(Seize
heures dix-sept minutes)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre, s'il vous
plaît! Ayant constaté le quorum, je
déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes
présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs
téléphones cellulaires.
Le mandat de
la commission est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations
particulières sur le document intitulé Document de consultation
sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs
imprimés et numériques.
Mme la
secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. M. Tanguay (LaFontaine) sera remplacé par
M. Kelley (Jacques-Cartier).
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. À l'ordre du jour cet après-midi, nous
entendrons l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française,
la Fondation Lucie-et-André-Chagnon, M. Marc Ménard, économiste et
professeur à l'École des médias de l'UQAM, et Les Éditions du Septentrion. En
soirée, nous recevrons les représentants de Costco, par la suite nous accueillerons l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et
de la vidéo, l'ADISQ, et nous terminerons avec Les Éditions du Boréal.
Auditions (suite)
Sans plus tarder, nous accueillons les représentants de l'Association des distributeurs exclusifs de livres en
langue française. Je dois m'excuser au nom, je dirais presque, de l'Assemblée
nationale pour le retard que nous avons eu cet après-midi. Il faut
bien comprendre que, tant que nous n'avons pas reçu l'ordre de la Chambre, nous
ne pouvons débuter nos travaux en commission parlementaire.
Je veux vous rassurer dès le départ, vous allez
avoir le temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Nous allons nous occuper du temps et nous allons aller
au-delà de 18 heures pour permettre à tous les intervenants de se faire
entendre et d'avoir des échanges avec les parlementaires.
Donc, je vous
souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale, M. Chamaillard. J'espère
que je le prononce bien. Je vais vous
demander de faire votre exposé en 10 minutes… bien, de nous présenter également
les personnes qui vous accompagnent. La parole est à vous.
Association des distributeurs
exclusifs de
livres en langue française inc. (ADELF)
M. Chamaillard
(Pascal) : D'accord. Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes, MM. les
députés, bonjour. Permettez-moi effectivement, tout d'abord, de nous
présenter : je m'appelle Pascal Chamaillard, je suis président de l'ADELF
et directeur général d'une maison de distribution qui s'appelle Édipresse; à ma
gauche, Gilda Routy est vice-présidente de l'ADELF, directrice Division livres
de chez Bayard; à l'extrême gauche, Serge Théroux, qui est administrateur à l'ADELF et directeur général de Dimedia; et, à ma droite, Benoît Prieur, directeur général de l'ADELF.
• (16 h 20) •
Nous
voudrions dans un premier temps vous remercier de l'attention que vous portez à
ce dossier d'une importance capitale
tant pour la culture québécoise que pour tout un secteur d'activité : en effet, quelque 11 000 emplois
directs, sans compter les retombées indirectes, les auteurs, les
innombrables pigistes qui contribuent chaque jour à la vitalité du livre et de
la culture au Québec.
Tout comme vous, j'ai
écouté chacun des intervenants à cette commission et je me suis dit : Mais
comment vont-ils faire, ces élus, pour
distinguer le bon grain de l'ivraie? Vous avez entendu tout et son contraire.
Vous avez entendu nombre d'individus et des associations, certains
représentant, de manière déclarée ou non, des intérêts spécifiques. L'avantage, dans le cas des associations, c'est, d'une
part, que chacune de leurs prises de position représente celle d'un grand nombre, par conséquent leur représentativité
est sans égale. D'autre part, puisqu'elles agissent au grand jour, à
visage découvert, ainsi nous sommes tenus de
présenter des faits avérés et rigoureusement exacts, de ne pas citer des
phrases hors contexte ou d'utiliser de manière sélective des données dans nos
mémoires.
Les
associations professionnelles ont aussi l'indéniable avantage de posséder une
connaissance empirique des réalités
multiples et complexes du livre au Québec, une connaissance bien plus valable
que celle des théoriciens. Je ne vais pas vous répéter ici encore les
mêmes arguments qui militent en faveur de la demande unanime de toutes les
associations professionnelles du domaine du livre, vous les avez déjà
entendues.
Le secteur du livre s'est,
depuis la nuit des temps, adapté à moult mutations. On n'a qu'à penser aux
tables de la Loi données à Moïse, aux tablettes cunéiformes, à l'utilisation du
parchemin, à Gutenberg et le début de la reproduction et de l'impression en nombre, au numérique. Au
fait, je vous signalerais que le numérique, ça fait depuis les
années 1980 que les éditeurs baignent
dedans. Effectivement, ils travaillent sur des fichiers depuis les années 1980.
Donc, l'adaptation est dans l'ADN du monde de l'édition, et nous savons
nous adapter au changement.
Maintenant,
on va relativiser les choses. Le livre a un poids tout à fait relativement
négligeable dans le budget des familles,
soit 0,2 % des dépenses ou environ 70 $ per capita. Lorsque l'on
considère l'ensemble des secteurs dont les prix sont réglementés pour des raisons diverses et qui totalisent quelque
15 000 $ par ménage par année ou 35 % des dépenses
moyennes d'un ménage, on constate qu'il s'agit ici d'un non-sujet. Parmi les
secteurs qui sont, d'une manière ou d'une
autre, réglementés, mentionnons au passage : le tabac, la bière, le vin,
les alcools, le lait, l'électricité, le logement locatif. Et cette liste
n'est pas exhaustive. On le voit bien, les prix de quantité de produits sont
déjà réglementés dans notre société et le
poids du livre est si négligeable que notre projet n'aura, de toute manière,
aucun impact significatif sur le pouvoir d'achat des consommateurs.
Si
je dois synthétiser le seul argument qui a été avancé en défaveur d'une
éventuelle réglementation, c'est celui que le lecteur-consommateur paierait plus cher ses livres. Je vais vous
faire un aveu personnel : il y a cinq ans, j'aurais été dans le
camp des opposants à une réglementation sur le prix des livres. Eh oui! Je
tenais le même raisonnement que ceux qui
pensent qu'un tel dispositif renchérirait le prix des ventes dans certains
points de vente. Mais ça, c'était avant d'examiner l'expérience internationale, les milliers de pages d'études,
de rapports divers sur la question, et surtout avant le constat de l'expérience britannique. On se souviendra
aussi qu'il y a quelques années nombre d'économistes pensaient que l'on devait accéder aux demandes d'assouplissement,
voire de déréglementation du système bancaire. Aujourd'hui, avec le recul, on aura compris que, dans certains rares
domaines, il est périlleux de laisser l'autorégulation opérer. À ce
sujet, un certain Paul Martin avait bien étudié le dossier.
Le
monde des pays de l'OCDE est divisé en deux : il y a des pays avec
réglementation sur le prix de vente des livres et des pays sans. Le cas britannique est très instructif parce
que les Britanniques ont abandonné le régime de prix fixe au milieu des
années 1970. Et l'économiste britannique Francis Fishwick, spécialiste de
réputation internationale en économie du
livre et de la concurrence — donc pas un économiste qui s'est penché de
manière superficielle ou ponctuelle sur le sujet, mais, pour lui, c'est
l'objet de toute une vie de travaux — eh bien, il a constaté que,
contrairement aux théories économiques classiques, paradoxalement, les
consommateurs britanniques paient en moyenne plus cher les livres que si le Net Book Agreement avait
été maintenu. En fait, en Grande-Bretagne, il y a eu 61 % plus d'inflation
qu'en France ou en Allemagne sur la période qui a suivi l'abandon du prix
réglementé en Grande-Bretagne.
Les rabais
accordés aux consommateurs ont apparemment augmenté, mais, face à la pression
des détaillants surtout non traditionnels et
plus exigeants, avec des remises qui, petit à petit, pouvaient aller jusqu'à
70 %, les éditeurs ont mécaniquement, pour compenser, augmenté le
prix théorique de vente au détail, autrement appelé le prix de détail suggéré.
Depuis quelques années, de véritables guerres de prix ont lieu, dans les pays
anglo-saxons, sur le livre pour s'emparer du
secteur, par Amazon. Et les chaînes de librairies, pour tenter de
conserver leur place, tentent de rivaliser, mais même les chaînes, avec leur puissance, n'y arrivent pas. Conséquemment,
aujourd'hui, en Angleterre, il y a maintenant un tiers de moins de
librairies qu'en France per capita.
Maintenant, je vais
vous faire voyager en Australie, une ville comme Greater Dandenong. Avec un nom
comme ça, on voit les kangourous en
arrière-plan. Greater Dandenong : 140 000 habitants, 49 écoles,
117 supermarchés. Eh bien, aujourd'hui,
il y a zéro librairie suite à la faillite de la plus grosse chaîne de
librairies du pays. Combien de villes, au Québec, avons-nous de 140 000 habitants? Sept, selon le dernier
recensement de Statistique Québec. Ça ferait combien de villes sans
librairie si on suivait le même modèle à terme? Pendant ce temps, aux
États-Unis, en 2011, la chaîne numéro deux,
Borders, faisait faillite, avec 700 librairies qui ont fermé. En toute logique,
Barnes & Noble, le numéro un mondial, aurait dû en
bénéficier suite à l'élimination de son concurrent. Eh bien, malgré ça, son
dernier exercice, clos le 27 avril
dernier, faisait état d'une perte de 157 millions de dollars.
Ailleurs, toujours
dans le monde anglo-saxon, parce que c'est là où principalement le prix est
déréglementé, on constate que les chaînes Borders, en Grande-Bretagne, Books
etc., en Grande-Bretagne, Robertson, toujours en Grande-Bretagne, Waterstones, au Royaume-Uni, en Irlande,
Hugues & Hugues, en Irlande, Borders, en Australie, et le RedGroup Retail, en Australie, ont toutes soit
fait faillite, soit se sont mises sous la protection de la loi ou bien
encore sont en profonde restructuration, comme on dit élégamment. Eh bien,
toutes ces chaînes anglo-saxonnes étaient sûrement conseillées par des gens brillants, comme certains de ceux qui sont
venus devant cette commission, et pourtant on connaît maintenant leur
triste sort.
Pendant ce temps, parallèlement à ça, dans les
pays à prix réglementé, bien, la librairie tient plutôt bien le coup, même si
certains tentent de pointer du doigt la faiblesse des uns ou des autres à
droite ou à gauche, mais c'est marginal par rapport à l'hécatombe dans
le monde anglo-saxon.
Qu'en est-il maintenant de la situation
actuelle au Québec? Nous avons un réseau de librairies diversifiées,
composé de chaînes et de librairies
individuelles qui servent formidablement bien l'intérêt du lecteur et de la
diversité culturelle. Mais notre rôle, qui est également le vôtre en
tant qu'élus, n'est pas de regarder dans le rétroviseur mais plutôt dans le
parebrise, vers l'avant. Or, ce réseau de librairies est fragile, et on
constate que cette fragilité est grandissante.
Les rabais actuels pratiqués par certains
détaillants sont indéniablement une vive concurrence, mais pas encore ce
qu'on peut qualifier de guerre de prix. Mais
il est évident qu'elle se profile à l'horizon, cette guerre de prix.
Lorsqu'Amazon va décider de répliquer
sa stratégie qu'il a déployée dans les pays anglo-saxons, de vente à très forts
rabais le temps de s'emparer du
marché, et qu'alors les Wal-Mart ou Target — qui vient d'ouvrir aujourd'hui, d'ailleurs, au Québec, ses magasins — vont
suivre et vont encore abaisser les prix pour tenter de se positionner comme on
l'a vu aux États-Unis, eh bien,
à ce moment-là, il sera trop tard pour réagir.
Et, une fois la terre brûlée, les librairies en grande
partie disparues, alors les prix vont remonter parce que, lorsqu'il y aura un oligopole de créé, bien là les
trois, quatre gros acteurs qui auront le marché vont décider des
conditions et le consommateur va se retrouver…
La
Présidente (Mme Vien) : Merci. M. Chamaillard. Ça sera votre mot de la fin en ce qui a trait à votre présentation. Ça passe vite, hein? Alors, les 10 minutes…
M. Chamaillard
(Pascal) : Une petite minute de plus? Est-ce que je peux me permettre…
La
Présidente (Mme Vien) :
Elle sera prise, à ce moment-là, sur le temps de M. le ministre qui,
semble-t-il, a pas mal de questions pour vous.
M. Chamaillard
(Pascal) : Est-ce que vous me permettez?
La Présidente (Mme
Vien) : Mais allez-y. Les collègues? Une minute, je veux bien.
Allez-y.
M. Chamaillard
(Pascal) : Je vous remercie.
La Présidente (Mme
Vien) : Rapidement.
• (16 h 30) •
M. Chamaillard (Pascal) : Et là ce serait encore plus grave dans une société
comme la nôtre parce que, si les géants
mondiaux de l'édition pourront toujours réussir à négocier mondialement pour les grands
auteurs américains, ça va être une autre paire de manches pour notre
production qui, pourtant, est un élément de notre identité culturelle.
Je
pourrais vous faire des parallèles avec le domaine de l'agriculture. Malheureusement, je ne pourrai pas le faire, je n'ai pas le temps. Mais n'attendons pas que l'incendie soit déclaré pour installer
la borne-fontaine : munissons-nous d'une toute petite législation, bien douce par rapport à ce qui existe ailleurs.
Et, en réalité, on pourrait en faire un débat d'experts, mais le
véritable choix, c'est un choix de société.
La Présidente (Mme
Vien) : Merci beaucoup. Alors, maintenant la parole est au
député de Bonaventure. On vous écoute.
M.
Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, madame, bonjour,
messieurs. Bienvenue à cette commission. Vous avez dit tout à l'heure qu'on ne pouvait pas… que c'était impossible d'autoréguler
le marché, que ce n'était pas une bonne pratique. Vous demandez à l'État
de le faire, mais pourquoi il ne peut pas y avoir une autorégulation de la
pratique?
M. Chamaillard (Pascal) : Pour des raisons juridiques qui nous échappent et
qui ne nous permettent pas de le faire. Si on le faisait de manière
interprofessionnelle, ça contreviendrait à certains articles de loi fédéraux.
M. Roy :
O.K… Puis-je y aller?
La Présidente (Mme
Vien) : Allez-y, je vous en prie.
M.
Roy : Ici, j'ai un texte, bon, qui date du 14 décembre 2009 où
vous dites qu'il peut y avoir une adaptation des grandes surfaces…
Écoutez, c'est à la page 9, je ne sais pas si vous avez ça en mémoire. Bon. Et
je cite : «En France, à la suite de l'adoption de la loi sur le prix
unique, les grandes surfaces ont d'abord protesté avant de s'adapter à cette loi et même d'y trouver leur compte.
Actuellement, les grandes surfaces non spécialisées occupent 21,4 % [...]
du marché de la vente du livre. Les grandes
surfaces, ne pouvant plus concurrencer sur la base du prix de vente des
best-sellers, se sont repositionnées
en offrant... plus de diversité — O.K.? — certaines allant jusqu'à créer des espaces
librairie à l'intérieur de leurs magasins.» Est-ce que ça ne pourrait
pas rentrer en concurrence avec les petits libraires, ça? S'il y a, bon, une régulation qui vient de l'État et les grandes
surfaces s'adaptent et développent le modèle de librairie, quel sera l'impact
sur les petites librairies?
M. Chamaillard (Pascal) : Les grandes surfaces, la logique qui prévaudrait
probablement sur notre marché, c'est
celle qui a prévalu, je crois, au Mexique. Pour quelles raisons? Je dis que c'est…
ils suivraient le même modèle — parce qu'on est allés voir qu'est-ce qui s'est
passé au Mexique, sur place — parce qu'au Mexique ce qu'il est intéressant de constater, c'est qu'il y a
exactement les mêmes grandes surfaces qu'ici, et on constate qu'ils n'ont pas
adopté la même voie que la voie française, finalement. Ce qu'ils ont fait, c'est
qu'ils continuent de vendre des livres, qui d'ailleurs
est positionné exactement au même endroit dans le magasin et occupent la même
surface qu'auparavant, et ils n'ont pas considérablement diversifié leur
offre. Ils maintiennent une offre à peu près similaire à celle qu'ils avaient auparavant, mais ils continuent de vendre des
livres, donc l'achat impulsif demeure. Donc, le client qui, tout d'un
coup, veut acheter un livre et qui le voit
en faisant ses emplettes de tout… ou d'autres choses, il continue spontanément
d'acheter de la même manière. Donc, là où ça bénéficie au libraire, c'est que
ça permet un léger transfert de clientèle de celui qui attend l'occasion où il va aller dans la grande surface pour acheter son
livre, pour l'acheter spécifiquement moins cher, donc ce… il y aurait un
léger transfert, à ce titre, de clientèle de certaines grandes surfaces à la
librairie, sur cette base-là. Donc, on ne croit pas que ça concurrencerait
spécifiquement la librairie dans ce contexte-là. Allez, Gilda.
Mme
Routy (Gilda) : On pourrait peut-être rajouter qu'il y a des personnes
qui font des achats dans les grandes surfaces et qui ne vont jamais en
librairie. Donc, ces gens-là n'iraient pas plus en librairie. Je pense que,
comme le disait Pascal Chamaillard, ce qui
est important, c'est pour les personnes qui à la fois visitent les librairies et
à la fois vont faire des achats autres dans les grandes surfaces, et,
parce qu'ils voient le best-seller et qu'ils savent qu'il est 20 % ou 25 % moins cher que chez leurs libraires
du coin, font cet achat-là. Mais, pour nous,
ce qui est important, c'est qu'il y ait une diversité de lieux
de vente, et la grande distribution est aussi un moyen de permettre l'accès aux
livres pour des gens qui ne vont
jamais en librairie. Mais l'important, c'est que les règles du jeu soient
justes pour tous les détaillants.
M. Roy : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Vien) :
Oui, M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez une question?
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci. Merci. Oui, j'ai des questions. Premièrement, je vais
demander : Est-ce que vous avez des études au niveau des… Je vous souhaite la bienvenue, premièrement. Est-ce que
vous avez des études d'impact sur… L'objectif
que la commission a actuellement, c'est de faire la réglementation du prix du
livre. Est-ce que vous avez des études d'impact que cette réglementation
pourrait avoir sur l'ensemble de la communauté?
La Présidente (Mme Vien) : M.
Chamaillard.
M.
Chamaillard (Pascal) : Oui.
Alors, il y a plusieurs éléments. D'une part,
il y a eu l'Institut IRIS, qui a déposé une étude et un mémoire au mois d'août, là, dans votre première partie
de la commission. Je sais qu'il y a l'économiste Ianik Marcil qui va venir après-demain déposer également un document.
Nous avons toutes les études sur l'expérience internationale qui sont tellement
éloquentes à ce sujet, et on a déposé dans notre mémoire un rapport qui est le rapport Gaymard, qui fait — d'ailleurs, il est très volumineux, il fait
quelque 400 pages — vraiment
une revue très complète de ce qu'il y
a. Dans notre mémoire, on fait également référence aux travaux de l'économiste,
le Dr Francis Fishwick, qui sont très probants sur le sujet… et qu'il a
mis à jour d'ailleurs certaines études pour nous. Et il s'est prononcé de manière éloquente dans les documents qu'on vous a
présentés sur... qui fait que, finalement, ça ne fait l'ombre d'aucun
doute que c'est la voie à suivre à l'heure actuelle, compte tenu de la
situation de la nouvelle donne de la concurrence, en particulier Amazon,
qui s'en vient.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
Est-ce qu'il reste du temps, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Vien) :
Bien sûr.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Oui. Vous affirmez que la
réglementation du prix du livre pourrait permettre d'empêcher la guerre
des prix qui a dévasté le marché anglo-américain. Pourquoi, au Québec, la loi
du livre, actuelle, n'est pas un rempart suffisant pour… contre ces pratiques?
M.
Chamaillard (Pascal) : Parce
que la loi actuelle ne prévoit pas de mécanisme relativement au prix de
détail. Par conséquent, c'est pour ça que les livres sont actuellement
vulnérables et peuvent être utilisés comme produit d'appel, comme «loss leader», et peuvent servir, par
exemple à Amazon, pour venir s'emparer du marché le jour où ils vont
décider de faire une vraie guerre de prix
sur notre marché, comme ils l'ont fait au Royaume-Uni, aux États-Unis, et où, à
l'heure actuelle, ils ont une position qui a mis en péril tout l'écosystème du
livre de manière moindre que ce que ça pourrait avoir lieu dans une société dont la langue n'est pas dominante. Parce que
c'est sûr que les dommages qui ont été faits dans le monde anglo-saxon
seraient beaucoup plus grands si... n'eût été de la position dominante de l'anglais
dans le monde, parce que
ce qui aide l'industrie de l'édition anglo-saxonne, c'est que c'est la
langue la plus pratiquée dans le monde, et ce qui a porté l'édition britannique et américaine au cours des 10, 15
dernières, c'est l'exportation partout dans le monde parce que c'est
la langue la plus usitée. En Asie, vous allez vous trouver des livres anglais.
Vous allez en Europe, vous trouvez du livre
anglais partout, dans des pays dont ce n'est pas la première langue. Alors, c'est
sûr qu'ils peuvent s'appuyer sur ce volet exportation sur lequel nous,
on ne peut pas s'appuyer.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
Merci.
La Présidente (Mme Vien) : M.
le ministre. Il vous reste un peu moins de trois minutes.
M. Kotto : Un peu moins de trois minutes. Merci, Mme la Présidente. Soyez les bienvenus, madame, messieurs. J'irai en rafale parce que j'ai quelques
questions. Quel est l'avenir du rôle de distributeur, avec
l'avènement du numérique, de votre perspective des choses?
• (16 h 40) •
M.
Chamaillard (Pascal) : Qu'un
livre soit papier ou numérique, il faut le distribuer, d'une manière ou d'uneautre. Par conséquent, l'édition est un
domaine tellement fragmenté qu'il faut des éléments qui canalisent
et qui catalysent les choses d'une
manière cohérente. Alors, le rôle du diffuseur-distributeur en est un souvent d'analyse
de marché, de prospectives, de
potentiel commercial et de promotion, de diffusion. Par conséquent, diffuser,
de manière physique ou virtuelle, ça demeure de toute manière un métier.
Serge, pourrais-tu…
M.
Théroux (Serge) : ...j'ajouterais qu'il y a trois ans c'est une question
qu'on se posait, nous, diffuseurs-distributeurs,
et, assez vite, il s'est défini un rôle très important parce que
la diffusion et la distribution du livre numérique nécessitent un
certain savoir-faire technique. Et il est plus facile, pour un diffuseur qui a
un ensemble d'éditeurs à défendre, de mettre en place les structures qui sont
aptes à desservir tous ceux... Puis, vous le savez, les clients, les revendeurs
numériques sont extrêmement exigeants, donc il faut répondre à des exigences
qui sont importantes, donc, plus que jamais on a un rôle à jouer. C'est-à-dire
que cette inquiétude-là a disparue. Et, quand même, il faut se rappeler qu'aujourd'hui le numérique, c'est
4 % du chiffre, par exemple, d'une maison comme la nôtre. Il y a quand
même 96 % des livres qui sont papier, et on s'appuie beaucoup sur ça aussi
pour même diffuser les numériques.
La Présidente (Mme
Vien) : Vous avez 30 secondes.
M. Kotto :
...30 secondes, oui, je... Voilà. J'en avais une dizaine, de questions. Bref,
en 30 secondes, je ne peux pas les
poser. Vous allez peut-être nous éclairer parce que vous êtes les acteurs les
mieux placés dans la chaîne pour nous éclairer là-dessus : Les
remises et les surremises, qui c'est qui les détermine?
La Présidente (Mme
Vien) : En 10 secondes, monsieur. Rapidement.
M. Théroux (Serge) : Bien, les remises, d'une part, la loi n° 51 prévoit une remise
minimum pour les librairies agrées, d'une
part. Et les surremises, bien, évidemment, dans un contexte comme celui-là,
avec des marges quand même relativement serrées, ce n'est pas toujours
évident, mais c'est le diffuseur, c'est sûr, qui met en place des grilles.
La Présidente (Mme
Vien) : ...
M. Théroux
(Serge) : Et avec des pressions de gros joueurs. C'est de ça aussi
dont on parle quand on...
La
Présidente (Mme Vien) : Je dois protéger le temps des uns et
des autres. Cher monsieur, je vous remercie infiniment. Alors, je cède
la parole à notre porte-parole de l'opposition officielle.
Mme
St-Pierre : Merci, Mme la Présidente. Alors, à mon tour de
vous souhaiter la bienvenue. Et je suis heureuse d'entrer dans mes
nouvelles fonctions de porte-parole de l'opposition officielle en matière de
culture en entrant dans cette commission parlementaire.
Sachez
que c'est une question évidemment qui... sur laquelle nous nous sommes penchés
lorsque j'étais dans une autre vie,
et, évidemment, c'est une question qui est préoccupante, l'avenir des petites
librairies. On voit que la situation n'est pas rose. Elles ferment leurs
portes régulièrement.
Et
ma question est sur la question... sur le phénomène évidemment d'Amazon. Comment ce prix... moi, j'ai toujours préféré l'expression «prix équilibré»,
vous le savez, mais parlons du prix unique. Comment on pourra contrer un phénomène d'une compagnie qui est située à l'extérieur
du Québec, et le citoyen qui est sur son iPad, puis qui reçoit son livre
par Internet? Est-ce qu'on n'arriverait pas un peu tard, une fois que le feu
est pris, là?
M. Chamaillard (Pascal) : Alors, la réponse est relativement simple, en ce
sens que, bon, d'une part, sur le plan juridique, il y a des avis sur la
question qui déterminent que l'extraterritorialité des lois est quelque chose
qui est maintenant balisé, donc c'est quelque chose qui peut se faire. D'ailleurs,
la preuve maintenant : Amazon, quand il vend quelque chose qui doit comporter de la taxe de vente provinciale,
il l'applique ou il la reverse, à ce que je sache, à moins qu'au
ministère des Finances il y ait des surprises, là… mais il le fait, il la
facture et il la reverse en fonction de l'adresse
de destination ou, dans le cas des fichiers numériques, en fonction de l'adresse
IP. D'après l'adresse IP, on sait de
quel pays la personne commande, et c'est en ce sens-là que, là-dessus, Amazon
respecte les lois existantes et suit ce qui est établi par l'État. Et il le fait donc dans les pays où il y a un prix
réglementé du livre; il le suit et il se plie aux règles du jeu.
Mme
St-Pierre : Donc, si je vous suis bien, on ne peut pas
plaider les nouvelles technologies ou les nouveaux modèles commerciaux
en disant que c'est impossible à faire, c'est-à-dire : quel que soit l'endroit
où on serait, où l'entreprise, entre guillemets Amazon, serait située,
la loi ou la réglementation du Québec s'appliquerait.
M. Chamaillard
(Pascal) : Tout à fait. Et, ça, c'est tout à fait réalisable et ça se
fait.
Mme
St-Pierre : Maintenant, sur la question de la période de
temps qui est suggérée, là — c'est une hypothèse, on parle de neuf mois, si je ne m'abuse — est-ce que vous ne trouvez pas que cette
période-là est un peu trop longue, si on se place dans la peau des grandes surfaces? Est-ce que vous ne
considéreriez pas qu'il y aurait peut-être une période plus courte à
établir pour faire en sorte que tout le monde puisse y trouver son compte?
M. Chamaillard
(Pascal) : Cette balise... Bon, il y a des lois beaucoup plus
contraignantes que le neuf mois. Il y a des pays où c'est illimité. Il y a d'autres
pays où c'est deux ans. Il y a différentes formules qui existent.
Nous,
on est arrivés, dans la profession, de manière consensuelle, après des
discussions, en prenant en compte les intérêts
des uns et des autres, à un compromis consensuel de neuf mois qui nous
paraissait pertinent eu égard au contexte nord-américain,
eu égard à notre réalité commerciale. On est arrivés à cette notion de neuf
mois. Il y a des gens qui souhaitaient plus, des gens qui souhaitaient un peu moins,
et on est arrivés à neuf mois.
Mme
St-Pierre : Et
vous êtes convaincus, dans toutes les recherches que vous avez faites, toutes
les discussions que vous avez eues,
tout ce que vous avez pu vérifier sur… observer dans d'autres pays, vous êtes
convaincus que c'est la façon de protéger les petites librairies, c'est
la seule et unique façon. Est-ce qu'il y a d'autres mesures qui devraient être prises par le gouvernement pour assurer l'existence
de ces petits commerces qui sont… Quand on connaît un libraire, il va nous suggérer des choses, on va établir une
relation avec lui ou avec elle, il y
a quelque chose qui s'établit.
Et les voir disparaître nous fait évidemment
très mal au coeur, mais certains vont vous dire : Les maréchaux… le
maréchal-ferrant est disparu aussi depuis longtemps. C'est la seule
solution? Parce que…
M. Chamaillard (Pascal) : Je vous dirais, d'une part, que ce n'est pas pour
protéger les petites librairies, c'est pour protéger la librairie, qu'elle
soit petite, de grosse… de chaîne. Quand on voit, dans le monde anglo-saxon,
les chaînes qui tombent : Barnes &
Noble qui a perdu son concurrent
direct, Borders… Il ne se porte pas mieux aujourd'hui, malgré tout : il continue d'enfiler les
déficits, trimestre après trimestre, et il va fermer, dans les
24 prochains mois, un autre 200 à 300 librairies. Donc, c'est
protéger la librairie en tant que telle.
Vous
me demandez si c'est la seule solution? Bien, en tout cas, c'est la seule
qui a été éprouvée, qu'on constate mondialement.
On constate mondialement que, dans le monde anglo-saxon où il n'y a pas de
réglementation, la librairie disparaît petit à petit et puis, dans les
pays où il y a des réglementations sur le prix, la librairie tient le coup. Il
y a trois fois plus de librairies per capita en France et en Allemagne aujourd'hui
qu'en Grande-Bretagne. Ça a donc… c'est net qu'il y a là un lien de cause à
effet sur une formule éprouvée.
Mme
St-Pierre : Les
grandes surfaces vont dire… enfin, les gens qui vont dans les grandes surfaces
l'ont dit, vous l'avez entendue certainement, cette remarque-là : Ce n'est pas ça qui va faire changer d'avis
quelqu'un qui achète un livre dans
une grande surface. Cette personne-là ne fréquente pas les librairies. C'est
une personne qui arrive, fait un achat spontané, comme ça, puis… la
plupart du temps. Vous pensez qu'il y aurait un transfert de ce client-là. Je
pense… mettons, le dernier John Irving sort,
je vais aller l'acheter à la librairie. Pendant un certain temps, le prix est
fixe, donc, les gens, pensez-vous qu'ils vont migrer vers les
librairies?
M. Chamaillard
(Pascal) : Alors, il est bien évident que l'achat impulsif demeure l'achat
impulsif. L'achat impulsif, c'est sur le coup, au moment, mais l'achat
réfléchi, lui, c'est autre chose, et l'achat réfléchi, c'est quand même une
portion non négligeable des achats. Alors, dans le domaine du livre, l'achat
impulsif est très important. Il y en a une
grosse portion, mais il y a aussi une portion des gens qui achètent de
manière réfléchie, et c'est sûr que certains se disent à l'heure
actuelle : Oui, je veux lire le dernier James Patterson, bien j'ai une
librairie au coin, mais je vais chez telle grande surface dans 10 jours,
deux semaines, je vais différer mon achat. C'est ceux-là qu'on peut déplacer un
peu.
