(Quinze heures sept minutes)
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!
Merci. Ayant constaté
le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de
l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes présentes dans la
salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Le
mandat de la commission est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre
des consultations générales sur le projet de
loi n° 14, Loi modifiant la Charte de la langue française, la Charte
des droits et libertés de la personne et d'autres dispositions
législatives.
Mme
la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, Mme la Présidente.
M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) sera remplacé par M. Claveau (Dubuc); Mme
Charbonneau (Mille-Îles), par M. Kelley (Jacques-Cartier); et M. Sklavounos
(Laurier-Dorion), par Mme de Santis (Bourassa-Sauvé).
Auditions (suite)
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Pour ce qui est de l'ordre du jour, cet après-midi, nous entendrons la
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et ensuite
English-Language Arts Network — j'espère que je le prononce bien — et la Fédération des
cégeps.
Donc,
nous recevons, pour débuter nos travaux, la Commission des droits de la
personne et de la jeunesse. M. Cousineau, je
présume que c'est vous qui allez être le porte-parole. Je vais vous inviter à
vous présenter, présenter également
les personnes qui vous accompagnent. Je tiens à vous souhaiter la bienvenue à
l'Assemblée nationale. Vous allez disposer d'un temps de 10 minutes
pour faire votre exposé. Par la suite, suivra un échange avec les membres de la
commission. Donc, la parole est à vous.
Commission des droits de la
personne
et des droits de la jeunesse (CDPDJ)
M. Cousineau (Gaétan) : Merci beaucoup. Alors, Mme la
Présidente, Mme la ministre, Mmes et MM. les
députés, alors mon nom est Gaétan Cousineau, je suis le président de la
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis
accompagné de Me Daniel Carpentier, directeur adjoint de la recherche, et Me
Claire Bernard, conseillère juridique à la Direction de la recherche, de
l'éducation-coopération et des communications.
Nous tenons à vous remercier de l'invitation
qui a été faite à la commission de présenter ses observations sur le projet de
loi n° 14. La commission, dont les membres sont nommés par
l'Assemblée nationale, a été instituée en vertu de la Charte des droits
et libertés de la personne du Québec afin d'assurer la promotion et le respect
de l'ensemble des droits et libertés qui y sont reconnus.
Conformément à son mandat, la commission
a examiné le projet de loi n° 14 afin d'en vérifier la conformité aux principes contenus
dans la charte et de faire les recommandations qu'elle estime appropriées. Nos
commentaires porteront premièrement sur les modifications proposées à la
Charte des droits et libertés de la personne; deuxièmement, sur certaines dispositions du projet de loi portant
sur le français comme langue de travail; et, troisièmement, sur des
modifications législatives en matière d'immigration.
Le
projet de loi propose d'introduire trois modifications au préambule de la
Charte des droits et libertés de la personne et de reconnaître trois nouveaux
droits dans la charte. La première modification au préambule, introduite par l'article 56 du projet de loi, consiste à
ajouter un nouveau considérant affirmant que le français est la langue
officielle du Québec et qu'il constitue un élément fondamental de sa cohésion
sociale.
•
(15 h 10) •
La
compétence de l'État d'adopter des mesures, législatives ou autres, pour
renforcer le statut du français comme langue
officielle du Québec est reconnue. Cependant, la commission réitère son avis
émis en 2010, que ce n'est pas la
fonction du préambule de la Charte des droits. Le préambule permet de définir
et d'interpréter les droits garantis par
la charte, entre autres parce qu'il en énonce l'objectif et la portée. Comme
les préambules d'autres instruments qui ont pour principale vocation de protéger les droits de la personne, le
préambule de la Charte des droits énonce des valeurs qui sous-tendent
les droits et libertés qui y sont affirmés, tels que la dignité, l'égalité, la
liberté, la justice et la paix, et qui permettent d'en établir le contenu et la
portée.
Par
contre, l'affirmation du statut officiel d'une langue ne constitue pas une valeur
inhérente à la personne humaine. Le statut
officiel d'une langue ne constitue pas non plus un principe relié aux droits et
libertés. Par conséquent, selon la commission, l'affirmation du statut
officiel de la langue française n'a pas sa place dans la Charte des droits et
libertés de la personne mais bien plutôt dans la Charte de la langue française.
En effet, le préambule de la Charte de la langue française
précise les objectifs que cette charte poursuit, et son article premier
établit que le français est la langue officielle du Québec. D'ailleurs, les
objectifs de la Charte de la langue française
et les principes qu'elle énonce servent généralement de fondement à
l'interprétation des droits et libertés de la personne dans les litiges portant sur la langue, que ce soit dans les
décisions de la Cour suprême ou de la Cour d'appel du Québec et des
autres tribunaux québécois.
Notre propre
commission s'est également fondée sur le statut officiel du français tel que
proclamé par la Charte de la langue française
ainsi que sur la légitimité de protéger la survie de la langue française
lorsqu'elle a répondu à des demandes mettant en cause cette charte ou,
plus largement, l'utilisation de la langue et lorsqu'elle a analysé des dispositions législatives dans le cadre de son
mandat statutaire. Ainsi, les dispositions de la Charte de la langue
française nous apparaissent amplement
suffisantes pour interpréter la portée des dispositions législatives relatives
à la politique linguistique sur l'exercice des droits et libertés de la
personne.
Ajoutons que la Loi
d'interprétation prévoit qu'en cas de doute des lois doivent s'interpréter de
manière à ne pas restreindre le statut du
français. Par conséquent, ainsi que l'affirment les auteurs du traité québécois
sur l'interprétation des lois, «comme le statut du français est en
grande partie fixé par la Charte de la langue française, cette loi est ainsi
appelée à servir de guide pour l'interprétation de toutes les autres lois».
Leur conclusion vaudrait également pour l'interprétation
de la Charte des droits et libertés de la personne. D'autre part, l'ajout de ce
nouveau considérant pourrait modifier l'interprétation des droits
protégés dans la charte, ce qui ne serait pas sans conséquences juridiques.
La commission
s'interroge par ailleurs sur les incidences juridiques de deux autres
modifications proposées au préambule en
vertu de l'article 56 du projet de loi. Le critère de «valeurs démocratiques»
serait remplacé par celui des «valeurs de la société québécoise», auquel
on adjoindrait une liste de valeurs, liste qui serait non limitative. On est en
droit de se demander quel sera l'impact de la portée interprétative de cette
nouvelle disposition dans l'application de l'article
9.1 par les tribunaux. L'énoncé proposé de la règle régissant l'exercice des
droits dans le préambule étant différent de l'énoncé de la disposition
législative à laquelle il renvoit, comment les tribunaux interpréteront-ils le
fait que le législateur a utilisé des termes différents dans une même loi pour
un même objet?
Outre
les modifications au préambule, le projet de loi propose d'inscrire trois
nouveaux droits dans la Charte des droits et
libertés de la personne en vertu des articles 57 et 58. L'article 57 propose
d'introduire un nouvel article dans le chapitre
premier, qui garantit les libertés et droits fondamentaux. L'article 3.1
proposé conférerait, d'une part, à toute personne le «droit de vivre et travailler au Québec en français» et,
d'autre part, à «toute personne qui s'établit au Québec [le] droit
d'apprendre le français et de bénéficier de mesures raisonnables d'accueil et
d'intégration à la vie québécoise».
La commission
considère que l'ajout de cet article dans le chapitre premier de la Charte des
droits ne serait pas approprié. L'inscription de nouveaux droits doit en effet
respecter la nature des droits protégés par cette charte et la cohérence de la
structure de celle-ci.
Tout
d'abord, de l'avis de la commission, le droit de vivre et travailler au Québec
en français est un droit qui a sa place dans une loi telle que la Charte de la
langue française, mais il ne constitue pas un droit de la personne, que ce
soit au sens du chapitre premier de la
Charte des droits et libertés de la personne ou d'un autre de ses chapitres. Il
n'énonce ni un droit général fondamental qui pourrait être revendiqué à l'égard
de l'État ni un droit visant spécifiquement les minorités. Il affirme plutôt un
droit d'utiliser la langue officielle du Québec. Or, la langue de la majorité
ne peut pas faire l'objet d'une protection spécifique à titre de droit de la
personne.
Cette
conclusion ne signifie pas que les personnes dont le droit de vivre et
travailler au Québec en français, tel que
défini par les dispositions de la Charte de la langue française, serait
restreint par une action étatique ou privée ne disposent d'aucun recours en vertu de la Charte des droits et libertés
de la personne. Elles peuvent fonder leur recours sur l'atteinte à un
des droits protégés par la Charte des droits comme par exemple la liberté
d'expression, la liberté d'association ou le droit à l'égalité.
Par ailleurs, le
nouvel article 3.1 serait visé par les dispositions limitatives de l'article
9.1. Cette disposition, rappelons, prévoit que les libertés et droits
fondamentaux, c'est-à-dire les dispositions des articles 1 à 9 de la Charte des droits s'exercent dans le respect des valeurs
démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du
Québec, et qu'une loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager
l'exercice. On peut alors s'interroger sur les difficultés d'interprétation et d'application du droit de vivre et de
travailler en français dans la mesure prévue par la Charte de la langue
française en regard de l'application de l'article 9.1. En effet, ce droit n'est
défini et n'existe qu'en vertu des dispositions de la Charte de la langue
française. Advenant un litige fondé sur le respect de l'article 3.1 proposé,
comment les règles d'application de l'article 9.1 élaborées par les tribunaux
pourront-elles trouver application?
D'une
part, qu'en serait-il dans un litige portant sur ce droit entre deux parties
privées où un tribunal devra concilier à la
fois le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être
général de la population et l'exercice de ce droit tel que défini par une loi
d'ordre public?
D'autre part, qu'en sera-t-il lorsqu'une loi vient fixer
la portée ou aménager l'exercice de ce droit dont l'essence et la portée n'existent qu'en vertu de dispositions
législatives que l'État a adoptées?
Finalement, on peut s'interroger sur l'interrelation
entre le nouveau droit proposé de vivre et travailler en français et l'interdiction d'exercer de la discrimination
fondée sur la langue.
L'article
57 du projet de loi propose de reconnaître un deuxième droit en vertu de
l'article 3.1, le droit de toute personne qui s'établit au Québec d'apprendre le
français et de bénéficier des mesures raisonnables d'accueil et d'intégration
à la vie québécoise. La commission accueille favorablement l'inscription de ce
droit dans la Charte des droits et libertés
de la personne. Elle considère cependant qu'il devrait figurer non pas au
chapitre premier mais au chapitre IV, qui consacre les droits
économiques et sociaux.
En proposant d'inscrire des droits dans le chapitre premier
de la Charte des droits, l'intention du
gouvernement est de reconnaître des droits
qui offrent de véritables recours. À cet égard, la commission souhaite tout
d'abord réitérer la recommandation qu'elle a formulée dans son bilan de
25 ans de la charte visant à renforcer la portée juridique des droits
économiques et sociaux. Elle engage le gouvernement à prendre en considération
cette recommandation.
D'autre part, elle souhaite rappeler que les atteintes
aux droits économiques et sociaux qui résultent des actions de particuliers
ou d'un représentant de l'État qui aurait agi de manière fautive peuvent
actuellement faire l'objet de recours en vertu de la Charte des droits.
En résumé, en ce qui
concerne l'article 57 du projet de loi, la commission recommande que cet
article soit amendé afin de retirer de la disposition l'énoncé du droit de
vivre et travailler en français au Québec et d'inscrire au chapitre
IV de la Charte des droits et libertés de la personne le droit pour toute
personne qui s'établit au Québec d'apprendre le français et de
bénéficier de mesures raisonnables d'accueil et d'intégration à la vie
québécoise.
L'article 58 du projet
de loi propose d'introduire, à l'article 40 de la Charte des droits, le droit
de recevoir l'instruction publique gratuite
en français. La commission estime qu'une telle disposition n'est pas
indispensable dans la mesure où un
tel droit résulte déjà de la conjonction de l'article 40, qui reconnaît le
droit à l'instruction publique gratuite, et de l'article 10, qui interdit la discrimination fondée sur la langue.
L'ajout du nouvel alinéa à l'article 40 aurait cependant l'avantage de
renforcer le droit à l'instruction publique en français et sa mise en oeuvre et
permettrait d'améliorer l'accès à des services de francisation.
La
commission réitère deux autres recommandations qu'elle a formulées
antérieurement. Tout d'abord, elle soumet que le projet de loi devrait être amendé afin de
modifier l'article 43 de la Charte des droits pour qu'il protège, outre
les minorités ethniques, les minorités religieuses ou les minorités
linguistiques et leur donne le droit de pratiquer leur propre religion ou
d'employer leur propre langue en commun avec les autres membres de leur groupe
conformément à l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civiques
et politiques et à l'article 30 de la Convention relative aux droits de
l'enfant.
Étant donné que le
nouveau droit que le projet de loi propose d'introduire pour toute personne qui
s'établit au Québec, ainsi que le droit des
minorités à leur vie culturelle, garanti par l'article 43, sont des droits de
nature culturelle, la commission recommande que le projet de loi soit
amendé afin de prévoir que le chapitre IV de la partie I de la Charte des
droits soit dorénavant intitulé Droits économiques, sociaux et culturels.
Finalement,
la commission constate avec satisfaction que l'article 77 du projet de loi
propose une modification à la Loi sur les services de garde éducatifs à
l'enfance visant à permettre de concilier les buts poursuivis par le
programme éducatif avec les réalités du milieu autochtone.
• (15 h 20) •
En
ce qui a trait aux modifications apportées à la Charte de la langue française
en matière de langue du travail, deux
modifications ont retenu l'attention de la commission. Le premier élément sur
lequel la commission s'est penchée est l'ajout des critères d'évaluation des
besoins linguistiques réels au moment de pourvoir un poste, prévus par le
nouvel article 46. De l'avis de la
commission, la démarche exigée de l'employeur par cette disposition est conforme à l'évaluation de l'aptitude ou qualités
requises par un emploi que l'on doit appliquer en vertu de l'article 20
de la Charte des droits et qui permet de faire des distinctions sur la base de
la langue. Elle est également conforme à la notion parente d'exigence
professionnelle justifiée, utilisée dans la jurisprudence.
La commission
s'interroge par ailleurs sur la pertinence d'ajouter un autre recours en
matière de harcèlement au travail, introduit par l'article 50 de la Charte de
la langue française tel que projeté. Ce recours s'ajoute à ceux déjà prévus : à la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse, en matière de harcèlement
discriminatoire basé sur la langue; à la
Commission des normes du travail, en matière de harcèlement psychologique au
travail; et à la Commission de la
santé et de la sécurité du travail, en matière de harcèlement ayant causé des lésions
professionnelles. Les tribunaux de droit commun et les arbitres de griefs
peuvent également avoir compétence en matière de harcèlement, selon les circonstances. Si la multiplication des
recours favorise l'accès à la justice, elle peut toutefois aussi entraîner
des effets pervers sous la forme d'embûches procédurales supplémentaires pour
les justiciables.
En
dernier lieu, la commission accueille favorablement les dispositions du projet
de loi n° 14 concernant la Loi sur
l'immigration au Québec et la Loi sur le ministère de l'Immigration et des
Communautés culturelles, notamment celles qui prévoient et renforcent les
orientations, les politiques et les programmes gouvernementaux d'accueil et
d'intégration des nouveaux immigrants, que ce soit pour améliorer leur
insertion professionnelle ou pour favoriser leur apprentissage et
perfectionnement linguistique.
À
cet égard, elle réitère sa recommandation que le gouvernement : s'engage à
faire de la francisation des immigrants une
réelle priorité; renforce les mesures financières destinées à inciter les
immigrants à suivre des cours de français; et tienne compte des réalités
sociodémographiques régionales dans son offre de services de francisation.
Par ailleurs, la commission
émet des réserves sur des dispositions du projet de loi portant sur la
sélection des immigrants et sur les orientations et politiques gouvernementales
en vue de leur intégration économique.
Premièrement, même si la modification de l'article 3.0.1
de la Loi sur l'immigration au Québec fait
disparaître la notion de sélection par bassin géographique, le maintien de
l'article 3.5 en l'état, qui souligne le pouvoir du ministre de suspendre des demandes de certificats de
sélection pour rétablir l'équilibre des volumes des immigrants par bassin
de provenance, reste encore problématique.
En
effet, la sélection des ressortissants étrangers basée sur des critères liés à
la nationalité ou à l'appartenance ethnique
peut entraîner des abus pouvant aller à l'encontre des articles 10 et 12 de la
Charte des droits. À cet égard, la
commission réitère sa recommandation selon laquelle il est important que soit
spécifié dans la loi le cadre précis qui baliserait la capacité du
gouvernement de fixer des volumes d'immigration selon le critère du bassin
géographique.
Deuxièmement, la commission considère que l'élaboration de
politiques gouvernementales d'intégration et
de francisation qui font l'économie de
mesures concrètes énergiques de lutte contre le racisme et la discrimination en
emploi ne résoudra pas la problématique persistante de la sous-performance
économique des immigrants appartenant aux minorités
racisées et de la discrimination systémique qu'ils subissent en emploi. Ainsi,
outre les responsabilités qui lui sont conférées
par l'article 3 de la Loi sur le ministère de l'Immigration et des Communautés
culturelles, le ministre devrait également,
selon la commission, assumer celle d'élaborer une véritable politique
gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination en
emploi. Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, M. Cousineau. Nous allons débuter les échanges.
Mme la ministre responsable de la Charte de la
langue française, vous avez la parole.
Mme
De Courcy : Alors,
merci beaucoup de vous être inscrits à cette commission parlementaire. Évidemment, il me
serait apparu totalement incongru que la commission ne soit pas présente pour un
projet de loi aussi important. Mes collègues vont vous poser aussi
d'autres questions. J'en aurai une que je trouve importante... de vous entendre
sur cette question.
Vous affirmez que le caractère officiel du français a sa
place dans la Charte de la langue mais non dans la Charte des droits et libertés de la personne. Vous
affirmez aussi qu'il s'agit d'un droit qu'on peut revendiquer à l'égard d'un État, ni un droit protégeant une minorité. Vous
affirmez ça. Vous dites aussi... Pourtant la notion de droit collectif
est, elle aussi, importante,. Et puis l'État québécois agit depuis longtemps
pour affirmer ce droit collectif là. Et, dans des présentations antérieures,
j'ai entendu beaucoup cette dualité-là.
