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Commission permanente de la constitution
Sujet : Conférence de Victoria
Séance du jeudi 27 mai 1971
(Seize heures huit minutes)
M. PEARSON (président de la commission permanente de la
Constitution): A l'ordre, messieurs!
M. BOURASSA: M. le Président, à la demande des
différents chefs de l'Opposition, nous avons convoqué la
commission parlementaire. J'ai eu l'occasion de discuter ce matin avec le chef
de l'Opposition officielle de même qu'avec les autres chefs de parti pour
leur dire que j'étais un peu embarrassé pour répondre
à toutes leurs questions puisque nous étions à poursuivre
actuellement les négociations. J'ai décidé d'aller
à Ottawa lundi et mardi pour représenter le gouvernement à
la conférence ministérielle. C'est une conférence qui est
au niveau des ministres mais, comme ministre des Affaires
intergouvernementales, j'ai décidé d'y aller. C'est pourquoi je
ne pourrais pas répondre aux questions ou à certaines des
questions qui seront posées cet après-midi, d'autant plus que,
dans le communiqué qui a été rendu public au mois de
février, certaines conclusions ont été modifiées
par suite des négociations que nous poursuivons actuellement. Je n'ai
pas d'objection à en discuter privément avec les chefs de parti.
Je crois qu'ils comprendront facilement que, pour les fins de la
négociation, je ne peux pas rendre publiques immédiatement ces
conclusions.
M. BERTRAND: M. LE Président, est-ce que je pourrais inviter le
premier ministre, étant donné les réponses qu'il nous a
données à plusieurs reprises au sujet de l'ordre du jour,
à avertir M. Sharp, le premier ministre intérimaire du Canada, de
cesser de donner l'impression si je me base sur ce que le premier
ministre du Québec nous a dit, cette impression devrait être
fausse mais ses déclarations nous laissent entendre que l'ordre
du jour est déjà établi et qu'il reprend à peu
près celui de la session de février. Il me semble qu'il
n'appartient pas à une des parties à la table des
négociations le gouvernement central n'est qu'une partie
à M. Sharp pas plus qu'il n'appartiendrait à M. Trudeau,
d'établir seul l'ordre du jour. Deuxièmement, il y a d'autres
faits qui nous sont connus, celui de la visite de M. Turner à Londres.
M. Turner pourrait attendre au moins que les premiers ministres se soient
entendus à la conférence de Victoria. Il n'est pas sensé y
avoir de décisions de prises.
Comment des gens comme ça peuvent-ils... Est-ce qu'ils ont
été autorisés par quelqu'un pour aller...? D'ailleurs,
moi, je trouve absolu- ment inacceptable qu'on fasse un pèlerinage
à Londres pour une nouvelle constitution canadienne. Si le Canada est
indépendant, il n'a pas de permission à aller demander à
qui que ce soit.
Mais cela peut être discuté en d'autres temps. J'inviterais
le premier ministre à dire à M. Turner qu'il peut faire des
visites au nom du gouvernement central, mais j'espère bien qu'il ne les
fait pas au nom du gouvernement du Québec.
Troisièmement, il y a des bruits qui ont couru voulant que deux
ou trois premiers ministres des provinces auraient dit que, si le Québec
n'acceptait pas, ils ne se montreraient pas à la conférence. Le
premier ministre l'a nié, mais ça fait drôlement
écho à certains propos qui auraient été tenus en
particulier par M. Thatcher lors de la conférence de février
à savoir que si on ne s'entendait pas sur une formule d'amendement, il
n'irait plus aux conférences fédérales-provinciales. Tout
ça pour dire qu'on a parfois l'impression que le premier ministre ira
à cette conférence de Victoria où on semble avoir
préfabriqué une mise en scène telle que le Québec
soit acculé au pied du mur et soit forcé dès le
début à se faire dire "hands up". C'est là le climat qui
semble malheureusement se préparer autour de la conférence que
tout le monde qualifie de très importante, la conférence de
Victoria.
M. LAURIN: M. le Président, nous sommes également
extrêmement préoccupés par cette question de l'ordre du
jour. Il semble à première vue n'y avoir là qu'une
question de forme, mais on sait très bien que c'est souvent par des
questions de forme qu'on clôt prématurément des
débats ou qu'on les oriente dans de mauvaises directions.
Pour nous, si la question de l'amendement à la constitution est
discutée dès le début de la réunion et qu'on ne
discute qu'après la question de la répartition des pouvoirs en
particulier en ce qui concerne la sécurité sociale et les
communications, il nous semble que le gouvernement du Québec peut
facilement se trouver dans une camisole de force dont il ne pourra absolument
plus s'extriquer par la suite. Le combat, serait en somme, terminé avant
même qu'il ait commencé si les pressions sur le gouvernement du
Québec sont telles qu'il est réduit au silence ou qu'il est
même réduit à se retirer, ce qui serait en somme
préférable.
C'est la raison pour laquelle nous sommes extrêmement
préoccupés nous aussi des déclarations du premier ministre
suppléant, M. Sharp, qui a dit à plusieurs reprises ces jours
derniers qu'il y aurait un seul sujet à l'ordre du jour,
c'est-à-dire la discussion de la formule d'amendement. Nous aimerions
beaucoup avoir l'assurance de la part du premier ministre du Québec
qu'il insistera pour que le problème de la répartition des
pouvoirs, qui est lié d'une façon absolument essentielle pour
nous du Québec à
la question de la formule d'amendement, soit au moins discutée
avant que la discussion sur la formule d'amendement prenne tout son envol et
donne lieu à des prises de position de la part du gouvernement du
Québec.
M. DUMONT: Le premier ministre par intérim a d'ailleurs
déclaré hier...
M. LE PRESIDENT: Un instant!
M. DUMONT: Est-ce que vous me permettez un bref commentaire?
M. LE PRESIDENT: Un instant... Sur le même sujet? C'est parce que
le député de Chicoutimi avait demandé la parole...
M. DUMONT: Sur le même sujet d'ailleurs. Le premier ministre par
intérim et un peu bavard a justement répondu hier en Chambre
qu'à sa connaissance aucune province n'a mentionné à ce
jour son intention de mettre la question du chômage à l'ordre du
jour de la conférence. Comme le premier ministre se rend, au
début de la semaine à ce qu'il nous dit, préparer l'ordre
du jour, est-ce que cette question très urgente pourrait être mise
de l'avant pour être discutée lors de cette conférence
fédérale-provinciale?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, nous avons eu la
semaine dernière une réunion de la commission de la
Constitution...
M. LAURIN: M. le Président, je voudrais demander au
député de Chicoutimi si son commentaire porte sur les
problèmes que les trois opinants viennent d'évoquer.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, monsieur le député.
M. LAURIN: Parce qu'il y a une réponse qui n'est pas...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, mais je pense que ce que je vais demander
au premier ministre va peut-être lui permettre de faire la
synthèse si c'est un bon étudiant et s'il pige vite. Alors, M. le
Président...
M. BOURASSA: Je crois que j'ai laissé la parole.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je disais donc, M. le Président, que
nous avons eu l'autre jour une réunion de la commission de la
Constitution. On nous a dit que c'était pour répondre aux voeux
exprimés par les membres de l'Opposition, c'est exact en partie. Le
premier ministre y est revenu tout à l'heure en nous disant que la
séance que nous tenons cet après-midi a été
convoquée pour répondre encore une fois aux désirs de
l'Opposition.
Disons que c'est vrai. Mais il faudrait savoir, il faudrait se demander
pourquoi l'Opposition a insisté afin que nous tenions cette nouvelle
séance de la commission de la Constitution.
C'est que, lors de la dernière rencontre, le premier ministre, je
ne dirais pas qu'il s'est refusé à répondre à toute
question, mais ne nous a fourni aucune indication sur les problèmes
majeurs qu'il aura à discuter lors de la conférence de Victoria.
Il a fallu l'effort de synthèse d'un journaliste du Soleil appuyé
d'un autre de ses collègues pour découvrir à travers les
multiples réponses évasives, à travers les allusions du
premier ministre, un certain fil conducteur.
Je voudrais ramener le premier ministre aux réalités
qu'ont évoquées tout à l'heure le chef de l'Opposition
officielle, le député de Missisquoi, et les autres chefs de
parti. Lorsque nous avons parlé l'autre jour, nous avons posé au
premier ministre, et je l'ai fait moi-même de façon assez vive, la
question suivante: Est-ce que le premier ministre entend discuter des
problèmes que nous avons évoqués l'autre jour avant que
d'aborder la discussion de quelque formule d'amendement que ce soit?
Et pour aider sa réflexion et lui permettre de nous
répondre, si le premier ministre voulait prendre les articles 91, 92 et
93 de la Constitution, il aurait là un début, il aurait là
les éléments qui lui permettraient de nous indiquer quel est,
dans son esprit et dans l'esprit du gouvernement, l'ordre des priorités
dans le domaine des problèmes constitutionnels.
Référant aux trois articles dont je viens de parler, quels
sont les sujets que le premier ministre veut bien ou voudra bien aborder
à Victoria avant que d'accepter de discuter de la formule d'amendement
dont il semble maintenant acquis qu'elle soit le premier article à
l'ordre du jour tel que l'a déclaré M. Sharp ou comme vient de
l'indiquer encore une fois le chef de l'Opposition officielle.
J'ai moi-même, en Chambre, posé une question au premier
ministre au sujet de la visite de M. Turner à Londres. M. Turner est
parti là-bas; il y est allé en vue de prendre des dispositions
pour que le gouvernement de sa gracieuse Majesté veuille bien accepter
la demande que s'apprête à lui faire son vassal, le Canada,
concernant le rapatriement de la Constitution. Le simple mot "rapatriement" a
de quoi faire sursauter les plus conservateurs des conservateurs.
Alors, je voudrais demander au premier ministre ceci:
Premièrement, est-ce que le premier ministre a accepté l'ordre du
jour? Deuxièmement, est-ce qu'il a indiqué à ses
homologues des autres Etats membres de la Fédération qu'il a
l'intention de discuter des problèmes que nous avons
évoqués l'autre jour et qui touchent à tous les sujets
énumérés dans les articles 91, 92 et 93 de la
Constitution? Est-ce qu'il a l'intention de discuter ces problèmes avant
que d'accepter de discuter d'une
quelconque formule d'amendement? D'autre part, est-ce que le premier
ministre pourrait nous dire ou demander aujourd'hui à ses
collègues, à ceux de ses collègues qui l'assistent
il y en a d'autres qui pourraient éventuellement comparaître ici
d'exposer devant la commission quels sont, selon eux, les
problèmes qui touchent leur ministère et qui constituent les
questions fondamentales dont le premier ministre je le
répète encore une fois doit discuter avant que d'examiner
des propositions de formules d'amendement?
M. LAURIN: J'ajouterais une autre question, si vous le permettez, M. le
député de Chicoutimi. Est-ce que l'établissement de
l'ordre du jour a fait l'objet d'échanges téléphoniques ou
épistolaires entre vous et le premier ministre suppléant, M.
Sharp?
M. BOURASSA: Pas entre moi... Est-ce qu'il y a d'autres questions?
Est-ce que le député de Saint-Jacques a des questions?
M. CHARRON: J'en aurai pour couvrir le mythe de votre
réponse.
M. BERTRAND: Vous pouvez répondre...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous avez déjà un bon menu.
M. BERTRAND: On ne veut pas vous charger trop.
M. BOURASSA: Non. Ce sont les mêmes questions...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Laissez tomber les hors-d'oeuvres et
attaquez-vous au plat de résistance.
M. BOURASSA: Pour l'ordre du jour, nous avons reçu des
propositions. Il y a eu des discussions entre le premier ministre du Canada et
le chef du gouvernement du Québec. Il n'y a pas eu de discussions avec
le premier ministre suppléant. Nous avons reçu des propositions
par écrit et nous allons répondre dans les jours qui viennent.
Donc, l'ordre du jour n'est pas encore fixé.
M. BERTRAND: L'ordre du jour sera, s'il est pour en discuter et nous
faire préciser... Est-ce qu'on peut tenir pour acquis que l'ordre du
jour sera rétabli lundi ou mardi prochain?
M. BOURASSA: Oui. Je crois que oui. Certainement mardi.
Pour le voyage de M. Turner, un de mes hauts fonctionnaires m'a
prévenu qu'il avait été avisé de ce voyage. C'est
simplement dans le cas, à ce qu'on m'a dit, d'un accord possible. Il
n'est pas question que M. Turner parle au nom du gouvernement du Québec
sur le fait de l'acceptation d'une formule d'amendement. C'est en cas de
possibilité d'accord. Ce sont les informations qui m'ont
été données. Donc, il n'engage d'aucune façon le
gouvernement du Québec. C'est ce que j'ai d'ailleurs dit hier en
réponse à la question pertinente du député de
Chicoutimi.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): L'un de vos fonctionnaires a été
prévenu de cette visite de M. Turner?
M. BOURASSA: Bien! Il a été...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il a été contacté?
M. BOURASSA: Oui. Oui. Par un haut fonctionnaire...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): En sa qualité de représentant du
gouvernement du Québec.
M. BOURASSA: Il y a eu des échanges entre hauts fonctionnaires.
On a discuté d'un voyage possible de M. Turner à Londres dans le
cas ou dans l'ypothèse d'un accord.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que ce fonctionnaire vous a
demandé votre agrément?
M. BOURASSA: M. le Président, je ne vois pas comment le
gouvernement du Québec peut empêcher le ministre
fédéral de la Justice de faire un voyage à Londres. Il a
pu avoir plusieurs objectifs à ce voyage et en même temps discuter
de la possibilité d'un accord.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je ne vois pas comment...
M. BOURASSA: Je comprends qu'il faut discuter d'un nouveau partage des
pouvoirs, mais en vertu des pouvoirs du premier ministre du Québec
d'empêcher...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant! Ne changez pas de terrain. Ne
changez pas de terrain, là.
Etant donné cette communication officielle...
M. BOURASSA: Pas officielle, non.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... avec un fonctionnaire du gouvernement du
Québec, est-ce que cela n'indiquait pas que le gouvernement du
Québec avait partie liée avec le gouvernement, dans le cas du
voyage de M. Turner?
M. BOURASSA: D'aucune façon, M. le Président.
M. LAURIN: Etant donné que l'établisse-
ment de l'ordre du jour a fait l'objet d'échanges entre vous,
est-ce que le gouvernement du Québec va proposer que la formule
d'amendement soit discutée après le problème de la
répartition des pouvoirs en matière de sécurité
sociale et de communications, par exemple?
M. BOURASSA: Nous allons discuter de cela lundi et mardi. Il sera
question de politique sociale. Ce ne sera pas une nouvelle de dire qu'il sera
question de politique sociale à la conférence de Victoria.
M. LAURIN: "Which comes first"?
M. BOURASSA: Les conclusions de la conférence vont couvrir les
deux ou trois jours de la conférence.
M. LAURIN: On discute une journée.
M. BOURASSA: Qu'on discute l'avant-midi d'une question et
l'après-midi d'une autre question, tout ça va être
lié dans les conclusions.
M. CHARRON: Vous savez très bien que ça va plus loin que
ce que vous dites là.
M. BOURASSA: Non, non. Il peut y avoir des accords conditionnels ou des
acceptations conditionnelles.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est tout ce que le premier ministre a
à répondre...
M. BOURASSA: Sur la question de point de vue...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... à la grande question que je lui ai
posée sur les articles 91, 92 et 93? Quels sont les sujets que le
premier ministre a l'intention de discuter à la conférence de
Victoria avant d'entreprendre toute discussion sur une formule
d'amendement?
M. BOURASSA: J'ai dit, M. le Président, qu'il sera certainement
question de la politique sociale et je pourrai la semaine prochaine ou la
semaine suivante peut-être élaborer davantage.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est un premier point, ça.
M. BOURASSA: Merci, M. le député.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans le domaine économique?
M. BOURASSA: Je ne crois pas que ce soit... Ah! il est possible, oui,
pour répondre à la question du député de
Mégantic... il se peut que la conférence soit prolongée si
les discussions constitutionnelles prenaient trois jours. Il se peut que la
conférence soit prolongée pour qu'on discute des questions
économiques. C'est une chose qui sera discutée lundi et
mardi.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans le domaine de l'éducation et de la
culture?
M. BOURASSA: Je ne crois pas, du moins pour l'instant, qu'il en soit
question à Victoria.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans le domaine de l'agriculture?
M. BOURASSA: Il y a des discussions qui se poursuivent dans le domaine
des communications comme je l'ai dit la semaine dernière. Je ne crois
pas que les discussions soient rendues à un point tel qu'on puisse
arriver à des conclusions pour fins constitutionnelles à la
conférence de Victoria.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans le domaine des relations
étrangères, c'est-à-dire de l'extension de la
souveraineté du Québec,...