Donc, oui, il y aurait
un effet de transfert de clientèle qui ne serait pas énorme, mais il y en aura
un léger, non négligeable, qui serait sûrement suffisant pour donner une
bouffée d'oxygène à beaucoup de librairies, y compris les chaînes. Mais il y a aussi… surtout, cette
réglementation-là empêcherait le tsunami d'une guerre de prix le jour où
elle va se déclarer. Le jour où Amazon
va se dire : Je réplique ce que j'ai fait dans le marché anglo-saxon sur
les petits marchés tel que celui du
Québec, puis là je vais vendre à perte pendant trois ans, le temps de vider le
marché de la librairie, et ensuite je remonterai
les prix, comme on constate actuellement en Grande-Bretagne où les prix
remontent... Puis qu'est-ce qu'ils font les éditeurs anglo-saxons? Ils
montent le prix de détail suggéré.
Je
vais vous donner un exemple. J'ai apporté ici l'auteur que je viens de citer,
James Patterson, en anglais. En français, ça, c'est un livre que je
distribue. Sur mon petit marché…
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci beaucoup…
M. Chamaillard
(Pascal) : …francophone…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Malheureusement, c'est
tout le temps dont nous disposions pour l'opposition officielle. Mme la députée
de Montarville, représentante du deuxième groupe d'opposition, vous avez la
parole.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, pour combien de temps?
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Deux minutes, Mme la députée.
• (16 h 50) •
Mme Roy
(Montarville) :
Oh! Merci beaucoup. Bonjour, Mme la Présidente. M. le ministre, collègues du gouvernement, première opposition, bonjour à vous
tous et, surtout, bonjour madame, messieurs. Merci d'être ici pour votre
mémoire et cette annexe de 400 pages, ici.
Écoutez,
je vais me faire l'avocat du diable. Nous avions avec nous M. Blaise
Renaud, de Renaud-Bray, qui disait que
c'était vraiment à votre niveau qu'on devrait revoir la chaîne du livre, au
niveau des distributeurs. Alors, je vous donne la permission de lui
répliquer : Qu'est-ce que vous lui répondez?
M. Chamaillard (Pascal) : Dans un premier temps, je tiens à préciser que
Renaud-Bray, jusqu'à ce que ce soit le fils
héritier qui prenne les rênes de l'entreprise, était pour une réglementation du
prix du livre. M. Blaise Renaud, dans son mémoire, critique beaucoup les mécaniques qui sont habituellement en
vigueur dans le domaine du livre. Mais, dans son mémoire, en page 2, il reconnaît que son entreprise a subi un essor
extraordinaire — je
crois qu'il parle d'un multiple de six
de son chiffre d'affaires au cours des 10 dernières années — alors,
c'est quand même un système qui, visiblement, l'a bien servi, d'un côté. Alors, je vois mal comment
il peut, d'un côté, avoir un tel succès, et, d'un autre côté, le
critiquer autant, ce système.
Mme
Roy
(Montarville) : Bien, il s'attaquait principalement
aux distributeurs, justement. Alors, je vous donne l'occasion de vous
défendre.
M. Chamaillard
(Pascal) : Bien, c'est parce que…
M. Prieur (Benoit) : En réalité, comment… C'est une thèse que Blaise Renaud défend, mais, en
réalité, comment un libraire pourrait
commander des livres en France auprès de 2 000 éditeurs? Parce que c'est
ça qu'on fait : on importe des livres
provenant de France, de 2 000 éditeurs. Gérer les importations, gérer
les exportations, c'est totalement irréaliste, c'est totalement
irréaliste pour… même pour une grande chaîne comme Renaud-Bray. Peut-être
pourrait-il le faire pour certains types de livres mais pas pour l'ensemble de
la production.
Donc, la
thèse qui a été présentée par Blaise Renaud, elle est unique, en réalité. Je
pense qu'il est le seul à défendre cette thèse-ci; vous pourrez vérifier avec d'autres
libraires ou avec des éditeurs. Personne ne remet…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup. Je suis
vraiment désolée. Mme la députée de Gouin, vous avez la parole.
Mme David :
Merci, Mme la présidente. Bien, écoutez, j'avais prévu une autre question, mais
je suis d'un naturel très curieux, alors,
moi, j'aimerais entendre monsieur avec sa démonstration et puis ses deux
livres. Donc, je vous donne…. je vous laisse…
M. Chamaillard (Pascal) : Merci, madame. Donc, James Patterson, auteur
anglo-saxon à succès de best-sellers. Nous,
en français, sur notre petit marché, avec donc un petit tirage, une traduction,
on le met en vente à 29,95 $. Je suis passé chez Indigo acheter un James Patterson. Combien je l'ai payé?
31,99 $. Il y a quelque chose de problématique dans le système
anglo-saxon à l'heure actuelle.
Mme David :
Est-ce que j'ai encore du temps?
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Oui, il vous reste environ 60 secondes.
Mme David :
Génial. Alors, en une minute, en 55 secondes, dites-moi qu'est-ce qui va se
passer dans le comportement du consommateur de chez Costco et comment le fait d'avoir
un prix réglementé va vous aider.
Une voix :
Je te laisse, Gilda. Veux-tu…
Mme
Routy (Gilda) : Le consommateur, chez Costco, celui qui ne va jamais
en librairie, il continuera à acheter le livre, quel que soit le prix,
parce que Costco pourra parfaitement dire : Bien, ce prix est 10 %
moins cher que celui que vous voyez en
librairie. Et, comme le disait tout à l'heure Pascal, c'est le client qui va
chez Costco et qui va chez son libraire
qui, s'il passe devant sa librairie, le livre qu'il veut acheter, le
best-seller dont il a entendu parler à la télévision, à la radio, il ne fera pas un détour pour aller l'acheter,
il l'achètera chez le libraire de son quartier ou même sur Internet,
parce que, comme on le disait tout à l'heure, Amazon...
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci beaucoup. Je suis…
Mme Routy
(Gilda) : C'est extraordinaire de s'arrêter au milieu d'une phrase!
Des voix :
Ha, ha, ha!
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Oui. Madame, messieurs, merci. Je vais
vous poser une question : Si les
parlementaires présents à la commission désiraient... parce que, comme nous
manquons de temps, vous envoyer des questions, est-ce que vous voudriez
bien pouvoir leur répondre?
Mme Routy
(Gilda) : Absolument, envoyez-nous des questions.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Parfait. Merci beaucoup. Nous allons
suspendre pour permettre aux autres intervenants de prendre place.
(Suspension de la séance à 16 h 54)
(Reprise à 16 h 55)
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous reprenons nos travaux. Messieurs,
bienvenue à l'Assemblée nationale.
Nous recevons la Fondation
Lucie-et-André-Chagnon. Je vais vous demander, monsieur, de vous présenter, M. Chagnon, de présenter également la personne qui
vous accompagne. Et vous allez disposer d'un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Par la suite
suivra un échange avec les membres de la commission. La parole est à
vous.
Fondation
Lucie-et-André-Chagnon
M. Chagnon
(Claude) : Merci, Mme la
Présidente, M. le ministre, MM., Mmes les députés. Bien, mon nom est Claude Chagnon, comme je
dis souvent, de la fondation du même nom, et je suis accompagné de François
Lagarde, vice-président Communications également à la fondation.
Merci,
d'entrée de jeu, de nous avoir invités à ce débat intéressant. Je pense qu'on va peut-être ouvrir un chapitre différent — pour
ne pas faire de jeu de mots — présenter
une position de gens qui sont souvent peu représentés dans les débats
publics : les jeunes, les enfants.
Alors,
pourquoi ça nous intéresse d'être ici? Bien, je pense que vous le
savez : la fondation se consacre à une cible qu'on appelle la
réussite éducative des jeunes Québécois, donc dans l'objectif de prévenir la
pauvreté, d'en faire des adultes autonomes économiquement et intégrés
socialement plus tard, et qui pourront transmettre ces mêmes valeurs à leurs
enfants. Et nous portons évidemment une attention particulière aux milieux
défavorisés qui, sans être le seul déterminant...
il y a un lien évident avec une sous-scolarisation et la pauvreté qui s'ensuit.
Donc, si nous sommes ici, dans ce contexte-là aujourd'hui, c'est pour
vous parler de l'importance, à nos yeux, d'assurer l'accessibilité aux livres
jeunesse aux jeunes Québécois.
Comme
vous le savez, nous avons un partenariat avec le gouvernement, qui s'appelle
Avenir d'enfants, et dont la mission
est d'assurer l'entrée scolaire réussie de nos jeunes. D'ailleurs, demain, il y
aura des grands résultats d'une enquête qui a été faite à l'échelle de la province à ce sujet. Donc, nous sommes
associés au gouvernement pour soutenir, dans les regroupements locaux,
les efforts, auprès des enfants et de leurs parents, d'une stimulation précoce.
Ces intervenants dans toutes ces
collectivités et des experts en développement des enfants sont unanimes sur l'importance du livre dans le développement des
tout-petits. Le livre dès le plus bas âge apporte de nombreux bénéfices en ce qui a trait au développement affectif,
langagier, moteur et cognitif des enfants, et qui est précurseur donc d'amélioration
des résultats scolaires.
Depuis
2012, nous avons orienté notre campagne sociétale, qui existe quand même depuis
maintenant quatre ans, sur la… donc
nous l'avons orientée sur la promotion du livre comme meilleur jouet des
tout-petits. Alors, je vais demander à François Lagarde de vous résumer
les actions que nous avons menées dans ce domaine.
• (17 heures) •
M. Lagarde
(François) : Très bien.
Alors, la campagne sociétale de la fondation a été lancée en 2009. Au
début, vous allez vous souvenir, on
valorisait beaucoup le rôle des parents. Il y a eu une annonce assez reconnue,
là, c'est un parent dans un théâtre. On a évolué vers des gestes
concrets que les parents pouvaient adopter pour la stimulation de leur enfant parce que, les parents, c'est ça qu'ils
nous demandaient : Qu'est-ce que je peux faire concrètement? Et ça a
tellement bien marché que, quand on a
demandé à des regroupements locaux de partenaires, organismes communautaires,
CSSS et CPE, quel est le geste qui serait le
plus porteur pour le développement des enfants, on nous a parlé du livre. L'an
dernier, vous vous rappelez peut-être d'une campagne qu'on a faite, une vaste
campagne publicitaire à la télé, qui mettait en scène des parents qui jouaient littéralement avec leur enfant et un
livre. On a aussi des dossiers Web, on a un magazine, Naître et grandir, qui est distribué en 250 000 copies dans
les CPE, bibliothèques québécoises. On a même produit un livre qu'on a
distribué dans les milieux défavorisés, ou les secteurs de défavorisation, via
des organismes communautaires Famille, les
bibliothèques et même des commerces pour aller au-devant des gens dans leurs
milieux de vie. Et on a eu un partenariat
avec la fondation pour l'alphabétisation autour de La lecture en cadeau pour
favoriser la distribution de livres aux enfants 0-4 ans en milieu défavorisé. On a ainsi plus que doublé la
portée de ce programme-là dans les milieux défavorisés.
M. Chagnon
(Claude) : Donc, dans ce
contexte, vous comprendrez que notre perspective sur la réglementation
du prix de vente des livres neufs s'inspire
essentiellement sur l'idée que le livre doit être accessible au plus grand
nombre, en s'assurant que c'est le cas aussi, et surtout, dans les milieux
défavorisés.
Donc, plus
précisément, là, sur l'accès territorial, nous soutenons les mesures qui vont
favoriser l'accès du livre jeunesse dans les services de garde, le
milieu scolaire, les bibliothèques, les librairies et aussi le dynamisme de la production et la diffusion du livre jeunesse québécois
tel que nous l'avons décrit dans notre mémoire. Et ça a été une étude intéressante, on a découvert un monde en
effervescence. Donc, on peut être très fiers de ce domaine-là ici, au Québec.
Donc, sur le deuxième point, c'est celui de l'accès
économique au livre. Donc, on n'est pas des experts en économie, mais, en général, il est reconnu que l'élasticité de l'offre
et la demande a ses limites et qu'une augmentation du prix pourrait décourager l'achat d'un bien ou d'un
service. Alors, nous croyons qu'il serait important d'évaluer l'impact, de façon sérieuse, de mesures qui… ou l'impact qu'auraient
des mesures sur la réglementation du prix du livre en termes d'accès aux
jeunes et aux familles défavorisés. Voilà.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci, messieurs. Vous allez avoir plus de temps pour pouvoir échanger avec les
parlementaires. M. le ministre, vous avez la parole.
M.
Kotto : Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Chagnon, M. Lagarde, soyez les bienvenus à cette commission
et merci pour votre contribution. Je vais y aller rapidement avec mes
questions.
Vous ne
prenez pas position clairement, à savoir s'il faut légiférer ou non à l'effet d'imposer
un prix plancher sur le livre neuf, mais vous insistez cependant sur le
fait qu'il faille faire des études préalables, avant d'adopter, en toute hypothèse,
une telle mesure, relativement aux impacts qu'elle pourrait avoir auprès des
familles défavorisées. Nous disposons, au Québec,
d'un vaste réseau de bibliothèques publiques, donc un accès assez facile. Est-ce que
ça n'est pas… hypothèse où on
réglementerait évidemment, est-ce
que ça ne serait pas une réponse pour
ces familles défavorisées là?
M. Lagarde (François) : Oui. Ce que
je pourrais vous dire, c'est : en préparant le mémoire, on a consulté l'Institut de la statistique du Québec pour justement voir deux choses, c'est-à-dire l'accès au livre ou l'achat du livre parmi les familles défavorisées, puis la donnée n'existe
pas facilement, je vous dirais, et la même chose pour les bibliothèques.
Le défi qu'il y aurait, dans certains milieux, c'est qu'il y a des parents
faibles lecteurs qui n'ont pas le réflexe d'aller à la bibliothèque. Alors, ce qu'on dit, nous, c'est : On n'est pas
des experts de l'économie du livre. Il
y a une quadrature du cercle, c'est-à-dire qu'on est très conscients que, dans certains
milieux, surtout en région, la perte d'une librairie est une perte d'accès
territoriale qui nous préoccupe, nous aussi. C'est autour de l'accès
économique. On se demande… Puis on n'a pas vu d'études sur l'impact de la
mesure sur les clientèles ou les groupes plus défavorisés et ce qu'on… on vous
sensibilise au fait qu'il faudrait peut-être regarder ça et voir à ce qu'il y
aurait des aspects des mesures qui protégeraient ces milieux-là.
M. Kotto : J'anticipe votre
réponse relativement à la question que je vais vous poser. Est-ce qu'une
réglementation risque d'avoir des répercussions sur les habitudes des consommateurs
du livre, selon vous, selon votre perspective des choses?
M. Lagarde
(François) : Ce que je vous
dirais, c'est : en cherchant la statistique sur les acheteurs en milieu
plus défavorisé — on ne dit pas qu'ils n'en achètent pas, ils
peuvent en acheter — on
présume que ceux qui achètent le livre pourraient être plus affectés que
n'importe quel autre segment de la population d'une réglementation qui
maintient le livre plus haut. Il est facile
de savoir… Pour une famille avec deux enfants, 30 000 $, ça passe
vite dans autre chose que le livre,
alors, si on augmente le prix du livre, on peut présumer que ça va les
affecter. Mais on n'a pas les données, nous, et on ne les a pas trouvées
ni à l'Institut de la statistique du Québec ou en faisant une recherche
documentaire sur cette question-là. Et c'est à ça qu'on vous sensibilise, on
pense qu'il serait souhaitable de s'en préoccuper.
M. Kotto :
O.K. Là, je vais vous amener… Ça va être ma dernière question parce que je vais
laisser de l'espace-temps à mes
collègues. La promotion du livre auprès de la jeunesse, ça, c'est une de vos
marottes. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Quelles sont les
avenues que vous privilégiez dans vos approches?
M. Chagnon (Claude) : Écoutez — François
pourra sûrement compléter — je pense qu'on n'est pas les seuls, loin de là, à avoir cette préoccupation, cette promotion auprès des
jeunes, donc on veut jouer le rôle plutôt d'aider aussi, d'être un catalyseur auprès de tous ces joueurs, d'où,
comme François le mentionnait, l'association avec la Fondation pour l'alphabétisation,
etc. Je pense qu'il est important de converger les efforts des différents
joueurs dans la société, à se sensibiliser à
cette importance du livre pour le tout-petit. C'est un jouet, au départ, même
quand il ne sait pas lire, il ne sait pas parler encore. Alors, je pense
que tous, de travailler ensemble dès le plus jeune âge d'un enfant, c'est d'assurer
un meilleur développement.
M. Lagarde
(François) : Puis j'ajouterais,
M. le ministre, qu'il y aussi tout le travail qui se fait à l'échelle
locale, par des regroupements d'organismes
communautaires Famille, par des CSSS, par des CPE, en développement
langagier. Et ce qu'on fait, nous, à la fondation, autour de la campagne, est
en appui au travail, puis notamment du travail de terrain qui est soutenu par
Avenir d'enfants, comme vous le savez, qui est un projet entre le gouvernement
et la Fondation Lucie-et-André-Chagnon.
Donc, il y a l'action de campagne, mais il y a aussi l'action dans les milieux
de vie qui est essentielle à la promotion du livre et dans une
perspective de développement langagier des enfants.
M. Kotto : Merci.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs.
J'ai
cru entendre… Vous me corrigerez si j'ai mal entendu. Vous semblez dire que la
réglementation du prix du livre pourrait faire augmenter le prix du
livre, alors qu'il y a des intervenants, qui viennent ici, qui sont venus nous dire :
Souvent… il y en a plusieurs qui sont venus nous dire qu'au contraire, si ton
prix est réglementé, le prix va être régularisé,
alors que, si tu laisses le prix de libre marché, ça fait… à la longue, le prix
du livre augmente. Alors, j'aimerais connaître votre réflexion sur ces
deux… C'est deux choses qui s'opposent, là.
M. Chagnon
(Claude) : On a choisi, en tout cas, de ne pas explorer cet élément-là
pour l'instant. On a entendu différentes choses comme vous. C'est parce que ce
qui est important, c'est de s'en préoccuper. Ce que j'ai entendu : il peut y avoir un moment où le
prix va baisser pour mieux l'augmenter plus tard, là. Alors, je pense que
c'est une question qui doit embrasser plus qu'un élément dans
sa solution, là, mais je ne pourrais pas répondre directement à une question.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Et donc vous n'êtes pas
nécessairement d'avis que le prix va monter automatiquement si on
réglemente le livre, là, vous n'êtes pas… ça, dans votre pensée, O.K. Parce que
j'ai cru comprendre dans vos propos que, si on réglementait, le prix
augmenterait, donc ça permettrait… ça ne favoriserait pas les gens, les personnes défavorisées ou les familles défavorisées. C'est
dans ce sens-là que ma question était posée. Mon collègue?
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : M. le député de Bonaventure.
M.
Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs. Est-ce qu'à
votre avis le livre numérique a les mêmes effets sur le développement de
l'enfant que des livres traditionnels? Est-ce qu'il y a une différence au
niveau de la question des compétences langagières, etc.?
M. Lagarde (François) : Je peux vous dire qu'on a demandé à des experts,
en préparation pour la campagne, et, de façon générale, il y a un
penchant favorable pour le livre physique, notamment à cause de l'interactivité
du parent avec l'enfant lors du jeu avec le livre. On ne parle pas de lecture à
six mois, là, mais il se passe quelque chose dans la manipulation, l'enfant le met dans sa bouche, il le lance par terre. Et
ce qui se passe, à interagir avec le parent, même sur le plan physique,
il est favorisé par le livre physique.
Il y a une autre
perspective aussi qui s'ajoute à ça, celle plus des gens de santé publique, par
exemple, qui découragent l'écran sous toutes ses formes avant l'âge de deux
ans, ou en tout cas de le contrôler, et vous avez déjà vu des jeunes enfants sur un iPad, comment ça peut être multitâches
rapidement et passer d'une activité à une autre. Alors, je ne suis pas…
on n'est pas contre le livre numérique. Ce qu'on se fait dire par les experts,
c'est : comme premier contact avec… pour la lecture, un livre physique est
une bonne… une meilleure idée.
M. Roy :
Donc, pour la réussite éducative, vous considérez que le livre traditionnel est
avantagé sur la tablette numérique?
• (17 h 10) •
M. Chagnon (Claude) : Bien, tout à fait parce qu'au départ c'est un jouet, avant qu'il sache
lire. Alors, lorsqu'il saura lire
puis qu'il aimera… il aura le goût de lire, il pourra acheter tous ceux qu'il
veut sur l'Internet, là. Mais, au départ, les premiers contacts, et on parle,
nous, du livre jeunesse, donc des tout jeunes, je pense que le livre physique
est essentiel.
M. Lagarde (François) : Ce qui est intéressant… Ce que je peux
vous dire, c'est : Autant chez les mères que les pères… Chez les
pères, c'est incroyable comment notre campagne a eu un succès… autant chez les
mères que les pères, autour de la publicité
mettant en scène un père, un livre : voici une occasion très simple de s'impliquer.
Donc, les mères nous ont dit qu'elles sont très contentes qu'on ait mis
en scène un père qui s'implique par le livre, qui est un jeu. Je veux juste
vous dire : Ça a été assez important.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de
l'Acadie.
Mme
St-Pierre : Merci, Mme la Présidente. Bienvenue à cette commission. Je veux aussi vous
féliciter pour le travail que vous faites dans cette tâche que vous
avez, cette mission que vous avez de favoriser l'accès au livre chez les
jeunes, chez les enfants.
Nous sommes à étudier
cette question qui est celle d'un prix unique et de comment on peut essayer de faire
en sorte que les librairies puissent survivre. Je pense, c'est ça,
la grande question. Vous avez parlé… Et vous ne
voulez pas vraiment vous impliquer dans
le débat, c'est-à-dire savoir… vous ne nous dites pas que vous êtes
pour, vous ne nous dites pas que vous
êtes contre. Mais vous avez mentionné dans votre présentation la perte d'une
librairie, par exemple. Lorsqu'une
librairie ferme, comment c'est ressenti? Est-ce que les parents vont se tourner
tout naturellement vers la bibliothèque ou si, finalement, ça les coupe d'une
source d'approvisionnement puis ils n'iront pas… Moi, je serais tentée de
penser qu'ils vont se tourner naturellement vers la bibliothèque. Mais je
comprends que les personnes qui sont dans les milieux défavorisés n'ont pas
toujours les sous pour acheter des livres, même si elles veulent acheter des
livres, puis votre domaine, c'est les milieux défavorisés, mais il reste que
vous ne pensez pas que ces personnes-là vont se tourner plus vers la bibliothèque?
M. Lagarde
(François) : En fait, je pense que les sources de livres sont
multiples. On a, dans notre mémoire, des statistiques qui sont assez
encourageantes sur le nombre de jeunes, la proportion de jeunes qui vont à la bibliothèque
et qui sont membres, même. Donc, il y a un segment de jeunes qui y vont assez systématiquement.
Maintenant, l'accès au livre, et surtout pour les tout-petits... Ils ne planifient
pas ça trois semaines d'avance, de lire, donc ils sont aussi dans l'impulsivité du moment. On le sait, que les parents
de jeunes enfants, de tout-petits de quelques mois d'âge,
six à 18 mois, qui nous intéressent, choisir d'accéder au livre, c'est quelque chose qui se décide en cinq minutes, ce n'est pas… donc il faut qu'il
y en ait dans la maison. Alors, il y a
différentes façons d'en mettre dans la maison : il y a les bibliothèques, il y a l'achat, il
y a le don. Donc, ce qu'on se dit, nous, on a été invités par la commission, on
n'est pas des experts, je veux dire, de l'économie
du livre, on est surtout là pour… et, dans
le même sens de l'intervention plus tôt, si, de
façon contre-intuitive, les mesures
font augmenter le livre, on s'en préoccupe autant. Donc, on n'est pas pour
ou contre. C'est dans ce sens-là qu'on n'a pas pris position sur la mesure particulière, parce qu'on n'a pas les données pour nous permettre d'être certains des
incidences éventuelles de la mesure. Ceci étant, on vous incite à vous y
attarder.
M. Chagnon
(Claude) : Mais on peut présumer, par exemple, que vous devez
considérer — dans
l'équation, là, d'une décision qui ne sera
pas facile à prendre — que
le livre-jouet du petit, ce n'est pas un livre qu'on peut emprunter et remettre parce
qu'il se le met dans la bouche, et
tout ça, donc qui lui est personnel. Alors, il y a une certaine catégorie
de livres qui ne pourrait pas se retrouver en bibliothèque.
M. Lagarde
(François) : Il y aurait d'autres problèmes, de santé publique.
M. Chagnon
(Claude) : Oui.
Mme
St-Pierre : Est-ce qu'à
votre connaissance les grandes surfaces vendent beaucoup
de livres pourenfants, pour les
tout-petits, ou si les grandes surfaces vont plutôt vers des grands
vendeurs comme des biographies très, très médiatisées ou des romans très
médiatisés, des livres pour adultes?
M. Lagarde
(François) : On n'a pas la donnée. On peut présumer qu'ils vendent
aussi du livre jeunesse plus populaire ou à succès. Je pense que le réflexe est
probablement le même.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Nous allons maintenant du côté de Mme la députée de Montarville, de la deuxième opposition. Vous avez la parole,
Mme la députée.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Chagnon, M. Lagarde. Merci
pour votre mémoire. Et, sans plagier ma collègue, j'aimerais, moi aussi,
également vous féliciter pour l'oeuvre de votre fondation. C'est excessivement important,
se soucier des petits.
Vous
parliez également de la Fondation en alphabétisation. Nous les
avons reçus ici, c'était très instructif, ce qu'ils nous ont dit. Et la
fondation craignait qu'au premier chef un prix unique du livre viendrait
pénaliser les familles les moins bien nanties. Vous en pensez quoi?
M. Chagnon (Claude) : Je pense qu'on peut inférer, en théorie, que ça peut les
affecter, mais on n'a pas, comme François le disait, là, pu sortir de
statistiques précises ou en retrouver à ce sujet-là.
M. Lagarde
(François) : Moi, j'ai parlé à Mme Mockle à quelques reprises au cours
de la dernière année, notamment dans le cadre de notre partenariat, puis on a
discuté aussi de la commission. La nature de nos préoccupations sont… est la même, c'est-à-dire : Est-ce qu'il y aurait un impact sur les enfants? Et la Fondation pour
l'alphabétisation et nous travaillons pour faire du livre un trait culturel des
Québécois.
Donc, tout ce qui va
favoriser le livre… C'est pour ça que je vous dis : De façon
contre-intuitive, quand des experts de la
mesure vous disent : Il y aura un effet, à moyen terme, d'augmentation du prix, si ça décourage le livre, on va être pour la mesure. Ce que je veux dire, c'est : On est surtout
préoccupés, alors, des effets beaucoup plus que la mesure elle-même, et c'est cet
éclairage-là… Donc, on va dans le même sens que la Fondation pour l'alphabétisation.
Mme
Roy
(Montarville) : Par ailleurs, on peut lire dans votre mémoire, et c'est intéressant, que les parts de marché augmentent
pour les livres jeunesse, ce qui est
une bonne chose. Selon vous, c'est dû à quoi? Malgré toute la
concurrence des grandes surfaces, les parts de ventes augmentent.
M. Lagarde
(François) : Ce que des éditeurs, des auteurs… On a travaillé d'ailleurs
avec une auteure pour la production du fameux livre, là. Si jamais vous voulez
une copie, j'en ai pour vous, pour vos enfants, vos petits-enfants, les enfants
de vos amis. C'est très important, l'ancrage culturel, même géographique, des
réalités exposées dans un livre. Parfois, il
y a le rêve des personnages, Chaminou, etc. Mais, dans le livre jeunesse, l'ancrage...
Par exemple, au Québec, qu'il y ait
des scènes d'hiver qui soient présentées dans les livres jeunesse, etc., c'est
très important dans le livre jeunesse. Nous-mêmes, on a été très
impressionnés par le nombre de livres dans les catégories dites
canadiennes-françaises, là, dans le Répertoire Gaspard. Moi, je pense que le
livre jeunesse a un ancrage géographique, nous semble-t-il, plus important que
pour le livre adulte.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci infiniment.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Mme la députée de Gouin, vous avez la parole.
Mme David : Merci. Bonjour.
Merci pour tout ce que venez de nous expliquer.
Et moi aussi,
je veux parler avec vous de la Fondation pour l'alphabétisation parce qu'en fait ce que j'ai compris, c'est que l'obstacle principal, dans le fond, à l'achat
de livres par des personnes qui sont dans des milieux très défavorisés,
évidemment il y a l'argent, mais ce que Mme Mockle nous disait, c'est : Il
y a l'obstacle culturel. Près de 50 % de la population du Québec a de la
difficulté à lire. On ne veut pas dire que les gens ne lisent pas du tout, mais
on va parler d'analphabétisme fonctionnel.
Et donc ce qu'on
comprend, c'est que, de toute façon, pour cette immense partie de la population
et leurs enfants, bien entendu, c'est
culturellement difficile d'aller acheter un livre. C'est pour ça qu'en fait…
Moi, j'ai envie de vous poser la question : Mais est-ce que le vrai
problème pour les gens en milieux très défavorisés, souvent moins instruits,
etc., c'est le prix du livre ou si le vrai
problème, c'est la pauvreté, c'est l'analphabétisme, c'est le faible niveau de
scolarité, et que donc il faut imaginer toutes sortes de solutions pour aider
les enfants et leurs parents?
M. Chagnon
(Claude) : Là, ça va prendre quelques heures pour répondre à ça, là.
Mme David :
Je pense qu'il vous reste une minute.
M. Chagnon
(Claude) : Mais je pense qu'il y a plusieurs facteurs, mais d'où l'importance,
comme le mentionnait François tantôt, du travail terrain. Il y a plein de… moi,
je les appelle les missionnaires, les experts, un petit peu partout, qui veulent… qui ont quand même cette connaissance et qui peuvent épauler ces parents-là, les sensibiliser à l'importance...
à leur permettre d'avoir accès à des livres ou autre chose et d'avoir comme
futur pas seulement : Est-ce que j'aurai de quoi à mettre sur la table
pour mes enfants demain matin?
Donc, c'est complexe comme situation
et c'est là où une communauté locale peut créer un environnement plus favorable à une jeune
famille, surtout en milieu défavorisé, parce que ceux qui sont en classe
moyenne ou favorisée, bien, ils sont
capables de s'organiser. Donc, c'est à la communauté locale d'organiser un environnement plus sain pour supporter ces parents-là et offrir, entre autres,
un jouet comme le livre à leurs enfants. Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci, messieurs. Nous allons suspendre
quelques instants pour permettre au prochain intervenant de prendre place.
(Suspension de la séance à 17 h 20)
(Reprise à 17 h 22)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Donc, nous reprenons nos travaux. Nous recevons
M. Marc Ménard. Bienvenue, M. Ménard.
Je vais vous demander de vous présenter et, par la suite, vous disposez d'un
temps maximum de 10 minutes. Suivra un échange avec les
parlementaires. La parole est à vous.
M. Marc Ménard
M. Ménard (Marc) : Merci, Mme la Présidente, mesdames et messieurs les députés, de me donner la
chance de vous offrir aujourd'hui une présentation.
Je
me présente très rapidement parce
que j'ai seulement 10 minutes :
Marc Ménard, effectivement, professeur à l'École des médias, économiste de formation, professeur, donc, depuis
2006. Auparavant, durant huit ans, j'étais à laSODEC à titre de chercheur économiste. Et je travaille dans le milieu culturel
depuis la fin des années 1980 et, dans le domaine du livre, j'ai bien
peur que ça fasse déjà une vingtaine d'années.
