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Audition des mémoires sur
le projet de loi no 1 :
Charte de la langue française
au Québec
(Dix heures neuf minutes)
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Je demanderais à tous les gens de regagner leurs fauteuils.
A l'ordre, je vous en prie! J'ai constaté le quorum. Il est par
la suite présumé. Je fais l'appel des membres de la commission:
M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M.
Chevrette (Joliette-Montcalm) remplacé par M. Cnarbonneau
(Verchères); M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille
(Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M.
Grenier (Mégantic-Compton) remplacé par M. Bi-ron
(Lotbinière); M. Bisaillon (Sainte-Marie) remplacé par M. Gravel
(Limoilou), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M.
Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le
Moignan (Gaspé), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M.
Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).
Nous avons encore les représentants de la Banque de
Montréal pour lesquels il reste une trentaine de minutes. Ensuite, le
Conseil du patronat, mémoire 7; la Fédération des
travailleurs du Québec, mémoire 128; Bell Canada, mémoire
65; Conseil des hommes d'affaires québécois, mémoire 4;
Protestant School Board of Greater Montréal, mémoire 23.
Il reste présentement, pour les membres présents de la
commission, 32 minutes pour terminer l'étude du mémoire de la
Banque de Montréal.
J'invite les représentants de la Banque de Montréal
à s'approcher.
La parole est à Mme le député de L'Acadie.
Banque de Montréal (suite)
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je yeux d'abord
remercier le président de la Banque Je Montréal qui
s'était déplacé hier et les autres représentants de
la Banque de Montréal pour être venus faire valoir leur point de
vue devant cette commission parlementaire.
Je pense que leur mémoire, contrairement à quelques autres
que nous avons entendus, se situe vraiment dans un esprit de conciliation et de
représentation raisonnable qui veut expliquer aux membres de cette
commission les impératifs de fonctionnement auxquels ils sont
soumis.
Très brièvement, je voudrais d'abord leur dire que je
reconnais, et ils ne sont pas les premiers à le signaler, le pouvoir
illimité qui est accordé à l'Office de la langue
française et surtout l'absence de pouvoirs d'appel en cas de conflit. Si
on tient compte de la formation aussi de l'Office de la lan- gue
française dont un seul homme sera responsable, je pense qu'il y aurait
certainement lieu, et j'ose espérer que le gouvernement révisera
la formation de cet office...
Vous avez également soulevé des difficultés
concernant les étudiants des écoles secondaires. Je ne sais pas
si le ministre d'Etat au développement culturel a voulu blaguer, mais il
a mentionné la possibilité qu'on ait des classes d'accueil.
Evidemment, dans l'esprit du gouvernement actuel, les gens qui viennent de
l'extérieur de la province, même si le Québec n'est pas
indépendant, sont des immigrants. Je pense qu'il faudrait
peut-être réfléchir un peu moins superficiellement à
ce problème, quand il arrive des étudiants qui sont en secondaire
3, 4, 5 ou à leur dernière année de secondaire. Je pense
qu'on pourrait peut-être tenter de trouver d'autres formules
d'accommodement plutôt que d'envoyer dans des classes d'accueil des gens
qui sont tout aussi canadiens que leurs concitoyens du Québec.
Je voudrais d'abord vous demander d'expliquer ce que le président
de la banque a laissé entendre hier. Quelle est la nature de ce
problème qu'il a souligné, à savoir la concurrence avec
les banques dont les sièges sociaux se trouvent à
l'extérieur du Québec? De quelle façon voyez-vous que ceci
puisse être une difficulté dans la conservation, par exemple, du
siège social à Montréal? Quelle est la nature et
l'extension de ce problème de concurrence pour la banque de
Montréal? Je ne sais à qui adresser ma question...?
Le Président (M. Cardinal): M. de Jocas.
M. de Jocas: Je vous transmets les excuses de M. McNeil qui, pour
des raisons qui ont été expliquées hier, n'a pas pu
être ici ce matin; il le regrette.
Ce domaine de la concurrence au sein de l'industrie bancaire est un
point majeur sur lequel on ne pourrait suffisamment appuyer. Il y a une
très grande concurrence au sein des banques, au sein des grandes banques
nationales, au sein des banques mondiales; il y a un degré d'expertise
qui est requis. Beaucoup sont à la recherche des mêmes talents et
la disponibilité des candidats est relativement restreinte dans certains
domaines. Dans la mesure où il y aurait au Québec des contraintes
qui nous empêcheraient d'attirer chez nous, une banque nationale et
internationale avec son siège social à Montréal, ces gens
compétents, pour des raisons extérieures aux opérations de
la banque, tel que souligné dans notre mémoire, avec la
possibilité d'intégrer les familles dans des conditions qui leur
conviennent au Québec, nous sommes en position concurrentielle
désavantageuse. J'ai mentionné hier qu'il y avait eu
déjà des manifestations de ce phénomène et nous
craignons que la loi no 1 telle que proposée ne fasse qu'empirer cette
situation. C'est pourquoi nous proposons certains assouplissements, pour
faciliter l'intégration de cette haute technologie de l'extérieur
dont nous
avons besoin pour notre siège social, soient
considérés.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. de Jocas. Hier, le ministre d'Etat au
développement culturel a semblé vouloir minimiser la valeur de
vos représentations en établissant ce qui m'a paru une
espèce de parallèle entre les opérations de la banque
Canadienne Nationale et les opérations des autres banques, en
particulier la vôtre. Sans vouloir entrer dans des comparaisons qui,
pourraient être un peu délicates, je voudrais quand même
savoir d'une façon objective quel est le volume de vos opérations
qui se font à l'extérieur du Québec et est-ce que le
volume des opérations de la Banque Canadienne Nationale est du
même ordre de grandeur?
M. de Jocas: Les comparaisons entre des institutions sont souvent
difficiles, pour ne pas dire odieuses. La Banque de Montréal a un actif
je ne voudrais pas que ces chiffres soient pris comme précis
de $22 milliards, dont 85% seraient à l'extérieur du
Québec, dont 25% du $22 milliards seraient des opérations
internationales. Donc, un chiffre d'affaires très important.
En ce qui a trait à la Banque Canadienne Nationale, je crois que
son actif est aux alentours du $6 milliards et je serais porté à
croire que ses affaires internationales sont relativement faibles. On sait, par
contre, qu'elle fait des efforts pour les étendre.
Mme Lavoie-Roux: D'ailleurs, ce n'est pas une question je
veux bien être précise ici d'opposer les deux banques. Mais
il reste que quand on veut examiner une situation et les représentations
qui nous sont faites d'une façon objective, c'est quand même utile
d'avoir des points de comparaison. C'était le sens de ma question.
M. de Jocas: Je voudrais peut-être ajouter, madame,
à cette question, que présentement, nous avons des
employés ou des représentants, soit des agences ou bureaux de
représentation, dans 24 pays du monde. En plus, nous faisons affaires
avec une foule d'autres pays, sous forme de prêts ou de transactions de
toutes sortes.
C'est ce réseau mondial, qui est dirigé à
même, en majeure partie, du siège social, qui nous
préoccupe.
Mme Lavoie-Roux: Vous signalez, quelque part, dans votre
mémoire, que vous envoyez des Québécois à
l'extérieur du Québec, pour prendre de l'expérience, voir
d'autres milieux de travail. Est-ce que ceci se fait sur une base
d'échanges réguliers avec vos employés d'autres
succursales, comme à Toronto, où vous avez une partie de votre
siège social? Est-ce que le fait de la non-venue au Québec de
personnes de l'extérieur du Québec rendrait également plus
difficile cette formation à l'extérieur du Québec, de
Québécois, ou si cela ne joue pas dans les échanges?
M. de Jocas: Nous croyons qu'il y a avantage pour les
francophones québécois d'aller à l'extérieur. De
fait, nous avons eu, à certaines périodes, des programmes
d'incitation pour que de jeunes Québécois puissent aller
travailler à d'autres endroits du pays ou même à
l'extérieur du pays, l'objectif étant évidemment que cette
expérience serve à leur progression de carrière. Ces
derniers éventuellement reviendront au Québec, avec un bagage de
connaissances suffisant pour accéder à des postes
supérieurs.
Nous avons un nombre significatif de nos cadres intermédiaires et
séniors qui ont, à la Banque de Montréal, fait un
séjour à l'extérieur du Québec et qui sont
revenus.
Le projet de loi nous cause des préoccupations, en ce sens que
nous craindrions que l'occasion qui serait offerte aux francophones de pouvoir
parfaire leurs connaissances de l'anglais pour pouvoir accéder à
des postes supérieurs serait peut-être rendue plus difficille, si
on restreint la possibilité dans le milieu de travail, de pouvoir, en
même temps que travailler en français pour les activités du
Québec, aussi perfectionner leur connaissance de l'anglais dans le
domaine bancaire ou dans le domaine des affaires.
Mme Lavoie-Roux: Pourriez-vous me dire quelle est la proportion
d'employés de la Banque de Montréal, au Québec, au
siège social, qui, pour pouvoir fonctionner avec l'extérieur,
doit fonctionner en anglais? Enfin, grossièrement, quelle est cette
proportion, un ordre de grandeur?
M. de Jocas: D'abord, il faut différencier les deux
groupes, ceux qui sont au siège social et ceux qui sont dans les
activités de la division, de notre réseau de succursales au
Québec. Je ne pense pas que je puisse dire qu'il y ait des exceptions
dans toutes nos succursales. Il y a obligation de transiger avec
l'extérieur, pour des clients de l'extérieur qui font affaires
avec nous dans différentes régions du Québec. Il y a un
besoin de cette connaissance de l'anglais.
Maintenant, au jour le jour, dans la grande majorité de leurs
transactions, tout se fait en français. Ce besoin n'est pas un
impératif. Quand on parle du siège social, tel que l'a
souligné M. McNeil hier, à toutes fins pratiques, on transige non
pas au niveau des opérations du Québec, mais au niveau des
opérations nationales et internationales. L'anglais, à quelques
exceptions près, est nécessaire pour tous les employés, ce
qui ne veut pas dire qu'entre eux, à l'intérieur, il n'y a pas
une utilisation courante et constante du français, mais il est essentiel
que la très grande majorité connaisse l'anglais.
Mme Lavoie-Roux: Alors, qu'ils soient dans les succursales ou
qu'ils soient dans le siège social.
M. de Jocas: Je dis que la succursale, comme entité, doit
avoir une capacité anglaise, ce qui ne veut pas dire que tous les
employés doivent
connaître l'anglais. De fait, ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Nous avons énormément de nos employés qui sont unilingues
francophones, sans inconvénient, mais, au sein de la succursale, le
directeur ou son adjoint sera bilingue.
Mme Lavoie-Roux: A quel niveau de fonctionnement l'absence de la
connaissance de l'anglais va-t-elle devenir un handicap à la promotion
d'un employé à la Banque de Montréal?
M. de Jocas: Vous aimeriez savoir jusqu'à quel niveau un
unilingue francophone pourrait se rendre?
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. de Jocas: Au siège social, pas loin, c'est acquis. Dans
les succursales, je dirais qu'il pourrait se rendre au niveau de directeur
adjoint d'une succursale, responsable de l'administration. Ceci
présuppose évidemment qu'il sera appuyé par un
collègue qui pourra, lui, s'occuper de cette correspondance, de ces
instructions, de ces clients qui voudraient faire affaire avec cette succursale
et qui sont anglophones.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie, M. de Jocas. Seulement, une
toute dernière question. On a aussi des préoccupations
vis-à-vis des francophones des autres provinces. Dans quelle mesure
tentez-vous, pour servir votre clientèle francophone des autres
provinces, de leur offrir aussi des services en français?
M. de Jocas: Au niveau des succursales qui ont une
clientèle francophone, ils ont à leur disposition tout le
matériel et toute la documentation que la banque produit pour le
Québec, autrement dit toutes les formules bilingues...
Mme Lavoie-Roux: Ils ont cela dans les autres...
M. de Jocas: Toutes les succursales, que ce soit à Falher,
en Alberta, ou à Saint-Boniface, au Manitoba, ou au
Nouveau-Brunswick.
Mme Lavoie-Roux: Merci bien, M. de Jocas.
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Lotbinière.
M. Biron: M. de Jocas, je vous remercie pour votre
mémoire. Je l'ai lu avec attention ce matin. Je souligne d'excellents
points de présentation au point de vue de l'efficacité
économique. Vous avez répondu tout à l'heure à une
question de Mme le député de L'Acadie, sur les chances d'un
unilingue français d'atteindre le poste la musique va nous
accompagner toute la journée aujourd'hui d'un unilingue
français, dis-je, d'atteindre un poste de directeur adjoint d'une
succursale. Quelles sont par contre les chances d'un unilingue anglais au
Québec d'obtenir une promotion à l'intérieur de la
banque?
M. de Jocas: Présentement, elles sont moins bonnes
qu'elles n'ont déjà été. Il demeure que, puisque la
langue principale de la banque, dans son contexte global, est l'anglais, un
unilingue anglophone, au Québec, dans quelques cas, peut encore occuper
des postes de directeur de grande succursale, compte tenu de la composition de
la clientèle actuelle. Mais, de la même façon, cet
unilingue anglophone devra être solidement appuyé, et il l'est,
d'adjoints qui sont francophones ou bilingues.
M. Biron: Au Québec même, quel est à peu
près le pourcentage d'unilingues anglophones, à comparer aux
unilingues francophones que vous avez dans votre banque, sans compter le
siège social, au niveau de la grande région du Québec?
M. de Jocas: De moins en moins. Nous mentionnons dans notre
mémoire que la banque a fait un progrès significatif,
délibéré, qui a précédé de longtemps
la loi 22 ou toute autre pour franciser ses opérations et,
présentement, à la division du Québec, nous estimons avoir
à peu près 90% des postes qui sont occupés par des
francophones. C'est une tendance qui ira en s'accroissant.
Ce n'est pas le chiffre magique de 90%. L'objectif idéal serait
de 100%, et on espère l'atteindre dans une période de temps
raisonnable.
M. Biron: Vous dites 90% de francophones ou 90% de parlant
français, c'est-à-dire anglophones ou francophones, mais qui
peuvent s'exprimer en français?
M. de Jocas: Puisque nous n'avons pas encore fait l'analyse
précise qui sera requise, de fait, des capacités linguistiques de
nos employés, nous n'avons simplement qu'une indication des langues qui
leur sont familières. Ce chiffre de 90% concernerait, à quelque
pourcentage près, des francophones bilingues. Il y a
nécessairement un petit pourcentage d'anglophones bilingues.
M. Biron: Mais vous avez quand même un petit pourcentage
d'anglophones unilingues, au niveau de la région de Québec...
M. de Jocas: Oui. Sûrement.
M. Biron: ...ou de la province de Québec. Vous nous avez
dit, tout à l'heure, que votre banque faisait affaires dans 24 pays du
monde. Quelle est la langue que les différents pays emploient lorsqu'ils
communiquent avec le siège social?
M. de Jocas: L'anglais.
M. Biron: Vous faites affaires avec des pays comme la France, je
suppose, ou...
M. de Jocas: La France, la Hollande, l'Italie, l'Espagne,
l'Allemagne, le Japon. Nous faisons affaires avec énormément de
pays et nous avons des bureaux dans ces pays.
M. Biron: Y a-t-il des divisions régionales dans ces pays
ou est-ce simplement la succursale qui fait affaires directement avec le
siège social?
M. de Jocas: Dans ce mécanisme de décentralisation
auquel on a fait allusion hier, nous avons établi, pour notre
département international, des bureaux divisionnaires de la même
façon qu'on en a établi au Canada pour nos opérations
canadiennes. Les quartiers-généraux pour l'Europe et l'Afrique
sont à Londres et pour l'Asie, à Hong Kong... à Singapour,
pardon. On a un bureau à Hong Kong, mais c'est à Singapour qu'il
y a une administration centrale pour toute cette partie du continent.
M. Biron: Mais la langue que vous employez à partir de ces
différents pays avec le siège social est l'anglais?
M. de Jocas: Seulement l'anglais.
M. Biron: Merci. Vous parlez aussi un peu plus loin dans votre
mémoire, du nom de la Banque de Montréal qui est très bien
connu en anglais. Vous dites: Cela nous causera des problèmes s'il faut
l'employer en français, mais je suppose que ce que vous avez voulu dire,
c'est l'employer uniquement en français. L'employer de façon
bilingue, à la fois la version française et la version anglaise,
il n'y aurait pas de problèmes.
M. de Jocas: Je crois qu'il serait un peu exagéré
de prétendre que si on dit "Banque de Montréal", les anglophones
ne comprendront pas "Bank of Montreal". C'est simplement parce que nous
employons les deux noms depuis 160 ans. Il ne fait aucun doute qu'au
Québec on emploie "Banque de Montréal" couramment. Qu'on soit
restreint à utiliser exclusivement le nom "Banque de Montréal" au
Québec pour des transactions qui se font nécessairement avec une
clientèle anglophone, nous trouvons que c'est un impératif qui
n'est peut-être pas nécessaire, d'autant plus que la loi
fédérale des banques qui nous régit nous autorise
précisément à employer le nom "Bank of Montreal" et
"Banque de Montréal".
M. Biron: Vous êtes d'accord pour continuer d'employer le
bilinguisme au Québec, le français et l'anglais. Vous n'avez pas
d'objection?
M. de Jocas: Absolument pas.
M. Biron: Comment voyez-vous maintenant la participation des
travailleurs dans le programme de francisation de votre entreprise, puisque
vous dites: On va continuer de se franciser? La francisation, c'est
irréversible, mais cela incombe à la direction de rendre compte
de l'exploitation de l'entreprise. Vous ne voyez pas du tout de participation
des travailleurs ou si...
M. de Jocas: Non. Ce n'est absolument pas dans ce sens-là.
Quant à imposer à l'entreprise l'obligation de constituer un
comité de francisa- tion qui inclurait ce qu'on appelle les
salariés je me considère salarié aussi, alors, je
ne sais pas si la définition du salarié, s'applique. Alors,
j'imagine qu'on parle des échelons inférieurs nous
calculons que la responsabilité de l'administration de l'entreprise
relève de la direction et que c'est la direction qui devrait avoir le
loisir de constituer son programme de francisation tel qu'elle l'entend.
M. Biron: D'accord, merci. Vous parlez aussi de la
possibilité, pour vos travailleurs ou vos gestionnaires, de faire partie
d'une association provinciale. Vous dites: Si cet individu ne peut communiquer
avec cette association dans sa langue, en anglais pour les Anglais, ou s'il ne
peut recevoir de la documentation rédigée au moins partiellement
en langue anglaise, il se sentira lésé et
défavorisé par rapport à ses confrères. Dans quel
but voulez-vous que vos gestionnaires participent à des associations de
comptables ou d'avocats?
M. de Jocas: De fait, nous avons été heureux, hier,
d'entendre le ministre dire que l'interprétation qui a été
donnée à cette clause était peut-être fausse et
qu'il y aura possibilité pour les associations de communiquer avec leurs
membres en anglais. Le fait nous préoccupe peut-être plus que ces
mêmes professionnels devront obtenir un certificat. Beaucoup d'entre eux
sont unilingues anglophones ou sont peut-être bilingues mais pas
francophones, et leurs services sont requis pour des tâches très
spécifiques et souvent strictement à l'intérieur de la
corporation et non pas pour faire affaires avec l'extérieur, avec notre
clientèle, etc. Nous avons donc une certaine inquiétude que ces
professionnels, qui ne sont peut-être pas en nombre suffisant ou qui
n'existent peut-être pas suivant la spécialité
recherchée au Québec, ne puissent pas venir travailler à
l'intérieur d'une entreprise comme la nôtre à moins d'avoir
un certificat. Cela nous inquiète.
M. Biron: Vous mentionnez aussi que si les gens qui viendront
d'autres provinces, des anglophones, ne peuvent envoyer leurs enfants dans des
écoles anglaises, si ce principe se continue, cela risque de nous priver
de services de personnes compétentes venant de l'extérieur, et
vous ajoutez à ce sujet: Et c'est déjà commencé.
Est-c eque vous pouvez expliciter davantage ce qui est
déjà commencé?
M. de Jocas: Oui. En fait, cela a été
mentionné hier, à la lumière du climat qui existe depuis
quelques années et au sujet des lois proposées sur la langue au
Québec, nous avons ressenti une certaine inquiétude auprès
d'employés de l'extérieur à qui on a demandé de
venir à Montréal. Nous avons été incapables de
convaincre certains d'entre eux de venir travailler à
Montréal.
La préoccupation principale était l'éducation de
leurs enfants ou l'obligation dans laquelle ils seraient d'acquérir une
connaissance du français. Alors, selon l'âge des enfants, comme le
mention-
nait tout à l'heure madame, cela devient critique pour une
famille, si les parents sentent que les enfants qui peuvent être au
secondaire III ou IV, qui peuvent avoir plus ou moins de facilité
déjà dans leurs études, de venir ici et d'avoir cette
contrainte additionnelle d'avoir une connaissance suffisante du français
pour obtenir les diplômes. Et le processus est déjà
commencé. Nous avons, de fait, récemment voulu faire ou offert de
faire une mutation à Montréal à un groupe de nos
employés qui travaillent dans nos centres de données à
Toronto et plusieurs, pour des raisons de langue, ont catégoriquement
refusé de venir.
M. Biron: Je vous remercie. Voici ma dernière question
là-dessus. Vous dites aussi, en tenant compte que vous avez de la
difficulté à attirer vos employés à Montréal
au siège social, que, dans le cas où le texte définitif de
la loi ne tiendra pas compte des réalités nord-américaines
et des réalités des banques, l'exploitation au Québec d'un
siège social d'une banque deviendrait une activité coûteuse
et difficile à assurer pour ne pas dire impossible. Est-ce que cela veut
dire que, si on ne tient pas compte de tous ces problèmes, de toutes ces
réalités-là, la Banque de Montréal, en particulier,
sera dans une situation tellement difficile qu'un jour ou l'autre, le
siège social devra quitter le Québec?
M. de Jocas: C'est une question de degré, de temps, mais,
comme je le mentionnais tout à l'heure, s'il faut que, pour concurrencer
les autres banques qui auraient leur siège à l'extérieur
de Montréal, nous ayons un coût additionnel, à la longue,
tout cela s'ajoute et se reflète au niveau des résultats. Nous
serions donc dans un désavantage de rentabilité qui pourrait
être plus ou moins marqué. Ce n'est pas une question de vie ou de
mort, mais ce serait quand même une contrainte qui nous préoccupe.
Alors, cela ne serait pas une situation à court terme, mais,
sûrement, à moyen terme, nous aurions là des contraintes de
coûts qui nous désavantageraient vis-à-vis de nos grands
concurrents. Je crois que le ministre a déjà indiqué, de
fait, qu'il avait été prévu qu'il y aurait peut-être
certains assouplissements au projet de loi, ce qui nous rassure.
Pour répondre à cette inquiétude au sujet des
sièges sociaux, je crois qu'il est important de noter que les
sièges sociaux sont un apport signifitif à l'économie
d'une région. Sans vouloir porter atteinte à d'autres
sièges sociaux, à d'autres entreprises, les sièges sociaux
sont quand même des entreprises, des centres qui emploient pas mal de
monde, qui engendrent une activité économique significative, qui
ne sont pas des pollueurs, qui ne demandent pas de subventions et qui sont des
centres de décision très importants. Alors, nous' pensons que la
présence des sièges sociaux n'est pas petite.
Elle est très importante et il est regrettable que chaque fois
qu'on en parle, on semble vouloir dire que c'est de la menace, que c'est du
chantage. Mais pour nous qui sommes banquiers ou qui en voyons beaucoup, c'est
la réalité. On le voit de façon peut-être
exagérée, mais de façon très réaliste.
M. Biron: Je vous remercie.
Le Président (M. Cardinal): Avec six minutes pour le parti
de l'Opposition officielle, M. le député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Quand nous apportons
des critiques au projet de loi, quant à la question des sièges
sociaux que vous venez de mentionner, le ministre et le parti
ministériel nous répondent toujours en nous disant qu'ils ont
fait des stipulations, des prévisions spéciales, pour les
sièges sociaux et que cela ne devrait pas affecter les sièges
sociaux. Par exemple, j'attire votre attention sur l'article 58, qui
prévoit que les articles sur la langue d'enseignement ne s'appliqueront
pas pour ceux qui sont de passage au Québec, pour un temps
limité.
Est-ce que vous voulez nous expliquer, au point de vue de la pratique,
si cet article vous satisfait, ou encore comment peut-il vous affecter?
M. de Jocas: II faudra attendre la réglementation.
L'article, certainement, nous inquiète. Il est assez difficile de dire:
Les employés de passage. Dans des développements de
carrière, il arrive souvent qu'on demande à un employé de
l'extérieur de venir au siège social et peut-être qu'il y
passe un an, deux ans ou trois ans. Mais au bout de trois ans, le plan voudra
peut-être qu'il y reste pour un autre trois ans ou qu'il y termine sa
carrière. Les choses ne sont pas précises à ce point dans
la mutation.
M. Ciaccia: Dans la pratique, ce n'est pas une question que des
employés viennent pour un temps limité. Ce n'est pas ainsi que la
carrière d'un individu se déroule.
M. de Jocas: Je crois que les banquiers ont la réputation
de déménager leurs gens trop souvent. Nos objectifs sont toujours
de ralentir ce processus. Mais personne n'accède à un poste
croyant qu'il y terminera ses jours. On évolue, d'un poste à un
autre, et c'est ainsi d'ailleurs que les promotions et l'avancement se
produisent.
M. Ciaccia: Beaucoup d'autres mémoires de la part d'hommes
d'affaires ont manifesté des inquiétudes sur la question des
sièges sociaux. On avait même posé la question à
l'Association des manufacturiers du Québec. Selon cette dernière,
le projet de loi décourageait certainement les sièges sociaux de
s'implanter au Québec.
Si le projet de loi n'était pas amendé et que la Banque de
Montréal ou d'autres compagnies jugeaient bon de déménager
parce qu'elles ne pourraient pas fonctionner d'après leurs normes,
est-ce que cette industrie serait remplacée dans votre cas, par d'autres
et comment cela pourrait-il aider les Québécois de langue
française? Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires à ce
stade, s'il vous plaît?
M. de Jocas: C'est d'abord une question hypothétique.
M. Ciaccia: Oui, c'est hypothétique, mais c'est
hypothétique dans plusieurs mémoires qui nous ont
été présentés.
M. de Jocas: Oui. Vous nous demandez si nous croyons que, si le
projet de loi n'est pas amendé et qu'il est adopté dans sa forme
présente, la perte de sièges sociaux qui en résulterait
serait compensée par l'arrivée de nouveaux sièges sociaux
ou de nouvelles activités économiques?
M. Ciaccia: Dans votre cas particulier, si c'est
très hypothétique ...
M. de Jocas: Oui.
M. Ciaccia: ...la Banque de Montréal
déménageait, est-ce que ce serait remplacé par une autre
institution financière équivalente?
M. de Jocas: Par ce qui a été dit avant de
l'activité de la banque, seulement 15% de nos affaires sont au
Québec, je ne vois pas comment je répète que c'est
très hypothétique si l'activité du siège
social était obligée de partir du Québec, nous pourrions
la remplacer. Je crois qu'il demeurerait ici nécessairement une
administration importante pour nos affaires québécoises.
M. Ciaccia: Ce serait alors une perte tant pour les gens de
langue française que pour ceux de langue anglaise?
NI. de Jocas: Théoriquement, oui.
M. Ciaccia: Pour tous les Québécois. Quand vous
parlez du climat d'incertitude et du nom de votre banque, est-ce que, en dehors
du Québec, vous employez le nom que je vois, la First Canadian Bank?
Est-ce l'intention, au cas où il y aurait des difficultés ici, de
changer votre nom? Quel est le but de...
M. de Jocas: M. le député, je vois que vous lisez
aussi les journaux.
M. Ciaccia: Oui, et je voyage en dehors du Québec
aussi.
M. de Jocas: Cette First Canadian Bank, la Première banque
canadienne a, de fait, pris naissance, je crois, vers les années
soixante-six, quand la banque a jugé qu'il était peut-être
approprié de changer son image, de rajeunir son image et, ici, il y en a
plusieurs qui peut-être se rappellent qu'avant cela, on se
référait à la Banque de Montréal comme ma banque,
"my bank". Maintenant, on a pris le nom de First Canadian Bank, la
Première banque canadienne, je ne voudrais me référer
qu'aux discours qu'ont prononcés notre président du conseil et
notre président à notre dernière assemblée
annuelle; ils ont catégoriquement nié les intentions de la banque
de changer son nom à ce sujet.
M. Ciaccia: Merci.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le
député de Beauce-Sud.
M. Roy: Je n'ai rien à demander, M. le Président.
Je vous remercie quand même.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le
député de Verchères.
M. Charbonneau: M. le Président, j'aimerais approfondir
avec vous certains aspects qu'on a développés un peu plus
tôt. Vous avez dit que vous avez des succursales bancaires dans plusieurs
pays à l'étranger. Est-ce que vous pouvez nous indiquer certains
de ces pays, les plus importants?
M. de Jocas: Les Etats-Unis, évidemment... M.
Charbonneau: Oui.
M. de Jocas: ...l'Angleterre, la France, la Hol-lance,
l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Japon.
M. Charbonneau: Et lorsque vous envoyez finalement... Par
exemple, prenons l'hypothèse où un cadre supérieur
anglophone est envoyé à Paris ou au Japon, comment est-ce que
cela se passe? Lorsque ce cadre arrive en France ou au Japon, dans quelle
langue fait-il instruire ses enfants? Dans quel système
d'éducation fait-il instruire ses enfants?
M. de Jocas: Je dois peut-être préciser qu'il y a
peut-être un sens pratique aussi quand nous décidons d'envoyer des
gens en poste à l'étranger, voulant que normalement, on
tâchera qu'ils aient une connaissance de la langue du pays. Alors, si on
envoie des employés en France...
M. Charbonneau: Je parle des enfants des employés. Par
exemple, un cadre supérieur peut très bien être bilingue,
parler français et anglais, si vous l'envoyez à Paris, mais ce
n'est peut-être pas le cas nécessairement de ses enfants.
M. de Jocas: Oui.
M. Charbonneau: Ordinairement, selon votre expérience,
est-ce que vous avez des statistiques pour nous indiquer quels sont les
systèmes d'instruction qu'utilisent vos employés à
l'extérieur du Canada?
M. de Jocas: Je regrette, je n'ai pas la réponse. On n'a
pas de statistiques ou d'études...
M. Charbonneau: Ne penseriez-vous pas que ce serait une bonne
idée finalement d'approfondir cette question, surtout dans le
débat actuel?
M. de Jocas: Je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire si cela
serait une bonne idée. Je ne sais pas si cela nous apporterait quelque
chose.
M. Charbonneau: Plusieurs témoins plusieurs
mémoires l'ont indiqué également sont venus devant
nous pour faire remarquer que le bilinguisme individuel, la possession d'une ou
de plusieurs langues secondes, était une chose extrêmement
importante dans le monde moderne, et en particulier dans le monde des affaires,
est-ce que vous êtes d'accord avec cela?
M. de Jocas: Absolument.
M. Charbonneau: Dans ce cas, est-ce que vous ne trouveriez pas
normal et intéressant pour justement arriver à cet objectif,
qu'un cadre anglophone unilingue qui vient travailler à Montréal,
au siège divisionnaire, puisse bénéficier pour ses
enfants, d'un système d'instruction français, pour faire en sorte
que lorsqu'il retournera à Toronto, à Vancouver ou à New
York, il puisse dire à ses voisins: Ecoutez, contrairement à tous
vous autres, mes enfants parlent français, ils l'ont appris au
Québec.
M. de Jocas: Je crois que dans la pratique, vous trouverez qu'il
existe beaucoup de ces cas. Il y a présentement énormément
de cadres anglophones unilingues qui travaillent à Montréal, qui
sont très réalistes et, justement, tirent avantage du fait qu'ils
sont ici pour faire apprendre le français ou envoyer leurs enfants dans
des écoles françaises.
M. Charbonneau: Est-ce que cet aspect de la question a
été envisagé par les gens qui, dernièrement,
semble-t-il, ont eu une sainte frousse du Québec et de Montréal,
et pour des raisons linguistiques et scolaires, comme vous nous l'avez
indiqué, ont refusé de venir à Montréal? De votre
part, les avantages qui peuvent s'ensuivre au Québec, à ce
propos, ont-ils été mis en relief?
M. de Jocas: J'ai l'impression que les gens qui avaient à
faire face à cette situation ont évalué leur position,
tous les impératifs que cela représentait. Comme je l'ai
mentionné tout à l'heure, si on parle d'enfants qui arrivent au
Québec et qui commencent leur éducation, c'est une chose que
quand on parle de cadres d'âge moyen qui ont des enfants peut-être
à des âges critiques, qui pourraient avoir certaines
difficultés scolaires. Ils sont beaucoup plus soucieux de les voir
terminer leurs études entreprises que d'y ajouter une dimension qui
pourrait leur...
M. Charbonneau: En fait, ils sont plus préoccupés
de finir leurs études que de devenir bilingues, parce que
peut-être pour eux, ce n'est pas important?
M. de Jocas: Peut-être, à ce stade, oui.
M. Charbonneau: Est-ce que vous ne croyez pas que la disposition
de l'article 58 qui permet, malgré tout, une période de trois
ans, où des gens pourraient venir ici, s'adapter finalement et terminer
leur cours, s'ils sont rendus à un niveau où...
M. de Jocas: Si on parle de personnes qui viennent travailler
à la banque au Québec, dans les opérations du
Québec, je serais porté à être d'accord. Si on parle
de personnes qui travaillent à l'extérieur, à qui on
demande de venir au siège social, de passage, parce que le siège
social, comme on l'a déjà souligné avec force, c'est le
centre administratif de nos opérations mondiales, cela peut devenir plus
difficile à convaincre de l'utilité... On parle de bilinguisme
ici, pensant qu'on parle du français et de l'anglais, mais il y a quand
même du bilinguisme autre. Nous avons beaucoup de nos employés qui
sont bilingues, qui parlent espagnol et anglais, qui parlent allemand et
anglais. Il y en a à Montréal, il y en a ailleurs.
M. Charbonneau: Remarquez que si on part du principe qu'une
langue seconde est toujours utile... J'ai souvent écouté des
entrevues à la télévision ou de gens qui, justement,
étaient des cadres supérieurs, des espèces
d'itinérants dans le monde, qui avaient l'avantage d'envoyer leurs
enfants à différents systèmes d'instruction et qui,
après quelques années, pouvaient s'enorgueillir d'avoir des
enfants qui parlaient trois ou quatre langues. Ou le bilinguisme est une bonne
chose, pas uniquement pour les Québécois, ou c'est une mauvaise
chose pour tout le monde.
M. de Jocas: Je crois que c'est une bonne chose pour tout le
monde.
M. Charbonneau: Bon.
M. de Jocas: Mais, ce que je voudrais souligner, c'est que, quand
on parle d'un siège social, il ne faut pas conclure que le bilinguisme
qui est souhaitable pour l'ensemble de la population, ce soit
nécessairement le français et l'anglais. Des gens qui sont au
siège social d'une banque internationale qui a ses
quartiers-généraux à Montréal, peuvent être
bilingues, trilingues, quadrilingues, sans, malheureusement, avoir le
français.
M. Charbonneau: Dans ce cas, si on prend le siège social
de la Banque de Montréal, qui est à Montréal, quel est le
pourcentage des postes de votre siège social à Montréal
où il n'est pas nécessaire de parler le français?
M. de Jocas: Pas nécessaire de parler le français?
Tous. A toutes fins pratiques, tous.
M. Charbonneau: Ce que je ne comprends pas, c'est que j'ai ici un
rapport sur la politique linguistique des multinationales, qui a
été soumis au gouvernement et qui fait suite à un voyage
d'étude en Europe du Conseil de l'alimentation du Québec, qui a
étudié le fonctionnement linguistique des multinationales. On y
dit par exemple ici: "S'il s'agit de multinationales comme Uniliver ou Gloria,
il y a une pratique établie et rigidement observée. Les
communications administratives avec la hiérarchie suprême ou
mondiale se font en anglais exclusivement, même s'il s'agit de
multinationales hollandaises, allemandes, italiennes. Ces
opérations en anglais d'un secteur très restreint de
l'ensemble du mécanisme administratif d'un bureau-chef d'une
multinationale à Paris n'affectent en rien l'image, l'environnement ou
le caractère globalement français de cette entreprise". Si c'est
vrai pour des multinationales américaines ou de cet ordre qui, je pense,
se comparent avantageusement avec la Banque de Montréal,
personnellement, je me pose la question: Pourquoi ne serait-ce pas
également vrai pour la Banque de Montréal?
M. de Jocas: Vous devrez admettre que cela dépend du
domaine dont on traite. L'industrie n'est pas la même. Si vous voulez me
dire que le Québec est un voisin de la France, on est quand même
dans un contexte nord-américain. Il ne faut pas faire de comparaisons
trop poussées.
M. Charbonneau: D'ailleurs, vous dites à un certain
moment, à la page 10 de votre mémoire, qu'il y a certains droits
qui sont retirés par le projet de loi no 1. Pourriez-vous
préciser quels sont les droits qui, à votre avis, sont
retirés?
M. de Jocas: Le droit d'appel semble être retiré du
projet de loi no 1.
M. Charbonneau: Est-ce le seul droit qui, à votre avis,
est retiré?
M. de Jocas: Le droit d'utiliser son nom en anglais au
Québec.
M. Charbonneau: Et encore?
M. de Jocas: Le droit d'envoyer ses enfants a l'école
anglaise.
M. Charbonneau: Vous considérez que c'est un droit acquis
alors que cela n'existe nulle part ailleurs au monde?
M. de Jocas: Dans le contexte de notre siège social, c'est
une inquiétude pour nous.
M. Charbonneau: Vous indiquez ici, à un certain moment...
Il y a une question que je me pose. Ne trouvez-vous pas que l'analyse de la
situation économique des francophones au Québec indique qu'on ne
peut plus se fier à la bonne volonté pour s'assurer qu'on
n'exigera la connaissance de l'anglais que pour des fonctions
nécessitant absolument l'anglais? Ne trouvez-vous pas que, finalement,
on l'a expérimentée suffisamment longtemps, cette notion de bonne
volonté, pour comprendre qu'aujourd'hui on ne peut plus s'en
contenter?
M. de Jocas: Non. Je ne serais pas d'accord avec cet
énoncé. Il me semble qu'il y a eu plus que de la bonne
volonté. Il y a eu des gestes. Il y a eu une prise de conscience, il y a
eu énormément de fait pour atteindre ou viser vers l'atteinte des
objectifs que, je crois, l'ensemble de la société, que ce soient
les banques ou autres considère valable, la francisation de plus en plus
grande de nos opérations au Québec.
M. Charbonneau: D'accord. Mais je vous souligne des chiffres qui
ont été préparés à la suite d'études
gouvernementales ou autres. Par exemple, on dit que 35% de la main-d'oeuvre
francophone se trouvait, en 1971, dans des activités de travail en
situation soit de bilinguisme assez poussé, 32%, soit d'unilinguisme
anglais.
On ajoute un peu plus loin "...pour le groupe majoritaire fortement
regroupé sur son territoire que constituent les francophones et
même en tenant compte de la pression de l'anglais en Amérique du
Nord je pense qu'on ne peut pas la nier il semble
exagéré qu'une aussi forte proportion de la main-d'oeuvre
francophone soit soumise à un emploi aussi élevé d'une
autre langue que sa langue maternelle..." et on ajoute "...surtout si l'on
retient et on accepte comme norme de l'emploi des langues au travail pour des
pays ou des régions de taille et de structure économique analogue
que 10% à 15% des employés ont à connaître et
à utiliser pour les communications externes une autre langue que la
langue nationale."
Ici, notre situation est de 35%. Il me semble qu'il y a une marge un peu
trop élevée et anormale pour les 35% de gens qui sont
pratiquement obligés de parler anglais, alors que partout dans le monde
le pourcentage de gens qui sont effectivement obligés de travailler en
anglais n'est que de 10 à 15%. Probablement qu'on retrouve cette
concentration de 10% à 15% plus dans les sièges sociaux que dans
d'autres types de travaux ou d'emplois dans une société.
Ne considérez-vous pas que malgré toute la bonne
volonté, il y a encore un écart inadmissible au Québec
comparativement à ce qu'il y a ailleurs dans le monde?
M. de Jocas: On est parti de loin et il serait peut-être
dramatique de vouloir que cet écart se rétrécisse trop
vite, mais je crois que le progrès qui a été fait...
D'abord, on ne peut pas se porter garant, nous de la banque, de tout le monde,
mais je craindrais beaucoup plus qu'on veuille en faire trop trop vite et qu'on
risque d'engendrer... ou de nuire à la compétence des
francophones qui, de fait, méritent, de par leurs efforts, de par leur
travail, de par leur orientation, d'accéder de plus en plus à des
postes supérieurs dans les entreprises et cela se fait... Il faut
reconnaître ce qui s'est fait et non pas regretter ce qui ne s'est pas
fait il y a peut-être 20 ans.
M. Charbonneau: Dans une autre partie de votre mémoire,
vous indiquez qu'il serait préférable que la
responsabilité entière des programmes de francisation revienne
à la direction de l'entreprise. Alors la question que j'ai à vous
poser est celle-ci: Dans ce cas, comment peut-on avoir des garanties que ce
programme de francisation sera mené à terme, sera bien
mené alors qu'effectivement l'entreprise que vous représentez ne
croit pas à la francisation, entre autres, du siège social,
particulièrement du siège social?
M. de Jocas: Je crois que c'est peut-être mettre des
intentions à...
M. Charbonneau: Mais vous nous avez dit tantôt qu'il n'est
pas nécessaire et utile d'avoir le français dans un siège
social.
M. de Jocas: Je ne pense pas avoir employé le mot
utile.
M. Charbonneau: Nécessaire, sans doute.
M. de Jocas: Nécessaire, non. C'est tout à fait
juste. Il n'est pas nécessaire, mais il est utile et souhaitable qu'il y
ait de la francisation. Certainement. Mais ce n'est pas nécessaire, au
niveau du siège social.
M. Charbonneau: Justement parce que vous considérez que ce
n'est pas nécessaire, ne trouvez-vous pas que, collectivement, les
citoyens, par l'intermédiaire de leur Etat, doivent se garantir que cela
soit plus que nécessaire, que le nécessaire soit exploité
au maximum?
M. de Jocas: Je crois que si nous examinons... Nous avons, de
fait, fait une évaluation assez sommaire. Comme je l'ai mentionné
tout à l'heure, nous n'avons pas fait une analyse
détaillée et approfondie des langues parlées par nos
employés, mais nous savons, par contre, que présentement quelque
50% de nos employés au siège social je dis bien au
siège social sont bilingues, anglais et français. La
majorité, évidemment, de ces 50% sont des francophones. Cela
représente une augmentation d'à peu près 10% par rapport
à ce qui existait il y a quelques années.
Alors, il y a quand même une réalité. On vit au
Québec et on se sert des talents qui existent autour de nous, mais notre
recherche n'est pas d'aller chercher des francophones pour occuper des postes.
Nous prenons les gens disponibles, qui ont la compétence qu'on recherche
et qui, préférablement, sont bilingues et parlent
français, mais ce n'est pas la condition d'embauche au siège
social.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Verchères, une dernière et très brève question,
s'il vous plaît.
M. Charbonneau: Ce serait plutôt pour faire une
dernière remarque. Personnellement, je comprends très bien
l'intention de la Banque de Montréal. Je suis assez sensible, je pense,
à certaines des remarques que vous avez formulées, mais je
crains, par ailleurs, qu'une telle attitude d'un siège social ou d'une
entreprise à Montréal, au Québec, ne perpétue les
espèces de ghettos dans lesquels se sont enfermés, en grande
partie, les anglophones de notre société au Québec.
Je vis dans un comté où il y a une portion importante qui
est occupée par des anglophones. Ils sont tous concentrés dans un
même milieu tant géographique qu'humain et je ne peux pas faire
autrement que de constater que ces gens-là se sont carrément
isolés parce que, justement, il n'était pas nécessaire
pour eux de parler français au Québec, dans une
société majoritairement francophone. Ils vivaient dans un monde
à part et, aujourd'hui, quand on se parle, ces groupes-là et
nous, nous ne pouvons pas nous comprendre parce que nous ne parlons pas en
fonction des mêmes schemes. On n'a même pas la même analyse
de la réalité. C'est ce que je crains, finalement, dans cette
attitude. Par ailleurs, j'ai pris bonne note et je pense que l'ensemble, du
côté ministériel, a pris bonne note de vos remarques et
j'espère que, de votre côté, vous allez revoir l'analyse
que vous faites en fonction de certains articles qui prévoient, à
mon sens, beaucoup d'aménagement et beaucoup de souplesse quant au
fonctionnement des sièges sociaux. Je pense que, malgré certaines
attaques, ce n'est pas d'une façon cavalière qu'on a
indiqué, dans le projet de loi, qu'on considérait la situation
des sièges sociaux comme étant une situation particulière
qui méritait d'être une exception à la règle.
Le Président (M. Cardinal): M. de Jocas, un instant, s'il
vous plaît. Théoriquement, vous n'avez pas droit de
réplique et, de fait, les réponses des porte-parole de la Banque
de Montréal ont été très longues et nous avons
vraiment dépassé le temps du débat. Cependant, je vous
permets un très bref commentaire, très bref. Je vous en prie.
M. de Jocas: D'accord. Je voudrais simplement noter que la Banque
de Montréal apprécie le fait qu'elle ait pu présenter ce
mémoire et exposer, comme nous l'avons fait...
Le Président (M. Cardinal): Ecoutez, il faudrait bien
s'entendre. Je m'excuse. Ce n'est pas terminé. Il y a M. le
député de Beauce-Sud qui a encore cinq minutes. Et Mme le
député de L'Acadie qui a environ deux minutes. Mais le total du
temps de l'audition de ce mémoire dépasse vraiment de beaucoup le
temps attribué par la motion. C'est pourquoi je me suis permis de vous
interrompre. Je vais donner la parole au député de Beauce-Sud,
avec cinq minutes, comme il le sait, et nous terminerons avec Mme le
député de L'Acadie.
M. Roy: Merci, M. le Président. Comme je ne pourrai pas,
évidemment, dans le court laps de temps que j'ai à ma
disposition, aborder des questions de fond, je me limiterai à poser
quelques questions techniques pour avoir une opinion plus
éclairée et une meilleure connaissance de l'institution bancaire
qui se présente devant la commission parlementaire ce matin. Vous avez
parlé d'un actif de $22 milliards, si ma mémoire est bonne.
Est-ce qu'il s'agit de l'actif canadien ou de votre actif international?
M. de Jocas: 25% serait international.
M. Roy: Sur les $22 milliards comme tels, 25%.
M. de Jocas: Oui. A peu près. J'ai mentionné $22
milliards. C'est un chiffre approximatif.
M. Roy: Ce qui veut dire que l'actif canadien serait de l'ordre
de $17 milliards.
M. de Jocas: Oui.
M. Roy: Pour l'actif québécois, est-ce que vous
avez des données qui nous permettent de comparer, de détailler
l'ensemble de votre actif canadien par province? Est-ce que vous avez des
données là-dessus?
M. de Jocas: Nous en avons sûrement. Evidemment, il y a des
aspects concurrentiels dans tout cela, mais quand même. Je crois avoir
mentionné un peu plus tôt qu'à peu près 15% à
16% de nos activités étaient des activités
québécoises.
M. Roy: Des activités qui se comparent également
avec l'actif, j'imagine? C'est proportionné à l'actif?
M. de Jocas: Oui; évidemment, il y a ce fameux
phénomène du siège social qui apporte une activité
économique où il se trouve. Il peut être jugé comme
par accident au Québec, mais il est quand même au Québec,
parce que le siège social est ici. Alors, c'est une question de
statistique, d'activité économique, qui est assez délicate
parce qu'on peut jouer sur des chiffres, mais je crois que nous pouvons dire
qu'à la Banque de Montréal, il y a un équilibre
satisfaisant de nos opérations bancaires au Québec; autrement
dit, notre actif et notre passif sont assez bien équilibrés et,
s'il devait y avoir un débalancement, ce serait plutôt parce que
nous avons plus de prêts au Québec que nous avons de
dépôts.
M. Roy: Maintenant, je vois que ces 15%, si on les compare au
pourcentage de la population québécoise, par rapport à la
population canadienne qui est de 27%, 28%, il y a quand même une marge
assez appréciable. J'aimerais vous poser une deuxième question.
Vous avez déclaré que, sur un nombre de 1240 succursales, vous en
avez 215 dans la province. De ces 215 succursales, est-ce que vous êtes
en mesure de nous dire combien sont situées dans l'agglomération
de Montréal et combien de succursales relèvent du bureau de
Québec?
M. de Jocas: Toutes les succursales au Québec
relèvent d'un bureau divisionnaire.
M. Roy: Vous avez deux bureaux, un à Québec et un
à Montréal...?
M. de Jocas: Non, nous avons un bureau divisionnaire à
Montréal, situé à l'extérieur du siège
social, et nous avons des directeurs régionaux. D'abord, nous avons deux
vice-présidents qui sont responsables chacun, grosso modo, de l'est et
de l'ouest de la province, à peu près également
divisé. Chacun de ces vice-présidents a sous lui des directeurs
régionaux responsables d'un certain nombre de succursales et deux de ces
directeurs régionaux ont leurs bureaux ici à Québec.
M. Roy: Est-ce que vous êtes en mesure de nous dire combien
il y a de succursales dans le Montréal métropolitain et combien
ailleurs au Québec?
M. de Jocas: Nous avons à peu près 110 succursales
dans le grand Montréal, ce qui laisserait 105 succursales pour le reste
de la province, réparties à travers la province.
M. Roy: En sommes, vous êtes une institution bancaire
beaucoup plus centrée dans les centres urbains que dans les
régions éloignées du Québec?
M. de Jocas: Je crois qu'un réseau de 105 succursales est
quand même important.
M. Roy: Cela représente à peu près deux
succursales, au maximum par comté quand même.
M. de Jocas: Oui, mais est-ce que vous voudriez suggérer
qu'on ferme les succursales de Montréal pour établir un meilleur
équilibre?
M. Roy: Non, je ne vous fais pas de suggestion, je vous interroge
sur les structures de votre institution bancaire. Vos institutions sont
beaucoup plus centrées à Montréal, mais il y a
évidemment de grands centres qui ont plusieurs succursales. Cependant
lorsqu'on parcourt le Québec, on se rend compte qu'il y a très
peu de succursales dans les régions rurales comme telles, très
peu. En somme, cela me fait dire que vous êtes beaucoup plus une banque
qui fait affaires avec le grand monde économique, donc avec le monde
anglophone du Québec. Vous êtes une institution bancaire qui
dessert une clientèle beaucoup plus anglophone que francophone, dans son
ensemble.
M. de Jocas: Non, je ne suis pas d'accord pour dire que c'est ce
que nous sommes, voulant laisser entendre par là que c'est ce que nous
voulons être. Ce n'est pas juste. Peut-être le sommes-nous,
peut-être avons-nous une prépondérance d'entreprises
anglophones qui font affaires avec nous depuis très longtemps. C'est
vrai, mais notre objectif est assurément d'être la banque de tout
le monde.
M. Roy: Oui, je comprends, mais entre ce qu'on souhaite et ce
qu'on retrouve dans la réalité, il y a parfois une large marge.
Ma question concernait beaucoup plus la réalité que les souhaits
ou les voeux.
M. de Jocas: Mais la réponse à votre question
serait peut-être d'inciter certains de nos compétiteurs
francophones à fermer quelques-unes de leurs succursales pour qu'on
puisse prendre leur place.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Beauce-Sud, j'ai attendu que vous ayez fini votre phrase, je sais que vous
n'aimez pas être interrompu. Votre temps est écoulé, mais
si vous avez un dernier commentaire, je vous le permettrai.
M. Roy: J'ai minuté, M. le Président, et j'ai
terminé.
Le Président (M. Cardinal): Mme le député de
L'Acadie, avec deux minutes, s'il vous plaît.
Mme Lavoie-Roux: Je m'excuse, c'est le député de
Jacques-Cartier.
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Jacques-Cartier, d'accord.
M. Saint-Germain: J'aimerais revenir, M. le Président, sur
ces questions des ordres professionnels. Vous dites que vos employés qui
font partie d'un ordre professionnel font face à certains
inconvénients au Québec avec la loi sur la langue. Pourriez-vous
nous donner des exemples pratiques? A titre d'exemple, je vois ici un comptable
en poste à notre siège social à Montréal. C'est un
comptable qui a été employé en dehors de la province, je
suppose. De quelle façon... il y a là un
inconvénient...
M. de Jocas: II faut peut-être regarder dans l'exemple
cité le terme comptable dans son sens beaucoup plus large. On a des
inquiétudes à différents niveaux; on ne parle pas
nécessairement de beaucoup de monde, mais on parle des gens hautement
spécialisés, nous avons par exemple... Nous sommes en train
d'instaurer un système d'informatique très grand, un
réseau très vaste et très complexe, et qui requiert des
spécialistes qui ne sont pas nécessairement disponibles au
Québec, même pas au Canada. Nous en avons besoin pour mettre au
point nos systèmes. C'est ce genre de professionnels qui nous
préoccupent.
Dans le domaine des transactions internationales, il y a certains
spécialistes professionnels qui ont acquis de l'expérience
à l'extérieur du Canada que nous voudrions attirer chez nous pour
compléter les services que nous offrons déjà. Encore
là, c'est un exemple de situation qui nous préoccupe.
M. Saint-Germain: Lorsque vous engagez ces comptables, entre
autres, est-ce que, nécessairement, ils ont l'obligation de signer des
documents? Cela ne les empêche pas de faire l'ouvrage ou de prendre les
responsabilités que vous leur demandez, si ce sont des
spécialistes. Dans ces conditions, j'imagine bien que le comptable
puisse aller en Ontario ou dans une autre province, pour les règlements,
les examens, les conditions d'admission, ce n'est réellement pas
limité à la langue. Je suppose que ces mêmes comptables,
s'ils voyagent à travers le monde, ne font pas toujours partie des
ordres de leur profession, à chaque endroit où ils sont
employés?
M. de Jocas: La langue qu'ils devront connaître en venant
chez nous sera nécessairement l'anglais.
M. Saint-Germain: Je parle de faire partie de l'ordre. Il me
semble que...
M. de Jocas: S'ils ne peuvent pas avoir leur certificat les
autorisant à pratiquer leur profession au Québec, j'imagine qu'il
en résultera qu'ils ne pourront pas travailler chez nous. Est-ce qu'ils
peuvent exercer leur profession sans avoir la permission de travailler au
Québec?
M. Saint-Germain: Mais vous parlez aussi des architectes, entre
autres. Vu que la banque n'est pas dans le domaine de la construction, de
l'investissement domiciliaire, j'entends, dans la construction, surtout
l'entretien ou la location, je vois mal comment il se fait que vous pouvez
avoir besoin de tellement d'architectes, il y en a déjà au
Québec, soit de langue anglaise...
M. de Jocas: C'est surprenant, mais nous avons quand
même...
M. Saint-Germain: ...ou de langue française et ceux que
vous avez comme architectes peuvent certainement s'associer et travailler en
coopération avec les architectes qui sont déjà à
votre emploi et qui, eux, font partie de l'Ordre des architectes du
Québec...
C'est un peu la même chose, vous parlez aussi de l'ordre...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Jacques-Cartier, je m'excuse. Voyez-vous...
M. Saint-Germain: Je termine. Je voudrais simplement faire
remarquer aue vous parlez des professionnels en gestion financière. Je
ne crois pas qu'il y ait d'ordre, au Québec, spécifiquement pour
la gestion financière; je pense que ce n'est même pas
considéré comme une profession au Québec, ou du moins,
avec un titre exclusif et avec des responsabilités bien
déterminées.
