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(Dix heures douze minutes)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission des communautés culturelles et de l'immigration se
réunit afin d'entendre tous les intervenants intéressés
par la Charte de la langue française.
Les membres de cette commission sont: MM. Marx (D'Arcy McGee), Brouillet
(Chau-veau), Dupré (Saint-Hyacinthe), Fallu (Groulx), Godin (Mercier),
Gratton (Gatineau), Mme Lachapelle (Dorion), MM. Laplante (Bourassa), Leduc
(Fabre), Fortier (Outremont) et Ryan (Argenteuil).
Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Doyon
(Louis-Hébert), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), MM. Payne (Vachon), Polak
(Sainte-Anne), Mme Bacon (Chomedey) et M. Vaugeois (Trois-Rivières).
À l'ordre du jour, aujourd'hui, nous avons la Commission des
écoles catholiques de Montréal; le Centre de services sociaux
Ville-Marie; l'Association québécoise des professeurs de
français; le Mouvement national des Québécois; M. Pierre
Beaudry et le Mouvement impératif français.
J'inviterais à prendre place à la table...
M. Marx: M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: J'ai une question de règlement à poser au
ministre.
Le Président (M. Gagnon): Oui. Affichage
bilingue
M. Marx: Vendredi, j'ai dit que la Gazette ne pouvait avoir de
panneaux-réclame bilingues, c'est-à-dire tous les mercredis,
"every Wednesday". Le ministre m'a répondu: Moi, je suis le ministre et
je vous dis que c'est permis. Je lisais des articles dans la Gazette d'hier,
lundi, et d'aujourd'hui et, apparemment, la Gazette ne savait pas, les postes
de radio anglophones ne savaient pas qu'ils pouvaient produire des affiches
bilingues. La Gazette a téléphoné à l'Office de la
langue française et quelqu'un de l'office a dit: Le ministre s'est
trompé dans le sens que la permission n'est pas donnée à
l'article 59, comme il a voulu le dire l'autre jour, mais la permission pour
les médias anglophones d'afficher d'une façon bilingue se trouve
dans les règlements et, plus précisément, à
l'article 8 du règlement relatif à la langue du commerce et des
affaires.
J'ai ici, M. le Président, une opinion du ministre de la Justice.
It says: The Law Officers of the Crown. Sur l'article 8 de ce règlement,
ils ont écrit: "Le premier et le troisième alinéas de
l'article 8 sont illégaux, parce que imprécis et vagues à
cause de l'emploi respectif des expressions "à tout autre produit
culturel ou éducatif de même nature et à toute
activité culturelle ou éducative de même nature." Donc,
nous avons trois opinions. Nous avons l'opinion du ministre, nous avons
l'opinion de l'office et nous avons l'opinion du ministère de la
Justice. J'aimerais savoir quelle opinion l'emporte.
The question really is: Who knows what he is talking about? Is it the
Minister who knows what he is talking about, or is it the Office or the
Minister of Justice? We are dealing with a law, Mr. Chairman. We are not
dealing with poetry, psychiatry or sociology. I think there has to be some
security so that people know what the law is. Here we have three different
opinions. How can people know what they can do and what they cannot do? When
people are not sure, when the law is unclear, it has a chilling effect. People
do not know what they can do. They do not know what they cannot do. So, what
people do is nothing.
I would like this to be cleared up, if the Minister can modify the
regulations to make it explicitly possible for anglophone medias to advertise
bilingually. That would at least be a help or, if you want to really do it as
it should be done, Section 59 of Bill 101 would have to be modified.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.
M. Godin: M. le Président, la seule erreur que j'aie
faite, c'est de dire que, par exemple - prenons une analogie - j'ai 45 ans
alors que j'en ai 44. Cela n'empêche pas que je sois vivant. Je pense
que, par analogie, cela veut dire que le principe est dans la loi et dans les
règlements. Je vais le lire, so that everybody concerned with this
question knows where the Government stands.
Je vais vous lire l'article 8 du règlement qui porte sur la
langue du commerce
et des affaires: "L'affichage public - donc, les posters,
Médiacom, dont on a parlé dans la Gazette d'hier - et la
publicité commerciale affichée relatifs à une publication
- la Gazette est une publication -à un livre, à un disque, etc.,
peuvent se faire à la fois en français et dans une ou plusieurs
des langues dudit produit." Ce règlement, M. le député de
D'Arcy McGee, M. le Président, a été publié il y a
déjà, mon Dieu...
M. Marx: II y a quatre ans.
M. Godin: II a été publié le 27 juin 1979.
Je pense que, si cette commission a réussi à clarifier certaines
choses et à faire disparaître certaines perceptions
négatives, elle aura atteint une partie de ses objectifs - merci, M. le
député de Gatineau - elle aura atteint une partie importante de
ses objectifs. Et je me réjouis de voir que, dans la même Gazette
de ce matin, le journaliste, très consciencieusement, a
téléphoné à plusieurs médias anglophones de
Montréal, pour leur faire découvrir que la loi et le
règlement leur donnaient le droit de faire cela et ils s'en
réjouissent tous. Ils s'en réjouissent dans l'article. Je
déplore que, dans l'éditorial de la Gazette, au lieu de se
réjouir de la bonne nouvelle, on dise: Ah! on savait que c'était
compliqué. Ce n'est pas compliqué, c'est dans la loi. Je pense
qu'ils auraient du montrer une joie sans partage au lieu, encore une fois, de
réussir à picosser, à picocher le gouvernement une fois de
plus. Enfin...
M. Marx: Mais...
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Mr. Chairman, the Minister says that the Government has
a policy. But, how can we reconcile both arms of Government? The Ministry of
Justice says that this regulation is illegal. The Minister of Immigration and
Cultural Communities says it is valid. I mean that there is a total confusion.
D'une part, le ministre dit que c'est valide; d'autre part, le ministre de la
Justice dit que ce n'est pas valide. Qu'on clarifie la loi et les
règlements pour qu'on sache de quoi on parle; c'est complètement
mêlé.
Je me suis réjoui aussi quand le ministre a dit que la Gazette
peut s'afficher bilingue, parce que je me suis dit qu'il n'y a pas un pays au
monde, un territoire, où les médias d'une langue ne peuvent pas
s'afficher dans leur langue; c'est tellement ridicule. Je suis très
heureux, mais je veux être heureux avec des règlements
légaux, dans la légalité. Je ne veux pas être
heureux dans l'illégalité. Tout ce que je demande au ministre,
c'est de lire l'opinion de son collègue du Conseil des ministres
où on dit que c'est illégal. Pour certains ministres, c'est
légal; pour d'autres, c'est illégal. C'était la confusion
totale et normale pour l'Office de la langue française.
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.
M. Godin: En terminant, oui. Je pense qu'il n'y a pas une loi, de
quelque gouvernement que ce soit, et on le voit bien avec le Canada Bill
aujourd'hui, que le gouvernement fédéral a voté en passant
sur le corps du Québec, il y a quelques mois... On voit bien, avec ce
Canada Bill, qui est la constitution du pays, à quel point les
interprétations diffèrent d'un avocat à un autre et, dans
certains cas même, de ce qu'un ministre ou un autre en dit. Donc, le mot
final - M. le député de D'Arcy McGee, laissez-moi terminer, je ne
vous ai pas interrompu pendant votre savant exposé d'avocat et de
juriste compétent - c'est pour cela qu'il y a des tribunaux, c'est pour
cela qu'il y a une Cour d'appel et une Cour suprême et c'est pour cela
qu'on peut changer la constitution. Toute loi est sujette à
interprétation. Ce que je vous dis aujourd'hui, c'est que
l'interprétation que j'en ai donné ici est confirmée par
l'Office de la langue française. La mienne venait de ce qu'il m'en avait
dit et c'était l'intention - c'est ce qui compte en ce qui me concerne -
du législateur, quand cette loi et ces règlements ont
été adoptés, de permettre à la Gazette de pouvoir
afficher où que ce soit au Québec dans sa langue de publication
et dans la langue officielle. C'est très clair. En ce qui me concerne,
ce dossier est clos, M. le député.
M. Marx: J'espère qu'il est clos. On va attendre le
jugement d'un tribunal compétent.
Le Président (M. Gagnon): Merci.
M. Marx: J'ai une autre question de règlement sur un autre
sujet.
Le Président (M. Gagnon): Auparavant, j'aimerais vous
suggérer une méthode de travail, si vous êtes d'accord.
Cela fait déjà plusieurs jours que la commission siège et
on se rend parfois compte que, rendu à 23 heures et 23 h 30, on a encore
des invités qui sont ici et qui attendent. Est-ce possible de vous
demander que la question de règlement soit retardée à la
fin de la journée, de façon à pouvoir entendre nos
invités d'abord, le plus rapidement possible, puis d'en arriver à
clarifier les questions de règlement ou les questions que vous avez
à poser au ministre par la suite?
M. Marx: C'est important que je pose cette question de
règlement maintenant, mais il n'y aura pas de débat sur cette
question de règlement.
Le Président (M. Gagnon): Je prends votre parole, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Toujours. Je suis un homme de parole, M. le
Président.
Il y a deux semaines maintenant, j'ai demandé au ministre de me
fournir la documentation, les études, de l'Office de la langue
française. Il a dit: Pas de problème, c'est un gouvernement
réceptif, un Parlement de droite. J'ai aussi demandé le Code
d'interprétation de la loi 101 qui a été publié par
l'Office de la langue française. Le président de l'Office de la
langue française est ici aujourd'hui. Pouvez-vous, s'il vous
plaît, demander au président de l'Office de la langue
française de me donner ce Code d'interprétation de la loi 101,
aujourd'hui, ainsi que les autres documents que j'ai demandés, parce que
c'est le dernier jour de la commission? C'est bien beau de faire des promesses
en commission parlementaire, mais le ministre n'y a pas donné suite. On
a l'impression qu'il a donné suite à ses promesses, mais je vous
dis... Je vois, maintenant que j'ai posé la question, que des documents
arrivent. J'espère que le code d'interprétation est là.
J'aimerais vérifier moi-même l'interprétation que l'Office
de la langue française donne à la loi 101 et aux
règlements.
M. Godin: M. le Président, je vous remets - vous le
remettrez en main propre au député de D'Arcy McGee - la liste des
documents demandés, à l'exception du code
d'interprétation.
M. Marx: Ah! La voilà, la cachette!
M. Godin: Je vais vous dire pourquoi, M. le député
de D'Arcy McGee et M. le Président. C'est que, comme la loi sera
amendée, le code existant ne sera plus valide dans quelques jours. Par
conséquent, vous aurez le document qui accompagnera la nouvelle version
de la loi.
M. Marx: C'est tout à fait inacceptable, M. le
Président. Le ministre a promis. La loi est encore en vigueur et on ne
sait jamais quand elle sera modifiée. Le code sera applicable aux
articles qu'on ne modifiera pas. Il a peur de me le donner parce qu'il sait
qu'il y a des contradictions dans ce code d'interprétation et dans ses
propos en ce qui concerne la loi 101. Il sait qu'il y a des choses dans ce code
d'interprétation qui font fi de la loi 101, qui passent outre cette loi.
Il le sait, M. le Président, et c'est pourquoi il a peur.
Pourquoi avoir fait une promesse il y a deux semaines et maintenant...
Ah! Il ne peut pas, et pourquoi? Parce qu'on va modifier la loi.
M. Godin: Évidemment!
M. Marx: Laissez-moi avoir cela pour l'histoire du Québec,
au moins.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee, vous m'aviez fait la promesse, il y a quelques secondes, qu'il
n'y aurait pas de débat sur cette question de règlement. M. le
ministre.
M. Godin: En ce qui me concerne, je vous répète
qu'il n'y aura pas de débat de ma part. Tout ce que je veux vous dire,
M. le député de D'Arcy McGee, c'est que, si nous sommes ici
depuis trois semaines, à travailler douze et dix-huit heures par jour,
c'est précisément pour faire en sorte que la loi soit
modifiée conformément aux aspirations et aux revendications des
gens dont je salue la présence ici ce matin et qui nous regardent
peut-être en se demandant... Non, cela ne vous dérange pas; on va
continuer un peu, merci.
Je vous dis que le nouveau document qui accompagnera la nouvelle loi
vous sera remis en temps opportun. Je ne veux, M. le député de
D'Arcy McGee, donner à personne l'occasion de revenir sur le
passé. Je veux que nous pensions ensemble à l'avenir. Vous aurez
les documents qui portent sur l'avenir et l'avenir vous sera connu dans moins
de deux semaines, M. le député de D'Arcy McGee.
M. Marx: On voit le vrai visage du gouvernement.
M. Gratton: M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Gatineau.
M. Marx: ...le vrai visage du gouvernement. Peureux et
cachottier.
Le Président (M. Gagnon): M. le député...
À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous
plaît! M. le député de Gatineau.
M. Gratton: M. le Président...
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre! À
l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Gatineau.
M. Gratton: M. le Président, très
brièvement, je voudrais simplement me dire surpris de l'attitude du
ministre quant à son refus de déposer le code
d'interprétation de la loi. Il se rendra sûrement à
l'évidence qu'au moment où il présentera son projet de
loi, qui comportera sûrement des amendements à la loi 101,
le 15 novembre prochain, j'imagine qu'il y aura plusieurs articles de la loi
101 qui ne seront pas touchés par ces amendements. Une des raisons pour
lesquelles ils ne seront pas touchés, dans certains cas,
découlera du fait que le code d'interprétation dont se sont servi
l'office et les organismes gouvernementaux jusqu'à maintenant ne pose
pas de problème quant à l'interprétation que l'on doit
donner aux articles actuels de la loi 101. Comme l'a mis en relief mon
collègue, le député de D'arcy McGee, du fait que l'on a
des règlements qui sont légaux ou illégaux, selon que la
loi est modifiée ou pas, et que, dans un cas très précis,
le ministre s'est déjà engagé à modifier la loi
pour légaliser le règlement qui en découle et qui est
présentement illégal, il me semble qu'au minimum on devrait avoir
ce code d'interprétation pour pouvoir nous y retrouver nous aussi. Je
comprends que le ministre ne veuille pas faire tout le débat sur le
passé; ce qui nous intéresse, c'est l'avenir, mais pour bien
comprendre l'avenir, et même le présent, il faut s'appuyer sur le
passé. Ne pas savoir à partir de quel document, à partir
de quel code on a interprété la loi jusqu'à maintenant
nous rendra la tâche quasiment impossible de comprendre pourquoi on
touche à tel article et pas à tel autre. Je conviens que, sur le
plan politique, ce n'est peut-être pas l'idéal comme situation,
mais, pour la bonne compréhension, pour faire en sorte que l'on fasse le
travail le plus sérieusement possible et surtout pour éviter que
l'on ne s'éternise dans ce débat, ce que personne ne souhaite
à ce moment-ci, ne serait-il pas plus facile que le ministre nous en
fournisse une copie ou s'engage à le faire au moment opportun pour que
l'on puisse en faire l'étude de façon convenable?
