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Commission permanente de l'éducation,
des affaires culturelles et des communications
Etude du projet de loi no 22 Loi sur la langue
officielle
Séance du vendredi 28 juin 1974
(Dix heures cinquante-sept minutes)
M. GRATTON (président de la commission permanente de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre,
messieurs !
Avant d'entendre la compagnie Alcan, j'aimerais aviser les membres de la
commission de ceux qui la composent ce matin, soit: M. Fraser (Huntingdon); M.
Charron (Saint-Jacques); M. Déom (Laporte); M. Cloutier (l'Acadie); M.
Desjardins (Louis-Hébert); M. Lapointe (Laurentides-Labelle); M.
l'Allier (Deux-Montagnes); M. Morin (Sauvé); M. Bonnier (Taschereau); M.
Beauregard (Gouin); M. Saint-Germain (Jacques-Cartier); M. Samson
(Rouyn-Noranda); M. Veilleux (Saint-Jean).
J'aimerais également, pour le bénéfice de ceux qui
sont dans les galeries, vous dire que, suite à une entente entre les
trois parties, il a été convenu que nous entendrions les trois
groupes qui sont à l'ordre du jour ce matin, consécutivement,
avant d'ajourner pour le déjeuner.
Les groupes que nous entendrons ce matin sont l'Alcan, les Groupes
protestants des Cantons de l'Est et Bell Canada. J'invite immédiatement,
M. Aimé Gagné, porte-parole de l'Alcan... Non, c'est M....
M. LEMAN: Paul Leman.
LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Deman?
M. LEMAN: Leman.
LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Leman, si vous voulez bien nous
présenter ceux qui vous accompagnent et noter que vous disposez de 20
minutes pour faire votre présentation.
Alcan
M. LEMAN: J'essaierai d'être bref, M. le Président. Je suis
Paul Leman, le président de la compagnie Alcan. J'ai à ma gauche
Me Marc Leduc, qui fait partie de notre service de fiscalité au
siège social de la compagnie et qui est membre de notre comité
sur la linguistique pour l'entreprise; à ma droite, M. François
Senécal-Tremblay qui est directeur régional de l'entreprise pour
toute la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Je ne sais pas si vous avez eu le loisir de prendre connaissance du
mémoire que nous avons déposé. De toute façon, il
n'est ni très long ni très complexe; j'irais même un peu
plus loin, je dirais peut-être qu'il n'y a pas tellement de remarques
très originales à l'intérieur, si j'ai pu bien suivre ce
que vous avez entendu dire par d'autres groupes.
M. le Président, comme le temps semble être assez
restreint, à moins que vous montriez une préférence au
contraire, je proposerais qu'on vous fasse tout simplement un petit
exposé, un résumé très bref de ce que contient
notre mémoire, au lieu de vous le lire in extenso. Est-ce que vous
préférez?
LE PRESIDENT (M. Gratton): Tout à fait d'accord, j'en suis
assuré.
M. LEMAN: Puisque nous allons procéder de cette façon
là, j'aimerais tout de même faire quelques remarques
préliminaires. Après cela, je vais demander à M. Leduc de
vous faire le résumé du mémoire.
Nous avons préparé notre mémoire dans une certaine
optique. Depuis de nombreuses années, nous nous sommes
préoccupés à l'Alcan de la question linguistique en regard
plus particulièrement des aspirations de nos employés et des
intérêts de l'entreprise. Dans cette optique, nous avons beaucoup
réfléchi à la question et sondé l'opinion de nos
employés tant d'expression française qu'anglaise à
différents niveaux. Nous n'avons pas employé des méthodes
statistiquement rigoureuses, justement parce que le sujet suscite tellement de
nuances qu'une appréciation d'une attitude générale des
individus et des groupes nous semblait un meilleur guide qu'une compilation
d'innombrables vues sur toutes les modalités du problème.
Comme vous le verrez, nos réflexions nous ont amenés
à conclure que l'Alcan peut vivre avec l'esprit de ce projet de loi dans
ses grandes lignes, mais que certaines améliorations devraient y
être apportées dans l'intérêt de nos employés,
de la compagnie elle-même, intérêt qui, nous en sommes
convaincus, coincide avec l'intérêt de la population
entière du Québec. Nous ne croyons pas que, pour servir les
intérêts des francophones du Québec, il soit
nécessaire de desservir les intérêts d'aucun autre groupe.
Nous croyons même que d'anciens antagonismes se sont beaucoup
amenuisés au cours des années et que ce progrès
déjà très sensible va continuer à moins que des
forces de division réussissent par acharnement à faire revivre et
perpétuer les deux solitudes qui ont déjà existé
dans le Québec.
Au sujet de la langue de travail, nous sommes en général
d'accord sur les dispositions du projet de loi et les objectifs
généraux qu'ils sous-tendent. Nous espérons toutefois que,
dans le détail, la politique linguistique du gouvernement saura tenir
compte des exigences de différentes sortes de sièges sociaux, les
sièges régionaux, les sièges nationaux et les
sièges internationaux.
Les sièges sociaux internationaux, comme celui que l'Alcan a
à Montréal, doivent tenir compte du contexte international et,
dans ce
domaine, l'anglais est d'habitude la langue la plus appropriée et
la plus utilisée.
Je vais demander maintenant à M. Leduc de vous faire un
très court résumé de ce que contient le
mémoire.
M. LEDUC (Marc): L'Alcan est au Québec depuis 75 ans, et elle
entend y demeurer. Avec le temps, Alcan a graduellement acquis une envergure
mondiale.
Le groupe Alcan a des installations sur tous les continents; son
personnel compte, à tous les niveaux, des représentants de
nationalités diverses. Il se procure des capitaux de sources nombreuses
et ses actions sont inscrites à plusieurs bourses des deux
côtés de l'Atlantique. Elles le seront sous peu même
à Tokyo. Grâce à ses dimensions et à son
organisation internationales, le groupe Alcan, dirigé à partir du
Québec, peut s'approvisionner en matières premières
à l'étranger et assurer à l'extérieur du
Québec un débouché pour 90 p.c. de sa production
québécoise d'aluminium. L'actif d'Alcan au Québec est
d'au-delà de $850 millions avant déductions des amortissements,
et son personnel, au Québec, compte environ 12,200 personnes.
Nous avons voulu mesurer, en rédigeant ce mémoire, les
effets du projet de loi 22 sur notre activité industrielle, sur nos
ventes et sur le fonctionnement de notre siège social à
Montréal.
Le projet de loi 22 vise à favoriser la diffusion de la langue
française au Québec et, notamment, l'accès des
Québécois francophones à une plus large part des postes de
commande dans le monde des affaires.
Comme entreprise, nous approuvons les objectifs généraux
énoncés sous forme d'attendus dans le préambule du projet
de loi. Nous ne voyons aucune divergence entre ces objectifs
généraux et ceux d'Alcan. Nous constatons, dans le comportement
linguistique de notre entreprise au Québec, une large concordance avec
les objectifs du projet de loi.
L'intérêt que porte Alcan à la langue de
communication avec ses employés n'est donc pas d'hier.
Quant à l'accès des francophones à des postes de
commande, il est un fait accompli dans une bonne mesure, et il a
été grandement facilité lorsque les francophones ont
accepté des emplois à l'extérieur des grands centres et
à l'étranger. Notre politique de recrutement et de promotion vise
à valoriser la compétence, et la compétence s'aiguise au
moyen de l'expérience dans divers milieux.
Dans les usines d'Alcan au Québec, le français est devenu
la principale langue de communication orale. Les employés de ces usines
constituent 90 p.c. de l'effectif total de notre entreprise au
Québec.
Nous reconnaissons qu'il y a lieu d'améliorer le rôle de la
langue française dans certains secteurs et nous nous y employons.
Du côté de la francophonisation, la présence
grandissante de cadres francophones dans nos usines favorise la
francophonisation de notre siège social. Au sujet du siège
social, le nôtre est un siège mondial et la pratique quotidienne
de l'anglais dans les communications est inévitable. Toutefois, les
communications du siège social avec l'administration publique au
Québec et les collectivités francophones se font en
français. Selon les circonstances, les communications se font, soit en
français, soit en anglais au siège social bien qu'en règle
générale elles se fassent en anglais. Voilà pour les
objectifs généraux énoncés dans le projet de loi.
Suivent quelques remarques sur des points particuliers du projet.
La première remarque sur la délégation du pouvoir
d'édicter des règlements: en général, nous
espérons que ces règlements seront rédigés
clairement, sans ambiguïté et que le gouvernement s'efforcera,
ensuite, de circonstancier son action de façon à la rendre
efficace.
Le choix d'une langue de communication dans le monde des affaires doit
tenir compte d'une foule de facteurs assez complexes. Là où la
loi devrait être souple, selon nous, c'est dans la différenciation
à reconnaître entre les niveaux d'activité au sein des
entreprises du Québec.
Au niveau d'une usine ou d'une délégation
régionale, il va de soi que le français mérite une
considération particulière, mais il en va autrement de
l'activité nationale et internationale d'une société,
même si elle a son siège social au Québec.
Deuxième remarque particulière sur la langue de travail et
la langue des affaires: au sujet des subventions dont parle l'article 31, dans
notre mémoire, nous avons proposé d'abandonner cette idée.
Cependant, nous croyons que le gouvernement pourrait fort bien fournir,
à ses frais, documentation et autres outils linguistiques pour aider
certaines entreprises qui, laissées à leurs propres ressources,
rencontreraient des obstacles à la réalisation de leur
programme.
Troisième remarque, la langue d'enseignement: au sujet de
l'article 48 et suivants, nous croyons que la loi devrait dire clairement si le
Québec maintiendra un secteur d'enseignement anglophone distinct, pour
les jeunes cadres compétents qui habitent d'autres provinces ou d'autres
pays et dont Alcan a besoin au Québec.
Il faut l'assurance que leurs enfants ne seront pas handicapés
dans leurs études. La mobilité des cadres est une condition
essentielle pour nous. Nous croyons que le secteur public anglophone, puisqu'il
existe et fonctionne assez bien, est un atout qui devrait être maintenu.
Nous croyons également que l'enseignement de la langue seconde devrait
être amélioré et intensifié dans les écoles.
Si on n'y arrive pas, nous croyons que, par définition, notre secteur
public ne disposera pas d'un enseignement de haute qualité pour notre
population, et on encouragerait ainsi indûment une expansion du
secteur privé. En passant, sans nous faire passer pour des
pédagogues, nous croyons que si l'on veut être vraiment
sérieux au sujet d'une seconde langue dans l'enseignement, on ne doit
pas donner seulement des cours de langues, mais, à partir d'un certain
niveau, enseigner une ou deux matières principales dans la langue
seconde.
Au sujet des tests mentionnés à l'article 50, nous avons
suggéré des normes générales à
l'étendue du Québec et des tests d'aptitude administrés
par le gouvernement lui-même. Une fois que l'on aura réussi ces
tests, les enfants devraient être libres de s'orienter à
l'école de leur choix.
Concernant la Régie de la langue française, nous avons
suggéré que toute doléance par un individu ou une personne
morale devrait pouvoir être soumise à un organisme distinct de la
régie.
Conclusion, bref, nous n'apportons pas de positions systématiques
et globales au projet de loi 22. Alcan en reconnaît le bien-fondé,
et, au surplus, est entièrement d'accord sur ces objectifs
généraux. Nous avons cependant jugé utile d'attirer votre
attention sur certaines dispositions, à partir de notre propre
expérience. Enfin, nous remercions la commission parlementaire d'avoir
accepté notre demande de présenter un mémoire. C'est tout,
messieurs.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, messieurs. Le ministre de
l'Education.
M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie les
représentants de l'Alcan pour la présentation de leur
mémoire. Je pense qu'il s'agit d'un témoignage extrêmement
important, étant donné la place qu'occupe l'Alcan dans
l'économie québécoise et étant donné
également les efforts soutenus qu'a faits cette compagnie pour se
refranciser depuis déjà un certain temps.
Je note que l'Alcan est d'accord sur les objectifs du projet de loi 22
et semble également d'accord sur les divers chapitres et les principales
modalités qui sont proposées.
Mes commentaires seront relativement brefs. La plupart, sinon la
totalité des remarques qui sont faites dans le mémoire,
correspondent aux intentions qu'a le gouvernement de modifier ou d'amender
certains des articles. Il est évident que, si le gouvernement a
souhaité une commission parlementaire, c'est pour entendre les
témoignages des différents groupes et, parmi ces groupes, il
faudrait manquer totalement de réalisme pour croire que les groupes
d'hommes d'affaires ne constituent pas un aspect important de la
société québécoise. Ces témoignages nous
aideront justement à coller le plus possible à la
réalité. J'ai déjà indiqué que la
réglementation, si elle n'est pas déposée dans tous ses
détails, sera très certainement discutée à fond
lors de l'étude du projet de loi, article par article, en commission
élue. Il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté une fois que la
loi sera acceptée. Alors, je peux, par conséquent, apporter une
précision à ce point de vue.
S'il y a un pouvoir réglementaire aussi important attaché
à cette loi, c'est précisément pour la raison dont parle
l'Alcan, en page 5 de son mémoire, à savoir qu'il faut tenir
compte de la différenciation à établir et à
reconnaître entre les dimensions et la portée des niveaux
d'activité au sein des entreprises du Québec. Il est totalement
impensable d'enfermer, dans un projet de loi, tous les principes qui doivent
guider une action de refrancisation. Chaque entreprise, en quelque sorte,
constitue un problème spécial et tous les programmes que le
gouvernement a mis sur pied depuis 1970 tiennent compte de ce point de vue.
C'est dans la réglementation, justement, que l'on pourra connaître
le cheminement des opérations, mais, croyez-moi, ce cheminement aura la
souplesse nécessaire pour tenir compte de ce qui constitue un
principe.
Le gouvernement est d'accord également en ce qui concerne
l'article 31 et je ne vois pas de difficultés de ce point de vue. Il n'y
a aucune raison de subventionner les entreprises pour des programmes de
refrancisation, ce serait injuste pour celles qui, comme l'Alcan, se sont
déjà largement refrancisées et, de toute façon,
cela n'est pas une méthode souhaitable. Si l'article a été
mis dans le projet de loi, c'était pour tenir compte de situations
très particulières et le gouvernement n'y a jamais tenu. Je l'ai
indiqué dès le début de cette discussion.
En ce qui concerne la langue d'enseignement, il y a effectivement une
recommandation à laquelle nous allons nous attacher, à savoir
apporter les éclaircissements en ce qui concerne le maintien du secteur
anglophone, la rédaction actuelle peut paraître ambiguë. Il y
a également la question des normes générales en rapport
avec la rédaction du chapitre sur la langue d'enseignement. Il y a deux
hypothèses possibles. J'en ai fait état à deux moments au
cours de cette discussion. La première hypothèse consiste
à laisser aux commissions scolaires le soin de faire
l'intégration de leurs élèves, quitte à
réserver au ministre, dans un deuxième temps, la
possibilité d'intervenir. Une autre hypothèse consiste à
avoir des tests qui sont imposés à toutes les commissions
scolaires d'une façon centrale, ce qui évite des
disparités trop grandes d'une région à l'autre. C'est la
réglementation qui permettra de savoir quelle est l'orientation que nous
allons suivre, mais nous avons tendance à croire également qu'il
y a intérêt à ce que les normes soient clairement
établies.
Il y a également cette question de la Régie de la langue
française. Votre recommandation est pertinente, elle a été
faite par plusieurs organismes. Nous pensons également qu'il y aurait
probablement intérêt à dissocier les fonctions
d'exécution et les fonctions de contrôle quasi judiciaire, les
fonctions d'enquête. Actuellement, nous trouvons, sous le même
organisme, ces deux fonctions: fonction d'exé-
cution et fonction d'ombudsman, à toutes fins utiles. Nous allons
très certainement nous pencher sur ce point.
Voilà mes principaux commentaires et j'aurai une seule question
qui appelle des éclaircissements de votre part. J'aimerais
connaître votre opinion sachant très bien que ça ne
s'applique pas à votre compagnie, étant donné que vous
vous qualifiez très certainement dans le cadre de la refrancisation
entreprise j'aimerais tout de même savoir ce que vous pensez de la
technique ou de la modalité des certificats de francisation que nous
avons introduite comme moyen de tenir compte de l'intention des compagnies.
M. LEMAN: Nous voyons un certain danger à ce système parce
que la façon dont on y réfère dans le projet de loi nous
semble aller très loin. Si ça pouvait vraiment affecter la survie
même d'une entreprise, il faudrait être assez prudent dans son
utilisation. Je crois qu'en général ce serait une erreur de
traiter toute la population, y compris les personnes morales du Québec,
comme des enfants à qui on met une étoile d'or dans leur petit
livre aujourd'hui. Mais je crois que ce sont les attitudes
générales qui comptent le plus.
Comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, à mon
point de vue, et je ne sais pas si je circule assez dans la province,
l'atmosphère s'est extrêmement améliorée depuis
quelques années sur la question de bonne entente entre les groupes et il
y aurait moyen de favoriser cela sans se servir d'autre chose que
l'encouragement au lieu de la coercition.
M. CLOUTIER: II est bien évident que si ces certificats de
francisation deviennent un véritable carcan, ils vont à
l'encontre du but que recherche la loi. Mais c'est la réglementation qui
va vous éclairer de ce point de vue et je crois vous avoir donné
suffisamment d'indications en vous disant que le gouvernement adhérait
entièrement aux principes que vous avez soulevés dans votre
mémoire, soit tenir compte de la diversité des entreprises, tenir
compte des situations individuelles et tenir compte des possibilités
également des entreprises ainsi que du secteur où elles oeuvrent.
Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de
Saint-Jacques.
M. CHARRON: Messieurs de l'Alcan, merci beaucoup également de
nous avoir apporté ce mémoire ce matin. Je n'ai certainement pas
envie de contester les affirmations que vous faites dans les premières
pages de votre mémoire, y disant que votre entreprise a depuis longtemps
fait d'elle-même ses propres efforts et a connu ses propres
résultats, appréciés, je pense bien, par la population
québécoise depuis quelque temps.
La preuve est là, je crois. Vous me permet- trez de le signaler
à nouveau, c'est qu'au moment où la commission Gendron a
procédé à ces études qui devaient aboutir au
rapport que l'on sait, votre entreprise a été une de celles qu'on
a effectivement scrutées, analysées, et je crois que c'est tout
à votre honneur, en même temps que tout utile pour les
législateurs, pour prendre des décisions par la suite.
Ce qui ne m'empêchera pas, ceci bien affirmé, de discuter
avec vous ce matin, si vous me le permettez, puisque vous n'avez même pas
caché dans votre mémoire certaines défaillances. Non pas
que je veuille les mettre en évidence et annuler ce que je viens de
dire, mais simplement pour qu'on analyse ensemble pourquoi ces
défaillances existent, de quelle nature elles sont et surtout quelles
raisons vous trouvez à l'existence de ces défaillances.
Effectivement, la commission Gendron, qui s'est penchée sur votre
entreprise, signalait: "Nous pouvons croire que, parmi les organismes types
dont nous avons décrit l'organisation au premier chapitre, l'Alcan est
plus satisfaite des cours qui se donnent à Arvida qu'au bureau de
Montréal et que les résultats sont aussi plus patents à
Arvida qu'à Montréal. Ainsi, nous voyons qu'à
Montréal, les problèmes que pose l'enseignement aux adultes sont
plus nombreux: l'âge, les différences ethniques et linguistiques,
les études antérieures du français, le manque d'aptitude
et de capacité, l'utilisation du français dans l'entreprise, le
travail et les responsabilités' '.
Effectivement, je pense que si mon collègue de Chicoutimi avait
pu être ici ce matin, il vous aurait signalé l'appréciation
que nous avons de la situation que nous avons à Arvida et que tout le
monde, je pense bien, peut avoir. Mais c'est à Montréal que se
posent des problèmes pour l'ensemble des entreprises et c'est à
Montréal que la loi 22 aura beaucoup ou aura peu de fruits selon le
cas.
C'est donc sur votre expérience à Montréal que
j'aimerais plutôt discuter. Ce que notait la commission Gendron, ce qu'on
reprochait à votre entreprise à Montréal, c'est que le
français est trop limité au seul cours et qu'effectivement les
élèves, ceux qui apprennent le français, ont peu
d'occasions de mettre en pratique ce qu'ils apprennent. On disait à un
autre endroit du rapport de la commission Gendron, lorsqu'on parlait des
différences de réussite entre certaines entreprises: "Est-ce une
preuve que les résultats laissent indifférente la direction des
entreprises? Pourquoi met-on ces cours sur pied? N'y aurait-il pas là
quelques moyens de se donner bonne conscience tout en se mettant en situation
de pouvoir projeter dans le public une image favorable mais que, dans la
réalité, cours ou non cours d'apprentissage de la langue
française par les cadres anglophones, cela ne change rien à la
réalité? ".
Le rapport de la commission Gendron citait, entre autres, cette
statistique: II a fallu découvrir jusqu'à une proportion de 80
p.c. de personnel
bilingue dans les cadres supérieurs pour pouvoir estimer que les
deux langues viennent finalement à atteindre une égalité
dans la communication. C'est-à-dire qu'on utilise aussi souvent le
français que l'anglais. Autrement dit, il faut qu'il y ait beaucoup de
bilingues pour que le français obtienne l'égalité par
rapport à l'anglais.
Encore une fois, vous rappelant dans quel esprit je vous pose ces
questions, j'aimerais peut-être que vous les commentiez.
M. LEMAN: Au sujet de la première partie de votre question, je
vais demander tout à l'heure à M. François
Senécal-Tremblay d'en parler, parce qu'il est peut-être un peu
plus familier avec ce qui s'est produit à Arvida au point de vue
scolaire par rapport aux remarques qu'on faisait au point de vue scolaire
à Montréal.
Je crois qu'il y a une explication assez simple. C'est que l'Alcan, qui
avait une présence énorme dans une ville relativement petite
comme Arvida, a eu une grosse influence sur la qualité de l'enseignement
dans les écoles d'Arvi-da. Elle ne pouvait pas avoir une influence aussi
considérable sur l'enseignement dans l'agglomération de
Montréal. C'est assez simple.
Pour le reste, je crois que c'est tout simplement la traduction d'un
vieux principe. C'est qu'il y a certaines choses, dans notre monde, qui ne se
changent pas du jour au lendemain. Moi, quand je suis entré à
l'Alcan, en 1938, j'étais le seul de ma discipline qui n'avait jamais
été employé par la compagnie. A ce temps-là,
c'était l'avant-guerre je crois que 90 p.c. des
diplômés universitaires que l'Alcan avait à son service
étaient des ingénieurs.
Avant la guerre je crois qu'il faut l'admettre dans le
Québec notre production d'ingénieurs, qui étaient
prêts à se lancer dans l'industrie n'était pas encore
très considérable. Cela a beaucoup changé depuis.
Le résultat, c'est que nous avions des ingénieurs qui
venaient d'universités anglophones et en grande majorité d'en
dehors du Québec à ce moment-là. L'âge moyen des
cadres supérieurs à notre siège social à
Montréal est assez élevé. Nous héritons de ce qui
existait. Il y a un progrès qui se fait, qui est continu, mais graduel.
Avec le temps, toutes ces choses peuvent changer, mais elles ne peuvent pas
changer du jour au lendemain. Je crois que c'est ce phénomène
qu'on observe, pas autre chose.
M. CHARRON: Mais, M. Leman, seriez-vous d'accord pour dire... Est-ce
que, autrement dit, l'affirmation contenue dans le rapport de la commission
Gendron vous apparaît à vous, membre de cette entreprise, comme
fondée, selon laquelle, quels que soient les efforts dispensés
par l'entreprise elle-même dans le domaine des cours de francisation,
cela n'a pas eu la même correspondance dans la vie quotidienne de
l'entreprise, en tout cas en ce qui concerne Montréal.
C'est-à-dire qu'on fait souvent apprendre une langue seconde
à certains de vos cadres moyens et supérieurs sans que, dans la
pratique quotidienne, ce qu'ils ont appris, ils aient à l'utiliser, et
que les efforts de francisation du personnel ne se sont pas transposés
dans des efforts de francisation de l'entreprise, si vous comprenez bien ce que
je veux dire.
M. LEMAN: Oui. J'observe le phénomène tous les jours. Il y
a des réunions de certains membres du personnel à Montréal
pour discuter d'une question d'affaires. Leur temps est limité. Ils ne
sont pas" pour prendre trois heures pour vider une question si elle se vidait
plus vite... Parce qu'il y a des gens qui ne comprennent pas bien le
français qui sont à la réunion, à cause du
problème qui est discuté, un problème qui peut avoir
affaire à la Norvège, l'Amérique du Sud ou les Indes. Ces
gens ne sont pas pour dire: Ecoutez, prenons trois heures pour le faire. Si M.
Uritel, qui fait partie de la réunion et qui est essentiel à la
réunion, ne comprend pas le français, tous les autres... Vous
connaissez le phénomène vous-même, vous l'avez
observé. A un moment, quand cela n'a pas l'air de bien marcher en
français, les gens passent à l'anglais, parce que les autres sont
bilingues.
M. CHARRON: On "switch" comme on dit.
M. LEMAN: Oui. C'est cela. On "switch". Alors, nous sommes en affaires
au bureau de Montréal. Je vous assure que les heures sont très
limitées. Je pourrais vous montrer mon agenda du matin au soir. On ne
peut pas passer notre journée à faire de la linguistique.
M. CHARRON: Mais, M. Leman, l'exemple que vous me donnez est l'exemple
d'un conseil d'administration ou d'un haut conseil de direction d'une
entreprise multinationale qui fait affaires dans plusieurs pays et qui,
à l'occasion, travaille, et par affaires plus souvent qu'à
l'occasion, avec des unilingues anglophones. Ce qui est une
réalité. L'autre, c'est que l'ensemble du siège social,
dans le siège social de Montréal d'une entreprise, même
multinationale, on ne peut pas dire que ce sont tous des gens qui ont affaire
avec des unilingues anglophones. Le reproche qu'on faisait, quant à
l'application de la francisation à Alcan-Montréal, c'était
que ce que vous me décrivez comme très réel dans un cercle
très restreint, en fin de compte, affectait l'ensemble du siège
social et là, la raison que vous venez de me donner de temps à
gagner et tout cela n'existe pas pour l'ensemble des travailleurs francophones
de l'entreprise.
M. LEMAN: Tout ce que je peux vous répondre, c'est que le
progrès n'a pas été aussi rapide qu'on pouvait
l'espérer. Ce n'est pas par manque de bonne volonté. Ce n'est pas
par préjugés ou rien comme cela. C'est parce que la pression des
affaires fait tomber les gens tout naturellement dans des mauvaises
habitudes.
M. CHARRON: Je vous répète encore que ce n'est pas ce que
je soutiens non plus, que c'est par manque de bonne volonté. Au
contraire, je veux profiter de votre passage à la table de la commission
ce matin pour dire et pour redire et ajouter au dossier, que nous avons quand
même considérablement développé depuis trois
semaines, à savoir que l'incitation ou la bonne volonté ou les
efforts individuels des entreprises, programmes si vous me permettez
l'anglicisme "home-made" de francisation dans les entreprises... Votre
entreprise en est probablement une où cela a le mieux marché et,
pourtant, on peut constater que l'incitation a, dans ses résultats,
même au maximum, des limites très sérieuses, qui ne sont
pas transperçants.
A l'Ancan-Montréal je cite encore le rapport Gendron
"on déclare que la motivation est une des principales
difficultés de l'enseignement aux adultes. Certains n'ont pas la
motivation nécessaire à la réussite et, pour
ceux-là, une attitude négative souvent inconsciente les bloquera
toujours".
Je me sers simplement de votre présence pour rappeler aux membres
de la commission que, quels que soient les résultats, à
l'occasion, positifs de l'incitation, cela ne remplacera jamais, dans les
résultats totaux et nécessaires pour l'ensemble du Québec,
une action législative qui s'applique à l'ensemble du
Québec.
C'est dans ce sens que, comme le soulignait le ministre, nous avons
malheureusement constaté, avec des groupes d'affaires, des échecs
retentissants. Hier soir, le Conseil du patronat était ici et nous avons
fait état avec lui de l'échec de l'incitation chez plusieurs de
ses membres.
M. CLOUTIER: Ce n'est pas moi qui parlais d'échec.
M. CHARRON: Non. C'était le sous-ministre du ministre qui parlait
d'échec.
M. CLOUTIER: Je voudrais être cité... Oh! Doucement.
M. CHARRON: C'est le sous-ministre du ministre qui parlait
d'échec.
M. CLOUTIER: Je ferai les rectifications qui s'imposeront.
M. CHARRON: C'est cette occasion que je voulais avoir pour discuter avec
vous. Il y a une chose dont je veux parler avant de laisser la parole au
député de Rouyn-Noranda. Ce sont les remarques que vous faites
quant à la langue d'enseignement. Vous notez deux choses, à la
page 7. Vous reprochez l'ambiguïté du texte quant à
l'existence du secteur anglophone, à l'article 48 du projet de loi. Le
ministre a concédé que c'était ambigu. C'est exact. Je
pense que c'est une vérité de la Palice. La preuve en est que des
groupes ont tenu des propos tout à fait distincts sur le même
article. Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est ambigu. Je voudrais
ajouter, en commentaire à ce qu'à dit le ministre, que c'est
aussi voulu. C'est ambigu, mais voulu. Il s'agissait, comme au moment de la loi
63, d'appeler cela loi pour promouvoir l'enseignement du français, de
faire semblant qu'on fait quelque chose et mettre une exception par la suite.
L'ambiguïté n'a servi personne. Le truc politique n'a servi
personne. Il a simplement apeuré les deux groupes. Je ne conteste pas
l'ambiguité, mais je veux simplement ajouter à l'intention de la
commission que cette ambiguïté a été parfaitement
bien calculée.
Mais, c'est sur autre chose que je veux vous interroger. Vous
réclamez, pour les jeunes cadres compétents de votre entreprise,
qui habitent d'autres provinces du Canada ou même un pays étranger
et dont l'Alcan a besoin au Québec, l'assurance que leurs enfants ne
seront pas handicapés dans la poursuite de leurs études.
C'est une partie de votre mémoire sur laquelle je ne peux pas
être d'accord et je pense que le Québec n'a pas à
établir un système d'enseignement en fonction de la
mobilité des cadres moyens ou supérieurs des entreprises
multinationales qui fait affaires au Québec. On est déjà
assez soumis aux multinationales sans bâtir notre système
d'enseignement en fonction de... Il y a assez que notre économie leur
appartient sans que notre éducation leur passe complètement entre
les mains. Vous en conviendrez avec moi.
D'autre part, j'aurais même l'impression, et c'est ce que je veux
vous demander, si en se rendant à cet argument, on ne serait pas encore
une fois, dans le monde, un des premiers à le faire.
M. Tremblay, tout à l'heure, faisait état de votre
entrée prochaine sur le marché asiatique à la Bourse de
Tokyo, ce que j'apprends aujourd'hui. Est-ce qu'à Tokyo, si votre
entreprise y fait affaires le gouvernement japonais va financer des classes
anglaises pour les jeunes cadres provenant de l'extérieur du Japon et
qui travailleront à l'Alcan à Tokyo pour deux ou trois ans,
histoire d'implanter l'entreprise ou quelque chose du genre? Est-ce qu'on va
leur fournir ces cours?
M. LEMAN: Oui. La langue seconde de tout le système
d'enseignement de tout le Japon est l'anglais...
M. CHARRON: Oui, mais...
M. LEMAN: ... mais elle est extrêmement bien enseignée et
les jeunes Japonais qui commencent maintenant à se présenter dans
le monde des affaires connaissent l'anglais suffisamment pour se
dépanner.
M. CHARRON: D'accord.
M. LEMAN: Ils l'enseignent et ils l'enseignent bien.
M. CHARRON: Ils l'enseignent et ils l'enseignent bien. C'est ce que nous
pouvons exiger de notre système d'enseignement également. C'est
ce que tout le monde exige ici. Mais il n'y a pas au Japon un secteur
anglophone de l'enseignement.
M. LEMAN: Non. Seulement dans les écoles privées.
M. CHARRON: Ni la Norvège, dont vous me parliez tout à
l'heure, ou l'Amérique du Sud. J'ai l'impression que, lorsque votre
entreprise s'est installée en Uruguay, ce pays n'a pas ouvert des
écoles anglaises pour les fils de cadres de sociétés
multinationales qui font affaires en Uruguay. Est-ce que votre entreprise,
parmi toutes les facilités de mobilité qu'on va donner à
un jeune cadre qui va se déplacer pour une période temporaire,
n'a pas un budget de déménagement? Est-ce qu'on ne soutient pas
qu'il y a aussi un budget pour l'instruction des enfants à
l'école privée anglaise, par exemple, qui peut exister, si
vraiment l'intention du jeune cadre est de garder ses enfants dans le
système anglais, si c'est sa langue et qu'il vient d'un pays
anglophone?
M. LEMAN: C'est faisable, cela coûte ce que cela coûte.
M. CHARRON: C'est l'entreprise qui paie les cours à ce
moment?
M. LEMAN: Oui, maintenant nous parlons de l'intérêt de
l'entreprise. Nous commentons le mémoire en partie, avec
l'intérêt de l'entreprise.
M. CHARRON: Vous épargnez des frais à l'entreprise en
voulant les faire assumer par l'Etat, par la collectivité. Il est
évident que, si votre entreprise n'avait pas à donner un budget
de déménagement et d'instruction privée pour les enfants
de jeunes cadres, et si c'était le gouvernement qui la leur offrait,
comme c'est d'ailleurs le cas aujourd'hui ce n'est pas quelque chose
qu'on inventerait, c'est d'ailleurs le cas c'est votre entreprise qui en
profiterait directement. Je termine là-dessus, M. Leman. Je ne crois
pas, à peu près dans le même esprit que vous ayez
refusé l'article 31 de la loi qui parle de subventions pour les
entreprises, où vous déclarez comme inacceptable ce genre de
processus... De la même façon, je juge inacceptable que nous
ouvrions toutes grandes les portes de notre système anglophone, parce
qu'il existe ici des fils de cadres, qui viennent un an, deux ans, ou trois ans
au Québec et qui retourneront demain aux Etats-Unis, ou demain au
Canada, ou n'importe où ailleurs. S'il y a des aspects de votre
mémoire que nous retiendrons, je vous affirme tout de suite que ce ne
sera pas celui-là. Merci, M. Leman.