M. de Jocas: Ces mêmes professionnels dans la gestion
financière sont souvent des professionnels, ce sont soit des
ingénieurs, etc., qui font partie d'un ordre et qui, d'après
l'article de la loi, ne pourraient pas, sans l'obtention d'un certificat,
pratiquer leur profession, ou ne pourraient pas transiger avec leur
association, en anglais.
Je crois que dans le contexte d'une banque, ce ne sont quand même
pas les considérations les plus importantes de notre
préoccupation, mais elles sont quand même réelles. On les a
simplement notées.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Merci beaucoup, M.
de Jocas, ainsi que vos collègues, porte-parole de la Banque de
Montréal. Vous avez été patients, vous êtes revenus
ce matin, malgré les difficultés que nous connaissons. Merci
aussi aux membres de la commission.
J'invite Immédiatement le Conseil du patronat du Québec,
qui est représenté, je pense, par M. Pierre Des Marais II.
Bonjour M. Des Marais. Suivant les règles de cette commission qui
me lie, à la suite d'une motion, vous devez tout d'abord vous
identifier, identifier le groupe que vous représentez, identifier les
gens qui vous accompagnent et vous aurez ensuite 20 minutes pour exposer votre
mémoire ou en faire un résumé. M. Des Marais.
Conseil du patronat du Québec
M. Des Marais (Pierre): M. le Président, M. le ministre,
madame et messieurs, je vais d'abord présenter les gens qui sont avec
moi. A ma droite, M. Ghislain Dufour, qui est vice-président
exécutif du Conseil du patronat; à ma gauche, M. Edmond Ricard,
qui est président de l'Imperial Tobacco, qui est un membre corporatif du
Conseil du patronat; à sa gauche, M. Aimé Gagné, qui est
vice-président de la Société d'électrolyse et de
chimie d'Alcan, qui est aussi un membre corporatif du Conseil du patronat;
à la droite de M. Dufour, M. Roger Martin, qui est
vice-président, relations industrielles, de Domtar Limitée, qui
est un membre...
Une Voix: ...M. Des Marais...
M. Des Marais: J'arrive. ...qui est membre corporatif...
Une Voix: N'allez pas trop à droite.
M. Des Marais: ...et à sa droite, un nouveau membre...
Une Voix: Un nouveau membre.
M. Des Marais: ...nous tentons de recruter depuis quelque temps
et qui enfin s'est joint à nous et qui a vu la lumière. Je suis
Pierre Des Marais II, président du Conseil du patronat du
Québec.
Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, il est 11 h
20, à l'horloge officielle. Vous devrez donc terminer pour 11 h 40.
Ensuite, il y aura 70 minutes pour les questions des membres de la commission.
M. Des Marais.
M. Des Marais: M. le Président, nous avons fait parvenir
copie du mémoire et notre intention, ce matin, c'est de passer à
travers les sept premières pages du mémoire vous avez
reçu aussi un résumé du mémoire et de passer
ensuite au résumé pour la deuxième partie.
Le Président (M. Cardinal): Puis-je tout de suite vous
faire une suggestion? Vous avez le droit de demander que ce qui ne sera pas lu
soit déposé et reproduit en annexe au journal des
Débats.
M. Des Marais: M. le Président, je vous remercie et j'en
fais la demande.
Le Président (M. Cardinal): C'est accordé, M. Des
Marais.
M. Des Marais: Le Conseil du patronat du Québec a
été créé en 1969. Les membres qui élisent
son conseil d'administration sont 125 associations patronales professionnelles
(verticales) et interprofessionnelles (horizontales) qui représentent
tous les genres d'entreprises économiques privées ou
parapubliques du Québec.
La création du CPQ est une conséquence, entre autres
choses, de l'évolution de la société politique
contemporaine, société dans laquelle l'Etat veut s'adresser
à des porte-parole autorisés de chacun des groupes sociaux
importants.
Contre la dispersion traditionnelle des groupes patronaux, le CPQ a pour
tâche de coordonner les activités des diverses associations
patronales et de dégager par la consultation une philosophie commune. Le
CPQ est ainsi devenu, au cours des années, un lieu de concertation
où se rencontrent des représentants des entreprises du
Québec dans toute leur diversité.
Dès sa première année d'existence, le CPQ a
été confronté avec les problèmes linguistiques du
Québec et c'est au terme de cette première année qu'il
soumettait un mémoire à la commission Gendron. Par la suite, il
devait recueillir les diverses opinions qui se formaient dans les entreprises
à partir du rapport de cette commission, puis à l'occasion de la
discussion d'une première loi sur les droits linguistiques et enfin lors
des multiples consultations qui ont influencé la réglementation
consécutive à cette loi sur la langue.
D'une chose à l'autre, depuis 1969, le débat sur les
questions linguistiques du Québec n'a jamais cessé et c'est par
une réflexion continue que les opinions ont pris leur forme
définitive. Les positions que le CPQ exprime aujourd'hui ne sont pas
improvisées, elles sont le fruit d'une analyse détaillée
de toutes les hypothèses imaginables et de toutes les contraintes
qu'impose la réalité.
Ses positions sont cohérentes et fermes, parce qu'elles ont
été longuement mûries dans des débats
difficiles.
Les principes qui ont guidé l'analyse que le CPQ a faite de la
réalité linguistique du Québec peuvent se résumer
en trois propositions:
La promotion du français... Le CPQ est d'accord avec
l'idée générale d'une action concertée entre
l'Etat, les entreprises et les citoyens en vue de promouvoir l'usage du
français au Québec et de parvenir à en faire la langue
principale dans les activités économiques et culturelles.
La promotion des francophones: Le but concret que poursuit le CPQ
à travers la promotion du français, c'est d'abord et avant tout
la promotion des francophones. Ce sont les intérêts concrets des
citoyens du Québec, dont la majorité sont des francophones, c'est
leur bien-être et leur progrès que le CPQ veut
défendre.
La promotion économique du Québec. C'est pourquoi les
moyens proposés pour assurer l'évolution linguistique
désirable doivent tenir compte des conditions de la vie et du
développement éco-
nomique d'un Québec intégré à
l'économie nord-américaine.
Quant à l'attitude générale vis-à-vis du
projet de loi no 1, en premier lieu, la reconnaissance du bien-fondé des
principes. Dans la mesure où l'intention du projet de loi no 1 est
d'inscrire dans la vie concrète du Québec une présence
toujours plus active du français et des francophones, le Conseil du
patronat l'appuie fermement. En particulier, il est d'accord sur les objectifs
généraux suivants: droit de la majorité francophone de
parler sa langue au travail et d'être servie dans sa langue;
caractère fondamentalement français de l'Etat du Québec;
nécessité de donner, par l'affichage et les autres textes
exposés à la vue du public, une image fidèle de la
réalité du Québec et, enfin, le respect des
minorités.
Choix des moyens. Cependant, dans le choix des moyens pour atteindre ces
objectifs, le CPQ croit que la promotion du français ne peut pas
être considérée comme un absolu, et que d'autres objectifs
sociaux les libertés démocratiques fondamentales, le
progrès économique, le respect des minorités
doivent fixer les limites de l'intervention directe de l'Etat dans la vie des
citoyens.
En particulier, nous voulons noter, d'abord, trois idées
générales à propos du choix des moyens: Tenir compte des
facteurs autres que la langue dans la définition d'une politique
linguistique. Le projet de loi no 1 porte sur la promotion du français.
Elle veut généraliser l'usage du français dans toute la
vie publique du Québec. Dans le choix des moyens, cependant, le
législateur doit tenir compte des autres facteurs parmi lesquels est
situé le facteur langue dans la vie d'une société
donnée. Notamment, la promotion de la langue française doit
être dans le concret réalisée en tenant compte des
conditions du développement économique, des relations
commerciales et technologiques du Québec, avec l'ensemble de
l'économie nord-américaine, du droit des citoyens du
Québec de conserver et de développer les niveaux de vie auxquels
ils sont habitués et les biens que leur procure l'intégration
économique du Québec au continent nord-américain.
Malgré que le législateur veuille parler spécifiquement du
français au Québec, nous croyons qu'il ne peut aborder cette
question dans l'abstrait.
Dans une loi qui parle spécifiquement du français, il
paraît au premier abord naturel de ne pas spécifier les droits que
l'on veut reconnaître, par ailleurs, aux anglophones, ni non plus la
nécessité pour un bon nombre de francophones du Québec,
d'avoir une bonne connaissance de l'anglais. Mais le fait de faire ces autres
aspects de la réalité linguistique du Québec crée
une ambiguïté qui affaiblit, à notre avis, la Charte de la
langue française. Dans le concret, la place du français au
Québec ne peut pas ne pas être relative à la place de
l'anglais dans la science, la recherche et le commerce international, et
à la place de l'anglais dans les relations du Québec avec le
monde économique auquel il est intégré. Ne pas tenir
compte de cet aspect des choses dans la rédaction de la charte, c'est
simplement rendre cette charte abstraite et irréaliste. Enfin, si on
considère, non pas le français séparément, mais les
francophones, il est loin d'être assuré que l'on travaille pour
leur plus grand bien, en réduisant leur monde culturel. Par contre, pour
les anglophones qui, par l'effet de la loi, deviendraient bilingues, il
s'agirait pour eux d'un développement culturel majeur. L'intention du
législateur est respectable: Faire porter le poids du bilinguisme par la
minorité et non par la majorité comme dans n'importe quel pays du
monde. Cette considération est incomplète, car la situation
géographique du Québec place le Québécois
francophone en position de minoritaire dès qu'il sort de son territoire,
et l'unilinguisme français devient alors un obstacle majeur à la
participation des Québécois francophones à la vie
scientifique et économique internationale.
La promotion du français dans la vie économique du
Québec ne se fera pas sans la collaboration continue des nombreux agents
économiques. Dès l'abord, la charte semble supposer que cette
collaboration ne peut pas être obtenue par la concertation. Des objectifs
généraux sont fixés, puis une machine administrative
énorme serait mise en place pour imposer une réglementation;
ensuite, on parle d'enquêtes, de poursuites judiciaires, d'amendes et
enfin d'interdiction d'exister pour les organismes qui ne respecteraient pas
les objectifs fixés. Cette façon d'aborder la promotion d'une
valeur culturelle de la part d'un gouvernement qui veut parler au nom d'une
majorité, semble montrer un esprit défaitiste. En même
temps que la loi affirme défendre les droits légitimes de la
majorité, dans le respect des droits de la minorité, elle semble
affirmer que la majorité n'a pas les moyens de convaincre la
minorité de la légitimité de ses objectifs. Il
paraîtrait plus naturel d'essayer d'abord une démarche
fondée sur la confiance réciproque et appelant la
collaboration.
A rencontre de certaines propositions de l'actuel projet de loi, pour
tenir compte de la situation concrète dans laquelle doit s'inscrire
notre volonté collective de promouvoir l'usage du français, le
CPQ veut présenter quatre propositions principales:
La première, la langue de l'école et mobilité des
personnes de compétence nationale et internationale: Concevoir un
régime scolaire qui rend toujours possible le recrutement national et
international des compétences nécessaires à
l'amélioration de la gestion de nos entreprises, à la recherche
et à l'innovation technologiques.
Les permis: Eviter que l'obtention d'un permis quelconque soit
conditionnelle à des considérations discriminatoires autres que
celles pour lesquelles il a été spécifiquement
créé (règle commerciale, contrôle financier,
sécurité, santé, protection du public, etc.).
Les sièges sociaux: S'assurer que les sièges sociaux de
sociétés faisant affaires à l'extérieur du
Québec trouvent au Québec des conditions favorables à leur
développement; de même, s'assurer que les sociétés
nationales ou internationales dont le siège social est à
l'extérieur du Québec, aient avantage à faire du
Québec leur principale place d'affaires pour le Nord-Est
américain.
Quatrièmement, les responsabilités de l'entre-
prise. Définir le rôle et la composition de "comités
de francisation" dans les établissements industriels de façon
à ne pas introduire artificiellement des principes de gestion contraires
à ceux habituellement utilisés dans notre milieu. Un
"comité conjoint" ne peut être que consultatif si l'entreprise,
selon la loi, est tenue responsable de sa francisation.
Ce sont là les quatre points majeurs que le CPQ a retenus des
multiples consultations qu'il a faites auprès de ces membres. Une large
unanimité s'est exprimée à propos de l'importance
primordiale de ces quatre points pour la vie de l'entreprise au Québec.
Ce souci n'est pas particulier à un type d'entreprise seulement. Sur
l'ensemble des entreprises qui font la vie économique du Québec,
celles qui sont en contact direct avec les centres de recherche et de
développement internationaux et qui ont des rapports quotidiens avec
Toronto, New York, Londres ou Paris représentent évidemment un
nombre limité. Malgré cela, tous les chefs d'entreprises sont
conscients que même une petite entreprise locale est dépendante du
bon fonctionnement de l'ensemble du réseau économique. De plus,
l'espoir de la petite entreprise locale est de se développer
jusqu'à entretenir elle-même des relations commerciales
internationales. Enfin, l'un des apports de l'Etat pour aider la PME à
se développer est de lui faciliter l'accès à des
marchés internationaux. Ainsi, dans toute la vie économique du
Québec, au niveau de l'Etat autant que de l'entreprise, dans la petite
entreprise autant que dans la grande, est présent ce souci de tirer,
pour nous-mêmes, le meilleur profit possible de notre intégration
à l'économie internationale. Les préoccupations qu'exprime
le CPQ à propos des conditions favorables au développement des
entreprises sont donc largement partagées par l'ensemble des
gestionnaires des entreprises québécoises, quelle que soit la
stature de ces entreprises.
Ce n'est pas le but du CPQ dans ce mémoire de proposer au
gouvernement la forme précise que devrait prendre la loi sur les droits
linguistiques au Québec. Il veut faire part au gouvernement de ses
objectifs et il fait confiance aux juristes et au législateur pour
donner sa forme définitive à la loi. Nous passons quand
même en revue, chapitre par chapitre, l'actuel projet de loi, non pas
pour en faire une analyse juridique, mais pour avoir l'occasion de
préciser les idées générales qui
précèdent.
A ce moment-ci, M. le Président, je voudrais aller au
résumé des recommandations à la page 2: Les principales
préoccupations du CPQ. A rencontre de certaines propositions de l'actuel
projet de loi, pour tenir compte de la situation concrète dans laquelle
doit s'inscrire notre volonté collective de promouvoir l'usage du
français, le CPQ veut présenter quatre propositions principales.
La première, langue de l'école et mobilité des personnes
de compétence nationale et internationale.
Excusez-moi, M. le Président, je suis en train de
répéter le résumé des dernières
recommandations. Je vais plutôt aller à la page 3 du petit
document.
Dans cette analyse, le CPQ note, entre autres choses, l'inexactitude et
les dangers d'une définition du "peuple québécois" qui
tient compte de la langue seulement; l'utilité d'une version anglaise,
non seulement des lois, mais aussi des projets de loi et des règlements;
la nécessité d'assurer la concordance des lois
fédérales et provinciales sur l'étiquetage; le
caractère inutilement restrictif de certaines propositions s'appliquant
aux organismes au service de la communauté anglophone du Québec;
les responsabilités trop nombreuses et trop compliquées
accordées à un seul organisme, l'Office de la langue
française, qui est destiné à devenir un monstre
administratif. Cependant, les remarques les plus importantes du CPQ portent sur
les sujets qui auront des répercussions directes sur la vie
économique ou sur la vie des entreprises. Ce sont les suivantes:
Premièrement, l'usage de l'anglais dans les centres de recherche
et de développement. Le Québec a déjà
au-delà de 200 centres de recherche et de développement hautement
spécialisés. Il a intérêt non seulement à
maintenir vivants ces centres, mais aussi à faciliter leur
développement. Or, le personnel des centres de recherche et de
développement se recrute partout dans le monde et la langue commune de
ces scientifiques, c'est l'anglais. Les lois du Québec n'y peuvent
rien.
Deuxièmement, ne pas confondre les problèmes de relations
de travail et les problèmes inhérents à l'application
d'une loi sur la langue. L'article 36 est inutilement contraignant pour les
employeurs. Nous ne nous opposons pas au principe de cet article. Nous trouvons
cependant malsain de faire arbitrer une présumée infraction
à la loi sur la langue par un commissaire-enquêteur en vertu du
Code du travail. Outre le fait que, dans une telle orientation, le fardeau de
la preuve relèvera de l'employeur, cette disposition confond les
problèmes de relations de travail et les problèmes
inhérents à l'application de la loi no 1.
Une telle confusion ne servirait ni la cause du français, ni les
intérêts des syndiqués. Les infractions
présumées à la loi sur la langue pourraient devenir, dans
certains cas, des armes de harcèlement dans un conflit ouvrier rendant
ainsi les relations de travail plus compliquées et faisant de la loi sur
la langue une arme dans une lutte qui n'a aucun rapport avec la promotion du
français.
Pourquoi ne pas prévoir tout simplement que les infractions au
chapitre VI de la loi sur la langue seraient traitées comme n'importe
quelle autre infraction à la loi, avec les mêmes risques de
poursuite.
Troisièmement, la langue de l'école. Le CPQ ne peut
accepter que les enfants de personnes de langue anglaise qui viendront
s'installer au Québec après l'entrée en vigueur de la loi
ne puissent inscrire leurs enfants à l'école anglaise. Rien ne
nous paraît justifier, tant au plan de la promotion du français
que sur le plan économique, une telle décision.
Outre que nous devons reconnaître le besoin de la
communauté anglophone québécoise de se ressourcer à
l'extérieur du Québec pour s'épanouir, il nous est
essentiel de reconnaître aussi
qu'en empêchant les anglophones qui viendront s'installer au
Québec d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, nous
nous créons à nous-mêmes des difficultés
économiques très réelles. Comment en effet, serait-il
possible, dorénavant de déplacer des cadres de Toronto, de
Vancouver, de Londres ou de New York vers Montréal, quand on songe que,
dans la recherche de personnel de compétence internationale,
Montréal est en concurrence avec toutes les grandes villes
nord-américaines?
La loi actuellement doit donc aborder toute cette question de la langue
d'enseignement avec une grande ouverture d'esprit. Elle doit tenir compte de la
réalité géographique dans laquelle se situe le
Québec et des énormes ressources en capital humain et financier
dont elle priverait le Québec si elle était trop coercitive. A
cet égard, le législateur doit être le porte-parole de
toute la collectivité québécoise, et non seulement du
groupe majoritaire.
Quatrièmement, les pouvoirs discrétionnaires de l'Office
de la langue française.
Nous ne pouvons accepter que le législateur accorde autant de
pouvoirs discrétionnaires à un organisme administratif de l'Etat
comme l'Office de la langue française. En fait, cet office aurait un
droit de vie et de mort sur toute entreprise du Québec puisqu'il
déciderait à partir de sa propre réglementation si
l'entreprise obtiendra les permis exigés par les autres lois du
Québec pour des raisons de protection du public, de
sécurité industrielle, d'éthique commerciale, etc. Cette
seule idée, d'ailleurs, que la réglementation de l'Office de la
langue supplanterait toutes les autres considérations quand il s'agit
d'accorder des permis dans notre société par ailleurs
surréglementée (permis de construire, permis de vendre l'alcool,
permis d'exploiter un commerce, etc.), nous paraît être
énorme et disproportionnée et peut-elle être même non
fondée en justice? L'exigence d'un permis qui a été
imposé par le législateur pour, par exemple, délimiter le
territoire dans lequel une entreprise peut exercer ses activités
pourrait-elle en toute justice être détournée de sa fin par
une nouvelle loi ou même par un règlement d'un organisme
administratif de l'Etat?
Cinquièmement, le droit d'appel. Selon le texte actuel du projet
de loi, aucun recours contre l'Office de la langue française n'est
possible ni au ministre, ni à un tribunal d'appel. Une telle situation
est totalement inacceptable.
Sixièmement, le statut particulier des sièges sociaux
d'entreprises nationales ou internationales et des sièges
régionaux des entreprises internationales.
Les réserves que fait l'article 113 à l'égard des
sièges sociaux sont déjà excellentes en soi. Cependant,
elles ne nous paraissent pas aller assez loin. En plus des sièges
sociaux eux-mêmes, il faut considérer divers cas particuliers
comme, par exemple, le siège canadien d'une société
internationale ou le siège régional pour l'Est du Canada d'une
société nationale ou internationale. En général, il
faut souhaiter que la loi soit assez souple pour permettre une analyse
précise de chaque genre d'entreprises, et pour adapter les programmes de
francisation à diverses situations.
Septièmement, pour impliquer les employés dans la
francisation des entreprises, l'information et la consultation.
Le Conseil du patronat est d'accord avec l'idée d'impliquer les
employés dans la francisation des entreprises. Cependant, il trouverait
nuisible et pour la saine gestion des entreprises et pour l'objectif
même de la francisation d'introduire, par le biais de la loi sur
la langue, un nouveau partage du pouvoir au sein des entreprises, partage du
pouvoir auquel ne correspond pas le partage réel des
responsabilités. Cette intervention directe de la loi sur la langue dans
le mode de gestion des entreprises créerait plus de difficultés
qu'elle ne servirait la cause du français.
En particulier, quand le projet de loi propose de faire nommer certains
membres du comité par les syndicats, il ne tient manifestement pas
compte de la complexité de la situation syndicale dans nombre
d'entreprises, et, en fait, propose, à notre avis, un moyen
inapplicable. Que fera l'entreprise qui, par exemple, fait affaires avec une
dizaine de syndicats, dont certains sont des rivaux
irréconciliables?
D'autre part, comment peut-on accepter qu'un comité, dont une
partie des membres n'a de compte à rendre à personne à
l'intérieur de l'entreprise, et qui ne peut pas être tenu
responsable de la bonne marche ou des difficultés de l'entreprise,
reçoive de l'extérieur le mandat de déterminer la
politique de l'entreprise sur des sujets pouvant s'étendre à
toutes ces activités. En contrepartie du retrait des trois articles
portant sur les comités de francisation, le législateur devrait,
à notre avis, exiger des entreprises dans la loi elle-même
d'informer constamment les travailleurs de la progression des travaux de
francisation de l'entreprise. Il pourrait même prévoir la mise sur
pied de comités consultatifs à l'image de quantité de
comités de ce type qui existent déjà dans
l'entreprise.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Merci, M. Des Marais II, M. le ministre.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier le Conseil du patronat pour
le mémoire intéressant, vigoureux et en même temps ouvert
qu'il vient de nous présenter. Ce mémoire, évidemment,
s'inscrit dans la même continuité que ceux que nous avons entendus
aujourd'hui et hier. Hier, c'était celui de l'Association des
manufacturiers et celui de la Banque de Montréal. Il s'inspire de la
même philosophie, mais il a cependant le mérite de mettre l'accent
sur des points différents, parfois semblables et parfois
différents.
Etant donné l'importance que joue dans notre
société québécoise, le Conseil du patronat, il est
évident que j'ai étudié avec la plus grande attention
chacune des 23 pages du mémoire du Conseil du patronat. Je voudrais
d'abord poser une première question. Est-ce que vous pourriez me dire la
proportion de membres francophones du
Conseil du patronat et, deuxièmement, la proportion du nombre
d'entreprises où le capital-actions est majoritairement anglophone?
M. Des Marais: M. le Président, M. le ministre, il est
difficile de répondre exactement à cette question. Il faut se
rappeler que le Conseil du patronat est une confédération
d'associations patronales. Alors, comme telles, nos 125 associations sont des
associations patronales à partir des principales, comme la Chambre de
commerce, l'Association des manufacturiers canadiens, le Board of Trade, qui
regroupent aussi des associations sectorielles comme dans le meuble. En
conséquence, le conseil est formé principalement de ces
gens-là. Alors, il faudrait aller à l'intérieur de chacune
de ces associations pour répondre à votre question, ce que nous
ne pouvons pas faire. Nous avons par ailleurs des entreprises qui sont membres
directement et qui sont représentées par un bureau des
gouverneurs qui lui-même délègue quatre membres au conseil
d'administration, qui, lui, est composé des représentants des
associations et qui participe en particulier à la vie financière
du Conseil du patronat. On a déjà fait le décompte mais,
malheureusement, nous n'avons pas le détail avec nous. Nous pourrions
vous le faire parvenir. C'est un document public. Au niveau des entreprises,
qui n'ont pas, je le répète, la responsabilité de la
direction du CPQ, c'est peut-être moitié moitié, des
entreprises dites anglophones et des entreprises dites francophones.
M. Laurin: Si on pense au capital-actions, est-ce qu'il serait
exagéré de dire que le capital-actions des entreprises
participant à votre conseil se situe aux alentours de 75%, 80%
anglophone?
M. Des Marais: Cela représente, en fait, la
réalité québécoise, par les entreprises. Encore une
fois, il est difficile, à mon avis, de comparer le Conseil du patronat
à une société habituelle, telle qu'on les connait, puisque
le contrôle, de fait, existe par les représentants des
associations qui, selon les associations... Evidemment, si c'est le Board of
Trade, ce sera hautement anglophone, si c'est la Chambre de commerce de
Montréal, ce sera hautement francophone.
M. Laurin: Je voudrais d'abord vous dire, en parlant de vos
considérations générales, l'accord que provoquent chez moi
la plupart des principes que vous mentionnez au départ. Je suis heureux
de me rendre compte que le Conseil du patronat est d'accord avec l'idée
générale d'une action concertée entre l'Etat, les
entreprises et les citoyens, en vue de promouvoir l'usage du français au
Québec et de parvenir à en faire la langue principale dans les
activités économiques et culturelles.
Je suis également très heureux de constater que le Conseil
du patronat désire d'abord et avant tout la promotion des francophones
ainsi que la promotion économique du Québec, qu'il désire
une présence toujours plus active du français et des francophones
et qu'il reconnaît le caractère fondamentalement français
de l'Etat du Québec. C'est là une très bonne base de
départ pour notre coopération et notre collaboration.
Je suis aussi d'accord avec le Conseil du patronat qu'il faut, dans
l'élaboration de toute politique, tenir compte des autres facteurs parmi
lesquels est situé le facteur langue dans une société
donnée, et en particulier des relations commerciales et technologiques
du Québec avec l'ensemble de l'économie nord-américaine et
du droit des citoyens du Québec de conserver et de développer le
niveau de vie auquel ils sont habitués. C'est la raison d'ailleurs pour
laquelle nous déplorons tellement l'inflation actuelle, le taux de
chômage et les fermetures d'usines qui se multiplient.
Nous voulons également tenir compte avec vous du pluralisme de la
société québécoise. Vous avez bien reconnu qu'il
est naturel que la loi, qui s'appelle Charte du français au
Québec, ne puisse spécifier, en raison du droit parlementaire
britannique, les droits que l'on veut reconnaître par ailleurs aux
anglophones. Je ne pense pas qu'il faille en conclure que nous voulons taire
les aspects de la réalité linguistique du Québec, ni la
place de l'anglais dans la science, la recherche et le commerce international.
Il n'est pas possible d'oublier la place de l'anglais au Québec, pas
plus à cette commission qu'ailleurs, puisqu'on nous le rappelle
constamment et parfois même je dirais, ad nauseam. Il n'est donc vraiment
pas possible de l'oublier. D'ailleurs, même si la loi,
conformément au principe du droit parlementaire britannique n'en parle
pas, le livre blanc, lui, en a beaucoup parlé et il a même
établi, comme deuxième principe de notre politique, le respect
des minorités et, comme quatrième principe, l'utilité pour
ne pas dire la nécessité pour les francophones d'apprendre
l'anglais comme deuxième langue au Québec.
En ce sens, je ne pense pas que notre politique soit abstraite et
irréaliste. Je ne crois pas non plus que le gouvernement veuille
réduire en quoi que ce soit le monde culturel des francophones, non
seulement nous voulons respecter les minorités, mais nous voulons
qu'elles se développent d'une façon dynamique et nous voulons
surtout que le monde francophone s'ouvre sur le monde. Et c'est même la
raison pour laquelle nous voulons plus de pouvoirs, aussi bien
économiques que politiques, pour pouvoir nous ouvrir à toutes les
autres nations du monde et nouer nos relations commerciales aussi bien que
culturelles avec les autres pays, de façon à apporter
nous-mêmes notre contribution au patrimoine universel.
Peut-être voulons-nous faire porter le poids du bilinguisme par la
minorité, mais vous dites que c'est ainsi que ça se fait dans
tous les pays. Et en un sens, c'est parfaitement normal, mais il faut
reconnaître et nous le reconnaissons, comme je viens de le dire, que les
francophones aussi au Québec, de par leur situation particulière,
sont déjà bilingues dans une proportion de 60% et nous entendons
bien faire en sorte que ce pourcentage, non seulement se maintienne, mais
s'améliore, étant donné notre situation
particulière.
Nous ne voudrions pas, nous non plus, que la situation
géographique du Québec place le Québécois
francophone en position de minoritaire, dès qu'il sort de son
territoire. Je vous fais remarquer que c'est déjà le cas depuis
de très nombreuses années que le Québécois
francophone, en vertu de l'anglicisation massive du reste du Canada, se
retrouve souvent en position minoritaire dès qu'il sort du
Québec. Je dirais même que même au Québec, le
Québécois francophone s'est souvent trouvé minoritaire, au
travail en particulier; on a même pu dire qu'il était un
colonisé de l'intérieur et qu'il devait tenter de corriger cette
situation pour participer d'une façon pleine, entière, dynamique,
positive au développement de son propre pays.
Ce que nous entendons instaurer, ce n'est pas l'unilinguisme
français, ou plutôt, oui, en un sens, mais il faudrait
préciser. Quand nous parlons d'unilinguisme français, nous ne
parlons pas d'unilinguisme généralisé, mais d'unilinguisme
institutionnel, un peu comme M. Trudeau parle du bilinguisme institutionnel.
Nous ne voulons pas parler de l'unilinguisme personnel au niveau de la langue
que chaque individu connaît.
Je pense que si l'on fait cette distinction, il est parfaitement
compatible de préconiser un unilin-guisme institutionnel tout en
favorisant l'apprentissage d'une deuxième langue par les individus.
Je veux aussi vous assurer que le gouvernement est très conscient
qu'il a besoin de la collaboration continue des nombreux agents
économiques et nous pensons, dans ce domaine, comme dans d'autres, que
la concertation s'impose.
Mais nous pensons que l'objectif de la concertation ne rend pas inutile
une politique axée sur une certaine législation. La loi est un
des instruments privilégiés qui peut s'ajouter à la
concertation dans l'élaboration des politiques d'un pays, que ce soit
dans le domaine de la langue ou de n'importe quel autre.
Ce n'est donc pas pour punir ou pour se venger que le gouvernement pense
à une pareille législation. C'est dans un but positif, ouvert sur
l'avenir, non pas dans un esprit défaitiste, mais dans une optique
résolue, déterminée, qui s'appuie sur une conscience des
problèmes de la communauté...
Je suis également d'accord sur les principales
préoccupations du Conseil du patronat, telles qu'énoncées
aux pages 5 et 6, et en particulier sur les quatre principes que vous
énoncez. Mais là aussi, il faut peut-être nuancer ou
préciser.
Par exemple, en ce qui concerne la langue de l'école et la
mobilité des personnes de compétence nationale et internationale,
je pense que l'article 58, s'il est bien compris, rend possible le recrutement
national et international des compétences nécessaires. Quant aux
permis, j'ai déjà dit hier que ce sujet était à
l'étude et qu'un comité nous ferait rapport bientôt
à ce sujet. Mais j'ai déjà dit qu'il n'était pas
question de retirer à une entreprise son permis de fonctionnement pour
quelque raison que ce soit.
Quant aux sièges sociaux, nous entendons bien leur donner les
conditions favorables à leur développement et nous pensons que
l'article 113 pourra assurer ces conditions favorables. Il est peut-être
difficile dans une loi, d'être très précis à cet
égard, parce qu'il y a beaucoup de variétés de
sièges sociaux et même dans les règlements, il est parfois
difficile de tenir compte de toute cette diversité. Mais ce dont je veux
vous assurer, c'est de notre attitude ouverte, flexible et souple à cet
égard, dans le respect, cependant, des exigences légitimes du
peuple hôte qui, en l'occurrence, est le Québec.
De la même façon, nous entendons respecter les
responsabilités de l'entreprise et nous ne voulons pas introduire
artificiellement des principes de gestion. Mais je ne crois pas que l'article
114, qui touche la participation des associations de salariés à
la francisation des entreprises, constitue une dérogation à ces
principes de gestion, si l'on se rappelle que la participation des
salariés à ces comités ne dépassera jamais le tiers
des membres, laissant ainsi entière, la responsabilité principale
de la gestion.
Je voudrais maintenant passer à la deuxième partie de
votre mémoire et commenter certaines des recommandations
particulières que vous nous faites. Vous dites bien, en ce qui concerne
le préambule, que seule une interprétation littérale
pourrait laisser entendre que le gouvernement exclut du peuple
québécois nombre de citoyens québécois. Cette
interprétation littérale est contredite par chacune des pages du
livre blanc. Mais j'ai déjà dit que s'il y avait encore des
ambiguïtés à ce sujet, elles seraient corrigées dans
la version définitive du projet de loi.
En ce qui concerne votre désir de voir préciser davantage
la définition d'une entreprise, je pense que si vous regardez le
règlement que nous avons déposé récemment, vous y
trouverez une définition de l'entreprise et j'espère que cette
définition apaisera les inquiétudes qui pourraient vous rester
à cet égard.
En ce qui concerne la langue des ordres professionnels, je pense que
vous avez très bien compris que l'article 27 ne prohibe en aucune
façon l'usage complémentaire de l'anglais. Sur ce point, les
ordres professionnels adopteront la politique qui leur semble la plus
opportune, mais ce que nous avons voulu bien spécifier dans la loi
cependant, c'est que le français ne soit pas oublié comme il l'a
souvent été, même récemment, par certaines ordres
professionnels, mais, encore une fois, vous avez bien compris le sens de
l'article 27, qui n'entend prohiber en aucune façon l'usage
complémentaire de l'anglais.
J'ai été intéressé évidemment par vos
recommandations en ce qui concerne les centres de recherche et de
développement. Comme vous le savez peut-être, l'association qui
regroupe les principaux centres de recherche et de développement s'est
déjà présentée à la commission. J'ai eu avec
cette association, un dialogue long, étoffé, cons-tructif, et
j'aimerais vous référer au journal des Débats. Si vous
lisez le rapport de nos délibérations, vous verrez que nous
tentons de tenir compte des contraintes particulières au sein desquelles
ont à oeuvrer ces centres de recherche,
tout en faisant cependant la part aux intérêts et besoins
légitimes du pays hôte encore une fois et de la majorité
des habitants, des citoyens qui l'habitent.
Vous ne voudriez pas, conformément à ce que d'autres ont
dit, que les professionnels invités à travailler dans ces centres
soient assujettis à l'article 30. J'ai déjà eu l'occasion
de m expliquer là-dessus hier. Je pense, pour ma part, qu'il est
difficile d'être absolument sûr qu'un professionnel n'ait pas de
contact avec le public, car les collègues avec lesquels il travaille,
les techniciens avec lesquels il peut être appelé à
collaborer font partie aussi de la population et tout professionnel, et surtout
les professionnels peuvent toujours être appelés, à un
moment donné, à rencontrer, d'une façon plus ou moins
assidue, les salariés, les membres, les travailleurs de l'entreprise.
Ils peuvent avoir des contacts plus ou moins nombreux avec eux de par leur
rôle important de supérieurs qu'ils jouent dans l'entreprise; de
plus, on ne peut dissocier la vie personnelle du professionnel de sa vie
proprement professionnelle, et je pense qu'il est tout à fait
légitime d'espérer qu'un professionnel qui vient habiter durant
quelques années un pays s'intéresse à sa vie sociale,
à sa vie culturelle et participe dans toute la mesure du possible
à la vie de la communauté qui le reçoit et avec laquelle
il peut avoir des contacts enrichissants.
De toute façon, nous considérons à nouveau ces
suggestions qui nous viennent de votre milieu.
Pour ce qui concerne les articles 36 et 37, évidemment, je ne
m'attendais pas que le Conseil du patronat soit d'accord sur ces articles du
projet de loi, mais je ne crois pas, pour ma part, à cette confusion
dont vous parlez. Je ne crois pas que ces articles deviennent une arme de
harcèlement dans un conflit ouvrier, une arme dans une lutte qui n'a
aucun rapport avec la promotion du français. Cela peut faire partie
évidemment de votre philosophie, telle qu'alimentée par certaines
luttes que vous avez connues dans le passé, je le comprends.
Mais il faut quand même reconnaître que ces articles ont
été insérés dans la loi, en vertu d'une situation
dont des milliers de citoyens francophones ont eu à souffrir dans le
passé, situation en vertu de laquelle on exigeait d'eux, d'une
façon indue et excessive, la connaissance d'une autre langue pour des
métiers qui, évidemment, à la simple description des
tâches, ne comportaient pas la nécessité de cette
langue.
J'aimerais que vous reconnaissiez, en tout cas, la
légitimité de notre intention à cet égard. Je me
demande s'il est opportun de faire un procès d'intention aux centrales
syndicales à cet égard. De toute façon, nous les
entendrons et nous verrons ce qu'elles ont à dire là-dessus. De
toute façon, l'intention du législateur n'est pas de provoquer
d'autres conflits, mais simplement d'instaurer un climat de justice et, au
contraire, d'améliorer un climat social qui a pu être
perturbé dans le passé, en raison précisément des
abus que je viens de souligner.
Quant à laisser à l'employeur carte blanche,
liberté complète pour les descriptions de tâches qui
devraient servir de base à l'application de cet article, comme je l'ai
déjà dit hier, à la lumière de ce qui s'est fait
dans le passé, de ce qui se fait encore dans le présent, le
gouvernement hésiterait beaucoup à lui laisser cette
entière liberté, car nous avons l'impression, en tout cas, qu'une
action collective s'impose à cet égard.
Vous revenez aussi sur l'utilisation des raisons sociales, comme
beaucoup d'autres l'ont fait avant vous. Cette francisation des raisons
sociales qui avait déjà été commencée avec
la loi antérieure, nous paraît nécessaire à
poursuivre pour la francisation du visage extérieur du Québec. Il
me semble qu'en ces matières, il y a d'autres exemples qui nous sont
donnés par d'autres pays. Je pense, par exemple, à la compagnie
Exxon, qui a une raison sociale spécifique aux Etats-Unis et qui a une
raison sociale différente dans d'autres pays, dont le Québec,
puisqu'au Québec, on ne parle pas d'Ex-xon, mais on parle d'Esso. Je ne
fais que mentionner cet exemple pour montrer qu'il y a possibilité
d'adapter la politique selon les caractéristiques ou contraintes des
divers pays où oeuvrent les multinationales. Je pense, par exemple,
à IBM qui, en France, s'appelle IBM France. Je pense que la loi est
assez libérale, en ce qui concerne les diverses méthodes
d'appellation des raisons sociales, puisque nous acceptons les patronymes, nous
acceptons les sigles, nous acceptons les combinaisons de lettres. Je pense
qu'il y a là assez de souplesse et de flexibilité pour permettre
que le principe que nous énonçons soit observé, tout en
permettant aux compagnies de poursuivre leurs intérêts, leurs
préoccupations spécifiques.
En matière scolaire, je vois avec plaisir que vous avez
abandonné la thèse du libre choix, qui était la
vôtre jusqu'à cette année. C'est réconfortant de
voir que le Conseil du patronat peut lui . aussi réviser ses positions
et changer d'idée. Je crois que c'est là un augure
intéressant pour l'avenir. Quant à la suggestion très
précise que vous nous faites, elle nous est faite, évidemment,
par d'autres organismes. Il y a, bien sûr, une discrimination possible
que certains groupes ethniques pourront nous souligner, à cet
égard. C'est ce que le gouvernement actuel a voulu éviter,
à la suite des représentations qui ont été faites
au précédent gouvernement. Il reste que nous allons
étudier cette suggestion que vous nous faites.
En ce qui concerne les organismes administratifs. Vous parlez de
monstres administratifs, vous parlez de machines énormes. Ce n'est pas
l'intention du gouvernement de gonfler d'une façon
démesurée les effectifs des divers organismes qui sont
prévus. Nous ne croyons pas, d'ailleurs, si nous comprenons bien notre
loi, que cela s'avère nécessaire, et je ne crois pas qu'une
augmentation de 50 ou 60 cadres, par exemple, qui, même à certains
égards avait été prévue par le gouvernement
antérieur, constitue une hypertrophie telle que vous puissiez la
craindre à ce point.
Quant à la distinction, quant à la multiplicité des
organismes, je pense que, là-aussi, il ne faudrait pas y voir plus qu'il
n'y a. Car, déjà, la Régie de la langue française
poursuivait simultanément plusieurs objectifs, dont celui de la
surveillance de
la loi aussi bien que de la promotion du français, aussi bien que
des recherches dans plusieurs domaines. Ce que nous avons fait dans la
présente loi, c'est d'attribuer chacune des fonctions
antérieurement exercées par la régie à un organisme
différent pour fins de clarté et aussi pour éviter
certains inconvénients que la régie nous a elle-même
soulignés. Par exemple, il pouvait s'avérer que la régie
se trouve à la fois dans une situation de juge et de partie lorsque
d'une part elle tentait de promouvoir le français par des rencontres,
des négociations, et, ensuite, elle intervenait comme juge pour
décider si telle ou telle entreprise s'était plus ou moins
conformée aux objectifs qui avaient été conçus ou
élaborés en commun. Cela créait, à
l'intérieur même de la régie, et aussi dans le monde de
l'entreprise, des malaises qui ne sont pas nécessaires et que nous avons
tenté d'éviter par une distinction entre les fonctions, une
distinction plus nette entre les fonctions assumées par tel ou tel
organisme. Et, de la même façon, pour le conseil consultatif, nous
avons voulu lui confier la fonction étude générale de la
situation du français au Québec. Et il est possible que nous lui
confiions d'ailleurs plus de responsabilités que ce qui est prévu
au texte actuel du projet de loi pour tenir compte de certaines objections tout
à fait légitimes que vous nous manifestez et que d'autres
groupes, avant vous, ont manifestées.
C'est vous dire que, sur ce point, nous adopterons toute la souplesse
désirable. Je n'ai pas tellement de questions à vous poser, en
fait, Je retiens de votre mémoire qu'il nous offre une base de
collaboration possible pour l'avenir. Cette collaboration, pour notre part, non
seulement nous la désirons, mais nous la croyons essentielle, sur ce
plan comme sur d'autres car, je l'ai souvent dit, les agents économiques
que vous représentez, de par l'importance qu'ils jouent dans notre
société, nous les considérons comme des partenaires autant
respectés qu'essentiels à ce progrès économique que
nous désirons avec autant d'intensité que vous. Je voudrais donc
vous remercier très chaleureusement pour le mémoire que vous nous
avez présenté.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Alors, M. Des Marais.
M. Des Marais: M. le Président...
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Brièvement, puisque M. le ministre a écoulé le
temps du parti ministériel, nous passerons par après à
l'Opposition officielle. Vous pouvez y aller de cinq minutes de commentaires,
si vous voulez.
M. Des Marais: Je voudrais d'abord remercier le ministre pour la
compréhension du mémoire qui est la sienne. Je suis content qu'en
venant ici aujourd'hui, en déposant notre mémoire, on puisse
clarifier certaines situations qui ne représentaient pas la
réalité entre le gouvernement, le ministre en particulier, et le
Conseil du patronat. Je suis content de voir que c'est assez clair dans notre
mémoire, que c'est compris par le ministre que nous voulons collaborer,
que nous poursuivons de façon générale les mêmes
objectifs, que nous avons certaines restrictions sur des moyens, pour des
raisons d'ordre professionnel.
Il y en a deux sur lesquelles je voudrais revenir, au sujet desquelles
le ministre a indiqué qu'il ne partageait pas notre opinion.
C'était sur la question des représentants des associations
d'employés accrédités à l'intérieur du
comité de francisation. Je demanderais peut-être, dans une minute,
si c'est possible, avec votre permission, M. le Président, à M.
Martin de nous expliquer la situation telle qu'elle existe à la Domtar,
ce que cela ferait si la loi était appliquée comme elle est
exprimée à l'article 114.
M. Martin (Roger): M. le Président, à la
société Domtar, chez nous, nous avons quelque 7000
employés au Québec et nous avons négocié
au-delà de 40 conventions collectives de travail avec autant de
syndicats relevant d'un grand nombre de fédérations dont la
plupart sont affiliées soit à la CSN, soit à la FTQ.
Nous avons aussi, au siège social et dans nos usines, un nombre
important de salariés qui ne sont pas syndiqués. Nous voyons
immédiatement dans la façon de procéder pour choisir le
tiers des salariés qui devraient faire partie du comité un
problème assez important, d'une part. D'autre part, la loi telle que
proposée ferait en sorte que les non-syndiqués ne seraient pas
représentés, étant donné que nous avons des
syndicats en place et cela ferait en sorte qu'une entreprise aussi complexe et
diversifiée que la nôtre aurait à "codécider" avec
un comité de francisation, à "codécider" des budgets et
des programmes qu'il nous faudrait mettre en place au niveau des
activités de la Domtar au Québec.
Dans notre cas, c'est d'autant plus difficile que, premièrement,
au niveau de nos usines, c'est déjà francisé les
opérations se font en français que le bilinguisme est
maintenant au niveau des directeurs d'usine et qu'à toutes fins utiles,
ie progrès à être réalisé se situe au niveau
du siège social où les employés ne sont pas
syndiqués.
M. Des Marais: A l'article 36, je me permets d'insister
malgré l'avis du ministre sur le principe: S'il faut le faire, fort
bien, mais on ne fait de procès d'intention à personne. D'autre
part, quand on dit qu'on s'en va chez le commissaire-enquêteur, on se
pose réellement des questions. Si la loi est là, qu'elle soit
appliquée de façon habituelle et non par le chemin du Code du
travail et des commissaires-enquêteurs.
M. Laurin: ...à expliquer les modalités, mais cela
viendra dans un règlement ultérieur.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Merci, M. le Président. M. Des Marais, je
voudrais remercier le Conseil du patronat pour avoir présenté un
mémoire aussi étoffé,
aussi positif sur le projet de loi no 1. Vous illustrez bien, dans votre
mémoire, les écueils inévitables que l'on doit affronter
lorsqu'on veut faire limplanta-tion de l'unilinguisme dans une
société pluraliste. Je pense que c'est l'erreur fondamentale de
ce projet de loi et je pense que cette erreur est aussi la source d'autres
aspects de ce projet de loi qui ont été déplorés
par plusieurs des intervenants. C'est la coercition parce que, lorsqu'on veut
faire de l'unilinguisme dans une société pluraliste,
nécessairement, on doit l'imposer et y mettre des dents.
J'ai vu avec beaucoup de satisfaction l'attitude plus réaliste du
Conseil du patronat relativement à la question linguistique. Il est tout
indiqué aussi de souligner que quelques-unes de vos interrogations sont
partagées par des gens qui ne représentent pas
nécessairement des intérêts économiques anglophones,
pour employer les termes du ministre. Il a tenté, par sa première
question, de déterminer que le Conseil du patronat représentait
davantage le capital anglophone que le capital francophone. D'ailleurs, c'est
assez difficile de savoir ce qui est un capital anglophone ou francophone. Il
faudrait aller jusqu'à sonder les reins et les coeurs des actionnaires
des différentes compagnies. Ce serait un exercice assez odieux.
Ainsi, votre interrogation, au sujet du préambule, sur l'usage du
terme "peuple québécois" et votre interrogation relativement
à la définition des droits des minorités ont
été partagées par nulle autre que la Commission des droits
de la personne qui, que je sache, n'est pas constituée
d'inféodés de "l'establishment" anglophone.
La Commission des droits de la personne, si je peux citer son
mémoire du 6 juin, disait à la page 19: II découle de
cette critique après avoir fait la critique de l'approche du
projet de loi, compte tenu du pluralisme de la société
québécoise il découle de cette critique de fond,
concernant la vision de la société québécoise que
semble sous-tendre le projet de loi no 1, la nécessité de
reconnaître explicitement les droits des minorités et plus
précisément leurs droits linguistiques. Un peu plus loin, au bas
de cette page, la commission continue: "Comme nous l'avons dit plus haut, la
commission croit qu'il faut considérer ces droits comme des droits
fondamentaux, même si cela n'a été fait jusqu'ici dans
aucun code ou charte des droits". Et plus loin, à la page 20: "II
s'ensuit que leurs droits doivent être précisés de
façon claire."
Je n'accepte par la raison qui a été mentionnée par
le ministre de façon assez rapide tantôt selon laquelle le droit
parlementaire britannique interdirait au législateur d'ainsi
définir, dans la Charte de la langue française, les droits des
minorités. Je pense que c'est une raison absolument pas valide.
J'aimerais qu'à d'autres étapes le ministre nous explique en quoi
le droit parlementaire britannique nous empêcherait d'inscrire dans une
loi les droits des minorités. Vous pouvez être sûr que
l'Opposition officielle fera en sorte d'avoir ces réponses.
Vos remarques concernant, par exemple, l'article 23, sont
partagées aussi par la Commission des droits de la personne, à
savoir que et je cite votre mémoire à la page 10
"Que la langue de l'administration dans les commissions scolaires dont
les administrés sont anglophones soit à peu près
exclusivement le français, que les commissions scolaires de langue
anglaise communiquent entre elles en français, etc., nous paraît
une façon de brimer inutilement les droits de la minorité
anglophone..."
Alors, je voulais simplement bien préciser que votre
mémoire, pour nous qui allons être appelés à
discuter de ce projet de loi, est un apport positif et il sera, j'en suis
sûr je ne vais pas jusque dans les détails, le temps m'en
empêche ... Vous avez posé des questions que d'autres n'ont
pas encore posées. Elles nous seront extrêmement utiles concernant
des dispositions tout à fait particulières.
Je voudrais vous poser une question. Vous semblez en fait vous le
faites clairement favoriser une approche de collaboration et
d'incitation. Je cite, à la page 5: "Compter sur la collaboration et
l'incitation, non sur la coercition."
Est-ce que vous croyez qu'une telle approche, d'après
l'expérience que vous avez pu glaner au cours des dernières
années dans le milieu des affaires, est-ce que cette approche est valide
d'après vous et est-ce qu'elle peut permettre d'obtenir les
résultats escomptés, soit la francisation massive du milieu des
affaires? Je demanderais s'il est possible de commenter la réponse de
l'un d'entre vous.
M. Des Marais: M. le Président, à notre avis, la
réponse est oui. Il est bien évident qu'il y aura toujours des
cas d'exception et qu'on pourra toujours souligner que l'entreprise X, Y ou Z
ne se conforme, ni à l'esprit, ni à la lettre de la loi; mais
selon notre expérience à la suite de notre étroite
participation aux travaux de la régie au cours des dernières
années, les entreprises, sentant une pression morale, de fait, qui
découlait de la loi 22, avaient mis en place les mécanismes
nécessaires pour se conformer et atteindre le but proposé et par
cette loi et par la loi 22.
Si ce mécanisme, amélioré à l'usage,
continue à fonctionner, on se retrouverait exactement au même
endroit où veut nous amener cette législation qui est beaucoup
plus coercitive et qui, à notre avis, va créer plus de
problème qu'une approche incitative.
M. Lalonde: Alors, sans vous le faire dire, je conclus que la loi
qui existe actuellement... parce que vous savez qu'avec le tapage de
publicité qu'on s'est offert depuis le 1er avril, on semble vouloir
faire croire qu'avant le 15 novembre, c'était le déluge. Il reste
qu'actuellement et depuis deux ou trois ans, une loi existe qui fait du
français la langue officielle au Québec. Certaines dispositions
de cette loi ont créé certains problèmes, mais d'autres et
entre autres celle qui était ma préoccupation première en
ce qui concerne l'application, avait quand même produit des
résultats.
On peut reprocher au gouvernement et au ministre en particulier de ne
pas avoir fait l'effort de faire l'inventaire de ce qui avait été
accompli de-
puis trois ans et d'avoir simplement repoussé du revers de la
main une démarche qui n'avait pas encore peut-être produit tous
les effets il faut compter sur le temps mais qui était en
voie de régler bien des problèmes en ce qui concerne la
langue.
Le ministre je vais terminer là-dessus pour laisser plus
de temps à mes collègues vous a dit, en ce qui concerne
votre interrogation sur le mot entreprise, aux articles 2 et 4 dans la
définition des droits fondamentaux, que les règlements qui ont
été rendus publics définissaient le mot entreprise. Je
pense qu'il faudrait que le ministre reconnaisse que ces règlements et
je le vois, j'en ai une copie devant moi, réfèrent aux articles
109, 110, 111 et 114, et non pas aux articles 2 et 4. Je suis d'accord avec
vous qu'il y a une contradiction en particulier entre l'article 4 qui, en
définissant la loi fondamentale immédiatement, semble contredire
les autres articles qui prévoient la francisation évolutive des
entreprises.
Je regrette de ne pas être d'accord avec le ministre, mais je ne
pense pas que sa réponse à votre question soit valide.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Lotbinière.
M. Biron: M. Des Marais, je vous remercie d'avoir
présenté ce mémoire pour nous éclairer dans les
décisions que nous sommes appelés à prendre concernant
cette charte linguistique. Il y a quelque chose qui m'a frappé dans
votre mémoire à la page 4; vous parlez véritablement d'une
réalité linguistique au Québec et vous dites qu'on a
oublié le fait qu'il y a quand même, au Québec, une place
pour l'anglais. Est-ce que vous pourriez nous expliciter un peu plus
profondément votre philosophie là-dessus, sur la place que vous
voudriez voir prendre à l'anglais dans cette charte linguistique ou la
reconnaissance que vous voudriez lui voir avoir?
M. Des Marais: M. le Président, on l'a mentionné
tantôt et le ministre nous a répondu qu'on pense, compte tenu de
la réalité du Québec en Amérique du Nord, que la
définition de la place de l'anglais au Québec ne nous
apparaît pas très clairement et une certaine protection de
l'anglais ne nous apparaît pas clairement.
Nous laisserons au législateur et aux légistes le soin de
déterminer si cela fait ou pas partie d'une législation.
Réellement, je ne peux pas faire de commentaire là-dessus.
D'autre part, quand on va un peu plus loin, dans l'application de la
loi, en particulier, par exemple, au niveau des sièges sociaux, on pense
que cela doit être élargi plus que ce qui est indiqué dans
la loi, pour permettre aux sièges sociaux, comme on l'indique dans notre
mémoire, de pouvoir non seulement demeurer au Québec, mais
peut-être même venir s'y installer et travailler dans la
réalité qui est la leur.
J'entendais tantôt les représentants de la Banque de
Montréal répondre à certaines ques- tions dans le
détail et je partage cette opinion que cela représente la
réalité des sièges sociaux. En conséquence, il faut
prévoir une place à l'anglais qui, à notre avis, est plus
clairement définie qu'elle ne l'est actuellement, dans la loi.
M. Biron: Je vous remercie. Je rejoins moi aussi votre opinion
là-dessus. Les sièges sociaux représentent
énormément pour l'économie du Québec. Il faudrait
les inviter à venir au Québec au lieu de les éviter. Il
faut véritablement qu'ils se sentent chez eux ici, puisqu'ils nous
aident à promouvoir l'économie du Québec.
Vous avez noté l'ouverture d'esprit nouvelle du ministre pour
recevoir les suggestions, moi aussi, je l'ai notée. Je suis très
heureux. J'espère que cela va être mieux que des voeux pieux et
que cela va se traduire dans les faits lorsque le projet de loi sera
réimprimé et qu'on pourra voir véritablement ses
intentions se manifester dans la loi.
Je rejoins aussi votre préoccupation lorsque vous nous parlez
d'un monstre administratif à venir. Connaissant comme moi, vous aussi,
l'efficacité des bureaucrates et des technocrates de Québec, vous
craignez énormément ce monstre administratif. Moi aussi, je
voudrais voir cela beaucoup plus clair, qu'on sache exactement ce que cela va
coûter aux Québécois, ce monstre qu'on est en train de
bâtir.