M. BOURASSA: C'est dans le domaine...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... de ses pouvoirs?
M. BOURASSA: ... des possibilités. On négocie
actuellement. Il reste à voir si les négociations permettront
d'arriver à des conclusions.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans le domaine de l'habitation,...
M. BOURASSA: Je dois dire qu'actuellement...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... travail et main-d'oeuvre?
M. BOURASSA: Si le député peut me laisser...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je vous énumère les sujets.
M. BOURASSA: Le député se plaint que mes réponses
ne sont pas complètes.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est un examen oral.
M. BOURASSA: Alors que je voudrais les compléter...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est un examen oral. Je pose des
questions...
M. BOURASSA: Ce qui intéresse les membres de la commission
parlementaire, ce sont des réponses complètes. Or, le
député ne me laisse pas compléter mes réponses.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Complétez, cher étudiant.
M. BOURASSA: Je dis qu'actuellement,
nous discutons de relations internationales et nous verrons dans les
jours qui viennent si cela peut être mis à l'agenda de la
conférence à Victoria. Je ne peux pas en dire plus long, M. le
Président, sur l'agenda.
M. LAURIN: M. le Président, j'aurais trois autres séries
de questions à poser au premier ministre. Une concerne le principe
d'autodétermination, l'autre la politique sociale et les autres portent
sur l'énoncé des conclusions de la conférence
constitutionnelle des 8 et 9 février en toutes les matières qui
ne touchent pas la formule d'amendement, c'est-à-dire les droits
linguistiques, la cour Suprême et les droits fondamentaux.
Si vous me permettez, j'aborderai d'abord le principe de
l'autodétermination. J'estime que le premier ministre a dû
maintenant prendre connaissance du mémoire que nous lui avons
présenté et j'attire son attention sur le chapitre qui a trait au
transfert de la souveraineté.
Il est bien évident qu'actuellement c'est Londres qui est le
maître de notre Constitution, mais si la formule d'amendement
était acceptée supposons-le hypothétiquement pour
un instant par les provinces du Canada et le gouvernement
fédéral, il est bien évident que le siège de la
souveraineté serait alors situé au Canada. Ceci serait grave en
ce sens qu'à ce moment-là si la formule d'amendement est
acceptée par toutes les provinces, y compris le Québec, le
Québec devrait se soumettre à une autorité canadienne
qu'il a lui-même acceptée et à laquelle il a lui-même
confié des pouvoirs constituants.
Le premier ministre sera donc d'accord avec nous pour conclure que ceci
renforcerait l'autorité consitutionnelle de la fédération
canadienne, du fait que ce transfert s'accomplirait à la demande
expresse de chacun des Etats membres de la fédération, y compris
celle du Québec.
M. BOURASSA: De quelle façon ça renforcerait?
M. LAURIN: Du fait que le Québec aurait consenti à ce que
le siège de la Constitution soit au Canada et que le Québec
aurait consenti à ce que le fédéral ait des pouvoirs
auxquels le Québec consent. Il est bien évident que c'est une
conclusion à laquelle on ne saurait échapper. C'est là
l'une des raisons pour lesquelles...
M. BOURASSA: Oui, mais tantôt on se plaignait d'avoir recours
à Londres et là on se plaint...
M. LAURIN: Non, je ne me plains pas, je fais une analyse logique des
conséquences de l'acceptation d'une formule d'amendement par le
Québec.
M. BOURASSA: Cela signale un manque de logique avec...
M. LAURIN: Non, je ne suis pas là pour me plaindre, j'essaie
d'analyser juridiquement les conséquences d'un transfert de la
souveraineté de Londres à Ottawa.
M. BOURASSA: C'est la position du parti.
M. LAURIN: Je ne dis pas que c'est la position du parti... Voulez-vous
me laisser terminer? J'étais en train d'essayer d'analyser les
conséquences de l'adoption d'une formule d'amendement à laquelle
concourraient toutes les provinces du Canada et le gouvernement
fédéral. Je dis simplement que c'est là la raison pour
laquelle nous insistons pour que le droit du Québec que
possède toute province et en particulier le Québec de
déterminer lui-même son statut constitutionnel soit accepté
dans la formule d'amendement et si possible dans la nouvelle constitution.
A ce moment-là il y a deux hypothèses qui peuvent se
poser. Quel serait l'avenir constitutionnel probable ou possible du
Québec? Il y a deux hypothèses. La première
hypothèse c'est l'hypothèse indépendantiste à
supposer que la majorité du peuple québécois un jour se
décide démocratiquement à se retirer du cadre
fédéral. C'est une possibilité qui, comme vous le savez,
devient de plus en plus possible. J'en vois une preuve additionnelle par
exemple dans la déclaration qu'un ancien aspirant à la chefferie
du Parti progressiste conservateur fédéral, M. Hees, faisait ces
jours-ci. Alors qu'il parlait devant les membres d'une association de la ville
de London en Ontario, M. Hees a affirmé que l'esprit du
séparatisme grandissait de jour en jour au Québec. Il a
précisé que cette affirmation s'appuyait sur des conversations
qu'il a tenues au cours des derniers mois avec des Canadiens français de
diverses couches de la société. Il en est venu à la
conclusion qu'à cette allure, il existe de fortes possibilités
que la majorité du peuple québécois vote en faveur de la
séparation du Québec du reste du Canada et ce, dès les
prochaines élections. En conséquence, il invitait les anglophones
à faire droit aux revendications du Québec et des francophones.
Il les invitait dès maintenant à envisager la possibilité
d'une formule d'entente au point de vue d'une union douanière ou d'une
union économique, genre Marché commun.
C'est là une possibilité. Il n'y a pas seulement le
témoignage de M. Hees mais il y a eu d'autres témoignages
également. Nous voulons souligner ici au premier ministre qu'il faut
envisager cette question sans complaisance, sans sentimentalité,
simplement comme une hypothèse qui peut parfaitement se vérifier
dans les faits au cours des prochaines années. Il faudrait en tenir
compte lorsqu'on négocie un texte qui, par définition, dure
beaucoup plus longtemps que la vie de n'importe quel gouvernement. Il faudrait
en tenir compte dans l'éventualité où cette
hypothèse se réaliserait et dans l'hypothèse où le
changement, la rupture, le bris ou la
séparation employez l'épithète que vous
voudrez devrait se faire dans les conditions les plus pacifiques, les
plus rapides et les plus efficaces possibles.
Il faut donc ménager l'avenir, envisager froidement cette
hypothèse et faire en sorte que le gouvernement du Québec ne
rende pas, par ses omissions ou par ses actions, ce transfert de
souveraineté possible, dans la mesure justement où c'est à
Ottawa que serait maintenant le siège de la souveraineté. Ceci
est important parce qu'il y a eu positivement ces déclarations, ces
témoignages qui se sont accumulés. Il y a eu, négativement
parlant, l'exemple dont on a beaucoup parlé: du Biafra, l'exemple du
Bengla Desh où on a vu qu'une situation qui n'a pas été
prévue ou qui comporte plusieurs inconnues peut évoluer dans
certaines directions. Il y a aussi les témoignages contradictoires de
certains membres du gouvernement fédéral. A mots voilés,
ou à mots couverts, on envisage diverses possibilités qui vont
d'un emploi massif de la force chez certaines personnalités,
jusqu'à une négociation pacifique, démocratique d'un
nouveau contrat d'association chez certaines autres personnalités. C'est
donc là une hypothèse qu'il importe d'envisager dès
maintenant quand on discute un texte constitutionnel qui a une portée
historique prolongée.
J'encourage le premier ministre à penser à cette
hypothèse aussi, pas seulement dans le cas de l'hypothèse
indépendantiste que je viens d'évoquer, mais également
dans le cas de l'hypothèse fédéraliste. Je suis sûr
qu'il a lu comme moi le témoignage au comité conjoint de la
Constitution du Sénat et de la Chambre des communes, du professeur
Léon Dion qu'on ne peut certainement pas suspecter d'allégeance
au Parti québécois. C'est un professeur dont les options
fédéralistes sont très bien connues. Dans son
témoignage au comité conjoint du Sénat et de la Chambre
des communes, le professeur Léon Dion a fait valoir l'argument que
même dans une perspective fédérale, il importait que le
principe du droit à l'autodétermination soit accepté pour
toutes les provinces et en particulier pour le Québec et soit inscrit
dans la Constitution.
Il y voyait même une garantie, une condition de survie de la
fédération.
Je voudrais simplement ici citer quelques-unes de ses phrases: "Je ne
vois qu'un principe qui serait susceptible non seulement de rallier les
Canadiens, mais encore de servir de pierre d'assise à la
réalité politique de demain, c'est le principe
d'autodétermination pour le Québec et pour toute autre province
qui pourrait vouloir s'en prévaloir. Ce principe
d'autodétermination a l'avantage d'être à la fois normatif
et fonctionnel. Il ne préjuge ni de la réalité
sociologique du pays ou de ses parties constituantes ni de l'avenir du
fédéralisme canadien. Il ne signifierait pas pour le
Québec la séparation automatique d'avec le reste du pays, mais il
l'obligerait cependant à s'attaquer enfin de façon
sérieuse et méthodique à la réforme radicale des
conditions qui maintiennent les Québécois dans une situation
d'infériorité jugée par eux irritante et
intolérable."
Cela dépasse donc de loin l'hypothèse
indépendantiste. Je pense que ça rejoint des
éléments qui existent actuellement dans tous les partis du
Québec, que ce soit votre parti, M. le premier ministre, ou l'Union
Nationale ou le Parti créditiste. En somme, c'est une question qui peut
dépasser les partis jusqu'à un certain point, qui
intéresse notre mentalité même de Québécois,
notre destin historique. C'est la raison pour laquelle, pour toutes ces
motivations dont les unes sont actuelles, les autres sont historiques, les unes
sont accidentelles, les autres sont permanentes, il importe, quand on va
négocier un nouveau contrat constitutionnel, d'envisager ce
problème dans toutes ses facettes, aussi bien éternelles
qu'actuelles. C'est la raison pour laquelle nous nous permettons de revenir sur
les parties de notre mémoire qui incitent le gouvernement du
Québec à faire tout en son pouvoir pour faire inscrire ce
principe du droit à l'autodétermination, sinon dans tel ou tel
article de la Constitution, du moins dans son préambule. C'est
d'ailleurs la place logique où ce principe du droit à
l'autodétermination devrait figurer puisque, selon même l'opinion
des fédéralistes les plus chevronnés, c'est justement une
des conditions essentielles, une des conditions mêmes de la survie du
fédéralisme canadien. En même temps, cela aurait
l'avantage, au cas que vous ne souhaitez pas, mais qui peut parfaitement se
produire, d'une séparation du Québec du reste du pays, de
faciliter la renégociation d'un nouveau contrat d'association entre le
Québec et le Canada dans les conditions les plus justes, les plus
pacifiques et les plus démocratiques.
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai répondu la semaine
dernière à la question du droit à
l'autodétermination. Mais je peux poser une question au
député de Bourget. Est-il d'accord, si mon information est bonne,
avec la déclaration de Jacques-Yvan Morin qui, lui, serait d'accord sur
la formule d'amendement si elle contenait le droit à
l'autodétermination?
M. LAURIN: Je n'ai pas lu l'article de Jacques-Yvan Morin, mais ce que
j'exprime ici est la position du Parti québécois.
M. BOURASSA: Mais je vous pose la question.
M. LAURIN: Je ne l'ai pas lu.
M. BOURASSA: Non, mais si vous ne l'avez pas lu, répondez
à ma question directement.
M. LAURIN: Je ne peux pas vous répondre sur quelque chose que je
n'ai pas lu.
M. BOURASSA: Non, mais est-ce que vous seriez d'accord?
M. LAURIN: Sur quoi?
M. BOURASSA: Sur la formule d'amendement, ce qu'a proposé
Jacques-Yvan Morin, si elle contenait le droit à
l'autodétermination?
M. LAURIN: Je n'ai pas dit que je serais d'accord nécessairement
si elle contenait le principe du droit à l'autodétermination.
C'est sûr que ça contribuerait à nous la rendre plus
sympatique, mais je ne pense pas que je puisse m'avancer plus loin que
ça.
M. BOURASSA: Ce n'est pas loin! M. le Président, j'ai
répondu la semaine dernière sur le droit à
l'autodétermination, qui est un problème politique.
J'ai dit que je ne vois pas comment, d'aucune façon, le
gouvernement fédéral, quel qu'il soit, s'il veut avoir un minimum
de stabilité politique dans le marché commun canadien,
refuserait, s'il y avait une majorité de Québécois qui
optaient pour la séparation, une volonté québécoise
démocratique. Ce serait...
M. LAURIN: Je ne comprends pas que vous aimiez vous mettre dans la peau,
dans les bottes du gouvernement fédéral. Quand vous serez
à Victoria, vous serez là au nom des Québécois.
Vous aurez une conception du Québec à défendre et une
conception du fédéralisme en tant que Québécois. M.
Dion est québécois aussi, c'est un fédéraliste.
Mais il a une conception du fédéralisme à défendre
qui peut être dans les meilleurs intérêts du
fédéralisme que vous voulez tous défendre.
Et pour en revenir à cette formule du principe de
l'autodétermination, bien sûr, nous avons d'autres
considérations à faire valoir, d'autres améliorations et
j'y viendrai tout à l'heure. Mais il est bien sûr que, pour nous,
ce principe de l'autodétermination constitue l'acquisition ou la
concession majeure que nous voudrions voir figurer dans un nouveau texte
constitutionnel.
Après ça, les autres arrangements, les autres concessions
seraient moins importantes et il serait plus facile de trouver des
accommodements. Car une fois l'essentiel acquis, il est plus facile de
s'entendre sur des points mineurs. Quand l'essentiel est omis ou quand
l'essentiel est rejeté, nous sommes obligés de nous rabattre sur
des points mineurs pour essayer de refaire la bataille majeure à propos
des points mineurs.
M. BOURASSA: Alors, si je comprends bien le député, la
formule per se ou intrinsèque est une bonne formule puisque le reste
serait des points mineurs.
M. LAURIN: Je ne pense pas que vous puissiez aller jusque là
puisque le principe d'autodétermination jusqu'ici, d'après les
rapports qu'on a eus...
M. BOURASSA: Ils sont limités.
M. LAURIN: ... n'a jamais été inclus dans la formule
d'amendement.
M. BOURASSA: Si on élimine la question du principe de
l'autodétermination, si j'ai bien compris le député, le
reste...
M. LAURIN: Si vous m'avez bien compris, la reconnaissance de ce principe
du droit à l'autodétermination, si elle fait partie de la formule
d'amendement, à ce moment-là elle nous semblerait acceptable.
M. BOURASSA: Si le principe d'autodétermination était
juridiquement inclus, même si en pratique il existe, le
député serait prêt à accepter la formule.
M. LAURIN: Si c'est inclus dans le texte constitutionnel.
M. CHARRON: Moi, je mettrais deux conditions.
M. BOURASSA: Donc, la formule est bonne. Sauf pour cette question, le
député admet que la formule est bonne.
M. CHARRON: Je mettrais deux conditions.
M. BOURASSA: M. le Président, je pose une question au
député! Je réponds aux questions.
M. LAURIN: C'est-à-dire que si le principe du droit à
l'autodétermination était inclus dans le texte final de la
Constitution que le Québec aurait à accepter, la formule serait
plus acceptable. Je ne dis pas qu'elle serait bonne. Il semble que cette
question de répartition des pouvoirs pour les fédéralistes
que vous êtes, resterait encore très problématique
puisqu'il y a plusieurs points où la répartition des pouvoirs
n'est pas à la satisfaction des Québécois. Mais là,
ce n'est plus notre optique...
M. BOURASSA: On ne parle pas du contenu de la formule, M. le
Président. Le député saute de la répartition des
pouvoirs au principe d'autodétermination...
M. LAURIN: Je vous l'ai dit, et c'est parfaitement logique de penser que
pour nous l'essentiel est le droit à l'autodétermination parce
que nous savons que le Québec sera un jour souverain. Pour ceux qui
pensent encore que le Québec ne sera pas un jour souverain, la question
de la répartition des pouvoirs prend toute son importance. Et la formule
d'amendement devrait être discutée à la lumière de
ce qu'elle permet, de nouvelles attributions des pouvoirs que le Québec
juge essentiels.
M. CHARRON: Si le premier ministre me permet une observation. Si, dans
la négociation avec Ottawa, vous obteniez que le droit à
l'autodétermination soit inscrit dans le préambule d'une nouvelle
Constitution, et si, deuxième point aussi important que le premier, une
nouvelle répartition des pouvoirs était entendue, divisée
entre les différents paliers du gouvernement, laquelle
répartition accorderait au Québec toutes les priorités que
nous avons échelonnées dans notre vie collective depuis une
dizaine d'années au fur et à mesure les communications
sont les dernières ajoutées, etc. alors je pourrais
très bien accepter. Je me fiche éperdument d'accepter la formule
d'amendement.