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.
M. Godin: M. le Président, le nouveau document sera remis
à chacun des membres de cette commission dès qu'il sera
prêt, mais je voudrais utiliser une analogie pour permettre à ceux
qui sont ici ce matin de comprendre un peu le sens de ce que nous faisons et le
sens de ce que je dis. C'est un peu comme si, sur une voiture qui a
déjà six ans d'âge, on changeait quelques pièces, on
changeait deux pneus, par exemple, et que le député de D'Arcy
McGee disait: Moi, je collectionne les vieux pneus, est-ce que je peux ramasser
vos pneus, ce que l'on appelle les pneus usés?
M. Gratton: Non, pas du tout.
M. Godin: Par ailleurs, revenons au sérieux. Je prends la
question en délibéré...
M. Gratton: J'aime mieux cela.
M. Godin: M. le député de Gatineau, quand je
termine, en général, vous êtes d'accord avec moi. Pas quand
je commence, mais à la fin, oui.
M. Gratton: Parce que vous modifiez votre attitude en cours de
route, des fois.
M. Godin: Cela dépend de votre réaction.
M. Gratton: On ne vous le reproche pas.
M. Godin: On est ici pour s'entendre... (10 h 30)
Le Président (M. Gagnon): Vous avez toujours la parole, M.
le ministre.
M. Godin: ...et en venir à un consensus conjoint sur cette
question vitale et fondamentale.
Je prends votre suggestion en délibéré, M. le
député de D'Arcy McGee, et vous pouvez dire que les chances sont
bonnes que vous l'ayez, de même que la collection de vieux pneus pour
votre musée personnel.
M. Marx: J'ai demandé au ministre de s'engager, de
terminer ce délibéré avant la fin de la commission.
M. Godin: C'est ce soir, 22 heures, n'est-ce pas?
M. Marx: Ce soir, c'est cela. M. Godin: Oui, oui.
M. Marx: Parce qu'une fois la commission terminée, la
question sera close. Si je dois poser la question chaque jour à
l'Assemblée nationale...
Le Président (M. Gagnon): Cela va, cela va. À
l'ordre, s'il vous plaît!
M. Gratton: M. le Président, pourrais-je dire, au nom de
mon parti, qu'on accepte que le ministre en délibère au moins
jusqu'à la fin de la journée et qu'on s'en reparlera d'ici
à la fin de la journée?
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.
M. Godin: Ce que je veux dire, c'est que la Chambre va reprendre
quelques jours après que cette commission aura ajourné ses
travaux. Je serais fort surpris, M. le député de D'Arcy McGee,
que vous laissiez votre langue au vestiaire.
M. Marx: Vous pouvez en être certain.
Auditions
Le Président (M. Gagnon): Merci. Là-dessus, on
invite les gens qui sont déjà prêts à nous faire la
lecture de leur mémoire. M. Geci? C'est cela, votre nom.
CECM M. Geci (John F.): Geci.
Le Président (M. Gagnon): Je vous inviterais à
présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît, et
à nous faire la lecture de votre mémoire.
M. Geci: Thank you, Mr. Chairman. First of all, I would like to
present my colleagues who are here with me. To my right, Mr. George Pajuk, who
is the deputy director general of the English sector of the Montreal Catholic
School Commissions or the CECM. To his right is Mrs Sylvia Chesterman. She is
the director of the department of teaching of studies in the English sector of
the CECM. To her right is Mr. Ed Ropeleski, consultant in policies, planning
and research.
To my left is Mr. Michael Macchiagodena, who is the director of the
auxiliary resources of the English sector of the CECM and to his left is our
own Mr. Bernard Landry, formerly consultant in policies, planning and research
and presently occupying a new position in the last two weeks. He was formerly
with my office for over four years.
We would like to thank you, Mr. Chairman, and we would like to thank
this parliamentary committee for receiving us and giving us an opportunity to
present our views. If it pleased the parliamentary committee, I would like to
make some opening statements in English and introduce two documents which are
very short, in terms of explaining to you who we are. Thereafter, I would like
to proceed with our brief in the French language and thereafter, all questions
and answers we would be prepared to answer in the French language.
If I may ask the clerks of the parliamentary committee to please
deposit. Si vous pouviez déposer ces deux documents.
The first document which you will receive is called The English Sector:
Excellence and Tradition. I would like to show you a "macaron" that will
probably be the object of some of our discussions, depending on your questions
later on, in terms of the application of Bill 101. This "macaron" was produced
at the CECM to identify something that we have at the CECM in the English
sector, excellence and tradition. Hopefully, it will become an item for
discussion at a given point in time, if you find or if you judge it
apropos.
The first document you will see - that I would like to refer you to - is
the English sector as we are here; I make reference to its presence. In fact,
at a committee meeting of the Conseil des commissaires the 12th of October
1983, the Conseil des commissaires de la CECM - I quote here from a resolution
read, you do not have this document - motioned the following: "II est
proposé d'autoriser les cadres supérieurs du secteur anglais
à présenter le mémoire sur les aspects administratifs de
la loi 101 devant la commission parlementaire." Cela a été
adopté unanimement avec deux abstentions.
C'est la raison de notre présence à titre de
représentants anglais de la CECM. Il y a une petite nuance. En effet,
nous, les cadres supérieurs, présentons ce mémoire afin de
soumettre des considérations au gouvernement en vue de changer la loi
101 et de la rendre plus acceptable et moins restrictive que
présentement.
The English sector of the CECM has been providing English Catholic
education for over six generations of Montrealers. As information, our first
school in Montreal was formed in 1846. To this day, its jurisdiction
encompasses the third largest clientele in Québec, offering a full range
of educational services in the English language.
As far as pedagogical services are concerned, we offer academic programs
from pre-K to secondary V, a wide choice of tech courses, advanced second
language instruction through special programs such as French intensive,
continuing updating of our curriculum, an introduction to microcomputers, a
full range of special education services and subject consultants in all the
major disciplines. Our parapedagogical services offer psychological help,
speech therapy, guidance counselors, social workers, counselors, pastoral
animators. In the administrative services, we find coordination of all
parapedagogical and pedagogical services listed above, management of buildings
and material resources of over 40 schools and the direction and supervision of
human resources including teachers, professionals, support personnel and
administrators for approximately 20 000 students in Montreal.
Vous avez le texte français. J'aimerais simplement souligner
l'organigramme. In it, in terms of the way the Montreal Catholic School
Commissions operate, we have naturally the elected officials, called the
Council of School Commissioners or the Board. We have an executive committee of
those elected officials. We have a director general and the director general is
the first one responsible for the operation of the MCSC. To him are responsible
both an assistant director general in charge of French studies - it is on the
left handside of
the diagram - development "d'une école spéciale". We have
a secretary general who is equally responsible to him for equipment. We have a
deputy director general of administration, responsible for human resources,
informatique and finances.
There are three regions of French schools in the MCSC, each governed and
administered by a deputy director general of the region.
Now, we come to the people before you, in front of this parliamentary
committee. I hold the position of assistant director general; Mr. Pajuk is the
deputy director general. I am also in charge of the "service du contentieux
à la commission" and we offer these services to over 20 000
students.
Just an element that may be of interest to the parliamentary committee,
the last table shows that in 1970, we had approximately 44 516 students; we
peaked in 1972 to about 44 600 students. Since 1972, and particularly since
1976-1977, we have been dropping at a phenomenal rate. The diagram shows that
in 1982, we were at 20 888. This year, our figures show 18 825 and the
projections for the Catholic English-speaking schools of Montreal are
unfortunately somewhere in the vicinity of 11 000.
The second document which I would like to bring to your attention
contains the minutes of our board of management, in terms of the operation of
the English sector. Subsequent to study, we have in fact agreed unanimously on
the final contents of this brief which is presently before you as a
parliamentary committee.
I would like to highlight - I think it is quite important, Mr. Chairman
- that this brief was presented by senior officials of the Montreal Catholic
Schools Commission. We took it upon ourselves to at least circulate it amongst
our immediate public with whom we treat and with whom we deal, to at least make
them aware of what we intend to do. We have received unsolicited letters of
approval and "en français" - I think the French word is probably nuanced
in a better fashion - "les appuis des cinq organismes": the English Sector
Parents' Coordinating Committee, president, Mrs. Bradley, representing
approximately 40 000 parents in the Montreal Catholic Schools Commission
English Sector; the Association of Catholic Principals of all our schools; the
Association of Directors of Schools, which represents all the English Catholic
"cadres" of our schools; the Federation of English-Speaking Catholic Teachers,
which covers all the teachers in the Montreal Catholic Schools Commission
English Sector and the English-Speaking Catholic Council, which is a
coordinating group and spokesman for over 170 000 Catholic English-speaking
people in Montreal.
So, generally, I think the number game... If that is of interest, and I
do not think it is necessarily... There are a lot of people in agreement with
our recommendations in terms of our submission to you as a parliamentary
committee.
I would also like to say, for the record, Mr. Chairman -before I start
into the brief - that the opinions expressed by me and my colleagues are our
own and those of the English sector; in no way do they engage neither the
Council of Commissioners nor "la Commission des écoles catholiques de
Montréal".
J'aimerais peut-être lire simplement une page et demie du
préambule. Le principe fondamental de la Charte de la langue
française, loi 101, est de promouvoir la primauté du
français comme langue de travail, de l'enseignement, du commerce, de la
législation et de l'administration au Québec. La charte
reconnaît aussi l'apport précieux des minorités ethniques
au développement du Québec et elle reconnaît aux
Amérindiens et aux Inuits le droit de préserver et de
développer leur langue et leur culture.
Alors que nous nous réjouissons de la reconnaissance
accordée aux minorités ethniques et que nous reconnaissons la
place spéciale occupée par les peuples autochtones dans notre
histoire, nous constatons avec amertume l'absence totale de
référence à la communauté anglophone du
Québec, communauté dont le rôle de peuple fondateur et
l'apport au développement culturel et économique du Québec
et du Canada sont reconnus par les historiens et les hommes publics de tous les
horizons de la scène politique. Ce genre d'omission a engendré un
sentiment grandissant d'insécurité culturelle au sein de la
communauté anglophone et cela nous amène à nous interroger
sur les véritables intentions du gouvernement. Si notre
communauté a l'impression d'être traitée injustement, il
lui sera difficile de contribuer pleinement à l'édification d'un
Québec dynamique.
Certains prétendent que la sécurité culturelle et
linguistique des anglophones québécois réside dans
l'omniprésence de l'anglais dans tous les secteurs de la vie
nord-américaine et dans leur relation avec cette culture envahissante.
Ils invoquent que le Québécois francophone est le seul à
avoir besoin du gouvernement pour protéger ses droits individuels et
collectifs au moyen d'une législation ad hoc sur la langue
française. Toutefois, ces prétentions ne résistent pas
à un examen approfondi. En effet, alors que le Québécois
anglophone a accès à la vaste culture nord-américaine, sa
capacité de fonctionner dans une communauté anglophone viable au
sein de son Québec natal est systématiquement
érodée par une politique linguistique restrictive. Le
droit inaliénable à la survivance culturelle, le droit de
fonctionner dans sa propre langue dans un pays historiquement sien doit
être le même pour le Québécois anglophone et le
Québécois francophone et, pour y arriver, des garanties
législatives sont essentielles à chacun. Si le gouvernement du
Québec ne peut consentir cette sécurité à une
minorité dont la contribution à l'édification de cette
société est généralement reconnue, il violera le
principe même du droit de survivance linguistique et culturelle
proclamé dans la Charte de la langue française. Ici, je passe
à la page 4, au milieu.
Dans ce mémoire, nous voulons souligner les domaines où
l'application de la loi 101 restreint démesurément, de
façon inutile et potentiellement répressive, l'utilisation de
l'anglais. De l'aveu même du ministre Godin: "Y a-t-il des excès,
des abus, des erreurs, des fautes? Évidemment." Nous ne pouvons accepter
que les erreurs et les négligences du passé constituent la
justification des mesures actuelles - le faire équivaudrait à
accepter un Québec amoindri. Tout en respectant les principes
fondamentaux de la charte, l'on doit pouvoir en amender les dispositions et
règlements qui, à l'usage se sont révélés
trop restrictifs, abusifs, voire même corriger toutes les contraintes et
les injustices à l'endroit d'un secteur important de la population du
Québec. C'est à partir de ce contexte et afin de
développer un climat de compréhension et de coopération
que nous vous soumettons un certain nombre de recommandations concernant la
langue de l'administration et son application au secteur anglais de la CECM de
même qu'au secteur de l'éducation en général. (10 h
45)
Ici, j'aimerais faire simplement un petit aparté, M. le
Président. J'aimerais vous référer à l'article 113f
de la loi. Dans l'article 113f, je lis: "L'office doit reconnaître d'une
part les organismes municipaux, les organismes scolaires - et ici, je souligne
"organismes scolaires", parce que c'est un facteur majeur pour nous dans ce
débat - les services de santé et les services sociaux qui
fournissent leurs services à des personnes en majorité d'une
langue autre que française...". Et pour nous, au secteur anglais de la
CECM, l'aspect le plus important de cette loi, c'est: "...d'autre part, les
services qui, dans les organismes scolaires, sont chargés d'organiser ou
de donner l'enseignement dans une langue autre que le français." C'est
cet aspect, cette deuxième partie de l'article 113f qui, soi-disant,
touche le secteur anglais de la CECM; j'ai bien dit "soi-disant". En effet,
dans une publication de la Gazette officielle, datée du 22 avril 1978,
on voit qu'il y a des listes d'organismes scolaires qui fournissent leurs
services à des personnes en majorité d'une langue autre que le
français. Et on voit plusieurs commissions scolaires qui, au sein du
PSBGM, comptent environ 30 000 ou 35 000 enfants, jusqu'à des
commissions scolaires anglaises qui ont une population à desservir de
1700, 1800, 2000, 3000 enfants, qui ont des droits prévus par les
articles de la loi 101.
Le deuxième paragraphe, cependant, qui touche au secteur anglais
de la CECM, concerne la liste des organismes scolaires qui ont des services
chargés d'organiser ou de donner l'enseignement dans une langue autre
que le français. Et, quand on arrive à un "listing":
Montréal, (la Commission des écoles catholiques de). Donc, en
effet, nous sommes touchés par la deuxième partie de l'article
113f.