Vous nous mentionnez aussi votre crainte de voir qu'il n'y a aucun
recours à un tribunal d'appel devant la réglementation ou
l'énorme disproportion qu'il y aura entre les droits de l'administration
provinciale vis-à-vis des droits des citoyens ou des entreprises. Moi
aussi, je m'inquiète là-dessus.
Quant à votre suggestion d'éclaircir davantage on
nous parlait tout à l'heure des sièges sociaux que ce soit
beaucoup plus clair, l'article 113, je suis d'accord qu'on mette cela plus
clair et qu'on sache où nous mène cette loi. Je suis d'accord et
je suis heureux de voir que, pour la francisation de l'entreprise, vous voulez
aller plus avant et surtout vous faites une suggestion qui mérite
d'être retenue, à la page 5 de votre résumé,
à la fin de la page 5. Vous voulez une participation, mais une
participation des comités, sur une base consultative avec les
entreprises.
Est-ce qu'il y a des comités qui existent dans plusieurs de vos
entreprises? Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus?
M. Des Marais: Je vais demander à M. Dufour de
répondre, M. le Président.
M. Dufour (Ghislain): II y en a qui sont actuellement
obligatoires en vertu de la loi. C'est le cas de la Loi des
établissements industriels et commerciaux, dans le cas de la
sécurité. Mais, dans bon nombre de conventions collectives,
déjà, vous prévoyez un certain type de comités. Et,
en dehors de la convention collective, vous avez des comités
d'entreprises, vous avez des comités de "griefs", parce que s'il n'y a
pas de convention collective, cela n'est pas censé être des
griefs.
Donc, vous avez, à l'intérieur de l'entreprise,
déjà structurés, toute une série de comités
qui
existent. Je voudrais juste attirer l'attention sur le fait que notre
préoccupation vis-à-vis du comité de francisation qui est
suggéré dans la loi, ce n'est pas tellement en fonction de
l'article 114. C'est en fonction de l'article 116. On dit bien, dans l'article
116: "Dans l'affirmative, l'entreprise charge son comité de francisation
d'établir le programme voulu." Ce n'est plus un comité
consultatif. On parle beaucoup des articles 114 et 115. Ce n'est pas tellement
important. C'est l'article 116 qui, finalement, est important.
Ce n'est même plus un comité consultatif, ou même,
avec un certain pouvoir, comme on le conçoit dans la Loi des
établissements industriels et commerciaux, par exemple. C'est vraiment
décisionnel.
M. Biron: Le ministre a noté tout à l'heure que
vous avez laissé de côté cette philosophie de la
liberté de choix de l'école. Mais est-ce que vous pourriez nous
expliciter ce que vous désirez pour l'école aujourd'hui? Est-ce
que vous voulez l'école française unilingue française? Ou
si vous voulez véritablement, si vous avez confiance que, dans la
prochaine loi, on mette aussi un article qui oblige le gouvernement à
enseigner l'anglais comme langue seconde dans toutes nos écoles
françaises?
M. Dufour: Sur cette question de l'enseignement de la langue
seconde, je pense qu'il y avait peut-être une certaine
incompréhension du ministre, de ce qu'on voulait dire. On disait qu'on
trouvait naturel, peut-être qu'on n'en parle pas, mais on disait que le
fait de ne pas en parler, cela devenait automatiquement irréaliste.
On était d'accord et on suggérerait un amendement pour
que, dans le projet de loi no 1, on prévoie l'enseignement de la langue
seconde aux francophones.
M. Biron: Vous voudriez en faire une obligation pour le ministre
de l'Education ou pour le gouvernement d'enseigner une bonne qualité et
une bonne quantité d'anglais aux francophones afin de leur donner
l'égalité des chances partout?
M. Des Marais: Oui.
M. Biron: II me restait une question, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): S'il vous plaît.
M. Biron: Vous ne mentionnez pas de statistiques dans votre
mémoire, mais on a parlé beaucoup de statistiques et on revient
toujours à 1966-1971. Est-ce que vous êtes au courant s'il y a des
statistiques de 1976 pour prouver le taux de francisation des entreprises ou le
taux de bilingui-sation des anglophones du Québec?
M. Des Marais: M. le Président, c'est à dessein,
dans notre mémoire, que nous nous sommes tenus loin des statistiques.
Evidemment, on peut les bâtir et on est sûr que cela avance. Une
première statistique serait...
M. Dufour: En fait, comme le président le mentionne, il
n'y a aucune statistique dans notre mémoire, parce qu'on n'a pas voulu
entrer dans le débat des statistiques, mais notre collègue ici,
de chez Domtar, peut vous donner une expérience vécue de
1975.
M. Martin (Roger): J'ai plus précis, M. le
Président. J'ai ici des chiffres de 1977, allant d'une période de
1961 à 1977, au niveau des directeurs d'usines au Québec, notre
pourcentage est passé de 17% à 72%; au niveau des directeurs
régionaux au Québec, de 17% à 64%; au niveau des membres
de la haute direction de 0% à 21% et, au niveau des administrateurs, de
11% à 22%.
M. Biron: C'est votre entreprise, c'est Domtar?
M. Martin: Ce sont des statistiques de mon entreprise.
M. Biron: Est-ce qu'on pourrait avoir quelque chose du Conseil du
patronat, éventuellement, là-dessus, au cours des prochains mois?
Non?
M. Des Marais: Possiblement. M. Biron: Merci.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Beauce-Sud.
M. Roy: Merci, M. le Président. Je pense qu'il convient de
remercier bien sincèrement le Conseil du patronat pour la
présentation de cet excellent mémoire. Je dis bien un excellent
mémoire, parce qu'il constitue, je pense, une approche très
réaliste de la situation qui prévaut et des inquiétudes
qui sont manifestées par le monde de l'économie, le monde de
l'entreprise en général et il serait, je pense, mesquin, de
vouloir rattacher ce mémoire à un mémoire qui
représente les buts exclusifs du monde anglophone des affaires.
J'ai eu des contacts personnels avec certains hommes d'affaires du
Québec qui font affaires non seulement dans le Québec, mais
à l'extérieur du Québec. J'ai été en mesure
de me rendre compte qu'ils partagent à peu près les mêmes
inquiétudes.
Je veux cependant souligner le fait que le ministre a tenté ce
matin de rassurer le Conseil du patronat par l'attitude qu'il a adoptée
et je pense qu'il convient de noter une différence marquée par
rapport aux observations qu'il avait faites lors de la publication du point de
vue et d'un mémoire signé par 326 personnes.
M. le Président, à cause de la limite de temps que j'ai,
je ne pourrai malheureusement pas poser des questions. J'en aurais eu cependant
à poser au Conseil du patronat, mais je veux attirer l'attention du
ministre sur certaines dispositions du mémoire pour lesquelles j'ai
déjà fait des observations sur ce point, lorsqu'on parle du
pouvoir de
réglementation, de la bureaucratie et de la technocratie de
l'Etat.
Le ministre nous a dit qu'il avait l'intention d'apporter certaines
modifications, qu'il n'y avait pas de danger. J'aimerais dire au ministre que
ce n'est pas la première fois que j'entends un ministre nous rassurer
vis-à-vis du pouvoir de réglementation énorme qu'on
retrouve dans certaines lois-cadres, mais que, malgré les assurances que
les ministres nous ont données, tant en commission parlementaire
qu'à l'Assemblée nationale, les faits ont toujours
démontré que ce pouvoir de réglementation avait toujours
conduit à des abus. J'aimerais, M. le Président, attirer
l'attention des membres de la commission quand même sur le fait qu'il y a
23 articles de ce projet de loi qui se réfèrent au pouvoir de
réglementation.
Je dirais même que c'est un des projets de loi qui comporte le
plus de références au pouvoir de réglementation qui n'a
presque jamais été présenté à
l'Assemblée nationale, du moins depuis 1970. Comme c'est une attitude
nouvelle, j'oserais dire que c'est peut-être le projet de loi qui
comporte le plus de références à un pouvoir de
réglementation comme jamais il n'en fut présenté à
l'Assemblée nationale. A cause du caractère même du projet
de loi, cela constitue un élément que nous aurions tort de
négliger. C'est pourquoi j'aimerais demander au ministre, et je vais me
limiter à une seule question, s'il a l'intention de revoir ce pouvoir de
réglementation de la loi, de préciser davantage la loi, de
façon à réduire le pouvoir de réglementation.
J'aimerais que le ministre ce matin nous indique clairement ses
intentions de ce côté, puisque cela fait quelques mémoires
qui nous sont présentés, non seulement du côté
patronal, mais aussi d'autres groupes très favorables au projet de loi
qui se sont déclarés également inquiets du pouvoir de
réglementation contenu dans la loi. J'aimerais que le ministre nous
éclaire un peu ce matin sur les intentions qu'il entend adopter face
à ces dispositions.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Beauce-Sud, vous avez procédé de façon fort habile en vous
adressant au ministre par l'intermédiaire du président. Je
voudrais souligner que le ministre n'est pas obligé de répondre,
parce qu'il ne fait pas un discours présentement, ni aucune
intervention. S'il désire le faire, je lui cède la parole.
M. Laurin: Je partage la préoccupation du
député de Beauce-Sud, tout en reconnaissant que
l'évolution de notre société fait en sorte qu'on ne peut
guère éviter les réglementations. Je partage encore une
fois sa préoccupation et je l'ai transmise au comité de
révision qui tente actuellement de diminuer le nombre de
réglementations dans toute la mesure du possible. J'espère
pouvoir avant longtemps le rassurer lui aussi à ce sujet.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Beauce-Sud...
M. Roy: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): ...il vous reste encore du
temps.
M. Roy: M. le Président, ce que j'aurais à dire
serait trop long.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Merci, M. le
député de Beauce-Sud. Mme le député de L'Acadie, il
reste dix minutes à votre parti.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. D'abord, je veux
remercier le Conseil du patronat d'être venu à la commission
parlementaire et d'avoir persévéré, en dépit de
l'approche pour le moins négative que le ministre au
développement culturel a eue à votre égard.
Je voudrais d'abord signaler, comme je l'ai fait pour la
Société Saint-Jean-Baptiste, la qualité du français
de votre mémoire. Je suis fort heureuse de voir, même si certains
parmi vous sont les malheureux inféodés dont parlait le ministre
d'Etat au développement culturel, qu'au moins vous ne perdez pas la
langue française, et que même plus, vous êtes soucieux de la
qualité de cette langue.
A la page 8 de votre mémoire, vous vous souciez du fait que dans
la loi, on ne retrouve aucune mention des droits fondamentaux des
minorités. Enfin, le projet de loi no 1 est tout à fait muet
là-dessus. Je pense qu'il serait peut-être bon pour le
gouvernement de mettre de côté ce qui m'apparaît comme une
sorte de vanité c'est-à-dire de ne pas parler des autres, mais
uniquement des francophones dans ce projet de loi. C'est peut-être une
sorte de narcissisme, je ne sais pas. Je pense que ce projet de loi devrait
susciter la collaboration de tous les éléments de notre
société. On préfère accroître leur
résistance et compromettre la réalisation d'objectifs autour
desquels on pourrait établir un consensus. D'ailleurs, vous-mêmes
en avez fait la démonstration à la page 3 où vous
énoncez très bien les objectifs du Conseil du patronat qui sont,
je pense, les objectifs de l'ensemble des Québécois, quelle que
soit leur origine.
Je voudrais simplement, compte tenu du peu de temps qui reste à
notre parti, mentionner votre remarque de la page 19 touchant l'article 112,
où vous vous préoccupez de ce que sera la représentation
des Québécois au sein des conseils d'administration.
Je pense que cette préoccupation, d'autres l'ont et, dans le
mémoire de la Commission des droits de la personne du Québec, on
lit ceci: L'article 112 pose le problème de l'interprétation
à la page 55 pose le problème de
l'interprétation du mot "Québécois" dans le paragraphe b)
et je cite: "II faudrait le remplacer par résidants du Québec
ayant une connaissance d'usage du français, langue officielle. Dans le
contexte de l'article, Québécois est trop facilement confondu
avec le groupe majoritaire francophone du Québec, ce qui peut
prêter à confusion, dans la mesure où on pourrait conclure
qu'il est le seul à vraiment pou-
voir contribuer à la francisation des entreprises, les autres
groupes ethniques, même parlant français, étant exclus.
Alors, je pense que la remarque que vous faites sur l'article 112 trouve un
appui solide dans les représentations de la Commission des droits de la
personne du Québec."
Vous vous inquiétez des minorités. Vous vous
inquiétez de l'enseignement de la langue seconde. Et je pense qu'il y a
un fondement véritable à vos inquiétudes parce que,
d'abord, la loi est muette là-dessus et, si vous vous
référez au livre blanc, il y a sans doute un principe touchant
les minorités, il y a aussi un principe touchant l'enseignement d'autres
langues que le français, mais là, encore une fois, c'est
entouré de précautions oratoires, pour dire le moins, ainsi on
lit: "Lorsque la langue et la culture nationales ne sont pas menacées,
l'existence des groupes culturels minoritaires vigoureux et actifs est un
apport." Quant à la langue seconde, vous avez également cette
même restriction. On dit: "C'est d'ailleurs dans la mesure où la
survie de la langue française sera assurée ici que les programmes
d'enseignement d'une deuxième langue pourront être
envisagés dans leur juste perspective et devenir réellement
efficaces."
Ce que je voudrais savoir du gouvernement, c'est: Est-ce que,
simplement, l'adoption de la loi va nous amener dans cet état de
béatitude où les restrictions qu'il exprime n'existeront plus? Je
suis d'accord avec vous que la loi devrait être basée sur la
confiance, devrait être basée sur la concertation et que, à
mes yeux, comme, il semble, aux yeux de plusieurs qui se sont
présentés devant cette commission, le projet de loi tel qu'il
existe est vraiment très ambigu quant aux intentions du gouvernement au
sujet des minorités et également de l'enseignement des autres
langues.
Ce sont les seules remarques que je voulais faire et je vous remercie
encore une fois de toutes les observations que vous avez apportées qui
sont très claires, qui sont rigoureusement appuyées et qui, je
pense, seront un appui dans les efforts que nous tenterons de faire pour que,
malgré tout, cette loi devienne une pièce de législation
qui pourra amener le plus grand consensus pour faire du Québec un
Québec français, mais dans le respect le plus complet possible de
tous ceux qui acceptent de vivre avec nous et de travailler avec nous. Je vous
remercie.
Le Président (M. Cardinal): Merci, madame. M. le
ministre.
M. Laurin: Le député de L'Acadie m'a posé
une question. Je voudrais simplement lui dire que la béatitude n'est pas
pour demain. Nous prévoyons encore des passages difficiles, mais c'est
pour les faciliter que nous voulons adopter cette loi. Mais la
béatitude, ce n'est qu'au ciel que nous la trouverons.
Mme La voie-Roux: Si on s'y rend.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le
député de Jacques-Cartier, il reste deux minutes à votre
parti.
Ecoutez, s'il faut rétablir le débat dans son cadre, je
vais accorder plus de deux minutes, vous le savez. Bon. Mais nous avons
commencé à 11 h 22. M. le député de
Jacques-Cartier, quand votre temps sera terminé, je vous en
informerai.
M. Saint-Germain: M. le Président, je vous remercie. La
loi va défendre aux Canadiens des autres provinces et aux gens de
culture anglaise des autres pays le libre choix aux enfants de formation et de
culture anglaise ici au Québec. Lorsqu'on connaît un peu cette
province et la nécessité pour les industries de toujours aller
chercher sur les marchés canadiens ou les marchés
étrangers la main-d'oeuvre nécessaire à leur propre
développement, et quand je parle des entreprises
québécoises, j'inclus aussi ces entreprises qui sont
dominées par des francophones parce que même les francophones sont
obligés de faire appel à des gens de l'extérieur pour le
bon fonctionnement et le progrès de leur industrie...
J'entendais M. Gignac, je crois, président de Sidbec, qui
répondait on lui avait posé la question ici a une
commission afin de savoir si la main-d'oeuvre et les professionnels à
l'emploi de Sidbec étaient en majorité du Québec et de
langue française il y a deux ans: On ne fait pas de l'acier avec
du français ou de l'anglais. On le fait avec des gens qui savent faire
de l'acier.
Alors, dans ce contexte, chez vous, vos membres ont-ils
déjà senti que ce manque de choix pour les familles de culture
anglaise est déjà un inconvénient à l'heure
actuelle, au moment où on se parle?
M. Des Marais: La réponse est oui. Nous avons eu des
exemples et nous avons été informés de
sociétés qui avaient à muter des cadres, en particulier,
au Québec. Evidemment, la loi n'est pas adoptée et,
réagissant à un projet de loi ou à une explication
peut-être incomplète, ces gens ne voulaient pas venir au
Québec dans les circonstances actuelles. Je pense que si la loi est
amendée dans le sens que le ministre a indiqué, cela va
peut-être se replacer, mais si le projet de loi était
adopté tel que présenté, cela créerait des
problèmes très très sérieux au niveau des
entreprises où la mobilité est importante.
Dans l'ordre, ce sont les cadres ou les employés eux-mêmes
qui ont peut-être le moins de résistance. Mais aux alentours des
employés, ce sont les épouses et les enfants qui, ne connaissant
pas exactement dans quel climat ils seront édu-qués ou dans quel
climat ils vivront, ont une résistance à venir au Québec.
Nous avons parmi plusieurs de nos membres, des entreprises qui nous ont fait
part de problèmes qu'elles ont vécus depuis l'annonce de la loi
no 1.
M. Saint-Germain: L'économie du Québec est
relativement peu développée par rapport à celle de
l'Ontario ou du moins... Alors, il y a certainement ici, au Québec, de
la place pour toute une série d'entreprises dominées par des
francophones cela me semble être évident et qui
feraient simplement concurrence à nos collègues de
langue anglaise établis ici ou sur le marché
international. Je crois que toutes ces lois sur les langues qu'on a
adoptées ces dernières années laissent entendre et
je crois que c'est mauvais pour la jeunesse que c'est par de telles lois
qu'on va réellement établir la société
québécoise francophone, l'établir dans une
stabilité durable et avec beaucoup de confiance dans l'avenir.
Il me semble que si nous sommes aujourd'hui au point où on doit
tellement légiférer sur la question de la langue, une des raisons
de base, c'est l'absence des francophones dans le monde de l'industrie, de la
finance et du commerce. Vous savez comme moi, puisque vous êtes
francophone et que vous êtes dans le milieu, qu'il serait inutile de
faire tout l'historique de cette évolution du Canadien français
au Québec, mais, pour nous, francophones, il est facile de comprendre,
par notre échelle des valeurs passées, le pourquoi de cette
absence. Ceci dit, je crois fermement que la façon la plus efficace
d'établir la priorité française au Québec et en
particulier dans le monde de l'industrie serait de voir de nos jeunes se lancer
dans l'entreprise, car il me semble évident que, pour un jeune Canadien
français aujourd'hui, qui veut étudier, qui est ambitieux, qui
est énergique, qui conserve sa crédibilité, il y a
là un champ que bien des jeunes pourraient lui envier. C'est
peut-être regrettable je ne veux pas vous faire de reproche
que même les hommes d'affaires négligent ce point de vue
particulier. Je me demande si ce n'est pas dommageable que les hommes
d'affaires comme les gouvernements, laissent voir par leur action, à la
jeunesse francophone du Québec, que c'est la seule solution à
leurs problèmes. J'aimerais bien avoir vos commentaires
là-dessus, si possible, M. Des Marais.
M. Des Marais: M. le Président, je ne crois pas que ce
soit l'opinion ou la réaction du monde des affaires. Au contraire, notre
mémoire en est la preuve, et les relations que nous entretenons avec les
jeunes, par exemple, au niveau des écoles d'enseignement
supérieur dans le domaine des affaires, indiquent exactement tout le
contraire. Nous tentons de démontrer aux jeunes qui sont dans ces
institutions ou qui veulent s'y diriger et que nous devons aller recruter,
qu'il y a, pour un jeune francophone bilingue et compétent,
éduqué, un avenir plus grand que pour un jeune Canadien qui
serait unilingue.
M. Saint-Germain: On s'est peut-être...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Jacques-Cartier.
M. Saint-Germain: Seulement pour terminer. On s'est
peut-être mal compris, M. Des Marais, ou peut-être me suis-je mal
exprimé, mais je crois qu'il faudrait dire à nos jeunes que,
s'ils veulent, comme élément francophone au Québec,
réellement assurer leur culture comme individus et comme groupe, c'est
en se lançant dans les affaires et en faisant leurs preuves que c'est la
façon la plus efficace de l'assurer. Tout ceci peut se faire sans loi,
sans restriction, dans le libre exercice de nos libertés de groupe et de
nos libertés individuelles.
M. Des Marais: Si vous me permettez, je voudrais rappeler qu'il
existe, en particulier à Montréal, une institution qui s'appelle
l'Ecole des hautes études commerciales, qui fait très bien son
travail et sous la direction d'une personne qui est extrêmement
compétente.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Des Marais. Il reste
deux minutes au député de Rosemont.
M. Ciaccia: Une question de règlement, M. le
Président, et une directive en même temps.
Est-ce que vous n'aviez pas dit au début que le ministre avait
pris tout le temps du côté ministériel et, maintenant, vous
allouez deux minutes de plus. Est-ce que l'Opposition officielle aura aussi
deux minutes?
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mont-Royal, je ne pense pas avoir dit, à aucun moment, que le ministre
ait pris tout le temps. J'ai même indiqué le contraire. On reverra
le journal des Débats...
M. Ciaccia: J'ai un témoin à ma droite.
Le Président (M. Cardinal): De toute façon,
écoutez, M. le député...
M. Ciaccia: ...en tout cas, je me soumets à votre
décision.
Le Président (M. Cardinal): ...de Mont-Royal,
écoutez, je pense que j'ai été assez flexible et
généreux envers chacun des partis. J'ai même indiqué
à quel moment vous aviez terminé. C'est déjà
dépassé depuis quatre minutes...
M. Lalonde: Cela nous fait quand même plaisir
d'écouter le député de Rosemont.
Le Président (M. Cardinal): ...mais je ne lui laisse que
deux minutes, vraiment, parce que je souligne tout de suite, à
l'occasion de l'intervention du député de Mont-Royal, que je
devrai ajourner les travaux de cette séance à 13 heures. M. le
député de Rosemont, brièvement, s'il vous plaît.
M. Paquette: M. le Président, je tiens d'abord à
dire que, du côté ministériel, si on accueille plus
favorablement ce mémoire que d'autres, c'est qu'on n'y retrouve pas ce
langage excessif; on entend parfois le projet de loi qualifié de
répressif, punitif et même raciste.
Je pense que le mémoire apporte un appui aux objectifs du projet
de loi. Cependant, il me reste une impression ambiguë quand je regarde les
quelque 27 recommandations que vous nous faites. Elles vont toutes dans le
même sens, en fait, atténuer, diluer le projet de loi, l'article
13, "admettre comme version officielle la version anglaise", "permettre
l'utilisation du français et de
l'anglais en ce qui concerne les articles 14 à 22", etc.
Je me demande si, dans les faits, vous ne cherchez pas à revenir
à un bilinguisme qu'on retrouvait dans la loi 22. Je regarde en
particulier l'évolution de votre position sur la langue d'enseignement.
Comme le ministre, je suis heureux de constater l'évolution, mais je
tiens à vous dire que vous donnez l'impression d'être toujours un
débat linguistique en retard.
Lors du débat de la loi 22, vous étiez pour le libre choix
et, là, vous voulez nous amener une espèce de bilinguisme de
fait. J'aurais aimé pouvoir démontrer ça en vous posant
des questions, article par article, mais je n'ai le temps que de vous poser une
seule question. Concernant l'article 37, en haut de la page 13, vous
déplorez que le fardeau de la preuve relève de l'employeur en ce
qui concerne les postes qui nécessiteront dans l'entreprise une autre
langue que le français. Je comprends que ça pose certains
problèmes, ça ajoute des responsabilités aux
entreprises.
Vous n'avez pas l'impression que cette disposition est quand même
plus juste que de demander au travailleur individuel, démuni, de faire
la preuve de l'inverse, c'est-à-dire que l'emploi qu'il postule ne
nécessite pas la connaissance de l'anglais? Quelle est votre
réaction?
M. Dufour: Vous avez mentionné l'article 37, mais vous
voulez parler de l'article 36.
M. Paquette: Je pense aux deux en fait. Les deux sont
liés, mais, à l'article 37, on dit: "II incombe à
l'employeur de prouver que la connaissance de l'autre langue est
nécessaire".
M. Dufour: On l'a dit dans le texte, on accepte, en principe, le
contenu de cet article. La seule chose, c'est une question de procédure,
purement et simplement. Bien diviser les problèmes de langue et les
problèmes de relations de travail, et on dit: S'il y a des
problèmes d'application de cet article, qu'on ait des poursuites, en
vertu de la loi. On va plus loin et on dit: La possibilité d'appel
devrait être devant la Commission des droits de la personne. A ce
moment-là, vous entrez carrément dans les droits de la
personne.
C'est purement une distinction très nette entre des
problèmes de relations de travail et des problèmes
d'administration de la loi en général. Vous avez, dans le cas,
des expériences qui se vivent tous les jours, en vertu des articles 14
à 18, pour des problèmes très particuliers
d'activités syndicales, de congédiements, l'ensemble des plaintes
pour activités syndicales, qui ne se retrouvent absolument pas comme
conception dans le problème qu'on aborde ici. Ce sont deux choses
totalement différentes et c'est le mécanisme qu'on conteste, non
pas le principe de l'article 36 comme tel.
Le Président (M. Cardinal): Je voudrais mentionner que je
n'ai pas dit que le temps était écoulé pour le parti
ministériel. Mais j'accepte la parole du député de
Mont-Royal. Ayant été rem- placé et la présidence
étant indivisible, en conséquence, j'accorde au parti de
l'Opposition officielle une minute et je donne la parole au
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci beaucoup, M. le Président de la
commission. Malgré la musique qui semble accompagner les politiques d'un
bon gouvernement, j'essaierai de faire une très brève
intervention.
M. Charbonneau: ...
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Ciaccia: M. le Président, je voudrais simplement faire
remarquer que la réaction du ministre semble poser certaines questions
aux invités qui viennent ici et qui ne sont pas d'accord avec le projet
de loi. On se demande pourquoi avoir une commission parlementaire pour
écouter les représentations des différents témoins,
des différents invités? C'est bien beau que, de ce
côté-ci de la table, on fasse ressortir certains aspects de votre
mémoire qui semblent être positifs.
Mais il me semble que, de l'autre côté, il peut y avoir une
réaction positive à plusieurs des recommandations que vous avez
faites pour faire certains amendements. On donne toujours comme raison: Ce
n'est pas l'intention du gouvernement... Vous avez souligné... J'aurais
aimé avoir d'autres commentaires sur les articles 58, 30, 36, 37, 114,
mais la réaction est toujours la même. Cela fait deux semaines que
nous sommes ici et on les entend toujours: Ce n'est pas nécessaire.
C'est normal, sans expliquer la nécessité, sans définir la
normalité qui semble des fois... Je voulais seulement...
Pour conclure, M. le Président, j'espère que les autres
invités qui sont dans la salle et qui ont des critiques sur le projet de
loi ne se sentent pas trop découragés. Essayez encore.
Peut-être qu'on aura un succès éventuellement.
Le Président (M. Cardinal): M. Des Marais, vous n'avez pas
le droit de réplique. Vous n'êtes pas obligé de
répondre, mais vous avez le droit d'ajouter un commentaire si vous le
jugez à propos.
M. Des Marais: M. le Président, un bref commentaire. Le
député de Rosemont a mentionné que nous étions
peut-être une loi en retard. Je regrette, je pense que notre
évolution est normale. Je voudrais rappeler aux membres de cette
commission que nous vivons dans la réalité quotidienne que nous
représentons et c'est à travers ces yeux que nous faisons des
représentations qui ont été les nôtres
aujourd'hui.
Le Président (M. Cardinal): Merci, aux porte-parole du
Conseil du patronat du Québec. Je souligne, en terminant, que les
prochains invités sont les porte-parole de la Fédération
des travailleurs du Québec, mémoire 128.
Les travaux de cette commission sont ajournés sine die, ce qui
veut dire, en pratique, si on veut parler un langage compréhensible, que
nous reviendrons ici après les affaires courantes et la période
des questions de l'Assemblée nationale, soit un peu après 16
heures.
(Suspension de la séance à 12 h 58)
Reprise de la séance à 16 h 42
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Je demanderais aux gens de regagner leurs fauteuils. C'est une nouvelle
séance. Je dois faire l'appel des membres de la commission. L'on voudra
bien m'indiquer les remplacements, s'il y a lieu. M. Alfred (Papineau), M.
Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Gravel (Limoilou), M.
Charbonneau (Verchères), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille
(Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier)
remplacé par M. Boucher (Rivière-du-Loup); M. Grenier
(Mégantic-Compton), M. Guay (Taschereau) remplacé par M. Michaud
(Laprairie); M. Lalonde (Marquerité-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa),
M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé),
M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain
(Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).
Nous commençons une nouvelle séance. L'ordre du jour est
le suivant: la Fédération des travailleurs du Québec,
mémoire 128; Bell Canada, mémoire 65; Conseil des hommes
d'affaires québécois, mémoire 4; Protestant School Board
of Greater Montreal, mémoire 23.
Messieurs les représentants de la Fédération des
travailleurs du Québec, je vous... Oui, M. le député de
Vanier.
M. Bertrand: Est-ce que vous avez reçu un renseignement
suivant lequel l'Opposition boycottait la séance de cet
après-midi?
Le Président (M. Cardinal): Non, M. le
député de Vanier. Je constate simplement qu'il y a quorum et
qu'il est temps de commencer. Alors, je demanderais aux porte-parole de la
Fédération des travailleurs du Québec de bien vouloir
s'identifier, s'il vous plaît.
Fédération des travailleurs du
Québec
M. Laberge (Louis): M. le Président, MM. de l'Opposition,
pardon, sans aucun préambule, je vais vous présenter André
Messier, vice-président de la FTQ; Fernand Daoust, secrétaire
général de la FTQ; Mona-Josée Gagnon qui est responsable
à la FTQ de toute cette question de la langue; Yvon Thiboutot, de
l'Union des artistes; et Norman La-brie, des Travailleurs unis de l'automobile,
des travailleurs de la General Motors, qui ont déjà eu à
souffrir justement, du manque de législation au point de vue de la
langue de travail.
La Fédération des travailleurs du Québec
représente environ 350 000 travailleurs qui sont membres de sections
locales québécoises, de syndicats canadiens et internationaux,
ces derniers recrutant leurs membres aux Etats-Unis ou au Canada. Non seulement
la FTQ est-elle reliée à des structures syndicales à
dimension nord-américaine, mais encore l'immense majorité des
travailleurs québécois à l'emploi de multinationa-
les opérant au Québec sont-ils membres de nos
syndicats.
La FTQ est le seul organisme habilité à parler au nom de
l'ensemble des membres québécois de ces syndicats, qui viennent
de secteurs industriels très variés, qui nous sont
majoritairement affiliés, et vous en avez ici la nomenclature dans les
principaux secteurs où nous avons des membres, par exemple, mines et
métallurgie, 40 000 travailleurs, etc.
Malgré que la FTQ recrute ses affiliés dans des secteurs
extrêmement diversifiés, c'est un point de vue qui fait l'objet
d'un large consensus que nous présentons aujourd'hui à cette
commission de l'Assemblée nationale chargée d'étudier le
projet de loi no 1.
Le conseil général de la FTQ, réuni le 12 mai
dernier...
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. Laberge. Pour
des fins de procédure, je considère que nous commençons
cette audition à 16 h 45. Vous avez 20 minutes, à moins que la
commission n'en décide autrement.
M. Laberge (Louis): Et vous me faites grâce de ces 30
secondes que vous venez de...
Le Président (M. Cardinal): Oui.
M. Laberge (Louis): Merci, M. le Président.
M. Charbonneau: M. le Président, est-ce que je pourrais
demander au témoin, M. Laberge, s'il utilise le résumé ou
le mémoire lui-même?
M. Laberge (Louis): Oui, je vais essayer... M. Charbonneau:
Ah bon!
M. Laberge (Louis): ... de couper au plus court possible pour
vous permettre le plus de questions possible.
M. Charbonneau: C'est parce qu'on voudrait suivre. D'accord.
M. Laberge (Louis): Alors, le conseil général s'est
prononcé le 12 mai dernier, endossant globalement le projet de loi no 1
et, pour nous, ce n'est pas d'hier que nous sommes intéressés au
français, langue de travail. En fait, dès 1963, les
métallos d'Atlas Steel ont joué, en quelque sorte, un rôle
de précurseurs en revendiquant et en obtenant le droit de faire du
français la langue des relations de travail. Il y a eu d'autres membres
de syndicats affiliés chez nous, comme les membres des Travailleurs unis
de l'automobile en 1970, ouvriers de la General Motors, qui ont eu à
faire une grève sur cette question. Il y en a eu plusieurs autres dont
Tolhurst, United Aircraft, etc.
En 1971, la FTQ a présenté un mémoire à la
commission Gendron et, en 1974, nous présentions notre point de vue au
gouvernement au cours du débat sur le projet de loi 22.
La FTQ condamnait alors la démarche adoptée par le
précédent gouvernement, ce qui justifie probablement son absence,
dans la préparation de la loi 22, notamment dans les aspects suivants:
le caractère non universel de la législation sur la francisation
des milieux de travail, action strictement incitatrice et assortie de
nombreuses tolérances injustifiées et arbitraires,
imprécision des objectifs et des normes utilisés, danger
d'institutionnalisation du bilinguisme. Le règlement sur la francisation
des entreprises, qui couronnait en quelque sorte, la loi 22, se
révéla être de la même encre que la loi et tout aussi
inacceptable aux yeux de notre centrale.
Il nous est rarement arrivé à la FTQ de pouvoir exprimer
un accord aussi total face à un projet de loi. Nous retrouvons dans le
projet de loi no 1, au chapitre de la langue de travail, de la francisation des
entreprises, les éléments de politique très précis
que nous réclamions en 1971 et l'ensemble de la démarche du
gouvernement répond exactement à nos souhaits.
Dans ce bref mémoire, la FTQ s'attachera à étudier
les aspects du projet de loi concernant spécifiquement notre pratique
quotidienne, donc la francisation des milieux de travail, la langue de travail
et des relations de travail, l'application des objectifs mis de l'avant ainsi
que les problèmes reliés à la conception des droits
individuels et collectifs.
Soit dit en passant, nous regrettons un peu le charriage qui s'est fait
au sujet du projet de loi. Nous n'avons pas du tout été surpris
de voir l'opposition quasi unanime, du moins vastement majoritaire, du milieu
patronal, contre le projet de loi, influencé qu'il était par le
pouvoir économique qui domine le Québec. En fait, nous avons
applaudi et nous continuons d'applaudir le gouvernement d'avoir eu le courage
de trancher dans le vif du sujet et non pas de quémander des
faveurs.
Il ne s'agit pas de remplacer les patrons anglophones par des patrons
francophones. Il s'agit tout simplement d'amener l'entreprise à
respecter la langue de la majorité et pour nous, c'est essentiel, c'est
indispensable et, évidemment, nous avons quelques observations à
faire, entre autres, sur l'article 172. Nous trouvons un peu malheureux cet
accroc du gouvernement. Nous savons que le gouvernement est foncièrement
démocrate. Lorsqu'il formait l'Opposition, nous étions d'accord
pour faire de la Charte des droits et libertés de la personne une charte
de droits fondamentaux et nous croyons que le gouvernement pourrait passer
autour de ce problème dont se sont servis les opposants au projet de loi
no 1 en amendant la Charte des droits et libertés de la personne
plutôt qu'en faisant de cette Charte des droits, des droits non
fondamentaux.
Enfin, il y a quand même une distinction à faire.
Ce n'est pas vrai qu'en respectant le droit de la majorité on
peut se faire accuser de discriminer la minorité. Pour nous,
l'accès à des droits démocratiques fondamentaux comme les
droits judiciaires, les droits sociaux, etc., tant que c'est reconnu
et la Charte sur la langue le reconnaît, il n'y a pas de
discrimination. Il importe toutefois que ce principe soit appliqué
judicieusement et que les exigences tiennent compte de la nature de l'emploi.
Tant que les minorités pourront avoir le droit à leurs
associations culturelles, sociales, politiques et éducatives, il n'y a
pas de discrimination. D'ailleurs aucune convention internationale ne pourrait
justifier un réseau scolaire public fonctionnant dans une autre langue
que celle de la majorité, ni consacrer le droit des minorités et
des individus les composant à l'accès de tels réseaux. La
Charte de la langue définit donc un traitement extrêmement
avantageux pour les minorités du Québec, et
particulièrement la minorité anglophone. Consacrer en droits les
privilèges de la minorité serait porter atteinte, compte tenu de
la conjoncture, aux droits collectifs de la majorité dont la position
nous semble actuellement pius menacée que celle de la minorité
anglophone.
Le droit de travailler en français, nous croyons, est un droit
fondamental. Il y a des années que nous nous battons à ce sujet
et en fait je n'ai pas besoin, je pense bien, de vous informer
là-dessus. Vous êtes tous parfaitement au courant que les
travailleurs francophones au Québec ont toujours eu le petit bout du
bâton et, à compétence égale, le travailleur
unilingue anglophone a toujours eu plus de chance d'obtenir des promotions. Il
y a des membres du Conseil du patronat qui nous ont donné quelques
chiffres ce matin, alors que la représentation aux hauts postes
était passée de 11 à 22, c'est-à-dire qu'avant il y
avait un représentant sur 11, aujourd'hui ils en ont deux. Cela fait
22%, mais cela fait très petit. Je pense que tout le monde est au
courant de cela et on ne se fera pas charrier et on demande à tous les
travailleurs québécois de bien regarder la réalité
en face. On est rendu à calculer le nombre d'emplois qui seront perdus
ou récupérés selon que le gouvernement adoucira ou
n'adoucira pas certains chapitres de la loi. Cela c'est du charriage. C'est
vraiment aller beaucoup trop loin et ce n'est pas vraiment collaborer pour
essayer de régler une fois pour toutes le problème de la langue
au Québec.
Quant à la langue des associations de salariés, là
aussi non seulement vous voulez vous rendre incitatifs, mais vous voulez
contraindre les associations de salariés à communiquer avec leurs
membres au Québec dans la langue officielle.
Nous représentons les syndicats nationaux et internationaux,
nationaux dans le sens de canadien, c'est à ce point de vue-là
qu'il devrait y avoir le plus de problème. On a fait
énormément de chemin depuis quelques années, mais il y en
a encore à faire et nous ne nous opposons absolument pas à ce que
le gouvernement contraigne les associations.
Le chemin qui reste à faire se fera plus vite et c'est tout. On
est entièrement d'accord. On est aussi entièrement d'accord pour
que le gouvernement contraigne les entreprises, parce que l'incitation n'a
absolument rien donné, on en a parlé déjà. On a eu
des luttes là-dessus, ça n'a vraiment rien donné. On ne
peut pas dire qu'il n'y a pas eu d'améliorations au Québec, bien
sûr, il y a eu des améliorations. Les entreprises qui ont bien
voulu améliorer le sort des travailleurs francophones dans leurs
entreprises, sans la charte sur la langue, continueront de le faire ou
devraient continuer de le faire.
Enfin, j'espère qu'on va arrêter de toujours nous dire que
des banques vont partir du Québec. Il n'y a rien de plus facile à
remplacer qu'une banque. La Banque de Montréal a beau faire des affaires
internationales, les déposants sont ici, au Québec. Je pense
qu'on pourrait se parler un peu là-dessus. En tout cas, j'espère
que ce n'était qu'une allusion et que ce n'est vraiment pas une menace
qu'elle compte mettre à exécution, parce qu'on a fini de se faire
charrier sur ces questions. Langue des relations de travail. Les articles 34 et
35 du projet de loi sont conformes aux positions exprimées par les
représentants syndicaux au Conseil consultatif du travail et de la
main-d'oeuvre. Vous avez donné un certain délai pour que
ça se fasse et nous croyons que c'est réaliste. L'article 40,
toutefois, nous laisse un peu perplexe. Pour nous, ce n'est pas juste de faire
des finasseries sur cette question, mais on trouve un peu dangereux le principe
d'inclure, par une loi, des clauses dans une convention collective. Ce qu'on
suggérerait pour remplacer cette chose, parce que le Conseil du patronat
nous disait ce matin que la langue, c'est une chose et les relations de
travail, c'est une autre chose... Bien non, ce n'est pas divisé comme
ça. Les relations de travail en français, c'est une seule et
même chose.
Selon nous, les travailleurs devraient avoir les mêmes recours que
les autres citoyens qui ne sont pas des travailleurs syndiqués, mais par
contre, devraient aussi avoir droit de recours à la formule de grief.
Les articles 33, 36, 37 et 38 du chapitre 6 de la loi 1 peuvent être
l'objet d'un grief au sens du Code du travail, au même titre que le texte
d'une convention collective. S'il y avait une clause à cet effet dans le
projet de loi no 1, ça suffirait pour qu'on puisse se servir et de la
formule des griefs et de l'appel normal des autres citoyens.
Les travailleurs non francophones, il faut bien le reconnaître,
nous avons une responsabilité collective à leur endroit, car ils
n'ont pas joui, comme les cadres, de régime favorisant leur
apprentissage du français. Les compagnies ont payé pour les
cadres, mais pas pour les travailleurs ordinaires. Nous encourageons, nous, des
cours intensifs de français et cela devrait être gratuit, cela
devrait être dans les CEGEP, etc.; on devrait améliorer
prioritairement les cours de français dispensés dans le
réseau scolaire anglais public et, évidemment, forcer le
réseau privé subventionné à respecter des normes
très strictes et à mettre sur pied des mesures visant à
francophoniser rapidement les immigrants s'installant au Québec.
Evidemment, nous savons que le gouvernement va vouloir protéger
les droits acquis. Nous savons aussi qu'il y aura évidemment des
questions où cela deviendra un peu plus difficile, un peu plus
épineux. Est-ce qu'on devra reconnaître les droits acquis d'un
travailleur qui empêche, de par sa fonction, la francisation d'un groupe
d'au-
très travailleurs? Cela est à voir, mais, de toute
ta-çon, nous savons que le gouvernement voudra appliquer ses
règlements avec toute la souplesse nécessaire. La souplesse
nécessaire ne veut pas dire la mollesse que nous avons
déjà condamnée. Il y a un juste milieu.
Je vais laisser au secrétaire général de la FTQ le
soin de parler de l'application de la loi et des organismes mis en place.
M. Daoust (Fernand): Le projet de loi propose la mise sur pied
d'un Office de la langue française, ainsi que d'un Conseil consultatif
de la langue française. La FTQ veut émettre certaines
réserves et suggestions sur la conception du rôle et des fonctions
de ces organismes.
La direction de l'Office de la langue française.
Le mode de direction prévu pour l'organisme-clé dans
l'application de la Charte, est une direction unique. Nous croyons qu'un tel
choix, s'il devait être maintenu, serait susceptible d'engendrer une
certaine méfiance, voire une cer-tainte crainte, au sein de la
population, et tout particulièrement des groupes directement
concernés.
L'office aura en effet à prendre des décisions de la plus
haute importance, en vertu des dispositions de la section III du chapitre III
du projet de loi, qui touche la procédure d'émission des
certificats de francisation. C'est la nature même de ce champ
d'intervention qui milite, selon nous, en faveur d'une nouvelle
orientation.
Le premier ministre lui-même, peu après son
élection, parlait de mettre sur pied une administration publique
transparente. Nous lui empruntons cette expression et demandons au gouvernement
de s'orienter vers un comité de direction composé de trois
personnes, formule qui nous apparaîtrait plus apte à
répondre à cet objectif de transparence.
Soulignons qu'à la FTQ, nous avons eu, là-dessus, un long
débat. Nous avions deux objectifs qui s'articulaient au départ de
façon contradictoire. D'une part, nous voulions que la direction de
l'office en soit une qui ne puisse être accusée d'autocratisme, ou
encore susceptible d'être étroitement contrôlée par
le pouvoir politique et prêtant le flanc à des accusations de
partisanerie ou d'arbitraire. D'autre part, nous trouvions essentiel que le
mode de direction choisi pour l'office n'implique pas la mise en place d'un
appareil de décision lourd qui entraînerait des lenteurs, des
difficultés de fonctionnement, voire des blocages dans un domaine aussi
délicat que l'octroi ou le retrait des certificats de francisation.
Il nous apparaît donc que notre position respecte tant l'objectif
d'efficacité et de célérité que celui de
transparence. Les trois personnes choisies par le gouvernement seraient
à temps plein à l'office. Nous suggérerions un
comité formé d'un président réputé pour sa
compétence et son objectivité et de deux vice-présidents
venant respectivement du monde des affaires et des milieux syndicaux.
Le conseil consultatif. Nous sommes d'accord avec la création
d'un tel organisme qui constituerait un carrefour d'opinions des groupes les
plus touchés par la francisation de la société
québécoise. La liste proposée dans le projet de loi nous
apparaît offrir des garanties de représentativité
suffisantes.
Soulignons toutefois qu'en ce qui concerne les représentants du
monde syndical à cet organisme, la FTQ a pour politique de pouvoir
choisir elle-même son ou ses représentants aux organismes ainsi
mis sur pied par le gouvernement. De plus, nous souhaiterions avoir le pouvoir
d'exiger que nos représentants soient démis de leurs fonctions
si, pour quelque raison que ce soit, ils ne nous apparaissent plus aptes
à jouer le rôle de représentants de la FTQ.
Nous souhaitons enfin une précision du mandat du conseil
consultatif afin qu'on puisse lui faire jouer un rôle
privilégié dans certains domaines d'application de la loi.
Il nous semble en effet que les décisions de l'office qui seront
les plus déterminantes, l'émission ou le refus des certificats
permanents ainsi que la décertification, devraient être
systématiquement transmises pour information et avis au conseil
consultatif, dans les cas où des parties concernées, les
employeurs, le syndicat ou des groupes d'employés, seraient en
opposition. Cette procédure n'entraverait en rien le fonctionnement
efficace et rapide de l'office en ce domaine, ce qui nous semble prioritaire,
mais instituerait une forme de recours, non formelle il est vrai, qui nous
semble tout aussi importante. Les avis du conseil seraient, bien entendu,
rendus publics. Nous aimerions voir dans l'article 147 précisé en
ce sens, et recommandons également que les règlements
définissant les modalités d'application de la loi soient soumis
au conseil.
En vertu de notre proposition, les groupes concernés seraient
assurés d'avoir, dans cet organisme que serait le conseil, un
témoin impartial et représentatif qui serait saisi au fur et
à mesure des dossiers litigieux et qui soumettrait des avis parfaitement
indépendant du pouvoir politique. Il est évident que des cas
litigieux se présenteront. Qu'il s'agisse d'une entreprise qui a
à se plaindre de la rigueur de l'office ou encore de
représentants d'un syndicat siégeant à un comité de
francisation qui considèrent que l'office a fait montre d'une indulgence
excessive envers leur employeur, il est indispensable, selon nous, qu'une
seconde autorité puisse être saisie des représentations des
intéressés.
Il nous apparaît que la Charte de la langue est une loi
fondamentale pour notre avenir collectif et que ce caractère fondamental
requiert, ou tout au moins rend hautement souhaitable la présence
vigilante et signifiante d'un organisme détaché du gouvernement,
d'un organisme à travers lequel toute la population établirait un
consensus symbolique.
L'émission des certificats de francisation: La FTQ a suivi avec
attention les essais prudents du précédent gouvernement en
matière de certificat de francisation. Ce fut une longue
épopée, allant d'une loi votée en 1974 à des
règlements qui ne furent approuvés qu'en septembre 1976. Chemin
faisant, le gouvernement libéral avait abondam-
ment consulté les milieux d'affaires, ignoré les milieux
syndicaux et profondément adouci ses exigences. Nous félicitons
le gouvernement actuel pour avoir inséré dans son projet de loi
des éléments essentiels et fondamentaux de sa politique en
matière de francisation des entreprises. La loi 22 était vide
à cet égard et la réglementation tardive, si elle ne
corrigeait pas certaines lacunes, apporta des éléments qui
auraient davantage convenu à la loi de par leur nature.
Je vais sauter tout de suite, compte tenu du temps qui nous est
consacré, aux comités de francisation et à leur rôle
et fonctionnement. Nous faisons état du rôle méprisant de
l'ancien gouvernement à l'égard des travailleurs et nous
félicitons le gouvernement actuel d'intégrer les syndicats, leurs
représentants, les travailleurs dans le processus de francisation. Selon
nous, les travailleurs ont non seulement le droit et le devoir de s'informer
des politiques patronales en matière de francisation, mais ils ont aussi
la tâche de participer activement à l'élaboration des
programmes de francisation et à leur application. Ce sont les
travailleurs qui seront, au premier chef, affectés par ces programmes
dans leur vie de tous les jours. Nous espérons que les employeurs ne
tenteront pas de contourner la loi et de court-circuiter ces
comités.
En ce qui a trait à la représentation syndicale et
ouvrière à ces comités, nous souhaitons que les
comités puissent être constitués d'au moins deux
représentants des travailleurs. C'est une politique que nous avons, et
qui est universelle, que les travailleurs ne participent pas à des
comités quels qu'ils soient, à moins d'avoir une
représentation qui ne soit pas unique; j'entends un travailleur, un
représentant patronal et un représentant d'un autre organisme.
Selon nous, la loi pourrait être amendée afin de prévoir
qu'il y aurait, au tiers de leur représentation, au moins deux
représentants des travailleurs dans chacun des comités. Pour ce
qui est des critères de représentativité, les objections
qu'on a pu formuler ce matin nous semblent facilement surmontables.
Le mandat des comités. Nous croyons que non seulement les
comités devraient voir à l'élaboration et devraient
être consultés ou faire partie plutôt du comité de
francisation, mais la loi devrait prévoir aussi qu'ils seraient
impliqués dans la surveillance de l'application des programmes de
francisaton.
Le Président (M. Cardinal): M. Daoust, je m'excuse.
Grâce aux 30 secondes accordées au début à M.
Laberge, il vous resterait 30 secondes, à moins que des membres de la
commission ne fassent, comme ceci s'est produit à quelques
reprises...
Une Voix: Accordé.
Le Président (M. Cardinal): ... et ne vous accordent un
temps à déterminer d'avance cependant.
M. Bertrand: On peut le prendre à même le temps de
l'Opposition...
Le Président (M. Cardinal): Non. Vous savez que le
précédent, c'est qu'un parti accorde un temps limité, et
je demande aux membres de la commission quel temps ils désirent
accorder.
M. de Bellefeuille: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: ... est-ce qu'il me serait permis de demander
à M. Laberge s'il croit pouvoir terminer en dix minutes?
M. Laberge (Louis): Certainement.
M. de Bellefeuille: Vu la réponse de M. Laberge, M. le
Président, je cède volontiers, au nom de mes collègues,
dix minutes à nos témoins.
Le Président (M. Cardinal): Consentement unanime? Alors,
vous avez dix minutes de plus.
M. Daoust: Je voudrais aborder le problème des sanctions
à l'endroit des entreprises. La charte de la langue permet le recours
à trois types de sanctions que nous approuvons. La plus forte
réside, bien sûr, dans l'article 106, et nous espérons que
le gouvernement résistera aux demandes d'assouplissement dont il est
inondé. La FTQ considère qu'une entreprise qui ne respecte pas le
peuple québécois ne devrait pas faire affaires au Québec.
Nous sommes, de plus, convaincus que lorsque la loi sera en vigueur, les
entreprises se plieront à la loi, car elles trouvent leurs profits chez
nous, quoiqu'elles en disent. La sanction morale qui consiste à faire
connaître le nom des entreprises récalcitrantes peut
également, dans certains cas, être très dure, car
susceptible d'entraîner, s'il y a lieu, un boycottage populaire.
Enfin, la FTQ est d'accord avec les amendes. A l'échelle d'une
grosse entreprise, ces amendes sont hautement symboliques, mais nous trouvons
que le principe des amendes contribue à donner du sérieux
à la charte.
Conclusion: En matière de politique linguistique, les
travailleurs ont placé leur confiance dans votre gouvernement. Nous
espérons que vous ne modifierez pas votre projet de loi dans le sens
d'un assouplissement pour les entreprises. Telle qu'elle est, la charte permet
toute la souplesse d'application requise, et la FTQ est confiante que c'est
l'attitude qu'adoptera le gouvernement. Nous avons toujours dit, à la
FTQ, que c'était la responsabilité du gouvernement du
Québec de permettre aux Québécois de travailler en
français et qu'il n'était pas question de demander à des
groupes de travailleurs de lutter sur le plan local pour faire
reconnaître des droits nationaux. Votre gouvernement assume sa
responsabilité. Comme centrale syndicale, nous sommes prêts
à assumer la nôtre et à inciter nos affiliés
à travailler concrètement dans leur milieu de travail à
l'application et au respect de la charte.
Une des tâches qui nous semblent prioritaires dans la conjoncture
actuelle, c'est d'analyser et de
démystifier les clameurs d'épouvante des milieux
d'affaires et de dénoncer le chantage éhonté que, dans
certains cas, les employeurs utilisent contre les travailleurs. Ce sont
là des clameurs peu représentatives, qui font fi du respect
auquel ont droit, après tant d'années d'oppression, les
travailleurs francophones, cette collectivité dont la situation
socio-économique se dégrade lentement et cela, malgré les
francophones de service répartis ici et là dans la grande
entreprise, et malgré les sondages que les organismes patronaux
utilisent pour manipuler à leur profit l'opinion publique. Mais les
travailleurs comprennent que cet acharnement patronal révèle des
zones de résistance profonde à la francisation des
opérations industrielles et que la Charte de la langue française
au Québec est la seule capable de les vaincre une fois pour toutes, avec
le concours de tous les travailleurs du Québec, qui ont compris les
enjeux profonds de cette lutte.
M. Laberge (Louis): Avec votre permission, nous allons demander
à M. Yvon Thiboutot de vous présenter l'addenda que l'Union des
artistes a voulu ajouter à notre mémoire.
Le Président (M. Cardinal): Accordé. Il vous reste
encore huit minutes.
Union des artistes
M. Thiboutot (Yvon): Merci, M. le Président. L'Union des
artistes, représentant syndical des artistes-interprètes
professionnels francophones, manifeste son adhésion au projet de loi no
1, la Charte de la langue française au Québec. C'est notre
conscience collective et notre volonté culturelle qui expriment ici leur
satisfaction devant la détermination du présent gouvernement qui,
par la voix du ministre responsable Camille Laurin, entend
légiférer sur l'un des droits fondamentaux du peuple
québécois et ainsi assurer, de façon démocratique,
l'identité culturelle de la majorité des citoyens du
Québec.
Nous croyons justes et raisonnables les dispositions relatives au
français, langue de travail et des communications, langue de
l'enseignement et de l'administration, même si pour nous,
artistes-interprètes francophones, le français a toujours
été la langue de travail et la langue d'usage par le fait
même de notre métier, nous sommes toutefois conscients de
l'urgence d'imposer une limite nécessaire à la
pénétration dans notre vie quotidienne d'une autre culture, fort
valable et fort riche, mais qui, du seul fait de sa domination sur le continent
nord-américain, risque dangereusement d'émietter la nôtre
par le simple pouvoir coercitif du nombre.
La plus insouciante promenade au coeur de nos villes ou
d'agglomérations à vocation commerciale ou industrielle nous
impose cette conclusion. Cette politique positive du présent
gouvernement ne nous empêche pas pour autant de souligner que ce projet
de loi, tout en assurant la reconnaissance officielle de la langue
française, reste fort discret sur un corollaire aussi fondamental
qu'urgent: une énergique politique culturelle.
