(Quatorze heures sept minutes)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour, chers collègues. Mesdames messieurs, bonjour. Ayant
constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture
et de l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de
bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Le mandat de
la commission est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des
consultations particulières sur le document intitulé Document de
consultation sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs
imprimés et numériques.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire : Oui, Mme la
Présidente. Mme Charbonneau (Mille-Îles) sera remplacée par
Mme Ménard (Laporte).
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. À l'ordre du jour,
cet après-midi, nous entendrons : le Conseil canadien du commerce
de détail; le Conseil des arts et des lettres du Québec; la Société de
développement des entreprises culturelles,
la SODEC; Bibliothèque et Archives nationales du Québec; et nous terminerons
avec l'Institut économique de Montréal.
Auditions (suite)
Et nous
recevons, dans un premier temps, le Conseil canadien de commerce de détail.
Bonjour, Mme St-Pierre, M. Côté, bienvenue à l'Assemblée nationale.
Je crois que, M. Côté, vous êtes un habitué, vous connaissez donc les règles de l'Assemblée nationale pour ce qui est
des auditions. Vous allez avoir un temps maximal de 10 minutes pour nous faire votre exposé. Par la suite suivra un
échange avec les différents groupes parlementaires. La parole est à
vous.
Conseil canadien du
commerce de détail (CCCD)
Mme St-Pierre (Nathalie) : Alors,
Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, nous vous remercions de cette invitation qui nous permet de
discuter avec vous de cet important sujet. Alors, comme vous l'avez dit,
je suis Nathalie St-Pierre,
vice-présidente pour le Québec du Conseil canadien du commerce de détail, et je
suis accompagnée de Jean-Guy Côté, qui est le directeur des
affaires publiques et des relations gouvernementales.
Fondé en
1963, le conseil a pour mission d'être la voix des détaillants et regroupe près
de 45 000 établissements dont plus du quart sont au Québec. Il est
aussi la voix des distributeurs en alimentation. Il s'agit d'une des plus
grandes associations sans but lucratif, financée par l'industrie, regroupant
tous les types de détaillants, des grands magasins nationaux, régionaux,
magasins grand public, chaînes spécialisées, magasins indépendants, commerçants
en ligne. Depuis 2013, l'Association canadienne des libraires est l'un de nos
membres.
• (14 h 10) •
D'entrée de
jeu, nous voulons que cela soit clair, nous croyons que la prospérité de l'ensemble
de l'industrie du commerce de détail repose sur la santé et le bien-être
des détaillants indépendants. La plupart des grands détaillants pourraient en
témoigner, la diversité des commerces et la présence d'un large éventail de
détaillants indépendants contribuent au
maintien du dynamisme et de la compétitivité de notre industrie. D'ailleurs,
les grands succès québécois dans le secteur du commerce de détail ont généralement
débuté par l'ouverture de magasins indépendants qui, poussés par l'innovation
et par la créativité, ont pu grandir et devenir les entreprises que nous
connaissons aujourd'hui.
Nous
reconnaissons que la santé économique
des librairies du Québec est fragile et qu'il est nécessaire que tous
les acteurs du milieu trouvent des solutions favorisant l'accès à un
assortiment diversifié de livres partout au Québec. Toutefois, nous sommes
contre la mesure qui semble faire l'objet principal de la discussion de la
commission, soit la réglementation du prix
de vente au public des livres neufs imprimés et numériques, puisque nous sommes
d'avis que le débat de la survie des
libraires indépendantes est beaucoup plus vaste. La mesure proposée n'est pas
la solution appropriée puisqu'elle ne protégera pas les librairies
contre les tendances lourdes du marché.
Les changements dans les habitudes de
consommation ne font pas facilement l'objet de réglementation, et, comme nous sommes des observateurs privilégiés des
grandes tendances du commerce de détail, nous aimerions en partager
quelques-unes avec vous aujourd'hui.
L'industrie du livre, distincte en ce qui
concerne la valeur culturelle de ses produits, est soumise, sur le plan
économique, aux mêmes impératifs qui prévalent au sein de l'industrie du
commerce de détail en général. Tous sont confrontés
à de nouveaux modes de consommation, à un marché de plus en plus concurrentiel
et à des consommateurs endettés et peu fidèles. L'évolution des consommateurs est à la base de
ces transformations et cette évolution repose sur plusieurs facteurs, dont, premièrement, une
situation économique qui mène à des changements importants dans le
profil des consommateurs. L'endettement, l'incertitude
économique forcent les ménages à tenir davantage compte du rapport qualité-prix des produits qu'ils achètent. Dans ce
contexte, les détaillants se voient dans l'obligation d'offrir des prix
de plus en plus compétitifs s'ils désirent demeurer concurrentiels au sein de l'industrie.
Dans certains secteurs, comme, par exemple,
dans celui de l'alimentation, on estime que, dès 2017, 50 % des ventes
seront faites, au Québec, dans les magasins à escompte.
Un deuxième
facteur important, c'est l'émergence des nouvelles tendances et des nouveaux
modes deconsommation, qui ont des
impacts que nous commençons à peine à comprendre. On parle donc des nouvelles
technologies. Nous savons tous qu'elles jouent un rôle capital aujourd'hui
dans le comportement du consommateur. Le téléphone intelligent, les médias
sociaux, le commerce électronique sont en train de révolutionner le commerce de
détail. Ces nouvelles technologies ont un impact direct sur les connaissances
des consommateurs, qui accèdent dorénavant à une information à une rapidité
incroyable et très facilement.
Les
détaillants doivent s'adapter, car aujourd'hui le consommateur a fait ses
recherches, a fait ses devoirs. Il peut se présenter en magasin pour vérifier un produit et choisira de ne pas l'acheter
en magasin puisqu'il peut avoir accès à des rabais en ligne. Il peut même ne pas les acheter au Québec; il peut
aussi s'approvisionner à l'extérieur. Il peut également, avec les nouvelles technologies, avoir accès à des
rabais qui lui sont envoyés directement sur son téléphone et donc
pourrait avoir visité un commerçant pour
finalement décider d'aller acheter chez un autre commerçant. À la recherche de
rabais, le consommateur n'a pas de fidélité.
Troisièmement,
les détaillants doivent répondre à une clientèle qui recherche efficacité et
optimisation de leur temps. Le consommateur préfère donc effectuer le
plus d'achats possible au même endroit plutôt que de se déplacer à plusieurs
reprises pour faire différents achats.
Ainsi, les plus grandes difficultés auxquelles
font face les détaillants, incluant les libraires, pour ce qui est de
satisfaire les exigences des consommateurs, sont des clients qui sont économes,
qui ne veulent pas dépasser leurs budgets, une clientèle qui est de plus en
plus difficile à satisfaire et qui est difficile à fidéliser.
La question
que doit se poser la commission est la suivante : Est-ce qu'une
législation ou une réglementation qui fixe
les prix des nouveautés va protéger les librairies de ces grandes tendances?
Nous sommes d'avis que non. L'érosion des
parts de marché des librairies au profit des grandes surfaces — et on en a beaucoup entendu parler, et je
pense que la commission est juste dans son appréciation, dans le
document — n'est
pas vraie; les parts de marché ont augmenté dans les librairies à succursales
et non pas nécessairement dans les grandes surfaces. Mais on constate également
qu'il y a d'autres points de vente qui
émergent et qui accaparent une part de marché de plus en plus grande, et on
parle ici de joueurs qui sont non
spécialisés dans la vente de livres, tels que les grands magasins, les
papeteries, les animaleries, etc., bien que cette catégorie demeure
encore un joueur marginal sur le marché. Il faut aussi tenir en compte le
commerce électronique, le commerce en ligne.
Même si le phénomène reste encore marginal au Québec, il n'en demeure pas
moins que les gens achètent de plus en plus par Internet. Le CEFRIO parle de 19 %,
la proportion des cyberacheteurs qui ont effectué des achats dans la catégorie
Livres, revues et journaux.
Et que dire
des livres numériques, qui peuvent être achetés en ligne sans que le
consommateur ne mette les pieds dans un commerce? On l'a lu ce matin d'ailleurs
dans La Presse, que c'est un secteur qui se considère très actif et
qui veut continuer d'offrir des services aux
consommateurs. On peut donc présumer que les achats en ligne de livres
papier ou numériques seront en augmentation
dans les prochaines années. Le milieu du livre n'est donc pas le seul à subir
ces transformations; c'est l'ensemble de l'industrie
du commerce de détail qui les subit. Et
donc le conseil est d'avis que les solutions retenues doivent aussi se
faire en tenant compte de ces transformations, des modifications dans le profil
du consommateur pour qu'elles soient durables.
Réglementer
le prix n'est pas une solution durable, à notre avis. Elle réduira la
demande, et affirmer le contraire, c'est ignorer les principes de base de
l'économie de marché et les tendances actuelles. Il est assez clair pour nous
que le prix demeure une variable d'importance
dans la décision du consommateur. Augmenter le prix du livre va réduire
la demande. Bien sûr, elle ne réduira pas
les achats dans les librairies qui n'offrent pas de rabais, mais les ventes de
livres à rabais ne seront sans doute pas toutes remplacées par des ventes à
plein prix. En fait, si le prix augmente dans les grandes surfaces, c'est le consommateur qui achètera moins ou n'achètera
plus dans ces endroits, car il achète souvent de façon impulsive parce que
l'offre se présente à lui. Nous sommes donc d'avis qu'il y aura
des conséquences sur le nombre de livres vendus et donc des impacts
négatifs sur l'ensemble de l'industrie.
Par
ailleurs, ce n'est pas parce que
le prix sera le même partout que la conséquence directe sera de déplacer
les consommateurs qui achètent dans les
grandes surfaces vers les librairies indépendantes. Un client d'une grande
surface, d'une librairie à succursales ou d'une boutique non spécialisée n'ira
pas automatiquement acheter ses livres chez un libraire indépendant à la suite de l'établissement d'un prix. Il
faut tenir compte des préférences actuelles desconsommateurs, qui, comme nous l'avons dit, aiment pouvoir effectuer l'achat
de différents produits aux mêmes endroits. En ce sens, donc, la hausse
des prix est peu susceptible de se traduire par une affluence accrue chez les
librairies indépendantes.
De plus, la commission doit également
songer au déplacement des ventes vers le commerce en ligne, ou vers d'autres provinces, ou aux États-Unis.
Malgré tous les efforts, il sera difficile pour le gouvernement de surveiller à un coût raisonnable toutes les portes d'entrée
et de contrôler les achats électroniques, ou postaux, ou les achats faits de l'autre
côté des frontières ou dans les autres provinces.
Le
conseil ne croit pas que l'imposition
d'une réglementation sur le prix des livres est la solution, car celle-ci
aura des effets imprévus et néfastes et ne
pourra pas réellement contribuer à résoudre les problématiques auxquelles font
face les librairies. Considérant les
changements profonds des comportements des consommateurs, influencés par ledéveloppement rapide
des nouvelles technologies, le conseil pense que le gouvernement doit continuer
de moderniser les outils existants afin qu'ils tiennent compte des
changements profonds qui surviennent dans le commerce de détail. Un prix de vente réglementé irait à contre-courant
des objectifs déclarés de la législation sur le livre en place au
Québec, qui est d'assurer l'accessibilité
économique du livre en prévoyant un soutien financier pour les entreprises
québécoises répondant à des conditions d'agrément, et ce, dans le but de
maintenir le livre québécois à un prix acceptable pour les consommateurs. Nous
vous remercions de votre attention. Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, Mme
St-Pierre. M. le ministre, vous avez la parole pour débuter les
échanges.
• (14 h 20) •
M.
Kotto : Merci, Mme la Présidente. Mme St-Pierre, M. Côté, soyez
les bienvenus, et merci pour la contribution que vous apportez à cette commission. C'est une question — ma foi, vous l'avez sans doute remarqué
depuis le début des travaux — qui polarise, entre notamment les tenants de
la loi sur le prix plancher des livres neufs, numériques ou physiques, et les opposants. Je vous ai écouté attentivement,
j'ai parcouru rapidement votre mémoire. Vous disiez, à la page 6 de
votre mémoire, deuxième paragraphe, en haut, je résume, en fait, que la
concurrence par les grandes surfaces est un mythe. Pourquoi dites-vous cela?
Mme St-Pierre
(Nathalie) : En fait, ça a été un sujet qui a été abordé abondamment,
là, que ce soit à cette commission ou précédemment, et on voit, d'une part, que les
grandes surfaces n'ont pas augmenté en termes de parts de marché. Au contraire, les parts de marché dans les
grandes surfaces ont diminué. On voit également que ce sont… Les parts de marché ont
augmenté dans les librairies ayant plusieurs succursales, et donc… Et, aussi,
on a compris, dans les discussions qui ont
eu cours pendant la commission, qu'il n'y a pas de guerre de prix entre les
librairies et les grandes surfaces et qu'ils ont donc leurs spécialités,
si on veut, et donc on pense que la concurrence par les grandes surfaces est un
mythe.
M.
Kotto : Disposez-vous
d'une information fine sur les parts de marché, justement?
Si oui, est-ce que vous pouvez nous dire exactement ce qu'il en est des
parts de marché relatives aux livres neufs et, notamment, aux best-sellers?
Mme St-Pierre
(Nathalie) : Vous voulez dire : Dans les grandes surfaces?
M. Kotto :
Oui.
Mme St-Pierre
(Nathalie) : Est-ce que tu as les chiffres?
M. Côté (Jean-Guy) : Je pense, pour le best-seller, je ne saurais pas vous dire. Si je peux
le prendre, peut-être, en
délibéré, mais…
M. Kotto :
…
M. Côté
(Jean-Guy) : …sur le best-seller particulier, là, il faudrait que je
regarde en… Je vais le prendre en délibéré,
mais, sur les parts de marché, la question fondamentale qu'on a posée à nos
membres, c'est : Est-ce le même type de consommateur qu'on voit
dans les grandes surfaces ou dans les librairies indépendantes? La réponse que
nos membres nous ont communiquée, c'est non.
M.
Kotto : O.K.
Donc, vous n'avez pas de données sur les meilleurs vendeurs, disons ça comme
ça. Mais, quand arrive sur le marché
un livre à succès, avez-vous pris la mesure du comportement du client entre le
choix d'aller à côté, à la librairie, dans la librairie indépendante,
pour se procurer ce livre et le choix d'aller, je ne sais pas, dans une grande
surface que je ne nommerai pas? Est-ce que c'est une mesure que vous avez
prise?
Mme St-Pierre (Nathalie) : Bien, en fait, la mesure, c'est que le
consommateur qui consomme dans les grandes surfaces, en matière de livres, ce sont plus des achats impulsifs. Donc,
ces achats-là pourraient possiblement être perdus si le prix du livre
augmentait, puisqu'il pourrait décider que ça ne cadre plus dans leur budget,
alors que les achats qui sont faits sont plutôt faits lorsque l'offre se
présente à eux dans les grandes surfaces.
Alors,
c'est pour ça que, dans les sondages qui ont été faits auprès des
consommateurs… Et on aura un de
nos membres, là, qui va témoigner devant la commission, qui aura des
expériences et on ne veut pas donner ses constats, mais qui pourra vous présenter, après avoir discuté avec ses clients, le
point de vue beaucoup plus fin, là, du comportement du consommateur
lorsqu'il achète dans les grandes surfaces.
M. Kotto :
O.K. Vous savez, dans les grandes surfaces, généralement, il y a comme un
abonnement, il y a un membership, il y a… On
dispose d'une carte, par exemple, pour aller acheter chez Costco et on développe
des habitudes. On se dit : Quand
sortira, je ne sais pas, moi, tel disque, tel livre ou tel article, disons,
attendu, on ira là parce qu'on sait d'avance que ça coûtera moins cher
et donc on n'aura pas… Ce n'est pas si impulsif que ça comme achat. C'est à ça
que je veux arriver.
Il y a une fidélisation
qui sert l'intérêt de la grande surface versus la librairie à côté de la
maison, qui peine à arriver à cause du
dumping qui se fait. Le facteur fidélisation, est-ce que vous l'avez pris en
compte quand vous parlez d'achats impulsifs?
Mme
St-Pierre (Nathalie) : Tout
à fait. Comme nous l'avons mentionné, la fidélité des consommateurs est
très peu présente, en général, et ça demande
excessivement… beaucoup d'efforts pour pouvoir fidéliser les consommateurs
dans le contexte actuel où les gens cherchent à avoir le meilleur prix pour les
produits qu'ils consomment.
Alors, ça, c'est
une façon. Il y a d'autres grandes surfaces qui n'ont pas cette façon de faire,
qui n'ont pas de cartes de membre et qui fidélisent leur clientèle par simplement l'offre de bas prix. Mais l'achat du livre reste quand même un achat qui est beaucoup plus impulsif. On va d'abord
et avant tout dans les
grandes surfaces pour se procurer des biens qu'on consomme
à grande échelle, si vous voulez.
M.
Kotto :O.K. Donc, si je vous entends bien, la fidélisation est un facteur
insignifiant relativement au choix que fera le
consommateur quand viendra le temps d'aller acheter un livre qui est un livre à
succès, en somme. C'est ça, c'est ce que vous dites, là.
Mme St-Pierre (Nathalie) : En fait, c'est un énorme défi. Et effectivementje pense que tout le monde,à ce moment-ci... Et c'est ce qu'on disait, les tendances sont à tenter de fidéliser
le plus possible la clientèle, mais que c'est très difficile.
M.
Kotto : Vous
dites : Augmenter le prix du livre va réduire la demande. C'est un impact
mesuré ou virtuel ?
Mme
St-Pierre (Nathalie) :
C'est un impact qui a été mesuré par certains de nos membres, qui, dans certaines transactions, pendant une
période de temps, ont dû mettre les livres plus chers. Et, lorsqu'ils ont pu négocier des prix
plus avantageux et qu'ils ont réduit le même
livre, les ventes ont augmenté de façon phénoménale.
Donc, c'est vraiment vérifié.
M. Kotto :
Et... Non, je m'arrêterai là pour l'instant. Je vais laisser mes collègues
continuer.
La Présidente (Mme Richard,
Duplessis) : Merci. M. le député de Sainte-Marie—Saint-Jacques.
M.
Breton :
Oui, merci, Mme la Présidente. Bonjour, chers collègues. Bonjour, je suis très
heureux de vous entendre, je trouve ça très
intéressant, ce que vous dites. J'ai quelques questions pour vous, parce que
vous avez parlé de consommateurs qui misent de plus en plus sur un
rapport qualité-prix rehaussé, d'après ce que vous semblez dire. Et vous avez dit aussi qu'il y avait une tendance
lourde qui s'alignait pour que, si je ne m'abuse, en 2017, les gens
aillent de plus en plus vers ce qu'on
appelle les magasins à aubaines, O.K. ? Donc, est-ce que, pour vous, les
magasins à aubaines, c'est des magasins à un rapport qualité-prix plus
élevé ou si des... rapport à prix plus abordables?
Parce
que, vous savez, j'ai travaillé dans le domaine de la vente au détail pendant
de nombreuses années. Et, peut-être que je me trompe, mais
ce que j'ai vu, c'est qu'il y a des chasseurs d'aubaines, il y a des gens qui
cherchent un prix, il y a des gens qui
cherchent une qualité etun
prix. Donc, il y a des marchés qui sont différents, c'est-à-dire, ce que… le marché des grandes
surfaces, si on y va... Par exemple, parlons d'alimentation. Il y a des gens
qui vont aller chercher la viande ou
l'aliment le moins cher possible, peu importe la qualité, et il y en a d'autres
qui vont chercher un bon rapport qualité-prix, c'est-à-dire qu'ils
veulent une qualité. Pour moi, c'est des créneaux qui sont différents. J'aimerais
ça que vous nous parliez un peu de ça.
Mme
St-Pierre (Nathalie) :
Bien, en fait, tous ces créneaux-là existent, vous avez tout à fait raison, et
c'est au choix du consommateur. Mais c'est un fait qu'en
alimentation les chercheurs estiment que, d'ici 2017, 50 % des ventes seront effectuées dans les magasins à
escomptes. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de la bonne qualité dans
les magasins à escomptes. C'est : le
rapport qualité-prix, pour eux, pour les choix qu'ils font, pour les biens de
consommation quotidiens, leur convient.
M.
Breton : Mme la
Présidente?
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui? Vous pouvez continuer. J'interviens le moins
possible dans vos échanges pour maximiser le temps, à
moins qu'un autre parlementaire me signifie qu'il veut prendre la parole.
M.
Breton :
Ah! O.K., c'est beau, O.K. Parfait. Ensuite de ça, vous disiez qu'il y avait des gens qui, s'ils voyaient
que le prix était pour augmenter, ils
seraient peut-être plus portés à aller magasiner
outre-frontières, c'est-à-dire en Ontario, aux États-Unis. Moi, pour être allé dans plusieurs bibliothèques et plusieurs librairies aux États-Unis
puis en Ontario, je n'ai pas vu beaucoup de livres francophones. Donc, j'aimerais que vous
m'expliquiez ce que vous voulez dire par là.
• (14 h 30) •
Mme St-Pierre (Nathalie) : Dans les secteurs de divers biens, c'est très clair. Pour des choses
qui sont extrêmement compétitives, comme, par exemple, du matériel électronique, l'achat de logiciels,
etc., il y a un déplacement
flagrant, là, dès qu'il y a une augmentation. C'est certain que, dans le cas du
livre — et on l'a dit — c'est un bien culturel
différent. Donc, effectivement, c'est
certain qu'il n'y aura pas autant de déplacements. Mais on ne parle pas uniquement que d'acheter des livres des auteurs québécois. Le projet de réglementation s'appliquerait à l'ensemble des livres, des livres anglophones aussi. Et les
francophones, qui peuvent être facilement... des livres français qui
peuvent être achetés d'autres façons, donc
par Internet, qui peuvent être achetés en Ontario, qui pourraient être achetés
aux États-Unis. Donc, si
on veut se procurer le dernier Dan Brown, ou je ne sais pas, on ne sera pas obligés d'acheter ça ici. On ne parle pas
uniquement de livres français, là, ou de livres d'auteurs québécois.
M.
Breton : Dernière
petite question rapide. Vous avez parlé du fait que le rapport… le prix
influençait beaucoup sur la quantité de
produits vendus. Et moi, j'ai ici en main un truc qui coûte pas mal plus cher
qu'à peu près tout ce que les autres
font et qui se vend en quantités phénoménales, mais ça, ça vient de l'unicité
du produit, du design, et tout ça, et
de la mise en marché. Donc, j'aimerais ça que vous me disiez ce que vous pensez
justement, quand on parle de ça, parce
que le modèle d'affaires qui a fait le succès de ces gens-là est à l'encontre
du modèle d'affaires dont vous me parlez.
Mme
St-Pierre (Nathalie) : C'est-à-dire
que je ne préconise pas un modèle d'affaires plutôt qu'un autre, je dis
que chacun a des stratégies et des modèles d'affaires qui leur sont propres et
qui répondent à des besoins spécifiques de
consommateurs. Vous avez là un exemple parfait d'un modèle d'affaires qui
fonctionne, qui appelle à une clientèle qui veut vivre une expérience,
et c'est ce qu'on vend, alors que, pour certains produits de base ou
quotidiens, le modèle d'affaires qui convient à une grande majorité de la
population du Québec, c'est un produit à escomptes le moins cher possible pour pouvoir peut-être se payer les
modèles qui sont… Donc, il faut tenir compte de l'ensemble des modèles
et s'assurer que ça… qu'ils puissent survivre et se développer, oui.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
M. Côté.
M.
Breton : Est-ce
que…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : …M. Côté, si vous le
permettez, veut ajouter un élément de réponse…
M. Côté (Jean-Guy) : Simplement,
nous, ce qu'on constate, c'est qu'il y a un déplacement de clientèle vers
certains types de magasins, vers des magasins à rabais ou à escomptes. On ne critique
pas ou on ne catégorise pas nécessairement
le modèle d'affaires. On fait juste constater qu'il y a une démographie d'acheteurs
qui part d'un magasin beaucoup plus spécialisé vers des magasins à
rabais. On présume que, pour une certaine frange de population qui est importante, le prix est encore quelque chose d'extrêmement
important dans leurs variables d'achat. C'est ce qu'on vous dit. Ça ne veut pas dire qu'il y a des modèles d'affaires
de produits plus spécialisés qui peuvent fonctionner ayant des prix
beaucoup plus élevés. Ça ne présume pas ça. Ce qu'on vous dit, c'est que,
démographiquement, il y a un changement dans les comportements des
consommateurs actuellement.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez la parole.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Ça va
être assez simple. On a eu plusieurs intervenants, la semaine passée,
qui sont venus en commission, et la plupart de ceux que je vais vous nommer,
les écrivains, les éditeurs, les illustrateurs, les libraires indépendants...
et on en a eu d'autres aussi, il faut être objectif, il y en a qui étaient un petit peu… qui étaient contre, tu sais, la
réglementation, mais eux étaient pour la réglementation puis c'est eux
qui vivent de l'industrie du livre le plus et qui sont impliqués beaucoup. Ils
sont régis par la loi du livre. Et votre position est contraire, on peut dire,
à leurs intérêts à eux. J'essaie de comprendre le pourquoi.
Quand vous
mentionnez aussi que le prix du livre a augmenté, j'aimerais ça avoir votre
raisonnement parce qu'il n'y a pas personne qui nous a prouvé encore, à
la commission, que le 25 % ou 30 % qui est donné ou qui est accordé par les grandes surfaces ne fait pas en sorte que
les éditeurs augmentent leurs prix pour que les libraires… Puis est-ce
que ça fait en sorte que les libraires indépendants et les autres paient… les
gens plus cher à ce moment-là? J'aimerais vous entendre là-dessus, moi.
