de
manière à assurer la généralisation de
l'utilisation du français". Comme nous présumons que la
discrimination ethnique n'est pas dans l'intention du projet de loi et comme
nous supposons que l'objectif du paragraphe en question est d'amplifier
l'utilisation du français, nous devons supposer que le mot
"Québécois" utilisé dans ce paragraphe veut
désigner des personnes résidant au Québec dont la langue
maternelle est le français et celles parmi les autres qui ont une
connaissance satisfaisante de la langue française conformément au
paragraphe (a) de cet article. Si cela se trouve être le cas, alors le
paragraphe (c) devrait être modifié de la façon suivante
pour en tenir compte:
"(c) L'augmentation à tous les niveaux de l'entreprise, y compris
au sein du conseil d'administration et au niveau des cadres supérieurs,
du nombre des personnes résidant au Québec qui possèdent
une connaissance satisfaisante du français, de manière à
amplifier l'utilisation du français."
Article 113. Nous accueillons très favorablement la
reconnaissance du principe exprimé dans cet article mais il nous semble
que le texte lui même est trop vague. Nous suggérons que cet
article soit augmenté de dispositions similaires à celles de
l'article 26 du règlement concernant la francisation des entreprises
promulgué en raison de la "loi 22" et d'autres donnant priorité
à cet article sur les articles contradictoires qui s'y trouvent ailleurs
dans le projet de loi. Il semble essentiel par exemple que la portée des
articles 4, 33, 36 et 37 soit subordonnée aux besoins reconnus de
l'administration au Québec des sièges sociaux des entreprises
nationales ou multinationales et aussi à ceux des divisions et autres
subdivisions des entreprises dont les activités s'étendent
à l'extérieur de la province.
Le statut de l'avenir du Québec, en tant que centre commercial,
industriel et financier, ne doit pas être mis en péril par une
interprétation étroite de l'article 113. Le caractère
essentiel de l'utilisation de l'anglais à plusieurs niveaux des
entreprises dont le siège social se trouve au Québec doit
être reconnu. Il en va de même pour les entreprises qui, où
que se trouve leur siège social, ont des activités, y compris les
rapports qu'elles ont avec leur siège ou leur centre administratif
à l'extérieur du Québec, qui exigent l'utilisation de
l'anglais.
Ainsi, les programmes de francisation devront prendre en
considération non seulement les cas mentionnés à l'article
113 mais aussi les contraintes provenant de la situation, de la structure, de
la clientèle, des marchés, de la technologie, des processus de
recherche et de mise au point et des impératifs financiers et
concurrentiels des entreprises en question ainsi que des rapports qui existent,
le cas échéant, entre les différentes unités
organisationnelles y compris le siège social, les succursales, filiales
et sociétés affiliées au Québec et à
l'extérieur. De plus, tant dans le cas des sièges sociaux
installés au Québec par des sociétés ou entreprises
dont les activités s'étendent à l'extérieur de la
province que dans le cas des entreprises qui ont des relations
économiques techniques ou administratives particulières qui
s'étendent à l'extérieur de la province, les programmes de
francisation devraient tenir compte de l'effet qu'ils pourraient avoir sur le
recrutement, la mobilité et l'avancement du personnel. Finalement, dans
de tels cas les programmes de francisation devraient reconnaître
spécifiquement le rôle et l'utilisation de l'anglais et d'autres
langues à tous les niveaux de la direction ou de l'exploitation
où l'utilisation de ces langues est nécessaire.
Pour des raisons historiques et des considérations d'ordre
géographique, Montréal a perdu en grande partie son statut de
capitale économique du Canada qui est de plus en plus acquis à
Toronto. Cette tendance n'est pas irréversible. En fait, avec la
richesse de son réservoir de personnel et de cadres dont le bilinguisme
va s'accentuant et par l'attrait de son environnement physique, Montréal
pourrait devenir un centre du commerce mondial (voir "Global Cities of
Tomorrow" par David A. Heenan; Harvard Business Review numéro de
mai-juin 1977 page 79, pour des exemples d'autres villes qui sont
arrivées à ce stade). Mais cela ne se produira que si le milieu
dans lequel les entreprises évoluent est caractérisé par
une diminution, et non par une augmentation, des ingérences
bureaucratiques malencontreuses, et des restrictions, demandes et tracasseries
imposées par l'administration publique.
Articles 114 à 116. Les dispositions de ces trois articles sont
à la fois injustifiées et exagérées du moins en ce
qui concerne les comités de francisation. Le gouvernement aurait
sûrement meilleur compte de s'en remettre à la bonne foi des
entreprises et à la capacité de vérification de l'Office
de la langue française pour s'assurer de la préparation et de la
mise en oeuvre des programmes de francisation d'autant plus qu'il a à sa
disposition tout un arsenal de sanctions. L'introduction dans la
législation linguistique d'un autre niveau de discussion, de
décision et d'administration dont la mise en place et
l'efficacité semble être vouées à l'échec du
simple fait du nombre des participants en particulier dans les situations
rnultisyndicales, ne présente aucune utilité et pourrait au
contraire avoir un effet retardateur et créer des obstacles sur la voie
de la réalisation de l'objectif recherché par le projet de loi.
Au Québec, les relations de travail sont suffisamment complexes et
difficiles sans que l'on vienne y ajouter un autre élément de
conflit potentiel. Nous suggérons que l'article 114 soit
supprimé, que les références aux comités de
francisation soient éliminées des autres articles où il en
est question et que l'Office soit chargé de conseiller et d'aider les
entreprises à définir des programmes de francisation comme le
prévoit l'article 75 (e).
Articles 117 à 119. Nous sommes particulièrement
alarmés par l'absence d'un mécanisme d'appel pour tempérer
les décisions prises par l'Office en raison de la section III.
Considérant le fait que les décisions prises par l'Office sur la
base de cette section pourraient avoir aux plans social et économique
des implications et répercussions profondes, non seulement pour les
entreprises mais aussi pour leurs employés et l'économie du
Québec en général, il est essentiel qu'un mécanisme
d'appel soit instauré.
Par conséquent, nous recommandons l'insertion en section II d'un
article prévoyant pour toutes les décisions de l'Office, y
compris son refus de délivrer un certificat de francisation selon
l'article 117, une procédure d'appel en Cour provinciale similaire au
recours en appel prévu au Chapitre IX de la loi des assurances du
Québec (1974 c.70).
TITRE III
La commission de surveillance et les enquêtes
Articles 120 à 144. Tout en comprenant qu'il faut accompagner
certaines lois d'un mécanisme d'enquête et d'application, nous ne
voyons pas pourquoi, dans le cas du projet de loi, ce mécanisme serait
créé par l'institution d'une commission autonome dont la
naissance et le fonctionnement entraîneront nécessairement un
élargissement de l'appareil gouvernemental et des dépenses
publiques additionnelles qui pourraient éventuellement devenir
incontrôlables.
Le chapitre III du titre IV du projet de loi no 22 prévoyait un
mécanisme d'enquête et d'application beaucoup plus simple et
beaucoup plus facile à contrôler et nous recommandons fortement
que le même mécanisme ou un mécanisme similaire soit
prévu dans le projet de loi no 1. Cependant, nous croyons aussi que les
dispositions du projet de loi no 22 et du projet de loi no 1 relatives aux
requêtes présentées en vue de la tenue d'une enquête
sont offensantes et déplaisantes et qu'elles peuvent servir à
encourager l'espionnage et la dénonciation. Nous croyons que le premier
paragraphe de l'article 132 est suffisant pour faire démarrer des
enquêtes et même cette disposition devrait être plus
restreinte.
Le deuxième paragraphe de l'article 132 est pour nous un
anathème. Pourquoi une entreprise qui cherche à se conformer
à la loi devrait-elle faire l'objet d'une enquête comme si elle
contrevenait à la loi? L'Office ne va-t-il pas participer à
l'évaluation de l'état de francisation de l'entreprise et
à l'élaboration du programme, s'il y a lieu, conformément
aux articles 115 et 116? Voilà qui est certainement suffisant, sans que
l'entreprise doive subiren plus le processus d'une enquête et d'un examen
essentiellement conçu pour identifier des malfaiteurs. Ce paragraphe
devrait être biffé.
Encore une fois, pour les raisons avancées dans nos commentaires
sur les articles 163 et 164, nous suggérons que la mention des sanctions
pénales soit biffée de l'article 142.
Enfin, nous devons en toute conscience signaler que les pouvoirs
conférés aux commissaires-enquêteurs dans ces sections sont
énormes et à notre avis dangereux. Ce dont nous avons le moins
besoin dans notre pays, c'est d'un autre appareil policier sans restriction,
doté du pouvoir draconien d'émettre des subpoena, d'opérer
des saisies, de procéder à des arrestations et d'emprisonner.
Nous suggérons donc vivement aux membres de la commission de revoir les
dispositions de la Loi des commissions d'enquête et de se demander s'il
s'agit ici d'un pouvoir statutaire à invoquer dans le domaine de la
francisation.
Nous croyons que les pouvoirs d'enquête prévus dans les
dispositions du titre III ne devraient être exercés que dans des
cas exceptionnels et qu'ils devraient être rigoureusement
limités.
En conséquence, nous suggérons: a) que les
commissaires-enquêteurs ne soient nommés par l'Office que pour des
cas déterminés, quand une enquête doit réellement
avoir lieu; b)qu'une enquête ne soit entreprise que si l'Office est
convaincu, sur la foi de motifs raisonnables et probables, qu'une infraction
grave a été commise et que le projet de loi définisse
exactement ce qui constitue une infraction grave; c)que les requérants
d'un certificat de francisation ne fassent pas l'objet d'une enquête;
d)que les articles 134 et 135 s'appliquent à la mise en marche de toute
enquête; e) qu'une partie susceptible de faire l'objet d'une
enquête soit informée d'avance, privément, des accusations
portées contre elle et qu'elle ait la possibilité de
comparaître et de présenter des instances à l'Office; f)que
si, par la suite, l'enquête doit quand même avoir lieu, elle ne
commence pas sans qu'un apport ait été présenté au
ministre ni sans son autorisation et sans l'autorisation d'un juge de la Cour
supérieure, obtenue après demande appuyée sur preuve
suffisante d'une justification prima facie; g)que seuls les pouvoirs de la loi
des commissions d'enquête qui sont strictement nécessaires
à la conduite de l'enquête soient conférés aux
commissaires-enquêteurs; h) que seules les entreprises dont le certificat
de francisation aura effectivement été révoqué
soient citées dans le rapport présenté au ministre en
vertu de l'article 143.
TITRE IV
Le conseil consultatif de la langue française
Articles 145 à 162. Là encore, nous ne voyons pas de
raison d'instituer un organe administratif encombrant, complexe et
coûteux qui ferait ce que le personnel de l'Office de la langue
française serait en mesure de faire lui-même suivant les fonctions
et les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 75 a), b), c)
et f) du projet de loi. Nous admettons qu'aux termes de l'article 156, les
membres du conseil autres que le président ne sont pas
rémunérés, mais il apparaît nettement
inévitable que le personnel et le fonctionnement du Conseil
entraîneront de fortes dépenses et, comme il constituera un
organisme semi-autonome, nous craignons qu'il ait inévitablement
tendance à accroître et à élargir ses
activités.
En conséquence, les fonctions du Conseil consultatif devraient
être confiées à l'Office de la langue française et
aux comités de terminologie. Il suffirait, pour ce faire, de modifier
les dispositions du titre II, chapitre II, division I du projet de loi pour
ajouter des membres à l'Office, compte tenu des critères
énoncés à l'article 151 en ce qui concerne la composition
du conseil. Nous suggérons, toutefois, que la représentation des
entreprises au sein de l'Office soit élargie pour aider à
l'élaboration des programmes de francisation.
TITRE V
Infractions et peines
Articles 163 et 164. Nous croyons extrêmement déplorable
que le gouvernement ait jugé nécessaire d'inclure des sanctions
pénales générales dans le projet de loi.
