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Commission permanente de l'éducation,
des affaires culturelles et des communications
Etude du projet de loi no 22 Loi sur la langue
officielle
Séance du vendredi 14 juin 1974
(Onze heures trois minutes)
M. LAMONTAGNE (président de la commission permanente de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre,
messieurs! Je voudrais d'abord faire part des changements dont on m'a
avisé. M. Kennedy (Châteauguay) remplace M. Bérard
(Saint-Maurice); M. Springate (Sainte-Anne) remplace M. Déom (Laporte);
M. Bonnier (Taschereau) remplace M. Hardy (Terrebonne); M. Tardif (Anjou)
remplace M. L'Allier (Deux-Montagnes); M. Fraser (Huntingdon) remplace M.
Parent (Prévost); M. Beauregard (Gouin) remplace M. Phaneuf
(Vaudreuil-Soulanges); M. Séguin (Pointe-Claire) remplace M.
Saint-Germain (Jacques-Cartier); M. Vallières (Richmond) remplace M.
Veilleux (Saint-Jean).
Aujourd'hui, trois organismes avaient été
convoqués, à savoir le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du
Québec, l'Association des manufacturiers canadiens, division de
Québec, et la Société de philosophie du Québec.
L'Association des manufacturiers canadiens, division de Québec,
nous a avisés qu'elle ne se présenterait pas devant la
commission.
Le chef de l'Opposition.
M. MORIN: M. le Président, voulez-vous dire qu'elle ne se
présenterait pas aujourd'hui, ou qu'elle ne se présentera en
aucun temps?
Procédure
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Pour le moment, c'est aujourd'hui.
Evidemment, je ne peux pas présumer si une association ne voudrait pas
se présenter plus tard. C'est toujours le même problème, en
vous référant à l'article 6 des règles de pratique.
Il ne m'appartient pas de décider moi-même quelle procédure
prendre, sauf de vous rappeler ce point. Lors de l'appel, si les
intéressés ne sont pas présentés ou ne sont pas
prêts à procéder, ils perdent leur droit de se faire
entendre, à moins que la commission n'en décide autrement.
M. MORIN: M. le Président, dans le cas d'un organisme important
comme l'Association des manufacturiers canadiens, il nous paraît
essentiel que cette commission puisse l'entendre. Il y a dans leur
mémoire plusieurs points sur lesquels l'Opposition, pour sa part,
voudrait revenir et interroger à fond les représentants de cette
association. Il y a des choses excellentes dans ce mémoire. Il y a aussi
des erreurs énormes sur lesquelles nous aurions aimé obtenir des
éclaircissements.
Alors, une fois de plus, nous nous trouvons devant ce problème de
la difficulté de convoquer des associations à deux jours d'avis.
Tout le processus, M. le Président, est trop hâtif. On mesure les
conséquences de la hâte avec laquelle cette commission a
été improvisée. Ilaurait fallu prévoir
plusieurs semaines pour que les associations puissent rédiger leur
mémoire. Il aurait fallu prévoir, à mon avis, de longues
semaines d'audition qui auraient permis d'établir un calendrier qui
convienne à tout le monde. Puisque je suis sur le sujet, M. le
Président, j'aimerais demander au ministre, qui m'a laissé
entendre qu'il me la fournirait ce matin, la liste complète des
personnes qui ont annoncé leur désir de comparaître.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable ministre de l'Education.
M. CLOUTIER: M. le Président, il y a, dans l'intervention du chef
de l'Opposition, deux éléments. Le premier élément
est une critique de la motion qui a été acceptée par
l'Assemblée nationale, à savoir que les délais de
convocation seraient raccourcis de sept jours à 48 heures. J'aurais
souhaité que le chef de l'Oppsoition fasse entendre ce point de vue au
moment où la motion a été débattue et non
maintenant. Parce que je me souviens très bien que l'Opposition a
applaudi à ce geste du gouvernement.
M. BURNS: Est-ce que je peux amener une précision parce que j'ai
été partie à la négociation préliminaire de
cette motion?
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de
Maisonneuve.
M. BURNS: Pour rétablir les faits, d'une façon claire, il
nous a paru, dans les discussions que nous avons eues avec le premier ministre
et avec le leader du gouvernement, qu'il était impossible, pour des
raisons que j'ignore ce sont des questions que le premier ministre et le
ministre de l'Education peuvent avoir décidé sur le plan
stratégique, je n'ai pas à les interpréter mais il
nous a paru évident que, pour obtenir que les parties
intéressées à se faire entendre se fassent entendre avant
la deuxième lecture, ce qui était selon nous absolument normal,
il fallait accepter de réduire les délais. C'est uniquement dans
ce sens, et cela ne veut pas dire que nous étions d'accord sur
l'idée. Je maintiens que c'était une question de stratégie
à laquelle je n'ai pas participé puisque je ne suis pas membre du
caucus libéral ni du conseil des ministres, mais c'était
évident que le premier ministre voulait que ces délais soient
raccourcis. Alors, même si ce n'est pas parfait, on a accepté
cette chose parce qu'on trouvait que c'était un plus grand bien
d'entendre les parties avant la deuxième lecture qu'après la
deuxième lecture.
M. CLOUTIER: Quoi qu'il en soit, M. le Président, nous sommes en
présence d'une décision de l'Assemblée nationale et,
à partir de maintenant, je ne crois pas que cette décision
crée de difficultés aux organismes, étant donné que
nous pouvons les convoquer beaucoup plus que 48 heures avant. La plupart des
organismes se trouveront à être prévenus plusieurs jours
avant, dans un certain nombre de cas, même une semaine avant. En
revanche, il y a eu cette période de transition qui a fait que quelques
organismes n'ont pas reçu le télégramme dans la
période de 48 heures. Comme c'est le cas de l'Association des
manufacturiers canadiens, nous allons les reconvoquer. Je crois que je
réponds, de cette façon, à la demande du chef de
l'Opposition. Vous voyez que nous essayons d'être le plus large possible,
mais il est évident qu'il faut aussi comprendre que la commission
parlementaire ne peut pas se soumettre entièrement aux volontés
des divers organismes. C'est un peu comme un tribunal qui convoque ses
témoins et, si les témoins ne se présentent pas, il ne
peut que prendre acte. Dans la limite du possible, nous essayons d'être
souple, mais le secrétaire des commissions m'informe qu'il a des limites
à cette souplesse. Deuxième point...
M. MORIN: M. le Président, la métaphore du tribunal me
laisse un peu sceptique. Quand un tribunal convoque des témoins, il a
autorité pour ce faire et les témoins sont soumis au tribunal. Ce
n'est pas la même chose quand nous parlons d'une commission parlementaire
dont le but n'est pas de juger les comparaissants, mais de s'informer
auprès des comparaissants. Dans le cas du tribunal, c'est une question
d'autorité; dans le cas qui nous occupe, qui est le fondement même
de cet exercice que nous traversons ces jours-ci, c'est la coopération
entre les citoyens et la commission. J'irais même plus loin, c'est le
droit des citoyens et des groupes de se faire entendre devant cette commission.
La proposition devrait être inversée. Dans le cas du tribunal, les
citoyens sont forcés de comparaître. Ici, ils nous font l'honneur
de comparaître, ce n'est pas la même chose.
M. CLOUTIER: M. le Président, j'ai bien l'impression que le chef
de l'Opposition cherche actuellement à allonger les débats.
M. MORIN: Non, pas du tout, pas du tout.
M. CLOUTIER: Alors, je suis très heureux d'en prendre acte et je
dirais simplement...
M. MORIN: Je pourrais être beaucoup plus long si je voulais
développer des points comme ceux-là.
M. CLOUTIER: J'en prends acte, mais je vous dis simplement que le
secrétaire des commissions, qui relève de l'Assemblée
nationa- le, m'a fait part de la difficulté des convocations, il va
essayer d'être le plus souple possible.
J'en arrive maintenant au deuxième élément de la
demande du chef de l'Opposition, à savoir le dépôt de la
liste des organismes qui ont demandé à se faire entendre. Le
secrétaire des commissions m'informe que cette liste finale ne peut pas
être préparée avant l'expiration que l'Assemblée
nationale, lors de la même motion, a accepté, l'expiration du
délai de dépôt des mémoires. Et ce délai, si
je ne me trompe, se termine mardi à 16 heures. Le secrétaire des
commissions m'informe, à ce moment, qu'il aura une liste
définitive.
L'article 3 de notre règlement permet le dépôt d'une
telle liste une fois que l'expiration des délais est intervenue. Article
3.
M. BURNS: Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu quand même, M. le
ministre je comprends les raisons juridiques derrière la remarque
du ministre pour une certaine planification possible de la part de
l'Opposition, d'avoir au moins la liste provisoire? C'est un document de
travail, dans le fond, qu'on vous demande, c'est beaucoup plus cela qu'autre
chose.
M. CLOUTIER: Je le sais bien, mais le secrétaire des commissions
m'informe qu'il ne peut pas faire de liste complète avant l'expiration
des délais et le règlement est clair à ce sujet.
M. BURNS: Complète, d'accord. Mais provisoire, si c'était
le voeu de la commission, je suis convaincu que le secrétaire des
commissions serait en mesure de nous donner au moins la liste provisoire,
quitte à la compléter avec un addendum après mardi.
M. CLOUTIER: II est difficile de faire une liste provisoire, parce que
certains organismes qui se sont inscrits n'ont pas encore fait parvenir leur
mémoire. Ces mémoires doivent être enregistrés,
doivent être numérotés. Je pense qu'il faut quand
même permettre au secrétariat de la commission de travailler
à l'intérieur d'un règlement et d'un certain cadre.
Après tout, vous aurez la liste au moment où elle sera disponible
et au moment où les règlements nous imposent de la
déposer, c'est-à-dire mardi.
M. BURNS: Alors, pouvez-vous nous assurer qu'on l'aura mardi, au
moins?
M. CLOUTIER: Bien sûr! Il n'y a aucune raison de vous cacher quoi
que ce soit. La commission travaille en tant que commission. Mais il faut tout
de même comprendre que le secrétariat a une responsabilité
très lourde.
M. MORIN: M. le ministre, si nous sommes revenus sur la question, c'est
parce qu'hier vous nous avez laissé entendre qu'il serait possible de
l'avoir ce matin. Si nous l'avons mardi, cela ira toujours.
M. CLOUTIER: Ce que j'ai dit exactement hier, M. le Président,
c'est que j'allais en discuter avec le secrétaire des commissions et que
si c'était possible, vous l'auriez dès ce matin. J'en ai
discuté avec le secrétaire des commissions et celui-ci m'a
informé qu'il lui était impossible d'avoir une liste avant
l'expiration des délais.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): J'inviterais...
M. ROY: Tous les membres de la commission auront la liste?
M. CLOUTIER: Bien sûr, c'est le président qui en prendra la
responsabilité.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je relis l'article pour le
bénéfice de ceux qui n'ont pas les règles de pratique:
"Après l'expiration de la date où les mémoires douvent
être présentés, soit mardi, 4 heures, le secrétaire
des commissions en dresse la liste qu'il fait parvenir à chaque membre,
accompagnée des mémoires et des résumés". Donc, ce
travail parviendra à tous les membres de la commission à compter
de mardi après-midi.
M. CLOUTIER: Cela vous va? Parce qu'autrement, ce ne serait pas logique,
vous n'auriez pas de mémoire.
M. ROY: Question additionnelle. Si un organisme fait parvenir un avis au
ministère qu'il désire se faire entendre ou présenter un
mémoire, est-ce que le mémoire peut arriver une journée,
deux ou trois plus tard?
M. CLOUTIER: D'abord une fois pour toutes...
M. ROY: Ceci, pourvu que l'organisme ait donné son nom et ait
donné avis avant quatre heures?
M. CLOUTIER: Une fois pour toutes, M. le Président, je voudrais
qu'il soit bien compris que ce n'est pas le ministère de l'Education,
c'est le secrétariat des commissions. Ceci étant établi,
je suis obligé de rappeler au député que l'inscription est
terminée. Elle s'est terminée, si je ne me trompe, lundi à
seize heures.
A la suite d'une motion, et je crois même que le
député créditiste a voté en faveur de cette
motion...
M. ROY: C'est vrai.
M. CLOUTIER: ... il a été permis non pas d'allonger la
période d'inscription, mais d'accorder un délai
supplémentaire d'une semaine, de sept jours, pour les mémoires,
parce qu'un certain nombre d'organismes n'avaient pas eu le temps de fournir
leur mémoire.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): J'inviterais maintenant le Syndicat des
Fonctionnaires provinciaux du Québec à la barre.
Pour le bénéfice des membres de la commission et du
journal des Débats, j'apprécierais que vous présentiez
ceux qui se présentent devant la commission.
Syndicat des fonctionnaires provinciaux du
Québec
M. HARGUINDEGUY: Jean-Louis Harguin-deguy, président
général du Syndicat des fonctionnaires provinciaux du
Québec. A ma gauche, Denise Tardif, qui est
déléguée syndicale à l'Office de la langue
française, et à ma droite, Marcel Ledoux, vice-président
de l'exécutif provincial.
M. le Président, je tiens à vous remercier tout d'abord du
privilège que vous nous avez accordé de nous faire entendre ce
matin. Sachant que votre temps est précieux, je me contenterai
strictement de résumer le mémoire que nous vous avons soumis et
qui se résume quand même dans quelques points.
Au point de départ, nous ne croyons pas que le bill 22, dans sa
forme actuelle, modifie quoi que ce soit dans le bill 63, car, pour nous en
tout cas, il tient à reconnaître de façon égale la
langue française et la langue anglaise. Nous avions tenté, lors
des dernières négociations, en 1972, de faire en sorte que la
langue française soit la langue officielle au point de vue du travail
dans la fonction publique et dans l'administration publique.
Cependant, nous avons constaté que le gouvernement n'a même
pas appliqué, en fait, les modalités d'une clause de la
convention collective qui prévoyait pour les fonctionnaires qui ne
parlaient que la langue anglaise des cours de recyclage pour leur permettre
d'apprendre le français.
De plus, la Loi de la fonction publique prévoit également
qu'aucun fonctionnaire ne peut être engagé s'il ne possède
une connaissance suffisante du français. Malheureusement, cet article
également n'est pas appliqué, car, même actuellement, le
gouvernement procède à l'engagement et au recrutement
d'employés ne parlant que la langue anglaise.
Nous doutons fort, compte tenu de ces expériences, que le bill 22
modifie quoi que ce soit à la situation présente ou à la
coutume qui semble être établie au gouvernement.
Nous avons tenté, de toute façon, de laisser de
côté le problème de la langue d'éducation concernant
les immigrants, sachant fort bien qu'il y a d'autres organismes qui sont plus
habilités que nous à statuer sur ces matières. Cependant,
nous doutons fort également que la Régie de la langue
française puisse régler quoi que ce soit, advenant le cas
où le gouvernement adopterait une réelle politique linguistique
au Québec. Etant donné ce qui prévaut actuelle-
ment à l'Office de la langue française, nous doutons fort
que la régie, si elle est organisée de la même façon
que l'office, puisse atteindre les objectifs que le gouvernement pourrait se
fixer. On n'a qu'à penser que, d'abord, compte tenu des locaux dans
lesquels travaille l'office, compte tenu de la situation également
concernant les employés, je pense qu'il est inadmissible qu'un office de
cette importance soit constitué en majorité d'employés
occasionnels. Sur à peu près 170 employés, au-dessus de
100 sont des employés occasionnels qui travaillent, bien entendu, de
façon permanente. Les autres sont des employés permanents. Nous
pensons que si, réellement, le gouvernement veut quand même
assurer une certaine stabilité, il est urgent et nécessaire que
ces employés deviennent des employés permanents et que des postes
soient créés à l'Office de la langue française. De
plus, à compter du 1er juillet prochain, l'office a l'intention
d'engager quinze employés occasionnels additionnels pour la banque de
terminologie du Québec.
Nous voyons mal, en fait, si la régie fonctionne de la même
façon, qu'elle aura plus de succès que l'Office de la langue
française qui, actuellement, se limite peut-être à publier
strictement des dictionnaires et des lexiques, n'ayant pas de mandat ni de
budget pour pouvoir aller plus loin dans cette matière.
Les principaux points que nous voulons toucher, cependant, en tant que
syndicat, c'est quand même de faire valoir les droits de nos membres que
nous venons représenter ici ce matin. Nous touchons en particulier trois
articles du bill 22. A l'article 77, nous vous demandons de faire en sorte que
le siège social de la régie soit à Québec
uniquement, qu'il ne puisse pas être possible de le transférer
éventuellement, car ceci pourrait aller à l'encontre de certaines
clauses de la convention collective.
Nous voulons que, quand même, les principes qui ont
été adoptés soient maintenus concernant tant la
sécurité d'emploi que les transferts.
Au niveau de l'article 103, où le bill prévoit des
sanctions, des amendes aux fonctionnaires uniquement, nous trouvons un peu
ahurissant de constater que les seules personnes qui peuvent être
pénalisées par le bill 22, si ces personnes outrepassent, en
fait, leur devoir, ce sont les fonctionnaires de la régie et les membres
de la régie, alors que d'autres entreprises pourraient fort bien passer
outre et n'avoir aucune amende.
Nous tenons également à souligner à la commission
parlementaire que déjà la Loi de la fonction publique
prévoit une obligation pour les fonctionnaires de prêter un
serment d'office ou, en fait, une affirmation solennelle et qu'un
employé peut donc être destitué s'il commet des
infractions.
D'ailleurs, la convention collective prévoit aussi la
possibilité pour l'employeur d'appliquer des mesures disciplinaires.
Nous voyons mal pourquoi la loi prévoirait, pour les fonctionnaires qui
seraient éventuellement, si la régie est créée,
attitrés à cette régie, la possibilité d'avoir des
amendes en plus, parce que l'on prévoit des amendes en plus de tout
autre recours, ce qui pourrait laisser présumer qu'ils pourraient
être congédiés en plus d'avoir une amende
additionnelle.
Nous sommes donc opposés, à l'article 103, tout au moins
pour les fonctionnaires de la régie, à ce que les membres aient
des pénalités, étant donné qu'ils ne sont pas
nommés par là Loi de la fonction publique et que les stipulations
de la loi ne seront pas applicables.
Un autre article sur lequel nous tenons à porter à votre
attention, c'est l'article 121, qui laisse actuellement au ministre, qui serait
titulaire de cette régie ou responsable de cette régie, le libre
choix des employés qui oeuvreraient à la Régie de la
langue française. Nous croyons que les membres qui travaillent
actuellement à l'Office de la langue française devraient
être mutés obligatoirement à la nouvelle régie. Si
réellement il y a d'autres motifs pour ne pas transférer ces
employés, je pense que le gouvernement aurait pu, à l'heure
actuelle déjà, prendre les dispositions nécessaires pour
affecter ces employés à d'autres services à
l'intérieur du ministère de l'Education.
Il y a un point auquel les membres, en fait, tiennent
particulièrement, c'est d'être mutés automatiquement
advenant le cas où la régie serait créée.
Il y a un point également pour régulariser une situation,
celle des occasionnels. Nous demandons que le gouvernement, par une
modification au bill 22, procède à la nomination à titre
temporaire de ces employés. D'ailleurs, le gouvernement a
déjà créé un certain précédent dans
cette matière lorsqu'il a créé la Régie de
l'assurance-maladie du Québec. A ce moment-là, il avait
éliminé, en fait, l'application à la convention collective
et à la Loi de la fonction publique pour permettre à la
régie de procéder à son propre recrutement selon ses
propres règles, pour permettre à ces employés d'être
engagés sans avoir satisfait aux conditions de la Commission de la
fonction publique, ainsi que le délai assez grand qui intervient lors
des recrutements éventuels. Nous demandons que le gouvernement prenne,
en fait, ses responabili-tés. Il y a des employés qui y
travaillent à titre d'occasionnels depuis plus de deux ans. Nous pensons
qu'il serait justifié, pour ces personnes, qu'on leur assure quand
même une certaine stabilité d'emploi, alors qu'actuellement elles
sont à la merci du ministère ou du gouvernement comme tel.
En bref, ce sont à peu près les points sur lesquels nous
tenons à vous faire des représentations.
Nous croyons cependant qu'il y aurait lieu d'apporter des modifications
assez importantes au bill dans sa forme actuelle parce que nous croyons que
cela ne changera pas grand-chose
si le bill est adopté tel qu'il est actuellement, car les
expériences antérieures nous ont prouvé que, bien souvent,
certaines choses que nous avions négociées ou que nous avions
convenu d'appliquer n'ont pas été mises en application par le
gouvernement. Si on accorde les mêmes possibilités à la
régie à qui ont été accordés les mêmes
budgets qui ont été accordés à l'Office de la
langue française, j'ai l'impression que ce n'est pas encore en 1975
qu'on aura réellement une politique linguistique au Québec.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Merci beaucoup. Le ministre de
l'Education.
M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie le représentant
du Syndicat des fonctionnaires provinciaux de nous avoir fait part de ses
différents points de vue. Nous allons en prendre bonne note. Il y a
très certainement des critiques qui devront être
considérées par rapport aux conventions collectives. Je n'ai pas
l'intention de les relever. Je pense que ces explications sont suffisamment
claires. Cependant, j'attire son attention sur le fait que ce que nous
discutons en ce moment, c'est une loi telle qu'elle est rédigée
et on ne peut pas présumer, par exemple, des résultats qu'elle
donnera en disant: Les budgets, s'ils ne sont pas supérieurs à ce
qu'ils sont actuellement, il n'y aura pas de résultat. Je souhaiterais
que son attention se porte peut-être davantage sur le texte de la loi en
essayant de voir jusqu'à quel point ce texte correspond à ses
conceptions.
Ceci dit, je me bornerai à une seule question. Dans ses
explications, le président du syndicat a dit que la loi 22 donnait
exactement le même traitement ou la même importance à la
langue française et à la langue anglaise. Je ne crois pas que ce
soit là l'esprit de la loi. Surtout si on se réfère comme
il l'a fait au chapitre 1, qui est le chapitre qui traite de la langue de
l'administration publique. J'aimerais qu'il m'indique à quel endroit il
voit que la langue française et la langue anglaise reçoivent un
traitement égal, autrement dit que ce chapitre consacre une
espèce de bilinguisme.
M. HARGUINDEGUY: M. le Président, je peux peut-être
répondre à au moins plusieurs interventions du ministre de
l'Education. C'est que d'abord, pour répondre à son affirmation
que l'on ne peut pas présumer de ce que pourra faire la régie,
c'est que, quand même, les devoirs et les pouvoirs de la régie
actuelle sont similaires ou quasi identiques aux pouvoirs et devoirs de
l'Office de la langue française. Il y a seulement quelques petits
ajoutés. On n'a pas pu accorder à l'office des
possibilités tant financières que physiques et même
techniques pour assumer ses responsabilités antérieurement. C'est
ce qui nous fait douter de la possibilité ou que le gouvernement mettra
réellement, en fait, ce qui est nécessaire pour donner à
la régie la possibilité d'assumer ses devoirs.
Quand le ministre, également, nous fait allusion que ce n'est pas
l'esprit de la loi, étant quand même impliqué de
façon directe avec des applications de conventions collectives, il
s'avère assez régulièrement que bien souvent l'esprit des
négociations ne se retrouve pas dans le texte et qu'on applique à
ce moment le texte et non plus l'esprit.
Pour répondre directement à la question, à savoir
où nous nous retrouvons, c'est qu'on laisse dans le bill 22 des
possibilités, à des organismes ou, en fait, à certaines
catégories de personnes, de choisir les documents, s'ils doivent
être publiés dans la langue française ou dans la langue
anglaise, notamment, dans le domaine des conventions collectives qui nous
touchent. Si le syndicat décide d'avoir des copies anglaises, je pense
qu'on lui laisse le libre choix d'avoir des copies anglaises. Nous estimons
que, pour le domaine de la langue du travail et dans l'administration publique,
nécessairement, tout devrait être fait en français. Il
n'est pas nécessaire, quant à nous, que l'on donne cette
possibilité d'avoir des textes anglais.
D'ailleurs, dans l'esprit de la dernière négociation,
l'article 43 de la convention collective avait fait en sorte qu'on avait
prévu, pour les personnes anglaises ne parlant pas le français,
des cours de recyclage pour qu'elles puissent comprendre la convention
collective qui est imprimée strictement en français, même
si le code du travail permettait d'avoir des copies anglaises. Je pense que le
gouvernement ne s'est jamais donné la peine, comme tel, de faire suite
aux demandes de certains membres qui ont voulu avoir des copies anglaises.
