(Neuf heures trente-trois minutes)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre,
s'il vous plaît! Bonjour. Ayant
constaté le quorum, je déclarela
séance de la Commission de la culture
et de l'éducation ouverte. Je demande
à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre
la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Le mandat de
la commission est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des
consultations particulières sur le document intitulé : Document
de consultation sur la réglementation du prix de vente au public des livres
neufs imprimés et numériques.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire : Oui, Mme la
Présidente. Mme Charbonneau (Mille-îles) sera remplacée par Mme Ménard
(Laporte) et M. Sklavounos (Laurier-Dorion) par M. Kelley (Jacques-Cartier).
La Présidente
(Mme Richard, Duplessis) : Merci. À l'ordre du jour cet
avant-midi, nous entendrons M. Ivan Bernier, professeur associé à la Faculté
de droit de l'Université Laval. Nous poursuivons avec Illustration Québec;M. Ejan Mackaay, professeur émérite de
l'Université de Montréal; et M. Clément Laberge, vice-président principal
de De Marque.
Cet
après-midi, nous accueillerons l'Association des librairies du Québec; la
Fondation pour l'alphabétisation;M.
Denis Vaugeois; la Fondation littéraire Fleur de Lys; et nous terminerons la
journée avec l'audition de M. Germain Belzile, professeur en économie de
la culture aux HEC de Montréal.
Auditions (suite)
Donc, nous
avons en première audition, ce matin, M. Ivan Bernier. Bienvenue à l'Assemblée
nationale. Vous allezdisposer d'un
temps de 10 minutes pour nous faire votre exposé, par la suite suivra un
échange avec les parlementaires. Je vais vous faire signe quand il va
vous rester une minute parce que, sinon, malheureusement, je devrai vous couper
la parole, ce qui me déplaît fortement, mais je dois régir le temps à l'Assemblée
nationale.
Donc, la parole est à vous, M. Bernier.
M. Ivan Bernier
M. Bernier (Ivan) : Merci, Mme la
Présidente. Je me propose, ce matin, de vous parler essentiellement des obstacles juridiques qui pourraient être soulevés
à l'encontre d'un éventuel régime de prix unique du livre et d'en évaluer
la portée.
La perspective d'ensemble qui sous-tend cette
présentation prend appui sur un document international, une négociation à
laquelle le Québec et le Canada ont été intimement mêlés, à savoir la
Convention sur la protection et la promotion
de la diversité des expressions culturelles. Un article de celle-ci mérite en particulier d'être cité à cet égard,dans le cadre de ce débat, l'article 5.1 qui
affirme : «Les parties réaffirment, conformément à la Charte des Nations unies,aux principes du droit international et aux instruments universellement reconnus en
matière de droits de l'homme, leurdroit souverain de formuler et [de] mettre en oeuvre leurs politiques culturelles et d'adopter des mesures pour protéger etpromouvoir la diversité des expressions culturelles ainsi que pour
renforcer la coopération internationale afin d'atteindreles objectifs de la présente convention.» Je pense
que ceci a sa place dans le cadre de ce débat. C'est ce qui a guidé, en
quelque sorte, ma présentation.
Je vais
traiter essentiellement, donc, des objections juridiques susceptibles d'être
soulevées à l'encontre d'un régimequébécois
de prix unique du livre et, pour ce faire, je passerai d'abord rapidement sur
le niveau interne, c'est-à-dire surles
objections qui sont soulevées au niveau interne au Canada et, ensuite, je me
concentrerai sur les objections qui sont soulevées dans le cadre du
droit international économique.
En ce qui concerne les obstacles susceptibles d'être
soulevés au niveau interne, c'est ce qui est le… ce qui est peut-être plus important de savoir et qui
pourrait… Certaines parties, disons, dans différents contextes, pourraient
songer à utiliser ces arguments, c'est
celui de la Constitution canadienne, et plus particulièrement du partage des
compétences. L'article 91.2 de la Loi constitutionnelle de 1867 porte
sur les échanges et le commerce et détermine qu'ils relèvent essentiellement de la compétence fédérale. Mais,
au fil des années, ces termes ont été interprétés comme octroyant aupouvoir fédéral une compétence exclusive en
matière de commerce interprovincial et international, laissant aux provincesce qui relève des enjeux locaux. On pourrait
être… On pourrait donc avancer que, dans la mesure où la loi québécoise
sur le prix unique du livre a un impact sur le commerce international ou
interprovincial, elle serait susceptible d'être déclarée inconstitutionnelle, mais cela est loin d'être évident. La
récente décision de la Cour suprême dans l'affaire durenvoi sur la loi fédérale sur les valeurs
mobilières a clairement établi les critères de distinction entre ce qui relève
de la compétence du gouvernement fédéral et ce qui relève de la
compétence des provinces.
Et
je citerai un passage de cette décision puis j'en aurai terminé avec la
question du partage des compétences. Ladécision en question dit : «La nécessité de se prémunir contre les
risques systémiques et d'y répondre pourrait fonder unelégislation fédérale visant le problème national
qui résulte de ce phénomène, mais ne chasse pas l'essence de la réglementation
des valeurs mobilières, qui est, comme nous l'avons vu, toujours principalement
axée sur les enjeux locaux —
soit protéger les investisseurs et assurer l'équité des marchés par truchement
de la réglementation de ses participants.
Après avoir examiné la loi dans son ensemble, comme il se doit, nous sommes d'avis
que ces enjeux de naturelocale en
constituent le caractère véritable.» Il n'est donc pas interdit de penser qu'un
projet de loi québécois sur le prix unique du livre serait également
considéré comme axé sur des enjeux de nature locale, dans la mesure où il
cherche à assurer l'équité du marché du
livre et poursuit des objectifs essentiellement culturels, un domaine de
compétence d'abordet avant tout
provinciale. Je pense que, de ce point de vue, on peut écarter les objections
relevant du partage des compétences.
Une
autre chose qui aurait pu être soulevée en droit canadien, c'est l'article 45.1
de la Loi sur la concurrence duCanada,
lequel prescrit que «commet une infraction quiconque, avec une personne
qui est son concurrent à l'égard d'unproduit,
complote ou conclut un accord ou un arrangement : soit pour fixer,
maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit».
Mais
cette Loi sur la concurrence, je pense, doit être aussi écartée parce qu'elle
est applicable essentiellement entre des entreprises du secteur privé et
ne vise en aucun cas les lois relevant du domaine des provinces.
• (9 h 40) •
J'en
arrive donc maintenant aux obstacles qui sont les plus importants, à savoir les
obstacles au plan international, et plus particulièrement ceux qui
relèvent de la compétence de l'Organisation mondiale du commerce. Deux accords en particulier sont susceptibles de trouver
application dans le droit de l'OMC, soit l'Accord général sur les tarifsdouaniers et le commerce, ou GATT, et l'Accord
général sur le commerce des services, ou AGCS. Le GATT estapplicable exclusivement aux biens tangibles et l'AGCS
aux services qui sont considérés de façon générale comme des biens tangibles.
Une législation québécoise sur le prix unique concernant exclusivement les
livres papier serait manifestementvisée
par les règles du GATT. S'agissant du livre numérique, par contre, la réponse
est moins évidente, mais on peut penserqu'un livre exclusivement numérique tomberait sous les règles de l'accord
sur les services, dans la mesure où
ce qui estéchangé n'est plus un bien
tangible, mais un fichier numérique, ce qui est l'approche adoptée
en droit européen. Alors, jereviendrai
un peu plus loin là-dessus, mais, en droit européen, les échanges de livres
numériques sont considérés comme relevant du commerce des services.
Donc,
la loi sur le prix unique du livre, au regard du GATT… est donc considéré essentiellement comme un bien.S'agissant du
GATT, ce serait vraisemblablement en
vertu des articles
3 et 11 que la question serait abordée. L'article 3porte sur le traitement national, qui interdit
toute discrimination en droit ou en fait entre les produits étrangers et les
produitsd'origine nationale. L'article
11, pour sa part, traite des restrictions quantitatives aux échanges. Il
prescrit qu'«aucunepartie
contractante n'instituera ni ne maintiendra l'importation d'un produit
originaire du territoire d'une autre partie [...] deprohibitions ou de restrictions autres que des
droits de douane, taxe ou imposition, que l'application en soit faite au
moyen de contingents, de licences d'importation ou de tout autre
procédé».
Reste à voir, cependant, si une plainte
fondée sur l'un ou l'autre de ces deux articles aurait une chance de réussirdans le cas d'une loi sur le prix unique du livre.
Cela est loin d'être évident, à mon point
de vue. Il faut souligner d'abord que la réglementation envisagée au Québec par l'industrie du
livre, largement inspirée du modèle français, ne comporteraitaucun critère explicite de discrimination. En d'autres termes, il n'y aurait
pas de discrimination en droit. Mais une telleréglementation pourrait-elle
placer les livres étrangers dans une position moins favorable, en fait? Il est
difficile de répondreà une telle question
dans l'abstrait, en l'absence d'une plainte concrète. Ce qu'il faut souligner cependant,
c'est que, malgré que 13 États, tous
membres de l'OMC, disposent présentement d'un régime de prix unique du livre, aucune
plainte contre de telles mesures n'a encore été déposée dans le cadre de
cette organisation.
En revanche, la question a été abordée
concrètement dans trois décisions de la Cour de justice de l'Union européenne. Comme les exigences du droit européen en ce qui concerne la libre circulation des biens sont au moins aussicontraignantes que celles de l'OMC, sinon davantage,
il apparaît pertinent d'analyser… d'examiner
l'analyse de la courdans celles-ci.
Il faut souligner, au départ, qu'aucune de ces décisions de la Cour de justice
européenne n'a remis en causeles
éléments de base des régimes concernés. Dans l'arrêt Echirolles contre
Distribution SA, en date de 2000, la cour astatué que l'article 3 du traité CEE — qui établit le principe de l'abolition,
entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des
marchandises, des personnes, des services et des capitaux — ne s'opposait
pas à l'application d'une législation nationale qui oblige les éditeurs à
imposer aux libraires un prix fixe du livre à la revente.
Dans un autre arrêt, en date de 2009, sous-tendant
une telle conclusion, la cour a souligné ce qui suit. D'abord,comme règle… de mentionner, comme règle
fondamentale, ce que je vais lire : «Constitue une mesure d'effetéquivalant à [des restrictions quantitatives toute
réglementation commerciale des États membres susceptibles] d'entraver
directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le
commerce intracommunautaire.»
Elle poursuit ensuite en ajoutant cette
précision : Cependant, n'est pas susceptible de constituer une telle
entrave «l'application à des produits en provenance d'autres États membres de
dispositions nationales qui limitent ou interdisentcertaines modalités de vente, [pour autant] qu'elles
s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant [leurs activités] sur le territoire national et [...] qu'elles
affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des
produits nationaux et [celle des produits] en provenance d'autres États...»
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. Bernier, je vous
inviterais à conclure parce qu'il vous reste moins d'une minute.
M. Bernier
(Ivan) : Pardon? Il me reste une minute?
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Oui.
M. Bernier (Ivan) : Déjà?
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Déjà.
M. Bernier
(Ivan) : Bon. Alors,
écoutez, je vais passer plus rapidement. En ce qui concerne, donc, la Cour dejustice européenne, elle a considéré qu'il n'y
avait pas d'obstacle à une législation sur la loi sur le prix unique du livre.
Ence qui concerne la loi sur le prix
unique du livre, au regard de l'accord de l'OMC sur les services, ce qu'il est
absolumentimportant de savoir, c'est
que le Canada n'a pas pris d'engagement en matière de produits, de biens et de
services culturels dans ce contexte-là et ne pourrait donc jamais être
poursuivi pour manquement à ces choses-là.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. Bernier, je veux juste
vous signifier à ce moment-ci que M. le ministre vous donne du temps
supplémentaire qui sera amputé sur le temps du gouvernement.
M. Kelley : Et l'opposition
aussi.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Et l'opposition aussi?
M. Kelley : …laisser M.
Bernier compléter ses remarques.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Donc, prenez tout votre temps.
M. Bernier
(Ivan) : Bon. Alors donc, je
vais tout simplement rappeler qu'en ce qui concerne donc les accordsdu GATT… de l'OMC sur les services, il y a des
engagements semblables en matière de droit… de traitement nationalde
libre accès au marché, mais, pour être obligés par ces engagements,
il faut d'abord avoir soumis un secteur aux obligations de cet accord. Or, le Canada
ne l'a jamais fait. Même avant 2006, il a réitéré que sa
position était de ne pasprendre d'engagement dans le domaine des industries culturelles dans le cadre de l'accord
général sur les services. Donc, on peut oublier aussi cet accord-là.
Maintenant, j'en arrive à quelques accords qui
vont être rapidement éliminés aussi, les accords…
D'abord, l'ALENA. En ce qui concerne l'ALENA, l'article
2106 exempte de la portée de l'ALENA toute mesure,
y compris le livre, relative aux industries culturelles, mais accorde aux
parties affectées par de telles mesures ledroit d'adopter des mesures d'effet commercial équivalent. Ce qui veut
dire que le Québec ou le Canada peuvent prendreles mesures qu'ils veulent, qu'ils souhaitent dans le domaine des
industries culturelles, y compris le livre. Il y a peut-être des conséquences, mais la liberté
ne peut pas être enlevée de le faire.
En
ce qui concerne les autres accords de
libre-échange du Canada, la quasi-totalité comporte une clause d'exceptionpour les industries culturelles, y compris
le livre, sans aucune mesure prévoyant des mesures de rétaliation. L'accord delibre-échange Canada-Union européenne — ça va être le dernier que je vais mentionner dans
ce contexte-là — on
ne saitpas exactement ce qui va
arriver de cet accord; il n'est pas encore conclu. Dans le domaine de la
culture, il faudra voir cequi
concerne le livre en particulier, mais, même, à défaut d'un texte actuellement, on peut au moins prévoir, envisager quelque chose. Il serait
absolument surprenant que l'Union européenne poursuive le Québec
et le Canada en
matière de loi sur le prix unique du livre, dans la mesure où
leur propre jurisprudence est favorable à ce type d'arrangement et où 13 pays membres de l'Union européenne ont de tels
arrangements. Alors donc, je pense qu'on ne peut pas véritablement s'inquiéter
de ce point de vue.
La loi sur le
prix unique du livre et la problématique des législations
extraterritoriales, je vais terminer avec cela.C'est une question qui a été mentionnée dans les débats en France
sur la loi sur le prix unique du livre numérique, maisessentiellement ce qu'il faut comprendre, c'est que l'extraterritorialité, c'est
un concept qui renvoie à un principe de basede droit international, à savoir la compétence absolue des États de
légiférer sur leurs territoires par
rapport à leurs citoyens,par rapport à leurs biens, etc. Mais cette compétence absolue des États
souverains est limitée par la compétence absoluedes autres États souverains, de telle sorte que, si on cherche à
légiférer de façon extraterritoriale, il faut bien comprendreque les autres États ne
seront pas nécessairement heureux ou contents de se voir appliquer les législations qui ne relèventpas d'eux.
Et donc on a établi des principes pour régler ces questions-là.
Je ne repasserai pas sur les principes, mais cecivisait essentiellement à faciliter les conflits potentiels en matière d'extraterritorialité. Et ultimement ce
qu'il faut comprendredans ce qui
concerne l'extraterritorialité, c'est que c'est l'efficience qui va dicter ce
qui arrive. Et la meilleure façon des'assurer
qu'une loi qui sera territoriale sera efficiente, c'est de disposer d'arguments
solides et qui peuvent justifier de telles lois aux yeux des États
étrangers.
En
conclusion, donc, je pense qu'on peut dire qu'il n'existe pas véritablement d'arguments
majeurs du RIMA qui peuvent empêcher
la conclusion… l'adoption d'une loi sur le livre unique. Ceci étant, il faut
aussi… je veuxsimplement mentionner
ceci. Il y a une autre loi au Québec qui porte sur le livre, la loi du livre
plus spécifiquement, etcelle-ci vise
un des problèmes qui… important à l'époque, en 1981, concernant l'entrée des
produits étrangers sur… des livres étrangers sur le territoire
québécois, et on a donc adopté des mesures qui étaient pertinentes pour
résoudre ces problèmes. Ces mesures-là sont toujours en vigueur et n'ont pas
été contestées jusqu'à maintenant, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'elles ne pourraient pas l'être.
Et, de ce point de vue, ce que je suggérerais fortement, c'est quel'on s'assure de distinguer entre les deux
législations, de manière à ne pas fragiliser l'une ou l'autre, le cas échéant.
Merci.
• (9 h 50) •
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup,
M. Bernier. Nous allons commencer la
période d'échange. M. le ministre, vous avez la parole.
M.
Kotto : Merci, Mme la Présidente. M. Bernier, bonjour et bienvenue parmi nous.
Merci pour votre contribution pertinente, très éclairante quant à la
portée d'une législation sur le prix du livre neuf numérique et physique.
Je
vous entends bien. Il n'y a donc pas de frein à légiférer, dans l'hypothèse où
la commission recommanderait lachose. Mais quelles conséquences peut-on entrevoir dans cette hypothèse?
Quelles conséquences pourrait-on entrevoir dans l'hypothèse où on
légiférerait?
M. Bernier
(Ivan) : Je pense qu'à la base on pourrait au moins envisager que les
conséquences ressemblent à celles qui ont
suivi l'adoption de mêmes législations dans les différents pays qui l'ont fait, et donc,
de ce point de vue,jusqu'à
maintenant, il y a très peu d'indications qu'on a réagi violemment
contre ou, en tous cas, on a réagi sérieusement à l'encontre d'une telle législation. C'est le cas… Le Mexique a adopté une loi comme ça en 2008 et le
Mexique fait partiede l'ALENA. On n'a
pas soulevé d'objections dans le cadre de l'ALENA, et donc c'est déjà une
première indication que çapourrait…
ce serait vraisemblablement aussi le cas pour le Québec. Mais il faut voir
aussi qu'il y a parfois des choses particulières qui n'ont peut-être pas
été complètement envisagées et discutées.
Pour
ma part, je pense que le système fondamental de prix unique du livre est bien
établi et je pense que ça vatoujours être appuyé fondamentalement. En ce qui concerne
le livre numérique, je pense aussi qu'il va continuer d'êtreappuyé, le principe fondamental, mais, sous
certains aspects, il pourrait peut-être être questionné. Ceci étant, je pense aussi
que, dans la perspective de la convention sur la diversité des expressions
culturelles, il ne faut pas reculer devant la possibilité que des choses se
produisent, pourvu que ce soient des choses qui soient considérées comme
majeures par rapport aux objectifs qu'on poursuit, et je pense que la loi sur le
prix unique du livre peut être considérée comme une telle chose.
M.
Kotto :O.K. Merci. J'ai une…
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Vous avez du temps, M. le ministre.
M. Kotto :
…petite question, oui, parce que je vais laisser du temps à mes collègues également.
De
votre perspective des choses, est-ce qu'il faut ouvrir la loi du livre pour
réglementer le prix des livres? Est-ce qu'on doit procéder par une loi
parallèle?
M. Bernier (Ivan) : Je pense que oui, essentiellement, il faudrait éviter de mêler les deux
législations, la loi du livre et la loi sur le prix
unique du livre. La loi du livre, comme je l'ai mentionné, est une loi ancienne
qui visait des problèmes spécifiques de l'époque,
mais, dans sa rédaction, elle pourrait entraîner peut-être des remarques et des
contestations. Alors, je pense qu'il
est préférable de scinder les deux et faire en sorte qu'on parle
essentiellement d'une loi sur le prix unique du livre.
M. Kotto :
Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci, M. le ministre. M. le député de
Bonaventure.
M. Roy :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Bernier. Écoutez, j'ai une question un
peu, bon, je dirais, macrosociologique.
Pourquoi la culture n'a pas été intégrée dans les grands accords, bon,
commerciaux? Quels étaient leséléments
de justification qui véhiculaient ce refus d'intégrer ça? Puis quelle était la position
des États-Unis par rapport à ça?
M. Bernier (Ivan) : Bien, de façon générale, au départ, on ne se préoccupait pas de la
culture dans les grandsaccords
commerciaux internationaux, comme on ne se préoccupait pas de plusieurs autres
choses aussi. Et maintenanton se
rend compte, en voyant les dernières négociations de l'OMC qui durent depuis 10 ans, qui n'ont toujours
pas abouti,que certaines de ces
considérations auraient dû être prises en compte plus tôt. Mais, ceci étant, on
a commencé maintenantà s'intéresser à la problématique culturelle. L'UNESCO,
évidemment, aurait été intimement mêlée à toutes ces
choses-là.Mais, dans le rapport
commerce-culture, qui est le plus important, c'est vraiment
la convention qui a éveillé l'attentionsur la problématique concrète. Et je pense
qu'à partir de là vous avez maintenant des textes qui sont reproduits, qui sontcités dans le rapport de la commission européenne
sur la plus récente loi… unique, sur le prix du livre numérique, comme,dans les décisions, on fait référence à la
convention. Donc, c'est clair qu'en droit européen ceci demeure très nettement à l'esprit.
Dans
les législations canadiennes, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, on a intégré, depuis une dizaine d'années,sinon plus, une clause excluant en totalité les
industries culturelles des accords de libre-échange. Alors, vous voyez que
les choses ont changé graduellement et que... Mais pourquoi on ne l'avait pas
fait auparavant…
M.
Roy : Selon vous,
selon votre position, votre expérience, c'est une bonne chose que ça ne soit
pas inclus ou ça serait à inclure?
M.
Bernier (Ivan) : Moi, je
pense que ce n'est pas… La question que ça ne soit pas inclus, je pense que c'estdans le but de laisser une marge de liberté
aux États d'agir, mais ça ne veut pas dire que les États ne vont pas conclureou ne vont pas accepter de faire des choses
ou d'échanger avec les autres États et vont se fermer aux autres États. Je
penseque je peux dire avec confiance
qu'en matière de commerce de produits culturels, audiovisuels, livres, etc., c'est
un dessecteurs, probablement, où les choses sont les plus libres. Les films étrangers rentrent ici
sans limite, les livres étrangers,je
pense, sans limite. Alors, ce n'est pas ça qui est le problème. Le problème, c'est
un peu de voir qu'est-ce qui peut
êtrefait pour assurer localement
quelque chose qui soit viable, qui puisse permettre l'expression de la culture,
les cultures localesou nationales,
et aussi permettre au Québec et au Canada d'échanger avec le reste du monde. C'est
ça qui est important du point de vue de la convention.
M. Roy : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
M. le député de Saint-Hyacinthe.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Alors,
je salue les collègues aujourd'hui, M. Bernier.
Moi, je voudrais juste savoir, de par votre
expérience, vos connaissances et vos connaissances de ce qui s'est passé dans les législations des autres pays sur le
prix du livre, à qui profiterait le plus le prix unique du livre au Québec,
à qui ça pourrait profiter.
M. Bernier
(Ivan) : Là, vous me posez
une question qui relève davantage des réflexions de nature économique,
ce qui n'était pas nécessairement mon rôle, ce n'est pas mon objectif non plus,
d'aborder ces questions-là, et ce n'est peut-être pas nécessairement de ma
compétence. C'est-à-dire, si vous demandez, personnellement, ce que j'en pense,
je pense que, d'abord et avant tout, ce qui
était visé, c'était de permettre aux petites... aux librairies indépendantes d'avoirune chance de compétitionner avec d'autres
entreprises dans le domaine du livre qui... Maintenant, de là à dire que c'est
lasolution ultime, je pense que je n'en
suis pas certain du tout. Même à l'extérieur, dans d'autres pays qui ont des
législations, il y a… on a été obligés de commencer à envisager d'autres
mesures pour aider plus en profondeur ce secteur-là.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
C'est bien. Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons
maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de
Laporte, vous avez la parole.
Mme Ménard : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour. Bonjour à tous. M. Bernier, bon matin.
J'ai été
surprise de votre plaidoyer. C'est la première fois, là, qu'on parle autant de
légal depuis les trois… en fait,on
commence notre troisième journée, depuis les deux derniers jours. Je me pose la
question suivante, et il y a d'autresgroupes
qui se la posent aussi, d'ailleurs, pour ne pas les nommer, la fédération Fleur
de Lys qui dit : «Si le gouvernementa le droit légitime de déterminer qui recevra son aide financière et qui
sera agrémenté, a-t-il aussi le droit d'intervenir auprès des librairies
exclues de sa loi du livre?»
• (10 heures) •
M. Bernier (Ivan) : Bien, ça, je n'ai
pas abordé ça parce que c'est, comme je vous l'ai dit... Est-ce qu'il a le droit de le faire? Il faudrait revenir sur la
portée de la loi du livre, hein, c'est ça qui est en cause et non pas la loi sur
leprix unique du livre. Je n'ai pas
voulu entrer dans la loi du livre, parce que — je l'ai mentionné, par contre — il y a deséléments qui pourraient être problématiques si on voulait… problématiques, en tout cas, qui soulèveraient des questions si on voulait renouveler cette loi-là en même temps qu'on cherche à faire adopter une loi sur le prix unique du livre, ces
deux questions, en tout cas, je verrais comme devant être traitées de façon
distincte.
Si on les lit toutes les deux, c'est clair qu'il
y a des problèmes, et celui que vous soulevez en est un, et il y en aurait d'autres aussi que je pourrais vous…
identifier sur d'autres aspects de la loi du livre. Mais, comme ce n'était pas
ce qu'on m'avait demandé, je m'en tiendrai à la loi sur le prix unique du
livre.
Mme Ménard : Bon. Je vous ai bien entendu, là, si on avait la
réglementation du prix du livre, ça n'interfère pas du tout sur les
accords internationaux, ni pour le papier ni pour le numérique.
M. Bernier
(Ivan) : À la base, non,
mais, encore une fois, sur certains aspects d'une législation sur le prix uniquedu livre,
en particulier, ce qu'on décrit comme l'extraterritorialité, parce que
c'est dans ce contexte-là que la question a étévraiment abordée relativement récemment en Europe... Il y a
eu un rapport de la Commission européenne qui a soulevé beaucoup… plusieurs
problèmes concernant la dimension de l'extraterritorialité en particulier.
Mme Ménard : Vous voulez
élaborer là-dessus, sur l'extraterritorialité?
M. Bernier
(Ivan) : Bien, le rapport
soulevait… parce que ce qui arrive essentiellement, c'est que la
loi sur le prix unique du livre numérique serait applicable non seulement
à l'intérieur de la France, mais aussi à des entreprises situées à l'extérieur de la France. Et donc le problème
pourrait se soulever de dire : Ça, c'est véritablement une loi, une
législation extraterritoriale, à portée extraterritoriale. Et donc qu'est-ce
qui fait qu'ils doivent obéir à ces législations quand c'est une législation de ce genre adoptée par le Québec?
Et pourtant c'est ce qu'a fait la France... En ce qui concerne la France, ils l'ont fait
malgré tout, et je pense qu'ils ont fait à juste titre, parce qu'ils voulaient voir s'il y avait
possibilité de convaincre les
autorités européennes de la commission de revenir sur certains de leurs points
de vue concernant le rapport entre commerce, culture et de laisser une
plus grande place à la culture en ce qui concerne le livre.
Ceci
étant, c'est important de mentionner que ce que dit la commission
n'est pas nécessairement ce qui va êtrereflété dans une décision de la Cour européenne de justice. À plusieurs
reprises, la cour, par le passé, est allée à l'encontre de la commission
sur certains de ces jugements. Et, comme les jugements qui ont été émis jusqu'à
maintenant, il y a trois décisions vraiment fondamentales qui ont porté sur ces questions
de prix unique du livre et qui ont toutes permis le maintien des législations en cause, on peut
donc considérer qu'il y aurait une côte un peu à remonter pour dire que la
loi sur le prix unique du livre numérique est incompatible avec le droit
communautaire.
Mme
Ménard : Et ma
dernière question : Est-ce
que vous avez des recommandations à nous faire pour ne pas qu'une éventuelle réglementation soit
questionnable ou contestée?
M. Bernier (Ivan) : Je pense qu'essentiellement…
C'était ce que j'allais mentionner en
conclusion aussi. Je voulaisvous
dire, en conclusion, c'est qu'il faut, au point de départ, considérer que le droit n'est
pas un obstacle à l'adoption d'unelégislation sur le prix unique du livre. Ceci étant, ça veut
dire que le vrai problème, la question qui doit être abordée, defond et en détail, c'est celle du problème,
quelle est l'identification correcte du problème, l'identification correcte des moyens, du ou
des moyens susceptibles de permettre… d'apporter une solution à ce problème ou
ces problèmes, et finalement, je pense, une
perspective d'ensemble qui permette d'en arriver à quelque chose qui puisse être
véritablementconvaincant. Quand je
parlais de législation extraterritoriale, un des principes fondamentaux, c'est
que, si ces législations-là sont
considérées comme nécessaires et justifiées par les autres États au vu des
faits, ils vont avoir tendance à les accepter. Et donc, dans ces
conditions, je pense que c'est ce que je suggérerais.
Évidemment,
je renvoie la balle vers le politique
et l'économique. Il faut vraiment, je
pense, aller au fond des chosesavant de chercher à voir les obstacles
juridiques. Par la suite, il sera toujours possible de dire : Bon, il y a peut-être quelquechose
ici qu'il faudrait faire, qui devrait être modifié, mais, dans ce temps-là, il y a toujours
moyen de trouver une solution. C'est exactement ce qui s'est passé en Europe
en ce qui concerne ce type d'intervention.
Une voix :
Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Jacques-Cartier.
M.
Kelley : Merci beaucoup,
Mme la Présidente. À mon tour, bienvenue, M. Bernier. C'est
très intéressant, parcequ'on n'a
pas vraiment abordé la question du cadre juridique international de ces
questions, alors c'est éclairant. Et jevais vous poser… Basé sur vos expériences et un regard en Europe, on a
un témoin, lundi, qui a fait un certain parallèleavec l'industrie de la musique, et le numérique,
et tout le reste, a vraiment chambardé l'industrie, et une des choses quiétaient très préoccupantes, c'est la
protection des artistes, et souvent les royautés et tout le reste, par le
partage des fichiers au niveau… sur l'Internet, et tout le reste,
étaient carrément floués par le nouveau système.
Est-ce qu'en Europe on a pensé sur comment protéger
les écrivains? Parce que, je pense, le numérique n'est pasaussi évident que la musique au niveau de sa
présence sur l'Internet, mais il y a toujours la chance… Les livres deviennentde plus en plus dispendieux, alors la version
numérique qui peut circuler sur Internet, bon marché, peut devenir un concurrent
encore plus important pour, notamment, nos petites librairies. Alors, est-ce qu'en
Europe on a pensé à un moyen de mieux protéger les écrivains dans l'ère de l'Internet?
M. Bernier (Ivan) : Je pense que... Évidemment, il faut mettre… Je mettrais de côté un peu
ce qui relève de lapropriété intellectuelle,
parce que ça, c'est un droit spécifique, et ça restera toujours actuellement ce
que c'est. La protectionde la
propriété intellectuelle, évidemment, varie d'un pays à l'autre. C'est
50 ans ici; 70 ans ou 75 ans en France. Mais ça, on
laisse ça de côté.
Mais,
en ce qui concerne les aspects, par exemple, rémunérations des auteurs, ça, je
pense que c'est une questionqui est
assez importante et qui doit être prise en considération dans la mesure où je
pense que, c'est exactement ce quevous
avez mentionné, le livre numérique est souvent offert à des prix qui sont assez
éloignés du livre papier. En Europe,par
contre, à l'heure actuelle, le différentiel entre le livre papier et le livre
numérique n'est pas très grand au niveau duprix, de sorte qu'il n'y a peut-être pas autant d'incitation à changer
le régime existant, mais je pense que ça ne pourra pas durer
éternellement. Il va éventuellement devoir envisager autre chose.
Un développement, je
pense, qui est important à mentionner dans ce contexte-là : je pense que
les États ont commencé à envisager la
possibilité d'offrir des aides et des subventions pour compenser certaines
choses. C'est ce qu'afait la France
dans le cas du livre, son régime, sa loi sur le prix unique du livre numérique
en abaissant les taux de la TVApour
le livre numérique. Mais là, vous voyez, je vous donne un bon exemple d'une
situation concrète. Cette décision — puisc'est dans le texte même de la loi sur le prix unique du livre
numérique — a été
contestée par la commission, et actuellementil y a maintenant une plainte qui a été portée à l'encontre de la France
sur la question de cet abaissement de la TVA, la raison étant qu'il y a
une interdiction formelle de modifier la TVA dans certains cas, et la
circulation des… et le livre numérique en est une.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Oui, M. le député de Jacques-Cartier.
M. Kelley : Est-ce qu'il
reste un petit peu de temps?
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Il reste un cinq minutes…
M. Kelley :
O.K., parfait, oui.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : …parce que, par la suite, votre collègue
va vouloir intervenir.
• (10 h 10) •
M.
Kelley : O.K. Juste très rapidement, là, parce que, je vois, au
nom des consommateurs, un livre numérique,il n'y a pas de coût de transport, on n'a pas à entreposer ça sur les
tablettes, et tout le reste, alors je vois comme… et il y a la pression déjà sur les maisons d'édition, même
aux États-Unis, de baisser le prix numérique parce que ce n'est pas lemême service. Seulement envoyer un fichier, ce n'est
pas la même chose que de transporter le livre dans une librairie, jedois aller le chercher, retourner à la maison,
etc. Alors, je pense
que ça va venir. Et c'est juste de s'assurer, dans cette optique, qu'on
a les protections nécessaires pour les écrivains. Je pense que ça, c'est quelque
chose qui est très important. Et comment on
va s'adapter à cette nouvelle réalité, je pense que c'est un enjeu
très important pour les livres. Alors, merci pour vos expériences, que
vous avez mentionnées, européennes.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Laporte.
Mme Ménard :
C'était un commentaire, finalement?
M. Kelley :
Oui, un commentaire.
Mme
Ménard : Et non pas
une question? D'accord.
Merci. Alors, écoutez, vous avez piqué ma curiosité. On aparlé de la loi n° 51 puis vous avez dit qu'il
faudrait que ça soit scindé, il ne faut pas la toucher. Et vous avez
mentionné :On m'a demandé de me
pencher sur la réglementation du prix, et non pas sur la loi n° 51. Et on sait
qu'il y a des élémentsmajeurs dans
la loi n° 51 qu'il va falloir revoir. Alors, qui vous a demandé de ne vous
pencher que sur la réglementation du prix?
M. Bernier
(Ivan) : La réglementation du prix unique du livre?
Mme Ménard :
Oui.
M. Bernier (Ivan) : On ne m'a pas... Je pense... C'est peut-être moi qui ai conclu à ça,
dans le contexte actuel, que c'était ce qui était principalement en
cause. Mais... Non, peut-être que j'ai fait erreur, que...
Mme Ménard :
Ça a piqué ma curiosité.
M. Bernier (Ivan) : Non. Honnêtement, je vais vous dire, il n'y a pas personne qui m'a dit
que c'était là-dessus que ça devait porter.
Mme Ménard :
...penchiez seulement là-dessus.
M. Bernier
(Ivan) : J'avais probablement le sentiment que le grand débat portait essentiellement
sur ça.
Mme
Ménard : O.K.
Parfait. Oui. Vous avez raison aussi, là, c'est là-dessus. Mais vous avez
piqué vraiment ma curiosité en mentionnant ceci. Alors,
parfait. Merci, M. Bernier.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci
beaucoup, M. Bernier. J'invite maintenant
les représentants d'Illustration Québec à prendre place.
Et nous allons
suspendre nos travaux quelques instants.
(Suspension de la séance à
10 h 12)
(Reprise à 10 h 13)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Donc, nous reprenons nos travaux et nous recevons
les gensd'Illustration Québec.
Mme Roy, M. Trost, bienvenue à l'Assemblée
nationale. Vous allez disposer d'un
temps maximalde 10 minutes pour
faire votre exposé. Par la suite suivra un échange avec les parlementaires. Donc, vous avez la parole.
Illustration Québec
Mme Roy (Sonia) : Mesdames et messieurs, Mme la
Présidente, M. le ministre, chers députés, bonjour et merci de l'invitation à cette commission.
Nous sommes très heureux d'y prendre part et de partager notre point de vue.
Mon nom est
Sonia Roy. Je suis illustratrice et artiste professionnelle, reconnue au
sens de la loi par mes deux associations, soit Illustration Québec et le
Regroupement des artistes en arts visuels. Je fais principalement de l'illustration éditoriale
pour les magazines et les journaux. Et je suis ici en tant que présidente du conseil d'administration d'Illustration Québec
et je suis accompagnée de Nicolas Trost, directeur général.
Illustration Québec
est un organisme sans but lucratif, créé il y a 30 ans et ayant pour mission de
regrouper et soutenir, promouvoir et de
diffuser l'illustration. Elle est la plus importante association canadienne d'illustrateurs, avecprès de 300 membres. Elle existe grâce au soutien
financier des humains et de ses membres. Elle ne bénéficie d'aucune aide
financière au fonctionnement.
L'association contribue à la culture québécoise et s'implique auprès des artistes. Depuis 30 ans,
IQ milite pour l'amélioration des pratiques et des conditions économiques des illustrateurs. Plus largement,
nous aidons et appuyons les créateurs dans le développement de leur carrière.
À
l'autre extrémité, au début de la
chaîne se trouvent les créateurs du livre, tels que les illustrateurs et les
auteurs.Les conditions de travail de
ces derniers sont relativement similaires en ce qui a trait aux contrats qu'ils
signent ainsi qu'àleur rémunération.
Nous constatons d'ailleurs que de plus en plus d'illustrateurs prennent la
plume pour écrire des livres, devenant
ainsi des auteurs jeunesse. À l'autre extrémité de la chaîne, il y a le
lecteur, qui s'approvisionne aux points de vente.
L'industrie du livre constitue le plus gros marché culturel, avec
1 200 emplois, et génère plus de 800 millions dedollars
annuellement. Le rôle de chacun des employés dans ce secteur est essentiel.
Sans les créateurs, il n'y aurait pas delivres, et, sans librairies, il n'y aurait pas de ventes. Tout
changement économique, juridique, social ou commercial qui modifie les
activités d'un de ces maillons de la chaîne entraîne automatiquement des
répercussions sur les autres.
Depuis
20 ans, le nombre de livres publiés au Québec a augmenté, mais la rémunération
des illustrateurs à, quant àelle,
stagné, voire même diminué. Les données recueillies auprès des illustrateurs au
cours des dernières années démontrentclairement
que les spécialistes de l'illustration jeunesse tendent à s'appauvrir. À la
suite d'un sondage mené auprès des illustrateurs en 2013, il est apparu
que seulement le tiers des illustrateurs travaillent à temps plein, alors qu'ils
étaient près d'un sur deux en 2007. La
profession d'illustrateur est dominée par des travailleurs à temps partiel. En
comparant lesdonnées avec celles d'il
y a cinq ans, nous constatons que la réalité économique des illustrateurs est
précaire. En effet, seulement
33 % d'eux vivent de leur art. Selon ce même sondage, huit illustrateurs
sur 10 obtiennent principalement leurscontrats
au Québec. Près d'un mandat sur deux provient du livre jeunesse. La condition
des illustrateurs est difficile, lemarché
principal est le Québec, et le secteur d'activité dominant est l'album
jeunesse. Si nous souhaitons que l'illustration continue d'exister au
Québec, il est donc primordial d'aider les illustrateurs et le livre parce que
les illustrateurs sont directement dépendants du marché du livre au Québec.
Leurs
revenus sont directement liés au prix de vente du livre, et les illustrateurs
perçoivent des avances sur lesredevances
calculées sur le prix du livre. Depuis 10 ans, nous constatons une diminution
importante de l'avance octroyée par les éditeurs aux créateurs, alors même
que le nombre de parutions est en constante progression. Les illustrateurs perçoivent entre 1 000 $ et
2 500 $ pour deux à trois mois de travail en général. De nouvelles
clauses ont fait apparition dans les contrats des illustrateurs,
accentuant davantage la pression exercée sur eux.
Dans
certains cas, l'avance n'est pas versée à l'illustrateur, elle n'est versée que
60 à 90 jours après la remise des finaux. Pour faire une image claire, l'illustrateur
n'est pas rémunéré pendant quatre à sept mois. Pire encore, certains illustrateurs ne perçoivent aucun à-valoir,
repoussant leur premier paiement à un an, voire même deux ans après avoir
effectué le travail. À notre connaissance,
peu de gens accepteraient de telles conditions de travail. Est-ce qu'un dentiste,
un mécanicien, un plombier, une avocate, une
coiffeuse accepteraient d'être payés un an après avoir donné un service?
Nous ne croyons pas.
Je
tiens aussi à préciser à la commission ainsi qu'à la population que les
illustrateurs ne vivent pas de subventions. Contrairement à la croyance
populaire, nous vivons de nos commandes, lorsqu'elles sont suffisantes, bien
entendu.
À
long terme, cette situation entraînera sans doute une diminution de la qualité
des œuvres reproduites, en obligeantplusieurs
artistes à se réorienter vers d'autres marchés pour vivre de leur travail, ce
qui n'est pas toujours évident pour un illustrateur jeunesse au style
marqué.
À
Illustration Québec, nous croyons que les avantages qui découleront du prix
unique du livre permettront auxlecteurs
de choisir entre plusieurs points de vente tout en profitant d'une grande
diversité littéraire. Il serait triste que lespetits Québécois n'aient accès qu'à des livres américains ou européens
en grandes surfaces. Sans le réseau normalisé et rentable des librairies
agréées, le lecteur québécois verrait son accès à la culture francophone
restreint.
Il
est également important de considérer qu'une diminution du nombre de librairies
locales apporterait probablementune
diminution du nombre de livres québécois publié. Les publications à petit
tirage ne trouveraient aucun réseau physiquesusceptible de les distribuer. Cette décroissance entraînerait un
affaiblissement de la littérature québécoise sur la scène canadienne
ainsi que des pertes d'emplois dans le secteur du livre. Si les librairies
locales venaient à disparaître, la chaîne du
livre au grand complet en souffrirait, du créateur au lecteur. Les grands
magasins à rayons, ainsi que les sites Webtransactionnels, ne se soucient pas de l'accès aux livres dans les
petits marchés, ni de la diversité des titres. Leur missiond'entreprise n'est pas la même que celle des
librairies. Les lecteurs québécois ne peuvent y trouver la richesse littéraire
qu'offre une librairie locale puisqu'il n'est pas assujetti à la loi
n° 51.
• (10 h 20) •
Nous
sommes en accord avec les sept grandes associations professionnelles du livre,
qui proposent de réglementerle prix
de vente du livre pour une durée de neuf mois. Au-delà de cette période, des
rabais additionnels pourraient augmenterla durée de vie du livre sur
les rayons en lui offrant l'accès à un autre réseau de distribution et à une
clientèle différente. Comme les sept
grandes associations professionnelles du livre, Illustration Québec considère
qu'un rabais maximal de10 % pourrait être accordé pour les neuf mois
suivant la parution originale d'un livre. Nous estimons que tous les acteurs de
la chaîne du livre doivent opérer dans les mêmes conditions.
L'émergence
de l'édition numérique a un impact direct sur la chaîne du livre. Les éditeurs
de livres électroniquesoffrent des
livres directement sur leur site Internet ou par l'entremise de librairies
virtuelles. Afin de protéger les créateurs, nous
recommandons qu'un prix plancher soit fixé pour les neuf mois suivant la
parution d'un livre numérique. Nous préconisons
donc qu'un prix de vente du livre numérique représente au moins 65 % du
prix de vente de sa version papier, dans la mesure où elle existe.
Nous
ne faisons pas de distinction entre le livre numérique ou le livre physique. C'est
le contenu qui importe, pas le contenant. Le livre numérique doit être
réglementé, tout comme le livre papier, afin de préserver les droits d'auteur.
Toutefois, nous ne croyons pas que la culture numérique est la seule voie à
prendre.
Les
rapports humains liés au livre physique ne sont pas à négliger. Pouvoir
toucher, manipuler, transporter et mêmeprêter un livre est une partie importante de l'apprentissage de l'amour
de la lecture, selon nous. Nous voulons protégerle livre papier, car il représente encore 95 % du marché québécois,
ne l'oublions pas. Nous ne voulons pas occulter leslivres numériques. Ils ont leur place et
desservent un réel marché qui tend à s'accroître. Mais notre public cible, c'est
lesenfants. Les livres papier sont
des objets concrets auxquels il est plus facile d'accorder de la valeur et de
susciter de l'intérêt.Je ne sais pas
si vos enfants sont comme les miens, mais ce qui est tangible est toujours plus
concret et évocateur poureux. Ça a
plus de signification. Par exemple, essayez d'expliquer le système monétaire à
un enfant avec une carte de crédit.Ils
ne comprendront probablement rien, mais sortez plutôt de la monnaie et des
billets, vous aurez assurément plus de succès.