Très
difficile pour moi d'intervenir en 10 minutes sur un sujet aussi complexe, d'autant
plus qu'il y a déjà une très grande
quantité d'arguments qui ont été évoqués à la fois ici et certainement dans la
sphère publique. J'ai donc décidé de faire ma présentation en trois points,
plus précisément en réfutant trois arguments qui ont été présentés à l'encontre
de la mise en place d'un prix unique.
Le
premier argument consistait à dire que les grandes surfaces occupent en réalité
une faible place dans le marché. Bien,
si on examine les données de l'Observatoire de la culture et des communications
du Québec, c'est 73 millions
de livres qui sont vendus par les grandes surfaces. Sur un total de 678, ça
nous fait 10,8 %. De cela, il faut toutefois retrancher les livres
scolaires et didactiques; c'est un marché complètement à part. Donc, si on
retranche cette part de 105, 110 millions
environ, on arrive à 12,8 %, disons 13 % pour faire rond, part, donc,
qui est effectivement minoritaire, mais qui s'avère très importante dans
le contexte. Pourquoi? Parce que les grandes surfaces ont un assortiment qui souvent ne dépasse pas 200 à 300 titres, qu'il s'agit
souvent, à près de 100 %, de nouveautés, alors que, dans le réseau
des librairies, on parle plutôt de 65 %
à 70 % de nouveautés. On parle donc de titres à très forte rotation, c'est-à-dire
des gros vendeurs, ce qu'on appelle
des best-sellers. Le 13 % de part de marché, donc, détenue par les grandes
surfaces touche ce qui constitue le
segment de vente le plus lucratif pour les librairies, qui sont les commerces
dont la marge bénéficiaire dépasse très rarement 2 %, je vous le
rappelle.
De façon plus
générale, il est important aussi de rappeler un certain nombre de choses sur le
marché du livre. D'une part, il y a
30 000 nouveautés qui paraissent chaque année au Québec, dont un peu plus
de 4 000 qui sont des titres québécois,
mais il y a une très forte concentration des ventes sur quelques titres. D'après
des données provenant de l'étude sur
la mise en marché des nouveautés par le système de l'office, qui a été produite
en 2007, on peut ainsi constater que, sur l'ensemble des nouveautés, 11 % des titres s'accaparaient 64 %
des ventes, ce qui fait une très, très forte concentration.
Autre chose
importante à rappeler. Le livre, comme tout bien culturel, est un bien
symbolique, c'est-à-dire un bien qui est
porteur d'identité, de valeurs et de sens. C'est aussi un bien d'expérience. On
ne connaît pas la valeur d'un livre avant
de l'avoir lu. Ça crée donc, dans le contexte économique, d'importantes
difficultés : d'une part, pour le consommateur, une
très grande incertitude et une surcharge d'informations et, pour l'ensemble de
l'industrie du livre, également de l'incertitude
et la nécessité, donc, de mettre en place différents mécanismes de
signalisation pour faire connaître les livres.
C'est dans ce
contexte-là que le rôle de la librairie est très important. Pourquoi? Parce qu'elle
fait un rôle de présentation, de mise à
disposition et de promotion des livres, en plus d'agir à titre de conseillère et d'offrir un service de
recherche pour le consommateur. C'est donc une activité qui apporte une valeur
au consommateur parce que ça l'aide à choisir.
De
ce fait, le libraire, si vous me permettez l'expression économique,
produit une externalité positive et il produit de la valeur qu'il n'est
pas nécessairement capable d'entièrement monétiser si le consommateur est en
mesure d'aller chercher son livre ailleurs à
moins cher. Du coup, la grande surface va bénéficier de la valeur créée par leslibrairies — notamment pour la promotion de certains titres qui s'avèrent,
par la suite, avoir du potentiel commercial, pensons à une auteure comme Kim Thúy,
par exemple — en
mettant en marché seulement les titres qui ont un potentiel assuré ou qui sont déjà devenus, dans le reste du
système commercial, des grands vendeurs parce qu'elles ne font
aucune activité de signalisation et de
promotion. Ce n'est effectivement, comme on l'a dit, qu'un simple produit d'appel,
le livre, pour une grande surface.
Donc, pour la
librairie, ce 13 % des ventes vient gruger ce qui devrait être
normalement, pour elle, des ventes faciles
pour les titres à haut rendement et qui devraient justement lui permettre de
dégager des marges pour consacrer plus d'efforts
à la signalisation et promotion des titres à décollage plus lent ou d'accès
plus difficile. Si, donc, on élimine la concurrence sur les prix dans une vente finale, on va être en mesure de
recentrer la concurrence sur l'offre faite et la qualité du service. Donc, ça devrait permettre, un système
de prix unique, d'organiser un système de subventions croisées au niveau
du libraire où la marge réalisée sur les meilleures ventes pourra compenser les
pertes faites sur le reste de l'offre.
Deuxième argument, l'argumentation
stricte : prix unique égale hausse du prix moyen des livres égale
baisse des ventes. A priori, l'argument
semble solide, hein, ça relève du gros bon sens. C'est même, comme on le dit
souvent : N'importe qui ayant suivi un cours d'économie 101 sait ça.
Malheureusement, le gros bon sens, comme les cours d'économie 101, ne sont pas toujours des bons conseillers dans la vie
réelle. Je ne reviendrai pas ici sur la comparaison entre les
expériences françaises et anglaises — je pense que ça a été
abondamment documenté, notamment par les travaux de M. Fishwick, qui sont,
à mon avis, très convaincants — d'abord parce que c'est difficile aussi
de transposer une situation dans des contextes complètement différents. Donc,
on va essayer plutôt de raisonner sur la situation québécoise.
D'abord,
l'argument qu'une hausse de prix du livre se traduirait par une hausse du prix
globale et une baisse des ventes
repose sur la notion d'élasticité-prix. Je vous rappelle rapidement, une
élasticitité-prix mesure la variation de la demande en pourcentage induite par une variation de prix en pourcentage.
Si une hausse de prix, donc, de 10 % entraîne une baisse de la demande de 10 %, on va dire que
l'élasticité-prix est égale à moins 1. Souvent, on fait court puis on dit 1.
Dans le cas présent, toutefois, se reposer
sur des estimations d'élasticité-prix globales pour l'ensemble du marché du
livre, pour le cas présent, ça s'avère un non-sens, et ça, tant d'un
point de vue logique que statistique. Pourquoi? Parce que le marché du livre se caractérise par une très forte
segmentation de la demande pour des biens qui sont très différenciés, c'est-à-dire
différents les uns des autres, et ça, à la
fois aussi entre catégories, livres de cuisine par rapport à la littérature,
par exemple, ou au sein d'une même catégorie, littérature générale,
littérature jeunesse, ou même dans le temps; ce n'est pas la même demande à la période des fêtes, à l'hiver, qu'à l'été. Et
donc c'est important de savoir sur quoi s'appliquerait une hausse de
prix.
Or, comme le
mentionne l'étude de l'IRIS, qui a été déposée ici, et au contraire de ce qu'affirme
l'Institut économique de Montréal, et comme
on peut le vérifier sur Internet de manière assez rapide, les rabais actuels
sur le marché sont faibles et très concentrés : librairies
indépendantes, 4 %; chaînes de librairies, 0 %; les grandes
surfaces — nos
Costco, et Wal-Mart, et cie — 26 %; et les autres points de vente
de grande diffusion, 5 %. Je vais même aller plus loin. Si on prend la liste de meilleurs vendeurs qui a été utilisée par
l'IRIS, on regarde sur Amazon : rabais moyen, 12 %. On a aussi la situation des coops en milieu
scolaire : généralement, ça va être 10 %. On a une clientèle ici très
particulière : il faut être membre,
évidemment, de la coop et évidemment c'est des étudiants qui, généralement, n'ont
pas des revenus très élevés. Autre chose qu'on oublie souvent : les
cartes de fidélité. Mais, là encore, ça ne dépasse pas 10 %, en tout cas
les expériences personnelles que j'ai.
Bref, le segment qui
est vraiment touché ici, ce sont nos grandes surfaces, donc on en revient
encore à notre 13 % de marché. Et là,
si on applique mécaniquement les élasticités-prix globales, selon les
différents estimés qu'on a, à partir
d'une baisse de ventes de 21 %... pardon, une baisse des prix de 21… une
hausse de prix, pardon, de 21 % dans les grandes surfaces qui s'appliquerait,
donc, sur 13 % du marché, selon l'hypothèse Fishwick-IRIS d'une
élasticité-prix de 1, on obtiendrait une
baisse de la demande de 2,8 %. À l'opposé, une élasticité-prix de 1,47
nous mènerait à une baisse de la
demande de 4,1 %. Donc, entre 3 % et 4 %, selon les différents
estimés. Mais, à mon avis, cela, encore, c'est surestimé parce que ce
qui nous intéresse ici, c'est l'élasticité-prix des best-sellers, pas de tous
les livres.
• (17 h 30) •
Or, c'est quoi, un best-seller? Techniquement, c'est
un gros vendeur, mais ça recouvre des catégories très différentes de livres. Il faut poser un découpage en trois grandes
catégories. La première, les auteurs
très connus et appréciés, qui disposent donc d'une base de fans
importante : Michel Tremblay, Patrick Sénécal, Marie Laberge, Stephen King, Paulo Coelho, etc., ou, dans
certains cas, des vedettes qui viennent d'autres domaines, quand, par exemple, sort une biographie de Céline
Dion ou l'autobiographie de Janette Bertrand. Par définition, pour un fan — le
mot vient de «fanatique», d'ailleurs — il n'y a pas de substituabilité possible. Le
prix, donc, sera un facteur qui va jouer très peu. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que les produits
dérivés, dans le monde du spectacle, sont vendus d'abord et avant tout à
des fans. Donc, pour
cette tranche de livres, on a une très faible sensibilité au prix. En revanche,
il y a une substitution qui est possible entre librairie et grande
surface si on a un écart de prix important.
Deuxième grande catégorie, les effets de mode.
Tout le monde en parle, tout le monde veut connaître. Ça peut parfois être des feux de paille, parfois, l'auteur
peut se transporter dans la première catégorie, peu importe. Mais on peut penser au premier livre d'Harry Potter, le
premier Dan Brown, le premier Stephenie Meyer, ou le livre de recettes d'un grand cuisinier. Ce qui est en jeu ici, c'est
un effet de socialisation, qu'on appelle parfois «contagion sociale»,
donc, qui tourne beaucoup aussi sur le
bouche à oreille. Dans ce cas-ci, encore une fois, le désir de conformité et le
partage avec les autres vont abaisser l'effet du prix. La sensibilité
pour ce genre de titres va donc être plus faible que la moyenne.
On a enfin
une troisième catégorie, qui est un peu variée, un peu fourre-tout, je le
reconnais, qui est constituée de quoi? De livres pratiques, des livres
de cuisine, des titres saisonniers, des guides de l'auto, des guides du vin et
des dictionnaires ou des livres de psychopop et de croissance personnelle. Ici,
on va avoir une substituabilité qui est plus importante, d'autant plus qu'il
existe des substituts qui sont accessibles sur Internet et gratuitement. Donc,
pour ce segment-là, oui, on aura une sensibilité au prix qui sera peut-être
plus élevée.
En
conclusion, dans notre tranche dite de best-sellers, on a des auteurs connus,
avec une base de fans, et ceux pour lesquels les effets de mode et de
contagion sociale sont importants…
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci, M. Ménard. Je suis désolée, c'est tout le temps qui vous était
alloué. M. le ministre, vous débutez les échanges.
M. Kotto : M. Ménard.
M. Ménard (Marc) : Oui.
M. Kotto :
Bonjour. Soyez le bienvenu et merci pour la contribution. En liminaire, vous
avez dit que le sujet était complexe. Pourquoi?
M. Ménard (Marc) : Le sujet est
complexe parce que, bon, comme j'ai essayé de le montrer, il faut faire
attention à ce qui apparaît comme des évidences, un peu comme la règle qui dit,
bien, effectivement, donc : hausse de
prix égale baisse de la demande. Dans certains, quand il y a des effets de
structure qui se mettent en place à long terme, on arrive parfois avec
un résultat qui est contraire. Donc, il faut bien prendre la peine d'étudier
soigneusement et aussi d'étudier les structures précises, les caractéristiques
précises des biens qu'on examine dans ces cas-ci.
M. Kotto :
Ça m'amène à l'autre question. À l'instar des personnes qui vont ont précédé,
il y avait cette suggestion de tenir des études d'impact. Dans leurs
cas, c'était relativement aux familles défavorisées, d'autres ont suggéré que
cela se fasse globalement avant de procéder, si cela était l'intention, la réglementation.
Est-ce que
vous êtes d'accord avec l'idée d'approfondir sur le modèle québécois, avec la
spécificité des comportementsque
nous connaissons, de la réalité en matière de littéracie, d'analphabétisme et
aussi de certaines évidences anticipées, à l'effet que ce n'est pas parce qu'on va réglementer que, du jour au
lendemain, les gens vont quitter Costco ou Wal-Mart pour aller dans notre réseau de librairies
indépendantes? Est-ce que vous conviendrez qu'une étude, disons, plus fine,
qui serait, évidemment, empirique parce qu'on
n'a pas de précédents au Québec, serait… une étude comme celle-là serait
nécessaire préalablement, avant de procéder à l'adoption d'une loi,
éventuellement?
M. Ménard
(Marc) : Bien,
éventuellement, s'il y a effectivement trop de craintes qui sont exprimées et
que ça peut aider à réduire les craintes de certains, c'est toujours une
bonne chose de procéder à des études supplémentaires. Ce n'est pas nécessairement chose facile à faire, par contre, parce qu'on
est dans un domaine où, comment dire, les choses sont parfois un peu
molles, parce qu'on travaille beaucoup sur des intentions aussi. Donc, il faut
être en mesure d'essayer de se reporter sur des comportements réels.
Ça va me permettre de revenir là aussi, là,
votre question, sur le troisième point que je n'ai pas eu le temps d'aborder
puis qui prolonge, enfin, ce qui a été dit précédemment aussi, notamment les
problèmes de littéracie et le lien avec Club
Price. À mon avis, c'est un non-sens là aussi… Costco, pardon. Ça dénote mon
âge, malheureusement…
M. Kotto : C'est l'âge.
M. Ménard (Marc) : Par exemple, ici,
si on veut examiner ça plus en détail, on va dire : C'est qui, la clientèle de Costco? Est-ce que
c'est des familles pauvres? Ce n'est pas ce que je vois, moi, à Costco. C'est
généralement des familles souvent de… qu'on pourrait qualifier de classe
moyenne, sinon, même, de classe moyenne élevée, qui possèdent généralement un
certain niveau de culture et de revenu, des gens qui, possiblement, fréquentent
également aussi des librairies. Très peu de familles pauvres vont aller se
payer 50 $ d'abonnement à Costco ou vont pouvoir se permettre un
déplacement, soit en autobus, ou la voiture qu'ils n'ont pas. Donc, il y a un
lien ici qui est un petit peu biaisé, à mon
avis. Donc, si, effectivement, comme je disais, ça peut aider à démonter un
certain nombre d'arguments qui sont, en bout de ligne, fallacieux, bien,
des études, c'est toujours utile, bien sûr.
M.
Kotto : Est-ce que, de votre point de vue, il y a urgence d'agir,
notamment dans la perspective du sauvetage de notre réseau de librairies
indépendantes?
M.
Ménard (Marc) : Je dirais sans urgence, mais avec une certaine
précipitation, au sens que vouloir trop faire
vite, parfois, on finit par mal faire. Mais je pense que, oui, effectivement,
la situation est quand même relativement en péril, et donc de reporter
les choses à ultérieurement, à deux, trois, quatre ans, ce ne serait pas
vraiment une bonne idée, non.
M. Kotto :
Outre l'idée de légiférer sur un prix plancher afin, toujours, de sauver notre
réseau de librairies indépendantes, selon vous, est-ce qu'il y a d'autres
alternatives?
M. Ménard (Marc) : Oui, il y a une structure actuelle qui s'appelle la loi n° 51,
dont un des maillons — parce que c'est une
belle mécanique tissée serrée — consiste à s'assurer que les
bibliothèques publiques et scolaires font leurs achats auprès de libraires agréés. C'est un élément de la chaîne qui
pourrait être très bien renforcé, qui était d'ailleurs dans le projet initial de la loi en 1981, c'est-à-dire d'augmenter
substantiellement les budgets consacrés aux bibliothèques — je
crois que c'est un des petits bouts de la
loi initiale qui n'a jamais été vraiment rempli, des... qui n'ont jamais été
vraiment remplis — ça,
évidemment, de concert avec le règlement… la réglementation de la partie qui,
jusqu'à présent, est complètement libre, c'est-à-dire
celle sur le prix de vente final. Si on est en mesure d'ajouter des ressources
supplémentaires aux bibliothèques publiques et, surtout, aux bibliothèques
scolaires, dont l'état n'est pas en très bon état, justement, je pense que ce
serait une boucle qui permettrait de renforcer la situation, surtout en région,
d'ailleurs.
M. Kotto :
Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente.
Bonjour, M. Ménard. Merci de votre présentation. C'est probablement l'une des premières qu'on a,
détaillée, là, comme ça, là, avec une étude assez… sur tous les points.
M. Ménard
(Marc) : …ma troisième partie.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Alors, ça me plaît beaucoup. Je
voudrais mentionner qu'il y avait 4 000 nouveautés québécoises à
chaque année à peu près, là.
M. Ménard
(Marc) : 4 500.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : 4 000, 4 500. Mais j'aimerais
connaître quelle est la proportion de ces 4 000 là qui se retrouvent,
mettons, dans les grandes surfaces? Est-ce que vous avez une idée?
M. Ménard (Marc) : Oh! Ça, ça prendrait une étude précise, effectivement, de voir les
assortiments, qu'est-ce que qui est
effectivement vendu. Je n'en ai aucune idée. Ça doit varier d'un endroit à l'autre,
par exemple. Et une grande surface dans l'Ouest-de-l'Île va avoir un
assortiment relativement différent qu'en banlieue sud, par exemple, de Montréal. Mais ce qui est certain, c'est :
comme on parle d'un assortiment qui est relativement restreint, il y a quand
même peu de titres qui peuvent trouver leur place. Donc, il va y avoir une
certaine part de titres québécois, comme… On regarde
la liste des meilleurs vendeurs que publie régulièrement Renaud-Bray ou… je
cherche le nom, une autre grande chaîne dont le nom m'échappe pour l'instant,
mais… on voit qu'il y a quand même une bonne partie de titres québécois. Après tout, en littérature, on a une
part de marché de 40 % à 45 %. Donc, ça doit tourner peut-être proche
de ça, mais il faudrait voir.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci. C'était seulement ça, ma question.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de l'Acadie, vous
avez la parole.
Mme
St-Pierre : Merci. C'était fort intéressant. Et, si vous
aviez l'occasion de nous envoyer votre texte, ça nous ferait bien
plaisir de pouvoir poursuivre…
M. Ménard
(Marc) : Dans l'état actuel, ça serait difficile, mais…
Mme
St-Pierre :
…la lecture de votre conclusion.
J'aimerais que vous reveniez sur cette idée… Si j'ai
bien compris ce que vous nous avez dit, parce que vous parlez… quand
même, vous avez un bon débit, hein, n'est-ce pas?
M. Ménard
(Marc) : Bien, quand on a 10 minutes, on est porté à accélérer.
Mme
St-Pierre :
Oui, c'est ça. Vous avec parlé des fans, vous avez fait une référence à
«fanatiques». Donc, ce que vous nous dites, c'est que la personne qui va
aller… qui s'intéresse à la dernière biographie de quelqu'un de très connu — on peut parler de Mme Dion, ou Mme Bertrand,
ou, bon, Mme Dominique Michel — cette personne-là, le prix de ce
livre-là, ça l'importe peu. Ce qu'elle veut, c'est avoir le livre. C'est ça?
• (17 h 40) •
M.
Ménard (Marc) : Oui. Si on
part du principe que je suis un amateur inconditionnel d'un auteur, n'importe
qui, que ce soit Marie Laberge ou Stephen
King, j'attends son prochain livre avec un très grand intérêt. Et d'ailleurs je
serai le type qui va acheter le livre en format grand livre, et je n'attendrai
pas la version de poche qui va sortir dans un an, deux ans. Je n'ai pas le
temps, je ne veux pas attendre.
Ce qu'il y a… En fait, ce qui m'attire vers ça,
c'est un sentiment d'identification qui est très fort, donc je suis prêt à payer le prix, et souvent, même, je ne
regarderai pas le prix parce que, vraiment, c'est ce que je veux. Et d'ailleurs,
du point de vue des formes de concurrence, ça permet aux entreprises de faire
ce qu'on appelle de la discrimination des prix,
c'est-à-dire avoir, par exemple, des versions augmentées : quand on a un
DVD avec différents ajouts, le vendre plus cher en sachant qu'il y a une
certaine tranche de la population — nos fans — qui
vont être pris à aller acheter en déboursant un prix supplémentaire, ce que le
fan moyen ne fera pas, ou le lecteur moyen ne fera pas.
Mme
St-Pierre :
Et ça, cette tranche de population là, c'est le marché le plus important pour
ces grandes surfaces, qui vendent surtout des best-sellers.
M. Ménard (Marc) : Ça en fait une
grande partie.
Mme
St-Pierre : Ce
sont des fans.
M. Ménard (Marc) : Ça en fait une
grande partie parce que, quand on regarde la liste… si vous prenez la liste de l'IRIS — je ne
l'ai pas avec moi exactement — des titres… des best-sellers, bien, on
retrouve effectivement Paulo Coelho,
Dan Brown puis… je ne me souviens plus, mais il y en a plusieurs. Donc, ça
représente toujours une certaine part
quand même importante de ce qui est notre noyau de très gros vendeurs, dans
lequel vont puiser les grandes surfaces.
Mme
St-Pierre :
Alors, vous avez parlé de la bonne chose que fait la loi n° 51 sur la
question des agréments, ça a quand même aidé considérablement. Vous avez
dit tout à l'heure, à la question de M. le député de Saint-Hyacinthe, qu'il
fallait agir, là, il faut se presser parce qu'attendre quatre, cinq ans ça pourrait
être dramatique. Vous l'évaluez comment, là, le moment d'agir? Il faut agir
maintenant? Il faut agir l'année prochaine? Il faut agir tout de suite? Vous le
situez où?
Et est-ce qu'il
y a d'autres mesures… Je reviens à cette question-là : Est-ce qu'il y a
autre chose qui pourrait être soit ajouté pour assurer cette vitalité
des libraires, des librairies indépendantes, ou si seule la question du prix
unique est vraiment la solution? Autrement dit, est-ce qu'il pourrait y avoir
un amalgame de mesures?
M. Ménard (Marc) : Ce n'est pas la…
Oui, bien, ce n'est jamais la solution ultime, évidemment, je ne vous
raconterai pas d'histoires là-dessus. C'est un élément qui pourrait s'avérer
très important, entre autres, à la fois d'un point
de vue dynamique parce qu'il y a une possibilité, donc, d'avoir un certain
transfert, quand même, de ventes, qui viendrait renforcer la position de
certaines librairies. Et d'autre part, aussi, c'est une forme de verrou qui
préviendrait toute forme de concurrence
sauvage, qui pourrait être lancée à peu près n'importe quand, et ça, on est
incapables dele prédire. Comme ça a
été mentionné tout à l'heure, ça pourrait venir éventuellement d'une grande
chaîne, même, québécoise et ça
pourrait venir aussi d'Amazon, le jour où ils vont décider que le petit
marché québécois… bien, quand même, un petit sac de pinottes, c'est mieux que rien du tout. Donc, l'aspect urgent, il
est là dans le sens que, si on savait l'avenir, on pourrait peut-être se
dire qu'on peut attendre un peu, mais je ne pense pas qu'on puisse se permettre
de prendre ce risque-là.
Par contre,
comme je l'ai affirmé tout à l'heure, à mon avis, la meilleure combinaison
possible, ce serait… dans un monde idéal où on aurait les fonds
nécessaires, évidemment, ce serait à la fois de mettre en place un mécanisme de
prix unique et d'augmenter autant que possible les ressources qui sont
dévolues, d'autre part, aux bibliothèques à la fois publiques et scolaires. Ça bouclerait vraiment la boucle, à mon
avis, en plus d'affecter la question de la littératie, le problème de la
littératie.
Mme
St-Pierre :
Pour revenir à notre fan fini, là, est-ce que lui… Neuf mois, c'est trop long,
en fait. Est-ce qu'on pourrait dire que la barrière se lève au bout de
trois mois ou de cinq mois?
M. Ménard (Marc) : Pour un fan, neuf
mois, c'est très long, c'est très long.
Mme
St-Pierre : Le
fan, lui, il veut l'acheter tout de suite, là.
M. Ménard
(Marc) : Le fan, il a
préagi. Il va le précommander chez Amazon six mois d'avance, si on lui
annonce six mois d'avance que le livre sort. C'est ça, un fan. Neuf mois, c'est
trop long pour lui.
Mme
St-Pierre : Non,
ce que je veux dire, c'est que, s'il y a un prix unique et qu'au bout d'une
période de neuf mois on permet d'avoir des rabais importants, de toute façon,
neuf mois, c'est trop long, si je comprends bien.
M. Ménard (Marc) : Bien, c'est-à-dire,
le fanatique va vouloir l'acheter tout de suite, lui.
Mme
St-Pierre : C'est
ça, alors…
M.
Ménard (Marc) : Donc, le…
Bien, il y a toutes sortes de degrés de fanatiques, évidemment. Je fais un
trait un peu grossier ici. Mais, si on prend
l'exemple extrême du vrai fanatique, celui qui va être pris à précommander six
mois d'avance, c'est le même qui couche sur la rue devant le Centre Bell, ou
ici, à Québec, de toute façon. Lui, pour lui, neuf
mois, non. Effectivement, c'est à lui que ça s'applique, cette période de neuf
mois où on n'a pas le droit d'avoir de rabais
parce que lui, de toute façon, le rabais, il s'en fout, il veut le livre. Donc,
c'est à lui que ça s'adresse, effectivement.
Mme
St-Pierre : Alors,
les grandes surfaces feraient plus d'argent avec un prix unique?
M. Ménard
(Marc) : Ah! Si… Elles vont
être encore en mesure de faire un rabais de 10 %, donc elles ne
vont pas… Évidemment, leurs ventes ne
disparaîtront pas complètement. Ce qui est difficile à prévoir, c'est dans
quelle mesure, par exemple, une
chaîne de librairies, voyant que le rabais passe de 26 % à 10 %, va
considérer que c'est dans le… comment dire,
l'écart où il peut aller jouer, donc offrir un peu plus de rabais, sans
dépasser 10 %, et donc, là, peut-être entrer encore plus en
compétition. Donc, peut-être, il pourrait y avoir plus de transfert, mais ça n'éliminera
pas, évidemment, complètement les ventes, ça, c'est certain.
Mme
St-Pierre : Merci
beaucoup.
M. Ménard
(Marc) : ...parce qu'il y a un grand facteur d'impulsivité : on achète une livre de steak
haché, on voit un livre, on le prend. Évidemment, ça tient toujours.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. M. le député de la Jacques-Cartier.
M. Kelley : Oui. Merci beaucoup, Mme la
Présidente. À mon tour, merci beaucoup pour la présentation, M. Ménard.
Est-ce que
nos librairies font assez pour vendre les livres en ligne? Parce qu'on voit ça en... on voit Amazon comme une menace, mais, quand
même, être à la maison devant l'ordi, et l'inventaire est énorme en comparaison
avec une librairie. Alors, moi, je suis
parmi les coupables qui vont regarder dans les librairies dans mon comté, noter
les titres qui sont intéressants, retourner à la maison les acheter en
ligne moins cher. Je suis coupable, je vais le confesser aujourd'hui.
Mais est-ce
qu'on peut... parce que je pense… une part de marché moins importante au Québec
comme dans le reste d'Amérique du
Nord. Mais est-ce qu'il y a une opportunité? Parce que je pense qu'il faut
toujours voir ça dans une optique de promouvoir la lecture aussi, d'avoir
un plus grand nombre de personnes qui ont des livres à la maison. Alors, est-ce qu'on peut mieux, au niveau de l'offre
des livres en ligne, au niveau des rabais, des autres choses… pour
encourager la lecture au Québec?
M. Ménard
(Marc) : Bon. Je vous
avouerai d'abord que, moi aussi, il m'est arrivé d'acheter chez Amazon.
Mais j'ai une excuse, moi : c'est des livres scientifiques américains qu'on
peut difficilement trouver ici.
M. Kelley : Yes, right.
M. Ménard (Marc) : O.K. La question
du très vaste assortiment est à la fois excitante et à la fois trompeuse, parce qu'effectivement, oui, théoriquement, on
peut accéder à tout, et absolument tout, sur Internet, mais le problème
qui se pose quand on rentre dans une
librairie et qu'on ne sait pas trop ce qu'on veut est démultiplié quand on
arrive sur Internet, c'est-à-dire, on est confronté non plus à
20 000 ou 25 000 livres dans une bonne librairie, mais on est
confronté à 300 000 titres disponibles. Tout le problème, donc, revient à
une surcharge d'information encore plus grande.
Donc, la
question est : Comment chercher, et ce n'est pas tout le monde qui... Bon.
Il y a des cas très précis où on peut
avoir des outils de recherche qui peuvent nous aider, dans certains cas,
effectivement, des systèmes de recommandationou des critiques. Mais, souvent, ce n'est pas nécessairement accessible
à M. et Mme Tout-le-monde, surtout quand on ne sait pas vraiment ce qu'on
veut et qu'on cherche quelque chose qui va juste nous plaire. Dans ce sens-là,
le travail en librairie demeure absolument
essentiel, malheureusement, je crois. Je ne vous convaincrai pas à 100 %,
bien sûr, mais...
M. Kelley :
Non, non, mais pas parce que... Oui, mais le cahier de livres du Devoir
de samedi, le cahier de livres du Globe and Mail, et le New
York Times en fin de semaine aussi…
M. Ménard (Marc) : Mais, écoutez, je
ne crois pas...
M. Kelley : De dire que c'est
juste la librairie qui va vous y guider...
M. Ménard
(Marc) : Je ne crois pas
être le seul... Je suis probablement une des personnes les plus
fanatiques en termes de recherche d'information pour ce type de choses là.
Pourtant, je mets les pieds dans une librairie et je bouquine et, parfois, en ouvrant un livre, je dis : Ah! Cet
auteur-là, je n'y pensais pas. Bien oui, j'ai déjà lu un de ses livres. Je regarde, je regarde le résumé, je feuillette et
j'achète. Sans librairies, je ne ferais pas... faire cet achat-là. Je
resterais probablement pris dans des schémas de consommation usuels, tandis que
là j'ai une certaine façon que je peux m'ouvrir sur des nouveaux horizons et
sortir de ma zone de confort, finalement.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Bonjour, professeur Ménard. J'en ai profité pour regarder votre
curriculum vitae et j'ai pu voir que vous avez...
