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Version finale

40th Legislature, 1st Session
(October 30, 2012 au March 5, 2014)

Tuesday, September 17, 2013 - Vol. 43 N° 51

Special consultations and public hearings on the consultation paper on the regulation of retail prices of new printed and digital books


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Table des matières

Auditions (suite)

Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française inc. (ADELF)

Fondation Lucie-et-André-Chagnon

M. Marc Ménard

Les Éditions du Septentrion inc.

Costco Wholesale Canada Ltd.

Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ)

Les Éditions du Boréal

Autres intervenants

Mme Lorraine Richard, présidente

Mme Dominique Vien, vice-présidente

M. Maka Kotto

M. Sylvain Roy

M. Émilien Pelletier

Mme Christine St-Pierre

Mme Nathalie Roy

Mme Françoise David

M. Geoffrey Kelley

*          M. Pascal Chamaillard, ADELF

*          Mme Gilda Routy, idem

*          M. Serge Théroux, idem

*          M. Benoit Prieur, idem

*          M. Claude Chagnon, Fondation Lucie-et-André-Chagnon

*          M. François Lagarde, idem

*          M. Gilles Herman, Les Éditions du Septentrion inc.

*          Mme Sophie Imbeault, idem

*          Mme Andrée Brien, Costco Wholesale Canada Ltd.

*          Mme Solange Drouin, ADISQ

*          M. Pascal Assathiany, Les Éditions du Boréal

*          M. Dany Laferrière, idem

*          M. Jacques Godbout, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Note de l'éditeur : La commission a aussi siégé en matinée pour l'étude détaillée du projet de loi n° 45, Loi sur le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie. Le compte rendu en est publié dans un fascicule distinct.

Journal des débats

(Seize heures dix-sept minutes)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Le mandat de la commission est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le document intitulé Document de consultation sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et numériques.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. M. Tanguay (LaFontaine) sera remplacé par M. Kelley (Jacques-Cartier).

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. À l'ordre du jour cet après-midi, nous entendrons l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française, la Fondation Lucie-et-André-Chagnon, M. Marc Ménard, économiste et professeur à l'École des médias de l'UQAM, et Les Éditions du Septentrion. En soirée, nous recevrons les représentants de Costco, par la suite nous accueillerons l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, l'ADISQ, et nous terminerons avec Les Éditions du Boréal.

Auditions (suite)

Sans plus tarder, nous accueillons les représentants de l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française. Je dois m'excuser au nom, je dirais presque, de l'Assemblée nationale pour le retard que nous avons eu cet après-midi. Il faut bien comprendre que, tant que nous n'avons pas reçu l'ordre de la Chambre, nous ne pouvons débuter nos travaux en commission parlementaire.

Je veux vous rassurer dès le départ, vous allez avoir le temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Nous allons nous occuper du temps et nous allons aller au-delà de 18 heures pour permettre à tous les intervenants de se faire entendre et d'avoir des échanges avec les parlementaires.

Donc, je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale, M. Chamaillard. J'espère que je le prononce bien. Je vais vous demander de faire votre exposé en 10 minutes… bien, de nous présenter également les personnes qui vous accompagnent. La parole est à vous.

Association des distributeurs exclusifs de
livres en langue française inc. (ADELF)

M. Chamaillard (Pascal) : D'accord. Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, bonjour. Permettez-moi effectivement, tout d'abord, de nous présenter : je m'appelle Pascal Chamaillard, je suis président de l'ADELF et directeur général d'une maison de distribution qui s'appelle Édipresse; à ma gauche, Gilda Routy est vice-présidente de l'ADELF, directrice Division livres de chez Bayard; à l'extrême gauche, Serge Théroux, qui est administrateur à l'ADELF et directeur général de Dimedia; et, à ma droite, Benoît Prieur, directeur général de l'ADELF.

• (16 h 20) •

Nous voudrions dans un premier temps vous remercier de l'attention que vous portez à ce dossier d'une importance capitale tant pour la culture québécoise que pour tout un secteur d'activité : en effet, quelque 11 000 emplois directs, sans compter les retombées indirectes, les auteurs, les innombrables pigistes qui contribuent chaque jour à la vitalité du livre et de la culture au Québec.

Tout comme vous, j'ai écouté chacun des intervenants à cette commission et je me suis dit : Mais comment vont-ils faire, ces élus, pour distinguer le bon grain de l'ivraie? Vous avez entendu tout et son contraire. Vous avez entendu nombre d'individus et des associations, certains représentant, de manière déclarée ou non, des intérêts spécifiques. L'avantage, dans le cas des associations, c'est, d'une part, que chacune de leurs prises de position représente celle d'un grand nombre, par conséquent leur représentativité est sans égale. D'autre part, puisqu'elles agissent au grand jour, à visage découvert, ainsi nous sommes tenus de présenter des faits avérés et rigoureusement exacts, de ne pas citer des phrases hors contexte ou d'utiliser de manière sélective des données dans nos mémoires.

Les associations professionnelles ont aussi l'indéniable avantage de posséder une connaissance empirique des réalités multiples et complexes du livre au Québec, une connaissance bien plus valable que celle des théoriciens. Je ne vais pas vous répéter ici encore les mêmes arguments qui militent en faveur de la demande unanime de toutes les associations professionnelles du domaine du livre, vous les avez déjà entendues.

Le secteur du livre s'est, depuis la nuit des temps, adapté à moult mutations. On n'a qu'à penser aux tables de la Loi données à Moïse, aux tablettes cunéiformes, à l'utilisation du parchemin, à Gutenberg et le début de la reproduction et de l'impression en nombre, au numérique. Au fait, je vous signalerais que le numérique, ça fait depuis les années 1980 que les éditeurs baignent dedans. Effectivement, ils travaillent sur des fichiers depuis les années 1980. Donc, l'adaptation est dans l'ADN du monde de l'édition, et nous savons nous adapter au changement.

Maintenant, on va relativiser les choses. Le livre a un poids tout à fait relativement négligeable dans le budget des familles, soit 0,2 % des dépenses ou environ 70 $ per capita. Lorsque l'on considère l'ensemble des secteurs dont les prix sont réglementés pour des raisons diverses et qui totalisent quelque 15 000 $ par ménage par année ou 35 % des dépenses moyennes d'un ménage, on constate qu'il s'agit ici d'un non-sujet. Parmi les secteurs qui sont, d'une manière ou d'une autre, réglementés, mentionnons au passage : le tabac, la bière, le vin, les alcools, le lait, l'électricité, le logement locatif. Et cette liste n'est pas exhaustive. On le voit bien, les prix de quantité de produits sont déjà réglementés dans notre société et le poids du livre est si négligeable que notre projet n'aura, de toute manière, aucun impact significatif sur le pouvoir d'achat des consommateurs.

Si je dois synthétiser le seul argument qui a été avancé en défaveur d'une éventuelle réglementation, c'est celui que le lecteur-consommateur paierait plus cher ses livres. Je vais vous faire un aveu personnel : il y a cinq ans, j'aurais été dans le camp des opposants à une réglementation sur le prix des livres. Eh oui! Je tenais le même raisonnement que ceux qui pensent qu'un tel dispositif renchérirait le prix des ventes dans certains points de vente. Mais ça, c'était avant d'examiner l'expérience internationale, les milliers de pages d'études, de rapports divers sur la question, et surtout avant le constat de l'expérience britannique. On se souviendra aussi qu'il y a quelques années nombre d'économistes pensaient que l'on devait accéder aux demandes d'assouplissement, voire de déréglementation du système bancaire. Aujourd'hui, avec le recul, on aura compris que, dans certains rares domaines, il est périlleux de laisser l'autorégulation opérer. À ce sujet, un certain Paul Martin avait bien étudié le dossier.

Le monde des pays de l'OCDE est divisé en deux : il y a des pays avec réglementation sur le prix de vente des livres et des pays sans. Le cas britannique est très instructif parce que les Britanniques ont abandonné le régime de prix fixe au milieu des années 1970. Et l'économiste britannique Francis Fishwick, spécialiste de réputation internationale en économie du livre et de la concurrence — donc pas un économiste qui s'est penché de manière superficielle ou ponctuelle sur le sujet, mais, pour lui, c'est l'objet de toute une vie de travaux — eh bien, il a constaté que, contrairement aux théories économiques classiques, paradoxalement, les consommateurs britanniques paient en moyenne plus cher les livres que si le Net Book Agreement avait été maintenu. En fait, en Grande-Bretagne, il y a eu 61 % plus d'inflation qu'en France ou en Allemagne sur la période qui a suivi l'abandon du prix réglementé en Grande-Bretagne.

Les rabais accordés aux consommateurs ont apparemment augmenté, mais, face à la pression des détaillants surtout non traditionnels et plus exigeants, avec des remises qui, petit à petit, pouvaient aller jusqu'à 70 %, les éditeurs ont mécaniquement, pour compenser, augmenté le prix théorique de vente au détail, autrement appelé le prix de détail suggéré. Depuis quelques années, de véritables guerres de prix ont lieu, dans les pays anglo-saxons, sur le livre pour s'emparer du secteur, par Amazon. Et les chaînes de librairies, pour tenter de conserver leur place, tentent de rivaliser, mais même les chaînes, avec leur puissance, n'y arrivent pas. Conséquemment, aujourd'hui, en Angleterre, il y a maintenant un tiers de moins de librairies qu'en France per capita.

Maintenant, je vais vous faire voyager en Australie, une ville comme Greater Dandenong. Avec un nom comme ça, on voit les kangourous en arrière-plan. Greater Dandenong : 140 000 habitants, 49 écoles, 117 supermarchés. Eh bien, aujourd'hui, il y a zéro librairie suite à la faillite de la plus grosse chaîne de librairies du pays. Combien de villes, au Québec, avons-nous de 140 000 habitants? Sept, selon le dernier recensement de Statistique Québec. Ça ferait combien de villes sans librairie si on suivait le même modèle à terme? Pendant ce temps, aux États-Unis, en 2011, la chaîne numéro deux, Borders, faisait faillite, avec 700 librairies qui ont fermé. En toute logique, Barnes & Noble, le numéro un mondial, aurait dû en bénéficier suite à l'élimination de son concurrent. Eh bien, malgré ça, son dernier exercice, clos le 27 avril dernier, faisait état d'une perte de 157 millions de dollars.

Ailleurs, toujours dans le monde anglo-saxon, parce que c'est là où principalement le prix est déréglementé, on constate que les chaînes Borders, en Grande-Bretagne, Books etc., en Grande-Bretagne, Robertson, toujours en Grande-Bretagne, Waterstones, au Royaume-Uni, en Irlande, Hugues & Hugues, en Irlande, Borders, en Australie, et le RedGroup Retail, en Australie, ont toutes soit fait faillite, soit se sont mises sous la protection de la loi ou bien encore sont en profonde restructuration, comme on dit élégamment. Eh bien, toutes ces chaînes anglo-saxonnes étaient sûrement conseillées par des gens brillants, comme certains de ceux qui sont venus devant cette commission, et pourtant on connaît maintenant leur triste sort.

Pendant ce temps, parallèlement à ça, dans les pays à prix réglementé, bien, la librairie tient plutôt bien le coup, même si certains tentent de pointer du doigt la faiblesse des uns ou des autres à droite ou à gauche, mais c'est marginal par rapport à l'hécatombe dans le monde anglo-saxon.

Qu'en est-il maintenant de la situation actuelle au Québec? Nous avons un réseau de librairies diversifiées, composé de chaînes et de librairies individuelles qui servent formidablement bien l'intérêt du lecteur et de la diversité culturelle. Mais notre rôle, qui est également le vôtre en tant qu'élus, n'est pas de regarder dans le rétroviseur mais plutôt dans le parebrise, vers l'avant. Or, ce réseau de librairies est fragile, et on constate que cette fragilité est grandissante.

Les rabais actuels pratiqués par certains détaillants sont indéniablement une vive concurrence, mais pas encore ce qu'on peut qualifier de guerre de prix. Mais il est évident qu'elle se profile à l'horizon, cette guerre de prix. Lorsqu'Amazon va décider de répliquer sa stratégie qu'il a déployée dans les pays anglo-saxons, de vente à très forts rabais le temps de s'emparer du marché, et qu'alors les Wal-Mart ou Target — qui vient d'ouvrir aujourd'hui, d'ailleurs, au Québec, ses magasins — vont suivre et vont encore abaisser les prix pour tenter de se positionner comme on l'a vu aux États-Unis, eh bien, à ce moment-là, il sera trop tard pour réagir.

Et, une fois la terre brûlée, les librairies en grande partie disparues, alors les prix vont remonter parce que, lorsqu'il y aura un oligopole de créé, bien là les trois, quatre gros acteurs qui auront le marché vont décider des conditions et le consommateur va se retrouver…

La Présidente (Mme Vien) : Merci. M. Chamaillard. Ça sera votre mot de la fin en ce qui a trait à votre présentation. Ça passe vite, hein? Alors, les 10 minutes…

M. Chamaillard (Pascal) : Une petite minute de plus? Est-ce que je peux me permettre…

La Présidente (Mme Vien) : Elle sera prise, à ce moment-là, sur le temps de M. le ministre qui, semble-t-il, a pas mal de questions pour vous.

M. Chamaillard (Pascal) : Est-ce que vous me permettez?

La Présidente (Mme Vien) : Mais allez-y. Les collègues? Une minute, je veux bien. Allez-y.

M. Chamaillard (Pascal) : Je vous remercie.

La Présidente (Mme Vien) : Rapidement.

• (16 h 30) •

M. Chamaillard (Pascal) : Et là ce serait encore plus grave dans une société comme la nôtre parce que, si les géants mondiaux de l'édition pourront toujours réussir à négocier mondialement pour les grands auteurs américains, ça va être une autre paire de manches pour notre production qui, pourtant, est un élément de notre identité culturelle.

Je pourrais vous faire des parallèles avec le domaine de l'agriculture. Malheureusement, je ne pourrai pas le faire, je n'ai pas le temps. Mais n'attendons pas que l'incendie soit déclaré pour installer la borne-fontaine : munissons-nous d'une toute petite législation, bien douce par rapport à ce qui existe ailleurs. Et, en réalité, on pourrait en faire un débat d'experts, mais le véritable choix, c'est un choix de société.

La Présidente (Mme Vien) : Merci beaucoup. Alors, maintenant la parole est au député de Bonaventure. On vous écoute.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, madame, bonjour, messieurs. Bienvenue à cette commission. Vous avez dit tout à l'heure qu'on ne pouvait pas… que c'était impossible d'autoréguler le marché, que ce n'était pas une bonne pratique. Vous demandez à l'État de le faire, mais pourquoi il ne peut pas y avoir une autorégulation de la pratique?

M. Chamaillard (Pascal) : Pour des raisons juridiques qui nous échappent et qui ne nous permettent pas de le faire. Si on le faisait de manière interprofessionnelle, ça contreviendrait à certains articles de loi fédéraux.

M. Roy : O.K… Puis-je y aller?

La Présidente (Mme Vien) : Allez-y, je vous en prie.

M. Roy : Ici, j'ai un texte, bon, qui date du 14 décembre 2009 où vous dites qu'il peut y avoir une adaptation des grandes surfaces… Écoutez, c'est à la page 9, je ne sais pas si vous avez ça en mémoire. Bon. Et je cite : «En France, à la suite de l'adoption de la loi sur le prix unique, les grandes surfaces ont d'abord protesté avant de s'adapter à cette loi et même d'y trouver leur compte. Actuellement, les grandes surfaces non spécialisées occupent 21,4 % [...] du marché de la vente du livre. Les grandes surfaces, ne pouvant plus concurrencer sur la base du prix de vente des best-sellers, se sont repositionnées en offrant... plus de diversité — O.K.? — certaines allant jusqu'à créer des espaces librairie à l'intérieur de leurs magasins.» Est-ce que ça ne pourrait pas rentrer en concurrence avec les petits libraires, ça? S'il y a, bon, une régulation qui vient de l'État et les grandes surfaces s'adaptent et développent le modèle de librairie, quel sera l'impact sur les petites librairies?

M. Chamaillard (Pascal) : Les grandes surfaces, la logique qui prévaudrait probablement sur notre marché, c'est celle qui a prévalu, je crois, au Mexique. Pour quelles raisons? Je dis que c'est… ils suivraient le même modèle — parce qu'on est allés voir qu'est-ce qui s'est passé au Mexique, sur place — parce qu'au Mexique ce qu'il est intéressant de constater, c'est qu'il y a exactement les mêmes grandes surfaces qu'ici, et on constate qu'ils n'ont pas adopté la même voie que la voie française, finalement. Ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils continuent de vendre des livres, qui d'ailleurs est positionné exactement au même endroit dans le magasin et occupent la même surface qu'auparavant, et ils n'ont pas considérablement diversifié leur offre. Ils maintiennent une offre à peu près similaire à celle qu'ils avaient auparavant, mais ils continuent de vendre des livres, donc l'achat impulsif demeure. Donc, le client qui, tout d'un coup, veut acheter un livre et qui le voit en faisant ses emplettes de tout… ou d'autres choses, il continue spontanément d'acheter de la même manière. Donc, là où ça bénéficie au libraire, c'est que ça permet un léger transfert de clientèle de celui qui attend l'occasion où il va aller dans la grande surface pour acheter son livre, pour l'acheter spécifiquement moins cher, donc ce… il y aurait un léger transfert, à ce titre, de clientèle de certaines grandes surfaces à la librairie, sur cette base-là. Donc, on ne croit pas que ça concurrencerait spécifiquement la librairie dans ce contexte-là. Allez, Gilda.

Mme Routy (Gilda) : On pourrait peut-être rajouter qu'il y a des personnes qui font des achats dans les grandes surfaces et qui ne vont jamais en librairie. Donc, ces gens-là n'iraient pas plus en librairie. Je pense que, comme le disait Pascal Chamaillard, ce qui est important, c'est pour les personnes qui à la fois visitent les librairies et à la fois vont faire des achats autres dans les grandes surfaces, et, parce qu'ils voient le best-seller et qu'ils savent qu'il est 20 % ou 25 % moins cher que chez leurs libraires du coin, font cet achat-là. Mais, pour nous, ce qui est important, c'est qu'il y ait une diversité de lieux de vente, et la grande distribution est aussi un moyen de permettre l'accès aux livres pour des gens qui ne vont jamais en librairie. Mais l'important, c'est que les règles du jeu soient justes pour tous les détaillants.

M. Roy : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Vien) : Oui, M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez une question?

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci. Merci. Oui, j'ai des questions. Premièrement, je vais demander : Est-ce que vous avez des études au niveau des… Je vous souhaite la bienvenue, premièrement. Est-ce que vous avez des études d'impact sur… L'objectif que la commission a actuellement, c'est de faire la réglementation du prix du livre. Est-ce que vous avez des études d'impact que cette réglementation pourrait avoir sur l'ensemble de la communauté?

La Présidente (Mme Vien) : M. Chamaillard.

M. Chamaillard (Pascal) : Oui. Alors, il y a plusieurs éléments. D'une part, il y a eu l'Institut IRIS, qui a déposé une étude et un mémoire au mois d'août, là, dans votre première partie de la commission. Je sais qu'il y a l'économiste Ianik Marcil qui va venir après-demain déposer également un document. Nous avons toutes les études sur l'expérience internationale qui sont tellement éloquentes à ce sujet, et on a déposé dans notre mémoire un rapport qui est le rapport Gaymard, qui fait — d'ailleurs, il est très volumineux, il fait quelque 400 pages — vraiment une revue très complète de ce qu'il y a. Dans notre mémoire, on fait également référence aux travaux de l'économiste, le Dr Francis Fishwick, qui sont très probants sur le sujet… et qu'il a mis à jour d'ailleurs certaines études pour nous. Et il s'est prononcé de manière éloquente dans les documents qu'on vous a présentés sur... qui fait que, finalement, ça ne fait l'ombre d'aucun doute que c'est la voie à suivre à l'heure actuelle, compte tenu de la situation de la nouvelle donne de la concurrence, en particulier Amazon, qui s'en vient.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Est-ce qu'il reste du temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Vien) : Bien sûr.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Oui. Vous affirmez que la réglementation du prix du livre pourrait permettre d'empêcher la guerre des prix qui a dévasté le marché anglo-américain. Pourquoi, au Québec, la loi du livre, actuelle, n'est pas un rempart suffisant pour… contre ces pratiques?

M. Chamaillard (Pascal) : Parce que la loi actuelle ne prévoit pas de mécanisme relativement au prix de détail. Par conséquent, c'est pour ça que les livres sont actuellement vulnérables et peuvent être utilisés comme produit d'appel, comme «loss leader», et peuvent servir, par exemple à Amazon, pour venir s'emparer du marché le jour où ils vont décider de faire une vraie guerre de prix sur notre marché, comme ils l'ont fait au Royaume-Uni, aux États-Unis, et où, à l'heure actuelle, ils ont une position qui a mis en péril tout l'écosystème du livre de manière moindre que ce que ça pourrait avoir lieu dans une société dont la langue n'est pas dominante. Parce que c'est sûr que les dommages qui ont été faits dans le monde anglo-saxon seraient beaucoup plus grands si... n'eût été de la position dominante de l'anglais dans le monde, parce que ce qui aide l'industrie de l'édition anglo-saxonne, c'est que c'est la langue la plus pratiquée dans le monde, et ce qui a porté l'édition britannique et américaine au cours des 10, 15 dernières, c'est l'exportation partout dans le monde parce que c'est la langue la plus usitée. En Asie, vous allez vous trouver des livres anglais. Vous allez en Europe, vous trouvez du livre anglais partout, dans des pays dont ce n'est pas la première langue. Alors, c'est sûr qu'ils peuvent s'appuyer sur ce volet exportation sur lequel nous, on ne peut pas s'appuyer.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci.

La Présidente (Mme Vien) : M. le ministre. Il vous reste un peu moins de trois minutes.

M. Kotto : Un peu moins de trois minutes. Merci, Mme la Présidente. Soyez les bienvenus, madame, messieurs. J'irai en rafale parce que j'ai quelques questions. Quel est l'avenir du rôle de distributeur, avec l'avènement du numérique, de votre perspective des choses?

• (16 h 40) •

M. Chamaillard (Pascal) : Qu'un livre soit papier ou numérique, il faut le distribuer, d'une manière ou d'uneautre. Par conséquent, l'édition est un domaine tellement fragmenté qu'il faut des éléments qui canalisent et qui catalysent les choses d'une manière cohérente. Alors, le rôle du diffuseur-distributeur en est un souvent d'analyse de marché, de prospectives, de potentiel commercial et de promotion, de diffusion. Par conséquent, diffuser, de manière physique ou virtuelle, ça demeure de toute manière un métier. Serge, pourrais-tu…

M. Théroux (Serge) : ...j'ajouterais qu'il y a trois ans c'est une question qu'on se posait, nous, diffuseurs-distributeurs, et, assez vite, il s'est défini un rôle très important parce que la diffusion et la distribution du livre numérique nécessitent un certain savoir-faire technique. Et il est plus facile, pour un diffuseur qui a un ensemble d'éditeurs à défendre, de mettre en place les structures qui sont aptes à desservir tous ceux... Puis, vous le savez, les clients, les revendeurs numériques sont extrêmement exigeants, donc il faut répondre à des exigences qui sont importantes, donc, plus que jamais on a un rôle à jouer. C'est-à-dire que cette inquiétude-là a disparue. Et, quand même, il faut se rappeler qu'aujourd'hui le numérique, c'est 4 % du chiffre, par exemple, d'une maison comme la nôtre. Il y a quand même 96 % des livres qui sont papier, et on s'appuie beaucoup sur ça aussi pour même diffuser les numériques.

La Présidente (Mme Vien) : Vous avez 30 secondes.

M. Kotto : ...30 secondes, oui, je... Voilà. J'en avais une dizaine, de questions. Bref, en 30 secondes, je ne peux pas les poser. Vous allez peut-être nous éclairer parce que vous êtes les acteurs les mieux placés dans la chaîne pour nous éclairer là-dessus : Les remises et les surremises, qui c'est qui les détermine?

La Présidente (Mme Vien) : En 10 secondes, monsieur. Rapidement.

M. Théroux (Serge) : Bien, les remises, d'une part, la loi n° 51 prévoit une remise minimum pour les librairies agrées, d'une part. Et les surremises, bien, évidemment, dans un contexte comme celui-là, avec des marges quand même relativement serrées, ce n'est pas toujours évident, mais c'est le diffuseur, c'est sûr, qui met en place des grilles.

La Présidente (Mme Vien) : ...

M. Théroux (Serge) : Et avec des pressions de gros joueurs. C'est de ça aussi dont on parle quand on...

La Présidente (Mme Vien) : Je dois protéger le temps des uns et des autres. Cher monsieur, je vous remercie infiniment. Alors, je cède la parole à notre porte-parole de l'opposition officielle.

Mme St-Pierre : Merci, Mme la Présidente. Alors, à mon tour de vous souhaiter la bienvenue. Et je suis heureuse d'entrer dans mes nouvelles fonctions de porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture en entrant dans cette commission parlementaire.

Sachez que c'est une question évidemment qui... sur laquelle nous nous sommes penchés lorsque j'étais dans une autre vie, et, évidemment, c'est une question qui est préoccupante, l'avenir des petites librairies. On voit que la situation n'est pas rose. Elles ferment leurs portes régulièrement.

Et ma question est sur la question... sur le phénomène évidemment d'Amazon. Comment ce prix... moi, j'ai toujours préféré l'expression «prix équilibré», vous le savez, mais parlons du prix unique. Comment on pourra contrer un phénomène d'une compagnie qui est située à l'extérieur du Québec, et le citoyen qui est sur son iPad, puis qui reçoit son livre par Internet? Est-ce qu'on n'arriverait pas un peu tard, une fois que le feu est pris, là?

M. Chamaillard (Pascal) : Alors, la réponse est relativement simple, en ce sens que, bon, d'une part, sur le plan juridique, il y a des avis sur la question qui déterminent que l'extraterritorialité des lois est quelque chose qui est maintenant balisé, donc c'est quelque chose qui peut se faire. D'ailleurs, la preuve maintenant : Amazon, quand il vend quelque chose qui doit comporter de la taxe de vente provinciale, il l'applique ou il la reverse, à ce que je sache, à moins qu'au ministère des Finances il y ait des surprises, là… mais il le fait, il la facture et il la reverse en fonction de l'adresse de destination ou, dans le cas des fichiers numériques, en fonction de l'adresse IP. D'après l'adresse IP, on sait de quel pays la personne commande, et c'est en ce sens-là que, là-dessus, Amazon respecte les lois existantes et suit ce qui est établi par l'État. Et il le fait donc dans les pays où il y a un prix réglementé du livre; il le suit et il se plie aux règles du jeu.

Mme St-Pierre : Donc, si je vous suis bien, on ne peut pas plaider les nouvelles technologies ou les nouveaux modèles commerciaux en disant que c'est impossible à faire, c'est-à-dire : quel que soit l'endroit où on serait, où l'entreprise, entre guillemets Amazon, serait située, la loi ou la réglementation du Québec s'appliquerait.

M. Chamaillard (Pascal) : Tout à fait. Et, ça, c'est tout à fait réalisable et ça se fait.

Mme St-Pierre : Maintenant, sur la question de la période de temps qui est suggérée, là — c'est une hypothèse, on parle de neuf mois, si je ne m'abuse — est-ce que vous ne trouvez pas que cette période-là est un peu trop longue, si on se place dans la peau des grandes surfaces? Est-ce que vous ne considéreriez pas qu'il y aurait peut-être une période plus courte à établir pour faire en sorte que tout le monde puisse y trouver son compte?

M. Chamaillard (Pascal) : Cette balise... Bon, il y a des lois beaucoup plus contraignantes que le neuf mois. Il y a des pays où c'est illimité. Il y a d'autres pays où c'est deux ans. Il y a différentes formules qui existent.

Nous, on est arrivés, dans la profession, de manière consensuelle, après des discussions, en prenant en compte les intérêts des uns et des autres, à un compromis consensuel de neuf mois qui nous paraissait pertinent eu égard au contexte nord-américain, eu égard à notre réalité commerciale. On est arrivés à cette notion de neuf mois. Il y a des gens qui souhaitaient plus, des gens qui souhaitaient un peu moins, et on est arrivés à neuf mois.

Mme St-Pierre : Et vous êtes convaincus, dans toutes les recherches que vous avez faites, toutes les discussions que vous avez eues, tout ce que vous avez pu vérifier sur… observer dans d'autres pays, vous êtes convaincus que c'est la façon de protéger les petites librairies, c'est la seule et unique façon. Est-ce qu'il y a d'autres mesures qui devraient être prises par le gouvernement pour assurer l'existence de ces petits commerces qui sont… Quand on connaît un libraire, il va nous suggérer des choses, on va établir une relation avec lui ou avec elle, il y a quelque chose qui s'établit. Et les voir disparaître nous fait évidemment très mal au coeur, mais certains vont vous dire : Les maréchaux… le maréchal-ferrant est disparu aussi depuis longtemps. C'est la seule solution? Parce que…

M. Chamaillard (Pascal) : Je vous dirais, d'une part, que ce n'est pas pour protéger les petites librairies, c'est pour protéger la librairie, qu'elle soit petite, de grosse… de chaîne. Quand on voit, dans le monde anglo-saxon, les chaînes qui tombent : Barnes & Noble qui a perdu son concurrent direct, Borders… Il ne se porte pas mieux aujourd'hui, malgré tout : il continue d'enfiler les déficits, trimestre après trimestre, et il va fermer, dans les 24 prochains mois, un autre 200 à 300 librairies. Donc, c'est protéger la librairie en tant que telle.

Vous me demandez si c'est la seule solution? Bien, en tout cas, c'est la seule qui a été éprouvée, qu'on constate mondialement. On constate mondialement que, dans le monde anglo-saxon où il n'y a pas de réglementation, la librairie disparaît petit à petit et puis, dans les pays où il y a des réglementations sur le prix, la librairie tient le coup. Il y a trois fois plus de librairies per capita en France et en Allemagne aujourd'hui qu'en Grande-Bretagne. Ça a donc… c'est net qu'il y a là un lien de cause à effet sur une formule éprouvée.