Il est certes prioritaire de légiférer sur la langue, mais
il serait utopique de croire que cette seule législation produira un
effet d'entraînement suffisant dans le domaine culturel. Si la langue est
un prérequis essentiel au développement d'une identité,
c'est la culture vivante qui en est la source principale d'énergie.
Vous admettrez sans doute qu'une culture qui se veut le reflet d'un
peuple ne peut se contenter d'importations. Un produit culturel
étranger, en aussi bon français fût-il traduit, ne devient
pas pour autant un apport au patrimoine culturel québécois. Qu'on
nous comprenne bien. Nous ne sommes en rien opposés à l'ouverture
de nos frontières aux cultures étrangères. Bien au
contraire, mais l'identité culturelle des Québécois ne
saurait se satisfaire de la traduction de la pensée des autres cultures.
Il est devenu nécessaire d'établir une démarcation
raisonnable entre la réalité actuelle décevante et notre
préoccupation d'assurer aux créateurs et aux interprètes
québécois la part qui leur revient dans la définition et
l'affirmation de nos valeurs. Certes, cela ne se fera pas en appliquant une
simple politique restrictive, mais en stimulant la création et la
diffusion d'oeuvres originales que le public québécois est en
droit d'attendre et d'apprécier. Ce parti pris culturel que nous
entendons défendre est lié à cet autre parti pris,
nettement syndical et tout autant justifié, du droit au travail et
à l'expression pour tous les artistes-interprètes du
Québec.
Pour sa part, l'Union des artistes entend bien respecter la
volonté de ses membres et participer à l'élaboration et
à la mise sur pied de toutes politiques touchant au domaine artistique
et culturel. Cette détermination s'exprime aujourd'hui sur la question
de la langue et c'est grâce à l'expérience quotidienne de
porte-parole (au sens littéral du terme) de la culture d'ici que nous
croyons que les remarques précédentes méritent
d'être prises en considération.
En conclusion, nous réaffirmons notre appui au projet de loi no 1
et nous demandons du même souffle qu'une politique culturelle souple et
énergique vienne le plus tôt possible l'encadrer et l'orienter. Si
cette politique culturelle n'est pas définie à très court
terme, le projet de loi sur la langue n'aura été que la
première réplique d'un texte prometteur, mais
inachevé.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Thiboutot. Avez-vous
d'autres remarques à ajouter ou est-ce terminé? Dans ce cas, il
reste 23 minutes au parti ministériel.
Le ministre d'Etat au développement culturel.
M. Laurin: J'espère que vous ne vous sentez pas trop
orphelins si, seul, le gouvernement a pu vous entendre!
Je regrette d'autant plus que l'Opposition soit absente, parce qu'elle
aurait sûrement eu besoin de se faire éclairer par les
exposés que vous avez faits. Elle aurait sûrement profité
des mises au
point vigoureuses, mais très justes que vous avez faites
également. Ce sera pour une autre occasion. J'espère qu'elle
pourra lire l'exposé remarquable que vous venez de faire.
Evidemment, le gouvernement se réjouit de l'appui global et total
que vous faites au projet de loi sur la langue. Venant de 350 000 travailleurs
qui constituent la chair et le coeur du peuple québécois, cet
appui constitue pour nous la meilleure preuve que le gouvernement ne s'est pas
trompé dans la voie qu'il a choisie pour assurer la défense et la
promotion des travailleurs du Québec et, en particulier, des
travailleurs francophones du Québec.
Vous faites une réserve sur l'article 172. J'avais
déjà indiqué que cet article n'était que
provisoire, car nous avons toujours été convaincus que la loi ne
témoignait d'aucune discrimination à l'endroit de qui que ce
soit, de quelque langue que ce soit, de quelque minorité que ce soit,
car comme vous l'avez si bien dit, respecter la majorité ce n'est pas
faire montre de discrimination à l'endroit de la minorité. Mais
maintenant que nous avons presque tous les avis et opinions que nous avions
sollicités, il nous sera possible de formuler l'article d'une
façon claire, évidente, qui prouvera qu'il est parfaitement
possible de concilier les principes qui animent la Charte du français et
ses modalités d'application avec les principes qui doivent nous guider
dans la défense des droits de la personne.
Vous avez remarqué, à juste titre, que le gouvernement
avait imposé une contrainte aux associations de salariés qui ne
communiquent pas encore en français d'une façon constante avec
leurs employés. Je me réjouis que vous acceptiez cette contrainte
et ceci me donne l'occasion de signaler que cette contrainte n'a jamais
été signalée par d'autres groupes avant vous. C'est la
première fois qu'un groupe la signale et la soulève. Il faudrait
se demander pourquoi cette contrainte appliquée à l'endroit d'une
association syndicale n'a jamais été montée en
épingle par quelque groupe que ce soit.
J'accueille avec sympathie votre demande de révision de l'article
40. J'aimerais vous poser une question à ce sujet. Je n'ai pas saisi
tout à fait l'essentiel de votre contre-suggestion.
M. Laberge (Louis): Vous voulez cela maintenant?
M. Laurin: Oui.
M. Laberge (Louis): Enfin, l'article 40 dit que le texte de la
loi, en ce qui a trait à la langue de travail, devrait être
considéré comme faisant partie intégrante des conventions
collectives. Les conventions collectives résultent évidemment de
discussions entre deux parties. Cela résulte en quelque sorte d'une
épreuve de force entre deux parties. Pour nous, cela est sacré,
mais il nous semble qu'il y aurait moyen de donner ce recours à la
formule des griefs en disant tout simplement que les articles je les ai
énumérés 34, 35, 36, 37 et 38, pourraient faire
partie de la formule des griefs, comme si elle faisait partie de la convention
collective. Quelque chose dans ce sens. Cela éviterait de discuter.
Comme vous l'avez remarqué, on n'a pas voulu monter cela en
épingle, on l'a seulement mentionné, parce que cela nous
semblerait préférable.
M. Laurin: Quant à vos suggestions sur la structure des
organismes, là aussi je pense qu'elles sont très opportunes et
pertinentes. Je voudrais vous dire que ce qui nous a conduits à diviser
les fonctions des organismes et en particulier à confier la direction de
l'office à un président, c'est que nous avons constaté
qu'à l'intérieur de l'ancienne régie, il y avait des
problèmes qui se posaient en ce qui concerne la ligne
d'autorité.
La ligne d'autorité n'était pas toujours claire, ferme, et
ceci posait des problèmes à certains égards, des
problèmes de fonctionnement, des problèmes d'efficacité.
Mais nous avons voulu remédier à ces failles. De la même
façon, nous pensons que la plupart des problèmes d'administration
courante n'ont pas à être refilés constamment à un
conseil d'administration et réglés par lui. La plupart de ces
problèmes d'administration courante sont habituellement
réglés par un directeur général et n'ont pas
à être envoyés à un plus haut palier.
Il reste que nous allons étudier la suggestion que vous nous
faites, en raison des arguments que vous nous présentez, en ce qui a
trait à la structure du comité de direction, qui serait
composée de trois personnes.
Nous sommes aussi d'accord avec vous pour étendre la
compétence du conseil consultatif qui peut-être, de par sa
composition, reflète davantage la structure de la société,
et qui pourrait jouer le rôle, soit de conseiller sur les politiques
générales, les normes d'application de la loi et qui pourrait
peut-être aussi jouer le rôle de chambre de compensation lorsqu'il
s'élève des doléances ou des griefs venant de quelque
secteur que ce soit touché par la loi. C'est une suggestion qui nous
apparaît très utile et que nous examinerons comme il se doit.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le ministre,
si vous permettez, je fais vérifier si les cloches nous appellent pour
un vote ou pour le quorum. Si c'est pour un vote, il faudra suspendre, si c'est
pour le quorum, chacun des membres en décidera.
M. le ministre.
M. Laurin: Pour le reste, je laisserai à mes
collègues le soin de vous poser des questions, tout en entérinant
au passage les remarques que vous énoncez sur le comté de
francisation, dont je me réjouis que vous l'approuviez. Je crois, comme
vous, que le comté de francisation doit jouer un rôle, aussi bien
au niveau de l'élaboration que des politiques linguistiques d'une
entreprise, que de leur application. Nous étudierons la suggestion que
vous nous faites que le nombre de représentants des salariés ne
soit jamais inférieur à deux. Quant aux objections que ce
comité de francisa-
tion a soulevées, peut-être que certains de mes
collègues voudront poser des questions à ce sujet.
Nous sommes bien d'accord avec vous qu'il faut analyser,
démystifier les clameurs qu'a provoquées la présentation
du projet de loi et qui, au fond, ne témoignent que de la solide
résistance au changement qui existe à cet égard dans
certains secteurs de l'opinion.
J'ai été très sensible au témoignage de
l'Union des artistes, non seulement en raison de l'appui qu'elle apporte au
projet de loi, mais en raison de l'accent qu'elle met sur la politique
culturelle, politique culturelle qu'il importe d'élaborer et
d'établir au plus tôt. Je suis bien d'accord avec eux qu'il faut
que le peuple québécois développe une culture vivante et
non pas une culture importée, et non pas une culture traduite, et
qu'elle doit, en même temps, accorder, dans le concret, en pratique,
à tous les artisans de la culture, le droit au travail, bien sûr,
le droit à l'expression, mais aussi le droit à la
création, qui est lié de très près au droit
à l'expression.
Je pense que je peux tout de suite vous dire que le gouvernement s'est
déjà préoccupé de cette question et que,
déjà, depuis trois mois, des comités sont à
l'oeuvre pour élaborer cette politique culturelle, que nous en verrons
les premiers fruits très bientôt, dans un mois ou deux, que
d'autres fruits seront visibles à l'automne et qu'il s'agit là,
pour le gouvernement, d'une entreprise à long terme qu'il a
décidé de mener avec toute la vigueur, la résolution et
l'optimisme également, qui le caractérisent.
Pour le reste, je pense que je laisserai à mes collègues
le soin de vous poser les questions nécessaires.
Le Président (M. Cardinal): II restera dix minutes au
parti ministériel. Mme le député de L'Acadie. Mais
auparavant, si vous permettez, pour qu'il n'y ait pas de difficulté de
procédure, au début de chaque commission, en vertu de l'article
142, des remplacements peuvent être effectués.
Je dois donc considérer que les membres de la commission sont
ceux qui sont membres permanents et ceux qui ont été
remplacés au début de cette séance. Mais en vertu d'une
motion adoptée par cette commission, tous les députés ont
droit de parole, mais ceux qui ne sont pas membres de la commission n'ont pas
droit de vote, ni de soulever d'autres problèmes. Mme le
député de L'Acadie, s'il vous plaît.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président, je voudrais
d'abord expliquer, si vous me le permettez, la raison de notre absence au
début de la présentation de ce mémoire.
Le Président (M. Cardinal): Mme le député,
il faudrait que vous souleviez une question de règlement, ou un autre
moyen, parce que ce n'est pas conforme au règlement.
Mme Lavoie-Roux: Si on ne peut pas donner d'explications, je leur
donnerai privément.
M. Ciaccia: Question de règlement, M. le Président.
Je pense que Mme le député de L'Acadie, dans sa réaction
aux travaux et à la présentation des invités, a le droit
de donner des explications sur la raison pour laquelle elle n'était pas
ici, présente, au début des travaux de cette commission. Je pense
que cela fait partie du droit de parole qu'a un membre de la commission. Cela
n'outrepasse pas le mandat de la commission et je crois que c'est une question
de politesse de sa part, même, de vouloir expliquer aux invités
qui ne savent pas pourquoi nous n'étions pas ici. Ils peuvent se faire
une idée, ils ne le savent pas. C'est à titre d'information. Je
demande très respectueusement que Mme le député ait le
droit de faire cette intervention.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mont-Royal, je vais vous répondre immédiatement. Oui, M. le
député de Rosemont.
M. Paquette: Je ne sais pas si on pourrait, par consentement
unanime, permettre au député d'expliquer...
Le Président (M. Cardinal): Ce serait beaucoup plus simple
justement. Ce que je voulais dire, Mme le député de L'Acadie,
c'est que j'aurais préféré tout simplement, qu'en dehors
de l'exposé concernant le mémoire, vous indiquiez, soit au moyen
d'une question de règlement ou d'une demande de directive, votre absence
ou l'absence des membres d'une ou de plusieurs oppositions.
Ayant le consentement, je vous cède la parole et
j'enlèverai même ce temps de vos questions aux invités.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je n'aurais
vraiment pas su quel article invoquer.
M. Bertrand: 54.
Mme Lavoie-Roux: 54, merci. Ah! non, 54, c'est...
Je voulais simplement expliquer aux représentants de la FTQ et
d'ailleurs à tous les autres invités qui devront subir certains
retards d'ici la fin de la journée, nous aurions souhaité
être ici, nous avons toujours été très ponctuels
pour recevoir les invités.
Nous travaillions de l'autre côté, dans
l'intérêt des autres groupes qui vont venir. On veut nous imposer
une façon de travailler qui, à notre point de vue, n'est pas
satisfaisante, et c'est la raison pour laquelle nous étions absents. Je
ne m'étends pas davantage sur ces détails. Je veux simplement
vous présenter mes excuses, c'est vraiment bien involontaire de notre
part.
Je veux d'abord, en premier lieu, remercier les représentants de
la FTQ d'être venus présenter un mémoire à la
commission parlementaire pour l'étude du projet de loi 1. Je pense que
cela s'inscrit dans une longue tradition de la FTQ, qui s'est toujours fort
préoccupée des questions linguistiques.
Si je ne suis pas d'accord avec l'interprétation
que vous donnez au préambule, un peu comme le ministre d'Etat au
développement culturel a parfois tendance à le faire avec ceux
qui ne sont pas d'accord avec le projet de loi no 1, il reste que votre
mémoire est intéressant à plusieurs points de vue.
Là-dessus, je pense reconnaître certaines positions des membres de
l'exécutif de la FTQ, de faire porter leur accent sur la langue de
travail, et qu'ils considèrent que c'est vraiment dans la mesure
où on pourra franciser la langue de travail et lui donner un plein
épanouissement, que bien d'autres mesures coercitives ou restrictives
qui sont imposées, comme, par exemple, dans le domaine de
l'école, qui demeure toujours un point si difficile et si sensible
à régler... ces mesures devraient, avec le temps, devenir
beaucoup moins nécessaires. Je reconnais là, en particulier, de
la part du secrétaire de la FTQ, une préoccupation de longue
date.
Je reconnais également comme très positives les remarques
que vous faites dans le chapitre qui a trait à l'organisation de
l'Office de la langue française, où j'y retrouve un souci
démocratique qui est tout à l'honneur, je pense, de la FTQ, et
également cette préoccupation qu'elle a d'étendre
peut-être le mandat du conseil consultatif, dans le sens qu'il puisse
même permettre un droit d'appel ou un droit de recours là
où il y a des litiges. Vous reconnaissez par le fait même le
pouvoir vraiment illimité qu'on reconnaissait à une seule
personne dans la création et la formation de l'Office de la langue
française, ce qui, je pense, était vraiment au détriment
de la démocratie.
Je pense que, venant de votre organisme, je suis sûre
peut-être que, déjà, le ministre, pendant votre absence,
est intervenu sur ce point on trouvera peut-être une oreille plus
sensible, chez le ministre, qu'il n'a semblé en prêter à
d'autres organismes qui sont venus devant nous.
Je voudrais seulement vous poser quelques questions. La première:
En page 3, à la fin du premier paragraphe, vous dites: "La francisation
du Québec ne doit pas se négocier. A nous toutefois d'en
amoindrir les coûts sociaux". Je me demande si vous pourriez
développer cette idée un peu, s'il vous plaît?
M. Daoust: Je vais répondre à votre question, mais,
préalablement, je dois vous dire qu'à l'égard de la langue
d'enseignement, la FTQ fera connaître ses positions lors de la
présentation du mémoire du Mouvement du Québec
français, dont nous faisons partie. Le MQF se présentera devant
cette commission, je pense, mardi prochain, nous l'accompagnerons et nous
appuyons le mémoire qui vous sera soumis par le MQF.
Une autre remarque à l'égard de l'Office de la langue et
du conseil consultatif. Le ministre nous a fait état du cheminement qui
est le sien à l'égard de changements qui pourraient
peut-être se faire dans le texte initial de loi. Nous estimons qu'une
direction unique peut provoquer des problèmes extrêmement graves;
nous l'avons dit dans notre mémoire; nous parlons d'autocratie. Nous
voulons dégager cette responsabilité de toute
subjectivité.
Le président de l'office sera investi de pou- voirs immenses et
il nous semble normal qu'il puisse les partager au niveau d'une direction
quelque peu collégiale. Nous retenons, par ailleurs, les objections que
vous avez formulées à l'égard de la ligne
d'autorité de l'ancienne Régie de la langue française et
il y a lieu d'apporter des correctifs.
Pour ce qui est du conseil consultatif, nous souhaitons qu'il soit ainsi
nanti de pouvoirs beaucoup plus larges que ceux qu'on retrouve dans le projet
de loi. Je voudrais souligner que, pour nous, ce n'est pas une instance d'appel
des décisions de l'office, c'est un lieu de réexamen des
décisions de l'office où les administrés, quels qu'ils
soient, que ce soient les employeurs ou les syndicats, pourront se
présenter et faire prévaloir leur point de vue à
l'égard de l'émission ou de la non-émission de certificats
de francisation.
Nous souhaitons aussi que l'office puisse procéder à
l'examen préalable des règlements et nous suivons quelque peu la
logique contenue dans une autre loi, celle qui constitue le Conseil
supérieur de l'éducation où, à son article 28, il
est mentionné que tous les règlements émanant du
ministère de l'Education, du ministre de l'Education, doivent, avant
qu'ils ne fassent l'objet d'une approbation par le lieutenant-gouverneur en
conseil, faire l'objet d'une approbation ou d'un examen, tout au moins, ou d'un
avis par les membres du Conseil supérieur de l'éducation, et les
règlements sont décrits ou la nature de ces règlements, on
la retrouve à l'article 28 dans les paragraphes a), b), c), d) du
même article, Cela nous semble fondamental qu'un avis puisse être
donné avant qu'un règlement ne fasse l'objet d'une
décision officielle de la part du lieutenant-gouverneur en conseil.
Vous souhaitez que nous explicitions notre pensée à
l'égard de cette phrase où on mentionne que la francisation du
Québec ne doit pas se négocier et que, toutefois, il nous
appartient à tous d'en amoindrir les coûts sociaux.
Nous ne souhaitons pas cette politique de quémandage dont nous
avons été les victimes collectivement au Québec et que
nous retrouvions dans l'esprit même et dans les textes de la loi 22. Pour
nous, il faut qu'il y ait la plus grande lucidité, la plus grande
clarté et la plus grande précision dans les objectifs
gouvernementaux. On les retrouve dans le projet de loi. C'est d'une
limpidité inouïe dans la plupart des formulations qu'on retrouve,
là où il est question de francisation des entreprises. Il n'y a
pas de possibilités d'interprétations multiples. Ce ne sont pas
des voeux pieux, mais ce sont là des objectifs formels que la
société québécoise se donne. C'est pour cela qu'on
parle de non-négociation. Le pouvoir politique affirme la volonté
des Québécois de franciser les milieux de travail. Cette
affirmation ne doit subir aucune espèce de négociation. Elle doit
faire l'objet d'une adhésion. Chez nous, évidemment,
l'adhésion, le consensus est extrêmement large on le
mentionne dans notre document à l'égard de toutes ces
dispositions du projet de loi, en ce qui a trait, entre autres, à la
francisation des entreprises.
Par ailleurs, il faut en amoindrir les coûts so-
ciaux. On parle de flexibilité, de souplesse, d'application
différenciée ou circonstanciée, selon les cas. On peut
imaginer de multiples hypothèses d'entreprises où il faudra tenir
compte d'une réalité qui est nôtre,
québécoise, canadienne, nord-américaine, et qui pourraient
justifier plus de souplesse dans certains cas, compte tenu des objectifs qui,
eux, ne peuvent pas souffrir de négociations. Quand on parle d'amoindrir
les coûts sociaux, on estime que, tant au niveau de l'Office de la langue
et de sa direction qu'au niveau du conseil consultatif, les
représentants du milieu pourraient, à certains moments tout au
moins, avertir ou, pour le moins, informer le gouvernement du Québec, le
ministre de tutelle de l'office et du conseil consultatif, de certains
problèmes difficiles à surmonter. Par ailleurs, on estime, et on
le dit dans notre mémoire, qu'il est virtuellement possible de franciser
tous les milieux de travail. Il peut y avoir des exceptions, sans aucun doute.
On n'est pas complètement hostile à ce que certains emplois
puissent exiger et justifier la connaissance d'une autre langue que le
français. Les comités de francisation où on retrouve une
présence syndicale, une présence des travailleurs, seront les
premiers à se plier à de telles exigences. Incidemment, on a
insisté, ce matin, vous avez entendu le Conseil du patronat qui nous a
parlé des comités de francisation. Il voudrait plutôt des
comités consultatifs. Nous autres, on s'y oppose formellement. La
consultation et Dieu sait qu'on l'a vécue et qu'on la vit encore!
dans le milieu des relations de travail, avec toutes les faiblesses que
cela peut véhiculer, cela ne donne absolument rien qui vaille. C'est
frustrant et cela ne provoque que des situations conflictuelles qui, par
ailleurs, peuvent se régler à l'intérieur de
comités véritablement décisionnels. A l'égard des
comités de francisation, nous saluons avec émerveillement, il
faut le dire, la décision gouvernementale d'innover dans ce domaine et
de permettre à des travailleurs de pouvoir s'asseoir au sein d'une
entreprise; ils sont au tiers il ne faudrait pas que les gens
s'énervent un peu trop: on est loin de la cogestion et donc,
toujours minoritaires dans ces comités de francisation. Ce qu'on a dit
et je le répète, c'est qu'on souhaiterait que ces comités
de francisation, au-delà de l'analyse et de l'élaboration
et cela nous semble important; j'insiste là-dessus puissent agir
comme chiens de garde, tout au long du processus, qui peut durer des
années et des années, dans l'application des programmes de
francisation qui recevront un accord de principe de l'Office de la langue.
L'amoindrissement des coûts sociaux, c'est donc une invitation
à une certaine souplesse, mais cette souplesse n'est aucunement dans
notre esprit synonyme de complaisance. On peut être souple, tout en
faisant état des objectifs qui sont inscrits dans le projet de loi, sans
être timoré ou être complaisant à l'égard des
détenteurs du pouvoir économique.
Mme Lavoie-Roux: Un autre point sur lequel je voudrais faire des
observations, c'est d'abord votre préoccupation de prévoir. On
sent vraiment que vous êtes un organisme et c'est là votre
fonction qui se préoccupe du bien-être des travailleurs,
particulièrement des périodes de transition possibles et
même pour certains cas où ce ne serait pas réaliste de
demander la connaissance du français à certains travailleurs qui
n'ont pas affaires avec le public. Vous proposez même certaines mesures
qui pourraient aider les cas où les travailleurs ne parlent pas
français, tels des cours intensifs de français pour les adultes,
améliorer les cours de français, etc.
Est-ce que vous croyez, compte tenu de votre connaissance du monde des
travailleurs et, par exemple, au point de départ, du peu de
scolarisation de certains travailleurs, particulièrement des
travailleurs immigrés, que cette disposition que vous suggérez,
soit des cours intensifs de français pour les adultes, puisse être
mise en application? Vous mentionnez à l'intérieur des services
d'éducation des adultes, CEGEP, etc... Est-ce que vous les voyez aussi
à l'intérieur de l'industrie, parce qu'il me semble que ce sera
difficile de motiver certains à aller dans les CEGEP et les commissions
scolaires? Est-ce que je me trompe là-dessus?
M. Laberge (Louis): En fait, pour être parfaitement
honnête avec vous, on l'avait dans notre mémoire. On l'a fait
sauter pour ne pas donner d'autres arguments qui auraient favorisé
l'extension de la période de discussion. On se disait: Cela va donner
encore d'autres arguments au monde patronal. Il va dire: Un instant! Si vous
nous demandez d'enseigner le français à tous les travailleurs
anglophones, là vous charriez. Cela va coûter
énormément cher.
On sait que ça s'est fait dans le cas des cadres. Le demander,
l'exiger pour les travailleurs, cela aurait certainement été
souhaitable. Mais on ne voulait pas, et c'est pour ça qu'on l'a
finalement fait sauter de notre mémoire, on ne voulait pas que ça
serve d'argument pour empêcher l'adoption de la loi no 1.
Nous croyons que les travailleurs... Enfin, c'est assez difficile
d'exiger d'un travailleur de 60 ans, qui n'a jamais su apprendre le
français, que, du jour au lendemain, ou dans une période de trois
à six mois, il devienne capable de dialoguer avec les travailleurs sous
ses ordres, en français. C'est pour ça qu'on prévoit, dans
certains cas, qu'il y aura des accommodements qui seront faits. Mais il faut
toujours tenir compte des objectifs et il ne faut jamais perdre ça de
vue. Encore une fois, souplesse, mais non pas mollesse.
Mme Lavoie-Roux: Alors, je vois que votre respect des individus
est plus grand que celui de certains ministres qu'on a vu à
l'Assemblée nationale, et je m'en réjouis.
M. Alfred: Question de règlement...
Mme Lavoie-Roux: II ne faut pas vous énerver.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A
l'ordre, s'il vous plaît!
Une Voix: De quoi on parle?
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A
l'ordre, s'il vous plaît!
M. Daoust: II faudrait peut-être ajouter que nous sommes
particulièrement conscients de ce problème, parce que le
"membership" de la FTQ est constitué à environ 15% d'anglophones
ou d'allophones. La moitié de ces 15% est constituée
d'anglophones, dans le sens le plus large du mot, le plus complet du mot
plutôt, et l'autre moitié de travailleurs allophones, grecs,
portugais... On les retrouve dans le vêtement et dans certaines
industries.
Nous, on estime que l'entreprise a un coût économique
à payer pour la francisation et cela peut aller jusqu'à des cours
de français qui soient donnés sur les lieux du travail, sauf que
l'entreprise dans le passé a toujours favorisé ses cadres,
personnel de maîtrise, les cadres à tous les niveaux et les
travailleurs à la base ont été largement laissés
pour compte dans les efforts de francisation des entreprises.
Ils ont un coût économique au même titre que nous
avons payé et subi quand je dis nous, je parle de l'ensemble des
travailleurs francophones au Québec le coût terriblement
élevé de l'absence de politique de francisation dans les
entreprises. Il y a des centaines, des milliers de travailleurs qui ont
été privés de promotion, qui se sont sentis bloqués
dans leur épanouissement personnel parce que le pouvoir
économique faisait que la langue de travail, à plusieurs niveaux
dans l'entreprise, était l'anglais. Il est temps que l'entreprise ne
repose pas exclusivement sur la collectivité pour faire assumer ses
coûts, mais qu'elle en prenne elle-même une large
responsabilité puisque c'est elle qui les a largement
provoqués.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais demander au président de la
FTQ... Je trouve que c'est quand même dommage que vous l'ayez
retiré de votre mémoire original que je n'avais pas vu.
Peut-être qu'on pourrait envisager des formules où
l'éducation des adultes se déplacerait vers des industries
où les ouvriers se trouvent en assez quand nombre.
Une autre question que je voudrais poser...
M. Laberge (Louis): Si vous en faisiez une condition pour votre
acceptation, je pense qu'on se rendrait à vos désirs!
Mme Lavoie-Roux: II y a une autre préoccupation et
rapidement comme cela, étant donné que j'ai eu certains
dérangements... Vous parlez de la confidentialité dont devraient
être entourés certains ouvriers qui portent plainte au sujet de la
francisation. Je pense que c'est certainement un point qui mérite
d'être examiné, mais je voudrais vous demander, comme organisation
syndicale, dans la mesure où vous pouvez vous détacher, vous
dissocier du rôle que vous assumez en priorité à
l'égard des travailleurs, une question: Nous avons eu ici, non seulement
des organisations pa- tronales, mais plusieurs personnes qui ont fait des
représentations au sujet de la participation des ouvriers au
comité de francisation et qui ont dit: Ceci pourrait peut-être
être une porte ouverte pour des griefs qui ne seraient pas
nécessairement reliés au problème de francisation, mais
qui seraient utilisés pour faire valoir d'autres points de vue. C'est
une question difficile peut-être à vous poser, mais comme je pense
que vous avez à juste titre fait voir le besoin des travailleurs, je me
demande si vous êtes aussi capable de vous placer pour examiner d'autres
dimensions du problème. Ceci peut-il être une difficulté
à l'intérieur d'une industrie?
M. Laberge (Louis): Notre très longue expérience
dans le domaine des relations de travail nous permet de vous répondre,
sans aucune espèce d'hésitation, qu'il n'existe aucun danger.
Le monde patronal saura nous remettre à notre place dès
qu'on voudra se servir d'un comité pour discuter d'autre chose que ce
comité peut discuter. D'ailleurs, les nombreuses actions devant les
tribunaux concernant des griefs que nous essayons de soulever de par la formule
des griefs en font foi.
Je pense que vous pouvez vous fier sur eux.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le
député de Lotbinière.
M. Dussault: M. le Président...
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Sur une question de règlement?
M. Dussault: Ce sont les propos de Mme le député de
L'Acadie sur le retard des oppositions qui m'amènent à poser une
question de privilège.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Châteauguay, il n'y a aucune question de
privilège en commission parlementaire.
M. Dussault: Vous me direz quel règlement. Cela m'importe
peu.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): En
fait...
Mme Lavoie-Roux: L'article 54.
M. Dussault: II y a des faussetés qui ont
été dites, M. le Président. C'est la raison pour laquelle
je pose une question de privilège.
Mme Lavoie-Roux: Une question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Quel article, Mme le député?
Mme Lavoie-Roux: Article 54. Est-ce que le député
était en Chambre pour savoir ce qui s'y est passé ou...
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): S'il
vous plaît! A l'ordre!
M. Dussault: Je suis allé vérifier, M. le
Président. J'ai des nouvelles là-dessus, qui sont
différentes de ce que madame disait.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Châteauguay, vous ne ...
Mme Lavoie-Roux: Je soulève une question de
privilège, moi aussi.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II n'y a
pas de question de privilège en commission parlementaire. M. le
député de Lotbinière.
M. Oussault: J'y reviendrai, M. le Président.
M. Biron: M. le Président, je voudrais m'excuser moi
aussi, comme Mme le député de L'Acadie, pour mon retard,
auprès du président de la Fédération des
travailleurs du Québec. Je vais m'excuser pour une deuxième
raison aussi. J'ai pensé que sa souplesse et l'esprit de
démocratie, cela manquait un peu des fois dans la FTQ, mais c'est rien
à côté de ce que j'ai vu du leader parlementaire du
gouvernement aujourd'hui. Ceci dit, M. le Président, je vous remercie de
votre mémoire. Je l'ai lu ce midi. Vous n'avez pas assisté, de
l'autre côté, vous auriez dû être là tout
à l'heure.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A
l'ordre, s'il vous plaît! Je demanderais à tous les
députés de s'en tenir au mandat de la commission, qui est de
discuter du bill no 1.
M. Ciaccia: Une question de règlement, ou une directive,
M. le Président. Est-ce que je pourrais demander au président de
la commission de rappeler à l'ordre les députés
ministériels? Chaque fois que quelqu'un de ce côté-ci dit
quelque chose et que cela ne fait pas leur affaire, ils interrompent. Ils n'ont
pas le droit, d'après les règlements, d'interrompre. Je vous
demanderais, si vous le voulez bien, de les ramener à l'ordre.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je
pense, M. le député de Mont-Royal, qu'en demandant au
député de s'en tenir au mandat de la commission, je faisais
référence à tous les membres de la commission. M. le
député de Lotbinière.
M. Biron: Merci, M. le Président. Je remarque, M. le
Président, que vous avez 350 000 travailleurs, membres de la
Fédération des travailleurs du Québec. M. le
secrétaire général nous a dit tout à l'heure qu'il
y avait à peu près 15% d'anglophones ou d'allophones. C'est
réparti dans une quinzaine de fédérations
différentes. C'est cela?
M. Laberge (Louis): Réparti dans quelque 80 syndicats
différents, le Syndicat international des métallos, le Syndicat
canadien de la fonction publique, le Syndicat des employés de service,
etc.
M. Biron: Est-ce qu'il y a des syndicats qui sont à peu
près uniquement anglophones ou si...
M. Laberge (Louis): Non. Nous n'avons pas de syndicat uniquement
anglophone. Nous avons peut-être quelques sections locales dont les
membres sont majoritairement anglophones, mais nos syndicats comme tels sont
très certainement, largement, majoritairement francophones.
M. Biron: D'accord. Quelle est la réaction à votre
mémoire de vos 15% de travailleurs anglophones?
M. Laberge (Louis): Nous l'avons dit dans notre mémoire.
Evidemment, vous étiez pris avec des problèmes de l'autre
côté, ce qu'ont connu d'autres députés avant vous
sous d'autres gouvernements, ceci dit en passant. Nous avons eu de vastes
consultations auprès de tous nos membres. Nous avons discuté de
ces questions en congrès de la FTQ où au-delà de 1000
délégués étaient présents; ils venaient de
tous les secteurs, y compris de ces secteurs. Cela a fait l'objet de
débats depuis de nombreuses années. On l'a dit tantôt.
C'est en 1969 qu'on a déjà adopté des résolutions
sur le français langue de travail. Alors, il y a eu une évolution
constante évidemment, mais c'est à l'unanimité que le
conseil général de la FTQ, qui est l'organisme suprême
entre les congrès, a endossé ce projet de mémoire. Nous
avons tenu des réunions dans une quinzaine de régions du
Québec où toutes ces questions ont été
débattues, et on n'a pas voulu dire que c'était unanime chez
nous, parce que ce serait charrier.
Ce n'est certainement pas unanime, mais c'est très largement
majoritaire.
M. Biron: Vos 15% de travailleurs anglophones, est-ce que ces
gens sont bilingues ou sont à peu près uniquement unilingues.
M. Laberge: Pour vous donner une petite idée, on a encore
au congrès de la FTQ, la traduction simultanée. Lors du dernier
congrès, je pense qu'on a réussi à distribuer cinq
appareils pour écouter la traduction, sur au-delà de 1000
participants.
M. Biron: Surtout parmi les dirigeants; mais à la base
même des 15%, vous avez seulement, 1% ou 2% qui seraient uniquement
unilingues anglais?
M. Laberge: C'est assez difficile de vous donner des chiffres,
mais très peu.
M. Biron: Merci. Voulez-vous m'expliciter, parce que je pense que
c'est intéressant pour vous qui êtes président d'une
fédération de travailleurs aussi importante au Québec, la
différence qu'il y a entre le droit au travail pour un travailleur
québécois et le droit au travail en français?
M. Laberge: La première préoccupation est
évidemment d'avoir un job, évidemment. Mais une fois qu'on
a dit ceci, il faut quand même reconnaître qu'au Québec, un
travailleur francophone qui obtenait une promotion, je ne parle pas de devenir
un petit "pusher", un "lead-hand" qu'on appelait, mais pour avoir des
promotions en dehors de ça, il devait avoir non seulement
compétence égale, mais il devait être encore plus
compétent en plus d'être bilingue, parce que les unilingues
anglais ont toujours eu un accès beaucoup plus facile aux promotions
dans les cadres intermédiaires et supérieurs. Je pourrais vous
donner des exemples assez édifiants là-dessus, que ce soit
à la société General Motors, que ce soit à la
société Canadair que ce soit à la société
United Aircraf, je pourrais multiplier les exemples où on retrouvait un
très faible pourcentage de francophones. En fait, il y a
évidemment quelques années de ça, dans le temps où
je connaissais très bien la Canadair, je ne crois pas qu'il y avait plus
de 1% des cadres intermédiaires et supérieurs qui étaient
francophones.
M. Biron: Maintenant, à l'heure actuelle, cela a
changé depuis quelques années?
M. Laberge: Oui, il y a eu amélioration, bien sûr.
Comme M. Martin, du Conseil du patronat nous le disait ce matin, à un
moment donné, c'est passé de 11 à 22, c'est-à-dire
qu'il y avait un francophone sur 11 membres de la direction, il y en a
maintenant 2. Cela a augmenté, mais il y a encore du chemin à
faire.
M. Biron: Est-ce que la plupart de vos conventions collectives
sont négociées exclusivement en français à l'heure
actuelle?
M. Laberge (Louis): On a dû faire des batailles marquantes.
En fait, dès 1969, il y a des métallos de l'Atlas Steel qui ont
fait une bataille là-dessus pour obtenir le privilège de
négocier en français et pour les employés de General
Motors, il y a cinq ou six ans, un des points majeurs de leur grève
était justement de pouvoir discuter de leurs griefs en français.
Cela aussi a changé au niveau du Conseil consultatif du travail et de la
main-d'oeuvre. Les représentants du monde patronal et les
représentants du monde syndical sont tombés d'accord sur une
formule pour faire du français la langue, non pas de la
négociation, on laisse cela un peu aux parties, mais au moins pour que
le texte officiel de la convention sera le français et seul ce texte
sera vraiment la langue officielle, car il y a toujours de petites
différences entre deux textes, etc.
Il y a eu amélioration, mais nous, on ne croit pas que ce soit la
responsabilité d'un groupe de travailleurs, dans une entreprise
donnée, d'être obligés de faire des luttes sur une
responsabilité collective du peuple québécois.
M. Biron: Est-ce qu'aujourd'hui, vous diriez qu'il y a 85%, ou
plus, ou moins, de conventions collectives qui sont uniquement en
français, le texte de la convention même, ou si vos conventions
sont encore bilingues?
M. Laberge (Louis): Je pense que ce serait fort
exagéré de dire 85% uniquement en français. Ce serait fort
exagéré. Je pense qu'on est très loin de cela. Très
loin.
M. Biron: Cela veut dire qu'il y a peut-être 50% ou
60%?
M. Laberge (Louis): Evidemment, le dépôt se fait en
français depuis quelques années. Mais uniquement en
français, non. Je pense que cela est bien en deçà de
cela.
M. Biron: Est-ce que vous en avez uniquement en anglais?
M. Laberge (Louis): Uniquement en anglais, c'est fort possible.
On a encore des documents officiels uniquement en anglais. D'ailleurs, on en
fait état dans notre mémoire. Il y a eu énormément
d'améliorations au niveau de nos syndicats affiliés depuis
quelques années, mais il y a encore des membres, chez nous, qui ont de
la difficulté à obtenir les documents officiels en
français. Nous sommes d'accord avec le projet de loi no 1, qui dit que
les associations de salariés devront communiquer avec leurs membres en
français au Québec. On est d'accord. Le bout de chemin qu'il nous
reste à faire, on le fera plus vite, c'est tout.
M. Biron: Est-ce que vous diriez que, depuis une dizaine
d'années, il y a eu une amélioration moyenne ou une grande
amélioration, du côté des relations ouvrières,
à partir de l'anglais au français?
M. Laberge (Louis): II y a eu une amélioration
plutôt moyenne, grâce à des luttes acharnées,
épouvantables, qu'on a été obligé de mener.
D'ailleurs, on l'avait dit au gouvernement du temps, on trouvait cela terrible
que des groupes de travailleurs soient obligés de prolonger des
grèves de plusieurs semaines, parce qu'ils ne pouvaient même pas
discuter leurs griefs en français, comme cela était le cas
à la General Motors, à la United Aircraft ou à d'autres
endroits. On trouvait cela terrible.
Il est bon qu'une fois pour toutes, on règle ce problème.
Il me semble qu'il y a d'autres problèmes qu'on doit régler.
M. Biron: Je vous remercie. Mon collègue, le
député...
Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, M. le
député de Lotbinière, il ne reste même pas une
minute enfin, j'accorderais une minute au parti de l'Union
Nationale, mais vu l'heure qu'il est et à cause du règlement,
article 31, au sujet duquel j'ai rendu une directive hier, je devrai vraiment
suspendre à 18 heures. Je vais demander aux porte-parole du groupe qui
est devant nous, la FTQ, s'ils sont disposés à revenir avec nous
à 20 heures. Cette fois-là, il n'y aura pas d'incident de
procédure au salon vert, à l'Assemblée nationale.
II reste présentement dix minutes au parti ministériel. Je
n'ai pas fait le calcul... Il reste cinq minutes au parti de l'Opposition
officielle et une minute au parti de l'Union Nationale. Cela fait un total
d'environ seize minutes, plus vos interventions. Je vous demande votre opinion
avant la suspension.
M. Laberge (Louis): II reste combien de temps?
Le Président (M. Cardinal): Environ 17 minutes.
M. Laberge: 17 minutes. Evidemment, on aurait
préféré pouvoir vider notre sac maintenant, mais si vous
nous demandez de revenir...
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le
député de Vanier.
M. Bertrand: Le consentement unanime n'est pas possible.
Le Président (M. Cardinal): L'article 31 me paraît
vraiment impératif. Vous savez ce qui s'est passé à
l'Assemblée nationale tantôt. Cela a été la raison
pour laquelle, d'ailleurs, les partis de l'Opposition s'y sont opposés.
Je ne voudrais certainement pas créer un nouveau débat de
procédure à cette commission. J'aimerais mieux que nos
invités reviennent plutôt que nous discutions pendant 17 minutes
de la procédure. Je leur demande à nouveau quelle est leur
intention.
M. Laberge (Louis): Vous savez que nous sommes toujours
là, même quand il y en a qui souhaiteraient nous voir
ailleurs.
Le Président (M. Cardinal): Sur ce, il n'est pas tout
à fait 18 heures, mais comme je n'aime pas couper les
délibérations, les travaux de cette commission sont suspendus
jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 heures)
Reprise de la séance à 20 h 7
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Je vais demander aux députés de regagner leurs fauteuils.
Nous avons quorum. C'est la même séance qui se continue. Il n'y a
donc pas de procédure préliminaire. Je demande aux
représentants de la FTQ de se présenter et j'accorde la parole
à Mme le député de L'Acadie. Il reste... Oui, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, j'aurais une question de
règlement à soulever, parce que cela concerne les travaux de
cette commission.
Vous vous souvenez que le jour de l'ouverture de nos travaux à
cette commission, il y a deux semaines, nous avions présenté
quelques motions qui concernent les travaux de la commission. Dans le but de
hâter le commencement des auditions, nous avions convenu de reporter
à plus tard certaines autres motions que nous avons à
présenter à cette commission. Alors, dans le but d'aider le
président, comme naturellement, président de la commission et la
commission parlementaire dans l'organisation de ses travaux, j'aimerais aviser
la commission et le président que demain soir, à la séance
qui sera tenue conformément à l'avis que nous avons reçu
du leader parlementaire du gouvernement cet après-midi, nous aurons
quelques motions à présenter. Je vous en donne avis maintenant,
M. le Président, pour que vous puissiez organiser les travaux de cette
commission, de façon à ne pas convoquer trop d'intervenants.
Je n'ai pas d'idée naturellement, de quelle façon le
débat sur ces motions se déroulera; cela dépend en grande
partie de la capacité du gouvernement, du ministre et des
députés ministériels, de comprendre et d'admettre le
bien-fondé de nos motions. Mais quand même, par courtoisie
à l'égard de nos invités, je pense qu'en vous donnant avis
ce n'est pas prévu par le règlement, c'est strictement par
courtoisie 24 heures à l'avance, cela pourra aider le
président qui a reçu une sorte de mandat unanime de la commission
quant à la convocation, l'aider à faire en sorte que les
débats sur nos motions, demain soir, n'aient pas comme effet de faire de
l'obstruction ou, enfin, de faire attendre les intervenants qui auraient
autrement été convoqués à cette commission pour
demain soir.
Alors, peut-être que ces motions seront traitées de
façon rapide. Je ne sais pas. Je sais que le règlement
prévoit que des droits de parole sont prévus pour chacun des
députés. C'est dans le domaine des possibilités que
ça prenne quelque temps, et j'aimerais, maintenant, ayant
été avisé de notre intention de présenter quelques
motions qui concernent les travaux de cette Chambre, je ne peux naturellement
pas vous dire ce qu'elles seront, et vous ne pouvez pas, M. le
Président, déterminer si elles sont recevables, parce que vous ne
les connaissez pas, mais tout ça est dans le domaine, naturellement, de
l'hypothèse. Quand même, je pense que comme Opposition officielle,
c'est de notre devoir, pour aider les travaux de la Chambre, de vous en donner
avis d'avance, afin que vous fassiez en sorte que, demain soir, il n'y ait pas
trop de personnes qui soient ici pour attendre d'être entendues, parce
que je pense que nous aurons à délibérer pendant un
certain temps quand même sur un certain nombre de motions.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Oui, si vous permettez... Oui,
d'accord, madame.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais ajouter un point. C'est que j'ai
également remarqué je ne sais pas si c'était une
entente à laquelle nous sommes arrivés ou vous en avez simplement
décidé vous-même, ce qui est certainement votre droit
que demain, au lieu de cinq groupes, vous en avez convoqué six.
Il s'agit d'organismes assez considérables. Même si nous
siégeons demain soir, il faut quand même compter que demain midi
nous écoutons la séance du matin d'une heure. Je pense que ceci
justifie d'autant plus les remarques du député de
Marguerite-Bourgeoys pour que vraiment nous évitions des incidents qui
pourraient être désagréables pour les invités.
Le Président (M. Cardinal): D'accord, Mme le
député de L'Acadie.
M. le député de Marguerite-Bourgeoys, je vous remercie de
l'avis que vous me donnez et qui n'est pas nécessaire en vertu du
règlement, parce qu'en commission parlementaire toute motion peut
être faite sans être annoncée, sauf le problème de la
recevabilité.
Je dois cependant souligner, pour rétablir certains faits, que
j'ai considéré le pouvoir qui m'a été
accordé le premier vendredi des séances de cette commission comme
terminé, et je l'ai indiqué. Depuis vendredi de l'autre semaine,
je m'en suis tenu aux règlements et à la convocation de sept
jours. Ce n'est pas le président de la commission qui a convoqué
cinq, six ou sept organismes ou individus. J'ai repris l'usage qui voulait que
le secrétariat de la commission, avec le ministre ou les collaborateurs
du ministre, établissent la liste des organismes convoqués,
c'est-à-dire que je ne tiens pas responsable le ministre d'Etat au
développement culturel, mais je n'ai plus cette responsabilité
depuis la semaine dernière où il y avait du temps à
rattraper.
Bien sûr, si les motions sont recevables, nous devrons les
débattre selon les délais prévus à l'article 160
qui a été invoqué au début et qui donne un droit de
parole aux députés et aux représentants
ministériels, droit de parole limité, mais quand même qui
prend un certain temps...
M. Lalonde: A tous les députés...
Le Président (M. Cardinal): Oui, à tous les
députés parce qu'une deuxième motion a été
adoptée à cette commission qui fait que tous les membres de
l'Assemblée nationale, non pas 110 comme on vient de le dire, parce que
cela exclut le
président et les deux vice-présidents, peuvent intervenir,
sans que la commission n'ait à accorder aucune permission.
Je prends note de ce fait ainsi que le ministre et je demande au
ministre d'Etat au développement culturel s'il a quelque chose à
ajouter...
M. Laurin: On s'ajustera.
Le Président (M. Cardinal): Alors, nous tenterons de nous
ajuster dans la mesure du possible et, très sincèrement, je vous
remercie de votre avis. Je me préparerai en conséquence et ceci
dit, sans aucun sens qui ne soit perçu sur le plan politique, mais
uniquement sur le plan de la conduite de ces travaux.
Y a-t-il d'autres interventions?
Une Voix: Le respect des droits.
Le Président (M. Cardinal): Justement, c'est purement une
question de respect des droits des députés. J'ai dit au
début que c'était un exercice patient de la démocratie.
Nous le continuerons et sur ce, je rappelle que Mme le député de
L'Acadie a le droit de parole...
Mme Lavoie-Roux: Je m'excuse. J'avais déjà
parlé. Je pense que c'est...
Le Président (M. Cardinal): En fait, c'était votre
parti...
Mme Lavoie-Roux: Oui.
Le Président (M. Cardinal): II reste cinq minutes au parti
de l'Opposition officielle. C'est le député de Jacques-Cartier
qui demande la parole?
M. Saint-Germain: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Jacques-Cartier.
M. Saint-Germain: Nos invités ont mentionné, un peu
avant l'heure du dîner, qu'il se pourrait qu'il y ait des
répercussions au point de vue du développement économique
avec l'application d'une telle loi et ils ont d'ailleurs, si je ne m'abuse,
conseillé au gouvernement, sans être permissif, d'avoir au moins
une certaine capacité d'adaptation dans l'application de certains
articles dans certains domaines donnés. Nous avons eu ici des
représentations, entre autres, de laboratoires de recherche du
Québec, de recherche scientifique, nous avons eu aussi des
représentations de sièges sociaux et de certaines industries qui
sont tout de même des industries en production, qui, au point de vue de
la productivité, ont nécessairement besoin de citoyens
étrangers ou du moins de citoyens qui demeurent actuellement en dehors
du Québec. Comme vous défendez les droits des travailleurs et
comme vous avez aussi mentionné cet après-midi que le besoin
fondamental pour un individu, un travailleur, c'est d'avoir un emploi, je sais
pertinemment que vous êtes très sensibilisé au
développement industriel de la province. Ceci dit, je me demande si vous
ne pourriez pas élaborer un peu là-dessus, parce que cela me
semble extrêmement important, considérant qu'il se fait un
consensus, à mon avis, au point de vue de la primauté du
français au Québec et ceci, dans tous les partis politiques et
dans tous les milieux dans la province. Il semble qu'on discute plutôt de
la façon de procéder pour arriver à des buts où un
consensus a été atteint. Ceci dit, je me demande si vous pourriez
expliciter un peu ce point de vue.
M. Laberge (Louis): Ce que nous croyons, c'est que ce qui a nui
le plus au développement économique, cela a été
cette période où on parlait de droits, de privilèges et
personne ne savait où on s'en allait. Le plus vite possible on tranchera
la question, sans devenir arbitraire, bien sûr, ni injuste, le plus vite
possible on tranchera la question, le plus vite tout le monde saura à
quoi s'attendre et nous croyons que ce sera une aide précieuse pour le
développement futur qui se fera peut-être de façon
différente. Mais il y a des choses quand même qu'on ne peut passer
sous silence.
J'écoutais très attentivement ce matin les
représentants de la Banque de Montréal qui nous parlaient de
certains experts ne parlant pas français qui avaient refusé de
venir au Québec devant le climat, il ne l'a pas dit, mais c'est le
climat qui existe depuis le 15 novembre apparemment. Moi, je pensais que le
pire climat avait existé en 1972, c'est du moins ce qu'on nous avait dit
à maintes reprises. Mais, apparemment, pour certains, c'est depuis le 15
novembre 1976. Cela, je pense que c'est vraiment profiter d'une situation
malheureuse. Je ne crois pas, et on a lu bien attentivement le projet de loi no
1, qu'on puisse y retrouver quelque empêchement que ce soit pour une
entreprise qui a besoin de lumière de l'extérieur de les amener.
Et, comme le député de Verchères, M. Charbonneau, je
pense, a posé la question: Quand vous nommez ou envoyez des
représentants en France, qu'arrive-t-il de leurs enfants? Il a dit: Je
ne peux répondre à cette question. Bien sûr, il pouvait
répondre à la question. Les enfants des gens qui vont en France
vont à l'école française ou on leur paie des cours
privés. Enfin, nous sommes bien placés pour savoir que, dans bien
des cas, il y a des entreprises qui dépensent des sommes assez
rondelettes pour faire venir des gens d'ailleurs, d'en dehors du Québec,
et cela se fait couramment. C'est sans critique que nous disons cela. On sait
que cela se fait. A ce moment-là, on dépense même pour
déménager le chat, le chien, le serin et le perroquet.
Non, mais c'est un fait. Pourquoi est-ce que ce serait un
empêchement, si, à un moment donné, ces gens
décident que le réseau d'éducation publique du
Québec ne fait pas leur affaire, à payer des cours privés
aux enfants que ces gens peuvent avoir? C'est drôle, mais ces gens,
apparemment, sont des gens à grosses familles et ça devient une
objection majeure. Je pense que ça, c'est peut-être un peu de
démagogie. Je ne pense pas que la situation soit aussi terrifiante ni
terrible que ça.
Nous crayons que ce que le français, langue de travail, veut tout
simplement dire, c'est qu'à partir de maintenant, au Québec,
où à partir de demain ou d'après-demain, un travailleur
unilin-gue français pourrait gagner sa vie dans sa langue.
C'était rendu que ce n'était même pas le cas pour le
balayeur. Je suis allé à Toronto dernièrement et je
m'adressais dernièrement aux délégués du Conseil du
travail de Toronto. Je leur ai posé la question: Est-ce que vous croyez
que c'est raisonnable que, pour balayer le plancher dans nos usines, il faille
que les Québécois sachent l'anglais? Et il n'y avait aucune
réaction. J'ai reposé la question: Est-ce que l'anglais est
nécessaire pour balayer les planchers? Aucune réaction.
J'ai dit: Si cela a l'air nécessaire comme cela en a l'air, les
unilingues anglais balaieront le plancher demain.
J'ai exagéré, évidemment, mais c'était pour
démontrer le ridicule de la situation. Il y a des emplois au
Québec où l'anglais continuera d'être la langue de travail,
sans aucun doute. Je pense à l'expert, au technicien, au supertechnicien
qui, quelque part, est en communication constante avec Vancouver. Je sais bien
que moi, si je m'en allais travailler à Vancouver, je ne m'attendrais
pas d'aller travailler là en français, et si j'avais des enfants
qui fréquentaient l'école, je sais qu'ils fréquenteraient
l'école anglaise. La "patente" que les Français, dans les autres
provinces, ont le droit d'envoyer leurs enfants à l'école
française, c'est beau dans les discours et dans les communiqués
de presse, mais en réalité, ce n'est pas la situation. On sait
cela.
En d'autres mots, on sait qu'il y a des accommodations qui devront
être faites. On sait que dans certains cas, cela va perturber les
relations entre certains travailleurs et certains cadres à
l'échelle inférieure. C'est peut-être un peu moins vrai
à l'échelle intermédiaire ou à l'échelle
supérieure. Là, on est moins en contact avec les autres.
Il me semble qu'on devrait arrêter de charrier sur cette question.
Le plus vite on va en arriver là, le plus vite tout le monde va
être à l'aise, sachant très exactement à quoi s'en
tenir et le plus vite on pourra corriger des choses qui doivent être
corri gées. En d'autres mots, nous autres, on ne veut pas, bien
sûr, qu'il y ait un tas de gens qui perdent leurs emplois, parce qu'on
décide demain que le français est la langue de travail. Mais s'il
fallait que ce soit cela le prix à payer, on le paierait. Mais il y aura
d'autres coûts, sans aucun doute.
M. Saint-Germain: Très bien, vous avez donné votre
philosophie, votre façon de voir. Mais ne pourriez-vous pas être
plus précis, relativement à certaines industries, à
certaines entreprises ou groupes d'entreprises du Québec, comme ies
laboratoires de recherche ou les sièges sociaux, par exemple?
M. Laberge (Louis): II est bien connu que toutes les recherches
scientifiques sont faites en anglais, comme la pasteurisation et une couple
d'autres comme cela. Mais pour être plus sérieux dans ma
réponse, il y aura des problèmes, c'est sûr. Je connais des
industries où le comité de francisation et c'est pour cela
que c'est important qu'il y ait des travailleurs qui siègent sur ce
comité fera face à des situations bien précises. Je
pourrais mentionner Canadair.
Il a été un temps où, travailler en
français, à Canadair, c'était impossible. Enfin, tous les
manuels étaient anglais et tout le reste était anglais. Les
expressions comme les "boulons" et tout le reste, cela nous semblait ridicule
dans le temps, mais pourtant, avec le temps, c'est devenu plus familier. Mais
il peut y avoir des occasions où Canadair recevant un sous-contrat d'une
compagnie anglaise ou américaine, le coût pour faire la traduction
des manuels, des données, des "bleus", des dessins et de tout le reste
pourrait devenir tellement fantastique que cela voudrait probablement dire la
perte de ce contrat.