Parce que la formule d'amendement telle qu'elle est
rédigée actuellement, garantit le statu quo. Et si nous nous
sommes opposés au fait qu'elle figure au départ à l'ordre
du jour c'est que, si on accepte d'abord ça, toute la répartition
des pouvoirs devra y passer et dans la formule actuelle aucun des pouvoirs
majeurs sur lesquels vous négociez ne viendrait au Québec, d'une
part, et le droit à l'autodétermination essentiel au
Québec ne serait pas reconnu.
Si vous obteniez ce genre de gain là...
M. BOURASSA: Il s'imagine que le parti au pouvoir...
M. CHARRON: ... je serais prêt à l'accepter parce que la
formule d'amendement ne voudrait plus rien dire à ce
moment-là.
M. BOURASSA: Mais ce que dit le député...
M. CHARRON: Nous pourrions utiliser notre droit à
l'autodétermination lorsque le partage des pouvoirs sera jugé
insuffisant par le Québec.
M. BOURASSA: M. le Président, le député dit que la
formule d'amendement perdrait toute signification si on s'entendait sur le
partage des pouvoirs. Comme j'ai dit la semaine dernière, ça
évolue continuellement. Il peut arriver qu'on ait besoin d'autres
pouvoirs dans quinze ou vingt ans. Qu'on prenne l'exemple des communications.
Alors, je pense que le député, je ne sais pas s'il se rend compte
de ce qu'il dit, mais il veut dire qu'on pourrait geler le partage des pouvoirs
indépendamment des découvertes qui pourraient être faites
éventuellement.
M. CHARRON: Je dis, si vous êtes "poigné" dans ce
système-là, actuellement, je suis convaincu qu'une fois
que...
M. BOURASSA: Je ne comprends pas là.
M. CHARRON: ... vous allez donner aux Québécois...
M. BOURASSA: Vous voulez geler la question du partage des pouvoirs?
M. CHARRON: Oui, parce que je suis convaincu que si le droit à
l'autodétermination est inscrit dans le préambule du
Québec et s'il est inscrit suffisamment de pouvoirs aux mains du
Québec pour lui donner le goût à cette
autodétermination...
M. BOURASSA: Oui, mais ça évolue, ça.
M. CHARRON: ... la formule d'amendement n'a plus aucun sens parce
qu'elle n'appartiendra plus à notre vie collective. Elle ne sera plus un
obstacle à aucun moment.
M. BOURASSA: Mais, M. le Président, ça évolue le
partage des pouvoirs.
M. CHARRON: Oui.
M. BOURASSA: Il peut arriver que dans dix ans...
M. CHARRON: Le goût de l'autodétermination aussi va
évoluer.
M. BOURASSA: Bien oui, c'est ça. Alors, c'est tout ou rien. Parce
qu'on sera gelé avec un partage des pouvoirs en 1971, il nous restera
seulement le droit à l'autodétermination en 1980. C'est ce que
propose le député. Parce qu'il dit: Si on règle le partage
des pouvoirs, la formule elle-même on s'en fiche.
M. CHARRON: Le droit à l'autodétermination sera utilisable
à ce moment-là.
M. BOURASSA: Oui, mais pourquoi pas?
M. CHARRON: Le jour où la formule d'amendement deviendra un
obstacle à l'éventualité d'une mouvance perpétuelle
entre les deux gouvernements, il y aura toujours la possibilité de
recours au droit à l'autodétermination.
M. BOURASSA: De toute façon...
M. LAURIN: Même dans votre perspective, M. le premier ministre,
une fois que vous aurez accepté une formule d'amendement qui vous
donnera certains pouvoirs, que ce soit en sécurité sociale, que
ce soit en communication, vous serez obligé d'admettre avec moi que ce
sera très difficile d'aller chercher de nouveaux pouvoirs avec la
formule d'amendement que vous avez là qui demande l'assentiment de six
provinces, des bassins de population majoritaire à l'Est, à
l'Ouest. Même dans votre perspective, j'hésiterais infiniment
avant d'accepter cette formule.
M. BOURASSA: On a obtenu de nouveaux pouvoirs de 1960 à 1966.
M. CHARRON: A 1963.
M. LAURIN: Justement, depuis 1966, c'est arrêté, c'est
gelé parce que les fédéralistes se sont rendu compte que,
s'ils continuaient à glisser sur cette pente, c'était la mort de
la Confédération.
M. BOURASSA: On verra.
M. LAURIN: Vous êtes bien optimiste.
M. CHARRON: Il n'y a pas de "on verra". On voit très bien
actuellement.
M. BOURASSA: De toute façon, le problème du partage des
pouvoirs, je pense...
M. LAURIN: Pour résumer, ce qui nous intéresse c'est la
reconnaissance du principe du droit à l'autodétermination. Ce qui
nous intéresse ensuite, mais d'une façon beaucoup moindre, parce
que là nous nous plaçons dans votre cadre à vous, c'est de
ne pas empêcher par une formule d'amendement qui gèlerait
prématurément notre situation, la conquête ou la
reconquête, par le Québec, de pouvoirs additionnels.
M. BERTRAND: M. le Président, le premier ministre nous donne
à peu près les réponses qu'il a fournies l'autre jour.
Je me rappelle que l'autre jour, toutefois au tout début, au
milieu et à la fin, il a dit que cette formule d'amendement était
sujette... c'était une question de forme. On pourrait discuter longtemps
sur la question de forme. J'ai exprimé une opinion l'autre jour. A
l'heure actuelle, il est clair qu'il faut onze gouvernements à peu
près pour amender la constitution quand il s'agit de questions
importantes; avec la formule actuelle, il y en aurait sept. C'est encore sept
clés pour ouvrir le cadenas. Au lieu de onze. Cela ne change pas
beaucoup le problème de ce côté-là.
M. BOURASSA: C'est moins pire.
M. BERTRAND: C'est moins pire! C'est moins pire, mais il en faut sept
quand même.
M. BOURASSA: Oui, mais nous sommes dans une
fédération.
M. BERTRAND: Qu'on la déclare, comme je l'ai dit moi-même
que cette formule est plus simple, plus flexible, qu'elle reconnaît les
grandes régions géographiques du Canada. Tout cela est correct.
Mais quand on en a discuté l'autre jour, je pense, que nous avons
été assez unanimes du côté de l'Opposition, du
moins, à dire qu'il fallait d'abord s'entendre sur une constitution
acceptable; d'abord. Et à ce moment-là, il est normal que vienne
s'y greffer par la suite une formule d'amendement, soit pour boucler tout ce
qui ce sera produit là quant à l'avenir; acceptons cela. Mais
d'abord une constitution acceptable. Or, le premier ministre, en réponse
aux questions posées par le député de Chicoutimi comme
à celles posées par le député de Bourget, au sujet
d'une nouvelle répartition des pouvoirs, par exemple, dans quels
domaines le Québec va insister, quelle sera sa position? Le premier
ministre a été de ce côté-là assez flou. Je
crois qu'il doit lui-même le reconnaître. Il fait appel à ce
moment-là aux sentiments, un peu, en disant: Bien, je suis obligé
d'adopter une stratégie. Tout cela est correct, mais il ne faut pas
oublier qu'il y en a d'autres ailleurs qui adoptent des stratégies. La
visite de M. Turner, les déclarations de M. Sharp. Tout cela fait partie
d'une stratégie. Cela fait partie comme on dit en langage vulgaire "de
la game". C'est une "game" qui s'annonce dure. On voit le climat qu'on lui
prépare.
Et je regrette infiniment qu'il n'ait pas protesté contre les
déclarations en Chambre de M. Sharp...
M. BOURASSA: Je n'ai pas eu le temps de les lire.
M. BERTRAND: ... à propos de l'ordre du jour. Protester, c'est
aller plus loin que de dire que ce n'est pas établi encore.
M. BOURASSA: Je n'ai pas eu le temps de les lire, M. le
Président.
M. BERTRAND: Lisez-les et demain... M. BOURASSA: M. le
Président...
M. BERTRAND: ... ou lundi dès votre première rencontre
avec eux, protestez.
M. BOURASSA: M. le Président, si je peux invoquer un point
d'ordre. Souvent on pose toutes sortes de questions sur des déclarations
qui sont faites à la Chambre des communes ou dans les Assemblées
législatives. Toutes les fois que cela a été fait, j'ai
fait venir le texte des réponses que ce soit du premier ministre du
Canada ou d'autres ministres, et le texte complet révélait que le
sens qui était donné n'était pas du tout le même
quand on lisait toute la réponse.
Je ne suis pas pour continuellement à chaque fois qu'il y a une
déclaration qui est faite par un ministre fédéral examiner
le texte complet. J'ai exprimé le point de vue du Québec
très clairement hier après-midi et je l'ai
répété cet après-midi et qu'on interprète
les propos de M. Sharp d'une façon ou d'une autre, ce qui compte pour
nous c'est que l'ordre du jour n'est pas fixé et que
précisément la conférence de lundi et de mardi a pour but
d'en discuter.
Je ne vois pas comment M. Sharp peut dire que l'ordre du jour est
fixé parce qu'il doit être au courant qu'il y a une
conférence lundi et mardi pour en discuter.
M. BERTRAND: La même chose au sujet de M. Turner et ses
périgrinations à Londres. Il y a un document, et là je ne
me base plus seulement sur les propos du premier ministre, mais un peu sur ce
qu'il a dit, l'autre jour, d'une manière pas trop précise, que la
formule d'amendement, bien, était liée à l'attitude du
gouvernement fédéral au sujet d'amendements à la
Constitution relativement à la politique sociale. Mais là, je
prends un document du 9 février 1971, Conférence
constitutionnelle, troisième séance de travail. Les conclusions.
Partie deux: Politique sociale.
M. BOURASSA: Quelle page?
M. BERTRAND : Malheureusement elles ne sont pas
numérotées, mais c'est la partie deux: Politique sociale.
Je ne lis pas tout le premier alinéa: "La conférence...
parce que le Québec a exprimé son point de vue à ce
moment sur la politique sociale et je lis au milieu de ce paragraphe :
"La conférence se déclare en accord avec cet objectif social
fondamental. Le Québec souligne le fait que le partage actuel des
compétences législatives ne saurait être maintenu s'il fait
obstacle à la réalisation de cet objectif. Aussi, le
Québec estime-t-il que la question de la politique sociale constitue un
élément fondamental de l'ensemble de la révision
constitutionnelle." De fait, j'arrête là.
M. LAURIN: Vous l'aviez d'ailleurs reconnu à la dernière
réunion.
M. BERTRAND: Et vous l'avez reconnu l'autre jour. La formule
d'amendement dans mon esprit et dans l'esprit du gouvernement du Québec,
semble-t-il, est liée à ce problème fondamental. Le
premier ministre répond-t-il à cette question?
M. BOURASSA: J'ai répondu la semaine dernière.
M. BERTRAND: Est-ce qu'il veut répondre à cette question
très précise basée sur le texte?
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai répondu la semaine
dernière dans le texte à plusieurs reprises et dans le
texte initial que le Québec ne voulait pas se contenter de
régler les questions de forme et qu'il était également...
et M. Trudeau a dit lui-même lors de sa conférence
télévisée que le Québec insistait, outre la
question de la formule d'amendement, pour avoir le règlement d'autres
questions. Dans ces questions-là, c'est clair qu'il y a lieu de
considérer la politique sociale.
M. LAURIN: Pour nous confirmer votre position, est-ce que vous pourriez
nous donner lecture du texte de l'amendement à l'article 94 a) que vous
nous avez dit l'autre jour avoir proposé au gouvernement
fédéral?
M. BOURASSA: Cela doit être discuté lundi et mardi.
M. LAURIN: Vous nous en aviez donné une bonne idée la
dernière fois. Ne pourriez-vous pas l'expliciter un peu plus?
M. BOURASSA: On pourra peut-être vous en donner une meilleure
idée la semaine prochaine ou à la conférence de
Victoria.
M. CHARRON: Que ferez-vous lundi si les neuf autres provinces et le
gouvernement fédéral sont d'accord sur l'ordre du jour
annoncé par le premier ministre intérimaire?
M. BOURASSA: Il ne l'a pas annoncé. Est-ce que le premier
ministre intérimaire... Moi, je n'ai pas eu le temps de suivre le
Hansard.
M. BERTRAND: Est-ce que le premier ministre veut se procurer le journal
des Débats à Ottawa? Il va trouver cela au texte.
M. BOURASSA: Si j'ai le temps, je le lirai, mais...
M. BERTRAND: Il y a certainement quelqu'un dans son entourage qui l'a en
main.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce n'est pas une question pour le premier
ministre d'avoir le temps ou pas le temps.
M. BOURASSA: J'ai reçu une lettre du premier ministre du Canada
discutant de l'ordre du jour. Je ne vois pas comment le premier ministre
intérimaire...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, mais voici, M. le Président. Je
comprends que le premier ministre a des échanges épistolaires
avec le premier ministre du Canada, mais quand les déclarations du
premier ministre du Canada ne concordent pas avec celles qui sont faites en
Chambre par ses ministres, particulièrement M. Sharp, le premier
ministre a le devoir de prendre connaissance immédiatement de cette
évolution d'une pensée d'ailleurs fuyante du gouvernement
central. C'est sa responsabilité stricte, cela, avant d'aller à
Victoria. Ce n'est pas à Victoria qu'il va régler les
problèmes une fois que tout sera cuit.
M. BOURASSA: M. le Président...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il a dit l'autre jour je ne sais pas
dans quel journal qu'il ne devait pas revenir les mains vides. Alors
qu'il se prépare à ramasser le plus tôt possible.
M. CHARRON: On va vous le lire. En réponse au
député Valade, M. Sharp a dit qu'il n'était pas question
de donner priorité à la question du partage des pouvoirs entre
Ottawa et les provinces et que l'ordre du jour ne subirait pas de
changement.
M. CLOUTIER (Ahuntsic): Ce n'est pas dans le Hansard. C'est dans un
journal.
M. LAURIN: Oui, mais dans les échanges que vous avez eus...
M. CHARRON: C'est vrai qu'il a été ambigu avec les
journalistes...
M. LAURIN: M. le premier ministre, dans les échanges...
M. BOURASSA: Je trouve que nous perdons notre temps à
discuter...
M. CHARRON: Vous, vous allez le perdre lundi en allant là-bas
alors que tout est fixé d'avance.
M. LAURIN: M. le premier ministre, dans les échanges que vous
avez eus avec le premier ministre du Canada, est-ce qu'il vous a proposé
un ordre du jour? Si oui, lequel?
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai reçu une lettre du
premier ministre du Canada avant son départ...
M. LAURIN: Est-ce qu'il vous proposait un ordre du jour?
M. BOURASSA: ... proposant un ordre du jour dans lequel se trouve la
politique sociale.
M. LAURIN: A quel endroit?
M. BOURASSA: M. le Président, je ne peux pas donner plus de
détails puisque, pour l'instant, ces documents-là sont
confidentiels. Tout ce que je puis dire, c'est qu'il y a des propositions
d'ordre du jour. Il y a des suggestions qui sont demandées aux
provinces. Entre M. Sharp et M. Trudeau, je pense que je vais prendre la lettre
de M. Trudeau qui, lui...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Trudeau est en Russie actuellement. M.
Sharp est à Ottawa.
M. BOURASSA: M. Trudeau est le premier ministre du Canada.
M. CHARRON: Ce sont les vues du fédéralisme,
ça.
M. BOURASSA: M. le Président, on peut parler des heures et des
heures...
M. LAURIN: Vous ne pouvez pas nous dire si l'article 1, c'est la formule
d'amendement?
M. BOURASSA: ... sur les prétendues contradictions entre M. Sharp
et M. Trudeau, on cite Montréal-Matin, on cite...
M. CHARRON: C'est entre les vôtres et M. Sharp.
M. BERTRAND: Si le premier ministre veut bien se procurer le journal des
Débats du gouvernement d'Ottawa, il lira au texte...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il devrait.
M. BERTRAND: ... la déclaration de M. Sharp, comme c'est la
réponse qui a été donnée en Chambre...
M. BOURASSA: De toute façon...
M. BERTRAND: ... au sujet du voyage de M. Turner à Londres.
M. BOURASSA: Moi, ça me paraît très clair que
l'ordre du jour n'est pas fixé et je me base sur un document officiel et
non pas sur un rapport de journal, je me base sur une lettre du premier
ministre du Canada demandant des suggestions au premier ministre du
Québec pour l'ordre du jour; nous en discuterons lundi.
M. le Président, malheureusement je ne pourrai pas siéger
ce soir, je sais que le député de Bourget a des questions
à poser dans le domaine linguistique et dans d'autres secteurs.
