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Commission permanente de la constitution
Sujet: Conférence de Victoria
Séance du mardi 18 mai 1971
(Seize heures quatorze minutes)
M. BACON (président de la commission permanente de la
constitution): A l'ordre, messieurs!
M. BOURASSA: Il y a un changement à faire, M. Castonguay va
remplacer M. Bienvenue si le député de Chicoutimi de même
que les autres députés n'ont pas d'objection.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Votre proposition est bienvenue.
M. Robert Bourassa
M. BOURASSA: M. le Président, comme je l'avais signalé il
y a quelque temps, j'étais disposé à réunir la
commission parlementaire de la constitution pour entendre les
représentations qui pouvaient être faites par les
députés sur le problème constitutionnel.
Je vais donc exposer brièvement, très brièvement,
la position du gouvernement de façon générale, puisque
nous sommes présentement en train de négocier plusieurs aspects
des relations fédérales-provinciales et nous ne pouvons
évidemment donner tous les détails de ces négociations
sans les compliquer. Par ailleurs, à la suite de ce bref exposé
initial, je pourrai répondre, dans toute la mesure du possible, aux
questions des députés sur l'évolution de ces
négociations.
Si l'ensemble du Canada est engagé depuis quelques années
dans le processus complexe de la révision constitutionnelle, c'est
surtout à cause du Québec. C'est un fait indéniable qu'il
y a au Québec une société majoritairement de langue
française possédant son histoire, sa culture, ses institutions et
son vouloir-vivre collectif. Le Québec a entrepris depuis quelques
années de se doter des instruments essentiels au progrès de toute
société moderne soucieuse de sa croissance économique,
d'une plus grande justice sociale et de l'affirmation de sa personnalité
culturelle.
Comme je l'ai souligné devant les membres de la Presse
Canadienne, à Toronto, cette société originale du
Québec constitue pour le Canada un atout exceptionnel,
l'élément fondamental de l'affirmation d'une véritable et
authentique personnalité canadienne face à l'envahissement sans
cesse croissant de notre voisin du sud.
Ces développements récents de la société
québécoise coïncidant avec une remise en cause des valeurs
de l'ensemble de la société occidentale ont eu pour effet
immédiat de soulever la question constitutionnelle. La révision
de la constitution de 1867 nous a paru essentielle afin
précisément de redéfinir la place du Québec dans
l'ensemble fédéral canadien.
La commission Tremblay, établie en 1956, formula les grandes
orientations qui devaient nous guider dans la recherche d'une nouvelle
constitution canadienne.
L'ensemble des relations fédérales-provinciales de 1960
à 1970 ont essentiellement consisté à mettre en pratique
ces principes exposés par la commission Tremblay. Une certaine
conception de la société québécoise au sein du
Canada s'est peu à peu imposée. Reprenant l'essentiel du document
de travail remis par le Québec au comité permanent des
fonctionnaires de la révision constitutionnelle en 1966, le
présent gouvernement a exposé très clairement, lors de la
conférence constitutionnelle le 15 septembre 1970, les objectifs
poursuivis par le Québec en matière de révision
constitutionnelle.
La révision constitutionnelle nous force à
découvrir, à inventer des mécanismes nouveaux capables de
satisfaire à la double exigence de notre régime
fédéral: le respect des communautés de base et
l'équilibre des pouvoirs face aux grandes tâches de l'avenir. Nous
croyons qu'entre les vérités simplificatrices de la
sécession et l'abandon pur et simple de nos responsabilités
à un autre gouvernement la formule fédérative est la
meilleure, pour autant, bien sûr, que seront scrupuleusement
respectés les traits particuliers de notre culture et les aspirations de
la communauté québécoise.
Cela, avons-nous conclu, exige donc un fédéralisme
flexible, un fédéralisme qui exprimera notre liberté
authentique de Québécois dans des structures de participation
dynamique aux grands projets de l'ensemble canadien. En adoptant cette
attitude, nous respections rigoureusement les principes qui ont guidé
notre société en matière constitutionnelle, depuis plus de
15 ans. Dans cette même déclaration de septembre 1970, nous
précisions que nous attendions de nos interlocuteurs assez de
maturité politique pour comprendre l'enjeu du pari fédéral
que nous avons proposé à nos concitoyens au scrutin du 29 avril
dernier.
Un pari dont l'un des éléments est la
nécessité de faire participer le gouvernement du Québec au
processus des décisions du gouvernement central qui ont une influence
significative sur le développement économique, social et culturel
du Québec. A une souveraineté illusoire, le gouvernement du
Québec propose plutôt une pleine liberté de manoeuvre dans
des structures fédérales respectueuses du caractère
particulier d'une société québécoise, de sa
spécificité culturelle certes, mais aussi de ses besoins aigus de
rattrapage dans le domaine économique.
Une telle approche rejoint très directement les questions de fond
de la révision constitutionnelle et, plus particulièrement, le
problème du partage fiscal et du partage des pouvoirs entre les
gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Ces
exigences s'expriment
surtout dans les domaines suivants: politique économique,
politique sociale, politique culturelle.
Depuis quelque temps au Québec, comme dans les autres provinces
du Canada, une certaine impatience s'est manifestée face à la
lenteur et à la complexité de l'ensemble du processus de
révision constitutionnelle, non pas que les travaux considérables
accomplis jusqu'à présent aient été vains, mais,
plus simplement, en raison de cette volonté de tous les Canadiens de
voir la question constitutionnelle progresser concrètement.
Cette impatience, elle est évidemment partagée par le
gouvernement du Québec comme par l'ensemble de notre population.
Cependant, nous ne pouvons sacrifier à cette impatience légitime
l'essentiel de nos positions en matière de révision
constitutionnelle. Le problème d'une définition plus
précise de la société québécoise dans
l'ensemble fédéral canadien demeure fondamental. La solution
à ce problème ne peut évidemment pas se satisfaire de
quelques modernisations de texte ou arrangements techniques et administratifs.
Le processus de révision constitutionnelle a pu être
considérablement accéléré par la décision
que nous avons prise de tenir, parallèlement aux travaux du
comité permanent des fonctionnaires, des négociations
bilatérales entre le gouvernement fédéral et le
gouvernement de chacune des provinces du pays.
Cette formule nouvelle nous a permis de faire avancer les choses d'une
façon très réelle. A la conférence de
février, les premiers ministres ont examiné plus à fond
une première série de questions constitutionnelles: a) le
rapatriement et la formule de modification de la constitution; b) les droits
politiques fondamentaux; c) les droits linguistiques; d) la cour Suprême;
e) les disparités régionales; f ) le mécanisme des
relations fédérales-provinciales; g) la politique sociale; h) la
modernisation de la constitution.
L'ensemble de ces problèmes comporte des questions de forme (la
formule d'amendement, par exemple, et de modification à la constitution)
et des questions de fond: la politique sociale et les droits linguistiques.
A la suite de cette conférence, des réunions ont eu lieu
au niveau des fonctionnaires pour préciser la rédaction des
textes examinés. Pour ma part, j'ai eu l'occasion de rencontrer,
à deux reprises, le ministre fédéral de la Justice au
sujet des questions d'ordre constitutionnel. De son côté, le
ministre des Affaires sociales a discuté avec son homologue
fédéral des propositions qu'il avait formulées en
matière sociale lors de la dernière conférence
fédérale-provinciale des ministres de la Santé et du
Bien-Etre.
Parallèlement à ce domaine de révision
constitutionnelle, le gouvernement du Québec a suivi de très
près l'ensemble des relations et du contentieux
fédéral-provincial dans des domaines aussi variés que ceux
du développement régional, de la fiscalité, des
communications, de la main-d'oeuvre, de la participation du Québec
à l'Agence de coopération culturelle et technique, de la
francophonie, etc.
Cette commission parlementaire a été convoquée afin
de permettre aux différents partis de l'Opposition de formuler leur
point de vue sur l'ensemble du processus de révision constitutionnelle
comme sur ses modalités plus immédiates. Je suis convaincu que
ces expressions d'opinions, rejoignant celles de l'opinion publique, pourront
être au gouvernement, si elles sont faites de façon positive, une
contribution en vue de la conférence de Victoria.
Je fais distribuer les textes.
M. LE PRESIDENT (Bacon): Le chef de l'Opposition officielle.
M. Jean-Jacques Bertrand
M. BERTRAND: M. le Président, je ne commenterai pas la
déclaration que le premier ministre vient de faire. Je me réserve
le droit de le faire tantôt, lorsque nous entrerons dans la discussion
des problèmes.
J'ai moi-même une déclaration à faire, comme chef de
parti, déclaration que je ne lirai pas intégralement, mais que je
remets aux membres de la commission et à la presse. Je ne lirai que les
conclusions de cette déclaration. Par contre, je demanderais que le
texte de la déclaration soit publié dans le journal des
Débats de la séance du 18 mai, c'est-à-dire la
séance présente. (Voir Annexe A).
Une autre phase de la conférence constitutionnelle s'ouvrira
bientôt à Victoria les 14, 15 et 16 juin prochains. Je tiens, M.
le Président, à mettre le premier ministre du Québec en
garde contre les pressions de toutes sortes dont il ne manquera pas
d'être l'objet au cours des prochaines semaines. Puisse-t-il et je
parle comme Québécois et non pas seulement comme chef de parti
trouver la fermeté et le réalisme nécessaires pour
regarder au-delà des apparences, au-delà de la rhétorique,
au-delà du court terme ou de la rentabilité immédiate.
Car ces pourparlers se dérouleront dans un cadre et dans un
contexte dont les partisans d'un centralisme rigide et niveleur voudront
sûrement profiter pour frapper un grand coup.
Le centenaire de la plus britannique des provinces canadiennes, la
distance géographique et culturelle qui la sépare du
Québec français, la lassitude croissante des Canadiens en
général et des "Westerners" en particulier à
l'égard d'une réforme constitutionnelle qui épuise en pure
perte des réserves de compréhension et de bonne volonté
accumulées au cours de l'époque Pearson, le jeu des
solidarités partisanes et des gratitudes électorales, le parti
pris du gouvernement actuel du Québec pour un
fédéralisme
qu'il voudrait rentabiliser sans l'avoir jamais défini, les
difficultés économiques dont nous souffrons à l'heure
actuelle, la promesse des 100,000 emplois et la réalité de nos
234,000 chômeurs, le peu de liberté que nous laissent nos immenses
besoins d'emprunts et d'investissements, tout cela sera habilement
évoqué et exploité pour amener le Québec à
accepter la formule Trudeau-Turner.
Le premier ministre, malgré le siège incessant dont il
sera la cible, malgré les sentiments de frustration et de solitude qui
pèseront lourdement sur lui à certains moments, devra se garder
de promettre, et à plus forte raison de donner un tel consentement pour
les multiples raisons exposées plus haut dont la
déclaration sera reproduite au journal des Débats et que
je résumerai dans les propositions suivantes: l.Le meilleur moyen de
canadianiser la constitution et de parfaire la souveraineté de notre
pays consiste à laisser mourir à Londres le vieux statut de
l'ère victorienne et à rédiger au Canada une constitution
entièrement nouvelle et entièrement canadienne. C'est la seule
méthode à laquelle doivent consentir le Québec. 2.Cette
constitution nouvelle doit prendre pour point de départ les besoins et
les aspirations des Canadiens d'aujourd'hui, non pas les textes, les
interprétations, les précédents, les usages et autres
éléments d'un statu quo depuis longtemps dénoncé et
rejeté par le Québec. 3.Tant que l'on ne se sera pas entendu sur
la substance de cette constitution nouvelle, spécialement en ce qui
concerne la répartition des pouvoirs et des sources de revenus ainsi que
la création d'un véritable tribunal constitutionnel, il sera
prématuré, illogique et contraire à la volonté du
peuple québécois de souscrire à une formule quelconque
d'amendement. 4.Tout en étant plus simple et plus claire que la
défunte formule Fulton-Favreau, celle que l'on nous propose à
l'heure actuelle aurait, en définitive, le même effet,
c'est-à-dire celui de faire obstacle à un examen en profondeur,
par nos deux communautés nationales, de cette crise dont la commission
Laurendeau-Dunton nous avertit qu'elle est "la plus grave de notre histoire" et
qu'elle met en cause "l'essentiel, c'est-à-dire la volonté de
vivre ensemble". 5.Pour être valables, toute constitution nouvelle et
toute formule d'amendement qui pourra y être insérée
devront tenir compte de ce que la même commission a appelé "la
dimension politique de l'égalité culturelle", soit le rôle
historique, différent de celui des autres provinces, que doit
forcément assumer le seul gouvernement élu par une
majorité canadienne-française, celui du Québec. 6. Il va
de soi qu'on ne saurait appliquer le concept de l'égalité de nos
deux peuples fondateurs en donnant, même dans les domaines qui touchent
aux valeurs socio-culturelles, un veto à l'un et six veto à
l'autre. 7.S'il acceptait à ce moment-ci la formule proposée, le
Québec fermerait lui-même la porte aux changements substantiels
qu'il réclame. Il ne lui resterait plus que deux possibilités:
Utiliser son veto pour maintenir un statu quo dont il ne veut plus ou se
contenter des modifications qui seraient éventuellement acceptées
à la fois par le gouvernement fédéral et par une
majorité des provinces. 8.Bien loin de constituer un déblocage,
l'adoption de cette formule dans les circonstances présentes aurait pour
effet de stopper, à toutes fins pratiques, la révision
constitutionnelle, d'en consacrer l'inutilité et la faillite. Il
deviendrait alors impossible d'aller au-delà de la surface des choses,
au-delà d'un bilinguisme partial et artificiel, au-delà des
remèdes symboliques et purement illusoires. 9.Le gouvernement actuel du
Québec a déjà commis une grave imprudence en consentant,
lors de la dernière conférence des premiers ministres, à
ce qu'on inscrive la formule d'amendement en tête des sujets
prioritaires. Cette imprudence est déjà lourdement
exploitée à l'encontre des intérêts et des
sentiments de la population québécoise. J'ajoute qu'elle le sera
bien davantage à la conférence de Victoria. 10.Faut-il enfin
rappeler que l'avenir d'un peuple et son droit naturel à
l'autodétermination, à la maîtrise de son propre destin,
sont des biens inaliénables dont aucun gouvernement, ni aucune
majorité passagère de l'Assemblée nationale ne peut faire
commerce pour des motifs de rentabilité financière,
économique ou électorale.
M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de
Rouyn-Noranda.
M. Camille Samson
M. SAMSON: M. le Président, nous avons, en tant que parti
d'Opposition, également à donner notre opinion aujourd'hui sur
les questions constitutionnelles.
Bien entendu, les formules que nous avons connues par le passé,
aussi bien que la formule qui semble être proposée
présentement ne nous plaisent pas. Nous sommes en droit de nous demander
si, véritablement, nous avons, oui ou non, l'intention d'apporter des
réformes constitutionnelles au Canada. On se demande donc
c'est une question que l'on se pose ce que fera le
Québec à la prochaine conférence constitutionnelle. Nous
osons espérer que le gouvernement voudra bien prendre en haute
considération les suggestions faites par les différents partis
d'Opposition.
Quand on se rend à une conférence constitutionnelle, c'est
pour représenter une population et pour bien représenter une
population, il faut la représenter en grande majorité.
Or, il est bien évident que même en ayant 72
députés, le gouvernement du Québec représente 44 p.
c. de l'élément québécois,
c'est-à-dire...
M. BOURASSA: 46 p. c.
M. SAMSON: Disons que je vous en accorde deux de plus, si vous le
voulez, je peux aller jusqu'à 50 p. c, mais ce n'est pas encore la
majorité. Alors il vous faut absolument, à ce moment-ci, si vous
voulez représenter la majorité devant la conférence
constitutionnelle, prendre en considération les suggestions de
l'Opposition.
M. le Président, nous avons vu trop souvent dans le passé
des gouvernements à des conférences constitutionnelles partir en
lion et en revenir en mouton. Parce que nous estimons beaucoup le premier
ministre actuel, nous ne voudrions pas qu'il revienne de cette
conférence de cette façon.
Les événements anciens et récents nous obligent
à faire un examen de conscience. Le gouvernement fédéral,
tel que nous le connaissons actuellement, est devenu un gouvernement trop
centralisateur et il écrase les provinces, non seulement le
Québec mais toutes les provinces. Le gouvernement fédéral,
d'une part, prêche l'unité canadienne et, d'autre part, fait
à peu près tout ce qui est en son pouvoir pour que cette
unité n'existe pas parce que c'est une vérité
qu'actuellement le Canada est désuni. Nous n'avons pas d'unité
canadienne présentement.
Le gouvernement fédéral prêche un Canada fort alors
que nous avons des Canadiens faibles. On prêche un Canada uni alors qu'il
semble que nous ayons des Canadiens prisonniers dans une
confédération dépassée. Nous assistons
régulièrement à des prises de position contradictoires
constantes entre le fédéral, d'une part, et les
représentants du Québec, d'autre part, qu'il s'agisse de
souligner les désaccords que nous voyons publiquement entre le premier
ministre du Québec et le premier ministre du Canada au sujet de la
formule d'amendement à la constitution, des désaccords sur les
communications, des affaires sociales, des affaires culturelles, du travail et
nous pourrions peut-être en ajouter. On peut aussi souligner qu'il y a
certains désaccords entre le gouvernement d'Ontario et le pouvoir
central. Il y a des désaccords entre le Manitoba et le pouvoir central.
La Colombie-Britannique a aussi fait savoir, lors d'une dernière
conférence, je crois, son opposition.
Elle a aussi fait savoir qu'elle veut du nouveau. Et l'Alberta, de son
côté, dès 1943, lors de la publication d'un rapport annuel
du gouvernement de cette province, reprochait au gouvernement
fédéral de lui renier ses droits à la souveraineté.
Alors tout le monde peut en prendre connaissance, c'est écrit en toutes
lettres là-dedans.
Evidemment, nous n'aurions qu'à rappeler, pour mieux expliquer la
confusion et l'injustice qui se dressent actuellement, l'affaire Caloil, nous
pourrions rappeler aussi l'affaire de la libération du dollar canadien
qui n'a sûrement pas aidé le Québec et également
l'affaire des oeufs et des poulets qui a été une omelette
néfaste. Le marché commun canadien est un échec
prévisible parce que la constitution actuelle ne répond pas aux
besoins de 1971.
Nous pourrions aussi rappeler l'échec de la commission BB. Nous
pourrions parler des districts bilingues qui font que le Québec est une
province bilingue alors que le reste du pays ne contient que quelques
réserves cantonnales bilingues, le reste étant unilingue. Il y a
eu, M. le Président, de nombreuses conférences constitutionnelles
dans le passé. Nous espérons qu'elles seront moins nombreuses
dans l'avenir. Nous espérons que nous pourrons en arriver à des
conclusions, parce que pour les conférences constitutionnelles du
passé, il semble que le slogan du moment était: Hâtons-nous
lentement, messieurs.
M. le Président, rien n'avance. Le Québec est forcé
et sous quelque gouvernement que ce soit d'être à
genoux devant le gouvernement central pour recueillir des miettes. Ce n'est pas
un fédéralisme rentable auquel nous assistons; c'est plutôt
un fédéralisme lamentable. M. le Président, le peuple
québécois en a assez. Un artiste l'a d'ailleurs
résumé très rapidement en écrivant sur une murale:
"Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves? "
Ces situations, M. le Président mènent directement aux
idées séparatistes, aux idées révolutionnaires.
Qu'on se rappelle la crise d'octobre; qu'on se rappelle qu'à ce moment
il y a eu danger de révolution au Québec. Nous avons alors
donné notre appui au gouvernement afin de l'aider à enrayer cette
crise, mais si ce gouvernement, si les autres gouvernements et si les hommes
politiques ne prennent pas leurs responsabilités, il y aura d'autres
crises encore et nous ne sommes pas certains de la position que nous aurons
à prendre à ce moment.
Le premier ministre sera à Victoria dans quelques jours. Je lui
souhaite de se rendre à Victoria en premier ministre qui
représente un peuple énergique, c'est-à-dire de se rendre
là debout, fort de l'appui du peuple québécois. M. le
Président, nous avons la nette impression que cette conférence de
Victoria sera en quelque sorte la conférence de la dernière
chance. Si le premier ministre se tient debout à Victoria, comme je
crois qu'il est capable de le faire, au nom du Québec, il sera
sûrement suivi par les
premiers ministres de plusieurs autres provinces canadiennes.
Si nous n'offrons pas de position dynamique, donnant de l'espoir au
peuple du Québec, nous ne pourrons pas éviter le
séparatisme québécois encore bien longtemps et nous
n'assisterons pas seulement à la fuite des capitaux par les camions de
la Brinks, mais nous risquons d'assister à la
désintégration totale de notre pays qui est le Canada. C'est
pourquoi le Ralliement créditiste du Québec n'étant pas un
parti séparatiste et je veux le souligner à ce moment-ci
puisqu'il semble qu'il est très facile de faire de
l'interprétation: nous ne sommes pas des séparatistes nous
proposons donc une formule logique, souple, intelligente, redonnant à
toutes les provinces des droits fondamentaux.
Cette formule était, d'ailleurs, M. le Président, selon
l'esprit des Pères de la confédération, en 1867, mais elle
a été falsifiée et n'a pas été
respectée.
Nous proposons un fédéralisme nouveau, un
fédéralisme de services et de participation, basé sur
l'autodétermination de toutes les provinces canadiennes. C'est pourquoi
je désire déposer, aujourd'hui, le document suivant qui est notre
position constitutionnelle. Evidemment, je n'ai pas l'intention de vous lire
tout le document je ne voudrais pas retenir trop longtemps la commission
mais je voudrais souligner quelques points qui sont très
intéressants. "En effet, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique
on peut le lire en page 1 a été voté, en
tant que simple bill privé, par la Chambre des Lords et, dans
l'indifférence totale, sanctionné par la Chambre des communes de
Londres."
Or, M. le Président, il y a eu évidemment les historiens
qui nous ont écrit, qui nous ont dit de quelle façon cela s'est
passé. Je voudrais souligner ceci, dernier paragraphe de la page 1: "De
son côté, le ministre des Finances, Dunning, à la page 69,
chapitre 85 de la Loi du gouverneur général, écrit ceci
remarquez bien "La première page de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique fut supprimée après que la
loi fut votée par la Chambre des Lords et avant qu'elle fut soumise pour
approbation aux Communes de Londres. "Le texte de cette page démontrait
que le Canada, selon le désir exprimé par les colonies d'alors
parce que l'on appelait cela des colonies devait être une
fédération d'Etats souverains et non une
confédération."
M. le Président, je ne voudrais pas lire tout ce document, mais,
quand même, à ce moment-ci, j'aimerais préciser nos
positions, ce que nous réclamons et ce que nous aimerions voir le
gouvernement du Québec réclamer au nom du peuple
québécois.
D'abord, l'abolition de la monarchie britannique au Canada. Nous n'avons
rien contre la reine Elisabeth II; au contraire, elle est très gentille.
Mais nous trouvons que la reine du carnaval de Québec est aussi
très gentille.
Nous avons encore au Canada des signes de colonisés. Nous ne
voulons pas dire que nous sommes pour un régime monarchique ou pour un
régime présidentiel, ou contre l'un ou contre l'autre. Non. Mais
nous ne voulons plus de la monarchie britannique au Canada. Cela, c'est clair.
Nous aimerions voir le rejet de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique
qui n'est, comme je l'ai dit tantôt, qu'un bill privé et qui n'a
rien à voir avec le Canada présentement. Si le Canada doit
être un pays souverain, il doit avoir sa constitution. Nous reconnaissons
les deux nations, anglophone et francophone, et nous aimerions voir la
rédaction de la première constitution vraiment canadienne. M. le
Président, nous proposons même, dans notre document, une formule
de rédaction de constitution qui permettrait aux deux
éléments, aux anglophones et aux francophones du pays, de
participer de façon égale à la rédaction d'une
nouvelle constitution. Nous voulons voir reconnaître le droit à
l'autodétermination de toutes les provinces. C'est ici qu'on voit que ce
n'est pas du séparatisme. Du séparatisme voudrait dire
séparer le Québec du reste du Canada.
Nous, nous voulons donner des pouvoirs aux provinces, que ces pouvoirs
aient rapport à l'autodétermination et qu'elles choisissent entre
elles le mode de gouvernement fédéral ou le mode de formule
fédérative, comme l'a dit tantôt le premier ministre qui,
selon lui, est la meilleure et qui selon nous est aussi une très bonne
formule, c'est-à-dire une formule fédérative mais à
participation.
Or, M. le Président, dans ce contexte, évidemment, nous
aurions des propositions à faire. Nous aimerions que le Québec
réclame, une fois que nous aurions une nouvelle constitution, une fois
que nous aurions cette autodétermination, si nous pouvons convaincre les
autres provinces et je crois que c'est possible de le faire le
contrôle de son crédit, de son commerce, de son immigration et de
ses sources de fiscalité.
Rappelons d'ailleurs, M. le Président, que la fiscalité
directe n'est pas incluse dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique
comme étant un droit qui appartient au fédéral. Cela a
été donné par entente lors des guerres par les
gouvernements des provinces. Or, le gouvernement fédéral
semble-t-il, a la mémoire courte. Après les guerres, il a tout
simplement oublié de remettre aux provinces ce qui leur revient de
droit, c'est-à-dire le droit à leur fiscalité.
M. le Président, nous allons plus loin que cela. Nous allons
jusqu'à donner, si vous le voulez, une formule technique qui n'est pas
nécessairement la meilleure. Elle est discutable. Mais que serait un
nouveau gouvernement fédéral à participation? Cela
voudrait dire des Assemblées nationales dans chaque province, selon
nous. Cela voudrait aussi dire des députés élus à
la Chambre des communes d'Ottawa. Mais cela voudrait dire et je pense
que nous pourrions apporter un changement très intéressant
que le Sénat qui est actuellement composé, en fait, que d'amis
politiques de l'un ou
l'autre des premiers ministres qui se sont succédé
à Ottawa, change en une chambre des Etats, c'est-à-dire que les
provinces devraient avoir le droit de nommer des participants à cette
chambre des Etats. Qu'on l'appelle le Sénat ou qu'on l'appelle comme on
voudra, nous ne nous arrêterons pas sur les mots. Ce que nous voulons,
c'est un fédéralisme nouveau mais à participation,
c'est-à-dire que nous voulons être nous-mêmes dans ce pays
qui est le nôtre.
M. le Président, c'est la seule possibilité de respecter
d'abord les provinces et de respecter les deux nations fondatrices du
Canada.
D'ailleurs, un éditorialiste du Nouvelliste du samedi 15 mai
1971, M. Sylvio Saint-Amand, fait une critique de nos propositions et termine
en disant ceci: "A tout événement, la nouvelle orientation
constitutionnelle du Ralliement créditiste du Québec pourrait
s'avérer une projection d'avenir. Il s'agit là d'un document
intéressant et original qui apporte une nouvelle dimension à un
débat qui n'est pas prêt de prendre fin."
M. le Président, la position que nous avons prise, dont nous
venons de déposer le texte je demande la permission pour que ce
texte paraisse au journal des Débats est la position de l'avenir.
(Voir annexe B).
Nous voulons un Canada canadien, avec un Québec
québécois, avec une Ontario ontarienne et ainsi de suite. C'est
la même chose pour les autres provinces du Canada.
C'est donc, en terminant, la solution que nous offrons qui est selon
nous la solution dans la compréhension que nous proposons aujourd'hui
à tous les hommes de bonne volonté.
Merci, M. le Président.
M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de
Bourget.
M. Camille Laurin
M. LAURIN: Pour nous, M. le Président, c'est le
fédéralisme flexible, tel que vient de l'énoncer le chef
de l'actuel gouvernement, qui nous paraît dangereux en raison même
de sa flexibilité et qui nous apparaît utopique et illusoire en ce
qui concerne les pouvoirs qu'il entend rapatrier pour assurer au Québec
son développement, son progrès et son épanouissement.
C'est au contraire la souveraineté positive qui nous
apparaît seule capable de répondre actuellement aux aspirations
des Québécois, qui nous paraît seule capable de
régler une fois pour toutes les véritables problèmes des
Québécois et qui est seule susceptible d'assurer aux
Québécois la dignité, la liberté et le
développement auxquels ils aspirent.
Le Parti québécois estime donc que le régime
fédéral dans lequel nous vivons est un carcan qui entrave le
développement de la collectivité québécoise et qui,
à terme, entraînera la disparition de la nation
canadienne-française.
Le programme de notre parti propose aux Québécois de
sortir de ce cercle vicieux de marchandage où le Québec,
isolé, minoritaire, doit éternellement remettre de l'avant des
propositions qui se heurtent à l'hostilité des autres provinces
et du fédéral.
Nous offrons aux Québécois de cesser d'être
minoritaires en accédant à la souveraineté qui implique la
récupération des pouvoirs et des avoirs québécois
actuellement sous séquestre entre les mains du gouvernement central.
Nous proposons ensuite une négociation où, d'égal
à égal, les gouvernements du Québec, d'une part, et du
Canada anglais, d'autre part, pourront élaborer librement une politique
commune dans des domaines comme par exemple les douanes ou la monnaie.
Nous estimons que cette solution est la seule qui puisse remettre le
Québec sur la voie du développement et du progrès.
Pourquoi alors soumettre à cette commission une étude
critique de la formule Trudeau-Turner? Deux préoccupations expliquent
notre attitude. D'abord, nous croyons essentiel de rappeler au gouvernement du
Québec que sa qualité de porte-parole actuel de la nation
québécoise lui dicte le devoir de faire inscrire dans tout texte
constitutionnel à la négociation duquel il paticipe la
reconnaissance du droit du Québec à
l'autodétermination.
Ce droit, la nation québécoise, comme toutes les nations
du monde, le possède de façon inaliénable. Même pour
un gouvernement qui préconise le statu quo constitutionnel pour le
Québec, ce droit à l'autodétermination reste le fondement,
la base même de sa légitimité.
En outre, la reconnaissance du droit du Québec à
l'autodétermination constituerait une garantie supplémentaire de
son libre exercice éventuel. Nous croyons donc extrêmement
important de rappeler cette dimension fondamentale de la question
constitutionnelle à un gouvernement qui va représenter les
Québécois à une négociation avec le gouvernement
central et les autres provinces canadiennes.
En second lieu, en tant que Québécois, donc vitalement
concernés par l'évolution de la situation constitutionnelle, il
nous apparaît légitime d'analyser sérieusement cette
formule Trudeau-Turner et la nouvelle orientation constitutionnelle qui
pourrait en découler.
En outre, en tant que parti politique, nous nous devons d'informer la
population sur ce que nous croyons être la portée de ces
négociations constitutionnelles.
Il est donc important de déterminer la portée
réelle de la formule Trudeau-Turner. Depuis que s'est amorcé le
processus de révision constitutionnelle, les divers gouvernements qui se
sont succédé à Québec ont formulé certaines
demandes qui résument le minimum incompressible des besoins du
Québec. C'est donc dans l'optique de cette tradition que nous voulons
maintenant analyser la formule Trudeau-Turner.
La formule TT consacre la primauté du pouvoir central. Elle
bloque le processus de décentralisation en donnant non seulement aux
Communes d'Ottawa, mais encore au Sénat canadien, le droit de veto sur
toute modification ultérieure de la constitution. C'est là
consacrer le statu quo en matière de partage des pouvoirs. C'est
là, aussi, assurer la pérennité d'une institution aussi
peu représentative que le Sénat. Par ailleurs, la formule TT ne
permet pas aux provinces de modifier leur constitution interne en ce qui a
trait au poste de lieutenant-gouverneur, droit que le Québec a toujours
réclamé.
Dans le domaine linguistique, la formule enlèverait à
l'Assemblée nationale du Québec sa liberté de
légiférer en ce qui concerne les droits scolaires. En fait,
l'adoption de la formule donnerait à la loi 63 un caractère
constitutionnel, donc intangible quant au choix de la langue d'enseignement,
tout en rendant inopérantes d'autres dispositions de cette loi 63 qui
concernent l'acquisition d'une connaissance d'usage du français.
Enfin, dans le domaine judiciaire, et notamment en ce qui a trait
à la cour Suprême, la formule consacre à peu près le
statu quo alors que le Québec revendique des changements majeurs dans ce
secteur. Nous pourrions poursuivre cette énumération. Le
mémoire que nous présentons et que nous aimerions, avec
l'assentiment des membres de cette commission, voir reproduit d'une
façon intégrale au journal des Débats, est beaucoup plus
exhaustif puisque nous faisons une critique rigoureuse de chacun des articles
du communiqué final de la conférence de février. (Voir
Annexe C)
Nous pourrions donc poursuivre cette énumération de
questions importantes à l'égard desquelles la formule
Trudeau-Turner constitue une négation des demandes minimales du
Québec. Contentons-nous de relever une autre catégorie de
questions où le silence de la proposition n'est pas moins
révélateur. Le Québec a longtemps revendiqué, et
revendique encore, des aménagements constitutionnels en matière
de politique sociale, de communications, de relations avec l'étranger et
en ce qui concerne le pouvoir fédéral de dépenser. Le
premier ministre vient de dire que les négociations bilatérales
qui se poursuivent depuis février ont permis d'avancer d'une
façon réelle en ce domaine, mais il reste, pour lui, à
nous le prouver au cours des séances de cette commission et dans les
séances subséquentes.
Pour notre part, nous sommes loin d'être convaincus, surtout
après les déclarations du premier ministre du Canada que nous
avons, en particulier, entendu dimanche soir à un canal anglais de
télévision. Sur tous ces problèmes fondamentaux, la
formule Trudeau-Turner reste muette. Comment le Québec pourrait-il
accepter une formule aussi rigide d'amendement constitutionnel avant même
que soient résolus des problèmes comme ceux-là qui
paralysent son action? C'est se condamner à ne jamais pouvoir obtenir
les pouvoirs accrus qu'il réclame dans ce domaine si, par malheur, il
consentait, à la réunion de juin prochain, à accepter,
d'une façon complète ou incomplète, la formule
d'amendement qui lui a été proposée.
Il est dès lors évident que la formule Trudeau-Turner
constitue une fin de non-recevoir à l'égard des demandes
traditionnelles du Québec et que son adoption consacrerait le statu quo
dans des domaines où il est vital, pour le Québec, d'avancer.
Dans ces conditions, l'acceptation, par le gouvernement du Québec, de
cette formule équivaudrait à une véritable abdication,
entraînerait une dégradation politique de l'Etat
québécois et pourrait même rendre plus difficile aux
Québécois l'exercice de leur droit fondamental de choisir leur
avenir collectif.
C'est pourquoi nous demandons, quant à nous, le rejet pur et
simple de cette formule. En outre, nous insistons pour que, comme le premier
ministre l'avait d'ailleurs laissé entendre, les 23 et 24 février
dernier à l'Assemblée nationale, "le gouvernement et je
cite ses propres termes associe la population du Québec dans un
débat public à la discussion de cette formule, en permettant aux
spécialistes et aux principaux corps constitués de se faire
entendre de la commission." En somme, notre position est très simple.
Même dans l'optique où se place le gouvernement, en vue des
intérêts majeurs, éternels et fondamentaux des
Québécois, c'est la substance même de la répartition
des pouvoirs qui nous importe.