Le
marché du livre est un secteur culturel important au Québec. Les livres ont un
impact notoire sur la culture, l'éducation
et doivent être traités comme des objets à part. Les magasins à grande surface
considèrent le livre comme unproduit
quelconque, sans égard à sa valeur spéciale, au contraire du libraire. Par
ailleurs, il est primordial de soutenir le réseau de distribution et
diversifier afin de protéger la richesse culturelle du Québec.
Bien qu'un règlement sur le prix
unique du livre aura surtout un impact direct sur les points de vente, les répercussions qui en découleront ne peuvent qu'être
bénéfiques pour tous les membres de la chaîne du livre, des créateursaux lecteurs. Il n'est pas rare que les
illustrateurs québécois ressortent du lot sur la scène internationale et
canadienne etfaisant rayonner ainsi
la société québécoise partout dans le monde. En soutenant les créateurs, c'est
toute l'image d'unenation que nous
rehaussons. Illstration Québec affirme qu'un règlement sur le prix du livre ainsi
qu'une série de mesuresvisant à
soutenir les créateurs québécois permettraient de protéger et de valoriser le
métier d'illustrateur, en plus d'être positifs pour l'ensemble du marché
du livre dans la province. Merci.
La Présidente (Mme Vien) :
Merci beaucoup, Mme Roy. Nous allons débuter les échanges. Nous commençons
avec le côté du gouvernement. M. le député de Bonaventure.
M. Roy :
Je vais plonger le premier. Merci, Mme la Présidente. Bonjour. Bienvenue à l'Assemblée
nationale,votre Assemblée, en
passant. Pourquoi une diminution des avances? Vous avez souligné que, bon, vos
avances diminuaient d'une manière continue. Quel est l'argumentaire, je
dirais, monétaire en arrière de ça?
Mme Roy (Sonia) : Je pourrais
laisser Nicolas répondre.
M. Trost
(Nicolas) : Bien, c'est plus
au niveau de la rentabilité des éditeurs aussi. Ils font face à de plus en plusde concurrence. L'importation est très
importante, aussi, de livres européens. Leurs coûts de production ont augmenté,que ce soit le papier, l'impression.
Malheureusement, le prix du livre, lui, n'a pas forcément suivi non plus cette
courbe-làen augmentant parce qu'il y
a une limite aussi à augmenter le prix du livre. Ça fait qu'à un moment donné
les éditeurs,pour être rentables,
sont obligés de jouer sur certaines variables. Malheureusement, c'est les
créateurs qui en paient le prix à ce niveau-là.
M. Roy :
O.K. Par rapport à… Bon, on a eu certains groupes qui sont venus nous exposer
certaines problématiques,et on a
souvent dit que… bon, on a entendu des gens dénoncer un peu le… certaines
actions des distributeurs versus, bon, les éditeurs et les libraires.
Est-ce que vous avez une position là-dessus?
M. Trost
(Nicolas) : Par rapport à
ça, non, parce qu'on n'est pas forcément familiers par rapport à cette
chaîne-là,en fait, parce que c'est
vraiment plus l'éditeur qui a ces interactions, en fait. Nous, on est… l'interaction
qu'on a en tant qu'illustrateurs, c'est vraiment directement avec l'éditeur
et, après, avec le lecteur.
M. Roy : O.K. Donc, vous n'avez
pas à vous positionner sur cette dynamique-là?
M. Trost (Nicolas) : Non, non.
M. Roy : Et vous… Bon. Il
semble y avoir un consensus sur le neuf mois, 10 %. Est-ce que c'est un
effet de contamination ou tout le monde arrive à ce constat-là? On dirait que c'est
l'effet de la grossesse, ou je ne sais pas, là. J'essaie de faire des blagues, des fois, ça ne pogne pas, là, mais... Le
neuf mois, pourquoi tout le monde arrive avec le neuf mois et le
10 %? Avez-vous un argumentaire théorique là-dessus?
M. Trost (Nicolas) : Oui. C'est sûr
que nous, on n'a pas fait partie des discussions à ce niveau-là. Mais, d'un
autre point de vue, c'est tout à fait légitime, parce que la durée de vie d'un
livre, d'une nouveauté sur les tablettes se situe
entre trois et six mois. Après ce délai-là, le livre disparaît et est remplacé
par d'autres livres. Donc, c'est sûr que le neuf mois se trouve tout à
fait logiquement. Puis ça permet également de donner une seconde vie. Puis, si
on fait des parallèles par rapport à d'autres
industries, dans le domaine cinématographique, c'est des données qui sont
similaires, que
ce soit... Le film sort en salle, il est en DVD, bien on parle de six à
12 mois à peu près, donc... de neuf à 12 mois en fait, le
délai; après, à la télé. Donc, c'est des données qui existent dans d'autres
secteurs.
Concernant
le 10 %, comme d'autres collègues l'ont souligné, bien ça correspond aussi
aux cartes de réduction,de fidélité
qu'offrent certaines libraires, aux rabais également que les coopératives
offrent, donc c'est légitime aussi, puisje pense que c'est par rapport aussi à la rentabilité des libraires. Ils
ont fait leurs calculs, j'imagine, pour vraiment validerque, pour être rentable, un rabais maximum serait
de 10 %. Je pense que c'est les experts à ce niveau-là, ça fait qu'on se
range par rapport à leur avis.
M. Roy :
O.K. Donc, ce sont des réalités sectorielles d'espérance de vie de produits et
de marges. O.K.
Vous
avez souligné le fait que, bon, on a une dématérialisation du livre et son
informatisation, etc. Quelle placevous
pouvez prendre là-dedans? Parce que c'est un phénomène qui ne va pas en s'amoindrissant,
c'est quelque chose qui va prendre de l'ampleur, théoriquement. Les illustrateurs
dans...
Mme Roy (Sonia) : Le livre numérique, il a une place, c'est sûr. Puis on ne peut pas dire
que ça n'existe pas. Çaexiste, c'est
là pour un certain marché. Mais, par exemple, pour des enfants, tu sais, je
pense que l'apprentissage de lalecture — puis je pense que mon opinion est partagée
par Nicolas — doit
passer par du papier. Dans une liseuse, on nepeut pas encercler, on ne peut pas souligner, on ne peut pas... Tu sais,
il y a une manipulation qu'on fait d'un livre papierdans l'apprentissage de la lecture, puis nous, on
est là, on est au tout début, là. Souvent, les enfants vont accrocher dansun livre par l'image. Ils vont trouver ça
intéressant, ils vont dire : Wow! C'est beau, ça m'intéresse, je suis
intéressé à le lire. C'est ça, le premier contact. Donc, pour nous, le
livre papier, c'est superimportant.
M. Trost (Nicolas) : Puis, au-delà de ça, il y a une réalité aussi économique. Si tous les
livres jeunesse se retrouvaient
uniquement sur les tablettes, bien, il y a beaucoup de familles qui n'auraient
pas accès à ça non plus. Puis,au-delà
de ça aussi, les médecins vont le dire, des enfants, regarder la télé,
regarder... jouer à l'ordinateur, il y a une limitede temps aussi. Un livre, il n'y a pas de limite.
Je veux dire, on peut aller... Les parents vont aller lire des histoires dans
lelit des enfants avec une liseuse.
Si vous faites ça, bien, l'enfant ne dormira pas... il va mettre beaucoup plus
de temps à dormir.
M.
Roy : O.K. Dernière question. Vous avez souligné tout à l'heure
que certains illustrateurs se sont démarquésdans le monde. Et les Québécois sont perçus comment au niveau mondial
par rapport à leur créativité? C'est les meilleurs?
Mme Roy
(Sonia) : On est très bons.
M. Trost (Nicolas) : On ne dira pas forcément qu'on est les meilleurs,
mais on a une touche différente, et puis ça, on le voit très bien. Au
niveau de la situation... On a fait de la promotion en dehors de la province en
faisant des démarches en Ontario et ailleurs
dans le monde. Et on s'aperçoit vraiment que le style québécois est comme le
mélangeentre l'Europe et l'Amérique.
Et, même si on s'en va juste à Toronto, ils apprécient ce style vraiment varié,
riche. Puis c'estvraiment ça, c'est
vraiment la richesse par rapport à... On n'a pas forcément de données, mais, si
on regarde par rapport àce qui se
passe dans le reste du Canada, bien, c'est au Québec qu'on a le plus d'illustrateurs.
La production est très abondante, il y a beaucoup de styles. Donc, c'est
vraiment... On sort à ce niveau-là, en fait.
Mme Roy
(Sonia) : Les livres sont souvent primés, aussi.
M. Roy :
Merci beaucoup. C'était très intéressant.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente.
Bonjour, madame monsieur. Ma question, ça va être :Au niveau de la réglementation, si on réglemente
le livre, quel sera l'impact sur votre pratique à vous, les illustrateurs?Qu'est-ce qui fait en sorte que ça pourrait
améliorer vos conditions ou quelque chose du genre? Parce qu'actuellement
il semble quand même que vous avez de la difficulté, ça baisse, vous semblez
stagner, comme on dit, au niveau de la progression.
• (10 h 30) •
Mme Roy (Sonia) : En fait, si le prix du livre est plus élevé, bien, pour nous, ça
donne... on a plus de redevances.
C'est comme ça. Donc, si le prix du livre est réglementé, bien, ça nous assure
un certain revenu de base.
M. Trost
(Nicolas) : Puis il faut savoir aussi que, dans les grandes surfaces — on
parle des Costco, Target, Wal-Mart — pour
ce type de magasin, il y a des clauses spécifiques qui s'appellent les
clauses clubs, qui sont intégréesdans
les contrats des illustrateurs. Et ces clauses-là ont vraiment
un impact négatif sur les revenus. Elles font descendrele pourcentage de redevances et descendre le prix,
donc, doublement, l'illustrateur est pénalisé. C'est qu'en ayant un prix
unique sur toutes les plateformes, bien, on espère que ces clauses-là vont
tendre à disparaître aussi.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : C'est des clauses qui existent actuellement au
niveau de la SODEC, au niveau des ententes que vous pouvez
avoir avec les éditeurs, les…
Mme Roy (Sonia) : C'est avec les éditeurs. Par exemple, une redevance normale pourrait être de 5 % bien, dansles clauses
club, ça peut être 3 %. Mais le livre, au lieu d'être vendu 15 $, il
est vendu, je ne sais pas, moi, 10 $, 7 $. Donc, c'est
3 % de 7 $ : c'est une différence énorme, là, pour nous.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : O.K. Vous parliez tantôt… J'ai vu
au début que vous vous spécialisez surtoutdans le livre jeunesse. Je suis intrigué un petit peu. Pourquoi?
Pourquoi que c'est juste le livre jeunesse que les illustrateurssont plus demandés? Pourquoi pas dans les livres
pour l'histoire, les livres pour l'éducation, livres scolaires ou les livres
même au niveau des romans ou des niveaux… Comment on peut expliquer cette
tendance-là?
M. Trost (Nicolas) : Bien, c'est sûr que, pour les romans, bien, l'illustration
va se trouver uniquement en couverture.Là, elle est directement en compétition avec la photographie et les
banques d'images. Les banques d'images vont offrirdes images à meilleur prix qu'une image commandée
sur commande, qui va correspondre au contenu. Concernant leslivres scolaires, oui, il y a de la commande qui
est faite, mais, encore là, il n'y a aucune redevance, c'est à forfait. L'illustrateur
est payé tant pour tant d'images, peu importe le nombre de copies produites.
Et, par rapport à ça, bien, c'est sûr que le
marché est beaucoup plus restreint parce que les maisons d'édition qui sont
spécialisées en scolaire vontsouvent
faire ce qu'on appelle du repiquage. Donc, je vais créer une image. Si elle
fonctionne pour le livre de premièreannée
de français, bien, peut-être que cette image-là je vais pouvoir la réutiliser
en tant qu'éditeur pour un autre livre. Donc, l'illustrateur, bien, il
ne sera pas rémunéré pour cette double utilisation.
Donc,
oui, c'est un marché, mais ce n'est pas forcément le marché le plus payant non
plus et le plus intéressant.Dans le
livre scolaire, il y a beaucoup de contraintes. Il faut respecter… Le ministère
fournit certaines grilles à respecter. Il y a tant de garçons, tant de filles, tant de… Il y a plusieurs choses à
respecter, il y a moins de créativité pour l'illustrateur, donc moins
intéressant aussi.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : O.K. Il me reste du temps, Mme la
Présidente?
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Oui, il vous reste encore du temps.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : O.K.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Environ sept minutes.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Vous mentionnez dans votre mémoire que vous déposez ce matin… vous ditesqu'il y a
10 % des libraires qui ont
disparu au Québec ces dernières années. Avez-vous analysé les causes? Pourquoi
ceslibrairies-là sont disparues?
Selon vous, c'est quoi, la cause principale puis les causes secondaires, s'il y
en a? J'aimerais ça vous entendre là-dessus.
M. Trost (Nicolas) : On n'a pas forcément analysé ces données-là parce que ce n'est pas
notre champ d'expertise. Par rapport à la vision qu'on a de l'extérieur,
c'est sûr qu'on pense principalement que c'est une raison de rentabilité parce
que, justement, ils ne sont pas capables d'offrir des livres à meilleur marché.
Ils sont pris avec des contraintes financières,
des employés à payer. Ils n'ont pas forcément… Leur marché, c'est la vente de
livres. Ils vendent uniquementdes
livres, ils ne vendent pas d'autres produits qui vont générer des marges de
profit beaucoup plus importantes. Donc, c'est sûr qu'en étant spécialisé
dans un créneau c'est peut-être plus difficile aussi à ce niveau-là.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : O.K. Merci.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : M. le ministre.
M.
Kotto : Merci, Mme la Présidente. Madame monsieur, soyez les
bienvenus. Et merci pour votre contribution.Vous parliez des clauses clubs. Est-ce que vous pouvez nous dire, dans
la mesure où — hypothèse
d'école — vous
mettezentre les mains d'un éditeur
un projet de votre cru, une fois sur le marché, ça prend combien de temps pour,
disons, êtrerévélé au grand public?
Et ça prend… C'est un produit qui prend combien de temps pour vous rapporter
quelque chose?
M. Trost (Nicolas) : Bien, pour répondre à ça, tout dépendant le mode de financement, le
mode de paiement, enfait, de l'illustrateur... Dans une version standard, en
fait, l'illustrateur, admettons, va commencer son travail en janvier. Il
va remettre des esquisses, donc un travail préliminaire au mois de février. Il
va avoir des discussions avec l'éditeur pour faire des corrections. Tout
dépendant le nombre de corrections, il va y avoir un certain délai. L'illustrateur
va, admettons, remettre ses finaux au mois d'avril.
Le livre va sortir au… pour l'automne, donc souvent avant le Salon dulivre de Montréal, donc, probablement au mois d'octobre, novembre. Dans une optique normale, l'illustrateur
va recevoirun paiement à la remise
de ses finaux, donc au mois d'avril. Donc, il va avoir travaillé quatre mois,
puis après, il va avoirson paiement
s'il a une avance. Par la suite, si le livre se vend bien, donc si la maison d'édition
est capable de se rembourserl'avance
qu'elle a octroyée à l'illustrateur, à
ce moment-là, l'illustrateur peut
espérer obtenir des redevances, mais, encore là, ça peut aller jusqu'à
une année plus tard.
M. Kotto : Donc, on est à,
disons, 14 mois, si on considère les quatre premiers mois. Considérant que la proposition
sur la table est à l'effet d'appliquer une réglementation sur neuf mois, est-ce qu'une fois dépassés cesneuf mois, il y a, dans l'hypothèse
où il y aurait augmentation évidemment, risque à retomber dans la pratique des
prix que, là, vous mentionnez dans le mémoire?
Mme Roy (Sonia) : Certainement. C'est possible. On ne peut pas... Si le marché l'autorise,
si la loi l'autorise, peut-être.
M. Kotto :
Mais est-ce que...
Mme Roy (Sonia) : Mais le livre aura eu quand même une durée de vie où il aurait pu faire
des ventes, générer des profits.
M.
Kotto : Est-ce que vous avez une idée de la projection des
profits potentiels? Toujours dans l'hypothèse où onest dans l'application du prix plancher, est-ce
que vous avez une idée projetée de ce que ça ferait comme différence entre
ce qui se passe actuellement avec votre sphère d'activité et le marché?
M. Trost (Nicolas) : À ce niveau-là, on n'a pas forcément de données parce que chaque livre
est vraiment unique,donc c'est
vraiment difficile. Puis je pense qu'il y a plusieurs intervenants qui l'ont
dit, que c'était difficile d'évaluer les best-sellers. On n'en a pas,
mais c'est sûr qu'on sait que, dans le pire des cas, c'est sûr que ça a un
effet nul; dans le meilleur des cas, ça va améliorer, mais il n'y aura pas
de... ça ne va pas descendre en...
Mme Roy
(Sonia) : Ça ne va pas nuire.
M. Trost
(Nicolas) : Nuire, c'est ça.
M.
Kotto : Dans votre mémoire — c'est le troisième paragraphe avant la fin,
la dernière ligne — vous
dites que «rien n'encadre actuellement l'utilisation de cette subvention
pour les éditeurs. Il serait intéressant de garantir aux créateurs leur juste part de la subvention
accordée aux maisons d'édition», en parlant du soutien de la SODEC. Est-ce
que vous pouvez élaborer?
M. Trost (Nicolas) : En fait, la SODEC donne des subventions aux maisons d'édition qui
produisent des livresavec des
auteurs ou des illustrateurs québécois, qui sont imprimés au Québec. Ils
donnent un certain montant, mais, de cemontant-là qui est perçu par la maison d'édition, la maison d'édition
fait ce qu'elle veut avec. Il n'y a aucun parti, il n'y apersonne qui dit que, si vous recevez 10 000 $,
10 % devrait être octroyé directement à des illustrateurs. Nous, c'est ce qu'on dit. On se pose cette question-là, on se
demande : S'il y avait cette contrainte-là, premièrement, on va favoriser
encore plus l'utilisation des créateurs et on va aussi améliorer,
quelque part, leur sort en termes de revenus.
M.
Kotto : O.K. Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons
maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de
Laporte, vous avez la parole.
Mme Ménard :
Merci beaucoup. Alors, bonjour, Mme Roy et M. Trost, c'est ça? Alors,
bienvenue.
Je
suis surprise de la réponse que vous venez de faire concernant l'analyse que
vous auriez pu faire. Advenant que la réglementation du prix passe, quel serait
l'impact monétaire pour vous? Vous êtes en faveur, mais quelle analyse
avez-vous faite pour dire… pour être catégorique que vous êtes en faveur?
Mme Roy (Sonia) : Bien, notre convocation ici est arrivée très tard. On n'a pas beaucoup
de budget, puisqu'onest une
association qui fonctionne sur le budget de... c'est les membres qui payons le
fonctionnement. On a un seul employé.Ça
fait que, pour nous, produire ça, ça a été vraiment difficile. On n'a peut-être
pas fait… couvert tous les aspects, mais, globalement, on pense que ça
peut nous aider.
Mme
Ménard : J'imagine que vous allez vous y mettre, vous allez
faire l'analyse monétaire, là, de l'impact que ça pourrait avoir chez...
• (10 h 40) •
Mme Roy (Sonia) : Oui. Bien, comme Nicolas
disait, c'est difficile de le faire parce
qu'on est une associationpuis il y a
beaucoup de… les contrats, c'est confidentiel. Ça fait qu'il y a plein d'affaires
qu'on ne sait pas exactementde
chacun des illustrateurs. Nous, on représente 300 illustrateurs, mais il y
en a d'autres au Québec, ça fait qu'on vientparler au nom de la masse, mais il y a des données qu'on ne possède pas
nécessairement puis, au ministère, c'est que lesstatistiques des illustrateurs, c'est groupé avec designers graphiques,
ça fait que ce n'est pas toujours juste. C'est difficile de départager
qu'est-ce qui est quoi.
Mme
Ménard : D'accord. Je comprends. Vous venez de répondre aussi à
une question que j'avais : Les 300 membres que vous avez, ce
sont tous des illustrateurs?
Mme Roy (Sonia) : Oui.
Mme Ménard :
O.K. Alors, quelle est la part du livre jeunesse dans le marché du livre et
dans toutes les productions, là?
M. Trost (Nicolas) : Dans le marché
du livre, c'est… si on regarde, au niveau de l'institut de la statistique, là encore, le livre jeunesse est mélangé avec le
livre de littérature générale. Il faudrait voir plus au niveau de… l'ANELa probablement ces chiffres-là au niveau de
la production exacte des livres jeunesse. C'est sûr que, pour nos membresen tant que tels, ça représente 50 % de
leurs contrats. Leur marché cible, c'est le livre jeunesse, c'est vraiment là
qu'ils travaillent, en fait. D'où l'importance, pour nous, de vraiment… d'améliorer
leurs conditions de travail puis de faire ensorte que ce marché-là se porte bien. Si les différents acteurs se
portent bien, que ce soit par une réglementation, une… une loi, bien,
dans ce cas-là, c'est sûr que ça va avoir des répercussions pour les
illustrateurs.
Puis, par
rapport à votre question précédente, les illustrateurs, leur revenu est
directement lié au prix. Donc, pournous,
le prix est important parce que le pourcentage qui est remis aux illustrateurs
est basé sur ce prix-là. Si le prix est le plus bas possible, c'est sûr
que le revenu va être plus bas aussi.
Mme Ménard :
O.K. Et, parlant de prix, dans votre mémoire, vous donnez… vous avez un tableau
qui démontrecombien vous recevez du
livre, là, 0,70 $, bon, et l'éditeur vous offre… en fait, offre une
avance, à l'illustrateur, de 1 500 $. Alors, au départ, c'est
ce que l'illustrateur va recevoir…
Mme Roy (Sonia) : C'est une moyenne.
Oui.
Mme Ménard :
C'est une moyenne, O.K., pour faire son travail et puis, là, il y a un nombre
de livres qui a été fixé.Donc, si
vous dépassez ce nombre de livres, vous allez être rémunérés par livre. Le
1 500 $, si vous vendez moins de livres, le 1 500 $,
est-ce qu'ils vous le déduisent la prochaine fois que vous allez…
M. Trost (Nicolas) : Non, c'est…
Mme Ménard :
Ah, non. O.K. Donc, c'est… ils vous donnent, en moyenne, 1 500 $, et
peu importe le nombre de livres qui sortira, c'est ça? O.K. Merci.
Mme Roy (Sonia) : Si je peux me
permettre…
Mme Ménard : Oui? Ah oui,
oui, allez-y.
Mme Roy
(Sonia) : Le
1 500 $, si on produit un album de… il y a combien de pages,
dans un album classique?
M. Trost (Nicolas) : Bien, ça va
varier entre 30 et 40 pages…
Mme Roy
(Sonia) : Entre 30 et
40 pages. Pour un illustrateur, en moyenne, dépendamment des techniques,
çapeut prendre jusqu'à une journée,
faire une image. Ça fait qu'on s'entend que ce montant-là est vraiment très,
très peu pour le travail qu'il fait, puis ce n'est pas beaucoup reconnu.
Mme Ménard :
O.K. Mais alors ma question suivante, c'est : De quelle façon la
réglementation du prix va voustoucher,
parce que vous semblez… votre problème a plutôt, pour moi, là, l'air du
processus, de la façon qu'on va vousrémunérer,
une avance, bon… Est-ce que ce n'est pas là, pour vous, le problème, qu'il
faudrait revoir la façon de vous rémunérer?
Mme Roy
(Sonia) : Peut-être, mais,
dans le système actuel, ça reste des pourcentages, comme les auteurs, puis
les pourcentages, c'est le prix le plus élevé.
M. Trost
(Nicolas) : Mais c'est sûr
que, s'il y a une réglementation, qu'elle maintient des librairies, à long
terme,ça a une influence pour les
illustrateurs. Les livres vont être accessibles à plus de personnes, donc
potentiellement il y a plus de chances d'être vendus aussi. Donc, par
ricochet, bien, c'est sûr que ça a une incidence sur les illustrateurs.
Mme Ménard :
O.K. Donc, vous assumez qu'avec une réglementation du prix du livre les
personnes qui vontdans les grandes
chaînes, qui paient le livre meilleur marché, à rabais, vont toutes se diriger
vers les librairies dorénavant.
Mme Roy
(Sonia) : Pas nécessairement,
mais, s'il est le même prix partout, ils vont peut-être l'acheter pareil à
la grande surface au prix juste.
Mme Ménard : O.K.
M. Trost
(Nicolas) : Comme plusieurs
collègues en ont parlé précédemment, en France, ça a eu un impact où lesgrands magasins ont développé des centres
culturels, où ils ont développé une expertise à ce niveau-là. Donc, c'est quelquechose qui pourrait être fait par ces grandes surfaces là. Plutôt que de
dire : On enlève directement les livres, on n'offre plus ce service, ils pourraient profiter de cette
législation et vraiment développer un service. À ce niveau-là, bien, il n'y
aurait pas de déplacement de la clientèle.
Mme
Ménard : O.K. Une dernière question. D'ailleurs, je voudrais
reprendre celle du ministre… que je trouvequ'il a posé une excellente question parce que j'avais la même. Hein, M.
le ministre, vous avez vraiment visé… C'estconcernant… quand vous parlez des éditeurs, là, qui ont une subvention
et qui devraient être mieux encadrés. Vous voulez nous expliquer :
Actuellement, le processus, ça se passe comment, actuellement?
M. Trost
(Nicolas) : Le processus pour obtenir une subvention?
Mme
Ménard : …bien, en fait, l'éditeur qui reçoit une subvention,
vous dites qu'il faudrait mieux encadrer tout ça. Alors, expliquez-nous,
actuellement, comment ça se passe.
M. Trost (Nicolas) : Bien, c'est sûr que, premièrement, il faut faire une distinction :
il n'y a pas tous les éditeursqui
obtiennent des subventions. Il y a plusieurs types de subventions. Il y en a au
fédéral, il y en a au provincial également.Actuellement, c'est vraiment… L'éditeur va recevoir des subventions en
fonction de plusieurs critères. La production…travailler avec des auteurs, des illustrateurs québécois, une impression
au Québec, et, par la suite, après, c'est… Il n'y apas tous les livres qui sont produits qui rentrent
dans la demande de subvention. Il faut respecter certains critères, mais,une fois qu'ils reçoivent l'argent, à ma
connaissance, il n'y a pas de règle sur l'utilisation de cet argent-là. Il est
là poursoutenir la création, mais,
au-delà de là, à savoir est-ce que cet argent-là va payer l'imprimeur, les
salaires des employés…
Mme Roy
(Sonia) : C'est à la discrétion de l'éditeur d'utiliser les sommes.
Mme Ménard :
Alors, quand vous dites : «il faudrait mieux les encadrer», qu'est-ce que
vous suggérez que l'on fasse?
M. Trost (Nicolas) : À notre connaissance, nous, ce qu'on souhaiterait vraiment, c'est qu'on
reconnaisse aussile travail des
créateurs en tant que tel et qu'une part de cette subvention-là leur soit
dédiée directement parce que, comme Mme… Desrosiers, c'est ça?
Mme Roy
(Sonia) : Oui.
M. Trost (Nicolas) : …Desrosiers le soulignait, les créateurs, que ce soient les auteurs,
les illustrateurs ont très rarement accès à des bourses ou des
subventions, que ce soit de la part du CALQ ou d'autres institutions.
Mme Ménard :
O.K. Donc, vous voudriez être subventionnés aussi.
Mme Roy
(Sonia) : Bien, ce serait une façon indirecte d'être subventionnés en
disant : Ce budget-là, dans la subvention, est alloué directement au
créateur.
Mme Ménard :
O.K., parfait.
Mme Roy
(Sonia) : Pour nous offrir un revenu décent.
Mme Ménard :
Alors, merci à vous deux.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : M. le député de Jacques-Cartier.
M.
Kelley : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup pour votre
présentation aujourd'hui, Mme Roy, M. Trost. Sur la page 10 de votre mémoire, vous avez parlé de comment fixer le
prix pour les livres numériques. Est-ce que c'estquelque chose que vous pensez que nous devrons
réglementer aussi pour avoir… Vous avez évoqué le chiffre de 75 %,ou 65 %. Est-ce que nous devrons mettre ça
aussi dans une réglementation? Parce qu'une façon de rendre la vie un petitpeu plus intéressante pour les
illustrateurs, c'est de vendre plus de livres. Si on peut augmenter nos
volumes, il y aura plusd'argent à
partager avec nos artistes et nos écrivains, alors… le livre numérique, quand
même, représente un potentield'aller
chercher des nouveaux marchés et peut-être, on espère, vendre encore plus de
livres parce qu'un des objectifs de la commission, c'est de favoriser la
promotion de la lecture.
Alors,
comment est-ce que vous avez arrivé au 65 % ou 75 %? Et c'est quoi,
la considération pour le consommateuret
rendre le livre numérique au meilleur prix possible pour potentiellement
chercher les nouveaux lecteurs dans notre société?
M. Trost (Nicolas) : Bien, c'est sûr que le 75 %, c'est ce qui se passe actuellement, à
peu près. C'est une moyennenon
établie, mais c'est des pratiques qui se passent au niveau des éditeurs, qui n'est
pas… Il n'y a pas de réglementation par rapport à ça, chaque éditeur décide
de son prix. C'est sûr que nous, on souhaite avoir un plancher pour plusieurs
raisons,bien, par rapport au revenu
des illustrateurs avant tout, mais, au-delà de ça aussi, c'est par rapport à la
valeur du produit.Si le livre
numérique est vendu à 2 $ et la version papier à 15 $, c'est quoi, le
message, aussi, qu'on envoie au consommateur? On lui envoie un message
qu'il est en train de se faire avoir.
Il y a des coûts économiques, aussi,
de produire des livres numériques, que ce soit l'entreposage... M. Foulon l'asouligné, créer un livre numérique, il faut
refaire le travail. On ne peut pas prendre la version papier puis la
transformeren numérique. Il y a des
adaptations à faire aussi, donc il y a une réalité économique par rapport à ça,
donc, des contraintes qui font que le prix, au-delà d'un certain
pourcentage, on ne pourra pas aller plus bas.
Puis
on ne veut pas non plus, aussi, que certains éditeurs — ça pourrait être un risque — contournent la loi endisant : Bien, je vais vendre mon livre à
10 $. Je vais baser mon plan d'affaires sur la vente de livres papier et,
en contrepartie, je vais offrir la version électronique moins chère.
• (10 h 50) •
M. Kelley :
Mais comment, peut-être… Ma question, c'est : Comment établir le coût
réel? Parce que, je comprends, ce n'est pas
gratuit, il y a des coûts : il faut rembourser l'écrivain, il faut
rembourser vos membres, il y a toutesles
choses, il faut formater ça comme il faut pour le mettre en vente en format
numérique, et tout le reste. Mais est-ce quele 65 % ou le 75 %, c'est tout à fait arbitraire ou est-ce qu'il
y a un certain lien entre ces chiffres et les coûts réels pour fournir
un livre numérique sur un marché?
M. Trost (Nicolas) : Il y a quand même des liens, c'est sûr qu'on n'a pas fait l'analyse
approfondie, mais il y aeffectivement
des… On pourrait faire une analyse beaucoup plus approfondie en s'assoyant avec
des maisons d'éditionpuis les
distributeurs d'entrepôts numériques. Il y a des coûts qui sont similaires à la
version papier, que ce soit... l'entrepôtnumérique qui va distribuer le livre prend un certain pourcentage, la
maison d'édition également. Il y a des… Les frais de production peuvent
être moindres aussi, mais il y a une certaine limite aussi. Actuellement, on n'a
pas fait…
Mme Roy (Sonia) : Pour nous, le travail reste le même. Que ce soit numérique ou que ce
soit une version papier, ça reste la même chose.
M.
Kelley : Non, non. Et, tout le long, une de mes préoccupations
est de s'assurer que les artistes sont bien protégés,parce qu'on avait quelqu'un, lundi, qui a parlé de
l'expérience dans l'industrie de la musique, qui n'était pas très bonnesouvent pour les musiciens parce qu'il y avait le
piratage des fichiers et les Napster et toutes les autres expériences dans
le passé. Alors, je pense, c'est très important.
Mais je vois un potentiel dans le livre numérique,
surtout avec les lecteurs plus jeunes dans notre société parce que moi, je vais toujours rester avec les livres
papier. Alors, moi, je vais acheter les livres papier pour mes petits-enfants, et tout le reste, mais je vois que ma
petite-fille de deux ans, quand même, manipule bien le iPad déjà, àdeux ans. Alors, j'imagine, elle va être capable de… Et, si c'est une occasion d'augmenter
les ventes des livres au Québec, je pense, c'est intéressant, mais il faut l'encadrer dans une manière de vous protéger,
vos membres, les écrivains aussi. Alors, ça, c'est une préoccupation.
Mais, au-delà de ça, je pense, c'est un moyen d'aller chercher les nouveaux
lecteurs de notre société, qui est un enjeu très important aussi.
Mme Roy
(Sonia) : Je suis d'accord avec vous, mais, au sujet de la comparaison
avec la musique, j'ai vu la présentation qu'a faite M. Déziel. On n'est pas…
Oui, il y a des choses qui sont comparables à nos deux secteurs, mais ce n'est pas la même réalité. C'est-à-dire
que, si, lui, il décide de distribuer gratuitement sa musique, mais il attiredes fans, les gens écoutent la musique, ça
fait connaître son groupe, mais, après ça, il va faire peut-être un an ou deux
despectacle avec ça, il tourne.
Donc, il y a une façon de rentabiliser quand même. Nous, on ne vit que de
droits d'auteur.Alors, si on donne
notre livre, ça revient à travailler bénévolement. Ça fait que, tu sais, des
fois, il faut faire attention dans les comparaisons.
Puis
je suis d'accord avec vous : le livre numérique, il faut s'en préoccuper,
ça existe, c'est là, puis un superbeaulivre
illustré sur iPad, ça peut être magnifique, là, tu sais, c'est… On ne dit pas
que ce n'est pas… qu'il ne faut pas le faire. Il faut le faire, sauf qu'il
y a quand même des coûts puis, pour nous, ça reste le même travail. Donc,
65 %, ça nous apparaissait un montant juste pour rémunérer les créateurs.
M.
Kelley : Non… Et le seul parallèle que je veux faire, c'est
juste… c'était un certain élément néfaste pour certainsmusiciens, et on veut éviter ça dans le monde
écrit. Alors, c'est le seul parallèle que je veux faire, que, oui,
effectivementvos dessins, et tout le
reste, dans un livre papier, dans un livre numérique, vous avez fait le
travail. C'est une journée à la fois,
une quarantaine de pages. On voit l'ampleur pour le 1 500 $. Alors,
je pense qu'on a tout intérêt de protéger vos intérêts. Alors, c'est ça,
le parallèle que je veux établir. Merci beaucoup, Mme la Présidente.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme Roy, M Trost,
merci beaucoup. J'invite maintenant M. Ejan Mackaay à prendre place.
Et je vais suspendre
quelques instants.
(Suspension de la séance à
10 h 54)
(Reprise à 10 h 56)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Nous reprenons nos travaux. Bonjour, M. Mackaay.
Bienvenue à l'Assemblée nationale. Je veux vous remercier pour avoir accepté de
venir faire votre présentation ici, devant les parlementaires,dans un si court délai. Je veux vous signifier que
vous allez avoir un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé.Si vous deviez déborder,
ce que je ferai… pour la suite... c'est que, des fois, avec l'autorisation des parlementaires, onlaisse poursuivre les
intervenants. Donc, par la suite suivra un échange avec les parlementaires. Donc, encore une fois, bienvenue. Et je vous cède la parole pour
faire votre exposé.
M.
Ejan Mackaay
M. Mackaay (Ejan) : Merci, Madame. M. le ministre, membres de la commission, je
suis très reconnaissant que vous avez
accepté de m'entendre, je pense, à la
place de Paul Benjamin. Dans les
10 minutes que vous me donnez,je
voudrais aborder deux points, en fait. Le premier, c'est : Quel est le problème
que nous essayons de résoudre, et est-ceque
le moyen préconisé est de nature à résoudre ce problème? Et ensuite : Où
voulons-nous aller? Où cherchons-nous notre inspiration?
Et, peut-être,
vous me permettez d'annoncer tout de
suite, sur ce deuxième point, mes
couleurs. J'ai entendu, cematin, beaucoup
sur la France. Il me semble que nous avons intérêt à nous inspirer de
pays qui nous ressemblent davantage :la
Belgique et la Suisse, comme étant de petites... enfin, non, je vais
dire : De petits pays partageant une grande cultureavec des voisins beaucoup plus importants d'une part,
et, d'autre part, des pays scandinaves qui ont en commun avec nousles grandes distances sur lesquelles il faut
diffuser les produits culturels. Et ce n'est pas une tâche mince. C'est un problème qui ne se pose pas de la même
façon en France ni dans… enfin, le coeur de l'Europe classique.
Sur la problématique, la question que je me suis
posée en lisant votre document de réflexion et en entendant d'autres interventions est de savoir : Est-ce que
nous parlons d'une crise de lecture ou d'une crise de librairies indépendantes? Et j'ai eu l'impression qu'on
parlait plutôt d'une crise des librairies indépendantes. Il y a peut-être
unecrise de lecture. Les Québécois
lisent relativement moins que d'autres peuples, et il y a
une certaine régression. La question
qu'on peut se poser, mais d'ailleurs aussi pour la crise des librairies : Est-ce
que le contrôle des prix va résoudre ce problème? Et je voudrais vous faire remarquer, parce que
j'ai étudié, je pense, ou j'avais le document entre les mains,la situation dans différents pays européens, et il y a
des choses intéressantes à observer parce que vous avez côte à
côtedes pays qui contrôlent les prix
et des pays qui ne contrôlent pas les prix, et donc on peut observer des
différences et se poser les questions.
Et ainsi, par exemple, on constate que la France
et les Pays-Bas, deux pays qui ont un contrôle, ont deux fois et demie plus de librairies par 10 000 habitants. Maintenant, ça paraît très
beau, c'est bon pour la diversité, pour le grandassortiment présenté devant le public, mais il faut bien se dire que la
somme que les habitants dépensent aux livres nevarie pas. En Belgique, on dépense à peu près 35 € par habitant,
par an, pour les livres; aux Pays-Bas, pareil. Et, si vousavez davantage de librairies, bien, il y a un
gâteau à partager avec plus de joueurs. Donc, la crise peut être est même plus
aiguë aux Pays-Bas et en France qu'ailleurs.
• (11 heures) •
C'est vrai
que le nombre de librairies diminue. Ça, on l'observe en Angleterre, on l'observe
aussi en Belgique,mais, néanmoins,
en France, on parle de crise des librairies indépendantes et aux Pays-Bas aussi. Ça, c'est une première
observation.
Ensuite, on
me dit : Les librairies indépendantes nous assurent du conseil pour les
lecteurs qui cherchent à trouverdes
livres qui pourraient les intéresser. Il faut se demander d'abord,
puisqu'on a évoqué le spectre des acheteurs Costco etWal-Mart, si ceux-là viendraient en librairie, si
on contrôlait le prix. Je n'en suis pas convaincu. De toute façon, c'est 10 %du marché, stable. Je pense qu'il ne faut pas
mélanger les genres. Les librairies indépendantes, d'après ce que j'ai pu voiren Europe, sont menacées par deux
phénomènes : la croissance des chaînes, d'une part, et l'achat par les
librairies Internet de l'autre; dans une moindre mesure, mais, notamment
aux États-Unis, aussi le livre numérique.
Maintenant,
pour ce qui est du conseil, donc, les librairies… des libraires qui offrent des
conseils, certes, j'en suis. Si vous
venez chez moi, vous trouverez 5 000 livres achetés en librairie classique
pour la plupart. Néanmoins, il y a unsondage 2012,
aux Pays-Bas, qui dit que 35 % des lecteurs… pardon, 34 % des
personnes qui ont acheté des livres se sontrenseignées sur l'Internet, alors qu'il n'y a que, je pense, 27 %
qui se sont renseignées en librairie, ce qui pourrait nousdonner l'idée que peut-être en dehors de la
librairie classique il peut y avoir du salut. Le marché est innovateur sur ce
plan-là aussi.
Ensuite — et je voudrais quand même
aussi mentionner ça — là
encore, un sondage aux Pays-Bas, 2012 : les librairies Internet — donc qui vendent des livres par l'Internet — ont un assortiment de livres — on parle de diversité — quise
compare au 10 %... les meilleures librairies ailleurs dans le pays, dans
le béton. Et donc penser que l'Internet nous fait nécessairement mal, il
me semble il faut peut-être se garder de sauter tout de suite sur cette
conclusion.
Le prix unique du livre a forcément l'effet d'augmenter
le prix pour le consommateur. Et forcément, comme dira tout économiste, vous augmentez le livre ou vous empêchez le prix
de baisser, vous diminuez le nombre de livres qui seront vendus. Ce que
vous gagnez en hauteur de prix, vous le perdez en largeur du nombre de volumes
vendus. Maintenant, comment cet arbitrage va être fait? Ceci, évidemment, ce
sont des décisions commerciales.
L'autre effet
dont il ne faut pas sous-estimer l'importance, c'est qu'en empêchant la
concurrence par les prix vousallez
retarder, au moins ralentir, l'innovation. Or, l'innovation — on vient de le dire pour la librairie
Internet — présentedes produits qui pourraient amener des gens
à la lecture. On a parlé avec M. le député de nos… enfin, dans son cas, lesenfants, dans le mien, c'est des
petits-enfants qui, déjà — oui, oui — voient le livre… On appuie sur la page, le loup fait soncri, on appuie sur la page iPad, et puis là le
loup apparaît en entier, il fait également son… Ce sont peut-être des lecteurs
qu'on gagnera là aussi.
L'achat sur
Internet augmente partout, ici également, peut-être un peu moins vite. Mais ce
qui nous distingue, notamment, du reste du Canada et de l'Amérique du
Nord — parce
qu'on est quand même… nous sommes des Nord-Américains, hein — c'est le livre numérique. Le livre
numérique, d'une part, dans l'offre, beaucoup de titres ne sontpas offerts en version numérique, ça commence
seulement. Donc, la vente du livre numérique, si je suis bien renseigné,c'est 2 % du marché ici, 10 % à
12 % dans le reste du Canada, 21 % aux États-Unis. Le livre numérique
ne se prête pas à toute forme de
lecture, j'en conviens, mais à une bonne partie, et laissons les acheteurs
faire cet arbitrage, ne décidons pas pour eux.
Je suis convaincu que, dans les livres pour
enfants et dans les livres d'information pratique — le jardinage, comment apprendre un sport, les
dictionnaires — le
numérique a beaucoup à nous offrir. Et, pour apprécier... numériquepeut nous offrir, il faut laisser les acteurs du
marché nous proposer de nouveaux produits, encourager l'innovation, aller
dans le sens de l'évolution.
Alors, où
aller? D'abord, je vous ai dit : Il me semble, si on devait
s'inspirer d'exemples étrangers, regardons despays qui nous ressemblent. Et je vous répète la Suisse, la
Belgique, d'une part, qui n'ont pas de contrôle du prix du livre,
pardon.
Les pays
scandinaves. Dans les pays scandinaves, la Finlande a aboli le contrôle du prix
en 1970, la Suède en 1971,le
Danemark — mais qui est un petit pays qui n'a pas les
mêmes problèmes de distance que nous — vient de l'abolir, 2011,et la Norvège est en train de délibérer. L'Autorité
de la concurrence a décidé en 2008 que les accords sectoriels — donc, entre éditeurs et libraires — qui étaient en vigueur... beaucoup de pays,
mais aussi en Norvège, étaient contraires au droitde la concurrence. Est-ce qu'ils vont légiférer?
Est-ce qu'ils vont suivre l'exemple des Danois en abolissant, en déclarantces accords illicites et donc en suivre l'exemple
des voisins suédois et finlandais? À voir. Mais donc, dans ces cinq pays
qui pourraient nous servir de modèles, il y en a quatre qui n'ont pas de
contrôle du prix du livre.