Donc, si le gouvernement n'y donne pas suite, je ne vois pas pourquoi
aujourd'hui il pourrait donner la possibilité à d'autres
organismes d'avoir des copies anglaises. C'est cela qui nous incite à
mettre en doute la possibilité pour le gouvernement de donner suite
à l'esprit que vous semblez trouver dans le bill 22.
M. CLOUTIER: Mais il me semble, M. le Président, que jusqu'ici on
ne m'a pas indiqué que la loi 22 consacrait le principe du bilinguisme,
bien au contraire. Les explications que vous me donnez semblent justement
manifester que le bill 22 donne une priorité très nette au
français parce que le seul exemple que vous me donnez concerne la
possibilité d'avoir des copies anglaises. Alors, je crois
j'aimerais connaître votre opinion là-dessus qu'avec une
étude un peu plus approfondie, vous en viendriez peut-être
à la conclusion que la priorité est vraiment donnée au
français, et particulièrement dans le chapitre 1 qui traite de la
langue de l'administration publique et dans le chapitre des relations de
travail, même si l'anglais compte tenu de notre minorité, peut
apparaître.
M. HARGUINDEGUY: C'est vrai, M. le Président, qu'on
déclare que le français est la langue officielle, mais il y a
tellement d'exceptions qui suivent dans plusieurs articles qu'on fait en sorte
que cela ne change pas grand-chose.
M. CLOUTIER: Quelles exceptions?
M. HARGUINDEGUY: Je me souviens également d'une
déclaration qui aurait été faite il est vrai que
les journalistes, on peut les interpréter de bien des façons,
j'en ai vécu l'expérience il semblerait que vous ayez
déclaré à la population anglaise que le bill 22-ne lui
enlevait absolument aucun droit par rapport au bill 63.
M. CLOUTIER: Je n'ai jamais déclaré rien de tel.
M. HARGUINDEGUY: Ce sont peut-être les journalistes qui rapportent
mal les faits alors.
M. CLOUTIER: Cela arrive parfois, vous savez.
M. MORIN: Je pense que peut-être on faisait allusion à
l'article 133.
M. CLOUTIER: Ah! Bien sûr.
M. MORIN: Je pense que le ministre sera obligé de convenir
à ce moment-là que les personnes qui comparaissent ont
parfaitement raison de parler de bilinguisme.
M. CLOUTIER: Ah! pardon. L'article 133 n'est pas modifié, mais
ceci ne consacre pas le bilinguisme au Québec. Ceci statue uniquement
dans deux domaines qui sont des domaines où les libertés
individuelles ont une importance considérable à savoir le
Parlement et les cours de justice. Mais ceci nous éloigne
peut-être un peu du sens ou de l'esprit de notre règlement.
M. CHARRON: Je crois, M. Harguindeguy, que vous faisiez allusion aux
articles mêmes du projet de loi. Par exemple, il y a un groupe qui vous a
précédés hier, à la table où vous êtes
actuellement, qui nous signalait, par exemple, que dans les 55 premiers
articles du bill, jusqu'à ce qu'on arrive au chapitre de la Régie
de la langue française, il y a au moins 22 articles, nous a-t-on
signalé, qui se trouvent à ajouter, à coup de "toutefois",
de "néanmoins" ou de "quoique", un statut à la langue anglaise
qu'elle n'occupait aucunement dans nos droits législatifs auparavant. Je
pense que c'est de cela que vous parliez quand, dans le premier paragraphe de
votre mémoire, vous mentionnez que le bilinguisme se trouve
consacré par le projet de loi. Est-ce exact?
M. HARGUINDEGUY: C'est exactement cela. A la lecture, c'est vrai que le
premier article établit que la langue française est la langue
officielle. Cependant, il y a tellement d'exceptions qui permettent à
des groupes de maintenir la situation actuelle où ils sont, strictement
unilingues anglais. C'est quand même cela que le gouvernement devrait
s'efforcer de faire en sorte qu'au moins tout le monde au Québec puisse
parler le français.
M. CHARRON: Est-ce que le ministre a terminé?
M. CLOUTIER: Oui.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de
Saint-Jacques.
M. CHARRON: M. Harguindeguy, je vous remercie d'abord de la
précision que vous venez d'apporter. Vous avez quand même, dans la
présentation de votre mémoire, ajouté des informations
supplémentaires au contenu que je trouve excellent de votre
mémoire, qui m'inciteraient à vous poser quelques questions.
D'abord, vous avez mentionné, dans votre convention collective,
l'article 43.04, que vous explicitez ici; mais peut-être, pour
l'intérêt de la commission vous me permettrez de le reprendre. Tel
qu'il a été convenu, effectivement, l'article 43 qui porte sur la
langue de travail disait, au paragraphe 04: "Des cours de recyclage sont
organisés à l'intention des employés qui sont dans
l'impossibilité d'utiliser la langue française dans leurs
communications orales ou écrites. Ces cours sont aux frais de
l'employeur." Vous avez affirmé dans le texte, et encore ce matin dans
la présentation de votre texte, que l'employeur, l'Etat
québécois, n'avait pas respecté cette disposition, enfin
jusqu'à présent, comme il se devait. Pourriez-vous expliciter,
pour l'intérêt des membres de la commission, cette
affirmation?
M. HARGUINDEGUY: C'est que nous avons quand même parmi nos membres
environ 2,500 fonctionnaires qui sont unilingues anglais, notamment dans la
région de Gatineau, dans l'Estrie et dans la Gaspésie;
également à Montréal.
M. CHARRON: 2,500 sur combien?
M. HARGUINDEGUY: Sur 32,000 membres que nous représentons.
M. CLOUTIER: Point de règlement, M. le Président.
M. HARGUINDEGUY: II était assez difficile, pour le gouvernement,
de mettre en application l'article 43.04, étant donné qu'il
n'existe pas actuellement de direction générale de
perfectionnement qui soit stable.
M. CLOUTIER: Point de règlement, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le ministre de l'Education, sur un point
de règlement.
M. CLOUTIER: Je serai bref, je ne veux surtout pas tenter de restreindre
les discussions. Mais, je crois que c'est la loi 22 que nous discutons et non
pas l'application d'une autre loi. Je suis prêt à admettre que
l'application d'une autre loi n'est peut-être pas satisfaisante. Mais je
ne vois pas comment on peut tirer une conclusion par rapport à la loi 22
telle que rédigée.
M. CHARRON: Ecoutez, M. le Président, au contraire, on a le
témoignage du Syndicat des fonctionnaires provinciaux. Le gouvernement
veut que nous endossions ce projet de loi où il nous dit qu'il fera le
français prioritaire, tout en conservant les droits intégraux,
tels qu'ils sont, des anglophones. Pour juger de la crédibilité
du gouvernement en cette matière, je pense qu'il n'y a personne de mieux
placé que M. Harguin-deguy pour nous dire aujourd'hui que la toute
petite disposition qu'il y avait de contenue déjà dans les lois
actuelles n'a pas été respectée. Cela nous permet
d'envisager comment la suite pourrait venir de ce gouvernement et je pense que
c'est une information dont tous les membres de la commission ont besoin.
M. CLOUTIER: Allez-y, moi, je n'ai pas objection. Moi, je voulais tout
simplement signaler cela pour bien indiquer ce que nous discutions.
M. CHARRON: Nous allons entrer dans la loi 22, ne vous en faites pas.
C'est simplement pour vérifier le degré de
crédibilité qu'il vous reste.
M. HARGUINDEGUY: Si M. le Président me permet: quand même,
n'ayant pas de direction générale de perfectionnement, parce que
son directeur est parti depuis plus d'un an et demi, n'ayant pas
été remplacé encore, il est clair qu'à ce
moment-là des cours de recyclage et de perfectionnement ne peuvent pas
être préparés. C'est d'ailleurs pour ça que, dans
notre mémoire, nous doutons que réellement le bill 22 n'atteigne
les objectifs, étant donné que la convention collective, qui est
quand même signée par le syndicat et le gouvernement,
prévoyait une telle possibilité ou même une obligation pour
l'employeur d'organiser ces cours. Lorsqu'on prévoit la même chose
ou sensiblement la même chose dans le bill 22, on doute fort qu'à
ce moment-là le gouvernement puisse y apporter une attention plus
particulière. C'est uniquement pour ça.
M. CHARRON: Et vous affirmez dans un paragraphe, le troisième qui
est très court, qu'encore aujourd'hui le gouvernement procéderait
à l'engagement d'employés dont la seule langue parlée est
l'anglais?
M. HARGUINDEGUY: Oui.
M. CHARRON: Au cours de l'année actuelle?
M. HARGUINDEGUY: Le dernier employé, à ma connaissance,
qui ne parle strictement que l'anglais, a été engagé le 22
novembre 1973. Il travaille dans une cour de justice, dans la région de
Gatineau. Je pourrais vous fournir le nom, si c'était
nécessaire.
M. CHARRON: Non, je ne vous demande pas cela.
M. HARGUINDEGUY: Et le classement aussi.
M. CHARRON: Maintenant, je crois que l'essentiel de la discussion que
nous devons avoir avec vous ce matin porte sur le chapitre de l'administration
publique, ce qu'elle serait le jour où la loi 22 serait
appliquée, parce que je crois que votre témoignage
là-dessus sera extrêmement important pour le reste des travaux de
la commission.
Je crois même avoir compris que vous avez fait allusion, dans vos
commentaires du début, au fait que certaines dispositions de la loi
actuelle, non seulement consacreraient le statu quo, mais augmenteraient
certains privilèges de l'anglais actuel. Vous avez vous-même fait
mention, je crois je vous prie de me corriger si je me suis
trompé que cette convention collective, qui est appliquée
actuellement jusqu'en 1975, n'a été publiée qu'en
français.
M. HARGUINDEGUY: Oui.
M. CHARRON: Par le gouvernement.
M. HARGUINDEGUY: Cest cela.
M. CHARRON: Donc, nos dispositions du chapitre de l'administration
publique qui disent que la convention collective devra comporter
également une version anglaise deviendraient un acquis de plus au
privilège de l'anglais, puisque actuellement, sans la loi 22, le
gouvernement n'a même pas procédé à une version
officielle anglaise de la convention collective de ses employés. Est-ce
exact?
M. HARGUINDEGUY: C'est exact. C'est la troisième convention que
nous signons. Il n'y a eu que des copies françaises depuis 1966.
M. CHARRON: Autrement dit, un "droit", encore une fois, on emploie ce
mot entre guillemets parce que nous n'en reconnaissons guère
actuellement, mais un privilège de plus se trouverait accordé
à l'anglais dans la loi 22, selon votre témoignage. Est-ce
exact?
M. HARGUINDEGUY: Selon au moins l'habitude actuelle, oui.
M. CHARRON: C'est une information précieuse en tout cas. Ensuite,
vous avez mentionné ces articles, que d'autres témoins avant vous
ont identifiés plus clairement cje ne vous reproche pas de ne pas
le faire parce que cela a déjà été fait
concernant les "quoique", les "néanmoins" qu'on retrouve. Est-ce qu'il y
a d'autres endroits, dans le chapitre de l'administration publique et de la
langue des entreprises d'utilité publique c'est-à-dire
tout le secteur parapublic qui ne relève pas de vous, j'en conviens,
mais qui doit vivre dans la même modalité que vous au
Québec est-ce qu'il y a d'autres endroits où on vous
paraît consacrer un état de fait actuel ou encore pire, comme vous
venez de le signaler, c'est-à-dire ajouter des privilèges
à la langue anglaise dans le secteur de l'administration publique?
M. HARGUINDEGUY: Non, je ne le pense pas. Disons que nous n'avons pas
tellement poussé plus loin l'étude dans ce domaine-là.
Comme dans le domaine de l'enseignement, nous n'avons pas voulu y toucher pour
des motifs bien particuliers, étant donné que nous voulons quand
même nous en tenir à notre mandat de syndicat et non pas faire, ce
que peut-être d'autres reprochent, de l'action politique. Alors, nous
nous sommes abstenus de faire une telle recherche.
M. CHARRON: M. Harguindeguy, quand l'article 8 dit que les textes et les
documents officiels pourront désormais être accompagnés
d'une version anglaise, est-ce que c'est la pratique actuelle dans
l'administration publique?
M. HARGUINDEGUY: A l'heure actuelle, les textes officiels, à ma
connaissance, sont en français. Il se peut que, dans certains cas, il y
ait des copies anglaises, quoique ce soit assez rare. Tous les fonctionnaires
travaillent habituellement sur des copies françaises.
M. CHARRON: Ce qui veut dire que l'article 8 étendrait à
l'ensemble des textes et documents officiels ce qui, actuellement, n'est
qu'exceptionnel.
M. HARGUINDEGUY: Fort possible. Actuellement, il est peut-être
clair que, sur demande, certains groupes peuvent sûrement obtenir des
copies anglaises.
M. CHARRON: Est-ce qu'actuellement, M. Harguindeguy, l'article 11 de la
loi 22 est effectivement en application, à savoir que toute personne a
le droit de s'adresser à l'administration publique en français ou
en anglais?
Est-ce qu'actuellement vos syndiqués qui travaillent dans
l'administration publique ont effectivement à recevoir des
communications de personnes physiques ou morales de langue anglaise?
M. HARGUINDEGUY: Actuellement, oui, dans certains domaines particuliers.
Prenez l'exemple de l'émission des plaques d'automobiles. Les personnes
qui sont strictement unilin-gues anglaises font leur demande en anglais, il y a
également d'autres domaines, comme la justice.
M. CHARRON: L'article 11 est donc le statu quo?
M. HARGUINDEGUY: Actuellement, oui.
M. CHARRON: L'article 12 dit que la langue officielle est la langue de
communication interne de l'administration publique. Est-ce que c'est vrai
actuellement?
M. HARGUINDEGUY: Actuellement, c'est cela qui doit se faire.
M. CHARRON: Quant l'article 13 dit que le français et l'anglais
sont les langues de communication interne des organismes municipaux et
scolaires dont les administrés sont en majorité de langue
anglaise, je sais que c'est peut-être à l'extérieur de
votre syndicat, mais, à votre connaissance, est-ce que c'est
déjà ce qui est appliqué?
M. HARGUINDEGUY: Disons que je peux peut-être me servir de mon
expérience personnelle en tant que fonctionnaire aux Affaires
municipales.
M. CHARRON: Oui.
M. HARGUINDEGUY: Travaillant, à ce moment-là, avec des
commissions scolaires pour l'approbation de leur budget de construction ou
d'immobilisation, je sais qu'il devait y avoir des commissions scolaires
où le français n'était sûrement pas la langue de
communication interne, car nous ne recevions que des communications en
anglais.
M. CHARRON: Bien. C'est encore le statu quo.
Au quatorzième article, qui vous concerne peut-être plus
directement, on dit que nul ne peut être admis ou promu à une
fonction administrative dans l'administration publique, s'il n'a de la langue
officielle entendons la nôtre, parce qu'il y en a deux une
connaissance appropriée à l'emploi qu'il postule.
M. HARGUINDEGUY: C'est déjà prévu par la Loi de la
fonction publique également.
M CHARRON: C'est le statu quo.
Continuons, si vous le voulez. Est-ce qu'en assemblée
délibérante dans l'administration publique, selon l'article 15
actuel du projet de loi 22, les interventions dans les débats
officiels
peuvent être faites en langue française ou en langue
anglaise, au choix de ceux qui interviennent? Est-ce que c'est
déjà la pratique habituelle?
M. HARGUINDEGUY: Je ne pourrai pas vous répondre, n'ayant pas
participé à des séances de l'administration publique comme
telle.
M. CHARRON: Est-ce que des personnes qui vous accompagnent peuvent
témoigner là-dessus?
M. HARGUINDEGUY: Non, je ne le pense pas.
M. CHARRON: Savez-vous si l'article 17 qui dit que les contrats conclus
au Québec par l'administration publique, ainsi que les sous-contrats qui
s'y rattachent, sont actuellement rédigés en français et
savez-vous s'ils peuvent aussi, actuellement, être rédigés
à la fois en français et en anglais ou, lorsque l'administration
publique contracte avec l'étranger, à la fois en français
et dans la langue du pays intéressé?
M. HARGUINDEGUY: Actuellement, il y a des contrats qui sont strictement
en anglais, qui sont signés à certaines occasions. C'est assez
rare que les deux versions se retrouvent.
M. CHARRON: Donc, l'article 17 consacrerait les deux versions?
M. HARGUINDEGUY: Oui.
M. CHARRON: II pourrait porter peut-être même, ce qui est
exceptionnel, à être généralisé et
apparaître, comme vous l'avez affirmé dans votre premier
paragraphe, comme une mesure de bilinguisme.
M. HARGUINDEGUY: Oui, c'est à partir de cela qu'on constate qu'on
conserve ce qui existe actuellement...
M. CHARRON: J'aurais aussi...
M. HARGUINDEGUY: ... sans vouloir aller au fond du bill 22, parce qu'on
laisse cela à des personnes plus compétentes que nous,
c'est-à-dire l'Assemblée nationale.
M. CHARRON: Sans vous donner plus d'importance que vous-même vous
voulez en assumer ce matin, je crois quand même que, sur ce chapitre que
nous sommes à vérifier, votre témoignage sera
peut-être plus important que bien d'autres, en tout cas, qui
viendront.
J'aurais probablement des questions à vous poser également
sur le chapitre 2, qui porte sur la langue des entreprises dites
d'utilité publique, qui sont définies en annexe, mais je
préfère plutôt, pour ne pas vous mettre dans une situation
embarrassante, attendre le témoignage d'autres parties syndicales qui,
je crois, se sont déjà inscrites de toute façon, qui
représentent ces employés et qui pourront nous informer, comme
vous venez de le faire, sur la pratique habituelle.
Je crois quand même que ce que vous venez de nous dire comme
information aidera les membres de la commission parlementaire à se faire
une idée sur cette innovation que prétend être le projet de
loi 22, dans le domaine de la consécration prioritaire du
français, quand vous venez nous confirmer que, si ce n'est pas
déjà une obligation à certains endroits, ce sont
même des privilèges ajoutés à la langue anglaise. M.
Harguindeguy, je voudrais aborder avec vous le deuxième chapitre de
votre mémoire, votre position sur la Régie de la langue
française. Vous êtes le premier groupe, je dois dire, qui prend
une position aussi claire que vous le faites dans le premier paragraphe, au
moment où vous dites que vous ne voyez pas la nécessité de
créer une Régie de la langue française. La plupart des
autres groupes qui sont venus, si ma mémoire est fidèle, du
côté francophone, ne se sont pas prononcés contre
l'existence de cette régie. Ils ont plutôt demandé, encore
une fois, si j'interprète bien le mémoire, que, contrairement
à ce que la loi prévoit, cette régie soit rattachée
au ministre de l'Education, soit rattachée à l'Assemblée
nationale.
Certains groupes ont demandé cela. Vous, vous proposez simplement
que l'Office de la langue française soit maintenu tel qu'il est avec des
améliorations quant au statut de ses employés. Je discuterai de
cela tout à l'heure avec Mlle Tardif, si vous me permettez.
J'aimerais que vous explicitiez encore plus, pour l'intérêt
des membres de la commission, votre objection à la création de la
Régie de la langue française.
M. HARGUINDEGUY: A toutes fins pratiques, la régie a les
mêmes devoirs et pouvoirs que possède l'Office de la langue
française. Donc, il nous semble que, plutôt que de créer
une régie, on va nommer un président, ainsi que neuf membres.
Même si cette régie va être sous la responsabilité
d'un ministre nommé par le lieutenant-gouverneur en conseil il aurait
été possible de réellement structurer l'Office de la
langue française, lui donner peut-être des structures stables de
personnes qui soient assurées d'avoir une certaine possibilité de
travail, et également d'avoir des locaux adéquats pour pouvoir
faire le travail qu'elles doivent faire, sans avoir à créer une
régie qui ne changera absolument rien, si ce n'est peut-être
d'accorder des postes à des personnes peut-être en remerciement
comme cela se fait particulièrement lorsqu'on procède à
des nominations à des postes de directeurs ou d'administration assez
élevés. On ne voit pas la nécessité comme telle,
cela ne changera absolument rien si on ne donne pas plus de possibilités
tant financières
que physiques à la nouvelle régie, qu'on en a
données à l'Office de la langue française.
Au point de vue des employés aussi, cela crée quand
même un certain impact de dépendre d'une régie, qui est
peut-être un peu plus autonome, par rapport à la dépendance
qu'ils ont actuellement d'un ministre. C'est que, quand même, la
convention collective et la Loi de la fonction publique prévoient de
façon bien précise des mécanismes de négociations
et permettent des moyens de représentation par l'entremise du
ministère de la Fonction publique.
On a, malheureusement actuellement... d'ailleurs aux prochaines
négociations, on veut aussi y voir. Vous allez certainement en entendre
parler. C'est de prévoir quand même un mécanisme qui soit
un mécanisme directeur au point de vue de l'application de la convention
collective, ce qui régit les conditions de travail. Plus on crée
d'organismes nouveaux qui sont quasiment autonomes, plus cela crée des
difficultés aux employés qui sont en place. Parce qu'on multiplie
le nombre de directeurs, donc on multiplie le nombre d'interprétations
de conventions collectives, et cela crée nécessairement un
sentiment d'insécurité parmi nos membres.
On aurait préféré que l'office demeure tel quel, on
le structure réellement de façon adéquate, et qu'on lui
donne des moyens pour pouvoir atteindre ses objectifs.
M. CHARRON: Si vous me permettez de devancer un peu votre
mémoire, puisque vous venez de parler de l'Office de la langue
française, je crois que Mlle Tardif est déléguée
syndicale à l'Office de la langue française.
M. HARGUINDEGUY: C'est cela.
M. CHARRON: Quelle est la situation actuelle, à votre avis, de
l'Office de la langue française?
MLLE TARDIF: La situation actuelle, c'est que plusieurs employés,
étant dans l'insécurité, fournissent un travail qui est
quand même très bon, mais qui ne peut pas être très
valable, étant donné qu'ils sont occasionnels. Ils peuvent
être remerciés du jour au lendemain. Cela crée un climat
d'insécurité. La plupart de ces employés sont des
techniciens en information. C'est-à-dire qu'ils relèvent
directement des agents culturels qui, eux, doivent préparer soit les
lexiques ou tout ce qui a rapport à la terminologie. Alors, ces gens ont
besoin de personnes qui travaillent pour eux, et cela prend quand même un
certain temps avant d'être habilité à ce travail. Lorsque
ces occasionnels sont intéressants, c'est-à-dire lorsqu'ils
peuvent fournir quelque chose de vraiment valable, il y a toujours ce climat
qui existe à savoir si on va les garder. Puis aussi, cela devrait
être beaucoup plus structuré. De ces employés, il y en a
à la banque de terminologie, par exemple, tout est porté
là-dessus. Le plus gros, présentement, est porté sur la
banque de terminologie. On emploie des gens, comme cela. Tous les responsables
des secteurs sont des occasionnels.
M. CHARRON: Diriez-vous qu'à l'Office de la langue
française, actuellement, il y a, ce qu'on appelle dans la fonction
publique, des occasionnels permanents?
MLLE TARDIF: Exactement. Il y a des gens qui y sont depuis deux ans,
trois ans. Je suis d'accord qu'il y a certains postes qui, vraiment, sont
occasionnels. Quant à la banque de terminologie, c'est sûr, elle
commence. Alors, il y a beaucoup de travail. Dans peut-être quatre ou
cinq ans, oui sûrement quatre ou cinq ans, cela diminuera parce que le
gros du travail aura été fait à la base. De toute
façon, cela va changer. Ces gens pourront être utilisés
quand même.
Cela va changer un peu l'organisation, mais on en aura besoin. Il reste
certain qu'à la banque de terminologie telle qu'elle est
présentement, on a besoin de personnel, on en aura toujours besoin. Elle
est composée, à peu près, je crois, de 60 membres et sur
cela il y a cinq permanents.
M. BONNIER: M. le Président, si vous me permettez. Tout de
même, lorsque l'on parle de la régie dans la loi 22, est-ce que
vous concevez que la régie va avoir un rôle beaucoup plus
important que l'Office de la langue française, ce qui peut
déplacer, dans le fond, un peu le fonctionnement même au niveau du
personnel? Une question qui m'intéresserait tout
particulièrement, serait de revenir sur la question qui a
été posée aussi par rapport à votre objection, par
exemple. Certains groupes disaient que cela devrait devenir beaucoup plus sous
l'autorité de l'Assemblée nationale que d'un ministre; mais
à ce moment-là...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Ecoutez, mon collègue, vous aurez
votre tour, si vous le désirez, mais...