Mme St-Pierre : Les grandes surfaces vont dire… enfin, les gens qui vont dans les grandes surfaces l'ont dit, vous l'avez entendue certainement, cette remarque-là : Ce n'est pas ça qui va faire changer d'avis quelqu'un qui achète un livre dans une grande surface. Cette personne-là ne fréquente pas les librairies. C'est une personne qui arrive, fait un achat spontané, comme ça, puis… la plupart du temps. Vous pensez qu'il y aurait un transfert de ce client-là. Je pense… mettons, le dernier John Irving sort, je vais aller l'acheter à la librairie. Pendant un certain temps, le prix est fixe, donc, les gens, pensez-vous qu'ils vont migrer vers les librairies?

M. Chamaillard (Pascal) : Alors, il est bien évident que l'achat impulsif demeure l'achat impulsif. L'achat impulsif, c'est sur le coup, au moment, mais l'achat réfléchi, lui, c'est autre chose, et l'achat réfléchi, c'est quand même une portion non négligeable des achats. Alors, dans le domaine du livre, l'achat impulsif est très important. Il y en a une grosse portion, mais il y a aussi une portion des gens qui achètent de manière réfléchie, et c'est sûr que certains se disent à l'heure actuelle : Oui, je veux lire le dernier James Patterson, bien j'ai une librairie au coin, mais je vais chez telle grande surface dans 10 jours, deux semaines, je vais différer mon achat. C'est ceux-là qu'on peut déplacer un peu.

Donc, oui, il y aurait un effet de transfert de clientèle qui ne serait pas énorme, mais il y en aura un léger, non négligeable, qui serait sûrement suffisant pour donner une bouffée d'oxygène à beaucoup de librairies, y compris les chaînes. Mais il y a aussi… surtout, cette réglementation-là empêcherait le tsunami d'une guerre de prix le jour où elle va se déclarer. Le jour où Amazon va se dire : Je réplique ce que j'ai fait dans le marché anglo-saxon sur les petits marchés tel que celui du Québec, puis là je vais vendre à perte pendant trois ans, le temps de vider le marché de la librairie, et ensuite je remonterai les prix, comme on constate actuellement en Grande-Bretagne où les prix remontent... Puis qu'est-ce qu'ils font les éditeurs anglo-saxons? Ils montent le prix de détail suggéré.

Je vais vous donner un exemple. J'ai apporté ici l'auteur que je viens de citer, James Patterson, en anglais. En français, ça, c'est un livre que je distribue. Sur mon petit marché…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup…

M. Chamaillard (Pascal) : …francophone…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposions pour l'opposition officielle. Mme la députée de Montarville, représentante du deuxième groupe d'opposition, vous avez la parole.

Mme Roy (Montarville) : Oui, pour combien de temps?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Deux minutes, Mme la députée.

• (16 h 50) •

Mme Roy (Montarville) : Oh! Merci beaucoup. Bonjour, Mme la Présidente. M. le ministre, collègues du gouvernement, première opposition, bonjour à vous tous et, surtout, bonjour madame, messieurs. Merci d'être ici pour votre mémoire et cette annexe de 400 pages, ici.

Écoutez, je vais me faire l'avocat du diable. Nous avions avec nous M. Blaise Renaud, de Renaud-Bray, qui disait que c'était vraiment à votre niveau qu'on devrait revoir la chaîne du livre, au niveau des distributeurs. Alors, je vous donne la permission de lui répliquer : Qu'est-ce que vous lui répondez?

M. Chamaillard (Pascal) : Dans un premier temps, je tiens à préciser que Renaud-Bray, jusqu'à ce que ce soit le fils héritier qui prenne les rênes de l'entreprise, était pour une réglementation du prix du livre. M. Blaise Renaud, dans son mémoire, critique beaucoup les mécaniques qui sont habituellement en vigueur dans le domaine du livre. Mais, dans son mémoire, en page 2, il reconnaît que son entreprise a subi un essor extraordinaire — je crois qu'il parle d'un multiple de six de son chiffre d'affaires au cours des 10 dernières années — alors, c'est quand même un système qui, visiblement, l'a bien servi, d'un côté. Alors, je vois mal comment il peut, d'un côté, avoir un tel succès, et, d'un autre côté, le critiquer autant, ce système.

Mme Roy (Montarville) : Bien, il s'attaquait principalement aux distributeurs, justement. Alors, je vous donne l'occasion de vous défendre.

M. Chamaillard (Pascal) : Bien, c'est parce que…

M. Prieur (Benoit) : En réalité, comment… C'est une thèse que Blaise Renaud défend, mais, en réalité, comment un libraire pourrait commander des livres en France auprès de 2 000 éditeurs? Parce que c'est ça qu'on fait : on importe des livres provenant de France, de 2 000 éditeurs. Gérer les importations, gérer les exportations, c'est totalement irréaliste, c'est totalement irréaliste pour… même pour une grande chaîne comme Renaud-Bray. Peut-être pourrait-il le faire pour certains types de livres mais pas pour l'ensemble de la production.

Donc, la thèse qui a été présentée par Blaise Renaud, elle est unique, en réalité. Je pense qu'il est le seul à défendre cette thèse-ci; vous pourrez vérifier avec d'autres libraires ou avec des éditeurs. Personne ne remet…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup. Je suis vraiment désolée. Mme la députée de Gouin, vous avez la parole.

Mme David : Merci, Mme la présidente. Bien, écoutez, j'avais prévu une autre question, mais je suis d'un naturel très curieux, alors, moi, j'aimerais entendre monsieur avec sa démonstration et puis ses deux livres. Donc, je vous donne…. je vous laisse…

M. Chamaillard (Pascal) : Merci, madame. Donc, James Patterson, auteur anglo-saxon à succès de best-sellers. Nous, en français, sur notre petit marché, avec donc un petit tirage, une traduction, on le met en vente à 29,95 $. Je suis passé chez Indigo acheter un James Patterson. Combien je l'ai payé? 31,99 $. Il y a quelque chose de problématique dans le système anglo-saxon à l'heure actuelle.

Mme David : Est-ce que j'ai encore du temps?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui, il vous reste environ 60 secondes.

Mme David : Génial. Alors, en une minute, en 55 secondes, dites-moi qu'est-ce qui va se passer dans le comportement du consommateur de chez Costco et comment le fait d'avoir un prix réglementé va vous aider.

Une voix : Je te laisse, Gilda. Veux-tu…

Mme Routy (Gilda) : Le consommateur, chez Costco, celui qui ne va jamais en librairie, il continuera à acheter le livre, quel que soit le prix, parce que Costco pourra parfaitement dire : Bien, ce prix est 10 % moins cher que celui que vous voyez en librairie. Et, comme le disait tout à l'heure Pascal, c'est le client qui va chez Costco et qui va chez son libraire qui, s'il passe devant sa librairie, le livre qu'il veut acheter, le best-seller dont il a entendu parler à la télévision, à la radio, il ne fera pas un détour pour aller l'acheter, il l'achètera chez le libraire de son quartier ou même sur Internet, parce que, comme on le disait tout à l'heure, Amazon...

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup. Je suis…

Mme Routy (Gilda) : C'est extraordinaire de s'arrêter au milieu d'une phrase!

Des voix : Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui. Madame, messieurs, merci. Je vais vous poser une question : Si les parlementaires présents à la commission désiraient... parce que, comme nous manquons de temps, vous envoyer des questions, est-ce que vous voudriez bien pouvoir leur répondre?

Mme Routy (Gilda) : Absolument, envoyez-nous des questions.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Parfait. Merci beaucoup. Nous allons suspendre pour permettre aux autres intervenants de prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 54)

(Reprise à 16 h 55)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous reprenons nos travaux. Messieurs, bienvenue à l'Assemblée nationale.

Nous recevons la Fondation Lucie-et-André-Chagnon. Je vais vous demander, monsieur, de vous présenter, M. Chagnon, de présenter également la personne qui vous accompagne. Et vous allez disposer d'un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Par la suite suivra un échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Fondation Lucie-et-André-Chagnon

M. Chagnon (Claude) : Merci, Mme la Présidente, M. le ministre, MM., Mmes les députés. Bien, mon nom est Claude Chagnon, comme je dis souvent, de la fondation du même nom, et je suis accompagné de François Lagarde, vice-président Communications également à la fondation.

Merci, d'entrée de jeu, de nous avoir invités à ce débat intéressant. Je pense qu'on va peut-être ouvrir un chapitre différent — pour ne pas faire de jeu de mots — présenter une position de gens qui sont souvent peu représentés dans les débats publics : les jeunes, les enfants.

Alors, pourquoi ça nous intéresse d'être ici? Bien, je pense que vous le savez : la fondation se consacre à une cible qu'on appelle la réussite éducative des jeunes Québécois, donc dans l'objectif de prévenir la pauvreté, d'en faire des adultes autonomes économiquement et intégrés socialement plus tard, et qui pourront transmettre ces mêmes valeurs à leurs enfants. Et nous portons évidemment une attention particulière aux milieux défavorisés qui, sans être le seul déterminant... il y a un lien évident avec une sous-scolarisation et la pauvreté qui s'ensuit. Donc, si nous sommes ici, dans ce contexte-là aujourd'hui, c'est pour vous parler de l'importance, à nos yeux, d'assurer l'accessibilité aux livres jeunesse aux jeunes Québécois.

Comme vous le savez, nous avons un partenariat avec le gouvernement, qui s'appelle Avenir d'enfants, et dont la mission est d'assurer l'entrée scolaire réussie de nos jeunes. D'ailleurs, demain, il y aura des grands résultats d'une enquête qui a été faite à l'échelle de la province à ce sujet. Donc, nous sommes associés au gouvernement pour soutenir, dans les regroupements locaux, les efforts, auprès des enfants et de leurs parents, d'une stimulation précoce.

Ces intervenants dans toutes ces collectivités et des experts en développement des enfants sont unanimes sur l'importance du livre dans le développement des tout-petits. Le livre dès le plus bas âge apporte de nombreux bénéfices en ce qui a trait au développement affectif, langagier, moteur et cognitif des enfants, et qui est précurseur donc d'amélioration des résultats scolaires.

Depuis 2012, nous avons orienté notre campagne sociétale, qui existe quand même depuis maintenant quatre ans, sur la… donc nous l'avons orientée sur la promotion du livre comme meilleur jouet des tout-petits. Alors, je vais demander à François Lagarde de vous résumer les actions que nous avons menées dans ce domaine.

• (17 heures) •

M. Lagarde (François) : Très bien. Alors, la campagne sociétale de la fondation a été lancée en 2009. Au début, vous allez vous souvenir, on valorisait beaucoup le rôle des parents. Il y a eu une annonce assez reconnue, là, c'est un parent dans un théâtre. On a évolué vers des gestes concrets que les parents pouvaient adopter pour la stimulation de leur enfant parce que, les parents, c'est ça qu'ils nous demandaient : Qu'est-ce que je peux faire concrètement? Et ça a tellement bien marché que, quand on a demandé à des regroupements locaux de partenaires, organismes communautaires, CSSS et CPE, quel est le geste qui serait le plus porteur pour le développement des enfants, on nous a parlé du livre. L'an dernier, vous vous rappelez peut-être d'une campagne qu'on a faite, une vaste campagne publicitaire à la télé, qui mettait en scène des parents qui jouaient littéralement avec leur enfant et un livre. On a aussi des dossiers Web, on a un magazine, Naître et grandir, qui est distribué en 250 000 copies dans les CPE, bibliothèques québécoises. On a même produit un livre qu'on a distribué dans les milieux défavorisés, ou les secteurs de défavorisation, via des organismes communautaires Famille, les bibliothèques et même des commerces pour aller au-devant des gens dans leurs milieux de vie. Et on a eu un partenariat avec la fondation pour l'alphabétisation autour de La lecture en cadeau pour favoriser la distribution de livres aux enfants 0-4 ans en milieu défavorisé. On a ainsi plus que doublé la portée de ce programme-là dans les milieux défavorisés.

M. Chagnon (Claude) : Donc, dans ce contexte, vous comprendrez que notre perspective sur la réglementation du prix de vente des livres neufs s'inspire essentiellement sur l'idée que le livre doit être accessible au plus grand nombre, en s'assurant que c'est le cas aussi, et surtout, dans les milieux défavorisés.

Donc, plus précisément, là, sur l'accès territorial, nous soutenons les mesures qui vont favoriser l'accès du livre jeunesse dans les services de garde, le milieu scolaire, les bibliothèques, les librairies et aussi le dynamisme de la production et la diffusion du livre jeunesse québécois tel que nous l'avons décrit dans notre mémoire. Et ça a été une étude intéressante, on a découvert un monde en effervescence. Donc, on peut être très fiers de ce domaine-là ici, au Québec.

Donc, sur le deuxième point, c'est celui de l'accès économique au livre. Donc, on n'est pas des experts en économie, mais, en général, il est reconnu que l'élasticité de l'offre et la demande a ses limites et qu'une augmentation du prix pourrait décourager l'achat d'un bien ou d'un service. Alors, nous croyons qu'il serait important d'évaluer l'impact, de façon sérieuse, de mesures qui… ou l'impact qu'auraient des mesures sur la réglementation du prix du livre en termes d'accès aux jeunes et aux familles défavorisés. Voilà.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, messieurs. Vous allez avoir plus de temps pour pouvoir échanger avec les parlementaires. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Kotto : Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Chagnon, M. Lagarde, soyez les bienvenus à cette commission et merci pour votre contribution. Je vais y aller rapidement avec mes questions.

Vous ne prenez pas position clairement, à savoir s'il faut légiférer ou non à l'effet d'imposer un prix plancher sur le livre neuf, mais vous insistez cependant sur le fait qu'il faille faire des études préalables, avant d'adopter, en toute hypothèse, une telle mesure, relativement aux impacts qu'elle pourrait avoir auprès des familles défavorisées. Nous disposons, au Québec, d'un vaste réseau de bibliothèques publiques, donc un accès assez facile. Est-ce que ça n'est pas… hypothèse où on réglementerait évidemment, est-ce que ça ne serait pas une réponse pour ces familles défavorisées là?

M. Lagarde (François) : Oui. Ce que je pourrais vous dire, c'est : en préparant le mémoire, on a consulté l'Institut de la statistique du Québec pour justement voir deux choses, c'est-à-dire l'accès au livre ou l'achat du livre parmi les familles défavorisées, puis la donnée n'existe pas facilement, je vous dirais, et la même chose pour les bibliothèques. Le défi qu'il y aurait, dans certains milieux, c'est qu'il y a des parents faibles lecteurs qui n'ont pas le réflexe d'aller à la bibliothèque. Alors, ce qu'on dit, nous, c'est : On n'est pas des experts de l'économie du livre. Il y a une quadrature du cercle, c'est-à-dire qu'on est très conscients que, dans certains milieux, surtout en région, la perte d'une librairie est une perte d'accès territoriale qui nous préoccupe, nous aussi. C'est autour de l'accès économique. On se demande… Puis on n'a pas vu d'études sur l'impact de la mesure sur les clientèles ou les groupes plus défavorisés et ce qu'on… on vous sensibilise au fait qu'il faudrait peut-être regarder ça et voir à ce qu'il y aurait des aspects des mesures qui protégeraient ces milieux-là.

M. Kotto : J'anticipe votre réponse relativement à la question que je vais vous poser. Est-ce qu'une réglementation risque d'avoir des répercussions sur les habitudes des consommateurs du livre, selon vous, selon votre perspective des choses?

M. Lagarde (François) : Ce que je vous dirais, c'est : en cherchant la statistique sur les acheteurs en milieu plus défavorisé — on ne dit pas qu'ils n'en achètent pas, ils peuvent en acheter — on présume que ceux qui achètent le livre pourraient être plus affectés que n'importe quel autre segment de la population d'une réglementation qui maintient le livre plus haut. Il est facile de savoir… Pour une famille avec deux enfants, 30 000 $, ça passe vite dans autre chose que le livre, alors, si on augmente le prix du livre, on peut présumer que ça va les affecter. Mais on n'a pas les données, nous, et on ne les a pas trouvées ni à l'Institut de la statistique du Québec ou en faisant une recherche documentaire sur cette question-là. Et c'est à ça qu'on vous sensibilise, on pense qu'il serait souhaitable de s'en préoccuper.

M. Kotto : O.K. Là, je vais vous amener… Ça va être ma dernière question parce que je vais laisser de l'espace-temps à mes collègues. La promotion du livre auprès de la jeunesse, ça, c'est une de vos marottes. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Quelles sont les avenues que vous privilégiez dans vos approches?

M. Chagnon (Claude) : Écoutez — François pourra sûrement compléter — je pense qu'on n'est pas les seuls, loin de là, à avoir cette préoccupation, cette promotion auprès des jeunes, donc on veut jouer le rôle plutôt d'aider aussi, d'être un catalyseur auprès de tous ces joueurs, d'où, comme François le mentionnait, l'association avec la Fondation pour l'alphabétisation, etc. Je pense qu'il est important de converger les efforts des différents joueurs dans la société, à se sensibiliser à cette importance du livre pour le tout-petit. C'est un jouet, au départ, même quand il ne sait pas lire, il ne sait pas parler encore. Alors, je pense que tous, de travailler ensemble dès le plus jeune âge d'un enfant, c'est d'assurer un meilleur développement.

M. Lagarde (François) : Puis j'ajouterais, M. le ministre, qu'il y aussi tout le travail qui se fait à l'échelle locale, par des regroupements d'organismes communautaires Famille, par des CSSS, par des CPE, en développement langagier. Et ce qu'on fait, nous, à la fondation, autour de la campagne, est en appui au travail, puis notamment du travail de terrain qui est soutenu par Avenir d'enfants, comme vous le savez, qui est un projet entre le gouvernement et la Fondation Lucie-et-André-Chagnon. Donc, il y a l'action de campagne, mais il y a aussi l'action dans les milieux de vie qui est essentielle à la promotion du livre et dans une perspective de développement langagier des enfants.

M. Kotto : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs.

J'ai cru entendre… Vous me corrigerez si j'ai mal entendu. Vous semblez dire que la réglementation du prix du livre pourrait faire augmenter le prix du livre, alors qu'il y a des intervenants, qui viennent ici, qui sont venus nous dire : Souvent… il y en a plusieurs qui sont venus nous dire qu'au contraire, si ton prix est réglementé, le prix va être régularisé, alors que, si tu laisses le prix de libre marché, ça fait… à la longue, le prix du livre augmente. Alors, j'aimerais connaître votre réflexion sur ces deux… C'est deux choses qui s'opposent, là.

M. Chagnon (Claude) : On a choisi, en tout cas, de ne pas explorer cet élément-là pour l'instant. On a entendu différentes choses comme vous. C'est parce que ce qui est important, c'est de s'en préoccuper. Ce que j'ai entendu : il peut y avoir un moment où le prix va baisser pour mieux l'augmenter plus tard, là. Alors, je pense que c'est une question qui doit embrasser plus qu'un élément dans sa solution, là, mais je ne pourrais pas répondre directement à une question.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Et donc vous n'êtes pas nécessairement d'avis que le prix va monter automatiquement si on réglemente le livre, là, vous n'êtes pas… ça, dans votre pensée, O.K. Parce que j'ai cru comprendre dans vos propos que, si on réglementait, le prix augmenterait, donc ça permettrait… ça ne favoriserait pas les gens, les personnes défavorisées ou les familles défavorisées. C'est dans ce sens-là que ma question était posée. Mon collègue?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. le député de Bonaventure.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs. Est-ce qu'à votre avis le livre numérique a les mêmes effets sur le développement de l'enfant que des livres traditionnels? Est-ce qu'il y a une différence au niveau de la question des compétences langagières, etc.?

M. Lagarde (François) : Je peux vous dire qu'on a demandé à des experts, en préparation pour la campagne, et, de façon générale, il y a un penchant favorable pour le livre physique, notamment à cause de l'interactivité du parent avec l'enfant lors du jeu avec le livre. On ne parle pas de lecture à six mois, là, mais il se passe quelque chose dans la manipulation, l'enfant le met dans sa bouche, il le lance par terre. Et ce qui se passe, à interagir avec le parent, même sur le plan physique, il est favorisé par le livre physique.

Il y a une autre perspective aussi qui s'ajoute à ça, celle plus des gens de santé publique, par exemple, qui découragent l'écran sous toutes ses formes avant l'âge de deux ans, ou en tout cas de le contrôler, et vous avez déjà vu des jeunes enfants sur un iPad, comment ça peut être multitâches rapidement et passer d'une activité à une autre. Alors, je ne suis pas… on n'est pas contre le livre numérique. Ce qu'on se fait dire par les experts, c'est : comme premier contact avec… pour la lecture, un livre physique est une bonne… une meilleure idée.

M. Roy : Donc, pour la réussite éducative, vous considérez que le livre traditionnel est avantagé sur la tablette numérique?

• (17 h 10) •

M. Chagnon (Claude) : Bien, tout à fait parce qu'au départ c'est un jouet, avant qu'il sache lire. Alors, lorsqu'il saura lire puis qu'il aimera… il aura le goût de lire, il pourra acheter tous ceux qu'il veut sur l'Internet, là. Mais, au départ, les premiers contacts, et on parle, nous, du livre jeunesse, donc des tout jeunes, je pense que le livre physique est essentiel.

M. Lagarde (François) : Ce qui est intéressant… Ce que je peux vous dire, c'est : Autant chez les mères que les pères… Chez les pères, c'est incroyable comment notre campagne a eu un succès… autant chez les mères que les pères, autour de la publicité mettant en scène un père, un livre : voici une occasion très simple de s'impliquer. Donc, les mères nous ont dit qu'elles sont très contentes qu'on ait mis en scène un père qui s'implique par le livre, qui est un jeu. Je veux juste vous dire : Ça a été assez important.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci, Mme la Présidente. Bienvenue à cette commission. Je veux aussi vous féliciter pour le travail que vous faites dans cette tâche que vous avez, cette mission que vous avez de favoriser l'accès au livre chez les jeunes, chez les enfants.

Nous sommes à étudier cette question qui est celle d'un prix unique et de comment on peut essayer de faire en sorte que les librairies puissent survivre. Je pense, c'est ça, la grande question. Vous avez parlé… Et vous ne voulez pas vraiment vous impliquer dans le débat, c'est-à-dire savoir… vous ne nous dites pas que vous êtes pour, vous ne nous dites pas que vous êtes contre. Mais vous avez mentionné dans votre présentation la perte d'une librairie, par exemple. Lorsqu'une librairie ferme, comment c'est ressenti? Est-ce que les parents vont se tourner tout naturellement vers la bibliothèque ou si, finalement, ça les coupe d'une source d'approvisionnement puis ils n'iront pas… Moi, je serais tentée de penser qu'ils vont se tourner naturellement vers la bibliothèque. Mais je comprends que les personnes qui sont dans les milieux défavorisés n'ont pas toujours les sous pour acheter des livres, même si elles veulent acheter des livres, puis votre domaine, c'est les milieux défavorisés, mais il reste que vous ne pensez pas que ces personnes-là vont se tourner plus vers la bibliothèque?

M. Lagarde (François) : En fait, je pense que les sources de livres sont multiples. On a, dans notre mémoire, des statistiques qui sont assez encourageantes sur le nombre de jeunes, la proportion de jeunes qui vont à la bibliothèque et qui sont membres, même. Donc, il y a un segment de jeunes qui y vont assez systématiquement. Maintenant, l'accès au livre, et surtout pour les tout-petits... Ils ne planifient pas ça trois semaines d'avance, de lire, donc ils sont aussi dans l'impulsivité du moment. On le sait, que les parents de jeunes enfants, de tout-petits de quelques mois d'âge, six à 18 mois, qui nous intéressent, choisir d'accéder au livre, c'est quelque chose qui se décide en cinq minutes, ce n'est pas… donc il faut qu'il y en ait dans la maison. Alors, il y a différentes façons d'en mettre dans la maison : il y a les bibliothèques, il y a l'achat, il y a le don. Donc, ce qu'on se dit, nous, on a été invités par la commission, on n'est pas des experts, je veux dire, de l'économie du livre, on est surtout là pour… et, dans le même sens de l'intervention plus tôt, si, de façon contre-intuitive, les mesures font augmenter le livre, on s'en préoccupe autant. Donc, on n'est pas pour ou contre. C'est dans ce sens-là qu'on n'a pas pris position sur la mesure particulière, parce qu'on n'a pas les données pour nous permettre d'être certains des incidences éventuelles de la mesure. Ceci étant, on vous incite à vous y attarder.

M. Chagnon (Claude) : Mais on peut présumer, par exemple, que vous devez considérer — dans l'équation, là, d'une décision qui ne sera pas facile à prendre — que le livre-jouet du petit, ce n'est pas un livre qu'on peut emprunter et remettre parce qu'il se le met dans la bouche, et tout ça, donc qui lui est personnel. Alors, il y a une certaine catégorie de livres qui ne pourrait pas se retrouver en bibliothèque.

M. Lagarde (François) : Il y aurait d'autres problèmes, de santé publique.

M. Chagnon (Claude) : Oui.

Mme St-Pierre : Est-ce qu'à votre connaissance les grandes surfaces vendent beaucoup de livres pourenfants, pour les tout-petits, ou si les grandes surfaces vont plutôt vers des grands vendeurs comme des biographies très, très médiatisées ou des romans très médiatisés, des livres pour adultes?

M. Lagarde (François) : On n'a pas la donnée. On peut présumer qu'ils vendent aussi du livre jeunesse plus populaire ou à succès. Je pense que le réflexe est probablement le même.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Nous allons maintenant du côté de Mme la députée de Montarville, de la deuxième opposition. Vous avez la parole, Mme la députée.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Chagnon, M. Lagarde. Merci pour votre mémoire. Et, sans plagier ma collègue, j'aimerais, moi aussi, également vous féliciter pour l'oeuvre de votre fondation. C'est excessivement important, se soucier des petits.

Vous parliez également de la Fondation en alphabétisation. Nous les avons reçus ici, c'était très instructif, ce qu'ils nous ont dit. Et la fondation craignait qu'au premier chef un prix unique du livre viendrait pénaliser les familles les moins bien nanties. Vous en pensez quoi?

M. Chagnon (Claude) : Je pense qu'on peut inférer, en théorie, que ça peut les affecter, mais on n'a pas, comme François le disait, là, pu sortir de statistiques précises ou en retrouver à ce sujet-là.

M. Lagarde (François) : Moi, j'ai parlé à Mme Mockle à quelques reprises au cours de la dernière année, notamment dans le cadre de notre partenariat, puis on a discuté aussi de la commission. La nature de nos préoccupations sont… est la même, c'est-à-dire : Est-ce qu'il y aurait un impact sur les enfants? Et la Fondation pour l'alphabétisation et nous travaillons pour faire du livre un trait culturel des Québécois.

Donc, tout ce qui va favoriser le livre… C'est pour ça que je vous dis : De façon contre-intuitive, quand des experts de la mesure vous disent : Il y aura un effet, à moyen terme, d'augmentation du prix, si ça décourage le livre, on va être pour la mesure. Ce que je veux dire, c'est : On est surtout préoccupés, alors, des effets beaucoup plus que la mesure elle-même, et c'est cet éclairage-là… Donc, on va dans le même sens que la Fondation pour l'alphabétisation.

Mme Roy (Montarville) : Par ailleurs, on peut lire dans votre mémoire, et c'est intéressant, que les parts de marché augmentent pour les livres jeunesse, ce qui est une bonne chose. Selon vous, c'est dû à quoi? Malgré toute la concurrence des grandes surfaces, les parts de ventes augmentent.

M. Lagarde (François) : Ce que des éditeurs, des auteurs… On a travaillé d'ailleurs avec une auteure pour la production du fameux livre, là. Si jamais vous voulez une copie, j'en ai pour vous, pour vos enfants, vos petits-enfants, les enfants de vos amis. C'est très important, l'ancrage culturel, même géographique, des réalités exposées dans un livre. Parfois, il y a le rêve des personnages, Chaminou, etc. Mais, dans le livre jeunesse, l'ancrage... Par exemple, au Québec, qu'il y ait des scènes d'hiver qui soient présentées dans les livres jeunesse, etc., c'est très important dans le livre jeunesse. Nous-mêmes, on a été très impressionnés par le nombre de livres dans les catégories dites canadiennes-françaises, là, dans le Répertoire Gaspard. Moi, je pense que le livre jeunesse a un ancrage géographique, nous semble-t-il, plus important que pour le livre adulte.

Mme Roy (Montarville) : Merci infiniment.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Gouin, vous avez la parole.

Mme David : Merci. Bonjour. Merci pour tout ce que venez de nous expliquer.

Et moi aussi, je veux parler avec vous de la Fondation pour l'alphabétisation parce qu'en fait ce que j'ai compris, c'est que l'obstacle principal, dans le fond, à l'achat de livres par des personnes qui sont dans des milieux très défavorisés, évidemment il y a l'argent, mais ce que Mme Mockle nous disait, c'est : Il y a l'obstacle culturel. Près de 50 % de la population du Québec a de la difficulté à lire. On ne veut pas dire que les gens ne lisent pas du tout, mais on va parler d'analphabétisme fonctionnel.

Et donc ce qu'on comprend, c'est que, de toute façon, pour cette immense partie de la population et leurs enfants, bien entendu, c'est culturellement difficile d'aller acheter un livre. C'est pour ça qu'en fait… Moi, j'ai envie de vous poser la question : Mais est-ce que le vrai problème pour les gens en milieux très défavorisés, souvent moins instruits, etc., c'est le prix du livre ou si le vrai problème, c'est la pauvreté, c'est l'analphabétisme, c'est le faible niveau de scolarité, et que donc il faut imaginer toutes sortes de solutions pour aider les enfants et leurs parents?

M. Chagnon (Claude) : Là, ça va prendre quelques heures pour répondre à ça, là.

Mme David : Je pense qu'il vous reste une minute.

M. Chagnon (Claude) : Mais je pense qu'il y a plusieurs facteurs, mais d'où l'importance, comme le mentionnait François tantôt, du travail terrain. Il y a plein de… moi, je les appelle les missionnaires, les experts, un petit peu partout, qui veulent… qui ont quand même cette connaissance et qui peuvent épauler ces parents-là, les sensibiliser à l'importance... à leur permettre d'avoir accès à des livres ou autre chose et d'avoir comme futur pas seulement : Est-ce que j'aurai de quoi à mettre sur la table pour mes enfants demain matin?