Tout le reste actuellement et, en particulier, la question du
rapatriement et l'acceptation de la formule d'amendement nous semblent mettre
la charrue devant les boeufs, nous semblent un piège, un traquenard, un
leurre et à l'extrême limite du terme, pour employer un langage
marxiste, une trahison objective. Nous nous demandons à cet
égard, pourquoi le gouvernement actuel a changé la politique
traditionnelle du Québec que celui-ci poursuit depuis une dizaine
d'années dans ce domaine. Car, il nous paraît évident que,
par l'acceptation de cette formule ou de cette proposition, la situation telle
qu'elle existera, à la fin de cette conférence, sera gelée
à jamais et empêchera toute évolution du Québec. Ce
qui nous semble donc essentiel, pour nous, c'est la substance de la
répartition des pouvoirs et, ici, nous voudrions également mettre
le gouvernement en garde contre tout maquignonnage qui pourrait lui faire
préférer la proie pour l'ombre. Car, cette proie, elle pourra
s'avérer bien mince à l'égard de toutes les interrelations
qui existent entre les domaines qui permettent l'élaboration d'une
véritable politique québécoise et la réalité
que nous avons à vivre.
Pour nous, la substance est l'essentiel des pouvoirs et des avoirs,
comme nous le disions tout à l'heure. Après l'expérience
des 103 et 104 années de la Confédération, après
l'expé-
rience des révisions, des conférences de révision
constitutionnelle nous avons la conviction intime, profonde, fondamentale que
nous devons la définir nous-mêmes, cette répartition des
pouvoirs, et que nous devons nous-mêmes prendre les pouvoirs qui nous ont
été refusés et dont nous avons un besoin essentiel pour
nous affirmer. Ce n'est pas là du séparatisme, encore une fois.
C'est simplement l'achèvement d'une démarche qui est
commencée en cette terre d'Amérique depuis plus de 400 ans,
l'achèvement d'une démarche pour laquelle la maturité de
notre peuple constitue la meilleure des garanties, l'achèvement d'une
démarche qui correspond à l'essentiel de nos aspirations en
même temps qu'elle répond à la conjoncture sociale,
économique, politique dans laquelle nous vivons.
Discussion
M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable premier ministre.
M. BOURASSA: Je ne commenterai pas les différents principes
généraux qui ont été énoncés. Je
voudrais simplement signaler une erreur de fait, je crois, du
député de Bourget, lorsqu'il a dit que le Sénat avait un
droit de veto sur...
M. LAURIN: Ce n'est pas une erreur de fait, puisque c'est le
Parlement...
M. BOURASSA: Non, mais je veux dire...
M. BERTRAND: Comme Parlement; le Sénat fait partie du
Parlement.
M. LAURIN: Il faudrait l'assentiment du Parlement canadien, qui,
jusqu'à nouvel ordre, est composé de deux Chambres.
M. BOURASSA: Je veux qu'il soit clairement compris que le Québec
n'acceptera du Sénat qu'un avis consultatif.
M. LAURIN: De toute façon, c'est une question
d'interprétation.
M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de
Missisquoi.
M. BERTRAND: M. le Président, nous avons eu l'occasion d'exprimer
le point de vue de nos partis. Je demanderais au premier ministre, étant
donné que nous sommes ici pour examiner le communiqué qui a
été émis à la suite de la conférence
constitutionnelle, les 8 et 9 février dernier, si les sujets qui y ont
été discutés, à moins que le premier ministre nous
informe du contraire, seront à l'ordre du jour de la conférence
constitutionnelle des 14, 15 et 16 juin prochain à Victoria. Est-ce que
je dois comprendre que les sujets qui ont fait l'objet du communiqué des
8 et 9 février 1971 sont à l'ordre du jour de la
conférence constitutionnelle de Victoria?
M. BOURASSA: Disons que l'ordre du jour n'est pas encore
complété. Il y aura les rencontres, entre les fonctionnaires et
entre les ministres des Affaires intergouvernementales, préalables
à la conférence des 14 et 15 juin, mais, en principe ces sujets
seront à l'ordre du jour.
D'autres sujets pourront être ajoutés. Je crois que
certaines provinces veulent discuter de la question économique.
M. BERTRAND: Etant donné que ces sujets seront...
M. BOURASSA: En principe.
M. BERTRAND: ... probablement à l'ordre du jour, étant
donné que, lors de cette conférence... Dans le communiqué,
je lis d'abord, partie 1, généralités: "Les premiers
ministres donc le premier ministre du Québec est inclus
accordent la priorité à la recherche d'une formule de
modification et au rapatriement prochain de la constitution canadienne". Je lis
plus bas, à la fin de ce paragraphe: "Toutefois, les premiers ministres
se réservent la faculté d'analyser toutes les implications
juridiques et autres". Plus loin, à la page intitulée "La formule
de modification", à la fin du paragraphe 3: "Les premiers ministres
conviennent que la formule suivante est susceptible de conduire à un
accord". Cette formule, c'est la formule d'amendement, communément
appelée formule Trudeau-Turner.
Ma première question au premier ministre: Cette question a-t-elle
été soumise au conseil des ministres du Québec? Le conseil
des ministres du Québec l'a-t-il entérinée? S'il ne l'a
pas entérinée ou s'il l'a entérinée, dans les deux
cas, est-ce que l'analyse des implications juridiques et autres a
été faite? Troisièmement, le premier ministre sera-t-il en
mesure de nous donner l'opinion définitive de son gouvernement sur cette
formule d'amendement Trudeau-Turner?
M. BOURASSA: Pas aujourd'hui, M. le Président, comme je l'ai dit
tantôt. La formule, les conclusions et plusieurs de ces points ont
été discutés à quelques réunions du conseil
des ministres dès le mois de janvier. Nous avons l'intention d'en
discuter de nouveau au cours des prochains conseils des ministres, mais, comme
je le disais, nous sommes présentement à négocier dans
certains secteurs, dont celui de la politique sociale. C'est pourquoi je pense
que le chef de l'Opposition comprendra facilement qu'il serait pour le moins
inopportun pour le chef du gouvernement d'exposer d'une façon
définitive la stratégie qu'il entend suivre à une
conférence qui aura lieu dans un mois.
Cependant, nous avons examiné les implica-
tions juridiques. L'examen n'est pas encore complet, mais, sans relier
d'une façon certaine et absolue le problème de la politique
sociale à celui de la formule d'amendement ou aux autres points, la
position du gouvernement du Québec a toujours été, comme
je l'ai exprimé dans mes notes préliminaires, que nous ne
pouvions pas nous contenter même si cela peut être
considéré en soi comme une priorité, mais ce n'est pas la
seule priorité du gouvernement du Québec de régler
uniquement des questions de forme.
M. BERTRAND: C'est une question de forme, mais qui engage le
problème de fond. Est-ce que le premier ministre ne croit pas que
l'adoption d'une telle formule d'amendement avant, premièrement, que
n'ait été examiné en profondeur tout le domaine de la
répartition des pouvoirs on en connaît l'importance dans le
fédéralisme deuxièmement, de la répartition
fiscale serait prématurée?
M. BOURASSA: Si je comprends bien le point de vue, sinon la question du
chef de l'Opposition c'est que, d'après lui, la formule d'amendement ne
devrait être acceptée que si le nouveau partage des pouvoirs dans
tous les secteurs était complété et accepté de part
et d'autre?
M. BERTRAND: J'accepterais personnellement une formule d'amendement
à une constitution quand on s'est entendu sur la constitution.
M. BOURASSA: Sur le partage de tous les pouvoirs.
M. BERTRAND: Sur le partage. Si on veut véritablement une
nouvelle constitution, on ne commence pas à y mettre un embarras, un
obstacle au départ. Que ce soit, comme je l'ai dit dans mes remarques
tantôt et comme je le dis beaucoup plus longuement dans le texte, une
formule comme la formule Fulton-Favreau ou celle, j'en conviens, plus simple et
plus souple qui s'appelle la formule qui est soumise, je dis qu'il est
prématuré de lier le gouvernement québécois au
moment où on veut, quant à nous surtout, je ne dis pas je
diffère d'opinion avec le premier ministre là-dessus sur
la volonté des autres gouvernements, apporter des amendements majeurs
à la constitution.
Les autres premiers ministres, il le sait, ne réagissent pas de
la même manière. Sans en nommer aucun pour la plupart des premiers
ministre de l'Ouest canadien, tout changement majeur à la constitution
est pour eux inutile. Il faudra certes qu'il y ait un changement de
mentalité de la part de ceux qui représentent ces
différentes provinces pour que et je spécifie des
changements profonds à la constitution soient apportés dans le
domaine de la sécurité sociale, auquel est plus
particuliè- rement intéressé le ministre des Affaires
sociales, ainsi que dans les domaines socio-culturel et des communications.
Je parle par expérience. Je comprends, et je l'ai dit
tantôt, la position du premier ministre du Québec. Je l'ai
vécue, quels qu'en aient été les résultats. J'en
connais l'atmosphère et il faudrait qu'il se soit provoqué un
miracle, miracle que je souhaite, pour que la mentalité soit à ce
point changée. C'est pourquoi j'ai cru et je crois de mon devoir de
mettre le premier ministre en garde contre l'adoption d'une formule
d'amendement au départ, à moins que des problèmes majeurs
de répartition des pouvoirs ne soient acceptés.
M. BOURASSA: M. le Président, je note dans les propos du chef de
l'Opposition qui a connu l'expérience des conférences
fédérales-provinciales, une certaine nuance du moins dans la
conclusion de ses propos. C'est-à-dire que si des problèmes
majeurs ça veut donc dire si tous les problèmes, en
excluant le règlement de tous les problèmes étaient
réglés, l'acceptation de la formule d'amendement lui
paraîtrait moins préjudiciable aux intérêts du
Québec.
M. BERTRAND: C'est-à-dire qu'il faudrait s'entendre sur ces
problèmes majeurs. C'est pour ça que j'ai demandé
tantôt au premier ministre s'il a étudié. J'ai noté
dans le document ce qui pourra peut-être lui fournir une porte de sortie,
s'il doit en trouver une. Toutefois les premiers ministres se réservent
la faculté d'analyser toutes les implications juridiques et autres. Dans
le cas "autres" il aura l'etcaetera...
M. BOURASSA: Oui, mais si...
M. BERTRAND: ... dont il aura probablement besoin parce qu'on sait dans
quelle euphorie on va le plonger en Colombie-Britannique. Soyons
réalistes. Il y en a peut-être qui diront: L'ancien premier
ministre serait mieux de taire ses propos. Au contraire, c'est mon devoir de le
dire, non pas que j'en veuille à quelque premier ministre que ce soit,
mais je suis surpris, d'abord, qu'après le dépôt du rapport
de la commission Tremblay auquel vous faisiez allusion tantôt, il y a
plusieurs années, par votre prédécesseur à la
tête du Parti libéral, le premier ministre Jean Lesage,
deuxièmement, du document de travail qui est à la connaissance
des autorités fédérales et des autres provinces, on n'a
jamais pu obtenir, sur des problèmes majeurs qui y sont posés,
une prise de position claire et nette.
Alors, dans toutes ces circonstances-là, surtout à la
suite du communiqué qui a été émis où l'on a
accordé la priorité c'est là que j'ai dit que le
premier ministre avait été imprudent d'accepter qu'on donne
priorité à ce problème à la formule de
modification, je crains fort qu'il ait besoin de toute sa réserve
d'éner-
gies et des propos que nous tenons ici pour refuser, au nom du
Québec, à moins qu'il n'y ait volonté manifeste d'une
nouvelle répartition des pouvoirs dans la constitution. Le premier
ministre, je le comprends, pourra toujours donner des réponses
très réservées. Il y a des négociations qui se
conduisent; il y a le domaine de la sécurité sociale. Dans ce
domaine particulier, est-ce que le premier ministre je m'adresse
à lui peut dire qu'il y a du progrès dans le sens
souhaité et voulu par le ministre des Affaires sociales?
M. BOURASSA: M. le Président, pour reprendre deux points de
l'ancien premier ministre: lorsqu'il dit que j'ai été imprudent
en accordant une priorité à la formule d'amendement, je pense
qu'il est prématuré d'arriver à une telle conclusion. Je
ne crois pas avoir fait preuve d'imprudence parce que je n'ai jamais
considéré que c'était là la seule priorité
du Québec. Il est trop tôt pour en conclure, mais il est possible,
à tout le moins que l'acceptation d'étudier une formule de
rapatriement puisse nous permettre parallèlement d'arriver à la
solution de l'un ou des problèmes majeurs actuellement dans les
relations fédérales-provinciales.
Donc, je ne puis pas, avec tout le respect et la grande estime que j'ai
pour lui...
M. BERTRAND: Si le premier ministre me le permet. Nous nous traitons en
Québécois ici; nous n'avons pas d'insultes à nous lancer.
Vous avez été prudent de faire ajouter: "La faculté
d'analyser toutes les implications juridiques et autres."
M. CHARRON: M. le premier ministre, je me permettrais une question,
juste après le chef de l'Opposition. Quand vous dites j'emploie
le vocabulaire du député de Missisquoi quand nous verrons
une volonté manifeste d'arriver à un nouvel accord sur un nouveau
partage, est-ce que cela veut dire que, sans cette volonté manifeste
là, vous ne vous engagerez jamais au nom du Québec sur la formule
d'amendement? Qu'est-ce que c'est pour vous...
M. BOURASSA: Vous ne reprenez pas ce que le chef de l'Opposition a dit.
Vous employez un terme général: volonté manifeste
d'arriver à un accord.
M. CHARRON: J'allais vous demander qu'est-ce que c'est pour vous.
M. BOURASSA: Bien, puisque c'est vous qui posez la question, j'aimerais
connaître votre définition de ce qu'est pour vous une
volonté manifeste.
M. CHARRON: Bien, moi, je vais vous dire pourquoi je vous pose la
question. C'est parce que je me méfie, un peu. A cette
conférence-là, vous serez dans une situation
d'infériorité com- me tous vos prédécesseurs. Vous
allez vous trouver dans une position qui va être une tentation ouverte au
marchandage. La volonté manifeste dont parlait le député
de Missisquoi pourra, dans votre esprit et dans l'esprit de votre
équipe, se résumer à un secteur bien précis: par
exemple, celui qui a été le premier porté à
l'attention de tout le public, celui des affaires sociales. En échange
d'un déblocage, disons, substantiel, dans le transfert de pouvoirs en
matière sociale, j'ai peur que vous abandonniez complètement
toutes les autres marques qui ont été faites dans l'histoire du
Québec, en particulier dans le document de travail qui a
été soumis par le gouvernement du Québec depuis
longtemps.
M. BOURASSA: Pourquoi cela serait-il abandonné?
M. CHARRON: C'est ma question; vous y répondrez après.
Supposons que, dans un tel déblocage en matière sociale
exclusivement, vous seriez prêt à concéder toutes les
autres demandes portant sur le pouvoir fédéral de
dépenser, sur les communications, sur le pouvoir de la main-d'oeuvre,
etc., est-ce que volonté manifeste d'une nouvelle répartition des
pouvoirs veut dire dans l'ensemble de la vie politique, sociale et
économique du Québec ou en quelque matière précise
qui vous inciterait, selon l'importance de la matière, à faire
des concessions sur la formule d'amendement?
M. BOURASSA: M. le Président, c'est extrêmement
présomptueux de la part du député, pour employer un
euphémisme, de dire que si nous étions capables de régler
la question de la politique sociale, par le fait même, ce serait renoncer
à toutes les autres questions. D'abord, il y a des liens entre la
politique sociale et le pouvoir de dépenser. Si la politique sociale se
fait en fonction des objectifs du Québec, c'est clair que ceci inscrit,
dans l'exercice ou l'application même de la politique sociale, des
limitations au pouvoir de dépenser.
Mais, je ne vois pas en quoi, si on règle tel problème,
cela nous empêche de continuer ou de poursuivre. Le député
parle de marchandage. Disons que ce sont des négociations. Il serait
pris si sa formule était appliquée avec une autre forme de
négociation.
M. CHARRON : Sauf que votre gouvernement, pour continuer ses demandes en
matière de communication ou de main-d'oeuvre, etc., devra
désormais fonctionner dans une formule d'amendement que vous auriez
acceptée.
M. BOURASSA: Qui serait supérieure au système actuel.
M. CHARRON: C'est de cela que nous parlerons. C'est ce qui est
important. Vous ne nous avez pas donné...
M. BOURASSA: La formule actuelle exige selon la tradition
constitutionnelle l'appui des dix gouvernements et du gouvernement
fédéral. Et même on me dit que, juridiquement parlant, le
gouvernement fédéral je dis cela sous réserve
pourrait faire amender la constitution sauf que la tradition
constitutionnelle veut que ce soient les dix gouvernements provinciaux et le
gouvernement fédéral.
M. BERTRAND: Je respecte l'opinion du premier ministre, en partie. Le
gouvernement fédéral n'a pas le droit de faire amender la
constitution au nom des provinces.
M. BOURASSA: En raison de la tradition constitutionnelle.
M. BERTRAND: Non, non! Le gouvernement fédéral a obtenu un
amendement en ce qui a trait à la partie de sa constitution,
problème qui devait être, d'ailleurs, remis en question et qui a
déjà été discuté à l'occasion d'une
conférence fédérale-provinciale.
M. BOURASSA: D'accord.
M. BERTRAND: De ce côté, le gouvernement
fédéral peut, par une adresse à Londres, demander des
amendements à la partie de la constitution qui est sienne. Je
répète que l'exercice de ce pouvoir a été mis en
doute; je n'ai ni le texte exact ni le volume de la conférence
fédérale-provinciale où ce problème a
déjà été discuté, mais on l'avait dit. C'est
à l'époque où on a dressé la fameuse liste des
pouvoirs vers les années cinquante-six qui pourraient
être amendés en prévision de la fameuse formule
Fulton-Favreau.
Cet énoncé de principe du premier ministre n'est pas
à point.
M. BOURASSA: En fait, il est impensable que le gouvernement
fédéral puisse amender la constitution, quelles que soient
peut-être les divergences sur les aspects juridiques strictement parlant.
Mais il reste que la formule proposée, par rapport à la situation
actuelle qui exige dix gouvernements et le gouvernement fédéral,
requiert l'accord de six gouvernements avec un droit de veto au Québec.
Donc, je pense que c'est une amélioration objective sur la situation
actuelle.
M. BERTRAND: Au point de vue des chiffres.
M. BOURASSA: Oui, oui. Indépendamment...
M. BERTRAND: Pas au point de vue des principes.
M. BOURASSA: C'est une amélioration objective
indépendamment de toute la question du pouvoir de
négociation.
M. BERTRAND: Au point de vue mathématique, il est clair qu'elle
est meilleure que la formule Fulton-Favreau. Au point de vue
mathématique.
M. BOURASSA: Et que le système actuel.
M. BERTRAND: Mais, au moment où nous parlons, nous, du
Québec car c'est surtout le Québec qui a toujours pris
l'initiative, d'une constitution entièrement nouvelle où les
pouvoirs seraient mieux définis, plus précisés si
vous vous liez à une formule mathématiquement supérieure,
au point de vue psychologique vous n'aurez rien gagné.
M. LAURIN: C'est-à-dire que l'océan Atlantique est moins
large que l'océan Pacifique, mais c'est quand même un
océan.
M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de
Chicoutimi.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je ne voudrais pas
reprendre ce qu'a dit le chef de l'Opposition officielle, opinion que je
partage, bien entendu, et qui est dans la continuité des discussions
constitutionnelles que nous avons eues dans le passé et de celles
auxquelles j'ai participé.
Toutefois, je voudrais poser quelques questions au premier ministre et
les préfacer d'une observation générale. Le premier
ministre nous a déjà déclaré que, lorsqu'il se
rendrait à Ottawa, il irait avec un dossier bien préparé.
Nous avons pris acte de cette déclaration et nous souhaitons que, lors
de la conférence de Victoria, ce dossier soit, comme il le disait, bien
préparé.
Pour qu'il le soit, il y a certains prérequis. Il y avait d'abord
l'acceptation d'un ordre du jour. Le premier ministre le
député de Missisquoi et chef de l'Opposition officielle l'a
souligné tout à l'heure a commis une première
erreur en acceptant que l'on donne priorité, dans l'ordre du jour de la
conférence, à cette question de la formule d'amendement.
M. BOURASSA: J'ai expliqué que je divergeais d'opinion.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui. J'ai compris, M. le premier ministre,
mais permettez-moi de poursuivre.
Donc, pour que ce dossier soit bien préparé, il y a des
prérequis. Le premier des prérequis, c'était l'ordre du
jour au sujet duquel moi aussi je blâme le premier ministre.
Il s'agit d'aller là-bas reprendre une discussion qui trame
depuis des années. En fait, il s'agit de rouvrir le dossier du pacte
confédératif de 1867. Nous avons eu maintes consultations; il y a
eu des conférences de toutes sortes qui nous ont laissé voir que
tout irait pendant longtemps à pas de tortue.
Or, nous n'avons pas le temps, à l'heure
actuelle, de marcher à ce rythme. L'accélération de
l'histoire a fait que les Québécois et les Canadiens se posent la
grande question de savoir quel sera le sort réservé à la
nation canadienne-française dans cette nouvelle formule d'association
avec le reste du Canada.
Quel sera donc la nature du document du Québec? C'est une
question que j'aimerais poser au premier ministre. Est-ce que ce sera un
document qui portera uniquement sur la formule d'amendement et sur certaines
exigences concernant des pouvoirs que voudrait avoir le gouvernement du
Québec?
J'estime, pour ma part, qu'au lieu de s'attacher au problème de
la formule d'amendement à la constitution, le gouvernement du
Québec devrait préparer son dossier de la façon suivante:
Dire à ses partenaires qu'avant de toucher à toute question
relative à la formule d'amendement, le Québec a à dicter
ses exigences, c'est-à-dire à indiquer de façon
impérieuse et impérative quels sont les champs, quels sont les
domaines, quels sont les pouvoirs de taxation qu'il veut avoir, quelles sont
les responsabilités qu'il entend désormais assumer. C'est donc
une partie du dossier qui me paraît être extrêmement
importante, qui est la condition essentielle que devrait poser le premier
ministre avant d'engager la discussion sur quelque formule d'amendement que ce
soit.
Parce qu'au fait le problème n'est pas de chercher une formule
d'amendement à la constitution, mais plutôt de préparer la
rédaction d'une nouvelle constitution mettant résolument de
côté toutes ces vieilleries dont a parlé tout à
l'heure le chef de l'Opposition officielle.
Donc, il m'apparaît que le gouvernement du Québec devrait
nous dire s'il a l'intention de manifester à ses partenaires ses
exigences; de demander au gouvernement central dans quelle mesure il est
prêt à se retirer de tous les domaines qu'il a envahis depuis
longtemps et qu'il continue d'envahir sournoisement, soit les domaines de
l'éducation et de la culture, des affaires sociales, des affaires
économiques, du développement des richesses naturelles, de
l'aménagement régional, des affaires municipales, de
l'habitation, des communications, des pouvoirs de dépenser, du travail
et de la main-d'oeuvre; d'autre part si le gouvernement central a l'intention
de se départir de sa rigidité en ce qui concerne ses pouvoirs
dans le domaine des relations étrangères et dans le domaine aussi
du commerce international.
Ce sont là, il me semble, des prérequis. Le premier
ministre ne devrait pas avoir à se préoccuper de savoir si ses
partenaires accepteront tel ou tel ordre du jour, mais il devra leur
déclarer: Voici quels sont les prérequis, quelles sont les
conditions que pose le Québec avant que de s'engager dans une nouvelle
discussion d'ordre constitutionnel qui doit amener non pas seulement une
refonte de la constitution, des amendements ou des formules d'amendement
à la constitution actuelle, mais amener les parte- naires de la
fédération canadienne à renégocier un nouveau pacte
et à procéder à l'élaboration d'une nouvelle
constitution.
Par conséquent, je demande au premier ministre quelle est la
nature du dossier. Qu'est-ce qu'il y aura dans ce dossier? Le premier ministre
nous a réunis, cet après-midi, en commission parlementaire pour
faire connaître aux membres de cette commission et, par
conséquent, aux Québécois l'attitude du Québec.
Cette réunion que nous tenons cet après-midi et qui peut
se poursuivre; je n'en sais rien n'aura aucun sens, aucune sorte de
valeur si le premier ministre ne nous donne pas des indications claires sur les
volontés du Québec, sur les intentions du Québec, sur les
sujets qu'il considère comme prioritaires et s'il ne nous fait pas
savoir quelle peut être l'attitude qu'il entend prendre en face de ses
partenaires.
On a parlé, tout à l'heure, de volonté manifeste
des autres Etats membres de la confédération qui s'opposent aux
revendications du Québec. Je fais observer à celui qui en a
parlé tout à l'heure et qui a parlé aussi de la situation
d'infériorité du gouvernement du Québec dans une
conférence de cette nature que quelque gouvernement que ce soit du
Québec et même un gouvernement indépendantiste qui irait
renégocier avec le Canada un nouveau mode d'association serait, lui
aussi, dans une situation d'infériorité.
Par conséquent, je demande au premier ministre de nous dire, s'il
veut que cette réunion ait un sens, quelle est la nature de son
document. Porte-t-il surtout sur des demandes concernant les pouvoirs que le
Québec entend obtenir et les responsabilités qu'il entend assumer
ou ce document portera-t-il d'abord sur la formule d'amendement qui a fait
l'objet de discussions et dont le chef de l'Opposition a parlé tout
à l'heure? Autrement, je ne vois pas pourquoi le premier ministre nous a
réunis, sinon pour nous dire qu'il va à Victoria et qu'il va
discuter de choses importantes. Nous voulons savoir bien autre chose que
cela.
M. BOURASSA: M. le Président, le député, selon son
habitude, a présenté, de façon articulée, son point
de vue, mais je dois quand même constater qu'il a tenu des propos
irrévérencieux vis-à-vis de ses collègues,
lorsqu'il a dit que la réunion de cet après-midi n'avait aucune
valeur.
M.TREMBLAY (Chicoutimi): J'ai dit qu'elle n'aurait aucune valeur "si" le
premier ministre ne lui en donne pas une.
M. BERTRAND: C'est quand même conditionnel.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je tiens à
préciser. Cette réunion n'a eu de valeur, jusqu'à
présent, qu'en fonction des déclarations que nous avons entendues
à tour de rôle. En ce qui concerne l'attitude du
gouvernement, ce que le gouvernement nous a dit n'a aucune sorte de
valeur indicative et ne nous montre pas ce que le gouvernement entend
faire.
Or, vous nous avez réunis pour nous faire savoir quelle sera
l'attitude du gouvernement face aux autres gouvernements: le gouvernement
central et les gouvernements des Etats membres de la fédération.
A vous la parole. Autrement, cette réunion n'aura aucune sorte de
valeur.
M. BOURASSA: M. le Président, je prends note que le
député a retiré partiellement ses propos vis-à-vis
de ses collègues.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pas du tout! Je n'ai rien retiré. Au
contraire, j'y ai ajouté. Que le premier ministre ne joue pas les
naiïs; qu'il ne joue pas de sa naïveté stratégique et
qu'il nous éclaire une fois pour toutes. Nous ne sommes pas en Chambre
où le président peut nous dire: Le premier ministre n'ayant pas
répondu, vous devez vous contenter de sa réponse. Qu'il nous
donne maintenant des réponses aux questions que nous posons depuis des
mois à la Chambre.
Il est responsable non seulement de l'avenir économique du
Québec, mais de l'avenir de tous les Québécois et c'est
à lui que nous devons nous en remettre de cet avenir.
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai expliqué, au
début de la séance, que je ne pouvais pas, dans l'état des
négociations, donner la position complète et
détaillée du gouvernement, puisque nous négocions.
M. CHARRON: Oui, mais vous négociez sur quoi?
M. BOURASSA : Si vous me laissez terminer, ce ne sera pas long. J'ai dit
également que l'un des buts de cette rencontre était de permettre
aux chefs de partis, aux représentants de l'Opposition d'exprimer leur
point de vue. D'ailleurs, ils l'ont fort bien fait dans des documents
fouillés, détaillés, exprimant le point de vue des
différents partis: le chef de l'Opposition, le député de
Rouyn-Noranda, le chef du Ralliement créditiste, et le
député de Bourget, le chef du Parti québécois.
Si on me permet, M. le Président, de revenir à un point
qui tantôt a été soulevé par le chef de
l'Opposition. J'ai ici les Statuts de Westminster 1931, par Maurice Olivier. On
cite, de la Loi du Statut de Westminster, l'article 4, qui dit: "No Act of
Parliament in United Kingdom past je passe la phraséologie
habituelle ne peut être changé à moins du
consentement du Dominion. Donc, on ne fait pas mention, dans cet
article-là, du consentement nécessaire des provinces.
M. BERTRAND: Qu'est-ce que c'est, le Dominion?
M. BOURASSA: On ne fait pas de façon expresse... J'ai dit
tantôt que j'étais d'accord avec le chef de l'Opposition qu'il
était impensable, selon la tradition constitutionnelle, que des
changements soient apportés à la répartition des pouvoirs
sans le consentement des provinces.
Mais, juridiquement parlant, c'est une interprétation qui m'a
été soumise.
M. BERTRAND: Disons qu'on ne fera pas de discussion juridique. Je
regrette de ne pas avoir autour de moi les nombreux livres que j'ai lus, mais
je sais où ils sont. Cette théorie juridique, je la rejette et je
ne suis pas le seul.
M. BOURASSA: D'accord, j'accepte que le chef de l'Opposition exprime son
point de vue...
M. BERTRAND: Parce que le Dominion, c'est le Dominion du Canada. Or, le
Canada, ce n'est pas seulement le gouvernement central. Si c'est seulement le
gouvernement central, c'est un pays unitaire. On nous fait croire depuis assez
longtemps que c'est une fédération. Moi, je l'ai toujours
appelé une quasi-fédération parce que ce n'est pas du
fédéralisme véritable. Je n'utilise pas souvent le mot
"fédéralisme", parce que c'est un mot que l'on identifie trop
à certaines positions de certains hommes politiques. Mais le vrai
fédéralisme, ce n'est pas un gouvernement unitaire. C'est un
gouvernement central et des gouvernements souverains dans leurs domaines.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Qu'est-ce que le Dominion a à faire aux
questions que j'ai posées?
M. BERTRAND: D'ailleurs, le Dominion du Canada, ce sont les provinces et
le gouvernement central.
M. BOURASSA: Oui, mais ce n'est pas moi, c'est le chef de
l'Opposition...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Qu'est-ce que le Dominion a à faire aux
questions très précises que j'ai posées au premier
ministre?
M. BOURASSA : J'ai demandé la permission du
député.
M. BERTRAND: Avec plaisir... M. BOURASSA: Bon, d'accord.
M. BERTRAND: Mais je n'accepte pas la théorie juridique du...
M. BOURASSA: Disons que je n'accepte pas non plus cette théorie
juridique, mais je dis que peut-être...
M. BERTRAND: Il y en a qui la prônent.
M. BOURASSA: ...il y en a qui la prônent. M. BERTRAND: Admis.
M. BOURASSA: Elle existe et je dis que la formule qui est
proposée constitue une amélioration.
M. BERTRAND: M. le Président, je ne veux pas du tout prendre le
temps de la commission. Nous avons parlé tantôt de
problèmes majeurs. J'ai donné comme exemple une question à
laquelle vous avez à peine répondu. Il y a le problème de
la répartition fiscale, de la répartition des pouvoirs. Je notais
tantôt, dans les propos du premier ministre, qu'il y a tous les
problèmes économiques, les problèmes sociaux, les
problèmes culturels. Cela fait partie de la révision et d'une
nouvelle constitution.
M. BOURASSA: Je l'ai dit, dimanche soir.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais vous n'allez pas répondre à
ma question précisément?
M. BOURASSA: Non, mais écoutez...
M. BERTRAND: Est-ce que tous ces problèmes vont faire l'objet de
votre dossier?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quelles sont les pièces du dossier?
M. BOURASSA: M. le Président, on n'a qu'à
référer aux documents que le gouvernement a déjà
déposés à l'occasion des conférences
fédérales-provinciales précédentes. Nous
étions le premier gouvernement, je pense, à insister sur
l'importance des communications, à la conférence
fédérale-provinciale du mois de septembre. Parce que nous sommes
un gouvernement en fonction de l'avenir, nous nous rendons compte que les
communications sont un secteur très important pour l'avenir.
Je peux référer l'ancien premier ministre au document que
j'ai déposé ici, aux pages 12, 13, 14, pour montrer que nous
avons... Mais nous ne pouvons pas, alors que nous avons affaire à une
réalité mouvante dans tous ces secteurs le
député de Chicoutimi va être d'accord et le chef de
l'Opposition l'a compris lui-même, tantôt, lorsqu'il a parlé
de problèmes majeurs et non pas de tous les problèmes
faire une liste complète et exhaustive de tous les problèmes qui
sont en litige. J'en appelle au réalisme du chef de l'Opposition...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si le premier ministre me permet, M. le
Président, qu'il ne cherche pas de faux-fuyants...
M. BOURASSA: Je sais que le chef de l'Opposition...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il fait l'anguille actuellement...
M. BOURASSA: Non, non!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je lui ai posé des questions
très précises. Quelles sont les priorités qui
apparaîtront dans le document officiel que vous allez déposer? Sur
quoi cela va-t-il porter?
M. BOURASSA: M. le Président, c'est déjà
déposé.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ensuite, les détails.
M. BOURASSA: Je ne peux que référer le
député aux documents que j'ai déjà
déposés: la politique sociale, la politique économique, la
politique culturelle.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce sera la même chose?
M. BOURASSA: Bien, il peut y avoir des changements, parce qu'on...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Envoyez-les par la poste.
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai dit...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous connaissons le document.
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai dit que la conférence
était dans un mois et que le gouvernement à ce moment... Je pense
que c'est le gouvernement qui est maître de sa stratégie. Est-ce
que le député est d'accord avec ça?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): S'il en a une.
M. BOURASSA: Oui, mais il verra. Le gouvernement fera connaître sa
stratégie lorsqu'il jugera que c'est opportun ou efficace de le
faire.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais est-ce que le gouvernement ne devrait pas
nous faire connaître un petit peu de cette supposée
stratégie, puisqu'il nous a réunis pour nous prévenir de
ce qui allait se passer là-bas?
M. BOURASSA: C'est faux!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, pourquoi nous avez-vous
réunis?
M. BOURASSA: Pour vous permettre de parler et d'exprimer le point de vue
des différents partis.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Bien, nous autres, nous sommes
intéressés à vous entendre.
M. BOURASSA: Nous sommes intéressés à vous
entendre.
M. BERTRAND: Je vais poser une question assez directe au premier
ministre. A quelles conditions est-il prêt à accepter la formule
Trudeau-Turner?
M. BOURASSA: M. le Président, je ne peux certainement pas
répondre à la question du chef de l'Opposition alors que nous
sommes précisément, comme je l'ai dit tantôt, en train de
négocier dans plusieurs secteurs. Je pense que l'ancien premier
ministre, avec son expérience, devrait comprendre que si maintenant le
chef du gouvernement avec toutes ces négociations disait: C'est
ça le minimum qu'on veut, imaginez dans quelle position de
négociation nous nous trouverions. Je pense que l'ancien premier
ministre va comprendre...
M. BERTRAND: Le premier ministre va me permettre de faire la remarque
suivante...
M. CHARRON: Mais si vous le disiez publiquement...
M. BERTRAND: ... je ne suis plus premier ministre, je suis chef de
l'Opposition, et c'est mon devoir, au nom de l'Opposition, faisant écho
aux opinions qui ont été formulées: A quelles
conditions... Le premier ministre dit: Je ne peux pas dire à quelles
conditions j'accepterais la formule Trudeau-Turner.