Mme
St-Pierre (Nathalie) : Sur
la question du prix, j'ai… Sur la question de l'ensemble des participants,
jusqu'à maintenant, qui étaient plutôt favorables évidemment et qui sont ceux
qui vivent du commerce, écoutez, je pense que notre
position… Quand on dit que le prix du livre a augmenté, c'est évidemment les
livres qui sont présentement vendus en rabais. Vous avez mentionné, bon,
la question de la distribution ou des rabais qui sont consentis. Je vous dirais
que ce n'est pas… À l'heure actuelle, c'est
un fait que les distributeurs consentent des rabais pour le volume dans les
grandes surfaces et donc que les livres puissent… sont disponibles à plus bas
prix.
Donc, l'augmentation ne sera pas dans les
librairies traditionnelles ou les librairies indépendantes, mais elle sera dans les grandes surfaces qui devront
respecter un prix, ou sur Internet, ou ailleurs. Donc, il y aura
nécessairement une hausse des prix, là. Puisque ces livres-là, qui se vendent
actuellement moins cher, vont être au prix qui serait recommandé par exemple,
donc, il y aura une hausse des prix, en général. Et, nous, le constat qu'on
vous a donné, c'est que cela affectera les
ventes dans les grandes surfaces, et donc l'ensemble des ventes, et donc ça
aura un impact.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Merci.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
C'est beau?
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : C'est beau, oui. Il vous reste à peine
quelques secondes.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
O.K. …tout à l'heure.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Nous allons maintenant du
côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Laporte, vous avez la
parole.
Mme Ménard : Merci beaucoup. Alors, bonjour, Mme St-Pierre,
M. Côté. D'abord, je dois vous dire que vous êtes les deuxièmes intervenants à toucher le
comportement du consommateur, ce qui est très intéressant. Vous avez
répondu, là, à plusieurs questions. C'est
sûr que j'aimerais en entendre plus sur votre analyse et vos commentaires à cet
effet-là. Je ne sais pas si vous en
avez plus à dire, de ce que vous avez dit, mais je trouve intéressant que vous
touchiez ce volet-là. C'est important.
Vous
regroupez 45 000 établissements
au Canada. Alors, pouvez-vous nous parler de l'expérience canadienne
quant à l'industrie du livre, bien que les secteurs soient légiférés
différemment, mais est-ce que vous pouvez nous parler… comment ça se passe
ailleurs?
Mme
St-Pierre (Nathalie) :
Alors, c'est certain que c'est un marché qui est complètement différent, compte
tenu, évidemment, là, qu'on n'a pas… on ne parle pas d'auteurs francophones, et
c'est un marché qui est déjà à quelque 35 % ou 39 %, là, en ligne, et
pour lequel, là, les consommateurs sont déjà en train de faire le passage de l'achat
de numérique, bon, et de commerce en ligne.
Alors, c'est certain que l'offre est beaucoup plus globalisée déjà, si on
veut, pour ces consommateurs-là. Alors, bien
entendu, ils réagissent plus vite probablement que ce qui se passe ici, étant
entendu qu'on aura toujours une offre qui sera différente au niveau des livres.
Je vous dirais, pour revenir sur le profil du
consommateur, une analogie qui pourrait être faite et qui est intéressante : actuellement, on parle
beaucoup d'achat local, de consommation locale. Ce sont des grandes tendances
qui sont mises de l'avant, que ce soit par le gouvernement actuellement avec la
politique, par exemple, de souveraineté alimentaire
ou avec les différents détaillants qui misent sur les politiques d'achat local,
et, malgré ça, vous savez, il y a toujours
une très grande différence entre ce que les consommateurs vont dire vouloir
faire et ce qu'ils font dans la réalité. Et on est tous très vertueux, mais, dans les faits, quand vient le temps de
payer, on fait des choix qui sont économiques et, cette tendance-là, on
ne peut pas la nier à l'heure actuelle.
Mme Ménard :
Merci. Il y a plusieurs personnes ou organismes qui sont venus, qui se sont
adressés à nous et qui ont mentionné que la réglementation du prix n'était
pas la solution, en fait, qu'il fallait faire autre chose, qu'il fallait
apporter d'autres solutions aussi pour aider les libraires à demeurer actifs,
en action, en vente.
Alors, est-ce
que vous pensez que... Si on passait la réglementation du prix du livre et qu'on
apportait d'autres solutions, comme ils le disent, pensez-vous
réellement que les librairies vont tirer leur épingle du jeu?
Mme
St-Pierre (Nathalie) :
Écoutez, je pense que la première chose, c'est… Si on regarde à l'heure
actuelle, en France par exemple, on a vu dernièrement que la ministre de la
Culture a annoncé près de 9, 8 ou 9 millions d'euros d'investissement
parce que le secteur était en proie à des difficultés extrêmes. Alors, on voit
bien que, malgré le fait qu'il y ait un prix unique du livre, les mêmes
tendances s'appliquent, et les résultats sont là. Les libraires ont besoin d'investissement
majeur, alors que je pense qu'ici, dès le départ, avec les autres mesures qui
ont été mises de l'avant, on a su tirer
notre épingle du jeu de façon beaucoup plus intéressante. Et ça, ce n'est pas
pour dire que les libraires n'ont pas des difficultés, que le secteur
des librairies n'est pas en difficulté. On l'a dit d'emblée, oui, il y a des
difficultés, mais, si on regarde ailleurs,
si on regarde avec l'expérience en France, je pense qu'on peut se dire qu'on a
développé un système qui peut être aujourd'hui révisé et qui peut faire
l'objet de modifications pour l'améliorer, mais je pense qu'on a obtenu de
meilleurs succès avec ces types de mesure là.
• (14 h 40) •
Mme Ménard :
Vous venez de faire référence à la France, et j'aurais une question pour vous.
Dans votre mémoire, vous faites
référence au bilan de la France et vous parlez de l'inefficacité de la réglementation du prix du livre en ce
qui concerne la protection des libraires indépendants. Comment expliquez-vous,
malgré ce constat — parce que vous n'êtes pas les seuls à constater ce qui se passe en France — que,
malgré ça, Israël par exemple, vienne de réglementer le prix, en 2013?
Mme
St-Pierre (Nathalie) :
Alors, écoutez, cette décision leur appartient. Nous, on ne peut que regarder
ce qui se fait et les tendances. On
peut peut-être regarder aussi en France, parce que
c'est plus près de nous en termes de
culture, mais, les choses étant ce qu'elles
sont, les consommateurs se déplacent, les ventes de livres se déplacent, et l'accès
des livres par d'autres moyens de consommation que le moyen traditionnel de la
librairie avec pignon sur rue, ça existe. Et donc il faut pouvoir trouver des
mesures, à notre avis, qui permettraient de rendre accessible le livre des
auteurs québécois partout, mais sans penser que le seul mode, à l'heure
actuelle, c'est le mode traditionnel, puisque, même dans les autres types de commerce, ces réalités-là et ces tendances-là existent
et que les commerçants s'adaptent pour répondre aux besoins de leur
clientèle.
Mme Ménard : J'aimerais savoir pourquoi vous pensez que l'industrie
du livre, dans une large mesure, réclame une législation sur le prix
plancher du livre neuf.
Mme
St-Pierre (Nathalie) : Bien, je pense que c'est ce qu'on entend. J'ai moi-même
participé, dès 1998, à un groupe de… à la
suite, là, du Sommet de la lecture et du livre, là, à l'époque, à des travaux
similaires. Donc, je pense que
je connais bien les positions de l'industrie. Je pense qu'à l'époque, déjà, les
travaux qui étaient présidés par M. Lespérance arrivaient au constat d'aujourd'hui.
Il y avait des tendances, et je pense que ces tendances-là se sont accentuées.
Il y en a même qui sont même désuètes déjà parce qu'à l'époque on parlait du
CD-ROM et puis des technologies qui n'existent
presque même plus aujourd'hui. Et je pense que les mesures qui avaient été
proposées ont donné des résultats. Il faut maintenant poser un autre
constat des changements de comportement du consommateur et peut-être continuer
d'aller dans ce sens-là pour améliorer et s'assurer de les rejoindre de la
façon dont ils souhaitent être rejoints.
Mme Ménard :
Merci. Alors, merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté du
deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville... Est-ce que vous
vouliez intervenir pour répondre? Oui. Bon, allez-y, M. Côté, puis nous
reviendrons à vous, Mme la députée.
M. Côté (Jean-Guy) : Je veux simplement revenir sur la loi Lang, en France. Les commentaires
sont intéressants sur la structure
qui a pu être instaurée au Québec avec les librairies agréées qui ont structuré
finalement le marché. En France, ce
qu'on observe depuis des années, c'est l'explosion des points de vente. Il y a
une explosion faramineuse de points de
vente de livres dans toutes sortes d'établissements, ce qu'il n'y a pas eu au
Québec actuellement, ce qu'on n'a pas au Québec. Donc, est-ce qu'il y
avait une mesure qui était meilleure que l'autre? Nous, on considère que le
système des librairies agréées est une
mesure qui est beaucoup plus structurante que le prix du livre. C'est mon
premier commentaire.
Le deuxième commentaire sur le prix plancher du
livre en magasin, c'est sur le fait que… la vraie question qu'il faut se poser : Est-ce que, demain matin, les
librairies vont s'en porter mieux ou elles vont… ça va régler leur
problématique qu'elles ont? Il y a des
coureurs très forts qui arrivent, là. Juste le livre numérique, il y a des gens
qui sont venus vous en parler ici de façon très enthousiaste... Ils ont
raison : les intentions d'achat du livre numérique au Québec, elles sont réelles. On n'est peut-être pas au même niveau que
certains voudraient qu'on le soit, mais ça s'en vient. Donc, est-ce qu'il
y a moyen de structurer le livre indépendant
numérique au Québec? Est-ce qu'il y a moyen de supporter les initiatives
qui existent déjà avec ce qui est déjà en place? C'est les questions qu'il faut
d'abord peut-être se poser avant d'aborder la question du prix unique.
Mme Ménard :
O.K.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de
Montarville, vous avez la parole pour votre période d'échange.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, merci. Pour combien de temps?
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : 3 min 45 s.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Mme St-Pierre et M. Côté. Merci de votre présence, merci de votre mémoire.
Je voudrais vous ramener aux pages 5 et 6 du mémoire. À la toute fin,
vous mentionnez que, dans le document de consultation publié par la Commission
de la culture et de l'éducation… Dans ce
document, on stipule que «globalement — et là je suis rendue à la page 6 — de 2001 à 2010, les ventes de livres
par les grandes surfaces n'étaient pas en croissance». Et, le paragraphe
suivant, vous nous dites : «Depuis 2008, la part des librairies à succursales [au sein de la part de marché des
librairies] n'a cessé d'augmenter. Cette part qui était de [46 %]
est passée à [51 %] en 2012.» Alors, comment se fait-il que l'impact des
ventes de livres en grandes surfaces ne semble pas se faire sentir pour les
librairies qui sont en succursales? Vous attribuez ça à quoi?
Mme St-Pierre (Nathalie) : Alors, comme on en a parlé tout à l'heure, ce
sont les modèles d'affaires, les modèles d'affaires des entreprises qui,
par exemple, dans le cas des librairies à succursales, ont trouvé des façons d'innover
et de répondre aux besoins de leur clientèle
et de faire en sorte de les fidéliser, et donc de… qu'ils viennent malgré le
fait que, peut-être, ils pourraient trouver un certain nombre de livres dans
les grandes surfaces à coût moindre, mais vont choisir, parce que le modèle d'affaires
des librairies à succursales leur convient… alors que d'autres vont choisir de
fréquenter et d'acheter certains livres dans les grandes surfaces.
Mme
Roy
(Montarville) : Serait-il possible de déduire — c'est une hypothèse que j'émets — que les librairies à succursales seraient peut-être, entre autres,
responsables, en quelque part, du déclin de certaines librairies
indépendantes?
Mme St-Pierre
(Nathalie) : Bien, je pense que c'est… Chaque modèle d'affaires, je
pense, convient aux différents
consommateurs, et ils ont su miser sur ce qui les distinguait pour faire en
sorte de fidéliser leur clientèle. Alors, c'est très… c'est tout à fait à leur honneur, et je pense qu'à ce
moment-là il convient de reconnaître que les consommateurs, ils sont
gagnants aussi.
Mme
Roy
(Montarville) : Dans la proposition qui est faite
actuellement de ce prix plancher, ce 10 % de rabais durant neuf
mois sur toutes les nouveautés, puis on veut y inclure également les livres
électroniques, croyez-vous qu'il s'agisse d'une
bonne façon en voulant inclure également les livres électroniques ou est-ce qu'on
parle d'un marché totalement différent qui ne pourra pas se plier à
cette réglementation?
Mme
St-Pierre (Nathalie) : C'est
certain que, comme on l'a dit, il sera très difficile pour toute
réglementation de tout contrôler à un coût qui sera réaliste pour l'État. Mais
c'est certain également que, sans tenir compte des livres numériques, on… Ça ne serait pas réaliste puisqu'à
ce moment-là ça déplacerait le marché vers le livre numérique si
celui-ci n'était pas réglementé au même titre. Alors, je pense que l'approche,
si… l'approche que nous ne reconnaissons pas, mais, s'il doit y avoir une
approche, effectivement, elle doit être globale, puisque le consommateur
pourrait, à ce moment-là, tout simplement choisir d'acheter un livre sous
format numérique.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie infiniment. Merci.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Donc, nous retournons du côté de l'opposition officielle. Mme la députée
de Laporte, il vous reste encore six minutes à votre disposition.
Mme Ménard : Oui, ça ne sera pas tellement
long, Mme la Présidente. Merci
beaucoup. C'est juste pour
répondre au député de Saint-Hyacinthe. Dans le verbatim de lundi de l'ANEL, la réponse, c'est : oui, ils
augmentent le prix à cause qu'ils accordent des rabais. Alors, juste
aller voir dans le verbatim.
Une voix : …
Mme Ménard : En fait, ma question, vous vous souvenez,
était : Est-ce que vous augmentez le prix quand… vous savez
qu'ils donnent des gros rabais, donc est-ce que vous augmentez le prix des
livres? La réponse a été oui. Donc, autant…
le livre est augmenté chez les grandes surfaces et chez le libraire aussi, bien entendu. Alors, le livre coûte plus cher. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Donc, merci. Je veux vous remercier, Mme St-Pierre, M. Côté.
Nous allons suspendre quelques instants, le
temps que les représentants du Conseil des arts et des lettres du Québec
veuillent bien prendre place.
(Suspension de la séance à 14 h 49)
(Reprise à 14 h 50)
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
…reprendre nos travaux. Donc, nous reprenons nos travaux. Messieurs, bonjour. Bienvenue à l'Assemblée nationale. M. La Roche, je vais demander de vous
présenter et de présenter les personnes qui vous accompagnent. Vous
allez disposer d'un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé,
par la suite suivra un échange avec les parlementaires. Donc, vous avez la
parole, M. La Roche.
Conseil des arts et des
lettres du Québec (CALQ)
M. La Roche (Stéphan) : Merci.
Bonjour. Donc, mon nom est Stéphan La Roche. Je suis président-directeur
général du Conseil des arts et des
lettres du Québec, communément appelé
le CALQ. Je suis accompagné de Michel Biron, auteur et professeur
titulaire au Département de langue et de littérature françaises de l'Université
de McGill. C'est un spécialiste de la littérature québécoise et qui est
membre du conseil d'administration du CALQ et aussi président de la Commission consultative de la littérature du
Conseil des arts et des lettres du Québec. À ma droite,
M. Alain Filion, directeur
du théâtre, de la littérature, des arts multidisciplinaires et des arts
du cirque au Conseil des arts et des lettres du Québec. Nous nous partagerons
la présentation de notre mémoire.
Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM.
les députés, le livre est un objet extraordinaire. Chacun d'entre nous peut citer le titre d'un livre qui a
marqué sa vie. Nous avons même de la difficulté à n'en nommer qu'un
seul. Les échanges que le livre suscite à cette commission et dans les médias
témoignent certainement de la singularité de cet
objet, mais aussi des liens affectifs que nous entretenons toutes et tous avec
lui. Le livre ne peut pas être réduit à un simple produit de
consommation. C'est aussi un bien culturel, un véhicule de culture, de notre
culture.
Vous le savez, notre culture est très dynamique,
et elle continue de s'affirmer fortement malgré sa situation minoritaire dans
un contexte continental, voire mondial, dominé par l'industrie culturelle
américaine. L'intervention de l'État québécois en culture par un encadrement
législatif stratégique est nécessaire pour rééquilibrer les inéquités
conséquentes à la force du nombre. Cette intervention est essentielle pour
permettre l'accès de la population à ses artistes, à ses écrivains et à leurs oeuvres.
Notre production littéraire est florissante. En
2011, les éditeurs commerciaux québécois ont publié plus de 6 000 livres, dont environ 2 400 oeuvres
littéraires. La part de marché des éditeurs québécois de la catégorie
littérature générale fut de 44 % en 2011. On peut donc affirmer que la
littérature québécoise s'est taillé une place importante dans son propre marché, malgré la forte
concurrence du livre étranger. Ce dynamisme actuel est attribuable, d'une
part, au talent des écrivains québécois et, d'autre part, au travail accompli
par les maisons d'édition et les lieux de diffusion, c'est-à-dire les salons du
livre, les festivals littéraires, les librairies et les bibliothèques.
M. Filion
(Alain) : Nous parlons de littérature, car le CALQ ne
soutient pas directement le livre, mais bien la littérature. C'est l'un des secteurs de création où le CALQ intervient
pour en soutenir le développement. Comme pour les autres disciplines, le
CALQ soutient l'excellence de la création littéraire québécoise avec une approche
misant sur la diversité des pratiques et des
genres. Il le fait en aidant les écrivains pour la création d'oeuvres
littéraires. Il aide aussi les organismes qui contribuent à la
promotion, à la diffusion du travail des écrivains et au rayonnement de la
littérature. Ainsi, le CALQ appuie l'écriture
de romans, récits, nouvelles, contes, poésie, essais portant sur les arts et
les lettres. Il soutient aussi, par ailleurs, la bande dessinée.
Le CALQ estime incontournable que cette
diversité d'oeuvres de qualité qu'il soutient, diversité qui exprime notre
créativité et notre identité, rejoigne le plus large public possible et soit
disponible aux citoyens québécois qui la financent par notre entremise. Chaque
année, le CALQ injecte environ 3,4 millions de dollars dans le secteur de
la littérature sous forme de bourses aux écrivains et aux conteurs
professionnels et de subventions aux organismes et aux périodiques littéraires. Le CALQ appuie également une grande variété
d'organismes qui produisent et diffusent des activités littéraires de
plusieurs types sur l'ensemble du territoire québécois. À cet égard, les
événements littéraires soutenus par le CALQ enrichissent la vie culturelle
québécoise.
Les écrivains
sont au coeur de la littérature et du livre, c'est pourquoi le CALQ est
fortement préoccupé de leurs conditions
de création et de vie. Il convient d'abord de noter que la principale source de
revenus des écrivains provient des droits
d'auteur qu'ils tirent de la vente de leurs livres. Par ailleurs, la participation
à certaines activités de diffusion peut s'ajouter à leur pratique. Ces activités sont importantes non seulement
parce qu'elles font la promotion des écrivains et de leurs oeuvres
auprès du public, mais également parce qu'elles représentent une source de
revenus complémentaires essentiels pour les créateurs. D'une part, elles stimulent la
vente des livres et, d'autre part, elles permettent aux auteurs de recevoir
un cachet pour leur présence ou leur prestation.
Néanmoins, peu d'écrivains peuvent prétendre
vivre de leur art. Selon l'Observatoire de la culture et des communications,
65 % des 1 500 écrivains sondés dans le cadre d'une étude, soit
environ 975 personnes, ont déclaré avoir gagné moins de 5 000 $ en
revenus de création littéraire pour l'année 2008. Au Québec, seule une soixante
d'écrivains tirent la principale partie de leurs revenus de la création. Malgré
ces faibles revenus, l'écrivain représente une part importante du dynamisme du
monde des livres, qui repose sur leur talent et leur travail. Il importe donc
de les prendre en considération dans la réflexion portant sur la réglementation
du prix du livre.
M. Biron
(Michel) : C'est dans cette
perspective précise et dans les limites de son mandat de soutien aux arts
et à la littérature que le CALQ souhaite prendre position dans ce débat sur le
prix réglementé. Il est de notre avis que la réglementation
du prix du livre neuf devrait assurer l'accessibilité et le rayonnement des
oeuvres littéraires québécoises, permettant de rejoindre le plus grand
lectorat possible. Par conséquent, elle devrait permettre aux auteurs d'être
justement rétribués pour leur travail de création et ainsi améliorer leurs
conditions de vie et de création.
Parce qu'elles sont les alliées naturelles de la
création littéraire au Québec, la vitalité des librairies doit être préservée.
Les librairies ont une influence importante, car elles assurent l'accessibilité
à une littérature diversifiée sur l'ensemble
du territoire, ce qu'un membre de la Commission consultative de la littérature
a appelé la «bibliodiversité». De plus, elles sont des lieux de
diffusion et de promotion de la littérature québécoise grâce à l'expertise des
libraires et aux activités qui y sont tenues.
Les
librairies sont donc complémentaires aux efforts du CALQ. À titre d'instrument
privilégié d'accès à la diversité de
l'offre éditoriale, elles font la promotion de la littérature et se distinguent
par leur engagement envers la création littéraire québécoise. Dans ce
sens, la réglementation proposée compléterait adéquatement les autres
interventions de l'État québécois en matière de soutien au développement de la
littérature et du livre.
La
réglementation semble donc pertinente et utile dans la perspective où elle
permet à tous les intervenants de la chaîne
du livre d'en tirer profit le plus équitablement possible. En outre, pour
soutenir la chaîne du livre et le créateur en particulier, le CALQ est
aussi favorable à une intervention réglementaire sur le prix du livre en format
numérique. Cette réglementation devrait
permettre d'établir des règles claires, pour le marché en ligne, qui
assureraient un partage équitable du
prix de vente aux créateurs québécois. La réglementation pourrait y parvenir en
empêchant que des livres numériques soldés se traduisent par de plus
petites redevances et en permettant aux points de vente d'ici, qui sont fidèles
à la littérature québécoise et contribuent à son développement, de faire
concurrence aux géants de l'Internet. Nous
croyons qu'une telle mesure devrait être bénéfique à une saine concurrence, au
maintien de la diversité de l'offre et à son accessibilité pour les
lecteurs québécois.
M. La
Roche (Stéphan) : Même si le
livre numérique ne s'est pas encore imposé dans les habitudes de lecture des Québécois, il est probable que ce
sera le cas dans un avenir rapproché en raison de la rapidité de l'évolution
des technologies et la pénétration
impressionnante des tablettes numériques depuis 2010. L'avènement des
technologies numériques et leur importance toujours croissante constituent une
véritable révolution aux incidences économiques majeures, puisque ces dernières
rendent possible un modèle de distribution faisant abstraction des
intermédiaires du livre imprimé. Ce faisant, elles viennent donc bouleverser
les rôles de chacun dans la chaîne.
Les géants américains se livrent une guerre
commerciale pour imposer leur modèle économique et leurs plateformes aux
lecteurs et ainsi devenir les principaux intermédiaires à l'échelle mondiale
dans la distribution du livre et des produits culturels,
en général. La taille de ces compagnies et le monopole qu'elles exercent sur l'écologie
numérique leur confèrent un pouvoir considérable. Dans son rapport Faire
rayonner la culture québécoise dans l'univers numérique, remis à la
ministre de la Culture et des Communications en 2011, le CALQ a cerné l'ampleur
des mutations qu'entraînent les technologies numériques dans le domaine de la
littérature, en particulier. Ainsi, de nouveaux
modes de diffusion qui propulsent les écrivains vers l'autodiffusion sont
apparus depuis quelques années, par exemple
les blogues et les réseaux sociaux. Une stratégie numérique de la culture
pourrait ainsi assurer que la totalité des oeuvres littéraires québécoises et des périodiques culturels soit rendue
accessible, en format numérique, aux consommateurs et aux usagers des
bibliothèques, tout en assurant une juste rétribution des créateurs.
Il va sans
dire que les technologies numériques constituent une importante occasion de
diffusion pour les écrivains québécois et leurs oeuvres et sont un
extraordinaire outil de démocratisation et d'accès. Il faut prendre acte de ces
bouleversements et s'assurer que le Québec,
ses auteurs, ses oeuvres et ses entreprises trouvent place dans ce nouvel
univers. Face aux défis que soulève le
numérique, il importe de défendre les intérêts des écrivains et l'intérêt des
lecteurs québécois. Peu importe le modèle économique ou la technologie
qui s'imposera, les écrivains doivent tirer un revenu équitable de l'exploitation
de leurs oeuvres en format numérique. Le développement du livre numérique ne
doit pas se faire au détriment des créateurs.
En fin de
compte, il s'agit de favoriser et d'encourager une vie littéraire saine et enrichissante pour tous, lecteurs, écrivains, éditeurs, distributeurs, libraires et
aussi pour les grandes surfaces, qui ont intérêt à ce que la littérature
fleurisse. Le CALQ ne croit pas que la
réglementation soit une solution qui réglera tous les problèmes, mais c'est un
geste qui pourrait protéger la vitalité des différents intervenants de
la chaîne du livre. Que cette réglementation soit adoptée ou non, d'autres
gestes devraient être posés afin d'assurer aux écrivains leur juste part. Le
CALQ souhaite que ces mesures assurent l'accessibilité et le rayonnement des oeuvres
littéraires québécoises et de leurs auteurs, permettant de rejoindre le plus
grand lectorat possible, car, comme le dit si bien Félix Leclerc dans Le Fou
de l'île : «Tu es revenu aux livres? On y revient toujours.» Merci de votre
attention.