M. BONNIER: C'est parce que je voulais seulement apporter une
précision.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Si vous voulez conserver vos questions
pour tout à l'heure, parce que l'honorable député de
Beauce-Sud et l'honorable député de Richmond ont demandé
la parole.
Le député de Saint-Jacques.
M. CHARRON: Je n'ai pas d'objection à la question du
député de Taschereau. Peut-être qu'il voudra revenir sur le
sujet de l'Office de la langue française.
Dans ce refus de voir la régie assumer, en fin de compte, ce que
vous considérez comme étant les pouvoirs et devoirs actuels de
l'Office
de la langue française et comme vous vous expliquez mal la
création de cette régie autrement que pour donner, comme vous
l'avez affirmé, des emplois à ceux qui en mériteraient, de
l'avis du gouvernement, je pense qu'il y a un ancien président d'une
commission royale d'enquête sur la langue française qui doit
certainement espérer un poste quelconque à la suite du revirement
spectaculaire et quasi télécommandé qu'il a fait
concernant sa position sur le bill 63. Je pense que M. Gendron doit être
un des postulants les plus envisageables actuellement par le gouvernement,
suite au merveilleux service qu'il lui a rendu, de contredire une position
qu'il avait affirmée à la suite de trois ans d'enquête. Peu
importe.
Vous affirmez, concernant l'article 77, qui porte sur la Régie de
la langue française, que si le siège de cette régie,
dût-elle être créée, était ailleurs
qu'à Québec, que dans la ville de Québec, cela pourrait
entrer en conflit avec la convention collective. Est-ce exact, serait-ce en
conflit avec la convention collective?
M. HARGUINDEGUY: Oui. Le bill 22 prévoit que le siège
social est à Québec. Cependant il peut aussi être
déplacé dans une autre municipalité. A ce
moment-là, il y a des clauses dans la convention collective, notamment
à l'article 41, à l'article 4 aussi, qui prévoient que si
l'employé a un manque de travail, il y a une question de
sécurité d'emploi. Si la régie est
déménagée, disons, à Montréal, parce que les
régisseurs sont tous de Montréal et qu'ils n'aiment pas voyager
à Québec, cela pourrait impliquer que les fonctionnaires seraient
aussi dans l'obligation, pour conserver leur emploi à l'Office de la
langue française, de déménager à Montréal,
ce qui crée quand même passablement de difficultés et qui a
des conséquences sur certains de nos fonctionnaires qui ne veulent pas,
à ce moment-là, déménager. C'est donc pour cela que
nous demandons que le siège social soit à Québec;
d'ailleurs, l'Assemblée nationale est à Québec et je pense
bien que tous les sièges sociaux des ministères se trouvent aussi
à Québec et les principales régies également. Je
pense donc qu'il est normal que ce soit dans la capitale provinciale que la
Régie de la langue française soit située.
M. CHARRON: M. Harguindeguy, il y a un groupe qui nous a dit je
ne me souviens plus lequel, je crois que c'est la chambre de commerce
que le siège devrait être à Montréal puisque,
là où il y a des problèmes linguistiques actuellement et
où les devoirs d'intervention de la Régie de la langue
française auraient plus de raisons géographiques, je dirais,
d'exister, c'est à Montréal. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. HARGUINDEGUY: C'est sûr que c'est une ville cosmopolite,
peut-être beaucoup plus que Québec; cependant si on compare ce
milieu avec un qui est peut-être strictement anglais, il faudrait
l'envoyer dans la Gatineau. A Hull aussi, il y aurait un besoin.
M. CHARRON: M. Harguindeguy, vous en avez aussi contre l'article 103 de
la loi 22 et je ne peux qu'endosser votre position là-dessus. Je vous
cite: "II est également assez stupéfiant de constater que le seul
groupe d'individus qui tombe sous la menace d'une peine assez
élevée, dans quelques cas prévus par le projet de loi 22,
est précisément celui des employés de l'Etat, alors
qu'aucune amende n'est prévue pour quiconque ne se conformerait pas aux
exigences de la loi."
Vous avez invoqué, contre cet article 103, le fait que d'autres
dispositions existaient déjà dans la convention collective dans
le cas des écarts que certains fonctionnaires pourraient avoir quant
à une éthique reconnue et négociée, je dirais,
à la fois par la partie patronale et la partie syndicale. Savez-vous
s'il existe dans d'autres ministères, en plus de la disposition
générale qui s'applique à tous les fonctionnaires et
auxquels vous avez fait allusion, des dispositions précises, par
exemple, je dirais pour les fonctionnaires du ministère du Revenu, chez
qui, je pense, le devoir de confidentialité est peut-être encore
plus grand que chez un fonctionnaire du Tourisme, de la Chasse et de la
Pêche, je ne sais pas? Savez-vous si cette disposition de l'article 103
que vous refusez, est un droit supplémentaire, que se réserve le
patron, d'intervention sur ses fonctionnaires, qui n'existerait ailleurs?
M. HARGUINDEGUY: A notre idée, oui. Il est clair qu'au
ministère du Revenu, les employés doivent obtenir l'autorisation
du ministre avant de pouvoir occuper un emploi à temps partiel qui
pourrait entrer en contradiction avec leurs devoirs en tant que
fonctionnaires.
M. CHARRON: C'est la seule disposition supplémentaire à la
convention collective?
M. HARGUINDEGUY: A la loi...
M. CHARRON: Aux fonctionnaires du ministère du Revenu...
M. HARGUINDEGUY: C'est cela.
M. CHARRON: Mais il n'y a pas d'amende supplémentaire aux
fonctionnaires du ministère du Revenu...
M. HARGUINDEGUY: S'ils outrepassent, en fait, la loi du Revenu, le bill
38, ils peuvent être sujets à des mesures disciplinaires, soit
suspension, congédiement, ou ainsi de suite.
M. CHARRON: II n'y a pas d'amende, com-
me l'article 103 le voudrait pour les fonctionnaires de la Régie
de la langue française?
M. HARGUINDEGUY: C'est cela, aucune amende.
M. CHARRON: Je pense que c'est une remarque bien fondée que vous
faites là. La dernière question que j'aurais envie de vous poser,
c'est de vous demander si les autres dispositions de la loi 22 ont
également été étudiées par votre syndicat
avant d'apporter son mémoire et que ce serait par choix
délibéré qu'on aurait décidé de n'aborder
que cette question où vous êtes professionnellement
intéressé, celle de l'administration publique, et que vous n'avez
pas voulu vous prononcer sur d'autres dispositions?
M. HARGUINDEGUY: C'est exact. C'est délibéremment que nous
nous en sommes tenus au droit de nos membres, en fait, de façon
particulière, sans vouloir approfondir les autres problèmes que
nous avons rencontrés dans le domaine des immigrants, de la langue, de
l'éducation ou le reste.
M. CHARRON: Alors, M. Harguindeguy, quant à moi je sais
que le chef de l'Opposition aura peut-être d'autres questions à
vous poser je veux vous remercier immédiatement de cet
témoignage que vous venez de nous apporter. Je pense que vous êtes
le premier à nous affirmer que plusieurs des dispositions
présentées avec tambour et trompette par le ministre comme
étant innovatrices et consacrant le caractère prioritaire du
français, sont, à toutes fins pratiques, le statu quo, et
qu'à certains endroits il y a malheureusement, comme certains l'ont
prétendu, avancement du bilinguisme et de la bilinguisation dans
l'administration publique québécoise. Je pense que tous les
membres de la commission, avant de se prononcer sur le principe du projet de
loi, devront tenir compte de cette information que vous nous avez
apportée. Je vous remercie beaucoup.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Beauce-Sud.
M. ROY: M. le Président, dans votre mémoire, au
troisième paragraphe celui qui m'a précédé
en a fait allusion lorsque vous ayez déclaré que dans la
fonction publique, le gouvernement procédait actuellement à
l'engagement de fonctionnaires anglophones unilingues, est-ce que vous nous
avez donné comme exemple qu'il y avait eu un cas au ministère de
la Justice? Sans donner de cas particulier, est-ce qu'à votre
connaissance vous pourriez citer d'autres ministères qui ont fait cette
pratique au cours de la dernière année?
M. HARGUINDEGUY: Au ministère des
Transports également dans la région de
Montréal.
M. ROY: Le ministère des Transports?
M. HARGUINDEGUY: Dans le domaine particulièrement du bureau des
véhicules automobiles.
M. ROY: Est-ce qu'il y a d'autres ministères, comme le
ministère du Revenu, où vous auriez des cas?
M. HARGUINDEGUY: Non, ce sont à peu près les seuls
ministères à notre connaissance, à l'heure actuelle.
M. ROY: Mais vous n'avez pas été en mesure de tout
vérifier?
M. HARGUINDEGUY: Non, on n'a pas procédé à des
vérifications approfondies pour cela.
M. ROY: Cela veut dire que c'est fort possible qu'il y en ait dans
d'autres ministères également?
M. HARGUINDEGUY: Fort possible.
M. ROY: Vous avez dit également que le gouvernement, dans sa loi,
d'ailleurs suite à une réponse qui a été
donnée tantôt également aux questions qui ont
été posées par le député de Saint-Jacques,
avait accordé des gains qui sont consacrés par la loi actuelle,
la loi 22. On a donné comme exemple la publication de la convention
collective de la fonction publique qui, actuellement, a été
publiée uniquement en français, et qu'à l'avenir, si la
loi est adoptée telle quelle, serait publiée dans les deux
langues. Est-ce que vous pourriez nous donner d'autres exemples aussi de gains
que la loi 22 accorde à la langue anglaise?
M. HARGUINDEGUY: Des gains, peut-être pas, mais le statu quo
demeure, si on regarde des syndicats actuellement qui peuvent négocier
en anglais. Le bill 22 permet aussi que sur vote de l'assemblée
syndicale, les négociations peuvent également se faire en
anglais, alors qu'on précise quand même que la langue du travail,
ce devrait être le français.
M. ROY: J'ai cru comprendre que vous aviez dit que des cas d'exception,
que nous voyons actuellement, deviendraient des
généralités advenant l'adoption de la loi.
M. HARGUINDEGUY: C'est possible si le bill est adopté tel
quel.
M. ROY: Est-ce que vous préféreriez tout simplement que le
bill soit retiré, compte tenu du fait qu'il y a légalisation du
statu quo, compte tenu du fait également qu'il y a des
avantages marqués, des choses qui deviennent légales et
qui à l'heure actuelle ne sont que facultatives, est-ce que vous
préféreriez, plutôt que de voir le bill 22 adopté
tel quel, le voir tout simplement rejeté?
M. HARGUINDEGUY: Oui, c'est exactement la demande que nous faisons au
premier paragraphe et nous souhaitons que le gouvernement adopte une
réelle politique linguistique au Québec qui soit le
français et qu'il en fasse une langue prioritaire.
M. ROY: D'ailleurs, ce n'est pas, M. le Président, le premier
groupe qui demande le retrait de la loi. J'ai remarqué les rires
étouffés du ministre lorsque j'avais demandé le retrait de
la loi. Je pense que les rires sont passablement disparus depuis le
début de la semaine à ce sujet. Etant donné que le
ministre avait pris la peine de nous dire au début qu'il serait
intraitable sur la question de la loi, ce qui fait qu'à l'heure
actuelle...
M. CLOUTIER: Intraitable sur le plan des principes, M. le
Président, souple sur le plan des modalités. Qu'on me cite
exactement.
M. ROY: Le principe de votre loi, qu'est-ce que c'est?
M. CLOUTIER: Ce n'est pas le moment. J'en ai parlé vingt fois.
J'y reviendrai lors du débat.
M. ROY: C'est parce que nous cherchons toujours le principe.
M. CLOUTIER: ...aux gens que nous voulons...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que votre période de
questions...
M. ROY: Non. Ma période de questions n'est pas terminée,
M. le Président. Je me suis permis de faire un commentaire.
M. CLOUTIER: Vous voyez le résultat. C'est mieux de ne pas en
faire.
M. ROY: M. le Président, le ministre en a...
M. CLOUTIER: Que ceux qui nous font le plaisir de venir nous rencontrer
aient l'occasion de s'exprimer.
M. ROY: Le ministre a assez fait de commentaires lui-même. On a
permis à l'Opposition officielle de faire des commentaires, je ne
verrais pas pour quelle raison on ne me permettrait pas de faire les
mêmes commentaires, compte tenu du fait...
M. CLOUTIER: Allez-y.
M. ROY: ...que le retrait de la loi, plutôt que son adoption telle
quelle, est demandé encore par ce groupe ce matin, ce que j'approuve, M.
le Président.
J'aurais une autre question concernant le transfert du bureau à
Montréal. Vous êtes de ceux qui désirent que le bureau soit
maintenu à Québec. Vous avez dit tout à l'heure que la
première raison, ce serait la question de la convention collective, si
ma mémoire est bonne; la deuxième raison, c'est qu'il y a une
question de déménagement de personnel qui cause des
problèmes aux personnes qui sont actuellement à l'emploi de
l'Office de la langue française. Est-ce que vous auriez d'autres
raisons, en plus des deux que je viens de mentionner, pour justifier que l'on
exige que le bureau de la régie ou le bureau de l'Office de la langue
française soit maintenu à Québec?
M. HARGUINDEGUY: Je pense que c'est normal que le siège social de
la régie soit dans la capitale provinciale. Tous les sièges
sociaux des ministères, des principales régies sont
également à Québec. L'Assemblée nationale
siège également à Québec. Je pense qu'à
toutes fins pratiques c'est Québec qui devrait être le lieu
où devrait se situer le siège social.
M. ROY: C'est une question additionnelle que je vous pose. Etant
donné que Montréal se trouve dans la grande région
bilingue, si on regarde les statistiques, vous ne pensez pas que le fait que le
bureau de la régie ou le bureau de l'office soit situé à
Montréal je ne prends pas position pour une place ou pour
l'autre, je vous pose la question cela permettrait d'avoir une meilleure
efficacité et un meilleur rendement et de rendre de meilleurs
services?
M. HARGUINDEGUY: II y a déjà un bureau de l'office qui
existe à Montréal et je ne pense pas que le fait d'implanter la
régie à Montréal fera en sorte que Montréal va
devenir unilingue français.
M. ROY: Mais vous seriez toujours d'accord pour le maintien d'un bon
bureau à Montréal?
M. HARGUINDEGUY: Oui. On veut conserver, si la régie était
créée, ce que nous ne souhaitons pas, quand même la
situation actuelle, excepté que le siège social sera à
Québec. Cela n'empêche pas que toutes les régies qui ont
une certaine importance au gouvernement ont des bureaux régionaux, soit
à Montréal ou dans d'autres régions administratives du
Québec.
M. ROY: Dans la deuxième page de votre paragraphe,
vis-à-vis de l'article 103, vous avez mentionné, et je cite le
paragraphe pour pouvoir formuler ma question: "II est également assez
stupéfiant de constater que le seul groupe d'individus qui tombe sous la
menace d'une peine assez élevée dans quelques cas prévus
par
le projet de loi no 22 est précisément celui des
employés de l'Etat alors qu'aucune amende n'est prévue pour
quiconque ne se conformerait pas aux exigences de la loi." Est-ce que vous
iriez jusqu'à dire qu'il devrait y avoir des sanctions prévues
dans la loi contre les organismes, les institutions qui ne se conformeraient
pas aux exigences de la loi? Parce que la seule place où l'on parle de
sanctions, c'est dans l'article 103.
M. HARGUINDEGUY: Habituellement, lorsqu'il y a une loi, on
prévoit certaines sanctions pour ceux qui ne s'y conforment pas. Je
pense quand même que nous, dans le domaine syndical, chaque fois qu'on a
eu des lois, on a eu des lois qui ont eu quelques dents et qui nous ont fait
assez mal à certaines occasions. Nous croyons raisonnable qu'il y ait
des sanctions prévues pour tous les autres organismes
également.
M. ROY: En somme, vous ne voudriez pas être les seuls susceptibles
de sanctions.
M.HARGUINDEGUY: Non.
M. ROY: Je pense que c'est normal et, là-dessus, nous vous
approuvons. Dans la troisième page, vous dites en guise de conclusion:
"Compte tenu d'une expérience de douze ans, nous devons constater que
les mouvements successifs, en dépit des promesses électorales, ne
se sont jamais donné la peine de commencer par le commencement en
matière de politique linguistique, c'est-à-dire de faire de
l'Office de la langue française l'instrument efficace de toute
application d'une politique linguistique cohérente." Selon vous, quelles
sont les recommandations que vous feriez à ce niveau pour corriger les
lacunes qui ont existé dans le passé?
M. HARGUINDEGUY: D'abord, ce serait de restructurer l'office et de
prévoir des postes à caractère permanent, les combler. Au
moins si on veut assurer une certaine continuité, je pense qu'il est
normal que les employés soient assurés de pouvoir continuer
à travailler là. Par contre, comme on vous l'a
démontré, plus de deux fois, des employés permanents sont
des occasionnels et parmi les employés permanents, on dirait
également, que cela a été le refuge du ministère de
l'Education; c'est que, lorsque le ministère de l'Education a
fermé les collèges classiques, il y a eu un surplus de personnel.
Les professeurs dans d'autres corps de métiers, soit la
mécanique, l'électricité ou le reste, sont devenus
surnuméraires, ont été réintégrés
à la fonction publique et ont été affectés à
l'office. On a pris l'office, je pense qu'on ne lui a pas donné
l'importance qu'on aurait dû y apporter, et on se pose la question que si
la régie, éventuellement, qui a été
créée, avait exactement les mêmes devoirs, les mêmes
pouvoirs et les mêmes possibilités, tant physiques,
budgétaires que tout le reste, ça ne donnerait rien de plus que
ce que donne l'office actuellement. Parce que l'expérience nous prouve
que l'office n'a pas pu progresser n'ayant pas eu les moyens
nécessaires.
M. ROY: En somme, il y a eu la question budgétaire aussi. Est-ce
que vous n'avez jamais eu, du moins si je me réfère aux
discussions qui ont eu lieu lors de l'adoption des crédits, le budget
qui aurait été nécessaire pour vous permettre d'assumer
pleinement votre rôle?
M. HARGUINDEGUY: C'est quand même au gouvernement d'y voir. Mais
il n'y a sûrement pas eu les budgets qui ont permis à l'office de
pouvoir progresser.
M. ROY: En somme, si le gouvernement n'a pas de meilleures intentions
d'accorder plus de budget à l'office ou à la régie, vous
serez pris dans la même situation?
M. HARGUINDEGUY: Oui. Je pense que le Québec sera dans la
même situation en 1975 qu'il l'était en 1973.
M. ROY: Peut-être un peu plus anglicisé?
M. HARGUINDEGUY: Peut-être, fort possiblement.
M. ROY: Je vous remercie.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de
Richmond.
M. VALLIERES: Je vous remercie, M. le Président, mes questions
ont été posées tout à l'heure par l'honorable
député de l'Opposition, alors, je laisse mon droit de parole
à quelqu'un d'autre.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de
Laurentides-Labelle.
M. LAPOINTE: M. le Président, j'ai une ou deux questions
brèves. A la lecture de la première partie de votre
mémoire, suite aux explications que vous avez apportées, doit-on
conclure que vous proposez l'unilinguisme?
M. HARGUINDEGUY: Sans nécessairement prôner l'unilinguisme
français, nous voulons que le français soit la langue officielle,
tant dans le domaine du travail que dans l'administration publique. Si on fait
en sorte que tout le monde ait l'obligation de parler le français, ce
qui est quand même normal dans une province québécoise
comme c'est normal en France et dans d'autres pays, je pense que,
inévitablement, il y a des mécanismes qui seront
nécessaires pour pouvoir faire en sorte que tout le monde, tant les
immigrants que les étudiants, puisse apprendre le français. C'est
ça que nous voulons.
M. LAPOINTE: Est-ce que, d'après vous, il existe des droits
acquis pour les minorités au Québec?
M. HARGUINDEGUY: Oui, mais je pense que, même le fait de
créer ou de faire en sorte que le français soit langue
officielle, c'est normal que, dans le contexte nord-américain, la
deuxième langue, comme cela existe en Europe, où il y a une
obligation à l'école d'apprendre une deuxième langue, ce
soit l'anglais. Il est clair que si les gens vont en Ontario ou aux Etats-Unis,
ils vont apprendre l'anglais. Comme en France, les gens sont dans l'obligation
d'apprendre une deuxième langue.
M. CLOUTIER: Est-ce que vous souhaiteriez qu'on mette ça dans la
loi, l'obligation d'apprendre une langue seconde qui serait l'anglais?
M. HARGUINDEGUY: L'obligation d'apprendre l'anglais, non, mais qu'on
fixe une deuxième langue au choix de l'individu.
M. CLOUTIER: Vous seriez d'accord pour qu'on mette ça dans la
loi?
M. HARGUINDEGUY: Non, pas l'anglais, qu'on mette l'obligation d'avoir
une deuxième langue, ça je pense qu'on pourrait le faire, mais
que la deuxième langue soit au choix de l'individu. Il y a
peut-être des gens qui voudraient apprendre l'espagnol ou l'italien.
UNE VOIX: Le chinois.
M. LAPOINTE: Une autre question, M. le Président, est-ce que vous
liez la question linguistique à l'indépendance économique
du Québec?
M. HARGUINDEGUY: Non, je ne suis pas lancé dans ce débat
et le Syndicat des fonctionnaires provinciaux n'a pas non plus l'intention de
se lancer dans ce débat. On laisse ça à d'autres.
M. LAPOINTE: Merci.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de
Taschereau avait indiqué qu'il... Non?
M. BONNIER: Non.
M. CLOUTIER: Je voudrais peut-être intervenir, M. le
Président. Je voulais simplement poser une question, mais que le
député de Pointe-Claire...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de
Pointe-Claire.
M. SEGUIN: Je vais poser la même question. Non pas que j'aie le
moindre doute sur votre responsabilité ou les responsabilités de
représentativité de votre organisation, mais je veux très
brièvement, avant de poser la question, simplement avoir certains
éclaircissements sur des commentaires qui ont été faits au
préalable. Vous avez dit que vous représentiez 32,000
fonctionnaires. Est-ce juste?
M. HARGUINDEGUY: C'est cela. Il y a environ 19,000 fonctionnaires et
13,000 ouvriers.
M. SEGUIN: Le tout serait...
M. HARGUINDEGUY: Ce serait 32,000 en tout.
M. SEGUIN: 32,000. Vous avez aussi indiqué qu'il y avait eu des
embauchages très récents, c'est-à-dire au mois de
novembre, d'une, deux ou de dix personnes qui seraient des unilingues de langue
anglaise. Pourriez-vous me dire, et je n'exige pas de précision,
globalement, le pourcentage de vos membres, soit parmi les 32,000, qu'on
pourrait reconnaître comme des unilingues anglais,
présentement?
M. HARGUINDEGUY: Environ 2,500 sur les 32,000.
M. SEGUIN: Sur les 32,000, qui sont...
M. HARGUINDEGUY: Cela représente 8 p.c. environ.
M. SEGUIN: ... unilingues anglais?
M. HARGUINDEGUY: C'est cela. Dans les régions de la Gatineau, de
l'Estrie et de la Gaspésie particulièrement et à
Montréal aussi.
M. SEGUIN: Je vous remercie de ces précisions. Pouvez-vous aussi
me donner un pourcentage ou un nombre de personnes, de fonctionnaires, parmi
vos membres, qui soient bilingues ou que vous pourriez reconnaître comme
bilingues présentement?
M. HARGUINDEGUY: C'est peut-être assez difficile, mais je suis pas
mal positif qu'une grosse majorité est bilingue.
M. SEGUIN: Une majorité des employés serait bilingue?
M. HARGUINDEGUY: Oui, elle serait bilingue.
M. SEGUIN: Maintenant, pour arriver à la question de
représentativité, est-ce que vos membres ont été
consultés sur la teneur ou le contenu de votre mémoire? Si oui,
de quelle façon?
M. HARGUINDEGUY: Ils ont été consultés par
l'entremise des officiers et également ce
matin, avant de venir ici à 11 heures, le mémoire tel que
vous l'avez là a été adopté à
l'unanimité par le conseil syndical qui, selon nos structures,
représente, par voie de délégation, des personnes de
toutes les régions de la province, tant de la Gatineau, de l'Abitibi, de
la Gaspésie, que des Iles-de-la-Madeleine. Chaque section locale qui
regroupe les fonctionnaires travaillant dans ces régions est ici
à Québec aujourd'hui, demain et dimanche, pour une réunion
du conseil syndical et ce matin, à l'ouverture, nous avons
étudié le bill 22 et le mémoire que nous avions soumis et
celui-ci a été adopté à l'unanimité. Ce
n'est pas uniquement un mémoire présenté par deux ou trois
individus, c'est le syndicat comme tel qui le soumet.