M. LEMAN: C'est votre affaire.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: M. le Président, je voudrais également
féliciter les représentants de la compagnie Alcan pour la
façon très franche de présenter ce mémoire et de
répondre également aux questions. Il y a déjà
plusieurs questions que j'aurais posées et qui ont obtenu
réponse. Cependant, je remarque, quant à la question des
sièges sociaux, votre inquiétude à ce sujet. Est-ce que
vous iriez jusqu'à suggérer ou à demander qu'il y ait
à l'intérieur du projet de loi 22 des mesures prévues
d'exception pour le cas des sièges sociaux internationaux ou mondiaux
comme c'est le cas du vôtre?
M. LEMAN: Je crois que nous faisons cette remarque surtout quand il
s'agira de la réglementation, que ce soit nuancé,
différencié, etc.
M. SAMSON: Justement, vous arrivez à un autre sujet sur lequel je
voulais poser une question: la réglementation. Le ministre a
annoncé, bien sûr, son intention de faire part d'une partie de la
réglementation à l'occasion du débat en commission
parlementaire où nous étudierons le projet de loi, article par
article, après la deuxième lecture. Mais est-ce que vous croyez
qu'il vous serait plus utile de connaître l'ensemble de la
réglementation à ce moment, plutôt qu'une seule partie de
la réglementation et dont l'autre partie pourrait venir, on ne sait pas
quand?
M. LEMAN: M. le ministre m'a semblé dire que la
réglementation elle-même serait étudiée,
discutée, qu'on écouterait probablement, même sur des
questions de réglementation, l'avis de différents groupes ou
experts. Si cela se passe comme cela, nous aurons peut-être des remarques
à faire sur la réglementation. Si on la voit avant qu'elle soit
complètement...
M. SAMSON: C'est-à-dire que ce n'est pas tout à fait comme
cela que le ministre nous a annoncé son désir de nous faire part
de la réglementation. C'est une partie de la réglementation qui
sera connue à ce moment. La commission parlementaire, après la
deuxième lecture, n'est pas une commission parlementaire où on
entendra des groupes. C'est une commission parlementaire élue,
c'est-à-dire formée des députés seulement. C'est
pourquoi je vous pose la question d'ailleurs. Est-ce que vos
préférences ne seraient pas plutôt, par ce que vous venez
de dire, il semble que cela confirme justement ce que je pense aussi... C'est
que la réglementation devrait être connue au complet. Il devrait
être
donné aussi aux groupes de pouvoir faire connaître leur
point de vue sur la réglementation. C'est pourquoi je vous pose cette
question: Est-ce que vous aimeriez cela de cette façon?
M. LEMAN: Si c'est mécaniquement faisable, oui, ce serait notre
préférence.
M. SAMSON: D'accord! A la page 7...
LE PRESIDENT (M. Gratton): ... on ne voudrait pas être
désagréable à son égard, mais nous dépassons
déjà de quelques minutes le temps alloué aux
discussions.
M. SAMSON: M. le Président, je ne voudrais pas être
désagréable non plus. J'ai une seule petite question. Je vous
souligne que je vous avais fait signe au début que j'avais des questions
à poser et je vous fais remarquer également que lorsque je n'en
ai pas, je vous fais signe aussi. Hier soir, je n'en avais pas, je vous ai fait
signe également.
M. CLOUTIER: Le bon sens du député de Rouyn-Noranda est un
acquis précieux pour la commission.
M. SAMSON: M. le Président, il n'y a pas de meilleure
façon de me faire arrêter de parler. Concernant les deux
systèmes, les secteurs publics anglophone et francophone, vous en avez
parlé un peu tantôt avec le député de Saint-Jacques,
pour les nouveaux immigrants, notre position, on l'a fait connaître,
nous, est que, pour tous ceux qui sont ici évidemment, on ne veut pas
leur enlever de privilèges ou d'habitudes, et on ne veut pas non plus
que cesse l'enseignement de l'anglais. Bien au contraire. Il faut être
pratique. Mais voici ma question: Est-ce que vous allez jusqu'à
permettre que tous les nouveaux immigrants puissent choisir directement le
secteur anglophone ou francophone, sans qu'il y ait une contrainte pour les
nouveaux immigrants une contrainte qui les enverrait directement à
l'école francophone, pour tous les nouveaux venus à partir de
maintenant?
M. LEMAN: Je vais vous montrer un peu comme c'est un terme vague que ce
terme d'immigrant. Il peut y avoir des gens qui viennent ici de leur propre
initiative parce qu'ils en font la demande, d'autres peuvent être
immigrants parce qu'une société comme l'Alcan les a
attirés ici pour ses propres raisons. Parmi les diplômés
des cadres supérieurs de notre usine d'Arvida, je vais vous donner la
distribution, par nationalité, de ces gens. Sur 238 personnes, il y a
147 Canadiens, 5 Américains, 2 Italiens, 5 Hongrois, un
Néo-Zélandais, 6 de l'Inde, 31 des Iles Britanniques, 6
Hollandais, 4 Allemands, un Philippin, un Australien, 2 Suisses, 10 Polonais,
un Japonais, 3 Ukrainien, un
Vietnamien, 2 Sud-Africains, un Estonien, un Jamaïcain, un
Norvégien, 2 Grecs, 2 Yougoslaves, un Irlandais, un Latvien et un
Finlandais. Il y en a donc beaucoup là-dedans qui pourraient être
classés comme immigrants pendant un bout de temps.
M. SAMSON: C'est très intéressant ce que vous apportez
comme réponse, mais cela m'amène à vous demander si vous
suggérez qu'il y ait des nuances entre ce qu'on appelle des immigrants
de façon générale et ce que vous semblez appeler
peut-être pas des immigrants au sens du mot, mais de la mobilité
de cadres, commandés. Ce sont des gens que vous demandez directement. A
ce moment-là vous ne les considérez pas comme des immigrants qui
nous arrivent à la suite d'un recrutement fait dans les autres pays.
Votre recrutement à vous est en fonction d'un besoin spécifique.
Est-ce que cela vous amènerait à suggérer qu'il y ait
nuance lorsque nous parlons du secteur public francophone ou anglophone et
lorsqu'on parle des immigrants?
M. LEMAN: Est-ce que je peux vous donner une opinion purement
personnelle sans que ce soit nécessairement une opinion unanime de
l'Alcan? Moi, cela me répugne un peu de dire: On va conserver le choix
pour les Québécois, s'ils passent les tests, s'ils se conforment
à certaines normes, mais les immigrants n'auront pas le choix. Cela me
répugne. La différence me répugne. J'ai toujours eu des
doutes sur la vraie attitude du Québec vis-à-vis des immigrants
et peut-être que les immigrants vont finir par avoir des doutes sur
l'attitude du Québec aussi. J'y vois un certain danger, mais, tout
à l'heure, on parlait du manque de progrès à notre
siège social au point de vue de la francisation. On peut parler
exactement du même problème au point de vue du système de
l'enseignement du Québec. Si, un jour, le Québec avait la
réputation d'enseigner très bien l'anglais aux
élèves qui sortent des écoles du système
francophone du Québec, la difficulté serait beaucoup
diminuée immédiatement, mais on ne le fait pas.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Laporte.
M. DEOM: M. le Président, le député de
Saint-Jacques a oublié de vous demander si vous étiez membre
corporatif du conseil du patronat. Il l'a demandé hier soir pour un
certain nombre d'entreprises, mais il a oublié de vous le demander. De
toute façon, ce n'est pas ma question. Je voudrais revenir sur la
question qu'a posée le ministre concernant les certificats. Je me
demande si ce n'est pas une question uniquement de sémantique quand on
discute de l'utilisation d'un certificat. On pourrait aussi bien l'appeler une
concession, un permis de la Régie de la langue française, comme
il y a un permis de la Régie des services publics ou un
permis de la Régie des transports ou on pourrait aussi bien
l'appeler n'importe quoi. C'est uniquement une modalité. Est-ce que vous
préféreriez, au point de vue des modalités
administratives, qu'on enlève les certificats qui, à mon avis,
sont beaucoup plus objectifs et qu'on remplace ça, comme certains l'ont
suggéré, par des dénonciations, devant l'Assemblée
nationale, de la Régie de la langue française qui, à un
moment donné, ferait un rapport individuel à l'Assemblée
nationale pour dire: L'Aluminium du Canada ne satisfait pas au programme de
francisation? Vous n'avez pas l'impression que l'émission d'un
certificat est un mécanisme administratif beaucoup plus normalisé
que celui d'utiliser des cas, de travailler par acceptation devant
l'Assemblée nationale?
M. LEMAN: Si je connaissais tous les critères objectifs qui vont
être employés pour accorder des certificats, je serais plus en
mesure de vous répondre.
M. DEOM: II y a une idée qui me trotte dans la tête. A
votre page 5, vous dites: "La nature et le caractère des entreprises
offrent une vaste diversité... mais cette diversité ne devrait
pas censément jouer contre les objectifs généraux du
projet de loi 22 en ce qu'ils ont trait aux opérations
intra-Québec des entreprises." Si on supposait que les objectifs de tout
programme de francisation étaient de maximiser l'utilisation du
français dans les entreprises du Québec, tout en n'imposant pas
à ces entreprises des contraintes linguistiques telles que leur
situation concurrentielle sur le marché en serait sensiblement
affectée, est-ce que vous vous rallieriez à l'idée du
certificat?
M. LEMAN: Oui, mais il y a deux gros "si" dans votre question.
M. DEOM: Oui, non, non, c'est parce que c'est une idée qui me
trotte dans la tête. Comment réagiriez-vous à
ça?
M. LEMAN: Comme je vous le dis, si toutes les conditions étaient
remplies, s'il n'y avait aucune menace contre la situation concurrentielle et
les résultats de l'entreprise, si... etc., avec tous les "si", on
pourrait y arriver. Comme je vous le dis, si, à un moment donné,
on nous dit: L'Alcan a la réputation d'avoir fait un très grand
progrès au point de vue francisation dans certains secteurs, mais elle
semble avoir été un peu frustrée dans son progrès
dans d'autres secteurs, qu'est-ce qui arriverait? On aurait un certificat
partiel à l'Alcan ou quelque chose comme ça?
M. DEOM: Je ne comprends pas votre question, un certificat
partiel...?
M. LEMAN: Si la régie était satisfaite de ce que nous
avons accompli dans un secteur, pas satisfaite de ce qu'on a accompli dans un
autre secteur, ça nous donnerait un certificat partiel ou un
certificat...?
M. DEOM: Ah bon! C'est une bonne question.
M. CHARRON: Vous viendrez en retenue le dimanche !
M. LEMAN: Cest ça, on viendra en retenue le dimanche.
M. DEOM: C'est une très bonne question à laquelle,
malheureusement, je ne peux pas répondre. Bon, il y aurait
peut-être juste une autre petite question concernant la...
M. VEILLEUX: Le député de Laporte me permettrait-il une
toute petite question...
M. DEOM: Oui, M. le député de Saint-Jean. M. VEILLEUX: ...
pour faire suite?
LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de
Saint-Jean.
M. VEILLEUX: Est-ce que dans votre esprit, un certificat de francisation
pourra être dangereux dans le sens que si une industrie a ce certificat,
les efforts qu'elle a faits s'arrêtent là et qu'elle ne les
continue pas?
M. LEMAN: II y a cette possibilité...
M. VEILLEUX: Compte tenu de ce que vous avez mentionné par
exemple, si dans un certain secteur, on a eu des difficultés, comme
l'Alcan dans d'autres secteurs a fait de grands pas, on donne un certificat de
francisation, dans votre esprit je ne dis pas que ce serait dans
l'esprit de l'Alcan s'il y avait une industrie connaissant les
mêmes problèmes que vous, elle pourrait se dire, à ce
moment-là: Compte tenu que j'ai mon certificat, comme j'ai de la
difficulté, on va arrêter dans ce secteur et on va continuer dans
les autres.
M. LEMAN: Je n'avais pas pensé à cet aaspect. Mais
maintenant que vous le mentionnez, il y a peut-être un danger
là-dedans.
M. DEOM: Une toute petite question concernant la mobilité des
cadres. Vous nous dites que c'est devenu une condition essentielle et je suis
entièrement d'accord avec vous. J'aimerais entendre vos commentaires sur
la mobilité des cadres francophones vers les autres provinces du Canada
ou vers les autres pays dans lesquels vous avez des activités, ou votre
expérience.
M. LEMAN: Je crois que j'y ai observé une amélioration au
cours des 20 dernières années. Je crois que la mobilité
s'associe un peu au
niveau d'éducation des gens. Les gens sont plus prêts
à aller à l'aventure, un peu plus portés à aller
ailleurs s'ils voient une occasion d'y aller et de faire du progrès, si
leur niveau d'éducation est plus haut. Or, le niveau d'éducation
des Québécois a monté depuis 20 ans. Je crois que cela a
eu une espèce d'effet d'entraînement.
M. DEOM : Merci, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Gratton): S'il n'y a pas d'autre question du
côté ministériel, messieurs, la commission vous remercie de
votre présentation. J'invite immédiatement les Groupes
protestants des Cantons de l'Est et leur porte-parole, M. Sparkes, à
bien vouloir nous présenter les gens qui l'accompagnent s'il vous
plaît.
Si vous me permettez, j'aimerais faire la lecture des organismes inclus
dans ce groupe soit: le Eastern Townships Regional School Board, le Lennoxville
District School Board, le St. Francis Protestant School Board et leur
comité de parents associés, la Eastern Townships Association of
Teachers, la filiale locale no 8 de la Quebec Association of School
Administrators. M. Sparkes.
Groupes protestants des Cantons de l'Est
M. FAIRBAIRN: M. le Président, je m'appelle Bruce Fairbairn. Je
suis le porte-parole du groupe. Je suis le président de St. Francis
Protestant School Board. A ma droite, M. Wendell Sparkes, directeur
général du Eastern Townships Regional School Board. A ma gauche,
M. Hugh Auger, directeur général du Lennoxville District School
Board, et M. George Rothney, le principal de la Lennoxville Elementary
School.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Pourrais-je simplement vous demander de noter
que vous disposez de vingt minutes pour faire votre présentation
préalable à la période de questions?
M. FAIRBAIRN: M. le Président, le Eastern Townships Regional
School Board, le Lennoxville District School Board, etc. représentent
approximativement 6,500 élèves inscrits aux commissions scolaires
protestantes des comtés de Sherbrooke, Richmond, Drummond, Arthabaska,
Stanstead, Compton-Frontenac, Wolfe et Mégantic. Il y a
approximativement 400 enseignants et administrateurs ainsi que plus de 7,000
contribuables et parents concernés de façon vitale par
l'éducation de ces enfants. Nous accueillons cette occasion d'exprimer
les points de vue de la communauté de langue anglaise que nous
représentons. En termes généraux, notre premier
désir est d'appuyer les mesures raisonnables pour promouvoir et
renforcer la langue française et la culture, canadienne-française
dans la province de Québec. Nous voulons, deuxièmement, prouver
que les personnes de langue anglaise ont contribué à l'histoire
et à l'héritage de la province de Québec, que ce groupe
culturel devrait être protégé et devrait se voir donner
amplement l'occasion de contribuer au développement et à
l'enrichissement.
Troisièmement, accentuer notre appui à des mesures
positives, encourageant le développement de la confiance mutuelle et de
la bonne volonté entre les populations de langue française et de
langue anglaise et leur "entremêlement" dans une atmosphère de
compréhension et de respect.
Quatrièmement, exprimer la conviction que le droit historique et
fondamental des parents du Québec, comme gardiens légaux et
moraux de leurs enfants, de choisir soit l'anglais ou le français pour
l'instruction de leurs enfants a posé un exemple et que le déni
de ce droit serait un pas malencontreux et régressif.
Cinquièmement, exprimer la conviction qu'une approche
sincère à la préservation des droits de la langue au
Québec devrait respecter les aspirations des Québécois de
langue française ou de langue anglaise sur une base
d'égalité.
Sixièmement, d'exprimer notre crainte sérieuse que
l'article 48 du projet de loi 22 prévoit de pleins pouvoirs
législatifs permettant aux gouvernements présent ou futurs
d'éliminer l'enseignement en langue anglaise à leur guise.
Ce résumé contient les objections que nous faisons et les
améliorations que nous suggérons pour rendre le projet de loi 22
plus acceptable dans son ensemble, car il a rapport, dans ses données
générales, à l'éducation. D'autres parties du
projet de loi n'ont pas été mentionnées.
No 1 : Preamble to bill 22.
We recommend that the preamble to bill 22 be modified to reflect the
position expressed in the introduction to this brief notably: the
protection of the rights of English-speaking people in public and private life
in Quebec; the promotion of bilingualism and biculturalism; the protection of
the right of parents to select English or French as the language of instruction
for their children.
Section 6. As this section imposes an impractical burden on
administrative bodies composed mainly of English-speaking persons, we recommend
the addition of the following paragraph : "School municipalities where the
majority of the juridical population is English-speaking are excluded from this
requirement".
Section 9. As the meaning of this section is somewhat obscure and
unrelated to the situation of most school boards operating English language
schools, we recommend the addition of the following paragraph: "School
municipalities where the majority of the juridical population is
English-speaking are excluded from this section".
Section 10. Since this section also
imposes an impractical burden on school administrations composed mainly
of English-speaking persons, we recommend either complete withdrawal of the
section or an amendment which would exclude English language boards as in our
recommendations 2 and 3.