S'il y a un comité de francisation, s'il y a des gens qui
essaient d'administrer une loi qui est claire avec des objectifs précis,
ils prendront ce cas en considération, mais il y a d'autres
entreprises... Puis-je vous rappeler Air Canada? Qu'un mécanicien soit
de langue française ou anglaise, j'ai travaillé dans
l'aéronautique et je peux vous dire qu'il y a des mécaniciens
aussi talentueux de langue française que de langue anglaise... Il n'y a
aucune raison au monde pour qu'à Air Canada tout se fasse en anglais. Il
y a eu de ces cas où l'exagération était évidente,
où il n'y a eu aucun progrès, malgré qu'il y ait eu du
progrès ailleurs. Il faut reconnaître cela, il y a eu des
progrès ailleurs.
C'est pour cette raison qu'on dit: II faut que la loi soit claire, soit
précise, que les objectifs soient bien définis, mais il faut
aussi que l'application se fasse avec souplesse; mais on le dit tout de
suite l'appliquer avec de la souplesse ne veut pas dire l'appliquer avec
mollesse.
M. Saint-Germain: Quand vous dites l'appliquer avec souplesse,
est-ce que les endroits où elle devrait être appliquée avec
souplesse devraient être dans les règlements, dans la loi, ou
laissés à la discrétion de ceux qui auront à
appliquer la loi?
M. Laberge (Louis): Les comités de francisation et le
conseil consultatif où un tas d'organismes vont être
représentés, c'est à cela qu'ils devraient servir. Je suis
convaincu qu'il y a des endroits où la loi devra être
appliquée avec plus de souplesse qu'à d'autres, je suis convaincu
de cela. Vous allez me dire: Nommez-m'en. Il faudrait commencer à les
regarder cas par cas, mais je suis convaincu qu'il y a des endroits où
la loi devrait être appliquée avec plus de souplesse, mais pourvu
encore une fois... C'est cela qui devient important. On peut faire accepter un
tas de choses aux travailleurs, pourvu qu'ils soient bien informés et
pourvu qu'ils comprennent pourquoi des choses sont faites.
En siégeant dans les comités de francisation, ils auront
à leur disposition un tas d'information qu'ils n'auraient pas autrement.
On sait ce que c'est dans l'entreprise.
Je prends plusieurs de vos collègues à l'As-
semblée nationale, des chefs d'entreprise, et ils vont vous le
dire. Ce n'est pas vrai que les chefs d'entreprise ont le temps de penser
qu'à un moment donné, il peut manquer une certaine information
à leurs travailleurs, concernant quelque chose qui n'est peut-être
pas primordial à leurs yeux, du moins, dans l'immédiat pour le
succès de l'entreprise, mais il reste que ce sont des choses quand
même importantes. En ayant des représentants des travailleurs
à ces comités de francisation, il y a des choses qu'ils vont
mieux comprendre et qu'ils seront mieux préparés à
accepter. Maintenant, je ne peux pas vous donner de cas d'espèce, sauf
peut-être dans le cas des télécommunications où il
est bien évident que celui qui sera chargé de communiquer
directement avec l'Angleterre... malgré, je pense, qu'il y a plus
d'Anglais en Angleterre qui parlent un très bon français qu'il
n'y a de Québécois anglophones qui parlent le
français.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Jacques-Cartier, très brièvement, s'il vous plaît!
M. Saint-Germain: Si mes collègues n'ont pas d'autres
questions, j'aurais terminé. Je vous remercie.
Le Président (M. Cardinal): Merci. Alors, M. le
député de Lotbinière, avec une minute environ.
M. Biron: M. le Président, merci. J'ai retenu tout
à l'heure de M. Laberge, qui parlait d'exagération, qu'il ne
voulait pas d'exagération, moi non plus, ni d'un côté, ni
de l'autre. Je voudrais qu'on trouve le juste milieu, un projet collectif
où tous nos Québécois, nos Québécoises
pourront se reconnaître. Il faut éliminer surtout les positions
extrémistes. C'est important. Aussi bien du côté
français comme du côté anglais, il faut éliminer ces
positions. J'ai ici devant moi seulement pour vous donner un exemple de
ce qui peut se passer lorsqu'on veut prendre une position extrémiste
un contrat qui est rédigé par une firme de Toronto. Je
donne le nom A & A Records and Tapes, Limited. Ce sont des gens qui
cherchent à travers le Québec et le Canada à vendre des
franchises pour leurs disques ou pour leurs cassettes. Alors, dans un contrat
de sept pages, il y a un seul paragraphe en français. C'est là
que je dis que c'est extrémiste au possible. Je vous lis le paragraphe:
"L'acheteur de la franchise reconnaît avoir exigé que ce contrat
soit rédigé dans la langue anglaise seulement et exige, de plus,
que tout document se rapportant, ayant trait, ou suite au présent
contrat, y compris sans restriction, tout bon de commande, facture et
reçu, soit rédigé dans la langue anglaise seulement."
C'est le seul paragraphe en français dans ce contrat. Mieux que cela,
lorsque la même entreprise, une fois qu'elle a vendu une franchise
à un acheteur Jos Bleau ou autrement, l'acheteur s'en va dans un centre
commercial et à cet endroit, i! essaie de passer un contrat pour avoir
quand même un petit magasin. Sur le contrat du centre commercial, il faut
que le vendeur de la franchise signe, et pour plaire au vendeur de la
franchise, encore une fois, le contrat est en anglais, et il y a un seul
paragraphe en français qui dit: Le locataire et le garant reconnaissent
avoir exigé que le bail et tous les écrits s'y rapportant soient
rédigés dans la langue anglaise. C'est la seule phrase
française qu'on y lit. C'est un centre commercial de Montréal qui
fait cela, Place Versailles, Inc. Vous le connaissez, à
Montréal?
Quand on parle de positions extrémistes, c'en est une position
extrémiste du côté anglophone, et il faut que cela cesse;
mais cela ne nous donne pas une excuse non plus pour prendre une position
extrémiste de l'autre côté. Des choses comme cela... je
comprends des francophones de s'insurger et de critiquer et de chialer. Je les
comprends. Quand on met la main là-dessus, on bout et on se fâche,
nous autres aussi. Des positions comme celles-là il faut
définitivement y mettre fin. Alors, comme la loi va pouvoir mettre fin
à cela maintenant avec le bill 1, quand une entreprise de Toronto qui
fait affaires à Montréal et dont c'est la seule condition de
vente, autrement... Le type qui m'a remis cela, n'a pas voulu signer le
contrat. La compagnie A & A Records and Tapes, Limited a dit: Si tu ne veux
pas signer cela, c'est dommage, on ne fait pas de contrat ensemble. C'est une
condition sina qua non. Il faut que tu le signes comme cela et on va faire des
affaires en anglais exclusivement.
Je ne veux pas traiter toutes les entreprises sur le même pied que
A & A Records & Tapes, Limited. Mais on voit quand même que c'est
vraiment pousser trop loin et ça, ça nous fait choquer. Ce ne
sont pas toutes les entreprises qui sont comme ça, heureusement!
M. Laberge (Louis): Cet après-midi, vous me posiez la
question, à savoir s'il y a des conventions collectives unilingues
anglaises. J'ai dit: "Je crois qu'il y en a, mais, vous en nommer, ce serait
peut-être un peu plus difficile". Justement, M. La-brie, qui nous
accompagnait, me fait part d'une chose. Voici une convention collective en
anglais seulement, qui a été signée le 7 décembre
1976. On a pas encore la convention collective en français. Là,
ça fait déjà quasiment six mois et demi. Dans combien de
mois l'aura-t-on? Dieu seul le sait. La dernière fois, cela avait pris
deux ans et trois ou quatre mois. Cela n'a pas d'allure.
Pour ma part, je sais que les membres de langue française, dans
la très grande majorité, comprennent très bien l'anglais
et peuvent même s'exprimer quelque peu en anglais. Mais de là
à comprendre une clause aussi technique qu'une clause de convention
collective ou un article de statut de syndicat, il y a une différence,
il y a toute une marge, et c'est contre ça que les travailleurs se sont
élevés depuis déjà un bon bout de temps et c'est
ça qui doit cesser, à un moment donné. Il faut trancher
dans le vif du sujet, avec le moins de répercussions économiques
possible évidemment.
M. Biron: Je vous remercie. Ce que j'ai cité tout à
l'heure, ce n'est pas vieux. Cela date de juin 1977. Je voudrais quand
même que le ministre se
penche sur ce problème en particulier, des entreprises de
Toronto, qui voudront faire signer des contrats de franchise à un
individu québécois en disant: Le contrat, c'est ça. C'est
rédigé en anglais tout le long avec une clause comme ça.
Je pense que ça vaut la peine de voir si, au point de vue légal,
ces gens-là ont actuellement le droit de le faire ou si l'acheteur n'ira
pas dire: Je demeure à Toronto pour les fins de ce présent
document. Je pense que ça vaudrait la peine de l'étudier
convenablement, quand on a un contrat de sept pages avec un seul paragraphe en
français qui nous dit que c'est l'anglais qui est la langue
officielle.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Daoust, vous
aviez demandé la parole. Je m'excuse.
M. Daoust: Oui, je voulais reprendre certaines parties de
l'exposé du député de Jacques-Cartier au sujet des
répercussions économiques. C'est entendu qu'il y aura des
répercussions économiques. Selon nous, elles seront minimes, et
je pense qu'il faut faire un parallèle entre les répercussions
économiques et les incroyables tensions entre les divers groupes
ethniques au Québec, qui n'ont pas atteint à ce moment-ci
à une connotation explosive, mais qui pourraient, à plus ou moins
long terme, provoquer des perturbations sociales qui, elles, provoqueraient des
drames sur le plan économique, à moins qu'une loi sans
extrémisme c'est notre prétention à l'égard
du projet de loi qui est déposé devant vous ne soit
adoptée dans les plus brefs délais. Il y a trop d'espoirs qui ont
été contenus au Québec. Il y a trop de frustrations qui se
manifestent. Il y a trop de drames individuels vécus par les
francophones qui pourraient éventuellement provoquer ces drames qu'on
n'ose même pas appréhender, mais qui le seraient, à moins
de cette volonté manifeste d'un gouvernement qui tâcherait de
régler le problème une fois pour toutes. C'est ce qui justifie
notre appui quasiment inconditionnel au projet de loi qui est devant nous.
Le Président (M. Cardinal): Vous n'aviez plus que quelques
secondes, mais je vais vous les accorder quand même.
Le député de Jacques-Cartier. Quelques secondes...
M. Saint-Germain: Vous avez bien raison. Cela fait combien
d'années qu'on parle de la langue au Québec et même sous
trois gouvernements? On ne semble pas avoir réussi à
résoudre le problème, mais, pendant ce temps, on a fouetté
à blanc, si vous voulez, le nationalisme canadien-français et on
a eu des réactions extrêmes dans d'autres milieux opposés.
Je suis complètement de votre avis. Ce n'est pas une situation qu'on
peut vivre éternellement.
D'ailleurs, pendant qu'on discute de tout ceci, il y a des
problèmes extrêmement importants au Québec qu'on laisse de
côté et ces problèmes qu'on oublie sont réels ou ne
le sont pas. S'ils sont réels, ils réapparaîtront toujours
parce qu'on peut masquer la réalité des choses, mais la
réalité des choses réapparaît toujours à un
certain moment.
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Vanier. Vous allez terminer cette audition.
M. Bertrand: Avant de commencer, une petite parenthèse sur
les dernières remarques du député de Lotbinière. Il
décrivait un texte de contrat pour l'obtention d'une franchise qui
était rédigé presque uniquement en anglais et il
décrivait cette situation comme une situation d'extrémisme et il
disait qu'il ne fallait pas tomber non plus dans l'extrémisme
contraire.
Je pense que le choix des mots est important là-dedans et qu'il
décrivait beaucoup plus une situation inacceptable qu'il s'agit de
convertir en situation acceptable. Je pense que, si ce texte avait
été rédigé uniquement en français, cela ne
serait pas pour autant de l'extrémisme; cela serait tout simplement une
situation acceptable dans le contexte du marché québécois
pour une telle entreprise qui veut faire affaires avec des clients
québécois.
Quant au mémoire présenté par la
Fédération des travailleurs du Québec, je voudrais d'abord
dire ma très grande satisfaction de noter que c'est peut-être un
des bons mémoires qui, tout en affirmant de façon très
solide les droits de la majorité francophone, se montre en même
temps extrêmement tolérant et respectueux face aux
minorités et est empreint cela m'a surpris jusqu'à un
certain degré, je vous le dirai de beaucoup de modération,
de souplesse et de suggestions fort positives, entre autres sur la constitution
de l'Office de la langue française, sur le comité consultatif,
sur l'apprentissage de la langue française. Même, ce
mémoire se permet une petite remarque, je pense, adressée a bon
droit à ceux qui ont rédigé le projet de loi, à
l'article 112, qui dit que, pour atteindre les objectifs, il faut augmenter le
nombre de Québécois a tous les niveaux de l'entreprise, comme si
le mot "Québécois" ne pouvait refléter que les
francophones à l'intérieur du Québec! Au contraire, comme
vous l'avez signalé avec beaucoup de justesse, tous les citoyens
résidant sur la terre québécoise doivent être
considérés comme des Québécois et non pas seulement
les francophones.
Alors, à tous ces points de vue, je voudrais simplement vous
féliciter pour votre excellent mémoire et vous poser un certain
nombre de questions. Entre autres, aux pages 8 et 9 de votre mémoire, je
lis certaines lignes et je voudrais vous poser une ou deux questions.
A la page 8, vous dites: "...le gouvernement a choisi, par l'article
172, de modifier la Charte des droits et libertés de la personne. Cette
modification, en supposant qu'elle soit la conséquence d'une analyse
fondée en droit, constitue en fait une attaque au caractère
semi-fondamental de la Charte des droits." Et, à la page 8, vous dites,
à la fin du deuxième paragraphe: "II nous apparaîtrait plus
conforme au respect des droits démocratiques qui a toujours animé
ce parti maintenant au
gouvernement d'amender plutôt la Charte des droits, dans un
processus législatif indépendant de la législation
linguistique."
Ma première question est de vous demander ce que cela veut dire
exactement cette expression que la Charte des droits et libertés de la
personne constitue en fait une charte au caractère semi-fondamental?
Deuxièmement, qu'est-ce que cela pourrait vouloir dire, à votre
avis, "incorporer à la Charte des droits et libertés de la
personne un ou plusieurs articles faisant référence à des
droits collectifs"?
M. Laberge (Louis): Une loi qui parle de principes
semi-fondamentaux est une loi subrogée par une autre loi, comme c'est le
cas, actuellement. Ce qu'on dit, nous, c'est que le Parti
québécois, qui était l'Opposition dans le temps, la FTQ et
un tas d'autres organismes tant syndicaux que nationaux voulaient faire de la
Charte des droits de l'homme une loi qui contienne des principes fondamentaux.
Ce qu'on dit, c'est: Pourquoi ne mentionnerait-on pas dans la Charte des droits
des énoncés de principes en ce qui a trait aux droits de la
collectivité qui ne soient pas nécessairement discriminatoires
vis-à-vis des droits individuels, au lieu de subroger la Charte des
droits, du moins une partie, à une autre loi. Le principe en jeu, si on
en atténue les principes fondamentaux, certains principes fondamentaux
par cette loi-ci, la question pourrait facilement se poser... Combien d'autres
lois viendront aussi réduire le caractère fondamental des
principes énoncés dans la Charte des droits?
M. Bertrand: Est-ce que je vous comprendrais bien, est-ce que je
vous interpréterais bien, M. Laberge, si je disais qu'à votre
point de vue, selon la Charte des droits et libertés de la personne
individuelle à certains articles et comme personne collective à
d'autres articles?
M. Laberge (Louis): Je pense que le droit collectif doit aussi
être mentionné dans la Charte des droits, oui. Par exemple, si
vous me le permettez, si la loi no 1 défendait à tous les autres
Québécois, les allophones, leurs associations culturelles, leurs
droits d'échanger entre eux dans leur langue, ces choses-là, je
pense que cela deviendrait de la discrimination. Ce serait attaquer les droits
de la personne. Mais qu'on proclame bien haut le droit de la majorité de
s'exprimer dans sa langue, je ne crois pas que cela puisse être
interprété, sauf par ceux qui veulent charrier, comme de la
discrimination.
M. Bertrand: Est-ce que vous aviez réfléchi
à une proposition possible de texte pouvant s'incorporer à la
Charte des droits et libertés de la personne ou est-ce uniquement sous
forme de principe que vous avez discuté cela?
M. Laberge (Louis): Je pense qu'il serait assez facile de
demander à des gens qui s'y connaissent mieux que nous de
préparer des textes bien pré- cis, si c'est cela dont vous avez
besoin, mais on se fiait à vos connaissances très larges.
M. Bertrand: Merci beaucoup, M. Laberge. Aux pages 2 et 3 de
votre mémoire, il est dit à un moment donné: "La
première constatation, c'est que, malgré des améliorations
notoires sur le plan de la francisation qu'ont vécu les employés
de plusieurs grandes entreprises installées au Québec, cela n'a
pas suffi pour changer de façon durable et profonde les règles du
jeu en faveur de la majorité". A la page 3, vous dites: "La FTQ
félicite le gouvernement d'avoir su introduire ces
éléments de nature dirigiste, car le passé nous a
prouvé qu'ils étaient nécessaires. Nous voyons dans cet
interventionnisme et cette coercition une condition de départ à
la francisation réussie du Québec". A la page 25, à la
fin, vous dites: "La loi 22 était remarquablement vide à cet
égard on parle de la francisation des entreprises et la
réglementation tardive, si elle ne corrigeait pas certaines lacunes,
apporta des éléments qui auraient davantage convenu à la
législation de par leur nature".
J'ai quelques petites questions. Premièrement, vous semblez donc
conclure que les méthodes incitatives n'ont pas été
suffisantes, même s'il y a eu des améliorations, et vous le notez,
pour permettre de vraiment dire que le français est devenu la langue de
travail. Deuxièmement, vous vous ralliez à une position qui soit
plus coercitive, plus dirigiste et troisièmement, vous notez que le bill
22 n'a pas eu les effets bienheureux que certains auraient voulu lui voir.
Ce matin, l'ex-solliciteur général a fait mention,
à un moment donné, qu'on aurait pu donner sa chance au bill 22 et
que si on avait poursuivi avec le bill 22, sans doute qu'on aurait eu d'ici
quelques mois, ou quelques années, des résultats qui n'auraient
pas nécessité l'utilisation de méthodes plus dirigistes
j'emploie vos termes ou plus coercitives, que l'emploi des
méthodes incitatives, si on avait donné sa chance au bill 22,
nous aurait permis de réaliser les objectifs qui étaient de faire
du français la langue du travail. Je voudrais avoir votre opinion
là-dessus.
M. Laberge: Je pense qu'il est assez clair, depuis nombre
d'années, disons, sans vouloir me reporter d'une façon
très exacte dans le temps, depuis une dizaine d'années, quelles
sont les aspirations des Québécois au point de vue de la langue,
c'est assez clair.
Je pense que tous les employeurs qui ont compris les aspirations
naturelles des Québécois de pouvoir travailler dans leur langue
se sont rendus à l'évidence et ont fait des progrès dans
leurs entreprises. Je pense que les autres, il faut les amener à les
faire, c'est aussi simple que ça. Moi je me souviens que le premier
ministre du temps, Robert Bourassa, on l'avait appelé et il
s'était directement impliqué; il n'avait pas hésité
et il nous a avoué sa totale incapacité de forcer General Motors;
les gars étaient en grève et il n'y avait que ça qui
retardait, depuis quelques semaines, le retour
des gens au travail. Il s'était trouvé totalement
impuissant.
Ceux qui ont voulu être incités par les mesures incitatives
de toutes les lois et de toutes les discussions qui ont suivi depuis quelques
années au Québec, je pense qu'ils l'ont fait. Cela ne veut pas
dire qu'il n'y en a pas d'autres qui ne sont pas encore prêts à
faire des pas, mais je pense qu'il y a des employeurs qui ne les feront jamais.
D'ailleurs, vous avez vu la répugnance à peine voilée d'un
certain représentant du patronat ce matin, lorsqu'il s'est agi d'avoir
des représentants des travailleurs aux comités de francisation;
c'était quasiment scandaleux qu'un gouvernement ait le culot de proposer
quelque chose comme ça. Vous avez vu ça chez le porte-parole de
la Banque de Montréal. Il ne savait plus comment appeler ça, un
ouvrier, il trouvait ça trop bas, un salarié, il a cru nous
relever en s'abaissant à se décrire comme salarié. Il
aurait pu rester dans sa niche, ça ne nous dérangeait pas du
tout.
Mais c'est une répugnance à peine voilée. C'est de
ça justement qu'on a soupé. C'est pour ça que nous, jamais
cela ne nous est arrivé d'être aussi globalement en faveur d'un
projet de loi, avec toutes les nuances qu'on a déjà
décrites, qu'on a répétées et on est prêt
à continuer à travailler dans ce sens. On ne veut faire mourir
personne, ni disparaître aucune entreprise. Mais le moment est venu pour
les Québécois de pouvoir dire à tout le monde qu'ils
peuvent gagner leur vie dans leur langue.
M. Bertrand: Une dernière petite question, M. Laberge.
Est-ce qu'à votre connaissanoe, il existe plusieurs entreprises au
Québec, enfin, il en existe pour sûr, mais est-ce qu'il existe un
grand nombre d'entreprises où la très grande majorité des
employés sont des anglophones ou même des entreprises où
80%, 85%, 90% des employés sont des anglophones?
M. Laberge: II y en a parmi les entreprises les plus payantes.
Non, il ne faut pas se payer de mots, il y a eu des chasses gardées, il
y en a même dans l'industrie de la construction.
M. Bertrand: Comment transposer le problème de la
francisation dans ces entreprises?
M. Laberge: Evidemment, il va y avoir quelques flammèches,
mais on a des pompiers. Non, non, encore une fois, il ne faut pas se payer de
mots. Une fois que la loi sera adoptée, que les objectifs bien clairs
seront déterminés et compris par tout le monde, la
majorité des flammèches vont disparaître
d'elles-mêmes, il y en aura quelques-unes, sans aucun doute. C'est
là qu'on demandera au gouvernement d'agir avec souplesse, bonne entente
et compréhension.
Mais nous sommes convaincus que, dans la vaste majorité des cas,
la transition va se faire sans trop de mal.
M. Bertrand: En terminant, je voudrais simplement, M. le
Président, souligner qu'un des mé- moires, je pense que c'est
à la page 11, fait référence à un fait, et je
trouve ça heureux, parce qu'on tend à l'oublier dans ce
débat sur la question linguistique. Depuis le début, en
commission parlementaire, on s'arrête la plupart du temps à parler
des droits de la minorité anglophone ou des minorités, des
différents groupes ethniques à l'intérieur du
Québec, comme si on ne réalisait pas que le vrai problème
n'est pas de cet ordre. Je pense que la Charte de la langue française
voit son existence nécessitée par le fait que la bataille
à mener n'est pas celle d'une minorité anglophone qui verrait ses
droits brimés à l'intérieur du Québec, mais bien
d'une minorité francophone qui, à l'intérieur de
l'Amérique du Nord, a de la difficulté à se maintenir
comme collectivité.
Je pense que, lorsqu'on se le refait dire, à l'occasion, comme
vous le faites, dans votre mémoire, à la page 11, ça nous
ramène dans les justes proportions que doit avoir ce débat sur la
question linguistique.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le
député de Vanier.
M. le député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: M. le Président, est-ce qu'il reste du
temps au parti ministériel?
Le Président (M. Cardinal): Non.
M. de Bellefeuille: Même pas une minute?
Le Président (M. Cardinal): II ne reste de temps à
personne.
M. de Bellefeuille: Une minute?
Le Président (M. Cardinal): Non, je regrette...
M. de Bellefeuille: J'aurais voulu M. le Président, que
vous me permettiez...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Deux-Montagnes...
M. de Bellefeuille: ... avec le consentement unanime, dire
pourquoi je voulais intervenir?
M. Lalonde: Non, pas de consentement. M. de Bellefeuille:
Merci, M. le député.
Le Président (M. Cardinal): Sur ce, j'accorderai quand
même, non pas une réplique...
M. de Bellefeuille: J'aurais voulu, M. le Président,
profiter de l'occasion pour permettre à Normand Labrie de la General
Motors, d'expliquer un peu plus complètement ce qui s'est passé
là. M. le député de Marguerite-Bourgeoys m'en a
empêché, je l'en remercie.
M. Lalonde: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Question de règlement, quand même.
M. de Bellefeuille: Oui, oui.
M. Lalonde: Si le monsieur qui a été
mentionné par le député de Deux-Montagnes avait eu
l'intention d'intervenir, il y a quand même une heure et demie au moins
que nous avons entretenu une conversation avec les représentants de la
FTQ. Les remarques du député de Deux-Montagnes, je pense, ne sont
pas tout à fait bienvenues. Il semble vouloir faire penser que j'ai
bâillonné le représentant de la General Motors, j'aurais
été intéressé de savoir ce qu'il avait à
dire. Il avait une heure et demie pour le faire.
M. de Bellefeuille: M. le Président, le
député vient de me prêter des intentions, ce qui n'est pas
permis par le règlement.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Justement,
j'étais pour interrompre le député de... A l'ordre, s'il
vous plaît! J'étais pour interrompre le député de
Marguerite-Bourgeoys. On le sait, en vertu d'une décision rendue par un
président, le 8 mars 1976, il n'y a pas de question de privilège
en commission parlementaire. Je ne voudrais pas que ni le député
de Deux-Montagnes, ni celui de Marguerite-Bourgeoys le fasse sous le couvert
d'une question de règlement.
Messieurs, est-ce que vous auriez un mot très bref à
ajouter? Ce n'est pas une réplique, je vous le dis.
M. Laberge (Louis): Très bref, oui. Je tiens à
remercier la commission parlementaire d'avoir bien voulu prendre le temps, tout
d'abord, de lire le mémoire, parce que, apparemment, tous les membres
l'ont lu. On regrette que certains incidents vous aient forcés à
vous abstenir de notre lecture efficace du résumé de notre
mémoire.
Il reste ceci, je pense que le moment est vraiment propice à la
discussion et à l'adoption d'une telle Charte du français.
Je trouve inacceptable qu'au Québec, des partis politiques de
bonne foi se croient obligés de faire toutes sortes de pirouettes en
temps électoral, sur une question aussi fondamentale que celle de la
langue. Je tiens à le souligner, ce ne sont pas des remarques
acrimonieuses que je fais. Des partis politiques de bonne foi, qui se font
charrier par des groupes fortement minoritaires, dans certains comtés,
cela est inacceptable. Le moment est propice à ce moment-ci, il
n'est pas question d'élections nous pouvons discuter de ce projet
de loi qui devrait devenir loi incessamment, afin que, comme l'ont
souligné M. Biron et d'autres, on puisse commencer à s'occuper
des autres problèmes et Dieu sait que nous en avons.
En terminant, nous souhaitons au gouvernement tout le courage
nécessaire pour continuer dans l'adoption de cette loi, de mettre les
objectifs bien précis, bien clairs, et en gardant toujours cette
pensée démocratique vis-à-vis de l'implantation de la loi.
Avec des gens de bonne foi, on peut faire un tas de concessions, que l'on peut
difficilement faire avec des gens qui ne sont pas de bonne foi, sans être
taxé de mollesse.
Encore une fois, nous espérons que vous appliquerez la loi avec
souplesse, non pas avec mollesse.
Le Président (M. Cardinal): M. Laberge, sur un des points
que vous avez mentionnés, c'est sûr qu'il y a toujours, dans cette
vie parlementaire, des incidents de parcours. C'est prévu dans le
système que l'on appelle démocratique et je dois le faire
respecter. Je remercie M. Laberge, M. Daoust, M. Thiboutot et ceux et celles
qui les accompagnent pour leur exposé et pour avoir répondu aux
questions des membres de la commission. Le ministre et les
députés tiendront compte de ce mémoire.
Merci! J'appelle immédiatement le prochain organisme. Il s'agit
de Bell Canada, mémoire 65. J'inviterais les porte-parole de cet
organisme à se présenter devant nous.
M. De Granpré, bonsoir. Est-ce vous qui présentez le
mémoire?
M. De Granpré (Jean): Oui, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Est-ce que vous pourriez
identifier non pas votre organisme, je pense que tout le monde en parle tous
les jours et s'en sert pour parler, mais ceux qui vous accompagnent ainsi que
vous-même, s'il vous plaît?
Bell Canada
M. De Granpré: M. le Président, M. le ministre, MM.
les membres de la commission, je suis Jean De Granpré, président
du conseil d'administration et le chef de la direction de Bell Canada; à
ma droite M.Raymond Cyr, qui est le vice-président exécutif pour
la région du Québec, et, à ma gauche, M. Paul Hurtubise,
qui est le chef du contentieux pour la région du Québec.
Le Président (M. Cardinal): M. De Granpré,
justement à la suite de cette identification, puis-je vous poser une
question qui va paraître technique? Est-ce que vous représentez
Bell Canada en entier ou la division du Québec?
M. De Granpré: Ou...
Le Président (M. Cardinal): Est-ce que vous
représentez Bell Canada en entier ou uniquement la division du
Québec?
M. De Granpré: Bell Canada en entier.
Le Président (M. Cardinal): D'accord, je m'en doutais,
mais je voulais l'entendre, pour les fins du journal des Débats et de la
commission.
M. De Granpré, vous savez que vous avez vingt minutes. Je sais
que votre mémoire est important. Je viens, à la minute, d'en
recevoir copie.
Vous avez vingt minutes pour le lire ou pour en faire un
résumé, à la suite de quoi la députation a 70
minutes pour vous interroger ainsi que vos collègues.
M. De Granpré: Merci, M. le Président. Je ferai un
résumé du mémoire et je répondrai aux questions par
la suite. Je demanderai à mes collègues également s'ils
ont quelque chose à ajouter aux remarques que je ferai.
Le Président (M. Cardinal): Je vous adresse une
dernière question avant que vous ne commenciez. Si vous ne lisez qu'une
partie du mémoire, désirez-vous que le mémoire soit
annexé en entier au journal des Débats?
M. De Granpré: Oh! je ne vois aucune objection à ce
qu'il soit annexé au journal des Débats.
Le Président (M. Cardinal): C'est votre droit de le
demander.
M. De Granpré: Si vous avez besoin de mon consentement, je
vous le donne.
Le Président (M. Cardinal): C'est accordé,
monsieur. Allez-y.
M. De Granpré: La compagnie que j'ai la
responsabilité de diriger se présente devant cette commission
dans un esprit de collaboration, pour jeter un éclairage particulier sur
un sujet d'une importance capitale pour les Québécois
d'expression française.
J'ai l'impression, à lire les mémoires qui ont
été présentés et à écouter les
représentations qui vous sont faites, que l'avenir de mes compatriotes
dépend du réalisme qui sera apporté à la solution
des problèmes soulevés par le projet de loi no 1.
Si l'économique est laissée pour compte, il n'y aura pas
de progrès social et il n'y aura pas de progrès culturel. Je
pense que, sur ce point, je rejoins le groupe qui m'a
précédé ici et qu'il faudra beaucoup de souplesse si on
veut concilier les divers points de vue qui s'affrontent.
Bell est une entreprise bien particulière et je voudrais vous la
présenter sous ses aspects les plus divers pour que vous puissiez voir
jusqu'à quel point il y a moyen, avec le temps, avec la patience et avec
de la bonne volonté, de franciser une opération et que,
malgré tous les efforts pour franciser d'autres aspects de
l'exploitation, il n'y a pas possibilité de le faire.
Bell est à la fois une entreprise de
télécommunications, et une compagnie de portefeuille ou un
"holding company" qui a près de 70 filiales, qui sont dispersées
a travers le monde.
Tout d'abord, en termes d'actif, Bell Canada et ses compagnies
affiliées représentent le plus important groupe industriel
canadien et le plus grand fournisseur de services de
télécommunication au Canada.
Notre actif est de plus de $8 milliards. Le groupe compte plus de 80 000
employés. Les revenus consolidés en 1977 dépasseront les
$3,5 milliards.
Notre exploitation, soit comme fournisseur d'équipements ou comme
consultant, s'étend à travers le monde. Nous comptons quelque 225
000 actionnaires dont seulement 7% environ sont des francophones. La compagnie
mère de ce groupe, Bell Canada, dessert la majeure partie du
Québec et de l'Ontario et environ la moitié des territoires du
Nord-Ouest.
En 1977, elle investira environ $1 milliard pour continuer à
offrir les services à ses abonnés. Pour des fins administratives,
Bell Canada est divisée en deux régions distinctes, la
région du Québec, la région de l'Ontario. Le siège
social de l'entreprise, lequel constitue une entité administrative
distincte des administrations régionales, est en grands partie
situé à Montréal. Aujourd'hui, le siège social
fournit à lui seul 1700 emplois à Montréal, et ses
dépenses annuelles en salaires et autres coûts reliés aux
salaires sont de l'ordre de $55 millions. Le budget total du siège
social se chiffre par $75 millions.
La région du Québec, pour sa part, compte 16 000
employés et le montant annuel versé en salaires
s'élève à $214 millions. Dans cette région,
particulièrement touchée par le projet de loi no 1, plusieurs
dispositions ont déjà été prises depuis plusieurs
années pour modifier graduellement les activités et donner
à la langue du travail un caractère français. Des
changements ont été réalisés à
l'intérieur d'un cadre et de structures définies, mais avec une
préoccupation constante, celle de ne léser personne de ses
droits.
La filiale Télébec qui a également son siège
social à Montréal est une entreprise exclusivement locale.
Malgré qu'elle soit un siège social, étant donné la
nature de ce siège social qui ne dessert que la province de
Québec, Télébec est une exploitation exclusivement
francophone à 99,9%. Lorsque vous regardez l'autre bras de l'entreprise
Northern Telecom, vous avez un problème différent. Northern
Telecom est établie à Montréal depuis 95 ans. Ses origines
remontent à 1882, alors que Bell Canada fondait à Montréal
une entreprise de fabrication avec treize employés. Aujourd'hui, la
compagnie est une société par actions, multinationale, mais sous
contrôle canadien, fabriquant des équipements et des services de
télécommunication d'une technologie de pointe. Elle est le plus
grand fabricant d'équipements de télécommunication du
Canada et le deuxième en importance en Amérique du Nord.
L'effectif de l'entreprise se chiffre par 17 000 employés au Canada sur
un total de 25 000.
Il y a dix ans, Northern Telecom était essentiellement un
manufacturier fournissant des équipements de
télécommunication au marché domestique, principalement en
Ontario et au Québec pour le compte de sa société
mère, Bell Canada. Aujourd'hui, la compagnie vend ses produits à
des entreprises téléphoniques, des gouvernements, des
institutions militaires, des hôpitaux, des entreprises privées et
beaucoup d'autres entreprises publiques, ainsi qu'à des particuliers
dans toutes les provinces du Canada et dans presque 40 pays, y compris le
marché américain, réputé le plus vaste et le plus
concurrentiel au monde.
II y a dix ans, les implantations de Northern Telecom se trouvaient
surtout au Québec et en Ontario. Aujourd'hui, nous avons vingt-six
usines dans neuf provinces canadiennes, douze autres dans neuf Etats
américains et une dans chacun des pays suivants: Brésil, Irlande,
Malaisie, Turquie. Il y a huit de ces usines au Québec.
Aucune des usines de Northern Telecom au Canada n'est autonome ou
indépendante. Toutes les usines dépendent de l'ensemble et toutes
sont reliées entre elles avec les usines de Northern Telecom aux
Etats-Unis, en Europe, en Asie. L'intégration de l'entreprise et les
exigences du marché interdisent l'isolation d'une partie de la compagnie
et son fonctionnement en tant qu'entité séparée.
Des composants fabriqués dans des usines du Québec servent
aux autres usines du Canada, d'Europe, d'Asie et des Etats-Unis. Inversement,
les usines du Québec utilisent des composants provenant d'autres
provinces. La direction de nos usines québécoises est en rapport
constant avec des fournisseurs, des clients et d'autres usines de Northern
Telecom en Amérique du Nord ou outre-mer.
Lorsqu'il s'agit de la troisième branche de l'entreprise, il faut
regarder les laboratoires de recherche Bell-Northern. Northern Telecom a
dépensé, en 1976, $61,5 millions en recherche, dont treize
millions et un tiers au Québec. Ces frais de recherche au Québec
sont deux fois et demie plus importants que ceux du Centre de recherche
industrielle du Québec.
Une bonne connaissance de l'anglais est essentielle à nos
scientifiques, ingénieurs et techniciens de la recherche et du
développement, tant pour nos cadres intermédiaires et
supérieurs que pour ceux qui travaillent au niveau des laboratoires.
L'anglais est également la langue la plus usuelle en science et en
littérature scientifique. L'usage de l'anglais dans les sciences est
reconnu. La plupart des colloques scientifiques internationaux se font en
anglais. Les données scientifiques des banques d'ordinateurs sont
d'abord mises en mémoire en anglais, même dans les pays non
anglophones. Les scientifiques dont la langue maternelle n'est pas l'anglais
choisiront néanmoins souvent cette langue pour communiquer entre
eux.
Simplement pour vous donner un exemple de ce qui se passe dans nos
laboratoires, il y a près de 41 races différentes qui travaillent
dans les laboratoires et, apparemment, leur seul moyen commun ou leur seul
rapport commun, si vous voulez, c'est la communication en langue anglaise.
Les séminaires que nous offrons aux délégués
de l'Argentine, de la Belgique, du Brésil, du Danemark que nous avons
reçus au cours de l'année dernière, ont, à peu
près sans exception, été donnés en anglais. Les
séminaires qui ont été donnés récemment au
Danemark et auxquels M. Cyr participait se sont donnés à peu
près exclusivement en langue anglaise.
Ceci dit, je voulais vous brosser un tableau aussi rapide que possible
pour vous donner plus de temps pour la période des questions. Tout ceci
pour vous dire que la même administration, avec la même bonne
volonté, a été capable de produire une situation telle que
la partie téléphonie dans la région du Québec a
été francisée à peu près à 95%. Des
chiffres exacts apparaissent à notre mémoire où, à
la page 6, vous verrez que, pour la région du Québec, le
vice-président exécutif est un francophone. Il est à mes
côtés. Les quatre vice-présidents qui sont en charge de la
zone de Québec ou de la zone provinciale, de la zone de Montréal
ou ceux qui font du travail "staff" avec M. Cyr sont également des
francophones. 94,7% des cadres sont bilingues et peuvent donc s'exprimer en
français.
Je pense que nous nous présentons avec une feuille de route qui
est certainement bien recommandable.
Mais lorsque vous parlez de la technologie, lorsque vous parlez de cette
technologie de pointe où il doit y avoir des contacts quotidiens, entre
les chercheurs qui ne sont pas nécessairement dans le Québec, qui
peuvent être en Ontario ou qui peuvent être en Californie ou qui
peuvent être ailleurs, il ne peut plus y avoir cette même
accélération du processus de francisation.
De la même façon, est-il difficile
d'accélérer le processus de francisation au niveau des
laboratoires eux-mêmes, à telle enseigne que, même dans la
région du Québec, alors que nous avons fait des efforts
considérables pour franciser la région, il est difficile
d'imbriquer la région du Québec dans la mise en place de la
nouvelle technologie, parce qu'au moment de la mise en place de cette nouvelle
technologie, il y a des contacts constants avec les laboratoires ou avec la
région de l'Ontario.
Revenant au projet de loi comme tel, nous devons avouer que nous sommes
un peu inquiets de nous présenter devant cette commission de
l'Assemblée nationale sans avoir vu les règlements. Les deux
règlements qui ont été produits ne m'ont pas
particulièrement illuminé, et les règlements qui viendront
par la suite viendront sûrement compléter cette série de
règlements qui donneront un peu de chair au projet de loi.
Nous sommes également inquiets de voir jusqu'à quel point
les règlements peuvent être adoptés sans une participation
de ceux qui sont impliqués dans leur application et nous sommes
également inquiets de voir jusqu'à quel point l'office et les
bureaucrates qui administreront la loi auront également le pouvoir
d'adopter des règlements au lieu de laisser le pouvoir de
réglementation entre les mains des législateurs.
Ce que nous nous demandons, c'est pourquoi un projet de loi comme celui
qui est à l'étude devient-il soudainement nécessaire alors
que, sûrement dans la compagnie au sein de laquelle j'oeuvre et dans
certaines autres compagnies dans lesquelles je suis impliqué, il y a eu
des progrès considérables, nonobstant ce que d'autres peuvent
avoir dit à ce sujet? Et l'aspect coercitif de la loi, l'aspect
revendicateur de la loi, la mise au rancart de certains droits qui
étaient prévus dans la
Charte des droits et libertés de la personne de la province de
Québec me laissent et nous laissent également songeurs.
J'ai exprimé assez souvent mes opinions au sujet du
problème de la loi ou d'un manque de réalisme dans l'introduction
d'un projet de loi en ce qui concerne les sièges sociaux que ce n'est
pas nécessaire que je répète à nouveau mes
appréhensions. Ce que je peux vous dire est qu'à l'heure
actuelle, il y a non seulement des demandes de transfert au Québec qui
sont refusées, même pour des promotions, mais il y a
également des demandes de sortie du Québec, et il y en a
également, non seulement de la part de francophones, mais de la part
d'anglophones, une difficulté de recruter des gens de l'extérieur
pour leur donner une chance de participer à la vie au niveau du
siège social. Ce sont tous ces aspects qui m'inquiètent, parce
que je pense que j'ai exactement les mêmes objectifs, à long
terme, que tout le monde, et c'est d'améliorer le sort de mes
compatriotes.
Je suis inquiet parce que je pense que la méthode qu'on veut
suggérer, le chemin qu'on veut nous indiquer ne travaillera pas dans le
meilleur intérêt de mes compatriotes, mais travaillera à
mon sens au désavantage de ceux qui resteront.
Ceci dit, je demanderai à mes collègues d'ajouter quelques
mots, s'ils le croient nécessaire, sinon, nous pourrons répondre
aux questions. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II vous
reste cinq minutes, si vous voulez les prendre.
M. Cyr: Je voudrais simplement parler brièvement de la
région du Québec comme telle. M. De Granpré a
mentionné que nous comptons maintenant au-delà de 16 000
employés. La langue française est utilisée presque
totalement. On compte maintenant plus de 86% de francophones, quoique j'aie
encore à connaître la définition d'un francophone ou d'un
anglophone. Il y a des anglophones supposément de troisième
génération qui parlent très bien français, qui sont
nés au Québec. Est-ce que ce sont des francophones ou des
anglophones? Dans notre classification, nous y sommes allés par la
consonance des noms. Cela peut encore jouer de vilains tours. De toute
façon, dans la région du Québec, la majorité,
c'est-à-dire 100% de nos employés, comprend le français et
près de 96% ou 97% peut le parler suffisamment pour entretenir des
conversations. Le tout s'est fait avec le temps.
Ce qui nous préoccupe ou ce qui me préoccupe, moi qui suis
de la région du Québec, c'est ce qu'on voit se développer
par rapport à un siège social ou à la région de
l'Ontario. Je dois dire que c'est depuis beaucoup plus longtemps que le 15
novembre. La loi no 1, je pense, est une manifestation additionnelle,
c'est-à-dire qu'on voit peu à peu la région du
Québec, qui peut très bien fonctionner en français,
devenir isolée de tout ce que M. De Grandpré a défini
comme étant la technologie. Il est essentiel pour nous que les
employés qui travaillent dans le domaine de la technologie ce ne
sont pas tous les employés, mais ceux qui travaillent dans ce domaine
puissent avoir une connaissance suffisante de l'anglais pour être
capables d'oeuvrer de façon satisfaisante. Malheureusement, certaines
des propositions qui ont été mises de l'avant... J'entendais le
mémoire de la CEQ qui recommandait d'abolir totalement l'enseignement de
l'anglais à l'élémentaire. Cela me semble une position qui
va à l'encontre de ce que je considère justement comme un facteur
de promotion des francophones.
M. De Grandpré: Me permettrait-on, M. le Président,
et je demanderai à mon collègue, M. Hur-tubise, s'il a quelque
chose à ajouter par la suite. Je voudrais renvoyer les membres de la
commission à l'annexe 2 du mémoire qui, à mon sens, est
significative. J'aurais pu prendre exclusivement des sociétés
dont les sièges sociaux sont à Montréal, mais j'ai voulu
les prendre presque exclusivement à Toronto, parce que je ne voulais pas
qu'on commence une autre bataille sur ce qui s'est passé à
Montréal.
Je voulais tout simplement mettre en évidence ceci: Le profil des
gens qu'on retrouve aujourd'hui, à la tête de grandes entreprises
comme Cominco, qui est à Vancouver, Marathon Realty, qui est à
Toronto, Pancanadian Petroleum, qui est à Calgary, Massey Ferguson,
Imperial Oil, Moore Corporation, Inco et la Banque de Commerce qui sont
à Toronto, de même que la Banque Toronto Dominion et Noranda, le
profil, donc, qu'on a tracé de tous ces chefs d'entreprises
démontre de façon éclatante que tous ces gens-là
ont circulé à travers le monde souvent, sûrement, en tout
cas à travers l'Amérique du Nord et le Canada, avant d'atteindre
le niveau qu'ils ont atteint aujourd'hui. Je voulais vous démontrer le
sens de la mobilité que l'on requiert au niveau du siège
social.
Quand vous voyez des listes où les gens sont allés de
Vancouver à Brocheville, à Montréal, à Yellowknife,
à Winnipeg pour finalement aboutir à Toronto et d'autres qui ont
encore eu des vies moins sédentaires je vois que M. Taylor, de
Pancanadian Petroleum est né en Angleterre, il a étudié en
Oklahoma et il a travaillé en Ontario, finalement à Calgary,
Edmonton, Lloydminster et finalement, il a abouti à Calgary je
pense que le contexte qu'on retrouve dans le projet de loi no 1 va
empêcher la mobilité des cadres et empêchant cette
mobilité, va empêcher certains francophones de participer à
la vie des grandes entreprises canadiennes.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous
remercie beaucoup, M. De Grandpré. Votre temps est malheureusement
expiré et je céderai maintenant la parole à M. le
ministre.
M. Laurin: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord
remercier M. Jean De Grandpré dont je me plais à
reconnaître le brio ainsi que le dynamisme et la vigueur d'expression, de
nous avoir présenté ce mémoire long,
élaboré, intéressant, malgré le désaccord et
l'opposition fondamentale qu'il dit avoir à l'endroit du projet de
loi.
J'aimerais évidemment faire précéder mes questions
et mes remarques par des considérations générales, comme
la compagnie Bell l'a fait elle-même. Malgré ce désaccord
et cette opposition, il y a peut-être des points sur lesquels on peut
s'entendre. Le gouvernement, par exemple, comme Bell Canada, n'accepte pas que
soient brimés les droits linguistiques des individus et qu'on
crée différentes catégories de citoyens avec des droits
différents. C'est précisément pour cette raison que le
gouvernement a choisi de présenter cette loi 1, parce qu'il s'agissait
ici, pour nous, de protéger les droits linguistiques de la
majorité francophone québécoise qui, comme on nous l'a
amplement démontré, depuis plusieurs années et encore une
fois à l'occasion de cette commission, ont été
brimés justement dans des droits, des besoins aussi, des aspirations
tout à fait légitimes. Et il nous a semblé que la loi qui
libère se devait de redresser une situation au bénéfice
des droits individuels d'une très large portion de citoyens
francophones.
Je suis aussi d'accord avec Bell Canada qu'il ne faut pas brimer non
plus les droits linguistiques de la minorité anglophone. Nous pensons
qu'il deviendra clair que nous n'entendons, en aucune façon, brimer les
droits linguistiques des individus anglophones. On peut peut-être leur
demander de renoncer à certaines habitudes, de procéder à
certains ajustements, mais nous ne croyons pas brimer les droits d'une
minorité et des individus qui composent cette minorité quand on
leur laisse tous leurs droits fondamentaux lorsqu'ils sont bien définis
et qu'on leur laisse également tout un réseau institutionnel qui
donne le cadre à leur vie collective dans lequel ils continueront de
pouvoir vivre et de s'épanouir.
De toute façon, la preuve reste à faire que nous portons
atteinte aux droits fondamentaux strictement définis, encore une fois,
et, pour notre part, nous serons très heureux d'engager ce débat,
le moment venu, à l'Assemblée nationale. Je comprends que Bell
Canada ne peut estimer qu'un tel projet de loi ne soit pas nécessaire.
Si j'en juge par les statistiques que Bell Canada vient de nous donner en ce
qui concerne la région du Québec, je suis d'accord avec elle que
si toutes les entreprises s'étaient comportées comme Bell Canada,
en ce qui concerne leurs usines ou leurs sièges régionaux
situés au Québec, une pareille loi ne serait pas
nécessaire.
Mais peut-être que Bell Canada n'a pas raison d'extrapoler ses
constatations faites sur ses propres usines ou sièges régionaux,
à l'ensemble des entreprises québécoises. Je pense qu'il y
a assez de témoignages qui nous ont été donnés que,
malgré des progrès certains qui ont été
effectués au cours des dernières années, il y a encore non
seulement beaucoup de terrain à couvrir, mais également beaucoup
de résistance à vaincre et, malheureusement, ces
résistances appellent, de la part du législateur soucieux du bien
commun, des interventions importantes.
Il ne nous viendrait pas non plus à l'idée de contester la
place éminente de l'anglais dans la vie industrielle, commerciale,
financière, scientifique du Québec. Nous nous en sommes
expliqués à plusieurs reprises.
Mais je ne crois pas que votre associé avait raison de dire que
la Centrale d'enseignement du Québec, pour une part, qui a pour mission
de former nos jeunes, s'oppose à l'enseignement de l'anglais. Pas plus
tard qu'hier, la Centrale d'enseignement du Québec est venue nous dire,
au contraire, qu'elle estimait cet enseignement, cet apprentissage absolument
essentiel, mais que c'est précisément pour en donner aux
francophones une meilleure connaissance qu'elle différait avec certains
tenants de thèses actuellement populaires sur le meilleur moment et sur
les meilleures techniques pour donner à cet enseignement toute son
efficacité.
Si j'ai bien compris le témoignage de la Centrale d'enseignement
du Québec, si elle veut que l'anglais soit enseigné seulement
à partir du secondaire, c'est que, précisément, s'appuyant
sur des recherches sérieuses, elle estime, d'un point de vue
pédagogique, que c'est là le meilleur moment, à la
condition que l'enseignement soit intensif et bien fait, pour que
l'apprentissage de l'anglais soit efficace.
Il ne nous viendrait pas non plus à l'idée de contester le
conditionnement énorme que font subir à la population du
Québec et à la population francophone les institutions
commerciales, scientifiques, financières, industrielles du Canada. Nous
sommes très conscients que nous ne constituons qu'un îlot en
Amérique du Nord, que nous vivons dans un régime capitaliste, que
la richesse des provinces voisines, et surtout de notre voisin du sud,
pèse d'un poids très lourd sur les décisions que nous
pouvons prendre sur le cadre de l'action où nous pouvons situer les
nôtres.
Mais il reste malgré ce poids, cette contrainte, ce
conditionnement que nous admettons, que nous respectons, que nous ne pouvons
pas souscrire à cette idée que toute revendication est inutile ou
injustifiée. Je pense qu'en cette matière, il y a eu plusieurs
mouvements de revendication sur lesquels nous pouvons prendre modèle et
qui étaient justifiés. Que l'on pense, par exemple, au mouvement
ouvrier de revendication, qui, au départ, était très mal
vu par les entreprises, et qui, pourtant, s'est développé et a
amené des progrès, des changements certains, au moins pour une
vaste majorité de personnes qui ont vu leurs aspirations
légitimes reconnues.
Je pense aussi que si les femmes avaient laissé l'oppression
masculine se perpétuer, s'appesantir sur elles sans qu'elles ne
protestent d'une façon de plus en plus vive, au cours des années,
la condition féminine n'aurait pas fait le progrès
légitime qu'elle a fait au cours des dernières années,
pour la plus grande justice à accorder à cette moitié de
l'humanité tellement importante.
Il en est de même des francophones. Je pense qu'il y a un
mouvement de revendication parfaitement justifié, qui n'a que trop
tardé au sein de la majorité francophone. Je pense que ces
revendications, si elles sont contenues dans de justes li-
mites, si elles s'inscrivent sous le signe de la raison et du
réalisme, ne peuvent pas être balayées d'un revers de la
main et doivent être reconnues.
On fait beaucoup état des résistances qu'opposent, par
exemple, les cadres, les sièges sociaux ou des entreprises qui
s'opposent à ce mouvement de revendications, à ces
réclamations d'une plus grande justice, mais je me demande s'il faut
toujours donner raison à des cadres anglophones, soit
québécois, soit provenant des autres provinces ou des autres
pays, qui ne comprennent pas notre situation, qui ne l'ont jamais connue, qui
la voient à travers le prisme déformant de leaders qui ne les
comprennent pas plus et qui ont intérêt à ne pas les
comprendre, ou à travers le prisme déformant de certains media
qui s'étendent à l'échelle canadienne. Parce que ces
cadres sont importants, jouent un rôle majeur dans nos industries, est-ce
qu'il faudrait toujours leur donner raison sur tous les arguments qu'ils
utilisent? Je ne le crois pas.
Je pense que, comme pour tous les autres mouvements de revendication, si
cette revendication est légitime, ordonnée, mesurée,
réaliste, si elle est transmise comme il se doit par les organes
d'information, par les leaders de nos grandes entreprises, en particulier, les
cadres des autres provincescomme j'ai eu l'occasion de m'en rendre compte
récemment à Toronto où j'ai eu à répondre
durant quatre heures aux questions de plusieurs des cadres majeurs des grandes
entreprises canadiennes finiront par comprendre la justesse, la
légitimité de nos revendications, mettront de l'eau dans leur
vin, consentiront eux aussi à des compromis que leur dictent la justice
aussi bien que la raison et je pense qu'à ce moment-là il sera
possible d'en arriver à une compréhension bilatérale et
non pas unilatérale, comme celle qu'on nous demande.
On a souvent demandé, depuis 200 ans, aux Québécois
francophones de se tenir bien tranquilles, en retour des emplois qu'on leur
offrait et en retour d'un certain niveau de vie assez élevé, mais
toujours moins élevé que celui des anglophones. On leur a
toujours demandé de rester bien tranquilles s'ils voulaient continuer
à profiter des avantages qu'on leur consentait.
Je pense que cette époque est terminée au Québec.
Nous ne voulons pas, bien sûr, faire du bruit pour rien, mais nous ne
voulons pas non plus rester tranquilles dans le sens ancien du terme. Ce n'est
pas à une continuation de la révolution tranquille que nous
entendons nous adonner, mais simplement à la mise au point de notre
situation et des réformes qui nous paraissent s'imposer pour que la
majorité québécoise ait droit, elle aussi, comme citoyens
à part entière, à tout ce que les autres citoyens du
Canada et aux citoyens anglophones qui ont eu la belle part au Québec
depuis très longtemps ont droit, c'est-à-dire à tous les
avantages que donne l'appartenance à un pays, à un continent qui
regorge de richesses, qui est à la fine pointe du progrès.
C'est dans cette optique, M. le Président, que je voudrais
maintenant commenter quelques-unes des recommandations que nous fait la
compagnie
Bell Canada, brièvement, parce que j'ai malheureusement pris un
peu trop de temps déjà.