En plus, ce qui m'a
surprise un peu, c'est une affirmation à l'effet que les francophones ne
constituent pas une minorité au Québec.
Alors, c'est exact à l'échelle québécoise mais pas à l'échelle du pays dont
nous faisons encore partie — je n'ouvrirai pas de parenthèse à cet égard — ni à l'échelle nord-américaine. Alors, j'aimerais ça
vous entendre au sujet de cette notion-là
des droits collectifs ainsi que sur l'affirmation, puis que j'ai peut-être mal
comprise, selon laquelle, à votre sens, les
francophones ne constitueraient pas une minorité dans ce grand ensemble nord-américain.
Mais je vous ai peut-être mal compris dans le cadre des travaux.
M.
Cousineau (Gaétan) : Il est clair, dans le contexte international, qu'un État peut légiférer
sur le statut officiel d'une langue, et c'est ce que le Québec a fait dans la Charte de la
langue française, et c'est sa place, et c'est bien. Et on a interprété,
nous, la commission, lorsqu'on interprète les demandes, en fonction de ce
caractère-là…
La Charte des droits et libertés, c'est un autre type.
Même si c'est une loi quasi constitutionnelle, c'est une Charte des droits et
libertés de la personne. Alors, dans ce sens-là, ce qu'on dit, c'est que ça n'a
pas sa place. Un droit fondamental, c'est un droit inhérent à la
personne, c'est un droit inaliénable et imprescriptible. D'ailleurs, c'est
comme ça qu'on l'a décrit quand la charte a
été constituée. Et d'ailleurs le préambule le décrit bien : «Tout être
humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la
liberté de sa personne.» On voit la description des droits fondamentaux tels
qu'ils sont décrits. Alors, c'est dans ce sens-là qu'on vous fait remarquer
cela.
Cependant,
vous parlez du fait français au Québec, où nous sommes majoritaires à parler la
langue française maisdéfinitivement minoritaires sur l'ensemble du Canada. Il faut se
rappeler de l'existence, à ce moment-là, de la Constitution canadienne,
qui reconnaît le statut des deux langues officielles du Canada, et de la Charte
canadienne des droits, qui est toujours là,
qui aussi reconnaît les droits linguistiques et les droits... et c'est pour ça
qu'elle a un chapitre concernant les droits des minorités. Je ne sais
pas si ça répond à votre question ou si peut-être nos gens pourraient
rajouter...
Mme De
Courcy : Oui. Bien, je comprends bien
comment vous réglez cette question. Merci pour la réponse. Nous avons eu une proposition, dans une
présentation antérieure, d'indiquer que ce droit-là dans la Charte des droits
et libertés pourrait être dans la portion
économique, droit économique, il faudrait rajouter le vocable «culturel».
Qu'est-ce que vous pensez de cette
proposition-là pour pouvoir intégrer... qui pourrait être faite, une
modification qui permettrait, à ce moment-là, de replacer ce droit-là
que nous avons inscrit dans la Charte des droits et libertés?
M. Cousineau
(Gaétan) : Celui de reconnaître le
statut officiel de la langue française?
Mme De
Courcy : Oui.
M. Cousineau
(Gaétan) : Ah, ce n'était pas dans le
projet de loi, là, on n'a pas étudié cette question, et cette question n'a pas
été soumise aux membres de la commission, alors, comme étant un droit culturel.
Mais, en fait, je pourrais tenter une
première réponse. C'est parce que c'est une affirmation importante que le
statut officiel d'une langue, alors
je ne sais pas si vous désirez vraiment le glisser. On ne l'a pas considérée
dans les droits économiques et sociaux. Je pense qu'elle a toute sa
place, justement, comme affirmation principale, à la Charte de la langue
française, et aussi dans l'interprétation.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Oui, M. Carpentier.
M. Carpentier (Daniel) : Bien, c'est que, nous, ce qu'on a
regardé par rapport... Bon, cet article 3.1, il
comporte deux droits, là, un qui dit «le droit de vivre et de travailler […] en
français»; et le deuxième alinéa, qui est un autre droit, qui est le droit des
mesures d'assistance. Ça, c'est notre analyse. Parce que notre angle, c'est
d'analyser les lois en fonction de la charte et de
regarder la charte par rapport à comment ça a été décrit tantôt :
Qu'est-ce que c'est que les droits de la personne? Donc, sous cet angle, le
deuxième alinéa, c'est vraiment un droit de nature économique, sociale et culturelle. Et, dans ce sens-là, quand
nous l'avons analysé, nous avons dit : Oui, ce droit-là devrait être
dans la charte mais dans le chapitre IV, et
nous avons également recommandé que le titre soit modifié pour inclure les
droits culturels.
Mme De Courcy : Merci, très contente de ce que vous
me dites. Merci, j'apprécie. Mes autres collègues vont vous poser d'autres questions. Merci.
• (15
h 30) •
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci, Mme la ministre. M. le député de Bonaventure.
M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Mme
Bernard, MM. Carpentier et Cousineau, mes salutations. À la page 36 de votre mémoire, vous dites que «[le] nouveau
recours [auprès de la Commission des normes du travail] risque [...]
d'engendrer des embûches procédurales supplémentaires pour les victimes de
harcèlement ou de discrimination en milieu de travail». Que proposeriez-vous à
la place?
M. Cousineau (Gaétan) : Bien, en fait, c'est que le projet
propose un nouveau recours de harcèlement.
Alors, c'est un ajout. Ce qu'on vous dit,
bien : Trop, c'est correct, on en ajoute un, c'est un de plus. Mais par
contre on se rend compte que, parce
qu'on est plusieurs sur le même terrain parfois, ça n'aide pas à celui qui veut
poursuivre. Parce que les gens ont souvent tendance à faire des plaintes
pour la même plainte à plusieurs endroits pour que ça bouge. Donc, ils vont en déposer une à la Commission des droits de
la personne, ils vont en déposer une à la Commission des normes du travail. Si ça a eu lieu dans un milieu syndiqué,
ils vont en faire une au syndicat. Alors, tout d'un coup, on se retrouve
deux, trois, puis là on doit...
Alors, ce qu'on doit faire, nous, dans une
situation comme celle-là, c'est examiner si le recours... si la plainte est la même, si c'est des recours concurrents. Et puis
parfois on va dire : Écoutez, vous avez fait la même plainte, donc on va fermer votre dossier pour... Mais ça fait un
retard pour chacun. Alors, ce qu'on vous dit, c'est que ça, alors que vous voulez aider, il faut se rendre compte qu'il
va peut-être y avoir une multiplication des procédures. Et c'est ça,
l'enjeu. Autrement, on n'a pas d'autres commentaires, vraiment.
M. Carpentier (Daniel) : Si vous permettez. C'est parce qu'on
l'a vécu avec la création du recours pour...
en matière de harcèlement psychologique qui est à la Commission des normes, et
effectivement ce qui a été appliqué, c'est
que les victimes de harcèlement discriminatoire, que ça soit sur le sexisme,
minorités religieuses, minorités raciales, bien, ils avaient un choix.
Est-ce qu'ils vont en Commission des normes en disant : Bien, de toute
façon, ça a un impact psychologique?
Là,
ce qu'on voit dans le projet de loi, c'est exactement la même formulation que
par rapport au recours en harcèlement psychologique. On parle de conduite
vexatoire, de discrimination, etc., alors qu'on traite déjà ces cas-là. On a
des plaintes en matière de discrimination fondée sur la langue, de harcèlement
fondé sur la langue. Là, il faut déterminer :
Est-ce que la personne a utilisé son recours à la Commission des normes ou elle
vient chez nous? Est-ce que la Commission
des normes va traiter l'aspect... On crée plusieurs recours avec les mêmes
vocables, puis là on en ajoute un de
plus. C'est ce qu'on est venus dire ici. On propose d'ajouter un recours qui
est de la même eau que les deux autres recours déjà existants qui posent encore
déjà des problèmes.
M.
Roy : Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. M. le député de Dubuc, vous avez la parole.
M. Claveau : Merci. Bonjour, madame, messieurs,
bienvenue. Alors, si je comprends bien, en inscrivant dans la Charte des droits et libertés le droit d'apprendre
le français pour toute personne qui s'établit au Québec, il faudrait également
renforcer la portée juridique des droits économiques et sociaux prévus dans
cette même charte. Est-ce que c'est une bonne lecture? C'est bien ce que vous
voulez nous faire part?
M. Cousineau (Gaétan) : En fait, presque à chaque occasion où
la commission passe devant un comité de l'Assemblée nationale, elle va
rappeler l'importance de rendre justiciables les droits économiques et
sociaux, effectivement. Alors, c'est ce
qu'on a rappelé dans ce document. Quant au droit dont vous parlez, celui qui
est ajouté, on vous suggère de l'inclure à la partie IV, les droits
économiques et sociaux, et d'ajouter... de modifier pour inclure «culturels»,
parce qu'il est de nature culturelle. Et nous sommes favorables à ce droit.
D'ailleurs, on a eu à commenter sur cela à
quelques reprises lorsque la commission est sollicitée lorsquel'Assemblée se pose la
question sur les niveaux d'immigration, et on rappelait toujours l'importance
que les personnes qui arrivent, bien, elles doivent posséder la langue
française, donc il faut faciliter l'apprentissage du français. Ce n'est pas
toujours facile, ce n'est pas toujours simple. Parfois en région, ça se
complique encore plus.
Et puis, lorsqu'on a fait, nous, notre
consultation sur le profilage racial, on a eu beaucoup de commentaires sur les classes d'accueil, l'apprentissage du français,
les défis pour les jeunes dans le milieu scolaire. Parfois, ils étaient retardés d'une année de scolarité au complet, et
parfois ça aidait au décrochage, si vous êtes un adolescent. Alors, on a
vu toutes ces embûches. Alors, oui, on reconnaît l'importance et on vous dit
qu'en plus on souhaite que les mesures financières et l'accroissement de la
facilité de l'apprentissage soient accrus. Et bien sûr ça a toute sa place dans
la Charte des droits et libertés, au chapitre IV.
M. Claveau : Merci.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. M. le député de Bonaventure.
M.
Roy : Merci, Mme la Présidente. Il y
a une question qui a été soulevée à quelques reprises par des groupes ou des
individus, c'est celui du remplacement de l'expression de «minorités ethniques»
par «communautés culturelles». Je ne pense pas qu'on a vu ça dans votre mémoire
puis j'aimerais avoir votre avis sur ce changement.
M.
Cousineau (Gaétan) : Oui. On a suivi
un peu les débats et surtout celui de la présence du Barreau. La commission n'a pas étudié les articles de la
Charte de la langue française, ce n'est pas son mandat qui lui est confié
par la Charte des doits et libertés, c'est
celui de vérifier l'impact sur la Charte des droits et libertés. Alors, c'est
pour ça qu'on n'a pas de commentaire. Et ça n'a pas été soumis aux
membres, ça n'a pas été étudié. Par contre, nous reconnaissons que le terme
«minorités ethniques», c'est le terme bien connu en droit international des
droits de la personne, c'est le vocabulaire utilisé.
La commission est intervenue à une occasion — je ne me souviens pas des années, je n'y étais pas, des années… pour le
Programme d'accès à l'égalité, en tout cas, peu importe — où on avait voulu, à ce moment-là, étudier le terme «communauté culturelle» ou «minorité culturelle». Il
y avait eu un débat, et la commission s'y était opposée et avait insisté pour
utiliser le vocable «minorité ethnique» et «minorité visible».
Vous savez, un des mandats confiés par la
Charte des droits à la commission, c'est celui de surveiller, d'assurer l'analyse à
la conformité des programmes d'accès à l'égalité. Et un des groupes en
sous-représentation, bien sûr, ce sont les femmes, les autochtones, les
personnes ayant un handicap, mais c'est «minorité ethnique», «minorité
visible». Alors, c'est le vocabulaire utilisé en droit. Alors, ce seraient nos
commentaires sur cette question.
M.
Roy : O.K. Mais...
Des
voix : …
M.
Cousineau (Gaétan) : Il a la date. Je
m'en excuse.
M.
Roy : C'est une réflexion que j'ai
faite et que j'ai partagée avec un autre groupe. Lorsque les sociétés se
transforment, on peut voir aussi une transformation, je dirais, de
l'environnement juridique et des concepts qui sont véhiculés aussi. Donc, est-ce qu'on ne peut pas dire que ça peut être une
évolution que d'employer le concept de communauté culturelle?
M. Cousineau (Gaétan) : Bien, actuellement, tout le débat
judiciaire s'est fait avec les concepts connus.
Alors, quand on ajoute un concept, il faut
le définir, il faut le préciser et il faut le distinguer d'un autre concept, et
ça, je ne sais pas qu'est-ce que vous avez fait à ce sujet-là.
M.
Roy : O.K. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté
de l'opposition officielle. Et je reconnais
Mme la députée de Bourassa-Sauvé. Vous avez la parole, Mme la députée.
Mme
de Santis : Merci, Mme la Présidente.
Et bienvenue. On se voit assez souvent de ces jours.
M.
Cousineau (Gaétan) : ...deux fois
cette semaine.
Mme de Santis : Alors, j'aimerais que tout le monde
qui nous écoute comprenne que les questions que je vais avoir, ce n'est
pas des modifications à la Charte de la langue française mais c'est des
modifications à la Charte des droits et libertés de la personne. C'est
très important.
Maintenant, d'après l'article 10 de la Charte
des droits de la personne, la langue constitue, tout comme le sexe, lacouleur, la race, un
motif de discrimination interdit. Votre mémoire, à partir de la page 9,
commente sur la proposition d'ajouter dans le préambule de la charte
québécoise des droits et libertés une clause qui affirmerait le statut officiel
de la langue française au Québec. Si on regarde, et vous avez fait référence à
la loi sur l'interprétation, l'article 40 dit que «le préambule d'une loi en
fait partie et sert à en expliquer l'objet et la portée». Très important.
Vous
concluez qu'affirmer le statut officiel d'une langue ne constitue pas une
valeur inhérente à la personne humaine et
recommandez plutôt que cette affirmation se retrouve dans le préambule de la
Charte de la langue française.
En outre, vous concluez, à la page 22, et je
cite : «…on peut s'interroger sur l'interrelation entre le nouveau droit proposé de vivre
et travailler en français et l'interdiction d'exercer de la discrimination
fondée sur la langue.»
Fin de citation.
Moi, j'aimerais que vous élaboriez sur ce
point, sur la discrimination qui risque de découler de l'inclusion dans le préambule de la Charte des droits et libertés du
droit de vivre et travailler en français. Pouvez-vous nous donner des exemples
de ce que cela représente en pratique?
•
(15 h 40) •
M. Cousineau
(Gaétan) : La langue officielle n'est
pas un droit de la personne. On est dans un autre cadre. Et, y avoir un
préambule, donc il va servir à l'interprétation, comme vous dites. Alors, c'est
pour ça qu'on a parlé du droit de travailler en français.
Nous, ce qu'on recommande, c'est de ne pas l'inclure dans la charte. De toute
façon, il y a un grand risque, hein, parce
que les articles 1 à 9 de la charte sont interprétés en fonction de l'article
9.1. Donc, on vient d'ajouter un
cadre différent qui serait celui du préambule. Il y aurait même une
contradiction dans les préambules, le préambule est le test, le… parce
qu'on parle de valeurs québécoises, alors que, dans le 9.1, on va parler de
valeurs démocratiques, l'ordre public. Alors, ça pose... Et c'est pour ça qu'on
pose des questions à ce niveau-là. On a posé plusieurs questions.
Alors,
dans la même loi, on va se retrouver avec deux cadres d'analyse différents avec
du vocabulaire différent. Comment un tribunal va démêler tout ça pour interpréter et
régler un conflit? On s'est dit : Bien là, on ajoute une question
de langue officielle, et qu'arrive-t-il, à ce moment-là, d'une discrimination
avec la langue? On peut voir qu'on va devoir s'interroger sur ce possible
conflit ou l'ajout, qu'est-ce que ça veut dire face à ce qui était avant et ce
qui est maintenant.
Et
l'article 9.1, rappelez-vous, ça a été souvent analysé par les tribunaux. Les
tribunaux ont établi une analyse sur deux volets, alors le volet 1 étant que le
gouvernement doit prouver que l'objectif poursuivi par la mesure est
suffisamment important pour justifier l'atteinte à une liberté. Et le deuxième
volet, si on passe le premier test, ça nous amène qu'il faut démontrer que
l'objectif en cause est réel et urgent et que le gouvernement doit établir que
les moyens qu'il a choisis pour l'atteindre sont raisonnables. Puis là il y a
a, b, c, on rentre dans des sous-tests.
Alors,
pourquoi s'embarquer dans le statut de la langue officielle avec tous ces tests
alors que la charte est bien claire, la Charte de la langue française à ce
moment-là, et on n'a pas à subir le test du 9.1, un test qu'on vient
s'ajouter en supplément et qui, si on met «droit de vivre et travailler en
français», ils sont... ils seraient soumis à ce test-là? Alors, vous voyez les défis additionnels, juridiques, les
questions juridiques additionnelles qui se poseront. Je ne sais pas si
vous voulez ajouter quelque chose de plus pratique.
M. Carpentier
(Daniel) : J'ajouterais, quant à
l'article 10, comment on l'a formulé, on ne peut pas vous apporter un exemple.
On se questionne, effectivement, on se pose la question, parce qu'il n'est pas
du tout évident de voir... parce que c'est
déjà… L'affirmation qu'on doit travailler et vivre en français au Québec, c'est
l'effet de la Charte de la langue française.
C'est déjà ça. Le travail se ferait en français, l'accès à l'école, c'est en
français, les services sont donnés en
français. Donc, c'est ça, c'est déjà un état de fait. Alors, il y a une
protection de discrimination fondée sur la langue. Alors, comment mettre dans la même charte ces deux concepts-là?
On s'interroge. On n'a pas d'exemple précis.
Mme de
Santis : Disons que je suis...
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Allez-y.
Allez-y. Je veux intervenir le moins possible dans vos échanges pour maximiser
le temps.