Nous reconnaissons que la loi doit comporter des mesures de mise en
vigueur suffisantes pour que ses objectifs soient atteints, mais le projet de
loi, s'il est modifié suivant les suggestions du présent
mémoire, comporterait les dispositions nécessaires à cette
fin, sans qu'il y ait lieu d'ajouter à la loi des sanctions
pénales dans un domaine culturel sensible où il conviendrait
davantage de compter sur la persuasion morale assortie du pouvoir
conféré aux tribunaux de faire droit aux plaintes des
particuliers. Le gouvernement devrait présumer que les personnes
visées par la loi en observeront les dispositions en tant que citoyens
respectueux de la loi.
Nous suggérons que les sanctions pénales ne s'appliquent
que si l'on tente d'entraver illégalement le cours d'une
enquête.
TITRE VI
Dispositions transitoires et finales Nous croyons qu'il y a lieu
d'ajouter sous ce titre un article stipulant: a)que nul n'est tenu de produire
ou de transmettre, aux termes des dispositions du projet de loi no 1, un
document ou un renseignement qui fait l'objet du privilège professionnel
ou auquel est conférée la qualité de la
confidentialité en vertu d'une loi en vigueur; b) que les dispositions
de la loi sur la preuve au Canada qui protègent le citoyen contre
l'autoincrimination sont applicables à toute personne tenue de
témoigner, de produire des documents ou de fournir des renseignements en
vertu d'une disposition du projet de loi no 1 ; c)que, sous peine de sanction
civile et pénale et sous réserve du paragraphe a), aucun
renseignement ni document privé obtenu ou reçus par une personne
applicant une disposition de la loi, y compris les membres et le personnel de
l'Office et du ministère chargés de l'application de la loi, ne
puissent être rendus publics de quelque manière que ce soit, sauf
au cours d'une poursuite intentée en vertu de la loi devant un tribunal
compétent.
Articles 167 et 168, Pour éviter de semer la confusion et de
perturber les affaires, vu que certaines règles sont déjà
énoncées dans le projet de loi no 22, et pour tenir compte de nos
recommandations relatives à l'article 46, nous suggérons que les
articles 167 et 168 soient modifiés de manière à ce que
toute personne ait jusqu'à la fin de 1983 pour se conformer à
l'article 46. L'article 171 devrait être ensuite modifié pour
être conforme à cette disposition.
Article 170. Nous suggérons que l'article 4 de la loi de la
protection du consommateur accorde une protection aux consommateurs anglophones
aussi bien qu'aux francophones. Nous ne voyons pas pourquoi il devrait
être abrogé.
Article 172. Cet article qui, d'un seul trait de plume, abrogerait
éventuellement toutes les mesures de protection contenues dans la charte
des droits et des libertés de la personne dans le domaine délicat
et sensible des droits linguistiques, est indigne du gouvernement, de
l'Assemblée nationale et de la population du Québec dont les
représentants élus ont adopté la charte. Il devrait
être biffé sans discussion ni commentaires.
L'article 4 de la Convention internationale sur les droits civils et
politiques (1966) affirme le principe qui doit régler la conduite de
tous les Etats, à savoir que c'est seulement s'il y a une situation
d'urgence publique menaçant la vie de la nation et dont l'existence est
officiellement proclamée que les Etats pourront prendre des mesures
dérogeant aux droits civils et politiques et même alors, seulement
dans la stricte mesure où l'exige la situation.
Aucune situation d'urgence n'existe en l'occurrence pour justifier un
précédent aussi dangereux.
CONCLUSION
Nous avons cherché, dans le présent mémoire,
à affirmer notre approbation de l'objectif du projet de loi no 1,
à faire ressortir nos réserves sur certains de ses articles et
dispositions et à présenter nos suggestions sur la façon
de répondre à ces objections par des modifications
appropriées à apporter à ces articles et à ces
dispositions. Nous avons aussi tenté de définir les fondements de
nos réserves et de poser les principes d'équité, de
justice et de bon sens, qui, nous l'espérons, apparaîtront comme
la raison d'être de nos commentaires.
Nous avons essayé de montrer notre respect pour le désir
sincère du gouvernement de protéger et de promouvoir la langue de
la majorité francophone du Québec.
Nous avons ainsi cherché à maintenir un juste
équilibre entre les droits de la majorité et les droits de la
personne et de la minorité tout en cherchant, bien sûr, à
faire pencher les cas douteux du côté des libertés
individuelles conformément aux traditions démocratiques dont
nous, Canadiens, avons hérité des régimes politiques et
des cultures de nos deux peuples fondateurs. Nous l'avons fait en croyant que
ce n'est que par le respect des principes de la liberté des personnes et
des minorités que les libertés essentielles de toute la
population peuvent être garanties. L'histoire et l'expérience nous
enseignent que l'affirmation et la survie de la liberté sont moins
assurés si les droits et les libertés des personnes et des
minorités sont assujettis aux intérêts collectifs.
Enfin, reconnaissant la situation délicate de l'économie
du Québec signalée tout récemment encore dans le rapport
de l'Office de planification et de développement du Québec, nous
avons cherché à montrer combien il importe que le gouvernement
s'abstienne de toute mesure qui gênerait l'expansion économique en
restreignant, compliquant ou décourageant l'activité commerciale,
les entreprises ou l'initiative au Québec, particulièrement dans
le secteur délicat des activités des sièges sociaux.
Ainsi que nous l'avons déclaré dans notre mémoire
initial sur le livre blanc, nous croyons que les Québécois sont
à un tournant. Nous espérons que les suggestions
présentées dans le présent mémoire contribueront
à la réalisation de l'objectif essentiel de la loi tout en
protégeant et en favorisant dans la province une société
et une économie dynamiques et tournées vers l'avenir.
Nous soumettons donc respectueusement le présent mémoire
à votre considération.
LE COMITÉ D'ÉTUDE SUR LA
LANGUE DU TRAVAIL DU COMITÉ
D'ACTION POSITIVE
ANNEXE 3
Mémoire du Mouvement Québec
Français
à la commission parlementaire
sur la Charte de la langue française
projet de loi no 1
Assemblée nationale du Québec
session 1977
Le Mouvement Québec Français réunit
L'Alliance des Professeurs de Montréal (APM)
L'Association Québécoise des Professeurs de
Français (AQPF)
La Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ)
La Confédération des Syndicats Nationaux (CSN)
La Fédération des Travailleurs du Québec (FTQ)
Le Mouvement National des Québécois (MNQ)
(Fédération des Sociétés Nationales et des
Sociétés
Saint-Jean-Baptiste du Québec) La Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJB-M) L'Union des Producteurs
Agricoles (UPA) dûment représentés en un Conseil par leur
président ou directeur général respectif et par un autre
membre désigné par le Bureau de chaque association
Le Mouvement Québec Français s'est formé, en 1970,
en succession du FQF (Front du Québec Français), qui avait
mené la lutte contre le "bill 63", en vue d'obtenir la révision
de cette loi et la proclamation du français seule langue officielle au
Québec.
La lutte s'est continuée après le vote du "bill 22", qui,
pour toutes fins pratiques, a établi au Québec un régime
de bilinguisme officiel, avec priorité du français seulement.
LE MÉMOIRE
CHAPITRE I - L'ENJEU D'UNE LÉGISLATION LINGUISTIQUE AU
QUÉBEC CHAPrTRE II - LA VALEUR CONCRÈTE DU PROJET DE LOI NO 1
CHAPITRE III - LES FAIBLESSES DE LA LOI Section 1 - La question de
l'article 133 Section 2 - La question des droits scolaires des anglophones
CHAPITRE IV - L'OFFICE DE LA LANGUE FRANÇAISE CONCLUSIONS
CHAPITRE I L'ENJEU D'UNE LÉGISLATION
LINGUISTIQUE AU QUÉBEC
Le Mouvement Québec Français se sent heureux, aujourd'hui,
de pouvoir exprimer à un gouvernement du Québec sa fierté
et sa satisfaction de se sentir enfin, en matière linguistique,
gouverné selon les droits et les véritables intérêts
du peuple québécois. La loi que le gouvernement a
déposée, en première lecture, comme projet de loi no 1,
sous le titre de "Charte de la langue française au Québec",
se fait attendre depuis plus de 200 ans. Cette loi, au surplus,
revêt un caractère d'urgence nationale, vu la
nécessité de corriger sans délai les effets
néfastes des véritables lois de trahison nationale qu'ont
été les lois dites "63" et "22".
Il faut bien voir, en effet, l'enjeu de toute législation sur la
langue au Québec. Dès 1773-1774, alors que se négociait et
se votait à Londres la révocation de la Proclamation royale de
1763, Chartier de Lotbinière réclamait qu'on précise dans
la nouvelle loi en gestation, le caractère officiel de la langue
française au Québec. La situation était devenue confuse
entre 1763 et 1774 du fait de l'établissement d'une sorte de bilinguisme
à la suite du refus du gouverneur d'appliquer la Proclamation dans son
intégralité; il avait obtenu de Londres le pouvoir de rendre
justice en français aux nouveaux sujets français de Sa
Majesté. Autant rendre les choses claires tout de suite, disait Chartier
de Lotbinière sans scandaliser personne à Londres, puisqu'il sera
dorénavant entendu, après l'Acte de Québec, que toute
personne étrangère venant au Québec devra apprendre
à y vivre en français.
Ce serait raisonner très faussement, selon une logique
française mal appliquée à une situation de droit
britannique, que de tirer argument en faveur du bilinguisme officiel au
Québec, de ce que le Parlement de Londres ne crut pas utile de se rendre
à l'argumentation de Chartier de Lotbinière. Il demandait
à des Britanniques de réagir à la française;
ceux-ci lui accordèrent ce qu'il voulait à la façon
britannique de l'esprit de la Common Law. L'Acte de Québec
déclara la Proclamation royale nulle et de nul effet parce que
d'abord considérée comme non existante du fait qu'elle
émanait du Roi et non du Parlement. Et il rétablit les sujets
français dans tous leurs droits, us et coutumes traditionnels, sauf en
matière de droit criminel, sans plus de clarification, ne limitant ainsi
en rien la portée du geste. Dès lors le Québec est
redevenu constitutionnellement pays français. Rien dans les
Constitutions successives de 1791, 1840 et 1867 n'est venu altérer ce
fait, au contraire le confirmer; y compris les motifs et intentions, comme la
formulation, mêmes, qui constituèrent l'article 133 dans l'AANB.
Nous n'affirmons pas seulement ces choses: elles ont été
démontrées dans des documents antérieurs soumis à
la Commission Gendron et aux Commissions parlementaires relatives aux lois
linguistiques précédentes.
Les intentions de Londres en 1774 de faire du Québec un
pays-colonie français ne peuvent d'ailleurs pas être
contestées à partir de la non spécification de la langue
dans l'Acte de Québec, car elles sont clairement consignées
ailleurs dans un document formel. On les trouve dans une lettre de Lord
Darthmouth, pilote du projet de loi à la Chambre des Lords, à
Lord Hillsborough, qui faisait des réserves sur l'extension des droits
français et catholiques à tout le territoire prévu,
comprenant l'Ontario et la vallée de Mississipi. Lord Darthmouth lui
répondait qu'ayant soumis ses objections au Cabinet, celui-ci
s'était proclamé unanime à maintenir la loi telle que
prévue, parce que telle était bien la volonté du
gouvernement "d'établir un gouvernement civil pour des
établissements de nombreux sujets français" dans tout le
territoire décrit par l'Acte. Il dévoile même l'intention
profonde du gouvernement à vouloir cette colonie exclusivement
française: "S'il n'est pas désirable, écrit Lord
Darthmouth, que des sujets anglais s'établissent dans cette
région, rien ne peut mieux les dissuader d'une telle tentative que cette
partie essentielle du bill".