M. BOURASSA: Pas pour l'instant. M. BERTRAND: Pas pour l'instant.
M. CHARRON: M. le Président, j'ai une question à
poser.
M. BOURASSA: D'accord.
M. CHARRON: Moi, je me dis, dans l'état actuel des
négociations, je ne les connais pas vos négociations que vous
avez avec le fédéral, je ne sais pas comment elles progressent,
je ne sais pas dans quel domaine vous les avez parce que vous ne l'avez pas
fait connaître votre politique constitutionnelle, c'est aussi simple que
ça.
M. BOURASSA: M. le Président, le député...
M. CHARRON: Ce que vous nous prouvez cet après-midi, c'est que
véritablement vous n'en avez pas. Mais je dis que même si
aujourd'hui vous étiez suffisamment...
M. BOURASSA: Le député n'est pas sérieux.
M. CHARRON: ... si vous aviez suffisamment cette politique
derrière vous, cette volon- té que tous les
Québécois attendent de vous aujourd'hui d'être capable de
dire à quelles conditions...
M. BOURASSA: Ceux qui veulent détruire la
confédération, oui.
M. CHARRON: ... de préciser à quelles conditions vous
allez vous rendre à Victoria et dans quel état d'esprit... c'est
quand on vous aura concédé sur tel et tel domaine, vous vous
renforcez dans les négociations. On profite de vous actuellement dans
les négociations avec le fédéral parce qu'on ne
reconnaît pas derrière vous une politique avec une épine
dorsale, vous n'en avez pas.
M. BOURASSA: M. le Président...
M. CHARRON: La politique constitutionnelle de votre gouvernement...
M. BOURASSA: Si le député veut orienter le débat
à ce niveau-là, on va être capable de lui
répondre.
M. CHARRON: Vous nous avez convoqués pour vous parler, alors nous
allons vous parlez.
M. BOURASSA: Oui, mais parlez sérieusement.
M. CHARRON: La politique constitutionnelle de votre gouvernement
actuellement, c'en est une qui dépend des discours de vos ministres et
vous êtes appelé à les rapiécer à chaque
minute, quand un s'est avancé un peu trop loin, et c'est comme ça
qu'on essaie de trouver un ensemble dans ce que vous avez comme position face
au gouvernement central.
M. BOURASSA: J'ai dit...
M. CHARRON: Et on va vous mettre des conditions dans les roues à
chaque fois et la principale on vous a passé ce sapin-là
en février c'est de vous faire passer la formule d'amendement
d'abord. On va vous la vendre pour quelques concessions dans le domaine social,
dont je ne connais pas l'ampleur encore et que le ministre des Affaires
sociales est peut-être le seul à connaître actuellement.
Mais, pour ces concessions, vous préparez vraisemblablement, à
cause du manque d'étoffe dans votre politique, à accepter une
formule d'amendement qui, dans le domaine de la main-d'oeuvre, dans le domaine
des communications et dans tous les domaines de la vie du Québec, parce
que nous sommes une société normale, on va être
emprisonné. Pour un petit carcan social, vous allez endosser le carcan
politique et la formule d'amendement.
M. BOURASSA: Qu'est-ce que vous en savez? M. le Président,
d'abord je pourrais facilement...
M. CHARRON: Bien, dites-le, maudit! On est là à vous le
demander.
M. BERTRAND: Je voudrais poser au premier ministre la question suivante:
Considérez-vous le problème du travail et de la main-d'oeuvre,
comme faisant partie d'un domaine de négociation relevant de la
sécurité sociale?
M. BOURASSA: M. le Président, d'abord, si on veut orienter le
débat sur le plan de la partisanerie, ça va être facile de
le faire.
M. BERTRAND: M. le Président, je pense...
M. BOURASSA: Je ne parle pas du chef de l'Opposition.
M. BERTRAND: ... que de tous les chefs de parti, il n'y a pas eu de
remarque de nature telle que le premier ministre nous dise...
M. BOURASSA: Non, mais c'est le député de
Saint-Jacques...
M. BERTRAND: ... qu'on en fait un débat partisan. Nous sommes
tous des Québécois...
M. BOURASSA: Nous avons exprimé le point de vue
général...
M. BERTRAND: ... autour de la table et moi, le premier...
M. BOURASSA: Vous voulez briser le Canada, comment voulez-vous qu'on
vous prenne au sérieux?
M. CHARRON: Je ne vous demande pas de briser le Canada, c'est vous qui
êtes en train de briser devant les autres.
M. BOURASSA: M. le Président, le point de vue
général du Québec a été exprimé au
mois de septembre. Là, vous avez les grands principes, les grands
secteurs, je l'ai dit six fois. Je ne peux pas faire autrement que conclure
à la mauvaise foi du député de Saint-Jacques s'il me force
à répéter une septième fois.
M. LAURIN: M. le premier ministre, la question n'est pas là,
c'est à quel point c'est limité à la formule
d'amendement.
M. BOURASSA: Est-ce que je peux répondre aux questions une
à une, s'il vous plaît? Par politique sociale, pour
répondre à la question du chef de l'Opposition, le gouvernement
du Québec entend l'ensemble des politiques dans chacun des domaines
suivants: sécurité du revenu, main-d'oeuvre y compris formation
professionnelle et centres de main-d'oeuvre, services sociaux y compris ceux
qui sont reliés à l'administration de la justice, service de
santé y compris les mesures de financement tels l'assu-
rance-hospitalisation, l'assurance-maladie, habitation et loisirs. C'est dans
le document qui a été rendu public.
Qu'est-ce que vous voulez de plus? Vous avez toutes les
définitions dans les documents publics et vous vous plaignez encore de
ne pas avoir de détails.
M. LAURIN: M. le premier minisre, c'est une déclaration
générale.
M. LE PRESIDENT (Bacon): A l'ordre! M. BERTRAND: Le premier
ministre...
M. BOURASSA: Il y a sept articles quand même là-dedans.
M. BERTRAND: ... pourrait bien formuler les questions. Je puis renvoyer
le premier ministre à tous les documents que j'ai à mon bureau et
lui dire : Bien, allez les consulter pour savoir quelle question je veux vous
poser.
M. BOURASSA: Non, mais, M. le Président, on a dit qu'on n'a pas
exprimé leur point de vue. Je donne ici un exemple avec sept articles
spécifiques.
M. CHARRON: C'est une définition applicable à
l'éthique sociale, vous allez trouver ça dans n'importe quel
pays.
M. BOURASSA: C'est faux!
M. CHARRON: Sauf que, nous autres, nous ne contrôlons pas
actuellement. Vous avez un ministre qui est en train de négocier pour
l'avoir. Quel point dans la négociation et dans l'échange vers le
Québec de ces pouvoirs-là serait jugé suffisant par votre
gouvernement pour accepter la formule Turner?
M. BOURASSA: C'est une question, M. le Président je
m'excuse auprès du député complètement
stupide. Comment voulez-vous qu'un gouvernement dise, alors qu'il est en pleine
négociation, le minimum qu'il veut obtenir?
M. CHARRON: C'est normal qu'un gouvernement le fasse.
M. BOURASSA: Le député...
M. CHARRON: C'est normal que le gouvernement négocie avec force.
N'attendez pas... Le gouvernement n'a pas de politique.
M. BOURASSA: ... devrait savoir qu'il va falloir une résolution,
qu'une résolution va être soumise à l'Assemblée
nationale.
M. DUMONT: On ne s'entend pas, M. le Président.
M. LE PRESIDENT (Bacon): A l'ordre!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'ai posé des
questions au premier ministre très simplement avec une certaine
vivacité pour le réveiller. J'ai demandé quelle serait la
composition du dossier, quels seraient les priorités, les
prérequis avant d'engager la discussion sur la formule
constitutionnelle. Il nous renvoie à des documents et nous aimerions
avoir des précisions sur les champs que le Québec entend
récupérer, les responsabilités nouvelles que le
Québec entend assumer.
M. BOURASSA: M. le Président, dans le domaine de la politique
sociale, je viens de donner des explications et le ministre des Communications
a exprimé le point de vue du gouvernement à plusieurs reprises.
Je l'avais fait au cours de l'été dernier. Il reste le secteur
économique où la priorité est peut-être moins
importante, en ce sens que le gouvernement du Québec, dans ces
secteurs-là, a l'appui de plusieurs autres provinces et que, de toute
manière, dans un régime fédéral le gouvernement
peut bénéficier d'une façon substantielle du
régime. Je n'ai pas à énumérer tous les avantages
qu'on a obtenus depuis un an sur le plan économique et financier. Je
pense que, sur le plan économique et financier, le gouvernement du
Québec a obtenu des concessions importantes. De fait, nous avons eu deux
budgets sans hausse de taxes. Cela, c'est un résultat concret que je
signale au député de Chicoutimi.
M. LAURIN: Est-ce que la réalisation de votre déclaration
de septembre, M. le premier ministre, constitue une condition d'accord à
la formule d'amendement? C'est ça qu'on veut savoir.
M. BOURASSA: M. le Président, nous considérons,
étant donné qu'une formule d'amendement est
présentée parallèlement, qu'il y a des problèmes
majeurs, notamment la politique sociale, qui doivent être
réglés. Il reste au gouvernement à décider s'il
doit exiger en échange de cette acceptation d'une formule d'amendement,
qui est une formule supérieure, le règlement de tous les
problèmes, s'il n'y a pas là un risque...
M. LAURIN: Mettons...
M. BOURASSA: Cela fera probablement plaisir au Parti
québécois, mais nous, nous n'avons pas été
élus pour faire la séparation du Québec.
M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de
Mégantic.
M. DUMONT: Le chef de l'Opposition a posé une question
très directe, à savoir à quelles conditions vous
accepteriez la formule Turner-Trudeau qui ressemble énormément
à la formule Fulton-Favreau. Je me reporte à vos
déclarations premières à l'effet qu'il faudrait, à
cette conférence, avoir une garantie du rattrapage économique
pour le Québec. Alors, je me reporte à cette promesse que nous
avons eue parfois en Chambre, à savoir que le Québec pourrait
récupérer $225 millions de la taxe dite de progrès social.
Est-ce l'intention du premier ministre d'aborder ce sujet à la prochaine
conférence?
M. BOURASSA: M. le Président, ce n'est pas à l'ordre du
jour de la prochaine conférence.
M. BERTRAND: M. le Président...
M. DUMONT: J'ai une autre question...
M. LEGER: M. le Président...
M. LE PRESIDENT (Bacon): A l'ordre!
M. DUMONT: ... précise à poser parce que je pense que
plusieurs autres questions ont été posées...
M. BERTRAND: Allez-y.
M. DUMONT: ... si vous me le permettez. Vous avez déclaré,
tout à l'heure, que 46 p. c. de la population avait appuyé votre
gouvernement. Etant donné que nous sommes douze et que les partis de
l'Opposition représentent 54 p. c. de l'électorat, est-ce qu'il
ne serait pas tout à fait dans l'ordre que les partis de l'Opposition ou
qu'au moins les membres de la commission parlementaire sur la constitution, qui
est formée pour étudier ces problèmes, soient
invités à siéger à Victoria afin de voir, de
suggérer ou de donner de bons conseils à notre premier ministre,
lors de cette conférence du mois de juin prochain?
M. BOURASSA: J'ai répondu à cette question.
M. DUMONT: Ce n'est pas votre intention de reconsidérer cette
réponse?
M. BOURASSA: Ah, la reconsidérer! Bien, si cela peut faire
plaisir au député, oui.
M. SAMSON: M. le Président, est-ce que le premier ministre
pourrait nous donner des raisons valables? Cette commission parlementaire est
formée de onze membres. Nous n'avons qu'un membre, nous; le Parti
québécois en a un, l'Union Nationale deux et c'est vous qui avez
le reste. Donc, vous n'avez pas grand risque de ce côté-là.
Est-ce qu'il y a des raisons spéciales pour lesquelles on
éviterait de nous inviter en tant qu'observateurs? Je me permets
d'insister parce que, justement, chaque fois que
le premier ministre revient d'une conférence
fédérale-provinciale, il semble que nous manquions de
renseignements. Nous recevons souvent les renseignements par la voie des
journaux. Comme évidemment, il y a des éditorialistes, ces
renseignements-là peuvent être interprétés. Alors,
si nous étions présents, nous pourrions voir exactement comment
cela se passe. Ni l'un ni l'autre des partis d'Opposition, ni le public, je
pense, ne pourraient dire, à ce moment-là, que les choses se
passent en cachette. Je crois que le premier ministre est le premier à
vouloir que la politique du gouvernement du Québec se fasse à la
lumière et qu'il n'y ait pas de cachette. Ce que nous réclamons,
M. le Président, je pense que c'est juste et raisonnable.
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai dit que j'étais
prêt à reconsidérer cela, mais je ne considère pas
que ce serait opportun. D'abord, cela ne s'est jamais fait, à ma
connaissance.
M. SAMSON: M. le Président, ce n'est pas parce que cela ne s'est
jamais fait qu'on ne doit pas commencer à le faire!
M. BOURASSA: Non, non! Deuxièmement...
M. SAMSON: Il y a des choses qui ne se sont jamais faites avant
1971...
M. BOURASSA: D'accord.
M. SAMSON: ... et que nous devrons faire à partir de
maintenant.
M. BOURASSA: ... c'est le gouvernement qui établit la politique
consitutionnelle. Une chose que je ne voudrais pas que les
députés oublient, c'est que, quels que soient les accords
auxquels nous allons en venir, cela sera soumis par résolution à
l'Assemblée nationale. Quand même, il ne s'agit pas, pour le
gouvernement, d'engager le Québec et de signer des accords sans que cela
soit soumis à l'Assemblée nationale! Plusieurs
députés semblent oublier que le gouvernement a le dernier mot et
que cela n'aurait pas besoin d'être soumis à l'Assemblée
nationale, éventuellement, si nous tombions d'accord sur la formule
d'amendement et sur d'autres secteurs.
M. SAMSON: M. le Président, je m'excuse auprès du premier
ministre, mais cela nous est souvent rappelé que le gouvernement a le
dernier mot et nous le savons. Nous savons que vous êtes le gouvernement.
Nous savons aussi que vous représentez 46 p. c. de la population et
qu'à nous trois, les Oppositions, nous en représentons 54 p. c.
.
Or, nous verrions d'un très bon oeil que vous soyez
appuyé, à cette conférence constitutionnelle, par
l'ensemble de la population du Québec c'est-à-dire par les
représentants de l'ensemble de la population. Evidemment, nous n'aurons
rien à dire là, mais nous pourrons, en tant
qu'observateurs...
M. BOURASSA: Mais ce sera...
M. SAMSON: Comme l'a souligné mon collègue de
Mégantic, il y aura peut-être à ce moment, certains
conseils qui pourront être donnés au premier ministre, venant de
l'Opposition. Nous savons que le premier ministre est ouvert à certaines
suggestions que nous pourrions faire sur place, mais un mois après, il
sera trop tard.
M. BOURASSA: Je dis au député je comprends son
inquiétude que d'abord une partie de la conférence sera
télévisée. Et je dis au député que de toute
manière il n'y aura pas d'engagement...
M. SAMSON: Ecoutez, la partie télévisée, c'est le
"show". Nous, nous voulons des actes.
M. BOURASSA: Ah, vous êtes contre...
M. LEGER: M. le Président, j'aurais une question.
M. DUMONT: Une dernière question si vous me permettez, M. le
Président, et je pourrai utiliser mon droit de parole sans y
revenir.
La souveraineté, M. le premier ministre, reposant sur la
propriété du domaine imminent est-ce que les conseillers
juridiques de votre gouvernement ont étudié la possibilité
de faire établir le droit à l'autodétermination sur cette
propriété du domaine imminent, pour chaque province?
M. BOURASSA: Non, M. le Président. Vous voulez dire votre formule
de dix droits d'autodétermination? Le Nouveau-Brunswick pourrait adopter
la séparation, etc..
M. DUMONT: Le droit du domaine imminent, c'est-à-dire le droit
à la propriété entourant les provinces.
M. BOURASSA: On me signale que nous avions reçu votre texte
vendredi seulement. Nous l'examinerons.
M. DUMONT: Ce n'est pas seulement de nous. C'est cité dans l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique, le droit du domaine imminent.
M. BOURASSA: C'est cela, ici: longitude...
M. DUMONT: C'est dans l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique.
M. SAMSON: Le document, c'est pour vous permettre de vous orienter parce
que vous ne savez pas où aller.
M. LE PRESIDENT (Bacon): La proie est au député de
Bourget. Ensuite, les députés de Lafontaine et de Missisquoi.
M. LAURIN: M. le Président, je voudrais d'abord rétablir
l'affirmation du premier ministre qui disait tout à l'heure que j'avais
référé d'une façon peut-être fausse à
l'approbation par les deux Chambres du Parlement.
Je renvoie le premier ministre au communiqué officiel de la
conférence, qu'il a signé lui-même, où il est dit au
paragraphe b) de la page 3 que toute formule d'amendement demande l'approbation
de la manière habituelle par les Assemblées législatives
et par les deux M. le premier ministre Chambres du Parlement.
M. BOURASSA: Cela a été l'objet de négociations
subséquentes.
M. LAURIN: Mais, c'est quand même le texte officiel.
M. BOURASSA: D'accord, mais j'ai tenu à faire une mise au point,
pour empêcher le député de s'éterniser sur cette
question.
M. LAURIN: Je ne peux me référer qu'au texte officiel.
M. BOURASSA: D'accord, mais j'ai précisément fait cette
mise au point pour éclairer le député.
M. LAURIN: Bon! Mes questions portent sur quelque chose qui nous force
à revenir un peu en arrière. On a parlé, tout à
l'heure, de priorités qui avaient été établies sur
la formule de rapatriement et d'amendement.
On a parlé tout à l'heure de formule de rapatriement et
d'amendement qui avait été mise à l'ordre du jour en
priorité à la conférence de septembre. C'est une
priorité effective, même si vous en aviez d'autres, puisque c'est
celle-là qui a à l'ordre du jour.
Je voudrais savoir de votre part si, avant d'accepter, à la
conférence de septembre, de mettre en priorité à l'ordre
du jour ces deux sujets, votre cabinet avait donné son accord.
M. BOURASSA: M. le Président, pourquoi... M. LAURIN: C'est une
question.
M. BOURASSA: D'abord, les délibérations... c'est une
question qui m'apparaît impertinente, avec tout le respect que je dois au
député. Je pense que les délibérations du cabinet,
jusqu'à nouvel ordre...
M. LAURIN: Mais vous pouvez nous en informer. Une fois qu'une
décision est prise. Si cela n'a pas fait l'objet d'une discussion au
cabinet...
M. BOURASSA: M. le Président, si la décision doit recevoir
l'avis du cabinet elle le reçoit.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Toute décision de cette nature doit
recevoir l'avis du cabinet, je l'espère.
M. BOURASSA: C'est pourquoi je dis que la question du
député est impertinente.
M. TREMBLAY: Ne jouez pas avec les mots.
M. LAURIN: Je demande simplement... M. BOURASSA: Je viens de
répondre.
M. LAURIN: ... si avant d'accepter qu'elle soit inscrite à
l'ordre du jour en priorité, en septembre, il y avait eu discussion
préalable au cabinet et acceptation par le cabinet de cette prise de
position.
M. BOURASSA: J'ai dit au député qu'il est normal que des
décisions comme celles-là soient discutées au conseil des
ministres.
M. LAURIN: Je ne demande pas s'il est normal ou non, je demande si
effectivement...
M. BOURASSA: Le député est d'une curiosité
surprenante.
UNE VOIX: Il veut tout savoir.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Continuez, c'est de la psychanalyse. Vous
êtes sur la piste, docteur.
M. LAURIN: Je prends acte que le premier ministre refuse de
répondre à cette question. J'en ai une autre. Après la
conférence...
M. BOURASSA: Il copie le député de Saint-Jacques. Il ne
pose pas de questions sérieuses.
M. LAURIN: ... de septembre, vous aviez déclaré en public
que vous demanderiez au greffier du Conseil exécutif de mettre au point
une formule d'amendement. Je voulais simplement savoir si cela a
été fait, si votre cabinet s'était penché sur la
question, s'il y avait eu discussion et s'il y avait eu accord du cabinet sur
la position que vous avez prise en février.
M. BOURASSA: M. le Président, je pourrais facilement ne pas
répondre au député, mais je puis lui dire, disons par
courtoisie, je n'ai pas d'objection, qu'il y a eu une réunion à
la maison Montmorency du conseil des ministres, je pense, les 23 et 24 janvier,
où toutes ces questions ont été discutées. Des
experts sont venus nous donner toutes les implications des points qui
étaient en discussion.
M. LAURIN: Est-ce que votre prise de position alors sur la formule
d'amendement telle qu'on l'a connue en février avait l'accord du cabinet
ou si on n'en avait pas discuté au cabinet?
M. BOURASSA: La prise de position sur...
M. LAURIN: Si la prise de position que vous avez prise sur la formule
telle qu'elle apparaît au communiqué avait fait l'objet d'un
accord.
M. BOURASSA: J'ai dit dans le communiqué c'est
écrit que c'est une formule susceptible d'un accord sous
réserve d'analyser les implications juridiques et autres. Cela
reflétait le point de vue du chef du gouvernement et du cabinet.
M. LAURIN: Comme il est difficile d'avoir une réponse
précise, je vais vous poser une autre question. Est-ce que la formule
d'amendement telle qu'elle a été proposée en
février venait d'une province particulière ou du
Québec?
M. BOURASSA: La formule d'amendement a fait suite à des
rencontres bilatérales, notamment entre le Québec et le
gouvernement fédéral, et je suppose qu'il y a eu également
des rencontres avec les autres provinces. Je crois que le ministre de la
Justice, M. Turner, a rendu visite aux différents gouvernements
provinciaux, mais il y a eu certainement de nombreuses discussions entre le
gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral. Nous
avons fait des suggestions...
M. LAURIN: Alors, quelle a été la participation...
M. BOURASSA: ...mais sans engager...
M. LAURIN: ...du Québec dans le texte de cette formule
Turner-Trudeau? Quelle a été la participation du
Québec?
M. BOURASSA: Comment?
M. LAURIN: On l'appelle la formule Turner-Trudeau, mais on sait...
M. BOURASSA: Qui l'a appelée comme cela?
M. LAURIN: ...très bien que pour la formule Fulton-Favreau, par
exemple, il y avait eu une participation assez intense du provincial à
l'élaboration de la formule. Il y a des ministres qui ont laissé
leur marque sur cette formule. Je voudrais savoir si...
M. BOURASSA: Ce n'est pas nous qui l'avons appelée la formule
Turner-Trudeau.
M. LAURIN: ...dans la formule que l'on appelle Turner-Trudeau il y a eu
une participation effective du Québec dans le texte de la formule qui a
été soumise à la conférence de février.
Est-ce que le gouvernement a participé à l'élaboration de
cela?
M. BOURASSA: J'ai dit tantôt au député de Bourget
qu'il y avait eu des rencontres préalables à la conférence
constitutionnelle et cela m'apparaît normal. Il y a eu des rencontres
entre le ministre de la Justice et des fonctionnaires. J'ai moi-même
rencontré le ministre de la Justice. J'ai rencontré
également le ministre fédéral de la Justice, M. Turner. Il
y a eu des rencontres préalables où le Québec... Disons
que le droit de veto pour le Québec c'est un point de vue qui avait
été exprimé par le Québec. Il y a eu des rencontres
avec tous les différents gouvernements.
Le député pose une question à laquelle il est
impossible de répondre: la participation effective. Qu'est-ce qu'il
entend par cela?
M. LAURIN: Je vais vous la poser sous une autre forme.
M. LEGER: Elle vous a été imposée, cette formule,
ou si...
M. BOURASSA: Mais imposée... On n'est pas arrivé...
M. LAURIN: Jusqu'à quel point la formule Turner-Trudeau, que nous
connaissons et qui a été discutée en février,
porte-t-elle la marque de la participation du Québec sur tel ou tel de
ses articles? Par exemple, sur les six provinces au lieu de dix...
M. BOURASSA: Le droit de veto du Québec...
M. LAURIN: ...sur l'absence de délégation de pouvoirs aux
législatures provinciales. Jusqu'à quel point le Québec
a-t-il apporté une contribution à cette formule? Ou encore,
jusqu'à quel point reflétait-elle les vues du Québec?
M. BOURASSA: Oisons que sur la question du droit de veto, le
Québec a certainement fait valoir qu'il ne pouvait d'aucune façon
considérer l'étude d'une formule...
M. CHARRON: Cela, il l'avait...
M. BOURASSA: Voulez-vous me laisser terminer?
M. CHARRON: D'accord.
M. BOURASSA: ...sans qu'il y ait un droit de veto pour le
Québec.
C'est normal. Il y a eu des discussions sur d'autres modalités
entre les deux niveaux de gouvernement.
M. CHARRON: C'est bien sûr.
M. BOURASSA: C'est clair que le style de négociation a
changé avec le gouvernement que je dirige. Il y avait un autre style de
négociation...
M. LAURIN: Oui, mais, là, ce n'est pas un discours politique que
je vous demande. Je vous demande jusqu'à quel point...
M. BOURASSA: Oui, mais je vous ai répondu.
M. LAURIN: Non, non, là, vous vous égarez.
M. BOURASSA: Bien oui, mais je ne suis pas pour dire les virgules et les
points sur les "i" qui ont été proposés par le
Québec.
M. LAURIN: C'est très important. Jusqu'à quel point le
Québec a-t-il participé? On en voit les résultats dans la
formule qui a été soumise en février. Là, vous nous
dites que le droit de veto, c'est un élément.
M. BOURASSA: Un exemple.
M. LAURIN: Un exemple! Est-ce qu'il y en a d'autres?
M. BOURASSA: Bien, je pourrai vérifier le procès-verbal
des discussions, si vous voulez. S'il y a lieu de rendre public le
procès-verbal des discussions...
M. LAURIN: Maintenant, vous avez parlé tout à l'heure de
sept points majeurs ou de sept points fondamentaux sur lesquels le
Québec avait absolument besoin d'une réponse nette et
précise de la part de ses interlocuteurs. Vous n'avez pas
mentionné, parmi ces sept points principaux, la politique sociale.
Est-ce qu'elle en fait partie?
M. BOURASSA: Je l'ai mentionnée.
M. LAURIN: J'admets qu'elle en fait partie. Est-ce que vous faites de
l'acceptation des demandes du Québec en ce qui concerne ces sept points
fondamentaux une condition d'acceptation de votre part, à Victoria, de
la formule d'amendement? Est-ce que votre acceptation de la formule est
liée aux concessions que vous pourriez obtenir de la part des autres
gouvernements et du gouvernement fédéral?
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai répondu à
plusieurs reprises à cette question.
M. LAURIN: Non, vous n'avez jamais répondu.
M. BOURASSA: Précisément, le gouvernement ne peut pas
exprimer, à un mois de la conférence... Il me semble que c'est
simple à comprendre. Je ne vois pas pourquoi le député
insiste. J'ai dit six fois pourquoi. Etant donné que cela va être
soumis à l'Assemblée nationale, étant donné que le
point de vue du Québec va être exprimé à la
conférence de Victoria, qu'un débat suivra à
l'Assemblée nationale, pourquoi, un mois à l'avance, me
placerais-je dans une position d'infériorité pour négocier
en donnant tous les détails ou ce que nous considérons comme une
modalité de règlement? Il me semble que je l'ai dit au chef de
l'Opposition. Je l'ai dit au député de Chicoutimi. Ils ont
compris, et le député insiste encore là-dessus.
M. TREMBLAY(Chicoutimi): Non, vous n'avez pas répondu.
M. BOURASSA: Cela me paraît...
M. LAURIN: Est-ce que le premier ministre n'est pas d'accord qu'entre le
dévoilement complet et détaillé de ses positions minimales
et le silence absolu dans lequel il se réfugie depuis plusieurs mois il
n'y a pas un écart qui demanderait à être comblé?
Tout ce que nous demandons, c'est l'énoncé d'une politique
minimale du gouvernement sur des positions de base.
M. BOURASSA: Je l'ai ici, là.
M. LAURIN: Mais, là, ce n'est pas lié à
l'acceptation de la formule d'amendement. C'est un énoncé de
politiques générales du gouvernement du Québec.
M. CHARRON: C'est bien normal.
M. LAURIN: Mais, là, nous vous demandons si c'est lié
à votre acceptation de la formule d'amendement. C'est ça que nous
voulons savoir.
M. BOURASSA: Je manquerais de respect à tous les
députés de l'Opposition, même si je voulais le dire. Je
manquerais de respect. Cela voudrait dire que tout ce que vous avez dit cet
après-midi, cela ne vaut rien pour le gouvernement, parce que sa
position est définitive. C'est ça que les députés
ne comprennent pas.
M. LAURIN: Vous n'avez rien dit.
M. CHARRON: Cela ne nous surprendrait pas.
M. LAURIN: Vous n'avez rien dit jusqu'ici. Est-ce que ce n'est pas la
politique traditionnelle des gouvernements du Québec d'énoncer au
moins en public leur position...
M. BOURASSA: Oui, mais ça ne se fait pas. M. LAURIN: ...
minimale?
M. GARNEAU: Pas un mois à l'avance. M. LAURIN: Leur position
minimale.
M. GARNEAU: Demandez à votre chef de cabinet combien il en a
préparé des conférences. Il sait comment cela se fait.
M. SAMSON: Le premier ministre vient de dire qu'il y aura débat
à l'Assemblée nationale après, cela veut dire après
la conférence de Victoria...
M. BOURASSA: On verra. M. SAMSON: ... ou...? M. BOURASSA: On verra.
M. SAMSON: Puisque vous dites qu'il y aura un débat...
M. BOURASSA: Tout dépendra des résultats... Je dis que le
gouvernement ne peut rien accepter sans que ce soit soumis par
résolution au Parlement. S'il n'y a pas accord, il n'y aura pas de
débat.
M. LAURIN: M. le Président, une dernière question. A
supposer que vous énonceriez cette politique minimale qui constituerait
une condition de votre acceptation et à supposer que les trois partis
ici représentés soient d'accord avec vous, ne croyez-vous pas que
ça renforcerait votre position de négociation à Victoria?
Ne le croyez-vous pas? Supposons que vous diriez: Je n'accepterai la formule
d'amendement qu'à la condition que telle, telle et telle chose soient
acceptées par mes interlocuteurs. Vous nous dites ça; à
supposer qu'on l'accepte, ne pensez-vous pas que ça pourrait renforcer
votre position de négociation à Victoria?
M. BOURASSA: M. le Président, on verra...
M. LAURIN: Comme ça, c'est tout le Québec qui pourrait
s'exprimer.
M. BERTRAND: M. le Président, avant de demander l'ajournement
à huit heures et quart, je pourrais dire au premier ministre que si,
à Victoria, il n'éclaire pas plus les gens des autres provinces
sur la position du Québec, je n'ai pas peur.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Moi, j'ai hâte de voir le dossier bien
préparé.
M. BOURASSA: M. le Président, est-ce que...
M. BERTRAND: Huit heures et quart.
M. BOURASSA: Huit heures et quart, d'accord.
M. LE PRESIDENT: La commission suspend ses travaux jusqu'à huit
heures et quinze minutes.
Reprise de la séance à 20 h 25
M. BACON (président de la commission permanente de la
constitution): A l'ordre, messieurs!
M. BERTRAND: A la séance de cet après-midi, j'ai dit que
je ne m'énervais pas pour la conférence de Victoria parce que, si
le premier ministre ne répond pas plus là qu'il a répondu
cet après-midi, il n'y aura pas de débat. Il faut dire que sa
position est peut-être difficile. Je veux la comprendre, mais je
déduis de certaines de ses réponses que la formule d'amendement
est conditionnelle dans le sens qu'elle peut être acceptée
à certaines conditions.
Parmi ces conditions, il y aurait des succès majeurs au sujet de
problèmes majeurs. Je vais en prendre un, celui du domaine social. Je
m'adresserai au premier ministre ou à son ministre. On dit qu'il y a des
négociations à l'heure actuelle et, quand je parle du domaine
social, je parle du point de vue exprimé par le ministre dans des
documents officiels et dans des propos qu'il a tenus et qui reprennent les
positions constitutionnnelles de son prédécesseur et des
gouvernements qui ont précédé le gouvernement actuel. Il y
a des négociations donc, à l'heure actuelle; je demande d'abord
à quel niveau se font ces négociations.
Au niveau des ministres ou du premier ministre?
M. BOURASSA: Il y a une rencontre demain entre le ministre des Affaires
sociales et le ministre fédéral de la Santé. J'ai eu des
discussions là-dessus moi-même avec le premier ministre à
l'occasion de la conférence fédérale-provinciale, les 8 et
9 février. Je suis allé discuter de cette question en dehors des
séances, il y a eu de très nombreuses rencontres chez le premier
ministre du Canada. Il y en a eu hier encore. C'est pour ça, comme je le
disais tantôt, qu'il est difficile d'exprimer la position
définitive du Québec. Il y avait des rencontres, hier, au niveau
des fonctionnaires. Il y en aura demain au niveau des ministres.
M. BERTRAND: Non, non! mais je m'en tiens au mécanisme d'abord.
On viendra plus tard, si vous voulez, au problème lui-même. A
l'heure actuelle les négociations sont-elles conduites par le premier
ministre ou le ministre des Affaires sociales?
M. BOURASSA: Comme l'a dit le ministre des Affaires sociales à
l'Assemblée nationale, au niveau des implications techniques de la
politique sociale, ça se fait entre le ministre fédéral de
la Santé, M. Munro, et le ministre des Affaires sociales du
Québec.
M. BERTRAND: Est-ce qu'il y a des négociations
bilatérales?
Est-ce qu'il y a des rencontres également avec les autres
ministres des Affaires sociales des autres provinces canadiennes?
M. BOURASSA: Il y a eu des rencontres je pourrais peut-être
demander au ministre de compléter au cours des conférences
fédérales-provinciales, des ministres des Affaires sociales.
M. BERTRAND: Où les principes énoncés par le
ministre des Affaires sociales ont-ils été discutés? Le
premier ministre parle de la technique. Je parle des principes parce que la
politique québécoise repose sur certains principes. Est-ce qu'il
y a eu des discussions avec le ministre fédéral au niveau des
principes?
M. BOURASSA: Oui, d'accord il y en a eu entre les deux premiers
ministres et entre les deux ministres.
M. BERTRAND: Combien y a-t-il eu de séances de
négociation?
M. CASTONGUAY: Sur le plan de la sécurité du revenu,
précisément, à la suite de la conférence
fédérale-provinciale du mois de février, nous avons eu, si
ma mémoire est bonne, une rencontre au cours du mois de mars où
nous avons exposé au ministre fédéral de la Santé
ce que signifiait plus précisément et plus concrètement
notre position énoncée d'une façon plus
générale lors de la conférence du mois de février.
A ce moment-là, nous avons fait valoir dans la poursuite des objectifs
qui avaient été énoncés, premièrement, la
nécessité qu'il y ait un droit à des ressources
financières minimales; deuxièmement, qu'il y ait des
encouragements dans les mesures de sécurité de revenu face au
marché du travail, qu'il y ait également compensations pour les
charges familiales et une intégration des régimes de telle sorte
que ces objectifs puissent être poursuivis. Nous avons exposé,
plus concrètement au cours du mois de mars, la forme que cela pouvait
prendre au plan des programmes et aussi les ajustements au plan de la
constitution qui pouvaient en découler pour que cela soit consistant.
