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Version finale

29th Legislature, 2nd Session
(February 23, 1971 au December 24, 1971)

Tuesday, May 18, 1971 - Vol. 11 N° 37

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Conférence de Victoria


Journal des débats

 

Commission permanente de la constitution

Sujet: Conférence de Victoria

Séance du mardi 18 mai 1971

(Seize heures quatorze minutes)

M. BACON (président de la commission permanente de la constitution): A l'ordre, messieurs!

M. BOURASSA: Il y a un changement à faire, M. Castonguay va remplacer M. Bienvenue si le député de Chicoutimi de même que les autres députés n'ont pas d'objection.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Votre proposition est bienvenue.

M. Robert Bourassa

M. BOURASSA: M. le Président, comme je l'avais signalé il y a quelque temps, j'étais disposé à réunir la commission parlementaire de la constitution pour entendre les représentations qui pouvaient être faites par les députés sur le problème constitutionnel.

Je vais donc exposer brièvement, très brièvement, la position du gouvernement de façon générale, puisque nous sommes présentement en train de négocier plusieurs aspects des relations fédérales-provinciales et nous ne pouvons évidemment donner tous les détails de ces négociations sans les compliquer. Par ailleurs, à la suite de ce bref exposé initial, je pourrai répondre, dans toute la mesure du possible, aux questions des députés sur l'évolution de ces négociations.

Si l'ensemble du Canada est engagé depuis quelques années dans le processus complexe de la révision constitutionnelle, c'est surtout à cause du Québec. C'est un fait indéniable qu'il y a au Québec une société majoritairement de langue française possédant son histoire, sa culture, ses institutions et son vouloir-vivre collectif. Le Québec a entrepris depuis quelques années de se doter des instruments essentiels au progrès de toute société moderne soucieuse de sa croissance économique, d'une plus grande justice sociale et de l'affirmation de sa personnalité culturelle.

Comme je l'ai souligné devant les membres de la Presse Canadienne, à Toronto, cette société originale du Québec constitue pour le Canada un atout exceptionnel, l'élément fondamental de l'affirmation d'une véritable et authentique personnalité canadienne face à l'envahissement sans cesse croissant de notre voisin du sud.

Ces développements récents de la société québécoise coïncidant avec une remise en cause des valeurs de l'ensemble de la société occidentale ont eu pour effet immédiat de soulever la question constitutionnelle. La révision de la constitution de 1867 nous a paru essentielle afin précisément de redéfinir la place du Québec dans l'ensemble fédéral canadien.

La commission Tremblay, établie en 1956, formula les grandes orientations qui devaient nous guider dans la recherche d'une nouvelle constitution canadienne.

L'ensemble des relations fédérales-provinciales de 1960 à 1970 ont essentiellement consisté à mettre en pratique ces principes exposés par la commission Tremblay. Une certaine conception de la société québécoise au sein du Canada s'est peu à peu imposée. Reprenant l'essentiel du document de travail remis par le Québec au comité permanent des fonctionnaires de la révision constitutionnelle en 1966, le présent gouvernement a exposé très clairement, lors de la conférence constitutionnelle le 15 septembre 1970, les objectifs poursuivis par le Québec en matière de révision constitutionnelle.

La révision constitutionnelle nous force à découvrir, à inventer des mécanismes nouveaux capables de satisfaire à la double exigence de notre régime fédéral: le respect des communautés de base et l'équilibre des pouvoirs face aux grandes tâches de l'avenir. Nous croyons qu'entre les vérités simplificatrices de la sécession et l'abandon pur et simple de nos responsabilités à un autre gouvernement la formule fédérative est la meilleure, pour autant, bien sûr, que seront scrupuleusement respectés les traits particuliers de notre culture et les aspirations de la communauté québécoise.

Cela, avons-nous conclu, exige donc un fédéralisme flexible, un fédéralisme qui exprimera notre liberté authentique de Québécois dans des structures de participation dynamique aux grands projets de l'ensemble canadien. En adoptant cette attitude, nous respections rigoureusement les principes qui ont guidé notre société en matière constitutionnelle, depuis plus de 15 ans. Dans cette même déclaration de septembre 1970, nous précisions que nous attendions de nos interlocuteurs assez de maturité politique pour comprendre l'enjeu du pari fédéral que nous avons proposé à nos concitoyens au scrutin du 29 avril dernier.

Un pari dont l'un des éléments est la nécessité de faire participer le gouvernement du Québec au processus des décisions du gouvernement central qui ont une influence significative sur le développement économique, social et culturel du Québec. A une souveraineté illusoire, le gouvernement du Québec propose plutôt une pleine liberté de manoeuvre dans des structures fédérales respectueuses du caractère particulier d'une société québécoise, de sa spécificité culturelle certes, mais aussi de ses besoins aigus de rattrapage dans le domaine économique.

Une telle approche rejoint très directement les questions de fond de la révision constitutionnelle et, plus particulièrement, le problème du partage fiscal et du partage des pouvoirs entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Ces exigences s'expriment

surtout dans les domaines suivants: politique économique, politique sociale, politique culturelle.

Depuis quelque temps au Québec, comme dans les autres provinces du Canada, une certaine impatience s'est manifestée face à la lenteur et à la complexité de l'ensemble du processus de révision constitutionnelle, non pas que les travaux considérables accomplis jusqu'à présent aient été vains, mais, plus simplement, en raison de cette volonté de tous les Canadiens de voir la question constitutionnelle progresser concrètement.

Cette impatience, elle est évidemment partagée par le gouvernement du Québec comme par l'ensemble de notre population. Cependant, nous ne pouvons sacrifier à cette impatience légitime l'essentiel de nos positions en matière de révision constitutionnelle. Le problème d'une définition plus précise de la société québécoise dans l'ensemble fédéral canadien demeure fondamental. La solution à ce problème ne peut évidemment pas se satisfaire de quelques modernisations de texte ou arrangements techniques et administratifs. Le processus de révision constitutionnelle a pu être considérablement accéléré par la décision que nous avons prise de tenir, parallèlement aux travaux du comité permanent des fonctionnaires, des négociations bilatérales entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de chacune des provinces du pays.

Cette formule nouvelle nous a permis de faire avancer les choses d'une façon très réelle. A la conférence de février, les premiers ministres ont examiné plus à fond une première série de questions constitutionnelles: a) le rapatriement et la formule de modification de la constitution; b) les droits politiques fondamentaux; c) les droits linguistiques; d) la cour Suprême; e) les disparités régionales; f ) le mécanisme des relations fédérales-provinciales; g) la politique sociale; h) la modernisation de la constitution.

L'ensemble de ces problèmes comporte des questions de forme (la formule d'amendement, par exemple, et de modification à la constitution) et des questions de fond: la politique sociale et les droits linguistiques.

A la suite de cette conférence, des réunions ont eu lieu au niveau des fonctionnaires pour préciser la rédaction des textes examinés. Pour ma part, j'ai eu l'occasion de rencontrer, à deux reprises, le ministre fédéral de la Justice au sujet des questions d'ordre constitutionnel. De son côté, le ministre des Affaires sociales a discuté avec son homologue fédéral des propositions qu'il avait formulées en matière sociale lors de la dernière conférence fédérale-provinciale des ministres de la Santé et du Bien-Etre.

Parallèlement à ce domaine de révision constitutionnelle, le gouvernement du Québec a suivi de très près l'ensemble des relations et du contentieux fédéral-provincial dans des domaines aussi variés que ceux du développement régional, de la fiscalité, des communications, de la main-d'oeuvre, de la participation du Québec à l'Agence de coopération culturelle et technique, de la francophonie, etc.

Cette commission parlementaire a été convoquée afin de permettre aux différents partis de l'Opposition de formuler leur point de vue sur l'ensemble du processus de révision constitutionnelle comme sur ses modalités plus immédiates. Je suis convaincu que ces expressions d'opinions, rejoignant celles de l'opinion publique, pourront être au gouvernement, si elles sont faites de façon positive, une contribution en vue de la conférence de Victoria.

Je fais distribuer les textes.

M. LE PRESIDENT (Bacon): Le chef de l'Opposition officielle.

M. Jean-Jacques Bertrand

M. BERTRAND: M. le Président, je ne commenterai pas la déclaration que le premier ministre vient de faire. Je me réserve le droit de le faire tantôt, lorsque nous entrerons dans la discussion des problèmes.

J'ai moi-même une déclaration à faire, comme chef de parti, déclaration que je ne lirai pas intégralement, mais que je remets aux membres de la commission et à la presse. Je ne lirai que les conclusions de cette déclaration. Par contre, je demanderais que le texte de la déclaration soit publié dans le journal des Débats de la séance du 18 mai, c'est-à-dire la séance présente. (Voir Annexe A).

Une autre phase de la conférence constitutionnelle s'ouvrira bientôt à Victoria les 14, 15 et 16 juin prochains. Je tiens, M. le Président, à mettre le premier ministre du Québec en garde contre les pressions de toutes sortes dont il ne manquera pas d'être l'objet au cours des prochaines semaines. Puisse-t-il — et je parle comme Québécois et non pas seulement comme chef de parti — trouver la fermeté et le réalisme nécessaires pour regarder au-delà des apparences, au-delà de la rhétorique, au-delà du court terme ou de la rentabilité immédiate.

Car ces pourparlers se dérouleront dans un cadre et dans un contexte dont les partisans d'un centralisme rigide et niveleur voudront sûrement profiter pour frapper un grand coup.

Le centenaire de la plus britannique des provinces canadiennes, la distance géographique et culturelle qui la sépare du Québec français, la lassitude croissante des Canadiens en général et des "Westerners" en particulier à l'égard d'une réforme constitutionnelle qui épuise en pure perte des réserves de compréhension et de bonne volonté accumulées au cours de l'époque Pearson, le jeu des solidarités partisanes et des gratitudes électorales, le parti pris du gouvernement actuel du Québec pour un fédéralisme

qu'il voudrait rentabiliser sans l'avoir jamais défini, les difficultés économiques dont nous souffrons à l'heure actuelle, la promesse des 100,000 emplois et la réalité de nos 234,000 chômeurs, le peu de liberté que nous laissent nos immenses besoins d'emprunts et d'investissements, tout cela sera habilement évoqué et exploité pour amener le Québec à accepter la formule Trudeau-Turner.

Le premier ministre, malgré le siège incessant dont il sera la cible, malgré les sentiments de frustration et de solitude qui pèseront lourdement sur lui à certains moments, devra se garder de promettre, et à plus forte raison de donner un tel consentement pour les multiples raisons exposées plus haut — dont la déclaration sera reproduite au journal des Débats — et que je résumerai dans les propositions suivantes: l.Le meilleur moyen de canadianiser la constitution et de parfaire la souveraineté de notre pays consiste à laisser mourir à Londres le vieux statut de l'ère victorienne et à rédiger au Canada une constitution entièrement nouvelle et entièrement canadienne. C'est la seule méthode à laquelle doivent consentir le Québec. 2.Cette constitution nouvelle doit prendre pour point de départ les besoins et les aspirations des Canadiens d'aujourd'hui, non pas les textes, les interprétations, les précédents, les usages et autres éléments d'un statu quo depuis longtemps dénoncé et rejeté par le Québec. 3.Tant que l'on ne se sera pas entendu sur la substance de cette constitution nouvelle, spécialement en ce qui concerne la répartition des pouvoirs et des sources de revenus ainsi que la création d'un véritable tribunal constitutionnel, il sera prématuré, illogique et contraire à la volonté du peuple québécois de souscrire à une formule quelconque d'amendement. 4.Tout en étant plus simple et plus claire que la défunte formule Fulton-Favreau, celle que l'on nous propose à l'heure actuelle aurait, en définitive, le même effet, c'est-à-dire celui de faire obstacle à un examen en profondeur, par nos deux communautés nationales, de cette crise dont la commission Laurendeau-Dunton nous avertit qu'elle est "la plus grave de notre histoire" et qu'elle met en cause "l'essentiel, c'est-à-dire la volonté de vivre ensemble". 5.Pour être valables, toute constitution nouvelle et toute formule d'amendement qui pourra y être insérée devront tenir compte de ce que la même commission a appelé "la dimension politique de l'égalité culturelle", soit le rôle historique, différent de celui des autres provinces, que doit forcément assumer le seul gouvernement élu par une majorité canadienne-française, celui du Québec. 6. Il va de soi qu'on ne saurait appliquer le concept de l'égalité de nos deux peuples fondateurs en donnant, même dans les domaines qui touchent aux valeurs socio-culturelles, un veto à l'un et six veto à l'autre. 7.S'il acceptait à ce moment-ci la formule proposée, le Québec fermerait lui-même la porte aux changements substantiels qu'il réclame. Il ne lui resterait plus que deux possibilités: Utiliser son veto pour maintenir un statu quo dont il ne veut plus ou se contenter des modifications qui seraient éventuellement acceptées à la fois par le gouvernement fédéral et par une majorité des provinces. 8.Bien loin de constituer un déblocage, l'adoption de cette formule dans les circonstances présentes aurait pour effet de stopper, à toutes fins pratiques, la révision constitutionnelle, d'en consacrer l'inutilité et la faillite. Il deviendrait alors impossible d'aller au-delà de la surface des choses, au-delà d'un bilinguisme partial et artificiel, au-delà des remèdes symboliques et purement illusoires. 9.Le gouvernement actuel du Québec a déjà commis une grave imprudence en consentant, lors de la dernière conférence des premiers ministres, à ce qu'on inscrive la formule d'amendement en tête des sujets prioritaires. Cette imprudence est déjà lourdement exploitée à l'encontre des intérêts et des sentiments de la population québécoise. J'ajoute qu'elle le sera bien davantage à la conférence de Victoria. 10.Faut-il enfin rappeler que l'avenir d'un peuple et son droit naturel à l'autodétermination, à la maîtrise de son propre destin, sont des biens inaliénables dont aucun gouvernement, ni aucune majorité passagère de l'Assemblée nationale ne peut faire commerce pour des motifs de rentabilité financière, économique ou électorale.

M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de Rouyn-Noranda.

M. Camille Samson

M. SAMSON: M. le Président, nous avons, en tant que parti d'Opposition, également à donner notre opinion aujourd'hui sur les questions constitutionnelles.

Bien entendu, les formules que nous avons connues par le passé, aussi bien que la formule qui semble être proposée présentement ne nous plaisent pas. Nous sommes en droit de nous demander si, véritablement, nous avons, oui ou non, l'intention d'apporter des réformes constitutionnelles au Canada. On se demande donc

— c'est une question que l'on se pose — ce que fera le Québec à la prochaine conférence constitutionnelle. Nous osons espérer que le gouvernement voudra bien prendre en haute considération les suggestions faites par les différents partis d'Opposition.

Quand on se rend à une conférence constitutionnelle, c'est pour représenter une population et pour bien représenter une population, il faut la représenter en grande majorité.

Or, il est bien évident que même en ayant 72 députés, le gouvernement du Québec représente 44 p. c. de l'élément québécois, c'est-à-dire...

M. BOURASSA: 46 p. c.

M. SAMSON: Disons que je vous en accorde deux de plus, si vous le voulez, je peux aller jusqu'à 50 p. c, mais ce n'est pas encore la majorité. Alors il vous faut absolument, à ce moment-ci, si vous voulez représenter la majorité devant la conférence constitutionnelle, prendre en considération les suggestions de l'Opposition.

M. le Président, nous avons vu trop souvent dans le passé des gouvernements à des conférences constitutionnelles partir en lion et en revenir en mouton. Parce que nous estimons beaucoup le premier ministre actuel, nous ne voudrions pas qu'il revienne de cette conférence de cette façon.

Les événements anciens et récents nous obligent à faire un examen de conscience. Le gouvernement fédéral, tel que nous le connaissons actuellement, est devenu un gouvernement trop centralisateur et il écrase les provinces, non seulement le Québec mais toutes les provinces. Le gouvernement fédéral, d'une part, prêche l'unité canadienne et, d'autre part, fait à peu près tout ce qui est en son pouvoir pour que cette unité n'existe pas parce que c'est une vérité qu'actuellement le Canada est désuni. Nous n'avons pas d'unité canadienne présentement.

Le gouvernement fédéral prêche un Canada fort alors que nous avons des Canadiens faibles. On prêche un Canada uni alors qu'il semble que nous ayons des Canadiens prisonniers dans une confédération dépassée. Nous assistons régulièrement à des prises de position contradictoires constantes entre le fédéral, d'une part, et les représentants du Québec, d'autre part, qu'il s'agisse de souligner les désaccords que nous voyons publiquement entre le premier ministre du Québec et le premier ministre du Canada au sujet de la formule d'amendement à la constitution, des désaccords sur les communications, des affaires sociales, des affaires culturelles, du travail et nous pourrions peut-être en ajouter. On peut aussi souligner qu'il y a certains désaccords entre le gouvernement d'Ontario et le pouvoir central. Il y a des désaccords entre le Manitoba et le pouvoir central. La Colombie-Britannique a aussi fait savoir, lors d'une dernière conférence, je crois, son opposition.

Elle a aussi fait savoir qu'elle veut du nouveau. Et l'Alberta, de son côté, dès 1943, lors de la publication d'un rapport annuel du gouvernement de cette province, reprochait au gouvernement fédéral de lui renier ses droits à la souveraineté. Alors tout le monde peut en prendre connaissance, c'est écrit en toutes lettres là-dedans.

Evidemment, nous n'aurions qu'à rappeler, pour mieux expliquer la confusion et l'injustice qui se dressent actuellement, l'affaire Caloil, nous pourrions rappeler aussi l'affaire de la libération du dollar canadien qui n'a sûrement pas aidé le Québec et également l'affaire des oeufs et des poulets qui a été une omelette néfaste. Le marché commun canadien est un échec prévisible parce que la constitution actuelle ne répond pas aux besoins de 1971.

Nous pourrions aussi rappeler l'échec de la commission BB. Nous pourrions parler des districts bilingues qui font que le Québec est une province bilingue alors que le reste du pays ne contient que quelques réserves cantonnales bilingues, le reste étant unilingue. Il y a eu, M. le Président, de nombreuses conférences constitutionnelles dans le passé. Nous espérons qu'elles seront moins nombreuses dans l'avenir. Nous espérons que nous pourrons en arriver à des conclusions, parce que pour les conférences constitutionnelles du passé, il semble que le slogan du moment était: Hâtons-nous lentement, messieurs.

M. le Président, rien n'avance. Le Québec est forcé — et sous quelque gouvernement que ce soit — d'être à genoux devant le gouvernement central pour recueillir des miettes. Ce n'est pas un fédéralisme rentable auquel nous assistons; c'est plutôt un fédéralisme lamentable. M. le Président, le peuple québécois en a assez. Un artiste l'a d'ailleurs résumé très rapidement en écrivant sur une murale: "Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves? "

Ces situations, M. le Président mènent directement aux idées séparatistes, aux idées révolutionnaires. Qu'on se rappelle la crise d'octobre; qu'on se rappelle qu'à ce moment il y a eu danger de révolution au Québec. Nous avons alors donné notre appui au gouvernement afin de l'aider à enrayer cette crise, mais si ce gouvernement, si les autres gouvernements et si les hommes politiques ne prennent pas leurs responsabilités, il y aura d'autres crises encore et nous ne sommes pas certains de la position que nous aurons à prendre à ce moment.

Le premier ministre sera à Victoria dans quelques jours. Je lui souhaite de se rendre à Victoria en premier ministre qui représente un peuple énergique, c'est-à-dire de se rendre là debout, fort de l'appui du peuple québécois. M. le Président, nous avons la nette impression que cette conférence de Victoria sera en quelque sorte la conférence de la dernière chance. Si le premier ministre se tient debout à Victoria, comme je crois qu'il est capable de le faire, au nom du Québec, il sera sûrement suivi par les

premiers ministres de plusieurs autres provinces canadiennes.

Si nous n'offrons pas de position dynamique, donnant de l'espoir au peuple du Québec, nous ne pourrons pas éviter le séparatisme québécois encore bien longtemps et nous n'assisterons pas seulement à la fuite des capitaux par les camions de la Brinks, mais nous risquons d'assister à la désintégration totale de notre pays qui est le Canada. C'est pourquoi le Ralliement créditiste du Québec n'étant pas un parti séparatiste — et je veux le souligner à ce moment-ci puisqu'il semble qu'il est très facile de faire de l'interprétation: nous ne sommes pas des séparatistes — nous proposons donc une formule logique, souple, intelligente, redonnant à toutes les provinces des droits fondamentaux.

Cette formule était, d'ailleurs, M. le Président, selon l'esprit des Pères de la confédération, en 1867, mais elle a été falsifiée et n'a pas été respectée.

Nous proposons un fédéralisme nouveau, un fédéralisme de services et de participation, basé sur l'autodétermination de toutes les provinces canadiennes. C'est pourquoi je désire déposer, aujourd'hui, le document suivant qui est notre position constitutionnelle. Evidemment, je n'ai pas l'intention de vous lire tout le document — je ne voudrais pas retenir trop longtemps la commission — mais je voudrais souligner quelques points qui sont très intéressants. "En effet, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique — on peut le lire en page 1 — a été voté, en tant que simple bill privé, par la Chambre des Lords et, dans l'indifférence totale, sanctionné par la Chambre des communes de Londres."

Or, M. le Président, il y a eu évidemment les historiens qui nous ont écrit, qui nous ont dit de quelle façon cela s'est passé. Je voudrais souligner ceci, dernier paragraphe de la page 1: "De son côté, le ministre des Finances, Dunning, à la page 69, chapitre 85 de la Loi du gouverneur général, écrit ceci — remarquez bien — "La première page de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique fut supprimée après que la loi fut votée par la Chambre des Lords et avant qu'elle fut soumise pour approbation aux Communes de Londres. "Le texte de cette page démontrait que le Canada, selon le désir exprimé par les colonies d'alors — parce que l'on appelait cela des colonies — devait être une fédération d'Etats souverains et non une confédération."

M. le Président, je ne voudrais pas lire tout ce document, mais, quand même, à ce moment-ci, j'aimerais préciser nos positions, ce que nous réclamons et ce que nous aimerions voir le gouvernement du Québec réclamer au nom du peuple québécois.

D'abord, l'abolition de la monarchie britannique au Canada. Nous n'avons rien contre la reine Elisabeth II; au contraire, elle est très gentille. Mais nous trouvons que la reine du carnaval de Québec est aussi très gentille.

Nous avons encore au Canada des signes de colonisés. Nous ne voulons pas dire que nous sommes pour un régime monarchique ou pour un régime présidentiel, ou contre l'un ou contre l'autre. Non. Mais nous ne voulons plus de la monarchie britannique au Canada. Cela, c'est clair. Nous aimerions voir le rejet de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui n'est, comme je l'ai dit tantôt, qu'un bill privé et qui n'a rien à voir avec le Canada présentement. Si le Canada doit être un pays souverain, il doit avoir sa constitution. Nous reconnaissons les deux nations, anglophone et francophone, et nous aimerions voir la rédaction de la première constitution vraiment canadienne. M. le Président, nous proposons même, dans notre document, une formule de rédaction de constitution qui permettrait aux deux éléments, aux anglophones et aux francophones du pays, de participer de façon égale à la rédaction d'une nouvelle constitution. Nous voulons voir reconnaître le droit à l'autodétermination de toutes les provinces. C'est ici qu'on voit que ce n'est pas du séparatisme. Du séparatisme voudrait dire séparer le Québec du reste du Canada.

Nous, nous voulons donner des pouvoirs aux provinces, que ces pouvoirs aient rapport à l'autodétermination et qu'elles choisissent entre elles le mode de gouvernement fédéral ou le mode de formule fédérative, comme l'a dit tantôt le premier ministre qui, selon lui, est la meilleure et qui selon nous est aussi une très bonne formule, c'est-à-dire une formule fédérative mais à participation.

Or, M. le Président, dans ce contexte, évidemment, nous aurions des propositions à faire. Nous aimerions que le Québec réclame, une fois que nous aurions une nouvelle constitution, une fois que nous aurions cette autodétermination, si nous pouvons convaincre les autres provinces — et je crois que c'est possible de le faire — le contrôle de son crédit, de son commerce, de son immigration et de ses sources de fiscalité.

Rappelons d'ailleurs, M. le Président, que la fiscalité directe n'est pas incluse dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique comme étant un droit qui appartient au fédéral. Cela a été donné par entente lors des guerres par les gouvernements des provinces. Or, le gouvernement fédéral semble-t-il, a la mémoire courte. Après les guerres, il a tout simplement oublié de remettre aux provinces ce qui leur revient de droit, c'est-à-dire le droit à leur fiscalité.

M. le Président, nous allons plus loin que cela. Nous allons jusqu'à donner, si vous le voulez, une formule technique qui n'est pas nécessairement la meilleure. Elle est discutable. Mais que serait un nouveau gouvernement fédéral à participation? Cela voudrait dire des Assemblées nationales dans chaque province, selon nous. Cela voudrait aussi dire des députés élus à la Chambre des communes d'Ottawa. Mais cela voudrait dire — et je pense que nous pourrions apporter un changement très intéressant — que le Sénat qui est actuellement composé, en fait, que d'amis politiques de l'un ou

l'autre des premiers ministres qui se sont succédé à Ottawa, change en une chambre des Etats, c'est-à-dire que les provinces devraient avoir le droit de nommer des participants à cette chambre des Etats. Qu'on l'appelle le Sénat ou qu'on l'appelle comme on voudra, nous ne nous arrêterons pas sur les mots. Ce que nous voulons, c'est un fédéralisme nouveau mais à participation, c'est-à-dire que nous voulons être nous-mêmes dans ce pays qui est le nôtre.

M. le Président, c'est la seule possibilité de respecter d'abord les provinces et de respecter les deux nations fondatrices du Canada.

D'ailleurs, un éditorialiste du Nouvelliste du samedi 15 mai 1971, M. Sylvio Saint-Amand, fait une critique de nos propositions et termine en disant ceci: "A tout événement, la nouvelle orientation constitutionnelle du Ralliement créditiste du Québec pourrait s'avérer une projection d'avenir. Il s'agit là d'un document intéressant et original qui apporte une nouvelle dimension à un débat qui n'est pas prêt de prendre fin."

M. le Président, la position que nous avons prise, dont nous venons de déposer le texte — je demande la permission pour que ce texte paraisse au journal des Débats — est la position de l'avenir. (Voir annexe B).

Nous voulons un Canada canadien, avec un Québec québécois, avec une Ontario ontarienne et ainsi de suite. C'est la même chose pour les autres provinces du Canada.

C'est donc, en terminant, la solution que nous offrons qui est selon nous la solution dans la compréhension que nous proposons aujourd'hui à tous les hommes de bonne volonté.

Merci, M. le Président.

M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de Bourget.

M. Camille Laurin

M. LAURIN: Pour nous, M. le Président, c'est le fédéralisme flexible, tel que vient de l'énoncer le chef de l'actuel gouvernement, qui nous paraît dangereux en raison même de sa flexibilité et qui nous apparaît utopique et illusoire en ce qui concerne les pouvoirs qu'il entend rapatrier pour assurer au Québec son développement, son progrès et son épanouissement.

C'est au contraire la souveraineté positive qui nous apparaît seule capable de répondre actuellement aux aspirations des Québécois, qui nous paraît seule capable de régler une fois pour toutes les véritables problèmes des Québécois et qui est seule susceptible d'assurer aux Québécois la dignité, la liberté et le développement auxquels ils aspirent.

Le Parti québécois estime donc que le régime fédéral dans lequel nous vivons est un carcan qui entrave le développement de la collectivité québécoise et qui, à terme, entraînera la disparition de la nation canadienne-française.

Le programme de notre parti propose aux Québécois de sortir de ce cercle vicieux de marchandage où le Québec, isolé, minoritaire, doit éternellement remettre de l'avant des propositions qui se heurtent à l'hostilité des autres provinces et du fédéral.

Nous offrons aux Québécois de cesser d'être minoritaires en accédant à la souveraineté qui implique la récupération des pouvoirs et des avoirs québécois actuellement sous séquestre entre les mains du gouvernement central.

Nous proposons ensuite une négociation où, d'égal à égal, les gouvernements du Québec, d'une part, et du Canada anglais, d'autre part, pourront élaborer librement une politique commune dans des domaines comme par exemple les douanes ou la monnaie.

Nous estimons que cette solution est la seule qui puisse remettre le Québec sur la voie du développement et du progrès.

Pourquoi alors soumettre à cette commission une étude critique de la formule Trudeau-Turner? Deux préoccupations expliquent notre attitude. D'abord, nous croyons essentiel de rappeler au gouvernement du Québec que sa qualité de porte-parole actuel de la nation québécoise lui dicte le devoir de faire inscrire dans tout texte constitutionnel à la négociation duquel il paticipe la reconnaissance du droit du Québec à l'autodétermination.

Ce droit, la nation québécoise, comme toutes les nations du monde, le possède de façon inaliénable. Même pour un gouvernement qui préconise le statu quo constitutionnel pour le Québec, ce droit à l'autodétermination reste le fondement, la base même de sa légitimité.

En outre, la reconnaissance du droit du Québec à l'autodétermination constituerait une garantie supplémentaire de son libre exercice éventuel. Nous croyons donc extrêmement important de rappeler cette dimension fondamentale de la question constitutionnelle à un gouvernement qui va représenter les Québécois à une négociation avec le gouvernement central et les autres provinces canadiennes.

En second lieu, en tant que Québécois, donc vitalement concernés par l'évolution de la situation constitutionnelle, il nous apparaît légitime d'analyser sérieusement cette formule Trudeau-Turner et la nouvelle orientation constitutionnelle qui pourrait en découler.

En outre, en tant que parti politique, nous nous devons d'informer la population sur ce que nous croyons être la portée de ces négociations constitutionnelles.

Il est donc important de déterminer la portée réelle de la formule Trudeau-Turner. Depuis que s'est amorcé le processus de révision constitutionnelle, les divers gouvernements qui se sont succédé à Québec ont formulé certaines demandes qui résument le minimum incompressible des besoins du Québec. C'est donc dans l'optique de cette tradition que nous voulons maintenant analyser la formule Trudeau-Turner.

La formule TT consacre la primauté du pouvoir central. Elle bloque le processus de décentralisation en donnant non seulement aux Communes d'Ottawa, mais encore au Sénat canadien, le droit de veto sur toute modification ultérieure de la constitution. C'est là consacrer le statu quo en matière de partage des pouvoirs. C'est là, aussi, assurer la pérennité d'une institution aussi peu représentative que le Sénat. Par ailleurs, la formule TT ne permet pas aux provinces de modifier leur constitution interne en ce qui a trait au poste de lieutenant-gouverneur, droit que le Québec a toujours réclamé.

Dans le domaine linguistique, la formule enlèverait à l'Assemblée nationale du Québec sa liberté de légiférer en ce qui concerne les droits scolaires. En fait, l'adoption de la formule donnerait à la loi 63 un caractère constitutionnel, donc intangible quant au choix de la langue d'enseignement, tout en rendant inopérantes d'autres dispositions de cette loi 63 qui concernent l'acquisition d'une connaissance d'usage du français.

Enfin, dans le domaine judiciaire, et notamment en ce qui a trait à la cour Suprême, la formule consacre à peu près le statu quo alors que le Québec revendique des changements majeurs dans ce secteur. Nous pourrions poursuivre cette énumération. Le mémoire que nous présentons et que nous aimerions, avec l'assentiment des membres de cette commission, voir reproduit d'une façon intégrale au journal des Débats, est beaucoup plus exhaustif puisque nous faisons une critique rigoureuse de chacun des articles du communiqué final de la conférence de février. (Voir Annexe C)

Nous pourrions donc poursuivre cette énumération de questions importantes à l'égard desquelles la formule Trudeau-Turner constitue une négation des demandes minimales du Québec. Contentons-nous de relever une autre catégorie de questions où le silence de la proposition n'est pas moins révélateur. Le Québec a longtemps revendiqué, et revendique encore, des aménagements constitutionnels en matière de politique sociale, de communications, de relations avec l'étranger et en ce qui concerne le pouvoir fédéral de dépenser. Le premier ministre vient de dire que les négociations bilatérales qui se poursuivent depuis février ont permis d'avancer d'une façon réelle en ce domaine, mais il reste, pour lui, à nous le prouver au cours des séances de cette commission et dans les séances subséquentes.

Pour notre part, nous sommes loin d'être convaincus, surtout après les déclarations du premier ministre du Canada que nous avons, en particulier, entendu dimanche soir à un canal anglais de télévision. Sur tous ces problèmes fondamentaux, la formule Trudeau-Turner reste muette. Comment le Québec pourrait-il accepter une formule aussi rigide d'amendement constitutionnel avant même que soient résolus des problèmes comme ceux-là qui paralysent son action? C'est se condamner à ne jamais pouvoir obtenir les pouvoirs accrus qu'il réclame dans ce domaine si, par malheur, il consentait, à la réunion de juin prochain, à accepter, d'une façon complète ou incomplète, la formule d'amendement qui lui a été proposée.

Il est dès lors évident que la formule Trudeau-Turner constitue une fin de non-recevoir à l'égard des demandes traditionnelles du Québec et que son adoption consacrerait le statu quo dans des domaines où il est vital, pour le Québec, d'avancer. Dans ces conditions, l'acceptation, par le gouvernement du Québec, de cette formule équivaudrait à une véritable abdication, entraînerait une dégradation politique de l'Etat québécois et pourrait même rendre plus difficile aux Québécois l'exercice de leur droit fondamental de choisir leur avenir collectif.

C'est pourquoi nous demandons, quant à nous, le rejet pur et simple de cette formule. En outre, nous insistons pour que, comme le premier ministre l'avait d'ailleurs laissé entendre, les 23 et 24 février dernier à l'Assemblée nationale, "le gouvernement — et je cite ses propres termes — associe la population du Québec dans un débat public à la discussion de cette formule, en permettant aux spécialistes et aux principaux corps constitués de se faire entendre de la commission." En somme, notre position est très simple. Même dans l'optique où se place le gouvernement, en vue des intérêts majeurs, éternels et fondamentaux des Québécois, c'est la substance même de la répartition des pouvoirs qui nous importe.