Michel Brunet a donc raison de soutenir qu'il s'est établi, entre
le gouvernement de Londres et la nation canadienne-française, un pacte
au moins tacite de garantie d'un pays-colonie français en échange
de sa loyauté à la Couronne britannique face à la
Sécession qui s'annonçait du côté de ce qui est
aujourd'hui les Etats-Unis. Le fait que nous avons tenu notre partie du pacte
en refusant de pactiser avec les Colonies du Sud, renforce encore notre droit
à notre Etat intégralement français une fois que nous
eûmes retrouvé notre liberté de nation dans le
Commonwealth, que ce soit à l'extérieur, comme avant 1867 ou
à l'intérieur du Canada fédéré.
On nous dira que Londres a changé d'idée ensuite. Ayant
à reloger les Loyalistes, le gouvernement reprit le dessein de peupler
le Québec ou Canada de sujets britanniques. Oui! mais sans
altérer le projet du Québec français. En vertu de cette
nouvelle orientation politique après l'indépendance
américaine, Londres enleva au Québec l'immense territoire
à l'ouest du Québec actuel pour en céder une partie aux
Américains et en concéder une autre aux Loyalistes sous
régime de droit et de langue anglais. Mais il refusa de se rendre aux
réclamations des Anglais du Québec. Sans se sentir
gêné par les "droits acquis" qu'ils invoquaient
déjà, il effectua en 1791 le premier acte de "séparatisme"
en créant le Haut et le Bas-Canada pour laisser au Québec
rétréci son statut de pays français.
Nos ancêtres du temps, pourtant tellement plus proches que nous de
la Conquête, et donc plus susceptibles à première vue d'en
mesurer la portée, ne se trompaient pas sur le sens de ces
Constitutions. Lors de la création de la première
assemblée démocratique en 1792, ils posèrent le geste
fondamental d'affirmation qui doit rester la base de toutes nos attitudes. Ils
proclamèrent hautement dès le début, contre les manoeuvres
des Anglais, que Londres avait donné à ce pays un statut de
gouvernement selon les droits, us et coutumes de la majorité. Et comme
premier geste d'exercice de leurs nouvelles libertés, ils élirent
un "Orateur" qui ne savait pas l'anglais, en déclarant
énergiquement, contre les protestations des députés
anglophones, qu'en ce pays, il était inadmissible qu'un citoyen
fût empêché d'accéder aux plus hautes fonctions parce
qu'il ne connaissait pas l'anglais.
Rien n'a changé depuis. La suite n'a été qu'une
longue et pénible histoire de manoeuvres, de chantage, de combinaisons
et de combines de la part des Anglais de Montréal, puis des
Anglo-Canadiens, pour nous imposer l'anglais en fait, en vue de le faire de
nouveau triompher en droit éventuellement. Déjà avant
l'Acte de Québec, ils posaient le problème en des termes de
mauvaise foi dominatrice qu'ils ne font guère que reprendre aujourd'hui:
droits acquis, contribution au développement du
pays, situation privilégiée en fonction de laquelle ils
avaient le culot de dire au Roi que les prétentions des
Québécois étaient fort exagérées "car
d'après les derniers calculs ils atteignent le chiffre de 75 000 tandis
que le nombre des sujets Anglais s'élevait au-delà de 3 000".
Entre temps, il y a eu l'épisode 1837, qui nous a fait perdre une
partie de notre audace à revendiquer nos droits les plus
légitimes. Nous entrâmes alors dans l'ère de la
résignation résistante. Depuis lors et jusqu'au 15 novembre
dernier, le peuple québécois s'est toujours cru obligé de
confier son sort à des politiciens louvoyants face à la
domination anglaise ou anglo-canadienne. Nous voudrions que, désormais,
cette histoire de misère psychologique du peuple québécois
ne soit plus invoquée par personne des siens, contre lui, pour
prétendre que son assujettissement a fini par conférer, avec le
temps, à la minorité oppressive et assimilatrice, des "droits
acquis" de le déposséder de son héritage culturel, en lui
imposant un Québec totalement ou partiellement bilingue.
Un vrai gouvernement du Québec ne peut pas ratifier, comme
constituant des droits communautaires valides des effets résultant d'une
histoire de conquête militaire, d'occupation prolongée, de
domination par le contrôle du pouvoir politique et économique, de
subversion des élites pour en faire des collaborateurs, dans des
institutions apparemment démocratisées, et de tentatives de
noyage par des politiques d'immigration massives et dirigées vers
l'anglicisation. Et surtout pas quand ces effets sont réalisés
par une minorité qui a systématiquement ignoré, pour cela,
le respect des lois constitutionnelles que son propre souverain lui avait
assignées. Quand la séparation entre le Haut et le Bas-Canada se
fit en 1791, le gouvernement londonien savait ce qu'il faisait. Il a bien
précisé aux Communes qu'une ligne parfaite ne pouvant pas
être tirée entre pays anglais et pays français au Canada,
il y aurait des minorités dans les deux colonies qui devraient accepter
d'être gouvernées selon les lois de la majorité. Les
problèmes que nous avons aujourd'hui viennent justement de ce que la
minorité au Québec a néanmoins toujours continué de
se comporter comme une majorité dans les faits, sans pourtant
réussir, avant les lois 63 et 22, à imposer au Québec des
lois spoliatrices tel au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest, comme
d'ailleurs au Nouveau-Brunswick et en Ontario, etc.
Le peuple du Québec n'a pas à sanctionner, en vertu de
quelque thèse que ce soit, ces méfaits perpétrés
contre lui. Et il a bien montré qu'il ne le tolérerait pas en
répudiant d'une façon vigoureuse les deux gouvernements auteurs
des deux lois nouvelles, la loi 63 et la loi 22, qui révolutionnaient la
position juridique du français au Québec, la première en
concédant le principe de l'égalité de droit entre
l'anglais et le français par le libre choix à l'école; la
seconde, en partageant les droits linguistiques entre anglophones et
francophones avec une certaine priorité seulement du français.
Ces deux lois ont été, nous l'espérons, le dernier effort
de la minorité anglophone pour empêcher l'expression des
aspirations populaires les plus profondes du Québec: rester
français et être chez soi en français au Québec.
En ce sens et dans les perspectives des événements des
dernières années tout particulièrement, une charte de la
langue française, établissant vraiment celle-ci seule langue
officielle et nationale du Québec, s'imposait effectivement comme loi no
1 du premier gouvernement démocratique authentiquement
québécois depuis la Conquête. Elle constitue le geste
fondamental de reprise de possession de nous-mêmes d'abord, avant la
reprise de possession du pays. La capacité du gouvernement d'en mener le
vote à bonne fin, avec fermeté et conviction, sans aucun
atermoiement ni atténuation, fera la preuve que ce gouvernement est
vraiment ce qu'il prétend être: capable de ne pas se laisser
à son tour asservir et démobiliser par les pressions qui ont fait
trop habituellement chanter nos autres partis.
L'enjeu de la lutte qui est en cours est clair et fondamental:
établissons-nous oui ou non que le Québec est français?
allons-nous céder au contraire sur le droit incontestable que nous y
avons et consentir à partager avec les Anglo-Canadiens, comme groupe
distinct, des droits linguistiques leur donnant ainsi le statut de partenaires
plus ou moins égaux dans la définition et le partage de la patrie
québécoise? Telle est la décision majeure que le
gouvernement se trouve actuellement à établir, qu'il le veuille
ou non, en raison même de la confusion où nous ont jeté les
comportements anglo-canadiens depuis 200 ans et les attitudes louvoyantes et
ambiguës des récents gouvernements. Il faut maintenant trancher la
question sans délai, tout délai ne pouvant actuellement avoir
comme conséquence que de gâcher un peu plus les choses chaque
jour.
CHAPITRE II
LA VALEUR CONCRÈTE DU PROJET DE LOI NO 1
Qu'en est-il, sur tout cela, du cas concret de la Charte actuellement
proposée comme projet de loi no 1? Disons que nous regrettons qu'elle ne
se présente que comme une loi statutaire, et non comme la loi
déclarée constitutionnelle que nous demandions. Mais passons et
attachons-nous à sa valeur intrinsèque en tant que "charte", donc
en tant que se voulant proclamatrice de droits fondamentaux.
Comme le laisse entendre le premier paragraphe de ce mémoire, le
Mouvement Québec Français estime que le projet de loi
déposé établit vraiment le français comme seule
langue officielle et nationale du Québec, même si certaines
faiblesses de détail sont susceptibles d'ouvrir la porte à des
interprétations contradictoires. Contrairement à la loi 22, on a
réussi à rédiger une loi qui établit les droits du
français sans se croire obligé de limiter la portée de ces
droits par des définitions de droits pour l'anglais, sauf dans quelques
cas très précis de définitions de droits minoritaires que
l'on veut
accorder, ou de dispositions évidemment à caractère
spécial et à portée très restreinte, le tout sans
en rien limiter pour autant les droits du français.
Nous imaginons que si le Ministre a bien réussi cette passe
dangereuse, quand on pense aux pièges dans lesquels étaient
tombés les rédacteurs de la loi 22, c'est qu'il a su avoir une
conscience aiguë du problème et qu'il n'y a plus aucun danger que
de pareils faux pas, aux conséquences si fondamentales, ne puissent
survenir dans les amendements qu'il s'est dit prêt à apporter
à la loi face à des arguments sérieux et convaincants. A
TOUT ÉVÉNEMENT, NOUS RÉITÉRONS LA MISE EN
GARDE.
Ce qu'il nous paraît important de souligner quant au détail
des dispositions de la loi, étant donné les critiques
inconsidérées dont le gouvernement est l'objet, c'est combien
cette loi n'est en rien restrictive de ce qu'on peut appeler les droits
individuels (et collectifs pour autant que ces droits individuels permettent
l'organisation d'une vie collective légitime, c'est-à-dire ne
portant pas atteinte aux droits fondamentaux de la majorité) de la
minorité anglaise, comme d'ailleurs de toutes les autres
minorités ethniques du Québec.
On attaque cette loi comme si elle interdisait l'usage de l'anglais au
Québec ou l'enseignement de l'anglais dans les écoles du
Québec. De telles attaques ne font que donner la mesure des
préjugés ou de la mauvaise foi des critiques. Bien sûr, la
loi interdit l'existence d'un Québec officiellement bilingue. Si c'est
ce que l'on veut blâmer, il faudrait honnêtement porter le
débat sur ce terrain de fond; non pas biaiser par des attaques sur des
détails qui ne sauraient être discutables que dans cette
perspective à laquelle on n'ose pas se référer parce qu'on
craint trop de se voir déconsidéré dans l'opinion de la
majorité des Québécois. Ainsi, pour des fins qui sont en
définitive inavouables, on s'ingénie à gagner son point en
jetant de la confusion dans les esprits plutôt qu'en abordant les vrais
problèmes.
En somme, il y a à distinguer, en cette matière, entre
situation de droit et situation de fait. Le rôle des lois est
d'établir les situations de droit, et tout ce qu'une loi ne
défend pas reste permis. Nous sommes satisfaits quant à nous que
la loi établisse clairement les droits du français au
Québec en tant que langue de la patrie des Québécois, sans
le moins du monde toucher à la latitude de qui que ce soit (mais sans
lui conférer des droits qu'il n'est pas fondé à
réclamer) d'utiliser l'anglais, ou d'ailleurs l'italien,
l'allemand, l'espagnol, etc. quand il ne lèse pas les
ressortissants du Québec, (de quelque origine ou appartenance qu'ils
soient d'ailleurs), dans leur droit d'exiger qu'on utilise envers eux la langue
du pays.
Ce souci de faire respecter le droit fondamental sans entraver plus
qu'il n'est nécessaire pour cela les libertés individuelles
d'agir à sa guise est évident dans à peu près tous
les articles de la loi. La plupart des critiques formulées en ce sens
sont donc mal fondées et ne font que contribuer à la
perpétuation d'un état de chose où la minorité
brime les droits de la majorité. "Tout Québécois a le
droit d'exiger que communique avec lui en français l'Administration,
etc." dit l'articie 2. Ce qui ne veut pas dire que les organismes en question
ne doivent utiliser que le français.
On ne peut refuser à quiconque le droit de s'exprimer en
français en assemblée délibérante, dit l'article 3.