• (15 heures) •
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, messieurs. Nous allons débuter les
échanges. M. le ministre, vous avez la parole.
M. Kotto : Merci, Mme la
Présidente. M. La Roche, M. Filion, M. Biron, soyez les bienvenus, et merci
pour votre contribution.
Je vais directement aux
questions. De quelle perspective, simple ou croisée, de votre perspective des
choses, entre guillemets, devrait-on prendre la mesure d'une législation sur le
prix plancher du livre neuf?
M. La Roche (Stéphan) : Pouvez-vous
me préciser la…
M. Kotto : À partir de quelle
perspective? Si vous aviez à nous donner une perspective pour évaluer la pertinence de légiférer sur le prix plancher du
livre neuf, perspective pouvant être simple ou croisée, quelle serait-elle,
ou «elles» au pluriel?
M. La
Roche (Stéphan) : Je vous
dirais que cette réglementation ou ces mesures devraient être à la
recherche, d'abord, d'équité entre les
différents maillons de la chaîne du livre et faire en sorte que l'ensemble
de la chaîne du livre soit gagnante.
Alors, que ce soit pour les écrivains, que ce soit pour les libraires, que ce
soit pour les éditeurs ou les distributeurs, c'est le point de vue que l'on doit rechercher dans une telle
perspective parce qu'en fait l'objectif,
c'est de faire en sorte que l'ensemble du milieu de la littérature et du
livre soit gagnant, c'est-à-dire qu'on ait une littérature et un milieu du
livre qui soient forts, qui soient dynamiques et qui aient les moyens de se développer
encore davantage.
M. Kotto : O.K. Vous suggérez
l'adoption d'une réglementation du prix du livre neuf, tant imprimé que
numérique, pour une période de 24 à 36 mois. Est-ce que vous pouvez nous
préciser les motifs qui vous amènent à cette proposition, à cette idée?
Pourquoi pas cinq ans, par exemple?
M. La
Roche (Stéphan) : Nous
faisons cette proposition afin de donner le temps, à la fois au gouvernement
et à l'ensemble des intervenants du milieu du livre, de pouvoir documenter
davantage, analyser et évaluer ce qu'une telle mesure, ce qu'une telle réglementation pourrait permettre. On constate…
Vous avez entendu les intervenants des derniers jours, la semaine
dernière et même tout à l'heure, le groupe qui nous a précédés, il y a encore
quand même certains éléments qui nous
échappent, certains éléments qui ne sont pas documentés. Et on pense qu'une
période d'essai, si on veut, de 24 à
36 mois serait suffisante pour permettre d'évaluer convenablement les effets
que ça peut avoir sur l'ensemble des intervenants du milieu du livre.
Pourquoi pas
cinq ans? Écoutez, nous, on pense qu'une période de 24 à 36 mois serait
suffisante pour permettre d'analyser
ces éléments-là. Elle pourrait être éventuellement plus longue, effectivement.
Plus courte, ça m'étonnerait, puisqu'il faut quand même donner le temps
d'implanter la mesure en question. Et on propose ça parce qu'on croit que la… c'est important de protéger le secteur du
livre face aux mutations qui sont en cours. Le milieu est en profond
changement, et on pense qu'il faut quand même poser des gestes pour assurer sa
protection.
M. Kotto :
Oui. Vous avez entendu des personnes qui vous ont précédés ici même parler d'expérience
française en matière de réglementation de prix de livres neufs. Ça fait une
trentaine d'années que cela s'est fait pour le livre physique, ça fait deux ans à peu près que cela s'est
fait pour le numérique. Avez-vous, disons, une idée de l'historique, de
l'évolution de cette législation en France quant à ses impacts vis-à-vis des
consommateurs et de l'industrie du livre lui-même? Avez-vous des données
compilées là-dessus?
M. La Roche (Stéphan) : En fait, non. Le CALQ n'a jamais documenté cette
situation. Je rappelle que le mandat du conseil est vraiment un mandat
de soutien aux auteurs, aux écrivains et non pas, comme tel, au marché du
livre, puisqu'il y a une autre société d'État, la SODEC, qui est davantage
spécialisée dans ce secteur.
Ce qu'on constate quand même, c'est qu'au cours des… donc,
depuis 1981, depuis la date de l'entrée en vigueur du prix en France, ça a quand même permis d'assurer
un essor quand même considérable au secteur du livre en France. Et ce qu'on
retient aussi, c'est que, depuis 1997, il y a quand même une dizaine de pays à
travers le monde qui se sont ralliés à cette
approche. On pense à la Grèce, à l'Autriche, à l'Argentine, à la Corée du Sud,
à l'Italie, aux Pays-Bas, au Japon,
au Mexique, au Danemark, la France, qui a amendé, donc, en 2011, pour le livre
numérique, et Israël très récemment. Donc,
il doit y avoir là… Ce sont des pays qui sont très variés dans leur approche et
dans leur culture. Il doit y avoir,
dans ce type de mesure, un bien-fondé qui amène une protection pour le milieu
du livre de ces pays respectifs. Et c'est dans cette optique-là que l'on croit
qu'une mesure de protection comme celle-là — puisque c'est une mesure de
protection — pourrait
être bénéfique pour le milieu du livre québécois.
M. Kotto :
Vous faites allusion à cette douzaine de pays qui ont réglementé et vous
parliez de données dont vous ne disposiez pas pour éventuellement statuer sur
le temps d'expérimentation d'une réglementation au Québec. Est-ce qu'il serait,
disons, pertinent de se référer, dans l'hypothèse où on pourrait mettre la main
sur des données qui pourraient nous éclairer
relativement à ce qu'il y a eu comme impact, tous domaines confondus, en
France, notamment… Est-ce qu'il
serait pertinent pour nous d'analyser ce genre de données pour statuer sur l'éventuelle
période d'expérimentation de la réglementation au Québec?
M. La Roche (Stéphan) : Il est toujours pertinent de documenter davantage
et d'analyser le plus possible ce genre de situation et ce genre d'impact. Plus on a de données, plus on a d'informations,
plus on est en mesure de prendre les décisions les plus sages et les
plus efficaces possible.
M. Kotto : Vous avez parlé d'autres
mesures… enfin, de mesures complémentaires au-delà de la réglementation.
Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus?
Et aussi est-ce que vous avez des pistes de financement de ces mesures-là?
M. La Roche
(Stéphan) : Écoutez, on pense que plusieurs gestes pourraient être
posés pour, d'une part, assurer aux écrivains et aux auteurs une meilleure
rétribution et assurer à l'ensemble des membres de la chaîne du livre de meilleures conditions également. On peut
nommer, parmi ces moyens à mettre en oeuvre, par exemple, la mise sur pied d'un réseau de diffusion de la littérature
couvrant l'ensemble du territoire québécois, l'établissement de
meilleures conditions contractuelles liant
les écrivains et les éditeurs, l'augmentation des budgets alloués, évidemment,
aux bourses de création littéraire et
au rayonnement de leurs auteurs — je vais quand même parler pour notre
paroisse — le
développement des habitudes de lecture chez
les jeunes, en contact plus fréquent avec la littérature québécoise, une plus large
inscription de la littérature aux programmes
d'enseignement scolaire, le maintien, donc, d'un réseau de librairies
concurrentiel et en santé, l'accroissement
de l'importance accordée à la littérature et aux auteurs dans les médias. Et on
pourrait aussi parler, évidemment, d'une disponibilité et d'une
accessibilité accrues des oeuvres littéraires en format numérique.
Je pense que ce sont
des éléments importants. Je pense que, parmi celles-là, effectivement, celles
touchant au numérique sont fondamentales puisqu'il y a un… ce sont des… c'est
une question d'avenir pour la littérature et pour le livre québécois.
La Présidente
(Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Bonaventure.
• (15 h 10) •
M. Roy : Merci, Mme la Présidente.
Bonjour à mes collègues. Ils ne m'ont pas vu. Bonjour, messieurs. J'aime
toujours vous saluer, vous savez. Une question d'ordre général : Comment
se porte, je dirais, la création littéraire actuellement au Québec?
M. La Roche (Stéphan) : Bien, la
création littéraire se porte bien au Québec, et je dirais même qu'elle est foisonnante, elle est extrêmement diversifiée et… à tel point que, donc, au Conseil des arts et des lettres, on a un peu de difficulté à soutenir l'ensemble de ce qui est
méritant, compte tenu de nos budgets, même si on comprend qu'on est déjà
relativement choyés par rapport à l'ensemble des autres provinces ou des autres
États. On a un soutien québécois à la culture qui est quand même extrêmement
bien doté, mais il reste qu'on a une création, en littérature comme dans les
autres disciplines, extrêmement riche, extrêmement stimulante, et je pense qu'on
peut dire que c'est important justement qu'elle
trouve, cette création littéraire, les plus grands débouchés possible, qu'on
puisse mettre à la disposition de la population québécoise, des citoyens
québécois, la plus grande diversité possible d'oeuvres littéraires. Et que ce
soit le cas sur l'ensemble du territoire québécois, ça nous apparaît
extrêmement important.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Continuez, la parole est à vous.
M. Roy : Merci. Mais à quoi
vous attribuez cette grande créativité?
M. La Roche
(Stéphan) : Je pense que…
M. Roy : C'est des questions
assez générales, mais en même temps qui sont importantes.
M. La Roche (Stéphan) : Oui, bien,
je pense que c'est une question d'appui… d'un appui continu de l'État québécois au milieu des arts et des lettres depuis
50 ans — le
ministère de la Culture a 52 ans maintenant, donc — parce
qu'on investit en formation, parce qu'on investit en création, parce qu'on
investit en production et en diffusion. Évidemment,
on fournit au milieu des arts et des lettres un environnement qui permet l'éclosion
de ces talents-là. Il y a une relève
qui pousse constamment. Et cette richesse entraîne aussi une émulation, bien
sûr, entre les artistes, entre les écrivains,
et… qui cherchent toujours à se distinguer, et c'est ce qui fait la richesse de
la production littéraire québécoise.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Vous avez terminé? Parfait. Nous allons maintenant du côté de l'opposition
officielle. Mme la députée de Laporte, vous avez la parole.
Mme Ménard :
Merci, Mme la Présidente. Alors, M. La Roche, M. Filion — je ne me souviens plus lequel est lequel — et M. Biron. Alors, bonjour à vous trois.
Mais, d'entrée de jeu, M. La Roche, je veux vous féliciter pour votre
récente nomination et je vous souhaite bon succès.
Dans votre mémoire, vous mentionnez que le livre
demeure distinct de tout autre produit de par la dimension culturelle qui lui est fortement rattachée. Dans
un article qui a été publié en France en octobre 2011, on mentionne
ceci, et je cite : «On a tout tenté
pour faire que le livre ne devienne pas un produit comme les autres, mais il l'est
devenu. Ce n'est pas que les mesures de protection étaient mauvaises,
mais elles n'étaient pas adaptées aux changements qui ont eu cours dans les
pratiques commerciales et pratiques de lecture.» Comment réagissez-vous à ce
commentaire?
M. La
Roche (Stéphan) : Écoutez,
je ne connais pas tout à fait le contexte de la citation que vous me faites,
mais ce que je vous dirais, ce que j'ai comme
réaction, c'est que… Bien sûr qu'on est… le livre est aussi un produit deconsommation, personne ne le nie, il est en
vente libre et donc il a un prix, et… C'est un produit, bien sûr, mais c'est
un produit culturel. Je vous dirais que… On
parlait beaucoup d'alimentation avec le groupe qui nous a précédés tout à
l'heure; il n'y a pas de produit de
remplacement pour un livre. Lorsqu'on veut lire le dernier Kim Thúy, on n'achète
pas un roman Harlequin à la place. On veut le dernier Kim Thúy. Donc, c'est
dans ce sens-là que ce n'est pas un produit
comme un autre. S'il n'y a pas telle sorte de margarine sur le comptoir de l'épicerie,
bien, on va acheter une autre margarine,
et puis on va dire : Bon, c'est dommage, je préfère l'autre sorte, mais on
va faire avec. Mais on n'achètera pas un
roman… Si on veut lire un roman historique, on n'achètera pas un roman
policier. Donc, il y a quand même cette notion-là, qui est extrêmement
importante, où est-ce qu'on est dans un produit qui n'est pas tout à fait comme
les autres.
M. Biron (Michel) : Oui, est-ce que
je peux ajouter quelque chose? Parce que c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. Je ne sais pas qui a signé le commentaire que vous avez lu,
mais ce qui me frappe, c'est qu'il y a un regret, hein? Ce commentaire-là d'un Français, il implique un regret, comme si
la situation normale n'était pas celle qui prévalait,
et c'est ce regret-là qui, pour moi, est capital, c'est-à-dire de regretter que
le livre ne devienne qu'un bien culturel, un bien de consommation, qu'il ne soit plus ce qu'il est, à mon avis, essentiellement : une oeuvre d'art. Et, dans une commission
comme celle-ci, je me permets de le rappeler, c'est tout de même ça, l'essence
même, si on aime tant la littérature — et la littérature, pas seulement
le livre — c'est
parce que c'est essentiel à nos vies. Et donc ce regret-là, il est important qu'on
l'ait aussi, c'est-à-dire que le livre ne devienne pas… Qu'on s'inquiète de
cette possibilité, c'est très sain, je crois, pour une société et peut-être
que, dans le commentaire qu'on lit, il y a une sorte de défaitisme, mais il y a
aussi, à mon avis, une résistance très, très forte.
Mme Ménard : Bien, ce qui m'amène
à poser la question : Est-ce que le vrai enjeu, c'est la culture et la
lecture, et non pas le marchand, le producteur?
M. La Roche (Stéphan) : Bien, je
vous dirais que c'est les deux. Il ne faut jamais oublier… et on le souligne
dans notre mémoire, il reste que, par le fait que c'est un bien commercial, il
amène des revenus. Il amène des revenus aux éditeurs, aux distributeurs, aux
libraires, mais il amène des revenus aussi aux auteurs, et c'est dans ce
sens-là que c'est important que le marché du livre soit dynamique. Et, pour
assurer ce dynamisme-là, c'est important qu'il y ait la plus vaste distribution
possible et le plus large champ de points de vente possible. Et, dans ce sens-là,
le réseau des libraires est un allié de cette richesse littéraire.
Mme Ménard : D'accord. Vous
dites… Vous avez parlé tantôt… Le ministre vous a posé la question sur les différentes interventions, là, qu'on pourrait
faire, et vous en avez nommé, là, plusieurs, plusieurs intéressantes, d'ailleurs.
En quoi toutes ces interventions-là, ces mesures-là viendraient soulager l'enjeu
financier des libraires?
M. La Roche (Stéphan) : Dans les
mesures que vous ai mentionnées, il y a évidemment des mesures de toutes sortes. Certaines pourraient s'adresser aux
libraires, d'autres, non, elles s'adresseraient davantage aux écrivains,
d'autres, à l'ensemble de la chaîne. Mais
donc de notre point de vue… Je vous rappelle, le mandat du conseil est un
mandat non pas de soutien aux libraires,
mais de soutien à la littérature, donc, aux écrivains, et aux auteurs, et aux
organismes qui en font la promotion.
Donc,
on ne s'est pas attardés longuement à chercher des mesures dans ce sens-là,
mais il est évident que, plus on augmente
la diffusion du livre, des auteurs et de leurs oeuvres, par exemple, par un
programme de circulation à travers le territoire, programme qui pourrait
se faire, entre autres, chez les libraires, peut-être pas uniquement, mais
notamment chez les libraires, aussi dans les
bibliothèques et dans d'autres lieux, bien, plus on fait parler du livre et de
leurs auteurs, plus on fait parler de la littérature, plus on suscite de
l'intérêt et plus on amène les gens à consommer de la littérature. Et, quand
ils consomment, bien, ils vont dans toutes sortes de points de vente, chez les
libraires et aussi chez les grandes surfaces, j'imagine.
Mme Ménard :
Une partie de votre réponse, en fait, vient peut-être de me faire réaliser ce
que vous vouliez dire. Parce que,
quand je lis votre mémoire, j'avoue que je le trouve, à l'occasion,
contradictoire puis je me demande la logique de tous vos propos, parce
que vous parlez que vous ne disposez d'aucune donnée qui vous permettrait d'établir
une corrélation directe entre la mise en oeuvre de la réglementation et la
condition socioéconomique des écrivains.
En même
temps, quand nous avons reçu les écrivains, eux disent : Il faut la faire,
la réglementation. Mais là ma surprise et mon questionnement, c'est :
Bien, comment ils peuvent dire ça si vous n'avez aucune donnée?
• (15 h 20) •
M. La
Roche (Stéphan) :
Effectivement, une démonstration statistique à l'appui, là, du lien entre la réglementation du prix du livre et l'amélioration des conditions, nous ne sommes pas,
nous, en mesure de la faire. Ceci étant dit, ce qu'on peut déduire, c'est que, plus on favorise un
réseau de diffusion large, plus, normalement, les auteurs québécois
devraient en bénéficier puisque les libraires sont les meilleurs vendeurs de la
littérature québécoise. On l'a dit, dans une grande surface… Les grandes surfaces tiennent environ entre 250 et 300 titres,
pas nécessairement beaucoup de québécois dans ces titres-là, alors que
le réseau des libraires, les librairies tiennent vraiment une variété, et les
recueils de poésie ou des essais sur les arts et les lettres, par exemple, vont
ne se retrouver que dans ce réseau-là.
Donc, plus on
favorise ce réseau de librairies là, plus on favorise la diffusion, et donc la
vente des livres, et donc la rémunération par le droit d'auteur. C'est
dans ce sens-là qu'il y a une logique à cette pensée.
Des voix : …
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
…M. Filion.
M. Filion
(Alain) : Merci, Mme la Présidente. C'est un peu dans le même sens. C'est-à-dire, notre impression, c'est que,
plus… Quand on parle qu'un libraire indépendant ou un libraire agréé doit
disposer d'au moins 2 400 oeuvres, environ, littéraires par
année sur 6 000 titres et qu'on fait le comparable avec les grandes
surfaces, qui vont disposer de 300 livres
avec une soixantaine de titres québécois, dont à peu près une vingtaine d'auteurs
québécois, c'est évident qu'on ne peut pas attribuer à la grande surface
le fait d'avoir découvert ou d'avoir fait que cet auteur-là est devenu un
auteur à succès. Ça peut arriver, des succès spontanés, on en connaît, sauf que
le réseau…
Nous, on
dit : En renforçant le réseau des libraires, où il y a vraiment une
profession… C'est une profession, le libraire,
qui fait la promotion, qui fait des séances de signature, qui est en contact
avec ses lecteurs, qui fait de l'animation dans son milieu. Nous, on dit : En renforçant ce réseau-là, le fait
qu'il étale 2 400 titres québécois, ça expose le citoyen, lorsqu'il
va aller chercher un livre à succès ou un best-seller dont le prix va être
réglementé pour une période de neuf mois, à d'autres titres, qu'il y ait une
relève, en quelque sorte, en littérature, comme ça se fait dans le domaine des
arts de la scène ou comme ça se fait dans… Il n'y a pas des succès spontanés en
humour, ou tout ça. Les producteurs, avant d'aller
chercher un humoriste, ils vont aller à sa découverte, puis c'est… Ça fait que
c'est un peu… il faut le voir un peu, cette analogie-là.
Puis
peut-être, au niveau de l'accès du citoyen, rappeler également que la majorité
des bibliothèques publiques permettent
actuellement une location des nouveautés, là, les livres… les best-sellers, là.
On peut aller à la bibliothèque Georges-Dor, à Longueuil, et on peut
avoir… louer une dernière parution, un roman, ou tout ça, pour 1,50 $ pour
sept jours, puis il y a des forfaits. Il y a déjà des solutions pour les
citoyens qui voudraient avoir accès rapidement à un livre à moindre coût.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci.
Mme Ménard :
Merci. Une dernière question avant de passer la parole à ma collègue. J'étais
contente d'entendre que la créativité est là, la création littéraire se
porte très bien. Maintenant, est-ce que le lecteur suit vraiment cette créativité-là? Quand on pense qu'Option Culture
publiait les top vendeurs... En 2011 et en 2012, c'étaient des auteurs québécois, mais on parle de La mijoteuse à la
crème brûlée, et on parle À la di Stasio, et on parle, dans les deux
années consécutives, le deuxième livre le plus vendu, après, est Le Guide de
l'auto. Alors, est-ce que vous pensez que le lecteur suit la créativité?
M. La
Roche (Stéphan) : Écoutez,
il faut de tout pour faire un monde, et la diversité est une richesse, à
notre avis, dans toutes ses acceptations.
Mais nous croyons que plus on fait connaître les auteurs québécois, plus la
population, plus les citoyens adhèrent à leurs produits. Je vais vous
donner un exemple. Quand il y a un auteur qui passe à l'émission Tout le monde en parle, on voit immédiatement les ventes de cet
auteur-là augmenter en flèche. C'est vrai pour l'ensemble des produits, ce n'est pas vrai uniquement pour le livre, mais, lorsqu'il y a une promotion
adéquate, on sent qu'il y a
une adhésion, et d'autant plus dans le livre parce qu'il y a une question
identitaire. Alors, les auteurs québécois parlent généralement
de ce qui se passe ici, apportent un point de vue qui est propre, le point de
vue québécois, qui est un point de vue qui est unique au monde. Et, dans ce sens-là, c'est
important de donner accès à la population à cette richesse de point de
vue.
Mme Ménard : Merci.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Mme la députée de Bellechasse.
Mme Vien : Merci beaucoup, Mme
la Présidente. Messieurs, bonjour, bon après-midi. Merci d'être là. À la page 14 de votre mémoire, vous parlez... vous
nous dites que «le CALQ ne croit pas que cette réglementation soit une solution qui réglera tous les problèmes». Dans une
première question, quels sont les autres problèmes que vous
identifiez? Et, par ailleurs, dans les mesures dont parlait ma collègue, que
vous souhaitez voir adoptées, on n'a pas encore les indications : qui devrait les promouvoir, qui devrait les mettre en
place, et à quel coût, comme le demandait le ministre. Mais il y en a
deux qui me suscitent de l'interrogation. Ce sera donc une deuxième question.
Vous parlez de «la mise sur pied d'un réseau de
diffusion de la littérature couvrant l'ensemble du territoire québécois». Qu'est-ce
que vous entendez par là, exactement? Et, l'autre chose, vous nous dites :
Il faudrait voir à la consolidation du réseau des bibliothèques. Est-ce que
vous voyez un problème actuellement au niveau du réseau des bibliothèques? Quand on parle de consolidation, c'est
qu'on souhaite avoir une action musclée, costaude pour réparer un tort,
je ne sais trop. En tout cas, vous saurez me dire ce que vous entendez par là.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je veux juste vous
rappeler, messieurs, que vous avez moins d'une minute pour répondre à la
députée. Je suis désolée.
Mme Vien : Je suis désolée
aussi.
Des voix : Ha, ha, ha!
M. La
Roche (Stéphan) : Surtout qu'il
y a plusieurs volets à votre question. Écoutez, vous dire qu'un réseau
de diffusion de la littérature, c'est un projet de circulation de la
littérature un peu sur le modèle de ce qui se fait dans le domaine de la danse, donc, La danse sur les routes
du Québec, je ne sais pas si vous avez entendu parler, qui permet donc
de faire en sorte que les écrivains et leurs
oeuvres tournent sur l'ensemble du territoire. C'est un projet qui est en train
de naître, et on pense que ça pourrait donner d'excellents résultats.
Pour ce qui est de la consolidation du réseau
des bibliothèques, écoutez, il y a eu des efforts considérables qui ont été faits dans les dernières années par
les gouvernements successifs justement dans l'implantation, la
rénovation, l'enrichissement des collections des bibliothèques. Ce qu'on veut
dire par consolidation, c'est simplement qu'il faut continuer dans la même
veine. C'est dans ce sens-là qu'on a utilisé le mot «consolidation».
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, messieurs.
Je vais suspendre quelques instants pour permettre aux représentants...
Mme Roy
(Montarville) :
...Mme la Présidente.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oups! Désolée! Désolée,
Mme la députée de Montarville. Vous avez la parole pour un temps de
3 min 45 s.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup.
Une voix : …
Des voix : Ha, ha, ha!
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Je ne sais pas pourquoi ça tombe toujours sur vous.
Mme Roy
(Montarville) :
Pourtant! Pourtant! Je ne comprends pas.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Et pourtant! Je vous aime bien, ça n'a rien à voir. Allez-y.
Mme Roy
(Montarville) : Bonjour, messieurs. Merci pour votre
mémoire. Vous faites un beau plaidoyer en faveur des auteurs, hein? Pas
d'auteur, pas de livre. C'est la matière première, et j'en suis. Et, à la
lumière des témoignages qu'on a entendus durant cette commission, c'est impressionnant
de voir jusqu'à quel point — ma
simple perception ici de parlementaire — les auteurs gagnent peu et reçoivent peu de
leur art. Et vous nous dites, plus loin, bon : «Les auteurs sont au
coeur de la littérature», du livre. Il est important de le prendre en
considération dans la réflexion portant sur cette réglementation du livre,
important de savoir si ça leur permettra de «recevoir leur juste part de
redevances et d'améliorer leurs conditions de vie». C'est à la page 9.