Je voudrais dire à Bell Canada que nous ne considérons pas
du tout comme immigrants tout Canadien anglophone originaire ou en provenance
d'une autre partie du Canada. Ce n'est que dans le domaine scolaire, comme
c'est le droit pour toute province, exercé auparavant par la plupart des
autres provinces canadiennes, que nous faisons une distinction
spécifique entre les Québécois anglophones et les
résidants, les citoyens des autres provinces canadiennes; mais les
anglophones qui sont ici depuis 200 ans ne sont sûrement pas, à
nos yeux, des immigrants, ni les Italiens, ni les Grecs, ni les Portugais qui
se sont joints à eux au fil des ans. Tout résidant du
Québec est un citoyen à part entière que nous entendons
bien considérer comme tel.
Bell Canada nous recommande aussi de ne pas fixer de temps, en ce qui
concerne l'exemption de l'article 58. Je crois comprendre ce qui sous-tend
pareille demande, mais, encore une fois, les règlements ne sont pas
parus. Même lorsqu'ils auront été publiés, il reste
que si cet article a été fait pour des personnes qui sont de
passage au Québec, il deviendrait antinomique ou contradictoire qu'on ne
fixe aucune limite de temps. On pourrait étendre, bien sûr, la
durée de temps, la période de temps pour laquelle une permission
serait accordée, mais on ne peut quand même pas l'allonger
jusqu'à l'infini. Nous entendons aussi agir avec la plus grande
tolérance à l'endroit de toutes les entreprises anglophones ou
étrangères qui ne pourraient respecter les délais
prévus. Il faut bien s'entendre ici. Quand nous parlons d'un
délai de cinq ans, 1983, c'est six ans, en fait, il ne s'agit que de
l'obtention d'un certificat de francisation obtenu après analyse de la
situation linguistique et établissement d'un programme, mais il a
toujours été clair dans notre esprit que l'accomplissement de ce
programme de francisation, jusqu'à son processus terminal, peut prendre
beaucoup plus que sept ans, peut s'étaler sur dix ans, dans certains
cas, même 15 ou 20 ans, par exemple, dans certains cas d'industries
très spécialisées qu'on a soumis à notre attention.
Je pense qu'il y a peut-être ici plus un malentendu qu'autre chose. C'est
avec une infinie souplesse que nous aborderons les situations
particulières à chaque entreprise.
Bell Canada nous recommande aussi d'éliminer toute notion de
permis temporaire. Je pense qu'il est quand même important qu'un
professionnel qui arrive dans un pays finisse par être capable
d'apprendre la langue du pays, ne serait-ce que pour profiter de cette
appartenance plus ou moins passagère à un milieu qui est quand
même un milieu de grande civilisation. Nous accorderons quand même
l'attention qu'il se doit à cette demande de Bell Canada, mais aussi
à la lumière de toutes les représentations qui nous ont
déjà été soumises par d'autres associations, et
surtout par les ordres professionnels eux-mêmes. Nous verrons, nous
entendrons ce qu'ils ont à dire ou à écrire. Nous verrons,
à ce moment, si d'autres mesures s'imposent.
Quant à la permission qu'auraient les ordres professionnels
d'émettre des communiqués bilingues, j'ai déjà dit
à quelques reprises, et je l'ai répété hier soir,
que ce qui n'est pas interdit par la loi est permis. Il n'y a donc rien dans la
présente loi qui interdise à un ordre professionnel de
communiquer en anglais avec ses membres anglophones.
Vous demandez également de laisser aux entreprises le soin de
déterminer les besoins de personnel bilingue. Je pense que c'est
précisément là l'objet de l'article 37, lorsque nous
demandons à l'employeur de prouver que la connaissance d'une autre
langue est nécessaire. Je pense que l'initiative revient alors à
l'entreprise, et, dans la plupart des cas, surtout si cela est fait de bonne
foi, je ne vois pas que cela devrait causer tellement de problèmes.
Vous nous demandez aussi de préciser les termes
"Québécois", "travailleur", "affichage" et le reste. Je pense que
nous pourrons, en effet, préciser ces termes dans les amendements qui
sont présentement à l'étude.
Vous nous demandez de prévoir un mécanisme simple et
précis pour permettre à une personne d'exercer le droit
conféré par l'article 12; c'est à la lecture de votre
mémoire que j'ai pris cette recommandation que vous n'avez pas
répétée ce soir. Je pense qu'il s'agit là d'une
suggestion très valable et je pense que nous pourrons vous donner
satisfaction sur ce point. Vous nous demandez aussi que l'on évite tout
caractère rétroactif en ce qui concerne l'émission de
nouvelles raisons sociales.
Ce n'est pas notre intention de faire une loi rétroactive
à cet égard; nous pensons que l'article 49, tel qu'il est
libellé actuellement, n'a pas de caractère rétroactif,
mais, puisque vous nous le dites, nous allons l'examiner à nouveau et
nous ferons en sorte d'en éliminer toute trace ou tout soupçon de
rétroactivité. Quant à la demande que vous nous faites de
repenser et de redéfinir tout le concept institutionnel de l'office,
plusieurs recommandations nous ont été faites en ce sens. Nous
les prenons en très bonne part, et il est très possible, en
effet, que, dans les amendements que nous préparons, nous puissions,
là aussi, vous donner satisfaction, en tout cas sur des points
importants.
Dans la conclusion de votre mémoire, vous donnez au
Québec, vous assignez au Québec un rôle extrêmement
noble et très important, par exemple quand vous nous dites que le
rôle du Québec est d'interpréter l'Amérique aux
Européens et l'Europe aux Américains. C'est une belle formule,
mais je me méfie de formules qui confieraient des missions justement
trop nobles au Québec et qui lui feraient oublier ses devoirs plus
proches et plus précis. Je pense qu'il n'appartient pas plus au
Québec d'interpréter l'Amérique aux Européens qu'il
n'appartient aux Américains eux-mêmes ou aux Canadiens anglophones
eux-mêmes de le faire, eux qui sont aussi venus de l'Europe un jour.
Je pense que chacun peut se passer du Québec pour ce rôle
de courroie de transmission. Je pense que le rôle du Québec est
beaucoup plus important; c'est de développer le pays qui nous a
été donné, pour le plus grand bénéfice et le
plus grand bonheur des citoyens qui y habitent et, en particulier, de sa
majorité francophone qui a un redressement, un rattrapage à
effectuer.
Evidemment, cette mission est difficile et ample dans la période
que nous traversons, et ici je rejoins une des préoccupations dont vous
nous avez fait part au tout début de votre mémoire, quand vous
nous disiez qu'il ne fallait pas séparer l'économique du
culturel. Nous n'entendons pas, non plus, séparer l'économique du
culturel. Nous savons très bien qu'une législation linguistique
n'a qu'une valeur d'appoint, qu'elle peut s'avérer nécessaire
pour corriger une situation qui a besoin d'être redressée dans
l'immédiat, mais que le véritable fondement du progrès
aussi bien linguistique que culturel d'un peuple, c'est une économie
solide, qui se développe dans toutes les directions.
Bien sûr, on peut différer d'avis sur les modalités,
mais peut-être pas tellement qu'il n'y paraît à
première vue, car je suis convaincu que c'est par une concertation du
genre de celle que nous tentons depuis quelques mois entre les divers agents de
l'économie, dont vous êtes un partenaire respecté et
essentiel, que nous arriverons à développer au maximum ce
potentiel économique que nous avons à travers les
difficultés, les tensions que peuvent provoquer nos divergences
occasionnelles, parfois justifiées, de part et d'autre, mais
divergences, cependant qui, aussi bien pour vous que pour nous, ne nous
empêchent pas de garder bien présents à l'esprit les
impératifs que nous ne pouvons absolument pas oublier. Et c'est au nom
de ces impératifs que je veux vous répéter, en terminant,
que nous ferons montre de tout le réalisme et de toute la souplesse
possibles, et particulièrement en ce qui concerne la situation des
sièges sociaux. Il paraissait difficile, dans la loi, d'être
très spécifique en ce qui concerne la situation des sièges
sociaux, étant donné leur diversité d'un secteur à
l'autre et d'une structure à l'autre. Mais nous sommes très
conscients que, particulièrement en ce qui concerne les sièges
sociaux, le problème de la mobilité des cadres, le
problème de la prééminence continentale, sinon mondiale,
de l'anglais nous imposent des contraintes que nous entendons respecter, encore
une fois, au nom du réalisme.
Et je suis convaincu, pour ma part, que vous n'aurez pas plus à
craindre dans ce domaine l'action de l'Office de la langue française que
vous avez eu à craindre l'action de la Régie de la langue
française.
Comme vous le savez, nous avons envoyé une mission en Europe qui
vient de revenir. J'attends son rapport. Comme dans cette mission,
étaient représentés des membres importants de la
communauté commerciale et financière du Québec, je suis
presque convaincu à l'avance que les recommandations qu'on nous fera
seront empreintes de réalisme, de souplesse et j'entends bien que le
gouvernement aussi bien que le futur office s'en inspirent.
Encore une fois, je veux vous remercier du mémoire que vous nous
avez présenté et du bilan impressionnant également que
vous nous avez présenté sur votre compagnie. Je souhaite
d'ailleurs à cette compagnie tout le succès dans les
années qui viennent.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M.
De Grandpré, avez-vous des remarques à formuler?
M. De Grandpré: Non. Evidemment, ce n'est pas possible de
répondre à tous les aspects de la présentation du
ministre, mais qu'il me soit permis d'attirer l'attention de la commission sur
l'article 4 du projet de loi qui, à mon sens, est d'une portée
tellement générale que c'est un nid à chicane. Si on veut
avoir la souplesse, la tolérance et le réalisme dont le ministre
a fait mention tantôt, il va sûrement, à mon sens, y avoir
des modifications importantes à apporter à cet aspect du projet
de loi parce qu'autrement, on se lance dans des difficultés
interminables.
M. Laurin: D'accord.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, nous voyons à mesure
que se succèdent devant cette commission parlementaire les
représentants de divers groupes, de divers secteurs d'activité au
Québec, que tous s'accordent sur les objectifs de la loi, mais pas sur
les moyens. Dans une question aussi délicate que la langue, c'est
l'excès qui est l'écueil. On voit de plus en plus que souplesse
n'est pas mollesse, mais elle est plutôt sagesse.
Tantôt, le ministre disait que dans son esprit, que dans l'esprit
du gouvernement, la tolérance serait la règle, mais je pense que
la tolérance doit être inscrite dans la loi. Elle ne doit pas
être laissée à la discrétion de fonctionnaires.
J'espère que les amendements qui seront apportés ou les
révisions qui seront faites de ce projet de loi feront état de
cette approche du ministre.
M. De Grandpré, vous déplorez, comme bien d'autres et je
prends à témoin le texte qui est au bas de la page 8 de votre
mémoire... "Si la loi 22 n'existait pas, on pourrait accepter le
principe d'une loi concernant la langue. Mais ce n'est pas le cas". C'est une
citation pour le journal des Débats.
Donc, vous déplorez comme bien d'autres que ce gouvernement ait
négligé de faire l'inventaire du statut de la langue
française en 1977, le bilan en 1977 de la langue française,
après la loi 22.
Beaucoup, de façon indirecte, ont fait cette remarque, ont
reconnu cet hiatus et combien d'excès, de plus en plus, à mesure
que les mémoires s'ajoutent les uns aux autres, on voit jusqu'à
quel point ce sont les excès inscrits dans le projet de loi qui
illustrent la sagesse et la souplesse de la philosophie qui sous-tend la loi
sur la langue officielle actuellement en vigueur.
En ce qui concerne vos remarques à propos de la Charte des droits
et libertés de la personne, le ministre a eu l'occasion, à
plusieurs reprises, de dire que l'article 172 n'était là que pour
poser le problème.
Je pense que si c'est la façon dont le gouvernement s'y est pris
pour poser le problème le droit d'une question aussi fondamentale que
les droits des personnes, il s'agit là d'une des improvisations les plus
irresponsables qu'on puisse imaginer d'un gouvernement qui se dit respectueux
de la démocratie. Le ministre dit que la preuve reste à faire que
les droits fondamentaux des minorités peuvent être brimés
par ce projet de loi. Pourtant, je suis sûr que, maintenant, au moment
où on se parle, le ministre a eu le loisir de lire l'étude qui a
été faite et qui est très étoffée de la
Commission des droits de la personne. J'espère que le ministre
l'étudiera et réfléchira sur le bien-fondé de ce
mémoire qui demande entre autres le retrait de l'article 172 et la
définition claire et sans équivoque des droits linguistiques des
minorités et des individus qui la composent.
Le ministre s'est fait féministe tantôt dans ses remarques,
en évoquant la situation de la femme qui a dû revendiquer ses
droits. J'ai beaucoup de difficulté à le prendre au
sérieux quand on sait que ce gouvernement, sûrement à la
recommandation du ministre, a limogé les trois femmes qui étaient
à la Régie de la langue française, dont le mandat se
terminait au début de novembre l'an dernier et qui ont été
remplacées par trois hommes. Il n'y a plus de femmes à la
Régie de la langue française actuellement. Alors, on me permettra
de prendre avec un grain de sel ces remarques concernant la situation de la
femme.
M. De Grandpré, vous dites, à la page 8 de votre
mémoire, au deuxième paragraphe: "C'est pourquoi imposer le
français d'une façon aussi radicale par un projet de loi à
caractère aussi coercitif nous semble une méthode vouée
à l'échec et contraire aux meilleurs intérêts de
ceux qu'on veut aider". Pouvez-vous préciser les raisons, le pourquoi,
de cette conclusion qui est quand même assez définitive de votre
part?
M. De Grandpré: La philosophie que j'ai et qui ne semble
pas être celle adoptée par le gouvernement lors de la
présentation de la Charte de la langue française, c'est que je
crois fermement à la conclusion de mon rapport que les francophones
québécois sont capables de rayonner à travers le monde,
comme n'importe quel autre citoyen du monde. Ceci étant dit, il faut
leur donner l'occasion de pénétrer au sein de grandes
entreprises, que ce soient des entreprises nationales canadiennes,
internationales canadiennes ou internationales étrangères, de
façon à faire valoir un point de vue qui est toujours un point de
vue personnel. On arrive dans une entreprise avec son bagage
d'éducation, son bagage familial, son bagage de préjugés,
parce que, quoi qu'on en dise, tout le monde, nous avons des
préjugés; mais si on veut rendre possible l'accès à
des postes clés qui demandent nécessairement une connaissance
extrêmement poussée de la langue seconde, je pense qu'on ferme les
portes à nos concitoyens et
que, fermant les portes à nos concitoyens au lieu de les aider
à s'élever dans le milieu international des affaires, puisque
c'est cela qu'on veut faire éventuellement avec le projet de loi, si on
leur ferme les portes, je dis qu'on présente un projet de loi qui est
contraire aux meilleurs intérêts de ceux qu'on veut aider. C'est
pour cela que j'ai conclu de la sorte.
M. Lalonde: Vous ajoutez, M. De Grandpré, à la page
9: "On semble créer avec cette charte différentes
catégories de citoyens". Vous vous référez à la
charte de façon générale. Est-ce que vous pourriez
indiquer de façon plus précise quelles sont les dispositions de
la loi qui créeraient ainsi différentes catégories de
citoyens?
M. De Grandpré: II y a sûrement l'article qui traite
de la langue d'enseignement où on crée sûrement trois
genres de citoyens, l'article 52. On y parle des gens qui peuvent avoir
accès à l'enseignement en anglais en disant: "Les enfants dont le
père ou la mère a reçu au Québec l'enseignement
primaire seulement en anglais"; deuxièmement, on parle, au
sous-alinéa b), des enfants qui, à la date de l'entrée en
vigueur de la présente loi, sont domiciliés au Québec, et
j'insiste sur le mot "domiciliés", nous en faisons mention dans l'annexe
de notre mémoire parce que, comme vous le savez, le mot "domicile" a un
caractère bien spécifique en droit. Si on pensait avoir des
difficultés avec les tests linguistiques qui étaient dans la loi
22, on s'embarque dans des tests beaucoup plus compliqués quand on veut
savoir si quelqu'un est un résidant ou si quelqu'un est domicilié
à tel ou tel endroit.
M. Lalonde: Vous vous référez sûrement au
concept juridique de domicile qui est beaucoup plus exigeant que le concept de
résidence.
M. De Grandpré: Si mon souvenir est exact, le domicile est
composé de deux choses, premièrement, de la résidence plus
l'intention d'en faire son principal établissement, à moins que
le texte de loi ait été amendé depuis quinze ans, quand je
l'ai regardé la dernière fois. Ceci étant dit, pour
établir le domicile, il faut avoir non seulement de la preuve orale,
mais souvent de la preuve écrite. Je m'imagine que les complications des
tests linguistiques étaient de la petite bière comparée
aux tests qu'on va demander pour établir le domicile.
Finalement, on parle des gens qui vivent au Québec au moment de
l'entrée en vigueur de la loi, des gens qui viendront par la suite, qui
sont, à mon sens, encore des Canadiens. Tant et aussi longtemps que le
Québec fera partie intégrante du Canada, je pense que si on
commence à mettre des barrières, à savoir si les gens qui
nous arrivent de l'extérieur du Québec doivent être
traités différemment, nous créons encore un autre genre de
citoyens, et j'en oublie peut-être.
M. Lalonde: Vous vous référez à l'article 58
qui, de toute évidence, a été proposé par le
gouvernement pour traiter la situation particulière des gens qui
viendraient au Québec temporairement. On peut référer au
caractère de mobilité qu'on exige en particulier pour les
sièges sociaux. Vous vous déclarez insatisfait de cet article.
Est-ce que vous pourriez suggérer un amendement, ou de quelle
façon pensez-vous qu'on pourrait améliorer cet article pour
traiter cette situation, en supposant que tous les articles qui
précèdent demeureraient les mêmes?
M. De Grandpré: Je n'ai pas pensé
particulièrement à l'article 58. Parce que je pense qu'il faut
lire notre mémoire dans son ensemble. Notre position est que,
premièrement, il nous semble non essentiel ou non requis à ce
stade-ci de l'évolution de la francisation des entreprises et de la
vigueur de la culture des Québécois d'expression
française. C'est un peu ce qui me laisse, peut-être pas inquiet,
mais songeur quand, d'une part, on parle de la vigueur de la culture des
Québécois francophones à l'heure actuelle, qu'il s'agisse
d'art plastique ou qu'il s'agisse d'art lyrique ou qu'il s'agisse de
théâtre ou de littérature et que dans la même phrase
on enchaîne pour dire que la culture francophone au Québec est en
danger. J'ai l'impression qu'il y a un peu une contradiction.
Ceci étant dit, quant à l'article 58, je pense qu'il n'est
pas possible, dans le contexte dans lequel la recommandation a
été faite de prévoir au moment de l'arrivée d'un
individu, combien de temps il sera chez nous.
M. Lalonde: J'avais interprété votre remarque qui a
été faite par d'autres. On ne sait pas exactement si c'est
limité au moment où il arrive. Est-ce que c'est pratique?
M. De Grandpré: J'ai l'impression que ce n'est pas
possible, parce que ce qui pouvait être au début une mutation de
deux ou trois ans ou de dix-huit mois, peut, à cause de circonstances
qui sont complètement hors du contrôle des gestionnaires de
l'entreprise, s'étendre sur une période de cinq ans ou de six
ans. Comment est-ce qu'on défait tout ce qu'on a voulu faire au
début, si, après, on lui dit qu'on lui donne une extension de
deux ou trois ans et qu'il est encore ici après quatre ans? Qu'est-ce
qu'on fait de cet individu? Je pense que ce n'est pas pratique pour s'attaquer
au problème.
M. Lalonde: M. De Grandpré, étant donné le
temps limité, je ne poserai plus de questions. Je veux simplement vous
remercier d'avoir pris la peine de préparer je veux remercier la
compagnie Bell Canada ce mémoire, de l'avoir
présenté ici. Je voudrais, en terminant, vous inviter, quel que
soit le sort du projet de loi dans sa forme actuelle, et aussi en tenant compte
du fait que le français est la langue officielle au moment où on
se parle, de continuer votre effort de francisation, parce qu'étant
donné l'importance de Bell Canada dans l'économie du
Québec, non seulement par le nombre d'employés, mais aussi par la
nature de ses opérations, vous avez sûrement une
responsabilité particulière dans le leadership dans je ne
sais pas si vous avez un terme français plus
conforme à la loi 22 la francisation des entreprises.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Gaspé.
M. Le Moignan: Merci, M. le Président. Je partagerai mon
temps de parole avec mon voisin, le député de Pointe-Claire.
J'aurais tout simplement deux ou trois brèves questions, M. De
Grandpré.
Tout d'abord, je suis très content de voir le poste que vous
occupez au sein de votre compagnie. Vous nous avez fait, au début, un
résumé très positif, un très beau bilan. Par
contre, quand on regarde ce mémoire, vous émettez beaucoup de
réserves, beaucoup de restrictions et vous avez beaucoup de points
d'interrogation.
Mais si ma mémoire est bonne je peux me tromper, vous
n'aurez qu'à me corriger est-ce que vous n'auriez pas
déclaré, au cours de l'hiver, que, advenant que le projet de loi
no 1 soit voté, Bell Canada déménagerait son siège
social en dehors du Québec?
M. De Grandpré: Non, je n'ai pas fait cette
déclaration. Dans la déclaration que j'ai faite, si vous vous
référez à la conférence que j'ai prononcée
devant la Chambre de commerce, j'ai tout simplement invité les
autorités gouvernementales à regarder avec beaucoup de
réalisme le problème des sièges sociaux, parce que,
imposer d'une façon coercitive l'usage du français au niveau des
sièges sociaux, sans tenir compte du contexte nord-américain et
mondial dans lequel les sièges sociaux fonctionnent, c'était ni
plus ni moins que d'inviter les sièges sociaux à laisser la
province et laisser la ville de Montréal, et qu'on ne pouvait pas
s'offrir un tel luxe, parce que toute l'économie du Québec allait
en être perturbée.
Ce qui m'inquiétait, ce qui m'inquiète encore, ce n'est
pas le départ des sièges sociaux. Les gens qui partiront
continueront à gagner leur vie là où le siège
social ira s'établir. Ce qui m'inquiète, ce sont les
Québécois qui vont rester en arrière et qui ne pourront
pas suivre les sièges sociaux.
Je pense à tout le monde, que ce soient des vendeurs dans les
magasins, que ce soient des mécaniciens, que ce soient des vendeurs dans
l'immeuble, que ce soient des plombiers ou des mécaniciens, ou des
menuisiers, ou des camionneurs. Lorsque vous enlevez la plus grosse industrie
de la ville de Montréal, ce sont sans aucun doute les sièges
sociaux, c'est celle qui paie sûrement en moyenne des salaires plus
élevés que n'importe quelle autre industrie.
Si vous extrayez de l'économie de la ville de Montréal et
de la province un élément aussi important, vous risquez de
créer non seulement des perturbations économiques, mais des
perturbations sociales, c'est cela que j'ai dit.
M. Le Moignan: Je vous remercie, c'est parce qu'il m'était
resté un doute.
M. De Grandpré: Vous n'êtes pas les seuls à
être mal cités, vous savez, les gens qui sont dans la politique.
On m'a cité comme ayant fait du "blackmail", dit toutes sortes de
choses, mais, dans le fond, j'essayais de voir les choses avec beaucoup de
réalisme et je pense que, là où je suis, non seulement
à la compagnie, mais ailleurs dans le monde des affaires, si je n'avais
pas parlé à ce moment-là, on aurait pu m'en faire le
reproche plus tard en disant: Vous, vous le saviez; vous, vous étiez un
francophone et vous, vous vous êtes tu au mauvais moment, et c'est pour
cela que j'ai parlé.
M. Le Moignan: Une dernière question, M. De
Grandpré. Vous dites, à la page 8, que le projet de loi est
défaitiste, comme si la situation au Québec était devenue
tellement intenable qu'il faille s'entourer de protection. Je pense qu'il y a
un réflexe de défense qui est d'après moi tout à
fait légitime. Si on regarde les statistiques, je ne les ai pas de
mémoire, mais si on compare 1961, 1971 et 1976, je crois que les
Canadiens français ont reculé, si on compare à la moyenne
du Canada les statistiques québécoises. Ensuite, vous dites
que...
M. De Grandpré: Je ne comprends pas le sens. Reculé
comment?
M. Le Moignan: C'est-à-dire que nous avons baissé.
Nous étions peut-être 25% et peut-être qu'aujourd'hui nous
ne sommes simplement que 20% ou 18%.
M. De Grandpré: Au point de vue de la proportion de la
population totale?
M. Le Moignan: Totale. M. De Grandpré: Ahbon!
M. Le Moignan: Même dans le Québec, je pense qu'il y
avait un danger aussi, parce que si les immigrants qui entrent par milliers
passent tous à l'école anglaise, ici encore, nous ne sommes pas
protégés, à mon point de vue. Je pense que le projet de
loi est très bien conçu dans le sens que les futurs immigrants
seront intégrés à la communauté française,
mais ce qui m'intrigue le plus, vous dites plus haut que le projet de loi
risque d'être défavorable à la culture française
qu'on veut nous mettre en serre chaude et qu'on veut nous couper de la
réalité économique.
Est-ce que le projet de loi no 1 serait un obstacle à ce que les
Canadiens français s'introduisent un peu plus dans les affaires? C'est
sur ce point de vue que j'aimerais avoir un éclaircissement.
M. De Grandpré: Sans aucun doute. M. Le Moignan:
Comment pouvez...
M. De Grandpré: Sans aucun doute, le projet de loi no 1,
tel que conçu et non pas tel que présenté tantôt par
le ministre, parce que j'ai vu beaucoup plus de flexibilité et beaucoup
plus de tolérance dans les paroles du ministre tantôt que
dans le projet de loi et, actuellement, je suis obligé de
regarder le projet de loi, mais, heureusement, il y a une transcription de ce
qui se dit. Alors, cela restera pour la postérité.
Dans le projet de loi, tel que conçu, il ne fait aucun doute dans
mon esprit que les francophones du Québec vont être desservis,
parce que si les centres de décision, par la force des choses, glissent
graduellement vers l'extérieur du Québec, la
pénétration à l'intérieur de ces centres de
décision, au niveau des sièges sociaux, ne sera plus aussi facile
pour les Québécois de langue française.
M. Le Moignan: Merci.
M. De Grandpré: Je suis convaincu que si Bell Canada
n'avait pas été à Montréal, je ne serais pas
aujourd'hui le chef de la direction de la plus grande industrie du Canada,
c'est cela que je veux dire.
M. Le Moignan: Pour ma part, j'ai fini, je vous remercie.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. M. De Grandpré,
on dit que, d'une façon, l'un des buts du projet de loi est de
promouvoir l'emploi des francophones, en plus de la question de la langue, pour
permettre aux francophones d'obtenir de meilleurs postes dans l'entreprise,
dans le monde des affaires. On dit cela d'un côté et, de l'autre
côté, je remarque que, quand les francophones qui ont obtenu ces
postes dans le monde des affaires, comme vous-même, quand ils viennent
ici pour essayer, d'une façon ou d'une autre, de critiquer le projet de
loi, mais de le critiquer d'une façon positive, immédiatement,
j'ai l'impression qu'on ne semble pas accepter ces remarques, que ce soit le
ministre ou que ce soit le côté ministériel.
On essaie de montrer ces gens, comme vous-mêmes, comme
étant trop associés à l'"establishment", et même on
utilise des mots de l'"establishment". Est-ce que je pourrais avoir, si c'est
possible, vos commentaires sur ce phénomène? Parce que j'ai
l'impression que tous ceux qui viennent ici vous n'êtes pas les
premiers du monde des affaires, qui essaient d'apporter des commentaires
positifs... Parce qu'on ne met pas en doute le but de la loi, on conteste les
moyens. Je voudrais vous poser quelques questions là-dessus.
Immédiatement, on semble cesser le dialogue du côté du
gouvernement. On n'essaie pas d'ouvrir le dialogue et de vous demander: Pour
les articles 36, 37, peut-être qu'on pourrait faire autre chose. Quelles
suggestions avez-vous? Immédiatement, on tient pour acquis que toute la
vérité est chez ceux qui ont rédigé le projet de
loi. Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires sur cela, s'il vous
plaît?
M. De Grandpré: La question que vous me posez est pour moi
difficile, parce que je n'ai pas assisté à toutes les
séances de la commission. J'en ai lu certains extraits dans les
journaux. Malheureusement, je suis plus souvent absent de la province de
Québec que je n'y suis, parce que mes fonctions me demandent de
parcourir le monde. Il n'y a pas de doute dans mon esprit que c'est difficile
pour certains groupes de la population au Québec d'accepter que
quelqu'un puisse réussir dans le monde des affaires, être à
la fois un francophone convaincu, avoir marié une francophone, avoir
fait éduquer ses enfants au primaire et au secondaire en
français, avoir réussi à pénétrer à
l'intérieur des conseils d'administration non seulement de Bell ou de
Northern ou de compagnies canadiennes, nationales et internationales, mais
même à l'intérieur des conseils d'administration des
multinationales américaines. Tout à coup, j'ai l'impression que,
par un phénomène que je ne peux pas m'expliquer, je suis
soudainement avec ("establishment" avec un grand E, le E majuscule de
('"Establishment". J'ai eu beaucoup de plaisir, il y a quelques années,
avec 175 étudiants de l'Association internationale des étudiants,
qui comprenaient des Chinois, des Russes, et tout ce que vous voudrez.
Evidemment, ils étaient pas mal plus à gauche que je ne pouvais
l'être. Je leur ai demandé si j'étais passé à
('"establishment" quand j'ai commencé à travailler à $3
par semaine. A ce moment, on m'a dit que non. L'année suivante,
j'étais sûrement passé à ('"establishment", parce
que j'avais eu 100% d'augmentation et j'ai eu $6 par semaine. Après
cela, j'ai monté à $18 par semaine; après cela, à
$25 par semaine; après cela, à $35 par semaine. Je me demande
encore quand j'ai traversé la ligne. Je ne l'ai pas vue. Si quelqu'un
pouvait me dire un jour: Vous avez traversé la ligne à tel
moment, quand vous avez accepté d'être administrateur de la
compagnie, ou quand vous avez accepté d'être président de
la compagnie, ou quand vous avez accepté d'être président
du conseil et chef de la direction de la compagnie... Je pense que les gens qui
me feraient cette accusation auraient de la difficulté à prouver
le changement qui s'est effectué chez moi entre le 31 décembre
1972 et le 1er janvier 1973. C'est à ce moment-là que j'ai
traversé la ligne.
M. Ciaccia: Je voudrais me référer à
l'article qui parle d'un office. On a fait la comparaison avec la régie,
mais je crois que les pouvoirs ne sont pas tout à fait les mêmes.
Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires sur les pouvoirs qui sont
contenus dans les articles 36 et 37, quant à la question d'engager du
personnel bilingue? Je devrais faire remarquer que chaque fois qu'on pose des
questions de ce genre je voudrais le souligner pour les membres du parti
ministériel on semble nous accuser de vouloir protéger les
intérêts ou de protéger la langue anglaise ou les
anglophones.
Mais je vous demande, pas de ce point de vue, mais du point d'un homme
d'affaires, quand un office ou quand un fonctionnaire a le droit
d'émettre des permis qui peuvent décider si une entreprise va
survivre ou non, ou si vous devez obtenir la
permission d'engager quelqu'un qui va être bilingue, est-ce que
vous voyez ça d'une façon pratique? Est-ce qu'il y aurait des
questions, même à part le pouvoir des fonctionnaires, de
délais, de donner tellement de pouvoir à un office, de
tentations, de décisions, est-ce que je pourrais avoir vos commentaires
à ce sujet? On me fait remarquer que c'est ma dernière
question.
M. De Grandpré: Je pourrais vous parler des articles 36,
37. Vous m'avez parlé des pouvoirs de la commission. Pour revenir aux
articles 33, 34, 35 et 36, qui ont trait aux conventions collectives et
à la langue qui doit être utilisée, je pense que là,
il y a un manque de réalisme et un manque de souplesse. J'inviterais le
ministre à examiner la situation de plus près, parce que, tout en
reconnaissant fort bien que lorsque la majorité des employés est
d'expression française, que la convention puisse être en
français, ça me semble être élémentaire. Je
n'ai aucune difficulté à accepter ça. Là où
j'ai plus de difficulté à l'accepter, c'est qu'il y a des
associations qui, par définition, doivent être des associations
anglophones. Je pense, par exemple, au Protestant School Board of Greater
Montreal, qui doit avoir des négociations collectives avec ses
enseignants, qui sont, par définition, des enseignants de langue
anglaise, et je vois mal comment les termes généraux qu'on
utilise dans les articles dont je faisais mention tantôt puissent
s'appliquer à ce genre de négociations, pas plus d'ailleurs que
dans certaines entreprises où tous les employés sont tous, parce
que ça peut être une entreprise qui, autrefois, était une
entreprise familiale, etc., de langue anglaise. Là encore, j'ai de la
misère à voir comment est-ce qu'on pourrait insérer les
articles 33, 34, 35, 36 dans le contexte que je viens de décrire.
Quant aux pouvoirs extraordinaires qu'on donne aux gens qui seront
chargés de l'application de la loi, d'avoir le droit de vie et de mort,
parce que c'est à peu près ça que ça veut dire dans
la plupart des circonstances, je pense que l'absence d'appel et l'absence de
recours et l'autoritarisme que la loi suggère comme étant le
point nécessaire pour la rendre efficace, me semblent tout à fait
exagérés, compte tenu des circonstances. Je pense que c'est ce
genre de législation qui effraiera non seulement les gens qui sont ici,
mais, ce qui est plus difficile à quantifier, c'est de voir combien
d'entreprises ne viendront pas.
Celles qui s'en vont, on peut les décompter. On dit: Elles
étaient 150. Aujourd'hui, il en reste 15. On en a donc perdu 135, mais
celles qui ne viendront jamais, et c'est là qu'est le danger, seront une
perte irréversible pour le Québec.
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Pointe-Claire. Quatre minutes...
M. Shaw: M. de Grandpré, sur la question de la
francisation de votre compagnie, Bell Canada, pouvez-vous me dire combien de
postes techniques seront transférés du Québec, disons
à Ottawa, à cause de ce programme de francisation?
M. De Grandpré: Non. Il n'y a pas eu de transfert à
Ottawa à cause du programme de francisation jusqu'à maintenant.
Si vous faites référence aux transferts des gens qui
travaillaient dans la technologie au niveau du siège social il y a
quelques années, ceux-là ont été
transférés à Ottawa pour des raisons administratives et
d'efficacité administrative, puisque les laboratoires de Bell Northern
étaient à Ottawa et qu'il devait y avoir des contacts quotidiens
entre les gens qui travaillaient au laboratoire et ceux qui étaient en
charge de la technologie à l'intérieur du siège social
d'une entreprise. Il nous a fallu faire un transfert de tout ce groupe qui
s'occupait de la technologie et de l'application de la technologie à la
fois dans l'entreprise comme entreprise de télécommunication et
dans l'entreprise de fabrication comme Northern Télécom. C'est ce
jeu qui a voulu qu'un certain nombre d'employés qui étaient
auparavant au siège social soient transférés auprès
des laboratoires de Bell Northern à Ottawa.
M. Shaw: Pour continuer sur le même sujet, maintenant,
même avec l'adoption d'une loi comme le bill 1, prévoyez-vous
pouvoir engager du personnel unilingue français à tous les
niveaux?
M. De Grandpré: Ce n'est pas possible. Comme le
mémoire l'indique, le siège social doit être le reflet de
l'entreprise nationale ou internationale dirigée à ce niveau. Nos
revenus provenant du Québec, uniquement dans le domaine des
télécommunications, comme services sont à peu près
de l'ordre de 35%. En dehors du Québec, ils sont de 65%. Si je fais
erreur, M. Cyr me corrigera sûrement. Il me semble que c'est le dernier
chiffre que j'aie entendu. Quand j'occupais sa fonction, c'était
à peu près de 40%-60%, mais graduellement, il y a eu une
détérioration des proportions en faveur de l'Ontario.
Il ne sera pas possible de trouver les compétences
nécessaires seulement à l'intérieur du Québec
ce n'est pas possible pour deux raisons. Elles ne sont pas
là à l'heure actuelle dans la région du Québec et
deuxièmement, il ne serait pas possible non plus qu'un siège
social ne soit que le reflet unique de la région du Québec. Cela
serait impensable que le siège social d'une entreprise multinationale ne
soit le reflet que d'une partie des opérations et je m'explique.
Ce n'est pas par discrimination ou tout simplement par mauvaise
volonté que ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible parce que nous
ne pourrions pas recruter les compétences en dehors du Québec.
Lorsque vous voulez recruter des diplômés universitaires, que ce
soit aux Etats-Unis, au Canada, en Europe ou même en Orient, il vous faut
leur donner un genre de profil de carrière.
Si vous leur dites: Si vous voulez entrer au niveau du siège
social et si tout le monde peut exiger conformément à l'article 4
que le travail se fasse en français, ils vous diront
immédiatement qu'ils iront chercher ailleurs, et ils iront trouver de
l'emploi dans une autre entreprise qui n'a pas les
mêmes contraintes. Pour cette raison, je pense que, là
encore, il y a aura érosion ou un effritement de l'ampleur des
sièges sociaux dans le Québec, à moins que des changements
importants ne soient apportés au projet de loi.
M. Shaw: Mais ceux qui sont Québécois d'expression
française, qui sont éduqués ici au Québec,
même au niveau universitaire, est-ce que vous prévoyez que ces
gens-là peuvent fonctionner dans votre compagnie seulement en
français?
M. De Grandpré: Dans la région de Québec?
M. Shaw: Même dans la région du Québec?
M. De Grandpré: Dans la région du Québec,
seulement à un niveau de cadres moyens. Du moment que le francophone
arrive à un niveau de cadre dépassant le cadre moyen, je pense
qu'on peut peut-être trouver, par exception, des unilin-gues
francophones, qui soient des surintendants, mais quand vous les amenez à
un stade de gérant de district, qui est le troisième niveau,
contremaître, surintendant, gérant de district, et que le
gérant de district doit rencontrer des gérants de district lors
de conférences ou de séminaires dans toute l'entreprise, il lui
faut, à ce moment-là, devenir bilingue et il ne pourrai
fonctionner comme unilingue francophone.
M. Shaw: Vous êtes conscient, M. De Grandpré...
Le Président (M. Cardinal): Une dernière question,
M. le député de Pointe-Claire.
M. Shaw: Oui, une dernière question. Vous connaissez, M.
De Grandpré, les compagnies d'expertise comme Northern Telecom.
Croyez-vous que ces compagnies peuvent prévoir de l'expansion au
Québec si la pression sur la communauté anglaise du Québec
continue ou prévoyez-vous que l'exode de ces compagnies va
augmenter?
M. De Grandpré: Le mot "exode" a été
utilisé à plusieurs reprises dans les journaux, dans certains
articles, et je pense que cela ne se produira pas sous forme d'exode massif. Je
pense que ce sera plutôt par effritement ou par érosion graduelle
et, à un moment donné, on sera à regarder de plus
près l'établissement d'un secteur et, à ce
moment-là, on dira: Le secteur ici ne pourra pas fonctionner avec une
pleine efficacité au niveau de la province de Québec et, à
cause de cela, on ira le placer ailleurs. C'est toujours dans cette perspective
que je disais tantôt et que je redis de nouveau, pour qu'il n'y ait pas
d'ambiguïté, que, dans mon esprit, c'est un projet de loi qui joue
contre les francophones du Québec qu'on voudrait aider.
M. Shaw: Merci, M. De Grandpré.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Jacques-Cartier, trois minutes.
M. Saint-Germain: M. le Président, j'entendais le ministre
faire des comparaisons avec l'évolution du statut de la femme et les
unions ouvrières, et il comparait ceci à une évolution qui
lui permettrait de justifier le bill no 1. On peut retourner, je pense bien,
facilement ses arguments en sens opposé et dire que le statut de la
femme évolue déjà depuis des décennies et qu'il
continuera à évoluer, probablement aussi longtemps qu'il a
évolué dans le passé. Pour ce qui regarde
l'établissement des unions dans nos sociétés, c'est
à chiffrer avec des décennies. L'évolution est loin d'y
être terminée, cela se continuera ainsi dans les décennies
à venir. On peut prévoir que, dans ces deux champs
d'évolution, il y aura autant d'évolution dans le futur qu'il y
en a eu dans le passé. Je crois qu'il ne faut pas être grand
philosophe pour en arriver à ces conclusions. Pour ce qui regarde la
présence des francophones dans l'industrie, étant francophones
vous-mêmes, vous connaissez pertinemment l'évolution historique du
Québec.
Vous savez que c'est tout récemment qu'on s'est aperçu de
l'importance, au niveau de notre groupe, d'avoir une présence en
relation de notre nombre dans le monde des affaires, de l'industrie, du
commerce, de la technique et des sciences. Cette évolution,
malheureusement, est toute récente.
De croire qu'avec une loi donnée, on va nécessairement
solutionner le problème, je crois que c'est un manque de connaissance de
l'humanité et des hommes comme tels. On ne peut pas changer la face des
choses dans une génération, surtout dans un champ
d'évolution aussi complexe que l'industrie, la finance et le commerce et
cette évolution, pour les francophones, se fera avec les années,
quelles que soient les lois et les législations qu'on pourra mettre en
application. Elle se continuera longtemps et probablement que ce combat sera
sans fin, car nous serons toujours obligés de vivre dangereusement en
Amérique du Nord et qu'il appartiendra à chaque
génération de défendre ses intérêts
particuliers et ses intérêts du groupe.
Nous serons toujours appelés, je pense bien, en Amérique
du Nord, à vivre dangereusement. Ceci dit, vous travaillez en affaires,
surtout dans les champs d'activité qui vous caractérisent, vous
subissez au jour le jour la compétition, les problèmes
d'administration, les problèmes humains et c'est avec cette
expérience journalière que vous arrivez à bâtir des
théories d'ensemble ou à faire des synthèses des
problèmes auxquels vous devez faire face. Il y a d'autres personnes
qu'il ne faut pas nécessairement sous-estimer et qui par formation ou
par expérience personnelle, sont habituées à faire des
schémas intellectuellement. Et ce schéma étant bien
construit, on croit qu'il est logique que les gens ou des groupes de gens
s'adaptent aux schémas qu'on a intellectuellement construits.
C'est un peu le monde à l'envers et je sais bien qu'à la
direction de Bell Canada ou Northern Telecom, ce n'est pas votre façon
de procéder.
Ceci dit, vous avez décrit l'évolution du français
à Bell Canada. Je sais, par expérience personnelle, puisque j'ai
déjà travaillé pour cette compagnie après mon cours
supérieur, je me souviens très bien, dans le temps, que tout se
faisait très bien en anglais, exclusivement en anglais et lorsqu'on voit
la situation du français au Bell actuellement, on admet aisément
l'évolution qui y a pris place et ceci est tout à fait à
l'avantage et honore la direction de Bell Canada dans le passé.
Ceci dit, vous n'avez pratiquement élaboré en ce qui
regarde Telecom. Comme je représente le comté de Jacques-Cartier,
vous savez qu'à La-chine et aux environs, Telecom est un employeur
très important. Il y a eu, à ce sujet, toutes sortes de rumeurs
qui ont circulé et qui circulent encore. Vous avez mentionné dans
les statistiques, tout à l'heure, que le nombre d'employés qu'il
y a au Québec aujourd'hui, en ce qui regarde Telecom, du moins au niveau
du pourcentage, est en diminution par rapport à ce qu'il était
antérieurement.
J'aimerais que vous explicitiez un peu la situation de Telecom surtout
en relation directe avec la loi que nous étudions aujourd'hui, quel sera
le bien ou les inconvénients que Telecom pourrait en subir.
Pourriez-vous nous expliquer ce point, un peu du moins, je ne vous demande pas
d'être dans le secret des dieux, mais je crois que vous rendriez service
à la population du Québec si vous pouviez en quelques mots
projeter le futur de Telecom dans cette province.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, avant que vous ne
répondiez, M. De Grandpré, vous avez déjà
dépassé votre temps, M. le député de
Jacques-Cartier, ce sera votre dernière question M. De
Grandpré.
M. De Grandpré: Vous avez touché plusieurs points
et qu'il me soit permis de dire devant la commission ce que j'ai
déjà dit. On vit la génération de ce que j'appelle
le café instantané. Il y a un problème qui a
évolué et qui a pu se détériorer ou
s'améliorer au cours de décennies et même peut-être
de plusieurs décennies et on pense que du jour au lendemain, la solution
devra être instantanée.
C'est pour cela que je l'appelle la solution du café
instantané.
De temps immémorial, il était difficile de faire
pénétrer des francophones à l'intérieur des grandes
entreprises. Les enfants qui se lançaient dans les affaires ou dans le
commerce et qui avaient le malheur de ne pas faire des notaires, des avocats,
des médecins ou des curés, c'étaient des gens qui se
salissaient les mains dans l'argent et je n'invente rien.
Le résultat, c'est que, même récemment, depuis que
je suis à Bell Canada, j'ai déjà offert des postes
à quatre Québécois francophones au niveau de la haute
direction de l'entreprise, et j'ai reçu quatre réponses
négatives, parce qu'on ne voulait pas être un numéro dans
l'entreprise, qu'on ne voulait pas perdre ses libertés, qu'on voulait
être capable de partir pour ses vacances au moment où on en avait
le goût, etc.
L'absence de francophones au niveau de la grande entreprise a
créé un vacuum qui a été immédiatement
rempli par ceux qui étaient prêts à entrer dans la grande
entreprise. Première constatation.
Deuxième constatation, c'est que Northern Telecom, qui a
passé du niveau d'une entreprise qui faisait à peu près
$300 millions à $400 millions d'affaires, il y a une dizaine
d'années, et qui est maintenant rendue à $1,2 milliard cette
année, ne peut pas rester à la fine pointe de la technologie et
ne peut pas subir la concurrence des grands comme Erikson, Simmons, Nippon
Electric et General Telephone & Electronics, et, pour ce faire, doit se
lancer dans la recherche et dépenser des sommes considérables
pour maintenir l'avance technologique qu'elle a dans certains domaines.
L'an dernier, le groupe a dépensé près de $100
millions pour la recherche et le développement. Un montant de cette
envergure ne peut pas être dépensé si on ne regarde que le
marché canadien. Il nous faut donc pénétrer les
marchés étrangers. L'attitude des étrangers par rapport
aux produits canadiens n'est pas différente de l'attitude des Canadiens
vis-à-vis des produits étrangers. On ne veut pas tellement
l'importation des produits. On n'a pas objection à l'importation de la
technologie. C'est ce qui nous a forcés à établir aux
Etats-Unis, en Irlande, en Turquie et ailleurs, des filiales, ou des
succursales, ou des divisions dans certains cas, ce sont des divisions,
dans d'autres cas, ce sont tout simplement des filiales de façon
à élargir la base de nos ventes et à dépasser le
milliard de dollars, pour nous permettre de dépenser encore plus
d'argent dans la recherche et le développement et, évidemment,
proportion gardée, la part du Québec est une proportion moindre
de ce qu'elle était il y a quinze ans ou il y a vingt ans.
Si nous n'avions pas agrandi notre champ d'activité, si nous
n'avions pas créé des centres de production à
l'extérieur du Québec, nous n'aurions pu soutenir la concurrence
et nous serions disparus de la carte, même au Québec. Je pense que
c'est quand on regarde le problème dans toute son ampleur, qu'on regarde
les investissements en recherche et en développement, qui sont
essentiels, si on veut continuer à survivre contre les grands
concurrents du monde, qu'on doit accepter, non pas que le Québec perde
sa place, mais que le Québec gagne en s'en allant sur les marchés
extérieurs. Parce que General Motors, parce que Chrysler Corporation,
parce que IBM vont s'établir dans les pays étrangers, cela
n'enlève rien à Détroit ou cela n'enlève rien
à New-York. Plus vous aurez des grands centres d'opération
à travers le monde, plus vous aurez des positions importantes à
offrir à ceux qui seront au siège social, soit au Québec,
si on les garde ici, ou ailleurs.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Châteauguay, vous terminez cette audition.
M. Dussault: Merci, M. le Président. M. De
Grandpré, vous avez un nom évocateur, si on pense à
l'histoire de ce pays, qui était le nôtre, histoire qui n'est pas
étrangère d'ailleurs, à la situation que nous vivons
maintenant.
De Grandpré, cela veut dire quelque chose à passablement
de monde.
M. De Grandpré: Je vous ferai remarquer que ce n'est pas
mon nom, que mon nom, c'est Du-teau.
M. Dussault: Pourquoi disait-on De Grandpré?
M. De Grandpré: Parce que, à un moment
donné, il y avait beaucoup de Duteau et il y en a qui se sont
installés dans le coin de Saint-Cuthbert et dans le coin de
Maskinongé que certains de vous connaissent et qui,
éventuellement, sont devenus de grands propriétaires terriens
dans ce coin-là. On a dit: Ce sont les Duteau dits De
Grandpré...
M. Dussautl: Ah bon!
M. De Grandpré: ...et, au bout de quelques années,
on a laissé tomber le Duteau et la famille dont je suis est ici depuis
300 ans.
M. Dussault: D'accord. Je pourrais faire ma
généalogie qui pourrait être aussi longue d'ailleurs.
Si vous me permettez, je voudrais d'abord faire une petite remarque
maligne. Vous avez parlé tout à l'heure d'une ligne, en parlant
"d'establishment", et vous dites que vous ne l'avez pas vue, si vous l'avez
dépassée. Peut-être que, dans le fond, vous ne l'avez pas
encore dépassée, cette ligne-là.
Je voudrais aussi faire ressortir une phrase qui, dans le
mémoire, est passé inaperçue et qui, venant de Bell
Canada, prend beaucoup de signification pour nous ici, autant de l'Opposition
que du parti ministériel. On parle, à un moment donné,
d'un ralentissement économique continental. Je trouve cela
intéressant que vous l'ayez fait remarquer dans votre
mémoire.
Je voudrais maintenant revenir au bilan dont parlait le
député de Marguerite-Bourgeoys. Il parlait d'un bilan qu'on
n'avait pas en arrivant ici, au Parlement, au moment où on a voulu
préparer le projet de loi no 1. Je tiens à faire remarquer au
député de Marguerite-Bourgeoys que la Régie de la langue
française nous a fait connaître les résultats qu'on avait
atteints avec la loi 22, résultats qui étaient insatisfaisants
à son point de vue et nous disait qu'on atteindrait davantage de
résultats si on avait une plus grande volonté politique. Je pense
que c'est important de le faire remarquer.
Vous parlez de catégories de citoyens relativement à
l'article 52 alors que la Commission des droits de la personne nous disait,
dans un rapport très récent, que, dans le projet de loi no 1,
relativement à la langue de l'enseignement, il n'y avait pas de
discrimination. Est-ce que vous continuez toujours à nous dire qu'il y a
discrimination dans le projet de loi no 1 relativement à la langue
d'enseignement?
M. De Grandpré: Je crois qu'il y a sûrement une
discrimination quand des citoyens d'un même lieu géographique, qui
paient des impôts à un même gouvernement, n'ont pas
l'accès au même réseau scolaire selon leur date
d'arrivée dans le lieu géographique.
M. Dussault: Justement, la Commission des droits de la personne
dit qu'il n'y a pas de discrimination, parce que le choix ou, en fait, le lieu
où on tranche la question, c'est justement une question de lieu, au
niveau de l'éducation des parents, qui ne contredit en rien l'article 10
de la Charte des droits et libertés de la personne.
M. De Grandpré: Je vous ferais remarquer que ce n'est pas
exact quant au paragraphe ii de b).
M. Dussault: "dont le père ou la mère est, à
ladite date, domicilié au Québec et a reçu, hors du
Québec, l'enseignement primaire en anglais". Il me semble que cela
confirme ce que je vous disais.
Il est question de lieu et de niveau d'éducation des parents. Du
côté de la Commission des droits de la personne, il n'y a pas de
discrimination. Maintenant, je voudrais savoir, à la page 19 de votre
mémoire, au chapitre des ordres professionnels, on dit que l'article 10
de la Charte des droits et libertés de la personne relié à
l'article 17 de la même loi démontre jusqu'à quel point le
projet de loi 1 viole cette charte dans l'esprit et dans la lettre, est-ce que
vous pourriez nous dire, précisément, en quoi cette loi no 1
viole la charte?
M. De Grandpré: L'article 52 de la Charte des droits et
libertés de la personne réfère aux articles 9 et 38, de 9
à 38. L'article 52 se lit comme suit: "Les articles 9 à 38
prévalent sur toute disposition d'une loi postérieure qui leur
serait contraire, à moins que cette loi n'énonce
expressément s'appliquer en lieu de la charte." Quand je regarde
l'article 17, il est dit que "nul ne peut exercer de discrimination dans
l'admission, la jouissance d'avantages, la suspension ou l'expulsion d'une
personne, d'une association d'employeurs ou de salariés ou de toute
corporation professionnelle ou association de personnes exerçant une
même occupation." Ceci dit, je pense que...
M. Dussault: M. de Grandpré, vous ne parlez pas de la
même chose que moi. Ce que vous dites, c'est quelque chose qui est
relatif à l'article 172 sur lequel, d'ailleurs, le ministre a dit qu'on
se penchera à la lumière du rapport de la Commission des droits
de la personne. M. De Grandpré, est-ce que vous pourriez me dire la
proportion d'employés québécois et ontariens qu'il y a
dans la compagnie comme telle, Bell Canada, je ne parle pas des filiales, je
parle uniquement de la compagnie Bell Canada?
M. De Grandpré: II y a 51 000 ou 52 000 employés
à Bell Canada et il y en a à peu près 16 000 qui oeuvrent
dans la région du Québec. Il y en a 1700 qui oeuvrent au
siège social à Montréal. Les autres sont de
l'extérieur du Québec. Alors, la proportion que j'indiquais
tantôt de 35%-65%, comme étant la proportion des activités
de la compagnie dans le Québec et à l'extérieur du
Québec, on la retrouve là également, dans la proportion
des employés en Ontario et au Québec. Si vous regardez
également la page...
M. Dussault: Vous permettez que je vous pose une question
additionnelle là-dessus?
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Châteauguay, six secondes, s'il vous plaît!
M. De Grandpré: La page 6...
M. Dussault: D'accord. Pour terminer, si vous me le permettez,
parce que c'est complet en ce qui me concerne. Je voudrais savoir si cette
proportion respecte la proportion au Québec des francophones et des
anglophones engagés par la compagnie Bell Canada?
M. De Grandpré: Sans aucun doute. La proportion des
francophones dans la région du Québec est supérieure
à la proportion des francophones dans la province de Québec.
M. Dussault: Nous sommes 80% de francophones et 20% qu'on dit
anglophones. C'est la même proportion qui est respectée au niveau
du nombre de vos employés.
M. De Grandpré: Oui, je pense que nous sommes...
M. Dussault: Je parle de Bell Canada comme tel.
M. Cyr: Oui, il faudrait faire la distinction, parce
qu'évidemment, Bell Canada ne couvre pas tout le territoire de la
province, en particulier, ne couvre pas la Gaspésie, la Côte-Nord
et l'Abitibi-Témiscamingue.
M. Dussault: Même là, dans le territoire que vous
couvrez au Québec...
M. Cyr: Ce sont des territoires qui sont à
prédominance francophone.
La proportion, dans le territoire de Bell Canada, de la région du
Québec, de ce qu'on peut appeler des francophones avec ce que j'ai mis
comme question tout à l'heure si on veut définir un francophone,
est de 83%, je pense, à la fin du mois de mai.
M. Dussault: Je vous remercie.
Le Président (M. Cardinal): Merci à tous. Merci, M.
De Grandpré, merci à ceux qui vous accompagnaient comme
porte-parole de Bell Ca- nada. Cette audition a commencé à 20 h
57. Je pense que nous avons accordé à ce mémoire tout le
temps qu'il mériterait. Merci...
M. Ciaccia: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: ...est que je pourrais vous demander une directive,
s'il vous plaît?
Le Président (M. Cardinal): Oui.