M. Ménard (Marc) : ...
Mme Roy
(Montarville) :
Mais j'ai pu voir que vous avez également fait de nombreux rapports, entre
autres pour la SODEC. Alors, j'aimerais voir
si on peut faire un parallèle ici avec ce qui se passe avec nos librairies
indépendantes, et ce qui s'est passé dans le monde de la musique, et
naturellement avec nos fameux livres électroniques maintenant. Qu'est-ce que
vous voyez dans l'avenir?
M. Ménard (Marc) : Bien, justement,
le domaine de la musique est un marché qui a été laissé complètement libre,
donc sans aucune réglementation, et il est arrivé exactement ce dont on a déjà
discuté, c'est-à-dire des guerres commerciales qui ont fait en sorte, entre
autres, que les détaillants ont virtuellement disparu.
La relation
par rapport à la musique dans un endroit de... comme on appelle, de brique et
de mortier est probablement différente que celle du livre, par contre,
un peu comme je le racontais tout à l'heure. On a un lien physique avec l'objet livre qu'on n'a pas tout à
fait, même à l'époque du 33 tours, avec l'enregistrement sonore, donc
une portabilité qui s'est faite beaucoup
plus naturellement et plus facilement dans le domaine de la musique. C'est pour
ça, d'ailleurs, que le développement du
livre électronique se fait beaucoup moins rapidement qu'il s'est fait dans le
domaine de la musique. Je veux dire, on reste attachés à ce qui est finalement
une saprée bonne technologie : c'est portable, c'est résistant, je peux même lire dans mon bain avec
ça; il y a un reflet de soleil, c'est beaucoup moins dramatique qu'avec
un écran. C'est une fichue de belle
technologie. Et on a un rapport conventionnel… comme les enfants aussi,
souvent, ont un rapport physique avec le livre qui fait qu'il y a un
effet qui est beaucoup moins important et... Ça, c'est difficile à prévoir.
Est-ce que ce sera toujours… jamais remplacé? Je ne le sais même pas.
• (17 h 50) •
Mme Roy
(Montarville) :
Parce que la question qu'on pourrait se poser, c'est justement : La survie
de nos librairies indépendantes passe-t-elle justement par cette vente de livres
électroniques?
M. Ménard
(Marc) : En complément,
certainement, oui. D'ailleurs, les libraires s'organisent pour essayer
de participer, en se regroupant, à ce marché-là. Si on parle d'une part de
marché de 4 %, ce n'est pas beaucoup, c'est difficile de vivre uniquement avec cela. Mais, dans la mesure où on peut
combiner la qualité du service et ainsi en profiter pour, par exemple,
dire : Bien, je ne l'ai pas, mais je peux te le commander directement sur
Internet, par exemple, là, ici, on a un aspect complémentaire dans les actions.
Mme Roy
(Montarville) :
Mais comment faire pour augmenter cette part de marché qui n'est qu'à 4 %…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Malheureusement, Mme la
députée de Montarville, nous n'avons plus de temps.
Mme Roy
(Montarville) :
Oups! Merci.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci beaucoup, M. Ménard. Nous allons suspendre quelques instants, le
temps que les représentants des Éditions du Septentrion puissent prendre place.
(Suspension de la séance à 17 h 51)
(Reprise à 17 h 52)
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Nous reprenons nos travaux. Bonjour, madame, monsieur. Bienvenue à l'Assemblée
nationale. M. Herman, je vais
vous demander de vous présenter et de nous présenter également la
personne qui vous accompagne. Vous allez disposer d'un temps maximum de 10
minutes pour nous faire votre exposé. Par la suite suivra un échange avec les membres
de la commission. La parole est à vous.
Les Éditions du
Septentrion inc.
M. Herman
(Gilles) : Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes
et MM. les députés, chers collègues,
et chères Québécoises et Québécois, je m'appelle Gilles Herman, je suis directeur
général des Éditions du Septentrion, et, à ma gauche, Sophie Imbeault, historienne,
éditrice aux Éditions du Septentrion.
Mme
Imbeault (Sophie) : Bonjour.
Le Septentrion est une maison d'édition implantée à Québec depuis 25
ans, une maison spécialisée en histoire,
mais aussi en sciences politiques ou encore en sociologie. Nous comptons cinq
employés permanents et avons recours à de nombreux pigistes. Nous avons publié
plus de 600 auteurs de divers horizons, parmi
lesquels Jacques Lacoursière, Pierre Anctil, Gaston Deschênes,
Élisabeth Vallet, Dean Louder, Gilbert Lavoie ou encore
Denis Vaugeois.
Nous
sommes impliqués dans notre milieu. Notre travail est reconnu, il a même été
récompensé par des prix. Et nous portons des
valeurs telles que l'impression de tous nos livres au Québec, une solidarité
envers l'ensemble de nos collègues, la diffusion de la connaissance, que
nous plaçons au-delà de valeurs mercantiles.
Vous
avez reçu, lors des séances précédentes, divers intervenants du milieu du livre
qui se sont prononcés en faveur du
prix réglementé, et d'autres qui s'opposent à une telle mesure. «N'attendons
pas de vivre notre désastre d'Alexandrie moderne que serait la perte de la bibliodiversité», selon les mots de
François-Xavier Garneau, qui parlait de l'incendie du Parlement et
de sa bibliothèque en 1849.
Tout au long du XXe
siècle, nous avons construit un monde du livre étayé qui compte des milliers d'auteurs,
des centaines d'éditeurs et des millions de lecteurs, ainsi qu'une loi du livre
originale et convoitée. Espérons que les décisions
qui seront prises à la suite de cette
commission s'élèveront au-delà de la politique et qu'elles nous aideront
à continuer à progresser, car ce sont non seulement nos emplois qui sont en
jeu, mais, avant tout, la culture du Québec.
M. Herman (Gilles) : Nous espérons que la lecture de notre mémoire a pu clarifier certains
aspects du monde du livre, et de notre métier d'éditeur en particulier.
Dans la première partie, nous avons tenté de résumer les tâches des différents
acteurs de la chaîne du livre imprimé, de l'auteur au lecteur. Tous les
artisans travaillent avec acharnement dans
le but de développer le goût de la lecture et de la littérature auprès du
public. Chacun y joue son rôle à sa manière, autant la grande surface
que la librairie, autant l'auteur de best-sellers que le poète, et autant l'éditeur
commercial que le littéraire. Vous
comprendrez que nous nous arrêterons plus spécifiquement sur le rôle de l'éditeur.
Il est à la barre du navire du livre. Il va investir son temps, son
énergie et son argent pour que la rencontre auteur-lecteur puisse
exister. Il va développer sa ligne et son expertise éditoriales, son flair. L'éditeur
va sublimer le travail de création de l'auteur pour arriver à une oeuvre mature et professionnelle. Commerçant, il
travaillera de concert avec son diffuseur et son distributeur pour
établir la meilleure stratégie de mise en marché selon le genre de livres qu'il
publie, que ce soit à travers la librairie ou la grande surface.
L'établissement du
prix du livre a déjà été abordé par d'autres personnes lors de cette
commission, et parfois de façon fort farfelue. Nous avons donc pris le temps,
dans notre mémoire, d'expliquer les paramètres qui permettent à l'éditeur de
fixer le prix de détail du livre, soit le calcul du point mort et l'analyse du
prix comparable du marché, lui-même
dépendant de la capacité de paiement du lecteur. Plusieurs enseignements
peuvent en être tirés. Le livre est un produit
culturel bon marché. L'aide gouvernementale permet au livre de rester à un prix
accessible. Une grande partie des livres culturels produits ne seront
pas rentables. Malgré tout, il existe des personnes, des passionnés pour
persévérer dans ce domaine.
La métaphore de la
chaîne du livre est adéquate. On sait que sa solidité dépend de son plus faible
maillon. Ce maillon fragile, c'est la
librairie. D'autre part, dans l'univers numérique, il est plutôt d'usage de
parler de l'écosystème du livre. De la même manière, on sait que la
disparition d'un seul élément peut mener à la disparition de tout un vivier. Les éditeurs culturels, comme le Septentrion, n'existent
bien évidemment que grâce au travail de leurs auteurs, mais aussi,
surtout, grâce au travail acharné des libraires, qui soutiennent les activités
d'édition en présentant nos nouveautés au public et en s'en faisant les
passeurs. N'oublions pas qu'ils sont aussi les gardiens du fonds des éditeurs.
Les librairies, qu'elles
soient des chaînes ou indépendantes, sont responsables de la grande majorité de
nos ventes. En fait, les grandes surfaces ne s'intéressent pas aux livres qui
demandent un travail d'accompagnement; elles
ne s'intéressent qu'aux ventes dites faciles, celle des best-sellers, qui ne
représentent que 10 % de contenu québécois. Vous allez recevoir, dans les prochains jours,
plusieurs libraires, qui devraient vous expliquer la réalité de leur travail,
loin de l'image romantique que l'on peut en faire, un travail fait de
boîtes, de factures, de produits à créer, à retourner, de manque de liquidité,
bien souvent, mais, heureusement aussi, fait de rencontres stimulantes avec des
lecteurs, des auteurs, un plaisir immense de
transmission de la culture. Les libraires, loin de n'être que de simples
marchands, sont de véritables
vecteurs de notre identité culturelle. Soyons clairs, l'affaiblissement du
réseau de librairies entraînera directement celui des éditeurs
culturels, voire même leur disparition.
La
question du numérique attire l'attention et semble être une partie du problème.
Nous préférons la voir comme une partie de la solution. Tout d'abord, il
faut bien faire la distinction entre la vente en ligne de livres imprimés et la
vente en ligne de livres numériques. Alors
que la première pratique est déjà bien établie, la seconde est encore
balbutiante et va demander, dans les
prochaines années, une attention et une énergie considérables. Le risque de
livrer le marché du livre numérique
aux mains de quelques mégaentreprises étrangères est bien réel. Il faut donc se
préoccuper maintenant de mettre en place la réglementation nécessaire à
un développement équitable de ce marché. J'invite ceux qui en doutent à
consulter les sites Internet de ces groupes pour constater la pauvreté de l'offre
culturelle québécoise.
Mme Imbeault (Sophie) : En quoi la réglementation proposée pourra-t-elle
sauvegarder la bibliodiversité? Elle aura
un effet bénéfique rapide sur la santé financière des librairies indépendantes
et des chaînes de librairies par un transfert des achats de leurs clients fréquentant des grandes surfaces. Elle
permettra, dans un premier temps, de stabiliser
le réseau et, par la suite, d'en
reprendre un développement équitable. Elle sera un encouragement et un facteur
de stimulation pour mettre en place
une relève culturelle dynamique. Elle mettra le secteur du livre à l'abri d'une
guerre de prix que pourraient se livrer chaînes et grandes surfaces.
Surtout, elle préviendra une hausse rapide du prix du livre. Plusieurs
personnes ont affirmé le contraire devant cette commission ou dans les journaux
sans jamais en expliquer le mécanisme.
Nous avons donc détaillé, dans notre mémoire,
les paramètres influençant le prix d'un livre. Les surremises demandées par les
grandes surfaces sont un facteur important, ainsi que le tirage initial d'un
livre, directement lié à la capacité de
diffusion du réseau de détaillants. Pour un éditeur culturel, la réglementation
permettra d'assurer l'existence d'un réseau de détaillants fort et varié à la
grandeur du territoire. C'est la condition nécessaire pour préserver et
développer un secteur littéraire à l'image de la nation québécoise.
• (18 heures) •
M. Herman
(Gilles) : De nombreux pays
à travers le monde ont déjà fait ou sont en voie de faire ce choix
éclairé. Pas plus tard que la semaine
passée, les éditeurs français et allemands unissaient leur voix pour réclamer
une réglementation au niveau européen afin d'éviter la création d'un
oligopole, tant pour le livre imprimé que numérique. Ici même, dans cette
salle, toutes les associations professionnelles du secteur du livre, tous les organismes
gouvernementaux dépendant du ministère de la Culture, à savoir la Société de développement des entreprises culturelles, le Conseil
des arts et des lettres du Québec, Bibliothèque et Archives nationales
du Québec et le Conseil consultatif de la lecture et du livre, se sont
unanimement et sans équivoque prononcés en faveur de la réglementation du prix
du livre.
La question
de la valeur du travail intellectuel est au coeur de ce débat. Pamphile
Le May, bibliothécaire ici même, à l'Assemblée nationale, pendant
25 ans, a écrit en 1865 dans Essais poétiques : «Je sais bien que
dans notre jeune pays on n'est guère
épris de la lecture, ce pain de l'intelligence; et si l'on veut lire un livre
on l'emprunte de son ami plutôt que d'en offrir le prix au malheureux
qui a sué sang et eau pour l'écrire.» Il serait temps de lui donner tort en
soutenant adéquatement avec les législations appropriées le secteur culturel et
économique du livre.
En conclusion, nous demandons au gouvernement du
Québec l'adoption rapide d'une réglementation sur le prix du livre neuf imprimé
et numérique pour donner à ces artisans un outil supplémentaire permettant de
protéger la bibliodiversité dans toutes ses formes. Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous débutons les échanges. M. le député de Bonaventure, vous avez la parole.
M. Roy : Merci,
Mme la Présidente. Bonsoir,
bienvenue. Vous dites que… vous affirmez que la réglementation du prix
aurait un effet bénéfique rapide sur la situation… santé financière des
libraires. Je vous ai entendu énumérer certains
éléments que... j'aimerais vous entendre encore pour être sûr d'avoir bien
compris. Il y avait une… il
y aurait une amélioration rapide.
M. Herman
(Gilles) : L'amélioration peut-être
la plus rapide qu'on pourrait voir, c'est celle du transfert d'achat des clients de librairie qui, actuellement, sont des clients de grandes surfaces. Et M. Ménard, juste avant
nous, l'a bien expliqué, il faut
arrêter de penser que les consommateurs de grandes surfaces sont des gens sans
moyen ou avec peu de moyens financiers. Il y a, en fait, des gens qui
fréquentent les grandes surfaces qui ne vont jamais en librairie; il est bien
évident que la réglementation ne les amènera pas demain en librairie. Par
contre, il y a une très grande majorité des
clients de librairie qui fréquentent les grandes surfaces et qui, comme tout le monde, quand elles voient le best-seller, quand elles voient le
dictionnaire, quand elles voient le dernier livre à la mode dans leur
librairie, décident d'attendre et de l'acheter
en grande surface, sachant qu'ils vont avoir un rabais conséquent. Ce sont ces
gens-là qui, fréquentant déjà la librairie et voyant généralement les
livres plus tôt en librairie — il faut savoir que les livres sont
généralement un peu plus tôt, deux, trois semaines avant d'arriver en grande
surface — vont
faire leur achat tout de suite.
Et je vous rappelle que, quand on dit que la
rentabilité moyenne d'une librairie est de 0,84 %, d'une librairie indépendante, ce n'est pas compliqué à comprendre
que le moindre transfert de livres va être bénéfique immédiatement pour la librairie. Parce qu'on n'a pas encore vu
les effets réels des fermetures de librairie. On a parlé, les libraires, à
l'ALQ, les LIQ en ont parlé un petit peu de certaines fermetures, on n'a pas
encore vu les effets réels des fermetures, on n'a pas encore vu non plus l'effet
réel des fermetures suite à un problème de relève.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
M. le député de Bonaventure.
M. Roy :
Bon, il y a un intervenant avant vous qui a exprimé l'idée qu'il y aurait une
possibilité que les grandes surfaces développent une plus grande offre
de service et, bon, deviennent des librairies en tant que telles. Est-ce que c'est
quelque chose qui pourrait arriver pour qu'il y ait une captation du marché?
M. Herman
(Gilles) : Bien sûr, et je l'espère,
et je l'espère. Nous autres, ce qu'on veut, c'est développer le marché
de la lecture et le marché du livre. Donc, ça va passer par un développement
des rayons de livres dans les grandes surfaces.
C'est l'exemple de ce qui s'est passé avec les magasins Leclerc, en France, où
aujourd'hui on trouve des rayons culturels dans ces grands marchés là
avec des libraires en place qui peuvent conseiller les gens. Mais donc, comme
on l'a déjà dit, c'est que les clients qui
ne fréquentent uniquement que les grandes surfaces ne vont pas en librairie.
Donc, ce n'est pas un danger pour la librairie si les grandes surfaces se
mettent à vendre plus de livres. Et c'est un petit peu ce qu'on veut faire ici,
là, augmenter la lecture et le marché du livre.
M. Roy : Mais il n'y aura pas
un effet dangereux pour le petit libraire du quartier?
M. Herman (Gilles) : Non, parce que
lui, il va pouvoir continuer à bien servir ses clients qu'il a déjà. Et peut-être même que, quand les gens vont avoir plus
de choix en grande surface et réaliser qu'il n'y a pas juste 300 livres
qui sont publiés par année, ils auront le goût d'aller voir en librairie ce qui
s'y trouve.
M. Roy : Parfait. Merci
beaucoup.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui, M. le député de
Saint-Hyacinthe.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M.
Herman, Mme Imbeault. Moi, ma… Vous
mentionnez que le prix du livre serait peut-être la solution pour régler les
problématiques, mais j'aimerais savoir
si vous avez des études sur lesquelles vous vous basez ou si, avant d'implanter
un prix régulier du livre, il serait pertinent qu'il y ait une analyse
ou une étude plus poussée qui serait faite par les... pour le gouvernement,
mettons, pour arriver avec quelque chose de plus précis actuellement. Mais
est-ce que vous, vous avez de ce genre d'étude là sur laquelle vous pouvez
référer?
M. Herman (Gilles) : On pourrait bien sûr... le gouvernement pourrait bien
sûr décider de faire diverses
études : études de consommateur, études d'impact, etc. Écoutez, je vais
faire un peu de futurologie, je pourrais déjà vous annoncer ce que vont dire
ces études : Ça va... On aurait donc dû, mais c'est trop tard. Il y a une
urgence réelle, il y a une urgence réelle de
réglementer le prix du livre aujourd'hui et de stabiliser le marché du livre. Et on peut
faire toutes les études qu'on veut, mais je pense qu'il est temps d'agir
avec une réglementation toute simple, une réglementation qui, comme l'a dit le président de l'ANEL, M.
Jean-François Bouchard, est à coût nul pour le gouvernement, et, après ça,
on verra quelles autres mesures, parce qu'il faudra en mettre, d'autres mesures,
et quelles autres mesures on va pouvoir mettre en place pour développer
la lecture et le marché du livre.
Mme Imbeault
(Sophie) : Je voulais ajouter que, dans une autre vie, avant d'être
éditrice, j'ai fait l'ENAP, donc l'École
nationale d'administration publique, alors, des études, j'en ai vu, mais, à mon
avis et selon l'avis de mes collègues dans le milieu du livre, le temps
n'est plus aux études, le temps est vraiment à la prise de décision.
Cet été, j'ai passé
mes vacances à Vancouver, eh bien, en quatre jours, on s'est dit, à la fin de
notre séjour, on n'a croisé aucune librairie dans la ville. Est-ce que c'est ça
qu'on veut au Québec ? Donc, pour moi, c'est vraiment urgent d'agir.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : La question suivante, c'est que
vous avez mentionné tantôt les pays comme l'Allemagne, la France, qui avaient réglementé, et tout ça, mais nous,
on a la loi n° 51 quand même, qui existe depuis de nombreuses
années et puis qui permet justement de réglementer ou de venir aider, là, le
livre en question. Est-ce que vous pensez
que la loi n° 51 est suffisante actuellement pour faire ce que les autres
pays peuvent faire — parce
qu'eux autres, ils n'ont pas de réglementation comme telle — ou si
c'est absolument nécessaire d'augmenter la protection, la protection justement
du livre?
M. Herman (Gilles) : La loi du livre a été un outil extraordinaire de développement pour le
peuple québécois. De 1980 à aujourd'hui, le nombre de librairies a
explosé, le nombre de bibliothèques a explosé, le nombre de livres publiés, le nombre d'éditeurs et le nombre d'auteurs
québécois, ça a été extraordinaire, et on le doit en grande partie grâce
à la loi du livre et au plan de
développement des bibliothèques qui était mené en parallèle et qui a permis
donc de financer tout cet exercice.
La loi du livre est aussi une loi qui nous est
très enviée par les autres pays. Nous autres, on regarde la possibilité d'avoir une réglementation du prix, et ceux qui ont une
réglementation du prix regardent la possibilité d'avoir une loi du livre,
comme quoi finalement toutes les idées finissent
par converger. C'est une bonne loi, qui, unanimement, dans la profession, est encore reconnue. Personne ne veut vraiment y
toucher ou la changer. Dans les quelques propositions que nous faisons, à la fin de notre mémoire, la première est celle de renforcer
peut-être le contrôle de la loi et de voir à ce qu'elle soit correctement
appliquée. Il y a des dispositions qui devraient être peut-être mieux soutenues
à l'intérieur même du ministère.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : M. le ministre.
M.
Kotto : Madame,
monsieur, soyez les bienvenus. Merci pour votre contribution. Je vais y aller
rapidement, il ne reste pas beaucoup de temps. Que pensez-vous de l'autorégulation?
M. Herman (Gilles) : Par autorégulation, donc, la régulation même de la profession,
bien, écoutez, si ça marchait, on ne serait pas ici
devant vous. L'autorégulation ne fonctionne pas pour différents intervenants parce
que le secteur est très divisé. Parce que
le livre, ça n'existe pas, parce que ce sont les livres, parce qu'il y a des livres scolaires, parce qu'il y a des livres
littéraires, parce qu'il y a des livres commerciaux, il y a des livres jeunesse
et que c'est un secteur qui a besoin aujourd'hui d'une aide du gouvernement
pour être stabilisé. Donc, il y a visiblement eu un échec de la part du milieu
pour s'autoréguler, sinon, on n'en parlerait pas, de la réglementation du prix
du livre.
Regardez même en
Allemagne. L'Allemagne a longtemps... n'a pas de réglementation sur le prix du
livre, c'est un accord interprofessionnel. Pourtant, aujourd'hui, aujourd'hui,
il demande, avec la France — qui
en a une, réglementation sur le prix
unique — une
réglementation européenne. Donc, on voit que, même en Allemagne, qui ne sont
quand même pas des rigolos, notamment quand
on parle d'économie, ils vont vers l'idée d'avoir une réglementation du prix.
M. Kotto :
O.K. Vous parlez — c'est
page 18 de votre mémoire, quatrième disposition — de restructurer la
Banque de titres de langue française et diffuser gratuitement les données
bibliographiques. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus?
M. Herman
(Gilles) : Oui. Rapidement, la Banque de titres de langue française...
M. Kotto : Et avez-vous des
idées de modification, au cas échéant?
• (18 h 10) •
M. Herman
(Gilles) : Donc, la Banque
de titres de langue française, la BTLF, l'acronyme qu'on utilise, est
une société qui a été créée en 1996, donc, pour permettre l'échange des données
bibliographiques, qui tient aujourd'hui le
site Memento, auquel les bibliothécaires ou les libraires se réfèrent
pour faire des recherches de livres. C'est que ça a été créé en 1996 sur des bases qui aujourd'hui ne sont
malheureusement plus les bonnes. Il y a un problème
avec le marché français qui fait que ça nous coûte très cher. Il y a
le fait qu'aujourd'hui la donnée avec Internet, elle devrait être
gratuite et non plus payante. Autrement dit, il y a beaucoup de choses à faire,
principalement dans le numérique. Il y a un frein énorme au niveau de la
distribution des données bibliographiques dans le numérique, alors que tout
pourrait être centralisé à la BTLF, mais une
question économique, c'est que les services de la BTLF
sont payants, alors qu'ils devraient être gratuits pour une plus large
diffusion de notre littérature.
Je n'ai pas envie d'épiloguer plus longtemps
là-dessus, mais moi, je suis à votre libre disposition et effectivement j'ai pas mal d'idées sur comment restructurer la BTLF, et mes collègues
et personnes dans le milieu du livre connaissent depuis longtemps mes
positions à ce sujet.
M. Kotto : D'accord, merci.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Quelques secondes.
M. Kotto : Oui. Donc, on va
garder le contact, O.K.? Merci.
M. Herman (Gilles) : Parfait.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de
l'Acadie, vous avez la parole.
Mme
St-Pierre : Merci, Mme
la Présidente. Bonsoir... bonjour. J'aimerais
que vous nous donniez des exemples de non-respect
de la loi, parce que vous dites, dans vos recommandations, qu'il faut faire respecter la loi du livre. Moi, c'est nouveau
pour moi, c'est la première fois que j'entends parler, j'entends dire que la
loi n'est pas respectée. Auriez-vous des exemples concrets à nous soumettre?
M. Herman
(Gilles) : Vous vous
souviendrez peut-être que vous étiez venue en assemblée générale de
l'Association nationale des éditeurs de livres, il y a trois, quatre ans, quand
vous étiez ministre de la Culture. Et, parmi les questions, je m'étais levé et
je vous avais déjà signalé ce problème qu'il fallait faire…
Mme
St-Pierre : Il me
semblait que je vous connaissais, aussi.
M. Herman (Gilles) : ... — voilà — faire
respecter la loi du livre. Vous comprendrez que je n'ai pas envie publiquement
ici de commencer à dénoncer des collègues ou à dire des choses, mais quelques
exemples.
Écoutez,
premièrement, je vais exclure les bibliothèques. Les bibliothèques connaissent très bien
la loi du livre, et il n'y a aucun problème
à ce niveau-là. Au niveau des ministères, par
exemple, généralement, quand on
reçoit, nous autres, comme éditeurs, des coups de téléphone de ministères
pour dire : Ah! J'aimerais ça avoir 25, 30 exemplaires de tel livre, bien, souvent, on leur dit : Écoutez,
vous pouvez vous adresser en librairie. Là, c'est stupeur : Ah bon!
Pourquoi? Puis : Oui, mais on veut un prix. Mais non, un prix, il n'y a
pas de prix, là, c'est la loi. Puis ça finit souvent par : Ah! Bien, on va s'arranger. Le «on va s'arranger» là,
je vais vous dire qu'on sait ce que ça veut dire : on va trouver une
façon autre. Souvent, la personne va aller
acheter en son propre nom des livres puis, après ça, bien, va le donner au
ministère.
Ce sont des petits exemples comme ça. Donc, il y
a beaucoup de formation à faire, premièrement auprès des ministères et organismes
publics, qui devraient mieux connaître la loi du livre. Puis, après ça,
écoutez, encore une fois, moi, je suis à
votre disposition si vous voulez qu'on en parle plus longuement, des choses qui
seraient à… Mais il faut donner un petit peu de mordant à la loi du
livre, qui actuellement n'en a pas.
Mme
St-Pierre :
Lorsque vous dites qu'il faut accorder aux bibliothèques des budgets dédiés au
numérique, vous évaluez à combien, l'injection d'argent neuf dans les
bibliothèques pour…
M. Herman (Gilles) : Écoutez, mes
amis bibliothécaires vont dire : Dis des millions, dis des millions! Mais la question est intéressante, hein, l'injection d'argent
neuf dans le numérique, parce qu'aujourd'hui il n'y a pas de budget dédié réellement à l'achat du numérique dans les
bibliothèques. Or, on l'a déjà expliqué, le marché numérique n'est pas encore développé, et, si on veut le développer, il
faut avant tout que les bibliothèques aient des livres numériques à
proposer.
Donc, que font les bibliothèques aujourd'hui si
elles veulent aller dans le numérique? Il faut qu'elles réduisent l'offre de
livres imprimés, alors que c'est encore ça que les gens consultent. Donc, pour
développer le numérique, il va falloir
baisser l'imprimé. Moi, je trouve que ça, ça n'a pas de bon sens. On ne peut
pas faire la croissance du numérique sur le dos de l'imprimé.
Donc, aujourd'hui, ça prendrait des
budgets, peut-être pas forcément des budgets récurrents, mais, en tout
cas, une certaine somme d'argent dédiée au numérique pour les bibliothèques
publiques pour qu'elles puissent faire l'acquisition
initiale d'un fonds important de livres. Combien? Écoutez, il faudrait demander
aux bibliothécaires qui seront mieux placés que moi pour répondre à
cette question.
Mme
St-Pierre : Vous avez un important catalogue, on parle de
400 titres actifs; vous avez gagné plusieurs prix. Vous êtes avant tout
une maison d'édition spécialisée en histoire, même sciences humaines,
archéologie et sciences politiques, ethnographie. En quoi les grandes surfaces
nuisent-elles à votre secteur à vous particulièrement?
Mme Imbeault (Sophie) : Bien, les grandes surfaces... on ne trouve pas
nos livres en grande surface. Moi-même, je suis auteure, je suis auteure
d'essais sur la guerre de la Conquête, et on ne trouvera jamais un de mes
livres en grande surface. Ils n'en veulent pas.
Mme
St-Pierre :
En quoi un prix réglementé viendrait aider votre maison d'édition?
M. Herman
(Gilles) : Parce que nos livres ne sont pas en grande surface, ils ne
sont vendus qu'en librairie. S'il n'y a plus de librairie, je ne vends plus de
livres. Et, moi, ce que je dis, c'est que…
Mme
St-Pierre :
Mais vous ne seriez pas nécessairement plus en grande surface.
M. Herman (Gilles) : Non, mais je dis que, s'il n'y a plus de librairie, je ne vendrai plus
de livres, et donc la grande surface,
si elle fait mal à la librairie, elle va faire mal aux éditeurs culturels qui
ne vendent qu'en librairie. Et c'est en ça qu'un prix réglementé de neuf mois, bien, permet de stabiliser le marché pour que la librairie puisse garder son
avantage concurrentiel, continue à vendre
des best-sellers, mais surtout continue à vendre le livre culturel québécois
qui, sinon, ne sera plus en grande surface, et ça va être une perte
énorme pour notre culture.
Mme
St-Pierre :
Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant… M. le député de Jacques-Cartier,
oui, allez-y.
M.
Kelley : Juste très rapidement, je viens de regarder vos titres publiés cette année et j'en ai vu un
sur la crise d'Oka, qui m'intéresse comme ancien ministre responsable des
Affaires autochtones. Mais, vite fait, le meilleur prix que je peux
trouver pour le livre, c'est Amazon. Pourquoi ne pas essayer d'avoir vos
prix concurrentiels avec Amazon? Parce que je trouve, comme je dis, vite fait, j'ai fait Renaud-Bray, j'ai
fait chez vous, j'ai fait… et le prix le plus intéressant, c'est Amazon. Alors, est-ce que
ça, c'est une mauvaise chose que moi, je peux acheter votre livre en ligne ou
comment est-ce qu'on peut mieux encadrer ça? Parce que je pense qu'il y aura un
secteur de plus en plus important dans la société, plutôt, surtout les plus
jeunes, qui vont acheter des livres en ligne. Comment s'assurer... votre
présence pour s'assurer que vos livres sont vendus en ligne?
M. Herman (Gilles) : Nos livres sont vendus en ligne. Amazon est un libraire important
pour nous autres. Dans notre chiffre
d'affaires, je dirais qu'Amazon représente peut-être
une grosse succursale Renaud-Bray. On est très contents de vendre chez Amazon.
Simplement, avec une réglementation sur le prix du livre, bien Amazon va
être tenu, dans les neuf premiers mois, de respecter le prix du livre.
Vous savez, c'est incroyable, Amazon, hein?
On annonce nos livres, mettons, au début... à la mi-août, et déjà ils annoncent...
on annonce toutes nos parutions, mettons, jusqu'en décembre, et le
lendemain nos livres sont déjà surAmazon, ils n'ont pas de
couverture, pas de quatrième couverture, pas de texte de présentation, rien,
ils ont juste un prix qui est déjà barré, 25 %, 30 % moins cher. Ils
ne vendent que du prix, ils ne vendent pas du livre, ils vendent des rabais.