Tout le reste actuellement et, en particulier, la question du rapatriement et l'acceptation de la formule d'amendement nous semblent mettre la charrue devant les boeufs, nous semblent un piège, un traquenard, un leurre et à l'extrême limite du terme, pour employer un langage marxiste, une trahison objective. Nous nous demandons à cet égard, pourquoi le gouvernement actuel a changé la politique traditionnelle du Québec que celui-ci poursuit depuis une dizaine d'années dans ce domaine. Car, il nous paraît évident que, par l'acceptation de cette formule ou de cette proposition, la situation telle qu'elle existera, à la fin de cette conférence, sera gelée à jamais et empêchera toute évolution du Québec. Ce qui nous semble donc essentiel, pour nous, c'est la substance de la répartition des pouvoirs et, ici, nous voudrions également mettre le gouvernement en garde contre tout maquignonnage qui pourrait lui faire préférer la proie pour l'ombre. Car, cette proie, elle pourra s'avérer bien mince à l'égard de toutes les interrelations qui existent entre les domaines qui permettent l'élaboration d'une véritable politique québécoise et la réalité que nous avons à vivre.

Pour nous, la substance est l'essentiel des pouvoirs et des avoirs, comme nous le disions tout à l'heure. Après l'expérience des 103 et 104 années de la Confédération, après l'expé-

rience des révisions, des conférences de révision constitutionnelle nous avons la conviction intime, profonde, fondamentale que nous devons la définir nous-mêmes, cette répartition des pouvoirs, et que nous devons nous-mêmes prendre les pouvoirs qui nous ont été refusés et dont nous avons un besoin essentiel pour nous affirmer. Ce n'est pas là du séparatisme, encore une fois. C'est simplement l'achèvement d'une démarche qui est commencée en cette terre d'Amérique depuis plus de 400 ans, l'achèvement d'une démarche pour laquelle la maturité de notre peuple constitue la meilleure des garanties, l'achèvement d'une démarche qui correspond à l'essentiel de nos aspirations en même temps qu'elle répond à la conjoncture sociale, économique, politique dans laquelle nous vivons.

Discussion

M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable premier ministre.

M. BOURASSA: Je ne commenterai pas les différents principes généraux qui ont été énoncés. Je voudrais simplement signaler une erreur de fait, je crois, du député de Bourget, lorsqu'il a dit que le Sénat avait un droit de veto sur...

M. LAURIN: Ce n'est pas une erreur de fait, puisque c'est le Parlement...

M. BOURASSA: Non, mais je veux dire...

M. BERTRAND: Comme Parlement; le Sénat fait partie du Parlement.

M. LAURIN: Il faudrait l'assentiment du Parlement canadien, qui, jusqu'à nouvel ordre, est composé de deux Chambres.

M. BOURASSA: Je veux qu'il soit clairement compris que le Québec n'acceptera du Sénat qu'un avis consultatif.

M. LAURIN: De toute façon, c'est une question d'interprétation.

M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de Missisquoi.

M. BERTRAND: M. le Président, nous avons eu l'occasion d'exprimer le point de vue de nos partis. Je demanderais au premier ministre, étant donné que nous sommes ici pour examiner le communiqué qui a été émis à la suite de la conférence constitutionnelle, les 8 et 9 février dernier, si les sujets qui y ont été discutés, à moins que le premier ministre nous informe du contraire, seront à l'ordre du jour de la conférence constitutionnelle des 14, 15 et 16 juin prochain à Victoria. Est-ce que je dois comprendre que les sujets qui ont fait l'objet du communiqué des 8 et 9 février 1971 sont à l'ordre du jour de la conférence constitutionnelle de Victoria?

M. BOURASSA: Disons que l'ordre du jour n'est pas encore complété. Il y aura les rencontres, entre les fonctionnaires et entre les ministres des Affaires intergouvernementales, préalables à la conférence des 14 et 15 juin, mais, en principe ces sujets seront à l'ordre du jour.

D'autres sujets pourront être ajoutés. Je crois que certaines provinces veulent discuter de la question économique.

M. BERTRAND: Etant donné que ces sujets seront...

M. BOURASSA: En principe.

M. BERTRAND: ... probablement à l'ordre du jour, étant donné que, lors de cette conférence... Dans le communiqué, je lis d'abord, partie 1, généralités: "Les premiers ministres — donc le premier ministre du Québec est inclus — accordent la priorité à la recherche d'une formule de modification et au rapatriement prochain de la constitution canadienne". Je lis plus bas, à la fin de ce paragraphe: "Toutefois, les premiers ministres se réservent la faculté d'analyser toutes les implications juridiques et autres". Plus loin, à la page intitulée "La formule de modification", à la fin du paragraphe 3: "Les premiers ministres conviennent que la formule suivante est susceptible de conduire à un accord". Cette formule, c'est la formule d'amendement, communément appelée formule Trudeau-Turner.

Ma première question au premier ministre: Cette question a-t-elle été soumise au conseil des ministres du Québec? Le conseil des ministres du Québec l'a-t-il entérinée? S'il ne l'a pas entérinée ou s'il l'a entérinée, dans les deux cas, est-ce que l'analyse des implications juridiques et autres a été faite? Troisièmement, le premier ministre sera-t-il en mesure de nous donner l'opinion définitive de son gouvernement sur cette formule d'amendement Trudeau-Turner?

M. BOURASSA: Pas aujourd'hui, M. le Président, comme je l'ai dit tantôt. La formule, les conclusions et plusieurs de ces points ont été discutés à quelques réunions du conseil des ministres dès le mois de janvier. Nous avons l'intention d'en discuter de nouveau au cours des prochains conseils des ministres, mais, comme je le disais, nous sommes présentement à négocier dans certains secteurs, dont celui de la politique sociale. C'est pourquoi je pense que le chef de l'Opposition comprendra facilement qu'il serait pour le moins inopportun pour le chef du gouvernement d'exposer d'une façon définitive la stratégie qu'il entend suivre à une conférence qui aura lieu dans un mois.

Cependant, nous avons examiné les implica-

tions juridiques. L'examen n'est pas encore complet, mais, sans relier d'une façon certaine et absolue le problème de la politique sociale à celui de la formule d'amendement ou aux autres points, la position du gouvernement du Québec a toujours été, comme je l'ai exprimé dans mes notes préliminaires, que nous ne pouvions pas nous contenter — même si cela peut être considéré en soi comme une priorité, mais ce n'est pas la seule priorité du gouvernement du Québec — de régler uniquement des questions de forme.

M. BERTRAND: C'est une question de forme, mais qui engage le problème de fond. Est-ce que le premier ministre ne croit pas que l'adoption d'une telle formule d'amendement avant, premièrement, que n'ait été examiné en profondeur tout le domaine de la répartition des pouvoirs — on en connaît l'importance dans le fédéralisme — deuxièmement, de la répartition fiscale serait prématurée?

M. BOURASSA: Si je comprends bien le point de vue, sinon la question du chef de l'Opposition c'est que, d'après lui, la formule d'amendement ne devrait être acceptée que si le nouveau partage des pouvoirs dans tous les secteurs était complété et accepté de part et d'autre?

M. BERTRAND: J'accepterais personnellement une formule d'amendement à une constitution quand on s'est entendu sur la constitution.

M. BOURASSA: Sur le partage de tous les pouvoirs.

M. BERTRAND: Sur le partage. Si on veut véritablement une nouvelle constitution, on ne commence pas à y mettre un embarras, un obstacle au départ. Que ce soit, comme je l'ai dit dans mes remarques tantôt et comme je le dis beaucoup plus longuement dans le texte, une formule comme la formule Fulton-Favreau ou celle, j'en conviens, plus simple et plus souple qui s'appelle la formule qui est soumise, je dis qu'il est prématuré de lier le gouvernement québécois au moment où on veut, quant à nous surtout, je ne dis pas — je diffère d'opinion avec le premier ministre là-dessus — sur la volonté des autres gouvernements, apporter des amendements majeurs à la constitution.

Les autres premiers ministres, il le sait, ne réagissent pas de la même manière. Sans en nommer aucun pour la plupart des premiers ministre de l'Ouest canadien, tout changement majeur à la constitution est pour eux inutile. Il faudra certes qu'il y ait un changement de mentalité de la part de ceux qui représentent ces différentes provinces pour que — et je spécifie — des changements profonds à la constitution soient apportés dans le domaine de la sécurité sociale, auquel est plus particuliè- rement intéressé le ministre des Affaires sociales, ainsi que dans les domaines socio-culturel et des communications.

Je parle par expérience. Je comprends, et je l'ai dit tantôt, la position du premier ministre du Québec. Je l'ai vécue, quels qu'en aient été les résultats. J'en connais l'atmosphère et il faudrait qu'il se soit provoqué un miracle, miracle que je souhaite, pour que la mentalité soit à ce point changée. C'est pourquoi j'ai cru et je crois de mon devoir de mettre le premier ministre en garde contre l'adoption d'une formule d'amendement au départ, à moins que des problèmes majeurs de répartition des pouvoirs ne soient acceptés.

M. BOURASSA: M. le Président, je note dans les propos du chef de l'Opposition qui a connu l'expérience des conférences fédérales-provinciales, une certaine nuance du moins dans la conclusion de ses propos. C'est-à-dire que si des problèmes majeurs — ça veut donc dire si tous les problèmes, en excluant le règlement de tous les problèmes — étaient réglés, l'acceptation de la formule d'amendement lui paraîtrait moins préjudiciable aux intérêts du Québec.

M. BERTRAND: C'est-à-dire qu'il faudrait s'entendre sur ces problèmes majeurs. C'est pour ça que j'ai demandé tantôt au premier ministre s'il a étudié. J'ai noté dans le document ce qui pourra peut-être lui fournir une porte de sortie, s'il doit en trouver une. Toutefois les premiers ministres se réservent la faculté d'analyser toutes les implications juridiques et autres. Dans le cas "autres" il aura l'etcaetera...

M. BOURASSA: Oui, mais si...

M. BERTRAND: ... dont il aura probablement besoin parce qu'on sait dans quelle euphorie on va le plonger en Colombie-Britannique. Soyons réalistes. Il y en a peut-être qui diront: L'ancien premier ministre serait mieux de taire ses propos. Au contraire, c'est mon devoir de le dire, non pas que j'en veuille à quelque premier ministre que ce soit, mais je suis surpris, d'abord, qu'après le dépôt du rapport de la commission Tremblay auquel vous faisiez allusion tantôt, il y a plusieurs années, par votre prédécesseur à la tête du Parti libéral, le premier ministre Jean Lesage, deuxièmement, du document de travail qui est à la connaissance des autorités fédérales et des autres provinces, on n'a jamais pu obtenir, sur des problèmes majeurs qui y sont posés, une prise de position claire et nette.

Alors, dans toutes ces circonstances-là, surtout à la suite du communiqué qui a été émis où l'on a accordé la priorité — c'est là que j'ai dit que le premier ministre avait été imprudent d'accepter qu'on donne priorité à ce problème — à la formule de modification, je crains fort qu'il ait besoin de toute sa réserve d'éner-

gies et des propos que nous tenons ici pour refuser, au nom du Québec, à moins qu'il n'y ait volonté manifeste d'une nouvelle répartition des pouvoirs dans la constitution. Le premier ministre, je le comprends, pourra toujours donner des réponses très réservées. Il y a des négociations qui se conduisent; il y a le domaine de la sécurité sociale. Dans ce domaine particulier, est-ce que le premier ministre — je m'adresse à lui — peut dire qu'il y a du progrès dans le sens souhaité et voulu par le ministre des Affaires sociales?

M. BOURASSA: M. le Président, pour reprendre deux points de l'ancien premier ministre: lorsqu'il dit que j'ai été imprudent en accordant une priorité à la formule d'amendement, je pense qu'il est prématuré d'arriver à une telle conclusion. Je ne crois pas avoir fait preuve d'imprudence parce que je n'ai jamais considéré que c'était là la seule priorité du Québec. Il est trop tôt pour en conclure, mais il est possible, à tout le moins que l'acceptation d'étudier une formule de rapatriement puisse nous permettre parallèlement d'arriver à la solution de l'un ou des problèmes majeurs actuellement dans les relations fédérales-provinciales.

Donc, je ne puis pas, avec tout le respect et la grande estime que j'ai pour lui...

M. BERTRAND: Si le premier ministre me le permet. Nous nous traitons en Québécois ici; nous n'avons pas d'insultes à nous lancer. Vous avez été prudent de faire ajouter: "La faculté d'analyser toutes les implications juridiques et autres."

M. CHARRON: M. le premier ministre, je me permettrais une question, juste après le chef de l'Opposition. Quand vous dites — j'emploie le vocabulaire du député de Missisquoi — quand nous verrons une volonté manifeste d'arriver à un nouvel accord sur un nouveau partage, est-ce que cela veut dire que, sans cette volonté manifeste là, vous ne vous engagerez jamais au nom du Québec sur la formule d'amendement? Qu'est-ce que c'est pour vous...

M. BOURASSA: Vous ne reprenez pas ce que le chef de l'Opposition a dit. Vous employez un terme général: volonté manifeste d'arriver à un accord.

M. CHARRON: J'allais vous demander qu'est-ce que c'est pour vous.

M. BOURASSA: Bien, puisque c'est vous qui posez la question, j'aimerais connaître votre définition de ce qu'est pour vous une volonté manifeste.

M. CHARRON: Bien, moi, je vais vous dire pourquoi je vous pose la question. C'est parce que je me méfie, un peu. A cette conférence-là, vous serez dans une situation d'infériorité com- me tous vos prédécesseurs. Vous allez vous trouver dans une position qui va être une tentation ouverte au marchandage. La volonté manifeste dont parlait le député de Missisquoi pourra, dans votre esprit et dans l'esprit de votre équipe, se résumer à un secteur bien précis: par exemple, celui qui a été le premier porté à l'attention de tout le public, celui des affaires sociales. En échange d'un déblocage, disons, substantiel, dans le transfert de pouvoirs en matière sociale, j'ai peur que vous abandonniez complètement toutes les autres marques qui ont été faites dans l'histoire du Québec, en particulier dans le document de travail qui a été soumis par le gouvernement du Québec depuis longtemps.

M. BOURASSA: Pourquoi cela serait-il abandonné?

M. CHARRON: C'est ma question; vous y répondrez après. Supposons que, dans un tel déblocage en matière sociale exclusivement, vous seriez prêt à concéder toutes les autres demandes portant sur le pouvoir fédéral de dépenser, sur les communications, sur le pouvoir de la main-d'oeuvre, etc., est-ce que volonté manifeste d'une nouvelle répartition des pouvoirs veut dire dans l'ensemble de la vie politique, sociale et économique du Québec ou en quelque matière précise qui vous inciterait, selon l'importance de la matière, à faire des concessions sur la formule d'amendement?

M. BOURASSA: M. le Président, c'est extrêmement présomptueux de la part du député, pour employer un euphémisme, de dire que si nous étions capables de régler la question de la politique sociale, par le fait même, ce serait renoncer à toutes les autres questions. D'abord, il y a des liens entre la politique sociale et le pouvoir de dépenser. Si la politique sociale se fait en fonction des objectifs du Québec, c'est clair que ceci inscrit, dans l'exercice ou l'application même de la politique sociale, des limitations au pouvoir de dépenser.

Mais, je ne vois pas en quoi, si on règle tel problème, cela nous empêche de continuer ou de poursuivre. Le député parle de marchandage. Disons que ce sont des négociations. Il serait pris si sa formule était appliquée avec une autre forme de négociation.

M. CHARRON : Sauf que votre gouvernement, pour continuer ses demandes en matière de communication ou de main-d'oeuvre, etc., devra désormais fonctionner dans une formule d'amendement que vous auriez acceptée.

M. BOURASSA: Qui serait supérieure au système actuel.

M. CHARRON: C'est de cela que nous parlerons. C'est ce qui est important. Vous ne nous avez pas donné...

M. BOURASSA: La formule actuelle exige — selon la tradition constitutionnelle — l'appui des dix gouvernements et du gouvernement fédéral. Et même on me dit que, juridiquement parlant, le gouvernement fédéral — je dis cela sous réserve — pourrait faire amender la constitution sauf que la tradition constitutionnelle veut que ce soient les dix gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral.

M. BERTRAND: Je respecte l'opinion du premier ministre, en partie. Le gouvernement fédéral n'a pas le droit de faire amender la constitution au nom des provinces.

M. BOURASSA: En raison de la tradition constitutionnelle.

M. BERTRAND: Non, non! Le gouvernement fédéral a obtenu un amendement en ce qui a trait à la partie de sa constitution, problème qui devait être, d'ailleurs, remis en question et qui a déjà été discuté à l'occasion d'une conférence fédérale-provinciale.

M. BOURASSA: D'accord.

M. BERTRAND: De ce côté, le gouvernement fédéral peut, par une adresse à Londres, demander des amendements à la partie de la constitution qui est sienne. Je répète que l'exercice de ce pouvoir a été mis en doute; je n'ai ni le texte exact ni le volume de la conférence fédérale-provinciale où ce problème a déjà été discuté, mais on l'avait dit. C'est à l'époque où on a dressé la fameuse liste des pouvoirs — vers les années cinquante-six — qui pourraient être amendés en prévision de la fameuse formule Fulton-Favreau.

Cet énoncé de principe du premier ministre n'est pas à point.

M. BOURASSA: En fait, il est impensable que le gouvernement fédéral puisse amender la constitution, quelles que soient peut-être les divergences sur les aspects juridiques strictement parlant. Mais il reste que la formule proposée, par rapport à la situation actuelle qui exige dix gouvernements et le gouvernement fédéral, requiert l'accord de six gouvernements avec un droit de veto au Québec. Donc, je pense que c'est une amélioration objective sur la situation actuelle.

M. BERTRAND: Au point de vue des chiffres.

M. BOURASSA: Oui, oui. Indépendamment...

M. BERTRAND: Pas au point de vue des principes.

M. BOURASSA: C'est une amélioration objective indépendamment de toute la question du pouvoir de négociation.

M. BERTRAND: Au point de vue mathématique, il est clair qu'elle est meilleure que la formule Fulton-Favreau. Au point de vue mathématique.

M. BOURASSA: Et que le système actuel.

M. BERTRAND: Mais, au moment où nous parlons, nous, du Québec — car c'est surtout le Québec qui a toujours pris l'initiative, d'une constitution entièrement nouvelle où les pouvoirs seraient mieux définis, plus précisés — si vous vous liez à une formule mathématiquement supérieure, au point de vue psychologique vous n'aurez rien gagné.

M. LAURIN: C'est-à-dire que l'océan Atlantique est moins large que l'océan Pacifique, mais c'est quand même un océan.

M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de Chicoutimi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je ne voudrais pas reprendre ce qu'a dit le chef de l'Opposition officielle, opinion que je partage, bien entendu, et qui est dans la continuité des discussions constitutionnelles que nous avons eues dans le passé et de celles auxquelles j'ai participé.

Toutefois, je voudrais poser quelques questions au premier ministre et les préfacer d'une observation générale. Le premier ministre nous a déjà déclaré que, lorsqu'il se rendrait à Ottawa, il irait avec un dossier bien préparé. Nous avons pris acte de cette déclaration et nous souhaitons que, lors de la conférence de Victoria, ce dossier soit, comme il le disait, bien préparé.

Pour qu'il le soit, il y a certains prérequis. Il y avait d'abord l'acceptation d'un ordre du jour. Le premier ministre — le député de Missisquoi et chef de l'Opposition officielle l'a souligné tout à l'heure — a commis une première erreur en acceptant que l'on donne priorité, dans l'ordre du jour de la conférence, à cette question de la formule d'amendement.

M. BOURASSA: J'ai expliqué que je divergeais d'opinion.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui. J'ai compris, M. le premier ministre, mais permettez-moi de poursuivre.

Donc, pour que ce dossier soit bien préparé, il y a des prérequis. Le premier des prérequis, c'était l'ordre du jour au sujet duquel moi aussi je blâme le premier ministre.

Il s'agit d'aller là-bas reprendre une discussion qui trame depuis des années. En fait, il s'agit de rouvrir le dossier du pacte confédératif de 1867. Nous avons eu maintes consultations; il y a eu des conférences de toutes sortes qui nous ont laissé voir que tout irait pendant longtemps à pas de tortue.

Or, nous n'avons pas le temps, à l'heure

actuelle, de marcher à ce rythme. L'accélération de l'histoire a fait que les Québécois et les Canadiens se posent la grande question de savoir quel sera le sort réservé à la nation canadienne-française dans cette nouvelle formule d'association avec le reste du Canada.

Quel sera donc la nature du document du Québec? C'est une question que j'aimerais poser au premier ministre. Est-ce que ce sera un document qui portera uniquement sur la formule d'amendement et sur certaines exigences concernant des pouvoirs que voudrait avoir le gouvernement du Québec?

J'estime, pour ma part, qu'au lieu de s'attacher au problème de la formule d'amendement à la constitution, le gouvernement du Québec devrait préparer son dossier de la façon suivante: Dire à ses partenaires qu'avant de toucher à toute question relative à la formule d'amendement, le Québec a à dicter ses exigences, c'est-à-dire à indiquer de façon impérieuse et impérative quels sont les champs, quels sont les domaines, quels sont les pouvoirs de taxation qu'il veut avoir, quelles sont les responsabilités qu'il entend désormais assumer. C'est donc une partie du dossier qui me paraît être extrêmement importante, qui est la condition essentielle que devrait poser le premier ministre avant d'engager la discussion sur quelque formule d'amendement que ce soit.

Parce qu'au fait le problème n'est pas de chercher une formule d'amendement à la constitution, mais plutôt de préparer la rédaction d'une nouvelle constitution mettant résolument de côté toutes ces vieilleries dont a parlé tout à l'heure le chef de l'Opposition officielle.

Donc, il m'apparaît que le gouvernement du Québec devrait nous dire s'il a l'intention de manifester à ses partenaires ses exigences; de demander au gouvernement central dans quelle mesure il est prêt à se retirer de tous les domaines qu'il a envahis depuis longtemps et qu'il continue d'envahir sournoisement, soit les domaines de l'éducation et de la culture, des affaires sociales, des affaires économiques, du développement des richesses naturelles, de l'aménagement régional, des affaires municipales, de l'habitation, des communications, des pouvoirs de dépenser, du travail et de la main-d'oeuvre; d'autre part si le gouvernement central a l'intention de se départir de sa rigidité en ce qui concerne ses pouvoirs dans le domaine des relations étrangères et dans le domaine aussi du commerce international.

Ce sont là, il me semble, des prérequis. Le premier ministre ne devrait pas avoir à se préoccuper de savoir si ses partenaires accepteront tel ou tel ordre du jour, mais il devra leur déclarer: Voici quels sont les prérequis, quelles sont les conditions que pose le Québec avant que de s'engager dans une nouvelle discussion d'ordre constitutionnel qui doit amener non pas seulement une refonte de la constitution, des amendements ou des formules d'amendement à la constitution actuelle, mais amener les parte- naires de la fédération canadienne à renégocier un nouveau pacte et à procéder à l'élaboration d'une nouvelle constitution.

Par conséquent, je demande au premier ministre quelle est la nature du dossier. Qu'est-ce qu'il y aura dans ce dossier? Le premier ministre nous a réunis, cet après-midi, en commission parlementaire pour faire connaître aux membres de cette commission et, par conséquent, aux Québécois l'attitude du Québec. Cette réunion que nous tenons cet après-midi — et qui peut se poursuivre; je n'en sais rien — n'aura aucun sens, aucune sorte de valeur si le premier ministre ne nous donne pas des indications claires sur les volontés du Québec, sur les intentions du Québec, sur les sujets qu'il considère comme prioritaires et s'il ne nous fait pas savoir quelle peut être l'attitude qu'il entend prendre en face de ses partenaires.

On a parlé, tout à l'heure, de volonté manifeste des autres Etats membres de la confédération qui s'opposent aux revendications du Québec. Je fais observer à celui qui en a parlé tout à l'heure et qui a parlé aussi de la situation d'infériorité du gouvernement du Québec dans une conférence de cette nature que quelque gouvernement que ce soit du Québec et même un gouvernement indépendantiste qui irait renégocier avec le Canada un nouveau mode d'association serait, lui aussi, dans une situation d'infériorité.

Par conséquent, je demande au premier ministre de nous dire, s'il veut que cette réunion ait un sens, quelle est la nature de son document. Porte-t-il surtout sur des demandes concernant les pouvoirs que le Québec entend obtenir et les responsabilités qu'il entend assumer ou ce document portera-t-il d'abord sur la formule d'amendement qui a fait l'objet de discussions et dont le chef de l'Opposition a parlé tout à l'heure? Autrement, je ne vois pas pourquoi le premier ministre nous a réunis, sinon pour nous dire qu'il va à Victoria et qu'il va discuter de choses importantes. Nous voulons savoir bien autre chose que cela.

M. BOURASSA: M. le Président, le député, selon son habitude, a présenté, de façon articulée, son point de vue, mais je dois quand même constater qu'il a tenu des propos irrévérencieux vis-à-vis de ses collègues, lorsqu'il a dit que la réunion de cet après-midi n'avait aucune valeur.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): J'ai dit qu'elle n'aurait aucune valeur "si" le premier ministre ne lui en donne pas une.

M. BERTRAND: C'est quand même conditionnel.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je tiens à préciser. Cette réunion n'a eu de valeur, jusqu'à présent, qu'en fonction des déclarations que nous avons entendues à tour de rôle. En ce qui concerne l'attitude du

gouvernement, ce que le gouvernement nous a dit n'a aucune sorte de valeur indicative et ne nous montre pas ce que le gouvernement entend faire.

Or, vous nous avez réunis pour nous faire savoir quelle sera l'attitude du gouvernement face aux autres gouvernements: le gouvernement central et les gouvernements des Etats membres de la fédération. A vous la parole. Autrement, cette réunion n'aura aucune sorte de valeur.

M. BOURASSA: M. le Président, je prends note que le député a retiré partiellement ses propos vis-à-vis de ses collègues.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pas du tout! Je n'ai rien retiré. Au contraire, j'y ai ajouté. Que le premier ministre ne joue pas les naiïs; qu'il ne joue pas de sa naïveté stratégique et qu'il nous éclaire une fois pour toutes. Nous ne sommes pas en Chambre où le président peut nous dire: Le premier ministre n'ayant pas répondu, vous devez vous contenter de sa réponse. Qu'il nous donne maintenant des réponses aux questions que nous posons depuis des mois à la Chambre.

Il est responsable non seulement de l'avenir économique du Québec, mais de l'avenir de tous les Québécois et c'est à lui que nous devons nous en remettre de cet avenir.

M. BOURASSA: M. le Président, j'ai expliqué, au début de la séance, que je ne pouvais pas, dans l'état des négociations, donner la position complète et détaillée du gouvernement, puisque nous négocions.

M. CHARRON: Oui, mais vous négociez sur quoi?

M. BOURASSA : Si vous me laissez terminer, ce ne sera pas long. J'ai dit également que l'un des buts de cette rencontre était de permettre aux chefs de partis, aux représentants de l'Opposition d'exprimer leur point de vue. D'ailleurs, ils l'ont fort bien fait dans des documents fouillés, détaillés, exprimant le point de vue des différents partis: le chef de l'Opposition, le député de Rouyn-Noranda, le chef du Ralliement créditiste, et le député de Bourget, le chef du Parti québécois.

Si on me permet, M. le Président, de revenir à un point qui tantôt a été soulevé par le chef de l'Opposition. J'ai ici les Statuts de Westminster 1931, par Maurice Olivier. On cite, de la Loi du Statut de Westminster, l'article 4, qui dit: "No Act of Parliament in United Kingdom past — je passe la phraséologie habituelle — ne peut être changé à moins du consentement du Dominion. Donc, on ne fait pas mention, dans cet article-là, du consentement nécessaire des provinces.

M. BERTRAND: Qu'est-ce que c'est, le Dominion?

M. BOURASSA: On ne fait pas de façon expresse... J'ai dit tantôt que j'étais d'accord avec le chef de l'Opposition qu'il était impensable, selon la tradition constitutionnelle, que des changements soient apportés à la répartition des pouvoirs sans le consentement des provinces.

Mais, juridiquement parlant, c'est une interprétation qui m'a été soumise.

M. BERTRAND: Disons qu'on ne fera pas de discussion juridique. Je regrette de ne pas avoir autour de moi les nombreux livres que j'ai lus, mais je sais où ils sont. Cette théorie juridique, je la rejette et je ne suis pas le seul.

M. BOURASSA: D'accord, j'accepte que le chef de l'Opposition exprime son point de vue...

M. BERTRAND: Parce que le Dominion, c'est le Dominion du Canada. Or, le Canada, ce n'est pas seulement le gouvernement central. Si c'est seulement le gouvernement central, c'est un pays unitaire. On nous fait croire depuis assez longtemps que c'est une fédération. Moi, je l'ai toujours appelé une quasi-fédération parce que ce n'est pas du fédéralisme véritable. Je n'utilise pas souvent le mot "fédéralisme", parce que c'est un mot que l'on identifie trop à certaines positions de certains hommes politiques. Mais le vrai fédéralisme, ce n'est pas un gouvernement unitaire. C'est un gouvernement central et des gouvernements souverains dans leurs domaines.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Qu'est-ce que le Dominion a à faire aux questions que j'ai posées?

M. BERTRAND: D'ailleurs, le Dominion du Canada, ce sont les provinces et le gouvernement central.

M. BOURASSA: Oui, mais ce n'est pas moi, c'est le chef de l'Opposition...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Qu'est-ce que le Dominion a à faire aux questions très précises que j'ai posées au premier ministre?

M. BOURASSA : J'ai demandé la permission du député.

M. BERTRAND: Avec plaisir... M. BOURASSA: Bon, d'accord.

M. BERTRAND: Mais je n'accepte pas la théorie juridique du...

M. BOURASSA: Disons que je n'accepte pas non plus cette théorie juridique, mais je dis que peut-être...

M. BERTRAND: Il y en a qui la prônent.

M. BOURASSA: ...il y en a qui la prônent. M. BERTRAND: Admis.

M. BOURASSA: Elle existe et je dis que la formule qui est proposée constitue une amélioration.

M. BERTRAND: M. le Président, je ne veux pas du tout prendre le temps de la commission. Nous avons parlé tantôt de problèmes majeurs. J'ai donné comme exemple une question à laquelle vous avez à peine répondu. Il y a le problème de la répartition fiscale, de la répartition des pouvoirs. Je notais tantôt, dans les propos du premier ministre, qu'il y a tous les problèmes économiques, les problèmes sociaux, les problèmes culturels. Cela fait partie de la révision et d'une nouvelle constitution.

M. BOURASSA: Je l'ai dit, dimanche soir.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais vous n'allez pas répondre à ma question précisément?

M. BOURASSA: Non, mais écoutez...

M. BERTRAND: Est-ce que tous ces problèmes vont faire l'objet de votre dossier?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quelles sont les pièces du dossier?

M. BOURASSA: M. le Président, on n'a qu'à référer aux documents que le gouvernement a déjà déposés à l'occasion des conférences fédérales-provinciales précédentes. Nous étions le premier gouvernement, je pense, à insister sur l'importance des communications, à la conférence fédérale-provinciale du mois de septembre. Parce que nous sommes un gouvernement en fonction de l'avenir, nous nous rendons compte que les communications sont un secteur très important pour l'avenir.

Je peux référer l'ancien premier ministre au document que j'ai déposé ici, aux pages 12, 13, 14, pour montrer que nous avons... Mais nous ne pouvons pas, alors que nous avons affaire à une réalité mouvante dans tous ces secteurs — le député de Chicoutimi va être d'accord et le chef de l'Opposition l'a compris lui-même, tantôt, lorsqu'il a parlé de problèmes majeurs et non pas de tous les problèmes — faire une liste complète et exhaustive de tous les problèmes qui sont en litige. J'en appelle au réalisme du chef de l'Opposition...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si le premier ministre me permet, M. le Président, qu'il ne cherche pas de faux-fuyants...

M. BOURASSA: Je sais que le chef de l'Opposition...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il fait l'anguille actuellement...

M. BOURASSA: Non, non!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je lui ai posé des questions très précises. Quelles sont les priorités qui apparaîtront dans le document officiel que vous allez déposer? Sur quoi cela va-t-il porter?

M. BOURASSA: M. le Président, c'est déjà déposé.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ensuite, les détails.

M. BOURASSA: Je ne peux que référer le député aux documents que j'ai déjà déposés: la politique sociale, la politique économique, la politique culturelle.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce sera la même chose?

M. BOURASSA: Bien, il peut y avoir des changements, parce qu'on...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Envoyez-les par la poste.

M. BOURASSA: M. le Président, j'ai dit...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous connaissons le document.

M. BOURASSA: M. le Président, j'ai dit que la conférence était dans un mois et que le gouvernement à ce moment... Je pense que c'est le gouvernement qui est maître de sa stratégie. Est-ce que le député est d'accord avec ça?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): S'il en a une.

M. BOURASSA: Oui, mais il verra. Le gouvernement fera connaître sa stratégie lorsqu'il jugera que c'est opportun ou efficace de le faire.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais est-ce que le gouvernement ne devrait pas nous faire connaître un petit peu de cette supposée stratégie, puisqu'il nous a réunis pour nous prévenir de ce qui allait se passer là-bas?

M. BOURASSA: C'est faux!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, pourquoi nous avez-vous réunis?

M. BOURASSA: Pour vous permettre de parler et d'exprimer le point de vue des différents partis.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Bien, nous autres, nous sommes intéressés à vous entendre.

M. BOURASSA: Nous sommes intéressés à vous entendre.

M. BERTRAND: Je vais poser une question assez directe au premier ministre. A quelles conditions est-il prêt à accepter la formule Trudeau-Turner?

M. BOURASSA: M. le Président, je ne peux certainement pas répondre à la question du chef de l'Opposition alors que nous sommes précisément, comme je l'ai dit tantôt, en train de négocier dans plusieurs secteurs. Je pense que l'ancien premier ministre, avec son expérience, devrait comprendre que si maintenant le chef du gouvernement avec toutes ces négociations disait: C'est ça le minimum qu'on veut, imaginez dans quelle position de négociation nous nous trouverions. Je pense que l'ancien premier ministre va comprendre...

M. BERTRAND: Le premier ministre va me permettre de faire la remarque suivante...

M. CHARRON: Mais si vous le disiez publiquement...

M. BERTRAND: ... je ne suis plus premier ministre, je suis chef de l'Opposition, et c'est mon devoir, au nom de l'Opposition, faisant écho aux opinions qui ont été formulées: A quelles conditions... Le premier ministre dit: Je ne peux pas dire à quelles conditions j'accepterais la formule Trudeau-Turner.