Deuxième
observation sur où aller. Il y a une crise, certes, des librairies
indépendantes, j'en suis. Peut-être s'agit-ild'un ajustement des marchés, qui cherchent des rendements d'échelle. Ce
que j'observe — là
encore, en scrutant différents rapports — c'est que, là où les
librairies indépendantes survivent le mieux, ils ont adopté leur plan d'affaires
en se regroupant avec d'autres. Renaud-Bray,
à l'origine, était une petite librairie sur Côte-des-Neiges à Montréal, et
maintenantc'est une immense chaîne.
Ceci est possible. Évidemment, dans l'épicerie, on a vu les regroupements de ce
qui est devenules Provigo... enfin,
je ne veux pas faire la... quand même, mais on a deux grandes chaînes et on est
quand même assez bien servis.
À côté de
ça, il y a des librairies — et c'est la deuxième formule — où il y a des magasins qui vous offrent desproduits spécialisés, des niches. Les
consommateurs paient pour, mais ils sont prêts à le faire. Les librairies qui
veulentfaire ça, parfait. Souvent,
on peut faire une niche en associant l'activité de vente de livres avec d'autres
activités, formule Olivieri — je pense, Olivieri se fera
entendre encore aujourd'hui ou demain.
Et la
troisième voie que je vois, c'est le numérique sous ses différentes facettes
dont on vient de parler. J'allaisdire :
Ce sont... Le numérique est un courant de fond qu'on ne peut pas éviter. Il me
semble que, si on devait adopter uncontrôle
des prix, on ralentirait au mieux ce mouvement, mais on ne pourrait pas le
renverser. Et donc j'irais plutôt... s'il fallait adopter une politique,
allons donc dans le sens de ce mouvement.
Dernière petite observation, Mme la Présidente.
Je pense que j'ai encore une minute.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je veux juste vous préciser que j'avais demandé
au ministre s'il vousaccordait de son temps, donc c'est pour ça que je ne vous ai pas
interrompu. Votre temps était écoulé, mais le ministre vous accorde du temps. Donc, vous pouvez conclure.
M. Mackaay
(Ejan) : Bon. Alors, peut-être
alors une dernière réflexion très générale. Au fond, derrière la culturede lecture, il y a aussi une question de
préservation de notre héritage, et il nous semble que là le numérique est une
voiepresque obligée. Je vais vous
donner l'exemple. Ce matin, dans le train en venant de Montréal,
je lis l'Economist. Dansl'Economist,
il y a un commentaire : In Praise of Laziness. Éloge de la
paresse. On nous dit, au fond : On est trop stressés,on se taxe trop. Je me dis : Intéressant, ça me
rappelle une lecture que j'ai faite, un livre d'un écrivain, qui était d'ailleursun compagnon de classe de ma mère. Séance tenante, dans le train, je
vais sur l'Internet, je cherche le nom de l'auteur,et il a publié ce livre en 1954. Je traduis :
Le monde périt par excès de zèle. Je trouve ce livre en format numérique — pas
image de texte et pas très beau, mais le texte est là — dans
la bibliothèque numérique des lettres des Pays-Bas.
Si on devait faire quelque chose pour l'héritage Québec,
faisons ça : préservons cet héritage. Les Français le font avec
leurs classiques, faisons ça aussi, de sorte que les jeunes peuvent y accéder.
Parce que la version numérique, on peut y
faire des recherches, on peut y trouver des choses qu'on ne soupçonnerait pas,
façon d'éveiller la curiosité. Merci.
• (11 h 10) •
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, monsieur Mackaay. Nous allons maintenant
du côté du gouvernement. M. le ministre, vous avez la parole.
M. Kotto : Bonjour, M. Mackaay. Merci d'être parmi nous et merci pour la contribution que vous apportez
à cette réflexion. Je vois en page couverture, si je puis dire, de votre
mémoire, CIRANO avec — je
ne sais pas si c'est la signature — Allier savoir et décision.
Est-ce que vous pouvez nous parler de CIRANO?
M. Mackaay
(Ejan) : CIRANO est un
organisme interuniversitaire qui, à l'origine, comprenait notamment presqueexclusivement des économistes et qui voulait
étudier des questions de politique publique pour dire quels sont les effetsdes politiques que vous entendez adopter.
Parce qu'on peut avoir de très bonnes intentions, comme je suis convaincu avecles propositions sur la table et qu'on a des
très bonnes intentions, mais est-ce que ces bonnes intentions vont produire les
résultats que l'on souhaite?
La
mission de CIRANO, dans différents secteurs où il y a... mais notamment des
politiques publiques, c'est dedéceler
ça. Évidemment, souvent, les économistes sont des porteurs de mauvaises
nouvelles. On me dit souvent : Vousvous illusionnez en voulant adopter telle mesure, ça n'aura pas l'effet
que vous pensez. Et donc CIRANO fait ça pour différents clients.
M. Kotto : O.K. Mais la
réflexion que vous partagez ici ce matin avec nous, est-ce qu'elle est le fruit
d'une démarche personnelle ou collective?
M. Mackaay
(Ejan) : Le rapport est donc
signé, si on peut dire, par CIRANO. C'est une étude CIRANO, qui va être
publiée comme étude CIRANO. Les réflexions que je vous ai livrées ce matin
évidemment sont ma position personnelle.
CIRANO ne prend pas position dans des débats publics. CIRANO avertit évidemment
de conséquences non voulues de politiques qu'on voudrait adopter, mais
ne prend pas position.
M. Kotto : D'accord. O.K. Je
note que vous ne proposez aucune recommandation quant au règlement… à la réglementation
potentielle du prix plancher du livre neuf numérique ou physique.
M. Mackaay (Ejan) : Non.
M. Kotto : Pourquoi?
M. Mackaay
(Ejan) : Comme je vous ai
dit, il me semble qu'on fait fausse route en misant sur cette proposition-là. Il me semble qu'il n'y
a pas lieu d'intervenir dans le prix;
ça aurait plutôt des effets non désirables et finalement
ça n'aidera pas beaucoup la librairie indépendante, elle devra s'adapter,
hélas.
Mais la
politique qu'on s'apprête à adopter... Je vous ai évoqué la situation des
libraires français, des libraires néerlandais, ils sont tout autant en
crise malgré la protection adoptée.
M. Kotto :
Mais, si on se réfère à la position, disons, relativement — comment dire — commune des gens dumilieu de l'industrie du livre, ils ont besoin d'un
instrument comme celui qu'ils proposent afin de faire la transition versautre chose, de revoir leur profil
structurel dans le marché. Est-ce que, de votre perspective des choses,
advenant que lacommission propose
effectivement de légiférer sur le prix du livre neuf, cet instrument, une fois
adopté, ne serait-ce quepour une
période bien déterminée, ne contribuerait pas à ralentir l'hécatombe à laquelle
nous assistons depuis quelques années maintenant?
M. Mackaay (Ejan) : Hécatombe?
M. Kotto : Parce
que le but ici est de sauver un
réseau qui est en train de s'affaisser. Il est bien conscient de cequ'il lui arrive et ce réseau est bien conscient par ailleurs du fait que cette seule mesure ne suffit pas à son sauvetage, mais
elle serait un élément qui viendrait ralentir l'affaissement total.
M. Mackaay
(Ejan) : J'ai l'impression
que la concurrence qui a cours dans le marché du livre est une pression
de s'adapter. J'ai l'impression que l'oxygène que vous pensez accorder finalement
sera de peu d'aide.
Il y a beaucoup
d'exemples, mais… Enfin, l'industrie de la voiture américaine, devant l'hécatombe des
Japonais, a reculé de 40 ans, vous avez souvenir comme moi. Ça n'a absolument
fait rien d'utile.
M. Kotto : O.K.
M. Mackaay (Ejan) : La concurrence
est dure, oui, mais il faut s'adapter. L'économie ouverte ne garantit à
personne de pouvoir continuer dans une voie tracée sans adapter son plan d'affaires
toute une vie durant.
M. Kotto : Mais s'adapter au
risque d'affecter notre bibliodiversité au Québec?
M. Mackaay
(Ejan) : ...les librairies
Internet offrent une très grande diversité. L'expérience européenne dontje fais état montre que les consommateurs
peuvent se renseigner, peuvent trouver des livres autrement difficiles à
retracer. Il ne faut pas penser que l'Internet n'offre pas ces
possibilités. Allons dans le sens de ce courant, aidons les librairies
indépendantes à se profiler, comme la RueDuLibraire, si je me rappelle
bien du nom du site, aidons les librairies indépendantes
à faire l'adaptation, à la rigueur, mais ne diminuons pas la pression, parce que
la réalité nous rattrapera.
M. Kotto : O.K. En regard des études européennes que vous
avez étudiées et des effets prévisibles que vous avezidentifiés, est-ce que vous pouvez nous dire ce
que seraient les tendances les plus fortes ou les plus faibles s'appliquant
au cas spécifique du Québec?
M. Mackaay
(Ejan) : Peut-être,
je pourrais relever une conclusion que j'annonce aussi dans le rapport. C'est
qu'ona craint qu'en enlevant le
contrôle des prix on allait diminuer le nombre de nouveaux titres sortis. L'expérience
britanniquemontre le contraire. Et,
dans la Grande-Bretagne, le Royaume-Uni, c'est un immense marché mondial, parce qu'il y a toutes sortes de gens en dehors de ce pays qui
lisent l'anglais, mais le nombre, donc… La Grande-Bretagne a laissé tomberle contrôle des prix en 1995. À l'époque, il
sortait, si ma mémoire est bonne, de l'ordre de 85 000 nouveaux titres. L'an
dernier, ils en ont sorti 170 000. C'est doublé en 18 ans.
Donc, la
crainte que ceci tuera le nouveau livre ne me paraît pas fondée. Quand on
regarde d'autres pays, la Suissemontre
une progression régulière de nouveaux titres sortis; les Pays-Bas, à peu près
constants; l'Allemagne, relativementconstante,
très légère augmentation, comme les Pays-Bas, deux pays qui connaissent le
contrôle. Le contrôle du prix en soi ne nous assure pas du tout que les…
enfin, l'industrie sortira beaucoup plus de nouveaux livres.
M. Kotto :
O.K. Dans votre rapport, vous indiquez également que la réduction de la concurrence
qu'entraîne une loi sur le prix
unique ralentit l'innovation, mais vous indiquez également que les joueurs du
marché peuvent se rabattresur d'autres
moyens de concurrence que le prix, notamment par la promotion ou le
service-conseil. Est-ce que vous pouvezdévelopper davantage sur le jeu de ces deux contretendances ou laquelle
des deux tendances s'exerce avec le plus de force?
• (11 h 20) •
M. Mackaay (Ejan) : Je pense que la
concurrence par les prix est le, si on peut dire, disciplineur le plus fort. C'est le plus draconien, parce que ça menace votre
survie, si vous n'offrez pas un produit que les consommateurs veulentavoir, sont prêts à payer pour. Ça risque de
menacer votre existence. Vous pouvez, de toute façon, même s'il y a confluencedes prix, aussi vous distinguer par une
spécialisation dans une niche du marché :
les livres de voyage, les livres de cuisine.
En
Angleterre, donc, où le contrôle des prix a disparu à peu près
depuis l'époque du décontrôle, il y a une librairie indépendante qui a grandi,
Daunt Books store, si vous connaissez Londres. C'est une merveille, mais c'est
la librairie classique qu'on connaît. Mais
ils ont pris leur envolée parce qu'ils offraient toutes sortes de services, une
sorte d'effet demode : des
rencontres avec des écrivains, enfin, des choses que les gens appréciaient, à
côté des grandes chaînes, Waterstones,et...
Mais nous, de l'extérieur, nous ne pouvons pas juger pour les acteurs dans le
champ qu'est-ce qui est la meilleure
voix à suivre et nous ne devons pas essayer de le faire, me semble-t-il.
M. Kotto : Merci.
La Présidente (Mme Vien) : M.
le député de Bonaventure, ensuite pour M. le député de Saint-Hyacinthe.
M. Roy :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Mackaay. Lorsque vous dites que la
bibliodiversité, bon, n'estpas en
danger, bon, j'aimerais vous soumettre une réflexion. J'ai comme l'impression
que la bibliodiversité qui existe déjà est protégée.
Tout à l'heure — je vais vous donner un exemple — on a eu des intervenants qui ont parlé du
rapport de l'enfantavec le livre, ça
m'a rappelé un bouquin de Roland Barthes, Mythologies, là, Jouets,
etc. Je suis allé voir, je l'ai eu toutde suite. Ça existe déjà, on le sait, c'est en ligne. Pour le futur, je
ne suis pas sûr. C'est une réflexion personnelle, puis j'aimerais vous
entendre là-dessus.
Si on ne peut pas assurer les conditions d'existence
aux auteurs pour leur permettre, bon, de créer avec un minimum vital, je ne
suis pas certain que nous allons protéger la bibliodiversité. Et là ça me
rappelle un autre modèle d'affaires dans un
autre secteur culturel, mais au niveau de la culture alimentaire, au niveau de
l'alimentation : Monsanto,O.K.?
Là, je fais des analyses corrélatives, mais Monsanto a un modèle d'affaires qui
ne vise pas la biodiversité. On a une diminution de la diversité de la
culture alimentaire via des mammouths comme ça qui… puis là je ne le dis pas d'une
manière péjorative, mais des modèles d'affaires,
on va le dire comme ça, qui viennent comme prendre le contrôle, et, bon,et puis on est obligé d'ouvrir des banques
pour protéger le grain de tous les pays du monde, etc., sinon on se ramasse
avecde la monoculture. Et là la
réflexion que j'ai, c'est qu'il y a comme un parallèle à faire, théorique,
entre le modèle d'affaires qui semble se manifester dans la production
culturelle et celui dans la production alimentaire.
Donc, ce que
j'avance, c'est que, oui, on protège la bibliodiversité via une informatisation
de l'information parceque c'est
immense, mais l'avenir, c'est quoi? Est-ce qu'on va assister encore à une
pluralité de créations qui, notons-le, anthropologiquement, la culture…
La Présidente (Mme Vien) :
Merci, monsieur. Je m'excuse. On va manquer de temps finalement…
M. Roy : Pour la réponse...
La Présidente (Mme Vien) :
Oui. Mais je ne pourrai pas non plus aller au député de Saint-Hyacinthe.
M. Roy : O.K. Bien, vous avez
compris ma question.
La Présidente (Mme Vien) :
Monsieur, 30 secondes.
M. Mackaay
(Ejan) : 30 secondes.
Monsanto me semble… il faut regarder ça sous l'œil du monopole potentiel,
et ça, ça a toutes sortes d'autres effets pervers.
Pour le
livre, si les gens veulent la diversité, ils paieront pour. Et les chaînes de
libraires peuvent offrir la diversitépour
laquelle les acheteurs sont prêts à payer. S'ils veulent acheter leurs livres
chez Costco, 30 % de rabais, ils vont là,pas de conseils. Mais il y a quand même des chaînes qui font très
bien : les Archambault et les Renaud-Bray. Ce n'est pas l'idéal,
mais on a la diversité qu'on souhaite et qu'on est prêt à payer.
La
Présidente (Mme Vien) : Merci. Merci infiniment, monsieur. Je
cède la parole maintenant à notre collègue de l'opposition officielle,
Mme la députée de Laporte.
Mme Ménard : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, monsieur, merci d'être là. Vous avez parlé, dans votre
mémoire, beaucoup des pays européens. Alors, je suis contente qu'on puisse en
parler, parce que plusieurs groupes, depuis
les deux derniers jours... on a fait souvent référence à la France. Alors, je
vais en profiter pour parler de la France avec vous.
Alors, bon,
on sait qu'en 1981 il y a eu l'adoption de la loi Lang, qui finalement était la
réglementation du prix.Et
dernièrement, en mars dernier et en juin dernier, la ministre de la
Culture en France a annoncé un investissement dansl'industrie pour
finalement aider aux librairies fragilisées, 18 millions d'euros. Et, de
ces 18 millions d'euros là, il y enaura 7 millions qui viendront de la part des éditeurs, qui
devront faire un travail d'aller chercher ces millions d'euros là.Donc, après 30 ans de la loi Lang, le gouvernement est obligé d'intervenir. Parce
que je lisais dernièrement que,
depuis 2003, le nombre de librairies est passé de 173 à 120 dans le seul
Quartier latin de Paris.
Je
vais me permettre de vous citer aussi un article publié en France, en octobre 2011,
qui disait : «On a tout tenté pour faire que le livre ne devienne
pas un produit comme les autres, mais il l'est devenu. Ce n'est pas [parce] que
les mesures de protection étaient mauvaises, mais elles n'étaient pas adaptées
aux changements qui ont eu cours dans les pratiques commerciales et pratiques
de lecture.»
Alors, est-ce qu'il faut comprendre que, si nous avions
une réglementation du prix du livre, ça ne permettrait pasde protéger le livre? Parce que, quand on parle de
la réglementation, ma compréhension, c'est qu'on parle de bibliodiversité.Alors, est-ce que vous croyez que la
réglementation du prix protégerait le livre ou tout simplement ne le
protégerait pas?
M. Mackaay (Ejan) : Permettez-moi de
vous citer le résultat du sondage aux Pays-Bas, 2012. Le nombre de librairies ayant un fonds de plus de 2 000 titres — ce n'est quand même pas très riche — diminue constamment. Et làc'est un pays qui pratique le contrôle. Donc, on
est très malheureux qu'on ne puisse pas faire mieux, mais les moyenssont mal adaptés à ce qu'on veut faire. Il me
semble que c'est inévitable pour les librairies indépendantes d'adapter leurplan d'affaires. On peut bien vouloir, on
peut toujours jeter argent sur argent dans une industrie. Est-ce qu'au moment
oùil y avait — vous avez souvenir sans doute de ça
encore — des
Steinberg, ces Marché Union, fallait-il subventionner lesépiciers indépendants? On ne l'a pas fait. Ils se
sont regroupés, là il y a les Provigo, les IGA et les Metro. Cette adaptations'est faite par les acteurs du milieu. Je ne
suis pas convaincu que les moyens préconisés auraient l'effet voulu, même si on
le souhaite beaucoup.
Mme Ménard : Merci. Vous avez mentionné, à un certain moment
donné, dans votre présentation, qu'il
y avait deux fois et demie de librairies en France comparativement aux
pays qui nous ressembleraient le plus. Avez-vous le nombre de librairies qui
existent en France par habitant?
• (11 h 30) •
M. Mackaay (Ejan) : Oui, bien, dans
le rapport... Il faudrait fouiller, mais, dans le rapport, vous trouvez, sur six pays dont la France, les Pays-Bas et la Suède,
la Finlande et… enfin, deux autres dont j'ai oublié le nom, et c'est trèsnet, on voit, la France n'avait pas
10 000 habitants, enfin, par unité, indice 169… les Pays-Bas... 144 ou
1,44. Et les paysnon contrôlés, c'est
0,84 à 0,44. La séparation est très nette. En l'absence de contrôle, il est
vrai qu'il y a un certain nombrede
librairies indépendantes qui vont fermer ou changer de vocation ou s'intégrer
autrement. Mais il faut regarder : Est-ceque les consommateurs s'en portent plus mal? Et ça, je ne sais pas si,
constamment, les Français doivent subventionner encore plus une industrie qui, enfin, s'adapte à petite vitesse, au mieux. Est-ce que c'est la voie à suivre?
En France et enAllemagne, l'achat de
livres par Internet est beaucoup plus lent qu'en Angleterre. Bien, les deux pays
pratiquent le contrôledes prix. Le
prix des livres — là, j'en fais l'expérience — même les livres britanniques aux Pays-Bas,
est plus élevé qu'en Angleterre. Donc, finalement, on en achète moins,
normalement.
Mme Ménard :
Vous avez parlé de titres et — toujours dans le même article que je lisais,
de la France — on
disaitqu'ils produisaient trop, en
parlant… naturellement, là, je vous parle toujours de la France, on a
70 000 titres publiés par an.Il
mentionnait : Le choix tue le choix. On inonde le marché et on ne sait pas
pourquoi. Les librairies indépendantes… Là, àce moment-là, je me pose la question : Les librairies indépendantes
du Québec, qui ont fait une présentation dernièrement,nous disaient qu'il y avait plus de 53 000
ouvrages francophones qui ont été mis en marché au Québec. Alors, est-ce quevous pensez que d'avoir autant de titres…
Est-ce que vous êtes d'avis, comme on le dit en France, que le choix tue le
choix?
M. Mackaay
(Ejan) : Je dirais
surtout : N'essayons pas de faire le choix pour les consommateurs. Et je
vous diraistout de suite, et je vous l'ai rappelé, le chiffre en
Grande-Bretagne, 170 000, et un
peu plus, même, de nouveaux titres. Il faut bien se rappeler qu'en
matière de rémunération de l'effort artistique, les répartitions de revenus
sont toujours extrêmement asymétriques. Il y
a quelques… Roland Barthes, J.K. Rowling qui gardent… qui gagnent
des millions et des millions.
La courbe descend très vite et, vers la fin, la longue traîne, il y a des gens
qui gagnent un peu, peut-être pasassez
pour survivre, parfois oui, mais il y a beaucoup de créations qui ne passent
pas et on ne peut pas savoir à l'avance qu'est-ce qui sera un succès, qu'est-ce
qui ne sera pas un succès.
Le monde du
livre est très certainement soumis à cette… si on peut dire, le vedettariat.
Vous vous rappelez, lelivre de
Rowling, c'est… elle vient de publier, ça, The Cuckoo... Bon, elle a mis
ça sous un pseudonyme, ça a roulé un peu, mais pas tellement bien, comptes rendus honnêtes, mais pas plus. Dès que
le secret est sorti, paf, premier sur la liste desbest-sellers mondiale. Et donc cet effet joue, l'effet
de réputation de l'auteur joue. Alors, tous les livres ne peuvent pas être un succès, mais on ne peut pas décider à l'avance. Et
le métier des éditeurs, de faire des paris sur qu'est-ce qui vapasser chez les auteurs, qu'est-ce qui ne va pas
passer, d'imaginer les événements pour attirer l'attention des lecteurs surle livre, ce n'est pas le métier des
parlementaires de faire ça, me semble-t-il. Si le choix est trop ample, bien, à
un moment donné, on dira : Ça ne vaut pas la peine, et l'industrie
elle-même va se discipliner, il me semble.
Mme
Ménard : Concernant la Grande-Bretagne, vous dites que le
nombre de titres publiés a progressé depuis la fin du Net Book
Agreement en 1995. Est-ce que le prix, lui, a augmenté?
M. Mackaay (Ejan) : Les chiffres que j'ai là-dessus sont que le prix a légèrement diminué,
certainement pourceux que… pour les
grands vendeurs, mais même en moyenne. Il y a une étude qui contredit ça, mais qui
a une méthodologie un peu curieuse,
et l'auteur, d'ailleurs, Liam Fishwick— étude de 2008 — dit : C'est curieux, ce que je
semble observer ici, et il faudra étudier ça davantage.
Ce
qu'on observe cependant en Grande-Bretagne : les marges des libraires sont
très petites. Ils vendent de grosvolumes,
et rimer ça avec des prix qui augmenteraient, ça enlève de la magie, il me
semble. Mais il faudrait faire plusde
recherches pour en avoir le cœur net. Les chiffres que j'ai disent : Non,
effectivement, les prix sont restés relativement constants et les
volumes ont beaucoup augmenté.
Mme
Ménard : Une dernière question. Est-ce que vous prévoyez que
les grandes chaînes en Europe vont continuerd'augmenter? Parce que la… il y a quelques années, Leclerc, par exemple,
prévoyait une expansion de 26 à 85
succursales en six ans. Alors, est-ce que vous pensez qu'ils vont
continuer d'augmenter?
M. Mackaay
(Ejan) : Maintenant, deux phénomènes distincts. Vous avez des
généralistes. Leclerc est un généraliste, c'est
comme un Costco, un Wal-Mart. Sans
doute, ça va augmenter. Mais remarquez la façon dont nos épiciers,nos chaînes ont répondu à l'entrée de vos… de
Loblaws aussi, et ça fait preuve de beaucoup d'innovation, de dynamisme,
heureusement. Il y a les chaînes de librairies, et ça, on en voit l'expansion
constante.
Si
vous comparez les Pays-Bas avec la Flandre, donc deux régions néerlandophones,
la Flandre ne connaît pasde contrôle
du livre… du prix du livre; les Pays-Bas, oui. La chaîne ACSO, en Flandre, a
65 % du marché, donc plus grande concentration, mais ça rime avec
une recherche relativement moins contrôlée de rendement d'échelle. Les chaînes peuvent acheter à meilleur prix, peuvent proposer
des formules pour les consommateurs. Il y a peut-être quelque chose de
rassurant de trouver la même marque. Ça va peut-être continuer.
Ce
que je vois, c'est : cependant, là où il n'y a pas de contrôle, les
chaînes prennent une plus grande place et plus rapidement.
Mme Ménard :
Bien, merci beaucoup, monsieur.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, M. Mackaay.
Nous
allons suspendre quelques instants. Et je vais demander au prochain
intervenant, M. Clément Laberge, de prendre place.
(Suspension de la séance à
11 h 37)
(Reprise à 11 h 38)
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Donc, nous reprenons nos travaux.
Bonjour,
M. Laberge. Bienvenue à l'Assemblée
nationale. Vous êtes vice-président principal de De Marque. Donc,vous
avez un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Par la suite
suivra un échange avec les parlementaires. La parole est à vous,
M. Laberge.
De Marque inc.
M. Laberge (Clément) : Merci,
Mme la Présidente. Mmes, MM. les
députés. Je suis effectivement vice-présidentde De Marque, une entreprise
de la région de Québec qui oeuvre dans le domaine de la distribution de
produits éducatifs et culturels numériques depuis plus de 20 ans,
et tout spécialement dans la distribution de livres numériques depuis cinq ans. De Marque développe et opère, en
partenariat avec l'Association nationale des éditeurs de livres que vous avezentendue lundi, une plateforme de
distribution de livres numériques qui permet aux éditeurs québécois
de bénéficier deservices semblables
à ceux dont disposent les plus grands éditeurs au monde. Nous avons investi
dans cette plateforme, aucours des
dernières années, plus de 5 millions de dollars, et aujourd'hui la majorité des éditeurs québécois et canadiens-français l'utilisent pour
rendre disponibles plus de 12 000 livres en version numérique, tant chez
les libraires traditionnels que chez Amazon,
Apple, Kobo ou d'autres de ce type. La qualité de cette plateforme est
aussi reconnue à l'étranger où plusieurs des plus grands éditeurs
français et italiens l'utilisent également.
Nous
avons aussi développé, toujours dans une approche partenariale, avec les
bibliothèques publiques du Québec cette fois-ci, Pretnumerique.ca,
une plateforme qui permet de rendre le livre numérique disponible aux usagers
de bibliothèques. C'est un service qui
connaît d'ailleurs un énorme succès depuis son lancement et qui nous invite à
ne pas oublier le rôle des bibliothèques dans l'écosystème du livre
numérique.
Je
précise d'entrée de jeu que j'ai choisi de limiter mon intervention au cas du
livre numérique parce que je pense que c'est un marché bien différent de celui
du livre papier — pas
sans relation, mais bien différent — et qu'il faut prendre le
temps aussi de l'expliquer. C'est un marché qui est évidemment encore
relativement petit au Québec, mais qui est appelé à croître rapidement et qui
sera assurément déterminant pour l'avenir de l'édition québécoise, un marché où
il y a peu d'acquis et où presque tout reste à inventer.
• (11 h 40) •
Je vous présente donc
le point de vue d'un entrepreneur, d'un entrepreneur qui évolue dans un domaine
où la capacité d'innover est vitale, qui
croit à l'économie de marché, qui croit aux bienfaits de la concurrence et qui
est pourtantfavorable au principe de
la réglementation du prix des livres numériques. Pourquoi donc? J'y suis
favorable parce que jesuis convaincu
comme vous, sans doute — plusieurs l'ont exprimé hier et lundi — que l'avènement du livre numériqueest une fantastique opportunité pour accroître le
rayonnement de notre culture ici et à l'étranger, une opportunité aussipour explorer de nouvelles façons de cultiver le
goût de la lecture chez les jeunes et les moins jeunes. On aura l'occasiond'en reparler peut-être à la période des questions.
Mais, pour y arriver, il faudra plus que des vœux pieux, il faudra être
ingénieux et inventer concrètement, dans la réalité, des nouvelles façons pour
rejoindre ces lecteurs.
C'est
une opportunité historique qui s'accompagne de deux grandes responsabilités. La
première nous imposede prendre tous
les moyens à notre disposition pour réunir des conditions qui vont permettre à
de nouveaux auteurs, denouveaux
éditeurs et de nouveaux diffuseurs de profiter de cet environnement. La seconde
responsabilité nous force àfaire
tout notre possible aussi pour permettre aux acteurs actuels du monde du livre
de s'adapter… d'avoir des conditionsfavorables
pour s'adapter, se transformer en réponse à l'évolution des pratiques
culturelles des Québécois qui intègrentde plus en plus le numérique. Et, parmi ces conditions, il y a sans
aucun doute le temps, parce que tout ça ne pourra pas se faire du jour
au lendemain ni sans aucun investissement de chacun de ces acteurs.
Pour se montrer à la
hauteur de ces deux responsabilités, nous devrons nous assurer qu'il existe une
véritable concurrence entre les différents
acteurs de ce nouveau marché qui est le livre numérique, une véritable
concurrence entreles nouveaux
acteurs et les anciens, entre les petits et les plus gros, une vraie
concurrence équitable basée sur l'intérêt à court terme et à long terme des Québécois comme citoyens et comme
consommateurs. Donc, il faut, dans ces conditions,s'assurer que les plus puissants ne puissent pas
simplement écraser les plus vulnérables en se contentant d'épuiser leursressources financières dans le but de
préserver un marché à conquérir. Il faut savoir distinguer la concurrence dans
uneperspective d'économie de marché
et l'impitoyable loi du plus fort, dont il ne résulterait aucune retombée
positive pour la société.
Il
faut se méfier de l'impression, que j'ai parfois entendue dans les derniers
jours, que le livre numérique est unmarché
presque magique où tout le monde aura naturellement sa chance parce que tout
coûterait tellement moins cher.Ce n'est
pas ce que nous voyons prendre forme actuellement. Le marché du livre numérique
est un marché de plus en plusdominé
par quelques acteurs gigantesques dont les ressources financières sont infinies
en comparaison de celles des autresacteurs,
et en particulier des acteurs dans une situation comme le Québec où même nos
plus gros acteurs sont petits encomparaison.
Ces géants se mènent une lutte sans merci à l'échelle mondiale pour s'accaparer
le plus rapidement possible un marché qui est appelé à être énorme. On
se doute qu'ils le font avec des moyens financiers colossaux, mais il faut aussi, et peut-être surtout, savoir qu'ils le font
en s'appuyant sur des stratégies qui auront des effets néfastes à long terme
sur l'existence de la concurrence dans le marché du livre numérique.
La
stratégie la plus commune chez les géants consiste à attirer les consommateurs
en leur offrant des prix coupés sur quelques titres, évidemment toujours
les best-sellers, mais pour les retenir aussitôt après dans un environnement
technique incompatible avec ceux de leurs concurrents. Quand un consommateur
achète un Kindle, par exemple, l'appareil de lecture d'Amazon, il se
trouve aussi à faire, le plus souvent inconsciemment, le choix d'acheter tous
ses prochains livres chez ce détaillant parce que tout autre choix lui sera
rendu difficile.
Remarquez
bien que je ne reproche pas à Amazon, à Apple, à Kobo, à Google
ou à d'autres géants cette stratégie.Ce
sont des acteurs très dynamiques dans un marché pour lequel ils sont prêts à
tout pour capter les consommateurs etrépondre,
chacun à leur façon, à des besoins des consommateurs. Ils respectent l'ensemble
des règles du jeu qui leur sont imposées, alors pourquoi le leur
reprocher? Mais, si on constate que la lutte qu'ils se livrent se fait au
détriment des consommateurs, il ne faut pas
hésiter à intervenir pour modifier les règles du jeu et rééquilibrer la
concurrence de manière à ce qu'elle se fasse dans l'intérêt des
consommateurs. C'est même la base de l'économie de marché.
Reste
néanmoins à déterminer la meilleure manière de le faire. Je crois
personnellement que le moyen le plus efficace
de rectifier la situation et de stimuler une concurrence saine dans le domaine
du livre numérique serait d'imposer à
ces géants une meilleure interopérabilité de leurs différents appareils et des
formats qu'ils utilisent pour diffuser les livresnumériques. Ça les forcerait à rester compétitifs
en tout temps et avec tous les consommateurs, n'en prenant aucun pour
acquis. Cela n'apparaît malheureusement pas réaliste dans le contexte actuel.
C'est en faisant ce constat que je considère qu'une
réglementation du prix des livres numériques est une alternativeintéressante parce qu'il s'agit aussi d'une autre
façon de déplacer la concurrence vers l'innovation et la qualité des services,là où la joute sera plus équitable parce qu'elle
sera basée sur la matière grise et la connaissance du marché plutôt que sur la
simple comparaison de la profondeur de la poche de chacun.
Soyons donc très clairs : ce n'est pas parce
que je souhaite réserver une partie du marché du livre numérique auxlibraires indépendants ou aux chaînes québécoises
de librairies que je plaide pour cette réglementation du prix des livresnumériques. Ce n'est pas, de mon point de
vue, une mesure protectionniste, c'est une mesure positive, une mesure
progressiste,parce qu'il est crucial
et urgent de créer ici des conditions favorables à l'innovation pour ouvrir
véritablement le marché du livre numérique et donner leur chance à tous
ceux qui veulent y participer.
Je
pense que la vision qui doit nous guider dans cette réflexion, c'est que,
partout sur le Web où il sera question d'un
livre, quel que soit son format, il devrait être possible de l'acheter en
quelques clics, que ce soit sur le site d'un libraire, de
toutes sortes de libraires, sur le site des éditeurs, sur le site de passionnés
d'un sujet, sur le site de blogueurs et, pourquoipas, sur les sites des bibliothèques, partout,
facilement. Et, pour ça, il faudra beaucoup plus que deux ou trois géants dansla vente du livre numérique, il faudra faire
appel à l'ingéniosité de tous ceux et celles qui connaissent le mieux les
auteurs et les lecteurs québécois.
Franchement,
il me semble que la question n'est pas tant de savoir s'il faut réglementer le
prix du livre numérique, mais bien de
déterminer quelle est la meilleure manière de le faire. Et je pense que, pour
ça, il faudra aborderla question un
peu différemment de celle qu'on a prise dans le cas du livre imprimé parce que
ce marché est encore naissant, que son organisation est embryonnaire,
bien sûr, mais aussi et surtout parce que les particularités du marché du livre
numérique permettent des approches qui ne
seraient pas réalistes avec le papier. Je propose, pour ma part, que la
réglementation confirme essentiellement que c'est l'éditeur qui soit toujours à
même de déterminer le prix des livres numériques
qu'il publie, mais en lui permettant de le faire varier dans le temps, aussi
souvent qu'il le souhaite, dans la mesure où ces changements se
répercutent équitablement sur tout le monde. Je pense que cette approche
permettra…
Est-ce
que je peux continuer un petit peu ou…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : …que j'aie… Bien, avec la
permission des parlementaires? D'accord. Allez-y.
M. Laberge (Clément) : Je pense que cette approche permettra de mieux
tenir compte du travail des auteurs et dereconnaître plus adéquatement le rôle de l'éditeur dans la détermination
du prix des livres numériques, et qu'elle déplacera le pouvoir de fixer
le prix vers ceux qui investissent dans la création.
Avec
de telles modalités, la réglementation n'impliquera pas que les prix soient
plus élevés, ni qu'ils correspondentà
un pourcentage prédéterminé du prix du livre papier, ni même qu'il ne puisse y
avoir de variations et de réductions deprix à certaines périodes. La réglementation sur le prix du livre
numérique ne sera évidemment pas une panacée, et il faudraéventuellement revoir beaucoup plus largement le
cadre réglementaire et les programmes de soutien à cette industrie. Mais
le mieux est souvent l'ennemi du bien, et, d'ici
à ce qu'il soit possible de revoir tout ça, il me semble que la réglementationdu prix des livres numériques est une mesure
pragmatique réaliste et peu coûteuse pour rééquilibrer cette concurrence.Pour toutes… Et alors même… Et, même si
cette mesure devait avoir un effet éphémère, comme certains le prétendent,je reste convaincu que ça vaudrait la peine
de le faire. Il ne faut surtout pas banaliser ce que peut représenter deux,
trois,voire cinq années si notre
objectif est d'offrir à des entreprises locales le temps nécessaire pour
développer de nouvelles compétences et adapter leurs modèles d'affaires.
Pour toutes ces raisons, il me semble que la
réglementation du prix des livres numériques est une mesure que ne devraient
pas hésiter à appuyer ceux et celles qui croient aux bienfaits de la
concurrence et qui disent vouloir miser surl'innovation pour créer des emplois
et générer des retombées économiques dans les différentes régions du Québec.
Et, àdéfaut de le faire, il faudra
bien proposer autre chose de concret et rapide, parce que l'expérience montre
qu'il est toujoursplus simple et moins coûteux de prévenir l'apparition
d'un oligopole que de tenter d'en atténuer les effets néfastes par la
suite, à plus forte raison dans un secteur aussi important pour l'économie, la
culture et l'identité québécoise. Merci.
• (11 h 50) •
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe,
vous avez la parole.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour,
M. Laberge.
Ma question va être…
Dans un premier temps, je vous félicite, là, parce qu'au niveau du livre
numérique, je pense, c'est un des premiers
exposés qu'on a une vue d'ensemble, là, de ce qui existe ici et de ce qui est
disponible aussi pour tout le monde.
Vous parlez beaucoup
de la réglementation du prix du livre, là, d'accord, la réglementation du prix
du livre numérique, mais vous ne faites pas
mention, là, du tout du livre papier, si vous êtes d'accord ou non avec la
réglementationpour le livre papier,
et je veux juste savoir quels sont les coûts du numérique versus les coûts
du papier — vous
faites unpourcentage — pour savoir quel serait le prix juste du
numérique par rapport au prix du livre papier. Et quelles seraientaussi les retombées pour les auteurs, pour les
écrivains, et tout ça, de passer, de faire le passage? Parce qu'on sait qu'actuellement on dit… depuis le début de la
semaine, on nous disait que c'était entre 3 % et 5 % de gens qui consommaient le livre numérique, mais est-ce que
vous avez à peu près les mêmes proportions dans votre… estimées dans
votre travail?
M. Laberge (Clément) : Bien, il faut, d'entrée de jeu, rappeler que le
marché du livre numérique aujourd'huiest
un marché qui est en invention, donc il y a assez peu de cas de figure. Il y a
des éditeurs qui ont tenté des approchestrès larges où tout ce qu'ils publient en papier est publié en numérique
en même temps, il y en a qui ont fait d'autres choix,il y en a qui n'ont pas trouvé les moyens de le
faire tous à la fois. Donc, il faut vraiment voir qu'on est dans un espace
d'expérimentation. Moi, c'est ce qui fait que je trouve que c'est un environnement
extraordinaire.
Donc,
aujourd'hui, le coût pour produire un livre numérique dépend énormément
de : est-ce que ce sera un livrenumérique
seulement, est-ce que ce sera une version numérique d'un livre pour lequel tous
les coûts ont été amortis enpapier,
la révision, etc. Très variable, et je pense que ça va le rester longtemps. Ce
qu'on constate, c'est que les éditeurs,aujourd'hui, pour différentes raisons, effectivement font des prix un
peu plus bas, mais pas beaucoup plus bas. Je ne saispas comment tout ça va prendre forme, mais il va
falloir le voir. Et il faudra certainement que la réglementation tienne
compte du fait qu'on est dans un marché qui a besoin de beaucoup de souplesse,
néanmoins.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Tout à l'heure, il y a des
intervenants qui nous ont mentionné antérieurementque ça pourrait jouer… mettons, le prix du livre
numérique pourrait être de 75 %, 65 %. Vous n'avez pas d'idée, vous,
comme spécialiste?
M. Laberge
(Clément) : Actuellement, ça
ressemble à ça, c'est ce qu'on constate aujourd'hui. Ce qu'on constateaujourd'hui, c'est que… On a commencé il y a
quelques années, c'était presque toujours de l'ordre de 75 %. Parfois, çabaisse. Aujourd'hui, aux États-Unis, on
constate souvent 50 %. Mais moi, je ne pense pas que c'est une bonne idée
des'engager dans une voie de
réglementer un rapport entre le prix du livre papier et du livre numérique, c'est
deux marchésdifférents. Et je pense
même qu'une certaine… qu'on peut jouer sur les particularités. Un éditeur, un
auteur peuvent jouersur la
coexistence de la version numérique et de la version papier pour faire
connaître le livre à des catégories de lecteurs avec des stratégies
commerciales différentes.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
Vous considérez que c'est plus une complémentarité entre les deux, c'est complémentaire, donc ça peut être… c'est sûr qu'il
va avoir… dans l'avenir, ça va glisser plus vers le marché numérique.Maintenant, si vous trouvez que la réglementation
apporte beaucoup de bénéfices pour le livre numérique, est-ce que vousavez la même opinion pour la réglementation sur le
livre papier, la réglementation qu'on veut apporter présentement aussi?
M. Laberge
(Clément) : Moi, j'appuie
aussi l'idée de la réglementation dans le monde papier. Mais je maintiensce que j'ai dit d'entrée de jeu, que c'est
deux marchés qui ont des caractéristiques différentes, et ce n'est peut-être
paspour les mêmes raisons et avec
les mêmes modalités qu'on doit le faire. Je pense que c'est important dans les
deux cas.Mais, comme ma présentation
était sur le numérique, je reporte à votre attention qu'on est dans une
situation où, alorsque, dans le
papier, on est à essayer de défendre l'existence de nombreux acteurs pour
servir la bibliodiversité, dans le casdu
livre numérique, on est plutôt dans une logique de chercher à créer les
conditions pour que cette diversité d'acteurs apparaisse. Donc, c'est
deux situations qui sont différentes et qui commandent des modalités peut-être
légèrement différentes.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
Merci.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. M. le ministre.
M. Kotto : Vous dites : Il faut que cette diversité d'acteurs
apparaisse dans le numérique — soyez
le bienvenu, déjà, et merci pour votre contribution — quid
alors de la distribution? Est-ce que c'est un acteur dont le rôle serait amoindri
dans la perspective de ce virage?
M. Laberge
(Clément) : Dans le cas du
livre numérique, il y a quelques années, on a imaginé que les
distributeursallaient disparaître.
La réalité, c'est que leur rôle est forcément très différent. Ce n'est pas les
mêmes moyens, ce n'estpas les mêmes
réalités matérielles. Il reste que le rôle d'un intermédiaire entre des
éditeurs qui publient des livres et des points de vente qui ont la
charge d'en faire une diffusion directement auprès des lecteurs demeure. Et
donc le rôle est assurément à transformer. Encore une fois, c'est le défi auquel on travaille tous les jours. Mais
je ne pense pas que c'est une bonne hypothèse que de penser que les
rôles vont disparaître, ils vont clairement se transformer, et c'est cette
transformation, je pense, qu'il faut, aujourd'hui, que le cadre réglementaire
accompagne activement.
M. Kotto : O.K. Vous suggérez une fixation de prix par les
éditeurs afin d'assurer que le travail d'auteur soit pris en
considération. Est-ce que vous pouvez élaborer?
M. Laberge
(Clément) : En fait, de
fait, là-dessus, pour aller plus loin que les 10 minutes
initiales me permettaient de faire, la réalité dans le livre numérique aujourd'hui
au Québec ressemble à celle que je décris. Ça a été brièvement abordé hier dans une autre présentation. Aujourd'hui, de fait, dans le livre numérique, les éditeurs et/ou les
distributeurs,selon les cas, ont
signé, avec Amazon, avec Apple, avec Kobo, et avec d'autres, et
avec des acteurs locaux, des accords qui leur garantissent, jusqu'à un
certain point, que les détaillants vont respecter ces prix. On appelle souvent,
dans la documentation, ces contrats des contrats de mandat ou des
contrats d'agence, dans lesquels l'éditeur autorise un détaillant à
vendre le livre en fonction d'un certain nombre de balises.