M. LE PRESIDENT: Pour le bon ordre, je m'excuse...
M. BERTRAND: Etant donné que le gouvernement du Québec a
considéré comme un élément fondamental la politique
sociale du gouvernement, je crois de mon devoir, pour le dossier, de lire cette
déclaration très courte de M. Castonguay qui malheureusement
n'est pas ici cet après-midi, lors de la conférence des ministres
du Bien-être social en janvier 1971. "Conscient, déclarait-il, de
la réalité sociologique et culturelle particulière que
présente le Québec, et de la nécessité de la
formulation et de la mise en oeuvre d'une politique sociale globale
intégrée qui en tienne compte, le gouvernement du Québec
croit que la politique sociale présente un caractère
d'unicité qui s'accommode mal d'un chevauchement de juridictions
risquant d'engendrer la poursuite d'objectifs différents et même
contradictoires. Par politique sociale, le gouvernement du Québec entend
l'ensemble des politiques dans chacun des domaines suivants:
sécurité du revenu; main-d'oeuvre; services sociaux, y compris
ceux qui sont reliés à l'administration de la justice; services
de santé, y compris les mesures de financement telles
l'assurance-hospitalisation et l'assurance-maladie; habitation et loisirs;
aussi le gouvernement du Québec croit-il essentiel d'avoir une
responsabilité prioritaire dans la conception de la politique sociale et
partant dans celle de toutes ses composantes de façon que cette
politique soit conforme aux objectifs et
aux priorités de la société
québécoise dont il doit au premier chef assurer
l'épanouissement. "Par responsabilité prioritaire dans la
conception de la politique sociale nous entendons la primauté du pouvoir
de légiférer ou même dans certains cas l'exclusivité
d'un tel pouvoir, ceci n'entrafne pas toutefois de façon
nécessaire la primauté dans le financement et l'administration
des diverses mesures".
J'aurais aimé, quant à moi, que le ministre des Affaires
sociales qui est absent sans doute, je le sais, pour une raison, pour de
bons motifs ...
M. BOURASSA: Il est à Montréal.
M. BERTRAND: ...nous explique les mots des deux dernières
phrases, lorsqu'il déclare: "Ceci n'entraîne pas toutefois de
façon nécessaire la primauté dans le financement et
l'administration des diverses mesures". Il n'est pas ici, nous aurons
peut-être l'occasion d'en reparler, mais c'est parce que ça fait
suite à la déclaration qu'il fait au nom du gouvernement du
Québec d'une responsabilité prioritaire et parfois même
l'exercice d'un pouvoir exclusif et il ajoute ces deux lignes-là.
Je n'ai pas besoin de dire que sur ce problème-là on
connaît déjà l'opinion de M. Trudeau. Il a maintes fois
déclaré devant moi, il l'a déclaré également
dans un texte qui est rapporté par le Devoir le 11 février 1971:
"Le premier ministre Trudeau a déclaré hier au Communes que son
gouvernement n'avait nullement l'intention d'abandonner son droit de verser une
assistance financière directe aux Canadiens". Et ça concerne tout
le domaine...
M. BOURASSA: Il n'y a pas de contradiction.
M. BERTRAND: ...de la sécurité sociale.
M. BOURASSA: Quelle est la déclaration de M. Trudeau? "Nullement
l'intention d'abandonner...
M. BERTRAND: ...son droit de verser une assistance financière
directe aux Canadiens". Il a ajouté que le gouvernement
fédéral avait le droit de donner de l'argent aux citoyens comme
il le fait en vertu de plusieurs régimes, dont celui des allocations
familiales et qu'il ne s'en départirait pas. Voilà la position de
M. Trudeau.
J'y ajoute la position qu'avait exprimée M. Thatcher telle qu'on
la rapporte dans le Soleil et la Presse du 9 février 1971: "Le premier
ministre Ross Thatcher de la Saskatchewan a une fois de plus fait figure du
plus grand adversaire des revendications du Québec hier, à
Ottawa, au cours de la première journée de la conférence
constitutionnelle. Il s'en est pris cette fois-ci aux exigences du gouvernement
du Québec en matière de sécurité sociale. Si
Ottawa, déclare-t-il, abandonne les pouvoirs réclamés par
le Québec, la Saskatchewan est d'avis que la Confédération
ne pourrait survivre. Notre province n'acceptera jamais de telles
propositions."
Alors, M. le Président, j'invite encore le premier ministre,
avant l'acceptation d'une formule d'amendement à la Constitution, quelle
qu'elle soit, à exiger une répartition des pouvoirs substantiels
mieux adaptée aux besoins au Québec moderne et d'un Canada de
1971. C'est là la position de notre parti. Cette formule doit venir
après mais non pas avant.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président...
M. LE PRESIDENT: Si vous le permettez, le député de
Mégantic avait demandé la parole.
M. DUMONT: Je voudrais, M. le Président, que le premier ministre
consulte le journal des Débats du mardi 25 mai. Le premier ministre par
intérim y avait déclaré textuellement que l'ordre du jour
de la Conférence de Victoria ne subirait pas de changement. Vous pourrez
voir si c'est simplement une déclaration de journalistes ou de journaux
et constater que la déclaration a été faite à la
Chambre des communes. Il ajoutait: "Ainsi, il n'est pas question de donner
priorité à des questions du partage des pouvoirs entre Ottawa et
les provinces." Je pense qu'il est nécessaire d'établir...
M. BOURASSA: Avez-vous le texte complet de sa réponse?
M. DUMONT: Oui, je l'ai. Je pourrai vous donner une photocopie tout
à l'heure de tout ça.
M. BOURASSA: Si vous vouliez me le faire parvenir.
M. DUMONT: J'ai déjà pris des notes personnelles.
M. BOURASSA: Est-ce qu'il a dit que l'ordre du jour était
fixé?
M. DUMONT: Il a déclaré que l'ordre du jour de la
conférence de Victoria ne subirait pas de changement. Je me demande donc
si, lundi, vous allez apprendre par la voix du premier ministre
intérimaire, si c'est lui...
M. BOURASSA: Par rapport à quoi?
M. DUMONT: ... qui va conduire à cette conférence de
Victoria ou si ce sont les provinces. Il ajoutait...
M. BOURASSA: L'ordre du jour n'a pas été changé par
rapport à quel ordre du jour?
M. DUMONT: Prouvant que l'ordre du jour était établi par
lui.
M. BOURASSA: Non, mais si c'est lui qui a dit que l'ordre du jour...
M. BERTRAND: La discussion sur la formule d'amendement...
M. BOURASSA: ... n'a pas été changé, cela veut
dire...
M. DUMONT: L'ordre du jour ne subirait pas de changement. Probablement
qu'elle demeure secrète en attendant que vous connaissiez l'ordre du
jour.
M. BOURASSA: M. Le Président, si on veut perdre son temps
à discuter des déclarations...
M. CHARRON: S'il a eu la réponse des neuf autres provinces comme
quoi il était d'accord sur l'ordre du jour...
M. BERTRAND: Lundi ou mardi, soyez "sharp".
M. DUMONT: Il n'est pas question de donner priorité à la
question du partage des pouvoirs entre Ottawa et les provinces. C'est ce qui
est à établir lundi. Est-ce que c'est le premier ministre par
intérim qui va conduire à cette conférence de Victoria ou
si ce sont les provinces?
M. BOURASSA: Il ne sera plus premier ministre par intérim. M. le
Président, est-ce que le député de Mégantic partage
le point de vue du chef de l'Opposition, si je peux me permettre de lui poser
une question? Est-ce que, quant à lui, la formule est flexible,
avantageuse mais que, quant à son application, elle devrait être
retardée après le règlement de points majeurs? Est-ce que
le député de Mégantic...
M. DUMONT: Si vous allez à une conférence quand l'ordre a
été établi...
M. BERTRAND: J'aime bien que le premier ministre qui peut se sentir mal
pris, c'est normal, quand on veut établir une stratégie...
M. BOURASSA: C'est ce qu'il a dit.
M. BERTRAND: Toutes les formules peuvent être, à un moment
donné, quand on a la Constitution que l'on souhaite, acceptables. Si
cela fait plaisir au premier ministre, toutes les formules, n'importe laquelle.
Quand j'obtiens ce que je veux, j'accepte une formule après.
M. BOURASSA: On a parlé de la formule en soi.
M. BERTRAND: Elle est plus flexible, moins compliquée,
Jacques-Yvan Morin l'a dit, et aussi plusieurs commentateurs. Ce n'est pas
parce qu'ils l'ont dit que je le répète, je l'avais dit avant
eux. On l'avait dit immédiatement après la conférence de
février.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre, M. le
Président...
M. DUMONT: Ce n'était qu'un préambule. J'avais une
question directe à poser au premier ministre.
UNE VOIX: ... le député de Mégantic.
M. DUMONT: M. le Premier ministre, lors de la dernière
conférence.
DES VOIX: Il faudrait aller voter. DES VOIX: C'est pour le quorum
ça!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Envoyez une estafette pour voir s'il y a assez
de députés libéraux en Chambre !
M. DUMONT: Le premier ministre, lors de la dernière
conférence, a soutenu qu'en raison des responsabilités
financières accrues des provinces, ces dernières devraient
assumer une part de l'administration des banques à charte. Appuyé
par M. Bennett, il a été proposé que le conseil
d'administration de la Banque du Canada soit nommé par les gouvernements
de chacune des cinq régions et par le gouvernement canadien. Est-il dans
l'intention du premier ministre de discuter à nouveau de cette question
primordiale, du côté emprunt, qui grève le budget de la
province de Québec que les banques à charte, tel que vous l'avez
suggéré, considérant...
M. BOURASSA: L'article 16 de la Banque du Canada ne permet pas aux
provinces d'emprunter...
M. DUMONT: Justement est-ce à l'ordre du jour que vous avez
l'intention de soumettre, si on accepte un ordre à établir avec
le premier ministre du Québec, le droit de discuter de cette proposition
appuyée par le premier ministre de la Colombie-Britannique?
M. BOURASSA: Ce que vous voulez est si on soumettra que les prêts
sans intérêt de la Banque du Canada pourraient être
discutés à la conférence de Victoria? Il est fort
possible, évidemment, on le verra lundi ou mardi, que les
problèmes économiques actuels du Canada soient discutés
à la conférence de Victoria. Plusieurs premiers ministres l'ont
déjà demandé et je suis d'accord avec eux. Et,
certainement que, dans la discussion, on pourra étudier cette question
du rôle de la Banque du Canada dans la relance économique des
différentes régions.
M. DUMONT: Vous êtes allé plus loin, M. le premier
ministre, et vous avez...
M. BOURASSA: Vous n'avez pas répondu à
ma question tantôt, par exemple, M. Dumont.
M. DUMONT: Oui. C'est parce que vous parliez avec le chef de
l'Opposition. Le projet de décentralisation...
M. LE PRESIDENT (Bacon): A l'ordre! M. le député de
Mégantic, si vous permettez, il y a un vote en Chambre. Est-ce qu'on
pourrait suspendre les travaux.
M. DUMONT: Une dernière question. Je pense que ça se fait
assez brièvement, le vote en Chambre...
UNE VOIX: Il sera assez content qu'il y ait un vote...
M. DUMONT: Le projet d'examiner très sérieusement
le...
M. BOURASSA: Ce n'est pas moi qui ai demandé le vote à
l'Assemblée nationale, c'est l'Opposition, M. le Président.
UNE VOIX: Il aime bien ça!
M. DUMONT: Le projet de décentralisation administrative des
banques à charte...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Sauvé par la cloche !
M. DUMONT: ... de l'Allemagne et de l'Autriche. Est-ce que vous avez
l'intention, aussi d'étudier cette question?
M. BOURASSA: Il y a une décentralisation bancaire en Allemagne
qui a produit d'excellents résultats. J'avais déjà
parlé de ce système des banques centrales et des banques
régionales. Et si c'est opportun de le faire à Victoria dans le
cadre de la discussion économique, ça pourrait comporter des
suggestions valables.
M. DUMONT: Une dernière question. Est-il possible, M. le
Président, que comme votre prédécesseur, vous demandiez un
emprunt de $100 millions à la Colombie-Britannique, lors de votre
passage à Victoria?
M. BOURASSA: On n'en a pas besoin, M. le Président.
M. DUMONT: C'est emprunté d'hier!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, pour la gouverne de la
commission, après le vote nous revenons ici.
M. BOURASSA: D'accord! Mais je dois prévenir les
députés que malheureusement ce soir je ne pourrai pas
siéger. Alors ce sera remis à la semaine prochaine ou à la
semaine suivante.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais nous ne pouvons pas siéger sans
vous?
M. BOURASSA: Bien, ce serait...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il y a un premier ministre intérimaire
à Ottawa. Le ministre des Affaires culturelles pourrait nous renseigner
sur la politique linguistique.
M. BOURASSA: Je peux vous permettre de discuter des crédits des
Affaires culturelles ce soir. Alors nous allons au vote et nous
reviendrons.
M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de
Chicoutimi.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je voudrais reprendre
la question de l'autodétermination telle qu'elle a été
posée tout à l'heure par le député de Bourget.
Cette question d'autodétermination, il est bien facile d'en convenir, si
le député de Bourget a lu tout ce qui s'est publié sur le
sujet, que son parti n'innove rien là-dedans. En effet, le
problème avait été posé par M. Johnson dans un
livre qui est resté célèbre: "Egalité ou
indépendance."
Je voudrais, partant de là et reprenant sensiblement les
idées du chef de l'Opposition officielle, poser quelques questions
très brèves au premier ministre. Je sais qu'il doit partir
bientôt.
M. BOURASSA: Prenez votre temps.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): On a une demi-heure, ça va durer une
demi-heure. Alors, le premier ministre a évidemment rejeté comme
toute le monde la formule Fulton-Favreau. C'est exact?
M. BOURASSA: Oui, certainement.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Là, nous sommes d'accord!
M. BERTRAND: D'ailleurs il va vous interrompre s'il n'a pas ce qu'il
veut.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Avant qu'il ne s'apprête à
rejeter la formule Bourassa-Turner ou Trudeau-Turner, je voudrais lui poser
quelques questions...
M. BOURASSA: Le chef du Parti québécois l'avait
acceptée.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, je voudrais lui poser quelques
questions qui pourraient nous fournir des...
M. CHARRON: ... instruits là-dedans.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... des motifs
de rejeter cette formule si tant est qu'il veuille en discuter avant
d'aborder les autres questions dont nous avons parlé. Est-ce que le
premier ministre accepte ou reconnaît ce que tout le monde a
accepté depuis longtemps la thèse des deux nations?
M. CHARRON: Comme Martial Asselin. M. BOURASSA: C'est votre
question?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Enfin je la pose comme ça. Voici, si le
premier ministre admet la thèse des deux nations, il admet en même
temps que le Québec est le foyer principal de l'une de ces nations. Et
par voie de conséquence, le premier ministre admet que cet Etat, qui est
le foyer principal de l'une des nations dont nous parlons, doit avoir la
liberté de s'autodéterminer et d'avoir pour cela les moyens de le
faire. Cela il ne peut le réaliser que par l'élaboration d'une
nouvelle Constitution qui institutionnaliserait la thèse des deux
nations, les pouvoirs souverains que devrait avoir cet Etat qui est le foyer
principal de la nation canadienne-française.
Alors, je veux voir le premier ministre me dire s'il accepte la
thèse des deux nations, s'il admet que le Québec est le foyer
principal de la nation canadienne-française, ce qui, implicitement
l'amènera à admettre le principe d'autodétermination et
tout ce qui en découle dans le domaine des partages des pouvoirs. Et je
voudrais finalement l'interroger sur l'attitude qu'il entend prendre à
Victoria, en ce qui concerne les droits linguistiques, à partir de
certaines recommandations d'une commission qui a proposé qu'on fasse du
Québec un district bilingue, etc.
Comme je sais que le ministre des Affaires culturelles est à
élaborer une politique globale de la langue, j'imagine qu'il est venu
à l'esprit du premier ministre de poser à Victoria le
problème linguistique à ses homologues des Etats membres de la
fédération et au grand chef du gouvernement central, M. Trudeau.
Est-ce que le premier ministre pourrait répondre à mes petites
questions?
M. BOURASSA: Alors sa dernière question c'était...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, la première.
M. BOURASSA: Non, mais celle...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): La première, est-ce que le premier
ministre admet la thèse des deux nations?
M. BOURASSA: M. le Président, je ne peux pas faire autrement que
référer...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, non. Je ne demande pas qu'il me
réfère à quoi que ce soit.
M. BOURASSA: ...le député de Chicoutimi au programme du
Parti libéral.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je demande au premier ministre...
M. BOURASSA: Je suis le chef du Parti libéral.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais dépouillons ça, justement,
du contexte politique partisan. Ne parlons pas de nos programmes respectifs et
de tous les bazars.
M. BOURASSA: Il s'adonne que le Parti libéral...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je demande au premier ministre une chose
très simple.
M. BOURASSA: ...c'est lui qui gouverne.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que le premier ministre accepte la
thèse des deux nations?
M. BOURASSA: Le député...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que ça ressort de son programme
politique puisqu'il veut y référer?
