Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
Commission permanente de l'éducation, des
affaires culturelles et des communications
Etude du projet de loi no 22 Loi sur la langue
officielle
Séance du mardi 25 juin 1974
(Dix heures quarante et une minutes)
M. GRATTON (président de la commission permanente de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre,
messieurs !
La commission de l'éducation, des affaires culturelles et des
communications entendra aujourd'hui les organismes suivants: dans l'ordre, la
Chambre de commerce du district de Montréal, la Fédération
des commissions scolaires, l'Association fédérative des
étudiants de l'Université de Sherbrooke, l'Association des
professeurs de l'université Laval, la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal et l'Alliance des professeurs de
Montréal.
M. MORIN: M. le Président, puis-je vous demander quelles raisons
ont été données par le Congrès juif canadien pour
expliquer son absence aujourd'hui?
M. CLOUTIER: M. le Président, c'est à la demande du
président, qui est actuellement absent.
M. MORIN: Si j'ai bien compris, ce n'est que partie remise, le
Congrès juif canadien comparaîtra plus tard.
M. CLOUTIER: Nous suivrons le processus habituel dans les
convocations.
M. MORIN: II n'est pas question d'écarter le congrès?
M. CLOUTIER: II n'est question d'écarter aucun groupe dans le
cadre des règlements et dans le cadre du cheminement normal de la
commission.
M. MORIN : Bien, M. le Président, merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, j'invite immédiatement le
représentant, le porte-parole de la Chambre de commerce du district de
Montréal, M. Grégoire Tremblay, à prendre place en avant
et à nous présenter, s'il vous plaît, pour les besoins du
journal des Débats, les personnes qui l'accompagnent.
Chambre de commerce du district de
Montréal
M. TREMBLAY (Grégoire): II peut être utile qu'on
s'identifie. Grégoire Tremblay, membre permanent de la Chambre de
commerce de Montréal, sauf que je serai, en tant que président de
la Chambre de commerce de Montréal, le porte-parole, au nom de la
chambre. Je suis accompagné de trois personnes. A ma gauche, M. Jacques
Tremblay, qui est directeur adjoint de la Chambre de commerce de
Montréal, M. Pierre Shooner, qui est le directeur général
de la Chambre de commerce de Montréal et, à ma droite, M. Maurice
Forget, qui est le président du comité sur la situation de la
langue française au Québec, comité formé par la
Chambre de commerce de Montréal, qui a aussi étudié, avec
son comité, le projet de loi 22 et qui a soumis ses recommandations
à la Chambre de commerce de Montréal, à son conseil
d'administration, qui a approuvé les notes que nous avons devant
nous.
La Chambre de commerce du district de Montréal est heureuse que
le gouvernement ait exprimé ses intentions en matière de
politique linguistique. La chambre croit que l'incertitude et
l'instabilité sont nuisibles au développement; par contre, elle
est assurée que les milieux d'affaires sauront, comme ils l'ont toujours
fait dans le passé, s'adapter à une politique claire, si les
règles du jeu en sont connues et stables.
La chambre aurait préféré, comme elle l'a
exprimé dans son mémoire sur le rapport Gendron en septembre
dernier, que le gouvernement procède, non par une législation qui
se veut globale, mais plutôt par une déclaration
générale de politique, confirmée ensuite par des lois
adaptées à des domaines spécifiques. Par exemple, il y a
une certaine incohérence entre ce projet de loi qui propose une division
de l'enseignement selon la langue, alors que nos lois sur l'enseignement sont
fondées sur une division selon la religion.
Il faut souligner au départ que la Chambre de commerce de
Montréal a concentré ses énergies, depuis deux ans, sur la
situation des francophones dans l'entreprise, au Québec, plutôt
que sur la situation de la langue française au sein de l'entreprise.
Sans vouloir négliger l'importance des considérations portant sur
la langue de travail, il nous est apparu, depuis longtemps, que la domination
par la minorité anglophone du secteur économique est à
l'origine des problèmes socio-économiques de la majorité
francophone. C'est donc à ce phénomène que la Chambre de
commerce de Montréal s'est attaquée en priorité
suggérant les mesures incitatives propres à faire évoluer
la situation.
La Chambre de commerce de Montréal a aussi, par ricochet,
traité de certains aspects couverts par le projet de loi sur la langue
officielle. Quoi qu'il en soit de cette proposition que la chambre a
exprimée antérieurement, elle veut soumettre à l'attention
de la commission parlementaire des commentaires qu'elle situe dans le cadre de
l'actuel projet de loi.
Les commentaires de la chambre porteront
sur deux points qu'elle juge fondamentaux: la portée du projet de
loi 22 relativement aux entreprises invitées à poursuivre les
objectifs de francisation mentionnés dans ce projet de loi, et, le
statut et le rôle de ce que le projet de loi appelle la Régie de
la langue, notamment les conditions pour que le prestige et l'autorité
de la régie représentent un instrument nouveau dans la poursuite
des objectifs de francisation et de francophonisation.
On aura compris, à la lecture de notre mémoire, que les
commentaires de la chambre sont loin de couvrir l'ensemble du projet de loi 22.
Les délais accordés pour la présentation d'un
mémoire n'ont pas permis d'arrêter des propositions sur l'ensemble
du projet. En conséquence, la chambre a choisi de concentrer ses efforts
sur les quelques propositions qu'elle a jugées plus fondamentales.
Il ne faudrait donc pas présumer trop hâtivement de
l'accord ou du désaccord de la chambre en regard des articles n'ayant
fait l'objet d'aucun commentaire. II reste que la chambre continue d'endosser
les propositions contenues dans le document intitulé: La Chambre de
commerce de Montréal et le rapport Gendron.
Dans les recommandations qui suivent, la chambre affirme les principes
suivants:
La chambre croit en l'importance de favoriser davantage l'usage du
français dans les entreprises et la présence de francophones dans
le milieu des affaires, notamment dans les postes de direction des entreprises
pour leurs opérations au Québec;
Elle croit que le mouvement de francisation et de francophonisation de
l'entreprise doit être orienté et soutenu de
préférence par la persuasion ou la contrainte morale,
plutôt que par des mesures coercitives et la menace de
pénalités précises;
Elle croit qu'il est essentiel de préserver la division du
pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire; dans le contexte de la loi
sur la langue officielle, elle croit que ce principe s'applique à la
division du pouvoir exécutif du conseil des ministres, d'une part, et du
pouvoir d'enquête et de recommandation de la régie, d'autre
part;
Elle croit important de doter la régie de pouvoirs lui permettant
de faire une lecture complète et objective de la situation de la langue
française et de faire connaître publiquement les résultats
de ses observations.
Quant au projet de loi si nous couvrions les articles que nous
avons jugé bon de traiter nous nous retrouvons à l'article
31 qui se réfère à des dispositions voulant que des
subventions soient accordées à des entreprises qui adoptent ou
appliquent un programme de francisation et nous demandons de biffer cet
article.
Le projet de loi prévoit des subventions discrétionnaires
envers les entreprises qui feraient demain des efforts de francisation, alors
que nombre d'entreprises ont déjà accompli, sans subvention, une
tâche satisfaisante dans ce domaine.
Pour leur part, les entreprises francophones font, sans subvention
spéciale, les travaux nécessaires pour pénétrer le
marché anglophone.
Enfin, c'est une responsabilité normale, pour une entreprise, de
s'intégrer au milieu dans lequel elle s'implante et de présenter
son produit ou ses services dans la langue de ses clients.
Le gouvernement offre, par l'Office de la langue française ou par
les organismes similaires qui remplaceront ou remplaceraient l'Office
après l'adoption de la loi sur la langue française, diverses
formes d'assistance technique qui tiennent lieu de subventions à la
francisation.
Quant à l'article 32, qui se réfère à
l'émission de certificats par le lieutenant-gouverneur en conseil, nous
demandons aussi qu'un tel article soit rappelé.
La chambre s'inscrit en faux contre cette notion de certificats, surtout
lorsque ces certificats sont émis par le lieutenant-gouverneur en
conseil.
Tel que conçu dans l'actuel projet de loi, le certificat
équivaut à une attestation de bonne conduite en matière
linguistique. Cette attestation doit relever, non pas d'un pouvoir politique,
mais d'un pouvoir qui pourrait, par analogie, être qualifié de
judiciaire.
En ce sens, il doit appartenir à la Régie de la langue
française de faire des contestations, d'établir des faits et
d'exprimer des jugements sur la façon dont la loi est appliquée
par les diverses institutions de notre société.
S'il est normal que le pouvoir politique établisse les
règles de conduite, il devient abusif de lui voir confier le rôle
d'arbitre et de juge en cette matière. Cette distinction classique des
pouvoirs est essentielle au bon fonctionnement d'une démocratie.
La chambre, de plus, s'oppose à l'émission de certificats
qui conditionneraient le droit de certaines entreprises à recevoir des
subventions ou privilèges. Nos commentaires, à cet effet,
apparaissent aux articles 33 et 34.
Les articles 33 et 34 réfèrent au droit des entreprises de
recevoir des privilèges et des droits qui sont conditionnés ou
qui pourraient être conditionnés par le fait que les entreprises
en question possèdent un certificat qui leur aurait été
délivré par le lieutenant-gouverneur en conseil. Nous demandons
que ces articles 33 et 34 soient biffés.
S'il n'appartient pas à l'Etat, ainsi que nous l'avons
mentionné plutôt, d'émettre des certificats, il n'est pas
non plus souhaitable de soumettre les transactions entre l'Etat et les
entreprises au rapport favorable émis par la Régie de la langue
française en faveur de telles entreprises, ni nécessaire de
prévoir des pouvoirs spéciaux pour permettre au gouvernement
d'utiliser le poids économique de l'Etat dans ses négociations
avec les entreprises.
D'une part, il appartient à la Régie de la langue
française de faire connaître la situation des entreprises en
regard de la politique linguistique. Par ailleurs, la décision du
gouvernement
de transiger avec des entreprises doit tenir compte, bien sûr, de
sa politique linguistique et des rapports de la Régie de la langue
française de la même manière qu'il doit tenir compte des
facteurs régionaux et des règles concernant les soumissions
publiques, la qualité des services, etc.
Par exemple, le gouvernement a déjà, par sa politique
d'achat, des occasions d'inciter les agents de développement à
poursuivre des objectifs communautaires. Par ailleurs, exclure de façon
automatique toute négociation avec une entreprise n'ayant pas
démontré à la satisfaction de la Régie de la langue
française son engagement vis-à-vis de la politique linguistique
du gouvernement pourrait obliger celui-ci, à la limite, à
transiger avec une firme étrangère encore beaucoup moins
intégrée au Québec ou à accepter les offres de
services à des prix excessifs.
Les articles 35 et 47 qui réfèrent au programme de
francisation ou au contenu des programmes de francisation pour qui veut obtenir
un certificat, nous demandons de généraliser la portée de
ces articles et les reporter dans le chapitre qui traite des devoirs de la
régie.
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi 22 fixe des
objectifs de francisation seulement aux entreprises qui font affaires avec
l'Etat et qui ont besoin de subventions ou de privilèges. La chambre
propose que les objectifs de francisation et de francophonisation soient
fixés pour toutes les entreprises du Québec.
A l'article 62 qui identifie le rôle de la régie, nous
désirons apporter une idée particulière qui se relie plus
particulièrement à l'alinéa d) qui dit, originellement,
dans l'article actuel: "... de mener les enquêtes prévues par la
présente loi afin de vérifier si les lois et les
règlements relatifs à la langue française sont
observés". Nous aimerions voir compléter cet alinéa par
l'idée suivante: Faire les enquêtes, sondages ou recherches
permettant de connaître la situation exacte des langues au Québec
et rendre publics les résultats de ces travaux.
A l'alinéa g), tel qu'on le lit présentement dans le
projet de loi 22, nous lisons donc: "... de délivrer et c'est le
rôle de la régie les certificats visés aux articles
32 à 34". Nous aimerions remplacer cet alinéa par l'idée
suivante: Approuver les programmes de francisation et de francophonisation que
se donne une entreprise pour atteindre les objectifs proposés à
l'article 65.
Ces corrections sont conséquentes aux principes exposés
précédemment à l'article 65. L'effet direct de nos
recommandations est de donner une plus grande autonomie à la
régie vis-à-vis du conseil des ministres, autonomie qui est la
première condition pour que la régie représente une force
morale. L'autre condition est la qualité reconnue et le prestige de ses
membres, et d'abord de son président.
Nous nous permettons ici une parenthèse pour dire que
l'efficacité de la tâche exécutée par un commissaire
dépend largement des qualités de la personne qui assume cette
fonction. Il faut donc souligner l'importance de désigner à ce
poste une personne dont la compétence et l'expérience dans
l'administration des entreprises sont reconnues par les entreprises
elles-mêmes.
Relativement à l'article 63 qui prévoit pour la
régie un certain nombre de pouvoirs, nous lisons présentement
dans le projet de loi actuel en f): "La régie peut, avec l'approbation
du lieutenant-gouverneur en conseil, conclure des ententes avec tout autre
organisme ou tout gouvernement afin de faciliter l'application de la
présente loi".
Nous aimerions lire: Après en avoir informé le
lieutenant-gouverneur en conseil, conclure des ententes avec tout autre
organisme ou tout autre gouvernement afin de faciliter l'application de la
présente loi. Nous aimerions insérer un nouvel alinéa qui
pourrait se lire : Etablir les normes et les règlements à propos
des catégories d'entreprises qui devront soumettre les programmes
visés à l'article 65.
La nouvelle rédaction de l'alinéa f ) vise le même
objectif que nous avons exprimé auparavant: Préserver l'autonomie
de la régie afin de préserver son prestige et son
autorité. Le nouvel alinéa donne à la régie les
pouvoirs nécessaires pour accomplir les devoirs qui lui sont
attribués par l'article 65 amendé. L'article 65 se lit
présentement: "Les entreprises qui adoptent un programme visé aux
articles 35 et 47 le soumettent à la régie. Si la régie
est d'avis que le programme est suffisant pour la réalisation des
objectifs recherchés et que l'entrepris l'applique efficacement, elle
transmet la demande au ministre pour son approbation". Nous recommandons des
modifications à l'article 65 pour qu'on puisse y lire: Les entreprises,
pour leurs opérations au Québec et compte tenu de leur situation
particulière, doivent se donner des programmes de francisation et de
francophonisation portant notamment sur et on retrouvera ce qui est
apparu à d'autres articles, mais non à l'article 65 la
connaissance de la langue officielle que doivent posséder les dirigeants
et le personnel, la présence des francophones aux divers échelons
de l'administration et notamment et quand nous terminons cette phrase,
c'est du neuf dans le principal centre de décision; c) La langue
des manuels, des catalogues, instructions écrites et autres documents
distribués au personnel de langue française c'est ce qui
apparaît déjà sous le projet de loi actuel d) les
dispositions que doivent prendre les entreprises pour que les membres de leur
personnel puissent, dans leur travail, communiquer en français entre eux
et avec leurs supérieurs c'est identique au projet de loi actuel
ainsi que e) la terminologie employée.
Nous poursuivons: La régie peut demander à une entreprise
ou à des catégories d'entreprises de lui soumettre les programmes
visés à cet article. Elle les approuve ou recommande des
corrections, selon le cas. Nous croyons que nous soumettons ici une
modification majeure au projet de loi.
Le projet de loi 22 accuse une faiblesse importante qui résulte
de la décision du gouvernement de procéder dans le domaine
linguistique, par voie de législation globale voulant régir tous
les domaines à la fois plutôt que par une déclaration
générale de politique, assortie de lois adaptées à
des domaines spécifiques.
Comme une législation est nécessairement contraignante et
accompagnée de mesures punitives pour qui l'enfreint, le gouvernement a
choisi de limiter la portée du projet de loi aux catégories
d'entreprises sur lesquelles il détient un contrôle efficace par
le biais de son pouvoir économique. Il en résulte cependant qu'il
s'éloigne de son objectif d'amener les entreprises en
général à s'engager dans un processus de francisation et
de franco phonisation. Cette approche nous semble inacceptable et contredit un
des attendus du projet de loi. L'attendu en question se lit comme suit: "Les
membres du personnel des entreprises doivent pouvoir, dans leur travail,
communiquer en français entre eux et avec leurs supérieurs."
La chambre recommande donc de donner une portée
générale aux objectifs de francisation de l'entreprise,
même si une telle mesure demeure incitative. Une telle modification,
d'ailleurs, n'empêche aucunement le gouvernement d'utiliser son poids
économique dans le cas des entreprises voulant transiger avec lui.
Nous avons cru bon, de plus, de préciser ces objectifs sur un
point La formule "une présence francophone dans l'administration" nous
semble trop vague. La chambre croit que c'est au sommet de la hiérarchie
d'une entreprise que l'influence des francophones doit plus
précisément se faire sentir.
L'intervention de la régie n'est pas coerciti-ve. La
régie, en effet, n'a pas le pouvoir de distribuer des privilèges
ni d'imposer des pénalités. Cependant, ces rapports publics
représentent une forme de pression morale non négligeable.
Evidemment, il est important que l'objectivité et l'autorité de
la régie soient d'abord clairement établies. C'est pourquoi la
chambre insiste, d'une part, sur l'importance du choix des membres de la
régie et, d'autre part, d'assurer à ces personnes un statut
d'indépendance.
A l'article 66, le projet de loi indique: "La régie
délivre le certificat susvisé après approbation du
ministre. La régie peut, avec l'accord du ministre et pour des raisons
valables, retirer le certificat." Pour des fins de concordance, nous croyons
utile de voir biffer l'article 66.
A l'article 99, il y a une nuance qui nous semble importante, quand on
lit dans le projet actuel: "La régie peut, si elle juge qu'il n'est pas
donné suite à ses recommandations...", etc. Nous devrions lire,
quant à nous: La régie doit, si elle juge qu'il n'est pas
donné suite à ses recommandations, exposer la situation dans son
rapport annuel; elle peut, si elle le juge à propos, soumettre un
rapport spécial au ministre, qui le dépose sans délai
à l'Assemblée nationale.
Pour que l'on rejette les formules de coercition, il faut se donner la
force morale de l'information publique. H est du devoir de la régie de
nommer les entreprises qui, sans raison jugée valable par la
régie, n'ont pas appliqué une politique conforme à la
volonté du législateur.
Le devoir de la régie est de faire connaître les faits au
meilleur de son jugement. Cela n'implique pas ipso facto des mesures punitives
ni n'empêche qu'un jugement plus favorable soit porté à
d'autres points de vue envers la même entreprise. C'est pourquoi le
jugement de la régie, malgré toute l'autorité morale qu'il
doit avoir, n'a pas le caractère odieux que l'on pourrait attacher au
certificat prévu par l'article 32 de l'actuel projet de loi.
C'est la fin des commentaires de la Chambre de commerce de
Montréal.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, M. Tremblay, j'invite
immédiatement le ministre de l'Education à commencer la
période de questions.
M. CLOUTIER: M. le Président, je désire remercier la
Chambre de commerce du district de Montréal pour la présentation
de son rapport. Même s'il est assez critique pour le projet de loi, je
constate qu'il a quand même été fait dans l'esprit dont je
parlais la semaine dernière, c'est-à-dire dans un esprit positif
où un groupe cherche à apporter un éclairage à un
projet en fonction de ses opinions.
Je me réserve, au cours du débat, le droit de
répondre à un bon nombre de questions qui sont soulevées
par ce mémoire. Je pense, en particulier, à la distinction entre
francisation et francophonisation. Je pense également au programme de
francisation qui se base sur l'émission de certificats; soit dit en
passant, c'est là une technique qui est utilisée par bien des
gouvernements et même dans la loi sur le tamisage des investissements
étrangers, la loi canadienne récente, on se base sur des
approches assez similaires.
Je me réserverai également de bien démontrer que
l'objectif de la loi est clair, même s'il n'entrafne pas
nécessairement pour toutes les entreprises des programmes qui sont des
programmes d'incitation positive. En fait, les buts sont inscrits dans le
préambule, apparaissent dans tout le cheminement des articles, mais il
est bien évident que nous n'intervenons de façon assez
précise que pour une certaine catégorie d'entreprises.
J'aurai donc une seule question. J'ai l'impression, à la lecture
de ce mémoire, que même si l'on est d'accord sur les objectifs
poursuivis par le projet de loi, on tente par des amendements à lui
enlever à peu près toute sa
dynamique, c'est-à-dire tous ses instruments qui visent à
obtenir ou à atteindre les objectifs. Il s'agit en ce moment uniquement
du secteur des affaires, du secteur du travail, auquel vous avez voulu vous
confiner.
Ma question serait donc la suivante: Est-ce que, tout en admettant les
objectifs, tout en renforcissant le rôle de la régie, vous n'en
arrivez pas uniquement à des techniques de persuasion? Est-ce que vous
ne souhaitez pas au fond que le gouvernement dise qu'il faut que les
entreprises se francisent et qu'ensuite vous comptez sur la bonne
volonté pour qu'il en soit ainsi, non seulement la bonne volonté,
mais également la force morale d'une régie qui pourrait attirer
l'attention de l'opinion publique si les entreprises ne se conformaient pas aux
buts très généraux que la loi, à ce
moment-là, mettrait de l'avant? J'aimerais avoir vos commentaires sur ce
sujet.
M. TREMBLAY (Grégoire): M. le Président, mon premier
commentaire est pour dire que, contrairement à ce qu'on croit ou
à ce qu'on indique, à savoir que nos propres positions semblent
vouloir rétrécir la portée du projet de loi, l'un des
principaux commentaires que nous avons faits des principaux amendements que
nous suggérons est de porter l'intention du projet de loi, non plus
à une catégorie d'entreprises qui veulent traiter avec le
gouvernement, mais d'étendre son intention au niveau de toutes les
entreprises du Québec.
M. CLOUTIER: Je m'excuse de vous interrompre, mais c'est ce que je
disais au début de mes commentaires. Cette intention, elle y est. Ce que
vous souhaitez, cela y est; mais une fois que vous avez fait cela, qu'est-ce
que vous faites ensuite?
M. TREMBLAY (Grégoire): Très bien. Quand vous dites que la
position de la chambre veut restreindre le gouvernement dans la portée
économique ou le poids qu'il possède pour obtenir les objectifs,
nous disons simplement dans nos commentaires qu'il n'y a pas besoin et qu'il
n'est pas nécessaire de l'inscrire dans le projet de loi pour faire
porter le poids économique du gouvernement. Le gouvernement exerce
déjà un poids économique lorsqu'il donne des subventions,
des privilèges aux entreprises, ne serait-ce que par une politique
d'achat, par des facteurs régionaux, et nous croyons seulement qu'il
n'est pas nécessaire d'obtenir un certificat et de montrer patte blanche
pour que le gouvernement puisse amener les entreprises à traiter avec le
gouvernement.
M. CLOUTIER: M. le Président, là vous m'étonnez,
parce que vous semblez critiquer le projet de loi pour ses aspects trop
discrétionnaires. Si nous procédions de cette façon,
est-ce que ce ne serait pas encore plus discrétionnaire?
M. TREMBLAY (Grégoire): II y a deux points, je pense, qu'il faut
établir ici: le premier, c'est que nous nous opposons à ce que le
lieutenant-gouverneur en conseil émette les certificats. Nous croyons
qu'étiqueter une entreprise, à savoir qu'elle respecte les
objectifs du gouvernement ou du législateur, appartient à un
pouvoir quasi judiciaire, celui de la régie de faire une lecture
objective sur la valeur des programmes de francisation dans une entreprise.
C'est un premier point. Donc, il ne devrait pas appartenir au
lieutenant-gouverneur en conseil d'émettre des certificats et de juger
de la bonne conduite des entreprises en regard du programme de
francisation.
En dehors de cela, nous disons que le gouvernement doit tenir compte des
rapports de la régie lorsqu'il traite avec une entreprise, à
savoir si cette entreprise se conforme à l'intention du gouvernement de
vouloir se franciser et d'appliquer l'esprit de sa législation. Il ne
fait nul doute que, sans qu'il y ait une législation particulière
qui amène le gouvernement à préférer une entreprise
québécoise plutôt qu'une entreprise de l'Ontario, par
exemple, dans les transactions avec différentes entreprises, elle fait
exercer son poids économique et elle peut le faire exercer tout autant
au niveau linguistique, en utilisant les rapports de la régie et en
faisant peser le poids de cette volonté de l'entreprise de se franciser
lorsque le gouvernement accorde un contrat à telle entreprise.
Elle peut donc exercer le pouvoir sans même qu'on l'identifie
textuellement dans la législation, comme on le fait
présentement.
M. CLOUTIER: Bon, alors, est-ce que je trahirais votre pensée ou
la pensée de la chambre de commerce, en disant que, ce que vous
souhaiteriez au fond, c'est une loi qui établisse les objectifs,
lesquels sont je le répète dans le projet de loi,
surtout si vous lisez le préambule, et qu'ensuite vous laisseriez les
forces économiques, la bonne volonté, la persuasion morale
intervenir?
M. TREMBLAY (Grégoire): II y a quand même une contrainte
morale à laquelle nous nous sommes référés. Non,
d'abord il y a la contrainte morale qui veut que l'entreprise qui est
nommée à l'Assemblée nationale se voit
étiquetée d'une façon qui n'est pas, normalement,
particulièrement appréciée par l'entreprise en
question.
Deuxièmement, je suis obligé de me répéter,
M. le Président, pour dire que les mesures incitatives que
prévoit le gouvernement pour amener les entreprises à se
franciser, une de ces mesures incitatives est l'obtention d'un certificat,
c'est-à-dire, la bonne volonté, la preuve de la bonne
volonté des entreprises de se franciser. On conditionne, jusqu'à
un certain point, pour le gouvernement, les transactions avec l'entreprise et
c'est, je pense, ce que vous appelez, M. le ministre, une mesure incitative.
Nous croyons
qu'elle doit demeurer, mais il n'est pas nécessaire de l'inscrire
dans le projet de loi, parce que ce n'est qu'une forme de persuasion
parallèle à bien d'autres formes de persuasion et de contrainte
morale lorsque le gouvernement transige avec les entreprises. Nous n'enlevons
pas un pouvoir qu'a présentement le gouvernement en éliminant le
certificat. Il serait normal que cela a été dit à
peu près textuellement plus tôt le gouvernement, lorsqu'il
transige avec les entreprises, conserve à l'esprit cette dimension
linguistique de la volonté d'une...
M. CLOUTIER: C'est exact.
M. TREMBLAY (Grégoire): ... entreprise d'avoir un programme de
francisation.
M. CLOUTIER: Alors, je termine avec deux remarques. Cela vous
paraîtrait moins discréti-tionnaire que ce qui existe
actuellement, et ensuite, alors que vous considérez les certificats,
suivant votre expression, comme des certificats de bonne conduite linguistique,
vous n'auriez pas objection à ce qu'on fasse une espèce de
palmarès public à l'Assemblée nationale en donnant la
liste des compagnies délinquantes. Cela revient à peu près
à cela.
M. TREMBLAY (Grégoire): Nous n'avons aucune objection à ce
faire, tout au contraire, nous pensons que c'est là la principale
contrainte morale.à laquelle nous nous sommes
référés pour faire en sorte que les entreprises soient
forcées moralement de se donner un programme de francisation. La Chambre
de commerce accepte et propose que le rapport annuel fasse état des
entreprises qui ont accepté ou n'ont pas accepté de collaborer
dans la politique linguistique du gouvernement.
M. CLOUTIER: Alors, je ne trahissais donc pas votre pensée
lorsque je tentais de la résumer tout à l'heure en disant que
vous êtes d'accord sur les objectifs et même des objectifs
renforcés, mais vous souhaiteriez, ensuite, que ce soit l'incitation, la
bonne volonté, la persuasion morale, les forces économiques qui
jouent spontanément vers l'obtention de ces objectifs.
M. TREMBLAY (Grégoire): A poser la question comme vous le faites,
M. le ministre, je pense que vous tentez de conclure que la position de la
chambre est plus faible en termes de la persuasion aux entreprises pour se
franciser. Si c'est là l'intention, je pense que oui, vous trahissez ma
pensée.
M. CLOUTIER: Non, ce n'est pas l'intention. Ce que je poursuis, c'est de
vous permettre vraiment de bien expliquer votre point de vue. Je vous serais
reconnaissant, si vous n'êtes pas d'accord sur ce que j'ai dit
textuellement, de me corriger. Je ne suis pas là du tout pour vous
mettre en difficulté, soyez-en absolument convaincu.
Je ne cherche rien à prouver. Je cherche à avoir les
témoignages les plus clairs possible de la part de ceux qui nous font le
plaisir de comparaître. Ce que j'ai dit, c'est ceci: Vous êtes
d'accord sur les objectifs de francisation. Vous aimeriez même qu'ils
soient plus clairs, plus généraux...
M. TREMBLAY (Grégoire): Surtout étendus à toutes
les entreprises.
M. CLOUTIER: ... surtout étendus, bien que je prétende
qu'ils le sont actuellement.
M. TREMBLAY (Grégoire): D'accord!
M. CLOUTIER: Mais, dans votre optique, vous aimeriez que ce soit
peut-être formulé d'une façon différente. Une fois
que nous avons fait cela, vous laissez les forces spontanées, forces
morales et forces économiques jouer. Ce n'est pas tout à fait
cela?
M. TREMBLAY (Grégoire): Je pense que non et j'aimerais indiquer
à nouveau que le pouvoir que se donne le gouvernement, par le projet de
loi 22, de pouvoir transiger avec des entreprises ayant obtenu le certificat
et, donc, ayant montré patte blanche sur le plan linguistique, je dis
que ce pouvoir n'est pas diminué ou éliminé quand on
enlève la référence au certificat dans le projet de loi.
C'est encore un pouvoir économique que possède le gouvernement et
qu'il doit exercer.
Je dois finalement indiquer, parce que vous avez semblé surpris
que je me réfère au fait qu'on puisse nommer je l'ai
interprété comme tel à l'Assemblée nationale
les entreprises ayant ou n'ayant pas suivi la politique linguistique, que ceci
est tout à fait conforme à une position de la Chambre de commerce
sur le rapport Gendron et qui disait textuellement: "L'une de ses tâches
on parlait de la Régie de la langue française, non, on
parlait probablement de l'Assemblée nationale ou du rapport de la
Régie de la langue française sera de nommer les
entreprises qui ne se seraient pas conformées à la politique du
gouvernement".
M. CLOUTIER: Remarquez que cela m'a étonné aussi à
l'époque. Alors, il n'y a rien de nouveau dans ma réaction. Je
suis entièrement d'accord sur ce que vous avez dit, et, en fait, ce que
j'avais dans l'esprit, quand je parlais de pouvoir économique,
c'était exactement cela. Parce qu'il est bien évident que le
gouvernement a le pouvoir de subventionner les entreprises et, en fait, nous
avons toujours tenu compte d'un ensemble de facteurs. L'intérêt,
à mon sens, de ce projet de loi est qu'on institutionnalise tout cela de
manière à créer une dynamique qui nous permette d'obtenir
des objectifs. Et nous croyons que laisser agir tout simplement la bonne
volonté ou les forces économiques telles qu'utilisées
jusqu'ici ne serait pas suffisant. Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle.
M. MORIN: M. le Président, je voudrais d'abord constater avec nos
invités que l'incertitude est nuisible au développement
économique. L'incertitude en matière linguistique constitue,
effectivement, une pierre d'achoppement pour les sociétés,
même étrangères, qui seraient intéressées
à faire affaires au Québec.
Je voudrais vous entretenir, tout d'abord, de ce que vous appelez la
francophonisation des entreprises, c'est-à-dire la présence des
Québécois francophones dans les postes de direction des
entreprises.
Vous dites, à la page 11 et cette phrase résume
fort bien votre pensée, je crois : "La chambre croit que c'est au
sommet de la hiérarchie d'une entreprise que l'influence des
francophones doit plus précisément se faire sentir". Et dans un
document confidentiel que vous remettiez au premier ministre et dont la Presse
a fait état, le 9 mai dernier, vous avez démontré que le
pourcentage des francophones aux cinq premiers rangs de la direction
générale de 105 grandes entreprises du Québec que vous
avez recensées, n'était que de 18 p.c. Vous avez constaté
également, selon le compte rendu donné par M. Vennat dans la
Presse, que, si l'on atteint ce pourcentage de 18 p.c., c'est grâce aux
douze entreprises de plus de 800 employés contrôlées par
des francophones, lesquelles embauchent 95 p.c. des cadres francophones.
Vous avez constaté que, si l'on se tourne vers les 93 entreprises
du Québec contrôlées par les anglophones et embauchant 800
employés ou davantage, le nombre de francophones à la direction
générale n'est plus que de 7 p.c. Et vous concluiez, de ce
document soi-disant confidentiel, que la cause principale des problèmes
linguistiques du Québec était, selon vos propres mots, "la
domination économique et plus précisément
l'omniprésence des anglophones dans les centres de décision des
grandes entreprises économiques opérant au Québec".
Ces constatations vous faisaient rejoindre certains faits que la
commission Gendron avait mis en lumière dans ses dossiers concernant les
salaires payés aux francophones, sur la présence des francophones
aux divers paliers de salaire dans les entreprises; c'est une question sur
laquelle je voudrais peut-être revenir tout à l'heure.
Vous avez donc, messieurs de la Chambre de commerce de Montréal,
à plusieurs reprises, mis l'accent sur le peu de représentants
francophones dans les grandes affaires. Vous avez même souligné
qu'il s'agissait là d'une situation d'urgence. Je ne pense pas trahir
votre pensée; j'emprunte ces mots au compte rendu de la Presse,
où l'on parle de "l'urgence de la situation". C'est en raison de
l'urgence de cette situation que votre chambre a entrepris la compilation de ce
dossier.
D'autre part, messieurs, l'autre jour a compa- ru devant cette
même commission, le Board of Trade, à qui j'ai fait part des faits
que vous aviez constatés, et auquel j'ai posé des questions sur
les remèdes qu'il conviendrait d'apporter à cette situation. Je
n'ai pu obtenir à peu près aucune réponse de ces messieurs
sauf "business is business". On nous a laissé entendre qu'il n'y avait
pas suffisamment de francophones pour occuper les postes de direction que vous
convoitez pour les francophones. On nous laissait entendre également que
peut-être les francophones n'étaient pas assez compétents
et qu'il ne fallait jamais perdre de vue que "business is business".
Messieurs, devant l'urgence de la situation telle que vous la
décrivez, devant la réticence des milieux anglophones, des divers
milieux anglophones qui ont comparu devant cette commission, je m'interroge
fortement sur les pressions morales, les contraintes morales que vous
préconisez sur votre politique "d'intervention non coercitive,
d'incitation, de persuasion". Votre mémoire est essentiellement
fondé sur cette gamme de mots. J'aimerais vous demander si vraiment vous
êtes convaincus que votre système de persuasion morale est
suffisant pour arriver aux objectifs que vous vous êtes fixés dans
votre mémoire au premier ministre?
M. TREMBLAY (Grégoire): M. le Président, non, je ne suis
pas convaincu. Je suis optimiste, mais non convaincu.
M. MORIN: Mais qu'est-ce qui vous fait opter dès l'abord pour des
mesures purement incitatives, alors que vous connaissez sans doute très
bien le milieu des affaires? Je vois un hiatus, un fossé très
profond entre vos objectifs, d'une part, et les moyens que vous vous donnez
pour les réaliser, d'autre part. Vous êtes des lions au plan des
objectifs, et vous redevenez des moutons traditionnels au plan des moyens.
M. TREMBLAY (Grégoire): C'est le traditionnel qui m'a un peu
frotté l'oreille. M. le Président, si nous connaissons
l'état de la situation, les faits tels qu'ils nous sont
présentés en 1973/74, on peut établir les chiffres et les
données dont M. Morin a fait état il y a un moment. Ce qu'on
connaît moins, c'est l'évolution. C'est une première
remarque. Une deuxième, c'est que nous désirons depuis longtemps
qu'il y ait une politique dans le domaine linguistique au Québec, chose
qui n'existait pas jusqu'à présent. Nous avons insisté
pour qu'une régie puisse être en mesure de faire une étude
complète et objective, période après période,
année après année, et puisse transmettre à la
population, en même temps qu'à l'Assemblée nationale,
l'état de la situation, mais dans une période dynamique,
c'est-à-dire en 1974, 1975, 1976. On pense que, n'ayant pas eu
jusqu'à maintenant une politique évidente et précise dans
le domaine linguistique, n'ayant pas été en mesure ce qui
sera le cas bientôt avec une
régie d'avoir une lecture de la situation d'une
façon dynamique, nous croyons que ces mécanismes, ajoutés
à ceux de la persuasion...
Nous avons noté, dans un mémoire précédent,
l'importance qu'avait le premier ministre, le prestige attaché à
la tâche du premier ministre, l'importance qu'il y avait de persuader les
cent plus grandes entreprises qui sont quand même les plus grands
employeurs au Québec et l'importance de donner un droit égal
à tous les Québécois dans le domaine économique.
Nous croyons que tous ces mécanismes, étant mis en place
et c'est de là que vient l'optimisme permettront de faire
probablement évoluer la situation beaucoup plus rapidement et, si ce
n'était pas le cas, tout au moins de connaître le portrait de la
situation dans une voie dynamique des choses.
En 1975/76, il n'est pas certain que la Chambre de commerce tienne les
mêmes propos. Elle croit qu'il y a un devoir, à ce moment-ci,
d'utiliser d'abord, à travers les mécanismes qu'on met en place,
la persuasion pour amener les hommes d'affaires, les industriels du
Québec, à faire une plus grande place aux francophones dans le
domaine industriel. Si vous me dites: Et si cela ne donnait pas de
résultats? On verra dans le temps. C'est de là que vient
l'optimisme. Qu'on se donne les mécanismes voulus, les outils voulus et
qu'on ait une politique claire. A ce moment-là, si la situation
n'évolue pas dans le sens que le Québec le désire, une
loi, ce n'est pas un mécanisme gelé, c'est une forme qui peut
être progressive et on croit qu'il faudra prendre les mesures à ce
moment-là, si celles prévues présentement ne donnaient pas
les résultats escomptés.
M. MORIN: M. le Président, je suis heureux de constater que, dans
l'hypothèse où le projet de loi, surtout édenté,
comme vous le concevez, se révélait insuffisant, vous
envisageriez d'aller plus loin. Mais est-ce que je pourrais vous demander un
peu plus de détails sur votre pensée à ce sujet? Quel
genre de sanctions mettriez-vous de l'avant à ce moment?
M. TREMBLAY (Grégoire): Si j'étais pessimiste,
probablement que j'aurais déjà réfléchi à
ces mesures; me disant optimiste, non, la Chambre ne s'y est pas
attardée. Je pense que nous avons dessiné par ailleurs un
objectif et, si les outils ne nous permettent pas d'atteindre l'objectif, il
faudra penser à d'autres mécanismes. Non, je regrette de ne pas
être en mesure de vous indiquer que, dans une situation
hypothétique comme celle-là, quels pourraient être les
moyens que nous aimerions recommander.
M. CHARRON: Pourtant, vous faites une affirmation importante dans votre
mémoire au moment où vous dites que vous reprochez au projet de
loi 22 de fixer des objectifs de francisation qui portent uniquement aux entre-
prises qui font affaires avec l'Etat, et qui ont besoin de subventions, de
privilèges, vous lui reprochez de ne pas s'étendre aux autres. Le
ministre soutient le contraire, sans jamais l'avoir prouvé. Alors, je
voudrais vous demander si, dans cette optique, pour être conforme
à votre propre proposition, vous devez déjà penser
à des mesures plus qu'incitatives et autres que le simple jeu du pouvoir
économique si vous voulez faire étendre ces mesures à
toutes les entreprises. Actuellement, l'incitation, sur laquelle vous vous
basez et sur laquelle est basée le projet de loi, peut toujours jouer
par le biais économique avec les entreprises faisant affaires avec
l'Etat, mais, vous-mêmes, vous lui reprochez de ne pas s'étendre
à un nombre suffisant d'entreprises. Alors, pour les autres entreprises,
quelles seraient les mesures que vous proposeriez maintenant et seraient-elles
toujours uniquement incitatives, comme vous aimez nous le répéter
de façon optimiste?
M.TREMBLAY (Grégoire): Je peux, M. le Président, indiquer
tout de suite que les mesures que nous prônons pour les autres
entreprises autres que celles voulant traiter avec l'Etat... Nous proposons les
mêmes objectifs, à savoir que notre position je pense
à l'article 65 indique que toutes les entreprises devraient
entreprendre un programme de francisation. En termes d'objectif, il est le
même que d'autres entreprises qui voudraient traiter avec l'Etat.
Evidemment, la contrainte morale demeure la même que pour les autres
entreprises, celles qui ont traité avec l'Etat. Je constate avec vous
que le poids économique n'existe pas pour celles qui ne négocient
pas avec le gouvernement. Il y a donc là une distinction que j'admets,
évidemment. On s'est attardé davantage aux objectifs.
Je me surprends, j'ai l'impression, M. Charron, que vous reprenez en
d'autres mots les propos de votre collègue, à savoir que vous
aimeriez nous amener à préciser quelles pourraient être les
mesures que nous aimerions voir intégrées au projet de loi ou
à une loi, si les mesures actuelles ne donnaient pas de résultat;
mon domaine étant un peu celui du travail, je sais fort bien que les
anciennes lois du travail ont été modifiées à peu
près tous les deux ans et le code du travail est à la veille de
l'être de nouveau. C'est très dynamique, une loi, et une loi est
dynamique pour qu'elle puisse s'adapter à des situations
précises. Il y a un mémoire précédent, toujours le
même incidemment, où on disait qu'il serait utile que la
régie fasse le point sur la situation d'évaluer
l'efficacité des politiques utilisées et de décider, s'il
y a lieu, de chercher de nouveaux moyens d'action. Autant vous trouvez mon
optimisme un peu farfelu, autant je trouve que poser carrément la
question en prenant comme hypothèse que la situation n'évoluera
pas, c'est aussi prendre une position un peu étroite.