Mme
de Santis :
Merci. Disons que je suis inculpée et je parle anglais parce que c'est ma
langue maternelle, et j'ai toujours vécu au
Québec, et je me retrouve devant un greffier et devant la cour. Est-ce qu'on
pourrait me dire qu'il faut que je parle
français parce que les gens qui sont devant moi ont le droit de travailler en
français au Québec? Comment mes
droits à moi, en tant que justiciable, vont être affectés? Ce n'est pas une
affaire qui est blanc ou noir, mais l'affaire, c'est que ça peut amener
à des situations où on peut prétendre que le greffier a plus de droits que le
prisonnier.
M. Cousineau
(Gaétan) : Le droit de vivre et de
travailler en français, s'il était ajouté, pourrait justement apporter des gens à vouloir se positionner de la
façon que vous le décrivez et amener une personne de langue anglaise,
qui ne comprendrait pas le français, par
exemple… à insister pour avoir le service en français. Alors, il faudrait voir
comment la Charte de la langue française… — parce que, là, vous
nous sortez du cadre d'analyse — pour voir comment
elle... quels sont ses droits pour être
servie dans la langue qu'elle peut comprendre. Et les tribunaux, bien là il
faut voir si vous êtes dans les tribunaux québécois ou de nature
fédérale, parce que, là, vous nous amenez aussi dans la Charte canadienne des
droits, etc., là.
Mme
de Santis :
Alors, je vais continuer avec une autre question. On propose d'ajouter un
deuxième considérant. Il y avait le premier. Le deuxième : «…que les droits et libertés
s'exercent dans le respect de l'ordre public, [le] bien-être général et
[les] valeurs de la société québécoise...»
Et,
comme vous avez déjà dit, cela est différent de ce qu'on retrouve à l'article
9.1 de la charte, que... Cet article n'est pas modifié. Là, l'article 9.1 de la charte,
on dit que «les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le
respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être [...] des
citoyens du Québec». Dans le considérant proposé, on parle de valeurs de la
société québécoise et, à l'article 9.1, on parle de valeurs démocratiques.
Alors,
vous-mêmes, aux pages 16 et 17, vous dites : «…le critère de "valeurs
démocratiques" serait remplacé par celui
de "valeurs de la société québécoise", auquel on adjoindrait une
liste de valeurs qui serait non limitative. On est en droit de se demander quel sera l'impact de la portée interprétative
de cette nouvelle disposition dans l'application de l'article 9.1 par
les tribunaux. L'énoncé de la règle régissant l'exercice des droits dans le
préambule étant différent de l'énoncé de la
disposition législative à laquelle il renvoie, comment les tribunaux
interpréteront-ils le fait que le législateur a utilisé des termes
différents dans une même loi pour un même objet?» Ça, ça peut devenir un réel
problème, non?
M. Cousineau (Gaétan) : Absolument, et c'est un problème
important, un très, très grand problème. Est-ce
que «valeurs québécoises» est similaire ou identique à «valeurs démocratiques»
ou ça veut dire autre chose? Alors, voilà le type de question que le tribunal devra se
poser, à ce moment-là, dans l'interprétation, alors, parce que les... Et tous
les droits qui seront contenus, qui
continuent à être contenus entre l'article 1 et 9 sont soumis à 9.1. Alors,
comme on ne change pas le caractère et par... Là on vient d'ajouter un
deuxième cadre d'analyse qui diffère. Alors, oui, ça va apporter de larges débats, et des gens vont argumenter que ça
veut dire autre chose, et que ça ajoute quelque chose, et que ça vient modifier la situation, et qu'il faut y lire plus
ou moins. Alors donc, il faut... Oui, ça va porter à confusion. Alors, c'est
pour ça qu'on attire votre attention
là-dessus et qu'il faudrait clarifier cette situation si on choisissait de
maintenir l'énoncé dans le préambule tout en ne modifiant pas 9.1, ou
conserver 9.1 et éliminer — c'est
ce qu'on vous suggère — le
préambule.
Mme
de Santis : Alors, au lieu d'avoir
clarté, on a plus de confusion.
M.
Cousineau (Gaétan) : Absolument.
Mme de Santis : Aux pages 30 et suivantes, vous
abordez les modifications qui seraient apportées à la langue de travail par
le biais de l'article 19 du projet de loi n° 14. À votre avis, cet
article ne fait que reformuler l'interdiction pour un employeur d'exiger
un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que le français que
lorsque cela s'avère nécessaire. Vous
concluez, et je cite : «Ce libellé apparaît conforme à l'interprétation que
fait la jurisprudence de la notion d'exigence professionnelle justifiée,
notion parente à celle d'"aptitudes [...] requises par un emploi".»
Le
Barreau du Québec, qui a paru devant cette commission, est d'un autre avis.
Dans son mémoire, il s'inquiète de ce que — je cite — «la nouvelle obligation pour l'employeur de "réévaluer
périodiquement les besoins linguistiques associés à un poste" [puisse]
être interprétée de sorte à donner à l'employeur l'opportunité de renvoyer, muter [...] rétrograder un employé qui n'avait été
engagé, muté ou promu que parce qu'il était le seul à [pouvoir] offrir
une capacité de communiquer dans une [langue
autre] que le français, lorsque la réévaluation rend cette exigence
inutile.» C'est aux pages 4 et 5 de leur mémoire.
Alors,
on peut imaginer une personne qui avait été engagée avec presque les mêmes
qualifications, mais avec aussi la...
pouvait parler une autre langue, une deuxième langue, disons l'anglais, et, à
la réévaluation de ce poste, cinq ans plus
tard, on détermine que c'est moins nécessaire d'avoir quelqu'un qui parle
anglais dans ce poste. Alors, est-ce que vous croyez que la réévaluation
du profil linguistique d'un employé constitue tout au plus une exigence
professionnelle justifiée? Et comment un
jeune qui veut percer sur le marché du travail québécois est sensé penser de
tout cela? Est-ce que cela encourage,
incite, invite nos jeunes à s'ouvrir sur le monde, le monde des années 2013 et
suivantes, à apprendre deux, trois, quatre langues?
•
(15 h 50) •
M. Cousineau (Gaétan) : L'opinion de la commission sur ces
articles, c'est que, pour nous, nous sommes
d'avis que les exigences en matière d'évaluation des besoins linguistiques
réels sont conformes à la disposition de la charte. On n'y voit pas de difficulté. Et d'ailleurs c'est... que ça soit
concernant les aptitudes ou les habiletés requises pour l'emploi et la jurisprudence, tel que nous l'avons examinée
et que nous la connaissons, quant à nous, ça concerne les exigences professionnelles justifiées. Alors, quand c'est
justifié que la personne, pour servir un public, ait une seconde langue...
Les employés de la commission, vous savez, on a une partie de notre clientèle
qui vont faire des plaintes en anglais. Il faut pouvoir être capable de les
servir, mais nous, on va travailler en français, mais on va les servir en
anglais, et c'est possible qu'on ait à recevoir d'eux des documents en anglais
et les traiter. Donc, quant à nous, c'est conforme à la charte.
Mme
de Santis : ...à l'exemple que je
vous ai donné. Quelqu'un qui a été engagé avec... parce que le poste demandait
une deuxième langue et que, par après, il y a eu une réévaluation… Parce que,
maintenant, on veut qu'on réévalue les postes périodiquement pour déterminer
si, oui ou non, cette deuxième langue est requise. Est-ce que vous croyez que
ça ne va pas causer des problèmes à cette personne qui a été engagée il y a
cinq ans, que quelqu'un d'autre va
maintenant dire : Cette personne ne devrait pas avoir le poste, c'est moi
parce que moi, j'étais plus qualifié il y a cinq ans?
M.
Cousineau (Gaétan) : Je n'y vois pas
de problème, parce que, si l'employé est embauché...
Mme
de Santis : Et que cette personne
peut perdre son emploi et son poste… Je m'excuse.
M.
Cousineau (Gaétan) : Je ne vois pas
de problème dans la situation que vous nous présentez parce que, si la personne est embauchée parce qu'elle parlait
français mais elle parlait aussi l'anglais puis que, dans le poste de
travail qu'on lui confie, il y a à la fois
du français et l'utilisation de l'anglais pour une partie de son travail, elle
continue à posséder son français.
Alors, pourquoi elle perdrait son emploi? Elle est encore capable de parler sa
langue première, elle maintient sa connaissance
de l'anglais. S'il n'est plus utile dans l'emploi, pourquoi on la renverrait?
Je ne comprends pas la question.
Mme de Santis : Parce qu'il y a cinq ans il y avait
deux individus ou trois individus qui pouvaient avoir ce poste avec presque les
mêmes qualifications, et peut-être celui-ci était un petit peu moins qualifié,
autre que les deux autres, mais il parlait la deuxième langue. Dans
quelle position on met cette personne?
Des
voix : …
M.
Cousineau (Gaétan) : Bien, je ne vois
pas pourquoi l'employeur serait obligé de la congédier, à moins qu'il y ait moins de travail puis il doit diminuer
son entreprise parce que maintenant il a besoin d'un employé de moins pour faire le travail. Alors, à ce moment-là, il y
a d'autres règles qui s'appliqueront. Je ne comprends pas, là, toujours
la question et la problématique que vous
nous soumettez, en fonction... du moins, pas en fonction de cet article de la
charte.
Mme de
Santis : Regardons l'article 58 du
projet de loi qui modifie l'article 40 de la charte des droits de la personne par l'addition, à la fin, de
l'alinéa : «Toute personne a droit de recevoir cette instruction en
français.» Est-ce qu'en mettant cela
on peut argumenter que ceux qui ont droit, aujourd'hui, à l'éducation en
anglais pourraient perdre ce droit? Parce que pourquoi on mettrait cette
disposition à l'article 40? Parce qu'il y a, aujourd'hui, des Québécois qui ont
droit à l'éducation gratuite en anglais?
M.
Carpentier (Daniel) : Bien, je pense... Écoutez, actuellement, les normes sont prévues, d'une
part, pour avoir accès à l'instruction
publique gratuite, c'est la Loi de l'instruction publique. D'autre part, vous
avez la Charte de la langue française qui prévoit et reconnaît des droits à la
minorité linguistique d'obtenir de l'enseignement en anglais. La modification vient tout simplement dire que
«toute personne a [le] droit de recevoir», pas qu'elle doit recevoir.
Alors, «toute personne a [le] droit de recevoir».
Elle peut obtenir cette instruction en français, mais ça ne veut pas dire
qu'elle perd son... d'autres droits. C'est notre lecture.
Mme de
Santis : C'est votre lecture.
J'aimerais aussi vous demander qu'est-ce que vous... C'est quoi, votre interprétation
des mots «droit de vivre et travailler au Québec en français»? Qu'est-ce que ça
veut dire? Est-ce que ça existe déjà, cette expression, ailleurs dans nos
droits... dans les lois? Excusez-moi.
M. Cousineau
(Gaétan) : On peut...
Mme de Santis : Ou dans la jurisprudence?
M.
Cousineau (Gaétan) : Écoutez, je vais commencer la réponse puis je suis certain que Mme
Bernard pourra compléter. En termes de droits inhérents à la personne, de droits
fondamentaux, on va parler des droits au travail, pas au travail en français. Donc, ce qu'on décrit dans
notre texte, que finalement c'est l'utilisation de la langue française
pendant que vous vivez, pendant que vous
travaillez, ca, c'est ce qui est ajouté. Et ça, on dit, nous : Ça n'est
pas un droit fondamental de la personne, ce n'est pas un droit inhérent
à la personne. C'est pour ça qu'on suggère de ne pas l'inclure, mais de l'avoir
dans la Charte de la langue française. C'est notre lecture de cet article-là.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Mme Bernard.
Mme
Bernard (Claire) :
On retrouve le contenu, je pense, dans le chapitre II de la Charte de la langue française. Évidemment, après, c'est détaillé selon les
différentes fonctions qu'on exerce, soit au travail, soit dans l'exercice des services,
la consommation de biens. Donc, c'est des exemples de... En fait, ça détaille
comment est-ce qu'on vit en français ou comment est-ce qu'on travaille en
français. Donc, c'est pour ça qu'on dit qu'on voit ce droit, il est déjà
protégé dans la Charte de la langue française par les droits fondamentaux qui
sont inscrits au chapitre II.
Mme de
Santis : Alors, vous dites que c'est
dans la Charte de la langue française qu'on a la description, la définition de
ce que veut dire «vivre et travailler au Québec en français».
Mme Bernard
(Claire) : C'est là qu'on peut voir
les éléments de contenu de ce droit.
Mme de
Santis : Et, d'après vous, c'est
quoi, le contenu?
M.
Cousineau (Gaétan) : En fait, si vous lisez l'article… la modification de l'article 3.1…
pardon, l'article 57, là, qui propose un 3.1
modifié, si on le lit bien, ça dit : «Toute personne a droit de vivre et
travailler au Québec en français dans la mesure prévue dans la Charte de la
langue française.» Alors, ça vous amène à la Charte de la langue française dans
l'article même, alors. Et notre commentaire à nous, bon, c'est que ce n'est pas
un droit inhérent à la personne, droit qui
devrait se retrouver dans la charte. Mais ça se retrouve dans la Charte de la
langue française, effectivement, et c'est là qu'on décrit l'exercice de
ce droit.
Mme de
Santis : O.K. Est-ce qu'il y a
quelqu'un qui veut poser une question?
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Il vous reste à peine quelques secondes. Ça va?
Merci. Nous allons aller maintenant du côté du
deuxième groupe de l'opposition. Mme la députée de Montarville, vous avez la
parole pour un temps de cinq minutes.
Mme
Roy (Montarville) : Merci, Mme la Présidente. Merci madame, messieurs, maître. Je suis particulièrement contente
de vous entendre, j'avais hâte d'entendre la Commission des droits de la
personne, parce qu'on crééeffectivement
de nouveaux droits et je voulais vraiment savoir ce que vous en pensiez. Après
avoir entendu d'éminents juristes, le Barreau,
maintenant vous, je pense que ça nous trace un beau portrait. Et ce que je
comprends vraiment de votre présentation, entre autres, c'est que le fameux
droit de vivre et de travailler en français devrait être inclus… devrait se
trouver uniquement dans la Charte de la langue française et non dans la Charte
des droits et libertés.
Cela
dit, vous avez dit — je vous cite — un peu plus loin : On crée plusieurs recours avec le
même vocable. Alors, si je pousse plus loin la
réflexion, j'ajouterais — vous me corrigerez
si je me trompe — qu'on multiplie les
recours similaires en multipliant les différentes instances avec ce pl n°14
parce que, si nous créons un nouveau droit avec le nouveau droit qui est...
Vous
avez dit : On créé plusieurs recours avec le même vocable. Ça, c'est un
bout de votre citation. Mais moi, je poursuis plus loin, ce que je vous dis, c'est
qu'en créant ce nouveau droit, en incluant le droit de vivre et de
travailler en français dans la Charte des droits et libertés de la personne, automatiquement
c'est accepté tel quel, nous avons un nouveau
droit. Donc, ça nous ouvre un nouveau recours, c'est-à-dire un recours devant
la Commission des droits de la personne,
si ce droit existait tel quel. Et moi, ma question est la suivante : Si on
créé ce nouveau droit, donc un nouveau recours devant la Commission des
droits de la personne, si quelqu'un voulait se plaindre du fait qu'elle n'a pas
pu ni vivre ni travailler en français, vous,
en tant que Commission des droits de la personne — et vraiment je veux parler
dans le pratico-pratique — est-ce que vous
craigneriez de recevoir beaucoup de plaintes, d'avoir beaucoup... de voir un
engorgement de votre rôle, d'avoir plusieurs plaintes à cet égard? Et
seriez-vous capables d'accueillir ces nouvelles plaintes qui pourraient être
présentées devant vous pour que vous puissiez trancher?
• (16 heures) •
M. Cousineau
(Gaétan) : Premièrement, laissez-moi
préciser certaines choses. Ce n'est pas un recours, le 3.1, c'est un droit qui serait reconnu, qui serait ajouté. Donc, ça
n'ouvre pas un recours à la Commission des droits, comme vous dites. Et tantôt vous nous citiez, mais la
citation, elle n'est pas liée au droit… au «vivre et travailler en
français», elle est liée au recours en plainte de harcèlement. Alors, il ne
faut pas faire le lien...
Mme
Roy (Montarville) : Mais je me suis probablement mal exprimée. Ce que je veux dire, c'est
que, si on crée un nouveau droit, avec ce que
le projet de loi n° 14 veut, le droit de vivre et de travailler en
français, en l'écrivant dans la Charte des
droits et libertés de la personne, la Charte des droits et libertés de la
personne, c'est votre commission qui traite des plaintes qui sont
déposées en fonction de la charte.
M.
Cousineau (Gaétan) : Encore là, je dois corriger. Les recours se retrouvent en fonction de
l'article 10, notre mandat… vous pouvez faire un recours en discrimination. Alors, le 3.1,
ce n'est pas 10. Cependant, vous ajoutez des droits et une présence, donc les tribunaux pourraient
interpréter. Mais nous, notre recours, c'est en fonction... Et on a déjà
le recours de la discrimination avec la langue, alors, si vous allez de ce
côté-là, alors c'est l'article 10. Ou il y a d'autres articles, là, par exemple comme 48, l'exploitation des personnes âgées,
des choses comme ça, personnes handicapées, il y a des recours
spécifiques. Nos mandats sont à des articles spécifiques de la charte, ce n'est
pas l'ensemble de la charte qui nous donne ouverture à un recours à la
commission.
Mme
Roy (Montarville) : Bon. Vous clarifiez ce point-là, parce que je voulais comprendre, à cet
égard, si ça ouvrait la porte à de nouveaux
recours...
M. Cousineau (Gaétan) : O.K. Parfait.
Mme Roy
(Montarville) : ...que vous pourriez
avoir devant vos tribunaux. Cela dit, il y avait également... Si on revient à
ce droit de vivre et de travailler en français, pour vous, il est
particulièrement important de le laisser dans la Charte de la langue française
ou de laisser ce droit à cet endroit-là. Ça, c'est clair?
M. Cousineau
(Gaétan) : Il a toute sa place là,
oui, effectivement.