Alors, nous autres, nos livres sont vendus chez Amazon, on a un
catalogue peut-être un peu plus spécialisé, les gens continueront à l'acheter
en ligne pour toutes les commodités que ça apporte, la vente en ligne, mais pas
pour le prix.
M. Kelley :
Mais pour vos librairies... Le meilleur prix demeure sur Amazon plutôt
qu'en librairie. Comment est-ce qu'on peut changer ça?
M. Herman
(Gilles) : En réglementant le prix du livre sur les neuf premiers
mois.
M.
Kelley : Mais moi, je
parle d'un livre qui est publié au début de l'année. Alors, c'est déjà
plus que neuf mois, et c'est un
rabais. C'est juste une couple de dollars, mais pourquoi pas... votre prix n'est
pas concurrentiel avecAmazon?
M. Herman
(Gilles) : Bien, ce n'est pas mon prix.
M. Kelley :
C'est juste un rabais de 2 $, alors c'est le 10 %.
M. Herman
(Gilles) : C'est parce que ce n'est pas mon prix, rendu là. Au bout de
neuf mois, c'est le prix du détaillant, c'est
le prix du libraire. Moi, je n'en vends pas, des livres directement, alors,
moi, ce sont les détaillantsqui vendent. Si, au bout de neuf mois, les libraires veulent
accoter les prix d'Amazon, ça va être leur droit, et le gros des ventes va être passé. Vous savez, l'existence d'un
livre, c'est quand même malheureusement assez court, c'est quelques… c'est
les quelque six premiers mois, mettons. Donc, après ça, la vraie question se
fera plus sur le prix du livre.
Alors,
oui, les détaillants auront tout le loisir de faire ça. Ça, c'est les
stratégies commerciales des détaillants, ce n'est pas les miennes
proprement dites. Moi, s'il faut que je baisse, mettons, de 30 % le prix
proposé et suggéré par l'éditeur, il va falloir que je demande à mes employés s'ils
acceptent que leur salaire soit baissé de 30 %. Est-ce que l'imprimeur va
accepter d'être payé 30 % moins cher, le réviseur, le graphiste, le
libraire, etc.? Je ne pense pas que ça va être le cas.
M. Kelley :
Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Montarville,
vous avez la parole.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Rebonjour, madame, monsieur. Merci pour votre mémoire. J'aimerais vous amener rapidement à la page 13, à la
proposition, lorsque vous écrivez : «Une réglementation du prix du
livre aurait un effet bénéfique rapide sur la santé financière des librairies
indépendantes et des chaînes de librairies
par un transfert des achats de leurs clients fréquentant des grandes surfaces.»
On sait que 13 % des ventes de livres sont faites en grandes surfaces, mais, de ce 13 %, pouvez-vous
évaluer le pourcentage de ces acheteurs qui iraient dans les librairies indépendantes et qui iraient dans les…
Parce que vous ajoutez ici les chaînes de librairies. Puisque le but, c'est
de sauver les petites librairies indépendantes... Est-ce qu'on a une idée?
M. Herman (Gilles) : Je vais répéter. Il faut bien comprendre que le client… Là, on parle
tout le temps du transfert de la
grande surface vers la librairie. Il faut bien comprendre, là, qu'on parle des
clients de librairie qui fréquentent la grande surface. Ce sont ces
clients-là, leurs achats à eux autres qui vont être transférés à la
librairie... en partie, évidemment, on ne parle pas de 100 %, mais quand
bien même ce serait juste 10 %, là... Quand on dit, je le répète, à 0,84 %
de rentabilité pour une librairie, là, quand bien même ce serait juste
10 % de ces achats — ce
qui n'est vraiment pas beaucoup, hein — qui seraient transférés en
librairie, ça va donner une liquidité incroyable aux libraires. Ça va leur permettre de respirer, ça va leur permettre de se
stabiliser et de se dire : Maintenant, comment est-ce qu'on règle le
problème? Qu'est-ce qu'on met comme stratégie commerciale en avant? Est-ce qu'on
peut assurer une relève? Parce qu'on n'en a pas discuté ici, mais le problème
de la relève en librairie est extrêmement important.
Mme
Roy
(Montarville) : Mais ma question est précise. Ce que
je veux savoir, c'est est-ce qu'on a une idée du nombre de consommateurs qui iront du côté des petites librairies et non
dans les chaînes? Parce que le but est de sauver les petites librairies,
ici.
• (18 h 20) •
M. Herman
(Gilles) : Mais les gens vont déjà en librairie, c'est ça que… Les
gens sont déjà en librairie. Ils sont en
librairie, et ils voient le dernier Guide de l'Auto et ils savent
pertinemment que ce livre-là va être 30 %
à 40 % moins cher en grande surface. Ils ne l'achètent pas en
librairie. Je ne l'achèterais pas en librairie non plus. On n'est pas plus fou
qu'un autre, là.
Mme
Roy
(Montarville) : Alors, je vais reposer ma question à
l'envers. Sur ce 13 % de part de marché, combien sont, selon vous,
des consommateurs qui vont déjà en librairie? Donc, la part que vous pensiez
récupérer.
M. Herman (Gilles) : D'accord, d'accord, d'accord. On va finir par se comprendre. Écoutez,
je n'ai pas d'étude là-dessus, mais, à mon avis, une grande majorité,
une grande majorité, facilement. Facilement 70 %, 75 %.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci beaucoup.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci, Mme Imbeault, M. Herman.
Et
la commission suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30. Je vous souhaite,
chers collègues, un bon appétit et je vous demande d'être à l'heure
parce que nous allons débuter à 19 h 30 ce soir. Merci.
(Suspension de la séance à
18 h 21)
(Reprise à 19 h 30)
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Donc, bonsoir. Nous reprenons nos travaux
et nous recevons la représentante de Costco, Mme Andrée Brien. Vous avez un
maximum de 10 minutes, Mme Brien, pour nous faire part de votre exposé.
Par la suite suivra un échange avec les membres de la commission. Je vous
souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale et je vous cède la parole.
Costco
Wholesale Canada Ltd.
Mme Brien (Andrée) : Merci. Mme la
Présidente, membres de la commission, merci de nous recevoir. Nous sommes heureux de pouvoir vous expliquer aujourd'hui pourquoi nous entendons nous opposer au projet de réglementation
du prix du livre. Je tenterai, dans les prochaines minutes, de faire valoir le
bien-fondé de notre position à partir de notre expérience. Mais, avant, nous
tenons à préciser que nous reconnaissons le rôle primordial des libraires, tout
comme celui des bibliothécaires. Nous sommes bien conscients que le livre
occupe une place de premier plan dans l'expression
de la culture québécoise et de son rayonnement. De notre côté, nous n'avons pas
la prétention de jouer un rôle aussi
important, mais nous croyons que Costco contribue à sa façon à la promotion de
la lecture, même si son champ d'action est limité.
Depuis leur
implantation dans les années 90, on ne cesse de blâmer les grandes surfaces
pour leurs politiques de prix coupés qui seraient responsables, dit-on,
de l'érosion du secteur de la librairie indépendante. On a abondamment référé, devant cette commission, au comité Larose
qui, à l'époque, rappelons-le, mettait en cause directe les rabais
pratiqués par les grandes surfaces pour expliquer la disparition progressive
des librairies indépendantes. Le problème, c'est qu'aucune donnée ne venait soutenir cette assertion. Dans cette foulée,
un débat sur l'instauration d'un prix unique du livre avait alors fait
couler beaucoup d'encre au Québec, sans toutefois réussir à dégager un
consensus.
Voilà qu'en
2011 l'annonce de l'arrivée de Target au Québec a relevé à nouveau cette idée d'instaurer
un prix unique dans le but de freiner
les grandes surfaces. On nous reproche encore aujourd'hui de ne tenir que les
best-sellers à prix soldés, privant
ainsi les librairies d'une partie des ventes les plus faciles, et de réduire
leurs marges bénéficiaires. Continuer à affirmer pareille chose et à
tirer à boulet rouge sur les grandes surfaces, c'est faire fi de la réalité et
mal connaître le comportement des consommateurs. En visant essentiellement les
grandes surfaces, les tenants du prix unique du livre ignorent une multitude de
facteurs déterminants qui ont contribué davantage, au cours des 15 dernières
années, à fragiliser les librairies
indépendantes : le ralentissement de l'économie, plus particulièrement
dans le secteur du détail, l'évolution
des habitudes de consommation, l'essor du numérique, évidemment les ventes en
ligne, qui sont probablement les facteurs plus importants.
Avant de poursuivre, puisqu'on nous confond trop
souvent avec nos concurrents, j'aimerais vous expliquer brièvement qui nous sommes et quel est notre modèle d'affaires. D'abord,
Costco est une chaîne de distribution établie au Québec depuis près de 30 ans. Nous fonctionnons comme un club entrepôt,
avec une adhésion annuelle de 55 $ et une carte exécutive à 110 $. En contrepartie, nous nous
engageons auprès de nos membres à prendre une marge de profit maximale
de 14 % sur l'ensemble de ce que nous vendons dans l'entrepôt.
Deuxième
principe, Costco n'offre qu'une sélection limitée de produits, environ
3 500 articles choisis pour leur qualité, alors que nos concurrents
en proposent plus de 40 000. Cette sélection s'exerce dans tous les
secteurs chez Costco, y compris celui du
livre. Mais la plus grande différence avec nos concurrents, c'est le fort taux
d'achalandage que nous avons. Nous misons
sur le volume pour générer nos profits. Une étude réalisée par l'Association
des libraires du Québec affirmait à
tort que nous vendons nos livres à perte. Véhiculer une telle fausseté, c'est
encore une fois mal connaître le commerce du détail. Nous ne vendons
aucun livre en bas du prix coûtant.
Enfin, Costco
est un employeur responsable. Nous offrons des emplois de qualité, assortis de
conditions enviées dans tout le
secteur du commerce du détail. À titre d'exemple, un caissier et une caissière
chez nous gagnent 55 000 $ après cinq ans de service, plus des
avantages généreux au point de vue des… excusez, des avantages sociaux
généreux. Nous avons l'un des plus bas taux de roulement de personnel de l'industrie.
En
ce qui a trait plus spécifiquement à notre secteur livre, notre politique est
très simple. Les prix des livres chez Costco sont indiqués uniquement
sur les lieux de vente. Nous ne faisons aucune promotion ou publicité pour
notre section livre auprès du public, ce qui évite de concurrencer directement
les libraires. Ce modèle d'affaires est très apprécié
de nos membres qui renouvellent à 91 % leur adhésion. Je pense qu'on peut
parler d'un grand degré de satisfaction.
En bref,
Costco, au Québec, c'est 5 700 emplois, 19 entrepôts, un centre
de distribution. C'est plus de25 000 transactions
par semaine par entrepôt, soit 475 000 transactions hebdomadaires. C'est
aussi 1,2 million de membres, soit plus de trois personnes sur
quatre parmi la population active au Québec.
Revenons au
vif du sujet : notre secteur du livre. Costco fait affaire avec trois
grands distributeurs qui contrôlent pratiquement tout le marché du
Québec, ce qui nous fait dire que la distribution du livre au Québec est en
situation de quasi-monopole. Tous les
distributeurs accordent un même rabais fixe de 30 % aux grandes surfaces
et de 40 % aux librairies, et
ce, peu importent les quantités commandées, donc pas de rabais volume,
contrairement à tout ce qui existe dans le commerce. C'est unique. Ces distributeurs décident également de la
disponibilité des produits et du nombre d'exemplaires qui sera attribué.
Ainsi, en 2012, 94 % de nos ventes de livres étaient générées par ces
distributeurs et les éditeurs du Québec.
Enfin, la majorité des éditeurs québécois nous contactent et nous demandent de
certifier notre engagement d'achat avant d'aller en impression d'un
livre à gros ou à moyen tirage.
Parlons maintenant de nos membres qui achètent
des livres. Nous avons demandé à la firme indépendante Léger Marketing de
préciser le profil des acheteurs de livres chez Costco au Québec.
Essentiellement, l'étude révèle que les deux
tiers de nos membres qui achètent des livres font d'abord et avant tout des
achats spontanés, et les achats sont occasionnels
dans les trois quarts des cas. Pour près de 75 % de nos membres qui
achètent des livres, le prix est le facteur déterminant, et ces membres, dans une même proportion, disent qu'ils
continueraient d'acheter chez nous si une politique de prix unique sur
les livres devait être imposée. En résumé, une forte proportion de nos membres
effectue des achats non planifiés et de façon occasionnelle.
Conséquemment,
une grande partie de ces achats ne se feraient pas autrement, puisqu'ils sont
spontanés. Et, comme les prix seraient identiques partout, il n'y aurait
aucun avantage à acheter ailleurs. À prix égal, pourquoi se déplacer si le produit est déjà
sur place? Croire qu'une augmentation des prix due à une fixation d'un prix
unique puisse déplacer les
consommateurs des grandes surfaces vers les librairies est une pure vue de l'esprit.
L'effet de cette réglementation sur les
intentions d'achat serait donc minime pour Costco. Compte tenu de ces
résultats, nous croyons que non seulement l'instauration d'un prix unique raterait en grande partie sa cible, mais
que cette mesure viendrait accentuer le mouvement des consommateurs vers
le numérique et les achats en ligne, ou encore les inciter à acheter à moindre
coût une version originale anglaise.
En
conclusion, nous estimons qu'il n'existe pas de données probantes motivant l'adoption
d'un prix unique. Même en France, cette réglementation n'a pu freiner
une baisse des achats de livres au cours des dernières années. En somme, l'expérience du prix unique du livre est
loin d'être concluante. Nous croyons aussi qu'il n'y a pas de consensus pour l'adoption d'une telle politique de fixation
de prix, contrairement à ce qui est véhiculé par la coalition Nos livres
à juste prix, menée par l'ADELF. Ai-je
besoin de vous rappeler que cette coalition exclut les gros joueurs de l'industrie
et les consommateurs? Nous sommes d'avis que cette mesure n'aura pas d'impact
auprès des consommateurs en ce qui a trait
au commerce en ligne et au numérique qui ne cessent de gagner en popularité.
Les fermetures graduelles des clubs vidéo, des magasins de disques en
sont de malheureux exemples.
Enfin, nous estimons que cette
mesure va à l'encontre de toute tendance et ne répond en rien aux véritables défis auxquels le secteur du livre est confronté.
Nous sommes convaincus qu'il y aura moins d'achats et que cette mesure
va accélérer davantage une réduction du volume total des ventes du livre au
Québec et qu'en bout de piste c'est toute l'industrie du livre qui en pâtira.
Costco invite donc les membres de la commission à tenir compte davantage des
intérêts des lecteurs et des consommateurs. Merci.
• (19 h 40) •
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci beaucoup, Mme Brien. Nous allons débuter les échanges. M. le
ministre, vous avez la parole.
M. Kotto : Merci, Mme la
Présidente. Mme Brien, bonsoir.
Mme Brien (Andrée) : Bonsoir.
M. Kotto : Merci d'être là et
merci pour votre contribution à cette étude. Quel est le volume de littérature
québécoise chez Costco, en pourcentage?
Mme Brien (Andrée) : En pourcentage
des ventes? Disons que ça se situe environ à 1 % des ventes totales de la
compagnie, un peu moins.
M. Kotto : O.K.
Mme Brien (Andrée) : Je parle des
livres en français, bien sûr.
M. Kotto :
Oui, oui, c'est ça. À la page 5 de votre mémoire, et vous l'avez rappelé tout à
l'heure dans votre exposé, je reprends littéralement : «...la
majorité des éditeurs québécois nous contactent et nous demandent de certifier
notre engagement d'achat avant d'imprimer un
livre à gros ou à moyen tirage.» Est-ce que vous pouvez élaborer ce
paradigme?
Mme Brien
(Andrée) : Oui, tout à fait.
C'est une pratique courante. Habituellement, on est contactés et, sur un
titre en particulier, on va nous demander
quelle sera notre intention d'achat pour ce livre, un livre en particulier.
Alors, parfois, ça peut jouer entre 1 000 copies... mais, parfois,
dépendant du sujet, ça peut se chiffrer dans beaucoup plus. Alors, ils nous
demandent toujours quelle sera notre intention d'achat selon les titres
présentés avant d'aller en impression parce qu'on représente quand même un
assez… un client… on est quand même un client important, là.
M. Kotto : Est-ce que c'est
dans cette phase-là que se discutent les remises et les surremises?
Mme Brien
(Andrée) : Ça fait partie
des conditions d'achat. C'est sûr que, pour nous, sur un best-seller,
nous n'avons que 30 % de rabais. Les
librairies ont 40 %, mais ça a toujours été… Dans les derniers 25 ans que
je suis avec la compagnie Costco, ça a toujours été comme ça.
M. Kotto : O.K. Mais il n'y a
jamais de négociations pour diminuer…
Mme Brien
(Andrée) : …mais je veux
dire, comme tout bon acheteur, je crois qu'on se doit de demander — ça ne
serait pas faire notre boulot — mais ça a toujours été très strict.
M. Kotto :
O.K. Dans la perspective où les diffuseurs, disons, ne sacrifieraient pas un
pourcentage relativement important malgré tout, quelle serait votre
disposition relativement à une entente dans la perspective d'un achat?
Mme Brien (Andrée) : La grande
tristesse, pour en venir à un point qui est clé, c'est, toute augmentation des prix, au bout de la ligne, ça va tout simplement
se traduire à une perte des ventes. Ça, c'est sûr et certain. Je veux
dire, les livres aussi vont devenir
inaccessibles. Pour une famille, c'est important. Nous, on est seulement une
première lecture. On est des achats… Les gens passent chez nous, ils achètent un livre d'une
façon occasionnelle. Mais, dès que vous augmentez les prix, ça va faire
tout simplement chuter le volume d'achat. Alors, nous, on va reprendre une
position d'achat plus faible qu'on le fait en ce moment, c'est sûr et certain.
M. Kotto : Mais, quand vous
dites cela, est-ce que vous vous référez à une observation tangible à laquelle
on peut se pencher?
Mme Brien (Andrée) : Oui, tout à
fait. Mes confrères américains, dans le secteur du livre, dans les derniers
cinq ans, ont perdu 27 % dans le best-seller. Alors, c'est très important,
et…
M. Kotto : …augmentation du
prix?
Mme Brien (Andrée) : Bien, pas l'augmentation
du prix, mais le transfert. Imaginez, juste le transfert de technologie a provoqué ça. Imaginez si, en plus,
il y avait une augmentation de prix. Ce serait tout à fait désastreux,
pas seulement pour Costco, pas seulement pour nous, pour les petits libraires,
pour tout le monde. C'est toute l'industrie du livre qui va en souffrir, ce n'est
pas seulement nous.
M. Kotto : O.K. Donc, si je vais jusqu'au bout de la logique,
dans l'hypothèse où il y
aurait une réglementation sur
un prix plancher pour le livre neuf, vous anticipez une baisse de ventes…
Mme Brien (Andrée) : Tout à fait.
M. Kotto : …et donc un
désistement de l'intérêt du consommateur aussi.
Mme Brien
(Andrée) : Tout à fait. Puis ce n'est pas en augmentant les prix, habituellement, qu'on fait plus de ventes. Ça, ça n'a jamais été gagnant.
M. Kotto : O.K. Est-ce
que vous disposez d'une étude du
comportement de votre clientèle relativement
aux livres? Est-ce que ce sont des fanatiques du livre ou ce sont des
lecteurs occasionnels?
Mme Brien
(Andrée) : Nous avons fait
une étude cet été avec Léger Marketing, et puis, vraiment, notre
clientèle, nos membres, ce sont des acheteurs occasionnels, de passage. Je ne
crois pas que personne n'inscrit à sa liste d'épicerie :
livre Costco. Je ne pense pas. C'est tout simplement un intérêt lorsqu'ils font
leur… Ils passent devant les livres, si un sujet les intéresse, ils s'arrêtent,
mais on n'a pas la prétention d'être un libraire ou des libraires, nous ne
sommes pas une librairie.
M. Kotto : O.K. Vous êtes
bien consciente de la situation du réseau de nos librairies indépendantes…
Mme Brien (Andrée) : Tout à fait.
M. Kotto : …et de ce qui
arrive depuis un certain nombre d'années; c'est quasiment une hécatombe. Si
nous sommes ici réunis aujourd'hui, c'est
dans la perspective de trouver des solutions, et l'une des pistes de solution
suggérées, c'est la réglementation du prix
unique sur le livre neuf. Au-delà de cette proposition, en tant que personne
sensible à cette situation périlleuse, si vous aviez des suggestions
constructives, structurantes, quelles seraient-elles?
Mme Brien (Andrée) : Écoutez, Costco
n'a pas la prétention de pouvoir donner au gouvernement des… d'apporter des solutions. Ce que nous, on s'aperçoit…
il va falloir répondre aux consommateurs d'une façon différente. Les gens changent, les tendances changent, l'électronique
fait partie de notre vie d'une façon bien différente qu'il y a 10 ans.
Alors, tout l'essor du numérique, ça fait, en fait, qu'il faut se retourner sur
d'autres méthodes. Alors, je n'ai pas de réponse clé à vous donner ce soir,
mais je crois que ça ne sera pas en augmentant les prix qu'on va réussir à
soutenir toute l'industrie du livre.
M. Kotto : Parce que,
voyez-vous, on n'est pas un camp qui s'oppose à l'autre nécessairement, c'est
un bien collectif qu'on essaie de sauvegarder.
Mme Brien (Andrée) : Non, tout à
fait.
M. Kotto : C'est la raison pour laquelle je vous tendais la
main pour une contribution bénévole. Mais je laisserai le temps qu'il
reste à mes collègues, sur un prix unique.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci, M. le ministre. M. le député de Bonaventure.
M. Roy : Merci, Mme la
Présidente. Bonsoir, madame. Vous avez dit tout à l'heure que le transfert des technologies — vous
avez allumé mon interrogation — allait amener une baisse de ventes aux
États-Unis.
Mme
Brien (Andrée) : Bien, pas juste…
M. Roy :
Qu'est-ce que vous voulez dire par ça?
Mme Brien (Andrée) : C'est tout simplement, le livre en tant que tel, le livre papier dans
les entrepôts américains, pour
Costco, disons qu'on a perdu 27 % de ventes. Alors, ces ventes-là sont
allées vers le numérique, vers les ventes en ligne. Je suis sûre que les
gens lisent autant mais d'une façon différente.
M. Roy :
O.K. Donc, c'est le transfert vers la tablette numérique.
Mme Brien
(Andrée) : C'est des transferts vers les technologies numériques.
M.
Roy : O.K. J'ai une autre question. Tout à l'heure, vous avez
mentionné une enquête que vous avez faite chez vous, où vous dites que 75 %, bon, des gens disent que c'est le
coût du livre qui est le déterminant principal de l'achat. L'autre
25 %, qu'est-ce qui détermine sa volonté d'acheter un bouquin chez vous?
• (19 h 50) •
Mme Brien (Andrée) : Ceux qui ont répondu ont dit que, vraiment, 75 %, surtout,
achetaient des livres. Et ce n'est pas tout le monde qui achète des
livres chez nous. Nous ne sommes pas ce qu'on… On n'a pas la catégorie grand lecteur chez nous. C'est vraiment des achats
occasionnels, alors on n'a pas la prétention d'être une librairie, là.
Alors, c'est vraiment comme un service, un service qui est très apprécié des
membres. Et puis ce n'est pas tout le monde qui
achète ses livres chez Costco. Il y
en a qui vont en librairie, et puis c'est parfait comme ça. Puis, il faut se
supporter, se tenir dans ce débat, tout à fait.
M.
Roy : Mais l'autre 25 %, quel est le déterminant? Est-ce
qu'il y a d'autres facettes que… Dans votre enquête, est-ce qu'il y
avait d'autres… Bon, par rapport au prix, est-ce qu'il y avait d'autres
éléments qui pouvaient être…
Mme Brien
(Andrée) : Non.
M. Roy :
Non.
Mme Brien (Andrée) :
...tout simplement qui préféraient surtout magasiner… ce qu'on a trouvé, c'est
qu'ils aimaient magasiner dans les librairies bannières, là, comme les
Archambault, Renaud-Bray. C'était ce que les autres 25 % nous ont dit.
M. Roy :
Merci beaucoup, madame.
Mme Brien
(Andrée) : Ça fait plaisir.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme
Brien.
Mme Brien
(Andrée) : Bonjour.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Vous avez mentionné tantôt… Vous
avez fait une comparaison avec la baisse de vente de livres aux États-Unis, mais j'aimerais savoir : depuis l'entrée
en vigueur du prix du livre au Mexique, je voulais savoir si vous avez
des chiffres ou des données par rapport à chez vous, si ça a eu un effet direct
sur vos ventes?
Mme Brien (Andrée) : Pour le Mexique, je suis désolée, mais je n'ai pas relevé leur chiffre
d'affaires au Mexique. Je veux dire, on vend autant de livres au Mexique
qu'en Angleterre, mais je n'ai pas les données exactes du marché, de ces
marchés.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Nous dire si ça a eu un impact sur le prix
du livre ou sur…
Mme Brien (Andrée) : Écoutez, si on regarde toutes les études et les pays qui ont eu… qui
ont des prix uniques versus d'autres pays qui sont plus, disons, libres,
si on peut dire, les deux… il n'y a pas de consensus. Il n'y en pas un, endroit où on dit : C'est formidable, d'un
côté ou de l'autre. Alors, je ne pourrais pas vous répondre pour le
Mexique.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci. C'est fini?
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui, vous avez encore du
temps, M. le député de Saint-Hyacinthe.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : O.K., j'ai encore du temps. J'aurais
une autre question. Vous dites reconnaître l'apport des librairies à la
biodiversité. Mon collègue a posé la question, M. le ministre a posé la
question tantôt, mais, comme société, pour sauvegarder la biodiversité au
niveau du livre, qu'est-ce qu'il faudrait faire, selon vous?
Mme Brien (Andrée) : Écoutez, nous, Costco, on a tellement… on est un
petit joueur. On tient 350 références en entrepôt, alors… Du tiers des
livres, on peut qualifier de best-sellers, les autres livres, c'est des livres
pratiques, des livres-jeux, des livres pour
enfants. Alors, nous sommes… nous participons, je crois, à la culture mais d'une
façon quand même assez limitée. Alors,
apporter aujourd'hui une… Je crois qu'il faut faire attention pour regarder
tout ce qui se fait dans le transfert électronique. Je pense que c'est
quelque chose qu'il faut regarder de très près, mais, comme... je soutiens que
ce n'est pas en augmentant le prix des livres, au contraire, ça va tout simplement
déprimer l'ensemble de l'industrie, puis je ne pense pas que c'est ça qu'on
veut, personne.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Même pour six mois ou neuf mois?
Mme Brien
(Andrée) : Écoutez, si j'ai un livre sur les grillades, là, sur le barbecue,
pensez-vous que je vais l'acheter si, neuf
mois plus tard, on est rendus au mois de novembre? Écoutez, les gens se font
plaisir, chez nous. Ils se font
plaisir. C'est comme : Ah! Je passe, c'est l'fun, c'est… Ah! Ça, ça m'intéresse.
Ils le mettent dans leur panier. Ils ne sont pas partis de la maison en pensant d'acheter un livre chez nous,
alors, imaginez-vous, s'ils doivent attendre neuf mois pour se faire
plaisir sur les grillades du barbecue parce que le livre est peut-être trop
cher au moment qu'il paraît ou si ce n'est pas dans leur bourse, là.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : …temps?
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Oui. Oui, il vous reste encore du temps,
M. le député.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : J'ai une dernière question en ce qui vous
concerne. Vous parlez souvent d'augmentation
des prix, ça va faire en sorte qu'on va vendre moins de livres, mais on a
plusieurs intervenants qui sont venus nous dire : Si on a une
baisse de prix dans les grandes surfaces, ça a... justement pour l'effet
contraire, c'est d'augmenter les prix aux libraires. Alors, qu'est-ce que vous
pouvez répondre à ce genre d'argumentation là?
Mme Brien
(Andrée) : Excusez-moi, j'ai mal…
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Le fait d'augmenter les prix dans les
grandes… de baisser les prix, dans les grandes
surfaces, de 30 %, ce qui fait
qu'à un moment donné peut-être que celui qui… l'éditeur va être obligé d'augmenter
ses prix, alors, à ce moment-là, est-ce que l'impact sur le prix du livre, c'est
l'augmentation?
Mme Brien (Andrée) : Non, écoutez, je parle pour Costco. Notre modèle d'affaires, c'est… on
fait une marge de 14 % sur les produits mais pas seulement sur les
livres, sur l'ensemble de nos produits en entrepôt, et 15 % sur notre marque maison, qui s'appelle Kirkland. C'est un
modèle d'affaires. Ce n'est pas qu'on s'est levés un matin puis on a
décidé de prendre le livre comme un
secteur... La même méthodologie est appliquée à travers l'entrepôt. Puis, en
bout de ligne, là, c'est le consommateur. C'est beau de dire qu'on va
mettre un prix unique, mais c'est le consommateur qui va payer. Moi, j'ai 1,2 million de membres qui sont avant
tout des consommateurs, et puis je peux vous garantir que les prix, c'est
le facteur important. Je le vis tous les jours.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons
maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de l'Acadie,
vous avez la parole.
Mme
St-Pierre :
Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, Mme Brien. J'essaie de suivre un peu, parce
que vous semblez dire que... vous
dites : On n'est pas des libraires. Vous dites : J'ai... Peut-être
que je vous cite mal, mais vous avez dit en début de votre
présentation : On va continuer, même si une politique du prix unique est
proposée. Donc, si une politique du prix unique est proposée, vous avez des
acheteurs qui vont passer... rentrent dans le magasin, voient la primeur qui
fait le buzz partout, qui est installée en pleine face en rentrant, prennent le
livre... Puis il y a quelqu'un précédemment
qui est venu nous dire : Bien, un fan, c'est comme un fanatique puis, lui,
le prix n'aura pas d'importance. Il va
prendre la dernière biographie de Mme Dion, la dernière biographie de quelqu'un
qui est très, très connu. Donc, moi, j'ai de la misère à comprendre que
vous seriez perdants en ayant un prix unique.
Mme Brien (Andrée) : Écoutez, c'est un peu loufoque, tout ça, dans le sens que, si, demain
matin, il y avait une politique de prix unique, la chose que ça va faire
pour Costco, c'est : à la place de vendre à une marge bénéficiaire maximum
de 8 % dans le domaine du livre, je vais peut-être être à 22 %. Je
vais me retrouver à faire plus d'argent.
Mme
St-Pierre :
Oui. Bien, vous devrez, dans ce cas, être tout à fait en accord avec l'idée d'un
prix unique.
Mme Brien (Andrée) : Mais pourquoi? Les consommateurs, au bout de la ligne, là, c'est eux
qui paient. À un moment donné, il n'y a personne qui vient parler de la
personne qui passe à la caisse après... faire son épicerie, que ça soit chez
nous ou chez...
Mme
St-Pierre : Oui, mais vous dites que la personne qui arrive
au magasin, elle n'a pas dans sa tête d'acheter.
Mme Brien (Andrée) : Non, c'est...