M. FORGET (Maurice): M. le Président, il y aurait peut-être
lieu de souligner que le moyen
incitatif le plus puissant suggéré par la chambre, c'est
justement le fait que la régie doit dénoncer, au moins dans son
rapport annuel, les entreprises qui ne se conformeraient pas à la
politique linguistique du gouvernement. A mon sens, il n'y a pas une compagnie,
une entreprise sérieuse, qui voudrait voir son nom affiché de
cette façon, les répercussions dans ses affaires au Québec
pourraient être désastreuses. Je pense que c'est un moyen
incitatif très fort, ce n'est peut-être pas le lion qu'a
mentionné M. Morin, c'est peut-être un bouledogue.
M. MORIN: Vous semblez tenir pour acquis que la Régie de la
langue jouirait d'un prestige considérable. En tout cas, cela me
paraît être une condition de cette force de persuasion dont vous
avez parlé. Toutefois, je suis obligé de vous dire que ce n'est
plus de l'optimisme, cela; c'est plutôt de la naiveté, compte tenu
de l'expérience québécoise à l'égard de
toutes les commissions dont nous sommes déjà j'allais dire
affligés. Très peu de commissions, à ma connaissance
peut-être pourriez-vous me donner des exemples qui pourraient
renforcer vos dires jouissent d'un tel prestige, très peu de
commissions ne sont pas serviles à l'endroit du gouvernement. Comment
feriez-vous pour assurer l'indépendance, l'autorité morale d'une
telle commission, compte tenu du contexte québécois dans lequel
nous vivons et du gouvernement actuel?
M. TREMBLAY (Grégoire): M. le Président, on a
identifié les mesures qui nous semblent propres à assurer cette
autonomie et cette compétence. On a même dit je le
soulignais en parenthèse tantôt, c'était un peu hors
contexte qu'il est essentiel que la régie puisse avoir ce
caractère d'indépendance, d'autonomie et de compétence.
Par ailleurs, quand vous me rapportez l'expérience des régies ou
des commissions qui existent présentement en qualifiant ces commissions
de peu efficaces, je regrette de ne pas avoir de commentaire, je ne connais pas
ce sujet suffisamment et peut-être que mes collèges aimeraient
ajouter des commentaires. Nous identifions, quant à nous, l'importance
qu'elle soit autonome, qu'elle soit compétente, qu'elle soit efficace et
si, à cause des nominations ou à cause des procédures
administratives, il n'en est pas ainsi, il m'apparaît que c'est à
regret. Je ne connais pas suffisamment le succès, la compétence
ou l'efficacité des commissions qui existent présentement pour
vous donner des exemples ou faire échec à votre proposition.
M. MORIN: Je crains bien qu'avec le peu de pouvoirs que vous
reconnaissez à cette commission, très peu d'hommes
compétents soient attirés par des postes de ce genre; ne seront
attirés que des personnes qui, de toute façon, seraient
inefficaces.
Vous ne pouvez, d'autre part, édenter une commission, lui donner
un pouvoir purement incitatif et, d'autre part, vous attendre que des hommes de
valeur, des hommes efficaces soient intéressés à venir
oeuvrer dans un cadre comme celui-là. Vous ne trouverez personne de
valable pour faire ce travail; c'est du moins ce que je crains.
J'aimerais conclure en disant que la prise de conscience qui se fait
jour à la Chambre de commerce de Montréal et qui vous porte
à souligner l'urgence de "québéquiser" l'entreprise au
Québec nous est très sympathique. Je suis sûr qu'elle l'est
à l'ensemble des Québécois; mais j'estime que, pour ce qui
est des moyens par lesquels vous entendez en arriver à vos objectifs, on
doit vous appliquer ce que vous avez conclu vous-même dans votre document
confidentiel, à savoir qu'il fallait éviter une action qui serait
"purement symbolique". Ce que vous êtes venu nous proposer ce matin est
une action qui, à nos yeux, demeure purement symbolique. J'ai
terminé, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de
Laporte.
M. DEOM: M. le Président, il y a un point que j'ai
déjà souligné devant d'autres organismes et sur lequel
j'aimerais revenir, c'est celui de la francophonisation. Le mémoire de
la Chambre de commerce insiste beaucoup sur ce problème de la
francophonisation. Quant à moi, je considère que la langue ne
devrait pas être un moyen pour les francophones de reprendre le pouvoir
économique et je me demande si, quand on utilise la langue ou qu'on
propose d'utiliser la langue, ce n'est pas un peu de la prostitution
culturelle.
Sur le plan de la francophonisation, je pense que le gouvernement du
Québec a d'autres instruments et il y en a beaucoup qui
pourraient éventuellement lui permettre d'agir sur le
phénomène de la francophonisation. J'ai un certain nombre de
questions, M. le Président, parce qu'il y a certaines contradictions, me
semble-t-il, dans le mémoire de la Chambre de commerce.
La première est à la page 5, quand la chambre nous
recommande de laisser au gouvernement le soin d'utiliser la politique
linguistique et les rapports de la régie de la même manière
qu'il doit tenir compte des facteurs régionaux et des règles
concernant les soumissions publiques, etc. J'ai l'impression qu'il y a une
contradiction flagrante avec ce que la chambre propose dans son introduction,
à la page 1, où elle dit: "Elle est assurée que les
milieux d'affaires sauront, comme ils l'ont toujours fait par le passé,
s'adapter à une politique claire, si les règles du jeu en sont
connues et stables".
Comment réconciliez-vous ces deux positions que vous prenez?
D'autre part, vous
demandez que le gouvernement établisse une politique avec des
règles du jeu claires et stables, et, d'autre part, vous laissez, d'une
façon qui est très floue, le gouvernement utiliser la politique
linguistique comme il peut utiliser la politique d'achat, les 10 p.c.
préférentiels, sans définir des règles
précises et claires.
M. TREMBLAY (Grégoire): M. le Président, il y a
déjà une première précision qui est
apportée. Jusqu'à maintenant, nulle entreprise ne pouvait
appréhender ou ne pouvait connaître la position du gouvernement
à l'égard des octrois de privilèges, de subventions,
compte tenu du domaine linguistique. Une entreprise qui n'aurait pas eu de
programme de francisation pourrait s'opposer à ce que le gouvernement ne
l'ait pas fait, pour lui préférer une autre entreprise.
Déjà, indiquer dans notre mémoire que cela devient
une considération, à savoir la bonne conduite sur le plan
linguistique pour l'octroi de privilèges et de subventions, est une
précision par rapport à ce qui existait jusqu'à
présent. C'est déjà là une clarté qui
n'apparaissait pas jusqu'à maintenant.
Si votre question va un peu plus loin en disant: Est-ce que le
gouvernement devrait identifier suivant quelle modalité elle tiendra
compte de la dimension linguistique? Probablement, sans le savoir, lorsqu'elle
tient compte de facteurs régionaux, lorsqu'elle tient compte, dans sa
politique d'achat, par exemple, de certains critères ou normes, elle a
dû les définir ou ils doivent être connus. C'est sans doute
une politique identifiée pour que les entreprises sachent à quoi
s'en tenir. Je suppose que, en parallèle, elle définirait un peu
ces normes, ces critères qui amèneraient le gouvernement à
prendre en considération la dimension linguistique.
M. DEOM: M. le Président, je trouve encore là une
contradiction, parce que ce que je conclus de ce que vous me dites, c'est que
vous préféreriez qu'on procède par voie de
réglementation pour déterminer quand la politique linguistique
doit s'appliquer dans l'octroi des contrats. Tantôt, vous nous avez
pourtant dit qu'on utilisait beaucoup trop le pouvoir de réglementation.
Mais, par ailleurs, si on n'établit nulle part cette chose, vous n'avez
pas l'impression que vous jouez justement contre une des aspirations
fondamentales de l'entreprise qui est d'avoir des règles du jeu
précises? Pour un gouvernement, la loi est un énoncé de
politique.
M. TREMBLAY (Grégoire): C'est là, M. le Président,
qu'on a fait d'abord la distinction entre le législatif et le judiciaire
ou le quasi judiciaire. D'une part, il nous semble qu'il n'appartient pas au
gouvernement, une fois qu'il a légifiéré, de se porter
juge quant à savoir quelle entreprise poursuit les programmes de
francisation préconisés par le gouvernement. Ce doit être
un organisme différent, qu'on appelle ici la régie, et non plus
le lieutenant-gouverneur en conseil. C'est une première constatation ou
considération.
En deuxième lieu, on dit simplement que la considération
linguistique doit être une considération du type de celle qui
existe déjà en ce qui concerne la politique d'achat du
gouvernement, sa politique de favoriser les facteurs régionaux pour
l'octroi de contrats. Je ne connais pas dans les détails comment
fonctionnent ou quels sont les normes et les critères et comment ils
sont définis. Par exemple, dans la politique qui tient compte des
facteurs régionaux, on dit simplement que c'est au même type de
normes ou de critères qu'on fait référence.
M. DEOM: C'est cela. Vous suggérez qu'on procède par
arrêté en conseil?
M. TREMBLAY (Grégoire): Est-ce que c'est le cas pour...
M. DEOM: Oui.
M. TREMBLAY (Grégoire): ... les autres facteurs, les autres
considérations?
M. DEOM: Oui. Vous seriez d'accord...
M. TREMBLAY (Grégoire): Cela identifierait les règles du
jeu?
M. DEOM: ... si je comprends bien, pour que le certificat de
francisation, dans la mesure où le gouvernement le juge à propos,
il le retire de la loi, mais qu'il le réintroduise dans la
réglementation?
M. TREMBLAY (Grégoire): Mais quant à savoir, M. le
Président, quelle est l'entreprise qui suit et qui va dans la ligne de
la politique du gouvernement, on dit que ce n'est pas au gouvernement à
l'établir, que c'est à un corps neutre à l'établir.
Une fois qu'il l'a établi, on dit que le ministre ou le
lieutenant-gouverneur en conseil doit ou peut recevoir des avis de la
régie. Mais quant à établir les normes de conduite, si
cela se fait normalement par arrêté en conseil, je vois que cela
se ferait aussi par arrêté en conseil, mais vous ne jugeriez pas,
à ce moment-là, quelle est l'entreprise qui applique la politique
du gouvernement, c'est la régie qui le ferait. C'est là, à
mon sens, la grande distinction.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, le temps est maintenant
écoulé. Nous remercions, au nom de la commission, les
représentants de la Chambre de commerce du district de Montréal
de leur présentation.
M. TREMBLAY (Grégoire): Merci de nous avoir entendus.
LE PRESIDENT (M. Gratton): J'invite maintenant M. Jean-Gilles Jutras,
porte-parole
de la Fédération des commissions scolaires catholiques du
Québec, à bien vouloir se présenter et nous
présenter les gens qui l'accompagnent, s'il vous plaît.
M. FORTIN: M. le Président...
LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Jutras.
Fédération des commissions scolaires
catholiques du Québec
M. FORTIN: Messieurs, je serai le porte-parole de la
Fédération des commissions scolaires à titre de
président général de cet organisme. Je me présente
donc, Gilles Fortin.
Il me plaît également de vous présenter la
délégation de la fédération. A ma gauche, M. Ulric
Blackburn, premier vice-président de cet organisme, ainsi que M.
Côté, deuxième vice-président de cet organisme; M.
Laplante et Mme Gobeil, membres de l'exécutif de cet organisme.
Egalement à ma droite, M. Sabourin, directeur du service des
communications de la fédération, ainsi que M. Philippe Arcand,
membre du conseil d'administration.
L'organisme que nous représentons, M. le Président,
regroupe...
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je veux tout simplement vous rappeler que
vous disposez de 20 minutes pour faire la présentation de votre
mémoire.
M. FORTIN: II sera très court, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci.
M. FORTIN: L'organisme que nous représentons, M. le
Président, regroupe les 234 commissions scolaires catholiques du
Québec, administrées par plus de 2,300 commissaires élus
par la population.
La Fédération des commissions scolaires est d'avis que le
Québec doit déclarer que le français est la langue
officielle, ainsi que le promulgue l'article 1 du projet de loi.
La fédération n'entend pas se prononcer sur
l'opportunité de l'ensemble du projet de loi 22. Elle tient cependant
à faire quelques remarques qui touchent particulièrement le
chapitre 5 du projet, traitant de la langue d'enseignement. Nous avons
également apporté certaines recommandations de modifications et
formulé des motifs à l'appui de ces suggestions, dans les autres
parties du projet de loi.
Nous tenons aussi à préciser que nos réflexions et
nos recommandations tiennent compte obligatoirement de la résolution que
l'assemblée générale de la fédération a
adoptée à son dernier congrès en novembre 1973 et que nous
avions transmise au ministre de l'Education, M. François Cloutier.
J'attire votre attention sur le contenu de cette résolution qui
est annexée au document que nous vous présentons ce matin.
Même si cette résolution se référait à
la Loi pour promouvoir la langue française (chapitre 9 des lois de 1969,
loi 63), la position que la fédération défend ne change
pas et c'est ce qui ressort de notre analyse du projet de loi 22.
J'attire également votre attention, M. le Président, sur
le fruit des réflexions du conseil d'administration à une
réunion qu'il a tenu le 11 juin sur le document que nous vous
présentons ce matin.
Pour faciliter notre propre réflexion et pour aider les membres
de la commission, nous avons utilisé un document de travail de trois
colonnes. Le texte du projet de loi est suivi, en deuxième colonne, du
texte proposé et, en troisième section, des motifs appuyant nos
recommandations.
Alors, au titre I, la langue officielle du Québec, nous sommes
donc d'avis que l'Assemblée nationale doit déclarer le
français comme la langue officielle du Québec.
A l'article 9, nous apportons la modification suivante, à savoir
que nous suggérons que la majorité des administrés qui
sont de langue anglaise et qui rédigent... En fait dans le texte de la
résolution de l'article 9, seuls les 10 p.c. changent. C'est la
majorité. Les motifs à l'appui de ce changement : II s'agit de
rendre cet article conforme à l'article 13 du projet de loi.
A l'article 11, nous suggérons d'employer le mot "peut"
plutôt que "doit".
A l'article 14, afin d'assurer une meilleure communication, nous
suggérons de biffer la fin du troisième paragraphe, ainsi que le
quatrième paragraphe de cet article.
Nous nous retrouvons au chapitre V de la loi. L'article 48: La langue
d'enseignement.
Ce que nous suggérons à cet article: La langue
d'enseignement est la langue officielle. L'enseignement se donne en langue
française dans les écoles régies par les commissions
scolaires, les commissions scolaires régionales, le Conseil scolaire de
l'île de Montréal, les corporations de syndics, les
collèges d'enseignement général et professionnel, les
universités et les institutions privées d'enseignement recevant
des subventions de l'administration publique.
Ces organismes peuvent donner l'enseignement en langue anglaise. Ils ne
peuvent, cependant, ni commencer, ni cesser l'enseignement de cette langue sans
l'autorisation préalable de la Régie de la langue
française. Tout organisme et institution privée d'enseignement
recevant des subventions de l'administration publique peuvent aussi donner
l'enseignement dans leur langue aux Indiens et aux Inuit.
Le premier paragraphe ajouté à cet article est tout
simplement pour clarifier le point de vue que je vous ai mentionné
auparavant. Le deuxième paragraphe inclut les institutions
privées et, à notre avis, nous avons ajouté qu'il n'y a
pas seulement la commission scolaire du Nou-
veau-Québec qui, présentement, peut avoir une
clientèle scolaire amérindienne ou inuit.
A l'article 49, à compter du moment de l'entrée en vigueur
de la loi, tous les élèves reçoivent leur enseignement
dans la langue officielle, sauf ceux qui fréquentent déjà
une école anglaise et ceux dont la langue maternelle est l'anglais.
Toutefois, ces élèves peuvent opter pour l'enseignement du
français. C'est la suggestion que nous faisons à l'article 49 et,
ensuite à cette suggestion de modification à l'article 49,
à notre avis, il nous paraît nécessaire de biffer l'article
50 et l'article 51 tels que présentés dans le projet de loi.
A l'article 52 du même chapitre: "Les programmes d'études
doivent assurer la connaissance de la langue française, parlée et
écrite, aux élèves qui reçoivent l'enseignement en
langue anglaise, et le ministre de l'Education doit prendre les mesures
nécessaires à cet effet". Les programmes d'études doivent
assurer la connaissance de la langue anglaise aux élèves qui
reçoivent l'enseignement en langue française, et le ministre de
l'Education doit prendre les mesures nécessaires à cet effet.
Cette modification est apportée suite à la
résolution de l'assemblée générale que je vous ai
mentionnée tout à l'heure.
A l'article 62, nous suggérons d'ajouter: "... établir des
critères d'identification de la langue maternelle anglaise", au
paragraphe i) qui serait, en fait, un nouveau paragraphe à l'article
62.
A l'article 67, nous proposons la modification du dernier paragraphe:
Ces listes servent d'unique critère pour l'application des articles 9,
13 et 53. Rien, à notre avis, ne justifie que ces listes soient
incontestables, et l'autonomie des commissions scolaires, en regard des
disparités auxquelles elles ont à faire face, exige qu'elles
puissent être contestées.
A la section II: Composition et activités de la Régie de
la langue française, à l'article 68, nous suggérons ce qui
suit: La Régie de la langue française est composée de neuf
membres. Le président et les deux vice-présidents sont
nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil. Les autres membres sont
nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil, après
consultation des associations ou organisations les plus représentatives
des parents, des éducateurs et des groupes socio-économiques. Le
président et les vice-présidents sont nommés pour plus de
dix ans et les autres membres pour plus de cinq ans".
Les modifications proposées visent surtout à rendre la
Régie de la langue française plus représentative des
différents paliers de la population du Québec.
A l'article 128: Les articles 48 à 52 s'appliquent à
compter du 1er novembre 1974, mais les règlements prévus à
ces articles doivent être adoptés et publiés avant cette
date, et également en annexe. Comme je l'ai dit tout à l'heure,
nous avons mentionné les institutions privées. Or, il faudrait
qu'elles soient incluses.
Nous suggérons qu'elles soient incluses à l'annexe.
Telles sont nos réflexions, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci. J'invite le ministre de l'Education
à poser la première question.
M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie la
Fédération des commissions scolaires pour la présentation
de son rapport. C'est un mémoire qui m'importe au plus haut point car
les relations que le gouvernement entretient avec cet organisme, qui est, aux
termes de la loi, un de ses partenaires, et les relations que le ministre de
l'Education entretient de son côté, sont suivies et excellentes.
Je ne ferai pas de commentaire, le débat me permettra de préciser
les quelques points qui peuvent peut-être être plus ou moins
compris. Je me contenterai de deux questions. Elles porteront incidemment sur
le secteur qui intéresse la fédération,
c'est-à-dire le chapitre V qui traite de la langue d'enseignement. Ma
première question est la suivante : Je crois comprendre que la
fédération souhaiterait la disparition de la liberté de
choix en ce qui concerne les francophones. C'est le texte de la
résolution qui m'avait d'ailleurs été soumis. Est-ce que
ceci ne signifierait pas que les francophones auraient moins de droits que les
anglophones, lesquels, eux, conserveraient cette liberté de choix?
Est-ce qu'on ne se trouverait pas, pour des citoyens canadiens, à avoir
deux catégories?
M. FORTIN: A notre avis, M. le Président, l'intérêt
de la collectivité prime sur les intérêts des individus.
Or, suite à votre interrogation, M. le ministre, je crois que nous
couvrons l'interrogation que vous vous posez par les suggestions faites
à l'article 52.
M. CLOUTIER: Est-ce que mon interprétation était
exacte?
M. FORTIN: Pardon?
M. CLOUTIER: Ce que je viens de dire était-il exact? Est-ce que
je vous ai bien compris?
M. FORTIN: Oui.
M. CLOUTIER: Parfait. Maintenant, ma deuxième question est la
suivante: Je crois comprendre, et là encore vous me corrigerez si je me
trompe, que vous dirigez les immigrants vers le secteur francophone, mais
uniquement les immigrants qui ne connaissent ni le français, ni
l'anglais, comme d'ailleurs dans la rédaction actuelle de la loi, non
pas les immigrants dont la langue maternelle est l'anglais.
M. FORTIN: Oui, c'est bien cela, M. le ministre.
M. CLOUTIER: C'est bien exact. Comment allez-vous procéder pour
faire cela?
M. FORTIN: Je pense qu'il est un fait acquis, c'est que le Québec
est à majorité française. Je ne vois pas d'Etat ni de pays
au monde qui traitent leurs immigrants, les immigrants, de la façon que
le Québec a en vue de traiter ces mêmes groupes. A notre avis, M.
le ministre, le Québec est français...
M. CLOUTIER: M. le Président, nous sommes d'accord sur ces
principes.
M. FORTIN: ... et les immigrants je m'excuse, M. le ministre
qui ont à immigrer au Québec doivent savoir qu'ils
s'intègrent à une population française.
M. CLOUTIER: Comment allez-vous procéder? Nous en sommes au
niveau des mécanismes, parce que vous dites, au fond, exactement ce que
dit le projet de loi 22. Dans le projet de loi 22, il est clair que nous
orientons vers le secteur francophone les immigrants qui ne parlent ni anglais,
ni français, alors que ceux qui parlent anglais peuvent continuer
d'opter, s'ils le souhaitent, pour le secteur anglophone. C'est exactement
votre position. Comment allez-vous procéder pour en arriver à
cela?
M. FORTIN: A l'article 62, M. le ministre, nous suggérons
d'ajouter un paragraphe, le paragraphe i) qui se lit ainsi: Etablir les
critères d'identification de la langue maternelle anglaise, et
également tous les critères d'identification des autres langues.
Ce qui se laisse supposer par des règlements.
M. CLOUTIER: Quels sont ces critères?
M. FORTIN: Nous ne nous sommes pas attardés pour trouver les
critères. Nous croyons...
M. CLOUTIER: Nous, nous nous y sommes attardés depuis des
années et nous avons eu énormément de difficultés
à définir ces critères. Nous avons envisagé
plusieurs centaines d'hypothèses. C'est d'ailleurs ceci qui nous a
amenés vers une modalité, qui est actuellement celle de la
rédaction de la loi, les tests. Or, nous avons une de vos commissions
scolaires, la commission scolaire Chomedey de Laval, qui est venue
présenter un témoignage intéressant démontrant que
des tests analogues sont utilisés depuis des années et
permettent, d'une part, de s'assurer que, sur le plan pédagogique, un
transfert est justifié, et, d'autre part, de restreindre les transferts
dans une proportion assez importante. En fait, cette commission scolaire a
reçu 350 demandes de transfert l'année dernière, du
secteur francophone au secteur anglophone, et n'a accepté que 150
transferts, après les tests et les procédures
d'intégration.
Ma question est la suivante". Est-ce qu'à la lumière de
cette expérience et sur la base de la rédaction actuelle de la
loi, cette procédure de tests vous paraît utilisable, vous parait
souhaitable, permettant, à ce moment-là, d'éviter
l'écueil de la définition de la langue maternelle?
M. FORTIN: Franchement, M. le ministre, nous ne nous sommes pas
préparés à répondre sur des critères. A
notre avis et je le répète la langue
française étant la langue officielle, nous supposons qu'elle le
sera au Québec, je pense que tout citoyen venant résider au
Québec devra faire de la langue française sa langue maternelle ou
sa langue prioritaire.
M. CLOUTIER: J'en conclus donc que vous n'êtes pas, a priori,
hostiles aux modalités qu'a proposées le gouvernement dans le
texte de la loi?
M. FORTIN: Je ne puis me prononcer sur ces modalités, M. le
ministre.
M. CLOUTIER: Bon! Mais, en fait, ce qui vous importe au premier titre,
ce sont les principes.
M. FORTIN: Les principes.
M. CLOUTIER: Or, les principes que vous énoncez en ce qui
concerne les immigrants sont exactement ceux de la loi 22. Vous en êtes
conscients?
M. FORTIN: Non.
M. CLOUTIER: Ah bon! Alors, on va recommencer. La loi 22 dit que les
immigrants, qui n'ont pas une connaissance suffisante ni de l'anglais ni du
français, sont orientés vers le secteur francophone. Vous dites
exactement la même chose. Vous dites que les immigrants qui sont de
langue maternelle anglaise vont vers le secteur anglophone. Il en
découle que ceux qui ne sont pas de langue maternelle anglaise vont dans
le secteur francophone. Quelle différence voyez-vous entre ces deux
positions?
M. FORTIN: Je suppose, M. le ministre, que les règlements qui
suivront cette loi-cadre prévoiront ces critères, tout en pensant
et en se disant que les petits Canadiens français qui se retrouvent dans
les autres provinces n'ont pas à subir les critères dont nous,
nous voulons gratifier les futurs immigrants, donc les futurs citoyens du
Québec.
M. CLOUTIER: Nous sommes entièrement d'accord là-dessus,
mais je viens d'énoncer la position de la loi 22 et votre position. Je
pense que vous serez d'accord avec moi pour admettre qu'elles sont identiques,
sauf que la loi 22 propose des modalités sous forme de tests et
que vous ne proposez pas de modalités parce que vous n'avez pas
voulu vous attarder à cet aspect.
M. FORTIN: C'est cela.
M. CLOUTIER: C'est très bien. Une dernière question. De
quelle façon la prise de position que vous énoncez au chapitre de
la langue d'enseignement a-t-elle été obtenue? De quelle
manière avez-vous consulté vos différentes commissions
scolaires, par exemple?
M. FORTIN: Je me suis référé tout à l'heure,
M. le ministre, à une résolution de l'assemblée
générale de la fédération, en novembre 1973. Cette
résolution est venue à la suite de réflexions que les
commissions scolaires se sont vu peut-être pas imposées
mais suggérées et cette résolution a
été votée en assemblée générale au
mois de novembre, comme je l'ai dit, et le conseil d'administration, qui est
composé des représentants des différentes régions
du Québec, donc de commissaires d'écoles venant des
différentes régions du Québec, le 11 juin dernier, a eu
cette réflexion qui a donné suite au document que nous vous
présentons ce matin et c'est en respectant le contenu de la
résolution de l'assemblée générale que nous en
sommes venus à ces conclusions.
M. CLOUTIER: II y a eu un accord sur la résolution à
l'assemblée générale.
M. FORTIN: C'est cela.
M. CLOUTIER: Vous me l'avez d'ailleurs présentée dans ce
contexte, j'y étais, je le sais. A partir de ces principes
incorporés dans la résolution, vous avez tiré un certain
nombre de conclusions.
M. FORTIN: C'est cela.
M. CLOUTIER: II y a peut-être, soit dit en passant, des
conclusions qui débordent un peu la résolution, en particulier en
ce qui concerne l'enseignement privé, en ce qui concerne le niveau
collégial, le niveau universitaire. Cela n'apparaît pas dans la
résolution.
M. FORTIN: D'accord.
M. CLOUTIER: Bon, parfait. Alors, je vous remercie beaucoup.
LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de
Saint-Jacques.
M. CHARRON: M. le Président, M. Fortin, messieurs, madame, je
suis très content aussi au nom de l'Opposition de vous accueillir
à la commission parlementaire. Je pense qu'on a eu l'occasion, sans le
savoir et de loin, de travailler ensemble et d'être aussi à
l'occasion des asso- ciés. Je dois vous dire que le fait que vous ayez
répété, en annexe de votre mémoire, la
résolution adoptée à votre congrès de novembre
dernier n'est pas sans importance, comme vous avez pu le constater à la
façon dont le ministre a posé ses questions.
Il me paraît évident que ce que la fédération
avait décidé à ce moment-là, la position claire
qu'elle avait prise, jointe à un mouvement de protestation
généralisé contre cette mesure pratique du libre choix,
avait eu son importance et elle garde encore toute son importance aujourd'hui.
Je pense que plusieurs commissions scolaires avaient pris, une après
l'autre, des positions différentes qui se rejoignaient dans leur
objectif, mais qui n'avaient pas le caractère de force que votre
résolution a donné à ce moment-ci. Nous espérions
bien à ce moment-là que l'addition de votre voix, celle de la
Fédération des commissions scolaires, de façon aussi
catégorique et aussi claire que le texte de votre résolution et
encore aujourd'hui le texte des amendements suggérés, allait
finir par ébranler un gouvernement qui, sur ce point, était
complètement isolé. Ce n'est malheureusement pas le cas et on
retrouve encore aujourd'hui, comme vous le soulignez vous-mêmes, dans le
chapitre V de la loi 22 proposée à l'Assemblée nationale,
la mesure pratique qui était contenue au bill 63. Je n'ai que quelques
questions à vous poser.
Si vous n'avez pas parlé d'autres chapitres ou si vous n'avez
proposé, en fin de compte, des amendements qu'aux endroits bien
précis où vous vous sentiez directement concernés, est-ce
parce que l'ensemble, le reste du projet de loi vous parait acceptable dans sa
forme actuelle ou si vous auriez aussi des modifications à
suggérer, mais que vous avez choisi de ne pas le faire?
M. FORTIN: M. le Président, il est bien clair dans notre esprit
que si une commission comme celle-ci a des objectifs de consultation des
différents organismes de la population, il nous a paru inopportun, pour
le monde scolaire, de nous pencher sur des problèmes qui, nous le
croyons, peuvent être couverts par d'autres organismes mieux
préparés dans leurs secteurs respectifs à défendre
des positions comme celles que nous défendons au niveau du chapitre
V.
M. CHARRON: Mais, si je conclus, ça ne veut pas dire si je
comprends bien votre réponse que nous n'auriez pas, le
voudriez-vous, de suggestions à faire?
M. FORTIN: Individuellement, j'en aurais peut-être, mais le
conseil d'administration et l'assemblée générale ne se
sont pas penchés sur la chose.
M. CHARRON: D'accord. Prenons-les une à une, si vous me
permettez. D'abord, à l'article 9 où vous êtes, encore une
fois, concernés, puisqu'on fait directement mention des organis-
mes scolaires, vous suggérez que le bilinguisme que
prévoit la loi 22, à l'article 9, ne soit occasionné que
par la présence d'une majorité d'administrés de
l'organisme, qui seraient de langue anglaise, plutôt qu'au moins 10 p.c.
Je veux vous poser deux questions. Quelle est, dans votre responsabilité
d'administrateur scolaire, votre définition d'administré aux
termes de cette loi? Deuxièmement, si votre amendement
suggéré à l'article 9 ne devait pas être retenu,
comme il faut s'y attendre, par le gouvernement en place, et qu'il choisit sa
propre version à l'article 9, comment vous et vos collègues,
commissaires d'écoles, adminis-treriez-vous l'application de cette loi,
si au moins 10 p.c. des administrés sont de langue anglaise?
M. FORTIN: II est bien entendu que les pouvoirs des commissions
scolaires, si je réponds premièrement à votre
dernière question, sont restreints à l'administration
régionale ou locale de la chose scolaire. Il va sans dire que, les
commissions scolaires relevant en partie du gouvernement, puisque le ministre
de l'Education est le premier responsable et qu'eux sont les responsables du
milieu, il nous faudra sans aucun doute nous conformer aux règlements
qui seront promulgués suite à cette loi. Cependant, je crois en
une démocratie au Québec et j'ose croire que nos
représentants à l'Assemblée nationale tiendront compte
jusqu'au bout du principe démocratique que peut laisser supposer ce que
nous suggérons: la majorité.
En ce qui concerne la première question, comme administré
d'une commission scolaire, je suis père de famille, j'ai des enfants et
je veux le meilleur pour eux. Le début de notre résolution de
l'assemblée générale dit bien et il nous place dans
un contexte de réalisme que nous sommes au Québec, que
nous ne voulons pas être un ghetto, mais que nous voulons surtout
demeurer ce que nous sommes, tout en tenant compte des implications et des
contraintes qui nous sont imposées par le contexte
nord-américain.
Comme père de famille, comme administré de la commission
scolaire, je compte donner à mes enfants toutes les possibilités
de vivre avec leur culture française, leur langue française, mais
tout en faisant face aux obligations auxquelles ils auront à faire face
dans le contexte nord-américain. Il n'est pas dit que ces jeunes vivront
toujours au Québec, comme il n'est pas dit qu'il vivront toujours au
pays, au Canada ou aux Etats-Unis. C'est ma position.
M. CHARRON: Les administrés de la commission scolaire, est-ce que
ce sont les enfants ou leurs parents?
M. FORTIN: Les administrés de la commission scolaire ne sont pas
tous des parents. Une partie, ce sont des parents, l'autre, des citoyens
propriétaires qui, peut-être, ont fait des efforts dans le
passé comme parents pour faire instruire leurs enfants. Il est bien
clair que, dans une commission scolaire, nous ne pouvons pas tenir compte de
chacun des désirs de chacun des parents. Comme je l'ai dit tout à
l'heure, le point de vue de la collectivité doit primer sur les points
de vue individuels, tout en essayant de satisfaire les uns et les autres le
plus possible.
M. CHARRON: Abordons maintenant, si vous voulez, le chapitre V de la
langue d'enseignement. Quelles sont les raisons principales qui vous ont fait
inclure les collèges d'enseignement général et
professionnel, les universités et les institutions privées
d'enseignement recevant des subventions de l'administration publique?
M. FORTIN: A mon avis, si une loi est adoptée par un
gouvernement, tous les organismes qui relèvent du gouvernement doivent
être impliqués les premiers dans ces mêmes lois. A ce que je
sache, les CEGEP, les collèges d'enseignement général et
professionnel, sont des organismes scolaires financés à 100 p.c.
par le gouvernement, les institutions privées font l'objet d'une loi, la
loi 56, et les universités sont subventionnées en partie
également par le gouvernement. A notre avis, il serait peut-être
arbitraire de ne pas les inclure au même titre que les institutions du
secteur public de l'éducation aux niveaux élémentaire et
secondaire.
M. CHARRON: Si on n'incluait pas les collèges d'enseignement
général et professionnel, seriez-vous d'accord pour dire
qu'à la fin du secondaire, par exemple, la possibilité pour un
étudiant de passer d'un secteur d'enseignement à l'autre pourrait
se produire, à la fin de son secondaire V, au moment où il se
présente au collège?
M. FORTIN: Certainement. Il y a une foule de contraintes qui sont
imposées aux étudiants du collégial où les enfants
auraient des difficultés à passer du secondaire au
collégial, s'il n'y avait pas une continuité assurée dans
une politique cohérente.
M. CHARRON: Actuellement, vous êtes des administrateurs scolaires
et vous avez à appliquer la loi 63. Je vois que vous avez
demandé, dans votre mémoire, la disparition de l'article 50,
à partir duquel il appartient à chaque commission scolaire,
commission scolaire régionale, corporation de syndics, de
déterminer la classe, le groupe ou le cours auxquels un
élève peut être intégré, eu égard
à ses aptitudes dans la langue d'enseignement. C'est déjà
un pouvoir que les commissions scolaires ont actuellement, celui de placer les
étudiants au niveau où les commissaires jugent l'enfant apte
à être inscrit. Est-ce exact?
M. FORTIN: Oui.
M. CHARRON: Et vous ne considérez pas que ce pouvoir, qui vous
est donné actuelle-
ment en vertu d'un règlement, a intérêt à
figurer dans la loi? Mais cela ne veut pas dire que vous voulez renoncer...
J'essaie d'interpréter, vous me direz si j'ai tort ou raison. Parce que
vous demandez la suppression de l'article 50, cela ne veut pas dire que vous
voulez perdre ce droit de procéder vous-mêmes à la
classification des étudiants.
M. FORTIN: Nous sommes bien assurés que beaucoup de
règlements viendront faire l'objet de cette loi-cadre et, à ce
moment-ci, nous avons suggéré d'enlever l'article 50, surtout en
concordance avec ce que nous avons suggéré préalablement
aux articles 48 et 49 seulement.
M. CHARRON: D'accord. J'entendais tantôt le ministre vous poser la
question sur les immigrants. Si on adoptait une position claire et
cohérente, et si l'Assemblée nationale décidait que, ici
comme partout ailleurs, comme dans tous les pays du monde, tous les immigrants
soient dirigés à l'école de la majorité, est-ce que
la Fédération des commissions scolaires considérerait
cette décision de l'Assemblée nationale comme néfaste ou
mauvaise, en sachant qu'elle irait à l'encontre d'une recommandation que
vous avez faite voulant maintenir la distinction entre deux catégories
d'immigrants?
Mais si nous prenions et si nous parvenions, à l'aide des autres
groupes qui sont venus à la table de cette commission réclamer,
autrement dit, le statut normal du Québec dans ce domaine comme dans
tous les autres domaines, à réclamer que tous les immigrants
fréquentent l'école de la majorité, est-ce que votre
groupe considérerait cette décision, prise par l'Assemblée
nationale, comme une très mauvaise décision ou si vous
partageriez la décision de la majorité en y apportant votre
consentement?
M. FORTIN: Vous me demandez d'anticiper sur une réaction que
pourraient avoir les commissaires d'écoles de la province. C'est
très difficile pour moi. Si je retiens que la Fédération
et je me plais de le dire ici des commissions scolaires s'est
démocratisée, je compte à ce moment-ci que les
commissaires d'écoles pourront, s'ils le veulent, se prononcer dans le
sens où vous parlez ou dans le sens contraire.
M. CLOUTIER: M. le Président, si je peux me permettre d'insister.
La question du député de Saint-Jacques est très
importante. En fait, il veut savoir pourquoi vous avez fait cette distinction,
pourquoi vous avez décidé, dans vos recommandations, que les
immigrants de langue anglaise iraient vers le secteur anglophone alors que les
autres iraient vers le secteur francophone. Vous deviez avoir une raison.
M. FORTIN: II y a certainement le droit acquis d'un certain milieu
anglais au Québec. Cependant, en ce qui concerne les autres immigrants
d'autres nationalités, à notre avis... Tout comme le petit
Canadien français, que mon enfant pourrait être, s'il se
présentait en Italie ou dans un autre pays, il aurait à
s'intégrer à l'école de la langue du pays où il
s'intégrerait, où il immigrerait. Dans notre esprit, il y a un
certain secteur anglophone au Québec et je pense que nous devons
respecter les anglophones, surtout si on considère qu'ils
prétendent avoir des droits acquis. A ce moment-ci, nous voulons les
respecter, tout simplement.
M. CHARRON: Je ne devais pas insister plus longuement sur cette
question. C'était seulement pour vérifier son importance. Le
ministre a évidemment sauté dessus, parce que c'était le
seul point, je pense, dans tout le chapitre, où vous étiez
d'accord avec lui.
M. CLOUTIER: Je voulais vous aider à préciser la
question.
M. CHARRON: Mais il y a un endroit où le ministre a eu de la
difficulté à établir ses sophismes, c'est sur la question
très claire sur laquelle il ne vous a guère posé de
questions, sur votre affirmation et la modification que vous apportez à
l'article 49. Vous proposez que désormais il n'y ait qu'un secteur
anglophone au Québec qui ne soit fait que pour ceux qui sont de langue
maternelle anglaise ou ceux qui fréquentent déjà une
école anglaise, c'est-à-dire que vous seriez d'accord pour
qu'actuellement le nombre de places-élèves qu'occupe le secteur
anglophone au Québec les 15.6 p.c. de places-élèves
qu'occupe le secteur anglophone au Québec soit maintenu et qu'au
fur et à mesure où les francophones déjà inscrits
dans ce secteur en sortiront, à l'autre bout du secondaire V, disons,
étant donné que vous coupez le robinet de l'immigrant, en tout
cas, du côté non anglophone, vous proposez que, progressivement,
ce secteur anglophone rejoigne la taille de la minorité anglaise du
Québec, soit à peu près 13 p.c. ou 14 p.c. Est-ce que
j'interprète bien votre position sur l'article 49 en disant que c'est
votre conception?
M. FORTIN: Oui, vous interprétez bien notre position; mais,
également, à l'article 48, au deuxième paragraphe, il
n'est pas dit que le secteur anglophone ne continue pas son opération
telle qu'il la connaît actuellement.
M. CHARRON: Comment dites-vous? Il n'est pas dit que...
M. FORTIN: Les collèges d'enseignement, les commissions scolaires
parce que nous admettons qu'il y a également des commissions
scolaires anglaises au Québec ces organismes continuent leurs
opérations pour leurs enfants de langue anglaise...
M. CHARRON: D'accord.
M. FORTIN: ... tel que cela existe actuellement.
M. CHARRON: Quand vous vous prononcez pour que le secteur anglophone
soit limité, autrement dit, existe pour ceux pour qui il a
été inventé, c'est-à-dire ceux qui sont de langue
maternelle anglaise, et vous respectez ceux qui sont déjà
inscrits dans le système ce que je comprends parfaitement
avez-vous l'impression que vous préconisez en même temps un libre
choix quand vous prenez une position aussi claire que cela? Si quelqu'un venait
vous dire après un énoncé aussi clair que celui-là:
Oui, mais c'est le libre choix qui est au fond de cela, quelle serait votre
réaction?
M. FORTIN: Je n'affirmerais pas que c'est le libre choix. Je pense que
c'est le contenu des lois qui nous régissent actuellement ou du moins la
constitution qui nous régit actuellement.
M. CHARRON: Vous dites que vous voulez modifier l'article 52 pour qu'on
inscrive, dans le projet de loi, l'obligation de donner un enseignement de
l'anglais dans les écoles françaises. Notez bien qu'on discutera
du fond de la question après. Je vais très bien l'aborder. Est-ce
que vous n'estimez pas que ce genre de politique ou de prise de position
politique n'a pas lieu d'apparaître dans une loi, puisqu'il s'agit en fin
de compte d'un contenu de programme, quelle que soit l'importance relative
qu'on accorde à ce programme par rapport à un autre? Il reste
que, pédagogiquement parlant, si vous voulez, c'est une décision
de construction de programme scolaire, d'une année scolaire ou d'une
autre, etc., est-ce que vous trouvez que c'est justifiable de porter cela dans
un texte de loi?