Mme Roy
(Montarville) : Et non dans la Charte
des droits et libertés de la personne.
M. Cousineau
(Gaétan) : Parce que ce n'est pas un
droit fondamental.
Mme Roy
(Montarville) : Et, juste pour le
bénéfice des auditeurs, qu'est-ce qu'un droit fondamental?
M.
Cousineau (Gaétan) : Un droit fondamental, c'est un droit inhérent à la personne. Et la
meilleure façon de le comprendre, c'est peut-être de lire les premiers droits qu'on décrit
dans la Charte des droits. Alors : «1. Tout être humain a droit à
la vie — hein, c'est inhérent
à la personne — ainsi qu'à la
sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne.»
«2. Tout être humain
dont la vie est en péril a droit au secours.»
«3.
Toute personne est titulaire [de] libertés fondamentales — puis là on va les décrire : la liberté de conscience, [...]liberté de...»
Ça, ce sont des droits
fondamentaux inhérents, inamovibles, imprescriptibles, qui relèvent de cette
nature des droits de la personne. Et la
sauvegarde de sa dignité, de son honneur, sa réputation, le droit au respect de
sa vie privée, ça, c'est vraiment ce qu'on appelle des droits de la
personne. Le droit de travailler en français, ça amène un facteur de l'utilisation d'une langue, une langue qui est
officielle au Québec, la langue française, et qui… Tout ça, ce bloc-là est
traité dans une charte qui est la Charte de la langue française.
Mme
Roy (Montarville) : Et je vais
compléter là-dessus, le temps s'écoule...
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, Mme la députée. Malheureusement, nous n'avons
plus de temps. Je suis désolée. Madame, messieurs,
merci beaucoup.
Et nous allons
maintenant recevoir les représentants de English-Language Arts Network. Je vous
demande de prendre place.
Et nous allons
suspendre les travaux quelques instants.
(Suspension de la séance à
16 h 4)
(Reprise à 16 h 6)
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Donc,
rebonjour, nous reprenons nos travaux.
Bienvenue
à l'Assemblée nationale, messieurs. Je pense que, M. Peter MacGibbon, c'est
vous qui allez prendre la parole. Je vous demande de vous présenter, de
présenter également la personne qui vous accompagne. Vous allez disposer
d'un temps de 10 minutes pour faire votre présentation. Par la suite suivra un
échange avec les membres de la commission. Donc, vous avez la parole.
English-Language Arts Network (ELAN)
M. MacGibbon
(Peter) : Oui, je vous présente,
mesdames et messieurs, M. Guy Rodgers, notre directeur exécutif du ELAN.
M.
Rodgers (Guy) :
Bon. Bonjour, Mme De Courcy, mesdames, membres du comité. Dans notre mémoire, ELAN a souligné que c'est inquiétant de constater que
certains des arguments clés à l'appui des modifications à la Charte de la langue française ne sont pas basés
sur l'état du français comme langue d'usage public, malgré que cela fût
le but original de la Charte de la langue française dont les résultats ont été
remarquables.
Il y a 30 ou 40 ans,
peu d'anglophones comprenaient le français. Il y avait des exceptions, comme
les soeurs McGarrigle, le bien-aimé Jim
Corcoran, Leonard Cohen parlaient un français correctement, mais ils étaient
des exceptions. Aujourd'hui, ce n'est même plus surprenant que des
artistes comme Patrick Watson, Sam Roberts, Rufus et Martha Wainwright, Paul
Cargnello, Susie Arioli, pour ne nommer que ceux-là, sont parfaitement à l'aise
en français, et ils ne sont plus des exceptions.
On
sait que, maintenant, 70 % des anglophones sont bilingues, et ça monte
jusqu'à 80 % chez les jeunes en bas de 25
ans. Est-ce qu'ils sont assez bilingues pour donner un cours de philo? Pas
tous. Mais on sait aussi qu'au moins 50 %,
la moitié des anglophones, sont en couple avec des francophones. C'est
peut-être une stratégie de survivance, mais ça a changé drastiquement le
paysage linguistique chez nous et peut-être aussi au Québec.
Notre
première inquiétude avec le projet de loi concerne l'emphase mise sur l'usage
privé de la langue française. Il n'y a pas de corrélation directe entre langue
maternelle ou langue parlée à la maison et la langue d'usage public.
Tout le monde n'est pas francophone à la
naissance, mais des gens de tous les groupes linguistiques peuvent apprendre le
français et l'utiliser dans la vie publique.
Il s'agit d'un facteur d'unification sociale, c'est rassembleur. Dès que l'on
met l'emphase sur la langue maternelle, ça entraîne la division. Les
anglais ne peuvent pas changer de maman.
Deuxièmement,
on est perplexes face aux arguments qui confondent les intérêts des
francophones de souche et la défense de la
langue française. Selon les politiques gouvernementales, quiconque utilise le
français comme langue publique devrait satisfaire à l'esprit et à la lettre de
la Charte de la langue française. Nous suggérons qu'il serait utile de trouver
un nouveau terme pour désigner ce statut afin de savoir qui satisfait aux
exigences de la loi.
Troisièmement,
il faut faire une distinction entre l'usage de l'anglais sur la scène locale et
la présence globale de l'anglais comme langue
de commerce, de la diplomatie et de la culture de masse internationale. Un
régime qui ne consisterait que de la culture
américaine ne serait pas plus appétissant pour les anglophones que pour les
francophones. Il y a deux semaines, ELAN a
lancé un nouveau site Web qui s'appelle Made au Québec. Et, cette
semaine, à Montréal, le projet est sur la une du Voir,
l'hebdomadaire Voir. Et nous avons créé le site pour partager les succès
nationaux et internationaux des artistes québécois de langue anglaise. On est
très heureux de la réaction des médias francophones et de nos concitoyens
francophones qui partagent notre amour pour les arts, les artistes et la culture
made au Québec. Donc, maintenant, on va retourner la parole au président
d'ELAN, Peter MacGibbon. Merci.
• (16 h 10) •
M.
MacGibbon (Peter) : Merci, Guy. Nous sommes plus de 8 000 Québécois qui
s'identifient comme artistes anglophones. Ce
groupe inclut tous les descendants des premiers colons de souche écossaise,
irlandaise et anglaise, auxquels s'ajoutent les vagues successives d'immigrants
du XXe siècle, sans oublier les artistes venus du Canada hors Québec et d'ailleurs
dans le monde.
Fort d'un riche
héritage fondé sur la contribution à la culture et à l'économie créative du
Québec, nous nous insurgeons contre le concept d'être catalogués comme une
communauté culturelle étrangère à son milieu, un genre de groupe périphérique que l'on devrait tenir à l'oeil question
comportement et attitude, tel que semble le proposer sans détour le
projet de loi n° 14. Nous formons au contraire une part entière d'une
minorité linguistique qui bénéficie des droits collectifs et qui détient un
enjeu de taille dans l'avenir du Québec.
Les mots suivants sont de
Voltaire : «…ne cherchez jamais à employer l'autorité là où il ne s'agit
que de raison…» Un incident dont la toile de fond se situe dans mon village illustre
bien la portée de ces paroles. Un agent de l'OLF du Québec y effectuait
une tournée d'inspection de conformité et, se faisant, s'arrêta dans un
restaurant de la localité. Il y dénombre quelques infractions pour lesquelles
il s'empresse d'émettre des constats d'infraction. Le menu, entre autres, était inscrit en anglais plutôt qu'en
français sur le tableau d'affichage prévu à cette fin. L'inspecteur aperçoit
ensuite du coin de l'oeil un cadre mural
somme toute plutôt discret sur lequel on peut y lire un texte rédigé, une fois
de plus, en anglais. Émission, il va
sans dire, d'un nouveau constat de non-conformité. À vrai dire, il s'agissait,
en l'occurrence, d'un extrait de poème tiré d'une oeuvre composée par un
auteur local bien connu.
La réflexion suivante s'impose. Cet inspecteur
appliquait-il la loi au pied de la lettre ou agissait-il en concordanceavec l'esprit de la loi? Cet épisode encapsule
l'absurdité de l'approche légale en ce qui a trait aux manifestations
intrinsèques à l'existence humaine, tel que le langage. La loi, en ce sens, est
vouée à un échec retentissant.
Nous savons tous que l'expérience esthétique
transcende les mécanismes du langage. C'est d'ailleurs une raison d'être fondamentale de l'art. Les artistes
démontrent, de façon générale, un vif intérêt vis-à-vis l'échange culturel entre eux que l'on ne retrouve pas à un tel degré
dans la population moyenne. Ils constituent l'antenne de la société, et
leur travail est riche des ponts facilitant la collaboration et l'engagement au
pacte social. Engagement, dialogue, respect mutuel, valeurs qui sont manifestes
au cours de ces audiences sur le projet de loi n° 14, dont le but
ultime se veut d'être d'ébaucher une vision unificatrice, une vision qui
inclurait tous les Québécois. Alors, je vous remercie pour notre audience
aujourd'hui.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons débuter les
échanges. Mme la ministre responsable de la
Charte de la langue française, vous avez la parole.
Mme De Courcy : Bien. Alors, je vous remercie d'abord
de vous être inscrits à cette commission
parlementaire. C'est un exercice important. Et nous savons tous que les arts et
la culture sont des ciments culturels importants et des liens entre les
différentes cultures et que les artistes sont universels, hein, quelle que soit
leur langue. Alors, j'ai eu l'occasion d'ailleurs de vous croiser à Culture
Montréal lorsqu'il y a eu un grand rassemblement...
M.
Rodgers (Guy) : ...culturel, oui.
Mme De Courcy : Voilà, voilà. Vous y étiez, et j'y
étais aussi. Et ça a été un événement, je crois, très important.
À cet égard-là, j'ai compris le sens de votre
mémoire. Mes collègues vous questionneront sur des aspects plus précis de votre mémoire, mais moi, je souhaiterais
savoir vos motivations lorsque vous avez adhéré à la stratégie commune à
Montréal. Vous êtes signataire de cette stratégie commune pour la protection du
français et le frein à l'anglicisation de Montréal tout en respect des deux
communautés, la communauté anglophone et francophone.
Qu'est-ce qui vous avait séduit dans cette
stratégie commune? Et qu'est-ce que vous pensez des choses qui ont été mises en place, plus particulièrement pour la
valorisation de la culture francophone et anglophone et le lien culturel? Je me
souviens des interventions, à l'époque, où vous aviez, vous ou ceux qui vous
représentaient, insisté beaucoup sur cette passerelle... enfin, cette
passerelle entre la culture anglophone et francophone. Quelques années plus
tard, sur les aspects culturels, pensez-vous que la stratégie a donné le
résultat escompté?
M. Rodgers (Guy) : Les changements sont toujours très
longs. Oui, je crois que la société est en train de changer. Comme j'ai dit tantôt, le fait que 80 % des
jeunes anglophones sont bilingues, ça crée des passerelles, ça crée un dialogue
qui n'existait pas il y a 20, 30, 40 ans.
Vous avez posé plusieurs questions. Je vais
répondre à la question à propos de la protection de la langue française. Je pense que la plupart des anglophones ont
démontré qu'ils voudraient devenir bilingues, qu'ils voudraient appuyer l'idée
du français comme langue publique, langue publique. On sait très bien que la
seule façon qu'on peut vivre dans une société civile, c'est si on peut se
parler, et il faut une langue partagée pour qu'on puisse se parler, et, au
Québec, c'est le français. Bon, pour la plupart des anglophones, c'est quelque
chose qui est réglé depuis 40 ans.
Il reste un petit groupuscule, peut-être
15 % des anglophones qui ne vont jamais apprendre le français pour toutes sortes de raisons, mais la vaste majorité des
anglophones ont dit que, oui, pour avoir un dialogue, pour devenir plein
citoyen du Québec, il faut qu'on soit bilingue. Il y a des gens, comme Peter et
moi, qui ont commencé à apprendre le français tard dans la vie, donc notre
français boite quelque peu. Mes enfants rient toujours de mon français. Mais on
a progressé beaucoup depuis les derniers 20, 30, 40 ans. Donc, je pense que
presque tous les citoyens anglophones, tous les artistes anglophones appuient
la notion du français langue publique, la notion de la culture locale.
Je vous donne une petite anecdote. Quand Voir
a publié notre article sur leur site Web, il y a quelqu'un qui a dit : Oh, encore les anglophones, ils sont partout,
là! Et leur exemple de comment les anglophones sont en train de déranger la
société québécoise, vous n'allez jamais deviner c'est quoi, c'est parce que le
bureau du premier ministre Pauline Marois ne
fait jouer que de la musique anglophone. Donc, c'est de notre faute. Et on est
absolument d'accord avec... Bien oui, je sais que ça a l'air bizarre,
mais c'est quelqu'un d'Impératif Français qui a mis ça sur le site de Voir.
Allez voir.
Et, au lieu de dire que tous les Québécois
devraient appuyer la culture québécoise, que ça soit francophone ou anglophone, c'est un complot entre Jean-François Lisée,
la communauté anglophone, tout le monde… Il y a des façons de voir des choses qui se passent qui sont très, très, très... ça
crée des divisions ou des façons de les voir qui sont rassembleurs.
Donc, on essaie de voir avec les autres artistes francophones où est-ce qu'il y
a une place pour les arts et les artistes anglophones à l'intérieur d'un Québec
où la langue publique est le français.
Ça
demande un dialogue avec mes amis francophones. Ils me disent toujours ou
souvent : C'est bon, ces discussions-là,
c'est un peu fatigant, mais c'est bon, parce que c'est des sujets... On a
toujours peur d'aborder ces sujets-là, mais
c'est bon d'en parler. On se comprend mieux, on comprend nos peurs. On a tous
peur. Je sais que les gens rient que les anglophones se voient comme une
minorité, mais on est une minorité à l'intérieur d'une minorité. Donc, on avait, tout le monde, peur, puis on a peur
chacun de l'autre; on ne devrait pas l'avoir. Puis on sait qu'à l'extrême
il y a des gens qui détestent l'anglais et les anglais, il y a d'autres qui
détestent le français et peut-être aussi les français. Mais, au milieu, il y a
quoi? 60 %, 70 %, 80 % des gens qui essaient de trouver une
façon qu'on puisse vivre ensemble.
• (16 h 20) •
Mme
De Courcy : Je
note avec beaucoup d'attention ce que vous venez de dire. Évidemment que j'ai
écouté tout le reste, là, mais le fait est que, de discuter calmement et avec mesure
des questions linguistiques, c'est possible... pardon. Vous le faites cet après-midi, plusieurs groupes
l'ont fait, qui sont venus en commission parlementaire puis ailleurs,
dans des débats qu'on a pu voir. Et vous avez dit avec justesse… Et c'est
nécessaire, et c'est nécessaire, même si c'est difficile, c'est nécessaire. Pas toutes les années, mais, 35 ans plus
tard, je crois que c'était nécessaire. Je vous remercie beaucoup pour
votre participation.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci, Mme la
ministre. M. le député de Bonaventure, c'est à vous la parole.
M.
Roy : Merci, Mme
la Présidente. Bonjour, messieurs. À la page 2 de votre mémoire, deuxième paragraphe, ce paragraphe-là
m'a interpellé, et je le trouve très intéressant. J'aimerais juste le
citer : «ELAN et ses membres reconnaissent que la langue française est en situation de vulnérabilité au Québec, qui
est entouré de plus de 300 millions de personnes qui parlent
l'anglais, la nouvelle lingua franca internationale. ELAN et ses membres
reconnaissent aussi qu'il y a un avantage à partager une langue commune
permettant à tous les citoyens de participer au dialogue public.» Donc, je
pense que vous comprenez que l'objectif de la loi n° 14, ce n'est pas de
mettre en problématique la langue anglaise mais bien de protéger la langue
française.
Ceci
étant dit, vous dites que «certains [...] arguments-clés à l'appui des
modifications à la loi ne sont pas basés sur
l'état du français comme langue d'usage public». Je ne comprends pas. Est-ce
que vous pouvez nous expliquer ce que vous
voulez dire par ça? On a ça à la page 3, en haut, de votre texte : «Il est
donc inquiétant de constater que certains des arguments-clés à l'appui
[de la] modifications à la loi ne sont pas basés sur l'état du français comme
langue d'usage public.» Est-ce que vous pouvez développer là-dessus?
M.
Rodgers (Guy) :
Oui, bien sûr. Dernièrement, les dernières quelques années, on parle des
francophones de souche quand on parle, mettons, de l'île de Montréal, l'exode des
francophones vers la Rive-Sud, où je demeure, dans le comté de Montarville, et on mélange... Il n'y a
aucune... C'est drôle, après toutes ces années au Québec, avec tous ces débats, on parle d'une langue maternelle, il n'y a
pas un moyen de parler de qui est bilingue, qui s'en sert du français
comme langue publique. Donc, on glisse encore vers en... On parlait des
francophones de souche. Il n'y a pas de moyen de définir qui respecte la loi et
s'en sert du français comme langue publique. Il me semble que c'est étrange qu'il n'y a aucun terme et il n'y a aucun moyen de
mesurer ce phénomène-là. Est-ce que vous avez eu d'autres questions ou
pensées sur ce sujet-là? Il me semble que c'est fondamental pour tout le
processus d'être en mesure de décrire qui s'en
sert du français, comme langue publique. De dire que, moi, j'ai la langue
maternelle anglaise, ça ne veut dire rien.
Un
autre exemple, on se souvient bien de cela, c'était écrit par un journaliste...
ou supervisé par un journaliste qui s'appelle Jean-François Lisée. Comme j'ai dit
tantôt, 50 % des anglophones sont en couple avec des francophones.
Alors, ils ont des enfants qui sont quoi? Moi, j'en ai deux. S'ils répondaient
à la question, ils diraient probablement, entre francophones et anglophones, qu'ils sont francophones, mais ils ne sont
pas... pour moi, ils ont une partie de ma culture et ils parlent
anglais. Ma fille, ça boite un peu, mais... Mais il n'y a pas de façon de
décrire les gens qui sont... Ce n'est pas
«francophones», c'est peut-être «francisés». Je ne sais pas. Il n'y a pas de
mot pour décrire les gens qui sont capables de parler français en
public. C'est mêlant. Donc, c'est ça qu'on soulève avec ce point-là.