M. BOURASSA: Pas pour l'instant. M. BERTRAND: Pas pour l'instant.

M. CHARRON: M. le Président, j'ai une question à poser.

M. BOURASSA: D'accord.

M. CHARRON: Moi, je me dis, dans l'état actuel des négociations, je ne les connais pas vos négociations que vous avez avec le fédéral, je ne sais pas comment elles progressent, je ne sais pas dans quel domaine vous les avez parce que vous ne l'avez pas fait connaître votre politique constitutionnelle, c'est aussi simple que ça.

M. BOURASSA: M. le Président, le député...

M. CHARRON: Ce que vous nous prouvez cet après-midi, c'est que véritablement vous n'en avez pas. Mais je dis que même si aujourd'hui vous étiez suffisamment...

M. BOURASSA: Le député n'est pas sérieux.

M. CHARRON: ... si vous aviez suffisamment cette politique derrière vous, cette volon- té que tous les Québécois attendent de vous aujourd'hui d'être capable de dire à quelles conditions...

M. BOURASSA: Ceux qui veulent détruire la confédération, oui.

M. CHARRON: ... de préciser à quelles conditions vous allez vous rendre à Victoria et dans quel état d'esprit... c'est quand on vous aura concédé sur tel et tel domaine, vous vous renforcez dans les négociations. On profite de vous actuellement dans les négociations avec le fédéral parce qu'on ne reconnaît pas derrière vous une politique avec une épine dorsale, vous n'en avez pas.

M. BOURASSA: M. le Président...

M. CHARRON: La politique constitutionnelle de votre gouvernement...

M. BOURASSA: Si le député veut orienter le débat à ce niveau-là, on va être capable de lui répondre.

M. CHARRON: Vous nous avez convoqués pour vous parler, alors nous allons vous parlez.

M. BOURASSA: Oui, mais parlez sérieusement.

M. CHARRON: La politique constitutionnelle de votre gouvernement actuellement, c'en est une qui dépend des discours de vos ministres et vous êtes appelé à les rapiécer à chaque minute, quand un s'est avancé un peu trop loin, et c'est comme ça qu'on essaie de trouver un ensemble dans ce que vous avez comme position face au gouvernement central.

M. BOURASSA: J'ai dit...

M. CHARRON: Et on va vous mettre des conditions dans les roues à chaque fois et la principale — on vous a passé ce sapin-là en février — c'est de vous faire passer la formule d'amendement d'abord. On va vous la vendre pour quelques concessions dans le domaine social, dont je ne connais pas l'ampleur encore et que le ministre des Affaires sociales est peut-être le seul à connaître actuellement. Mais, pour ces concessions, vous préparez vraisemblablement, à cause du manque d'étoffe dans votre politique, à accepter une formule d'amendement qui, dans le domaine de la main-d'oeuvre, dans le domaine des communications et dans tous les domaines de la vie du Québec, parce que nous sommes une société normale, on va être emprisonné. Pour un petit carcan social, vous allez endosser le carcan politique et la formule d'amendement.

M. BOURASSA: Qu'est-ce que vous en savez? M. le Président, d'abord je pourrais facilement...

M. CHARRON: Bien, dites-le, maudit! On est là à vous le demander.

M. BERTRAND: Je voudrais poser au premier ministre la question suivante: Considérez-vous le problème du travail et de la main-d'oeuvre, comme faisant partie d'un domaine de négociation relevant de la sécurité sociale?

M. BOURASSA: M. le Président, d'abord, si on veut orienter le débat sur le plan de la partisanerie, ça va être facile de le faire.

M. BERTRAND: M. le Président, je pense...

M. BOURASSA: Je ne parle pas du chef de l'Opposition.

M. BERTRAND: ... que de tous les chefs de parti, il n'y a pas eu de remarque de nature telle que le premier ministre nous dise...

M. BOURASSA: Non, mais c'est le député de Saint-Jacques...

M. BERTRAND: ... qu'on en fait un débat partisan. Nous sommes tous des Québécois...

M. BOURASSA: Nous avons exprimé le point de vue général...

M. BERTRAND: ... autour de la table et moi, le premier...

M. BOURASSA: Vous voulez briser le Canada, comment voulez-vous qu'on vous prenne au sérieux?

M. CHARRON: Je ne vous demande pas de briser le Canada, c'est vous qui êtes en train de briser devant les autres.

M. BOURASSA: M. le Président, le point de vue général du Québec a été exprimé au mois de septembre. Là, vous avez les grands principes, les grands secteurs, je l'ai dit six fois. Je ne peux pas faire autrement que conclure à la mauvaise foi du député de Saint-Jacques s'il me force à répéter une septième fois.

M. LAURIN: M. le premier ministre, la question n'est pas là, c'est à quel point c'est limité à la formule d'amendement.

M. BOURASSA: Est-ce que je peux répondre aux questions une à une, s'il vous plaît? Par politique sociale, pour répondre à la question du chef de l'Opposition, le gouvernement du Québec entend l'ensemble des politiques dans chacun des domaines suivants: sécurité du revenu, main-d'oeuvre y compris formation professionnelle et centres de main-d'oeuvre, services sociaux y compris ceux qui sont reliés à l'administration de la justice, service de santé y compris les mesures de financement tels l'assu- rance-hospitalisation, l'assurance-maladie, habitation et loisirs. C'est dans le document qui a été rendu public.

Qu'est-ce que vous voulez de plus? Vous avez toutes les définitions dans les documents publics et vous vous plaignez encore de ne pas avoir de détails.

M. LAURIN: M. le premier minisre, c'est une déclaration générale.

M. LE PRESIDENT (Bacon): A l'ordre! M. BERTRAND: Le premier ministre...

M. BOURASSA: Il y a sept articles quand même là-dedans.

M. BERTRAND: ... pourrait bien formuler les questions. Je puis renvoyer le premier ministre à tous les documents que j'ai à mon bureau et lui dire : Bien, allez les consulter pour savoir quelle question je veux vous poser.

M. BOURASSA: Non, mais, M. le Président, on a dit qu'on n'a pas exprimé leur point de vue. Je donne ici un exemple avec sept articles spécifiques.

M. CHARRON: C'est une définition applicable à l'éthique sociale, vous allez trouver ça dans n'importe quel pays.

M. BOURASSA: C'est faux!

M. CHARRON: Sauf que, nous autres, nous ne contrôlons pas actuellement. Vous avez un ministre qui est en train de négocier pour l'avoir. Quel point dans la négociation et dans l'échange vers le Québec de ces pouvoirs-là serait jugé suffisant par votre gouvernement pour accepter la formule Turner?

M. BOURASSA: C'est une question, M. le Président — je m'excuse auprès du député — complètement stupide. Comment voulez-vous qu'un gouvernement dise, alors qu'il est en pleine négociation, le minimum qu'il veut obtenir?

M. CHARRON: C'est normal qu'un gouvernement le fasse.

M. BOURASSA: Le député...

M. CHARRON: C'est normal que le gouvernement négocie avec force. N'attendez pas... Le gouvernement n'a pas de politique.

M. BOURASSA: ... devrait savoir qu'il va falloir une résolution, qu'une résolution va être soumise à l'Assemblée nationale.

M. DUMONT: On ne s'entend pas, M. le Président.

M. LE PRESIDENT (Bacon): A l'ordre!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'ai posé des questions au premier ministre très simplement avec une certaine vivacité pour le réveiller. J'ai demandé quelle serait la composition du dossier, quels seraient les priorités, les prérequis avant d'engager la discussion sur la formule constitutionnelle. Il nous renvoie à des documents et nous aimerions avoir des précisions sur les champs que le Québec entend récupérer, les responsabilités nouvelles que le Québec entend assumer.

M. BOURASSA: M. le Président, dans le domaine de la politique sociale, je viens de donner des explications et le ministre des Communications a exprimé le point de vue du gouvernement à plusieurs reprises. Je l'avais fait au cours de l'été dernier. Il reste le secteur économique où la priorité est peut-être moins importante, en ce sens que le gouvernement du Québec, dans ces secteurs-là, a l'appui de plusieurs autres provinces et que, de toute manière, dans un régime fédéral le gouvernement peut bénéficier d'une façon substantielle du régime. Je n'ai pas à énumérer tous les avantages qu'on a obtenus depuis un an sur le plan économique et financier. Je pense que, sur le plan économique et financier, le gouvernement du Québec a obtenu des concessions importantes. De fait, nous avons eu deux budgets sans hausse de taxes. Cela, c'est un résultat concret que je signale au député de Chicoutimi.

M. LAURIN: Est-ce que la réalisation de votre déclaration de septembre, M. le premier ministre, constitue une condition d'accord à la formule d'amendement? C'est ça qu'on veut savoir.

M. BOURASSA: M. le Président, nous considérons, étant donné qu'une formule d'amendement est présentée parallèlement, qu'il y a des problèmes majeurs, notamment la politique sociale, qui doivent être réglés. Il reste au gouvernement à décider s'il doit exiger en échange de cette acceptation d'une formule d'amendement, qui est une formule supérieure, le règlement de tous les problèmes, s'il n'y a pas là un risque...

M. LAURIN: Mettons...

M. BOURASSA: Cela fera probablement plaisir au Parti québécois, mais nous, nous n'avons pas été élus pour faire la séparation du Québec.

M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de Mégantic.

M. DUMONT: Le chef de l'Opposition a posé une question très directe, à savoir à quelles conditions vous accepteriez la formule Turner-Trudeau qui ressemble énormément à la formule Fulton-Favreau. Je me reporte à vos déclarations premières à l'effet qu'il faudrait, à cette conférence, avoir une garantie du rattrapage économique pour le Québec. Alors, je me reporte à cette promesse que nous avons eue parfois en Chambre, à savoir que le Québec pourrait récupérer $225 millions de la taxe dite de progrès social. Est-ce l'intention du premier ministre d'aborder ce sujet à la prochaine conférence?

M. BOURASSA: M. le Président, ce n'est pas à l'ordre du jour de la prochaine conférence.

M. BERTRAND: M. le Président...

M. DUMONT: J'ai une autre question...

M. LEGER: M. le Président...

M. LE PRESIDENT (Bacon): A l'ordre!

M. DUMONT: ... précise à poser parce que je pense que plusieurs autres questions ont été posées...

M. BERTRAND: Allez-y.

M. DUMONT: ... si vous me le permettez. Vous avez déclaré, tout à l'heure, que 46 p. c. de la population avait appuyé votre gouvernement. Etant donné que nous sommes douze et que les partis de l'Opposition représentent 54 p. c. de l'électorat, est-ce qu'il ne serait pas tout à fait dans l'ordre que les partis de l'Opposition ou qu'au moins les membres de la commission parlementaire sur la constitution, qui est formée pour étudier ces problèmes, soient invités à siéger à Victoria afin de voir, de suggérer ou de donner de bons conseils à notre premier ministre, lors de cette conférence du mois de juin prochain?

M. BOURASSA: J'ai répondu à cette question.

M. DUMONT: Ce n'est pas votre intention de reconsidérer cette réponse?

M. BOURASSA: Ah, la reconsidérer! Bien, si cela peut faire plaisir au député, oui.

M. SAMSON: M. le Président, est-ce que le premier ministre pourrait nous donner des raisons valables? Cette commission parlementaire est formée de onze membres. Nous n'avons qu'un membre, nous; le Parti québécois en a un, l'Union Nationale deux et c'est vous qui avez le reste. Donc, vous n'avez pas grand risque de ce côté-là. Est-ce qu'il y a des raisons spéciales pour lesquelles on éviterait de nous inviter en tant qu'observateurs? Je me permets d'insister parce que, justement, chaque fois que

le premier ministre revient d'une conférence fédérale-provinciale, il semble que nous manquions de renseignements. Nous recevons souvent les renseignements par la voie des journaux. Comme évidemment, il y a des éditorialistes, ces renseignements-là peuvent être interprétés. Alors, si nous étions présents, nous pourrions voir exactement comment cela se passe. Ni l'un ni l'autre des partis d'Opposition, ni le public, je pense, ne pourraient dire, à ce moment-là, que les choses se passent en cachette. Je crois que le premier ministre est le premier à vouloir que la politique du gouvernement du Québec se fasse à la lumière et qu'il n'y ait pas de cachette. Ce que nous réclamons, M. le Président, je pense que c'est juste et raisonnable.

M. BOURASSA: M. le Président, j'ai dit que j'étais prêt à reconsidérer cela, mais je ne considère pas que ce serait opportun. D'abord, cela ne s'est jamais fait, à ma connaissance.

M. SAMSON: M. le Président, ce n'est pas parce que cela ne s'est jamais fait qu'on ne doit pas commencer à le faire!

M. BOURASSA: Non, non! Deuxièmement...

M. SAMSON: Il y a des choses qui ne se sont jamais faites avant 1971...

M. BOURASSA: D'accord.

M. SAMSON: ... et que nous devrons faire à partir de maintenant.

M. BOURASSA: ... c'est le gouvernement qui établit la politique consitutionnelle. Une chose que je ne voudrais pas que les députés oublient, c'est que, quels que soient les accords auxquels nous allons en venir, cela sera soumis par résolution à l'Assemblée nationale. Quand même, il ne s'agit pas, pour le gouvernement, d'engager le Québec et de signer des accords sans que cela soit soumis à l'Assemblée nationale! Plusieurs députés semblent oublier que le gouvernement a le dernier mot et que cela n'aurait pas besoin d'être soumis à l'Assemblée nationale, éventuellement, si nous tombions d'accord sur la formule d'amendement et sur d'autres secteurs.

M. SAMSON: M. le Président, je m'excuse auprès du premier ministre, mais cela nous est souvent rappelé que le gouvernement a le dernier mot et nous le savons. Nous savons que vous êtes le gouvernement. Nous savons aussi que vous représentez 46 p. c. de la population et qu'à nous trois, les Oppositions, nous en représentons 54 p. c. .

Or, nous verrions d'un très bon oeil que vous soyez appuyé, à cette conférence constitutionnelle, par l'ensemble de la population du Québec c'est-à-dire par les représentants de l'ensemble de la population. Evidemment, nous n'aurons rien à dire là, mais nous pourrons, en tant qu'observateurs...

M. BOURASSA: Mais ce sera...

M. SAMSON: Comme l'a souligné mon collègue de Mégantic, il y aura peut-être à ce moment, certains conseils qui pourront être donnés au premier ministre, venant de l'Opposition. Nous savons que le premier ministre est ouvert à certaines suggestions que nous pourrions faire sur place, mais un mois après, il sera trop tard.

M. BOURASSA: Je dis au député — je comprends son inquiétude — que d'abord une partie de la conférence sera télévisée. Et je dis au député que de toute manière il n'y aura pas d'engagement...

M. SAMSON: Ecoutez, la partie télévisée, c'est le "show". Nous, nous voulons des actes.

M. BOURASSA: Ah, vous êtes contre...

M. LEGER: M. le Président, j'aurais une question.

M. DUMONT: Une dernière question si vous me permettez, M. le Président, et je pourrai utiliser mon droit de parole sans y revenir.

La souveraineté, M. le premier ministre, reposant sur la propriété du domaine imminent est-ce que les conseillers juridiques de votre gouvernement ont étudié la possibilité de faire établir le droit à l'autodétermination sur cette propriété du domaine imminent, pour chaque province?

M. BOURASSA: Non, M. le Président. Vous voulez dire votre formule de dix droits d'autodétermination? Le Nouveau-Brunswick pourrait adopter la séparation, etc..

M. DUMONT: Le droit du domaine imminent, c'est-à-dire le droit à la propriété entourant les provinces.

M. BOURASSA: On me signale que nous avions reçu votre texte vendredi seulement. Nous l'examinerons.

M. DUMONT: Ce n'est pas seulement de nous. C'est cité dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le droit du domaine imminent.

M. BOURASSA: C'est cela, ici: longitude...

M. DUMONT: C'est dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

M. SAMSON: Le document, c'est pour vous permettre de vous orienter parce que vous ne savez pas où aller.

M. LE PRESIDENT (Bacon): La proie est au député de Bourget. Ensuite, les députés de Lafontaine et de Missisquoi.

M. LAURIN: M. le Président, je voudrais d'abord rétablir l'affirmation du premier ministre qui disait tout à l'heure que j'avais référé d'une façon peut-être fausse à l'approbation par les deux Chambres du Parlement.

Je renvoie le premier ministre au communiqué officiel de la conférence, qu'il a signé lui-même, où il est dit au paragraphe b) de la page 3 que toute formule d'amendement demande l'approbation de la manière habituelle par les Assemblées législatives et par les deux — M. le premier ministre — Chambres du Parlement.

M. BOURASSA: Cela a été l'objet de négociations subséquentes.

M. LAURIN: Mais, c'est quand même le texte officiel.

M. BOURASSA: D'accord, mais j'ai tenu à faire une mise au point, pour empêcher le député de s'éterniser sur cette question.

M. LAURIN: Je ne peux me référer qu'au texte officiel.

M. BOURASSA: D'accord, mais j'ai précisément fait cette mise au point pour éclairer le député.

M. LAURIN: Bon! Mes questions portent sur quelque chose qui nous force à revenir un peu en arrière. On a parlé, tout à l'heure, de priorités qui avaient été établies sur la formule de rapatriement et d'amendement.

On a parlé tout à l'heure de formule de rapatriement et d'amendement qui avait été mise à l'ordre du jour en priorité à la conférence de septembre. C'est une priorité effective, même si vous en aviez d'autres, puisque c'est celle-là qui a à l'ordre du jour.

Je voudrais savoir de votre part si, avant d'accepter, à la conférence de septembre, de mettre en priorité à l'ordre du jour ces deux sujets, votre cabinet avait donné son accord.

M. BOURASSA: M. le Président, pourquoi... M. LAURIN: C'est une question.

M. BOURASSA: D'abord, les délibérations... c'est une question qui m'apparaît impertinente, avec tout le respect que je dois au député. Je pense que les délibérations du cabinet, jusqu'à nouvel ordre...

M. LAURIN: Mais vous pouvez nous en informer. Une fois qu'une décision est prise. Si cela n'a pas fait l'objet d'une discussion au cabinet...

M. BOURASSA: M. le Président, si la décision doit recevoir l'avis du cabinet elle le reçoit.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Toute décision de cette nature doit recevoir l'avis du cabinet, je l'espère.

M. BOURASSA: C'est pourquoi je dis que la question du député est impertinente.

M. TREMBLAY: Ne jouez pas avec les mots.

M. LAURIN: Je demande simplement... M. BOURASSA: Je viens de répondre.

M. LAURIN: ... si avant d'accepter qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour en priorité, en septembre, il y avait eu discussion préalable au cabinet et acceptation par le cabinet de cette prise de position.

M. BOURASSA: J'ai dit au député qu'il est normal que des décisions comme celles-là soient discutées au conseil des ministres.

M. LAURIN: Je ne demande pas s'il est normal ou non, je demande si effectivement...

M. BOURASSA: Le député est d'une curiosité surprenante.

UNE VOIX: Il veut tout savoir.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Continuez, c'est de la psychanalyse. Vous êtes sur la piste, docteur.

M. LAURIN: Je prends acte que le premier ministre refuse de répondre à cette question. J'en ai une autre. Après la conférence...

M. BOURASSA: Il copie le député de Saint-Jacques. Il ne pose pas de questions sérieuses.

M. LAURIN: ... de septembre, vous aviez déclaré en public que vous demanderiez au greffier du Conseil exécutif de mettre au point une formule d'amendement. Je voulais simplement savoir si cela a été fait, si votre cabinet s'était penché sur la question, s'il y avait eu discussion et s'il y avait eu accord du cabinet sur la position que vous avez prise en février.

M. BOURASSA: M. le Président, je pourrais facilement ne pas répondre au député, mais je puis lui dire, disons par courtoisie, je n'ai pas d'objection, qu'il y a eu une réunion à la maison Montmorency du conseil des ministres, je pense, les 23 et 24 janvier, où toutes ces questions ont été discutées. Des experts sont venus nous donner toutes les implications des points qui étaient en discussion.

M. LAURIN: Est-ce que votre prise de position alors sur la formule d'amendement telle qu'on l'a connue en février avait l'accord du cabinet ou si on n'en avait pas discuté au cabinet?

M. BOURASSA: La prise de position sur...

M. LAURIN: Si la prise de position que vous avez prise sur la formule telle qu'elle apparaît au communiqué avait fait l'objet d'un accord.

M. BOURASSA: J'ai dit dans le communiqué — c'est écrit — que c'est une formule susceptible d'un accord sous réserve d'analyser les implications juridiques et autres. Cela reflétait le point de vue du chef du gouvernement et du cabinet.

M. LAURIN: Comme il est difficile d'avoir une réponse précise, je vais vous poser une autre question. Est-ce que la formule d'amendement telle qu'elle a été proposée en février venait d'une province particulière ou du Québec?

M. BOURASSA: La formule d'amendement a fait suite à des rencontres bilatérales, notamment entre le Québec et le gouvernement fédéral, et je suppose qu'il y a eu également des rencontres avec les autres provinces. Je crois que le ministre de la Justice, M. Turner, a rendu visite aux différents gouvernements provinciaux, mais il y a eu certainement de nombreuses discussions entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral. Nous avons fait des suggestions...

M. LAURIN: Alors, quelle a été la participation...

M. BOURASSA: ...mais sans engager...

M. LAURIN: ...du Québec dans le texte de cette formule Turner-Trudeau? Quelle a été la participation du Québec?

M. BOURASSA: Comment?

M. LAURIN: On l'appelle la formule Turner-Trudeau, mais on sait...

M. BOURASSA: Qui l'a appelée comme cela?

M. LAURIN: ...très bien que pour la formule Fulton-Favreau, par exemple, il y avait eu une participation assez intense du provincial à l'élaboration de la formule. Il y a des ministres qui ont laissé leur marque sur cette formule. Je voudrais savoir si...

M. BOURASSA: Ce n'est pas nous qui l'avons appelée la formule Turner-Trudeau.

M. LAURIN: ...dans la formule que l'on appelle Turner-Trudeau il y a eu une participation effective du Québec dans le texte de la formule qui a été soumise à la conférence de février. Est-ce que le gouvernement a participé à l'élaboration de cela?

M. BOURASSA: J'ai dit tantôt au député de Bourget qu'il y avait eu des rencontres préalables à la conférence constitutionnelle et cela m'apparaît normal. Il y a eu des rencontres entre le ministre de la Justice et des fonctionnaires. J'ai moi-même rencontré le ministre de la Justice. J'ai rencontré également le ministre fédéral de la Justice, M. Turner. Il y a eu des rencontres préalables où le Québec... Disons que le droit de veto pour le Québec c'est un point de vue qui avait été exprimé par le Québec. Il y a eu des rencontres avec tous les différents gouvernements.

Le député pose une question à laquelle il est impossible de répondre: la participation effective. Qu'est-ce qu'il entend par cela?

M. LAURIN: Je vais vous la poser sous une autre forme.

M. LEGER: Elle vous a été imposée, cette formule, ou si...

M. BOURASSA: Mais imposée... On n'est pas arrivé...

M. LAURIN: Jusqu'à quel point la formule Turner-Trudeau, que nous connaissons et qui a été discutée en février, porte-t-elle la marque de la participation du Québec sur tel ou tel de ses articles? Par exemple, sur les six provinces au lieu de dix...

M. BOURASSA: Le droit de veto du Québec...

M. LAURIN: ...sur l'absence de délégation de pouvoirs aux législatures provinciales. Jusqu'à quel point le Québec a-t-il apporté une contribution à cette formule? Ou encore, jusqu'à quel point reflétait-elle les vues du Québec?

M. BOURASSA: Oisons que sur la question du droit de veto, le Québec a certainement fait valoir qu'il ne pouvait d'aucune façon considérer l'étude d'une formule...

M. CHARRON: Cela, il l'avait...

M. BOURASSA: Voulez-vous me laisser terminer?

M. CHARRON: D'accord.

M. BOURASSA: ...sans qu'il y ait un droit de veto pour le Québec.

C'est normal. Il y a eu des discussions sur d'autres modalités entre les deux niveaux de gouvernement.

M. CHARRON: C'est bien sûr.

M. BOURASSA: C'est clair que le style de négociation a changé avec le gouvernement que je dirige. Il y avait un autre style de négociation...

M. LAURIN: Oui, mais, là, ce n'est pas un discours politique que je vous demande. Je vous demande jusqu'à quel point...

M. BOURASSA: Oui, mais je vous ai répondu.

M. LAURIN: Non, non, là, vous vous égarez.

M. BOURASSA: Bien oui, mais je ne suis pas pour dire les virgules et les points sur les "i" qui ont été proposés par le Québec.

M. LAURIN: C'est très important. Jusqu'à quel point le Québec a-t-il participé? On en voit les résultats dans la formule qui a été soumise en février. Là, vous nous dites que le droit de veto, c'est un élément.

M. BOURASSA: Un exemple.

M. LAURIN: Un exemple! Est-ce qu'il y en a d'autres?

M. BOURASSA: Bien, je pourrai vérifier le procès-verbal des discussions, si vous voulez. S'il y a lieu de rendre public le procès-verbal des discussions...

M. LAURIN: Maintenant, vous avez parlé tout à l'heure de sept points majeurs ou de sept points fondamentaux sur lesquels le Québec avait absolument besoin d'une réponse nette et précise de la part de ses interlocuteurs. Vous n'avez pas mentionné, parmi ces sept points principaux, la politique sociale. Est-ce qu'elle en fait partie?

M. BOURASSA: Je l'ai mentionnée.

M. LAURIN: J'admets qu'elle en fait partie. Est-ce que vous faites de l'acceptation des demandes du Québec en ce qui concerne ces sept points fondamentaux une condition d'acceptation de votre part, à Victoria, de la formule d'amendement? Est-ce que votre acceptation de la formule est liée aux concessions que vous pourriez obtenir de la part des autres gouvernements et du gouvernement fédéral?

M. BOURASSA: M. le Président, j'ai répondu à plusieurs reprises à cette question.

M. LAURIN: Non, vous n'avez jamais répondu.

M. BOURASSA: Précisément, le gouvernement ne peut pas exprimer, à un mois de la conférence... Il me semble que c'est simple à comprendre. Je ne vois pas pourquoi le député insiste. J'ai dit six fois pourquoi. Etant donné que cela va être soumis à l'Assemblée nationale, étant donné que le point de vue du Québec va être exprimé à la conférence de Victoria, qu'un débat suivra à l'Assemblée nationale, pourquoi, un mois à l'avance, me placerais-je dans une position d'infériorité pour négocier en donnant tous les détails ou ce que nous considérons comme une modalité de règlement? Il me semble que je l'ai dit au chef de l'Opposition. Je l'ai dit au député de Chicoutimi. Ils ont compris, et le député insiste encore là-dessus.

M. TREMBLAY(Chicoutimi): Non, vous n'avez pas répondu.

M. BOURASSA: Cela me paraît...

M. LAURIN: Est-ce que le premier ministre n'est pas d'accord qu'entre le dévoilement complet et détaillé de ses positions minimales et le silence absolu dans lequel il se réfugie depuis plusieurs mois il n'y a pas un écart qui demanderait à être comblé? Tout ce que nous demandons, c'est l'énoncé d'une politique minimale du gouvernement sur des positions de base.

M. BOURASSA: Je l'ai ici, là.

M. LAURIN: Mais, là, ce n'est pas lié à l'acceptation de la formule d'amendement. C'est un énoncé de politiques générales du gouvernement du Québec.

M. CHARRON: C'est bien normal.

M. LAURIN: Mais, là, nous vous demandons si c'est lié à votre acceptation de la formule d'amendement. C'est ça que nous voulons savoir.

M. BOURASSA: Je manquerais de respect à tous les députés de l'Opposition, même si je voulais le dire. Je manquerais de respect. Cela voudrait dire que tout ce que vous avez dit cet après-midi, cela ne vaut rien pour le gouvernement, parce que sa position est définitive. C'est ça que les députés ne comprennent pas.

M. LAURIN: Vous n'avez rien dit.

M. CHARRON: Cela ne nous surprendrait pas.

M. LAURIN: Vous n'avez rien dit jusqu'ici. Est-ce que ce n'est pas la politique traditionnelle des gouvernements du Québec d'énoncer au moins en public leur position...

M. BOURASSA: Oui, mais ça ne se fait pas. M. LAURIN: ... minimale?

M. GARNEAU: Pas un mois à l'avance. M. LAURIN: Leur position minimale.

M. GARNEAU: Demandez à votre chef de cabinet combien il en a préparé des conférences. Il sait comment cela se fait.

M. SAMSON: Le premier ministre vient de dire qu'il y aura débat à l'Assemblée nationale après, cela veut dire après la conférence de Victoria...

M. BOURASSA: On verra. M. SAMSON: ... ou...? M. BOURASSA: On verra.

M. SAMSON: Puisque vous dites qu'il y aura un débat...

M. BOURASSA: Tout dépendra des résultats... Je dis que le gouvernement ne peut rien accepter sans que ce soit soumis par résolution au Parlement. S'il n'y a pas accord, il n'y aura pas de débat.

M. LAURIN: M. le Président, une dernière question. A supposer que vous énonceriez cette politique minimale qui constituerait une condition de votre acceptation et à supposer que les trois partis ici représentés soient d'accord avec vous, ne croyez-vous pas que ça renforcerait votre position de négociation à Victoria? Ne le croyez-vous pas? Supposons que vous diriez: Je n'accepterai la formule d'amendement qu'à la condition que telle, telle et telle chose soient acceptées par mes interlocuteurs. Vous nous dites ça; à supposer qu'on l'accepte, ne pensez-vous pas que ça pourrait renforcer votre position de négociation à Victoria?

M. BOURASSA: M. le Président, on verra...

M. LAURIN: Comme ça, c'est tout le Québec qui pourrait s'exprimer.

M. BERTRAND: M. le Président, avant de demander l'ajournement à huit heures et quart, je pourrais dire au premier ministre que si, à Victoria, il n'éclaire pas plus les gens des autres provinces sur la position du Québec, je n'ai pas peur.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Moi, j'ai hâte de voir le dossier bien préparé.

M. BOURASSA: M. le Président, est-ce que...

M. BERTRAND: Huit heures et quart.

M. BOURASSA: Huit heures et quart, d'accord.

M. LE PRESIDENT: La commission suspend ses travaux jusqu'à huit heures et quinze minutes.

Reprise de la séance à 20 h 25

M. BACON (président de la commission permanente de la constitution): A l'ordre, messieurs!

M. BERTRAND: A la séance de cet après-midi, j'ai dit que je ne m'énervais pas pour la conférence de Victoria parce que, si le premier ministre ne répond pas plus là qu'il a répondu cet après-midi, il n'y aura pas de débat. Il faut dire que sa position est peut-être difficile. Je veux la comprendre, mais je déduis de certaines de ses réponses que la formule d'amendement est conditionnelle dans le sens qu'elle peut être acceptée à certaines conditions.

Parmi ces conditions, il y aurait des succès majeurs au sujet de problèmes majeurs. Je vais en prendre un, celui du domaine social. Je m'adresserai au premier ministre ou à son ministre. On dit qu'il y a des négociations à l'heure actuelle et, quand je parle du domaine social, je parle du point de vue exprimé par le ministre dans des documents officiels et dans des propos qu'il a tenus et qui reprennent les positions constitutionnnelles de son prédécesseur et des gouvernements qui ont précédé le gouvernement actuel. Il y a des négociations donc, à l'heure actuelle; je demande d'abord à quel niveau se font ces négociations.

Au niveau des ministres ou du premier ministre?

M. BOURASSA: Il y a une rencontre demain entre le ministre des Affaires sociales et le ministre fédéral de la Santé. J'ai eu des discussions là-dessus moi-même avec le premier ministre à l'occasion de la conférence fédérale-provinciale, les 8 et 9 février. Je suis allé discuter de cette question en dehors des séances, il y a eu de très nombreuses rencontres chez le premier ministre du Canada. Il y en a eu hier encore. C'est pour ça, comme je le disais tantôt, qu'il est difficile d'exprimer la position définitive du Québec. Il y avait des rencontres, hier, au niveau des fonctionnaires. Il y en aura demain au niveau des ministres.

M. BERTRAND: Non, non! mais je m'en tiens au mécanisme d'abord. On viendra plus tard, si vous voulez, au problème lui-même. A l'heure actuelle les négociations sont-elles conduites par le premier ministre ou le ministre des Affaires sociales?

M. BOURASSA: Comme l'a dit le ministre des Affaires sociales à l'Assemblée nationale, au niveau des implications techniques de la politique sociale, ça se fait entre le ministre fédéral de la Santé, M. Munro, et le ministre des Affaires sociales du Québec.

M. BERTRAND: Est-ce qu'il y a des négociations bilatérales?

Est-ce qu'il y a des rencontres également avec les autres ministres des Affaires sociales des autres provinces canadiennes?

M. BOURASSA: Il y a eu des rencontres — je pourrais peut-être demander au ministre de compléter — au cours des conférences fédérales-provinciales, des ministres des Affaires sociales.

M. BERTRAND: Où les principes énoncés par le ministre des Affaires sociales ont-ils été discutés? Le premier ministre parle de la technique. Je parle des principes parce que la politique québécoise repose sur certains principes. Est-ce qu'il y a eu des discussions avec le ministre fédéral au niveau des principes?

M. BOURASSA: Oui, d'accord il y en a eu entre les deux premiers ministres et entre les deux ministres.

M. BERTRAND: Combien y a-t-il eu de séances de négociation?

M. CASTONGUAY: Sur le plan de la sécurité du revenu, précisément, à la suite de la conférence fédérale-provinciale du mois de février, nous avons eu, si ma mémoire est bonne, une rencontre au cours du mois de mars où nous avons exposé au ministre fédéral de la Santé ce que signifiait plus précisément et plus concrètement notre position énoncée d'une façon plus générale lors de la conférence du mois de février. A ce moment-là, nous avons fait valoir dans la poursuite des objectifs qui avaient été énoncés, premièrement, la nécessité qu'il y ait un droit à des ressources financières minimales; deuxièmement, qu'il y ait des encouragements dans les mesures de sécurité de revenu face au marché du travail, qu'il y ait également compensations pour les charges familiales et une intégration des régimes de telle sorte que ces objectifs puissent être poursuivis. Nous avons exposé, plus concrètement au cours du mois de mars, la forme que cela pouvait prendre au plan des programmes et aussi les ajustements au plan de la constitution qui pouvaient en découler pour que cela soit consistant. Sur ce plan-là, nous avons repris exactement ce que nous avions exposé au mois de février, à savoir que ce qui était le plus important n'était pas tellement l'administration d'un programme donné mais la possibilité de concevoir cette politique.