Donc, c'est complexe comme situation et c'est là où une communauté locale peut créer un environnement plus favorable à une jeune famille, surtout en milieu défavorisé, parce que ceux qui sont en classe moyenne ou favorisée, bien, ils sont capables de s'organiser. Donc, c'est à la communauté locale d'organiser un environnement plus sain pour supporter ces parents-là et offrir, entre autres, un jouet comme le livre à leurs enfants. Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, messieurs. Nous allons suspendre quelques instants pour permettre au prochain intervenant de prendre place.

(Suspension de la séance à 17 h 20)

(Reprise à 17 h 22)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Donc, nous reprenons nos travaux. Nous recevons M. Marc Ménard. Bienvenue, M. Ménard. Je vais vous demander de vous présenter et, par la suite, vous disposez d'un temps maximum de 10 minutes. Suivra un échange avec les parlementaires. La parole est à vous.

M. Marc Ménard

M. Ménard (Marc) : Merci, Mme la Présidente, mesdames et messieurs les députés, de me donner la chance de vous offrir aujourd'hui une présentation.

Je me présente très rapidement parce que j'ai seulement 10 minutes : Marc Ménard, effectivement, professeur à l'École des médias, économiste de formation, professeur, donc, depuis 2006. Auparavant, durant huit ans, j'étais à laSODEC à titre de chercheur économiste. Et je travaille dans le milieu culturel depuis la fin des années 1980 et, dans le domaine du livre, j'ai bien peur que ça fasse déjà une vingtaine d'années.

Très difficile pour moi d'intervenir en 10 minutes sur un sujet aussi complexe, d'autant plus qu'il y a déjà une très grande quantité d'arguments qui ont été évoqués à la fois ici et certainement dans la sphère publique. J'ai donc décidé de faire ma présentation en trois points, plus précisément en réfutant trois arguments qui ont été présentés à l'encontre de la mise en place d'un prix unique.

Le premier argument consistait à dire que les grandes surfaces occupent en réalité une faible place dans le marché. Bien, si on examine les données de l'Observatoire de la culture et des communications du Québec, c'est 73 millions de livres qui sont vendus par les grandes surfaces. Sur un total de 678, ça nous fait 10,8 %. De cela, il faut toutefois retrancher les livres scolaires et didactiques; c'est un marché complètement à part. Donc, si on retranche cette part de 105, 110 millions environ, on arrive à 12,8 %, disons 13 % pour faire rond, part, donc, qui est effectivement minoritaire, mais qui s'avère très importante dans le contexte. Pourquoi? Parce que les grandes surfaces ont un assortiment qui souvent ne dépasse pas 200 à 300 titres, qu'il s'agit souvent, à près de 100 %, de nouveautés, alors que, dans le réseau des librairies, on parle plutôt de 65 % à 70 % de nouveautés. On parle donc de titres à très forte rotation, c'est-à-dire des gros vendeurs, ce qu'on appelle des best-sellers. Le 13 % de part de marché, donc, détenue par les grandes surfaces touche ce qui constitue le segment de vente le plus lucratif pour les librairies, qui sont les commerces dont la marge bénéficiaire dépasse très rarement 2 %, je vous le rappelle.

De façon plus générale, il est important aussi de rappeler un certain nombre de choses sur le marché du livre. D'une part, il y a 30 000 nouveautés qui paraissent chaque année au Québec, dont un peu plus de 4 000 qui sont des titres québécois, mais il y a une très forte concentration des ventes sur quelques titres. D'après des données provenant de l'étude sur la mise en marché des nouveautés par le système de l'office, qui a été produite en 2007, on peut ainsi constater que, sur l'ensemble des nouveautés, 11 % des titres s'accaparaient 64 % des ventes, ce qui fait une très, très forte concentration.

Autre chose importante à rappeler. Le livre, comme tout bien culturel, est un bien symbolique, c'est-à-dire un bien qui est porteur d'identité, de valeurs et de sens. C'est aussi un bien d'expérience. On ne connaît pas la valeur d'un livre avant de l'avoir lu. Ça crée donc, dans le contexte économique, d'importantes difficultés : d'une part, pour le consommateur, une très grande incertitude et une surcharge d'informations et, pour l'ensemble de l'industrie du livre, également de l'incertitude et la nécessité, donc, de mettre en place différents mécanismes de signalisation pour faire connaître les livres.

C'est dans ce contexte-là que le rôle de la librairie est très important. Pourquoi? Parce qu'elle fait un rôle de présentation, de mise à disposition et de promotion des livres, en plus d'agir à titre de conseillère et d'offrir un service de recherche pour le consommateur. C'est donc une activité qui apporte une valeur au consommateur parce que ça l'aide à choisir.

De ce fait, le libraire, si vous me permettez l'expression économique, produit une externalité positive et il produit de la valeur qu'il n'est pas nécessairement capable d'entièrement monétiser si le consommateur est en mesure d'aller chercher son livre ailleurs à moins cher. Du coup, la grande surface va bénéficier de la valeur créée par leslibrairies — notamment pour la promotion de certains titres qui s'avèrent, par la suite, avoir du potentiel commercial, pensons à une auteure comme Kim Thúy, par exemple — en mettant en marché seulement les titres qui ont un potentiel assuré ou qui sont déjà devenus, dans le reste du système commercial, des grands vendeurs parce qu'elles ne font aucune activité de signalisation et de promotion. Ce n'est effectivement, comme on l'a dit, qu'un simple produit d'appel, le livre, pour une grande surface.

Donc, pour la librairie, ce 13 % des ventes vient gruger ce qui devrait être normalement, pour elle, des ventes faciles pour les titres à haut rendement et qui devraient justement lui permettre de dégager des marges pour consacrer plus d'efforts à la signalisation et promotion des titres à décollage plus lent ou d'accès plus difficile. Si, donc, on élimine la concurrence sur les prix dans une vente finale, on va être en mesure de recentrer la concurrence sur l'offre faite et la qualité du service. Donc, ça devrait permettre, un système de prix unique, d'organiser un système de subventions croisées au niveau du libraire où la marge réalisée sur les meilleures ventes pourra compenser les pertes faites sur le reste de l'offre.

Deuxième argument, l'argumentation stricte : prix unique égale hausse du prix moyen des livres égale baisse des ventes. A priori, l'argument semble solide, hein, ça relève du gros bon sens. C'est même, comme on le dit souvent : N'importe qui ayant suivi un cours d'économie 101 sait ça. Malheureusement, le gros bon sens, comme les cours d'économie 101, ne sont pas toujours des bons conseillers dans la vie réelle. Je ne reviendrai pas ici sur la comparaison entre les expériences françaises et anglaises — je pense que ça a été abondamment documenté, notamment par les travaux de M. Fishwick, qui sont, à mon avis, très convaincants — d'abord parce que c'est difficile aussi de transposer une situation dans des contextes complètement différents. Donc, on va essayer plutôt de raisonner sur la situation québécoise.

D'abord, l'argument qu'une hausse de prix du livre se traduirait par une hausse du prix globale et une baisse des ventes repose sur la notion d'élasticité-prix. Je vous rappelle rapidement, une élasticitité-prix mesure la variation de la demande en pourcentage induite par une variation de prix en pourcentage. Si une hausse de prix, donc, de 10 % entraîne une baisse de la demande de 10 %, on va dire que l'élasticité-prix est égale à moins 1. Souvent, on fait court puis on dit 1. Dans le cas présent, toutefois, se reposer sur des estimations d'élasticité-prix globales pour l'ensemble du marché du livre, pour le cas présent, ça s'avère un non-sens, et ça, tant d'un point de vue logique que statistique. Pourquoi? Parce que le marché du livre se caractérise par une très forte segmentation de la demande pour des biens qui sont très différenciés, c'est-à-dire différents les uns des autres, et ça, à la fois aussi entre catégories, livres de cuisine par rapport à la littérature, par exemple, ou au sein d'une même catégorie, littérature générale, littérature jeunesse, ou même dans le temps; ce n'est pas la même demande à la période des fêtes, à l'hiver, qu'à l'été. Et donc c'est important de savoir sur quoi s'appliquerait une hausse de prix.

Or, comme le mentionne l'étude de l'IRIS, qui a été déposée ici, et au contraire de ce qu'affirme l'Institut économique de Montréal, et comme on peut le vérifier sur Internet de manière assez rapide, les rabais actuels sur le marché sont faibles et très concentrés : librairies indépendantes, 4 %; chaînes de librairies, 0 %; les grandes surfaces — nos Costco, et Wal-Mart, et cie — 26 %; et les autres points de vente de grande diffusion, 5 %. Je vais même aller plus loin. Si on prend la liste de meilleurs vendeurs qui a été utilisée par l'IRIS, on regarde sur Amazon : rabais moyen, 12 %. On a aussi la situation des coops en milieu scolaire : généralement, ça va être 10 %. On a une clientèle ici très particulière : il faut être membre, évidemment, de la coop et évidemment c'est des étudiants qui, généralement, n'ont pas des revenus très élevés. Autre chose qu'on oublie souvent : les cartes de fidélité. Mais, là encore, ça ne dépasse pas 10 %, en tout cas les expériences personnelles que j'ai.

Bref, le segment qui est vraiment touché ici, ce sont nos grandes surfaces, donc on en revient encore à notre 13 % de marché. Et là, si on applique mécaniquement les élasticités-prix globales, selon les différents estimés qu'on a, à partir d'une baisse de ventes de 21 %... pardon, une baisse des prix de 21… une hausse de prix, pardon, de 21 % dans les grandes surfaces qui s'appliquerait, donc, sur 13 % du marché, selon l'hypothèse Fishwick-IRIS d'une élasticité-prix de 1, on obtiendrait une baisse de la demande de 2,8 %. À l'opposé, une élasticité-prix de 1,47 nous mènerait à une baisse de la demande de 4,1 %. Donc, entre 3 % et 4 %, selon les différents estimés. Mais, à mon avis, cela, encore, c'est surestimé parce que ce qui nous intéresse ici, c'est l'élasticité-prix des best-sellers, pas de tous les livres.

• (17 h 30) •

Or, c'est quoi, un best-seller? Techniquement, c'est un gros vendeur, mais ça recouvre des catégories très différentes de livres. Il faut poser un découpage en trois grandes catégories. La première, les auteurs très connus et appréciés, qui disposent donc d'une base de fans importante : Michel Tremblay, Patrick Sénécal, Marie Laberge, Stephen King, Paulo Coelho, etc., ou, dans certains cas, des vedettes qui viennent d'autres domaines, quand, par exemple, sort une biographie de Céline Dion ou l'autobiographie de Janette Bertrand. Par définition, pour un fan — le mot vient de «fanatique», d'ailleurs — il n'y a pas de substituabilité possible. Le prix, donc, sera un facteur qui va jouer très peu. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que les produits dérivés, dans le monde du spectacle, sont vendus d'abord et avant tout à des fans. Donc, pour cette tranche de livres, on a une très faible sensibilité au prix. En revanche, il y a une substitution qui est possible entre librairie et grande surface si on a un écart de prix important.

Deuxième grande catégorie, les effets de mode. Tout le monde en parle, tout le monde veut connaître. Ça peut parfois être des feux de paille, parfois, l'auteur peut se transporter dans la première catégorie, peu importe. Mais on peut penser au premier livre d'Harry Potter, le premier Dan Brown, le premier Stephenie Meyer, ou le livre de recettes d'un grand cuisinier. Ce qui est en jeu ici, c'est un effet de socialisation, qu'on appelle parfois «contagion sociale», donc, qui tourne beaucoup aussi sur le bouche à oreille. Dans ce cas-ci, encore une fois, le désir de conformité et le partage avec les autres vont abaisser l'effet du prix. La sensibilité pour ce genre de titres va donc être plus faible que la moyenne.

On a enfin une troisième catégorie, qui est un peu variée, un peu fourre-tout, je le reconnais, qui est constituée de quoi? De livres pratiques, des livres de cuisine, des titres saisonniers, des guides de l'auto, des guides du vin et des dictionnaires ou des livres de psychopop et de croissance personnelle. Ici, on va avoir une substituabilité qui est plus importante, d'autant plus qu'il existe des substituts qui sont accessibles sur Internet et gratuitement. Donc, pour ce segment-là, oui, on aura une sensibilité au prix qui sera peut-être plus élevée.

En conclusion, dans notre tranche dite de best-sellers, on a des auteurs connus, avec une base de fans, et ceux pour lesquels les effets de mode et de contagion sociale sont importants…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, M. Ménard. Je suis désolée, c'est tout le temps qui vous était alloué. M. le ministre, vous débutez les échanges.

M. Kotto : M. Ménard.

M. Ménard (Marc) : Oui.

M. Kotto : Bonjour. Soyez le bienvenu et merci pour la contribution. En liminaire, vous avez dit que le sujet était complexe. Pourquoi?

M. Ménard (Marc) : Le sujet est complexe parce que, bon, comme j'ai essayé de le montrer, il faut faire attention à ce qui apparaît comme des évidences, un peu comme la règle qui dit, bien, effectivement, donc : hausse de prix égale baisse de la demande. Dans certains, quand il y a des effets de structure qui se mettent en place à long terme, on arrive parfois avec un résultat qui est contraire. Donc, il faut bien prendre la peine d'étudier soigneusement et aussi d'étudier les structures précises, les caractéristiques précises des biens qu'on examine dans ces cas-ci.

M. Kotto : Ça m'amène à l'autre question. À l'instar des personnes qui vont ont précédé, il y avait cette suggestion de tenir des études d'impact. Dans leurs cas, c'était relativement aux familles défavorisées, d'autres ont suggéré que cela se fasse globalement avant de procéder, si cela était l'intention, la réglementation.

Est-ce que vous êtes d'accord avec l'idée d'approfondir sur le modèle québécois, avec la spécificité des comportementsque nous connaissons, de la réalité en matière de littéracie, d'analphabétisme et aussi de certaines évidences anticipées, à l'effet que ce n'est pas parce qu'on va réglementer que, du jour au lendemain, les gens vont quitter Costco ou Wal-Mart pour aller dans notre réseau de librairies indépendantes? Est-ce que vous conviendrez qu'une étude, disons, plus fine, qui serait, évidemment, empirique parce qu'on n'a pas de précédents au Québec, serait… une étude comme celle-là serait nécessaire préalablement, avant de procéder à l'adoption d'une loi, éventuellement?

M. Ménard (Marc) : Bien, éventuellement, s'il y a effectivement trop de craintes qui sont exprimées et que ça peut aider à réduire les craintes de certains, c'est toujours une bonne chose de procéder à des études supplémentaires. Ce n'est pas nécessairement chose facile à faire, par contre, parce qu'on est dans un domaine où, comment dire, les choses sont parfois un peu molles, parce qu'on travaille beaucoup sur des intentions aussi. Donc, il faut être en mesure d'essayer de se reporter sur des comportements réels.

Ça va me permettre de revenir là aussi, là, votre question, sur le troisième point que je n'ai pas eu le temps d'aborder puis qui prolonge, enfin, ce qui a été dit précédemment aussi, notamment les problèmes de littéracie et le lien avec Club Price. À mon avis, c'est un non-sens là aussi… Costco, pardon. Ça dénote mon âge, malheureusement…

M. Kotto : C'est l'âge.

M. Ménard (Marc) : Par exemple, ici, si on veut examiner ça plus en détail, on va dire : C'est qui, la clientèle de Costco? Est-ce que c'est des familles pauvres? Ce n'est pas ce que je vois, moi, à Costco. C'est généralement des familles souvent de… qu'on pourrait qualifier de classe moyenne, sinon, même, de classe moyenne élevée, qui possèdent généralement un certain niveau de culture et de revenu, des gens qui, possiblement, fréquentent également aussi des librairies. Très peu de familles pauvres vont aller se payer 50 $ d'abonnement à Costco ou vont pouvoir se permettre un déplacement, soit en autobus, ou la voiture qu'ils n'ont pas. Donc, il y a un lien ici qui est un petit peu biaisé, à mon avis. Donc, si, effectivement, comme je disais, ça peut aider à démonter un certain nombre d'arguments qui sont, en bout de ligne, fallacieux, bien, des études, c'est toujours utile, bien sûr.

M. Kotto : Est-ce que, de votre point de vue, il y a urgence d'agir, notamment dans la perspective du sauvetage de notre réseau de librairies indépendantes?

M. Ménard (Marc) : Je dirais sans urgence, mais avec une certaine précipitation, au sens que vouloir trop faire vite, parfois, on finit par mal faire. Mais je pense que, oui, effectivement, la situation est quand même relativement en péril, et donc de reporter les choses à ultérieurement, à deux, trois, quatre ans, ce ne serait pas vraiment une bonne idée, non.

M. Kotto : Outre l'idée de légiférer sur un prix plancher afin, toujours, de sauver notre réseau de librairies indépendantes, selon vous, est-ce qu'il y a d'autres alternatives?

M. Ménard (Marc) : Oui, il y a une structure actuelle qui s'appelle la loi n° 51, dont un des maillons — parce que c'est une belle mécanique tissée serrée — consiste à s'assurer que les bibliothèques publiques et scolaires font leurs achats auprès de libraires agréés. C'est un élément de la chaîne qui pourrait être très bien renforcé, qui était d'ailleurs dans le projet initial de la loi en 1981, c'est-à-dire d'augmenter substantiellement les budgets consacrés aux bibliothèques — je crois que c'est un des petits bouts de la loi initiale qui n'a jamais été vraiment rempli, des... qui n'ont jamais été vraiment remplis — ça, évidemment, de concert avec le règlement… la réglementation de la partie qui, jusqu'à présent, est complètement libre, c'est-à-dire celle sur le prix de vente final. Si on est en mesure d'ajouter des ressources supplémentaires aux bibliothèques publiques et, surtout, aux bibliothèques scolaires, dont l'état n'est pas en très bon état, justement, je pense que ce serait une boucle qui permettrait de renforcer la situation, surtout en région, d'ailleurs.

M. Kotto : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Ménard. Merci de votre présentation. C'est probablement l'une des premières qu'on a, détaillée, là, comme ça, là, avec une étude assez… sur tous les points.

M. Ménard (Marc) : …ma troisième partie.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Alors, ça me plaît beaucoup. Je voudrais mentionner qu'il y avait 4 000 nouveautés québécoises à chaque année à peu près, là.

M. Ménard (Marc) : 4 500.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : 4 000, 4 500. Mais j'aimerais connaître quelle est la proportion de ces 4 000 là qui se retrouvent, mettons, dans les grandes surfaces? Est-ce que vous avez une idée?

M. Ménard (Marc) : Oh! Ça, ça prendrait une étude précise, effectivement, de voir les assortiments, qu'est-ce que qui est effectivement vendu. Je n'en ai aucune idée. Ça doit varier d'un endroit à l'autre, par exemple. Et une grande surface dans l'Ouest-de-l'Île va avoir un assortiment relativement différent qu'en banlieue sud, par exemple, de Montréal. Mais ce qui est certain, c'est : comme on parle d'un assortiment qui est relativement restreint, il y a quand même peu de titres qui peuvent trouver leur place. Donc, il va y avoir une certaine part de titres québécois, comme… On regarde la liste des meilleurs vendeurs que publie régulièrement Renaud-Bray ou… je cherche le nom, une autre grande chaîne dont le nom m'échappe pour l'instant, mais… on voit qu'il y a quand même une bonne partie de titres québécois. Après tout, en littérature, on a une part de marché de 40 % à 45 %. Donc, ça doit tourner peut-être proche de ça, mais il faudrait voir.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci. C'était seulement ça, ma question.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de l'Acadie, vous avez la parole.

Mme St-Pierre : Merci. C'était fort intéressant. Et, si vous aviez l'occasion de nous envoyer votre texte, ça nous ferait bien plaisir de pouvoir poursuivre…

M. Ménard (Marc) : Dans l'état actuel, ça serait difficile, mais…

Mme St-Pierre : …la lecture de votre conclusion.

J'aimerais que vous reveniez sur cette idée… Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit, parce que vous parlez… quand même, vous avez un bon débit, hein, n'est-ce pas?

M. Ménard (Marc) : Bien, quand on a 10 minutes, on est porté à accélérer.

Mme St-Pierre : Oui, c'est ça. Vous avec parlé des fans, vous avez fait une référence à «fanatiques». Donc, ce que vous nous dites, c'est que la personne qui va aller… qui s'intéresse à la dernière biographie de quelqu'un de très connu — on peut parler de Mme Dion, ou Mme Bertrand, ou, bon, Mme Dominique Michel — cette personne-là, le prix de ce livre-là, ça l'importe peu. Ce qu'elle veut, c'est avoir le livre. C'est ça?

• (17 h 40) •

M. Ménard (Marc) : Oui. Si on part du principe que je suis un amateur inconditionnel d'un auteur, n'importe qui, que ce soit Marie Laberge ou Stephen King, j'attends son prochain livre avec un très grand intérêt. Et d'ailleurs je serai le type qui va acheter le livre en format grand livre, et je n'attendrai pas la version de poche qui va sortir dans un an, deux ans. Je n'ai pas le temps, je ne veux pas attendre.

Ce qu'il y a… En fait, ce qui m'attire vers ça, c'est un sentiment d'identification qui est très fort, donc je suis prêt à payer le prix, et souvent, même, je ne regarderai pas le prix parce que, vraiment, c'est ce que je veux. Et d'ailleurs, du point de vue des formes de concurrence, ça permet aux entreprises de faire ce qu'on appelle de la discrimination des prix, c'est-à-dire avoir, par exemple, des versions augmentées : quand on a un DVD avec différents ajouts, le vendre plus cher en sachant qu'il y a une certaine tranche de la population — nos fans — qui vont être pris à aller acheter en déboursant un prix supplémentaire, ce que le fan moyen ne fera pas, ou le lecteur moyen ne fera pas.

Mme St-Pierre : Et ça, cette tranche de population là, c'est le marché le plus important pour ces grandes surfaces, qui vendent surtout des best-sellers.

M. Ménard (Marc) : Ça en fait une grande partie.

Mme St-Pierre : Ce sont des fans.

M. Ménard (Marc) : Ça en fait une grande partie parce que, quand on regarde la liste… si vous prenez la liste de l'IRIS — je ne l'ai pas avec moi exactement — des titres… des best-sellers, bien, on retrouve effectivement Paulo Coelho, Dan Brown puis… je ne me souviens plus, mais il y en a plusieurs. Donc, ça représente toujours une certaine part quand même importante de ce qui est notre noyau de très gros vendeurs, dans lequel vont puiser les grandes surfaces.

Mme St-Pierre : Alors, vous avez parlé de la bonne chose que fait la loi n° 51 sur la question des agréments, ça a quand même aidé considérablement. Vous avez dit tout à l'heure, à la question de M. le député de Saint-Hyacinthe, qu'il fallait agir, là, il faut se presser parce qu'attendre quatre, cinq ans ça pourrait être dramatique. Vous l'évaluez comment, là, le moment d'agir? Il faut agir maintenant? Il faut agir l'année prochaine? Il faut agir tout de suite? Vous le situez où?

Et est-ce qu'il y a d'autres mesures… Je reviens à cette question-là : Est-ce qu'il y a autre chose qui pourrait être soit ajouté pour assurer cette vitalité des libraires, des librairies indépendantes, ou si seule la question du prix unique est vraiment la solution? Autrement dit, est-ce qu'il pourrait y avoir un amalgame de mesures?

M. Ménard (Marc) : Ce n'est pas la… Oui, bien, ce n'est jamais la solution ultime, évidemment, je ne vous raconterai pas d'histoires là-dessus. C'est un élément qui pourrait s'avérer très important, entre autres, à la fois d'un point de vue dynamique parce qu'il y a une possibilité, donc, d'avoir un certain transfert, quand même, de ventes, qui viendrait renforcer la position de certaines librairies. Et d'autre part, aussi, c'est une forme de verrou qui préviendrait toute forme de concurrence sauvage, qui pourrait être lancée à peu près n'importe quand, et ça, on est incapables dele prédire. Comme ça a été mentionné tout à l'heure, ça pourrait venir éventuellement d'une grande chaîne, même, québécoise et ça pourrait venir aussi d'Amazon, le jour où ils vont décider que le petit marché québécois… bien, quand même, un petit sac de pinottes, c'est mieux que rien du tout. Donc, l'aspect urgent, il est là dans le sens que, si on savait l'avenir, on pourrait peut-être se dire qu'on peut attendre un peu, mais je ne pense pas qu'on puisse se permettre de prendre ce risque-là.

Par contre, comme je l'ai affirmé tout à l'heure, à mon avis, la meilleure combinaison possible, ce serait… dans un monde idéal où on aurait les fonds nécessaires, évidemment, ce serait à la fois de mettre en place un mécanisme de prix unique et d'augmenter autant que possible les ressources qui sont dévolues, d'autre part, aux bibliothèques à la fois publiques et scolaires. Ça bouclerait vraiment la boucle, à mon avis, en plus d'affecter la question de la littératie, le problème de la littératie.

Mme St-Pierre : Pour revenir à notre fan fini, là, est-ce que lui… Neuf mois, c'est trop long, en fait. Est-ce qu'on pourrait dire que la barrière se lève au bout de trois mois ou de cinq mois?

M. Ménard (Marc) : Pour un fan, neuf mois, c'est très long, c'est très long.

Mme St-Pierre : Le fan, lui, il veut l'acheter tout de suite, là.

M. Ménard (Marc) : Le fan, il a préagi. Il va le précommander chez Amazon six mois d'avance, si on lui annonce six mois d'avance que le livre sort. C'est ça, un fan. Neuf mois, c'est trop long pour lui.

Mme St-Pierre : Non, ce que je veux dire, c'est que, s'il y a un prix unique et qu'au bout d'une période de neuf mois on permet d'avoir des rabais importants, de toute façon, neuf mois, c'est trop long, si je comprends bien.

M. Ménard (Marc) : Bien, c'est-à-dire, le fanatique va vouloir l'acheter tout de suite, lui.

Mme St-Pierre : C'est ça, alors…

M. Ménard (Marc) : Donc, le… Bien, il y a toutes sortes de degrés de fanatiques, évidemment. Je fais un trait un peu grossier ici. Mais, si on prend l'exemple extrême du vrai fanatique, celui qui va être pris à précommander six mois d'avance, c'est le même qui couche sur la rue devant le Centre Bell, ou ici, à Québec, de toute façon. Lui, pour lui, neuf mois, non. Effectivement, c'est à lui que ça s'applique, cette période de neuf mois où on n'a pas le droit d'avoir de rabais parce que lui, de toute façon, le rabais, il s'en fout, il veut le livre. Donc, c'est à lui que ça s'adresse, effectivement.

Mme St-Pierre : Alors, les grandes surfaces feraient plus d'argent avec un prix unique?

M. Ménard (Marc) : Ah! Si… Elles vont être encore en mesure de faire un rabais de 10 %, donc elles ne vont pas… Évidemment, leurs ventes ne disparaîtront pas complètement. Ce qui est difficile à prévoir, c'est dans quelle mesure, par exemple, une chaîne de librairies, voyant que le rabais passe de 26 % à 10 %, va considérer que c'est dans le… comment dire, l'écart où il peut aller jouer, donc offrir un peu plus de rabais, sans dépasser 10 %, et donc, là, peut-être entrer encore plus en compétition. Donc, peut-être, il pourrait y avoir plus de transfert, mais ça n'éliminera pas, évidemment, complètement les ventes, ça, c'est certain.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup.

M. Ménard (Marc) : ...parce qu'il y a un grand facteur d'impulsivité : on achète une livre de steak haché, on voit un livre, on le prend. Évidemment, ça tient toujours.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de la Jacques-Cartier.

M. Kelley : Oui. Merci beaucoup, Mme la Présidente. À mon tour, merci beaucoup pour la présentation, M. Ménard.

Est-ce que nos librairies font assez pour vendre les livres en ligne? Parce qu'on voit ça en... on voit Amazon comme une menace, mais, quand même, être à la maison devant l'ordi, et l'inventaire est énorme en comparaison avec une librairie. Alors, moi, je suis parmi les coupables qui vont regarder dans les librairies dans mon comté, noter les titres qui sont intéressants, retourner à la maison les acheter en ligne moins cher. Je suis coupable, je vais le confesser aujourd'hui.

Mais est-ce qu'on peut... parce que je pense… une part de marché moins importante au Québec comme dans le reste d'Amérique du Nord. Mais est-ce qu'il y a une opportunité? Parce que je pense qu'il faut toujours voir ça dans une optique de promouvoir la lecture aussi, d'avoir un plus grand nombre de personnes qui ont des livres à la maison. Alors, est-ce qu'on peut mieux, au niveau de l'offre des livres en ligne, au niveau des rabais, des autres choses… pour encourager la lecture au Québec?

M. Ménard (Marc) : Bon. Je vous avouerai d'abord que, moi aussi, il m'est arrivé d'acheter chez Amazon. Mais j'ai une excuse, moi : c'est des livres scientifiques américains qu'on peut difficilement trouver ici.

M. Kelley : Yes, right.

M. Ménard (Marc) : O.K. La question du très vaste assortiment est à la fois excitante et à la fois trompeuse, parce qu'effectivement, oui, théoriquement, on peut accéder à tout, et absolument tout, sur Internet, mais le problème qui se pose quand on rentre dans une librairie et qu'on ne sait pas trop ce qu'on veut est démultiplié quand on arrive sur Internet, c'est-à-dire, on est confronté non plus à 20 000 ou 25 000 livres dans une bonne librairie, mais on est confronté à 300 000 titres disponibles. Tout le problème, donc, revient à une surcharge d'information encore plus grande.

Donc, la question est : Comment chercher, et ce n'est pas tout le monde qui... Bon. Il y a des cas très précis où on peut avoir des outils de recherche qui peuvent nous aider, dans certains cas, effectivement, des systèmes de recommandationou des critiques. Mais, souvent, ce n'est pas nécessairement accessible à M. et Mme Tout-le-monde, surtout quand on ne sait pas vraiment ce qu'on veut et qu'on cherche quelque chose qui va juste nous plaire. Dans ce sens-là, le travail en librairie demeure absolument essentiel, malheureusement, je crois. Je ne vous convaincrai pas à 100 %, bien sûr, mais...