Le facteur le plus important, M. le Président - et je vous avoue
que la correspondance entre l'office et la CECM est volumineuse - concerne les
applications de la loi et, plus particulièrement, l'article 25,
où on dit: "Les organismes municipaux ou scolaires, les services de
santé et les services sociaux reconnus en vertu du paragraphe f de
l'article 113 doivent se conformer...". Donc, toute l'application de l'article
25 est toujours en relation avec la première partie de l'article 113f.
Et jamais, sauf pour l'article 24, elle ne touche le secteur anglais qui a une
juridiction sur plus de 18 000 enfants au Québec. La simple raison,
c'est qu'on est dans un organisme qui est, depuis longtemps, majoritairement
français. Donc, les impositions de la loi ont obligé cet
organisme majoritairement français à pratiquement abolir, pour
cette clientèle anglophone, une tradition, incluant un honneur pour
beaucoup, de vivre à l'intérieur d'une communauté
francophone à Montréal, particulièrement à la
CECM.
Nous ne contestons pas - et je retourne à notre mémoire,
à la page 5 - que le français soit la langue officielle de
l'administration. J'aimerais vous donner ici un aperçu rapide de nos
recommandations et je terminerai ensuite pour être disponible pour
répondre à toutes vos questions. Nos huit recommandations - et je
m'explique à la page 9 - sont les suivantes: "La désignation des
organismes publics tels que les écoles et leurs services administratifs
devrait être autorisée à la fois dans la langue la mieux
connue de la clientèle qu'elle dessert et dans la langue officielle."
Qu'est-ce qu'on veut dire par cela? C'est qu'en effet une école et tout
le support qu'on lui donne, c'est-à-dire une commission scolaire, ainsi
que tous les services nécessaires à l'apprentissage des jeunes
dans une école anglaise font partie d'un tout. La reconnaissance du
gouvernement d'un système scolaire anglophone, la reconnaissance des
écoles anglaises, nécessite que le véhicule des
communications claires, efficaces, cohérentes soit en anglais.
Autrement, c'est contraire à l'efficacité, à la
compréhension et même à la cohérence que de nous
obliger de communiquer dans une autre langue, alors que la vraie essence ou la
vraie raison d'être est la nature de la composition de ces choses, c'est
l'apprentissage de la langue anglaise.
Je note ici, dans notre mémoire, à la page 10, qu'on fait
une recommandation pour nous permettre, M. le Président, que le
gouvernement reconnaisse le titre de la Montreal Catholic School Commission.
Envers la Commission des écoles catholiques de Montréal, pour
beaucoup de Français au Québec, aussi d'autres personnes que les
Montréalais, partout, il y a la reconnaissance d'une tradition, il y a
la reconnaissance de la Commission des écoles catholiques de
Montréal comme un instrument de l'éducation depuis plusieurs
années, laquelle a aidé au développement de
l'éducation francophone au Québec. Cette même tradition, ce
même honneur, ce même type de respect existent pour les anglophones
envers la Montreal Catholic School Commission. Je note avec beaucoup de peine
que, lorsque je rencontre les retraités et que je suis obligé de
leur remettre - parce que c'est une chose qu'on fait - un certificat lors de
leur départ avec quelque chose, un petit cadeau après leurs 35
ans à la MCSC, c'est un peu avec regret que je suis obligé de
remettre ce certificat avec l'inscription CECM parce que, pour eux, la CECM, ce
n'est pas une chose qui existe. C'est une loi qui a exigé une
dénomination. Mais, pour eux, la MCSC, c'est une valeur, c'est une
tradition et pour la communauté anglophone de la CECM, il y a des choses
à l'intérieur de cela. On ne peut pas, par une loi,
éliminer simplement ces traditions. Donc, c'est la raison d'être
de notre recommandation sur l'affichage de nos écoles.
Je reviens à notre deuxième recommandation. Que les
organismes reconnus comme étant au service de clientèles
anglophones puissent communiquer en anglais avec le gouvernement, ses services,
et les organismes de l'administration publique à l'extérieur du
Québec.
En effet, M. le Président, nous avons une juridiction pour
l'apprentissage de l'anglais dans nos écoles, ce mandat est
confirmé par le ministère de l'Éducation à des
commissions scolaires et ensuite à des secteurs comme le nôtre. On
traite souvent et on échange souvent avec d'autres commissions scolaires
dans tout le Canada et avec d'autres commissions scolaires des
États-Unis. On traite souvent avec des organismes qui ont leur
siège social à Toronto, avec des universités à
l'extérieur du Québec et plusieurs de ces organismes n'ont pas de
connaissances en français. La loi nous oblige à écrire en
français parce qu'on est une administration publique ou parapublique.
Nous demandons d'avoir le droit de communiquer en anglais dans
l'intérêt d'une meilleure compréhension et d'une plus
grande efficacité, et pour ne pas engendrer des dépenses inutiles
pour la traduction de lettres qui ne seront pas lues, de toute façon,
par ces organismes à l'extérieur du Québec. Le
gouvernement a même prévu ces types d'action dans sa propre loi,
je crois que c'est l'article 15, où il y a des possibilités de
faire de la correspondance en une autre langue ou de signer des contrats,
à l'article 21, dans d'autres langues que... C'est simplement une
extension de cette possibilité. On demande, comme juridiction
anglophone, d'avoir la capacité de communiquer en anglais, par
écrit, avec des gens de l'extérieur du Québec.
La troisième recommandation c'est une recommandation similaire,
mais c'est à l'intérieur du Québec. En effet, on le soumet
à votre sérieuse considération car c'est un non-sens que
de demander à un secteur anglais comme le nôtre de communiquer en
français avec une entreprise comme McGill University "or Concordia
University" touchant l'enseignement ou les stagiaires dont on a besoin dans les
classes anglaises, d'être obligé de communiquer en français
concernant le système de stagiaires qu'on va introduire dans nos
écoles. C'est également un non-sens que de nous obliger à
communiquer en français avec notre syndicat. C'est également un
non-sens que de nous obliger - par exemple, le Ville-Marie Social Service -
à communiquer avec le Ville-Marie Social Service en français,
d'envoyer des lettres en disant ce qui arrivera et demandant des
réunions incluant un ordre du jour en français. Quand on assiste
à cette réunion, on parle anglais, on discute des articles en
anglais, on résume nos affaires en anglais, mais toute l'administration
autour de cette communication devra être en français; c'est un
non-sens, c'est poussé la loi trop loin.
J'aimerais faire remarquer ici qu'on ne demande pas que, lors des
réunions avec des organismes français ou des organismes qui
viennent du ministère comme tel, on oblige les gens de langue
française à être bilingues, ce n'est pas cela notre nuance.
Notre nuance, c'est en effet de laisser aux organismes qui donnent un service
aux clientèles anglaises le droit de s'exprimer et de communiquer en
anglais sans être obligés nécessairement de faire appel
à un service de traduction, d'ajouter des copies en français que
les gens ne liront pas, parce que c'est la communication en anglais qui les
intéresse, ou même de nous obliger à ne pas écrire,
parce que cela coûterait trop cher ou cela prendrait trop de temps; donc
le va-et-vient se fait verbalement. Semble-t-il qu'on a encore le droit de
parler sans être obligé de traduire.
Recommandation no 4. Les organismes
reconnus desservant les clientèles anglophones devraient
être exemptés de l'obligation de communiquer à la fois en
français et en anglais avec leurs publics. Ici, c'est bien simple. En
effet, on demande que, pour le secteur anglais, pour l'ensemble de notre public
et à l'interne, soit nos employés, les enfants, ou les parents -
pour les "report cards" - la façon de communiquer se fasse en anglais
seulement. Je le souligne parce qu'au début, quand j'ai mentionné
l'article 113f, à savoir si le secteur anglais est couvert ou non
couvert, c'était un point litigieux, semble-t-il. Il y a des gens qui
disent: Vous êtes couverts par l'article 113f, donc vous avec le droit de
le faire. D'autres, de l'office, nous disent: Pas tout à fait; il y a
des articles qui vous couvrent, mais vous êtes dans la deuxième
partie, vous n'êtes pas un organisme scolaire, vous êtes un
organisme qui donne des services, donc vous n'êtes pas couverts par cela.
De toute façon, l'article 25 élimine tous ces droits, existants
ou non - j'aimerais bien avoir un éclaircissement sur cela - au 1er
janvier 1984. Peut-être qu'on n'aura pas les droits qu'on avait
auparavant, mais on verra.
Recommandation no 5. Un organisme de l'administration desservant
à la fois une clientèle française et une clientèle
anglaise devrait offrir des services dans chaque langue au prorata des
clientèles à desservir. En effet, à cause de notre
structure, si vous vous rappelez l'organigramme, il y a un service des
finances, un service de l'équipement, un service de l'informatique qui
sont des services centraux. Qu'est-ce qu'on demande? C'est qu'à
l'intérieur de ces services centraux, les gens puissent transiger et
régler des problèmes, pour les services et les écoles, en
anglais. Si un tuyau se brise dans une école, bien sûr, ce n'est
pas pédagogique, mais le tuyau se brise et l'eau coule abondamment, il
faut arrêter l'enseignement à l'école. Donc, c'est relatif
à l'enseignement, c'est un apport à l'enseignement. Ces services
centraux devraient avoir au moins une proportion de services en anglais,
proportionnellement à la clientèle. (11 heures)
À la CECM, nous représentons environ un cinquième
de l'ensemble de laCECM. Ce que l'on demande et que l'on a déjà
transigé avec l'office, c'est qu'il y ait au moins des services centraux
qui puissent se faire en anglais pour que, lorsque les parents appellent pour
le transport, lorsque les enseignants ou les professionnels appellent pour
connaître des détails sur leur chèque de paye, lorsque des
gens veulent avoir des informations sur les assurances, quand les parents
veulent savoir quelque chose concernant les classes combinées ou
l'école, quelque chose qui vient du service central, ils aient des
possibilités d'avoir des communications en anglais, ce qui
éviterait une foule de problèmes. Ceci, par exemple, et je le
note encore ici, existe pour des petites commissions scolaires dans la
première partie de l'article 113f de la loi 101, mais cela n'existe pas
dans une juridiction comme le secteur anglais de la CECM parce que l'on est
dans une entreprise majoritairement française, mais on couvre
peut-être plus d'enfants, sauf pour un ou deux organismes, que l'ensemble
de ces organismes reconnus par la première partie de l'article 113f. On
trouve que c'est une aberration.
Sixièmement, les formulaires, à la page 17, émanant
des services centralisés d'un organisme scolaire et utilisés dans
les secteurs français et anglais devraient être bilingues. Ici,
j'ajoute pour votre considération: pour le secteur anglais. En effet,
par la recommandation 6, on ne veut pas faire instaurer le bilinguisme pour
tout le monde à la CECM, mais on voudrait s'assurer que, pour les gens
anglophones, les formulaires soient compréhensibles. On reçoit
différents formulaires exigeant que les directeurs, les professeurs, les
gens des services centraux du secteur anglais remplissant des formules avec des
données. Mais si le formulaire est seulement en français, pour
obtenir ces informations, il est très difficile pour le répondant
de donner exactement ce qui est demandé. Surtout, de nos jours, alors
que beaucoup de choses sont informatisées, vous savez quel genre de
résultat peut sortir quand les bonnes données ne sont pas
entrées dans l'informatique. Donc, on demande au moins que, pour les
services anglais, l'information soit donnée ou demandée d'une
façon bilingue. On ne pense pas que cela soit trop demander en demandant
que les gens sachent exactement ce qui est requis pour qu'ils donnent les
bonnes informations.
Septièmement, l'évaluation de la compétence requise
en français dans certains postes et pour l'obtention d'une promotion
devra être faite par la commission scolaire et tenir compte de la nature
et du rôle de la fonction à exercer. J'utilise encore, et
j'espère que je n'aurai pas trop l'occasion d'utiliser le terme
"non-sens"... En effet, c'est un non-sens que d'exiger de nous que la
capacité en français vienne avant la compétence à
diriger. Pour nous, c'est très clair que, pour diriger une école,
pour devenir principal, consultant, enseignant, ou cadre, c'est d'abord la
compétence qui devra être exigée; après, ce sera la
capacité en français. Bien entendu, et je le souligne ici, tous
les moyens possibles devront être pris pour s'assurer que l'individu sera
capable de communiquer en français, selon les besoins dans son poste,
soit par le perfectionnement, soit par des cours obligatoires, soit par
différents moyens. Mais on ne devrait pas en
arriver à une situation où la compétence n'est pas
le facteur primordial pour une nomination, une promotion ou une mutation.
Autrement, vous nous demandez, dans le secteur anglais, de ne pas avoir comme
standard la compétence. Je sais, à la CECM et dans d'autres
organismes, que c'est la compétence qui est ou devra être la
mesure pour obtenir des promotions ou des postes.
La dernière recommandation est l'abolition de la commission de
surveillance. Les raisons particulières de cette recommandation sont les
suivantes. Pour nous et, croit-on pour la population québécoise,
il n'y a pas place au Québec pour un régime dans lequel, sans
aucune identification, une plainte puisse se faire et une enquête
commencer pour demander soit à des individus ou à un organisme de
soi-disant vérifier ladite plainte. Ceci est réel, M. le
Président.
J'aimerais justement vous lire un texte d'il y a quelques semaines
venant de la Commission de surveillance de la langue française:
D'après les renseignements dont nous disposons au terme de
l'année 1982-1983, dans certaines écoles du secteur
français, on a remis aux élèves qui avaient
participé à certaines disciplines sportives des macarons ou
écussons portant l'inscription unilingue anglaise "Canada Fitness
Award".
On sait que ce n'est pas le macaron Excellence et Tradition - on va
distribuer ces macarons pour vous - mais on a même entendu dire que
quelqu'un s'opposait à ce macaron parce que c'était en anglais:
Excellence and Tradition. Cela prend un petit peu d'ingéniosité,
mais c'est aussi en français: Excellence et Tradition. Mais les deux
langues ne se complètent pas toujours comme cela. On espère donc
que, quand les enfants - vous me permettrez simplement de vous donner ici
quelques exemples - d'une école veulent faire une pièce de
théâtre, qu'ils produisent eux-mêmes, par exemple, Tom
Sawyer, An operetta in three acts, Gerald McShane School, 7:30, June 16th, dans
l'école, on soit capable d'afficher cela, car c'est une école
anglaise. Pourquoi obliger les enfants à produire des choses
francophones ou françaises aussi, également, avec
prédominance... Toute l'argumentation, je ne rentre pas dans cela.