Section 12. To improve the practicality of this section, we recommend it
be amended as follows : "The French language is the language of internal
communication in the public administration subject to the provisions of section
6".
(Here we refer to our amended version of section 6)
Section 13. Since this section imposes an impractical burden on school
administrations composed mainly of English-speaking persons, we recommend its
deletion from bill 22.
Section 14. For clarification and coherence with previous amendments, we
recommend that this section be amended as follows:
Firstly, in paragraph 1, line 4, the word "official" should be replaced
with the words "French or English".
Secondly, paragraphs 3 and 4 should be deleted.
Section 16. Again for clarification and uniformity, we recommend that
the word "official" in line 4 be changed to the word "French".
Section 17. For clarification and uniformity, we recommend that the word
"official", in line 4, be changed to the word "French".
Section 24. To make this section more practical and realistic, we
recommend that it be replaced with the following: "Employers must provide
notices, communications and directions to their personnel in French and/or
English, according to the request of the employee groups".
Section 48. To reduce the broad discretionary powers of the minister
inherent in this section, and to ensure the continuence of English language
schools in the Province of Quebec, we recommend that the first paragraph be
replaced by the following: "The language of instruction shall be French in the
schools governed by the Roman Catholic school boards, the Roman Catholic
regional school boards and the corporations of trustees erected for Roman
Catholics.
Section 49. Since we feel that it is the fundamental right of parents to
choose French or English as a language of instruction, we recommend that this
section be replaced by the following: "Parents shall have the right to choose
instruction in the French or English language for their children".
Section 51. Since we feel that this section is discriminatory, arbitrary
and impractical, we therefore recommend it be deleted from bill 22.
Chapters II and III. We find the enquiries, studies and investigations
contemplated in this part of bill 22 to be oppressive, arbitrary and
incompatible with a democratic society.
Section 128. This section must be clarified to ensure that plans for the
1974/75 school year, made prior to September 1st, 1974, do not become nul and
void with the passage of bill 22. Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, messieurs. J'invite maintenant le
ministre de l'Education à poser la première question.
M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie le groupe protestant
des Cantons de l'Est pour la présentation de son mémoire. Je
félicite d'ailleurs le groupe d'avoir abordé la question du
projet de loi 22 avec autant d'objectivité.
Nous avons entendu un bon nombre de groupes anglophones, comme
francophones d'ailleurs, qui l'ont dénoncé, à partir de
prises de position antérieures, ou à partir de prises de position
idéologiques, sans se donner la peine de l'étudier article par
article, et puis de proposer un certain nombre d'amendements. Ceci ne veut pas
dire que le gouvernement est d'accord sur tout ce qui est recommandé,
mais il est très certainement d'accord sur la démarche qui a
été suivie, et je me plais à le souligner.
Il y a plusieurs des points auxquels le gouvernement va s'attacher.
Parce qu'effectivement, certaines précisions peuvent être
apportées, certaines anomalies qui auraient pu découler de
quelques articles pourront être corrigées. Il y a simplement un
point, pour l'instant, sur lequel je veux apporter une certaine assurance,
c'est celui dont vous faites état en page 2, le paragraphe 6, alors que
vous exprimez votre crainte que l'article 48 puisse permettre aux gouvernements
présent et futurs vous pensez probablement surtout aux
gouvernements futurs d'éliminer l'éducation de langue
anglaise. Il n'en est certainement pas question. Ce n'est pas dans l'esprit de
la loi. De toute façon, rassurez-vous, ce n'est pas dans l'esprit de la
loi. S'il est nécessaire d'apporter un éclaircissement de ce
point de vue, une précision qui ferait disparaître cette crainte,
laquelle est fondée sur une rédaction qui n'est peut-être
pas suffisamment claire, nous le ferons sans hésiter.
Je n'ai qu'une question. J'aimerais savoir ce que vous entendez lorsque
vous parlez de promotion du bilinguisme, en page 3. Je crois comprendre que
vous ne souhaitez pas qu'un projet de loi institutionnalise le bilinguisme,
parce que, effectivement, le projet de loi 22 ne le fait pas. Bien au
contraire. Il assure la priorité au français, tout en
ménageant les droits individuels des anglophones. Mais étant
donné que vous utilisez l'expression: "promotion", j'aimerais savoir ce
que vous voulez dire exactement.
M. AUGER: Je crois, M. le ministre, que quand nous parlons de la
promotion du bilin-
guisme nous parlons au niveau de l'école surtout.
Quand nous parlons de la protection des écoles anglophones, nous
considérons que nous sommes tous des Québécois, peu
importe si nous sommes d'expression française ou anglaise et la
fierté que nous avons pour la province n'est pas un esprit
réservé, pour nous, uniquement pour les francophones.
Le Québec est aussi notre province et nous voulons que toutes les
lois, comme le projet de loi 22, l'article 48, soient faites pour
protéger les droits des anglophones.
M. CLOUTIER: Merci bien.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques.
M. CHARRON: Messieurs des Cantons de l'Est, je vous remercie beaucoup de
vous être déplacés et de nous avoir présenté
ce mémoire. J'ai aussi très peu de questions, mais elles portent
sur vos remarques quant au chapitre sur la langue d'enseignement qui,
décidément, a occupé l'ensemble de nos travaux cette
semaine.
Je soutiendrai encore qu'à l'article 48, si vous êtes
insatisfaits de l'ambiguïté du texte, vous avez parfaitement raison
d'être insatisfaits. Je vous répète à vous aussi que
cette ambiguïté a été voulue et recherchée par
le gouvernement. Je pense que c'est une des leçons qu'il a apprises
depuis le début des travaux de la commission et l'engagement que vient
de prendre le ministre de l'Education de modifier et de clarifier l'existence
reconnue par l'actuel comme par le futur gouvernement pour reprendre ses
expressions d'un secteur anglophone de l'éducation, devrait
être clairement affirmé à l'article 48.
J'allais vous dire que, si ce n'est pas le gouvernement qui propose
l'amendement, nous le ferons, mais cela me surprendrait beaucoup que le
gouvernement nous laisse cette initiative. Peu importe.
Je veux vous poser la question, sur le libre choix, encore une fois, que
vous réclamez, que vous voudriez voir affiché à l'article
49.
Si on vous donnait deux assurances: la première, un engagement
selon lequel proportionnellement au nombre de citoyens de langue anglaise,
Québécois comme vous avez parfaitement raison de le dire,
Québécois de langue anglaise dans cette région de l'Estrie
que vous représentez, et l'assurance que proportionnellement au nombre
de citoyens que vous êtes, vous aurez des places-élèves
dans les écoles de vos commissions scolaires pour assurer, à vos
enfants de langue anglaise et à ceux qui y sont déjà, un
enseignement de la meilleure qualité qui soit ou d'une aussi grande
qualité que nous nous appliquerons à le développer dans le
secteur francophone, sans discrimination. Si nous vous donnions cette assurance
légale aussi bien que politique que vos enfants recevront une
éducation dans votre langue, que personne ne sera retiré de force
du secteur anglais une fois qu'il y est entré, actuellement et que comme
deuxième assurance, on vous donnait à vous, le libre choix,
c'est-à-dire qu'on vous dirait: Vous avez droit à vos
écoles, mais si vous voulez vous assimiler à la majorité
puisqu'une minorité peut participer à la vie d'une
majorité et aller chercher votre éducation en langue
française, les écoles françaises vous sont ouvertes,
qu'est-ce que vous diriez?
M. FAIBAIRN: Je dirais que cela serait très acceptable.
Maintenant, nous avons les garanties de votre première offre, nous
voulons les garder. La deuxième garantie serait très acceptable
pour nous, mais pour les Canadiens français, il n'y a pas de telle
garantie.
M. CHARRON: Mais les Canadiens français ou les
Québécois de langue française, qui ont
défilé à cette table, ont réclamé la
suppression de ce libre choix pour eux. Personne n'a demandé d'interdire
aux Anglais d'apprendre le français dans nos écoles. Au
contraire. Plus les anglophones se "bilinguiseront" et s'il faut leur
permettre de venir dans nos écoles pour qu'ils le fassent... plus
nous aurons l'avantage et la certitude que ce fossé immense que nous
avons vu depuis le début de la commission, pourra être
comblé.
Le jour où, d'eux-mêmes, ils viendront à la
majorité pour apprendre leur langue, la majorité n'a absolument
aucune raison de leur refuser l'accès à leurs écoles, mais
ce sont les francophones qui ont refusé cette assimilation vers
l'école anglaise et vous n'avez pas le droit de réclamer, au nom
des francophones, le libre choix. Ce sont eux qui prendront cette
décision.
Que vous la réclamiez pour vous, c'est parfaitement votre droit.
Je vous l'assure, et vous la donne. Si vous me dites que c'est parfaitement
convenable et que vous accepteriez les deux garanties que je viens de vous
donner, puis-je vous mentionner que c'est exactement la position que nous
défendons à cette commission, tout aussi indépendantistes
que nous sommes? Probablement que nous n'avons pas votre appui
là-dessus, j'en conviens, c'est une autre question. Sur ce chapitre de
la langue d'enseignement, les deux assurances que je viens de vous donner sont
les assurances formulées dans le programme du Parti
québécois. Votre réaction est une indication. Nous avons
eu une longue discussion hier quant à cette question de l'assurance aux
anglophones d'un enseignement dans leur langue et, par la suite, le droit
à ces anglophones d'aller à l'école française.
Alors, les francophones ne le réclament plus pour eux. En fait,
ils ne l'ont même pas réclamé au moment où il leur a
été donné par le bill 63, vous vous le rappelez. Au sein
même du cabinet, il y a des gens qui ne le réclament plus
et, probablement, autour de cette table, si on avait l'occasion de le
savoir. Cette question, les francophones, la majorité, le seul endroit
où elle est une majorité, on la réglera entre nous. Mais
je tiens à vous spécifier qu'à l'article 48, nous
proposerons une modification qui garantira, à ceux qui sont de langue
maternelle anglaise ou qui sont déjà inscrits dans le
système, l'existence, non pas discrétionnaire, vous avez raison
de le dénoncer, mais formelle, un engagement formel et dans la loi. Le
secteur anglophone sera maintenu pour ceux qui sont de langue maternelle
anglaise et ceux qui sont inscrits dans le système. A l'article 49, nous
dirons que ceux qui sont de langue anglaise ont le droit d'aller à
l'école de la majorité pour, justement, participer encore mieux,
plutôt que de maintenir des dispositions dénoncées par tout
le monde et qui ont continué à agrandir le fossé que, de
bonne foi, le ministre de l'Education a essayé de combler.
Je pense qu'au bout de trois semaines, il s'est aperçu que...
M. CLOUTIER: C'est la première fois qu'il dit quelque chose de
gentil sur moi.
M. CHARRON: Je n'ai aucun doute là-dessus.
M. CLOUTIER: C'est une bonne journée!
M. CHARRON: J'espère que cette bonne foi qui est traditionnelle
dans le Québec, qui était la bonne foi qui conduisait M.
Bertrand, par exemple, au moment du bill 63...
M. CLOUTIER: Ne diminuez pas trop. Laissez-moi cette bonne
impression.
M. CHARRON: Cette bonne foi traditionnelle a fait échec. C'est
maintenant que j'aurai le plaisir d'ajouter, après vous avoir
complimenté sur votre bonne foi... J'aimerais avoir le plaisir
maintenant de vous complimenter sur votre sagesse. C'est vous qui me donnez
l'occasion de le faire.
M. CLOUTIER: Timeo Danaos et dona ferentes. C'est un proverbe latin.
M. CHARRON: J'aurais le plaisir de commenter votre sagesse si vous vous
rendiez à l'évidence que votre projet de pont entre les deux
rives est absolument irréalisable. Il faut prendre parti. Je pense que
la réaction du groupe anglophone ce matin à la proposition telle
que formulée hier soir, telle que développée dans le
programme du Parti québécois depuis cinq ans, une fois qu'elle
est remise en pratique, qu'elle est vérifiée, qu'elle est
applicable, qu'elle se produit, rejoint les gens.
M. FRASER: Un point de règlement.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Huntingdon, sur un
point de règlement.
M. FRASER: Le député de Saint-Jacques commence une vieille
pratique de faire des sermons péquistes à la place de poser des
questions.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je suis sûr que le député
de Saint-Jacques va conclure par une série de questions.
M. CHARRON: Bien sûr, M. le Président. Vous connaissez mon
respect du règlement, mon respect p'roverbial du règlement. Je
vous poserai une seule autre question. Elle porte sur l'article 24. Avant de
poser cette question, je me permettrai quand même d'ajouter la
satisfaction que j'ai d'avoir eu cet échange sur la langue
d'enseignement. A l'article 24, est-ce que vous ne trouvez pas que ce que vous
proposez est un peu fort? Que les employeurs fonctionnent selon la demande des
groupes d'employés et que, si un groupe d'employés était
majoritairement anglophone, ce groupe pourrait exiger l'unilinguisme anglais,
dans la rédaction de votre texte, parce que vous dites "et/ou" en
anglais? Que le groupe d'employés pourrait exiger cet unilinguisme
anglais? Vous me direz que cela ne changera pas grand-chose, que cela se fait
déjà dans plusieurs entreprises. C'est vrai. Mais si nous voulons
changer le moindrement quelque chose, nous devons être clairs et exiger
au moins la présence du français partout. Etes-vous d'accord sur
cela?
M. FAIRBAIRN: Oui.
M. CHARRON: Alors, il faudrait supprimer le "ou" et exiger le "et". A ce
moment, vous reviendriez à la formulation de l'article 24 tel que
proposé, je pense. C'est la seule remarque que j'avais à faire.
Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: Je remercie également les représentants des
Groupes des Cantons de l'Est de nous avoir fait part de leurs
préoccupations. Je me demande sincèrement si vous avez bien
interprété la portée du bill 22 lorsque vous manifestez
certaines inquiétudes quant à ce que vous appelez vos droits
historiques. Il y a d'autres interprétations qu'on a eues devant cette
commission selon lesquelles, contrairement à ce que vous semblez
prétendre dans votre mémoire, les droits historiques, par le bill
22, deviendraient en quelque sorte des droits légaux,
c'est-à-dire légaliser ce qui se passe déjà. C'est
ce qui me fait mal comprendre votre interprétation lorsque vous
manifestez ces inquiétudes.
Puisque plusieurs questions ont été posées,
cela m'amènerait à vous poser une autre question. Je n'ai
pas l'impression que vous avez tellement traité, dans votre
mémoire, du cas de nouveaux immigrants ou de futurs immigrants. J'ai
l'impression que vous vous en tenez à la situation actuelle ou aux
résidants actuels du Québec. Est-ce que vous êtes d'accord
que les nouveaux immigrants, ou les futurs immigrants, se joignent
complètement ou totalement, en matière d'enseignement, au secteur
francophone ou si vous exigez ou réclamez aussi de ce côté
un libre choix?
M. FAIRBAIRN: La réponse à votre question est dans nos
commentaires sur l'article 49. C'est le choix des parents.
M. SAMSON: Même pour les nouveaux immigrants?
M. FAIRBAIRN: Oui, monsieur.
M. SAMSON: En fait, on peut résumer votre mémoire, si je
comprends bien, par cette phrase que l'on retrouve à la page 3 où
vous réclamez la promotion du bilinguisme et du biculturalis-me. En
fait, c'est une promotion intégrale que vous réclamez. Merci, M.
le Président.
LE PRESIDENT (M. Veilleux): La parole est au député de
Huntingdon.
M. FRASER: Thank you, gentlemen, for coming here and presenting the
brief. I have one question I would like to ask you, regarding section 48 to
reduce the broad discretionary powers of the minister and to ensure the
continuance of the English language schools in the province of Quebec. Did you
not always proceed on the assumption that Protestant rights were protected by
the article 133 of the BNA Act and, automatically, this includes the right to
choose the language of your instruction?
M. FAIRBAIRN: That is correct.
M. FRASER: You feel that bill 22 contravenes article 133?
M. FAIRBAIRN: In this present form, it is hard to tell. We feel that
there are number of ambiguities which are not too clear yet.
M. FRASER: You feel that there are limits.
M. FAIRBAIRN: It could, yes.
M. FRASER: I have the same feeling, yes.
M. CLOUTIER: Je vais prendre la parole.
LE PRESIDENT (M. Veilleux): Un instant. Le ministre de l'Education.
M. CLOUTIER: Non. Je crois qu'on voulait répondre. Vous vouliez
ajouter quelque chose?
M. SPARKES: Oui, s'il vous plait. I would like to reply quickly to two
questions, one that the minister asked regarding promoting bilingualism and one
that Mr Charron asked. I have been here on different occasions, as you know,
for other reasons, but I would like to reiterate that, in our opinion, the way
to promote bilingualism and biculturalism is by permitting the two cultures to
mix freely and one of the best places to do it is in the school. I do not think
that Mr Charron's solution is a solution. What you are actually asking us to do
again, Mr Charron, is to continue "comme les privilèges". If I
understood your question clearly, you are asking us to accept something as a
privilege that you are going to grant us and we do not want that.
We want to be equal "dans La Belle Province". We want to continue in our
schools, we want the right for our children to go to "les écoles
françaises" and the same right for French-speaking children to come to
our schools. Because it is there that the other language will be learned most
efficiently. I believe this because my own children are doing that. And I wish
that I had done it when I was a child.
LE PRESIDENT (M. Ostiguy): Le ministre de l'Education.
M. CLOUTIER: I wanted to make sure that you had well understood the
question from the member from Saint-Jacques.