M. Kelley : Non, non, mais pas parce que... Oui, mais le cahier de livres du Devoir de samedi, le cahier de livres du Globe and Mail, et le New York Times en fin de semaine aussi…

M. Ménard (Marc) : Mais, écoutez, je ne crois pas...

M. Kelley : De dire que c'est juste la librairie qui va vous y guider...

M. Ménard (Marc) : Je ne crois pas être le seul... Je suis probablement une des personnes les plus fanatiques en termes de recherche d'information pour ce type de choses là. Pourtant, je mets les pieds dans une librairie et je bouquine et, parfois, en ouvrant un livre, je dis : Ah! Cet auteur-là, je n'y pensais pas. Bien oui, j'ai déjà lu un de ses livres. Je regarde, je regarde le résumé, je feuillette et j'achète. Sans librairies, je ne ferais pas... faire cet achat-là. Je resterais probablement pris dans des schémas de consommation usuels, tandis que là j'ai une certaine façon que je peux m'ouvrir sur des nouveaux horizons et sortir de ma zone de confort, finalement.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, professeur Ménard. J'en ai profité pour regarder votre curriculum vitae et j'ai pu voir que vous avez...

M. Ménard (Marc) : ...

Mme Roy (Montarville) : Mais j'ai pu voir que vous avez également fait de nombreux rapports, entre autres pour la SODEC. Alors, j'aimerais voir si on peut faire un parallèle ici avec ce qui se passe avec nos librairies indépendantes, et ce qui s'est passé dans le monde de la musique, et naturellement avec nos fameux livres électroniques maintenant. Qu'est-ce que vous voyez dans l'avenir?

M. Ménard (Marc) : Bien, justement, le domaine de la musique est un marché qui a été laissé complètement libre, donc sans aucune réglementation, et il est arrivé exactement ce dont on a déjà discuté, c'est-à-dire des guerres commerciales qui ont fait en sorte, entre autres, que les détaillants ont virtuellement disparu.

La relation par rapport à la musique dans un endroit de... comme on appelle, de brique et de mortier est probablement différente que celle du livre, par contre, un peu comme je le racontais tout à l'heure. On a un lien physique avec l'objet livre qu'on n'a pas tout à fait, même à l'époque du 33 tours, avec l'enregistrement sonore, donc une portabilité qui s'est faite beaucoup plus naturellement et plus facilement dans le domaine de la musique. C'est pour ça, d'ailleurs, que le développement du livre électronique se fait beaucoup moins rapidement qu'il s'est fait dans le domaine de la musique. Je veux dire, on reste attachés à ce qui est finalement une saprée bonne technologie : c'est portable, c'est résistant, je peux même lire dans mon bain avec ça; il y a un reflet de soleil, c'est beaucoup moins dramatique qu'avec un écran. C'est une fichue de belle technologie. Et on a un rapport conventionnel… comme les enfants aussi, souvent, ont un rapport physique avec le livre qui fait qu'il y a un effet qui est beaucoup moins important et... Ça, c'est difficile à prévoir. Est-ce que ce sera toujours… jamais remplacé? Je ne le sais même pas.

• (17 h 50) •

Mme Roy (Montarville) : Parce que la question qu'on pourrait se poser, c'est justement : La survie de nos librairies indépendantes passe-t-elle justement par cette vente de livres électroniques?

M. Ménard (Marc) : En complément, certainement, oui. D'ailleurs, les libraires s'organisent pour essayer de participer, en se regroupant, à ce marché-là. Si on parle d'une part de marché de 4 %, ce n'est pas beaucoup, c'est difficile de vivre uniquement avec cela. Mais, dans la mesure où on peut combiner la qualité du service et ainsi en profiter pour, par exemple, dire : Bien, je ne l'ai pas, mais je peux te le commander directement sur Internet, par exemple, là, ici, on a un aspect complémentaire dans les actions.

Mme Roy (Montarville) : Mais comment faire pour augmenter cette part de marché qui n'est qu'à 4 %…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Malheureusement, Mme la députée de Montarville, nous n'avons plus de temps.

Mme Roy (Montarville) : Oups! Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, M. Ménard. Nous allons suspendre quelques instants, le temps que les représentants des Éditions du Septentrion puissent prendre place.

(Suspension de la séance à 17 h 51)

(Reprise à 17 h 52)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Nous reprenons nos travaux. Bonjour, madame, monsieur. Bienvenue à l'Assemblée nationale. M. Herman, je vais vous demander de vous présenter et de nous présenter également la personne qui vous accompagne. Vous allez disposer d'un temps maximum de 10 minutes pour nous faire votre exposé. Par la suite suivra un échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Les Éditions du Septentrion inc.

M. Herman (Gilles) : Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, chers collègues, et chères Québécoises et Québécois, je m'appelle Gilles Herman, je suis directeur général des Éditions du Septentrion, et, à ma gauche, Sophie Imbeault, historienne, éditrice aux Éditions du Septentrion.

Mme Imbeault (Sophie) : Bonjour. Le Septentrion est une maison d'édition implantée à Québec depuis 25 ans, une maison spécialisée en histoire, mais aussi en sciences politiques ou encore en sociologie. Nous comptons cinq employés permanents et avons recours à de nombreux pigistes. Nous avons publié plus de 600 auteurs de divers horizons, parmi lesquels Jacques Lacoursière, Pierre Anctil, Gaston Deschênes, Élisabeth Vallet, Dean Louder, Gilbert Lavoie ou encore Denis Vaugeois.

Nous sommes impliqués dans notre milieu. Notre travail est reconnu, il a même été récompensé par des prix. Et nous portons des valeurs telles que l'impression de tous nos livres au Québec, une solidarité envers l'ensemble de nos collègues, la diffusion de la connaissance, que nous plaçons au-delà de valeurs mercantiles.

Vous avez reçu, lors des séances précédentes, divers intervenants du milieu du livre qui se sont prononcés en faveur du prix réglementé, et d'autres qui s'opposent à une telle mesure. «N'attendons pas de vivre notre désastre d'Alexandrie moderne que serait la perte de la bibliodiversité», selon les mots de François-Xavier Garneau, qui parlait de l'incendie du Parlement et de sa bibliothèque en 1849.

Tout au long du XXe siècle, nous avons construit un monde du livre étayé qui compte des milliers d'auteurs, des centaines d'éditeurs et des millions de lecteurs, ainsi qu'une loi du livre originale et convoitée. Espérons que les décisions qui seront prises à la suite de cette commission s'élèveront au-delà de la politique et qu'elles nous aideront à continuer à progresser, car ce sont non seulement nos emplois qui sont en jeu, mais, avant tout, la culture du Québec.

M. Herman (Gilles) : Nous espérons que la lecture de notre mémoire a pu clarifier certains aspects du monde du livre, et de notre métier d'éditeur en particulier. Dans la première partie, nous avons tenté de résumer les tâches des différents acteurs de la chaîne du livre imprimé, de l'auteur au lecteur. Tous les artisans travaillent avec acharnement dans le but de développer le goût de la lecture et de la littérature auprès du public. Chacun y joue son rôle à sa manière, autant la grande surface que la librairie, autant l'auteur de best-sellers que le poète, et autant l'éditeur commercial que le littéraire. Vous comprendrez que nous nous arrêterons plus spécifiquement sur le rôle de l'éditeur. Il est à la barre du navire du livre. Il va investir son temps, son énergie et son argent pour que la rencontre auteur-lecteur puisse exister. Il va développer sa ligne et son expertise éditoriales, son flair. L'éditeur va sublimer le travail de création de l'auteur pour arriver à une oeuvre mature et professionnelle. Commerçant, il travaillera de concert avec son diffuseur et son distributeur pour établir la meilleure stratégie de mise en marché selon le genre de livres qu'il publie, que ce soit à travers la librairie ou la grande surface.

L'établissement du prix du livre a déjà été abordé par d'autres personnes lors de cette commission, et parfois de façon fort farfelue. Nous avons donc pris le temps, dans notre mémoire, d'expliquer les paramètres qui permettent à l'éditeur de fixer le prix de détail du livre, soit le calcul du point mort et l'analyse du prix comparable du marché, lui-même dépendant de la capacité de paiement du lecteur. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés. Le livre est un produit culturel bon marché. L'aide gouvernementale permet au livre de rester à un prix accessible. Une grande partie des livres culturels produits ne seront pas rentables. Malgré tout, il existe des personnes, des passionnés pour persévérer dans ce domaine.

La métaphore de la chaîne du livre est adéquate. On sait que sa solidité dépend de son plus faible maillon. Ce maillon fragile, c'est la librairie. D'autre part, dans l'univers numérique, il est plutôt d'usage de parler de l'écosystème du livre. De la même manière, on sait que la disparition d'un seul élément peut mener à la disparition de tout un vivier. Les éditeurs culturels, comme le Septentrion, n'existent bien évidemment que grâce au travail de leurs auteurs, mais aussi, surtout, grâce au travail acharné des libraires, qui soutiennent les activités d'édition en présentant nos nouveautés au public et en s'en faisant les passeurs. N'oublions pas qu'ils sont aussi les gardiens du fonds des éditeurs.

Les librairies, qu'elles soient des chaînes ou indépendantes, sont responsables de la grande majorité de nos ventes. En fait, les grandes surfaces ne s'intéressent pas aux livres qui demandent un travail d'accompagnement; elles ne s'intéressent qu'aux ventes dites faciles, celle des best-sellers, qui ne représentent que 10 % de contenu québécois. Vous allez recevoir, dans les prochains jours, plusieurs libraires, qui devraient vous expliquer la réalité de leur travail, loin de l'image romantique que l'on peut en faire, un travail fait de boîtes, de factures, de produits à créer, à retourner, de manque de liquidité, bien souvent, mais, heureusement aussi, fait de rencontres stimulantes avec des lecteurs, des auteurs, un plaisir immense de transmission de la culture. Les libraires, loin de n'être que de simples marchands, sont de véritables vecteurs de notre identité culturelle. Soyons clairs, l'affaiblissement du réseau de librairies entraînera directement celui des éditeurs culturels, voire même leur disparition.

La question du numérique attire l'attention et semble être une partie du problème. Nous préférons la voir comme une partie de la solution. Tout d'abord, il faut bien faire la distinction entre la vente en ligne de livres imprimés et la vente en ligne de livres numériques. Alors que la première pratique est déjà bien établie, la seconde est encore balbutiante et va demander, dans les prochaines années, une attention et une énergie considérables. Le risque de livrer le marché du livre numérique aux mains de quelques mégaentreprises étrangères est bien réel. Il faut donc se préoccuper maintenant de mettre en place la réglementation nécessaire à un développement équitable de ce marché. J'invite ceux qui en doutent à consulter les sites Internet de ces groupes pour constater la pauvreté de l'offre culturelle québécoise.

Mme Imbeault (Sophie) : En quoi la réglementation proposée pourra-t-elle sauvegarder la bibliodiversité? Elle aura un effet bénéfique rapide sur la santé financière des librairies indépendantes et des chaînes de librairies par un transfert des achats de leurs clients fréquentant des grandes surfaces. Elle permettra, dans un premier temps, de stabiliser le réseau et, par la suite, d'en reprendre un développement équitable. Elle sera un encouragement et un facteur de stimulation pour mettre en place une relève culturelle dynamique. Elle mettra le secteur du livre à l'abri d'une guerre de prix que pourraient se livrer chaînes et grandes surfaces. Surtout, elle préviendra une hausse rapide du prix du livre. Plusieurs personnes ont affirmé le contraire devant cette commission ou dans les journaux sans jamais en expliquer le mécanisme.

Nous avons donc détaillé, dans notre mémoire, les paramètres influençant le prix d'un livre. Les surremises demandées par les grandes surfaces sont un facteur important, ainsi que le tirage initial d'un livre, directement lié à la capacité de diffusion du réseau de détaillants. Pour un éditeur culturel, la réglementation permettra d'assurer l'existence d'un réseau de détaillants fort et varié à la grandeur du territoire. C'est la condition nécessaire pour préserver et développer un secteur littéraire à l'image de la nation québécoise.

• (18 heures) •

M. Herman (Gilles) : De nombreux pays à travers le monde ont déjà fait ou sont en voie de faire ce choix éclairé. Pas plus tard que la semaine passée, les éditeurs français et allemands unissaient leur voix pour réclamer une réglementation au niveau européen afin d'éviter la création d'un oligopole, tant pour le livre imprimé que numérique. Ici même, dans cette salle, toutes les associations professionnelles du secteur du livre, tous les organismes gouvernementaux dépendant du ministère de la Culture, à savoir la Société de développement des entreprises culturelles, le Conseil des arts et des lettres du Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec et le Conseil consultatif de la lecture et du livre, se sont unanimement et sans équivoque prononcés en faveur de la réglementation du prix du livre.

La question de la valeur du travail intellectuel est au coeur de ce débat. Pamphile Le May, bibliothécaire ici même, à l'Assemblée nationale, pendant 25 ans, a écrit en 1865 dans Essais poétiques : «Je sais bien que dans notre jeune pays on n'est guère épris de la lecture, ce pain de l'intelligence; et si l'on veut lire un livre on l'emprunte de son ami plutôt que d'en offrir le prix au malheureux qui a sué sang et eau pour l'écrire.» Il serait temps de lui donner tort en soutenant adéquatement avec les législations appropriées le secteur culturel et économique du livre.

En conclusion, nous demandons au gouvernement du Québec l'adoption rapide d'une réglementation sur le prix du livre neuf imprimé et numérique pour donner à ces artisans un outil supplémentaire permettant de protéger la bibliodiversité dans toutes ses formes. Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous débutons les échanges. M. le député de Bonaventure, vous avez la parole.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, bienvenue. Vous dites que… vous affirmez que la réglementation du prix aurait un effet bénéfique rapide sur la situation… santé financière des libraires. Je vous ai entendu énumérer certains éléments que... j'aimerais vous entendre encore pour être sûr d'avoir bien compris. Il y avait une… il y aurait une amélioration rapide.

M. Herman (Gilles) : L'amélioration peut-être la plus rapide qu'on pourrait voir, c'est celle du transfert d'achat des clients de librairie qui, actuellement, sont des clients de grandes surfaces. Et M. Ménard, juste avant nous, l'a bien expliqué, il faut arrêter de penser que les consommateurs de grandes surfaces sont des gens sans moyen ou avec peu de moyens financiers. Il y a, en fait, des gens qui fréquentent les grandes surfaces qui ne vont jamais en librairie; il est bien évident que la réglementation ne les amènera pas demain en librairie. Par contre, il y a une très grande majorité des clients de librairie qui fréquentent les grandes surfaces et qui, comme tout le monde, quand elles voient le best-seller, quand elles voient le dictionnaire, quand elles voient le dernier livre à la mode dans leur librairie, décident d'attendre et de l'acheter en grande surface, sachant qu'ils vont avoir un rabais conséquent. Ce sont ces gens-là qui, fréquentant déjà la librairie et voyant généralement les livres plus tôt en librairie — il faut savoir que les livres sont généralement un peu plus tôt, deux, trois semaines avant d'arriver en grande surface — vont faire leur achat tout de suite.

Et je vous rappelle que, quand on dit que la rentabilité moyenne d'une librairie est de 0,84 %, d'une librairie indépendante, ce n'est pas compliqué à comprendre que le moindre transfert de livres va être bénéfique immédiatement pour la librairie. Parce qu'on n'a pas encore vu les effets réels des fermetures de librairie. On a parlé, les libraires, à l'ALQ, les LIQ en ont parlé un petit peu de certaines fermetures, on n'a pas encore vu les effets réels des fermetures, on n'a pas encore vu non plus l'effet réel des fermetures suite à un problème de relève.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. le député de Bonaventure.

M. Roy : Bon, il y a un intervenant avant vous qui a exprimé l'idée qu'il y aurait une possibilité que les grandes surfaces développent une plus grande offre de service et, bon, deviennent des librairies en tant que telles. Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait arriver pour qu'il y ait une captation du marché?

M. Herman (Gilles) : Bien sûr, et je l'espère, et je l'espère. Nous autres, ce qu'on veut, c'est développer le marché de la lecture et le marché du livre. Donc, ça va passer par un développement des rayons de livres dans les grandes surfaces. C'est l'exemple de ce qui s'est passé avec les magasins Leclerc, en France, où aujourd'hui on trouve des rayons culturels dans ces grands marchés là avec des libraires en place qui peuvent conseiller les gens. Mais donc, comme on l'a déjà dit, c'est que les clients qui ne fréquentent uniquement que les grandes surfaces ne vont pas en librairie. Donc, ce n'est pas un danger pour la librairie si les grandes surfaces se mettent à vendre plus de livres. Et c'est un petit peu ce qu'on veut faire ici, là, augmenter la lecture et le marché du livre.

M. Roy : Mais il n'y aura pas un effet dangereux pour le petit libraire du quartier?

M. Herman (Gilles) : Non, parce que lui, il va pouvoir continuer à bien servir ses clients qu'il a déjà. Et peut-être même que, quand les gens vont avoir plus de choix en grande surface et réaliser qu'il n'y a pas juste 300 livres qui sont publiés par année, ils auront le goût d'aller voir en librairie ce qui s'y trouve.

M. Roy : Parfait. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui, M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Herman, Mme Imbeault. Moi, ma… Vous mentionnez que le prix du livre serait peut-être la solution pour régler les problématiques, mais j'aimerais savoir si vous avez des études sur lesquelles vous vous basez ou si, avant d'implanter un prix régulier du livre, il serait pertinent qu'il y ait une analyse ou une étude plus poussée qui serait faite par les... pour le gouvernement, mettons, pour arriver avec quelque chose de plus précis actuellement. Mais est-ce que vous, vous avez de ce genre d'étude là sur laquelle vous pouvez référer?

M. Herman (Gilles) : On pourrait bien sûr... le gouvernement pourrait bien sûr décider de faire diverses études : études de consommateur, études d'impact, etc. Écoutez, je vais faire un peu de futurologie, je pourrais déjà vous annoncer ce que vont dire ces études : Ça va... On aurait donc dû, mais c'est trop tard. Il y a une urgence réelle, il y a une urgence réelle de réglementer le prix du livre aujourd'hui et de stabiliser le marché du livre. Et on peut faire toutes les études qu'on veut, mais je pense qu'il est temps d'agir avec une réglementation toute simple, une réglementation qui, comme l'a dit le président de l'ANEL, M. Jean-François Bouchard, est à coût nul pour le gouvernement, et, après ça, on verra quelles autres mesures, parce qu'il faudra en mettre, d'autres mesures, et quelles autres mesures on va pouvoir mettre en place pour développer la lecture et le marché du livre.

Mme Imbeault (Sophie) : Je voulais ajouter que, dans une autre vie, avant d'être éditrice, j'ai fait l'ENAP, donc l'École nationale d'administration publique, alors, des études, j'en ai vu, mais, à mon avis et selon l'avis de mes collègues dans le milieu du livre, le temps n'est plus aux études, le temps est vraiment à la prise de décision.

Cet été, j'ai passé mes vacances à Vancouver, eh bien, en quatre jours, on s'est dit, à la fin de notre séjour, on n'a croisé aucune librairie dans la ville. Est-ce que c'est ça qu'on veut au Québec ? Donc, pour moi, c'est vraiment urgent d'agir.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : La question suivante, c'est que vous avez mentionné tantôt les pays comme l'Allemagne, la France, qui avaient réglementé, et tout ça, mais nous, on a la loi n° 51 quand même, qui existe depuis de nombreuses années et puis qui permet justement de réglementer ou de venir aider, là, le livre en question. Est-ce que vous pensez que la loi n° 51 est suffisante actuellement pour faire ce que les autres pays peuvent faire — parce qu'eux autres, ils n'ont pas de réglementation comme telle — ou si c'est absolument nécessaire d'augmenter la protection, la protection justement du livre?

M. Herman (Gilles) : La loi du livre a été un outil extraordinaire de développement pour le peuple québécois. De 1980 à aujourd'hui, le nombre de librairies a explosé, le nombre de bibliothèques a explosé, le nombre de livres publiés, le nombre d'éditeurs et le nombre d'auteurs québécois, ça a été extraordinaire, et on le doit en grande partie grâce à la loi du livre et au plan de développement des bibliothèques qui était mené en parallèle et qui a permis donc de financer tout cet exercice.

La loi du livre est aussi une loi qui nous est très enviée par les autres pays. Nous autres, on regarde la possibilité d'avoir une réglementation du prix, et ceux qui ont une réglementation du prix regardent la possibilité d'avoir une loi du livre, comme quoi finalement toutes les idées finissent par converger. C'est une bonne loi, qui, unanimement, dans la profession, est encore reconnue. Personne ne veut vraiment y toucher ou la changer. Dans les quelques propositions que nous faisons, à la fin de notre mémoire, la première est celle de renforcer peut-être le contrôle de la loi et de voir à ce qu'elle soit correctement appliquée. Il y a des dispositions qui devraient être peut-être mieux soutenues à l'intérieur même du ministère.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. le ministre.

M. Kotto : Madame, monsieur, soyez les bienvenus. Merci pour votre contribution. Je vais y aller rapidement, il ne reste pas beaucoup de temps. Que pensez-vous de l'autorégulation?

M. Herman (Gilles) : Par autorégulation, donc, la régulation même de la profession, bien, écoutez, si ça marchait, on ne serait pas ici devant vous. L'autorégulation ne fonctionne pas pour différents intervenants parce que le secteur est très divisé. Parce que le livre, ça n'existe pas, parce que ce sont les livres, parce qu'il y a des livres scolaires, parce qu'il y a des livres littéraires, parce qu'il y a des livres commerciaux, il y a des livres jeunesse et que c'est un secteur qui a besoin aujourd'hui d'une aide du gouvernement pour être stabilisé. Donc, il y a visiblement eu un échec de la part du milieu pour s'autoréguler, sinon, on n'en parlerait pas, de la réglementation du prix du livre.

Regardez même en Allemagne. L'Allemagne a longtemps... n'a pas de réglementation sur le prix du livre, c'est un accord interprofessionnel. Pourtant, aujourd'hui, aujourd'hui, il demande, avec la France — qui en a une, réglementation sur le prix unique — une réglementation européenne. Donc, on voit que, même en Allemagne, qui ne sont quand même pas des rigolos, notamment quand on parle d'économie, ils vont vers l'idée d'avoir une réglementation du prix.

M. Kotto : O.K. Vous parlez — c'est page 18 de votre mémoire, quatrième disposition — de restructurer la Banque de titres de langue française et diffuser gratuitement les données bibliographiques. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus?

M. Herman (Gilles) : Oui. Rapidement, la Banque de titres de langue française...

M. Kotto : Et avez-vous des idées de modification, au cas échéant?

• (18 h 10) •

M. Herman (Gilles) : Donc, la Banque de titres de langue française, la BTLF, l'acronyme qu'on utilise, est une société qui a été créée en 1996, donc, pour permettre l'échange des données bibliographiques, qui tient aujourd'hui le site Memento, auquel les bibliothécaires ou les libraires se réfèrent pour faire des recherches de livres. C'est que ça a été créé en 1996 sur des bases qui aujourd'hui ne sont malheureusement plus les bonnes. Il y a un problème avec le marché français qui fait que ça nous coûte très cher. Il y a le fait qu'aujourd'hui la donnée avec Internet, elle devrait être gratuite et non plus payante. Autrement dit, il y a beaucoup de choses à faire, principalement dans le numérique. Il y a un frein énorme au niveau de la distribution des données bibliographiques dans le numérique, alors que tout pourrait être centralisé à la BTLF, mais une question économique, c'est que les services de la BTLF sont payants, alors qu'ils devraient être gratuits pour une plus large diffusion de notre littérature.

Je n'ai pas envie d'épiloguer plus longtemps là-dessus, mais moi, je suis à votre libre disposition et effectivement j'ai pas mal d'idées sur comment restructurer la BTLF, et mes collègues et personnes dans le milieu du livre connaissent depuis longtemps mes positions à ce sujet.

M. Kotto : D'accord, merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Quelques secondes.

M. Kotto : Oui. Donc, on va garder le contact, O.K.? Merci.

M. Herman (Gilles) : Parfait.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de l'Acadie, vous avez la parole.

Mme St-Pierre : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir... bonjour. J'aimerais que vous nous donniez des exemples de non-respect de la loi, parce que vous dites, dans vos recommandations, qu'il faut faire respecter la loi du livre. Moi, c'est nouveau pour moi, c'est la première fois que j'entends parler, j'entends dire que la loi n'est pas respectée. Auriez-vous des exemples concrets à nous soumettre?

M. Herman (Gilles) : Vous vous souviendrez peut-être que vous étiez venue en assemblée générale de l'Association nationale des éditeurs de livres, il y a trois, quatre ans, quand vous étiez ministre de la Culture. Et, parmi les questions, je m'étais levé et je vous avais déjà signalé ce problème qu'il fallait faire…

Mme St-Pierre : Il me semblait que je vous connaissais, aussi.

M. Herman (Gilles) : ... — voilà — faire respecter la loi du livre. Vous comprendrez que je n'ai pas envie publiquement ici de commencer à dénoncer des collègues ou à dire des choses, mais quelques exemples.

Écoutez, premièrement, je vais exclure les bibliothèques. Les bibliothèques connaissent très bien la loi du livre, et il n'y a aucun problème à ce niveau-là. Au niveau des ministères, par exemple, généralement, quand on reçoit, nous autres, comme éditeurs, des coups de téléphone de ministères pour dire : Ah! J'aimerais ça avoir 25, 30 exemplaires de tel livre, bien, souvent, on leur dit : Écoutez, vous pouvez vous adresser en librairie. Là, c'est stupeur : Ah bon! Pourquoi? Puis : Oui, mais on veut un prix. Mais non, un prix, il n'y a pas de prix, là, c'est la loi. Puis ça finit souvent par : Ah! Bien, on va s'arranger. Le «on va s'arranger» là, je vais vous dire qu'on sait ce que ça veut dire : on va trouver une façon autre. Souvent, la personne va aller acheter en son propre nom des livres puis, après ça, bien, va le donner au ministère.

Ce sont des petits exemples comme ça. Donc, il y a beaucoup de formation à faire, premièrement auprès des ministères et organismes publics, qui devraient mieux connaître la loi du livre. Puis, après ça, écoutez, encore une fois, moi, je suis à votre disposition si vous voulez qu'on en parle plus longuement, des choses qui seraient à… Mais il faut donner un petit peu de mordant à la loi du livre, qui actuellement n'en a pas.

Mme St-Pierre : Lorsque vous dites qu'il faut accorder aux bibliothèques des budgets dédiés au numérique, vous évaluez à combien, l'injection d'argent neuf dans les bibliothèques pour…

M. Herman (Gilles) : Écoutez, mes amis bibliothécaires vont dire : Dis des millions, dis des millions! Mais la question est intéressante, hein, l'injection d'argent neuf dans le numérique, parce qu'aujourd'hui il n'y a pas de budget dédié réellement à l'achat du numérique dans les bibliothèques. Or, on l'a déjà expliqué, le marché numérique n'est pas encore développé, et, si on veut le développer, il faut avant tout que les bibliothèques aient des livres numériques à proposer.

Donc, que font les bibliothèques aujourd'hui si elles veulent aller dans le numérique? Il faut qu'elles réduisent l'offre de livres imprimés, alors que c'est encore ça que les gens consultent. Donc, pour développer le numérique, il va falloir baisser l'imprimé. Moi, je trouve que ça, ça n'a pas de bon sens. On ne peut pas faire la croissance du numérique sur le dos de l'imprimé.

Donc, aujourd'hui, ça prendrait des budgets, peut-être pas forcément des budgets récurrents, mais, en tout cas, une certaine somme d'argent dédiée au numérique pour les bibliothèques publiques pour qu'elles puissent faire l'acquisition initiale d'un fonds important de livres. Combien? Écoutez, il faudrait demander aux bibliothécaires qui seront mieux placés que moi pour répondre à cette question.

Mme St-Pierre : Vous avez un important catalogue, on parle de 400 titres actifs; vous avez gagné plusieurs prix. Vous êtes avant tout une maison d'édition spécialisée en histoire, même sciences humaines, archéologie et sciences politiques, ethnographie. En quoi les grandes surfaces nuisent-elles à votre secteur à vous particulièrement?

Mme Imbeault (Sophie) : Bien, les grandes surfaces... on ne trouve pas nos livres en grande surface. Moi-même, je suis auteure, je suis auteure d'essais sur la guerre de la Conquête, et on ne trouvera jamais un de mes livres en grande surface. Ils n'en veulent pas.

Mme St-Pierre : En quoi un prix réglementé viendrait aider votre maison d'édition?

M. Herman (Gilles) : Parce que nos livres ne sont pas en grande surface, ils ne sont vendus qu'en librairie. S'il n'y a plus de librairie, je ne vends plus de livres. Et, moi, ce que je dis, c'est que…

Mme St-Pierre : Mais vous ne seriez pas nécessairement plus en grande surface.

M. Herman (Gilles) : Non, mais je dis que, s'il n'y a plus de librairie, je ne vendrai plus de livres, et donc la grande surface, si elle fait mal à la librairie, elle va faire mal aux éditeurs culturels qui ne vendent qu'en librairie. Et c'est en ça qu'un prix réglementé de neuf mois, bien, permet de stabiliser le marché pour que la librairie puisse garder son avantage concurrentiel, continue à vendre des best-sellers, mais surtout continue à vendre le livre culturel québécois qui, sinon, ne sera plus en grande surface, et ça va être une perte énorme pour notre culture.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant… M. le député de Jacques-Cartier, oui, allez-y.

M. Kelley : Juste très rapidement, je viens de regarder vos titres publiés cette année et j'en ai vu un sur la crise d'Oka, qui m'intéresse comme ancien ministre responsable des Affaires autochtones. Mais, vite fait, le meilleur prix que je peux trouver pour le livre, c'est Amazon. Pourquoi ne pas essayer d'avoir vos prix concurrentiels avec Amazon? Parce que je trouve, comme je dis, vite fait, j'ai fait Renaud-Bray, j'ai fait chez vous, j'ai fait… et le prix le plus intéressant, c'est Amazon. Alors, est-ce que ça, c'est une mauvaise chose que moi, je peux acheter votre livre en ligne ou comment est-ce qu'on peut mieux encadrer ça? Parce que je pense qu'il y aura un secteur de plus en plus important dans la société, plutôt, surtout les plus jeunes, qui vont acheter des livres en ligne. Comment s'assurer... votre présence pour s'assurer que vos livres sont vendus en ligne?