M. SEGUIN: Parmi les officiers du syndicat qui ont fait l'étude
et préparé le mémoire, est-ce qu'il y avait un
représentant venant de la minorité des 2,500 que vous avez
mentionnés tout à l'heure?
M. HARGUINDEGUY: Oui, il y a des représentants de la Gatineau
dont les membres, à 80 p.c., sont unilingues anglais. Nous avons aussi
des représentants de la Gaspésie, même que le
président de la section est un Irlandais. Il y en a d'autres aussi de la
région de Montréal et de l'Estrie également qui
étaient là ce matin.
M. SEGUIN: Comme Irlandais, il est sans doute tout à fait
à part.
M. HARGUINDEGUY: Non, il s'est intégré totalement dans le
Syndicat des fonctionnaires.
M. SEGUIN: Je vous remercie.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le ministre de l'Education.
M. CLOUTIER: M. le Président, une dernière question de la
part du parti ministériel. Vous avez prononcé un jugement qui
peut paraître sévère sur l'Office de la langue
française. J'aimerais savoir si vous êtes au courant du fait que
l'Office de la langue française, depuis 1970, a vu son budget tripler,
ses effectifs tripler, que l'Office de la langue française a
été complètement réorganisé et que l'on a
créé un service de relations avec le monde du travail, ce qui
semblerait aller un peu à l'encontre de votre jugement, à savoir
que ses seules fonctions sont des fonctions terminologiques.
J'aimerais également savoir si vous êtes au courant que
l'Office de la langue française, depuis 1970, c'est-à-dire depuis
que le gouvernement s'en occupe, a pénétré les
entreprises, a travaillé dans une vingtaine d'entreprises, a mis au
point toute une méthodologie d'analyse des communications à
l'intérieur des entreprises dans le cadre de son programme de
refrancisation du français.
J'aimerais également savoir si, compte tenu de ce qui existe et
de ce qui a fait l'état d'une discussion lors de la discussion des
crédits, vous considérez qu'il n'y a vraiment aucun changement
par rapport au passé.
M. HARGUINDEGUY: Je dois reconnaître, M. le ministre, qu'il est
vrai que le seul organisme où réellement des effectifs permanents
ont été établis, c'est dans le domaine des relations avec
le domaine du travail.
Au niveau de l'office, c'est peut-être le seul organisme où
réellement il y a eu des effectifs stables. Lorsque vous
prétendez que les budgets ont été triplés, c'est
fort possible, que les effectifs ont été triplés, c'est
vrai aussi, mais ils ont été triplés par des occasionnels
qui n'assurent pas, à ce moment-là, une certaine
stabilité, je pense, à l'office.
Si on tient compte que, selon ce que le gouvernement a adopté au
point de vue des occasionnels, ce sont quand même des postes non
permanents qui sont occupés pour des périodes variant
jusqu'à quatre mois, je pense que ce n'est quand même pas en
engageant de nouveaux employés tous les quatre mois, si on applique,
bien entendu, à la lettre l'arrêté en conseil qui
prévoit l'engagement des occasionnels, qu'on peut assurer une
stabilité à l'office.
M. CLOUTIER: Mais vous ne niez pas le programme de travail de l'office,
comme je viens de l'énoncer. Je l'ai énoncé très
sobrement, vous ne le niez pas. Votre critique porte surtout sur le fait qu'il
y a des occasionnels d'engagés et que vous souhaiteriez qu'on y fasse le
moins possible appel et elle porte sur le fait que les locaux ne vous
paraissent peut-être pas surtout à Québec, parce
qu'il y a de nouveaux locaux à Montréal adéquats,
c'est bien cela?
M. HARGUINDEGUY: II y a particulièrement cela.
M. CLOUTIER: Je suis entièrement de votre avis en ce qui concerne
les occasionnels et en ce qui concerne les locaux, parce que je
considère, moi aussi, que si dans une période de transition il
était acceptable que l'on procède ainsi, parce qu'il fallait
faire démarrer les programmes, il faut, dans une période de
consolidation que la régie devrait apporter, que l'on sorte de ce
système. J'approuve donc votre point de vue et je suis très
content que vous approuviez également le programme de travail de
l'office tel que je l'ai énoncé.
M. HARGUINDEGUY: C'est sûr que l'office essaie de faire un travail
avec les moyens qu'on lui a accordés jusqu'à présent, mais
nous estimons que ce n'est pas suffisant. En fait, le mémoire comporte
que, si la régie a les mêmes moyens et a les mêmes pouvoirs,
cela n'ira pas mieux.
M. CLOUTIER: Bien sûr, moi aussi, je trouve que l'office n'a pas
des moyens suffisants. Je trouve simplement qu'il fallait commencer et que nous
avons réussi, au niveau de l'office, contrairement à ce que votre
remarque un peu rapide de tout à l'heure laissait entendre, à
faire un grand nombre de choses en vue de la refrancisation. Mais il est bien
évident que ceci ne constituait qu'une étape et que
l'étape suivante est justement permise par la loi 22.
Il est bien évident aussi que, si la loi 22 n'était pas
appliquée comme elle devra être appliquée et si on ne donne
pas les moyens nécessaires à la régie, à ce moment,
vous avez raison. Je ne crois pas qu'on puisse présumer qu'en soi, la
loi 22 ne permet pas cela.
M. HARGUINDEGUY: C'est que le passé est toujours garant de
l'avenir.
MLLE TARDIF: Mais, M. le ministre, lorsque vous dites qu'on est
allé dans les entreprises, je suis bien d'accord avec vous, mais...
Entre autres, comme exemple, on pourrait citer Aigle D'Or. Il y a un gros
travail qui a été fait chez Aigle D'Or. Cela a pris presque au
moins huit mois de travail. Mais est-ce que vous êtes allé faire
un tour à Aigle D'Or pour voir si cela a donné quelque chose de
valable?
M. CLOUTIER: Oui, considérable. Etes-vous allée faire un
tour à General Electric ici à Québec.
MLLE TARDIF: Disons qu'à General Electric, il y a plusieurs
choses qui se font...
M. CLOUTIER: Etes-vous allée faire un tour à la Banque de
Montréal?
MLLE TARDIF: Mais étant donné qu'on ne prévoit
aucune sanction et qu'on n'oblige pas les compagnies ou les industries à
faire vraiment du français la langue de travail, qu'on francise les
termes, qu'on dise, par exemple: Tu dois employer tel mot ou tel mot, mais
l'administration n'est pas capable de communiquer avec ces gens en
français, c'est seulement au niveau théorique, je pense.
M. CLOUTIER: Mais...
MLLE TARDIF: Au niveau pratique, qu'est-ce que cela donne
réellement?
M. CLOUTIER: Je pense que...
MLLE TARDIF: Si on ne les oblige pas à parler et à
franciser complètement...
M. CLOUTIER: Mademoiselle...
MLLE TARDIF: ... et si on ne les pénalise pas, je pense qu'on ne
sera pas tellement intéressé à l'appliquer.
M. CLOUTIER: Mademoiselle, je ne crois pas... Je m'excuse. C'est moi qui
ai ouvert le débat...
MLLE TARDIF: Oui.
M. CLOUTIER: ... avec ma question, mais je voulais simplement aller
à l'encontre du jugement un peu rapide comme je l'ai
qualifié qui laissait entendre que l'office n'avait
peut-être rien fait. Il est bien évident que l'office n'a pas tout
fait. La loi 22 donne précisément à un office
transformé la possibilité de faire des programmes de
refrancisation qui comportent des contraintes économiques et qui
permettront de franchir une dernière étape qui est une
étape comme celle dont vous rêvez.
MLLE TARDIF: Je pense que cela ne change pas tellement. On donnait
à l'office la possibilité d'aller dans les industries. D'accord!
Il va encore dans les industries, mais qu'est-ce qui... Bien oui,
toujours...
M. CLOUTIER: Qu'est-ce que je viens de vous dire, mademoiselle?
MLLE TARDIF: Mais...
M. CLOUTIER: Je viens de vous dire de lire soigneusement la loi 22.
MLLE TARDIF: Oui, mais nous l'avons lue.
M. CLOUTIER: Vous avez étudié... Bon! Vous avez vu ce
qu'il y a dans la loi 22...
MLLE TARDIF: Oui.
M. CLOUTIER: ... concernant la refrancisation de l'entreprise, les
contraintes économiques qui s'accompagnent et qui n'existaient pas
auparavant. C'est justement l'instrument que nous utilisons pour franchir une
nouvelle étape après avoir mis en place, à l'office, tous
les éléments dont on avait besoin pour agir. Mais il est certain
que l'office, s'il n'y avait pas de loi 22, ne pourrait pas faire plus que ce
qu'il a fait actuellement. Pour aller plus loin, il nous faut justement une
législation, et l'option gouvernementale est celle de la loi 22 par le
biais des conventions collectives et par le biais des certificats de
refrancisation.
M. le Président, je crois qu'il faut s'arrêter là.
Je m'excuse d'avoir peut-être ouvert le débat pour apporter une
précision.
M. ROY: J'aurais une petite question additionnelle à poser sur le
même sujet.
Est-ce que la compagnie General Electric ou la compagnie Aigle D'Or
auraient reçu des subventions du gouvernement dans leur campagne de
refrancisation?
MLLE TARDIF: Je ne suis pas habilitée à répondre
à cela.
M. ROY: Ah bon ! Je m'excuse.
MLLE TARDIF: II y a une enquête qui a été faite,
mais on pourrait faire des recherches et vous répondre.
M. ROY: Je pourrais poser ma question au ministre.
M. CLOUTIER: Posez-la-moi. M. ROY: Je la pose au ministre. MLLE TARDIF:
Disons que...
M. CLOUTIER: Non. D'ailleurs, c'est peut-être le moment de le
dire, parce qu'il y a plusieurs personnes qui ont critiqué cet article
qui parle de subventions. Le gouvernement n'y tient pas, à cet
article.
Il a été mis dans la loi uniquement parce qu'il est utile
de se conserver certains pouvoirs pour faire face à certaines situations
très exceptionnelles. Lorsque nous serons en commission élue pour
discuter article par article, nous pourrons avoir un débat
là-dessus et nous tiendrons compte non seulement des mémoires qui
nous ont été présentés, mais également des
remarques certainement pertinentes de l'Opposition.
M. ROY: Je reviendrai là-dessus, parce qu'il y a des subventions
directes et des subventions indirectes également.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable chef de l'Opposition
officielle.
M. MORIN: M. le ministre, l'un des points qui me semblent ressortir des
dernières interventions est le suivant: II n'y a pas de sanction
véritable lorsqu'une compagnie choisit tout simplement de ne pas adopter
un programme en francisation et c'est là que se trouvent les limites les
plus évidentes de la loi. Je pense que vous avez constaté,
mademoiselle, si je vous ai bien comprise, que sous l'empire de l'office
actuel, il n'y a pas de sanction et cela ne produit donc à peu
près aucun résultat autre que des résultats
théoriques. C'est bien ce que vous avez dit?
MLLE TARDIF: Oui, c'est cela.
M. MORIN: Bien, c'est ce que j'avais cru comprendre. Dans le cas d'Aigle
d'Or, est-ce que vous pourriez peut-être élaborer un peu? Ce que
vous avez laissé entendre m'intéresse beaucoup, parce que
l'absence de sanctions est une des caractéristiques de cette loi,
j'entends, de sanctions véritables, et c'est pour cela que . j'aimerais
vous entendre sur un cas comme celui d'Aigle d'Or.
MLLE TARDIF: Ce que je peux dire, c'est ce que j'ai su des rencontres
qui ont été faites, mais il y a un comité qui a
travaillé là-dessus. Lui pourrait peut-être vous donner
exactement les données. Chose certaine, c'est que les gens qui ont pu
revérifier, par après, au niveau de tout l'affichage, cela avait
été refait. C'est bien beau d'afficher en français, c'est
beau de leur donner les termes, mais est-ce qu'ils les emploient? C'est
là!
D'après les consultations faites par après, ce que l'on a
su, en tout cas, il y a des chiffres qui pourraient vous donner clairement le
compte rendu. Cela a été fait, une étude a
été faite.
M. MORIN: Est-ce que c'est un document officiel de l'Office, ce compte
rendu?
MLLE TARDIF: C'est un document, oui c'est-à-dire que je pense
qu'il n'a pas encore paru. C'est une étude qui a été faite
sur différentes opérations au niveau des industries, on a fait
des études, mais je pense que cela n'a pas encore été
divulgué, ce n'est pas terminé.
M. MORIN: C'est encore un document interne?
MLLE TARDIF: Oui.
M. MORIN: II y a donc eu des études de faites sur les
résultats des programmes de francisation à Aigle d'Or?
MLLE TARDIF: Disons que les résultats sont sur ce qui se
présente actuellement, la situation actuelle. Il faudrait
peut-être demander des informations...
M. MORIN: Est-ce que le ministre serait disposé à
déposer ces documents pour éclairer la commission sur les
résultats obtenus jusqu'ici?
M. CLOUTIER: M. le Président, je m'excuse, je n'ai pas
assisté à tous les commentaires du témoin, pour une raison
très simple, parce que j'ai parfois certaines instructions à
donner. Il y a des journaux qui ont dit que je marmottais pendant les
réunions. C'est absolument faux. En tant que responsable tout de
même de la commission, je suis parfois obligé de vérifier
si tel mémoire peut être présenté à temps,
etc.
M. MORIN: M. le ministre, je tiens à vous donner mon appui
là-dessus.
M. CLOUTIER: .. cette précision... Merci.
M. MORIN: Je trouve que vous avez le droit de marmotter et même de
grommeler, si vous voulez, pendant les auditions. C'est le droit du ministre.
Là-dessus, je trouve que les journalistes ont bien tort de vous faire un
tel reproche.
M. CLOUTIER: J'en suis d'autant plus heu-
reux que j'ai constaté que le chef de l'Opposition faisait
exactement la même chose et, défendant mes droits, il
défend les siens en même temps. M. le Président, je n'ai
aucune objection à rendre publics certains documents lorsque le moment
sera venu. J'ai des réserves quand il s'agit de documents internes qui
sont souvent des documents inachevés ou des documents qui sont faits
pour une fin particulière. Dans le cas que l'on cite, je n'ai pas
l'intention de rendre ces documents publics.
M. MORIN: M. le Président, l'expérience du passé
nous enseigne que, quand un rapport est défavorable, il demeure
indéfiniment inachevé.
M. CLOUTIER: C'est faux.
M. MORIN: Tandis que, lorsque le rapport est favorable, on le publie
à grand renfort de publicité.
M. CLOUTIER: Nommez le rapport défavorable.
M. MORIN: Celui que vous avez refusé, il y a quelques semaines
à peine, de rendre public.
M. CLOUTIER: Quel rapport?
M. MORIN: Vous vous souvenez? Celui dont vous avez déposé
la première page en Chambre.
M. CLOUTIER: Ecoutez. C'était un rapport apocryphe.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, s'il vous plaît !
M. CLOUTIER: C'était un rapport préfonctionnel.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je peux m'informer auprès du chef
de l'Oppsoition...
M. CLOUTIER: II y a eu une erreur administrative qui aurait dû
être sanctionnée.
M. MORIN: Oui, j'ai des questions à poser, M. le
Président. Je constate que, lorsqu'un rapport est défavorable au
gouvernement, non seulement il est inachevé, mais il demeure
apocryphe.
Madame, messieurs, j'aimerais vous poser une ou deux questions
très précises avant que nous nous quittions. A l'article 28 du
projet de loi, il est dit que les griefs peuvent être formulés par
les salariés en français ou en anglais et que, si le grief donne
lieu à l'arbitrage, les actes de procédure sont
rédigés, les séances tenues et les décisions
rendues en français. Pourriez-vous nous dire d'abord quelle est la
pratique actuelle en matière de grief dans votre syndicat?
M. HARGUINDEGUY: Les griefs peuvent être présentés
autant en français qu'en anglais, compte tenu de la langue maternelle du
membre. Ceux qui sont unilingues anglais les présentent en anglais. Il y
a eu également, à ma connaissance, un arbitrage qui s'est tenu
strictement en anglais.
M. MORIN : En somme, si je comprends bien, l'article 28 consacre plus ou
moins dans ce paragraphe ce qui existe déjà?
M. HARGUINDEGUY: C'est cela.
Le seul changement qu'il pourrait y avoir, c'est au niveau de
l'arbitrage, mais si je prends l'exemple de l'arbitrage que nous avons tenu, il
s'est tenu strictement en anglais, c'est parce que les témoins et
même le plaignant ne parlaient pas le français. Alors pour le
faire en français, il faudrait d'abord appliquer l'article 43.04, leur
donner des cours de recyclage.
M. BONNIER: Selon 28, par exemple, dans l'avenir ce serait fait en
français. Ce qui n'est pas le statu quo.
M. MORIN: Attention, il faut lire 29 maintenant, parce qu'il y a
toujours le "toutefois" qui suit. Il suffit que cette loi énonce un
principe pour qu'on y trouve immédiatement par la suite: cependant,
toutefois, néanmoins, quoique, sauf que, excepté que, etc.
M. BONNIER: II s'agit tout simplement du dépôt, cependant,
M. le Président et non pas de la discussion.
M. CHARRON: Je m'excuse auprès du chef de l'Opposition, mais
quand vous dites qu'en vertu de 28, il serait obligatoirement
français...
M. BONNIER: Les discussions du tribunal d'arbitrage se font en
français.
M. CHARRON: Où cela?
M. BONNIER: Si le grief donne lieu à l'arbitrage, les actes de
procédure sont rédigés, les séances tenues et les
décisions rendues en français.
M. CHARRON: C'est la pratique habituelle à une exception
près.
M. BONNIER: Non, ce n'est pas cela...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Vous aurez l'occasion
ultérieurement de discuter de cette question article par article. Je
voudrais que les questions se complètent.
M. BONNIER: Je voulais juste souligner...
M. HARGUINDEGUY: Si M. le Président me le permet, c'est quand
même l'article 29 qui pourrait permettre... Je prends l'exemple du cas
précis où tous les témoins et le plai-
gnant étaient anglais, on serait forcé d'appliquer
l'article 29 pour dire: Les procédures, les matières, même
la rédaction seront en anglais, cependant il faudrait qu'il y ait une
version française du jugement qui serait déposée en
même temps que la copie anglaise. C'est pour cela que je disais tout
à l'heure qu'il faudrait nécessairement, au point de
départ, donner des cours de français pour pouvoir faire les
plaidoiries en français.
M. MORIN: Est-ce que je pourrais passer à l'article 121 du projet
de loi? Est-ce que vous l'avez devant vous, messieurs? Il se lit comme ceci:
"Les membres du personnel du ministère de l'Education affectés
à l'Office de la langue française demeurent en fonction au
ministère de l'Education, à moins que le lieutenant-gouverneur en
conseil ne décide de les muter à la Régie de la langue
française".
Je voudrais vous demander quel est le point de vue de votre syndicat sur
ces dispositions. Est-ce que vous n'avez pas déjà
été muté dans le passé d'un ministère
à un autre? Je crois des Affaires culturelles à l'Education. Que
s'est-il passé quand cette mutation a eu lieu?
M. HARGUINDEGUY: Lorsque l'office a été
créé, les employés des Affaires culturelles avaient
été mutés au ministère de l'Education. Comme
habituellement dans toutes les lois qui créent des régies ou des
commissions, les employés sont affectés ou sont mutés de
façon directe. Nous demandons aussi, dans le cas des employés de
l'office, qu'ils deviennent éventuellement, si la régie
était créée, des employés de la Régie de la
langue française, contrairement à l'article où on laisse
un choix au lieutenant-gouverneur en conseil.
M. MORIN: Est-ce que cela représente des inconvénients
pour les membres de votre syndicat que ce choix soit laissé entre la
mutation à la régie ou le maintien en fonction au
ministère de l'Education?
M. HARGUINDEGUY: Oui, certains craignent qu'à ce
moment-là, ils ne seraient pas choisis et seraient
transférés dans d'autres services à l'intérieur du
ministère de l'Education, alors qu'ils oeuvrent déjà
à l'intérieur de l'office depuis un certain nombre
d'années.
M. MORIN: Et qu'est-ce que vous verriez comme solution? Une mutation
automatique?
M. HARGUINDEGUY: On pourrait dire que les membres du personnel,
actuellement à l'Office de la langue française, deviennent des
employés de la Régie de la langue française, si la
régie était créée. Les termes juridiques,
n'étant pas avocat, je laisse ça à d'autres. Mais c'est
ça que nous demandons.
M. MORIN: Bien, M. le Président, l'Opposition a terminé
ses questions. Je désire remercier le Syndicat des fonctionnaires
provinciaux du Québec de nous avoir éclairé ce matin de
façon très concrète sur l'application éventuelle du
projet de loi qui est devant nous. Je remercie également madame qui est
membre de l'Office de la langue française de nous avoir
éclairé aussi sur le fonctionnement de cet organisme.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je vous remercie beaucoup au nom des
membres de la commission. La commission suspend ses travaux jusqu'à 14
heures.
(Suspension de la séance à 12 h 32)
Reprise de la séance à 14 h 3
M. LAMONTAGNE (président de la commission permanente de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre,
messieurs !
J'inviterais maintenant le représentant de la
Société de philosophie du Québec.
M. MORIN: M. le Président, avons-nous quorum, compte tenu des
remplacements?
M. CLOUTIER: Oui, on a le quorum de sept.
M. MORIN: Est-ce qu'il y a eu des remplacements cet après-midi,
M. le Président?
M. CHARRON: ... en fait, le député de Dorion dont nous
saluons l'exceptionnel passage, soit membre de la commission.
M. BOSSE: Ah bon!
M. CHARRON: C'est la troisième fois que vous venez depuis le
début de la session?
M. BOSSE: Est-ce que c'est systématique votre affaire? Est-ce que
vous regrettez d'avoir perdu votre chef spirituel? Cela vous fait mal au coeur.
Arrêtez donc d'écoeurer le monde. Strictement comme
député de Dorion, je suis représentant et je n'aimerais
pas me faire baver par le député de Saint-Jacques.
M.MORIN: Le député de Dorion... il a le droit d'être
là.
M. BOSSE: Si vous voulez philosopher...
M. CLOUTIER: Nous allons entendre des philosophes.
M. BOSSE: Philosophez donc, sur...
M. CLOUTIER: Commençons dans le calme.
M. MORIN: Le député de Saint-Jacques, M. le
Président, voulait simplement savoir si nous avons quorum.
UNE VOIX: N'ayant pas encore quorum...
M. BOSSE: Le député de Saint-Jacques voulait savoir si
nous avions quorum. Nous allons vérifier cela. D'abord, c'est ce que
vous avez demandé, comme chef de l'Opposition...
M.MORIN: C'est ça! Si nous avons quorum?
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Nous n'avons pas quorum.
M. CLOUTIER: ...les règlements nous le permettent, nous pouvons
considérer que nous avons quorum.
M. CHARRON: Non, certainement pas.
M. CLOUTIER: Ah bon! Où est cette belle ouverture d'esprit,
cet...
M. CHARRON: Je vous fais remarquer que c'est le parti ministériel
qui...
M. CLOUTIER: ...impératif que vous manifestiez
d'accélérer les discussions...
M. CHARRON: Pas quand vous êtes 102 et que vous n'êtes
même pas capable de fournir une commission.
M. MORIN: M. le ministre, nous avons devant nous un organisme qui a des
choses importantes...
M. BOSSE: Un autre...
M. MORIN: ...À dire et nous pensons que ses représentants
ont le droit, par considération pour eux, d'avoir un quorum devant
eux.
M. CLOUTIER: Remarquez que j'ai simplement fait une suggestion que nous
permet le règlement.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Maintenant, messieurs, si vous voulez vous
identifier pour le bénéfice des membres de la commission et du
journal des Débats. S'il vous plaît vous identifier ainsi que tous
ceux qui sont avec vous.
Société de philosophie du
Québec
M. QUINTIN: Mon nom est Paul-André Quintin. Je suis professeur et
directeur du module de philosophie à l'Université du
Québec à Trois-Rivières et président de la
Société de philosophie du Québec. A ma gauche, M. Pierre
Gravel, professeur à l'Université de Montréal et
trésorier de la société.