Quand, dans les écoles, on dit "volleyball skills" pour montrer
comment frapper la balle, c'est tout en anglais. On ne voit pas la
nécessité d'avoir ces choses en français également.
On a une grande campagne contre le vandalisme à la CECM. "Do yourselves
a favor, get involved. Erase vandalism. Take pride in your school. School
projects. CECM English sector." Mais il n'y a pas obligation... Si on affiche
ces choses en anglais dans une école anglaise, cela se peut qu'une
personne française entre dans l'école et voie sur les murs toutes
ces affiches. Je crois que c'est aussi compréhensible pour un
francophone québécois qui entre dans une école anglaise et
qui voie des choses en français. Cette seule personne entre
peut-être une fois en l'espace de deux ou trois semaines ou
peut-être même de deux ou trois mois, M. le Président. C'est
un non-sens. C'est peut-être ridicule aussi d'obliger les gens à
faire tous ces posters en français. "Look out for number 1. "Take pride
of your school." Toutes les choses, même jusqu'à Centraide... Vous
savez, Centraide orchestre vos dons. Comment affiche-t-on cela? Centraide put
lives in tunes. Est-ce qu'on tourne? Comment, obligatoirement, dans les
écoles anglaises ou dans les services centraux, on affiche en deux... En
tout cas, je peux continuer et continuer et continuer. Les poèmes des
enfants dans nos écoles où il y a l'imprimerie... les enfants
font des poèmes en anglais. Dans celui-là, c'est une enfant,
Teresa P., qui fait un poème en anglais. Mais un poème en
anglais, suite à une lecture ou suite au cours de littérature
anglaise, ne se traduit pas. Donc, on publie ces choses en anglais. Je peux
continuer. Peut-être que quelqu'un peut avoir raison. On produit des
"chess-boards" pour que les enfants jouent aux échecs. C'est en anglais
parce que c'est dans une école secondaire anglaise.
Je termine, M. le Président, en disant que les identifications ou
les plaintes sans identification, je ne pense pas et on ne pense pas... On
pense que le peuple québécois n'a pas une tradition de ce type
d'action sans que les plaintes ne soient identifiées ou connues.
Le deuxième aspect ou la deuxième raison pour notre
suggestion de l'abolition de la commission de surveillance, ce sont les abus;
les abus vont trop loin en termes de subtilité et on se demande
jusqu'à quel point la langue anglaise est permise dans les
écoles. Dans ce contexte, M. le Président, je termine notre
présentation et nous sommes disponibles et prêts à
répondre à toutes les questions que vous voudrez poser. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.
M. Godin: Madame, messieurs, M. Geci, je dois rendre hommage
à votre mémoire. On voit qu'il a été fait par des
pédagogues; il est extrêmement clair, extrêmement
précis. Il est présenté de façon plus claire que la
plupart des longs mémoires qu'on a eus ici. Cela nous permet de nous
faire une idée plus rapidement et de vous poser des questions plus
précises.
Il y a un certain nombre de recommandations que vous faites qui,
déjà, font l'objet d'une réflexion très
poussée à l'intérieur du gouvernement présentement,
afin que le caractère anglophone des institutions, comme
les écoles dont vous êtes le porte-parole ici, puisse
fonctionner en anglais. Par ailleurs, dans votre intervention, il y a une
phrase que j'ai trouvée superflue, M. Geci, et je vous le dis
carrément, quand vous avez dit: Semble-t-il qu'encore on a le droit de
parler anglais dans nos écoles. Je pense que c'est le genre de phrase
qui ne peut que contribuer a jeter de l'huile sur le feu. Il n'a jamais
été question d'interdire cela et le laisser entendre, à
mon avis, détonne tellement avec le style de vos propos, avec le style
de votre mémoire que je me demande ce que cela faisait dans un
exposé très rationnel, raisonnable et convaincant.
S'il y a des gens dans votre système scolaire qui vivent avec
cette fausse impression, je compte sur vous pour les éclairer
là-dessus. Le respect de l'anglais dans vos institutions est
sacré pour nous du gouvernement. J'aurais aimé que cela soit
clair. Maintenant, vous avez cité, vous avez montré un certain
nombre de documents qui émanent de votre école. Je pense qu'on ne
les prendra pas un à un, mais il y en a qui sont du matériel
pédagogique pur. À ce moment-là, c'est la langue de
l'école, donc l'anglais, qui est utilisée. Il n'est pas question
que le poème de vos étudiants affiché sur les murs soit
traduit. Je pense que personne au monde ne songerait à interdire que
l'oeuvre artistique de votre étudiant annonçant la pièce
Tom Sawyer soit traduite. Par ailleurs, pour ce qui est des deux documents que
vous avez montrés, "volleyball skills" ou "basketball skills", il n'y a
rien qui empêche que vous ayez les deux côte à côte.
Il n'y a rien qui empêche que vous ayez les deux affiches côte
à côte et le fabricant des "balls" en question doit disposer
normalement d'une documentation française parce que nous voulons que vos
écoles préparent des gens qui, tôt au tard, vont rencontrer
des francophones en sortant de l'école, dans la rue ou dans le quartier
où ils habitent. Je ne pense pas que ce soit demander des choses
inacceptables que de suggérer que les affiches d'information qui
viennent des fabricants d'articles de sport soient fournies
simultanément en français et en anglais pour mieux comprendre la
pratique d'un sport. À mon avis, ce n'est pas abusif de demander que
cela soit fait, d'autant plus que vous avez dans vos écoles des
étudiants qui parlent déjà deux et même trois
langues. (11 h 15)
Également, pour la publicité faite par la CECM en anglais
pour vos étudiants, il n'y a rien qui empêche que les affiches
soient placées côte à côte. C'est le
parallélisme - l'un n'empêche pas l'autre -que nous souhaitons et
que nous suggérons dans la loi, que nous imposons dans la loi pour la
documentation qui est imprimée par la CECM. Il n'est pas question
d'enlever l'anglais, il est question d'ajouter un peu de français. Je
pense que c'est cela qui est l'intention du gouvernement.
En conclusion - car votre mémoire parle de lui-même -
déjà, à la faveur d'autres présentations, j'ai eu
l'occasion d'éclairer les intervenants sur les intentions du
gouvernement. Vous aurez, d'ici quelques jours, l'occasion de voir qu'une
partie importante de vos recommandations trouvera auprès du gouvernement
une oreille sympathique.
En terminant, quand vous parlez de la commission de surveillance,
contrairement à ce que vous affirmez, les plaintes ne sont pas anonymes.
La commission de surveillance a les noms des personnes qui portent des plaintes
et elle ne les dévoile que si la personne qui porte plainte l'autorise
à le faire. C'est le même comportement que la Commission des
droits de la personne. Vous parlez des infractions au Code criminel dans votre
mémoire, mais je vous dis que c'est une pratique courante. À
chaque fois où ce qui est en cause est l'intérêt
général, c'est le Procureur général qui assume la
responsabilité d'une plainte et il ne dévoile pas le nom de la
personne qui porte plainte, à moins que celle-ci ne soit d'accord. Donc,
ce ne sont pas des plaintes anonymes ou un téléphone anonyme
d'une personne qui est dans une telle situation.
Par ailleurs, M. Geci - je suis sûr que vous êtes au courant
de cela - il y a des situations où des personnes peuvent se plaindre. Et
vous reconnaissez qu'il y a un ombudsman qui recueille de telles plaintes
déjà, mais l'ombudsman n'est pas équipé pour
s'occuper de l'application de la loi 101.
D'ailleurs, les déclarations d'Alliance Québec, dans une
entrevue accordée au magazine L'Actualité, et les
déclarations récentes du nouveau chef du Parti libéral
parlent du maintien de la commission de surveillance. Il semble donc qu'il y
ait certains mécontentements, mais le consensus est que, si vous avez
une loi qui porte sur un sujet aussi délicat que la question
linguistique au Québec, il est normal qu'il y ait un lieu où les
plaintes puissent être acheminées et faire l'objet d'une analyse
aussi précise que possible.
Maintenant, le but de cette commission - je terminerai là-dessus,
M. Geci, avant de vous demander des commentaires s'il y a lieu - c'est
précisément d'entendre une évaluation, faite par les gens
qui sont sur le terrain - comme vous tous et vous toutes -de la loi 101 et des
organismes qui découlent de la loi 101. Donc, tout ce que vous nous
dites nous intéresse et une partie importante de ce que vous nous dites
aura des suites. Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. Geci.
M. Geci: M. le Président, d'abord, je devrais dire que je
m'excuse de ma connaissance de la langue de Molière; de temps en temps
des choses laissent à désirer dans mes expressions. Je vous
demanderai donc votre indulgence.
M. Gratton: Le ministre a ce même problème à
l'occasion. Quand il ne parle pas jouai, il a de la difficulté en
français!
M. Geci: D'accord, parfait. Je suis très heureux
d'entendre que le gouvernement nous félicite sur le fait que nous
considérons que la langue anglaise est sacrée dans nos
écoles et dans nos systèmes. Nous espérons voir cela se
concrétiser dans les projets de loi qui s'en viennent pour les
amendements.
J'aimerais revenir plus précisément sur certains aspects,
sur la façon dont on les traite. Il est vrai que, quand il est possible
d'afficher des signes, des posters et différentes choses
pédagogiques ou administratives en français ou en anglais, cela
aide, c'est un moyen de communication, c'est un moyen pédagogique. Mais,
nous obliger à le faire au point où la loi dise: Vous ne pouvez
pas afficher en anglais si cela ne l'est pas en français, là,
c'est différent. J'aimerais ajouter pour votre considération
qu'en effet il y des choses comme le volley-ball ou le basket-ball qui viennent
de l'extérieur du Québec, parce que, au Québec, de plus en
plus, les différentes firmes qui produisent ces matières ne
veulent pas produire en anglais. Donc, le marché pour la
communauté anglophone catholique -je pense que mes collègues
protestants diront la même chose - c'est que, dans le domaine scolaire,
dans les domaines d'activités, une entreprise dirigée par des
Québécois, peu importe la langue, qu'elle soit française,
anglaise, etc., a un intérêt, bien entendu, économique,
mais, si le marché pour les anglophones est très petit,
peut-être que cela n'entre pas dans le cadre économique pour son
entreprise de produire des informations en anglais. Donc, ces entreprises
produisent en langue française seulement. On a de la difficulté.
On est obligé d'aller à l'extérieur du Québec pour
les posters, mais plus que cela, pour nos livres maintenant. Le régime
pédagogique s'en vient. On introduit de nouveaux cours au Québec.
Peut-être que vous le savez et peut-être que vous ne le savez pas,
mais êtes-vous au courant que, dans la communauté anglophone
protestante et catholique, on est obligé de faire nos propres textes
pour compléter le régime pédagogique? Il n'y a aucune
librairie ou maison au Québec qui veut faire cela en anglais, parce que
c'est trop coûteux ou, si elle veut le faire, cela va coûter une
fortune au réseau scolaire anglophone; le prix ne sera pas abordable
pour rendre encore plus efficace et compétent le système scolaire
anglophone. Donc, on est obligé d'aller à l'extérieur. On
est obligé de faire des démarches en Ontario et même aux
États-Unis, sauf qu'on en fait moins aux États-Unis, parce qu'ils
parlent de Détroit, Michigan, plutôt que de parler de
Sault-Saint-Louis, de Chicoutimi et du Lac-Saint-Jean, etc. Donc, au moins, les
livres canadiens parlent de ces endroits.
C'est un problème majeur pour nous. C'est là qu'on vous
démontre que, pour les juridictions anglophones, vous êtes en
train, à cause de l'obligation de produire en français -
autrement, l'anglais ne peut pas être affiché et fait, etc. -
d'amener un coût exorbitant en termes de traduction, en termes de
production de matériel, en termes de communications, etc., pour en
arriver à ce point-là.
M. Godin: Excusez-moi, M. Geci, une dernière question. La
documentation pédagogique dans vos écoles est en anglais et rien
dans la loi...
M. Geci: Oui, monsieur.
M. Godin: ...ne vous oblige à l'avoir dans une autre
langue que l'anglais.
M. Geci: Bien entendu.
M. Godin: Et vous avez accès à l'immense
marché de "text books", de manuels scolaires, de documentations,
d'illustrations...
M. Geci: C'est exact.
M. Godin: ...pédagogiques, américaines, anglaises
et canadiennes anglaises. En quoi la loi vous...
M. Geci: C'est quand, M. le Président...
M. Godin: Excusez-moi. En quoi la loi vous pose-t-elle des
problèmes à cet égard?
M. Geci: D'accord. Quand nous avons besoin d'un texte, par
exemple, un texte de littérature du deuxième cycle ou de la
deuxième année, je suis obligé, par la loi 101, d'envoyer
la lettre en français seulement. Donc, j'envoie une lettre en Ontario,
à New York, partout. C'est sûr que, si je voulais être
efficace, j'enverrais cette lettre en anglais pour au moins faire appel
à ces entreprises afin qu'elles nous fournissent des livres, mais,
présentement, je dois l'envoyer en français. Bien sûr, on
essaie de voir de quelle façon on a à faire un appel
téléphonique, etc. On correspond en français parce que la
loi nous y oblige. Quand vous dites: Peut-être que non, c'est là,
en effet, qu'on vous demande de clarifier distinctement pour que, dans la loi
et dans
toutes les agences gouvernementales, ce soit très clair pour tout
le monde, ce qui est permis et ce qui n'est pas permis, et pour ne pas laisser
des individus penser que, pour un, c'est suffisant et, pour l'autre, ce n'est
pas suffisant. Mais c'est dans ce sens qu'on envoie une lettre en
français. Vous savez où la lettre s'en va, en Ontario ou pour ces
compagnies. Cela va dans le panier 13.
M. Godin: Est-ce que la voie de la filière 13...
M. Geci: Filière, oui, excusez-moi.
M. Godin: On en a aussi chez nous. Filière, c'est... De
toute façon, on s'entend sur le panier 13. On a le même panier
dans tous les ministères. Mais je pense, M. Geci, que l'article 15 de la
loi que vous avez évoqué tout à l'heure est très
clair. Je ne comprends pas pourquoi il n'a pas réglé le
problème que vous soulevez. L'administration aurait dit, etc. Le
présent article ne s'applique pas aux relations avec l'extérieur
du Québec. Cela veut dire que, pour toute commande que vous passez avec
n'importe quel fournisseur, de l'Ontario ou des provinces anglaises, des
États-Unis ou de n'importe quel autre pays, vous pouvez envoyer votre
commande en anglais.