M. CHARRON: Dans votre programme, il y avait 100,000 emplois, vous ne
l'avez pas respecté.
M. BOURASSA: M. le Président... à la demande du Parti
libéral. Attendez à la fin de 1971. Vous parlez trop vite. Je
serai ici jusqu'à la fin de 1971.
M. CHARRON: Est-ce que vous...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre ne devrait pas se laisser
distraire.
M. BOURASSA: Le député de Saint-Jacques soulève la
question des 100,000 emplois.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre ne devrait pas se laisser
distraire et concentrer toute son attention sur la question très simple
que je lui ai posée. Est-ce qu'il accepte la thèse des deux
nations...
M. BOURASSA: M. le Président...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ...sans référer au document du
Parti libéral?
M. BOURASSA: ...c'est le document du Parti libéral. Le Parti
libéral a quand même,
pour un certain temps et je pense, pour plusieurs années encore,
la responsabilité du pouvoir...
M. LAURIN: Fédéral ou provincial?
M. BOURASSA: Le Parti libéral du Québec. Il est clairement
exprimé dans le programme du Parti libéral...
M. LAURIN: C'est une succursale.
M. BOURASSA: ...il est fait mention de la vocation distincte du
Québec. Je crois également qu'on parle de deux
sociétés ou deux communautés. Le député est
au courant de tous les débats qui ont eu lieu sur ces
thèmes-là: nation, communauté, société. Ce
qui nous apparaît important nous, c'est d'exprimer comme on l'a fait dans
le programme du Parti libéral que le Québec a une vocation
distincte.
A la deuxième question...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, un instant. Je pourrais quand même
déduire de la réponse de l'élève Bourassa qu'il
admet la thèse des deux nations. De tout ce qu'il a dit, on peut
déduire ça.
M. BOURASSA: Ce n'est pas ça. J'ai parlé de la vocation
distincte du Québec...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais la vocation distincte du Québec
est fondée sur une réalité. C'est que le Québec
constitue une communauté...
M. BOURASSA: Le député a le droit à son
interprétation. Je respecte son point de vue. Il a le droit à son
interprétation.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, le premier ministre ne veut absolument
pas se prononcer là-dessus.
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai dit qu'il y avait eu de
très nombreux débats, on le sait. On parle de deux
communautés culturelles, deux communautés linguistiques, deux
sociétés, deux majorités. Je crois que l'ancien chef du
gouvernement...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, je vais reprendre ma question en
utilisant les termes du premier ministre. Puisqu'il dit que le Québec
est une communauté distincte, cela suppose tout un ensemble de
caractères linguistiques, culturels, sociologiques et patati et patata.
Il admet donc que le Québec a une vocation particulière.
M. BOURASSA: C'est dans le programme du parti.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pour réaliser cette vocation
particulière dans son intégralité si je peux me
permettre cette expression des spécialistes de la sociologie
est-ce que le premier ministre admet que le Québec, pour réaliser
cette vocation globale comme communauté distincte à vocation
particulière, doit avoir des moyens de s'autodéterminer dans le
sens de la réalisation de cet objectif qui est le sien, son objectif de
communauté distincte?
M. BOURASSA: On a les droits civils et ils ont le Common Law dans les
autres provinces.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, non, non. Un instant, c'est une
façon d'éviter la question. C'est bien facile de me dire: Il y a
le droit civil, il y a le Common Law et tout le truc. Je connais ça
depuis longtemps. Ce n'est pas le genre de réponse qu'on admet d'un
étudiant qui passe un oracle.
M. BOURASSA: Que veut savoir le député de Chicoutimi?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je veux savoir si le premier ministre admet,
partant de ses propres termes, que si le Québec constitue une
communauté distincte...
M. BOURASSA: Je viens de le dire.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... à vocation
particulière...
M. BOURASSA: Vocation distincte, vocation particulière.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... il est implicitement acquis dans l'esprit
du premier ministre que le Québec doit avoir, pour se réaliser,
un pouvoir d'autodétermination...
M. BOURASSA: Je ne sais pas...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... et que de ce pouvoir
d'autodétermination doivent découler des moyens de
s'autodéterminer.
M. BOURASSA: J'ai parlé la semaine dernière de la
sécurité culturelle qui était nécessaire aux
Québécois. J'ai dit la semaine dernière, et je peux encore
l'ajouter...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pas plus que cela.
M. BOURASSA: ...que le Québec ne pouvait pas, lorsque sa
sécurité culturelle était en jeu, faire en sorte que ce
soit un gouvernement qui n'est pas francophone qui décide de son avenir
strictement culturel.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui.
M. BOURASSA: Je ne sais pas ce qu'entend le député par
s'autodéterminer, mais je pense
que, dans le domaine culturel, il est clair et évident le
ministre des Affaires culturelles, qui est à mes côtés, l'a
exprimé à plusieurs reprises que le Québec n'est
pas une province comme les autres. Je vous l'ai dit au soir de
l'élection, le 29 avril.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je trouve cela magnifique.
M. BOURASSA: Je comprends que c'était triste ce soir-là
pour le député de Chicoutimi.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, oui. Ce soir-là, j'ai
écouté le premier ministre parce que c'était...
M. BOURASSA: Je l'ai dit en anglais à part de cela !
M. TREMBLAY (Chicoutimi): En anglais, oui, on vous l'avait dit au
congrès aussi: Parle anglais, Robert! vous avait dit Lesage.
Alors...
M. BOURASSA: M. le Président...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Effaçons, M. le Président.
M. BOURASSA: Si le député veut parler des
congrès...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre dit ceci...
UNE VOIX: Il va annoncer sa candidature!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre dit ceci...
M. BERTRAND: C'était trop visible, vous savez.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre dit ceci: "Il y a une
communauté culturelle distincte." Bon! Cela implique pas mal de choses
pour que...
M. BOURASSA: Vocation distincte du Québec.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vocation distincte du Québec. Pour
spécifier cette vocation distincte du Québec, le premier ministre
réfère précisément à ce problème de
la langue, de la culture qui spécifie et la communauté et la
vocation de cette communauté. Or, pour atteindre cet objectif dans le
seul domaine de la spécificité culturelle, le premier ministre
doit admettre que le Québec doit posséder les pouvoirs de
s'autodéterminer au moins dans ce domaine-là et avoir les moyens
de le faire. C'est pour cela que je lui demande ce qu'il va demander au
gouvernement central à la conférence de Victoria et ce qu'il va
soumettre aux autres Etats membres de la Fédération pour indiquer
sa volonté ferme de voir le Québec s'autodéterminer dans
ce seul domaine qu'il a indiqué tout à l'heure.
M. LAURIN: Est-ce que le premier ministre tient pour acquis le fait que
les trois Oppositions sont d'accord sur ce principe de
l'autodétermination?
M. COURNOYER: Il faudrait savoir si vous parlez de la même
autodétermination, vous et lui.
M. DUMONT: 54...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant. Un instant.
M. BOURASSA: Le ministre du Travail pose la question.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant. Le ministre du Travail, vous
êtes de l'autre côté de la table, mais en fait vous
êtes de notre côté.
M. LAURIN: C'est le premier ministre que j'interroge.
M. COURNOYER: Je veux savoir quand même...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il interroge le premier ministre en sa
qualité de...
M. COURNOYER: J'ai le droit d'intervenir pour aider le premier
ministre...
M. CHARRON: Aidez-le, parce qu'il est pas mal "poigné".
DES VOIX: Ho! Ho! Ho!
M. COURNOYER: Vous soulevez la question. Je veux savoir si vous employez
le sens d'autodétermination dans le même sens qu'il était
utilisé tantôt par le chef de l'aile québécoise.
Est-ce que c'est la même chose?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je vais répondre au ministre du Travail
de la façon suivante. J'emploie le mot "autodétermination"
exactement dans le sens que l'entendait le ministre du Travail quand il
défendait avec l'Union Nationale les idées de l'Union
Nationale.
M. BOURASSA: Temporairement, M. le Président.
M. COURNOYER: Je ne voudrais pas faire de jeu de mots parce que vous en
faites, je vais vous en faire quelques-uns moi aussi. Une chose est très
certaine, c'est que lorsqu'on parle d'autodétermination et qu'on lit les
articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique britannique du
Nord, il y a nettement des principes d'autodétermination dans les
deux articles, tandis que les principes d'autodétermination dont parlait
tantôt le député de Bourget sont totalement
différents.
M. LAURIN: Au sens où il entendait
l'autodétermination.
M. COURNOYER: Si vous parlez d'autodétermination, M. Tremblay,
dans le sens précis de savoir si, dans un domaine particulier, le
Québec devrait avoir le droit à l'autodétermination, moi
j'ai déclaré qu'en main-d'oeuvre on devrait avoir le droit
à l'autodétermination. En matière d'éducation, je
pense qu'il est clair qu'on doit avoir le droit à
l'autodétermination. Cela devrait être reconnu formellement dans
les textes. Dans certains cas du moins, les articles 91 et 92 sont nettement
des articles déterminant des champs d'autodétermination. Si la
culture n'est pas là-dedans, j'ai l'impression qu'elle devrait y
être.
M. CHARRON: Il ne faut pas confondre ici...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Partant de ce que le ministre...
M. CHARRON: ... l'autodétermination avec le partage des
pouvoirs.
M. COURNOYER: Oui, oui.
M. CHARRON: L'autodétermination, ça veut dire bien autre
chose. C'est de déterminer elle-même son statut politique. Ce
n'est pas simplement de diviser un droit. L'autodétermination n'est pas
quelque chose qu'on divise par secteurs...
M. COURNOYER: Est-ce que vous n'êtes pas d'accord, M. Charron, que
M. Tremblay le divise drôlement le droit à
l'autodétermination en nous amenant sur une partie importante de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique les articles 91 et 92?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je vais reprendre le problème.
M. COURNOYER: Il ne faut pas faire de sophismes comme d'autres en
font.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pour le minsitre du Travail, je vais faire
reprendre le problème.
M. BOURASSA: Prenez votre temps.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je dois me référer à
certains articles de la Constitution. On n'est pas satisfait de cette
Constitution-là, même en dépit du fait, comme vous le
dites, qu'on y reconnaisse certains principes d'autodétermination. Nous
allons poser le problème d'une autre façon et c'est comme
ça que je l'ai posé au premier ministre. J'ai dit: Est-ce que
vous acceptez la thèse des deux nations? Il ne répond pas.
M. BOURASSA: J'ai répondu.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je lui aurais demandé à ce
moment-là s'il m'avait répondu oui, j'aurais dit: Est-ce que
d'ailleurs, je lui ai posé la question vous admettez en
stricte logique, dès que l'on accepte l'idée que le Québec
a une vocation particulière, qu'il doit avoir tous les instruments
politiques et économiques pour réaliser cette vocation
particulière? Que le ministre du Travail réfère à
tel ou tel article de la Constitution, ça ne change rien au
problème puisque c'est justement de cette Constitution que vous allez
discuter à Victoria afin de la changer, de l'écarter
complètement, de la modifier, de l'amender, etc. Mais avant que de faire
ça, je veux savoir, moi, quelles sont les bases que le premier ministre
a choisies ou que son gouvernement a choisies. Est-ce qu'il a accepté de
mettre de l'avant la thèse de la reconnaissance pratique, officielle,
institutionnalisée des deux nations? Si le premier ministre est d'accord
pour dire: C'est ça qu'on va aller dire à Victoria: M. le premier
ministre, vous avez notre bénédiction apostolique, catholique et
romaine, parce que je sais qu'à ce moment-là...
UNE VOIX: Il n'y en a plus...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... il va réclamer tous les pouvoirs...
C'est pour faire plaisir à certains de mes amis qui ont
déjà travaillé avec la conférence des
évêques.
M. CLOUTIER (Ahuntsic): Il est beaucoup plus facile de réclamer
que de négocier.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis tout à fait d'accord avec le
ministre des Affaires culturelles, compte tenu des résultats qu'il a
obtenus. M. le Président...
M. CLOUTIER (Ahunctic): Nous en reparlerons.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... le député de...
M. COURNOYER: Chambly maintenant.
M. CHARRON: Il n'a été que cinq mois dans
Saint-Jacques.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... Chambly peut-il nous dire, lui, s'il admet
la thèse des deux nations et tout ce qui en découle?
M. COURNOYER: Vous voulez me prendre les culottes baissées.
M. BOURASSA: Je me demande où le député veut en
venir.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est embarrassant, hein? C'est parce que j'ai
posé le problème.
M. BOURASSA: Quelle est votre autre question?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): J'ai posé le problème.
M. BERTRAND: J'ai posé une question, j'aimerais avoir une
réponse là-dessus.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Parlez-nous des droits linguistiques.
M. BOURASSA: J'ai parlé de la vocation distincte du
Québec. Alors, quelle était votre question sur les droits
linguistiques?
M. LAURIN: Avant cela, il y avait une question que m'avait posée
le ministre Cournoyer. J'aimerais bien y répondre quand il me demandait
dans quel sens je prenais autodétermination. Je vais vous donner une
réponse à laquelle vous allez sûrement souscrire. Quand on
dit, par exemple, qu'il importe de reconnaître qu'il existe des droits
fondamentaux personnels, collectifs, qui sont antérieurs à toute
constitution et auxquels nulle majorité ne saurait légitimement
porter atteinte c'est notamment le cas des libertés
inhérentes à la personne humaine et du droit naturel des nations
ou des peuples à l'autodétermination vous allez
sûrement y souscrire parce que c'est la position de la
délégation du Québec le 24 juillet 1968 et, à ce
moment-là, vous en faisiez partie.
M. COURNOYER: Je vous demande pardon.
M. BERTRAND: Cela fait même partie des documents de travail que
nous avons déposés.
A l'heure actuelle quand on parle de ça, il y a trop de gens qui
s'imaginent tout de suite que quand on accepte le principe
d'autodétermination et je le dis à mes collègues du
Parti québécois les gens disent: Ils sont devenus
séparatistes. On fait le lien.
M. LAURIN: ... le montre bien.
M. BERTRAND: Je le note. Je l'ai dit l'autre jour,
l'autodétermination est un principe fondamental et je vais aller plus
loin que ça, reconnue ou non reconnue, la volonté d'un peuple ou
d'une nation qui s'exprime à l'occasion d'un
référendum...
M. BOURASSA: Reconnue par qui?
M. BERTRAND: ... j'ai dit "reconnue ou non reconnue".
M. BOURASSA: Vous l'avez dit la semaine dernière.
M. BERTRAND: Si la volonté d'un peuple s'exprime dans tel sens,
je peux m'autodéterminer, je l'ai déjà dit, ma position
est publique on m'en a souvent blâmé elle n'a pas
changé, elle est dans le sens d'un fédéralisme.
Malheureusement l'expression "fédéralisme ou
fédéraliste" a été tellement polluée qu'on
la relie à certain fédéralisme pratiqué par
certaines gens au gouvernement central. C'est pour ça que de moins en
moins on l'utilise. Mais je dis que je suis partisan d'un système
fédéraliste, à la condition que la diversité soit
préservée à l'intérieur d'un tel système et
j'y crois, au point de vue philosophique, au point de vue constitutionnel, dans
ce système-là, personnellement.
M. BOURASSA: M. le Président, sur la question linguistique...
M. BERTRAND: J'ai énoncé ce problème-là.
M. BOURASSA: Le député posait une question. Il a
voté pour le bill 63, est-ce qu'il propose que le bill 63 soit inclus
dans la Constitution?
M. BERTRAND: Si on me permet une seule allusion, je tiens à
féliciter le premier ministre d'une chose, c'est la réserve qu'il
a exprimée au nom du Québec sur le contenu de l'alinéa c)
dans le paragraphe concernant les droits linguistiques. Et vu qu'il vient de
faire allusion au bill 63, je dis au premier ministre que j'approuve sa
réserve et deuxièmement j'ai je n'ai pas à m'en
cacher, ça a été public présenté le
projet de loi 63; il a été clair à ce moment-là et
je l'ai déclaré en Chambre que ce n'était pas dans la
Constitution, c'était dans une loi du Parlement qui pouvait être
modifiée. J'avais même eu une rencontre avec les membres de la
commission Gendron et leur avais dit que s'ils avaient, à la suite de
leur enquête enquête dont le premier ministre attend le
rapport avec impatience des recommandations à nous faire dans un
sens contraire, que nous verrions à modifier ce projet de loi 63.
Quant à moi je suis heureux que le premier ministre ait
exprimé une réserve, mais j'aimerais qu'il réponde,
étant donné qu'il va y avoir une autre conférence,
à la question précise posée par mon collègue sur
les droits linguistiques.
M. BOURASSA: Quelle était la question?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je vais vous répéter la
question. Est-ce que, dans les discus-
sions que vous aurez à Victoria, ou dans les documents que vous
êtes en train de préparer pour ladite conférence
documents qui sont confidentiels, on le comprend il va être fait
spécifiquement mention de la volonté du gouvernement du
Québec d'élaborer une politique globale de la langue et d'autre
part d'aborder le problème des districts bilingues, tel que l'a
recommandé une commission au gouvernement central, recommandation qui
viserait à faire du Québec un district bilingue?