M. Ciaccia: Est-ce que je peux vous demander de donner une
directive au ministre, de prendre bien note des remarques de M. De
Grandpré et de faire les changements qui s'imposent au projet de loi no
1?
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mont-Royal, non, je ne peux pas faire ça. Le député de
Rouyn-Noranda, l'autre soir, m'a presque accusé de participer au
débat. Alors, je ne ferai certainement pas ça. Votre message a
été fait par mon intermédiaire au ministre.
M. le député de Pointe-Claire.
M. Shaw: Une question de directive, M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Pointe-Claire.
M. Shaw: II ne nous reste seulement que dix minutes. Je crois que
ce serait peut-être mieux de garder pour demain les prochains...
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le
député de Pointe-Claire. Nous verrons cela. Il faut d'abord que
le prochain organisme que je vais inviter se présente devant nous, soit
déjà devant nous pour qu'on décide de son sort. C'est une
question préalable et normale.
Merci aux gens de Bell Canada. J'invite le Conseil des hommes d'affaires
québécois à se présenter à cette table,
mémoire no 4. C'est une question de consentement.
Est-ce que c'est Me André J. Bélanger?
Conseil des hommes d'affaires québécois M.
Bélanger (André): Oui, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Me Bélanger, je vais
vous prier, avant que nous décidions de la question du
député de Pointe-Claire, d'identifier votre groupe, ceux qui vous
accompagnent et vous-même et, ensuite, nous nous entendrons sur la
façon de procéder, s'il vous plaît.
M. Bélanger: M. le Président, nous
représentons le Conseil des hommes d'affaires québécois,
dont je suis le président. Je m'appelle André J. Bélanger
et je suis accompagné de MM. André Au-clair et André
Charbonneau.
Le Président (M. Cardinal): Merci, monsieur.
Je reviens à la question du député de Pointe-Claire
et je vous la pose, à vous. Est-ce que vous préférez
commencer nous ajournerons nos travaux normalement à 23 heures
ou si vous êtes d'accord pour revenir devant nous demain matin,
à 10 heures. Et là, c'est une promesse, parce qu'il n'y aura pas
de réunion au salon vert. Il n'y aura donc pas de procédure, nous
commencerons dès le début?
M. Bélanger: M. le Président, nous serions
prêts à commencer ce soir pour autant que cette commission nous
permette de poursuivre je pense à l'unanimité, à ce
moment-ci au-delà du temps requis; à défaut de
cela, je dois par ailleurs vous informer que déjà, pour
comparaître aujourd'hui, nous avons dû laisser d'autres
occupations. J'ai dû, moi-même, quitter un procès en cours
assez important, qui doit reprendre demain matin. Il nous est
déjà très difficile demain matin, nous
préférerions, si c'était possible, qu'une date
ultérieure soit fixée ou que nous soyons reconvoqués,
suivant les informations que vous pourriez nous fournir?
Le Président (M. Cardinal): Si je vous comprends bien, ou
bien vous demandez à la commission là, vous avez raison.
Je suis obligé de demander le consentement de présenter
dès ce soir votre mémoire et, le cas échéant, les
questions de la députation pourraient venir, éventuellement
à une date ultérieure, ou bien si ce consentement n'est pas
obtenu, de vous convoquer à nouveau.
M. Bélanger: C'est-à-dire que ce que nous
voudrions, par exemple, s'il y avait consentement, qu'on termine vers minuit ou
à minuit et qu'ensuite, nous n'ayons pas à revenir. A
défaut de cela, je pense que, compte tenu de l'heure, il est
plutôt inutile de scinder, d'autant plus que ce que nous voudrions
communiquer à la commission n'apparaît pas en entier dans le
mémoire qui a été produit, qui est le fondement de notre
position quant à des précisions, quant au texte de loi
lui-même, quant à diverses modifications et également quant
à certaines précisions sur les prises de position qui ont pu
être adoptées jusqu'à maintenant.
Compte tenu de tout cela, nous préférerions que le tout
soit fait dans un seul temps, de façon que la commission puisse juger
plus adéquatement notre mémoire.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Il me serait
difficile de demander à la commission de siéger jusqu'à
minuit. De toute façon, à minuit, tout serait terminé. Je
demande simplement à la commission quelle est son intention...
M. Ciaccia: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Mont-Royal.
M. Ciaccia: On ne veut pas causer d'ennuis aux invités,
mais je vous ferais remarquer que le leader du gouvernement nous a
imposé une cé-dule assez difficile. Il est allé contre les
coutumes et usages du Parlement en nous obligeant à siéger le
mercredi soir. Cela fait depuis lundi, 15 heures, que nous siégeons.
Nous devons reprendre les travaux demain à dix heures. Je regrette, mais
j'aimerais être en mesure de préparer un peu le travail de
l'Opposition officielle. Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir donner mon
consentement pour siéger après 23 heures ce soir.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Dans ce cas, comme
il n'y a pas consentement unanime, je pense que vous préféreriez
être convoqué à nouveau.
M. Bélanger: Oui, pour autant que nous en ayons une
certaine garantie. Je vois le ministre hésiter. Je pense...
Le Président (M. Cardinal): Personnellement, je ne peux
pas donner de garantie. Je regrette infiniment, mais j'ai déjà
mentionné à plusieurs reprises qu'il n'y avait pas de rendez-vous
devant une commission parlementaire, même si on avait de nombreuses
occupations à l'extérieur.
Nous-mêmes, les députés qui sommes ici
présents, employons treize heures par jour et plus à cette
commission et nous-mêmes avons de nombreux rendez-vous.
M. Bélanger: Nous le savons, M. le Président. M.
Paquette: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Rosemont.
M. Paquette: J'aurais une autre suggestion à vous faire.
Je ne sais pas si les députés de l'Opposition seraient d'accord,
puisque cela prendrait également le consentement unanime, je pense.
Comme on n'est pas sûr de pouvoir revoir nos invités et comme ils
ont attendu toute la journée et comme leur mémoire a une certaine
importance, comme tous ceux qui nous sont présentés, qu'on se
contente peut-être, de l'audition du mémoire ce soir et qu'on
termine à 11 h 15.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Rosemont, si Me André Bélanger est d'accord, je demanderai le
consentement.
M. Bélanger: M. le Président, ce que nous
demanderions, de toute façon, pour ce soir, c'est de nous remettre
à demain matin. Nous allons aviser immédiatement après si
nous pouvons être présents ou non. Je comprends qu'il y a quand
même plusieurs autres organismes qui seront là demain matin. Nous
ferons tout en notre possible pour que la comparution ait lieu si vraiment il
n'y a pas d'autre solution.
Le Président (M. Cardinal): Me Bélanger, sur cette
question, je puis répondre immédiatement.
Le règlement me permet d'ajourner immédiatement à
demain 10 heures et de vous demander d'être là demain matin
à 10 heures.
M. Bélanger: Le règlement vous le permet, si j'ai
bien compris.
Le Président (M. Cardinal): Oui.
M. Bélanger: C'est la suggestion que je vous formule.
Le Président (M. Cardinal): Est-ce que la commission est
d'accord? Alors, Me Bélanger, représentant le Conseil des hommes
d'affaires québécois, l'on vous invite à être avec
nous demain matin à 10 heures. Les travaux de cette commission sont
ajournés à demain 10 heures.
(Fin de la séance à 22 h 56)
ANNEXE 1
Mémoire du Conseil du patronat du
Québec
MÉMOIRE A LA COMMISSION PARLEMENTAIRE DE
L'EDUCATION, DES AFFAIRES CULTURELLES
ET DES COMMUNICATIONS
SUR LE PROJET DE LOI NO 1 INTITULÉ
"CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU
QUÉBEC"
Première partie Considérations
générales 1. Le Conseil du Patronat du Québec a
été créé en 1969. Les membres qui élisent
son Conseil d'administration sont 125 associations patronales professionnelles
(verticales) et interprofessionnelles (horizontales), représentant tous
les genres d'entreprises économiques, privées ou para-publiques,
du Québec. La création du C.P.Q. est une conséquence,
entre autres choses, de l'évolution de la société
politique contemporaine, société dans laquelle l'Etat veut
s'adresser à des porte-parole autorisés de chacun des groupes
sociaux importants. Contre la dispersion traditionnelle des groupes patronaux,
le C.P.Q. a pour tâche de coordonner les activités des diverses
associations patronales et de dégager par la consultation une
philosophie commune. Le C.P.Q. est ainsi devenu un lieu de concertation
où se rencontrent des représentants des entreprises du
Québec dans toute leur diversité. 2. Dès sa
première année d'existence, le C.P.Q. a été
confronté avec les problèmes linguistiques du Québec, et
c'est au terme de cette première année qu'il soumettait un
mémoire à la Commission Gendron. Par la suite, il devait
recueillir les diverses opinions qui se formaient dans les entreprises à
partir du rapport de cette commission, puis à l'occasion de la
discussion d'une première loi sur les droits linguistiques et enfin lors
des multiples consultations qui ont influencé la réglementation
consécutive à cette loi sur la langue. D'une chose à
l'autre, depuis 1969, le débat sur les questions linguistiques du
Québec n'a jamais cessé, et c'est par une réflexion
continue que les opinions ont pris leur forme définitive. Les positions
que le C.P.Q. exprime aujourd'hui ne sont pas improvisées: elles sont le
fruit d'une analyse détaillée de toutes les hypothèses
imaginables et de toutes les contraintes qu'impose la réalité.
Ces positions sont cohérentes et fermes, parce qu'elles ont
été longuement mûries dans des débats difficiles. 3.
Les principes qui ont guidé l'analyse que le C.P.Q. a faite de la
réalité linguistique du Québec peuvent se résumer
en trois propositions: a) PROMOTION DU FRANÇAIS
Le C.P.Q. est d'accord avec l'idée générale d'une
action concertée entre l'Etat, les entreprises et les citoyens en vue de
promouvoir l'usage du français au Québec et de parvenir à
en faire la langue principale dans les activités économiques et
culturelles. b) PROMOTION DES "FRANCOPHONES"
Mais le but concret que poursuit le C.P.Q., à travers la
promotion du français, c'est d'abord et avant tout la promotion des
"francophones". Ce sont les intérêts concrets des citoyens du
Québec dont la majorité sont des francophones c'est
leur bien-être et leur progrès que le C.P.Q. veut défendre.
c) PROMOTION ÉCONOMIQUE DU QUÉBEC
C'est pourquoi, les moyens proposés pour assurer une
évolution linguistique désirable doivent tenir compte des
conditions de la vie et du développement économiques d'un
Québec intégré à l'économie
nord-américaine.
4. Attitude générale vis-à-vis du projet de loi no
1
A) Reconnaissance du bien-fondé des principes
Dans la mesure où l'intention du projet de loi no 1 est
d'inscrire dans la vie concrète du Québec une présence
toujours plus active du français et des francophones, le Conseil du
Patronat l'appuie fermement. En particulier, il est d'accord avec les objectifs
généraux suivants: droit de la majorité francophone de
parler sa langue au travail et d'être servie dans sa langue
caractère fondamentalement français de l'Etat du Québec
nécessité de donner, par l'affichage et les autres textes
exposés à la vue du public, une image fidèle de la
réalité du Québec respect des minorités
B) Sur le choix des moyens
Cependant, dans le choix des moyens pour atteindre ces objectifs, le
C.P.Q. croit que la "promotion du français" ne peut pas être
considérée comme un absolu et que d'autres objectifs sociaux
les libertés démocratiques fondamentales, le
progrès économique, le respect des minorités
doivent fixer les limites de l'intervention directe de l'Etat dans la vie des
citoyens.
En particulier, nous voulons noter d'abord trois idées
générales à propos du choix des moyens: a) tenir compte
des facteurs autres que la langue dans la définition d'une politique
linguistique
Le projet de loi no 1 porte sur la "promotion du français", elle
veut généraliser l'usage du français dans toute la vie
publique du Québec. Dans le choix des moyens, cependant, le
législateur doit tenir compte des autres facteurs parmi lesquels est
situé le facteur "langue" dans la vie d'une société
donnée. Notamment, la "promotion de la langue française" doit
être, dans le concret, réalisée en tenant compte des
conditions du développement économique, des relations
commerciales et technologiques du Québec avec l'ensemble de
l'économie nord-américaine, du droit des citoyens du
Québec de conserver et de développer le niveau de vie auquel ils
sont habitués et les biens que leur procure l'intégration
économique du Québec au continent nord-américain.
Malgré que le législateur veuille parler spécifiquement du
français au Québec, nous croyons qu'il ne peut aborder cette
question dans l'abstrait. b) tenir compte du pluralisme de la
société québécoise
Dans une loi qui parle spécifiquement du français, il
paraît au premier abord naturel de ne pas spécifier les droits que
l'on veut reconnaître par ailleurs aux anglophones, ni non plus la
nécessité pour bon nombre de francophones du Québec
d'avoir une bonne connaissance de l'anglais. Mais le fait de taire ces autres
aspects de la réalité linguistique du Québec crée
une ambiguïté qui affaiblit la "Charte de la langue
française". Dans le concret, la place du français au
Québec ne peut pas ne pas être relative à la place de
l'anglais dans la science, la recherche et le commerce international, et
à la place de l'anglais dans les relations du Québec avec le
monde économique auquel il est intégré. Ne pas tenir
compte de cet aspect des choses dans la rédaction de la "Charte", c'est
simplement rendre cette Charte abstraite et irréaliste. Enfin, si on
considère non pas "le français" séparément, mais
les "francophones", il est loin d'être assuré que l'on travaille
pour leur plus grand bien en réduisant leur monde culturel. Par contre,
pour les "anglophones " qui, par l'effet de la loi, deviendraient bilingues, il
s'agirait d'un développement culturel majeur. L'intention du
législateur est respectable: faire porter le poids du bilinguisme par la
minorité, et non pas par la majorité, comme dans n'importe quel
pays du monde. Mais cette considération est incomplète, car la
situation géographique du Québec place le Québécois
francophone en position de minoritaire dès qu'il sort de son territoire,
et l'unilinguisme français devient alors un obstacle majeur à la
participation des Québécois francophones à la vie
scientifique et économique internationale. c) Compter sur la
collaboration et l'incitation, non sur la coercition
La promotion du français dans la vie économique du
Québec ne se fera pas sans la collaboration continue des nombreux agents
économiques. Dès l'abord, la Charte semble supposer que cette
collaboration ne peut pas être obtenue par la concertation. Des objectifs
généraux sont fixés, puis une machine administrative
énorme serait mise en place pour imposer une réglementation;
ensuite on parle d'enquêtes, de poursuites judiciaires, d'amendes et,
enfin, d'interdiction d'exister pour les organismes qui ne respecteraient pas
les objectifs fixés. Cette façon d'aborder la "promotion" d'une
valeur culturelle de la part d'un gouvernement qui veut parler au nom d'une
majorité, semble montrer un esprit défaitiste. En même
temps que la loi affirme défendre les droits légitimes de la
majorité, dans le respect des droits de la minorité, elle semble
affirmer que la majorité n'a pas les moyens de
convaincre la minorité de la légitimité de ses
objectifs. Il paraîtrait plus naturel d'essayer d'abord une
démarche fondée sur la confiance réciproque et appelant la
collaboration. 5. Principales préoccupations du C.P.Q.
A rencontre de certaines propositions de l'actuel projet de loi, pour
tenir compte de la situation concrète dans laquelle doit s'inscrire
notre volonté collective de promouvoir l'usage du français, le
C.P.Q. veut présenter quatre propositions principales: 1- langue de
l'école et mobilité des personnes de compétence nationale
et internationale concevoir un régime scolaire qui rend toujours
possible le recrutement national et international des compétences
nécessaires à l'amélioration de la gestion de nos
entreprises, à la recherche et à l'innovation technologique; 2-
les permis éviter que l'obtention d'un permis quelconque soit
conditionnelle à des considérations discriminatoires autres que
celles pour lesquelles il a été spécifiquement
créé (règle commerciale, contrôle financier,
sécurité, santé, protection du public, etc.); 3- les
sièges sociaux s'assurer que les sièges sociaux de
sociétés faisant affaires à l'extérieur du
Québec trouvent au Québec des conditions favorables à leur
développement; de même, s'assurer que les sociétés
nationales ou internationales, dont le siège social est à
l'extérieur du Québec, aient avantage à faire du
Québec leur principale place d'affaires pour le nord-est
américain; 4- les responsabilités de l'entreprise définir
le rôle et la composition des "comités de francisation" dans les
établissements industriels de façon à ne pas introduire
artificiellement des principes de gestion contraires à ceux
habituellement utilisés dans notre milieu. Un "comité conjoint"
ne peut être que consultatif, si l'entreprise, selon la loi, est tenue
responsable de sa francisation. 6. Ce sont là les quatre points majeurs
que le C.P.Q. a retenus des multiples consultations qu'il a faites
auprès de ses membres. Une large unanimité s'est exprimée
à propos de l'importance primordiale de ces quatre points pour la vie de
l'entreprise au Québec. Ce souci n'est pas particulier à un type
d'entreprises seulement. Sur l'ensemble des entreprises qui font la vie
économique du Québec, celles qui sont en contact direct avec les
centres de recherche et de développement internationaux et qui ont des
rapports quotidiens avec Toronto, New York, Londres ou Paris
représentent évidemment un nombre limité. Malgré
cela, tous les chefs d'entreprises sont conscients que même une petite
entreprise locale est dépendante du bon fonctionnement de l'ensemble du
réseau économique. De plus, l'espoir de la petite entreprise
locale est de se développer jusqu'à entretenir elle-même
des relations commerciales internationales. Enfin, l'un des apports de l'Etat
pour aider la PME à se développer est de lui faciliter
l'accès à des marchés internationaux. Ainsi, dans toute la
vie économique du Québec, au niveau de l'Etat autant que de
l'entreprise, dans la petite entreprise autant que dans la grande, est
présent ce souci de tirer, pour nous-mêmes, le meilleur profit
possible de notre intégration à l'économie internationale,
Les préoccupations qu'exprime le C.P.Q. à propos des conditions
favorables au développement des entreprises sont donc largement
partagées par l'ensemble des gestionnaires des entreprises
québécoises, quelle que soit la stature de ces entreprises. 7. Ce
n'est pas le but du C.P.Q. dans ce mémoire, de proposer au gouvernement
la forme précise que devrait prendre la loi sur les droits linguistiques
au Québec. Il veut faire part au gouvernement de ses objectifs et il
fait confiance aux juristes et au législateur pour donner sa forme
définitive à la loi. Nous passons quand même en revue,
chapitre par chapitre, l'actuel projet de loi, non pas pour en faire une
analyse juridique, mais pour avoir l'occasion de préciser les
idées générales qui précèdent.
Deuxième partie analyse du projet de loi
Préambule "La langue française est depuis toujours la langue
du peuple québécois", dit le texte actuel.
Cette proposition définit "le peuple" par la langue seulement.
Dans son sens littéral, elle exclut du "peuple québécois"
nombre de citoyens québécois. Dans un texte de loi, une formule
aussi vague, pouvant se prêter à des interprétations
contraires à la Charte des droits et des libertés de la personne,
n'est pas satisfaisante. Le français est la langue de la
"majorité des citoyens du Québec": Voilà un fait
indiscutable, et qui explique que, dans le 3e paragraphe du même
préambule, on puisse parler de "justice à l'égard des
minorités" au Québec.
Chapitre II droits linguistiques
fondamentaux
Le chapitre II énumère certains droits linguistiques
fondamentaux de la majorité francophone, mais ne mentionne aucun "droit
fondamental" des minorités. Pourtant, le préambule de la loi
avait annoncé spécifiquement l'intention du législateur
d'instaurer "un climat de justice et d'ouverture à l'égard des
minorités". Le fait de taire toute référence à
l'existence de minorités crée une ambiguïté à
propos des intentions réelles du législateur.
En général, les formules utilisées dans ce chapitre
sont trop vagues pour trouver une application concrète précise.
Qu'est-ce qui est inclus dans l'expression "les diverses entreprises
exerçant au Québec?" Les nombreuses associations, syndicales
notamment, qui n'ont pas de statut juridique sont-elles des "entreprises
exerçant au Québec?" D'autre part, on parle, dans ce chapitre-ci,
des "travailleurs", terme qui n'a pas de définition juridique. Le projet
de loi parlera, par la suite, de "salarié", sans que l'on puisse
établir s'il s'agit toujours du "salarié" au sens du Code du
travail. Enfin, on parlera encore de "membres du personnel". Cet terminologie
imprécise rendra l'interprétation de la loi difficile.
Chapitre III la langue de la
législation
Le projet de loi ne prévoit pas que les projets de loi seront
présentés accompagnés d'une version anglaise. Or, dans
notre système parlementaire, c'est à propos des projets de lois
que la participation des citoyens est la plus importante. Pourquoi exclure, du
processus démocratique de préparation des lois, une
minorité de citoyens importante en nombre, importante historiquement,
importante par son expérience et importante également par sa
contribution économique?
Nulle part également il n'est prévu une version anglaise
des différentes réglementations publiées dans la Gazette
officielle, soit au moment de la consultation, soit au moment de leur
application. Mais avec le technique des lois-cadres, la réglementation
est souvent aussi importante que la loi. La version anglaise de la loi, sans la
version anglaise de la réglementation, n'est pas toujours
suffisante.
Nous considérons que ce chapitre devrait énumérer
les textes officiels qui doivent être accompagnés d'une version
anglaise, à savoir non seulement les lois, mais aussi les projets de
lois, les règlements et avis dans la Gazette officielle.
Pour ce qui est de l'interdiction qui est maintenant faite aux personnes
morales de plaider devant nos cours de justice dans la langue de leur choix,
elle nous paraît une contrainte inutile. Nous nous interrogeons
également sur l'article 13 qui veut que seul le texte français
des jugements rendus au Québec soit officiel. Comment la version
française d'un jugement rédigé en anglais peut-elle
être considérée comme plus officielle que l'originale?
Ne s'agit-il pas là plus d'une volonté de restreindre
l'usage de la langue anglaise, même dans des cas d'exception, que de la
volonté de "promouvoir" le français?
Chapitre IV la langue de
l'administration
Article 1516
Même si la langue officielle des textes et documents de
l'administration est le français, bon nombre de ces textes et documents
devraient être disponibles dans une version anglaise.
C'est le cas surtout lorsqu'il s'agit, par exemple, de documents portant
sur des questions techniques ou sur la protection de l'environnement, et,
à cet égard, l'article 16 devrait être élargi.
D'autre part, il nous paraîtrait plus juste de prévoir
spécifiquement que les services de l'Etat s'adressant directement
à un citoyen puissent être donnés à ce citoyen en
anglais, à sa demande.
Article 23
Que la langue de l'administration dans les commissions scolaires dont
les administrés sont anglophones, soit à peu près
exclusivement le français, que les commissions scolaires de langue
anglaise communiquent entre elles en français, etc., nous paraît
une façon de brimer inutilement les droits de la minorité
anglophone au Québec, sans pour autant promouvoir une utilisation du
français plus satisfaisante pour les francophones.
En fait, la difficulté de cet article vient, non pas du fait
d'imposer un certain usage du français dans les organismes publics au
service des Québécois anglophones, mais du fait de vouloir
imposer à ces organismes l'usage exclusif du français (sauf si la
santé et la sécurité publique sont en cause). Que
signifie, par exemple, l'affichage exclusivement français dans une
école anglaise? Que signifie encore l'interdiction d'engager un
professeur unilingue anglais pour enseigner l'anglais dans une école
anglaise?
Chapitre V la langue de certains organismes
para-publics
Lorsque la loi précise que les ordres professionnels doivent
communiquer en français avec leurs membres et le public, nous comprenons
que d'aucune façon on n'entend prohiber l'usage complémentaire de
l'anglais. Si tel est le sens de la loi, elle ne crée en principe aucune
difficulté.
A souligner ici que, dans leurs communications avec leurs
différents publics, bon nombre d'entreprises, d'associations ou d'ordres
professionnels utilisent le français, mais en présentant sur le
même document une version anglaise. Nous nous demandons si un tel
procédé continuera d'être acceptable au sens de la loi no
1. Nous croyons que le procédé qui consisterait à faire
tout document en français et à ajouter, dans certains cas, un
autre document donnant la version anglaise, compliquerait inutilement les
formules administratives et certaines communications de masse.
Article 30
Le Québec a déjà au-delà de 200 centres de
recherche et de développement hautement spécialisés. Il a
intérêt, non seulement à maintenir vivants ces centres,
mais aussi à faciliter leur développement. On reproche aux pays
les plus avancés dans la recherche scientifique de se contenter de
fabriquer dans leurs succursales étrangères les produits qu'ils
ont mis au point, et de ne pas exporter la recherche de pointe qui leur assure
leur puissance future. Si le Québec a un pas de fait dans le sens d'une
participation au développement scientifique et technologique mondial, il
serait ridicule qu'il se place lui-même, par simple négligence,
dans la position d'un pays totalement dépendant.
Or le personnel des centres de recherche et de développement se
recrute partout dans le monde, et la langue commune de ces scientifiques, c'est
l'anglais. Les lois du Québec n'y peuvent rien.
Nous considérons donc qu'une exception devrait être faite
pour tous les centres de recherche et de développement, et que les
professionnels invités à travailler dans ces centres ne devraient
pas être assujettis à l'article 30. On pourrait spécifier
que, lorsqu'un professionnel n'agit que pour un seul employeur et qu'il n'a pas
de lien avec le public, l'article 30 ne s'applique pas.
Chapitre VI la langue de travail
Article 3637
Les articles 36 et 37 sont inutilement contraignants pour les
employeurs. Nous ne nous opposons pas au principe de l'article 36. Nous
trouvons cependant malsain de faire arbitrer une présumée
infraction à la loi sur la langue par un commissaire-enquêteur en
vertu du Code du travail. Outre le fait que dans une telle orientation, le
fardeau de la preuve relèvera de l'employeur, cette disposition confond
les problèmes de relations de travail et les problèmes
inhérents à l'application de la loi no 1. Une telle confusion ne
servirait ni la cause du français ni les intérêts des
syndiqués. Les infractions présumées à la loi sur
la langue pourraient devenir, dans certains cas, des armes de
harcèlement dans un conflit ouvrier, rendant ainsi les relations de
travail plus compliquées et faisant de la loi sur la langue une arme
dans une lutte qui n'a aucun rapport avec la promotion du français.
Pourquoi ne pas prévoir tout simplement que les infractions au chapitre
VI de la loi sur la langue seraient traitées comme n'importe quelle
autre infraction à la loi, avec les mêmes risques de
poursuite.
Quant à l'article 37, il ne pourra qu'engendrer un fouillis
administratif. Cet article obligerait l'Office de la langue française
à avoir la description de tâches d'à peu près tous
les emplois du Québec, entreprise par entreprise. Il s'agirait là
d'une situation intolérable. Ce que nous proposons plutôt, c'est
que la loi reconnaisse le principe qu'il est interdit à tout employeur
d'exiger, pour l'accès à un emploi ou à un poste, la
connaissance d'une autre langue que le français, à moins que
l'accomplissement de la tâche nécessite la connaissance de cette
autre langue. Il incombera à l'employeur de prouver que la connaissance
de l'autre langue est nécessaire, à partir de ses propres
descriptions de tâches et par l'analyse de ses besoins.
Dans le cas des articles 36 et 37, on devrait prévoir des recours
devant un tribunal d'appel. La procédure alors proposée pourrait
être du même type que celle que l'on trouve dans la Charte des
droits et des libertés de la personne.
Chapitre VII la langue du commerce et des
affaires
Articles 41 42
Signalons immédiatement que cette partie de la loi semble
être en contradiction avec certaines législations
fédérales. En réalité, s'il n'y a pas de
concordance entre les lois fédérales et les lois provinciales sur
l'étiquetage, on place les entreprises dans la situation absurde
d'être nécessairement dans l'illégalité, quoi
qu'elles fassent. De plus, la proposition actuelle qui autorise l'Office de la
langue française à réglementer toute la question de
l'utilisation de la langue française et des autres langues obligera les
entreprises à revoir tout ce qu'elles ont déjà fait pour
se conformer aux règlements des gouvernements en ce domaine.
Comme il semble que la question relative à l'étiquetage ne
crée actuellement aucun problème quant à la promotion
réelle du français, n'y aurait-il pas lieu de continuer tout
simplement dans le sens de la réglementation actuelle? Autrement, nous
pourrions facilement en arriver à une situation où chaque
entreprise devrait procéder à deux types d'étiquetage,
l'une pour les produits distribués au Québec, l'autre pour les
produits distribués ailleurs au Canada.
Article 46
L'article 46 pose le principe de l'affichage commercial uniquement en
français. Une telle orientation peut être discriminatoire.
N'est-il pas logique en effet qu'un client puisse être informé
dans sa langue? Par ailleurs, des exceptions seront prévues dans la
réglementation de l'Office de la langue française. Le paragraphe
b) de cet article semble permettre toutes sortes d'exclusions. En effet, selon
la définition que l'on donnera des mots "étranger",
"particulier", et "groupe restreint", il sera possible d'obvier à
l'aspect discriminatoire de cet article. Pour comprendre la portée
réelle de cet article, donc, il faudrait connaître les
règlements qui le préciseront. Et nous revoilà devant
cette fâcheuse technique des lois-cadres par lesquelles de
législateur délègue ses responsabilités aux
technocrates de l'Etat.
Notons que toutes les grandes métropoles ont des "quartiers
chinois", des "quartiers grecs", des "quartiers italiens", etc., qui se
reconnaissent justement par l'usage de diverses langues dans l'affichage
commercial. Ces quartiers sont un enrichissement pour une métropole. Le
texte actuel de la loi pourrait avoir pour effet de détruire ces
particularités, si la réglementation qui en sera tirée est
très restrictive. Il vaudrait mieux, à notre point de vue, que le
législateur définisse plus clairement ses intentions et laisse
moins de marge d'interprétation aux concepteurs de la
réglementation.
Articles 484950
L'article 48 prévoit que seules les raisons sociales de langue
française pourront être utilisées au Québec. Est-ce
à dire que, sur les étiquettes, la version anglaise ne pourra
apparaître? Si tel est le cas, l'entreprise ayant des marchés
extérieurs devra adopter deux méthodes de marketing et deux
séries d'étiquettes. En a-t-on estimé les coûts?
Enfin, l'un des problèmes dans la formulation française
des raisons sociales vient des noms déjà anciens et connus
internationalement. Quelles règles s'appliqueront dans ces cas? Une
compagnie américaine, allemande ou hollandaise ne pourrait-elle pas
utiliser son nom international au Québec? Une compagnie
québécoise faisant affaire depuis nombre d'années sur le
marché financier de New York devra-t-elle avoir un nom au Québec
et un autre à New York?
Chapitre VIII la langue d'enseignement
Le C.P.Q. ne peut accepter que les enfants de personnes de langue
anglaise, qui viendront s'installer au Québec après
l'entrée en vigueur de la loi, ne puissent inscrire leurs enfants
à l'école anglaise. Rien ne nous paraît justifier, tant au
plan de la promotion du français que sur le plan économique, une
telle décision.
Outre que nous devons reconnaître que, pour s'épanouir, la
communauté anglophone québécoise a besoin de se ressourcer
à l'extérieur du Québec, il nous est essentiel de
reconnaître aussi que, en empêchant les anglophones qui viendront
s'installer au Québec d'envoyer leurs enfants à l'école
anglaise, nous nous créons à nous-mêmes des
difficultés économiques très réelles. Comment en
effet serait-il possible dorénavant de déplacer des cadres de
Toronto, de Vancouver, de Londres ou de New York vers Montréal, quand on
songe que, dans la recherche de personnel de compétence internationale,
Montréal est en concurrence avec toutes les grandes villes
nord-américaines?
La loi actuelle doit donc aborder toute cette question de la langue
d'enseignement avec une grande ouverture d'esprit. Elle doit tenir compte de la
réalité géographique dans laquelle se situe le
Québec, et des énormes ressources en capital humain et financier
dont elle priverait le Québec si elle était trop coercitive. A
cet égard, le législateur doit être le porte-parole de
toute la collectivité québécoise, et non seulement du
groupe majoritaire.
Le C.P.Q. avait soutenu, depuis 1969 jusqu'à cette année,
la thèse du libre choix de la langue d'enseignement. A la suite de
l'analyse des diverses propositions présentées au cours des
dernières années à ce sujet, et au terme d'une nouvelle
consultation de ses membres, le Conseil d'administration du C.P.Q. a
adopté, en mars de cette année, une position
révisée comportant les trois éléments suivants: 1-
"Liberté de choix de la langue d'enseignement pour tous les
résidents canadiens actuels" 2- "Après la promulgation de la loi,
tous les nouveaux immigrants au Québec, autres que ceux d'ascendance
anglophone ou francophone, devront s'intégrer à l'école
francophone, sous réserve cependant qu'il est essentiel que les
programmes scolaires soient restructurés pour dispenser un meilleur
enseignement de la langue seconde, tant française qu'anglaise, aux
étudiants des deux réseaux scolaires." 3- "Des dispositions de
"résistence temporaire" devront être prévues."
Chapitre IX dispositions diverses
Article 61
L'article 61 pose à nouveau le problème d'une version
anglaise de la réglementation et des avis publiés dans la Gazette
officielle. Nous répétons notre idée qu'une mauvaise
information des citoyens québécois de langue anglaise ne
contribue pas à la promotion du français et brime inutilement un
groupe important de citoyens, qui doivent rester des citoyens à part
entière.
Titre II l'office de la langue française
et la francisation Chapitre II l'office
Nous ne pouvons accepter que le législateur accorde autant de
pouvoirs discrétionnaires à un organe administratif de l'Etat,
comme l'Office de la langue française. En fait, cet Office aurait un
droit de vie et de mort sur toute entreprise du Québec, puisqu'il
décidera à partir de sa propre réglementation si
l'entreprise obtiendra les permis exigés par les autres lois du
Québec pour des raisons de protection du public, de
sécurité industrielle, d'éthique commerciale, etc. Cette
seule idée, d'ailleurs, que la réglementation de l'Office de la
langue supplanterait toutes les autres considérations quand il s'agit
d'accorder des permis dans notre société par ailleurs
surréglementée (permis de construire, permis de vendre de
l'alcool, permis d'exploiter un commerce, etc.), nous paraît être
énorme et disproportionnée. Peut-elle être même
fondée en justice? L'exigence d'un permis qui a été
imposée par le législateur pour, par exemple, délimiter le
territoire dans lequel une entreprise peut exercer ses activités,
pourrait-elle en toute justice être détournée de sa fin par
une nouvelle loi ou même par un règlement d'un organe
administratif de l'Etat?
De plus, selon le texte actuel du projet de loi, aucun recours contre
cet Office n'est possible, ni au ministre, ni à un tribunal d'appel. Une
telle situation est totalement inacceptable. On peut se demander pourquoi le
gouvernement, qui veut instituer un droit d'appel contre les décisions
de la Commission des accidents du travail devant le tribunal des Affaires
sociales (Bill 5), ne prévoit pas, au nom des mêmes principes, un
tribunal d'appel dans les questions aussi importantes pour l'entreprise que
celles soulevées dans la loi no 1. Les questions qui sont ici mises en
cause sont beaucoup plus importantes que celles qui relèvent 3e
l'impôt: pourtant les décisions des services de l'impôt
peuvent faire l'objet d'un appel.
Chapitre III francisation des services et
entreprises
Dans ses grandes lignes, et à condition d'introduire sous une
forme ou une autre un droit d'appel, le C.P.Q. reconnaît comme valable le
contenu des articles 95 à 112, sous réserve des commentaires
majeurs suivants:
Article 95
Est-ce que l'échéance de 1983 prévu à
l'article 95 est vraiment réaliste?
Article 106
L'article 106, paragraphe a), ne saurait d'aucune façon
être acceptable pour les entreprises, lorsqu'il y est question des
permis. Comme nous avons dit déjà, l'obtention d'un permis
quelconque ne doit pas être conditionnel à des
considérations discriminatoires autres que celles pour lesquelles il a
été spécifiquement créé (règle
commerciale, contrôle financier, sécurité, santé,
protection du public, etc.).
Si l'Office ou le gouvernement le voulait, il serait possible, par le
seul refus de certains permis, de mettre en cause l'existence même des
entreprises.
Article 112
L'article 112 prévoit l'augmentation du nombre de
Québécois au sein des conseils d'administration. Une telle
proposition est ambiguë. Quel degré de francisation et de
francophonisation des conseils d'administration veut-on atteindre? Et si
"Québécois" veut dire: tout résident actuel du
Québec, dont les anglophones à qui on n'entend pas
nécessairement demander, compte tenu de certaines circonstances,
l'apprentissage du français, de quelle façon s'établit
l'équilibre avec cette autre partie de la phrase qui dit: "de
manière à assurer la généralisation de
l'utilisation du français?"
Il faudra, à ce sujet, tenir compte des entreprises nationales
qui, même si leur siège social est au Québec, font la
majorité de leurs affaires en dehors du Québec, et ont des
actionnaires dans tout le pays et à l'étranger. De façon
générale, les lois et règlements sur l'ethnie des membres
du conseil d'administration doivent quand même être respectueux de
la liberté des actionnaires, si l'on ne veut pas que les entreprises
privées du Québec soient dans une situation défavorable
par rapport à leur concurrents canadiens ou américains.
Article 113
Les réserves que fait cet article à l'égard des
sièges sociaux sont déjà excellentes en soi. Cependant,
elles ne nous paraissent pas aller assez loin. En plus des sièges
sociaux eux-mêmes, il faut considérer divers cas particuliers
comme, par exemple, le siège canadien d'une société
internationale ou le siège régional pour l'est du Canada d'une
société nationale ou internationale. En général, il
faut souhaiter que la loi soit assez souple pour permettre une analyse
précise de chaque genre d'entreprises, et pous adapter les programmes de
francisation à diverses situations.
L'usage de l'anglais est essentiel pour toutes les entreprises dont le
siège social ou régional est au Québec, de même que
pour toutes celles qui entretiennent des relations avec l'extérieur du
Québec.
Pour cette raison, il ne saurait être question de les assujettir
au même programme de francisation et de francophonisation que l'on entend
élaborer pour les établissements du Québec qui n'ont pas
de relations importantes avec l'étranger.
Nous suggérons fermement ici que les dispositions actuellement
applicables aux sièges sociaux, soit en vertu de l'ancienne
législation, soit en vertu de l'ancienne réglementation,
continuent de s'appliquer.
Le contenu tant de l'ancienne loi que de l'ancienne
réglementation avait fait l'objet de mille et une discussions qui
avaient permis de rendre applicables les programmes de francisation des
sièges sociaux et des centres de recherche et de développement,
sans pour autant compromettre la situation économique de ces
entreprises.
Les articles 114115116
Le Conseil du Patronat est d'accord avec l'idée d'impliquer les
employés dans la francisation des entreprises. Cependant, il trouverait
nuisible et pour la saine gestion des entreprises et pour l'objectif
même de la francisation d'introduire, par le biais de la loi sur
la langue, un nouveau partage du pouvoir au sein des entreprises, partage du
pouvoir auquel ne correspond pas le partage réel des
responsabilités. Cette intervention directe de la loi sur la langue dans
le mode de gestion des entreprises créerait plus de difficultés
qu'elle ne servirait la cause du français.
En particulier, quand le projet de loi propose de faire nommer certains
membres du comité par les syndicats, il ne tient manifestement pas
compte de la complexité de la situation syndicale dans nombre
d'entreprises, et, en fait, propose un moyen inapplicable. Que fera
l'entreprise qui, par exemple, fait affaire avec une dizaine de syndicats, dont
certains sont des rivaux irréconciliables?
Mais revenons au principe fondamental mis en cause. Comment peut-on
accepter qu'un comité, dont une partie des membres n'a de compte
à rendre à personne à l'intérieur de l'entreprise,
et qui ne peut pas être tenu responsable de la bonne marche ou des
difficultés de l'entreprise, reçoive de l'extérieur le
mandat de déterminer la politique de l'entreprise sur des sujets pouvant
s'étendre à toutes ses activités? Cette orientation est
purement et simplement inacceptable pour la très grande majorité
des entreprises du Québec. Quoi qu'on puisse dire en théorie sur
le dévouement des syndicats pour les bonnes causes, nous avons appris
par l'expérience qu'il arrive à des syndicats d'exploiter tous
les avantages qu'ils ont dans une entreprise à des fins de
revendications économiques. Les intentions n'y changeront rien: dans les
faits, il arrivera que la langue devienne un prétexte parmi d'autres
pour atteindre des objectifs sans rapport avec la promotion du français.
Nous serions les plus heureux du monde si nous pouvions compter, en tout temps,
sur un absolu respect des règles établies dans les relations
entre l'entreprise et les représentants des salariés. Mais ce
serait de l'angélisme que de discuter sur cette base. Nous comprenons
mal qu'un gouvernement qui a le double souci de défendre la langue
française et de restaurer la paix industrielle veuille introduire une
question aussi explosive que la langue dans un cadre aussi profondément
conflictuel.
En contre-partie au retrait de ces trois articles, le législateur
devrait exiger des entreprises, dans la loi elle-même, d'informer
constamment les travailleurs de la progression des travaux de francisation de
l'entreprise. Il pourrait même prévoir la mise sur pied de
comités consultatifs à l'image de quantité de
comités de ce type qui existent déjà dans
l'entreprise.
Titre III La commission de surveillance et les
enquêtes
Quel que soit le contenu de la loi et de la réglementation sur la
langue, il faudra, bien sûr, que l'Etat possède des moyens de
surveillance et de contrôle. Est-il nécessaire d'imaginer, pour ce
faire, une commission autonome qui aura tendance à se développer
pour elle-même, indépendamment de son utilité
réelle? Est-il nécessaire de prévoir dès le point
de départ un organisme de ce genre, comme si l'on savait d'avance que la
loi sera difficile d'application et exigera une surveillance tâtillonne?
En fait, l'Office ne peut accomplir sa tâche sans relation directe avec
les divers organismes qu'il réglemente et sans une connaissance exacte
de la réalité. Pourquoi les moyens de l'Office ne seraient-ils
pas suffisants?
Mais, quoi qu'il en soit des techniques d'enquête, il est
inadmissible que les décisions administratives qui pourraient se fonder
sur ces enquêtes ne puissent pas donner lieu à un appel. Les
meilleurs enquêteurs du monde peuvent ne pas voir certains aspects de la
réalité. Les personnes en cause ont droit de se faire entendre,
de contester le bien-fondé d'un rapport d'enquête ou d'en appeler
d'une décision administrative faisant suite à un rapport
d'enquête. Le projet de loi no 1 doit reconnaître ces droits
fondamentaux.
Titre VI Dispositions transitoires et
finales
L'article 167 de cette section est discutable. En effet, on accorde une
plus longue période pour se conformer à la loi à ceux qui
n'ont rien fait en ce domaine depuis le 31 juillet 1974. Le moins que l'on
puisse demander est que toutes les entreprises soient mises sur le même
pied.
C.P.Q.
Montréal, juin 1977
ANNEXE 2
Mémoire présenté par
La Fédération des travailleurs du
Québec
A la Commission parlementaire
Chargée d'étudier
Le projet de loi no 1
Préambule
Les organisations patronales mènent la marche dans la bataille
contre le projet de loi no 1, contre l'affirmation linguistique du peuple
québécois. Il fallait s'y attendre. La fureur du patronat est
d'autant plus grande que le nouveau Gouvernement du Québec a rompu avec
la pratique établie: plus de rencontres de couloir; plus de
négociation privée des projets de loi linguistiques avec les
maîtres du Québec avant d'en saisir la population.
Tirant profit de la situation économique pénible du
Québec, les groupes patronaux cherchent à effrayer les
travailleurs québécois, et pratiquent un chantage
éhonté. Que n'a-t-on pas entendu? Exode de capitaux, fermetures
d'usines, marges de profit rasées par le coût des
opérations de francisation, compétences qui ne parlent
qu'anglais, pertes d'emplois et chômage endémique... Comme si
l'absence de politique de francisation nous avait valu le plein emploi...
Et voilà que défilent les enquêtes, les sondages
effectués auprès des directions d'entreprises. Voilà qu'en
nombres précis les emplois se perdent et se retrouvent selon que le
projet de loi sera ou non adouci. Comme si nous étions en face de
pronostics objectifs, indépendants des opinions et des
intérêts des directeurs d'entreprises, en-dehors de la campagne
organisée contre le projet de loi no 1 qui agite le Québec...
La Fédération des travailleurs du Québec appuie
profondément le projet de Charte de la langue française au
Québec, et nous lançons un appel aux travailleurs
québécois pour qu'ils ne se laissent pas prendre au jeu des
sondages alarmistes, des déclarations catastrophistes. Notre appui au
projet de loi est inconditionnel, et les réserves mineures que nous
émettons ne font que témoigner de l'éclairage particulier
que nous donne notre champ d'activité.
Le débat public qui s'est engagé autour du Livre Blanc
puis du projet de loi nous a permis d'assister à la solidarisation
instinctive et immédiate des petits et grands patrons francophones avec
le grand patronat anglophone. Bien peu nombreux sont les représentants
francophones du monde patronal qui se démarquent de la campagne
d'opinion anti-bill 1. Face aux intérêts économiques qui
possèdent le Québec à l'étouffer, l'absence
d'autonomie de notre bourgeoisie locale est flagrante.
La FTQ possède un certain nombre de convictions en matière
de francisation des entreprises, que nous voulons énumérer. La
première, c'est que malgré des améliorations notoires, sur
le plan de la francisation, qu'ont vécues les employés de
plusieurs grandes entreprises installées au Québec, cela n'a pas
suffi pour changer de façon durable et profonde les règles du jeu
en faveur de la majorité.
La seconde, c'est que tous les secteurs industriels sont virtuellement
francisables. Nous reconnaissons que dans certains secteurs, le processus peut
être plus long, plus complexe. Nous reconnaissons aussi que, pour
certaines opérations, dans certaines entreprises, l'idéal de
francisation défini dans la charte pourra difficilement être
atteint, et qu'il faudra alors viser au niveau de francisation maximale qu'il
sera possible d'atteindre.
Nous sommes enfin convaincus que le Gouvernement adoptera une attitude
souple et qu'il saura, devant des contraintes inévitables, faire preuve
de compréhension. Nous sommes tout aussi convaincus que nombre de
témoignages patronaux entendus à ce jour déculpent les
problèmes, déforment la réalité. Ce n'est pas en
plein débat que nous pourrons collectivement y voir clair. La seule
chose à faire, c'est d'adopter une loi énergique,
complète, précise, laissant place à des accommodements
qu'il sera bien temps, plus tard, d'accepter d'introduire dans des cas
particuliers. La francisation du Québec ne doit pas se négocier.
A nous toutefois d'en amoindrir les coûts sociaux.
Nous savons gré au Gouvernement du Québec d'avoir
brisé, dans sa charte linguistique, avec la tradition de
quémandage et surtout de laisser-faire des précédents
gouvernements. Le patronat a vu, avec raison, dans quelques articles du projet
de loi, des intrusions inédites au Québec dans le fonctionnement
interne des entreprises, dans ces droits de gérance sacrés
auxquels les syndicats se heurtent continuellement. La FTQ félicite le
Gouvernement d'avoir su introduire ces éléments de nature
dirigiste, car le passé nous a prouvé qu'ils étaient
nécessaires. Nous voyons dans cet interventionnisme et cette coercition
une condition de départ à la francisation réussie du
Québec.
Pour nous, le respect de la langue et de la culture de la
majorité est une responsabilité sociale de l'entreprise. Il y en
a d'autres, tout aussi importantes; qu'il s'agisse de la santé des
travailleurs ou de leur droit à travailler dans leur langue, si les
entreprises se refusent à assumer ces responsabilités, l'Etat
doit les y contraindre.
Les acteurs dans ce débat linguistique sont bien
identifiés, et les enjeux sont clairs. Les travailleurs et leurs
représentants n'ont choix que d'appuyer le Gouvernement dans cette
difficile mais nécessaire opération de francisation qui origine
de la situation de domination économique du Québec, et qui
provoque les grenouillages désespérés de ceux qui ont
quelque chose à y perdre. Ce n'est pas une
révolution; la langue du pouvoir économique ne changera
pas pour autant. Il s'agit tout simplement d'obliger les détenteurs de
capitaux à respecter la dimension culturelle et linguistique des
travailleurs majoritairement francophones du Québec. Pour la FTQ, c'est
une décision historique dont nous soulignons l'importance.
INTRODUCTION
La Fédération des travailleurs du Québec
représente environ 350,000 travailleurs qui sont membres de sections
locales québécoises de syndicats canadiens et internationaux, ces
derniers recrutant leurs membres aux Etats-Unis et au Canada. Non seulement la
FTQ est-elle reliée à des structures syndicales à
dimension nord-américaine, mais encore l'immense majorité des
travailleurs québécois à l'emploi de multinationales
opérant au Québec sont-ils membres de nos syndicats.
La FTQ est le seul organisme habilité à parler au nom de
l'ensemble des membres québécois de ces syndicats, qui viennent
de secteurs industriels très variés et qui nous sont
majoritairement affiliés:
Malgré que la FTQ recrute ses affiliés dans des secteurs
extrêmement diversifiés, c'est un point de vue qui fait l'objet
d'un large consensus que nous présentons aujourd'hui à cette
commission de l'Assemblée nationale chargée d'étudier le
projet de loi numéro 1.
Réuni le 12 mai dernier, le Conseil général de la
FTQ instance suprême entre nos congrès approuvait
dans son ensemble la Charte de la langue française au Québec.
L'intérêt de la FTQ pour la question linguistique n'est toutefois
pas si récent, puisque dès 1969 nous réclamions, par une
résolution adoptée en congrès, une politique visant
à faire du français la langue de travail. Nous avons
d'ailleurs
toujours considéré, à la FTQ, que la francisation
des milieux de travail, serait le pivot de la francisation de la
société québécoise, et c'est donc sur cet aspect,
qui nous touche de près, que nous nous sommes attardés lors de
nos interventions publiques.
Plusieurs groupes de travailleurs affiliés à la FTQ ont
mené des luttes pour obtenir le droit de néqocier ou travailler
en français. Les métallos d'Atlas Steel jouèrent un
rôle de précurseurs, lorsqu'en 1963 ils
revendiquèrentet obtinrent de faire du français la
langue des relations de travail. Les membres des Travailleurs unis de
l'automobile, en 1970, ouvriers de General Motors à
Sainte-Thérèse, contribuèrent beaucoup à faire
ressortir l'impuissance du Gouvernement du Québec face au colonialisme
linguistique dont nous étions l'objet. Il y eut d'autres conflits,
d'autres groupes de travailleurs qui essayèrent de faire respecter, sans
appui gouvernemental, les droits du français au travail; il y eut
Tolhurst, United Aircraft, le PSBGM, et beaucoup d'autres.
En 1971, la FTQ présentait un mémoire à la
Commission Gendron dans lequel nous définissions avec précision
les éléments constitutifs d'une telle politique de francisation.
En 1974, nous présentions notre point de vue au Gouvernement au cours du
débat sur le projet de loi 22.
La FTQ condamnait la démarche adoptée par le
précédent gouvernement dans la préparation de la loi 22,
notamment dans les aspects suivants: caractère non universel de la
législation sur la francisation des milieux de travail, action
strictement incitatrice et assortie de nombreuses tolérances
injustifiées et d'arbitraire, imprécision des objectifs et des
normes utilisés, danger d'institutionnalisation du bilinguisme... Le
règlement sur la francisation des entreprises qui couronna en quelque
sorte la Loi 22 se révéla être de la même encre que
la loi et tout aussi inacceptable aux yeux de notre centrale.
Il nous est rarement arrivé, à la FTQ, de pouvoir exprimer
un accord aussi total face à un projet de loi. Nous retrouvons dans la
Loi numéro 1, au chapitre de la langue de travail et de la francisation
des entreprises, les éléments de politique très
précis que nous réclamions en 1971, et l'ensemble de la
démarche du Gouvernement répond exactement à nos
souhaits.
Dans ce bref mémoire, la FTQ s'attachera à étudier
les aspects du projet de loi qui concernent spécifiquement notre
pratique quotidienne, donc la francisation des milieux de travail, la langue du
travail et des relations de travail, l'application des objectifs mis de
l'avant, ainsi que les problèmes reliés à la conception
des droits individuels et collectifs.
1. Discrimination, droits individuels et droits
collectifs
En tant que centrale syndicale, et à ce titre
préoccupés par le respect des droite fondamentaux des citoyens du
Québec, nous ne pouvons pas rester indifférents au débat
mettant en cause la Charte des droits de la personne et la Charte de la langue
française au Québec.
Autant il nous apparaît qu'il s'agit là d'un débat
important et que des esprits ouverts ne peuvent esquiver, autant nous nous
élevons contre l'utilisation abusive et déformatrice des
principes démocratiques fondamentaux à laquelle se livrent des
adversaires du projet de loi numéro 1. Là où il y a
traitement différencié de groupes ou d'individus, il n'y a pas
nécessairement discrimination, et il est impossible de faire avancer le
débat sans définir au préalable les concepts en cause. 1.1
Le problème de l'article 172
Faisant l'analyse que la mention du critère linguistique comme
motif de discrimination allait ou était susceptible d'aller contre le
projet de loi numéro 1, le Gouvernement a choisi, par l'article 172, de
modifier la Charte des droits et libertés de la personne. Cette
modification, en supposant qu'elle soit la conséquence d'une analyse
fondée en droit, constitue en fait une attaque au caractère
semi-fondamental de la Charte des droits. Les adversaires du projet de loi ont
rapidement profité de l'occasion pour déclarer, article 172
à l'appui, que la Charte de la langue, dans sa globalité, violait
les droits démocratiques fondamentaux, ce qui est faux et excessif. La
FTQ, de même que le Parti Québécois du temps où il
était dans l'opposition, réclamait que la Charte des droits ait
un caractère fondamental; nous avons de plus dénoncé le
Gouvernement Libéral lorsqu'il a, dans des législations punitives
à l'endroit d'organisation syndicales, passé outre à la
Charte en se prévalant de l'article 52 de ce document législatif,
et nous avons de plus réclamé l'amendement de lois
antérieures à la Charte qui violaient les droits fondamentaux
qu'elle reconnaissait.
Dans la ligne de ces positions, la FTQ ne peut pas approuver le moyen
utilisé par le Gouvernement pour contrer le problème apparent ou
réel de non-concordance entre ces deux Chartes, car il contribue
à relativer le caractère semi-fondamental de la Charte des
droits. Il nous apparaîtrait plus conforme au respect des droits
démocratiques qui a toujours animé ce parti maintenant au
Gouvernement d'amender plutôt la Charte des droits, dans un processus
législatif indépendant de la législation linguistique. 1.2
Une définition de la discrimination
L'actuel débat autour des droits de la majorité et de ceux
de la minorité nous a permis de nous rendre compte à quel point
le cas de la société québécoise était
particulier. L'articulation des
droits reconnus des minorités avec le droit d'un peuple
majoritaire à protéger son identité est
particulièrement pénible au Québec.
D'une part, la minorité anglophone détient une position de
domination économique; d'autre part, et conséquemment, la
minorité anglophone jouit de privilèges
institutionnalisés, qu'elle est venue à considérer comme
des droits, les autres minorités ethniques ne jouissant pas de ces
privilèges. Les multiples déclarations internationales sur les
droits fondamentaux mentionnent comme critère de détermination de
la discrimination celui de la langue, de même que notre Charte des droits
à l'article 10. Les droits des minorités de protéger leur
identité, leur culture et donc leur langue sont également
reconnus.
Il nous apparaît que le projet de loi no 1 ne contribue en rien
à nier à des membres des minorités linguistiques
l'accès à des droits démocratiques fondamentaux (droits
judiciaires, sociaux, etc..) et qu'il n'y a donc là rien de
discriminatoire, nonobstant la maladresse de l'article 172. Le fait d'avoir des
exigences de connaissance de la langue française pour un emploi dans
l'administration publique, par exemple, n'est qu'une qualification
exigée de bonne foi, compte tenu de la langue de la majorité; il
importe toutefois que ce principe soit appliqué judicieusement, et que
les exigences tiennent compte de la nature de l'emploi.