M. FORTIN: Un contenu de programme peut être efficace, peut
être moins efficace. Si nous nous référons aux attendus de
notre résolution qui nous place dans un contexte, nous désirons
que nos enfants soient bien prémunis contre les difficultés
auxquelles ils auront à faire face dans le contexte
nord-américain. Or, un programme d'anglais, peut-être de langue
seconde, tel que nous en retrouvons dans nos écoles actuellement, ne
leur permet certainement pas de faire face aux obligations qu'ils auront
à...
M. CHARRON: Je suis d'accord sur le fond. Remarquez bien que je suis
d'accord sur la nécessité d'améliorer l'enseignement de
l'anglais dans les écoles, de donner un meilleur enseignement de
l'anglais actuellement. Mais est-ce que cette prise de position, que vous et
moi et je pense bien beaucoup de Québécois avons
quant à l'utilité évidente de la connaissance d'une langue
seconde, a à apparaître dans la loi?
M. FORTIN: Dans le contexte du Québec actuel, oui.
M. CHARRON: Et vous voulez également porter l'obligation de la
connaissance de la langue française dans les écoles anglaises
également dans le texte de la loi, comme l'article 52 le fait, comme la
loi 63 le faisait à l'article 1.
M. FORTIN: II n'est pas écarté que, pour un enfant, une
langue seconde soit néfaste. Il s'agit de communication. Cela pourrait
être l'espagnol, cela pourrait être l'italien, cela pourrait
être n'importe quelle autre langue. Or, une langue seconde pour un
enfant, qu'il soit Canadien français, Français de langue
maternelle ou Anglais ou autre, ne peut pas leur être néfaste.
Alors, si un programme seulement, tel que ceux que nous connaissons
actuellement, est exigé dans les écoles, nous ne croyons pas que
ce soit efficace.
M. CHARRON: Puisque nous sommes sur ce chapitre, M. le Président,
est-ce que... Il me reste une minute? Bon! J'ai une dernière
question.
Puisque nous sommes sur ce chapitre de l'enseignement de la langue
seconde, depuis avril 1973, le ministre de l'Education a présenté
ce qu'il a appelé le plan de développement des langues. Cela ne
s'est pas fait sans problème, parce qu'il est arrivé qu'une
décision importante quant à l'application de ce plan de
développement des langues relevait des commissions scolaires. Certaines
commissions scolaires ont préféré se prévaloir
d'autres dispositions pour augmenter, par exemple, la qualité de
l'éducation physique ou de la musique, à certaines occasions.
D'autres ont préféré appliquer, presque à la
lettre, les recommandations du plan de développement des langues et
mettre le plus d'énergie possible dans l'enseignement de la langue
seconde.
Si je vous demandais, M. Fortin, en tant que président de cet
organisme, de nous faire un tableau quant à l'application de cette
directive qu'était le plan de développement des langues, aux
difficultés que vous avez rencontrées et aux améliorations
que vous voudriez que cette commission recommande au ministre d'apporter
à son plan de développement.
M. FORTIN: Mes remarques au sujet de l'application de ces directives
regardent les grandes disparités que nous retrouvons au Québec.
Il est bien clair qu'il y a des milieux au Québec qui sentent beaucoup
moins l'importance d'apprendre une langue seconde que d'autres milieux, et je
peux dire qu'au niveau de la Fédération des commissions
scolaires, donc des commissaires d'écoles qui viennent de tous les coins
de la province, les opinions sont partagées, et c'est dans ce contexte
du libre choix de l'option ou de la spécialisation que les enfants
voulaient obtenir, dans un milieu comme dans
l'autre, que nous avons fait des revendications auprès du
ministre de l'Education sur ce que vous venez de parler. C'est tout simplement
dans cette optique. Nous n'excluons pas la possibilité pour une
commission scolaire X de privilégier l'anglais aux arts plastiques ou
à la musique. Ce sont des besoins auxquels ils ont à faire face
dans leur milieu, personnellement.
M. CHARRON: Mais est-ce que...
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je m'excuse auprès du
député. Il faudrait que cela soit très court.
M. CHARRON: La réponse sera un oui ou un non. Est-ce que vous
estimez souhaitable qu'une politique de cette importance connaisse des
variantes d'une commission scolaire à l'autre ou considérez-vous
que l'importance de la question est telle que cela devrait être uniforme
dans le Québec?
M. FORTIN: J'ai bien dit tout à l'heure qu'une loi-cadre
impliquait beaucoup de règlements et, à ce moment, probablement
que dans les milieux il y aura des règlements qui donneront la
possibilité de faire face à des obligations
particulières.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jean.
M. VEILLEUX: J'aimerais reprendre deux ou trois points de votre
mémoire. A l'article 11, il est dit que: "Toute personne a le droit de
s'adresser...", et vous remplacez "a le droit" par "peut". Dans votre esprit,
est-ce que cette personne a le droit de recevoir une réponse de
l'administration publique dans la langue qu'elle peut choisir pour...?
M. FORTIN: A notre avis, le mot "doit" nous semblait beaucoup trop
absolu, surtout en faisant face, comme je le disais tout à l'heure, aux
grandes disparités que connaît le Québec. "Peut", c'est un
privilège, oui. Le sens de "peut" peut vouloir dire un privilège.
Cependant, il serait, je pense, arbitraire d'imposer aux administrations
scolaires l'obligation de répondre en anglais à toute personne
qui serait seule de langue anglaise. C'est dans cet esprit que...
M. VEILLEUX: Dans votre esprit, une personne, est-ce une personne
physique ou une personne morale, c'est-à-dire que si un individu ou une
compagnie quelconque faisait affaire dans un territoire, à la commission
scolaire, est-ce que, dans votre esprit, il pourrait lui aussi communiquer dans
l'une des deux langues ou si toute personne dans votre esprit est un
individu?
M. FORTIN: Une compagnie pourrait communiquer dans les deux langues.
M. VEILLEUX: Dans votre esprit, cela peut aller jusqu'à une
compagnie. Vous avez répondu tout à l'heure au ministre en
disant: On laisse le libre choix de l'enseignement aux anglophones, qu'il
s'agisse de ceux qui résident présentement au Québec ou de
ceux qui, éventuellement, viendraient demeurer au Québec.
D'autre part, les francophones et les immigrants francophones ou les
immigrants d'une langue maternelle autre que l'anglais n'ont plus le choix.
C'est le réseau français de l'école. Mais vous laissez une
provision dans votre article 49 lorsque vous proposez des amendements en
disant: On enlève ce libre choix à tous les francophones, sauf
à ceux qui sont déjà dans le secteur anglophone.
M. FORTIN: J'ai bien dit tout à l'heure que nous étions
régis par des lois, par une constitution et c'est tout simplement dans
cette optique que cette suggestion nous est venue.
M. VEILLEUX: Mais je vous ai bien compris en disant que le libre choix
était pour les gens de langue anglaise et pour les francophones
déjà dans le réseau anglais des écoles. Tous les
autres perdent leur libre choix.
M. FORTIN: Oui. C'est cela. M. VEILLEUX: C'est cela? M. FORTIN: Oui.
M. VEILLEUX: Est-ce que, lorsqu'est arrivé le temps d'inscrire
des amendements comme celui-là à l'article 49, vous avez
l'impression qu'à ce moment vous répondiez réellement
à ce que demandaient les administrés de vos commissions scolaires
ou non?
M. FORTIN: Du tout. Ce ne sont pas toujours des propositions, ce sont
des suggestions qui sont faites.
M. VEILLEUX: Oui. En tant que Fédération des commissions
scolaires, vous avez dû vous poser la question, lorsque vous avez
discuté à votre congrès de la proposition? Quels
étaient les motifs qui pouvaient amener, à un certain moment, les
parents francophones à choisir le secteur anglophone pour leurs enfants
au lieu du secteur francophone? Est-ce que je pourrais avoir là-dessus
votre opinion sur les motifs qui pourraient éventuellement ou qui ont
pu, à venir jusqu'ici, pousser les parents à choisir le secteur
anglophone plutôt que le secteur francophone pour leurs enfants?
M. FORTIN: Oui, nous nous sommes penchés sur ce problème.
Les motifs sont clairement définis au début de la
résolution dont on vous a parlé tout à l'heure. Cependant,
la faiblesse de l'enseignement d'une langue seconde dans les écoles
françaises du Québec fait que,
devant ces réalités que nous avons données en
attendus, les parents peuvent vouloir choisir le secteur anglais plutôt
que le secteur français pour leurs enfants de langue maternelle
française.
M. VEILLEUX: Mais, dans votre esprit, cela peut prendre combien de
temps, au niveau des commissions scolaires, pour améliorer
l'enseignement de la langue seconde qui est, dans vos commissions scolaires, la
langue anglaise?
M. FORTIN: Cela peut se faire très rapidement.
M. VEILLEUX: Oui, mais dans le plan de développement des langues
que le ministère de l'Education a proposé aux administrations des
commissions scolaires, est-ce que, selon la réception qui a
été faite dans les milieux je ne dis pas les commissaires
d'écoles, à ce moment, pour l'application quand même d'un
plan de développement des langues, il faut retourner aux
employés-cadres des commissions scolaires dans votre esprit, la
réponse de ces gens a été telle que cela peut nous laisser
présager une très nette amélioration de la langue seconde
dans le secteur francophone dans un avenir très rapproché?
M. FORTIN: II faudra, bien entendu, prévoir beaucoup de
mécanismes nouveaux à mettre en place. Je n'aborderai pas le
problème de la loi sur le développement des langues, c'est
cela?
M. VEILLEUX: Le plan de développement...
M. FORTIN: Le plan de développement des langues, parce
qu'à notre avis il nous paraît insuffisant...
M. VEILLEUX: Dans quel sens?
M. FORTIN: ... tel qu'il nous a été
présenté.
M. VEILLEUX: Est-ce qu'il est insuffisant dans la présentation ou
dans son contenu même?
M. FORTIN: Dans son contenu et son application. D'abord, il nous faut
des professeurs, il faut former des professeurs, préparer des
professeurs à l'enseignement d'une langue seconde. Cela ne se fait pas
du jour au lendemain. Il y a toute une programmation à préparer,
un cheminement à faire. C'est la première étape, à
notre avis.
M. VEILLEUX: Est-ce que cela peut, comme commissaire d'écoles,
vous causer, à un certain moment, des problèmes si vous vous
spécialisez ou si le gouvernement, dans son plan de développement
des langues, spécialise des professeurs de langue seconde? Est-ce que,
dans votre esprit, cela pourrait aller, pour ces enseignants, cette
spécialité d'enseignement exclusif de la langue seconde ou si on
peut leur donner une charge supplémentaire pour combler les fameux
ratios?
M. FORTIN: C'est assez difficile de répondre. Il y a tout un
cheminement à faire pour répondre à votre question. Vous
allez très loin dans votre question. Je ne sais pas si c'est l'objet de
la commission de faire enquête sur ce point.
M. VEILLEUX: Je vous pose la question, parce que, dans mon esprit, la
proposition sur laquelle vous vous basez pour apporter les amendements est
quand même la pierre d'assise des décisions que vous avez pu
prendre à la Fédération des commissions scolaires pour
suggérer des amendements. Un de ces points, ce n'est pas moi qui vous
l'ai fait dire, c'est vous qui l'avez répété, un des
motifs je ne dis pas le seul motif, mais un des motifs principaux qui
pouvaient amener à un certain moment les parents à choisir le
secteur anglophone plutôt que le secteur francophone était
l'enseignement de la langue seconde, qui pouvait être défectueux,
jusqu'ici. Il faut enlever cette défectuosité. Si vous enlevez le
libre choix aux parents francophones au 1er septembre 1974, parce que, dans vos
amendements, vous vous en tenez au 1er septembre 1974, est-ce que vous avez la
très nette impression, cela revient à cela, que, le 1er septembre
1974, le motif principal qui a fait choisir aux parents francophones le secteur
anglophone, c'était un enseignement défectueux de la langue
seconde?
Est-ce que vous avez la très nette impression qu'à partir
du 1er septembre cet enseignement va être tel qu'on puisse se permettre
d'enlever le libre choix aux parents francophones?
M. LAPLANTE: Est-ce que je peux vous répondre
là-dessus?
M. VEILLEUX: Oui.
M. LAPLANTE: Sur le développement des langues, lorsque les
commissions scolaires auront le droit de disposer de l'argent qu'elles
reçoivent du ministère, non pas en les obligeant d'acheter de
l'audio-visuel alors que, probablement, elles n'en auraient pas besoin, mais
laisser la latitude aux commissions scolaires de faire leur propre
développement des langues... Celles qui ne peuvent pas le faire,
accepter l'aide du ministère, mais, actuellement, nous n'avons pas cette
liberté. Nous n'avons pas la liberté de prendre des professeurs
spécialisés hors norme. C'est une chose qui aiderait actuellement
les commissions scolaires.
Lorsque vous parlez de l'intégration du milieu francophone, comme
francophones, nous nous devons de donner l'exemple, d'abord, d'intégrer
nos écoles francophones. C'est en premier lieu. Au sujet des anglophones
qui
s'en viennent, des anglophones qui sont actuellement dans nos
écoles, si on le met à partir de ces anglophones qui ont le droit
de s'intégrer à un secteur anglais, c'est qu'ils ont des enfants,
la plupart du temps, qui ont déjà commencé des
études en anglais, mais, pour tout autre immigrant, je ne crois pas que
ce soit une utilité d'aller à l'école anglaise.
Si je vous donne les chiffres que nous avons depuis 1965 sur une
commission scolaire donnée, malgré la diminution des
écoles privées, il y a eu en 1965, malgré un recul de la
langue maternelle de trois mois pour nous permettre d'accepter ces enfants, on
s'aperçoit que, de 1965 à 1973, on a eu une diminution de 20,882
élèves. Même phénomène dans le secteur
anglais, de 1965 à 1973, on a 4,943 Anglais de plus. Ce sont deux
"balances" qui ne marchent pas pour nous.
M. VEILLEUX: Je termine, M. le Président, parce que mon temps est
écoulé, mais on aurait pu discuter longuement du matériel
didactique approprié à l'enseignement des langues. On pourra en
discuter après. Je termine en disant que, si je vous interprète
bien, compte tenu des facteurs que vous avez pu apporter, le secteur
francophone n'est pas équipé pour donner un enseignement valable
de la langue seconde, pour le 1er septembre 1974.
M. LAPLANTE: Non, il n'est pas prêt. Je suis d'accord sur
cela.
M. VEILLEUX: D'accord.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs de la fédération,
merci infiniment de votre présentation. La commission va maintenant
suspendre ses travaux jusqu'à environ 16 heures, c'est-à-dire
après la période des questions en Chambre, et le premier
organisme à se faire entendre sera l'Association
fédérative des étudiants de l'Université de
Sherbrooke.
La commission suspend ses travaux à cet après-midi, 16
heures.
(Suspension de la séance à 12 h 38)
Reprise de la séance à 15 h 56
M. GRATTON (président de la commission permanente de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre,
messieurs !
J'invite immédiatement Mlle Isabelle Néron, porte-parole
de l'Association fédérative des étudiants de
l'Université de Sherbrooke, à bien vouloir prendre place en
avant. Il n'y a personne qui s'appelle Mlle Isabelle Néron?
M. MORIN: De toute évidence.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Pourriez-vous vous identifier et identifier
ceux qui vous accompagnent de façon à ce que le journal des
Débats...
Association fédérative des
étudiants de l'Université de Sherbrooke
M. LAVALLEE: Mon nom est Jacques Lavallée, président de la
Fédération des étudiants. Je suis accompagné de
Marc Létourneau, à l'extrême droite, vice-président
de la fédération, de même que Gaétan Faucher,
responsable du dossier sur le bill 22 pour la fédération, et
Michel Berthiaume, à ma gauche, vice-président de la
fédération.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je vous rappelle simplement que vous disposez
de vingt minutes pour votre présentation et il y a une période de
questions de 40 minutes ensuite.
M. LAVALLEE: L'association fédérative est le regroupement
des dix facultés dûment incorporées qui se sont
réunies en assemblée spéciale cet été pour
se pencher sur le projet de loi 22. Considérant que la langue est un
droit collectif qui prédomine sur les droits individuels;
Considérant qu'un projet de loi sur la langue officielle doit
porter sur la langue de la majorité;
Considérant qu'il est du devoir d'un gouvernement d'assurer le
respect du droit collectif;
Considérant que le contexte socio-économique et historique
du Québec fait que la langue de la majorité est
menacée;
Considérant que les menaces d'instabilité
économique et des fuites de capitaux rattachées au
problème de la langue ne sont qu'un mythe maintenu par la
minorité possédante;
Considérant qu'il appartient à l'entreprise privée
de payer pour la francisation et non au gouvernement;
Considérant qu'il est important de rétablir un
équilibre et d'affirmer les droits de la majorité:
Nous réclamons l'unilinguisme français et exigeons que le
projet de loi 22 soit profondément transformé.
A la suite d'une période de francisation intensive de cinq ans,
le français deviendra la
seule langue officielle de l'administration publique, de
l'administration municipale, des commissions scolaires et de l'ensemble des
institutions à caractère public, des raisons sociales et de
l'affichage. Le français sera effectivement la langue du travail et des
communications dans toutes les entreprises et pour toutes les conventions
collectives.
J'aimerais noter certaines petites erreurs techniques qui se sont
glissées lors de l'envoi du rapport précipité. Au chapitre
II, on avait inscrit: deuxième paragraphe: supprimer. Il faudrait lire
plutôt: Ajouter: "pour la période de francisation de cinq ans
seulement," et conserver le paragraphe.
Au chapitre III, à l'article 35, il faudrait lire:
"adoptés et appliqués" et, concernant la fin du rapport, la
demande de l'Association federative des étudiants de l'Université
de Sherbrooke, on devrait lire "guide d'implantation du français en
usine" plutôt que "manuel de l'implantation du français".
Critique du projet de loi 22. A partir de principes
généraux, nous avons passé en revue les articles 6
à 52 du projet de loi et nous apportons les corrections suivantes:
Concernant la langue de l'administration publique. Le français
doit être présent partout dans l'administration publique. Les
textes anglais ne sont que des textes d'accompagnement, le texte
français, celui qui est officiel et authentique. Doivent être
rédigés en français les textes et documents officiels
émanant de l'administration publique. Sont réputés
officiels les textes et documents que la loi déclare authentiques en
raison de leur caractère public, notamment les écrits
visés à l'article 1207 du code civil.
Les autorisations, les avis et les autres documents de même
nature, article 8. Les textes et documents officiels peuvent être
accompagnés d'une version anglaise. En pareil cas, seule la version
française est authentique.
L'article 9 est supprimé.
Article 10: L'administration publique doit utiliser la langue officielle
pour communiquer avec les autres gouvernements du Canada et, au Québec,
avec les personnes morales.
L'article 11 est supprimé.
Article 12: La langue officielle est la langue de la communication
interne de l'administration publique, des organismes municipaux et
scolaires.
Article 13 est supprimé.
Article 14, premier paragraphe: Nul ne peut être admis ou promu
à une fonction administrative dans l'administration publique s'il n'a de
la langue officielle une connaissance appropriée. Deuxième
paragraphe, supprimé. Troisième paragraphe, supprimé.
Article 15: En assemblée délibérante, dans
l'administration publique, les interventions dans les débats officiels
doivent être faites en langue française.
Article 16: Le ministre de la Justice doit faire en sorte que les
jugements prononcés par les tribunaux le soient dans la langue
officielle.
Article 17: Les contrats conclus au Québec par l'administration
publique ainsi que les sous-contrats qui s'y rattachent doivent être
rédigés dans la langue officielle. Ils peuvent aussi être
rédigés à la fois en français et en anglais ou,
lorsque l'administration publique contracte avec l'étranger, à la
fois en français et dans la langue du pays intéressé.
Seule la version française est authentique.
Concernant le chapitre II de la langue des entreprises d'utilité
publique et des professions. Première partie: Les principes
appliqués à l'administration publique sont transposés et
prolongés à la langue des entreprises d'utilité publique
et des professions. Pour la fin du chapitre, nous voyons déjà des
articles traitant de la langue du travail qui doit être le
français pour tous.
Article 18 : Les entreprises d'utilité publique et les corps
professionnels doivent faire en sorte que leurs services soient offerts au
public dans la langue officielle.
Article 19: Les entreprises d'utilité publique et les corps
professionnels doivent utiliser la langue officielle pour s'adresser à
l'administration publique.
Article 20: Les entreprises d'utilité publique et les corps
professionnels doivent émettre dans la langue officielle les avis,
communications, formulaires et imprimés qu'ils destinent au public; le
présent article s'applique également aux titres de transport.
Les textes et documents susdits peuvent néanmoins être
accompagnés d'une version anglaise pour la période de
francisation de cinq ans seulement.
Article 21 : Les corps professionnels ne peuvent délivrer de
permis en vertu du code des professions, à moins que les
intéressés n'aient de la langue officielle une connaissance
appropriée à l'exercice de la profession envisagée.
Cette connaissance doit être prouvée suivant les normes
fixées par les règlements adoptés à cet
égard par le lieutenant-gouverneur en conseil.
Article 22 : Les corps professionnels peuvent toutefois délivrer
à des personnes qui ne connaissent pas suffisamment la langue officielle
une autorisation temporaire valable pour une période d'un an non
renouvelable.
Deuxième paragraphe, supprimé.
Article 23, supprimé.
Chapitre III: La langue du travail.
Le français devient la langue du travail pour tous. Une
période de cinq ans est laissée pour effectuer la francisation.
Les Québécois ne doivent pas payer pour la francisation. Les
certificats sont une façon de signaler les entreprises qui sont normales
et utilisent le français. Ceci entraîne des coûts inutiles
pour les contribuables.
Article 24: Les employeurs doivent rédiger en français les
avis, communications et directives qu'ils adressent à leur
personnel.
Les textes et documents susdits peuvent cependant être
accompagnés d'une version anglaise lorsque le personnel est en partie de
langue anglaise pour la période de francisation de cinq ans
seulement.
Article 25: Les conventions collectives doivent être
rédigées en français, tout comme les écrits
accessoires et ceux y donnant suite; les négociations et les
séances de conciliation doivent être conduites en
français.
Article 26: Si, au cours d'une assemblée
régulièrement convoquée, les salariés d'une
association accréditée en décident ainsi à la
majorité des voix de ceux qui sont présents, les conventions et
écrits visés à l'article 25 sont rédigés en
anglais et cette langue est utilisée pour les négociations et les
séances de conciliation.
Toutefois, les conventions collectives ne peuvent être
déposées en vertu de l'article 60 du code du travail que si elles
sont accompagnées d'une version française. Ces dispositions
valent pour la période de francisation de cinq ans seulement.
Article 27 : En présence de plusieurs associations
accréditées devant négocier ensemble et dont l'une
désire négocier en français, on procède dans cette
langue. Ces dispositions valent pour la période de francisation de cinq
ans seulement.
Article 28: Les griefs peuvent être formulés par les
salariés en français ou en anglais.
Si le grief donne lieu à arbitrage, les actes de
procédures sont rédigés, les séances tenues et les
décisions rendues en français. Ces dispositions valent pour la
période de francisation de cinq ans seulement.
Article 29: Si, au cours d'une assemblée
régulièrement convoquée, les salariés d'une
association accréditée en décident ainsi à la
majorité des voix de ceux qui sont présents, la langue anglaise
doit être utilisée dans les matières visées au
deuxième alinéa de l'article 28.
Toutefois, les décisions arbitrales rendues ne peuvent être
déposées que si elles sont accompagnées d'une version
française. Ces dispositions valent pour la période de
francisation de cinq ans seulement.
Article 30: Les formalités que doivent suivre les associations
accréditées pour se prévaloir des articles 26 et 29 sont
prévues au code du travail.
Article 31, supprimé et remplacé par: L'Etat devrait
imposer une amende aux entreprises qui n'opèrent pas la francisation
dans les délais prévus.
Articles 32, 33, 34 sont supprimés, car nous sommes contre le
fait que l'Etat donne des subventions à la francisation de l'entreprise
privée.
Article 35, supprimé et remplacé par: Les programmes de
francisation doivent être adoptés et appliqués par toutes
les entreprises.
La langue des affaires: Le français devenant la seule langue du
Québec, il est normal que la publicité et l'affichage prennent
une image française.
Article 36: La personnalité juridique ne peut être
conférée, à moins que la raison sociale adoptée ne
soit en langue française. La modification des raisons sociales est
soumise aux mêmes règles. D en est de même de
l'enregistrement des raisons sociales effectué en vertu de la Loi des
déclarations des compagnies et sociétés (Statuts refondus,
1964, chapitre 272).
Article 37: Peuvent figurer dans les raisons sociales,
conformément aux autres lois, les noms propres ou les expressions
formées de la combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de
chiffres. Cependant les combinaisons artificielles de lettres et de syllabes
doivent provenir d'expressions françaises.
Article 38, supprimé.
Article 39: Doivent être rédigés en français
les contrats d'adhésion, les contrats où figurent des clauses
types imprimées ainsi que les bons de commande, les factures et les
reçus imprimés ou à la fois en français et en
anglais pour la période de francisation de cinq ans seulement.
Article 40: L'étiquetage des produits doit se faire en
français. Il en est de même des certificats de garantie et des
notices qui accompagnent les produits, ainsi que des menus et cartes de
vins.
Article 41, premier paragraphe: Les contrats auxquels adhèrent
les consommateurs doivent être lisiblement rédigés en
français, toutefois, tout consommateur adhérant à un
contrat peut exiger que celui-ci soit rédigé également en
anglais pour la période de francisation de cinq ans seulement.
Deuxième paragraphe, supprimé.
Article 42: Sont visés par l'article 41 les contrats
formés avant que le consommateur reçoive les biens ou services en
faisant l'objet ou en effectue le paiement. On entend par consommateur toute
personne physique adhérant à un pareil contrat sans pour autant
pratiquer un commerce.
Article 43: L'affichage public doit se faire en français. Le
présent article s'applique également aux annonces publicitaires
écrites, notamment aux panneaux-réclame et aux enseignes
lumineuses.
Article 44: L'article 43 ne s'applique pas nécessairement aux
annonces publicitaires paraissant dans les journaux ou périodiques
publiés dans une autre langue que le français.
Article 45: Les propriétaires de panneaux-réclame ou
d'enseignes lumineuses installés avant le 1er juillet 1975 disposent,
à compter de ladite date, d'un délai de cinq ans pour se
conformer à l'article 43.
Article 46: Tout tribunal de juridiction civile peut, à la
demande du procureur général, formulée par voie de
requête, ordonner que soient enlevés ou détruits, dans un
délai de huit jours à compter du jugement, les annonces,
notamment les panneaux-réclame et les enseignes lumineuses, contrevenant
aux dispositions de la présente loi et ce, aux frais des
intimés.
La requête peut être dirigée contre l'annonceur ou
contre quiconque a placé ou fait placer l'annonce.
Article 47, supprimé.
La langue de l'enseignement. L'enseignement doit fournir aux
étudiants la connaissance nécessaire de la langue pour vivre et
travailler au Québec; le français devenant la seule langue
utilisée après la période de francisation de cinq ans,
tout enfant recevra l'enseignement en langue française.
Article 48: L'enseignement se donne en langue française dans les
écoles régies par les commissions scolaires, les commissions
scolaires régionales et les corporations de syndics.
Cependant, les organismes dispensant déjà l'enseignement
en langue anglaise pourront continuer de le faire. Néanmoins, ces
organismes devront se franciser d'ici cinq ans.
La Commission scolaire du Nouveau-Québec peut aussi donner
l'enseignement, dans leur langue, aux Indiens et aux Inuit. Les enfants des
immigrants recevront l'enseignement en langue française.
Article 50: II appartient à chaque commission scolaire,
commission scolaire régionale et corporation de syndics de
déterminer la classe, le groupe ou le cours auquel l'élève
peut être intégré, eu égard à ses aptitudes
dans la langue d'enseignement.
Article 51 : Toute langue autre que la langue française peut
être enseignée comme langue seconde dans les écoles.
Article 52: Pendant la période de francisation de cinq ans, les
programmes d'étude doivent assurer la connaissance de la langue
française parlée et écrite aux élèves qui
reçoivent l'enseignement en langue anglaise et le ministre de
l'Education doit prendre les mesures nécessaires à cet effet.
Pour terminer l'exposé, nous tenons à signaler une demande
de l'AFEUS au ministre de l'Education à l'effet de rendre public le
guide d'implantation du français en usine préparé à
coût de milliers de dollars par l'Office de la langue française.
Nous croyons savoir que 20 exemplaires de ce manuel, gardé secret
jusqu'à ce jour, circulent au Québec et que le ministre en
possède une copie.
Nous demandons que ce travail effectué avec les deniers publics
soit présenté à toute la population.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, messieurs. J'invite
immédiatement le ministre de l'Education à poser la
première question.
M. CLOUTIER: M. le Président, je désire remercier
l'Association fédérative des étudiants de
l'Université de Sherbrooke pour la présentation de son
mémoire. Je me réjouis que des étudiants se soient
donné la peine de se pencher sur ce projet de loi et de
l'étudier. Je pense que c'est là une démarche tout
à fait valable. Je me réjouis également du fait qu'au lieu
de crier au scandale et de protester et de demander le retrait du projet de
loi, comme certains groupes l'on fait, ces étudiants ont voulu tenter de
bonifier en fonction de leurs idées à eux le projet de loi
présenté par le législateur.
Il ne peut pas y avoir d'autres façons d'approcher un
problème comme celui-là et je pense que c'est un signe de
maturité que je tiens à souligner. Ceci dit, je ne suis pas, bien
sûr, d'accord sur toutes les prises de position, même si j'avoue
qu'il y a là une logique. Avant de poser ma question, je voudrais faire
un court commentaire concernant la représentativité du groupe.
Vous comptez combien d'étudiants?
M. LAVALLEE: En période d'été, il y a 400
étudiants sur le campus.
M. CLOUTIER: Est-ce que vous représentez ces 400
étudiants?
M. LAVALLEE: Oui, en effet, monsieur.
M. CLOUTIER: Vous les représentez dans le cadre de quelle
structure?
M. LAVALLEE: Dans le cadre de l'Association fédérative des
étudiants qui est composée de dix associations de
faculté.
M. CLOUTIER: Tous les étudiants sont membres de ce...
M. LAVALLEE: Tous les étudiants sont membres et cotisants au
début de chaque année.
M. CLOUTIER: C'est cela. Alors, cela représente à peu
près 400 étudiants. L'étude que vous avez faite de la loi
a été présentée à une assemblée
régulière de ce groupe?
M. LAVALLEE: Une assemblée spéciale convoquée en
été, parce que le projet a été
présenté en été, avec les étudiants.
M. CLOUTIER: II a été présenté dans le cadre
normal de la session, c'est-à-dire il y a à peu près un
mois et demi ou deux mois, comme le sont un tas de lois. Alors, je vous
remercie donc.
Avant de vous poser ma question, je voudrais simplement dire que je n'ai
aucune objection à rendre public ce guide d'implantation du
français. En fait, j'avais même envisagé une
conférence de presse à un moment donné, de manière
à lui donner l'importance qu'il mérite et j'ai remis cette
conférence de presse parce que nous avons décidé de
présenter le projet de loi 22. Je compte, en commission élue,
lorsque nous discuterons du projet de loi, article par article, en faire
état. Il n'y a rien de mystérieux là-dedans. C'est tout
simplement le résultat des études que j'ai fait faire depuis deux
ans dans le cadre du programme de refrancisation de l'en-
treprise. Il s'agit d'un document très technique qui porte sur
les communications au sein de l'entreprise, qui comporte ce qu'on appelle un
cheminement critique pour identifier les points où la refrancisation
peut porter. C'est un document qui sera utile aux différentes
entreprises qui voudront entreprendre un des programmes de refrancisation que
propose le projet de loi. C'est avec plaisir que je donnerai suite à
votre demande. Si je n'ai pas voulu le faire avant, c'est que je crois que j'ai
quand même le droit de choisir le moment qui me paraît le plus
opportun. Je crois que ce document ne doit pas être vu de façon
isolée. Il faut le voir véritablement dans le cadre de tous les
programmes de refrancisation.
Ma question est la suivante: II semble que vous avez enlevé du
projet de loi tel que rédigé à peu près tous les
articles où il est question de l'anglais, en quelque sorte, tous les
articles qui donnent un minimum de garantie à la minorité
anglophone au Québec. Est-ce que je me trompe?
M. FAUCHER (Gaétan): Vous avez raison.
M. CLOUTIER: Alors je ne me trompe pas. Je suis obligé de vous
demander une première question: Ne croyez-vous pas que le gouvernement
élu représente tous les citoyens du Québec?
M. FAUCHER (Gaétan): C'est ce que nous croyons.
M. CLOUTIER: Vous le croyez également. Alors, cela signifie que
ce gouvernement élu représente les anglophones, les francophones.
N'est-ce pas?
M. FAUCHER (Gaétan): Oui, surtout la majorité
francophone.
M. CLOUTIER: II représente tous les citoyens du Québec, il
représente par conséquent une majorité et une
minorité, de même qu'il y a ici à cette commission une
majorité, une minorité, de même qu'il y a à
l'Assemblée nationale une majorité qui est la majorité
libérale et une minorité qui est constituée de la
minorité péquiste et de la minorité créditiste.
Vous êtes bien de cet avis-là.
Alors, cela signifie que, dans une société, comme
d'ailleurs dans un Parlement, il y a une majorité et une
minorité. Peut-être peut-on en conclure que, lorsqu'on
légifère, il faut légiférer en tenant compte de la
majorité et de la minorité. C'est peut-être là que
nous allons cesser d'être du même avis.
M. FAUCHER (Gaétan): Nous sommes du même avis en partant
avec, peut-être, des prémisses différentes. On se dit que,
pour faire une loi sur la langue, on doit faire la loi pour la
majorité.
M. CLOUTIER: Pour la majorité, alors ce que...
M. FAUCHER (Gaétan): Ensuite, on pourra faire une loi pour les
minorités.
M. CLOUTIER: Ah bon!
M. FAUCHER (Gaétan): Dans notre optique, la loi sur la
majorité portait sur la langue française, par la suite pourront
venir des mesures concernant la langue anglaise.
M. CLOUTIER: Mais peut-être pouvez-vous imaginer un peu
l'état d'esprit d'une minorité qui se voit, brutalement, par un
projet de loi, privée en somme de tous ses droits, y compris même
les droits les plus fondamentaux que tous les pays du monde, tous les
gouvernements au monde ont toujours reconnu, c'est-à-dire le droit de
parler leur langue lorsqu'ils s'adressent aux pouvoirs publics. Parce que
n'oubliez pas que vous demandez également l'abrogation de l'article 11
et tout ce que l'article 11 fait, c'est de permettre aux gens de s'adresser
à l'administration publique dans leur langue, en français ou en
anglais.
M. MORIN: Puis-je vous interrompre une seconde? Avez-vous dit que
c'était le cas dans tous les pays du monde?
M. CLOUTIER: Dans tous les pays où l'on trouve des
minorités. Toutes les législations linguistiques que nous avons
étudiées comportent des régimes spéciaux.
M. CHARRON: A Moncton, Monsieur...
M. CLOUTIER: II est bien évident que lorsque le problème
ne se pose pas, je parle d'un pays homogène sur le plan linguistique
comme la France, la question ne se pose pas, par la force des choses. Mais
toutes les législations linguistiques comportent des dispositions qui
vont plus ou moins loin pour protéger leurs minorités, parfois
des régimes spéciaux de ce point de vue.
M. MORIN: Tous les pays qui ont des minorités, M. le
ministre?
M. CLOUTIER: Non, pas tous les pays qui ont des minorités, bien
sûr, mais tous les gouvernements qui... Non, je n'irais pas
jusque-là non plus. Nous aurons l'occasion d'échanger nos points
de vue, lors du débat, mais je voudrais reformuler ma question de
façon très claire. Vous avez admis que le gouvernement
représente tous les citoyens du Québec, mais vous avez aussi
admis que votre façon de transformer la loi ne va que dans le sens des
intérêts de la majorité.
M. LAVALLEE: On a dit, dans les considé-
rants, que la langue est un droit collectif qui prédominait sur
les lois individuelles et aussi que c'était du devoir d'un gouvernement
d'assurer le respect du droit collectif.
M. CLOUTIER: J'essaie de vous faire comprendre et je vais
m'arrêter là qu'il existe, qu'il le veuille ou non, une
minorité qui est une minorité importante, une minorité de
20 p.c. ici et j'essaie également de vous faire comprendre que vous la
privez de tous ses droits, y compris des droits sur le plan individuel. Parce
que la loi 22, tout ce qu'elle fait, c'est de créer deux régimes
spéciaux, un régime spécial en ce qui concerne les
corporations municipales et un régime spécial en ce qui concerne
le secteur d'enseignement. Tout le reste comporte uniquement des protections
minimales concernant les droits individuels. Vous êtes conscients de
ça.
M. FAUCHER (Gaétan): Concernant les droits individuels, on
considère, comme ça vient d'être dit, que les droits
collectifs priment. D'ailleurs, il y a un jugement du tribunal international
des droits de l'homme tribunal de l'Europe qui vient de se
prononcer là-dessus et qui dit que, pour une question linguistique, la
langue d'enseignement, par exemple, les droits de la collectivité
existent, les droits individuels ne sont pas présents.
M. CLOUTIER: Le chef de l'Opposition va vous donner quelques
explications là-dessus tout à l'heure.
M. FAUCHER (Gaétan): Ensuite, j'aimerais ajouter que, dans
l'attitude que nous avons prise, nous voulons une loi qui traite de la langue
de la majorité et une loi traitant sur la minorité pourra venir
plus tard. Je voulais dire aussi...
M. CLOUTIER: ... la minorité entre les deux lois?
M. FAUCHER (Gaétan): ... que, comme certains groupements
anglophones l'ont demandé, ils voudraient être traités au
Québec comme ailleurs dans le pays. Si on fait la transposition ailleurs
dans le pays, on devrait les traiter comme les minorités, notre
proposition leur donne les mêmes droits que dans certaines autres
provinces.
M. CLOUTIER: Avez-vous l'impression que votre approche est une approche
juste et équitable? C'est ma dernière question.
M. LAVALLEE: C'est une approche pour rétablir une situation qui,
à partir du bill 63, a été compromise. C'est une approche
qui est peut-être rigide et dure, mais si on tient compte des
récents chiffres publiés, par exemple, par votre ministère
dans la région des Cantons de l'Est, au sujet du passage des
francophones à l'école anglaise, par rapport aux anglophones
à l'école française, on considère que la situation
de la langue est menacée et particulièrement dans notre
région. Je ne sais pas si vous êtes conscient des chiffres qui ont
paru récemment au mois de mai.
M. CLOUTIER: Je les connais très bien, je ne veux pas
entreprendre de débat, mais je ne suis pas sûr que votre
interprétation soit tout à fait exacte. D'ailleurs, n'oubliez pas
qu'il n'y a pas que le chapitre de la langue d'enseignement. Il y a
également les quatre autres chapitres qui donnent au projet de loi 22,
une espèce d'équilibre. La question que je vous posais ne portait
pas seulement sur le chapitre de la langue d'enseignement, mais sur les droits
d'une minorité qui existent ici au Québec et j'ai cru comprendre
que, par votre approche, vous déniez ces droits à cette
minorité, de manière à légiférer uniquement
en fonction des aspirations de la majorité. C'est à peu
près ça. Je vous remercie.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques.
M. CHARRON: M. le Président, messieurs de Sherbrooke, merci
beaucoup de vous être dérangés et d'avoir apporté ce
mémoire à la commission parlementaire. Mais c'est un peu dommage
que tout à l'heure, une intervention du chef de l'Opposition ait
coupé la parole au ministre de l'Education car il était en voie
de vous édifier un de ces sophismes comme lui seul est capable d'en
faire.
M. CLOUTIER: M. le chef de l'Opposition, rappelez donc votre jeune
député à l'ordre. Vous y avez réussi jusqu'ici,
c'est pour ça que ça va bien.
M. CHARRON: M. le Président, le ministre de l'Education, qui,
désespérément, dans chacun des mémoires, essaie de
trouver un appui quelconque à son projet de loi, a voulu se rabattre,
dans votre projet, sur certains amendements que vous suggérez et qui,
à son avis, lui apparaissent outranciers.
Il vous a posé la question en vous signalant que vous faisiez
disparaître à peu près toutes les allusions à
l'anglais qui existent dans le projet de loi 22, que vous faisiez ainsi
disparaître un minimum de garanties individuelles. Est-ce que
j'interprète bien votre pensée en disant que, si vous aviez
considéré que le projet de loi 22, dans toutes ses allusions
à l'anglais, s'en tenait au minimum de garanties individuelles, vous les
auriez probablement maintenues, mais que vous conceviez que le ministre a une
conception élastique du minimum de garanties individuelles et qu'il
donnait effectivement par la bande, un statut égalitaire à
l'anglais, après avoir proclamé, à l'article 1, qu'il n'y
avait que le français de langue officielle au Québec.
M. FAUCHER (Gaétan): C'est un peu cela. En fait on a pris une
position que certains qualifieront de radicale, mais en constatant ce qui se
fait depuis 1969 comme projets de loi, aussitôt qu'il est question de la
langue, il y a tellement de concessions de données de part et d'autre.
Quand on voit les statistiques qui disent que le français est de plus en
plus menacé et risque peut-être de disparaître, il nous
semble que pour vraiment arriver à un équilibre et faire que le
français demeure vraiment une langue vivante au Québec et
utilisée par tous, il faut prendre une position radicale, si on veut
rétablir les faits.
M. CHARRON: Je ne pense pas que vous ayez à vous sentir coupable
d'avoir une position radicale, d'autant plus que dans nos trois semaines
d'audition, vous êtes loin d'être les seuls à avoir
préconisé un redressement aussi vigoureux en faveur du
français dans la position actuelle.
Lorsque vous mentionnez, au chapitre de la langue d'enseignement, que
vous visez à une disparition progressive du secteur anglophone,
rrême pour ceux qui sont de langue maternelle anglaise et
québécois, vous avez édifié cette position à
partir de quel principe?