Mme
St-Pierre : Mais elle va aller s'acheter des chaises de
parterre, elle va aller s'acheter du guacamole, elle va aller s'acheter du rôti de porc, elle va aller s'acheter
plein d'affaires qu'il y a dans le magasin parce qu'elle est partie avec
sa liste, mais elle va arriver devant un best-seller puis elle va se
dire : Bien, ah! Tiens, si je l'achetais? Donc, ce n'est pas... Autrement
dit, ce que je veux vous dire, c'est que la personne ne quitte pas la maison
avec sur sa liste : Je vais acheter la dernière biographie de, je ne sais
pas...
Une voix : Christine
St-Pierre.
Mme
St-Pierre :
...Christine St-Pierre, mettons. Mais elle est partie avec sa liste puis là,
bon, elle voit la... ça vient de sortir, puis elle l'achète. J'ai de la
difficulté à comprendre que vous seriez perdants en ayant... s'il y avait une barrière, c'est-à-dire, qui serait là pendant
trois, quatre ou cinq mois parce que c'est dans les premières semaines,
là, que, vraiment, quand un gros, gros
best-seller sort, c'est dans les premières semaines que tout se joue. Alors, si
vous aviez une barrière d'un mois, ou
deux mois, ou trois mois, il me semble que, comme citoyen corporatif puis
étant... Vous êtes en faveur des
consommateurs, mais vous êtes en faveur aussi de la culture puis des créateurs,
puis il faut que les créateurs trouvent leur compte là-dedans. J'ai de
la difficulté à suivre à quel point vous seriez perdants. Vous me parlez des
consommateurs, mais moi, je parle de votre compagnie, votre business, là.
Mme Brien
(Andrée) : Bien, écoutez, je
le vis tous les jours, pas seulement dans le domaine du livre, dans
toutes les catégories : lorsqu'on
augmente le prix, vous voyez, les gens... quand l'essence augmente de quelques
sous, à l'annonce, les gens s'enlignent dans...
Mme
St-Pierre :
Mais pourquoi vous dites qu'on augmente le prix? On n'augmente pas le prix, c'est
le prix qui est fixé au départ...
Mme Brien (Andrée) : Mais il va
devenir...
Mme
St-Pierre :
...avec peut-être une autorisation de faire un 10 % de rabais, ce qui est
quand même… si c'est sur un livre de
30 $, bien, c'est quand même 3 $, peut-être avec la possibilité
de faire un 3… un 10 % de rabais. Donc, vous n'êtes pas...
• (20 heures) •
Mme Brien
(Andrée) : Je ne suis pas
perdante dans le sens que moins de gens vont acheter… Moins de gens vont
acheter des livres parce que, si vous aviez
un budget de tant pour un livre… Peut-être en bas de 20 $, vous vous
accordez ce plaisir-là, puis au-dessus de 20 $, vous allez dire :
Bon, bien, ce ne sera pas cette semaine, ce sera peut-être plus tard. Puis le «plus tard» devient peut-être «jamais». Ce
n'est jamais… Je veux dire, je suis dans le commerce de détail depuis
plus de 30 ans puis je peux vous dire, je peux vous assurer qu'en augmentant
les prix — parce
qu'au bout de la ligne c'est ça — ça ne fera pas augmenter les ventes. Vous
allez…
Mme
St-Pierre :
Mais je reviens… Ma collègue va avoir une… Vous me direz à quel moment on…
Parce que ma collègue va avoir une question aussi.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Vous avez encore du temps, Mme la députée.
Mme
St-Pierre :
Mais je reviens sur l'idée que c'est un achat compulsif. La personne arrive,
elle n'a pas dans sa tête — à moins, là, bon, que ce serait vraiment
une idée fixe — d'acheter
la dernière nouveauté. Donc, c'est un achat compulsif. Alors, le consommateur,
s'il est sur un achat compulsif, il n'est pas allé vérifier chez Amazon,
ou ailleurs, combien le livre se vend. Il sait qu'il est chez Costco, il est
chez vous, qu'il y a des bons prix partout puis que, sur le plancher… il va
trouver son compte dans l'ensemble du plancher. Quand il va sortir, il va y
avoir trouvé son compte.
Et vous
dites : On n'est pas des libraires. Mais savez-vous qu'il y a des gens que
c'est le travail, c'est la profession? Puis
eux vont vendre le petit livre de poésie que vous ne vendrez pas chez vous.
Puis ils vont tenir la collection de… une autre collection très rare et un livre de sciences politiques et un
livre d'ethnologie, que vous ne vendrez pas chez vous. Vous allez
chercher la crème puis vous laissez les autres être obligés de… Ils n'en
vendent pas, de canapés, là, dans les librairies.
C'est pour ça que j'essaie de pousser. En tant que citoyen corporatif,
comprenez-vous que c'est un marché qui est fragile? Les librairies sont dans une situation précaire. Donc, dans ce
cas, si vous nous dites : Ce n'est pas la bonne solution, le prix
équilibré, quelle serait la solution pour assurer la pérennité de ces
librairies-là?
Mme Brien (Andrée) : Moi, je vais
vous dire une chose, j'ai 350 références en entrepôt, et puis une des choses… C'est sûr, comme je vous dis, on n'a pas
la prétention d'être des libraires, mais, si je donne le goût de la
lecture à plusieurs personnes... Ces gens-là
vont peut-être prendre un livre un jour chez nous, et puis, comme nous ne
tenons pas le fond d'une
collection — parce qu'en
ce moment, au Québec, il y a beaucoup de séries avec plusieurs volumes — alors,
à ce moment-là, j'ai peut-être donné le goût
à cette personne d'aller en librairie pour aller acheter les quatre, cinq
autres livres pour faire la collection ou terminer la lecture.
Alors, je
crois que… Je reviens que ce n'est pas la bonne solution. Il faut regarder les
choses d'une façon différente. Le transfert électronique est important.
Il faut faire attention parce que les consommateurs sont très, très frileux aux
augmentations de prix puis ils vont le ressentir, je vous en passe un papier.
Mme
St-Pierre :
…collègue.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Mme la députée de Bellechasse, vous avez la parole.
Mme Vien :
Merci beaucoup. Mme Brien, on a entendu beaucoup parler de grandes surfaces
depuis le début de ces consultations sur la fixation du prix du livre.
Merci d'être là.
Moi, j'ai un
petit peu de la difficulté à comprendre le rôle du distributeur. Et je voulais
voir avec vous, parce que vous en
avez glissé un petit mot tout à l'heure, vous avez, je pense, un 30 % — en tout cas, vous pourrez me le
confirmer, si j'ai bien entendu ce que vous
avez dit. Comment ça fonctionne? Quel est le rôle du distributeur dans la
capacité que vous avez aujourd'hui d'accorder et de consentir des rabais
aussi importants? Dans le «day-to-day», là — passez-moi l'expression
française — comment
ça se passe?
Mme Brien
(Andrée) : Dans le domaine
du livre, il n'y a pas vraiment beaucoup de… Il y a des négociations, mais c'est vraiment unique. Ce n'est pas comme dans
toutes les autres sphères de notre entrepôt, où, là, les conditions d'achat…
Mme Vien : Mais comment ça
se… Pour ça, spécifiquement pour le livre, comment ça se passe?
Mme Brien
(Andrée) : Écoutez, ça fait
25 ans qu'on fait affaire avec les mêmes distributeurs, puis c'est
toujours les mêmes rabais qui sont consentis
depuis… en tout cas, pour moi, c'est 25 ans, alors c'est la même méthodologie,
si on peut dire. Alors, il n'y a rien qui a changé vraiment dans ça, là.
Mme Vien :
Donc, si je comprends bien, c'est que
ce sont les éditeurs qui vous appellent, qui souhaitent avoir le nombre
de livres que vous pensez pouvoir vendre.
Mme Brien (Andrée) : Tout à fait.
Mme Vien : Ça, c'est une chose, puis, à côté, on a des
distributeurs qui vous disent : Voici, aujourd'hui, comme d'habitude,
je te consens un 30 %.
Mme Brien (Andrée) : Ça se produit
parfois comme ça.
Mme Vien : Donc, dans la
chaîne du livre, on a deux intervenants assez importants qui dressent la table,
si je comprends bien, pour que le prix du livre, chez vous, soit aussi
intéressant pour le consommateur. Est-ce que j'ai bien compris?
Mme Brien
(Andrée) : Bien, c'est comme
ça que ça se passe. Du côté anglophone, je fais affaire directement avec
les éditeurs, directement, je n'ai pas de distributeur, à 95 %.
Mme Vien : Et pour… Je ne
sais pas, il me reste-tu encore quelques secondes?
Mme Brien (Andrée) : Oui, il vous
reste encore du temps, Mme la députée.
Mme Vien :
Et, pour faire du pouce sur ce que disait ma collègue un peu plus tôt, notre
porte-parole, si j'ai bien compris, Mme Brien, c'est que les gens
arrivent chez vous, et ils ne pensaient pas acheter un livre, ils en achètent
un. C'est une bonne nouvelle, d'acheter des livres au Québec…
Mme Brien (Andrée) : Tout à fait.
Mme Vien :
C'est une excellente nouvelle. Donc, le prix n'a rien à voir avec l'achat qu'ils
font. Non, mais c'est… Vous comprenez, la ligne est mince entre les
deux, là.
Mme Brien
(Andrée) : Écoutez, je viens
du commerce de détail et je peux vous assurer que, lorsque j'ai vu les
résultats de notre sondage avec Léger Marketing, que 75 % de nos membres
nous ont répondu que le prix était le facteur déterminant, alors j'ai de la
difficulté à vous dire aujourd'hui qu'augmenter les livres, ça serait la bonne
solution. Moi, dans…
Mme Vien :
Ce que vous nous dites, finalement, Mme Brien, c'est : Ils ont l'opportunité…
excusez-moi, c'est un anglicisme, mais ils saisissent l'opportunité d'acheter
le livre chez vous, en particulier parce qu'il est disponible et parce qu'il
est moins cher. Est-ce que c'est…
Mme Brien (Andrée) : Oui, sans
doute.
Mme Vien : Merci.
La Présidente (Mme Richard,
Duplessis) : Ça va? Merci. Nous allons maintenant du côté du
deuxième groupe de l'opposition. Mme la députée de Montarville, vous
avez la parole pour un temps de 3 min 15 s.
Mme Roy
(Montarville) :
Ah! Je suis chanceuse. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, madame.
Une voix :
C'est l'abondance.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, c'est l'abondance. Bonjour, Mme Brien.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Je tenais à le préciser.
Mme Brien
(Andrée) : Bonjour.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci pour votre mémoire. J'aimerais revenir à votre sondage, justement, à la page 6, un sondage qui est intéressant parce qu'il
a été fait auprès de 1 362 répondants, ce qui est plus que certains
sondages politiques par les temps qui
courent. Cela dit, pour nous, la question est de savoir s'il y aura vraiment un
déplacement de la clientèle de chez vous vers les petites librairies qu'on veut
tenter de protéger ici.
Et
ce que je trouve intéressant… Et j'ai des questions à vous poser sur votre
sondage. Vous dites que, pour 75 % de vos membres, c'est le prix
qui compte. Cependant, ces gens-là continueraient de se procurer des livres
chez vous. Ma première question, c'est :
Où ils iraient se procurer des livres… Pour les autres 25 %, ils iraient
où? Et vous dites que le second choix pour nos membres, ce serait les
librairies en grande surface. Avez-vous une proportion? Dans quelle proportion
les gens iraient dans les grandes surfaces?
Mme Brien (Andrée) : La plupart de nos répondants, en majorité… Le dernier 25 %, c'est
ce qu'ils ont signifié, c'étaient les
grandes… bien, les Archambault, Renaud-Bray de ce monde, vers lesquels ils se
retourneraient. Ils aiment bien l'atmosphère
de ce… je crois que c'est l'atmosphère de ces librairies-là qu'ils aiment. Mais
il y en a toujours qui vont retourner aussi vers les plus petites
librairies de quartier, c'est sûr, je veux dire… Mais c'était un sondage où on
a essayé… l'été, on a essayé quand même de garder les questions assez courtes, là,
dans le sens où on ne s'est pas allongés pour… Alors, ils ont juste signifié que 25 % préféraient quand même aller vers l'extérieur, vers les
librairies, mais ils ont spécifié que les bannières étaient
intéressantes.
Mme
Roy
(Montarville) : Parce qu'ils ont fait le calcul,
75 % disent qu'ils continueraient à acheter des livres chez vous.
Mme Brien (Andrée) : Au même titre, à prix égal. Vous êtes déjà en entrepôt, pourquoi vous
déplacer? Est-ce que vous allez faire
un autre déplacement pour aller… Certaines personnes vont le faire, mais il y a
certaines personnes qui ne le feront pas non plus.
Mme
Roy
(Montarville) : Est-ce qu'on a le chiffre de ce
«certaines personnes vont le faire»? Parce que toute la question est de
savoir si, à ce prix unique, les gens se déplaceront ailleurs pour aider les
petites librairies.
Mme Brien (Andrée) : J'ai fourni notre rapport à la commission, alors… Je n'ai pas le
chiffre exact, mais c'est dans une proportion d'environ, je dirais… une
personne sur cinq prendrait le chemin d'une librairie, à peu près.
• (20 h 10) •
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Je vous remercie beaucoup, Mme Brien.
Merci.
Merci. Mme la députée
de Gouin, vous avez la parole.
Mme
David : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, Mme Brien. Peut-être
juste une couple de commentaires avant de poser ma question. Personne n'aime
payer cher quoi que ce soit. Vieux principe. Cependant, il y a pas mal de monde au Québec, quand
même, qui vont faire des choix parce qu'à un moment donné les gens se mettent à
accorder de la valeur à certains
objets qui peuvent leur être chers, ou même à… je ne sais pas, moi, manger bio.
Ça coûte très cher, puis il y a des gens qui vont se priver d'autre
chose pour réussir à le faire. Autrement dit, tout est toujours trop cher, mais
ça dépend de la valeur qu'on accorde à la chose, ou au bien, ou au service qu'on
veut avoir.
Donc,
si le livre est un objet important — et moi, je pense qu'il l'est pour beaucoup
de gens — on va
accepter de le payer ce que certains appellent son juste prix. Et je souligne
justement, dans votre mémoire, que 75 % de vos membres disent : On
aime acheter un livre chez Costco parce qu'il est moins cher. Mais, en même
temps, la même proportion — c'est vous qui l'écrivez — continueraient d'acheter le même livre chez
Costco s'il y avait le prix réglementé. Moi, j'en comprends, selon vos propres dires, que les gens accordent
donc tout de même, même des lecteurs ou lectrices occasionnels, une
certaine valeur au livre.
Deuxième
commentaire que je vous soumets, c'est que plusieurs sont venus nous
dire : Peut-être qu'à court terme les consommateurs, consommatrices
seraient contents, mais pour se rendre compte qu'à un moment donné, s'il n'y a plus de petits joueurs, et il y a quelques
gros joueurs seulement, bien, ça va faire comme en Grande-Bretagne :
les prix, en général, vont augmenter, le
prix du livre va augmenter, et donc, là, les consommatrices et consommateurs
seront perdants.
Troisième commentaire, il y a quand même des libraires qui
nous ont dit qu'il y a des gens qui, à certains moments, rapportent le livre qu'ils leur ont acheté parce qu'ils se sont
rendu compte qu'il est moins cher chez Costco, donc... ou ailleurs, là, dans d'autres grandes surfaces. Donc, je pense
qu'il n'y a pas 100 % des gens qui sont seulement occasionnels et
qui ne réfléchissent pas.
Mais, si j'écoute
tout ce que mes collègues ont dit, j'écoute ce que vous avez dit, même, à la
limite, si cette réglementation du prix du
livre, les neuf premiers mois, n'était pas une solution miracle, puisque ça ne
vous enlève rien...
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Mme la députée.
Mme David :
Puisque ça ne prive les consommateurs en rien, pourquoi vous y opposez-vous?
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Mme la députée de Gouin,
j'aurais dû vous dire le temps qui vous était alloué, là, je suis
désolée. En quelques secondes, peut-être, Mme Brien, répondre. Le temps est
écoulé.
Mme Brien (Andrée) : Merci. La seule chose que je veux vous... Le prix est important. Je
vous garantis que ça va faire une...
Ce n'est pas vrai que les consommateurs ne vont pas... Ils en achèteront moins.
Ils vont trouver d'autres façons de les acheter, c'est sûr et certain…
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, Mme Brien.
Nous allons suspendre
quelques instants. Et nous recevons l'Association québécoise de l'industrie du
disque, du spectacle et de la vidéo, l'ADISQ.
(Suspension de la séance à
20 h 13)
(Reprise à 20 h 14)
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Donc, nous reprenons nos travaux.
Bonsoir, Mme Drouin. Bienvenue à l'Assemblée
nationale. Je vais vous demander de vous présenter, avec votre titre, et vous
allez avoir un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Par
la suite suivra un échange avec les parlementaires. Vous avez la parole, Mme
Drouin.
Association québécoise de l'industrie du disque,
du spectacle et de la vidéo (ADISQ)
Mme Drouin (Solange) : Alors, oui, merci. Bonsoir. Donc, je suis Solange
Drouin, vice-présidente aux affaires publiques
et directrice générale de l'ADISQ, l'ADISQ qui est l'association
professionnelle qui représente les producteurs de disques, de spectacles et de vidéos du Québec. Et ces producteurs
sont responsables de près de 100 % des disques, de la sortie d'albums
d'artistes québécois, donc ils ont une connaissance aiguë de ce milieu
culturel.
Et
merci, donc, de nous avoir invités à participer à ces débats. Bien sûr, ça me
réjouit d'avoir déjà entendu… j'ai entendu
parler de musique déjà dans ce débat, donc je me sens moins comme un cheveu sur
la soupe aujourd'hui parce qu'on voit déjà des parallèles, mais c'est
justement cette idée-là qui nous a convaincus qu'il y avait justement des
parallèles à faire et des réalités qui pouvaient vous éclairer dans votre
réflexion, qui nous a donc convaincus de nous présenter devant vous aujourd'hui.
Pour
illustrer en quelques mots — évidemment, c'est ce qu'on peut dire en deux
minutes — donc,
les similarités entre nos deux
secteurs, je vous dirais que dans les deux cas, chacun de nos secteurs, on met
de l'avant soit un créateur d'oeuvres musicales, dans le cas de la
musique, et, dans le cas évidemment de la littérature, on met de l'avant un créateur d'oeuvres littéraires, pour ensuite
vendre au public des exemplaires de cette oeuvre-là. Donc, on a un
mécanisme, une organisation de milieux qui
est tout à fait semblable. Ce n'est pas le cas dans les autres milieux
culturels. On ne pourra pas faire les
mêmes comparaisons, par exemple, entre le milieu du cinéma ou le milieu de la
télé. Ce n'est pas… on ne vend pas des produits finis. On vend des droits à des
diffuseurs, ce n'est pas tout à fait la même mécanique. Mais je pense qu'entrele secteur de la musique et celui du livre,
donc, il y a cette similarité-là. Notre secteur, celui de la musique, a connu
de très grands bouleversements au cours des 10, 15 dernières années, et
ces changements-là sont tellement profonds
et se sont concentrés au niveau justement des fonctions de distribution et de
vente au détail, avec des conséquences tellement graves que notre
capacité, en tant que secteur au complet, de continuer d'offrir au public
québécois un accès à une musique québécoise riche et diversifiée est même
compromise, et ce, malgré… ce qui est le plus
surprenant, c'est… et ce, malgré le fait qu'il n'y a aucune pénurie de talent
au Québec et d'entrepreneuriat au Québec. Il y a énormément de talent en musique comme il y a énormément de talent
en littérature, dans le domaine du livre, mais, dans notre secteur,
malgré ce foisonnement de talent, la capacité de rejoindre le public, et donc
qu'on régénère le contenu, est compromise.
Il
y a eu évidemment le premier… et vous allez me demander pourquoi, le premier
événement très important qui est venu
dans notre secteur, c'est le contournement total qu'on a eu dans le secteur des
fonctions de distribution et de vente au détail par le piratage des oeuvres. Ce piratage, qui a été endémique et
qui l'est encore, évidemment a fait en sorte qu'il y a eu des
conséquences directes sur les résultats, sur les ventes de disques.
Mais ce n'est pas le seul
bouleversement qu'on a connu. Il y a eu un bouleversement aussi dans le secteur
de la distribution. Il y a… Mais, pour que vous saisissiez bien le
bouleversement tel qu'il est, c'est qu'il faut se rappeler que la distribution indépendante de musique
québécoise a été un des ingrédients clés du succès de la musique
québécoise sur le territoire québécois. Et
ça, ce n'est pas moi qui le dis, c'est Marc Ménard, qui s'est présenté devant
vous et qui a fait une étude à ce sujet-là lorsqu'il était en fonction à
la SODEC. Donc, la distribution indépendante était vraiment un ingrédient du
succès, entre autres.
Avec l'arrivée de la distribution
indépendante, les Québécois… Avant l'arrivée, pardon, de la distribution indépendante au Québec, les artistes québécois,
les disques d'artistes québécois étaient distribués par des
multinationales, des multinationales étrangères, Sony, BMG, EMI, Warner, que
vous connaissez. Mais, comme notre marché est petit et qu'il y a des risques plus grands à distribuer des artistes locaux
que de distribuer des artistes qui ont déjà une renommée internationale, les multinationales se sont
retirées totalement de notre secteur, de notre marché au moment de la
récession du début des années 1980, laissant en plan complètement la
distribution des disques d'artistes locaux. Donc, plus de distribution d'artistes
locaux possible parce que les multinationales sont parties, plus intéressées
par notre marché. Heureusement, il y a 30,
40 ans, il y a des gens d'affaires d'ici qui ont vu là une occasion d'affaires
et qui ont créé le marché indépendant
de la distribution, qui fait… et au service presque exclusivement des artistes
locaux. Et, comme leur entreprise dépendait
presque exclusivement des artistes d'ici, ils y ont mis tous leurs efforts et
ne se sont pas désengagés — même s'il y a eu d'autres récessions depuis 1980 — mais ils ont même contribué au succès des artistes
et des entreprises québécoises depuis près de 40 ans.
• (20 h 20) •
Avec les développements
technologiques, il y a de nouveaux joueurs dans le domaine de la distribution, qu'on appelle maintenant des agrégateurs, mais c'est
la même fonction qui est prise. C'est
des distributeurs de contenu de numérique, qui ont fait leur apparition
pour approvisionner en contenus musicaux les services de musique en ligne
majoritairement… pas majoritairement, presque exclusivement étrangers.
Les
entreprises québécoises de distribution, elles, se sont adaptées à ce nouvel
environnement, mais maintenant elles
se confrontent réellement à des joueurs internationaux dans la distribution des
disques locaux. La question qui se pose
aujourd'hui dans notre secteur, en distribution, c'est :
Est-ce que ce changement sera bénéfique pour la
production locale de façon durable ou, si le
passé est garant de l'avenir, on risque de devenir moins intéressants pour eux,
à un moment donné, et au
risque de nous abandonner une autre fois, laissant en plan, encore une fois, la
production locale? Mais là on parle, évidemment, dans le monde numérique.
Dans le
secteur de la vente au détail de la musique, il y a aussi des changements
encore plus fondamentaux. On est passés
de la vente à l'unité d'albums complets dans le domaine physique, vous le
savez, à la vente numérique d'albums et de pistes. Et là on se dirige en vitesse grand V à la consommation de la
musique par le biais de services par abonnement, qui donnent accès au public, au moyen… par un abonnement d'à peu près 10 $ par mois, à
23 millions de chansons que vous
pouvez écouter tant que vous voulez, tant et aussi longtemps que vous payez
votre abonnement. Donc, on se dirige vers
cette réalité-là. Ce n'est pas encore très… ce n'est pas encore la grande
réalité au Québec, mais, à travers le monde, il y a beaucoup de cette réalité-là, et tout ça, ça a chamboulé de façon
très importante l'économie… l'ensemble de l'économie de notre secteur.
Dans la vente au détail des albums numériques,
les prix ont été fixés par un joueur, aujourd'hui totalement dominant, que vous connaissez tous, qui s'appelle
iTunes, sans aucune logique avec les coûts réels du produit. Les revenus
des albums numériques génèrent donc 30 % de moins que les ventes d'albums
physiques. L'arrivée des ventes de chansons
à la pièce à 0,99 $ ne suit pas non plus quelque logique que ce soit par
rapport aux coûts de production et de commercialisation
des oeuvres d'un artiste de la chanson. De plus, le seul fait de vendre
maintenant à la pièce ce qui se vendait
alors en bloc, dans un album de plusieurs pièces, fractionne d'autant les
revenus qui reviennent à chacun des artistes.
Quant à l'arrivée
des services par abonnement, qui sont totalement dominés par des joueurs
étrangers qui n'ont aucun intérêt à
mettre de l'avant notre culture... «My God!», une minute. La situation est
encore plus critique, puisque, maintenant, les revenus y sont générés
par passage, et on parle de fractions de sous, 0,005 $ par passage, qui
fait que les rémunérations sont totalement
dérisoires et que… quand il y une rémunération, parce que ces services
étrangers n'ont, comme je vous le
disais, aucun intérêt à mettre de l'avant nos artistes, et l'offre de contenu
étant tellement phénoménale que les passages de pièces des artistes d'ici
sont endémiques.
Donc, c'est
vraiment une réalité qui est venue du changement dans toute la structure de la
vente au détail, qu'on ne souhaiterait pas qu'il arrive, évidemment,
dans le domaine du livre. Vous avez aujourd'hui… Vous ne pouvez pas réécrire le passé, mais vous pouvez écrire l'avenir
pour l'industrie du livre. Donc, il est urgent d'agir, et je vous
soumets très humblement que nous n'avons pas
le luxe d'attendre, de ne rien faire, que les bienfaits potentiels dépassent
largement les inconvénients pressentis, et il vaut mieux avoir des remords que
des regrets.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Merci, Mme Drouin. Nous allons débuter les échanges. M. le député de
Saint-Hyacinthe, vous avez la parole.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente.
Bonjour, madame. Votre exposé était quand même passionné. Si on fait un
parallèle entre le disque, ou la musique, et le livre, comment voyez-vous la
vente du livre numérique ou l'approche par le livre numérique, les commandes ou
l'achat d'un livre numérique versus… On nous a dit souvent qu'un livre c'est
différent de la musique parce qu'un livre, tu peux le toucher, tu peux le lire,
tu peux te… Tu sais, tu peux le palper, là,
ça a une saveur, tandis que la musique, tu mets le disque, tu l'écoutes ou tu l'écoutes
à la radio, tu l'écoutes sous toutes
formes, le iPod, n'importe quoi. Mais, à ce moment-là, ça fait différent. Mais
comment… si on fait le parallèle avec le livre, comment vous arrivez à dire que
le prix, la réglementation du prix du livre, va sauver les libraires, mettons?
Mme Drouin (Solange) : Bien, premièrement, je ne pense pas qu'une
législation sauve un secteur. Vous avez devant vous une proposition qui
est soutenue par un ensemble dans… un secteur au grand complet et qui va faire une
différence, mais c'est une pierre à un édifice, comme dans le domaine de la
musique. Moi, j'ai entendu souvent… J'ai
donné je ne sais pas combien d'entrevues. On me disait : C'est
quoi, la solution, la solution dans
le domaine? Il n'y en a pas une, solution. Il y a plusieurs actions à
mettre en marche pour, évidemment, qu'on s'en sorte au bout du compte et qu'on
soit capables encore d'offrir aux Québécois de la musique ou encore des livres
québécois.
Donc, moi, je pense
sincèrement que cette pierre-là que vous avez… C'est important, justement, de
bâtir cet édifice-là. Il n'est surtout pas
le temps d'attendre d'avoir la solution ou l'architecture de l'édifice au grand
complet pour commencer à faire quelque chose. Parce qu'entre le passage
d'un monde physique à un monde numérique… Moi, ça fait 21 ans que je suis à l'ADISQ, j'en entends parler depuis 21 ans.
Puis mon premier MIDEM, en 1992, on parlait déjà du monde numérique, mais il s'est passé beaucoup de
temps avant que ça se mette en place et que ça s'accélère, mais, quand
ça s'est accéléré, ça s'est accéléré très
vite. Mais donc vous avez, d'ailleurs, un laps de temps avant que le milieu du
numérique soit là, et présent, et plus
prenant dans le monde du livre. Donc, vous avez quelque chose à faire qui peut
être signifiant dans le livre physique, et numérique également.
Mais
je ne pense pas que votre souci premier, bien humblement… je ne suis pas une
experte dans le domaine du livre. Je
pense que votre souci premier devrait être le livre physique parce que c'est
encore 96 % du marché et que, de toute façon, si vous donnez un peu de souffle à cette industrie-là, vous aurez
le temps, justement, dans les prochaines années, de penser à peut-être d'autres
mesures qui pourront si jamais ce déclin-là arrive, de toute façon. Est-ce que
ça répond à votre question?
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Oui, merci. Vous parlez d'accélération
éventuelle de l'achat du livre numérique. On sait que c'est à peu près…
ça joue entre 4 % et 7 %, peut-être, au Québec, ici. Aux États-Unis,
c'est beaucoup plus élevé. Comment vous arrivez
à dire qu'il pourrait y avoir une accélération de l'achat du livre numérique en
fonction de l'évolution actuellement, alors qu'on sait que ça ne monte pas
très, très, très rapidement ici?
Mme Drouin (Solange) : Bien, écoutez, il y a des phénomènes, des fois, d'accélération.
Je ne sais pas, peut-être que monsieur Je-ne-sais-pas-qui va découvrir
encore quelque chose de mieux que la tablette numérique qui se fait présentement, puis, à un moment donné, il va y
avoir des gens qui vont l'adopter de façon… plus largement. Ça va être
difficile de prédire ça.
La
seule chose que je peux vous dire, c'est que, oui, il peut y avoir des
balbutiements. Puis je ne suis pas en train… Bien malin est capable de prédire l'avenir, là. Je pense que l'avenir
est incertain pour tout le monde. Mais il peut y avoir des phénomènes d'accélération,
il peut y en avoir, mais on ne les voit pas nécessairement présentement. Je
sais que, dans l'industrie de la musique, on en a parlé longtemps avant que ça
s'accélère, mais il y avait des balbutiements déjà, je vous dirais, même il y a 15 ans. Ça s'est largement accéléré à cause des
phénomènes de société, démographiques et de technologie. Je pense que l'industrie
du livre n'est pas à l'abri de ça. Mais, en même temps, ça se peut que ça
prenne plus de temps dans l'industrie du livre, puis ça se peut que ça n'arrive
jamais non plus.
Et moi, je pense que
je suis encore une de celles — malgré les résultats qu'on a dans le
domaine de la musique — qui pensent que le physique et le numérique
vont cohabiter. Ils vont cohabiter parce qu'il y en a encore… Avant qu'on meure tous, là, les 50 et plus, là, j'espère
que ça va prendre encore quelques années. Donc, il y a du chemin. Et il
ne faut pas oublier que la grosse partie de la population… les jeunes, là, on
entend beaucoup parler des jeunes, mais… on
n'en est plus, mais c'est 15 % de la population. Le reste, là, c'est vous
et moi, et on n'adopte pas nécessairement ces comportements-là si
rapidement, mais… Peut-être qu'on y viendra, mais il y a encore du temps pour…
Ça peut se faire plus rapidement, mais… moins rapidement, on verra. Voilà.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : O.K. Vous disiez que le prix du…
la votation du prix du livre — ou la réglementation du prix sur le
livre — n'est
peut-être pas la seule solution à apporter pour régler complètement la problématique. Mais, si vous avez d'autres…
Avez-vous d'autres… des suggestions ou des solutions que vous pensez qui
pourraient être apportées, pourraient être bénéfiques pour améliorer la
situation, justement, dans ce domaine-là?