De même, nous pensons qu'un traitement discriminatoire à
l'endroit de la minorité anglophone ou de toute autre minorité
ethnique serait de leur refuser le droit d'avoir leurs associations
culturelles, sociales, politiques et éducatives. Aucune convention
internationale ne pourrait d'ailleurs justifier un réseau scolaire
public fonctionnant dans une autre langue que celle de la majorité, ni
consacrer le droit des minorités et des individus les composant à
l'accès à tel réseau. La Charte de la langue
définit donc un traitement extrêmement avantageux pour les
minorités du Québec, et particulièrement la
minorité anglophone. Consacrer en droits les privilèges de la
minorité serait porter atteinte, compte tenu de la conjoncture, aux
droits collectifs de la majorité, dont la position nous semble
actuellement plus menacée que celle de la minorité
anglophone.
2. Les droits conférés aux travailleurs 2.1 Le
droit de travailler en français
La FTQ appuie globalement l'énoncé des droits
linguistiques fondamentaux du Chapitre II du projet de loi, et
particulièrement l'article 4 sur le droit de travailler en
français. Le caractère fondamental et universel
conféré à ce droit légitime au Québec
était indispensable. De même, nous appuyons l'article 33 sur la
possibilité "d'exiger que soient rédigées en
français les communications écrites" adressées par
l'employeur. Toutefois, il va de soi pour la FTQ que seul le travailleur
syndiqué pourrait véritablement et impunément se
prévaloir de cet article de la loi, la solution à ce
problème résidant dans d'autres législations. Nous notons
de plus la souplesse de l'article 33 qui n'empêche nullement l'usage
d'une langue autre que le français, et qui exclut les communications
verbales.
Nous applaudissons également aux articles 36 et 37 (1), qui
reprennent des demandes déjà formulées par la FTQ, et qui
empêchent les employeurs de se livrer à des pratiques
discriminatoires à l'endroit des travailleurs francophones dans la
distribution des affectations. Nous apprécions particulièrement
que le fardeau de la preuve retombe sur l'employeur. Ces dispositions peuvent
apparaître dures pour un observateur de l'extérieur ou ignorant
des réalités du monde du travail québécois. Compte
tenu des réalités économiques dans lesquelles nous vivons,
et de la sujétion collective des travailleurs francophones, nous croyons
que ces dispositions sont actuellement indispensables, tout en espérant
que le jour où elles seront superflues ne soit pas trop lointain. 2.2
Langue des associations de salariés
La FTQ appuie l'article 39 du projet de loi no 1, qui consacre le droit
aux salariés d'exiger de leurs associations qu'elles communiquent avec
eux dans la langue officielle.
Nous pouvons affirmer, à la FTQ, que l'immense majorité de
nos affiliés qui, répétons-le, sont reliés à
des organisations nord-américaines et canadiennes, ont pris des mesures
pour rendre justice à leurs membres québécois et leur
donner des services dans leur propre langue. Il nous faut reconnaître
que, dans certains cas, des travailleurs québécois
éprouvent encore quelques difficultés à se procurer
par exemple certains documents officiels dans leur langue, ou encore
certains services spécialisés.
Cela ne nous empêche pas d'approuver la démarche du
Gouvernement, et d'être d'accord avec l'introduction d'une certaine
coercition auprès des associations de salariés. En ce qui
concerne nos affiliés, nous considérons que la plus grande partie
du chemin de la francisation est faite; la loi no 1 nous aidera à
parcourir le chemin qui nous reste, en établissant clairement, aux yeux
de tous nos camarades syndiqués américains et canadiens, que le
Québec est un territoire français. 2.3 Langue des relations de
travail
Les articles 34 et 35 du projet de loi sont conformes aux positions
exprimées par les représentants syndicaux au Conseil consultatif
du travail et de la main-d'oeuvre. Le Gouvernement a pris soin de donner un
délai avant l'application de ces articles (juin 1978), qui stipulent que
seule la version française des documents est officielle; ce délai
est inspiré par le réalisme.
Nous apprécions enfin l'article 38 du projet de loi qui
protège de toute interprétation des articles
précédents les droits acquis des salariés et de leurs
associations. Cette précision répond à une de nos
préoccupations fondamentales. 2.4 L'intégration dans les
conventions collectives
L'article 40, tel que libellé au projet de loi, sur
l'intégration dans les conventions collectives du chapitre sur la langue
du travail, a soulevé des débats à la FTQ. Malgré
que nos militants comprennent et partagent l'objectif poursuivi par le
Gouvernement, il est difficile pour eux de ne pas être craintifs face au
principe que cette modalité met en cause.
Les conventions collectives que nos syndicats signent sont le
résultat d'une négociation fondée sur un rapport de force;
chaque convention constitue fondamentalement un ensemble de clauses que chaque
partie a choisi d'y voir. La FTQ ne peut donc pas accepter cet article tel que
libellé, car il constitue un précédent allant contre
l'esprit de notre droit du travail, sans compter que ce précédent
pourrait être invoqué éventuellement pour imposer une autre
clause aux syndicats, laquelle ne susciterait pas un accord aussi unanime que
les dispositions de cet actuel projet de loi.
D'autre part, nous saisissons bien l'intention du Gouvernement, qui est
de permettre aux syndicats de régler des différends relatifs
à la langue de travail par l'intermédiaire de la procédure
de griefs, ce qui accélère les procédures et
décharge d'autant l'appareil administratif que le Gouvernement mettra en
place pour surveiller l'application de la loi. La FTQ est parfaitement d'accord
avec cet objectif, à cette nuance près:
Le travailleur plaignant ou le groupe de travailleurs plaignants ne
doivent pas être obligés d'utiliser le recours du grief et peuvent
choisir d'utiliser prioritairement les autres recours prévus par la loi.
Le syndicat est maître des griefs et peut préférer pour des
raisons financières ou stratégiques ne pas utiliser la
procédure de griefs. Pour assurer le respect de la loi et des droits
individuels, il faut donc que les travailleurs syndiqués aient un
égal accès aux autres recours.
(1) Article 36; interdiction de congédiement ou
rétrogradation.
Article 37: obligation pour l'employeur de justifier l'imposition de la
connaissance de la langue anglaise comme critère d'embauche.
Compte tenu de cette importante nuance, La FTQ demande au Gouvernement
de modifier légèrement son orientation en donnant aux syndicats
le droit de poser un grief sur le chapitre sur la langue du travail sans
l'inclure dans les conventions collectives. Selon nous, ceci pourrait se faire
par le biais d'une nouvelle formulation de l'article 40, qui pourrait
être la suivante: "Les articles 33, 36, 37 et 38 du Chapitre VI de la Loi
1 peuvent être l'objet d'un grief au sens du Code du travail, au
même titre que le texte d'une convention collective." 2.5 Les
travailleurs non francophones
La FTQ donne son appui au projet de loi no 1 en étant consciente
des problèmes pratiques que suscitera l'application de la loi. Nous
sommes particulièrement sensibles aux problèmes qui peuvent se
poser dans les milieux de travail où les minorités ethniques sont
importantes. 2.5.1 L'apprentissage du français
Le projet de loi no 1, de par sa précision et sa fermeté,
annonce l'époque où les cadres, dont les fonctions les
amènent à communiquer avec de larges fractions du personnel,
devront parler le français: les anglophones devront donc, à
l'avenir, posséder une connaissance suffisante du français pour
avoir accès aux promotions. Tout cela nous semble normal et acceptable.
L'expérience de francisation des années passées dans
plusieurs entreprises nous a donné de nombreux exemples d'entreprises
donnant à leurs cadres la possibilité d'apprendre le
français sur les heures de travail, sans perte de salaire. Nous croyons
que les entreprises multiplieront pour les cadres les occasions d'apprendre le
français dans les meilleures conditions. On peut cependant douter
fortement que de semblables mesures seront prises à l'avantage des
travailleurs de la base non francophones, qui n'auront pas accès
à cette possibilité d'enrichissement personnel, et qui risqueront
de voir leur échapper un certain nombre d'emplois qui leur
étaient auparavant accessibles. L'ignorance de la langue
française par bon nombre de travailleurs québécois et
néoquébécois est un fait acquis et est la
résultante d'un ensemble de facteurs. Délaissant les facteurs
individuels, nous voyons trois grandes raisons à cette situation. La
plus importante est sans doute l'attraction exercée par la langue
anglaise qui est la langue de la domination économique, du succès
financier et du prestige social: les plus récentes statistiques ont
confirmé cette évidence. Le système scolaire de son
côté, n'a pas su donner une connais-
sance d'usage de notre langue aux anglophones et allophones. Nos
précédents gouvernements, enfin, ont négligé
d'apporter des mesures correctrices à la situation de domination de la
langue de la majorité, et ce faisant, n'ont pas su assumer cette
responsabilité que nous avions collectivement de donner à la fois
des raisons et des possibilités aux non-francophones d'apprendre notre
langue.
C'est pourquoi le présent Gouvernement, qui veut réparer
les torts passés, devrait envisager un certain nombre de mesures dans le
domaine de la francophonisation, et notamment les suivantes: prévoir des
cours intensifs de français pour les adultes dans les services
d'éducation aux adultes des commissions scolaires et cégeps,
cours qui devraient être gratuits; améliorer prioritairement les
cours de français dispensés dans le réseau scolaire
anglais public, et obliger le réseau privé subventionné
à respecter des normes très strictes; mettre sur pied des mesures
visant à francophoniser rapidement les immigrants s'instal-lant au
Québec. 2.5.2 La protection des droits acquis
La FTQ, en même temps qu'elle réaffirme sa foi dans la
protection des droits acquis de tous les travailleurs, reconnaît que ce
principe risque de provoquer des problèmes, aussi inévitables que
complexes, dans les milieux de travail.
Ainsi, un travailleur allophone qui occupe un poste-clé et qui
empêche pratiquement l'instauration du français langue de travail
pour tout un groupe de travailleurs devrait être obligé
d'apprendre le français et de l'utiliser quotidiennement.
Ce principe devrait toutefois être tempéré par
certains éléments; on ne peut, pensons-nous, obliger un
travailleur à apprendre le français alors qu'il approche de
l'âge de la retraite, ou s'il est dépourvu d'un minimum de
qualifications indispensables à l'apprentissage d'une autre langue.
Cet exemple recouvre une quantité de problèmes
individuels, qu'il ne faudrait pas toutefois monter en épingle.
Règle générale, ce ne seront pas les travailleurs de la
base qui feront les frais de la francisation des entreprises: ce seront les
entreprises elles-mêmes, ainsi que leurs cadres. Les problèmes
d'application pratiques qui risquent de se poser ne minimisent en rien l'appui
que la FTQ donne au projet de loi no 1; autant les problèmes seront
différents, autant des solutions diverses s'imposeront dans la
pratique.
Nous croyons à la FTQ qu'il faudra accepter de considérer
des exceptions à la règle; il est évident que cela
impliquera de minimiser ou retarder quelque peu, dans quelques secteurs ou
entreprises, l'impact de la Charte de la langue. Il n'y a guère d'autre
choix; l'application souple des principes de la loi, en matière de
francisation des entreprises, ne met pas en péril l'objectif
général poursuivi, et ne sera que la manifestation d'un
pragmatisme indispensable.
Loin de nous l'idée de recommander des amendements à la
loi ouvrant davantage la porte à des exceptions. Telles quelles, les
ouvertures nous apparaissent suffisantes pour permettre une application
nuancée pendant une période de transition qui variera selon les
secteurs.
3. L'application de la Loi, les organismes mis en
place
Le projet de loi propose la mise sur pied d'un Office de la langue
française ainsi que d'un Conseil consultatif de la langue
française. La FTQ veut émettre certaines réserves et
suggestions sur la conception du rôle et des fonctions de ces deux
organismes. 3.1 Direction de l'Office de la langue française
Le mode de direction prévu pour l'organisme-clé dans
l'application de la charte est une direction unique. Nous croyons qu'un tel
choix, s'il devait être maintenu, serait susceptible de
générer une certaine méfiance, voire une certaine crainte,
au sein de la population et tout particulièrement des groupes
directement concernés. L'Office aura en effet à prendre des
décisions de la plus haute importance, en vertu des dispositions de la
section III du Chapitre III du projet de loi, qui touche la procédure
d'émission des certificats de francisation. C'est la nature même
de ce champ d'intervention qui milite, selon nous, en faveur d'une nouvelle
orientation.
Le Premier Ministre lui-même, peu après son
élection, parlait de mettre sur pied une administration publique
transparente. Nous lui empruntons cette expression et demandons au Gouvernement
de s'orienter vers un comité de direction composé de trois
personnes, formule qui nous apparaîtrait plus apte à
répondre à cet objectif de transparence.
Nous avons eu, à la FTQ, un long débat sur le mode de
direction de l'Office. Nous avions deux objectifs qui s'articulaient au
départ de façon contradictoire. D'une part, nous voulions que la
direction de l'Office en soit une qui ne puisse pas être accusée
d'autocratisme, ou encore susceptible d'être étroitement
contrôlée par le pouvoir politique et prêtant le flanc
à des accusations de partisanerie ou d'arbitraire. D'autre part, nous
trouvions essentiel que le mode de direction choisi
pour l'Office n'implique pas la mise en place d'un appareil de
décision lourd, qui entraînerait des lenteurs, des
difficultés de fonctionnement, voire des blocages, dans un domaine aussi
délicat que l'octroi ou le retrait des certificats de francisation.
Il nous apparaît donc que notre proposition respecte tant
l'objectif d'efficacité et de célérité que celui de
transparence. Les trois personnes choisies par le Gouvernement seraient
à plein temps à l'Office. Nous suggérerions un
comité formé d'un président réputé pour sa
compétence et son objectivité, et de deux vice-présidents
venant respectivement du monde des affaires et des milieux syndicaux. 3.2
Composition du Conseil consultatif de la langue française
La FTQ est d'accord avec la création d'un organisme de nature
consultative qui constituerait un carrefour d'opinions des groupes les plus
concernés par la francisation de la société
québécoise. La liste proposée dans l'article 151 nous
apparaît offrir des garanties de représentativité
suffisantes.
En ce qui concerne les représentants du monde syndical à
cet organisme, nous rappelons que la FTQ a pour politique de pouvoir choisir
elle-même son ou ses représentants aux organismes ainsi mis sur
pied par le Gouvernement. De plus, nous souhaiterions avoir le pouvoir d'exiger
que nos représentants soient démis de leurs fonctions si, pour
quelque raison que ce soit, ils ne nous apparaissent plus aptes à jouer
leur rôle de représentants de la FTQ. 3.3 Pour une
précision du mandat du Conseil consultatif
Considérant la représentativité du Conseil
consultatif de la langue française, la FTQ souhaiterait que sa fonction
soit davantage précisée et qu'on lui fasse jouer un rôle
privilégié dans certains domaines d'application de la loi.
Il nous semble en effet que les décision de l'Office qui seront
les plus déterminantes, soit l'émission ou le refus
d'émission de certificats permanents ainsi que la
décertification, devraient être systématiquement transmises
pour informations et avis au Conseil consultatif, dans les cas où des
parties concernées (employeur, syndicat, employés...) seraient en
opposition. Cette procédure n'entraverait en rien le fonctionnement
efficace et rapide de l'Office en ce domaine, ce qui nous semble prioritaire,
mais instituerait une forme de recours, non formelle il est vrai, qui nous
semble toute aussi importante; les avis du Conseil seraient bien entendu rendus
publics. Nous aimerions donc voir l'article 147 précisé en ce
sens, et recommandons également que les règlements
définissant les modalités d'application de la loi soient soumis
au Conseil.
En vertu de notre proposition, les groupes concernés seraient
assurés d'avoir, dans cet organisme que sera le Conseil, un
témoin impartial et représentatif qui serait saisi au fur et
à mesure des dossiers litigieux, et qui soumettrait des avis
parfaitement indépendants du pouvoir politique. Il est évident
que des cas litigieux se présenteront. Qu'il s'agisse d'une entreprise
qui a à se plaindre de la rigueur de l'Office, ou de
représentants d'un syndicat siégeant à un comité de
francisation qui considèrent que l'Office a fait montre d'une indulgence
excessive envers leur employeur, il est indispensable qu'une seconde instance
puisse être saisie des représentations des
intéressés. Il nous apparaît que la Charte de la langue est
une législation fondamentale pour notre avenir collectif et que ce
caractère fondamental requiert, ou tout au moins rend hautement
souhaitable, la présence vigilante et signifiante d'un organisme
détaché du Gouvernement, d'un organisme à travers lequel
toute la population opérerait un consensus symbolique.
La FTQ souhaite donc voir le Conseil consultatif jouer, en
matière d'émission, de non-émission et de retrait des
certificats de francisation, un rôle analogue à celui joué
par la Commission des droits de la personne, qui par ses interventions alimente
les débats publics, sans pour autant s'immiscer dans les processus
législatifs ou administratifs et dont la présence constitue un
acquis pour la démocratie.
4. Emission des certificats de francisation
La FTQ a suivi avec attention les essais prudents du
précédent Gouvernement en matière de certificats de
francisation. Ce fut une longue épopée, allant d'une loi
votée en 1974 à des règlements qui ne furent
approuvés qu'en septembre 1976; chemin faisant, le Gouvernement
Libéral avait abondamment consulté les milieux d'affaires,
ignoré les milieux syndicaux, et profondément adouci ses
exigences.
La FTQ félicite l'actuel Gouvernement pour avoir
inséré dans son projet de loi les éléments
essentiels et fondamentaux de sa politique en matière de francisation
des entreprises. La Loi 22 était remarquablement vide à cet
égard, et la réglementation tardive, si elle ne corrigeait pas
certaines lacunes, apporta des éléments qui auraient davantage
convenu à la législation de par leur nature. 4.1 L'importance des
critères
La FTQ appuie globalement les objectifs de francisation
énoncés à l'article 95 de la Charte et
élaborés à l'article 112. Les citoyens du Québec
avaient le droit de savoir quels étaient les objectifs de francisation
fixés aux entreprises et par suite les critères utilisés
par le Gouvernement; les
travailleurs avaient le droit de savoir quelles exigences ils pourraient
avoir à l'endroit de leur employeur en matière de
francisation.
Les réponses sont données et c'est déjà
énorme, puisque la Loi 22, et la réglementation à sa
suite, n'énonçaient que des "champs" ou "niveaux" de francisation
et ne décrivaient pas d'objectifs susceptibles de donner suite à
la détermination de normes.
Non seulement les réponses sont-elles données, mais encore
sont-elles claires, précises, simples, et viennent-elles sanctionner ce
qui aurait dû l'être depuis longtemps: au Québec, la
règle générale, c'est de travailler en français.
Nous touchons ici, avec l'article 112, au coeur de notre devenir collectif, au
coeur de la francisation du Québec.
Quelques-uns se sont interrogés sur le sens qu'il faut donner
à l'expression "Québécois", telle qu'utilisée
à l'article 112 de l'alinéa b). La FTQ, qui s'est toujours
opposée à une politique de quotas, favorisant plutôt des
politiques, contraignantes s'il le fallait, d'utilisation du français
à tous les niveaux hiérarchiques, ne s'oppose pas à ce que
le Gouvernement exige qu'un nombre raisonnable de citoyens du Québec
occupe des postes-clés. Nous serions cependant en désaccord avec
une exigence de nommer des Québécois francophones d'origine
à ces postes-clés. Pour nous, ce qui importe, c'est que ces
Québécois puissent s'exprimer couramment en français, et
non pas qu'il s'agisse de leur langue maternelle. Les équivoques au
sujet de ce terme "Québécois" devraient donc être
dissipées; et il devrait être très clair que tous les
citoyens du Québec méritent le titre de Québécois.
4.2 Rôle du certificat de francisation
La FTQ appuie le choix du Gouvernement d'avoir défini comme
règle universelle pour les entreprises d'une certaine importance la
possession d'un certificat de francisation, le retrait des avantages consentis
par le Gouvernement jouant le rôle de pénalités pour les
entreprises récalcitrantes. La Loi 22 ne faisait pas de la possession
des certificats une règle générale mais ne consentait
certains avantages qu'aux entreprises détentrices de certificats. Au
niveau des principes, au niveau de ce qui fait l'esprit d'une loi, la
différence apparaît majeure à la FTQ: nous sortons enfin de
la politique du quémandage.
Les alinéas a) et b) de l'article 106 ont fait frémir les
milieux d'affaires. Quant à nous, à la FTQ, nous sommes d'accord
avec cette liste; nous sommes d'autant plus d'accord que tous les trous et
finasseries de la réglementation libérale nous étaient
familiers ex.: remplacer "administration" par "gouvernement", etc...
. La liste de l'article 106 de la Charte est complète; nous
souhaitons que la réglementation à venir précise avec
réalisme les ambiguïtés qui subsistent encore (par exemple
sur la nature des permis dont il est question). 4.3 Une nécessaire
souplesse
De nombreuses déclarations du ministre d'Etat au
Développement culturel assurent la population du Québec que la
Charte sera appliquée avec souplesse, particulièrement dans le
domaine délicat de la francisation des entreprises. Cette souplesse dans
l'application est pour nous indispensable, et la FTQ l'a signalé
à de multiples reprises. Nous comprenons qu'une volonté de
souplesse s'inscrit fort difficilement dans une loi. Plusieurs
détracteurs de la Charte de la langue française semblent avoir
sauté par-dessus l'article 113 du projet, qui mentionne
spécifiquement le cas des "sièges sociaux" et des "relations de
l'entreprise avec l'étranger"; nous y voyons, quant à nous, la
preuve de la volonté de réalisme et de souplesse qui anime le
Gouvernement.
5. Les comités de francisation: Rôle et
fonctionnement
La FTQ se réjouit tout particulièrement de l'obligation
que fait aux entreprises le projet de loi no 1 de constituer des comités
de francisation à participation syndicale. Le précédent
Gouvernement avait choisi de mettre à l'écart du processus de
francisation les instances syndicales locales et avait dans son
Règlement sur la francisation des entreprises (septembre 1976),
statué de la façon suivante: "La Régie et le ministre
doivent respecter le caractère confidentiel de tout programme de
francisation proposé ou approuvé. "L'entreprise doit cependant
informer ses employés de la politique linguistique qu'elle s'est
engagée à mettre en application par son programme de
francisation."
Le présent Gouvernement a choisi de rompre avec cette attitude
méprisante à l'égard des travailleurs et nous l'en
félicitons. Nous croyons profondément que les travailleurs ont le
droit et le devoir non seulement de s'informer des politiques patronales en
matière de francisation mais aussi de participer activement à
l'élaboration des programmes de francisation et à leur
application. Ce sont les travailleurs qui seront au premier chef
affectés par ces programmes, dans leur vie de tous les jours, et nous
espérons que les employeurs ne tenteront pas de contourner la loi et de
court-circuiter ces comités.
La FTQ a quelques recommandations à formuler, qui visent à
permettre une meilleure participation des travailleurs aux comités de
francisation, ainsi qu'un meilleur fonctionnement de ces derniers.
5.1 Création des comités
Nous recommandons au Gouvernement de prévoir la formation d'un
comité de francisation dans les cas des entreprises de cinquante
salariés ou plus, plutôt que dans le cas des entreprises de cent
employés ou plus. Dans la mesure où le projet de loi demande aux
entreprises d'au moins cinquante employés de justifier de la possession
d'un certificat de francisation, nous trouvons plus logique d'établir
une règle de fonctionnement équivalente pour la création
des comités. 5.2 Représentation syndicale et ouvrière
Dans la mesure où aucun article de la loi ne prévoit la
taille de ces comités et il ne nous apparaît pas
nécessaire de le faire , la représentation syndicale
pourrait être limitée à une (1) personne sur un
comité de trois (3). Le mouvement syndical a toujours été
méfiant face à ce genre de situations qui peut placer le
représentant des travailleurs dans des situations très
difficiles; c'est pourquoi la loi devrait être modifiée de la
façon suivante: les représentais des travailleurs aux
comités de francisation ne devront jamais être moins de deux (2);
la réglementation devrait stipuler que l'attribution des postes de
représentants des travailleurs au sein des comités devrait
être fonction de critères de représentativité des
divers services de l'entreprise et catégories de travailleurs. Par
exemple, il ne devrait pas être possible d'ignorer le syndicat des
employés de bureau au profit de celui des employés de la
production ou vice-versa; dans le cas d'entreprises non-syndiquées, les
représentants des travailleurs devraient faire partie du personnel
syndicable en vertu de la jurisprudence établie. 5.3 Mandat des
comités
Le mandat des comités de francisation, tel que défini aux
articles 115 et 116 (analyse de la situation, rapport, établissement du
programme de francisation), devrait être élargi pour inclure la
surveillance de l'application du programme.
Le Comité de francisation devrait avoir une existence
légale équivalente à l'échéancier de
francisation que contient le programme que l'entreprise doit appliquer. La loi
devrait éclaircir cet aspect car on laisse entendre que le rôle du
comité se termine avec l'établissement du programme. 5.4
Réunions des comités
Notre centrale, à partir de l'expérience syndicale dans
les comités conjoints de sécurité, soumet une
recommandation qui, à notre sens, éliminerait au départ
quelques possibilités de ratage:
Les réunions des comités de francisation devraient avoir
lieu pendant les heures de travail et être
rémunérées, pour ce qui est des représentants des
travailleurs, au taux normal.
6. Recours et sanctions 6.1 Les travailleurs syndiqués
Nous sommes entièrement d'accord avec l'article 36, qui permet de
traiter un congédiement pour non connaissance d'une autre langue que le
français de la même façon qu'un congédiement pour
activités syndicales. Nous avons également déjà
exprimé notre accord sur l'utilisation de la procédure de griefs,
dans la mesure où cela n'oblige pas le syndicat à utiliser la
procédure de griefs de façon prioritaire ou unique.
Dans le cas où un syndicat voudrait porter plainte devant la
Commission de surveillance, l'article 133 nous semble susceptible de causer des
problèmes. La FTQ approuve bien sûr le principe de l'action de
groupe, mais nous voudrions voir spécifiée la possibilité
qu'un organisme représentatif des plaignants porte plainte; dans notre
cas, ce pourrait être le syndicat local, le syndicat à
l'échelle du Québec ou de la région, le regroupement
régional (conseil de travail), ou encore la FTQ elle-même. La
Charte des droits renferme une telle disposition (article 70) et nous voudrions
voir le Gouvernement s'en inspirer. 6.2 Les travailleurs non-syndiqués
et la Commission de surveillance
Dans le même esprit, et dans le but de rendre plus accessible le
recours à la Commission de surveillance par des travailleurs, et
particulièrement par des non-syndiqués, nous recommandons au
Gouvernement de prévoir des dispositions de nature à
protéger les travailleurs-plaignants; nous pensons spécifiquement
aux éléments suivants: possibilité de conserver l'anonymat
du plaignant (cf. article 71 Charte des droits); principe
d'impunité (cf. article 32 Loi du salaire minimum)
6.3 Sanctions à l'endroit des entreprises
La Charte de la langue française permet le recours à trois
(3) types de sanctions, que nous approuvons. La plus forte sanction
réside bien sûr dans l'article 106, et nous espérons que le
Gouvernement résistera aux demandes d'assouplissement dont il est
inondé; la FTQ considère qu'une entreprise qui ne respecte pas le
peuple québécois ne devrait pas faire affaire au Québec.
Nous sommes de plus convaincus que, lorsque la loi sera en vigueur, les
entreprises se plieront à la loi, car elles trouvent leur profit
chez-nous, quoi qu'elles en disent.
La sanction morale qui consiste à faire connaître le nom
des entreprises récalcitrantes peut également, dans certains cas,
être très dure, car susceptible d'entraîner, s'il y a lieu,
un boycottage populaire.
La FTQ est enfin d'accord avec les amendes. A l'échelle d'une
grosse entreprise, ces amendes sont hautement symboliques, mais nous trouvons
que le principe des amendes contribue à donner du sérieux
à la Charte.
CONCLUSION
En matière de politique linguistique, les travailleurs ont
placé leur confiance dans votre Gouvernement. Nous espérons que
vous ne modifierez pas votre projet de loi dans le sens d'un assouplissement
pour les entreprises. Telle qu'elle est, la Charte permet toute la souplesse
d'application requise, et la FTQ est confiante que c'est l'attitude qu'adoptera
le Gouvernement.
Nous avons toujours dit, à la FTQ, que c'était la
responsabilité du Gouvernement de permettre aux Québécois
de travailler en français, et qu'il n'était pas question de
demander à des groupes de travailleurs de lutter sur le plan local pour
faire reconnaître des droits nationaux. Votre Gouvernement assume sa
responsabilité; comme centrale syndicale, nous sommes prêts
à assumer la nôtre, et à inciter nos affiliés
à travailler concrètement, dans leurs milieux de travail,
à l'application et au respect de la Charte de la langue.
Une des tâches qui nous semblent prioritaires, dans la conjoncture
actuelle, c'est d'analyser et de démystifier les clameurs
d'épouvante des milieux d'affaire, et de dénoncer le chantage
éhonté que dans certains cas les employeurs utilisent contre les
travailleurs. Ce sont là des clameurs peu représentatives, qui
font fi du respect auquel ont droit, après tant d'années
d'oppression, les travailleurs francophones; cette collectivité dont la
situation socio-économique se dégrade lentement, et cela
malgré les"francophones de service" répartis ici et là
dans la grande entreprise, et malgré les sondages que les organismes
patronaux utilisent pour manipuler, à leur profit, l'opinion publique.
Mais les travailleurs comprennent que cet acharnement patronal
révèle des zones de résistance profonde à la
francisation des opérations industrielles, et que la Charte de la langue
française au Québec est la seule capable de les vaincre une fois
pour toutes, avec le concours de tous les travailleurs du Québec qui ont
compris les enjeux profonds de cette lutte.
ANNEXE 3
Mémoire présenté par
Bell Canada
Sur le projet de loi numéro
1
intitulé "Charte de la langue française
au Québec"
1. Remarques préliminaires
Le projet de loi No 1 est le quatrième d'une série de lois
tendant à accélérer le processus de francisation du
Québec. Il vient après les lois 85, 63 et 22.
Evidemment l'objectif visé ne peut que recevoir l'appui de la
population en général et de Bell Canada en particulier. C'est
d'ailleurs dans cet esprit que notre entreprise a voulu dans le passé
non seulement se conformer aux politiques des gouvernements et de la
majorité, mais a même fait des efforts pour les devancer.
Soucieuse de s'identifier à la communauté qu'elle dessert, elle a
voulu s'adapter, bien avant la législation, au mode de vie de la
majorité de ses employés, de ses abonnés et de ses
actionnaires du Québec.
C'est dans un esprit de collaboration que nour présentons ce
mémoire, laissant de côté toute question juridictionnelle
concernant l'application totale ou partielle d'un tel projet de loi à
Bell Canada.
C'est cependant avec un sentiment d'inquiétude que nous nous
présentons devant cette Commission. En effet, devant la portée de
la loi, il nous est difficile de faire valoir un point de vue complet sans
avoir pris connaissance des règlements qui expliciteront les aspects
ambigus du projet de loi. Nous déplorons donc qu'on ne donne pas aux
citoyens tous les éléments nécessaires à une
discussion entière.
Quoi qu'il en soit, nous pouvons assurer nos représentants de
l'Assemblée nationale qu'au cours de la dernière décennie,
des efforts considérables ont été déployés
pour donner au français la place qui lui revient dans le monde du
travail au Québec et dans la pratique courante des affaires, compte tenu
des circonstances particulières du milieu montréalais.
Permettez-nous d'établir en quelques mots l'image de Bell
Canada.
Tout d'abord, en termes d'actifs, Bell Canada et ses compagnies
affiliées représentent le plus important groupe industriel
canadien et le plus grand fournisseur de services de
télécommunications au Canada. Notre actif est de plus de $8
milliards et le Groupe compte 80 000 employés. Les revenus
consolidés en 1977 dépasseront les $3.5 milliards. Notre
exploitation, soit comme fournisseur d'équipement ou comme consultants,
s'étend à travers le monde. Bell Canada compte quelque 225 000
actionnaires, dont seulement environ 7% sont des francophones.
La compagnie-mère de ce Groupe, Bell Canada, dessert la majeure
partie du Québec et de l'Ontario, et environ la moitié des
Territoires du Nord-Ouest. En 1977, elle investira environ $1 milliard pour
continuer à offrir le service à ses abonnés. Pour des fins
administratives, Bell Canada est divisée en deux régions
distinctes: la Région du Québec et la Région de l'Ontario.
Elle a son siège social à Montréal, lequel constitue une
entité administrative distincte des administrations régionales.
Le siège social fournit à lui seul 1700 emplois à
Montréal et ses dépenses annuelles en salaires et autres
coûts reliés aux salaires sont de l'ordre de $55 millions. Le
budget total du siège social se chiffre à $75 millions à
Montréal.
La Région du Québec compte, pour sa part, 16 000
employés et le montant annuel versé en salaires
s'élève à $214 millions. Dans cette Région, plus
particulièrement touchée par le projet de loi "1", plusieurs
dispositions ont été prises pour modifier graduellement les
opérations et donner à la langue du travail un caractère
français. Les changements ont été réalisés
à l'intérieur d'un cadre et de structures définis, mais
avec une préoccupation constante: celle de ne léser personne de
ses droits.
Bell Canada peut soutenir aujourd'hui qu'elle a réussi à
traduire dans ses opérations à la Région du Québec
le désir de la majorité de faire du français la langue du
travail et ce, sans coercition et sans injustice.
2.
Situation linguistique à Bell Canada:
A Bell Canada, nous nous sommes donc appliqués, depuis plus d'une
décennie, à poursuivre avec détermination un programme
significatif de promotion du français au sein de nos divers
services.
Dans la conduite de nos affaires, nous avons toujours été
conscients que, bien que nous acheminions des millions d'appels de nos
abonnés chaque jour, nous servons ces derniers un à la fois. Nous
avons pu planifier notre évolution linguistique en tenant compte de ce
facteur de service et nous avons adopté la langue choisie par chacun des
abonnés et des actionnaires pour communiquer avec eux.
Pour ce qui est des communications à l'intérieur de la
compagnie, nous avons francisé les formulaires, les instructions et les
avis au personnel. Nos Services linguistiques, qui constituent l'un des groupes
les plus importants du secteur privé au Canada, avec une quinzaine de
traducteurs et cinq reviseurs, ont accompli un travail énorme. Ses
membres sont des diplômés universitaires spécialisés
en traduction et collaborent étroitement avec ce qui fut l'Office de la
langue française, puis la Régie, ainsi qu'avec les
universités et les différents groupes de linguistes du pays. Le
Centre de terminologie de Bell Canada a préparé pour les
employés un glossaire des télécommunications qui a
été mis à la disposition des différents groupes et
organismes intéressés à ce domaine.
La traduction ne constitue cependant qu'une étape du processus de
francisation. Nous avons encouragé très fortement tous nos cadres
à rédiger leurs documents en français. Déjà,
la plupart des documents nécessaires à l'administration de la
Région du Québec sont conçus en français et ne font
l'objet d'aucune traduction subséquente.
Des Canadiens d'expression française oeuvrent à tous les
échelons de la direction. Ainsi, le président du conseil
d'administration est d'expression française, comme le sont aussi,
à la Région du Québec, le vice-président
exécutif, les quatre autres vice-présidents et 85% des cadres,
tandis que 94.7% des cadres sont bilingues et peuvent donc s'exprimer en
français.
Nous tenions à tracer ce portrait pour démontrer de
façon incontestable qu'une entreprise peut, avec le temps et dans le
cadre de ses opérations locales, s'ajuster à la
réalité linguistique d'un milieu sans contrainte
législative et surtout, comme nous le mentionnions au début, sans
violer les droits des individus qui y travaillent. Les entreprises de haute
technologie, ou à ramifications internationnales, ne pourront s'adapter
aussi facilement.
3.
Remarques générales sur le projet de
loi
Bell Canada se présente devant cette Commission pour indiquer
qu'elle juge qu'un tel projet de loi n'est pas nécessaire dans le
contexte actuel. De plus, elle veut exprimer son profond désaccord avec
certaines modalités qui y sont prévues.
La situation de la langue française a grandement
évolué au Québec. Des progrès énormes ont
été accomplis par les entreprises elles-mêmes et dans
l'esprit des gens. C'est pourquoi imposer le fran-
çais d'une façon aussi radicale, par un projet de loi
à caractère aussi coercitif, nous semble une méthode
vouée à l'échec et contraire aux meilleurs
intérêts de ceux qu'on veut aider.
Le projet de loi risque, à long terme, d'être
défavorable à la culture française qu'on veut mettre en
serre chaude et qu'on coupe de toute réalité économique.
Il s'avère défaitiste, comme si la situation au Québec
était tellement intenable qu'il faille s'entourer de protection. Si la
loi 22 n'existait pas, on pourrait accepter le principe d'une loi concernant la
langue. Mais ce n'est pas le cas.
Notre opposition fondamentale à la Charte de la langue
française concerne la politique mise de l'avant dans le projet de loi
"1", qui consiste à brimer les droits linguistiques des individus.
Il est difficile d'admettre que ce soit le gouvernement qui contredise
la Charte des droits et libertés de la personne adoptée par
l'Assemblée nationale en juin 1975. L'article 10 de cette loi stipule
que "toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice,
en pleine égalité, des droits et libertés de la personne,
sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la
race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions
politiques, la LANGUE, l'origine ethnique ou nationale ou la condition
sociale".
On semble créer, avec cette Charte, différentes
catégories de citoyens, avec des droits différents, selon qu'ils
sont francophones, non-francophones, Québécois ou
Canadiens-français. Qu'un gouvernement de tous les
Québécois suggère des classes différentes
basées sur la langue ou l'ethnie est inadmissible.
Les termes utilisés dans le texte de loi prêtent à
confusion dans plusieurs cas. Nous avons relevé en plusieurs endroits
des imprécisions qui rendent le projet de loi difficile à
interpréter.
Nous avons donc annexé un document à notre mémoire,
traitant de cet aspect. Comme la Charte touche des droits fondamentaux, nous
demandons instamment au gouvernement d'apporter les précisions
requises.
4. Langue de l'enseignement:
Les personnes oeuvrant dans ce secteur commenteront à fond les
dispositions qui les concernent.
Cependant, certains aspects de ce chapitre touchent Bell Canada à
la fois comme citoyen et comme entreprise et nous aimerions souligner deux
points qui, selon nous, devraient être modifiés.
A. Les "immigrants" canadiens anglophones:
En tant que citoyen, Bell Canada s'oppose au fait de considérer
comme immigrant tout Canadien anglophone originaire ou en provenance d'une
autre partie du Canada. Ce principe constitue, à notre avis, un geste de
provocation inutile et exagéré.
Tout en ne privant pas le Québec de l'apport nécessaire de
nouveaux immigrants au secteur francophone, une loi moins rigide à
l'égard des Canadiens anglophones des autres provinces contribuerait,
à notre avis, à résorber un certain sentiment de crainte
qui prévaut actuellement dans le milieu anglophone, à travers
tout le pays.
Nous ne pensons d'ailleurs pas que la majorité des
Québécois soit aussi intolérante que le projet de loi le
suggère; au contraire, une tradition de grande liberté a toujours
marqué la vie québécoise et les habitudes de ses citoyens.
Toute législation devrait refléter et encourager cette
tradition.
B. Le recrutement de personnel en provenance de l'extérieur du
Québec:
L'article 58 du projet de loi prévoit que le chapitre relatif
à la langue d'enseignement ne s'applique pas aux personnes de passage au
Québec ou qui y séjournent pour un temps limité. Mais
notre expérience d'administrateurs démontre qu'il est très
difficile de fixer d'avance la durée de séjour d'un
employé en stage dans un service ou un autre, parce que plusieurs
facteurs entrent en ligne de compte.
Vous comprendrez les problèmes qu'une telle contrainte cause
à une entreprise oeuvrant dans d'autres provinces, en Angleterre ou aux
Etats-Unis. Nous voulons continuer à recruter du personnel
compétent n'importe où à l'intérieur de notre
entreprise et à l'extérieur, quand ces personnes répondent
aux critères de qualification et de qualité qui nous sont
nécessaires pour combler un poste en particulier.
Le Québec ne peut certes fournir tout le personnel
compétent et la main-d'oeuvre qualifiée. Au surplus une
entreprise de dimension inter-provinciale, ou internationale, doit
refléter ce caractère multinational ou transnational et doit, de
ce fait, avoir accès, hors du Québec, à des personnes
spécialisées, surtout en certains domaines techniques. Nous
sommes convaincus qu'il sera de plus en plus difficile d'obtenir l'apport
d'administrateurs et de professionnels venant de l'extérieur du
Québec à cause de restrictions au niveau scolaire pour les
enfants de ces familles. Nous comprenons fort bien l'intention du
législateur d'appliquer des mesures qui inciteront les enfants vivant au
Québec à fréquenter plutôt l'école
française. En ce sens, l'amélioration du système
d'enseignement nous paraît le moyen tout indiqué d'inciter les
parents à choisir le système scolaire francophone.
Mais une limitation injustifiée quant au droit d'accès
à l'école anglaise pour les enfants en provenance de
l'extérieur du Québec nous paraît discriminatoire et
entraînera, à long terme, des
conséquences coûteuses pour tous. Quant à
l'enseignement de la langue seconde dans les écoles publiques
francophones, il est nettement déficient. Aussi serait-il
irréaliste d'ignorer totalement la langue anglaise dans le contexte
économique et géographique où nous vivons.
A cet égard on devrait améliorer d'une façon
sensible l'enseignement du français dans le secteur anglophone.
5.
Francisation des entreprises:
A. Programme et pénalités:
Le gouvernement semble vouloir limiter à cinq ans la
période de francisation des entreprises et cette limite paraît
raisonnable à Bell Canada, pour la Région du Québec,
d'autant plus que de grandes étapes ont été franchies en
ce domaine.
Cependant, certaines entreprises ne pourront faire face à toutes
les exigences de la loi. Imposer des sanctions allant jusqu'au retrait de
permis émis par l'administration publique équivaudra à
faire disparaître ces entreprises, avec toutes les conséquences
qui en découlent. Bell Canada comprend la volonté ferme du
gouvernement de faire respecter la loi, mais s'oppose au caractère
fortement coercitif de la Charte et souligne les effets redoutables qui peuvent
en résulter. L'économie québécoise a besoin
d'impulsions continuelles et non de restrictions, surtout en ces années
où l'ensemble du continent fait face à un ralentissement des
affaires. Réagir avec sévérité et sévir
contre les entreprises anglophones ou étrangères qui n'ont pu
s'intégrer au milieu dans le délai imparti nous semble
inéquitable et nous souhaiterions une plus grande tolérance
à l'égard de ces personnes.
B. Les sièges sociaux:
Les sièges sociaux comptent parmi leur personnel un nombre
élevé d'employés natifs d'autres provinces ou d'autres
pays. Ce phénomène est normal, puisqu'un siège social est
le reflet intégral de la compagnie nationale ou multinationale et de
toutes les cultures au sein desquelles elle exerce son activité.
En ce qui concerne Bell Canada, les personnes recrutées à
l'extérieur du Québec pour poursuivre leur carrière au
siège social proviennent souvent de milieux anglophones et ne
possèdent peu ou pas la langue française. Il nous est donc
impossible d'imposer, sans plus, à tous les membres du personnel qui
viendront travailler au siège social, une langue de travail qu'ils ne
connaissent pas. Nous avons placé en annexe un profil de la
mobilité et des origines des chefs de grandes entreprises canadiennes.
La plupart des sièges sociaux sont situés à Toronto. Ce
profil démontre que les chefs d'entreprise, aujourd'hui à
Toronto, n'ont pas toujours été là et qu'une grande
mobilité est essentielle.
Cette question est suffisamment importante pour nous permettre de
proposer que les sièges sociaux de toutes les entreprises ou, à
tout le moins, ceux des entreprises à vocation interprovinciale ou
internationale, soient exclus des dispositions de la loi relatives à un
programme de francisation. Toute situation contraire serait inutilement
contraignante, sans compter la lourdeur administrative qui découlerait
des dispositions présentement suggérées.
L'article 112 (b), en ce qui concerne l'élection des
administrateurs, démontre une incompréhension des
mécanismes actuellement en vigueur pour la sélection des membres
des conseils d'administration.
Ainsi, à Bell Canada, 7% des actionnaires francophones sont
représentés par 30% des administrateurs (6/20).
A la Northern Telecom, où la proportion des actionnaires
francophones est plus difficile à déterminer mais où elle
semble se situer entre 3% et 5%, les Québécois d'expression
française ont 25% des sièges au Conseil (4/16).
En d'autres termes, nous demandons un plus grand réalisme
vis-à-vis cette question, d'autant plus que l'apport des sièges
sociaux est important au Québec et constitue un avantage
économique dont il faut tenir compte.
Cette position très ferme de la compagnie en ce qui concerne son
siège social n'implique pas nécessairement l'adoption d'un
unilinguisme étroit.
Bell Canada veut tendre, au niveau d'un siège social
installé au Québec, à un bilinguisme institutionnel
respectant les actionnaires, les abonnés et toutes les personnes
appelées à communiquer avec elle. 6. Les ordres
professionnels:
Nous suggérons d'éliminer toute notion de permis
temporaires rattachés aux ordres professionnels. Quant aux
professionnels diplômés d'une autre province ou d'un autre pays,
ils devraient pouvoir obtenir un permis au Québec tenant compte de leur
dossier universitaire et des exigences linguistiques de leur fonction.
Dans ce même esprit, les communiqués des ordres
professionnels à leurs membres devraient respecter cet apport
étranger. Agir autrement rendrait difficile le recrutement d'experts
dans les laboratoires ou dans les entreprises transnationales ou de haute
technologie.
L'article 10 de la Charte des droits de la personne relié
à l'article 17 de la même loi démontre jusqu'à quel
point le projet de loi "1" viole cette Charte, dans l'esprit et dans la
lettre.
7.
Relations de travail:
Ce point particulier est l'un des plus délicats à traiter.
Alors que des problèmes économiques assez graves touchent le
Québec, l'entreprise a besoin de réalisme et de latitude pour
recréer un climat économique sain.
Il nous semble donc essentiel que l'entreprise puisse exercer son droit
de gérance, assumer ses responsabilités et déterminer
elle-même la nature des postes nécessaires au fonctionnement des
affaires.
Elle devra absolument conserver le droit d'établir des postes
bilingues au sein de sa structure pour répondre aux exigences de la
clientèle qu'elle dessert. Selon nous, le gouvernement devrait envisager
une solution plus réaliste en ce domaine, en permettant aux entreprises
de déterminer elles-mêmes les besoins de personnel bilingue, sous
réserve peut-être que l'Office de la langue française
puisse intervenir dans les cas de plaintes pour abus.
Nous souhaitons enfin que le gouvernement examine avec réalisme
toute mesure qui viendra s'ajouter aux négociations déjà
délicates des conventions collectives.
8.
Comité de francisation
L'article 114 du projet de loi indique que les entreprises de cent
salariés et plus doivent instituer des comités de
francisation.
Permettez-nous ici de formuler un seul commentaire à ce sujet. Il
est du devoir de l'employeur de faire respecter la loi. Etant donné les
pénalités assez rigoureuses déjà inscrites dans ce
projet de loi, il nous semble inutile d'ajouter à tout le
mécanisme de contrôle un autre droit de surveillance, cette fois
de la part des représentants des syndicats. Nous croyons donc que
l'employeur devrait conserver toute responsabilité à
l'égard de la loi.
9.
La langue de la justice;
Nous croyons que le législateur devrait permettre aux personnes
morales de s'adresser aux tribunaux et de plaider en français ou en
anglais selon la langue la plus susceptible de faire apparaître le
droit.
10.
Affichage commercial;
L'article 46 veut que l'affichage commercial se fasse uniquement en
français, sous réserve des exceptions prévues aux
règlements de l'Office de la langue française.
La lourdeur administrative qu'implique une telle directive nous porte
à suggérer une mesure qui nous semble plus juste, soit la
prééminence ou l'égalité du texte français,
permettant également l'affichage dans une autre langue.
Des raisons de sécurité rendent justifiable l'affichage
dans plus d'une langue dans le cas des entreprises qui, comme la nôtre,
assurent des services essentiels.
11.
Adoption de la loi et règlements:
Le projet de loi présenté devant l'Assemblée
nationale ne comporte que les grandes lignes touchant la Charte du
français. Les citoyens comme les entreprises qui voudront se conformer
à cette loi n'en connaîtront la portée réelle que
lorsque seront édictés les règlements adoptés en
conformité des pouvoirs législatifs
délégués.
Il nous semble dangereux et guère démocratique de
procéder de la sorte. En effet, le projet de loi est
déféré en Commission parlementaire et chaque citoyen peut
exprimer son point de vue et faire les recommandations qu'il croit
nécessaires. Toutefois, cette procédure n'est pas prévue
pour l'adoption des règlements, malgré l'étendue des
pouvoirs de réglementation. Nous croyons que devrait être soumis
pour discussion en Commission parlementaire tout projet de règlements se
rapportant au texte de la loi avant son adoption.
Nous remarquons que l'Office de la langue française
possédera elle-même d'importants pouvoirs de réglementation
outre ceux qui sont dévolus au Lieutenant-gouverneur en Conseil. Cette
proposition ne nous paraît guère recommandable. D'une part, il
nous semble que le législateur devrait lui-même
légiférer dans de nombreux domaines couverts par ce projet de
loi, au lieu de s'en remettre constamment à d'autres organismes pour
édicter des règles touchant des droits fondamentaux. D'autre
part, il nous paraît éminemment souhaitable que dans tous
les cas où le législateur doit déléguer des
pouvoirs législatifs, seul le Lieutenant-gouverneur en Conseil soit
habilité à le faire, sauf en ce qui concerne les règles de
procédure des divers organismes institués. Cette solution
empêcherait de diluer le pouvoir réglementaire dans un domaine
aussi fondamental, faciliterait aux citoyens la connaissance des dispositions
normatives, éliminerait énormément les risques de
contradictions, éviterait qu'un organisme soit appelé à
interpréter ses propres règles de droit substantif et, enfin,
permettrait la procédure d'examen des projets de règlements en
Commission parlementaire, ainsi que nous le proposons.
12. Conclusion:
Bell Canada a voulu exprimer ces commentaires en tenant compte le moins
possible de l'émoti-vité qui a entouré la publication du
Livre Blanc et du projet de loi.
Elle l'a fait en se basant sur l'expérience administrative d'une
compagnie de service public habituée à transiger avec des
abonnés de diverses cultures, à majorité francophone au
Québec, mais en tenant compte d'une minorité desservie depuis un
très grand nombre d'années.
Le Québec a un rôle à jouer: celui d'être la
plaque tournante de deux cultures en Amérique. Il doit
interpréter l'Amérique aux Européens et l'Europe aux
Américains. La philosophie de ce projet de loi va à rencontre de
cette mission. Les grands perdants seront les Québécois
francophones qui resteront sur place. Les autres pourront participer au monde
nord-américain et international.
Une fois ces remarques formulées, un souhait s'adresse au
législateur: qu'il rende un verdict équitable envers les
Québécois et satisfasse leurs revendications légitimes en
tenant compte de l'esprit de justice dont il devrait être animé
dans la conduite des affaires de l'Etat.
Par la suite, chacun pourra se consacrer aux autres problèmes
économiques qui se posent à la société
québécoise.
Annexe 1
Commentaires de Bell Canada concernant la
rédaction du projet de Loi no 1
Certains termes et certaines expressions utilisés dans le projet
de loi numéro 1 portent à confusion ou seront difficilement
applicables à l'ensemble des situations visées. Cela rendra
difficile l'interprétation ou la mise en application de cette loi.
Nous donnons ci-après quelques exemples des difficultés
que nous venons de mentionner:
Article 2: "québécois": Ce même terme est
employé aux articles 2, 6 et 112(b) pour désigner, semble-t-il,
des personnes différentes. Nous croyons qu'il serait utile d'être
plus rigoureux dans l'emploi de ce terme, d'autant plus qu'il ne semble pas
avoir une définition reconnue de tous au plan juridique.
Article 3: "assemblée délibérante": dans leur sens
littéral, ces termes réfèrent à des situations
tellement nombreuses et variées qu'il nous est impossible de penser que
l'on pourra sérieusement appliquer une telle disposition. Il nous
paraîtrait, plus utile de référer à "toute
assemblée tenue légalement".
Article 4: "travailleurs": le projet de loi emploie
indifféremment divers termes pour désigner, semble-t-il, les
mêmes personnes ou groupes de personnes. Ainsi, nous retrouvons le terme
"travailleurs" à l'article 4, le terme "personnel" aux articles 33 et
112 (a) et (f) et enfin, le terme "salarié" aux articles 36, 38, 39,
106, 109 et 114.
Nous croyons qu'un même terme devrait être employé
dans la mesure où le législateur veut identifier les mêmes
personnes ou groupes de personnes.
Article 11: "s'adressent" et "plaident": nous ne comprenons pas
exactement ce que vise le législateur. Nous présumons que ces
termes veulent référer uniquement aux procédures et nous
croyons qu'il serait utile de préciser ces termes en
conséquence.
Article 12: droit à une rédaction en français de
diverses procédures: cette disposition va susciter des batailles de
procédures inutiles si le législateur ne prévoit un
mécanisme, simple mais précis, pour permettre à une
personne d'exercer un droit conféré par cet article sans encourir
des difficultés quant à d'autres dispositions de
procédure, notamment celle concernant les délais. Par exemple,
lorsqu'une personne qui se voit signifier un bref d'assignation
rédigé en langue anglaise voudra demander un document
rédigé en langue française, cette personne ne devrait pas
être soumise au délai de dix (10) jours pour comparaître
avant que la procédure rédigée en langue française
ne lui soit soumise, si telle est l'intention du législateur. Article
46: "affichage": la définition de ce terme est tellement vague et
générale qu'elle englobe
probablement toute chose pouvant être qualifiée de "texte",
contrairement à ce qui nous paraît être l'intention du
législateur. Cette définition rend d'ailleurs presqu'inutile
l'article 41; nous suggérons que le terme "texte" que l'on retrouve a
l'article 46 soit remplacé par le terme "affiche" afin de donner plus de
cohérence au chapitre VII.
Article 49: "la personnalité juridique ne peut être
conférée...": nous croyons que cette disposition, telle que
rédigée, pourrait avoir un effet rétroactif non voulu en
ce qu'il pourrait affecter des compagnies qui existent présentement.
Nous croyons que le législateur pourrait être plus explicite et
prévoir, par exemple, que "le Lieutenant-gouverneur ne pourra
conférer la personnalité juridique aux requérants pour
lettres patentes à moins..."
Article 52: "domicilié": ce terme a un sens précis en
droit civil et pourra facilement susciter des controverses, sinon des
injustices, pour les personnes qui voudront se prévaloir des exceptions
prévues à cet article. Nous proposons que ce terme soit
remplacé par le terme "résidant". Article 68: "l'Office est
dirigé par un président...": cet énoncé nous laisse
croire que le président de l'Office incarne tous les pouvoirs
réglementaires et administratifs dévolus à cet organisme.
Nous ne croyons pas que le législateur ait voulu créer une telle
situation juridique et il nous paraît nécessaire que soit
repensé et redéfini dans la loi tout le concept institutionnel de
l'Office de la langue française.
Article 106a): "permis": ce terme est très vague et
général et peut s'appliquer à tout "permis" émis
par l'Administration, tel que ce dernier terme est défini au projet de
loi numéro 1. Ceci risque d'anéantir la capacité
d'exploitation des entreprises visées par l'article 106. A notre avis,
ce terme devrait être éliminé ou, à tout le moins,
défini, afin d'éviter les conséquences
considérables qui pourraient découler de l'application de la loi
dans sa rédaction présente.
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