M. FAUCHER (Gaétan): D'un principe de l'unilinguisme
intégral, global. Après cinq ans au Québec, on doit y
arriver, si l'on veut vraiment que cela aille comme ça. C'est la
position qui a été prise. Vous venez de dire que ce n'est
peut-être pas une position radicale, pour reprendre des propos que j'ai
entendus ce matin, on dirait que c'est peut-être une position qui permet
d'avoir un dynamisme, parce que la transformation va s'établir en cinq
ans. C'est une position qui permet aussi de rétablir la
sécurité. Tout le monde va savoir où on s'en va, on s'en
va vers du français. La même chose pour les minorités. Si
la langue de travail devient vraiment le français, on ne veut pas former
des ghettos anglophones. On ne veut pas former des citoyens qui, n'ayant pas
les possibilités réelles, vont avoir des problèmes
à se placer, alors on fait disparaître tout cela.
M. CHARRON: Considérez-vous que la loi actuelle va faire du
français la langue de travail?
M. FAUCHER (Gaétan): Non.
M. CHARRON: Admettez-vous avec moi qu'en excluant au départ que
la question des écoles pour la minorité anglaise n'est pas une
question de droit, que cette minorité n'a pas droit à ces
écoles, que ce n'est pas un droit acquis.
Enlevons tout le côté juridique sur lequel plusieurs
groupes sont venus sangloter depuis le début des travaux de la
commission parlementaire et envisageons le fait comme une décision prise
et reprise.
Etes-vous d'accord avec moi pour dire que si nous nous trouvions dans
une situation où nous ensemble, Québécois, avions à
décider si oui ou non nous établissons des écoles pour la
minorité de 13 p.c. d'anglophones qu'il y a au Québec, la
question serait tout autre. Si on en venait à décider de
créer des écoles pour une minorité, probablement qu'on
aborderait la question exactement comme vous le faites maintenant, parce qu'il
n'y a pas un pays au monde qui l'a abordée d'une façon
différente.
Tout à l'heure, je vous entendais répondre au ministre de
l'Education que vous auriez pu qualifier votre projet de normal, puisqu'il a
été suivi par n'importe quelle société.
Le problème est différent, parce que nous avons à
discuter,, non pas de l'installation d'écoles pour la minorité,
mais de regarder un fait qui existe déjà ces écoles
et la décision que nous avons à prendre n'est pas de
créer ces écoles, mais de les retirer ou de les laisser.
Dans ce sens, l'existence passée, la tradition ou, si vous le
voulez, la concession à l'histoire et à la géographie que
le Québec a faite à ce chapitre limité du droit à
une culture de s'entretenir dans un secteur d'enseignement qui est dans sa
langue, on l'aborde maintenant d'une façon tout à fait
différente de la première hypothèse où on devait
l'aborder de but en blanc et dire: Est-ce que l'on crée des
écoles ou est-ce qu'on ne crée pas des écoles pour une
minorité?
M. FAUCHER (Gaétan): Dans ce sens, il n'y a pas de
problème. Si vraiment la langue du travail, la langue utilisée
partout est le français, ce sera une question tout autre de dire: On a
des écoles anglaises pour une minorité. C'est un problème
tout autre, mais dans le contexte actuel, c'est un peu comme trop souvent,
selon nous, les étudiants, on fait des concessions constamment au
Québec pour une minorité. Cela crée un climat
d'insécurité pour la majorité même.
M. CHARRON: Avez-vous l'impression que le projet de loi actuel va
changer beaucoup de choses s'il doit être adopté comme il est
libellé dans la région dont vous provenez?
M. FAUCHER (Gaétan): De prime abord, est-ce qu'il va changer
beaucoup de choses? Je ne le sais pas tellement. Il y a 91 p.c. de francophones
dans la région et, depuis trois ou quatre ans, c'est à un taux de
4 p.c. et 6 p.c. qu'il y a un passage qui se fait du français à
l'anglais dans les écoles. Par exemple, pour prendre ce secteur, je ne
vois pas en quoi le projet de loi pourrait le modifier, ce passage
régulier de francophones au milieu anglophone, si on prend ce secteur. A
ce moment-là, je ne pense pas que le projet de loi modifie les choses
tellement.
M. CHARRON: A l'exception du chapitre de l'enseignement, en particulier,
pour ce qui est
de l'environnement social et culturel de la région de l'Estrie,
est-ce que le projet de loi, à votre avis, dans toutes ses clauses et
ses échappatoires, change quelque chose à la situation de force
qu'occupe l'anglais dans la vie des Cantons de l'Est?
M. FAUCHER (Gaétan): ... peut-être permettre de prolonger,
dans plusieurs municipalités, des Cantons de l'Est, où on
retrouve sûrement les 10 p.c. d'anglophones qui permettent que
l'administration continue de se faire en anglais pour un petit nombre. On peut
se retrouver avec 88 p.c. ou 89 p.c. de francophones et, à cause d'un
effet historique, on va encore se retrouver avec l'anglais comme langue de
l'administration municipale dans beaucoup de corporations municipales. Cela ne
modifiera pas grand-chose au contexte actuel.
M. CHARRON: Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle.
M. MORIN: Messieurs, je ne sais si vous êtes familiers avec
l'étude rédigée en 1973, plus précisément en
février 1973 par le professeur Gary Caldwell de l'université
Bishop sur la population de langue anglaise au Québec et sur celle de
l'Estrie en particulier. A cette époque, il constatait que de 10 p.c.
à 15 p.c. des élèves des écoles anglophones
étaient en réalité des francophones.
Dans les études qui ont été faites par le bureau
régional du ministère de l'Education en mai 1974, il semble que
le pourcentage soit beaucoup plus élevé. J'ai cru voir dans les
extraits de ce rapport, que dans les écoles protestantes, on trouvait
28.2 p.c. d'écoliers catholiques, d'élèves catholiques,
dis-je. Cela constitue un pourcentage évidemment beaucoup plus
élevé que dans le reste du Québec.
Est-ce que vous connaissiez ces chiffres du professeur Caldwell et du
ministère qui semblent démontrer qu'il y a une
accélération rapide du processus d'anglicisation? Je pensais, en
particulier, aux chiffres publiés par le ministère de l'Education
et qui montrent la proportion des élèves de langue
française dans les écoles primaires et secondaires de langue
anglaise des Cantons de l'Est. En 1971/72, on comptait 787 francophones sur
8,068 élèves, soit 9.4 p.c. En 1972/73, le nombre était
passé à 1,210 francophones, soit à 15.2 p.c. et enfin,
pour l'année courante, 1973/74, le chiffre est de 1,477 francophones sur
7,664 élèves, soit 19.3 p.c.
L'accélération de la tendance est étonnante et il
semble que le mouvement soit plus précipité que dans le reste du
Québec. Vous êtes-vous penchés sur ces chiffres?
Pouvez-vous nous dire si vous avez eu l'occasion de les vérifier?
M. LAVALLEE: Nous nous sommes en effet penchés sur ces chiffres.
C'est ce à quoi nous faisions allusion, M. le ministre, au début
quand on parlait des passages du français à l'anglais et de
l'anglais au français. Quant à l'analyse, elle a
été publiée à la fin de mai 1974 et c'est
très récent. Nous ne l'avons pas approfondi. Nous avons fait
confiance aux chiffres du ministère.
M. MORIN: Cette accélération du passage des
élèves francophones vers les écoles anglophones, qui est
beaucoup plus forte que ce à quoi je m'attendais pour l'Estrie, est-elle
perceptible dans la vie courante d'une ville comme Sherbrooke, par exemple?
M. FAUCHER (Gaétan): Je pense qu'on peut dire que c'est
perceptible au sens où on a l'impression que, dans tous les Cantons de
l'Est, il y a une présence anglophone pas mal grande. Quand on regarde
les chiffres réels, la plus grande surprise qu'on a est de constater
qu'il y a quand même entre 85 p.c. et 92 p.c. de francophones dans les
municipalités. Tout le monde a l'impression qu'il y a beaucoup
d'anglophones. Il y a encore plusieurs municipalités qui fonctionnent
encore avec l'anglais. Les noms sont anglais partout. C'est peut-être ce
qui fait que les gens ont l'impression d'être dans un milieu vraiment
noyé d'anglophones quand, en réalité, ce n'est pas le cas,
et le fait d'avoir cette impression les fait passer au niveau anglophone plus
facilement que dans d'autres régions. C'est une hypothèse.
M. MORIN: Est-ce que, dans la rédaction de votre mémoire,
vous avez tenu compte de ces chiffres et de l'accélération qu'ils
révèlent?
M. FAUCHER (Gaétan): C'était un sentiment que la plupart
des gens vivaient, avaient. C'est ce qui a amené aux
considérations que l'on a faites.
M. MORIN: Donc, si j'ai bien compris, si votre mémoire propose
des solutions qui veulent une francisation très poussée, c'est en
fonction du problème grave que vous affrontez dans l'Estrie.
M. FAUCHER:(Gaétan): En partie, oui.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je m'excuse auprès du
député de Sauvé, mais par erreur tantôt, j'aurais
dû, selon l'entente, reconnaître le député de
Rouyn-Noranda, avant de reconnaître le chef de l'Opposition. J'aimerais
accorder quelques questions au député de Rouyn-Noranda, quitte
à revenir au chef de l'Opposition.
M. MORIN: Non, j'ai terminé, M. le Président, merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: J'ai compris tantôt que vous représentiez
quelque 400 étudiants...
M. LAVALLEE: D'été, monsieur.
M. SAMSON: C'est bien cela la question? C'est bien la réponse que
vous avez donnée?
M. LAVALLEE: Pardon?
M. SAMSON: Est-ce que c'est bien la réponse que vous avez
donnée? Vous avez dit en été.
M. LAVALLEE: En été, oui.
M. SAMSON: Cela veut dire qu'en d'autres saisons vous en
représentez plus que cela.
M. LAVALLEE: Nous en représentons 4,000. M. SAMSON:
Jusqu'à combien cela va-t-il? M. LA VALLEE: Cela va jusqu'à
4,000.
M. SAMSON: Jusqu'à 4,000 étudiants. En ce qui concerne le
présent mémoire, est-ce que j'ai bien compris aussi que vous
aviez eu une assemblée spéciale...
M. LAVALLEE: Oui.
M. SAMSON: ... pour étudier le projet de loi 22 et
présenter votre mémoire? Aviez-vous convoqué tous les
étudiants à cette assemblée spéciale?
M. LAVALLEE: Oui.
M. SAMSON: Combien y en avait-il de présents?
M. LAVALLEE: Par les journaux locaux, on a convoqué les gens qui
étaient sur place et qui étaient effectivement membres de notre
fédération, en tant qu'étudiants coopératifs. On
avait à peu près 80 étudiants sur les 400 possibles.
M. SAMSON: Environ 80 étudiants présents. J'ai cru
comprendre qu'on parlait beaucoup tantôt, en fonction de votre
mémoire, des besoins créés par votre région, les
Cantons de l'Est. Est-ce que je dois comprendre que votre association
représente surtout les Cantons de l'Est, uniquement les Cantons de l'Est
ou d'autres régions aussi en fonction peut-être des
étudiants qui viennent d'ailleurs à Sherbrooke?
M. FAUCHER (Gaétan): L'association représente tous les
étudiants. C'est une association générale. Pour la
période d'été, il y a des étudiants qui sont
là à un cours coopératif et il y a aussi des
étudiants qui demeurent à Sherbrooke, qui étaient aussi
invités même s'ils ne sont pas étudiants pendant la
période d'été à participer aux
délibérations sur l'étude du projet de loi et c'est
peut-être dans ce sens que l'association a pu percevoir des
problèmes locaux ou régionaux. Mais, en fait, l'association
représente tous les étudiants de l'université, quelles que
soient les provenances.
M. SAMSON: Et qui viennent généralement de toutes les
régions, ou à peu près, du Québec.
M. FAUCHER (Gaétan): A peu près, oui.
M. SAMSON: A votre cinquième "considérant", "...
considérant que les menaces d'instabilité économique et de
fuites de capitaux rattachés au problème de la langue ne sont
qu'un mythe maintenu par la minorité possédante...", je ne sais
pas à quelle date exactement vous avez rédigé ce
mémoire, mais aviez-vous tenu compte, à ce moment, de nouvelles
parues voulant que plusieurs sièges sociaux étaient
déjà transférés de la région de
Montréal vers Toronto, par exemple, ou étaient en voie
d'être transférés ou avaient des intentions de
transférer ou est-ce que cela est venu après?
M. FAUCHER (Gaétan): On se trouve à l'avoir
considéré en utilisant, dans notre "considérant" le mot
"mythe". On a l'impression qu'en fait ce sont souvent les choses qu'on essaie
d'entretenir. En discutant du problème, on a pensé que
c'était beaucoup plus l'insécurité, le climat social qui
est incertain qui pouvait faire changer les sièges sociaux qu'une
question linguistique. Quelle que soit l'option prise, si la situation est
claire et nette concernant la langue, il n'y a pas de raison pour que les
sièges sociaux changent de place parce qu'il faut qu'ils modifient la
langue de travail. On pense que, même avec une idée comme la
nôtre, concernant l'unilinguisme, les choses devenant très claires
c'est le français, rien d'autre il n'y a pas de raison
pour que le climat social soit perturbé à cause de cela et que
les sièges sociaux changent de place.
M. SAMSON: Selon vous, lorsque vous parlez de mythe, si je comprends
bien, c'est un mythe concernant les raisons de ces changements, mais vous ne
contestez pas le fait qu'il y a eu des changements de sièges sociaux ou
qu'il y en aura peut-être.
M. FAUCHER (Gaétan): II y a des chiffres qui disent qu'il y en a
eu. On ne peut pas les contester.
M. SAMSON: Compte tenu du fait que vous savez qu'il y a eu des
changements, des transferts de sièges sociaux remarquez bien que
je ne peux pas prendre une position à votre place; j'essaie d'obtenir le
maximum de renseignements possible votre association maintient que ce
n'est pas la question linguistique qui serait la raison de ces changements.
M. FAUCHER (Gaétan): C'est ce que nous pensons.
M. SAMSON: Dans un autre ordre d'idées, le français,
langue de travail, croyez-vous que les raisons économiques, finalement,
ou les questions économiques, si vous aimez mieux, favorisant davantage
le français comme langue de travail ou comme langue de
l'économie, n'amèneraient pas automatiquement ces besoins du
français, comme langue, dans tous les autres domaines?
Considérez-vous, vous aussi comme d'autres associations le
considèrent, que c'est d'abord la question économique qui fait
que nous ayons un besoin d'une langue et que, si ce point, d'abord, est
réglé, les autres se régleront presque automatiquement ou
plus facilement?
M. FAUCHER (Gaétan): Pour une étude tant soit peu
sérieuse du problème linguistique, je pense que c'est la
conclusion première qui saute aux yeux. On peut l'entendre dire, mais
quand on commence à étudier vraiment le problème, à
regarder un projet de loi comme celui-là, on s'aperçoit que, si
vraiment la langue du travail devient le français pour tout le monde et
à tous les échelons, toutes les communautés linguistiques
du Québec vont choisir le français comme langue d'enseignement
aussi, parce que cela va être le seul moyen de travailler.
M. SAMSON: A ce moment, est-ce que vous croyez que permettre davantage
à des Canadiens français comme tels de participer directement
à la vie économique, plus que cela ne se fait
présentement, ne serait pas un moyen plus concret d'arriver à ce
que finalement le français soit partout un besoin, plutôt qu'une
imposition par une loi? Ici, je fais une parenthèse pour vous donner mon
opinion, pour mieux vous faire comprendre mon point de vue. Si on impose
finalement le français par une loi, on n'est pas certain qu'il sera
respecté; alors que, s'il est devenu nécessaire par des moyens
qui sont ceux de l'économie, même sans loi, il serait alors
peut-être plus respecté. C'est pour vous faire mieux comprendre
mon point de vue que j'ai dû vous donner ma position là-dessus,
mais je voudrais connaître la vôtre.
M. FAUCHER (Gaétan): Idéalement, je pense qu'on ne peut
pas être contre la position que vous venez d'énoncer. En pratique,
concrètement, d'accord si le français est langue du travail, il
n'y a plus de problème, le reste va suivre. Mais comment arriver au
français, langue du travail? C'est là qu'on s'est posé une
question. On a pensé qu'il fallait plus que des moyens incitatifs.
L'expérience des dernières années, quant à nous,
semblait montrer que les moyens incitatifs n'étaient pas suffisants,
qu'il fallait utiliser des moyens beaucoup plus sérieux et plus
exigeants pour les entreprises.
LE PRESIDENT (M. Gratton): On me per- mettra de vous faire remarquer que
le temps de l'Opposition est écoulé. Peut-être pour une
dernière courte question.
M. SAMSON: Je suis intéressé à connaître un
point de vue de la part des étudiants de Sherbrooke. Quant à
votre position d'unilinguisme total, vous avez parlé tantôt de
deux bills, un bill où on fait le français, langue officielle
uniquement, et un autre bill, où on ferait, où on
émettrait des droits pour les minorités. Ne trouvez-vous pas
qu'il serait peut-être difficile, sans que je vous donne ma position
là-dessus, de discuter de ces deux choses, puisque vous semblez vouloir
discuter des deux, c'est-à-dire, du français, langue officielle
d'une part, et des droits aux minorités d'autre part? Puisque vous
semblez attacher de l'importance au fait qu'il faut légiférer
pour les deux, compte tenu de cela, vous ne trouvez pas qu'il vaut mieux en
discuter en même temps, parce que l'un est rattaché à
l'autre? On ne peut pas les dissocier facilement, si on veut parler des deux.
Si on ne veut pas parler des deux, c'est une autre chose,
évidemment.
M. FAUCHER (Gaétan): C'est-à-dire que la position et la
démarche que les étudiants ont prises, c'est d'abord de parler de
la langue de la majorité. On n'a pas effectivement dit qu'elle pourrait
être une loi sur les minorités, on n'a pas discuté en
détail de ce que pourraient être les conditions, les
privilèges accordés ou les droits accordés. On s'est
penché sur la loi de la majorité. Dans cette optique, on se
disait qu'on doit rétablir les choses d'abord, ensuite on pourra
regarder les choses, mais on ne les a pas regardées. C'est pour cela que
pour nous autres...
M. SAMSON: En terminant, M. le Président, est-ce que vous iriez
aussi loin que d'étudier aussi le reste en ce qui concerne les
minorités, ou bien si vous préférez vous arrêter
là et dire: Les minorités, quelqu'un d'autre en parlera plus
tard?
M. FAUCHER (Gaétan): Avec des délais plus longs, ce serait
certainement possible d'étudier cela.
M. SAMSON: Alors, vous voulez immédiatement le français
langue officielle, pas autre chose que cela, avec prévision pour plus
tard de penser à autre chose.
M. FAUCHER (Gaétan): C'est parce qu'on n'a pas
étudié l'autre question.
M. SAMSON: Si je vous comprends bien, est-ce que je conclus cela?
M. FAUCHER (Gaétan): On n'a pas étudié l'autre
question. On n'a pas eu le temps d'aller plus en détail dans les autres
sections. On a regardé cette section et on s'est attaché à
cela pour l'instant.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député d'Anjou.
M. TARDIF: M. le Président, la présentation de votre
mémoire suscite en moi quelques questions quant à la situation
à Sherbrooke et dans la région environnante, c'est-à-dire
la région des Cantons de l'Est. Trop souvent, hélas! à
Montréal, on voit des affiches unilin-gues anglaises.
Est-ce que c'est la même situation qui se produit dans les Cantons
de l'Est?
M. LAVALLEE: Oui. En général, la situation de l'affichage
unilingue anglais est à peu près proportionnelle au nombre
d'unilingues anglais dans les villes, c'est-à-dire que, s'il y a 20 p.c.
d'anglophones dans une certaine ville, il y a à peu près aussi 20
p.c. d'affichage unilingue anglais.
M. TARDIF: En général dans les Cantons de l'Est.
M. LAVALLEE: Oui.
M. TARDIF: Est-ce qu'il est possible dans les Cantons de l'Est d'obtenir
partout et sans exception des services en français dans les entreprises
d'utilité publique et des professionnels? Ou y a-t-il certains
professionnels qui sont encore unilingues anglais et y a-t-il certaines
entreprises d'utilité publique qui sont encore unilingues anglaises et
qui n'offrent pas leurs services en français?
M. LAVALLEE: Je ne sais pas.
M. TARDIF: Vous n'êtes pas au courant de cela.
M. LAVALLEE: Non.
M. TARDIF: Dans l'administration publique, je pense qu'il y a de petites
municipalités, si je ne me trompe, dans les Cantons de l'Est, qui ne
sont pas tellement populeuses et qui ont déjà eu une
majorité de gens de langue anglaise. Est-ce qu'il est possible de
communiquer avec ces municipalités en français et est-ce qu'un
employé peut faire son travail en français ou faut-il
nécessairement connaître l'anglais ou travailler en anglais au
sein de ces administrations municipales?
M. FAUCHER (Gaétan): Les municipalités de Lennoxville et
Stanstead, par exemple, refusent de parler français au conseil de ville.
Apparemment, aussi c'est à vérifier peut-être
que dans certaines de ces municipalités il y aurait une espèce de
contrôle indirect effectué pour empêcher trop de
francophones de s'établir dans des municipalités, et même
les empê- cher d'acquérir des terrains ou des résidences.
Encore là, ce sont des choses qui sont difficilement vérifiables,
sauf la question du conseil de ville.
M. TARDIF: J'aimerais que vous m'expliquiez ceci. Dans le domaine de
l'affichage, deuxièmement, dans le domaine de l'administration publique,
et, troisièmement, dans le domaine des entreprises publiques et des
professionnels, comment pouvez-vous dire, comme vous l'avez fait tout à
l'heure en réponse à une question du député de
Saint-Jacques, que le projet de loi no 22 n'améliorerait pas la
situation actuelle, si on pense que l'article 43 rend l'affichage
français obligatoire, si on pense également que l'article 12 rend
obligatoire l'utilisation du français dans le domaine de
l'administration publique, et si on pense également que les articles 18
et 21, 22, 23 rendent également obligatoire l'utilisation du
français dans le domaine des entreprises d'utilité publique et
des corps professionnels? J'aimerais que vous me disiez comment il se fait que
le projet de loi no 22 n'apportera aucune amélioration à la
situation actuelle quand vous venez de me dire vous-mêmes qu'actuellement
il y a des lacunes dans ces domaines et que le projet de loi prévoit
l'utilisation obligatoire du français, parfois concomitante avec
l'anglais, je l'admets bien, dans les secteurs que je viens de vous
mentionner.
M. FAUCHER (Gaétan): Nous n'avons pas dit qu'il n'apportait
aucune modification ou amélioration. Nous avons dit qu'il ne changerait
pas substantiellement le climat de la région. Si l'on prend l'article 9,
par exemple, l'article 9 va permettre aux municipalités où les
débats sont unilingues anglais au conseil municipal de les poursuivre.
On peut prendre certains secteurs où cela va être
amélioré, les articles qui ont été
mentionnés peuvent améliorer substantiellement peut-être,
mais dans le climat général qui est déjà
présent, les gens ont l'impression de vivre dans un milieu passablement
anglophone, malgré qu'il y a peut-être 10 p.c. ou 15 p.c.
d'anglophones, et ce climat ne sera pas modifié par le peu d'affiches
qui sont là.
M. TARDIF: Comment pouvez-vous dire qu'il n'y aura pas
d'amélioration si partout, selon le projet de loi no 22, le
français va exister? Je ne nie pas le fait que l'anglais
également à certains endroits, pour ceux qui le voudront, va
continuer à exister. Je ne le nie pas, mais cela serait tout simplement
aller à l'encontre du texte écrit que de dire qu'il n'existera
pas d'anglais. Mais, je vous le demande, comment pouvez-vous m'expliquer qu'il
n'y aura pas une amélioration du climat si partout il y a de l'affichage
en français, si partout on peut recevoir les soins d'un professionnel en
français, si partout également on peut recevoir les services
d'une entreprise d'utilité publique en
français, si partout également on peut recevoir une
réponse et communiquer en français avec une administration
publique? J'aimerais que vous me disiez comment vous pouvez dire qu'il n'y aura
pas de changement ni dans les faits, ni dans le climat.
M. FAUCHER (Gaétan): On ne dit pas qu'il n'y aura pas de
changement dans les faits...
M. TARDIF: C'est ce que vous avez dit tout à l'heure en
réponse au député de Saint-Jacques, qui,
évidemment, par une question un peu tendancieuse et suggestive, vous a
amené à répondre de cette façon. Maintenant,
étant donné que vous avez fait votre lit par cette
réponse, j'aimerais que vous m'expliquiez comment on peut
prétendre qu'il n'y aura pas de changement par l'adoption du projet de
loi no 22 dans ces domaines en particulier.
M. FAUCHER (Gaétan): Je pense que vous essayez de mettre une
couverture qui vous convient bien sur notre lit. On n'a pas dit qu'il n'y
aurait rien de changé dans les faits.
On n'a pas dit que cela n'améliorait rien, on a dit que le climat
global resterait un climat anglophone, c'est-à-dire que l'ensemble des
modifications qui sont là, étant donné que l'anglais va
continuer d'être présent, n'améliorera pas cette impression
générale qu'ont les gens de la région d'être dans un
climat où il y a beaucoup de présence anglaise quand, en fait, il
n'y en a pas beaucoup. Il y a eu une évolution depuis plusieurs
années, une centaine d'années, qui a fait que les francophones
ont passé de 26 p.c. à 90 p.c, mais les gens ont encore
l'impression d'être dans un milieu passablement anglophone. Le fait
d'ajouter du français, d'accord, ça peut améliorer
certaines choses, mais ça n'enlève pas l'anglais qui donne une
fausse impression aux gens, l'impression d'être dans un milieu
anglophone. C'est le sens de la remarque que le projet de loi 22, pour nous,
n'améliore pas suffisamment la situation, le climat
général.
M. TARDIF: Vous admettez que, malgré tout, il va y avoir des
améliorations qui vont être apportées par l'adoption
éventuelle du projet de loi, d'accord.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, la commission vous remercie de
votre présentation. J'invite immédiatement l'Association des
professeurs de l'université Laval à bien vouloir se
présenter à la table, s'il vous plaît. Le porte-parole de
l'association est bien M. Marcel Baril?
Association des professeurs de l'université
Laval
M. BOUCHARD: Non, je m'excuse, M. Baril est absent à cause d'un
congrès sur un autre continent. C'est moi qui présiderai la
délégation. Je suis Guy Bouchard, président de
l'Association des professeurs de l'université Laval. Je vous
présente mes collègues, à ma gauche, M. Moisan; à
ma droite, M. Jean-Marcel Paquet et M. Jean-Yves Savard, tous membres de
l'association à divers titres. Le mémoire qui a été
préparé à la demande du conseil d'administration de notre
association sera présenté par M. Moisan.
M. MOISAN: M. le Président...
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je voudrais vous rappeler que vous disposez
de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire.
M. MOISAN: Je vous demanderais de m'avertir une minute avant la fin,
s'il vous plaît.
M. MOISAN: L'association des professeurs m'a demandé de
défendre surtout la partie linguistique de notre mémoire et c'est
ce à quoi je m'attacherai aujourd'hui. Dans le mémoire que vous
avez reçu, l'Association des professeurs de l'université Laval,
inquiète de certaines prises de position sur la langue, a voulu rappeler
certaines vérités élémentaires. Dans cette
présentation, nous voudrions, non pas renier ces vérités
élémentaires, elles sont plus que jamais d'actualité, mais
apporter à notre argumentation des preuves et des appuis
supplémentaires.
Le texte de présentation complète donc le texte que nous
vous avons remis. Au texte du mémoire sur l'unilinguisme, nous aimerions
ajouter quelques chiffres tirés du recensement de 1961 et
compilés par Joy dans Languages in Conflict, 1967. Si on regarde la
liste des villes où il n'y a que des anglophones unilingues et la liste
des villes où il n'y a que des francophones unilingues ou des Canadiens
bilingues, on se rend compte d'une chose, c'est à la page 12 du livre
que je viens de vous citer, que plus une ville est peuplée de
francophones, plus le nombre de bilingues augmente et inversement plus le
nombre d'anglophones est élevé, plus le nombre de bilingues
diminue. Si l'on consulte des chiffres pour tout le Canada, on se rend compte
que le nombre de francophones bilingues est plus important que le nombre
d'anglophones bilingues. N'allez pas croire qu'il s'agit là de vertus ou
d'un don particulier de la part des francophones, les anglophones ne sont pas
plus allergiques à l'étude des langues étrangères
que les Québécois francophones, ils ne sont pas plus
bornés non plus, ils font tout simplement partie de la classe dominante
et on retrouve au Québec la situation de tous les pays colonisés
du monde. Ce sont les dominés qui deviennent bilingues. Mais nous y
reviendrons tout à l'heure.
Il est donc faux de croire qu'un pays bilingue est le plus propice
à l'étude de la langue de l'autre. Mackey va même
jusqu'à prétendre, dans "Le bilinguisme,
phénomène
mondial", à la page 11, qu'il y a moins de bilingues dans les
pays bilingues que dans les contrées dites unilingues. L'unilinguisme
d'Etat n'est donc pas un obstacle à l'apprentissage d'une langue
seconde, pas plus que cet unilinguisme n'est un empêchement à la
reconnaissance, par l'Etat en question, de droits particuliers et
privilégiés bien définis à une minorité.
Si l'on en croit, Falch, "Contribution à l'étude du statut
des langues en Europe", à la page 72, "Onze pays européens n'ont
qu'une langue officielle sur leur territoire national, mais ils accorderont
cependant une protection, plus ou moins étendue selon les pays, aux
différentes langues minoritaires".
Mais protection ne veut pas dire place égale ni prioritaire. Dans
ces pays, la minorité protégée n'a en aucune façon
le pouvoir économique de la minorité anglaise du Québec ni
le puissant appui périphérique dont cette minorité jouit
en Amérique du nord.
En fait, et sans exagération, l'on peut presque dire et,
M. le Président, il s'agit d'une image, veuillez me coire que la
minorité anglaise du Québec constitue une tête de pont de
la majorité anglo-saxonne de l'Amérique du Nord. Il ne s'agit
pas, bien sûr, malgré ce vocabulaire, de partir en guerre. Mais
comment ne pas être inquiets devant ces bonnes gens anglophones et
francophones qui nous incitent au bilinguisme avec d'autant plus de vigueur
qu'ils sont ignorants et du bilinguisme et de ses conséquences?
Taxer d'ignorance cette attitude est sans doute bien naïf. Les
associations d'enseignants anglophones qui ont défilé devant vous
doivent bien avoir quelques membres au fait des questions linguistiques ou, du
moins, des questions traitant du bilinguisme. Même pour un Anglo-Saxon
unilingue, l'ignorance en ce domaine, surtout pour un professeur, est
incompréhensible et inacceptable, car la langue la plus utilisée
dans ce domaine de recherche est l'anglais.
Il faut voir plutôt carrément, dans ces appels, une
volonté plus ou moins consciente, plus ou moins inconsciente, mais bien
orchestrée de nous assimiler, car l'on sait bien, comme le dit
élégamment Vinay "que le bilinguisme au Canada, c'est
l'obligation imposée aux Canadiens français de parler anglais.
Quant aux appels à devenir bilingues lancés par des francophones,
ils témoignent d'une vérité vieille comme la colonisation
elle-même. Dans tout peuple colonisé, il se trouve toujours des
indigènes pour propager naïvement ou par intérêt les
idées des colonisateurs". J'invite à ce propos les membres de la
commission parlementaire à lire les écrits de Albert Lamy.
Malherbe, qui n'est pas francophone malgré son nom, qui est un
linguiste qui a beaucoup étudié la situation en Afrique du Sud,
rappelait aux congressistes réunis à Moncton, lors du colloque
sur la description et la mesure du bilinguisme, le témoignage suivant
d'un chef bantous. Voici ce que disait ce chef bantous: "Cest une bonne chose
que de connaître une langue maternelle. Si je la connais, je ressemble
à un poulet qui picore dans sa basse-cour. Mais si je connais la langue
de l'homme blanc, en l'occurence l'anglais, je suis comme un aigle qui
plane".
Je ne voudrais pas être malicieux, mais je ne peux pas faire
autrement que de rapprocher cette déclaration de toutes celles qui
circulent au Canada et au Québec sur les valeurs respectives de
l'anglais et du français; ces déclarations
témoignent...
M. MORIN: Je commence à comprendre plusieurs déclarations
du ministre de l'Education?
M. CLOUTIER: Pourquoi? J'aimerais bien savoir.
M. MOISAN: M. le Président, j'ai besoin de mes 20 minutes.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Allez-y.
M. MOISAN: Ces déclarations témoignent tout
simplement...
M. CLOUTIER: C'est un rappel au chef de l'Opposition.
M. MOISAN: Ces déclarations témoignent tout simplement de
l'ignorance de leurs auteurs et de leur chauvinisme et je citerai ici un de nos
collègues qui fait autorité, je pense, dans le domaine du
bilinguisme, M. Mackey, qui dit ceci: "On peut se demander alors si les gens
dont la langue d'origine est une des langues prioritaires ont un besoin
quelconque de bilinguisme. Puisque leur langue est celle du pays où ils
vivent et travaillent, c'est aussi le langage qui leur permet d'acquérir
les connaissances dont ils ont besoin et enfin, puisque c'est une langue
parlée et comprise dans plus d'un pays qu'ils aimeraient peut-être
connaître, pourquoi auraient-ils besoin d'une autre langue? De telles
considérations amènent ces gens à donner une importance
exagérée à leur langue d'origine. Un tel chauvinisme
linguistique, bien souvent, trouble ceux qui se sont donnés la peine
d'apprendre cette langue comme deuxième langue, en plus de la leur,
peut-être moins importante. "Si les Hollandais apprennent l'anglais,
pourquoi les Anglais n'apprennent-ils pas le hollandais?
Est-ce que, parce que l'Anglais est supérieur au hollandais
et je cite toujours il est vrai que l'on peut considérer
l'anglais comme une grande langue et cela pour plusieurs raisons, mais aucune
de ces raisons n'est d'ordre linguistique. "En tant que langue, l'anglais n'a
pas plus d'importance pour le linguiste que n'importe laquelle des quelque
3,000 autres langues parlées en différents points du globe. De
plus,
aucune langue n'a le monopole du savoir universel. C'est pour cette
raison que Milton incitait les Anglais à apprendre l'italien, langue qui
dominait à l'époque et dans laquelle la reine Elizabeth et Marie
Stuart publièrent des édits".
Il n'y a donc pas de langue propre à telle ou telle
activité. Dire que le français est la langue de l'humanisme et
l'anglais celle de la vie moderne relève de la pure fantaisie. Le russe
serait la langue de quoi alors? Et le chinois? La langue de la
révolution culturelle, sans compter que ce n'est pas
élégant envers les Anglo-Saxons dont la littérature est
l'une des plus riches de l'Occident.
On le voit donc, ces déclarations sont le témoignage d'un
attrait irrationnel pour la langue anglaise. Alors qu'en fait ce n'est pas par
sa vertu propre que cette langue est devenue prépondérante, mais
par le fait que ceux qui utilisent cette langue sont plus de 200 millions,
possèdent une force économique exceptionnelle et sont tout autour
de nous prêts à nous assimiler si nous devenons bilingues.
Je rappellerai ici le témoignage à ce propos de Monique
Béziers qui écrit, dans "Le bilinguisme, essai de
définitions et guide bibliographique". Si, par exemple, deux langues
culturelles, de grande diffusion, cohabitent et si l'une est appelée
langue mondiale, le comportement linguistique du bilingue qui les emploie en
sera profondément affecté. L'autorité sociale,
économique et politique d'une langue, par exemple, de l'anglais des
Etats-Unis peut être si influente qu'une symbiose à chance
égale pour deux communautés linguistiques, par exemple, au
Canada, s'avère être exclue.
Il est bien évident que, dans ces cas, ce sont au moins les
différences des langues concernées que les réalisations
politiques et économiques de ceux qui les parlent qui déterminent
l'évolution de leur rapport. Croire que dans leur magnanimité les
Anglo-Saxons deviendront bilingues à leur tour et que nous formerons
tous ensemble une grande nation unie relève d'une incroyable
candeur.
Tous les auteurs sérieux qui se sont intéressés au
bilinguisme sont unanimes à déclarer que le bilinguisme universel
est l'étape ultime avant l'assimilation. Nous allons citer deux extraits
d'un de nos collègues, toujours M. MacKey. Nous aurions pu cependant
ajouter les noms de Monique Béziers, de Maurice Van Wartburg, de
Martinet, de Falch, de Lefebvre, de Vinay, etc.
Le bilinguisme, écrit MacKey, est maintenu par deux blocs
unilingues. Si l'un des blocs devient bilingue, l'autre jouit d'une
suprématie linguistique et peut alors assimiler la communauté
bilingue. Tel a été, dans le passé, le destin de plusieurs
communautés bilingues. Aussi, les nations bilingues voient-elles dans
l'unilinguisme régional le moyen de préserver leur bilinguisme
national. Quelques pages plus loin, MacKey ajoute, en donnant toute une
série de peuples qui sont devenus bilingues avant d'être
assimilés: Le bilinguisme a pour résultat l'élimination
complète de l'une des deux langues.
Nous pourrions donc, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, citer
beaucoup d'autres extraits de linguistes de réputation internationale.
Nous avons cité tout à l'heure le nom de Van Wartburg. Van
Wartburg est l'un des grands philologues de la première moitié du
XXe siècle. Il est de ce fait, aussi, un historien de la langue.
Dans "Evolution des structures de la langue française", il a
dressé, non seulement un tableau de l'évolution du
français, mais il a consacré plusieurs pages à expliquer
comment le latin, d'abord, et le français, ensuite, sont devenus
prépondérants. L'étape intermédiaire, par laquelle
passa le peuple dépossédé de sa langue, fut le
bilinguisme. Le mécanisme de cette assimilation a été fort
bien expliqué par Martinet dans son livre "Langues et fonctions".
Partant d'observations faites en Savoie, territoire
franco-provençal, Martinet s'est rendu compte que le parler de la
région s'est morcelé en une foule de parlers locaux, parce que la
jeune génération ayant appris le français, ne sentait plus
le besoin de parler avec leurs congénères des autres villages une
langue commune, puisque le français devint cette langue commune.
Le bilinguisme a donc eu pour effet de favoriser la dialecte national
comme instrument de communication de toute la région au détriment
du dialecte local qui s'est ainsi désagrégé en de
multiples parlers locaux avant de disparaf-tre. Ce qu'il y a de fort
intéressant à l'étude de Martinet, c'est ceci: II est des
régions où le dialecte local a pu maintenir son unité
parce qu'il était perçu comme nécessaire pour communiquer
avec des gens d'autres frontières. Martinet nous invite, dans cet
article dont je vous ai parlé, à étudier je ne
demanderai pas cela à la commission, ce n'est pas son rôle
nécessairement les phénomènes qui font, les lois
qui font qu'un dialecte comme cela est assimilé par un autre. Il cite
les exemples du basque et du catalan qui se maintiennent plus longtemps sur le
territoire français que le breton, justement parce qu'ils sont
appuyés. Je pense que l'exemple est intéressant pour nous en
Amérique du Nord.
La meilleure façon de maintenir le français hors du
Québec ne serait donc pas de créer un bilinguisme "from coast to
coast" M. Trudeau l'a dit, hier, une espèce de bilinguisme
moucheté... une meilleure façon de nous assimiler, à moins
de ne rien connaître aux lois de la linguistique bilinguisme
désintégrateur, et pour le Québec, et pour les
minorités hors du Québec, mais bien de faire de l'Etat
québécois un territoire francophone fort, sur lequel pourront
prendre appui les minorités. L'unilinguisme étatique au
Québec, loin d'être une cause de la mort des minorités, est
la seule chance de leur survie.
En somme, une langue survit lorsqu'elle est jugée assez
importante pour être parlée par un grand nombre, par tous les gens
de la commu-
nauté qui la parlent, quoi. S'il y a 5 p.c. aujourd'hui, 10 p.c.
qui commencent à parler, dans leurs relations l'anglais, demain ce sera
15 p.c, demain, ce sera 20 p.c. A ce moment, la langue commune se
désagrégera. Regardez le franco-américain. Regardez le
louisianien. Regardez ce qui se passe dans l'Ouest. On est en train d'avoir des
parlers régionaux si on ne fait pas attention.
Donc, une langue se maintient si elle est parlée par une grande
communauté. Elle se maintient aussi si elle trouve des appuis dans
l'aire géographique immédiate. Au Québec, la langue
majoritaire ne peut s'appuyer sur aucune majorité toute proche, mais au
contraire, doit servir d'appui à des minorités déjà
fortement ébranlées. Le Québec doit donc rechercher des
appuis au-delà des immensités de l'océan Atlantique, comme
le dit Herremans, alors que la minorité anglaise peut s'appuyer sur le
Canada anglais et sur le plus grand pays du monde de langue anglaise. Donc, le
français au Québec se situe à peu près comme le
flamand en Belgique, majoritaire dans un petit coin de pays, il est minoritaire
à l'échelle d'un continent. Contrairement à la Belgique
toutefois à la Suisse aussi, nous n'avons jamais eu le courage de tirer
les leçons de l'histoire linguistique. Au Canada, il n'y eut jamais de
politique linguistique réelle. Si nos politiciens aujourd'hui même
avaient le véritable souci de sauvegarder un Québec
français fort et de permettre l'établissement des
communautés francophones périphériques, il y a longtemps
qu'au-delà des slogans faciles, on aurait convoqué une
conférence fédérale-provinciale pour créer au
Canada des zones linguistiques unilingues avec droits protégés et
limités à la minorité qui s'y trouve.