M. Geci: Je m'excuse, M. le Président. Pour signer le
contrat, vous avez raison, mais, quand on fait appel, pour différentes
demandes, pour savoir combien cela coûtera, s'ils ont des livres dans tel
genre, s'ils ont différentes choses, on n'en est pas capable, parce que
la loi, pour faire des appels d'offres, pour demander des soumissions, nous
oblige à le faire en français. Et ce qui est encore plus
nuancé, c'est que ce service est centralisé à la CECM;
c'est donc un service français-anglais et nos règles
d'administration interne disent: John, c'est en français, il faut qu'on
suive la loi. C'est là que toutes ces choses n'ont pas leur raison
d'être si on veut être efficace.
De toute façon, souvent, même quand on ne fait pas ces
appels, on obtient des livres entièrement traduits en français.
Et si ce n'était pas bon dans le temps pour la communauté
francophone du Québec, ce n'est pas bon non plus, aujourd'hui, pour la
communauté anglophone du Québec.
M. Godin: J'avais l'impression que l'article 15 était
clair. Mais puisque vous me dites qu'il ne l'est pas, nous allons faire
l'impossible pour qu'il soit clarifié, de manière que vous
puissiez, en tant que secteur anglais catholique, contracter à
l'extérieur du Québec dans la langue que vous parlez à
l'école. Ce sera fait.
M. Geci: On le demande et on espère que l'office sera
avisé de votre point de vue, M. le ministre.
M. Godin: II nous écoute plus attentivement que n'importe
qui au Québec. Merci, M. Geci.
Une voix: Au prochain remaniement ministériel.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le
député de Gatineau.
M. Gratton: Encore là, on aurait avantage à avoir
le code d'interprétation dont on parlait tantôt pour essayer de
clarifier tout cela et pour pouvoir, éventuellement, clarifier la
loi.
Je désire, au nom de l'Opposition, M. Geci, ainsi que ceux qui
vous accompagnent, vous remercier pour la qualité de votre
mémoire. Vous faites état de façon très concise,
très succincte, de problèmes vécus que le ministre de
l'Éducation aurait eu avantage à venir écouter, ce matin,
à la commission parlementaire. Je déplore son absence.
Une voix: II n'écoute jamais.
M. Gratton: On convient qu'il est retenu probablement ailleurs
par des fonctions tout aussi importantes que celle de bonifier la loi 101. Il
est possible qu'il aurait écouté sans entendre le plaidoyer que
vous avez fait ce matin. Le malheur, c'est qu'il n'est même pas là
pour l'écouter. Nous comptons donc sur la bienveillance du ministre
responsable du dossier pour lui faire les messages qui s'imposent, et surtout
pour le convaincre de la justesse du point de vue que vous exprimez ici ce
matin.
Le ministre vous a fait un reproche tantôt en disant que vous avez
peut-être... Cela a juré dans le décor quand vous avez
souhaité que l'on puisse encore se parler en anglais dans nos
écoles. Je trouve cela assez curieux que le ministre se permette de vous
faire des reproches, lui qui, à l'occasion, a eu des paroles beaucoup
plus malheureuses que celles-là et qu'il a dû expliquer en cours
de route à certains égards.
M. Godin: M. le Président, question...
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.
M. Godin: M. le Président, je ferai remarquer au
député de Gatineau qu'il ne s'est pas privé
lui-même, à chaque fois que je l'ai fait, de me faire des
leçons que j'ai acceptées de bonne grâce.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: Oui, j'en conviens, le ministre, sans toujours me
satisfaire pleinement, a quand même reconnu que certains des reproches
qu'on lui adressait étaient justifiés. Je l'en remercie. J'ai eu
beaucoup plus de succès avec lui qu'avec son prédécesseur,
inutile de le dire, M. le Président. Quoi qu'il en soit, on est rendu
à la dernière journée de nos auditions. Le ministre vous a
dit à vous, comme il a dit à plusieurs autres, que plusieurs de
vos recommandations, sinon l'ensemble, seraient retenues par le gouvernement.
Je vous avoue franchement que j'ai hâte de voir ce que cela va donner. Il
y a des positions nettement contradictoires qui ont été
exprimées ici par rapport à ce que vous nous dites aujourd'hui,
par rapport à ce que d'autres nous ont dit. Je crois en la bonne
volonté du ministre. Je suis sûr qu'il va tenter, dans la mesure
du possible, d'éliminer ce qu'il appelait lui-même les
excès et les abus de la loi 101. Il restera à voir s'il aura
compris la situation comme nous et comme certains qui sont venus nous
rencontrer. Aussi, il restera à voir surtout s'il réussira
à convaincre ses collègues du cabinet qui sont quand même,
pour certains, les mêmes qui avaient refusé obstinément de
se prêter aux représentations du même genre qui leur avaient
été faites en 1977 par anticipation des problèmes que cela
pourrait causer. (11 h 30)
On se rend compte aujourd'hui, devant votre témoignage et les
nombreux autres qu'on a entendus, que ce qui avait été
prévu par certains, anticipé et même
appréhendé en 1977 s'est révélé encore plus
grave que ce qu'on appréhendait. Je le répète, tout en
croyant en la bonne foi du ministre dans son intention exprimée de
vouloir réparer des choses: j'espère qu'il aura tout le
succès voulu au sein du cabinet pour amener ses collègues
à voir les choses sous le même angle que lui.
De toute façon, nous aussi de l'Opposition, on prend bonne note
de vos recommandations. D'ailleurs mon collègue d'Outremont aura un
certain nombre de questions à poser. Je voudrais simplement que vous
réalisiez ce que vous savez déjà: ce n'est pas
l'Opposition qui déposera un projet de loi le 15 novembre prochain, mais
bien le gouvernement. Et dans la mesure où ce projet de loi ne fera pas
écho aux nombreux engagements que le ministre a semblé prendre ou
a donné l'indication d'être en mesure de prendre prochainement, on
sera là pour les lui rappeler très amicalement, très
calmement, très sereinement, mais de façon que la population, au
bout de la démarche, s'y retrouve, soit le mieux informée
possible et soit en mesure de juger que votre approche est la meilleure
approche des deux, en supposant qu'il y aurait différentes approches
entre nous deux.
Merci infiniment.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député. M. le député de Bourassa.
M. Laplante: Merci, M. le Président, mesdames et messieurs
présents. Il me fait plaisir aujourd'hui de vous souhaiter la bienvenue
à cette commission. Cela me rappelle un peu le temps où nous
avons travaillé ensemble durant près de quatre ans; un travail
amical et constructif que nous avons fait à la Commission des
écoles catholiques de Montréal.
Votre mémoire est intéressant, comme le ministre vous l'a
exprimé. D'autant plus que votre mémoire exprime une acceptation
de l'identité fondamentale du français au Québec. En
même temps, vous êtes désolés aussi de l'absence
totale de référence à la communauté anglophone et
vous en faites écho dans votre mémoire. Les modifications que
vous suggérez concernent presque essentiellement le chapitre traitant de
la langue de l'administration. Vous avez voulu choisir probablement le champ
d'action qui vous touche de plus près, parce que vous êtes tous
des administrateurs au sein de cette commission scolaire anglophone
catholique.
J'aurais trois questions à poser. Vous dites, à la page 2,
que même si les anglophones québécois ont accès
à la vaste culture nord-américaine, leur capacité de
fonctionner dans une communauté anglophone viable au sein de leur
Québec natal est systématiquement érodée par une
politique linguistique restrictive. Comme vous le savez sans doute, il y a dans
la Charte de la langue française neuf articles - les articles 14, 16,
17, 18, 19, 22, 34, 58 et 69 - qui exigent l'unilinguisme français. Tous
les autres articles ne sont là que pour faire en sorte que le
français apparaisse partout où se trouve une autre langue.
Croyez-vous, M. Geci, que ces seuls neuf articles soient de nature à
vraiment éroder votre communauté?
M. Geci: M. le Président, oui. C'est par l'application de
ces articles qu'en effet la défense d'afficher en anglais sans avoir
également l'affichage en français nous oblige presque d'en
arriver à un point où on n'est pas capable d'afficher en anglais.
Que les affiches ou les communications puissent être faites en
français, je pense que j'ai déjà été
très clair sur cela, on ne conteste pas cela du tout. Mais par
l'application de ces articles et les différents articles que vous avez
mentionnés, surtout ceux que j'ai mentionnés dans notre
mémoire, il y a un aspect dans lequel, obligatoirement... Un exemple:
"Department of Studies" n'est pas une dénomination reconnue; le service
de Mme Chesterman n'est pas un service reconnu par votre loi. On peut
afficher
"Department of studies" si on met en évidence l'aspect "Service
de l'enseignement". Mais, comme telle, la reconnaissance du département
en anglais n'existe pas. La loi prévoit simplement l'affichage possible
en français du département de Mme Chesterman. Quand nous
produisons un document pour les enseignants et pour les écoles et qu'on
dit: "Department of instructional services" - je m'excuse, j'ai dit "studies",
c'est "Departement on instructional services" - on peut afficher ou inscrire
sur le document "Department of instructional services" et il faut qu'on dise
"Service de l'enseignement". Cela est seulement pour l'affichage; la loi ne
prévoit pas la reconnaissance de "Department of instructional services"
légalement pour le secteur anglais à la CECM. Si on était
dans une commission scolaire reconnue par la première partie de
l'article 113f, même si on avait 600 enfants par rapport aux 18 000 ou 19
000 qu'on a, on serait reconnu. Mais à l'intérieur de la CECM,
à cause de l'application de la loi, on ne peut pas. C'est là ce
que je soumets à votre considération, et c'est réel. Oui,
notre droit d'utilisation de la langue anglaise non seulement pour l'affichage,
mais pour la reconnaissance en dénomination est érodé.
M. Laplante: L'un des principaux irritants qu'il peut y avoir
dans votre secteur, c'est là surtout, parce que vous êtes, en
somme, sous la juridiction de la CECM, vous faites partie de la CECM, d'une
section anglophone. Vous aimeriez être considéré un peu
comme le fait l'article 113 au point de vue des municipalités et des
autres corps reconnus anglophones, de santé ou autres. D'accord.
M. Geci: Je vous donnerai un autre bon exemple: la
dénomination d'une école. C'est vrai, dans la Gazette officielle,
on reconnaît toutes les écoles. Qu'est-ce qu'on demande? C'est
réel et cela se passe sur le territoire de Montréal. Il y a des
individus qui, en juin ou en juillet, déménagent, et, parce
qu'ils sont nouveaux dans un endroit, ils se présentent à une
école anglaise pour, en effet, demander l'inscription de leurs enfants.
Ce sont des francophones québécois. On est obligé de dire:
On regrette, vous devrez aller à une école française,
à une rue ou pas loin de l'école anglaise. Les parents disent,
avec justice: C'est une école française? Mais non! c'est une
école anglaise. Le nom affiché sur le tableau ne dénote
d'aucune façon qu'un édifice, une bâtisse ou une
école est identifiée pour l'enseignement de l'anglais, que c'est
pour l'anglais. C'est obligatoirement bilingue. On ne voudrait pas enlever
l'aspect français du nom pour l'affichage. Notre recommandation, c'est
que, si c'est une institution anglaise, on devrait pouvoir afficher de
façon à montrer que cette institution est anglaise, bien oui,
avec l'ajout en français pour ceux qui ne peuvent pas comprendre. C'est
bien acceptable. Mais il ne faut pas compliquer l'affichage ou compliquer la
dénomination pour que les publics francophone et anglophone soient
mêlés et qu'on se demande si c'est une école anglaise ou
une école française.
M. Laplante: D'accord. Vous parlez aussi à la page 3 de
l'exode de la population anglophone du Québec, alors qu'en
général dans d'autres provinces on parle de départs vers
une autre province. On parle aussi ailleurs de migration interprovinciale. Il y
a eu au Québec 135 000 départs de 1976 à 1981. Dans la
même période, en Ontario, il y a eu 266 600 départs et on
ne parle pas d'exode. Pourquoi cette ambiguïté dans vos remarques
en ce qui concerne le Québec? Quand il s'agit de départs de la
communauté anglophone, vous parlez d'exode tout de suite et, lorsque
cela arrive dans une autre province, où vous avez le double de
départs, de migrations d'une province à l'autre, personne ne
parle d'exode. J'aimerais d'une façon très sincère essayer
de comprendre pourquoi les termes ne sont pas les mêmes ici quand une
population anglophone quitte pour effectuer vers une migration
interprovinciale. Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas employer le même
verbe et le même ton qu'ailleurs?
M. Geci: D'abord, notre mémoire ne traite pas des
va-et-vient des populations des provinces autres que le Québec. Donc,
c'est pour cette raison, on fait abstraction de ce qui se passe ailleurs.
M. Laplante: Vous parlez d'exode.
M. Geci: Mais si on parle de l'exode de la population anglophone
au Québec, c'est parce que c'est, en effet, un facteur très
important non seulement pour la survie de la communauté anglaise au
Québec, mais pour son propre développement à
l'intérieur du cadre québécois, pour que les
Québécois anglophones puissent s'intégrer. C'est dans ce
sens que l'on vous démontre la baisse de clientèle et la chute
produite depuis l'instauration de la loi 101. En effet, les différents
aspects connexes de cette chute nous démontrent très clairement
qu'il y a un départ substantiel, lequel affecte le nombre
d'élèves dans nos écoles. Conséquemment, si cela
continue à se produire, un jour on n'aura pas le système que l'on
connaît aujourd'hui.
M. Laplante: Le mot "exode" n'a peut-être pas la même
signification pour nous que "départ" pour vous. Pour nous, le mot
"exode" est radical. Cela veut dire que tout
le monde s'en va. Un départ, c'est beaucoup plus nuancé
dans notre langage. À peu près tous les mémoires de la
communauté anglophone ont parlé d'exode. Pour nous, celasonne dur. Quand on sait la migration qui se fait en dehors, dans les
autres provinces, c'est un langage auquel on a de la misère à
s'habituer.
J'ai un commentaire à faire sur la page 16. À votre
cinquième recommandation, lorsque vous dites que l'office a
accepté que 10% des postes au sein des services centralisés
soient déclarés bilingues, vous affirmez que ce quantum est aussi
inférieur au rapport entre le nombre d'élèves anglais et
le nombre d'élèves français desservis par la CECM. Cette
affirmation m'étonne, car, pour l'année 1982-1983, il y avait 111
114 élèves inscrits à la CECM dont 8227 étaient de
langue maternelle anglophone, soit 7,4% du total. Pour moi, le quantum de 10%
est supérieur à la clientèle anglaise de langue maternelle
qui a été inscrite à la CECM. Là-dessus, il n'y a
pas de concordance.
À mon avis, vous avez obtenu justice dans la répartition
lorsque vous avez demandé 10%, que vous avez obtenus. Vous avez
7,4%.