M. Herman (Gilles) : Nos livres sont vendus en ligne. Amazon est un libraire important pour nous autres. Dans notre chiffre d'affaires, je dirais qu'Amazon représente peut-être une grosse succursale Renaud-Bray. On est très contents de vendre chez Amazon. Simplement, avec une réglementation sur le prix du livre, bien Amazon va être tenu, dans les neuf premiers mois, de respecter le prix du livre.

Vous savez, c'est incroyable, Amazon, hein? On annonce nos livres, mettons, au début... à la mi-août, et déjà ils annoncent... on annonce toutes nos parutions, mettons, jusqu'en décembre, et le lendemain nos livres sont déjà surAmazon, ils n'ont pas de couverture, pas de quatrième couverture, pas de texte de présentation, rien, ils ont juste un prix qui est déjà barré, 25 %, 30 % moins cher. Ils ne vendent que du prix, ils ne vendent pas du livre, ils vendent des rabais. Alors, nous autres, nos livres sont vendus chez Amazon, on a un catalogue peut-être un peu plus spécialisé, les gens continueront à l'acheter en ligne pour toutes les commodités que ça apporte, la vente en ligne, mais pas pour le prix.

M. Kelley : Mais pour vos librairies... Le meilleur prix demeure sur Amazon plutôt qu'en librairie. Comment est-ce qu'on peut changer ça?

M. Herman (Gilles) : En réglementant le prix du livre sur les neuf premiers mois.

M. Kelley : Mais moi, je parle d'un livre qui est publié au début de l'année. Alors, c'est déjà plus que neuf mois, et c'est un rabais. C'est juste une couple de dollars, mais pourquoi pas... votre prix n'est pas concurrentiel avecAmazon?

M. Herman (Gilles) : Bien, ce n'est pas mon prix.

M. Kelley : C'est juste un rabais de 2 $, alors c'est le 10 %.

M. Herman (Gilles) : C'est parce que ce n'est pas mon prix, rendu là. Au bout de neuf mois, c'est le prix du détaillant, c'est le prix du libraire. Moi, je n'en vends pas, des livres directement, alors, moi, ce sont les détaillantsqui vendent. Si, au bout de neuf mois, les libraires veulent accoter les prix d'Amazon, ça va être leur droit, et le gros des ventes va être passé. Vous savez, l'existence d'un livre, c'est quand même malheureusement assez court, c'est quelques… c'est les quelque six premiers mois, mettons. Donc, après ça, la vraie question se fera plus sur le prix du livre.

Alors, oui, les détaillants auront tout le loisir de faire ça. Ça, c'est les stratégies commerciales des détaillants, ce n'est pas les miennes proprement dites. Moi, s'il faut que je baisse, mettons, de 30 % le prix proposé et suggéré par l'éditeur, il va falloir que je demande à mes employés s'ils acceptent que leur salaire soit baissé de 30 %. Est-ce que l'imprimeur va accepter d'être payé 30 % moins cher, le réviseur, le graphiste, le libraire, etc.? Je ne pense pas que ça va être le cas.

M. Kelley : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Rebonjour, madame, monsieur. Merci pour votre mémoire. J'aimerais vous amener rapidement à la page 13, à la proposition, lorsque vous écrivez : «Une réglementation du prix du livre aurait un effet bénéfique rapide sur la santé financière des librairies indépendantes et des chaînes de librairies par un transfert des achats de leurs clients fréquentant des grandes surfaces.» On sait que 13 % des ventes de livres sont faites en grandes surfaces, mais, de ce 13 %, pouvez-vous évaluer le pourcentage de ces acheteurs qui iraient dans les librairies indépendantes et qui iraient dans les… Parce que vous ajoutez ici les chaînes de librairies. Puisque le but, c'est de sauver les petites librairies indépendantes... Est-ce qu'on a une idée?

M. Herman (Gilles) : Je vais répéter. Il faut bien comprendre que le client… Là, on parle tout le temps du transfert de la grande surface vers la librairie. Il faut bien comprendre, là, qu'on parle des clients de librairie qui fréquentent la grande surface. Ce sont ces clients-là, leurs achats à eux autres qui vont être transférés à la librairie... en partie, évidemment, on ne parle pas de 100 %, mais quand bien même ce serait juste 10 %, là... Quand on dit, je le répète, à 0,84 % de rentabilité pour une librairie, là, quand bien même ce serait juste 10 % de ces achats — ce qui n'est vraiment pas beaucoup, hein — qui seraient transférés en librairie, ça va donner une liquidité incroyable aux libraires. Ça va leur permettre de respirer, ça va leur permettre de se stabiliser et de se dire : Maintenant, comment est-ce qu'on règle le problème? Qu'est-ce qu'on met comme stratégie commerciale en avant? Est-ce qu'on peut assurer une relève? Parce qu'on n'en a pas discuté ici, mais le problème de la relève en librairie est extrêmement important.

Mme Roy (Montarville) : Mais ma question est précise. Ce que je veux savoir, c'est est-ce qu'on a une idée du nombre de consommateurs qui iront du côté des petites librairies et non dans les chaînes? Parce que le but est de sauver les petites librairies, ici.

• (18 h 20) •

M. Herman (Gilles) : Mais les gens vont déjà en librairie, c'est ça que… Les gens sont déjà en librairie. Ils sont en librairie, et ils voient le dernier Guide de l'Auto et ils savent pertinemment que ce livre-là va être 30 % à 40 % moins cher en grande surface. Ils ne l'achètent pas en librairie. Je ne l'achèterais pas en librairie non plus. On n'est pas plus fou qu'un autre, là.

Mme Roy (Montarville) : Alors, je vais reposer ma question à l'envers. Sur ce 13 % de part de marché, combien sont, selon vous, des consommateurs qui vont déjà en librairie? Donc, la part que vous pensiez récupérer.

M. Herman (Gilles) : D'accord, d'accord, d'accord. On va finir par se comprendre. Écoutez, je n'ai pas d'étude là-dessus, mais, à mon avis, une grande majorité, une grande majorité, facilement. Facilement 70 %, 75 %.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, Mme Imbeault, M. Herman.

Et la commission suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30. Je vous souhaite, chers collègues, un bon appétit et je vous demande d'être à l'heure parce que nous allons débuter à 19 h 30 ce soir. Merci.

(Suspension de la séance à 18 h 21)

(Reprise à 19 h 30)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Donc, bonsoir. Nous reprenons nos travaux et nous recevons la représentante de Costco, Mme Andrée Brien. Vous avez un maximum de 10 minutes, Mme Brien, pour nous faire part de votre exposé. Par la suite suivra un échange avec les membres de la commission. Je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale et je vous cède la parole.

Costco Wholesale Canada Ltd.

Mme Brien (Andrée) : Merci. Mme la Présidente, membres de la commission, merci de nous recevoir. Nous sommes heureux de pouvoir vous expliquer aujourd'hui pourquoi nous entendons nous opposer au projet de réglementation du prix du livre. Je tenterai, dans les prochaines minutes, de faire valoir le bien-fondé de notre position à partir de notre expérience. Mais, avant, nous tenons à préciser que nous reconnaissons le rôle primordial des libraires, tout comme celui des bibliothécaires. Nous sommes bien conscients que le livre occupe une place de premier plan dans l'expression de la culture québécoise et de son rayonnement. De notre côté, nous n'avons pas la prétention de jouer un rôle aussi important, mais nous croyons que Costco contribue à sa façon à la promotion de la lecture, même si son champ d'action est limité.

Depuis leur implantation dans les années 90, on ne cesse de blâmer les grandes surfaces pour leurs politiques de prix coupés qui seraient responsables, dit-on, de l'érosion du secteur de la librairie indépendante. On a abondamment référé, devant cette commission, au comité Larose qui, à l'époque, rappelons-le, mettait en cause directe les rabais pratiqués par les grandes surfaces pour expliquer la disparition progressive des librairies indépendantes. Le problème, c'est qu'aucune donnée ne venait soutenir cette assertion. Dans cette foulée, un débat sur l'instauration d'un prix unique du livre avait alors fait couler beaucoup d'encre au Québec, sans toutefois réussir à dégager un consensus.

Voilà qu'en 2011 l'annonce de l'arrivée de Target au Québec a relevé à nouveau cette idée d'instaurer un prix unique dans le but de freiner les grandes surfaces. On nous reproche encore aujourd'hui de ne tenir que les best-sellers à prix soldés, privant ainsi les librairies d'une partie des ventes les plus faciles, et de réduire leurs marges bénéficiaires. Continuer à affirmer pareille chose et à tirer à boulet rouge sur les grandes surfaces, c'est faire fi de la réalité et mal connaître le comportement des consommateurs. En visant essentiellement les grandes surfaces, les tenants du prix unique du livre ignorent une multitude de facteurs déterminants qui ont contribué davantage, au cours des 15 dernières années, à fragiliser les librairies indépendantes : le ralentissement de l'économie, plus particulièrement dans le secteur du détail, l'évolution des habitudes de consommation, l'essor du numérique, évidemment les ventes en ligne, qui sont probablement les facteurs plus importants.

Avant de poursuivre, puisqu'on nous confond trop souvent avec nos concurrents, j'aimerais vous expliquer brièvement qui nous sommes et quel est notre modèle d'affaires. D'abord, Costco est une chaîne de distribution établie au Québec depuis près de 30 ans. Nous fonctionnons comme un club entrepôt, avec une adhésion annuelle de 55 $ et une carte exécutive à 110 $. En contrepartie, nous nous engageons auprès de nos membres à prendre une marge de profit maximale de 14 % sur l'ensemble de ce que nous vendons dans l'entrepôt.

Deuxième principe, Costco n'offre qu'une sélection limitée de produits, environ 3 500 articles choisis pour leur qualité, alors que nos concurrents en proposent plus de 40 000. Cette sélection s'exerce dans tous les secteurs chez Costco, y compris celui du livre. Mais la plus grande différence avec nos concurrents, c'est le fort taux d'achalandage que nous avons. Nous misons sur le volume pour générer nos profits. Une étude réalisée par l'Association des libraires du Québec affirmait à tort que nous vendons nos livres à perte. Véhiculer une telle fausseté, c'est encore une fois mal connaître le commerce du détail. Nous ne vendons aucun livre en bas du prix coûtant.

Enfin, Costco est un employeur responsable. Nous offrons des emplois de qualité, assortis de conditions enviées dans tout le secteur du commerce du détail. À titre d'exemple, un caissier et une caissière chez nous gagnent 55 000 $ après cinq ans de service, plus des avantages généreux au point de vue des… excusez, des avantages sociaux généreux. Nous avons l'un des plus bas taux de roulement de personnel de l'industrie.

En ce qui a trait plus spécifiquement à notre secteur livre, notre politique est très simple. Les prix des livres chez Costco sont indiqués uniquement sur les lieux de vente. Nous ne faisons aucune promotion ou publicité pour notre section livre auprès du public, ce qui évite de concurrencer directement les libraires. Ce modèle d'affaires est très apprécié de nos membres qui renouvellent à 91 % leur adhésion. Je pense qu'on peut parler d'un grand degré de satisfaction.

En bref, Costco, au Québec, c'est 5 700 emplois, 19 entrepôts, un centre de distribution. C'est plus de25 000 transactions par semaine par entrepôt, soit 475 000 transactions hebdomadaires. C'est aussi 1,2 million de membres, soit plus de trois personnes sur quatre parmi la population active au Québec.

Revenons au vif du sujet : notre secteur du livre. Costco fait affaire avec trois grands distributeurs qui contrôlent pratiquement tout le marché du Québec, ce qui nous fait dire que la distribution du livre au Québec est en situation de quasi-monopole. Tous les distributeurs accordent un même rabais fixe de 30 % aux grandes surfaces et de 40 % aux librairies, et ce, peu importent les quantités commandées, donc pas de rabais volume, contrairement à tout ce qui existe dans le commerce. C'est unique. Ces distributeurs décident également de la disponibilité des produits et du nombre d'exemplaires qui sera attribué. Ainsi, en 2012, 94 % de nos ventes de livres étaient générées par ces distributeurs et les éditeurs du Québec. Enfin, la majorité des éditeurs québécois nous contactent et nous demandent de certifier notre engagement d'achat avant d'aller en impression d'un livre à gros ou à moyen tirage.

Parlons maintenant de nos membres qui achètent des livres. Nous avons demandé à la firme indépendante Léger Marketing de préciser le profil des acheteurs de livres chez Costco au Québec. Essentiellement, l'étude révèle que les deux tiers de nos membres qui achètent des livres font d'abord et avant tout des achats spontanés, et les achats sont occasionnels dans les trois quarts des cas. Pour près de 75 % de nos membres qui achètent des livres, le prix est le facteur déterminant, et ces membres, dans une même proportion, disent qu'ils continueraient d'acheter chez nous si une politique de prix unique sur les livres devait être imposée. En résumé, une forte proportion de nos membres effectue des achats non planifiés et de façon occasionnelle.

Conséquemment, une grande partie de ces achats ne se feraient pas autrement, puisqu'ils sont spontanés. Et, comme les prix seraient identiques partout, il n'y aurait aucun avantage à acheter ailleurs. À prix égal, pourquoi se déplacer si le produit est déjà sur place? Croire qu'une augmentation des prix due à une fixation d'un prix unique puisse déplacer les consommateurs des grandes surfaces vers les librairies est une pure vue de l'esprit. L'effet de cette réglementation sur les intentions d'achat serait donc minime pour Costco. Compte tenu de ces résultats, nous croyons que non seulement l'instauration d'un prix unique raterait en grande partie sa cible, mais que cette mesure viendrait accentuer le mouvement des consommateurs vers le numérique et les achats en ligne, ou encore les inciter à acheter à moindre coût une version originale anglaise.

En conclusion, nous estimons qu'il n'existe pas de données probantes motivant l'adoption d'un prix unique. Même en France, cette réglementation n'a pu freiner une baisse des achats de livres au cours des dernières années. En somme, l'expérience du prix unique du livre est loin d'être concluante. Nous croyons aussi qu'il n'y a pas de consensus pour l'adoption d'une telle politique de fixation de prix, contrairement à ce qui est véhiculé par la coalition Nos livres à juste prix, menée par l'ADELF. Ai-je besoin de vous rappeler que cette coalition exclut les gros joueurs de l'industrie et les consommateurs? Nous sommes d'avis que cette mesure n'aura pas d'impact auprès des consommateurs en ce qui a trait au commerce en ligne et au numérique qui ne cessent de gagner en popularité. Les fermetures graduelles des clubs vidéo, des magasins de disques en sont de malheureux exemples.

Enfin, nous estimons que cette mesure va à l'encontre de toute tendance et ne répond en rien aux véritables défis auxquels le secteur du livre est confronté. Nous sommes convaincus qu'il y aura moins d'achats et que cette mesure va accélérer davantage une réduction du volume total des ventes du livre au Québec et qu'en bout de piste c'est toute l'industrie du livre qui en pâtira. Costco invite donc les membres de la commission à tenir compte davantage des intérêts des lecteurs et des consommateurs. Merci.

• (19 h 40) •

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, Mme Brien. Nous allons débuter les échanges. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Kotto : Merci, Mme la Présidente. Mme Brien, bonsoir.

Mme Brien (Andrée) : Bonsoir.

M. Kotto : Merci d'être là et merci pour votre contribution à cette étude. Quel est le volume de littérature québécoise chez Costco, en pourcentage?

Mme Brien (Andrée) : En pourcentage des ventes? Disons que ça se situe environ à 1 % des ventes totales de la compagnie, un peu moins.

M. Kotto : O.K.

Mme Brien (Andrée) : Je parle des livres en français, bien sûr.

M. Kotto : Oui, oui, c'est ça. À la page 5 de votre mémoire, et vous l'avez rappelé tout à l'heure dans votre exposé, je reprends littéralement : «...la majorité des éditeurs québécois nous contactent et nous demandent de certifier notre engagement d'achat avant d'imprimer un livre à gros ou à moyen tirage.» Est-ce que vous pouvez élaborer ce paradigme?

Mme Brien (Andrée) : Oui, tout à fait. C'est une pratique courante. Habituellement, on est contactés et, sur un titre en particulier, on va nous demander quelle sera notre intention d'achat pour ce livre, un livre en particulier. Alors, parfois, ça peut jouer entre 1 000 copies... mais, parfois, dépendant du sujet, ça peut se chiffrer dans beaucoup plus. Alors, ils nous demandent toujours quelle sera notre intention d'achat selon les titres présentés avant d'aller en impression parce qu'on représente quand même un assez… un client… on est quand même un client important, là.

M. Kotto : Est-ce que c'est dans cette phase-là que se discutent les remises et les surremises?

Mme Brien (Andrée) : Ça fait partie des conditions d'achat. C'est sûr que, pour nous, sur un best-seller, nous n'avons que 30 % de rabais. Les librairies ont 40 %, mais ça a toujours été… Dans les derniers 25 ans que je suis avec la compagnie Costco, ça a toujours été comme ça.

M. Kotto : O.K. Mais il n'y a jamais de négociations pour diminuer…

Mme Brien (Andrée) : …mais je veux dire, comme tout bon acheteur, je crois qu'on se doit de demander — ça ne serait pas faire notre boulot — mais ça a toujours été très strict.

M. Kotto : O.K. Dans la perspective où les diffuseurs, disons, ne sacrifieraient pas un pourcentage relativement important malgré tout, quelle serait votre disposition relativement à une entente dans la perspective d'un achat?

Mme Brien (Andrée) : La grande tristesse, pour en venir à un point qui est clé, c'est, toute augmentation des prix, au bout de la ligne, ça va tout simplement se traduire à une perte des ventes. Ça, c'est sûr et certain. Je veux dire, les livres aussi vont devenir inaccessibles. Pour une famille, c'est important. Nous, on est seulement une première lecture. On est des achats… Les gens passent chez nous, ils achètent un livre d'une façon occasionnelle. Mais, dès que vous augmentez les prix, ça va faire tout simplement chuter le volume d'achat. Alors, nous, on va reprendre une position d'achat plus faible qu'on le fait en ce moment, c'est sûr et certain.

M. Kotto : Mais, quand vous dites cela, est-ce que vous vous référez à une observation tangible à laquelle on peut se pencher?

Mme Brien (Andrée) : Oui, tout à fait. Mes confrères américains, dans le secteur du livre, dans les derniers cinq ans, ont perdu 27 % dans le best-seller. Alors, c'est très important, et…

M. Kotto : …augmentation du prix?

Mme Brien (Andrée) : Bien, pas l'augmentation du prix, mais le transfert. Imaginez, juste le transfert de technologie a provoqué ça. Imaginez si, en plus, il y avait une augmentation de prix. Ce serait tout à fait désastreux, pas seulement pour Costco, pas seulement pour nous, pour les petits libraires, pour tout le monde. C'est toute l'industrie du livre qui va en souffrir, ce n'est pas seulement nous.

M. Kotto : O.K. Donc, si je vais jusqu'au bout de la logique, dans l'hypothèse où il y aurait une réglementation sur un prix plancher pour le livre neuf, vous anticipez une baisse de ventes…

Mme Brien (Andrée) : Tout à fait.

M. Kotto : …et donc un désistement de l'intérêt du consommateur aussi.

Mme Brien (Andrée) : Tout à fait. Puis ce n'est pas en augmentant les prix, habituellement, qu'on fait plus de ventes. Ça, ça n'a jamais été gagnant.

M. Kotto : O.K. Est-ce que vous disposez d'une étude du comportement de votre clientèle relativement aux livres? Est-ce que ce sont des fanatiques du livre ou ce sont des lecteurs occasionnels?

Mme Brien (Andrée) : Nous avons fait une étude cet été avec Léger Marketing, et puis, vraiment, notre clientèle, nos membres, ce sont des acheteurs occasionnels, de passage. Je ne crois pas que personne n'inscrit à sa liste d'épicerie : livre Costco. Je ne pense pas. C'est tout simplement un intérêt lorsqu'ils font leur… Ils passent devant les livres, si un sujet les intéresse, ils s'arrêtent, mais on n'a pas la prétention d'être un libraire ou des libraires, nous ne sommes pas une librairie.

M. Kotto : O.K. Vous êtes bien consciente de la situation du réseau de nos librairies indépendantes…

Mme Brien (Andrée) : Tout à fait.

M. Kotto : …et de ce qui arrive depuis un certain nombre d'années; c'est quasiment une hécatombe. Si nous sommes ici réunis aujourd'hui, c'est dans la perspective de trouver des solutions, et l'une des pistes de solution suggérées, c'est la réglementation du prix unique sur le livre neuf. Au-delà de cette proposition, en tant que personne sensible à cette situation périlleuse, si vous aviez des suggestions constructives, structurantes, quelles seraient-elles?

Mme Brien (Andrée) : Écoutez, Costco n'a pas la prétention de pouvoir donner au gouvernement des… d'apporter des solutions. Ce que nous, on s'aperçoit… il va falloir répondre aux consommateurs d'une façon différente. Les gens changent, les tendances changent, l'électronique fait partie de notre vie d'une façon bien différente qu'il y a 10 ans. Alors, tout l'essor du numérique, ça fait, en fait, qu'il faut se retourner sur d'autres méthodes. Alors, je n'ai pas de réponse clé à vous donner ce soir, mais je crois que ça ne sera pas en augmentant les prix qu'on va réussir à soutenir toute l'industrie du livre.

M. Kotto : Parce que, voyez-vous, on n'est pas un camp qui s'oppose à l'autre nécessairement, c'est un bien collectif qu'on essaie de sauvegarder.

Mme Brien (Andrée) : Non, tout à fait.

M. Kotto : C'est la raison pour laquelle je vous tendais la main pour une contribution bénévole. Mais je laisserai le temps qu'il reste à mes collègues, sur un prix unique.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, M. le ministre. M. le député de Bonaventure.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, madame. Vous avez dit tout à l'heure que le transfert des technologies — vous avez allumé mon interrogation — allait amener une baisse de ventes aux États-Unis.

Mme Brien (Andrée) : Bien, pas juste…

M. Roy : Qu'est-ce que vous voulez dire par ça?

Mme Brien (Andrée) : C'est tout simplement, le livre en tant que tel, le livre papier dans les entrepôts américains, pour Costco, disons qu'on a perdu 27 % de ventes. Alors, ces ventes-là sont allées vers le numérique, vers les ventes en ligne. Je suis sûre que les gens lisent autant mais d'une façon différente.

M. Roy : O.K. Donc, c'est le transfert vers la tablette numérique.

Mme Brien (Andrée) : C'est des transferts vers les technologies numériques.

M. Roy : O.K. J'ai une autre question. Tout à l'heure, vous avez mentionné une enquête que vous avez faite chez vous, où vous dites que 75 %, bon, des gens disent que c'est le coût du livre qui est le déterminant principal de l'achat. L'autre 25 %, qu'est-ce qui détermine sa volonté d'acheter un bouquin chez vous?

• (19 h 50) •

Mme Brien (Andrée) : Ceux qui ont répondu ont dit que, vraiment, 75 %, surtout, achetaient des livres. Et ce n'est pas tout le monde qui achète des livres chez nous. Nous ne sommes pas ce qu'on… On n'a pas la catégorie grand lecteur chez nous. C'est vraiment des achats occasionnels, alors on n'a pas la prétention d'être une librairie, là. Alors, c'est vraiment comme un service, un service qui est très apprécié des membres. Et puis ce n'est pas tout le monde qui achète ses livres chez Costco. Il y en a qui vont en librairie, et puis c'est parfait comme ça. Puis, il faut se supporter, se tenir dans ce débat, tout à fait.

M. Roy : Mais l'autre 25 %, quel est le déterminant? Est-ce qu'il y a d'autres facettes que… Dans votre enquête, est-ce qu'il y avait d'autres… Bon, par rapport au prix, est-ce qu'il y avait d'autres éléments qui pouvaient être…

Mme Brien (Andrée) : Non.

M. Roy : Non.

Mme Brien (Andrée) : ...tout simplement qui préféraient surtout magasiner… ce qu'on a trouvé, c'est qu'ils aimaient magasiner dans les librairies bannières, là, comme les Archambault, Renaud-Bray. C'était ce que les autres 25 % nous ont dit.

M. Roy : Merci beaucoup, madame.

Mme Brien (Andrée) : Ça fait plaisir.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Brien.

Mme Brien (Andrée) : Bonjour.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Vous avez mentionné tantôt… Vous avez fait une comparaison avec la baisse de vente de livres aux États-Unis, mais j'aimerais savoir : depuis l'entrée en vigueur du prix du livre au Mexique, je voulais savoir si vous avez des chiffres ou des données par rapport à chez vous, si ça a eu un effet direct sur vos ventes?

Mme Brien (Andrée) : Pour le Mexique, je suis désolée, mais je n'ai pas relevé leur chiffre d'affaires au Mexique. Je veux dire, on vend autant de livres au Mexique qu'en Angleterre, mais je n'ai pas les données exactes du marché, de ces marchés.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Nous dire si ça a eu un impact sur le prix du livre ou sur…

Mme Brien (Andrée) : Écoutez, si on regarde toutes les études et les pays qui ont eu… qui ont des prix uniques versus d'autres pays qui sont plus, disons, libres, si on peut dire, les deux… il n'y a pas de consensus. Il n'y en pas un, endroit où on dit : C'est formidable, d'un côté ou de l'autre. Alors, je ne pourrais pas vous répondre pour le Mexique.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci. C'est fini?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui, vous avez encore du temps, M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : O.K., j'ai encore du temps. J'aurais une autre question. Vous dites reconnaître l'apport des librairies à la biodiversité. Mon collègue a posé la question, M. le ministre a posé la question tantôt, mais, comme société, pour sauvegarder la biodiversité au niveau du livre, qu'est-ce qu'il faudrait faire, selon vous?

Mme Brien (Andrée) : Écoutez, nous, Costco, on a tellement… on est un petit joueur. On tient 350 références en entrepôt, alors… Du tiers des livres, on peut qualifier de best-sellers, les autres livres, c'est des livres pratiques, des livres-jeux, des livres pour enfants. Alors, nous sommes… nous participons, je crois, à la culture mais d'une façon quand même assez limitée. Alors, apporter aujourd'hui une… Je crois qu'il faut faire attention pour regarder tout ce qui se fait dans le transfert électronique. Je pense que c'est quelque chose qu'il faut regarder de très près, mais, comme... je soutiens que ce n'est pas en augmentant le prix des livres, au contraire, ça va tout simplement déprimer l'ensemble de l'industrie, puis je ne pense pas que c'est ça qu'on veut, personne.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Même pour six mois ou neuf mois?

Mme Brien (Andrée) : Écoutez, si j'ai un livre sur les grillades, là, sur le barbecue, pensez-vous que je vais l'acheter si, neuf mois plus tard, on est rendus au mois de novembre? Écoutez, les gens se font plaisir, chez nous. Ils se font plaisir. C'est comme : Ah! Je passe, c'est l'fun, c'est… Ah! Ça, ça m'intéresse. Ils le mettent dans leur panier. Ils ne sont pas partis de la maison en pensant d'acheter un livre chez nous, alors, imaginez-vous, s'ils doivent attendre neuf mois pour se faire plaisir sur les grillades du barbecue parce que le livre est peut-être trop cher au moment qu'il paraît ou si ce n'est pas dans leur bourse, là.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : …temps?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui. Oui, il vous reste encore du temps, M. le député.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : J'ai une dernière question en ce qui vous concerne. Vous parlez souvent d'augmentation des prix, ça va faire en sorte qu'on va vendre moins de livres, mais on a plusieurs intervenants qui sont venus nous dire : Si on a une baisse de prix dans les grandes surfaces, ça a... justement pour l'effet contraire, c'est d'augmenter les prix aux libraires. Alors, qu'est-ce que vous pouvez répondre à ce genre d'argumentation là?

Mme Brien (Andrée) : Excusez-moi, j'ai mal…

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Le fait d'augmenter les prix dans les grandes… de baisser les prix, dans les grandes surfaces, de 30 %, ce qui fait qu'à un moment donné peut-être que celui qui… l'éditeur va être obligé d'augmenter ses prix, alors, à ce moment-là, est-ce que l'impact sur le prix du livre, c'est l'augmentation?

Mme Brien (Andrée) : Non, écoutez, je parle pour Costco. Notre modèle d'affaires, c'est… on fait une marge de 14 % sur les produits mais pas seulement sur les livres, sur l'ensemble de nos produits en entrepôt, et 15 % sur notre marque maison, qui s'appelle Kirkland. C'est un modèle d'affaires. Ce n'est pas qu'on s'est levés un matin puis on a décidé de prendre le livre comme un secteur... La même méthodologie est appliquée à travers l'entrepôt. Puis, en bout de ligne, là, c'est le consommateur. C'est beau de dire qu'on va mettre un prix unique, mais c'est le consommateur qui va payer. Moi, j'ai 1,2 million de membres qui sont avant tout des consommateurs, et puis je peux vous garantir que les prix, c'est le facteur important. Je le vis tous les jours.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de l'Acadie, vous avez la parole.

Mme St-Pierre : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, Mme Brien. J'essaie de suivre un peu, parce que vous semblez dire que... vous dites : On n'est pas des libraires. Vous dites : J'ai... Peut-être que je vous cite mal, mais vous avez dit en début de votre présentation : On va continuer, même si une politique du prix unique est proposée. Donc, si une politique du prix unique est proposée, vous avez des acheteurs qui vont passer... rentrent dans le magasin, voient la primeur qui fait le buzz partout, qui est installée en pleine face en rentrant, prennent le livre... Puis il y a quelqu'un précédemment qui est venu nous dire : Bien, un fan, c'est comme un fanatique puis, lui, le prix n'aura pas d'importance. Il va prendre la dernière biographie de Mme Dion, la dernière biographie de quelqu'un qui est très, très connu. Donc, moi, j'ai de la misère à comprendre que vous seriez perdants en ayant un prix unique.

Mme Brien (Andrée) : Écoutez, c'est un peu loufoque, tout ça, dans le sens que, si, demain matin, il y avait une politique de prix unique, la chose que ça va faire pour Costco, c'est : à la place de vendre à une marge bénéficiaire maximum de 8 % dans le domaine du livre, je vais peut-être être à 22 %. Je vais me retrouver à faire plus d'argent.

Mme St-Pierre : Oui. Bien, vous devrez, dans ce cas, être tout à fait en accord avec l'idée d'un prix unique.

Mme Brien (Andrée) : Mais pourquoi? Les consommateurs, au bout de la ligne, là, c'est eux qui paient. À un moment donné, il n'y a personne qui vient parler de la personne qui passe à la caisse après... faire son épicerie, que ça soit chez nous ou chez...