La majorité anglo-saxonne qui dirige, en fait, les pays, n'avait
aucun intérêt à s'empêcher d'assimiler la
minorité française. Quant aux francophones qui avaient quelques
pouvoirs, ils avaient et ont toujours eu une majorité mercantile. Ce
n'est pas pour rien que les appels au bilinguisme viennent des anglophones et
des hommes qu'on appelle d'affaires. Et pendant que nos politiciens parlaient
d'harmonie, de Canada uni, pendant que certains éditorialistes
laissaient courir la plume de leur ignorance ou de leur naiveté, pendant
que des journaux lançaient des campagnes de survie, véritable
opium de la conscience québécoise, pendant ce temps, les
minorités hors du Québec que devait protéger, voire
épanouir, notre belle assurance, se faisaient consciencieusement
bouffer.
Les études de Joy sur le recensement de 1961 sont tristement
convaincantes. Déjà dans un rapport soumis à la commission
BB sur l'utilisation de la langue française au Nouveau-Brunswick, Roger
de la Garde avait démontré que le Nouveau-Brunswick urbain, et
moindrement toutefois le rural, exactement comme en Gaule autrefois,
était en train de s'assimiler.
Les auteurs de Bureaucratic Careers, mémoire également
fait pour notre BB nationale, ont également noté une assimilation
progressive des fonctionnaires fédéraux francophones travaillant
dans la région de Hull-Ottawa.
Les études plus récentes de Castonguay, de
Castonguay-Miron, de Lefebvre, ont démontré que le glissement
atteint maintenant le Québec, sans compter que les questionnaires des
recensements ne poussent toujours pas leur affinement aussi loin que certaines
enquêtes où l'on s'informe de la langue de travail, de
l'enseignement, de la langue du conjoint, de la langue des meilleurs amis du
milieu familial. Même lorsque les recensements nous fournissent des
chiffres sombres, la situation véritable est toujours plus
désespérante.
En somme, lorsqu'on déclare que l'on est d'origine
française et que l'on parle le français la phrase suivante
est voulue stylistiquement il s'agit de savoir quelle est la place
réelle de ce français. Si c'est le "candy" que donnent certains
boss du pouvoir, de pouvoir prendre son lunch en français, aussi bien
dire que c'est foutu pour nous.
Nous sommes alors dignes d'entrer dans l'histoire, dans l'histoire des
langues, comme peuple qui fut dépossédé de sa langue. II
est heureux en ce sens que cette commission siège. Elle permettra
à la postérité et surtout aux historiens de la langue de
constater que tous n'étaient pas dupes, d'aucuns seront morts dans
l'ignorance, certains dans la complicité, d'autres, enfin, dans la
lucidité. Même si c'est plus pénible pour nous, nous
préférons être dans le dernier groupe.
M. le Président, s'il me reste 30 secondes, je pourrais
répondre tout à l'heure à des questions sur la langue
d'enseignement. Mon texte continuait sur la langue d'enseignement et je voulais
également rappeler à la commission un magnifique travail qui a
été fait pour le compte de la commission Gendron par le doyen de
la faculté des lettres et c'est le rapport de synthèse sur
l'enseignement du français, langue seconde aux ouvriers
francophones.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le ministre de l'Education.
M. CLOUTIER: Je remercie l'Association des professeurs de
l'université Laval pour son savant exposé. J'ai lu avec
intérêt le mémoire qui a été
présenté à la commission. A certains moments, j'aimerais
bien moi aussi être professeur d'université. Il me serait plus
facile de construire une société, un peu dans l'absolu.
Hélas, l'homme politique doit partir des situations qui existent,
quelles que puissent être les erreurs du passé, et doit
également tenir compte de la société telle qu'elle est,
avec sa structure démographique, avec ses traditions. Il en
découle que sa marge de manoeuvre est un peu plus faible.
Ceci dit, je voudrais tout simplement vous demander combien de membres
compte votre association.
M. BOUCHARD: Environ 750.
M. CLOUTIER: Environ 750. Ce mémoire a été
voté par votre assemblée générale ou une
assemblée régulière comme pour...
M. BOUCHARD: Par le conseil d'administration qui exerce les
pouvoirs.
M. CLOUTIER: Par le conseil d'administration qui exerce les
pouvoirs.
M. BOUCHARD: C'est lui qui a donné l'articulation du
mémoire et qui l'a autorisé.
M. CLOUTIER: C'est cela. Mais les membres n'ont pas été
consultés.
M. BOUCHARD: Non.
M. CLOUTIER: Non. Vous avez cependant des raisons de croire que la
majorité de vos membres sont d'accord sur cela.
M. BOUCHARD: Evidemment.
M. CLOUTIER: Mais il n'y a pas eu d'approbation formelle.
M. BOUCHARD: Pour la simple raison que le délai était trop
court et que l'été, en milieu universitaire, il ne faut pas faire
d'assemblée générale.
M. CLOUTIER: Oui. C'est tout à fait compréhensible.
Combien de membres compte von-tre conseil d'administration?
M. BOUCHARD: 23 membres.
M. CLOUTIER: Parfait. Est-ce que vous pensez qu'il peut y avoir une
solution linguistique au Québec en dehors de la perspective de
l'indépendance, par exemple?
M. MOISAN: Si je peux répondre à cela... M. CLOUTIER:
Oui.
M. MOISAN: Dans mon mémoire, tout à l'heure, au moins dans
mon exposé, j'ai essayé de me situer proprement en dehors de
l'indépendance.
M. CLOUTIER: Oui.
M. MOISAN: Peut-être que le mémoire paraît
pessimiste, mais je le suis réellement.
M. CLOUTIER: Non, mais...
M. MOISAN: Quand je fais une analyse qui se veut de linguistique
historique, je ne peux faire autrement que de constater tout ce qui s'est
passé ailleurs. Cela ne sera pas immédiatement. Les Egyptiens ont
pris 4,000 ans avant d'être assimilés. Ils l'ont quand même
été. J'ai proposé dans le mémoire une autre
méthode d'approche qui est celle canadienne, si vous voulez.
M. CLOUTIER: Vous paraît-elle compatible avec le cadre actuel ou
ne la voyez-vous que dans une perspective de l'indépendance?
M. MOISAN: Quand j'ai parlé de zones linguistiques à
l'intérieur du Canada, je ne me situais pas nécessairement dans
la dialectique de l'indépendance. Je n'ai pas parlé de cela dans
mon mémoire, mais dans mon exposé. Je crois, en tout cas, avec
Castonguay d'Ottawa que c'est le minimum que l'on peut faire des zones
linguistiques unilingues.
M. CLOUTIER: Vous dites "je". Mais ce "je" couvre tous les membres de
votre association.
M. MOISAN: Quand j'ai fait mon exposé, je l'ai lu hier aux
membres de l'exécutif et ils l'ont approuvé.
M. CLOUTIER: Parfait. J'aurais donc, à la lumière de tout
cela, deux questions seulement.
Ma première question est en rapport avec une affirmation de la
page 5 de votre mémoire. Vous parlez d'une loi, en vous
référant au projet de loi 22, qui permet la minorisation du
groupe francophone au Québec.
M. MOISAN: Tout simplement, pour moi, selon les prémisses de
l'étude que je fais sur le plan historique, dès qu'une loi met en
situation de bilinguisme, même si on veut donner un petit
caractère qui se veut le moindrement prioritaire, dès qu'on met
une situation de bilinguisme avec la force énorme du continent
nord-américain, on impose pratiquement, ce n'est peut-être pas
votre intention, mais on impose en effet l'usage de l'anglais. Si on peut avoir
des contrats pour un consommateur dans les deux langues et que, selon je
ne me souviens plus l'article 119, je m'excuse de ne pas le citer
textuellement, mais selon l'article 119, je pense, si c'est le contrat qui est
rédigé le plus favorablement, tous les consommateurs vont avoir
tendance à demander des contrats bilingues.
M. CLOUTIER: Bien, c'est cela.
M. MOISAN: C'est une question de bilinguisme. On parlait tout à
l'heure d'affiches. Le député, je pense, est parti...
M. CHOQUETTE: D'Anjou.
M. MOISAN: D'Anjou est parti. Il parlait de bilinguisme. S'il y a dans
le domaine de l'affichage deux langues, vous avez nécessairement un
décalque sur l'autre. C'est extraordinaire.
M. CLOUTIER: Oui, ceci m'amène à ma deuxième
question. A la page 8 de votre mémoire, vous dites que le bill 22,
à vos yeux, est mensonger dans son titre, parce qu'il consacre, dans
l'ensemble de ses 130 articles, le français et l'anglais comme langues
officielles du Québec. Je voudrais bien, et je m'arrêterai
là, que vous m'expliquiez en quoi ce projet de loi consacre le
français et l'anglais comme langues officielles. Bien sûr, je vous
concéderai avant de partir que l'anglais conserve un certain nombre de
droits. Il s'agit de régime particulier, compte tenu de notre
minorité, ou il s'agit de droits reconnus de façon
générale sur le plan des communications individuelles. Ce n'est
pas l'intention du gouvernement de consacrer le bilinguisme. L'analyse de ce
projet de loi montre clairement que la priorité est donnée au
français partout, mais étant donné que malheureusement
nous n'avons pas cette marge de manoeuvre des professeurs d'université
comme je disais tout à l'heure remarquez que je l'ai
déjà été, je le redeviendrai peut-être un
jour étant donné que le législateur doit tenir
compte, lui, de la réalité, je me demande si vous pourriez
m'énumérer les articles qui instituent le français et
l'anglais, langues officielles?
M. MOISAN: Je me suis amusé à faire, pas une analyse de
texte, du rouge, j'en ai mis partout où il y avait la possibilité
d'employer l'anglais. Lorsque, dans une municipalité...
M. CLOUTIER: Mais c'est cela que je vous pose. Est-ce du bilinguisme? La
possibilité d'utiliser l'anglais sur le plan des communications
individuelles dans un pays civilisé...
M. MOISAN: Non.
M. CLOUTIER: ... où il y a une minorité, ne constitue pas
en soi un bilinguisme institutionnalisé.
M. MOISAN: Le bilinguisme, c'est lorsqu'une ville, un gouvernement,
envoie automatiquement des avis, les comptes de taxes, des trucs comme cela,
dans les deux langues. Automatiquement, c'est du bilinguisme. Il est certain
que, dans tous les pays, pas tous les pays du monde, parce que je vais me faire
réprimander par M. Morin, mais que, dans beaucoup de pays du monde, la
personne qui est poursuivie peut se défendre dans sa langue, quitte
à avoir un système de traduction je pense que M. Choquette
est très au courant là-dessus . Ce que je veux dire,
à chaque fois qu'on peut mettre devant les yeux du citoyen les deux
langues d'une nation, on fait du bilinguisme.
M. CLOUTIER: A vos yeux.
M. MOISAN: Pas seulement à nos yeux, mais lorsqu'on peut
lire.
M. CLOUTIER: Je vous remercie, mais vous avez très bien
répondu. Ce n'est pas le but d'engager un débat, j'essaie de vous
aider à préciser votre pensée, quelle qu'elle puisse
être. J'ai toujours cette attitude vis-à-vis de tous les gens. Je
n'ai pas à me demander jusqu'à quel point je suis d'accord ou je
ne suis pas d'accord pour l'instant. Alors, à vos yeux, il n'y a pas
dans cette loi de priorité accordée au français?
M. MOISAN: Non.
M. CLOUTIER: Parfait.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle.
M. MORIN: Messieurs, je crois que c'est avec raison que vous vous
êtes souciés des effets du projet de loi 22, même s'il ne
s'applique, en apparence, qu'au niveau primaire. Comme vous l'avez fait
observer à la page 5 de votre mémoire, toute l'érosion qui
se fait à l'élémentaire, au secondaire et au
collégial ne pourra qu'avoir, tôt ou tard, des conséquences
au niveau universitaire. Me tournant vers le tableau no 1 que vous avez inscrit
en appendice de votre mémoire, j'aimerais vous demander d'abord de
préciser s'il s'agit seulement des nouvelles inscriptions pour
l'année courante ou du nombre total des étudiants qu'on trouve
dans les universités?
M. MOISAN: Ecoutez, si ces chiffres sont justes, et on nous les a
donnés comme justes, ils ne couvrent que les inscriptions de
première année en 1973 au premier cycle seulement.
M. MORIN: Bien. Je me suis amusé à calculer quelques
pourcentages, à partir des chiffres que vous donnez, dans ce tableau,
pour constater que les universités anglophones reçoivent presque
30 p.c. des nouvelles inscriptions.
M. MOISAN: Si on compte les francophones qui passent au réseau
anglais et les immigrants.
M. MORIN: C'est juste. Si on compte le nombre, somme toute assez
élevé, de francophones, puisqu'il est de 669 sur 5,185
étudiants, nous arrivons à près de 30 p.c. des nouvelles
inscriptions pour les universités anglophones, donc à 70 p.c.
d'inscriptions nouvelles pour les universités francophones. Après
l'effort des dix dernières années, l'effort considérable
qui a été fait aux niveaux primaire, secondaire et
collégial pour améliorer la proportion de francophones aux
études et pour améliorer le sort des universités
francophones, ces chiffres sont vraiment désolants. Je ne les croyais
pas si graves que cela.
Est-ce en partie ces chiffres qui ont motivé votre
mémoire, est-ce cette prise de conscience des réalités qui
explique votre mémoire?
M. MOISAN: Je dirai deux choses. Dans l'association des professeurs, il
se trouve d'une
part des gens qui s'intéressent à la linguistique, il va
de soi, puisqu'il y a des professeurs d'université qui sont linguistes
et qui font partie de l'association. Depuis longtemps on était inquiet
de l'espèce d'exubérance verbale qu'il y avait au Québec
sur la linguistique. Tout le monde disait à peu près n'importe
quoi. On a voulu profiter de cette commission pour établir des faits
linguistiques, d'une part. D'autre part, lorsque ces chiffres sont venus sous
nos yeux, on a été fort étonné. En tout cas, j'ai
été étonné qu'il n'y ait pas si M. le
ministre peut me dire où me les procurer, je serait fort heureux
de chiffres nous donnant l'origine ethnique de la clientèle des
universités anglophones. Pour nous, cela a des conséquences
absolument dramatiques. On sait très nettement que dans certains
secteurs, dans les universités, la clientèle francophone diminue.
Il y a donc eu, en un certain nombre d'années, une arrivée
massive d'étudiants, l'engagement de jeunes "profs", mais bientôt
nous serons de vieux "profs", et il n'y aura plus de jeunes "profs" pour nous
rappeler des vérités, pour nous dire de nous moderniser. Cela,
c'est grave, quand il n'y a pas un renouvellement des cadres, d'une part.
Je suis étonné qu'un ministère de l'Education n'ait
pas publié ces chiffres, n'ait pas fait comme le Conseil des arts avec
ses anciens docteurs qu'il avait subventionnés, leur demander quel
salaire ils gagnaient... On aurait bien pu faire une étude
intéressante à partir des finissants des universités
anglophones, savoir si les gens qui étudient en anglais, comme l'a
prouvé le rapport de Buraucratic Careers à Ottawa, plus ils
étudient en anglais, plus ils ont une chance d'être
assimilés au monde anglophone. Je pense que c'est la
responsabilité du ministère de l'Education et de nous fournir les
chiffres et de faire des études semblables. Cela est grave pour une
nation.
M. MORIN: Ce qui m'inquiète, c'est que, pour utiliser une
expression qu'on trouve dans votre mémoire, quand "les
bébés du bill 63" arriveront au niveau universitaire, j'ai
l'impression que la situation deviendra encore plus catastrophique. Si je
comprends bien, il y a une sorte d'accélération du processus.
Est-ce exact?
M. MOISAN: Je ne sais pas. Je ne dirais pas que c'est il faut
être honnête uniquement à cause des étudiants
francophones ou d'immigrants qui vont dans le secteur anglophone, il y a
également une baisse normale, je pense, d'inscriptions à
l'université. Mais je dis consultons n'importe quel pays du monde
qu'il y a une exagération, je dis bien une exagération,
donnée à l'élément anglophone dans l'enseignement
universitaire. Maintenant, on nous parle de Concordia. Ce n'est pas cela qui va
unir ou réjouir le coeur des Québécois.
M. MORIN: Je voudrais maintenant passer aux solutions pratiques en ce
qui concerne la langue d'enseignement. Je n'ai pas l'intention de vous
interroger sur les autres secteurs; j'imagine que votre expertise ou vos
connaissances vous préparent avant tout à répondre
à des questions sur la langue d'enseignement.
Pour ce qui est des immigrants, anglophones d'abord, puis non
anglophones, par la suite, quelle solution préconiseriez-vous?
M. MOISAN: Je pense que la position de l'APUL, sur le sujet
indépendamment du plan linguistique, sur le plan social et humain tout
simplement, c'est de faire en sorte que ces immigrants soient nettement
intégrés au système francophone, quelle que soit leur
origine ethnique.
M. MORIN: Pour les étudiants québécois
francophones, la solution est-elle la même?
M. MOISAN: Evidemment.
M. MORIN: C'est que beaucoup de personnes, dont un certain nombre du
côté gouvernemental peut-être pas le ministre de la
Justice qui l'autre jour a pris une position différente et s'est
désolidarisé du gouvernement sur ce point beaucoup
pensent, du côté ministériel, que les francophones...
M. CHOQUETTE: Je proteste, j'ai apporté une nuance.
M. MORIN: ... devraient conserver ce qu'ils appellent "la liberté
de choix".
M. MOISAN: C'est une nuance qui nous avait bien réjoui, M.
Choquette, quand même.
M. CHOQUETTE: Tant mieux.
M. MORIN: A moins que le ministre ne s'apprête, avec un
"toutefois", un "cependant", un "néanmoins" ou un "sauf que" à
nuancer sa pensée à nouveau.
M. CHOQUETTE: Pour un ancien de McGill, vous devriez parler de vos
expériences...
M. MORIN: Je ne suis pas seulement ancien de l'université
McGill...
M. CHOQUETTE: Vous devriez faire part à nos interlocuteurs
comment se séjour dans cette université vous a rendu encore plus
francophone.
M. MORIN: Comme, apparemment, c'est le cas pour le ministre de la
Justice, puisque nous étions confrères.
M. CLOUTIER: II ne faut pas confondre le transfert dans le secteur
anglophone avec l'anglicisation, c'est ça, l'erreur.
M. MORIN: Ce n'est pas le problème dont on est venu nous parler,
M. le ministre. Ce dont ces messieurs sont venus nous parler, c'est la chute du
nombre d'étudiants qui entrent dans les universités francophones,
donc tôt ou tard de l'appauvrissement du recrutement des professeurs, qui
est un problème très réel. Cela aboutie à
l'asphyxie des universités francophones.
M. CLOUTIER: C'est là que l'excellence et une certaine
concurrence doit jouer.
M. MOISAN: Oh, pardon! Je m'excuse, M. le ministre mais la concurrence
au niveau de la recherche ne joue plus. Vous savez très nettement que,
souvent, les subventions, enfin l'engagement des professeurs est lié
à la venue de nouveaux étudiants. Or, si tous les professeurs
consacrent leur temps à l'enseignement et qu'il n'y en a pas qui sont
dégagés pour la recherche, c'est dramatique et c'est un cercle
vicieux. Plus il y a de recherche dans une université, plus la recherche
se fait en français et plus le français devient
prépondérant, plus il y a de la recherche dans
l'université, plus elle est attirante pour les étudiants
aussi.
M. CLOUTIER: Ah bien! je m'excuse, là. Je ne crois pas que ce
soit le lieu pour avoir un débat là-dessus, mais il y a
très certainement des problèmes, vous n'avez pas tort. Mais ce
n'est pas nécessairement une loi linguistique qui doit les
régler.
M. MORIN: M. le Président, j'aurais une dernière question.
Quelle serait la solution dans le cas des anglophones, j'entends des
Québécois anglophones ou de ceux qui sont déjà dans
le système scolaire anglophone, d'origine étrangère, par
exemple?
M. PAQUET: Dans le cas des immigrants d'origine anglaise ou de langue
maternelle anglaise, je crois qu'il n'est pas question de leur accorder des
droits acquis puisqu'ils n'ont pas de droits acquis en arrivant ici. Ils
peuvent très bien, à ce moment-là, aller dans les
écoles françaises.
M. MORIN: Je vous interromps une seconde; même les
Québécois d'origine britannique établis ici n'ont pas
constitutionnellement de "droits acquis".
M. PAQUET: C'est-à-dire que ce qu'on appelle les droits acquis
n'est pas valide en droit québécois, on le sait bien, mais
puisqu'on en parle, et si on se fonde sur les droits acquis pour accorder
éventuellement à la minorité anglophone un système
scolaire, il faudra bien insister sur le fait que ces droits acquis, si on les
reconnaît, ne doivent pas être les droits des anglophones qui
viendraient éventuellement. Alors, on pourrait tout simplement laisser
aux prorata de la population, un système scolaire anglophone,
subventionné évidemment par les pouvoirs publics et qui ne serait
pas autorisé à recevoir, dans ses écoles, des
étudiants dont la langue maternelle est le français ou tout autre
langue que l'anglais. Il n'y a pas lieu, dans ce cas, de prévoir une loi
pour protéger, parce qu'on l'a dit assez souvent, que la
société québécoise était tolérante et
on pourrait à la rigueur, utiliser l'incitation et des certificats de
bonne conduite aux commissions scolaires qui accueilleraient
éventuellement des classes anglaises pour les Anglais d'origine.
LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de
Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: Merci, M. le Président. Vous avez souligné
tantôt quelque chose comme prendre le "lunch", en français,
j'imagine que votre idée va plus loin et que, comme certains autres
groupements, vous attachez de l'importance à ce qu'on puisse le gagner
aussi en français ce "lunch", pas seulement le prendre en
français. Cela veut dire que vous attachez sûrement de
l'importance vous me direz non si j'ai mal compris au fait que la
langue de travail est importante et que la langue de l'économie est
importante. Pour cela, il faut prendre un certain contrôle sur
l'économie.
M. MOISAN: Nous avions un collègue aujourd'hui, Jean Samson, qui
s'intéresse particulièrement à cette question, qui a
même fait des travaux pour la commission Gendron. Il devait être
ici. Comme on pensait de passer naïvement à dix heures et on
ne veut accuser personne on pensait qu'on était convoqué
pour dix heures, mais c'était tout le monde qui était
convoqué pour dix heures il s'était rendu ici et pourrait
répondre beaucoup mieux que moi à cette question.
Je ne suis pas président de l'Association des professeurs. Alors,
je ne voudrais pas parler au nom de l'association. Si je dis quelque chose sur
quoi le président n'est pas d'accord, il me le dira et vous m'excuserez.
Personnellement, je crois fondamentalement qu'en tout ce qui concerne la langue
de travail, en tout ce qui concerne les communications internes d'une
entreprise, rien n'interdit, d'après un calendrier convenable, de faire
tout cela en français, langue verticale comme langue horizontale. Rien
ne l'interdit, absolument pas. Il y a de petits pays qui l'ont bien
réussi. M. Choquette, à la télévision, citait
l'exemple de la Finlande qui avait particulièrement bien réussi
à rendre en finnois les communications internes de l'entreprise.
M. SAMSON: J'ai remarqué tantôt que, lorsque le ministre
vous posait certaines questions, à savoir si vous aviez eu le temps de
consulter tous les membres de votre association, vous avez mentionné
qu'étant donné la période,
c'est-à-dire l'été, il n'est pas facile pour vous
de faire ces communications. Est-ce que cela veut dire parce qu'on a
entendu cela souvent depuis quelque temps que vous auriez
préféré que ce projet soit présenté
plutôt dans une autre période, soit l'automne, l'hiver ou le
printemps, à une période où cela serait plus possible pour
vous de faire de plus amples consultations avant de présenter vos
mémoires?
M. BOUCHARD: Bien sûr, parce que l'été est la pire
saison. Il est impossible de rejoindre les gens pour toutes sortes de raisons,
à commencer par les vacances, en continuant par les congrès, les
colloques, les missions à l'étranger et la recherche, tout cela
se fait l'été. Alors l'été, c'est impensable.
M. SAMSON: Ceci dit, finalement, compte tenu que le bill est
déjà devant nous, est-ce que vous iriez jusqu'à
suggérer qu'D soit reporté à l'automne?
M. BOUCHARD: Cest-à-dire que cela pourrait donner l'occasion
à ceux qui ne l'ont pas eue, de se prononcer, ce qui serait
peut-être un avantage, mais la position de l'association n'est pas de le
retarder, c'est de l'enlever, de le retirer.
M. SAMSON: De le retirer complètement. M. DEOM: II n'est pas
d'accord avec vous?
M. SAMSON: Oui, sûrement, là-dessus. Mais j'attache une
certaine importance, et vous le comprendrez, à ce que les groupements
puissent consulter l'ensemble de leurs membres. Dans votre cas, je comprends
bien que cela n'a pas été facile, même impossible de le
faire. S'il est retiré, on n'en parlera plus, cela va régler
plusieurs problèmes. Mais, pour le moment, il ne semble pas que le
ministre veuille le retirer. Si on considère que les libéraux ont
quand même la majorité en Chambre et s'ils ont
décidé de ne pas le retirer, ils ne le retireront pas, est-ce
que, compte tenu de ce contexte, il ne serait pas préférable pour
vous de demander qu'il soit reporté à l'automne?
Je sais que cela ne changera peut-être pas votre mémoire,
mais, quand même, vous allez convenir avec nous qu'il vaut mieux une
consultation globale que l'acceptation d'un comité d'administration, par
exemple. A cette commission, je pense que tout le monde tente de savoir quelle
est la représentativité du groupe qui se présente devant
nous.
Si ce groupe nous dit: On a fait une assemblée spéciale,
on a eu tant de personnes, évidemment, c'est au crédit du groupe
qui se présente devant nous. C'est toujours mieux.
M. BOUCHARD: II n'y a pas de problème. Bien sûr, si on
avait le temps, on ferait la consultation. Obtenez-nous-le et on fera la
consultation.
M. SAMSON: Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Gouin.
M. BEAUREGARD: M. le Président, peut-être, pour continuer
dans l'ordre d'idées du député de Rouyn-Noranda, vous
dites que votre mémoire a été approuvé par votre
conseil d'administration de 23 membres. Est-ce que je peux vous demander si le
mémoire lui-même a été approuvé ou seulement
le principe du mémoire? Peut-être l'avez-vous déjà
dit?
M. BOUCHARD: C'est que le comité d'administration, le conseil
d'administration a dicté des articulations du mémoire. C'est
lui-même. Si vous regardez la prise de position qui est
énoncée pour rejoindre le mouvement contre le bill 22, à
ce moment-là, ce qui se trouve dans le mémoire, ici, ce sont
seulement des conséquences de cela.
M. BEAUREGARD: Est-ce que votre conseil d'administration était
unanime est-ce que je peux vous demander cela? à approuver
ce principe?
M. BOUCHARD: Les membres présents étaient... Ecoutez, il
faudrait que je vérifie, je n'ai pas apporté la chose avec moi.
Il n'y avait pas d'opposition. Il y a peut-être eu une abstention. Ce
serait à vérifier.
M. BEAUREGARD: Non pas dans votre mémoire, mais dans votre
exposé, j'ai cru comprendre que vous vouliez dire que vous ne voulez pas
d'un genre de bilinguisme intégral au Québec et que vous croyez
que le bilinguisme est une étape vers l'unilinguisme anglais.
M. MOISAN: Ce n'est pas moi qui le crois, c'est l'histoire de la
linguistique qui le croit.
M. BEAUREGARD: Quelle place feriez-vous, à ce moment-là,
à l'anglais à l'heure actuelle dans le Québec, disons dans
le monde du travail?
M. MOISAN: Ecoutez. Dans le monde du travail, j'ai dit tout à
l'heure que, pour moi, je conçois que, pour toutes les relations
internes de l'entreprise, cela doit se faire en français et uniquement
en français. Il y a des cas particuliers. Admettons qu'il y aurait des
immigrants italiens et espagnols dans une industrie, on ne peut pas leur
demander, du jour au lendemain, d'être capables de parler et de recevoir
des instructions en français. Il y a des étapes humaines à
franchir, mais, une fois ces étapes franchies, tout le monde devrait
parler, dans les communications internes, aussi bien dans le travail...
J'étais il ne faut pas faire d'annonce; je ne sais pas si on a le
droit à l'Assemblée nationale l'autre jour, à CBS,
près de chez moi, à une espèce de centre de bricolage.
C'est
là qu'Ds font de la "bricolation". C'est fort heureux comme
terme, en passant. Dans ce centre de bricolage, on posait de la
publicité pour diriger les gens. Les quatre ouvriers qui
plaçaient le panneau publicitaire étaient obligés de
parler anglais parce que la personne qui les dirigeait était anglaise.
Cela est inacceptable.
M. BEAUREGARD: Vous parlez d'un centre de bricolage. La situation est
peut-être assez facile à corriger. Si, par contre, vous pensez
à des compagnies multinationales, par exemple, qui sont établies
au Québec à l'heure actuelle et dont certaines ont leur
siège social à l'extérieur du Québec, est-ce que
vous pensez que les communications internes de la compagnie, par exemple, entre
le Québec et le siège social à Toronto devraient se faire
en français?
M. MOISAN: Vous me posez des questions et je n'ai pas
étudié toutes les questions. A première vue, en tout cas
je ne parle pas au nom de l'APUL avec de telles questions; je ne dis pas
que vos questions sont idiotes, mais je ne peux pas répondre au nom de
l'APUL; je m'en excuse; je réponds en mon nom personnel c'est
que...
M. BEAUREGARD: C'est parce que vous prenez une position très
catégorique.
M. MOISAN: Oui, les communications...
M. BEAUREGARD: Nous, nous travaillons également pour le
développement du Québec et ce qu'on essaie de se demander, c'est
quel est le meilleur intérêt des Québécois.
M. MOISAN: Je pense que, dans ces conditions, lorsque le bureau chef de
General Motors établi au Québec, par exemple, envoie des
directives au bureau chef à Québec ou enfin, au Québec, je
ne vois aucun désavantage pour la langue que ces directives viennent en
anglais, parce que ce sont des directives de communications externes. Ecoutez,
j'ai l'impression, quand General Motors en France reçoit des directives
de General Motors aux Etats-Unis, qu'elle doit les recevoir en anglais. J'en ai
bien l'impression. Cela n'empêche pas les ouvriers français ou
finlandais, si c'est en Finlande, ou espagnols si c'est en Espagne, de monter
les voitures avec l'outillage lexical français.
M. BEAUREGARD: D'accord! Les ouvriers peuvent...
M. DEOM: En allemand...
M. MOISAN: Vous pouvez toujours citer des exemples malheureux, mais
enfin on ne veut pas dire de les imiter.
M. DEOM: Vous prenez General Motors Strasbourg, alors, je vous dis que
c'est en allemand.
M. MOISAN: Vous savez où situer Strasbourg.
M. DEOM: Oui, je sais. M. MOISAN: Bon! Alors?
M. DEOM: Je veux simplement préciser, parce que j'y suis
allé.
M. CLOUTIER: Vous savez où est situé le Québec,
aussi?
M. MORIN: Vous êtes allé à Strasbourg, M.
Déom?
M. MOISAN: C'est justement parce que le Québec est situé
en Amérique du Nord, M. le ministre, qu'il...
M. MORIN: II a voyagé le ministre, le député dis-je
!
M. BEAUREGARD: Quels droits recon-naftriez-vous à la
minorité anglophone du Québec?
M. MOISAN: Je l'ai dit dans la présentation, n'est-ce pas? Les
droits d'étudier dans sa langue et de parler français avec
nous.
M. BEAUREGARD: Donc, aucun droit en ce qui concerne la langue de travail
ou aucune situation privilégiée...
M. MOISAN: Non! Sauf pour les immigrants qui viendraient d'arriver, et
qui auraient besoin d'une étape intermédiaire.
M. BEAUREGARD: Le Parti québécois a publié, en fin
de semaine, un contre-projet de loi 22 où l'anglais a tout de même
une certaine place, est-ce que je peux vous demander si vous seriez contre,
également, le projet du Parti québécois?
M. MOISAN: Ecoutez. Vous me posez une question un peu piège.
D'une part, parce que l'Association n'a pas eu à étudier... M. le
Président, je pense que je ne peux pas répondre. Je peux
répondre à titre personnel.
M. CLOUTIER: Vous n'êtes pas obligé de répondre, du
tout.
M. BEAUREGARD: Vous n'êtes pas obligé de
répondre.
M. MOISAN: Je ne peux pas répondre au nom de l'Association.
M. CLOUTIER: Je protège toutes les organisations. Vous êtes
absolument libre.
M. MOISAN: J'ai mon idée là-dessus, par exemple. C'est une
autre affaire.
M. BEAUREGARD: Est-ce qu'on peut savoir votre idée personnelle?
Avez-vous objection â donner votre idée personnelle?
M. MOISAN: Bon! Ecoutez, j'ai lu le projet de loi. Je ne peux pas dire
que je l'ai étudié avec autant d'attention que celui-là.
Les vacances ne m'en ont pas laissé le temps. H fallait que je
prépare mon exposé d'aujourd'hui aussi.
M. BEAUREGARD: II est sans doute moins...
M. MOISAN: Mais, il y a une seule phrase qui m'apparaft un peu optimiste
dans ce projet. C'est quand on dit que tous les Québécois auront
l'usage... connaîtront l'anglais. Cela me paraît un peu optimiste.
Dans tous les pays du monde, le nombre des bilingues est assez restreint.
M. VEILLEUX: Si mon collègue de Gouin me laisse...
M. BEAUREGARD: Sûrement, monsieur.
M. VEILLEUX: Dans le domaine de l'enseignement, vous mentionnez que ce
secteur d'enseignement serait exclusif aux anglophones qui vivent au
Québec, que tous les immigrés devraient aller dans le secteur
francophone. A quel endroit situez-vous l'immigré qui est ici depuis un
certain temps et qui a acquis sa citoyenneté et qui est de langue
maternelle anglaise?
Est-ce que lui, au moment de l'acquisition de sa citoyenneté,
pourrait avoir le choix, dans votre esprit, ou le simple fait qu'il soit
immigrant lui enlève-t-il ce droit qu'on conserverait dans un projet de
loi qui consacrerait le secteur anglophone?
M. PAQUET: Evidemment, si un immigrant de longue date est citoyen
canadien, qu'il a déjà entrepris ses études en anglais, il
est considéré comme anglophone et il pourrait très bien
continuer ses études en anglais. Mais étant donné la force
que constituerait la proclamation du français, seule langue officielle
et langue de travail, il est fort possible qu'on verrait, dans les
années qui suivraient une telle loi, un mouvement vers
l'intégration au secteur francophone, même de la part d'immigrants
qui ont déjà entrepris leurs études en anglais.
M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, le secteur anglophone serait
pour les anglophones du Québec déjà dans le
système.
M. PAQUET: Oui.
M. VEILLEUX: Quant aux autres, dont les parents vivraient
présentement au Québec et qui sont de langue maternelle anglaise
et qui auraient des enfants à six heures ce soir si le projet de
loi était voté à 5 h 30 ceux-là ne
pourraient pas aller dans le secteur anglophone, mais devraient aller dans le
secteur francophone? Est-ce que j'ai bien compris?
M. PAQUET: Ils ne sont pas citoyens canadiens parce qu'il faut bien,
à un certain moment, marquer une limite...
M. VEILLEUX: Je parle des citoyens canadiens.
M. PAQUET: Ils pourraient très bien continuer à les
envoyer dans des écoles anglaises, mais on suppose à ce moment,
que si le français devient la seule langue officielle, que le
français devient la véritable langue de travail, à la
longue, sur une ou deux générations, les anglophones vont
s'assimiler, pour une part sûrement importante, ou tout au moins
apprendront le français.
M. VEILLEUX Dans votre esprit, cela serait une manière
détournée de faire disparaître peu à peu le
système anglophone, compte tenu que la revanche des berceaux peut
être extrêmement difficile.
M. PAQUET: Non pas de le faire disparaître, puisqu'il continuera
très probablement aussi longtemps que nous avons duré
nous-mêmes, mais il faudrait qu'il soit à sa juste mesure et je
pense que, étant donné la force et l'impact que créerait
l'institution du français, seule langue officielle et langue de travail
et langue d'affichage, et de tout, finalement, il est certain que le secteur
anglophone diminuerait à la longue.
M. VEILLEUX: Et l'immigrant anglophone, non citoyen canadien devrait
aller dans le secteur francophone?
M. PAQUET: Dans le secteur francophone.
M. VEILLEUX: Même après l'acquisition de sa
citoyenneté, il devrait rester dans ce secteur?
M. PAQUET: Même après l'acquisition de sa
citoyenneté.
M. VEILLEUX: D'accord. Je ne suis pas d'accord nécessairement sur
ce que vous dites, mais je suis d'accord...
M. PAQUET: Avec la logique.
M. VEILLEUX: J'ai bien compris ce que vous avez dit.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le ministre de la Justice.
M. CHOQUETTE: Je voudrais poser quelques questions, si vous permettez.
Vous nous avez parlé de sociétés bilingues qui,
inévitable-
ment, glisseront vers l'unilinguisme. Vous nous avez cité
certains exemples dans l'histoire, niais vous ne nous avez donné aucun
exemple moderne ou contemporain. Est-ce que vous avez des exemples à
nous citer depuis deux siècles de sociétés où, en
fait, il y aurait eu un certain bilinguisme, mais où ces
sociétés auraient évolué tranquillement vers
l'unilinguisme?
M. PAQUET: Le Breton, le catalan, l'occitan, l'alsacien, qui est en voie
d'unilinguisation.
M. MORIN: Le flamand, en France.
M. PAQUET: Le flamand en France, oui, justement, dans les Flandres.
M. CHOQUETTE: Mais est-ce qu'on ne se trouve pas dans tous ces cas
devant des sociétés assez peu nombreuses, très marginales,
sans appui politique aucun, sans avoir une organisation sociale
structurée, ce qui n'est pas la situation au Québec?
M. PAQUET: II est sûr que la situation n'est absolument pas
comparable, puisque nous possédons nos institutions politiques.
M. CLOUTIER: C'est cela, ce sont des sociétés sans
gouvernement.
M. PAQUET: Mais tout reste à la merci de ceux qui quand
même sont au pouvoir.
M. CLOUTIER: Vous n'avez qu'à élire ceux que vous voulez
avoir ! C'est ce que le peuple a fait jusqu'ici.
M. CHOQUETTE: Ce n'est pas seulement une question de pouvoir. Je crois
que c'est une question de volonté collective de vivre, et qu'une
société qui a des institutions politiques, qui a un
système d'enseignement, qui a des modes de communication établis,
qui a une certaine base culturelle, une littérature, a des chances de
survivre et même de concurrencer un milieu considéré
hostile au plan culturel. Ce qui n'est pas le cas des sociétés
que vous m'avez mentionnées, qui étaient très fortement
minoritaires.
Je me demande si, en fait, vous n'êtes pas, jusqu'à un
certain point, un peu pessimiste, lorsque vous parlez de la situation
québécoise comme d'une situation où il faut presque se
sentir défaitiste, et que, pour prouver votre thèse, vous nous
parlez plutôt des minorités françaises ailleurs au Canada,
qui sont nettement moins organisées que la société
française du Québec.
M. MOISAN: Au début, les Acadiens, quand même, pouvaient
avoir un certain degré d'organisation. Cette érosion, quand elle
se fait, gagne même les institutions, à un moment donné.
L'assimilation n'est pas pour demain. Je ne la prévois même pas
avant ma mort. C'est certain. C'est peut-être pour dans deux ou trois
cents ans. C'est long, ces trucs. Mais, si immédiatement, on ne met pas
une barrière à cette anglicisation, à cette assimilation,
nous sommes sur la bonne voie. Il ne faudrait pas se réveiller, à
un moment donné, et dire: Ah Seigneur! Qu'est-ce qui nous arrive?
Regardez ce qui arrive aux Franco-Américains présentement.
M. CHOQUETTE: La situation des Franco-Américains est de la
même nature que celle des Basques, des Bretons, des Flamands et de tous
ceux que vous nous avez énumérés. Les seuls droits qu'ils
ont, en pratique, c'est de parler le français à la maison et
autrefois, d'avoir des "parochial schools" et c'est à peu près la
seule étendue de leurs droits dans le Massachusetts, le Maine, le
Connecticut et tous les Etats de la Nouvelle-Angleterre.
M. MORIN: Est-ce que je peux vous poser une question, M. le ministre?
Vous avez dit que, lorsque les peuples ont des institutions, ils
résistent mieux. Mais est-ce qu'ils résistent tellement plus
longtemps? Je vous donne l'exemple des habitants de la vallée d'Aoste,
en Italie, qui ont un gouvernement, ainsi qu'un statut spécial et
où le français est en perte de vitesse. Je vous donne l'exemple
de la Silésie, qui avait également un statut spécial,
garanti par la Société des nations, cela n'a pas
empêché les Allemands de Silésie de disparaître.
M. CHOQUETTE: On sait qu'il est arrivé une guerre et que les
populations allemandes ont été déplacées au
gré des gouvernements. Il s'agit quasiment d'opérations de
déplacement...
M. MORIN: Pas dans le cas de la vallée d'Aoste.
M. CLOUTIER: De toute façon, le comité polonais l'a
confirmé.
M. CHOQUETTE: Comme j'ai dit, je ne désire pas être
éclairé par le chef de l'Opposition, mais par les professeurs de
l'université Laval, aujourd'hui.
M. MORIN: Fort bien, mais...
M. CHOQUETTE: Peut-être qu'une autre fois...
M. MORIN: Je ne voudrais pas que le ministre les induise en erreur.
M. CHOQUETTE: Maintenant, je vais induire les professeurs en erreur
alors que je les consulte comme des experts.
M. MORIN: Vous leur posez des questions tendancieuses.
M. CHOQUETTE: Un instant. Par conséquent, le
phénomène possible de l'assimilation des Québécois
francophones est, d'après vous, une possibilité, mais une
possibilité à très long terme, si je comprends bien ce que
vous me dites.
M. MOISAN: C'est-à-dire...
M. PAQUET: C'est-à-dire, n'employons pas le mot "assimilation",
employons simplement le mot de "louisianisation". Tout à l'heure, vous
avez invoqué, M. le ministre, en parlant de la force du Québec,
vous avez parlé de culture, de littérature. Vous avez
été incapable de parler d'économie.