Tout à l'heure, le premier ministre m'a posé la question,
il a dit: Est-ce que vous n'avez pas accepté la loi 63? Non seulement je
l'ai acceptée, je l'ai défendue avec le premier ministre...
M. BERTRAND: On l'a défendue assez longtemps.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ...à ce moment-là. Nous avons
déclaré à l'époque que...
M. BERTRAND: On a tenu.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ...ce n'était qu'une étape de
l'élaboration d'une politique globale de la langue et même ceux
qui nous ont le plus combattus à ce moment-là au moment où
le ministre des Affaires culturelles a présenté la loi 64, le
ministre des Affaires culturelles a présenté cette loi qui
était appuyée sur un principe qui était exactement celui
de la loi 63. Or, les farouches adversaires de la loi 63 à ce
moment-là ont donné leur bénédiction catholique,
apostolique et romaine au projet de loi qui entérinait ce que nous
avions déjà fait.
M. BOURASSA: Est-ce que c'est vrai?
M. CHARRON: Chaque fois qu'on parle du bill 63, il se sent
piqué.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est le député de Saint-Jacques
qui a défendu à ce moment-là l'attitude du Parti
québécois.
M. BOURASSA: Est-ce que c'est ce que le député dit?
M. BERTRAND: Les prêtres l'ont été.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ils ont voté pour, ensuite.
M. CHARRON: Comme l'article 1 du bill 63 qui risque de disparaître
si vous l'acceptez...
M. BOURASSA: Oui, mais il y a une contradiction là.
M. CHARRON: ...l'article 2 du bill 63, celui qui consacrait le droit
à choisir l'école d'enseignement y compris pour les immigrants,
celui-là, je ne l'ai pas accepté. Ce n'était pas le cas
dans le bill 64 présenté par le ministre des Affaires
culturelles.
M. BOURASSA: Le député de Chicoutimi vient de soulever une
contradiction dans l'attitude du député de Saint-Jacques.
M. CHARRON: N'essayez pas de jouer aux journalistes qui cherchent des
problèmes...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre signe des
arrêtés ministériels. J'espère que ce ne sont pas
des choses de patronage. Mais entre deux arrêtés
ministériels, le premier ministre ne pourrait pas répondre
à nos questions.
M. BOURASSA: Je ne peux pas arrêter.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ne pourrait-il pas arrêter et devenir
ministériel?
M. BOURASSA: Le député d'Ahuntsic va...
M. CLOUTIER (Ahuntsic): M. le Président, la question du
député de Chicoutimi comporte deux parties. Il s'interroge
d'abord sur la position du gouvernement touchant les districts bilingues,
ensuite il se demande si le gouvernement présentera une politique
globale en matière linguistique. Quant aux districts bilingues, le
gouvernement a exposé de façon très claire sa position. Il
a dit qu'il s'opposait à toutes décisions qui auraient lieu
maintenant, étant donné qu'en février une discussion avait
été amorcée touchant la possibilité d'inclure dans
une éventuelle Constitution des dispositions générales
protégeant les droits linguistiques et que cette discussion devait
être reprise à la conférence de juin.
De plus, le gouvernement a également formulé des
réserves, des réserves sur le plan technique et sur le plan des
principes touchant cette formule des districts bilingues. Je rappelle
d'ailleurs que même le gouvernement fédéral n'est pas
lié par ces recommandations et que ces recommandations sont nées
d'une commission qui elle-même a été formée à
la suite de la Loi sur les langues officielles et qu'un bon nombre
d'événements ont eu lieu depuis. Sur le plan technique on peut
effectivement s'interroger sur la valeur de ces districts bilingues lorsqu'on
pense par exemple, qu'à cause du pourcentage retenu, 10 p.c, les
francophones de Toronto ne jouiront pas de cette protection alors que, dans une
petite ville où les francophones se retrouveront majoritaires, la
protection pourra être assurée. Par conséquent, on peut
s'interroger sur ce plan-là et se demander s'il ne faudrait pas mieux
tenir compte des chiffres absolus que des pourcentages.
Cet exemple est uniquement donné pour montrer qu'il s'agit
là d'une formule qui peut être discutée et doit
l'être, je crois. Egalement sur le plan des principes, j'ai
moi-même, au nom
du gouvernement, dit qu'on pouvait se demander jusqu'à quel point
il y avait intérêt à institutionnaliser une situation de
fait. Je rappelle d'ailleurs qu'il s'agit uniquement des services
gouvernementaux du point de vue fédéral qui, à ce
moment-là, devraient être dispensés en français et
en anglais.
Il est évident qu'au Québec il y a des régions
où il n'y a pas véritablement d'anglophones et, si on voulait
interpréter de façon rigoureuse l'esprit des districts bilingues,
il faudrait, à ce moment-là, que nécessairement tous les
fonctionnaires des services fédéraux soient mis en demeure de
rendre des services dans les deux langues. Pour ces raisons, des
réserves peuvent être formulées.
Quant à la deuxième partie de la question touchant une
politique globale, là il faudrait s'entendre sur les définitions.
D'une part, le premier ministre l'a signalé à plusieurs reprises,
il est normal d'attendre les rapports de la commission Gendron, commission qui
a été d'ailleurs instaurée par l'ancien gouvernement et
dont le mandat a été respecté par le gouvernement
actuel.
Il ne faudrait pas cependant s'attendre que cette commission puisse nous
arriver avec des recettes miraculeuses qui vont régler un
problème extrêmement complexe.
Je pense que déjà avec le programme "Français
langue de travail" on a, sinon une politique globale, l'amorce d'une politique
globale. C'est une politique réaliste et c'est une politique qui tient
compte de la marge de manoeuvre qui est la nôtre. A plusieurs reprises il
m'est arrivé d'essayer de définir le problème dans
l'espoir qu'en le définissant on pourrait plus facilement voir les
conséquences sur le plan des politiques à adopter. Il est
certain, et personne ne le niera, qu'il convient d'adopter des mesures de
protection envers la langue française qui est celle de la
majorité ici au Québec. Et je n'ai pas besoin de revenir sur des
faits bien connus touchant le taux de natalité et touchant
également le fait qu'en majorité les immigrants, ce qui se
comprend dans le contexte nord-américain mais ce qui doit tout de
même être modifié autant que faire se peut,
s'intègrent à la minorité anglophone.
C'est donc dire, M. le Président, qu'à la suite de ce
rapport il sera peut-être plus facile de voir clair. Mais dès
maintenant, j'ai clairement indiqué que nous n'arriverions certainement
pas avec des mesures spectaculaires et que nous considérions que
jusqu'ici le programme "Français langue de travail" suffisait
certainement pour nous permettre d'asseoir nos positions.
J'aurai l'occasion, au cours de la discussion des crédits, de
donner une idée des travaux de l'Office de la langue française,
travaux d'ailleurs commencés avec beaucoup d'efficacité sous
l'ancien gouvernement et auxquels le gouvernement actuel a tenté de
donner une impulsion nouvelle.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, M. le Président, suite aux
observations...
M. BOURASSA: Je crois que le ministre du Travail a...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... du ministre des Affaires culturelles, je
voudrais l'inviter c'est pour ça que j'avais posé la
question au premier ministre sur le problème des droits linguistiques
à suggérer au premier ministre de présenter au
gouvernement central des propositions ou indiquer clairement au gouvernement
central que, si d'aventure il acceptait les recommandations de cette commission
dont nous avons parlé sur la création du Québec district
bilingue, il se trouverait à se substituer au gouvernement du
Québec et à l'empêcher d'élaborer sa propre
politique de langue.
M. CLOUTIER (Ahuntsic): Je crois, M. le Président, que le
gouvernement en est très conscient et que le gouvernement prendra
certainement ses responsabilités.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Maintenant, je reviens à un autre
aspect du problème. Lorsque le ministre nous parle du français
langue de travail, je sais quelles sont ses idées à lui, mais
j'aimerais qu'il réconcilie sa position à lui, celle qu'il vient
d'exprimer, avec celle qu'a exprimée le ministre du Travail qui nous dit
que les travailleurs auraient liberté de choisir leur langue et que, par
un amendement au code du travail, on leur faciliterait ce choix.
Ce qui m'a paru être une contradiction avec les
déclarations que le premier ministre avait faites sur l'instauration
dans les plus brefs délais d'une politique globale de la langue,
particulièrement dans le domaine du travail.
M. CLOUTIER (Ahuntsic): Il n'y a aucune contradiction. J'ai
moi-même dit à plusieurs reprises que, s'il était
nécessaire de prendre des mesures soit législatives soit
réglementaires dans des domaines circonscrits, nous le ferions
certainement. L'exemple d'une initiative de ce genre a été
cité tout à l'heure lorsqu'on a fait allusion au bill 64.
M. LAURIN: M. le Président, pour en revenir à la
conférence constitutionnelle, dans l'énoncé des
conclusions, il était dit que...
M. BOURASSA: Le ministre du Travail...
M. LAURIN: ... Québec avait exprimé sa
réserve...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Le ministre du Travail.
M. COURNOYER: J'aurais une question à poser
précisément... Ma question au député de Bourget,
c'est que...
M. BERTRAND: On a un président autoritaire !
M. LE PRESIDENT: Le député de Chambly. M. BERTRAND: The
dictatorship...
M. CLOUTIER (Ahuntsic): Efficace en tout cas.
M. COURNOYER: Ma question au député de Bourget est
peut-être technique, et je ne voudrais pas qu'elle soit
interprétée comme étant technique. Si je ne me trompe ou
si je ne m'abuse, il semble qu'un pacte confédératif, de quelque
nature qu'il soit, soit celui de 1867 ou celui qui sera peut-être
discuté à la conférence du mois de juin, comporte des
engagements de certaines parties constituantes du pacte
confédératif, et des engagements qui ont un certain degré
de fermeté.
Comment puis-je réconcilier le droit à
l'autodétermination avec l'existence d'un pacte qui fait qu'il existe ce
pacte-là pour autant que les parties se sont liées à
certains engagements à respecter. On ne parle pas du contenu. Mais
comment peut-on concilier que je puisse signer un pacte et que le lendemain je
puisse en ressortir de ce pacte? Comment peut-on concilier cela?
M. LAURIN: C'est exactement ce qui se passe quand deux hommes
d'affaires, deux associés signent un contrat ensemble. Ils s'entendent
sur un certain nombre de droits, de devoirs, de formules d'association, et il y
a toujours une clause résolutoire à la fin qui dit que si le
contrat, dans son mode de fonctionnement, ne satisfait pas l'une ou l'autre des
parties, il y a une clause qui dit que l'on peut s'en donner avis, selon un
certain nombre de mois, dans une constitution cela pourrait être un peu
plus long, et on se garde le droit de résilier le contrat. C'est une
clause...
M. COURNOYER: Ce n'est pas le droit de résilier.
M. LAURIN: Bien oui. C'est ça le droit à
l'autodétermination.
M. COURNOYER: Mais un droit de mettre fin au contrat, à une date
assez précise dans le pacte lui-même.
M. LAURIN: C'est ça. C'est uniquement... M. COURNOYER:
C'est-à-dire que...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Comme le contrat que vous avez avec le Parti
libéral?
M. COURNOYER: Ou celui que j'avais à l'Union Nationale.
M. BERTRAND: Et où il n'y avait pas de clause résolutoire.
Et vous êtes autodéterminé quand même.
M. LAURIN: M. le Président, j'en appelle à votre
autorité.
M. COURNOYER: Mais est-ce que c'est bien comme ça la situation au
Québec depuis la dernière Confédération?
M. BERTRAND: ... ils deviennent constitutionnels.
M. LAURIN: D'ailleurs, M. le ministre, ce n'est pas seulement dans la
domaine...
M. BOURASSA: Le député de Saint-Jacques qui parle de la
disparition de l'Union Nationale.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, non, M. le Premier ministre, le
député de Saint-Jacques est jeune...
M. LAURIN: M. le Président, allez-vous faire preuve de votre
autorité encore une fois pour faire taire le premier ministre?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): A son âge...
M. BERTRAND: Le député de Saint-Jacques peut se permettre
de rêver.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... il croit encore les racontars.
M. CHARRON: Ce n'est pas de la projection, c'est de l'analyse.
M. LAURIN: M. le Président, pour continuer ma réponse
à M. le ministre, ce n'est pas seulement dans le domaine des affaires
que ces choses se passent. Il y a d'autres fédérations dans le
monde actuellement. Et dans la fédération, l'acte constitutif de
l'Union des républiques socialistes soviétiques, ce droit
à l'autodétermination est inscrit comme une
possibilité.
M. BOURASSA: Quelle fédération?
M. LAURIN: L'union des républiques socialistes
soviétiques.
M. BOURASSA: Vous pensez que c'est un droit réel?
M. LAURIN: Bien, pensez... M. BERTRAND: Il est inclus...
M. LAURIN: Pour en revenir à la question que je voulais vous
poser sur les questions linguistiques, également, dans
l'énoncé des conclusions, à la suite de la
conférence d'Ottawa, le Québec avait exprimé sa
réserve générale sur l'utilisation des deux langues
à l'école. Pour ça aussi je vous en félicite et
vous remercie.
Etant donné les mois qui se sont passés, vous avez
dû avoir le temps d'étudier les implications juridiques, les
implications politiques d'une pareille réserve, d'un pareil droit qui
sera inscrit dans une nouvelle Constitution. Est-ce que vous êtes
prêt maintenant à accepter de transformer cette réserve
générale en un refus définitif?
M. BOURASSA: Ce sera discuté, M. le Président, lundi et
mardi. Il y a eu des propositions qui ont été faites par nos
partenaires. Certaines propositions ont pour but de tenir compte du point de
vue du Québec. Nous sommes précisément à analyser
nous avons siégé au conseil des ministres hier, pour
examiner ces propositions, nous allons le faire de nouveau la semaine
prochaine, à mon retour d'Ottawa et je ne puis pas dire
aujourd'hui si la réserve générale se transforme dans un
refus définitif. Mais il est clair que l'inquiétude qui
était à la source de la réserve au mois de février
et à laquelle a fait mention tantôt le ministre des Affaires
demeure.
M. LAURIN: Vous vous rendez compte, par exemple, qu'en ce qui a trait
à la langue de l'école, ceci allait à l'encontre du
règlement numéro 6, le rendait inapplicable...
M. CHARRON: Anticonstitutionnel.
M. BOURASSA: J'ai lu votre mémoire à ce sujet. Vous disiez
également que cela pourrait empêcher le gouvernement du
Québec, éventuellement, d'inciter les immigrants à aller
à l'école française. C'est tout cela que nous
considérons. Le point de vue du gouvernement du Québec...
M. LAURIN: Est-ce qu'il est encore trop tôt pour vous,
d'émettre une opinion définitive à ce sujet?
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai dit au début de la
réunion que j'étais un peu mal à l'aise, mais que
j'acceptais quand même dans toute la mesure du possible de
répondre aux questions des membres de l'Opposition. Comme il y a une
conférence ministérielle lundi et mardi, je préfère
exprimer à ce moment-là, le point de vue du gouvernement du
Québec, quitte à répondre aux questions par la suite.
M. LE PRESIDENT (Brown): Est-ce qu'on ajourne, il est six heures?
M. BERTRAND: On va souhaiter un bon retour...
M. DUMONT: Est-ce qu'on va pouvoir préparer l'ordre du jour?
M. LAURIN: Est-ce qu'on ajourne à jeudi prochain, M. le
Président?
M. BOURASSA: Je verrai, M. le Président.
Vous pourrez consulter... Le chef de l'Opposition paraît...
M. BERTRAND: Le premier ministre ayant vécu déjà
les heures qu'il doit traverser, je pense qu'il serait de bonne guerre de lui
donner du temps libre. Nous aurons certainement l'occasion de l'interroger en
Chambre. Et d'ici, quant à moi, parlant au nom de mon parti, je suis
prêt à le libérer pour la conférence de Victoria, me
réservant le droit de poser des questions en Chambre à la suite
de la rencontre ou des rencontres qui auront lieu la semaine prochaine.
M. DUMONT: A votre retour d'Ottawa, nous aurons certainement quelques
questions pour préciser...
M. BERTRAND: Oui, nous aurons des questions à poser en
Chambre.
M. LAURIN: Il semble que ce serait dans l'ordre, surtout que vous avez
pris la décision de vous rendre personnellement la semaine prochaine,
étant donné l'importance de l'enjeu. Il y a quand même
trois semaines avant la conférence de juin.
M. BOURASSA: Deux semaines.
M. LAURIN: Nous sommes aujourd'hui le 27 et c'est le 16.
M. BOURASSA: Il reste deux semaines, oui. M. LAURIN: A peu près
trois semaines.