Mme St-Pierre : Oui, mais vous dites que la personne qui arrive au magasin, elle n'a pas dans sa tête d'acheter.

Mme Brien (Andrée) : Non, c'est...

Mme St-Pierre : Mais elle va aller s'acheter des chaises de parterre, elle va aller s'acheter du guacamole, elle va aller s'acheter du rôti de porc, elle va aller s'acheter plein d'affaires qu'il y a dans le magasin parce qu'elle est partie avec sa liste, mais elle va arriver devant un best-seller puis elle va se dire : Bien, ah! Tiens, si je l'achetais? Donc, ce n'est pas... Autrement dit, ce que je veux vous dire, c'est que la personne ne quitte pas la maison avec sur sa liste : Je vais acheter la dernière biographie de, je ne sais pas...

Une voix : Christine St-Pierre.

Mme St-Pierre : ...Christine St-Pierre, mettons. Mais elle est partie avec sa liste puis là, bon, elle voit la... ça vient de sortir, puis elle l'achète. J'ai de la difficulté à comprendre que vous seriez perdants en ayant... s'il y avait une barrière, c'est-à-dire, qui serait là pendant trois, quatre ou cinq mois parce que c'est dans les premières semaines, là, que, vraiment, quand un gros, gros best-seller sort, c'est dans les premières semaines que tout se joue. Alors, si vous aviez une barrière d'un mois, ou deux mois, ou trois mois, il me semble que, comme citoyen corporatif puis étant... Vous êtes en faveur des consommateurs, mais vous êtes en faveur aussi de la culture puis des créateurs, puis il faut que les créateurs trouvent leur compte là-dedans. J'ai de la difficulté à suivre à quel point vous seriez perdants. Vous me parlez des consommateurs, mais moi, je parle de votre compagnie, votre business, là.

Mme Brien (Andrée) : Bien, écoutez, je le vis tous les jours, pas seulement dans le domaine du livre, dans toutes les catégories : lorsqu'on augmente le prix, vous voyez, les gens... quand l'essence augmente de quelques sous, à l'annonce, les gens s'enlignent dans...

Mme St-Pierre : Mais pourquoi vous dites qu'on augmente le prix? On n'augmente pas le prix, c'est le prix qui est fixé au départ...

Mme Brien (Andrée) : Mais il va devenir...

Mme St-Pierre : ...avec peut-être une autorisation de faire un 10 % de rabais, ce qui est quand même… si c'est sur un livre de 30 $, bien, c'est quand même 3 $, peut-être avec la possibilité de faire un 3… un 10 % de rabais. Donc, vous n'êtes pas...

• (20 heures) •

Mme Brien (Andrée) : Je ne suis pas perdante dans le sens que moins de gens vont acheter… Moins de gens vont acheter des livres parce que, si vous aviez un budget de tant pour un livre… Peut-être en bas de 20 $, vous vous accordez ce plaisir-là, puis au-dessus de 20 $, vous allez dire : Bon, bien, ce ne sera pas cette semaine, ce sera peut-être plus tard. Puis le «plus tard» devient peut-être «jamais». Ce n'est jamais… Je veux dire, je suis dans le commerce de détail depuis plus de 30 ans puis je peux vous dire, je peux vous assurer qu'en augmentant les prix — parce qu'au bout de la ligne c'est ça — ça ne fera pas augmenter les ventes. Vous allez…

Mme St-Pierre : Mais je reviens… Ma collègue va avoir une… Vous me direz à quel moment on… Parce que ma collègue va avoir une question aussi.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Vous avez encore du temps, Mme la députée.

Mme St-Pierre : Mais je reviens sur l'idée que c'est un achat compulsif. La personne arrive, elle n'a pas dans sa tête — à moins, là, bon, que ce serait vraiment une idée fixe — d'acheter la dernière nouveauté. Donc, c'est un achat compulsif. Alors, le consommateur, s'il est sur un achat compulsif, il n'est pas allé vérifier chez Amazon, ou ailleurs, combien le livre se vend. Il sait qu'il est chez Costco, il est chez vous, qu'il y a des bons prix partout puis que, sur le plancher… il va trouver son compte dans l'ensemble du plancher. Quand il va sortir, il va y avoir trouvé son compte.

Et vous dites : On n'est pas des libraires. Mais savez-vous qu'il y a des gens que c'est le travail, c'est la profession? Puis eux vont vendre le petit livre de poésie que vous ne vendrez pas chez vous. Puis ils vont tenir la collection de… une autre collection très rare et un livre de sciences politiques et un livre d'ethnologie, que vous ne vendrez pas chez vous. Vous allez chercher la crème puis vous laissez les autres être obligés de… Ils n'en vendent pas, de canapés, là, dans les librairies. C'est pour ça que j'essaie de pousser. En tant que citoyen corporatif, comprenez-vous que c'est un marché qui est fragile? Les librairies sont dans une situation précaire. Donc, dans ce cas, si vous nous dites : Ce n'est pas la bonne solution, le prix équilibré, quelle serait la solution pour assurer la pérennité de ces librairies-là?

Mme Brien (Andrée) : Moi, je vais vous dire une chose, j'ai 350 références en entrepôt, et puis une des choses… C'est sûr, comme je vous dis, on n'a pas la prétention d'être des libraires, mais, si je donne le goût de la lecture à plusieurs personnes... Ces gens-là vont peut-être prendre un livre un jour chez nous, et puis, comme nous ne tenons pas le fond d'une collection — parce qu'en ce moment, au Québec, il y a beaucoup de séries avec plusieurs volumes — alors, à ce moment-là, j'ai peut-être donné le goût à cette personne d'aller en librairie pour aller acheter les quatre, cinq autres livres pour faire la collection ou terminer la lecture.

Alors, je crois que… Je reviens que ce n'est pas la bonne solution. Il faut regarder les choses d'une façon différente. Le transfert électronique est important. Il faut faire attention parce que les consommateurs sont très, très frileux aux augmentations de prix puis ils vont le ressentir, je vous en passe un papier.

Mme St-Pierre : …collègue.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Bellechasse, vous avez la parole.

Mme Vien : Merci beaucoup. Mme Brien, on a entendu beaucoup parler de grandes surfaces depuis le début de ces consultations sur la fixation du prix du livre. Merci d'être là.

Moi, j'ai un petit peu de la difficulté à comprendre le rôle du distributeur. Et je voulais voir avec vous, parce que vous en avez glissé un petit mot tout à l'heure, vous avez, je pense, un 30 % — en tout cas, vous pourrez me le confirmer, si j'ai bien entendu ce que vous avez dit. Comment ça fonctionne? Quel est le rôle du distributeur dans la capacité que vous avez aujourd'hui d'accorder et de consentir des rabais aussi importants? Dans le «day-to-day», là — passez-moi l'expression française — comment ça se passe?

Mme Brien (Andrée) : Dans le domaine du livre, il n'y a pas vraiment beaucoup de… Il y a des négociations, mais c'est vraiment unique. Ce n'est pas comme dans toutes les autres sphères de notre entrepôt, où, là, les conditions d'achat…

Mme Vien : Mais comment ça se… Pour ça, spécifiquement pour le livre, comment ça se passe?

Mme Brien (Andrée) : Écoutez, ça fait 25 ans qu'on fait affaire avec les mêmes distributeurs, puis c'est toujours les mêmes rabais qui sont consentis depuis… en tout cas, pour moi, c'est 25 ans, alors c'est la même méthodologie, si on peut dire. Alors, il n'y a rien qui a changé vraiment dans ça, là.

Mme Vien : Donc, si je comprends bien, c'est que ce sont les éditeurs qui vous appellent, qui souhaitent avoir le nombre de livres que vous pensez pouvoir vendre.

Mme Brien (Andrée) : Tout à fait.

Mme Vien : Ça, c'est une chose, puis, à côté, on a des distributeurs qui vous disent : Voici, aujourd'hui, comme d'habitude, je te consens un 30 %.

Mme Brien (Andrée) : Ça se produit parfois comme ça.

Mme Vien : Donc, dans la chaîne du livre, on a deux intervenants assez importants qui dressent la table, si je comprends bien, pour que le prix du livre, chez vous, soit aussi intéressant pour le consommateur. Est-ce que j'ai bien compris?

Mme Brien (Andrée) : Bien, c'est comme ça que ça se passe. Du côté anglophone, je fais affaire directement avec les éditeurs, directement, je n'ai pas de distributeur, à 95 %.

Mme Vien : Et pour… Je ne sais pas, il me reste-tu encore quelques secondes?

Mme Brien (Andrée) : Oui, il vous reste encore du temps, Mme la députée.

Mme Vien : Et, pour faire du pouce sur ce que disait ma collègue un peu plus tôt, notre porte-parole, si j'ai bien compris, Mme Brien, c'est que les gens arrivent chez vous, et ils ne pensaient pas acheter un livre, ils en achètent un. C'est une bonne nouvelle, d'acheter des livres au Québec…

Mme Brien (Andrée) : Tout à fait.

Mme Vien : C'est une excellente nouvelle. Donc, le prix n'a rien à voir avec l'achat qu'ils font. Non, mais c'est… Vous comprenez, la ligne est mince entre les deux, là.

Mme Brien (Andrée) : Écoutez, je viens du commerce de détail et je peux vous assurer que, lorsque j'ai vu les résultats de notre sondage avec Léger Marketing, que 75 % de nos membres nous ont répondu que le prix était le facteur déterminant, alors j'ai de la difficulté à vous dire aujourd'hui qu'augmenter les livres, ça serait la bonne solution. Moi, dans…

Mme Vien : Ce que vous nous dites, finalement, Mme Brien, c'est : Ils ont l'opportunité… excusez-moi, c'est un anglicisme, mais ils saisissent l'opportunité d'acheter le livre chez vous, en particulier parce qu'il est disponible et parce qu'il est moins cher. Est-ce que c'est…

Mme Brien (Andrée) : Oui, sans doute.

Mme Vien : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Ça va? Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième groupe de l'opposition. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole pour un temps de 3 min 15 s.

Mme Roy (Montarville) : Ah! Je suis chanceuse. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, madame.

Une voix : C'est l'abondance.

Mme Roy (Montarville) : Oui, c'est l'abondance. Bonjour, Mme Brien.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je tenais à le préciser.

Mme Brien (Andrée) : Bonjour.

Mme Roy (Montarville) : Merci pour votre mémoire. J'aimerais revenir à votre sondage, justement, à la page 6, un sondage qui est intéressant parce qu'il a été fait auprès de 1 362 répondants, ce qui est plus que certains sondages politiques par les temps qui courent. Cela dit, pour nous, la question est de savoir s'il y aura vraiment un déplacement de la clientèle de chez vous vers les petites librairies qu'on veut tenter de protéger ici.

Et ce que je trouve intéressant… Et j'ai des questions à vous poser sur votre sondage. Vous dites que, pour 75 % de vos membres, c'est le prix qui compte. Cependant, ces gens-là continueraient de se procurer des livres chez vous. Ma première question, c'est : Où ils iraient se procurer des livres… Pour les autres 25 %, ils iraient où? Et vous dites que le second choix pour nos membres, ce serait les librairies en grande surface. Avez-vous une proportion? Dans quelle proportion les gens iraient dans les grandes surfaces?

Mme Brien (Andrée) : La plupart de nos répondants, en majorité… Le dernier 25 %, c'est ce qu'ils ont signifié, c'étaient les grandes… bien, les Archambault, Renaud-Bray de ce monde, vers lesquels ils se retourneraient. Ils aiment bien l'atmosphère de ce… je crois que c'est l'atmosphère de ces librairies-là qu'ils aiment. Mais il y en a toujours qui vont retourner aussi vers les plus petites librairies de quartier, c'est sûr, je veux dire… Mais c'était un sondage où on a essayé… l'été, on a essayé quand même de garder les questions assez courtes, là, dans le sens où on ne s'est pas allongés pour… Alors, ils ont juste signifié que 25 % préféraient quand même aller vers l'extérieur, vers les librairies, mais ils ont spécifié que les bannières étaient intéressantes.

Mme Roy (Montarville) : Parce qu'ils ont fait le calcul, 75 % disent qu'ils continueraient à acheter des livres chez vous.

Mme Brien (Andrée) : Au même titre, à prix égal. Vous êtes déjà en entrepôt, pourquoi vous déplacer? Est-ce que vous allez faire un autre déplacement pour aller… Certaines personnes vont le faire, mais il y a certaines personnes qui ne le feront pas non plus.

Mme Roy (Montarville) : Est-ce qu'on a le chiffre de ce «certaines personnes vont le faire»? Parce que toute la question est de savoir si, à ce prix unique, les gens se déplaceront ailleurs pour aider les petites librairies.

Mme Brien (Andrée) : J'ai fourni notre rapport à la commission, alors… Je n'ai pas le chiffre exact, mais c'est dans une proportion d'environ, je dirais… une personne sur cinq prendrait le chemin d'une librairie, à peu près.

• (20 h 10) •

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je vous remercie beaucoup, Mme Brien. Merci.

Merci. Mme la députée de Gouin, vous avez la parole.

Mme David : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, Mme Brien. Peut-être juste une couple de commentaires avant de poser ma question. Personne n'aime payer cher quoi que ce soit. Vieux principe. Cependant, il y a pas mal de monde au Québec, quand même, qui vont faire des choix parce qu'à un moment donné les gens se mettent à accorder de la valeur à certains objets qui peuvent leur être chers, ou même à… je ne sais pas, moi, manger bio. Ça coûte très cher, puis il y a des gens qui vont se priver d'autre chose pour réussir à le faire. Autrement dit, tout est toujours trop cher, mais ça dépend de la valeur qu'on accorde à la chose, ou au bien, ou au service qu'on veut avoir.

Donc, si le livre est un objet important — et moi, je pense qu'il l'est pour beaucoup de gens — on va accepter de le payer ce que certains appellent son juste prix. Et je souligne justement, dans votre mémoire, que 75 % de vos membres disent : On aime acheter un livre chez Costco parce qu'il est moins cher. Mais, en même temps, la même proportion — c'est vous qui l'écrivez — continueraient d'acheter le même livre chez Costco s'il y avait le prix réglementé. Moi, j'en comprends, selon vos propres dires, que les gens accordent donc tout de même, même des lecteurs ou lectrices occasionnels, une certaine valeur au livre.

Deuxième commentaire que je vous soumets, c'est que plusieurs sont venus nous dire : Peut-être qu'à court terme les consommateurs, consommatrices seraient contents, mais pour se rendre compte qu'à un moment donné, s'il n'y a plus de petits joueurs, et il y a quelques gros joueurs seulement, bien, ça va faire comme en Grande-Bretagne : les prix, en général, vont augmenter, le prix du livre va augmenter, et donc, là, les consommatrices et consommateurs seront perdants.

Troisième commentaire, il y a quand même des libraires qui nous ont dit qu'il y a des gens qui, à certains moments, rapportent le livre qu'ils leur ont acheté parce qu'ils se sont rendu compte qu'il est moins cher chez Costco, donc... ou ailleurs, là, dans d'autres grandes surfaces. Donc, je pense qu'il n'y a pas 100 % des gens qui sont seulement occasionnels et qui ne réfléchissent pas.

Mais, si j'écoute tout ce que mes collègues ont dit, j'écoute ce que vous avez dit, même, à la limite, si cette réglementation du prix du livre, les neuf premiers mois, n'était pas une solution miracle, puisque ça ne vous enlève rien...

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Mme la députée.

Mme David : Puisque ça ne prive les consommateurs en rien, pourquoi vous y opposez-vous?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Mme la députée de Gouin, j'aurais dû vous dire le temps qui vous était alloué, là, je suis désolée. En quelques secondes, peut-être, Mme Brien, répondre. Le temps est écoulé.

Mme Brien (Andrée) : Merci. La seule chose que je veux vous... Le prix est important. Je vous garantis que ça va faire une... Ce n'est pas vrai que les consommateurs ne vont pas... Ils en achèteront moins. Ils vont trouver d'autres façons de les acheter, c'est sûr et certain…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, Mme Brien.

Nous allons suspendre quelques instants. Et nous recevons l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, l'ADISQ.

(Suspension de la séance à 20 h 13)

(Reprise à 20 h 14)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Donc, nous reprenons nos travaux. Bonsoir, Mme Drouin. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vais vous demander de vous présenter, avec votre titre, et vous allez avoir un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Par la suite suivra un échange avec les parlementaires. Vous avez la parole, Mme Drouin.

Association québécoise de l'industrie du disque,
du spectacle et de la vidéo (ADISQ)

Mme Drouin (Solange) : Alors, oui, merci. Bonsoir. Donc, je suis Solange Drouin, vice-présidente aux affaires publiques et directrice générale de l'ADISQ, l'ADISQ qui est l'association professionnelle qui représente les producteurs de disques, de spectacles et de vidéos du Québec. Et ces producteurs sont responsables de près de 100 % des disques, de la sortie d'albums d'artistes québécois, donc ils ont une connaissance aiguë de ce milieu culturel.

Et merci, donc, de nous avoir invités à participer à ces débats. Bien sûr, ça me réjouit d'avoir déjà entendu… j'ai entendu parler de musique déjà dans ce débat, donc je me sens moins comme un cheveu sur la soupe aujourd'hui parce qu'on voit déjà des parallèles, mais c'est justement cette idée-là qui nous a convaincus qu'il y avait justement des parallèles à faire et des réalités qui pouvaient vous éclairer dans votre réflexion, qui nous a donc convaincus de nous présenter devant vous aujourd'hui.

Pour illustrer en quelques mots — évidemment, c'est ce qu'on peut dire en deux minutes — donc, les similarités entre nos deux secteurs, je vous dirais que dans les deux cas, chacun de nos secteurs, on met de l'avant soit un créateur d'oeuvres musicales, dans le cas de la musique, et, dans le cas évidemment de la littérature, on met de l'avant un créateur d'oeuvres littéraires, pour ensuite vendre au public des exemplaires de cette oeuvre-là. Donc, on a un mécanisme, une organisation de milieux qui est tout à fait semblable. Ce n'est pas le cas dans les autres milieux culturels. On ne pourra pas faire les mêmes comparaisons, par exemple, entre le milieu du cinéma ou le milieu de la télé. Ce n'est pas… on ne vend pas des produits finis. On vend des droits à des diffuseurs, ce n'est pas tout à fait la même mécanique. Mais je pense qu'entrele secteur de la musique et celui du livre, donc, il y a cette similarité-là. Notre secteur, celui de la musique, a connu de très grands bouleversements au cours des 10, 15 dernières années, et ces changements-là sont tellement profonds et se sont concentrés au niveau justement des fonctions de distribution et de vente au détail, avec des conséquences tellement graves que notre capacité, en tant que secteur au complet, de continuer d'offrir au public québécois un accès à une musique québécoise riche et diversifiée est même compromise, et ce, malgré… ce qui est le plus surprenant, c'est… et ce, malgré le fait qu'il n'y a aucune pénurie de talent au Québec et d'entrepreneuriat au Québec. Il y a énormément de talent en musique comme il y a énormément de talent en littérature, dans le domaine du livre, mais, dans notre secteur, malgré ce foisonnement de talent, la capacité de rejoindre le public, et donc qu'on régénère le contenu, est compromise.

Il y a eu évidemment le premier… et vous allez me demander pourquoi, le premier événement très important qui est venu dans notre secteur, c'est le contournement total qu'on a eu dans le secteur des fonctions de distribution et de vente au détail par le piratage des oeuvres. Ce piratage, qui a été endémique et qui l'est encore, évidemment a fait en sorte qu'il y a eu des conséquences directes sur les résultats, sur les ventes de disques.

Mais ce n'est pas le seul bouleversement qu'on a connu. Il y a eu un bouleversement aussi dans le secteur de la distribution. Il y a… Mais, pour que vous saisissiez bien le bouleversement tel qu'il est, c'est qu'il faut se rappeler que la distribution indépendante de musique québécoise a été un des ingrédients clés du succès de la musique québécoise sur le territoire québécois. Et ça, ce n'est pas moi qui le dis, c'est Marc Ménard, qui s'est présenté devant vous et qui a fait une étude à ce sujet-là lorsqu'il était en fonction à la SODEC. Donc, la distribution indépendante était vraiment un ingrédient du succès, entre autres.

Avec l'arrivée de la distribution indépendante, les Québécois… Avant l'arrivée, pardon, de la distribution indépendante au Québec, les artistes québécois, les disques d'artistes québécois étaient distribués par des multinationales, des multinationales étrangères, Sony, BMG, EMI, Warner, que vous connaissez. Mais, comme notre marché est petit et qu'il y a des risques plus grands à distribuer des artistes locaux que de distribuer des artistes qui ont déjà une renommée internationale, les multinationales se sont retirées totalement de notre secteur, de notre marché au moment de la récession du début des années 1980, laissant en plan complètement la distribution des disques d'artistes locaux. Donc, plus de distribution d'artistes locaux possible parce que les multinationales sont parties, plus intéressées par notre marché. Heureusement, il y a 30, 40 ans, il y a des gens d'affaires d'ici qui ont vu là une occasion d'affaires et qui ont créé le marché indépendant de la distribution, qui fait… et au service presque exclusivement des artistes locaux. Et, comme leur entreprise dépendait presque exclusivement des artistes d'ici, ils y ont mis tous leurs efforts et ne se sont pas désengagés — même s'il y a eu d'autres récessions depuis 1980 — mais ils ont même contribué au succès des artistes et des entreprises québécoises depuis près de 40 ans.

• (20 h 20) •

Avec les développements technologiques, il y a de nouveaux joueurs dans le domaine de la distribution, qu'on appelle maintenant des agrégateurs, mais c'est la même fonction qui est prise. C'est des distributeurs de contenu de numérique, qui ont fait leur apparition pour approvisionner en contenus musicaux les services de musique en ligne majoritairement… pas majoritairement, presque exclusivement étrangers.

Les entreprises québécoises de distribution, elles, se sont adaptées à ce nouvel environnement, mais maintenant elles se confrontent réellement à des joueurs internationaux dans la distribution des disques locaux. La question qui se pose aujourd'hui dans notre secteur, en distribution, c'est : Est-ce que ce changement sera bénéfique pour la production locale de façon durable ou, si le passé est garant de l'avenir, on risque de devenir moins intéressants pour eux, à un moment donné, et au risque de nous abandonner une autre fois, laissant en plan, encore une fois, la production locale? Mais là on parle, évidemment, dans le monde numérique.

Dans le secteur de la vente au détail de la musique, il y a aussi des changements encore plus fondamentaux. On est passés de la vente à l'unité d'albums complets dans le domaine physique, vous le savez, à la vente numérique d'albums et de pistes. Et là on se dirige en vitesse grand V à la consommation de la musique par le biais de services par abonnement, qui donnent accès au public, au moyen… par un abonnement d'à peu près 10 $ par mois, à 23 millions de chansons que vous pouvez écouter tant que vous voulez, tant et aussi longtemps que vous payez votre abonnement. Donc, on se dirige vers cette réalité-là. Ce n'est pas encore très… ce n'est pas encore la grande réalité au Québec, mais, à travers le monde, il y a beaucoup de cette réalité-là, et tout ça, ça a chamboulé de façon très importante l'économie… l'ensemble de l'économie de notre secteur.

Dans la vente au détail des albums numériques, les prix ont été fixés par un joueur, aujourd'hui totalement dominant, que vous connaissez tous, qui s'appelle iTunes, sans aucune logique avec les coûts réels du produit. Les revenus des albums numériques génèrent donc 30 % de moins que les ventes d'albums physiques. L'arrivée des ventes de chansons à la pièce à 0,99 $ ne suit pas non plus quelque logique que ce soit par rapport aux coûts de production et de commercialisation des oeuvres d'un artiste de la chanson. De plus, le seul fait de vendre maintenant à la pièce ce qui se vendait alors en bloc, dans un album de plusieurs pièces, fractionne d'autant les revenus qui reviennent à chacun des artistes.

Quant à l'arrivée des services par abonnement, qui sont totalement dominés par des joueurs étrangers qui n'ont aucun intérêt à mettre de l'avant notre culture... «My God!», une minute. La situation est encore plus critique, puisque, maintenant, les revenus y sont générés par passage, et on parle de fractions de sous, 0,005 $ par passage, qui fait que les rémunérations sont totalement dérisoires et que… quand il y une rémunération, parce que ces services étrangers n'ont, comme je vous le disais, aucun intérêt à mettre de l'avant nos artistes, et l'offre de contenu étant tellement phénoménale que les passages de pièces des artistes d'ici sont endémiques.

Donc, c'est vraiment une réalité qui est venue du changement dans toute la structure de la vente au détail, qu'on ne souhaiterait pas qu'il arrive, évidemment, dans le domaine du livre. Vous avez aujourd'hui… Vous ne pouvez pas réécrire le passé, mais vous pouvez écrire l'avenir pour l'industrie du livre. Donc, il est urgent d'agir, et je vous soumets très humblement que nous n'avons pas le luxe d'attendre, de ne rien faire, que les bienfaits potentiels dépassent largement les inconvénients pressentis, et il vaut mieux avoir des remords que des regrets.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Merci, Mme Drouin. Nous allons débuter les échanges. M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez la parole.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, madame. Votre exposé était quand même passionné. Si on fait un parallèle entre le disque, ou la musique, et le livre, comment voyez-vous la vente du livre numérique ou l'approche par le livre numérique, les commandes ou l'achat d'un livre numérique versus… On nous a dit souvent qu'un livre c'est différent de la musique parce qu'un livre, tu peux le toucher, tu peux le lire, tu peux te… Tu sais, tu peux le palper, là, ça a une saveur, tandis que la musique, tu mets le disque, tu l'écoutes ou tu l'écoutes à la radio, tu l'écoutes sous toutes formes, le iPod, n'importe quoi. Mais, à ce moment-là, ça fait différent. Mais comment… si on fait le parallèle avec le livre, comment vous arrivez à dire que le prix, la réglementation du prix du livre, va sauver les libraires, mettons?

Mme Drouin (Solange) : Bien, premièrement, je ne pense pas qu'une législation sauve un secteur. Vous avez devant vous une proposition qui est soutenue par un ensemble dans… un secteur au grand complet et qui va faire une différence, mais c'est une pierre à un édifice, comme dans le domaine de la musique. Moi, j'ai entendu souvent… J'ai donné je ne sais pas combien d'entrevues. On me disait : C'est quoi, la solution, la solution dans le domaine? Il n'y en a pas une, solution. Il y a plusieurs actions à mettre en marche pour, évidemment, qu'on s'en sorte au bout du compte et qu'on soit capables encore d'offrir aux Québécois de la musique ou encore des livres québécois.

Donc, moi, je pense sincèrement que cette pierre-là que vous avez… C'est important, justement, de bâtir cet édifice-là. Il n'est surtout pas le temps d'attendre d'avoir la solution ou l'architecture de l'édifice au grand complet pour commencer à faire quelque chose. Parce qu'entre le passage d'un monde physique à un monde numérique… Moi, ça fait 21 ans que je suis à l'ADISQ, j'en entends parler depuis 21 ans. Puis mon premier MIDEM, en 1992, on parlait déjà du monde numérique, mais il s'est passé beaucoup de temps avant que ça se mette en place et que ça s'accélère, mais, quand ça s'est accéléré, ça s'est accéléré très vite. Mais donc vous avez, d'ailleurs, un laps de temps avant que le milieu du numérique soit là, et présent, et plus prenant dans le monde du livre. Donc, vous avez quelque chose à faire qui peut être signifiant dans le livre physique, et numérique également.

Mais je ne pense pas que votre souci premier, bien humblement… je ne suis pas une experte dans le domaine du livre. Je pense que votre souci premier devrait être le livre physique parce que c'est encore 96 % du marché et que, de toute façon, si vous donnez un peu de souffle à cette industrie-là, vous aurez le temps, justement, dans les prochaines années, de penser à peut-être d'autres mesures qui pourront si jamais ce déclin-là arrive, de toute façon. Est-ce que ça répond à votre question?

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Oui, merci. Vous parlez d'accélération éventuelle de l'achat du livre numérique. On sait que c'est à peu près… ça joue entre 4 % et 7 %, peut-être, au Québec, ici. Aux États-Unis, c'est beaucoup plus élevé. Comment vous arrivez à dire qu'il pourrait y avoir une accélération de l'achat du livre numérique en fonction de l'évolution actuellement, alors qu'on sait que ça ne monte pas très, très, très rapidement ici?

Mme Drouin (Solange) : Bien, écoutez, il y a des phénomènes, des fois, d'accélération. Je ne sais pas, peut-être que monsieur Je-ne-sais-pas-qui va découvrir encore quelque chose de mieux que la tablette numérique qui se fait présentement, puis, à un moment donné, il va y avoir des gens qui vont l'adopter de façon… plus largement. Ça va être difficile de prédire ça.

La seule chose que je peux vous dire, c'est que, oui, il peut y avoir des balbutiements. Puis je ne suis pas en train… Bien malin est capable de prédire l'avenir, là. Je pense que l'avenir est incertain pour tout le monde. Mais il peut y avoir des phénomènes d'accélération, il peut y en avoir, mais on ne les voit pas nécessairement présentement. Je sais que, dans l'industrie de la musique, on en a parlé longtemps avant que ça s'accélère, mais il y avait des balbutiements déjà, je vous dirais, même il y a 15 ans. Ça s'est largement accéléré à cause des phénomènes de société, démographiques et de technologie. Je pense que l'industrie du livre n'est pas à l'abri de ça. Mais, en même temps, ça se peut que ça prenne plus de temps dans l'industrie du livre, puis ça se peut que ça n'arrive jamais non plus.

Et moi, je pense que je suis encore une de celles — malgré les résultats qu'on a dans le domaine de la musique — qui pensent que le physique et le numérique vont cohabiter. Ils vont cohabiter parce qu'il y en a encore… Avant qu'on meure tous, là, les 50 et plus, là, j'espère que ça va prendre encore quelques années. Donc, il y a du chemin. Et il ne faut pas oublier que la grosse partie de la population… les jeunes, là, on entend beaucoup parler des jeunes, mais… on n'en est plus, mais c'est 15 % de la population. Le reste, là, c'est vous et moi, et on n'adopte pas nécessairement ces comportements-là si rapidement, mais… Peut-être qu'on y viendra, mais il y a encore du temps pour… Ça peut se faire plus rapidement, mais… moins rapidement, on verra. Voilà.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : O.K. Vous disiez que le prix du… la votation du prix du livre — ou la réglementation du prix sur le livre — n'est peut-être pas la seule solution à apporter pour régler complètement la problématique. Mais, si vous avez d'autres… Avez-vous d'autres… des suggestions ou des solutions que vous pensez qui pourraient être apportées, pourraient être bénéfiques pour améliorer la situation, justement, dans ce domaine-là?