Cela n'interdit à personne d'intervenir en n'importe quelle autre
langue. Mais personne ne peut imposer une autre langue. "Les travailleurs ont
le droit fondamental d'exercer leurs activités en français,
quelles que soient la nature, la forme et la taille de l'entreprise", dit
l'article 4. Bien sûr, le respect de ce droit soulève des
problèmes pratiques plus complexes et appellera des mesures de
francisation des entreprises, mais cela n'interdit pas l'usage, même
courant, de l'anglais entre des personnes au travail qui aiment mieux
communiquer entre elles dans cette langue... ou dans une autre. "Les
consommateurs de biens ou de services ont le droit d'être informés
et servis en français", dit l'article 5. Quel mal cela fait-il, outre
à ceux qui veulent imposer une autre langue aux francophones? Et
pourquoi ceux-là devraient-ils avoir le droit au Québec d'imposer
ce mal aux francophones? Quant au reste, cela n'empêche aucun
commerçant de traiter en anglais ou dans une autre langue avec un
consommateur qui le veut ou y consent. "Tout Québécois a droit
à l'enseignement en français", édicte l'article 6.
Jusque-là encore, cela ne fait que ne pas donner un droit de
réclamer l'enseignement en anglais, sans interdire que le gouvernement
en établisse un, ou dans toute autre langue.
Tels sont les principes que pose le chapitre I du projet. Et ce sont
ceux-là que nous aurions préféré voir traiter dans
une loi séparée, de caractère constitutionnel,
établissant ainsi nettement, parce que séparément de toute
allusion à l'anglais dans la même loi, que le français
jouit en exclusivité et plénitude des droits fondamentaux qui
font une langue officielle et nationale. On aurait pu voir plus clairement
alors quels sont ceux qui se seraient opposés à cette loi, alors
qu'actuellement on met en cause l'ensemble de la loi sous prétexte qu'on
n'en aime pas certains détails.
Le reste de la loi n'est guère plus malin et ne fait que tirer
les conséquences du principe général de la langue
officielle et des droits fondamentaux qui en ont été
déduits. S'il paraît plus contraignant en certains points, c'est
que la situation prévalant au Québec incite le
Législateur, à bon droit, à ne pas laisser à la
charge du citoyen l'obligation de faire définir par les tribunaux,
à chaque infraction, la signification concrète de ces droits.
L'entêtement évident de la majorité anglophone depuis plus
de 200 ans,
sa résistance farouche même à une loi 22 qui
étendait pourtant le champ du droit mais restreignait quelque peu les
champs d'application, rendait nécessaire de définir plus
spécifiquement la signification des droits au concret, sous forme de
prescriptions statutaires interdisant que les entêtés continuent
de jouer avec la loi et les principes constitutionnels au dépens des
Québécois. Il est assez étrange de voir encore trop de
francophones du Québec, en particulier chez ceux qui occupent une place
éminente comme membres élus des partis politiques ou comme
leaders dans le monde des affaires, se formaliser qu'on écrive dans une
loi ce qui devrait et aurait dû toujours être ainsi, vu qu'il y a
eu si évidente mauvaise foi et mauvaise volonté à ne pas
le faire tant qu'on n'y a pas été forcé par des lois.
Après tout, la loi ne frappera que ceux qui tiendront à se
comporter anormalement en tentant d'imposer l'anglais à une
majorité française. "Les textes et documents de
l'Administration... doivent être rédigés dans la langue
officielle" (art. 15), prescription qui n'interdit pas qu'il y ait aussi des
versions dans diverses autres langues. La preuve qu'on ne les interdit pas,
c'est qu'à l'article 16, et vu la manie de bilinguisme qui s'est
développée partout, on ne permettra la présentation
bilingue des documents que dans les cas de santé et de
sécurité publique, ce qui manifeste clairement l'intention du
gouvernement de faire une place aux besoins minoritaires. Et indique aussi que
l'interdiction ne porte que sur la présentation bilingue des textes; non
pas sur l'existence d'une version française seulement.
A l'article 17, pour que soit restaurée la perception du
Québec français, si déficiente partout dans le monde, la
loi ajoute au principe posé à l'article 2, que l'Administration
communique dans la langue officielle avec les autres gouvernements et les
personnes morales, quitte à joindre une traduction si l'interlocuteur
n'est pas de langue française. Ce qui laisse finalement, et implique,
toute latitude de communiquer avec les personnes physiques dans n'importe
quelle langue. Quant au reste, il en résultera sans doute certains
embêtements au départ dans les domaines de l'Administration qui se
sont constitués en petits châteaux-forts anglophones, au point
même de ne pas parler français aux administrés de langue
française. Mais ces situations ne doivent-elles pas être
redressées? et quand il s'agit d'administrations locales, on leur donne
jusqu'en 1983 pour s'adapter (art. 23)!
Il faut connaître la langue officielle pour "être
nommé, muté ou promu à une fonction dans
l'Administration." (art. 19). Qu'y a-t-il là d'anormal? Et encore la loi
prend la peine d'ajouter qu'il suffit que cette connaissance soit
"appropriée à la fonction postulée".
Les organismes municipaux et scolaires, nous l'avons vu, ont jusqu'en
1983 pour s'adapter, mais s'adapter à quoi? Uniquement, en
définitive, à la préparation de leurs documents officiels
en français. Rien dans la loi n'empêche ces organismes à
majorité anglaise de poursuivre leurs délibérations en
anglais entre eux. Tout ce qui leur est imposé à ces
égards, c'est de donner du français à celui qui en
demande.
L'obligation faite aux membres des ordres professionnels de
connaître le français (art. 30) pour être admis, ne fait que
rendre possible à tous les professionnels, sans aucune distinction, de
servir aussi bien la population française, sans interdire de traiter en
n'importe quelle langue avec divers clients. Et si tous les membres des ordres
connaissent le français, pourquoi les ordres eux-mêmes ne
devraient-ils pas communiquer avec leurs membres qu'en français? (art.
27)
Les dispositions relatives à la langue de travail (chapitre VI)
peuvent paraître plus contraignantes pour le patronat et pour les
dirigeants syndicaux dont la langue n'est pas la langue officielle, mais en
définitive uniquement quant à leurs relations avec leurs
employés ou leurs membres francophones, puisque rien n'interdit les
relations en d'autres langues avec les gens d'autres langues. Mais est-ce
vraiment la loi qui contraint dans les prescriptions de ces articles 33
à 40? N'est-ce pas là un de ces cas très clairs où
il a été dit que c'est "la loi qui libère, et la
liberté qui opprime"? Rien n'est contrainte dans tout cela que
l'obligation, normale avant toute loi mais non respectée dans
Québec, d'avoir dans la langue officielle les textes destinés
à jouer un rôle de portée juridique. Tout le reste ne
dépasse pas le droit du citoyen québécois, normalement de
langue française, d'être servi dans sa langue, en laissant toute
liberté d'employer n'importe quelle autre langue pour le service des
autres, y compris même le francophone qui s'en contenterait.
Les mêmes observations s'appliquent au chapitre VII sur la langue
du commerce et des affaires: droit du consommateur d'obtenir certaines
informations en français (art. 41), obligation des commerçants de
respecter la liberté de choix du consommateur de langue française
dans l'achat de certains jeux (art. 43), droit de pouvoir exiger un texte
français de certains documents commerciaux (art. 44 et 45), etc.
Tout cela en dit surtout long sur la façon impudente dont
était traitée la majorité de langue française au
Québec. Ce n'est pas la loi qui est scandalisante; c'est qu'il faille
légiférer pour donner justice à une population sur l'usage
de sa langue dans son propre pays. Le premier ministre disait, dans une
déclaration récente, que l'obligation de légiférer
ainsi est humiliante. C'est exact à condition que ce
soit dit sans complexes de notre part. Que ce soit dit de la même
façon qu'on dirait humiliant pour l'humanité d'avoir à se
donner un droit criminel. L'attitude des Anglo-Canadiens envers le peuple,
autant canadien-français ou acadien que québécois, avec
les modalités propres aux différentes situations, a
été, en effet, tout particulièrement depuis 1867, alors
qu'il ne devait plus y avoir "ni vainqueurs ni vaincus", de nature
génocidaire. Drapés dans les propos de Lord Durham, qui estimait
nous rendre service en proposant de nous assimiler en douce, ils ne se sont pas
gênés, et continuent de ne pas se gêner, pour nous
mépriser par leurs prétentions mêmes. Le Législateur
qui décide de mettre fin au temps du mépris sent sans doute
l'humiliation de mesurer ainsi jusqu'où a été
poussé le mépris, mais il doit se sentir fier de n'avoir pas
hésité, de guerre lasse, à y mettre fin.
C'est dans cette perspective qu'il faut aborder les titres II à
IV de la loi que d'aucuns critiquent vivement en les qualifiant
d'autocratiques, de tatillons, etc. Nous sommes, pour notre part, d'accord que
l'application de la loi, le respect qu'en auront ceux qui doivent changer
à ce sujet des habitudes depuis si longtemps
invétérées qu'on est en passe d'en faire des droits, que
tout cela ne doit pas, dans les circonstances actuelles du Québec,
être laissé aux seules revendications des
intéressés, c'est-à-dire les citoyens francophones, ni
à leur seule initiative de contestation devant les tribunaux. Nous ne
voyons rien dans le texte de loi qui soit de nature à soulever des
critiques aussi acerbes que celles qui se sont exprimées. Nous estimons
que la rédaction de la loi laisse au gouvernement toute la latitude
voulue pour une application intelligente, de sorte que seuls peuvent craindre
ses dispositions, ceux qui ont l'intention d'en violer l'esprit encore plus que
la lettre. Même l'exigence de la certification de francisation est autant
une mesure de protection de l'entreprise contre les revendications excessives
des individus, qu'une obligation dérogatoire.
CHAPITRE III
Les faiblesses de la loi
Section 1 - La question de l'article 133
C'est dans la même perspective que précédemment
qu'il faut aussi envisager les faiblesses de la loi qui se manifestent tout
particulièrement au sujet de l'article 133 de l'AANB. Autant le
gouvernement a eu le souci de rédiger une loi claire et précise
sur les différences à faire entre les droits du français
et les libertés normales des langues minoritaires, sur les exigences
pratiques qui incomberont aux particuliers, aux administrations, aux organismes
professionnels et aux entreprises pour réaliser les objectifs que
postulent le principe de la langue officielle et les droits fondamentaux qui en
dérivent, autant il importe d'éviter les ambiguïtés
et les confusions lorsqu'il s'agit des droits, fussent-ils de nature
statutaire, que l'on concède à la minorité anglaise en
vertu de la situation historique qui en est la cause sinon la justification. Et
les confusions ou ambiguïtés qu'il faut surveiller de près,
ce sont d'abord celles qui concernent la définition des droits (puisque
nous en sommes à une charte), avant les difficultés
administratives au sujet desquelles il y a à peu près toujours
moyen de trouver des solutions convenables avec un peu d'imagination.
Pour ce qui est de l'article 133, il est assez évident que le
gouvernement a voulu éviter de le prendre de front. Est-ce parce qu'il
estime devoir conserver aux anglophones les droits garantis par cet article?
Est-ce parce qu'il a voulu ménager le choc psychologique qu'est
susceptible de provoquer la démarche d'amendement? Au départ,
donc, l'attitude prise ne montre pas la même fermeté que le reste
de la loi, et crée des ambiguités sur les véritables
intentions du gouvernement relativement à cette partie des droits du
français au Québec.
En fait, le gouvernement croit-il avoir amendé l'article 133 par
les articles 7 à 13 de la Charte? A notre avis, il n'a fait que les
confirmer en les clarifiant, un peu selon ce que comportait le premier projet
de loi que le MQF a proposé au gouvernement Bourassa en janvier 1971.
Mais à ce moment-là, le MQF n'était pas fondé
à croire que le Québec pouvait amender seul l'article 133.
Au projet de loi actuel, rien d'abord n'est dit sur l'usage de l'anglais
à l'Assemblée nationale: donc sur ce point l'article 133 demeure.