M. SPARKES: J'ai bien compris.
M. CLOUTIER: I believe that you answer is quite indicative. The
question, unless I am mistaken, is the following: Granted that there will be a
guarantee to maintain the English sector, how would you react to a formula
through which the development of the English sector will be limited to the
proportion of the population in a given region? That is about what was the idea
behind the quota system. So I would like you to comment on this.
M. SPARKES: We could not accept that, Mr Minister. I think that it would
be unwise and foolish and, as I said earlier, we would be put into a corner of
continuing what has been labelled in the past as privilege. And unless it
worked in reverse, it could be the other. But I think that what we need is a
free and open society and where the two cultures are able to mix, we mix quite
freely in the Townships and we would like that to continue.
M. CLOUTIER: So it means that the answer that was given to the question
of the member from Saint-Jacques was given because the question was not
properly understood.
M. VEILLEUX: M. le Président...
M. CLOUTIER: I want an answer to this. I am not making any comment, I am
not making any judgment on the formula itself. But I just want to make sure
that the answer that was given at the first question of the member was really
your reaction, because you understood the question and according to what I hear
now, it might not be the case.
M. SPARKES: Mr minister, you are correct, I misunderstood that portion
relating to the 10 p.c. or quota system and...
M. CHARRON: Question de règlement, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques sur
une question de règlement.
M. CHARRON: J'invoque le règlement pour rétablir les
faits. Je n'ai pas parlé de "quota" de 10 p.c, c'est une tout autre
affaire. La question que j'avais posée était très claire,
M. le Président, elle était très claire. Puis-je la
répéter? Je comprends que ça prend un certain temps
à réagir mais je pense qu'elle avait été
formulée de façon très claire. Vous avez raison, monsieur,
de dire que, si l'objectif est de promouvoir le bilinguisme et le
biculturalisme, "l'entremêlement" des deux cultures, pour reprendre votre
expression dans le mémoire, vous avez parfaitement raison de dire que ma
solution est inacceptable pour vous. Mais je vous répète que ce
n'est pas l'objectif que le gouvernement, du moins dans ce qu'il affirme et
encore moins nous, poursuivons. Nous poursuivons la primauté du
français, tous les deux, et nous sommes d'accord. Dans cet objectif,
est-ce que ma solution devient plus acceptable par rapport à l'objectif?
C'est bien entendu que si l'objectif est de "bilinguiser" tout le monde et de
"bilinguiser" la vie du Québec, un contingentement du réseau
anglophone, à sa taille, tel qu'il est là et à sa
croissance normale, vu ses propres forces, n'est pas une politique pour
conduire au bilinguisme, au contraire. Elle est pour arrêter cette
assimiliation. Parce qu'il y a un choix de primauté du français,
c'est bien ce que j'avais affirmé. Mais lorsque vous dites que vos
objectifs à vous sont différents, je comprends très bien
que vous refusiez ma solution mais ne dites pas que c'est parce que ma question
avait été mal posée. Ma question est bien
posée.
M. SPARKES: I did not say his question was badly asked, nor the minister
is, as I understood it. But what I want to make clearly understood is that one
of the basic assumptions of our brief is that we feel there is a greater need
to promote bilingualism and biculturalism, and perhaps on that note, we defer
and defer a lot.
M. CHARRON: Alors là, c'est bien...
M. SPARKES: Mais il y a bien des Québécois francophones
qui sont d'accord avec nous et, dans les Cantons de l'Est, il y a bien des
parents qui veulent que le droit de choisir la langue...
M. CHARRON: II n'y en a pas eu beaucoup à la table de la
commission, ça, je vous le signale. Il y en a même eu qui sont
venus nous proposer, en plus grand nombre que bien des gens le croyaient,
l'abolition du secteur anglophone purement et simplement. Cela ne veut pas dire
le libre choix, ça veut dire que ça ne pourrait même plus
exister à ce moment-là.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jean.
M. FRASER: Je voudrais donner un éclaircissement sur les propos
de M. Charron. Est-ce qu'il n'a pas dit hier que l'enseignement de l'anglais
était pitoyable dans les écoles françaises et qu'il faut
un meilleur enseignement. Mais qu'est-ce que c'est? Si ce n'est pas ça,
ce n'est pas bilingue?
Si vous apprenez le français et l'anglais dans les écoles
françaises, c'est la même maudite affaire, vous êtes
bilingue. Cela finit là.
M. CHARRON: Mais non...
M. VEILLEUX: M. le Président...
LE PRESIDENT (M. Gratton): J'espère que nous ne commencerons pas
un débat. J'ai reconnu le député de Saint-Jean.
M. VEILLEUX: Les cloches ont sonné et je voudrais terminer avant
d'aller voter en Chambre. Je veux poser une simple question.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je m'excuse auprès du
député de Saint-Jean, mais j'ai l'impression que si nous nous ne
voulons pas manquer le vote, nous serions mieux d'y aller immédiatement.
Nous reviendrons immédiatement après.
La commission suspend ses travaux jusqu'après le vote.
M. VEILLEUX: On revient.
LE PRESIDENT (M. Gratton): If you don't mind, it will be about five or
ten minutes.
(Suspension de la séance à 12 h 25)
Reprise de la séance à 12 h 38
LE PRESIDENT (M. Pilote): La parole est au député de
Saint-Jean.
M. VEILLEUX: M. le Président, je voudrais terminer tout
simplement en posant une question aux représentants des Cantons de
l'Est. D'abord, je tiens à vous féliciter du ton qui est contenu
dans votre mémoire et qui contraste énormément avec un
autre groupe d'anglophones, celui-là de Montréal, qui est venu
cette semaine.
Comme je le disais à ce moment-là, quelles que soient les
suggestions que viennent nous apporter les gens, pour autant qu'ils les
apportent dans un esprit tel que celui que vous avez aujourd'hui, il n'y a
aucun membre de cette commission qui ne s'opposera à cela.
La question est la suivante: Dans votre mémoire, il semble se
dégager qu'en tant qu'anglophones, le projet de loi 22 vous
enlève vos droits. Le projet de loi 22, de la façon du moins que
je l'ai lu, dit que les articles conservent un réseau francophone et
anglophone d'enseignement. Les citoyens du Québec, francophones ou
anglophones, ont le choix d'un réseau assujetti à des tests
d'aptitude pédagogique pour passer d'un système à
l'autre.
Les immigrants de langue anglaise, si je lis bien le projet de loi, eux
aussi, conservent leur liberté, soit d'aller dans le réseau
francophone ou dans le réseau anglophone d'enseignement. Les
immigrés qui ne s'expriment ni en français et ni en anglais sont
dirigés dans le réseau francophone.
Si le projet de loi comprend ce que je viens de dire, est-ce que, dans
votre esprit, cela enlève les droits que vous appelez historiques des
anglophones au Québec?
M. FAIRBAIRN: Je crois que cela n'enlève pas les droits actuels,
mais nous pensons que ces droits doivent être universels, non pas pour un
groupe privilégié seulement.
M. VEILLEUX: Si je regarde le groupe que vous représentez, c'est
un groupe anglophone et, en tant qu'anglophones faites abstraction pour
le moment des francophones, des immigrants anglophones ou des immigrants
d'autres langues citoyens du Québec, est-ce que le projet de loi
22 vous enlève des choses que vous avez présentement dans le
domaine de l'enseignement?
M. SPARKES: Mr President, in our opinion, the way the bill is presently
written, it could, and we are concerned that it might, because the second
paragraph is: "ces organismes peuvent donner l'enseignement en langue
anglaise", and we say that such...
M. VEILLEUX: Continuez à lire le paragraphe.
M. SPARKES: Oui. "Ils ne peuvent cependant ni commencer, ni cesser
l'enseignement de cette langue sans l'autorisation préalable du ministre
de l'Education."
M. VEILLEUX: C'est cela.
M. SPARKES: Our point is that we have lived through bill 63, and in our
opinion, bill 63 was not necessary, that there were rights for both groups:
Anglophone and Francophone before it. This is really taking away the Anglophone
rights, by making it at the discretion of the minister, and we would like to
have this, in legislation, clearly defined, that there will be English language
schools and school boards to administer them, and that parents would have the
right to decide which schools their children are going to go to.
M. VEILLEUX: Et si le projet de loi disait clairement ce que je vous ai
mentionné au début de mon intervention, penseriez-vous que vous
êtes en voie de disparition avec un projet de loi comme celui-là?
S'il énonçait clairement ce que je vous ai indiqué au
début.
M. SPARKES: Clairement quoi?
M. VEILLEUX: S'il disait clairement qu'on conserve un réseau
francophone et un réseau anglophone au Québec, et les anglophones
ont le libre choix des deux réseaux, en tant qu'anglophones, est-ce que
vos droits, à ce moment, seraient protégés?
M. SPARKES: Oui, comme cela. Mais comme j'ai dit à M. Charron, je
ne veux pas qu'on soit classé comme un groupe privilégié,
et je voudrais que les droits de chaque individu dans La Belle Province soient
protégés. C'est notre...
M. VEILLEUX: Ceci est une autre question. M. SPARKES: Non...
M. VEILLEUX: Moi, je vous pose la question en tant qu'anglophones.
M. SPARKES: Oui.
M. VEILLEUX: Vous m'avez répondu: Cela nous satisferait, en tant
qu'anglophones.
M. SPARKES: Oui. M. VEILLEUX: Merci.
LE PRESIDENT (M. Pilote): D'autres questions?
M. CHARRON: Non, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Je remercie ces messieurs. Soyez
assurés que la commission va prendre note de votre mémoire.
M. FRASER: M. le Président...
LE PRESIDENT (M. Pilote): Oui? Un instant.
M. FRASER: Would you be ready to accept one school system for the whole
province, which would teach English and French effectively and put all the
school children in one school system? Or do you think that is some other
way?
M. SPARKES: From where we have seen it, Mr Fraser, when I was with the
Provincial Association of Protestant Teachers and later with the Canadian
Teachers Federation, I do not think we are ready for it. I think that if there
are going to be rights maintained and respected in Quebec, it is necessary to
have two school systems working under the unification of councils and the
minister of Education.
M. FRASER: In your opinion, would that be the finest school system? I
mean to have people who knew each other, worked together, lived together and
grew up together, you have to have one school board if you wish to have
peaceful Quebec, I would say.
M. SPARKES: I think this is happening in another way, through the Island
Council, for example, on the Island of Montreal, and through the Bureau
régional in the other parts of the province.
There is more and more cooperation between the school boards, but I
think it is very important that school commissioners, at the present time,
whether Protestant or Catholic, are elected by their respective groups to
administer the schools in their jurisdiction.
M. FRASER: We are gradually working towards sufficient trust in each
other to one day accept that.
M. SPARKES: I think that it is debatable from the point of view that it
depends what the objectives are and obviously, our priorities being that of
more bilingualism, biculturalism and the wish of the majority as Mr Charron
mentioned of unilingual French, are not really compatible and I would hate to
be caught in a system where we go backwards. I think Ontario and New Brunswick
are going forwards to somewhere where we are. To start backing up now will be a
bit ridiculous.
M. FRASER: You realize the guys whom Mr Charron represents are a small
minority.
M. SPARKES: We know Mr Charron does his homework too.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Je vous remercie, messieurs. J'inviterais
à présent M. René
Fortier, de Bell Canada, à venir présenter le
mémoire de Bell Canada et à présenter ceux qui
l'accompagnent. Vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire
ou un résumé de votre mémoire. Le parti ministériel
a 20 minutes pour vous poser des questions et les partis de l'Opposition ont 20
minutes.
Bell Canada
M. FORTIER (René): M. le Président, messieurs les membres
de la commission parlementaire, mon nom est René Fortier,
vice-président exécutif de la compagnie Bell Canada et je suis
aujourd'hui son représentant officiel. Je suis accompagné de mes
collègues. A mon extrême droite, M. Claude Duhamel qui est
vice-président des services administratifs dans le Québec;
immédiatement à ma droite, M. Léonce Montambault,
vice-président en charge de la zone est et Me Paul Hurtubise de
l'administration centrale.
Pour vous donner un peu l'ampleur de ses opérations au
Québec, Bell Canada y exploite 2,600,000 téléphones. Nous
y avons 20,000 employés et notre siège social est situé
à Montréal. J'ai moi-même la responsabilité de
presque toutes les opérations de la compagnie au Québec dans une
organisation qui s'appelle la région est.
Je voudrais vous remercier, M. le Président, d'avoir reçu
notre mémoire et de nous avoir invités ce matin à faire
nos commentaires sur le projet de loi 22.
Nos commentaires tiennent compte de l'expérience acquise par la
compagnie qui a poursuivi depuis plusieurs années un programme majeur de
promotion du français au sein de nos différents services.
Je voudrais souligner que la transformation linguistique, qui s'est
opérée, s'est accomplie avec souplesse, et sans léser les
droits de personne et qui que ce soit.
Evidemment, le but du présent mémoire n'est pas de faire
état de nos réalisations, mais je pense qu'elles sont importantes
pour situer nos commentaires et avec votre permission, j'aimerais en faire
état brièvement.
Tout d'abord, lorsque nous voulons communiquer avec nos clients et nos
actionnaires, nous utilisons la langue choisie par ceux-ci pour communiquer
avec nous.
En ce qui a trait aux communications à l'intérieur de
l'entreprise, les programmes de francisation de tous les formulaires, de toutes
les instructions, de tous les avis, ainsi que des politiques d'embauche et des
programmes d'incitation à l'apprentissage de la langue française
font que partout dans la région est de Bell Canada, le français
est devenu, à toutes fins pratiques, la langue de travail et de
l'administration.
Le président de la compagnie est un francophone comme le sont,
dans la région est, le
vice-président exécutif, donc moi-même, les quatre
autres vice-présidents et une très forte proportion des
cadres.
Nous avons un service de traduction qui est un des plus
considérables au Canada. Tous ses membres sont des diplômés
universitaires. Nous avons 20 traducteurs, 6 réviseurs qui
coopèrent étroitement avec l'Office de la langue française
et je conçois qu'il est difficile de visualiser l'ampleur du programme
que nous avons poursuivi et j'ai pensé apporter avec moi quelques
exemples de ces travaux de traduction qui se font au sein de notre
entreprise.
J'ai ici deux manuels, deux dépliants, un qui est un programme de
prévention des accidents et l'autre, l'explication des régimes
d'avantages sociaux de Bell Canada. Je me ferai un plaisir de les
déposer si tel était votre désir.
Nous avons également d'autres ouvrages qui relèvent d'une
autre facette. Evidemment, si l'activité d'une entreprise se limite
à faire de la traduction, alors que la langue de communication interne
est l'anglais, c'est un pauvre reflet des aspirations du milieu
québécois. Nous nous sommes attachés, depuis plusieurs
années, à encourager tous nos employés à travailler
en français.
Nous fournissons à nos employés des outils qui sont en
français. J'en ai apporté quelques-uns avec moi. Voici le manuel
du monteur de ligne, qui est bilingue. Il est donné à tous les
employés qui sont dans ce genre de travail. Je le dépose avec les
autres. Nous avons un manuel pour l'installation et la réparation des
postes téléphoniques, qui est également donné
à tous nos employés qui font ce genre de travail. Celui-ci, avec
votre permission, je ne le déposerai pas, mais il est semblable aux
autres. Nous avons un manuel pour l'installation et l'entretien des
téléphones plus complexes, que nous appelons les
téléphones à clef, qui sont équipés de
boutons pour avoir accès et retenir plusieurs lignes. Egalement avec
votre permission, je ne le déposerai pas.
M. CHARRON: Avez-vous un manuel pour l'augmentation des tarifs
aussi?
M. FORTIER (René): II y en a un, oui, mais j'ai pensé
qu'il était trop volumineux, je ne l'ai pas apporté avec moi.
M. BONNIER: Vous le révisez périodiquement.
UNE VOIX: Vous ne le déposerez pas non plus!
M. FORTIER (René): II est déjà du domaine public,
alors j'ai pensé que l'on pouvait y avoir accès.
Voici pour le service d'installation d'entretien du réseau
téléphonique. Nous avons des personnes dans le service commercial
qui transigent avec les clients et qui reçoivent des cours en
français. Voici un exemplaire d'une section d'un cours qu'ils
reçoivent et qui est complètement en français. Celui-ci
est déposé. Les téléphonistes nous en avons
environ 3,000 dans la province reçoivent des cours
également sur la façon de répondre aux clients et
d'acheminer les appels et, ici, un manuel d'entraînement est
également tout en français. C'est un des manuels qu'elles
utilisent. Evidemment, nous avons dû développer, dans ce programme
de francisation, un glossaire technique parce que nous avons un jargon
technique qui est spécialisé à nous, un glossaire que nous
mettons à jour continuellement, mais il est disponible et il a
déjà été donné à l'Office de la
langue française, et j'en dépose un exemplaire ce matin.
Au niveau des autres outils que nous fournissons aux employés,
nous avons traduit et nous poursuivons la traduction de tous les formulaires
qui sont utilisés par nos employés pour consigner les
transactions avec le public et les transactions internes de la compagnie. Ici,
nous avons le répertoire de tous les formulaires que nous utilisons en
français dans la région est. Ce répertoire est
utilisé par les employés pour commander ces formulaires. Il y en
a environ 500 dans ce répertoire.