M. Roy : Merci beaucoup. Je cède la parole.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Merci. M. le
député de Dubuc, vous avez maintenant la parole.
M. Claveau : Merci, Mme la Présidente. Messieurs, bienvenue. Alors,
tout de suite, en réponse : Ils sont naturellement Québécois.
Alors,
vous craignez que le projet de loi introduise des classes distinctes de citoyen
basées sur la langue maternelle. Mais on peut vous garantir que le gouvernement du
Québec ne veut d'aucune façon contribuer à instaurer une pareille
distinction de classes entre les citoyens. Mais moi, j'aimerais vous
entendre : Comment vous pouvez exprimer ces craintes, ces inquiétudes? Il y a sûrement des raisons qui motivent ces
craintes. Pouvez-vous m'en parler un peu plus ou me donner les raisons
qui motivent ou qui vous amènent à penser dans ce sens-là?
M. Rodgers
(Guy) : Ça, c'est un article qui a
paru dans la Gazette de Montréal le 5 décembre. C'est écrit par Mme De Courcy. C'est écrit : Why we
need a new Bill 101. C'était écrit pour apaiser les craintes des
anglophones, O.K.? Le deuxième paragraphe, on dit : «Our people
have experienced rapid, sweeping changes.» Alors, c'est qui «notre peuple»? C'est tous les Québécois?
«Over the course of history, we have
perceived ourselves as French, Canadians, French-Canadians…»Premier paragraphe. Moi et mes ancêtres… et ses ancêtres,
tous les anglophones, tous les allophones, toutes les Premières Nations, ils ne
se sont jamais vus comme des Français ni Canadiens français. Donc, dès le
premier paragraphe, on dit : Hum, intéressant, ça semble exclure tout le
monde qui n'est pas francophone de souche!
Et plus tard, plus tard, on parle : «Barely
40 years ago, the vast majority of immigrants sent their children to
English-language schools and integrated naturally into the English-speaking
community.» Ça laisse entendre que tous ces
immigrants sont allés s'allier avec les anglophones.
Une
question a été posée à Jean-François Lisée, il y a deux semaines à... Il y
avait une rencontre avec les anglophones
organisée par Radio-Canada. Lui, il a dit que c'était la pire erreur ou une des
pires erreurs dans l'histoire du Québec que
les écoles catholiques n'acceptaient pas les gens qui étaient d'autres
religions, d'autres langues. C'est un point
très, très, très sensible chez les allophones, chez les anglophones, qu'ils
étaient mis à l'écart. Je connais personnellement des anglophones qui
voulaient envoyer leurs enfants dans le système francophone catholique,
mais : Non, non, non, vous êtes protestants,
vous allez de l'autre côté la rue. Je connais même des Français de France qui
sont... ils étaient exclus du système parce qu'ils étaient juifs.
Donc,
ça laisse entendre... Ça, c'est comme… on lit ça : Est-ce que ça, c'est
une réécriture de l'histoire? Est-ce que c'est parce que c'était trop bref pour rentrer
dans les détails? Mais c'est le genre de chose qui est très, très
dérangeant. C'est une histoire du Québec quand… est-ce qu'on la partage, oui ou
non, que c'était une erreur fondamentale de mettre tous les non-francophones,
non-catholiques à l'écart? Là, on essaie de redresser la situation, mais il y a
tout un historique derrière cela.
Une voix : …
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. M. le député de Jacques-Cartier, vous avez la
parole.
• (16 h 30) •
M. Kelley : Merci, Mme la Présidente. À mon tour, bienvenue aux
représentants d'English-Language Arts Network, Peter MacGibbon et
Guy Rodgers. Premièrement, je veux vous féliciter pour votre travail et le
travail d'ELAN. D'avoir un réseau,
maintenant, de 8 000 artistes anglophones, je pense que c'est très
important, les écrivains, les personnes qui travaillent dans le théâtre,
les musiciens, les danseurs, et tout le reste. Il y a un certain isolement
d'être artiste anglophone à Montréal. Et je pense que l'existence de ce réseau,
ce «network» est très important pour avoir un lieu de rassemblement.
J'ai eu le privilège
d'assister… Je pense qu'il y a un an il y avait un colloque dans l'ancienne
bibliothèque de Montréal, où on a entre
autres demandé aux artistes de parler un petit peu c'est quoi, cette réalité
d'être artiste anglophone à Montréal. C'était fort intéressant.
Alors,
je pense qu'on a tout intérêt... Parce qu'on oublie parfois l'importance de la
vie culturelle dans nos sociétés. Alors, le travail que vous avez fait pour aider
ces artistes… Parce qu'effectivement vous avez bien résumé ça, c'est les artistes d'une minorité à l'intérieur d'une
minorité. Alors, c'est une relation qui est très complexe. Alors, merci
beaucoup.
Et
j'endosse aussi votre discussion sur le 80 % — moi,
je suis même optimiste que, peut-être, c'est plus grand encore — des
personnes qui cherchent toujours les moyens de vivre ensemble. On est très
conscients des défis de la situation unique,
si vous voulez, de la société québécoise, mais également on demeure quand même
dans une société de droit. Alors,
avec tout le respect pour mon collègue de Bonaventure, je comprends très bien
que ce n'est peut-être pas l'intention de freiner l'anglais dans le
projet de loi n° 14, mais, quand le Barreau, quand la Commission des
droits de la personne viennent ici avec des
mises en garde très importantes, j'espère que tous les membres de la commission
sont à l'écoute, alors, parce que je pense que c'est très important.
Moi,
comme député de Jacques-Cartier, je suis porte-parole de cette minorité
linguistique et je pense qu'il y a des
problématiques fort importantes au niveau des chartes des droits de la personne
qui ont été soulevées à la fois par la commission
aujourd'hui, par le Barreau vendredi passé. Alors, je pense qu'il faut tenir
compte et… Parce que ça, c'est le genre de problématique qui alimente le
10 % ou le 15 %, les extrêmes, et tout le reste. Moi, je suis en
politique pour être rassembleur, pour
chercher les moyens qu'on peut vivre ensemble. Alors, les signaux d'alarme qui
étaient lancés par le Barreau et par la Commission des droits de la
personne, je pense, sont très importants pour informer les travaux de notre
commission.
Je veux revenir, parce
que nous avons rencontré, avant la commission… juste pour réitérer encore une
fois, comme anglophone, tout ce point de la
langue privée et la langue publique parce que je pense que c'est très
important. Et comme, encore une fois,
quelqu'un qui avait été visé par l'article de L'Actualité, qui, comme
député, a reçu beaucoup de courriels,
beaucoup d'appels au bureau de comté, des anglophones qui se sentaient visés,
par un genre de test de connaissances : c'est quelle émission de
télévision qu'on regarde en fin de semaine, c'est quelle musique qu'on met sur
notre... Ce n'est pas les affaires de l'État. Ce n'est pas vraiment... C'est
chez nous. Alors, les disques que Mme la ministre écoute en fin de semaine ou
le livre que Mme la députée de Montarville va lire en fin de semaine, c'est vos
choix. J'espère que ça va vous donner des heures de plaisir. Et ça m'intéresse,
mais ça ne me regarde pas.
Alors,
je pense que c'est très important, alors, si je peux juste… d'expliquer
davantage. Parce que, comme vous avez dit, si
un petit peu des fondements pour le projet de loi n° 14... Et c'était, je
pense, entre autres, l'ancien député de
Borduas, M. Curzi, qui a dit à maintes reprises qu'on était en train de perdre
notre île. Alors, «notre île», s'il est en train de la perdre, veut dire que ce n'est pas mon île. Mais je demeure
sur l'île, j'ai vécu toute ma vie sur l'île. Alors, est-ce que ma
présence physique sur l'île, en soi, est un problème? J'espère que non, Mme la
Présidente. Moi, je pense, la famille Kelley — est-ce que je peux mentionner
mon nom, je pense que oui — est quand même souhaitable.
Mais, si on dit :
On est en train de perdre notre île, perdre à qui? Ça veut dire quoi? Et ça a
une certaine... dans la logique de certains éléments du Parti québécois,
un des éléments qui nous amènent ici aujourd'hui... Alors, juste davantage
expliquer de nouveau cette distinction entre
la sphère publique et la sphère privée parce que je pense que c'est un point
très important, ça touche les choix
culturels, mais juste la vie privée dans son ensemble qui n'est pas... Ce n'est
pas à l'État de regarder et faire la surveillance et le monitoring de
tout ça.
M.
Rodgers (Guy) :
Bien, c'est même pire, que l'État n'a pas les moyens, n'a pas les outils pour
regarder tout cela. Je sais que tous les anglophones qui sont bilingues, qui s'en servent
toujours du français comme langue publique, quand ils disent : Bien là, qu'est-ce qu'ils font sur
l'île de Montréal quand tous les francophones sont partis? Notre français de
langue publique, c'est quoi, ça? C'est pire
pour les allophones. Les allophones, les jeunes ont fait toutes leurs études en
français, mais, parce qu'ils sont
allophones, ils ne sont pas francophones, ils sont là, sur l'île, avec les
anglophones, il y a quelque chose de
regrettable dans tout cela. On se demande qu'est-ce que ça veut dire. Ça pointe
vers deux classes : une classe francophone de souche et les autres.
Dans
cet article de Jean-François Lisée sur les anglos… Parce que tant les... Parce
que 50 % des anglos sont en couple avec des francophones, c'est difficile à
mettre leurs enfants dans les boîtes «francophone», «anglophone». Il y a
beaucoup qui ont coché «francophone» — je sais que mes
propres enfants auraient fait la même chose — mais ils ne sont pas
francophones unilingues.
Pour
les fins de cet article, les éditeurs ont enlevé tous les enfants francophones
des couples mixtes. Donc, tous mes enfants n'ont pas été posé des questions.
C'est comme dire : On va faire une étude sur les Noirs aux États, mais
on va exclure tous les Barack Obama parce
que ça ne conforme pas aux stéréotypes. On va juste parler aux vrais anglais
qui ne connaissent rien. Donc, c'est ce genre de choses là qui est dérangeant.
Et ça fait partie de tout l'environnement. On essaie d'être bons citoyens,
d'être bilingues et d'écouter Tout le monde en parle, mais il n'y a pas
de moyens pour démontrer qu'est-ce qu'on
fait, qui nous sommes et notre valeur pour la société québécoise. Puis là je
parle des anglophones, c'est la même chose pour les artistes...
M.
Kelley : Merci
beaucoup, M. Rodgers. Et, deuxièmement, un autre point que vous avez soulevé,
qui est très important, c'est toujours la
distinction... la ministre y a fait référence aussi, la distinction entre la
communauté et ses institutions et la puissance internationale de la langue
anglaise. Wal-Mart n'est pas plus ma faute que la faute des autres membres de la commission. C'est une
puissance internationale, si on veut, c'est les gens de Bentonville,
Arkansas, je pense, qui est le siège social. Alors, ça, c'est quelque chose,
c'est un phénomène qu'au Québec, en France, dans les quatre coins du monde, il
faut composer avec cette mondialisation.
Alors, ça, c'est un
phénomène, mais la communauté, c'est tout à fait différent. Et, si vous pouvez
faire cette distinction et juste expliquer
un petit peu… Pour vos membres, vos artistes, c'est un défi de taille,
j'imagine, de trouver une place sur la scène musicale à Montréal, par
exemple, ou dans les théâtres, ou comme écrivain, parce qu'il faut être
concurrentiel avec les John Grisham, avec les Harry Potter et les autres phénomènes
internationaux qui prennent énormément de place dans nos librairies. Mais, pour
un jeune écrivain ou un écrivain anglophone à Montréal, ça ne peut pas être
évident.
M.
Rodgers (Guy) :
Comme on a mentionné dans notre mémoire, il y a tout le phénomène de l'anglais,
le rouleau compresseur qui est partout au
monde. Ça ne nous aide pas du tout. Moi, je suis membre de Culture Montréal et
j'ai participé à écrire le mémoire qu'ils
ont présenté sur... pour ce comité-là. Puis, dans nos discussions, les gens qui
disaient qu'il y avait trop d'anglais à Montréal, j'ai dis... Puis ils ont fini
par dire qu'un des problèmes c'est que, dans tous les magasins, il y a de la
musique. Donc, c'est quelqu'un qui paie pour avoir de la musique qui vient des
États-Unis. Ce n'est pas quelqu'un qui choisit ces disques-là.
Je
crois que c'est la même situation avec le bureau du premier ministre. Il y a
quelqu'un qui a choisi une musique qui est
gratis, qui est anglophone. On est toujours confrontés avec tout ce qui vient
de l'extérieur, et, quelque part, c'est
notre faute. Ça fait partie... C'est comme il y a un problème de l'extérieur...
on essaie d'être partie de la solution.
Donc, on a nos
institutions qui essaient de créer un espace de dialogue entre les anglophones,
les artistes anglophones, et nos concitoyens
francophones. Ça avance, mais c'est long parce que, justement, je pense, parce
qu'on n'en parle pas assez souvent, puis on ne se pose pas des bonnes questions,
et on ne s'écoute pas.
M. Kelley : Il me reste... M. Rodgers, M. MacGibbon, merci beaucoup
pour votre présentation. C'est rafraîchissant.
Je pense que c'est la première fois que j'ai vu le nom de Susie Arioli évoqué
en commission parlementaire. Je connais très bien Bill Gossage, qui fait
la contrebasse pour elle, et la famille Gossage de mon comté. Alors, merci beaucoup, alors ça va être une petite plug pour
les disques de Susie Arioli pour la ministre en fin de semaine. Ça vaut la
peine.
La Présidente (Mme
Vien) : Et je renchéris... Et c'est
déjà à la maison, chez nous aussi. Susie Arioli est très écoutée à la maison.
M. Rodgers
(Guy) : ...par exemple.
La
Présidente (Mme Vien) : Elle est excellente. Mme la députée de Montarville, c'est votre tour.
Cinq minutes, à peu près.
Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Merci, messieurs, concitoyens de Montarville,
très heureuse de vous rencontrer, aussi de vous entendre, de vous lire, mais de
vous entendre. Je trouvais particulièrement intéressante
l'analyse que vous faites, entre autres, de l'article... de la lettre ouverte
du Devoir de Mme la ministre. Et je parle de Montarville ici et je vais en profiter parce que c'est
justement une circonscription où anglophones et francophones vivent en
toute harmonie, où il y a cette paix sociale, cette paix linguistique qui est
tellement importante et qui nous enrichit, les deux communautés.
Et
vous êtes ici de la part des artistes, et il y a des artistes anglophones dans
le coin, je les connais. Et je voudrais vous entendre sur une phrase — on va parler des artistes — que vous avez mise dans votre mémoire et je vais vous la citer pour le
bénéfice des auditeurs : «Les artistes anglophones du Québec partagent les
inquiétudes de leurs collègues francophones
face au poids d'une culture qui vient de l'extérieur et souhaiteraient que l'on
accorde plus d'attention à la culture
locale, qu'elle soit plus présente dans les écoles et que les artistes d'ici
soient plus visibles à travers le Québec.»
Alors, pourriez-vous
élaborer? Qu'est-ce que vous verriez comme mesures d'aide ou quel type de
supports auriez-vous besoin pour la
diffusion, effectivement, de nos artistes, et tout autant francophones
qu'anglophones, puisque vous disiez : On est une minorité dans une
minorité? Donc, vous comprenez la problématique.
• (16 h 40) •
M.
Rodgers (Guy) :
Bien, il y a deux aspects. Il y a les écoles. Les écoles sont très importantes.
C'est là que les jeunes apprennent la culture,
l'histoire, les histoires qu'on se partage. Il y a des programmes, il y a
Culture à l'école, il y a Les écrivains à
l'école, mais on peut faire beaucoup plus avec ces programmes-là. Dans les
classes d'école, on peut introduire
des livres, des histoires écrites par les auteurs québécois, francophones,
anglophones, en langue originale ou en traduction.
On peut s'en servir beaucoup, des arts, pour créer un langage commun, partager,
une culture partagée. Je sais que,
chaque fois qu'on parle des cours d'histoire, de travail des cours d'histoire,
il y a toujours une crainte que ça va être une histoire déformée. Il y a une façon de s'en servir, des arts et des
artistes pour partager une culture vivante qu'on partage, qu'on connaît tous. Pour les tournées partout au
Québec, on a eu un projet, avec ELAN, qui a duré deux ans, qui
s'appelait ACCORD. Donc, on envoyait les
artistes anglophones à toutes sortes de communautés anglophones. Il y a
beaucoup de gens qui ne savent pas
qu'il y a des communautés d'anglophones aux Îles-de-la-Madeleine, à Gaspé, à
Rouyn-Noranda, un peu partout. Donc, on a fait ça, mais à l'intérieur
d'un circuit anglophone.
On
voudrait qu'il y ait plus de partage avec la communauté francophone. Quelqu'un
exactement comme Susie Arioli, Paul Cargnello, il y a plusieurs artistes qui sont bien connus,
bien aimés par nos concitoyens francophones, mais c'est difficile pour
faire des tournées à l'intérieur du Québec. Donc, je ne sais pas si c'est la
ministre de la Culture qui pourrait mettre plus d'argent. Mais il faut être conscient
que c'est des choses importantes. Et je pense que les artistes, depuis
plusieurs années, depuis au moins 30, 40 années, ils ont essayé de trouver une
façon de se parler, de se comprendre, de s'entraider. Et c'est peut-être un
exemple pour d'autres aspects de la société québécoise.
Mme Roy
(Montarville) : Si je comprends bien,
ça pourrait être une façon justement de nous unir...
M. Rodgers
(Guy) : Absolument.
Mme Roy
(Montarville) : ...de nous unir et
non de nous séparer.
M. Rodgers (Guy) : Plus on se parle, plus on se comprend, plus on sera unis.
Mme Roy (Montarville) : Je vous remercie. Je partage
entièrement votre vision des choses. Merci à vous, messieurs.
La
Présidente (Mme Vien) : Merci beaucoup à vous deux, messieurs. C'était une contribution très appréciée. Je vous souhaite bon retour, bonne route.