A ma droite, M. Claude Panaccio, professeur de philosophie aussi au
CEGEP de Maisonneuve qui est secrétaire de la société.
Le projet de loi 22 traite d'un sujet qui, par sa nature même,
engage l'avenir de la nation. La Société de philosophie du
Québec se devait de formuler et de rendre publique sa position face
audit projet.
Avant d'exprimer cette position, la Société de philosophie
du Québec tient cependant à se joindre à tous les
individus et à tous les organismes qui ont déjà
dénoncé les conditions dans lesquelles s'effectue cette
consultation. Le moment de l'année est mal choisi et la période
de consultation trop courte. Un projet de loi qui comporte des implications
aussi importan-
tes mériterait certes d'être étudié plus
longuement et, au moment où nous rédigions ces lignes, et
à ce moment même où nous parlons, la population n'est pas
suffisamment informée pour pouvoir mesurer l'impact de cette loi sur sa
vie collective.
Nonobstant ces difficultés et ces réserves, la
Société de philosophie du Québec a procédé
à l'analyse du projet de loi et en arrive à des conclusions
nettement négatives quant à la pertinence et à la valeur
de cette loi.
En effet, les principes et les postulats qui sont
déterminés dans le préambule même de la loi ne sont
pas respectés dans le texte même de la loi. Pour bien mettre en
évidence cette faiblesse du projet, nous tenterons d'abord de formuler
ce que la population du Québec est en droit d'attendre d'une loi sur la
langue officielle. Dans un deuxième moment, nous procéderons
à l'analyse du texte même de la loi pour en faire voir les
déficiences les plus flagrantes eu égard aux attentes
légitimes de la population du Québec.
Au terme de cette analyse, nous nous croyons justifiés d'affirmer
que ce projet de loi sur la langue officielle trahit les objectifs qu'il devait
atteindre et, en conséquence, nous en demandons le retrait pur et
simple.
Dans un premier moment, nous avons tenté de formuler les
conditions de pertinence d'une loi sur la langue française. Pour ce
faire, nous avons d'abord établi ce que nous sommes en droit d'attendre
d'une loi. Nous utilisons, ici, une grille d'analyse simple basée sur
deux principes généraux qui permettent de définir les
conditions de pertinence d'une loi en général.
Premièrement, toute loi vise à la réalisation,
à court et à long terme d'objectifs définis.
Deuxièmement, afin d'atteindre ces objectifs, toute loi institue
des contraintes ou pour stimuler ou favoriser des forces susceptibles de
concourir à la réalisation des objectifs définis; ou/et en
même temps, pour neutraliser des forces adverses qui, laissées
à elles-mêmes, compromettraient la réalisation des
objectifs visés.
Si l'on accepte ces deux principes, on doit conclure d'une façon
générale: qu'une loi, qui prétend susciter ou favoriser
des forces positives, mais qui n'établit pas les contraintes
suffisantes, est strictement inutile et verbale; qu'une loi qui prétend
réagir contre une tendance adverse et qui néanmoins ne change
rien au statu quo, n'est pas à la limite une loi, mais une pure et
simple consécration de la tendance existante; et finalement, que plus
les tendances à neutraliser sont puissantes, plus la législation
doit être ferme si elle prétend concourir effectivement à
la réalisation des objectifs déjà définis.
Ce code d'analyse nous permet maintenant de déterminer, de
façon plus précise, les exigences que, dans la situation
actuelle, la popu- lation du Québec est en droit de formuler à
l'égard d'une législation d'ensemble sur la langue
française au Québec.
La première étape, disions-nous, consiste à
définir clairement les objectifs que la loi poursuit. Ce point ne semble
soulever aucune difficulté puisque nous souscrivons entièrement
aux objectifs que le législateur a formulés dans son
préambule: il s'agit de préserver un patrimoine national qu'on
considère en péril, d'assurer la prééminence et de
favoriser l'épanouissement et la qualité de la langue
française au Québec
Notons seulement ici au passage que la pratique de la traduction
anglaise adoptée par le gouvernement québécois ne semble
pas toujours avoir des résultats heureux. Il est plutôt surprenant
de constater que les obligations inscrites dans ce préambule (la langue
française doit être...; les entreprises... doivent) se
transforment en souhaits lorsqu'elles sont formulées en langue anglaise
(... should be). N'existe-t-il pas en anglais un verbe "must"?
M. MORIN: Shall.
M. QUINTIN: Et si je me souviens bien je ne suis pas un linguiste
"whereas" signifiant "considérant", demande l'indicatif, de sorte
que ce n'est sûrement pas un hasard si on retrouve là un
conditionnel.
Conformément à ce code d'analyse que nous venons de
définir, la deuxième étape de l'instauration de la loi,
dans le cas où il s'agit de préserver la langue française,
exige l'identification des obstacles qui sont susceptibles d'empêcher la
langue française d'occuper au Québec la place qu'on veut lui
attribuer.
Dans le cas présent, il semble évident que ces forces
adverses prennent la forme d'un mouvement d'anglicisation massive de la nation.
Le gouvernement actuel reconnaît de fait que la langue française
est menacée au Québec. Il est certes très important de ne
pas sous-estimer cette menace.
Largement majoritaire en Amérique du Nord, les anglophones
constituent en même temps une proportion croissante de la population
québécoise. En outre, ils exercent un rôle
déterminant au sein de la classe dominante de cette même
population.
S'il est vrai, comme le suggère notre code d'analyse, que le
conflit linguistique doit être compris en termes de rapports de forces ou
en termes d'intérêts qui s'affrontent ouvertement, les forces
adverses qui s'opposent ou peuvent s'opposer à la réalisation des
objectifs susmentionnés sont énormes.
Aussi considérons-nous qu'une législation linguistique
faisant du français la langue officielle ne peut être utile que si
elle est l'occasion pour le législateur de prendre parti de façon
résolue en faveur des intérêts de ceux qu'il prétend
vouloir défendre, à savoir les intérêts de la
majorité francophones du Québec.
Le législateur doit le faire dans une loi ferme et vigoureuse qui
mette fin au processus d'angli-cisation progressive qui a motivé
l'intervention de l'Etat. Une telle loi, pour être utile, devrait donc
mettre en place des mécanismes qui, indépendamment de tout
pouvoir discrétionnaire du ministre ou des officiers chargés de
son application, préservent réellement la langue
française, permettent son plein épanouissement et mettent un
terme aux pratiques contraires à ces objectifs avoués.
Nous venons de réclamer une loi ferme et vigoureuse permettant de
réaliser les objectifs de la loi tels que formulés dans son
préambule. Des objections surgiront aussitôt: A-t-on le droit de
brimer les libertés individuelles ou les libertés de la
minorité anglophone ou des autres minorités?
Ces objections sont, à notre avis, vides de sens du moins dans
leurs formulations habituelles.
Il faut reconnaître clairement que, par définition, toute
loi brime une liberté quelconque et, deuxièmement, dans certains
cas, que l'absence de loi laisse durer des situations dans lesquelles des
libertés individuelles ou collectives sont éventuellement plus
brimées qu'elles ne le seraient par des lois.
Sauf dans des cas de droits réputés inalinéables,
nul ne peut donc abstraitement faire appel à une liberté
quelconque pour s'opposer à une législation. Ce qui est à
chaque fois requis, c'est une analyse concrète de la situation qui
permette d'évaluer et de confronter les libertés qui seraient
brimées par la loi et celles qui sont brimées par suite de
l'absence de loi.
Or, dans le cas présent, il nous semble que l'absence d'une loi
conduirait à l'anglicisation. Se trouvent donc confrontées d'une
part la liberté de la majorité du peuple québécois
à pouvoir travailler en français, s'éduquer en
français, s'administrer en français et, d'autre part, la
liberté de la minorité anglophone d'utiliser la langue anglaise
lorsqu'elle le désire.
Il faut donc choisir: ou laisser les Québécois
s'angliciser, ou établir des contraintes qui permettent au peuple
québécois francophone de vivre et de se développer.
Et dès qu'on se donne comme objectif de tout mettre en oeuvre
pour assurer la prééminence de la langue française au
Québec et pour en favoriser l'épanouissement et la
qualité, le choix est fait et il faut en assumer les
conséquences: la langue française doit, par contrainte
législative et, bien sûr au détriment de certaines
libertés, devenir au Québec la langue de l'administration, la
langue de travail et la langue d'enseignement.
Certaines libertés, disions-nous, seront peut-être
brimées si l'on applique de façon conséquente la
décision de faire du français la langue officielle du
Québec.
Mais ce qu'il faut cependant ajouter tout de suite, c'est que ces
libertés ne font pas partie des droits dits inaliénables. Le
droit individuel à travailler et à s'éduquer dans la
langue de son choix dans une société donnée est une
hypothèse farfelue qu'aucune société n'a jamais retenue,
du moins à notre connaissance. Et accorder ce droit à la
minorité anglophone du Québec, c'est lui accorder un net
privilège par rapport aux autres minorités ethniques.
Reste finalement l'argument des droits acquis de la minorité
anglophone. Certains droits, dira-t-on, ont été consacrés
par la pratique et ne peuvent être rétroactivement enlevés.
Cet argument est aussi tout à fait abstrait, pour ne pas dire
fallacieux. Pris à la lettre, il consisterait finalement à
affirmer que tout groupe qui prend le pouvoir dans une communauté
quelconque peut s'octroyer pour l'éternité des privilèges
intangibles pourvu qu'il demeure au pouvoir suffisamment longtemps pour
créer des coutumes.
Dans le cas du Québec, le droit acquis de la langue anglaise a
été imposé et continue de l'être d'une certaine
façon, par une domination coloniale et économique contre laquelle
la population québécoise commence à réagir. S'il
est dans la l'intention du gouvernement de maintenir ces privilèges par
ailleurs incompatibles avec la prééminence et
l'épanouissement de la langue française au Québec, on ne
voit pas pourquoi il a pensé légiférer sur la langue,
à moins que ses motifs soient plus d'ordre électoral que
politique.
De l'analyse qui précède, nous concluons que la seule
législation linguistique qui soit acceptable pour le Québec dans
la mesure où l'on veut assurer la prééminence du
français, c'est une législation ferme qui réagisse
vigoureusement contre la tendance à l'anglicisation et à laquelle
aucune liberté individuelle, aucun droit inaliénable, aucun
privilège acquis ne puissent légitimement s'opposer pour contrer
le but, le motif essentiel ou la raison d'être même de la loi.
Dans un deuxième moment, nous avons passé ensuite à
une analyse du projet de loi 22.
Evidemment, il n'est pas dans nos intentions de commenter en
détail les articles du projet de loi ni de traiter de tous les domaines
qu'il prétend couvrir. Qu'il nous suffise de montrer:
premièrement, que le projet de loi ne neutralise pas de façon
suffisante et de façon satisfaisante les forces d'anglicisation;
deuxièmement, que ce projet de loi favorise très peu les forces
de francisation et, troisièmement, qu'en accordant dans ses
modalités d'application, une large place aux pouvoirs
discrétionnaires, il renvoie à d'autres instances le soin de
définir concrètement sa propre orientation.
Pour réaliser les objectifs définis dans son
préambule, le projet de loi sur la langue officielle devait contrer ce
que nous avons appelé certaines forces adverses. Or, à l'analyse,
nous constatons que bien loin de contrer ces forces, il les favorise
plutôt puisqu'il reconnaît même à la langue anglaise
un grand
nombre de droits nouveaux. Voyons quelques exemples.
Dans le domaine de l'administration publique, le projet de loi 22 impose
aux organismes municipaux et scolaires dont au moins 10 p. c. des
administrés sont anglophones et qui utilisent déjà
l'anglais l'obligation nouvelle de continuer à le faire et cela
même dans les cas de fusion. Qui plus est, l'anglais devient même
langue officielle au même titre que le français dans les
organismes municipaux et scolaires dont les administrés sont en
majorité anglophones.
Enfin, la langue anglaise peut être légalement
utilisée non plus seulement à l'Assemblée nationale mais
aussi dans n'importe quelle assemblée délibérante de
l'administration publique.
Dans les domaines du travail et des affaires, tout groupe
d'employés, même francophones, se voit reconnaître le droit
de négocier en anglais, de rédiger sa convention collective en
anglais et de formuler ses griefs en anglais. Par ailleurs, tout
commerçant et tout consommateur, même francophone, a le droit
d'exiger une rédaction en langue anglaise de ses contrats d'achat ou
d'adhésion. Peut-on alors parler de mesures visant à faire de la
langue française la langue du travail, la langue des affaires?
Dans le domaine de l'enseignement, enfin, le projet de loi 22 consacre
le droit de toute commission scolaire et de toute corporation de syndics
à donner l'enseignement en langue anglaise et laisse à ces
dernières le soin de déterminer qui pourra ou non y être
admis. La connaissance suffisante de l'anglais est ici le seul critère
outre l'autorisation du ministre. Ce critère insuffisant est une porte
grande ouverte à ceux qui souhaitent s'angliciser ou angliciser les
Québécois francophones.
En fin de compte, nous constatons que, bien loin de chercher à
neutraliser les forces d'angli-cisation au Québec, le projet de loi 22
vise au contraire à les "officialiser", à leur conférer un
statut officiel, Or, conformément à notre code d'analyse, une
telle législation sur des pratiques qui, par ailleurs, dans la plupart
des cas, existent déjà, ne peut avoir comme fonction que
d'encourager ces pratiques et de les préserver contre
d'éventuelles menaces. On pourrait et on peut donc croire que,
contrairement à ce qui est défini dans le préambule de la
loi, le projet vise plutôt à contrer les forces de francisation.
Le projet de loi 22 sur le français langue officielle a-t-il finalement
comme objectif réel de protéger la langue anglaise au
Québec et de permettre aux anglophones de continuer à vivre au
Québec sans avoir à connaître un seul mot de
français?
Le projet de loi 22 est l'occasion pour le législateur
d'étendre considérablement les droits de la langue anglaise.
Cependant, ce même législateur ne semble pas être aussi
généreux quand vient le moment d'appuyer les forces de
francisation. En effet, se bornant, à toutes fins pratiques, à
légiférer pour rendre le français officiel dans des
domaines où il est déjà la langue d'usage, le promoteur de
la loi renonce à en établir, au-delà de tout doute, la
prééminence dans des domaines où,
précisément, le français ne saurait souffrir de
concurrence.
Le projet de loi no 22 rend effectivement officiel l'usage du
français dans des domaines où la chose allait de soi: devront
dorénavant être rédigés en français les
documents de l'administration publique et les documents des institutions
municipales et scolaires comprenant plus de 90 p.c. de francophones; devront
faire l'objet d'une traduction en français les jugements
prononcés en anglais. A ce niveau, on peut d'emblée conclure
qu'en aucune manière la vie des citoyens du Québec ne se trouvera
changée par une telle législation.
En outre, la langue française ne saurait être
prééminente au Québec que si le statut qui lui est
accordé la place au tout premier rang, c'est-à-dire que la loi
qui en fait la langue officielle du Québec doit lui réserver des
privilèges qui ne pourront être simultanément
partagés par d'autres langues. Sur ce point, il est manifeste que le
projet de loi no 22 n'accorde aucune prééminence à la
langue française, si ce n'est que, dans les cas où il y aura un
conflit d'interprétation engendré par la coexistence d'une
version française et d'une version anglaise d'un texte de loi ou d'un
texte de l'administration publique, c'est, nous dit-on, la version
française qui sera considérée comme seule authentique.
Dans les cas où le législateur devrait rendre exclusif
l'usage de la langue française pour assurer l'épanouissement de
cette dernière, il ne fait qu'exiger que la version française
figure aussi avantageusement que sa concurrente, l'anglaise. Dans d'autres cas,
le législateur se contente d'exiger simplement une version bilingue des
textes, pourvu que le français y soit lisiblement rédigé.
Encore ici, il est facile de conclure que le projet de loi numéro 22 ne
réalise pas son objectif fondamental qui est d'assurer que la nation
puisse mieux vivre en français que par le passé.
En ce qui concerne enfin la langue d'enseignement, le projet de loi
numéro 22 ne fait que ramener la population du Québec à la
situation d'avant 1969, année de la loi 63, pour promouvoir la langue
française au Québec. En fait, l'actuel projet de loi n'est rien
moins qu'une incitation à l'anglicisation massive, sauf pour les
immigrants qui, à leur arrivée au pays, ne connaîtront pas
déjà l'anglais.
Que reste-t-il, en conclusion, pour promouvoir des forces de
francisation réelle? Le projet de loi numéro 22 confère au
ministre la tâche de développer la recherche en matière
linguistique. Il donne au lieutenant-gouverneur en conseil le pouvoir
d'instituer des commissions de terminologie et il crée une régie
de la langue française dont le rôle de surveillance, semble-
t-il, sera beaucoup plus important que le rôle d'implantation
générale du français sur tout le territoire du
Québec et dans toutes les sphères d'activité. Tout compte
fait, le projet de loi numéro 22 prétend rendre officielle la
langue française au Québec, mais ne lui ouvre jamais l'espace de
jeu qui serait nécessaire à sa prééminence et
à son épanouissement.
Les mesures qui favorisent la francisation ou celles qui
prétendent contrer les forces d'angli-cisation sont insuffisantes,
disions-nous ci-dessus. Mais elles sont aussi insuffisamment définies
quant à leurs modalités d'application.
En effet, le projet de loi 22 contient un grand nombre d'articles dans
lesquels des décisions essentielles à une application
cohérente et conséquente de la loi renvoient soit à des
règlements jusqu'ici inconnus, soit à un pouvoir
discrétionnaire du ministre qui sera désigné par le
lieutenant-gouverneur pour voir à l'application de la loi.
Plusieurs commentateurs du texte de la loi ont déjà mis en
évidence le fait que ce type de réglementation dénotait
l'érosion du pouvoir législatif des représentants du
peuple en faveur du pouvoir exécutif de l'équipe
ministérielle chargée de façon plus immédiate de la
responsabilité de gouverner.
Pour notre part, nous considérons qu'adopter un tel type de
législation comporte deux inconvénients majeurs suffisants pour
annuler les effets bénéfiques qu'on serait en droit d'attendre
d'une loi.
En premier lieu, les modalités d'application de la loi telles que
prévues, par exemple, dans les articles 31, 48, 51, 56, 65, 66, 87,
supposent une intervention personnelle du ministre selon des critères
qui ne sont pas explicitement déterminés dans la loi même.
Le ministre peut accorder des subventions aux entreprises qui adoptent et
appliquent un programme de francisation; les commissions scolaires peuvent
donner l'enseignement en langue anglaise, avec l'autorisation préalable
du ministre; le ministre de l'Education ou le ministre chargé de
l'application de la loi peut imposer des tests, il peut exiger qu'une
commission scolaire révise l'intégration de ses
élèves, etc.
Toutes ces modalités comportent un inconvénient majeur:
celui de laisser un seul homme, et un homme politique, à la merci des
pressions de toutes parts et, plus particulièrement, à la merci
des pressions politiques du moment. Une loi ainsi formulée ne peut
être appliquée de façon satisfaisante. Elle risque de
créer plus de problèmes qu'elle n'en résout. Elle risque
surtout, disons-le franchement, de devenir méconnaissable selon les
circonstances, précisément parce que son premier visage
n'était pas suffisamment défini.
Ce premier inconvénient, lié aux modalités
d'application de la loi, entraîne ainsi une conséquence qui risque
d'être désastreuse. Comme nous l'avons déjà
indiqué, la force et la pertinence d'une loi doivent pouvoir être
mesurées aux effets que la loi entraîne dans une direction
déterminée. Si les décisions essentielles qui servent
à définir cette direction relèvent d'un homme livré
aux pressions politiques du moment, il est fort probable et peut-être
même inévitable que l'orientation de la loi changera selon les
circonstances et que cette loi créera manifestement au jour le jour ses
heureux et ses mécontents tout en demeurant par ailleurs stérile
quant à ses objectifs fondamentaux.
Tout compte fait, l'analyse de ce projet de loi nous laisse
perplexes.
Comment se fait-il qu'un projet de loi ayant pour objectif d'assurer la
prééminence du français accorde finalement dans bon nombre
d'articles des droits, et des droits nouveaux, à la langue anglaise et
cela, dans des domaines où elle n'a jamais été
menacée?
Comment se fait-il qu'un projet de loi ayant pour objectif d'assurer la
prééminence du français comporte peu ou pas de contraintes
à l'égard des anglophones mais oblige plutôt l'ensemble de
la population à payer pour la francisation d'entreprises qui sont depuis
longtemps au Québec et qui sont devenues prospères grâce
à cette même population?
Comment se fait-il qu'un projet de loi ayant pour objectif d'assurer la
prééminence du français permette à toute personne
ayant quelque connaissance de l'anglais de s'intégrer à la
minorité anglophone mais ne prévoit pas, par contre, ni
d'intégrer à la majorité francophone les anglophones ou
autres immigrants ayant une certaine connaissance du français, ni
d'assurer et aux anglophones et aux autres groupes linguistiques les moyens
d'acquérir cette connaissance du français pour qu'ils puissent
ensuite s'intégrer à cette majorité francophone?
Comment se fait-il qu'un projet de loi d'une telle importance ne
comprend pas en lui-même les règles de son orientation mais
dépend plutôt du bon vouloir du ministre et des officiers qui
seront chargés de l'appliquer?
Finalement, et après l'analyse du texte, il semble bien que le
plus important quant à l'évaluation et à la portée
de ce projet de loi n'est pas dans le texte même de la loi mais
plutôt dans la curieuse situation politique actuelle dont il est le
reflet, situation dans laquelle une majorité francophone est
dépendante de la minorité anglophone qui sert d'assise
électorale au parti qui forme le gouvernement.
Notre position est alors claire: Nous refusons de proposer quelque
amendement que ce soit à ce projet de loi dont seul le préambule
et peut-être l'article 1 répondent à ce que la population
du Québec est en droit d'attendre d'une loi sur la langue
française.
Nous demandons donc le retrait pur et simple de cette loi, dans sa
totalité, si ce n'est à l'exception d'un seul article qui,
à notre avis, correspond à un besoin urgent de la population du
Québec: L'article 118.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Merci beaucoup. Le ministre de
l'Education.
M. CLOUTIER: M. le Président, j'ai écouté avec
énormément d'intérêt le mémoire de la
Société de philosophie du Québec, et je l'en
félicite. C'est un bon texte, et c'est un texte couché dans un
language philosophique tout à fait valable.
Avant de faire quelques commentaires généraux, je voudrais
simplement établir quelle est la représentativité de la
Société de philosophie. Combien de membres compte-t-elle? Et de
quelle façon ce mémoire a-t-il été
préparé?
M. QUINTIN: La société regroupe actuellement près
de 300 professeurs de philosophie du Québec et aussi d'autres milieux
francophones hors du Québec. Par exemple, le Nou-veau-Brunswick ou
Sudbury. Elle compte aussi, à titre de membres institutionnels, 25
membres, dont la Société de philosophie de Montréal; le
Cercle de philosophie de Trois-Rivières; les départements de
philosophie des Universités de Montréal, Trois-Rivières,
Québec, Sherbrooke, et même le département de philosophie
de l'Université de Victoria, Colombie-Britannique. Elle est aussi
ouverte à des étudiants ou autres personnes
intéressées par le développement de la philosophie au
Québec.
Lors de l'assemblée générale de la
société dans le cadre de l'ACFAS, le congrès de l'ACFAS,
dont la société est membre, l'Association canadienne
française pour l'avancement des sciences, lors de cette assemblée
générale, dis-je, les membres ont voté la proposition
suivante: "La Société de philosophie du Québec donne son
entier appui à la lutte entreprise par le Mouvement du Québec
français pour faire de la langue française au Québec la
langue officielle de l'Etat, la langue d'enseignement et la langue de
travail".
M. CLOUTIER: Je pense, M. le Président, que c'est tout à
fait clair. Je vous remercie d'avoir répondu à ma question.
Je voudrais maintenant, quitte à vous étonner, vous dire
que je suis entièrement d'accord avec ce que vous appelez les
"conditions de pertinence" d'une loi sur la langue française, et ce que
vous appelez votre "code d'analyse". En fait, le mot "grille" serait
probablement préférable, et vous l'utilisez dans le corps du
texte.
Je me ferais fort, si c'était le lieu, à partir de cette
même grille, d'arriver à des conclusions diamétralement
opposées. Cependant j'ai l'impression que ce serait un exercice
peut-être tout aussi théorique que celui que vous avez fait devant
nous. Je vais donc plutôt, vous poser deux questions précises.