Nous nous en sommes donc tenus aussi étroitement que possible aux objectifs généraux qui avaient été énoncés.

A la suite de cette rencontre, des contrepropositions ont été formulées par le ministre fédéral de la Santé il y a une dizaine de jours. C'est pourquoi, dans le cadre du discours du budget, je disais que les progrès étaient peu sensibles ou qu'il y avait peu de progrès à rapporter et que, la semaine dernière, en répon- se à une question, je pouvais dire qu'il y avait quelque peu plus de progrès.

Nous devons avoir, demain, une autre rencontre. Le ministre de la Santé a visité les autres provinces. Lors de la dernière rencontre, il m'a demandé de garder, à ce stade-ci, sa contreproposition confidentielle; ce que j'ai accepté de faire. Mais, tout en gardant cette contreproposition confidentielle, je crois que je peux donner, à tout le moins, un peu plus d'informations sur ce qui nous apparaît nécessaire si nous voulons poursuivre nos objectifs. C'est qu'au plan des allocations familiales il est important que nous ayons un régime qui compense d'une façon pas mal plus significative que ce n'est le cas présentement les charges familiales, de telle sorte que, d'une part, on agisse d'une façon plus efficace dans la lutte contre l'insuffisance des revenus et, d'autre part, qu'il ne soit pas nécessaire de compenser les charges familiales par le truchement d'une loi comme la Loi de l'aide sociale, d'une façon aussi significative que nous le faisons présentement, ce qui, forcément, fait en sorte que les individus qui ont certaines charges familiales reçoivent un niveau de prestations d'aide sociale qui entre en conflit, dans une certaine mesure, avec les revenus qu'ils peuvent obtenir sur le marché du travail.

Le salaire, sur le marché du travail, ne tient pas compte des charges familiales. Il est essentiel que la Loi de l'aide sociale ou tout programme qui la remplacerait ne tiennent pas compte dans une mesure aussi large qu'il faudrait le faire des charges familiales, pour éviter cette contradiction.

Egalement, pour que ce régime colle davantage à la réalité — la réalité, c'est celle de l'insuffisance de revenus — il faut changer le critère d'évaluation des besoins ou les critères selon lesquels l'aide est octroyée. Présentement, l'aide est octroyée à partir d'une évaluation des besoins. Ceci nous entraîne dans des enquêtes assez détaillées qui ont un certain caractère de discrimination, d'arbitraire. C'est pourquoi nous croyons essentiel que l'on se dirige vers un critère de revenus et que l'on détermine quels sont les revenus dont une personne ou une famille dispose. A partir de seuils définis, nous compenserions ces revenus, en introduisant la possibilité de cumuler des allocations sociales avec un revenu du travail, si l'on n'excède pas un certain seuil.

Ce sont des objectifs que nous poursuivons. Pour les poursuivre, l'essentiel, c'est que, d'une part, nous ayons une régime d'allocations familiales bien structuré et, d'autre part, un régime d'allocations sociales qui fait le lien avec ce régime d'allocations familiales. Ce sont les deux aspects majeurs nécessaires à la poursuite des objectifs que j'ai énoncés.

M. BERTRAND: C'est un des aspects. Maintenant, dans ces négociations, le ministre dit qu'il y a échange de propositions et que le ministre fédéral lui a demandé de conserver

confidentielles les contrepropositions qu'il a faites. Est-ce que le gouvernement du Québec, le ministre en particulier, lorsqu'il aborde d'une manière concrète l'application des principes, remet des documents aux autorités fédérales?

M. CASTONGUAY: J'ai été assez avare quant aux documents, étant donné que nous avions, il me semble, exposé aussi clairement que possible, lorsque nous nous sommes rencontrés au mois de février, notre position sur le plan des principes. Sur le plan des modalités, j'ai décrit au ministre fédéral les aspects les plus importants ou la structure du régime qui, selon nous, devrait être établi. Je ne l'ai pas fait par voie d'un document écrit, à ce moment-là. J'avais un document écrit, mais je ne le lui ai pas remis.

Nous avons remis au plan du texte de travail, en ce qui a trait aux articles de la constitution, simplement un document de travail pour qu'on comprenne bien nos objectifs sur ce plan également; mais sur le plan des dispositions, des modalités qu'il nous apparaît nécessaire d'établir en ce qui a trait à la sécurité du revenu, je ne l'ai pas fait par voie de document.

M. BERTRAND: Le ministre fédéral — ou les autorités fédérales — a-t-il déjà répondu au niveau des principes qui étaient posés par le ministre des Affaires sociales dans le document qui a été rendu public? S'il l'a fait, l'a-t-il fait par écrit?

M. BOURASSA: M. le Président, il y a une rencontre, demain, entre le ministre fédéral de la Santé et le ministre des Affaires sociales. Sur le plan des principes, précisément, il n'y a pas eu encore d'échange formel de documents. Il y a eu des discussions à différents niveaux: au niveau des premiers ministres, au niveau des ministres impliqués. Actuellement, le problème est abordé d'une façon concrète, comme vient de le souligner le ministre des Affaires sociales, notamment dans le cas des allocations familiales, et avec des objectifs précis. Si nous nous entendons sur des arrangements de nature administrative, il est clair que le gouvernement du Québec voudra se protéger pour l'avenir. C'est pourquoi nous ne voyons pas comment ceci ne pourrait pas comporter des amendements à l'article 94 a), de manière que, quel que soit le caractère satisfaisant des arrangements actuels, le gouvernement du Québec soit protégé pour l'avenir par des amendements qui sont en discussion actuellement sur l'article 94 a)en matière de politique sociale.

M. BERTRAND: Le ministre a dit, et le premier ministre également, que les pourparlers doivent se poursuivre. Au train où vont ces négociations dans ce domaine particulier, le premier ministre ou le ministre croit-il que d'ici le 14 juin prochain — l'attitude du Québec étant connue, connaissant un peu le climat de ces conférences, comme le premier ministre et le ministre les connaissent — ces négociations s'avéreront fructueuses au niveau des principes posés et des modalités que l'on discute?

M. BOURASSA: Là-dessus, le Québec a une position bien décidée. J'espère que les négociations pourront aboutir d'ici à la conférence de Victoria; les rencontres sont fréquentes à tous les niveaux.

J'aurai probablement l'occasion de rencontrer le premier ministre du Canada à son retour de voyage. Nous espérons qu'à la conférence de Victoria il y aura là-dessus entente sur la politique sociale. Mais, actuellement, il est impossible de prédire si ce sera fait à cette conférence.

M. BERTRAND: C'est parce qu'il m'a semblé entendre à la télévision, dimanche soir dernier, le premier ministre du Canada, dans une réponse à certains journalistes, répliquer assez directement aux propos du ministre des Affaires sociales du Québec, quand il a suggéré à celui-ci que, s'il voulait absolument implanter son système, il n'aurait qu'à taxer les citoyens du Québec.

M. BOURASSA: Je crois que, là-dessus, le premier ministre du Canada n'a peut-être pas... Evidemment, ce sont des réponses qui sont données comme ça à des questions, lors d'interviews à la télévision. L'ancien premier ministre en a l'expérience. J'en ai l'expérience.

M. BERTRAND: J'ai déjà reçu des réponses semblables du premier ministre du Canada. C'est pour ça que celle qu'il a donnée à la télévision ne m'a pas surpris du tout.

M. BOURASSA: Ce sont des réponses forcément partielles. La position du Québec, là-dessus, a été exprimée et elle demeure claire. Je viens de l'exprimer en disant que nous ne voyons pas comment nous pourrions nous dispenser d'un amendement à l'article 94 a), en matière de politique sociale. C'est la position que nous avons l'intention de défendre.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le premier ministre, est-ce que vous me permettriez une question pour éclairer votre position, suite à celles posées par le chef de l'Opposition officielle? Dans l'hypothèse où le gouvernement central, à la suite des négociations que vous avez engagées, ne reconnaîtrait pas les principes que vous avez mis de l'avant, est-ce que vous en faites une condition préalable à la discussion de la formule d'amendement?

M. BOURASSA: Je répondrai d'abord à la question du chef de l'Opposition.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Sans vouloir éviter la mienne...

M. BOURASSA: Au sujet de la réplique de M. Trudeau, je pense que l'interprétation qu'il a donnée de la proposition du Québec, telle que formulée par le ministre des Affaires sociales, ne correspondait pas aux propositions qui ont été faites dans le document des 28 et 29 janvier. Il n'est pas question pour le Québec de demander aux autres provinces de financer ces propositions de sécurité de revenu. Cela nous paraît, nous, une formule fonctionnelle, beaucoup plus adaptée aux besoins du Québec et qui peut, peut-être, être adaptée également à l'échelle canadienne, une formule qui évite le gaspillage des fonds publics et qui permet une incitation au travail. Ce que nous demandons, ce n'est pas que les autres provinces financent ce que nous voulons appliquer au Québec, mais c'est une liberté d'action qui nous permette d'appliquer la formule.

M. BERTRAND: Mais toute cette politique n'est-elle pas liée au transfert de points d'impôts?

M. CASTONGUAY: Voici, pour revenir...

M. BERTRAND: ... permettant par une politique fiscale beaucoup plus forte d'appliquer les principes que l'on retrouve dans la politique sociale énoncée par le ministre?

Alors là, je pose le problème, et j'appuie là-dessus parce que c'est un des problèmes majeurs, celui d'une répartition fiscale.

M. CASTONGUAY: Pour revenir à la réponse donnée par M. Trudeau, dimanche soir...

M. BERTRAND: Le ministre l'a écouté.

M. CASTONGUAY: Le ministre l'a écouté. M. Trudeau en a fait une question de coût et a donné une réponse qui laissait sous-entendre que nous demandions dans une certaine mesure un traitement de faveur. Et le problème, je crois, n'est pas celui-là. Comme vient de le dire le premier ministre, nous avons, à un certain nombre de reprises, dit que dans le domaine de la réforme des mesures de sécurité de revenu, avec les sommes qui sont présentement dépensées, dépenses publiques, nous devons en tout premier lieu rechercher une meilleure utilisation de ces dépenses publiques. Nous sommes, et je pense bien que vous serez d'accord sur le fait, dans une situation où nous ne pouvons augmenter de façon significative les impôts. Dans ce secteur en particulier, les dépenses publiques sont assez élevées que nous pouvons et nous devons rechercher en tout premier lieu une meilleure affectation, une meilleure utilisation de ces sommes. Alors, dire que ce que nous proposons signifierait pour l'atteindre que nous devons demander à l'Ontario, à la Colombie ou 1'Alberta de payer davantage ou encore de demander aux Québécois d'être taxés davantage, je crois que c'est déplacer la question.

Dans ce sens, les propositions que nous faisons et ce que nous discutions présentement ne portent pas tellement au niveau des dépenses, mais sur les objectifs à poursuivre. Et c'est pour cela que, si on en juge par la réponse donnée par le premier ministre du Canada, dimanche, on ne peut pas, je crois, à mon sens, se baser sur cette réponse à moins qu'elle conditionne toute la balance de l'approche du gouvernement fédéral pour dégager des conclusions quant à l'issue des discussions que nous poursuivons.

M. LAURIN: Si je comprends bien, comme dirait Alban Flamand...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Excusez-moi. Je reviens à la question que j'ai posée au premier ministre. Le ministre des Affaires sociales a fait état de certains principes qui sont à la base des négociations qu'il a engagées avec le gouvernement central. Dans l'hypothèse — et je reprends la question telle que je l'avais formulée — où le gouvernement central n'accepterait pas ces principes dans ce domaine des affaires sociales, dans le domaine des communications, dans tous les autres domaines que nous avons évoqués cet après-midi et sur lesquels a insisté le chef de l'Opposition, est-ce que le premier ministre en fait une question préalable à l'étude d'une formule d'amendement?

M. BOURASSA: J'ai eu l'occasion, M. le Président, de dire à plusieurs reprises et je l'ai encore répété au début de cet après-midi — est-ce que je peux reprendre le paragraphe qui me paraît peut-être pertinent à la question du député? — que cependant, nous ne pouvons sacrifier à cette impatience légitime qui existe dans toutes les provinces, y compris le Québec, sur la révision constitutionnelle, l'essentiel de nos positions en matière de révision constitutionnelle. Le problème d'une définition plus précise de la société québécoise dans l'ensemble fédéral canadien demeure fondamental et la solution à ce problème ne peut évidemment pas se satisfaire de quelques modernisations de texte ou arrangements techniques et administratifs.

Cela répond peut-être partiellement au député, mais pour compléter ma réponse, si je disais aujourd'hui: Il nous faut telle liste de choses avant d'accepter la formule d'amendement, je pense que ce serait reprendre peut-être un style qui s'est révélé — malheureusement, mais qui s'est quand même révélé — improductif dans les dernières années. Nous avons, depuis que nous sommes au pouvoir, un nouveau style de négociation. Espérons qu'il donnera des résultats concrets, mais j'ai, comme chef du gouvernement, décidé de ne pas procéder par ultimatum en disant: Si nous n'avons pas telle et telle chose... et le faire publiquement. J'ai décidé de procéder autrement et nous verrons quels résultats cela peut donner.

M. BERTRAND: Le premier ministre a son style de gouvernement de ce côté-là. Procéder par ultimatum? Le gouvernement que j'ai dirigé n'a jamais procédé par ultimatum, pas plus que mon collègue le député de Bagot n'a procédé par ultimatum alors qu'il était premier ministre. Des ultimatums ont déjà été lancés par Jean Lesage, premier ministre du Québec. Des ultimatums ont été lancés par le chef de l'Opposition qui s'appelait Daniel Johnson. Cela dans une période donnée. Mais jamais, comme premiers ministres, ni M. Johnson ni moi-même n'avons posé d'ultimatums à Ottawa.

Les négociations qui se poursuivent d'ailleurs dans certains domaines, entre autres celui-là, à la suite de l'énoncé de principe, n'ont peut-être pas été faites de la même manière, mais il y en a eu des discussions avec les ministres. C'est à la lumière de l'expérience vécue, des rencontres à huis clos, des rencontres personnelles avec certains premiers ministres que j'en suis venu à la conclusion que l'impatience dont vient de parler le premier ministre, l'impatience chez la plupart des premiers ministres, c'est d'essayer de dire: Le problème de la constitution, si vous voulez, on n'en parlera plus, on va trouver une formule d'amendement; on va trouver le rapatriement de la constitution puis le reste on le reprendra plus tard. There are more important problems. C'est là l'attitude que l'on a. L'impatience, c'est que le Québec cesse de demander une nouvelle répartition des pouvoirs. C'est en soulevant ces problèmes cet après-midi... J'invite le premier ministre à la fermeté dans ce domaine. Ce n'est pas lancer des ultimatums de dire que le Québec n'acceptera qu'à certaines conditions et que l'on veuille bien non seulement apporter des petits changements mineurs, mais apporter des changements profonds à la constitution canadienne. Leur impatience, c'est d'essayer de faire taire le Québec.

M. BOURASSA: M. le Président, le chef de l'Opposition est au courant quand même que l'Ontario exprime depuis quelque temps des revendications dans le secteur du pouvoir de dépenser dans le domaine fiscal, dans le domaine financier et dans d'autres domaines également — c'est la même chose pour la Colombie-Britanique, pour l'Alberta — qui rejoignent les revendications du Québec.

M. BERTRAND: C'est peut-être une stratégie, justement, pour affaiblir le Québec...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président...

M. BERTRAND: ... dans ses demandes. Cela va permettre au premier ministre du Canada de dire: Si le Québec le demande, voyez toutes les autres provinces le demandent.

M. BOURASSA: Pour clarifier cette question, je ne sais pas quelles sont les arrière-pen- sées du premier ministre de l'Ontario, mais je crois qu'elle a un intérêt financier à une décentralisation économique. Comme elle fournit plus que selon sa proportion de la population, peut-être la moitié des fonds fédéraux, je pense qu'elle a un intérêt pécuniaire véritable à ce que certains pouvoirs soient exercés au niveau provincial plutôt qu'au niveau fédéral. Le chef de l'Opposition dit que c'est une stratégie, mais, si on regarde la réalité des choses, on voit que c'est également l'intérêt d'autres provinces.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le premier ministre, tout à l'heure, a répondu assez évasivement à ma question. Dans sa réponse, il nous a bien laissé entendre, selon la nouvelle formule de négociation qu'il dit avoir adoptée, qu'il n'est pas prêt à faire prévaloir les principes avant la discussion possible d'amendements ou de rapatriement de la constitution, toutes ces vieilleries dont on parle depuis longtemps. Je lui pose encore une fois la question: Tous les problèmes de partage de pouvoirs, de responsabilités qui ont été évoqués engagent des principes. Nous pourrions les prendre tous en détail mais prenons-les globalement. Ils ont été évoqués, cet après-midi, de façon suffisante. Est-ce que le premier ministre considère que l'acceptation de ces principes par le gouvernement central est une condition préalable aux négociations qu'il veut entreprendre avec le gouvernement central et les gouvernements des autres Etats membres de la fédération? Si nous faisons la synthèse des positions de principe exprimées dans les différents discours des ministres et du premier ministre, nous avons quand même là un ensemble de revendications très précises, appuyées sur des principes de base. Est-ce que le premier ministre entend rappeler à Ottawa que ce sont là des conditions préalables à toute discussion sur une formule d'amendement ou la rédaction d'une nouvelle constitution? C'est ça, au fond, que nous voulons savoir du premier ministre.

M. BOURASSA: M. le Président...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est le but de cette réunion.

M. BOURASSA: ... c'est clair que le gouvernement devra annoncer publiquement sa politique sur la question fort pertinente du député. Mais étant donné que nous sommes à différents stades de négociation actuellement, je ne puis pas le faire aujourd'hui. Je puis quand même ajouter que nous considérons la question de la politique sociale comme fondamentale. Il y a trois secteurs de négociation, si nous voulons les rassembler, ou les regrouper: le secteur social, le secteur culturel et le secteur économique. Comme je le disais il y a quelques jours, nous négocions le domaine social et nous voulons le régler aussi rapidement que possible. Je ne vois

pas, comme je l'ai dit tantôt, comment nous pourrions accepter des questions de forme sans qu'au moins des problèmes de fond importants soient réglés.

Le domaine culturel, je pense que cela dépasse une simple formule d'amendement. C'est une question importante pour le Québec d'avoir sa sécurité culturelle devant les phénomènes qui existent de plus en plus et qui font que nous avons toutes les raisons d'être inquiets de notre avenir culturel, que ce soit à cause du taux de natalité ou de la question des immigrants. Là, il reste à voir si le Canada est intéressé à avoir une identité originale qui provient du fait qu'il y a deux groupes ethniques importants ou fondateurs au Canada. Cela dépasse, comme je le dis, une simple question de formule d'amendement. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas obtenir du reste du Canada les arrangements et amendements nécessaires qui nous donnent cette sécurité culturelle parce qu'autrement ce serait accepter que le Québec ou que le groupe francophone au Québec risque d'être assimilé, ce qu'aucun chef de gouvernement ne peut accepter. Alors, c'est réellement une question difficilement négociable sur le plan du principe, celui de la sécurité culturelle.

Quant à la question économique, le gouvernement croit que le Québec aura toujours des appuis. Souvent d'autres provinces seront plus résolues que nous sur la décentralisation économique parce que nous en profitons dans la mesure où nous avons un taux de chômage supérieur à ces provinces.

M. LAURIN: M. le Président, pour en revenir encore à cette question de sécurité sociale, il semble donc qu'il y ait deux problèmes en discussion actuellement: celui de l'harmonisation des régimes administratifs ou financiers, d'une part, et, de l'autre, celui de la discussion de la priorité législative, celui de la compétence juridictionnelle.

Le ministre des Affaires sociales nous dit qu'il semble y avoir des progrès dans la négociation en ce qui touche l'harmonisation des régimes.

Cependant, il ne nous a pas dit s'il y avait des progrès en ce qui concerne la discussion qui porte sur la priorité législative du Québec.

Par ailleurs, M. le premier ministre nous a dit que, pour lui, c'était un problème essentiel qui passait bien avant l'impatience des autres provinces. Il a parlé d'un amendement possible à l'article 94 a). Le premier ministre peut-il nous dire, ce soir, si lui ou son ministre ont fait, dans une contre proposition, une propostion d'amendement à l'article 94 a) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique? Si, effectivement, cette proposition a été faite, est-ce qu'une contre-proposition est venue? Dans les deux cas, jusqu'à quel point le premier ministre ou le ministre pourraient-ils rendre public le texte de cette proposition du Québec quant à l'amendement de l'article 94 a)?

M. BOURASSA : J'ai discuté avec le ministre de la Justice, M. Turner, de certaines propositions et, avec des hauts fonctionnaires, d'amendements à l'article 94 a).

M. LAURIN: Est-ce que vous avez proposé un texte?

M. BOURASSA: Des suggestions ont été faites de part et d'autre. Nous examinons précisément quels amendements doivent être apportés à l'article 94 a) pour nous donner...

M. LAURIN: Une priorité législative?

M. BOURASSA: ...une priorité. Il y a toute la question qui était à discuter et qui pourrait être discutée éventuellement, avant ou après la résolution, du pouvoir concurrentiel, de la primauté ou du pouvoir exclusif. Toutes sortes de définitions peuvent être données à ces trois droits.

M. LAURIN : Est-ce que le sens ou le but de l'amendement que vous avez proposé aurait pour effet de donner au Québec la priorité législative, la juridiction entière en matière de sécurité sociale?

M. BOURASSA: Oui, la priorité législative.

M. LAURIN: Y a-t-il eu une réponse encourageante à cette proposition?

M. BOURASSA: Le Québec et le chef du gouvernement du Québec insistent pour qu'il y ait, quels que soient les avantages des arrangements administratifs soumis, un amendement à l'article 94 a).

M. LAURIN: Par ailleurs, au mois de septembre, aussi bien vous que M. Trudeau avez dit que la discussion de la formule d'amendement et de la politique de sécurité sociale n'étaient pas liées, que c'étaient...

M. BOURASSA: Elles sont liées sans être liées.

M. LAURIN: ...deux choses indépendantes. Maintenant, en réponse à la question du député de Chicoutimi, tout à l'heure, vous avez répété deux phrases que vous nous aviez déjà dites cet après-midi. Ces phrases ne donnent pas une réponse explicite à la question du député de Chicoutimi, mais laissent entendre que c'est tellement essentiel que vous liez les deux questions et que vous ne pourrez pas donner une réponse favorable à la formule d'amendement si vous n'avez pas une réponse positive en ce qui concerne la priorité législative. Est-ce un changement de politique de votre part?

M. BOURASSA : Non. Je n'ai pas changé de politique. Cela laisse entendre ce que cela veut laisser entendre. J'ai toujours dit qu'au Québec

je ne vois pas comment... Ce n'est pas nouveau. Je l'ai dit privément, à la conférence des premiers ministres, et je l'ai dit publiquement, à la suite de la conférence. M. Trudeau a dit lui-même à la télévision que le Québec ne se contentait pas de la formule d'amendement, même s'il trouve que c'est une formule susceptible d'un accord, comme cela a été approuvé, mais que le Québec voulait également avoir d'autres secteurs.

M. LAURIN: Mais est-ce à dire que, si vous aviez une réponse négative en ce qui concerne la priorité législative, ce serait une raison suffisante pour vous de refuser la formule d'amendement?

M. BOURASSA: Le député comprendra très certainement que répondre à toutes les questions hypothétiques...

M. LAURIN: Ah! mais c'est sur un point que vous avez vous-même qualifié d'essentiel il y a dix minutes.

M. BOURASSA: J'en appelle à sa grande intelligence. J'ai suffisamment exprimé le point de vue du gouvernement cet après-midi et ce soir.

M. LAURIN: Mais, comme c'est sur un point essentiel, pouvez-vous donner une réponse qui serait dans la logique même de vos propos d'il y a dix minutes?

M. BOURASSA : La réponse que je donne ce soir, c'est que je trouverais extrêmement difficile de proposer aux Québécois, comme je l'ai dit cet après-midi dans mon texte, des arrangements techniques et administratifs qui améliorent la situation, mais qui ne vont pas au fond dans un secteur important de la révision constitutionnelle.

M. LAURIN: Dans un domaine connexe, les propos de M. Cournoyer qui, j'imagine, sont entérinés par vous, constituent sans doute le complément...

M. BOURASSA: Oui. Contrairement à ce qui existe dans votre parti, nous avons, nous, une solidarité.

M. LAURIN: Je passe là-dessus. Les propos de M. Cournoyer constituent quand même le complément indispensable de ce que le ministre, tout à l'heure, nous exposait comme la politique sociale du gouvernement. Si, sur cet autre point dont parlait M. Cournoyer en fin de semaine, vous n'obteniez pas la priorité législative, est-ce à dire que ce serait aussi une condition suffisante pour trouver très difficile, selon vos propres termes, la signature de la formule d'amendement?

M. BOURASSA: Des rencontres ont lieu actuellement.

M. LAURIN: Est-ce oui ou non? Est-ce que c'est un oui? Est-ce que vous répondez oui?

M. BOURASSA: Dans notre document qui a été lu — j'ai défini, cet après-midi, la politique sociale — il y a la question des centres de main-d'oeuvre. Admettons, au départ, que c'est une question, je ne dis pas plus discutable, mais plus technique à cause de la mobilité de la main-d'oeuvre, que posent ces centres de main-d'oeuvre aux frontières du Québec, que ce soit en Gaspésie, que ce soit à Sept-Iles ou que ce soit à la frontière de l'Ontario. Il y a là des problèmes qui se posent.

M. CHARRON: Ce n'est pas ce qu'a dit votre ministre, cependant.

M. BOURASSA: Non, non! Le ministre a dit exactement la même chose. Le député veut-il recommencer l'allure du débat de cet après-midi?

M. CHARRON: Non.

M. BOURASSA: Mais, il y a...

M. LAURIN: C'est logique.

M. BOURASSA: ... une position de principe qui peut être prise et il y a des questions pratiques qu'il faut discuter.

M. LAURIN: En somme, M. Cournoyer s'occupe du travailleur qui travaille et M. Castonguay du travailleur qui ne travaille pas. Donc, c'est logique que ce soit uni.

M. BOURASSA: C'est tout ce que nous voulons.

M. LAURIN: C'est pour ça que je vous posais la question. Si vous n'obteniez pas la priorité législative en ce qui concerne la main-d'oeuvre, est-ce que ce serait une raison suffisante pour vous de refuser la formule d'amendement?

M. BOURASSA: M. le Président, je ne peux pas ajouter plus que ce que j'ai dit.

M. BERTRAND: Est-ce que, dans ce domaine particulier de la main-d'oeuvre, les négociations se poursuivent à l'heure actuelle au niveau du ministre du Travail?

M. BOURASSA: Oui, elles se poursuivent aussi au niveau de la formation professionnelle. Pour ce qui concerne la politique sociale, il y a la question des pensions de vieillesse — il y a eu des discussions et des propositions là-dessus —

la question du régime des rentes et celle des allocations familiales. Le ministre a parlé tantôt des propositions qui avaient été faites là-dessus. La question de la formation professionnelle et la question de la main-d'oeuvre restent à discuter.

M. LE PRESIDENT (Bacon): Le député de Mégantic.

M. DUMONT: Merci, M. le Président. Dans un autre ordre d'idée, concernant surtout l'économie, il y a quelques années, un ancien premier ministre avait préparé ce que l'on a appelé le Conseil d'orientation économique. Par la voix de son président, on pouvait y lire, à "Pouvoirs et limitations du gouvernement du Québec," que le conseil avait analysé les moyens limités dont le Québec disposait pour orienter et planifier son économie.

Alors, les propositions du gouvernement du Québec étaient, à ce moment-là: "Le gouvernement du Québec n'a pas actuellement d'emprise sur certains instruments, tels que la monnaie, les douanes, la fiscalité et le crédit." Le premier ministre du temps concluait, en disant: "Le Canada français exige une décentralisation véritable des pouvoirs, des ressources et des centres de décision dans le régime fédéral."

Vu que l'on rencontre cet ancien premier ministre assez souvent dans les corridors et qu'à mon sens il est peut-être encore le véritable premier ministre du Québec...

M. BOURASSA: Ah! M. le Président.

M. CLOUTIER (Ahuntsic): Cela, c'est gentil!

M. DUMONT: ... le premier ministre peut-il nous dire si cette politique d'orientation du conseil économique du temps sera discutée lors de la conférence à Victoria?

M. BOURASSA: M. le Président, je ne sais pas si je dois commenter les remarques du député. J'ai déjà signalé que je ne voyais pas pourquoi le gouvernement du Québec ne pourrait pas profiter de l'expérience de M. Lesage. L'ancien premier ministre en a profité alors qu'il était chef de l'Opposition. Je ne vois pas pourquoi je me priverais d'un conseiller juridique comme M. Lesage.

M. BERTRAND: Vous pourriez ajouter que vous profitez de la nôtre aussi.

M. BOURASSA: Alors, ces remarques de la part du député de Mégantic, je ne dis pas qu'elles sont insignifiantes, parce que je ne veux pas alourdir le débat. Disons qu'elles sont...

M. DUMONT: Alors, parlons des quatre points que j'ai réclamés. Je parle de la fiscalité, de la monnaie. A-t-on l'intention de reprendre ce que le Conseil d'orientation économique, par la voix de son président, avait donné comme recommandations particulières, à ce moment-là?

M. BOURASSA: M. le Président, comme nous nous sommes réunis aujourd'hui non seulement pour que le gouvernement réponde aux questions de l'Opposition, mais également pour prendre connaissance des documents bien présentés des différents partis, je peux me permettre de poser des questions, moi aussi, sur ce que vous entendez par le contrôle du crédit.

M. DUMONT: Si le premier ministre le permet, cet après-midi, il a dit aussi qu'il était venu pour nous écouter. Alors, je tenais pour acquis qu'on pouvait poser des questions.

M. BOURASSA: Le député refuse-t-il de répondre aux questions que je peux lui poser sur le document qu'il nous a présenté cet après-midi?

M. DUMONT: Allez-y nous avons hâte que les questions viennent.

M. BERTRAND: Est-ce que je pourrais suggérer au premier ministre d'apporter une copie du document et de la remettre au premier ministre créditiste de Colombie-Britannique?

M. DUMONT: Que l'Opposition soit présente, c'est déjà un commencement de bonne suggestion. Est-ce que le premier ministre...

M. CHARRON: M. le Président, j'ai deux questions à poser au premier ministre.

M. BOURASSA: Si le député le permet.

M. DUMONT S'il a des questions, j'aimerais répondre au premier ministre.

M. BOURASSA: Vous voulez créer une banque du Québec. Est-ce que je comprends que vous voulez une monnaie du Québec?

M. DUMONT: Qu'est-ce que vous entendez par "créer une monnaie du Québec" quand on considère que comptabiliser la valeur de la province de Québec serait déjà une réponse à la question que vous me posez?

M. BOURASSA: Disons que nous n'allons pas éterniser le débat car le député de Saint-Jacques a probablement des questions intéressantes à poser.

M. DUMONT: J'aurais une dernière remarque, M. le Président.

M. BOURASSA: Si vous ne voulez pas répondre, soyez absolument libre. Est-ce que la Banque du Québec, cela veut dire oui ou non?

Pour prendre le même style que le député de Chicoutimi.

M. DUMONT: Est-ce que le premier ministre serait d'accord pour comptabiliser la valeur du Québec afin de pouvoir développer nos véritables richesses dans le Québec...

M. BOURASSA: Non, non!

M. DUMONT: ... et défendre ce point de vue-là à Victoria?

M. BOURASSA: Ce sont de belles grandes phrases.

M. DUMONT: Alors c'est mieux d'emprunter $6 milliards aux Etats-Unis pour la baie James.

M. BOURASSA: Mais où les prendriez-vous, dans votre cas, les $6 milliards?

M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. DUMONT: J'aurais une dernière question, si vous me le permettez, M. le Président. Je reviens encore au fait que lorsque nous avons été délégués à une conférence constitutionnelle à Ottawa par un gouvernement central qui avait quatre partis d'Opposition, deux représentants de chacun des quatre partis d'Opposition étaient présents à cette conférence qui était télévisée, aussi, à ce moment-là. Je me demande si le premier ministre a l'intention de jouer à cache-cache avec l'Opposition. Pourquoi n'invite-t-il pas l'Opposition à être présente à cette conférence de Victoria au mois de juin?

M. BOURASSA: M. le Président, j'ai réfléchi à la suggestion du député et j'ai décidé de ne pas accepter malheureusement sa suggestion. Donc, il n'y aura pas de représentants de l'Opposition à la conférence de Victoria.

M. DUMONT: Alors, on joue à cache-cache avec l'Opposition, même si nous représentons 54 p. c. de la province de Québec.

M. BOURASSA: Non. Une partie sera télévisée. Le chef du gouvernement rendra compte à l'Assemblée nationale et le député de Mégantic, je l'espère, aura l'occasion d'exprimer son point de vue, que nous écouterons avec la plus grande sérénité et la plus grande attention.

M. DUMONT: Je crois que le premier ministre a répondu ainsi à la Chambre...

M. CHARRON: Ce sera une humiliation.

M. DUMONT: ... que justement c'était innover que d'avoir des représentants de l'Opposition. Justement, je tenais à signaler que ce n'est pas une innovation puisque nous avons été invités à des conférences constitutionnelles comme telles. Je répète et redis que le gouvernement veut jouer à cache-cache avec les 54 p. c. de la population du Québec s'il n'invite pas l'Opposition.

M. BOURASSA: Je viens de répondre que tout sera soumis à l'Assemblée nationale, aux représentants des 54 p. c. qui auront toutes les occasions d'exprimer leur point de vue.

M. CHARRON: Une seule question, M. le Président. Pour ma part, je préfère ne pas assister à ce genre de rencontre, donc, ne pas joindre notre demande à celle du Ralliement créditiste. Nous serons humiliés de façon téléguidée.