Sur ce plan-là, nous avons repris exactement ce que nous avions
exposé au mois de février, à savoir que ce qui
était le plus important n'était pas tellement l'administration
d'un programme donné mais la possibilité de concevoir cette
politique.
Nous nous en sommes donc tenus aussi étroitement que possible aux
objectifs généraux qui avaient été
énoncés.
A la suite de cette rencontre, des contrepropositions ont
été formulées par le ministre fédéral de la
Santé il y a une dizaine de jours. C'est pourquoi, dans le cadre du
discours du budget, je disais que les progrès étaient peu
sensibles ou qu'il y avait peu de progrès à rapporter et que, la
semaine dernière, en répon- se à une question, je pouvais
dire qu'il y avait quelque peu plus de progrès.
Nous devons avoir, demain, une autre rencontre. Le ministre de la
Santé a visité les autres provinces. Lors de la dernière
rencontre, il m'a demandé de garder, à ce stade-ci, sa
contreproposition confidentielle; ce que j'ai accepté de faire. Mais,
tout en gardant cette contreproposition confidentielle, je crois que je peux
donner, à tout le moins, un peu plus d'informations sur ce qui nous
apparaît nécessaire si nous voulons poursuivre nos objectifs.
C'est qu'au plan des allocations familiales il est important que nous ayons un
régime qui compense d'une façon pas mal plus significative que ce
n'est le cas présentement les charges familiales, de telle sorte que,
d'une part, on agisse d'une façon plus efficace dans la lutte contre
l'insuffisance des revenus et, d'autre part, qu'il ne soit pas
nécessaire de compenser les charges familiales par le truchement d'une
loi comme la Loi de l'aide sociale, d'une façon aussi significative que
nous le faisons présentement, ce qui, forcément, fait en sorte
que les individus qui ont certaines charges familiales reçoivent un
niveau de prestations d'aide sociale qui entre en conflit, dans une certaine
mesure, avec les revenus qu'ils peuvent obtenir sur le marché du
travail.
Le salaire, sur le marché du travail, ne tient pas compte des
charges familiales. Il est essentiel que la Loi de l'aide sociale ou tout
programme qui la remplacerait ne tiennent pas compte dans une mesure aussi
large qu'il faudrait le faire des charges familiales, pour éviter cette
contradiction.
Egalement, pour que ce régime colle davantage à la
réalité la réalité, c'est celle de
l'insuffisance de revenus il faut changer le critère
d'évaluation des besoins ou les critères selon lesquels l'aide
est octroyée. Présentement, l'aide est octroyée à
partir d'une évaluation des besoins. Ceci nous entraîne dans des
enquêtes assez détaillées qui ont un certain
caractère de discrimination, d'arbitraire. C'est pourquoi nous croyons
essentiel que l'on se dirige vers un critère de revenus et que l'on
détermine quels sont les revenus dont une personne ou une famille
dispose. A partir de seuils définis, nous compenserions ces revenus, en
introduisant la possibilité de cumuler des allocations sociales avec un
revenu du travail, si l'on n'excède pas un certain seuil.
Ce sont des objectifs que nous poursuivons. Pour les poursuivre,
l'essentiel, c'est que, d'une part, nous ayons une régime d'allocations
familiales bien structuré et, d'autre part, un régime
d'allocations sociales qui fait le lien avec ce régime d'allocations
familiales. Ce sont les deux aspects majeurs nécessaires à la
poursuite des objectifs que j'ai énoncés.
M. BERTRAND: C'est un des aspects. Maintenant, dans ces
négociations, le ministre dit qu'il y a échange de propositions
et que le ministre fédéral lui a demandé de conserver
confidentielles les contrepropositions qu'il a faites. Est-ce que le
gouvernement du Québec, le ministre en particulier, lorsqu'il aborde
d'une manière concrète l'application des principes, remet des
documents aux autorités fédérales?
M. CASTONGUAY: J'ai été assez avare quant aux documents,
étant donné que nous avions, il me semble, exposé aussi
clairement que possible, lorsque nous nous sommes rencontrés au mois de
février, notre position sur le plan des principes. Sur le plan des
modalités, j'ai décrit au ministre fédéral les
aspects les plus importants ou la structure du régime qui, selon nous,
devrait être établi. Je ne l'ai pas fait par voie d'un document
écrit, à ce moment-là. J'avais un document écrit,
mais je ne le lui ai pas remis.
Nous avons remis au plan du texte de travail, en ce qui a trait aux
articles de la constitution, simplement un document de travail pour qu'on
comprenne bien nos objectifs sur ce plan également; mais sur le plan des
dispositions, des modalités qu'il nous apparaît nécessaire
d'établir en ce qui a trait à la sécurité du
revenu, je ne l'ai pas fait par voie de document.
M. BERTRAND: Le ministre fédéral ou les
autorités fédérales a-t-il déjà
répondu au niveau des principes qui étaient posés par le
ministre des Affaires sociales dans le document qui a été rendu
public? S'il l'a fait, l'a-t-il fait par écrit?
M. BOURASSA: M. le Président, il y a une rencontre, demain, entre
le ministre fédéral de la Santé et le ministre des
Affaires sociales. Sur le plan des principes, précisément, il n'y
a pas eu encore d'échange formel de documents. Il y a eu des discussions
à différents niveaux: au niveau des premiers ministres, au niveau
des ministres impliqués. Actuellement, le problème est
abordé d'une façon concrète, comme vient de le souligner
le ministre des Affaires sociales, notamment dans le cas des allocations
familiales, et avec des objectifs précis. Si nous nous entendons sur des
arrangements de nature administrative, il est clair que le gouvernement du
Québec voudra se protéger pour l'avenir. C'est pourquoi nous ne
voyons pas comment ceci ne pourrait pas comporter des amendements à
l'article 94 a), de manière que, quel que soit le caractère
satisfaisant des arrangements actuels, le gouvernement du Québec soit
protégé pour l'avenir par des amendements qui sont en discussion
actuellement sur l'article 94 a)en matière de politique sociale.
M. BERTRAND: Le ministre a dit, et le premier ministre également,
que les pourparlers doivent se poursuivre. Au train où vont ces
négociations dans ce domaine particulier, le premier ministre ou le
ministre croit-il que d'ici le 14 juin prochain l'attitude du
Québec étant connue, connaissant un peu le climat de ces
conférences, comme le premier ministre et le ministre les connaissent
ces négociations s'avéreront fructueuses au niveau des
principes posés et des modalités que l'on discute?
M. BOURASSA: Là-dessus, le Québec a une position bien
décidée. J'espère que les négociations pourront
aboutir d'ici à la conférence de Victoria; les rencontres sont
fréquentes à tous les niveaux.
J'aurai probablement l'occasion de rencontrer le premier ministre du
Canada à son retour de voyage. Nous espérons qu'à la
conférence de Victoria il y aura là-dessus entente sur la
politique sociale. Mais, actuellement, il est impossible de prédire si
ce sera fait à cette conférence.
M. BERTRAND: C'est parce qu'il m'a semblé entendre à la
télévision, dimanche soir dernier, le premier ministre du Canada,
dans une réponse à certains journalistes, répliquer assez
directement aux propos du ministre des Affaires sociales du Québec,
quand il a suggéré à celui-ci que, s'il voulait absolument
implanter son système, il n'aurait qu'à taxer les citoyens du
Québec.
M. BOURASSA: Je crois que, là-dessus, le premier ministre du
Canada n'a peut-être pas... Evidemment, ce sont des réponses qui
sont données comme ça à des questions, lors d'interviews
à la télévision. L'ancien premier ministre en a
l'expérience. J'en ai l'expérience.
M. BERTRAND: J'ai déjà reçu des réponses
semblables du premier ministre du Canada. C'est pour ça que celle qu'il
a donnée à la télévision ne m'a pas surpris du
tout.
M. BOURASSA: Ce sont des réponses forcément partielles. La
position du Québec, là-dessus, a été
exprimée et elle demeure claire. Je viens de l'exprimer en disant que
nous ne voyons pas comment nous pourrions nous dispenser d'un amendement
à l'article 94 a), en matière de politique sociale. C'est la
position que nous avons l'intention de défendre.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le premier ministre, est-ce que vous me
permettriez une question pour éclairer votre position, suite à
celles posées par le chef de l'Opposition officielle? Dans
l'hypothèse où le gouvernement central, à la suite des
négociations que vous avez engagées, ne reconnaîtrait pas
les principes que vous avez mis de l'avant, est-ce que vous en faites une
condition préalable à la discussion de la formule
d'amendement?
M. BOURASSA: Je répondrai d'abord à la question du chef de
l'Opposition.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Sans vouloir éviter la mienne...
M. BOURASSA: Au sujet de la réplique de M. Trudeau, je pense que
l'interprétation qu'il a donnée de la proposition du
Québec, telle que formulée par le ministre des Affaires sociales,
ne correspondait pas aux propositions qui ont été faites dans le
document des 28 et 29 janvier. Il n'est pas question pour le Québec de
demander aux autres provinces de financer ces propositions de
sécurité de revenu. Cela nous paraît, nous, une formule
fonctionnelle, beaucoup plus adaptée aux besoins du Québec et qui
peut, peut-être, être adaptée également à
l'échelle canadienne, une formule qui évite le gaspillage des
fonds publics et qui permet une incitation au travail. Ce que nous demandons,
ce n'est pas que les autres provinces financent ce que nous voulons appliquer
au Québec, mais c'est une liberté d'action qui nous permette
d'appliquer la formule.
M. BERTRAND: Mais toute cette politique n'est-elle pas liée au
transfert de points d'impôts?
M. CASTONGUAY: Voici, pour revenir...
M. BERTRAND: ... permettant par une politique fiscale beaucoup plus
forte d'appliquer les principes que l'on retrouve dans la politique sociale
énoncée par le ministre?
Alors là, je pose le problème, et j'appuie
là-dessus parce que c'est un des problèmes majeurs, celui d'une
répartition fiscale.
M. CASTONGUAY: Pour revenir à la réponse donnée par
M. Trudeau, dimanche soir...
M. BERTRAND: Le ministre l'a écouté.
M. CASTONGUAY: Le ministre l'a écouté. M. Trudeau en a
fait une question de coût et a donné une réponse qui
laissait sous-entendre que nous demandions dans une certaine mesure un
traitement de faveur. Et le problème, je crois, n'est pas
celui-là. Comme vient de le dire le premier ministre, nous avons,
à un certain nombre de reprises, dit que dans le domaine de la
réforme des mesures de sécurité de revenu, avec les sommes
qui sont présentement dépensées, dépenses
publiques, nous devons en tout premier lieu rechercher une meilleure
utilisation de ces dépenses publiques. Nous sommes, et je pense bien que
vous serez d'accord sur le fait, dans une situation où nous ne pouvons
augmenter de façon significative les impôts. Dans ce secteur en
particulier, les dépenses publiques sont assez élevées que
nous pouvons et nous devons rechercher en tout premier lieu une meilleure
affectation, une meilleure utilisation de ces sommes. Alors, dire que ce que
nous proposons signifierait pour l'atteindre que nous devons demander à
l'Ontario, à la Colombie ou 1'Alberta de payer davantage ou encore de
demander aux Québécois d'être taxés davantage, je
crois que c'est déplacer la question.
Dans ce sens, les propositions que nous faisons et ce que nous
discutions présentement ne portent pas tellement au niveau des
dépenses, mais sur les objectifs à poursuivre. Et c'est pour cela
que, si on en juge par la réponse donnée par le premier ministre
du Canada, dimanche, on ne peut pas, je crois, à mon sens, se baser sur
cette réponse à moins qu'elle conditionne toute la balance de
l'approche du gouvernement fédéral pour dégager des
conclusions quant à l'issue des discussions que nous poursuivons.
M. LAURIN: Si je comprends bien, comme dirait Alban Flamand...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Excusez-moi. Je reviens à la question
que j'ai posée au premier ministre. Le ministre des Affaires sociales a
fait état de certains principes qui sont à la base des
négociations qu'il a engagées avec le gouvernement central. Dans
l'hypothèse et je reprends la question telle que je l'avais
formulée où le gouvernement central n'accepterait pas ces
principes dans ce domaine des affaires sociales, dans le domaine des
communications, dans tous les autres domaines que nous avons
évoqués cet après-midi et sur lesquels a insisté le
chef de l'Opposition, est-ce que le premier ministre en fait une question
préalable à l'étude d'une formule d'amendement?
M. BOURASSA: J'ai eu l'occasion, M. le Président, de dire
à plusieurs reprises et je l'ai encore répété au
début de cet après-midi est-ce que je peux reprendre le
paragraphe qui me paraît peut-être pertinent à la question
du député? que cependant, nous ne pouvons sacrifier
à cette impatience légitime qui existe dans toutes les provinces,
y compris le Québec, sur la révision constitutionnelle,
l'essentiel de nos positions en matière de révision
constitutionnelle. Le problème d'une définition plus
précise de la société québécoise dans
l'ensemble fédéral canadien demeure fondamental et la solution
à ce problème ne peut évidemment pas se satisfaire de
quelques modernisations de texte ou arrangements techniques et
administratifs.
Cela répond peut-être partiellement au
député, mais pour compléter ma réponse, si je
disais aujourd'hui: Il nous faut telle liste de choses avant d'accepter la
formule d'amendement, je pense que ce serait reprendre peut-être un style
qui s'est révélé malheureusement, mais qui s'est
quand même révélé improductif dans les
dernières années. Nous avons, depuis que nous sommes au pouvoir,
un nouveau style de négociation. Espérons qu'il donnera des
résultats concrets, mais j'ai, comme chef du gouvernement,
décidé de ne pas procéder par ultimatum en disant: Si nous
n'avons pas telle et telle chose... et le faire publiquement. J'ai
décidé de procéder autrement et nous verrons quels
résultats cela peut donner.
M. BERTRAND: Le premier ministre a son style de gouvernement de ce
côté-là. Procéder par ultimatum? Le gouvernement que
j'ai dirigé n'a jamais procédé par ultimatum, pas plus que
mon collègue le député de Bagot n'a procédé
par ultimatum alors qu'il était premier ministre. Des ultimatums ont
déjà été lancés par Jean Lesage, premier
ministre du Québec. Des ultimatums ont été lancés
par le chef de l'Opposition qui s'appelait Daniel Johnson. Cela dans une
période donnée. Mais jamais, comme premiers ministres, ni M.
Johnson ni moi-même n'avons posé d'ultimatums à Ottawa.
Les négociations qui se poursuivent d'ailleurs dans certains
domaines, entre autres celui-là, à la suite de
l'énoncé de principe, n'ont peut-être pas été
faites de la même manière, mais il y en a eu des discussions avec
les ministres. C'est à la lumière de l'expérience
vécue, des rencontres à huis clos, des rencontres personnelles
avec certains premiers ministres que j'en suis venu à la conclusion que
l'impatience dont vient de parler le premier ministre, l'impatience chez la
plupart des premiers ministres, c'est d'essayer de dire: Le problème de
la constitution, si vous voulez, on n'en parlera plus, on va trouver une
formule d'amendement; on va trouver le rapatriement de la constitution puis le
reste on le reprendra plus tard. There are more important problems. C'est
là l'attitude que l'on a. L'impatience, c'est que le Québec cesse
de demander une nouvelle répartition des pouvoirs. C'est en soulevant
ces problèmes cet après-midi... J'invite le premier ministre
à la fermeté dans ce domaine. Ce n'est pas lancer des ultimatums
de dire que le Québec n'acceptera qu'à certaines conditions et
que l'on veuille bien non seulement apporter des petits changements mineurs,
mais apporter des changements profonds à la constitution canadienne.
Leur impatience, c'est d'essayer de faire taire le Québec.
M. BOURASSA: M. le Président, le chef de l'Opposition est au
courant quand même que l'Ontario exprime depuis quelque temps des
revendications dans le secteur du pouvoir de dépenser dans le domaine
fiscal, dans le domaine financier et dans d'autres domaines également
c'est la même chose pour la Colombie-Britanique, pour l'Alberta
qui rejoignent les revendications du Québec.
M. BERTRAND: C'est peut-être une stratégie, justement, pour
affaiblir le Québec...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président...
M. BERTRAND: ... dans ses demandes. Cela va permettre au premier
ministre du Canada de dire: Si le Québec le demande, voyez toutes les
autres provinces le demandent.
M. BOURASSA: Pour clarifier cette question, je ne sais pas quelles sont
les arrière-pen- sées du premier ministre de l'Ontario, mais je
crois qu'elle a un intérêt financier à une
décentralisation économique. Comme elle fournit plus que selon sa
proportion de la population, peut-être la moitié des fonds
fédéraux, je pense qu'elle a un intérêt
pécuniaire véritable à ce que certains pouvoirs soient
exercés au niveau provincial plutôt qu'au niveau
fédéral. Le chef de l'Opposition dit que c'est une
stratégie, mais, si on regarde la réalité des choses, on
voit que c'est également l'intérêt d'autres provinces.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre, tout à l'heure, a
répondu assez évasivement à ma question. Dans sa
réponse, il nous a bien laissé entendre, selon la nouvelle
formule de négociation qu'il dit avoir adoptée, qu'il n'est pas
prêt à faire prévaloir les principes avant la discussion
possible d'amendements ou de rapatriement de la constitution, toutes ces
vieilleries dont on parle depuis longtemps. Je lui pose encore une fois la
question: Tous les problèmes de partage de pouvoirs, de
responsabilités qui ont été évoqués engagent
des principes. Nous pourrions les prendre tous en détail mais
prenons-les globalement. Ils ont été évoqués, cet
après-midi, de façon suffisante. Est-ce que le premier ministre
considère que l'acceptation de ces principes par le gouvernement central
est une condition préalable aux négociations qu'il veut
entreprendre avec le gouvernement central et les gouvernements des autres Etats
membres de la fédération? Si nous faisons la synthèse des
positions de principe exprimées dans les différents discours des
ministres et du premier ministre, nous avons quand même là un
ensemble de revendications très précises, appuyées sur des
principes de base. Est-ce que le premier ministre entend rappeler à
Ottawa que ce sont là des conditions préalables à toute
discussion sur une formule d'amendement ou la rédaction d'une nouvelle
constitution? C'est ça, au fond, que nous voulons savoir du premier
ministre.
M. BOURASSA: M. le Président...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est le but de cette réunion.
M. BOURASSA: ... c'est clair que le gouvernement devra annoncer
publiquement sa politique sur la question fort pertinente du
député. Mais étant donné que nous sommes à
différents stades de négociation actuellement, je ne puis pas le
faire aujourd'hui. Je puis quand même ajouter que nous considérons
la question de la politique sociale comme fondamentale. Il y a trois secteurs
de négociation, si nous voulons les rassembler, ou les regrouper: le
secteur social, le secteur culturel et le secteur économique. Comme je
le disais il y a quelques jours, nous négocions le domaine social et
nous voulons le régler aussi rapidement que possible. Je ne vois
pas, comme je l'ai dit tantôt, comment nous pourrions accepter des
questions de forme sans qu'au moins des problèmes de fond importants
soient réglés.
Le domaine culturel, je pense que cela dépasse une simple formule
d'amendement. C'est une question importante pour le Québec d'avoir sa
sécurité culturelle devant les phénomènes qui
existent de plus en plus et qui font que nous avons toutes les raisons
d'être inquiets de notre avenir culturel, que ce soit à cause du
taux de natalité ou de la question des immigrants. Là, il reste
à voir si le Canada est intéressé à avoir une
identité originale qui provient du fait qu'il y a deux groupes ethniques
importants ou fondateurs au Canada. Cela dépasse, comme je le dis, une
simple question de formule d'amendement. Je ne vois pas pourquoi nous ne
pourrions pas obtenir du reste du Canada les arrangements et amendements
nécessaires qui nous donnent cette sécurité culturelle
parce qu'autrement ce serait accepter que le Québec ou que le groupe
francophone au Québec risque d'être assimilé, ce qu'aucun
chef de gouvernement ne peut accepter. Alors, c'est réellement une
question difficilement négociable sur le plan du principe, celui de la
sécurité culturelle.
Quant à la question économique, le gouvernement croit que
le Québec aura toujours des appuis. Souvent d'autres provinces seront
plus résolues que nous sur la décentralisation économique
parce que nous en profitons dans la mesure où nous avons un taux de
chômage supérieur à ces provinces.
M. LAURIN: M. le Président, pour en revenir encore à cette
question de sécurité sociale, il semble donc qu'il y ait deux
problèmes en discussion actuellement: celui de l'harmonisation des
régimes administratifs ou financiers, d'une part, et, de l'autre, celui
de la discussion de la priorité législative, celui de la
compétence juridictionnelle.
Le ministre des Affaires sociales nous dit qu'il semble y avoir des
progrès dans la négociation en ce qui touche l'harmonisation des
régimes.
Cependant, il ne nous a pas dit s'il y avait des progrès en ce
qui concerne la discussion qui porte sur la priorité législative
du Québec.
Par ailleurs, M. le premier ministre nous a dit que, pour lui,
c'était un problème essentiel qui passait bien avant l'impatience
des autres provinces. Il a parlé d'un amendement possible à
l'article 94 a). Le premier ministre peut-il nous dire, ce soir, si lui ou son
ministre ont fait, dans une contre proposition, une propostion d'amendement
à l'article 94 a) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique?
Si, effectivement, cette proposition a été faite, est-ce qu'une
contre-proposition est venue? Dans les deux cas, jusqu'à quel point le
premier ministre ou le ministre pourraient-ils rendre public le texte de cette
proposition du Québec quant à l'amendement de l'article 94
a)?
M. BOURASSA : J'ai discuté avec le ministre de la Justice, M.
Turner, de certaines propositions et, avec des hauts fonctionnaires,
d'amendements à l'article 94 a).
M. LAURIN: Est-ce que vous avez proposé un texte?
M. BOURASSA: Des suggestions ont été faites de part et
d'autre. Nous examinons précisément quels amendements doivent
être apportés à l'article 94 a) pour nous donner...
M. LAURIN: Une priorité législative?
M. BOURASSA: ...une priorité. Il y a toute la question qui
était à discuter et qui pourrait être discutée
éventuellement, avant ou après la résolution, du pouvoir
concurrentiel, de la primauté ou du pouvoir exclusif. Toutes sortes de
définitions peuvent être données à ces trois
droits.
M. LAURIN : Est-ce que le sens ou le but de l'amendement que vous avez
proposé aurait pour effet de donner au Québec la priorité
législative, la juridiction entière en matière de
sécurité sociale?
M. BOURASSA: Oui, la priorité législative.
M. LAURIN: Y a-t-il eu une réponse encourageante à cette
proposition?
M. BOURASSA: Le Québec et le chef du gouvernement du
Québec insistent pour qu'il y ait, quels que soient les avantages des
arrangements administratifs soumis, un amendement à l'article 94 a).
M. LAURIN: Par ailleurs, au mois de septembre, aussi bien vous que M.
Trudeau avez dit que la discussion de la formule d'amendement et de la
politique de sécurité sociale n'étaient pas liées,
que c'étaient...
M. BOURASSA: Elles sont liées sans être liées.
M. LAURIN: ...deux choses indépendantes. Maintenant, en
réponse à la question du député de Chicoutimi, tout
à l'heure, vous avez répété deux phrases que vous
nous aviez déjà dites cet après-midi. Ces phrases ne
donnent pas une réponse explicite à la question du
député de Chicoutimi, mais laissent entendre que c'est tellement
essentiel que vous liez les deux questions et que vous ne pourrez pas donner
une réponse favorable à la formule d'amendement si vous n'avez
pas une réponse positive en ce qui concerne la priorité
législative. Est-ce un changement de politique de votre part?
M. BOURASSA : Non. Je n'ai pas changé de politique. Cela laisse
entendre ce que cela veut laisser entendre. J'ai toujours dit qu'au
Québec
je ne vois pas comment... Ce n'est pas nouveau. Je l'ai dit
privément, à la conférence des premiers ministres, et je
l'ai dit publiquement, à la suite de la conférence. M. Trudeau a
dit lui-même à la télévision que le Québec ne
se contentait pas de la formule d'amendement, même s'il trouve que c'est
une formule susceptible d'un accord, comme cela a été
approuvé, mais que le Québec voulait également avoir
d'autres secteurs.
M. LAURIN: Mais est-ce à dire que, si vous aviez une
réponse négative en ce qui concerne la priorité
législative, ce serait une raison suffisante pour vous de refuser la
formule d'amendement?
M. BOURASSA: Le député comprendra très certainement
que répondre à toutes les questions hypothétiques...
M. LAURIN: Ah! mais c'est sur un point que vous avez vous-même
qualifié d'essentiel il y a dix minutes.
M. BOURASSA: J'en appelle à sa grande intelligence. J'ai
suffisamment exprimé le point de vue du gouvernement cet
après-midi et ce soir.
M. LAURIN: Mais, comme c'est sur un point essentiel, pouvez-vous donner
une réponse qui serait dans la logique même de vos propos d'il y a
dix minutes?
M. BOURASSA : La réponse que je donne ce soir, c'est que je
trouverais extrêmement difficile de proposer aux Québécois,
comme je l'ai dit cet après-midi dans mon texte, des arrangements
techniques et administratifs qui améliorent la situation, mais qui ne
vont pas au fond dans un secteur important de la révision
constitutionnelle.
M. LAURIN: Dans un domaine connexe, les propos de M. Cournoyer qui,
j'imagine, sont entérinés par vous, constituent sans doute le
complément...
M. BOURASSA: Oui. Contrairement à ce qui existe dans votre parti,
nous avons, nous, une solidarité.
M. LAURIN: Je passe là-dessus. Les propos de M. Cournoyer
constituent quand même le complément indispensable de ce que le
ministre, tout à l'heure, nous exposait comme la politique sociale du
gouvernement. Si, sur cet autre point dont parlait M. Cournoyer en fin de
semaine, vous n'obteniez pas la priorité législative, est-ce
à dire que ce serait aussi une condition suffisante pour trouver
très difficile, selon vos propres termes, la signature de la formule
d'amendement?
M. BOURASSA: Des rencontres ont lieu actuellement.
M. LAURIN: Est-ce oui ou non? Est-ce que c'est un oui? Est-ce que vous
répondez oui?
M. BOURASSA: Dans notre document qui a été lu j'ai
défini, cet après-midi, la politique sociale il y a la
question des centres de main-d'oeuvre. Admettons, au départ, que c'est
une question, je ne dis pas plus discutable, mais plus technique à cause
de la mobilité de la main-d'oeuvre, que posent ces centres de
main-d'oeuvre aux frontières du Québec, que ce soit en
Gaspésie, que ce soit à Sept-Iles ou que ce soit à la
frontière de l'Ontario. Il y a là des problèmes qui se
posent.
M. CHARRON: Ce n'est pas ce qu'a dit votre ministre, cependant.
M. BOURASSA: Non, non! Le ministre a dit exactement la même chose.
Le député veut-il recommencer l'allure du débat de cet
après-midi?
M. CHARRON: Non.
M. BOURASSA: Mais, il y a...
M. LAURIN: C'est logique.
M. BOURASSA: ... une position de principe qui peut être prise et
il y a des questions pratiques qu'il faut discuter.
M. LAURIN: En somme, M. Cournoyer s'occupe du travailleur qui travaille
et M. Castonguay du travailleur qui ne travaille pas. Donc, c'est logique que
ce soit uni.
M. BOURASSA: C'est tout ce que nous voulons.
M. LAURIN: C'est pour ça que je vous posais la question. Si vous
n'obteniez pas la priorité législative en ce qui concerne la
main-d'oeuvre, est-ce que ce serait une raison suffisante pour vous de refuser
la formule d'amendement?
M. BOURASSA: M. le Président, je ne peux pas ajouter plus que ce
que j'ai dit.
M. BERTRAND: Est-ce que, dans ce domaine particulier de la
main-d'oeuvre, les négociations se poursuivent à l'heure actuelle
au niveau du ministre du Travail?
M. BOURASSA: Oui, elles se poursuivent aussi au niveau de la formation
professionnelle. Pour ce qui concerne la politique sociale, il y a la question
des pensions de vieillesse il y a eu des discussions et des propositions
là-dessus
la question du régime des rentes et celle des allocations
familiales. Le ministre a parlé tantôt des propositions qui
avaient été faites là-dessus. La question de la formation
professionnelle et la question de la main-d'oeuvre restent à
discuter.
M. LE PRESIDENT (Bacon): Le député de Mégantic.
M. DUMONT: Merci, M. le Président. Dans un autre ordre
d'idée, concernant surtout l'économie, il y a quelques
années, un ancien premier ministre avait préparé ce que
l'on a appelé le Conseil d'orientation économique. Par la voix de
son président, on pouvait y lire, à "Pouvoirs et limitations du
gouvernement du Québec," que le conseil avait analysé les moyens
limités dont le Québec disposait pour orienter et planifier son
économie.
Alors, les propositions du gouvernement du Québec étaient,
à ce moment-là: "Le gouvernement du Québec n'a pas
actuellement d'emprise sur certains instruments, tels que la monnaie, les
douanes, la fiscalité et le crédit." Le premier ministre du temps
concluait, en disant: "Le Canada français exige une
décentralisation véritable des pouvoirs, des ressources et des
centres de décision dans le régime fédéral."
Vu que l'on rencontre cet ancien premier ministre assez souvent dans les
corridors et qu'à mon sens il est peut-être encore le
véritable premier ministre du Québec...
M. BOURASSA: Ah! M. le Président.
M. CLOUTIER (Ahuntsic): Cela, c'est gentil!
M. DUMONT: ... le premier ministre peut-il nous dire si cette politique
d'orientation du conseil économique du temps sera discutée lors
de la conférence à Victoria?
M. BOURASSA: M. le Président, je ne sais pas si je dois commenter
les remarques du député. J'ai déjà signalé
que je ne voyais pas pourquoi le gouvernement du Québec ne pourrait pas
profiter de l'expérience de M. Lesage. L'ancien premier ministre en a
profité alors qu'il était chef de l'Opposition. Je ne vois pas
pourquoi je me priverais d'un conseiller juridique comme M. Lesage.
M. BERTRAND: Vous pourriez ajouter que vous profitez de la nôtre
aussi.
M. BOURASSA: Alors, ces remarques de la part du député de
Mégantic, je ne dis pas qu'elles sont insignifiantes, parce que je ne
veux pas alourdir le débat. Disons qu'elles sont...
M. DUMONT: Alors, parlons des quatre points que j'ai
réclamés. Je parle de la fiscalité, de la monnaie. A-t-on
l'intention de reprendre ce que le Conseil d'orientation économique, par
la voix de son président, avait donné comme recommandations
particulières, à ce moment-là?
M. BOURASSA: M. le Président, comme nous nous sommes
réunis aujourd'hui non seulement pour que le gouvernement réponde
aux questions de l'Opposition, mais également pour prendre connaissance
des documents bien présentés des différents partis, je
peux me permettre de poser des questions, moi aussi, sur ce que vous entendez
par le contrôle du crédit.
M. DUMONT: Si le premier ministre le permet, cet après-midi, il a
dit aussi qu'il était venu pour nous écouter. Alors, je tenais
pour acquis qu'on pouvait poser des questions.
M. BOURASSA: Le député refuse-t-il de répondre aux
questions que je peux lui poser sur le document qu'il nous a
présenté cet après-midi?
M. DUMONT: Allez-y nous avons hâte que les questions viennent.
M. BERTRAND: Est-ce que je pourrais suggérer au premier ministre
d'apporter une copie du document et de la remettre au premier ministre
créditiste de Colombie-Britannique?
M. DUMONT: Que l'Opposition soit présente, c'est
déjà un commencement de bonne suggestion. Est-ce que le premier
ministre...
M. CHARRON: M. le Président, j'ai deux questions à poser
au premier ministre.
M. BOURASSA: Si le député le permet.
M. DUMONT S'il a des questions, j'aimerais répondre au premier
ministre.
M. BOURASSA: Vous voulez créer une banque du Québec.
Est-ce que je comprends que vous voulez une monnaie du Québec?
M. DUMONT: Qu'est-ce que vous entendez par "créer une monnaie du
Québec" quand on considère que comptabiliser la valeur de la
province de Québec serait déjà une réponse à
la question que vous me posez?
M. BOURASSA: Disons que nous n'allons pas éterniser le
débat car le député de Saint-Jacques a probablement des
questions intéressantes à poser.
M. DUMONT: J'aurais une dernière remarque, M. le
Président.
M. BOURASSA: Si vous ne voulez pas répondre, soyez absolument
libre. Est-ce que la Banque du Québec, cela veut dire oui ou non?
Pour prendre le même style que le député de
Chicoutimi.
M. DUMONT: Est-ce que le premier ministre serait d'accord pour
comptabiliser la valeur du Québec afin de pouvoir développer nos
véritables richesses dans le Québec...
M. BOURASSA: Non, non!
M. DUMONT: ... et défendre ce point de vue-là à
Victoria?
M. BOURASSA: Ce sont de belles grandes phrases.
M. DUMONT: Alors c'est mieux d'emprunter $6 milliards aux Etats-Unis
pour la baie James.
M. BOURASSA: Mais où les prendriez-vous, dans votre cas, les $6
milliards?
M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de
Saint-Jacques.
M. DUMONT: J'aurais une dernière question, si vous me le
permettez, M. le Président. Je reviens encore au fait que lorsque nous
avons été délégués à une
conférence constitutionnelle à Ottawa par un gouvernement central
qui avait quatre partis d'Opposition, deux représentants de chacun des
quatre partis d'Opposition étaient présents à cette
conférence qui était télévisée, aussi,
à ce moment-là. Je me demande si le premier ministre a
l'intention de jouer à cache-cache avec l'Opposition. Pourquoi
n'invite-t-il pas l'Opposition à être présente à
cette conférence de Victoria au mois de juin?
M. BOURASSA: M. le Président, j'ai réfléchi
à la suggestion du député et j'ai décidé de
ne pas accepter malheureusement sa suggestion. Donc, il n'y aura pas de
représentants de l'Opposition à la conférence de
Victoria.
M. DUMONT: Alors, on joue à cache-cache avec l'Opposition,
même si nous représentons 54 p. c. de la province de
Québec.
M. BOURASSA: Non. Une partie sera télévisée. Le
chef du gouvernement rendra compte à l'Assemblée nationale et le
député de Mégantic, je l'espère, aura l'occasion
d'exprimer son point de vue, que nous écouterons avec la plus grande
sérénité et la plus grande attention.
M. DUMONT: Je crois que le premier ministre a répondu ainsi
à la Chambre...
M. CHARRON: Ce sera une humiliation.
M. DUMONT: ... que justement c'était innover que d'avoir des
représentants de l'Opposition. Justement, je tenais à signaler
que ce n'est pas une innovation puisque nous avons été
invités à des conférences constitutionnelles comme telles.
Je répète et redis que le gouvernement veut jouer à
cache-cache avec les 54 p. c. de la population du Québec s'il n'invite
pas l'Opposition.
M. BOURASSA: Je viens de répondre que tout sera soumis à
l'Assemblée nationale, aux représentants des 54 p. c. qui auront
toutes les occasions d'exprimer leur point de vue.
M. CHARRON: Une seule question, M. le Président. Pour ma part, je
préfère ne pas assister à ce genre de rencontre, donc, ne
pas joindre notre demande à celle du Ralliement créditiste. Nous
serons humiliés de façon téléguidée.
M. BOURASSA: Ah! vous vous séparez? Je croyais que vous
étiez réunis...