Donc, aujourd'hui, on pourrait me dire : Ce que tu décris, ce que tu demandes, c'est
la situation actuelle. C'est vrai, sauf que, d'une part, aujourd'hui, c'est un équilibre qui est assez
fragile, qui est vulnérable et qui dépend de la bonnevolonté de chacun des acteurs de respecter ce
genre d'accord, et on sait qu'à l'étranger il y a eu des défis à
maintenir cessystèmes quand ils n'étaient pas encadrés par une réglementation. Donc, moi, ce que je dis aujourd'hui, c'est qu'il fautformaliser le fait que c'est de cette façon qu'on souhaite fonctionner
et que la détermination du prix devrait être le fait del'éditeur, qui est le mieux placé pour tenir
compte des accords qu'il a, des contrats qu'il a avec l'auteur, des risques qu'il
prend pour initier le livre et de la stratégie commerciale qu'il développera
avec ses partenaires, les détaillants.
M. Kotto : O.K. Outre la réglementation,
est-ce que vous avez d'autres mesures à me suggérer?
M. Laberge
(Clément) : Il y en aurait plusieurs. Je l'ai dit tout à l'heure, je pense que
ce sera un très vaste chantier. Et le document sur lequel on est invités
à se prononcer ici est assez spécifiquement lié à la réglementation du prix. Néanmoins, dans le cas du livre numérique, je l'ai évoqué
dans ma présentation tout à l'heure, il y a certainement des considérations techniques dans lesquelles il
faudra s'engager, des questions d'interopérabilité, des questions
de mise àdisposition de données et
de métadonnées pour s'assurer que les systèmes des bibliothèques,
des librairies, de l'ensemblede l'écosystème
puissent se parler les uns avec les autres. Je pense qu'on aura des
préoccupations à faire… on aura des préoccupations à avoir pour s'assurer
que tout ça fonctionne bien et qu'on ne crée pas une multitude de lieux clos
sur lesquels on n'aura plus aucune prise éventuellement.
M. Kotto :
O.K. Une dernière petite question. J'aimerais vous entendre sur la
réglementation du livre numérique pour ce qui concerne le livre
étranger. Est-ce que vous avez eu, disons, une réflexion là-dessus?
• (12 heures) •
M. Laberge
(Clément) : La dynamique
aujourd'hui, dans le marché, on peut s'interroger, si on le souhaite, surl'évolution de tout ça. Mais aujourd'hui,
dans le cas du livre numérique, c'est que les livres étrangers sont mis à
dispositiondes consommateurs québécois à travers des
intermédiaires québécois ou des intermédiaires installés au Québec. Je pensequ'il
n'y aurait pas de difficulté
à ce que ces acteurs contribuent à ce système, d'autant que c'est — je le rappelle en toutetransparence — déjà ce qui fonctionne aujourd'hui, mais qu'on
cherche à établir comme les règles du jeu officielles de ce marché.
M. Kotto :O.K. Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme
la députée de Laporte.
Mme Ménard : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, M.
Laberge. Merci d'être là. Vous venez de mentionner,M. Laberge, que c'est un vaste chantier quand le ministre
vous a demandé : Quelle autre suggestion auriez-vous? Est-ce que vous croyez que l'on devrait rouvrir la loi n° 51,
avec les changements qu'il faudrait y apporter?
M. Laberge
(Clément) : Ce qui est
évident, pour moi, c'est qu'il va falloir qu'on revoie de façon plus large lecadre réglementaire dans lequel... puis les
programmes de soutien aux différents acteurs de cette industrie-là. Est-ce quela meilleure façon, c'est de passer par une
loi additionnelle, par des programmes différents qui se rattachent à la loi
n° 51?À ce stade-ci, je pense
qu'il est trop tôt pour dire qu'il faut rouvrir la loi n° 51. Si on
pouvait l'éviter, je pense que c'estpréférable,
puis de procéder par des moyens qui s'additionneront. Est-ce que c'est
possible? Je ne le sais pas. Et c'est unpeu ce qui est à la base de ma réponse, en disant que ce sera un vaste
chantier, c'est que je pense qu'avant de s'attaquerà ce vaste chantier, il faudra qu'on ait fait un
exercice plus large que celui auquel on nous convie aujourd'hui sur cette
question-là.
Mme Ménard :
O.K. Parfait. Merci. Pourriez-vous nous indiquer quel est le coût de production
d'un livre numérique, un livre que l'on va mettre en ligne?
M. Laberge
(Clément) : Alors, il faut
forcément, pour répondre à cette question-là, faire d'abord une précision.Il y a le cas des livres qui sont publiés et
qui seront diffusés simultanément en papier et en numérique et pour lesquels
le numérique fait partie d'un plan d'affaires général où il y aura de la
diffusion en papier, il y aura de la diffusion en numérique. Typiquement, et pour tourner les coins un peu ronds, aujourd'hui,
plusieurs éditeurs font le plan d'affairesde la publication d'un livre, qui se tient, et ils ajoutent des coûts de
production à la suite pour publier, faire l'adaptation du livre pour un
format numérique. Dans ces cas-là, les coûts, c'est du travail technique de
préparation du fichier, de reformatage des
images, de réadaptation dans différents formats. Parce qu'il faut les livrer à Amazon
dans un format, il fautles livrer à
un autre libraire dans un autre format, il y a du travail de métadonnées autour
du livre pour décrire ce livre-là, il faut le présenter à des nouveaux
circuits de commercialisation, donc il y a un coût là-dessus.
Il faut aussi
être attentif au fait que, de plus en plus, il y aura des livres qui seront
publiés soit exclusivement dansun
format numérique ou qui seront publiés, d'abord et avant tout, dans un format
numérique et pour lesquels il pourra y avoiréventuellement des versions imprimées, mais qui deviendraient la version
complémentaire. Dans ces cas-là, il faut êtreconscient qu'il n'y a pas que des coûts au fait que le livre est
numérique. Il faudra continuer de faire la relecture du texte, il faudra
continuer d'accompagner l'éditeur dans tout ça, il faudra continuer d'imaginer
des couvertures, il faudra...
Et donc la...
C'est une réponse longue à une question simple, mais c'est pour rendre compte
aujourd'hui qu'il y a toujours un piège à présumer que le numérique est
un wagon derrière le long train de l'édition papier ou que c'est deux choses distinctes. Il faut vraiment regarder
l'édition comme le défi, pour un éditeur, de faire connaître l'oeuvre d'un
auteur en adoptant tous les moyens qui sont à sa disposition.
Mme Ménard :
O.K. Hier, il y a un autre intervenant qui nous a donné le genre de livre qui
est publié en ligne, et je me demande si vous faites le même constat,
parce qu'il n'y a pas vraiment d'auteurs québécois, c'est plutôt des thrillers qu'il a parlé; il a même parlé de
pornographie. Est-ce que vous faites le même constat? Et, en même temps, quelle
action avez-vous posée pour justement avoir des auteurs québécois qui publient
en ligne?
M. Laberge
(Clément) : Aujourd'hui, la
très large majorité des éditeurs québécois publient simultanément, ou àpeu près, leurs livres en version papier et numérique. Ça, il faut… je pense
qu'il faut démystifier un peu le fait qu'on aurait un
énorme retard là-dessus. Les auteurs y sont. Les auteurs ont même été force de
dynamisme dans tout ça, même en forçant certains éditeurs en
disant : Il faut y aller, on veut rejoindre les nouveaux lecteurs, et ainsi
de suite.
Évidemment, toutes
les catégories de livres ne font pas face à des clientèles aussi spontanément
portées sur le numérique. Donc, oui, la science-fiction vend spontanément plus, le polar
répond spontanément plus. D'autres documents sont… s'y prêtent moins
parce que très illustrés, et donc il n'y a que le iPad qui peut être un bon
vecteur. Il y a toutes sortes de réalités différentes.
Mais
ce qu'on peut d'ores et déjà dire aujourd'hui de cinq ans d'expérience de
diffusion de livres numériques,parce
qu'on parle souvent qu'un… on a parlé depuis… déjà beaucoup du numérique au
futur, je vous rappelle et je vous invite à noter que le livre numérique, c'est
aujourd'hui, ce n'est pas demain. Il y a des éditeurs qui publient
aujourd'hui, demain il y en aura d'autres, il y a des libraires qui les
diffusent, qui les vendent et il y a des gens qui les achètent. Ces livres-là,
on en voit dans toutes les catégories de prix, dans toutes les catégories de
livres, de tous types d'auteurs, et ils se
vendent ici et ils se vendent à l'étranger. Je ne suis pas inquiet de la direction
que ça prend. Et je trouveparfois qu'on
entend des vœux pieux en disant : Il faut prendre le train, il faut aller
dans le sens du courant. Personne n'esten désaccord avec ça. La question, c'est : Comment on fait pour que
ça se fasse dans un certain ordre, en évitant de faire table rase pour s'adresser
au livre numérique comme si le livre papier n'était pas un partenaire dans tout
ça? Ce sont deux marchés qui s'adressent à
un même besoin de façon différente, en rejoignant différemment des lecteurs
différents, à des moments différents. Parce que l'autre piège dans
lequel on tombe souvent, c'est de penser qu'il y a des lecteurs numériques puis des lecteurs pas numériques. Les
plus grands lecteurs de livres numériques lisent aussi en papier, et ainsi
de suite. Quand on est un lecteur, on s'attarde davantage à ce qu'on lit qu'à
la forme que ça prendra.
Mme
Ménard : Absolument. Une dernière question. Vous avez mentionné
que l'apport du numérique dans le marché était d'environ 5 %
actuellement. Vos prévisions pour le futur et sur quelle période.
M. Laberge (Clément) : Alors, sur le 5 %, je remets encore la
nuance qu'on est dans un marché en invention.Il y a des éditeurs pour lesquels c'est beaucoup moins, il y a des
éditeurs pour lesquels c'est plus, voire le double de ça,au Québec. C'est une moyenne générale, si on veut
réfléchir. Ce qu'on observe ailleurs, c'est que ça monte rapidement.Moi, je suis convaincu que, sur un horizon de
quatre ou cinq ans, on sera entre 15 %, 20 %, voire un peu plus,
25 %. Et ilfaut être conscient
que, même si ce n'était que 15 %, dans l'économie assez fragile de
plusieurs acteurs de l'industrie,et
je ne parle pas que des libraires, 15 %, c'est beaucoup de lecteurs. Et
donc il faut se préoccuper de ça et voir que cettecroissance-là, c'est un potentiel. Je ne le vois
pas comme une menace. Mais, si on n'établit pas les conditions dans lesquelles
ça va se passer, bien, ça va être le Far West et puis on va constater les mêmes
désordres qu'il y a eu aux États-Unis.
Ça me permet une note en finissant. Souvent, on
dit qu'on a un retard, sur les États-Unis par exemple. Moi, je dis :L'objectif, ce n'est pas d'arriver le plus
vite possible à la plus grande consommation de livres numériques, c'est que lelivre numérique aide à trouver des lecteurs
et des nouveaux lecteurs. Que ça prenne deux ans, trois ans, quatre ans, cinq
anspour y arriver, qu'importe. Et,
si on peut éviter de perdre des joueurs en cours de route, tant mieux. Donc, si
on fonce surun feu, prendre le temps
de faire le tour puis de le contourner pour arriver à bonne destination, ce n'est
pas une bête stratégie.
Mme Ménard :
Parfait. Bien, merci pour vos bonnes explications. Alors, merci, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme
Vien) : Merci beaucoup, M. Laberge. Je vous souhaite, chers
collègues, bon appétit.
Et la commission
suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 9)
(Reprise à 14 h 1)
La Présidente (Mme
Vien) : Alors, bonjour, chers collègues, bonjour, chers
invités.
Nous
reprenons nos travaux dans le cadre des consultations particulières et
des auditions publiques sur le document intitulé
Document de consultation sur la
réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et
numériques.
Alors,
nous entamons nos travaux cet après-midi en recevant l'Association des libraires du Québec.
M. Serge Poulin, vous en êtes le président, je présume que c'est vous
qui allez faire la présentation?
Association des libraires
du Québec (ALQ)
M. Poulin
(Serge) : Oui.
La
Présidente (Mme Vien) :
En collaboration avec vos collègues, que vous aurez le plaisir de
nous présenter.
M. Poulin
(Serge) : Oui.
La
Présidente (Mme Vien) :
Vous bénéficiez de 10 minutes pour nous faire part de vos grandes lignes, de
vosréflexions. Par la suite, vous
aurez un échange, vos collègues et vous, avec mes collègues ici, de l'Assemblée nationale. Ça vous va?
M. Poulin
(Serge) : Oui.
La Présidente (Mme Vien) : La
parole est à vous.
M. Poulin
(Serge) : Alors, je vous
présente Katherine Fafard, directrice
générale de l'Association des libraires du Québec; Mme Jeanne Lemire,
libraire; ainsi que M. Robert Leroux, libraire et membre du conseil administratif
de l'association.
Alors, Mme la Présidente, M. le ministre,
mesdames et messieurs les élus, je vous remercie d'abord de nous permettre de nous exprimer sur la question. L'Association
des libraires du Québec, créée en 1969, regroupe 110 librairies
indépendantes au Québec et 10 librairies francophones indépendantes hors
Québec. Nous représentons 76 % des librairies
indépendantes agréées. Intervenant majeur dans l'industrie du livre, notre
mission est de contribuer au développement
professionnel des libraires et à l'essor économique de la librairie comme lieu
essentiel de diffusion de la culture.
D'entrée de
jeu, rappelons la position de notre organisme sur la question du prix
réglementé. L'Association des libraires, tout comme les six autres
grandes associations du milieu du livre représentant les auteurs, les éditeurs,
les distributeurs et les bibliothèques publiques, propose une réglementation
visant les grandes surfaces, les chaînes, les librairies
indépendantes ainsi que les autres points de vente, y compris sur Internet.
Elle consisterait à permettre un rabaispouvant aller jusqu'à 10 % sur les nouvelles publications dans les
neuf mois suivant leur parution, une règle parmi les moins
contraignantes chez les pays qui en ont adopté une.
Après
cette période, il sera permis d'offrir toutes sortes de rabais. Nous sommes
convaincus qu'une telle réglementation
contribuera à favoriser le maintien et le développement d'un réseau de
librairies assurant ainsi l'accès auxlivres,
le maintien de la diversité de l'offre particulièrement, la promotion de nos
auteurs d'ici, ainsi que la préservation del'expertise des libraires, qui consiste à être un important conseiller
du lecteur, dans le but de protéger
la culture québécoise, de préserver la diversité, de soutenir
nos auteurs et de préserver la concurrence.
Il
est urgent d'agir pour protéger le réseau de librairies indépendantes, qui y
participe grandement. La librairieest
un pôle culturel indispensable, qui a besoin d'un coup de pouce de l'État. D'autres
mesures en faveur des librairies pourraient être envisagées, mais, prises
isolément à la réglementation, elles ne sauraient venir à bout des défis
actuels. Tant et aussi longtemps que les libraires devront concurrencer
les rabais offerts en grande surface et en ligne, tel que pratiqué actuellement,
ils ne se battront pas à armes égales. Les libraires font du livre leur activité
principale, voire, souvent, l'unique; ils ne
font pas du livre leur produit d'appel. Les librairies font preuve d'ingéniosité
et de créativité pourparvenir à
toucher leurs clients en leur offrant une expérience en magasin et un
service-conseil hors pair. Néanmoins, le consommateur viendra voir parfois et
achètera ailleurs.
Depuis plus
de 10 ans, le réseau de librairies constate une érosion de sa clientèle de
best-sellers vers les grandessurfaces
et les chaînes, ces dernières ayant ouvert des succursales. La première
conséquence de cela est l'impact négatif sur la rentabilité de la
librairie. Cette mécanique a été très bien présentée dans une étude commandée
par l'ALQ au consultant Michel Lasalle et
disponible sur le site de l'association, ainsi que résumée dans notre mémoire :
déplacementdes ventes les plus
rentables vers les grandes surfaces, diminution du bénéfice brut, compression
du fonds de roulementrequis pour
supporter la vente des titres ayant des cycles de vente plus lents.
Conséquemment, ce manque de trésoreriea
un impact direct sur les commandes d'autres titres chez les éditeurs, dont les
québécois, réduisant potentiellement le reste de l'offre.
Une autre
conséquence de la situation financière difficile du réseau des librairies est
la tendance de la fermeturede plusieurs
points de vente. À l'intérieur de notre mémoire, vous pourrez consulter un
tableau présentant la fluctuation du nombre d'ouvertures et de
fermetures de janvier 2001 à juillet 2013 dans le réseau des librairies
indépendantes. À relever : depuis 2007,
le nombre d'ouvertures ne vient plus compenser celui des fermetures.
Pire encore, depuis 2009 il y a plus de fermetures. Depuis 2009, c'est 27
librairies indépendantes qui ont fermé leurs portes, dont 13 dans la dernière
année.
Profession
qui fait parfois l'envie de plusieurs, qui nous imaginent passant nos journées le nez
dans les livres, à les lire, nous les
passons plutôt à les commander, à les traiter, à les mettre en place, à les
conseiller. La librairie est unlieu
convivial et serein propice aux découvertes, et l'on vient pour s'informer, se
divertir, chercher des conseils et des solutions.
Le libraire participe à ces recherches en un contact humain irremplaçable. La
librairie est un métier qui évolueet
qui est prêt à s'attaquer aux nouveaux défis d'aujourd'hui. La librairie
indépendante au Québec est active. Ce sont desefforts individuels d'animation, de promotion; ce
sont des efforts collectifs, la création et le déploiement de la coopérativeLes LIQ, qui opère un site Internet
transactionnel de livres papier et numériques, Ruedeslibraires.com, ainsi
que des organesd'information et de promotion tel le journal Le Libraire.
Ces efforts, complémentaires à l'opération de nos librairies, sont
essentiels à la définition de notre spécificité.
Nous
avons détaillé dans notre mémoire les particularités de services-conseils et de
gestion d'inventaire que nousdevons
accomplir afin de rendre accessibles les quelque 35 000 nouveautés annuelles. Rappelons que ces
deux aspectsreprésentent l'essentiel
du travail du libraire. Nous recevons des nouveautés tous les jours, et cela
représente entre autresun
reclassement perpétuel de nos sections. Ceux-ci s'ajoutent aux livres dits de
fonds, qui représentent plusieurs milliersde titres dans plusieurs librairies et qui sont en fait les classiques,
les livres que les libraires choisissent de conserver, leslivres qui définissent sa spécialité. En
comparaison, les grandes surfaces proposent environ 300 à 500 titres, un très
faible pourcentage de la production annuelle.
Qu'arrive-t-il lorsqu'une librairie ferme? C'est
la réduction de l'accès aux livres, mais c'est aussi la perte de l'expertise des libraires. Le libraire n'est pas
seulement un commerçant qui vend des livres, son rôle est aussi d'accueillir,de conseiller et de guider le lecteur dans
ses choix parmi une production éditoriale toujours foisonnante. Il joue un rôlede médiateur entre la
demande du public et l'offre éditoriale. Lorsqu'une librairie ferme, c'est une
chance de moins pour l'auteur et l'éditeur de trouver son public. Pour
reprendre les termes de la SODEC dans le Rapport du Comité sur les pratiques commerciales dans le domaine du livre,
paru en 2000 — je
cite : «La librairie indépendante joue un rôle déterminant vis-à-vis de l'édition québécoise. Ce
sont, en effet, la diversité des librairies indépendantes et la multiplicitédes choix de chaque libraire qui constituent
la seule garantie pour certains ouvrages, non ou peu médiatisés et de faible
tirage, de se trouver à l'étalage et d'être offerts à la clientèle.»
Soulignons aussi que le métier de libraire est une
profession reconnue. Depuis 2007, une norme professionnelle pour le
métier a été adoptée par la Commission des partenaires du marché du travail et
approuvée par le ministre de l'Emploi et de
la Solidarité sociale. Les librairies
qui maîtrisent les quatre compétences clés du service-conseil se voient
ainsi octroyer un certificat de qualification.
• (14 h 10) •
La loi n° 51. Une réglementation
du prix du livre s'inscrirait parallèlement à la loi sur le développement des entreprises
culturelles dans le domaine du livre, qui visait à l'époque et vise toujours un
meilleur développement des industries du livre au Québec, une meilleure
diffusion de la littérature et une augmentation de l'accessibilité du livre. Nouspouvons affirmer que cette loi a participé grandement à l'augmentation du nombre de librairies agréées au Québec, quiest passé de 168 en 1983 à 218 en 1998. Le nombre
de librairies agréées aujourd'hui est de 192, une diminution de 12 %depuis
1998. À souligner que, concernant les conditions de l'agrément, les normes
minimales de titres devant être maintenus en inventaire par les
libraires sont, dans la plupart des cas, largement dépassées.
Le
Québec n'est pas à l'abri d'une guerre de prix qui fragiliserait davantage les
librairies et en ferait sans doutefermer
plusieurs. L'exemple britannique est éloquent quant à l'effondrement du marché
des librairies. Encore en 2012, 73 librairies indépendantes ont fermé.
Aux États-Unis, même après la faillite, l'an dernier, de la chaîne numéro deux,
Borders, la chaîne numéro un, Barnes &
Noble, ne réussit toujours pas à être rentable, malmenée par un trio de
multinationales.
D'autre
part, les sites de vente en ligne sont difficilement capables de transposer l'expertise
du libraire, mis à part des libraires qui déploient des efforts en ce
sens. Sur Internet, la prescription demeure un manque majeur. Autant certains sites peuvent satisfaire un client lorsqu'il
cherche un livre précis, autant ils ne savent le faire quand le client ne sait pas ce qu'il veut. Le conseil personnalisé du
libraire demeure le moyen le plus efficace présentement et le plus humain.
L'État
apporte une aide financière aux auteurs et aux éditeurs. Les librairies, lieux
de diffusion par excellence,doivent
aussi être soutenues par l'État. En ce sens, l'adoption d'une loi réglementant
le prix des nouveautés est indispensable.Elle aurait un impact assuré sur la trésorerie des librairies
indépendantes. Elles pourraient ainsi poursuivre leur missionde diffusion et de médiation du livre. Le livre n'est
pas un produit comme les autres, il n'est pas que simple marchandise
commerciale. En ce sens, il est essentiel d'adopter cette réglementation qui le
protégera et le mettra en valeur. Nous avons
la conviction qu'il est essentiel d'instaurer cette réglementation sur le prix
des livres papier et numériques. Si lesacteurs du milieu du livre réunis sous nos livres à juste prix s'accordent
dans ce que nous pourrions appeler un consensus historique, il ne
manque, à notre avis, que la volonté politique pour mener à terme ce projet.
Merci.
La
Présidente (Mme Vien) : On va justement donner la parole au
politique. Merci de votre présentation, cher monsieur. Alors, la parole
va maintenant du côté ministériel. On est prêts à entendre le député de
Bonaventure.
M.
Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, mesdames, messieurs.
Vous attribuez les fermetures de plusieurs points de vente à la situation
difficile des librairies. Est-ce qu'il y aurait d'autres facteurs qui
viendraient précariser la situation des librairies, au-delà de la situation
socioéconomique? Modification des habitudes de lecture?
M. Poulin
(Serge) : Les facteurs qui viennent fragiliser la librairie?
M. Roy :
Oui.
M. Poulin (Serge) : Bien, évidemment, la difficulté à se rentabiliser à cause de l'érosion
de notre clientèle, des problèmes, évidemment, de relève éventuels
peuvent participer à ça aussi.
M. Roy :
Ça fait le tour.
M. Poulin
(Serge) : Peut-être veux-tu ajouter quelque chose?
Mme Fafard (Katherine) : Évidemment, la relève, on dit qu'il y a...
58 % des propriétaires actuels ont plus de 50 ans. Sauf qu'en
parlant de la relève il faut faire le lien aussi avec cette rentabilité-là, qui
n'est pas au rendez-vous. Pourquoi les gens
qui sont prêts à partir à la retraite ne trouvent-ils pas des gens pour
reprendre leur commerce? Alors, oui, il y a des problèmes de relève,
mais ils sont liés à cette rentabilité-là. Tout revient à ça.
M. Roy :
C'est quoi, le revenu moyen d'un libraire?
Mme Fafard (Katherine) : En pourcentage, on a fait une étude à l'ALQ, en
2012, auprès de 30 de nos membres. La marge... le bénéfice en fin d'année
est de 0,84 %.
M.
Roy : Concrètement, en salaire, dans une semaine, pour faire l'épicerie
puis payer le loyer, ça veut dire quoi?
Mme
Fafard (Katherine) : Pour un
propriétaire, je n'ai pas la donnée en tête, mais, pour un libraire commis,
qu'on pourrait appeler, simplement, le salaire tourne autour de 12 $ de l'heure.
M. Roy : O.K., merci
beaucoup. Je vais passer la parole à mon collègue.
La Présidente (Mme Vien) : M.
le député de Saint-Hyacinthe.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Alors,
bonjour, mesdames messieurs. Vous représentezl'Association des libraires du Québec. Il y a quand même 110 libraires
qui font partie de votre association. Vous citeztrois exemples étrangers dans votre mémoire : la France, le Mexique
et le Royaume-Uni. Par rapport à la France, en quoi le modèle français
serait-il plus efficace que le modèle québécois actuel pour préserver les
librairies?
Mme Fafard (Katherine) : Vous dites
que le modèle français serait plus efficace?
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Oui, mais en quoi le modèle français serait-il plus efficace ou pourrait-il
être plus efficace, selon vous?
Mme Fafard
(Katherine) : En fait, ce qu'il
faut… Nous, ce qu'on trouve important de préciser par rapport aumodèle français, c'est
que, si nous, on leur envie la réglementation du prix, eux, en contrepartie,
nous envient la loi n° 51, parce qu'ils n'ont pas l'équivalent
pour leur assurer les ventes aux collectivités, bibliothèques et écoles. Et la
loi française, c'est 5 % de rabais
maximum et c'est sur une période, environ, de 24 mois. Il y a des conditions
liées au nombre de mois pendant lesquels le livre n'a pas été remis en
étalage, là, mais règle générale, c'est 24 mois.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : O.K. Merci. Dans le cas du
Mexique, la loi n'est entrée en vigueur qu'en 2008,alors on voulait savoir si vous avez… Est-ce qu'on
a procédé à une réévaluation des effets de cette loi-là sur le livre au
Mexique?
Mme Fafard
(Katherine) : On sait que le
nombre de librairies est resté stable, ce qui est une bonne nouvelle.On espérerait en avoir tout autant pour ici, pour
le Québec. Mais, pour les autres données, malheureusement, il n'y a pas
d'étude — en
tout cas, à ma connaissance — qui existe.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : O.K. Et puis, au Royaume-Uni,
vous rappelez la fermeture de nombreux pointsde vente au cours des récentes années et vous faites le lien avec l'abolition
du prix unique en 1995. Est-ce la seule raison?Puis sur quoi vous basez-vous pour affirmer que c'est le prix unique du
livre… l'abolition du prix unique du livre qui a fait que ces
librairies-là ont fermé?
Mme Fafard
(Katherine) : Bien, en fait,
nous ne sommes pas des économistes, précisons-le d'entrée de jeu. Ons'est quand même bien équipés d'études et on a lu
les études aussi à l'international. Le Dr Frank Fishwick est une sommitédans son domaine et il a analysé le cas du
Royaume-Uni. Alors, on s'est beaucoup basé sur ses affirmations pour conclure
à ça, que l'abandon de la réglementation a eu un impact évident sur la santé
des librairies.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
O.K., merci. M. le ministre.
La Présidente (Mme Vien) : M.
le ministre.
M. Kotto : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour. Soyez les bienvenus et merci pour votre contribution.
M. Mackaay,
qui vous a précédé ici, dans son mémoire, disait que, contrairement à la thèse
alarmiste de M. Fishwick, au
contraire le livre se portait plutôt bien en Grande-Bretagne. Je ne sais pas si
vous étiez dans la salle au moment où il… Qu'est-ce que vous pensez de
cela?
Mme Fafard
(Katherine) : Bien, en fait,
la nuance majeure à apporter là-dessus, c'est que la Grande-Bretagne,c'est un marché anglophone qui produit énormément
de livres pour l'ensemble des autres territoires de la planète. Donc, la
production est immense et est en augmentation, dû à ça. C'est qu'ils touchent à
plusieurs pays avec la production anglophone qu'ils produisent.
M.
Kotto : Mais, quand on parle de… Enfin, quand M. Fishwick parle
de l'affaissement des librairies traditionnelles, de votre perspective,
de la compréhension de l'enjeu, là-bas, en Grande-Bretagne, qu'est-ce que vous
en comprenez?
Mme Fafard
(Katherine) : J'en comprends
que, pour le nommer, Amazon a été un joueur majeur qui a changé
les règles du jeu et qui a lancé une guerre de prix qui a tué la plupart des
librairies indépendantes.
• (14 h 20) •
M. Kotto :
Je vais vous poser une question. On ne peut pas éviter les projections
théoriques dans cet exercicede
consultation. Comment voyez-vous l'évolution des librairies au cours des cinq
prochaines années, en tenant comptede
la place que prennent de plus en plus le numérique, les lois du marché et les
nouveaux comportements des clientèles?
M. Poulin (Serge) : Eh bien, les librairies indépendantes, nous
pensons que, dans les cinq prochaines années...si on n'est pas trop minés par une continuelle érosion des prix et une
continuelle érosion de nos clientèles, qui vont voirailleurs, on pense qu'on est prêts à relever les
défis. Comme je le disais, la librairie est active. On a fait des pas dans lenumérique, collectivement, comme ça a été souligné plus tôt. Effectivement, en tant qu'indépendant, chacun dans notrecoin, c'est très difficile de s'investir dans ces
technologies-là. Donc, collectivement, les plateformes pour accéder au publicexistent déjà, et on travaille à les
perfectionner. On entend faire évidemment un effort de promotion substantiel, on a des
idées. Le monde du livre au Québec n'est pas abattu; nous sommes inquiets, plusieurs
sont sur la corde raide, mais beaucoup ont envie de continuer.
M.
Kotto : O.K.
Donc, on peut considérer que vous n'êtes pas restés les bras croisés en voyant
ce déluge venud'ailleurs, parce
qu'on a observé le phénomène ailleurs,
et vous, vous l'aviez... enfin, certains de vos collègues l'ont expriméici, vous avez pris les devants pour... Et,
à l'aune de ce qui se passe récemment... ce qui s'est passé récemment
avec certainesfermetures au Québec,
vous n'êtes pas restés les bras croisés, vous êtes en train de vous organiser,
mais ce qu'il vous faut, c'est ce coup de pouce pour vous permettre de
passer la transition. Est-ce que je me trompe?
M. Poulin (Serge) : On voit ça comme ça, effectivement. On voit des promesses de réussite, on pense qu'on
estcapables de mieux approcher nos
publics, de développer des nouvelles clientèles à travers les plateformes
numériques.Mais, même à travers nos
actions quotidiennes, dans nos librairies traditionnelles, on pense qu'il y a
encore de l'avenirpour le livre
papier et qu'avec les nouvelles techniques de gestion et de marketing moderne
qu'on peut apprendre à mieux maîtriser on sera en mesure de participer à
un développement de la lecture.
M.
Kotto : O.K.
Alors, pour l'épreuve du passage à l'autre phase lumineuse, considérant que
celle-ci est plutôtsombre, est-ce
que c'est urgent et indispensable de
légiférer pour imposer un prix plancher pour le livre neuf, numérique et
physique?
M. Poulin (Serge) : On voit l'urgence à l'aune des résultats qui s'accumulent présentement. Depuis quelquesannées,
ces questions-là étaient adressées. Et peut-être
qu'on pouvait penser : Bon, O.K., ce n'est pas pour cette annéeencore. Mais maintenant on peut dire que,
oui, c'est pour cette année, parce
que plusieurs d'entre nous ont de
la difficulté, plusieurs sont tombés au combat. Donc, je pense que c'est
un témoin de l'urgence actuelle de la situation.
M.
Kotto : Alors, ceux
qui se portent... parce que ce ne sont pas toutes les librairies
indépendantes qui sont au bord du précipice. Celles qui se tiennent encore sur
leurs jambes, quelles sont les mesures qu'elles ont entreprises
pour passer au travers de la crise? Il y a
des modèles de référence, ici, à Québec, ou même à Montréal. Est-ce que vous
pouvez nous en parler?
Mme Lemire (Jeanne) : D'abord, ce qui est important,
c'est qu'il faut qu'il y ait des libraires qui soient compétents,compétents dans la présentation des livres, des
bons libraires-conseils. Il faut aussi que, dans une librairie, il y ait un bongestionnaire. La librairie, c'est le
médiateur, je vous dirais, en bout de ligne, face au livre. Alors, il faut
développer desfaçons pour que les
gens aient le goût de connaître les livres, de les acheter et de les lire.
Alors, la promotion occupe une place primordiale. Et, quand c'est possible,
dans nos librairies, par exemple, d'organiser des rencontres d'auteurs, d'organiser
des débats sur des sujets d'actualité, c'est certain que ce sont des éléments
qui aident à maintenir nos librairies debout.
M. Kotto :
O.K. Il me reste combien de temps?
La Présidente (Mme
Vien) : Quatre minutes.
M.
Kotto : Quatre
minutes, O.K., merci. Je reviens sur votre mémoire.
À la page 12, tout en haut, vous dites :«D'ailleurs, le marché scolaire, doté d'un nouveau budget d'acquisition
pour le livre numérique, échappe présentement
aux librairies, faute d'encadrement.» Est-ce que le marché scolaire est un problème,
entre guillemets, potentiel?
Mme Fafard (Katherine) : Bien, vous avez entendu plus tôt des
intervenants, des bibliothécaires, qui disaient :Achetez les livres numériques dans le respect de
la loi n° 51. Ce n'est pas le cas des écoles. Comme ce n'est
pas encadrépar la loi présentement,
ces achats-là, ils achètent où ils veulent, et de la manière qu'ils veulent,
et, encore pire, ils font l'utilisation de l'œuvre comme ça leur plaît.
J'ai entendu des
histoires d'horreur. Je vous en fais… je vous en rapporte une : il y a un
professeur qui a fait l'acquisition d'un
exemplaire d'un roman jeunesse québécois, a fait la numérisation des pages, qu'elle a
projetées sur letableau blanc de la
classe, et tous les élèves devaient lire en même temps au tableau. Quand toute
la classe avait terminéla lecture,
ils tournaient la page collectivement. Alors, est-ce que c'est comme ça qu'on
veut enseigner la lecture à l'école?
M.
Kotto : O.K. Sur ce,
à combien peut-on estimer les pertes par
rapport à l'acquisition du numérique
par le milieu scolaire? Est-ce que vous avez une idée là-dedans… là-dessus,
pardon?
Mme Fafard (Katherine) : Je ne saurais dire. Je sais, par exemple, que le budget va aller en augmentant dansles prochaines années, donc ça va être important
de regarder ça de près, mais je ne saurais dire quelle partie du budget
échappe présentement.
M. Kotto :
Bien, merci. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Vien) : Est-ce que ça complète du côté ministériel? Bien. Mme
la députée de Laporte.
Mme
Ménard : Merci, Mme la Présidente. Mesdames, messieurs. J'ai aimé énormément, madame — je
m'excuse, je n'ai pas votre nom, là — …
Mme Lemire
(Jeanne) : Lemire.
Mme
Ménard : Lemire.
Mme Lemire, j'ai aimé énormément ce que vous venez de dire quand vous avez
parléque, dans les librairies, ça
prenait des bons gestionnaires, des libraires de qualité, parce que
je pense qu'on parle d'une entreprise, là, et on ne parle pas nécessairement
d'un lieu de culture. Alors, on est rendus… il faut penser entreprise.
J'ai
entendu, dans votre mémoire, M. le
président, vous avez parlé de
fermeture de librairie et que, dans la dernièreannée, il y en avait 13 qui ont fermé leur porte. Mme Fafard,
vous avez mentionné, vous, que c'était la cause… Bien sûr,il y avait la rentabilité, il y avait la
relève et il y a aussi l'érosion de la clientèle. D'après vous, à quoi attribuez-vous
les fermetures en France depuis 2003? Seulement que dans le Quartier
Latin de Paris, ils ont fermé 53 bibliothèques… c'est-à-dire, librairies,
pardon. Et ils ont la réglementation du prix.
Mme Fafard (Katherine) : Rappelons qu'ils n'ont pas la loi n° 51 pour les
bibliothèques. Et je crois que la criseéconomique a encore plus touché l'Europe qu'elle n'a touché le Canada et
le Québec. J'ai l'impression… Puis les problèmesde relève ne sont pas uniques à ici, ils sont partout. Les libraires
français vivent les mêmes cas, les mêmes problématiquesque nous. Ils tiennent des rencontres annuelles
qui regroupent 500 libraires, annuellement, et les mêmes problématiquesqu'ici reviennent : la relève, les
baux, aussi, qui sont en augmentation. À Paris, j'imagine que, dans cet
arrondissement-là, les loyers doivent être hallucinants. Moi, c'est l'idée
que je me fais de ça.
Mme Ménard :
O.K., c'est très bien. Alors, à ce moment-là… Et eux, ils ont la réglementation
du prix?
Mme Fafard
(Katherine) : Oui.
Mme
Ménard : Alors, qu'est-ce que ça viendrait changer ici aux
fermetures, avec les raisons que vous venez de me donner?
Mme Fafard
(Katherine) : Bien, nous, on croit que la réglementation seule ne
pourra pas éliminer tous les problèmes, mais,
dans le cas contraire aussi, des mesures pour aider les librairies, pour l'aide
à la relève, l'aide pour lemaintien
d'employés qualifiés, sans la réglementation, ne seraient pas non plus
suffisantes. Tant et aussi longtemps quele libraire de quartier va se battre contre des rabais de 25 % à
30 % de l'autre côté de la rue, il ne se battra pas à armeségales. Les gens vont venir voir les livres,
recevoir le conseil hors pair du libraire, et il y en a même qui le
disent : Merci,je vais aller
acheter ailleurs. Alors, il faut réglementer pour d'abord régler ce problème-là
et, en parallèle, aider les libraires pour la relève, pour le maintien d'employés
qualifiés, entre autres.
Mme
Ménard : Mais, quand vous dites, l'autre bord de la rue, qu'ils
ont des réductions, bien, on parle de grandes surfaces à ce moment-là,
là, mais ils ne détiennent quand même seulement que 11 % du marché.
• (14 h 30) •
Mme Fafard (Katherine) : Oui, vous avez raison, 11 %. Mais la
rentabilité des libraires passe par la vente debest-sellers. C'est ça qui leur fait au bout de l'année... qu'ils sont
rentables parce que c'est tout de suite dans leur trésorerie.Et il y a de plus en plus de clients qui quittent
les librairies indépendantes pour aller chercher le rabais. Donc, on est en… Même
si c'est 11 %, est-ce qu'on est en train de le perdre graduellement aussi,
davantage?
Mme
Ménard : Mais la personne… On est d'accord toutes les deux. La
personne qui va acheter un livre dans une grande surface ne cherchait
pas une œuvre extraordinaire, là, normalement, hein?
Mme Fafard
(Katherine) : C'est subjectif.
Mme Ménard :
Avez-vous…
Mme Lemire (Jeanne) : La personne qui va dans une grande surface va chercher le best-seller.
Mais le best-seller n'est pas juste populaire, il y a des best-sellers
qui ont aussi une valeur. Mais ce qui devient important, pour nous, la réglementation, ça contribue, je vous dirais, à
assainir le climat. Moi, vous savez, me faire dire devant mes employés — jevais
être très concrète — que je
suis voleuse parce que mon livre est plus cher, c'est assez frustrant, merci,
parce que moi,je ne le vends pas
plus cher, mon livre, je le vends le prix que l'éditeur a fixé. Puis pourquoi
que ce prix-là est juste pour l'éditeur puis, quand ça arrive en
librairie, il faut que le prix tombe? Ce n'est pas normal.
Si
on veut avoir des libraires qualifiés, si on veut avoir une gestion saine, si
on veut avoir des activités de promotion, il faut qu'on maintienne notre prix,
autrement on meurt à petit feu. Et c'est ça qu'il faut, assainir ce climat-là,
que le livre…Plus le livre est
partout, mieux c'est. Il faut qu'il soit vu, il faut que les gens le prennent
en main, il faut qu'ils aient le goût de lire, mais il faut que ce soit
équitable. Ce n'est pas pour rien qu'on dit qu'il faut un juste prix pour les
livres.
Mme
Ménard : Vous avez parlé de l'éditeur, puis j'aime ça parce que
l'éditeur, c'est lui qui décide le prix. Est-ce
que c'est correct que ça soit lui qui décide du prix? Est-ce qu'il ne devrait
pas y avoir… Je pense tout haut, là. Est-ce qu'il ne pourrait pas y
avoir une régie qui va faire en sorte que le livre va être coté tel prix? C'est
parce que, là, c'est l'éditeur qui va décider, comme bon lui semble, du prix?
Mme Lemire (Jeanne) : Pas nécessairement comme bon lui semble. Moi, je crois que l'éditeur a
des normes àrespecter, il a des
barèmes à respecter. Et il y a toutes sortes d'éléments aussi qui entrent en
ligne de compte dans la fixationd'un
prix du livre. Que ce soit une traduction, que ce soit un livre québécois, il y
a des normes à respecter. Et, selon moi, les prix ne sont pas si gonflés
que ça. Je ne suis pas… je ne peux pas croire ça.
Mme Ménard :
O.K. Mme Fafard, je vous ai citée hier, hein?
Mme Fafard
(Katherine) : …
Mme
Ménard : Oui, hein? J'y ai pensé, que vous m'entendiez. Je vous
ai citée quand vous avez dit : Bon, ça passeou ça casse. Et vous parliez d'une rentabilité de
l'ordre de 1 % et vous disiez à ce moment-là que vous étiez même généreuse
quand vous disiez 1 % — c'est
ça? — et
que même un 0,2 %, ça serait très bien pour… ça aiderait les librairies.
Moi,
là, j'aimerais tellement que vous me donniez un exemple, des chiffres. Qu'est-ce
que ça veut dire pour unelibrairie,
0,2 %? Moi, dans ma tête, ce n'est pas grand-chose. Alors, est-ce que ça
va empêcher une librairie de fermer ses portes? Et je veux vous entendre
là-dessus parce que personne ne m'a donné, à date, des chiffres.
Mme Fafard (Katherine) : Je vous dirais que, quand j'ai dit que 0,2 %
aiderait, c'est petit, je l'avoue, mais c'estquand même une augmentation significative pour un petit libraire. Je n'aime pas cette expression-là, mais pour un
petit libraire.
Mme Ménard :
Combien? Donnez-moi des chiffres. C'est combien?
Mme Fafard (Katherine) : Si vous voulez des chiffres, j'ai trois collègues
libraires ici qui peuvent vous en donner.
Mme
Ménard : O.K. C'est ça, pour nous donner une idée, parce qu'on
n'a pas d'idée, là. Ça veut dire quoi, zéro…
M. Leroux (Robert) : Bien, 2/10 de 1 %, ça augmente la marge bénéficiaire nette de
25 % chez un libraire qui fait 0,80 % de profit net. Donc, on
vient de lui donner 25 % de profit net de plus. Ça veut dire que, sur l'ensemble
de l'activité de la librairie, il a
récupéré, tout au long de sa pratique, 25 % de plus pour payer ses
salaires, pour payer tout ça, pour arriver à garder son… Donc, ce n'est
pas un 0,2 % qui est tout petit.
Mme
Ménard : Non, non, je comprends. Je comprends ça. Mais, pour
les téléspectateurs, là, qui nous écoutent,là, et puis pour notre gouverne, à nous tous, là, prenez une librairie
type, là, puis donnez-moi, en chiffres… 25 % de quoi? Vous
comprenez ce que je veux dire?
M. Leroux (Robert) :
Et là on parlait du 25 % du profit net… sur le profit net, d'augmentation?
Mme
Ménard : Oui, oui. Prenez des chiffres, là, qu'une librairie
peut faire, là. Nommez-nous pas la librairie, là, donnez-nous un
exemple.
M. Leroux (Robert) : La question, elle nous arrive comme ça. J'aurais pu faire l'exercice… L'avoir
su, j'aurais fait l'exercice avec mes propres chiffres.
Mme Ménard :
Ah! O.K.
M. Leroux
(Robert) : Mais là je ne peux pas vous faire ça comme ça, c'est…
Mme Ménard :
O.K. Donc, vous n'avez pas ces chiffres. O.K.
La Présidente (Mme
Vien) : …désolée, allez-y.
M. Poulin
(Serge) : Oui. Bien, disons que, dans l'étude qu'on a fait faire par
Michel Lasalle sur les ventes moyennes de 30
librairies — je ne
sais pas si tu as le tableau, Katherine? — je pense que la vente moyenne est évaluée
à autour d'un million de dollars.
Mme Ménard :
Un million?