Mme Drouin
(Solange) : Bien, écoutez, dans le secteur de la musique, pour
vraiment bien établir un contexte de développement de la musique, il faut être
actifs en droits d'auteur, en financement des entreprises, en formation, en radiodiffusion, en promotion
collective, comme faire des galas. Et il y a un ensemble de mesures. Mais
je pense que, dans le domaine du livre, Marc
Ménard, ce brillant professeur que vous avez eu la chance d'avoir, que
nous n'avons plus à la SODEC — nous en sommes bien tristes — vous a… qui connaît beaucoup mieux le marché
du livre que moi, le milieu du livre, en a proposé d'autres. Je pense
que ces gens-là connaissent leur métier et connaissent les gens du milieu,
connaissent aussi… Ils vous ont proposé d'autres solutions.
Mais moi, je
trouverais dommage que vous vous empêchiez de mettre en place une mesure, même s'il
y a autres choses sur lesquelles vous
pourrez plancher dans un avenir plus
ou moins rapproché. C'est une pierre
d'un édifice qui peut être importante.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci beaucoup.
• (20 h 30) •
Mme Drouin
(Solange) : Ça me fait plaisir.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. M. le ministre, vous avez la parole.
M.
Kotto : Merci. Merci
pour la contribution à la réflexion. Vous êtes bien au fait qu'appliquer une
réglementation du genre, tel que suggéré par
la quasi-totalité de l'industrie et vous-même
ici, ce soir, se ferait sur une base empirique. Est-ce qu'à l'instar de certains qui sont passés vous jugeriez pertinent
de faire une étude fine afin de dégager les impacts ou d'identifier les
impacts de différentes natures, économiques surtout, avant de procéder?
Mme Drouin (Solange) : Bien,
écoutez, je pense que vous avez entre les mains déjà un certain nombre d'études
qui…
M. Kotto : …spécifiquement du
contexte québécois.
Mme Drouin
(Solange) : Non, vous avez
raison. Vous avez raison, on a des particularités, évidemment. Je vous dirais que je pense que ça fait longtemps que c'est
discuté. Ce n'est pas la première fois qu'on en discute, de ce moyen-là.
Ça a déjà été quelque chose qui a été
avancé, il y a plus de 10 ans, si je me rappelle bien, dans mes lectures.
Je pense qu'il y a largement des gens
qui ont réfléchi… Et, dans certains cas, oui, on est particuliers, le milieu du
Québec, bien sûr, mais des fois on
est des gens aussi… qu'on ne réagit pas nécessairement différemment non plus
des sociétés qui s'apparentent à la nôtre. Alors, je pense qu'il y a un
enseignement à tirer de là.
Mais, comme je vous dirais, moi, le fait d'attendre
encore… Je pense que vous allez arriver, de toute façon, à une décision, je vous dirais, à ce point… de
volonté politique de le faire ou de ne pas le faire. Je pense que vous avez
entre les mains déjà beaucoup de choses. Je
pense que c'est ça que vous devez choisir. Comme je vous disais, il vaut
mieux avoir des remords que des regrets. Pour moi, je pense que ça serait…
Et contrairement… Il y a déjà d'autres
études — puis,
moi, ça va me faire plaisir de vous les… — dans notre secteur, qui ont
été faites. Parce que, quand j'entendais madame, qui m'a… qui a passé de façon…
avant moi, qui parlait du prix, comment la valeur du prix est importante, on a
fait des études, nous, dans notre secteur, pour… sur 5 000 Québécois — ce n'est pas rien, hein, on élit des
gouvernements avec un sondage à 1 000 personnes, on a fait un
sondage sur 5 000 personnes — et le prix, dans le milieu culturel, n'était
pas le facteur déterminant pour choisir ou non, par exemple, l'achat d'un
billet de spectacle, le prix était le troisième facteur. Le manque de temps
était le premier, la proximité était le deuxième.
Donc, moi, je ne pense pas… Je ne suis pas dans
le domaine de la consommation, mais dans le domaine de la culture depuis
longtemps et je pense que la nature particulière du bien culturel fait en sorte
que le prix n'a pas la même valeur qu'une
canne de petits pois et que, là, à ce moment-là, si on augmente le prix d'une
canne de petits pois, ça a peut-être un impact plus grand sur la
décision d'achat, mais, sur un bien culturel, je suis portée à penser qu'il y a
une élasticité plus grande.
M. Kotto :
Vous avez réitéré ce que vous disiez dans la conclusion de votre exposé. Vous
avez dit : Il vaut mieux avoir des remords que des regrets. Quels
sont les regrets dans votre secteur spécifique?
Mme Drouin (Solange) : Ils sont
nombreux. Je viendrai vous en parler, si vous voulez, quand vous… Mais, écoutez, c'est qu'il y a eu beaucoup de
rendez-vous manqués dans notre secteur. Pas nécessairement au niveau du
Québec, on a eu des beaux rendez-vous. Il y
a des rendez-vous qui ont été là, qu'on a pris ensemble avec… même avec
l'ensemble des gouvernements passés et actuels. Mais, je vous dirais, il y a eu
beaucoup de rendez-vous manqués, notamment avec nos amis du fédéral, avec une
législation de la Loi sur le droit d'auteur, qui est catastrophique. C'est un
gros rendez-vous manqué, ça, en 2009. En
radiodiffusion, il y en a énormément avec le CRTC. Le fait de ne pas
réglementer les services de musique en ligne
ou les nouvelles façons de consommer la musique, pour nous, c'est un énorme
rendez-vous manqué parce que, pendant
ce temps-là, se développent des services à l'extérieur et qui ne tiennent pas
du tout compte de notre réalité, de notre production, et se développent
sans nous avec aucune retombée chez notre secteur. Donc, il y a des rendez-vous
manqués.
M. Kotto : O.K. Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons
maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de l'Acadie,
vous avez la parole.
Mme
St-Pierre : Merci.
Ça fait un petit bout de temps qu'on s'est vus, et je remarque que vous n'avez
pas perdu votre énergie.
Vous dites…
Bon, vous n'êtes pas une experte dans le monde du livre, mais vous nous
éclairez quand même sur l'expérience qui a été vécue dans le domaine de la
musique. Je comprends que vous engagez le gouvernement à vraiment
agir, et de façon rapide. Cependant, vous dites : D'autres mesures
pourront prendre le relais. Là, c'est parce que, si le gouvernement s'engage dans
cette mesure-là, ce n'est pas pour arriver avec d'autres mesures l'année
prochaine, là, c'est pour que ça soit une mesure qui serait solide et
qui donnerait une sorte de garantie pour… années, là. On ne fait pas cet
exercice-là, tout le nombre d'heures qui sont passées ici, en commission
parlementaire, plus les heures qui ont été passées
avant, et je le sais, puis les heures qui vont se passer après… Alors, ça ne
peut pas être une mesure transitoire ou une mesure : Ah! O.K., on
fait ça puis, l'année prochaine, bien là on va passer à autre chose. Il faut
que ça soit plus solide que ça. Puis j'aimerais
ça vous entendre. Je comprends, vous êtes en faveur, vous dites : Il faut
le faire, puis vous dites : Si on regarde l'expérience de la
musique… Mais, en même temps, ça évolue énormément avec les nouvelles technologies. Vous voyez cette mesure-là… Elle pourrait être
bonne pendant combien d'années, là? Est-ce qu'il faut qu'on recommence l'an
prochain tout le processus?
Mme Drouin
(Solange) : Ce n'est pas ce
que… Je comprends que ce n'était pas clair. C'est que, si jamais cette mesure-là… non, puis, même si
elle produisait les effets escomptés, ce qu'on pense — elle
produit les effets escomptés — lesecteur est tellement mouvant présentement… je pense que le secteur culturel, de façon
générale, est tellement
mouvant que peut-être qu'il y
aura des mesures supplémentaires. Ça
ne veut pas dire qu'il faudra
abandonner cette mesure-là, mais peut-être qu'il y aura des mesures
supplémentaires à mettre en place pour colmater d'autres brèches. Parce que c'est
difficile, je pense, et je comprends…
Mme
St-Pierre : Vous avez dit… Je m'excuse. Vous avez dit :
D'autres mesures qui pourraient prendre le relais?
Mme Drouin (Solange) : Oui, le
relais.
Mme
St-Pierre : Vous
pensez à quel type de mesure?
Mme Drouin (Solange) : Non, bien…
Mme
St-Pierre : Puis
ce que vous nous suggérez, c'est que ça serait transitoire.
Mme Drouin (Solange) : Non, non,
non. O.K.
Mme
St-Pierre : Ça ne
serait pas permanent, ça serait une petite mesure pour pallier un peu à l'urgence.
Mme Drouin (Solange) : Parfait. Je
me suis mal exprimée. Ce n'est pas ce que j'aurais dû dire.
Mme
St-Pierre : O.K.
Mme Drouin
(Solange) : Ce que je
voulais vous faire comprendre, c'est qu'il se peut que cette mesure-là, à un moment donné, ne soit pas suffisante
et que le secteur se soit développé de telle façon qu'il faille colmater une
autre brèche d'une autre façon. Alors, ça ne
veut pas dire prendre le relais de cette mesure-là qui, elle, resterait
permanente, mais peut-être qu'il y aura autre chose à rajouter. Dans notre
secteur, dans le domaine de la musique, comme je vous disais, il n'y a
pas une pièce de… il n'y a pas seulement une pierre qu'il a fallu mettre, il y en a
plein de pierres qu'il faut
mettre, il faut continuer à en mettre pour faire cet édifice-là, qu'il se
tienne un peu… que l'édifice se tienne un peu.
Alors, je ne
suis pas en train de dire qu'il
faudra la mettre de côté, mais peut-être qu'à un moment donné elle ne
sera pas suffisante, ça se peut. Et là, oui, je comprends, le travail
parlementaire, c'est beaucoup de travail pour vous, c'est beaucoup de travail
pour nous. Mais, à un moment donné, notre secteur, le secteur de la culture,
est tellement en changement que c'est difficile de penser à des choses
permanentes sans devoir les réviser à un moment ou à un autre. Puis c'est ce
que je souhaitais dire.
Mme
St-Pierre : Sur le plan de, justement, cette mesure-là qui
est envisagée, avec l'expérience que vous avez dans un domaine qui, à
mon avis, est connexe, mais qui ne l'est pas tant que ça, là, est-ce que vous
pensez que ça serait clair qu'on pourrait sauver la… Est-ce qu'on pourrait
assurer la survie des librairies indépendantes ou si on joue avec du «peut-être
que»?
• (20 h 40) •
Mme Drouin
(Solange) : Moi, je pense, avec
les marges bénéficiaires avec lesquelles… qui s'apparentent aux marges
bénéficiaires dans le domaine du disque, il suffit de passer de 0,4 % à
moins 2 % et on ferme. Alors, la marge bénéficiaire…
c'est-à-dire, la marge de manoeuvre qu'ont ces librairies-là, elle est très
mince. Quand on est capable d'être au-dessus…
de se tenir au-dessus de la mêlée, tant mieux, mais on voit qu'elle est mince.
Donc, je pense que tout apport supplémentaire qui pourrait leur donner
justement cette marge de manoeuvre là pour mieux rendre service, pour mieux rencontrer les obligations qu'ils ont à
rencontrer puis mieux encore servir les Québécois en termes d'accueil,
et de référencement, et de tout ce qu'ils
ont à faire, je pense que, oui, ces mesures-là vont faire une différence quand
on est… Et surtout la marge est tellement petite que, si on ne le fait
pas, on a vraiment… il suffit de pas grand-chose pour qu'on… soit ma marge bénéficiaire soit à moins 2 % pendant trois ans
puis je ne peux plus tenir le coup. Alors, je pense sincèrement que ça
peut aider, oui.
Mme
St-Pierre :
Vous dites quoi à la dame qui vous a précédée, Mme Brien, de Costco, qui a
répété à plusieurs reprises qu'on va
s'acheminer vers une augmentation des prix? Elle le voit comme une augmentation
des prix. Vous lui répondez quoi? C'est-à-dire, elle, ce qu'elle dit, c'est
qu'il va s'en vendre moins, de livres.
Mme Drouin
(Solange) : Bien, écoutez,
moi, c'est un peu ce que je disais, je pense que les biens culturels ont
une valeur. On a une relation à un bien culturel qui est différente qu'un autre
bien vendu dans ces grandes surfaces là. Je pense
que, oui, le prix… c'est sûr que le prix risque d'augmenter. Mais est-ce que ça
va freiner l'achat? Je n'en suis pas du
tout convaincue parce que justement, quand on passe devant cette rangée-là et
on voit le livre qu'on souhaite avoir, oui, c'est un achat impulsif. Puis tout l'argumentaire
que vous avez fait vous-même, je trouvais tout à fait brillant de
dire : Bien, il est impulsif. Donc, je
ne le sais pas, s'il est vendu moins cher ailleurs, je le prends. J'ai l'occasion
de le prendre maintenant, je le prends. À plus ou moins 2 $,
3 $, je vais probablement le prendre sur place en faisant mon Costco.
Alors, je ne pense pas, moi, que, si, ultimement…
Je ne pense pas qu'ultimement c'est... Les gens qui font ce commerce-là ne sont pas dans le domaine de la
culture, ils l'ont dit eux-mêmes. Je pense que la vision qu'ils ont de
leur milieu... du milieu de la culture, est
assez limitée. Donc, quand on a un milieu au complet qui vous dit qu'ils
connaissent leurs consommateurs, qu'ils
connaissent leurs gens et qui se disent que, oui, ça risque d'avoir un impact,
je pense qu'ils ont… vous devriez leur accorder un poids plus grand à ce
qu'ils disent, contrairement à des gens qui ne font pas partie du secteur
culturel.
Mme
St-Pierre :
Parfait. Merci beaucoup. J'ai terminé.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième groupe d'opposition. Mme la
députée de Montarville, vous avez la parole.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour,
Mme Drouin. D'abord, c'est un plaisir de vous écouter, effectivement.
Je vais me
permettre une analogie qui va être, à n'en pas douter, très boiteuse. Mais,
avec ce que l'on connaît, ce que vous
nous avez expliqué de l'industrie du disque, de la musique, avec ce qui est
arrivé avec cet agrégateur qui a pris la place, iTunes, qui contrôle
tout, qui contrôle les revenus, les prix, vous nous dites qu'il y a ce
fractionnement des revenus, que la
rémunération des artistes est pratiquement dérisoire, que l'offre de contenu
artistique local est famélique. Avec
tout ça, avec tout ça qu'on connaît, est-ce qu'une loi — similaire à ce qu'on demande actuellement
avec le livre, avec cette loi n° 51, cette fixation des prix — aurait
pu aider l'industrie de la musique québécoise, aurait pu la sauver, en quelque
sorte, et permettre à nos artistes de mieux vivre ou est-ce qu'un c'est un
parallèle qui ne se fait pas?
Mme Drouin
(Solange) : C'est une très
bonne question. Je me la suis posée, parce qu'après toutes ces années
bien du monde, là, tu sais… On a manqué un
bateau. Tant mieux s'il y en a qui peuvent le prendre en prenant exemple sur
une industrie qui n'a pas eu cette idée-là. Mais on a des structures d'intervention
gouvernementale qui sont quand même différentes. Il n'y a pas de loi n° 51
dans notre secteur, il n'y a pas… C'est une organisation complètement… Je suis
d'accord avec vous, Mme St-Pierre aussi, qu'il y a des parallèles, mais il y a
des différences. Mais peut-être que ça aurait…
Oui, il y aurait sûrement un… on aurait pu en tirer un bénéfice, parce que, là,
le prix a été complètement fixé sans…
Quelqu'un qui s'est levé un matin puis... On m'a carrément… On a carrément… On
m'a carrément dit ça, qu'il y a quelqu'un qui s'est levé un matin chez
monsieur… chez iTunes, qui a dit : Bien, ça va être 0,99 $ puis ça va
être 9,99 $. Puis eux, de toute façon,
même après toutes ces années, depuis 2003 qu'iTunes est en place, ils ont vendu
23 milliards de chansons, ils sont à peine rentables parce que, pour
eux, c'est un marché… c'est pour vendre des iPhone, des iPod, des iPad. C'est
un «loss leader», comme on dit.
Alors, si on
avait pu au moins fixer un prix qui avait de l'allure, et encore plus avec les
services par abonnement… parce qu'avec
les services par abonnement, avoir accès à 13 millions de chansons pour
10 $ par mois, ça n'a pas de bon sens.
Économiquement, pour les gens qui produisent ces biens-là, il n'y aura pas de
retour sur l'investissement. Je ne sais pas comment on va faire pour se
sortir de là, vraiment, tellement que... Seulement pour vous donner un exemple
en chiffres, le service Pandora, aux
États-Unis, le propriétaire de ce service-là, qui est un service de musique en
ligne — on
a accès à ce genre de service là — a dit que quelqu'un qui avait passé 1
million de fois sur son service a reçu un chèque
de 1 370 $. C'est ça, les paramètres. Donc, si on avait pu intervenir
sur la fixation du prix pour ce genre
de service là, c'est sûrement, comme je vous dis, un ingrédient qui
aurait pu faire une différence, mais on n'en est plus là, malheureusement.
Mme Roy
(Montarville) : Mais on est avec la même technologie qui est
le numérique, là, qui va toucher le livre québécois et qui va toucher
éventuellement, si on se fie aux chiffres américains où près du quart des
ventes du livre ont été des livres
électroniques, là, au cours de l'année précédente… Donc il y aurait un
parallèle à faire. Mme Drouin, merci beaucoup.
Mme Drouin (Solange) : Ça fait
plaisir.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci beaucoup, Mme Drouin. Nous allons suspendre quelques instants pour
permettre aux représentants des Éditions Boréal de prendre place.
(Suspension de la séance à 20 h 45)
(Reprise à 20 h 47)
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Nous reprenons nos travaux. Bonsoir, messieurs, bienvenue à l'Assemblée nationale. M. Assathiany, je vais vous demander de vous
présenter et de présenter les personnes qui vous accompagnent. Vous
allez disposer d'un temps maximum de 10 minutes pour faire votre exposé, par la
suite suivra un échange avec les membres de la commission.
Donc, la parole est à vous. Je vous ai désigné parce que vous êtes le président-directeur
général.
Les Éditions du Boréal
M. Assathiany (Pascal) : D'accord.
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, je suis Pascal Assathiany, comme vous
le disiez, directeur général des Éditions du Boréal depuis 1989. Auparavant, j'ai
été libraire pendant six ans et j'ai fondé, en 1974, la maison de distribution
Dimedia, dont je suis toujours le président. J'ai également fait un passage,
entre 1985 et 1987, à la direction commerciale des Éditions du Seuil, à Paris,
et j'ai assumé la présidence de l'Association nationale des éditeurs de livres
entre 1998 et l'an 2000. Je suis accompagné de Jacques Godbout, cinéaste,
écrivain et président de notre conseil d'administration depuis plus de 20 ans,
ainsi que de Dany Laferrière, écrivain et globe-trotteur, dont les livres
ont reçu de nombreux prix tant au Canada qu'à l'étranger.
Notre maison
existe depuis 50 ans et publie environ 60 livres par année en littérature
générale. Notre catalogue comporte plus de 2 000 titres et nous
avons l'honneur d'y compter un grand nombre d'écrivains qui marquent la littérature québécoise et canadienne. D'entrée de
jeu, nous désirons vous dire que nous appuyons ce projet de
réglementation, car, s'il n'est pas adopté rapidement, la première victime en
sera la littérature, et plus précisément la littérature
québécoise. Au Boréal, nous publions des ouvrages d'idées, des romans, des
essais pour lesquels il n'existe aucun marché
préétabli. Un livre scolaire, un livre pratique correspondent à des besoins
identifiables. Mais nos livres, personne ne les attend a priori, ce n'est
qu'après avoir été lus qu'ils s'imposent comme symbolisant les rêves ou l'imaginaire
d'un peuple.
Prenons l'exemple de Gaétan Soucy. Celui-ci
a publié deux premiers romans qui, malgré un accueil critique favorable, se sont peu vendus, quelques centaines
d'exemplaires au plus et un déficit financier évident. La simple logique
économique aurait été d'arrêter, mais nous avons continué à accompagner son
travail et publié La petite fille qui aimait
trop les allumettes. Nous avons
communiqué notre enthousiasme aux libraires qui ont lu le livre et ont
convaincu leurs clients de le lire. Il est
devenu un best-seller, ce qui a entraîné son achat par les grandes surfaces. Et
ensuite ce livre a reçu un accueil extraordinaire en France, a été
traduit dans 26 langues, mis en vente dans plus de 40 pays. Ont suivi des
adaptations théâtrales et un projet cinématographique. L'auteur a été invité
dans le monde entier, et la littérature québécoise y a gagné des lettres de
noblesse.
• (20 h 50) •
Ce phénomène
n'est pas unique puisque des auteurs comme Kim Thùy, Nicolas Dickner,
Samuel Archibald — publiéschez des confrères — ou Dany Laferrière et
Gil Courtemanche symbolisent un Québec
littéraire dynamique dans le monde entier.
Je peux vous garantir que, sans un bon réseau de librairies, nous n'aurions pas
pu faire connaître ces auteurs. À l'époque
de Soucy, 275 détaillants avaient reçu son livre simultanément. Aujourd'hui, notre mise en vente ne se fait plus que sur un réseau de 220 détaillants et, si, demain, celui-ci diminue
encore, nous n'aurons plus assez de relais ou de médiateurs pour faire
connaître un auteur. Sans une mise en vente dynamique, un livre n'existe pas.
La disponibilité d'un titre en vitrine, dans
un catalogue ou sur un site Internet ne suffit pas, il faut quelqu'un
pour communiquer le désir de le lire. Sans ces libraires-conseillers qui
jouent souvent un rôle culturel, les nouveautés littéraires ne seront pas
soutenues. Les tirages baisseront avec pour conséquence une augmentation du
prix. Déjà, notre tirage moyen au Boréal est passé, en 10 ans, de plus de
2 000 exemplaires à moins de 1 500.
Pour un
éditeur comme nous, l'équilibre est précaire. Sur 10 livres publiés, nous
sommes déficitaires sur sept, nous couvrons les frais sur deux et le
dixième permet d'équilibrer le tout, mais le dixième est souvent un auteur… le
livre d'un auteur qui a été déficitaire dans ses livres précédents, et c'est le
libraire qui a soutenu ces titres-là.
Soulignons également qu'aucun succès littéraire
n'est ni prévisible ni reproductible. La logique économique n'est donc pas évidente dans le domaine du livre,
et, quand j'entends les apôtres du libre marché affirmer que la
compétition sur le prix des livres est une
bonne chose pour le consommateur-lecteur, je peux vous dire, de ce que j'ai vu
dans le monde, que c'est une
contrevérité avérée. Des études internationales ont prouvé que, sous un régime
de prix réglementé le prix moyen du livre augmente moins que l'indice
des prix à la consommation. En libre marché, la baisse des tirages et les
demandes de surremises de la part des gros détaillants provoquent une hausse de
prix. Les éditeurs d'ici qui doivent amortir leurs tirages sur le seul
territoire québécois ne pourront jamais concurrencer les conditions accordées
par les éditeurs étrangers qui ont déjà rentabilisé leurs livres avant de les
vendre au Québec. Ils se verront donc peu à peu exclus du marché, puis viendra
le tarissement de l'offre éditoriale nationale.
Il suffit de regarder au Canada anglais où la
catastrophe est totale. Les libraires indépendants… les librairies indépendantes ont disparu, détruites par la
compétition sauvage d'IndigoChapters. Cette chaîne a réussi, grâce à un
rapport de forces disproportionné, à obtenir de fortes remises des éditeurs qui
lui ont permis de mener une guerre de prix. Aujourd'hui, ils représentent
65 % du marché. Mais le plus triste, c'est qu'ils sont en mauvaise posture
financière, ils perdent constamment de l'argent : 15 millions de
dollars au dernier trimestre. Comme dans le jeu de Pac Man, elle est en train
de se faire manger par la grande distribution et Amazon.
La même
situation prévaut aux USA, où Borders a fermé et Barnes & Noble est en
déficit de 87 millions de dollars au
dernier trimestre, ainsi qu'en Angleterre où les chaînes font faillite après
avoir tué les libraires. La première conséquence est que l'édition
canadienne a été décapitée à tel point que le premier ministre du Canada
publie, ces jours-ci, son livre chez un éditeur américain. Il reste un seul
éditeur indépendant national et quelques petits éditeurs régionaux. Je dois
vous avouer que, pour faire traduire nos auteurs au Canada anglais, cela ne
facilite pas les choses.
Au
Québec, la loi n° 51 a permis de structurer une chaîne de diffusion du
livre qui va de l'auteur au lecteur et de construire un réseau de
librairies unique en Amérique du Nord. C'est en bonne partie grâce à cette
structure que la littérature québécoise s'est développée
depuis quelques décennies. Aujourd'hui, ce réseau de librairies s'effrite face
aux guerres de prix des Wal-Mart, Costco, etc. Une réglementation des prix
stabiliserait la situation.
On dit souvent que
les grandes surfaces ne représentent que 11 % des ventes de livres. C'est
tout de même 70 millions de dollars et près de trois millions de livres,
dont principalement des nouveautés, des livres faciles à vendre, donc rentables. Si la librairie ne
récupérait ne serait-ce qu'une partie de ces ventes, cela améliorerait
grandement leur situation. Ceci me semble
possible, puisqu'avec un prêt presque identique pour chaque nouveauté sur
l'ensemble du territoire les achats spontanés dans les librairies du quartier
pourraient se développer.
On a beaucoup parlé
ici de l'accessibilité aux livres pour les moins fortunés. Puis-je rappeler que
plus on a de librairies et de lieux de
vente, plus le livre est accessible. Pour les moins fortunés, il y a des milliers
de livres de poche, qu'on ne trouve d'ailleurs
pas dans les grandes surfaces, ainsi que des livres gratuits dans les
bibliothèques. Avec un prix
réglementé, il est exact que certaines nouveautés seraient un peu plus chères
dans les grandes surfaces — 11 %
du marché — mais
il resterait moins élevé à long terme sur tous les livres pour tous les
lecteurs.
Dans
le domaine de la culture, les monopoles réduisent la diversité et pénalisent la
production de l'offre culturelle nationale. C'est pour ça que les
accords internationaux ont accepté le principe d'exception culturelle. Si, ici,
nous n'avons plus de réseau diversifié pour accueillir et promouvoir nos romans
et nos essais, qui les publiera et les fera circuler? Le Québec ne vivra alors
que dans l'imaginaire des autres et souffrira d'un gros déficit culturel.
Pour
une rare fois, le milieu du livre, qui a plutôt tendance à s'entredéchirer, est
quasiment unanime à réclamer cette mesure qui favorise la lecture. Il y
a bien une chaîne de librairies qui, pour des raisons qui lui sont propres, s'oppose
à cette mesure, mais rappelons que, lorsque
la loi Lang a été adoptée en France, la FNAC, principal réseau de
librairies, s'y opposait farouchement. Le gouvernement a fait preuve de volonté
politique et a adopté la loi du prix unique sur le livre. Depuis, la FNAC en a
souvent vanté publiquement les effets positifs.
Le
Québec a cru bon, pour des raisons économiques et de santé publique, d'imposer
un prix plancher sur l'essence, le lait ou la bière. Nous vous demandons
de faire la même chose pour le livre. C'est un choix de société pour préserver
notre identité culturelle. Je vous remercie.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup. Nous
allons débuter les échanges. M. le député de Bonaventure, vous avez la
parole.
M. Roy :
Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, messieurs. Très bel exposé, merci beaucoup.
Sur quoi vous
basez-vous pour affirmer que les achats spontanés seront stimulés par la
réglementation du prix du livre?
M. Assathiany (Pascal) : Bien, parce que le produit culturel — je peux parler? — est souvent un achat spontané. On se promène, on rentre dans une librairie, on
rentre chez un disquaire, on rentre chez Costco mais on trouve quelque chose qui nous intéresse. Nous, on a beaucoup de
témoignages de libraires qui nous disent : Telle personne est
rentrée et elle a dit… regardé tel livre et
elle a dit : Je vais aller l'acheter chez Costco parce que c'est moins
cher. Donc, on peut penser que, s'il n'y avait pas eu cette différence
de prix, l'achat se serait fait en librairie plutôt que chez Costco. Je veux
dire, c'est la nature humaine, disons, de la consommation culturelle.
M. Roy :
O.K. Puis est-ce qu'il y aurait d'autres solutions que la réglementation du
prix pour consolider le réseau des librairies, selon vous?
M. Assathiany
(Pascal) : Ça fait quand même 30, 40 ans qu'on est dans le milieu et
on n'en a pas trouvé. Internationalement, je pense que c'est prouvé que les
prix réglementés donnent des résultats positifs. Je veux dire, il y a plus
de librairies par habitant en France, en Allemagne qu'il n'y en a en Angleterre, aux États-Unis ou au Canada anglais.
Maintenant,
je veux dire, la réglementation du prix ne réglera évidemment pas tous les
problèmes. Le monde du livre est en changement technologique, il est en
changement culturel. Mais je pense que ça stabiliserait les choses et ça donnerait le temps à des mesures… La grande faiblesse,
c'est la lecture. Donc, la lecture, où elle se développe? Elle se développe
à l'école, l'éducation, elle se développe dans la famille, elle se développe
par des campagnes contre l'analphabétisation, et je pense que, le temps que ces
généreuses activités donnent des résultats, au moins la librairie serait encore là quand les résultats
arriveraient. Parce qu'autrement je
peux vous dire : Nous, qui fréquentons les librairies régulièrement… elle est exsangue, elle est
exsangue. Il y a beaucoup de libraires qui commencent à être âgés, qui n'en
peuvent plus. Il n'y aura pas de relève, et ça va aller assez vite maintenant.
• (21 heures) •
M. Laferrière (Dany) : Ce n'est pas juste un comptoir de vente non plus,
une librairie, ce n'est pas juste un endroit où le livre se trouve comme
par hasard. Et, comme je l'ai vu à Costco, je n'ai jamais vu un livre
surveillé, protégé. Si on veut des
informations à propos de tel livre, on ne trouve personne pour le demander.
Vous savez, les libraires, il leur faut des aptitudes même de médecin,
de devin. Il y a des gens qui leur demandent : J'ai ma belle-soeur qui
voudrait lire un livre, elle aime beaucoup la couleur rose, est-ce que… quelqu'un
qui aime le rose, quel genre de livre vous pensez qu'elle voudrait lire? Et
donc c'est un lieu de vie. C'est un lieu de vie. La librairie fait partie du
goût de lire, du désir de lire. Le nombre de
librairies qu'on trouve dans les romans
montre comment la librairie est entrée dans l'imaginaire même. Et, vous
savez, entrer dans une librairie, voir quelqu'un au fond qui nous attend, on
dirait, qui semble aimer les livres beaucoup plus que nous qui voulons les
acheter, des fois, c'est important, et ça tient.