M. CHARRON: J'ai deux questions à poser au premier ministre, et
j'aimerais que...
M. BOURASSA: ... que le député d'Abitibi-Ouest
était déjà devenu le bras droit du député de
Saint-Jacques.
M. CHARRON: Ce que j'allais vous demander...
M. DUMONT: Il n'est pas manchot.
M. CHARRON: J'ai deux questions à poser, et j'aimerais que vous y
répondiez le plus complètement possible. Tout à l'heure,
vous avez mentionné, contrairement au ministre des Affaires sociales,
qu'à un moment des négociations vous aviez présenté
un projet d'amendement à l'article 94 a), lequel projet a reçu
une contreproposition...
M. BOURASSA: Oui, enfin...
M. CHARRON: ... enfin, a reçu une nouvelle version, disons, une
réponse de la partie fédérale et l'on est en
négociations là-dessus, j'aimerais avoir des précisions
sur ce projet d'amendement que vous avez fait à l'article 94 a).
J'aimerais savoir si le projet que vous avez présenté stipulait
puisque vous avez dit qu'il demandait la priorité
législative du Québec en matière sociale qu'en
matière sociale, selon la définition fournie par le ministre le
28 janvier 1971, le gouvernement du Québec entendait donc avoir la
priorité législative pour reprendre . vos propres mots
dans les domaines de sécurité du revenu, de la
main-d'oeuvre, des services sociaux, y compris ceux qui sont reliés
à l'administration de la justice, les services de santé, y
compris les mesures de financement tels l'assurance-hospitalisation,
l'assurance-maladie, l'habitation et le loisir.
Est-ce que, dans votre proposition d'amende-
ment à l'article 94 a), vous demandiez une priorité
législative dans chacune de ces matières-là, ce qui
voudrait dire que les négociations actuelles s'étendraient, outre
M. Monro, à M. Andras, par exemple, pour l'habitation, à
Gérard Pelletier, par exemple, pour le domaine des loisirs? Cela
voudrait peut-être dire que Perspectives Jeunesse reviendrait au
Québec.
Est-ce que dans votre suggestions de 94 a), c'était la
définition complète de la politique sociale, telle que faite par
le ministre des Affaires sociales ou si c'était une définition
réduite?
J'ai une deuxième question, M. le Président, et ce sera
fini. Je vais prendre d'abord la première réponse, s'il y en a
une, évidemment.
M. BOURASSA: M. le Président, il y a toujours des
réponses.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... évasives, allusives...
M. BOURASSA: J'ai ici la proposition de l'amendement à l'article
94 a). Disons que cela touchait à la sécurité du revenu.
Il n'était pas question dans l'article 94 a) de l'habitation et des
loisirs. Cela touche peut-être, du moins partiellement, le pouvoir de
dépenser.
M. CHARRON: Pouvez-vous me la lire?
M. BOURASSA: Bien, il me semble que je me montre quand même...
M. LAURIN: C'est déjà mieux. C'est déjà
mieux.
M. BOURASSA: Merci.
M. LE PRESIDENT (Bacon): Est-ce que le député de
Saint-Jacques a une deuxième question?
M. CHARRON: J'ai une deuxième question qui m'intéresse
énormément. Elle est peut-être éloignée du
sujet, mais on reviendra pour les gens qui sont intéressés
à en entendre parler. C'est à propos de la formule d'amendement.
Elle présuppose, au départ, le rapatriement de la constitution.
Rapatriement de la constitution, dans les milieux qui s'en occupent, veut dire,
à toutes fins pratiques, renforcement si le mot français
renforcement...
M. BOURASSA : Renforcement?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui. C'est à vérifier, cela
vient du PQ.
M. CHARRON: ... renforcement de la souveraineté canadienne en
cette matière. C'est-à-dire que c'est un renforcement de la
fédération canadienne comme telle.
M. BOURASSA : Comprenant les provinces?
M. CHARRON: Oui. Est-ce que, dans l'hypothèse où vous
négociez ou vous acceptez une formule d'amendement, donc que vous
acceptez le principe du rapatriement, vous allez vous battre pour faire
inscrire en même temps le droit à l'autodétermination du
Québec, comme le demandent les trois partis de l'Opposition en
Chambre?
M. BOURASSA: M. le Président, nous avons été
élus sur les objectifs de faire fonctionner le régime
fédéral. Donc, rien dans le mandat que nous avons reçu
nous justifie, à mon point de vue et au point de vue du conseil des
ministres, de demander le droit à l'autodétermination. Si nous
avons actuellement un parti dont fait partie le député de
Saint-Jacques, le Parti québécois, qui, lui, propose la
séparation du Québec d'une façon démocratique, je
ne conçois pas, évidemment, je ne prévois pas qu'un tel
choix soit jamais adopté majoritairement par les
Québécois. Mais, si par hypothèse et par pure
hypothèse, cela devenait un choix majoritaire des
Québécois, je ne vois pas en quoi ce choix, je ne vois pas
pourquoi ce choix pourrait être refusé parce que le reste du
Canada aurait à considérer la stabilité politique qui
pourrait être impliquée par un refus de la majorité des
Québécois pour la séparation du Québec. Je ne vois
pas en quoi on pourrait concevoir un refus à un vote majoritaire des
Québécois pour la séparation et en même temps
concevoir une forme quelconque de stabilité politique au Canada.
A toutes fins pratiques, ce droit existe dans les faits et je ne vois
pas en quoi le gouvernement qui a été élu pour s'associer
au régime fédéral, pour faire fonctionner le régime
fédéral, je ne vois pas en quoi le gouvernement que je dirige,
à la lumière du mandat qu'il a reçu de la population,
pourrait être justifié de demander ce droit à
l'autodétermination.
M. CHARRON: Est-ce que, dans votre conception même du
fédéralisme, il y a droit à l'autodétermination de
chacun des Etats membres?
M. BOURASSA : Bien, là, vous rejoignez nos
collègues...
M. CHARRON: C'est une question. Je n'ai pas dit que c'était ma
position à moi. Je vous demande...
M. BOURASSA: D'accord. Je crois que vous vous rapprochez
étroitement de la thèse soumise par le Ralliement
créditiste...
M. CHARRON: C'est une question.
M. BOURASSA: ... une fusion du Parti québécois...
M. CHARRON: Nous avions atteint un niveau assez sérieux,
tâchez d'y rester.
M. BOURASSA: C'est parce que vous posez une question qui est
proposée dans le mémoire du Ralliement créditiste.
M. CHARRON: Oui, oui, je le sais.
M. BOURASSA: Je ne sais pas ce qu'en pensent les députés.
Qu'est-ce que cela peut donner comme force centrifuge, ou centripète...
Centrifuge?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans votre cas, c'est centripète.
M. BOURASSA: Le député ne manque jamais une occasion. Je
ne vois pas comment le régime fédéral pourrait, subsister
si les dix provinces... Dans l'hypothèse où
l'Ile-du-Prince-Edouard décidait de voter l'autodétermination, un
chef politique arrive et propose l'autodétermination, Le
Nouveau-Brunswick...
M. CHARRON: Mais dans l'hypothèse où c'est la nation
québécoise plus que l'Ile-du-Prince-Edouard.
M. BOURASSA: D'accord, mais, à la dernière
élection, je ne crois pas que c'était dans votre programme. Quand
vous étiez au pouvoir, M. Bertrand, est-ce que...
M. BERTRAND: Vous dites qu'en fait l'autodétermination ou le
principe existe. Je dis qu'il existe non seulement en fait, mais en droit. Il y
en a qui, à l'heure actuelle, dès l'instant où on pose le
principe de l'autodétermination et qu'on l'accepte, y voient
immédiatement du séparatisme. Ce n'est pas ça. Le principe
d'autodétermination, c'est qu'un peuple puisse choisir entre, à
l'heure actuelle, ce qui existe, ce qui peut être meilleur que ce qui
existe, mais dans un fédéralisme, ou la séparation comme
telle. Et le premier ministre l'a noté, en fait ça existe. J'ai
toujours émis l'idée que ce n'est pas dans une campagne
électorale qu'on pourra le savoir, c'est un référendum qui
nous permettrait un tel choix parce qu'à ce moment-là la question
serait claire devant le peuple. J'ai toujours dit que ce principe devait
être reconnu. Quant à moi, j'y crois; d'ailleurs, M.
Lévesque lui-même, à la dernière campagne
électorale, a dit que, si son parti était élu avec une
minorité des voix, il soumettrait à un référendum
le problème de la séparation.
M. BOURASSA: Est-ce qu'il a dit ça? M. BERTRAND: Oui.
M. BOURASSA: Est-ce que M. Lévesque a dit que...
M. BERTRAND: Oui, oui, il l'a dit dans ce sens-là.
M. BOURASSA: Je ne sais pas là, le député de
Bourget vous contredit à regret.
M. BERTRAND: Non, non.
M. BOURASSA: Est-ce que M. Lévesque a dit...
M. LAURIN: Je n'ai pas contredit, je reste silencieux.
M. BOURASSA: Est-ce que...
M. BERTRAND: A tout événement, M. le Président, si
le député de Saint-Jacques a terminé sur le
rapatriement...
M. BOURASSA: Non, mais il faudrait clarifier un point, si vous me
permettez.
M. CHARRON: Bien, il faudrait que vous clarifiiez votre
réponse.
M. BOURASSA: D'accord. Mais le chef de l'Opposition vient de
déclarer que M. Lévesque a dit que, même s'il avait une
majorité de députés, il faudrait un
référendum pour qu'il y ait séparation du
Québec.
M. BERTRAND: S'il avait été élu comme votre
gouvernement l'est...
M. BOURASSA: Oui, minorité de voix.
M. BERTRAND: ...avec une minorité des voix; à ce
moment-là, il ne prendrait pas pour acquis que cela décide du
sort du Québec.
M. BOURASSA: Est-ce vrai?
M. LAURIN: Tout ce que je peux répondre, c'est que cette
déclaration ne fait pas partie du programme du parti.
M. BERTRAND: Non, mais dans la pensée du chef...
M. BOURASSA: Division au sein du Parti québécois.
M. BERTRAND: ...du parti, c'est certainement implicite.
M. LAURIN: C'est comme vos ministres qui disent des choses que vous
n'approuvez pas toujours.
M. BOURASSA: Donnez-moi un exemple.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le ministre des Affaires municipales a dit
qu'Ottawa pou-
vait se mêler des affaires municipales; vous avez dit le contraire
en Chambre.
M. BOURASSA: Non, non, ce n'est pas ce qu'a dit le ministre.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ...avec les applaudissements.
M. TESSIER: Si vous me mettez en cause, je vais faire une
rectification.
M. BOURASSA: Quand le ministre a-t-il fait cette déclaration?
M. LEGER: M. le Président, pour terminer sur la question de
l'autodétermination, est-ce que le premier ministre...
M. BOURASSA: Pour répondre à la question du
député de Saint-Jacques, j'ai dit tantôt que...
M. CHARRON: Mieux vaut tard que jamais.
M. BOURASSA: ...la question qu'il posait était un problème
politique beaucoup plus que juridique et que, s'il y avait une majorité,
par pure hypothèse, de Québécois qui votaient pour la
séparation du Québec, je ne vois pas en quoi ceci pourrait
être refusé. Mais ce n'est pas à mon gouvernement, qui a
précisément été élu contre la
séparation du Québec, de faire des revendications qui n'ont pas
été faites d'ailleurs, à ma connaissance, par l'ancien
gouvernement.
M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de
Lafontaine.
M. CHARRON: Un instant. Ce que vient de dire le député de
Missisquoi, il y a une différence entre faire inscrire pour une nation
son droit à l'autodétermination et l'exercice de cette
autodétermination. Elle pourrait décider de faire sa
souveraineté, ce que nous lui proposons et ce qui a été
adopté par une partie de la population à la dernière
élection; c'est une chose, ce n'est pas de ça que je veux parler.
Je ne veux même pas parler de l'option de mon parti. Je veux simplement
dire que n'importe quel des quatre partis de cette Chambre peut
reconnaître à la nation québécoise le droit d'avoir
son autodétermination. Et si pour vous c'est si clair que ça,
dans votre esprit, je ne vois pas pourquoi on refuserait ça au
Québec, mais comment expliqueriez-vous la hargne que vous rencontriez
à Ottawa ou à Victoria si vous arriviez avec cette proposition
d'inscrire le principe de l'autodétermination?
M. BOURASSA: C'est une hypothèse qu'émet le
député.
M. CHARRON: Ce n'est pas une hypothèse ou bien vous ne vivez pas
dans la même société que nous autres.
M. BOURASSA: Evidemment, ce ne serait pas l'enthousiasme délirant
si on arrivait avec cette proposition, mais...
M. CHARRON: Comment expliquez-vous ça?
M. BOURASSA: ... de là à dire qu'il y aurait de la
hargne.
M. BERTRAND: C'est peut-être le meilleur moyen de refuser la
formule d'amendement.
M. CHARRON: Comment est-ce que vous expliquez ça que ce ne serait
pas de l'enthousiasme alors que c'est censé être une
société qui se construit à deux peuples libres et
harmonieux?
M. BOURASSA: Non, mais tantôt on parlait de la formule desdits
principes d'autodétermination, je veux dire, le Ralliement
créditiste...
M. CHARRON: Pourquoi croyez-vous que le gouvernement central
s'opposerait à faire inscrire dans la charte, dans la constitution du
Canada, dans la nouvelle constitution du Canada, le principe
d'autodétermination? Pourquoi croyez-vous qu'il s'opposerait à
ça?
M. BOURASSA: Ce serait une bonne question à poser au premier
ministre du Canada. D'ailleurs, elle lui a été posée.
M. LAURIN: On n'a jamais signé l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique. Cela n'a jamais été accepté au Parlement
de Québec.
M. BOURASSA : Même par prescription?
M. LE PRESIDENT (Bacon): Le député de Lafontaine.
M. LEGER: M. le Président, que ce droit à
l'autodétermination soit inscrit dans le préambule de cette
constitution, est-ce que le premier ministre calcule que c'est contraire
à la politique de son gouvernement, qui s'est fait élire sur un
principe fédéraliste, de le demander?
M. BOURASSA: J'ai dit que je ne vois pas à la lumière du
mandat que j'ai reçu de la population... Il y a quand même 76 p.
c. de l'électorat ou 76.4 p. c. qui a voté pour le régime
fédéral, alors...
M. LEGER: C'est-à-dire qu'il n'a pas voté pour le
régime...
M. CLOUTIER (Ahuntsic): C'est d'ailleurs, M. le Président,
contraire au principe d'une fédération. Cela pourrait cadrer avec
le principe d'une confédération qui constitue par
définition une association d'Etats qui sont dotés
d'une certaine souveraineté, mais je ne crois pas qu'il soit
possible, même en droit, certainement pas en fait, que dans une
fédération on puisse permettre aux parties constituantes de
sortir de la fédération sans remettre même son existence en
cause.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le ministre devrait relire Duverger sur ces
notions-là et relire la constitution canadienne.
M. CLOUTIER (Ahuntsic): C'est une opinion.
M. CHARRON: Alors, cela veut dire quel droit pour la
fédération à ce moment?
M. LEGER: M. le Président, le premier ministre nous a
convoqués quand même pour obtenir les positions des partis dans le
but de s'éclairer davantage pour arriver à Victoria avec des
propositions concrètes. Devant le fait que les trois partis de
l'Opposition se sont quant même tous les trois prononcés contre la
formule Trudeau-Turner, est-ce que le premier ministre accepte encore le
principe que c'est susceptible d'un accord?
M. BOURASSA: Bien, le gouvernement c'est moi qui le dirige, ce n'est pas
l'Opposition.
M. LEGER: Non! non! Si vous avez demandé aux trois partis de
l'Opposition de s'exprimer, est-ce que vous ne voyez pas des réserves,
quand même, à vous présenter à Victoria sachant que
les trois partis de l'Opposition s'opposent à cette formule d'une
façon unanime?
M. BOURASSA: Je sais aujourd'hui que les trois partis de l'Opposition
s'opposent à la formule d'amendement. La réunion aura
été utile sous ce rapport...
M. LEGER: Cet après-midi, le député de
Bourget...
M. BOURASSA: ... sur le plan de l'information.
M. LEGER: ... vous avait posé une question vous demandant quelle
avait été la participation du Québec, minimale ou
maximale, à l'élaboration de la formule Turner-Trudeau et je me
disais justement qu'à la suite d'une déclaration que le ministre
a faite lui-même au magazine Maclean: "Je ne m'attendais jamais à
ce que les autres provinces et le gouvernement fédéral en mettent
une formule au point aussi rapidement.. Je pensais qu'ils attendraient au moins
un an et demi." Cette surprise, est-ce qu'elle n'est pas
révélatrice de l'origine non québécoise de cette
formule? Est-ce que ça ne démontre pas que le gouvernement du
Québec n'a pratiquement pas participé à
l'élaboration de la formule Turner-Trudeau, que ça lui a un peu
été imposé?
M. BOURASSA: Bien non, le ministre dit qu'il ne s'attendait pas... Moi,
non plus, je ne m'attendais pas à ce qu'on en vienne à un accord,
mais on a fait des concessions.
M. CHARRON: Ce n'est pas le ministre, c'est vous. C'est vous qui avez
dit ça.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est de vous qu'on parle.
DES VOIX: C'est vous.
M. BOURASSA: Ah! c'est moi, je ne parlais pas.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est l'article là, dans lequel vous
vous rasez...
M. CHARRON: ... de vous rejoindre.
M. BOURASSA: Vous voyez, M. le Président, vous voyez une
expression spontanée de la solidarité au sein du conseil des
ministres. Je m'excuse, je croyais que le député parlait d'un
autre ministre, et je lui ai dit...
M. CHARRON: Vous avez tellement l'habitude de ne pas le dire aux
ministres...
M. BOURASSA: Non, non, je lui ai dit que moi aussi j'étais
d'accord. Alors c'est moi qui avais fait cette déclaration? Vous voyez
la preuve.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... une photo ou vous vous rasiez. Vous rasiez
tout le monde en même temps.
M. LE PRESIDENT (Bacon): Le député de Saint-Laurent.
M. PEARSON: M. le Président, je n'entrerai pas dans les
détails, je m'en tiendrai à un jugement général ou
global sur le sujet. Je ne suis pas membre du cabinet des ministres, donc je ne
connais pas plus le dossier... en somme, que l'Opposition. Je suis donc
obligé de me limiter à des généralités.
M. BERTRAND: Est-ce que cela veut dire, M. le député de
Saint-Laurent, que le caucus du parti n'a jamais été
consulté sur la formule d'amendement à la constitution?
M. PEARSON: Je m'en tiens à ce que j'ai dit.
M. BOURASSA: Nous avons eu un caucus les 26 et 27 avril...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Avant le show du Colisée?
M. BOURASSA : Je comprends que cela vous a donné la jaunisse, ce
rassemblement de 10,000 militants...
M. PEARSON: Est-ce que je peux continuer, M. le Président?
M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de
Saint-Laurent.
M. BERTRAND: Nous écoutons le député de
Saint-laurent.
M. PEARSON: Donc, je me limiterai tout simplement à des
généralités. Je suis toutefois conscient de la
réalité présente.
On peut facilement, de toute façon, prendre connaissance de ma
pensée dans mes discours du 20 novembre et du 18 mars concernant
l'urgence et la nécessité de travailler vite dans le domaine de
la constitution canadienne. Pour être logique avec moi-même et pour
qu'on puisse dire que j'ai de la suite dans les idées, si on se donne la
peine d'analyser l'évolution de ma pensée en ce domaine, suivant
les informations du dossier que je possède, premièrement, cette
conférence, à mes yeux, sera la dernière ou la
première. La première si son résultat ouvre les portes
toute grandes sur l'avenir. La dernière si elle continue à se
refermer sur le passé. Alors, elle servira d'indicateur pour un nouveau
réalignement des partis et des hommes politiques. De plus en plus
d'hommes publics se rejoignent sur le fait que l'enfant né en 1867 est
infirme en 1971, que la constitution actuelle est désuète,
paralysante et qu'elle ne correspond pas très bien à la
réalité. Elle devient presque le symbole du statu quo contre la
vie, contre le désir de vivre et de s'épanouir au moins pour une
des parties constituantes, une de ses parties les plus dynamiques.
La révision lente connue jusqu'à maintenant, si elle
continue, provoquera, à mes yeux, inévitablement l'impatience.
Donc, nécessité urgente d'une nouvelle constitution, tenant
compte du réel de 1971, par la raison. Sinon, personne ne pourra
empêcher qu'elle ne se fasse dans l'impatience. Pour moi, les 14, 15 et
16 juin seront des dates historiques. Elles seront un début ou une fin.
Ici, pour terminer, je me pose une question. Etant donné l'importance de
cette rencontre, je me demande c'est simplement à titre de
suggestion, parce que je n'ai pas de vote si le fait d'accepter comme
observateurs des membres de la commission de la constitution ne serait pas un
moyen de signifier au gouvernement fédéral et aux autres
provinces l'importance et l'urgence que le Québec attache à cette
rencontre.
M. BOURASSA: M. le Président, si j'ai bien compris le chef de
l'Opposition, est-ce...
M. DUMONT: M. le Président, je me permettrais de faire une
remarque. Est-ce que le premier ministre pourrait répondre à la
question?
M. BOURASSA: J'ai déjà répondu.
M. DUMONT: Je voudrais savoir s'il donne la même réponse au
député.
M. BOURASSA: Oui, oui! J'ai déjà répondu à
cette question. Est-ce que le chef de l'Opposition s'est opposé à
la formule d'amendement comme formule d'amendement?
M. BERTRAND: D'abord, on me permettra, comme membre de la commission, de
féliciter le député de Saint-Laurent du courage qu'il a
manifesté en exprimant son opinion d'une manière aussi franche et
nette. Je crois qu'il est toujours difficile pour un membre d'un parti au
pouvoir de le faire. Mais je le félicite.
M. PEARSON: M. le Président, si vous me le permettez...
M. BERTRAND: Quant à la formule d'amendement...
M. PEARSON: Est-ce que vous me permettez une remarque? Si je l'ai fait,
ce n'est pas en opposition.
M. BERTRAND: Non, non, non!
M. PEARSON: C'est parce que j'ai senti, en somme, un climat ici qui
permettait non seulement...
M. BERTRAND: Je ne l'ai pas pris dans ce sens-là.
M. PEARSON: ...à l'Opposition, mais également à
chacun des membres d'exprimer sa pensée sur le sujet.
M. BERTRAND: Je ne l'ai pas pris dans le sens vilain du mot.
Au sujet de la formule d'amendement, je puis dire ceci: C'est
qu'à chacune des conférences
fédérales-provinciales, surtout le procureur
général de la Colombie-Britannique insistait pour que nous
adoptions une formule d'amendement. Il y est revenu à plusieurs reprises
et faisaient écho à sa demande plusieurs procureurs
généraux des autres provinces. Immanquablement, on en revenait
à l'acceptation par le Québec de la formule Fulton-Favreau et au
refus qu'avait dû forcément, par la suite, signifier le premier
ministre du Québec d'alors.
On s'en souvient. Cela fait partie de l'histoire. J'en ai parlé,
je pense, dans la déclaration qui est versée intégralement
au journal des Débats de ce jour. C'était toujours le
problème : Pourquoi ne pas s'entendre sur une formule d'amendement?
C'est pour cela que j'ai dit au premier ministre que la conférence a
toujours
un aspect psychologique. Cela se passera en Colombie-Britannique, ce sur
quoi nous insistons. Immanquablement, autant M. Johnson que moi et
là je fais part de certaines entrevues qui peuvent être "fireside
chat". Je crois que cela fait partie de l'histoire politique disions
qu'une formule d'amendement à la constitution devait compléter le
travail d'une nouvelle répartition des pouvoirs en matière
fiscale, des pouvoirs juridictionnels en tenant compte du point de vue du
Québec, des pouvoirs que le Québec pouvait vouloir exercer et que
les autres provinces préféraient céder au gouvernement
fédéral.
Autrement dit, les problèmes fondamentaux. Je les englobe tous,
on y a fait allusion depuis les débuts. Et, règle
générale, la réponse était: Il faut s'entendre
d'abord sur une formule d'amendement.
M. BOURASSA: Si je comprends bien, l'attitude du chef de l'Opposition,
vis-à-vis de la formule d'amendement, comme dans la question que je lui
posais tantôt; est-ce qu'il est contre la nature de la formule
d'amendement ou s'il est contre le "timing" ou le fait qu'elle soit...
M. BERTRAND: J'ai dit ceci: La formule d'amendement, dans un Etat
fédéral, c'est...
M. BOURASSA: Non, mais la nature, le contenu.
M. BERTRAND: La formule d'amendement Fulton-Favreau était
absolument inacceptable.
M. BOURASSA: D'accord.
M. BERTRAND: Celle-ci, je l'ai dit et je l'ai écrit, est plus
souple, plus flexible et moins compliquée. Tous ceux qui l'ont
examinée, M. Faribault, M. Jacques-Yvan Morin...
M. BOURASSA: Est-elle susceptible d'un accord?
M. BERTRAND: C'est-à-dire qu'on pose ce problème comme
priorité. Je dis non parce que je n'aurais jamais accepté...
M. BOURASSA: Non! Nous n'avons pas dit que c'était la seule
priorité.
M. BERTRAND: Non, non! Entendons-nous. Ne jouons pas sur les mots.
M. BOURASSA: Non, non! j'ai exprimé...
M. BERTRAND: Ne jouons pas sur les mots. Je prends comme texte le
communiqué prioritaire...
M. BOURASSA: Non, mais vous fabriquez la dernière phrase.
M. BERTRAND: Je dis que cette formule, dans un Etat
fédéral, pourrait être acceptable mais à la fin et
non pas au début. Autrement dit, si vous voulez une révision en
profondeur de la constitution, elle doit compléter le travail et non pas
le précéder.
M. BOURASSA: Le chef de l'Opposition ne répond pas à ma
question.
M. BERTRAND: Oui. Vous avez mon opinion.
M. BOURASSA: Non, non!
M. BERTRAND: Elle est plus souple, elle est plus acceptable, elle est
moins compliquée. C'est une formule que, dans un Etat
fédéral, on peut accepter...
M. BOURASSA: Bon! C'est cela que je voulais...
M. BERTRNAD: ... mais à la fin des travaux de la révision
constitutionnelle...
M. BOURASSA: Il y a une distinction.
M. BERTRAND: ... quand les parties ont démontré qu'elles
acceptent de remettre en cause les fondements de la constitution.
M. BOURASSA: C'est une question d'opinion, c'est-à-dire
que...
M. BERTRAND: C'est plus qu'une question d'opinion.
M. BOURASSA: Non, non! L'ancien chef du gouvernement dit: Nous devons
accepter la formule à la fin. Le chef du gouvernement actuel se dit:
Est-ce que...
M. BERTRAND: C'est-à-dire comme complément d'une
révision en profondeur mais pas au départ.
M. BOURASSA: D'accord. Mais ce n'est pas la position du
gouvernement...
M. BERTRAND: Il y a une distinction fondamentale.
M. BOURASSA: ... actuel que la formule soit acceptée au
départ. La position du gouvernement actuel n'est peut-être pas que
la formule soit acceptée à la fin parce que je ne vois pas
comment nous pouvons régler toutes les questions, étant
donné cette réalité mouvante à laquelle je me
référais cet après-midi. Mais je dis que, si nous
acceptons cette formule d'amendement et que nous pouvons obtenir satisfaction
dans des secteurs majeurs, comme le disait cet après-midi le chef de
l'Opposition, il y a là certainement lieu, à notre sens, de
considérer
l'acceptation de la formule d'amendement qui, intrinsèquement
je suis d'accord avec le chef de l'Opposition n'est pas mauvaise.
Mais est-ce qu'on doit attendre à la toute fin? C'est à mon
gouvernement d'examiner si ceci ne comporte pas des risques quant à la
marche de la révision constitutionnelle, parce que nous ne sommes quand
même pas les seuls à négocier. Nous avons à
négocier avec des partenaires. C'est à nous de faire preuve de
jugement de manière que le Québec récolte le maximum
d'avantages dans cette révision et d'utiliser la stratégie la
plus efficace.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le premier ministre...
M. LAURIN: Mais quels avantages pourriez-vous bien trouver à
l'accepter, par exemple?
M. BOURASSA: Pardon?
M. LAURIN: Etes-vous capable de nous démontrer les avantages que
votre gouvernement aurait à accepter cette formule d'amendement pour le
moment? Serait-ce très compliqué?
M. BOURASSA: J'ai dit tantôt que le gouvernement
considérait...
M. LAURIN: Qu'est-ce qui presse tellement d'accepter cette formule?
M. BOURASSA: C'est pour cela que nous négocions dans d'autres
secteurs, que nous négocions la question de la politique sociale.
M. LAURIN: Les autres provinces sont pressées mais, nous,
pourquoi serions-nous pressés?
M. BOURASSA: Les autres provinces décideront ce qu'elles voudront
et le gouvernement décidera ce qu'il faudra faire pour le
Québec.
M. LAURIN: Il n'y a que des dangers et des risques à l'accepter
immédiatement.
M. BOURASSA: Tout dépend avec quel secteur.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Premier ministre, vous nous avez
réunis pour nous faire connaître...
M. BOURASSA: Et pour vous entendre.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... d'abord le point de vue du gouvernement et
en même temps avoir notre opinion sur le point de vue du gouvernement.
Or, nous avons procédé à l'inverse cet
après-midi.
M. BOURASSA : Vous avez déposé vos mémoires...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous vous avons présenté notre
point de vue sachant très bien que vous répondriez de la
même façon que vous l'avez fait quand nous vous avons
interrogé en Chambre. Nous avons entendu le Parti
québécoise qui a déposé un document fort
intéressant sur les mécanismes de la formule d'amendement.
Nous avons eu aussi le document du Ralliement créditiste qui nous
a été lu par M. Samson, ça été un cours sur
l'histoire du Canada actuelle récité par une vieille institutrice
retraitée qui se convertit...
M. DUMONT: ... plus de clarté...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... à la dernière minute et nous
n'avons pas encore pris connaissance de la position du gouvernement. Le Chef de
l'Opposition officielle, pour sa part, a exprimé le point de vue de
notre parti, et tout à l'heure il vous a indiqué ceci: Que toutes
les questions de principe que j'indiquais tout à l'heure comme questions
préalables devaient être réglées avant que l'on
s'attelle à la tâche de cette question de formule d'amendement,
etc.
En définissant les principes avec le gouvernement central et les
gouvernements des Etats membres de la fédération, et en marquant
les questions majeures qui doivent faire l'objet des revendications du
gouvernement du Québec, vous établiriez la politique du
gouvernement du Québec et cela vous permettrait par la suite, si le
gouvernement central et les autres gouvernements acceptent les conditions du
Québec, d'examiner le problème de la nouvelle constitution, ce
qui vous dispenserait évidement de vous pencher trop longuement sur le
problème de cette formule d'amendement que l'on propose.
En ce qui me concerne, la formule d'amendement qu'on nous a
proposée, je la trouve inacceptable à tous égards.
M. BOURASSA: Contrairement à votre chef.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, n'allez pas trop vite, vous
êtes jeune, n'allez pas trop vite.
M. BERTRAND: Il va donner raison.
M. BOURASSA: Vous n'êtes pas tellement plus vieux que moi.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis habitué de donner un cours
à des plus jeunes que moi. Alors, M. le Président, ce que disait
tout à l'heure l'institutrice retraitée ou tout à l'heure
le chef de l'Opposition officielle a déclaré que les
mécanismes d'amendement dont on parle pourraient être acceptables
mais à la fin, lorsqu'auront été définies toutes
les questions qui sont...
M. BERTRAND: C'est exactement ce que j'ai dit.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... des questions de principe. Je vais vous
donner un exemple.
M. BOURASSA: Mais, intrinsèquement.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, M. le Président.
M. BOURASSA: Puis-je me permettre respectueusement?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ordinairement, M. le Président, je
donnais le cours et après ça je disais aux étudiants:
Avez-vous des questions à poser?
Alors, si le premier ministre me permet, je vais procéder de la
même façon pour l'aider à se calmer alors...
M. BOURASSA: Mauvaise formule pédagogique, M. le
Président.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Là on peut diverger selon que l'on est
piagiste ou duverniste, etc.
Alors, M. le Président, le chef de l'Opposition a
déclaré tout à l'heure que la formule pourrait être
éventuellement acceptable...
M. BOURASSA: Il est allé un petit peu plus...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... mais à condition que l'on se soit
entendu auparavant sur tous les principes de base et sur tous les champs de
compétence que doit réclamer le gouvernement du
Québec.
Or, la réunion que nous tenons à l'heure actuelle devait
servir à nous éclairer sur les priorités du gouvernement
du Québec, celles qui doivent faire l'objet, qui doivent constituer les
éléments majeurs de ce dossier bien préparé que le
premier ministre se doit de présenter à la conférence de
Victoria.
Or, nous ne savons pas du tout vers quoi se dirige le gouvernement du
Québec, quelles sont ses priorités et nous ne savons pas du tout
s'il a l'intention de poser ce que j'appellais tout à l'heure les
questions préalables.
Est-ce que le gouvernement central et les gouvernements des Etats
membres de la fédération sont prêts à accepter que
le Québec reprenne possession de certains domaines de sa
compétence, que ces domaines soient élargis dans toutes les
matières que nous avons évoquées; après quoi, il
pourra entreprendre le travail de la révision constitutionnelle? C'est
dans ce sens que j'entends la proposition du chef de l'Opposition qui dit: Ce
pourrait être acceptable à la fin, quand nous aurons obtenu ce que
nous voulons obtenir et que nous aurons ensuite à le consacrer dans un
nouveau texte constitutionnel.
L'attitude du chef de l'Opposition est extrêmement
prévoyante. Elle est extrêmement prudente et elle ne pose pas, au
départ, le principe que l'on accepte une formule d'amendement;
après quoi, l'on regarde ce que l'on pourrait mettre dans cette nouvelle
constitution. Ce n'est pas comme cela que nous avons procédé,
jamais, quand nous avons négocié avec le gouvernement
central.
J'étais très heureux, tout à l'heure, d'entendre le
député de Saint-Laurent nous donner son opinion sur cette
conférence constitutionnelle. Cette conférence constitutionnelle
peut être, comme l'a dit le député tout à l'heure,
la première ou la dernière, selon que le gouvernement exposera,
une fois pour toutes, les desiderata du Québec et qu'il indiquera aux
autres gouvernements qu'il entend prendre l'initiative dans des domaines qu'il
considère comme siens ou au sujet de certains pouvoirs dont il nous dit
qu'il a l'intention de les réclamer. Je reviens à la question
initiale que j'ai posée au premier ministre cet après-midi et si
je n'ai pas de réponse, je continuerai de dire que la réunion que
nous avons eue n'avait pas de raison d'être: Quel est exactement le
dossier du gouvernement? Quelles priorités entend-il faire valoir?
Considère-t-il que toutes ces priorités sont les questions
préalables à l'acceptation de la discussion d'une quelconque
formule d'amendement?
M. BOURASSA: M. le Président, comme j'ai été, moi
aussi, professeur, j'ai ma propre formule pédagogique. Je me
répéterai parce que je m'aperçois que l'étudiant
Tremblay est quelque peu entêté.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Comme j'ai dû répéter mes
questions parce que l'étudiant Bourassa n'était pas très
brillant, qu'il n'a pas saisi tout de suite. C'est une reprise d'examen, ce
soir.