M. BOURASSA: Non, deux semaines. Il reste la semaine prochaine et
l'autre après.
M. LAURIN: Il me semble qu'il y aurait possibilité de tenir une
autre réunion, sinon le jeudi, un mardi ou un mercredi.
Je vous avais annoncé que j'avais d'autres questions à
poser sur des points touchés par le document qui est sorti de la
conférence constitutionnelle. Mais, à cause du vote et à
cause d'un certain nombre d'autres hasards de ces commissions, je n'ai pas eu
le temps de les poser, en particulier sur la cour Suprême, sur les droits
fondamentaux.
M. BERTRAND: J'avais aussi des remarques à faire
là-dessus. Mais je sais que le premier ministre a pris connaissance du
document de travail. C'est un document de travail, je l'admets, qui ne
représentait pas l'opinion définitive du gouvernement, mais il y
a des prises de position sur la cour Suprême. Il y a également le
pouvoir général du gouvernement d'Ottawa de dépenser. Il y
a tous ces problèmes-là.
M. LAURIN: Etant donné que le premier ministre pourrait
même utiliser certains des arguments de l'Opposition pour renforcer sa
position lorsqu'il rencontrera les neuf autres
premiers ministres, il serait peut-être dans son
intérêt de convoquer une autre réunion pour nous
entendre.
M. BOURASSA: M. le Président, je n'aurai pas d'objection si je
vois qu'il est opportun de discuter privément avec les chefs de parti.
Je pense que je l'ai fait ce matin.
M. BERTRAND: Si le premier ministre veut nous rencontrer à son
retour pour que nous puissions nous entendre là-dessus, nous pour- rions
voir à ce moment-là avec lui s'il y a lieu ou non de convoquer la
commission.
M. BOURASSA: D'accord. M. BERTRAND: D'accord?
M. BOURASSA: Parfait! Merci. Sine die pour l'instant.
M. LE PRESIDENT: Sine die. (Fin de la séance: 18 h 3)
ANNEXE
PROPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES FONDAMENTALES DU RALLIEMENT
CREDITISTE DU QUEBEC 1 ) L'abolition de la monarchie britannique au Canada.
2) Le rejet de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (loi
privée votée au Parlement de Londres et dont on ne trouve
l'original nulle part au Canada). 3) Les deux nations, (anglophone et
francophone) et la rédaction de la première constitution vraiment
canadienne. 4) Le droit à l'autodétermination de toutes les
provinces. D'où la création d'ETATS SOUVERAINS dans un
régime fédératif.
Chaque province et chaque Etat demeurent absolument libres
d'établir les politiques de leur choix. 5) Pour ce qui est du
Québec, la souveraineté étant acquise, nous exigerons
l'application des quatre points fondamentaux suivants, qui peuvent faciliter
l'application du Crédit social: a) le contrôle de son
crédit; b)le contrôle de son commerce; c) le contrôle de son
immigration; d)la prise en main de toutes ses sources de fiscalité. 6)
La souveraineté repose sur le propriété du Domaine
éminent.
ABOLITION DE LA MONARCHIE BRITANNIQUE ET DE SES
SYMBOLES AU CANADA
De tous les pays occidentaux modernes, le Canada est le seul qui
conserve des liens étrangers.
Intolérable et ne pouvant plus durer, cette situation est
contraire à la fierté naturelle des Canadiens de quelque origine
qu'ils soient.
Contraire également au rôle que le Canada joue sur la
scène internationale et à la place qu'il prétend tenir
dans le monde auprès de pays totalement souverains et dignes. Cette
situation crée souvent et régulièrement la confusion dans
l'esprit de la population des autres pays. C'est un fait reconnu de tous les
Canadiens qui voyagent à l'étranger, sauf en pays britanniques:
on ne peut
comprendre comment le Canada, prétendument souverain, reste
lié à la couronne britannique; le
gouverneur-général et tous les autres attributs de la Couronne
étant liés au concept colonial.
Cette situation freine également le développement de
l'esprit national, tout en étant une source de désunion et de
mésentente à l'intérieur même du Canada.
C'est pourquoi, le Ralliement créditiste du Québec exige
l'abolition sans conditions de la monarchie britannique et de tous ses
attributs, symboles et privilèges au Canada.
REJET DE LA CONSTITUTION ACTUELLE
L'une des principales prises de position du Ralliement créditiste
du Québec s'exprime par le rejet de la constitution actuelle.
ATTENDU que le Canada ne possède pas l'original de l'AANB,
communément appelé constitution canadienne, source de
confusion;
ATTENDU que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux
n'ont jamais pu s'entendre sur le rapatriement de la constitution
canadienne;
ATTENDU que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux
ne semblent pas devoir s'entendre bientôt sur une formule acceptable
d'amendements urgents et nécessaires;
ATTENDU que même amendée, elle ne saurait plus
répondre à l'évolution, aux besoins et aux exigences de la
société nouvelle; le Ralliement créditiste du
Québec propose le rejet ou l'abolition de l'AANB, communément
appelé constitution canadienne.
LES DEUX NATIONS
Le Ralliement créditiste du Québec fait sienne la
thèse des deux nations (anglophone et francophone), vivant et se
développant selon leur langue, leur religion, leur culture, leurs
aspirations.
En même temps, nous soutenons qu'il appartient à ces deux
nations de décider comment elles entendent cohabiter, dans la plus
grande harmonie possible, au Canada et dans les Etats souverains, ainsi que
dans les provinces éventuelles.
En acceptant la thèse des deux nations, dont l'une s'est
développée majoritairement au Québec avec des rameaux
souvent importants dans plusieurs provinces et l'autre se trouvant en
majorité dans les autres provinces du Canada avec un rameau important
dans le Québec, le Ralliement créditiste du Québec se
croit justifié de proposer une technique pour le choix des
délégués, qui auront pour mission de rédiger la
première constitution vraiment canadienne.
CHOIX OU NOMINATION DES DELEGUES
Voici quelle est notre proposition technique au sujet du choix des
délégués. Ce choix s'établit sur deux plans: 1)
Cinq délégués choisis par le gouvernement de chacune des
provinces. 2) Cinq délégués choisis par le groupement des
associations de la nation minoritaire (anglophone ou francophone) dans chacune
des provinces.
Pour ce qui est de la nomination des délégués de
chaque province, il n'y a aucun problème: chaque gouvernement nommant
ses délégués.
Quant à la nomination des délégués de chaque
nation minoritaire, elle se ferait au sein des associations. Elles pourraient
se réunir en assemblée plénière. Voici deux
exemples pratiques:
Le gouvernement du Québec nomme cinq
délégués francophones; les associations anglophones du
Québec choisissent cinq personnes parmi elles ou par
délégation.
En Ontario, le gouvernement nomme cinq délégués
anglophones: les associations francophones de cette province
délèguent cinq personnes choisies parmi elles ou par
délégation.
Et ainsi de suite dans chacune des provinces du Canada.
Cette technique du choix des délégués aux
conférences constitutionnelles assurerait une représentation
relativement juste et équitable des deux nations égales.
En s'inspirant principalement de nos propositions constitutionnelles,
ces délégués, au nombre de 100, auraient pour mission de
mener enfin, à son terme, dans le délai qui leur serait
fixé, un projet de constitution.
Ce projet ferait ensuite l'objet de deux référendums
populaires auprès des électeurs canadiens.
L'un, auprès des électeurs de la nation francophone
(d'après le recensement effectué avant la rédaction de la
nouvelle constitution); l'autre, auprès des électeurs de la
nation anglophone (même recensement), La question des majorités
à obtenir pour adopter ou rejeter la constitution proposée
devrait faire l'objet d'études du comité constitutionnel du
Ralliement créditiste du Québec.
LE DROIT A L'AUTODETERMINATION DE TOUTES LES
PROVINCES
La grande originalité de la proposition constitutionnelle du
Ralliement créditiste du Québec c'est que
l'autodétermination n'est pas réclamée pour le
Québec seulement ni ne s'applique au Québec seulement.
Jusqu'à maintenant, tous les autres partis,
fédéraux et provinciaux, ont toujours recherché des
solutions constitutionnelles qui tendaient à faire du Québec une
sorte de quémandeur au sein de la confédération.
EXEMPLES: la suggestion de l'ancien ministre libéral du
gouvernement Lesage, Paul Gérin-Lajoie, qui réclamait un vague
statut particulier pour le Québec; l'autodétermination du
Québec prônée par le NPD-Québec et qui a
été défaite lors du dernier congrès national du NPD
à Ottawa; la proposition Alie, qui aurait donné une place
à part au Québec au sein de la confédération
canadienne; la proposition souveraineté-association, qui ignore
totalement l'avenir des autres provinces du Canada et le sort du gouvernement
fédéral; la position équivoque du gouvernement
fédéral, qui fait semblant de favoriser le Québec au
détriment des provinces plus prospères, pour masquer la
centralisation. Equivoque également entretenue par le parti
libéral provincial.
Depuis quelques années, toutes les propositions qu'on a mises de
l'avant avaient donc pour but de faire du Québec une espèce de
réserve défavorisée par rapport aux autres provinces. Et
c'est autour de ce fait que bloquent et tournent en rond les conférences
fédérales-provinciales sur la constitution.
Le Ralliement créditiste du Québec, en proposant
l'autodétermination pour toutes les provinces canadiennes au sein d'un
Etat fédératif, EST LE PREMIER ET LE SEUL PARTI PROVINCIAL
à proposer une solution constitutionnelle qui intéresse toutes
les provinces, tout en revalorisant le Québec au détriment
d'aucune autre province, mais en rendant possible l'application du
Crédit social, particulièrement par les quatre points connus: le
contrôle du crédit; de son commerce; de son immigration; la prise
en main de toutes ses sources de fiscalité.
Ce que nous voulons donc, c'est que le droit à
l'autodétermination soit reconnu à toutes les provinces, sans
exception. Chacune aura le loisir d'accéder à la qualité
d'Etat souverain avec participation à la Chambre des Etats, ou de rester
une simple province de l'Etat fédéral.
Donc, fédération canadienne formée d'Etats
souverains et de provinces autonomes.
Rappelons que, dès le 4 avril 1971, le Conseil national du
Crédit social adoptait par résolution le principe du droit
à l'autodétermination de toutes les provinces du Canada. Dans le
discours qu'il prononça par après, monsieur Réal Caouette
fit écho à la reconnaissance du droit à
l'autodétermination en termes clairs et vigoureux.
Il ne nous appartient pas de fixer les modalités et les
mécanismes qui doivent régler les divers rapports entre les
provinces, s'il en restera, les Etats souverains et l'Etat
fédéral. Nous laissons cette étude à nos experts et
à ceux de l'extérieur du Ralliement.
NOS DOCUMENTS HISTORIQUES ET FONDAMENTAUX
EXTRAIT DE "REGARDS" AOÛT 1964, pages 4 et
5
Le Crédit social est associationnel
Il importe d'abord de se demander si le Ralliement a erré le 26
janvier 1964, lorsqu'il a réclamé l'autonomie financière
du Québec, le droit de contrôler son commerce, son immigration et
son autonomie fiscale.
Le comité politique croit qu'en fonction des objectifs
visés les créditistes ont le droit de réclamer la
disparition des entraves politiques et administratives qui empêchent
l'application du Crédit social si la disparition de ces entraves rend
possible et plus facile l'application du Crédit social et apporte au
Québec la libération économique et financière dont
il a besoin pour se réaliser pleinement.
Pour cela, il importe de se rappeler le premier principe du
Crédit social, la base de cette théorie.
Comme l'a défini le major Douglas à plusieurs reprises le
Crédit social est tout d'abord une philosophie, la philosophie de
l'association. "Social Credit, lit-on dans ELEMENTS OF SOCIAL CREDIT, is the
power of human beings in association to produce the result intended, measured
in terms of their satisfaction."
En 1934, lorsqu'il témoigna devant le Comité parlementaire
des banques à Ottawa, il définit ainsi le Crédit social en
exposant la provenance du dividende national:
La provenance du dividende peut s'expliquer de deux façons: l'une
est exprimée par cette phrase: "la plus-value automatique de
l'association..." "Le résultat de l'association est si important que
nous arrivons au stade où un nombre décroissant de personnes,
considérablement inférieur au nombre disponible, est en mesure de
produire la richesse nécessaire à l'ensemble. Le surplus de
richesses ainsi produites appartient à la société du fait
qu'il provient de la plus-value automatique de l'association. Le vrai
problème de notre époque consiste à monétiser cette
plus-value et à la distribuer. Voilà la base de la théorie
du crédit social.
Fondé sur l'association, le Crédit social n'est donc pas
fédéral ni provincial, ni municipal. Il est associationnel.
Mais alors pourquoi les créditistes ne font-ils que parler de
finance, d'argent, de monnaie et de crédit? Tout simplement parce que le
système financier actuel, le système bancaire que nous
connaissons, empêche la population de bénéficier des fruits
de son association et les accapare pour lui seul.
Quand bien même le Canada resterait uni; même si les
Canadiens de toute race font partie d'une seule et même famille d'un
océan à l'autre, les Canadiens n'obtiendront pas du Canada ce
qu'il faut et ce qu'ils attendent parce que le système financier
l'empêche; il capte et soustrait à son profit les
bénéfices de l'association.
Pour que les Canadiens bénéficient des fruits de leur
association, il est nécessaire de mettre le crédit financier en
rapport avec le crédit social, c'est-à-dire mettre l'argent en
rapport avec ce que les Canadiens fournissent et sont capables de fournir aux
Canadiens.
Mais ce qu'on affirme au Canada, on peut l'affirmer du Québec de
chaque province, de chaque entité régionale, de chaque groupement
lorsque ce groupe ou cette entité est capable d'obtenir pour ses membres
ce qu'ils peuvent mieux obtenir en unissant leurs efforts.
Dès lors, à qui s'adresser pour faire en sorte que le
crédit financier reflète le crédit social? Quelle
juridiction va faire en sorte de mettre l'argent au service des personnes
groupées en association?
Le fédéral? Les provinces? Les municipalités?
Dans les municipalités, les gens se groupent en association pour
régler des problèmes locaux. Mais on ne peut conclure qu'une
municipalité peut fournir à ses citoyens toutes les choses dont
ils ont besoin. Une municipalité est agricole. L'autre est industrielle.
Une est artisanale. L'une est centrée sur l'amiante, l'autre sur les
textiles, le bois, le papier ou l'aluminium, etc..
Dès lors, parce que l'économie des municipalités
n'est pas assez diversifiée, il est pratiquement impossible
d'établir à l'intérieur de leurs limites un système
assez complet des échanges pour satisfaire convenablement les besoins
des membres de l'association. On peut affirmer la même chose des
régions économiques comme la Mauricie, la région du
Saguenay et du Lac Saint-Jean, les Cantons de l'Est, etc.. Et même si ces
régions formaient des entités économiques assez
complètes, il leur manquerait les structures politiques et juridiques
capables de légiférer sur le bien de l'ensemble.
Mais si l'on envisage le Québec dans son entier, nous
découvrons qu'il constitue à la fois une entité productive
et économique capable de répondre aux besoins des membres de
l'association et qu'il possède aussi une entité politique
jouissant des pouvoirs nécessaires à l'application du
Crédit social.
Si c'était possible, il serait souhaitable de recourir au
fédéral en vue de règlementer le crédit et la
monnaie de façon à les rendre conformes aux
réalités, parce que tous les Canadiens en
bénéficieraient tout comme l'application du Crédit social
à toute la terre profiterait à tout le genre humain.
Mais on ne fait rien pour régler un problème en le
grossissant et il est plus facile de faire en sorte qu'un petit groupe agisse
au lieu de faire porter son action sur un groupe plus important.
La situation idéale est donc de trouver un groupe assez important
et complet pour répondre aux nécessités économiques
des participants mais assez limité également pour que les
citoyens intéressés puissent facilement s'organiser afin de voir
à leurs affaires.
Dès lors, nous concluons que l'entité économique
idéale pour réaliser les promesses du Crédit social est
celle qui dispose de richesses en quantité suffisante pour satisfaire
les besoins du groupe tout en possédant le pouvoir politique et
l'organisation sociale capables de faire en sorte que les citoyens jouissent de
tous les fruits de leur association.
Attendre que toutes les provinces agissent dans le sens du
Québec, c'est se condamner à l'inaction; c'est se résoudre
à ne pas profiter des bienfaits produits par l'association de toute la
population du Québec tendue vers un même objectif.
C'est pourquoi, le Comité politique conclut que le Ralliement a
choisi la voie la plus sûre quand il a décidé de faire
porter son action dans le champs provincial.
N.B. Cette étude, étant valable en 1964, a servi de base
à des études ultérieures qui ont permis de trouver la
solution que nous proposons maintenant. L'autodétermination à ce
moment-là était réclamée pour le Québec
seulement, alors qu'aujourd'hui, elle est proposée à toutes les
provinces canadiennes.