Je viens d'exposer le niveau, si vous voulez, d'exécution
manuelle des activités de la compagnie. Evidemment, il faut se
préoccuper du niveau des cadres, la planification technique, par
exemple. J'ai un exemple ici de ce que nous appelons un plan fondamental pour
le centre de commutations situé à Boucherville. Ce plan
fondamental est préparé par des ingénieurs de nos services
à Montréal. Ce plan fondamental sert à orienter tous les
investissements futurs dans Boucherville pendant 20 ans. Il est
évidemment révisé de temps en temps, mais il oriente tous
les investissements de plusieurs millions de dollars dans le centre de
commutations de Boucherville. Ce plan fondamental est complètement en
français et M. Tanguay, qui l'a préparé avec son
équipe, m'informe que les trois quarts des documents qui sortent de son
service à Montréal sont ici en français.
J'ai un autre document que j'aimerais vous montrer, M. le
Président, à un autre palier d'administration, le niveau
où je me trouve moi-même, les vice-présidents et les chefs
de service.
Nous avons besoin d'un tableau de base pour surveiller les
opérations, voir où sont les déviations des normes et
comparer avec d'autres zones. Nous avons cet instrument qui contient les
indicateurs de performance de la région est comparativement aux
unités semblables. Cet instrument, c'est le summum de notre outil
administratif et j'ai pensé vous le montrer et en extraire certaines
pages que je déposerai à la commission. Il est
complètement en français. C'est un instrument qui est tenu
à jour toutes les deux semaines et c'est un outil de travail pour moi et
pour m'es collègues.
M. le Président, nous pensons que nous avons fait des
progrès énormes dans la province pour nous identifier à la
communauté québécoise. Nous reconnaissons également
que tout n'est pas parfait. Nous avons encore beaucoup de chemin à
faire, mais, partant de cette expérience, nous avons perçu dans
le projet de loi no 22 l'opportunité de certaines dispositions de ce
projet et également nous avons perçu certaines
difficultés. C'est sur ces deux points de vue que nous voulons vous
donner nos remarques ce matin.
Tout d'abord, très généralement, nous
désirons exprimer notre accord sur l'esprit de cette partie du projet de
loi qui vise à consacrer la prépondérance du
français, parce que nous croyons que ceci répond bien aux
aspirations des Québécois. La compagnie estime que le projet ne
devrait pas produire d'effets défavorables sur notre économie,
pourvu qu'il soit appliqué avec réalisme et sans discrimination
et aussi pourvu que son adoption nous permette enfin de consacrer nos efforts
à la solution d'autres problèmes d'envergure. Nous reconnaissons
l'énorme difficulté de légiférer dans un domaine
aussi complexe que la langue, mais nous pensons qu'il serait de première
importance de clarifier et de préciser certains articles du projet de
loi.
Par ailleurs, les pouvoirs de réglementation sont si vastes qu'il
y aurait lieu de faire adopter ces règlements et également les
changements ultérieurs seulement après examen en commission
parlementaire, examen qui entendrait toutes les parties
intéressées. Au niveau du certificat de francisation, nous savons
que l'intention est de s'assurer qu'on observe la loi, mais nous pensons que
tous devraient se conformer à la loi sans devoir se faire
décerner un certificat de bonne conduite.
D'autre part, la nécessité de détenir un tel
certificat pour obtenir des permis, des primes, des subventions, des
concessions, pourrait se révéler une mesure coercitive, vexatoire
et peut-être même inefficace.
Le fait, pour une entreprise, d'être citée devant l'opinion
publique comme ne se conformant pas à l'esprit de la loi devrait
être une sanction suffisante jusqu'à ce que l'expérience
dicte une ligne de conduite plus sévère.
Au chapitre IV qui est le chapitre de la langue des affaires, dans
l'ensemble, nous sommes favorables aux dispositions de ce chapitre.
Au chapitre de l'enseignement, nous sommes évidemment favorables
aux mesures qui assurent le développement et l'épanouissement du
français, mais nous sommes préoccupés du fait que l'on
pourrait porter atteinte au libre choix des parents. Dans notre esprit, le
progrès du français comme langue de travail des affaires
constituera la plus forte incitation pour les parents dans leur choix du
français comme langue d'enseignement pour leurs enfants. Il ne devrait
par ailleurs subsister aucune équivoque quant au droit des anglophones
à un enseigne- ment dans leur langue maternelle. Nous sommes convaincus,
de par cette expérience, que le problème serait en grande partie
résolu si l'on améliorait de manière sensible
l'enseignement de la langue seconde dans toutes les écoles
françaises et anglaises. Il ne faudrait pas surtout qu'une carence de
l'enseignement de la langue seconde dans les écoles francophones ait
pour conséquence d'assurer aux seuls anglophones le privilège
d'être bilingues.
Nous voulons nous attarder aux sièges sociaux parce que nous
pensons que c'est une dimension importante. Nous comptons au Québec la
présence de nombreux sièges sociaux de compagnies nationales et
multinationales dont le champ d'activités s'étend au-delà
du Québec.
L'importance économique d'une telle présence est
considérable. De par leur nature même, ces sièges sociaux
comptent parmi leur personnel un nombre élevé d'employés
natifs d'autres provinces ou d'autres pays. Le phénomène est
normal. Un siège social doit être le reflet intégral de la
compagnie multinationale ou nationale et de toutes les cultures au sein
desquelles elle exerce ses activités.
Ces personnes qui sont venues de l'extérieur du Québec
pour poursuivre une étape de leur carrière au siège social
n'ont, en très grande majorité, jamais appris le français.
Leur séjour au Québec est, en général très
bref, et surtout s'ils ont atteint un âge moyen où l'apprentissage
du français est parfois difficile, il ne constitue pas un motif
suffisant pour raisonnablement exiger d'eux d'adopter le français comme
langue de communication. Il faudrait donc reconnaître que les
sièges sociaux doivent, dans leurs communications internes, utiliser une
ou des langues qui refléteront la diversité linguistique de leur
personnel; évidemment, en général, l'anglais serait la
langue la plus fréquemment utilisée.
Les paragraphes 21, 22 et 23 du projet de loi traitent du
problème d'avenir au Québec, demandes de cadres professionnels
qui ne posséderaient pas une connaissance suffisante du français.
C'est évidemment une question qui touche un grand nombre de
sièges sociaux qui doivent amener au Québec les cadres
clés qui devront y pratiquer leur profession. Par conséquent,
ça devrait constituer une donnée importante à
considérer lors de l'établissement des règlements qui
découleront de cette loi. De plus, pour les employés des
sièges sociaux qui font un stage au Québec, qui viennent au
Québec avec leurs familles, il serait indispensable que la
législation proposée ne soit pas une cause de difficulté
scolaire pour leurs enfants mais, au contraire, leur permette de poursuivre
leur éducation sans heurts et sans perte de vitesse.
Nous sommes toutefois d'avis, comme ça se passe à Bell
Canada, que les sociétés dont le siège social est
situé au Québec devraient tenir compte de la
réalité québécoise et faire en sorte que leur
administration régionale se conforme au projet de loi.
Au sujet des subventions aux programmes de francisation, nous ne sommes
pas favorables au principe d'accorder des subsides pour faire respecter la loi;
nous pensons qu'il serait injuste pour nous-mêmes et les autres
compagnies qui ont pris les devants en se francisant, avec une dépense
notable, de voir accorder des subventions aux retardataires. Par contre, et je
constate que cette idée a déjà été
apportée, une assistance technique appropriée serait de nature
à favoriser l'implantation d'un tel programme de francisation dans les
petites et moyennes entreprises.
En terminant, messieurs, nous avons noté la création d'une
Régie de la langue et je voudrais vous assurer que Bell Canada
coopérera avec cette régie dans l'avenir tout comme nous avons
coopéré avec l'Office de la langue française.
Je vous remercie, M. le Président, mes collègues et
moi-même sommes disponibles pour répondre à vos
questions.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Le ministre de l'Education.
M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie les
représentants de Bell Canada pour la présentation de leur
mémoire. Je crois que c'est un autre témoignage important qui
suit celui de l'Alcan et qui montre bien comment on peut aborder un projet de
loi avec objectivité en essayant de l'améliorer et en apportant
également une expérience importante, extrêmement vaste,
dis-je, car on sait ce que représente Bell Canada dans l'économie
québécoise. Je sais depuis longtemps quels sont les efforts
remarquables qui ont été tentés dans le domaine de la
refrancisation. J'ajouterais aussi que Bell Canada est reconnue pour ses
efforts dans le domaine social vis-à-vis du traitement de ses
employés. Je me plais à le souligner. Ceci dit, je ne crois pas
qu'il soit nécessaire que je revienne sur les commentaires que j'ai
faits tout à l'heure devant l'Alcan en ce qui concerne les subventions,
le pouvoir réglementaire, la question des sièges sociaux. J'ai
apporté toutes les précisions nécessaires pour bien
montrer dans quel esprit de souplesse et de disponibilité le
gouvernement a abordé cette commission parlementaire si tant est qu'on
veut se donner la peine de présenter des mémoires positifs et non
des mémoires qui sont uniquement des dénonciations globales. Je
n'y reviens donc pas. Je me contenterai de citer une phrase qui me paraît
importante, non seulement en rapport avec le projet de loi mais
également en rapport avec tout l'avenir de la collectivité
québécoise. C'est la phrase suivante qui apparaît à
la page 3: "La compagnie estime que le projet de loi ne devrait pas produire
d'effets défavorables sur notre économie pourvu qu'il soit
appliqué avec réalisme et sans discrimination et pourvu et
c'est ce que je souligne que son adoption permette enfin de consacrer
davantage d'efforts à la solution d'autres problèmes
d'envergure."
Il est certain que le gouvernement croit, par la loi 22, qui constitue
une approche qui tient compte du Québec tel qu'il est, qui tient compte
de tous les groupes qui sont au Québec et qui, presque
inévitablement, isole ceux qui préfèrent se situer aux
extrémités, il est évident que le gouvernement essaie
d'apporter une solution, une fois pour toutes, et voudrait que nous pensions
à un certain nombre de problèmes qui confrontent notre
société et qui ont peut-être été
négligés, de par la force des choses, depuis quelques
années.
J'aurai une seule question, après avoir souligné aussi
qu'on se rend compte de la difficulté d'une intervention
législative en matière linguistique. J'aurai une seule question.
Je suis un peu étonné de ce que Bell Canada, comme d'ailleurs une
ou deux autres délégations qui se sont présentées
devant cette commission, envisage comme un moyen valable le fait de citer
à l'Assemblée nationale des compagnies qui ne se conformeraient
pas aux objectifs de la loi ou qui n'accepteraient pas de refrancisation.
Je suis un peu étonné parce que, pour moi, il y aurait
peut-être là quelque chose d'assez odieux, une espèce de
palmarès forcément arbitraire, puisqu'il ne reposerait même
pas sur une analyse de la situation linguistique au sein de l'entreprise, sur
un programme accepté par les instances administratives et la compagnie
elle-même, ce que viendrait consacrer la technique que nous avons
choisie, et qui est d'ailleurs une technique administrative assez courante dans
plusieurs pays, qui est celle d'un certificat qui permet de se qualifier pour
certains types de subventions ou d'avantages gouvernementaux.
J'aimerais peut-être avoir quelques explications sur cet aspect de
la citation.
M. FORTIER (René): Tout d'abord, M. le ministre, j'aimerais vous
remercier de vos bonnes paroles à l'endroit de notre programme de
francisation et nous avons pris note de vos observations, également, qui
ont été faites au moment du mémoire de la compagnie
Alcan.
Nous croyons à cette citation devant l'opinion publique parce que
nous sommes nous-mêmes très soucieux de notre langue dans le
public et nous croyons, dans notre cas, que c'est une force morale à ne
pas négliger. Tout de même, cela représente quelque chose
qui peut être discuté plus tard entre la partie qui est
trouvée coupable et la Régie de la langue française,
peut-être qu'il y aurait lieu d'apporter certaines corrections si elles
devaient être citées. Nous reconnaissons quand même que
certaines compagnies, peut-être, ne seraient pas aussi soucieuses de cet
opprobe populaire, celui d'être citées devant l'opinion publique,
et c'est dans cet esprit que nous avons fait le "caveat" suivant: Si cette
provision devait s'avérer inutile ou insuffisamment contraignante,
à ce moment il serait possible de penser à une discipline plus
sévère.
M. CLOUTIER: Cela pourrait, autrement dit, s'ajouter, le cas
échéant.
M. FORTIER (René): Le cas échéant, cela pourrait
s'ajouter.
M. CLOUTIER: Parce qu'en fait, même dans la rédaction
actuelle du projet de loi, c'est très certainement possible. Là
régie qui fera contrepoids au pouvoir politique présentera des
rapports, pourra attirer l'attention publique sur certains points. Je vous
remercie de cet éclaircissement qui semble dissiper un des doutes que
j'entretenais sur une telle technique.
LE PRESIDENT (M. Pilote): L'honorable chef de l'Opposition
officielle.
M. MORIN: M. le Président, je voudrais dire à nos
invités que nous ne sommes pas insensibles aux efforts qu'ils ont
déployés depuis quelques années. En particulier, lorsque
la société Bell Canada encourage ses cadres à travailler
en français, à rédiger leurs documents en français
"lorsqu'ils le peuvent", comme le dit votre mémoire, l'Opposition est
sensible à cela.
J'aimerais vous demander, tout d'abord, pour être bien
renseigné sur les efforts que fait votre société, si vous
pouvez nous dire quelle est la proportion des documents internes je ne
parle pas des documents destinés à l'extérieur des
documents de régie interne, d'administration interne qui sont, à
l'heure actuelle, rédigés en français, par rapport
à la proportion qui serait rédigée en anglais.
M. FORTIER (René): M. Morin, la question est évidemment
très complexe parce que nos opérations sont très
complexes.
M. MORIN: Je sais que ma question est complexe et je ne vous demande pas
autre chose qu'un pourcentage approximatif.
M. FORTIER (René): D'après M. Montambault, qui a la
responsabilité de la zone est, je pourrais dire que la presque
totalité...
M. MONTAMBAULT: Au-delà de 90 p.c., 95 p.c. même, dans la
zone est, qui effectivement comprend le territoire québécois
desservi par Bell Canada, moins Montréal et ses environs
immédiats.
La langue française est, à toutes fins pratiques, la
langue de travail. Si on avait à avancer un chiffre, qui est quand
même assez problématique, parce qu'il est difficile d'être
très précis dans ce domaine, je dirais certainement qu'au-dessus
de 95 p.c. des documents administratifs, au niveau de la zone est, sont
effectivement produits en français.
M. MORIN: Voulez-vous ajouter quelque chose, M. Fortier?
M. FORTIER (René): Oui, M. Morin, j'aimerais ajouter quelque
chose. Evidemment, cela va varier suivant les secteurs, si vous voulez. J'ai
ici avec moi, pour illustrer peut-être une réponse sur cette
question... Evidemment, la réponse sera spécifique dans un
domaine de l'activité, mais elle pourra illustrer quand
même...
J'ai, ici, ce que nous appelons, dans le jargon du métier, le
SN-5, qui est une liste des grands projets qui sont soumis au conseil
d'administration tous les mois pour être approuvés et qui
déclenchent l'investissement de plusieurs projets de plusieurs millions
de dollars. Par exemple, pour le plan fondamental de Boucherville que j'ai
soumis tout à l'heure, éventuellement, la réalisation par
le mécanisme de projets spécifiques apparaîtra sur cette
formule.
La liste même est en français. Il y en a une pour chaque
zone, la zone de Montréal et la zone est. Evidemment, pour celle de la
zone est, tous les documents sont en français et la liste est en
français. Pour celle de la zone de Montréal, vous avez une
diversité linguistique qui est un mélange de français et
d'anglais. Je n'ai pas calculé celle-ci, mais j'ai déjà
fait un calcul approximatif et, lorsque je l'ai fait, cela représentait
les trois quarts, en dollars, des investissements dans la province qui
étaient conçus en français par des ingénieurs.
Je dois ajouter que ces projets j'en ai un exemple ici; ceci est
le résumé, ceci est le projet lui-même gravissent
tous les échelons administratifs, même lorsqu'il y a des
anglophones encore présents dans la région est. En surplus, ils
vont au siège social et là, également, ils gravissent tous
les échelons administratifs et vont jusqu'au conseil d'administration
sans aucune traduction. Ils sont approuvés dans leur langue
originale.
Je ne pourrais pas donner une réponse aussi spécifique
pour tous les domaines de l'activité, mais je pense que cela illustre la
tendance que nous avons.
M. MORIN: Je ne demande pas plus qu'une tendance bien claire comme celle
que vous décrivez. Dois-je maintenant vous interroger au sujet de la
page 5 de votre rapport? Vous nous dites: "II ne devrait par ailleurs subsister
aucune équivoque quant au droit des anglophones à un enseignement
dans leur langue maternelle." Est-ce que cette phrase vise quelque partie du
projet de loi que nous discutons à cette commission?
M. FORTIER (René): Je crois, M. Morin, que cette phrase vise le
droit des anglophones évidemment et je crois que, dans le projet de loi
et je n'ai pas la référence immédiate ici...
M. MORIN: Est-ce que vous croyez qu'il y a, dans le projet actuel, une
équivoque quant au droit des anglophones à un enseignement dans
leur langue maternelle?