Quant au texte des lois, il est précisé que des versions
anglaises seront publiées, mais que seul le texte français aura
valeur officielle. Comme l'article 133 se contente de dire qu'il y aura une
version française et une version anglaise des lois, il est vraisemblable
que le Québec peut proclamer la version française seule
authentique sans y contrevenir.
Sur les tribunaux, comme on légifère uniquement quant aux
personnes morales, la conclusion semble s'imposer que les personnes physiques
restent régies par l'article 133, même si l'article 7
précise que "le français est la langue de la législation
et de la justice", en général. Et les personnes morales ont
toujours le droit reconnu de plaider en anglais si les deux parties sont
d'accord (art. 11). Les jugements peuvent être donnés en anglais
(art. 13), à condition d'être accompagnés d'une version
française qui sera la seule authentique. Pour le reste, il y a seulement
le droit donné à tout intéressé d'exiger les
citations, sommations, mises en demeure et assignations en français.
Nous nous imaginons bien que le gouvernement n'a pas choisi cette voie
surtout dans l'espoir d'éviter que la question soit portée devant
les tribunaux. Si tel était le cas, il est plus que probable qu'il aura
des désillusions car si les Canadiens anglais ne sont pas prêts
à accepter l'amendement de l'article 133, ils plaideront tout autant sur
le texte actuellement proposé, qu'ils considéreront comme
étant des amendements. Or le débat risquera alors de s'engager
sur une fausse voie et de constituer une perte de
temps, parce que ne portant pas sur la vraie question. On discutera
plutôt de la concordance ou de la non concordance de la loi 1 avec
l'article 133, que du droit du Québec d'amender, avec l'incidence du
caractère prioritaire de l'AANB sur une loi du Québec en cas de
non concordance. Le droit d'amender leur propre Constitution prévu pour
les provinces suffira-t-il alors à assurer la priorité de la loi
du Québec si l'intention d'amender n'est pas claire? Si la loi 1 est
considérée comme une loi statutaire ordinaire? Si ainsi la Cour
suprême ne se prononce pas sur la question fondamentale du droit
d'amender, tout sera à recommencer.
Nous recommandons donc au gouvernement d'inclure à la fin de la
Charte de la langue française, un article spécifiant que cette
loi déclare inopérantes au Québec les prescriptions de
l'article 133, de sorte qu'il soit bien établi que les articles 7
à 13 de la Charte en tiennent lieu.
Section 2 La question des droits scolaires des anglophones
Le MQF avait demandé, notamment dans le mémoire
présenté au Ministre d'Etat au développement culturel le 5
février dernier: a) comme règle générale, la
limitation du droit à l'enseignement en anglais aux "véritables
anglophones"; b) à cette fin, la définition du "véritable
anglophone" habilité par le principe ou critère de la langue
maternelle de l'enfant résidant au Québec au moment du vote de la
loi (avec sa descendance); c)comme mesure de tolérance en vue de
faciliter le passage des régimes antérieurs au nouveau
régime, la reconnaissance du droit des enfants non anglophones et des
non francophones ayant déjà inscrit leurs enfants à
l'école anglaise à continuer de jouir du droit à
l'enseignement en anglais; d) la réintégration à
l'école française des enfants francophones actuellement inscrits
à l'école anglaise; e)d'où la conséquence que tout
nouvel arrivant au Québec, quelle que soit sa langue et d'où
qu'il vienne, tombera sous le régime général de
l'enseignement en français.
Le mémoire recommandait, pour l'établissement de cet
état de chose, la formulation juridique suivante: "Dans les
écoles publiques, l'enseignement se donne en français.
Toutefois, le ministre de l'Education peut autoriser l'enseignement en
langue anglaise, aux conditions prévues par la loi, dans les classes
qu'il désigne, lorsque demande lui en est faite par des groupes
suffisamment nombreux de citoyens-parents domiciliés au Québec au
moment de l'adoption de la présente loi et dont les enfants ont
l'anglais pour langue maternelle. Les enfants dont la langue maternelle n'est
ni l'anglais ni le français font leurs études en français.
Toutefois, ceux qui ont commencé leurs études en anglais, au
moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, peuvent les
poursuivre dans cette langue, aux mêmes conditions qu'au paragraphe
précédent.
En lieu et place de ce régime, nous trouvons l'article 52, qui
substitue au principe de langue maternelle, la modalité de
contrôle administratif de la fréquentation scolaire des parents
actuellement domiciliés au Québec, combinée à la
règle de tolérance du maintien à l'enseignement en anglais
de tous ceux qui y sont déjà, quelle qu'ait été la
fréquentation scolaire de leurs parents et quelle que soit leur langue
maternelle, le français y compris. Ce changement, par rapport aux
positions du MQF, s'il est clair quant aux procédés
administratifs d'application de la loi, est au contraire plus obscur ou
complexe quant à la définition des droits, qui est plus
proprement l'objet d'une "charte".
En vertu de la modalité de la fréquentation scolaire
anglaise de l'un des parents, à qui donne-ton des droits à
tendance perpétuelle à l'enseignement en anglais au
Québec?
Bien sûr d'abord: aux véritables familles anglaises,
irlandaises, écossaises, et autres de langue anglaise, venues de partout
dans le monde et qui sont actuellement domiciliées au Québec;
de même qu'à toutes les familles d'immigrants venus
d'ailleurs que de l'Empire ou du Commonwealth britannique, et qui se sont
anglicisés par l'école depuis leur arrivée au
Québec;
Mais cela inclut aussi:
Les enfants de tous les francophones que leurs parents ont envoyé
à l'école anglaise au cours du dernier quart de siècle ou
plus et qui sont restés des francophones; en particulier les
enfants de tous les francophones revenus du reste du Canada et qui ont la
plupart du temps dû suivre l'école anglaise dans la province
d'où ils viennent;
les enfants de tous les Néo-Québécois qui,
quoique encore non intégrés ou même déjà
francophones, ont pu fréquenter l'école anglaise; en vertu
de la clause qui laisse à l'école anglaise ceux qui y sont
déjà, les enfants de tous les enfants déjà à
l'école anglaise et dont les parents francophones ou
Néo-Québécois n'ont pas fréquenté des
écoles anglaises. Ce cas signifie tout particulièrement que sont
abandonnés à l'anglicisation tous les enfants qui, de 1969
à 1977, ont systématiquement déserté la
communauté francophone à la faveur des lois 63 et 22.
Si le gouvernement modifiait la loi pour permettre aux nouveaux
arrivants venant du reste du Canada de tomber dans la catégorie des
inscriptibles à l'enseignement en anglais, ce droit s'étendrait:
-à tous les Canadiens qui, presque tous, n'ont fréquenté
que des écoles anglaises; -y compris à tous les francophones hors
du Québec qui ont ou n'ont pu fréquenter que des écoles
anglaises; -à tous les Néo-Canadiens venus au Canada, hors du
Québec, après 1977, alors que la même possibilité
serait exclue pour ceux qui s'installeront au Québec.
Du point de vue de la définition des droits, tout cela est fort
complexe. Et quand les tribunaux seront saisis des questions découlant
de la loi, par des personnes se plaignant de discrimination, de violation de
leurs "droits", les principes qu'ils essaieront de dégager de
l'économie de la loi, avec la variété des cas couverts,
risqueront d'aller vers l'élargissement plutôt que vers la notion
de "dérogation" que l'article 52 met opportunément de
l'avant.
Le gouvernement actuel veut, avec nous, un Québec
français. Pourquoi voulons-nous ou acceptons-nous d'accorder le
privilège spécial d'une garantie légale d'un droit
à l'enseignement en anglais, sans pour autant admettre une situation de
droit fondamental qui nous obligerait à accorder l'égalité
des droits, qui n'est même pas dans nos constitutions actuelles?
Cela ne se dégage sûrement pas avec clarté de
l'analyse des cas d'exception prévus par la loi proposée. Il n'y
a que deux règles qui peuvent expliquer clairement et sans
incohérences nos volontés ou intentions, sans compromettre notre
contestation du principe du libre choix, que tend à réintroduire
toute dérogation à ces règles: 1o une
règle basée sur une donnée historique, qui se relie
à la Conquête, à l'association spéciale qui en est
résultée entre nous et les Anglais établis au
Québec. En vertu de quoi, au moment où nous sommes
décidés à affirmer nos droits, nous voulons bien oublier
les injustices qui nous furent imposées et reconnaître un droit
spécial à l'enseignement en anglais pour le groupe minoritaire
proprement anglophone qui a résulté de cette situation et qui vit
actuellement avec nous; 2o une règle pratique basée
sur la ratification d'une situation établie, ratification qui, sans
conférer de droits, tend à simplifier l'application d'un nouveau
régime.
Le MQF, après avoir considéré longuement cette
question, en était venu finalement à proposer que l'on combine
les deux règles, mais sans des exceptions à l'une ou à
l'autre qui tendent à rouvrir sans cesse des portes sur le libre
choix.
La discussion serrée que le gouvernement a poursuivie pour la
rédaction de la Charte a sans doute contribué à
éliminer un certain nombre des fausses approches: droits acquis des
anglophones, date de l'arrivée des immigrants équivalant à
reconnaître des droits acquis à tous ceux qui sont entrés
avant la nouvelle loi, citoyenneté canadienne qui ramenait finalement le
libre choix au moment où l'immigrant devenait citoyen canadien, etc. Ce
sont des relents de cette dernière perception qui persistent quant au
critère de l'entrée au Québec par le Canada. Quoi qu'il en
soit, cette question ne met pas en jeu la nécessité de
différencier "immigrants" et "migrants à l'intérieur du
Canada", ou situation d'avant ou d'après l'indépendance. Dans le
cadre de la Confédération actuelle, le Québec est
habilité à définir les conditions linguistiques de
l'accession à l'école; et il ne serait pas plus contestable de ne
pas donner d'école anglaise aux nouveaux arrivants venant du reste du
Canada, que longtemps dans presque toutes les provinces et encore dans
plusieurs de ne pas rendre possible l'accès à des écoles
françaises de Canadiens venant du Québec.
Quant au critère de la fréquentation scolaire des parents
pris en lui-même, le MQF aurait mauvaise grâce d'en contester
complètement la valeur puisqu'il l'a lui-même envisagé en
cours de discussion. Mais il ne l'a alors conçu que comme intervenant
dans le cadre d'un processus où la langue constituait le principe
fondamental de détermination au plan de la considération
historique. Son utilisation visait à parer à l'objection que la
détermination du "véritable anglophone" allait obliger à
remonter dans l'histoire des familles, etc. Nous avons alors mis de l'avant
qu'en combinant le critère de la langue avec la modalité de la
fréquentation scolaire des parents, s'établissait une
présomption suffisante du caractère "anglais" de la famille et de
l'enfant. Mais, sans le critère de la langue, que signifie-t-il
finalement? Pourquoi des parents en général, de n'importe quelle
langue ou origine ethnique au Québec, se verraient-ils refuser le droit
à l'enseignement en anglais tout simplement parce qu'ils n'ont pas pris
plus tôt l'initiative d'y inscrire leurs enfants?
Les difficultés à ce sujet viennent de ce que les
techniciens ont tellement torturé le concept de "langue maternelle"
qu'ils ont fini par lui enlever sons sens obvié pour en faire quelque
chose de
compliqué à mesurer. La loi 22 a d'ailleurs
contribué à semer la confusion par le concept de "connaissance
suffisante de la langue d'enseignement", qui visait à permettre au
gouvernement d'alors d'assurer aux anglophones que le principe du libre choix
avait été maintenu et que seules des considérations
pédagogiques limitaient l'accès à l'école anglaise.
Mais pour une telle détermination, il fallait des tests. Et
l'application des tests a fait prendre ceux-ci en horreur à tout le
monde. Quand on fut revenu à la langue maternelle, les techniciens s'y
sont mis pour compliquer en définissant celle-ci comme "la
première langue apprise et encore comprise" ou la "seconde langue
apprise et encore parlée".