Mme Drouin (Solange) : Bien, écoutez, dans le secteur de la musique, pour vraiment bien établir un contexte de développement de la musique, il faut être actifs en droits d'auteur, en financement des entreprises, en formation, en radiodiffusion, en promotion collective, comme faire des galas. Et il y a un ensemble de mesures. Mais je pense que, dans le domaine du livre, Marc Ménard, ce brillant professeur que vous avez eu la chance d'avoir, que nous n'avons plus à la SODEC — nous en sommes bien tristes — vous a… qui connaît beaucoup mieux le marché du livre que moi, le milieu du livre, en a proposé d'autres. Je pense que ces gens-là connaissent leur métier et connaissent les gens du milieu, connaissent aussi… Ils vous ont proposé d'autres solutions.

Mais moi, je trouverais dommage que vous vous empêchiez de mettre en place une mesure, même s'il y a autres choses sur lesquelles vous pourrez plancher dans un avenir plus ou moins rapproché. C'est une pierre d'un édifice qui peut être importante.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci beaucoup.

• (20 h 30) •

Mme Drouin (Solange) : Ça me fait plaisir.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Kotto : Merci. Merci pour la contribution à la réflexion. Vous êtes bien au fait qu'appliquer une réglementation du genre, tel que suggéré par la quasi-totalité de l'industrie et vous-même ici, ce soir, se ferait sur une base empirique. Est-ce qu'à l'instar de certains qui sont passés vous jugeriez pertinent de faire une étude fine afin de dégager les impacts ou d'identifier les impacts de différentes natures, économiques surtout, avant de procéder?

Mme Drouin (Solange) : Bien, écoutez, je pense que vous avez entre les mains déjà un certain nombre d'études qui…

M. Kotto : …spécifiquement du contexte québécois.

Mme Drouin (Solange) : Non, vous avez raison. Vous avez raison, on a des particularités, évidemment. Je vous dirais que je pense que ça fait longtemps que c'est discuté. Ce n'est pas la première fois qu'on en discute, de ce moyen-là. Ça a déjà été quelque chose qui a été avancé, il y a plus de 10 ans, si je me rappelle bien, dans mes lectures. Je pense qu'il y a largement des gens qui ont réfléchi… Et, dans certains cas, oui, on est particuliers, le milieu du Québec, bien sûr, mais des fois on est des gens aussi… qu'on ne réagit pas nécessairement différemment non plus des sociétés qui s'apparentent à la nôtre. Alors, je pense qu'il y a un enseignement à tirer de là.

Mais, comme je vous dirais, moi, le fait d'attendre encore… Je pense que vous allez arriver, de toute façon, à une décision, je vous dirais, à ce point… de volonté politique de le faire ou de ne pas le faire. Je pense que vous avez entre les mains déjà beaucoup de choses. Je pense que c'est ça que vous devez choisir. Comme je vous disais, il vaut mieux avoir des remords que des regrets. Pour moi, je pense que ça serait…

Et contrairement… Il y a déjà d'autres études — puis, moi, ça va me faire plaisir de vous les… — dans notre secteur, qui ont été faites. Parce que, quand j'entendais madame, qui m'a… qui a passé de façon… avant moi, qui parlait du prix, comment la valeur du prix est importante, on a fait des études, nous, dans notre secteur, pour… sur 5 000 Québécois — ce n'est pas rien, hein, on élit des gouvernements avec un sondage à 1 000 personnes, on a fait un sondage sur 5 000 personnes — et le prix, dans le milieu culturel, n'était pas le facteur déterminant pour choisir ou non, par exemple, l'achat d'un billet de spectacle, le prix était le troisième facteur. Le manque de temps était le premier, la proximité était le deuxième.

Donc, moi, je ne pense pas… Je ne suis pas dans le domaine de la consommation, mais dans le domaine de la culture depuis longtemps et je pense que la nature particulière du bien culturel fait en sorte que le prix n'a pas la même valeur qu'une canne de petits pois et que, là, à ce moment-là, si on augmente le prix d'une canne de petits pois, ça a peut-être un impact plus grand sur la décision d'achat, mais, sur un bien culturel, je suis portée à penser qu'il y a une élasticité plus grande.

M. Kotto : Vous avez réitéré ce que vous disiez dans la conclusion de votre exposé. Vous avez dit : Il vaut mieux avoir des remords que des regrets. Quels sont les regrets dans votre secteur spécifique?

Mme Drouin (Solange) : Ils sont nombreux. Je viendrai vous en parler, si vous voulez, quand vous… Mais, écoutez, c'est qu'il y a eu beaucoup de rendez-vous manqués dans notre secteur. Pas nécessairement au niveau du Québec, on a eu des beaux rendez-vous. Il y a des rendez-vous qui ont été là, qu'on a pris ensemble avec… même avec l'ensemble des gouvernements passés et actuels. Mais, je vous dirais, il y a eu beaucoup de rendez-vous manqués, notamment avec nos amis du fédéral, avec une législation de la Loi sur le droit d'auteur, qui est catastrophique. C'est un gros rendez-vous manqué, ça, en 2009. En radiodiffusion, il y en a énormément avec le CRTC. Le fait de ne pas réglementer les services de musique en ligne ou les nouvelles façons de consommer la musique, pour nous, c'est un énorme rendez-vous manqué parce que, pendant ce temps-là, se développent des services à l'extérieur et qui ne tiennent pas du tout compte de notre réalité, de notre production, et se développent sans nous avec aucune retombée chez notre secteur. Donc, il y a des rendez-vous manqués.

M. Kotto : O.K. Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de l'Acadie, vous avez la parole.

Mme St-Pierre : Merci. Ça fait un petit bout de temps qu'on s'est vus, et je remarque que vous n'avez pas perdu votre énergie.

Vous dites… Bon, vous n'êtes pas une experte dans le monde du livre, mais vous nous éclairez quand même sur l'expérience qui a été vécue dans le domaine de la musique. Je comprends que vous engagez le gouvernement à vraiment agir, et de façon rapide. Cependant, vous dites : D'autres mesures pourront prendre le relais. Là, c'est parce que, si le gouvernement s'engage dans cette mesure-là, ce n'est pas pour arriver avec d'autres mesures l'année prochaine, là, c'est pour que ça soit une mesure qui serait solide et qui donnerait une sorte de garantie pour… années, là. On ne fait pas cet exercice-là, tout le nombre d'heures qui sont passées ici, en commission parlementaire, plus les heures qui ont été passées avant, et je le sais, puis les heures qui vont se passer après… Alors, ça ne peut pas être une mesure transitoire ou une mesure : Ah! O.K., on fait ça puis, l'année prochaine, bien là on va passer à autre chose. Il faut que ça soit plus solide que ça. Puis j'aimerais ça vous entendre. Je comprends, vous êtes en faveur, vous dites : Il faut le faire, puis vous dites : Si on regarde l'expérience de la musique… Mais, en même temps, ça évolue énormément avec les nouvelles technologies. Vous voyez cette mesure-là… Elle pourrait être bonne pendant combien d'années, là? Est-ce qu'il faut qu'on recommence l'an prochain tout le processus?

Mme Drouin (Solange) : Ce n'est pas ce que… Je comprends que ce n'était pas clair. C'est que, si jamais cette mesure-là… non, puis, même si elle produisait les effets escomptés, ce qu'on pense — elle produit les effets escomptés — lesecteur est tellement mouvant présentement… je pense que le secteur culturel, de façon générale, est tellement mouvant que peut-être qu'il y aura des mesures supplémentaires. Ça ne veut pas dire qu'il faudra abandonner cette mesure-là, mais peut-être qu'il y aura des mesures supplémentaires à mettre en place pour colmater d'autres brèches. Parce que c'est difficile, je pense, et je comprends…

Mme St-Pierre : Vous avez dit… Je m'excuse. Vous avez dit : D'autres mesures qui pourraient prendre le relais?

Mme Drouin (Solange) : Oui, le relais.

Mme St-Pierre : Vous pensez à quel type de mesure?

Mme Drouin (Solange) : Non, bien…

Mme St-Pierre : Puis ce que vous nous suggérez, c'est que ça serait transitoire.

Mme Drouin (Solange) : Non, non, non. O.K.

Mme St-Pierre : Ça ne serait pas permanent, ça serait une petite mesure pour pallier un peu à l'urgence.

Mme Drouin (Solange) : Parfait. Je me suis mal exprimée. Ce n'est pas ce que j'aurais dû dire.

Mme St-Pierre : O.K.

Mme Drouin (Solange) : Ce que je voulais vous faire comprendre, c'est qu'il se peut que cette mesure-là, à un moment donné, ne soit pas suffisante et que le secteur se soit développé de telle façon qu'il faille colmater une autre brèche d'une autre façon. Alors, ça ne veut pas dire prendre le relais de cette mesure-là qui, elle, resterait permanente, mais peut-être qu'il y aura autre chose à rajouter. Dans notre secteur, dans le domaine de la musique, comme je vous disais, il n'y a pas une pièce de… il n'y a pas seulement une pierre qu'il a fallu mettre, il y en a plein de pierres qu'il faut mettre, il faut continuer à en mettre pour faire cet édifice-là, qu'il se tienne un peu… que l'édifice se tienne un peu.

Alors, je ne suis pas en train de dire qu'il faudra la mettre de côté, mais peut-être qu'à un moment donné elle ne sera pas suffisante, ça se peut. Et là, oui, je comprends, le travail parlementaire, c'est beaucoup de travail pour vous, c'est beaucoup de travail pour nous. Mais, à un moment donné, notre secteur, le secteur de la culture, est tellement en changement que c'est difficile de penser à des choses permanentes sans devoir les réviser à un moment ou à un autre. Puis c'est ce que je souhaitais dire.

Mme St-Pierre : Sur le plan de, justement, cette mesure-là qui est envisagée, avec l'expérience que vous avez dans un domaine qui, à mon avis, est connexe, mais qui ne l'est pas tant que ça, là, est-ce que vous pensez que ça serait clair qu'on pourrait sauver la… Est-ce qu'on pourrait assurer la survie des librairies indépendantes ou si on joue avec du «peut-être que»?

• (20 h 40) •

Mme Drouin (Solange) : Moi, je pense, avec les marges bénéficiaires avec lesquelles… qui s'apparentent aux marges bénéficiaires dans le domaine du disque, il suffit de passer de 0,4 % à moins 2 % et on ferme. Alors, la marge bénéficiaire… c'est-à-dire, la marge de manoeuvre qu'ont ces librairies-là, elle est très mince. Quand on est capable d'être au-dessus… de se tenir au-dessus de la mêlée, tant mieux, mais on voit qu'elle est mince. Donc, je pense que tout apport supplémentaire qui pourrait leur donner justement cette marge de manoeuvre là pour mieux rendre service, pour mieux rencontrer les obligations qu'ils ont à rencontrer puis mieux encore servir les Québécois en termes d'accueil, et de référencement, et de tout ce qu'ils ont à faire, je pense que, oui, ces mesures-là vont faire une différence quand on est… Et surtout la marge est tellement petite que, si on ne le fait pas, on a vraiment… il suffit de pas grand-chose pour qu'on… soit ma marge bénéficiaire soit à moins 2 % pendant trois ans puis je ne peux plus tenir le coup. Alors, je pense sincèrement que ça peut aider, oui.

Mme St-Pierre : Vous dites quoi à la dame qui vous a précédée, Mme Brien, de Costco, qui a répété à plusieurs reprises qu'on va s'acheminer vers une augmentation des prix? Elle le voit comme une augmentation des prix. Vous lui répondez quoi? C'est-à-dire, elle, ce qu'elle dit, c'est qu'il va s'en vendre moins, de livres.

Mme Drouin (Solange) : Bien, écoutez, moi, c'est un peu ce que je disais, je pense que les biens culturels ont une valeur. On a une relation à un bien culturel qui est différente qu'un autre bien vendu dans ces grandes surfaces là. Je pense que, oui, le prix… c'est sûr que le prix risque d'augmenter. Mais est-ce que ça va freiner l'achat? Je n'en suis pas du tout convaincue parce que justement, quand on passe devant cette rangée-là et on voit le livre qu'on souhaite avoir, oui, c'est un achat impulsif. Puis tout l'argumentaire que vous avez fait vous-même, je trouvais tout à fait brillant de dire : Bien, il est impulsif. Donc, je ne le sais pas, s'il est vendu moins cher ailleurs, je le prends. J'ai l'occasion de le prendre maintenant, je le prends. À plus ou moins 2 $, 3 $, je vais probablement le prendre sur place en faisant mon Costco.

Alors, je ne pense pas, moi, que, si, ultimement… Je ne pense pas qu'ultimement c'est... Les gens qui font ce commerce-là ne sont pas dans le domaine de la culture, ils l'ont dit eux-mêmes. Je pense que la vision qu'ils ont de leur milieu... du milieu de la culture, est assez limitée. Donc, quand on a un milieu au complet qui vous dit qu'ils connaissent leurs consommateurs, qu'ils connaissent leurs gens et qui se disent que, oui, ça risque d'avoir un impact, je pense qu'ils ont… vous devriez leur accorder un poids plus grand à ce qu'ils disent, contrairement à des gens qui ne font pas partie du secteur culturel.

Mme St-Pierre : Parfait. Merci beaucoup. J'ai terminé.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Drouin. D'abord, c'est un plaisir de vous écouter, effectivement.

Je vais me permettre une analogie qui va être, à n'en pas douter, très boiteuse. Mais, avec ce que l'on connaît, ce que vous nous avez expliqué de l'industrie du disque, de la musique, avec ce qui est arrivé avec cet agrégateur qui a pris la place, iTunes, qui contrôle tout, qui contrôle les revenus, les prix, vous nous dites qu'il y a ce fractionnement des revenus, que la rémunération des artistes est pratiquement dérisoire, que l'offre de contenu artistique local est famélique. Avec tout ça, avec tout ça qu'on connaît, est-ce qu'une loi — similaire à ce qu'on demande actuellement avec le livre, avec cette loi n° 51, cette fixation des prix — aurait pu aider l'industrie de la musique québécoise, aurait pu la sauver, en quelque sorte, et permettre à nos artistes de mieux vivre ou est-ce qu'un c'est un parallèle qui ne se fait pas?

Mme Drouin (Solange) : C'est une très bonne question. Je me la suis posée, parce qu'après toutes ces années bien du monde, là, tu sais… On a manqué un bateau. Tant mieux s'il y en a qui peuvent le prendre en prenant exemple sur une industrie qui n'a pas eu cette idée-là. Mais on a des structures d'intervention gouvernementale qui sont quand même différentes. Il n'y a pas de loi n° 51 dans notre secteur, il n'y a pas… C'est une organisation complètement… Je suis d'accord avec vous, Mme St-Pierre aussi, qu'il y a des parallèles, mais il y a des différences. Mais peut-être que ça aurait… Oui, il y aurait sûrement un… on aurait pu en tirer un bénéfice, parce que, là, le prix a été complètement fixé sans… Quelqu'un qui s'est levé un matin puis... On m'a carrément… On a carrément… On m'a carrément dit ça, qu'il y a quelqu'un qui s'est levé un matin chez monsieur… chez iTunes, qui a dit : Bien, ça va être 0,99 $ puis ça va être 9,99 $. Puis eux, de toute façon, même après toutes ces années, depuis 2003 qu'iTunes est en place, ils ont vendu 23 milliards de chansons, ils sont à peine rentables parce que, pour eux, c'est un marché… c'est pour vendre des iPhone, des iPod, des iPad. C'est un «loss leader», comme on dit.

Alors, si on avait pu au moins fixer un prix qui avait de l'allure, et encore plus avec les services par abonnement… parce qu'avec les services par abonnement, avoir accès à 13 millions de chansons pour 10 $ par mois, ça n'a pas de bon sens. Économiquement, pour les gens qui produisent ces biens-là, il n'y aura pas de retour sur l'investissement. Je ne sais pas comment on va faire pour se sortir de là, vraiment, tellement que... Seulement pour vous donner un exemple en chiffres, le service Pandora, aux États-Unis, le propriétaire de ce service-là, qui est un service de musique en ligne — on a accès à ce genre de service là — a dit que quelqu'un qui avait passé 1 million de fois sur son service a reçu un chèque de 1 370 $. C'est ça, les paramètres. Donc, si on avait pu intervenir sur la fixation du prix pour ce genre de service là, c'est sûrement, comme je vous dis, un ingrédient qui aurait pu faire une différence, mais on n'en est plus là, malheureusement.

Mme Roy (Montarville) : Mais on est avec la même technologie qui est le numérique, là, qui va toucher le livre québécois et qui va toucher éventuellement, si on se fie aux chiffres américains où près du quart des ventes du livre ont été des livres électroniques, là, au cours de l'année précédente… Donc il y aurait un parallèle à faire. Mme Drouin, merci beaucoup.

Mme Drouin (Solange) : Ça fait plaisir.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, Mme Drouin. Nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux représentants des Éditions Boréal de prendre place.

(Suspension de la séance à 20 h 45)

(Reprise à 20 h 47)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Nous reprenons nos travaux. Bonsoir, messieurs, bienvenue à l'Assemblée nationale. M. Assathiany, je vais vous demander de vous présenter et de présenter les personnes qui vous accompagnent. Vous allez disposer d'un temps maximum de 10 minutes pour faire votre exposé, par la suite suivra un échange avec les membres de la commission. Donc, la parole est à vous. Je vous ai désigné parce que vous êtes le président-directeur général.

Les Éditions du Boréal

M. Assathiany (Pascal) : D'accord. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, je suis Pascal Assathiany, comme vous le disiez, directeur général des Éditions du Boréal depuis 1989. Auparavant, j'ai été libraire pendant six ans et j'ai fondé, en 1974, la maison de distribution Dimedia, dont je suis toujours le président. J'ai également fait un passage, entre 1985 et 1987, à la direction commerciale des Éditions du Seuil, à Paris, et j'ai assumé la présidence de l'Association nationale des éditeurs de livres entre 1998 et l'an 2000. Je suis accompagné de Jacques Godbout, cinéaste, écrivain et président de notre conseil d'administration depuis plus de 20 ans, ainsi que de Dany Laferrière, écrivain et globe-trotteur, dont les livres ont reçu de nombreux prix tant au Canada qu'à l'étranger.

Notre maison existe depuis 50 ans et publie environ 60 livres par année en littérature générale. Notre catalogue comporte plus de 2 000 titres et nous avons l'honneur d'y compter un grand nombre d'écrivains qui marquent la littérature québécoise et canadienne. D'entrée de jeu, nous désirons vous dire que nous appuyons ce projet de réglementation, car, s'il n'est pas adopté rapidement, la première victime en sera la littérature, et plus précisément la littérature québécoise. Au Boréal, nous publions des ouvrages d'idées, des romans, des essais pour lesquels il n'existe aucun marché préétabli. Un livre scolaire, un livre pratique correspondent à des besoins identifiables. Mais nos livres, personne ne les attend a priori, ce n'est qu'après avoir été lus qu'ils s'imposent comme symbolisant les rêves ou l'imaginaire d'un peuple.

Prenons l'exemple de Gaétan Soucy. Celui-ci a publié deux premiers romans qui, malgré un accueil critique favorable, se sont peu vendus, quelques centaines d'exemplaires au plus et un déficit financier évident. La simple logique économique aurait été d'arrêter, mais nous avons continué à accompagner son travail et publié La petite fille qui aimait trop les allumettes. Nous avons communiqué notre enthousiasme aux libraires qui ont lu le livre et ont convaincu leurs clients de le lire. Il est devenu un best-seller, ce qui a entraîné son achat par les grandes surfaces. Et ensuite ce livre a reçu un accueil extraordinaire en France, a été traduit dans 26 langues, mis en vente dans plus de 40 pays. Ont suivi des adaptations théâtrales et un projet cinématographique. L'auteur a été invité dans le monde entier, et la littérature québécoise y a gagné des lettres de noblesse.

• (20 h 50) •

Ce phénomène n'est pas unique puisque des auteurs comme Kim Thùy, Nicolas Dickner, Samuel Archibald — publiéschez des confrères — ou Dany Laferrière et Gil Courtemanche symbolisent un Québec littéraire dynamique dans le monde entier. Je peux vous garantir que, sans un bon réseau de librairies, nous n'aurions pas pu faire connaître ces auteurs. À l'époque de Soucy, 275 détaillants avaient reçu son livre simultanément. Aujourd'hui, notre mise en vente ne se fait plus que sur un réseau de 220 détaillants et, si, demain, celui-ci diminue encore, nous n'aurons plus assez de relais ou de médiateurs pour faire connaître un auteur. Sans une mise en vente dynamique, un livre n'existe pas. La disponibilité d'un titre en vitrine, dans un catalogue ou sur un site Internet ne suffit pas, il faut quelqu'un pour communiquer le désir de le lire. Sans ces libraires-conseillers qui jouent souvent un rôle culturel, les nouveautés littéraires ne seront pas soutenues. Les tirages baisseront avec pour conséquence une augmentation du prix. Déjà, notre tirage moyen au Boréal est passé, en 10 ans, de plus de 2 000 exemplaires à moins de 1 500.

Pour un éditeur comme nous, l'équilibre est précaire. Sur 10 livres publiés, nous sommes déficitaires sur sept, nous couvrons les frais sur deux et le dixième permet d'équilibrer le tout, mais le dixième est souvent un auteur… le livre d'un auteur qui a été déficitaire dans ses livres précédents, et c'est le libraire qui a soutenu ces titres-là.

Soulignons également qu'aucun succès littéraire n'est ni prévisible ni reproductible. La logique économique n'est donc pas évidente dans le domaine du livre, et, quand j'entends les apôtres du libre marché affirmer que la compétition sur le prix des livres est une bonne chose pour le consommateur-lecteur, je peux vous dire, de ce que j'ai vu dans le monde, que c'est une contrevérité avérée. Des études internationales ont prouvé que, sous un régime de prix réglementé le prix moyen du livre augmente moins que l'indice des prix à la consommation. En libre marché, la baisse des tirages et les demandes de surremises de la part des gros détaillants provoquent une hausse de prix. Les éditeurs d'ici qui doivent amortir leurs tirages sur le seul territoire québécois ne pourront jamais concurrencer les conditions accordées par les éditeurs étrangers qui ont déjà rentabilisé leurs livres avant de les vendre au Québec. Ils se verront donc peu à peu exclus du marché, puis viendra le tarissement de l'offre éditoriale nationale.

Il suffit de regarder au Canada anglais où la catastrophe est totale. Les libraires indépendants… les librairies indépendantes ont disparu, détruites par la compétition sauvage d'IndigoChapters. Cette chaîne a réussi, grâce à un rapport de forces disproportionné, à obtenir de fortes remises des éditeurs qui lui ont permis de mener une guerre de prix. Aujourd'hui, ils représentent 65 % du marché. Mais le plus triste, c'est qu'ils sont en mauvaise posture financière, ils perdent constamment de l'argent : 15 millions de dollars au dernier trimestre. Comme dans le jeu de Pac Man, elle est en train de se faire manger par la grande distribution et Amazon.

La même situation prévaut aux USA, où Borders a fermé et Barnes & Noble est en déficit de 87 millions de dollars au dernier trimestre, ainsi qu'en Angleterre où les chaînes font faillite après avoir tué les libraires. La première conséquence est que l'édition canadienne a été décapitée à tel point que le premier ministre du Canada publie, ces jours-ci, son livre chez un éditeur américain. Il reste un seul éditeur indépendant national et quelques petits éditeurs régionaux. Je dois vous avouer que, pour faire traduire nos auteurs au Canada anglais, cela ne facilite pas les choses.

Au Québec, la loi n° 51 a permis de structurer une chaîne de diffusion du livre qui va de l'auteur au lecteur et de construire un réseau de librairies unique en Amérique du Nord. C'est en bonne partie grâce à cette structure que la littérature québécoise s'est développée depuis quelques décennies. Aujourd'hui, ce réseau de librairies s'effrite face aux guerres de prix des Wal-Mart, Costco, etc. Une réglementation des prix stabiliserait la situation.

On dit souvent que les grandes surfaces ne représentent que 11 % des ventes de livres. C'est tout de même 70 millions de dollars et près de trois millions de livres, dont principalement des nouveautés, des livres faciles à vendre, donc rentables. Si la librairie ne récupérait ne serait-ce qu'une partie de ces ventes, cela améliorerait grandement leur situation. Ceci me semble possible, puisqu'avec un prêt presque identique pour chaque nouveauté sur l'ensemble du territoire les achats spontanés dans les librairies du quartier pourraient se développer.

On a beaucoup parlé ici de l'accessibilité aux livres pour les moins fortunés. Puis-je rappeler que plus on a de librairies et de lieux de vente, plus le livre est accessible. Pour les moins fortunés, il y a des milliers de livres de poche, qu'on ne trouve d'ailleurs pas dans les grandes surfaces, ainsi que des livres gratuits dans les bibliothèques. Avec un prix réglementé, il est exact que certaines nouveautés seraient un peu plus chères dans les grandes surfaces — 11 % du marché — mais il resterait moins élevé à long terme sur tous les livres pour tous les lecteurs.

Dans le domaine de la culture, les monopoles réduisent la diversité et pénalisent la production de l'offre culturelle nationale. C'est pour ça que les accords internationaux ont accepté le principe d'exception culturelle. Si, ici, nous n'avons plus de réseau diversifié pour accueillir et promouvoir nos romans et nos essais, qui les publiera et les fera circuler? Le Québec ne vivra alors que dans l'imaginaire des autres et souffrira d'un gros déficit culturel.

Pour une rare fois, le milieu du livre, qui a plutôt tendance à s'entredéchirer, est quasiment unanime à réclamer cette mesure qui favorise la lecture. Il y a bien une chaîne de librairies qui, pour des raisons qui lui sont propres, s'oppose à cette mesure, mais rappelons que, lorsque la loi Lang a été adoptée en France, la FNAC, principal réseau de librairies, s'y opposait farouchement. Le gouvernement a fait preuve de volonté politique et a adopté la loi du prix unique sur le livre. Depuis, la FNAC en a souvent vanté publiquement les effets positifs.

Le Québec a cru bon, pour des raisons économiques et de santé publique, d'imposer un prix plancher sur l'essence, le lait ou la bière. Nous vous demandons de faire la même chose pour le livre. C'est un choix de société pour préserver notre identité culturelle. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup. Nous allons débuter les échanges. M. le député de Bonaventure, vous avez la parole.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, messieurs. Très bel exposé, merci beaucoup.

Sur quoi vous basez-vous pour affirmer que les achats spontanés seront stimulés par la réglementation du prix du livre?

M. Assathiany (Pascal) : Bien, parce que le produit culturel — je peux parler? — est souvent un achat spontané. On se promène, on rentre dans une librairie, on rentre chez un disquaire, on rentre chez Costco mais on trouve quelque chose qui nous intéresse. Nous, on a beaucoup de témoignages de libraires qui nous disent : Telle personne est rentrée et elle a dit… regardé tel livre et elle a dit : Je vais aller l'acheter chez Costco parce que c'est moins cher. Donc, on peut penser que, s'il n'y avait pas eu cette différence de prix, l'achat se serait fait en librairie plutôt que chez Costco. Je veux dire, c'est la nature humaine, disons, de la consommation culturelle.

M. Roy : O.K. Puis est-ce qu'il y aurait d'autres solutions que la réglementation du prix pour consolider le réseau des librairies, selon vous?

M. Assathiany (Pascal) : Ça fait quand même 30, 40 ans qu'on est dans le milieu et on n'en a pas trouvé. Internationalement, je pense que c'est prouvé que les prix réglementés donnent des résultats positifs. Je veux dire, il y a plus de librairies par habitant en France, en Allemagne qu'il n'y en a en Angleterre, aux États-Unis ou au Canada anglais.

Maintenant, je veux dire, la réglementation du prix ne réglera évidemment pas tous les problèmes. Le monde du livre est en changement technologique, il est en changement culturel. Mais je pense que ça stabiliserait les choses et ça donnerait le temps à des mesures… La grande faiblesse, c'est la lecture. Donc, la lecture, où elle se développe? Elle se développe à l'école, l'éducation, elle se développe dans la famille, elle se développe par des campagnes contre l'analphabétisation, et je pense que, le temps que ces généreuses activités donnent des résultats, au moins la librairie serait encore là quand les résultats arriveraient. Parce qu'autrement je peux vous dire : Nous, qui fréquentons les librairies régulièrement… elle est exsangue, elle est exsangue. Il y a beaucoup de libraires qui commencent à être âgés, qui n'en peuvent plus. Il n'y aura pas de relève, et ça va aller assez vite maintenant.

• (21 heures) •

M. Laferrière (Dany) : Ce n'est pas juste un comptoir de vente non plus, une librairie, ce n'est pas juste un endroit où le livre se trouve comme par hasard. Et, comme je l'ai vu à Costco, je n'ai jamais vu un livre surveillé, protégé. Si on veut des informations à propos de tel livre, on ne trouve personne pour le demander. Vous savez, les libraires, il leur faut des aptitudes même de médecin, de devin. Il y a des gens qui leur demandent : J'ai ma belle-soeur qui voudrait lire un livre, elle aime beaucoup la couleur rose, est-ce que… quelqu'un qui aime le rose, quel genre de livre vous pensez qu'elle voudrait lire? Et donc c'est un lieu de vie. C'est un lieu de vie. La librairie fait partie du goût de lire, du désir de lire. Le nombre de librairies qu'on trouve dans les romans montre comment la librairie est entrée dans l'imaginaire même. Et, vous savez, entrer dans une librairie, voir quelqu'un au fond qui nous attend, on dirait, qui semble aimer les livres beaucoup plus que nous qui voulons les acheter, des fois, c'est important, et ça tient.