M. Poulin (Serge) : Si je ne me trompe. C'est ça : moyenne par librairie, dans l'échantillonnage
qui a été pris à ce moment-là. Donc,
1 197 000 $, mettons 1,2 million de dollars. Donc, si on
calcule 0,2 % du bénéfice qui est indiqué ici, le bénéfice est de
10 000 $ en bout de ligne.
Mme
Ménard : O.K. Donc, le libraire pourrait avoir
10 000 $ nets au bout du compte?
M. Poulin
(Serge) : C'est le résultat qui apparaît pour cette étude-là, oui.
Mme Ménard :
O.K. Je pense qu'on l'a, l'étude, hein? C'est ça?
Une voix :
Oui.
Mme Ménard :
Oui. Parfait, parfait.
Mme Fafard
(Katherine) : Vous avez le tableau à la page 10 de notre mémoire.
Mme Ménard :
O.K. J'ai encore du temps?
La Présidente (Mme
Vien) : Oui, bien sûr, trois minutes.
Mme
Ménard : J'ai demandé… Puis là je vous la nommerais, là, l'association
à qui j'ai demandé ça, mais je neme
souviens plus, on voit beaucoup de monde, là. J'ai posé la question parce que
les grandes surfaces donnent des grandsrabais. On m'a mentionné que l'éditeur augmente ses prix, donc ça veut
dire qu'il augmente ses prix pour tout le monde,autant chez le libraire que chez la grande surface. Et, quand j'ai posé
cette question-là, j'ai eu une explication. Mais, aubout du compte, je voulais savoir si c'était oui ou
si c'était non, puis la réponse, c'était oui. Alors, avez-vous des commentaires
là-dessus?
Mme Fafard (Katherine) : Bien, vous avez entendu hier une chaîne de
librairies s'exprimer un peu aussi à proposdes prix des livres. Ils demandent, entre autres, d'avoir des remises
supplémentaires, jugeant que celles qu'ils reçoiventprésentement sont insuffisantes. Alors, imaginez
que cette chaîne-là demande ça, que les autres chaînes le demandent,que les joueurs américains se mettent à le
demander et que les distributeurs cèdent sous la pression forte que ces
joueurs-là exercent, le prix des livres, ils vont devoir l'augmenter
pour compenser la remise qu'ils viennent de leur accorder. En réglementant le prix des livres, les grands
joueurs, comme ça, se garantissent un profit suffisant et ne feront pas de
pression de la sorte sur les distributeurs.
Mme
Ménard : Donc, ça veut dire que, si on avait une réglementation
du prix du livre, le coût des livres va baisser.
Mme Fafard
(Katherine) : Je pense qu'on pourrait plutôt dire qu'il va demeurer le
même.
Mme Ménard :
O.K. Parfait. Merci, merci. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Vien) : Merci. Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, Mme la Présidente. Mesdames,
bonjour, messieurs. Merci de votre présence, merci de votre mémoire.
C'est
un mémoire étoffé, mais j'aimerais vous entendre parler du livre électronique,
on en a peu parlé. Vous nousdites, à
la page 11, que ça représente au Québec… on estime ce marché à 2 %. Pour
vous, les libraires, de un, j'imagineque
c'est un chiffre d'affaires qui est… un pourcentage qui est insatisfaisant en
partant, là. Ça commence, cependant, on s'en va vers là. Alors, moi, j'aimerais savoir, dans le but de préserver
les librairies, les librairies indépendantes, de quoices librairies auraient besoin? Que faut-il faire?
Quelles seraient des pistes de solution pour augmenter ce pourcentagede ventes? Parce qu'on sait — on n'arrête pas le progrès — qu'il y a une mutation dans l'industrie, on
s'en va vers ça. Qu'est-ce que vous avez besoin pour augmenter le
pourcentage de ventes de livres électroniques chez vous?
Mme Fafard (Katherine) : Bien, on a entendu… On a marqué 2 % dans
notre mémoire. On a entendu, ces jours-ci, que c'était rendu à 3 %,
voire 4 %.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, j'ai entendu 4 % hier.
• (14 h 40) •
Mme Fafard (Katherine) : Pour ce qui est des libraires indépendants, ils
se sont fabriqué un portail de vente qui est très, très bien, Ruedeslibraires.com,
qui est, par contre, et très malheureusement, méconnu.
Alors, pour répondre
clairement à votre question : Que devrait-on faire pour aider les
libraires à percer le numérique? Aidons-les
à faire connaître leurs sites, la
présence des indépendants dans ce domaine-là. Ruedeslibraires est
un outil fantastique. N'importe où où je sois, je peux encore choisir mon
libraire préféré et lui accorder ma vente.
Mme
Roy
(Montarville) : Donc, pour le moment, vous ne voyez que la promotion de ce site
existant. Il n'y a pasd'autres
choses qu'on pourrait faire dans le domaine de l'édition, de la publication du
numérique pour vous aider à gonflerles
ventes, outre le fait… Et on en parle, et c'est très bien, parce que je pense qu'il y
a des gens qui vont entendre que cesite existe et ils l'ignoraient,
de un. Déjà, en partant, ça va aider, on en parle actuellement. Mais, outre cela, de quoi votre industrie et les librairies
ont-elles besoin pour qu'elles augmentent ce créneau? Parce que
ce sera le créneau de l'avenir,veux
veux pas, on s'en va là-dessus. Aux États-Unis, c'est près du quart des lecteurs qui sont là-dessus.
Qu'avez-vous besoin?
Mme Fafard (Katherine) : Évidemment, plus l'offre sera aussi présente, au rendez-vous, plus ça aidera les librairesà
vendre les livres s'ils sont disponibles. C'est encore un manque à gagner,
encore, en 2013. C'est de plus en plus volumineuxcomme offre, mais c'est encore insuffisant. Et
vous avez entendu ce matin un M. Laberge, de De Marque, parler aussid'Amazon qui a un appareil, le Kindle, qui
fait en sorte que l'usager qui… le consommateur qui achète cette
liseuse-là nepeut que faire ses
achats sur Amazon. Il ne pourrait pas acheter la liseuse Kindle et
acheter sur Ruedeslibraires, par
exemple. Comme M. Laberge le disait, on ne pourra pas contrecarrer ça,
fort probablement, mais c'est quand même quelque chose qui est dommage parce que,
là, on est en train de faire la promotion de ces liseuses-là puis les libraires
vont perdre probablement une part de marché à cause de ça.
Mme Roy
(Montarville) :
Et, du point de vue législatif, que demandez-vous?
Mme Fafard
(Katherine) : Que le prix…
Mme
Roy
(Montarville) : Où voulez-vous insérer justement le
fait de protéger l'oeuvre électronique et puis la vente d'œuvres
électroniques pour les libraires?
Mme Fafard (Katherine) : Évidemment, pour nous, le prix réglementé doit s'appliquer
de même manière surle prix des… sur
les livres numériques. Si on ne réglemente pas le numérique, on va dévier le
marché vers ces livres-là, dans le fond.
La Présidente (Mme
Vien) : Merci, Mme Fafard.
Mme Fafard
(Katherine) : Merci.
La Présidente (Mme
Vien) : Merci beaucoup, Mme la députée. Mme la députée de
Gouin.
Mme
David : Merci, Mme la Présidente. Bonjour. Ma question, et tout le monde va le comprendre, va s'adresserà Mme Lemire, qui est directrice d'une des principales librairies de mon
comté. Cette librairie a pignon sur rue sur une artère commerciale. C'est à la fois une entreprise et un lieu
culturel. J'en prends à témoin les nombreuses conférencesque vous organisez, qui sont très courues. Mais ce
qui est intéressant, c'est que vous êtes sur une rue autour de
laquelle habitent des populations assez mixtes, défavorisées, mais aussi
d'une petite classe moyenne pas nécessairement très argentée mais éduquée et
qui a envie d'acheter. Il n'y a ni Costco ni Wal-Mart dans notre environnement.
J'ai
deux questions. Un, est-ce
que ça vous aide, selon vous? Et,
deux, comment arrivez-vous à vendre des livres à des populations moins
favorisées?
Mme Lemire (Jeanne) : Je vous dirais qu'il y a deux types de vente de livres, il y a le
marché institutionnel — bibliothèques publiques, bibliothèques
scolaires qui sont une portion de nos ventes — et le public, M. et Mme Tout-le-monde. Vous n'êtes pas sans
savoir que, dans notre quartier, il y a beaucoup de jeunes familles quiviennent très régulièrement en librairie. Bon, c'est
certain qu'on ne vend pas des livres, là, à un prix… je vous dirais, moi,des livres de 50 $ et plus, ce n'est pas les livres que je
vends en librairie. Par contre, les familles sont très intéressées à deslivres pas trop chers, des livres qui vont
être éducatifs, qui vont être des livres pour le loisir pour leurs enfants. Et
ça, c'estcette portion-là, mais il y
a aussi les familles qui ont le goût de s'acheter un roman, qui ont le goût de
s'acheter des livres en sciences humaines, et ces gens-là fréquentent la
librairie.
On doit dire que le quartier Rosemont s'est
beaucoup développé ces dernières années. Moi, je regarde au moment où on
est arrivés et je le regarde maintenant, c'est un quartier extraordinaire,
hein, ça se développe beaucoup et il y a beaucoup
d'intérêt. C'est sûr que moi, je n'ai pas ni Costco ni Wal-Mart à côté, c'est
vrai, mais ça… rien n'empêche que, pour vous donner un exemple très
concret…
La Présidente (Mme
Vien) : Rapidement, madame, votre temps est déjà écoulé.
Mme Lemire (Jeanne) : …j'ai quelqu'un, par exemple, qui est venu chez nous, il a acheté un
livre. Il l'a vu moins cher chez Costco, il est venu me reporter le
livre, il a dit : Écoutez, là, vous le vendez bien trop cher.
La
Présidente (Mme Vien) : Merci beaucoup, madame, ça sera votre
mot de la fin. Merci à vous quatre de
vous être présentés chez nous cet après-midi.
Je suspends les
travaux quelques instants, le temps d'accueillir la Fondation pour l'alphabétisation.
(Suspension de la séance à 14
h 45)
(Reprise à 14 h 47)
La
Présidente (Mme Vien) :
Bien. Alors, nous reprenons nos travaux. Et nous accueillons aujourd'hui Mme Diane Mockle. Elle est directrice générale à la Fondation pour l'alphabétisation.
Bonjour, madame.
Fondation pour l'alphabétisation
Mme Mockle (Diane) : Bonjour,
madame.
La
Présidente (Mme Vien) : Bienvenue. Merci de vous présenter dans
votre Assemblée nationale cet après-midi.Alors, vous connaissez les règles du jeu : 10 minutes pour
présenter votre point de vue, par la suite un échange avec les
parlementaires, tout simplement, et je vous ferai signe quand il restera à peu
près une minute à votre présentation de 10 minutes. Ça vous va?
Mme Mockle
(Diane) : Parfait. Je ne
sais même pas si je les atteindrai parce que mon propos sera quand même
relativement bref.
La
Présidente (Mme Vien) : À votre guise. À ce moment-là, on
commencerait les échanges plus tôt, sans problème. On vous écoute, chère
madame.
Mme Mockle
(Diane) : Parfait. Alors,
Mme la Présidente, M. le ministre, MM., Mmes les commissaires, quefait ici la Fondation pour l'alphabétisation?
Créée en 1989, dans la foulée de l'Année internationale de l'alphabétisationde 1990, la Fondation pour l'alphabétisation
œuvre, depuis près de 25 ans, à sensibiliser le public à la problématique del'analphabétisme au Québec. Sa mission s'actualise
à travers des campagnes qui visent à sensibiliser les Québécois à lasituation de l'analphabétisme et au faible niveau
de littératie de la population québécoise ainsi que sur ses conséquences
sur le développement économique, social, politique et culturel de notre
société.
Selon les résultats de l'Enquête internationale
sur l'alphabétisation et les compétences des adultes, qui date de 2003 — la prochaine enquête est attendue en 2013, à
l'automne prochain — 49 %
des Québécois âgés de 16 à 65 ansont
des difficultés de lecture et n'atteignent pas le niveau 3 de littératie, qui
est le seuil jugé minimal pour bien fonctionnerquotidiennement dans une société de l'écrit. À travers cette population
de 49 %, 800 000 personnes sont considérées comme analphabètes.
Outre ses
campagnes de sensibilisation, la fondation a créé la ligne de référence
Info-Alpha, grâce à laquelle plus de 65 000 adultes de toutes les
régions du Québec ont, jusqu'à présent, été aiguillés vers des ressources
offrant de la formation en alphabétisation
qui soit appropriée aux besoins qu'ils expriment. La fondation est également
résolumentengagée dans la prévention
de l'analphabétisme et la lutte au décrochage scolaire à travers son programme
La lecture encadeau, le bien connu.
Depuis maintenant 14 ans, ce programme invite chaque année les Québécoises et
les Québécois à acheter un livre neuf
destiné à un enfant âgé entre zéro et 12 ans vivant en milieu défavorisé. Lors
de sa dernière édition,en mai
dernier, nous avons distribué 36 903 livres à 36 903 enfants dans
toutes les régions du Québec. Depuis ses débuts, 323 000 enfants et
leurs familles ont été rejoints à travers un livre de La lecture en cadeau.
• (14 h 50) •
Au cours des
dernières années également, en partenariat avec la Fondation
Lucie-et-André-Chagnon, nous avonsaccru
la sensibilisation du public à l'importance de la lecture et du livre dans la
vie des tout-petits de zéro à cinq ans. En 2012-2013, cette campagne a
permis de remettre plus de 15 000 livres à des tout-petits.
Dans
les prochaines années, la Fondation pour l'alphabétisation créera une
collection d'œuvres littéraires québécoises
rédigées dans un langage accessible aux compétences et aux capacités de lecture
des faibles lecteurs québécois.Cette
initiative permettra, croyons-nous, de faire découvrir ou redécouvrir le
plaisir de lire à quantité d'adultes qui ont abandonné la pratique de la
lecture, faute d'avoir accès à une littérature adaptée à leurs capacités.
La
Fondation pour l'alphabétisation a, au cours des années, développé une vaste
expertise liée à la problématique de l'analphabétisme au Québec, à sa
prévention ainsi qu'à la mise en place de divers projets et programmes visant à
l'enrayer. C'est à ce titre qu'elle désire
aujourd'hui apporter sa contribution au débat portant sur le prix de vente des
livres neufs imprimés et numériques.
Alors, probablement vous
demandez-vous à quel titre la Fondation pour l'alphabétisation, qui constitue,
en quelque sorte, une voix importante des faibles lecteurs du Québec, souhaitait
être entendue sur la question qui nous préoccupe
aujourd'hui. Eh bien, cette question nous a interpellés à maints égards.
Notamment, nous croyons que le rehaussement des compétences en lecture des
Québécois devrait faire l'objectif d'une politique intégrée, et je m'expliquerai
un peu plus tard sur cette question.
Donc,
un éditorial qui est paru dans La Presse du 3 décembre 2012… dans
le journal La Presse, sous la plumed'Alain Dubuc, et qui était intitulé Prix unique du livre : une
bien mauvaise idée, nous a fait réagir et nous a conduits àémettre un avis sur cette question. On pouvait y
lire : «C'est un choix douteux, à plus forte raison au Québec, qui a
beaucoupde chemin à faire pour
valoriser la lecture. Les Canadiens ne sont pas de gros lecteurs, et à l'intérieur
du Canada, c'estau Québec que les
habitudes de lecture sont au dernier rang.» Il ajoutait : «J'aimerais qu'on
m'explique comment on pourraencourager
les gens à lire, ce qui est crucial pour une nation qui doit soutenir sa
langue, en leur demandant de payer pluscher pour leurs livres, une mesure qui risque surtout d'affecter ceux
dont les habitudes de lecture sont [les] moins bien ancrées.»
Une telle affirmation
vient introduire dans le débat une question qui, de prime abord, apparaît
empreinte d'unenoble préoccupation,
mais qui, en réalité, témoigne d'une méconnaissance du rapport qu'entretiennent
les Québécois faibleslecteurs à la
lecture. 49 % de la population du Québec âgée de 16 à 65 ans, comme je le
disais, n'atteint pas le seuil…le
niveau 3 de littératie, qui est le seuil minimal pour bien fonctionner dans une
société de l'écrit. Le prix des livres constitueprésentement un facteur négligeable dans le fait que près de la moitié
des adultes du Québec lisent peu ou pas. En effet,quel que soit le coût associé aux livres, la très
vaste majorité d'entre eux ne s'en procureront pas, de la même façon qu'ilsfréquentent peu ou pas les bibliothèques où
les livres sont pourtant disponibles gratuitement ou à peu près. Le problèmene trouve donc pas son explication dans un
rapport économique lié aux livres, au prix des livres, mais bien plutôt dans
un rapport culturel à la lecture qu'entretient cette importante proportion d'adultes
québécois.
Le
rehaussement des compétences en lecture des Québécois doit passer par la mise
en place d'une politique intégrée de
promotion de la lecture. Cette dernière devra contenir des actions importantes
visant la mise en place d'habitudes durables
de lecture, dès la plus petite enfance et tout au long du cursus scolaire, et
être assortie de campagnes massivesde
sensibilisation relatives au maintien et au développement des compétences et
aptitudes acquises à l'école. Elle devraégalement tenir compte de l'existence d'une part significative de la
population qui a présentement de grandes difficultés et de faibles
capacités, finalement, en lecture et encourager une production littéraire
adaptée à ses compétences.
Une telle politique ne pourrait faire
l'économie des questions liées à l'accessibilité aux livres, non seulement au
chapitre de la diversité de l'offre, mais aussi à celui de sa disponibilité à
un coût qui permette au plus grand nombre de s'en procurer. Ainsi, la
Fondation pour l'alphabétisation croit que c'est dans cette perspective plus
large que devrait s'inscrire la mise en place
de la réglementation dont il est question aujourd'hui. L'accessibilité aux
livres est unecondition
incontournable. Afin de contribuer de façon significative au rehaussement des
capacités de lecture des Québécois,il
faut non seulement maintenir, mais également élargir l'accessibilité aux
livres. Une réglementation sur le prix de ventedes livres doit tabler sur la nécessité d'en assurer l'accessibilité la
plus large possible à toutes les tranches de la population. Nous ne croyons pas que la solution réside dans le fait de forcer les
grandes surfaces à vendre des nouveautés au mêmeprix que les librairies.
À l'inverse, nous croyons que le Québec doit développer une politique
de soutien financier aux libraires qui leur permette d'offrir les livres
au coût réduit proposé par les grandes surfaces.
Pour
la fondation, il ne s'agit pas là d'accroître les dépenses de l'État en cette
matière, mais plutôt d'investir dansl'arrimage des capacités de lecture des Québécois aux exigences posées
par la société du savoir. Cette préoccupation vabien au-delà
de l'aspect économique soulevé par la question. Il s'agit de rendre le livre
abordable pour l'immense majoritéde
la population, notamment celle dont les tranches de revenus sont les plus
faibles. On ne peut à la fois s'indigner devantle nombre inquiétant de faibles lecteurs et proposer des solutions qui
réduisent l'accessibilité aux livres. Si on veut parvenir à modifier de façon tangible ce rapport culturel
difficile qu'un très grand nombre de Québécois entretiennent avec la lecture,
il faut penser un ensemble de mesures qui y contribuent.
Il en va de même pour
l'offre de livres dédiés aux enfants. On ne peut pas marteler sans cesse aux
parents, notamment ceux à faibles revenus, l'importance
du livre dans le développement de leurs enfants et instaurer parallèlementune réglementation sur le prix de vente qui
réduit la capacité financière de s'en procurer. Encore une fois, il s'agit de
poser des gestes qui sont en cohérence avec le discours que l'on tient. Alors,
par ailleurs, les librairies nous apparaissent comme un vecteur de promotion et de diffusion culturelle à protéger.
Devant le développement de la disponibilité du livre en version numérique et la forte concurrence que pourraient
exercer les grandes surfaces face aux librairies, nous devons nous
interroger sur les intérêts défendus par les uns et les autres.
La Présidente (Mme
Vien) : ...
Mme
Mockle (Diane) : Une minute? Il est clair — il est clair que je me rends — que le marché du livre, au Québec
comme ailleurs, traverse une période de transition et, si des mesures
appropriées ne sont pas adoptées, le risque de précariser de façon importante
le marché que représente la vente de livres en librairie, notamment chez les
libraires indépendants, il est bien présent.
Alors, il faut poser des gestes, au-delà des
préoccupations économiques, qui permettront la survie de ces entreprises.
Au moment où l'on fait le constat qu'une partie significative de la population
a un rapport difficile à la culture écrite, il
faut tout mettre en œuvre pour maintenir bien vivant l'important moteur de
promotion et de diffusion de la culture écriteque sont les libraires. La fondation ne s'oppose pas au fait que les
grandes surfaces réservent des espaces de vente de livres,d'autant que cette offre est présentement
relativement limitée. Elle est néanmoins préoccupée par la fragilisation du
secteur de la vente du livre dans les entreprises spécialisées en cette
matière, les libraires.
Alors,
je conclurai. Donc, la Fondation pour l'alphabétisation croit que le Québec
doit se doter d'une politiqueintégrée
de promotion de la lecture afin de contrer l'accroissement continu du nombre de
faibles lecteurs au Québec etd'affronter
les défis posés par la société du savoir. La Fondation pour l'alphabétisation
est convaincue que Québec doit soutenir
adéquatement le marché de la vente de livres en librairie et permettre que la
réglementation relative au prix de vente vise à rendre l'acquisition d'un
livre neuf abordable au plus grand nombre.
La Fondation pour l'alphabétisation considère
enfin que le Québec se doit d'investir toutes les énergies possiblesdans le rehaussement des capacités de lecture de sa
population. Il s'agit là d'une question centrale pour assurer son développement,
sa prospérité et le maintien d'une position concurrentielle dans le contexte d'une
mondialisation de l'économie. Merci.
La
Présidente (Mme Vien) :
Vous avez bien fait ça. Il est clair que vous aviez besoin de vos 10 minutes,
au minimum.
Mme Mockle (Diane) : Finalement.
La Présidente (Mme Vien) : Puisque vous avez débordé et que… les deux parlementaires ici, la porte-paroleet M. le
ministre, acceptent, bien entendu, de
prendre sur leur temps le débordement de nos invités. Alors, merci, madame. C'est
bien.
Mme Mockle
(Diane) : Ça me fait plaisir.
La Présidente (Mme
Vien) : Maintenant, je cède la parole à M. le député de Saint-Hyacinthe.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Je vous remercie, Mme la
Présidente. Alors, bonjour, Mme
Mockle. Je suis trèsheureux que vous
soyez ici, moi, représenter la Fondation pour l'alphabétisation. Je
travaille beaucoup avec des groupesd'analphabètes à Saint-Hyacinthe,
l'APAJ, et puis je trouve qu'ils font
un travail remarquable auprès des jeunes et auprèsdes adultes aussi. Et puis ils ont même
publié un petit lexique l'an passé, les gens qui suivent les cours à l'alphabétisation,puis ils ont un intérêt
marqué pour la lecture, sauf qu'ils ont de la difficulté, beaucoup,
à lire, ça peut leur prendre… pour certains, ça peut prendre quatre,
cinq minutes à lire une page, tu sais, alors que d'autres, c'est plus facile.
Mme Mockle
(Diane) : Merci d'en convaincre vos collègues. Moi-même, je suis assez
convaincue.
• (15 heures) •
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Mais il reste une chose, c'est que ces gens-là, quand on leur a demandé
d'écrirece que ça leur rapportait de
lire, alors ils ont écrit, ils ont pris le temps de l'écrire, ils ont produit
un petit lexique et ilsm'en ont
remis une copie. Je trouvais ça remarquable et je trouvais ça aussi… pour eux,
c'était une réalisation ou uneaffirmation
de soi qu'ils retrouvaient dans la lecture, dans le livre, qu'ils ne
connaissaient pas avant. Alors, j'ai trouvé ça formidable.
Maintenant,
vous, vous mentionnez, dans votre mémoire, percevoir l'instauration... une réglementation du
prix du livre neuf comme un facteur qui favoriserait la littératie. En
quoi une réglementation du prix de vente au public permettrait-elle d'assurer
un prix de vente abordable pour les personnes à faibles revenus? Estimez-vous
que cette réglementation doit fixer un rabais ou toute autre mesure qui
viendrait aider peut-être ces gens-là à lire davantage?
Mme Mockle (Diane) : D'abord, j'introduirai avec
la question : Au-delà du prix du livre, un des problèmes
denos libraires et de toute l'industrie du livre, c'est que la moitié de notre population ne lit pas. Alors, il est clair que, pour accroître le
chiffre d'affaires de quiconque vend des livres, ça prend des lecteurs.
Cette
parenthèse-ci étant close, je crois qu'il faut, quelle que soit la politique,
qu'elle contribue à faire en sorteque
le livre soit disponible au plus bas prix possible et au prix le plus abordable
possible et que... Comme je le dis dansmon mémoire, je crois que l'État québécois devrait soutenir adéquatement
le marché des librairies pour leur permettrede vendre au prix des grandes surfaces plutôt que d'obliger les grandes
surfaces à vendre à un prix unique qui serait celuiauquel sont obligées de s'astreindre les
librairies à cause des facteurs économiques qui entourent cette industrie-là. C'est
le point de vue que je mets de l'avant.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : O.K., merci.
Mme Mockle (Diane) : Plus il sera abordable, plus il sera accessible et plus on verra de
gens se réapproprier ce rapport au livre et à la lecture qu'ils ont
perdu, pour plusieurs.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Ce que vous voulez dire, si je
comprends bien, ce que vous voulez dire, c'estque la réduction du prix que vous voulez mettre en librairie, ça serait
au gouvernement d'absorber cette baisse-là justement pour ne pas nuire
aux libraires qui ont déjà de la difficulté à arriver avec les prix actuels?
Mme Mockle (Diane) : Voilà, c'est ce que je dis. Et je dis que cela ne constitue pas une
dépense, mais constitue un investissement.
M. Pelletier
(Saint-Hyacinthe) : Merci. J'ai bien compris.
La Présidente (Mme
Vien) : Merci. M. le député de Bonaventure.
M. Roy :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, madame.
Mme Mockle
(Diane) : Bonjour.
M.
Roy : Dans votre mémoire, page 3, vous dites : «Le
problème ne trouve pas son explication dans un rapportéconomique lié au prix des livres, mais bien dans
le rapport culturel à la lecture qu'entretient cette importante proportion
d'adultes québécois.»
Moi,
la question que je vous pose, c'est : Selon vous, quels sont les déterminants
qui construisent un rapport culturelà
la lecture qui peuvent être, bon, problématiques ou à tout le moins
rébarbatifs? On parle de 49 %; c'est beaucoup, là.
Mme Mockle
(Diane) : Quant à moi, on en
est aujourd'hui à faire le constat que la moitié de notre population
éprouve de sérieuses difficultés de lecture. La solution ne réside ni dans le
prix unique du livre, ni strictement dans des politiques particulières qui assortissent l'enseignement
du français, ni non plus strictement dans des politiques qui rendraient
une accessibilité plus grande aux livres, par exemple en bibliothèque.
Pour nous, la
solution réside, et j'en prends toujours pour exemple : il y a
30 ans, il n'y a pas un Québécois ou àpeu près qui portait un casque de sécurité, il n'y a personne qui se
préoccupait de boire dans son auto, ils ne portaient pasla ceinture de sécurité. Ce sont un ensemble d'habitudes
qui ont été créées par des campagnes de sensibilisation qui ontfait réaliser aux gens l'importance de la
sécurité. Comment ne pouvons-nous pas penser créer de telles campagnes surl'importance de la lecture et les
conséquences tout aussi graves pour les individus que puisse avoir le fait de
ne pas avoir un casque de vélo? Ça ne le tue pas, mais ça ne lui fait
pas une très belle vie non plus.
Alors, nous
croyons qu'un ensemble... quand on parle d'une politique intégrée, c'est-à-dire
qu'il doit y avoir unensemble de
mesures qui doivent être mises de l'avant pour ramener ce rapport, pour
remettre à l'ordre du jour l'importancede la lecture dans la vie de chacun, son importance, tant au niveau
économique que culturelle, et cette dimension-là, elle est abandonnée.
Si je peux me permettre de continuer juste un
peu, il est désormais démontré que, pour un très grand nombre d'étudiants qui terminent leurs études secondaires
ou même collégiales, et même, dans certains cas, universitaires, ils nelisent
plus après. Après, lorsque tous les acquis de formation ont été atteints, ils
cessent de lire ou, s'ils continuent de lire,ils ne liront que dans le strict créneau dans lequel ils travaillent et
n'élargiront pas leur accès à la lecture, si bien que le jour où on a à
comprendre des textes qui sont autres que ceux qui sont directement liés à
notre travail, il y a une perte importante de capacité de lecture, et surtout, de
compréhension. Tout le monde décode, hein? Au Québec, il ne faut pass'en faire, tout le monde décode. Ce n'est
pas tout de décoder; il faut pouvoir comprendre ce qu'on lit et pouvoir la
réinvestir, cette information-là, et c'est là que le bât blesse.
M. Roy : Mais ma question, c'est : Pourquoi les gens ne lisent plus?
Vous avez élaboré une stratégie sur une descampagnes de promotion pour réintégrer les habitudes de lecture, le goût
de la lecture, mais, selon… bon, à la lumière de vos connaissances et de
votre organisation…
Mme Mockle (Diane) : Je ne pense pas
que les gens ne lisent plus. Les gens n'ont jamais tant que ça plus lu qu'aujourd'hui. Ce sont les exigences qui sont posées par la société d'aujourd'hui qui viennent nous faire dire que les compétences, détenir d'importantes
compétences en lecture, c'est désormais un prérequis incontournable. Si on veut
pouvoir faire son chemin face aux exigences de la société québécoise d'aujourd'hui
et de n'importe quelle société industrialisée de toute façon, il faut détenir
aujourd'hui des capacités de lecture que nous n'avions pas à détenir il y a 30, 40 ans, là, où les exigences du marché du
travail étaient autres, où le rapport à la culture était également différent.On est tout à fait dans des paradigmes
différents de ceux qui étaient là quand moi-même j'ai fait mon école secondairepar exemple et, à vous regarder, sans doute
plusieurs d'entre vous. Ce n'est pas les mêmes exigences, hein? Ce n'est pas les
mêmes exigences.
M. Roy :
Bref, ce que vous nous dites, c'est qu'il y a comme une dichotomie entre les
exigences d'une société technicienne…
Mme Mockle (Diane) : Dite du savoir,
de l'écrit.
M. Roy :
…ou technicoscientifique du savoir et les moyens qui sont mis en place pour
permettre à une partie de la population de s'arrimer aux exigences.
Mme Mockle
(Diane) : Tout à fait. Et de
ramener à l'ordre du jour cette importance de la lecture au-delà de ce que ça peut signifier pour une grande portion de
la population en termes de contraintes… La lecture est, pour une grandepartie de la population, associée à la contrainte,
associée à l'apprentissage de la lecture à l'école par exemple, où c'est
essentiellement des lectures obligatoires qui sont nécessairement suivies d'un
examen, d'un contrôle, de… La lecture pour
le plaisir ne s'est pas développée et risque peu de se développer chez les gens
qui ont haï l'école, disons-le, et chezles gens qui n'ont pas vécu dans des milieux qui leur ont permis cette
ouverture et cette stimulation à un univers culturel plus large,
notamment la lecture.
M. Roy : Écoutez, on pourrait
en discuter encore longtemps, mais…
Mme Mockle (Diane) : Je vous jure.
Si vous voulez, on poursuit la commission un peu plus tard.
M. Roy : Parce que ça, tu
sais, on peut… Bon, j'arrête là. Merci beaucoup. Merci, madame.
Mme Mockle (Diane) : Ça me fait
plaisir.
La Présidente (Mme Vien) :
Merci beaucoup. Alors, la parole est à la députée de Laporte.
Mme Ménard :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Mockle. J'ai des chiffres ici qui
démontrent, jusqu'en…on parlait de
2004 à 2009, une baisse de la lecture régulière du livre. On parle, chez les
femmes, de 4,1 %; chez les hommes,4,3 %; chez les détenteurs d'un diplôme universitaire, 1,2 %;
chez les détenteurs d'un diplôme collégial, 0,5 %. Est-ce qu'aujourd'hui… votre
lecture, c'est quoi, de 2009 à 2013? Le niveau de la littératie, c'est quoi,
aujourd'hui, avec ce que je viens de vous mentionner?
• (15 h 10) •
Mme Mockle (Diane) : Moi… Écoutez, les nouveaux chiffres de l'enquête internationale vont
être publiés en 2013, et je vous dirai que je ne suis pas d'un optimisme
à tout crin. Je ne pense pas que nous ayons, à travers les 10 dernières
années… que nous soyons parvenus, à travers les 10 dernières années, à réduire
de façon significative le nombre de faibles
lecteurs au Québec. Et c'est dans cette optique-là également que je dis que ça
prend des mesures, desmesures
multiples, hein, de multiples actions qui viendront de multiples endroits et
qui contribueront à refaire ou à fairede
l'acte de lire un acte d'une importance capitale dans la société dans laquelle
on vit maintenant. Il y a, et j'en parlaistout à l'heure, de plus en plus de gens qui, à la fin de leur
scolarité, à la fin de leurs études, abandonnent la pratique de la
lecture ou ne s'y consacrent que dans un objet professionnel.
Il faut arriver à
faire en sorte qu'une promotion bien orchestrée redonne ses lettres de noblesse
à la lecture quand on sait l'ouverture sur
le monde et les horizons que la lecture peut ouvrir. Je pense que tous ceux
qui, parmi nous,sont des lecteurs
comprendront toute cette dimension d'ouverture que procure la lecture et qui
échappe aux personnesqui n'ont pas
la capacité suffisante pour pouvoir le faire ou qui n'ont pas l'intérêt de le
faire parce que la vision qu'ils ont de la lecture n'est qu'une vision
contraignante de l'acte de lire.
Mme
Ménard : Si je comprends bien votre discours depuis le début, c'est
que le vrai problème, c'est le nombrede
lecteurs. Et, si on veut… avoir un achalandage dans nos librairies, là où il
faut travailler d'abord, c'est augmenter le nombre de lecteurs.
Mme Mockle (Diane) : Double message. Je dis ça, d'une part; d'autre part, je dis : D'ici
à ce qu'on y parvienne, ne tuons pas ceux qui sont à la base de la
promotion et de la diffusion littéraire que sont les libraires, notamment les
libraires indépendants.
Mme Ménard :
O.K.
Mme
Mockle (Diane) : Trouvons des mesures qui assurent leur survie. Ce
sont eux qui sont les professionnels dans cette dimension-là de la
culture.
Mme
Ménard : Une dernière question, Mme Mockle. C'est : dans
votre mémoire, vous dites, à la page 4, qu'ilne faut pas croire «que la solution réside dans le fait de forcer les
grandes surfaces à vendre les nouveautés au même prixque les librairies». Donc, ce que vous dites là, c'est
que les grandes surfaces devraient continuer à avoir leurs rabais. C'est
ce que vous dites là-dedans.
Mme Mockle (Diane) : Au fait, oui. Moi, ce que je dis, c'est... parce que le livre y est
abordable et accessible,bien que,
pour avoir vu ce qu'il y a de disponible dans les grandes surfaces, hein, on ne
puisse pas dire qu'il y a une grande diversité dans le choix de l'œuvre,
hein, on s'entend.
Mme Ménard :
Je suis d'accord.
Mme Mockle
(Diane) : Et, d'autre part, ce que je dis également, c'est de
permettre aux libraires de pouvoir appuyer
ce prix-là, de pouvoir vendre les livres aux prix auxquels ils sont offerts
dans les grandes surfaces, de pouvoir les soutenir, de telle sorte que
cela soit rendu possible non pas dans une optique... bon, soutenir
économiquement... Les librairies devraient
appartenir à l'État, et, par ailleurs, qu'elles continuent à contribuer à l'accessibilité
aux livres à un prix abordable, c'est ça que je dis.
Mme
Ménard : O.K. Et, à la page 5 de votre mémoire, vous
dites : Oui, il devrait y avoir une réglementation desprix, mais, s'il y a réglementation du prix du
livre neuf, ça veut dire qu'il n'est plus offert à rabais de 35 %, là, ou
20 %, ou peu importe le rabais, dans les grandes surfaces.
Alors, vous dites une
chose, mais, en même temps, en disant l'autre, vous venez de...
Mme Mockle (Diane) : Non. Bien, au fait, ce que je dis, c'est que la réglementation devrait
non pas être celle quinous est
proposée, mais devrait plutôt être celle qui permet aux libraires de vendre au
prix le plus bas. C'est ce que je dis.
Mme Ménard :
D'accord. Je vous comprends. Parfait. Bien, merci, Mme Mockle.
Mme Mockle
(Diane) : Ça me fait plaisir.
La Présidente (Mme
Vien) : Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Merci infiniment pour votre mémoire. Merci devous être déplacée. Et vous mettez le doigt sur une chose dont on n'aime
pas beaucoup parler au Québec. On n'aime pas...
Mme Mockle (Diane) : Je le sais, c'est
pour ça que je suis ici.
Mme
Roy
(Montarville) : Oui, et on vous en remercie parce qu'effectivement
on parle de sauver les librairies,la
diversité de nos collections de livres. C'est d'une grande importance. Mais, d'un
autre côté, ce que vous nous dites, c'est qu'il y a 49 % des
Québécois qui sont pratiquement analphabètes fonctionnels, là...
Mme Mockle (Diane) : Voilà.
Mme Roy
(Montarville) : …et 800 000 adultes au Québec qui sont
totalement analphabètes, 800 000, là! On est 8 millions. C'est un adulte sur huit, au
Québec, qui ne sait pas lire. Et c'est la base même de l'achat du livre, c'est
de pouvoir lire, en partant.
Mme Mockle (Diane) : Voilà.
Mme Roy
(Montarville) : Alors, vous mettez le doigt sur le nœud du
problème, la racine du problème. Il fautaider ces gens, il faut aider les Québécois. L'idée de la politique
intégrée, nous la… écoutez, nous l'embrassons dans lamesure où, à la formation politique que je
représente, à la Coalition avenir Québec, ce qu'on dit, c'est comme vous :
çase prend au tout début, là, la
littératie, là, très jeune, il faut dépister chez les enfants actuellement dans
nos écoles maternelles,première
année, tout de suite, parce que c'est là qu'on voit s'il y a des problèmes de
lecture, plus tard si on aura à faire face peut-être à un futur
décrocheur.
Mme Mockle (Diane) : Mais, si je
peux me permettre, Mme la députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Allez-y, allez-y.
Mme Mockle
(Diane) : Au-delà de
cela, il faut faire en sorte que
toutes les maisons du Québec où il y a de jeunesenfants... qu'il y ait des livres. On parle de dépistage à l'école,
etc., mais l'enfant, dès son tout jeune âge, doit pouvoirmâchonner un livre, le mettre dans son bain, le
virer à l'envers, que le livre, l'objet lui-même devienne pour lui un objetsignifiant. Et plus il avancera en âge, plus
il apprendra à le feuilleter, à découvrir ce qu'il contient, à découvrir, et…
sonrapport aux livres et à la
lecture sera créé dès le plus jeune âge, même avant le dépistage de quelque
problème que ce soit.Si toutes nos
familles au Québec avaient des livres qui soient mis à la disposition des
petits enfants dès leur plus jeuneâge,
et qu'on puisse leur raconter des histoires, et qu'ils puissent eux-mêmes jouer
avec, les tripoter, les déchirer — on s'en fout — on
aurait déjà un rapport à la lecture chez les générations montantes qui serait
fort différent.
Mme Roy
(Montarville) : Et que ce nombre soit si élevé, un adulte
sur huit, quelle est la racine de ça? Est-ce culturel? Est-ce un
manquement au niveau des programmes éducatifs, l'école, la…
Mme Mockle (Diane) : C'est…
Mme Roy
(Montarville) :
Multifactoriel.
Mme Mockle
(Diane) : C'est un ensemble
de raisons, bien sûr, mais il y a dans... Je dirai, la majorité des cas despersonnes qui sont aujourd'hui analphabètes
sont issues de milieux qui l'étaient eux-mêmes, où il n'y avait pas… ou, s'ilsne l'étaient pas, n'avaient aucune
conscience de l'importance de la présence du livre ou de la stimulation à la
lecture, si bienque cette
dimension-là de notre vie de lettrés, que nous avons tous appris à découvrir
jeunes, ils ne l'ont pas découverteet
ils sont issus de familles dont les parents, souvent, eux-mêmes ne l'ont pas
découverte avant. Alors, on est là dans unetransmission intergénérationnelle, dans une boucle sans fin, et c'est
pour ça que je dis qu'il faut poser des gestes drastiques pour en
arriver à briser ce cercle-là.
La Présidente (Mme Vien) :
Merci, madame. Merci beaucoup.
Mme Mockle (Diane) : Ça me fait
plaisir.
La Présidente (Mme Vien) :
Mme la députée de Gouin.
Mme David :
Vous êtes éloquente. Eh bien, vous ne serez pas tellement surprise d'apprendre
que je suis d'accordavec beaucoup de
choses que vous dites, pas tout, et toute cette problématique — en fait, on va appeler les choses parleur nom — de la pauvreté très souvent associée à la
question de l'analphabétisme, ce n'est pas nouveau pour moi, et vous en
traitez fort bien.
Là où j'accroche,
c'est quand vous dites : Il ne faudrait pas rendre les choses encore plus
difficiles pour les gens.C'est sûr,
dit comme ça, vous avez raison. Mais je vous soumets quand même que les gens
dont nous parlons auront de ladifficulté
de toute façon à aller chez Costco parce qu'ils n'ont pas de voiture et qu'ils
ne peuvent pas payer la carte d'adhésion.
Je ne suis pas certaine qu'on parle de ces personnes-là lorsqu'on parle de l'acheteur,
ou surtout l'acheteuse, de chez Costco, là, qui va aller acheter le
best-seller. Donc, je ne suis pas certaine que, lorsque vous dites : «Nous
nous opposons à la réglementation proposée»,
c'est-à-dire les neuf premiers mois, là, de la sortie d'un best-seller, on
résolve quoi que ce soit en cette problématique-là.
Par
contre, quand vous dites : Soutenir la librairie comme lieu culturel,
soutenir les écoles, le développement desenfants, c'est vraiment bien difficile d'être d'accord... Et je vous
pose la question suivante : Ne craignez-vous pas qu'enne réglementant pas le prix de la nouveauté dans
les grandes surfaces, on en vienne à tuer finalement cette petite librairieque vous aimez, et que les grandes surfaces,
à ce moment-là, bien, en situation de monopole, vont nécessairement monter
leurs prix? Alors, on ne sera pas plus avancés. Ne craignez-vous pas cela?
• (15 h 20) •
Mme Mockle
(Diane) : Je vous dirai que
je ne suis pas moi-même économiste, je suis moi-même humaniste, etdonc que cet ensemble de considérations là, qui
sont sur un rapport beaucoup plus fin aux conséquences économiquesde telle ou telle mesure, m'échappe en partie. C'est
pourquoi mon propos tourne beaucoup plus autour de le rendre accessible et abordable et que, peu importe la
politique qui entourera la façon de réaliser cet objectif-là, j'achète, j'achète.
C'est beaucoup plus ça que d'être allée de façon pointue dans ce que ça peut
apporter, au niveau économique, et je vous
dirai que ma présence ici était surtout liée au fait de nous rendre conscients
de la présence de 50 % de faibles lecteurs au Québec et que cette
dimension-là, elle appartient énormément au développement du marché du livre au
Québec.
La
Présidente (Mme Vien) : Bien, je vous remercie infiniment,
madame, de vous être présentée à l'Assemblée nationale aujourd'hui.
Merci pour votre contribution.
On va suspendre quelques instants, le temps de
laisser le temps à M. Vaugeois de venir s'installer.
(Suspension de la séance à 15
h 21)
(Reprise à 15 h 23)
La
Présidente (Mme Vien) : Alors, on poursuit nos travaux, qui
portent sur le document de consultation sur la réglementation du prix de
vente au public des livres neufs imprimés et numériques. On a le plaisir de
recevoir M. Denis Vaugeois. Bonjour. M. Vaugeois.
M. Denis Vaugeois
M. Vaugeois (Denis) : Bonjour,
madame.
La
Présidente (Mme Vien) : Bienvenue. Ça nous fait plaisir de vous
voir et revoir dans cette enceinte que vousconnaissez bien. M. Vaugeois, vous connaissez les règles du jeu :
10 minutes pour présenter votre point de vue. Si vousen manquez, les collègues peuvent amputer sur leur
temps pour vous en concéder davantage et, par la suite, il y aura un
échange avec les parlementaires. Ça vous va? Allez-y. On vous écoute.