Le concept de "langue maternelle" n'est évidemment pas un concept
qui relève de tests ou de jeux de machines électroniques. Il veut
exprimer une réalité profonde qui est celle de la langue qui nous
fait ce que nous sommes. Elle est dite "maternelle" parce que, pour le jeune
enfant surtout, elle correspond à la langue que sa mère lui a
apprise. Mais pour les cas plus complexes de gens qui ont pu être
initiés dès le bas âge à une langue autre, et qui
ont tout oublié ou presque de cette langue initiale, il y a la langue
qu'ils parlent comme étant leur langue, celle qui leur sert de mode
d'expression premier, spontané et courant, celle qui les fait
français, ou anglais, ou allemand, etc. C'est le seul critère ou
principe qui permettra jamais de définir ce qu'est un "véritable
anglophone". En définitive, pour sortir de tous les faux dilemmes dans
lesquels nous ont engagé des discussions byzantines, il y aurait
peut-être lieu d'abandonner, en discutant cette question, la
phraséologie ou le vocable "langue maternelle" pour y substituer celui
de "langue de l'enfant", qui dit très clairement ce qu'il veut dire.
Avant d'écarter le concept de la langue comme base de
détermination de droit à l'enseignement en anglais, le
gouvernement a-t-il suffisamment pris conscience de la portée
limitée, au plan concret, des déterminations en jeu?
Dans le cadre du projet proposé, où tous ceux qui sont
déjà inscrits au cours anglais y restent, quels que soient leur
langue propre ou le type de fréquentation scolaire de leurs parents, la
question de la détermination des droits à l'enseignement en
anglais ne concerne finalement que les enfants qui entrent à
l'école pour la première fois cette année ou dans les
années à venir. La constatation de la langue de l'enfant devrait
être alors des plus simple: parler à l'enfant que l'on veut
inscrire à l'école anglaise au moment de son inscription,
après quoi le critère de fréquentation scolaire des
parents confirmera que sa connaissance de l'anglais perçue
spontanément est bien celle d'un véritable petit anglophone. CAR
BIEN SUR, PERSONNE NE VEUT PLUS VOIR REVENIR LA MÉTHODE DE
VÉRIFICATION PAR DES TESTS.
Par rapport au texte actuel de la loi (art. 52), la formule finale que
nous pourrions proposer d'un amendement convenable à ce sujet n'a
toutefois pas, vu le temps à notre disposition pour le
dépôt de ce mémoire à la Commission, pu être
définitivement mise au point dans le cadre des exigences
d'unanimité qui sont de règle au MQF. La question est
actuellement à l'étude pour décision au niveau des
instances de chacun des mouvements. Nos suggestions ou recommandations vous
seront communiquées soit par un addenda au présent
mémoire, soit au moment de notre comparution devant la Commission.
CHAPITRE IV
L'office de la langue française
Ce serait, par contre, le voeu unanime de tous les mouvements du MQF que
le gouvernement revienne sur sa décision de faire de l'Office de la
langue française un organisme dépendant directement du Ministre
et du ministère. Pour toutes les tâches qui incombent à
l'Office, que ce soit celles qui concernent la qualité du
français ou celles qui regardent la francisation des entreprises, etc.,
nous croyons que vaut beaucoup mieux un organisme que l'on peut dire non
partisan et qui dépendrait plutôt de l'Assemblée
nationale.
Tous les linguistes se retrouveront d'accord, pensons-nous, pour dire
que ce n'est pas l'Etat ou le gouvernement qui fait la langue d'un pays.
Même s'ils doivent dire que ce ne sont pas les linguistes non plus, il
reste que vis-à-vis du peuple, les décisions de l'Office en la
matière auront plus de poids si elles viennent de spécialistes
que de membres du personnel d'un ministère. Et il est bon que les
spécialistes ayant joué leur rôle, ce soit également
un pouvoir indépendant d'eux qui puisse le ministère
alors prendre certaines contreparties, non pas d'autorité mais au
nom du peuple qu'il essaie de représenter et dans le cadre d'un
débat dont l'Assemblée nationale pourra être saisie
plutôt que le ministre décide seul.
Quand à des problèmes comme la refrancisation des
entreprises, il nous paraît préférable également
qu'une autorité indépendante dégage l'application des
politiques du risque de partisannerie, ou même simplement de la
possibilité d'accusations de ce genre fondées ou non; et aussi du
danger d'arbitraire possible de décisions ministérielles qui
pourraient être imposées à un président, simple
fonctionnaire supérieur ou sous-ministre.
Nous ne pouvons qu'approuver vivement la création d'une
Commission de Toponymie et les pouvoirs qu'on lui confère. Les arguments
qu'on a développés à l'encontre constituent une sorte
d'injure à l'adresse de personnes compétentes à qui le
gouvernement, nous en sommes sûrs, verra à confier les
tâches à accomplir. Le rôle délicat d'une telle
commission constitue également une bonne raison pour que l'Office dont
elle dépendra ne dépende pas lui-même du Ministre. Il
faudrait éviter que l'on puisse parler de "vengeance politique" ou
"ethnique", comme on a déjà commencé à le dire dans
les
milieux hostiles aux véritables intérêts de la
nation française du Québec. Il reste qu'il est parfaitement
légitime qu'un peuple veuille effacer de la carte de ses noms de lieux,
des désignations qui sont "histo-risques" pour le Conquérant et
qui ont été données dans une situation de domination qui
n'a pas tenu compte des droits et des sentiments du peuple qui a le pays pour
patrie. Il n'y a sans doute pas que des mauvais souvenirs qui soient
associés aux noms de lieux du Québec marqués par la
présence anglaise. Et nous sommes d'accord pour que certains de ces noms
soient conservés comme témoins de cette Dhase de notre histoire
dont nous n'avons pas à avoir honte. L'obligation de se soumettre
à la force brutale n'a jamais déshonoré personne. Et
d'autant moins à partir du vote de la Charte, qui témoignera de
notre fidélité, de notre résistance à
l'assimilation, et finalement de notre victoire. Mais il est normal que le
peuple du Québec, en pleine possession de ses moyens, décide
lui-même des noms des lieux à portée historique, et
élimine ceux qui n'ont de valeur de souvenir que pour exprimer les coups
de force du Conquérant.
CONCLUSIONS
En vertu du mécanisme qui le caractérise, le MQF ne se
trouve concerné, dans les questions relatives à la langue
française, que sur les points au sujet desquels l'ensemble des
mouvements concernés ont déjà fait leur unanimité
et reçu, sur les sujets en cours, l'appui de leurs instances
respectives. C'est pourquoi le présent mémoire ne prétend
pas avoir dit tout ce qu'il y avait à dire sur le présent projet
de loi, mais seulement, ce qu'il y avait à dire sur les questions au
sujet desquelles une opinion unanime s'était formée entre les
mouvements au cours des années 1971 à aujourd'hui.
Dans cette perspective, nous terminons en soulignant au gouvernement
que, sauf peut être sur des points de détail, à examiner de
près d'ailleurs pour voir si quelque changement mettrait en jeu des
principes de base et vicierait toute la loi, ainsi que cela se produisait dans
la loi 22, la Charte de la langue française telle que
rédigée n'est à peu près pas amendable, dans le
sens d'un élargissement de la place de l'anglais. Sa rédaction
soignée et précautionneuse montre bien que le gouvernement a
déjà été suffisamment influencé par
l'atmosphère ambiante qu'ont créée les deux lois
antérieures 63 et 22; et qu'il a en conséquence introduit dans la
loi le maximum, et un peu plus, ce qu'il était possible d'accorder aux
anglophones sans mettre en cause l'économie même d'une loi qui
veut et qui doit rester la Charte de la langue française seule langue
officielle au Québec.
C'est en restant ferme dans son souci d'assurer le respect et la
dignité du caractère intégralement français du
Québec que le gouvernement se fera respecter par la minorité
anglophone elle-même. Tenter de la démobiliser par des concessions
ne fera que l'encourager à réclamer encore davantage. Le meilleur
moyen d'en finir avec l'opposition anglophone, c'est de tenir bon jusqu'au
bout, du moment que nous avons la certitude d'être parfaitement dans
notre droit. C'est pour quoi il est psychologiquement si important de nous
donner la peine de bien comprendre notre histoire, de la bien connaître,
afin d'éviter d'avoir des doutes sur nos propres droits, de nous sentir
obligés de reconnaître aux anglophones des espèces de
droits qu'eux considéreront ensuite comme sacrés pour nous
impressionner davantage.
Tout en manifestant la plus grande confiance au gouvernement sur cette
matière, confiance qu'il s'est déjà largement
méritée en osant déposer le projet de loi actuel, le MQF
sait tout de même que la partie n'est pas finie tant que la loi n'aura
pas été votée. Et que par suite le gouvernement va subir
un assaut majeur avant que le rideau tombe sur le sort de cette loi. Aussi nous
nous croyons obligés, et nous estimons que c'est
l'honnêteté qui nous y oblige, de dire que nous ne pourrions pas
accepter, sans rentrer dans la lutte et redevenir des opposants acharnés
comme nous l'avons été contre les lois 63 et 22, quelque
amendement que ce soit qui aurait comme conséquence, même si on
prétend que ce n'en est pas l'objet, d'établir l'anglais au
Québec dans une situation de droit fondamental sur quelque point que ce
soit. D'ailleurs, nous prenons la présente Charte pour ce qu'elle est,
en regard des droits accordés aux anglophones: une loi statutaire, donc
modifiable à volonté par l'Assemblée nationale selon les
effets fastes ou néfastes qui en pourraient résulter.
En vertu du respect des droits fondamentaux de la personne ou des
collectivités ethniques de portée non nationales, les avantages
qu'accorde le projet de loi no 1 à la minorité anglaise
excèdent en effet de beaucoup ce que réclament, dans ces cas, les
chartes universelles des droits de l'homme et les Conventions internationales.
Nulle part, dans ces textes fondamentaux, il n'est question du droit au libre
choix de la langue d'enseignement; tout au contraire, c'est d'abord la
protection des droits des langues nationales pour les peuples justifiés
de s'autodéterminer qui prime. La Cour Internationale des droits de
l'homme a déjà clairement porté jugement dans des causes
de ce genre. Et son jugement a été catégorique: il
n'existe pas de droits linguistiques fondamentaux qui permettent le libre choix
de la langue d'enseignement. Ce qui existe, c'est le droit fondamental de toute
minorité ethnique de créer des écoles, au besoin avec
l'aide de l'Etat, où elle pourra faire enseigner sa langue, non pas
donner l'enseignement dans sa langue. Et ceci à deux conditions: a)que
les minorités ne se servent pas de ces écoles pour s'isoler de la
communauté nationale; b) que le fonctionnement de ces écoles ne
constitue pas un danger pour la souveraineté nationale.
II est évident que la minorité anglophone du Québec
jouira de beaucoup plus que cela en vertu de la Charte proposée. Et il
n'est pas sans intérêt de rappeler, contrairement à ce que
laissent aisément croire les luttes des dernières années,
que ce ne sont pas les francophones du Québec, si injustement qu'ils
aient été traités en matière linguistique dans leur
propre "province", qui ont engagé la lutte pour que la question de la
langue soit réglée au Québec par voie législative
au delà des bases constitutionnelles établies respectivement en
1774 et 1867. Mais bien les anglophones; et dans les circonstances les plus
injustifiables.
Depuis la Confédération, ce n'est qu'après un
demi-siècle de patience que les Québécois se
décidèrent à entreprendre une action un peu plus
concrète pour réclamer la réalisation, dans Québec
même, des promesses qui leur avaient été faites en 1867.
C'est alors que se fonda, en 1912, la Ligue des Droits du français.
Depuis ce temps, et jusqu'à tout récemment, cet organisme, de
même que les Sociétés Saint-Jean-Baptiste, les Chambres de
Commerce et les organisations syndicales, s'en sont tenus à la politique
d'incitation auprès des entreprises (et aussi du gouvernement
fédéral, qui n'est pas en cause dans le présent
débat), pour obtenir le respect du français sur les timbres, sur
la monnaie, dans l'étiquetage et l'affichage, dans la non discrimination
au niveau de l'emploi, dans l'enseignement du français aux écoles
anglaises, et dans l'attribution des hauts postes de l'administration et des
conseils, etc. Il y eut des progrès, mais ils ont été si
lents et si peu satisfaisants dans un pays à 80% français qu'il
faut aujourd'hui légiférer.