J'ajouterai aussi que, peut-être pas dans l'écrit, mais au
point de vue verbal et téléphonique, même dans la lutte que
l'on a faite ensemble - parce que j'étais de votre côté sur
la loi 22; il y avait une injustice flagrante dans les tests là-dessus
et on défendait la famille à ce moment-là - soit un
élève, soit un professeur, soit un professionnel ou toute autre
catégorie de travailleurs ou de parents qui ont pu appeler à la
CECM, ont toujours reçu, à ma connaissance, une réponse
dans leur langue. On avait même un bureau sur la langue à la CECM
qui doit exister encore - c'était M. Attar qui en avait la
responsabilité dans ce temps-là - où on pouvait parler
jusqu'à 18 langues pour essayer de desservir les communautés
ethniques de Montréal. C'est pour cela que, lorsque je pèse le
pour et le contre je ne peux pas crier à l'injustice actuellement envers
les minorités, ni envers la communauté anglophone pour les 10%
que l'on vous accorde actuellement qui peuvent vous accommoder beaucoup.
M. Geci: M. le Président, dans la question de M. le
député, il y a trois aspects. J'aimerais toucher chacun
séparément, parce que je pense que c'est important et qu'il y a
des clarifications très importantes à faire. C'est vrai que
lorsqu'on a dit qu'il y avait eu une entente, c'est dans les discussions du
président de l'office; nous avons, semble-t-il, eu un échange
dans lequel on a eu une entente verbale, à savoir qu'environ 10% devront
être capables de servir la clientèle du secteur anglais.
J'aimerais bien noter - toute la documentation du ministère de
l'Éducation sur les chiffres le démontre - que, dans le temps, le
secteur anglais représentait 22% de l'ensemble de la clientèle de
la CECM. Présentement, aujourd'hui même, on est 18% de la
clientèle de la Commission des écoles catholiques de
Montréal. Sur un total de 107 000 enfants, le secteur anglais comprend
18 825 enfants. Ce n'est donc pas 7% ou 8%; c'est 18% de l'ensemble de la
CECM.
M. Laplante: Enlevez-vous les francophones que vous avez dans
votre secteur actuellement quand vous dites cela?
M. Geci: Non. Vous suggérez d'enlever les francophones.
Les gens viennent aux écoles anglaises pour l'apprentissage de
l'anglais. On ne fait pas de distinction entre les 56 langues qu'on a dans une
école. On a à peu près 27 langues. Donc, pour nous, les
parents ont choisi une école anglaise pour l'apprentissage. On ne
commence pas à demander quelle est l'origine, francophone ou autre. Les
formules du ministère et de la commission sont standards et on ne fait
pas d'extrapolations dans ce sens.
Deuxième partie de la réponse à votre question, je
vous achemine une petite carte qu'on a fait préparer sur la chute de
clientèle, parce qu'on a parlé tantôt de votre population,
pourquoi il y a tellement de gens qui viennent. La mienne est colorée;
je m'excuse de la qualité de la vôtre, cela a été
fait hier. La colonne de gauche en jaune démontre que le déclin
de la population anglophone à la CECM depuis 1976 est de 43%; mais le
déclin de la population francophone à la CECM depuis 1976 est de
26%. Toutes ces statistiques sont connues au ministère de
l'Éducation et sont vérifiables et validées.
Deuxièmement, par rapport au reste de la province, le
déclin de la population depuis 1976 est de 33% chez les anglophones et
de 17% chez les francophones. En effetj cette année - pour vous donner
un autre chiffre si on veut embarquer dans les chiffres - on avait une perte de
2000 dans le secteur anglais sur 20 000, ce qui fait une proportion de 10,7% je
crois. Nos collègues francophones à la CECM, je pense que leur
perte était d'environ 3%. On voit donc que la chute de clientèle
anglophone dans le contexte CECM catholique, c'est beaucoup.
Concernant le troisième facteur qui a été
amené dans la question, je fais référence à une
lettre du 12 janvier 1982 de l'Office de la langue française
adressée à M. Luc Larrivée, le président,
concernant, semble-t-il, cette entente de 10% ou environ, et dans laquelle on
dit: "L'office vous demande également de planifier une réduction
progressive du nombre de postes qui dans vos services centraux exigent
présentement la connaissance de l'anglais pour desservir votre secteur
anglophone et de bien vouloir l'en informer."
Je veux bien qu'il y ait un respect, une reconnaissance de l'anglais
pour la communauté anglophone, mais quand, par différents moyens,
arrivent des communications des différentes agences pour nous dire:
Messieurs, progressivement, diminuez les services pour les anglophones, on se
demande si on ne devrait pas aller aux commissions parlementaires pour exprimer
notre point de vue. Il y a des choses concrètes qu'on vit
quotidiennement. C'est ce qui amène des remous, c'est ce qui
amène, en effet, dans la population anglophone au Québec un
mécontentement et aussi une "misstrust" - excusez l'expression, je ne
connais pas le mot en français - une méfiance face aux paroles
parce qu'il y a des gestes qui se posent, il y a des choses qui se disent et
les deux ne concordent pas.
M. Laplante: J'aurais encore beaucoup de questions à
poser, mais le temps nous manque. Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député de Bourassa. M. le député d'Outremont.
M. Fortier: M. Geci, le ministre vous a dit tout à l'heure
- comme mon collègue de Gatineau le disait - qu'une très grande
majorité de vos recommandations avaient été entendues et
seraient prises en sérieuse considération. Il a dit cela à
bien des gens qui sont venus présenter des mémoires. Cela me fait
un peu penser à Charles de Gaulle qui était allé en
Algérie pour dire aux pieds-noirs: Je vous ai compris et, six mois
après, ils faisaient l'indépendance. J'espère que le
ministre vous a bien compris. J'aimerais bien comprendre le message principal.
Je pense que le message principal que vous nous avez donné, c'est que la
CECM, avec le secteur anglais, était dans un position différente
de celle des autres commissions scolaires et que, relativement à
l'article 113f, vous vous posez des questions sur la latitude que vous avez de
communiquer en anglais avec les services.
J'aimerais savoir de façon bien précise, pour comprendre
exactement ce que vous nous avez dit, quelle est la pratique actuelle. Si vous
faites référence à l'organigramme que vous avez
distribué, vous nous dites qu'il y a un secteur de langue anglaise qui,
dans le moment, peut fonctionner en anglais sur le plan pédagogique,
mais il y a d'autres services communs aux secteurs français et anglais
et c'est là que vous vous posez des questions.
Le ministre a déjà dit, en réponse à des
recommandations qui avaient été faites par d'autres groupes,
qu'il favoriserait ou qu'il ferait des recommandations pour le bilinguisme
institutionnel, c'est-à-dire pour permettre à certains services
à l'intérieur d'un organisme de langue anglaise d'obtenir le
bilinguisme institutionnel. On pourrait penser qu'à la limite cela
pourrait s'appliquer aux services qui sont à l'intérieur d'une
école. Votre position à l'intérieur de la CECM est tout
à fait différente de tous les cas qu'on nous a amenés
jusqu'à maintenant. J'imagine que le bilinguisme institutionnel ne
répondra pas à toutes vos attentes et qu'il faudra
véritablement une modification à l'article 113f pour prendre en
considération la recommandation majeure que vous nous faites
aujourd'hui. J'aimerais vous entendre sur la pratique telle qu'elle se fait
maintenant ou sur les efforts, du moins les pressions qui ont été
faites sur vous pour appliquer la loi, du moins la politique officielle de la
CECM dans son ensemble. Dans quelle mesure une reconnaissance de votre statut
particulier amènerait-elle une modification spéciale de l'article
113f?
M. Geci: De deux façons. Premièrement, à la
CECM présentement, on a des directives administratives concernant
l'application de la loi 101, que la commission a adoptées en 1979. Selon
ces directives, nous sommes en conformité avec la loi, mais nous n'avons
pas reçu notre certificat de francisation à la Commission des
écoles catholiques de Montréal. Vous pouvez juger vous-même
du bien-fondé de cette décision. Il y a deux questions: les
dénominations et les communications. Dans le secteur français, la
commission est connue présentement comme étant la CECM seulement.
En termes de dénomination, la commission et tous les services sont
reconnus en français seulement. Nous demandons donc d'avoir la
possibilité d'appeler la CECM, MCSC, Montreal Catholic School
Commission. Nous demandons que les "instructional services" soient reconnus
comme "instructional services" et non pas reconnus comme services de
l'enseignement et que le service de M. Macchiagodena soit reconnu comme
"service of auxiliary resources", que les écoles soient reconnues comme
des institutions anglaises d'abord pour l'affichage - c'est autre chose -
bilingue, mais que l'anglais soit prédominant pour démontrer
qu'il s'agit d'une institution anglaise. Présentement, on n'a pas cela
à la CECM parce que la loi ne nous le permet pas. La loi et la
commission exigent que tous les services soient reconnus en
français.
L'usage de cette reconnaissance. Quand on arrive aux différents
articles concernant l'affichage des différentes dénonciations ou
la connaissance de ces services dans les documents et les communications,
à la CECM présentement, quand cela vient d'un service central
(informatique, équipement) cela vient soit en français seulement
ou cela peut venir de façon bilingue, mais il faut que ce soit en
français. Souvent, jusqu'à maintenant, nous le recevons dans les
deux langues, mais nous nous inquiétons quand les
gens nous disent: Progressivement, éliminez l'aspect anglais des
services centraux.
Deuxièmement, quant aux services connexes à l'organisation
de la pédagogie anglaise, nous tous qui sommes présents ici, nous
discutons et nous communiquons en anglais à l'interne avec nos
écoles; cela est permis. Nous pensons que cela est permis par l'article
113f deuxièmement, mais il y a des gens qui pensent que l'article 113f
deuxièmement ne nous le permet pas parce que les articles 15 à 23
ne s'appliquent pas au deuxièmement de 113f. Donc, nous ne savons pas si
nous sommes dans l'illégalité ou non, mais nous laisserons les
avocats trancher cela. Donc, pour cet aspect, à l'interne, nous
transigeons en anglais à la CECM.
Quand il s'agit de différentes informations, communications et
pour l'informatique, nous voulions que les informations viennent toujours des
services centraux obligatoirement en anglais et en français. Mais, selon
la loi, ce n'est pas obligatoire que ces services soient fournis en anglais et
en français conjointement. C'est là la nuance que nous apportons
dans notre mémoire à cause de notre situation.
J'aimerais dire que, peut-être parce que la CECM est importante et
efficace, nous avons présenté ce mémoire, mais que dans
plusieurs commissions scolaires catholiques où il y a des sections
anglaises ou un regroupement d'une ou deux écoles, la même
situation et le même problème existent, ils ne sont pas reconnus
selon la première partie de l'article 113f.
M. Fortier: Un secteur que vous n'avez pas touché a trait
au fait que dans les services il devrait y avoir des gens bilingues pour
être capables de communiquer avec vous. J'imagine que présentement
la loi ou, du moins, ceux qui sont chargés d'appliquer la loi ne
reconnaissent pas nécessairement des postes que la CECM voudrait voir
bilingues. Quelle est la pratique en ce qui concerne la reconnaissance de
postes bilingues pour satisfaire les demandes?
M. Geci: Présentement, de façon pratique, à
la CECM, lors des entrevues pour des postes... Dieu sait qu'à la CECM
nous n'avons pas beaucoup d'entrevues parce qu'on ne crée pas beaucoup
de postes dans le secteur anglais; c'est l'inverse, nous diminuons. Mais la loi
prévoit des règles non seulement pour les promotions, mais pour
les mutations. Que nous disent ceux qui administrent l'application de la loi?
Même pour les mutations, tout le monde devra avoir une connaissance du
français.
Alors, le problème que nous avons -c'est réel - c'est que,
en diminuant le nombre d'élèves par école, à cause
de la chute de la clientèle, ceci amènera une
réaffectation des professeurs dans d'autres écoles à cause
de leur ancienneté pour appliquer la convention collective et
techniquement on ne pourra pas affecter un enseignant dans une autre
école parce qu'un enseignant d'anglais, langue maternelle, n'a pas
nécessairement une connaissance du français. Que nous a-t-on dit
récemment? C'est que six postes à la CECM, pour 1400 enseignants,
sont exclus de cette modalité d'avoir la connaissance du français
pour une mutation. C'est un non-sens. Ces gens sont là pour enseigner
l'anglais aux enfants.
Cela concerne les mutations non seulement d'enseignants, mais de
professionnels. On mute des professionnels en musique, en arts plastiques, en
physique, en chimie et ces gens connaissent leur matière en anglais.
Avoir une connaissance en français de ces matières n'est pas un
besoin. Oui, cela peut être un facteur lors des réunions
provinciales avec les collègues français. À cet
égard, ce que nous essayons de faire - ici, je réponds plus
particulièrement à votre question - c'est essayer de
perfectionner ces gens par le biais de cours de perfectionnement, de cours
spéciaux de français pour essayer d'aider ces gens à
s'exprimer. Espérons que ces gens seront capables d'échanger
comme moi qui ai appris la langue française dans une école
anglaise de la CECM. (12 heures)
M. Fortier: Vous avez illustré trois situations ou trois
problèmes: les dénominations, les communications et les
mutations. D'une façon bien précise, avez-vous regardé la
loi pour vous assurer qu'à l'avenir il n'y aura pas de mésentente
sur l'interprétation? Avez-vous regardé les articles de la loi
qui nécessiteraient une modification?
M. Geci: Nous n'avons pas regardé cela dans ce sens. Nous
avons regardé la loi et son application dans la façon dont elle
affecte directement notre secteur à la CECM. Ce que nous espérons
- peut-être avec beaucoup plus d'espérance et j'espère que
ce n'est pas une espérance inutile - à la suite des remarques de
M. le ministre, à savoir qu'il retient beaucoup de nos recommandations,
c'est que la loi soit, en effet, très claire et très
précise. Pour nous, la meilleure façon de faire cela, c'est de
faire une déclaration, un cadre de référence qui dise: En
effet, l'anglais est possible ici, l'anglais est reconnu, et non pas dans le
sens inverse où il y a des complications en termes
d'interprétation. Souvent, on a des livres d'interprétation plus
large que la loi ne l'est. Bien entendu, la jurisprudence se fait devant les
tribunaux, mais on demande à la population, on demande à
l'administrateur, on demande à notre public - les parents, les
enseignants et les principaux - de dépenser trop d'énergie pour
appliquer la loi; c'est
quelque chose qui est simple à appliquer si, en effet, on
écrit ce qu'on dit dans l'énoncé des dispositions de la
loi.