M. CHOQUETTE: Je le sais.
M. PAQUET: Or la culture d'un peuple s'exprime aussi dans son
régime économique.
M. CHOQUETTE: Je suis parfaitement d'accord avec vous et j'aimerais que
la situation soit exactement à l'inverse de ce qu'elle est à
l'heure actuelle, mais je suis obligé d'accepter les faits tels qu'ils
sont et de prendre l'économie telle qu'elle est. C'est la raison pour
laquelle je ne l'ai pas mentionné. Il est incontestable que, si nous
avions une force économique qui était à la hauteur de
notre représentation démographique au Québec, le
problème ne se présenterait pas du tout sous l'angle qu'il a
à l'heure actuelle. Je suis parfaitement d'accord. Est-ce que vous avez
tenu compte du fait que le taux de francisation des anglophones au
Québec est plus élevé que le taux d'anglicisation des
francophones au Québec? Est-ce que vous savez que le taux des
assimilés par les francophones est plus élevé que le taux
des assimilés par les anglophones? Si on exclut l'immigration. Excluez
l'immigration parce que l'immigration est un apport en général
aux anglophones. Est-ce que vous savez que les Québécois
francophones ont plus assimilé dans le passé je ne dis pas
dans les années actuelles qu'ils n'ont été
anglicisés?
M. CHARRON: Ce n'est pas vrai dans toutes les régions.
M. CHOQUETTE: Ce sont des chiffres officiels.
M. PAQUET: Oui.
M. CHOQUETTE: Je pense qu'on ne pourra pas mettre en doute ce que je
dis.
M. PAQUET: Dans ces chiffres officiels il y a même une aberration
assez extraordinaire dont vous avez pu vous rendre compte vous-même,
c'est qu'il y a économiquement en dessous du Canadien français
unilingue, du point de vue du salaire, l'unilingue français d'origine
britannique. En dessous de nous, c'est-à-dire qu'un anglais d'origine
britannique qui s'est assimilé aux Canadiens français, qui est
aujourd'hui unilingue français est économiquement en dessous des
Canadiens français unilingues.
M. CHOQUETTE: Est-ce que vous parlez du leader de l'Opposition, M.
Robert Burns?
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques.
M. CHOQUETTE: Si vous me permettez, M. le Président, je voudrais
poser une dernière question.
LE PRESIDENT (M. Gratton): On a déjà dépassé
le temps réservé au parti ministériel depuis
au-delà de cinq minutes. Nous devons suspendre à six heures.
M. CHARRON: Je regrette, M. le Président, de devoir interrompre
le ministre de la Justice. Il ne vient pas souvent en commission, mais il
apporte toujours une contribution intéressante. Cette intervention du
ministre de la Justice était engagée sur quel point critique
d'assimilation? On ne peut prévoir une assimilation dans les
années à venir parce que, effectivement, le Québec est
doté politiquement, socialement et culturellement, bien mieux que
certains groupes ethniques européens que vous avez mentionnés, je
suis parfaitement d'accord sur ça. Je ne crois pas que le
français soit en danger à Sainte-Perpétue, cet
après-midi, pas plus qu'il ne l'est dans... Mais pour une
société dans son ensemble, lorsque la vie active, le pouls
culturel de sa métropole, par exemple est affecté, lorsque le
rythme de vie est affecté, lorsque la façon de vivre dans la plus
grande ville d'une société, qui regroupe dans sa région
périphérique plus de la moitié de la population du
Québec est affectée lorsque cette société a une
évolution démographique prévisible qui dit que, dans sa
métropole, à moins d'un revirement considérable d'ici une
quinzaine d'années, assimilation, développement
économique, etc, etc, sont en jeu, il se peut que cette métropole
soit perdue. En ce sens, pour faire suite aux interventions du ministre de la
Justice, sans être obligé d'attendre que le signal d'alarme
s'allume à Sainte-Perpétue ou à Dolbeau, que je
considère comme un vrai coin québécois, pour qui plusieurs
des problèmes que nous abordons sont tout à fait
étrangers, je ne leur en fais pas le reproche, mais quant à la
responsabilité gouvernementale, qui doit envisager une
société dans son ensemble, ne peut-on pas affirmer que
l'évolution culturelle d'une métropole de cette
société apparaît comme le baromètre du point
critique?
M. PAQUET: II y a un baromètre, je crois plus important. Il faut
considérer qu'une population est en voie d'assimilation à partir
du moment où, dans son idéologie dominante, elle conçoit
la langue de l'autre comme étant la
langue la plus importante. C'est-à-dire que, même si elle
ne parle pas encore cette langue, cette langue constitue un attrait certain et,
à la longue, je pense qu'on est sur la voie de l'assimilation.
M. CHARRON: Et c'est exactement ce que fait la loi 22, je crois.
M. PAQUET: Oui, qui est une apologie, finalement, de la langue
anglaise.
M. BOUCHARD: II y a un autre élément qu'il faut relever.
Si on reprend l'argumentation du ministre, il a commencé par dissocier
les communautés qui étaient assimilées pour prendre les
dernières et il se trouve que les dernières sont de petites
communautés sans institutions repérables. Mais cela ne veut pas
dire que, dans le passé, il n'y a pas eu des sociétés plus
complexes, avec des institutions et une langue, qui ont perdu et leurs
institutions et leur langue.
M. CHARRON: Voilà...
M. CHOQUETTE: Oui, mais ce que j'aimerais demander c'est ceci: Si on
pouvait faire un parallèle entre les cas d'assimilation massive, qui se
sont passés sur des périodes de siècles, et les conditions
qui existent actuellement où les moyens de communication,
d'éducation et d'instruction sont beaucoup plus développés
qu'au Moyen Age, que dans la période du premier au dixième
siècle... On ne peut pas dire: Aujourd'hui, il s'est produit telle chose
au point de vue de la Provence; on est passé du latin à la langue
un peu bâtarde et de là au français. On ne peut pas dire
que cela pourrait se produire comme cela, dans les conditions actuelles, alors
qu'aujourd'hui les communications sont intenses entre les individus.
M. BOUCHARD: C'est exact, mais les communications jouent dans les deux
sens, et contre l'assimilation et pour l'assimilation. C'est un pur moyen; s'en
sert qui veut.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, la commission vous remercie pour
votre présentation et suspend ses travaux jusqu'à ce soir, 20 h
15, alors que le premier groupe sera la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal. La commission suspend ses travaux
jusqu'à 20 h 15.
(Suspension de la séance à 17 h 58)
Reprise de la séance à 20 h 21
M. GRATTON (président de la commission permanente de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre,
messieurs!
Je pense que normalement nous devrions débuter, mais étant
donné qu'il n'y a pas encore de représentant du Parti
québécois, je pense que vous nous permettrez d'attendre encore
deux ou trois minutes.
A l'ordre, messieurs!
Est-ce que le porte-parole officiel de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal est bien M. Gérard Turcotte?
M. SENECAL: Non, c'est moi, Yvan Sénécal, président
de la société.
LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Sénécal, je vous inviterais,
premièrement, à nous présenter les gens qui vous
accompagnent et également à vous rappeler que vous disposez de
vingt minutes pour faire votre présentation.
Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal
M. SENECAL: D'accord. A ma gauche, Mlle Raymonde Couillard, membre du
conseil d'administration; Mme Solange Léonard, secrétaire
général; M. Gérard Turcotte, secrétaire
exécutif. A ma droite, le Dr Maurice Dufresne, président de notre
comité des prises de position et membre du bureau; M. Guy Bouthillier,
professeur de science politique à l'Université de Montréal
et également membre de notre comité des prises de position et M.
Marcel Henry, trésorier général de la
Société Saint-Jean-Baptiste.
En me cherchant un texte pour mettre en exergue, parce que cela fait
bien, n'est-ce pas, j'ai trouvé ceci qui a été
prononcé il y a exactement cinquante ans lors d'un colloque on
appelait cela des journées d'étude, dans ce temps-là
le 24 juin 1924 par le chanoine Groulx. Il avait dit à peu
près ceci: "Nos gouvernants, ayant fait de la dualité ethnique du
Québec un dogme supposément imposé par le régime
confédératif, il faut à la nation québécoise
un gouvernement moral parallèle pour assurer la défense et la
protection de ses intérêts nationaux".
La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal s'est
toujours vivement préoccupée du statut de la langue
française au Québec, la considérant comme un
élément essentiel et un instrument indispensable au
progrès de la nation. Dans l'opinion publique et depuis sa fondation,
elle a toujours joué un rôle d'avant-garde dans la défense
et le rayonnement de la langue et de la culture française, non seulement
au Québec, mais au Canada d'outre-frontières. Son action dans ce
domaine s'est toutefois intensifiée ces
dernières années, bien avant les débats sur les
projets de loi 85, 63 et 28, soit depuis son mémoire à la
commission Parent, en 1962 qui recommandait l'école française
pour tous, depuis la résolution de son congrès
général de 1965, réclamant le français comme seule
langue officielle du Québec, depuis son mémoire sur le statut de
la langue française au Québec, présenté au premier
ministre Johnson en 1967 et depuis son mémoire de 1970 à la
commission Gendron jusqu'à ses campagnes récentes et actuelles en
faveur de l'intégration des Néo-Québécois au
Québec francophone, sans oublier sa participation aux prises de position
d'ordre linguistique du Mouvement national des Québécois et son
rôle déterminant au sein du Mouvement Québec
français.
La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ne
comparait pas pour la première fois devant une commission parlementaire
pour y exposer ses vues sur les questions que touche le projet de loi 22. Elle
l'a déjà fait à l'occasion du projet de loi 85 en 1969,
puis de la conjugaison des projets de loi 63 et 62 en 1970, et du projet de loi
28 en 1971.
En chacune de ces circonstances, l'Assemblée nationale a dû
constater, si elle se préoccupe vraiment de l'opinion publique, quels
remous violents, contradictoires, complexes ont résulté de ces
séries de projets dont un seul jusqu'ici a pu être passé
la loi 63 et dont l'adoption, en dépit de toutes les
protestations populaires, parait n'avoir pas été
étrangère à la défaite du gouvernement d'alors, qui
avait dû, de toute façon, reculer ensuite sur la loi 62 comme sur
la loi 85.
On comprend mal que le gouvernement actuel, qui avait dû reculer,
lui aussi, sur la loi 28, revienne à la charge avec le projet de loi 22,
similaire aux 85, 63, 62 et 28, qui soulève, c'est évident, les
mêmes courants d'opposition.
Voilà donc de nouveau aujourd'hui la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal devant une commission parlementaire pour
dénoncer, cette fois, le projet de loi 22 qui mérite le
même sort que ses prédécesseurs.
MM. Dufresne et Bouthillier se feront nos porte-parole et
répondront ensuite à vos questions.
M. DUFRESNE: M. le Président, M. le ministre, avant d'entamer la
lecture du mémoire, je désire, en mon nom personnel, ainsi qu'au
nom de mes collègues, remercier la commission permanente de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications d'avoir bien
voulu nous convoquer, même à cette heure tardive, afin de nous
permettre de présenter nos vues.
Dans un mémoire sur la situation de la langue française et
sur les droits linguistiques au Québec présenté en 1970,
la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a fait
connaître ses vues qui n'ont pas changé depuis. A l'occasion de la
publication du projet de loi no 22, intitulé Loi sur la langue
officielle, nous désirons faire ressortir ce qui a été
retenu des recommandations soumises à la commission d'enquête et
démontrer ainsi que ce projet de loi ne répond que très
mal aux aspirations de la SSJB-M.
Les deux grands objectifs essentiels proposés alors se lisaient
comme suit : 1. Conférer à la langue française le statut
de la langue nationale et, par une législation appropriée, en
faire la véritable et seule langue officielle du Québec, afin de
la rendre non seulement utile, mais indispensable et suffisante dans tous les
domaines de la vie collective. 2.Assurer la restauration de la qualité
du français parlé et écrit au Québec afin de le
conformer au français international et d'en faire l'instrument d'une
civilisation dynamique et progressive.
Nous disions alors qu'en matière de langue, il existe un
état d'urgence et qu'il faut exercer à la fois une extrême
vigilance et une politique d'autodéfense dynamique de la langue. Or, que
trouvons-nous dans le projet de loi 22? Quelques déclarations de
principe qui répondraient aux besoins décrits plus haut si elles
n'étaient rognées dans leur portée et vidées de
leur sens, sinon carrément contredites par une foule de "toutefois", de
"néanmoins", de "mais", de "cependant", qui, à toutes fins
pratiques les rend inefficaces. A titre d'exemple, qu'est-ce qu'une langue
officielle qui, comme le stipule l'article 8, doit reculer devant une
minorité de 10 p.c? Minorité qui peut même, selon l'article
9, ne pas atteindre ces 10 p.c. Quelle est la langue qui peut prétendre
être officielle lorsqu'un citoyen sur dix a le droit de s'en passer et
peut imposer la sienne aux neuf autres?
Nous préconisons une politique d'autodéfense dynamique,
mais que nous offre ce projet de loi? De vagues mesures incitatives, comme
l'octroi de certificats aux entreprises qui voudront bien se conformer à
la loi. Cet article 32 nous semble le comble du ridicule. Si le gouvernement
persévère dans cette veine et qu'il accorde des bons points
à ceux qui respectent la loi, quand aurons-nous droit à une prime
pour avoir payé notre impôt ou pour avoir roulé en
deça de la vitesse permise? La seule récompense à laquelle
devrait avoir droit toute personne qui respecte la loi est de contribuer
à la bonne marche du pays. Le reste est superflu.
H est un point que le législateur a passé sous silence,
mais au sujet duquel nous aimerions connaître ses vues. Quel sort a-t-on
réservé aux maisons de commerce québécoises,
à raison sociale française, à personnel et à
direction francophones, qui pratiquent depuis des années ce que l'on
s'est enfin résolu à quémander aux multinationales
étrangères et anglophones? Ces maisons
canadiennes-françaises ou mieux québécoises, qui ont eu
à lutter d'arrache-pied pour soutenir la concurrence des maisons
anglo-canadiennes et américaines, voient maintenant leur propre
gouvernement prêt à verser des subventions à leurs
concurrents et ces subven-
tions seront puisées à même les fonds publics,
fournis par les impôts que ces commerçants francophones auront
payés.
Tant de sollicitude à l'égard des anglophones
révèle une attitude à la fois naive et insultante. Naive,
puisque depuis deux siècles nous n'avons jamais obtenu quoi que ce soit
dans le domaine de la langue, lorsque nous avons fait appel à leur bonne
volonté.
A titre d'exemple, n'existe-t-il pas une minorité
irréductible qui peuple Westmount, Notre-Dame-de-Grâce et Ville
Mont-Royal, et qui refuse obstinément de reconnaître le fait
français au Québec? Insultante à l'égard des
francophones du Québec, puisque en aucune circonstance, a-t-on eu
recours à leur égard à une semblable bonne volonté
agissante et concrète dans la promotion du français. Qu'a-t-on vu
plutôt? L'adoption de l'infâme loi 63 qui, bien qu'elle soit
abrogée, se retrouve et persiste encore sous une forme
déguisée dans plusieurs articles de la présente loi ou du
présent projet. Qu'a-t-on observé en plus? La fermeture avec une
persévérance et un acharnement monotone d'une foule
d'écoles où l'enseignement était dispensé en
français.
Ce projet de loi donc qui, sous un titre trompeur, prétend
conférer au français le statut de la langue officielle au
Québec, impose en réalité le bilinguisme à la
population francophone. Voyez les articles 11, 13, 14, 15, 16, 20, 22, 24, 38,
41 et autres pour vous en convaincre. Or, des spécialistes de la langue
se sont déjà prononcés sur les dangers d'imposer fortement
une langue seconde. Antoine Meillet, l'un des plus prestigieux d'entre eux, a
écrit: "Le changement de langue a pour effet, là où il a
lieu, que la population qui a adopté ainsi un parler étranger,
est bilingue durant un temps plus ou moins long. Alors l'ancienne langue tente
à se dégrader et la langue adoptée, qui est le moyen
général de communication, tente à devenir universelle...
"On ne peut se permettre de négliger des avertissements semblables. Par
les privilèges outrés qu'il accorde à la langue anglaise,
le projet de loi 22 dessert singulièrement le français, tant pour
le temps présent que pour les années à venir.
Dans son mémoire de 1970, la SSJB-M déclarait: "Pour que
le français soit véritablement langue nationale au Québec,
cette politique de la langue française couvrira la législation,
l'école, le monde du travail, les organes de diffusion de la langue
parlée et écrite, l'immense domaine de la publicité et de
l'affichage, avec le souci constant de la qualité et de la correction de
la langue, mais plus encore avec la volonté d'en rendre l'usage
indispensable partout." Or, si l'on retrouve dans le projet de loi 22 des
têtes de chapitre qui correspondent à l'énumération
citée plus haut, si l'on perçoit dans l'énoncé des
grands principes l'usage d'un vocabulaire qui ressemble comme un calque
à celui du mémoire de la SSJB-M, il ne faut pas pour autant
conclure que l'un soit la suite logique de l'autre.
Bien au contraire, par des restrictions multiples et des exceptions
accumulées à tout propos, il ne reste à l'article 130
qu'une coquille vide et creuse du grand principe contenu dans l'article 1.
L'article 103 du projet de loi prévoit des sanctions importantes
contre tout membre de la régie ou de son personnel qui se sera rendu
coupable d'indiscrétion dans l'exercice de ses fonctions. N'est-il pas
aberrant de constater la rigueur exemplaire avec laquelle on s'apprête
à sévir contre un malheureux fonctionnaire, probablement
francophone, qui se sera rendu coupable d'un tel délit, alors que, nulle
part dans cette loi, trouve-t-on la moindre sanction à l'égard
des compagnies anglophones multinationales qui jugeront bon de ne pas observer
les articles de cette loi? Jamais mentalité de roi nègre n'a
été si bien mise en évidence. Jusqu'où n'ira-t-on
pas pour se ménager les bonne grâces du colonisateur?
En plus des innombrables restrictions que l'on découvre à
la lecture de chaque chapitre du texte du projet de loi, il faut ajouter la
quantité encore inconnue d'ambiguités, de passe-droits, de
privilèges impliquée dans le pouvoir discrétionnaire
accordé au ministre dont on ne sait même pas qui il sera lorsque
les règlements de cette loi auront été
rédigés et seront prêts à être
appliqués.
A la lecture des articles 31, 48, 51, 66, 87 et autres, il semble
à l'observateur averti que les innombrables cas d'espèces qui
devront être soumis au ministre, en raison de la tortuosité de la
loi dans sa forme actuelle, formeront autant d'occasions d'empiéter
davantage sur le domaine déjà bien réduit du
français et ne serviront en fait qu'à administrer le coup de
grâce de l'assujettissement et de l'assimilation de la population
francophone du Québec.
Malgré les déclarations ronflantes que l'on trouve en
tête de chapitres, cette supposée loi sur la langue officielle ne
fait, en réalité, que confirmer légalement les
empiétements que la langue anglaise a perpétrés au
Québec à nos dépens, grâce à une
tolérance et à un esprit de pseudo-bonne entente, sournoisement
encouragés à notre détriment. Sous le titre fallacieux du
"français langue officielle", ce projet de loi ne tend qu'à
favoriser la pénétration dans notre milieu de la langue
étrangère, en lui accordant des privilèges qui, dans de
nombreux cas, la mettent sur un pied d'égalité avec la langue
prétendue officielle, alors que les circonstances sociologiques et
démographiques ne le justifient absolument pas.
Nous prévoyons qu'encore une fois on fera appel à notre
esprit de tolérance, à nos vertus civiques et qu'on poussera
même l'ironie jusqu'à nous parler du fameux "fair play", sorte
d'argument ultime dans ce domaine. Tous ces prétextes ayant
été maintes fois invoqués dans le passé pour nous
faire avaler couleuvres et crapauds, nous n'en serons pas indûment
étonnés.
Nous aimerions cependant souligner que,
puisque nous avons pratiqué ces vertus à sens unique
pendant 200 ans, il serait grand temps que la minorité anglaise,
à qui, généralement, on en attribue l'invention, nous en
fasse une démonstration afin de nous prouver que non seulement elle sait
les imposer à ses voisins mais qu'à l'occasion elle peut
elle-même les pratiquer.
M. BOUTHILLIER: M. le Président, toute politique linguistique
digne de ce nom doit s'établir sur le principe que le Québec est
un pays français et que, par conséquent, tout ce que le
Québec comporte de vie et de vitalité doit pouvoir s'exprimer en
français. C'est un principe simple, clair et vrai que la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a
réaffirmé dans son mémoire de 1970, exprimant ainsi le
secret mais tenace désir de l'immense majorité des
Québécois et sans doute de leurs représentants à
l'Assemblée nationale.
Ce principe éclaire la seule voie que peut suivre une
Assemblée vraiment nationale: toute politique linguistique doit tendre
à rapprocher les minorités de la majorité en
élevant les premières à la dignité de la seconde
par l'accès généralisé à la langue du pays.
La francisation, loin d'être pour les éléments
allogènes une contrainte, doit être pour eux un honneur et plus
encore un droit fondamental. Le Québec n'a pas le droit de refuser aux
minorités les conditions linguistiques d'une participation pleine et
entière à la vie de la majorité. Proclamons-le haut et
fort: Tout ce qui vit au Québec a un droit inaliénable à
la vie française. C'est là la seule politique conforme au
principe d'égalité qui doit guider le législateur. Le
français est la loi du Québec, tous les Québécois
ont un droit égal à la langue et à la vie
française. Par conséquent, tout ce qui, dans ce projet de loi et
ailleurs, tend à maintenir des éléments allogènes
séparés de la majorité par la langue, les moeurs et la
mentalité est de nature discriminatoire et doit donc être
combattu.
Certes, la mise en oeuvre du principe de francisation se heurtera
à des obstacles. Elle suppose donc un peuple et un Etat vigilants
décidés à s'attaquer avec vigueur et sans compromission
aux préjugés et aux mentalités nés d'une autre
époque. Mais il faut savoir ce que l'on veut. Donner et retenir ne vaut,
on ne peut donc changer et maintenir à la fois, ce qui disqualifie ce
projet de loi qui cherche précisément à ménager la
chèvre du français et le chou de l'anglais. Gouverner, c'est
choisir; il faut choisir et en tirer ses conclusions. On ne fait pas d'omelette
sans briser quelques oeufs, comme le dit le vieux proverbe. Le Québec
doit être français; ceux des éléments
allogènes qui refusent le français, ceux parmi eux qui
dissimulent leur mépris du français sous le thème
fallacieux des droits acquis et l'argument bizarre du contexte
nord-américain doivent savoir qu'ils s'enlèvent ainsi le droit au
titre de Québécois et s'interdisent tout recours à la
protection de l'Etat québécois. Cette politique d'affirmation
linguistique est du reste conforme à la pratique et à la sagesse
dès nations.
Pour s'en convaincre, il suffit de voir la politique implacable suivie
par certains Etats amis en ces matières: Belgique, Grande-Bretagne,
Israël. Messieurs, quand donc se lèvera parmi vous un
Eliézer Ben Yehuda de la francisation?
Les Québécois sont fiers de leurs titres français.
Ils ne sont pas moins fiers de leur qualité d'Américains du nord.
Encore doivent-ils être dignes de leur appartenance à ce continent
prodigieux où l'on sait depuis 1776 qu'il ne se bâtit rien de
solide sur les sables mouvants de l'humiliation collective et de
l'à-peu-près national.
Pour les raisons que nous venons d'exposer, ainsi que pour celles que de
nombreux autres organismes ont fait valoir et que nous n'avons pas jugé
nécessaire de répéter, nous déclarons
respectueusement que le projet de loi 22 sur la langue officielle, loin de
servir la cause du français au Québec, l'engage plutôt dans
une impasse d'où elle ne sortira qu'amoindrie, affaiblie et
diminuée; qu'au contraire, la langue anglaise, qui représente la
plus sérieuse menace à la survivance du français au
Québec, se voit accorder de nouveaux avantages et un prestige accru.
Comme il ne relève pas de notre compétence de
présenter à ce stade-ci de la session parlementaire un nouveau
projet de loi détaillé, nous demandons que le projet de loi 22
soit retiré et qu'il soit remplacé par une législation
plus conforme au désir de la majorité éclairée et
répondant mieux aux besoins de l'heure. Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, messieurs, l'honorable ministre de
l'Education.
M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour la
présentation de son rapport. Je n'ai pas de question pour l'instant.
LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de
Saint-Jacques.
M. CHARRON: M. le Président, messieurs de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, vous savez que
nous en sommes à notre troisième semaine d'études et il
est à peu près incontestable maintenant que plusieurs des
arguments servis par les différents groupes qui se succèdent
à cette table en viennent, à l'occasion, à reprendre, les
uns après les autres, je dois le dire, la charge et l'assaut contre ce
projet de loi qui a été éminemment de fois, je ne sais
combien de fois, plus dénoncé à cette table qu'applaudi.
Et encore les groupes applaudis, faut-il bien vérifier les motifs qu'ils
avaient. Ce projet de loi a donc été critiqué de gauche
à droite et de haut en bas depuis le temps.
Certains arguments ont sorti par leur qualité et par le fait
qu'effectivement, je crois, ils touchaient la réalité du projet
de loi. Jusqu'ici jamais aucun des organismes et encore moins le parti
ministériel n'a fourni d'argument pour faire le contrepoids.
Tout cela, à mon avis, ne milite pas, dans un sens contraire que
de dire : Maintenant que nous avons regardé de haut en bas et de gauche
à droite le projet de loi, cette commission, qui a soif de vacances,
pourrait se dire suffisamment informée et hâter les travaux. Ce
n'est pas vrai et je pense que le témoignage que vient de faire la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en est un
exemple.
Il y a souvent des arguments qui reviennent, c'est vrai, et on ne peut
reprocher à aucun groupe de les faire. Nous-mêmes, nous sommes les
premiers à le faire, mais chaque organisme et je pense que les
membres des media d'information qui suivent nos travaux ont eu l'occasion de le
remarquer éminemment plus nombreux sont ceux qui dénoncent
le projet de loi, apporte une contribution et invite la commission à
réfléchir sur un aspect en particulier. Sans aucune
prétention, je crois avoir découvert et, en fin de compte,
retrouvé plus clair que cela ne l'était dans aucun autre
témoignage, je pense, la contribution essentielle que vous faites
à nos travaux ce soir et c'est là-dessus que j'aimerais, pendant
quelques minutes, discuter avec vous.
Le chapitre que M. Bouthillier a lu, à la page 7. Le principe
selon lequel vous affirmez, pour la première fois peut-être de
façon aussi catégorique que des groupes l'ont fait, que: "La
francisation, loin d'être pour les éléments
allogènes une contrainte, doit être pour eux un honneur et, plus
encore, un droit fondamental: Le Québec n'a pas le droit de refuser aux
minorités les conditions linguistiques d'une participation pleine et
entière à la vie de la majorité. Proclamons-le haut et
fort: tout ce qui vit au Québec a un droit inaliénable à
la vie française." Le style de cette phrase prête,
évidemment, à commentaires et méritera certainement
certains ricanements de certains opinants, mais je pense que vous touchez un
élément fondamental, effectivement, dans la discussion en
cours.
On a éclairci entre nous la question, je pense, depuis tellement
de séances, des droits acquis. Plus personne à peu près
n'en parle, excepté le ministre de l'Education. Même son
collègue de la Justice est venu dire qu'il ne s'agissait là que
d'une mesure pratique.
M. CLOUTIER: M. le Président, c'est une question de
règlement. Je n'ai pas l'habitude de rétablir des faits, parce
que je passerais mon temps à parler.
Je n'ai jamais prononcé, depuis le début des travaux de
cette commission, l'expression "droits acquis". Je vous mets au défi de
retrouver cela dans le journal des Débats, et, de toute façon, je
ne crois pas qu'il y ait des droits acquis. J'adopte entièrement le
point de vue de la commission Gendron à cet égard. Le
problème se situe ailleurs.
M. CHARRON: Alors, le ministre de la Justice a qualifié le libre
choix de mesure pratique. Mais personne n'en est venu à parler de cette
intégration en respectant l'identité des minorités
à la vie française du Québec comme étant non
seulement une chose acceptable, mais même souhaitable, qu'ils participent
à la vie de la majorité.
Ce matin, le ministre, dans ses sophismes traditionnels, disait à
des groupes qui disaient: II faudrait laisser le libre choix aux anglophones
d'envoyer leurs enfants à l'école de la majorité, mais de
le retirer aux francophones ce prétendu droit, cette mesure pratique par
laquelle ils augmentent le nombre de la minorité. Et le ministre,
s'insurgeant comme défenseur des droits humains, dit: Mais quoi, vous
voulez permettre aux anglophones d'avoir plus de droits que les francophones en
auraient sur cette terre, oubliant, dans son sophisme, que nous parlons de
majorité et de minorité, et qu'il est tout à fait normal
qu'une minorité ait le droit, comme vous le réclamez, de
s'assimiler au groupe majoritaire.
Or, ma question a été une longue préparation, mais
j'aimerais que, sans hésiter, vous, également, n'importe lequel
de vous, messieurs, élaboriez ce que je crois être votre
contribution essentielle aux travaux de ce soir, cette réflexion que
vous avez faite quant à ce devoir ou à cette ouverture que nous
devons avoir à l'égard de la minorité dans le respect de
nous-mêmes.
M. BOUTHILLIER: M. le Président, est-ce le temps de
répondre?
LE PRESIDENT (M. Gratton): Oui, oui, je vous en prie.
M. BOUTHILLIER: Nous partons du principe très simple qui a
été affirmé dans plusieurs déclarations dont, je
crois, des déclarations tout à fait officielles qui viennent de
très haut, même si quelquefois elles viennent de très loin.
Dès que le Québec est un pays français, il doit être
un pays vivant, naturellement, normalement en français.
Si cela est vrai, je crois qu'il en découle une
conséquence très directe, très précise et
très concrète, que tous les habitants de ce territoire qui
s'appelle Québec ont un droit absolu à vivre cette vie en
français. Refuser à ces parties de la population de ce pays le
droit, leur refuser l'occasion, les moyens de se préparer à vivre
concrètement en français, je crois que c'est amoindrir cette
minorité. Je crois qu'il faut employer là, jamais auparavant
j'avais entendu l'expression employée en ce qui concerne cette chose
bien précise, je crois qu'il faut parler
d'attitude discriminatoire à l'égard de ces groupes
à qui l'on refuserait les moyens de vivre la vie en français.
Voilà, je pense, très simplement ce que l'on voulait dire dans le
passage que vous avez cité tout à l'heure.
M. CHARRON: Ce qui ne veut pas dire que vous souhaitez pour ces
minorités l'extinction de leur vie culturelle propre. Je crois que vous
allez, vous aussi, comme tous ceux qui ont pris des positions de ce genre,
avoir à subir les contre-attaques où très souvent on dira
que vos positions frisent le racisme ou le génocide, comme on a entendu
certains groupes anglophones le dire à cette même table où
vous êtes actuellement, que c'était ce que le gouvernement
pratiquait avec la loi 22, imaginez-vous donc!
Or, dans ce respect de la vie culturelle propre des minorités,
quel est à votre avis ce partage entre le fait que cette minorité
doit coexister avec la majorité pour son plus grand avantage, comme vous
le signalez, et qu'en même temps elle doit aussi se maintenir? Est-ce que
cela veut dire, par exemple, qu'une minorité importante de 10 p.c.
à 15 p.c. de Québécois aurait droit, selon vous qu'on lui
reconnaisse cette possibilité de maintenir un secteur anglophone
d'éducation ou si cela ne l'implique pas, à votre avis?
M. BOUTHILLIER: Concrètement, il faudrait d'abord identifier la
ou les minorités. S'agit-il d'une minorité qu'on appellerait
anglophone et qui englobe 20 p.c. de la population? S'agit-il, au contraire,
d'une minorité d'origine anglo-saxonne autour de laquelle s'agglutinent
d'autres minorités? Une fois qu'on a identifié les
minorités, il faudrait se demander quel est l'objectif, quelle est la
volonté collective de ces minorités. Veulent-elles continuer
à demeurer comme telles? La chose n'est pas évidente. Elle peut
l'être en ce qui concerne les Anglo-Saxons de tradition. C'est
probablement plus douteux en ce qui concerne la minorité italienne, la
minorité grecque, la minorité turque, etc.
A partir du moment où on a fait ces deux opérations, il
faut, je pense, appliquer les principes que nous avons appliqués. Nous
disons: Voilà, vous êtes Québécois, mais vous
êtes une minorité anglophone et vous voulez continuer à
maintenir votre identité d'anglophones. Vous êtes
Québécois, donc, préparez-vous à vivre la vie de
Québécois par la francisation, en acceptant la francisation, etc.
Vous êtes anglophones ou anglo-saxons et il se trouve que vous voulez
maintenir des éléments de votre culture, des
éléments de votre identité: Très bien. Si vous
acceptez et dans la mesure où vous acceptez de jouer la règle du
jeu québécois, l'Etat québécois saura vous
protéger. Et selon cette mesure, il y a une dialectique entre des
éléments de francisation par l'école, par l'Etat, par le
travail et des éléments de sécurité culturelle que
l'on pourrait aménager fort bien.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.
M. CLOUTIER: Le député de Saint-Jacques a posé une
question importante. Je me demande si vous avez répondu. Il vous a
demandé si vous étiez d'accord pour le maintien d'un secteur
anglophone d'éducation.
M. BOUTHILLIER: C'est exactement...
M. CLOUTIER: Je crois qu'on doit répondre par oui ou par non.
M. BOUTHILLIER: Ce que je veux dire, c'est qu'à partir du
principe que nous avons énoncé ici, que l'école au
Québec doit préparer tous les habitants du Québec à
vivre leur vie en français.
M. CLOUTIER: Vous n'êtes pas partisan d'un secteur anglophone
d'éducation.
M. BOUTHILLIER: Je serais, personnellement et je crois que c'est
un avis qui sera partagé par la société ici
partisan de plusieurs formules que l'on peut imaginer et je serais partisan
d'une intégration scolaire, étant entendu que, dans le cadre
intégré du régime scolaire québécois unique,
on pourrait aménager des poches de vie anglo-saxonne.
M. CLOUTIER: Vous n'êtes donc pas d'accord sur le contre-projet du
PQ qui maintient, suivant une formule un peu compliquée, un secteur
anglophone d'éducation?
M. BOUTHILLIER: Je ne suis pas venu discuter ici du contre-projet du
PQ.
M. HARDY: Pourquoi? Cela fait partie de l'ensemble de la discussion.
M. BOUTHILLIER: Je suis venu discuter ici d'un document qui porte le
nom: Projet de loi 22.
M. CLOUTIER: D'ailleurs, vous êtes parfaitement libre de
répondre ou de ne pas répondre. Je me suis simplement
contenté de poser la question, ce qui est aussi mon droit. Je ne vous en
veux absolument pas. Vous avez parlé, en cours de route, de pays
français. Est-ce que c'est parce que vous situez votre conception
linguistique dans l'optique de l'indépendance?
M. DUFRESNE: M. le ministre, si la réalisation de l'unilinguisme
français ou du français au Québec tient à
l'indépendance, peut-être faudrait-il envisager
sérieusement cette condition si elle doit être posée.
M. CLOUTIER: Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: Je voulais poser une question qui va peut-être un peu
dans le sens de la question qui vient d'être posée. Avant la
réponse qui vient d'être donnée, j'aimerais peut-être
poser une question supplémentaire. Dans votre optique rendre le
français langue officielle au Québec peut-il se faire dans le
contexte actuel?
Vous avez dit: S'il faut aller à l'indépendance. Mais
est-ce que vous croyez que cela peut se faire dans le contexte politique
actuel?
M. DUFRESNE: Cela peut être entrepris, mais évidemment que
la réalisation n'en sera pas pour demain matin. Ce sera un processus qui
devra se faire par étapes, puisqu'il y a, évidemment, une
minorité importante qui doit modifier ses habitudes. On ne peut exiger
que ces gens, qui ont vécu d'une certaine manière depuis
plusieurs années, soient subitement forcés à changer d'une
façon draconienne leur mode de vie, du jour au lendemain. Je crois
qu'avec une planification efficace, il y aura moyen de réaliser et
d'atteindre cet objectif dans un délai relativement court.
M. SAMSON: Croyez-vous que cela peut se faire sans aller à
l'indépendance comme vous avez dit tantôt? Vous avez dit: S'il
faut aller là, il faudra y aller. Croyez-vous quand même que cela
peut se faire sans qu'on aille là?
M. DUFRESNE: J'imagine que c'est tout à fait possible.
M. SAMSON: Vous imaginez que c'est possible.
M. DUFRESNE: Encore faut-il le tenter.
M. SAMSON: Oui, d'accord. Il y a une autre chose qui m'intéresse
énormément. Vous avez dit à la page 1 de votre
mémoire, article 2: "Assurer la restauration de la qualité du
français parlé et écrit au Québec, afin de le
conformer au français international et d'en faire l'instrument d'une
civilisation dynamique et progressive". Est-ce que, par là, vous voulez
dire que même dans le contexte du français à
l'enseignement, il faudrait faire plusieurs efforts pour en arriver à ce
que, finalement, le français soit mieux enseigné dans le
système actuel de l'enseignement? C'est cela que vous avez voulu
dire?
M. DUFRESNE: Vous avez parfaitement bien lu, M. le Président.
M. SAMSON: Bon, d'accord. Je pense que c'est M. Bouthillier qui a dit
tantôt que l'école doit préparer les enfants à une
vie totale en français, c'est à peu près cela, en tout
cas. L'école doit nous mieux préparer à une vie
complète en français. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait quand
même aller plus loin et permettre, par des moyens d'un meilleur
contrôle de notre économie, d'assurer que le français soit
finalement une langue qui sera rentable économiquement? Si, d'une part,
on tient pour acquis que vous voulez qu'on prépare tout le monde
à une vie complète en français, il faudrait que, d'autre
part aussi, je pense, si on suit la logique, on en arrive à assurer que
cela se fera, mais que cela sera économiquement rentable aussi pour la
bonne raison que si on est encore obligé de travailler dans une autre
langue ou de faire des affaires dans une autre langue, cette préparation
n'aura pas valu grand-chose. Est-ce que je comprends bien si j'en déduis
que vous voulez aussi que cela aille aussi loin que prendre le contrôle
du notre économie dans un sens qui permettrait que cette langue soit
aussi rentable?
M. BOUTHILLIER: Est-ce que c'est une question?
M. SAMSON: Oui, c'est une question.
M. BOUTHILLIER: M. le Président, une politique linguistique se
fait sur plusieurs plans à la fois, notamment sur le plan de la langue
de l'Etat, de la langue de l'école, de la langue de l'économie,
ou du travail, si vous voulez. Une véritable politique suppose une
action sur chacun de ces plans. D'autre part, il est évident que, pour
chacun de ces plans, les calendriers pourront varier. Il est vrai aussi que les
méthodes pourront varier d'un plan à l'autre. Puisque nous
parlons ici de loi, puisque nous parlons ici d'une décision qui doit
être prise par l'Etat du Québec, il est évident que l'Etat
du Québec, dans la situation actuelle, d'ores et déjà,
dispose de moyens, si vous voulez, a une prise plus directe sur les
réformes concernant la langue de l'Etat et des réformes
concernant la langue de l'école que, sur les réformes concernant
la langue de l'économie et la langue du travail qui supposent des
concours extérieurs au gouvernement du Québec, qui supposent les
concours des dirigeants des entreprises. Nous sommes ici en présence des
dirigeants de l'Etat.
Ils ont une décision à prendre à l'heure actuelle,
ils ont une prise directe sur la langue de l'Etat et la langue de
l'école. On est en droit de s'attendre qu'ils agissent le plus
rapidement possible, le plus directement possible sur ces secteurs. Qu'ils
agissent aussi sur l'autre, c'est évident, mais on peut s'attendre que
leur action, on peut s'attendre que leurs méthodes aboutissent à
des résultats sur une période plus longue. Mais, d'ores et
déjà, l'Etat, ici, les gens qui sont ici et qui constituent un
Etat disposent des moyens pour agir très rapidement en faveur de la
francisation de la langue de l'Etat et de la langue de l'école.
M. SAMSON: A la page 5, deuxième paragraphe, vous mentionnez que
des sanctions sont prévues pour les petits et qu'il n'y a pas de
sanction pour les gros. Je résume assez bien votre pensée, je
pense.
M. DUFRESNE: En effet, oui.
M. SAMSON: Est-ce que, dans cette optique, vous auriez des suggestions
à faire quant aux sanctions devant apparaître dans le projet de
loi 22 pour les contrevenants?
M. DUFRESNE: M. le Président, c'est à la lecture de la loi
que je me suis interrogé en essayant de me mettre dans la peau d'un
dirigeant d'entreprise qui désirerait résister aux mesures
incitatives, qui ne seraient peut-être pas suffisamment incitatives pour
lui, et voir ce qui pourrait m'arriver. Alors, à la lecture des
différents articles, je n'ai rien trouvé. Je me suis
demandé si un certain nombre d'entre eux, devant l'effort que cela
pourrait leur demander, les ennuis, les tracas que cela pourrait
peut-être leur causer, ne jugeraient pas préférable, tout
simplement, de passer outre et de ne pas s'en occuper. Alors, c'est la raison
pour laquelle j'ai trouvé étrange qu'on soit prêt à
punir d'une façon exemplaire un fonctionnaire public alors que d'autres
coupables n'auraient vraiment rien à craindre à transgresser la
loi.
M SAMSON: J'aimerais savoir si vous avez poursuivi vos études
jusqu'au point d'apporter certaines suggestions à la commission
concernant ces sanctions dont vous n'avez pas...
M. DUFRESNE: Je vous dirai que je n'ai pensé à aucune
sanction qui pourrait s'exercer et je crois que ce n'est pas
nécessairement de notre domaine, mais j'ai trouvé étrange
qu'il n'y en ait pas.