M. FORTIER (René): Peut-être que l'intention n'est pas
là, M. Morin, mais je veux simplement citer cette phrase: "Ces
organismes les commissions scolaires régionales peuvent
donner l'enseignement en langue anglaise; ils ne peuvent cependant ni commencer
ni cesser l'enseignement en cette langue sans l'autorisation préalable
du ministre de l'Education."
Evidemment, il y a une espèce de flexibilité
administrative. Je crois que...
M. MORIN: Je vois ce que vous visez. Vous pensez à ce que vous
appelez fort élégamment de la "souplesse", mais, en
réalité, c'est de l'ambiguïté.
M. FORTIER (René): C'est cela.
M. MORIN: Je n'ai pas saisi votre réponse.
M. FORTIER (René): C'est bien cela, M. Morin.
M. MORIN: Oui. Là-dessus, je voudrais vous dire que nous sommes
d'accord. Nous aimerions que le projet soit clair, tant pour les droits de la
majorité que pour ceux de la minorité. C'est un des grands
reproches que nous faisons à ce projet, de n'être clair pour
personne et donc de provoquer les pires soupçons des deux
côtés. Je pense que c'est le sens de cette phrase, si je l'ai bien
comprise grâce à vos explications.
Je voudrais aussi vous dire, à propos de la page 5, que nous
sommes totalement d'accord sur la dernière phrase du premier paragraphe:
"II ne faudrait surtout pas qu'une carence de l'enseignement de la langue
seconde dans les écoles francophones ait pour conséquence de
réserver aux seuls anglophones le privilège d'être
bilingues." Nous sommes entièrement d'accord sur cette opinion.
D'ailleurs, je pense que tous les députés autour de cette table,
sans exception, sont d'accord avec vous.
Je voudrais maintenant passer à la page 6. Vous nous parlez de
l'importance économique de la présence au Québec de
nombreux sièges sociaux, et donc, de nombreux cadres parlant plusieurs
langues autres que le français. Vous nous dites qu'en
général le séjour au Québec de ces personnes est
bref et que cela constituerait un inconvénient pour elles d'avoir
à envoyer leurs enfants à l'école française.
Est-ce que je résume bien la position?
M. FORTIER (René): Plus qu'un inconvénient, souvent ce
serait une impossibilité, je crois. C'est bien cela.
M. MORIN: Vous ne parlez pas suffisamment dans le micro et j'entends mal
vos réponses.
M. FORTIER (René): Je m'excuse. Je suis d'accord sur votre
position. Leur séjour est bref et souvent leurs enfants, qui sont
peut-être au niveau de la huitième année, par exemple,
n'ont pas acquis une connaissance suffisante du français pour être
versés dans le secteur des écoles françaises.
M. MORIN: Là-dessus, j'ai quelques questions à vous poser,
si vous le permettez.
D'abord, est-ce que vous voyez, sous l'empire du projet de loi actuel,
des difficultés de cet ordre? Commençons par le projet
actuel.
M. FORTIER (René): Oui. Disons, au point de vue des immigrants,
que les cadres immigrants anglophones, si vous voulez, subissent cette
difficulté de la flexibilité administrative que j'ai
soulignée dans la dernière question, qui pourrait, dans l'avenir,
inquiéter.
Il y a également d'autres cadres... Evidemment ce n'est pas
tellement notre cas, mais il y a certainement des compagnies dont le
siège social est à Montréal et qui importent des cadres
d'autres nationalités qui n'ont pas une connaissance suffisante du
français, ou peut-être dont les enfants n'ont pas une connaissance
suffissante de l'anglais ou du français pour pouvoir passer ces tests
linguistiques. Alors, qu'est-ce qui arrive à ces cadres ainsi
qu'à leurs enfants?
M. MORIN: Bon! Dinstinguons un certain nombre de cas. Le premier cas,
c'est un cadre qui arrive ici avec des enfants d'âge scolaire qui sont
anglophones. Est-ce que, d'après le projet de loi actuel, il y a des
difficultés?
M. FORTIER (René): Sauf la difficulté que j'ai
mentionnée, de cette flexibilité, de cette inquiétude
future.
M. MORIN: Bon! Mais, cela mis en parenthèse, puisque je ne pense
pas que cela doive vous inquiéter outre mesure, vous pensez que ces
enfants pourraient passer les tests, si tests il y a.
M. FORTIER (René): Oui. J'aimerais quand même c'est
un peu un aparté, M. Morin souligner que, même
actuellement, où il n'y a pas ce problème, il y a une
difficulté pour la mobilité des cadres entre le Québec et
l'Ontario, parce que...
M. MORIN: Oui.
M. FORTIER (René): ... pour un cadre ontarien, par exemple, ses
enfants n'ont peut-être pas choisi le français comme langue
seconde. Il y a une difficulté de transfert entre les deux
systèmes d'éducation.
M. MORIN: Oui, mais vous admettrez que cela est dans la nature des
choses. Est-ce que vous ne reconnaissez pas que le Québec étant
majoritairement français et l'Ontario massivement anglais, pour parler
comme le secrétaire
d'Etat fédéral, il faut tenir pour acquis qu'il y a et
qu'il y aura des difficultés de passage d'un système à
l'autre. Le tout est sans doute d'arriver à circonscrire les
difficultés.
M. FORTIER (René): Bon! Admettons, M. Morin.
M. MORIN: Vous êtes d'accord? Bon!
Maintenant, prenons le second cas. Un cadre arrive ici avec des enfants
ne parlant ni l'anglais ni le français...
M. FORTIER (René): Ecoutez bien cela, messieurs.
M. MORIN: ... et, dans cette hypothèse, vous nous dites que leur
séjour au Québec ne constitue pas un motif suffisant pour les
décider à adopter le français comme langue de
communication. Pourquoi ils iraient à l'école anglaise
plutôt qu'à l'école française, compte tenu du fait
que le français est également une langue de communication
internationale? Est-ce que ce n'est pas une belle occasion pour ces enfants
d'apprendre une langue internationale?
M. FORTIER (René): Si vous me permettez, M. Morin, je crois que
nous nous sommes fourvoyés tous les deux un peu. Le paragraphe ici
reflète la situation du cadre lui-même dans son travail quotidien
et non pas de ses enfants. Le cadre lui-même qui arrive, par exemple, des
Etats-Unis, n'a pas appris l'anglais excusez-moi n'a pas appris
le français, et s'il est ici pour deux ou trois ans ou pour un avenir
incertain, on ne peut pas exiger de lui qu'il apprenne le français
suffisamment bien pour faire tout son travail interne au siège social en
français.
M. MORIN: Bon! Je saisis. Est-ce que ce passage comprend la moindre
allusion au problème de la langue d'enseignement?
M. FORTIER (René): Non. Il faut aller à la page suivante,
la page 7. Le paragraphe qui est en deuxième place...
M. MORIN: Oui.
M. FORTIER (René): "De plus les employés des sièges
sociaux...", c'est là que nous exprimons nos craintes et nous demandons
que la loi proposée ne soit pas une cause de difficulté scolaire
pour leurs enfants. Je ne propose pas de mécanisme, mais je
soulève le problème.
M. MORIN: D'accord. Je reviens à mon hypothèse de tout
à l'heure, à ce cadre qui arrive à Montréal, par
exemple puisque, en général, c'est là que le
problème se posera dans le concret avec des enfants d'âge
scolaire qui ne parlent ni l'anglais, ni le français. Ce cas peut
sûrement se présenter dans une multinationale comme la vôtre
ou dans d'autres où le roulement du personnel est plus
considérable que dans votre cas. Est-ce que vous croyez que cet enfant
devrait aller à l'école anglaise ou à l'école
française? Je vous pose la question dans le contexte suivant: Bell
Canada reconnaît suffisamment l'importance du français pour
franciser la région québécoise. Alors, est-ce qu'il n'y a
pas un hiatus dans votre raisonnement? Si vous y croyez suffisamment pour
franciser votre entreprise ici, est-ce que, dans le cas d'enfants qui ne sont
ni anglophones, ni francophones, vous ne seriez pas tenté de dire que
cet enfant aille tout naturellement à l'école française
puisqu'il est dans un milieu largement français et que cette langue, de
toute façon, pourra lui être utile par la suite?
M. FORTIER (René): Oui. Je peux concevoir des cas où le
cadre qui viendrait à Montréal au siège social, pour y
travailler pendant un, deux, trois ou quatre ans, aurait un choix à
faire. Dans quelle langue vais-je faire éduquer mes enfants? Supposons
qu'ils sont Turcs, et c'est un cas patent. Dans quatre ans, il retourneront en
Turquie. Quelle serait la langue qui, pour eux, serait le plus utile plus tard
en Turquie? La langue seconde, évidemment, pas le turc. Je pense qu'il
faut réaliser que, pour certains, leur choix serait non pas le
français, mais l'anglais. En dépit du rayonnement international
du français, je crois qu'on doit admettre que l'anglais est
peut-être encore le choix de plusieurs.
M. MORIN: Ce qui fait qu'en réalité, si on tient compte de
ce que vous avez dit à la page 6 au sujet du cadre lui-même, et de
ce que vous dites à la page 7 au sujet de sa famille, cela permettrait
à ce cadre, en somme, de vivre totalement en marge de la
société québécoise durant leur séjour
ici.
M. FORTIER (René): Si nous admettons que la société
québécoise est constituée de deux groupes linguistiques,
je pense qu'ils vivraient en marge de la société francophone,
mais, évidemment, c'est une des difficultés que nous soulignons,
compte tenu de la présence que je crois désirable des
sièges sociaux dans la province de Québec.
M. MORIN: Dites-moi, Bell Canada n'a-t-elle pas des
intérêts dans d'autres pays?
M. FORTIER (René): Oui, par l'entremise des filiales, nous avons
des intérêts dans d'autres pays...
M. MORIN: Oui, j'ai cru constater la chose à
l'étranger.
M. FORTIER (René): ... Etats-Unis, Turquie, Malaisie,
Grèce.
M. MORIN: En avez-vous en Amérique latine aussi? Non?
M. FORTIER (René): Non. Bien, si on considère les
Caraïbes comme étant en Amérique latine, oui, nous avons un
comptoir de vente.
M. MORIN: Dans les pays où vous avez des intérêts et
où sans doute vous faites circuler vos cadres, à quelle
école vont les enfants de ces cadres?
M. FORTIER (René): Evidemment, le siège social est
à Montréal. Les gens qui sont dans ces pays vont aux
écoles locales. Nous avons très peu de cas. C'est une nouvelle
dimension pour nous. Cela fait seulement quelques années. Dans notre cas
précis, dans les autres pays, nous avons, si je fais exception des
Etats-Unis et l'Ontario, qui sont plutôt de la dimension anglophone,
très peu de cadres qui viennent du Canada et qui sont en Turquie, en
Malaisie, etc. Je ne pourrais pas répondre à votre question pour
eux. Il est évident que la majorité de nos employés dans
ces pays sont des natifs...
M. MORIN: Oui, bien sûr.
M. FORTIER (René): ... qui vont à l'école
locale.
M. MORIN: Nous parlons des cadres qui ont atteint un certain niveau dans
l'entreprise et qui sont appelés à se déplacer pendant
leur carrière à quelques reprises. Ce qui me laisse sceptique, je
vous l'avouerai, c'est que, dans tous les pays développés
où les multinationale ont des sièges sociaux ou encore des
bureaux d'affaires, les enfants des employés qui font cette permutation
vont à l'école locale, à l'école du pays, sauf
s'ils sont assez fortunés pour se payer l'école privée. Le
lycée français de Berne, le lycée français de
Buenos Aires, cela fait très chic, mais la plupart des employés
ne peuvent se payer cela et ils envoient leurs enfants dans les écoles
locales; or dans les écoles locales on parle la langue du pays.
M. FORTIER (René): Vous avez raison, M. Morin. Il y a
évidemment les écoles privées. Je dois souligner, à
moins que je ne me trompe, que le projet de loi n'en fait pas mention.
M. MORIN: C'est juste, le projet n'en fait pas mention.
Là-dessus, je vous dirai que nous sommes en désaccord sur le
projet. Nous pensons que la loi devrait s'appliquer aussi aux écoles
privées. Enfin, partons de votre hypothèse.
M. CLOUTIER: Seulement sur ce point? M. MORIN: Sur bien d'autres.
M. CLOUTIER: Vous avez l'air de dire que vous circonscriviez votre
désaccord à ce point.
M. MORIN: Je sais que le ministre voudrait bien circonscrire notre
désaccord à peu de chose.
M. CLOUTIER: Je veux m'amuser un peu.
M. MORIN: Oui, bien sûr. Continuons de nous amuser, si vous le
voulez bien, avec des choses sérieuses.
Vous convenez que, dans le cas du Japon, par exemple, ou d'un certain
nombre de pays d'Amérique latine, où j'ai des amis qui ont
été transférés comme cela d'un poste à
l'autre nous en avons tous cela peut être l'occasion, pour
leurs enfants, d'apprendre la langue du pays. Très franchement, je vous
le dis en toute amitié, je ne vois pas pourquoi un Japonais qui
viendrait travailler ici, à Montréal, dans une multinationale,
n'apprendrait pas le français.
M. FORTIER (René): Oui, je crois que vous avez raison, M. Morin.
Si on parle d'apprendre la langue du pays.
M. MORIN: Vous avez répondu à la question. J'ai
terminé, parce que je veux donner la chance à mon collègue
de vous interroger.
M. FORTIER (René): Je dois même ajouter que moi-même,
j'ai été muté une fois aux Etats-Unis et une fois en
Ontario et j'en ai profité pour faire éduquer mes enfants dans la
langue locale, si vous voulez, l'anglais. Ils sont parfaitement bilingues
maintenant.
La solution de l'école privée représente
évidemment une solution de rechange, sauf avec ma réserve que ce
n'est pas mentionné dans le projet de loi. Je dois quand même
ajouter que c'est une contrainte additionnelle qu'on impose à un
siège social. C'est pour cela que nous sommes inquiets.
M. MORIN: Cela fait partie, vous l'avouerez, des inconvénients de
la vie moderne. Et si les cadres s'en accommodent au Japon, en Amérique
latine, ou en Europe, on ne voit pas très bien pourquoi ils ne s'en
accommoderaient pas au Québec, surtout qu'il s'agit en l'occurrence
d'une langue internationale.
M. FORTIER (René): Oui. Disons que notre inquiétude
relève du fait que les sièges sociaux sont difficiles à
attirer et ne veulent pas avoir trop d'obstacles sur leur chemin.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: M. le Président, compte tenu du fait qu'il reste
très peu de temps, je n'aurai
qu'une question à poser. Est-ce que je vous interprète
bien lorsque je pense que vous aimeriez voir plutôt des efforts faits du
côté de la langue de l'économie, du travail, par la
nécessité économique, évidemment, que trop de
contraintes législatives dans la langue d'enseignement? Si j'ai bien
compris, dans votre mémoire, vous suggérez que le besoin
économique d'une langue, par le travail aussi, évidemment,
inciterait davantage les gens à choisir une langue d'enseignement
plutôt qu'une autre? Est-ce que je vous ai bien compris?
M. FORTIER (René): C'est bien cela, M. Samson. Constatant
nous-mêmes tous les progrès que nous avons pu faire avec cette
volonté de nous franciser, nous pensons qu'une première approche,
plutôt que d'imposer des contraintes aux compagnies pas à
nous-mêmes, parce que nous avons fait des progrès, mais aux
compagnies ne connaissant pas les effets secondaires de telles
contraintes, nous préférerions, au début, voir une
incitation très forte, par exemple, par le fait d'être
citées devant l'opinion publique, plutôt qu'une contrainte
économique par certificat de francisation.
M. SAMSON: Iriez-vous plus loin en demandant, plutôt que des
contraintes dans le domaine de la langue d'enseignement, un autre genre de
contraintes, dans le domaine de la langue du travail, que celles que nous
retrouvons dans la loi?
M. FORTIER (René): Je pensais que vous alliez dire, M. Samson,
d'encouragement. C'est pour cela que nous avions proposé une aide
technique pour petites et moyennes entreprises pour se franciser. Mais nous
aimerions au tout début voir une incitation très forte
plutôt que des contraintes.
M. SAMSON: Je n'irai pas plus loin, M. le Président, mais qu'il
me soit permis de remercier les représentants de Bell Canada et de les
féliciter, c'est le cas de le dire, pour le bel effort qu'ils ont fait
dans le domaine de la francisation, dans leur entreprise.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Huntingdon.
M. FRASER: J'ai une question courte. Est-ce que vous croyez
d'après vos expériences que la langue française est en
péril vraiment au Québec?
M. FORTIER (René): Je n'ai pas saisi la question.
M. FRASER: Est-ce que vous pensez que la langue française est en
péril de disparaître au Québec?
M. FORTIER (René): Pas du tout. Ce n'est pas mon
expérience. Disons que depuis 20 ans je suis sorti de
l'université, je travaille dans cette province, sauf quelques
séjours à l'extérieur, j'ai pu constater
généralement, non seulement chez nous, une transformation
radicale dans l'utilisation du français. Lorsqu'on parle du fait que la
langue française est en perdition, évidemment si on accepte ces
phénomènes de dénatalité, par exemple... Mais
l'utilisation du français par les Québécois d'aujourd'hui
est beaucoup plus élevée chez eux et au travail qu'elle ne
l'était autrefois.
M. FRASER: Pour avancer dans l'industrie à des postes
supérieurs, quelle est votre impression, est-ce que c'est le bill 22 ou
l'éducation?