M. Fortier: Une dernière question, M. le Président.
Vous avez dit tout à l'heure que vous espériez obtenir la
possibilité de communiquer en anglais avec les syndicats, en
particulier. La loi exige présentement que la convention collective soit
écrite en français. C'est bien cela? Les officiers des syndicats
qui dialoguent avec vous sont-ils des gens de langue anglaise ou des gens de
langue française?
M. Geci: Ce sont des gens de langue anglaise. Justement, dans le
dépôt de documents que j'ai fait - le dépôt no 2 -The
Federation of English Speaking Catholic Teachers est d'accord avec nous. Quand
on transige, on transige en anglais. Quand on s'écrit, ce n'est pas
souvent, parce que la loi dit: Cela devra être en français. Donc,
on est dans la situation où on se parle plus souvent, ce qui est bon
dans un sens, mais on aimerait avoir surtout avec des syndicats, des ententes -
c'est bon de les avoir ainsi -par écrit. Les deux côtés le
souhaitent. C'est ce qu'on souhaite, en effet. Le syndicat nous appuie dans nos
démarches pour dire: Oui, on devrait avoir la capacité
d'échanger par écrit en anglais seulement.
Là encore, je reviens sur une nuance. Ce n'est pas pour nier le
français, mais avoir un document en français entre deux groupes
anglophones pour traiter d'une question qui concerne les deux groupes est
inutile. Donc, c'est nous obliger à faire plus, ce qui n'est dans
l'intérêt de personne, sauf pour être conformes à une
disposition de la loi.
M. Fortier: Je vous remercie, M. Geci, d'autant plus que vous
nous avez apporté un éclairage sur les problèmes
pratico-pratiques que vous vivez. Je crois que c'est un rappel au
législateur qu'à chaque fois qu'on légifère dans
des domaines comme la langue la loi amène des situations qu'il est
difficile de réglementer dans tous les détails. En
espérant que les modifications à venir sauront répondre
à certaines des recommandations que vous avez faites, je vous remercie
beaucoup.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de Gatineau.
M. Gratton: Oui, M. le Président. Simplement pour vous
réitérer nos remerciements. On aurait beaucoup de choses à
discuter avec les gens du secteur anglophone de la CECM. Ce sera à
reprendre ou à continuer plus tard, une fois qu'on connaîtra le
contenu du projet de loi que le ministre entend déposer le 15
novembre.
Encore une fois, merci. Cela nous est fort utile.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.
M. Godin: Je joins ma voix à celle de mes collègues
des deux côtés de la Chambre pour vous remercier d'être
venus ici et pour vous réitérer qu'en ce qui nous concerne vous
avez touché "a cord", comme on dit en anglais, et que nous tenterons de
vous donner satisfaction, à tout le moins, sur un certain nombre de vos
demandes. Merci beaucoup.
Le Président (M. Gagnon): Merci. Oui?
M. Geci: M. le Président, j'aimerais dire en terminant
qu'on vous remercie. Je m'excuse si quelque chose n'était pas
compréhensible. À la CECM, comme d'habitude, on est à la
disposition du gouvernement, des deux côtés de la Chambre, pour
vous donner des explications. J'aimerais simplement terminer en disant que,
pour nous, à la CECM, l'importance de l'article 25 est primordiale et
qu'on espère avoir des éclaircissements dans les plus brefs
délais pour qu'on sache à quoi s'en tenir et qu'on puisse
planifier où on s'en va à partir du 1er janvier 1984. C'est dans
une cinquantaine de jours et on n'aimerait pas - comme tout le monde n'aimerait
pas - devoir s'ajuster et faires toutes sortes de changements à la
dernière minute. On apprécierait que le gouvernement prenne en
considération cette disposition pour rendre très claire
l'application de l'article 25 et surtout préciser comment cela touche le
secteur anglais de la CECM. Je vous remercie pour votre courtoisie et votre
attention. Merci bien.
M. Godin: Merci beaucoup.
Le Président (M. Gagnon): Merci à vous-même
et à vos collaborateurs, ainsi qu'à la Commission des
écoles catholiques de Montréal.
Je voudrais maintenant inviter le
Centre de services sociaux Ville-Marie à prendre place. M.
Walker?
Centre de services sociaux Ville-Marie
M. Walker (John R.): Oui.
Le Président (M. Gagnon): Je vous souhaite la bienvenue et
je vous demande de nous présenter les gens qui vous accompagnent, ainsi
que de nous faire la lecture de votre mémoire.
M. Walker: M. le Président, membres de la commission
parlementaire, je suis le
directeur général du Centre de services sociaux
Ville-Marie.
Le Président (M. Gagnon): Voulez-vous rapprocher votre
micro?
M. Walker: Bon. Encore une fois, merci. Avant de commencer, je
dois vous dire que j'ai demandé à la secrétaire de faire
circuler une précision concernant notre mémoire; ce n'est pas un
changement, c'est une précision.
Nous sommes très heureux de présenter ici aujourd'hui
notre point de vue sur la loi 101. Nous sommes ici en tant que centre de
services sociaux spécialisés mandaté par le gouvernement
du Québec selon le chapitre 48 ou loi S-5.
J'aimerais présenter les membres de notre conseil
d'administration. Immédiatement à ma droite, notre
présidente, Mme Frances Boylston, également représentante
des groupes socio-économiques; à mon extrême droite, Mme
Sylvia Schwartz, représentante du personnel clinique; à ma
gauche, Mme Deborah Hughes-Geoffrion, représentante des usagers à
notre conseil. Je cède la parole à Mme Boylston et, ensuite, nous
serons disponibles pour répondre à vos questions.
Le Président (M. Gagnon): Madame.
Mme Boylston (Frances): Mesdames, messieurs, M. le ministre, il
me fait plaisir de vous rencontrer aujourd'hui. Notre exposé se divise
en trois parties. D'abord, nous aborderons le caractère anglophone du
CSS Ville-Marie. Ensuite, nous parlerons du rôle de la langue dans un
centre de services sociaux. Enfin, nous proposerons des modifications à
la loi 101.
Le Centre de services sociaux Ville-Marie, fondé en 1973, est le
fruit de l'intégration de plusieurs organismes anglophones sans but
lucratif, par exemple, la Federation of Catholic Charities et les diverses
organisations formant la Red Feather. Ces organismes desservaient la population
anglophone depuis plusieurs générations.
Le chapitre 48 a permis l'intégration de ces organismes et la
naissance du Centre de services sociaux Ville-Marie. Le gouvernement du
Québec reconnaissait ainsi l'existence du caractère anglophone du
CSS Ville-Marie. Faisant état de la diversité socioculturelle du
Grand Montréal, trois centres de services sociaux y ont vu le jour: le
CSS du Montréal métropolitain, le CSS Ville-Marie et le CSS Juifs
à la famille, tandis que dans le reste du Québec un seul CSS fut
créé par région.
La reconnaissance officielle de ce fait est exprimée dans une
lettre que le ministre des Affaires sociales du temps, M. Denis Lazure, a
adressée au CSS Ville-Marie en 1980. Je cite: "La réalité
socioculturelle de chaque CSS doit être respectée."
Après avoir consulté différents groupes
communautaires, nous, les membres du conseil d'administration du CSS
Ville-Marie, avons réaffirmé l'énoncé de la mission
du centre. Faisant état de nos rapports avec la collectivité tout
entière et de notre engagement envers celle-ci qui se fondent sur nos
origines socioculturelles et sociohistoriques, voici quelques extraits de cette
mission que je vais citer en anglais:
The mission of Ville-Marie Social Service Centre is drawn from the
mandate given to it by the laws and regulations and the legislation for Health
and Social Services (Chapter 48) and Youth Protection (Chapter 20). The mandate
and the role of the Social Service Centre is also interpreted by the Ministry
of Social Affairs and the Regional Council for Health and Social Services in
region 6A, Montreal. In addition, the mandate is given to it from the founding
amalgamated agencies and foundations and from the community served and to be
served, based on its - the community's -needs.
As a major social agency for the English-speaking community and as an
integral partner in the total network of Health and Social Services in
Québec, Ville-Marie Social Service Centre must continue to reflect the
sociocultural and sociohistorical roots and expressions of its community. This
must be done without losing sight of the humanity and the basic human needs of
all our community's members in terms of their needs for self-sufficiency and
self-expression.
Ville-Marie Social Service Centre is committed to providing specialized
psychosocial services for the preservation of the family, whatever its
structures, as a basic social unit. Any measure which would jeopardize the
quality of services would have to be carefully scrutinized by all the members
of the organization and by the community.
Le ministère des Affaires sociales a tenté, à
maintes reprises, de rationaliser les services uniquement en fonction du
territoire. Le CSS Ville-Marie, par l'entremise de son conseil d'administration
et de son personnel, a reconnu la nécessité de la démarche
de rationalisation des services et a dû accepter le principe de la
territorialité.
Cependant, le conseil d'administration et le personnel ont sans cesse
réaffirmé l'engagement du CSS Ville-Marie vis-à-vis de la
communauté anglophone qui fait appel à ses services depuis la
création des services sociaux. Nous avons donc appuyé ce principe
à la condition que nous puissions continuer à desservir les
anglophones qui se situent à l'extérieur de la région 6A,
notre région, après la mise en vigueur de la
"territorialisation".
La mise en pratique de notre énoncé de
mission témoigne de la dispensation de services à plus de
33 000 bénéficiaires au cours de la dernière année
financière. Soulignons que quelque 52,3% de cette clientèle
provenait de l'extérieur de notre juridiction territoriale au sein de la
région 6A. En dépit de la politique de "territorialisation", le
ministère des Affaires sociales, les autres centres de services sociaux
et les clients eux-mêmes font souvent appel au CSS Ville-Marie pour la
dispensation de services sociaux aux anglophones résidant à
l'extérieur de notre région. Le CSS Ville-Marie reçoit ces
demandes et y répond étant donné la tradition qui veut que
le CSS desserve la population anglophone. (12 h 15)
La dimension anglophone du CSS Ville-Marie a des répercussions
non seulement d'ordre socioculturel, mais également d'ordre clinique.
À ce sujet, je vais demander à Mme Sylvia Schwartz, membre de
notre conseil d'administration, mais aussi travailleuse sociale, de vous
parler.
Mme Schwartz (Sylvia): Thank you. Language is the key tool in
providing social services and language consists of more than just words. It is
the nuances, subtleties and cultural understandings built around the language.
The relationship between the client and the worker must be a relationship of
trust, and that trust is dependent on communication. Our clients, who come to
us vulnerable and in distress, must feel that they can be understood and are at
home in their community. Thus, it is vital that we provide services to the
users in their own language.
In order to continue to respect the needs of these users and the
community from which they are drawn, it is vital that access to delivery and
quality of services in user terms not suffer because of accommodations made
necessary by the imposition of a language legislation. If the French Language
Charter is not modified, particularly with Article 25 coming into effect
December 1983, services in user terms will be seriously jeopardized. The
interests of the users must at all times prevail. We feel that the following
principles must be adhered to if our services are not to be seriously
jeopardized. 1. All clients should be able to receive service in their own
language, if it is English or French and, where possible, in another language.
2. I quote from law, Article 4, S-5, An Act respecting Health Services and
Social Services: "Every person has the right to receive adequate, continuous
and personal health services and social services from a scientific, human and
social standpoint, taking into account the organization and resources of the
establishments providing such services." 3. The requirements of linguistic
proficiency should be relevant to the delivery of service. They must not hamper
the quality or efficiency of such service. 4. As Ville-Marie is committed to
the provision of services to the anglophone community and is the anglophone
community's major agency, Ville-Marie has a responsibility to provide a work
place in which anglophones can be comfortable. This means, in part, giving
anglophone professionals the opportunity to interface with others in the
institutions that constitute the network that defines anglophone resources,
that is, those institutions which are currently been given a Section 113f
status in Bill 101. Thank you.
Mme Hughes-Geoffrion (Deborah): Dans le respect et la
reconnaissance des réalités de la collectivité francophone
et, en même temps, dans l'exécution du mandat que lui
confère la loi, le CSS Ville-Marie propose que certaines modifications
soient apportées à la loi 101.
Le paragraphe f de l'article 113 reconnaît le caractère
distinct de nos organismes. Toutefois, la mise en vigueur des articles 15
à 23, le 31 décembre 1983, jettera une ombre sur cette
distinction. Le moins que l'on puisse demander, c'est que les exemptions
actuellement prévues par la loi fassent désormais partie
intégrante de la loi.
À l'article 17, nous proposons l'amendement suivant: Les
organismes reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113 peuvent
communiquer entre eux en utilisant soit la langue officielle, soit l'anglais.
Les raisons motivant l'amendement sont les suivantes. Le CSS Ville-Marie n'agit
pas seul; il fait partie d'un ensemble d'organismes dispensant des services
sociaux, au sein desquels la clientèle se déplace. Pour qu'un
client soit assuré d'une continuité de services dans un
délai raisonnable et pour que l'utilisation des ressources soit des plus
efficaces, il faut reconnaître l'interrelation des organismes anglophones
au sein de ce réseau et pouvoir communiquer dans sa propre langue. Sans
cet amendement, ne serait-il pas absurde d'exiger que l'hôpital de
Montréal pour enfants ou l'école de service social de
l'Université McGill communique avec le CSS Ville-Marie uniquement en
français, malgré le fait que toutes les parties en cause soient
anglophones?
 l'article 18, nous proposons l'amendement suivant: Dans les
organismes reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113, les
communications internes peuvent se faire en anglais lorsque les personnes qui
communiquent entre elles sont anglophones. Les raisons motivant cette
proposition d'amendement sont que l'introduction de cet
amendement rendrait l'exemption accordée en vertu de l'article 26
permanente.
Article 20. L'amendement prévoit le remplacement du
deuxième paragraphe de l'article 20 par ce qui suit: Les organismes de
santé et de services sociaux reconnus en vertu du paragraphe f de
l'article 113 doivent assurer que les services sont disponibles dans la langue
officielle. Raisons motivant la proposition d'amendement. La
responsabilité d'assurer la disponibilité de ses services dans la
langue officielle appartient à l'organisme et non pas au praticien
lui-même. Seul le centre de services sociaux connaît les besoins de
ses clients et est en mesure d'évaluer les compétences de ses
praticiens; ainsi, il doit conserver le droit de déterminer les
exigences linguistiques des postes, tout en assurant la disponibilité de
ses services dans la langue officielle à la communauté.