M. BERTRAND: Si cela continue, les autres élèves vont
contester.
M. BOURASSA: Personne ne conteste l'importance de la conférence
de Victoria, que ce soit de ce côté-ci ou de l'autre
côté et même dans les autres provinces. Le gouvernement
fédéral lui-même, en tout premier lieu, peut-être
encore plus que le Québec, de même que M. Trudeau, accordent une
grande importance à cette conférence de Victoria. J'ai dit que je
comprenais la stratégie du chef de l'Opposition sans l'accepter dans
l'état actuel des négociations. Sa stratégie est de tout
régler et d'accepter la formule d'amendement. Je ne crois pas que, si
j'adoptais actuellement cette stratégie, je ferais avancer les choses
dans le domaine de la réforme constitutionnelle. Je dis ceci en con-
naissance de cause, après plusieurs réunions, après
avoir rencontré les premiers ministres.
Il peut arriver que certains premiers ministres des autres provinces
disent: Nous, cela fait 103 ans que nous sommes avec l'Acte de 1867,
continuons. Mais où allons-nous? Quel progrès faisons-nous? C'est
à moi et au gouvernement actuel de décider de la stratégie
la plus efficace. Cette formule d'amendement constitue un avantage tactique
pour le Québec. Je dois voir jusqu'à quel point le Québec
doit utiliser cet avantage tactique pour régler des questions qui lui
paraissent fondamentales. J'ai mentionné comme exemple le cas de la
politique sociale.
J'ai dit, et je suis forcé de répéter que, dans le
cas de la politique culturelle ou de l'avenir culturel des
Québécois, cela dépassait toute espèce d'approche
juridique, de formule d'amendement ou de question de forme ou de technique.
Parce que cela va réellement au coeur de l'avenir des
Québécois francophones.
Quant à la question économique, je pense que ce n'est pas
l'acceptation ou le refus de la formule d'amendement qui peut modifier
tellement le partage économique. Le Québec, je l'ai dit à
plusieurs reprises...
M. LAURIN: Est-ce que je peux interrompre le premier ministre pour lui
poser une question?
M. BOURASSA: Oui.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si sa pédagogie le lui permet.
M. LAURIN: A supposer que vous obteniez gain de cause dans certains de
ces thèmes majeurs que vous mentionniez et que vous signiez la formule
d'amendement, de quel levier, de quelle arme tactique disposeriez-vous par la
suite pour obtenir, des autres provinces et du gouvernement
fédéral, les amendements en ce qui concerne cette politique
culturelle qui semble vous tenir tellement à coeur?
M. BOURASSA: Bien, c'est curieux que vous me posiez cette
question-là, parce que...
M. LAURIN: Je ne vous demande pas d'interpréter ma
question...
M. BOURASSA: Non, non! le fait même de la présence d'un
parti qui, disons, est arrivé second...
M. LAURIN: Je chausse vos bottes pour un instant. Je ne vous demande pas
de vous mettre dans les miennes.
M. BOURASSA: Mais pourquoi...
M. LAURIN: Est-ce une façon de ne pas répondre à la
question?
M. BOURASSA: Non, non! mais disons que je veux essayer de
répondre à la question du député. Pourquoi les
autres provinces et le gouvernement fédéral refuseraient de
satisfaire nos exigences culturelles? J'ai parlé de souveraineté
culturelle dans un fédéralisme économique; cela me
paraît la formule, beaucoup plus que la séparation ou
l'indépendance...
M. LAURIN: Pour la même raison, M. le premier ministre, qu'elles
n'ont jamais fait droit aux demandes des minorités francophones dans les
autres provinces, pour la même raison que nos demandes de rapatriement
des pouvoirs n'ont jamais été acceptées aussi.
M. BOURASSA: La situation a évolué. On verra...
M. CHARRON: Pour donner un exemple au premier ministre...
M. BOURASSA: Non, mais si je peux terminer ma réponse. Je pense
que la question est fondamentale...
M. CHARRON: D'accord, allez-y, je vous donnerai un exemple
après.
M. BOURASSA: ...et vous pourrez donner des exemples par la suite.
M. CHARRON: D'accord. Allez-y.
M. BOURASSA : En termes budgétaires, qu'est-ce que cela veut
dire, l'aspect culturel? Peut-être 1 p. c. ou 2 p. c. du budget. Mais,
nous, cela nous donne une sécurité...
M. CHARRON: Vous avez une conception étroite de la culture.
M. BOURASSA: Non, je donne cela sur le plan de la négociation.
C'est plus facile quand les conséquences budgétaires sont minces.
Cela nous donne une sécurité à laquelle nous ne pouvons
renoncer d'aucune façon. Pourquoi le reste du Canada s'opposerait-il
à des demandes de la sorte du Québec? Demandes sur lesquelles
nous ne pouvons pas négocier.
M. LAURIN: Est-il tellement sûr que le culturel ne
représente que 1 p. c. ou 2 p. c. au point de vue économique?
Quand on voit toute l'installation que peut nécessiter un système
québécois de communications, quand on voit les influences
culturelles que la politique fiscale...
M. BOURASSA: Regardez le dernier budget fédéral.
M. CHARRON: L'éducation permanente et les loisirs.
M. BOURASSA : Regardez le dernier budget fédéral. Il ne
faut pas mélanger la politique sociale et la politique culturelle.
C'est, disons, en gros, et je ne peux pas aller plus loin que je le fais ce
soir, la stratégie du gouvernement actuel, quitte à ce qu'elle
soit révisée...
M. LAURIN: Mais ne reconnaissez-vous pas quand même qu'une fois
que vous aurez signé une formule d'amendement, à quelque avantage
que ceci aurait pu conduire, vous aurez perdu la seule arme qui vous reste pour
obtenir d'autres amendements dans d'autres domaines?
M. BOURASSA: Non, parce que la stabilité politique du
Québec et, par conséquent, du Canada sera impossible à
concevoir ou à réaliser si nous n'avons pas les pouvoirs
culturels dont nous avons besoin.
M. CHARRON: Je vais vous donner un exemple, M. le premier ministre,
comme quoi, même dans le domaine culturel, vous ne seriez pas sûr
d'avoir tout l'appui nécessaire que vous escomptez presque
miraculeusement des autres parties. Dans la formule d'amendement
elle-même, susceptible d"'accords", il y a une entente qui dit que, dans
les écoles, on garantirait dans le préambule de cette nouvelle
constitution, le français et l'anglais dans les écoles.
Vous avez exprimé, au moment de la conférence de
février, des réserves...
M. BOURASSA: J'ai exprimé des réserves, oui.
M. CHARRON: ... que vous aviez quant au fait de "constitutionnaliser" le
fameux projet de loi 63.
M. BOURASSA: Oui, oui, je m'y suis opposé.
M. CHARRON: Parce que non seulement l'aspect le plus détestable
de ce projet de loi serait devenu constitutionnel, donc à peu
près intouchable pour nous, mais l'aspect le plus heureux qu'il pouvait
avoir celui qui, présentement, est épaulé par le
règlement no 6 du ministère de l'Education et Dieu sait comment
le ministre de l'Education a de la difficulté à le faire
respecter actuellement dans les milieux anglophones deviendrait par le
fait même anticonstitutionnel et on ne pourrait plus obliger
l'enseignement du français dans les écoles anglaises. Vous savez
très bien le "back-lash" que vous auriez. Actuellement, vous l'avez
déjà face à votre règlement no 6. Alors,
déjà, dans la seule formule d'amendement dans le domaine culturel
qui vous tient tellement à coeur, vous vous coupez d'un outil
fantastique. Le jour où nous déciderons, par exemple ce
qui devrait être normal chez nous d'envoyer les immigrants aux
écoles françaises, nous serons constitutionnellement incapables
de le faire.
M. BOURASSA: Bien oui, mais ce n'est pas dans la formule d'amendement.
Cela fait partie des droits linguistiques. J'ai laissé parler le
député parce qu'il s'exprime d'une façon agréable,
ce soir, contrairement à cet après-midi, mais il parle
complètement à côté de la question.
M. LAURIN: On ne fait pas de commentaires sur vos
déclarations.
M. CHARRON: Je n'ai pas dit que c'était dans la formule. La
formule Turner comporte...
M. BOURASSA: Non, mais si vous permettez que je revienne à cette
question parce que, là, vous posez une question sur les droits
linguistiques alors qu'on parle de la formule d'amendement. Mais je pense que
l'approche du chef parlementaire...
M. CHARRON: C'est parce qu'ils vont vous le faire avaler d'un bloc.
M. BOURASSA: ... est trop légaliste. C'est une question de force
politique. Est-ce qu'on veut la stabilité politique au Canada? On n'aura
pas la stabilité politique au Canada, quelles que soient les formules
d'amendement...
M. LAURIN: Ce serait la meilleure façon de l'éviter.
M. BOURASSA: ... si on n'a pas les deux objectifs dont je parlais il y a
quelques jours et dont j'ai parlé cet après-midi.
M. LAURIN: Si vous n'obtenez pas les amendements dans le champ culturel
avec l'arme tactique que vous avez, on peut vous prédire, à coup
sûr, que la tension va continuer au Québec, tant que ces
amendements au point de vue culturel n'auront pas été obtenus. Ce
serait donc une raison supplémentaire pour que, toute de suite, vous
exigiez ces amendements afin de stabiliser.
M. CHARRON: C'est ça.
M. LAURIN: Autrement, vous allez être obligés de compter,
encore une fois, sur des forces populaires pour faire rendre raison aux autres
provinces qui ne verraient pas le bien-fondé d'accorder au Québec
les amendements culturels qu'il demande.
M. BOURASSA: J'ai discuté avec plusieurs premiers ministres. Je
ne dis pas que tous les premiers ministres... Je ne peux pas parler au nom des
premiers ministres sans leur permission. Moi, je ne suis pas aussi pessimiste
que le député, mais je comprends très bien l'expression de
son point de vue et j'en tiendrai compte.
M. LE PRESIDENT (Bacon): Le député de Mégantic.
M. BOURASSA : J'aimerais poser une question au député de
Mégantic. Est-ce que le député de Mégantic est
d'accord avec le chef de l'Opposition que la formule en soi n'est pas mauvaise,
mais que c'est une question d'opportunité de l'accepter qui est en
cause?
M. DUMONT: Nous pourrions aller à Victoria et vous le dire.
M.TREMBLAY (Chicoutimi): Ce n'est pas ce qu'il a dit.
M. BERTRAND: Je demande au premier ministre de faire ses
déclarations, de les faire précises et complètes et de me
laisser les miennes. Jamais, je n'accepterais cette formule d'amendement...
M. BOURASSA: Cela, vous l'avez dit, mais ce n'est pas ce que je dis.
Avec tout le respect que je dois à l'ancien premier ministre...
M. BERTRAND: Ne me mettez pas dans la bouche des mots que je n'ai pas
prononcés.
M. BOURASSA: Non, non! Je crois que ce qui distingue actuellement
l'ancien premier ministre du chef du gouvernement, c'est une question
d'opportunité d'acceptation. Tous les deux, nous trouvons que la formule
n'est pas si mauvaise que ça.
M. BERTRAND: Ah non!
M. BOURASSA: Alors, comment...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Répétez pour qu'il
comprenne.
M. BERTRAND: Il y a des problèmes fondamentaux dans une
révision de la constitution...
M. BOURASSA: Bien, est-ce que je peux terminer? J'ai dit que la formule
intrinsèquement, per se...
M. CHARRON: Ce n'est pas Machiavel, c'est Batman!
M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de
Mégantic.
M. BOURASSA: Non, est-ce que la formule per se, l'ancien premier
ministre a dit tantôt...
M. DUMONT: Le président m'avait donné la parole mais avec
tout le respect que je vous dois, je vous permets de...
M. BOURASSA: C'est parce que c'est là un point important.
L'ancien premier ministre, le chef de l'Opposition, a dit tantôt que la
formule en soi était plus souple, plus flexible mais qu'on ne devrait
l'accepter qu'à la fin du règlement du contentieux. C'est
ça qui est le point de vue.
M. BERTRAND: Des problèmes fondamentaux.
M. BOURASSA: D'accord, d'accord, des problèmes fondamentaux ou
les problèmes majeurs, comme l'a dit cet après-midi avec un peu
plus de nuance. Pas tous...
M. BERTRAND : Problèmes majeurs dans une constitution
fédérale...
M. BOURASSA: ...mais "des", alors moi, je dis que je suis d'accord avec
le chef de l'Opposition. C'est une formule qui est plus souple, qui est
flexible et avantageuse par rapport à la situation actuelle, qui est
avantageuse par rapport à la formule Fulton-Favreau mais, quant à
la question de l'accepter...
M. BERTRAND: Je ne dirai pas qu'elle est plus avantageuse à la
situation actuelle.
M. BOURASSA: Oui mais là ce sont les dix provinces.
M. BERTRAND: Si le premier ministre l'accepte...
M. BOURASSA: C'est ça qu'on dit. M. BERTRAND: ...trop
tôt.
M. BOURASSA: Bien oui, c'est une question de "timing" si je peux
employer cette expression avec la permission du député de
Chicoutimi...
M. LE PRESIDENT (Bacon): C'est le député de
Mégantic qui a toujours la parole.
M. DUMONT: Je vous remercie, je vais commencer à
m'exécuter. Dans l'énoncé des conclusions de la
dernière conférence fédérale-provinciale que vous
nous avez remis cet après-midi, M. le premier ministre, il a
été question, à la fin de la discussion que vous avez eue
lors de la dernière rencontre, et je cite: "Les premiers ministres
examinent la situation du chômage. Plusieurs premiers ministre exhortent
le gouvernement canadien à prendre d'autres mesures pour atténuer
le problème et le ministre des Finances du Canada expose les politiques
du gouvernement canadien visant à combattre le chômage. Il
précise que les indices actuelles marquent une croissance
économique".
Etant donné que tout cela ne semble pas une réalisation,
est-ce que le premier ministre a quelque chose de concret à proposer
pour régler une fois pour toutes ces problèmes de
chômage
qui dépassent la normale même dans le Québec?
M. BOURASSA: Brièvement, M. le Président, parce que nous
avons une réunion du conseil des ministres à dix heures.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Sauvé par la cloche.
M. BOURASSA: Non, je pense que les derniers chiffres ont
démontré que l'action du gouvernement du Québec en
matière de chômage se faisait sentir, alors que nos voisins...
M. DUMONT: Vous avez une solution concrète à
réaliser à Victoria au mois de juin.
M. CHARRON: C'est un message du commenditaire.
M. BOURASSA: Demain, M. le Président, nous rencontrons ici
même pour discuter du problème de la baie James...
M. CHARRON: Les plus beaux films sont toujours entrecoupés des
pires commerciaux.
M. BERTRAND: Cela nous donnera l'occasion de montrer comment le
gouvernement a manifesté son dynamisme, sa vigueur, sa lucidité,
son esprit de travail et sa combativité à résoudre le
chômage.
M. DUMONT: Considérant que le ministre des Finances du
fédéral a démontrer un véritable fiasco, est-ce
qu'on est d'accord pour demander que le salaire du ministre des Finances soit
abaissé à $1?
M. BOURASSA: Alors, la prochaine séance...
M. BERTRAND: M. le Président, il est dix heures. Le premier
ministre dit qu'il doit aller à une séance du conseil des
ministres. Nous ajournons à quand?
M. BOURASSA: Bien, j'aviserai.
M. BERTRAND: Je n'ai pas d'objection à ce que le premier ministre
avise, mais je n'ai pas d'objection non plus à ce qu'il nous
consulte.
M. BOURASSA: M. le Président, comme le chef de
l'Opposition...
M. BERTRAND: Alors, disons donc ceci...
M. BOURASSA: ... le député de Bourget va dire que je les
ai consultés longuement.
M. BERTRAND: ... que nous allons ajourner à une date, cette
semaine...
M. BOURASSA: Pas cette semaine, c'est impossible.
M. BERTRAND: La semaine prochaine?
M. BOURASSA: La semaine prochaine, c'est plus facile.
M. BERTRAND: Alors, mardi.
M. BOURASSA: Bien, nous verrons.
M. BERTRAND: Est-ce que cela va aux autres partis de l'Opposition?
M. BOURASSA: Disons que je ne peux pas, actuellement...
M. BERTRAND: Donc, à mardi...
M. BOURASSA: Non, M. le Président.
M. BERTRAND: ... quitte à nous entendre...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quantativement.
M. BOURASSA: Ah! Disons jeudi, pro forma.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non... M. BERTRAND: Mardi...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... la carte électorale.
M. BERTRAND: ... pro forma...
M. BOURASSA: C'est impossible mardi, je m'excuse.
M. BERTRAND: Bien voici. Mardi, pro forma, que le premier ministre
rencontre les autres chefs et s'entendent avec eux...
UNE VOIX: Lundi, c'est la fête de la reine. M. BERTRAND: ... sur
une date.
M. BOURASSA: Evidemment, nous pouvons nous réunir. Nous avons
discuté longuement. Est-ce que...
M. LAURIN: Nous avons d'autres questions.
M. BOURASSA: Oui, si vous avez d'autres questions, cela va. Alors,
mardi, pro forma.
M. BERTRAND: Nous nous entendrons mardi sur une date précise.
M. BOURASSA: Disons que je préviens les membres de la commission
que cela sera impossible mardi, mais nous pourrons en discuter.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Maintenant, M. le Président,
est-ce...
M. LE PRESIDENT (Bacon): Est-ce que les membres de la commission
acceptent que les documents qui ont été déposés
aujourd'hui par les différents partis soient publiés en annexe au
journal des Débats?
DES VOIX: Certainement.
M. LE PRESIDENT (Bacon): D'accord, accepté.
M. BOURASSA: Alors, jeudi. Pourquoi fixer mardi? Jeudi prochain, cela
irait plus facilement, quitte...
M. BERTRAND: Nous n'avons pas d'objection.
M. BOURASSA: Donc, jeudi de la semaine prochaine...
M. BERTRAND: Jeudi...
M. BOURASSA: ... à quatre heures.
M. LE PRESIDENT (Bacon): Ajournement à jeudi, quatre heures.
(Fin de la séance: 21 h 57)
ANNEXE A
Déclaration du Chef de l'Opposition officielle, Me Jean-Jacques
Bertrand, établissant la position du parti de l'Union Nationale sur la
formule d'amendement à la constitution et autres problèmes
connexes.
FORMULE TRUDEAU-TURNER
Deux événements d'une extrême importance se sont
produits au cours des derniers mois dans le domaine constitutionnel:
1.l'échec lamentable de la Commission sur le bilinguisme et le
biculturalisme qui a brusquement décidé, avec la
bénédiction d'Ottawa, de ne pas aller au bout de son
enquête; et 2.la réapparition d'une formule d'amendement, analogue
à la formule Fulton-Favreau déjà répudiée
par l'opinion québecoise en 1965, mais qu'on tentera de nous imposer
quand même à la faveur d'une nouvelle stratégie.
Pour qui veut bien aller au fond des choses, ces deux faits sont
étroitement liés. Ils sont deux expressions différentes
d'un même refus: le refus de reconnaître l'émergence, au
Québec, d'une société distincte pouvant
légitimement revendiquer le droit à l'autodétermination,
c'est-à-dire au libre choix de son avenir politique, et à plus
forte raison le droit de se gouverner elle-même dans les matières
qui mettent en cause son originalité culturelle et sociale.
Pour comprendre toute la signification de ces deux
événements, il est nécessaire de les bien situer dans le
contexte de ces années exaltantes et angoissantes à la fois que,
dès 1962, Daniel Johnson appelait "les années de la
dernière chance". A l'approche du centenaire de la
Confédération, et devant le malaise qui commençait
à se manifester sous diverses formes au sein de la population
québecoise, il était pour ainsi dire fatal que l'on remit
sérieusement en question le fédéralisme canadien et son
aptitude à résoudre nos problèmes de coexistence.
C'est en juillet 1963 qu'a été créée la
Commission Laurendeau-Dunton. D'après les termes mêmes de son
mandat, cette Commission était chargée de "faire enquête et
rapport sur l'état présent du bilinguisme et du biculturalisme au
Canada et de recommander les mesures à prendre pour que la
Confédération canadienne se développe d'après le
principe de l'égalité entre les deux peuples qui l'ont
fondée, compte tenu de l'apport des autres groupes ethniques à
l'enrichissement culturel du Canada".
En rédigeant ce mandat, le gouvernement Pearson avait donc
reconnu formellement qu'il y a en notre pays coexistence non seulement de deux
langues, mais de deux cultures et même de deux peuples fondateurs.
C'était admettre dès le départ que la dualité
canadienne va bien au-delà de la dimension purement linguistique,
qu'elle met en cause des différences beaucoup plus profondes, touchant
à des façons collectives de penser, de réagir et de vivre,
non pas uniquement à des façons de s'exprimer.
De plus, le mandat de la Commission posait comme une sorte de postulat,
de préacquis avant toute enquête, que l'égalité
culturelle devait être la pierre d'assise du fédéralisme
canadien, en même temps que le critère de son succès ou de
son échec.
Et comme pour donner à tout le pays une illustration
concrète de ce principe, le gouvernement Pearson invitait un nombre
égal d'anglophones et de francophones à faire partie de la
Commission. C'était comme une préfiguration de ce Canada à
deux que le Québec devait proposer par la suite, non pour remplacer
l'actuel Canada à dix, mais pour le compléter.
NOUS ETIONS PLUS AVANCES EN 1963 QUE NOUS LE SOMMES EN
1971
Le simple rappel de ces quelques faits nous oblige à faire en
1971 une constatation stupéfiante: c'est que nous étions plus
avancés en 1963 que nous le sommes aujourd'hui.
Après des années de luttes constitutionnelles, on pouvait
alors espérer voir se lever sur notre pays un climat nouveau de
compréhension et d'amitié. Car le Québec n'était
pas seul à y travailler. Le gouvernement d'Ottawa y travaillait
également, comme c'était son intérêt et son devoir
de le faire.
Naturellement, le Québec n'avait pas été le dernier
à se mettre à l'oeuvre. Il y allait avec une ferveur et une
cohésion qu'on aimerait bien retrouver aujourd'hui.
C'est quelques semaines avant la création de la Commission
Laurendeau-Dunton, plus précisément en mai 1963, que fut
instituée notre commission parlementaire de la constitution. La motion
que j'avais présentée à cette fin fut modifiée en
cours de route pour tenir compte des vues exprimées des deux
côtés de la Chambre. Si bien que le texte final en a
été adopté à l'unanimité. Il confiait
à la nouvelle commission le mandat de "déterminer les objectifs
du Canada français dans la revision du régime constitutionnel
canadien et les meilleurs moyens d'atteindre ces objectifs".
Les deux partis qui se partageaient à ce moment-là les
sièges de cette Chambre étaient donc d'accord pour affirmer que
nos problèmes de coexistence appelaient nécessairement des
remèdes constitutionnels. L'Union Nationale avait commencé
dès janvier 1962 à faire campagne pour une constitution nouvelle;
et à ceux qui nous faisaient grief de nous promener avec des projets de
constitution dans nos poches, nous répondions que c'était tout de
même plus démocratique et plus salutaire que de se promener avec
des bombes.
Dans le discours prononcé à l'appui de ma motion, j'avais
notamment déclaré ceci: "De part et d'autre, on sent le besoin de
s'expliquer franchement. On aspire au dialogue. La motion que je
présente n'a pas d'autre but que celui d'amorcer et de préparer
ce dialogue... "Elle offre l'avantage de déboucher directement et
immédiatement sur la voie parlementaire, sur la voie du réalisme
politique... "Le problème dont il s'agit n'est pas de ceux qui se
règlent tout seuls. Il n'est pas de ceux que l'on peut ignorer
impunément. Si nous ne le réglons pas par des voies pacifiques et
démocratiques, d'autres chercheront à le régler
autrement... "C'est parce que je ne crois pas à la violence que je me
suis mis, avec d'autres hommes de bonne volonté, à la recherche
d'un moyen pacifique et démocratique d'aborder la solution de nos
problèmes constitutionnels".
Pendant plus de deux ans, notre commission parlementaire de la
constitution fut donc le forum par excellence où venaient s'exprimer les
citoyens et les organismes désireux de participer à la recherche
d'un meilleur ordre constitutionnel.
REJET DU STATU QUO
Nous n'avons fermé la porte à aucune école de
pensée. Nous n'avons écarté à priori aucune des
options possibles. Mais par-delà les divergences d'opinions qui
pouvaient se manifester dans les mémoires qui nous étaient soumis
ou dans les interventions verbales faites devant la commission, on peut dire
que l'opinion québecoise était pratiquement unanime à
condamner le "statu quo" et à dire qu'il fallait au Québec, comme
principal foyer de la communauté canadienne-française, de plus
amples pouvoirs en matières socio-culturelles et une plus grande
liberté fiscale.
C'est aussi l'avis que devait exprimer, dans son rapport
préliminaire publié en 1965, la Commission Laurendeau-Dunton. "Ce
qui nous a vraiment frappés, ont écrit les commissaires, c'est
que, sauf erreur, nous n'avons pas entendu un seul partisan avoué du
statu quo. Tous les participants se sont déclarés plus ou moins
mécontents de la situation du Canada français et du Québec
dans la
Confédération... "C'est l'heure des décisions et
des vrais changements; il en résultera soit la rupture, soit un nouvel
agencement des conditions d'existence... "Les questions de langue et de culture
ne se posent pas dans l'abstrait... Elles sont inséparablement
reliées aux institutions sociales, économiques et politiques...
"Nous sommes convaincus qu'il est encore possible de redresser la situation.
Mais une opération majeure s'impose... "L'essentiel est menacé,
c'est-à-dire la volonté de vivre ensemble... "Il faudra que les
deux principaux groupes de Canadiens amorcent des négociations d'une
vaste portée".
(Rapport préliminaire de la Commission d'enquête sur le
bilinguisme et le biculturalisme, pages 109, 125, 127 et 129).
Donc, dans les travaux de la Commission Laurendeau-Dunton à ce
moment-là aussi bien que dans ceux de notre commission parlementaire,
tout semblait converger vers un nouvel aménagement constitutionnel, dont
on pouvait prévoir qu'il comporterait pour le Québec, sinon le
statut particulier ou le nouveau mode d'association que d'aucuns
préconisaient, du moins une extension considérable de ses
pouvoirs législatifs et fiscaux.
Mais d'autres forces travaillaient dans une direction totalement
opposée.
LA FORMULE FULTON-FAVREAU
En février 1965, soit vers le même temps que le rapport
préliminaire de la Commission Laurendeau-Dunton, paraissait un livre
blanc d'Ottawa sur la formule Fulton-Favreau, à laquelle tous les
premiers ministres avaient déjà donné leur adhésion
au cours d'une conférence tenue à huis clos et qu'il s'agissait
maintenant de faire ratifier par les diverses législatures du pays.
Formule tellement nébuleuse, tellement alambiquée que M.
Lesage en tirait argument pour repousser l'idée d'un
référendum. "Comment voulez-vous que j'aille expliquer cela
à des non-instruits? " disait-il aux journalistes le 16 mars 1965.
M. Lesage n'en affirmait pas moins que cette formule constituait "une
grande victoire constitutionnelle pour le Québec". Et beaucoup le
croyaient avec lui, y compris le chef actuel du Parti Québecois, qui le
lendemain, 17 mars, prononçait un discours devant l'Union
Générale des
Etudiants, à l'Université de Montréal, en faveur de
la thèse officielle du gouvernement libéral dont il faisait alors
partie.
Mais l'auditoire s'avéra moins crédule que le ministre!
"Au cours du colloque, racontre La Presse du 18 mars, les étudiants
attendaient avec anxiété que le ministre René
Lévesque prit position. Au moment de son entrée dans la salle,
ils l'ont acclamé mais les applaudissement devinrent ténus
après sa prise de position en faveur de la formule Fulton-Favreau".
Si je raconte tout cela, c'est pour montrer au premier ministre actuel
à quoi s'exposent ceux qui gobent trop facilement les belles paroles des
émissaires d'Ottawa, de ces commis voyageurs de la centralisation que
l'on voit périodiquement se déplacer d'une province à
l'autre pour vanter les mérites de leurs "gadgets" en prévision
des conférences fédérales-provinciales.
M. Lesage, M. Lévesque et tous les autres qui avaient d'abord
approuvé la formule Fulton-Favreau ont été bien
obligés de changer d'avis par la suite; et ils ont dû trouver
assez humiliant d'admettre que la plèbe des "non-instruits" avait
compris avant eux la véritable portée du projet, malgré
l'indicible baragouin de sa version originale et, à plus forte raison,
de sa traduction française.
L'opinion publique a joué à ce moment-là avec toute
la force et la puissance qu'on lui connaît. C'est le peuple
lui-même qui a fait reculer le gouvernement Lesage en lui montrant le
piège qui se cachait sous l'amoncellement des mots.
En réalité, cette formule Fulton-Favreau était une
fin de non-recevoir que l'on opposait d'avance aux conclusions logiques des
travaux de la Commission Laurendeau-Dunton et de notre commission parlementaire
de la constitution. C'est un moyen que l'on se donnait pour bloquer
l'évolution prévisible de la constitution, faire échec aux
aspirations normales du Québec et nous lier solidement au "statu quo"
dont nous étions unanimes à vouloir nous libérer.
Toujours dans sa version de 1965, la formule d'amendement comportait
trois mécanismes principaux:
1. La règle de l'unanimité pour les
clauses fondamentales.
Il aurait fallu l'unanimité des onze gouvernements pour amender
six des dispositions fondamentales de la constitution, dont l'article 92 qui
énumère les droits des provinces, l'article 133 touchant l'usage
de l'anglais et du français et la formule d'amendement elle-même.
Le Québec aurait donc possédé un droit de veto; par
contre, pour obtenir une augmentation de ses propres pouvoirs par voie
d'amendement constitutionnel, il lui aurait fallu affronter un barrage de dix
vetos possibles.
2. La possibilité d'amender tout le reste sans
le concours du Québec.
Pour amender les autres clauses, on exigeait au maximum le consentement
des deux-tiers des provinces représentant 50 pour cent de la population
candienne. Parfois même, le consentement d'une seule province aurait
suffi. Mais dans tous les cas, il fallait d'abord une loi
fédérale. Seul Ottawa pouvait prendre l'initiative d'un
amendement constitutionnel.
3. La délégation de pouvoirs.
Ce troisième mécanisme était conçu pour
obvier à l'extrême rigidité du premier, mais ne jouait pas
également dans les deux sens. Alors qu'une province aurait pu se passer
du concours des autres pour déléguer à Ottawa l'exercice
d'un pouvoir donné, il aurait fallu non seulement le consentement, mais
la participation législative d'au moins quatre provinces, en plus du
gouvernement fédéral, pour que la délégation
pût se faire dans l'autre direction.
En un mot, la formule Fulton-Favreau aurait permis au Canada anglais de
centraliser à sa guise sans le consentement du Québec, en
procédant au besoin par le détour de la délégation
de pouvoirs; mais elle n'aurait pas permis au Québec d'accroître
son champ d'action sans l'accord de dix autres gouvernements dans le cas d'une
modification constitutionnelle, ou sans la participation active de trois autres
provinces dans le cas d'une délégation de pouvoirs.
Voilà ce que l'opposition officielle du temps,
c'est-à-dire l'Union Nationale, a expliqué directement au peuple
québecois, puisque le gouvernement Lesage refusait d'en discuter en
Chambre. Ayant déjà provoqué l'établissement d'une
commission parlementaire pour amorcer une réforme constitutionnelle,
nous ne pouvions pas permettre que l'on vienne stériliser d'avance cette
initiative en consolidant le statu quo.
Il faut dire que tout au long de cette campagne menée contre la
formule Fulton-Favreau, nous avons rencontré un accueil et une
compréhension extraordinaires. Avec son remarquable sens politique, la
population québecoise a très vite saisi l'exacte portée de
ce mur juridique que l'on voulait ériger à l'encontre de ses
aspirations légitimes.
L'opinion publique se manifesta avec une telle force et une telle
clarté que le gouvernement décida de ne pas insister davantage et
de laisser tomber la motion qu'il avait inscrite dès le début de
la session de 1965 pour faire ratifier la formule d'amendement.
Repoussé par le Québec, le projet devenait donc lettre
morte. Si bien que tous ceux qui s'étaient mis à la recherche
d'un nouvel ordre constitutionnel purent continuer leur travail.
AU COEUR DU PROBLEME
En octobre 1967 parut le premier volume du rapport de la Commission
d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme.
Il traitait des langues officielles. Mais la Commission, qui
était toujours présidée et inspirée par
M. André Laurendeau à ce moment-là, n'entendait pas
limiter son enquête à la question du bilinguisme. Elle n'entendait
pas rester à la surface des choses. Elle tenait à plonger au
coeur du problème.
Et pour éviter toute équivoque là-dessus, elle prit
bien soin de l'annoncer d'avance à tout le pays, dans une Introduction
générale qui précède le Livre premier et où
elle commente précisément "les mots clefs de son mandat".
C'est comme si la Commission, connaissant la première tentative
de la formule Fulton-Favreau, connaissant aussi d'autres réactions qui
se dessinaient dans le même sens au sein de "l'Establishment"
fédéral, redoutant les manoeuvres et les pressions dont elle
pourrait être l'objet, avait voulu se compromettre sans retour, en
s'interdisant à elle-même de ne pas se rendre au bout de son
mandat. "La vitalité de la langue, lit-on au paragraphe 56 de cette
Introduction générale, est une condition nécessaire du
maintien intégral d'une culture, mais n'est est pas du tout une
condition suffisante. Il est donc nécessaire de traiter à fond,
dans notre rapport, la question du bilinguisme, mais il serait tout à
fait insuffisant et, en définitive, illusoire de nous en tenir à
cet ordre de considérations et de négliger d'autres conditions
également vitales du maintien et du progrès des cultures anglaise
et française au Canada". Et aux paragraphes 81 et suivants de la
même Introduction générale, la Commission parle en termes
extrêmement forts et extrêmements clairs de "la dimension
politique" de l'égalité culturelle. "L'aspect collectif de la
notion d'égalité est encore plus évident ici,
écrit-elle. Il ne s'agit plus du développement culturel et de
l'épanouissement des individus, mais du degré
d'autodétermination dont dispose une société par rapport
à l'autre. On a alors en vue le pouvoir de décision, la
liberté d'action de chacune, non seulement dans sa vie culturelle mais
dans l'ensemble de sa vie collective. Il ne s'agit plus de traits qui
distinguent qualitativement les deux communautés, ni encore de leur
situation économique ou sociale respective, mais de la maîtrise
plus ou moins complète de chacune sur le ou les gouvernements qui la
régissent. C'est ici que se situe la discussion du cadre constitutionnel
dans lequel chacune des deux sociétés peut vivre ou aspirer
à vivre". Après avoir marqué l'importance cruciale de
cette dimension politique dans la crise que traverse présentement notre
pays, la Commission ajoute: "L'ignorer dans le présent rapport serait
non seulement une erreur; ce serait à la fois risquer de n'être
pas entendu au Québec et renoncer à faire prendre conscience au
Canada anglophone d'un élément particulièrement
sérieux de la situation actuelle".
Remarquez que tout cela avait été endossé et
signé par chacun des dix commissaires.
Qu'on ne vienne donc pas nous dire que la Commission a terminé
son enquête. Elle n'a rempli que l'aspect le plus superficiel de son
mandat. Elle en est restée au bilinguisme. Tout le reste, qu'elle
jugeait primordial en 1967, elle le met de côté. La dimension
politique, elle ne veut plus y toucher. "L'ignorer serait une erreur",
disait-elle dans son Introduction générale. La Commission vient
de commettre délibérément cette erreur. Pourquoi?