DOCUMENTS DU CONSEIL D'ORIENTATION ECONOMIQUE ET
DECLARATION DE M. JEAN LESAGE
EXTRAIT DE REGARDS, octobre 1964, page 1
Sous la signature de son président, M. LUCIEN JOUBERT, LE CONSEIL
D'ORIENTATION ECONOMIQUE, mis sur pied par le gouvernement Lesage, remettait
à ce gouvernement un rapport dans lequel, à la page 10, sous le
titre "LES POUVOIRS ET LIMITATIONS DU GOUVERNEMENT DU QUEBEC" le Conseil
analyse les moyens limités dont le Québec dispose pour orienter
et planifier son économie. A titre documentaire, nous reproduisons
quelques extraits de ce chapitre qui confirme les revendications du Ralliement
créditiste: "Proposition 8: Le gouvernement du Québec n'a pas
actuellement d'emprise sur certains instruments importants de contrôle de
son économie". a) LA MONNAIE: dans la mesure où l'activité
économique dépend de l'existence d'un medium universellement
accepté, cette activité est sous le contrôle exclusif du
gouvernement d'Ottawa. Le gouvernement du pays ayant le pouvoir
d'émettre de la monnaie et de réglementer les variations de la
masse monétaire en circulation, il a un contrôle direct sur
l'inflation, i.e; sur l'appréciation ou la perte de valeur de la monnaie
elle-même. La dette publique ou privée du Québec à
l'étranger, i.e; les engagements à long terme des
Québécois, vis-à-vis des étrangers, peut donc
varier sensiblement sans que le Québec y soit pour quoi que ce soit. b)
LES DOUANES: le gouvernement de la province n'a pas le droit de réserver
un marché par la douane à une quelconque industrie. Par contre,
l'entité économique que constitue la province peut être
sérieusement affectée par l'exercice de ce pouvoir par le
gouvernement du Canada, dans le cas, par exemple, où la douane
protège un produit important fabriqué ailleurs qu'au Canada et
qui ne l'est pas ou ne peut l'être à Québec pour une raison
ou une autre. c) LA FISCALITE: la constitution accorde à la province le
droit d'imposer uniquement des taxes directes. Mais ce droit appartient
également au gouvernement du Canada. Les deux gouvernements se partagent
le potentiel percevable aux fins des besoins respectifs.
Historiquement les prélèvements du gouvernement du Canada
ont grandi beaucoup plus vite que ceux du gouvernement du Québec,
principalement à la faveur des guerres, de telle sorte qu'actuellement
le gouvernement de la province touche une portion mineure (16 p. c. en 1962) de
l'impôt total payé par les individus et 22 pour cent de celui
payé par les corporations, contre 84 p. c. et 78 p. c. respectivement
perçu par la péréquation. Cette répartition
prévaut alors que les taxes sous toutes leurs formes ont atteint un
niveau sans précédent et elle a pour conséquence pratique
de geler la liberté théorique du Québec de subvenir
directement à ses besoins. Ces besoins excèdent
déjà largement les revenus et grandissent à un rythme
accéléré.
Le gouvernement d'une province ne peut donc aussi facilement que le
gouvernement du pays appliquer une politique de taxation discriminatoire
pouvant stimuler des secteurs spécifiques; le gouvernement du pays a ces
pouvoirs en vertu même de ses barêmes d'imposition. En
l'appliquant, il peut aller à rencontre même des
intérêts de la province. En effet, ses critères sont
à l'échelle du pays et il se peut que l'ensemble de l'industrie
localisée dans le Québec bénéficie d'un taux de
dégrèvement inférieur à celui qui est
accordé aux industries des autres provinces, compte tenu des taxes
payées au gouvernement du Canada par les Québécois, par
rapport à celles payées par les citoyens des autres provinces. d)
LE CREDIT: il s'agit ici de l'Institution du crédit comme prolongement
de l'instrument monnaie. Dans la mesure où l'activité
économique dépend d'un crédit dominé par le
système bancaire canadien et où ce système est amenable
à un contrôle quelconque, cette activité est
influencée par la seule action du gouvernement d'Ottawa sur les banques.
Ici, comme en matière de taxation, les considérations du
gouvernement d'Ottawa ne sont pas nécessaires dans le sens d'une
évolution d'une entité économique régionale
donnée. Ce point est particulièrement pertinent pour la province
de Québec dont le rythme de croissance doit dorénavant être
accéléré relativement à celui du reste du
pays."
N.B. Ce rapport a été présenté, le 21
décembre 1962, au lieutenant-gouverneur en conseil, soit au cabinet des
ministres.
LISTE DES MEMBRES DU CONSEIL D'ORIENTATION ECONOMIQUE
DU QUEBEC (1962).
Président: Me René Paré, président
général de la Société des Artisans,
Montréal.
Vice-président: Dr F. Cyril James, principal de
l'Université McGill, Montréal.
Membres: MM. Jean-Baptiste Lemoine, président de l'U.C.C,
Montréal.
Jean Marchand, président général de la C.S.N.,
Québec. Jean-Claude La Haye, urbaniste-conseil, Québec. Marcel
Bélanger, c.a., secrétaire, Faculté de Commerce de l'U.
Laval. H. Carl Goldenberg, c.r., Montréal. Jean-Baptiste Lebel,
industriel, Senneterre. Roland Parenteau, économiste, Montréal.
Frank Spénard, financier, Trois-Rivières. Paul Normandeau,
Ing.p., Montmagny. Gilbert M. Young, industriel, Lennoxville, P.Q. Aimé
Laurion, industriel, Granby. Rosaire Gendron, comptable,
Rivière-du-Loup. Mlle Huguette Plamondon, vice-prés., du
Congrès du Travail du Canada, Montréal.
Membres adjoints: MM. René Tremblay, conseiller du
président et sous-ministre de l'Industrie et du Commerce.
Jean-Claude Lessard, président de l'Hydro-Québec.
Ernest Mercier, sous-ministre de l'Agriculture.
Paul-Emile Auger, sous-ministre des Richesses naturelles. Directeur
général: M. Maurice Joubert, 684 est, Grande-Allée,
Québec. Secrétaire: Mlle Blanche Coulombe, 684 est,
Grande-Allée, Québec.
CE QUE DISAIT LE PREMIER MINISTRE LIBERAL DU QUEBEC, M. JEAN LESAGE, TEL
QUE RAPPORTE DANS LE DEVOIR DU 29 SEPTEMBRE 1964: "...le Canada français
exige une décentralisation véritable des pouvoirs, des ressources
et des centres de décision dans le régime fédéral.
Le Québec, comme je l'ai souvent dit, croit en l'harmonie que
créent la consultation et la discussion entre égaux, non pas
à l'harmonie venant d'une uniformité imposée par un
gouvernement central tout-puissant." "A l'heure actuelle, nous croyons nos
cadres politiques assez souples, surtout s'ils étaient adaptés
aux circonstances présentes, pour permettre la centralisation au niveau
du gouvernement québécois de tous les moyens nécessaires
au développement de la nation canadienne-française qui est
concentrée à l'intérieur de nos frontières. Ces
cadres politiques, fondés sur des réalités historiques,
géographiques et économiques, sont assez résistants pour
assurer la permanence d'un pays qui s'étend d'un océan à
l'autre."
NOTE : Les mots soulignés sont de nous.
EXTRAITS ET RESUMES DE L'OUVRAGE DE Me ANDRE
BOIS
"LES OPTIONS FEDERALES"
Cet ouvrage a été publié dans l'édition du
centenaire des CAHIERS DE DROIT de l'université Laval et
réimprimé par la LAW REVIEW of the University of British
Columbia, 1967.
LES OPTIONS FEDERALES INTRODUCTION ...Qualifier un Etat de
fédéral, c'est tenter de forcer une réalité
étatique très variable selon le temps et le lieu dans le moule
d'une catégorie trop rigide. C'est pourquoi, il vaut mieux aborder
l'étude d'un tel objet sans vérifier la conformité de cet
Etat avec l'archétype d'un fédéralisme quelconque. C'est
en vertu d'une telle méthodologie que certains considèrent la
participation des unités fédérées à la
formation de la volonté fédérale comme une condition
essentielle du fédéralisme, tandis que d'autres jugent qu'une
telle participation déroge à une des exigences du
fédéralisme en faisant obstacle à l'indépendance
entre l'ordre central et les Etats-membres. Abordé sous cet angle, le
problème suscite des considérations plus idéologiques que
scientifiques, plus subjectives qu'objectives. Or, la participation est une
réalité dans plusieurs pays et c'est donc positivement qu'il faut
d'abord la connaître, en tant que structure déjà
réalisée ou réalisable. Ce sera la méthode suivie
dans cet exposé où nous l'étudierons comme mode
d'organisation du gouvernement central d'un Etat décentralisé. La
participation des unités fédérées implique qu'une
autre structure existe déjà. On traitera donc en premier lieu du
phénomène de la décentralisation comme
générateur d'unités juridiques distinctes et autonomes,
éventuellement appelées à jouer un rôle dans le
gouvernement central par le mécanisme de la participation.
(André Bois, LES OPTIONS FEDERALES, page 12)
DECENTRALISATION ET PARTICIPATION DES ETATS
FEDERES
On parle de décentralisation et de participation comme deux types
de structure. Il y a deux types parce qu'il y a réponse à deux
ordres de problèmes. Le premier problème est de savoir quel
organe sera compétent à l'égard de la collectivité;
celle-ci sera-t-elle absolument une et soumise au même administrateur, au
même législateur, ou bien sera-t-elle fractionnée et
soumise à un législateur-administrateur différent selon la
matière concernée? On pose alors ce problème de la
compétence personnelle et on y répond par la centralisation ou la
décentralisation. Le second problème consiste à savoir
comment l'agent central s'organisera: à cela on trouve deux
réponses possibles, deux pôles entre lesquels se situent les
options fédérales appelées options de participation. Ces
deux pôles, ces réponses extrêmes sont, ou bien les
collectivités décentralisées participeront à
l'activité de l'ordre central ou bien ces collectivités ne
participeront pas du tout. Dans l'hypothèse de la non-participation, les
deux sortes d'agents agiront comme des entités complètement
séparées tel que le dispose la structure de
décentralisation. Dans l'autre cas, on verra une association
d'unités fédérées (si on permet le
pléonasme) qui joueront un rôle dans la "corporation centrale",
dans une unité juridique qui leur était originairement
étrangère.
(André Bois, LES OPTIONS FEDERALES, pages 18 et 19)
PARTICIPATION DES ETATS-MEMBRES A LA LEGISLATURE CENTRALE ...Un
agent local participe lorsque certains de ses actes qui affectent l'ordre
central peuvent lui être attribués. En raison d'un tel
critère, on constate que... les provinces canadiennes ne sont nullement
"représentées" dans la législature centrale car les actes
de cette législature sont prévus et habilités par l'acte
de 1867 comme des fonctions de l'ordre central et par conséquent
attribuable à celui-ci. Quant à la nomination des
députés à la Chambre des Communes, il s'agit d'un acte
attribuable seulement à l'électorat canadien, comme
collectivité centrale; de même l'acte de nomination des
Sénateurs est un acte attribuable au Souverain comme partie de la
législature centrale en vertu de l'article 24 de l'AANB 1867.
Donc, en dernière analyse, la participation des Etats-membres
à l'organisation de l'ordre central existera lorsque l'acte de
nomination des membres d'une partie de la législature centrale, la
Chambre des Etats, sera attribuable à chacun des ordres
centralisés. Corrélativement, la nomination des
députés à la Chambre populaire est attribuable à
l'ensemble de la collectivité considérée sous l'angle de
la centralisation. Par référence au critère établi,
la participation n'existe en droit qu'à cette étape de la
nomination car au niveau des procédures de décision, ni la
Chambre fédérale ni les délégués n'agissent
comme organes des Etats-membres: leurs actes au niveau de l'activité
normative sont attribuables à l'ordre central.
(André Bois, LES OPTIONS FEDERALES, pages 20 et 21 )
PARTICIPATION DES UNITES FEDEREES A LA NOMINATION
(résumé)
CANADA
Au Canada, le Sénat n'est pas du type fédéral. Au
départ, les nominations des membres du Sénat sont attribuables
à l'ordre central, puisque c'est un agent de l'ordre central qui le
fait, c'est-à-dire le gouverneur-général au nom du
Souverain et par instrument sous le grand sceau.
AUSTRALIE
La constitution du Commonwealth australien prévoit l'existence
d'un Sénat et la nomination de dix sénateurs par Etat (art. 7,
alinéa 3). L'acte de nomination de ces sénateurs est de la
compétence de chaque Etat qui vote en bloc sans qu'il y ait de
circonscriptions électorales (art. 7, alinéa 1)...
Chaque état nomme alors ses dix sénateurs.
SUISSE
Le mécanisme de participation est, en Suisse le Conseil des Etats
dont l'existence est prévue à l'article 80 de la constitution du
19 mai 1874. Les vingt-deux cantons envoient chacun deux
délégués ou "députés" au Conseil des Etats
et c'est la constitution qui précise que l'acte de nomination est
attribuable au canton selon l'art 80: "Le Conseil des Etats se compose de
quarante-deux députés des cantons. Chaque canton nomme deux
députés; dans les Cantons partagés, chaque demi-canton en
élit un".
ALLEMAGNE
La constitution du 23 mai 1949 a institué un mécanisme de
participation. En effet, "par l'intermédiaire du Conseil
fédéral, les pays participent à la législation et
à l'administration fédérales" (art. 50). Pour ce qui est
de la nomination des délégués, ce sont les gouvernements
des LANDER qui s'en chargent, soit en nommant un des membres du cabinet du
LAND, soit en nommant un fonctionnaire du Länd...
Les membres du Bundesrat sont donc pour la plupart des membres de
cabinets des LANDER et peuvent, à l'occasion, se faire remplacer. Ce
fait entraîne des conséquences importantes sur le plan politique:
en premier lieu, les délégués de BUNDESRAT étant
déjà des fonctionnaires des LANDER, ils se retrouvent dans un
état de liaison étroite avec leurs gouvernements envers lesquels
ils sont responsables; en second lieu, cette appartenance au gouvernement d'un
LAND implique la soumission aux instructions de ce gouvernement; en
troisième lieu, cette fonction de cette représentation est une
tâche secondaire pour un ministre de pays qui doit souvent nommer
à sa place des fonctionnaires spécialisés qui oeuvreront
dans les commissions du BUNDESRAT.
ETATS-UNIS
Dans l'Etat fédéral américain, le Sénat est
un véritable organe de participation. Malgré "certain" pouvoir du
Congrès en matière d'élection, il demeure encore bien
évident que les Etats conservent le contrôle de la nomination de
leurs délégués au Sénat.
(André Bois, LES OPTIONS FEDERALES, pages 21, 22, 23, 24, 25 et
26)
CINQ TRAITS CARACTERISTIQUES DE LA PARTICIPATION DES
ETATS-MEMBRES a) Le droit d'initiative; b) Les votes des
délégations: par membre ou par délégation. Sauf au
Bundesrat, les votes sont comptés individuellement. c) La position de la
Chambre fédérale par rapport à la Chambre des Etats:
égalité ou subordination. d) Les instructions aux
délégués: données par le gouvernements des
unités fédérées à leurs
délégués. e) L'égalité numérique des
délégations. Dans toutes les constitutions, sauf celles de Bonn
et de Weimar, l'égalité numérique est garantie.
Aux Etats-Unis: deux délégués par Etat; en
Australie: dix en Suisse: deux députés par cantons; en Allemagne:
en principe, délégations proportionnelles à la population
de chaque
Land.
(André Bois, LES OPTIONS FEDERALES pages 27, 28, 29, 30 et
31)
APPENDICE 1
DEFINITIONS DU DICTIONNAIRE
CONFEDERATION: union d'Etats souverains qui constitue une forme
transitoire dont l'aboutissant consiste soit en une dissolution, soit en sa
transformation en Etat fédéral.
FEDERATION: groupement d'Etats - succédant souvent
à une confédération - qui constitue une unité
internationale distincte, superposée aux Etats-membres, et à qui
appartient exclusivement la souveraineté externe.
APPENDICE 2
SCHEMA DE CE QUE POURRAIENT ETRE LES ASSEMBLEES LEGISLATIVES ET
REPRESENTATIVES DES ETATS SOUVERAINS, DES PROVINCES ET DU FEDERAL 1 ) des
Etats souverains et des provinces autonomes 2) dans un Etat
fédératif (républicain ou monarchique)
LES ETATS ET PROVINCES
LE FEDERAL
L'Assemblée nationale La Chambre des Etats La Chambre des
Communes
Membres élus par le corps Membres nommés et Membres
élus au suffra- électoral de chaque Etat
délégués par chacun ge universel par l'en- et province des
Etats-membres, se semble des électeurs ca- lon des normes à
fixer. nadiens.
Assure la participation des unités au régime
fédéral.