H y a, par-delà une grille d'analyse, par-delà une
méthodologie, ce que l'on appelle des prémisses.
J'avais l'intention, avant d'entendre vos commentaires sur la
résolution que vous avez passée pour appuyer le Mouvement du
Québec français, de vous demander dans quelle pres-pective vous
vous situiez. Autrement dit, quelles étaient vos prémisses?
Sont-elles celles d'un Québec indépendant, d'un Québec
souverain, ou sont-elles celles d'un Québec qui fait partie d'un pays
fédéral, et qui comprend le type de population qu'il
comprend?
Remarquez que je ne vous pose pas du tout cette question parce que je ne
partage pas une opinion, mais c'est uniquement pour tenter de savoir comment
vous vous êtes situés par rapport aux conclusions que vous faites
sortir de votre méthodologie?
M. QUINTIN: Je crois que cette question n'intervient pas dans les
prémisses qui nous ont servi pour faire l'analyse du projet de loi. Nous
sommes partis simplement des objectifs tels que formulés par la loi.
Nous avons essayé de voir si, à l'intérieur même du
texte on pouvait retrouver une cohérence conséquente avec ces
mêmes objectifs, de sorte que la question de savoir si nous appuyons un
parti plutôt que tel autre ou si nous sommes créditistes ou
libéraux me semble non pertinente quant à l'analyse que nous
avons faite.
M. CLOUTIER: Je ne suis pas de cet avis parce que, malheureusement, dans
vos conclusions, il y a des éléments politiques qui doivent quand
même sortir, en stricte doctrine philosophique, de certaines
prémisses. C'est ainsi, par exemple, qu'il y a un jugement de valeur
où l'on parle de la situation dans laquelle une majorité
francophone est dépendante de la minorité anglophone qui sert
d'assises électorales au parti qui forme le gouvernement.
M. QUINTIN: II s'agit là d'une hypothèse, M. le ministre,
simplement parce que, si on considère les objectifs du texte et si on
considère ce qui, à notre avis, est une contradiction des
objectifs inscrite même dans le texte, on a raison de se demander ce qui
se passe. Le texte ne s'explique pas par lui-même. C'est une simple
hypothèse, mais je voudrais terminer, s'il vous plaît, sur la
question de la prémisse de tout à l'heure.
M. CLOUTIER: Je vous en prie.
M. QUINTIN: Ce qui nous intéresse, même en tant que
philosophes, c'est d'avoir un milieu qui assure une sécurité
intellectuelle ou une sécurité linguistique de base qui puisse
permettre aux gens de travailler de façon positive. On perd
énormément de temps à se battre pour dire aux gens que
l'on parle français au Québec et depuis des années et on
en a marre.
M. CLOUTIER: C'est un objectif que partage entièrement le
gouvernement, même s'il diffère sur les moyens pour l'obtenir et
je prends votre réponse comme étant votre réponse à
savoir qu'il n'y avait aucune prémisse sous-jacente à la
méthodologie et aux conclu-
sions que vous en tirez et je répète que, dans mon cas
à moi, il y aurait très certainement des prémisses parce
que mes conclusions seraient diamétralement opposées.
Espérons que si sophisme il y a, l'électorat tranchera, à
un moment donné, et la majorité s'exprimera.
Je m'excuse de vous voler un peu votre langage, mais je suis sûr
que vous ne m'en voudrez pas.
Voilà maintenant ma deuxième question: A la page 5, et je
me limiterai là parce que, encore une fois, je ne veux pas engager de
débat et je veux laisser la parole à mes collègues de la
commission, vous dites: "Aussi, considérons-nous qu'une
législation linguistique ne peut être utile que si elle est
l'occasion pour le législateur de prendre parti de façon
résolue en faveur des intérêts de ceux qu'il prétend
vouloir défendre, à savoir les intérêts de la
majorité francophone du Québec".
Ma question est la suivante: Ne croyez-vous pas qu'un gouvernement, quel
qu'il soit, représente la totalité de la population,
c'est-à-dire la majorité et la minorité? C'est là
ma question et j'aimerais avoir une réponse précise.
M. QUINTIN: Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point,
mais il faut resituer cette phrase dans son contexte et le contexte dit qu'une
législation linguistique prétendant être le lieu de
définir le français comme langue officielle au Québec ne
peut avoir de valeur que si le législateur inscrit vraiment dans le
texte de loi ce qu'il prétend vouloir faire. C'est tout ce qui est dit
ici.
Je sais qu'il y a des problèmes, pas nécessairement des
problèmes, je sais que c'est une situation de fait, qu'il faut tenir
compte de la présence des anglophones. C'est aussi un point sur lequel
on pourrait revenir. Ce que nous disons ici, simplement, c'est que, quand on
prétend faire une loi pour promouvoir la langue française au
Québec, on a droit d'espérer que la loi protège la langue
française au Québec. C'est simplement cela qu'il y a dans ce
texte.
M. CLOUTIER: J'ai l'impression que vous ne répondez
peut-être pas directement à ma question, parce que vous incitez,
en somme, le gouvernement à légiférer uniquement pour la
majorité. Ce que j'aimerais savoir, c'est: Que faites-vous de la
minorité que doit représenter normalement un gouvernement?
M. PANACCIO: Est-ce que je peux répondre à cette
question?
M. CLOUTIER: Oui, bien sûr.
M. PANACCIO: II est clair qu'en bonne philosophie politique
démocratique, tout gouvernement représente non seulement une
majorité, mais une minorité. Seulement, en cas de conflit
d'intérêts entre une minorité et une majorité, le
gouvernement représente la majori- té. Toute notre analyse est
basée sur la constatation qu'il y a actuellement conflit entre les
intérêts de la langue française et les
intérêts de la langue anglaise au Québec. Dans ce cas, il
nous semble clair que le devoir du gouvernement est de protéger les
intérêts de la langue majoritaire au Québec, à
savoir le français.
M. CLOUTIER: Alors, je pense que je comprends mieux maintenant le sens
de la résolution qui approuvait le programme du Mouvement Québec
français. Je vous en remercie.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de
Saint-Jacques.
M. CHARRON: M. le Président, je veux également remercier
les porte-parole de la Société de philosophie du Québec
pour le mémoire d'une excellente qualité qu'ils viennent de nous
présenter. J'ai l'impression que, peut-être sans le savoir, la
clarté en même temps que le réalisme du texte produit par
la Société de philosophie contribuera à faire
disparaître les préjugés peut-être entretenus par
certains membres de cette assemblée voulant que les philosophes ne
savent être autre chose que nébuleux ou alors
ésotériques quant à la qualité de leur
raisonnement. Je crois que la grille que vous avez prise et que nous ne pouvons
pas vous refuser, surtout en tant que législateurs, d'analyser ce projet
de loi d'abord sous l'angle de ce qu'est une intervention législative
dans un domaine quelconque, et que vous ayez choisi de le faire dès le
début en posant ce que vous appelez les conditions de pertinence d'une
loi sur la langue française... Je vous signale, parce que
peut-être n'étiez-vous pas avec nous depuis les débuts des
travaux de cette commission, que vous êtes le premier groupe à le
faire. Effectivement, dans plusieurs témoignages, d'ailleurs qui ont
tous été à l'encontre du projet de loi 22, à
l'exception de notre fidèle chambre de commerce, on sentait chez chacun
la volonté de poser ce que sont les conditions de pertinence d'une loi
sur la langue française. Je crois que vous êtes le groupe
jusqu'ici qui a réussi le mieux à poser ce qu'est une loi
effectivement, lorsqu'un gouvernement se décide à en poser une.
Surtout ce que j'ai bien aimé, vous êtes encore une fois le
premier groupe à le faire, c'est que, indépendamment de toute
intervention ou considération politique extérieure au projet de
loi, vous rabattant même et vous limitant au projet de loi
peut-être plus que n'importe quel groupe auparavant qui est venu nous
faire état de l'histoire de la confédération ou des droits
du français en Colombie-Britannique, vous limitant strictement à
une participation à une commission parlementaire qui étudie le
projet de loi, vous avez analysé le problème sous l'angle: Est-ce
que le gouvernement est fidèle dans ces articles à ce qu'il
annonce dans son préambule?
Je pense qu'aucun membre de la commission
ne pourra vous reprocher d'avoir fait intervenir d'autres
considérations que celle du projet de loi 22. La démonstration
que vous avez fournie, non seulement en mettant en contradiction, comme
d'ailleurs le député de Sainte-Anne l'avait fait à
l'occasion avec moi à une émission radiophonique concernant les
contradictions possibles entre la version anglaise et la version
française, le député de Sainte-Anne qui a
été qualifié d'orangiste par le chef du gouvernement...
Plus que cela, vous avez voulu vérifier si le préambule a
vraiment été respecté dans les articles de la loi. Cela,
c'est une façon nouvelle d'analyser ce projet de loi, je pense, qui ne
nous avait pas été donnée. Cela ne rend que plus croyables
et plus, je dirais, officielles les conclusions que vous apportez et la demande
de retrait pur et simple que vous formulez comme tous les autres groupes que
nous avons entendus, à l'exception d'un seul, de ce projet de loi. Je
veux vous demander j'ai très peu de chose en fin de compte
à vous demander tellement cette analyse est logique et lucide ou
vous inviter peut-être à revenir pour préciser certains des
aspects de votre texte. A la page 7, lorsque vous parlez des droits
inaliénables et des droits acquis, vous affirmez que ces libertés
que l'histoire et que la géographie ont données à notre
minorité de 13.1 p.c. d'anglophones au Québec, ne font pas partie
du droit dit inaliénable. J'aurais aimé, surtout en votre
qualité de membre de la Société de philosophie du
Québec, que cette affirmation soit précédée d'une
définition, à votre avis, de ce que serait ou ce qu'est un droit
inaliénable pour qu'ensuite vous puissiez dire que les libertés
dont a joui la minorité anglophone du Québec, depuis le
début de son existence ici, ne sont pas de ces droits
inaliénables. Je ne sais pas si vous comprenez le sens de ma question.
J'aimerais cette précision pour les membres de la commission.
M. PANACCIO: Par définition, les droits qui sont reconnus
inaliénables dans la philosophie politique dominante en Occident depuis
particulièrement le XVTIe siècle, sont des droits qu'on
reconnaît soit à des individus, soit à des groupes de
personnes et qu'on ne pourra pas leur enlever sous peine
d'illégitimité. Habituellement, on classe parmi ces droits des
choses comme la liberté de religion, particulièrement maintenant
au XXe siècle, la liberté de parole ou de pensée...
M. MORIN: Le droit à la vie, à la sûreté de
la personne.
M. PANACCIO: Des choses de ce genre-là. Notre affirmation de
base, dans le texte, est qu'il est certain qu'aucune société n'a
jamais reconnu le droit à ses membres de choisir individuellement la
langue de travail et la langue d'enseignement de leur choix. Il n'y a jamais
aucune société européenne qui aurait permis à un
groupe extrêmement minoritaire de choisir le chinois, par exemple, et de
financer un système d'éducation en chinois ou en n'importe quelle
autre langue. C'est donc un fait que cela n'est pas reconnu dans la philosophie
politique occidentale comme un droit inaliénable que le droit de
choisir, au hasard de sa fantaisie, au hasard de ses origines, la langue de
travail et la langue d'enseignement. Il y a peut-être lieu de
préciser aussi la notion de droit acquis. Parce que tout le monde
s'entendra assez facilement sur ce que je viens de dire, je pense. Là
où cela accroche, c'est lorsque des gens disent: Bien sûr, au
départ, ce ne sont pas des droits inaliénables, mais vient un
moment dans l'histoire d'un peuple où certaines pratiques ont
été consacrées par la coutume et cela devient des droits
acquis même s'ils ne sont pas "officialisés" et on ne peut plus
les retirer. Nous pensons que se limiter à une argumentation de telle
sorte relève d'une espèce de supercherie intellectuelle. C'est
une argumentation extrêmement abstraite. Qu'est-ce qu'un droit acquis?
Est-ce qu'il suffit qu'une pratique ait été coutumière
pendant un certain temps pour qu'elle devienne un droit acquis?
M. CHARRON: Et souvent imposé par la force.
M. PANACCIO: Et imposé par la force. Est-ce que le droit de
polluer est un droit acquis par la minorité des pollueurs? Est-ce que le
droit d'exploiter...
M. MORIN: II y en a qui le soutienne.
M. BOSSE: Cela aide beaucoup entre copains.
M. MORIN: Je suis très flatté de la remarque du
député de Dorion, je crois. Je suis très flatté,
parce que, bien que je n'aie pas la prétention d'être
philosophe...
M. BOSSE: Vous ne croyez pas, vous le savez. Vous le savez depuis le
mois d'octobre.
M. MORIN: ...mais je dois dire que ces questions m'intéressent
comme d'ailleurs le ministre lui-même au plus haut point. Je ne sais pas
si le député suit la conversation depuis tout à
l'heure.
M. BOSSE: Non seulement il suit la conversation, mais imaginez-vous
qu'il suit la philosophie aussi, aussi bien francophone qu'anglophone.
M. MORIN: Bien! Alors, écoutez donc ce qu'ils ont à
dire.
M. BOSSE: C'est ce que je fais aussi.
M. MORIN: Intervenez aussi, mais intelligemment dans le
débat.
M. BOSSE: Cela aide beaucoup entre petits copains, je me
répète.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Prenons cette intervention pour une pause
nécessaire.
M. PANACCIO: Merci beaucoup. De toute façon je termine
là-dessus. Ce que je voulais dire, c'est que l'acquisition de certains
droits coutumiers ne peuvent jamais se déduire automatiquement d'une
pratique et particulièrement lorsque cette pratique a été
imposée par la force. Je pense que la doctrine des droits acquis doit
être interprétée de la façon suivante. Lorsqu'une
certaine coutume est consacrée, on ne doit pas normalement
l'empêcher, à moins d'avoir des raisons sérieuses.
Et si on découvre, par exemple, qu'elle met en danger la
société dans laquelle on vit, par exemple la pollution, par
exemple: Est-ce que le droit au patronage est un droit acquis? si on
découvre que ça met en danger certaines institutions, on peut
très bien, légitimement, retirer cette coutume et ne pas la
considérer comme droit acquis. Il nous semble que, dans cette
situation-ci au Québec, en 1974, les droits ou les coutumes
consacrés par une certaine pratique de la langue anglaise mettent en
danger la langue française au Québec et qu'il y a donc lieu de
revenir sur ces coutumes et de ne pas les considérer comme des droits
acquis pour l'éternité.
M. CHARRON: Cette dimension que vous venez d'apporter est nouvelle dans
les témoignages que nous avons entendus et ce chapitre de votre
mémoire, qui traite des droits dits inaliénables et des droits
dits acquis, nous apportera un éclairage très nouveau qui va
certainement nous aider à nous former une opinion encore plus claire sur
un projet de loi qui, lui, est loin de l'être.
Egalement, à la page 11, lorsque vous affirmez ce qui
était sous-entendu par plusieurs témoins, mais de façon
tellement claire cette fois, dans le dernier paragraphe, je cite: "En outre, la
langue française" si on doit vouloir être fidèle aux
attendus qu'a posés le gouvernement dans son préambule, c'est
toujours dans ce rapport que nous nous tenons, entre les affirmations du
préambule et les décisions contenues dans les articles "la
langue française ne saurait être prééminente au
Québec que si le statut qui lui est accordé la place au tout
premier rang, c'est-à-dire que la loi qui en fait la langue officielle
du Québec doit lui réserver des privilèges qui ne pourront
être simultanément partagés par d'autres langues." Au fond,
ce que vous nous invitez à reprendre en considération dans notre
analyse, c'est qu'il ne suffit pas d'affirmer une chose et de la contredire
dans les faits par la suite. Si elle est vraiment officielle, elle ne doit,
à plusieurs occasions, partager en rien ce privilège qui lui est
donné par cette officialité et le malheur est que, dans un projet
de loi le ministre actuel n'en sera pas à sa première
contradiction nous allons souvent d'une affirmation de principe mise
à l'article 1 à des considérations par la suite. En ce
sens, nous serions peut-être le premier... Est-ce qu'au cours de la
rédaction de ce mémoire vous avez pris connaissance de certaines
autres pratiques dans certaines autres sociétés, je serais
même tenté de dire dans certaines autres provinces canadiennes
où l'officialité de la loi, le décret d'une langue
officielle a effectivement signifié que cette langue la plaçait
au tout premier rang, c'est-à-dire lui réservait des
privilèges qui ne pouvaient être, en aucune occasion,
partagés par d'autres langues? On a souvent fait état mais
pourquoi ne pas le refaire à nouveau : de cette loi sur la langue
officielle du Manitoba qui se limite à deux articles, le premier disant
que l'anglais devient la langue officielle du Manitoba et le deuxième
article disant que la loi entre en vigueur aujourd'hui. Je ne propose pas ce
modèle pour la société québécoise parce que
nous avons à faire face à une situation particulière, mais
il aurait certainement pu inspirer davantage notre aimable gouvernement qu'il
ne semble l'avoir fait actuellement. Est-ce qu'à votre avis...
pardon?
M. BONNIER: En quelle année?
M. CHARRON: 1890. Je vous signale que la loi du Manitoba faisait du fait
même sauter une disposition de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique comme le Québec aurait le droit de le faire s'il
décidait de faire sauter l'article 133.
M. MORIN: C'est-à-dire qu'elle ne le faisait pas sauter, elle
allait en contradiction directe avec une disposition constitutionnelle qui
existe d'ailleurs encore aujourd'hui dans les livres.
M. BONNIER: II y a eu toutes sortes de... En tout cas.
M. CHARRON: D'accord. Cette parenthèse manitobaine étant
fermée, je voudrais vous demander si...
M. BOSSE: M. le Président, est-ce que le député de
Saint-Jacques me permettrait une question?
M. CHARRON: A moi au aux...
M. BOSSE: Au député de Saint-Jacques évidemment, je
m'excuse de l'interrompre, si le député de Saint-Jacques
permet...
M. ROY: Remarquez bien...
M. MORIN: Est-ce qu'elle est de nature philosophique?
M. BOSSE: Elle est de nature très philosophique et très
pratique.
M. MORIN: Nous allons voir la philosophie dont se nourrit le
député.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Avant de permettre une question de
règlement que je vous accorderai, je me permets de rappeler pour la
septième fois, je pense, depuis trois jours, que je permets des brefs
préambules à des questions posées à nos
invités.
Je ne voudrais pas qu'on s'en serve, à toutes les fois, pour
faire une thèse politique, quel que soit le parti politique., pour bien
exprimer au journal des Débats, à tout le monde, ce que l'on
pense du projet de loi 22.
Nous avons des invités, nous avons un bref préambule,
c'est normal et ensuite la période des questions. Le débat est en
deuxième lecture et à la commission plénière.
M. CHARRON: J'ai encore une question, M. le Président. Je vous
remercie du rappel à vos directives. A la page 12, vous affirmez
à la fin du deuxième paragraphe: "En fait l'actuel projet de loi
n'est rien moins qu'une incitation à l'anglicisation massive sauf pour
les immigrants qui, à leur arrivée au pays, ne connaf-tront pas
déjà l'anglais".
J'ai une question sur cette exception que vous semblez avoir
remarquée dans le projet de loi. Effectivement, à la lettre, le
projet de loi affirme que, dans son article 49, si les immigrants n'ont une
connaissance ni de l'anglais ni du français, ils seront acheminés
à l'école française. C'est la seule disposition aussi
claire que nous ayons dans le projet de loi.
Mais, avant d'endosser cette affirmation, est-ce que vous avez
analysé la portée réelle de cet article que j'affirme
être le plus clair du projet de loi? Il est possible et je
voudrais vous entendre vous prononcer sur cette hypothèse qu'un
immigrant qui arrive au Québec n'ait aucune connaissance de l'anglais ni
du français. Par exemple, une famille allemande déménage
au Québec. Si ces immigrants sont en mesure, au moment de l'inscription
scolaire, de faire la preuve d'une connaissance suffisante de l'anglais,
même si le père et la mère n'ont aucune connaissance de
l'anglais et du français, si l'enfant a une connaissance suffisante de
l'anglais et on s'entend pour un enfant de cinq ou six ans il lui
sera permis de faire... Avez-vous envisagé la possibilité que les
différents groupes d'immigrants déjà rendus au
Québec et qui la plupart, neuf sur dix, sont anglicisés
possèdent déjà des réseaux
d'intégration très fortement marqués par la culture
anglaise en plus de la culture maternelle, qui permettraient, par exemple,
à la German Association de Montréal ou à d'autres groupes
d'origine étrangère au Québec, mais qui se sont
anglicisés ici...
M. BEAUREGARD: Question de règle- ment, M. le Président.
Je note que le préambule du député de Saint-Jacques dure
depuis déjà dix minutes.
M. CHARRON: Ce n'est pas un préambule, c'est une question...
M. BEAUREAGRD: J'aimerais que... M. CHARRON: Partagez-vous.
M. BEAUREGARD: Si c'est une question, M. le Président, j'aimerais
que vous laissiez à la Société de philosophie le loisir de
répondre.
M. CHARRON: Je n'ai aucunement l'intention de les empêcher de
répondre. C'est vous qui le faites actuellement.
M. BOSSE: Ce n'est pas philosophique, c'est un discours politique comme
au Plateau.
M. CHARRON: Je vous demandais uniquement si vous aviez envisagé
cette hypothèse que les groupes québécois
déjà ici soient suffisamment anglicisés et
préparés à accepter des immigrants de même langue
maternelle qu'eux pour leur donner cette connaissance suffisante de l'anglais
avant même l'inscription scolaire et que donc, la loi devienne
très facilement contournable?
M. BOSSE: Laissez les philosophes penser quelquefois, il ne faut pas
leur suggérer seulement les réponses.
M. QUENTIN: Est-ce que vous me permettriez de répondre d'abord
par une blague? C'est qu'il nous a semblé que ces articles auront au
moins l'avantage de créer de nouveaux emplois pour les anglophones du
Québec, à savoir des écoles privées qui permettront
le plus rapidement possible à un enfant d'avoir une connaissance
suffisante de l'anglais pour pouvoir passer à l'école
anglaise.
Mais de façon plus sérieuse, je dirais que ce qui nous
semble inacceptable dans ce texte, c'est que le texte ne prévoit pas de
mode d'intégration des immigrants, quels qu'ils soient. Que je sache, le
fait qu'un immigrant vienne d'Angleterre, n'est pas une raison suffisante pour
qu'il ne s'intègre pas à la majorité francophone du
Québec. Tout autre immigrant connaissant ou non l'anglais, je ne vois
pas pour quelle raison il ne serait pas intégré à la
majorité francophone du Québec. C'est ce point qui nous semble
vraiment inacceptable, et au lieu de créer une situation qui fera vivre
des écoles privées ou des écoles temporaires ou des
années de probation hors du système scolaire ordinaire, avant
d'entrer dans l'école anglaise, pourquoi, de façon directe, le
gouvernement n'organise-t-il pas un système d'accueil pour les
immigrants quels qu'ils soient, et ne leur donne-t-il pas cette connaissance
suffisante du français pour qu'ils puissent s'intégrer ensuite
dans le régime francophone?
A long terme et je reviens sur une question qu'avait posée
tout à l'heure M. le ministre et à laquelle je n'ai
peut-être pas répondu d'une façon suffisante notre
idée est que la minorité anglophone ne doit pas, au
Québec, demeurer isolée et qu'elle doit savoir qu'elle est dans
un milieu en majorité francophone et qu'à long terme c'est dans
ce milieu qu'elle doit s'intégrer.
Or, les mécanismes qui doivent permettre cette intégration
progressive nous ne sommes pas non plus pour des lois à la
matraque doivent être mis en oeuvre tout de suite à
l'occasion d'une loi comme celle que nous avons maintenant. Il est
évident que pour faire cesser cette anglicisation, la loi doit aussi
prévenir toute augmentation du nombre d'anglophones, en intégrant
les immigrants, dès leur arrivée au Québec dans la
majorité francophone.
M. PANACCIO: M. le Président, est-ce que vous nous permettriez
d'ajouter quelque chose à cette réponse? On a, dans l'article
soumis par le député de Saint-Jacques, un très bel exemple
de ce que j'appelais tantôt les conflits d'intérêts entre
les deux groupes.