Par rapport à la question de la spontanéité, et
c'est tout à fait vrai, il y a le type de lecteurs... il y a des lecteurs qui
savent ce qu'ils viennent acheter; souvent, c'est pour faire un cadeau. Mais le
vrai lecteur, le vrai lecteur, d'abord, il n'achète pas du
premier coup : il entre dans la librairie, il furète, il voit, il n'a pas beaucoup
d'argent, il regarde, et puis finalement
il revient et, le troisième coup... et finalement il prend le livre qu'il désire depuis si longtemps.
C'est une promenade, et l'endroit doit être plaisant. Il doit vouloir y
retourner. Donc, c'est quelque chose qu'on ne doit pas négliger dans… Le désir, le désir est quelque chose d'extrêmement important.
Tout à l'heure, il parlait du fait que c'est quelque
chose d'extrêmement fragile. Ça tient à la couverture, des fois, au titre, au
libraire, à l'ambiance qui existe pour acheter un livre.
M. Godbout
(Jacques) : C'est étonnant,
hein, vous savez. J'ouvrais le Globe
and Mail hier matin et je vois
une publicité pour Indigo, qui est la grande
librairie… Bon. Qu'est-ce qu'ils
vendent? Ils vendent finalement des bougies, ils vendent des coussins,
ils vendent toutes sortes de trucs, parce qu'ils en sont rendus là. On ne va
pas dans une librairie pour ça. On va dans
une librairie pour trouver de la littérature. Et ceux qui se demandent comment
il se fait que les livres électroniques
se vendent plus ou moins, je pense que ça dépend du public. Moi, mon hypothèse,
c'est que ceux qui aiment la littérature vont continuer à lire des
livres papier et ceux qui aiment les romans policiers vont lire des romans policiers
sur des tablettes. Que c'est… Il y aura comme une spécialité, si vous voulez.
Alors, je
crois qu'il ne faut pas oublier que les libraires sont des conseillers sans
lesquels beaucoup d'écrivains n'auraient jamais percé et que, ces
conseillers-là, il faut qu'ils vivent, même si c'est difficile, et,
curieusement, c'est eux qui demandent un prix suggéré… à court terme,
hein, c'est quoi? Neuf mois?
Une voix : Neuf mois, oui.
Godbout
(Jacques) : Bon, c'est un prix suggéré sur neuf mois. Après ça, les
gens font bien ce qu'ils veulent. Entre vous et moi, ce n'est pas
demander beaucoup. Et, si ça menace Costco, eh bien, on a un problème.
M.
Laferrière (Dany) : D'autant
plus qu'un livre… Je ne sais pas, hein, je parle vraiment spontané, moi, je
ne sais pas, mais je crois qu'un livre,
disons, au Québec, ne dure pas longtemps en avant des librairies, sur les
grandes tablettes, et, je ne sais
pas, moi, six semaines, c'est déjà beaucoup. Le livre couché se fait désirer,
mais, dès qu'il se met debout en arrière,
il est mort, il est mort, on ne le voit plus. Un livre debout, c'est un livre
dans une bibliothèque, et, pour se faire voir, il faut qu'il soit sur les tablettes en avant et il dure
neuf mois. Je n'ai jamais vu un livre rester aussi longtemps s'il ne se
vend pas en avant. Je trouve que c'est… je
leur conseille de ne pas demander autant. Neuf mois, c'est beaucoup, c'est
beaucoup.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe, oui.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci. Bonsoir, messieurs. Ça
fait plaisir. Moi, je vais adresser ma question à M. Laferrière. Comment pourriez-vous nous décrire
le meilleur des mondes pour le milieu du livre et de ses intervenants?
M. Laferrière (Dany) : Bon. Il y a
deux extrêmes dans le milieu du livre, et dont on parle très rarement, et là on est pour parler à la dernière station, la
librairie. Il y a l'écrivain, le... hein? S'il n'y a pas de livre, s'il n'y a
personne qui écrit... Et il faut qu'il y
ait… il faut que ça ait un sens, cette idée d'écrivain, pour qu'ils ne soient
pas uniquement des livres fabriqués, demandés, exigés, et il faut que
cet écrivain-là ait l'impression que ce livre qu'il est en train de rêver a une
chance de circuler. Parce que, vous savez, quand on prend un écrivain comme
Kafka, il est laid, il est désespéré, ses livres sont désespérants. Sans les
libraires, Kafka ne viendrait pas jusqu'à nous. Et il y a des librairies, des
grandes surfaces qui veulent des écrivains plus souriants, plus aimables et
plus vendables. Il a fallu des traducteurs, il a fallu des libraires, il a fallu des critiques, il a fallu des gens qui,
pendant des décennies, ont défendu Kafka, qui ne vendait rien, et
des éditeurs aussi. Jusqu'aux Nourritures terrestres, André Gide n'a
jamais vendu plus de 3 000 exemplaires, toute son oeuvre comprise. Il a
fallu les Nourritures terrestres. Donc, quelqu'un a dû attendre, quelqu'un
a dû prendre la décision — Gallimard, dans ce sens-là — d'attendre à ce que cette littérature qu'il
avait en tête, que cette maison d'édition avait en tête, parvienne à
convaincre le lectorat que c'est la littérature, c'est cette littérature.
Donc, si on
en parle tant, s'ils font faillite avant, si les libraires laissent tomber
avant et s'ils n'ont pas la force de défendre
ça aussi, et bien, on n'a plus de littérature. Le monde rêvé que vous me
demandez de voir, c'est un monde où n'importe
quel écrivain où qu'il soit puisse être capable d'avoir... de croire que la
littérature ne se fait pas uniquement de choses aimables et que leur
pire cauchemar peut trouver un lecteur, parce qu'il s'agit de l'âme humaine. C'est
la promesse de la littérature, c'est de nous
révéler ce qu'il y a à l'intérieur de nous pour permettre, pour faire
comprendre à la population que l'âme humaine est beaucoup plus complexe que
cette idée du bien que toutes sortes de gens nous proposent, que l'être humain
n'est pas fait que de bien que les religions et autres nous proposent, et la
littérature est fondamentale là-dessus, et,
si on laisse… s'il n'y a pas de libraires pour défendre ça, s'il n'y a pas d'éditeurs,
s'il n'y a pas une chaîne de littérature comme cela, cette personne-là
penserait, se censurerait, finirait par écrire des livres qu'il pense qui se
vendraient. On n'aurait que des écrivains commerciaux.
Donc, le
monde rêvé, c'est de permettre à ce que tous les individus, tous ces jeunes
gens dans les sous-sols de leurs maisons qui rêvent à écrire, qu'ils
puissent croire qu'ils ont le droit d'écrire, d'aller jusqu'au bout de la nuit.
M. Godbout (Jacques) : Chaque année, mon ami Pascal Assathiany fait un
budget prévisionnel, et il étudie ce qui
s'est passé et fait des statistiques, vous n'avez pas d'idée. Chaque fois, il
me les remet — il y a 30 ou 40 pages — et je
les lui remets en disant : Écoute, la littérature, c'est écrire, c'est
vendre des prototypes. Tu feras toutes les statistiques que tu veux, ça devient
imprévisible. Pourquoi est-ce qu'un des livres qu'on publie… Moi, j'en ai… je
fais partie de la
vieille génération des écrivains, puisque j'ai commencé dans les années 1960. J'ai
eu certains bouquins qui ont eu un succès phénoménal et d'autres pas, d'autres,
moyen, mais c'était grâce aux enseignants, c'était grâce aux libraires, c'était
grâce à la radio, à la télévision, mais aussi au fait qu'il y avait des gens
pour défendre l'idée de la littérature.
Si
on détruit l'idée de la littérature pour la remplacer simplement par le
commerce des livres, ça ne sert à rien, on ne va nulle part. Et je pense que de regarder le monde à travers les yeux
des écrivains québécois est une des façons d'assurer une culture et une
existence du Québec.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci. Est-ce qu'il reste du temps, madame…
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Il vous reste encore environ cinq
minutes.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Cinq minutes. Ah! C'est bien.
Vous avez mentionné… On sait que le prix… Le livre numérique, qu'on peut
dire, l'approche du numérique influence beaucoup. On est embryonnaires au
Québec, mais sauf que, dans certains États, ce n'est pas beaucoup plus élevé.
Quel portrait dressez-vous du secteur du livre numérique au cours des
prochaines années? Comment vous voyez l'évolution par rapport au numérique?
• (21 h 10) •
M. Assathiany (Pascal) : Vous savez, le livre numérique fait partie de
notre vie. Par exemple, pour Boréal, à peu près tous les titres que nous publions paraissent simultanément en
numérique. Aujourd'hui, ça ne représente quand même que 3 %,
3,5 % de nos ventes. Au Canada anglais, c'est déjà beaucoup plus, et, aux
États-Unis, c'est beaucoup plus.
Moi,
j'ai une théorie là-dessus. C'est qu'une société qui a un bon réseau de
librairies, eh bien, le lecteur trouve ce qu'il lui faut pas loin, à proximité. Il va voir les libraires, il a un
certain choix. Quand vous trouvez, aux États-Unis, au Canada anglais, en Angleterre, où il n'y a pas de
libraires ou que des grandes surfaces, à ce moment-là, si vous voulez un
livre un tout petit peu particulier, il faut
que vous le commandiez en numérique. Aux États-Unis, il y a quand même
des intellectuels un peu partout. Ils ne
trouvent pas, dans leur ville, à moins qu'elle ait plus de 500 000
habitants, une librairie digne de ce
nom. Donc, le numérique a aussi un
rapport... Le numérique progresse moins bien en Allemagne, progresse
moins bien en France parce qu'il y a des réseaux de librairies, livres
physiques.
Ceci
dit, il y a aussi des gens… Quand on part en voyage, quand on habite dans des
endroits éloignés, quand on est
francophone à Vancouver, peut-être que, là, il y a des places pour le
numérique, mais je ne pense pas que le numérique prendra une place
tellement importante. Ça va progresser, on va peut-être arriver à 10 %,
12 %, ce qui est beaucoup, mais actuellement je ne pense pas que ça va faire
des performances dont j'entendais parler qui faisait que Costco, aux
États-Unis, perdait 27 % de ses ventes de livres.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons du
côté de l'opposition officielle. Mme la députée de l'Acadie, vous avez
la parole.
Mme
St-Pierre : Merci, Mme la Présidente. Messieurs, bonsoir. Je
suis très heureuse de vous entendre, et j'ai un petit regret, et je ne
fais pas de reproches à personne, mais je pense que vous auriez dû être
entendus plus tôt dans la journée ou, enfin,
plus tôt dans cette commission parce que vous savez, à cette heure-ci, les
heures de tombée sont passées, puis il n'y a plus de journaliste qui
écoute. Mais enfin peut-être qu'il y en a qui vont écouter à travers la magie
de la télévision, soit en direct ou en différé.
Je
trouve que c'est fort intéressant, ce que vous nous dites, et moi,
personnellement, j'ai énormément d'inquiétude par rapport à ce qui se
passe dans tout ce chambardement-là avec la question du numérique et comment
nos libraires indépendants… comment on peut
assurer la survie de nos libraires indépendants et assurer aussi qu'ils
continuent d'être ces guides et ces conseillers, parce qu'on le vit à
chaque fois qu'on rentre dans une petite librairie ou dans une grande libraire :
on a toujours, si on demande un conseil, quelqu'un pour nous conseiller puis
nous dire qu'est-ce qu'on peut rapporter puis qui va nous donner beaucoup de
plaisir et de bonheur.
Le
numérique, je pense qu'il est là, et il va grandir. Personnellement, moi,
maintenant, je lis tous mes journaux sur ma tablette, alors que j'aurais
pensé que c'était inimaginable avant. J'avais besoin du contact avec le papier,
puis le journal puis les mains toutes noires. Puis mon conjoint disait
toujours : Sauvez un arbre, tuez un journaliste, quand j'arrivais avec ma
pile de journaux. Puis, bon, je pense qu'on va aller vers le numérique.
Alors,
moi, j'espère que, si jamais on arrive avec cette loi sur le prix unique... On
dirait qu'on n'arrive pas à mettre le
doigt sur la certitude qu'il va y avoir... que ça va permettre aux librairies
indépendantes de survivre. On pense qu'on l'a, on pense qu'on... puis c'est peut-être la solution, mais on dirait qu'on
n'arrive pas à dire : Bon, bien, c'est exactement ce geste-là qu'il
faut poser. Et est-ce qu'il y a d'autres gestes qui devraient être...
accompagner ce geste-là ou si ce geste-là
est là pour une petite période, puis après il faudra penser à autre chose? J'aimerais
ça vous entendre là-dessus. En fait, genre, un plaidoyer du coeur, où
vous nous dites : Écoutez, là, faites-le, là, parce qu'on va mourir, ou
quelque chose du genre, là.
M. Laferrière (Dany) : Oui. Comme vous voulez. Enfin, on va commencer
par celui qui ne sait pas. Et moi, je pense
que le livre est un objet plus moderne que le numérique. Je pense que, si on
regarde les choses, là, physiquement, l'un à l'autre, j'ai l'impression
souvent — je
le dis souvent, d'ailleurs — que,
devant l'échec, dans certains endroits, du
numérique… c'est-à-dire tout ce qui est électronique finit par tomber en panne
quelque part. On a fait cette découverte extraordinaire du papier, de ce
livre qui peut être ouvert n'importe où, transporté, aussi petit que le livre
numérique, des fois, et je trouve que, visiblement, cette invention qui a
traversé ces millénaires ne tombera pas. De toute façon, les humains ont l'habitude
d'additionner ce qu'ils ont inventé au lieu de soustraire.
C'est
vrai qu'on a failli mourir sous le papier. Moi-même, j'avais proposé à La Presse,
aux journaux d'ailleurs, de ne pas...
de vendre leurs cahiers par sections, parce que, moi, c'est deux seulement que
je prends, c'est le premier cahier et le cahier Culture; le reste
va directement à la poubelle. Alors, si je pouvais acheter ces deux cahiers-là,
ça me suffirait. Et d'autres personnes
voudraient le cahier Affaires, d'autres personnes achèteraient, pour
0,20 $, le cahier des sports. Donc, ça veut dire que le papier… C'est
vrai que tout ce qui est électronique nous a sauvés de cette… l'impression qu'on
a qu'on allait être noyés sous le papier. Et les sortir de notre maison
constitue un travail particulier qu'on a remis aux enfants, juste sortir ce tas de journaux. C'est vrai. Mais,
pour les livres qu'on a envie de lire, pour les livres qui nous
touchent, pour les livres qu'on voudrait conserver… Parce que la bibliothèque
personnelle n'a pas toujours existé chez les gens. L'idée de conserver des livres chez soi, à la maison, je pense que ça
restera. C'est une idée exceptionnelle d'aller les voir, de les
regarder, tomber spontanément sur le livre, et je pense que ça restera et, avec
elle, la librairie, la librairie.
Et je pense
que c'est un service, le service de la librairie pour éliminer… parce que moi,
je crois que ça restera et sera
toujours dans une situation difficile. Comme la vie de l'écrivain aussi. La vie
économique, la situation économique de l'écrivain sera toujours un peu
difficile. Un bon coup, et un coup pas bon. Je me souviens… Et l'auteur du Matou,
Beauchemin, me disait : Bien, les gens disent que je suis millionnaire,
mais ils n'ont pas vu tous les livres qui n'ont pas marché. Le Matou,
ils n'ont pas vu, et c'est… Et, moi, ça me prend sept ans chaque fois que je
sors un livre, et donc j'ai déjà mangé l'argent du Matou 20 fois.
Donc, la
situation sera toujours précaire. On ne pourra jamais répondre à la
question : Voilà ce qu'il faut faire précisément pour que le milieu
soit en santé brusquement. Et tout ce qu'on demande, quelque part, c'est le
choix de lecture, la qualité de la
littérature, la qualité des livres et que l'État puisse protéger cela, parce qu'on
ne peut pas faire tout seul, visiblement, dans cette histoire-là. Et
sinon, on sera avalés par le système économique et marchand.
M.
Assathiany (Pascal) : Et je
peux être un tout petit peu plus terre à terre que mon ami Dany, je vais dire
que, par exemple, pour solidifier la librairie… On parlait tout à l'heure des
peu de marge, mais, sur les 70 ou 73 millions des grandes surfaces, s'il n'y
en avait même que 25 %, ce qui n'est pas beaucoup… La madame de Costco
disait : 75 % allaient chez elle
pour le prix puis, 25 %, elle ne savait pas pourquoi. Mettons que ces 25 %
là se retrouveraient en librairie, ça fait quand même 24 millions
de dollars. Les libraires ont 40 % de marge, ça ne fait pas loin de
10 millions de marge nette et… de marge brute, de profits bruts.
10 millions, c'est…
Mme
St-Pierre : Vous
savez ce qu'ils disent? C'est que la personne n'ira pas… ne fera pas le
transfert dans la librairie.
M. Assathiany (Pascal) : Mais il y
aura des achats spontanés. Il y a des… On a…
Mme
St-Pierre :
Mais ce que je veux entendre de vous, là, ce soir, c'est… Faites-le, ce cri du
coeur, là. Vous avez l'occasion de le faire, vous êtes à la télé, là.
Dites aux Québécois que c'est important, il faut le faire, ça passe par là.
M. Godbout (Jacques) : Mme
St-Pierre, il est évident…
Mme
St-Pierre : M. Godbout,
là…
Godbout
(Jacques) : …qu'on ne peut pas garantir ou votre argent remis. La
certitude… Je vous admire de croire qu'il y a, quelque part dans le
monde, des certitudes. Il n'y en a pas. Mais, si le milieu du livre dans son
ensemble, à 95 %, n'a trouvé, après
avoir discuté pendant des mois et des années, que cette solution, et qu'on vous
demande de l'essayer et de la tenter
pour la réussir, il me semble que ça mérite d'être essayé, ça mérite d'être
tenté. Ça n'est pas une certitude, mais il n'y a rien qui nous dit qu'un
avion ne nous tombera pas sur la tête ici tout à l'heure. Il n'y a pas de
certitude.
Ce qu'il y a
comme certitude, c'est que les librairies sont des lieux de liberté, des lieux
de liberté parce que c'est là où l'on
peut acheter des livres qui secouent nos idées, c'est là où on peut acheter des
livres qui nous permettent de regarder l'univers à travers les yeux d'un
autre. Ce sont des lieux de liberté, et je peux vous garantir, même si je n'en
suis pas membre, que je ne pourrais pas imaginer
que quelqu'un décrive Costco comme un lieu de liberté. Une librairie, c'est
un endroit où il y a des conseillers et des libraires. Même les chaînes que
vous connaissez ici, au Québec, achètent, pour toutes les chaînes… il y a quelques libraires qui achètent pour toutes
les chaînes, mais, si vous allez dans ces chaînes-là, vous avez de la
difficulté à vous faire donner des conseils. Il n'y a pas beaucoup de libraires
dans ces chaînes-là.
• (21 h 20) •
M.
Laferrière (Dany) : Il y a
quelque chose de clair. J'ai publié un livre, cette année, qui s'appelle Journal
d'un écrivain en pyjama. Ce livre parle de livres, de littérature et
raconte un peu les techniques d'écriture. Ce n'est pas le genre de livre qui se
retrouve dans la liste des best-sellers. En effet, dans les grandes chaînes, il
n'y était pas. Dans les librairies indépendantes, selon Le Devoir etGaspard, il est resté 27 semaines. C'est-à-dire, j'ai bien vu que ce livre-là, qui, pour moi, était important parce que
je voulais, pour fêter mes 60 ans, un peu transmettre mes expériences en
littérature et dire un peu ce que j'ai appris sur le tas aux jeunes gens...
Donc, c'est un livre qui était important pour moi,
je voulais qu'il soit lu, et voilà que, quand je passais dans les grandes
chaînes, dans les grandes surfaces, je ne le voyais même pas, et… dans les grandes surfaces. Et là,
chaque semaine, j'étais étonné de voir que c'était encore sur la liste
des librairies indépendantes. Ça veut dire ceci : qu'il y a des gens dans
ces librairies-là, qui, chaque fois qu'ils voyaient un jeune homme ou une jeune
femme arriver, lui disent : J'ai un livre, vous voulez écrire? Il y a le
livre... J'espère. D'ailleurs, c'est une pub.
Des voix : Ha,
ha, ha!
M.
Laferrière (Dany) : Un livre n'est jamais fini. Et, même à l'Assemblée nationale, on peut faire une pub. Et il lui
dit : Lisez ce livre-là. Parce que je suis sûr que, spontanément, on ne le
prenait pas. Il a fallu aussi que des gens, quelqu'un dise : Lisez cela. Ça, c'est un cas avéré, c'est
quelque chose qu'on peut voir, tout simplement. Et, 27
semaines, j'ai été très étonné.
Et je remercie ce libraire ici présent de m'avoir
soutenu depuis mon premier livre, Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer. On a parlé du titre qui marchait, mais ça n'avait
pas marché au tout début. Les gens étaient frileux. Et, quand ils vont vu que ce n'était pas des conseils réels, qu'ils
allaient se fatiguer, ils ont été déçus. Il a fallu que les libraires
disent : Mais, non, mais non! C'est un bon livre! Et, 28 ans plus tard, le
livre est encore en librairie, et je remercie
ces libraires qui ont défendu la littérature pour ce livre qui aurait pu passer
pour une publicité sexuelle, ce qui l'aurait fait rester pas plus de
cinq semaines parce qu'une mauvaise rumeur tue en moins de cinq semaines. On
dit : Le titre est bon, mais le livre n'est
pas bon. Comme on dit pour un film. C'est amusant, comme titre, mais n'y allez
pas, ça ne vaut pas la peine. 28 ans que les libraires me défendent. Voilà le
cri de coeur que Mme Christine St-Pierre appelait de tous ses voeux.
M.
Assathiany (Pascal) : Et,
pour rebondir sur ce que disait tout
à l'heure mon ami Jacques Godbout, il n'y a pas de certitude qu'une telle mesure donnerait des revenus énormes aux
libraires, mais il y a une certitude : c'est que, si on ne
la prend pas, cette mesure-là, bien, les
libraires, ils ne sont plus là. Ça, c'est une certitude. Donc, ça, c'est vraiment
la meilleure étude de données que
vous pouvez avoir. C'est celle qui existe actuellement, c'est ce qui se
passe. Mais, si ça ne marche pas, on change.
M.
Laferrière (Dany) : Il faut maintenant
imaginer une petite ville sans librairie. J'étais à Zurich il y a quelques mois. Eh bien, la dernière
librairie française a fermé à Zurich. Les gens avaient l'air d'avoir perdu un
membre de leur famille. C'est-à-dire, ils ne pouvaient pas accepter qu'une grande ville aussi puissante économiquement puisse ne pas avoir une
seule librairie en langue française, alors qu'une des langues de la Suisse, c'est
le français. Vous ne pouvez pas savoir le sentiment qu'on peut avoir dans une
petite ville de voir une librairie fermer.
Moi, quand je
vais dans une petite ville, les deux choses que je visite, c'est le cimetière
et la librairie. Si on veut savoir
exactement comment se comporte une ville, allez au cimetière pour savoir si les
gens se marient entre eux — vous le voyez sur
les tombes, hein, Gagnon épouse Gagnon — et, s'il n'y a pas de noms d'étrangers,
ça veut dire : La ville est fermée. Et allez dans la librairie aussi pour
savoir si la ville sait rire — vous n'avez qu'à regarder les titres des livres — si la ville sait réfléchir ou bien si la
ville se contente d'acheter de la papeterie. Donc, une librairie dit
beaucoup, et, si elle ferme, à mon avis, c'est le coeur d'une ville qui s'arrête.
M. Godbout (Jacques) : Dans le
Québec des années 60... Vous êtes tous trop jeunes pour vous en rappeler, mais,
dans le Québec des années 60, il y avait peu de librairies. Les librairies sont
apparues les unes après les autres. Il y avait des villes où il n'y avait pas
de librairies ou alors, s'il y en avait une, elle vendait les meilleurs livres sous
le comptoir, et, pour le reste, des brosses
à dents. C'est devenu un métier. C'est extraordinaire qu'en 50 ans on ait vu ce réseau se
construire et, pendant une trentaine d'années, vraiment nous servir.
Alors, si
vous pensez qu'il y a un moyen, pas une certitude, mais un moyen qui
pourrait empêcher que cela soit détruit et que ce réseau disparaisse,
prenons-le. Qu'est-ce qu'on risque? Se faire reprocher de ne pas être fidèle à
la pensée économique de qui? Dubuc, dans La Presse?
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième groupe d'opposition. Mme la
députée de Montarville, c'est à vous la parole.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, Mme la Présidente. Merci, messieurs, merci pour votre mémoire. C'est
intéressant de vous entendre et avec toute cette émotion, M. Laferrière.
Vous
disiez — puis j'ai
pris quelques notes, je vous écoutais : La fixation du prix stabiliserait
les choses et donnerait du temps, du temps pour trouver des mesures. Et,
parmi ces mesures-là, avec la fixation du prix, il y a cette fameuse fenêtre de
neuf mois durant laquelle tout le monde vendrait au même prix, aurait le même
rabais. Il faudrait attendre neuf mois pour avoir un rabais supplémentaire. Et
la question, je vous la pose, parce qu'il y a une réalité aussi, c'est que le lecteur, lui, son budget d'achat de livre n'augmente
pas nécessairement avec les taxes qui augmentent tout partout :
Alors, est-ce que ce neuf mois, il est parfait, il pourrait être vu, il
stimulerait les ventes auprès des consommateurs, qui, eux, cherchent la bonne
affaire? Enfin, est-ce qu'on pourrait jouer sur ce neuf mois-là?
M.
Assathiany (Pascal) : Bien,
le neuf mois est un consensus. Vous savez, vous avez entendu ici qu'il y a
eu beaucoup de discussions. Il y en a qui étaient pour l'éternité, il y en a d'autres
qui étaient pour six mois. Les gens se sont entendus pour neuf mois. C'est une
sorte de...
M. Godbout (Jacques) : C'est un
hommage à la femme.
M. Assathiany
(Pascal) : C'est une sorte de consensus. Mais l'important, c'est que
la bataille se fait sur les nouveautés. Les livres faciles à vendre, c'est les
nouveautés, c'est un best-seller qui arrive d'un auteur connu, c'est Dan Brown, c'est le Fifty Shades of Grey. Et ces
livres-là se vendent trois mois, six mois, neuf mois, mais rarement plus. Donc, c'est le fait que la librairie
pourrait récupérer une partie de ces ventes-là. La durée de neuf mois est tout
à fait acceptable. Vous me diriez sept mois, 10 mois... c'est un
peu… tout ça est un peu, effectivement, arbitraire, mais le neuf mois me paraît
un délai tout à fait acceptable pour stabiliser, justement, les achats.
M. Godbout
(Jacques) : C'est raisonnable.
M. Assathiany
(Pascal) : Raisonnable. Et, encore une fois, je trouve qu'on n'a pas
parlé beaucoup ici du phénomène du livre de
poche, mais on peut vivre sa vie intellectuelle en ne lisant que des livres de
poche qui sont, pour la plupart,
autour de 10 $ ou 12 $, et, les livres de poche, on ne les trouve pas
dans les grandes surfaces, et c'est quand même quelque chose d'important.
On n'est pas forcés d'acheter Dan Brown dès qu'il paraît, après tout.
M. Laferrière (Dany) : Bien, on a oublié la révolution qu'avait apportée
le livre de poche. C'était une bataille, d'ailleurs. Ce fut une terrible bataille. Et l'idée du livre de poche,
précisément, c'était de permettre aux jeunes gens de se procurer des
livres. Et on attendait cela, quand le livre sortait en poche.
M. Assathiany
(Pascal) : Oui. Je dirais, il sort neuf mois après, en poche, d'ailleurs.
Et les clubs du livre, en France, n'ont le
droit de publier, comme les livres sont moins chers… les clubs de livres ne
paraissent que neuf mois après l'édition originale. Donc, il y a une
sorte de courbe...
Mme Roy
(Montarville) :
...d'où l'origine de ce neuf mois-là pour arriver avec la sortie du livre de
poche.
M. Assathiany
(Pascal) : Sans doute.
M. Godbout
(Jacques) : Il y a un délai, par exemple, pour les films à l'affiche…
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, la fenêtre.
M. Godbout
(Jacques) : …entre le moment où ils sont à l'affiche et en DVD. C'est
un délai d'ajustement, probablement, du marché. Alors, ça vient avec l'expérience.
Nous, on pense que neuf mois, ça a de l'allure.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup. Il
restait deux minutes, du côté du gouvernement. Je pense que M. le député
de Saint-Hyacinthe, vous aviez une question. Deux minutes, question, réponse.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Vous
êtes généreuse. Vous avez parlé... M. Godbout parlait d'un moyen à essayer,
peu importe, là, si on n'a pas une certitude, mais si vous avez… s'il y avait d'autres
mesures alternatives qui pourraient aider à ce que le livre ait meilleure mine,
on peut dire, au Québec, qu'est-ce que vous pourriez nous suggérez?
• (21 h 30) •
M. Godbout (Jacques) : Encourager la lecture, bordel! Il faut absolument
pousser là-dessus. Ça n'a aucun sens, l'espèce
de distance qu'il y a... Écoutez, les statistiques nous affirment que la moitié des Québécois sont incapables
même de lire le texte sur une... c'est quoi, c'est sur des médicaments ou sur
des boîtes de conserve. C'est leur test. Bon, si la moitié des Québécois ne
savent pas lire, décoder, on a un problème, bon. Il y a ceux-là à alphabétiser,
mais ceux qui savent lire déjà, il faut leur offrir des livres partout et non
pas seulement dans les grandes surfaces. Il faut qu'il y ait un minimum de
conseils, c'est évident.
Moi,
j'ai appris à lire — autrement
qu'à l'école, là, bien sûr — par le livre de poche. C'est par ça que je
suis rentré. J'ai eu la chance, à 16 ans, que le livre de poche est
apparu, et il apparaissait donc à des prix raisonnables pour un étudiant. Et, après les livres de poche, on passe
à autre chose. La plupart des livres de Dany ou les miens sont en livre
de poche, pour ceux qui sont... — deuxième publicité — pour ceux que ça intéresse. Et Boréal
publie, dans une collection compacte, des livres qui ont eu du
succès — ou
même, des fois, qui n'en ont pas eu beaucoup — en livre de poche au bout de
quoi? Un an et demi?
Une voix :
Neuf mois.
M. Godbout
(Jacques) : Neuf mois? Bon.
M. Laferrière (Dany) : ...de neuf mois. Mais, quand on parle... On parle
beaucoup de l'argent, qui est important et qui permettrait aux libraires
de souffler, sans vraiment dire qu'est-ce qui va faire que la librairie s'envole,
que tout soit florissant, on ne peut pas... Et tout a été dit là. Mais, à
chaque fois, dans tous ces débats-là, je pense à...
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Je suis désolée, M. Laferrière, c'est...
M. Laferrière
(Dany) : ...à la poésie pour dire le mot qu'il ne fallait pas dire, la
poésie, qui a besoin de nous et qu'on ne trouve nulle part que chez les
libraires qui défendent cette manière d'être qui fut la nôtre pendant si
longtemps et qui a permis de révéler l'âme québécoise.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci beaucoup, messieurs. Merci beaucoup.
Donc,
la commission ajourne ses travaux jusqu'au jeudi 19 septembre 2013, après
les affaires courantes. Je vais vous souhaiter, à toutes et à tous, une
bonne fin de soirée.
(Fin de la séance à 21 h 32)