M. BOURASSA: Ah! vous vous séparez? Je croyais que vous étiez réunis...

M. CHARRON: J'ai deux questions à poser au premier ministre, et j'aimerais que...

M. BOURASSA: ... que le député d'Abitibi-Ouest était déjà devenu le bras droit du député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: Ce que j'allais vous demander...

M. DUMONT: Il n'est pas manchot.

M. CHARRON: J'ai deux questions à poser, et j'aimerais que vous y répondiez le plus complètement possible. Tout à l'heure, vous avez mentionné, contrairement au ministre des Affaires sociales, qu'à un moment des négociations vous aviez présenté un projet d'amendement à l'article 94 a), lequel projet a reçu une contreproposition...

M. BOURASSA: Oui, enfin...

M. CHARRON: ... enfin, a reçu une nouvelle version, disons, une réponse de la partie fédérale et l'on est en négociations là-dessus, j'aimerais avoir des précisions sur ce projet d'amendement que vous avez fait à l'article 94 a). J'aimerais savoir si le projet que vous avez présenté stipulait — puisque vous avez dit qu'il demandait la priorité législative du Québec en matière sociale — qu'en matière sociale, selon la définition fournie par le ministre le 28 janvier 1971, le gouvernement du Québec entendait donc avoir la priorité législative — pour reprendre . vos propres mots — dans les domaines de sécurité du revenu, de la main-d'oeuvre, des services sociaux, y compris ceux qui sont reliés à l'administration de la justice, les services de santé, y compris les mesures de financement tels l'assurance-hospitalisation, l'assurance-maladie, l'habitation et le loisir.

Est-ce que, dans votre proposition d'amende-

ment à l'article 94 a), vous demandiez une priorité législative dans chacune de ces matières-là, ce qui voudrait dire que les négociations actuelles s'étendraient, outre M. Monro, à M. Andras, par exemple, pour l'habitation, à Gérard Pelletier, par exemple, pour le domaine des loisirs? Cela voudrait peut-être dire que Perspectives Jeunesse reviendrait au Québec.

Est-ce que dans votre suggestions de 94 a), c'était la définition complète de la politique sociale, telle que faite par le ministre des Affaires sociales ou si c'était une définition réduite?

J'ai une deuxième question, M. le Président, et ce sera fini. Je vais prendre d'abord la première réponse, s'il y en a une, évidemment.

M. BOURASSA: M. le Président, il y a toujours des réponses.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... évasives, allusives...

M. BOURASSA: J'ai ici la proposition de l'amendement à l'article 94 a). Disons que cela touchait à la sécurité du revenu. Il n'était pas question dans l'article 94 a) de l'habitation et des loisirs. Cela touche peut-être, du moins partiellement, le pouvoir de dépenser.

M. CHARRON: Pouvez-vous me la lire?

M. BOURASSA: Bien, il me semble que je me montre quand même...

M. LAURIN: C'est déjà mieux. C'est déjà mieux.

M. BOURASSA: Merci.

M. LE PRESIDENT (Bacon): Est-ce que le député de Saint-Jacques a une deuxième question?

M. CHARRON: J'ai une deuxième question qui m'intéresse énormément. Elle est peut-être éloignée du sujet, mais on reviendra pour les gens qui sont intéressés à en entendre parler. C'est à propos de la formule d'amendement. Elle présuppose, au départ, le rapatriement de la constitution. Rapatriement de la constitution, dans les milieux qui s'en occupent, veut dire, à toutes fins pratiques, renforcement — si le mot français — renforcement...

M. BOURASSA : Renforcement?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui. C'est à vérifier, cela vient du PQ.

M. CHARRON: ... renforcement de la souveraineté canadienne en cette matière. C'est-à-dire que c'est un renforcement de la fédération canadienne comme telle.

M. BOURASSA : Comprenant les provinces?

M. CHARRON: Oui. Est-ce que, dans l'hypothèse où vous négociez ou vous acceptez une formule d'amendement, donc que vous acceptez le principe du rapatriement, vous allez vous battre pour faire inscrire en même temps le droit à l'autodétermination du Québec, comme le demandent les trois partis de l'Opposition en Chambre?

M. BOURASSA: M. le Président, nous avons été élus sur les objectifs de faire fonctionner le régime fédéral. Donc, rien dans le mandat que nous avons reçu nous justifie, à mon point de vue et au point de vue du conseil des ministres, de demander le droit à l'autodétermination. Si nous avons actuellement un parti dont fait partie le député de Saint-Jacques, le Parti québécois, qui, lui, propose la séparation du Québec d'une façon démocratique, je ne conçois pas, évidemment, je ne prévois pas qu'un tel choix soit jamais adopté majoritairement par les Québécois. Mais, si par hypothèse et par pure hypothèse, cela devenait un choix majoritaire des Québécois, je ne vois pas en quoi ce choix, je ne vois pas pourquoi ce choix pourrait être refusé parce que le reste du Canada aurait à considérer la stabilité politique qui pourrait être impliquée par un refus de la majorité des Québécois pour la séparation du Québec. Je ne vois pas en quoi on pourrait concevoir un refus à un vote majoritaire des Québécois pour la séparation et en même temps concevoir une forme quelconque de stabilité politique au Canada.

A toutes fins pratiques, ce droit existe dans les faits et je ne vois pas en quoi le gouvernement qui a été élu pour s'associer au régime fédéral, pour faire fonctionner le régime fédéral, je ne vois pas en quoi le gouvernement que je dirige, à la lumière du mandat qu'il a reçu de la population, pourrait être justifié de demander ce droit à l'autodétermination.

M. CHARRON: Est-ce que, dans votre conception même du fédéralisme, il y a droit à l'autodétermination de chacun des Etats membres?

M. BOURASSA : Bien, là, vous rejoignez nos collègues...

M. CHARRON: C'est une question. Je n'ai pas dit que c'était ma position à moi. Je vous demande...

M. BOURASSA: D'accord. Je crois que vous vous rapprochez étroitement de la thèse soumise par le Ralliement créditiste...

M. CHARRON: C'est une question.

M. BOURASSA: ... une fusion du Parti québécois...

M. CHARRON: Nous avions atteint un niveau assez sérieux, tâchez d'y rester.

M. BOURASSA: C'est parce que vous posez une question qui est proposée dans le mémoire du Ralliement créditiste.

M. CHARRON: Oui, oui, je le sais.

M. BOURASSA: Je ne sais pas ce qu'en pensent les députés. Qu'est-ce que cela peut donner comme force centrifuge, ou centripète... Centrifuge?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans votre cas, c'est centripète.

M. BOURASSA: Le député ne manque jamais une occasion. Je ne vois pas comment le régime fédéral pourrait, subsister si les dix provinces... Dans l'hypothèse où l'Ile-du-Prince-Edouard décidait de voter l'autodétermination, un chef politique arrive et propose l'autodétermination, Le Nouveau-Brunswick...

M. CHARRON: Mais dans l'hypothèse où c'est la nation québécoise plus que l'Ile-du-Prince-Edouard.

M. BOURASSA: D'accord, mais, à la dernière élection, je ne crois pas que c'était dans votre programme. Quand vous étiez au pouvoir, M. Bertrand, est-ce que...

M. BERTRAND: Vous dites qu'en fait l'autodétermination ou le principe existe. Je dis qu'il existe non seulement en fait, mais en droit. Il y en a qui, à l'heure actuelle, dès l'instant où on pose le principe de l'autodétermination et qu'on l'accepte, y voient immédiatement du séparatisme. Ce n'est pas ça. Le principe d'autodétermination, c'est qu'un peuple puisse choisir entre, à l'heure actuelle, ce qui existe, ce qui peut être meilleur que ce qui existe, mais dans un fédéralisme, ou la séparation comme telle. Et le premier ministre l'a noté, en fait ça existe. J'ai toujours émis l'idée que ce n'est pas dans une campagne électorale qu'on pourra le savoir, c'est un référendum qui nous permettrait un tel choix parce qu'à ce moment-là la question serait claire devant le peuple. J'ai toujours dit que ce principe devait être reconnu. Quant à moi, j'y crois; d'ailleurs, M. Lévesque lui-même, à la dernière campagne électorale, a dit que, si son parti était élu avec une minorité des voix, il soumettrait à un référendum le problème de la séparation.

M. BOURASSA: Est-ce qu'il a dit ça? M. BERTRAND: Oui.

M. BOURASSA: Est-ce que M. Lévesque a dit que...

M. BERTRAND: Oui, oui, il l'a dit dans ce sens-là.

M. BOURASSA: Je ne sais pas là, le député de Bourget vous contredit à regret.

M. BERTRAND: Non, non.

M. BOURASSA: Est-ce que M. Lévesque a dit...

M. LAURIN: Je n'ai pas contredit, je reste silencieux.

M. BOURASSA: Est-ce que...

M. BERTRAND: A tout événement, M. le Président, si le député de Saint-Jacques a terminé sur le rapatriement...

M. BOURASSA: Non, mais il faudrait clarifier un point, si vous me permettez.

M. CHARRON: Bien, il faudrait que vous clarifiiez votre réponse.

M. BOURASSA: D'accord. Mais le chef de l'Opposition vient de déclarer que M. Lévesque a dit que, même s'il avait une majorité de députés, il faudrait un référendum pour qu'il y ait séparation du Québec.

M. BERTRAND: S'il avait été élu comme votre gouvernement l'est...

M. BOURASSA: Oui, minorité de voix.

M. BERTRAND: ...avec une minorité des voix; à ce moment-là, il ne prendrait pas pour acquis que cela décide du sort du Québec.

M. BOURASSA: Est-ce vrai?

M. LAURIN: Tout ce que je peux répondre, c'est que cette déclaration ne fait pas partie du programme du parti.

M. BERTRAND: Non, mais dans la pensée du chef...

M. BOURASSA: Division au sein du Parti québécois.

M. BERTRAND: ...du parti, c'est certainement implicite.

M. LAURIN: C'est comme vos ministres qui disent des choses que vous n'approuvez pas toujours.

M. BOURASSA: Donnez-moi un exemple.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le ministre des Affaires municipales a dit qu'Ottawa pou-

vait se mêler des affaires municipales; vous avez dit le contraire en Chambre.

M. BOURASSA: Non, non, ce n'est pas ce qu'a dit le ministre.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ...avec les applaudissements.

M. TESSIER: Si vous me mettez en cause, je vais faire une rectification.

M. BOURASSA: Quand le ministre a-t-il fait cette déclaration?

M. LEGER: M. le Président, pour terminer sur la question de l'autodétermination, est-ce que le premier ministre...

M. BOURASSA: Pour répondre à la question du député de Saint-Jacques, j'ai dit tantôt que...

M. CHARRON: Mieux vaut tard que jamais.

M. BOURASSA: ...la question qu'il posait était un problème politique beaucoup plus que juridique et que, s'il y avait une majorité, par pure hypothèse, de Québécois qui votaient pour la séparation du Québec, je ne vois pas en quoi ceci pourrait être refusé. Mais ce n'est pas à mon gouvernement, qui a précisément été élu contre la séparation du Québec, de faire des revendications qui n'ont pas été faites d'ailleurs, à ma connaissance, par l'ancien gouvernement.

M. LE PRESIDENT (Bacon): L'honorable député de Lafontaine.

M. CHARRON: Un instant. Ce que vient de dire le député de Missisquoi, il y a une différence entre faire inscrire pour une nation son droit à l'autodétermination et l'exercice de cette autodétermination. Elle pourrait décider de faire sa souveraineté, ce que nous lui proposons et ce qui a été adopté par une partie de la population à la dernière élection; c'est une chose, ce n'est pas de ça que je veux parler. Je ne veux même pas parler de l'option de mon parti. Je veux simplement dire que n'importe quel des quatre partis de cette Chambre peut reconnaître à la nation québécoise le droit d'avoir son autodétermination. Et si pour vous c'est si clair que ça, dans votre esprit, je ne vois pas pourquoi on refuserait ça au Québec, mais comment expliqueriez-vous la hargne que vous rencontriez à Ottawa ou à Victoria si vous arriviez avec cette proposition d'inscrire le principe de l'autodétermination?

M. BOURASSA: C'est une hypothèse qu'émet le député.

M. CHARRON: Ce n'est pas une hypothèse ou bien vous ne vivez pas dans la même société que nous autres.

M. BOURASSA: Evidemment, ce ne serait pas l'enthousiasme délirant si on arrivait avec cette proposition, mais...

M. CHARRON: Comment expliquez-vous ça?

M. BOURASSA: ... de là à dire qu'il y aurait de la hargne.

M. BERTRAND: C'est peut-être le meilleur moyen de refuser la formule d'amendement.

M. CHARRON: Comment est-ce que vous expliquez ça que ce ne serait pas de l'enthousiasme alors que c'est censé être une société qui se construit à deux peuples libres et harmonieux?

M. BOURASSA: Non, mais tantôt on parlait de la formule desdits principes d'autodétermination, je veux dire, le Ralliement créditiste...

M. CHARRON: Pourquoi croyez-vous que le gouvernement central s'opposerait à faire inscrire dans la charte, dans la constitution du Canada, dans la nouvelle constitution du Canada, le principe d'autodétermination? Pourquoi croyez-vous qu'il s'opposerait à ça?

M. BOURASSA: Ce serait une bonne question à poser au premier ministre du Canada. D'ailleurs, elle lui a été posée.

M. LAURIN: On n'a jamais signé l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Cela n'a jamais été accepté au Parlement de Québec.

M. BOURASSA : Même par prescription?

M. LE PRESIDENT (Bacon): Le député de Lafontaine.

M. LEGER: M. le Président, que ce droit à l'autodétermination soit inscrit dans le préambule de cette constitution, est-ce que le premier ministre calcule que c'est contraire à la politique de son gouvernement, qui s'est fait élire sur un principe fédéraliste, de le demander?

M. BOURASSA: J'ai dit que je ne vois pas à la lumière du mandat que j'ai reçu de la population... Il y a quand même 76 p. c. de l'électorat ou 76.4 p. c. qui a voté pour le régime fédéral, alors...

M. LEGER: C'est-à-dire qu'il n'a pas voté pour le régime...

M. CLOUTIER (Ahuntsic): C'est d'ailleurs, M. le Président, contraire au principe d'une fédération. Cela pourrait cadrer avec le principe d'une confédération qui constitue par définition une association d'Etats qui sont dotés

d'une certaine souveraineté, mais je ne crois pas qu'il soit possible, même en droit, certainement pas en fait, que dans une fédération on puisse permettre aux parties constituantes de sortir de la fédération sans remettre même son existence en cause.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Le ministre devrait relire Duverger sur ces notions-là et relire la constitution canadienne.

M. CLOUTIER (Ahuntsic): C'est une opinion.

M. CHARRON: Alors, cela veut dire quel droit pour la fédération à ce moment?

M. LEGER: M. le Président, le premier ministre nous a convoqués quand même pour obtenir les positions des partis dans le but de s'éclairer davantage pour arriver à Victoria avec des propositions concrètes. Devant le fait que les trois partis de l'Opposition se sont quant même tous les trois prononcés contre la formule Trudeau-Turner, est-ce que le premier ministre accepte encore le principe que c'est susceptible d'un accord?

M. BOURASSA: Bien, le gouvernement c'est moi qui le dirige, ce n'est pas l'Opposition.

M. LEGER: Non! non! Si vous avez demandé aux trois partis de l'Opposition de s'exprimer, est-ce que vous ne voyez pas des réserves, quand même, à vous présenter à Victoria sachant que les trois partis de l'Opposition s'opposent à cette formule d'une façon unanime?

M. BOURASSA: Je sais aujourd'hui que les trois partis de l'Opposition s'opposent à la formule d'amendement. La réunion aura été utile sous ce rapport...

M. LEGER: Cet après-midi, le député de Bourget...

M. BOURASSA: ... sur le plan de l'information.

M. LEGER: ... vous avait posé une question vous demandant quelle avait été la participation du Québec, minimale ou maximale, à l'élaboration de la formule Turner-Trudeau et je me disais justement qu'à la suite d'une déclaration que le ministre a faite lui-même au magazine Maclean: "Je ne m'attendais jamais à ce que les autres provinces et le gouvernement fédéral en mettent une formule au point aussi rapidement.. Je pensais qu'ils attendraient au moins un an et demi." Cette surprise, est-ce qu'elle n'est pas révélatrice de l'origine non québécoise de cette formule? Est-ce que ça ne démontre pas que le gouvernement du Québec n'a pratiquement pas participé à l'élaboration de la formule Turner-Trudeau, que ça lui a un peu été imposé?

M. BOURASSA: Bien non, le ministre dit qu'il ne s'attendait pas... Moi, non plus, je ne m'attendais pas à ce qu'on en vienne à un accord, mais on a fait des concessions.

M. CHARRON: Ce n'est pas le ministre, c'est vous. C'est vous qui avez dit ça.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est de vous qu'on parle.

DES VOIX: C'est vous.

M. BOURASSA: Ah! c'est moi, je ne parlais pas.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est l'article là, dans lequel vous vous rasez...

M. CHARRON: ... de vous rejoindre.

M. BOURASSA: Vous voyez, M. le Président, vous voyez une expression spontanée de la solidarité au sein du conseil des ministres. Je m'excuse, je croyais que le député parlait d'un autre ministre, et je lui ai dit...

M. CHARRON: Vous avez tellement l'habitude de ne pas le dire aux ministres...

M. BOURASSA: Non, non, je lui ai dit que moi aussi j'étais d'accord. Alors c'est moi qui avais fait cette déclaration? Vous voyez la preuve.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... une photo ou vous vous rasiez. Vous rasiez tout le monde en même temps.

M. LE PRESIDENT (Bacon): Le député de Saint-Laurent.

M. PEARSON: M. le Président, je n'entrerai pas dans les détails, je m'en tiendrai à un jugement général ou global sur le sujet. Je ne suis pas membre du cabinet des ministres, donc je ne connais pas plus le dossier... en somme, que l'Opposition. Je suis donc obligé de me limiter à des généralités.

M. BERTRAND: Est-ce que cela veut dire, M. le député de Saint-Laurent, que le caucus du parti n'a jamais été consulté sur la formule d'amendement à la constitution?

M. PEARSON: Je m'en tiens à ce que j'ai dit.

M. BOURASSA: Nous avons eu un caucus les 26 et 27 avril...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Avant le show du Colisée?

M. BOURASSA : Je comprends que cela vous a donné la jaunisse, ce rassemblement de 10,000 militants...

M. PEARSON: Est-ce que je peux continuer, M. le Président?

M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de Saint-Laurent.

M. BERTRAND: Nous écoutons le député de Saint-laurent.

M. PEARSON: Donc, je me limiterai tout simplement à des généralités. Je suis toutefois conscient de la réalité présente.

On peut facilement, de toute façon, prendre connaissance de ma pensée dans mes discours du 20 novembre et du 18 mars concernant l'urgence et la nécessité de travailler vite dans le domaine de la constitution canadienne. Pour être logique avec moi-même et pour qu'on puisse dire que j'ai de la suite dans les idées, si on se donne la peine d'analyser l'évolution de ma pensée en ce domaine, suivant les informations du dossier que je possède, premièrement, cette conférence, à mes yeux, sera la dernière ou la première. La première si son résultat ouvre les portes toute grandes sur l'avenir. La dernière si elle continue à se refermer sur le passé. Alors, elle servira d'indicateur pour un nouveau réalignement des partis et des hommes politiques. De plus en plus d'hommes publics se rejoignent sur le fait que l'enfant né en 1867 est infirme en 1971, que la constitution actuelle est désuète, paralysante et qu'elle ne correspond pas très bien à la réalité. Elle devient presque le symbole du statu quo contre la vie, contre le désir de vivre et de s'épanouir au moins pour une des parties constituantes, une de ses parties les plus dynamiques.

La révision lente connue jusqu'à maintenant, si elle continue, provoquera, à mes yeux, inévitablement l'impatience. Donc, nécessité urgente d'une nouvelle constitution, tenant compte du réel de 1971, par la raison. Sinon, personne ne pourra empêcher qu'elle ne se fasse dans l'impatience. Pour moi, les 14, 15 et 16 juin seront des dates historiques. Elles seront un début ou une fin. Ici, pour terminer, je me pose une question. Etant donné l'importance de cette rencontre, je me demande — c'est simplement à titre de suggestion, parce que je n'ai pas de vote — si le fait d'accepter comme observateurs des membres de la commission de la constitution ne serait pas un moyen de signifier au gouvernement fédéral et aux autres provinces l'importance et l'urgence que le Québec attache à cette rencontre.

M. BOURASSA: M. le Président, si j'ai bien compris le chef de l'Opposition, est-ce...

M. DUMONT: M. le Président, je me permettrais de faire une remarque. Est-ce que le premier ministre pourrait répondre à la question?

M. BOURASSA: J'ai déjà répondu.

M. DUMONT: Je voudrais savoir s'il donne la même réponse au député.

M. BOURASSA: Oui, oui! J'ai déjà répondu à cette question. Est-ce que le chef de l'Opposition s'est opposé à la formule d'amendement comme formule d'amendement?

M. BERTRAND: D'abord, on me permettra, comme membre de la commission, de féliciter le député de Saint-Laurent du courage qu'il a manifesté en exprimant son opinion d'une manière aussi franche et nette. Je crois qu'il est toujours difficile pour un membre d'un parti au pouvoir de le faire. Mais je le félicite.

M. PEARSON: M. le Président, si vous me le permettez...

M. BERTRAND: Quant à la formule d'amendement...

M. PEARSON: Est-ce que vous me permettez une remarque? Si je l'ai fait, ce n'est pas en opposition.

M. BERTRAND: Non, non, non!

M. PEARSON: C'est parce que j'ai senti, en somme, un climat ici qui permettait non seulement...

M. BERTRAND: Je ne l'ai pas pris dans ce sens-là.

M. PEARSON: ...à l'Opposition, mais également à chacun des membres d'exprimer sa pensée sur le sujet.

M. BERTRAND: Je ne l'ai pas pris dans le sens vilain du mot.

Au sujet de la formule d'amendement, je puis dire ceci: C'est qu'à chacune des conférences fédérales-provinciales, surtout le procureur général de la Colombie-Britannique insistait pour que nous adoptions une formule d'amendement. Il y est revenu à plusieurs reprises et faisaient écho à sa demande plusieurs procureurs généraux des autres provinces. Immanquablement, on en revenait à l'acceptation par le Québec de la formule Fulton-Favreau et au refus qu'avait dû forcément, par la suite, signifier le premier ministre du Québec d'alors.

On s'en souvient. Cela fait partie de l'histoire. J'en ai parlé, je pense, dans la déclaration qui est versée intégralement au journal des Débats de ce jour. C'était toujours le problème : Pourquoi ne pas s'entendre sur une formule d'amendement? C'est pour cela que j'ai dit au premier ministre que la conférence a toujours

un aspect psychologique. Cela se passera en Colombie-Britannique, ce sur quoi nous insistons. Immanquablement, autant M. Johnson que moi — et là je fais part de certaines entrevues qui peuvent être "fireside chat". Je crois que cela fait partie de l'histoire politique — disions qu'une formule d'amendement à la constitution devait compléter le travail d'une nouvelle répartition des pouvoirs en matière fiscale, des pouvoirs juridictionnels en tenant compte du point de vue du Québec, des pouvoirs que le Québec pouvait vouloir exercer et que les autres provinces préféraient céder au gouvernement fédéral.

Autrement dit, les problèmes fondamentaux. Je les englobe tous, on y a fait allusion depuis les débuts. Et, règle générale, la réponse était: Il faut s'entendre d'abord sur une formule d'amendement.

M. BOURASSA: Si je comprends bien, l'attitude du chef de l'Opposition, vis-à-vis de la formule d'amendement, comme dans la question que je lui posais tantôt; est-ce qu'il est contre la nature de la formule d'amendement ou s'il est contre le "timing" ou le fait qu'elle soit...

M. BERTRAND: J'ai dit ceci: La formule d'amendement, dans un Etat fédéral, c'est...

M. BOURASSA: Non, mais la nature, le contenu.

M. BERTRAND: La formule d'amendement Fulton-Favreau était absolument inacceptable.

M. BOURASSA: D'accord.

M. BERTRAND: Celle-ci, je l'ai dit et je l'ai écrit, est plus souple, plus flexible et moins compliquée. Tous ceux qui l'ont examinée, M. Faribault, M. Jacques-Yvan Morin...

M. BOURASSA: Est-elle susceptible d'un accord?

M. BERTRAND: C'est-à-dire qu'on pose ce problème comme priorité. Je dis non parce que je n'aurais jamais accepté...

M. BOURASSA: Non! Nous n'avons pas dit que c'était la seule priorité.

M. BERTRAND: Non, non! Entendons-nous. Ne jouons pas sur les mots.

M. BOURASSA: Non, non! j'ai exprimé...

M. BERTRAND: Ne jouons pas sur les mots. Je prends comme texte le communiqué prioritaire...

M. BOURASSA: Non, mais vous fabriquez la dernière phrase.

M. BERTRAND: Je dis que cette formule, dans un Etat fédéral, pourrait être acceptable mais à la fin et non pas au début. Autrement dit, si vous voulez une révision en profondeur de la constitution, elle doit compléter le travail et non pas le précéder.

M. BOURASSA: Le chef de l'Opposition ne répond pas à ma question.

M. BERTRAND: Oui. Vous avez mon opinion.

M. BOURASSA: Non, non!

M. BERTRAND: Elle est plus souple, elle est plus acceptable, elle est moins compliquée. C'est une formule que, dans un Etat fédéral, on peut accepter...

M. BOURASSA: Bon! C'est cela que je voulais...

M. BERTRNAD: ... mais à la fin des travaux de la révision constitutionnelle...

M. BOURASSA: Il y a une distinction.

M. BERTRAND: ... quand les parties ont démontré qu'elles acceptent de remettre en cause les fondements de la constitution.

M. BOURASSA: C'est une question d'opinion, c'est-à-dire que...

M. BERTRAND: C'est plus qu'une question d'opinion.

M. BOURASSA: Non, non! L'ancien chef du gouvernement dit: Nous devons accepter la formule à la fin. Le chef du gouvernement actuel se dit: Est-ce que...

M. BERTRAND: C'est-à-dire comme complément d'une révision en profondeur mais pas au départ.

M. BOURASSA: D'accord. Mais ce n'est pas la position du gouvernement...

M. BERTRAND: Il y a une distinction fondamentale.

M. BOURASSA: ... actuel que la formule soit acceptée au départ. La position du gouvernement actuel n'est peut-être pas que la formule soit acceptée à la fin parce que je ne vois pas comment nous pouvons régler toutes les questions, étant donné cette réalité mouvante à laquelle je me référais cet après-midi. Mais je dis que, si nous acceptons cette formule d'amendement et que nous pouvons obtenir satisfaction dans des secteurs majeurs, comme le disait cet après-midi le chef de l'Opposition, il y a là certainement lieu, à notre sens, de considérer

l'acceptation de la formule d'amendement qui, intrinsèquement — je suis d'accord avec le chef de l'Opposition — n'est pas mauvaise. Mais est-ce qu'on doit attendre à la toute fin? C'est à mon gouvernement d'examiner si ceci ne comporte pas des risques quant à la marche de la révision constitutionnelle, parce que nous ne sommes quand même pas les seuls à négocier. Nous avons à négocier avec des partenaires. C'est à nous de faire preuve de jugement de manière que le Québec récolte le maximum d'avantages dans cette révision et d'utiliser la stratégie la plus efficace.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le premier ministre...

M. LAURIN: Mais quels avantages pourriez-vous bien trouver à l'accepter, par exemple?

M. BOURASSA: Pardon?

M. LAURIN: Etes-vous capable de nous démontrer les avantages que votre gouvernement aurait à accepter cette formule d'amendement pour le moment? Serait-ce très compliqué?

M. BOURASSA: J'ai dit tantôt que le gouvernement considérait...

M. LAURIN: Qu'est-ce qui presse tellement d'accepter cette formule?

M. BOURASSA: C'est pour cela que nous négocions dans d'autres secteurs, que nous négocions la question de la politique sociale.

M. LAURIN: Les autres provinces sont pressées mais, nous, pourquoi serions-nous pressés?

M. BOURASSA: Les autres provinces décideront ce qu'elles voudront et le gouvernement décidera ce qu'il faudra faire pour le Québec.

M. LAURIN: Il n'y a que des dangers et des risques à l'accepter immédiatement.

M. BOURASSA: Tout dépend avec quel secteur.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Premier ministre, vous nous avez réunis pour nous faire connaître...

M. BOURASSA: Et pour vous entendre.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... d'abord le point de vue du gouvernement et en même temps avoir notre opinion sur le point de vue du gouvernement. Or, nous avons procédé à l'inverse cet après-midi.

M. BOURASSA : Vous avez déposé vos mémoires...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous vous avons présenté notre point de vue sachant très bien que vous répondriez de la même façon que vous l'avez fait quand nous vous avons interrogé en Chambre. Nous avons entendu le Parti québécoise qui a déposé un document fort intéressant sur les mécanismes de la formule d'amendement.

Nous avons eu aussi le document du Ralliement créditiste qui nous a été lu par M. Samson, ça été un cours sur l'histoire du Canada actuelle récité par une vieille institutrice retraitée qui se convertit...

M. DUMONT: ... plus de clarté...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... à la dernière minute et nous n'avons pas encore pris connaissance de la position du gouvernement. Le Chef de l'Opposition officielle, pour sa part, a exprimé le point de vue de notre parti, et tout à l'heure il vous a indiqué ceci: Que toutes les questions de principe que j'indiquais tout à l'heure comme questions préalables devaient être réglées avant que l'on s'attelle à la tâche de cette question de formule d'amendement, etc.

En définissant les principes avec le gouvernement central et les gouvernements des Etats membres de la fédération, et en marquant les questions majeures qui doivent faire l'objet des revendications du gouvernement du Québec, vous établiriez la politique du gouvernement du Québec et cela vous permettrait par la suite, si le gouvernement central et les autres gouvernements acceptent les conditions du Québec, d'examiner le problème de la nouvelle constitution, ce qui vous dispenserait évidement de vous pencher trop longuement sur le problème de cette formule d'amendement que l'on propose.

En ce qui me concerne, la formule d'amendement qu'on nous a proposée, je la trouve inacceptable à tous égards.

M. BOURASSA: Contrairement à votre chef.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, n'allez pas trop vite, vous êtes jeune, n'allez pas trop vite.

M. BERTRAND: Il va donner raison.

M. BOURASSA: Vous n'êtes pas tellement plus vieux que moi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis habitué de donner un cours à des plus jeunes que moi. Alors, M. le Président, ce que disait tout à l'heure l'institutrice retraitée ou tout à l'heure le chef de l'Opposition officielle a déclaré que les mécanismes d'amendement dont on parle pourraient être acceptables mais à la fin, lorsqu'auront été définies toutes les questions qui sont...

M. BERTRAND: C'est exactement ce que j'ai dit.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... des questions de principe. Je vais vous donner un exemple.

M. BOURASSA: Mais, intrinsèquement.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, M. le Président.

M. BOURASSA: Puis-je me permettre respectueusement?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ordinairement, M. le Président, je donnais le cours et après ça je disais aux étudiants: Avez-vous des questions à poser?

Alors, si le premier ministre me permet, je vais procéder de la même façon pour l'aider à se calmer alors...

M. BOURASSA: Mauvaise formule pédagogique, M. le Président.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Là on peut diverger selon que l'on est piagiste ou duverniste, etc.

Alors, M. le Président, le chef de l'Opposition a déclaré tout à l'heure que la formule pourrait être éventuellement acceptable...

M. BOURASSA: Il est allé un petit peu plus...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... mais à condition que l'on se soit entendu auparavant sur tous les principes de base et sur tous les champs de compétence que doit réclamer le gouvernement du Québec.

Or, la réunion que nous tenons à l'heure actuelle devait servir à nous éclairer sur les priorités du gouvernement du Québec, celles qui doivent faire l'objet, qui doivent constituer les éléments majeurs de ce dossier bien préparé que le premier ministre se doit de présenter à la conférence de Victoria.

Or, nous ne savons pas du tout vers quoi se dirige le gouvernement du Québec, quelles sont ses priorités et nous ne savons pas du tout s'il a l'intention de poser ce que j'appellais tout à l'heure les questions préalables.

Est-ce que le gouvernement central et les gouvernements des Etats membres de la fédération sont prêts à accepter que le Québec reprenne possession de certains domaines de sa compétence, que ces domaines soient élargis dans toutes les matières que nous avons évoquées; après quoi, il pourra entreprendre le travail de la révision constitutionnelle? C'est dans ce sens que j'entends la proposition du chef de l'Opposition qui dit: Ce pourrait être acceptable à la fin, quand nous aurons obtenu ce que nous voulons obtenir et que nous aurons ensuite à le consacrer dans un nouveau texte constitutionnel.

L'attitude du chef de l'Opposition est extrêmement prévoyante. Elle est extrêmement prudente et elle ne pose pas, au départ, le principe que l'on accepte une formule d'amendement; après quoi, l'on regarde ce que l'on pourrait mettre dans cette nouvelle constitution. Ce n'est pas comme cela que nous avons procédé, jamais, quand nous avons négocié avec le gouvernement central.

J'étais très heureux, tout à l'heure, d'entendre le député de Saint-Laurent nous donner son opinion sur cette conférence constitutionnelle. Cette conférence constitutionnelle peut être, comme l'a dit le député tout à l'heure, la première ou la dernière, selon que le gouvernement exposera, une fois pour toutes, les desiderata du Québec et qu'il indiquera aux autres gouvernements qu'il entend prendre l'initiative dans des domaines qu'il considère comme siens ou au sujet de certains pouvoirs dont il nous dit qu'il a l'intention de les réclamer. Je reviens à la question initiale que j'ai posée au premier ministre cet après-midi et si je n'ai pas de réponse, je continuerai de dire que la réunion que nous avons eue n'avait pas de raison d'être: Quel est exactement le dossier du gouvernement? Quelles priorités entend-il faire valoir? Considère-t-il que toutes ces priorités sont les questions préalables à l'acceptation de la discussion d'une quelconque formule d'amendement?