On
va plus loin, à la page 10, et là c'est important que nous le sachions, c'est
que «la principale source de revenus des
écrivains provient des droits d'auteur», des droits «qu'ils tirent de la vente
de leurs livres». Et, «en règle générale, ils obtiennent environ 10 %
du prix de chaque livre vendu». Et «les modalités précises en matière de droits
d'auteur sont déterminées par le contrat d'édition».
Alors, moi,
la question que je me pose : Dans toute la chaîne de l'édition, ce sont
eux qui sont la matière première et ce sont eux qui pratiquement
touchent le moins. Il n'y aurait pas possibilité de revoir le contrat avec l'éditeur
pour faire en sorte que nos auteurs puissent améliorer leurs conditions de vie?
Il y a une problématique à cet égard-là.
M. La
Roche (Stéphan) : Oui, vous
avez tout à fait raison. Ça fait partie de nos grandes préoccupations. Et
c'est dans ce sens-là, d'ailleurs, qu'on propose de travailler à faire en sorte
qu'il y ait, par exemple, un contrat type qui puisse être signé entre les
auteurs et les éditeurs pour favoriser une meilleure rémunération, une
meilleure rétribution du travail des auteurs québécois.
• (15 h 30) •
Mme Roy
(Montarville) :
Et je crois que... Certaines personnes qui sont venues nous parler disaient
que, s'il y avait cette augmentation du prix
en grandes surfaces, en diminuant le rabais
disponible, bien, il y aurait diminution du nombre de ventes, probablement, dans la
mesure où les gens allaient chercher
des livres parce qu'il y avait ce rabais. Cela dit, s'il y a
diminution du nombre de ventes, on ne fera pas plus d'argent, dans la mesure où
on tire, là, notre droit d'auteur du nombre de ventes également.
M. La
Roche (Stéphan) : C'est une hypothèse.
Une autre hypothèse est de dire, comme je le mentionnais un
peu plus tôt : Le livre n'est pas un
produit de remplacement… n'a pas de produit de remplacement par… Si on veut, comme pour
reprendre l'exemple que j'ai donné tout
à l'heure, acheter le dernier Kim Thúy, on ne prendra pas un livre différent parce qu'il est moins cher parce qu'on veut lire
le dernier Kim Thúy. Donc, dans ce sens-là, le prix est une variable,
bien sûr que ça peut jouer pour certaines personnes, mais c'est un produit qui
est aussi irremplaçable, d'une certaine façon. Et donc la réglementation du
prix du livre, à notre avis, n'aurait pas de conséquence néfaste sur la vente
des livres.
Mme Roy
(Montarville) : En terminant, vous avez également été un
vice-président du Conseil québécois de la musique. On sait ce qui s'est passé avec les droits d'auteur des
musiciens avec le virage Internet, le virage électronique. Que faut-il
faire pour que nos auteurs ne ratent pas ce virage-là?
M. La
Roche (Stéphan) : Bien,
écoutez, je pense qu'à l'intérieur… Ce qu'on dit, c'est qu'il faut qu'il y ait
une vision d'ensemble, une stratégie
numérique au Québec. Donc, il faut, dans cette stratégie, dans les mesures qui
seront mises en place, nous le souhaitons, éventuellement, donc, que le
créateur soit pris en compte, qu'on prévoie des modalités, des mesures pour
assurer la…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
M. La Roche, je dois vraiment vous interrompre, votre temps est écoulé.
M. La Roche (Stéphan) : …rétribution
équitable des auteurs.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci.
M. La Roche (Stéphan) : Merci à vous
tous.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci beaucoup, messieurs.
Et je suspends quelques instants pour permettre
aux représentants de la Société de développement des entreprises culturelles de
prendre place.
(Suspension de la séance à 15 h 32)
(Reprise à 15 h 34)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : S'il
vous plaît, chers collègues!
Donc, nous reprenons nos travaux.
Je souhaite la bienvenue à la Société de
développement des entreprises culturelles. M. Macerola — j'espère
que je prononce bien votre nom — je vais vous demander de vous présenter et
de présenter également les personnes qui vous accompagnent. Et vous
allez avoir un temps à votre disposition, maximal, de 10 minutes pour nous faire
votre exposé, par la suite suivra un échange avec les membres de la commission.
La parole est à vous.
Société de
développement des
entreprises culturelles (SODEC)
M. Macerola (François N.) : Je m'excuse,
mais c'est plutôt la présidente du conseil d'administration, qui a tenu à être
présente ici, qui, dans son introduction, je crois bien, va présenter l'équipe.
Mais je suis effectivement François Macerola, le P.D.G. de la SODEC.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Mme Girard.
M. Macerola (François N.) : Vas-y.
Mme Girard
(Doris) : Oui. Alors,
bonjour. Je me présente, Doris Girard. M. Macerola s'est déjà présenté. À
ma gauche, Mme Manon Trépanier, qui est
libraire et présidente de la Commission du livre de la SODEC, et M. Gilles
Corbeil, qui est directeur général, Livre, métiers d'art et musique.
Tout d'abord, nous tenons à saluer l'initiative
de cette première consultation publique sur une mesure proposée il y a longtemps et qui, pour la première fois depuis l'adoption
de la loi n° 51, repose, jusque dans ses modalités, sur
un consensus général au sein de la profession. Le gouvernement du Québec,
depuis de nombreuses années, soutient les
artistes, les industries culturelles, de même qu'il reconnaît et appuie ce qui
confère au livre une place exceptionnelle dans la diffusion du savoir.
Les résultats de toutes ces interventions sont aujourd'hui probants et
reconnus.
À ce sujet,
je me réfère à une note publiée par le gouvernement fédéral, qui indique qu'au
Québec, comme ailleurs au Canada, le
marché du livre est caractérisé par la concentration, la présence de chaînes
puissantes, une vaste majorité des ventes au consommateur réalisée par
les librairies, des niveaux élevés de retour d'invendus et un fort volume d'importation. De plus, on précise que le marché
québécois a des traits particuliers qui valent d'être soulignés : l'appui
de son gouvernement, en premier lieu, l'agrément
et le fait que les institutions publiques doivent acheter leurs livres
auprès d'un libraire agréé, les chaînes
régionales, l'intégration verticale, les ententes pour la distribution des
nouveaux ouvrages, les salons du
livre et la composition du marché, avec une majorité de livres en français et
une majorité produite au Québec.
Toujours selon cette source, parmi tous ces
facteurs, ce sont principalement l'agrément et les dispositions pour la distribution des nouveaux titres qui ont
le plus contribué à renforcer la position des petits détaillants et à
assurer la pérennité des titres d'auteurs québécois sur le plus vaste marché
francophone d'Amérique. Depuis près de 20 ans, la SODEC est témoin de l'évolution de cette industrie et des progrès
réalisés. En matière d'économie du livre, sa mission consiste à
promouvoir et soutenir l'implantation et le développement des entreprises.
Cette mission, elle la remplit en phase avec
les milieux professionnels. Sa structuration même permet d'entendre leurs
points de vue et d'en tenir compte dans
l'exécution de son mandat. Sa loi, en effet, prévoit que ses commissions sectorielles,
regroupant des professionnels désignés,
conseillent la société sur les questions qu'elle leur soumet. Ainsi, notre
commission du livre a préparé un mémoire, déposé aujourd'hui, qui
explique en quoi la mesure proposée permettrait d'atteindre les objectifs
poursuivis.
Dans le cadre
de cette commission parlementaire, la SODEC a opté pour un examen de la
proposition sous l'angle de la
consolidation du réseau des librairies indépendantes. Acteurs de premier plan
quand il s'agit d'assurer la diversité de l'offre, de rendre les livres
disponibles partout et d'assurer les services d'accompagnement au lecteur, ces
dernières constituent un solide point d'appui
et jouent un rôle majeur dans l'ensemble du dispositif gouvernemental mis en
place.
Mais ce réseau est en difficulté, et un
sentiment d'inquiétude se fait jour quant à l'avenir, puisque ce sont ces mêmes librairies indépendantes qui sont
fragilisées, surtout par l'effet de la concurrence du réseau de grande
diffusion avec ses soldes, l'offensive des
librairies géantes en ligne et l'absence de relève. Les données, elles
existent. Mais les données brutes, les données tangibles qui parlent d'elles-mêmes
sans mise en contexte sont beaucoup plus rares, mises à part celles qui confirment qu'au Québec plusieurs
librairies ferment leurs portes, que le nombre de librairies agréées, qui
avaient pourtant bénéficié d'une croissance soutenue, est en diminution et que
la vente totale de livres est en baisse.
Après l'industrie de la musique, c'est
maintenant vers celle du livre que se tourne l'attention, surtout depuis la
multiplication des tablettes numériques abordables. Ce segment de marché donne
des signes de croissance dont il faut tenir compte.
Par rapport à
la volatilité de cet environnement, la SODEC s'inscrit résolument dans la
recherche de solutions offrant à la
fois l'adaptation propre aux transformations et la protection des acquis
reconnus et conséquents des dispositions introduites au fil des ans. À titre d'exemple, nous soutenons l'initiative
de créer des entrepôts numériques et d'y rendre disponibles les
nouvelles publications des auteurs québécois.
Quant à l'expérience
des autres pays, elle est certes inspirante, mais, par divers aspects, nous ne
pouvons en faire oeuvre utile. Leur
marché est-il comparable? Les points de vente sont-ils dispersés sur un aussi
vaste territoire? S'agit-il de petites
communautés dans un large ensemble linguistique comme c'est notre cas? Leurs
dispositions législatives ont-elles contribué à une structuration
différente de leur industrie?
Par ailleurs,
force est de constater que ce projet de réglementation provoque des réactions,
que les avis divergent, que le
diagnostic, et par conséquent ses causes, varie considérablement et que la
mesure des différents effets annoncés nous rappelle les limites de l'anticipation.
La proposition à l'étude, qui, par ailleurs, ne nécessite aucun subside de l'État,
ne résoudra pas tous les problèmes, et, vraisemblablement, d'autres moyens
devront éventuellement être imaginés. Le
ministre de la Culture soulignait ici
même il y a quelques jours que le gouvernement trouve impératif que puissent vivre décemment les librairies de
nos villes, de nos villages et de nos quartiers, et nous, à la SODEC, nous
faisons en sorte que cette volonté trouve écho dans nos interventions.
En définitive, pour préserver ce qui a été
accompli et faire rempart à l'effritement observé, l'expérience quotidienne des
libraires, notre propre analyse des évolutions et le large consensus au sein de
l'industrie nous ont convaincus. La SODEC
mise sur une réglementation du prix du livre pour consolider le développement de l'édition afin de maintenir l'accès à une offre diversifiée
au bénéfice de tous les Québécois. Notre conseil d'administration a pris acte
du mémoire de sa Commission du livre et l'appuie. Je cède la parole à
Mme Trépanier.
• (15 h 40) •
Mme Trépanier (Manon) : Bonjour. Le milieu québécois du secteur du livre
revendique aujourd'hui l'instauration
d'une réglementation du prix de vente au public des nouveautés, que les livres
soient imprimés ou numériques. La mesure proposée et les
paramètres spécifiques qu'elle contient — durée d'application de neuf
mois et seuil maximal de rabais autorisé de 10 % — s'apparentent
aux lois de prix fixe adoptées dans plusieurs pays industrialisés, dont le
Mexique, en 2008, et Israël, en juillet dernier.
Depuis l'instauration
de la loi n° 51, deux mutations majeures survenues dans le portrait
mondial de la vente au détail bousculent l'industrie
du livre : l'arrivée des grandes surfaces non spécialisées, suivie du développement des nouvelles technologies de l'information, marqué par l'offensive
majeure des sites transactionnels de multinationales telles Amazon ou Apple. Dans les pays où il n'y a jamais eu de réglementation du prix de vente, tels les États-Unis
et le Canada anglais, ou qui l'ont abandonnée, comme le
Royaume-Uni, on a assisté systématiquement à des guerres de prix qui ont
entraîné la concentration du réseau de diffusion, la fermeture de nombreux
points de vente indépendants et une augmentation des parts de marché des
grandes surfaces.
Inversement, la
réglementation du prix du livre a permis aux pays l'ayant adoptée le maintien d'un
réseau de distribution diversifié qui inclut
les librairies indépendantes. Seul un régime de fixation des prix de vente des
nouveautés permettrait de déplacer le terrain de la concurrence des prix vers
la qualité des services et ainsi maintenir un marché équilibré sur l'ensemble
du territoire québécois.
Plus
ou moins 500 titres sont mis en marché annuellement dans ce réseau. Ces
titres présentent des conditions faciles de vente, ce sont
principalement des livres à succès. Ce marché est caractérisé par des tirages à
grand nombre d'exemplaires, un cycle de
vente rapide, un taux de retour bas et un effort de vente minimal. Les autres
nouveautés, les quelque 29 500 autres titres, sont mises en marché
dans le réseau des librairies, principalement les librairies agréées. La vente
de ces titres repose sur une équipe de libraires professionnels, demande un
effort de promotion substantiel et une logistique considérable. C'est un
segment de marché passablement moins rentable que celui des best-sellers.
Il faut ajouter que
les rabais consentis par les grandes surfaces ont un impact sur le prix des
livres. La compétition pour le plus bas prix conduit les grands détaillants à
réclamer des remises supplémentaires de la part des distributeurs. La règle du jeu, au Québec, qui consiste à
accorder un taux de 30 % de remise dans le réseau de la grande
diffusion ainsi que des services de conditionnement et de traitement des
livres, y compris l'étiquetage, semble toujours prévaloir.
Cependant,
une pression accrue pourrait engendrer un même type de distorsion des prix
comme c'est le cas au Royaume-Uni,
selon l'économiste Francis Fishwick, où, pour compenser leur manque à gagner,
les éditeurs augmentent le prix de détail suggéré et où, au bout du
compte, le consommateur paie plus cher les livres. La hausse du prix du livre au Royaume-Uni a largement dépassé les hausses
correspondantes en France et en Allemagne, qui ont conservé le prix
unique du livre.
Nous
croyons qu'une telle réglementation devrait nécessairement s'appliquer aux
livres imprimés et aux livres numériques. L'aide gouvernementale a
permis le développement de l'outil bibliographique Memento, des projets
structurants tels le portail des librairies indépendantes du Québec et le prêt
numérique en bibliothèque. Grâce à ces actions
concertées, le Québec est nettement en avance sur la plupart des pays
francophones dans le développement
du livre numérique et de la vente en ligne
et a réussi à faire une place aux librairies sur ce marché. Une réglementation
du prix de vente du livre viserait à
préserver une part de marché vitale au réseau des librairies dans la vente de
ses livres, qu'ils soient vendus sur
support papier ou sur support numérique. Elle nous apparaît comme une mesure
essentielle et complémentaire aux autres mesures gouvernementales déjà
existantes pour poursuivre les objectifs de la Politique de la lecture et du livre et assurer le maintien d'un
réseau en santé de librairies agréées dans toutes les régions du Québec.
Nous
croyons qu'il faut agir avant qu'il ne soit trop tard et que nous assistions,
dans les prochaines années, à un recul et à une érosion de ce qui a été
développé à force de combativité, de créativité et de concertation de la part
de tous les acteurs de l'industrie du livre. Les actions gouvernementales ont
aussi appuyé et soutenu cette évolution et se doivent d'être conséquentes.
Merci.
La
Présidente (Mme Vien) : Merci beaucoup. Merci. Alors, il y a un
peu de temps qui vous a été concédé en surplus et qui sera tout
simplement pris sur le temps des collègues.
Alors,
tout simplement, on entame immédiatement les échanges entre vous, les
représentants de la SODEC, et les membres de cette commission, à
commencer par notre ministre.
M.
Kotto : Merci, Mme la Présidente. Mme Girard, M. Macerola,
M. Corbeil, Mme Trépanier, soyez les bienvenus et merci pour votre
contribution.
J'étais
très attentif à ce que vous nous présentiez. Vous attribuez la précarité de
certaines librairies indépendantes à la
concurrence des grandes surfaces. Que dites-vous de l'assertion qui veut que ce
soit un mythe, cette idée de concurrence des grandes surfaces qui serait
problématique pour nos librairies au plan de la concurrence? Il y a des
personnes qui vous ont précédées qui l'affirmaient.
Mme Trépanier (Manon) : Bien, écoutez, ce n'est certainement pas un mythe
puisque ces ventes-là représentent... Mon Dieu, c'est 14 millions que...
Oui?
M. Macerola
(François N.) : Ça représente 11 % de… Ça représente
70 millions.
Mme Trépanier (Manon) : Voilà, de dollars, dont une partie évidemment qui
échappe aux librairies. Et je ne sais pas si vous vous souvenez, la
semaine dernière, il y avait une libraire qui disait ici que certainement que
ça nous échappe, mais, en plus, quand les clients viennent nous traiter de
voleurs, c'est assez frustrant et ce n'est pas très intéressant, et c'est loin
d'être un mythe, croyez-moi.
M.
Kotto : Vous dites également dans votre mémoire que les
objectifs de la réglementation du prix de vente des livres neufs est de permettre aux librairies de
récupérer une part de la vente des nouveautés actuellement soldées par
les grandes surfaces non spécialisées.
Est-ce que vous misez sur le déplacement de la clientèle vers les librairies
indépendantes dans cette perspective?
Mme
Trépanier (Manon) : Vous
savez, il y a une partie de la clientèle qui va continuer à acheter ses livres
en grande surface. Ça, c'est tout à fait
normal. Par contre, s'il y avait une réglementation du prix, il y aurait un
rééquilibre du marché. Et les clients qui passent à la librairie, qui viennent
nous demander conseil ou qui viennent voir si le livre est paru puis qui nous disent : Bon, bien, je
vais aller chez Costco parce que c'est moins cher ou en grande surface parce
que c'est moins cher, bien, ces clients-là ne se priveraient plus et
achèteraient directement leurs livres en librairie. Ça, c'est certain.
M. Kotto : Et en quoi cette
mesure aurait-elle un impact sur la concurrence entre les librairies
elles-mêmes?
Mme Trépanier (Manon) : Bien, vous
savez, les librairies, à l'heure actuelle, là, la moyenne de marge bénéficiaire est de 1,5 %. Donc, toute cette
partie-là, qui est de la vente facile, comme on vous l'expliquait, qui est de
la vente rapide et facile, c'est aussi la
vente payante. Donc, tout ce qui pourrait permettre d'augmenter, si vous
voulez, la marge nette, bien, c'est
autant d'argent qui nous permettrait de mieux payer nos employés pour pouvoir
les garder, de mieux les former et aussi d'élargir encore le fonds, de
faire beaucoup plus d'animation, d'aller chercher les jeunes lecteurs et puis
de pouvoir contribuer, comme on le fait déjà, à l'alphabétisation.
M. Kotto : O.K. Y a-t-il...
En fait, de votre perspective, existe-t-il d'autres objectifs à cette
mesure-là?
Mme Trépanier (Manon) : Pouvez-vous
préciser la question? D'autres objectifs que...
M. Kotto : À cette mesure,
celle de la réglementation. Est-ce qu'il y a d'autres objectifs derrière?
• (15 h 50) •
Mme
Trépanier (Manon) : Vous
savez, la rentabilité des librairies, là… on s'en rend compte, à quel point
elles ne sont pas rentables à l'heure
actuelle parce que, quand les libraires partent à la retraite, il n'y a
personne pour acheter les librairies, ce qui n'était pas le cas avant,
hein? Ça, c'est relativement nouveau dans ce marché-là.
Donc, ça permettrait justement de
garder un réseau de librairies dans toutes les régions, un réseau solide et viable. C'est quand même une vitrine incroyable,
hein, la librairie, pour les nouveautés, pour les nouveaux… les auteurs
émergents, pour toute notre culture québécoise, la préservation de notre langue
aussi. Alors, si les librairies ferment, dans les régions, ça va être
catastrophique puis, à Montréal, ça ne sera pas moins drôle.
M. Kotto : Est-ce qu'il y a
urgence, la législation, à cet enjeu?
Mme Trépanier (Manon) : Oui, il y a
urgence. Il y a urgence parce que, là, on a des nouveaux enjeux. Avec l'avènement
du numérique, on a travaillé très fort pour monter des systèmes, tout ça, mais
on n'est pas à l'abri des Amazon ou des Apple. Et il y a aussi urgence parce
que, vous savez, on n'est pas à l'abri d'une guerre de prix. Et ça, s'il y
avait une guerre de prix…
Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais, dans
l'essence, là, on a vu ça récemment, hein? Il y avait une guerre de prix, on pensait que ça serait bénéfique
pour le consommateur, mais ça n'a pas été le cas. Ça a
fait fermer les petits postes d'essence et puis qu'est-ce qui est
arrivé? L'essence a monté en flèche. Donc, c'est vraiment…
M. Kotto :
O.K. Avec tout ce qui est porté à votre connaissance, que ce soit par vos
travaux à l'interne ou ce que vous
entendez depuis que ce débat s'est déclenché — non pas seulement récemment, mais, il y a
une dizaine d'années, il était d'actualité également — est-ce
qu'il est aujourd'hui pertinent de revoir la chaîne du livre et son
financement?
Mme Trépanier (Manon) : Oui. Sur ça,
j'aimerais passer la parole à M. Macerola.
M. Macerola (François N.) : Merci.
Juste pour revenir à votre première question ou à votre deuxième, M. le
ministre, les grandes diffusions, là… la grande diffusion touche environ
17 % du marché. Le marché global est 700 millions de dollars. Par
conséquent, à un certain moment donné, il y aura une somme — puis
là, là, c'est des approximations — d'environ 112 millions de dollars qui
serait disponible quelque part. Si les librairies indépendantes viennent qu'à aller chercher leurs parts de marché
qui se situent, mettons, à 20 %, on peut parler d'une vingtaine
de millions de dollars qui vont se
mettre à circuler. D'où et où, je ne sais pas, mais ça peut répondre à une de
vos questions. Tantôt, quand mon collègue, Stéphan La Roche,
mentionnait des nouveaux projets, bien, il y a certainement cet argent-là qui,
à un moment donné, va être disponible.
Maintenant, nous, à la SODEC, on
travaille avec une commission du livre. La Commission du livre n'a pas d'autorité
de décision, décisionnelle, mais a un pouvoir de recommandation et fait des
recommandations au conseil d'administration.
Et c'est notre rôle, de par l'entremise de Gilles Corbeil et de son secteur, d'analyser
la chaîne, la chaîne du livre. Quand
on regarde… Tantôt, madame posait une question sur le droit d'auteur, les
écrivains et comment étaient-ils payés, etc. C'est dans tous les
secteurs où, fondamentalement, le créateur est la personne qui rentre chez elle
ou chez lui avec le
moins d'argent. Par conséquent, c'est clair qu'on veut revoir les choses, c'est
clair qu'il y a énormément à faire. Mais personnellement je pense que le
prix réglementé, c'est un bon départ à la révision qui devra être faite.
M. Kotto :
Merci. Qu'adviendrait-il si les grandes surfaces devenaient spécialisées? C'est
une hypothèse d'école. Dans l'hypothèse où il y aurait réglementation afin de s'ajuster
à la nouvelle réalité — on
est dans des hypothèses — si les grandes surfaces se spécialisaient,
quel serait, selon vous, le nouveau paysage ou les nouvelles, disons,
réalités des uns et des autres, que ce soit le réseau des librairies
indépendantes ou les grandes surfaces elles-mêmes, dans la relation
concurrentielle?
M. Macerola
(François N.) : Personnellement, je pense que les grandes surfaces
vont avoir de la difficulté à se spécialiser.
M. Kotto :
Mais, vous savez, sans vous couper, en France, le cas s'est présenté avant mai
1981, avec Leclerc par exemple.
M. Macerola
(François N.) : Leclerc, avec Leclerc, oui.
M. Kotto :
Voilà, et qui…
M. Macerola
(François N.) : Mais ça voudrait dire que — présentement, les
grandes surfaces, là, pour ne pas nommer, donc, Costco, tout simplement, il y a
un présentoir avec, je ne sais pas, un nombre de, disons, 500 livres maximum — là, ils vont être obligés, à un moment
donné, s'ils sont spécialisés, de se créer une infrastructure. Et à ce moment-là je ne suis pas sûr, moi, qu'ils vont
être capables de donner le même type de remise aux consommateurs, dans
un premier temps. Et, dans un deuxième temps, le marché va tout simplement se partager
entre les libraires et les grandes surfaces pour certains livres spécialisés
qui vont être vendus pratiquement exclusivement ou en exclusivité par les
grandes surfaces.
Mme Trépanier (Manon) : Mais je
ne pense pas qu'un marché comme ça
soit rentable pour eux parce
qu'ils ne peuvent en aucun cas être assujettis à la loi n° 51. Et, si on n'a
pas les ventes aux institutions, bien, c'est très difficile d'être rentables,
puis je pense qu'il n'y a pas grand monde qui peut survivre dans ces
conditions-là.
M. Kotto :
On était dans des hypothèses. Merci. Merci, Mme la Présidente.
La
Présidente (Mme Vien) : M. le député de Bonaventure, ensuite de Sainte-Marie—Saint-Jacques. Ça vous va? Il vous reste un petit peu
moins de… un petit peu plus de 10 minutes.
M. Roy :
Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Vien) : Moins que ça, même moins que ça.
M.
Roy : Mes salutations, mesdames et messieurs de la SODEC. Tout
à l'heure, vous avez affirmé que vous… un de vos mandats, c'était de
soutenir l'implantation et le développement des entreprises. Et, en discutant
avec notre collègue ici, le ministre de la
Culture et des Communications, vous avez dit aussi qu'une des problématiques
des librairies, c'était le manque de
relève. Bon, là, est-ce que, dans votre mandat, vous offrez du soutien aux
entreprises pour former une relève, ou vous offrez de l'accompagnement,
ou des choses de cette nature-là?