M. SAMSON: Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de
Laporte.
M. DEOM: M. le Président, pour faire comme le président de
la Société Saint-Jean-Baptiste à la page 9, j'ai
l'impression que c'est une phrase qu'on a entendu répéter depuis
200 ans. Quand on dit "qu'au contraire, la langue anglaise qui
représente la plus sérieuse menace à la survivance du
français au Québec", j'ai l'impression qu'on a entendu cette
phrase ou que quelqu'un l'a dite. Peut-être qu'il faudrait que je fouille
dans l'histoire, mais c'est une phrase qu'on a entendue très souvent.
Pourtant, la langue française ne se porte pas plus mal, j'ai
l'impression, aujourd'hui qu'il y a 200 ans pour une raison très simple,
c'est qu'elle a été protégée pendant ces 200 ans
par des barrières sociologiques qui étaient le clergé, son
taux de natalité et le caractère rural de sa population. Depuis
1960, la langue s'est retrouvée dans un vacuum sociologique. Le bill 22
propose de lui donner maintenant une barrière juridique, comte tenu du
contexte géographique dans lequel on se situe et dont il est difficile
de faire abstraction. Est-ce que le fait d'accorder un certain nombre de
privilèges vous appelez cela ainsi à la langue
anglaise va changer quelque chose à la barrière juridique que
l'on donne maintenant, par le bill 22, au français?
M. DUFRESNE: M. le Président, je me demande si le dernier
intervenant n'a pas noté une certaine détérioration de la
langue française au Québec depuis l'avènement des grands
moyens de communication comme la radio et la télévision, sans
parler du cinéma, qui nous poursuivent constamment, jusque dans nos
foyers, à longueur de journée, qui nous viennent non seulement de
notre propre territoire, mais des territoires avoisinants et où la
proportion de programmes de langue anglaise est souvent supérieure
à la proportion de programmes en langue française. Je crois que,
si nous nous interrogeons personnellement, nous nous apercevons qu'il y a eu
effectivement l'apparition de ce qu'on a qualifié, il y a
déjà plusieurs années, de jouai; ce n'était pas
nécessairement une nouveauté, mais je ne me sens pas aussi
sûr que l'interlocuteur au sujet de la bonne santé de la langue
française. Il existe une minorité qui fait son possible pour
s'exprimer dans le meilleur français possible. Par ailleurs, il suffit
d'entendre parler l'homme de la rue pour se rendre compte qu'il y a des
progrès énormes à faire avant d'atteindre la
qualité du français international que nous recommandons.
Maintenant, je crois que la barrière linguistique dont il est
question peut peut-être contribuer quelque chose à ce
redressement, mais si on entend depuis 200 ans tellement de bouches dire que la
langue anglaise est peut-être la menace la plus sérieuse à
la survivance du français, c'est peut-être parce que c'est vrai.
Après tout, tout le monde ne peut pas avoir tort continuellement; ce
n'est pas moi qui l'invente, il y en a d'autres qui l'ont dit avant moi. Alors,
je considère que ce projet de loi que l'on nous propose est insuffisant
et surtout que les moyens que l'on cherche à employer pour atteindre les
objectifs qu'on s'est fixés risquent fort de tomber court.
M. BOUTfflLLIER: M. le Président, est-ce que je peux
ajouter...
M. DEOM: Je veux juste souligner que vous ne répondez pas
à ma question. Peut-être que je me suis mal exprimé. D'un
côté, la langue française a été munie d'un
système de protection sociologique pendant 200 ans. De l'autre
côté, à cause de la disparition de ce système de
protection, le bill 22 propose de lui donner un système de protection
juridique. Ce que je vous demandais, c'est si le fait d'accorder un certain
nombre de droits individuels à l'anglais va ajouter au système de
protection de la langue anglaise. Parce que la langue anglaise a un
système de protection sociologique qui va continuer à fonctionner
indépendamment, que vous fassiez une loi ou non, ou que vous fassiez
une loi uniquement sur la langue officielle. Il est là, le
système de protection, et c'est le continent américain.
D'un côté, je vous demande si le fait d'inclure la
reconnaissance des droits individuels à l'anglais dans le bill 22 va
changer la portée, la dynamique du système de protection
juridique qu'on propose pour le français?
M. BOUTHILLIER: M. le Président, je vais tenter de
répondre à cette question. Il est certain que, vu la situation
historique et géographique dans laquelle le Québec se trouve, il
faut agir avec fermeté et pour tout dire, avec intransigeance sur le
plan de la défense et de la promotion de la langue de la
majorité.
Je ne veux pas porter de jugement sur l'évolution de la
qualité du français au Québec. Je ne suis pas linguiste et
même les linguistes auraient beaucoup d'études à
entreprendre pour répondre à cette question. Mais je vais, si
vous voulez, m'adresser à un exemple étranger qui montre combien
les états "normaux" sur le plan linguistique, prennent des mesures
très nettes, très précises pour assurer la protection de
leur langue sur leur territoire, si vous voulez, j'appelle votre attention sur
un fait qui s'est produit il y a deux ans en Grande-Bretagne.
Il s'agit d'une situation qui s'est produite dans une banlieue de
Londres, la banlieue de Southall où s'était rassemblée, au
travers des années, depuis la guerre, une concentration assez forte
d'immigrants venus, je le précise, des pays du Commonwealth, des pays
asiatiques et des Antilles.
Voilà donc cette minorité d'immigrants,
d'éléments allogènes en plein coeur de Londres qui
commence à faire des enfants, qui envoie ses enfants dans les
écoles des quartiers où elle se trouve et, ayant fait sans doute
beaucoup d'enfants, se retrouve majoritaire dans les écoles des
quartiers où ils fréquentent des petits Anglais nés de
mères anglaises, ayant l'anglais pour langue maternelle, etc.
Le gouvernement, les autorités scolaires de Londres se sont
alarmés, se sont inquiétés de la situation. Pourquoi?
Ont-ils craint que ces immigrants n'installent à Londres des poches de
vie étrangère? Non, pas du tout. Ils ont craint pour la
qualité de la langue parlée par les petits Anglais de Londres.
Ils ont craint une détérioration de cette qualité de la
langue au contact d'éléments allogènes. Ils ont pris une
mesure draconienne compte tenu du contexte. Ils ont pris une mesure qu'ils ont
appelé la "policy of dispersal". Ils ont établi un plafonnement
dans les écoles du quartier; il n'y aura que 40 p.c. d'enfants
d'immigrants. Les autres seront dispersés et ils le sont effectivement,
avec le résultat que des enfants doivent parcourir jusqu'à cinq
milles par jour pour aller à leur école. Si vous voulez un
complément d'information, je vous renvoie au Montréal Star qui a
eu la bonne idée, lui, semble-t-il d'attirer notre attention
là-dessus, en date du 29 mars 1972. Merci.
M. VEILLEUX: Pour continuer...
M. CLOUTIER: Ce n'est pas que le gouvernement britannique a pris des
mesures de discrimination contre ces immigrants du Commonwealth.
M. VEILLEUX: Pour continuer dans la veine du député de
Laporte, selon les propos que vous venez de tenir, est-ce que, si je comprends
bien et si on veut être clair, compte tenu de l'exemple que vous venez de
donner et qui s'est passé à Londres, dans votre esprit, on
devrait faire la même chose aux minorités qui se retrouvent au
Québec?
M. BOUTHILLIER: Ce que je dis et voilà l'utilité
d'apporter cet exemple ici c'est que si une majorité comme la
majorité anglaise sent le besoin d'être extrêmement
vigilante pour défendre sa langue ou la langue parlée par
quelques milliers ou par quelques dizaines de milliers d'autochtones sur son
propre territoire, à plus forte raison, me semble-t-il, le
Québec, dans la situation que nous connaissons tous, doit prendre des
mesures extrêmement rigoureuses pour assurer la défense et la
promotion de sa langue.
M. VEILLEUX: Je suis d'accord. Il y a plusieurs fois que vous dites
qu'on doit prendre des mesures assez fortes pour protéger. Nous avons un
projet de loi 22. Vous avez dit tout à l'heure au ministre de
l'Education: Pour nous, il n'est aucunement question de discuter autre chose
que le projet de loi 22.
Vous prenez le projet de loi 22, au chapitre de l'enseignement,
où on donne et on laisse une reconnaissance, comme principe, au secteur
anglophone au Québec. Moi, je vous pose carrément la question.
J'aimerais avoir une réponse, si possible, une véritable
réponse à la question que je vais vous poser. Est-ce que vous
êtes d'accord sur le principe? Dans les modalités, on en
rediscutera tout à l'heure. Mais êtes-vous d'accord sur un
principe comme celui-là qui reconnaît le secteur francophone et
qui conserve le secteur anglophone? Même si on ne conservait le secteur
anglophone qu'aux seuls anglophones vivant présentement au
Québec, moi, je vous pose la question: Etes-vous d'accord sur un
principe comme cela ou si vous ne l'êtes pas?
M. BOUTHILLIER: Nous sommes...
M. VEILLEUX: Parce qu'il y a des groupes qui sont venus ici et qui nous
ont dit: Nous, c'est un seul réseau d'enseignement francophone qu'on
veut au Québec. Moi, je vous pose la question: Est-ce cela qu'on doit
établir au Québec ou si on doit conserver, si ce n'était
qu'à la minorité anglophone, comme gouvernement, un secteur
anglophone d'enseignement? Je vous pose la question.
M. BOUTHILLIER: M. le Président, je pense que je
référerais M. le député à ce que l'on disait
tout à l'heure, à la réponse que l'on faisait tout
à l'heure, à savoir qu'en partant des principes que vous savez,
ils sont Québécois, la langue du Québec et le
Québec, il faut faire en sorte que l'école les intègre
à cette vie. Dans la mesure où ils acceptent de jouer le jeu du
Québec, le Québec, en retour, peut accepter de leur
reconnaître certains privilèges linguistiques ou scolaires.
Il est entendu qu'à ce moment-là il faudra définir
les modalités. Il est entendu qu'on pourra prévoir, si vous
voulez, que ces écoles où il y aura des éléments de
vie anglophone soient quand même des écoles qui préparent
à la vie québécoise...
M. VEILLEUX: Très bien.
M. BOUTHILLIER: ... par la langue, par les moeurs et la
mentalité.
M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, vous acceptez, au moins pour la
minorité anglophone, un réseau anglophone.
M. SENECAL: A l'intérieur du secteur francophone.
M. VEILLEUX: C'est un secteur unique... M. SENECAL: Oui.
M. VEILLEUX: ... francophone que vous voulez.
M. SENECAL: Certainement.
M. VEILLEUX: C'est cela que je voulais savoir de vous, si vous
étiez pour un secteur unique francophone.
M. SENECAL: Sans l'ombre d'un doute.
M. VEILLEUX: C'est tout ce que je voulais savoir. Vous avez
répondu à ma question. C'est l'unilinguisme; en d'autre mots,
c'est l'assimilation.
M. SENECAL: Cela m'a pris du temps moi-même à voir ce que
vous me demandiez.
M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, c'est l'assimilation
complète des minorités au secteur francophone au Québec.
C'est ce que vous voulez.
M. SENECAL: Oui.
M. VEILLEUX: C'est tout, cela répond à ma question.
M. DEOM: Ma question traditionnelle, M. le Président, comment
avez-vous préparé ce mémoire?
M. SENECAL: Je pense, M. le Président, que nous avons
déjà répondu à cela dans mes remarques
préliminaires. Dans notre cas, c'est presque gênant de se faire
poser la question, parce que cela fait déjà presque huit
années que nous parlons de ces questions à un tel point que, pour
nous, cela sonne un peu comme du ramassis. Dans nos divers congrès, des
résolutions, etc., vous avez vous-mêmes, enfin, le gouvernement...
Le gouvernement a changé de couleur, mais les divers gouvernements ont
reçu nos mémoires...
M. HARDY: On change de couleur parfois... M. SENECAL: Pardon?
M. HARDY: A la société aussi, on change de couleur.
M. SENECAL: Je suis heureux, M. le Président, qu'on me pose cette
question, parce qu'il y a un fait, je pense, qui est remarquable dans le cas de
la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. C'est que,
malgré des changements à la direction de la
société, c'est drôle comme il y a eu une constante au sujet
de la langue. Je crois que c'est très remarquable et je crois que c'est
très significatif. Il y a eu une constante très remarquable et
ces rapports ont été déposés au gouvernement au
long des années. J'en ai parlé dans mes remarques d'introduction.
Vous allez remarquer qu'il y a une constante, à mon sens, très
remarquable.
M. DEOM: Ce qui m'intéresse, ce n'est pas la position que vous
avez prise depuis 1968, mais la position que l'association a prise sur le bill
22, parce qu'on est face à un document très concret qui est un
projet de loi. On est ici pour savoir comment les individus ou les groupes
peuvent interpréter de façon complètement
différente le même article de loi. Ce que je vous demande est:
Est-ce que le bill 22 a été soumis à votre
assemblée générale et est-ce que c'est de cette
assemblée que découle votre prise de position?
M. DUFRESNE: M. le Président, le mémoire qui vous a
été soumis ce soir n'a pas été soumis à
l'Assemblée générale comme telle puisque le temps ne le
permettait pas et que notre congrès était déjà
passé.
Mais il est fondé sur des principes qui ont été
énoncés, qui ont été débattus, qui ont
été adoptés à la majorité, dans un nombre
considérable d'assemblées, de congrès annuels
généraux des années précédentes, et on peut
dire que ce qu'on y retrouve a déjà été
approuvé plusieurs fois par la Société Saint-Jean-Baptiste
de Montréal en assemblée annuelle générale.
M. SENECAL: J'ajouterais même, M. le Président,
là-dessus, que le député de Laporte peut se consoler. Nous
avons même pris la peine
d'ajourner le dernier congrès plutôt que de le
clôturer dans l'espoir que ce fameux projet de loi serait
déposé dans les délais que le gouvernement avait
annoncés à l'époque. Ces délais n'arrivant pas, il
a bien fallu tenir la deuxième étape de notre congrès,
mais il n'est toujours pas clôturé.
M. VEILLEUX: J'aurais une dernière petite question à vous
poser...
LE PRESIDENT (M. Gratton): La dernière.
M. VEILLEUX: ... en lisant la dernière ligne de votre
mémoire. C'est écrit: Remplacé par une législation
plus conforme aux désirs de la majorité et répondant mieux
aux besoins de l'heure. Quand vous avez lu le mémoire, si on retrouve le
journal des Débats, vous avez dit: "Aux désirs d'une
majorité éclairée". Pourriez-vous m'éclairer sur ce
que peut être la majorité éclairée dans votre
esprit?
M. BOUTHILLIER: Cela nous paraissait aller de soi.
M. VEILLEUX: Pardon?
M. BOUTHILLIER: Cela nous paraissait aller de soi que la majorité
dont on parlait était éclairée.
M. VEILLEUX Est-ce que, dans votre esprit, l'ensemble de la population
peut constituer une majorité éclairée?
M. BOUTHILLIER: Si on veut bien se donner la peine de l'éclairer,
si on veut bien se donner la peine de l'informer, si on veut bien prendre la
peine de cesser de lui raconter toutes sortes d'histoires, depuis le temps
qu'on nous raconte des histoires sur la langue ici. Si on voulait bien, un
jour, établir un débat sérieux, je pense qu'effectivement
on pourrait parler d'une majorité éclairée.
M. VEILLEUX: Monsieur, je suis exactement du même avis que vous.
On devrait discuter d'un projet de loi sur la langue en faisant abstraction de
toute émotivité. Quelles que soient les parties qui en discutent,
je suis parfaitement d'accord avec vous pour dire qu'à ce moment, la
majorité de la population serait plus éclairée qu'elle
peut l'être, compte tenu de l'émotivité que les gens, en
règle générale, que ce soit n'importe quel
côté, semblent vouloir mettre, lorsqu'on discute du
problème de la langue.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Dernière question, environ deux
minutes...
UNE VOIX: M. le Président, pourquoi permettez-vous que le
mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste soit
débattu par un type à l'accent européen?
LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! J'invite le chef de l'Opposition
à poser une dernière question. Il reste deux minutes au
côté de l'Opposition.
M. MORIN: M. le Président, nos invités ont
mentionné dans leur mémoire la sagesse des nations sous la forme
de divers exemples étrangers. Vous mentionnez la politique implacable
suivie par certains Etats comme la Grande-Bretagne, la Belgique, Israël,
et à propos de ce dernier pays, vous faites appel aux mânes
d'Eliézer Ben Yehuda. C'est une évocation que j'aurais
aimé entendre dans la bouche du Congrès juif canadien qui,
malheureusement, ne s'est pas présenté ce matin.
C'est en effet en grande partie grâce à l'action de Ben
Yehuda et à son Conseil de la langue hébraïque si
l'hébreu est devenu, de langue littéraire et liturgique, une
langue vivante, une langue parlée tous les jours dans la rue en
Israël. L'hébreu est devenu, grâce à cet homme,
grâce aussi à Frischmann et à Dolitsky, une
véritable langue nationale. Comme question de fait, c'est devenu
l'expression même de la renaissance nationale, en même temps que sa
raison d'être.
Pourriez-vous nous décrire brièvement les politiques
rigoureuses qui ont été mises en oeuvre dans certains pays? Vous
avez déjà mentionné l'exemple de la Grande-Bretagne, mais
peut-être conviendrait-il de s'étendre également sur
Isarël, et éventuellement aussi, mais peut-être plus
brièvement sur la Belgique, dont nous avons déjà
parlé. L'exemple d'Israël risque d'être utile à plus
d'un titre, puisque, sans doute, viendront témoigner devant cette
commission, d'ici quelques jours, voire quelques semaines, des
représentants de la minorité juive de Montréal. Il serait
donc utile peut-être que vous nous brossiez un tableau rapide de la
situation dans ce pays.
M. BOUTHILLIER: Rapidement, si vous voulez, M. le Président, je
rappellerai qui était Eliézer Ben Yehuda, qui n'est, après
tout, pas un personnage familier sous le ciel québécois. Ben
Yehuda est né en 1858, mort en 1922, voilà qui le situe dans le
temps.
Ben Yehuda était publiciste, lexicographe et surtout, bien
sûr, patriote juif israélien.
Il a vécu en Israël très jeune et il était
dans un pays où on parlait un nombre incroyable de langues. Il en est
arrivé à la conclusion que le seul ciment possible pour
l'unité nationale de ce pays, que la seule façon de raffermir le
sentiment national juif était de donner à ce peuple juif, comme
langue nationale, comme langue pouvant exprimer l'amour, la guerre, la paix,
etc., la langue traditionnelle du peuple juif, c'est-à-dire
l'hébreu.
Vous imaginez qu'il s'est trouvé devant un problème
technique immense. Il fallait faire de cette langue, qui n'était plus
qu'une langue, une espèce de latin, une langue liturgique, une
langue pouvant exprimer la vie moderne, la vie du XXe siècle.
Cela ne l'a pas arrêté, bien entendu. Il s'est mis à
la tâche et il a inventé les néologismes qu'il fallait pour
élever la vieille langue hébraïque à la
dignité et à l'utilisation d'une langue du XXe siècle.
C'était un problème qu'il a résolu. Vous trouverez
son dictionnaire qui montre bien comment il a trouvé solution à
ce problème.
A côté de ce problème technique, et c'est
là-dessus que je voudrais appeler l'attention des membres, il s'est
heurté à un obstacle psychologique, autrement dit politique,
autrement plus grave. Il s'est heurté au scepticisme et à
l'incrédulité des siens, de ceux-là mêmes pour
lesquels il voulait cette réforme. Il a constaté que le propre
peuple juif ne voulait pas, ne croyait pas à la possibilité de
faire de l'hébreu la langue nationale.
Or, il a employé la seule méthode, la seule attitude
capable précisément de briser les idées reçues,
capable de heurter de plein fouet ces vieilles mentalités. Il a eu une
attitude d'intransigeance extrêmement rigoureuse.
D'abord, sur le plan personnel, sur le plan du comportement personnel,
par exemple, Ben Yehuda était un homme qui refusait l'accès chez
lui à quiconque n'acceptait pas de lui parler en hébreu.
Voilà pour le plan personnel.
Sur le plan public, il a lutté d'arrache-pied, constamment,
contre les siens, et c'est ce qui est le plus intéressant. Je pense que,
s'il avait fait un sondage d'opinions, il aurait reçu une réponse
tout à fait négative, je me permets de le souligner au passage.
Il a lutté contre les siens pour leur imposer, pour leur faire
comprendre, à valeur d'exemples, la possibilité de faire de
l'hébreu la langue de tous les jours. Il n'a reculé devant aucune
méthode, y compris l'autodafé.
Voilà, brièvement, la vie, l'action de Ben Yehuda. On me
signale qu'il y a des biographies sur le personnage. Je vous remercie, M. le
Président.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, nous vous remercions pour la
présentation de votre mémoire. J'invite immédiatement
l'Alliance des professeurs de Montréal à bien vouloir se
présenter à la table, s'il vous plaît.
MME LEONARD: Je m'excuse, M. la Président. Est-ce que je
pourrais, s'il vous plaît, vous demander une faveur? Je suis Solange
Léonard, serétaire générale de la
Société Saint-Jean-Baptiste. J'ai écrit un mémoire
et je crains de ne pas être appelée à temps. Je crois que
la commission parlementaire va se terminer avant. J'aimerais le lire. Il n'a
que deux pages. Cela va vous prendre deux minutes. Je voudrais, s'il vous
plaît, exposer le point de vue féminin de la Société
Saint-Jean-Baptiste. Est-ce que je peux, s'il vous plaît?
LE PRESIDENT (M. Gratton): On s'excuse...
MME LEONARD: Vous n'avez aucune question à poser. Vous n'avez
qu'à écouter.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je comprends, Madame, mais vous comprendrez
que, si on acceptait de créer ce précédent, nous nous
exposerions à avoir des requêtes semblables tous les jours et pour
toute chose.
MME LEONARD: Est-ce que...
LE PRESIDENT (M. Gratton): A moins d'obtenir la consentement unanime des
membres de la commission, je devrai vous refuser...
MME LEONARD: Est-ce que vous avez entendu le point de vue des
mères de famille à cette commission?
LE PRESIDENT (M. Gratton): J'avoue que je n'en sais rien.
M. MORIN: Est-ce qu'on peut le considérer comme faisant partie du
mémoire de la SSJB?
LE PRESIDENT (M. Gratton): Est-ce que j'ai le consentement unanime des
membres de la commission?
M. MORIN: Vous avez le mien, celui de l'Opposition. Nous pouvons
peut-être considérer que ce mémoire fait partie de la
présentation de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal.
MME LEONARD: Si on ne l'a pas inclus dans le mémoire, M. le
Président, c'est parce que c'est un mémoire qui était
composé et conçu par des hommes et le mien ne pouvait pas,
étant conçu par une femme, être inséré. Vous
comprenez.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Vous comprendrez, madame, qu'on a
déjà dépassé de plus de dix minutes le temps
alloué à la Société Saint-Jean Baptiste.
MME LEONARD: Deux minutes.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Je dois demander à la commission de me
donner une directive. Est-ce que c'est du consentement unanime de la
commission?
M. HARDY: Je doute, j'ai une conception plus évoluée que
cela du rôle des femmes dans la société. Je ne vois pas
comment votre perception du problème de la langue soit tellement
différente, à moins que ceux qui vous ont
précédé tantôt, soient à ce point
conservateurs qu'ils ne puissent pas englober le point de vue féminin
dans leur présentation. D'autre part, je pense bien, madame, si c'est
simplement pour en faire la lecture, que vous pouvez le déposer et que
tous les membres de la commission pourront lire votre mémoire, le
prendre en considération et que votre point de vue sera
sûrement aussi bien respecté que si vous en faisiez la
lecture. M. le Président a signifié tantôt que ce serait un
précédent, il y a un autre organisme qui doit se faire entendre
maintenant. Je pense que nous n'avons pas à bouleverser le calendrier de
nos travaux. D'autant plus, encore une fois, je le répète, que
votre mémoire, en le déposant, sera pris en considération
par tous les membres de la commission.
MME LEONARD: Mais je...
LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, madame, je retiens la suggestion du
ministre des Affaires culturelles, je vous inviterais à déposer
auprès du secrétaire des commissions, M. Pouliot qui est
derrière moi, votre mémoire qui sera présenté
à tous les membres de la commission et qui, j'en suis certain, recevra
toute l'attention qu'il mérite. Alors, j'invite, encore une fois,
l'Alliance des professeurs de Montréal.
MME LEONARD: Vous êtes très durs vis-à-vis des
femmes du Québec, permettez-moi de vous le dire, parce qu'il n'y a pas
un organisme féminin qui s'est fait entendre...
LE PRESIDENT (M Gratton): A l'ordre, madame! Je m'excuse...
MME LEONARD: Je proteste au nom de toutes les femmes du Québec,
je proteste. Je vous avertis, vous vous...
LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, s'il vous plait! Je m'excuse, je
ne peux pas vous permettre de faire des représentations semblables. Si
vous insistez, je devrai suspendre les travaux de la commission. Alors,
j'invite l'Alliance des professeurs de Montréal à bien vouloir
prendre place à la table, s'il vous plaît.
Est-ce que le porte-parole de l'alliance est bien M. Robert Chagnon?
M. CHAGNON (Robert): C'est bien cela, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, M. Chagnon, je vous demanderais s'il
vous plaît de nous présenter ceux qui vous accompagnent et de
noter que vous avez à votre disposition une vingtaine de minutes pour
faire votre présentation.
Alliance des professeurs de Montréal
M. CHAGNON (Robert): Vous me permettrez d'abord, M. le Président,
de vous présenter les membres de notre délégation. A ma
droite, Mlle Huguette Lamarre, et à ma gauche Mlle Pierrette Beaudoin et
M. Bernard Laplante.
Des remarques préliminaires: compte tenu du délai
extrêmement court que nous avons eu pour vous présenter un
mémoire, entre la présentation du projet de loi 22 et ce moment,
nous n'avons pas cru bon de reprendre dans notre mémoire les positions
exprimées par deux organismes dont nous sommes membres et dont nous
partageons, à la fois les analyses et les recommandations, soit la
Corporation des enseignants du Québec et le Mouvement Québec
français. Nous vous présentons ce soir le point de vue d'un
organisme qui regroupe des gens qui oeuvrent quodidiennement dans le milieu de
l'éducation à Montréal. C'est un témoignage
d'expérience que nous vous soumettons, plus que des analyses savantes.
Notre mémoire comporte un certain nombre de remarques
générales sur le projet de loi 22 et des remarques
particulières auxquelles nous nous attachons sur la langue
d'enseignement.
Le droit naturel des peuples à diposer d'eux-mêmes porte
comme corollaire celui du droit à acquérir les instruments
nécessaires à la survie et au développement d'une
identité nationale propre. La langue est sans doute à cet
égard l'élément, à la fois le plus apparent, le
plus quotidien, le plus signifiant. En ce sens, un projet de loi sur la langue
au Québec d'aujourd'hui n'a de véritable cohérence
à nos yeux que dans la mesure où il permet à la
majorité française de vivre en français. Il n'a de sens
que dans la mesure où il reconnaît explicitement à l'Etat
la responsabilité première de protéger cette
identité nationale et où il prévoit et facilite les
interventions qui s'avéreront nécessaires à cet
égard.
Vivre en français au Québec, cela veut dire le droit
absolu pour chacun des membres de la collectivité francophone de se
livrer aux activités normales d'une vie humaine au plan du travail et du
loisir, au plan social, économique et politique sans que la connaissance
d'une langue étrangère ne soit nécessaire pour autre chose
qu'une richesse culturelle additionnelle et un moyen de communiquer avec
d'autres collectivités nationales. Inutile de gloser sur le fait qu'au
Québec, à tous égards, on est fort loin d'un tel
état de choses.
Sur un autre plan, d'ailleurs, il apparaît nécessaire
à l'Alliance des professeurs de Montréal de dégager un
préalable et de s'interroger sur le genre de contexte socio-politique
qui compose la toile de fond du projet de loi 22.
Il est clair que, dans une optique pancana-dienne, la démarche de
ce projet de loi qui est devant nous, visant à protéger les
droits du français est en droite ligne issue d'une philosophie de type
"B&B" et, par conséquent, trouve par là sa justification,
étant donné que, "a mari usque ad mare", les francophones sont
effectivement une minorité.
Il nous apparaît tout aussi clair qu'un Québec
majoritairement francophone devrait être en mesure d'adopter une
législation linguistique qui soit autre chose qu'un décret sur
l'officialité de la langue française, officialité assortie
par la
suite d'une longue série de réserves la rendant, à
toutes fins utiles, inopérante. Nous pensons qu'il n'est dans le projet
de loi 22 qu'un seul article vraiment indispensable et c'est celui qui
détermine quelle est la langue officielle et que compte tenu de la
présence au Québec d'une minorité anglophone, les autres
articles de la loi devraient définir les limites à
l'intérieur desquelles l'anglais est reconnu au Québec et ce de
façon explicitement limitative. Nous pensons de plus qu'il faudrait
prévoir les modalités de telle ou telle forme de coercition que
le législateur entendrait retenir.
C'est dans cette perspective à nos yeux qu'il faut situer le
projet de loi 22. Au point de départ, nous considérons de plus
les silences du projet de loi beaucoup plus inquiétants que ses
déclarations de principe. En effet, le ministre de l'Education n'ayant
pas jugé utile d'apporter quelque précision que ce soit en ce qui
a trait au type de réglementation qui sous-tendrait la loi, on en est
réduit à des conjectures sur ce plan. Cette carence revêt
un caractère d'autant plus grave qu'aux termes du projet
déposé, la référence aux règlements se
retrouve à tous les articles importants.
Pour évaluer de façon prospective ce que pourrait
être cette réglementation, l'Alliance des professeurs de
Montréal en est réduite à supposer qu'elle se situerait
dans la ligne logique des gestes déjà posés en cette
matière par le gouvernement au pouvoir depuis quatre ans. Cette
hypothèse n'offre rien de rassurant si l'on tient compte du
caractère mesquin et partiel de ce qui lui tient lieu de politique
linguistique.
De ce fait, le débat sur le bill 22 prend donc un certain
caractère d'irréalité, puisqu'en fait le gouvernement se
garde le pouvoir de statuer par décrets dépourvus de toute forme
de contrôle démocratique.
Cela pourrait lui permettre, dans l'avenir, de continuer à miser
gagnant sur les deux tableaux, en affichant, au plan des principes, une vigueur
qui risque d'être démentie dans les faits par l'adoption en
catimini de décrets démissionnaires. C'est ainsi que, dans la
pratique, on risque de se retrouver au point de départ. C'est ainsi que
dans la pratique, le statut officiel du français n'empêchera pas
l'entreprise de conserver à l'anglais une place
privilégiée au niveau de la direction ni de faire de la
connaissance de l'anglais un critère capital d'embauche et de promotion,
ce qui nous apparaît inacceptable.
Certes, sur certains points, on peut noter des aspects positifs du
projet de loi 22. L'alliance a noté avec satisfaction, par exemple, la
francisation de l'affichage qui a été, dans le passé,
l'une de nos revendications. Mais les aspects positifs sont si peu nombreux,
ont un caractère si partiel et si limité, que le
législateur se sent obligé de présenter comme des
victoires nouvelles des faits acquis depuis des années, tels
l'étiquetage et le français langue de travail dans
l'administration publique.
L'alliance, en plus d'exprimer sa déception devant le projet de
loi 22, en plus de souligner l'humiliation collective que propose aux
Québécois leur propre gouvernement, regrette que ce projet de loi
serve, en fait, à consolider les privilèges de la minorité
dominante. En matière linguistique, nous n'hésitons pas à
affirmer que le gouvernement s'est fait marchant d'illusions.
Quant à la langue d'enseignement, sans entrer dans la dialectique
de l'oeuf et de la poule, il est évident que pour nous, enseignants
francophones, toute loi sur le statut du français doit s'appuyer sur un
chapitre fondamental, celui qui traite de la langue de l'enseignement. Notre
travail d'enseignant n'a de portée qu'à long terme : cette
constatation d'une réalité bien évidente nous amène
à considérer comme mineures, anecdotiques, des lois sur
l'étiquetage des savonnettes ou sur la raison sociale des entreprises
d'extermination des rats. L'enseignement, parce qu'il prépare la
prochaine génération, a beaucoup plus d'importance à nos
yeux.
Qu'on s'abstienne de qualifier cette attitude d'arrogante. D'autres
domaines ont autant d'importance que l'enseignement. Nous pensons entre autres
aux domaines des communications de masse, la télévision par
exemple, dont le rôle formateur d'école parallèle saute aux
yeux des observateurs les moins avertis et sur lequel le projet de loi 22 est
étrangement muet. Il est pour le moins étonnant de constater
qu'un projet de loi sur la langue officielle ignore ce champ qui a quelque
importance pour le patrimoine national que le gouvernement du Québec a
le devoir de préserver. Oubli involontaire ou ignorance
délibérée? Nous savons bien, en tout cas, que nous entrons
là dans le champ épineux des relations
fédérales-provinciales, mais il reste que l'absence d'un chapitre
sur les communications affaiblit considérablement le projet de loi.
Pour éviter de répéter des argumentations connues
de tous, nous nous contenterons de rappeler certaines réalités
indiscutables quant à la langue d'enseignement. Le Québec a le
droit de légiférer quant à la langue d'enseignement, par
exemple de décréter que le français est la seule langue de
l'enseignement ou qu'il ne doit y avoir au Québec qu'un seul
réseau d'enseignement.
Deuxièmement, l'école actuelle sert à angliciser
les immigrants et, par conséquent, contribue à la minorisation
des Québécois francophones. Il suffit de lire les statistiques
publiées par la Commission des écoles catholiques de
Montréal ou celles, plus anciennes, que rapporte le comité
interministériel sur l'enseignement des langues aux
Néo-Canadiens, qui datent de 1967.
La répartition des enfants néo-canadiens entre le secteur
anglais et le secteur français de la CECM a évolué de la
façon suivante. Nous vous citons les chiffres en détail, qu'il me
suffise de dire qu'on est passé, entre 1931 et 1968, de 52.4 p.c.
d'immigrants dirigés vers le secteur français à 10.7 p.c.
en 1967/68.
Si on ne s'en tient qu'à la Commission des écoles
catholiques de Montréal, en septembre 1973, les trois quarts des
élèves des classes
anglaises déclarent ne pas parler anglais à la maison.
Cette proportion illustre bien l'attirance des classes anglaises sur les
non-anglophones et sur les immigrants en particulier. Par contre, les classes
françaises sont composées de francophones dans une proportion de
94.6 p.c.
Si on tient compte des effectifs du PSBGM, il n'est pas
exagéré de dire que plus de 90 p.c. des immigrants envoient leurs
enfants dans les écoles anglaises de Montréal. Cette attirance de
l'école anglaise sur les immigrants au détriment de
l'école française est clairement identifiable quand on examine
l'évolution du choix linguistique de la communauté italienne.
Nous citons toujours des chiffres publiés récemment par la
Commission des écoles catholiques de Montréal. En 1949, 1,632
Italiens fréquentaient le réseau français de la
CECM...
LE PRESIDENT (M. Veilleux): M. Chagnon, si vous voulez m'excuser, on
nous appelle pour voter. Si vous voulez attendre, nous allons revenir
immédiatement après le vote, vous pourrez continuer.
M. CHAGNON: II me semble que c'est le gouvernement qui a demandé
que la commission parlementaire siège en même temps que
l'Assemblée nationale.
LE PRESIDENT (M. Veilleux): Si vous voulez me permettre de vous
expliquer le mécanisme, lorsque les membres de l'Opposition, cinq
membres, demandent le vote enregistré, tous les députés
présents doivent s'y rendre, sinon, les déclarations sont faites
dans les journaux et ça peut nuire aux membres de la commission. On va
s'y rendre immédiatement; dans deux ou trois minutes, nous allons
être de retour.
M. CLOUTIER: Voilà le leader du PQ, regardez.
(Suspension de la séance à 21 h 45)
Reprise de la séance à 21 h 52
LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre messieurs! M. Chagnon, je vous
invite à continuer votre présentation en vous faisant remarquer
qu'il reste environ dix minutes.
M. CHAGNON (Robert): J'en étais à citer, M. le
Président, certains chiffres publiés par la Commission des
écoles catholiques de Montréal en ce qui concerne l'assimilation
des immigrants au réseau d'écoles anglaises.
En 1949, 1,632 Italiens fréquentaient le réseau
français de la Commission des écoles catholiques de
Montréal, soit près de 100 p.c. En 1973, 1,647 Italiens, 15 de
plus, fréquentent ce même réseau. En 1949, 1,730 Italiens
fréquentaient le réseau anglais et en 1973, 19,800
fréquentent ce même réseau anglais.
Depuis 1960, le nombre d'Italiens dépasse le nombre d'anglophones
dans les classes anglaises de la Commission des écoles catholiques de
Montréal. En 1973, les italophones constituent 45.4 p.c. des effectifs
du réseau anglais de la CECM, alors que les enfants de langue anglaise
ne constituent que 26.1 p.c. des effectifs de ce réseau.
La situation, si elle n'était tragique, serait ridicule. On a
demandé des efforts fiscaux énormes aux Québécois
pour les doter d'un système d'enseignement qui anglicise les immigrants
et contribue à transformer en minorité les
Québécois francophones.
Une troisième constatation. L'Etat québécois,
conscient de ce rôle anglicisant de l'école, a tablé
jusqu'à maintenant sur des mesures incitatives. Ainsi les classes
d'accueil, les maternelles à temps plein pour les immigrants et les
centres d'orientation et de formation des immigrants, dans lesquels je
parle des COFI le gouvernement fédéral a tout de
même quelque mérite.
Encore, qu'on puisse s'interroger sur la volonté du gouvernement
québécois de faire en sorte que ces mesures incitatives aient
quelque chance de succès, puisqu'il ne fait pas grand-chose pour amener
les enfants d'immigrants dans les classes d'accueil, laissant le gros de
l'effort le recrutement entre autres aux commissions scolaires,
telles la Commission des écoles catholiques de Montréal,
puisqu'il laisse s'éterniser le conflit des Centres d'orientation et de
formation des immigrants qui est maintenant dans son sixième mois de
grève; puisqu'il ferme les maternelles à temps plein, lesquelles
ont fonctionné l'an dernier à la CECM et dont le ministère
avait suggéré l'ouverture.
Faut-il rappeler en particulier que l'alliance s'inquiète de
l'article 117 du bill 22 qui met un terme à la seule obligation de
francisation des immigrants.
Ici, M. le Président, je me permets de rappeler le texte de cet
article du bill 63 qui constitue, encore une fois, la seule pièce de
législation qui faisait obligation à un organisme public de
franciser les immigrants. C'était un
paragraphe e) ajouté à l'article 3 de la Loi du
ministère de l'Immigration qui faisait obligation au ministre de
l'Immigration de prendre, de concert je cite le texte avec le
ministre de l'Education, des dispositions nécessaires pour que les
personnes qui s'établissent au Québec acquièrent
dès leur arrivée, ou même avant qu'elles quittent leur pays
d'origine, la connaissance de la langue française et qu'elles fassent
instruire leurs enfants dans des institutions d'enseignement où les
cours sont donnés en langue française.
On ne peut pas dire que l'application de cet article, les
dernières années, a donné des résultats
merveilleux, sauf en ce qui concerne les adultes qui, eux, étaient
dirigés vers les COFI, où on les obligeait à prendre
d'abord des cours de français, et ensuite, de façon minoritaire,
on leur permettait de prendre des cours d'anglais dans la mesure où ils
faisaient la preuve qu'ils en avaient besoin pour leur travail.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que le gouvernement
québécois manque singulièrement de suite dans les
idées ou qu'il a inventé un nouveau mode de gestion ayant pour
modèle la polka, un petit sautillement à gauche et trois petits
sautillements à droite. Selon cette dernière hypothèse, le
gouvernement québécois se contenterait de se gargariser de grands
principes qui déchaînent des passions féroces. Droits
individuels et droits collectifs, loi pour favoriser l'enseignement du
français sans brimer la langue anglaise, on peut se demander comment on
peut favoriser l'une sans défavoriser l'autre, loi sur la langue
officielle. Ces principes établis, effrayé de son audace, le
gouvernement québécois s'empresse de ne rien faire, sinon
éventuellement préparer un nouveau projet de loi, ce qui amuse
les foules et rassure les élites.
L'un des nombreux paradoxes dans lesquels nous sommes habitués
à vivre comme enseignants francophones est que, dans l'Etat du
Québec, terre où la plus grande part de la population est
francophone et dont les fonctionnaires parlent français, nous formons
des francophones tout en sachant fort bien que nous les condamnons à
devenir des citoyens de deuxième zone. Etre francophone au
Québec, c'est être assuré de faibles revenus
compensés par un fort endettement, revenus à peine plus
élevés que ceux des immigrants italiens ou des Inuit.
Si l'homme ne vivait que de pain, nous devrions suggérer aux
élèves francophones d'aller à l'école anglaise.
C'est ça la réalité dans la Belle Province.
Le plus étonnant est que cette réalité est injuste
et économiquement injustifiable. Cette réalité
relève du mythe puisque, en fait seulement 5 p.c. à 7 p.c. des
Québécois devraient avoir besoin de posséder la langue
anglaise en plus du français pour gagner leur vie: tel serait le cas
d'emplois qui commandent des relations quotidiennes avec 1'Alberta ou la
Caroline du Sud. Mais, par une aberration bizarre, on croit que l'anglais est
nécessaire donc il est nécessaire.
La minorisation des francophones au Québec est un fait facilement
explicable. On comprendra qu'elle nous inquiète. Il y a, bien sûr,
la dénatalité. Le Québec rural est devenu industriel en
perdant ses berceaux. On peut le déplorer et tenter d'encourager une
vraie revanche des berceaux à coup d'allocations familiales. La
dénatalité québécoise est un
phénomène qui correspond à un phénomène
occidental de dénatalité dont l'analyse déborde le cadre
du présent mémoire.