M. BOURASSA: M. le Président, comme j'ai été, moi aussi, professeur, j'ai ma propre formule pédagogique. Je me répéterai parce que je m'aperçois que l'étudiant Tremblay est quelque peu entêté.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Comme j'ai dû répéter mes questions parce que l'étudiant Bourassa n'était pas très brillant, qu'il n'a pas saisi tout de suite. C'est une reprise d'examen, ce soir.

M. BERTRAND: Si cela continue, les autres élèves vont contester.

M. BOURASSA: Personne ne conteste l'importance de la conférence de Victoria, que ce soit de ce côté-ci ou de l'autre côté et même dans les autres provinces. Le gouvernement fédéral lui-même, en tout premier lieu, peut-être encore plus que le Québec, de même que M. Trudeau, accordent une grande importance à cette conférence de Victoria. J'ai dit que je comprenais la stratégie du chef de l'Opposition sans l'accepter dans l'état actuel des négociations. Sa stratégie est de tout régler et d'accepter la formule d'amendement. Je ne crois pas que, si j'adoptais actuellement cette stratégie, je ferais avancer les choses dans le domaine de la réforme constitutionnelle. Je dis ceci en con-

naissance de cause, après plusieurs réunions, après avoir rencontré les premiers ministres.

Il peut arriver que certains premiers ministres des autres provinces disent: Nous, cela fait 103 ans que nous sommes avec l'Acte de 1867, continuons. Mais où allons-nous? Quel progrès faisons-nous? C'est à moi et au gouvernement actuel de décider de la stratégie la plus efficace. Cette formule d'amendement constitue un avantage tactique pour le Québec. Je dois voir jusqu'à quel point le Québec doit utiliser cet avantage tactique pour régler des questions qui lui paraissent fondamentales. J'ai mentionné comme exemple le cas de la politique sociale.

J'ai dit, et je suis forcé de répéter que, dans le cas de la politique culturelle ou de l'avenir culturel des Québécois, cela dépassait toute espèce d'approche juridique, de formule d'amendement ou de question de forme ou de technique. Parce que cela va réellement au coeur de l'avenir des Québécois francophones.

Quant à la question économique, je pense que ce n'est pas l'acceptation ou le refus de la formule d'amendement qui peut modifier tellement le partage économique. Le Québec, je l'ai dit à plusieurs reprises...

M. LAURIN: Est-ce que je peux interrompre le premier ministre pour lui poser une question?

M. BOURASSA: Oui.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si sa pédagogie le lui permet.

M. LAURIN: A supposer que vous obteniez gain de cause dans certains de ces thèmes majeurs que vous mentionniez et que vous signiez la formule d'amendement, de quel levier, de quelle arme tactique disposeriez-vous par la suite pour obtenir, des autres provinces et du gouvernement fédéral, les amendements en ce qui concerne cette politique culturelle qui semble vous tenir tellement à coeur?

M. BOURASSA: Bien, c'est curieux que vous me posiez cette question-là, parce que...

M. LAURIN: Je ne vous demande pas d'interpréter ma question...

M. BOURASSA: Non, non! le fait même de la présence d'un parti qui, disons, est arrivé second...

M. LAURIN: Je chausse vos bottes pour un instant. Je ne vous demande pas de vous mettre dans les miennes.

M. BOURASSA: Mais pourquoi...

M. LAURIN: Est-ce une façon de ne pas répondre à la question?

M. BOURASSA: Non, non! mais disons que je veux essayer de répondre à la question du député. Pourquoi les autres provinces et le gouvernement fédéral refuseraient de satisfaire nos exigences culturelles? J'ai parlé de souveraineté culturelle dans un fédéralisme économique; cela me paraît la formule, beaucoup plus que la séparation ou l'indépendance...

M. LAURIN: Pour la même raison, M. le premier ministre, qu'elles n'ont jamais fait droit aux demandes des minorités francophones dans les autres provinces, pour la même raison que nos demandes de rapatriement des pouvoirs n'ont jamais été acceptées aussi.

M. BOURASSA: La situation a évolué. On verra...

M. CHARRON: Pour donner un exemple au premier ministre...

M. BOURASSA: Non, mais si je peux terminer ma réponse. Je pense que la question est fondamentale...

M. CHARRON: D'accord, allez-y, je vous donnerai un exemple après.

M. BOURASSA: ...et vous pourrez donner des exemples par la suite.

M. CHARRON: D'accord. Allez-y.

M. BOURASSA : En termes budgétaires, qu'est-ce que cela veut dire, l'aspect culturel? Peut-être 1 p. c. ou 2 p. c. du budget. Mais, nous, cela nous donne une sécurité...

M. CHARRON: Vous avez une conception étroite de la culture.

M. BOURASSA: Non, je donne cela sur le plan de la négociation. C'est plus facile quand les conséquences budgétaires sont minces. Cela nous donne une sécurité à laquelle nous ne pouvons renoncer d'aucune façon. Pourquoi le reste du Canada s'opposerait-il à des demandes de la sorte du Québec? Demandes sur lesquelles nous ne pouvons pas négocier.

M. LAURIN: Est-il tellement sûr que le culturel ne représente que 1 p. c. ou 2 p. c. au point de vue économique? Quand on voit toute l'installation que peut nécessiter un système québécois de communications, quand on voit les influences culturelles que la politique fiscale...

M. BOURASSA: Regardez le dernier budget fédéral.

M. CHARRON: L'éducation permanente et les loisirs.

M. BOURASSA : Regardez le dernier budget fédéral. Il ne faut pas mélanger la politique sociale et la politique culturelle. C'est, disons, en gros, et je ne peux pas aller plus loin que je le fais ce soir, la stratégie du gouvernement actuel, quitte à ce qu'elle soit révisée...

M. LAURIN: Mais ne reconnaissez-vous pas quand même qu'une fois que vous aurez signé une formule d'amendement, à quelque avantage que ceci aurait pu conduire, vous aurez perdu la seule arme qui vous reste pour obtenir d'autres amendements dans d'autres domaines?

M. BOURASSA: Non, parce que la stabilité politique du Québec et, par conséquent, du Canada sera impossible à concevoir ou à réaliser si nous n'avons pas les pouvoirs culturels dont nous avons besoin.

M. CHARRON: Je vais vous donner un exemple, M. le premier ministre, comme quoi, même dans le domaine culturel, vous ne seriez pas sûr d'avoir tout l'appui nécessaire que vous escomptez presque miraculeusement des autres parties. Dans la formule d'amendement elle-même, susceptible d"'accords", il y a une entente qui dit que, dans les écoles, on garantirait dans le préambule de cette nouvelle constitution, le français et l'anglais dans les écoles.

Vous avez exprimé, au moment de la conférence de février, des réserves...

M. BOURASSA: J'ai exprimé des réserves, oui.

M. CHARRON: ... que vous aviez quant au fait de "constitutionnaliser" le fameux projet de loi 63.

M. BOURASSA: Oui, oui, je m'y suis opposé.

M. CHARRON: Parce que non seulement l'aspect le plus détestable de ce projet de loi serait devenu constitutionnel, donc à peu près intouchable pour nous, mais l'aspect le plus heureux qu'il pouvait avoir — celui qui, présentement, est épaulé par le règlement no 6 du ministère de l'Education et Dieu sait comment le ministre de l'Education a de la difficulté à le faire respecter actuellement dans les milieux anglophones — deviendrait par le fait même anticonstitutionnel et on ne pourrait plus obliger l'enseignement du français dans les écoles anglaises. Vous savez très bien le "back-lash" que vous auriez. Actuellement, vous l'avez déjà face à votre règlement no 6. Alors, déjà, dans la seule formule d'amendement dans le domaine culturel qui vous tient tellement à coeur, vous vous coupez d'un outil fantastique. Le jour où nous déciderons, par exemple — ce qui devrait être normal chez nous — d'envoyer les immigrants aux écoles françaises, nous serons constitutionnellement incapables de le faire.

M. BOURASSA: Bien oui, mais ce n'est pas dans la formule d'amendement. Cela fait partie des droits linguistiques. J'ai laissé parler le député parce qu'il s'exprime d'une façon agréable, ce soir, contrairement à cet après-midi, mais il parle complètement à côté de la question.

M. LAURIN: On ne fait pas de commentaires sur vos déclarations.

M. CHARRON: Je n'ai pas dit que c'était dans la formule. La formule Turner comporte...

M. BOURASSA: Non, mais si vous permettez que je revienne à cette question parce que, là, vous posez une question sur les droits linguistiques alors qu'on parle de la formule d'amendement. Mais je pense que l'approche du chef parlementaire...

M. CHARRON: C'est parce qu'ils vont vous le faire avaler d'un bloc.

M. BOURASSA: ... est trop légaliste. C'est une question de force politique. Est-ce qu'on veut la stabilité politique au Canada? On n'aura pas la stabilité politique au Canada, quelles que soient les formules d'amendement...

M. LAURIN: Ce serait la meilleure façon de l'éviter.

M. BOURASSA: ... si on n'a pas les deux objectifs dont je parlais il y a quelques jours et dont j'ai parlé cet après-midi.

M. LAURIN: Si vous n'obtenez pas les amendements dans le champ culturel avec l'arme tactique que vous avez, on peut vous prédire, à coup sûr, que la tension va continuer au Québec, tant que ces amendements au point de vue culturel n'auront pas été obtenus. Ce serait donc une raison supplémentaire pour que, toute de suite, vous exigiez ces amendements afin de stabiliser.

M. CHARRON: C'est ça.

M. LAURIN: Autrement, vous allez être obligés de compter, encore une fois, sur des forces populaires pour faire rendre raison aux autres provinces qui ne verraient pas le bien-fondé d'accorder au Québec les amendements culturels qu'il demande.

M. BOURASSA: J'ai discuté avec plusieurs premiers ministres. Je ne dis pas que tous les premiers ministres... Je ne peux pas parler au nom des premiers ministres sans leur permission. Moi, je ne suis pas aussi pessimiste que le député, mais je comprends très bien l'expression de son point de vue et j'en tiendrai compte.

M. LE PRESIDENT (Bacon): Le député de Mégantic.

M. BOURASSA : J'aimerais poser une question au député de Mégantic. Est-ce que le député de Mégantic est d'accord avec le chef de l'Opposition que la formule en soi n'est pas mauvaise, mais que c'est une question d'opportunité de l'accepter qui est en cause?

M. DUMONT: Nous pourrions aller à Victoria et vous le dire.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): Ce n'est pas ce qu'il a dit.

M. BERTRAND: Je demande au premier ministre de faire ses déclarations, de les faire précises et complètes et de me laisser les miennes. Jamais, je n'accepterais cette formule d'amendement...

M. BOURASSA: Cela, vous l'avez dit, mais ce n'est pas ce que je dis. Avec tout le respect que je dois à l'ancien premier ministre...

M. BERTRAND: Ne me mettez pas dans la bouche des mots que je n'ai pas prononcés.

M. BOURASSA: Non, non! Je crois que ce qui distingue actuellement l'ancien premier ministre du chef du gouvernement, c'est une question d'opportunité d'acceptation. Tous les deux, nous trouvons que la formule n'est pas si mauvaise que ça.

M. BERTRAND: Ah non!

M. BOURASSA: Alors, comment...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Répétez pour qu'il comprenne.

M. BERTRAND: Il y a des problèmes fondamentaux dans une révision de la constitution...

M. BOURASSA: Bien, est-ce que je peux terminer? J'ai dit que la formule intrinsèquement, per se...

M. CHARRON: Ce n'est pas Machiavel, c'est Batman!

M. LE PRESIDENT (Bacon): La parole est au député de Mégantic.

M. BOURASSA: Non, est-ce que la formule per se, l'ancien premier ministre a dit tantôt...

M. DUMONT: Le président m'avait donné la parole mais avec tout le respect que je vous dois, je vous permets de...

M. BOURASSA: C'est parce que c'est là un point important. L'ancien premier ministre, le chef de l'Opposition, a dit tantôt que la formule en soi était plus souple, plus flexible mais qu'on ne devrait l'accepter qu'à la fin du règlement du contentieux. C'est ça qui est le point de vue.

M. BERTRAND: Des problèmes fondamentaux.

M. BOURASSA: D'accord, d'accord, des problèmes fondamentaux ou les problèmes majeurs, comme l'a dit cet après-midi avec un peu plus de nuance. Pas tous...

M. BERTRAND : Problèmes majeurs dans une constitution fédérale...

M. BOURASSA: ...mais "des", alors moi, je dis que je suis d'accord avec le chef de l'Opposition. C'est une formule qui est plus souple, qui est flexible et avantageuse par rapport à la situation actuelle, qui est avantageuse par rapport à la formule Fulton-Favreau mais, quant à la question de l'accepter...

M. BERTRAND: Je ne dirai pas qu'elle est plus avantageuse à la situation actuelle.

M. BOURASSA: Oui mais là ce sont les dix provinces.

M. BERTRAND: Si le premier ministre l'accepte...

M. BOURASSA: C'est ça qu'on dit. M. BERTRAND: ...trop tôt.

M. BOURASSA: Bien oui, c'est une question de "timing" si je peux employer cette expression avec la permission du député de Chicoutimi...

M. LE PRESIDENT (Bacon): C'est le député de Mégantic qui a toujours la parole.

M. DUMONT: Je vous remercie, je vais commencer à m'exécuter. Dans l'énoncé des conclusions de la dernière conférence fédérale-provinciale que vous nous avez remis cet après-midi, M. le premier ministre, il a été question, à la fin de la discussion que vous avez eue lors de la dernière rencontre, et je cite: "Les premiers ministres examinent la situation du chômage. Plusieurs premiers ministre exhortent le gouvernement canadien à prendre d'autres mesures pour atténuer le problème et le ministre des Finances du Canada expose les politiques du gouvernement canadien visant à combattre le chômage. Il précise que les indices actuelles marquent une croissance économique".

Etant donné que tout cela ne semble pas une réalisation, est-ce que le premier ministre a quelque chose de concret à proposer pour régler une fois pour toutes ces problèmes de chômage

qui dépassent la normale même dans le Québec?

M. BOURASSA: Brièvement, M. le Président, parce que nous avons une réunion du conseil des ministres à dix heures.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Sauvé par la cloche.

M. BOURASSA: Non, je pense que les derniers chiffres ont démontré que l'action du gouvernement du Québec en matière de chômage se faisait sentir, alors que nos voisins...

M. DUMONT: Vous avez une solution concrète à réaliser à Victoria au mois de juin.

M. CHARRON: C'est un message du commenditaire.

M. BOURASSA: Demain, M. le Président, nous rencontrons ici même pour discuter du problème de la baie James...

M. CHARRON: Les plus beaux films sont toujours entrecoupés des pires commerciaux.

M. BERTRAND: Cela nous donnera l'occasion de montrer comment le gouvernement a manifesté son dynamisme, sa vigueur, sa lucidité, son esprit de travail et sa combativité à résoudre le chômage.

M. DUMONT: Considérant que le ministre des Finances du fédéral a démontrer un véritable fiasco, est-ce qu'on est d'accord pour demander que le salaire du ministre des Finances soit abaissé à $1?

M. BOURASSA: Alors, la prochaine séance...

M. BERTRAND: M. le Président, il est dix heures. Le premier ministre dit qu'il doit aller à une séance du conseil des ministres. Nous ajournons à quand?

M. BOURASSA: Bien, j'aviserai.

M. BERTRAND: Je n'ai pas d'objection à ce que le premier ministre avise, mais je n'ai pas d'objection non plus à ce qu'il nous consulte.

M. BOURASSA: M. le Président, comme le chef de l'Opposition...

M. BERTRAND: Alors, disons donc ceci...

M. BOURASSA: ... le député de Bourget va dire que je les ai consultés longuement.

M. BERTRAND: ... que nous allons ajourner à une date, cette semaine...

M. BOURASSA: Pas cette semaine, c'est impossible.

M. BERTRAND: La semaine prochaine?

M. BOURASSA: La semaine prochaine, c'est plus facile.

M. BERTRAND: Alors, mardi.

M. BOURASSA: Bien, nous verrons.

M. BERTRAND: Est-ce que cela va aux autres partis de l'Opposition?

M. BOURASSA: Disons que je ne peux pas, actuellement...

M. BERTRAND: Donc, à mardi...

M. BOURASSA: Non, M. le Président.

M. BERTRAND: ... quitte à nous entendre...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quantativement.

M. BOURASSA: Ah! Disons jeudi, pro forma.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non... M. BERTRAND: Mardi...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... la carte électorale.

M. BERTRAND: ... pro forma...

M. BOURASSA: C'est impossible mardi, je m'excuse.

M. BERTRAND: Bien voici. Mardi, pro forma, que le premier ministre rencontre les autres chefs et s'entendent avec eux...

UNE VOIX: Lundi, c'est la fête de la reine. M. BERTRAND: ... sur une date.

M. BOURASSA: Evidemment, nous pouvons nous réunir. Nous avons discuté longuement. Est-ce que...

M. LAURIN: Nous avons d'autres questions.

M. BOURASSA: Oui, si vous avez d'autres questions, cela va. Alors, mardi, pro forma.

M. BERTRAND: Nous nous entendrons mardi sur une date précise.

M. BOURASSA: Disons que je préviens les membres de la commission que cela sera impossible mardi, mais nous pourrons en discuter.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Maintenant, M. le Président, est-ce...

M. LE PRESIDENT (Bacon): Est-ce que les membres de la commission acceptent que les documents qui ont été déposés aujourd'hui par les différents partis soient publiés en annexe au journal des Débats?

DES VOIX: Certainement.

M. LE PRESIDENT (Bacon): D'accord, accepté.

M. BOURASSA: Alors, jeudi. Pourquoi fixer mardi? Jeudi prochain, cela irait plus facilement, quitte...

M. BERTRAND: Nous n'avons pas d'objection.

M. BOURASSA: Donc, jeudi de la semaine prochaine...

M. BERTRAND: Jeudi...

M. BOURASSA: ... à quatre heures.

M. LE PRESIDENT (Bacon): Ajournement à jeudi, quatre heures.

(Fin de la séance: 21 h 57)

ANNEXE A

Déclaration du Chef de l'Opposition officielle, Me Jean-Jacques Bertrand, établissant la position du parti de l'Union Nationale sur la formule d'amendement à la constitution et autres problèmes connexes.

FORMULE TRUDEAU-TURNER

Deux événements d'une extrême importance se sont produits au cours des derniers mois dans le domaine constitutionnel: 1.l'échec lamentable de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme qui a brusquement décidé, avec la bénédiction d'Ottawa, de ne pas aller au bout de son enquête; et 2.la réapparition d'une formule d'amendement, analogue à la formule Fulton-Favreau déjà répudiée par l'opinion québecoise en 1965, mais qu'on tentera de nous imposer quand même à la faveur d'une nouvelle stratégie.

Pour qui veut bien aller au fond des choses, ces deux faits sont étroitement liés. Ils sont deux expressions différentes d'un même refus: le refus de reconnaître l'émergence, au Québec, d'une société distincte pouvant légitimement revendiquer le droit à l'autodétermination, c'est-à-dire au libre choix de son avenir politique, et à plus forte raison le droit de se gouverner elle-même dans les matières qui mettent en cause son originalité culturelle et sociale.

Pour comprendre toute la signification de ces deux événements, il est nécessaire de les bien situer dans le contexte de ces années exaltantes et angoissantes à la fois que, dès 1962, Daniel Johnson appelait "les années de la dernière chance". A l'approche du centenaire de la Confédération, et devant le malaise qui commençait à se manifester sous diverses formes au sein de la population québecoise, il était pour ainsi dire fatal que l'on remit sérieusement en question le fédéralisme canadien et son aptitude à résoudre nos problèmes de coexistence.

C'est en juillet 1963 qu'a été créée la Commission Laurendeau-Dunton. D'après les termes mêmes de son mandat, cette Commission était chargée de "faire enquête et rapport sur l'état présent du bilinguisme et du biculturalisme au Canada et de recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d'après le principe de l'égalité entre les deux peuples qui l'ont fondée, compte tenu de l'apport des autres groupes ethniques à l'enrichissement culturel du Canada".

En rédigeant ce mandat, le gouvernement Pearson avait donc reconnu formellement qu'il y a en notre pays coexistence non seulement de deux langues, mais de deux cultures et même de deux peuples fondateurs. C'était admettre dès le départ que la dualité canadienne va bien au-delà de la dimension purement linguistique, qu'elle met en cause des différences beaucoup plus profondes, touchant à des façons collectives de penser, de réagir et de vivre, non pas uniquement à des façons de s'exprimer.

De plus, le mandat de la Commission posait comme une sorte de postulat, de préacquis avant toute enquête, que l'égalité culturelle devait être la pierre d'assise du fédéralisme canadien, en même temps que le critère de son succès ou de son échec.

Et comme pour donner à tout le pays une illustration concrète de ce principe, le gouvernement Pearson invitait un nombre égal d'anglophones et de francophones à faire partie de la Commission. C'était comme une préfiguration de ce Canada à deux que le Québec devait proposer par la suite, non pour remplacer l'actuel Canada à dix, mais pour le compléter.

NOUS ETIONS PLUS AVANCES EN 1963 QUE NOUS LE SOMMES EN 1971

Le simple rappel de ces quelques faits nous oblige à faire en 1971 une constatation stupéfiante: c'est que nous étions plus avancés en 1963 que nous le sommes aujourd'hui.

Après des années de luttes constitutionnelles, on pouvait alors espérer voir se lever sur notre pays un climat nouveau de compréhension et d'amitié. Car le Québec n'était pas seul à y travailler. Le gouvernement d'Ottawa y travaillait également, comme c'était son intérêt et son devoir de le faire.

Naturellement, le Québec n'avait pas été le dernier à se mettre à l'oeuvre. Il y allait avec une ferveur et une cohésion qu'on aimerait bien retrouver aujourd'hui.

C'est quelques semaines avant la création de la Commission Laurendeau-Dunton, plus précisément en mai 1963, que fut instituée notre commission parlementaire de la constitution. La motion que j'avais présentée à cette fin fut modifiée en cours de route pour tenir compte des vues exprimées des deux côtés de la Chambre. Si bien que le texte final en a été adopté à l'unanimité. Il confiait à la nouvelle commission le mandat de "déterminer les objectifs du Canada français dans la revision du régime constitutionnel canadien et les meilleurs moyens d'atteindre ces objectifs".

Les deux partis qui se partageaient à ce moment-là les sièges de cette Chambre étaient donc d'accord pour affirmer que nos problèmes de coexistence appelaient nécessairement des remèdes constitutionnels. L'Union Nationale avait commencé dès janvier 1962 à faire campagne pour une constitution nouvelle; et à ceux qui nous faisaient grief de nous promener avec des projets de constitution dans nos poches, nous répondions que c'était tout de même plus démocratique et plus salutaire que de se promener avec des bombes.

Dans le discours prononcé à l'appui de ma motion, j'avais notamment déclaré ceci: "De part et d'autre, on sent le besoin de s'expliquer franchement. On aspire au dialogue. La motion que je présente n'a pas d'autre but que celui d'amorcer et de préparer ce dialogue... "Elle offre l'avantage de déboucher directement et immédiatement sur la voie parlementaire, sur la voie du réalisme politique... "Le problème dont il s'agit n'est pas de ceux qui se règlent tout seuls. Il n'est pas de ceux que l'on peut ignorer impunément. Si nous ne le réglons pas par des voies pacifiques et démocratiques, d'autres chercheront à le régler autrement... "C'est parce que je ne crois pas à la violence que je me suis mis, avec d'autres hommes de bonne volonté, à la recherche d'un moyen pacifique et démocratique d'aborder la solution de nos problèmes constitutionnels".

Pendant plus de deux ans, notre commission parlementaire de la constitution fut donc le forum par excellence où venaient s'exprimer les citoyens et les organismes désireux de participer à la recherche d'un meilleur ordre constitutionnel.

REJET DU STATU QUO

Nous n'avons fermé la porte à aucune école de pensée. Nous n'avons écarté à priori aucune des options possibles. Mais par-delà les divergences d'opinions qui pouvaient se manifester dans les mémoires qui nous étaient soumis ou dans les interventions verbales faites devant la commission, on peut dire que l'opinion québecoise était pratiquement unanime à condamner le "statu quo" et à dire qu'il fallait au Québec, comme principal foyer de la communauté canadienne-française, de plus amples pouvoirs en matières socio-culturelles et une plus grande liberté fiscale.

C'est aussi l'avis que devait exprimer, dans son rapport préliminaire publié en 1965, la Commission Laurendeau-Dunton. "Ce qui nous a vraiment frappés, ont écrit les commissaires, c'est que, sauf erreur, nous n'avons pas entendu un seul partisan avoué du statu quo. Tous les participants se sont déclarés plus ou moins mécontents de la situation du Canada français et du Québec dans la

Confédération... "C'est l'heure des décisions et des vrais changements; il en résultera soit la rupture, soit un nouvel agencement des conditions d'existence... "Les questions de langue et de culture ne se posent pas dans l'abstrait... Elles sont inséparablement reliées aux institutions sociales, économiques et politiques... "Nous sommes convaincus qu'il est encore possible de redresser la situation. Mais une opération majeure s'impose... "L'essentiel est menacé, c'est-à-dire la volonté de vivre ensemble... "Il faudra que les deux principaux groupes de Canadiens amorcent des négociations d'une vaste portée".

(Rapport préliminaire de la Commission d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, pages 109, 125, 127 et 129).

Donc, dans les travaux de la Commission Laurendeau-Dunton à ce moment-là aussi bien que dans ceux de notre commission parlementaire, tout semblait converger vers un nouvel aménagement constitutionnel, dont on pouvait prévoir qu'il comporterait pour le Québec, sinon le statut particulier ou le nouveau mode d'association que d'aucuns préconisaient, du moins une extension considérable de ses pouvoirs législatifs et fiscaux.

Mais d'autres forces travaillaient dans une direction totalement opposée.

LA FORMULE FULTON-FAVREAU

En février 1965, soit vers le même temps que le rapport préliminaire de la Commission Laurendeau-Dunton, paraissait un livre blanc d'Ottawa sur la formule Fulton-Favreau, à laquelle tous les premiers ministres avaient déjà donné leur adhésion au cours d'une conférence tenue à huis clos et qu'il s'agissait maintenant de faire ratifier par les diverses législatures du pays.

Formule tellement nébuleuse, tellement alambiquée que M. Lesage en tirait argument pour repousser l'idée d'un référendum. "Comment voulez-vous que j'aille expliquer cela à des non-instruits? " disait-il aux journalistes le 16 mars 1965.

M. Lesage n'en affirmait pas moins que cette formule constituait "une grande victoire constitutionnelle pour le Québec". Et beaucoup le croyaient avec lui, y compris le chef actuel du Parti Québecois, qui le lendemain, 17 mars, prononçait un discours devant l'Union Générale des

Etudiants, à l'Université de Montréal, en faveur de la thèse officielle du gouvernement libéral dont il faisait alors partie.

Mais l'auditoire s'avéra moins crédule que le ministre! "Au cours du colloque, racontre La Presse du 18 mars, les étudiants attendaient avec anxiété que le ministre René Lévesque prit position. Au moment de son entrée dans la salle, ils l'ont acclamé mais les applaudissement devinrent ténus après sa prise de position en faveur de la formule Fulton-Favreau".

Si je raconte tout cela, c'est pour montrer au premier ministre actuel à quoi s'exposent ceux qui gobent trop facilement les belles paroles des émissaires d'Ottawa, de ces commis voyageurs de la centralisation que l'on voit périodiquement se déplacer d'une province à l'autre pour vanter les mérites de leurs "gadgets" en prévision des conférences fédérales-provinciales.

M. Lesage, M. Lévesque et tous les autres qui avaient d'abord approuvé la formule Fulton-Favreau ont été bien obligés de changer d'avis par la suite; et ils ont dû trouver assez humiliant d'admettre que la plèbe des "non-instruits" avait compris avant eux la véritable portée du projet, malgré l'indicible baragouin de sa version originale et, à plus forte raison, de sa traduction française.

L'opinion publique a joué à ce moment-là avec toute la force et la puissance qu'on lui connaît. C'est le peuple lui-même qui a fait reculer le gouvernement Lesage en lui montrant le piège qui se cachait sous l'amoncellement des mots.

En réalité, cette formule Fulton-Favreau était une fin de non-recevoir que l'on opposait d'avance aux conclusions logiques des travaux de la Commission Laurendeau-Dunton et de notre commission parlementaire de la constitution. C'est un moyen que l'on se donnait pour bloquer l'évolution prévisible de la constitution, faire échec aux aspirations normales du Québec et nous lier solidement au "statu quo" dont nous étions unanimes à vouloir nous libérer.

Toujours dans sa version de 1965, la formule d'amendement comportait trois mécanismes principaux:

1. La règle de l'unanimité pour les clauses fondamentales.

Il aurait fallu l'unanimité des onze gouvernements pour amender six des dispositions fondamentales de la constitution, dont l'article 92 qui énumère les droits des provinces, l'article 133 touchant l'usage de l'anglais et du français et la formule d'amendement elle-même. Le Québec aurait donc possédé un droit de veto; par contre, pour obtenir une augmentation de ses propres pouvoirs par voie d'amendement constitutionnel, il lui aurait fallu affronter un barrage de dix vetos possibles.

2. La possibilité d'amender tout le reste sans le concours du Québec.

Pour amender les autres clauses, on exigeait au maximum le consentement des deux-tiers des provinces représentant 50 pour cent de la population candienne. Parfois même, le consentement d'une seule province aurait suffi. Mais dans tous les cas, il fallait d'abord une loi fédérale. Seul Ottawa pouvait prendre l'initiative d'un amendement constitutionnel.

3. La délégation de pouvoirs.

Ce troisième mécanisme était conçu pour obvier à l'extrême rigidité du premier, mais ne jouait pas également dans les deux sens. Alors qu'une province aurait pu se passer du concours des autres pour déléguer à Ottawa l'exercice d'un pouvoir donné, il aurait fallu non seulement le consentement, mais la participation législative d'au moins quatre provinces, en plus du gouvernement fédéral, pour que la délégation pût se faire dans l'autre direction.

En un mot, la formule Fulton-Favreau aurait permis au Canada anglais de centraliser à sa guise sans le consentement du Québec, en procédant au besoin par le détour de la délégation de pouvoirs; mais elle n'aurait pas permis au Québec d'accroître son champ d'action sans l'accord de dix autres gouvernements dans le cas d'une modification constitutionnelle, ou sans la participation active de trois autres provinces dans le cas d'une délégation de pouvoirs.

Voilà ce que l'opposition officielle du temps, c'est-à-dire l'Union Nationale, a expliqué directement au peuple québecois, puisque le gouvernement Lesage refusait d'en discuter en Chambre. Ayant déjà provoqué l'établissement d'une commission parlementaire pour amorcer une réforme constitutionnelle, nous ne pouvions pas permettre que l'on vienne stériliser d'avance cette initiative en consolidant le statu quo.

Il faut dire que tout au long de cette campagne menée contre la formule Fulton-Favreau, nous avons rencontré un accueil et une compréhension extraordinaires. Avec son remarquable sens politique, la population québecoise a très vite saisi l'exacte portée de ce mur juridique que l'on voulait ériger à l'encontre de ses aspirations légitimes.

L'opinion publique se manifesta avec une telle force et une telle clarté que le gouvernement décida de ne pas insister davantage et de laisser tomber la motion qu'il avait inscrite dès le début de la session de 1965 pour faire ratifier la formule d'amendement.

Repoussé par le Québec, le projet devenait donc lettre morte. Si bien que tous ceux qui s'étaient mis à la recherche d'un nouvel ordre constitutionnel purent continuer leur travail.

AU COEUR DU PROBLEME

En octobre 1967 parut le premier volume du rapport de la Commission d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme.

Il traitait des langues officielles. Mais la Commission, qui était toujours présidée et inspirée par

M. André Laurendeau à ce moment-là, n'entendait pas limiter son enquête à la question du bilinguisme. Elle n'entendait pas rester à la surface des choses. Elle tenait à plonger au coeur du problème.

Et pour éviter toute équivoque là-dessus, elle prit bien soin de l'annoncer d'avance à tout le pays, dans une Introduction générale qui précède le Livre premier et où elle commente précisément "les mots clefs de son mandat".

C'est comme si la Commission, connaissant la première tentative de la formule Fulton-Favreau, connaissant aussi d'autres réactions qui se dessinaient dans le même sens au sein de "l'Establishment" fédéral, redoutant les manoeuvres et les pressions dont elle pourrait être l'objet, avait voulu se compromettre sans retour, en s'interdisant à elle-même de ne pas se rendre au bout de son mandat. "La vitalité de la langue, lit-on au paragraphe 56 de cette Introduction générale, est une condition nécessaire du maintien intégral d'une culture, mais n'est est pas du tout une condition suffisante. Il est donc nécessaire de traiter à fond, dans notre rapport, la question du bilinguisme, mais il serait tout à fait insuffisant et, en définitive, illusoire de nous en tenir à cet ordre de considérations et de négliger d'autres conditions également vitales du maintien et du progrès des cultures anglaise et française au Canada". Et aux paragraphes 81 et suivants de la même Introduction générale, la Commission parle en termes extrêmement forts et extrêmements clairs de "la dimension politique" de l'égalité culturelle. "L'aspect collectif de la notion d'égalité est encore plus évident ici, écrit-elle. Il ne s'agit plus du développement culturel et de l'épanouissement des individus, mais du degré d'autodétermination dont dispose une société par rapport à l'autre. On a alors en vue le pouvoir de décision, la liberté d'action de chacune, non seulement dans sa vie culturelle mais dans l'ensemble de sa vie collective. Il ne s'agit plus de traits qui distinguent qualitativement les deux communautés, ni encore de leur situation économique ou sociale respective, mais de la maîtrise plus ou moins complète de chacune sur le ou les gouvernements qui la régissent. C'est ici que se situe la discussion du cadre constitutionnel dans lequel chacune des deux sociétés peut vivre ou aspirer à vivre". Après avoir marqué l'importance cruciale de cette dimension politique dans la crise que traverse présentement notre pays, la Commission ajoute: "L'ignorer dans le présent rapport serait non seulement une erreur; ce serait à la fois risquer de n'être pas entendu au Québec et renoncer à faire prendre conscience au Canada anglophone d'un élément particulièrement sérieux de la situation actuelle".

Remarquez que tout cela avait été endossé et signé par chacun des dix commissaires.