M. Corbeil (Gilles) : On n'a pas de programme direct. On n'a pas de programme direct d'aide
pour la relève, mais on a des programmes d'aide pour l'amélioration des
librairies : programmes d'aide pour l'informatisation, pour la
modernisation, l'animation. Ce sont des programmes directs d'aide aux
librairies agréées. Le volet retraite ou relève est à prendre en compte, mais,
jusqu'à maintenant, on n'a pas eu ou on n'a pas de programme d'aide en ce sens.
M. Macerola (François N.) : Quand on mentionnait tantôt,
là, que les programmes étaient toujours sous — commentje vous dirais bien? — haute écoute, c'est le type d'exemple. À un
certain moment donné, on réalise, tout le monde, le milieu le réalise aussi, que la relève devient
importante, et, par conséquent, la table de concertation, qui est présidée
par Mme Trépanier, se met à l'étude et
fait, comme je mentionnais tantôt, des recommandations à notre conseil d'administration.
Maintenant,
on parle toujours d'entreprises, on parle toujours d'industries, et certains
parlent, bon, de l'industrie du
livre, de l'industrie du cinéma — il fallait que je prononce le mot au moins
une fois, étant donné ma réputation — mais on
devrait surtout parler de l'industrie de création parce qu'à la base même du
livre il y a quelqu'un qui écrit, et cette personne-là doit cheminer. Tantôt,
quelqu'un mentionnait que l'écrivain, l'écrivaine reçoit, quoi, 10 %
environ, là, du prix global, et c'est clair
que, si on veut établir un concept de justice distributive entre les systèmes,
entre les différents intervenants et,
ce qui est le plus important, le créateur, à ce moment-là, il va falloir qu'on
revoie nos choses. Bernard Landry, la semaine passée, à l'ouverture du
festival des films de Montréal, disait : La richesse la plus importante,
au Québec, ce n'est pas l'économie, c'est la culture. Et je le cite avec
plaisir.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Ça va? M. le député de
Sainte-Marie—Saint-Jacques,
vous avez la parole.
• (16 heures) •
M.
Breton : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs dames
de la SODEC. Comme quelqu'un qui a travaillé pendant de nombreuses
années dans le milieu de la culture, dans une autre vie, je suis très, très au
fait des difficultés que représente la concurrence avec les grandes surfaces,
les multinationales, et tout ça. Et je ne sais pas si vous avez entendu parler
d'un phénomène, qui est en train de se mettre en place un peu partout en
Amérique du Nord, qui s'appelle les express,
les Costco Express, les Walmart Express, les Canadian Tire Express, qui
sont en train de s'installer dans les
centres-villes partout en Amérique du Nord. Donc, ça veut dire que la
quincaillerie du coin, qui était encore un peu protégée par son statut
très urbain, se retrouve avec un Canadian Tire Express au coin de la rue.
Et ça, ça commence à s'implanter. Les Walmart Express sont en train de se
mettre en place.
Et donc ça, ça va ne
faire qu'accentuer la concurrence, que je considère déloyale personnellement,
dans ce domaine-là. Donc, je pense que ça
doit faire partie de la réflexion parce que, là, on ne parle pas juste des
grandes surfaces, on parle de plus
petites surfaces, grosseur d'une pharmacie, si on veut, même plus petit, mais
avec des moyens d'achat qui sont absolument disproportionnés. Et là où
la chose est particulière, c'est que, là, dans le fond, ce qui fait qu'on allait au dépanneur du coin ou ce qui fait qu'on
allait à la quincaillerie du coin ou
au libraire du coin, c'était le service. Donc, là, ça se peut qu'on perde en service parce que,
dans les grandes surfaces, il ne faut pas se conter d'histoires, on n'est
pas dans le service, on est dans le prix. Et le marché du livre, c'est un
marché, à mon avis, qui doit être axé sur le service. Là, il y a des gens du
Conseil canadien du commerce de détail qui disaient : Dans le fond, les
gens, quand ils pensent en consommateurs,
ils pensent prix. Moi, pour avoir travaillé dans le commerce de détail avant
que je sois dans le milieu de la
culture, ce que j'ai vu, dans le fond, c'est qu'il y a deux réalités : il y a
des gens qui rentrent pour un prix, il y a des gens qui rentrent pour un
service.
Donc, j'aimerais ça
avoir vos réflexions là-dessus parce qu'on a beau réglementer le prix du livre,
encore faut-il que le service soit à la hauteur. Ça fait que j'aimerais ça
avoir vos réflexions là-dessus, et puis il y a aussi la question de la relève
et…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Juste un instant, M. le
député. Je veux juste vous rappeler qu'il reste moins d'une minute.
M.
Breton : O.K. Bon, bien, je vais le laisser répondre à la
question puis je veux savoir aussi si vous avez des réflexions sur les
applications. Est-ce que vous, à la SODEC, vous travaillez sur les applications
liées aux livres?
M.
Macerola (François N.) : Dans un premier temps, c'est évident que,
pour nous, quand on parle qu'on veut s'appuyer
sur un réseau de librairies, c'est l'aspect professionnel, là, qui sort
immédiatement, c'est la qualité des services, c'est l'engagement des
gens, les connaissances, les compétences.
Maintenant,
personnellement, je pense que les gens qui vont chez Costco — on
parle toujours de Costco, ça leur fait une promotion merveilleuse — je ne
sais pas s'ils vont aller dans les librairies, mais, d'un autre côté, avec mon petit calcul de tantôt, l'argent qui pourrait
se libérer éventuellement, ça va faire que ces gens-là vont être
capables de payer leurs employés au-delà du 15 $ de l'heure qu'ils
reçoivent présentement.
Une voix :
C'est un maximum.
M. Macerola
(François N.) : Le maximum. Ils vont être capables…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je suis désolée, je suis
désolée, M. Macerola. C'est malheureusement tout le temps qui était
alloué du côté du gouvernement. Nous allons maintenant du côté de l'opposition
officielle. Mme la députée de Laporte, vous avez la parole.
Mme
Ménard : Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Macerola,
Mme Girard, Mme Trépanier, M. Corbeil. Vous venez de répondre à une
question que j'avais, là. Vous n'êtes pas certain que le consommateur va se
déplacer pour aller dans une librairie. Mais
j'avais aussi, dans ma question… On sait que ces grandes surfaces, là,
représentent… enfin, depuis le début, nous
parlons de 11 %. Là, vous venez de parler de 17 %. Alors, qu'est-ce
qui est inclus que tous les autres intervenants n'ont pas inclus? Parce
que tout le monde a parlé ici de 11 % quand on parlait des grandes
surfaces, et là vous venez de parler de diffusion, je pense, et de 17 %.
M.
Macerola (François N.) : Moi, je parle de grande diffusion, et ça
comprend 11 % des grandes surfaces, et ça comprend un 6 % pour les autres surfaces comme les pharmacies, les
marchés alimentaires qui vendent Mme di Stasio à la caisse, etc., et,
dans un premier temps, le 11 %, si on prend le volume global, représente
70 millions, et le 6 % des autres diffuseurs représente
42 millions. C'est ça, là, mon point.
Mme
Ménard : Merci. Qu'est-ce que vous pensez des éditeurs qui
permettent les rabais entre 10 % et 30 % dans les grandes
surfaces qui, en sorte, vont faire qu'ils vont augmenter leur prix du livre?
M. Corbeil
(Gilles) : Bien, je pense que, justement, c'est pourquoi nous
préconisons l'adoption d'un prix réglementé pour faire en sorte que cela ne se
passe plus parce que ça se répercute sur le prix de détail suggéré. Les rabais se répercutent sur
le prix de détail suggéré, et c'est l'ensemble des consommateurs qui vont dans
les librairies sur l'ensemble du territoire québécois qui, dans le fond,
écope. Ça comprend nos bibliothèques publiques qui achètent ces livres-là plus
cher que s'il n'y avait pas de rabais chez Costco, et c'est dans ce sens-là que
nous, on préconise l'adoption de cette loi.
Mme Ménard :
Mais, à ce moment-là, l'autre question que je me pose, c'est : Pourquoi
les éditeurs qui permettent ces rabais-là ne font pas la même chose avec les
librairies?
M. Corbeil (Gilles) : Bien, j'étais présent quand M. Blaise Renaudétait ici,
puis, lui, c'est un peu ce qu'il disait. Lui, il voudrait négocier des
surremises ou des surrabais, mais là on n'en finira plus. C'est pour ça que, si
c'était réglementé, là, on aurait quelque chose d'encadré pour tout le monde
et ce qui ferait qu'on aurait un marché mieux équilibré sur l'ensemble
du territoire. C'est, à notre avis en tout cas, un des grands bénéfices d'une
telle loi.
Mme Ménard :
J'imagine que vous avez suivi la commission depuis le début. Est-ce que vous
êtes d'accord avec le questionnement de M.
Belzile, des HEC, qui dit : Qu'est-ce qu'on défend ici : la culture,
la lecture, ou les marchands et les producteurs?
M. Corbeil
(Gilles) : Moi, je pense que c'est la culture.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : …
M. Corbeil (Gilles) : Excusez-moi, Mme la Présidente. Je pense que c'est la culture dans le
sens où nos auteurs, les auteurs québécois, se retrouvent d'abord et
avant tout dans l'ensemble des librairies sur l'ensemble du territoire québécois. Il y a quelques auteurs québécois qui
se retrouvent chez les Costco, mais ça, ils sont rendus des best-sellers
quand ils sont rendus là. Mais tous les autres, tous les autres auteurs, ils se
vendent presque exclusivement dans les librairies sur l'ensemble du territoire
québécois.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Mme Girard.
Mme Girard (Doris) : Oui, enfin, ce que je voulais ajouter, c'est probablement le fait qu'on
est conscients que la question des librairies indépendantes peut, a
priori, sembler un moyen pour l'atteinte des objectifs et qu'en soi on pourrait se dire : Les objectifs, s'ils sont
atteints autrement, ça va. Mais c'est plus qu'un moyen. Quand on regarde la
place que prennent les librairies sur le territoire, c'est presque un objectif
opérationnel dans les faits et c'est un maillon très, très essentiel et très important de l'ensemble du dispositif qui a
été mis sur pied pour toute la question de la lecture au Québec. On a choisi de se concentrer sur les
librairies indépendantes parce qu'on est conscients que, sans ce maillon-là,
on est en difficulté par rapport à l'atteinte de plusieurs autres objectifs
dont ce n'est pas nécessairement notre mandat de s'occuper au jour le jour.
Alors,
je pense que c'est ce qu'il faut retenir essentiellement de notre intervention,
et c'est dans cet esprit-là qu'on a exploré
l'ensemble des dimensions qui apparaissaient, au fond, parce que les questions
que vous posez, on se les pose, nous aussi. On explore, on regarde ce
que ça veut dire et on s'est dit que la culture, dans ce qu'elle a de plus
noble, serait certainement perdante le jour
où les librairies indépendantes du Québec ne seraient plus, n'auraient plus
pignon sur rue.
Mme Ménard :
Donc, vous défendez la culture et la lecture et vous pensez que la
réglementation du prix va sauver ça?
Mme Girard (Doris) : Je pense qu'on peut résumer notre position dans le sens suivant :
nous défendons, bien sûr, la culture; nous défendons, bien sûr, la
lecture; nous défendons également les entreprises qui en sont porteuses au jour le jour. Et la question du prix réglementé
est une question importante. Je redis ce que je disais dans mon
intervention tout à l'heure : Ce n'est
pas la panacée, ça ne réglera pas tout. Je pense qu'il y a un leurre, là, qui s'amenuise
au fur et à mesure que les heures passent pour vous. Mais, au fond, on
est convaincus que c'est un moyen qui pourrait agir sans tout régler, mais qui
pourrait certainement agir à sa manière.
Mme Ménard :
Vous savez, il y a plusieurs intervenants qui sont passés, là, et, souvent, on
a entendu : Bien, demandez ça à la SODEC, ils vont vous donner les
chiffres. Alors, vous êtes très populaires, là, hein, vous savez? Alors, j'aimerais
ça…
Mme Girard
(Doris) : On vous attendait.
Mme
Ménard : Alors, j'aimerais ça… J'ai des questions de chiffres,
là, à vous demander. D'abord, est-ce que vous avez la liste des
librairies qui ont fermé leurs portes depuis la dernière décennie, et quelles
en sont les raisons?
Mme Girard (Doris) : On pourrait certainement vous fournir cette liste-là. Je ne pense pas,
là, que… sur-le-champ, comme ça, mais c'est certainement quelque chose
qu'on a.
M. Macerola (François N.) : Mais on
l'a.
Mme
Girard (Doris) : C'est clair.
M. Macerola
(François N.) : On l'a. Première bonne réponse.
Mme Ménard :
Bon. Alors donc, vous allez nous la faire parvenir?
Mme Girard
(Doris) : Oui.
Mme Ménard :
Merci.
M. Macerola
(François N.) : Oui, on va vous la faire parvenir, oui.
Mme Ménard :
D'accord. L'autre question aussi, qui est des chiffres : Combien de
librairies par habitant au Québec, comparativement au nombre de librairies par
habitant en France?
M. Corbeil
(Gilles) : Je vais vous répondre d'une autre façon, je veux dire, dans
le sens où, en France, il y a 3 500 librairies indépendantes. Ils sont…
M. Macerola
(François N.) : 50 quelque millions.
M. Corbeil
(Gilles) : Oui, oui, oui, ils sont plutôt près de 70 millions.
M. Macerola
(François N.) : 70 millions, 70 millions?
Des voix :
…
Mme Ménard :
64…
M. Corbeil
(Gilles) : Oui. Plus de 60 millions.
Mme Ménard :
64,8 au dernier… en janvier, là.
M. Corbeil (Gilles) : Alors, nous, on parle de 300 librairies. Alors, on est à peu près dans
les mêmes proportions, si vous voulez.
M. Macerola
(François N.) : Au prorata, Gilles.
M. Corbeil
(Gilles) : Oui, proportion, prorata.
M. Macerola
(François N.) : Oui, oui, c'est correct.
M. Corbeil
(Gilles) : Lui et moi, on s'obstine souvent.
Des voix :
…
Une voix :
…mot italien, en italien.
Une voix :
Il y a consensus, ici.
• (16 h 10) •
M. Macerola
(François N.) : Et ça, madame, on pourra vous faire parvenir plus de
chiffres, là, mieux étayés, parce que ces chiffres-là relèvent du ministère, je
crois bien, et puis on va travailler avec eux pour vous faire parvenir tout ça.
Mme Ménard :
O.K. Tantôt, quand je vous ai parlé des éditeurs, là, qui permettaient les
rabais, et tout ça, j'ai oublié de vous faire mention d'un article en 2000, et
c'était Paule Des Rivières, Le prix du livre, qui disait : «...ne
faudrait-il pas commencer par le commencement et demander d'abord aux
distributeurs — et
à certains éditeurs — de
s'autodiscipliner en cessant de consentir aux grandes surfaces des remises
jusqu'à deux fois plus élevées consenties aux petites librairies?»
Alors, en 2000, on avait soulevé ça.
M. Macerola
(François N.) : Oui, maintenant, c'est évident que c'est une réflexion
qu'on doit soulever encore. Il faut se
demander si les éditeurs ont réellement le choix, il faut réellement vérifier.
Mais, quant à moi, ça fait partie, et je suis sûr, connaissant le ministre,
qu'on va avoir éventuellement une liste de travaux à accomplir, que ce soit au CALQ ou à la SODEC. Mais, pour moi, c'est une des
questions à laquelle il faut réfléchir, et, présentement, on est en
train de réfléchir dans le milieu du cinéma.
C'est les mêmes questions qu'on se pose : la distribution, la création et
la diffusion. C'est les trois thèmes
que le ministre nous a demandé de réfléchir, et on va les
réfléchir aussi dans le domaine du livre.
Mme
Girard (Doris) : Si vous
permettez, j'ajouterais simplement un élément. Toute la question du
numérique, c'est une question qui est transversale dans tous ces secteurs-là.
La SODEC a l'avantage d'oeuvrer dans différents secteurs des industries culturelles, dans l'ensemble des domaines des
industries culturelles, et c'est un avantage qui devrait nous permettre
de pouvoir exporter ou importer, dépendamment du point de vue où on se place,
les bonnes idées d'un secteur dans l'autre
secteur. Donc, l'organisation même nous permet d'anticiper et de faire des
avancées qu'on ne pourrait probablement pas faire si les organisations étaient en silo, là, par exemple, une société d'État pour le livre, une autre pour le cinéma,
etc.
Donc, c'est un avantage dont on bénéficie
actuellement.
Mme Ménard : O.K. Vous avez
répondu à une autre question avant que je vous la pose concernant… que ce n'était
pas la solution. Mais il y a d'autres interventions qui doivent être faites.
Alors, en
conclusion, comme dernière question que j'aurais pour vous, c'est :
Êtes-vous d'accord avec le fait de légiférer
une mesure qui serait de très courte durée? Plusieurs intervenants nous ont dit : La réglementation du prix du livre soulagerait les librairies pour une période de
deux ans. D'autres sont allés jusqu'à quatre ans. Alors, est-ce que vraiment
nous devrions légiférer pour une mesure qui serait de si courte durée, comme
effet, là?
Mme Girard
(Doris) : La proposition que nous avons examinée, la mesure que nous avons examinée n'avait
pas ce cadre temporel, donc, c'est très difficile, je pense, pour nous de
répondre à cette question-là. C'est une hypothèse, comme disait M. le ministre tout à
l'heure. Il faudrait certainement y réfléchir, quoique ce que ça indique pour nous, c'est le fait qu'on est dans un environnement volatile, changeant et, si on se donne un horizon de quatre ans pour
voir les effets de cette mesure-là, je me questionne sur : Est-ce
que ce sera suffisant? Parce que ça ne nous empêche pas de réfléchir à d'autres
mesures qui pourraient s'additionner pour former un tout cohérent. J'aurais
plutôt tendance à aller dans cette direction-là.
J'aurais plutôt tendance à ce qu'on s'adjoigne, selon les orientations du ministre,
avec d'autres sociétés d'État
et d'autres joueurs pour explorer quelles seraient les mesures complémentaires.
C'est davantage l'orientation que la SODEC prendrait.
Une voix : Est-ce que tu as
une question?
Mme Ménard : Non, ça va. Ça
va. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.
Mme Roy
(Montarville) : Merci, Mme la Présidente. Mesdames messieurs, merci. Merci pour votre
mémoire, merci d'être là. Je lis, dans votre
mémoire… À la page 8, vous nous dites — et là on va parler de livres numériques :
«...le Québec est maintenant en avance sur la plupart des pays francophones
dans le développement du livre numérique et de la vente en ligne et a réussi à
faire une place aux librairies sur ce marché.» Nous avions des intervenants qui
nous disaient, la semaine dernière, que c'est
environ, au Québec, 4 % des ventes de livres qui sont faites, au Québec,
en ligne. Vous nous dites que nous
sommes en avance sur les marchés francophones. Cependant, il y a
une mutation de l'industrie, tout se mondialise. Au Canada, c'est
15 % des ventes de livres qui sont en ligne. Chez nos voisins du Sud, ça
oscille entre 20 % et 25 % aux
États-Unis. Alors, ce que vous venez de nous dire — vous avez l'expertise, dans d'autres
entreprises à la SODEC, d'autres entreprises culturelles, du numérique — qu'est-ce
qu'il faudrait faire, au Québec, pour que nos libraires
y trouvent leur compte, mais aussi pour que les auteurs puissent y trouver leur
compte? Qu'est-ce qu'il faut faire avec le livre numérique? Parce que ça
s'en vient, c'est une vague, et on n'y échappera pas. Mais comment préserver à
la fois la bibliodiversité, aider nos auteurs et faire en sorte qu'on tire
notre épingle du jeu avec ces ventes de livres?
Mme Girard
(Doris) : Je vais passer la
parole à M. Corbeil, mais auparavant j'ai vraiment envie d'insister
sur le fait qu'on est véritablement, dans le secteur du livre, en avance à
cause des dispositions qui ont été prises en phase avec les milieux, les mesures, les initiatives qui ont été prises. Il y
a plusieurs pays qui nous envient à cet égard-là. Et je pense que Gilles
Corbeil pourrait vous donner une mesure un peu plus précise des mesures qui ont
été mises en place déjà et qui fonctionnent très bien.
M. Corbeil
(Gilles) : Bien, parmi les
initiatives, il y a l'entrepôt numérique ANEL-De Marque qui a été
initié par l'Association nationale des éditeurs, mais qui s'est adjointe à une
entreprise privée qui s'appelle De Marque, et cela a permis d'autres développements, tel un portail, le portail des
librairies indépendantes, qui s'appelle Rue des Libraires
et qui permet donc à nos concitoyens d'avoir accès à un livre imprimé par le
Net, mais aussi ils peuvent avoir accès au livre numérique en ligne. Et puis la
plateforme Pretnumerique.ca, qui est un service de prêts de livres
numériques en bibliothèque publique… Et ça,
ça a été développé… Je veux dire, au niveau de l'ensemble des associations
québécoises qui ont mis ça à la disposition des Québécois. Pretnumerique.ca,
je crois que c'est unique. Et puis...
Mme Girard (Doris) : ...juste... Les
autres secteurs envient cette mesure-là.
M. Corbeil
(Gilles) : La musique, le
secteur de la musique aurait souhaité avoir de telles mesures, mais le
livre, je vous dirais, a été en avance, et
puis c'est rendu un modèle pour ailleurs aussi dans le monde, notamment la
question de Pretnumerique.ca.
Mme Roy
(Montarville) :
Souhaiteriez-vous que les dispositions qui sont souhaitées par le milieu
s'appliquent aussi au livre numérique, ce rabais de 10 % sur neuf mois sur
le livre électronique neuf?
Mme Girard (Doris) : Je pense que, là-dessus, on est très, très clairs, on est très unanimes
au sein de la SODEC : on
souhaite que ça s'applique également au livre numérique. On est conscients
cependant que l'éditeur qui détermine le prix du livre, qu'il s'agisse d'un
livre papier ou du livre numérique, pourrait avoir deux prix. En fait, on le
souhaite. Normalement... Actuellement, la
pratique, c'est 70 % à peu près du prix papier qui est en général pratiqué
pour le prix pour le livre numérique.
Donc, dans ces paramètres-là, on peut très bien imaginer que la mesure donne
des effets également dans ce secteur-là.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie infiniment.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, Mme la députée de
Montarville. Mesdames, messieurs, merci pour votre présentation.
J'invite maintenant
les représentants des... gens de Bibliothèque et Archive nationales du Québec à
prendre place, et nous allons suspendre quelques instants.
(Suspension de la séance à
16 h 18)
(Reprise à 16 h 20)
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : …s'il vous plaît. Donc, nous reprenons
nos travaux. Mesdames monsieur, bienvenue à l'Assemblée nationale. M. Berthiaume, je vais vous demander de vous
présenter et de présenter également les personnes qui vous accompagnent.
Vous allez avoir un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Par la
suite suivra un échange avec les parlementaires. La parole est à vous.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ)
M. Berthiaume (Guy) : Merci beaucoup. Je veux tout
d'abord remercier la commission de nous avoir invités à participer à
cette consultation très importante. Je suis accompagné de Mme Hélène Roussel,
qui est la directrice générale de la
diffusion — ce qui
est, dans notre jargon, une façon de dire : c'est elle la grande
responsable de la Grande Bibliothèque
à Montréal — et de
Mme Pascale Ryan, qui est aussi une employée de Bibliothèque et Archives
nationales du Québec et qui a un Ph. D.
dans l'histoire du livre. Donc, je me suis dit… J'ai entendu certaines des
questions la semaine passée et je me
suis dit que je devais être bardé d'information et de connaissances. Donc, Mme
Ryan et Mme Roussel.
Je
me permets aussi, en quelques mots, de vous présenter notre institution un peu
complexe, avec un acronyme qui ne facilite pas la compréhension :
BANQ, la BANQ, etc., ça ne simplifie pas les choses. Bibliothèque et Archives nationales
du Québec, c'est le résultat de trois fusions rapides et successives. Tout d'abord,
la création de la Grande Bibliothèque du
Québec, souhaitée par Lucien Bouchard — on s'en souviendra — en 1998, par la fusion de deux institutions, la bibliothèque Saint-Sulpice, qui était la
bibliothèque provinciale, et la Bibliothèque centrale de Montréal, ce qui fait qu'encore aujourd'hui nous sommes la
Bibliothèque centrale de Montréal. La Grande Bibliothèque a ouvert ses portes en avril 2005, il y a maintenant huit ans,
et, depuis ce jour, 23 millions de personnes ont franchi ses portes, ce
qui fait de la Grande Bibliothèque la plus
fréquentée en Amérique du Nord et la plus fréquentée, bien sûr, de la
francophonie. En 2001, avant même que la bibliothèque n'ouvre ses portes, on
lui a demandé de faire une nouvelle fusion, cette fois avec la Bibliothèque nationale du Québec qui, elle, avait été créée en
1967. La Bibliothèque nationale, je le rappelle, a la vocation de
rassembler, conserver et diffuser tout ce qui se publie au Québec, non
seulement les livres bien sûr, mais les
journaux, les revues, les CD de musique, les DVD de films, les affiches, les
cartes postales, les estampes d'artistes, tout cequi se publie au Québec. On retrouve là, donc,
près de 3 millions de documents et tous les trésors patrimoniaux du
Québec.