M. Vaugeois (Denis) : Merci, Mme la
Présidente. Je salue M. le ministre, les… j'ai presque envie de dire les collègues, mesdames, messieurs. La proposition
présentée par l'Association des distributeurs au nom de la majorité desprofessionnels du livre est, à mon avis, un bon
compromis. Chacun des partenaires de la chaîne a fait des concessions.
Il en est ainsi depuis la mise en place de la loi du livre en 1981. Au nom de l'intérêt
général, chacun avait été amené à accepter de perdre un peu pour protéger l'ensemble.
Le résultat a permis un secteur du livre qui fait l'envie de nos partenaires
étrangers.
Il n'est pas
inutile de rappeler le contexte des années 70. Le milieu était mobilisé par la
mainmise des étrangers symbolisée par
la pieuvre Hachette. À ce propos, je vous invite à parcourir un ouvrage récent
de Frédéric Brisson, intituléLa pieuvre verte. Brisson est un
chercheur de l'Université de Sherbrooke.
La loi de
1981 a été un véritable tour de force. Je retiens l'opposition des associations internationales et, disons-le, l'inquiétude manifestée par le gouvernement
français. J'ai raconté tout ça dans L'amour du livre, que je vous ai
fait remettre. Et, pour celles et ceux qui
pourraient s'inquiéter de mon sort par la suite, j'ai été béni par les professionnels,
enparticulier les bibliothécaires. Mais la reconnaissance la plus
inattendue est venue de la maison Hachette, qui m'a recruté àmon départ de la politique. Au printemps 1985, je
devenais le patron d'une maison d'édition qui appartenait à parts égales àHachette et à Québecor, et pourtant notre
loi avait forcé le démantèlement d'un important réseau de librairies,
Garneau-Dussault, qui appartenait à 49 % à Hachette.
Après coup,
Hachette et la plupart des opposants avaient réalisé que la loi avait structuré
le marché et professionnalisé l'industrie du livre. Tout avait été
extrêmement rapide. Il faut dire que la loi s'accompagnait d'un audacieux plan de développement des bibliothèques
publiques. La Commission des affaires culturelles — comme on disait àl'époque — avait même siégé à Toronto pour observer les
réalisations de nos voisins en matière de bibliothèques et de musées.
Personnellement, je m'étais donné le défi de développer des lieux d'éducation
populaire. À quoi bon l'école, s'il n'y a
rien d'autre par la suite? Je considère que mon parcours personnel doit
beaucoup à la bibliothèque des jeunes qui était située sur le chemin de
mon école. Sa fréquentation a changé ma vie.
Vous ne
croirez pas les chiffres que je vais vous donner. Ils proviennent de l'ouvrage
de Brisson. Ils m'ont surprismoi-même.
Le nombre de bibliothèques publiques au Québec, écrit-il, bondira, passant de
121 en 1979 à 849 en 1985.Ces
chiffres sont exacts. Ils s'expliquent en partie par les bibliothèques
centrales de prêt dont j'avais accéléré l'implantation.Notre stratégie était simple : les livres
devraient être accessibles partout au Québec grâce à un double réseau de
bibliothèques et
de librairies. Nous les voulions complémentaires. La loi imposera que les
achats de livres se fassent en région, auprèsdes librairies agréées. Les bibliothécaires, en échange de subventions
plus importantes, ne pourraient plus acheter directement en Europe ou
via les commissionnaires français qui les visitaient périodiquement. En outre,
ils devraient renoncer à une remise de
15 % que consentaient les commerçants. En fait, tout le monde avait sa
petite remise en librairie,de sorte
que les prix étaient constamment ajustés à la hausse. En France, la FNAC
accordait 20 % et exigeait une surremisede la part des éditeurs qui se voyaient forcément obligés d'ajuster
leurs prix en conséquence. Le prix unique autorisantune remise maximale de 5 % a rappelé tout le
monde à l'ordre, et les FNAC sont devenues de vraies librairies avec du
personnel compétent et un vaste choix.
Je ne
reviendrai pas sur les avantages du prix unique en France ou dans les pays où
cette pratique a été implantéeni les
conséquences désastreuses dans les pays, comme la Grande-Bretagne, qui l'ont
abandonné. Mais les résultats sont là, etil faut être de mauvaise foi pour les nier. Je me demande d'ailleurs qui
sont ceux qui alimentent certains médias en messagesde malheur dans le genre : Les livres vont
coûter plus cher. Répétons-le, alors que l'exemple de la Grande-Bretagne montre
bien que c'est le contraire qui est probable. Plusieurs pays l'ont compris,
dont Israël, selon les nouvelles de ce matin.
Nous savons
qu'au moment du Sommet du livre et la lecture en 1998 Lucien Bouchard avait
cédé aux argumentsde lobbyistes,
lesquels semblent avoir repris du service. En fait, des géants comme Costco n'aiment
pas se faire dicterdes règles, et
ils réagissent négativement pour l'instant. Pourtant, ils sortiront gagnants.
Les habitudes des consommateursne
changeront pas le temps de le dire. Bref, ils risquent de faire de meilleures
affaires, et les libraires seront toujours là pour mettre au monde des
best-sellers que les lecteurs iront acheter dans les grandes surfaces ou en
pharmacie.
Si c'est
ainsi, me direz-vous, vaut-il vraiment la peine de se mobiliser pour un prix
réglementé? Les gens du livre sont
des gens de principes — et j'ai bien aimé l'intervention de Mme Lemire tout à l'heure — ils ont aussi leur fierté.Ils n'aiment pas se faire dire par un client que
ce dernier a pu se procurer trois livres de La courte échelle, comme ce fut lecas dans le temps, pour le prix de deux en
librairie. Vous m'avez bien compris : trois pour le prix de deux. À noter
que cefut le début des années noires
pour cet éditeur qui avait été mis au monde par des librairies enthousiastes,
enfin fières depouvoir mettre de l'avant
une littérature de jeunesse bien québécoise. Sans mot d'ordre — parce qu'ils sont tellement
pacifiques, les libraires — les
libraires ont spontanément boudé La courte échelle. Je me souviens aussi d'avoir
vu l'éditeur-libraire Pierre Lespérance en
colère au moins une fois dans sa vie : à sa librairie de Versailles, il
venait de se faire traiter de voleur par un client qui comparait ses
prix.
• (15 h 30) •
Certains s'interrogent, ou
font semblant, sur la légalité d'une réglementation du prix du livre. Il y
a pourtant des précédents sur d'autres produits, mais laissez-moi vous
raconter un épisode peu connu des débats de 1980. Les gens voyageaient de plus en plus et revenaient de
France en comparant les prix. Il était évident qu'il y avait des abus quelquepart.
Nous avons décidé d'examiner les tabelles pratiquées, c'est-à-dire le taux de change, augmenté de frais divers et de prise de
profit. À l'époque, les taux de change variaient constamment. Nous avons pris
la décision d'inclure, dans les règlements,
un contrôle des tabelles. On nous a contesté ce droit et on nous a même menacés
de porter l'affaire enCour suprême.
Nous avons alors fait des petites découvertes. Il est apparu que le fédéral n'interviendrait
pas. Les livresde langue française
étaient considérés être de langue étrangère et étaient exempts de douane. Nous
avons aussi constaté une petite guerre entre le Canada anglais et les États-Unis.
Il semblait y avoir des quotas qui incitaient les auteurs canadiens à se faire
éditer aux États-Unis.
Le fédéral
répliqua finalement par divers programmes d'aide à l'édition, dont le Québec a
largement profité grâceau développement de l'édition qui a suivi la loi n° 51. Aujourd'hui encore, je crois que c'est un des rares programmes du
fédéral qui accorde au Québec une part de beaucoup supérieure à sa population.
Il fut donc décidé que le ministère fixerait
périodiquement le pourcentage des tabelles, que les distributeurs devraient faire respecter par les éditeurs
français qui leur confiaient leurs fonds. Le milieu s'est discipliné. Est-ce qu'avecles années il y a eu relâchement? Les propos de Blaise Renaud, exprimés
hier, sont une invitation faite au ministère à rouvrir le dossier des
tabelles, au moins le temps d'une vérification.
On questionne souvent le rôle des distributeurs.
Certains voudraient les contourner, comme dans le bon vieux temps. Pourtant, grâce à leurs clauses d'exclusivité,
ils assurent la présence de stocks importants au Québec. Autrefois, il
fallait attendre deux mois pour obtenir certains livres commandés. Face à une
chaîne ou à un gros détaillant, un éditeur
est vulnérable. On peut retarder un paiement, faire des retours non autorisés.
L'éditeur peut toujours couper l'envoide
ses nouveautés, le détaillant s'en fiche. Le distributeur qui menace de bloquer
des nouveautés de plusieurs éditeurs a plus
de chances de se faire respecter. En cas de faillite — et c'est arrivé il n'y a pas si longtemps — les distributeurs ont encaissé le coup.
Il faut que
certaines choses soient dites. Pierre Renaud, le patron de Renaud-Bray,
excellent libraire par ailleurs,avait
appuyé la loi du livre, mais le développement des bibliothèques l'enthousiasma
au point de vouloir faire disparaîtreles
petites librairies voisines, dont Hugo, Olivieri et quelques autres. Il se mit
à consentir des remises de 20 % au public. Ilse retrouva en situation de faillite et entraîna
avec lui la belle librairie Champigny et quelques autres. Des distributeurs,la SODEC, la FTQ vinrent à la rescousse.
Depuis, Renaud-Bray, qui a intégré ses principaux concurrents, se répand enrégion, et on s'inquiète des ambitions de
son nouveau patron. Pourquoi cette frénésie? Le milieu du livre ne peut se
payer le luxe de la division et surtout pas d'une nouvelle guerre des
prix. Nos deux chaînes québécoises, Renaud-Bray et Archambault, ont une
obligation de solidarité.
Pour le
commun des mortels, le débat actuel autour du prix réglementé est inquiétant.
Les gens tiennent à leursbibliothèques
et à leurs librairies, que ce soit une chaîne ou une librairie indépendante.
Même les lecteurs les plus avertiscomptent
sur leurs bibliothécaires ou leurs libraires pour être conseillés. Combien de
fois Marie-Hélène m'a-t-elle suggéréMadame Bâ, d'Orsenna, que
j'ai lu neuf mois après sa parution, là, ou Voyage d'un Européen à
travers le XXe siècle, deMak? Combien de
fois l'ai-je remerciée? Prenez les titres en note, ces titres-là, ça va au
moins vous consoler d'avoir participé à cette commission-là.
Mais qui
gagnera avec le prix réglementé? Qui gagnera avec le prix réglementé? Voilà la
vraie question. La réponseest :
Tout le monde. Oui, tout le monde. D'abord, les auteurs, dont les livres seront
présents dans quelques centaines depoints
de vente, soit les lecteurs, qui continueront d'avoir un large choix, et, bien
sûr, les libraires et les grandes surfaces.Il faut être réaliste, l'effet de ce qui est proposé sera surtout
psychologique, mais, si le moral est bon, c'est autant de pris.
On pose
souvent la question : Est-ce que les grandes surfaces font vraiment du
tort aux libraires? Vous l'avez posée,cette
question-là. Quand le Club Price, comme on disait à l'époque, s'est installé à
Québec, ma libraire en a vu rapidementl'effet.
À Québec, ça paraissait. Me montrant un Guide de l'auto ou un livre de
Denise Bombardier sur le comptoir, elle medit : Autrefois, j'en vendais 100 exemplaires; aujourd'hui, à
peine 10. À un jeune commis qui semblait bien se débrouiller,je n'avais pu m'empêcher de lui demander… parce
que moi, en librairie, j'ai toujours paniqué, je trouvais ça très difficilede répondre à la clientèle, les questions
venaient de partout. Là, je voyais le jeune qui se débrouillait, j'ai
dit : Commentfais-tu, avec
toute cette production? Ah, il me dit, c'est simple. Il dit : Les gens se
trompent de nom d'auteur, de titre, decouleur
de la couverture, ils ne connaissent surtout pas le nom de l'éditeur, mais je
devine vite, car, dans une semaine,on
nous demande toujours les mêmes ouvrages.
Le libraire garde un inventaire de plusieurs milliers de titres, mais 10 titres
font la différence et lui permettent de survivre.
Le Québec a
opté pour réserver les achats institutionnels aux libraires agréés de propriété
à 100 % québécoise,tandis
que la France optait pour le prix unique à peu près à la même
époque. De part et d'autre, on s'est rendu comptetrop tard que la vraie solution était dans l'application simultanée des deux formules. Autrement
dit, à l'époque, nous n'avonspas vu venir le phénomène des grandes surfaces
et nous n'avons pas pensé au prix unique. Ce fut une erreur. Si le ministrefrançais Jack Lang avait fait voter sa loi en août 1980, au lieu de 1981, il est
certain que le prix unique aurait été inclus dans la loi n° 51.
Il est un peu
tard pour réparer, mais pas trop. On a manqué déjà le rendez-vous de 1998, le
rendez-vous de 2000. J'espère qu'on va…
Il vous appartient d'intervenir. En pareille matière, lignes de partis doivent
s'effacer. Il me semble quec'est une
caractéristique, ça, d'une Commission de la culture et de l'éducation. À l'époque
de la loi n° 51, la commissiondes
affaires culturelles a appuyé en bloc le projet de loi. Je souhaite un appui
semblable aujourd'hui. Vous verrez, la suite desévénements vous donnera raison, et même les opposants s'en réjouiront,
comme ce fut le cas pour la loi n° 51, car toussouhaitent une large diffusion des connaissances
et des idées, de même qu'une place d'honneur pour les œuvres de création.
L'avenir de nos sociétés en dépend.
La Présidente (Mme Vien) :
Bien, ce n'est pas si mal, c'est deux minutes de plus,
2 min 30 s de plus.
M. Vaugeois (Denis) : J'ai coupé
deux, trois passages.
La
Présidente (Mme Vien) : Ah! là, là. Ça a bien été, M. Vaugeois.
Alors, M. le ministre, quand vous êtes prêt.
M. Kotto :
Oui, je suis prêt, Mme la Présidente. Merci. M. Vaugeois, c'est un plaisir
de vous recevoir ici et devous voir
contribuer comme un infatigable soldat de la culture à cette commission. Je
vous poserais une première question.Considérant le contexte culturel et
commercial différent entre la France et le Québec, les politiques de prix réglementé,
je dirais même, sur l'ensemble de l'Europe, sont-elles nécessairement
applicables ici, à l'aune de vos connaissances?
M. Vaugeois (Denis) : Oui. La
réponse, c'est oui. D'ailleurs… Mais là, là-dessus, je voudrais ajouter que… écoutez, notre loi est connue, hein? Et j'ai
voyagé un peu, comme vous, d'ailleurs, comme parlementaire, et combien de fois j'ai eu des remarques sur notre loi du livre,
qu'on nous envie. Et les Français me disaient : On a raté ça, ça nous
manque.Je l'ai entendue à peu près
partout, cette remarque-là. On m'a même invité déjà juste pour aller en faire
la promotion. Laloi du prix unique,
c'est comme la tabelle. On me disait : Non, non, le Québec ne peut pas
réglementer, le Québec n'estpas un
pays. Écoutez, ça fait 30 ans, là, qu'on peut surveiller la tabelle. Si on ne
le fait pas, c'est notre propre responsabilité.
Et on a
actuellement aussi le modèle du Canada anglais. Disons-le, là, ils sont en
plein désarroi, et aux États-Unis.Si
Amazon a eu tant de succès aux États-Unis, c'est parce qu'il n'y a
pratiquement plus de librairies, et les gens ne lestrouvent plus, les librairies. Je travaillais avec
l'éditeur de Harvard il y a quelques années, il me disait : Moi, j'ai
publiéles meilleurs auteurs aux
États-Unis. J'en publie près de 1 000 par année. C'est les meilleurs, les
plus beaux cerveaux.Il n'y a pas
plus que 150 à 200 des titres que je publie qui se retrouvent en librairie. C'est
incroyable, hein? Les autres,les
professeurs les vendent dans leurs cours, les vendent avec leurs conférences,
les vendent à des colloques, les vendent à des coopératives, mais ils ne sont pas présents en librairie. C'est ça,
leur réalité, alors. Mais, eux autres, c'est trop tard,c'est trop tard, ils ne pourront pas revenir en
arrière. Mais le Québec a fait la preuve qu'on peut avoir une situation particulière.
Et d'ailleurs j'ai parlé des subventions
fédérales. Écoutez, c'est quand même extraordinaire. C'est tellement dynamique au Québec par rapport au reste du Canada
que, quand ils distribuent, avec les mêmes critères, leurs subventionsau Canada, bien, ils sont obligés d'en donner plus
que 50 % au Québec, tellement, ici, nous sommes en bonne expansion,en bonne santé, malgré les apparences. Et c'est
justement parce qu'on est en bonne santé qu'on tient le discours qu'on
tient parce qu'on veut le rester.
• (15 h 40) •
M. Kotto :
Merci. Vous disiez tout à l'heure, en rappelant les déclarations de
M. Renaud ici, hier, en commission : Les marges de profit des libraires ont diminué durant les dernières
années et constituent un enjeu majeur pour leur survie, principalement
en raison du pouvoir accru des distributeurs... Et, vous le rappeliez, il
affirme que la place des distributeursn'est
plus tout à fait la même que dans les années 80 : développement des modes
de communication, contrôle de plus de90 %
du marché de la distribution par trois gros joueurs, pouvoir d'exclusivité chez
l'éditeur, etc., ce qui les place dans un rapport de force favorable
face aux libraires.
De votre point de
vue, est-ce qu'il y a lieu de revoir la structure de la chaîne du livre au
Québec?
M. Vaugeois (Denis) : Il y a beaucoup de choses que vous provoquez chez moi. Je vais répondre
à votre questiontout de suite :
Non. Je pense que la chaîne du livre, chacun joue un rôle utile. Et les gens de
la chaîne le reconnaissent.Les gens
se respectent. Et, quand ils arrivent avec la proposition que vous avez devant
vous, c'est que chacun a fait des compromis et chacun respecte son
voisin puis dit : Lui joue un rôle utile, etc.
Maintenant, la loi du
livre n'a pas créé d'agrément pour les distributeurs, il faut le dire, parce qu'on
était conscients que nous, on avait le
critère de la propriété québécoise à 100 %, ça, on pouvait l'exiger pour
les éditeurs. Il y ad'autres
éditeurs qui peuvent exister, qui ne sont pas propriété québécoise à
100 %, mais, pour avoir les avantages de la loi, il fallait être à
100 % québécois. La même chose pour les libraires. Il y a deux fois plus
de libraires que ceux qui sont agréés, mais les autres ne sont pas
nécessairement de propriété québécoise. Et, dans le cas de la distribution, on
était conscients que ce n'était pas possible
à cause de l'importance de la production française, et le reste. Alors, aujourd'hui,
ces gens-là sont des acteurs importants.
Moi,
je dis qu'hier Blaise Renaud a soulevé un point qui mérite d'être considéré, c'est :
Comment ont évolué lesfameuses
tabelles? Écoutez, on a fait un examen, M. le ministre, et, quand on a appelé
dans votre ministère, les gens ont admis
que, les dernières fois qu'on avait calculé les tabelles, c'était en francs.
Alors, on devrait peut-être se rattraper un peu.
M. Kotto :
...il faudrait les revoir, les... O.K.
M. Vaugeois (Denis) : Oui, il faudrait regarder ça. Et c'est possible qu'on trouve que, sans
qu'on s'en rende trop compte, il y a des abus.
Maintenant,
quant au pourcentage que se réservent les distributeurs, bien, c'est négocié, c'est
négocié avec leséditeurs. Hier, Blaise
Renaud a dit une chose assez invraisemblable quand il a dit que les prix des
livres étaient un peuappliqués comme
ça, au hasard des fantaisies des éditeurs. Pas du tout, c'est calculé de façon
extrêmement rigoureuse pour arriver au prix le moins élevé possible.
Et
chacun, dans la chaîne du livre... je vais dire ça, là : Chacun, dans la
chaîne du livre, se contente de très peu,hein? Dans une maison d'édition, là, allez vérifier les salaires. C'est
des petits salaires, hein? Allez en librairie, allez en bibliothèque.
Les bibliothécaires sont les moins bien payés de tous les professionnels de l'État;
ils appartiennent à la catégorie des petits
salaires. Et les libraires sont en bas des salaires des bibliothécaires. Et c'est
comme ça partout dansla chaîne du
livre. On est piégés dans la chaîne du livre, parce qu'on aime notre métier, on
y croit, donc on accepte des conditions plus basses. En contrepartie, on
a l'impression de faire des choses utiles et importantes. Bon, maintenant,
est-ce qu'on peut regarder la répartition? Mais faites confiance à la chaîne du
livre, les gens surveillent ça.
Blaise Renaud, son
jeu est très clair, c'est qu'il est à la tête d'une chaîne. S'il était capable
de contourner les distributeurs, d'acheter directement en Europe, c'est
probablement ce qu'il ferait. C'est ce qu'il faisait avant. Donc, il y a un peu de nostalgie dans son affaire.
Maintenant, quand il a été en faillite, Renaud-Bray a été en situation de
faillite, c'est qui qui a encaissé la faillite? C'est les distributeurs.
Moi,
quand je veux vendre des livres, comme petit éditeur, à une chaîne comme
Chapters... Je vais prendre monexemple
du côté anglais, c'est moins dangereux. Ça m'est arrivé, là, je vais donner des
exemples concrets. Chapters voitun
de mes livres, un de mes nouveaux livres en anglais. Ils me disent : On en
prend 2 000. En ferme. Moi, je suis content,2 000 en ferme. Écoute, on fait un party ce
soir-là. Sauf que, le lendemain, ils me préviennent : Pas à 40 % de
remise,55 %, parce qu'eux autres,
ils veulent donner une remise au comptoir pour faire taire tous les autres
libraires indépendantsqui ont
survécu. Donc, pour donner leur surremise, ils me demandent, moi, une remise
additionnelle. Donc, finalement, si je veux marcher dans leur jeu, je
suis obligé de monter le prix de mon livre.
Il
ne faut pas se tromper, les premières fois, là, qu'on allait dans les grandes
surfaces, hein, les éditeurs étaientobligés
de donner des surremises aux grandes surfaces pour leur permettre de couper les
prix comme Courte échelle l'avaitfait
à l'époque. Donc, moi, j'ai le choix : ou bien je laisse monter
artificiellement mon prix de livre pour leur permettre de faire une
réduction, et moi, je me prive de... puis je tue des petits éditeurs
indépendants.
Maintenant,
j'accepte, mettons, j'accepte. Qu'est-ce qui se passe? Ils n'ont pas le succès
espéré avec mon livre.Pensez-vous qu'ils
me paient les factures? Ils vont me retourner mes livres. Tandis que, si je
suis avec un distributeur,mon
distributeur va leur dire : Non, non, non, ça ne marche pas comme ça. Si
vous ne payez pas ces factures-là, nous, onbloque toutes les nouveautés de tous les éditeurs dont nous sommes les
distributeurs. C'est clair que le distributeur a unpouvoir devant un libraire ou devant la chaîne qu'un
éditeur indépendant n'a pas. Ça, c'est fatigant quand tu es le patron d'une
grosse chaîne.
M.
Kotto : O.K. Je vais vous amener sur la proposition sur la
table, le neuf mois d'application d'une hypothétique réglementation du prix plancher et le 10 %. Qu'est-ce
que vous pensez de cette formule, d'une part? Et, d'autre part, est-ce que, dans l'hypothèse où la commission
irait, dans ses recommandations, dans ce sens-là, est-ce qu'il y aurait d'autres
avenues que cette proposition que nous avons sur la table, le neuf mois et le
10 % d'escompte?
M.
Vaugeois (Denis) : Merci de
poser cette question-là. Je vais vous avouer que je me suis laissé
progressivementconvaincre en
écoutant les gens qui sont venus ici. A priori, moi, j'aurais été plus proche
du modèle français. Mais je merallie au consensus qui s'est dégagé. Vous aurez
compris que Marie-Hélène, qui est venue hier, c'est ma fille, et j'étaisbien content d'entendre sa réponse. Et elle
faisait état de trois ans de discussions, etc. C'est des compromis, c'est ce
que jedis d'entrée de jeu.
Finalement, d'ailleurs, je suis obligé d'admettre que je trouve le neuf mois
comme génial. Je trouveça génial.
Bien, écoutez, moi, je vais vous donner l'exemple de deux livres que j'ai lus à
retardement. Ils n'étaient pas moins bons, mes deux livres, là, puis j'ai
eu autant de plaisir. Je les ai lus après neuf mois. Et, si j'avais voulu profiter d'un
rabais, j'aurais pu profiter d'un rabais après neuf mois. Je trouve que ça, ce
neuf mois-là, est un compromis qui est bien.
Quant au
reste, moi, je trouve que, vraiment, la recommandation… Je répète ce que j'ai
dit au début : C'est un bon compromis. Et la profession s'y rallie,
c'est ça qui est merveilleux. C'est rare, ça, hein? Des gens qui sont en compétition, là, qui sont dans une chaîne puis,
finalement, ils s'entendent sur quelque chose, il me semble que ça mériteun petit peu d'attention, là, puis c'est
leur domaine, là, c'est leur métier, ça. Je vois des gens de partout à l'extérieur
qui leur font la leçon, tu sais? Celui qui dit : Mettez-vous
ensemble, créez des… Voyons donc, ils font déjà ça.
Écoutez, on
parle souvent du livre numérique. Écoutez, les éditeurs et les libraires
québécois sont des pionniersdans le
livre numérique. On a mis au point des formules avant tout le monde… peut-être
pas tout le monde, mais, en toutcas,
avant les Européens et avant les Français. Et, actuellement, on a mis au monde,
par exemple, l'entrepôt numériqueavec
une société qui s'appelle De Marque. Vous aviez un représentant ce matin. On
est tellement en avance que les Français adhèrent à De Marque, et les
Italiens, je pense, adhèrent à De Marque. Et les libraires ont créé leur site
Internet, une deuxième version de site
Internet. Mais, trompez-vous pas, il y en a qui disent : Amazon, Amazon…
Mais Amazon a décidéd'avoir
un appareil et un lecteur qui lui est exclusif. On marche-tu là-dedans, nous
autres? Et vous autres? C'est ça qu'onveut,
être à la merci d'une entreprise qui va décider ce qu'on va lire et ce que nos
enfants vont lire? En numérique, on va dire.
La Présidente (Mme Vien) : Il
reste quatre minutes.
M. Kotto : Quatre minutes,
parfait. Une petite question parce que mes collègues en ont sûrement.
M. Vaugeois (Denis) : …M. le
ministre. N'arrêtez pas tout de suite.
La Présidente (Mme Vien) : S'arrêter
en si bons termes.
M. Vaugeois (Denis) : Non, mais
écoutez, M. le ministre, allez-y.
M. Kotto :
Au-delà de cette possibilité de réglementation du prix plancher, s'il y avait
des mesures supplémentairesd'accompagnement…
parce que tout le monde reconnaît que nous sommes dans une phase transitoire d'une
industrie,en l'occurrence, celle de
la vente du livre. S'il y avait d'autres mesures innovantes à suggérer, est-ce
que vous auriez à nous faire part de quelque chose?
• (15 h 50) •
M.
Vaugeois (Denis) : Je vais
vous… Vous savez, il y a des questions qui sont délicates, ou les réponses, en
toutcas, risquent d'être un peu… J'ai
un franc-parler qui me joue des tours. Mais, quand on a fait la loi du livre,
on a été obligésde laisser… d'abandonner
le manuel scolaire. Et j'ai beaucoup de libraires qui m'en ont voulu longtemps
parce que c'étaitune grosse partie
de leur chiffre d'affaires. Aujourd'hui, les éditeurs de manuels scolaires peuvent
vendre directementaux institutions.
Il n'y a aucun intermédiaire. Ils font leur propre distribution; il n'y a pas
de libraire. Notez, en passant,que
le livre est un produit très peu cher. Si vous comparez le prix du livre à
toutes les autres activités culturelles ou sportives, un billet pour
aller au hockey, par exemple, écoutez, ce n'est quand même pas cher, un livre.
Mais, dans le
domaine du livre, il y en a un qu'on a échappé, c'est le manuel scolaire. Et
vous prendrez le tempsde vérifier le
prix que coûtent les manuels scolaires que vos enfants ont à l'école. Il n'y en
a plus, de contrôle, là-dessus.Et
ça, à mon avis, là, un jour ou l'autre, il y a quelqu'un qui devra regarder ça.
Parce que ça ne coûte pas bien, bien pluscher, faire un manuel scolaire qu'un livre ordinaire. Sauf que nous
autres, on les vend un par un avec des intermédiaires. Eux autres, ils
vendent ça par centaines et par milliers, bon.
Deuxième
chose. À l'époque, j'ai laissé tomber le manuel scolaire à regret, mais je voulais
la loi, donc il fallaitque je cède
quelque part, j'ai cédé là-dessus. Le ministère de l'Éducation, c'était un
boulet qu'il fallait que je traîne.
Donc,j'ai dit : O.K., O.K., O.K., Jacques-Yvan Morin, O.K., mais
propose-moi quelque chose pour me permettre de sauver la face.
Alors,
on convient que les bibliothèques scolaires seraient, comme les bibliothèques
publiques, soumises à la loi. Ah bon!
Ce n'était pas mauvais, hein? Savez-vous comment ça leur a pris de temps à
démarrer, les bibliothèques scolaires,pour
faire des achats significatifs de livre? 25 ans. Puis, encore aujourd'hui, je
serais curieux de vérifier, parce qu'on…en alphabétisation, et ainsi de suite, bien, je serais curieux de voir
où est-ce qu'ils en sont, mais je sais qu'ils ont démarré, ils ont
démarré. Mais ça, si les bibliothèques scolaires avaient vraiment… d'abord, les
écoles avaient vraiment des bibliothèques et
du personnel, parce que, vous savez, dans les négociations de convention
collective, les premiers qui ontrendu
l'âme, c'est les bibliothécaires dans les commissions scolaires, hein? Donc là,
il y a du rattrapage à faire. Et ça, c'estcertain que, si le marché des bibliothèques scolaires redevenait ce qu'il
devrait être, ce serait un plus en termes d'achats en librairie parce qu'il
serait tenu de respecter la loi. C'est une mesure, entre autres, et qui serait
bénéfique, en plus.
La Présidente (Mme Vien) : 25
secondes.
M. Kotto : J'aurais aimé vous
entendre... Ça, gardez ça dans un coin de votre tête…
M. Vaugeois
(Denis) : …
M. Kotto : …sur la
réouverture potentielle de la loi n° 51, mais j'anticipe… Voilà.
M. Vaugeois (Denis) : Ça, je veux
répondre à ça. Ne touchez pas à ça.
M. Kotto : Et puis l'urgence
de légiférer aussi, et qu'est-ce que vous en pensez.
M.
Vaugeois (Denis) : M. le ministre, ne touchez pas à la loi, vous en avez plein les bras actuellement. Si vousmarchez dans le sens
de ce qui est recommandé, ou quelque
chose qui ressemble à ça, faites quelque chose en parallèle, et puis prenons le temps, parce qu'un bon matin il
va falloir mettre le numérique dans le portrait.
La Présidente (Mme Vien) :
Merci, merci beaucoup, M. Vaugeois. Merci, M. le ministre. Voilà. Oui, oui,
allez-y donc, Mme la députée de Laporte.
Mme Ménard : M. Vaugeois, vous pouvez continuer votre réponse,
là, puis j'embarquerai après. C'est intéressant,
ce que vous dites là.
M. Vaugeois (Denis) : Vous allez me
poser la même question, là?
Mme Ménard : Non, non, je
vais continuer d'écouter ce…
La Présidente (Mme Vien) :
Elle vous laisse terminer votre réponse.
Mme Ménard : Vous pouvez
terminer votre réponse.
M.
Vaugeois (Denis) : Non,
mais… Écoutez, pour résumer, je crois que la profession se
rallie derrière la loi n° 51
depuis 30 ans, c'est quand même magique, ça. Il y a eu… À plusieurs reprises,
on l'a remis en question, et puis les gens
finissent… Ils disent : Non, non, c'est encore ça qu'on préfère.
Maintenant, il y a des choses à ajuster, il y a des chosesà régler. Si on donne suite à la réglementation
qui est proposée, allons-y dans quelque chose d'additionnel, une loi spécialelà-dessus, puis prenons le temps de regarder
la question du numérique, parce que j'ai entendu beaucoup de remarques
sur le numérique.
Et,
vous savez, j'ai dit tout à l'heure que les gens dans le domaine du livre, ils
ne gagnent pas cher, ils se contententde
peu, mais, dans le numérique, ce n'est pas le cas. Dans le numérique, les
salaires sont élevés. Et là, actuellement, on fait généralement une
version numérique d'un livre papier. Retenez bien ça, hein, on fait une version
numérique d'un livre papier. Mais, un bon
matin, on va faire un vrai livre numérique, et les gens du numérique vont
devoir retrousser leurs manches pour faire un vrai produit numérique.
Moi,
j'ai travaillé… bien, j'ai travaillé avec Encarta, qui avaient des gros
budgets, Encarta, puis ils faisaient desbeaux produits, puis il y avait à peu près 95 % du budget qui
passait pour les techniciens en informatique, et nous autres,les gens de contenu, on se contentait du reste. J'ai
travaillé ici, pour la Commission de la capitale nationale, budget de500 000 $ pour faire un CD-ROM sur
Québec, capitale. Bien, il y avait 500 000 $, il y avait
5 000 $ pour les contenus, 495 000 $ pour les
techniciens. Écoutez, on est dans un autre univers, avec d'autres niveaux de
salaire.
Et quand, ce matin… je ne veux
pas aller dans trop de détails, mais, ce matin, quand on a répondu à certaines questions… c'est clair que, quand on passe du
papier au numérique, si on ne fait que transposer, il n'y a pas trop de fraisqui s'additionnent, mais le jour où on va
vraiment concevoir un vrai produit numérique, on ne pourra pas, ce n'est pas
possible. Il va falloir changer certains critères, il va falloir changer, ça ne
passera pas.
Mme Ménard : …merci,
Mme la Présidente. Alors, bonjour, M.
Vaugeois. Tout d'abord, d'entrée
de jeu, je veux vous remercier
pour votre livre.
M. Vaugeois (Denis) : Moi aussi, je
vous remercie, madame, vous êtes très bonne à cette commission.
Mme Ménard : Je vous
remercie. J'ai apprécié, alors… Naturellement, je n'ai pas eu le temps de le lire hier, je vais m'y mettre.
M. Vaugeois,
deux petites minutes sur la France. Bon, vous savez qu'actuellement les librairies sont fragiliséesde nouveau en France, et ils ont la réglementation du prix du livre. Le gouvernement a annoncé, là, 18 millions de dollarsen total de mars et juin, dont 7 millions devront provenir, là, d'un travail volontaire des
éditeurs. Et les librairies fermenten
grand nombre. Alors, vous allez me répondre à ça, je pense : Nous, on a la loi n° 51,
hein? Je pense que c'est la réponseque
je m'attends de vous. Maintenant, pourquoi la plupart des gens qui sont passés
ici prennent toujours la France comme un exemple de réussite?
M.
Vaugeois (Denis) : Bien d'abord,
c'est ce qui nous a le plus frappés à… Écoutez, dans les années 70, on étaitsous la botte des Français, puis ils contrôlaient
tout ici. Et je l'ai évoqué un peu à la blague tout à l'heure, mais, quand
on s'est attaqués au réseau Garneau-Dussault, là, bien, écoute… D'abord, en
France même, on dénonçait la pieuvre Hachette, hein? On ne l'avait pas inventé, ça.
Alors, on s'en est sortis, et Hachette ne nous en a pas voulu, ils m'ont même
engagé, si vous voulez. Alors, il y a donc…
Mais les années ont passé, et, en France, ils
ont réitéré leur foi dans le prix unique à plusieurs reprises et récemment encore. Maintenant, ce qu'on observe
actuellement, il y a quelqu'un qui m'a précédé et qui l'a fait remarquer :écoutez, la France vit des périodes… l'Europe
vit des périodes beaucoup plus difficiles que nous, beaucoup plus difficiles
que nous. Moi, je voyage beaucoup là-bas actuellement à cause de mes
recherches, et puis les jeunes se cherchent de l'emploi. Là, on questionne les fermetures de librairies, mais on
pourrait questionner les fermetures de toutes sortes demagasins, hein? Le taux de chômage… Combien de
restaurants ont fermé dans le même quartier? Écoutez, c'est ça, laréalité. Mais, en plus, il y a peut-être des
problèmes propres au livre, je ne le nie pas, parce que la FNAC elle-même est
enmauvaise posture puis ils ont
probablement fait des erreurs en cours de route, hein? Parce que, quand ça va
trop bien, on fait des erreurs. C'est vrai.
Mme Ménard :
Ça peut arriver. En 2012, M. Vaugeois, dans un article du Soleil, et en
parlant des éditeurs, qui sont de plus en plus nombreux, il était
mentionné qu'il y a presque autant d'éditeurs au Québec qu'en France et vous disiez : «Non seulement les éditeurs sont
nombreux, mais grâce aux programmes gouvernementaux d'aide à l'édition,
ils publient de plus en plus d'ouvrages, au point que le marché est incapable d'absorber
leur production.»
D'abord, comment expliquez-vous qu'il y ait
aujourd'hui autant d'éditeurs qu'en France quand, en France, la population est
de 63,8 % en janvier, là, 2013…
Une voix : Millions.
Mme Ménard : On parle
de millions. J'ai dit «pour cent», là, de millions d'habitants.
M. Vaugeois
(Denis) : C'est compliqué. C'est
compliqué, votre question. D'abord, on dit souvent qu'il y a tellement de livres nouveaux qui rentrent en
librairie que les nouveautés chassent les livres qui sont déjà là et on se
plaint que les livres ne restent pas
assez longtemps en librairie, que les nouveautés chassent ceux qui sont déjà
là, et c'est vrai.
La réponse à
ça, c'est : Qui décide des livres qui doivent être publiés pour dire que
ceux-là sont de trop? On dit :Bon,
bien, c'est au client, au lecteur de faire ses choix. Donc, c'est mieux, une
surabondance de production, que le contraire.Ceci étant, c'est magique, madame. À tous les jours, nous rencontrons
des gens qui nous proposent des manuscrits. Ça nem'étonnerait pas, d'ailleurs, qu'en partant d'ici,
tout à l'heure, il y en ait un d'entre vous qui vienne me voir pour m'enproposer un. Mais les rares ennemis que je
me suis faits dans la profession, c'est des gens à qui j'ai dit non, puis ils m'enveulent à mourir. Les gens veulent être
publiés, ils veulent des livres. Ils veulent publier des livres, des livres sur
eux, etc. C'est ça, notre réalité.
Bien, alors,
les éditeurs sont… C'est un métier de rêve. On ne gagne rien, mais on est
importants. On est synonymesde
livres. On est synonymes de livres, madame. Dans les grandes réunions aux
États-Unis, le gars du pétrole, le gars del'immobilier arrivent, ils se pètent les bretelles. Puis arrive l'éditeur,
tout pouilleux, puis là tout le monde tourne autour parce qu'il est
synonyme de livres. J'exagère un petit peu, mais pas beaucoup, pas beaucoup.
Alors, autre
chose aussi — je le
disais dans cette entrevue — autant il n'y a pas beaucoup d'aide pour les
libraires,autant il y a des
programmes d'aide généreux pour les éditeurs. Et je le dis dans mon texte, et
ça, ça tient à la loi n° 51.On
a donné un tel élan au monde du livre, avec la loi n° 51, qu'un jour le
fédéral s'est réveillé puis s'est dit : Il va y avoirde l'argent à prêter à des éditeurs canadiens,
autrement il n'y en aura pas, O.K.? Parce qu'ils en étaient rendus là : il
n'y enaura pas. Il y a de l'argent,
et on est obligés de distribuer l'argent chez tous les éditeurs qui faisaient
des livres au Canadaet on ramasse
55 %. C'est significatif, ça, et ça, c'est signé loi n° 51. Mais c'est
clair que, pour les jeunes qui rêvent… quisont allés étudier en lettres, qui rêvent de tout ça, que c'est un
métier de rêve. Un métier de pauvre, mais un métier de rêve.
Mme Ménard : Mais…
M. Vaugeois (Denis) : J'aurais
tellement de choses que je pourrais ajouter…
Mme Ménard : Ah! J'en suis
convaincue.
M. Vaugeois
(Denis) : Pour ceux qui
voudraient aller là-dedans, madame, je dis toujours la même chose : Assure-toi de tes arrières puis, après ça, fais de
l'édition. Et vous savez que, quand j'étais président de l'Association deséditeurs, j'avais fait une enquête
là-dessus. La moitié des éditeurs au Québec avaient une deuxième profession ou
encore étaient des retraités.
Mme Ménard :
O.K. Parce que vous parliez de 400 maisons d'édition au Québec. En 1981, on
parlait de combien?
• (16 heures) •
M.
Vaugeois (Denis) : Ah non.
En 1981, il y en avait un peu, mais je peux dire que, quand j'ai commencé, dans les années 60, on les
comptait quasiment sur les doigts de la main, à part les communautés
religieuses.
Mme Ménard : Est-ce que le
programme en place pour les éditeurs venait de votre cru?
M. Vaugeois (Denis) : Non, non. Non,
non, moi…
Mme Ménard :
Non? C'est après?
M.
Vaugeois (Denis) : …je n'ai jamais
voulu aider les éditeurs. Je leur ai dit : Gagnez votre vie! Non, c'est...
Mme Ménard : Mais moi…
M.
Vaugeois (Denis) : Nous
autres, on avait un programme d'aide au succès. Il fallait que l'éditeur fasse
sa part.
Mme Ménard : Parce que je me
dis : Avec autant d'éditeurs, est-ce qu'il ne serait pas le temps de
revoir le programme? Parce qu'il ne faut pas en créer, en créer, puis en créer, puis, à un moment donné, ils vont tous mourir de faim. Alors, ce n'est pas ça qu'on
veut. Est-ce qu'on ne devrait pas revoir ce programme-là?
M.
Vaugeois (Denis) : Il ne
nous appartient pas, il est au fédéral, le programme. Il y a
deux programmes au fédéral.Il y a un programme à l'industrie… Puis, au fédéral,
là, ils ne rêvent pas en couleurs, ces gens-là, là. Dans votre parti,vous y croyez un peu, au fédéral, hein? Ces
gens-là, ils ont des données, ils ont des experts, ils ont des professionnels
puis ils savent ce qu'ils font. Et ils considèrent que d'aider l'industrie
du livre au Canada, c'est un plus, pas juste pour les contenus, mais pour même l'aspect économique. Donc, ils ont compris ça, et nous, on a les retombées de ça.
On ne s'en privera quand même pas.
Le Conseil
des arts, la même chose. Le Conseil des arts nous a mis au monde, le Conseil
des arts d'Ottawa nous a mis au
monde, parce qu'ils nous ont disciplinés. Bon, écoutez, quand on a commencé l'édition,
on improvisait, on étaitdes
amateurs. Le Conseil des arts nous a dit : Vous voulez qu'on vous aide?,
vous allez vous aider. Ils nous ont disciplinés.Mais aujourd'hui je n'en fais pas un drame, hein, de voir les jeunes
venir à l'édition parce qu'en même temps il y a un éditeur, de temps en
temps, qui rend l'âme, ça fait que ça s'équilibre.
Mme Ménard :
Alors, je suis contente que vous y croyiez, vous aussi, là. Peut-être une
dernière question. Je vois que vous y croyez fermement, à la
réglementation du prix du livre. Mais vous ne croyez pas, avec tout ce qu'on a
pu entendre, là, depuis le début, qu'il y a
un programme... pas un programme, mais un problème fondamental, qui est celui
du nombre de lecteurs?
M. Vaugeois (Denis) : Non, non.
Mme Ménard : Non?
M.
Vaugeois (Denis) : Non, non.
Ce n'est pas… il n'y a pas de problème là. Écoutez, madame, vous parlerez
aux gens de votre comté, là, puis vous allez rencontrer plein de gens qui vont
être frustrés de ne pas avoir trouvé leur éditeur.
Alors, pour eux autres, il n'y en a pas assez ou, encore, ils n'acceptent pas
le refus qu'ils reçoivent. Non, laissons aller ça parce que c'est… Les
éditeurs, à tous les jours, ils disent non, mais ils en acceptent un certain
nombre.