Qu'on ne vienne donc pas nous dire que la Commission a terminé son enquête. Elle n'a rempli que l'aspect le plus superficiel de son mandat. Elle en est restée au bilinguisme. Tout le reste, qu'elle jugeait primordial en 1967, elle le met de côté. La dimension politique, elle ne veut plus y toucher. "L'ignorer serait une erreur", disait-elle dans son Introduction générale. La Commission vient de commettre délibérément cette erreur. Pourquoi?

ATTITUDE DE REFUS

Quelles que soient les hypothèses que l'on puisse imaginer là-dessus, l'échec de l'enquête ne fait qu'exprimer à sa manière le refus, de la part du gouvernement fédéral et d'une partie importante de l'opinion anglo-canadienne, d'aller au fond des choses, de regarder en face le noeud de la crise que traverse présentement le Canada, c'est-à-dire la spécifité de la société québecoise et, partant, de la vocation politique du Québec.

Ceux qui ont participé aux diverses conférences constitutionnelles tenues depuis janvier 1968 l'ont constatée bien des fois, cette sourde volonté d'ignorer le vrai problème, comme s'il suffisait de l'ignorer pour ne pas avoir à le résoudre!

Chaque fois que nous avons cité à Ottawa ces pages capitales qui devaient servir de fil d'Ariane à la bonne intelligence du rapport Laurendeau-Dunton, nous nous sommes butés à une froideur glaciale et à un silence de plomb. C'est comme si nous nous étions aventurés dans un domaine

absolument interdit. Ou comme si ces pages de l'Introduction générale avaient été frappées d'une censure implacable. L'hostilité n'avait pas besoin de s'exprimer par des mots: elle se lisait sur tous les visages.

Or, la nouvelle formule d'amendement que l'on voudrait nous faire accepter n'est qu'une autre manifestation de cette même attitude de refus. Tout cela fait partie d'une stratégie qui devient de plus en plus évidente avec les années.

A la place de la constitution entièrement canadienne et entièrement nouvelle que nous préconisons pour consacrer l'alliance de nos deux communautés nationales en même temps que la fédération de nos divers territoires, c'est le vieux statut de l'ère coloniale que l'on voudrait nous refiler sous une couverture à peine rafraîchie.

Il semble qu'après avoir longtemps manifesté une aversion grincheuse à l'endroit de la révision constitutionnelle, Ottawa n'ait finalement accepté, après la conférence de Toronto, de se joindre aux pourparlers que pour les aiguiller sur des voies secondaires ou pour les acculer à l'impasse.

S'installant de son propre chef à la tribune présidentielle de la conférence et de chacun de ses multiples comités et sous-comités, se comportant en tout comme le maître absolu de la scène et des coulisses, le pouvoir central s'est constamment ingénié depuis à éviter les vrais problèmes, à traiter les droits collectifs comme des droits individuels, à ignorer tout autre pluralisme que celui de la langue et à présenter le bilinguisme comme le suprême remède à tous nos maux.

Comment s'étonner, dans ces conditions, de la maigreur des résultats? Après avoir lourdement taxé, pendant plus de trois ans, les réserves de patience et de bonne volonté d'un nombre considérable d'hommes politiques, de fonctionnaires et de spécialistes en matières constitutionnelles, la conférence n'a pas encore réussi à prendre la moindre décision ni sur la répartition des compétences, ni sur le partage fiscal, ni sur la création d'un véritable tribunal constitutionnel ni sur aucune autre des questions qui importent vraiment.

LA FORMULE TRUDEAU-TURNER

Qu'à cela ne tienne, nous disent MM. Trudeau et Turner, nous allons bientôt faire un grand pas: nous allons nous entendre sur la façon de rapatrier notre constitutions et de l'amender au pays. Drôle de progrès! Loin de hâter la négociation constitutionnelle, l'adoption d'une pareille formule, avant même qu'on en soit arrivé à un accord sur les problèmes essentiels, ne peut avoir d'autre résultat que celui de la faire échouer, ou du moins de la rendre beaucoup plus ardue.

Et d'abord, pourquoi rapatrier la vieille constitution quand il serait tellement plus simple et plus normal de la laisser mourir à Londres et de s'en donner une nouvelle ici même, au Canada? Quand a-t-on vu un pays devenu indépendant se soucier d'aller quérir, dans les statuts de son ancienne métropole, la constitution qui lui avait été donnée au temps où il était encore une colonie?

On dira peut-être qu'il ne s'agit pas de récupérer le document lui-même, mais le pouvoir de l'amender, c'est-à-dire l'autorité constituante. Eh bien! C'est encore pire!

Bien des événements se sont produits depuis 1867. Les garnisons britanniques ont repassé les mers. Le Canada a grandi. Il est devenu adulte, signant ses propres traités, échangeant des ambassades avec les autres pays. Il est maintenant, nous dit-on, un pays souverain et démocratique. Alors, s'il en est ainsi, c'est au sein du peuple canadien que réside l'autorité constituante, et non plus à Londres.

Demander au Parlement britannique de ratifier, fut-ce une dernière fois, une décision prise en ce pays, ce serait admettre que le Canada n'est pas encore indépendant et qu'il a besoin d'une permission extérieure pour le devenir. Ce serait nous rendre ridicules aux yeux du monde entier.

Dans le passé, Ottawa n'a que trop abusé de ce recours à Londres, sans doute parce qu'il y trouvait une façon commode d'ignorer le peuple et souvent même d'ignorer les provinces qui lui avaient donné naissance.

Le Québec doit s'opposer formellement, désormais, à une démarche aussi rétrograde.

Dès que notre pays aura proclamé sa souveraineté dans une constitution entièrement canadienne, il cessera par le fait même d'être soumis à une tutelle extérieure. C'est là un acte politique qui n'a pas besoin de la sanction juridique d'un autre pays.

Tout cela, Ottawa le sait parfaitement bien. Si donc il tient quand même à rescaper l'antique constitution, ce ne peut être que pour éviter les renouvellements en profondeur, pour garder du "statu quo" ce qui fait son affaire.

Non seulement insiste-t-il pour que toute négociation constitutionnelle parte des vieux textes, des vieilles pratiques et des vieilles routines, mais il voudrait encore garder la haute main sur toute modification qui pourrait y être apportée par la suite. D'où le lien qu'il ne cesse d'établir entre la canadianisation de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et la formule d'amendement qui pourrait y être insérée.

En fait, ces deux questions ne sont pas nécessairement liées. Même dans une constitution entièrement nouvelle et entièrement canadienne, il faudrait un mécanisme qui permette de l'amender à certaines conditions et suivant des procédures plus ou moins complexes.

Mais logiquement, l'étude d'un tel mécanisme ne devrait être entreprise qu'à la fin des pourparlers constitutionnels, une fois qu'on se serait entendu sur la substance des choses. Car la formule de modification dépend dans une large mesure de ce qui aura été décidé au sujet de la répartition des pouvoirs et des sources de revenus, de la création d'un tribunal constitutionnel, du rôle et de la composition de la chambre haute, de la rigidité plus ou moins grande qu'on aura voulu donner à la loi fondamentale du pays.

UN CADENAS SUR LE STATU QUO

En rattachant la formule d'amendement au rapatriement de la constitution et en insistant pour qu'une décision soit prise immédiatement sur ces deux questions à la fois, Ottawa montre qu'il est plus intéressé à consolider l'ancien état de choses qu'à le remettre en cause, plus intéressé à affermir le passé qu'à édifier l'avenir. Il veut en somme qu'en récupérant le vieux statut de l'ère victorienne, on y appose sur-le-champ un cadenas dont il détiendra la clef-maîtresse, lui qui est pourtant la créature des provinces.

Or, pourquoi les Canadiens ont-ils entrepris de refaire leur constitution?

C'est parce que, nous dit la Commission Laurendeau-Dunton dans son rapport préliminaire, "le Canada traverse la crise la plus grave de son histoire".

Et qu'y a-t-il au fond de cette crise? "Il ne s'agit plus, répond le même document à la page 127, du conflit traditionnel entre une majorité et une minorité. C'est plutôt un conflit entre deux majorités: le groupe majoritaire au Canada et le groupe majoritaire au Québec".

Il faudra, dit plus loin la Commission (page 129), "que les deux principaux groupes de Canadiens amorcent des négociations d'une vaste portée". A noter qu'elle parle bien de négociations entre deux groupes, deux majorités, deux sociétés, et non pas seulement entre onze gouvernements.

Certes, il y a aussi des choses à discuter et à mettre au point entre les onze gouvernements du pays. Il y a des problèmes qui se posent exactement de la même façon pour tous les Canadiens, quelles que soient leur culture ou leur origine ethnique. Mais ce n'est pas là que réside le noeud de la crise actuelle.

Ce qu'il faut asseoir sur des bases nouvelles, pour résoudre cette crise, ce sont les relations entre nos deux communautés nationales.

Or, voici la formule Trudeau-Turner qui, sans faire la moindre distinction entre les problèmes socio-culturels et les autres, propose qu'on ne puisse rien changer, ni à la vieille constitution, ni à la constitution de demain, sans le concours de sept gouvernements dont un seul peut parler au nom d'une majorité canadienne-française, les six autres étant mandatés par la majorité anglophone.

EGALITE A UN CONTRE SIX

Pour que la Confédération puisse se développer, comme dit le mandat de la Commission Laurendeau-Dunton, suivant le principe de l'égalité entre nos deux peuples fondateurs, on voudrait donner un veto à l'un et six vetos à l'autre!

Pour obtenir le redressement des griefs dont se plaint la population canadienne-française, le Québec devrait entreprendre de convaincre le gouvernement d'Ottawa, puis l'Ontario, puis deux provinces maritimes et, pour couronner le tout, deux provinces de l'Ouest qui ont la franchise de nous dire d'avance ce que serait leur réponse.

Ça, c'est la formule améliorée qu'on nous offre pour remplacer la défunte formule Fulton-Favreau.

Et c'est vrai qu'à certains points de vue elle constitue une amélioration. Elle est plus simple que l'autre. Elle ne comporte qu'un seul mécanisme alors que l'autre en comportait trois. Elle tient compte des principales divisions géographiques du pays. Elle paraît relativement facile à comprendre et à appliquer. Et peut-être pourrait-on accepter plus tard d'en discuter si l'on réussissait d'abord à s'entendre sur un fédéralisme assez souple pour tenir compte des besoins différents de nos deux communautés culturelles.

Dieu sait que nous n'en sommes pas encore là!

Alors, qu'on ne vienne pas en faire une priorité à ce moment-ci. Ce serait mettre la charrue devant les boeufs. Ce serait éviter ou retarder une fois de plus les "révisions déchirantes" qui s'imposent. Ce serait fermer la porte à toute évolution véritable.

Pour ce qui concerne le rôle particulier du Québec, comme principal foyer de la nation canadienne-française, la formule Trudeau-Turner a exactement la même portée et les mêmes vices que la formule Fulton-Favreau. Sur des questions comme celles de la sécurité sociale, ou des relations avec la francophonie, ou encore des télécommunications, un barrage de six vetos impliquant chacune des grandes régions du Canada serait tout aussi difficile à franchir que l'eût été un barrage de sept ou de dix vetos.

En conséquence, il faut que le gouvernement du Québec, seul porte-parole d'une majorité francophone à la conférence constitutionnelle, obtienne que l'on suspende l'étude de cette formule d'amendement jusqu'à ce qu'on se soit entendu sur l'essentiel, c'est-à-dire sur les conditions d'une nouvelle alliance, d'une nouvelle volonté de vivre ensemble.

Une solution imposée n'est jamais une solution véritable quand il s'agit d'harmoniser les rapports entre deux communautés humaines. Il faut que la formule d'amendement, comme la future constitution elle-même, soit acceptée à la fois par l'ensemble de l'opinion canadienne et par l'ensemble de l'opinion québécoise.

La conférence constitutionnelle sera un succès ou un échec selon qu'elle aboutira ou non à ce double consensus.

Pour le moment, nous sommes plus éloignés que jamais d'une pareille convergence. Que de chemin parcouru à rebours depuis 1963, alors que le concept de l'égalité entre les deux peuples fondateurs était officiellement inscrit dans le mandat de la Commission Laurendeau-Dunton!

Un fait récent, parmi beaucoup d'autres, nous permet de mesurer ce recul. Voici qu'un organisme crée par le gouvernement fédéral vient de recommander que l'on fasse de la totalité du Québec un immense district bilingue.

D'après la conception que certains se font maintenant de notre pays, il y aurait donc un Canada anglais et un Canada bilingue, mais il n'y aurait pas de Canada français. L'unilinguisme serait l'apanage exclusif de la communauté anglophone. Tous les territoires qui ne seraient pas officiellement anglais aux yeux d'Ottawa seraient voués au métissage culturel, pour ne pas dire à l'assimilation.

Tel est le statut particulier que l'on voudrait conférer au Québec en l'an de grâce 1971 !

ANNEXE B

PROPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES FONDAMENTALES DU RALLIEMENT CREDITISTE DU QUEBEC 1 ) L'abolition de la monarchie britannique au Canada. 2) Le rejet de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (loi privée votée au Parlement de Londres et dont on ne trouve l'original nulle part au Canada). 3) Les deux nations, (anglophone et francophone) et la rédaction de la première constitution vraiment canadienne. 4) Le droit à l'autodétermination de toutes les provinces. D'où la création d'ETATS SOUVERAINS dans un régime fédératif.

Chaque province et chaque Etat demeurent absolument libres d'établir les politiques de leur choix. 5) Pour ce qui est du Québec, la souveraineté étant acquise, nous exigerons l'application des quatre points fondamentaux suivants, qui peuvent faciliter l'application du Crédit social: a) le contrôle de son crédit; b) le contrôle de son commerce; c) le contrôle de son immigration; d) la prise en main de toutes ses sources de fiscalité. 6) La souveraineté repose sur le propriété du Domaine éminent.

ABOLITION DE LA MONARCHIE BRITANNIQUE ET DE SES SYMBOLES AU CANADA

De tous les pays occidentaux modernes, le Canada est le seul qui conserve des liens étrangers.

Intolérable et ne pouvant plus durer, cette situation est contraire à la fierté naturelle des Canadiens de quelque origine qu'ils soient.

Contraire également au rôle que le Canada joue sur la scène internationale et à la place qu'il prétend tenir dans le monde auprès de pays totalement souverains et dignes. Cette situation crée souvent et régulièrement la confusion dans l'esprit de la population des autres pays. C'est un fait reconnu de tous les Canadiens qui voyagent à l'étranger, sauf en pays britanniques: on ne peut

comprendre comment le Canada, prétendument souverain, reste lié à la couronne britannique; le gouverneur-général et tous les autres attributs de la Couronne étant liés au concept colonial.

Cette situation freine également le développement de l'esprit national, tout en étant une source de désunion et de mésentente à l'intérieur même du Canada.

C'est pourquoi, le Ralliement créditiste du Québec exige l'abolition sans conditions de la monarchie britannique et de tous ses attributs, symboles et privilèges au Canada.

REJET DE LA CONSTITUTION ACTUELLE

L'une des principales prises de position du Ralliement créditiste du Québec s'exprime par le rejet de la constitution actuelle.

ATTENDU que le Canada ne possède pas l'original de l'AANB, communément appelé constitution canadienne, source de confusion;

ATTENDU que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux n'ont jamais pu s'entendre sur le rapatriement de la constitution canadienne;

ATTENDU que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux ne semblent pas devoir s'entendre bientôt sur une formule acceptable d'amendements urgents et nécessaires;

ATTENDU que même amendée, elle ne saurait plus répondre à l'évolution, aux besoins et aux exigences de la société nouvelle; le Ralliement créditiste du Québec propose le rejet ou l'abolition de l'AANB, communément appelé constitution canadienne.

LES DEUX NATIONS

Le Ralliement créditiste du Québec fait sienne la thèse des deux nations (anglophone et francophone), vivant et se développant selon leur langue, leur religion, leur culture, leurs aspirations.

En même temps, nous soutenons qu'il appartient à ces deux nations de décider comment elles entendent cohabiter, dans la plus grande harmonie possible, au Canada et dans les Etats souverains, ainsi que dans les provinces éventuelles.

En acceptant la thèse des deux nations, dont l'une s'est développée majoritairement au Québec avec des rameaux souvent importants dans plusieurs provinces et l'autre se trouvant en majorité dans les autres provinces du Canada avec un rameau important dans le Québec, le Ralliement créditiste du Québec se croit justifié de proposer une technique pour le choix des délégués, qui auront pour mission de rédiger la première constitution vraiment canadienne.

CHOIX OU NOMINATION DES DELEGUES

Voici quelle est notre proposition technique au sujet du choix des délégués. Ce choix s'établit sur deux plans: 1) Cinq délégués choisis par le gouvernement de chacune des provinces. 2) Cinq délégués choisis par le groupement des associations de la nation minoritaire (anglophone ou francophone) dans chacune des provinces.

Pour ce qui est de la nomination des délégués de chaque province, il n'y a aucun problème: chaque gouvernement nommant ses délégués.

Quant à la nomination des délégués de chaque nation minoritaire, elle se ferait au sein des associations. Elles pourraient se réunir en assemblée plénière. Voici deux exemples pratiques:

Le gouvernement du Québec nomme cinq délégués francophones; les associations anglophones du Québec choisissent cinq personnes parmi elles ou par délégation.

En Ontario, le gouvernement nomme cinq délégués anglophones: les associations francophones de cette province délèguent cinq personnes choisies parmi elles ou par délégation.

Et ainsi de suite dans chacune des provinces du Canada.

Cette technique du choix des délégués aux conférences constitutionnelles assurerait une représentation relativement juste et équitable des deux nations égales.

En s'inspirant principalement de nos propositions constitutionnelles, ces délégués, au nombre de 100, auraient pour mission de mener enfin, à son terme, dans le délai qui leur serait fixé, un projet de constitution.

Ce projet ferait ensuite l'objet de deux référendums populaires auprès des électeurs canadiens.

L'un, auprès des électeurs de la nation francophone (d'après le recensement effectué avant la rédaction de la nouvelle constitution); l'autre, auprès des électeurs de la nation anglophone (même recensement). La question des majorités à obtenir pour adopter ou rejeter la constitution proposée devrait faire l'objet d'études du comité constitutionnel du Ralliement créditiste du Québec.

LE DROIT A L'AUTODETERMINATION DE TOUTES LES PROVINCES

La grande originalité de la proposition constitutionnelle du Ralliement créditiste du Québec, c'est que l'autodétermination n'est pas réclamée pour le Québec seulement ni ne s'applique au Québec seulement.

Jusqu'à maintenant, tous les autres partis, fédéraux et provinciaux, ont toujours recherché des solutions constitutionnelles qui tendaient à faire du Québec une sorte de quémandeur au sein de la confédération.

EXEMPLES: la suggestion de l'ancien ministre libéral du gouvernement Lesage, Paul Gérin-Lajoie, qui réclamait un vague statut particulier pour le Québec; l'autodétermination du Québec prônée par le NPD-Québec et qui a été défaite lors du dernier congrès national du NPD à Ottawa; la proposition Alie, qui aurait donné une place à part au Québec au sein de la confédération canadienne; la proposition souveraineté-association, qui ignore totalement l'avenir des autres provinces du Canada et le sort du gouvernement fédéral; la position équivoque du gouvernement fédéral, qui fait semblant de favoriser le Québec au détriment des provinces plus prospères, pour masquer la centralisation. Equivoque également entretenue par le parti libéral provincial.

Depuis quelques années, toutes les propositions qu'on a mises de l'avant avaient donc pour but de faire du Québec une espèce de réserve défavorisée par rapport aux autres provinces. Et c'est autour de ce fait que bloquent et tournent en rond les conférences fédérales-provinciales sur la constitution.

Le Ralliement créditiste du Québec, en proposant l'autodétermination pour toutes les provinces canadiennes au sein d'un Etat fédératif, EST LE PREMIER ET LE SEUL PARTI PROVINCIAL à proposer une solution constitutionnelle qui intéresse toutes les provinces, tout en revalorisant le Québec au détriment d'aucune autre province, mais en rendant possible l'application du Crédit social, particulièrement par les quatre points connus: le contrôle du crédit; de son commerce; de son immigration; la prise en main de toutes ses sources de fiscalité.

Ce que nous voulons donc, c'est que le droit à l'autodétermination soit reconnu à toutes les provinces, sans exception. Chacune aura le loisir d'accéder à la qualité d'Etat souverain avec participation à la Chambre des Etats, ou de rester une simple province de l'Etat fédéral.

Donc, fédération canadienne formée d'Etats souverains et de provinces autonomes.

Rappelons que, dès le 4 avril 1971, le Conseil national du Crédit social adoptait par résolution le principe du droit à l'autodétermination de toutes les provinces du Canada. Dans le discours qu'il prononça par après, monsieur Réal Caouette fit écho à la reconnaissance du droit à l'autodétermination en termes clairs et vigoureux.

Il ne nous appartient pas de fixer les modalités et les mécanismes qui doivent régler les divers rapports entre les provinces, s'il en restera, les Etats souverains et l'Etat fédéral. Nous laissons cette étude à nos experts et à ceux de l'extérieur du Ralliement.

NOS DOCUMENTS HISTORIQUES ET FONDAMENTAUX

EXTRAIT DE "REGARDS" AOUT 1964, pages 4 et 5

Le Crédit social est associationnel

Il importe d'abord de se demander si le Ralliement a erré le 26 janvier 1964, lorsqu'il a réclamé l'autonomie financière du Québec, le droit de contrôler son commerce, son immigration et son autonomie fiscale.

Le comité politique croit qu'en fonction des objectifs visés les créditistes ont le droit de réclamer la disparition des entraves politiques et administratives qui empêchent l'application du Crédit social si la disparition de ces entraves rend possible et plus facile l'application du Crédit social et apporte au Québec la libération économique et financière dont il a besoin pour se réaliser pleinement.

Pour cela, il importe de se rappeler le premier principe du Crédit social, la base de cette théorie.

Comme l'a défini le major Douglas à plusieurs reprises le Crédit social est tout d'abord une philosophie, la philosophie de l'association. "Social Credit, lit-on dans ELEMENTS OF SOCIAL CREDIT, is the power of human beings in association to produce the result intended, measured in terms of their satisfaction."

En 1934, lorsqu'il témoigna devant le Comité parlementaire des banques à Ottawa, il définit ainsi le Crédit social en exposant la provenance du dividende national :

La provenance du dividende peut s'expliquer de deux façons: l'une est exprimée par cette phrase: "la plus-value automatique de l'association..." "Le résultat de l'association est si important que nous arrivons au stade où un nombre décroissant de personnes, considérablement inférieur au nombre disponible, est en mesure de produire la richesse nécessaire à l'ensemble. Le surplus de richesses ainsi produites appartient à la société du fait qu'il provient de la plus-value automatique de l'association. Le vrai problème de notre époque consiste à monétiser cette plus-value et à la distribuer. Voilà la base de la théorie du Crédit social.

Fondé sur l'association, le Crédit social n'est donc pas fédéral ni provincial, ni municipal. Il est associationnel.

Mais alors pourquoi les créditistes ne font-ils que parler de finance, d'argent, de monnaie et de crédit? Tout simplement parce que le système financier actuel, le système bancaire que nous connaissons, empêche la population de bénéficier des fruits de son association et les accapare pour lui seul.

Quand bien même le Canada resterait uni; même si les Canadiens de toute race font partie d'une seule et même famille d'un océan à l'autre, les Canadiens n'obtiendront pas du Canada ce qu'il faut et ce qu'ils attendent parce que le système financier l'empêche; il capte et soustrait à son profit les bénéfices de l'association.

Pour que les Canadiens bénéficient des fruits de leur association, il est nécessaire de mettre le crédit financier en rapport avec le crédit social, c'est-à-dire mettre l'argent en rapport avec ce que les Canadiens fournissent et sont capables de fournir aux Canadiens.

Mais ce qu'on affirme au Canada, on peut l'affirmer du Québec de chaque province, de chaque entité régionale, de chaque groupement lorsque ce groupe ou cette entité est capable d'obtenir pour ses membres ce qu'ils peuvent mieux obtenir en unissant leurs efforts.

Dès lors, à qui s'adresser pour faire en sorte que le crédit financier reflète le crédit social? Quelle juridiction va faire en sorte de mettre l'argent au service des personnes groupées en association?

Le fédéral? Les provinces? Les municipalités?

Dans les municipalités, les gens se groupent en association pour régler des problèmes locaux. Mais on ne peut conclure qu'une municipalité peut fournir à ses citoyens toutes les choses dont ils ont besoin. Une municipalité est agricole. L'autre est industrielle. Une est artisanale. L'une est centrée sur l'amiante, l'autre sur les textiles, le bois, le papier ou l'aluminium, etc..

Dès lors, parce que l'économie des municipalités n'est pas assez diversifiée, il est pratiquement impossible d'établir à l'intérieur de leurs limites un système assez complet des échanges pour satisfaire convenablement les besoins des membres de l'association. On peut affirmer la même chose des régions économiques comme la Mauricie, la région du Saguenay et du Lac Saint-Jean, les Cantons de l'Est, etc.. Et même si ces régions formaient des entités économiques assez complètes, il leur manquerait les structures politiques et juridiques capables de légiférer sur le bien de l'ensemble.

Mais si l'on envisage le Québec dans son entier, nous découvrons qu'il constitue à la fois une entité productive et économique capable de répondre aux besoins des membres de l'association et qu'il possède aussi une entité politique jouissant des pouvoirs nécessaires à l'application du Crédit social.

Si c'était possible, il serait souhaitable de recourir au fédéral en vue de règlementer le crédit et la monnaie de façon à les rendre conformes aux réalités, parce que tous les Canadiens en bénéficieraient tout comme l'application du Crédit social à toute la terre profiterait à tout le genre humain.

Mais on ne fait rien pour régler un problème en le grossissant et il est plus facile de faire en sorte qu'un petit groupe agisse au lieu de faire porter son action sur un groupe plus important.

La situation idéale est donc de trouver un groupe assez important et complet pour répondre aux nécessités économiques des participants mais assez limité également pour que les citoyens intéressés puissent facilement s'organiser afin de voir à leurs affaires.

Dès lors, nous concluons que l'entité économique idéale pour réaliser les promesses du Crédit social est celle qui dispose de richesses en quantité suffisante pour satisfaire les besoins du groupe tout en possédant le pouvoir politique et l'organisation sociale capables de faire en sorte que les citoyens jouissent de tous les fruits de leur association.

Attendre que toutes les provinces agissent dans le sens du Québec, c'est se condamner à l'inaction; c'est se résoudre à ne pas profiter des bienfaits produits par l'association de toute la population du Québec tendue vers un même objectif.

C'est pourquoi, le Comité politique conclut que le Ralliement a choisi la voie la plus sûre quand il a décidé de faire porter son action dans le champs provincial,

N.B. Cette étude, étant valable en 1964, a servi de base à des études ultérieures qui ont permis de trouver la solution que nous proposons maintenant. L'autodétermination à ce moment-là était réclamée pour le Québec seulement, alors qu'aujourd'hui, elle est proposée à toutes les provinces canadiennes.

ANNEXE C

ANALYSE CRITIQUE DE LA

FORMULE TRUDEAU-TURNER

DE RAPATRIEMENT ET DE MODIFICATION

DE LA CONSTITUTION CANADIENNE

Texte soumis à la Commission de la Constitution par le

Dr Camille Laurin député de Bourget et

Chef parlementaire du Parti québécois

INTRODUCTION

Préconisant le remplacement du fédéralisme actuel par un régime d'association dans la souveraineté, le Parti québécois aurait pu ignorer complètement la question du rapatriement de la constitution canadienne et celle, plus générale, de sa révision. Laissant les gouvernements en place poursuivre des discussions vouées à devenir caduques avant même d'être complétées, il aurait pu se contenter d'attendre son heure. Ce n'est pas ce qu'il a fait.

Soucieux de suivre de très près l'évolution du Québec vers la prise de conscience de son identité d'abord, et de son besoin de souveraineté politique ensuite, le Parti québécois a toujours accordé une attention suivie aux discussions constitutionnelles, essayant d'en dégager le sens et d'informer la population sur les répercussions des décisions qui pourraient y être prises. C'est ainsi que l'exécutif et l'aile parlementaire du parti ont largement commenté les conférences de septembre 1970 et de février 1971. C'est ainsi, également, que le dernier congrès du parti a demandé au gouvernement de ne pas accepter la formule de rapatriement qui est présentement à l'étude.

C'est donc dans cette même optique d'une participation active à l'évolution constitutionnelle du Québec que les députés du Parti québécois ont voulu soumettre la présente étude à l'attention de leurs collègues de l'Assemblée nationale.

QUELQUES RAPPELS HISTORIQUES

De 1930 à 1965

Jusqu'à l'ouverture de la conférence constitutionnelle de février 1968, les principales rencontres fédérales-provinciales consacrées à la constitution canadienne ont porté presque exclusivement sur la façon d'en effectuer le "rapatriement" au Canada. Ce fut notamment le cas de la conférence fédérale-provinciale de 1935, de celles de 1950, de celles de 1960-61 et de celles de 1964. Avec l'adoption du Statut de Westminster de 1930, en effet, il devenait naturel que le Canada veuille posséder le pouvoir de modifier lui-même sa loi fondamentale. Evidemment, la question du rapatriement était indissociable de celle de la définition de l'organe constituant de sorte que les discussions ont surtout porté sur la façon dont on devrait procéder pour modifier la constitution, une fois celle-ci rapatriée au Canada.

Ces discussions furent longues et pénibles car la question était d'une importance capitale, surtout pour le Québec. Celui-ci, en effet, avait toujours considéré la constitution comme le résultat d'une entente lui garantissant l'exercice d'un certain nombre de pouvoirs nécessaires à sa survivance. Dans cette optique, l'essentiel pour lui était de s'assurer un droit de veto sur toute modification constitutionnelle susceptible de porter atteinte à des droits garantis par la constitution. Aussi, toute l'histoire des discussions constitutionnelles, de 1930 à 1964, se résume-t-elle à la recherche d'une formule ayant à la fois la rigidité exigée par le Québec et la souplesse désirée par la majorité des autres provinces.

En 1964, on crut avoir trouvé cette formule. Ce fut la formule Fulton-Favreau. Il s'agissait en quelque sorte de combiner une procédure très rigide requérant l'unanimité pour toutes les modifications constitutionnelles importantes (donnant ainsi satisfaction au Québec) avec une procédure souple de délégation de pouvoirs. Les provinces anglaises, pressées de mettre fin à une dépendance humiliante, avaient donc mis beaucoup d'eau dans leur vin. Elles n'en furent que plus traumatisées lorsque le Québec, sous la pression de l'opinion publique, refusa finalement d'y souscrire.

Ce revirement du Québec avait son côté sensationnel; il était cependant prévisible. En effet, la peur traditionnelle des Québécois de perdre des pouvoirs déjà acquis s'était transformée en une

peur de perdre la possibilité d'en acquérir de nouveaux. Car, depuis la "révolution tranquille" de 1960, les Québécois étaient bien davantage intéressés à se ménager les moyens d'obtenir des pouvoirs plus étendus qu'à défendre des pouvoirs jugés insuffisants. De la défensive, on passait à l'attaque: évidemment, l'armement dont on avait besoin n'était plus le même.

De 1965 à 1970

Dès 1965, la formule Fulton-Favreau était morte. Elle fut enterrée par la défaite libérale de 1966. D'ailleurs, plutôt que de rapatrier de Londres une constitution centenaire, il était de plus er plus question, du moins au Québec, d'en élaborer une nouvelle au Canada.

C'est ainsi qu'au début de 1968, après de longues tergiversations, le Canada anglais accéda aux demandes québécoises pour une révision en profondeur de la constitution. Il le fit toutefois avec beaucoup de réticence et non sans arrières-pensées. Alors que le gouvernement fédéral faisait tout en son pouvoir pour orienter les discussions sur des questions particulières comme le bilinguisme et les droits fondamentaux, les provinces anglaises, pour leur part, insistaient sur la priorité qui devait être accordée au rapatriement de la constitution et à l'élimination de inégalités régionales.

Le Québec voulut résister à ces tentatives de diversion en insistant sur la nature globale d'une révision qui, selon lui, devait aboutir à une nouvelle entente entre les deux peuples fondateurs et à des nouveaux pouvoirs pour le Québec. Dans la perspective québécoise, il n'était pas question de "rapatrier" la constitution entièrement nouvelle, promulguée au Canada, sans avoir à recourir à Londres. Quant à la façon dont cette nouvelle constitution pourrait être modifiée on ne devait pas en discuter avant d'en avoir déterminé le contenu.

En insistant ainsi sur le caractère global de la révision, le Québec visait à provoquer une discussion sur le fond de la question et une redéfinition en profondeur de la structure politique canadienne. Cette façon de procéder mettait l'existence même du Canada à dure épreuve, car elle voulait s'attaquer à la racine des conflits actuels plutôt que de rechercher des accommodements pratiques sur des problèmes particuliers. La tension était donc énorme et elle augmentait à mesure que les conférences passaient sans qu'aucun accord ne pointe à l'horizon. Qu'arriverait-il en cas d'échec définitif? Pour le Canada anglais, en particulier, il valait mieux ne pas y penser! Mais il valait encore mieux pour lui de changer la façon de procéder.

Depuis septembre 1970

C'est ce qui se produisit à la conférence de septembre 1970, lorsque le nouveau gouvernement québécois accepta de donner priorité au rapatriement de la constitution et à la discussion d'amendements particuliers. Les résultats d'une attitude si évidemment conforme aux désirs du reste du canada ne furent pas lents à se faire sentir. Dès la conférence suivante, en février 1971, on en venait à la proposition concrète qui fait l'objet de la présente analyse et que nous appellerons, pour les besoins de la cause, la "proposition Trudeau-Turner" (1).

LA PROPOSITION TRUDEAU-TURNER

La proposition Trudeau-Turner, telle qu'énoncée dans les conclusions de la conférence constitutionnelle de février 1971, contient trois parties distinctes qu'il nous faudra étudier séparément.

D'abord, cette formule vise à "rapatrier" au Canada la constitution canadienne, c'est-à-dire à faire en sorte qu'il ne soit plus nécessaire de recourir au Parlement britannique pour modifier le British North America Act et les autres statuts anglais qui nous servent de constitution.