Nous attendons
maintenant la venue du groupe suivant, la Fédération des cégeps, pour les
entendre en audition dans quelques instants. Merci infiniment.
(Suspension de la séance à
16 h 42)
(Reprise à 16 h 44)
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Nous
allons reprendre nos travaux.
Bienvenue messieurs.
Je vais vous demander... Je pense bien que, M. Beauchesne, vous êtes le
porte-parole. Donc, je vais vous demander
quand même de vous présenter, de présenter les personnes qui vous accompagnent.
Vous allez disposer d'un temps de 10 minutes
pour faire votre présentation. Par la suite, suivra un échange avec les
membres de la commission.
Fédération des cégeps
M.
Beauchesne (Jean) : Alors, Mme la
Présidente, Mme la ministre, messieurs madame les députés, merci de nous recevoir. Alors, je suis Jean Beauchesne,
je suis président-directeur général de la Fédération des cégeps, qui est
un regroupement volontaire des 48 cégeps publics du Québec. Alors, par les
temps qui courent, c'est intéressant de savoir que tous nos cégeps sont membres de leur
fédération. Je suis accompagné de Richard Filion, qui est directeur
général du collège Dawson à Montréal, et de
Henrik Ellefsen qui est directeur des affaires juridiques à la fédération.
Donc, on vous remercie encore une fois de nous recevoir.
Je me permets de faire un bref rappel des
services de la fédération. Évidemment, la fédération est le porte-parole officiel des 48
cégeps. Elle regroupe en son sein cinq collèges anglophones, dont le collège
Dawson à Montréal. Il y a deux autres collèges à Montréal, Vanier et
John-Abbott, et deux autres collèges à l'extérieur de l'île de Montréal,
Champlain, qui a trois campus à Saint-Lambert, Lennoxville et Québec, de même
que Heritage College à Gatineau.
La
Fédération des cégeps est en accord avec l'intention du gouvernement de viser à
redynamiser la politique linguistique du
Québec, on salue cette initiative. Dans cette perspective, la fédération entend
bien continuer à contribuer au rehaussement de la qualité de la langue
française de façon à ce que les diplômés qui sortent de nos collèges puissent
démontrer une maîtrise suffisante de la langue française, particulièrement en
milieu de travail.
La fédération est d'accord pour offrir aux
étudiants qui en ont besoin l'aide additionnelle leur permettant d'atteindre le seuil
désiré en matière de maîtrise du français. Elle propose alors qu'on accorde aux
collèges des marges de manoeuvre supplémentaires afin qu'ils puissent
implanter des mesures complémentaires à celles mises en oeuvre au cours des
dernières années pour renforcer les habiletés linguistiques en français des
étudiants. En ce sens, nous pensons que les suites
du Sommet sur l'enseignement supérieur nous permettront de le faire puisqu'il a
été établi que le régime d'études collégiales
soit revu et assoupli. Et, à cet égard-là, s'il y a des questions, on sera en
mesure de vous donner des exemples précis de mesures qu'on ne peut pas
actuellement mettre de l'avant, mais que l'assouplissement du régime d'études
collégiales nous permettrait de faire.
Là
où la fédération a des réticences et des questionnements sur le projet de loi
n° 14, c'est relativement aux enjeux de compétences qui pourraient être
exigées à la sortie du D.E.C. ainsi qu'au sujet des critères d'admission des étudiants dans nos établissements. La fédération
demande un éclaircissement de base concernant la notion de compétences suffisantes figurant à l'article 30 du projet de
loi. Elle désire comprendre en quoi cette notion est distincte de celle
des compétences élevées mentionnées plus
loin dans le même article. Nous insistons sur ce point, car les cégeps
redoublent d'efforts pour aider les étudiants en difficulté et pour faciliter
l'intégration des immigrants dans la société québécoise au moyen de
l'apprentissage de la langue française. Force est de constater à ce stade que
«compétences suffisantes» ou «compétences élevées» ne donnent pas des balises
très précises pour mesurer les résultats attendus.
Cette confusion nous amène à un
questionnement important : Quel sera le standard convenu? S'agira-t-il d'un standard différent pour l'étudiant de secondaire V
qui a en poche un diplôme d'études professionnelles qui l'amène sur le marché du travail par rapport à l'étudiant
en diplôme d'études collégiales au niveau technique qui, lui aussi,
après son parcours, sera dirigé directement sur le marché du travail? Alors,
est-ce que c'est le même standard? Nous sommes enclins à répondre oui à cette
question. Dans ce cas, que signifiera la notion de compétences suffisantes et
quelle sera la valeur ajoutée par l'ordre collégial dans ce cheminement?
Par ailleurs, je tiens à vous spécifier que
la fédération s'oppose à une épreuve de sortie en français langue seconde dont la
réussite serait obligatoire pour obtenir un diplôme d'études collégiales. Il
serait inéquitable d'ajouter une autre condition
d'obtention du D.E.C. Il faut voir qu'actuellement dans la langue
d'enseignement autant les collèges anglophones que francophones ont une
épreuve uniforme pour obtenir leur D.E.C., c'est déjà présent dans notre
réglementation. D'ajouter seulement dans les collèges anglophones une épreuve
uniforme langue seconde nous apparaît créer un double standard tout à fait
inéquitable.
J'invite
maintenant mon collègue Richard Filion à poursuivre concernant les critères
d'admission.
•
(16 h 50) •
M. Filion (Richard) : Merci, M. Beauchesne. Mme la
Présidente, Mme la ministre, MM. et Mmes les députés, bonjour. Laissez-moi vous exposer
maintenant les raisons pour lesquelles les cégeps vous demandent de
retirer l'alinéa 3° apparaissant au
paragraphe 33 du projet de loi n° 14. Premièrement, il y a un principe que
nous avons toujours défendu au Québec,
et c'est celui du libre choix de la langue pour l'enseignement supérieur. Si
cela est bon pour les universités, cela devrait l'être tout autant pour
les cégeps. Enfin, sachez que, lorsqu'un adolescent ou un jeune adulte a fait
tout son primaire et son secondaire en français, il n'en vient pas à perdre sa
langue s'il fréquente un collège anglophone.
D'autre
part, il est important que vous compreniez que l'admission au cégep s'est
toujours faite en fonction du dossier de l'étudiant, c'est-à-dire sur la base
du mérite scolaire. Il s'agit d'un principe universellement reconnu pour
accéder à l'enseignement supérieur. Ainsi, un étudiant qualifié est accepté
dans les collèges du Québec peu importe sa langue.
Je vous donne l'exemple du collège Dawson,
qui compte plus 10 000 étudiants, jeunes et adultes. Près de 40 % de ces
étudiants sont dits francophones ou allophones. Le dossier scolaire en fonction
du choix de programme est le critère de base qui prévaut pour juger de l'admissibilité du candidat. D'autres
critères peuvent s'appliquer selon le programme d'étude, mais, dans tous les cas, ce sont des critères qui
sont d'ordre scolaire, et ceci constitue, jusqu'à preuve du contraire,
un solide indicateur de la réussite éducative, et cela représente une garantie
de qualité, tant pour la dispensation de nos programmes que pour la qualité de
l'éducation que nous offrons dans nos collèges.
Fait à noter, la mixité des langues que nous
trouvons dans une institution comme Dawson et l'interaction que cela permet aident grandement à l'intégration des
anglophones à la culture et à la langue française et contribuent à briser l'isolement des deux solitudes. Dans les couloirs
du collège et lors des activités de vie étudiante, il n'est pas rare
d'entendre plusieurs étudiants s'exprimer et interagir en français, qu'ils
soient anglophones, allophones ou francophones. S'il fallait que seuls les anglophones en viennent à fréquenter nos
programmes d'étude, cette richesse du partage des langues et des
cultures serait perdue.
Rappelons que les
étudiants francophones qui choisissent un collège anglophone le font librement,
soit par choix de programme, soit par
proximité de leur domicile, soit parce qu'ils visent une profession où
l'anglais occupera une place importante et ils désirent se donner toutes les chances d'intégrer
le marché du travail. Il faut noter aussi qu'un grand nombre le fait en
vertu de projets d'études universitaires qu'il ou elle caresse.
À cet égard, nous
considérons que les cégeps n'ont pas à porter la responsabilité du phénomène allégué
de l'anglicisation de Montréal et qu'il serait excessif d'imaginer qu'ils
pourraient le régler, si tant est que ce phénomène est avéré. Il semble s'agir davantage, selon nous, d'une situation qui
caractérise le marché du travail. Or, sur ce point, nous sommes d'accord pour accroître notre action
et mettre en place des mesures supplémentaires afin de nous assurer que les étudiants soient tous fonctionnels dans la
langue française lorsqu'ils sont rendus sur le marché du travail. M.
Beauchesne vous en a glissé un mot tout à l'heure, et nous le décrivons très
bien dans notre mémoire.
Dans
un autre ordre d'idées, l'impression a pu surgir, au cours des dernières
années, que nous avons laissé de côté des candidats qualifiés à l'enseignement collégial
en raison d'un manque de place. La réalité est différente. Nous faisons tout pour assurer que la presque totalité des
candidats de langue anglaise munis des qualifications scolaires requises
reçoivent une offre d'admission pour un programme de D.E.C. à temps complet
dans nos établissements. Seulement, nous le faisons non en raison de leur
appartenance linguistique, mais en fonction du critère de mérite lié au dossier
scolaire. Sur ce point, il faut rappeler
que, peu importe le collège, francophone ou anglophone, tous les candidats,
même qualifiés, ne peuvent automatiquement avoir accès à leur programme,
au programme de leur choix du fait que certains de ces programmes sont soit
contingentés, soit très attractifs et très populaires.
En
conclusion, nous estimons que limiter l'accès aux collèges anglophones
reviendrait à affaiblir ces établissements
tout en privant les non-anglophones d'une liberté de choix à laquelle ils
doivent continuer d'avoir droit pour préparer leur
avenir et réaliser leurs rêves. C'est la raison pour laquelle nous vous
demandons de retirer l'alinéa 3° de l'article 33 du projet de
loi n° 14. Nous vous remercions pour votre écoute et nous sommes
prêts à répondre à vos questions.
La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons débuter les
échanges avec la partie gouvernementale. Mme
la ministre responsable de la Charte de la langue française, vous avez la
parole.
Mme
De Courcy :
Alors, bonjour, messieurs, merci de vous êtes inscrits à cette commission parlementaire. Votre point de vue,
bien sûr, est important, et j'ai lu avec beaucoup d'attention votre mémoire.
Évidemment, quand on arrive comme ça
à la fin de la route de la commission parlementaire, on a entendu aussi
beaucoup de choses, et mon objet, dans la question que je vais vous
poser, n'est pas de vous mettre en contradiction, mais je cherche à comprendre.
Je cherche à comprendre, et c'est le but d'ailleurs de la commission
parlementaire.
Alors,
d'un côté, nous vous entendons. De l'autre côté, nous avons eu des contacts ou
nous avons entendu — et j'ai fait préciser la question, mes collègues aussi ont
tenté de le faire — des parents,
représentants de la communauté anglophone, à
la question : Est-ce que vous êtes préoccupés par l'accessibilité des
enfants de la communautéanglophone… — bien, des jeunes, hein, il ne faut pas dire «les enfants» — alors des jeunes de la communauté anglophone dans les
cégeps? Est-ce que vous êtes préoccupés par cette question-là? La réponse
était... rend mal à l'aise. On veut dire oui, en même temps, on ne veut
pas non plus être... sembler écarter des candidats de qualité, mais, en même
temps, l'accessibilité préoccupe. Bon, on a entendu ça, c'était assez...
c'était un peu ambivalent.
Dans des consultations
antérieures, j'ai eu, moi, des commentaires de parents très inquiets de voir à
ce que finalement des institutions dites de
la communauté anglophone ne seraient plus, somme toute, associées au
patrimoine anglophone. Et je sais qu'à
travers le mémoire vous n'êtes pas d'accord avec cette appellation-là, mais
j'ai refait faire des vérifications
pour m'assurer qu'on était bien dans la bonne lignée — puis
on ne fera pas une bataille autour de ça, ça
ne serait pas intéressant, là — dans le cadre de la commission parlementaire. Mais il y a vraiment
eu, au moment de la création, des
particularités, des spécifications pour les collèges anglophones, et j'en suis
très contente, j'en suis très contente. Ceci étant, on évolue, et là on
sait où nous sommes.
D'autres
préoccupations ont été mises de l'avant, et, cette fois-ci, ça a été par les
ordres professionnels, concernant la maîtrise du français pour les candidats qui
postulent. Ça m'a, moi, beaucoup préoccupée. Mais on a beaucoup parlé de
la question de la maîtrise du français écrit,
à ce moment-là, pas tant du français oral. Et, dans certains cas, on a parlé
du français associé à la spécialité ou à la
technique, d'en dispenser au collégial ou à l'université. Je dis bien «ou à
l'université».
Et on a aussi eu la
visite de... l'appellation, je vais vous la dire exactement, c'est le Comité
des enseignants de français langue seconde
des collèges du Québec, qui est venu faire aussi une prestation pour nous dire
à quel point ils étaient inquiets de la maîtrise de la langue française
de la part des jeunes qu'ils accueillent en français langue seconde au
collégial et aussi qu'ils n'avaient absolument pas l'assurance que tout ça se
déroulait bien à la fin de tout.
Alors,
ma question, à travers ça, c'est : Est-ce que vous pouvez convenir avec
moi, même, admettons, admettons que les moyens choisis ne sont pas les bons, à
réfléchir, mais admettons que j'adopte votre point de vue... Et tantôt
vous avez dit : Il y aurait lieu de
mettre des mesures supplémentaires, hein, pour l'accessibilité? C'est bien ça
que vous avez dit, pour l'accessibilité, tout au moins? Ou j'ai mal
compris? Non?
M. Beauchesne
(Jean) : Pour l'amélioration du
français.
Mme
De Courcy : Pour
l'amélioration du français. J'aimerais ça que vous précisiez qu'est-ce qu'on
entend par «mesures supplémentaires», compte
tenu de tout ce que je viens de vous dire, et du ferme propos, et de la volonté
de la communauté anglophone, que je reconnais aisément, à maîtriser le français
de plus en plus et encore mieux. Et, parallèlement
à ça, vous ne l'avez pas évoqué, mais moi, je crois aussi que la communauté
francophone veut améliorer l'apprentissage
de la langue seconde, d'une troisième, voire d'une quatrième langue. Alors, je
pense que ça, ce sont des visions partagées. Alors, sur ce, moi, je n'ai
pas d'égocentricité intellectuelle, alors donc, je suis à la recherche...
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Sur ce, madame...
Mme De Courcy : ...de moyens. Si ce ne sont pas les bons, alors, oui,
d'accord, lesquels, lesquels?
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Sur ce, Mme la ministre, messieurs, je dois interrompre
les travaux de la commission parce que les
députés sont appelés à aller voter.
Donc, nous suspendons
quelques minutes.
(Suspension de la séance à 17
heures)
(Reprise à 17 h 23)
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Nous allons reprendre nos travaux.
Quand
nous avons dû suspendre les travaux, il y avait un échange qui était déjà
amorcé entre la ministre et vous, je pense,
M. Cousineau?
M. Beauchesne
(Jean) : Beauchesne.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Beauchesne…
M. Beauchesne
(Jean) : Oui.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : …je
m'excuse, M. Beauchesne, excusez-moi.
M. Beauchesne
(Jean) : Non, ça va, il n'y a pas de
faute.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Donc, je vous
invite à poursuivre.
M.
Beauchesne (Jean) : Oui. Alors, ça m'a permis de préparer plus adéquatement ma réponse — mais elle était spontanée, de toute façon. Il y a trois éléments
que vous soulevez, Mme la ministre. Le premier, c'est sur
l'accessibilité. Puis le deuxième étant sur qu'est-ce que l'assouplissement du
régime d'études collégiales pourrait apporter dans l'amélioration du français, je vais vous donner des exemples. Et la
question du comité des enseignants français langue seconde, on a aussi
un commentaire par rapport à ça.
Sur
l'accessibilité, depuis trois ans que je suis à la Fédération des cégeps, tous
les cas de dossiers académiques d'anglophones
qui n'ont pas été admis dans un cégep anglophone qui m'ont été rapportés sont
des cas où les dossiers académiques ne
permettaient pas l'admission dans aucun cégep du Québec, que ce soit
francophone ou anglophone. Alors, évidemment, quand on est à
l'enseignement supérieur, au cégep ou à l'université, il y a des dossiers
d'étudiants qui, à la base, ne respectent
pas les conditions pour fréquenter un établissement d'enseignement supérieur.
C'est la très, très grande majorité.
Sans dire que, pour les dossiers académiques recevables, on est au niveau de
l'anecdote, on n'est pas loin de
l'anecdote. Il y a très, très peu de cas. Et ça se résume essentiellement sur
l'île de Montréal, où il y a eu une croissance des effectifs étudiants,
où ça a été un peu plus serré.
Mais
l'exemple de mon collègue à ma gauche pourrait… Il pourra vous en parler, on a
trouvé des solutions pour admettre davantage d'étudiants. On a loué des
locaux un peu à l'extérieur du cégep, et on y arrive. Alors, pour les
étudiants qui ont un bon dossier académique, pour quelques cas on peut leur
permettre même de s'inscrire dans la formation continue avec les adultes, dans un horaire différent — avec des adultes qui sont à plein temps — et après ça ils peuvent intégrer le cheminement régulier. Donc, on est
vraiment au niveau de l'anecdote. Et ça, on a des données très précises
pour l'année 2011‑2012, et, les années précédentes, c'était au même niveau.
Sur
la question de la qualité du français, je vous donne un exemple de rigidité que
le régime d'études collégiales ne nous permet
pas actuellement et que, avec l'engagement du ministre de l'Enseignement
supérieur de mettre un peu plus de souplesse, on pourrait faire dans l'avenir.
Par exemple dans les cégeps anglophones, on pourrait très bien imaginer un D.E.C. bilingue permettant à des
étudiants de faire un cheminement dans un diplôme d'études collégiales à
Dawson, à John-Abbott ou ailleurs, dans un
parcours bilingue, de telle sorte que la maîtrise du français ne serait
vraiment pas un problème pour ces
étudiants-là qui s'orientent directement sur le marché du travail après trois
ans dans un D.E.C.