En lui-même, cet article constitue quelque chose de positif, c'est
sûr, mais il ne constitue pas une incitation aux immigrants à
s'angliciser, pris en lui-même. Seulement, dans la mesure où on
laisse subsister des cas d'exception, à savoir ceux qui parlent
déjà anglais, on ouvre la porte toute grande à
l'anglicisation de n'importe qui. Cela me paraît parfaitement
contradictoire avec les intérêts de la langue française au
Québec.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Beauce-Sud.
M. ROY: M. le Président...
M. QUINTIN: M. le Président, c'est simplement une question. De
toute façon, j'y reviendrai tout à l'heure.
M. ROY: ... je veux remercier la Société de philosophie du
mémoire qu'elle nous a présenté. Je tiens à la
féliciter d'une façon particulière pour la grille qu'elle
a choisie, de façon à nous présenter un mémoire et
à organiser une discussion objective qui se fasse sans partisanerie
politique.
M. le Président, l'attitude du ministre m'inquiète. Je
dois dire tout suite qu'elle m'inquiète, parce qu'on tente d'identifier
ce débat à une option politique constitutionnelle globale. Je
dis, en ce qui me concerne, qu'il serait extrêmement malheureux et
préjudiciable pour le Québec et les Québécois que
ce débat sur la question linguistique soit identifié à une
option politique globale. C'est le point que je veux souligner.
M. CLOUTIER: Est-ce que le député me permettrait une
question, puisqu'il a prononcé mon nom?
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Si vous permettez, parce que moi,
je...
M. CLOUTIER: Je vous demande la permission.
M. ROY: Permission accordée.
M. CLOUTIER: Je voudrais simplement rappeler au député
pour mémoire que, dans le discours inaugural du député de
Saint-Jacques, qui parlait au nom du PQ, on liait de façon très
étroite la question de l'indépendance avec le règlement de
la question linguistique.
M. ROY: M. le Président, je pense bien que c'est le droit de
chaque député d'interpréter la question comme il l'entend,
mais je dis que, globalement, dans l'intérêt du Québec et
des Québécois, cette question doit être faite dans ce sens
de façon objective. Il serait malheureux qu'elle se fasse d'une autre
façon. C'est le commentaire très court que je tenais à
faire.
M. CLOUTIER: Et un commentaire général.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Vous n'avez pas de question?
M. ROY: Non, je regrette, les questions que j'avais à poser ont
été posées.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Gouin.
M. BEAUREGARD: Merci, M. le Président. J'ai lu également
avec beaucoup d'intérêt le mémoire de la
Société de philosophie et je trouve que c'est un mémoire
qui est très bien fouillé et très bien articulé. Il
y a certainement une démarche rationnelle. Les conclusions
découlent logiquement, il me semble, des prémisses qui sont
posées.
Toutefois, malgré ce que je viens de dire, je trouve qu'il y a un
paragraphe, qui est l'avant-dernier paragraphe auquel on a déjà
fait allusion, qui me semble détonner considérablement sur
l'ensemble du mémoire.
Je me permets de relire le paragraphe brièvement. M. le
Président, mon préambule sera moins long que celui que vous avez
permis au député de Saint-Jacques. On dit: "H semble bien que le
plus important, quant à l'évaluation et à la portée
du projet de loi, n'est pas dans le texte même de la loi mais bien
plutôt dans la curieuse situation politique actuelle dont il est le
reflet, situation dans laquelle une majorité francophone est
dépendante de la minorité anglophone qui sert d'assise
électorale au parti qui forme le gouvernement".
M. le Président, j'aimerais consigner, pour les fins du journal
des Débats, qu'il s'agit, dans
mon opinion, d'une affirmation qui est à la fois gratuite,
tendancieuse et fausse.
M. MORIN: Ce sont les faits. Vous n'allez tout de même pas dire
que les anglophones appuient le Parti québécois.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je vais accorder...
M. BEAUREGARD : M. le Président, je peux faire la
démonstration de ce que je viens de dire. Par exemple, dans mon propre
comté, où au-delà de 95 p.c. des électeurs sont des
francophones, où moins de 1 p.c. des électeurs sont des
anglophones, les électeurs ont décidé de ne plus accorder
leur confiance à un ancien député du Parti
québécois pour la placer dans un candidat du parti
gouvernemental.
M. MORIN: C'est une autre partie de la philosophie politique, c'est
celle de l'honnêteté du scrutin. C'est une tout autre...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que le député...
M. BEAUREGARD: M. le Président, je pense que...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, messieurs!
UNE VOIX: C'est très dangereux surtout...
M. CLOUTIER: C'est dangereux... Le président de la
commission...
M. ROY: M. le Président, je tiens à dire que les remarques
que j'ai faites tout à l'heure s'appliquent également au
député qui vient de parler.
M. BEAUREGARD: Je pense qu'il est important, pour la question que j'ai
l'intention de poser, d'établir ces faits. J'ajouterai même, pour
le bénéfice du chef de l'Opposition, que si vous prenez
l'ensemble des comtés du Québec et que vous exceptez tous les
comtés à majorité francophone ou même à
faible minorité francophone, vous allez avoir comme résultat de
la soustraction une majorité encore confortable du parti gouvernemental
à l'Assemblée nationale.
M. ROY: M. le Président, je m'inscris en faux sur cette question.
C'est justement le point pour lequel tantôt j'ai cru nécessaire de
faire cette remarque. Je vois que le ministre est d'accord avec moi sur ce
plan.
M. BEAUREGARD: M. le Président, j'aimerais justifier sur cette
question de règlement...
M. ROY: M. le Président, j'inviterais quand même...
M. CLOUTIER: Le député de Beauce-Sud interprète mes
pensées.
M. ROY: ... du côté des Italiennes...
M. BEAUREGARD: M. le Président, j'aimerais justifier, sur cette
question de règlement...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Bon! Mais avant de justifier cette
question de règlement...
M. ROY: Si vous voulez un débat politique, on va en faire un.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): ... permettez-moi de vous inviter à
un bref préambule sur les questions...
M. BEAUREGARD: M. le Président, mon préambule n'a
duré que quatre minutes.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Oui, mais sur les questions pertinentes au
projet de loi 22.
M. BEAUREGARD: M. le Président, j'ai confiance, et je crois qu'il
est important que, dans notre société, nous ayons un groupe de
philosophes qui soient capables de raisonner et de présenter des vues
sur notre société en dehors de considérations partisanes,
des vues qui ne soient pas biaisées par des considérations
partisanes. Le point que j'essaie d'établir c'est mon opinion
je ne demande pas aux autres membres de la commission de la partager,
c'est que j'essaie simplement d'établir que le paragraphe 47 du
mémoire de la Société de philosophie détonne sur
l'ensemble. J'ajouterai que, puisque la Société de philosophie
dit qu'il s'agit là de la considération la plus importante, on
dit: Le plus important quant à l'évaluation du projet de loi
n'est pas dans le texte même, mais bien dans la situation politique qui
vient du fait qu'une minorité anglophone sert d'assise électorale
au parti gouvernemental.
Je pose la question à la Société de philosophie.
S'il est vrai, comme on l'a dit tout à l'heure, que les
considérations partisanes n'ont pas influé sur le mémoire,
est-ce que vraiment, lorsqu'on dit que c'est le plus important, c'est le plus
important?
M. QUINTIN: M. le Président, je suis content que cette question
soit soulevée, mais cela me permet aussi, encore une fois, de resituer
ce paragraphe dans son contexte.
Lorsqu'un texte contient certains objectifs et ensuite toute une
série d'articles qui ne semblent pas répondre à ces
objectifs, lorsque ce texte, dis-je, ne contient pas en lui-même une
clé d'interprétation, il est normal qu'on soit amené
à formuler d'autres hypothèses. Le paragraphe qui est là,
à la fin, semble et ne fait que suggérer comme hypothèse
que le texte de loi est peut-être aussi lui-même d'une certaine
façon partisan. Peut-être que la formulation de ce
paragraphe n'est pas agréable pour certains membres de
l'assemblée, mais je considère qu'après avoir vu les
contradictions internes du texte par rapport aux objectifs qu'il s'est
donnés, il est normal qu'on se demande comment il se fait qu'on en soit
là. Il s'agit ici simplement d'une hypothèse qui, à notre
avis, peut avoir influencé la rédaction du texte et qui permet
peut-être de comprendre pourquoi la lutte contre l'anglicisation n'est
pas suffisante dans le texte, et pourquoi l'appui aux forces de francisation
n'est pas suffisant dans le texte.
M. BEAUREGARD: M. le Président, le sens de mon intervention est
que, s'il s'agit d'une hypothèse, comme le président de la
Société de philosophie le dit, qui est basée sur une
affirmation tout à fait fausse, la seule question que je me pose
personnellement, ici, est la suivante: Est-ce que nous devons accorder au reste
du mémoire, la crédibilité... Pardon?
M. QUINTIN: Est-ce qu'il y a des affirmations fausses dans ce
paragraphe?
M. BEAUREGARD: Certainement. J'ai essayé de le démontrer
tout à l'heure. Quand vous dites que la minorité anglophone sert
d'assise électorale au parti au pouvoir, il me semble que j'ai assez
bien démontré... Vous n'avez qu'à prendre la carte
électorale du Québec, enlever tous les comtés à
majorité francophone et vous allez rester avec une forte majorité
du parti gouvernemental au pouvoir. Même si, en fin de compte, vous
preniez tous ces comtés à majorité anglophone et vous
ajoutiez tous les comtés du parti de l'Opposition actuelle le
député de Saint-Jacques disait tout à l'heure qu'il
s'était allié à la minorité francophone qui
présente peut-être à l'occasion du projet de loi 22, une
position extrême même alors, vous auriez une forte
majorité francophone. Tout ce que j'essaie de dire, c'est que le parti
gouvernemental actuel représente l'immense majorité, la
majorité des francophones québécois.
M. ROY: Est-ce que le député me permettrait une
question?
UNE VOIX: Attendez votre tour.
M. BEAUREGARD: Moi, je veux bien, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Moi, je ne veux pas, mais s'il le
veut.
M. ROY: Est-ce que la loi 22 était dans votre programme?
M. GRAVEL: M. le Président, j'aimerais simplement dire, si vous
me le permettez, que ce paragraphe peut être pris pour un commentaire de
l'opinion du solliciteur général York de 1766 que je me permets
de lire: Il n'y a pas une maxime de droits coutumiers plus certaine que celle
qui déclare qu'un peuple conquis conserve ses anciennes coutumes
jusqu'à ce que le conquérant introduise de nouvelles lois.
Ce qui nous a semblé remarquable dans l'analyse du texte de loi,
c'est que ce n'est pas le conquérant qui établit les lois, c'est
nous-mêmes.
M. BEAUREGARD: Cest l'histoire, M. le Président; le
conquérant, cela fait quand même quelques années.
M. GRAVEL: Bien oui, justement.
M. BEAUREGARD: J'ai plusieurs questions, en fait, à poser
à la Société de philosophie. Je ne veux pas monopoliser le
débat, mais si on prenait, par exemple, je crois que c'est à la
page 8 où il est question des droits acquis... Excusez-moi. A la page 7,
M. le Président. En somme, une des charnières importantes de
votre mémoire, pour pouvoir, en fait, réfuter l'argument des
droits acquis de la minorité anglophone, est que, ce que l'on pourrait
appeler entre parenthèses ou entre guillemets des privilèges ou
des droits acquis ne peuvent être considérés comme tels
lorsqu'ils ont été imposés par un conquérant, comme
vous venez de le lire.
J'aimerais peut-être poser une question à la
Société de philosophie: Est-ce que vous considérez que,
dans l'état actuel des choses, disons, constitutionnellement, le
gouvernement du Québec pourrait ne pas tenir compte de certains droits
acquis, en tout cas, de la minorité anglophone du Québec?
M. PANACCIO: II n'est pas question de droits acquis. Ce que l'on veut
éliminer de la discussion, c'est ce terme de "droits acquis". Par
ailleurs, cela ne veut pas dire...
M. BEAUREGARD: Vous voulez l'éliminer de la discussion;
maintenant, il y a d'autres personnes qui le placent dans la discussion. On
essaie donc d'analyser votre position vis-à-vis de la question des
droits acquis. On ne peut pas l'éliminer de la discussion tout de
même.
M. PANACCIO: Oui. Tantôt, j'ai proposé une analyse de cette
notion de droit acquis pour montrer qu'en elle-même elle ne signifiait
pas grand-chose. Par ailleurs, il est clair que toute politique linguistique ne
peut pas ne pas tenir compte de la minorité anglophone, mais ce n'est
pas la même chose que de tenir compte de la minorité anglophone et
de tenir compte de droits acquis de la minorité anglophone. Cette
distinction me paraît extrêmement importante à faire.
M. BEAUREGARD: Est-ce que une minorité sans droit, d'après
vous, peut rester une minorité?
M. PANACCIO: Les droits d'une minorité sont de différents
ordres. H y a un certain nombre de droits inaliénables que j'ai
mentionnés tantôt et il y a un certain nombre de
privilèges...
M. BEAUREGARD: Quels droits reconnaissez-vous aux anglophones?
M. PANACCIO: Comme inaliénables?
M. BEAUREGARD: Non, les droits que vous reconnaissez aux anglophones
dans le contexte de votre conceptualisation, ici?
M. PANACCIO: Ecoutez, ce n'est pas à moi de le dire. Quel droit
on reconnaît à une minorité anglophone, c'est à un
gouvernement élu de le faire.
M. BOSSE: Vous êtes là pour vous exprimer.
M. PANACCIO: Quel droit on reconnaît à n'importe quelle
personne, à l'exception des droits inaliénables que le
gouvernement n'a pas le droit...
M. BEAUREGARD: Monsieur, je m'excuse, ce qui arrive...
M. PANACCIO: J'aimerais pouvoir répondre à la question, si
vous permettez.
M. BEAUREGARD: Oui, est-ce que vous pouvez y répondre. Enfin, la
question est la suivante. Dans votre mémoire, vous dites qu'on ne doit
pas tenir compte des droits acquis. Il est évident que c'est un terme
qui peut couvrir quand même passablement de cas particuliers. Maintenant,
je vous pose la question à savoir quels droits acquis
reconnaîtriez-vous aux anglophones dans le contexte actuel du
Québec? C'est cela ma question.
M. QUINTIN: Je pense qu'on devrait formuler une réponse, parce
qu'il s'agit, d'une certaine façon, d'opinion dans un domaine sur lequel
on est en train de discuter maintenant. Je pense que de façon
négative,je formulerais cela ainsi. On ne peut pas accorder aux
anglophones des droits qui risquent de mener, disons, à la
désagrégation de la majorité francophone
québécoise. Je la formulerais ainsi de façon
négative.
Maintenant, il y a des domaines ou des secteurs ou des habitudes
déjà prises ici au Québec et qui, à mon avis, n'ont
jamais été menacées. Même si une loi faisait du
français la langue officielle, le gouvernement aurait sûrement la
courtoisie de répondre en anglais à quelqu'un qui lui
écrit en anglais. Il y a une différence entre...
M. BEAUREGARD: Vous reconnaissez les droits acquis de la minorité
anglophone.
M. QUINTIN: Ce n'est pas une question de droit.
M. BEAUREGARD: Ce n'est pas une question de droit. C'est un
privilège...
M. QUINTIN: Privilège, je dirais de courtoisie.
M. BEAUREGARD: ... que vous laisseriez au bon vouloir d'un
fonctionnaire, par exemple, de n'importe quel gouvernement qui...
M. QUINTIN: II y a moyen d'avoir des règles ou des
règlements de régie interne à l'intérieur du
gouvernement.
M. BEAUREGARD: Donc, vous favorisez la réglementation sur ce
point, plutôt que la loi?
M. QUINTIN: Ecoutez, à court terme, il est évident que les
anglophones, c'est-à-dire qu'on doit tenir compte de leur
présence et leur laisser certaines facilités. A long terme, il me
semble qu'une loi faisant du français la langue officielle, doit viser
à l'intégration progressive de la minorité anglophone.
M. BEAUREGARD: Est-ce que vous voulez dire que vous avez comme objectif
d'assimiler la minorité anglophone du Québec à la
majorité francophone éventuellement? Est-ce cela votre
objectif?
M. QUINTIN: Pourquoi pas?
M. BEAUREGARD: Je vous le demande. Ce n'est pas que ce n'est pas
louable. Est-ce que vous êtes d'avis, si j'ai bien compris, que le projet
de loi 22, ou enfin une loi sur la langue au Québec, ne devrait
comporter aucune espèce de garantie pour la minorité anglophone?
Si je vous ai bien compris, est-ce que c'est cela que vous avez dit?
M. QUINTIN: Ecoutez, il faudrait avoir un texte et une formulation plus
précise sur lesquels on puisse discuter.
M. BEAUREGARD: Nous en avons déjà un, monsieur, nous avons
déjà ce projet de loi.
M. QUINTIN: Oui, mais justement, à partir de celui-là, on
ne réussit pas à entrer dedans et à y retrouver une
logique valable.
M. BEAUREGARD: Maintenant, j'essaie de retrouver...
M. QUINTIN: Il est évident que d'abord, avant de régler
cette question, il faut d'abord régler la question de la francisation
progressive du Québec. Ensuite, on verra en fonction du type de lois qui
auront été mises en oeuvre pour cela. Alors, à
l'intérieur de cela, maintenant, est-ce qu'il y a une place pour les
Anglais?
M. BEAUREGARD: Monsieur, vous dites que vous essayez de voir la logique
du projet de loi...
M. QUINTIN: C'est très clair.
M. BEAUREGARD: ... nous, on essaie de voir la vôtre. Par exemple,
lorsque vous dites que, pour finir sur la question des droits acquis que vous
avez soulevée, lorsque vous dites que les droits acquis, enfin, ne
peuvent pas être considérés comme acquis, à toutes
fins pratiques, lorsqu'ils ont été imposés par un
conquérant et que la coutume a été acquise, en fait,
puisque acceptés par la majorité, est-ce que vous ne croyez pas,
puisque nous avons fêté ou laissé passer, selon le cas, le
centenaire de la confédération canadienne, il y a sept ans, qu'en
107 ans de pouvoir québécois, on n'aurait pas pu avant
aujourd'hui nier les droits de la minorité anglophone? Si on ne les a
pas niés à l'heure actuelle, est-ce que vous ne croyez pas qu'on
pourrait dire que les droits qui ont été "acquis" l'ont
été beaucoup plus par la coutume, par l'acceptation d'une
situation de faits par la majorité, plutôt qu'imposés par
le conquérant?
M. QUINTIN: II me semble que ce point, encore une fois, n'est pas
pertinent au texte du projet de loi qui est là...
M. BEAUREGARD: Monsieur, vous niez aux anglophones les droits
acquis.
M. QUINTIN: ... nous entrafne simplement dans un domaine d'opinions
où, je crois, la pertinence du débat m'échappe, en ce sens
que si vous voulez...
M. BEAUREGARD: M. le Président, la Société de
philosophie ne répond pas à la question. Je pose une question sur
la négation des droits acquis à une minorité anglophone,
qui est une des charnières...
M. QUINTIN: Ce que nous avons dit...
M. MORIN: Le député est juriste et sait que les droits
acquis n'existent pas en droit constitutionnel. Pourquoi tend-il un traquenard
comme celui-là à nos invités?
M. BEAUREGARD: M. le Président...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je crois qu'il est établi que tout
membre de la commission et tout député pouvaient poser les
questions qu'ils désiraient à nos invités, libres à
eux de répondre ou non, c'est leur droit le plus strict. Mais je pense
que tous se sont permis, de la façon la plus libre possible, de poser
toutes les questions qu'ils voulaient aux invités. Par contre, on ne
peut pas les obliger à répondre.
M. BEAUREGARD: M. le Président, je ne veux pas obliger nos
invités à répondre. Je note seulement que, sur un point
extrêmement important du mémoire qui constitue une
charnière essentielle entre les prémisses et les conclusions, nos
invités nous disent, pour éviter de répondre à la
question, que ce débat n'est pas pertinent. Je le note simplement.
M. QUINTIN: M. le Président, ce que nous avons dit, c'est qu'il
n'y avait pas de droits acquis et que, si l'on voulait situer les anglophones
ou les coutumes ou les possibilités de droit des anglophones, si on
voulait situer cela, il nous fallait d'abord un contexte valable de lois sur le
français langue officielle et que c'est à l'intérieur de
ce contexte valable qu'on sera capable de reprendre la discussion sur le statut
de la langue anglaise ou des anglophones. C'est cela que nous voulons dire.
Sinon, on s'en va dans un domaine d'hypothèses qui n'est absolument pas
fondé sur un texte quelconque ou sur un contexte clair.
M. BEAUREGARD: M. le Président, j'aurais une dernière
question. En fait, je ne reviens pas sur certains aspects du mémoire que
je trouve excellent. Je vous pose seulement les questions sur lesquelles, je
crois, à mon humble opinion, il y a flagrante contradiction. M. le
ministre, vous a posé une question sur la représentativité
de votre organisme par rapport aux philosophes québécois. Je
répère ici que je crois qu'il est essentiel, dans une
société comme la nôtre, qu'il y ait des gens qui se
penchent sur les principes essentiels, comme les philosophes le font. Vous avez
dit que la Société des philosophes québécois
comportait en son sein, comme membres institutionnels vous me corrigerez
si j'ai mal compris le département de philosophie de
l'Université de Victoria. Vous avez dit également que le principe
d'une présentation d'un mémoire présenté à
cette commission avait été adopté au congrès de
l'ACFAS. Est-ce que je peux vous demander si le département de
philosophie de l'Université de Victoria était présent au
congrès de l'ACFAS et, s'il y était, est-ce qu'il a voté
en faveur du principe qui a été adopté au congrès
de l'ACFAS?
M. QUINTIN: Je peux vous répondre, très simplement, qu'il
n'était pas là. Mais je dois ajouter quelque chose de
façon très précise maintenant. Le premier article des
statuts de la Société de philosophie du Québec dit que le
français est la langue de la Société de philosophie du
Québec et les articles suivants ne sont pas des cependant, des toutefois
et tout, mais définissent le cadre dans lequel la société
de philosophie fonctionne, c'est-à-dire, stimuler la recherche,
l'enseignement, la production philosophique chez les francophones.
M. BEAUREGARD: Uniquement.
M. QUINTIN: De sorte que les gens, même les anglophones, qui
veulent devenir membres
de la société savent à l'avance qu'ils
s'intègrent dans un noyau qui est d'abord francophone,
québécois. S'ils veulent faire de la philosophie avec nous, ils
sont tout à fait les bienvenus.
M. BEAUREGARD: D'accord, je vous remercie. C'est une précision.
Vous représentez, en somme, la majorité des philosophes
québécois qui sont, en fait, d'expression française.
Est-ce que je peux vous demander également combien de personnes
étaient présentes vous me répondrez si vous voulez
au congrès de l'ACFAS, dans la section philosophie, au moment
où le principe de la présentation du mémoire a
été approuvé et est-ce que cela a été
approuvé à l'unanimité des voix des personnes
présentes?
M. QUINTIN: Le nombre de personnes présentes à
l'assemblée générale était d'environ 150. Le
principe de vote pour appuyer le Mouvement du Québec français a
été pris à l'unanimité moins une voix. Je tiens
cependant à ajouter quelque chose. Vous insistez
énormément et j'ai vu aussi dans les journaux que vous
l'avez fait quelques jours auparavant pour savoir si les gens ont
consulté tous leurs membres. Comment voulez-vous, dans les délais
que vous nous avez donnés, que nous puissions consulter tous nos
membres? Ce qui a été fait, c'est une série de coups de
téléphone aux gens du conseil d'administration et c'est une
série de coups de téléphone aux gens de l'exécutif
pour savoir s'ils étaient d'accord pour la présentation et les
orientations générales. Nous n'avons pas eu le temps de faire
plus et c'est strictement impossible dans les conditions dans lesquelles vous
nous avez mis.
M. BEAUREGARD: M. le Président, je voudrais répéter
que la question que je posais au président de la Société
de philosophie, ce n'est pas sur le principe d'appuyer une revendication du
Mouvement du Québec français. Peut-être pour
éclaircir le débat, je retire ma question. Est-ce que vous
pourriez relire, si vous voulez bien, la résolution qui a
été adoptée par vos 150 membres?
M. QUINTIN: La Société de philosophie du Québec
donne son entier appui à la lutte entreprise par le Mouvement du
Québec français pour faire de la langue française au
Québec la langue officielle de l'Etat, la langue d'enseignement et la
langue de travail.