M. FORTIER (René): Je crois sincèrement que c'est la
compétence qui vient de l'éducation et de l'apprentissage des
cadres dans toutes les facettes de l'entreprise au Québec et
ailleurs.
M. FRASER: Merci.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député d'Anjou.
M. TARDIF: M. Fortier, ce que j'aimerais savoir de vous c'est lorsque
vous avez dû traduire un vocabulaire anglais de nature technique, est-ce
que vous avez eu l'aide de l'Office de la langue française?
M. FORTIER (René): J'aimerais demander, si vous le permettez,
à M. Claude Duhamel qui est directement responsable du service de
traduction, de répondre à la question.
M. DUHAMEL: Je ne sais pas qui a aidé qui, mais il y a eu
beaucoup de collaboration entre l'Office de la langue française du
Québec et le service de traduction de Bell. Je crois qu'ils ont
travaillé très étroitement ensemble. De plus, je pense que
M. Fortier soulignait que les glossaires que nous avons rédigés,
nous les avons, bien entendu, fournis à l'Office de la langue
française, qui pouvait s'en servir comme il le voulait. De plus,
plusieurs autres organismes, parce que tout le monde se sert un peu du
téléphone, nous en ont demandé et il nous a fait plaisir
de leur en fournir des copies. Mais pour répondre à votre
question directement, il y a eu, je crois, beaucoup de rapports assez
étroits entre l'Office de la langue française et Bell Canada.
M. CLOUTIER: ... vous avez fait des efforts antérieurement
à la réorganisation de l'Office de la langue française,
comme d'ailleurs l'Alcan et beaucoup d'autres compagnies, mais depuis que
l'office s'est réorganisé sous notre gouvernement, nous avons une
collaboration extrêmement étroite avec tous les secteurs de
l'industrie et surtout des échanges d'information. Nous avons même
l'Opposition cherche toujours à minimiser un peu ce qui a
été fait des
échanges de personnel avec certaines entreprises du
Québec.
M. TARDIF: Lorsque vous avez décidé, à un moment
donné, d'accorder une place plus importante au français dans
votre compagnie, est-ce que vous avez fait ça un peu à peu
près ou si vous avez bâti une espèce de manuel
d'implantation du français dans votre entreprise? Je veux savoir en
somme s'il y a eu des étapes qui ont été prévues,
des méthodes ou des moyens également qui ont été
prévus sur un certain nombre d'années pour en arriver au
résultat que vous recherchiez au tout début.
M. FORTIER (René): Je crois que, évidemment, c'est un
domaine où tout le monde est pionnier, on ne savait pas au juste comment
procéder. Au début, c'étaient des cours d'apprentissage du
français pour les cadres anglophones. Ensuite, la promotion des
francophones dans l'entreprise; nous embauchons, dans la région est,
presque uniquement des francophones qui sont bilingues à divers
degrés, mais qui sont issus des grandes universités canadiennes
françaises. Lorsqu'il s'est agi de langue de travail, il y a une
question de masse critique de francophones avant de pouvoir faire des
progrès considérables.
Nous avions toujours voulu écrire une politique sur ce qui
représenterait un cheminement de francisation d'entreprise et, pour des
raisons d'éthique envers tous ceux qui étaient en place,
anglophones et francophones, nous avons finalement conclu que de
procéder par expérience était plus sûr. Nous avons
encouragé, chaque fois que c'était possible, dans un groupe par
exemple une expression qui vient d'ailleurs: une unité de langue
française, quoiqu'elle n'était pas utilisée comme
ça nous avons encouragé tous les gens à faire du
français leur langue de travail et le point tournant dans ce domaine a
été la création, en 1966, de la zone est, localisée
à Québec, sous la vice-présidence de M. Duhamel.
Là, vous aviez une masse de francophones relativement homogène
qui ont pu, dans leurs communications, entre eux, s'encourager.
M. TARDIF: II y a une question que je me pose. A plus d'une reprise,
devant cette commission, des groupes sont venus nous dire que le fait
d'être citée par la Régie de la langue française
comme étant une entreprise qui n'a pas donné suite à ses
recommandations ou qui n'a pas donné suite aux dispositions de la loi
serait une mesure insuffisante et qu'on devrait recourir à des mesures
plus coercitives. Vous, de votre côté, à la page 4 de votre
mémoire, vous écrivez: Le fait, pour une entreprise, d'être
citée devant l'opinion publique par la Régie de la langue
française pour ne pas s'être conformée à la loi
devrait être une sanction suffisante, du moins jusqu'à ce que
l'expérience dicte une ligne de conduite plus sévère.
J'aimerais savoir, dans votre cas particulier, si, pour une raison ou pour une
autre, la compagnie Bell Canada était citée par la Régie
de la langue française, quel effet ou quel résultat cela
aurait-il chez vous et de quelle façon réagiriez-vous
vis-à-vis de cette citation publique de la Régie de la langue
française à l'égard de votre compagnie qui serait
considérée comme délinquante aux termes de la loi ou de la
réglementation qui en découle?
M. FORTIER (René): Ne connaissant pas les normes de cette
régie qui est encore à être créée, je ne sais
pas. Si jamais elle nous citait, j'espère que non, mais seulement...
M. TARDIF: La raison pour laquelle je vous pose la question est la
suivante, c'est parce que des gens sont venus nous dire: Ce ne sera pas
suffisant cette mesure-là et, en conséquence, on devrait employer
des moyens coercitifs pour faire respecter les dispositions de la loi et de la
réglementation. Vous, de votre côté, vous dites: Le fait
d'être cité par la régie serait, jusqu'à preuve du
contraire, une mesure qui nous apparaît suffisante. Ce que je voudrais
savoir, c'est, pour une compagnie importante comme la vôtre au
Québec, quelle serait votre réaction si vous étiez
citée par la Régie de la langue française, à titre
de compagnie délinquante en vertu de la loi?
M. FORTIER (René): Je peux vous assurer que moi-même,
personnellement, je demanderais, pour commencer, à la Régie de la
langue française quels sont ses motifs, quels sont les incidents
spécifiques qui lui font déclarer que la compagnie Bell Canada ne
se conformerait pas à ses politiques et, ensuite, nous
déclencherions un programme de correction à l'intérieur de
l'entreprise. Nous sommes soucieux de notre image à ce
point-là.
M. VEILLEUX: Si mon collègue d'Anjou me le permet... Mais,
économiquement, êtes-vous d'accord avec moi pour dire qu'il y a
certaines catégories d'industries que cela n'affecterait aucunement? Par
exemple, une compagnie je ne peux pas dire que c'est votre cas de
téléphone qui a, sur le territoire du Québec, une
étendue aussi grande ou un marché aussi grand que le vôtre
sur l'île de Montréal, que la régie nomme cette compagnie,
si elle a un marché exclusif sur un territoire donné,
économiquement parlant, l'industrie, cela ne l'affectera pas. Et elle
peut continuer à s'en fouter.
M. FORTIER (René): Justement, vous venez de donner la raison pour
laquelle nous sommes très inquiets nous-mêmes de notre image.
C'est que nous avons un monopole qui est fragile, qui dépend de
l'autorité publique. Donc, si l'autorité est mécontente de
certains aspects de nos opérations, nous allons prendre les mesures pour
nous corriger.
M. VEILLEUX: Le certificat de francisation,
la nomination par la régie en assemblée dans un rapport...
Est-ce que vous iriez jusqu'à dire qu'une compagnie qui serait
nommée par la régie pourrait être exclue des soumissions du
gouvernement.
Est-ce que vous iriez jusque là?
M. FORTIER (René): C'est justement ce que nous voulons
éviter. Nous pensons qu'on devrait essayer, au tout début, cette
forme de persuasion morale. Il est possible que certaines compagnies soient
réfractaires, mais, considérant tous les effets secondaires
néfastes d'une contrainte du style du certificat de francisation et des
difficultés d'administration d'une façon juste et
équitable envers tout le monde, nous demandons ou nous suggérons,
si vous voulez, qu'on essaie d'abord la persuasion quitte, plus tard, si cela
ne s'avérait pas suffisant dans certains cas, à avoir des
mesures coercitives.
M. VEILLEUX: J'ai posé la question à un groupe. Je ne me
souviens plus si c'est à l'Association des manufacturiers canadiens ou
à un autre groupe qui représentait des entreprises. Ils me
disaient qu'on ne devrait pas empêcher une compagnie de s'implanter au
Québec, une compagnie qui ne voudrait pas se franciser, mais qu'on
pourrait intervenir par des mesures économiques de cette nature que je
vous mentionnais. Ils semblaient d'accord sur une mesure comme cela, sachant
d'avance que, s'ils ne font pas un effort, que si l'industrie ne fait pas un
effort valable, elle s'achemine vers ça. Il ne faut pas les prendre par
surprise, c'est sûr.
Je leur donnais comme exemple l'industrie du meuble, advenant que des
capitaux viendraient au Québec et diraient: On veut établir une
industrie de meubles. Ces gens disaient: On ne devrait pas empêcher une
compagnie de vouloir investir des capitaux au Québec dans une industrie
du meuble, sauf que le gouvernement pourrait bien dire: Si vous ne vous
francisez pas, vous n'avez pas le droit de soumissionner pour vendre des
meubles aux organismes gouvernementaux et paragouverne-mentaux.
M. FORTIER (René): Ici, vous voulez dire qu'une industrie
pourrait accepter ce prix pour ne pas se franciser. Non, ce n'est pas notre
position. Nous pensons que toutes les compagnies devraient se conformer aux
dispositions de la loi.
M. VEILLEUX: C'est pratiquement une obligation que vous mettez dans
votre mémoire?
M. FORTIER (René): Oui, mais nous voudrions que ce soit fait par
une persuasion morale au début.
M. VEILLEUX: Pour commencer, et si on se rend compte à un certain
moment que cela ne fonctionne pas, on ira à des mesures comme celles que
je vous mentionne.
M. FORTIER (René): C'est cela.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député d'Anjou. Il reste deux
minutes.
M. TARDIF: D'accord. Vous ne pensez pas que ce genre de mesures
apporterait des résultats dans un certain nombre de cas, mais non dans
d'autres? Dans votre cas, vous avez un marché captif, l'obtention, la
continuation ou la résiliation de votre permis ne dépend pas du
gouvernement du Québec, mais dépend de la Commission des
transports du Canada, sauf erreur. Dans le cas d'une petite manufacture de
portes et de chassis d'un coin du Québec, cela n'aurait peut-être
pas d'influence. Par contre, dans le cas de certaines grosses compagnies, qui
n'ont pas un marché captif, cela pourrait avoir un résultat
différent. Prenons les brasseries.
Il y a quatre grandes brasseries au Québec qui ont une
clientèle répartie un peu partout dans la province. A ce moment,
j'ai l'impression que cette citation, si elle s'appliquait à une
brasserie, pourrait peut-être avoir un effet défavorable à
l'égard de celle qui serait citée par la régie, mais dans
votre cas à vous, vu que vous avez un monopole, pour ainsi dire, dans un
secteur donné, et dans le cas d'une petite compagnie régionale
qui n'a aucune influence sur le territoire québécois, le
rôle de cette citation serait peut-être grandement réduit
par rapport à ce qu'il pourrait être dans d'autres secteurs, comme
celui des brasseries.
M. FORTIER (René): Dans notre cas, M. le député, il
est évident que la brasserie s'inquiète de son image parce que
cela peut affecter son marché, si vous voulez. Dans notre cas, nous nous
inquiétons également de notre image, parce que tous nos
abonnés et les organismes qui représentent nos abonnés, y
compris le gouvernement du Québec, influencent l'autorité qui
nous décerne notre permis d'exploitation. Un jour, s'il y a un
mécontentement général qui se manifeste, cette
autorité pourrait être convaincue, par nos abonnés ou leurs
représentants qui ne sont pas le gouvernement fédéral, de
résilier notre permis, si on va à l'extrême, ou de
l'altérer d'une façon indésirable. Nous sommes très
conscients de cette dimension et nous sommes très inquiets de notre
image.
M. TARDIF: En terminant, M. le Président j'ai bien dit en
terminant je pense qu'on peut féliciter Bell Canada de l'effort
fait pour promouvoir le français au sein de l'entreprise, et je me dis
une chose: si vous l'avez fait, je pense que toutes les autres compagnies au
Québec peuvent faire de même.
M. FORTIER (René): Je vous remercie.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Est-ce qu'il y a d'autres questions?
M. MORIN: M. le Président, avec votre
permission, est-ce que je pourrais poser une question au ministre?
M. CLOUTIER: Allez!
M. MORIN: A plusieurs reprises, au cours des semaines qui viennent de
s'écouler, des organismes anglophones ont invoqué, à
l'appui de leurs positions favorables à l'instauration d'un bilinguisme
institutionnel au Québec, la législation du Nouveau-Brunswick sur
les langues officielles. J'avais certaines raisons de douter de l'application
dans les faits de cette législation et, l'autre jour, j'ai
demandé au ministre s'il pourrait faire procéder à une
vérification par ses recherchistes, afin de savoir dans quelle mesure
cette loi est entrée en vigueur. A plusieurs reprises, on nous l'a mise
sur le nez comme constituant un courant de fond en faveur du bilinguisme
institutionnel dans tout le Canada.
M. le ministre, avez-vous pu faire faire les recherches et pourriez-vous
nous faire part des résultats?
M. CLOUTIER: En effet, j'ai vérifié et je pense bien que
les doutes du chef de l'Opposition étaient fondés. La loi a
été effectivement votée en 1969, mais les articles avaient
force de loi sur proclamation. Or, le 1er septembre 1969, il y a eu
proclamation des articles 1 à 4, 7, 12, 15 et 16. Ces renseignements
viennent du secrétaire du Conseil exécutif du Nouveau-Brunswick
à qui j'ai fait téléphoner. Une rapide analyse je
ne suis pas juriste, alors, je donne ça sous toutes réserves
m'a donné l'impression qu'on n'avait pas proclamé les
articles qui touchent l'impression des documents officiels et qu'on n'avait pas
proclamé l'article qui touche au secteur scolaire.
Pendant que j'y suis, je voudrais peut-être apporter une autre
précision dans un autre domaine. Je sais que ce n'est pas le lieu
véritable, à cette commission parlementaire, mais comme nous
avons eu une petite discussion avec le député de Saint-Jacques,
surtout au sujet des statistiques dans les classes d'accueil et les classes
maternelles, je serais tout à fait disposé, en trente secondes,
à vous donner les précisions.
M. MORIN: Très volontiers, M. le ministre. Je vous remercie de
nous avoir communiqué les résultats de votre petite
enquête. Effectivement, nous avions lieu de croire que tout ce qu'il peut
y avoir de contraignant dans la loi du Nouveau-Brunswick n'est pas entré
en vigueur, n'a pas force de loi. On a écarté
systématiquement les articles qui avaient une signification pour les
Acadiens, qui avaient une portée linguistique et leur aurait permis
d'exiger, par exemple, que les lois soient imprimées dans les deux
langues, qui leur aurait permis d'améliorer le régime des
écoles françaises. Si vous voulez faire état des
statistiques, j'y consens volontiers.
M. CLOUTIER: Même si je considère que ce n'est pas un des
éléments majeurs du débat, on a semblé vouloir
minimiser les résultats obtenus par les structures que le gouvernement a
mis en place récemment en vue de mieux intégrer les immigrants au
secteur francophone. Nous avons deux types de structures: les
prématernelles et les classes d'accueil. Au niveau des
prématernelles, en 1973-1974 nous avons reçu 833 enfants alors
que nous avions près de 950 inscriptions, il y en a 72 p.c. un
peu plus en fait qui restent dans le secteur francophone. En ce qui
concerne les inscriptions de 1974-1975, les inscriptions à venir, qui
sont déjà faites, nous avons reçu 1,529 inscriptions. Bien
sûr, ceci ne représente pas la totalité des enfants
d'immigrants puisqu'il en rentre à peu près 3,000 par
année au Québec.
Mais, pour la première fois dans l'histoire du Québec,
nous avons accepté d'agir et nous avons obtenu des résultats, ce
qui n'exclut pas, à mes yeux, la nécessité d'une
intervention législative, bien au contraire, mais ce qui la permet,
cette intervention législative.
En ce qui concerne les classes d'accueil, les chiffres sont
peut-être un peu plus imprécis parce que les classes d'accueil
fonctionnent douze mois par année; il y a plusieurs groupes qui sont
reçus. Il faudrait les additionner. Mais pour ce qui est des deux
derniers groupes qui se sont succédé, le dernier groupe
était de 881 et le groupe précédent de 644. Nous avons
là le chiffre de près de 90 p.c; en fait, c'est 92 p.c. qui
restent dans le secteur francophone.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Je vous remercie, M. Fortier, de la compagnie
Bell Canada, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, de votre
mémoire et également des documents que vous avez
déposés. Soyez assurés que la commission va en prendre
bonne note.
M. FORTIER (René): Merci, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Pilote): Les organismes convoqués pour mardi,
à 10 h 30, dans l'ordre, sont les suivants: Le Syndicat des professeurs
du CEGEP de Sainte-Foy, le Syndicat de professionnels du gouvernement du
Québec, le Comité d'école de l'Ecole Saint-Ernest (Laval),
Committee of Roslyn Elementary School (Westmount) and Home and School
Association, le Conseil central de Joliette, la Corporation d'information
populaire de Lanaudière.
La commission ajourne ses travaux à mardi, 10 h 30.
(Fin de la séance à 13 h 50)