Autre
exemple. Vous avez vous-même évoqué la question du lexique ou de la spécialité
technique. Nous, on a déjà ça dans nos cartons, de permettre, si le régime des études
collégiales nous le permettait, dans des cours spécialisés ou dans des laboratoires… les remplacer par la
maîtrise en français du lexique dédié à la fonction de travail. Par
exemple, en arpentage, ou en génie
industriel, ou autre, il y a des termes anglophones, mais il y a aussi tout le
lexique francophone qui aide à maîtriser, sur le marché du travail, la
langue française dans le travail qu'occupe le diplômé collégial. Alors, ça, c'est un autre exemple de mesure qu'on ne peut pas
actuellement… parce que 100 % des compétences de programmes sont
déterminées par le ministre qui décerne des diplômes d'État. Mais on a déjà
l'ouverture de revoir dans les chantiers postsommet ces questions-là. Et ça,
pour nous, ça permettrait, quand on parlait de compétences suffisantes, là,
permettant à un diplômé technique qui arrive sur la marché du travail, de
maîtriser dans son domaine de travail la langue française.
L'autre question — et je
permettrais à mon collègue, s'il a des choses à ajouter, d'intervenir — c'est ce que le Comité
des enseignants de français langue seconde a présenté à la commission. Nous
avons écouté attentivement leur présentation,
et c'est tout simplement impraticable. Actuellement, là, les étudiants au
collégial à plein temps, là, ils ont
à peu près sept cours en moyenne par session dans la formation dite générale,
donc pas celle technique, là, permettant le diplôme de trois ans, mais,
dans la formation générale, il y a déjà 660 heures dans le parcours de deux
années. Et il ne faut jamais oublier qu'on forme des citoyens de demain au-delà
d'un employé dans un secteur d'activité, et la formation générale, y compris
les cours au choix, les cours complémentaires, c'est fondamental pour nous.
Hier,
j'étais aux assises sur la recherche et on disait qu'on a une carence dans la
culture scientifique ettechnologique. On a des cours, dans les options,
sur la culture scientifique et technologique. Alors, si on rogne sur ces
cours-là pour avoir formellement des cours additionnels en français langue
seconde, bien c'est évident qu'on vient rogner
dans la formation générale de nos citoyens de demain. C'est aussi un problème
sur la hauteur de ce que le Comité des
enseignants de langue seconde évoquait, c'est tout à fait impraticable
d'ajouter pratiquement à la hauteur de 250 heures dans le parcours,
c'est plus du tiers des heures de formation générale. Et, même plus bas, nous,
on est plus de l'école de dire : Ayons
des mesures comme des exemples que je vous ai apportés, des mesures
spécifiques, plutôt que régimenter ça dans des cours additionnels
formels. C'est l'approche que nous privilégions.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : M. Filion.
M. Filion
(Richard) : …
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Oui?
Mme De Courcy : ...pardonnez-moi.
• (17 h 30) •
M.
Filion (Richard) :
Mais c'est moi qui s'excuse. Mais je voulais peut-être renchérir sur certains
aspects que vous avez soulevés, Mme la
ministre, concernant le français écrit. Il est évident que c'est un problème
qui dépasse infiniment, là, la situation qui peut être observée chez certains
des diplômés des collèges anglophones. Vous avez été présidente d'une
commission scolaire à Montréal, vous savez que l'apprentissage du français, et
particulièrement la performance en français
écrit, est un problème qui traverse tout le système. Qu'on soit dans un collège
anglophone ou dans un collège
francophone, il y a des questions qui se posent et il y a des efforts qui sont
faits pour essayer d'y remédier autant que faire se peut. Il y a là un
problème de société qui n'est pas unique au Québec non plus, là. Alors, que les
employeurs fassent des observations à cet effet-là, soit, mais on ne peut pas
attribuer cette situation-là uniquement aux diplômés des collèges anglophones.
Par
ailleurs, quand vous avez mentionné que vous avez rencontré des parents qui
proviennent de la communauté anglophone et qui
se disent ambivalents par rapport à la capacité de certains de leur progéniture
à accéder au collège anglophone, je peux
vous dire qu'ils ont raison d'être ambivalents. Je vais vous donner un exemple
très précis de l'effet que pourrait avoir l'article 33 si jamais il
venait à être adopté et appliqué.
Au collège Dawson, on reçoit, bon an, mal an, 2 000
demandes pour accéder au programme des sciences de la nature, 2 000 demandes. On a, en raison des
limitations d'espace, parce que c'est des équipements spécialisés, les programmes
de sciences, là… on ne peut pas en accueillir plus que 350 par année en
première année. Si l'article 33 était
appliqué tel qu'il est libellé, il faudrait donner priorité à ce qu'on appelle
malencontreusement, selon moi, la clientèle de langue anglaise, ce qui fait que les anglophones se retrouveraient
entre eux dans un programme de sciences à Dawson parce qu'il n'y aurait pas de place, il n'y aurait
tellement pas de place qu'il faudrait prioriser des candidats anglophones.
Est-ce qu'on voudrait que les anglophones se
retrouvent entre eux dans leurs institutions uniquement et qu'ensuite on
vienne nous dire qu'il faudrait organiser
des sessions d'échanges avec les collèges francophones pour permettre justement
cet échange biculturel, qui est déjà
la marque de nos institutions? C'est ça, l'effet qui pourrait s'ensuivre si
l'article 33 était appliqué, et ça, il faut y prendre garde.
Je
dirais, par ailleurs, pour terminer, la souplesse qui est nécessaire pour nous
permettre de renforcer notre action en matière d'apprentissage de la langue française,
je vais vous donner un exemple de ce qui se passe au collège Dawson.
Dans le programme de soins infirmiers, on a dû appliquer une approche de la
formation complémentaire. Vous le savez, il
y a quatre unités dans le programme collégial qui est réservé à des cours
optionnels de formation complémentaire qui
se divisent en six domaines, dont un qui est relié aux arts. Alors, imaginez un
cours de théâtre qui met en situation des étudiantes — en général, ce sont des étudiantes — en
situation de pratiquer le français dans des situations de travail. Alors, si on avait plus de ces possibilités-là, on aurait
davantage la capacité de permettre à ceux qui demandent une aide additionnelle
pour maîtriser le français langue de profession la capacité de faire cet
apprentissage-là. Et, si je ne me trompe pas, la lecture qu'on fait de la
situation est que la préoccupation touche le milieu de travail davantage.
Mme De
Courcy : Je voudrais vous mentionner
en tout respect, vraiment en tout respect, que cette question-là de la cohabitation entre diverses cultures et etc., c'est
vrai aussi du côté francophone, hein? Il n'y a qu'à se promener au cégep Maisonneuve, un peu partout. Je
pense que vous êtes en mesure, d'ailleurs, de confirmer ça. Alors, il ne
faudrait pas identifier les cégeps sur la
base linguistique comme étant, un, l'apanage de la diversité et, l'autre,
l'apanage de l'homogénéité. Ce n'est pas vrai, là. On n'est pas dans cet
univers-là.
Par ailleurs, quand vous me dites :
C'est un problème transversal dans tous les pays, etc., oui, sans doute, mais, quand même, du côté des écoles des commissions
scolaires anglophones, et c'est toujours quelque chose que j'ai salué, les résultats aux
épreuves et les résultats globaux des commissions scolaires anglophones sont
excellents. Et on n'est pas, là, dans une strate moyenne, là, on est
dans des strates supérieures. Et on arrive au même constat au cégep, où la
question de la maîtrise de l'écrit est difficile et va rendre difficile l'insertion
en français pour ces jeunes-là dans leur profession
à venir. Et ça, moi, avec tout le respect que je vous dois, j'ai bien entendu
les mesures que vous m'avez dites, et voilà, pour moi, de l'ouverture
potentielle. Et notre collègue de Jacques-Cartier a bien dit à quel point ça
importait à la communauté anglophone, cet aspect-là des choses, et je le crois.
Et je le crois.
Donc, vous savez, je pense que les cégeps
peuvent faire beaucoup dans ce contexte-là. Alors, si la solution n'est pas la bonne, certaines que vous avez amenées sont
intéressantes, puis il faudra s'y attarder, au collègue Dawson comme dans
d'autres collèges, là, puis de façon, je pense, très résolue. Je voulais juste
qu'on s'entende là-dessus. Puis je sens toute votre bonne volonté, là, autour
de cette question.
Quant aux 350 auxquels vous avez fait
allusion et là les anglophones se retrouveraient entre eux, j'ose penser que, comme directeur de
collège, vous ne feriez jamais une telle chose dans le contexte de ce qu'est le
projet de loi actuel et que vous
auriez, comme le font les écoles primaires ou secondaires au Québec quand ils
opèrent une sélection sur la base de programmes qui peuvent accueillir
aussi d'autres types d'élèves… que vous auriez l'équilibre en tête et
l'assurance d'avoir la diversité et de
préserver cette diversité-là. Alors, il est vrai que théoriquement ça peut nous
conduire à ce que vous dites, mais il
est vrai aussi que je suis certaine que les directeurs de collège et les
présidents de conseil d'administration des collèges useraient de tout leur bon jugement pour préserver les
équilibres qui sont dans les collèges. Nous sommes donc dans des questions théoriques. Je conviens que ça
pourrait arriver, mais je suis certaine, je vous le dis et je le répète,
moi, j'ai pleinement confiance dans les directeurs des collèges.
Par ailleurs, ce qui me préoccupe, c'est la
rigidité de ce que vous avez nommé, c'est-à-dire la marge de manoeuvre que vous
auriez pour le faire et que vous n'avez peut-être pas actuellement. Ça, je vous
avoue que je vais référer moi-même rapidement
au ministre de l'Enseignement supérieur pour m'assurer, dans la perspective où
ce serait adopté, que nous n'avons pas d'embûche. Nous l'avions fait.
Nous l'avions fait. Probablement que, dans la perspective des travaux du
chantier et dans la perspective aussi où c'était pour prendre un certain temps,
on nous avait dit que, oui, on était pour mettre les conditions à réunir
ensemble, mais je vais m'en assurer, là. Et, je vous dirais, quelle que soit
l'issue de ça, pour opérer résolument un ajustement pour le français, ce que
vous me dites aujourd'hui, c'est que ça prendra, de toute façon, de la marge de
manoeuvre.
M.
Beauchesne (Jean) : Et des mesures.
Mme
De Courcy : Et des mesures
particulières.
M. Beauchesne (Jean) : Et des mesures, tout à fait. Puis je
pense que le message... votre message a été
entendu par le ministre Duchesne, parce qu'on l'a replaidé dans le cadre du
Sommet sur l'enseignement supérieur, et il y a un engagement ferme, dans les actes du sommet, à décentraliser certaines
compétences, à donner des marges de manoeuvre aux cégeps. Parce qu'il faut comprendre que, quand on a pris la place
des instituts techniques, il y a 40, 45 ans, il y avait tellement de
variétés de qualité de programmes que c'était normal que le ministère de
l'Éducation veuille concentrer par des diplômes d'État…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci beaucoup, M. Beauchesne.
M.
Beauchesne (Jean) : Oui.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je suis désolée, c'est malheureusement tout le temps qui
était disponible pour le gouvernement.
Je dois aller maintenant du côté de l'opposition
officielle. M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Merci beaucoup, messieurs, pour le temps que vous avez pris en groupe,
j'en suis persuadé, représentant la Fédération des cégeps, pour rédiger le
mémoire, en arriver avec une position
commune claire et le temps que vous prenez, aujourd'hui, pour venir nous
expliquer évidemment les résultats de votre analyse du projet de
loi n° 14.
J'aimerais, d'entrée de jeu... Et on a parlé,
un peu plus tôt... je pense que c'est M. Filion qui parlait des critères de sélection.
J'aimerais d'abord, première étape, revenir sur les critères de sélection
lorsqu'une personne, jeune adulte, qui, en toute liberté de choix, décide d'appliquer à tel, tel ou tel cégep en
telle, telle ou telle matière. Là-dedans, il y aura des cégeps peut-être qui seront des cégeps anglophones et
d'autres, francophones. Donc, pouvez-vous expliquer, pour le bénéfice
des gens également qui, à la maison, nous écoutent, sur quelle base, vous,
administrateurs d'un cégep, allez-vous dire : Bien, nous accueillons cette
candidature-là et pas celle-là? Quels sont les critères?
M. Beauchesne (Jean) : Bien, d'abord, peut-être faire un
premier topo très général rapide, et je laisserai M. Filion répondre spécifiquement comme directeur de collège.
À l'enseignement supérieur, il y a un seul critère d'admission, c'est la qualité du dossier académique.
Maintenant, c'est évident que ça se fait... une demande d'admission se fait par
un étudiant dans un collège spécifique. Il y
a trois tours, en général, d'admission, mais, quand l'étudiant décide de faire,
de façon générale, une demande d'admission, il le fait dans un collège
spécifique.
Alors, il y a la
capacité d'accueil non seulement dans le collège, parce que parfois le collège
est plein, mais aussi dans le programme.
Alors, il y a des programmes contingentés, et là, évidemment, plus le programme
est contingenté et
populaire, plus ce qu'on appelle le «cutoff», mais en français la «barrière
d'admission», plus elle peut être élevée en termes de moyenne parce qu'évidemment il y a beaucoup d'appelés et peu
d'élus. Alors, ça, c'est la règle de base, mais, en même temps, c'est
uniquement le dossier académique.
• (17 h 40) •
M. Filion (Richard) : Bien, voilà. Mais c'est essentiellement sur la
base du dossier que nous présente l'étudiant. Et la ligne de démarcation
est fonction du nombre de demandes qu'on peut avoir en fonction d'un programme
donné. L'exemple, là, que j'ai donné, tout à
l'heure, par rapport à notre programme de sciences, comme c'est un programme
qui est très populaire, qui est très
attirant, où on a 2 000 demandes pour une année donnée, bien, évidemment,
plus on a de demandes, plus on est sélectifs, et ce sont, dans ces
cas-là, des notes qui… comme on dit, là, le «cutoff» est assez haut pour nous
permettre de prendre des étudiants qui présentent des notes supérieures à la
moyenne.
Dans
d'autres programmes, il peut y avoir d'autres critères qui sont liés aux
habilités physiques. Si on prend, par exemple, le programme de techniques policières qui
se donne au collège John Abbott, 300 demandes par année, 60 places, alors, évidemment, c'est le dossier scolaire qui
d'abord fait foi d'une première grille de sélection, mais ensuite il y a
des entrevues, il y a des tests physiques,
et ainsi de suite. Mais en aucun cas le critère de la langue n'est utilisé pour
donner une place préférentielle à un étudiant selon sa provenance linguistique,
là.
M.
Tanguay : Et
là-dessus, on en est donc à la deuxième étape de notre raisonnement. Vous avezaffirmé — j'aimerais
vous entendre, donc étayer là-dessus — qu'il n'y a pas de clientèle de
langue anglaise pour laquelle des cégeps anglophones auraient été créés
exclusivement ou en priorité. Et ça, c'est un élément qui revient dans
votre mémoire. Pouvez-vous, donc, nous expliquer un peu, nous brosser un
tableau, là, historique de la création des cégeps francophones et anglophones, et peut-être souligner au passage, toujours
en nous mettant dans ce contexte historique là, que, pour ce qui est des cégeps, il ne s'agit pas là de création
d'institutions dédiées exclusivement à une clientèle linguistique?
M. Beauchesne
(Jean) : O.K. Bien, en fait, quand
les cégeps ont été créés pour prendre la place des instituts techniques, comme je le mentionnais tantôt, en
1967-1968, il n'y a pas de disposition légale qui réservait une
clientèle sur la base de la langue. Puis on
sait aussi que, la langue, selon les parents, le cheminement scolaire, il y a
des variables aussi, là. Ça n'existe
pas sur le plan légal. Mais nous, on s'est dit : Ça, c'est un aspect légal,
on ne se base pas là-dessus. On est allés
plus loin, on s'est dit : Ce n'est pas dans les structures ou dans les
statuts des cégeps anglophones à l'époque, mais est-ce qu'on dessert... est-ce qu'on laisse de côté notre clientèle
anglophone dans certains cas? On voulait vraiment aller au-delà de
l'aspect légal, et, c'est ce que je disais tantôt, on s'est rendu compte qu'on
est plus proche de l'anecdote parce qu'en
réalité il y a toutes sortes de voies possibles pour que les bons dossiers, là — je le dis bien, les bons
dossiers, comme les bons dossiers des étudiants francophones, ils sont au même
niveau à cet égard-là — ne
soient pas laissés sur le carreau.
M. Tanguay : Vouliez-vous ajouter quelque chose, M. Filion? Oui?
M. Filion
(Richard) : Bien, écoutez, je
répondrais à cette interrogation-là en mentionnant que, comme on le mentionne
dans le... ni dans les lettres patentes, ni dans le règlement des études
collégiales, ni dans la loi, il n'y a une distinction entre les collèges
anglopohones et les collèges francophones. Il y a des collèges francophones qui
donnent des cours en anglais. Je donne, par exemple, l'exemple du cégep
Marie-Victorin qui donne des cours en anglais à la communauté juive. C'est une tradition historique, ça, là. Donc, il y a
évidemment une histoire qui fait en sorte que, si on a jugé bon de créer des cégeps en anglais, c'est
parce qu'il y avait une communauté anglophone importante à desservir.
Mais en aucun cas on n'a pensé limiter les
institutions anglophones aux anglophones, comme ça n'aurait pas plus de sens
de limiter l'accès aux hôpitaux anglophones
à seulement la clientèle anglophone parce que, par exemple, les situations
dans les urgences sont telles qu'il faudrait opérer une sélection selon la
langue.
Alors,
c'est un peu… c'est un peu, je dirais, surprenant qu'on voie apparaître dans un
projet de loi cette notion que dorénavant on
devrait considérer une institution anglophone devant servir d'abord et avant
tout les anglophones. Je pense qu'on perdrait là un excellent outil pour
permettre aux anglophones justement de continuer de vivre au Québec en toute
convivialité avec la majorité francophone.
M.