Mais le premier affrontement est venu des Irlando-catholiques, lorsqu'en
1961, devant le problème de l'orientation accentuée des
Néo-Québécois vers l'école anglaise, le
gouvernement de Québec autorisa la CECM à créer des cours
bilingues pour les enfants de cette partie de la population catholique de
Montréal. Les professeurs anglais de la CECM déclarèrent
tout net qu'ils feraient la grève de l'enseignement en anglais dans de
tels cours s'ils étaient établis et la CECM capitula. Le secteur
anglais de la CECM s'arrogeait le droit de garder le contrôle des
Néo-Québécois. C'est ce problème qui se transporta
à Saint-Léonard, où l'affrontement devint chaud, mais en
provenance encore des Anglo-catholiques soutenant les Italiens contre le projet
de cours bilingues de cette commission scolaire. La Saint-Jean-Baptiste de
Montréal avait approuvé, à cette époque, dans
l'espoir de pacifier les esprits, ce projet de cours bilingues pour les
Halo-Québécois, qui prétendaient vouloir l'école
anglaise uniquement parce que l'anglais n'était pas suffisamment bien
enseigné dans les écoles françaises. C'est à la
suite de ce refus des Italiens d'accepter les cours bilingues que se forma La
Ligue d'Intégration scolaire, qui réclama que tous les
Italo-Québécois soient inscrits aux écoles
françaises, et qui assura l'élection de Commissaires
décidés à appliquer cette règle.
La colonie anglophone de Montréal prit alors fait et cause pour
les revendications des Italo-Québécois en faveur de
l'école anglaise et réclama du gouvernement de Québec la
garantie légale du libre choix de l'école entre école
française et école anglaise, afin d'enlever à la
Commission scolaire de Saint-Léonard le pouvoir qui relevait d'elle de
décider de cette question. C'est en vertu de cette situation
résultant de notre largeur de vues qu'avait fonctionné au
Québec, en dépit des dispositions constitutionnelles, un
régime permettant le développement d'un secteur anglais
d'enseignement. En l'absence de lois établies par le gouvernement du
Québec sur le sujet, chaque commission scolaire avait la faculté
de décider de la langue d'enseignement, qui aurait pu aussi bien
d'ailleurs être l'italien ou l'allemand. Les protestants s'étaient
largement prévalu de cette faculté par le biais de la garantie
constitutionnelle sur la confessionnalité, qui leur permet de constituer
des commissions scolaires dont la quasi totalité des administrés
étaient de langue anglaise; et au point qu'il fallut une bataille
rangée, dans laquelle le gouvernement du Québec ne jugea jamais
à propos d'intervenir, pour obtenir des classes françaises pour
les protestants français devenus plus nombreux après la guerre.
Du côté catholique, où la majorité était
nettement française, on avait été plus
généreux encore; et laissé un secteur anglais non officiel
se constituer à l'intérieur de la CECM en majorité
française pour administrer ses écoles anglaises où on
attirait les immigrants catholiques pour étoffer ces effectifs et gagner
plus d'écoles, d'où le problème qu'avait voulu
régler le gouvernement de Québec en 1961, en autorisant la
création de classes bilingues dans le secteur français.
Les Anglo-Canadiens firent tant et si bien sur l'affaire de
Saint-Léonard pour forcer la main du gouvernement qu'à l'occasion
d'une élection complémentaire dans un comté anglais de
Montréal, ils arrachèrent au nouveau premier ministre
Jean-Jacques Bertrand la promesse d'une législation qui
dépouillerait les commissions scolaires de leurs pouvoirs et les
obligerait à respecter le libre choix, c'est-à-dire à
donner des classes anglaises aux parents qui le demanderaient. Ce fut le bill
63, après un premier échec pour faire adopter le "bill 85".
C'est alors que se produisit la levée de bouclier des
Québécois francophones, qui avaient accepté depuis 200 ans
de laisser évoluer la question selon le régime de droit
constitutionnel établi depuis 1774, sans réclamer de lois
particulières au Québec. La loi 63 constituait une trahison, car
il y était posé en principe pour la première fois dans
notre droit que le Québec est officiellement bilingue, vue la
reconnaissance de l'égalité des deux langues au Québec,
nous dépouillant du coup de la possession libre et tranquille de notre
unique patrie sur le plan juridique.
Le régime du règlement de ces questions par voie
législative étant enclenché par les revendications
injustifiées des Anglo-Canadiens, il fallait maintenant aller jusqu'au
bout. Et il n'y avait pas d'autre bout acceptable et efficace que de mettre en
clair dans les lois du Québec ce qui avait toujours été le
fondement de notre position constitutionnelle: le français seule langue
officielle au Québec. La loi 22
avait aggravé la question en ajoutant des droits nouveaux
à ceux de la loi 63 pour les Anglo-Canadiens, tout en tentant de limiter
le flux des enfants vers l'école anglaise en vertu de
considérations pédagogiques. La Charte actuelle doit être
telle qu'elle règle définitivement la question avant que se forme
vraiment un droit pour un Québec bilingue en vertu de lois votées
par notre Assemblée nationale en majorité française.
Nous sommes convaincus que c'est la trop grande ignorance de notre
histoire en général, comme celle même de ces
événements des dernières années qui explique les
réticences ou les tiraillements qu'éprouvent tant des
nôtres à mettre un point final à cette lutte où nous
avons dépensé tant de nos énergies, comme si le monde
anglophone s'était donné le mot de nous y occuper pendant qu'il
s'installait dans le contrôle de l'économie. Il est temps que nous
renversions au moins la vapeur et que notre gouvernement nous redonne la
liberté de passer nos journées à autre chose qu'à
des activités pour nous tenir tout simplement en vie et pour survivre.
C'est pourquoi nous voulons que le présent gouvernement, étant
donné toute sa valeur symbolique dans notre histoire, garde la
fermeté nécessaire pour ne rien céder sur nos droits en la
matière. C'est pourquoi nous applaudissons à l'effort
sérieux qu'il a entrepris pour cela. Pourquoi nous voulons aussi qu'il
le règle de façon claire dans tous les aspects de la
question.
La question de l'article 52
Notre mémoire de base a déjà bien mis en valeur le
manque de netteté qu'engendre, dans l'établissement des principes
de droit et dans l'interprétation de la loi, l'abandon du principe de la
langue maternelle, et l'utilisation du seul critère administratif de
fréquentation scolaire anglaise des parents actuellement
domiciliés au Québec.
D'autre part les événements des trois dernières
années ont rendu nos Mouvements très sensibles dans le sens de
très hostiles, à tout système de vérification de la
langue maternelle au moyen de tests.
En conséquence, nous proposons donc que le critère de "la
langue de l'enfant" soit rétabli dans la législation pour poser
le principe de la définition des droits à l'enseignement en
anglais; MAIS SELON UN MODE PLUS SOUPLE D'APPLICATION qui retiendrait la
fréquentation scolaire de l'un des parents comme critère
déterminant de l'inscription à partir d'une simple
déclaration des deux parents sur la langue de l'enfant. Il
appartiendrait au Ministre seul de contester au besoin la
véracité de la déclaration des parents et de prendre les
décisions nécessaires quant au retour éventuel de certains
enfants au secteur français.
La prescription que tous les enfants actuellement inscrits à
l'enseignement en anglais peuvent continuer leurs études dans cette
langue faciliterait au départ l'application de la loi, dont les
dispositions générales ne concerneraient que les nouvelles
inscriptions. La possibilité de l'intervention du Ministère pour
contester les déclarations parentales fausses suffira sans doute
à inciter la très grande majorité des parents à
respecter la lettre et l'esprit de la loi. A la limite extrême de
tolérance des normes pour les fausses déclarations, la situation
équivaudrait à appliquer la loi telle qu'elle se trouve
actuellement formulée: seul compterait le critère de
fréquentation scolaire. En fait, l'obligation de signer la
déclaration sur la langue tendrait presque certainement à
réduire le nombre des non-anglophones à qui le texte actuel de la
charte va permettre de profiter de leur fréquentation de l'école
anglaise pour intégrer finalement leurs enfants au groupe anglophone. De
toute façon, l'affirmation du principe de la langue sera utile pour
l'interprétation de la loi dans toute contestation devant les
tribunaux.
En conséquence, nous recommandons le remplacement de l'article 52
actuel par un texte du genre suivant: 52. Par dérogation, à
l'article 51, peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande
de leur père et mère, les enfants dont la langue est l'anglais
quand leurs parents étaient domiciliés au Québec au moment
de l'entrée en vigueur de la présente loi.
Une déclaration simple des parents sur la langue de l'enfant,
assortie de la preuve qu'au moins l'un d'entre eux a fait son cours primaire en
anglais assurera l'inscription a l'enseignement en anglais. Le Ministère
pourra cependant, au besoin, saisir les tribunaux de toute déclaration
qu'il a lieu de croire fausse, et demander la réintégration de
l'enfant à l'école française. (Prévoir ici une
procédure rapide dans les formes appropriées).
Toutefois, pour faciliter l'application de la présente loi, les
enfants déjà valablement inscrits à l'enseignement en
anglais au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi,
pourront continuer ainsi leurs études jusqu'à la fin du
secondaire, nonobstant leur langue et la fréquentation scolaire si tel
doit être le cas. Les enfants non anglophones n'acquerront pas de ce
fait, le droit à l'enseignement en anglais pour leurs descendants.
A tout événement, le moins que l'on puisse attendre du
gouvernement, s'il se refuse absolument à réintroduire dans la
loi le principe de la langue, c'est qu'il applique le critère de la
fréquentation scolaire des parents d'une façon plus
intégrale, notamment en limitant strictement à ceux qui y sont
déjà, à l'exclusion de leurs descendants, la
possibilité d'être à l'enseignement en anglais sans aucun
parent ayant fréquenté l'école anglaise.
ANNEXE4
Mémoire du Montreal Board of Trade le 26 mai 1977
Commission parlementaire sur l'Éducation, les Affaires
culturelles et les Communications Assemblée nationale du Québec
Hôtel du Gouvernement Québec, P.Q.
Messieurs,
Le Montreal Board of Trade désire, par la présente, faire
part de ses opinions à la Commission parlementaire sur
l'Éducation, les Affaires culturelles et les Communications relativement
au projet de loi no 1 intitulé "Charte de la langue française au
Québec" et présenté en première lecture à
l'Assemblée nationale le 27 avril 1977.
Depuis sa fondation en 1822, le Montreal Board of Trade a
participé, par l'intermédiaire de ses membres, à tous les
aspects de la croissance de la région montréalaise.
A ce jour, le Board compte parmi ses membres 2900 entreprises, grandes
et petites, oeuvrant dans tous les secteurs économiques et industriels
de la région montréalaise, ce qui en fait le deuxième plus
grand organisme du genre au Canada.
Tant en période de crise que de prospérité, le
Board n'a cessé de poursuivre le but qui lui a été
fixé de "promouvoir le mieux-être économique de
Montréal, du Québec et du Canada".
Le Board a pour unique raison d'être de servir au mieux les
intérêts économiques de la collectivité au sein de
laquelle oeuvrent ses membres.
Comme il l'a maintes fois indiqué, le Board donne sa pleine
adhésion à l'utilisation du français comme langue
première au Québec ainsi qu'à la promotion incitative et
non discriminatoire de cette langue et de la culture qu'elle reflète,
tant au Québec qu'ailleurs au Canada. C'est dans cette perspective que
nous soumettons ce mémoire traitant du projet de loi no 1. "Charte de la
langue française au Québec".