M. BEAUREGARD: D'accord! Nous sommes d'accord sur ces objectifs. Je vous
le signale en passant. Combien de personnes, à partir d'un objectif
aussi général, sur lequel le parti gouvernemental est
certainement d'accord, ont contribué à la rédaction de
votre mémoire?
M. QUINTIN: Nous avions formé un comité de cinq et nous
avons travaillé à quatre pour la simple raison que nous devions
faire le travail en une semaine et le faire imprimer.
M. BEAUREGARD: En somme, c'est vraiment le produit de quatre philosophes
du Québec?
M. QUINTIN: C'est le produit de quatre philosophes
québécois qui ont été élus pour une
tâche précise, qui ont un mandat défini par les statuts de
la société et qui ont ensuite l'appui d'une résolution qui
a été votée pour appuyer le Québec
français.
M. BEAUREGARD: D'accord! Je comprends que vous ayez été
pressés par le temps.
M. PANACCIO: Est-ce que je pourrais ajouter quelque chose? On
présume qu'une fois que l'assemblée générale a
adopté le principe du français, langue officielle, comme la
langue de travail et la langue d'enseignement, l'assemblée
générale sera ensuite logique avec elle-même.
M. BEAUREGARD: M. le Président, j'aurais une dernière
intervention, si vous me le permettez. A la page 6, particulièrement,
vous dites au paragraphe 3: ... "de la majorité du peuple
québécois à pouvoir travailler en français", et par
la suite, au paragraphe suivant, vous dites: "II faut donc choisir ou laisser
les Québécois s'angliciser, ou établir des contraintes qui
permettent au peuple québécois de vivre". Il me semble y avoir
une contradiction entre ces deux paragraphes dans le sens suivant. Lorsque vous
parlez de la majorité du peuple québécois, au
troisième paragraphe, vous parlez sans doute de la majorité
francophone, est-ce que je me trompe?
M. QUINTIN: Actuellement francophone mais pourquoi pas, très
bientôt, cette majorité ne s'agrandirait-elle pas?
M. BEAUREGARD: Alors, je note que le "très bientôt" est
arrivé très vite dans l'esprit des personnes qui ont
rédigé ce mémoire puisque dès le paragraphe
suivant, on parle du peuple québécois, de vivre et de se
développer et je pense qu'il est impossible de lire ce paragraphe,
à moins d'entendre par les mots "peuple québécois",
uniquement les francophones du Québec.
M. QUINTIN: Je ne vois pas très bien dans quel sens vous
insistez.
M. BEAUREGARD: Voulez-vous que je reprenne? Je dis que, lorsque vous
parlez du peuple québécois au troisième paragraphe, vous
parlez de la majorité du peuple québécois, donc vous
parlez des francophones du Québec, par rapport à la
minorité francophone et vous me dites verbalement que vous
espérez que la minorité anglophone se francise et s'assimile
à la majorité francophone?
M. QUINTIN: Oui.
M. BEAUREGARD: Vous êtes arrivé très rapidement
à cette conclusion puisque, dès le paragraphe suivant, vous
dites: "Ou laisser les Québécois s'angliciser, ou établir
des contraintes qui permettent au peuple québécois de vivre", je
ne pense pas qu'on puisse lire ce paragraphe autrement que de donner aux mots
"peuple québécois", au mot "Québécois", le sens de
Québécois francophone?
M. QUINTIN: Je m'excuse...
M. BEAUREGARD: Vous éliminez totalement...
M. QUINTIN: ... les contraintes dont nous parlons s'adressent autant aux
francophones qu'aux anglophones.
Nous l'avons dit, nous l'avons noté et c'est peut-être
l'occasion de revenir sur un point que nous n'avons pas élaboré.
Il est évident que, pour nous, la première contrainte s'adressant
aux francophones, c'est de ne pas avoir le droit d'aller étudier en
anglais. C'est une contrainte pour les francophones. La contrainte pour les
anglophones, serait d'aller, eux, étudier en français.
M. BEAUREGARD: Donc, quand vous employez le mot québécois
et peuple québécois, dans le dernier paragraphe, vous voulez dire
les Québécois francophones et anglophones?
M. QUINTIN: Oui.
M. BEAUREGARD: Pourquoi dites-vous alors: Ou laisser les
québécois s'angliciser? Est-ce que vous voulez dire que les
Québécois anglophones ne sont pas déjà
anglicisés?
M. QUINTIN: Ils le sont déjà, mais les laisser
s'angliciser, c'est simplement faire une unité anglophone. Il est
évident qu'ici...
M. BEAUREGARD: Pourquoi utiliser le mot "Québécois"
alors?
M. QUINTIN: Ecoutez. Ou laisser les Québé-coirs
s'angliciser ou demeurer Anglais. Vous pouvez mettre cela entre
parenthèses au bout. Ou laisser les Québécois francophones
s'angliciser ou laisser les Québécois anglophones demeurer
anglophones, ou établir des contraintes qui permettent à ces deux
communautés de vivre et de se développer, mais en
français.
M. BEAUREGARD: M. le Président, j'aurais d'autres points à
soulever, mais, étant donné que je voudrais laisser à mes
collègues l'occasion de poser quelques questions, je m'arrêterai
là.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable chef de l'Opposition
officielle.
M. MORIN: M. le Président, j'estime que le mémoire nous
propose un cheminement extrêmement fructueux et que la
Société de philosophie s'est placée sur un terrain
très sûr en partant des prémisses du projet de loi, pour
ensuite en analyser le contenu.
Le gouvernement sait que la langue française est menacée
au Québec. Je pense que le ministre lui-même, à plusieurs
reprises, a reconnu ce fait. Aussi parle-t-il dans le préambule
d'omniprésence, de prééminence. Il faudrait d'ailleurs
voir comment le mot "omniprésence" est traduit dans la version anglaise
pour se rendre compte que le préambule est surtout destiné
à ce qu'on pourrait appeler la consommation francophone.
Mais ces prolégomènes qui n'ont pas force de loi, les
juristes qui sont présents ici savent que les préambules dans les
lois d'inspiration britannique n'ont pas force de loi, ces
prolégomènes ne connaissent effectivement pas de suite dans le
reste du projet de loi, si ce n'est dans quelques articles comme le premier,
qui sont immédiatement suivis de leur contraire, avec pour
charnière des mots comme toutefois, néanmoins, cependant,
excepté que, sauf que, etc.
Je crois que le bill pèche effectivement, comme vous venez de le
démontrer très brillamment, je crois, par son manque de logique.
Les prolégomènes, les prémisses du bill sont excellents,
la suite nous fait penser par moments que nous sommes en présence non
pas d'un, mais de deux projets de loi.
Mais peut-être le ministre a-t-il laissé percer tout
à l'heure la logique dont s'inspire le gouvernement. Le ministre nous a
dit: La population sera appelée à trancher, je ne pense pas le
citer incorrectement. Je pense que là se trouve la clé de ce
petit dilemme. La logique dont s'inspire ce bill, ce n'est pas la logique
stricte dont les philosophes ont l'habitude, c'est la logique
électorale. Ce n'est pas la même chose.
M. BOSSE: Pas électorale, pragmatique.
M. MORIN: Oui, que le député de Dorion qualifie exactement
de pragmatique, c'est-à-dire pragmatique par rapport aux forces de
domination traditionnelle...
M. BOSSE: Cela est votre interprétation, par exemple.
M. MORIN: Alors, je voudrais ajouter que cette logique
électorale, je le dis en tout respect pour le ministre, ce n'est pas la
logique des responsabilités qui est sûrement celle qui devrait
résulter de l'excellente formation dont lui-même,
vous-mêmes, messieurs, moi-même et quelques autres avons
bénéficié aux dépens de la collectivité,
d'ailleurs. Cette logique des responsabilités...
M. BOSSE: Ce sont eux qui font la majorité.
M. MORIN: ... messieurs, ce n'est pas celle que nous trouvons dans le
bill.
M. BEAUREGARD: Question de règlement, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Gouin, question
de règlement.
M. BEAUREGARD: M. le Président, je vous demanderais de demander
au chef de l'Opposition d'éviter les allusions insultantes à
certains membres de notre commission parlementaire.
M. MORIN: M. le Président, je m'excuse. Je ne pense pas avoir
utilisé le moindre mot qui soit blessant; j'essaie d'analyser la
situation dans laquelle nous place ce projet de loi et j'essaie d'analyser sa
logique interne, car il a une logique interne, comme je viens de l'indiquer. Ce
n'est pas la logique, hélas, des juristes ou des philosophes, c'est une
logique pragmatique, comme l'a indiqué si brillamment le
député de Dorion, d'un pragmatisme empirique qui s'inspire
beaucoup plus des forces qui dominent le Québec que des nouvelles forces
vives que vous représentez et je suis heureux de le dire en passant.
La logique électorale veut que l'on rédige un
préambule qui n'a pas d'effet juridique pour proclamer de façon
ronflante la prééminence, l'omniprésence du
français. La logique électorale veut également que, par la
suite, les conséquences ne découlent pas de ces prémisses
et que la loi elle-même soit une sorte de calque plus ou moins conforme
de la réalité pénible dans laquelle vivent les
Québécois.
La loi elle-même je ne parle pas du préambule
le dispositif de la loi, comme nous l'appelons en termes techniques, s'en tient
aux forces de domination traditionnelle. Il y a donc une double logique dans ce
projet de loi. Quand on a compris la charnière, on a compris exactement
pourquoi il est rédigé comme il l'est.
Je voudrais maintenant me pencher rapidement sur la question des droits
acquis qui est une notion juridique beaucoup plus qu'une notion philosophique.
Je vous fais le compliment, messieurs, que vous ayez tenté de comprendre
ce que c'était qu'un droit acquis. Les philosophes doivent
intégrer plusieurs disciplines. Certainement, vous avez correctement
interprété le droit, lorsque vous avez dit dans votre
mémoire que la notion de droits acquis n'est pas une notion qui tienne
en droit.
Je voudrais ajouter que cela est vrai, aussi bien sur le plan du droit
constitutionnel que sur le plan du droit international.
Sur le plan du droit constitutionnel et le député
de Gouin, qui a fait ses études à McGill devrait le savoir...
M. BEAUREGARD: Comme d'ailleurs le chef de l'Opposition, sauf que je ne
suis pas allé étudier en Angleterre, à Cambridge.
M. MORIN: Oui. C'est en Angleterre et c'est à McGill qu'on peut
apprendre, comme il aurait dû l'apprendre, que les droits acquis...
M. BOSSE: M. le Président, c'est à croire que tout le
monde va à McGill.
M. MORIN: ... n'existent pas en droit constitutionnel d'inspiration
britannique. C'est la souveraineté du Parlement qui est la notion
dominante en droit constitutionnel britannique. Or, le Parlement britannique,
pas plus que le Parlement canadien...
LE PRESIDENT (M. Lamontange): A l'ordre, s'il vous plaît!
M. MORIN: M. le Président, j'ai laissé aller très
volontiers le député de Gouin pendant vingt minutes et cela ne
fait pas dix minutes...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Oui, mais j'apprécierais au moins
que vous indiquiez que vous voudriez poser une question. Je ne peux pas vous
permettre...
M. MORIN: Oui, je me dirige vers une question.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je pense que le chef de l'Opposition
connaît la largeur de mon point de vue là-dessus, mais il ne faut
pas abuser, j'ai une limite également à ma patience.
M. MORIN: Mais je me demande pourquoi M. le président n'a pas
rappelé le député de Gouin à l'ordre.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): J'ai été obligé...
Cela fait...
M. BEAUREGARD: J'ai posé un très grand nombre de questions
à la Société de philosophie et j'ai...
M. MORIN: J'ai l'intention de faire de même.
M. BOSSE: Un discours politique!
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): J'ai toujours mentionné un bref
préambule, que je permets, mais si je ne vous avais pas
arrêté, je pense que vous seriez parti pour ne plus revenir.
M. MORIN: Bon. La question que je voulais poser à nos
invités est celle-ci: Quand ils parlent de droits acquis dans leur
mémoire, est-ce qu'ils s'inspirent de la notion au sens juridique ou
s'ils lui donnaient également un sens philosophique?
M. PANACCIO: Un sens philosophique. On
n'a pas basé les affirmations qui sont ici sur une étude
du droit britannique par opposition à d'autres droits. On est parti de
cette notion non pas en elle-même, mais telle qu'elle est utilisée
dans les débats actuels.
Il nous a semblé que, tant qu'elle était utilisée
comme telle, en elle-même, sans autre spécification, sans
justification, comme ayant par elle-même une espèce de
portée miraculeuse qui résoudrait un problème, on avait
encore rien dit, puisqu'il était clair que dans toute
société, toute loi brime ce qu'on pourrait appeler toujours des
droits acquis. Toute nouvelle loi empêche la possibilité de
certaines choses qui étaient possibles auparavant.
M. MORIN: Bien sûr. On pourrait mentionner de multiples exemples.
Par exemple, les lois sur l'expropriation briment les droits acquis. S'il en
est qui les briment, c'est bien celles-là. Les gens de
Sainte-Scholastique en savent quelque chose. Toute loi qui enlève un
droit préexistant brime les droits acquis. C'est très facile
à comprendre. Sur ce plan, le droit rejoint la philosophie. Il n'y a
pas, malgré tout ce qu'ont pu soutenir ici un certain nombre de groupes,
il n'y a pas, en droit constitutionnel d'inspiration britannique, de droits
acquis. M. le Président, je voudrais le mentionner. En passant, le
ministre connaît très bien cette question d'ailleurs, et il est
d'accord sur ce point. Les juristes de la commission Gen-dron ont
été du même avis, et un expert aussi versé dans la
question que mon collègue, le professeur McWhinney, autrefois de McGill,
et maintenant de l'université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, est
également de cet avis. Ils l'ont dit en toutes lettres dans le rapport
de la commission Gendron.
M. BEAUREGARD: C'est une question d'opinion.
M. MORIN: D'ailleurs, c'est vrai aussi en droit international, M. le
Président. En guise de parenthèse, c'est en droit international
que cette notion de droits acquis a connu la plus grande extension, parce que
les puissances colonisatrices qui avaient des investissements dans les
anciennes colonies ont toujours plaidé les droits acquis au moment
où les nouveaux Etats souverains ont voulu nationaliser ou ont voulu, si
l'on veut, "chiliniser", par exemple, dans le cas du cuivre au Chili, les
matières premières, les richesses naturelles.
M. SAINDON: M. le Président, est-ce que le député
de Taschereau me permettrait une question?
M. MORIN: Le député de Taschereau? Il doit y avoir erreur
sur la personne.
M. SAINDON: C'est Sauvé que je veux dire. Comment se
fait-il...
M. MORIN: Je lui permettrais une question.
M. SAINDON: ... qu'au Nouveau-Brunswick il fut un temps où il n'y
avait absolument pas de français dans les écoles? Aujourd'hui ces
écoles sont bilingues. A ce moment, les francophones du
Nouveau-Brunswick étaient minoritaires. Aujourd'hui...
M. MORIN: Voulez-vous, nous allons examiner...
M. SAINDON: ... la province est bilingue.
M. MORIN: ... cette situation par le détail. Parce que vous avez
quand même en une phrase accumulé deux inexactitudes.
LE PRÉSIDENT (M. Lamontagne): Oui, mais si vous voulez, nous
allons revenir au Québec. J'espère toujours entendre votre
première question.
M. MORIN: D'ailleurs, je vais simplement répondre une chose
rapidement au député.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Bien, écoutez...
M. MORIN: C'est que, quand les Acadiens ont tenté d'avoir des
écoles...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Vous... A l'ordre!
M. MORIN: ... on leur a dit que les droits acquis n'existaient pas.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre! L'abus de ma confiance... Il va
peut-être falloir que, la semaine prochaine, je sois plus
sévère. Si vous abusez des préambules ne vous surprenez
pas si, la semaine prochaine, je respecte le règlement à la
lettre. Je ne le veux pas, mais je tiens tout de même que tout se
déroule dans un climat normal. Court préambule, mais comme je
vous l'ai mentionné tout à l'heure, j'apprécierais que
vous posiez votre première question après exactement treize
minutes de préambule.
M. MORIN: J'ai déjà posé une question, M. le
Président.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Oui.
M. MORIN: Pour ce qui est donc du droit international, le droit vivant,
le droit tel qu'il se développe en ce moment, le droit concret
d'aujourd'hui ne reconnaît pas non plus les droits acquis. Toutes les
décisions les plus récentes vont à l'encontre de notions
qui étaient affirmées au XIXe siècle, surtout par les
puissances dominantes, les puissances colonisa-
trices. Cette petite parenthèse juridique étant close, je
voudrais maintenant me pencher sur les aspects phylosophiques du mémoire
et interroger nos invités.
M. BOSSE: M. le Président, sur la question des droits acquis,
pour revenir un peu sur terre...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Laissez le chef de l'Opposition officielle
poser sa question.
M. BOSSE: Je voudrais lui citer un exemple des droits acquis...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Tout à l'heure.
M. BOSSE: ... qui sont invoqués et respectés en droit
ouvrier, par exemple.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je ne permets pas cette question.
M. MORIN: J'aimerais bien que le député intervienne, mais
il n'est pas de droit, même en droit ouvrier, que le Parlement ne puisse
pas modifier. C'est la doctrine inéluctable du droit d'inspiration
britannique.
M. BOSSE: Cependant, dans la pratique, je pense que le...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, s'il vous plaît !
M. BOSSE: ... chef de l'Opposition sait très bien que des droits
acquis sont invoqués et aussi négociés
généralement du côté syndical.
M. MORIN: M. le Président, c'est une...
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Peut-être avec humour, je voudrais
mentionner à celui que nous avons le privilège de recevoir
aujourd'hui, notre collègue de Dorion...
M. BOSSE: Et d'ailleurs, d'être ici constamment.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): ... que je lui ferai parvenir les
règles de la pratique la semaine prochaine.
M. MORIN: M. le Président, je tiens à dire que c'est une
bonne question du député de Dorion.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): C'est peut-être une bonne question,
mais c'est là qu'il faut les poser.
M. MORIN: C'était une excellente question, mais il confondait
droits acquis et droits récla- més par un groupe, comme
étant justifiés par l'équité. Ce n'est pas la
même chose.
M. BEAUREGARD: M. le Président, est-ce que je peux poser une
question au député de Sauvé?
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Non, je ne le permets pas cette
fois-là.
Je permettrai des questions si l'honorable député de
Dorion veut poser des questions à nos invités. Ce sont tout de
même eux que nous recevons cet après-midi.
M. MORIN: Revenons à nos invités. Puisqu'ils nous ont
entretenus des aspects philosophiques des droits de l'homme, je voudrais leur
demander de préciser quelque peu la façon dont ils recherchent
l'équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs.
Est-ce qu'ils pourraient d'abord je crois que cela doit être de
leur compétence puisque j'ai cru comprendre qu'ils
s'intéressaient à la philosophie politique nous indiquer
brièvement les origines des droits individuels et ensuite les origines
des droits collectifs, montrer l'interrelation qui existe entre les deux et la
recherche de l'équilibre entre ces deux notions, surtout au XXe
siècle?
M. QUENTIN: Très brièvement, parce que je ne voudrais pas
faire une thèse philosophique. Je me contenterais d'une remarque
là-dessus, c'est que si, pendant des siècles et suite à la
tradition instaurée et suivie par le thomisme et venant d'Aristote, on a
insisté sur la dimension individuelle ou personnelle des droits, il est
sûr qu'actuellement la dimension sociale de la personne, la dimension
collective des droits est beaucoup plus mise en évidence. Je me
contenterais de cette simple remarque que les droits que l'on considère
être des droits individuels comportent toujours une dimension sociale et
que les intérêts collectifs doivent toujours avoir
prédominance sur des intérêts individuels. Ceci
étant une remarque vraiment d'ordre général.
M. MORIN: Vous êtes d'accord sur cette idée que l'on ne
peut juger de ces choses dans l'abstrait, mais que toujours on doit en juger
dans un contexte concret et qu'il faut naturellement appliquer la recherche de
cet équilibre entre droits collectifs et droits individuels à des
situations vécues pour pouvoir trancher, à partir de cette
situation, quels droits doivent l'emporter.
M. PANACCIO: Dans la philosophie politique occidentale, la dominante
dans les systèmes politiques occidentaux, en dehors de droits
réputés inaliénables, aucune liberté individuelle
ne va de soi. Ce qui est requis, c'est une analyse des effets d'une
liberté individuelle donnée sur, soit d'autres individus, soit
une collectivité. Une collectivité étant souvent un
ensemble d'individus aussi. Par conséquent, reconnaître une
liberté individuelle, mais, en la reconnaissant, brimer d'autres
libertés, doit faire l'objet d'une analyse où on met dans un
plateau, ce qui, d'une part, est brimé, ce qui, d'autre part, est
brimé, et on fait un choix ensuite.
M. MORIN: M. le Président, je voudrais terminer en disant que je
trouve tout à fait remarquable que, dans nos écoles de
philosophie, l'on discute aujourd'hui de ces questions qui, autrefois,
étaient malheureusement passées presque toujours sous silence. Je
me félicite de ce que le Québec possède maintenant un
nombre sans doute inférieur aux besoins, mais un nombre suffisant de
philosophes pour que ces questions soient portées sur la place publique
et pour qu'on puisse enfin au Québec parler en termes
d'idées.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que vous avez une question?
M. BEAUREGARD: M. le Président, j'aurais une question qui risque
de soulever peut-être un débat avec le chef de l'Opposition. Je la
retire.
M. MORIN: Ce n'est pas moi qui m'y oppose, M. le Président. Un
bon débat, surtout d'ordre philosophique, c'est toujours
intéressant.
M. CLOUTIER: Le moment viendra.
M. BOSSE: On aura du "fun" à un moment donné. On fera un
"party" et on philosophera.
M. MORIN: Je vois que le député de Dorion a une
philosophie différente.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Beauce-Sud.
M. ROY: Est-ce qu'on me permettrait une très courte question au
ministre, avec la permission de la présidence?
M. CLOUTIER: Je ne le sais pas, vous m'impliquez.
M. ROY: Je vais la poser, en tout cas, on verra si je vais avoir une
réponse. Au terme d'une semaine bien remplie et compte tenu du fait que
tous les organismes, sauf deux, ont demandé le retrait de la loi,
j'aimerais demander au ministre comment on peut interpréter le sondage
qui a paru la fin de semaine dernière et qui semblait donner un appui
quasi inconditionnel au projet de loi.
M. CLOUTIER: M. le Président, je pense qu'il serait de mauvais
goût de ma part, en plus d'être assez grossier, de porter des
jugements avant d'avoir entendu un nombre plus considérable d'organismes
et avant que la commission, collectivement, se considère suffisamment
informée. Nous avons voulu cette commission parlementaire après
la première lecture pour donner la parole à des
représentants de groupes. Nous établissons leur
représentativité chaque fois. Il y en a d'importance
inégale, mais pour autant qu'ils sont devant la commission, ils sont
tous importants. Ils ont tous le droit d'être entendus. Je crois qu'il
est prématuré de tirer des conclusions à ce stade-ci.
M. ROY: Mais, quand même, les conclusions peuvent être assez
significatives au terme d'une semaine.
M. MORIN: M. le Président, puis-je vous demander qui nous
entendrons lundi prochain?
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je pense que chaque parti politique a la
liste actuellement de tous les organismes. Vous l'avez en main.
M. CHARRON: Simplement la nomenclature.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Oui. La Fédération des
associations italiennes du Québec; Québec Association of
Protestant School Boards; l'Association des mines de métaux du
Québec; The United Church of Canada; le Conseil des
fédérations ethniques de la province de Québec et la
Corporation des enseignants du Québec.
Là, c'est la liste officielle de convocation. Je sais que la
majorité des organismes ont déjà répondu
affirmativement, quelques-uns n'ont pas encore répondu, mais je ne sais
pas lesquels.
M. MORIN: Le ministre a dit qu'il y a deux erreurs. Est-ce que nous
pourrions les connaître?
M. CLOUTIER: Pas des erreurs, des modifications.
LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Cela fait tout de même une
nomenclature. Je ne peux pas prendre votre avis, vous n'êtes pas le
secrétaire des commissions.
Là-dessus, je voudrais vous remercier d'être venus nous
voir en ce vendredi après-midi un peu chaud. Vous avez pu prendre
conscience un peu du climat parfois surchauffé que nous connaissons,
mais nous avons été très heureux de vous rencontrer cet
après-midi. Merci beaucoup.
Là-dessus, la commission ajourne ses travaux à lundi
après-midi 14 heures.
(Fin de la séance à 15 h 53)