Tanguay : C'est
ça, de permettre à tous les Québécois, indépendamment de la langue
d'expression, de vivre au Québec, tout à fait. Et vous m'inspirez, et vous
me faites penser au commentaire qu'avait fait en ce sens et à juste
titre un ancien premier ministre du Québec, l'ancien premier ministre M. Lucien
Bouchard, du Parti québécois, qui avait dit : Quand on est à l'hôpital,
là, ce n'est pas un test linguistique qu'on veut, c'est un test sanguin. Et je
pense que c'est important de faire écho à ce qu'il disait de façon très
raisonnée, et raisonnable, et responsable.
Ceci
dit, ça nous amène, une fois qu'on a entendu ce que vous venez de nous dire… la
loi viendrait ajouter de nouveaux concepts. Et
le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Et, en ce sens-là, c'est
important que les concepts soient clairement
définis. Et le législateur a loisir d'en introduire de nouveaux, mais doit
s'assurer évidemment qu'ils vont refléter
une réalité qui existe déjà ou qui est, à tout le moins, identifiable. Et, dans
le dossier de la langue, dossier délicat.
Alors,
clientèle de langue anglaise. «Lorsque la capacité d'accueil est limitée dans
un collège — on parle ici des collèges
anglophones — des critères et
priorités pouvant être établis dans la sélection des étudiants pour respecter
la clientèle de langue anglaise pour laquelle avait été constitué
l'établissement par le gouvernement.» La dernière portion, «pour laquelle avait été constitué l'établissement par le
gouvernement», on vient d'en disposer. «Clientèle de langue anglaise»,
ça veut dire quoi, ça?
M. Beauchesne (Jean) : Bien, en fait, nous, à la lecture que
vous faites, on a fait la lecture aussi que l'article était fait de façon
globale, pour la capacité d'accueil globale du collège. On a évoqué la
problématique sous-jacente à ça, que, quand
on arrive dans un programme spécifique, il peut y avoir une problématique
particulière plus importante qui se dégage parce qu'on est dans un programme contingenté, alors que l'article de la
loi, pour nous, était conçu dans la capacité générale d'accueil, comme si tous les étudiants
s'inscrivaient dans la même mouvance à l'intérieur du collège, alors que,
quand tu t'inscris, tu fais une demande
d'admission dans un programme. Donc, ça, c'est déjà une première préoccupation
qu'on avait.
L'autre
préoccupation, c'est de documenter cette priorité-là. Nous autres, on a choisi
plutôt de dire : Est-ce que c'est un
véritable problème? On l'a regardé puis on s'est dit : Il faut qu'on
desserve la clientèle anglophone pour les dossiers
académiques qui sont recevables. Puis on est arrivés à la conclusion — puis on a les chiffres — à l'effet que ce n'était
pas un véritable problème.
Maintenant, pour votre
question sur la langue anglaise, on s'est posé la question : Est-ce que
c'est les mêmes critères d'admissibilité à
l'enseignement en anglais pour les commissions scolaires? Possiblement, parce
qu'il y a une voie qui est tracée. Mais on posait la question de notre côté
aussi : Est-ce que c'est les mêmes critères pour l'admissibilité à l'enseignement
en anglais aux niveaux primaire, secondaire?
M.
Filion (Richard) :
Je me permettrai de rajouter. C'est la Commission des droits de la personne et
de la jeunesse qui est passée ici, cet après-midi, et qui a laissé entendre qu'un
concept qui est introduit dans un projet de loi et qui risque d'avoir force de loi doit être au minimum défini.
Or, là, on est devant justement une notion qui est questionnable. Il y a
toutes sortes de manières d'aborder cette
question-là, mais il n'y a pas de réponse… La plus simple, ce serait de
dire : Bien, ceux qui ont des... ceux qui sont visés par l'actuelle loi
101 seraient ceux qui seraient visés par l'éventuelle loi 101 remaniée à la sauce
14. La question qui se pose à ce sujet-là, c'est : Pourquoi on amalgame
l'ordre collégial à l'ordre secondaire?
Actuellement, l'ordre collégial est un ordre post-obligatoire. Il y a des gens
qui n'y vont pas, au collégial, alors que l'instruction obligatoire est
un droit constitutionnel qui est reconnu et pour lequel il y a des
organisations qui existent, les commissions
scolaires linguistiques. Alors là, on amalgame l'ordre collégial à l'ordre
existant, et c'est un peu… c'est un peu pernicieux, si on peut me
permettre, dans la mesure où on a toujours pensé que les cégeps étaient de
l'ordre supérieur, de l'ordre de l'enseignement postobligatoire. Alors là, il y
a un glissement qui nous inquiète.
• (17 h 50) •
M.
Tanguay : Et
d'ailleurs, dans votre mémoire, à ce sujet-là vous avanciez même des
suggestions. Et j'ai retenu au passage — j'ouvre
une parenthèse pour pouvoir la refermer immédiatement — deux
qualificatifs, là, «pernicieux» et «glissement», je pense, qui traduisent bien cette
réalité-là, parce que vous tentez en toute bonne foi de définir
«clientèle de langue anglaise» : «…diplômés d'une école secondaire d'une
commission scolaire anglophone québécoise? Doit-on y inclure "le client de
langue anglaise" ayant fait ses études secondaires dans une école d'une
commission scolaire francophone? Ou encore
ceux que l'on dit [les] "ayants droit"? Que fait-on des candidats
provenant [des] autre province canadienne? Et des immigrants venant d'un
pays anglophone?» Alors là, la chasse est ouverte à ce niveau-là.
Même,
également, difficulté de démontrer et de définir également la capacité qui
ferait en sorte qu'à partir d'un certain… et on a parlé sous l'aspect entre autres
de la contingence de certains programmes, également, de façon globale,
la capacité d'accueil d'une institution,
d'un cégep, là aussi, j'aimerais vous entendre, il y a plusieurs... quant aux
différentes suggestions que vous entendez…
Et ces distinctions-là ne sont pas vaines. Ces possibles définitions là sont
substantielles dans la différence qu'elles ont l'une versus l'autre, là.
Pouvez-vous nous expliciter : Cette capacité-là, comment pourrait-elle
être appliquée?
M.
Beauchesne (Jean) : Bien, nous, dans notre mémoire, on mettait ces différences possibles
comme étant des questionnements, à savoir qu'en l'absence de définition claire des
étudiants visés, il faudrait, à tout le moins, qu'on y arrive. Et on a poursuivi en se disant : Bien,
l'important, c'est est-ce que c'est un véritable problème qu'on veut créer?
Mais je ne me répéterai pas, on l'a
mentionné, et, pour nous, on arrivait à la conclusion que ce n'était pas un
problème qui existait. Mais on posait la question en disant : En
l'absence de définition, est-ce que ça peut aller dans l'une ou l'autre de ces
trois directions- là? Sans y répondre, parce que ce n'est pas nous le
législateur. Mais on pense qu'il y a une problématique là à laquelle il
faudrait répondre.
M.
Tanguay : Tout à
fait. Et également, pour conclure sur ce chapitre, vous avez parlé également de
la richesse de partage. Parce qu'on semble évidemment, par la mesure qui est proposée
par le projet de loi n° 14... pas «on semble», c'est qu'on
exigerait, donc, qu'il y ait des politiques, que les cégeps anglophones se
dotent de politiques qui feraient en sorte de prioriser, donc, la clientèle
anglophone, évidemment — quand on a dit ça — au détriment de
toutes les autres clientèles. Mais, avant de se rendre là, on a vu les écueils
pour définir le tout.
J'aimerais
revenir, donc, sur un aspect fondamental, une réalité qu'il faut célébrer, et
vous en avez parlé, mais j'aimerais vous
entendre là-dessus, sur la richesse dans le partage, sur la valeur ajoutée
qu'il y a à ce que, dans une même salle de
classe, il y ait des gens de différentes langues parlées et qu'ils, entre eux,
puissent bénéficier de cette richesse-là
et tantôt passer, oui, peut-être, du français à l'anglais, et vice-versa, et
même d'une autre langue, si tant est qu'on a cette capacité-là. Alors,
vous, sur le terrain, vous le vérifiez. Je ne sais pas si vous pouvez, pour le
bénéfice des gens à la maison, nous parler de cette richesse-là qu'il ne
faudrait pas attaquer directement ou indirectement.
M. Beauchesne (Jean) : Peut-être juste illustrer par un
autre exemple que les cégeps anglophones, parce
qu'on en parle beaucoup, là, mais prenez les... On a 12 cégeps sur l'île de
Montréal, il y a plusieurs cégeps francophones évidemment. Et, pour illustrer
mon propos, il y a 10 ans, on avait 45 % des allophones dont la langue
maternelle n'est pas
le français qui fréquentaient les cégeps francophones. Aujourd'hui, c'est
55 % des allophones du Québec en âge d'aller au cégep qui sont dans
les cégeps francophones.
Alors, cette mixité-là que vous
évoquez, je prends un exemple d'un cégep francophone qui bénéficie justement du multiculturalisme à l'intérieur de ses murs,
et la proportion va en augmentant, alors que les francophones qui vont dans les
cégeps francophones, c'est stable, il n'y a pas de... il n'y a pas de saignée
de ce côté-là.
Mais, une fois qu'on explique ça, bien c'est une valeur
qu'on préconise dans l'ensemble de notre réseau. Évidemment, à Saint-Félicien
puis à Alma, il y a moins d'immigrants, de nouveaux arrivants, il y a moins de
mixité, quoiqu'on fasse beaucoup de
recrutement d'étudiants étrangers. On
a des cohortes d'étudiants de l'île de La Réunion au cégep de Jonquière. Alors, on
favorise ça puis on veut le développer. Mais disons que, sur l'île de Montréal,
ça se présente partout, y compris
dans les cégeps francophones, cette réalité-là. Et c'est une valeur d'échange
culturel, de mixité qu'on préconise dans nos cégeps. Je ne sais pas si
vous voulez ajouter quelque chose, M. Filion.
M. Filion (Richard) : Le 24 avril, deux jours après la
venue de Mme la ministre au collège Dawson, que
nous aurons le bonheur d'accueillir lundi matin — on va commencer
notre semaine sur le bon pied — on va présenter un projet qui a
été réalisé par une enseignante du collège Dawson à ses étudiants du Profil
langages du Programme d'arts et lettres.
Ils ont répertorié, au cours de l'automne, le nombre de langages différents qui
se parlent au collège Dawson dans une session donnée. Et, à l'hiver, les
mêmes étudiants ont eu la tâche, avec les étudiants du programme de cinéma et de communications, d'identifier une
personne qui parle le langage. Savez-vous combien de langages différents
se parlent au collège Dawson? 70. Alors, et
ce qui est remarquable, c'est que l'interaction qui se produit entre les
étudiants...
Parce que beaucoup de ces étudiants-là sont
des enfants de la loi 101, donc connaissent bien le français. Et on peut dire sans
l'ombre d'un doute que le français est la langue d'usage commune, celle qui est
la plus répandue, et on le note dans les corridors, on le note dans la
cafétéria, on le note dans les lieux communs. Alors, on n'est pas un bastion de
l'anglicisation, au contraire. Et ce qui est
questionnable dans le projet de loi, c'est : Est-ce qu'on a voulu
atteindre des objectifs à partir de cette restriction à l'admission que
l'éventuelle extension de la loi 101 au collégial aurait voulu atteindre dans
d'autres circonstances?
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
10 secondes.
M. Tanguay : 10 secondes. Levée de
chapeau : Le Devoir nous apprenait, le 29 septembre 2012, que
c'est un collège
anglophone qui a représenté le Québec au Goncourt des lycéens, qui visait à
primer la meilleure oeuvre évidemment pour cette année. Et, en ce
sens-là, je pense que c'est une réussite et ça démontre le facteur ou le fait
que les cégeps anglophones également sont
des agents de francisation, par tout ce qu'on vient de dire. Alors, bravo!
Merci beaucoup.
M.
Filion (Richard) : ...
M.
Tanguay : Non. L'an prochain!
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) :
Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième groupe d'opposition. Mme la
députée de Montarville, vous avez la parole pour un temps de
4 min 30 s.
Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Merci, messieurs, merci pour votre mémoire. Je
crois que, d'entrée de jeu, il est important
de le dire, et vous vous en souvenez sûrement, lors des élections, de la
nouvelle élection du gouvernement Marois, il
y avait dans l'air cette idée d'interdire l'accès au collège anglophone aux
francophones, et ce à quoi, d'entrée de jeu,
je m'étais opposée, j'avais fait plusieurs entrevues, radio, télé, là-dessus,
en disant : C'est inadmissible. Le gouvernement a reculé dans son
projet de loi n° 14. Ce n'est pas ce qu'on dit.
Cependant,
je suis particulièrement contente de vous entendre et que vous analysiez
l'effet de l'article 88.2.1, paragraphe 3°,
qui peut sembler, à la première lecture, totalement, j'allais dire, presque
louable ou anodin mais qui nous arrive avec des effets, et des effets
qui sont, ma foi, ceux contre lesquels je m'insurgeais avant même que le projet
de loi n° 14 eût été déposé.
Et je vais vous lire à votre page 10,
où vous dites : Le nouvel article 88.2.1 obligerait chaque collège à accorder un accès privilégié aux candidats dits de langue
anglaise tout en refusant d'autres candidats qui ne sont pas de langue anglaise mais qui présentent un bon dossier
scolaire. Ce à quoi je m'oppose et je continue de m'opposer, tout comme
je le faisais en septembre dernier, parce
qu'on dit et nous disons, au deuxième groupe d'opposition, à la Coalition
avenir Québec, que les jeunes qui fréquentent le cégep, ce sont des
adultes et qu'il ne faut pas justement niveler par le bas mais leur permettre d'aller au collège de leur choix. Ce
sont des études de cycle supérieur. Et c'est cet effet de cet article 88.2
que vous nous expliquez. Je suis bien contente de vous entendre nous
l'expliquer parce que vous représentez tous les cégeps, je pense que vous êtes
l'autorité en la matière.
Et, si on va plus loin, à la page
10 — et on parle de l'effet de cet article 88.2.1, paragraphe 3° — vous
nous dites : Ceci conduirait à des
casse-tête insolubles dans la gestion des administrations, c'est-à-dire
sélectionner les jeunes en fonction de leur langue et plus en fonction du
dossier académique. Ce qui est tout à fait, selon moi, aberrant puisque les études supérieures, justement, commandent que
le dossier académique prime par-dessus tout. Alors, j'aimerais que vous
élaboriez un petit peu, pour vous, ce que seraient ces casse-tête insolubles si
cet article était adopté tel quel.
•
(18 heures) •
M. Beauchesne
(Jean) : Quand on parle des critères
d'admission, l'exemple principal qu'on évoquait tantôt, c'est : quand l'étudiant se présente pour faire une demande
d'admission, il choisit un collège mais il choisit avant tout un programme. Alors, on a
évoqué des programmes contingentés. Donc, quand on évoque, dans un article dans
un projet de loi, la capacité
d'accueil globale d'un collège, pour nous, ça n'a pas de consonance réelle. La
consonance réelle, c'est l'étudiant X qui demande d'être admis, dans un
collège Y, dans un programme Z, et ça, c'est là que le casse-tête de l'admission commence parce qu'on ne peut pas
concevoir ça sur une capacité globale d'accueil, donc c'est programme
par programme, autrement dit. Et donc, à
partir du moment où l'institution postsecondaire est une institution de libre
choix, bien on se dit : Il faut laisser
à l'étudiant le libre choix de faire, dans un premier tour — parce
qu'on a trois tours — une demande d'admission. S'il est refusé, il peut
faire une demande au deuxième tour dans un autre programme. C'est comme
ça que notre système d'admission fonctionne. Alors, si on y va avec un article
général de capacité d'accueil, c'est ingérable, pour nous, l'admission cas par
cas dans un programme donné.
Mme Roy
(Montarville) : Et, outre ça, quelle
serait la conséquence du fait de choisir des élèves uniquement sur la langue?
M.
Beauchesne (Jean) : Bien, en fait, pour nous, là, le problème le plus fondamental, c'est de
dire : Notre analyse nous amène à la conclusion qu'on ne pénalise pas
les étudiants de langue anglaise, peu importe la définition qu'on y
mettrait… Parce qu'on pense qu'évidemment le gouvernement arriverait, par
règlement ou autrement, avec une définition. Mais peu importe la définition,
qu'on prenne la plus large ou la plus restrictive, on arrive à la conclusion qu'il y a des places soit par le biais
de la formation continue, comme je le mentionnais tantôt ou autrement,
par des choix d'autres programmes dans
d'autres collèges… Parce que ce n'est pas les cinq collèges anglophones qui
ont des limites d'accueil en termes physiques, comme capacité
globale. Et donc, il y a toujours une solution pour la communauté anglophone. Donc, ce n'est pas véritablement un problème
pour nous, parce qu'on trouve de la place pour ces étudiants-là.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Je vois que M.
Filion veut intervenir. Allez-y.
M. Filion (Richard) : Non, mais je ne voulais pas interrompre monsieur...
M. Beauchesne
(Jean) : Non, non, allez-y, allez-y.
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je comprends, mais le temps, vous savez, c'est ce qui
nous régit à l'Assemblée nationale.
M. Filion
(Richard) : Mais je sais que...
M. Beauchesne
(Jean) : Allez-y.
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Quelques
secondes.
M.
Filion (Richard) :
Oui. Écoutez, le problème que poserait... c'est que, d'abord, il faudrait
savoir de quels étudiants on parle, là. Selon la langue, là, on a noté les difficultés
de définition et de catégorisation : De quels étudiants parle-t-on,
là? Il faudrait faire cette analyse-là. Ensuite, chaque collège aurait ses
politiques définissant ses priorités...
La Présidente (Mme
Richard, Duplessis) : Désolée,
désolée, M. Filion...
M. Filion
(Richard) : Ce serait difficile…
La
Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Désolée, Mme la députée de Montarville. J'ai même donné
plus de temps que prévu. Merci beaucoup,
messieurs, pour votre contribution aux travaux de la commission sur l'étude du
projet de loi n° 14.
Donc,
la commission ajourne ses travaux au jeudi 18 avril 2013, après les affaires
courantes, afin de poursuivre son mandat.
Bonne fin de soirée.
(Fin de la séance à
18 h 3)