Ensuite, elle vise à définir la procédure en vertu de laquelle la constitution actuelle pourra être modifiée dans l'avenir, c'est-à-dire à déterminer le siège de la souveraineté canadienne et à définir l'organe constituant au Canada.

Enfin, elle précise un certain nombre de modifications qui seraient apportées à la constitution actuelle en même temps celle-ci serait rapatriée. Ces modifications concerneraient les droits fondamentaux, les droits linguistiques, la Cour suprême du Canada, les inégalités régionales, le mécanisme des relations fédérales-provinciales. On prévoit également rédiger un nouveau préambule au B.N.A. Act et le débarrasser de ses dispositions périmées ou sans objet.

Nous analyserons tout à tour chacune de ces trois parties à la lumière des demandes antérieures du Québec et en restant toujours, pour les fins de la discussion, dans la perspective fédéraliste où cette formule a été conçue.

(1) Le premier ministre du Québec aurait manifesté une certaine surprise que les choses aillent si rondement. (Magazine McLean, mai 1971, p. 19: "Je ne m'attendais jamais à ce que les autres provinces et le gouvernement fédéral en mettent une (formule) au point aussi rapidement. Je pensais que ça leur prendrait au moins un an, un an et demi".) Cette surprise, en plus d'être révélatrice de l'origine non québécoise de la formule, en dit long sur l'absence de perspective historique qui a caractérisé les positions constitutionnelles de l'actuel gouvernement du Québec.

LE RAPATRIEMENT DE LA CONSTITUTION

Le rôle de Londres

Dans l'histoire de l'empire britannique, les colonies ont acquis leur pleine indépendance et le contrôle complet de leur constitution de l'une de deux façons différentes: par le transfert ou délégation de souveraineté en vertu d'une loi britannique, ou bien par l'affirmation unilatérale de leur souveraineté, sans référence à une quelconque "autorisation" du Parlement anglais.

Il va de soi que c'est à la deuxième méthode qu'ont eu recours les colonies qui se sont rebellées, par exemple les Etats-Unis d'Amérique ou la Rhodésie du Sud. Mais, il est également arrivé qu'une colonie accédant à l'indépendance avec l'accord du Royaume-Uni choisisse cette méthode dite de l"'autochtonie" (par opposition à celle de l"'autonomie") (1) afin de mieux marquer son indépendance à l'égard d'un parlement étranger. C'est ainsi, par exemple, que l'Inde proclama sa première constitution "au nom du peuple indien", et sans référence aucune à la loi britannique accordant à l'Inde son indépendance.

Dans ses mémoires constitutionnels, le Québec a préconisé que l'on suive l'exemple de l'Inde et qu'on se dispense d'avoir recours au Parlement britannique pour assumer les pleins pouvoirs constituants. C'est le sens des deux premiers principes énoncés par le Québec dès la première conférence constitutionnelle:

Le temps est venu pour notre pays de se donner une constitution entièrement canadienne, faite au Canada, par les Canadiens et pour tous les Canadiens;

Cette constitution, de même que tous les changements qui pourraient y être apportés, devront désormais être élaborés et promulgués au nom du peuple souverain, sans recourir au Parlement d'un autre pays.

La proposition Trudeau-Turner adopte, au contraire, la formule du transfert de souveraineté en vertu d'une loi britannique. L'objet de cette législation par Westminster serait de: reconnaître la validité en droit de la proclamation canadienne et de ses dispositions; garantir qu'aucune loi britannique ne sera, à l'avenir, applicable au Canada; et révoquer ou modifier en conséquence les lois britanniques intéressant la constitution du

Canada.

A première vue, il ne semble pas y avoir beaucoup de conséquences pratiques au choix de l'une ou l'autre formule. Cependant, les conséquences psychologiques et juridiques en sont importantes. Juridiquement, la formule Trudeau-Turner assure la continuité du droit de sorte que la souveraineté reste placée dans la Reine (et non dans le peuple) et que les règles du droit constitutionnel anglais continuent de s'appliquer. Psychologiquement, les Canadiens-anglais continuent ainsi à vivre avec un système qui leur appartient et qui les rattache à leurs origines tandis que les Québécois doivent continuer à vivre sous un régime qui, au début, leur a été imposé et qui ne correspond ni à leur passé ni à leurs aspirations. La continuité du droit a un sens et une valeur pour le Canadien-anglais; pour le Québécois, elle ne peut en avoir puisqu'il s'agit précisément, même si l'on reste dans le cadre fédératif, de repartir à neuf.

Le caractère canadien de la constitution

Le simple "rapatriement" de la constitution n'en fera pas pour autant une loi canadienne. En effet, tout ce qui est "naturalisé", c'est le pouvoir de modifier la constitution; pour le reste, c'est toujours une loi britannique, le British North America Act et ses modifications qui restent la loi fondamentale du Canada. De sorte que, même après le rapatriement, il n'y aurait toujours pas de version française officielle de la constitution canadienne et celle-ci devrait continuer à être interprétée en se rapportant au contexte britannique de la fin du 19e siècle et à la jurisprudence du Conseil Privé.

Le transfert de souveraineté

Enfin, le transfert de souveraineté a des répercussions directes sur le droit des provinces canadiennes et particulièrement du Québec à l'autodétermination constitutionnelle.

A l'heure actuelle, d'un point de vue strictement juridique, le Parlement britannique demeure l'autorité suprême sur l'évolution constitutionnelle du Canada. Si, à l'heure actuelle, le Québec

(1) K.C. Wheare, Constitutional Structure of the Commonwealth, Oxford, Clarendon Press, 1961. Le cas du Canada est discuté à la page 110.

devait proclamer unilatéralement son indépendance, cette déclaration serait faite à l'encontre de l'autorité juridique du Parlement de Westminster; c'est, en matière constitutionnelle, la seule autorité juridique au-dessus de l'Assemblée nationale québécoise. Il en serait autrement après le rapatriement, puisqu'alors le siège de la souveraineté serait situé au Canada.

Il ne faut pas oublier, non plus, que l'autorité de Londres tire son origine de la conquête et de l'empire. Ce n'est pas par choix que le Québec a dû s'y soumettre. Si, donc, le Québec choisissait unilatéralement d'y mettre fin, il s'inscrirait dans le cadre général de la décolonisation qui a marqué notre siècle. Il en irait autrement après le rapatriement, puisqu'alors le Québec devrait se soustraire à une autorité canadienne qu'il a lui-même acceptée et à laquelle il a lui-même confié des pouvoirs constituants.

Bref, le rapatriement renforcerait, en la complétant, l'autorité constitutionnelle de la fédération canadienne, prise comme un tout, sur chacun de ses membres. Il en serait doublement ainsi du fait que ce transfert s'accomplirait à la demande expresse de chacun des Etats membres de la fédération y compris celle du Québec.

Il est donc absolument essentiel que, si l'on procède à un transfert de souveraineté, l'on protège le droit que possède le Québec de déterminer lui-même son statut constitutionnel et de quitter, si c'est le désir de sa population, la fédération canadienne, en l'inscrivant explicitement dans la formule de rapatriement. Agir autrement serait commettre un manquement très grave à ses devoirs envers la nation québécoise.

LA PROCEDURE D'AMENDEMENT

La rigidité de la formule

On pourra apprécier la rigidité de la formule Trudeau-Turner en faisant la liste des consentements qui seraient alors obligatoires avant qu'une modification puisse entrer en vigueur. Car, en vertu de cette formule, si l'approbation d'un seul des éléments suivants devait faire défaut, la constitution devrait rester ce qu'elle est: 1 ) la Chambre des Communes du Canada 2)le Sénat du Canada 3)l'Assemblée législative de l'Ontario 4) l'Assemblée nationale du Québec 5)les Assemblées législatives de la Colombie-britannique et d'une province des Prairies (ou les Assemblées législatives des trois provinces des Prairies) 6)les Assemblées législatives de deux provinces de l'Atlantique.

La formule Trudeau-Turner est, en réalité, l'une des plus rigides qui ait jamais été proposée depuis le début des discussions sur le sujet. A toutes fins pratiques, elle est même plus rigide que la formule Fulton-Favreau puisque, en plus d'exiger le consentement de toutes les provinces le moindrement importantes, elle ne comporte pas le mécanisme de la délégation des pouvoirs qui donnait à cette dernière une certaine flexibilité. Elle est par ailleurs, beaucoup plus rigide que les formules étudiées en 1935 et en 1950. Il est donc incontestable que cette formule favorise le statu quo constitutionnel.

Le rôle des Communes et du Sénat

On peut d'ailleurs se poser de sérieuses questions sur le veto accordé par cette formule à chacune des chambres du Parlement fédéral. Car ne rend-on pas ainsi presque impossible toute décentralisation des pouvoirs? Est-il raisonnable de croire que le Québec pourra récupérer des pouvoirs actuellement exercés par le Parlement fédéral s'il doit, pour cela, convaincre non seulement presque toutes les autres provinces mais également la majorité des Communes et du Sénat? A toute nouvelle demande du Québec, il suffira que le gouvernement fédéral dise non, et les choses en finiront là. Il n'y aura pas moyen de contourner ce refus par un amendement constitutionnel.

Quoi qu'il en soit du veto accordé à la Chambre des Communes, il est encore moins défendable de donner un tel pouvoir au Sénat, qui est un corps non-élu. Quelle peut bien être la raison d'être d'un tel veto, sinon celle d'une double garantie contre la décentralisation. Car même s'il advenait, par pure hypothèse, que, sous la pression de l'opinion publique, un gouvernement fédéral nouvellement élu se soit engagé à accepter une modification constitutionnelle souhaitée par la grande majorité des provinces, il resterait toujours le Sénat pour s'y opposer. Et il n'y aurait alors rien à faire pour casser cette opposition, puisque la formule Trudeau-Turner fait en sorte que jamais les pouvoirs du Sénat ne puissent être modifiés sans le consentement du Sénat lui-même.

Cet exemple du Sénat montre à quel point la formule proposée est la garante du statu quo. Au cours des discussions antérieures, en effet, il avait été question de modifier la composition et les pouvoirs du Sénat pour assurer une véritable participation des provinces à la législation fédérale. Le gouvernement fédéral lui-même avait fait des propositions dans ce sens - propositions qui avaient,

évidemment, rencontré l'opposition des Sénateurs. Or, même une telle réforme, mineure en soi, deviendrait pratiquement impossible une fois adoptée la formule Trudeau-Turner puisque le concours du Sénat y serait indispensable. On s'assure ainsi que rien ne sera changé dans cette institution fédérale qui, du moins jusqu'à maintenant, n'a été d'aucune utilité.

La constitution des provinces

Dans ses propositions constitutionnelles, le Québec avait demandé d'obtenir la pleine maîtrise de sa constitution interne, y compris les pouvoirs du lieutenant-gouverneur, de façon à pouvoir changer son mode de gouvernement si cela était le désir de ses citoyens. A l'heure actuelle, le Québec ne pourrait, par exemple, adopter la forme républicaine de gouvernement ni le régime présidentiel puisqu'il ne peut toucher aux pouvoirs du lieutenant-gouverneur qui incarne la forme monarchique de gouvernement et le régime de la responsabilité ministérielle.

Or la formule proposée conserve le statu quo. Pour le changer, il faudra recourir au mécanisme rigide dont nous venons de parler, c'est-à-dire que le Québec ne pourra pas modifier son mode de gouvernement interne sans le consentement du reste du Canada. Si le Québec devait accepter cette formule, il s'agirait donc d'un recul important sur les demandes antérieures du Québec qui se formulaient ainsi:

Les Etats devraient avoir entière liberté de déterminer eux-mêmes et de promulguer leur constitution interne, celle-ci ayant, pourvu qu'elle soit compatible avec la constitution canadienne, valeur de loi fondamentale. Les Etats pourraient fixer le titre, le mode de sélection et les pouvoirs de leur chef d'Etat; celui-ci serait d'office, dans le cas où l'union conserverait la forme monarchique de gouvernement, le représentant de la Couronne pour les affaires de l'Etat.

(Document de travail du 24 juillet 1968, p. 25)

Même en se plaçant dans une optique fédéraliste, par conséquent, la formule Trudeau-Turner ne correspond pas aux meilleurs intérêts du Québec. Ni en ce qui concerne l'accroissement de ses pouvoirs, ni en ce qui concerne la pleine autorité sur sa constitution interne, le Québec peut-il espérer tirer quoi que ce soit de cette formule.

LES MODIFICATIONS PROPOSEES

En même temps qu'elle serait "rapatriée", la constitution canadienne serait modifiée sur un certain nombre de points, à condition, évidemment, qu'on réussisse à s'entendre d'ici là sur la formulation exacte de ces amendements. Nous étudierons maintenant chacun de ces points.

Les droits fondamentaux

Une charte des droits fondamentaux, limitée aux droits dits "politiques" (suffrage universel et élections périodiques, liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d'opinion et d'expression, liberté de réunion et d'association pacifiques), serait incorporée à la constitution. Sans le dire explicitement, on laisse entendre que ces droits seraient énoncés en termes généraux et que leur exercice pourrait être restreint par une loi ordinaire.

Il ne semble pas que le Québec se soit jamais opposé à l'inscription dans la constitution d'une charte des droits fondamentaux. D y a cependant toujours mis certaines conditions. La première de ces conditions, c'est qu'une telle charte ne modifie pas la répartition des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernement.

Il y aurait lieu de spécifier que la mise en oeuvre des droits fondamentaux de la personne humaine relève à la fois de l'union, dans les matières relevant de sa compétence, et des Etats, dans les matières qui relèvent de leur autorité constitutionnelle.

(Document de travail du 24 juillet 1968, p. 53)

L'expérience des Etats-Unis d'Amérique nous démontre, en effet, qu'il est dangereux que le Parlement fédéral prenne prétexte d'une charte constitutionnelle des droits fondamentaux pour légiférer dans des matières qui relèvent des Etats. D'ailleurs, on avait accepté de donner suite à cette demande du Québec lors des discussions antérieures sur le sujet. Il se peut donc qu'il ne s'agisse ici que d'un simple "oubli".

La deuxième condition mise par le Québec concernait l'établissement préalable d'un véritable tribunal constitutionnel qui aurait juridiction exclusive sur l'interprétation de cette charte des droits fondamentaux.

La question des droits fondamentaux est intimement liée à l'ensemble du problème constitutionnel et qu'aucune décision ne saurait être prise à ce sujet avant qu'on ne se soit entendu sur certaines réformes de base, en particulier sur la création d'un véritable tribunal constitutionnel.

(Mémoire du Québec à la Conférence constitutionnelle du 7 février 1968)

La cour constitutionnelle aurait juridiction exclusive sur tout litige portant sur la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne humaine.

(Document de travail du 24 juillet 1968, p. 53)

Or, le projet adopté lors de la dernière conférence laisse clairement entendre que cette charte des droits fondamentaux serait interprétée par les tribunaux ordinaires, et, en dernier ressort, non pas par un tribunal constitutionnel mais par la Cour suprême du Canada.

Les droits linguistiques

En vertu de la Formule Trudeau-Turner, l'anglais et le français seraient déclarés langues officielles du Canada. Leur utilisation dans l'administration publique, devant les tribunaux et dans les écoles serait garantie dans les cas suivants: administration fédérale: — dans les débats du Parlement, — dans les lois et autres documents officiels du gouvernement, — dans les communications de l'administration avec le public; administration provinciale: — dans les débats des assemblées législatives; tribunaux : — devant les tribunaux fédéraux; écoles: — dans toutes les écoles publiques où il y a une demande suffisante.

Il faut remarquer immédiatement que quelques provinces (on ne sait pas lesquelles) ont exprimé des réserves quant à l'utilisation des deux langues dans les assemblées législatives et que le Québec a exprimé sa "réserve générale" sur l'utilisation des deux langues à l'école. Le texte ne mentionne pas, non plus, si l'actuel article 133 du B.N.A. Act relatif aux langues, de même que les réserves de l'actuel article 93 relatives aux écoles confessionnelles, seraient automatiquement abrogées une fois les nouvelles dispositions mises en vigueur.

Il est clair que l'ensemble de ces modifications va dans le sens du bilinguisme officiel. Bien que, à strictement parler, elles ne soient pas inconciliables avec un certain unilinguisme pratique et même officiel au niveau de chaque province, elles n'en favorisent pas la mise en vigueur. Or, on peut évidemment se demander si le Québec ne sera pas forcé, pour protéger sa langue et sa culture, d'imposer un certain unilinguisme français dans les domaines qui sont de son ressort. Il faut dire cependant qu'au niveau de l'administration publique québécoise (sauf dans les débats de l'Assemblée nationale) et à celui des tribunaux provinciaux (à condition que l'article 133 soit effectivement abrogé), la chose, quoique difficile et contraire à l'esprit de la formule Trudeau-Turner, resterait possible.

Pour ce qui est des écoles, toutefois, la formule proposée est carrément inacceptable. En effet, le texte en est si large qu'il empêcherait le Québec non seulement d'exiger que les enfants des nouveaux immigrants aillent obligatoirement dans les écoles françaises mais encore l'empêcherait de rendre obligatoire l'usage du français pour l'enseignement de certaines matières dans les écoles anglaises, ainsi que le prévoit le récent règlement numéro 6 du ministère de l'Education. Donc, cette formule non seulement donnerait un caractère constitutionnel, donc intangible, au bill 63 quant au choix de la langue d'enseignement mais rendrait inopérant cette autre partie du bill 63 quant à l'acquisition d'une connaissance d'usage du français. Dans un secteur aussi vital pour sa survie même, le Québec ne peut évidemment pas accepter de renoncer ainsi à sa liberté d'action. C'est pourquoi sa réserve initiale doit se transformer en un refus définitif.

La Cour suprême du Canada

Il suffit de comparer le texte de la formule Trudeau-Turner avec les demandes du Québec relatives au système judiciaire pour voir à quel point, ici encore, on en reste au statu quo. Pourtant, voilà un domaine où il eut été relativement facile de faire des changements substantiels.

Dans son document de travail du 24 juillet 1968, le Québec avait proposé trois changements majeurs à la constitution actuelle: 1) une nouvelle Cour constitutionnelle serait établie pour interpréter la constitution; les provinces nommeraient au moins les deux-tiers des juges de cette cour; 2) la Cour suprême actuelle serait transformée en une cour d'appel pour l'interprétation des lois fédérales; les provinces auraient le choix de donner ou non juridiction à cette cour sur l'interprétation de leurs propres lois; 3) les provinces nommeraient les juges de toutes les cours provinciales; ces cours pourraient interpréter les lois fédérales si tel était le désir du Parlement fédéral.

Ces propositions québécoises avaient pour but de corriger trois anomalies sérieuses du système judiciaire actuel. En créant un véritable tribunal constitutionnel, on s'assurait de l'existence d'un arbitre vraiment impartial dans toute dispute entre les deux niveaux de gouvernement. En restreignant la juridiction de la Cour suprême du Canada à l'interprétation des lois fédérales et en laissant aux provinces le choix d'élargir ou non cette juridiction, on s'assurait que le Québec puisse confier l'administration de son droit civil, notamment son droit de la famille à des tribunaux purement québécois. Enfin, en donnant aux provinces le droit de nommer tous les juges qui président les tribunaux provinciaux (contrairement à la situation actuelle où les juges de la Cour supérieure et de la Cour d'appel sont nommés par Ottawa), on permettait au Québec de réorganiser à sa guise son système judiciaire (1).

Or la formule Trudeau-Turner ne change à peu près rien au système actuel. Tout au plus y reconnaît-on que l'existence et l'indépendance de la Cour suprême du Canada devraient être garanties par la constitution, que les provinces devraient être consultées quant au choix des juges (lesquels continueraient à être nommés par le seul gouvernement fédéral) et que les appels en matière civile devraient, comme c'est déjà le cas, être entendus par "un nombre suffisant" de juges de droit civil. Quant au reste, il n'y a rien d'autre qu'une promesse de discuter plus à fond de la compétence de la Cour suprême en matière de lois "strictement provinciales". Si ces propositions étaient acceptées, il s'agirait donc d'un net recul par rapport aux demandes initiales du Québec.

Les inégalités régionales

Depuis le début de la révision constitutionnelle, les provinces de l'Atlantique n'ont pratiquement eu qu'un seul objectif: faire reconnaître le problème des inégalités régionales comme étant la source principale, voire même unique, des tensions actuelles. Le Québec, tout en reconnaissant qu'il s'agissait là d'un problème sérieux, ne voulait pas que la discussion de cette question distraie l'attention du principal: la répartition des pouvoirs. Or, on remarquera qu'alors que les conclusions de la conférence ne disent rien de la répartition des pouvoirs, elles accordent une grande place aux inégalités régionales. Que faut-il en conclure?

Ce qu'il faut remarquer, en tout cas, c'est que les inégalités dont parle la formule Trudeau-Turner sont exprimées par rapport aux individus, et non par rapport aux gouvernements. On veut que chaque citoyen ait une égalité des chances, un niveau raisonnable de services publics et de possibilité économique et sociale. On ne parle pas d'une égalité de ressources entre les provinces. Or, cette façon de parler conduit évidemment à mettre l'accent sur des programmes fédéraux de redistribution de la richesse entre les individus (par exemple au moyen d'un régime fédéral de revenu garanti) plutôt qu'à une redistribution de la richesse entre les gouvernements (par exemple au moyen de la péréquation). C'est donc une formulation, en définitive, qui favorise une extension des programmes fédéraux dans un domaine précisément, celui de la sécurité sociale, où les demandes du Québec ont été les plus insistantes. A bon entendeur, salut !

Les mécanismes de relations fédérales-provinciales

Les propositions de la formule Trudeau-Turner au sujet des relations fédérales-provinciales sont tellement anodines qu'on se demande s'il vaut la peine d'en parler. Les propositions québécoises du 24 juillet 1968 étaient, par contre, beaucoup plus précises. Elles suggéraient l'établissement par la

(1) A cause de l'interprétation donnée à l'article 96 du BNA Act, le Québec est incapable, par exemple, de mettre sur pied un système autonome de tribunaux familiaux ou de tribunaux administratifs (Rapport du Groupe de travail sur les tribunaux administratifs, ministère de la Justice du Québec, 1971, à la p. 269: On le constate à nouveau, les articles 96 à 100 de l'A.A.N.B. ne cesseront de venir hanter l'esprit de tous ceux qui voudront proposer des réformes au système judiciaire et administratif du Québec. Il est grand temps que les autorités gouvernementales fassent le nécessaire pour assurer la suppression du texte de l'A.A.N.B.)

constitution d'une Conférence annuelle des chefs de gouvernement, de même que la création d'une Commission permanente de la fiscalité dont le but serait de préparer les arrangements fiscaux sur une base périodique. Le Québec suggérait également que la constitution prévoie la conclusion d'accords intergouvernementaux liant constitutionnellement chacune des parties et pouvant être interprétés, en cas de conflit, par la cour constitutionnelle. Plus récemment, le gouvernement actuel du Québec a demandé à être obligatoirement consulté au préalable sur toute politique fédérale ayant des répercussions sur l'économie québécoise. Mais pourquoi le gouvernement fédéral accepterait-il de changer une situation qui lui assure la conduite effective des relations intergouvernementales?

La modernisation de la constitution

Enfin, la formule Trudeau-Turner suggère de profiter du rapatriement de la constitution pour la débarrasser d'un certain nombre de dispositions désuètes et pour remplacer le préambule actuel par un texte qui correspond davantage aux réalités contemporaines. Rappelons, pour mémoire, qu'un des objectifs de la Confédération est, suivant le préambule actuel, de favoriser les intérêts de l'empire britannique!

Nous ne connaissons pas encore le texte du nouveau préambule qui sera proposé. Il est évident, cependant, que le Québec ne pourrait pas se contenter d'un texte d'ordre très général qui remplacerait par des banalités un exposé clair des principes devant animer une nouvelle constitution canadienne. Pour permettre de juger ce texte lorsqu'il sera connu, nous reproduisons ci-après les propositions élaborées que le Québec a déjà faites à ce sujet:

La constitution canadienne devrait énoncer, dans son préambule, un certain nombre de principes qui en indiquent l'esprit, en précisent la nature et les buts et en facilitent l'interprétation.

(Document de travail du 24 juillet 1968, p.2)

Pour tenir compte des réalités fondamentales qui donnent à notre pays son caractère propre, le Canada devra être conçu et organisé à la fois comme une fédération d'Etats et une association de deux nations, Etats et nations qui conviennent d'établir des structures communes pour la gestion de leurs intérêts communs, tout en conservant leur individualité, leurs droits historiques et leurs libertés essentielles dans le cadre de la constitution.

(Document de travail du 24 juillet 1968, p.6)

La constitution canadienne doit tenir compte du fait que le Québec a un rôle spécial à jouer dans la réalisation de l'égalité culturelle.

(Document de travail du 24 juillet 1968, p. 10)

On peut donc constater que, même dans les modifications d'ordre particulier qu'elle contient, la formule Trudeau-Turner est loin de correspondre aux exigences légitimes du Québec. Sur au moins un point, celui des droits linguistiques, elle est carrément inacceptable; sur aucun point elle ne donne entière satisfaction aux demandes québécoises.

LES SILENCES DE LA FORMULE

Si la formule Trudeau-Turner révèle bien, par ce qu'elle contient, à quel point elle vise à protéger le statu quo constitutionnel, elle le montre encore davantage par ce qu'elle ne contient pas. En effet, on n'y trouve rien de ce qui est l'essentiel pour le Québec: le partage des pouvoirs.

Or, dans au moins quatre domaines, il est primordial pour le Québec de modifier immédiatement la constitution actuelle. Sur ces points, le Québec ne peut se permettre d'attendre puisque la présente constitution paralyse son action tandis qu'elle permet au gouvernement fédéral d'y étendre et d'y consolider son emprise. Dans chacun de ces domaines, tout délai additionnel joue à l'encontre des intérêts du Québec (1). Ces domaines sont ceux qui ont été mentionnés dès la première conférence constitutionnelle de 1968, soit: le pouvoir fédéral de dépenser, la politique sociale, les communications et les relations avec l'étranger.

(l)C'est pour cette raison qu'on ne peut justifier la formule Trudeau-Turner en prétendant qu'elle ne change rien à la situation actuelle. Car c'est précisément le but de la révision constitutionnelle de changer cette situation. Le maintien du statu quo est en soi une défaite pour le Québec.

Le pouvoir fédéral de dépenser

Le pouvoir que s'est arrogé le Parlement fédéral de dépenser dans n'importe quel domaine est sûrement l'une des causes principales des tensions fédérales-provinciales qu'a connues le Canada au cours des vingt dernières années.

Au fait, même le gouvernement fédéral a accepté que, dans le cas des paiements conditionnels faits aux provinces (1) des règles précises devraient désormais régir l'action du gouvernement fédéral. Ces règles ont fait l'objet de discussions poussées tant au niveau des fonctionnaires qu'à celui des premiers ministres et un large consensus s'est manifesté à leur égard. Il aurait été relativement facile de finaliser cette discussion.

Pourquoi ne l'a-t-on pas fait et pourquoi la formule Trudeau - Turner reste-t-elle silencieuse à cet égard? Le gouvernement fédéral, sentant que l'opposition du Québec à l'égard des programmes conjoints a diminué, voudrait-il revenir en arrière sur les propositions déjà faites? Il s'agit d'un sujet capital pour l'autonomie du Québec, comme l'a démontré dès 1956, la Commission Tremblay. Toute formule qui laisserait de côté cette question ne corrigerait en rien le malaise actuel.

La politique sociale

Il n'est peut-être aucun domaine où la constitution actuelle paralyse davantage le Québec que celui de la politique sociale. Parler de progrès de la réforme constitutionnelle sans régler le problème de la politique sociale serait se moquer des mots. Les déclarations récentes du ministre des Affaires sociales et du ministre du Travail et de la Main-d'oeuvre sont tellement catégoriques sur ce point qu'il n'est pas nécessaire d'insister davantage sur cet aspect de la question.

Il faut toutefois insister sur l'urgence qu'il y a à faire ces changements puisque, si l'on rate l'occasion de la conférence de juin, on ne pourra espérer être en mesure de mettre en oeuvre au Québec, dans un avenir prévisible, une politique sociale véritablement intégrée. Si l'on ne réussit pas en juin, alors que le sujet est au coeur de l'actualité et a fait l'objet de discussions intensives, il serait illusoire de penser pouvoir réussir quelques mois plus tard, alors que le gouvernement fédéral aura consolidé sa position. Car n'oublions pas que le gouvernement fédéral vient tout juste de modifier son programme relatif à la sécurité de la vieillesse, qu'une nouvelle loi de l'assurance-chômage est présentement en discussion aux Communes et entrera en vigueur incessament et qu'un nouveau régime d'allocations familiales a été promis pour septembre prochain. Enfin, c'est un secret de polichinelle que le gouvernement fédéral étudie sérieusement l'établissement d'un régime général de revenu garanti dont l'établissement pourrait coîncider avec les prochaines élections fédérales. C'est donc dire qu'il est plus que temps pour le Québec de récupérer ce domaine. Tout délai additionnel serait fatal.

D'ailleurs, le gouvernement du Québec, lors de la dernière conférence, a insisté sur le lien étroit qui existait entre un accord sur la formule de rapatriement et un accord sur la politique sociale. Si la constitution actuelle n'est pas modifiée pour reconnaître au minimum la priorité législative du Québec dans ce domaine de la politique sociale (2), il est évident que le Québec aura subi un échec majeur dont il faudra alors tirer toutes les conséquences.

Les communications

Dès la conférence constitutionnelle de février 1968, le Québec avait indiqué que la situation actuelle dans le domaine des "instruments d'éducation et de culture, et notamment la radio et la télévision", était inacceptable. On suggérait même que le Québec ait des représentants auprès des bureaux de direction de la Société Radio-Canada et du Conseil de la Radio-Télévision canadienne. Depuis, le ministère des Communications du Québec a été crée et le présent titulaire a réitéré, en les amplifiant, les exigences du Québec. Puis l'Ontario a emboîté le pas. Il s'agit donc d'un problème dont l'acuité n'a cessé de grandir depuis 1968 et où, encore une fois, il est urgent de modifier la constitution. D'autant plus que tout délai ne fait que favoriser la consolidation du pouvoir fédéral puisque le Conseil de la Radio-Télévision canadienne a déjà commencé à

(1) Le cas des paiements inconditionnels aux provinces soulève peu de problèmes constitutionnels puisqu'ils permettent à celles-ci de garder leur pleine autonomie. Le cas, différent, des paiements aux individus (ex.: allocations familiales) doit être discuté dans le cadre de la politique sociale.

(2) La politique sociale a été définie lors de la conférence des ministres du Bien-Etre social du 28 janvier 1971, de la façon suivante: Par politique sociale, le gouvernement du Québec entend l'ensemble des politiques dans chacun des domaines suivants: sécurité du revenu, main-d'oeuvre, services sociaux y compris ceux qui sont reliés à l'administration de la justice, services de santé y compris les mesures de financement telles l'assurance-hospitalisation et l'assurance-maladie, habitation et loisirs.

réglementer l'industrie de la cablodiffusion et tient présentement des audiences publiques à ce sujet. Par ailleurs, le développement de la télévision scolaire, et notamment la mise en oeuvre du projet multi-média, exige que le Québec se voie reconnaître des pouvoirs accrus en matière de télécommunications. Le Québec se doit donc d'insister sur un règlement immédiat de cette question d'une importance primordiale pour son développement culturel.

Les relations avec l'étranger

Le fait que, sous le gouvernement Bourassa, les relations avec l'étranger aient été reléguées au second plan ne doit pas induire en erreur sur leur importance pour l'épanouissement de la nation québécoise. Le Québec, en effet, a vécu trop longtemps dans l'isolement pour renoncer à prendre sa place légitime dans le concert des nations et, avant tout, dans la francophonie. Comment, dans de telles circonstances peut-on s'expliquer que le Québec se soit résolu à mettre en veilleuse des relations qui, non seulement correspondaient aux aspirations profondes de ses citoyens, mais également qui lui auraient permis de bénéficier de l'expérience d'autrui? La raison en est purement d'ordre constitutionnel. C'est tout simplement pour ne pas déplaire à un gouvernement fédéral extrêmement jaloux de ses prérogatives que l'on renonce ainsi à la poursuite d'un objectif éminemment souhaitable.

Donc l'expérience actuelle nous montre d'une façon évidente que, si la constitution canadienne n'est pas modifiée pour donner au Québec au moins le prolongement international de ses compétences internes, tout progrès dans ce domaine sera absolument impossible. Maintenir le statu quo, encore une fois, c'est vouer le Québec à l'inaction. Il faut donc régler également cette question sans plus attendre.

En définitive, le Québec n'est pas plus avancé en 1971 qu'il ne l'était en 1968 lorsque débutèrent les discussions constitutionnelles. Ce qui compte, pour lui, c'est de limiter les pouvoirs fédéraux et d'accroître les siens. Ce qui importe, c'est de changer au plus tôt une constitution qui favorise beaucoup trop la centralisation et les empiètements du gouvernement fédéral. Or, jusqu'à maintenant le Québec n'a absolument rien obtenu de concret sur aucun des quatre points fondamentaux où il a, à maintes reprises, demandé que des modifications substantielles soient effectuées sans délai. Par conséquent, même en se plaçant dans la perspective d'un fédéralisme qu'on voudrait renouveler, force est de conclure que la formule Trudeau-Turner n'est autre chose qu'un constat d'échec.

CONCLUSION

La conclusion sans équivoque qui se dégage de cette analyse est que la formule Trudeau-Turner est carrément inacceptable et que le gouvernement du Québec ferait une erreur grave en y souscrivant. Cette situation vient principalement du fait que cette formule non seulement ne règle en rien le fond du problème constitutionnel mais en retarde la solution; qu'elle peut porter atteinte au droit du Québec à l'autodétermination; qu'elle constitue un net recul par rapport aux demandes antérieures du Québec.

En 1964, la population du Québec a forcé son gouvernement à refuser la formule Fulton-Favreau parce que celle-ci ne correspondait pas à l'état d'esprit nouveau des Québécois qui, en grande majorité à cette époque, désiraient voir le Québec acquérir des pouvoirs constitutionnels plus étendus. Comment peut-on croire qu'il en sera autrement en 1971, alors que de plus en plus de Québécois non seulement désirent plus de pouvoirs pour leur gouvernement mais aspirent à la souveraineté politique?

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