ATTITUDE DE REFUS
Quelles que soient les hypothèses que l'on puisse imaginer
là-dessus, l'échec de l'enquête ne fait qu'exprimer
à sa manière le refus, de la part du gouvernement
fédéral et d'une partie importante de l'opinion anglo-canadienne,
d'aller au fond des choses, de regarder en face le noeud de la crise que
traverse présentement le Canada, c'est-à-dire la
spécifité de la société québecoise et,
partant, de la vocation politique du Québec.
Ceux qui ont participé aux diverses conférences
constitutionnelles tenues depuis janvier 1968 l'ont constatée bien des
fois, cette sourde volonté d'ignorer le vrai problème, comme s'il
suffisait de l'ignorer pour ne pas avoir à le résoudre!
Chaque fois que nous avons cité à Ottawa ces pages
capitales qui devaient servir de fil d'Ariane à la bonne intelligence du
rapport Laurendeau-Dunton, nous nous sommes butés à une froideur
glaciale et à un silence de plomb. C'est comme si nous nous
étions aventurés dans un domaine
absolument interdit. Ou comme si ces pages de l'Introduction
générale avaient été frappées d'une censure
implacable. L'hostilité n'avait pas besoin de s'exprimer par des mots:
elle se lisait sur tous les visages.
Or, la nouvelle formule d'amendement que l'on voudrait nous faire
accepter n'est qu'une autre manifestation de cette même attitude de
refus. Tout cela fait partie d'une stratégie qui devient de plus en plus
évidente avec les années.
A la place de la constitution entièrement canadienne et
entièrement nouvelle que nous préconisons pour consacrer
l'alliance de nos deux communautés nationales en même temps que la
fédération de nos divers territoires, c'est le vieux statut de
l'ère coloniale que l'on voudrait nous refiler sous une couverture
à peine rafraîchie.
Il semble qu'après avoir longtemps manifesté une aversion
grincheuse à l'endroit de la révision constitutionnelle, Ottawa
n'ait finalement accepté, après la conférence de Toronto,
de se joindre aux pourparlers que pour les aiguiller sur des voies secondaires
ou pour les acculer à l'impasse.
S'installant de son propre chef à la tribune
présidentielle de la conférence et de chacun de ses multiples
comités et sous-comités, se comportant en tout comme le
maître absolu de la scène et des coulisses, le pouvoir central
s'est constamment ingénié depuis à éviter les vrais
problèmes, à traiter les droits collectifs comme des droits
individuels, à ignorer tout autre pluralisme que celui de la langue et
à présenter le bilinguisme comme le suprême remède
à tous nos maux.
Comment s'étonner, dans ces conditions, de la maigreur des
résultats? Après avoir lourdement taxé, pendant plus de
trois ans, les réserves de patience et de bonne volonté d'un
nombre considérable d'hommes politiques, de fonctionnaires et de
spécialistes en matières constitutionnelles, la conférence
n'a pas encore réussi à prendre la moindre décision ni sur
la répartition des compétences, ni sur le partage fiscal, ni sur
la création d'un véritable tribunal constitutionnel ni sur aucune
autre des questions qui importent vraiment.
LA FORMULE TRUDEAU-TURNER
Qu'à cela ne tienne, nous disent MM. Trudeau et Turner, nous
allons bientôt faire un grand pas: nous allons nous entendre sur la
façon de rapatrier notre constitutions et de l'amender au pays.
Drôle de progrès! Loin de hâter la négociation
constitutionnelle, l'adoption d'une pareille formule, avant même qu'on en
soit arrivé à un accord sur les problèmes essentiels, ne
peut avoir d'autre résultat que celui de la faire échouer, ou du
moins de la rendre beaucoup plus ardue.
Et d'abord, pourquoi rapatrier la vieille constitution quand il serait
tellement plus simple et plus normal de la laisser mourir à Londres et
de s'en donner une nouvelle ici même, au Canada? Quand a-t-on vu un pays
devenu indépendant se soucier d'aller quérir, dans les statuts de
son ancienne métropole, la constitution qui lui avait été
donnée au temps où il était encore une colonie?
On dira peut-être qu'il ne s'agit pas de récupérer
le document lui-même, mais le pouvoir de l'amender, c'est-à-dire
l'autorité constituante. Eh bien! C'est encore pire!
Bien des événements se sont produits depuis 1867. Les
garnisons britanniques ont repassé les mers. Le Canada a grandi. Il est
devenu adulte, signant ses propres traités, échangeant des
ambassades avec les autres pays. Il est maintenant, nous dit-on, un pays
souverain et démocratique. Alors, s'il en est ainsi, c'est au sein du
peuple canadien que réside l'autorité constituante, et non plus
à Londres.
Demander au Parlement britannique de ratifier, fut-ce une
dernière fois, une décision prise en ce pays, ce serait admettre
que le Canada n'est pas encore indépendant et qu'il a besoin d'une
permission extérieure pour le devenir. Ce serait nous rendre ridicules
aux yeux du monde entier.
Dans le passé, Ottawa n'a que trop abusé de ce recours
à Londres, sans doute parce qu'il y trouvait une façon commode
d'ignorer le peuple et souvent même d'ignorer les provinces qui lui
avaient donné naissance.
Le Québec doit s'opposer formellement, désormais, à
une démarche aussi rétrograde.
Dès que notre pays aura proclamé sa souveraineté
dans une constitution entièrement canadienne, il cessera par le fait
même d'être soumis à une tutelle extérieure. C'est
là un acte politique qui n'a pas besoin de la sanction juridique d'un
autre pays.
Tout cela, Ottawa le sait parfaitement bien. Si donc il tient quand
même à rescaper l'antique constitution, ce ne peut être que
pour éviter les renouvellements en profondeur, pour garder du "statu
quo" ce qui fait son affaire.
Non seulement insiste-t-il pour que toute négociation
constitutionnelle parte des vieux textes, des vieilles pratiques et des
vieilles routines, mais il voudrait encore garder la haute main sur toute
modification qui pourrait y être apportée par la suite.
D'où le lien qu'il ne cesse d'établir entre la canadianisation de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et la formule d'amendement qui
pourrait y être insérée.
En fait, ces deux questions ne sont pas nécessairement
liées. Même dans une constitution entièrement nouvelle et
entièrement canadienne, il faudrait un mécanisme qui permette de
l'amender à certaines conditions et suivant des procédures plus
ou moins complexes.
Mais logiquement, l'étude d'un tel mécanisme ne devrait
être entreprise qu'à la fin des pourparlers constitutionnels, une
fois qu'on se serait entendu sur la substance des choses. Car la formule de
modification dépend dans une large mesure de ce qui aura
été décidé au sujet de la répartition des
pouvoirs et des sources de revenus, de la création d'un tribunal
constitutionnel, du rôle et de la composition de la chambre haute, de la
rigidité plus ou moins grande qu'on aura voulu donner à la loi
fondamentale du pays.
UN CADENAS SUR LE STATU QUO
En rattachant la formule d'amendement au rapatriement de la constitution
et en insistant pour qu'une décision soit prise immédiatement sur
ces deux questions à la fois, Ottawa montre qu'il est plus
intéressé à consolider l'ancien état de choses
qu'à le remettre en cause, plus intéressé à
affermir le passé qu'à édifier l'avenir. Il veut en somme
qu'en récupérant le vieux statut de l'ère victorienne, on
y appose sur-le-champ un cadenas dont il détiendra la
clef-maîtresse, lui qui est pourtant la créature des
provinces.
Or, pourquoi les Canadiens ont-ils entrepris de refaire leur
constitution?
C'est parce que, nous dit la Commission Laurendeau-Dunton dans son
rapport préliminaire, "le Canada traverse la crise la plus grave de son
histoire".
Et qu'y a-t-il au fond de cette crise? "Il ne s'agit plus, répond
le même document à la page 127, du conflit traditionnel entre une
majorité et une minorité. C'est plutôt un conflit entre
deux majorités: le groupe majoritaire au Canada et le groupe majoritaire
au Québec".
Il faudra, dit plus loin la Commission (page 129), "que les deux
principaux groupes de Canadiens amorcent des négociations d'une vaste
portée". A noter qu'elle parle bien de négociations entre deux
groupes, deux majorités, deux sociétés, et non pas
seulement entre onze gouvernements.
Certes, il y a aussi des choses à discuter et à mettre au
point entre les onze gouvernements du pays. Il y a des problèmes qui se
posent exactement de la même façon pour tous les Canadiens,
quelles que soient leur culture ou leur origine ethnique. Mais ce n'est pas
là que réside le noeud de la crise actuelle.
Ce qu'il faut asseoir sur des bases nouvelles, pour résoudre
cette crise, ce sont les relations entre nos deux communautés
nationales.
Or, voici la formule Trudeau-Turner qui, sans faire la moindre
distinction entre les problèmes socio-culturels et les autres, propose
qu'on ne puisse rien changer, ni à la vieille constitution, ni à
la constitution de demain, sans le concours de sept gouvernements dont un seul
peut parler au nom d'une majorité canadienne-française, les six
autres étant mandatés par la majorité anglophone.
EGALITE A UN CONTRE SIX
Pour que la Confédération puisse se développer,
comme dit le mandat de la Commission Laurendeau-Dunton, suivant le principe de
l'égalité entre nos deux peuples fondateurs, on voudrait donner
un veto à l'un et six vetos à l'autre!
Pour obtenir le redressement des griefs dont se plaint la population
canadienne-française, le Québec devrait entreprendre de
convaincre le gouvernement d'Ottawa, puis l'Ontario, puis deux provinces
maritimes et, pour couronner le tout, deux provinces de l'Ouest qui ont la
franchise de nous dire d'avance ce que serait leur réponse.
Ça, c'est la formule améliorée qu'on nous offre
pour remplacer la défunte formule Fulton-Favreau.
Et c'est vrai qu'à certains points de vue elle constitue une
amélioration. Elle est plus simple que l'autre. Elle ne comporte qu'un
seul mécanisme alors que l'autre en comportait trois. Elle tient compte
des principales divisions géographiques du pays. Elle paraît
relativement facile à comprendre et à appliquer. Et
peut-être pourrait-on accepter plus tard d'en discuter si l'on
réussissait d'abord à s'entendre sur un fédéralisme
assez souple pour tenir compte des besoins différents de nos deux
communautés culturelles.
Dieu sait que nous n'en sommes pas encore là!
Alors, qu'on ne vienne pas en faire une priorité à ce
moment-ci. Ce serait mettre la charrue devant les boeufs. Ce serait
éviter ou retarder une fois de plus les "révisions
déchirantes" qui s'imposent. Ce serait fermer la porte à toute
évolution véritable.
Pour ce qui concerne le rôle particulier du Québec, comme
principal foyer de la nation canadienne-française, la formule
Trudeau-Turner a exactement la même portée et les mêmes
vices que la formule Fulton-Favreau. Sur des questions comme celles de la
sécurité sociale, ou des relations avec la francophonie, ou
encore des télécommunications, un barrage de six vetos impliquant
chacune des grandes régions du Canada serait tout aussi difficile
à franchir que l'eût été un barrage de sept ou de
dix vetos.
En conséquence, il faut que le gouvernement du Québec,
seul porte-parole d'une majorité francophone à la
conférence constitutionnelle, obtienne que l'on suspende l'étude
de cette formule d'amendement jusqu'à ce qu'on se soit entendu sur
l'essentiel, c'est-à-dire sur les conditions d'une nouvelle alliance,
d'une nouvelle volonté de vivre ensemble.
Une solution imposée n'est jamais une solution véritable
quand il s'agit d'harmoniser les rapports entre deux communautés
humaines. Il faut que la formule d'amendement, comme la future constitution
elle-même, soit acceptée à la fois par l'ensemble de
l'opinion canadienne et par l'ensemble de l'opinion
québécoise.
La conférence constitutionnelle sera un succès ou un
échec selon qu'elle aboutira ou non à ce double consensus.
Pour le moment, nous sommes plus éloignés que jamais d'une
pareille convergence. Que de chemin parcouru à rebours depuis 1963,
alors que le concept de l'égalité entre les deux peuples
fondateurs était officiellement inscrit dans le mandat de la Commission
Laurendeau-Dunton!
Un fait récent, parmi beaucoup d'autres, nous permet de mesurer
ce recul. Voici qu'un organisme crée par le gouvernement
fédéral vient de recommander que l'on fasse de la totalité
du Québec un immense district bilingue.
D'après la conception que certains se font maintenant de notre
pays, il y aurait donc un Canada anglais et un Canada bilingue, mais il n'y
aurait pas de Canada français. L'unilinguisme serait l'apanage exclusif
de la communauté anglophone. Tous les territoires qui ne seraient pas
officiellement anglais aux yeux d'Ottawa seraient voués au
métissage culturel, pour ne pas dire à l'assimilation.
Tel est le statut particulier que l'on voudrait conférer au
Québec en l'an de grâce 1971 !
ANNEXE B
PROPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES FONDAMENTALES DU RALLIEMENT
CREDITISTE DU QUEBEC 1 ) L'abolition de la monarchie britannique au Canada.
2) Le rejet de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (loi
privée votée au Parlement de Londres et dont on ne trouve
l'original nulle part au Canada). 3) Les deux nations, (anglophone et
francophone) et la rédaction de la première constitution vraiment
canadienne. 4) Le droit à l'autodétermination de toutes les
provinces. D'où la création d'ETATS SOUVERAINS dans un
régime fédératif.
Chaque province et chaque Etat demeurent absolument libres
d'établir les politiques de leur choix. 5) Pour ce qui est du
Québec, la souveraineté étant acquise, nous exigerons
l'application des quatre points fondamentaux suivants, qui peuvent faciliter
l'application du Crédit social: a) le contrôle de son
crédit; b) le contrôle de son commerce; c) le contrôle de
son immigration; d) la prise en main de toutes ses sources de fiscalité.
6) La souveraineté repose sur le propriété du Domaine
éminent.
ABOLITION DE LA MONARCHIE BRITANNIQUE ET DE SES
SYMBOLES AU CANADA
De tous les pays occidentaux modernes, le Canada est le seul qui
conserve des liens étrangers.
Intolérable et ne pouvant plus durer, cette situation est
contraire à la fierté naturelle des Canadiens de quelque origine
qu'ils soient.
Contraire également au rôle que le Canada joue sur la
scène internationale et à la place qu'il prétend tenir
dans le monde auprès de pays totalement souverains et dignes. Cette
situation crée souvent et régulièrement la confusion dans
l'esprit de la population des autres pays. C'est un fait reconnu de tous les
Canadiens qui voyagent à l'étranger, sauf en pays britanniques:
on ne peut
comprendre comment le Canada, prétendument souverain, reste
lié à la couronne britannique; le
gouverneur-général et tous les autres attributs de la Couronne
étant liés au concept colonial.
Cette situation freine également le développement de
l'esprit national, tout en étant une source de désunion et de
mésentente à l'intérieur même du Canada.
C'est pourquoi, le Ralliement créditiste du Québec exige
l'abolition sans conditions de la monarchie britannique et de tous ses
attributs, symboles et privilèges au Canada.
REJET DE LA CONSTITUTION ACTUELLE
L'une des principales prises de position du Ralliement créditiste
du Québec s'exprime par le rejet de la constitution actuelle.
ATTENDU que le Canada ne possède pas l'original de l'AANB,
communément appelé constitution canadienne, source de
confusion;
ATTENDU que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux
n'ont jamais pu s'entendre sur le rapatriement de la constitution
canadienne;
ATTENDU que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux
ne semblent pas devoir s'entendre bientôt sur une formule acceptable
d'amendements urgents et nécessaires;
ATTENDU que même amendée, elle ne saurait plus
répondre à l'évolution, aux besoins et aux exigences de la
société nouvelle; le Ralliement créditiste du
Québec propose le rejet ou l'abolition de l'AANB, communément
appelé constitution canadienne.
LES DEUX NATIONS
Le Ralliement créditiste du Québec fait sienne la
thèse des deux nations (anglophone et francophone), vivant et se
développant selon leur langue, leur religion, leur culture, leurs
aspirations.
En même temps, nous soutenons qu'il appartient à ces deux
nations de décider comment elles entendent cohabiter, dans la plus
grande harmonie possible, au Canada et dans les Etats souverains, ainsi que
dans les provinces éventuelles.
En acceptant la thèse des deux nations, dont l'une s'est
développée majoritairement au Québec avec des rameaux
souvent importants dans plusieurs provinces et l'autre se trouvant en
majorité dans les autres provinces du Canada avec un rameau important
dans le Québec, le Ralliement créditiste du Québec se
croit justifié de proposer une technique pour le choix des
délégués, qui auront pour mission de rédiger la
première constitution vraiment canadienne.
CHOIX OU NOMINATION DES DELEGUES
Voici quelle est notre proposition technique au sujet du choix des
délégués. Ce choix s'établit sur deux plans: 1)
Cinq délégués choisis par le gouvernement de chacune des
provinces. 2) Cinq délégués choisis par le groupement des
associations de la nation minoritaire (anglophone ou francophone) dans chacune
des provinces.
Pour ce qui est de la nomination des délégués de
chaque province, il n'y a aucun problème: chaque gouvernement nommant
ses délégués.
Quant à la nomination des délégués de chaque
nation minoritaire, elle se ferait au sein des associations. Elles pourraient
se réunir en assemblée plénière. Voici deux
exemples pratiques:
Le gouvernement du Québec nomme cinq
délégués francophones; les associations anglophones du
Québec choisissent cinq personnes parmi elles ou par
délégation.
En Ontario, le gouvernement nomme cinq délégués
anglophones: les associations francophones de cette province
délèguent cinq personnes choisies parmi elles ou par
délégation.
Et ainsi de suite dans chacune des provinces du Canada.
Cette technique du choix des délégués aux
conférences constitutionnelles assurerait une représentation
relativement juste et équitable des deux nations égales.
En s'inspirant principalement de nos propositions constitutionnelles,
ces délégués, au nombre de 100, auraient pour mission de
mener enfin, à son terme, dans le délai qui leur serait
fixé, un projet de constitution.
Ce projet ferait ensuite l'objet de deux référendums
populaires auprès des électeurs canadiens.
L'un, auprès des électeurs de la nation francophone
(d'après le recensement effectué avant la rédaction de la
nouvelle constitution); l'autre, auprès des électeurs de la
nation anglophone (même recensement). La question des majorités
à obtenir pour adopter ou rejeter la constitution proposée
devrait faire l'objet d'études du comité constitutionnel du
Ralliement créditiste du Québec.
LE DROIT A L'AUTODETERMINATION DE TOUTES LES
PROVINCES
La grande originalité de la proposition constitutionnelle du
Ralliement créditiste du Québec, c'est que
l'autodétermination n'est pas réclamée pour le
Québec seulement ni ne s'applique au Québec seulement.
Jusqu'à maintenant, tous les autres partis,
fédéraux et provinciaux, ont toujours recherché des
solutions constitutionnelles qui tendaient à faire du Québec une
sorte de quémandeur au sein de la confédération.
EXEMPLES: la suggestion de l'ancien ministre libéral du
gouvernement Lesage, Paul Gérin-Lajoie, qui réclamait un vague
statut particulier pour le Québec; l'autodétermination du
Québec prônée par le NPD-Québec et qui a
été défaite lors du dernier congrès national du NPD
à Ottawa; la proposition Alie, qui aurait donné une place
à part au Québec au sein de la confédération
canadienne; la proposition souveraineté-association, qui ignore
totalement l'avenir des autres provinces du Canada et le sort du gouvernement
fédéral; la position équivoque du gouvernement
fédéral, qui fait semblant de favoriser le Québec au
détriment des provinces plus prospères, pour masquer la
centralisation. Equivoque également entretenue par le parti
libéral provincial.
Depuis quelques années, toutes les propositions qu'on a mises de
l'avant avaient donc pour but de faire du Québec une espèce de
réserve défavorisée par rapport aux autres provinces. Et
c'est autour de ce fait que bloquent et tournent en rond les conférences
fédérales-provinciales sur la constitution.
Le Ralliement créditiste du Québec, en proposant
l'autodétermination pour toutes les provinces canadiennes au sein d'un
Etat fédératif, EST LE PREMIER ET LE SEUL PARTI PROVINCIAL
à proposer une solution constitutionnelle qui intéresse toutes
les provinces, tout en revalorisant le Québec au détriment
d'aucune autre province, mais en rendant possible l'application du
Crédit social, particulièrement par les quatre points connus: le
contrôle du crédit; de son commerce; de son immigration; la prise
en main de toutes ses sources de fiscalité.
Ce que nous voulons donc, c'est que le droit à
l'autodétermination soit reconnu à toutes les provinces, sans
exception. Chacune aura le loisir d'accéder à la qualité
d'Etat souverain avec participation à la Chambre des Etats, ou de rester
une simple province de l'Etat fédéral.
Donc, fédération canadienne formée d'Etats
souverains et de provinces autonomes.
Rappelons que, dès le 4 avril 1971, le Conseil national du
Crédit social adoptait par résolution le principe du droit
à l'autodétermination de toutes les provinces du Canada. Dans le
discours qu'il prononça par après, monsieur Réal Caouette
fit écho à la reconnaissance du droit à
l'autodétermination en termes clairs et vigoureux.
Il ne nous appartient pas de fixer les modalités et les
mécanismes qui doivent régler les divers rapports entre les
provinces, s'il en restera, les Etats souverains et l'Etat
fédéral. Nous laissons cette étude à nos experts et
à ceux de l'extérieur du Ralliement.
NOS DOCUMENTS HISTORIQUES ET FONDAMENTAUX
EXTRAIT DE "REGARDS" AOUT 1964, pages 4 et 5
Le Crédit social est associationnel
Il importe d'abord de se demander si le Ralliement a erré le 26
janvier 1964, lorsqu'il a réclamé l'autonomie financière
du Québec, le droit de contrôler son commerce, son immigration et
son autonomie fiscale.
Le comité politique croit qu'en fonction des objectifs
visés les créditistes ont le droit de réclamer la
disparition des entraves politiques et administratives qui empêchent
l'application du Crédit social si la disparition de ces entraves rend
possible et plus facile l'application du Crédit social et apporte au
Québec la libération économique et financière dont
il a besoin pour se réaliser pleinement.
Pour cela, il importe de se rappeler le premier principe du
Crédit social, la base de cette théorie.
Comme l'a défini le major Douglas à plusieurs reprises le
Crédit social est tout d'abord une philosophie, la philosophie de
l'association. "Social Credit, lit-on dans ELEMENTS OF SOCIAL CREDIT, is the
power of human beings in association to produce the result intended, measured
in terms of their satisfaction."
En 1934, lorsqu'il témoigna devant le Comité parlementaire
des banques à Ottawa, il définit ainsi le Crédit social en
exposant la provenance du dividende national :
La provenance du dividende peut s'expliquer de deux façons: l'une
est exprimée par cette phrase: "la plus-value automatique de
l'association..." "Le résultat de l'association est si important que
nous arrivons au stade où un nombre décroissant de personnes,
considérablement inférieur au nombre disponible, est en mesure de
produire la richesse nécessaire à l'ensemble. Le surplus de
richesses ainsi produites appartient à la société du fait
qu'il provient de la plus-value automatique de l'association. Le vrai
problème de notre époque consiste à monétiser cette
plus-value et à la distribuer. Voilà la base de la théorie
du Crédit social.
Fondé sur l'association, le Crédit social n'est donc pas
fédéral ni provincial, ni municipal. Il est associationnel.
Mais alors pourquoi les créditistes ne font-ils que parler de
finance, d'argent, de monnaie et de crédit? Tout simplement parce que le
système financier actuel, le système bancaire que nous
connaissons, empêche la population de bénéficier des fruits
de son association et les accapare pour lui seul.
Quand bien même le Canada resterait uni; même si les
Canadiens de toute race font partie d'une seule et même famille d'un
océan à l'autre, les Canadiens n'obtiendront pas du Canada ce
qu'il faut et ce qu'ils attendent parce que le système financier
l'empêche; il capte et soustrait à son profit les
bénéfices de l'association.
Pour que les Canadiens bénéficient des fruits de leur
association, il est nécessaire de mettre le crédit financier en
rapport avec le crédit social, c'est-à-dire mettre l'argent en
rapport avec ce que les Canadiens fournissent et sont capables de fournir aux
Canadiens.
Mais ce qu'on affirme au Canada, on peut l'affirmer du Québec de
chaque province, de chaque entité régionale, de chaque groupement
lorsque ce groupe ou cette entité est capable d'obtenir pour ses membres
ce qu'ils peuvent mieux obtenir en unissant leurs efforts.
Dès lors, à qui s'adresser pour faire en sorte que le
crédit financier reflète le crédit social? Quelle
juridiction va faire en sorte de mettre l'argent au service des personnes
groupées en association?
Le fédéral? Les provinces? Les municipalités?
Dans les municipalités, les gens se groupent en association pour
régler des problèmes locaux. Mais on ne peut conclure qu'une
municipalité peut fournir à ses citoyens toutes les choses dont
ils ont besoin. Une municipalité est agricole. L'autre est industrielle.
Une est artisanale. L'une est centrée sur l'amiante, l'autre sur les
textiles, le bois, le papier ou l'aluminium, etc..
Dès lors, parce que l'économie des municipalités
n'est pas assez diversifiée, il est pratiquement impossible
d'établir à l'intérieur de leurs limites un système
assez complet des échanges pour satisfaire convenablement les besoins
des membres de l'association. On peut affirmer la même chose des
régions économiques comme la Mauricie, la région du
Saguenay et du Lac Saint-Jean, les Cantons de l'Est, etc.. Et même si ces
régions formaient des entités économiques assez
complètes, il leur manquerait les structures politiques et juridiques
capables de légiférer sur le bien de l'ensemble.
Mais si l'on envisage le Québec dans son entier, nous
découvrons qu'il constitue à la fois une entité productive
et économique capable de répondre aux besoins des membres de
l'association et qu'il possède aussi une entité politique
jouissant des pouvoirs nécessaires à l'application du
Crédit social.
Si c'était possible, il serait souhaitable de recourir au
fédéral en vue de règlementer le crédit et la
monnaie de façon à les rendre conformes aux
réalités, parce que tous les Canadiens en
bénéficieraient tout comme l'application du Crédit social
à toute la terre profiterait à tout le genre humain.
Mais on ne fait rien pour régler un problème en le
grossissant et il est plus facile de faire en sorte qu'un petit groupe agisse
au lieu de faire porter son action sur un groupe plus important.
La situation idéale est donc de trouver un groupe assez important
et complet pour répondre aux nécessités économiques
des participants mais assez limité également pour que les
citoyens intéressés puissent facilement s'organiser afin de voir
à leurs affaires.
Dès lors, nous concluons que l'entité économique
idéale pour réaliser les promesses du Crédit social est
celle qui dispose de richesses en quantité suffisante pour satisfaire
les besoins du groupe tout en possédant le pouvoir politique et
l'organisation sociale capables de faire en sorte que les citoyens jouissent de
tous les fruits de leur association.
Attendre que toutes les provinces agissent dans le sens du
Québec, c'est se condamner à l'inaction; c'est se résoudre
à ne pas profiter des bienfaits produits par l'association de toute la
population du Québec tendue vers un même objectif.
C'est pourquoi, le Comité politique conclut que le Ralliement a
choisi la voie la plus sûre quand il a décidé de faire
porter son action dans le champs provincial,
N.B. Cette étude, étant valable en 1964, a servi de base
à des études ultérieures qui ont permis de trouver la
solution que nous proposons maintenant. L'autodétermination à ce
moment-là était réclamée pour le Québec
seulement, alors qu'aujourd'hui, elle est proposée à toutes les
provinces canadiennes.
ANNEXE C
ANALYSE CRITIQUE DE LA
FORMULE TRUDEAU-TURNER
DE RAPATRIEMENT ET DE MODIFICATION
DE LA CONSTITUTION CANADIENNE
Texte soumis à la Commission de la Constitution par le
Dr Camille Laurin député de Bourget et
Chef parlementaire du Parti québécois
INTRODUCTION
Préconisant le remplacement du fédéralisme actuel
par un régime d'association dans la souveraineté, le Parti
québécois aurait pu ignorer complètement la question du
rapatriement de la constitution canadienne et celle, plus
générale, de sa révision. Laissant les gouvernements en
place poursuivre des discussions vouées à devenir caduques avant
même d'être complétées, il aurait pu se contenter
d'attendre son heure. Ce n'est pas ce qu'il a fait.
Soucieux de suivre de très près l'évolution du
Québec vers la prise de conscience de son identité d'abord, et de
son besoin de souveraineté politique ensuite, le Parti
québécois a toujours accordé une attention suivie aux
discussions constitutionnelles, essayant d'en dégager le sens et
d'informer la population sur les répercussions des décisions qui
pourraient y être prises. C'est ainsi que l'exécutif et l'aile
parlementaire du parti ont largement commenté les conférences de
septembre 1970 et de février 1971. C'est ainsi, également, que le
dernier congrès du parti a demandé au gouvernement de ne pas
accepter la formule de rapatriement qui est présentement à
l'étude.
C'est donc dans cette même optique d'une participation active
à l'évolution constitutionnelle du Québec que les
députés du Parti québécois ont voulu soumettre la
présente étude à l'attention de leurs collègues de
l'Assemblée nationale.
QUELQUES RAPPELS HISTORIQUES
De 1930 à 1965
Jusqu'à l'ouverture de la conférence constitutionnelle de
février 1968, les principales rencontres
fédérales-provinciales consacrées à la constitution
canadienne ont porté presque exclusivement sur la façon d'en
effectuer le "rapatriement" au Canada. Ce fut notamment le cas de la
conférence fédérale-provinciale de 1935, de celles de
1950, de celles de 1960-61 et de celles de 1964. Avec l'adoption du Statut de
Westminster de 1930, en effet, il devenait naturel que le Canada veuille
posséder le pouvoir de modifier lui-même sa loi fondamentale.
Evidemment, la question du rapatriement était indissociable de celle de
la définition de l'organe constituant de sorte que les discussions ont
surtout porté sur la façon dont on devrait procéder pour
modifier la constitution, une fois celle-ci rapatriée au Canada.
Ces discussions furent longues et pénibles car la question
était d'une importance capitale, surtout pour le Québec.
Celui-ci, en effet, avait toujours considéré la constitution
comme le résultat d'une entente lui garantissant l'exercice d'un certain
nombre de pouvoirs nécessaires à sa survivance. Dans cette
optique, l'essentiel pour lui était de s'assurer un droit de veto sur
toute modification constitutionnelle susceptible de porter atteinte à
des droits garantis par la constitution. Aussi, toute l'histoire des
discussions constitutionnelles, de 1930 à 1964, se résume-t-elle
à la recherche d'une formule ayant à la fois la rigidité
exigée par le Québec et la souplesse désirée par la
majorité des autres provinces.
En 1964, on crut avoir trouvé cette formule. Ce fut la formule
Fulton-Favreau. Il s'agissait en quelque sorte de combiner une procédure
très rigide requérant l'unanimité pour toutes les
modifications constitutionnelles importantes (donnant ainsi satisfaction au
Québec) avec une procédure souple de délégation de
pouvoirs. Les provinces anglaises, pressées de mettre fin à une
dépendance humiliante, avaient donc mis beaucoup d'eau dans leur vin.
Elles n'en furent que plus traumatisées lorsque le Québec, sous
la pression de l'opinion publique, refusa finalement d'y souscrire.
Ce revirement du Québec avait son côté sensationnel;
il était cependant prévisible. En effet, la peur traditionnelle
des Québécois de perdre des pouvoirs déjà acquis
s'était transformée en une
peur de perdre la possibilité d'en acquérir de nouveaux.
Car, depuis la "révolution tranquille" de 1960, les
Québécois étaient bien davantage intéressés
à se ménager les moyens d'obtenir des pouvoirs plus
étendus qu'à défendre des pouvoirs jugés
insuffisants. De la défensive, on passait à l'attaque:
évidemment, l'armement dont on avait besoin n'était plus le
même.
De 1965 à 1970
Dès 1965, la formule Fulton-Favreau était morte. Elle fut
enterrée par la défaite libérale de 1966. D'ailleurs,
plutôt que de rapatrier de Londres une constitution centenaire, il
était de plus er plus question, du moins au Québec, d'en
élaborer une nouvelle au Canada.
C'est ainsi qu'au début de 1968, après de longues
tergiversations, le Canada anglais accéda aux demandes
québécoises pour une révision en profondeur de la
constitution. Il le fit toutefois avec beaucoup de réticence et non sans
arrières-pensées. Alors que le gouvernement fédéral
faisait tout en son pouvoir pour orienter les discussions sur des questions
particulières comme le bilinguisme et les droits fondamentaux, les
provinces anglaises, pour leur part, insistaient sur la priorité qui
devait être accordée au rapatriement de la constitution et
à l'élimination de inégalités
régionales.
Le Québec voulut résister à ces tentatives de
diversion en insistant sur la nature globale d'une révision qui, selon
lui, devait aboutir à une nouvelle entente entre les deux peuples
fondateurs et à des nouveaux pouvoirs pour le Québec. Dans la
perspective québécoise, il n'était pas question de
"rapatrier" la constitution entièrement nouvelle, promulguée au
Canada, sans avoir à recourir à Londres. Quant à la
façon dont cette nouvelle constitution pourrait être
modifiée on ne devait pas en discuter avant d'en avoir
déterminé le contenu.
En insistant ainsi sur le caractère global de la révision,
le Québec visait à provoquer une discussion sur le fond de la
question et une redéfinition en profondeur de la structure politique
canadienne. Cette façon de procéder mettait l'existence
même du Canada à dure épreuve, car elle voulait s'attaquer
à la racine des conflits actuels plutôt que de rechercher des
accommodements pratiques sur des problèmes particuliers. La tension
était donc énorme et elle augmentait à mesure que les
conférences passaient sans qu'aucun accord ne pointe à l'horizon.
Qu'arriverait-il en cas d'échec définitif? Pour le Canada
anglais, en particulier, il valait mieux ne pas y penser! Mais il valait encore
mieux pour lui de changer la façon de procéder.
Depuis septembre 1970
C'est ce qui se produisit à la conférence de septembre
1970, lorsque le nouveau gouvernement québécois accepta de donner
priorité au rapatriement de la constitution et à la discussion
d'amendements particuliers. Les résultats d'une attitude si
évidemment conforme aux désirs du reste du canada ne furent pas
lents à se faire sentir. Dès la conférence suivante, en
février 1971, on en venait à la proposition concrète qui
fait l'objet de la présente analyse et que nous appellerons, pour les
besoins de la cause, la "proposition Trudeau-Turner" (1).
LA PROPOSITION TRUDEAU-TURNER
La proposition Trudeau-Turner, telle qu'énoncée dans les
conclusions de la conférence constitutionnelle de février 1971,
contient trois parties distinctes qu'il nous faudra étudier
séparément.
D'abord, cette formule vise à "rapatrier" au Canada la
constitution canadienne, c'est-à-dire à faire en sorte qu'il ne
soit plus nécessaire de recourir au Parlement britannique pour modifier
le British North America Act et les autres statuts anglais qui nous servent de
constitution.
Ensuite, elle vise à définir la procédure en vertu
de laquelle la constitution actuelle pourra être modifiée dans
l'avenir, c'est-à-dire à déterminer le siège de la
souveraineté canadienne et à définir l'organe constituant
au Canada.