Le Board ne partage pas l'avis selon lequel la langue et la culture
françaises au Québec seraient sur leur déclin ou en
danger. Il entretient, de plus, des doutes sérieux quant aux chances de
réussite d'une législation coercitive visant à
l'avancement d'un groupe linguistique défini dans le milieu des affaires
et du commerce.
Le Montreal Board of Trade tient à soumettre les observations et
opinions générales suivantes quant aux principaux
éléments qui le préoccupent. Ces derniers sont
étudiés en détail dans le mémoire ci-joint.
Droits et libertés de la personne
(Préambule et divers articles du projet de loi)
Les droits et libertés de la personne déjà
consacrés par la loi et nos traditions ne sauraient être amoindris
par une législation subséquente. Le projet de loi no 1 y porte
atteinte:
(i) en refusant d'accorder le droit d'en appeler devant les tribunaux de
toute décision ou de tout jugement "final" de l'Office de la langue
française quant à l'émission des certificats de
francisation, de tout autre document de travail exigé par la loi, ainsi
que des décisions de la commission d'appel instituée en vertu de
l'article 55;
(ii) en refusant à l'individu le droit de postuler librement et
d'obtenir un emploi et des promotions, ainsi que le droit réciproque de
l'employeur de choisir un candidat ou de congédier un employé en
fonction des aptitudes dont il fait preuve face aux exigences du poste offert
ou détenu, sans égard à l'origine ethnique, culturelle ou
linguistique;
(iii) en refusant aux groupes et organismes publics, parapublics et
privés de communiquer entre eux et sur le plan interne dans la langue de
leur choix.
Il devrait être tenu compte de toutes les considérations
qui précèdent en apportant les amendements qui s'imposent au
projet de loi et notamment, comme minimum, en supprimant l'article 172 qui
donne priorité à la nouvelle Charte de la langue française
sur la Charte québécoise des droits et libertés de la
personne.
Le respect des droits et libertés de la personne constitue le
fondement même de la démocratie au Québec. Une loi
destinée à promouvoir la langue française ne devrait pas
diluer les éléments de base de la société libre que
l'on trouve actuellement au Québec. Il importe de fortifier, et non
d'affaiblir les sociétés libres. Le Montreal Board of Trade
reconnaît néanmoins qu'il est, en général, difficile
de concilier les droits collectifs et les droits individuels dans une loi, tout
en sauvegardant les principes de base
de notre régime démocratique. Celui-ci exige que les
droits et libertés individuels ne soient réduits qu'en cas
d'extrême urgence. Aussi est-ce dans cette perspective que le Board of
Trade désire signaler au Gouvernement les éléments du
projet de loi qui lui semblent déroger à ce principe. De plus, en
légiférant dans un domaine comme celui de la langue, il importe
d'éviter par tous les moyens d'ouvrir la voie à l'intervention de
l'État en fonction de particularités individuelles d'ordre
ethnique, culturel ou linguistique; l'histoire ayant démontré
qu'il peut en résulter des abus, sinon la destruction éventuelle
de la démocratie.
La langue de l'enseignement (Articles 51 à
59)
Le Montreal Board of Trade demeure d'avis que, dans
l'intérêt de tous, il vaut mieux laisser le libre choix de la
langue d'enseignement aux parents des élèves en cause.
Si, toutefois, le Gouvernement juge à propos de diriger les
enfants d'immigrants vers le système scolaire français en
dépit de tous les risques que cela suppose, ces mesures devraient se
limiter aux futurs immigrants non anglophones et non francophones qu'il
conviendrait de prévenir de ces exigences avant qu'ils fassent leur
demande d'immigration.
Dans son contexte actuel, le projet de loi no 1 crée, entre
autres,
(i) une distinction non fondée entre les francophones et certains
anglophones.
Alors que certains anglophones pourront opter pour l'un des deux
systèmes scolaires, les francophones n'auront d'autre choix que
d'envoyer leurs enfants à l'école française; (ii) deux
classes de citoyens canadiens anglophones; ceux qui ont un lien établi
avec le Québec et ceux oui n'en ont pas;
(iii) une entrave à l'établissement permanent au
Québec de citoyens anglophones en provenance d'autres régions du
Canada et du monde.
Si ce n'est que sous ce seul rapport cette situation nuira aux
sièges sociaux au Québec des entreprises nationales et
internationales où la mobilité du personnel est très
importante.
Quantité de sièges sociaux d'entreprises nationales et
internationales, de même que d'organismes internationaux comme l'OACI,
sont installés au Québec, notamment dans la région
montréalaise. Ce phénomène s'explique par le fait que
l'enseignement y est disponible à tous les niveaux en français et
en anglais (deux des langues les plus parlées dans le monde). Cette
présence des sièges sociaux a également été
rendue possible par l'utilisation généralisée, dans la
région montréalaise, de deux langues "internationales" et son
enrichissement consécutif par l'apport de plusieurs autres cultures.
En ajoutant à cela une situation géographique
privilégiée qui facilite les communications avec le reste de
l'Amérique du Nord et les autres pays du monde, la région
montréalaise jouit d'une position des plus enviables. Elle est en mesure
d'offrir une qualité de vie que peut-être nulle autre ville
d'Amérique du Nord pourrait égaler. Aussi le Montreal Board of
Trade recommande-t-il instamment au Gouvernement d'assurer, dans toute
législation qu'il présentera à l'Assemblée
nationale, y compris le projet de loi no 1, à la fois la sauvegarde et
la mise en valeur de cette marque distinctive de la région
montréalaise. Le Board reconnaît que d'autres villes canadiennes
livrent une concurrence intense à Montréal sur le plan
économique et commercial en vue d'attirer chez elles les sièges
sociaux des grandes entreprises. Montréal n'en demeure pas moins le lieu
de résidence de bon nombre d'entreprises d'envergure nationale et
internationale. La métropole et le reste de la province tirent avantage
de la présence de ces sièges sociaux, comme en témoignent
les statistiques publiées récemment par 13 grandes entreprises
dont les sièges sociaux emploient à eux seuls environ 13 300
personnes et engagent des dépenses brutes directes de l'ordre de $430
millions en salaires, loyers, services, etc. Bien que l'apport direct des
sièges sociaux à l'économie montréalaise soit
considérable, il ne représente qu'une fraction des avantages qui
en découlent pour l'ensemble de la collectivité, compte tenu des
dépenses de leurs employés au Québec et de leur effet
multiplicateur, ainsi que du soutien accordé par les sièges
sociaux et leur personnel aux oeuvres de bienfaisance, aux universités,
au clergé, aux organismes culturels et sportifs, et ainsi de suite.
Francisation des services et entreprises
(i) Permis et licences
L'émission et le maintien de tout genre de permis ou de licence
ne peuvent être assujettis à des considérations autres que
celles pour lesquelles le permis ou la licence ont été
institués. (Ex.: les règlements de zonage, la santé, la
sécurité, etc.)
De même, la fourniture de tout bien ou service aux consommateurs
par un organisme public ou régi par l'Etat (ex.:
l'électricité, le gaz, le transport, etc.) ne devrait être
assujettie à aucune considération d'ordre politique.
Compte tenu de ce qui précède, le Board recommande que la
ligne de conduite dont le libellé apparaît ci-dessous soit
incorporée à la Charte et fasse l'objet de l'article 106:
...seules les entreprises de cinquante salariés ou plus devront
posséder un certificat de francisation pour avoir le droit de recevoir
de l'Administration des primes, subventions, concessions ou avantages, et de
fournir au Gouvernement des biens et services...
(ii) Le comité de francisation
Puisque le projet de loi no 1 confie la responsabilité de la
francisation à l'entreprise, c'est à la direction de
l'entreprise, qui est en vertu de notre droit des compagnies, chargée du
respect des lois et règlements la régissant, qu'il devrait
appartenir d'assurer l'élaboration et la mise en oeuvre du programme de
francisation en vertu du projet de loi no 1. Par conséquent, aucun autre
comité ou organisme ne devrait avoir la responsabilité de voir
à ce que l'entreprise se conforme à l'article 106.
On pourrait cependant charger la direction d'affecter une seule personne
à la mise en oeuvre du programme, et cette dernière pourrait
alors constituer un comité de la taille voulue, composé
d'employés et d'autres collaborateurs afin de la seconder.
(iii) Les sièges sociaux
Compte tenu de la situation particulière des sièges
sociaux d'entreprises nationales et internationales établis au
Québec, le Board recommande instamment que les programmes de
francisation qu'on leur demande de mettre en oeuvre soient clairement
définis dans la loi, plutôt que dans une réglementation
subséquente.
Cette mesure permettrait de stabiliser une situation qui, autrement,
pourrait avoir de graves répercussions sur l'économie, et elle
réduirait en outre la portée possible des interventions
administratives au-delà des intentions du législateur.
Dans le cadre de l'obtention du certificat de francisation, il importe
de toujours garder à l'esprit que les sièges sociaux
d'entreprises nationales et internationales font face aux impératifs
suivants:
(a)Evoluer dans un contexte qui permet le libre mouvement du personnel
entre le siège social et les filiales et divisions, où qu'elles
soient situées.
(b) Pouvoir rédiger les documents internes dans la langue de leur
choix, selon les besoins de l'entreprise.
(c) Faire en sorte que les filiales, divisions et bureaux
régionaux puissent communiquer avec le siège social, où
qu'il soit situé, dans la langue de leur choix mutuel.
La langue de certains organismes parapublics (Articles
25 à 32)
Les membres des ordres professionnels.
Nous supposons que l'expression "doivent communiquer en français"
dans l'article 27 n'exclut pas l'usage de l'anglais, et pour plus de
clarté, il conviendrait de l'affirmer.
Si seul le français doit être utilisé, la
disponibilité des membres d'ordres professionnels en provenance d'autres
provinces canadiennes en vue de leur recrutement par des entreprises du
Québec, serait sérieusement compromise.
De plus, les membres de longue date des ordres professionnels du
Québec dont la langue première est l'anglais en subiraient un
tort injuste.
Bon nombre d'employés d'entreprises provinciales, nationales et
internationales établies au Québec proviennent d'autres provinces
ou d'autres régions du monde et sont tenus d'être membres d'ordres
professionnels provinciaux afin de pouvoir exercer leur profession au
Québec. Quantité d'entre eux ne traitent pas avec le public
québécois et l'essentiel de leur travail au sein de ces
entreprises est strictement soit interne ou exclusivement avec une
clientèle de l'extérieur. Plutôt que d'assujettir ses
employés à la réglementation relative à la langue
officielle, le Gouvernement devrait leur offrir, en collaboration avec les
ordres professionnels, les incitations et les moyens voulus pour leur permettre
d'apprendre le français, à titre d'attrait supplémentaire
de leur travail au Québec.
L'obligation imposée aux membres d'ordres professionnels de se
présenter à des examens pour le renouvellement de leur permis est
de nature à influer sur la venue au Québec de spécialistes
en provenance d'autres régions du Canada et du monde qui pourraient
assurer un apport à l'économie du Québec.
Le Montreal Board of Trade souhaite avoir l'occasion de se
présenter devant la Commission en vue de soutenir et de préciser
les points de vue exposés dans la présente et de participer
à la formulation d'une Charte de la langue française qui serve
les intérêts de toute la population québécoise. Le
Board of Trade apprécierait vivement que la Commission lui accorde, si
la chose est possible, une audience individuelle.
Le tout soumis respectueusement.
Le président, B.J. Finestone
Référer à la version PDF page CLF-1010
Référer à la version PDF page CLF-1011
Référer à la version PDF page CLF-1012
Référer à la version PDF page CLF-1013
Référer à la version PDF page CLF-1014
Référer à la version PDF page CLF-1015
Référer à la version PDF page CLF-1016
Référer à la version PDF page CLF-1017
Référer à la version PDF page CLF-1018
Référer à la version PDF page CLF-1019
Référer à la version PDF page CLF-1020
Référer à la version PDF page CLF-1021
Référer à la version PDF page CLF-1022
Référer à la version PDF page CLF-1023
Référer à la version PDF page CLF-1024
Référer à la version PDF page CLF-1025
Référer à la version PDF page CLF-1026