Par rapport à la question de la spontanéité, et c'est tout à fait vrai, il y a le type de lecteurs... il y a des lecteurs qui savent ce qu'ils viennent acheter; souvent, c'est pour faire un cadeau. Mais le vrai lecteur, le vrai lecteur, d'abord, il n'achète pas du premier coup : il entre dans la librairie, il furète, il voit, il n'a pas beaucoup d'argent, il regarde, et puis finalement il revient et, le troisième coup... et finalement il prend le livre qu'il désire depuis si longtemps. C'est une promenade, et l'endroit doit être plaisant. Il doit vouloir y retourner. Donc, c'est quelque chose qu'on ne doit pas négliger dans… Le désir, le désir est quelque chose d'extrêmement important. Tout à l'heure, il parlait du fait que c'est quelque chose d'extrêmement fragile. Ça tient à la couverture, des fois, au titre, au libraire, à l'ambiance qui existe pour acheter un livre.

M. Godbout (Jacques) : C'est étonnant, hein, vous savez. J'ouvrais le Globe and Mail hier matin et je vois une publicité pour Indigo, qui est la grande librairie… Bon. Qu'est-ce qu'ils vendent? Ils vendent finalement des bougies, ils vendent des coussins, ils vendent toutes sortes de trucs, parce qu'ils en sont rendus là. On ne va pas dans une librairie pour ça. On va dans une librairie pour trouver de la littérature. Et ceux qui se demandent comment il se fait que les livres électroniques se vendent plus ou moins, je pense que ça dépend du public. Moi, mon hypothèse, c'est que ceux qui aiment la littérature vont continuer à lire des livres papier et ceux qui aiment les romans policiers vont lire des romans policiers sur des tablettes. Que c'est… Il y aura comme une spécialité, si vous voulez.

Alors, je crois qu'il ne faut pas oublier que les libraires sont des conseillers sans lesquels beaucoup d'écrivains n'auraient jamais percé et que, ces conseillers-là, il faut qu'ils vivent, même si c'est difficile, et, curieusement, c'est eux qui demandent un prix suggéré… à court terme, hein, c'est quoi? Neuf mois? 

Une voix : Neuf mois, oui.

Godbout (Jacques) : Bon, c'est un prix suggéré sur neuf mois. Après ça, les gens font bien ce qu'ils veulent. Entre vous et moi, ce n'est pas demander beaucoup. Et, si ça menace Costco, eh bien, on a un problème.

M. Laferrière (Dany) : D'autant plus qu'un livre… Je ne sais pas, hein, je parle vraiment spontané, moi, je ne sais pas, mais je crois qu'un livre, disons, au Québec, ne dure pas longtemps en avant des librairies, sur les grandes tablettes, et, je ne sais pas, moi, six semaines, c'est déjà beaucoup. Le livre couché se fait désirer, mais, dès qu'il se met debout en arrière, il est mort, il est mort, on ne le voit plus. Un livre debout, c'est un livre dans une bibliothèque, et, pour se faire voir, il faut qu'il soit sur les tablettes en avant et il dure neuf mois. Je n'ai jamais vu un livre rester aussi longtemps s'il ne se vend pas en avant. Je trouve que c'est… je leur conseille de ne pas demander autant. Neuf mois, c'est beaucoup, c'est beaucoup.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe, oui.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci. Bonsoir, messieurs. Ça fait plaisir. Moi, je vais adresser ma question à M. Laferrière. Comment pourriez-vous nous décrire le meilleur des mondes pour le milieu du livre et de ses intervenants?

M. Laferrière (Dany) : Bon. Il y a deux extrêmes dans le milieu du livre, et dont on parle très rarement, et là on est pour parler à la dernière station, la librairie. Il y a l'écrivain, le... hein? S'il n'y a pas de livre, s'il n'y a personne qui écrit... Et il faut qu'il y ait… il faut que ça ait un sens, cette idée d'écrivain, pour qu'ils ne soient pas uniquement des livres fabriqués, demandés, exigés, et il faut que cet écrivain-là ait l'impression que ce livre qu'il est en train de rêver a une chance de circuler. Parce que, vous savez, quand on prend un écrivain comme Kafka, il est laid, il est désespéré, ses livres sont désespérants. Sans les libraires, Kafka ne viendrait pas jusqu'à nous. Et il y a des librairies, des grandes surfaces qui veulent des écrivains plus souriants, plus aimables et plus vendables. Il a fallu des traducteurs, il a fallu des libraires, il a fallu des critiques, il a fallu des gens qui, pendant des décennies, ont défendu Kafka, qui ne vendait rien, et des éditeurs aussi. Jusqu'aux Nourritures terrestres, André Gide n'a jamais vendu plus de 3 000 exemplaires, toute son oeuvre comprise. Il a fallu les Nourritures terrestres. Donc, quelqu'un a dû attendre, quelqu'un a dû prendre la décision — Gallimard, dans ce sens-là — d'attendre à ce que cette littérature qu'il avait en tête, que cette maison d'édition avait en tête, parvienne à convaincre le lectorat que c'est la littérature, c'est cette littérature.

Donc, si on en parle tant, s'ils font faillite avant, si les libraires laissent tomber avant et s'ils n'ont pas la force de défendre ça aussi, et bien, on n'a plus de littérature. Le monde rêvé que vous me demandez de voir, c'est un monde où n'importe quel écrivain où qu'il soit puisse être capable d'avoir... de croire que la littérature ne se fait pas uniquement de choses aimables et que leur pire cauchemar peut trouver un lecteur, parce qu'il s'agit de l'âme humaine. C'est la promesse de la littérature, c'est de nous révéler ce qu'il y a à l'intérieur de nous pour permettre, pour faire comprendre à la population que l'âme humaine est beaucoup plus complexe que cette idée du bien que toutes sortes de gens nous proposent, que l'être humain n'est pas fait que de bien que les religions et autres nous proposent, et la littérature est fondamentale là-dessus, et, si on laisse… s'il n'y a pas de libraires pour défendre ça, s'il n'y a pas d'éditeurs, s'il n'y a pas une chaîne de littérature comme cela, cette personne-là penserait, se censurerait, finirait par écrire des livres qu'il pense qui se vendraient. On n'aurait que des écrivains commerciaux.

Donc, le monde rêvé, c'est de permettre à ce que tous les individus, tous ces jeunes gens dans les sous-sols de leurs maisons qui rêvent à écrire, qu'ils puissent croire qu'ils ont le droit d'écrire, d'aller jusqu'au bout de la nuit.

M. Godbout (Jacques) : Chaque année, mon ami Pascal Assathiany fait un budget prévisionnel, et il étudie ce qui s'est passé et fait des statistiques, vous n'avez pas d'idée. Chaque fois, il me les remet — il y a 30 ou 40 pages — et je les lui remets en disant : Écoute, la littérature, c'est écrire, c'est vendre des prototypes. Tu feras toutes les statistiques que tu veux, ça devient imprévisible. Pourquoi est-ce qu'un des livres qu'on publie… Moi, j'en ai… je fais partie de la vieille génération des écrivains, puisque j'ai commencé dans les années 1960. J'ai eu certains bouquins qui ont eu un succès phénoménal et d'autres pas, d'autres, moyen, mais c'était grâce aux enseignants, c'était grâce aux libraires, c'était grâce à la radio, à la télévision, mais aussi au fait qu'il y avait des gens pour défendre l'idée de la littérature.

Si on détruit l'idée de la littérature pour la remplacer simplement par le commerce des livres, ça ne sert à rien, on ne va nulle part. Et je pense que de regarder le monde à travers les yeux des écrivains québécois est une des façons d'assurer une culture et une existence du Québec.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci. Est-ce qu'il reste du temps, madame…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Il vous reste encore environ cinq minutes.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Cinq minutes. Ah! C'est bien. Vous avez mentionné… On sait que le prix… Le livre numérique, qu'on peut dire, l'approche du numérique influence beaucoup. On est embryonnaires au Québec, mais sauf que, dans certains États, ce n'est pas beaucoup plus élevé. Quel portrait dressez-vous du secteur du livre numérique au cours des prochaines années? Comment vous voyez l'évolution par rapport au numérique?

• (21 h 10) •

M. Assathiany (Pascal) : Vous savez, le livre numérique fait partie de notre vie. Par exemple, pour Boréal, à peu près tous les titres que nous publions paraissent simultanément en numérique. Aujourd'hui, ça ne représente quand même que 3 %, 3,5 % de nos ventes. Au Canada anglais, c'est déjà beaucoup plus, et, aux États-Unis, c'est beaucoup plus.

Moi, j'ai une théorie là-dessus. C'est qu'une société qui a un bon réseau de librairies, eh bien, le lecteur trouve ce qu'il lui faut pas loin, à proximité. Il va voir les libraires, il a un certain choix. Quand vous trouvez, aux États-Unis, au Canada anglais, en Angleterre, où il n'y a pas de libraires ou que des grandes surfaces, à ce moment-là, si vous voulez un livre un tout petit peu particulier, il faut que vous le commandiez en numérique. Aux États-Unis, il y a quand même des intellectuels un peu partout. Ils ne trouvent pas, dans leur ville, à moins qu'elle ait plus de 500 000 habitants, une librairie digne de ce nom. Donc, le numérique a aussi un rapport... Le numérique progresse moins bien en Allemagne, progresse moins bien en France parce qu'il y a des réseaux de librairies, livres physiques.

Ceci dit, il y a aussi des gens… Quand on part en voyage, quand on habite dans des endroits éloignés, quand on est francophone à Vancouver, peut-être que, là, il y a des places pour le numérique, mais je ne pense pas que le numérique prendra une place tellement importante. Ça va progresser, on va peut-être arriver à 10 %, 12 %, ce qui est beaucoup, mais actuellement je ne pense pas que ça va faire des performances dont j'entendais parler qui faisait que Costco, aux États-Unis, perdait 27 % de ses ventes de livres.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de l'Acadie, vous avez la parole.

Mme St-Pierre : Merci, Mme la Présidente. Messieurs, bonsoir. Je suis très heureuse de vous entendre, et j'ai un petit regret, et je ne fais pas de reproches à personne, mais je pense que vous auriez dû être entendus plus tôt dans la journée ou, enfin, plus tôt dans cette commission parce que vous savez, à cette heure-ci, les heures de tombée sont passées, puis il n'y a plus de journaliste qui écoute. Mais enfin peut-être qu'il y en a qui vont écouter à travers la magie de la télévision, soit en direct ou en différé.

Je trouve que c'est fort intéressant, ce que vous nous dites, et moi, personnellement, j'ai énormément d'inquiétude par rapport à ce qui se passe dans tout ce chambardement-là avec la question du numérique et comment nos libraires indépendants… comment on peut assurer la survie de nos libraires indépendants et assurer aussi qu'ils continuent d'être ces guides et ces conseillers, parce qu'on le vit à chaque fois qu'on rentre dans une petite librairie ou dans une grande libraire : on a toujours, si on demande un conseil, quelqu'un pour nous conseiller puis nous dire qu'est-ce qu'on peut rapporter puis qui va nous donner beaucoup de plaisir et de bonheur.

Le numérique, je pense qu'il est là, et il va grandir. Personnellement, moi, maintenant, je lis tous mes journaux sur ma tablette, alors que j'aurais pensé que c'était inimaginable avant. J'avais besoin du contact avec le papier, puis le journal puis les mains toutes noires. Puis mon conjoint disait toujours : Sauvez un arbre, tuez un journaliste, quand j'arrivais avec ma pile de journaux. Puis, bon, je pense qu'on va aller vers le numérique.

Alors, moi, j'espère que, si jamais on arrive avec cette loi sur le prix unique... On dirait qu'on n'arrive pas à mettre le doigt sur la certitude qu'il va y avoir... que ça va permettre aux librairies indépendantes de survivre. On pense qu'on l'a, on pense qu'on... puis c'est peut-être la solution, mais on dirait qu'on n'arrive pas à dire : Bon, bien, c'est exactement ce geste-là qu'il faut poser. Et est-ce qu'il y a d'autres gestes qui devraient être... accompagner ce geste-là ou si ce geste-là est là pour une petite période, puis après il faudra penser à autre chose? J'aimerais ça vous entendre là-dessus. En fait, genre, un plaidoyer du coeur, où vous nous dites : Écoutez, là, faites-le, là, parce qu'on va mourir, ou quelque chose du genre, là.

M. Laferrière (Dany) : Oui. Comme vous voulez. Enfin, on va commencer par celui qui ne sait pas. Et moi, je pense que le livre est un objet plus moderne que le numérique. Je pense que, si on regarde les choses, là, physiquement, l'un à l'autre, j'ai l'impression souvent — je le dis souvent, d'ailleurs — que, devant l'échec, dans certains endroits, du numérique… c'est-à-dire tout ce qui est électronique finit par tomber en panne quelque part. On a fait cette découverte extraordinaire du papier, de ce livre qui peut être ouvert n'importe où, transporté, aussi petit que le livre numérique, des fois, et je trouve que, visiblement, cette invention qui a traversé ces millénaires ne tombera pas. De toute façon, les humains ont l'habitude d'additionner ce qu'ils ont inventé au lieu de soustraire.

C'est vrai qu'on a failli mourir sous le papier. Moi-même, j'avais proposé à La Presse, aux journaux d'ailleurs, de ne pas... de vendre leurs cahiers par sections, parce que, moi, c'est deux seulement que je prends, c'est le premier cahier et le cahier Culture; le reste va directement à la poubelle. Alors, si je pouvais acheter ces deux cahiers-là, ça me suffirait. Et d'autres personnes voudraient le cahier Affaires, d'autres personnes achèteraient, pour 0,20 $, le cahier des sports. Donc, ça veut dire que le papier… C'est vrai que tout ce qui est électronique nous a sauvés de cette… l'impression qu'on a qu'on allait être noyés sous le papier. Et les sortir de notre maison constitue un travail particulier qu'on a remis aux enfants, juste sortir ce tas de journaux. C'est vrai. Mais, pour les livres qu'on a envie de lire, pour les livres qui nous touchent, pour les livres qu'on voudrait conserver… Parce que la bibliothèque personnelle n'a pas toujours existé chez les gens. L'idée de conserver des livres chez soi, à la maison, je pense que ça restera. C'est une idée exceptionnelle d'aller les voir, de les regarder, tomber spontanément sur le livre, et je pense que ça restera et, avec elle, la librairie, la librairie.

Et je pense que c'est un service, le service de la librairie pour éliminer… parce que moi, je crois que ça restera et sera toujours dans une situation difficile. Comme la vie de l'écrivain aussi. La vie économique, la situation économique de l'écrivain sera toujours un peu difficile. Un bon coup, et un coup pas bon. Je me souviens… Et l'auteur du Matou, Beauchemin, me disait : Bien, les gens disent que je suis millionnaire, mais ils n'ont pas vu tous les livres qui n'ont pas marché. Le Matou, ils n'ont pas vu, et c'est… Et, moi, ça me prend sept ans chaque fois que je sors un livre, et donc j'ai déjà mangé l'argent du Matou 20 fois.

Donc, la situation sera toujours précaire. On ne pourra jamais répondre à la question : Voilà ce qu'il faut faire précisément pour que le milieu soit en santé brusquement. Et tout ce qu'on demande, quelque part, c'est le choix de lecture, la qualité de la littérature, la qualité des livres et que l'État puisse protéger cela, parce qu'on ne peut pas faire tout seul, visiblement, dans cette histoire-là. Et sinon, on sera avalés par le système économique et marchand.

M. Assathiany (Pascal) : Et je peux être un tout petit peu plus terre à terre que mon ami Dany, je vais dire que, par exemple, pour solidifier la librairie… On parlait tout à l'heure des peu de marge, mais, sur les 70 ou 73 millions des grandes surfaces, s'il n'y en avait même que 25 %, ce qui n'est pas beaucoup… La madame de Costco disait : 75 % allaient chez elle pour le prix puis, 25 %, elle ne savait pas pourquoi. Mettons que ces 25 % là se retrouveraient en librairie, ça fait quand même 24 millions de dollars. Les libraires ont 40 % de marge, ça ne fait pas loin de 10 millions de marge nette et… de marge brute, de profits bruts. 10 millions, c'est…

Mme St-Pierre : Vous savez ce qu'ils disent? C'est que la personne n'ira pas… ne fera pas le transfert dans la librairie.

M. Assathiany (Pascal) : Mais il y aura des achats spontanés. Il y a des… On a…

Mme St-Pierre : Mais ce que je veux entendre de vous, là, ce soir, c'est… Faites-le, ce cri du coeur, là. Vous avez l'occasion de le faire, vous êtes à la télé, là. Dites aux Québécois que c'est important, il faut le faire, ça passe par là.

M. Godbout (Jacques) : Mme St-Pierre, il est évident…

Mme St-Pierre : M. Godbout, là…

Godbout (Jacques) : …qu'on ne peut pas garantir ou votre argent remis. La certitude… Je vous admire de croire qu'il y a, quelque part dans le monde, des certitudes. Il n'y en a pas. Mais, si le milieu du livre dans son ensemble, à 95 %, n'a trouvé, après avoir discuté pendant des mois et des années, que cette solution, et qu'on vous demande de l'essayer et de la tenter pour la réussir, il me semble que ça mérite d'être essayé, ça mérite d'être tenté. Ça n'est pas une certitude, mais il n'y a rien qui nous dit qu'un avion ne nous tombera pas sur la tête ici tout à l'heure. Il n'y a pas de certitude.

Ce qu'il y a comme certitude, c'est que les librairies sont des lieux de liberté, des lieux de liberté parce que c'est là où l'on peut acheter des livres qui secouent nos idées, c'est là où on peut acheter des livres qui nous permettent de regarder l'univers à travers les yeux d'un autre. Ce sont des lieux de liberté, et je peux vous garantir, même si je n'en suis pas membre, que je ne pourrais pas imaginer que quelqu'un décrive Costco comme un lieu de liberté. Une librairie, c'est un endroit où il y a des conseillers et des libraires. Même les chaînes que vous connaissez ici, au Québec, achètent, pour toutes les chaînes… il y a quelques libraires qui achètent pour toutes les chaînes, mais, si vous allez dans ces chaînes-là, vous avez de la difficulté à vous faire donner des conseils. Il n'y a pas beaucoup de libraires dans ces chaînes-là.

• (21 h 20) •

M. Laferrière (Dany) : Il y a quelque chose de clair. J'ai publié un livre, cette année, qui s'appelle Journal d'un écrivain en pyjama. Ce livre parle de livres, de littérature et raconte un peu les techniques d'écriture. Ce n'est pas le genre de livre qui se retrouve dans la liste des best-sellers. En effet, dans les grandes chaînes, il n'y était pas. Dans les librairies indépendantes, selon Le Devoir etGaspard, il est resté 27 semaines. C'est-à-dire, j'ai bien vu que ce livre-là, qui, pour moi, était important parce que je voulais, pour fêter mes 60 ans, un peu transmettre mes expériences en littérature et dire un peu ce que j'ai appris sur le tas aux jeunes gens... Donc, c'est un livre qui était important pour moi, je voulais qu'il soit lu, et voilà que, quand je passais dans les grandes chaînes, dans les grandes surfaces, je ne le voyais même pas, et… dans les grandes surfaces. Et là, chaque semaine, j'étais étonné de voir que c'était encore sur la liste des librairies indépendantes. Ça veut dire ceci : qu'il y a des gens dans ces librairies-là, qui, chaque fois qu'ils voyaient un jeune homme ou une jeune femme arriver, lui disent : J'ai un livre, vous voulez écrire? Il y a le livre... J'espère. D'ailleurs, c'est une pub.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. Laferrière (Dany) : Un livre n'est jamais fini. Et, même à l'Assemblée nationale, on peut faire une pub. Et il lui dit : Lisez ce livre-là. Parce que je suis sûr que, spontanément, on ne le prenait pas. Il a fallu aussi que des gens, quelqu'un dise : Lisez cela. Ça, c'est un cas avéré, c'est quelque chose qu'on peut voir, tout simplement. Et, 27 semaines, j'ai été très étonné.

Et je remercie ce libraire ici présent de m'avoir soutenu depuis mon premier livre, Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer. On a parlé du titre qui marchait, mais ça n'avait pas marché au tout début. Les gens étaient frileux. Et, quand ils vont vu que ce n'était pas des conseils réels, qu'ils allaient se fatiguer, ils ont été déçus. Il a fallu que les libraires disent : Mais, non, mais non! C'est un bon livre! Et, 28 ans plus tard, le livre est encore en librairie, et je remercie ces libraires qui ont défendu la littérature pour ce livre qui aurait pu passer pour une publicité sexuelle, ce qui l'aurait fait rester pas plus de cinq semaines parce qu'une mauvaise rumeur tue en moins de cinq semaines. On dit : Le titre est bon, mais le livre n'est pas bon. Comme on dit pour un film. C'est amusant, comme titre, mais n'y allez pas, ça ne vaut pas la peine. 28 ans que les libraires me défendent. Voilà le cri de coeur que Mme Christine St-Pierre appelait de tous ses voeux.

M. Assathiany (Pascal) : Et, pour rebondir sur ce que disait tout à l'heure mon ami Jacques Godbout, il n'y a pas de certitude qu'une telle mesure donnerait des revenus énormes aux libraires, mais il y a une certitude : c'est que, si on ne la prend pas, cette mesure-là, bien, les libraires, ils ne sont plus là. Ça, c'est une certitude. Donc, ça, c'est vraiment la meilleure étude de données que vous pouvez avoir. C'est celle qui existe actuellement, c'est ce qui se passe. Mais, si ça ne marche pas, on change.

M. Laferrière (Dany) : Il faut maintenant imaginer une petite ville sans librairie. J'étais à Zurich il y a quelques mois. Eh bien, la dernière librairie française a fermé à Zurich. Les gens avaient l'air d'avoir perdu un membre de leur famille. C'est-à-dire, ils ne pouvaient pas accepter qu'une grande ville aussi puissante économiquement puisse ne pas avoir une seule librairie en langue française, alors qu'une des langues de la Suisse, c'est le français. Vous ne pouvez pas savoir le sentiment qu'on peut avoir dans une petite ville de voir une librairie fermer.

Moi, quand je vais dans une petite ville, les deux choses que je visite, c'est le cimetière et la librairie. Si on veut savoir exactement comment se comporte une ville, allez au cimetière pour savoir si les gens se marient entre eux — vous le voyez sur les tombes, hein, Gagnon épouse Gagnon — et, s'il n'y a pas de noms d'étrangers, ça veut dire : La ville est fermée. Et allez dans la librairie aussi pour savoir si la ville sait rire — vous n'avez qu'à regarder les titres des livres — si la ville sait réfléchir ou bien si la ville se contente d'acheter de la papeterie. Donc, une librairie dit beaucoup, et, si elle ferme, à mon avis, c'est le coeur d'une ville qui s'arrête.

M. Godbout (Jacques) : Dans le Québec des années 60... Vous êtes tous trop jeunes pour vous en rappeler, mais, dans le Québec des années 60, il y avait peu de librairies. Les librairies sont apparues les unes après les autres. Il y avait des villes où il n'y avait pas de librairies ou alors, s'il y en avait une, elle vendait les meilleurs livres sous le comptoir, et, pour le reste, des brosses à dents. C'est devenu un métier. C'est extraordinaire qu'en 50 ans on ait vu ce réseau se construire et, pendant une trentaine d'années, vraiment nous servir.

Alors, si vous pensez qu'il y a un moyen, pas une certitude, mais un moyen qui pourrait empêcher que cela soit détruit et que ce réseau disparaisse, prenons-le. Qu'est-ce qu'on risque? Se faire reprocher de ne pas être fidèle à la pensée économique de qui? Dubuc, dans La Presse?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville, c'est à vous la parole.

Mme Roy (Montarville) : Merci, Mme la Présidente. Merci, messieurs, merci pour votre mémoire. C'est intéressant de vous entendre et avec toute cette émotion, M. Laferrière.

Vous disiez — puis j'ai pris quelques notes, je vous écoutais : La fixation du prix stabiliserait les choses et donnerait du temps, du temps pour trouver des mesures. Et, parmi ces mesures-là, avec la fixation du prix, il y a cette fameuse fenêtre de neuf mois durant laquelle tout le monde vendrait au même prix, aurait le même rabais. Il faudrait attendre neuf mois pour avoir un rabais supplémentaire. Et la question, je vous la pose, parce qu'il y a une réalité aussi, c'est que le lecteur, lui, son budget d'achat de livre n'augmente pas nécessairement avec les taxes qui augmentent tout partout : Alors, est-ce que ce neuf mois, il est parfait, il pourrait être vu, il stimulerait les ventes auprès des consommateurs, qui, eux, cherchent la bonne affaire? Enfin, est-ce qu'on pourrait jouer sur ce neuf mois-là?

M. Assathiany (Pascal) : Bien, le neuf mois est un consensus. Vous savez, vous avez entendu ici qu'il y a eu beaucoup de discussions. Il y en a qui étaient pour l'éternité, il y en a d'autres qui étaient pour six mois. Les gens se sont entendus pour neuf mois. C'est une sorte de...

M. Godbout (Jacques) : C'est un hommage à la femme.

M. Assathiany (Pascal) : C'est une sorte de consensus. Mais l'important, c'est que la bataille se fait sur les nouveautés. Les livres faciles à vendre, c'est les nouveautés, c'est un best-seller qui arrive d'un auteur connu, c'est Dan Brown, c'est le Fifty Shades of Grey. Et ces livres-là se vendent trois mois, six mois, neuf mois, mais rarement plus. Donc, c'est le fait que la librairie pourrait récupérer une partie de ces ventes-là. La durée de neuf mois est tout à fait acceptable. Vous me diriez sept mois, 10 mois... c'est un peu… tout ça est un peu, effectivement, arbitraire, mais le neuf mois me paraît un délai tout à fait acceptable pour stabiliser, justement, les achats.

M. Godbout (Jacques) : C'est raisonnable.

M. Assathiany (Pascal) : Raisonnable. Et, encore une fois, je trouve qu'on n'a pas parlé beaucoup ici du phénomène du livre de poche, mais on peut vivre sa vie intellectuelle en ne lisant que des livres de poche qui sont, pour la plupart, autour de 10 $ ou 12 $, et, les livres de poche, on ne les trouve pas dans les grandes surfaces, et c'est quand même quelque chose d'important. On n'est pas forcés d'acheter Dan Brown dès qu'il paraît, après tout.

M. Laferrière (Dany) : Bien, on a oublié la révolution qu'avait apportée le livre de poche. C'était une bataille, d'ailleurs. Ce fut une terrible bataille. Et l'idée du livre de poche, précisément, c'était de permettre aux jeunes gens de se procurer des livres. Et on attendait cela, quand le livre sortait en poche.

M. Assathiany (Pascal) : Oui. Je dirais, il sort neuf mois après, en poche, d'ailleurs. Et les clubs du livre, en France, n'ont le droit de publier, comme les livres sont moins chers… les clubs de livres ne paraissent que neuf mois après l'édition originale. Donc, il y a une sorte de courbe...

Mme Roy (Montarville) : ...d'où l'origine de ce neuf mois-là pour arriver avec la sortie du livre de poche.

M. Assathiany (Pascal) : Sans doute.

M. Godbout (Jacques) : Il y a un délai, par exemple, pour les films à l'affiche…

Mme Roy (Montarville) : Oui, la fenêtre.

M. Godbout (Jacques) : …entre le moment où ils sont à l'affiche et en DVD. C'est un délai d'ajustement, probablement, du marché. Alors, ça vient avec l'expérience. Nous, on pense que neuf mois, ça a de l'allure.

Mme Roy (Montarville) : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup. Il restait deux minutes, du côté du gouvernement. Je pense que M. le député de Saint-Hyacinthe, vous aviez une question. Deux minutes, question, réponse.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Vous êtes généreuse. Vous avez parlé... M. Godbout parlait d'un moyen à essayer, peu importe, là, si on n'a pas une certitude, mais si vous avez… s'il y avait d'autres mesures alternatives qui pourraient aider à ce que le livre ait meilleure mine, on peut dire, au Québec, qu'est-ce que vous pourriez nous suggérez?

• (21 h 30) •

M. Godbout (Jacques) : Encourager la lecture, bordel! Il faut absolument pousser là-dessus. Ça n'a aucun sens, l'espèce de distance qu'il y a... Écoutez, les statistiques nous affirment que la moitié des Québécois sont incapables même de lire le texte sur une... c'est quoi, c'est sur des médicaments ou sur des boîtes de conserve. C'est leur test. Bon, si la moitié des Québécois ne savent pas lire, décoder, on a un problème, bon. Il y a ceux-là à alphabétiser, mais ceux qui savent lire déjà, il faut leur offrir des livres partout et non pas seulement dans les grandes surfaces. Il faut qu'il y ait un minimum de conseils, c'est évident.

Moi, j'ai appris à lire — autrement qu'à l'école, là, bien sûr — par le livre de poche. C'est par ça que je suis rentré. J'ai eu la chance, à 16 ans, que le livre de poche est apparu, et il apparaissait donc à des prix raisonnables pour un étudiant. Et, après les livres de poche, on passe à autre chose. La plupart des livres de Dany ou les miens sont en livre de poche, pour ceux qui sont... — deuxième publicité — pour ceux que ça intéresse. Et Boréal publie, dans une collection compacte, des livres qui ont eu du succès — ou même, des fois, qui n'en ont pas eu beaucoup — en livre de poche au bout de quoi? Un an et demi?

Une voix : Neuf mois.

M. Godbout (Jacques) : Neuf mois? Bon.

M. Laferrière (Dany) : ...de neuf mois. Mais, quand on parle... On parle beaucoup de l'argent, qui est important et qui permettrait aux libraires de souffler, sans vraiment dire qu'est-ce qui va faire que la librairie s'envole, que tout soit florissant, on ne peut pas... Et tout a été dit là. Mais, à chaque fois, dans tous ces débats-là, je pense à...

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je suis désolée, M. Laferrière, c'est...

M. Laferrière (Dany) : ...à la poésie pour dire le mot qu'il ne fallait pas dire, la poésie, qui a besoin de nous et qu'on ne trouve nulle part que chez les libraires qui défendent cette manière d'être qui fut la nôtre pendant si longtemps et qui a permis de révéler l'âme québécoise.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, messieurs. Merci beaucoup.

Donc, la commission ajourne ses travaux jusqu'au jeudi 19 septembre 2013, après les affaires courantes. Je vais vous souhaiter, à toutes et à tous, une bonne fin de soirée.

(Fin de la séance à 21 h 32)

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