Enfin,
une dernière fusion, dès les portes de la Grande Bibliothèque ouvertes, en
janvier 2006, avec le réseau des Archives
nationales du Québec, donc là où on conserve tous les documents, y compris, un
jour, ceux de cette commission, et
qui sont répartis dans 10 villes du Québec, dans toutes les grandes villes du
Québec, et qui est aussi à l'avant-garde des moyens numériques pour
diffuser son patrimoine. Pour compléter le portrait de famille, 5 millions
de personnes, chaque année, communiquent avec nous par notre portail.
Notre loi nous
confère la mission d'acquérir, conserver et diffuser le patrimoine québécois,
documentaire québécois, et, comme je l'ai
indiqué, ce patrimoine dépasse de beaucoup le livre imprimé. Nous consacrons
annuellement 7millions de dollars à
l'achat de documents de toutes sortes : des livres, des revues, des
journaux, des bases de données, des CD, des DVD, des Blu-ray, des jeux
vidéo, etc. En 2012‑2013, 3,4 millions de dollars, soit tout près de la moitié
de la somme totale de nos investissements en documents, ont servi à l'acquisition
de livres analogiques, livres en papier ou de livres numériques.
Ces acquisitions-là,
on les fait auprès des librairies agréées de toutes les régions du Québec.
Compte tenu du caractère national de notre
institution, nous n'achetons pas, contrairement aux autres bibliothèques
publiques du Québec, des livres seulement dans la région où nous sommes
implantés, mais nous achetons des livres dans toutes les régions administratives du Québec dans lesquelles sont
situées des librairies agréées. Nous avons développé donc une
méthodologie pour répartir nos achats :
50 % dans la région de Montréal, 50 % auprès de toutes les autres
régions. Dans la mesure du possible, on s'approvisionne auprès d'au
moins trois librairies agréées dans chacune des régions.
Compte tenu… eu égard, pardon, aux
librairies… au livre numérique, nous avons développé, comme il en a été question, grâce à l'appui de la SODEC et grâce
aussi à tous les acteurs de la chaîne du livre, cette plateforme dont on
vous a parlé, qui s'appelle Pretnumerique.ca. Je veux vous rappeler que,
là-dessus, nous avons délibérément fait le choix de respecter la chaîne du
livre parce que, dans le domaine du numérique, on aurait très bien
pu sauter des étapes. On aurait pu
faire l'économie de discuter avec les libraires et discuter directement avec les éditeurs, avec d'autres acteurs et on a choisi délibérément de respecter intégralement la
chaîne du livre en créant cette plateforme Pretnumerique. Aujourd'hui,
on y trouve plus de 7 000 titres numériques que les Québécois
peuvent emprunter, et il y a, à ce jour, 325 000 téléchargements,
donc 325 000 personnes qui ont passé par cette plateforme qui est
disponible à la bibliothèque de Bibliothèque et Archives nationales du Québec,
mais aussi dans plusieurs autres bibliothèques publiques, pour emprunter des
livres numériques. C'est à peu près une
moyenne de 1 000 titres par jour qui sont téléchargés.
36 bibliothèques et réseaux de bibliothèques, donc, ont adhéré à la
plateforme, et ce nombre est en croissance continue.
Vous
comprendrez qu'il n'appartient pas à Bibliothèque et Archives nationales de
prendre parti sur la question du prix
de vente unique, d'autant plus que les règles actuelles, celles qui sont
envisagées, n'ont pas d'impact sur le coût de nos acquisitions, puisque
la loi sur le développement des entreprises québécoises, ce qu'on appelle la
loi n° 51 dans notre jargon, prévoit que les bibliothèques paient le prix
régulier, le plein prix pour leurs achats.
Nous
voulons toutefois manifester notre appui à toute mesure qui va assurer une plus
grande bibliodiversité et une présence
à l'échelle du territoire, complète, d'une offre forte de livres riches et
variés. Pour nous, librairies et bibliothèques ne s'opposent pas; elles
sont, au contraire, deux facettes de la même réalité, celle du livre comme
produit culturel par excellence. Et ceux qui
ont eu le plaisir de fréquenter les bibliothèques ont pu constater à quel point
les grands lecteurs sont de grands emprunteurs et aussi de grands acheteurs.
Il n'y a pas de dichotomie, il n'y a pas d'opposition entre ceux qui
fréquentent les bibliothèques et ceux qui fréquentent les librairies.
Ceci
étant dit, BANQ souhaite que les livres numériques soient également inclus dans
la réglementation relative au prix de
vente, et c'est l'essentiel du message que je voulais vous livrer cet
après-midi. Pour nous, une telle inclusion aurait pour effet de rendre disponible pour tous les citoyens la
totalité de la production numérique, sans délai indu. En effet, la totalité des livres numériques québécois
n'est pas disponible à l'heure actuelle pour les bibliothèques puisque certains éditeurs ont choisi de ne pas permettre
aux bibliothèques d'acheter leurs titres par crainte de voir la vente de
ces derniers diminuer. De plus, il est essentiel qu'il n'y ait pas de délai
entre le moment où les livres numériques sont disponibles
en ligne et celui où ils sont vendus aux bibliothèques. Un tel délai n'existe
pas pour les livres imprimés, et il serait
préjudiciable, en particulier pour les citoyens les moins fortunés, que l'accès
gratuit aux livres numériques par la médiation
des bibliothèques publiques se produise plus tard que l'accès payant par la
médiation d'entreprises commerciales.
Finalement,
l'inclusion des publications numériques dans la Loi sur le développement des
entreprises québécoises dans le
domaine du livre faciliterait grandement la production de livres adaptés
destinés aux personnes ayant un handicap visuel ou perceptuel. La production des livres adaptés sera en effet
moins coûteuse si on n'a pas à passer par une lecture optique des livres papier pour en faire des livres
en braille ou sous d'autres formes. Par ailleurs, il serait aussi
nécessaire qu'à court terme des dispositions
relatives au dépôt légal soient modifiées pour inclure les ouvrages numériques
puisque, contrairement à d'autres juridictions comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne,
le Canada, la France, le dépôt légal de la
version numérique n'est pas obligatoire au Québec; il est, pour le moment,
volontaire. Alors, la conséquence, pour nous, c'est que nous devons
fonctionner avec les éditeurs sur une base volontaire, ce qui fait que la
Bibliothèque nationale du Québec ne peut pas offrir à ses usagers la totalité
de l'offre numérique pour consultation in situ.
En
conclusion, dans le cadre du débat qui est actuellement engagé, il nous paraît
essentiel qu'un réseau solide de diffusion
du livre à l'échelle du territoire s'accompagne d'une promotion active de l'accès
aux livres numériques. Merci.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons débuter les
échanges. M. le député de Bonaventure, vous avez la parole.
M. Roy :
Merci, Mme la Présidente. Mes salutations, Mmes Roussel et Ryan, et M.
Berthiaume.
Bon,
une question simple mais complexe aussi : Est-ce que, pour vous, la
réglementation proposée va favoriser la bibliodiversité, la soutenir?
• (16 h 30) •
M. Berthiaume (Guy) : Moi, je pense que oui. Comme je vous le disais, dans le cadre
étroit de nos mandats et de nos responsabilités, pour nous, ça ne change
rien, mais je crois qu'effectivement cette mesure-là aurait pour effet d'appuyer
la bibliodiversité.
Là
où je ne peux pas aller, parce que c'est vous qui entendez plus que moi les
témoignages, c'est de vous dire : Est-ce la meilleure mesure? Y
a-t-il d'autres mesures? Y aurait-il d'autres avenues? Ça, je ne suis pas en
mesure de vous le préciser. Mais c'est clair, pour moi, qu'il y a une
adéquation immédiate entre la bibliodiversité et la capacité d'avoir des librairies
indépendantes à l'échelle du territoire.
M.
Roy : Merci. Une
autre question. À la page 3 de votre mémoire, il y a
un petit passage qui m'a un peu, bon, surpris. Troisième paragraphe,
vous dites : «En effet, la totalité des livres numériques québécois n'est
pas disponible à l'heure actuelle pour les
bibliothèques, certains éditeurs ayant choisi de ne pas permettre aux
bibliothèques d'acheter leurs titres, par crainte de voir les ventes de
ce dernier diminuer.»
Donc,
si je comprends bien, on ne permet pas d'avoir une version numérique
de certains bouquins de peur de ne pas voir les ventes se faire, donc on
ne permet pas l'accessibilité en bibliothèque. Est-ce que c'est fréquent, ça?
M. Berthiaume (Guy) : La loi
n° 51 ne couvre pas le numérique, et c'est normal parce que personne à
l'époque, même en étant très... Jules Verne n'aurait pu prédire le livre
numérique. Donc, comme le livre numérique n'est pas inclus dans la loi, les libraires et les éditeurs, a fortiori, ne sont
pas obligés de nous vendre les livres, contrairement aux livres en papier. Et donc, effectivement, certains
éditeurs, importants dans certains cas, ont choisi de ne pas adhérer à
la plateforme Pretnumerique.ca, dont on vous a parlé, et leurs livres
numériques ne sont pas disponibles pour prêt dans les 36 bibliothèques qui
en offrent aujourd'hui. Et donc une inclusion dans la loi réglerait ce
problème-là.
M. Roy :
Est-ce que c'est fréquent? C'est quoi, le pourcentage en termes de...
M. Berthiaume
(Guy) : Mme Roussel.
Mme Roussel (Hélène) : En ordre de grandeur, il y a à peu près
7 000 titres dans Pretnumerique.ca. Et justement l'article
qui a paru dans La Presse aujourd'hui, dans La Presse
écrite, mentionnait au moins le double.
M. Roy :
Double?
Mme Roussel
(Hélène) : De titres disponibles en format numérique.
M. Roy :
Disponibles.
Mme Roussel (Hélène) : Donc, vous et moi, M. et Mme Tout-le-monde
peuvent acheter ce livre numérique là, mais pas la bibliothèque pour ses
usagers.
M. Roy :
Donc, il y a tout près de 50 % des bouquins numériques qui ne sont pas
disponibles dans les bibliothèques au Québec actuellement?
M. Berthiaume (Guy) : Si tant est que l'article de La Presse soit exact, là. J'avoue
que je suis dans des sources secondaires, là, mais ça fait à peu près
ça.
M. Roy :
Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci, M. le député. Maintenant, la
parole est au député de Saint-Hyacinthe.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. À peu
près dans le même ordre d'idées, je voulais mentionner justement l'article de La Presse qui avait paru
cette semaine; j'en ai été fort surpris. D'après les témoignages qu'on avait eus la semaine passée et avec ce que j'ai
lu dans La Presse, il y avait quand même une bonne différence
dans la perception. Peut-être que l'article
de La Presse est correct aussi, là, parce qu'il dit qu'on n'est pas
si en retard... on n'est même pas en
retard, au Québec, sur le numérique. Les bibliothécaires… les librairies, je
veux dire — les
bibliothèques aussi — ils
ont les outils pour aller au numérique, ils ont les outils qui ont été
développés. Il s'agit juste que nous, les consommateurs, on les utilise un peu
plus pour pouvoir justement… Et ça, cet aspect-là me chicotait.
Mais
je voudrais savoir, dans votre perspective à vous, si vous avez eu un impact, l'impact
du numérique sur le livre, et s'il y
a une étude d'évolution du marché que vous êtes… que vous, vous tenez compte ou
vous faites, dans le futur, pour voir
vers où on s'en va dans ce domaine-là puis est-ce qu'on va être capables de
ramasser toute la demande ou si on va se disperser dans les grandes
chaînes, là, comme vous dites, dans les… et d'autres circuits qui sont
peut-être plus à l'avant-garde, là.
M. Berthiaume (Guy) : La première chose qu'il faut dire, c'est que La Presse — l'article de La Presse de ce matin, je pense que c'est
M. Herman — parle
des librairies, des ventes en librairies, alors que, quand on parlait d'un retard relatif, c'était par rapport aux bibliothèques. Et, comme je viens de vous le dire, le nombre
de titres disponibles dans les bibliothèques, ce n'est pas le même que
ce qui est disponible sur le marché.
Malgré
tout, il dit qu'on n'est pas si en retard que ça; ça dépend à qui on se
compare. Mais, si on se compare au reste
du Canada puis à l'Amérique du Nord, parce qu'on est quand même
dans cet environnement-là, géographique, on n'est pas en avant. Là où on
est en avant, c'est par rapport à d'autres juridictions européennes, etc., sud-américaines.
Mais le taux de prêt et le taux d'achat de livres numériques — je
pense que les collègues de la SODEC en ont parlé tout à l'heure — sur
le marché américain est beaucoup plus important que ce qu'on retrouve au
Québec.
Nous,
notre position là-dessus, c'est d'accompagner nos usagers et les éditeurs. Et
donc, tant que les éditeurs vont publier des ouvrages en papier, on va
les acquérir puis on va les rendre disponibles à nos usagers. Je n'ai pas
senti, chez nos usagers, un fléchissement de
la demande. Les statistiques des bibliothèques publiques montrent que les demandes de prêt sont en augmentation constante au Québec.
Et donc je dirais que le prêt numérique est venu ajouter une strate de
gens qui, par exemple, habitant loin de Montréal, ne pouvaient pas physiquement
se déplacer pour venir chercher le livre. Mais je ne crois pas que ça a eu
comme effet de réduire le taux de lectorat, au contraire.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Vous mentionnez aussi que l'inclusion du livre
numérique dans la législation faciliterait grandement la production de
livres adaptés et que celle-ci serait moins coûteuse en temps et en argent. Avez-vous estimé le coût pour l'adaptation d'un livre, selon que l'on procède à partir d'un livre imprimé ou d'un
livre numérique? Avez-vous une comparaison de prix ou...
M. Berthiaume
(Guy) : Mme Roussel.
Mme Roussel
(Hélène) : Non. Actuellement, il y a des expériences qui se font, c'est
en test, alors on n'a pas encore de coûts. Mais il est assez certain que les
coûts diminueront si on peut partir d'une version numérique pour produire un
document adapté par synthèse vocale ou transformation en braille. Mais les
coûts sont en évaluation présentement.
M. Berthiaume (Guy) : Parce qu'actuellement le
système, il est très rudimentaire : on prend un livre physique, on l'envoie à l'Institut Nazareth et
Louis-Braille, il y en a une lecture qui est faite pour en faire une version
numérique et, après ça, on produit le texte
en braille. Donc, si, directement, ils avaient accès au texte numérique, ils n'auraient
pas à avoir une lecture optique avec
des fautes de lecture, avec une correction d'épreuves avant de créer la version
numérique, ils l'auraient directement.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. La parole est maintenant à M. le
ministre; par la suite, au député de Sainte-Marie—Saint-Jacques.
M. Kotto :
Oui, une toute petite question. M. Berthiaume, Mme Roussel, Mme Ryan, soyez les
bienvenus. Merci de nous apporter votre sagesse et votre science en ces lieux
aujourd'hui devenus un champ de bataille entre deux pôles. Ce que vous dites va
certainement nous aider.
Dans votre mémoire,
vous mentionnez que les librairies et bibliothèques ne s'opposent pas, mais qu'«elles
sont au contraire deux facettes d'une même
réalité, celle du livre comme produit culturel par excellence». Est-ce que
vous pouvez élaborer?
M. Berthiaume (Guy) : C'est que souvent — et on peut penser, par exemple, à la réaction des éditeurs qui
n'ont pas souhaité que les livres numériques qu'ils publiaient soient
disponibles dans les bibliothèques — on entend le raisonnement selon lequel, si un livre est
disponible, si les gens peuvent l'emprunter en bibliothèque, on aura un effet
négatif sur la vente de livres, alors que c'est
faux, on crée des accros, on crée des junkies de la lecture, et donc ils vont
acheter forcément davantage de livres. Et
ça, c'est démontré par toutes les études qu'on puisse avoir : c'est les
mêmes personnes qui sont de grands
consommateurs de livres. «Produit culturel par excellence», parce que,
contrairement au cinéma, contrairement au théâtre, contrairement même
aux arts plastiques, le geste de l'écrivain est le geste culturel le plus
économique, le geste culturel le plus économique que notre société puisse
produire, et donc on peut retrouver toutes les manifestations de notre culture
dans la littérature, alors que le déploiement de moyens plus conséquents nous
donne forcément un portrait un peu plus restreint de la totalité de notre
pensée collective.
M. Kotto :
Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci.
M. Berthiaume
(Guy) : Mais on peut différer d'opinion si on a pratiqué d'autres
formes d'art.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. le
député de Sainte-Marie—Saint-Jacques, vous avez la parole.
M.
Breton : Merci, Mme la Présidente. Écoutez, en tant que moi-même auteur de quelques
livres et en tant que votre voisin...
M. Berthiaume
(Guy) : Au contraire, notre représentant.
• (16 h 40) •
M.
Breton :
…votre représentant, exactement, et fervent utilisateur de la Bibliothèque
nationale, qui m'impressionne au plus haut point, je dois vous dire, moi, quand
ça a ouvert, je suis devenu junkie de bibliothèque, vous avez raison. Et c'est
pour ça que je dois vous avouer que je suis étonné quand j'entends ce que vous
dites, à savoir qu'il y a des gens qui disent : On ne veut pas de versions
électroniques dans les bibliothèques pour ne pas cannibaliser les ventes de livres. Celle-là, je ne l'avais pas entendue auparavant.
Je dois vous avouer que ça m'étonne.
Donc,
ayant entendu ça, moi, j'entends des gens... Il y a quelqu'un
que j'ai croisé, il y a quelques jours à peine, qui me parlait d'un
nouveau type de livre numérique qui ferait en sorte qu'en mettant ces livres-là
dans une application numérique, ça pourrait
faire en sorte qu'il y aurait un beaucoup plus grand pourcentage de la vente de ce livre
numérique là qui se retrouverait directement à l'auteur. Est-ce que vous avez
des réflexions là-dessus?
M. Berthiaume
(Guy) : Moi, j'avoue que je ne connais pas, à moins que la personne
pense à l'autoédition qu'offre Amazon.com. Je sais que les gens peuvent,
par Amazon.com, sans aucun filtre d'éditeur, devenir leur propre éditeur, fixer eux-mêmes le prix de l'ouvrage. Il y a un
partage, que je ne connais pas, avec Amazon.com, mais eux, donc,
peuvent avoir les redevances qu'ils jugent approprié de s'accorder.
En revanche,
ils n'ont aucun appareil de distribution, de diffusion. Comment on sait que cet
ouvrage-là est là? Je ne le sais pas. Mais c'est un peu le modèle
Misteur Valaire, là, qui est bien connu en musique. Donc, les gens se diffusent eux-mêmes et créent leur propre marché.
Mais, à part ça, je ne connais pas d'autres cas, là, je ne vois pas
quelle application. Je ne dis pas que ça n'existe pas, là, au contraire, mais je
ne vois pas, là, à quelle application, si ce n'est qu'Amazon.com et les possibilités
d'autoédition sur le numérique.
M.
Breton : Bien, en fait, il y a autre chose, et il y a
des gens, justement, de Sainte-Marie—Saint-Jacques qui m'ont approché, qui m'ont
abordé là-dessus, donc ça vaudrait peut-être la peine qu'on s'assoie et qu'on
en parle.
M. Berthiaume (Guy) : Volontiers.
M.
Breton : Je vous
remercie.
M. Berthiaume (Guy) : Vous savez où
me trouver.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Ça va? Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la
députée de Laporte, vous avez la parole.
Mme Ménard : Merci, Mme la
Présidente. M. Berthiaume, Mme Roussel, Mme Ryan, bonjour. Dans
votre mémoire, vous faites des recommandations, dont l'une d'elles veut «l'inclusion
des publications numériques dans la loi [qui] faciliterait grandement la
production de livres adaptés, destinés aux personnes ayant un handicap visuel ou — excusez — perceptuel».
En plus de faire la démonstration de l'utilité du numérique pour vos
utilisateurs et combien il importe d'adapter rapidement cette nouvelle
option à une loi, considérez-vous que l'ouverture de la loi n° 51 serait
nécessaire pour qu'on puisse y ajouter ce fait-là?
M.
Berthiaume (Guy) : Bien,
sûrement. En ce qui a trait au numérique, je pense que c'est absolument essentiel. Mais, si on allait légiférer sur le prix du livre,
je pense que… et tous les autres intervenants que j'ai entendus
demandaient que ça se fasse aussi à la fois
pour le livre analogique et le livre numérique. Donc, sûrement, je pense
que c'est incontournable de faire cet ajout-là à la loi.
Mme Ménard : O.K. Mais ma
question est : Est-ce que nous devrions rouvrir la loi pour passer cette
réglementation-là, du numérique et du livre, maintenant?
M.
Berthiaume (Guy) : Bien, ça,
je… Bien, c'est-à-dire que le même dispositif législatif qui vous
permettrait de décréter un prix unique du livre serait utilisé pour le
numérique. Alors, je ne sais pas si vous avez pensé à modifier la loi ou si c'est une autre loi distincte, j'avoue
que je n'ai pas vu dans les documents de la commission. Mais ce qu'on
dit, c'est : Si on doit légiférer sur le prix unique du livre, incluons
aussi le livre numérique.
Là, votre
question hypothétique serait : Si on n'allait pas adopter une loi sur le
prix du livre, est-ce qu'il
faudrait modifier la loi n° 51 pour y inclure le numérique? Là, ça fait un
peu théorique, mais je dirais oui, là. Mais, si c'est ça, le sens de la
question, oui, comme je vous le dis, c'est urgent, parce qu'il y a non
seulement la question des lectures adaptées,
mais il y a le fait que les bibliothèques ne peuvent pas offrir une partie
significative des livres qui se publient en forme numérique.
Mme Ménard :
Vous avez raison de le dire, ce n'était pas dans le document, là. C'est une
question que je vous pose à vous, si… Bon. Alors… mais j'ai votre
réponse.
M. Berthiaume (Guy) : Il faut. Oui,
il faut.
Mme Ménard :
O.K. Parfait. On a parlé tantôt… mes collègues vous ont parlé du pourcentage,
là, du numérique. En fait, on n'a pas
parlé de chiffres, là, mais on sait que le pourcentage moyen actuellement des
lecteurs qui favorisent le numérique est plus ou moins 5 %. Vos
prévisions, à vous, c'est quand… Quel pourcentage allons-nous atteindre et sur
une période de combien de temps?
M. Berthiaume (Guy) : Je dirais,
pour juste frapper l'imagination, qu'on arrivera un jour à presque 100 %.
Il n'y a plus grand monde qui lit sur des peaux de brebis, sur des papyrus,
etc. Il restera quoi? Les beaux livres, les livres d'artiste, etc. Mais il y a
déjà… que je pense aux guides de voyage, aux dictionnaires, il y a toute une
section de la production qui est… Les gens
achètent des dictionnaires un peu par fétichisme, puis tant mieux, là, pour…
mais, dans le fonctionnement quotidien, il n'y a personne qui se lève de son
bureau puis aller ouvrir Le Robert comme on faisait dans l'Antiquité,
quand j'étais jeune, et ça ne se fait plus. On fait tout ça «online» puis c'est
Antidote, etc. Donc, un jour, 100 % ou 98 %.
En combien de temps? Je
ne sais pas. Dans le milieu universitaire, ça n'a pas pris 20 ans qu'on a
basculé au-delà de 50 % de toute la documentation qui est
maintenant numérique. Donc, on peut imaginer… Parce qu'on est dans une période, une accélération de l'histoire telle
que c'est toujours plus vite que ce qu'on pense, mais on peut penser
que, dans 20 ans, effectivement nos livres vont être précieux.
Mme Ménard :
Par vos propos, quant à votre appui à toute mesure visant une plus grande
bibliodiversité et une présence, à l'échelle du territoire, d'une offre riche
et variée, êtes-vous d'accord avec le questionnement de M. Belzile, des
HEC, qui dit, qui pose la question : Est-ce que nous défendons la culture
et la lecture plutôt que les marchands et les producteurs?
M. Berthiaume (Guy) : Bien, je pense que la réponse, pour moi, est relativement simple. Je
vais vous répondre par l'absurde : Trouvez-moi Molière chez Costco,
trouvez-moi Shakespeare chez Costco, trouvez-moi Alphonse Allais, trouvez-moi l'intégrale de Michel Tremblay
puis vous avez votre réponse. Si on est réduits… Dans une société de l'instantané où on ne consomme que les
best-sellers du moment, fussent-ils québécois, effectivement, là, il y a des
grands pans non seulement de notre culture,
mais de notre vie, de notre identité qui sont complètement évacués.
Donc, pour moi, comme on dit en latin, c'est un «no-brainer». Le jour où on n'a
plus accès à la littérature fondamentale, classique de notre culture, de notre
civilisation, je pense qu'on a perdu la guerre.
Mme
Ménard : Mais, quand vous parlez des Molière, etc., qu'on ne
trouve pas chez Costco, je comprends, mais vous n'êtes pas sans savoir,
les top-vendeurs, au Québec, des auteurs québécois, qui sont La mijoteuse à
la crème brûlée et Le Guide de l'auto… Alors, quels commentaires
avez-vous là-dessus, là?