Enfin, elle précise un certain nombre de modifications qui
seraient apportées à la constitution actuelle en même temps
celle-ci serait rapatriée. Ces modifications concerneraient les droits
fondamentaux, les droits linguistiques, la Cour suprême du Canada, les
inégalités régionales, le mécanisme des relations
fédérales-provinciales. On prévoit également
rédiger un nouveau préambule au B.N.A. Act et le
débarrasser de ses dispositions périmées ou sans
objet.
Nous analyserons tout à tour chacune de ces trois parties
à la lumière des demandes antérieures du Québec et
en restant toujours, pour les fins de la discussion, dans la perspective
fédéraliste où cette formule a été
conçue.
(1) Le premier ministre du Québec aurait manifesté une
certaine surprise que les choses aillent si rondement. (Magazine McLean, mai
1971, p. 19: "Je ne m'attendais jamais à ce que les autres provinces et
le gouvernement fédéral en mettent une (formule) au point aussi
rapidement. Je pensais que ça leur prendrait au moins un an, un an et
demi".) Cette surprise, en plus d'être révélatrice de
l'origine non québécoise de la formule, en dit long sur l'absence
de perspective historique qui a caractérisé les positions
constitutionnelles de l'actuel gouvernement du Québec.
LE RAPATRIEMENT DE LA CONSTITUTION
Le rôle de Londres
Dans l'histoire de l'empire britannique, les colonies ont acquis leur
pleine indépendance et le contrôle complet de leur constitution de
l'une de deux façons différentes: par le transfert ou
délégation de souveraineté en vertu d'une loi britannique,
ou bien par l'affirmation unilatérale de leur souveraineté, sans
référence à une quelconque "autorisation" du Parlement
anglais.
Il va de soi que c'est à la deuxième méthode qu'ont
eu recours les colonies qui se sont rebellées, par exemple les
Etats-Unis d'Amérique ou la Rhodésie du Sud. Mais, il est
également arrivé qu'une colonie accédant à
l'indépendance avec l'accord du Royaume-Uni choisisse cette
méthode dite de l"'autochtonie" (par opposition à celle de
l"'autonomie") (1) afin de mieux marquer son indépendance à
l'égard d'un parlement étranger. C'est ainsi, par exemple, que
l'Inde proclama sa première constitution "au nom du peuple indien", et
sans référence aucune à la loi britannique accordant
à l'Inde son indépendance.
Dans ses mémoires constitutionnels, le Québec a
préconisé que l'on suive l'exemple de l'Inde et qu'on se dispense
d'avoir recours au Parlement britannique pour assumer les pleins pouvoirs
constituants. C'est le sens des deux premiers principes énoncés
par le Québec dès la première conférence
constitutionnelle:
Le temps est venu pour notre pays de se donner une constitution
entièrement canadienne, faite au Canada, par les Canadiens et pour tous
les Canadiens;
Cette constitution, de même que tous les changements qui
pourraient y être apportés, devront désormais être
élaborés et promulgués au nom du peuple souverain, sans
recourir au Parlement d'un autre pays.
La proposition Trudeau-Turner adopte, au contraire, la formule du
transfert de souveraineté en vertu d'une loi britannique. L'objet de
cette législation par Westminster serait de: reconnaître la
validité en droit de la proclamation canadienne et de ses dispositions;
garantir qu'aucune loi britannique ne sera, à l'avenir, applicable au
Canada; et révoquer ou modifier en conséquence les lois
britanniques intéressant la constitution du
Canada.
A première vue, il ne semble pas y avoir beaucoup de
conséquences pratiques au choix de l'une ou l'autre formule. Cependant,
les conséquences psychologiques et juridiques en sont importantes.
Juridiquement, la formule Trudeau-Turner assure la continuité du droit
de sorte que la souveraineté reste placée dans la Reine (et non
dans le peuple) et que les règles du droit constitutionnel anglais
continuent de s'appliquer. Psychologiquement, les Canadiens-anglais continuent
ainsi à vivre avec un système qui leur appartient et qui les
rattache à leurs origines tandis que les Québécois doivent
continuer à vivre sous un régime qui, au début, leur a
été imposé et qui ne correspond ni à leur
passé ni à leurs aspirations. La continuité du droit a un
sens et une valeur pour le Canadien-anglais; pour le Québécois,
elle ne peut en avoir puisqu'il s'agit précisément, même si
l'on reste dans le cadre fédératif, de repartir à
neuf.
Le caractère canadien de la
constitution
Le simple "rapatriement" de la constitution n'en fera pas pour autant
une loi canadienne. En effet, tout ce qui est "naturalisé", c'est le
pouvoir de modifier la constitution; pour le reste, c'est toujours une loi
britannique, le British North America Act et ses modifications qui restent la
loi fondamentale du Canada. De sorte que, même après le
rapatriement, il n'y aurait toujours pas de version française officielle
de la constitution canadienne et celle-ci devrait continuer à être
interprétée en se rapportant au contexte britannique de la fin du
19e siècle et à la jurisprudence du Conseil Privé.
Le transfert de souveraineté
Enfin, le transfert de souveraineté a des répercussions
directes sur le droit des provinces canadiennes et particulièrement du
Québec à l'autodétermination constitutionnelle.
A l'heure actuelle, d'un point de vue strictement juridique, le
Parlement britannique demeure l'autorité suprême sur
l'évolution constitutionnelle du Canada. Si, à l'heure actuelle,
le Québec
(1) K.C. Wheare, Constitutional Structure of the Commonwealth, Oxford,
Clarendon Press, 1961. Le cas du Canada est discuté à la page
110.
devait proclamer unilatéralement son indépendance, cette
déclaration serait faite à l'encontre de l'autorité
juridique du Parlement de Westminster; c'est, en matière
constitutionnelle, la seule autorité juridique au-dessus de
l'Assemblée nationale québécoise. Il en serait autrement
après le rapatriement, puisqu'alors le siège de la
souveraineté serait situé au Canada.
Il ne faut pas oublier, non plus, que l'autorité de Londres tire
son origine de la conquête et de l'empire. Ce n'est pas par choix que le
Québec a dû s'y soumettre. Si, donc, le Québec choisissait
unilatéralement d'y mettre fin, il s'inscrirait dans le cadre
général de la décolonisation qui a marqué notre
siècle. Il en irait autrement après le rapatriement, puisqu'alors
le Québec devrait se soustraire à une autorité canadienne
qu'il a lui-même acceptée et à laquelle il a lui-même
confié des pouvoirs constituants.
Bref, le rapatriement renforcerait, en la complétant,
l'autorité constitutionnelle de la fédération canadienne,
prise comme un tout, sur chacun de ses membres. Il en serait doublement ainsi
du fait que ce transfert s'accomplirait à la demande expresse de chacun
des Etats membres de la fédération y compris celle du
Québec.
Il est donc absolument essentiel que, si l'on procède à un
transfert de souveraineté, l'on protège le droit que
possède le Québec de déterminer lui-même son statut
constitutionnel et de quitter, si c'est le désir de sa population, la
fédération canadienne, en l'inscrivant explicitement dans la
formule de rapatriement. Agir autrement serait commettre un manquement
très grave à ses devoirs envers la nation
québécoise.
LA PROCEDURE D'AMENDEMENT
La rigidité de la formule
On pourra apprécier la rigidité de la formule
Trudeau-Turner en faisant la liste des consentements qui seraient alors
obligatoires avant qu'une modification puisse entrer en vigueur. Car, en vertu
de cette formule, si l'approbation d'un seul des éléments
suivants devait faire défaut, la constitution devrait rester ce qu'elle
est: 1 ) la Chambre des Communes du Canada 2)le Sénat du Canada
3)l'Assemblée législative de l'Ontario 4) l'Assemblée
nationale du Québec 5)les Assemblées législatives de la
Colombie-britannique et d'une province des Prairies (ou les Assemblées
législatives des trois provinces des Prairies) 6)les Assemblées
législatives de deux provinces de l'Atlantique.
La formule Trudeau-Turner est, en réalité, l'une des plus
rigides qui ait jamais été proposée depuis le début
des discussions sur le sujet. A toutes fins pratiques, elle est même plus
rigide que la formule Fulton-Favreau puisque, en plus d'exiger le consentement
de toutes les provinces le moindrement importantes, elle ne comporte pas le
mécanisme de la délégation des pouvoirs qui donnait
à cette dernière une certaine flexibilité. Elle est par
ailleurs, beaucoup plus rigide que les formules étudiées en 1935
et en 1950. Il est donc incontestable que cette formule favorise le statu quo
constitutionnel.
Le rôle des Communes et du Sénat
On peut d'ailleurs se poser de sérieuses questions sur le veto
accordé par cette formule à chacune des chambres du Parlement
fédéral. Car ne rend-on pas ainsi presque impossible toute
décentralisation des pouvoirs? Est-il raisonnable de croire que le
Québec pourra récupérer des pouvoirs actuellement
exercés par le Parlement fédéral s'il doit, pour cela,
convaincre non seulement presque toutes les autres provinces mais
également la majorité des Communes et du Sénat? A toute
nouvelle demande du Québec, il suffira que le gouvernement
fédéral dise non, et les choses en finiront là. Il n'y
aura pas moyen de contourner ce refus par un amendement constitutionnel.
Quoi qu'il en soit du veto accordé à la Chambre des
Communes, il est encore moins défendable de donner un tel pouvoir au
Sénat, qui est un corps non-élu. Quelle peut bien être la
raison d'être d'un tel veto, sinon celle d'une double garantie contre la
décentralisation. Car même s'il advenait, par pure
hypothèse, que, sous la pression de l'opinion publique, un gouvernement
fédéral nouvellement élu se soit engagé à
accepter une modification constitutionnelle souhaitée par la grande
majorité des provinces, il resterait toujours le Sénat pour s'y
opposer. Et il n'y aurait alors rien à faire pour casser cette
opposition, puisque la formule Trudeau-Turner fait en sorte que jamais les
pouvoirs du Sénat ne puissent être modifiés sans le
consentement du Sénat lui-même.
Cet exemple du Sénat montre à quel point la formule
proposée est la garante du statu quo. Au cours des discussions
antérieures, en effet, il avait été question de modifier
la composition et les pouvoirs du Sénat pour assurer une
véritable participation des provinces à la législation
fédérale. Le gouvernement fédéral lui-même
avait fait des propositions dans ce sens - propositions qui avaient,
évidemment, rencontré l'opposition des Sénateurs.
Or, même une telle réforme, mineure en soi, deviendrait
pratiquement impossible une fois adoptée la formule Trudeau-Turner
puisque le concours du Sénat y serait indispensable. On s'assure ainsi
que rien ne sera changé dans cette institution fédérale
qui, du moins jusqu'à maintenant, n'a été d'aucune
utilité.
La constitution des provinces
Dans ses propositions constitutionnelles, le Québec avait
demandé d'obtenir la pleine maîtrise de sa constitution interne, y
compris les pouvoirs du lieutenant-gouverneur, de façon à pouvoir
changer son mode de gouvernement si cela était le désir de ses
citoyens. A l'heure actuelle, le Québec ne pourrait, par exemple,
adopter la forme républicaine de gouvernement ni le régime
présidentiel puisqu'il ne peut toucher aux pouvoirs du
lieutenant-gouverneur qui incarne la forme monarchique de gouvernement et le
régime de la responsabilité ministérielle.
Or la formule proposée conserve le statu quo. Pour le changer, il
faudra recourir au mécanisme rigide dont nous venons de parler,
c'est-à-dire que le Québec ne pourra pas modifier son mode de
gouvernement interne sans le consentement du reste du Canada. Si le
Québec devait accepter cette formule, il s'agirait donc d'un recul
important sur les demandes antérieures du Québec qui se
formulaient ainsi:
Les Etats devraient avoir entière liberté de
déterminer eux-mêmes et de promulguer leur constitution interne,
celle-ci ayant, pourvu qu'elle soit compatible avec la constitution canadienne,
valeur de loi fondamentale. Les Etats pourraient fixer le titre, le mode de
sélection et les pouvoirs de leur chef d'Etat; celui-ci serait d'office,
dans le cas où l'union conserverait la forme monarchique de
gouvernement, le représentant de la Couronne pour les affaires de
l'Etat.
(Document de travail du 24 juillet 1968, p. 25)
Même en se plaçant dans une optique
fédéraliste, par conséquent, la formule Trudeau-Turner ne
correspond pas aux meilleurs intérêts du Québec. Ni en ce
qui concerne l'accroissement de ses pouvoirs, ni en ce qui concerne la pleine
autorité sur sa constitution interne, le Québec peut-il
espérer tirer quoi que ce soit de cette formule.
LES MODIFICATIONS PROPOSEES
En même temps qu'elle serait "rapatriée", la constitution
canadienne serait modifiée sur un certain nombre de points, à
condition, évidemment, qu'on réussisse à s'entendre d'ici
là sur la formulation exacte de ces amendements. Nous étudierons
maintenant chacun de ces points.
Les droits fondamentaux
Une charte des droits fondamentaux, limitée aux droits dits
"politiques" (suffrage universel et élections périodiques,
liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté
d'opinion et d'expression, liberté de réunion et d'association
pacifiques), serait incorporée à la constitution. Sans le dire
explicitement, on laisse entendre que ces droits seraient énoncés
en termes généraux et que leur exercice pourrait être
restreint par une loi ordinaire.
Il ne semble pas que le Québec se soit jamais opposé
à l'inscription dans la constitution d'une charte des droits
fondamentaux. D y a cependant toujours mis certaines conditions. La
première de ces conditions, c'est qu'une telle charte ne modifie pas la
répartition des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernement.
Il y aurait lieu de spécifier que la mise en oeuvre des droits
fondamentaux de la personne humaine relève à la fois de l'union,
dans les matières relevant de sa compétence, et des Etats, dans
les matières qui relèvent de leur autorité
constitutionnelle.
(Document de travail du 24 juillet 1968, p. 53)
L'expérience des Etats-Unis d'Amérique nous
démontre, en effet, qu'il est dangereux que le Parlement
fédéral prenne prétexte d'une charte constitutionnelle des
droits fondamentaux pour légiférer dans des matières qui
relèvent des Etats. D'ailleurs, on avait accepté de donner suite
à cette demande du Québec lors des discussions antérieures
sur le sujet. Il se peut donc qu'il ne s'agisse ici que d'un simple
"oubli".
La deuxième condition mise par le Québec concernait
l'établissement préalable d'un véritable tribunal
constitutionnel qui aurait juridiction exclusive sur l'interprétation de
cette charte des droits fondamentaux.
La question des droits fondamentaux est intimement liée à
l'ensemble du problème constitutionnel et qu'aucune décision ne
saurait être prise à ce sujet avant qu'on ne se soit entendu sur
certaines réformes de base, en particulier sur la création d'un
véritable tribunal constitutionnel.
(Mémoire du Québec à la Conférence
constitutionnelle du 7 février 1968)
La cour constitutionnelle aurait juridiction exclusive sur tout litige
portant sur la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne
humaine.
(Document de travail du 24 juillet 1968, p. 53)
Or, le projet adopté lors de la dernière conférence
laisse clairement entendre que cette charte des droits fondamentaux serait
interprétée par les tribunaux ordinaires, et, en dernier ressort,
non pas par un tribunal constitutionnel mais par la Cour suprême du
Canada.
Les droits linguistiques
En vertu de la Formule Trudeau-Turner, l'anglais et le français
seraient déclarés langues officielles du Canada. Leur utilisation
dans l'administration publique, devant les tribunaux et dans les écoles
serait garantie dans les cas suivants: administration fédérale:
dans les débats du Parlement, dans les lois et autres
documents officiels du gouvernement, dans les communications de
l'administration avec le public; administration provinciale: dans les
débats des assemblées législatives; tribunaux :
devant les tribunaux fédéraux; écoles: dans toutes
les écoles publiques où il y a une demande suffisante.
Il faut remarquer immédiatement que quelques provinces (on ne
sait pas lesquelles) ont exprimé des réserves quant à
l'utilisation des deux langues dans les assemblées législatives
et que le Québec a exprimé sa "réserve
générale" sur l'utilisation des deux langues à
l'école. Le texte ne mentionne pas, non plus, si l'actuel article 133 du
B.N.A. Act relatif aux langues, de même que les réserves de
l'actuel article 93 relatives aux écoles confessionnelles, seraient
automatiquement abrogées une fois les nouvelles dispositions mises en
vigueur.
Il est clair que l'ensemble de ces modifications va dans le sens du
bilinguisme officiel. Bien que, à strictement parler, elles ne soient
pas inconciliables avec un certain unilinguisme pratique et même officiel
au niveau de chaque province, elles n'en favorisent pas la mise en vigueur. Or,
on peut évidemment se demander si le Québec ne sera pas
forcé, pour protéger sa langue et sa culture, d'imposer un
certain unilinguisme français dans les domaines qui sont de son ressort.
Il faut dire cependant qu'au niveau de l'administration publique
québécoise (sauf dans les débats de l'Assemblée
nationale) et à celui des tribunaux provinciaux (à condition que
l'article 133 soit effectivement abrogé), la chose, quoique difficile et
contraire à l'esprit de la formule Trudeau-Turner, resterait
possible.
Pour ce qui est des écoles, toutefois, la formule proposée
est carrément inacceptable. En effet, le texte en est si large qu'il
empêcherait le Québec non seulement d'exiger que les enfants des
nouveaux immigrants aillent obligatoirement dans les écoles
françaises mais encore l'empêcherait de rendre obligatoire l'usage
du français pour l'enseignement de certaines matières dans les
écoles anglaises, ainsi que le prévoit le récent
règlement numéro 6 du ministère de l'Education. Donc,
cette formule non seulement donnerait un caractère constitutionnel, donc
intangible, au bill 63 quant au choix de la langue d'enseignement mais rendrait
inopérant cette autre partie du bill 63 quant à l'acquisition
d'une connaissance d'usage du français. Dans un secteur aussi vital pour
sa survie même, le Québec ne peut évidemment pas accepter
de renoncer ainsi à sa liberté d'action. C'est pourquoi sa
réserve initiale doit se transformer en un refus définitif.
La Cour suprême du Canada
Il suffit de comparer le texte de la formule Trudeau-Turner avec les
demandes du Québec relatives au système judiciaire pour voir
à quel point, ici encore, on en reste au statu quo. Pourtant,
voilà un domaine où il eut été relativement facile
de faire des changements substantiels.
Dans son document de travail du 24 juillet 1968, le Québec avait
proposé trois changements majeurs à la constitution actuelle: 1)
une nouvelle Cour constitutionnelle serait établie pour
interpréter la constitution; les provinces nommeraient au moins les
deux-tiers des juges de cette cour; 2) la Cour suprême actuelle serait
transformée en une cour d'appel pour l'interprétation des lois
fédérales; les provinces auraient le choix de donner ou non
juridiction à cette cour sur l'interprétation de leurs propres
lois; 3) les provinces nommeraient les juges de toutes les cours provinciales;
ces cours pourraient interpréter les lois fédérales si tel
était le désir du Parlement fédéral.
Ces propositions québécoises avaient pour but de corriger
trois anomalies sérieuses du système judiciaire actuel. En
créant un véritable tribunal constitutionnel, on s'assurait de
l'existence d'un arbitre vraiment impartial dans toute dispute entre les deux
niveaux de gouvernement. En restreignant la juridiction de la Cour
suprême du Canada à l'interprétation des lois
fédérales et en laissant aux provinces le choix d'élargir
ou non cette juridiction, on s'assurait que le Québec puisse confier
l'administration de son droit civil, notamment son droit de la famille à
des tribunaux purement québécois. Enfin, en donnant aux provinces
le droit de nommer tous les juges qui président les tribunaux
provinciaux (contrairement à la situation actuelle où les juges
de la Cour supérieure et de la Cour d'appel sont nommés par
Ottawa), on permettait au Québec de réorganiser à sa guise
son système judiciaire (1).
Or la formule Trudeau-Turner ne change à peu près rien au
système actuel. Tout au plus y reconnaît-on que l'existence et
l'indépendance de la Cour suprême du Canada devraient être
garanties par la constitution, que les provinces devraient être
consultées quant au choix des juges (lesquels continueraient à
être nommés par le seul gouvernement fédéral) et que
les appels en matière civile devraient, comme c'est déjà
le cas, être entendus par "un nombre suffisant" de juges de droit civil.
Quant au reste, il n'y a rien d'autre qu'une promesse de discuter plus à
fond de la compétence de la Cour suprême en matière de lois
"strictement provinciales". Si ces propositions étaient
acceptées, il s'agirait donc d'un net recul par rapport aux demandes
initiales du Québec.
Les inégalités régionales
Depuis le début de la révision constitutionnelle, les
provinces de l'Atlantique n'ont pratiquement eu qu'un seul objectif: faire
reconnaître le problème des inégalités
régionales comme étant la source principale, voire même
unique, des tensions actuelles. Le Québec, tout en reconnaissant qu'il
s'agissait là d'un problème sérieux, ne voulait pas que la
discussion de cette question distraie l'attention du principal: la
répartition des pouvoirs. Or, on remarquera qu'alors que les conclusions
de la conférence ne disent rien de la répartition des pouvoirs,
elles accordent une grande place aux inégalités
régionales. Que faut-il en conclure?
Ce qu'il faut remarquer, en tout cas, c'est que les
inégalités dont parle la formule Trudeau-Turner sont
exprimées par rapport aux individus, et non par rapport aux
gouvernements. On veut que chaque citoyen ait une égalité des
chances, un niveau raisonnable de services publics et de possibilité
économique et sociale. On ne parle pas d'une égalité de
ressources entre les provinces. Or, cette façon de parler conduit
évidemment à mettre l'accent sur des programmes
fédéraux de redistribution de la richesse entre les individus
(par exemple au moyen d'un régime fédéral de revenu
garanti) plutôt qu'à une redistribution de la richesse entre les
gouvernements (par exemple au moyen de la péréquation). C'est
donc une formulation, en définitive, qui favorise une extension des
programmes fédéraux dans un domaine précisément,
celui de la sécurité sociale, où les demandes du
Québec ont été les plus insistantes. A bon entendeur,
salut !
Les mécanismes de relations
fédérales-provinciales
Les propositions de la formule Trudeau-Turner au sujet des relations
fédérales-provinciales sont tellement anodines qu'on se demande
s'il vaut la peine d'en parler. Les propositions québécoises du
24 juillet 1968 étaient, par contre, beaucoup plus précises.
Elles suggéraient l'établissement par la
(1) A cause de l'interprétation donnée à l'article
96 du BNA Act, le Québec est incapable, par exemple, de mettre sur pied
un système autonome de tribunaux familiaux ou de tribunaux
administratifs (Rapport du Groupe de travail sur les tribunaux administratifs,
ministère de la Justice du Québec, 1971, à la p. 269: On
le constate à nouveau, les articles 96 à 100 de l'A.A.N.B. ne
cesseront de venir hanter l'esprit de tous ceux qui voudront proposer des
réformes au système judiciaire et administratif du Québec.
Il est grand temps que les autorités gouvernementales fassent le
nécessaire pour assurer la suppression du texte de l'A.A.N.B.)
constitution d'une Conférence annuelle des chefs de gouvernement,
de même que la création d'une Commission permanente de la
fiscalité dont le but serait de préparer les arrangements fiscaux
sur une base périodique. Le Québec suggérait
également que la constitution prévoie la conclusion d'accords
intergouvernementaux liant constitutionnellement chacune des parties et pouvant
être interprétés, en cas de conflit, par la cour
constitutionnelle. Plus récemment, le gouvernement actuel du
Québec a demandé à être obligatoirement
consulté au préalable sur toute politique fédérale
ayant des répercussions sur l'économie québécoise.
Mais pourquoi le gouvernement fédéral accepterait-il de changer
une situation qui lui assure la conduite effective des relations
intergouvernementales?
La modernisation de la constitution
Enfin, la formule Trudeau-Turner suggère de profiter du
rapatriement de la constitution pour la débarrasser d'un certain nombre
de dispositions désuètes et pour remplacer le préambule
actuel par un texte qui correspond davantage aux réalités
contemporaines. Rappelons, pour mémoire, qu'un des objectifs de la
Confédération est, suivant le préambule actuel, de
favoriser les intérêts de l'empire britannique!
Nous ne connaissons pas encore le texte du nouveau préambule qui
sera proposé. Il est évident, cependant, que le Québec ne
pourrait pas se contenter d'un texte d'ordre très général
qui remplacerait par des banalités un exposé clair des principes
devant animer une nouvelle constitution canadienne. Pour permettre de juger ce
texte lorsqu'il sera connu, nous reproduisons ci-après les propositions
élaborées que le Québec a déjà faites
à ce sujet:
La constitution canadienne devrait énoncer, dans son
préambule, un certain nombre de principes qui en indiquent l'esprit, en
précisent la nature et les buts et en facilitent
l'interprétation.
(Document de travail du 24 juillet 1968, p.2)
Pour tenir compte des réalités fondamentales qui donnent
à notre pays son caractère propre, le Canada devra être
conçu et organisé à la fois comme une
fédération d'Etats et une association de deux nations, Etats et
nations qui conviennent d'établir des structures communes pour la
gestion de leurs intérêts communs, tout en conservant leur
individualité, leurs droits historiques et leurs libertés
essentielles dans le cadre de la constitution.
(Document de travail du 24 juillet 1968, p.6)
La constitution canadienne doit tenir compte du fait que le
Québec a un rôle spécial à jouer dans la
réalisation de l'égalité culturelle.
(Document de travail du 24 juillet 1968, p. 10)
On peut donc constater que, même dans les modifications d'ordre
particulier qu'elle contient, la formule Trudeau-Turner est loin de
correspondre aux exigences légitimes du Québec. Sur au moins un
point, celui des droits linguistiques, elle est carrément inacceptable;
sur aucun point elle ne donne entière satisfaction aux demandes
québécoises.
LES SILENCES DE LA FORMULE
Si la formule Trudeau-Turner révèle bien, par ce qu'elle
contient, à quel point elle vise à protéger le statu quo
constitutionnel, elle le montre encore davantage par ce qu'elle ne contient
pas. En effet, on n'y trouve rien de ce qui est l'essentiel pour le
Québec: le partage des pouvoirs.
Or, dans au moins quatre domaines, il est primordial pour le
Québec de modifier immédiatement la constitution actuelle. Sur
ces points, le Québec ne peut se permettre d'attendre puisque la
présente constitution paralyse son action tandis qu'elle permet au
gouvernement fédéral d'y étendre et d'y consolider son
emprise. Dans chacun de ces domaines, tout délai additionnel joue
à l'encontre des intérêts du Québec (1). Ces
domaines sont ceux qui ont été mentionnés dès la
première conférence constitutionnelle de 1968, soit: le pouvoir
fédéral de dépenser, la politique sociale, les
communications et les relations avec l'étranger.
(l)C'est pour cette raison qu'on ne peut justifier la formule
Trudeau-Turner en prétendant qu'elle ne change rien à la
situation actuelle. Car c'est précisément le but de la
révision constitutionnelle de changer cette situation. Le maintien du
statu quo est en soi une défaite pour le Québec.
Le pouvoir fédéral de
dépenser
Le pouvoir que s'est arrogé le Parlement fédéral de
dépenser dans n'importe quel domaine est sûrement l'une des causes
principales des tensions fédérales-provinciales qu'a connues le
Canada au cours des vingt dernières années.
Au fait, même le gouvernement fédéral a
accepté que, dans le cas des paiements conditionnels faits aux provinces
(1) des règles précises devraient désormais régir
l'action du gouvernement fédéral. Ces règles ont fait
l'objet de discussions poussées tant au niveau des fonctionnaires
qu'à celui des premiers ministres et un large consensus s'est
manifesté à leur égard. Il aurait été
relativement facile de finaliser cette discussion.
Pourquoi ne l'a-t-on pas fait et pourquoi la formule Trudeau - Turner
reste-t-elle silencieuse à cet égard? Le gouvernement
fédéral, sentant que l'opposition du Québec à
l'égard des programmes conjoints a diminué, voudrait-il revenir
en arrière sur les propositions déjà faites? Il s'agit
d'un sujet capital pour l'autonomie du Québec, comme l'a
démontré dès 1956, la Commission Tremblay. Toute formule
qui laisserait de côté cette question ne corrigerait en rien le
malaise actuel.
La politique sociale
Il n'est peut-être aucun domaine où la constitution
actuelle paralyse davantage le Québec que celui de la politique sociale.
Parler de progrès de la réforme constitutionnelle sans
régler le problème de la politique sociale serait se moquer des
mots. Les déclarations récentes du ministre des Affaires sociales
et du ministre du Travail et de la Main-d'oeuvre sont tellement
catégoriques sur ce point qu'il n'est pas nécessaire d'insister
davantage sur cet aspect de la question.
Il faut toutefois insister sur l'urgence qu'il y a à faire ces
changements puisque, si l'on rate l'occasion de la conférence de juin,
on ne pourra espérer être en mesure de mettre en oeuvre au
Québec, dans un avenir prévisible, une politique sociale
véritablement intégrée. Si l'on ne réussit pas en
juin, alors que le sujet est au coeur de l'actualité et a fait l'objet
de discussions intensives, il serait illusoire de penser pouvoir réussir
quelques mois plus tard, alors que le gouvernement fédéral aura
consolidé sa position. Car n'oublions pas que le gouvernement
fédéral vient tout juste de modifier son programme relatif
à la sécurité de la vieillesse, qu'une nouvelle loi de
l'assurance-chômage est présentement en discussion aux Communes et
entrera en vigueur incessament et qu'un nouveau régime d'allocations
familiales a été promis pour septembre prochain. Enfin, c'est un
secret de polichinelle que le gouvernement fédéral étudie
sérieusement l'établissement d'un régime
général de revenu garanti dont l'établissement pourrait
coîncider avec les prochaines élections fédérales.
C'est donc dire qu'il est plus que temps pour le Québec de
récupérer ce domaine. Tout délai additionnel serait
fatal.
D'ailleurs, le gouvernement du Québec, lors de la dernière
conférence, a insisté sur le lien étroit qui existait
entre un accord sur la formule de rapatriement et un accord sur la politique
sociale. Si la constitution actuelle n'est pas modifiée pour
reconnaître au minimum la priorité législative du
Québec dans ce domaine de la politique sociale (2), il est
évident que le Québec aura subi un échec majeur dont il
faudra alors tirer toutes les conséquences.
Les communications
Dès la conférence constitutionnelle de février
1968, le Québec avait indiqué que la situation actuelle dans le
domaine des "instruments d'éducation et de culture, et notamment la
radio et la télévision", était inacceptable. On
suggérait même que le Québec ait des représentants
auprès des bureaux de direction de la Société Radio-Canada
et du Conseil de la Radio-Télévision canadienne. Depuis, le
ministère des Communications du Québec a été
crée et le présent titulaire a réitéré, en
les amplifiant, les exigences du Québec. Puis l'Ontario a
emboîté le pas. Il s'agit donc d'un problème dont
l'acuité n'a cessé de grandir depuis 1968 et où, encore
une fois, il est urgent de modifier la constitution. D'autant plus que tout
délai ne fait que favoriser la consolidation du pouvoir
fédéral puisque le Conseil de la Radio-Télévision
canadienne a déjà commencé à
(1) Le cas des paiements inconditionnels aux provinces soulève
peu de problèmes constitutionnels puisqu'ils permettent à
celles-ci de garder leur pleine autonomie. Le cas, différent, des
paiements aux individus (ex.: allocations familiales) doit être
discuté dans le cadre de la politique sociale.
(2) La politique sociale a été définie lors de la
conférence des ministres du Bien-Etre social du 28 janvier 1971, de la
façon suivante: Par politique sociale, le gouvernement du Québec
entend l'ensemble des politiques dans chacun des domaines suivants:
sécurité du revenu, main-d'oeuvre, services sociaux y compris
ceux qui sont reliés à l'administration de la justice, services
de santé y compris les mesures de financement telles
l'assurance-hospitalisation et l'assurance-maladie, habitation et loisirs.
réglementer l'industrie de la cablodiffusion et tient
présentement des audiences publiques à ce sujet. Par ailleurs, le
développement de la télévision scolaire, et notamment la
mise en oeuvre du projet multi-média, exige que le Québec se voie
reconnaître des pouvoirs accrus en matière de
télécommunications. Le Québec se doit donc d'insister sur
un règlement immédiat de cette question d'une importance
primordiale pour son développement culturel.
Les relations avec l'étranger
Le fait que, sous le gouvernement Bourassa, les relations avec
l'étranger aient été reléguées au second
plan ne doit pas induire en erreur sur leur importance pour
l'épanouissement de la nation québécoise. Le
Québec, en effet, a vécu trop longtemps dans l'isolement pour
renoncer à prendre sa place légitime dans le concert des nations
et, avant tout, dans la francophonie. Comment, dans de telles circonstances
peut-on s'expliquer que le Québec se soit résolu à mettre
en veilleuse des relations qui, non seulement correspondaient aux aspirations
profondes de ses citoyens, mais également qui lui auraient permis de
bénéficier de l'expérience d'autrui? La raison en est
purement d'ordre constitutionnel. C'est tout simplement pour ne pas
déplaire à un gouvernement fédéral
extrêmement jaloux de ses prérogatives que l'on renonce ainsi
à la poursuite d'un objectif éminemment souhaitable.
Donc l'expérience actuelle nous montre d'une façon
évidente que, si la constitution canadienne n'est pas modifiée
pour donner au Québec au moins le prolongement international de ses
compétences internes, tout progrès dans ce domaine sera
absolument impossible. Maintenir le statu quo, encore une fois, c'est vouer le
Québec à l'inaction. Il faut donc régler également
cette question sans plus attendre.
En définitive, le Québec n'est pas plus avancé en
1971 qu'il ne l'était en 1968 lorsque débutèrent les
discussions constitutionnelles. Ce qui compte, pour lui, c'est de limiter les
pouvoirs fédéraux et d'accroître les siens. Ce qui importe,
c'est de changer au plus tôt une constitution qui favorise beaucoup trop
la centralisation et les empiètements du gouvernement
fédéral. Or, jusqu'à maintenant le Québec n'a
absolument rien obtenu de concret sur aucun des quatre points fondamentaux
où il a, à maintes reprises, demandé que des modifications
substantielles soient effectuées sans délai. Par
conséquent, même en se plaçant dans la perspective d'un
fédéralisme qu'on voudrait renouveler, force est de conclure que
la formule Trudeau-Turner n'est autre chose qu'un constat d'échec.
CONCLUSION
La conclusion sans équivoque qui se dégage de cette
analyse est que la formule Trudeau-Turner est carrément inacceptable et
que le gouvernement du Québec ferait une erreur grave en y souscrivant.
Cette situation vient principalement du fait que cette formule non seulement ne
règle en rien le fond du problème constitutionnel mais en retarde
la solution; qu'elle peut porter atteinte au droit du Québec à
l'autodétermination; qu'elle constitue un net recul par rapport aux
demandes antérieures du Québec.
En 1964, la population du Québec a forcé son gouvernement
à refuser la formule Fulton-Favreau parce que celle-ci ne correspondait
pas à l'état d'esprit nouveau des Québécois qui, en
grande majorité à cette époque, désiraient voir le
Québec acquérir des pouvoirs constitutionnels plus
étendus. Comment peut-on croire qu'il en sera autrement en 1971, alors
que de plus en plus de Québécois non seulement désirent
plus de pouvoirs pour leur gouvernement mais aspirent à la
souveraineté politique?