Le deuxième facteur, la minorisation des francophones, est
dû à l'anglicisation des immigrants. Cet aspect revêt des
allures de catastrophe à Montréal où se trouvent
d'ailleurs les communautés anglophones ou allophones les plus
prospères.
Les statistiques, reproduites en annexe, illustrent assez bien, par
ailleurs, l'ampleur du phénomène.
Elles soulignent le caractère suicidaire de notre laisser-faire
linguistique et, à ce titre, elles devraient nous inciter tous à
considérer qu'il y a là un état d'urgence national.
Pour les enseignants de Montréal, ces statistiques remuent en
plus un fer douloureux dans notre plaie. Nous voyons, d'une part, la
prospérité des classes anglaises de Montréal,
prospérité acquise grâce aux immigrants. Nous voyons,
d'autre part, les classes françaises se vider et des enseignants
francophones se retrouver chômeurs faute d'élèves et
à cause du manque de planification du ministère de l'Education.
On peut rappeler que les universités forment de pleins bataillons
d'enseignants, alors que les commission scolaires de la région de
Montréal doivent congédier du personnel.
Au moment où 300 enseignants ont été
congédiés par la CECM le 1er mai dernier, nous sommes
obligés de constater que, si les immigrants et les francophones de
Montréal envoyaient leurs enfants dans les classes françaises, il
y aurait, en 1973/74, 13,785 élèves de plus dans les classes
secondaires françaises de la CECM et 18,437 de plus dans les classes
élémentaires, ce qui donnerait au secteur français de la
Commission des écoles catholiques de Montréal du travail pour
1,506 professeurs de plus alors qu'on en met à pied près de 300,
je me permets de vous le rappeler.
A l'analyse des mêmes chiffres, on peut noter que si les
francophones seulement qui sont dans les classes anglaises de la Commission des
écoles catholiques de Montréal étaient rapatriés
dans les classes françaises, ils augmenteraient celles-ci de 5,103
élèves, soit du travail pour 245 professeurs francophones.
Il ne peut qu'être évident, si on applique à une
telle situation, les leçons de l'histoire, qu'un petit peuple comme le
nôtre ne saurait survivre indéfiniment à une telle
érosion. Par une ironie cruelle des choses, mais plus encore par
l'incurie des gouvernants, les Québécois
paient présentement l'instrument de leur perte collective
puisqu'ils ont regardé passivement leurs administrateurs scolaires tant
du ministère de l'Education que des commissions scolaires participer
à la mise en minorité des francophones. Il y a là, bien
sûr, au plan national, un désastre de première grandeur,
dont nous n'avons fait qu'effleurer les contours.
Mais l'Alliance des professeurs de Montréal, à titre
d'organisme syndical, doit également souligner des considérations
socio-économiques. L'Alliance ne saurait se satisfaire d'une approche
désincarnée qui ne tiendrait pas compte en tout premier lieu du
facteur humain. Il est opportun, en effet de rappeler qu'à travers toute
la province les enseignants font présentement face à des
problèmes de sécurité d'emploi, problèmes qui se
traduisent par des congédiements.
Nos recommandations, M. le Président, compte tenu que le projet
de loi 22 ne concède au français qu'un statut de langue
officielle illusoire et fallacieux, compte tenu que le projet de loi 22
reconnaît explicitement des privilèges injustifiés aux
anglophones du Québec, compte tenu que le projet de loi 22 laisse aux
parents un libre choix individuel de la langue d'enseignement, compte tenu
qu'il reconnaît aux immigrants le droit de grossir les rangs de la
minorité anglophone au détriment de la majorité
francophone, compte tenu que ce projet de loi confère au ministre de
l'Education un pouvoir de réglementation qui nie les principes
mêmes de la démocratie, face à une question de survie pour
les Québécois francophones, nous demandons le retrait du projet
de loi 22 dans sa forme actuelle et la rédaction d'un nouveau projet de
loi qui proclame de façon définitive le français seule
langue officielle au Québec, qui prévoit de façon
restrictive les limites et les modalités de la reconnaissance de
l'anglais dans le domaine de l'enseignement, du travail, du
développement culturel, des organisations professionnelles et de
l'administration publique.
Nous demandons également le dépôt simultané
de la réglementation afférente à un tel projet de loi, et
nous soulignons la nécessité que cette réglementation
prévoie des sanctions inhérentes à toute action
gouvernementale cocerciti-ve.
Nous demandons que tout projet de loi sur la langue maintienne
l'obligation actuellement faite au ministère de l'Immigration de mettre
en place et de développer des structures et des services propres
à assurer la francisation des immigrants.
Nous demandons le rapatriement à l'école française
de tout enfant dont la langue est autre que l'anglais et que des mesures soient
prévues pour faciliter la réinsertion dans le milieu francophone
des enfants touchés par un tel changement.
Nous demandons qu'à l'avenir tout nouvel immigrant soit
dirigé vers l'école française, quelle que soit sa langue
maternelle et enfin, nous demandons que la commission ne termine pas ses
travaux avant de s'être déplacée dans les régions
pour entendre la représentation d'individus ou de groupes qui ne peuvent
pas se payer l'appareillage technique nécessaire à une
comparution devant cette commission, ici à Québec.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci. Le ministre de l'Education.
M. CLOUTIER: Je remercie l'Alliance des professeurs de Montréal
pour la présentation de son mémoire. Mes commentaires seront
relativement brefs étant donné que l'Alliance des professeurs de
Montréal s'est réclamée déjà des prises de
position de la CEQ et du Mouvement Québec français avec lesquels
nous avons longuement discuté et que j'ai eu l'occasion
d'interroger.
Cependant, je voudrais tout de même apporter des
éclaircissements sur trois points et, ensuite, poser une question.
Le premier point concerne l'article 117. Je me suis déjà
expliqué à ce sujet. Il s'agit d'une erreur technique qui sera
corrigée. La loi 63 consistait en des amendements aux lois de trois
ministères, le ministère de l'Education, le ministère des
Affaires culturelles et le ministère de l'Immigration.
Les juristes, lorsqu'ils ont eu à abroger la loi 63, sont
allés chercher dans les trois lois les amendements pertinents et, ce
faisant, ils se sont trouvés à abolir le paragraphe e) que l'on a
lu. Cela n'a jamais été l'intention du gouvernement de le faire
disparaître et, comme il y a en ce moment une loi qui est en
préparation à propos du ministère de l'Immigration de deux
choses l'une: ou cette loi sera prête et incorporera l'essence de cet
alinéa e) ou si elle n'est pas prête, nous allons tout simplement,
en commission élue, réintroduire le paragraphe e). Il n'y a donc
vraiment aucun problème, mais je vous remercie de me donner l'occasion
d'apporter cette précision.
En ce qui concerne le champ de la télévision, il va de soi
que nous ne l'avons pas couvert pour une raison extrêmement simple. Il ne
s'agit pas d'une juridiction provinciale et nous avons voulu aller le plus loin
possible dans le cadre de nos pouvoirs.
Enfin, il y a cette question de la sécurité d'emploi.
Personne plus qu'un ministre de l'Education, qui a la responsabilité
d'un secteur, ne peut être conscient de ce problème. Il y a un
problème réel. C'est un problème qui relève des
négociations des conventions collectives.
Je suis moins sûr, cependant, que le problème doive
être compris en termes de calculs qui sont présentés. Pour
apporter une législation linguistique, il faut prendre la mesure des
problèmes et tenter de les corriger.
Qu'il y ait des difficultés de sécurité d'emploi
ici au Québec, c'est exact. Qu'il y ait des problèmes de
congédiement, c'est exact. Je sais que l'Alliance des professeurs et la
CEQ en
parleront lors de la prochaine négociation des conventions
collectives, mais cela n'est probablement pas et je ne vous demande pas
d'en convenir par le biais d'une législation linguistique que
l'on peut régler un problème de cet ordre.
Ma question est la suivante elle n'apportera peut-être pas
de très longs commentaires. A la page 2 de votre mémoire, il y a
une phrase que je cite intégralement: "Nous pensons qu'il n'est dans le
projet de loi 22 qu'un seul article vraiment indispensable et c'est celui qui
détermine quelle est la langue officielle et que compte tenu de la
présence au Québec d'une minorité anglophone, les autres
articles de la loi devraient définir les limites à
l'intérieur desquelles l'anglais est retenue au Québec et ce, de
façon limitative".
C'est exactement ce que le gouvernement fait par le projet de loi 22.
D'ailleurs, il suffit d'aller le demander aux anglophones qui sentent bien que
les règles d'usage qui gouvernent l'anglais sont des règles
restrictives par rapport aux principes qui sont clairement établis en ce
qui concerne le français.
Alors, par rapport à cette phrase, la position du gouvernement
est exactement ce que nous faisons et j'aimerais que vous me disiez quels sont
les éléments ou les points dans le projet de loi 22 qui semblent
contredire ce principe que nous faisons nôtre.
M. CHAGNON (Robert): Je suis obligé de référer le
ministre de l'Education au mémoire soumis par le Mouvement Québec
français où on établit au moins à quatorze article
le nombre de dispositions où le projet de loi 22 établit par
législation, de façon législative, des droits pour la
langue anglaise, alors que l'article 133 de la constitution canadienne limitait
ces droits officiels à la langue de l'Assemblée nationale et
â la langue des tribunaux.
M. CLOUTIER: M. le Président, est-ce que vous considérez
qu'il y a dans le projet de loi 22 et ce sera ma dernière
question, c'est une question subsidiaire à celle que je viens de vous
poser une priorité donnée au français, compte tenu
du fait que nous déterminons des règles d'usage pour l'anglais,
étant donné la présence de notre minorité
anglophone? Est-ce qu'il n'y a pas une priorité donnée au
français dans le projet de loi 22?
M. CHAGNON (Robert): Vous avez dans le projet de loi 22 une
priorité aussi théorique que celle que vous accordiez dans la loi
63. Je me demande ce qu'il y a de nouveau dans le projet de loi 22 qui
n'existait pas auparavant dans les faits. Vous donnez en plus à la
langue anglaise par législation, encore une fois, des droits qui
n'existaient dans aucune loi, sauf dans le bill 63 quant à la langue
d'enseignement. Je n'appelle pas cela donner la priorité au
français. J'appelle cela faire reculer le français.
M. CLOUTIER: Je vous remercie.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques.
M. CHARRON: M. le Président, je veux également remercier
le président de l'Alliance et ceux qui l'accompagnent, de s'être
déplacés pour nous présenter ce mémoire. Vous avez
vous-même fait référence au fait que l'Alliance est un
syndicat affilié à la centrale de l'enseignement du Québec
et d'autre part, vous avez été également solidaire de la
position énoncée par le MQF, ce qui ne devait pas, je crois, vous
empêcher de venir nous présenter ce mémoire ce soir, parce
que j'ai surtout l'intention de poser des questions sur votre contribution
particulière comme enseignants dans la ville de Montréal. Vous
étiez présents, je pense à nos travaux cet
après-midi, quand, vers la fin de la séance, nous
établissions avec les professeurs de l'université Laval qui ont
déposé un mémoire cet après-midi le fait que la
situation linguistique d'une collectivité, dans la métropole au
coeur de la ville, est en quelque sorte le baromètre à partir
duquel, si le point de non-retour est franchi, quelle que soit la survivance
française dans les Cantons de l'Est ou en Gaspésie, par exemple,
surviendrait inoxérable-ment le déclin.
Vous apportez des chiffres, M. Chagnon, qui sont nouveaux, je crois, en
particulier, ce calcul que vous faites quant aux emplois sauvés et
d'autres littéralement créés qu'occasionnerait une
politique linguistique qui limiterait le secteur anglophone de
l'éducation uniquement à ceux qui sont de langue maternelle
anglaise ou ceux qui sont déjà inscrits dans le système.
Si, pour ceux qui sont déjà inscrits dans le système, on
faisait cette projection et si l'action avait été posée
auparavant, cela nous amènerait aux chiffres que vous nous avez
donnés. Je voudrais vous demander si, au cours de vos discussions avec
la Commission des écoles catholiques de Montréal, Mme Lavoie-Roux
que nous entendrons demain à cette même table où vous
êtes, devant les mises à pied d'enseignants à chaque
année, à la fin de chaque année scolaire, invoque dans les
raisons patronales de ce geste la politique linguistique du gouvernement.
M. CHAGNON (Robert): Timidement, comme à peu près tout ce
qu'a fait la Commission des écoles catholiques de Montréal sous
l'aile protectrice du ministère de l'Education. A chaque fois qu'on a eu
des revendications à présenter à la commission, en termes
de sécurité d'emploi, ou en termes de politique linguistique, la
CECM nous a appris que l'emprise du ministère de l'Education est telle
sur les commissions scolaires du Québec qu'elles sont privées de
tout pouvoir efficace, qu'elles sont obligées par exemple, de fermer des
écoles françaises dans des milieux où la présence
francophone est seule, si bien que les écoles
anglaises attirent déjà géographiquement les
enfants d'immigrants et même des enfants francophones dans leurs
murs.
Il suffit pour cela de consulter ce rapport que la CECM a remis
dernièrement au public qui s'appelle "Langue parlée" et où
on retrouve dans certaines écoles des chiffres aussi aberrants que les
suivants je vais me contenter de vous citer ceux-ci à
l'école St. Aloysius, qui est dans la partie ouest de la CECM...
M. CHARRON: Est-ce que c'est dans la région B?
M. CHAGNON (Robert): C'est dans la région A, au niveau
élémentaire. On retrouve à cette école 54.5 p.c.
d'enfants qui ont comme langue maternelle le français alors qu'on en
retrouve 25.5 p.c. dont la langue maternelle est l'anglais. Je pourrais vous
énumérer tout une série d'écoles comme
celles-là. Je vous réfère particulièrement au
tableau A de notre mémoire...
M. CHARRON: Oui, c'est ce que j'ai là.
M. CHAGNON (Robert): ... où on établit que les parlant
anglais sont minoritaires par rapport aux non-parlant anglais dans 43
écoles anglaises sur 77, où les francophones sont plus nombreux
que les parlant anglais dans neuf écoles sur les 77.
M. CHARRON: Mais lorsque vous faites état de chiffres comme ceux
que vous apportez ce soir, est-ce que vous les utilisez dans vos
négociations avec la Commission des écoles catholiques de
Montréal, par exemple, quant au passage de francophones au secteur
anglophone tel que béni par la loi 63 et rebéni par la loi 22?
Est-ce que vous invoquez ce transfert et avez-vous là-dessus l'appui de
la CECM?
M. CHAGNON (Robert): Nous n'avons réussi à ce jour
à nous gagner qu'un appui fort timide, encore une fois, de la Commission
des écoles catholiques de Montréal sur ce plan, puisqu'elle nous
réfère sans cesse au ministère de l'Education en ce qui
concerne les négociations. Je trouve que le ministre de l'Education y va
allègrement en nous disant: Ce n'est peut-être pas un
problème qu'il faudrait régler par un projet de loi linguistique.
Je voudrais qu'il vienne parler aux enseignants de Montréal, leur dire
cela, le dire à des enseignants qui, quotidiennement, ont de la
difficulté à motiver les enfants quant à l'enseignement
d'un français...
M. CLOUTIER: II ne s'agit pas de cela.
M. CHAGNON (Robert): ... correct parce que même nos dirigeants
nous disent quotidiennement qu'il faut savoir l'anglais...
M. CLOUTIER: Pardon, M. Chagnon, il ne s'agissait pas de cela.
M. CHAGNON (Robert): ... pour réussir dans la vie. Vous allez me
laisser finir, M. le ministre?
M. CLOUTIER: Pardon, il ne s'agissait pas de cela. Il s'agissait du
nombre de postes. Ce n'est pas tout à fait la même chose.
M. CHAGNON (Robert): Je trouve que vous y allez allègrement
encore une fois de venir dire cela à des enseignants qui ont des
difficultés quotidiennes à motiver les enfants et des enseignants
qui, en plus, perdent leur poste à la fin de l'année. L'effet
combiné de votre décret et de votre politique linguistique se
solde aujourd'hui par la perte de 1,500 emplois pour les enseignants
francophones. Je fais là une intervention qu'on pourra qualifier
d'intéressée, mais c'est quand même une
réalité que les enseignants voulaient vous présenter comme
membres de l'Assemblée nationale. C'est cela que, dans les écoles
de Montréal, on ressent, quant à nous, du côté des
enseignants et maintenant du côté des parents, puisque vous savez
sans doute que le comité central des parents de la CECM a pris
également position contre le libre choix de la langue d'enseignement
même pour les enfants de langue maternelle française. Alors, c'est
comme cela que l'on voit le problème, c'est comme cela qu'on subit les
effets de législation ou d'absence de législation, en tout cas
d'absence de politique de la langue au Québec.
M. CHARRON: Est-ce que l'alliance a accepté ou participé
à des programmes qui auraient été mis en place par la CECM
quant à l'enseignement de la langue seconde dans les écoles
françaises? Je veux parler de l'anglais tel qu'enseigné dans les
écoles françaises. Quel est le bilan de cette expérience
dans le plan de développement des langues depuis avril 1973 que vous
pouvez faire ce soir?
M. CHAGNON: Tout en étant convaincu que les enfants doivent
recevoir un enseignement de qualité de la langue anglaise à
l'école, il faut se reporter au contexte pour comprendre je n'ai
pas peur de l'affirmer leur manque d'enthousiasme devant le programme de
perfectionnement de l'enseignement de la langue anglaise dans les écoles
françaises.
Il y a, d'une part, le fait qu'on souligne depuis plusieurs
années, c'est-à-dire que les effets pédagogiques de
l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire, dans un pays
où la langue maternelle est menacée, sont tellement peu connus
qu'il y a même des présomptions à l'encontre de cette
pratique et que c'est sans enthousiasme, encore une fois, que les enseignants
vont marcher dans un programme qui
prévoit qu'on va intensifier l'enseignement de l'anglais à
l'élémentaire. Notre position là-dessus, c'est que
l'enseignement de l'anglais devrait se faire au secondaire, comme c'est le cas
de langues secondes dans d'autres pays où on réussit quand
même, au secondaire, à le montrer convenablement.
Le deuxième élément du contexte, c'est que le dit
plan Cloutier a fait en sorte qu'on a consacré, depuis l'an dernier, des
ressources fantastiques, toutes propositions gardées, au
perfectionnement de l'enseignement de l'anglais dans les écoles
françaises alors que, depuis quatre ans, on réclame des mesures
analogues pour l'implantation véritable du nouveau programme de
français à l'élémentaire et au secondaire. Je parle
du fameux programme-cadre. Or, depuis quatre ans, les enseignants sont
obligés, jour après jour, de fabriquer du matériel
à même des stencils et des feuilles qu'on fournit à la
pièce par l'école. On nous dit même, au mois de mars, qu'il
ne reste plus de papier et, pourtant, il faut fabriquer nos instruments de
travail.
Avec le plan Cloutier, on reçoit tout à coup une avalanche
d'équipement pédagogique pour l'enseignement de l'anglais et, en
plus de ça, on se paie le luxe d'envoyer des enseignants se recycler,
à temps plein, dans les universités, alors que, depuis quatre
ans, on demande des mesures analogues pour l'enseignement du français.
Pour nous, le plan Cloutier, à ce point de vue, c'est une fumisterie.
Cela n'était fait, à notre avis à moins qu'on ait
des preuves contraire d'ici peu de temps, parce que là, on
désespère que pour justifier des dépenses
exorbitantes pour l'enseignement de l'anglais, sans connaître les effets
pédagogiques de cet enseignement à
l'élémentaire.
M. CHARRON: Je m'excuse, M. Chagnon, mais je dois m'en aller sur un
autre champ de bataille. Le chef de l'Opposition pourra continuer à vous
questionner. Je vous remercie.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: M. le Président, mes questions seront plus que
brèves. Malheureusement, je dois m'excuser si je n'ai pu assister
à la présentation du mémoire. Justement, j'étais
retenu en Chambre, j'ai eu deux interventions à faire et c'est assez
difficile de se diviser. On est déjà assez peu nombreux comme
ça, vous le comprendrez.
Cependant, je remarque, dans vos recommandations, au point 1, que vous
demandez le retrait du bill 22 dans sa forme actuelle et vous suggérez
qu'un nouveau projet de loi soit présenté. Est-ce que vous avez
une suggestion à faire quant au calendrier, c'est-à-dire à
la date où un nouveau projet de loi, suivant vos suggestions, devrait
être présenté?
M. CHAGNON (Robert): Je suppose qu'avec la quantité de
mémoires qui sont présentés devant cette commission, le
gouvernement aurait suffisamment de suggestions pour rédiger rapidement
un nouveau projet de loi. Evidemment, il est de coutume qu'on prenne beaucoup
de temps pour rédiger ce genre de projet de loi, surtout quand c'est
pour ne le présenter que dans les mois ou les jours qui
précèdent les grandes vacances d'été.
Evidemment, dans cette hypothèse, cela prendrait bien une autre
année pour en avoir un nouveau.
M. SAMSON: J'ai vu quelque part que vous demanderiez, advenant un
nouveau projet de loi, le dépôt simultané de la
règlementation. C'est donc dire que vous êtes inquiets, si je
comprends bien, de la règlementation qui pourrait suivre le projet de
loi, soit celui-ci ou un autre dans les mêmes conditions, de la
même façon.
M. CHAGNON (Robert): C'est clair, si on cite par exemple le
problème de la langue d'enseignement. Quand on laisse aux commissions
scolaires et aux ministres le soin d'établir les conditions auxquelles
un enfant va pouvoir aller à l'école anglaise en particulier
parce que c'est notre principal problème en tant que francophones, on
voudrait bien savoir de quel ordre sera cette règlementation. On
s'inquiète, de plus, du fait que le gouvernement continue de
subventionner, à grands frais, des institutions privées qui se
feraient non seulement un devoir, mais un plaisir de faciliter le passage des
enfants francophones à l'école anglaise en peu de temps.
M. SAMSON: Est-ce que vous avez aussi, comme la Société
Saint-Jean Baptiste de Montréal vient de le faire, à
suggérer qu'on améliore l'enseignement du français?
M. CHAGNON (Robert): II est clair...
M. SAMSON: Je m'excuse, peut-être que vous l'avez dit dans la
présentation de votre mémoire, mais malheureusement, je
n'étais pas présent.
M. CHAGNON (Robert): On assiste, ces temps-ci, à une avalanche de
témoignages autant de la part de parents que de la part d'enseignants
qui disent que nos écoles ne sont vraiment pas équipées
actuellement pour donner toute la qualité d'enseignement du
français qu'on devrait donner. Je fais référence, entre
autres, au fait qu'on ait lancé un beau nouveau programme, avec des
beaux nouveaux objectifs sans donner aux enseignants les moyens de
répondre aux exigences modernes de cet enseignement. Là-dessus,
l'enseignement du français est déficient actuellement dans les
écoles; les enseignants s'en rendent compte, mais encore une fois, ils
réclament depuis quatre ans les moyens d'y remédier.
M. SAMSON: Est-ce que c'est déficient seulement par un manque de
collaboration ou s'il n'y a pas aussi un autre genre de déficience?
Est-ce que selon vous je n'ai pas de statistiques là-dessus, je
vous demande votre appréciation tous les enseignants sont
prêts à donner un meilleur enseignement français? Est-ce
que c'est seulement de l'aide dont ils ont besoin ou s'ils ont besoin eux aussi
d'être mieux préparés?
M. CHAGNON (Robert): C'est tellement vrai que les enseignants sont
prêts à le faire qu'ils se tuent à créer
eux-mêmes du matériel qu'on ne leur fournit pas depuis quatre ans,
d'une part. D'autre part, il y a un certain nombre d'enseignants qui
souhaiteraient avoir sur le terrain l'aide nécessaire en termes de
complément de formation, parce qu'on leur a lancé au visage un
nouveau programme. Vous avez des fonctionnaires à la tonne, et au
ministère de l'Education et à la CECM, qui travaillent à
définir ces objectifs dans des termes tels qu'un philosophe pourrait en
jouir pendant des semaines, mais qui, pour les enseignants, veulent dire la
plupart du temps une surcharge épouvantable en termes de recherche et en
termes de confection de matériel.
M. SAMSON: A l'article 3, vous demandez que tout projet de loi sur la
langue maintienne l'obligation actuellement faite au ministre de l'Immigration
de mettre en place et de développer des structures et des services
propres à assurer la francisation des immigrants. Est-ce que vous avez
des suggestions à faire pour permettre que cela se fasse mieux que cela
se fait actuellement? Quelles seraient vos suggestions de ce
côté?
M. CHAGNON (Robert): Le moins qu'on puisse dire, d'une part, c'est qu'on
s'étonne, qu'on s'inquiète même du fait que cette erreur
administrative dont parlait le ministre de l'Education tout à l'heure ne
soit pas corrigée immédiatement par le gouvernement.
M. CLOUTIER: Vous voulez dire l'article 117?
M. CHAGNON (Robert): Deuxièmement... M. CLOUTIER: L'article 117.
M. CHAGNON (Robert): Oui.
M. CLOUTIER: Ecoutez, ce n'est pas une loi, c'est un projet de loi. Par
conséquent ce qui est valable, c'est encore la loi 63 avec les
amendements aux trois ministères. Il n'y a aucun problème. Cela,
je suis obligé de vous le dire, c'est un projet de loi.
M. CHAGNON (Robert): Vous nous permettrez quand même de nous
inquiéter, M. le ministre.
M. CLOUTIER: Je ne vous empêcherai pas de vous
inquiéter.
M. CHAGNON (Robert): Deuxièmement, j'aurais peut-être
quelques remarques à faire en ce qui concerne les classes d'accueil qui,
même sous le régime de cette disposition que j'ai citée
tout à l'heure, ont été vraiment négligées
du côté francophone, en particulier à la Commission des
écoles catholiques de Montréal. Alors qu'on a laissé
depuis longtemps le PSBGM, le Protestant School Board of Greater
Montréal, qui est théoriquement protestant, mais, comme vous le
savez, pratiquement anglophone, occuper à peu près toute la place
sur le plan des classes d'accueil, on n'a fourni à la CECM que des
moyens de parents pauvres pour intégrer les enfants d'immigrants au
secteur francophone.
M. SAMSON: Merci.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jean.
M. VEILLEUX: J'aimerais reprendre un peu dans la même veine que le
député de Saint-Jacques et, tout à l'heure, le
député de Rouyn-Noranda. Nous avons eu l'occasion de discuter
avec l'Association des professeurs de français du Québec de
l'amélioration de l'enseignement du français comme langue
maternelle dans le secteur francophone. Est-ce que, dans votre esprit, en plus
de cette amélioration de la matière qu'on appelle le
français, qui est quand même restreinte à un certain nombre
de périodes chaque semaine, cette amélioration, ces efforts
d'amélioration devraient aller dans les autres matières, que ce
soient les sciences, la chimie, la physique, les sciences naturelles? Qu'il y
ait des efforts, est-ce que, dans votre esprit, cela devrait aller
jusque-là, dans ces matières, non seulement de la part des
enseignants, mais qu'on tienne compte, à un certain moment, du
français écrit dans ces matières, quand l'examen ne se
restreint pas à répondre à un vrai ou à un
faux?
M. CHAGNON (Robert): Je ne sais pas si je comprends bien votre question.
Vous suggérez que, comme mesure pour améliorer l'enseignement de
la langue, on tienne compte un peu plus du français écrit dans
d'autres matières?
M. VEILLEUX: Est-ce que, dans votre esprit, l'amélioration de la
langue doit aller jusque-là? Quand arrive, par exemple, la
période d'histoire ou de géographie, qu'on ne tienne aucun compte
du français qui peut se parler, soit de la part des élèves
dans ces cours, soit de la part du professeur, est-ce que cela doit aller
jusque-là, cette recherche de l'amélioration de la langue?
Vous n'avez pas l'impression, M. Chagnon, qu'à certains moments,
pour le professeur qui enseigne la matière, le français,
dès que l'élève sort de la classe où s'enseigne le
français, l'élève
a l'impression, lorsqu'il arrive dans les autres classes, que le
français n'est pas nécessaire, qu'il n'est pas nécessaire
de bien connaître le français pour assister ou participer aux
autres leçons. Est-ce qu'un effort devrait être fait dans ces
matières?
M. CHAGNON (Robert): C'est, je pense, avant tout, une question de
motivation sur le plan social, et non pas uniquement sur le plan scolaire. On
pense trop que l'école doit être un milieu fermé, et que
dans la mesure où les enfants sont enfermés là, il suffit
que l'enseignant dise quelque chose pour que l'enfant y aille de toute sa
motivation. Ce n'est pas comme cela que cela se passe dans les écoles.
Les écoles se ressentent plus que jamais des effets du climat social et
le climat social, au Québec, face au problème linguistique, c'est
un climat qui se pourrit actuellement. C'est un climat où on insiste
bien plus sur la nécessité de parler l'anglais que sur la
nécessité de parler français. Le jour où on sera
capable, collectivement, de motiver les enfants et les adolescents à
bien parler français, le problème ne se posera plus pour la
géographie et les mathématiques. Sauf que là vous faites
reposer tout le poids de l'effort, encore une fois, sur l'enseignant qui est en
classe. Je veux dire: Allez lui dire cela actuellement que c'est ce que vous
voulez, qu'il porte tout ce poids.
M. VEILLEUX: Je pense, M. Chagnon, que je me suis mal exprimé ou
qu'on s'est mal compris. Je veux dire, quant à l'effort de
l'enseignement du français. Est-ce que, dans votre esprit, cela doit
exclusivement, compte tenu des facteurs sociaux que vous avez mentionnés
qui peuvent entourer l'école, cet effort doit être
concentré uniquement lorsque le professeur enseigne la matière
qu'on appelle le français, ou si tous les professeurs de l'école
qui enseignent dans la langue parlée qu'on appelle le français,
doivent, eux aussi, faire un effort? La commission scolaire ou les enseignants,
les directions d'écoles, le ministère de l'Education s'il le
faut, doivent-ils faire des efforts pour améliorer aussi, dans ces
matières, l'enseignement qu'on appelle le français?
M. CHAGNON: Tous les vieux manuels de pédagogie reconnaissent ce
principe.
M. VEILLEUX: Bon! Maintenant vous avez mentionné des statistiques
tout à l'heure je pense que c'est surtout à Montréal
qu'on remarque le problème du passage de francophones dans le secteur
anglophone j'aimerais, de votre part, de la part de l'Alliance,
connaître les raisons qui peuvent amener, à un certain moment, un
parent francophone à choisir, pour son enfant, le secteur
anglophone.
M. CHAGNON (Robert): Votre évaluation de ces motivations est
probablement aussi bonne que la mienne, sinon que nous sentons quotidiennement
la pression qui s'exerce sur les parents devant, encore une fois, ce mythe
qu'il est nécessaire de bien connaître l'anglais et de l'apprendre
dès l'élémentaire pour bien faire sa vie. Cela, c'est une
réalité sociale quotidienne dans la région de
Montréal. Or, cette conviction actuellement, même le gouvernement
québécois l'entretient. Il faudrait aller plus loin et se
demander pourquoi certaines de nos élites ont intérêt
à entretenir cette illusion, parce que cela n'est pas vrai.
M. VEILLEUX: D'après vous, le principal motif qui fait qu'un
choix comme celui-là est fait par des parents francophones est ce mythe
qu'on semble entretenir de l'obligation de savoir l'anglais pour
travailler.
M. CHAGNON (Robert): Je pourrais compléter, si vous permettez, en
vous parlant à nouveau d'un phénomène qui est marginal,
bien sûr, mais qui revêt une importance très grande dans
certains milieux, c'est précisément l'absence d'école
francophone dans certains milieux maintenant que la CECM commence à
être obligée d'en fermer. Et le facteur géographique
lui-même commence à jouer à ce niveau et c'est un facteur
qu'il ne faut pas minimiser si on veut regarder un peu vers l'avenir.
M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, on se retrouve dans la ville de
Montréal, dans des quartiers, où il n'y a plus d'école
francophone. C'est cela?
M. CHAGNON (Robert): Oui et où on retrouve, maintenant, une
majorité de citoyens anglophones parce que justement il y a une
majorité d'immigrants dans ces quartiers qui ont envoyé leurs
enfants dans les écoles anglaises.
M. VEILLEUX: Je termine, M. le Président, en posant une
dernière question à M. Chagnon et qui a trait à une des
recommandations que vous faites à la fin, celle de
l'établissement d'un seul réseau d'enseignement francophone au
Québec dans lequel on doit voir à rapatrier à
l'école française, notamment, tout enfant dont la langue est
autre que l'anglais et nécessairement les francophones qui ont
passé depuis un certain temps ou qui s'apprêtent à passer
au secteur anglophone. Est-ce que vous verriez cet établissement d'un
réseau unique francophone et ce rapatriement par le fait
même échelonné sur une certaine période de
temps ou cela doit-il se faire d'une façon, pour moi assez cassante,
à savoir qu'à partir de telle date, par exemple, au 1er septembre
1975 ou au 1er septembre 1976, cela doit être ça ou si, dans votre
esprit, cela doit s'échelonner sur un certain temps?
M. CHAGNON (Robert): Institutionnelle-
ment parlant, cela devrait se faire du jour au lendemain,
c'est-à-dire pour autant que les structures sont concernées. Cela
fait longtemps qu'on demande ça. On a eu l'occasion de le demander dans
notre mémoire sur le projet de loi 62, sur le projet de loi 28 et ce
qu'on a exprimé publiquement sur le projet de loi 71 et on va continuer
de réclamer qu'il n'y ait qu'un seul réseau d'enseignement au
Québec, un réseau qui sera contrôlé par la
majorité francophone.
Pédagogiquement parlant, il est évident que ces mesures
doivent s'étendre sur un certain nombre de jours, de mois,
d'années. Tout dépend de l'endroit où l'enfant en est
rendu dans ses études. Et là-dessus, cela n'est pas nous qui
allons lésiner.
M. VEILLEUX: Est-ce que, dans un tel réseau, l'enseignement de la
langue seconde doit être pour tous l'anglais ou si plusieurs langues
secondes pourraient être enseignées au choix de l'étudiant
ou des parents de l'étudiant?
M. CHAGNON (Robert): II y a déjà d'autres langues secondes
que l'anglais qui sont offertes aux étudiants du secondaire dans
plusieurs polyvalentes à Montréal.
C'est quelque chose d'absolument normal et quand je me
référais tout à l'heure à des expériences
d'autres pays, on peut citer des expériences américaines
où des étudiants du secondaire, et uniquement à compter de
la première année du secondaire, réussissent en quatre ou
cinq ans à apprendre très convenablement deux langues secondes,
sauf que leur langue maternelle, ils la possèdent quand ils abordent des
langues secondes.
M. VEILLEUX: Je vous remercie.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition. Il reste environ
deux minutes.
M. MORIN: M. le Président, j'aimerais demander à nos
invités quelques détails complémentaires sur les
affirmations qu'ils font dans leur mémoire au sujet des pertes de postes
d'enseignants. A la page 10 de votre mémoire, vous indiquez que, pour ce
qui est du secteur anglophone des écoles catholiques de Montréal,
si les élèves qui sont fils ou filles d'immigrants étaient
rapatriés au secteur francophone, aux niveaux élémentaire
et secondaire, cela représenterait 1,500 postes de professeurs
francophones de plus et que si les francophones étaient rapatriés
à leur tour, cela représenterait 245 professeurs ou postes de
plus, soit en tout 1,745 postes. Si j'ai bien compris, ce tableau ne tient pas
compte des francophones qui sont inscrits dans le secteur protestant. Est-ce
que vous pourriez nous dire combien cela représenterait de postes si les
francophones qui se trouvent dans le réseau protestant étaient
eux aussi rapatriés vers des écoles francophones?
M. CHAGNON (Robert): D'abord je dois vous dire que les 245 professeurs
dont nous parlons au dernier paragraphe, c'est un chiffre qui est
déjà inclus dans les 1,506 du paragraphe précédent.
Quant aux statistiques du réseau protestant, vous savez sans doute qu'on
est fort avare de ce côté de statistiques concernant la langue
d'enseignement. Or, il nous est malheureusement impossible de donner des
chiffres sans nous tromper. Je pense qu'il faudrait bien, à un moment
donné, que le PSBJM fasse la même chose que la CECM et publie ses
chiffres. Encore une fois, on aurait de la difficulté actuellement
à faire une approximation au millier près.
M. MORIN: Bien. Votre réponse...
LE PRESIDENT (M. Gratton): Une autre question.
M. MORIN: ... est-elle la même pour ce qui est des écoles
anglophones du reste du Québec?
M. CHAGNON (Robert): Quant au réseau protestant?
M. MORIN: Oui, ou quant au réseau anglophone catholique dans le
reste du Québec? Puisque vos chiffres nous indiquent qu'à
Montréal...
M. CHAGNON (Robert): Oui, nos collègues nous disent qu'ils ont
une certaine difficulté à obtenir des statistiques
là-dessus, même dans les autres commissions scolaires catholiques
du Québec, quoique la Fédération ait publié lors de
son dernier congrès des chiffres quand même assez significatifs
sur ce plan. Au moins quant au phénomène de transfert des
écoles françaises aux écoles anglaises.
M. MORIN: Vous n'êtes pas en mesure de nous dire combien de postes
de professeurs cela peut représenter?
M. CHAGNON (Robert): Malheureusement pas.
M. MORIN: En ce qui concerne la CECM en particulier, que
prévoyez-vous pour l'avenir? Vous nous avez donné des chiffres
fondés sur le rapatriement, cette année, des étudiants.
Est-ce que vous avez pu vous pencher sur les perspectives d'avenir, à
supposer que la situation actuelle se perpétue, soit sous l'empire du
bill 63 soit sous l'empire du bill 22? Est-ce que la CECM, dans ses
négociations avec votre syndicat, a évoqué des projections
de ce genre?
M. CHAGNON (Robert): La CECM a publié la semaine dernière
des chiffres assez éloquents sur le phénomène de la
dénatalité qui montrent que, de 230,000 élèves en
1971, on sera passé à un peu plus de 100,000, à peine, en
1976. Ce
phénomène de dénatalité qui est normalement
compensé par un phénomène d'immigration... Je n'ai pas
besoin de vous dire à quel avenir cela nous mène si on laisse les
immigrants qui viendront remplacer en partie parce qu'il y a un
phénomène d'urbanisation aussi les Québécois
manquants. Je n'ai pas besoin de vous dire que, dans un avenir prochain, pour
la région de Montréal, c'est un phénomène de
minorisation accélérée pour les francophones. Evidemment,
en ce qui concerne les enseignants, c'est la perspective d'un marasme quant
à leur sécurité d'emploi.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, merci, messieurs, mesdames, merci au
nom de la commission.
M. MORIN: M. le Président, avant que nous ajournions nos travaux,
j'aurais une requête à vous adresser en vertu de l'article 3 de
nos règles de pratique. Selon cet article, après l'expiration de
la date où les mémoires doivent être
présentés, le secrétaire des commissions en dresse la
liste, qu'il fait parvenir à chaque membre, accompagnée des
mémoires et des résumés. El nous conviendrait, à ce
stade de nos travaux d'obtenir un exemplaire, de tous les mémoires et de
tous les résumés. Grâce à la bienveillance du
ministre, nous avons déjà obtenu la liste; maintenant nous
aimerions pouvoir prendre connaissance des mémoires, de l'importance
qu'ils offrent, afin de pouvoir évaluer le chemin qu'il nous reste
à parcourir au sein de cette commission.
M. CLOUTIER: M. le Président, oui, tout à fait d'accord.
D'ailleurs, le secrétaire des commissions m'avait dit qu'il avait
commencé à faire toutes les photocopies. Il y a plus d'une
centaine de mémoires, cela prend un certain temps, mais je vais
m'assurer qu'on puisse au moins distribuer les mémoires disponibles
jusqu'ici.
M. MORIN: M. le ministre, est-ce que cela pourrait être fait dans
le courant de la matinée, demain matin?
M. CLOUTIER: Je vais vérifier immédiatement auprès
du secrétaire. Le secrétaire m'informe qu'il peut en faire
parvenir une cinquantaine presque incessamment et il me rappelle que,
d'ailleurs, il a réussi à répondre aux besoins de la
commission régulièrement, deux ou trois jours à l'avance,
depuis le début.
M. MORIN: De ce point de vue, je n'ai que des félicitations
à adresser au secrétariat des commissions. Mais le point que je
soulève intéresse l'avenir de nos travaux.
M. CLOUTIER: Oui, bien sûr. Il me parle d'une cinquantaine, ce qui
me parait couvrir une partie très importante, sinon la totalité
des mémoires qui restent.
M. MORIN: Le principe que je voudrais faire reconnaître, c'est que
tous les mémoires nous soient communiqués, si possible.
M. CLOUTIER: Je suis entièrement d'accord sur ce principe.
M. MORIN: Pourrions-nous compter les avoir tous pour jeudi ou vendredi,
de façon que nous puissions, au cours de la prochaine fin de semaine,
les parcourir et être en mesure d'évaluer le travail qui nous
attend?
M. CLOUTIER: Je constate que vous aurez une fin de semaine studieuse et
je vais m'y employer.
M. MORIN: Toutes nos fins de semaine ont été studieuses
jusqu'ici, M. le ministre.
M. CLOUTIER: Oui et ce ne sont pas les dernières.
M. MORIN: Nous ne pouvons malheureusement pas, comme vous, aller
à la pêche.
LE PRESIDENT (M. Gratton): Avant que la commission n'ajourne ses
travaux, j'aimerais aviser les membres des organismes qui feront des
présentations demain, soit la Commission scolaire Lake Shore, la
Société Saint-Jean-Baptiste de Québec, la Commission des
écoles catholiques de Montréal, The Protestant School Board of
Greater Montreal, la Federation des associations de parents de l'enseignement
privé et The Presbyterian Church in Canada. La commission ajourne ses
travaux à demain, dix heures.
(Fin de la séance à 22 h 49)