M. Berthiaume
(Guy) : Bien… Non, mais ça prouve exactement, je pense, ce que les
gens veulent montrer, c'est-à-dire qu'il faut avoir des mesures qui permettent
d'avoir en librairie autre chose que ces titres-là. C'est correct qu'ils soient toujours les plus vendus et on n'a
pas à en rougir. Parce que, quand je regarde les ventes en France, c'est
toujours des… c'est pareil, là : c'est
des livres de recettes, puis c'est Madame Soleil, puis c'est, bon… puis
les livres de vampires, très
populaires. Mais il faut aussi qu'on ait, dans nos fonds de librairie, une
capacité d'acheter les classiques, d'acheter…
Écoutez, j'ai essayé de trouver le Mythe de Sisyphe, ce n'est quand même
pas une affaire bizarre, là, Camus, ce n'est pas un petit nom, puis c'était
impossible au bataillon, dans les grandes surfaces. Donc, il faut maintenir
absolument une bibliodiversité.
Mme Ménard :
Et, vous, quand vous dites que la réglementation assurerait la
bibliodiversité — vous
venez de le mentionner — est-ce
que c'est que vous en déduisez qu'avec une réglementation du prix les
consommateurs vont maintenant tous se diriger vers les librairies?
• (16 h 50) •
M. Berthiaume (Guy) : Non. Je vais vous dire ce qui ne va pas se passer et ce qui se passe
actuellement. Les gens font du lèche-vitrine dans les librairies et,
avec leur BlackBerry, ils prennent la photo puis ils vont acheter le livre chez Costco. Ça, ça n'arrivera plus, il n'y
a pas de raison. Les gens, c'est très bien qu'ils aient un coup de coeur
pour un livre qu'ils trouvent entre deux
tee-shirts puis une canne de soupe, qu'ils aient un coup de coeur puis qu'ils
l'achètent, c'est parfait. Mais l'inverse, cependant, il existe, et ça, n'importe
quel libraire va vous le dire. Les gens vont dans les librairies, ils circulent
dans les rayons puis ils notent… mais ils ne notent plus, ils prennent une
photo du livre qu'ils veulent acheter puis
ils vont l'acheter chez Costco. Donc, là, le libraire devient la vitrine de la grande surface. C'est un peu le monde à l'envers. Ça, ça ne se produirait
plus. Mais c'est sûr que quelqu'un qui est en
train de faire son Costco ne
va pas s'empêcher de terminer pour aller acheter un livre.
En revanche, ma
compréhension de ce type de shopping là, ce n'est pas… les gens ne vont pas là
chaque jour, là. Je pense, c'est tellement
des formats… Donc, ils y vont peut-être aux 15 jours, trois semaines, donc ils
auraient accès à la librairie entre-temps, là.
Mme
Ménard : Mais c'est… Justement, là-dessus, c'est le premier commentaire que j'entends de
la sorte, que les gens vont à la librairie avant d'aller chez Costco.
Alors, je trouve ça particulier que…
M. Berthiaume
(Guy) : Ils entendent parler du livre à la radio, à la télé et ils
notent, mais, plutôt que d'aller à la librairie, ils vont attendre le prochain
Costco pour l'acheter à petit prix.
Mme Ménard :
Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième
groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Mesdames monsieur, merci d'être ici. Merci
pour votre mémoire.
Et je poursuivrais ce
que ma collègue avait entamé. Je vais prendre la balle au bond puisque vous
êtes… En quelque part, cette
réglementation-là ne toucherait pas le prix que les bibliothèques paient
actuellement pour les volumes. Cependant, vous nous dites que vous
croyez que ça assurerait la bibliodiversité. Ma collègue disait :
Croyez-vous qu'il y aurait un déplacement?
Moi, je vais aller plus loin : Croyez-vous qu'il y aura un déplacement si
ces gros rabais n'existaient plus en succursale, d'un,
vers les librairies indépendantes? Mais moi, je vais aller plus loin :
Peut-on penser que le déplacement pourrait
se faire vers les librairies en succursale? Et là on n'arriverait pas à régler
le problème puisque c'est celui des librairies indépendantes auquel on s'attaque
ici.
M. Berthiaume
(Guy) : Sauf que… Bon, là, M. Breton nous a fait un peu songer avec
les chaînes express, mais il y a une limite
à ce que les grandes chaînes… à leur implantation. Les librairies de petite
taille sont des librairies de quartier
ou des librairies de petites villes ou de villages. Alors, je ne sache pas qu'on
puisse retrouver une grande surface de
librairie à l'échelle de toutes ces villes-là, tous ces villages-là. Donc, en
même temps, il y a comme le phénomène de proximité qui continuerait à
jouer pour empêcher le va-et-vient dont je viens de parler. En même temps, les
grandes surfaces, dans la mesure où ce sont des librairies agréées, répondent
aussi au besoin de bibliodiversité. Donc, pour moi, là, il n'y a pas un antagonisme
fondamental, là.
Mme
Roy
(Montarville) : Je me suis peut-être mal exprimée.
Ce que je voulais exprimer, c'est : Ne croyez-vous pas que le déplacement ne se fera pas
nécessairement vers les librairies indépendantes, mais que notre client de la
grande surface pourrait aller chercher son livre dans les librairies qui sont
en succursale? Alors, on ne règle pas le problème.
M. Berthiaume (Guy) : Parlons directement, là. Je ne suis pas sûr que je vous suis, là, mais
vous dites que le client qui achète chez Costco irait plutôt l'acheter
chez Renaud-Bray. C'est-u ça?
Mme Ménard :
Exactement. Parce que ce sont les petites indépendantes qu'on veut protéger
ici. Et moi, je vous parle du déplacement. Comment peut-on assurer un
déplacement vers les petites indépendantes et non vers les succursales, par
exemple?
M. Berthiaume (Guy) : Bien, c'est-à-dire que, s'il y a un prix du livre uniforme, il n'y a
pas d'avantage relatif à aller dans une grande surface plutôt que dans
une librairie locale, donc la librairie locale qui est physiquement rapprochée, là. On vous a parlé, la semaine
passée, de cas de librairies qui avaient fermé puis il faut faire 22
kilomètres pour trouver la prochaine. Mais, si elle était toujours là, cette
librairie-là, elle serait, cette librairie de proximité là, en mesure de répondre à la demande. Donc, le besoin
de faire 20 kilomètres, ou 15, ou 17 de plus pour aller dans une grande surface ne serait plus… en fait, il serait… pour
10 %, la personne jaugerait : Est-ce que j'y vais pour 10 % ou
j'économise l'essence, puis le temps, puis tout ça, puis j'achète à 10 %
de plus? Donc, je pense qu'on aiderait beaucoup les librairies de proximité,
là.
Mme Ménard :
Je vous remercie beaucoup.
M. Berthiaume
(Guy) : Je vous en prie.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Mesdames monsieur, merci beaucoup.
Nous allons
maintenant rencontrer les gens de l'Institut économique de Montréal, et je vais
suspendre les travaux quelques instants afin que ceux-ci puissent prendre
place.
(Suspension de la séance à
16 h 55)
(Reprise à 16 h 56)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre,
s'il vous plaît! La commission
reprend ses travaux. Et nous recevons MM. Gagnon et Chassin. J'espère
que je le prononce bien.
Une voix :
…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Chassin? Excusez-moi, M. Chassin. Donc,
bienvenue, messieurs, à l'Assemblée nationale. Vous allez avoir un
maximum de temps de 10 minutes qui vous est alloué pour faire votre
présentation, par la suite suivra un échange avec les parlementaires. Donc, la
parole est à vous.
Institut économique de Montréal (IEDM)
M. Kelly-Gagnon (Michel) : Alors, merci de nous recevoir. Ce sera mon
collègue, donc Youri Chassin, qui va présenter notre mémoire, et puis,
pendant la période d'échange et de discussion, je vais peut-être partager
certaines observations si les circonstances s'y prêtent.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : M. Chassin.
M. Chassin
(Youri) : Merci, Mme la Présidente. M. le député… Merci, Mmes et MM.
les députés, M. le ministre.
Merci de nous recevoir. Je voudrais évidemment peut-être parcourir avec vous le mémoire
que vous avez déjà reçu, en en soulignant quelques grands points
brièvement, pour pouvoir ensuite discuter avec vous.
Donc, peut-être commencer,
d'entrée de jeu, en rappelant, et c'est le titre — qui se veut explicite — de
notre mémoire, que, dans le fond, ce qu'on souhaite, dans la réflexion économique
et politique qui nous a menés, dans le fond, à présenter un mémoire, c'est évidemment de
permettre des livres accessibles aux meilleurs prix possibles pour les Québécois et, dans une perspective économique, sans oublier le caractère
particulier du livre, donc son caractère culturel qui effectivement est
partie intégrante, là, de la proposition, et je pense que c'est ça qui lui
donne son importance. C'est une dimension culturelle qui est évidemment
indéniable, mais qui n'est pas nécessairement intrinsèque, c'est-à-dire qu'évidemment le livre n'a pas cette dimension
quand il sort des presses, n'a pas cette dimension quand il est sur les
rayons, par exemple, d'une librairie, mais n'acquiert cette dimension culturelle
que lorsqu'il est dans les mains d'un lecteur et que, finalement, il y a
communication entre l'auteur et le lecteur.
Par ailleurs, c'est aussi — et
c'est l'autre volet de la médaille — un
bien économique, et c'est important de le souligner parce que la proposition
qui est devant nous, de ce qu'il est convenu maintenant d'appeler le prix
unique du livre, c'est une proposition qui touche le prix du livre et, comme le livre est aussi un bien
économique, augmenter le prix du livre, ça signifie en diminuer les ventes. Et
il est, je crois, indéniable pour tous les acteurs que, lorsqu'on parle de limiter ou d'interdire les rabais importants
sur les nouveautés, on interdit une pratique commerciale qui a cours, à
l'heure actuelle, chez certains détaillants et que, donc, c'est tout à fait
logique de l'exprimer comme ça, on augmente le
prix moyen des livres au Québec. C'est essentiel de bien le comprendre et c'est d'autant
plus important qu'on parle du livre comme bien
particulièrement important, compte tenu de sa valeur culturelle.
• (17 heures) •
Dans le diagnostic du marché du
livre qui nous est proposé et qu'on a retravaillé un peu, il est important de souligner que les librairies indépendantes, effectivement, ont perdu des parts de marché, mais que ce n'est pas au profit
des magasins à grande surface, mais bien des
librairies en succursales. Autrement
dit, il n'y a pas nécessairement un danger pour les librairies dans l'ensemble. Il y a, au
contraire, une stabilité des ventes des magasins à grande surface, qui sont les
principaux visés par cette mesure.
Il y a aussi tout un argumentaire intéressant à
repenser sur ce qu'on appelle la bibliodiversité, un néologisme intéressant. Mais il faut bien comprendre que, dans les librairies indépendantes, il y a
un large éventail de titres, on va tous s'entendre là-dessus. Par contre,
les librairies à succursales, elles aussi, pourraient prétendre servir la
bibliodiversité, parce que la diversité de titres offerts en librairies à
succursales est aussi très large. Même les grandes surfaces pourraient prétendre servir, à tout le moins, l'accessibilité,
si ce n'est la bibliodiversité, parce
que — et il
faut bien le comprendre — des librairies, il n'y en a pas partout, des librairies
indépendantes, à plus forte raison. Par contre, on trouve certains titres au Jean Coutu , et il y a un large éventail de
points de vente Jean Coutu au Québec. On trouve des titres dans des
magasins comme les Wal-Mart, ou les Costco
ou, par exemple, d'autres commerces de proximité. Et, dans l'ensemble des
points de vente, on retrouve une diversité aussi.
Tous les
livres ne sont pas vendus au même endroit. Et, autrement dit, il y a vraiment
une variété de titres vendus, mais pas nécessairement tous au même
endroit. Et, à la limite, si on veut éviter de poser un jugement de valeur sur quelle littérature est la bonne — vaut-il mieux lire du Molière, ou du
Shakespeare, ou Le Guide de l'auto? — bien, on se rend compte qu'il y a certains titres qui sont vendus à certains
endroits. Je pense, par exemple, aux romans Harlequin, qui ne sont pas
nécessairement vendus en librairies indépendantes. Et les différents points de
vente ont différentes offres. Je pense que c'est important de le réaliser et d'éviter
de poser des jugements de valeur.
Ensuite — et je pense que c'est important
de le souligner — par
rapport à la bibliodiversité, il y a une réalité technologique très intéressante : la variété de titres offerts en
ligne est croissante. Et c'est en fait M. le ministre lui-même qui
soulignait, dans une allocution au CORIM, en juin dernier, que les nouvelles
technologies offraient une diversité de titres sans précédent. Et je pense que
c'est fort à propos.
Par ailleurs, les librairies indépendantes ne
disparaîtront pas nécessairement en l'absence d'un prix unique. Au contraire, je pense que le déclin des
librairies ne justifie pas — parce que, dans l'ensemble, elles ne
déclinent pas, ce ne sont que les librairies indépendantes — une
réglementation du prix du livre, et que, dans le fond, il n'y a pas de menace
imminente à la disparation de toutes les librairies indépendantes, et ça ne
réglerait en rien la condition des librairies les plus vulnérables.
Pour la hausse des prix du livre, c'est
intéressant de se ramener en 2010, lorsque, sur la recommandation de M. Jean-Paul L'Allier, le gouvernement avait donc
reçu une proposition de mettre en place la taxe de vente sur les livres
pour pouvoir financer certains programmes d'appui à la culture. Et, à cette
époque, le monde de l'édition s'est battu bec
et ongles contre la mesure en soulignant qu'il s'agissait d'une demande
rétrograde et qu'il fallait penser aux lecteurs, et je cite : «Déjà qu'un livre, ce n'est pas donné. L'introduction
d'une taxe n'est vraiment pas stratégique.» Ou encore : «Le
lectorat est encore à constituer. Toute mesure qui augmente le prix des livres
est mauvaise.» Autrement dit, il n'y a pas nécessairement consensus non plus
dans le monde de l'édition et dans le monde du livre par rapport à des mesures
qui en haussent le prix.
Pour
terminer, je rappellerais peut-être qu'il s'agit d'une mesure assez
particulière qui, en général, est punie par la loi puisqu'il s'agit de la formation d'un cartel — légal, dans ce cas-ci, puisque ce serait
autorisé — mais
qui, pourtant, si elle n'était pas autorisée par la loi, serait punie
par la loi fédérale. Et il s'agit là d'un contexte assez particulier qui n'est
pas à l'avantage non seulement du consommateur, mais n'atteindrait pas ses
objectifs cités, soit de venir en aide aux librairies indépendantes.
Néanmoins, dans un
esprit, dirons-nous, charitable, nous avons fait faire par Léger Marketing un
sondage sur la question de la réglementation
du prix du livre. Et la question soulignait à la fois l'intention recherchée, c'est-à-dire
de limiter la concurrence des magasins à grande surface et d'inciter les gens à
acheter leurs livres dans les petites librairies, et aussi les résultats
immédiats d'interdire les rabais supérieurs à 10 % et d'augmenter le prix
moyen des livres.
Donc, évidemment, les conséquences négatives sont bien établies, les
conséquences positives sont alléguées, mais on a quand même voulu
donner, dans la question, des éléments des deux côtés. Et, malgré cela,
65 % des Québécois se sont déclarés en
désaccord avec cette réglementation-là, un impressionnant 42 % se sont
déclarés tout à fait en désaccord, et seulement 26 % se sont
déclarés d'accord.
Un
peu comme on le craignait, ce sont les petits lecteurs, donc les gens qui
lisent d'un à quatre livres par année, qui sont le plus fortement en
désaccord avec la réglementation du prix du livre. C'est ceux-là qu'on risque
de perdre, et je pense que ce serait dramatique de désinciter finalement les
habitudes de lecture chez des gens qui, déjà, lisent peu, notamment, sachant qu'au
Québec il y a un problème d'alphabétisation et qu'il y a un grand nombre d'adultes
qui ont des problèmes de lecture.
J'aimerais, dans le
fond, simplement souligner qu'il s'agit d'une analyse assez large qu'on a
faite. Il y a des éléments économiques très clairs. C'est un cas un peu d'école
d'instaurer un prix plancher dans ce cas-ci, donc de hausser les prix, et je
pense que les conséquences sont assez claires pour être anticipées. Et je crois
qu'il faut donc se positionner sur cette réglementation-là en fonction de la
volonté ou non d'augmenter le prix du livre et donc d'en favoriser une
diminution des ventes. Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, M. Chassin. Nous débutons les
échanges, et je vais du côté du gouvernement. M. le ministre, vous avez
la parole.
M. Kotto :
Merci, Mme la Présidente. M. Chassin, M. Gagnon, merci d'être là, merci de
contribuer à cette réflexion. Vous établissez un lien entre le contrôle des
prix, appelons ça comme ça, de livres neufs, physiques ou numériques, et un phénomène
inflationniste. Qu'est-ce qui vous amène à cette conclusion? Vous vous référez
à quoi, à quelle étude tangible, pour vous amener à cette conclusion?
M. Chassin (Youri) : Donc, dans une perspective où on fixe un prix… en fait, où le rabais
maximal — et
c'est vraiment de ça dont il s'agit — serait de 10 % sur le
prix suggéré, évidemment, il y a deux scénarios possibles : soit personne
n'offre davantage que 10%, et, à ce moment-là, la réglementation ne s'applique
pas ou n'a aucun effet, ou alors — et c'est le cas présentement — certains
détaillants offrent des rabais plus importants que 10% et seront donc
contraints dans leurs choix de vente. Et, dans ce cas-là, ça signifie qu'au
lieu de vendre un livre avec un rabais, par exemple, de 20 % ou de
25 % à leurs clients ils vont devoir se limiter à un rabais de 10 %.
M. Kelly-Gagnon (Michel) : Par ailleurs, par ailleurs, aussi… Donc, ça, c'est
la réponse vraie, conceptuelle ou logique.
On a aussi une annexe technique, qui est sur notre site Web, qui n'a pas été
mise dans le mémoire, mais qui est facilement
accessible sur notre site Web, où il y a ce qu'on appelle des calculs d'élasticité
où, donc, à l'aide des outils usuels de
ce qu'on appelle l'économétrie, on a regardé des fluctuations de livres,
notamment en France, sur une période de 25 ou 30 ans parce que
certains ont voulu faire dire des choses à une expérience française, mais n'ont
pris — et
on en parle dans notre mémoire — qu'une toute petite période sur la
période totale de la loi Lang. Nous, on a pris les chiffres, je veux dire, pendant l'ensemble de la période. Donc,
il y a des calculs d'ordre technique et, après, quand on fait le ratio,
il y a différents scénarios qu'on peut utiliser : ça peut être, 1, 1,47,
2, 2,5, je vous fais grâce, mais il y a des raisons techniques qui expliquent
les choix de différents, je dirais, coefficients d'élasticité. Et nous, on en a
pris un qui était conservateur, qui était au milieu. Je pense que c'était 1,4…
M. Chassin
(Youri) : 1,47.
M. Kelly-Gagnon
(Michel) : …1,47 qui était…
M. Chassin
(Youri) : La borne inférieure.
• (17 h 10) •
M. Kelly-Gagnon
(Michel) : …qui était dans la portion inférieure des hypothèses de
projection. Donc, il y a cette… Donc, ce que
je vous dis, c'est que mon collègue vous a donné, je vous dirais, la réponse
conceptuelle économique générale, qui
est de dire : Ou ça n'aura pas d'impact, et, si ça n'aura pas d'impact,
ça n'aidera pas grand monde, ou ça va avoir un impact, et, si ça a un
impact, bien, je veux dire... Mais il y a aussi le fait d'un certain nombre de
calculs.
Et, sinon, moi aussi,
je me permets de dire que, si l'objectif législatif, tel que je le comprends…
et vous me corrigerez, M. le ministre, si j'ai mal compris, mais, si l'objectif,
c'est d'aider les petits libraires ou les libraires dits indépendants, il me
semble qu'un moyen beaucoup plus clair et direct, ce serait de les
subventionner par l'entremise de crédits du budget
du Québec… que, de toute façon, les entreprises du Québec sont les plus subventionnées au Canada, et
de loin. Moi, je ne dis pas que c'est une bonne chose, mais je dis que c'est la
réalité. Et, à la limite, vous leur donnez des
crédits pour leur permettre de faire ce que vous voulez qu'ils fassent plutôt
que d'avoir une mesure qui, en bout de ligne, risque de nuire à certains
sans nécessairement avoir l'effet...
Je veux dire, si vous réduisez… si l'effet total de la mesure, par exemple, c'est de réduire de 10 millions par année les ventes totales des grandes surfaces, ça ne
veut pas nécessairement dire qu'il va y avoir 10 millions
d'augmentation de vente. En fait, on sait, par définition, qu'il n'y aura pas
10 millions d'augmentation de vente équivalente dans les petites
librairies, pour toutes sortes de raisons. La personne qui est sur la liste d'attente...
la file d'attente à Costco et qui s'apprête à aller acheter les recettes de
Maman Dion, si elle trouve que c'est un peu trop cher, elle ne va pas se
retourner pour aller en librairie pour acheter Le Mythe de Sisyphe dont
parlait l'autre personne avant, qui, soit dit en passant, est disponible sur Amazon
en 10 éditions, par ailleurs. Merci.
M. Kotto :
Si je vous entends bien, est-ce que... Vous écartez la solution de la
réglementation, mais vous avancez… je ne sais pas si ça vous a échappé, mais
vous avancez l'hypothèse d'un soutien via les subventions…
M. Kelly-Gagnon (Michel) : Bien,
moi, je dis que...
M. Kotto : ...pour résoudre
le problème de l'affaissement du réseau des librairies indépendantes.
M.
Kelly-Gagnon (Michel) : Moi,
je ne fais pas de jugement... Je veux
dire, je ne dis pas que je
recommande l'usage de subventions. Je dis que, si votre objectif premier, c'est
d'aider un certain nombre de librairies qui sont en difficulté, vous aurez beaucoup
plus la certitude... en leur faisant un chèque directement, qu'en espérant un
effet de substitution des ventes — qui
ne se ferait pas parce que le prix est contrôlé — vers
d'autres, et que cet effet de substitution, vous en conviendrez avec
moi, il est incertain.
On peut penser... C'est clair que, dans certains
cas, il va y avoir un effet de substitution, mais, comme le mentionnait la
députée ici, aussi... D'abord, il n'est pas clair que l'effet de substitution
se ferait nécessairement dans la direction des petites librairies. Et, en plus,
dans certains cas, on sait que ce serait juste une vente qui n'aurait pas lieu.
Et donc moi, je pense que… Je veux dire, indépendamment du fait de savoir si on
doit aider ou non les petites librairies…
Mais moi, je vous dis que je ne pose pas de jugement là-dessus. Je vous dis que, si c'est votre objectif, à mon avis, vous vous y prenez… mais pas
de la bonne façon.
M. Kotto : L'idée ici est de freiner la fragilisation, voire
l'affaissement, de notre réseau de librairies indépendantes, d'où la proposition,
partagée de façon très large par le milieu, l'industrie du livre, à l'effet,
donc, de légiférer pour un prix plancher sur les livres neufs, physiques et
numériques, sur une période de neuf mois. En France, c'est autour de
12 mois que cela se fait, depuis une trentaine d'années déjà.
Vous évoquiez
l'expérience française. Est-ce que vous vous êtes penchés sur cette expérience pour
l'analyser de façon objective afin d'en dégager les bénéfices et éventuellement les inconvénients encourus tout au long de ces années?
M. Chassin
(Youri) : Absolument. Donc, il
y a plusieurs études, dont le
rapport Gaymard, et une étude qui nous a paru très pertinente, bien que
peu citée, de Mathieu Perona. Et, dans le fond, on avait un corpus pour évaluer
un peu l'expérience française. Pas sous toutes ses coutures; toutes les données
qu'on aurait voulu, dans le fond, analyser n'étaient pas disponibles. Est-ce qu'on
en parvient… Puis là je vais vraiment répondre à votre question implicite,
disons : Est-ce qu'on en parvient à une conclusion claire? Non. Est-ce qu'on
parvient, par contre, à une conclusion qui allume des signaux d'alarme quant à
l'application d'un prix unique du livre au Québec? Certainement. Et donc d'une part — on en a parlé — l'évolution des prix suite à l'introduction
du prix unique du livre a été assez
frappante en France. En fait, entre
1959 — le
plus loin que les données remontent — et
1981, la hausse des prix du livre par
rapport aux autres biens, donc, en prenant compte, finalement, l'inflation, n'a
été que de 5 % plus rapide sur une période assez longue, quand même, alors qu'à partir du moment de l'instauration
d'un prix unique du livre — en quelques années, là, on parle de 12, 13 ans — l'augmentation
a été frappante, et le prix du livre s'est ramassé à au-delà de 125 % du
prix moyen des autres biens. Donc, la croissance du prix… et c'est ça que le
graphique, dans notre mémoire, démontre : la croissance du prix a été très
rapide.
Maintenant,
il y a des études qui offrent une vision alternative, hein, qui disent que
cette espèce de hausse du prix du livre assez magistrale, sur environ
13, 14 années, a été causée par l'abandon d'une politique qui a eu cours, là, jusqu'en 1978 en France, de 1971 à 1978. Alors,
peut-être — et on n'en
a pas vu confirmation ailleurs — qu'une politique qui a duré sept ans
a causé, par la suite, un rattrapage sur 14 ans et une hausse fulgurante du
prix du livre. J'en doute, mais donc je n'ai pas de certitude. Mais, à tout le
moins, ça semble tiré par les cheveux comme explication.
Donc, il y a
différents éléments, et on s'est rendu compte que beaucoup d'éléments critiques
étaient bien fondés, beaucoup d'éloges ne l'étaient pas. En bout de
ligne, on s'est rendu compte, finalement, que l'expérience française allumait à
tout le moins des signaux d'alarme dans la proposition qui est devant nous,
ici, au Québec.