Vous savez, on travaille très fort. Écoutez bien
ça, là. On travaille très fort pour des tirages de combien, vous pensez? On fait des tirages de 500. On travaille
comme des malades pour un tirage de 500 puis on sait qu'on en vendrapeut-être 350 ou 400. C'est ça, notre réalité,
puis on continue comme ça, si vous voulez, parce que chaque livre a ses
mérites.Et, pour les auteurs, comprenons-nous
bien aussi, ce n'est pas… ce qui attend les auteurs, sauf de très rares
exceptions, ce n'est pas un succès
financier, tu sais. Vous pouvez en témoigner, Mme David. C'est un succès d'estime.
Et combien demes auteurs m'ont
dit... Il y avait un architecte très prospère qui m'est arrivé avec un livre un
jour. J'ai dit : Pourquoi tu tedémènes
là-dessus, ce livre-là? Il dit : Ça va être ma carte d'affaires. Ça va
être ma carte d'affaires. Combien d'universitaires,leur carte d'affaires, c'est leur livre? D'ailleurs,
dans la profession d'universitaire, on leur demande de publier, on commenceà exister. Nous, comme… Parce que je suis un
auteur aussi, je commence à exister quand j'écris un livre. Moi, les revenus
de l'auteur, là, encore là, il faut que je protège mes arrières ailleurs; je ne
vivrai pas avec ça.
Mais c'est
une carte importante. Et, sur le plan politique, vous le savez, tous les chefs
de parti finissent par faire leur titre, leur livre, puis se trouver
quelqu'un pour faire leur autobiographie.
Mme Ménard : Alors, c'est
très intéressant. Merci beaucoup, M. Vaugeois.
La Présidente (Mme Vien) :
Merci. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour,
M. Vaugeois. Merci. Merci pour votre mémoire. Je sais que je parle à une
sommité actuellement, un des pères de la loi, la loi n° 51 entre autres.
M. Vaugeois (Denis) : Ah! Je suis le
père de quelque chose!
Mme Roy
(Montarville) :
On a vu votre fille hier également.
M. Vaugeois (Denis) : Aïe! Il faut
que je vous dise une chose, excusez-moi.
Mme Roy
(Montarville) :
Allez-y.
M. Vaugeois (Denis) :
C'est que j'avais... Et je le dis au ministre aussi. À l'époque, j'avais une
chance inouïe. C'est que, dans le ministère, il y avait d'excellents
fonctionnaires qui venaient du milieu du livre, et je leur… j'en ai… j'ai parlé
à ceux qui sont survivants avant de
venir ici, et là ça m'a rappelé tout ce qu'on a dû faire. J'ai parlé à Guy
Boivin, entre autres, et à Ghislan Roussel. Sur le plan législatif, c'était
un gros défi, et le ministère, à l'époque, était bien équipé pour relever ce
genre de défi là. Et j'espère, M. le
ministre, que vous avez aussi des collaborateurs sur lesquels vous pouvez
compter parce que, tout seul, on ne peut pas grand-chose, hein?
Mme
Roy
(Montarville) : Et justement on parle de lois ici,
on parle de réglementation, peut-être, à venir sur le prix du livre.
Donc, il y a beaucoup de tenants et aboutissants, c'est très complexe, on l'a
vu.
Et,
moi, vous allez me trouver bien, bien terre à terre, il y a quelque chose… On a
un nombre restreint de lecteurs,on l'a
entendu tantôt, entre autres, pratiquement la moitié des Québécois sont des
analphabètes fonctionnels, ce qui estd'une
grande tristesse. Outre ça, on a un
nombre restreint de consommateurs, d'acheteurs. Et, parmi ceux-ci, on sait que
laclasse moyenne, les familles, les
gens cherchent de plus en plus les aubaines, on magasine pour avoir le meilleur
prix sur le vêtement, le soulier et le livre. Et, parmi ceux-ci, il y a
ces gens qui vont dans les grandes surfaces et les Wal-Mart de cemonde, et qui vont acheter le livre parce qu'ils y trouvent un rabais substantiel, et qu'ils ne l'achèteront pas si ce
rabais-là disparaît. Comment éviter cet effet pervers ou cet effet
contradictoire qu'on aurait avec la réglementation des prix?
M. Vaugeois (Denis) : Je pense que l'écart, d'abord,
c'est sur quelques titres pendant une courte période. Il fautbien
revenir sur le neuf mois, là. Pendant neuf mois, tu vas… si, vraiment, le 7 $ ou le 10 $ de différence est
importantpour toi, bien, tu peux
toujours lire d'autres choses puis attendre neuf mois, là, tu n'en mourras pas.
Moi, les livres queje lis, la
majorité, c'est des livres qui ont plus que neuf mois, alors, quand qu'on
rentre dans mon club à moi, il n'y a pasde drame là. Et puis, encore une fois, les best-sellers, je tiens à le
répéter, là, les best-sellers, c'est qui qui les met au monde?C'est ou bien une grosse entreprise qui a des gros
budgets de promotion et qui vendrait n'importe quoi ou encore c'est des libraires et des bibliothécaires qui font bien
leur travail et qui mettent au monde des best-sellers. Et eux autres, ils sont
prêts à partager avec la grande surface la vente de ces livres-là.
Mme
Roy
(Montarville) : Je vous parle du 10 %, je vous
parle du 30 %, 40 %, 50 %. Ils achètent parce que ce
rabais existe. Vous dites quoi à ces gens-là qui n'achèteront plus? C'est ce
qui nous inquiète.
M. Vaugeois (Denis) : Merci. Merci, madame. J'allais oublier quelque chose : quand ils
se rendent à 30 %, 40 %,il
y a quelqu'un qui paie pour. Et là le prix des livres a tendance à augmenter un
peu partout parce que vous ne pouvezpas,
comme ça, sacrifier une telle remise. Si eux autres donnent du 30 % ou
40 %, ou bien ils vendent à perte, ce qui peutarriver, hein, mais ou bien ils demandent une
surremise au distributeur et à l'éditeur. L'éditeur qui cède une surremise,comme Courte Échelle faisait à l'époque,
bien, il a été obligé de monter le prix de son livre. Pour donner la surremise
à lagrande surface, il monte le prix
de son livre. C'est pour ça que ça me choque d'entendre que cette
réglementation-là vafaire monter le
prix du livre. C'est le contraire, c'est que c'est les batinsses de discount
qui font monter le prix des produits.
Les
gens qui vous vendent des robes à des prix de fou, là, quand les robes
arrivent, là, puis ils vous… qu'est-ce qu'ils ont comme marge là-dessus, eux
autres? Ils ont des marges incroyables, hein? Après ça, ils coupent, ils
coupent puis ils coupent. Mais ils mettent le prix le plus haut possible puis,
après ça, ils se mettent à baisser, à baisser, à baisser. Il n'y a pas de
contrôle là-dessus.
Maintenant,
il y a une espèce de discipline qui s'est installée et, quand les grandes
surfaces arrivent… mais là cen'est
plus le cas, je pense, mais, au début, au début, ils arrivaient, ils
demandaient des surremises, mais les surremises, ça voulait dire une
hausse du prix des livres.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. Vaugeois.
M. Vaugeois
(Denis) : Ah! Vous m'avez fait du plaisir, par exemple.
Mme Roy
(Montarville) :
Au moins ça.
La
Présidente (Mme Vien) :
Merci. Des heures de plaisir, hein, cet après-midi, M. Vaugeois? Mme la députée de Gouin, c'est à vous.
Mme
David : Oui, merci, Mme la Présidente. M. Vaugeois, merci beaucoup. C'est vrai que
c'est un plaisir de vousécouter,
vous êtes très convainquant. Moi, ça ne me prend pas grand-chose, il faut dire,
pour être convaincue de réglementer le prix du livre, mais, quand même, on a besoin d'arguments, je
pense, et c'est normal, hein? Parce qu'il
y a des gens qui nous écoutent puis il y a tous ceux et celles qui
lisent les journaux qui se font convaincre par des arguments contraires. Donc,
même si, en arrivant ici, comme je l'ai
dit, j'avais plutôt un préjugé extrêmement favorable, je pose des questions
parce que je veux
qu'on soit au clair, tout le monde, dans le fond, puis que, si on va dans ce sens-là,
bien, on a des bonnes réponses.
Ça fait
que j'ai une question, une seule, une simple. Plusieurs
disent : La réglementation de la nouveauté amèneraitprobablement un certain nombre de personnes, qui, en ce moment, achètent leurs
nouveautés chez Costco, Wal-Mart etcompagnie, à venir l'acheter en librairie s'ils sont
pressés, qu'ils veulent à tout prix la dernière biographie de Céline Dion,puis ça presse, ils ne peuvent pas attendre
neuf mois. Vous, est-ce que vous croyez à ce déplacement de la consommation?
M.
Vaugeois (Denis) : Pas
tellement. Je le dis un peu dans mon texte : Je pense que les habitudes
sont prises pour beaucoup de gens,
puis on ne changera pas ça du jour au lendemain puis on ne fera pas un détour
très long. Je pense qu'il y a une partie du mal qui est
fait. C'est pour ça que j'ai parlé, tout à l'heure… J'ai pris un ton très amer,
tout à l'heure, quand j'ai parlé de 1998 parce que ça, ça nous a passé à
travers la gorge. Et, en 2000, le comité Larose, qui réunissait des gens de
toutes les tendances, de tous les milieux dans le domaine du livre, des gens
qui normalement auraient dû se bagarrer et s'affronter, quand ils ont… le comité Larose a commencé, on s'est
dit : Ils n'arriveront nulle part, mais le comité Larose, dans l'espace d'un
an, avait fait l'unanimité sur le
prix unique. Comprenez-vous, là? Sauf que le problème, c'est qu'ils l'avaient
faite trop vite, leur unanimité,
parce que Lucien Bouchard était encore là et Mme Maltais a eu peur d'aller plus
loin avec ce rapport-là. Et là on a perdu 15 ans.
La Présidente (Mme Vien) : Il
reste…
Mme David : Est-ce que j'ai
encore quelques secondes?
La Présidente (Mme Vien) :
Pas beaucoup, mais quelques secondes pour vous…
Mme David : Trois ou quatre?
La Présidente (Mme Vien) :
…si les collègues sont d'accord, mais rapidement, Mme la députée de Gouin.
• (16 h 10) •
Mme David :
Oui, très, très rapidement. Alors, si vous pensez qu'il n'y aura pas tant que
ça de déplacement de la grande surface à la librairie, pourquoi
réglementer?
M.
Vaugeois (Denis) : Bien, je
l'ai dit un peu aussi, par fierté. Le libraire, il n'aime pas se faire dire qu'il
est un voleur.
La
Présidente (Mme Vien) : Merci, M. Vaugeois. Mme la députée de
Taillon... Taillon, pardon, excusez-moi, de Laporte.
Mme Ménard : Laporte.
La Présidente (Mme Vien) : J'ai
un blanc. Excusez-moi, Mme la députée de Laporte.
Mme Ménard :
J'ai tellement aimé vous questionner que je reviens. Écoutez, pourquoi les
éditeurs acceptentque les grandes
surfaces vendent à rabais? Parce qu'en fait ils accordent… Ce qu'on me
mentionne, c'est que les prixaugmentent
parce qu'ils savent qu'il va y avoir des grands rabais, des gros rabais. Alors,
pourquoi les éditeurs acceptent ça? Puis on parle de surfaces qui
occupent 11 % du marché.
M.
Vaugeois (Denis) : Oui. On s'est
bien compris, hein? Le 11 %, c'est les livres qui sont faciles à vendre,
etc'est avec ces livres-là que les
libraires feraient de bonnes affaires, si vous voulez. Mais je commence à aimer
la commission,hein, parce que la
question que vous venez de poser, là, on se la pose, nous autres, nous-mêmes,
puis on est choqués unpeu de ça,
hein? Parce qu'il y a des éditeurs même qui en sont venus… Puis moi, je
travaille avec des Français à l'occasion, ils m'ont expliqué comment ils travaillaient avec les grandes surfaces,
puis ils l'ont, le phénomène, eux autres aussi. Il y ades livres sur mesure pour les grandes
surfaces : il faut que le livre soit fait comme ci, comme ça, comme ça, à
tel prix, etc. Puis là le monde, il
achète de façon compulsive parce que le prix est coupé là-dessus, etc. Alors,
ici, on a des éditeurs qui ont découvert le filon, et qui produisent
directement pour certaines grandes surfaces, et qui contournent d'ailleurs
toute la chaîne du livre. Qu'est-ce que vous voulez? On n'y peut rien,
on est dans un monde libre, etc. Bon.
Par ailleurs, il y a des éditeurs qui ont des
valeurs sûres, des livres importants, en général, je crois, qui respectent la
chaîne du livre, respectent les
remises, et les plus gros distributeurs que je connaisse ne donnent pas des
surremises aux grandes surfaces. Au
début, il y a eu des abus. Là, je pense qu'ils se sont disciplinés parce qu'il
y a l'effet pervers de tout ça, ils perdaient le contrôle.
La Présidente (Mme Vien) :
Merci…
M. Vaugeois (Denis) : Parce que les
grandes surfaces, ils ne font pas de cadeaux, hein? Ils prennent des gros
paquets, il faut que vous prépariez les livres pour eux autres, puis, s'ils ne
les vendent pas, ils vous les retournent.
La Présidente (Mme Vien) :
Merci beaucoup. M. Vaugeois. On suspend quelques instants.
(Suspension de la séance à
16 h 12)
(Reprise à 16 h 15)
La Présidente (Mme Vien) :
Bien. Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux.
Ça nous fait
plaisir d'accueillir, cet après-midi, les représentants de la Fondation
littéraire Fleur de Lys. M. Serge-André Guay, vous en êtes le
président-directeur général?
Fondation
littéraire Fleur de Lys
M. Guay
(Serge-André) : Eh oui.
La Présidente (Mme
Vien) : Bonjour. Ça va bien?
M. Guay
(Serge-André) : Bonjour. Ça va très bien. Et vous?
La Présidente (Mme
Vien) : Très bien, je vous remercie. Et Mme Renée Fournier,
secrétaire-trésorière.
Mme Fournier
(Renée) : Bonjour.
La Présidente (Mme
Vien) : Bonjour. Monsieur, si vous voulez vous nommer à la…
M. Bonin
(Pierre) : Moi, c'est Pierre Bonin.
La Présidente (Mme
Vien) : Bonjour, M. Morin.
Document déposé
Alors, je vous avise,
gens de la commission et invités, que nous déposons à votre demande, je pense, Du
livre papier au livre numérique, les nouveaux défis de l'industrie face
aux gros joueurs de l'Internet, les mécanismes de la concurrence et la régulation du prix du livre. C'est un document fait par Me Charlaine
Bouchard, professeure titulaire, Faculté de droit, Université Laval.
Alors, merci d'être là cet après-midi. Ça nous
fait plaisir de vous accueillir. 10 minutes pour présenter l'essentiel
de vos messages, par la suite un échange avec les parlementaires. Ça vous va?
M. Guay
(Serge-André) : Oui. Ça me va très bien.
La Présidente (Mme
Vien) : Allez-y.
M. Guay (Serge-André) : Alors, comme vous le savez — je
me présente — mon
nom est Serge-André Guay.Je suis
président et éditeur de la Fondation littéraire Fleur de Lys. Vous savez que je
suis accompagné de Renée Fournier,qui
est la secrétaire-trésorière et libraire, et de Pierre Bonin, qui est un de nos
auteurs et qui est le directeur de notre collection du domaine public.
La
Fondation littéraire Fleur de Lys est le pionnier québécois
de l'édition en ligne sur Internet, avec impressionpapier et numérique à la demande, et elle célèbre
cette année son 10e anniversaire. Sa mission : offrir aux auteurs unealternative à l'édition traditionnelle dans
le contexte des nouvelles technologies. Elle forme aujourd'hui une communautéde plus de 300
auteurs et de plus d'un millier de lecteurs, majoritairement du Québec.
Notez que la Fondation littéraire Fleur de Lys ne reçoit aucune aide
financière de l'État.
Notre
organisme ne fait pas partie de l'industrie traditionnelle du livre selon la
loi du livre et les définitions qu'ony
trouve, aussi elle jouit d'un certain recul lui permettant de porter un regard
différent sur la situation de cette industrie.Notre mémoire
se fonde sur l'analyse de sept études, dont vous avez la liste dans le mémoire,
et cette analyse se résume en trois grandes observations.
Mme Fournier
(Renée) : Dans un premier temps, nous avons observé que l'explication
des fermetures des librairies est
incomplète. Ces fermetures, dit-on, sont la conséquence directe de la
concurrence des points — oui,
c'estça — de
vente au rabais. Notre recherche démontre que les départs à la retraite de
libraires expliquent plusieurs, sinon la majorité des fermetures. L'Association
des libraires du Québec rapportait, dès 2012… pardon, 2010, que 50 % de
ses membres partiraient à la retraite en
2012 et, de ce nombre, seulement 10 % préparaient leur départ. L'association
concluait que, dans la plupart des cas, il n'y aurait pas de reprise,
donc fermeture.
Toutes les études
analysées passent sous silence l'impact de ces départs à la retraite sur la
situation du réseau québécois des librairies
indépendantes. D'autre part, le collectif québécois Nos livres à juste prix
constate, à la lecturedu rapport du
député français Hervé Gaymard, que le réseau de librairies s'est maintenu et
développé en France grâce à la loi
sur le prix unique du livre. Or, le nombre de librairies généralistes a diminué
de 173 à 120 dans le seul Quartier latinde Paris depuis 2003 selon le rapport La revitalisation des commerces
de proximité par la ville de Paris, publié en 2013.Au moment où le député Hervé Gaymard publie son
rapport, déjà 44 librairies généralistes ont fermé leur porte dans le
Quartier latin de Paris, mais il en fait abstraction dans son rapport.
M.
Bonin (Pierre) : Dans un deuxième temps, nous observons un manque
généralisé de rigueur et de donnéesprécises
dans les études qui ont été analysées. C'est le cas, entre autres, de l'évaluation
de l'offre étrangère dans le domainedu
livre numérique dans le rapport de la SODEC. Le rapport fait état d'une
augmentation de 162,9 % des ventes de livres numériques aux
États-Unis pour le premier trimestre de 2011, puis la SODEC compare le marché
américain avec le marché québécois. Or, le
marché américain du livre numérique est très varié. Il inclut les nombreux
auteurs qui optent pour l'autoédition et l'édition à compte d'auteur, ce
qui n'est pas le cas au Québec présentement.
Permettez-nous d'identifier finalement
ces catégories de livres qui sont exclues par la loi du Québec. Ce sont les
livres autoédités, les livres édités à compte d'auteur, les livres uniquement
édités en ligne, les livres qui ne sont pas distribués
en librairie traditionnelle avec pignon sur rue, les livres qui sont offerts
uniquement dans une librairie en lignesur
Internet, les livres uniquement imprimés à la demande, c'est-à-dire un
exemplaire à la fois, à la demande expresse de chaque lecteur, et
finalement les livres qui sont offerts uniquement sous la forme du numérique.
Ensuite,
un autre exemple du manque de rigueur, c'est l'étude qui a été préparée par M.
Michel A. Lasalle à lademande de l'Association
des libraires du Québec. La démonstration de la structure des coûts du libraire
se fonde sur lesétats financiers de
seulement quatre librairies agréées. La représentativité sur laquelle repose
cette étude est de 2,09 %, ce qui est statistiquement insuffisant
pour tirer une quelconque conclusion.
• (16 h 20) •
M. Guay (Serge-André) : Dans un
troisième temps, nous observons que
le débat sur le prix unique du livre place le prix comme étant le premier
pilier du marketing. Or, le prix est le quatrième pilier du marketing. Toute
analyse sérieusese penchera sur les
4P du marketing, la qualité du produit, l'emballage, la publicité et le prix,
qui reposent sur la distribution et l'exposition en magasin.
Nos libraires sont d'abord et avant tout des
entrepreneurs et, à ce titre, ils ont l'obligation de s'adapter aux nouveauxcomportements des consommateurs pour survivre et
prospérer. Comme l'enseigne la théorie de l'évolution de Darwin,une espèce s'adapte aux changements de son environnement, y compris à l'évolution des autres espèces, ou elle disparaît.
Toute résistance au changement est fatale.
Avant de formuler nos recommandations, nous tenons à mettre en garde la commission sur les limites du cadrelégislatif et réglementaire actuel. Par exemple,
la loi du livre ne reconnaît pas les librairies en ligne présentes uniquementsur Internet. C'est le cas d'Amazon, Apple
iBookstore et de la Fondation littéraire Fleur de Lys. Un simple amendementde la loi du livre ne pourrait pas s'appliquer
aux intervenants qu'elle ne reconnaît pas. La Fondation littéraire Fleur deLys croit que l'Assemblée nationale n'aura
pas d'autre choix que d'opter pour une nouvelle loi plutôt qu'un amendement
à la loi actuelle.
Mme Fournier (Renée) : Enfin, la Fondation littéraire Fleur de Lys ne
prend position ni en faveur ni contre uneréglementation du prix de vente du livre. Cependant, nous formulons les
recommandations suivantes à la commission.
Nous recommandons à la commission et au
gouvernement d'adopter désormais une approche gagnant-gagnant en exigeant des retombées spécifiques pour
maximiser l'impact de l'aide gouvernementale, y compris d'une éventuelleréglementation du prix de vente du livre.
Par exemple, nous recommandons à la commission d'exiger la mise en vedette
des livres québécois dans toutes les librairies, et ce, sans aucuns frais pour
les distributeurs et les éditeurs.
Nous recommandons aussi à la commission d'obliger
l'impression au Québec de tous les livres édités avec l'aidede l'État. Plusieurs éditeurs soutenus
financièrement par le gouvernement du Québec confessent publiquement imprimer, en tout ou en partie, leurs livres aux États-Unis
et en Asie. Ainsi, une part de l'aide de l'État québécois tirée des impôtset des taxes des citoyens profite à des
imprimeries étrangères plutôt qu'à nos propres imprimeries. Nous proposons queles éditeurs québécois conservent 100 %
de l'aide de l'État dans le cas où ces derniers impriment leurs livres au
Québec etun pourcentage moindre de cette
aide de l'État s'ils impriment leurs livres à l'étranger. La Fondation
littéraire Fleur de Lysrecommande qu'un
label «Imprimé au Québec» soit instauré. Cette proposition de la Fondation
littéraire Fleur de Lys reçoit l'appui de l'Association québécoise de l'industrie
de l'imprimé.
Nous recommandons aussi à la commission d'effectuer
un suivi très serré des ventes de livres pour mesurer l'impact d'une
éventuelle réglementation du prix unique du livre.
M.
Bonin (Pierre) : Enfin, pour
cerner la situation réelle du livre au Québec, nous recommandons à la
commissionde commander et de rendre
public un portrait annuel inclusif et détaillé du livre au Québec,
ce qui n'existe pas présentement.Nous
sommes particulièrement préoccupés aussi par le manque d'information au sujet de ce qu'on appelle maintenantle peuple en écriture, c'est-à-dire de ceux et celles qui s'adonnent à l'écriture et optent pour les
alternatives au marché traditionnel de l'édition telles que l'autoédition,
l'édition en ligne et l'édition à compte d'auteur.
Enfin, nous tenons à
vous remercier sincèrement pour nous avoir prêté votre écoute et de nous avoir
invités à participer à vos travaux. Merci beaucoup.
M. Guay
(Serge-André) : Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Vien) : Merci beaucoup, messieurs, madame, pour votre exposé. M. le ministre? M. le député de Bonaventure,
bien sûr, allez-y.
M.
Roy : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour. Écoutez, question très simple :
Quel serait l'effet d'une réglementation du prix de vente des livres
neufs sur vos activités?
M. Guay (Serge-André) : Ça dépend si vous l'incluez dans la loi du livre. Si
vous amendez simplement la loi du livre, il faut savoir que la loi du livre ne
nous définit pas comme étant ni un éditeur ni un libraire. Donc, à nous, ça ne
nous affecte pas.
M. Roy :
O.K. C'est tout. Mon collègue... Tu as une question?
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Moi, j'ai une question courte. Vous parliez tout à l'heure… le livre... Vous êtesdans
le livre numérique, vous donnez des services à ce niveau-là. Est-ce que
vous… Votre demande, vous, avez-vous une demande à
cet effet, au niveau de la… si on change la réglementation, de vous inclure, d'inclure
dans la réglementation que… autrement dit, qu'on pourrait légiférer au
gouvernement, inclure le genre d'entreprise que vous êtes dans cette
législation-là ou si vous préférez demeurer à l'écart?
M. Guay
(Serge-André) : Écoutez,
si vous voulez nous inclure, le seul bénéfice qu'on aurait à être inclus dansla loi du livre, et personne ne vous
recommande d'ouvrir la loi du livre, il faudrait à ce moment-là nous donner
accès auxprogrammes d'aide. On n'a pas accès actuellement aux programmes d'aide de l'État parce qu'on n'est pas reconnus parla loi
du livre. Mais, si vous nous incluez dans une loi à part sur le prix unique du
livre, et là vous nous demandez de nousplier à une loi, alors que l'autre ne nous concerne pas, dans le sens où
on ne touche aucun bénéfice de l'État,
on n'a aucune subvention de l'État... On parle de livre
numérique, mais on parle aussi de livre papier dans notre cas. Ça, je voulais
vousle préciser, on fait les deux. C'est
des livres papier, mais imprimés à la demande. C'est ce qui est de plus en plus populaire. À l'heure actuelle, en Europe, aux États-Unis, l'autoédition
représente un fort pourcentage des ventes de livres.
Et ce qu'on
dit au gouvernement ici, maintenant, c'est : D'accord, si vous accordez le
prix unique du livre, moi, je… on ne
s'oppose pas à cette réglementation, à l'adoption d'une telle réglementation
par le gouvernement. Ce qu'on dit, c'est : Maintenant, exigez quelque chose de très spécifique en retour. C'est
très important pour nous. Ce qu'on observe, c'estque l'industrie reçoit beaucoup. Elle valorise le
livre, bien sûr. Ce qu'elle nous dit, c'est qu'elle a 12 000 emplois qu'ellesoutient, 12 000 emplois pauvres d'après
ce que nous dit Denis Vaugeois, qu'il y a plus de 300 millions dans l'économiequi est injecté. Ça, tous les secteurs de l'économie
au Québec peuvent en dire autant. Le secteur de l'aviation peut en dire
autant, le secteur de l'alimentation peut en dire autant.
Mais, dans le cas du livre, qui est soutenu
davantage que tous les autres secteurs, dans une certaine mesure, il faut passer
à une politique de gagnant-gagnant, c'est-à-dire exiger quelque chose en
retour. Oui, on vous offre le prix unique du
livre, mais garantissez-nous que le livre québécois va être mis en vedette dans
les librairies, et ce, sans fraispour
les éditeurs et sans frais pour les distributeurs. Parce que vous savez qu'un
distributeur ou un éditeur doit payer pourque son livre soit souvent mis en vedette. Vous savez qu'une nouveauté
en librairie, ça dure trois mois. La réglementationva s'appliquer pendant neuf mois. Ça, ça veut dire
que, si le livre est retiré au bout de trois mois, qu'est-ce qu'il advientdes autres mois? Il n'y aura jamais eu aucun
rabais sur ce livre-là, il n'aura jamais eu la force du prix pour être vendu.
Ça, c'est de
choses qu'on pourrait exiger. Par exemple, je sais qu'il y a des ententes très
particulières entre certainsdistributeurs
et chaînes de librairies pour conserver le roman québécois plus longtemps en
librairie, plus longtemps queles
trois mois de base, mais ça pourrait être inclus dans une réglementation comme
celle-là. Ce que je vous dis, c'est…En
fait, c'est beau de donner le Bon Dieu sans confession à l'industrie du livre,
mais on n'a plus les moyens financiers de faire ça. Il faut exiger des
retombées très spécifiques, très particulières, puis c'est des exemples qu'on
vous donne.
Par exemple,
l'impression au Québec. Moi, si je reçois une subvention puis que je fais
imprimer mes livres enChine, en Asie
ou chez lulu.com, aux États-Unis, je donne une partie de la subvention
que je reçois à des imprimeurs quisont
à l'extérieur du pays, et ça, ça n'encourage pas notre économie. Alors, moi, je
me dis : Si tu veux recevoir 100 % de la subvention comme éditeur, eh
bien, à ce moment-là, fais imprimer tes livres au Québec par des imprimeurs d'ici.On a l'expertise. Ce n'est pas parce que…
Les gens ne s'en vont pas à l'extérieur parce qu'on n'a pas l'expertise. On
parlesouvent du livre jeunesse qui
coûte plus cher à imprimer. Bien, il y a au moins deux éditeurs jeunesse qui font
leur mise en marché en disant : «Imprimé au Québec», et ce n'est pas les
couleurs qui manquent ni les dessins, là. Alors, moi, je medis : Si on continue à donner, à donner, à
donner sans rien exiger de particulier en retour, ça va être difficile tantôt
pour les librairies. Et on va vous demander quoi? Un fonds comme la
France en a voté un dernièrement.
M.
Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Vous mentionnez aussi, dans votre
mémoire, que la disparition — puis, je pense, vous en avez parlé
tantôt — des
librairies au Québec serait plus due à la retraite des propriétaires de
librairies que peut-être même la concurrence
des grandes surfaces. Comment vous avez… Comment vous arrivez à déterminer que
ce n'est pas l'inverse, c'est les grandes surfaces? Comment vous arrivez
à déterminer ça? Avez-vous des…
M. Guay (Serge-André) : Je n'ai pas
déterminé ça. C'est une donnée qui est disponible à l'Association des libraires
du Québec.
M. Bonin (Patrick) : Oui, c'est ça.
• (16 h 30) •
M. Guay
(Serge-André) : C'est une
étude qu'ils ont faite en 2010, et la source, là, est précisée dans le mémoire.
Je ne l'ai pas dans la tête, mais ce que la source dit, c'était… le directeur
ou la directrice générale de l'association donnaitune entrevue à une
responsable de l'Université de Nantes, en France, qui lui demandait :
Avez-vous le même problème, au Québec, de la relève dans les librairies?
Elle a répondu : Oui, on a fait une étude, il y a 50 % de nos membres
qui prévoient prendre leur retraite, et
seulement 10 % ont répondu à notre offre de formation pour assurer la
relève. Alors, elle-même, elle le dit.
Moi, je
regarde, par exemple… Il y a un des exemples qu'on donne beaucoup ici, là, c'est
l'exemple de la Libraire générale française, qui a fermé ses portes.
Est-ce que tout le monde a oublié qu'elle est à une minute de marche de la Libraire Pantoute, qui est une autre librairie
indépendante sur la rue Saint-Jean? Elle allait… elle va très bien, la
LibrairiePantoute. Pourquoi? Parce
qu'elle a fait ce que tous les gens ici nous recommandent, aux libraires, de
faire : d'être desanimateurs
dans leur milieu, de recevoir des écrivains, d'être actif, de renouveler son
décor, de mettre l'ambiance qu'il faut,d'avoir des bons livres en vedette, etc., d'avoir un bon fond, d'avoir
des bonnes spécialités. Moi, je suis allé à la Librairegénérale française plusieurs années. Elle était
vouée, de toute façon, à la fermeture, et ce n'est pas la faute des grandessurfaces, parce qu'autrement
pourquoi la Librairie Pantoute aurait survécu? Non seulement la Librairie
Pantoute a survécuaux grandes
surfaces, mais elle a ouvert une succursale dans Limoilou. Il y a quelque chose
qui ne marche pas là, il y a…J'ai
une drôle d'impression, là. On généralise beaucoup sur les fermetures, là. Si
on veut le prix unique du livre, qu'onle
demande, mais qu'on ne s'appuie pas trop, trop sur les fermetures, parce qu'elles
ne sont pas expliquées réellement,les
fermetures, à venir jusqu'à date. On n'a pas… L'Association des libraires
a-t-elle fourni la liste des librairies qui ont fermé dans son mémoire?
Moi, on m'avait promis que, oui, ils le feraient, mais ils ne l'ont pas fait.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
C'est bien. Je ne sais pas si M. le ministre a une question, là...
M. Kotto : Non.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
Non. Je pourrais continuer. À titre indicatif, vous avez parlé, vous avez fait référence aux États-Unis sur... le marché
parallèle représentait quand même un pourcentage important aux États-Unis,
mais ici, au Québec, la vente des livres
issus du circuit parallèle à l'édition traditionnelle, comment vous l'évaluez
ici?
M. Guay
(Serge-André) : Écoutez,
nous, on participe… l'Institut de la statistique du Québec nous téléphone à
tous les mois pour enregistrer nos ventes. Je ne sais pas s'ils le font avec
les autres. On n'a pas d'association d'éditeurs,on n'est pas un secteur qui est en fort développement au Québec. La
majorité des gens qui ont besoin de services commeceux-là vont aller vers les Américains, vers lulu.com
ou encore vers des services français. On nous répond, nous, qu'après10 ans d'existence on a en notre catalogue
350 titres, puis ça devrait être des milliers qu'on devrait avoir.
Effectivement,ça devrait être des
milliers qu'on devrait avoir, mais beaucoup d'associations, dont l'UNEQ, ont
référé plusieurs auteurschez lulu.com
aux États-Unis. Alors, la presse a accordé beaucoup d'importance à lulu.com,
puis les auteurs connaissent mieux lulu.com.
Vous savez
comment que c'est, un organisme sans but lucratif comme le nôtre, là, qui est
une fondation qui n'apas de
salariés. On est juste des bénévoles, on n'a pas de budget marketing, là. Ce qu'on
offre, nous, c'est au prix coûtantqu'on
le fait, là. Nous, on charge 650 $ pour éditer un livre numérique et
papier à un auteur en lui donnant 10 exemplairespapier de son livre, qu'il peut revendre au prix
de 24,95 $. Il vient de récupérer la moitié de son investissement. Ça lui
a coûté 300 $, 325 $. Il va aller vers une maison d'édition à
compte d'auteur ou à l'autoédition, mais ça va lui revenir à 1 000 $, 2 000 $,
3 000 $, et, même, la presse a rapporté jusqu'à 15 000 $
pour certaines maisons d'édition. Il y a même des maisons d'édition traditionnelles qui prêtent leur nom. C'est une
pratique courante. Vous m'achetez les 1 000 premiers exemplaires,
et je vous édite.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) :
Merci. Je n'ai pas d'autre question.
La Présidente (Mme Vien) : Ça
va aller de ce côté-ci. Mme la députée de Laporte.
Mme Ménard :
Merci beaucoup. Bonjour, madame, messieurs. Si je comprends bien, là, votre
association… la mission de votre association est unique. Il n'y a pas d'autres
associations au Québec ou…
M. Guay (Serge-André) : Non, il n'y
en a pas d'autre actuellement.
Mme Ménard :
Pas d'autre au Québec. Vous êtes les seuls à avoir cette mission-là. Et, depuis
votre création, votre clientèle a augmenté... et de combien?
M. Guay
(Serge-André) : La clientèle
a augmenté. On est passés… On était… Quand on a ouvert nos portes, on
avait 120 auteurs, on est rendus à plus de 300, puis on en a édité 500.
Ce qu'il faut
savoir, c'est que nous, notre contrat d'édition dure deux ans. Alors, l'auteur
est libre de renouveleron non, il n'a
pas… il ne cède pas ses droits d'auteur à nous. On n'est pas propriétaires de
son livre pour la vie, ou jusqu'à50 ans après sa mort, ou 70 ans après sa
mort. L'auteur peut, au bout de deux ans, retirer son livre. Il peut aussi, en
mêmetemps qu'il fait affaire avec
nous, être à la recherche d'un éditeur traditionnel et décrocher,
effectivement, l'intérêt d'un éditeur traditionnel. Et, à ce moment-là,
dans notre contrat d'édition, c'est spécifié que l'auteur peut mettre fin à son
contrat avec nous s'il obtient ce qu'il
veut, c'est-à-dire son rêve, c'est-à-dire de voir son livre en vitrine d'une
librairie au coin de la rue.
Mme Fournier (Renée) : Parce qu'avec
nous il n'est que sur Internet. On n'est pas dans les librairies.
M. Guay
(Serge-André) : Alors, moi,
ce qui m'a surpris, là, pour parler de la clientèle, j'ai 56 ans aujourd'hui,là, mais j'avais 46 quand j'ai lancé la
fondation et je m'attendais à une majorité de jeunes qui allaient sauter sur
ça. Jeme dis : La génération
numérique, ce sont les jeunes. Bien non, ça a été les gens plus âgés qui sont
venus, des gens de 50 ans et plus, des retraités qui écrivent. J'ai été
surpris par la qualité des écrits.
Au Québec, actuellement, ceux qui écrivent, c'est
ceux qui ont le temps, hein? On n'écrit pas beaucoup par loisir quand on a 24 ans, puis qu'on attend un
enfant, puis qu'on doit travailler puis payer la garderie, etc., on n'a pas celoisir-là. Mais, au Québec, c'est cette
population-là — c'est ce
que j'appelle le peuple en écriture — c'est cette population-làqui écrit. C'est celle qu'on a formée, là, avec la
Révolution tranquille, avec l'instruction publique obligatoire, l'ouverture des écoles, l'ouverture aux livres, l'ouverture à la
culture. Là, elle a fini de travailler. Elle a écrit probablement toute sa viepour des besoins professionnels et là elle
écrit pour elle. Elle écrit souvent pour ses enfants, ses petits-enfants, mais
elle écrit aussi pour des secteurs.
Par exemple, on a
édité l'autobiographie du fondateur de l'ENAP au Québec; il n'a pas passé par
un éditeur traditionnel. Alors, il y en a
qui sont un peu… ils ne veulent plus, là, attendre puis avoir trois, quatre,
cinq, six, 10 lettresde refus d'éditeurs.
Ils se disent : Regarde, moi, je vais le faire pour un petit marché, je
vais le faire pour mes proches,pour
mon réseau à moi, je vais le mettre sur Internet. Tant mieux, s'il y en a d'autres
qui le découvre à travers le monde, mais je vais passer tout simplement
par les nouvelles technologies puis je vais me contenter de ça. Mais au Québec actuellement le peuple en écriture, on n'a pas de
portrait. En France, il y en a un et qui vient de paraître, là, au mois de
juillet.
Mme
Ménard : Vous avez mentionné tantôt que les éditeurs font
imprimer à l'extérieur du Québec. J'ai été…En fait, quand j'ai pris connaissance de ça, j'ai été stupéfaite, parce
que c'est quand même des subventions qui viennent des contribuables.
Alors, à quelle hauteur ça se fait, ça?
M. Guay (Serge-André) : On ne le sait pas. Même l'industrie du livre, l'association que j'ai rencontrée, ne le saitpas non plus. Ce sont des rumeurs qui circulaient.
Moi, je savais… on m'avait informé sur des commentaires suite à un
article que j'avais publié au sujet de lulu.com qui nous menaçait. Une
directrice de lulu.com nous a dit : Des éditeurs québécois
qui font imprimer leurs livres chez lulu.com, il y en a.
Récemment, on m'a confirmé… un homme d'affairesétranger qui est en processus d'ouvrir une entreprise au Québec m'a
confirmé, après sa tournée des éditeurs au Québec, qu'il en a au
moins connu deux qui lui ont confessé imprimer ses livres à l'extérieur du Québec.
Mais
là où c'est le plus étonnant, madame, il s'agit d'aller sur le blogue de l'Association
nationale des éditeursde livres, et
vous trouvez là un message dans lequel une jeune éditrice jeunesse confesse que
tout le monde lui conseille d'aller imprimer ses livres en Chine, car
elle ne survivra pas. Et vous avez juste à lire les commentaires qui suivent le
message dans le blogue de l'association pour
voir qu'il y en a qui vous font rapport qu'ils font imprimer leurs livres en
Asie.
• (16 h 40) •
Mme
Ménard : O.K. À la page 11 de votre mémoire, vous dites :
«...nous excluons tous les livres produits enparallèle de l'industrie traditionnelle du livre» et vous en identifiez
quelques-uns. Il y en a deux que j'aimerais que vous me clarifiiez de
quoi il s'agit : vous parlez des livres autoédités et vous parlez des
livres édités à compte d'auteur.
M. Guay (Serge-André) :
Il y a trois grands types d'édition. L'édition à compte d'éditeur, c'est ce que
fait l'industrie traditionnelle du livre, c'est-à-dire ça ne coûte absolument rien à l'auteur d'être édité. En fait, on dit que
ça ne lui coûte rien, que ça lui coûte ses droits d'auteur sur son
œuvre…
Une voix :
…à long terme.
M. Guay (Serge-André) : …à très long terme. Ça lui coûte beaucoup,
même s'il n'y a aucuns frais pour être édité. Ça lui donne une chance, parce
que 90 % des manuscrits sont refusés.
Le
livre autoédité, c'est l'auteur qui contracte tous les services dont il a
besoin : services d'infographie, la révision, la correction, le
montage de la maquette, l'imprimeur, le distributeur, etc. Il contracte
lui-même chacun des services.
Pour
faciliter la vie à cet auteur-là qui souhaite s'autoéditer mais qui ne veut pas
s'embourber avec 200 contrats àsigner,
puis à surveiller puis à vérifier, il
y a des maisons d'édition qui offrent
ce qu'on appelle l'édition à compte d'auteur. Alors, l'auteur fait
affaire avec un seul service qui lui fournit tous les services pour s'autoéditer.
Mme
Ménard : Donc…
Parfait. Vous avez mentionné aussi le manque de rigueur dans les données. Et
là, en lisantcela, là je me suis
dit... il est passé plein de monde, là, depuis trois jours maintenant,
et on a eu plein de données. Est-ceque
j'entends que les chiffres qu'on… En fait, on a posé des questions, on a eu des
réponses sur certaines données. Alors, est-ce que j'en conclus que ces
données-là ne seraient pas tout à fait exactes?
M. Guay (Serge-André) : Ce n'est pas que les données sont exactes, c'est
qu'elles sont insuffisantes et insuffisamment expliquées aussi.
Moi, j'ai écouté la
première journée de la commission. Je m'attendais à ce qu'on vous fournisse des
données quand vous posiez des questions sur
des données. Alors, la première journée, je l'ai écoutée en entier, puis
souvent onvous a répondu : Ah,
on n'a pas les données, on n'a pas les données. Et il y a quelqu'un…
Prenons l'Association nationaledes
éditeurs de livres. Ils vous ont répondu qu'ils ne savaient pas comment il y avait
d'éditeurs au Québec et que cettequestion-là, vous devriez la poser à la SODEC. Est-ce que
la SODEC a le bon portrait? On n'a pas de portrait sectoriel du livre au
Québec. Le livre, là, il a comme échappé aux grappes industrielles de Gérald
Tremblay, là.
Dans
tous les secteurs au Québec... On a une table agroalimentaire, on a une table
pour l'industrie, on a une tablepour
tous les secteurs industriels. Mais, dans le domaine du livre, il y a une table
de concertation de l'industrie du livre,dont est exclu le gouvernement — à moins que je me trompe, M. le
ministre — il y a
un conseil de la lecture et du livrequi
est, en fait, un… qui regroupe beaucoup de gens de l'industrie, mais peu de
gens de l'extérieur de l'industrie, peu de spécialistes.
Moi,
je n'ai pas été étonné par les données qui vous ont été livrées ici, là. Même
dans le dernier mémoire que j'ai lu,
celui de l'Association des libraires, là on a parlé des fermetures pendant un
paragraphe et puis on s'est tus sur la questionpar la suite, mais on argumente encore. Il y a beaucoup d'argumentation,
mais les données sur lesquelles on s'appuie ne sont pas élaborées
suffisamment, on n'a pas les sources.
Ou
si on prend, par exemple, la fameuse référence au rapport Gaymard, là, que tout
le monde a vu venir commesi c'était
une panacée... Je l'ai soumis, moi, le rapport Gaymard en comparaison avec le
fameux rapport de la revitalisationde
la ville de Paris à un directeur... rédacteur en chef d'un site d'actualité
littéraire en France et je lui ai demandé : Est-ceque je me trompe ou Gaymard a fait erreur? Et il m'a
bien dit que Gaymard a fait erreur. Parce que faire un rapport etdire que la loi du livre a protégé le réseau au
moment même où vous l'écrivez puis que vous avez déjà 44 librairies dansun tout petit quartier qui a fermé ses
portes — bien, un
tout petit quartier, le Quartier latin, c'est quand même très grand, là, on parle d'une ville où il y a
12 millions d'habitants — c'est quand même curieux de la part d'un
député, là, qui vaoffrir un rapport
sur l'impact de la loi sur le prix unique du livre. Oubliez ça, oubliez toutes
les autres fermetures. On peutgénéraliser
puis dire : Ah, tout le monde a… tu sais, tous les secteurs... l'Europe ne
va pas bien, comme M. Vaugeois l'a dit. Certainement, mais
certainement aussi au Québec.
Mme Ménard : Parfait. Merci
beaucoup. Merci, Mme la Présidente.
Une voix : Bienvenue.
La Présidente (Mme Vien) :
Merci beaucoup, chère collègue. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Oui. Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Bonjour, madame, bonjour, messieurs, merci pour votre mémoire.
Comme vous
versez davantage dans le livre numérique, j'aimerais aller à votre
page 21/26. On va parler du prixdu
livre numérique. On a eu plusieurs invités qui nous disaient que ça
représentait entre 2 %, 3 % et 4 % des ventes auQuébec. Vous nous dites, au paragraphe
5.3,Limite de la compétitivité du livre numérique offert par l'édition traditionnelle :«Nous tenons aussi à mettre en garde les élus face
à la réglementation éventuelle du prix de vente des livres numériques.
Actuellement, les éditeurs traditionnels québécois vendent la version numérique
de leur livre à 75 % du prix de l'exemplaire
papier. Notez que ce prix est maintenu malgré la nouvelle aide financière de l'État
pour la production de la version numérique. Or, ce prix n'est pas
compétitif face à la concurrence étrangère.» Pourriez-vous élaborer à cet
égard?
M. Guay
(Serge-André) : Quand on
vend un livre numérique à 70 % ou à 75 % du coût de l'exemplaire
papier, ce n'est vraiment pas compétitif sur le marché. Si vous allez
sur Amazon,si vous allezà la librairie… À notre fondation, nous, on a établi un prix fixe :
7 $. Tous les livres papier se vendent 24,95 $, sauf exception. S'il
y a beaucoup d'images couleur, on monte à 29,95 $, mais on a établi
un prix fixe.
À l'heure
actuelle, là, si, moi, j'étais à engager une firme marketing externe et que je
devais analyser la situationdu livre
numérique au Québec et voir... Tu sais, on peut dire que ça peut prendre un an,
deux ans, trois ans, cinq ans à décoller, mais ça ne décollera pas à ce
prix-là. C'est impossible, c'est trop dispendieux pour ce qu'on nous offre,
parce qu'on ne nous offre pas grand-chose pour l'heure, là. On nous offre
souvent le PDF de l'exemplaire papier, là, et
il n'y a pas d'interaction, souvent il n'y a même pas de table des matières
interactive. Il n'y a pas grand-chose.Souvent,
s'il y a des en-têtes et des pieds de pages, on est chanceux. Mais il y a un
travail à faire, puis le travail est dans le prix.
Alors, moi,
je sais qu'on a été en retard dans le démarrage du livre numérique. Pourquoi?
Mon interprétation estfacile à
ça : Les éditeurs attendaient l'aide de l'État. Et c'est souvent comme ça,
au Québec, dans le milieu du livre, onattend
l'aide de l'État. C'est une industrie qui est sous un respirateur artificiel de
l'État. Elle vous le dira elle-même : Sivous retirez votre aide, ils meurent. C'est presque une industrie
gouvernementale. À 70 % du prix d'un exemplaire papierpour les livres numériques, ça ne fonctionnera
pas, il ne fera pas sa place sur le marché. On va aller acheter ailleurs. Et,
autre chose, sans compter que de plus en
plus d'auteurs — chez
nous, on le remarque — qui décident d'offrir la version numérique de leurs livres
tout à fait gratuitement... C'est le cas de Pierre, ici.
M. Bonin (Pierre) : Oui.
M. Guay (Serge-André) : Il est rendu
à plusieurs milliers d'exemplaires téléchargés.
M. Bonin (Pierre) : À travers le
monde, soit dit en passant.
M. Guay
(Serge-André) : Au-delà de
40 000 lecteurs, imaginez. Sa valorisation, elle est là, il savait qu'il
ne pouvaitpas vivre de ça. Il y a
quoi? Il y a 200 personnes au Québec qui vivent de leurs écrits, y compris
la pige. Alors, ce n'estpas un prix
compétitif. Puis, même si on leur donne le fameux 500 $, maximum
30 000 $ par année, je crois, pour le livre numérique, là, par
éditeur, ils n'ont pas baissé le prix.
Mme
Fournier (Renée) : D'autant
plus que le livre numérique, finalement, c'est la maquette qu'on prépare pourle livre papier, et le travail est déjà
fait. Alors comment ils justifient ce prix-là? Ce n'est pas pour le surplus de
travail, parce que justement ça ne leur en demande pas plus. C'est un
profit qui est beaucoup plus grand, finalement.
La
Présidente (Mme Vien) : Ce sera votre mot de la fin, chère
madame. Merci pour votre présentation. Merci beaucoup. Bon retour.
Je
suspends, le temps d'accueillir M. Germain Belzile. Il est accompagné de
M. Vincent Geloso — je ne sais pas si je le prononce
comme il faut, mais on saura me reprendre.
(Suspension de la séance à 16 h 49)
(Reprise à 16 h 50)
La
Présidente (Mme Vien) :
Bonjour, M. Belzile. Bienvenue, M. Germain Belzile. Vous êtes de l'Institut
d'économie appliquée aux HEC à Montréal, c'est bien ça? Vous êtes accompagné
de — j'espère
de bien dire votre nom — Vincent
Geloso.
M. Germain Belzile
M. Geloso (Vincent) : Exactement.
Vous l'avez bien eu.
La
Présidente (Mme Vien) :
Oui. Probablement que, quand c'est vous qui le dites, c'est plus chanté, votre…Vous êtes chargé de cours en économie aux
HEC à Montréal également. Alors, merci, bienvenue de… merci de vous être
présenté ici et bienvenue.
10 minutes
pour présenter l'essentiel de vos réflexions et ensuite s'ensuivent des
échanges avec les parlementaires.
M. Belzile (Germain) : Parfait.
Merci.
La Présidente (Mme Vien) : On
vous écoute.
M. Belzile
(Germain) : Alors, nous n'avons
pas de mémoire. Nous avons déjà contribué à une étude sur
le sujet et puis nous avons plutôt une communication pour vous.
Alors donc,
mon nom est Germain Belzile, je suis économiste, je suis maître d'enseignement
à HEC. J'enseigneentre autres l'économie
des industries culturelles. J'ajouterais que je suis le seul non-artiste de ma
famille. Alors, même si je suis économiste, je m'intéresse tout de même
à la culture et aux arts. Et mon collègue Vincent Geloso est aussi doctorant à
la London School of Economics. Ça vaut, je pense, la peine de le mentionner.
Tout d'abord, donc, merci de l'invitation à
témoigner à la Commission parlementaire de la culture et de l'éducation. Bien qu'elle soit coûteuse pour
nous — personne
ne paie nos frais de déplacement, contrairement à la situationdes nombreux groupes de pression bien organisés et
contrairement à ce qui se passe au niveau des commissions fédérales
aussi — nous
sommes heureux tout de même de répondre à votre demande.
D'entrée de
jeu, nous pouvons dire que nous nous opposons à une réglementation du prix du
livre neuf. Les raisonsde notre
position sont multiples. Trois raisons, en fait, ressortent, et on va se
partager ici la parole.Premièrement, je crois que nous prenons le parti de ceux qui lisent et
non pas celui de certains commerçants du livre qui désirent améliorer leurposition concurrentielle. Une évidence s'impose,
et ça, c'est quelque chose qui va peut-être choquer les gens, mais une
réglementation du prix du livre neuf, telle qu'elle semble envisagée, vise la
formation d'un cartel. Et la Loi sur la concurrence
du Canada est très claire à ce sujet. Alors, je vous lis l'article 45 de
la loi fédérale sur la concurrence : «Complot,accord ou arrangement entre concurrents. Commet
une infraction quiconque, avec une personne qui est son concurrentà l'égard d'un produit, complote ou conclut un
accord ou un arrangement : a) soit pour fixer, maintenir, augmenter
oucontrôler le prix de la fourniture
du produit.» Alors, écoutez, il y a d'autres éléments, mais, ici, dès qu'on s'entend
pourfixer un prix, c'est quelque
chose qui est considéré comme illégal au Canada. Maintenant, c'est illégal dans
le domaine dela construction, c'est
illégal dans le domaine de l'essence. Évidemment, dans le domaine du livre, ce
n'est pas différent.
Maintenant, si une loi québécoise permettait de
fixer le prix du livre ou de réglementer le prix du livre, ce qui revient à la même chose, ce ne serait plus illégal
évidemment, mais je ne crois pas que ce serait plus légitime pour autant.Il faut être conscient, donc, qu'on est en
train de faire quelque chose qui, normalement, dans la société, n'est pas
accepté et n'est pas considéré comme légitime.
M. Geloso
(Vincent) : Il faut aussi
comprendre qu'un des meilleurs exemples qu'il n'y a pas de ces pratiquescollusoires, c'est justement le cas de la
France. Dès que le prix unique du livre est passé en France, les prix ont
commencé à augmenter 25 % plus rapidement que l'inflation, et ça,
jusqu'en 1995.
Après, les
éditeurs ont décidé de stabiliser les prix au niveau de l'inflation. Ils ont
juste suivi le rythme généraldes
prix. Donc, un peu, ce qui s'est passé, c'est que tout le monde a augmenté les
prix. On a fait le party sur le dos deslecteurs puis après on a laissé ça au niveau que c'était. Puis ici le meilleur
exemple, c'est de regarder qu'est-ce qu'il se passait avant le prix
unique du livre.
Avant que le
prix unique du livre... les prix, en France, avaient augmenté seulement
5 % plus vite que l'inflation au lieu de 25 %. Donc, ça vous
donne une idée d'à quel point les lecteurs ont été abusés par justement la
position oligopolistique qu'il y avait dans
l'industrie puis qui a été offerte par force de loi. Et c'est aussi pour ça
que, quand on regarde les sondages et les enquêtes européennes sur le
sujet, la lecture en France diminue.
Puis, dans cet élément-là, il y a quelque chose
qu'il faut comprendre, c'est que, quand on augmente le prix de quelque chose, bien, la consommation diminue. Le prix
unique du livre va réduire les rabais, va donc conduire à une hausse des prix moyens, et, si le prix moyen augmente, les ventes
vont diminuer, ce n'est pas très sorcier. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il risque de diminuer par un
pourcentage nettement plus important que celui qui va être l'augmentation
de prix.
Pour les
nouveautés, généralement, dans le cas des États-Unis ou de la Norvège, on
estime qu'à peu près chaqueaugmentation
de 1 % s'accompagne d'entre, quelque part, une diminution de 2 % à
3 % des ventes. Ça veut dire que, sion devait augmenter demain le prix du livre de 5 % — c'était ça, l'effet sur la hausse, 5 %
de hausse de prix — ce
serait quelque part entre 10 % et 15 % de réduction de vente
de livres. Ça, c'est pour, vraiment, les nouveautés, puis ça, ça exclut
justement des livres que les gens doivent acheter obligatoirement ou, par
exemple, des livres scolaires qui sont souvent
inclus dans les statistiques, tel que l'IRIS l'a fait d'une certaine manière
récemment, et aussi les livres religieux aussi qui ont une très forte…
qui ont un effet contraire.
Et ce qu'il
faut comprendre, c'est que ça, ça va justement… une hausse de prix va réduire
la demande de livres,et cette
demande de livres là va tomber sur la population québécoise qui est la plus
socialement vulnérable : les moinsinstruits et les moins riches. Il faut considérer qu'au Québec il y a
25 % de la population — 26 % pour être plusprécis — qui n'ont aucun diplôme, contre 14 % en
Ontario, 17 % dans le reste du Canada dans l'ensemble. On s'entend-u…on s'entend pour dire que le groupe qui va
être affecté le plus par une hausse du prix du livre, ça va être... pas les
gensavec énormément d'éducation, ça
risque d'être des gens qui sont déjà peu disposés à lire, et c'est... au
Québec, on est déjà dans une situation plus précaire que dans les autres
provinces.
Et ce qu'il
va se passer, c'est que les gens qui sont déjà peu disposés à lire vont changer
leur consommation vers d'autres produits culturels. Alors, par exemple,
au lieu d'acheter du Kim Thúy, ils vont acheter Céline Dion, au lieu d'acheter du Michel Tremblay, ils vont acheter du
Lady Gaga. Fondamentalement, c'est ça qui va se passer. La culture
québécoise ne s'en portera pas le mieux pour autant. Germain.
M. Belzile
(Germain) : Maintenant,
un point qui ressort beaucoup des interventions autour du débat, c'est qu'unetelle politique serait la bouée de
sauvetage des librairies indépendantes. Et, selon beaucoup
de personnes, les librairiesindépendantes
sont les garants de la bibliodiversité du monde littéraire. Nous avons beaucoup
de difficultés à croire ça, etça, pour plusieurs raisons. Dans le monde anglo-saxon, l'offre de
titres différents n'a jamais été aussi variée, nombreusequ'aujourd'hui. Sur Amazon, on trouve plus de 1 million de titres différents. Les petites librairies sont
de moins en moins nombreuses aux États-Unis aussi, mais la diversité et
la disponibilité des livres n'ont jamais été aussi grandes.
J'ajouterais aussi que le numérique qui… Et on
voit difficilement comment, avec la présence de plus en plus importante du numérique, les petites librairies
indépendantes vont être à l'écart, à l'écart de ça, mais, avec le numérique,on ressort même des livres qui étaient
disparus de la circulation. Il est maintenant possible d'obtenir des livres qui
ont été mis au pilon ou qui étaient épuisés.
Maintenant, le monde du livre, comme d'autres
secteurs, vit et vivra des bouleversements. Tout comme les disquaires et les boutiques vidéo sont beaucoup
moins nombreux que par le passé, les libraires subissent des pressionsprovenant des modifications dans les façons de
consommer le livre. Aux États-Unis, le livre numérique est sur le point desurpasser le «hardback», donc le livre à
couverture rigide. La croissance, aux États-Unis, de la lecture des livres
électroniquesse fait à plus de
100 % par année d'augmentation. Et nous, on a un retard là-dedans, on a un
retard pour toutes sortes deraisons,
c'est relié au modèle d'affaires, mais n'allez pas croire qu'on est isolés de
ça, au contraire. Et, pour cette raison-là, on pense que c'est un peu un
combat d'arrière-garde que d'essayer de protéger les petits libraires.
Ajoutons que
les sites des distributeurs donnent des conseils en fonction des habitudes de
lecture des lecteurs et ajoutons que,
sur le site d'Amazon, par exemple, il est possible d'avoir des critiques
de n'importe quel livre, ce qu'un librairene peut pas faire. Un libraire peut peut-être conseiller les quelques
centaines de livres qu'il a lus, mais il ne peut pas donner des conseils
sur 10 000 livres, 15 000 livres, 50 000 livres, par exemple.
Et je crois que, tout comme les gens se sont
adaptés aux changements et qu'il se vend de moins en moins de disques — il n'y a à peu près plus de disquaires
aujourd'hui — bien, de
la même façon, les gens s'adaptent à des changements technologiques et…
Bon, c'est ça, nous croyons donc que c'est un combat d'arrière-garde.
Maintenant,
est-ce que les libraires indépendants ou certains libraires indépendants vont
continuer à vivre? Biensûr, tout
comme il existe encore des disquaires indépendants. Ils devront cependant se
bâtir une niche et ils vont être obligésde continuer à offrir des services et peut-être un entregent aussi qu'on
ne trouve pas ailleurs. Mais le secteur des petiteslibrairies n'est pas un secteur qui est promis à
non seulement une expansion, mais même à un maintien, tout simplement
parce que les gens changent leur façon de consommer.
Maintenant,
tout comme il y a toujours des bouchers indépendants qui vivent en raison du
service particulier qu'ilsoffrent,
qui n'est pas disponible dans une grande surface, bien, les petits libraires
vont continuer à vivre aussi, mais ils vont vivre parce qu'ils offrent
quelque chose d'intéressant, pas parce qu'on les protège à l'aide d'une loi.
Alors,
en conclusion, tout comme on n'oblige pas tout le monde à payer les prix des
boucheries fines quand ilsachètent
de la viande, bien, de grâce, n'obligeons pas les lecteurs à payer plus pour leurs livres et laissons les
consommateursqui sont sensibles au
prix acheter à fort rabais et laissons les gens qui sont mordus de livres et
qui cherchent des livres qui ne sont pas disponibles dans les grandes
surfaces continuer à fréquenter les librairies.
Et donc je pense
qu'une des grandes questions qui se pose ici — puis je
vais terminer là-dessus — c'est : Qu'est-cequi
nous intéresse ici? Est-ce que c'est de promouvoir la culture et la lecture ou
est-ce que c'est promouvoir les intérêts d'un groupe de marchands, un
groupe de gens qui ont quelque chose à vendre? Alors, merci.
• (17 heures) •
La
Présidente (Mme Vien) : Messieurs, je vous remercie, on vous
remercie. Sans plus tarder, je cède la parole au ministre de la Culture
et des Communications.
M.
Kotto : Messieurs, bonjour. Merci d'être là, merci d'avoir
accepté, au prix de vos propres sous, de venir icipartager vos réflexions, votre vision sur la
question qui nous occupe ici aujourd'hui. Toutes les perspectives entourantcet enjeu de lecture sont enrichissantes,
éclairantes. Mais, pour nous situer un peu et pour me situer moi-même, je souhaiterais savoir si vous avez suivi les
négociations récentes, et qui ne sont pas encore terminées, entourant l'ententede libre-échange entre le Canada et l'Union
européenne. Avez-vous une position relative à l'inclusion ou à l'exclusion
du volet culturel dans ces négociations-là?
Une voix : Veux-tu répondre
ou…
M. Belzile
(Germain) : Bien, écoutez, n'importe
quoi... Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'industrie du livreest une industrie incroyablement dynamique sur le
plan international, et, si ça permet l'inclusion dans le marché québécoisde davantage de livres qui viennent de l'étranger,
c'est tout à fait à valoriser, surtout que, quand on regarde, prix pour prix, les livres qu'on pourrait acheter... Je vais
vous donner un exemple : celui-là, que j'ai acheté moi-même, c'est un
livrequi s'appelle Rome's Last
Citizen, qui est une magnifique biographie d'un sénateur romain, Cato, vraiment
incroyable, sénateur de la fin de la République romaine. Je l'ai acheté
ici, au Indigo, à Montréal, pour 32 $. Il est vendable aux États-Unis pour 12 $ US. Je ne verrais pas de
problème... Puis, en plus, je sais qu'en Grande-Bretagne il se vend à peu
près à 13 £, donc un petit peu moins que le prix québécois.
Définitivement, si on pouvait augmenter des
importations de livres qui viennent d'endroits moins chers, ça augmenterait
justement la diversité culturelle puis ça augmenterait surtout les titres en
anglais pour des lecteurs très spécialisés
qui cherchent à avoir des livres sur des sujets qui sont justement en anglais.
Puis les livres les plus populaires,d'habitude,
comme par exemple les Harry Potter ou tous les best-sellers, deviennent
rapidement traduits dans la languefrançaise,
donc il n'y a même pas... il n'y a pas une menace tant que ça, pour la langue
française, de plus de libre-échange, puis plus d'accès à la culture, et
justement de réduire les prix par les forces d'avoir des marchés plus grands.
M. Kotto :
Vous me corrigerez — je
voulais juste préciser — ma question est de savoir si vous avez une position claire,
à savoir si on défend une exception culturelle ou si on laisse aller ce volet
dans les ententes économiques qui pourraient
être négociées. La question s'est posée dans le cas des débats entourant la
convention sur la diversité culturelleadoptée
par l'UNESCO, et aujourd'hui, à une autre échelle, la question se pose dans le
projet d'entente entre le Canada etl'Union
européenne. Je voulais juste savoir votre position sur cette question :
Est-ce que vous êtes pour ou contre l'exception culturelle?
M. Belzile
(Germain) : Écoutez, je...
Évidemment, nous ne nous sommes pas consultés avant parce que c'estun peu, peut-être, en dehors du sujet strict de
réglementation du prix du livre. Je ne crois pas qu'on doive avoir peur de lamondialisation au niveau de la culture. Nous
vivons dans une culture extrêmement mondialisée, mais ça veut dire quenous profitons de la culture de partout dans le
monde. Et on ne doit pas avoir peur de ça. Nous lisons en français John Irving,nous lisons en français plein d'auteurs de
partout dans le monde, et je pense que c'est une richesse culturelle. Et je
pense qu'il faut faire la promotion de notre culture, mais je pense
surtout qu'il faut être le plus ouvert possible à la culture de partout dans le monde. Alors, moi, je vous
dirais que, d'entrée de jeu, je ne serais pas tellement en faveur d'un protectionnisme
culturel, si c'est ce que vous...
M. Kotto :
Voilà. Exactement. C'est ce que je voulais entendre. Donc, ça me permet de vous
lire avec clarté. Cen'est pas une
critique. Ma posture est totalement objective ici, mais c'est juste pour savoir
où vous vous situez sur l'échiquier idéologique, je dirais.
Vous
savez que la convention sur la diversité des… et la promotion des expressions
culturelles est une conventionqui a
été, en fait — et je le
dis en toute humilité — l'œuvre du Québec parce que nous comptons pour 2 % de la
population en Amérique du Nord,
2 % de parlant français, et que la question identitaire en est une de
fondamentale, et que les effortsau…
tous partis confondus, depuis des lustres au Québec, les efforts investis pour
la protection de cette identité sont pléthore dans toutes leurs
déclinaisons depuis toujours.
Ici,
aujourd'hui, on est en train de débattre d'une proposition qui viendrait, selon
le milieu de l'industrie du livre,atténuer
la glissade dramatique du réseau des librairies du Québec, qui, cela soit dit
en passant, assure un service qu'onne
retrouve nulle part ailleurs sur le marché. Ce sont des hommes et des femmes
doués d'une expertise qui participent à la promotion du livre et donc à
la culture et au renforcement de l'identité, compte tenu du fait que cette
promotion contribue d'une manière, une autre, toutes espèces de milieux
confondus — je
parle des grands centres, des régions éloignées
ou proches — … Cette
expertise, s'il advenait qu'elle se perde en chemin, c'est une portion
substantielle d'un mur de notre identité qui en souffrirait à terme.
Est-ce que vous êtes conscients de ça?
M. Geloso (Vincent) : Écoutez, moi,
je vais…
Une voix : …
M. Geloso
(Vincent) : J'ai une réponse,
premièrement, une réponse d'ordre général sur l'esprit de notre commentaire. Il faut comprendre qu'une culture, ça
respire à l'air libre. Si on la réglemente, on empêche la découvertede nouvelles identités, la métamorphose de qu'est-ce
qui nous définit comme peuple puis dans lequel les individus peuvent se
reconnaître, justement en ayant une multitude de choix dans lesquels ils se
reconnaissent et peuvent justement se métamorphoser. Puis, quand on la… et on tue notre
culture en la régimentant par des bureaucrates et des entrepreneurs politiques.
Le lobby d'avoir un prix unique du livre, c'est un lobby pour sauver… une
mesure qui ne va pas réussir ... D'ailleurs,
on le voit, le déclin des petites librairies est commun à tous les pays
occidentaux, ce n'est pas un prix uniquequi va le renverser. Mais c'est surtout un avantage pour quelques
personnes qui, elles, en mettant un beau voile sur leurproposition, fondamentalement, vont bloquer l'accès
à la culture à des gens qui sont déjà peu disposés à lire. Les gensqui sont les plus éduqués, les gens qui veulent
lire énormément maintenant, qui ont des goûts très, très, très raffinés, quisont des proues de niches, vont trouver des
manières d'accéder à leurs livres, et c'est ce marché-là que les petits
libraires, si, au lieu d'être des entrepreneurs politiques et des
entrepreneurs de marché, essaieraient de satisfaire et de…
Maintenant,
si on veut vraiment une culture qui respire, c'est justement de permettre le
plus de place à la concurrence. Le
prix unique du livre, ce que ça va faire, c'est que ça va bloquer, comme je le dis,
le marché, l'accès auxlivres à des
gens qui sont déjà peu disposés à lire. Puis des gens comme moi qui lisent… Je
lis 40 livres par année à peuprès,
je n'arrête pas de lire, j'ai 4 000 livres dans ma bibliothèque, je n'arrête
pas d'acheter, je suis un malade de ça. Moi,si on m'augmente le prix du livre, je vais juste l'acheter ailleurs. Ça
ne va même pas sauver les petites librairies. Ça fait qu'il faut partir
d'un postulat basé aussi sur un constat que la culture, ça ne se réglemente
pas.
M. Kotto : Mais la culture, ça se protège. C'est le cas du Québec. N'eut
été de ce réflexe, depuis des générations,il est possible que l'acculturation ait grugé le collectif québécois.
On a un sociologue à côté de nous, il peut nous élaborer cela, mais
je n'ai pas beaucoup de temps. J'irai un peu plus loin dans cette voie.
Pensez-vous
sérieusement que — et
on est dans des hypothèses, là — réglementer
le prix plancher du livre neuf,physique
ou numérique, pendant neuf mois, en contenant les variations d'escompte à l'intérieur de 10 %, pourrait tuer
l'industrie du livre?
• (17 h 10) •
M. Geloso
(Vincent) : …va réduire les
ventes pour des gens qui sont déjà peu disposés à lire, ceux qui achètentchez Wal-Mart, ceux qui achètent chez
Costco. Puis j'aimerais ça qu'on arrête aussi… J'ai entendu, des fois, dans les
médias, des commentaires sur les livres qui sont vendus dans les Costco puis
les Wal-Mart. Chez Wal-Mart, se vend L'histoire
du Québec pour les nuls, par Éric
Bédard, la biographie d'Abraham Lincoln écrite par Doris Keating, l'histoiredes religions du monde, une biographie des
rois de France. Donc, ce n'est pas… la culture ne va pas être endommagée,de rendre, justement, ces livres-là
accessibles à des prix modiques à des gens qui sont déjà… qui sont normalement
peu intéressés par la lecture.
On peut
parler de protéger notre culture, puis je suis d'accord avec ça, mais protéger
notre culture en la rendant…en la
bloquant à un groupe de gens qui ne l'ont pas déjà — rappelons qu'un quart des Québécois n'a
aucun diplôme, cequi est moins que
partout au Canada — clairement,
ce n'est pas une politique qui, justement, protège notre culture. À toutes
fins pratiques, ça l'élitise un petit peu.
M. Belzile
(Germain) : Je voudrais
juste peut-être ajouter un petit point là-dessus. Les Québécois dépensent enmoyenne 81 $... les adultes, 81 $
par année en livres. On n'est pas des grands lecteurs. Et je pense que toute
politique quifait monter le prix du
livre par rapport à celui qu'on aurait pu avoir, c'est une politique qui n'est
pas positive. Et je pensequ'il faut
revenir à la question fondamentale : Qu'est-ce qu'on veut défendre ici?
Est-ce que c'est la lecture ou est-ce quec'est des producteurs? Et moi, je pense que nous nous rangeons
résolument du côté des consommateurs de la lecture, de ceux qui veulent
pratiquer la culture, et non pas de ceux qui veulent la produire. Mais la
raison, d'ailleurs, pour laquelleil
se vend des livres, ce n'est pas pour les producteurs, c'est pour les gens qui
lisent. C'est eux qu'on doit garder en tête en premier.
M. Kotto :
Oui, mais on peut avoir un regard holistique sur la question, à la fois
défendre ceux qui sont moinsenclins
à lire, ceux qui sont issus de milieux démunis, et aussi ceux qui font la
promotion par leur expertise, puisqu'on parle d'un volet spécifique de
la chaîne du livre au Québec, les librairies traditionnelles fragilisées, en l'occurrence.
Je vous poserais une autre question. Elle est
simple et brutale : Est-ce qu'il faut laisser mourir les librairies
indépendantes?
M. Belzile
(Germain) : Je ne crois pas
qu'elles vont mourir. Je crois qu'il va y en avoir moins, tout comme il y amoins de producteurs dans toutes sortes de
domaines aujourd'hui par rapport à il y a 50 ans. Il y a moins de petites boucheries, il y a moins de disquaires; les
disquaires sont à peu près disparus. Les gens n'écoutent pas moins de musique,les gens se fournissent en musique au
magasin iTunes ou dans les grandes chaînes. Je pense que la musique se porte
bien au Québec. Et je pense que c'est ça qu'il faut regarder avant tout;
je pense que ce n'est pas l'intérêt d'un groupe bien particulier qu'il faut
examiner.
Maintenant, les petits libraires, ils vont
continuer à exister, mais seulement s'ils sont capables de trouver un modèle d'affaires, seulement s'ils sont capables
de trouver une niche qui va faire en sorte que les gens veulent acheterchez eux plutôt que d'acheter ailleurs. Et, s'ils
sont débrouillards, s'ils peuvent le faire, bien, moi, je suis certain que des
librairies, comme par exemple à Montréal, Olivieri, Zone libre, à Québec,
Pantoute, vont continuer à vivre, seront ici encore
dans longtemps, vont survivre. Maintenant, est-ce qu'il y a de la place pour autant
de librairies que dans le passé?Je
suis sûr que non, tout simplement parce que les gens consomment autrement
maintenant et je pense que c'est un combat d'arrière-garde. Je pense
que, même si on passe cette loi-là, le déclin des petites librairies va
continuer au Québec.
M. Kotto : Merci.
La Présidente (Mme
Vien) : Le député de Bonaventure.
M. Roy :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs, c'est très intéressant. J'ai eu
un de mes anciens profsqui
disait : Le maximum d'intégration à l'économie internationale amène un
maximum de désintégration des économieslocales, O.K.? Et de ne pas réglementer ou, à tout le moins, agir peut
amener, je dirais, des conditions très difficiles pour les libraires
mais faciliter Amazon. Donc, on a des choix, quand même, politiques à
faire, et là c'est l'objet de notre discussion. Et est-ce qu'on prêts à perdre
aussi l'expertise des libraires?
Puis, tu
sais, on peut aller dans des questions plus fondamentales : Qu'est-ce que
la culture? À quoi ça sert? Est-ce que c'est une marchandise que l'on
consomme comme des beignes, ou je ne sais pas quoi, ou c'est quelque chose qui transcende l'aspect de consommation puis qui
permet à une nation de se projeter dans le futur? C'est un moteur. Puis je neveux pas rentrer dans un discours
anthropologique, mais la fonction de
la culture, c'est de nous adapter au monde qui nous entoure, aux défis,
et à faire émerger des idées nouvelles, etc. Je ne rentrerai pas dans le
détail.
Mais
j'aimerais vous entendre sur ça, sur, entre
autres, sur le maximum d'intégration.
Vous me dites : Il ne fautpas
être contre la mondialisation. Bien, il
faut faire attention aussi. On voit
ça quand Wal-Mart s'installe à quelque
part, là,c'est tous les petits magasins qui meurent aux
alentours. Puis l'argent s'en va où? Il ne s'en vient pas chez le marchand
ou le… qui va prendre son argent qu'il fait puis qui va aller se faire couper
les cheveux chez la coiffeuse ou… Vous comprenez
ce que je veux dire. Donc, il y a quand
même un point d'équilibre qui est important
puis il faut quand
même protéger certains secteurs d'activité de notre société, là.
M. Belzile
(Germain) : Moi, je
répondrais : Allez-vous faire la
même chose pour les quincailleries?
Les quincailleries de quartier sont beaucoup
moins nombreuses qu'elles l'étaient parce
que les gens se fournissent maintenantchez Home Dépôt, ou Réno-Dépôt, ou autres. Consommation, vous savez, ce
n'est pas un terme qui est méchant, hein, qui est sale, hein? Mais les méthodes par lesquelles les gens ont accès
à la culture — on
peut appeler ça la consommationou
appeler ça autre chose — ça
change, tout comme les moyens d'accès à toutes sortes de choses changent dans
notre société. Et je ne pense pas qu'en rendant moins intéressant l'achat
de lecture à certains endroits on va promouvoir la culture tout court. La culture québécoise, elle rayonne en dehors du Québec, et
je ne crois pas que ce soit par la réglementation ou que ce soit à cause
de la réglementation que les succès du Cirque du Soleil, de Céline Dion, de Michel
Tremblay ou autres soient là. Je pense que ce sont des gens qui sont des
entrepreneurs, des promoteurs, des créateurs de culture, et je ne crois pas que ça ait
quoi que ce soit à voir avec la question de protéger des groupes de producteurs sur
place.
Maintenant, la question de l'expertise
ou de la soi-disant expertise des libraires. Évidemment, vous pouvez aller voir votre libraire puis, si vous allez dans
une librairie où il y a un bon libraire, il a lu beaucoup
de livres, mais, entrenous, il y a
plein de gens qui ne sont pas libraires qui ont lu beaucoup
de livres aussi. Et de plus en plus, avec l'Internet,avec les moyens modernes de communication, cette expertise-là, elle est
disponible sans passer par les libraires. Moi, quandje veux en savoir plus sur un livre, je vais sur Amazon
et, sur Amazon, je vais avoir 50 critiques différentes d'un livre.
Je vais avoir des liens sur des critiques dans les journaux, et, bon, tu sais…
La Présidente
(Mme Vien) : Merci beaucoup, M. Belzile. J'ai déjà dépassé un peu le temps de nos collègues
du gouvernement, alors je cède la parole maintenant à la députée de Laporte.
Mme Ménard : Merci beaucoup, Mme
la Présidente. Bonjour, messieurs. Alors, vous tenez des propos très intéressants. Vous avez parlé, en début de votre plaidoyer… le nombre de lecteurs
en France qui diminuait. Vous avez noté cette diminution-là depuis
quand? Et est-ce que vous ne l'attribuez pas à l'économie actuelle?
M. Geloso
(Vincent) : Non, parce que
les données des quelques maisons de sondage qui justement documentaientça pensaient à un début du déclin avant la
récession. Donc, non, il n'y a pas un lien avec la crise nécessairement. Il y avaitune
tendance de long terme alors, surtout qu'on remarque… l'effet contraire s'est
passé en Angleterre où le prix uniquedu
livre a été aboli en 1995. Il y a une légère augmentation, dans les
dernières années, de la lecture chez les Britanniques.
Mme Ménard :
O.K. Et, comme vous savez, il y a quand même
certaines législations un peu partout dans le mondequi ont mis en place la réglementation du prix du livre, et c'est quand
même une mesure louable, là, pour eux. Alors, quels sont vos
commentaires sur… Ça se fait, là, actuellement ailleurs.
M. Belzile
(Germain) : Écoutez, je ne crois pas que ce soit parce que,
dans certains pays, on le fait qu'il faillele faire. Je pense que, de
façon générale, dans le marché
politique, dans l'arène politique, les producteurs ont un avantage sur les
consommateurs. Il y a un sondage relativement récent qui a été
publié sur, justement, la question de réglementationdu livre au Québec, et c'est assez clair
que la majorité des Québécois ne sont pas en faveur, sont contre, en fait. Maintenant,il est possible qu'il y ait une loi sur la réglementation du prix du livre. Je ne suis pas fou, là, je ne
suis pas… Je ne crois pas que nous, on va nécessairement changer les
choses seulement par notre intervention.
Ceci étant
dit, dans le marché ou dans l'arène politique, les producteurs sont beaucoup
plus capables de s'organiserpour
faire du lobbying et pour obtenir des choses que les consommateurs qui, eux, ne
sont pas organisés. Et ça explique pourquoi, de façon générale, les
producteurs agricoles obtiennent des avantages au détriment des consommateurs
de produits agricoles qui paient plus cher, là. Ça explique pourquoi
dans… les producteurs réussissent à obtenir des tarifs douaniers par
exemple, qui vont faire monter tous les prix, et les consommateurs vont payer
plus cher.
Alors, je pense qu'il y a tout
simplement, dans l'arène politique, un avantage naturel pour les producteurs
qui peuvent obtenir des avantages comme ça pour réduire la concurrence.
• (17 h 20) •
Mme Ménard : Vous savez, vous
avez mentionné tantôt que le nombre de librairies va continuer à fermer, il va y avoir encore des fermetures, et, d'après
vous, est-ce que c'est le numérique qui s'en vient remplacer le
livre papier? Vous avez l'air convaincu, là, quand vous dites ça. J'aimerais
vous entendre là-dessus.
M. Belzile
(Germain) : Moi, je ne crois
pas que le livre papier va disparaître pour un bon moment, mais la partde marché du papier est amenée à diminuer. Dans le
monde francophone, on a un problème
qui a été mentionné par lesgens qui
sont venus avant. Il n'y a souvent pas beaucoup de différence entre le prix de
vente du numérique et du livre papier.Chez
l'éditeur français par exemple, quand on se donne la peine d'essayer d'aller
acheter sur un site Web d'une maison d'édition française par exemple, il
n'y a souvent pas de différence ou très, très peu de différence, 5 % de
différence peut-être, entre la version papier puis la version numérique.
Dans le monde anglo-saxon, il y a souvent une
différence beaucoup plus importante. Je pense que le modèle d'affaires aussi, chez les éditeurs francophones,
pour le numérique, n'est pas à point. C'est très compliqué. Ma belle-mèrequi a 90 ans par exemple, elle ne peut pas
aller sur un site Web, acheter un livre et le faire passer par un logiciel
Adobe,bon, etc. Le modèle d'affaire
d'Amazon, c'est très simple, hein, vous pesez sur «acheter», et puis
c'est sur votre liseuse automatiquement.
Alors, je
pense qu'il y a des raisons pour le retard numérique du monde francophone et du
Québec en particulier,mais je pense
que l'avenir est prometteur pour le numérique, et ça, c'est quelque chose qui
va coincer, à long terme, tous les vendeurs de livres papier, y compris
les petits libraires.
Mme Ménard : Est-ce que vous
êtes d'accord avec le pourcentage — que vous avez entendu
probablement, là — qui s'est dit dans le livre numérique?
Est-ce que vous êtes d'accord avec le pourcentage qui a été mentionné, qu'on
serait à environ une moyenne de 5 %? Est-ce que vous avez regardé ça ou…
M. Belzile
(Germain) : Ici, c'est tout
petit. Ça, il n'y a aucun doute. Maintenant, dans le monde anglo-saxon,aux États-Unis, le numérique va dépasser, dans les
prochaines années, le papier. Ça, il n'y a aucun doute, là. D'ailleurs,cette année, en 2013, le numérique va dépasser les
livres à couverture rigide, pas les livres moins chers, là, ça, ça va prendre
un petit moment encore, mais, les livres à couverture rigide, c'est cette année
que ça se fait, le dépassement.
Mme Ménard : Bien, je vous
remercie beaucoup, monsieur. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Vien) : Merci
beaucoup, Mme la députée de Laporte. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui. Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Bonjour, messieurs. Merci
d'être ici. J'ai pris des notes parce que vous n'aviez pas de papier,
donc j'ai pris des notes. Et, d'entrée de jeu, vous avez parlé du fait — et
c'est l'avocate en moi qui a réagi — que,
si cette réglementation passait, si elle passait et qu'elle ferait en sortequ'on éliminerait les très gros rabais qu'on
connaît chez certains gros commerçants, cette mesure équivaudrait à du cartel.
Pouvez-vous élaborer?
M. Belzile
(Germain) : Écoutez, un
cartel, c'est une tentative par des producteurs de fixer le prix de ce qu'ilsvendent, et c'est comme ça que la loi
définit un cartel. Et, si le législateur fixe le prix ou fixe les rabais maximums,
il faitexactement ce qui serait interdit à des producteurs de faire
par eux-mêmes, en s'associant, par
exemple, pour s'entendre sur
les rabais maximums. Si les producteurs s'entendaient sur un rabais maximum,
ils seraient sujets à des poursuites criminelles.
Et la loi est très claire, l'article 45 dit : 14 ans de prison, 25 millions
d'amende maximum pour ça. C'est un acte criminel. Et on
poursuit les producteurs d'essence ou les vendeurs d'essence quand ils le font.
Devant la commission Charbonneau, on le voit, il
y a des gens qui vont sans doute être poursuivis parce qu'ils se sont entendus pour
fixer des prix. Mais ce n'est pas différent dans d'autres secteurs, le secteur
du livre aussi.Et c'est pour ça que
je disais tout à l'heure qu'évidemment une loi ferait que ce ne serait pas
un acte criminel, ce seraitmême obligatoire de le faire, mais je ne crois pas que
ça rendrait cette action-là légitime pour autant. Si on pense qu'un
cartel, ce n'est pas légitime, bien ce ne serait pas plus légitime de fixer des
prix dans le domaine avec une loi.
Mme Roy
(Montarville) :
Et, si je comprends bien le cœur de votre intervention, c'est qu'il y a
des lois du marchéqui s'appliquent
et que malheureusement certaines librairies indépendantes en seront
victimes dans la mesure où ellesne
peuvent s'adapter aux lois du marché, que ce n'est pas nécessairement
la faute des grandes surfaces qui vendent avec de gros rabais.
M. Belzile
(Germain) : Tout à fait. Écoutez, j'ai mentionné tantôt les boucheries, j'ai mentionné les disquaires.Il y a un petit moment, on allait acheter nos microsillons et puis ensuite nos CD chez les disquaires. Mais j'ai
sondé lesétudiants ce matin — je
donnais un cours de MBA ce matin — je
leur ai demandé : Combien d'entre vous achetez encore des CD? Ils sont partis à rire. Personne n'achète
de CD; ils achètent tous maintenant sur iTunes ou quelque chose d'équivalent. Les façons de
consommer changent, et je pense que le problème majeur des petits libraires, c'est ça. Et je
pense qu'ils cherchent une bouée de sauvetage, puis la bouée de sauvetage, c'est
de rendre l'achat de livres dans les grandes surfaces
moins intéressant. Mais je pense que ce n'est qu'une bouée de sauvetage
temporaire et je pense que ça va se faire au détriment de la lecture, surtout
chez les gens les plus vulnérables.
Évidemment, quelqu'un… prenons Mathieu Bock-Côté par exemple, je suis certain qu'il achète ses
livres dansune librairie et puis en
plus il doit s'en acheter pour des milliers de dollars par année. Lui, il ne
sera pas touché par ça.Mais les gens
qui, sur un coup de tête, chez Costco, passent devant les livres et voient la
dernière biographie deGinette Reno,
puis ils disent : Tiens, je vais l'acheter, bien, je pense que ces
gens-là, ils ne se déplaceront pas de toutefaçon dans une petite librairie pour acheter un livre. Et je pense que c'est
ces gens-là avant tout qui vont être touchés. Si le livre est 25 $
plutôt qu'être 17,95 $, bien, il y a des chances qu'ils passent à côté
puis qu'ils achètent autre chose.
M. Geloso
(Vincent) : Puis juste une
chose, Germain, sur l'ampleur des rabais. Écoutez, je donne l'exemple de ce livre-là, ici — j'ai été voir tantôt, c'est ce que je lis
dernièrement — aux
États-Unis, ce livre-là peut se vendre chez Costco. C'est une biographie
d'un sénateur romain, là, je vous le rappelle, ce n'est pas un sujet vraiment
«hot», là.
Mme Roy
(Montarville) :
C'est-à-dire, ce n'est pas léger. Ce n'est pas léger.
M. Geloso
(Vincent) : Ce n'est pas une
lecture légère. Le rabais moyen aux États-Unis sur ce livre-là, là, c'estentre 30 % puis 50 %. Ici, là, on
m'a dit : 29,99 $ aux États-Unis, 32 $ au Canada. Là, on parle
de 30 % à 50 % de rabais,puis
ça ne fait même pas un an que c'est sorti, ça. Je veux dire, c'est gigantesque,
les rabais sur des sujets comme ça… peut se vendre chez Costco. O.K.,
donc je vous dis, là, c'est quelque chose, c'est rendre accessible des morceaux
de culture à des gens qui sont déjà peu enclins à le rendre puis à des prix
vraiment très modiques. Je pense que ça, c'est le point le plus important de la
défense de notre culture, c'est de la rendre accessible à tous au plus bas prix
possible.
Mme Roy
(Montarville) :
Messieurs, je vous remercie beaucoup.
La
Présidente (Mme Vien) : Messieurs, merci beaucoup. C'est avec
vous qu'on termine notre journée d'auditions. Je vous souhaite un bon
retour. Merci encore de vous être déplacés. À vous tous aussi à l'arrière,
merci.
Chers collègues, bonne soirée. Et
on reprend nos travaux lundi le 26 août à 14 heures.
(Fin de la séance à 17
h 27)