M. Kotto :
Êtes-vous au fait que, lors des débats engagés au moment du dépôt du projet de
loi Lang, les débats que nous avons ici en ce moment se tenaient aussi
et que les positions étaient très, très polarisées également?
M. Chassin (Youri) : Bien, en fait,
j'imagine bien. Comme je le disais, hein, c'est presque un cas d'école d'instaurer
un prix plancher pour un bien dans toute économie. On en apprend, des cas comme
ça, à l'université, dans les premiers cours d'économie, je parle d'expérience.
Et donc j'imagine bien qu'en France, l'économie n'étant pas différente, les
débats ont été un peu similaires.
L'évolution a
montré aussi qu'il y a eu différents arguments avancés par la suite. Et puis
aujourd'hui, d'ailleurs, en fait, dans les derniers mois, la ministre de
la Culture a souligné l'importance de créer de nouveaux programmes d'aide aux librairies, hein, parce que les petites
librairies, en France, perdent des parts de marché. Donc, malgré l'instauration
du prix du livre depuis plusieurs années, on continue d'essayer d'inciter les
librairies à conserver leurs parts de marché.
M. Kotto : Oui, mais l'aide
supplémentaire apportée par la ministre de la Culture en France vient du fait que la concurrence, notamment des ventes en ligne,
les grandes surfaces, se fait de plus en plus agressive, donc c'est une
approche pour s'adapter.
Mais savez-vous également — ça, c'est en lien avec la question que je
vous ai posée précédemment — qu'au-delà
de tous les débats acrimonieux qui furent
tenus en France au moment du dépôt de la loi Lang il n'y a pas eu de
dissension au moment de l'adoption de la
réglementation sur le prix réglementé pour le numérique récemment en France? Il
yavait un consensus de l'aile gauche
à l'aile droite à l'Assemblée nationale française. Étiez-vous au courant de ça?
Ça, ça repose sur le fait, justement, qu'ils ont pris note, ils ont pris acte
des points positifs générés par la réglementation du livre physique
antérieurement.
• (17 h 20) •
M. Kelly-Gagnon
(Michel) : De façon générale, je ne pense pas que la France est un
modèle économique vibrant de succès, à mon évaluation à tout le moins. Mais,
ceci étant dit, moi, j'aimerais revenir aussi sur un aspect un peu plus général, qui est que les libraires
indépendants ont une offre de services qui est différente, O.K.? Et c'est
une offre de services qui répond à des
besoins. Et moi, si j'avais un conseil d'ami, là, plutôt que de viser à des
protections via des législations arbitraires qui vont peut-être donner un effet
ou peut-être pas, s'ils peuvent renforcer cette offre de services, penser à leur plan d'affaires et penser
comment ils peuvent bien représenter… Parce que, c'est vrai, il y a un certain nombre de choses qu'ils offrent et il y a
un certain nombre de lecteurs qui vont toujours avoir besoin de ce type
de services là. Et moi, je dis ça, là, vraiment bien amicalement : Il me
semble que, dans la vie, là, et dans la vie moderne, je veux dire, du monde moderne, c'est difficile de vivre
dans une bulle, c'est difficile de
vivre protégé. Et le législateur, malgré tous ses efforts, peut souvent ne
pas arriver à des législations qui vont réellement donner toute la protection
voulue. Et leur meilleure protection, c'est
leur offre de services distinguée et c'est des initiatives comme… ils ont fait
un site Web commun où ils font la… Rue des Libraires. Bien, je
pense… à mon avis, leur avenir est bien plus là-dedans que dans une bouée de
sauvetage en espérant une législation quelconque.
M. Kotto : Je vais… j'avais
d'autres questions, mais je vais laisser ma collègue
prendre le peu de temps qu'il nous reste.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci,
M. le ministre. M. le député de… Wo! Il faut que vous fassiez un consensus, M. le député de Bonaventure,
parce qu'il vous reste moins de trois minutes.
M.
Roy : Merci beaucoup. Écoutez, bonjour, messieurs. J'aurais de nombreuses questions,
mais je vais y aller par une question très simple : Qu'est-ce que
la culture pour vous? Parce qu'on sent que vous essayez d'introduire la culture
à l'intérieur d'une sphère marchande et de l'évaluer à partir de tous vos
critères économétriques, puis… bon. Mais, fondamentalement, qu'est-ce que la
culture?
M. Kelly-Gagnon (Michel) : Bon, écoutez, dans le cas d'un livre, c'est évident qu'il y a
un élément de culture à l'intérieur, mais c'est évident aussi qu'il y a
un élément de prix. Puis l'argument se fait facilement. S'il y a un certain livre de Michel Tremblay que vous trouvez super
puis que vous voulez acheter à 22 $,
si je viens vous dire que, maintenant, le
prix, c'est 400 $, vous n'allez pas l'acheter. «To my point», là, je fais
un exemple par l'absurde de dire que, donc, oui, la culture, c'est quelque chose de plus abstrait, de
plus intangible, mais il reste qu'un livre, électronique ou pas, le prix
a une influence. Et, si le livre est vendu à 22 $, il va y avoir x nombre
d'acheteurs, si le livre est vendu à 100 $, il va y en avoir y, puis, s'il
est vendu à 400 $, il va y en avoir z.
M. Chassin
(Youri) : Et, si je peux me permettre d'ajouter, à tout le moins, la
culture n'est pas tant l'objet physique, parce que, si on achète un livre tout
à fait désincarné sur un Kindle, par exemple, une liseuse électronique, il y a néanmoins lecture, et donc quant à moi, la
culture, elle se trouve beaucoup plus dans la relation entre l'auteur et
le lecteur, qui intervient peu importe la forme, là, physique de l'oeuvre.
M. Roy :
Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Courte question, M. le député de
Saint-Hyacinthe, il vous reste moins d'une minute.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Bien, c'est assez simple. Vous
avez mentionné tantôt que la réglementation pouvait emmener à jouer sur
les prix. Je comprends, mais moi, je fais un parallèle, justement, au niveau
des ententes internationales à l'OMC sur la
culture, l'agriculture, c'est toujours géré d'une façon spéciale, peut-être
justement parce que c'est des outils,
c'est des sphères qui sont particulières et culturelles. En ce qui concerne la
culture, le livre, et notre culture, le
film, et tout ça, c'est géré d'une façon spéciale. Maintenant, c'est deux
éléments qui font l'objet, justement, d'exclusion. Alors, comment vous pouvez expliquer, vous, que ça
vient jouer? Pourtant, le prix, si on fait un parallèle avec l'agriculture,
le prix du lait, il est plus stable ici que dans les pays où ce n'est pas
réglementé.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Je suis désolée, vous avez moins de 10
secondes pour répondre.
M. Kelly-Gagnon (Michel) : Bien, dans le cas, en tout cas, de la
Nouvelle-Zélande et autres, ça ne correspond pas à ce que vous dites.
Mais on pourrait avoir un autre débat sur le prix du lait un autre jour.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Parfait. Merci, c'est tout le temps que
nous avions du côté de l'opposition… c'est-à-dire du gouvernement. Je vais
maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Laporte, vous
avez la parole.
Mme
Ménard : Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour, M.
Kelly-Gagnon — c'est
ça? — et
M. Chassin. Écoutez, j'aimerais mettre quelque chose en perspective. Dans votre
mémoire, vous mentionnez que «le lobby Nos livres
à juste prix fait une lecture très sélective des études qu'elle cite et en tire
des conclusions erronées», alors que cette même organisation dit que votre institution s'appuie sur une hypothèse
de travail rigoureusement fausse qui discrédite l'ensemble de vos
prétentions. Alors, vous comprendrez que nous, on est ici pour cerner le plus
précis possible la situation actuelle.
Alors, comment pouvons-nous nous assurer que tout ce qui nous a été présenté
jusqu'à maintenant est précis? Alors, j'aurais la question
suivante : Qui dit vrai?
M. Kelly-Gagnon (Michel) : Alors, écoutez, soyons factuels. Au niveau de ce
qu'on appelait nos exercices d'élasticité,
on est, à ma connaissance, la seule organisation qui a rendu disponible sur son
site Web une fiche technique avec des
calculs que des gens qui ont les outils et les logiciels usuels… je veux dire,
peuvent répliquer nos calculs. On peut même,
si vous voulez, vous transmettre nos bases de données sur lesquelles… Autrement
dit, on dit, tu sais : «Check us», tu sais, vérifiez-nous si vous pensez que ce n'est pas des vrais calculs.
Bien, moi, j'invite ceux qui disent que ce n'est pas des vrais calculs à les faire avec nous. Mais je
souligne qu'on est la seule organisation, en tout cas, à ma
connaissance, qui a fourni le détail de ses calculs et une annexe technique en
appui.
L'autre chose, c'est
qu'on est la seule organisation, à ma connaissance, toujours, qui n'a pas fait
de «cherry picking» au niveau de l'utilisation
des… Et là je m'excuse de dire «cherry picking». Est-ce qu'il y a une expression françaiseplus
appropriée? Vous me le direz… mais
qui n'a pas fait de sélection au niveau de la période sous étude. Donc,
quand on a regardé l'impact sur le prix du livre en France, on a pris depuis le
début de son entrée en vigueur jusqu'à la date la plus loin pour laquelle on était capables de trouver des données, alors
qu'une autre organisation, qu'on critique dans notre mémoire, comme par
hasard, pouf!, a pris juste à partir de 1995, alors que la loi était en vigueur
à partir de 1981. Donc, nous, on ne fait pas de présélection sur les périodes
utilisées, on rend nos calculs disponibles.
Maintenant, c'est
bien clair que, quand on fait ce qu'on appelle des simulations en économie, ça
demeure une simulation, et donc, quand on
arrive avec une hypothèse d'une contraction possible de jusqu'à 17 % de la
consommation, on le dit clairement, que ça peut être une fourchette entre
10 % à 20 % selon différentes hypothèses, selon différents calculs. Mais en tout cas, donc, est-ce que c'est
la vérité vraie, ce qu'on dit? Je veux dire, seul Dieu le sait, mais, en
tout cas, on est très transparents sur les méthodes et les outils qu'on a
utilisés pour arriver à nos prétentions. Ça fait que, déjà, je pense, ça fait
ça de pris.
M. Chassin (Youri) :
Puis, je vous dirais, c'est difficile à trancher parce qu'évidemment c'est un
débat de spécialistes, à un moment donné. Mais je vous dirais que, peu importe
de quel bord on se situe et peu importe quel intervenant
vous entendez… y compris l'IRIS, par exemple, hein, qui ont aussi essayé de
faire un calcul d'élasticité comme le nôtre, avec des hypothèses
différentes. Même eux parviennent à une hausse de prix et à une diminution des
ventes, qu'ils qualifient, eux, d'acceptable
ou de marginale. Peut-être que c'est peu important pour eux, une diminution des
ventes de 2 % des livres au Québec. C'est correct, c'est leur position,
mais à tout le moins… On peut ne pas s'entendre sur l'ampleur, mais, à tout le
moins, on s'entend sur l'effet : la législation va hausser les prix des
livres au Québec et va diminuer leur nombre de ventes, toutes choses étant
égales, par ailleurs. Là-dessus, tout le monde s'entend.
Mme
Ménard : J'aimerais maintenant aborder la question sur la
disparition des librairies. Vous l'avez touché tantôt, ce sujet-là, avec mes collègues du gouvernement. On peut lire
dans votre mémoire qu'«il ne faut pas […] conclure […] que les
librairies indépendantes vont irrémédiablement disparaître dans un avenir
proche». Alors, ça, c'est une bonne nouvelle.
Maintenant, vous avez
élaboré un peu là-dessus. J'aimerais vous entendre un petit peu plus, parce que
vous avez mentionné aussi, dans votre… quand
vous avez abordé le sujet, que ce n'était pas une menace. Alors, voulez-vous
élaborer un petit peu plus là-dessus?
M. Chassin (Youri) : En fait, il y a deux éléments, je pense, à retenir, par rapport aux
librairies indépendantes. D'une
part — et on l'a
mentionné tout à l'heure — elles offrent ce que peu d'autres commerces offrent, c'est-à-dire
une expertise, un conseil de libraire, une
variété de titres aussi, qui est beaucoup plus grande, par exemple, que les
grandes surfaces. Donc, la comparaison, elle
n'est pas là. Il y a aussi un contexte — puis l'intervenant précédent lementionnait — de proximité. Il y a aussi un contexte de
clientèle, c'est-à-dire que le lecteur occasionnel qui fait un achat
impulsif en attendant dans la ligne de la caisse au Jean Coutu n'est pas le
même lecteur que celui qui va fréquenter assidûment une librairie indépendante
pour se faire conseiller par le libraire, dont il connaît par ailleurs les
goûts, certains titres de certains ouvrages, et qui va acheter sans doute
beaucoup plus de livres par année.
Donc, il faut prendre
toute cette complexité-là en compte pour montrer qu'il y a un marché
particulier où les librairies indépendantes répondent mieux à la demande de
certains lecteurs que les autres. Et évidemment la librairie indépendante, c'est aussi… bon, c'est aussi une
entreprise qui a des avenues commerciales qui sont disponibles à elle, notamment, par exemple, dans les livres
numériques. On parlait de ruedeslibraires.com : c'est une excellente
initiative.
• (17 h 30) •
M. Kelly-Gagnon (Michel) : Mais j'ajouterais : Il y a quand même une
menace pour les librairies indépendantes et, à vrai dire, pour tous ceux qui vendent les livres. En tout cas,
moi, je la vois, la menace. C'est qu'en 2012 les ventes de livres neufs
au Québec ont diminué, et, quand ça a diminué, c'était la troisième année
consécutive. Donc, on est passés, hein, de 707 millions de ventes en 2011
à 678 millions en 2012.
Alors, je ne sais pas,
comme dirait Bernard Derome, je veux dire, si la tendance va se maintenir,
mais, en tout cas, je veux dire, si les ventes de livres en général baissent,
vous savez, ce n'est pas la question de savoir, après ça, je veux dire, c'est-u Costco ou les petits libraires indépendants,
et tout ça? Je veux dire, il y a une menace, qui est la lecture en général et l'appétit à la lecture, et
ça, je veux dire, ça vaut la peine d'y réfléchir, ça vaut la peine d'y
penser puis ça vaut la peine de voir qu'est-ce que le gouvernement du Québec,
par exemple, dans son système d'éducation, dans ses incitatifs, peut faire pour
donner et redonner le goût à la lecture.
Moi, je veux
dire, on fait juste, de façon générale... Quand on a commencé à l'Institut
économique de Montréal, on faisait
des publications de 50 pages. Les gens nous ont dit : Il n'y a plus
personne qui lit ça. On a reçu un feed-back, les journalistes, tout le
monde, ils ont dit : On ne les lit pas. On a été obligés de ramener ça à
quatre pages puis, même à quatre pages, on est obligés de leur tirer par l'oreille
pour lire. Puis on a même été obligés d'introduire un nouveau format à deux pages, parce que quatre pages, c'était
trop long. Alors, si, à un moment donné, il se perd l'habitude des gens
de lire, bien, en tout cas, ce n'est pas votre prix unique du livre qui va
venir régler ce problème-là, là.
Mme Ménard : Bon, dans
toutes les études que vous avez faites, vous avez regardé, bien sûr,
à l'étranger ce qui se passe. Comment vous expliquez qu'un pays comme Israël, par exemple, vient juste d'implanter une réglementation du prix du livre?
M. Chassin
(Youri) : Bien, en fait, il y a
une question là-dedans
d'action politique, hein? C'est
évident que, quand on demande un effort monétaire au lecteur, qui est proportionnellement
à son budget faible, ça a un impact sur son comportement
mais c'est diffus, et les lecteurs, c'est un très grand groupe. Par contre, les
bénéfices d'une telle politique vont
être concentrés pour certains joueurs qui, eux, sont des groupes plus
importants, ont donc un intérêt plus grand et vont pouvoir agir politiquement de façon beaucoup plus
vigoureuse. C'est essentiellement ce qu'on appelle, en économie, la
théorie des choix publics — «the
public choice», en anglais — qui
explique un peu cette logique d'action collective où, lorsque les bénéfices
sont concentrés et les coûts sont dispersés, il y a clairement un intérêt à
adopter ce genre de politiques là pour plaire à certains qui vont s'en
souvenir.
Évidemment,
tous les pays, hein, ne sont pas dans cette situation-là. L'Angleterre a aboli
cette pratique-là. Au Canada aussi,
en 1951, le prix suggéré des éditeurs a fait, dans le fond, l'objet d'une
enquête du Bureau de la concurrence du
Canada. Et, en Suisse, lorsqu'on a demandé par référendum aux Suisses s'ils
voulaient adopter une mesure similaire, ils l'ont rejetée.
Mme Ménard : J'aimerais vous parler de l'émergence d'un
cartel. Alors, vous dites dans votre mémoire
qu'avec la réglementation du prix du livre et les conditions actuelles de l'industrie
nous avons là toutes les conditions d'une émergence
d'un cartel. Alors, de manière très
hypothétique, je me pose la question : Est-ce qu'on ne devrait pas
avoir une régie comme on en a dans différentes industries, une régie qui
déciderait du prix des livres?
M.
Kelly-Gagnon (Michel) : À mon avis,
non. Et, si on entre dans une mauvaise politique publique — parce
que, donc, nous, dans notre mémoire, on dit que cette politique… cette loi
proposée est une mauvaise politique publique — et
qu'après on superpose à une mauvaise
politique publique une autre mauvaise politique publique pour essayer de
contrebalancer l'autre d'avant, à mon avis, je veux dire, ce n'est pas ça, la
direction.
Puis, sinon,
quant à l'usage du mot «cartel», je veux dire, ce n'est pas un jugement de
valeur ou une émotion, c'est un terme économique qui est que, quand des
offreurs de services sont concertés ou se concertent de façon à convenir d'avance
des prix, et à ne pas permettre certaines réductions et à fixer les prix entre
eux, bien, c'est communément connu dans la littérature économique comme étant
un cartel.
Maintenant, au sens juridique du terme, ça, c'est
autre chose, parce qu'évidemment, si le gouvernement explicitement autorise le cartel, bien, enfin, c'est un cartel légal,
mais, conceptuellement parlant, ça demeure un cartel.
M. Chassin (Youri) : Peut-être
rappeler aussi, par rapport à la régie, qu'évidemment à l'heure actuelle il y a
des gens qui déterminent quel est le prix du
livre, et ce sont en partie les éditeurs, en partie les distributeurs, en
partie les détaillants. Donc, il y a plusieurs personnes qui prennent
les décisions idéalement pour maximiser leurs ventes, et ça, ça signifie pour
maximiser le nombre de livres qui se retrouvent dans les mains des lecteurs québécois.
Donc, quant à
moi, une régie serait prise un peu entre l'arbre et l'écorce, en disant,
bon : On va devoir garantir une certaine rentabilité à l'un tout en
garantissant un maximum de concurrence pour d'autres, parce qu'en bout de ligne
c'est le lecteur qu'il faut favoriser. C'est
une espèce de choix cornélien qui se fait, à l'heure actuelle, par les
décisions des entrepreneurs et des lecteurs québécois de façon tout à fait
naturelle.
M. Kelly-Gagnon (Michel) : Je
voudrais ajouter un dernier détail aussi qui n'est pas nécessairement directement relié à votre question, mais je pense
que c'est important. J'ai entendu à plusieurs reprises, à la commission
ici et dans d'autres cercles, de dire :
Il y a unanimité ou quasi-unanimité dans le cercle du livre. Moi, ce que j'ai
vu aussi, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui ont peur de parler. Moi,
j'ai des éditeurs, j'ai des gens de d'autres secteurs qui nous ont appelés en disant : Wow! Hé, c'est bien
ce que vous faites, bravo! Puis là, bien, j'ai dit, bon : Bien, vous,
allez-y, en commission, allez dire
ça. Puis ils ont dit : Oui, mais on a peur qu'on aurait une rétorsion
contre nous, on a peur qu'on serait mal vus, etc. Donc, l'unanimité,
elle est là en tant que déclarée, mais, derrière les branches, il y a bien des
gens qui ont des craintes face à cette politique-là — je
parle des gens de l'industrie du livre — mais qui ont peur de les
exprimer publiquement pour toutes sortes de raisons.
Mme Ménard : D'accord.
Et, comme dernière question, à la page 15 de votre mémoire, quand vous dites,
et je cite : «Rarement a-t-on vu une proposition de mesure aussi
anachronique, néfaste et obscurantiste», est-ce que vous n'êtes pas un peu trop
sévères?
M. Chassin (Youri) : Écoutez, je ne vais pas m'excuser de ces adjectifs-là parce que je
crois vraiment que c'est le cas, d'une
part. Et je l'explique un peu, hein, d'une part, parce que le sens de l'évolution
historique du livre, c'est que c'était
un bien rare, dispendieux, de luxe, très élitiste, et que, la nature de la
concurrence et des évolutions technologiques aidant, c'est devenu un
bien de plus en plus accessible et peu dispendieux, justement.
Donc,
c'est anachronique parce que ça va à contresens de l'histoire. C'est néfaste
parce qu'en plus ça va toucher particulièrement le livre québécois, où
la proportion des nouveautés représente une proportion plus élevée des ventes totales.
Donc, on se tire d'autant plus dans le pied au Québec que ça va toucher
davantage les livres québécois. Et finalement c'est obscurantiste parce que,
quand on diminue la diffusion du savoir, des connaissances, d'un outil qui a
une valeur sociale et culturelle, je crois que, oui, on peut parler d'obscurantisme.
Mme Ménard :
Bien, merci beaucoup. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Montarville,
vous avez la parole.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Messieurs, merci. Merci d'être ici, de vous être déplacés. Merci pour votre mémoire très clair, très précis, vos
arguments dont vous nous faites part depuis tout à l'heure.
J'aimerais avoir
votre opinion. Selon vous, que feront les consommateurs qui achetaient leurs
livres dans les grandes surfaces parce qu'il
y avait des grands rabais? Si ces grands rabais n'existent plus, qu'est-ce que
ça va causer dans le milieu?
M. Chassin
(Youri) : En fait, j'aurais deux réponses. D'une part, il faut bien
comprendre conceptuellement, puis on l'a vu
dans la littérature sur les habitudes de lecture notamment, qu'il y a des
petits consommateurs et des plus gros consommateurs qui vont chercher
des titres plus précis, alors que des petits consommateurs vont entendre parler
d'un livre à la radio ou une critique dans
un journal, vont croiser le titre en question plus tard au fil de leur
magasinage et vont finalement
acheter, peut-être un peu impulsivement, ce livre-là. Et ce sont, dans le fond,
ces lecteurs-là qui se retrouvent à fréquenter
les grandes surfaces, où finalement les rabais sont importants, à l'heure
actuelle, convainquent les gens de prendre le livre et de le mettre dans
leur panier et finalement qui seraient les plus affectés par la disparition de
ces rabais.
Par
ailleurs — et la
question nous intéressait aussi, donc on l'a incluse dans notre sondage, et c'est
intéressant de voir que les stratégies dominantes ne sont pas bêtes,
finalement — si
le prix des livres augmente, les Québécois nous répondent que leurs trois stratégies dominantes seraient d'emprunter
davantage de livres à la bibliothèque. C'est la première réponse qui est
donnée, 37 %. Les gens pouvaient choisir plusieurs réponses. Ensuite, dans
«commander sur des sites Internet». Évidemment, si les sites Internet sont
aussi soumis à la loi, ça peut poser problème — mais leur réponse, ce serait d'aller vers là si les prix n'étaient
pas contrôlés sur les sites Internet ou encore d'acheter moins de livres,
quand même dans une proportion de 29 %. Donc, c'est un peu ça, la
réaction. Évidemment, ce sont les petits lecteurs qui sont les plus touchés et
qui, eux, pourraient donc ne pas acheter.
• (17 h 40) •
Mme
Roy
(Montarville) : Si on continue dans cette
veine-là — c'était
lors d'un sondage — est-ce
qu'aller à la librairie indépendante faisait partie des réponses que
vous leur avez soumises : Dans la possibilité, si on augmente le prix du
livre, irez-vous dans une librairie indépendante?
M. Chassin
(Youri) : Oui.
Mme Roy
(Montarville) :
Ah oui?
M. Chassin
(Youri) : Ça fait partie des réponses possibles, oui. On a des copies,
ici, du sondage.
M. Kelly-Gagnon (Michel) : On a des copies du sondage qu'on pourra vous
remettre, si vous le souhaitez. Puis ils disponibles sur notre site Web
aussi avec toute la méthodologie puis la liste des questions.
Mme
Roy
(Montarville) : …mais, si on fait l'addition, 37, plus 31 plus 29, il n'y a
pas grand monde qui disait aller à la librairie indépendante, c'est ce
que je comprends.
M. Chassin
(Youri) : …pas à 100 %, parce que les gens pouvaient choisir plus
d'une réponse, dire, par exemple : Bien, je vais d'abord aller davantage
dans des bibliothèques et acheter moins de livres moi-même. Donc, il pouvait y
avoir plus d'une réponse.
Mme Roy
(Montarville) :
Mais la première chose que le consommateur ferait, ce serait d'emprunter et par la suite acheter sur Internet. Donc, ce
serait, selon vous, un impact direct de la disparition des grands rabais en
grandes surfaces.
M. Chassin
(Youri) : Exactement. C'est la réaction que les consommateurs de
prêts... quand on leur pose la question.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie beaucoup, messieurs.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci, messieurs. Chers collègues, je vais vous souhaiter une bonne fin de
journée.
Et la commission ajourne ses travaux jusqu'au 9
septembre, à 14 heures. Merci.
(Fin de la séance à 17 h 41)