Article 21. Nous proposons l'amendement suivant: Les organismes reconnus
en vertu du paragraphe f de l'article 113 peuvent rédiger des contrats
et les documents qui s'y rattachent en français ou en anglais selon la
volonté expresse des parties. Raisons motivant la proposition
d'amendement. Sans cet amendement, l'article 21 ne permet pas que soient
rédigées dans leur langue usuelle des ententes entre des
organismes reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113 ou entre un
centre de services sociaux et ses clients anglophones. Nombre d'ententes dont
le CSS Ville-Marie est partie, telles les ententes avec les familles d'accueil
ou celles prescrivant des mesures volontaires en vertu de la Loi sur la
protection de la jeunesse, sont conclues avec des personnes qui n'ont aucune
connaissance de la langue juridique française. Il est donc important que
ces ententes soient comprises par les deux parties.
Article 22. Nous proposons l'amendement suivant: Les organismes reconnus
en vertu du paragraphe f de l'article 113 peuvent utiliser le français
et l'anglais ou une autre langue dans l'affichage. Raisons motivant la
proposition d'amendement. Bien que nous rattachions le terme "santé
publique" aux services sociaux et aux services de santé communautaire,
nous estimons que cet amendement permettrait d'éviter toute confusion
possible.
En sa qualité de centre de services sociaux, la CSS Ville-Marie
traite avec différentes personnes: des personnes âgées, des
jeunes en difficulté, des malades, des parents adoptifs, des enfants et
des familles. Les besoins de ceux-ci doivent constituer la première
préoccupation du centre. En conséquence, nous ne pouvons
permettre a une loi sur la langue de mettre en péril la nature
essentielle de nos services qui sont un outil de communication entre la
clientèle et l'organisme.
La CSS Ville-Marie se considère comme un associé des
autres centres de services sociaux et du gouvernement. Cette association
suppose une réciprocité par le biais de laquelle chacune des
parties tente de prendre les mesures nécessaires en vue d'assurer le
bien-être des individus et de la collectivité. Le mémoire
que nous présentons est rédigé dans cet esprit et nous
espérons qu'il sera accueilli favorablement. Merci.
M. Walker: M. le Président, nous avons terminé la
présentation mais nous sommes disponibles pour répondre aux
questions.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.
M. Godin: M. Walker, Mmes Boylston, Schwartz et Hughes, bienvenue
à cette commission. Vous reprenez les mêmes arguments que les
hôpitaux anglophones qui sont venus la semaine dernière. J'ai eu
l'occasion de leur faire part de nos intentions là-dessus. Je retiens de
votre mémoire deux points avec lesquels je suis d'accord à 100%.
Je cite: "La langue joue un rôle clé dans la dispensation de
services sociaux. Cette langue n'est pas uniquement constituée de mots,
mais se compose également de nuances, de subtilités, ainsi que de
particularités culturelles que revêt le langage." J'ai dans mon
comté un centre de services sociaux portugais, un centre de promotion
des Portugais. Tous les témoignages concordent et coïncident,
à savoir que, lorsqu'un patient, pour quelque problème social que
ce soit, peut communiquer dans sa langue avec le médecin, le
professionnel ou la professionnelle, l'amélioration au plan de la
santé est immédiate. Cela a même été
vérifié dans le cas du joueur de hockey des Bruins de Boston,
Normand Léveillée, quand il est arrivé dans un
hôpital où il y avait des services et où on lui parlait
dans sa langue, son état s'est amélioré grandement. Cela
confirme tout a fait la perception que nous avions et que nous voulons incarner
concrètement.
À la page 5, j'endosse également totalement
"l'intérêt des bénéficiaires doit prévaloir
en tout temps". Cela rejoint ce que j'ai dit en Chambre il y a
déjà plusieurs mois.
Une seule question en ce qui me concerne, après avoir fait
l'éloge du sérieux de votre mémoire. À la page 10,
article 22, à l'amendement qui porte sur l'affichage, est-ce que
l'article 24 de la loi actuelle ne répond pas, justement, à votre
inquiétude, M. Walker? Il est ainsi rédigé et je le cite
pour la bonne compréhension de ceux qui suivent nos débats: "Les
services de santé et les services sociaux reconnus en vertu de 113f
-
c'est votre cas - peuvent afficher à la fois en français
et dans une autre langue avec prédominance du français".
M. Walker: Oui, M. Godin, mais, d'un autre côté,
nous désirons continuer d'afficher aussi en français...
M. Godin: D'accord.
M. Walker: ...mais nous allons sauvegarder le droit d'afficher en
anglais aussi.
M. Godin: Vous craignez que l'article 25 n'annule l'article 24,
si j'ai bien compris. (12 h 30)
M. Walker: C'est notre opinion, oui.
M. Godin: C'est votre crainte. Bon, c'est clair.
Maintenant, je tiens à souligner que l'Office de la langue
française a remis au CSS Ville-Marie un certificat de conformité
à la loi, le 24 octobre 1983. Donc, vous êtes déjà
parfaitement en règle en ce qui concerne le gouvernement du
Québec et la loi 101. Vous êtes le plus important organisme de
services sociaux reconnu en vertu de l'article 113f au Québec à
déternir un tel certificat et je tiens à vous en
féliciter. Parce que vous avez fait votre part, le gouvernement, de son
côté, fera la sienne pour que les relations excellentes qui
existent se maintiennent et que votre caractère soit absolument
préservé. Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre.
Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux, d'abord,
remercier les représentants du Centre de services sociaux Ville-Marie.
Je suis sûre que les bonnes paroles que le ministre des
Communautés culturelles vient de leur adresser les réjouissent
beaucoup et qu'ils voudraient en entendre de semblables du ministre des
Affaires sociales aussi, en d'autres circonstances.
En ce qui a trait aux demandes fondamentales de votre mémoire,
déjà le ministre, à l'occasion d'un autre mémoire,
a exprimé sa volonté sans ambiguïté, que le
caractère culturel des institutions anglophones soit
préservé. Je pense qu'il a même fait des ouvertures pour
que, dans le cas d'autres groupes culturels qui utilisent la langue d'origine,
des mesures soient prises pour permettre, particulièrement dans le
domaine de la santé et des services sociaux, que les gens soient servis
le plus possible dans leur langue.
À l'article 21, vous parlez des communications entre votre centre
de services sociaux et d'autres organismes anglophones du milieu.
Là-dessus, le ministre ne s'est pas prononcé ou ne s'est
guère avancé; il me semble que votre demande soit bien
fondée quant aux communications entre des institutions anglophones, tout
en assurant qu'il y ait une traduction, si elle est requise ou demandée,
dans le cas des institutions anglophones.
Dans le cas des familles d'accueil, c'est un nouvel aspect qu'on n'a pas
beaucoup touché ici. J'aimerais savoir si, dans l'esprit du ministre, on
considère les familles d'accueil comme des institutions ou comme des
individus. Il vous serait alors loisible de faire des contrats en anglais avec
elles. Je me demande pourquoi vous l'avez ajouté ici.
M. Walker: Parce que nous croyons que le CSS, en vertu de la loi
au point de vue administratif, est engagé par des contrats. C'est quasi
officiel, mais tous nos contrats types sont en français. Cela pose un
problème pour nos familles d'accueil parce que, la plupart du temps,
elles ne comprennent pas les termes juridiques employés en langue
française, car elles sont unilingues anglophones. On a donné cet
exemple parce que nous sommes conscients que, dans le cas du CSSVM, il est
possible que des contrats français soient conclus avec des familles
d'accueil anglophones. C'est en vue d'une meilleure compréhension de ce
qui se passe entre le CSS et la famille d'accueil que nous demandons que ce
soit fait en anglais.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais comprendre clairement. La loi vous
permet de conclure des contrats en anglais avec ces familles d'accueil.
M. Walker: Je ne le sais pas. Je pense que c'est permis, mais
j'ai des inquiétudes du côté de l'Office de la langue
française. L'année dernière, une plainte a
été faite sur un contrat de colonie de vacances. Une personne a
porté plainte et une enquête a été faite. Il peut
arriver qu'une plainte soit portée sur un contrat entre une famille
d'accueil et le CSSVM. C'est pour cela que j'aimerais savoir si c'est
légal ou non. Si c'est permis, je suis bien d'accord. J'aimerais dire
qu'on veut un contrat en anglais avec nos familles d'accueil.
Mme Lavoie-Roux: M. le ministre semble indiquer que les familles
d'accueil sont considérées comme des individus...
M. Godin: Voilà!
Mme Lavoie-Roux: ...et qu'à ce moment-là il est
loisible de faire un contrat en anglais avec elles.
M. Godin: Tout à fait.
Mme Lavoie-Roux: C'est cela.
M. Godin: De toute façon, Mme la députée,
nous le préciserons si c'est nécessaire. D'accord?
Mme Lavoie-Roux: Dans le cas des camps de vacances, je pense que
c'est un autre point. Comment sont-ils considérés? J'imagine que
c'est une corporation a ce moment-là.
M. Godin: C'est une personne morale.
Mme Lavoie-Roux: Les contrats devraient se faire en
français à ce moment-là.
M. Godin: C'est-à-dire que seule la version
française des contrats serait officielle, mais rien n'empêche
qu'il n'y ait une version anglaise qui permette aux gens de comprendre ce que
cela veut dire.
Mme Lavoie-Roux: Oui, d'accord.
M. Walker: II y a un autre aspect que j'aimerais mentionner ici
parce que nous ne sommes pas dans un vacuum, isolés à
Ville-Marie. Il devient très important de s'engager, dans un contrat
administratif, au niveau administratif, avec, par exemple, le centre Horizons
Jeunesse ou le Shawbridge Center. Ce sont deux parties anglophones; on veut
s'engager avec elles dans un contrat en anglais. C'est très important de
voir les services sociaux dans un continuum de services pour le client. Ce
n'est pas pour nous autres, mais pour le client. Je trouve malheureux que nos
contrats avec Shawbridge jusqu'à maintenant aient été
toujours rédigés en français. Cela pose des
problèmes pour les deux administrations et pour une meilleure
compréhension du service au client.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce un contrat type qui vient du
ministère des Affaires sociales ou votre contrat à vous
autres?
M. Walker: C'est un contrat type du ministère des Affaires
sociales. Tous nos contrats proviennent du ministère des Affaires
sociales.
Mme Lavoie-Roux: Même pour les familles d'accueil?
M. Walker: Même pour les familles d'accueil.
Mme Lavoie-Roux: D'accord. Plusieurs personnes sont venues ici
pour contester le rôle de la commission de surveillance. Dans votre
situation, est-ce que le fonctionnement de la commission de surveillance a
créé des problèmes? Est-ce que des plaintes ont
été portées contre le Centre de services sociaux
Ville-Marie comme ne se conformant pas à la loi?
M. Walker: Nous avons reçu notre certificat.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Walker: On prend soin de ce programme de francisation. Ce
n'est pas tout à fait "smooth". On a eu des problèmes durant les
trois ou quatre années. On reçoit des plaintes. Comme exemple, je
peux citer mon propre cas. Je suis le directeur général.
L'expérience requise pour cette position, c'est d'être bilingue.
Après cinq entrevues avec un comité de sélection, deux
membres représentant le gouvernement et le conseil régional, j'ai
reçu une lettre de l'Office de la langue française qui disait: M.
Walker ne se conforme pas à l'article 20 qui dit que, pour être
nommé, muté ou promu, il faut passer les tests de l'Office de la
langue française. Après six entrevues, dont trois
complètement en français avec un comité de
sélection, deux membres représentant le gouvernement, je trouve
un peu ridicule de passer le test en français. J'ai reçu une
deuxième lettre et, à ce moment-là, j'ai
décidé de passer le test et je l'ai réussi.
On avait souvent des plaintes comme cela avant. C'est très
gentil, très respectueux envers notre culture. C'était encore
problématique au cours des dernières années. Maintenant,
on a le certificat et j'espère que c'est le dernier appel à
l'Office de la langue française du CSS Ville-Marie.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous avez des points de service
ailleurs que sur sur la rue Sainte-Catherine?
M. Walker: Notre siège social, c'est sur la rue
Sainte-Catherine. Nous avons 57 points de service à Montréal.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que la règle de l'article 20,
quant à la mutation, etc., s'applique à votre centre quand vous
transférez quelqu'un d'un point de service à un autre,
c'est-à-dire la connaissance du français pour être
muté d'un poste à un autre? Est-ce que cela s'applique quand, par
exemple, un travailleur social attaché au General Hospital tout à
coup s'en va à l'Institut neurologique? Est-ce qu'à ce
moment-là il est soumis à l'article 20?
M. Walker: C'est une question que je veux poser au gouvernement,
parce que l'interprétation des mots "mutation" et "promotion" n'est pas
tout à fait claire. Par exemple, dans une succursale du West Island
une personne participant à un programme famille-enfance veut
être transférée à une succursale du centre-ville qui
a le même programme. Est-ce que c'est un transfert? Est-ce que c'est une
mutation? L'interprétation antérieure était assez vague et
dans les dispositions que nous appliquons chez nous, jusqu'à maintenant,
on fait le "testing" pour le changement. Mais je trouve que ce n'est pas utile.
C'est "absurd actually".
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, est-ce que le ministre
examine cette question de mutation dans un tel poste? Pour quelqu'un qui a X
années d'expérience - je prends l'exemple d'un hôpital -
à l'hôpital X et qui, tout à coup, se retrouve à
l'hôpital Y, qui est aussi un hôpital anglophone - on
transfère la personne, pour une demande ou des besoins plus grands, d'un
endroit à un autre - est-ce que le ministre croit sincèrement
qu'à ce moment-là la question des tests devrait s'appliquer? Il
ne s'agit pas de promotion. Il s'agit de mutation latérale.
M. Godin: Oui, mais je pense, Mme la députée, que
l'article 20 est clair dans son principe: "Pour être nommé,
muté ou promu à une fonction dans l'administration, il faut avoir
de la langue officielle une connaissance appropriée à cette
fonction." Si le législateur, en 1977, avait voulu que toutes les
promotions, mutations ou nominations entraînent la connaissance du
français, il n'aurait pas ajouté ces mots "une connaissance
appropriée à cette fonction". Je pense que c'est là que se
situe, que se loge, si vous voulez, la marge de manoeuvre de l'administration
du CS5 Ville-Marie ou de tout autre organisme en vertu de l'article 113f.
Mme Lavoie-Roux: II semble, quand même, qu'il reste
passablement de confusion. Ce que j'aimerais savoir, soit de M. Walker ou du
ministre, c'est ceci: Est-ce que c'est une interprétation "abusive" ou,
disons, plus sévère de cet article qui fait que les gens se
sentent paralysés dans ce processus de mutation, c'est-à-dire que
tout le monde, à ce moment-là, semblerait devoir être
soumis à un test? Selon votre interprétation, ce n'est pas
nécessaire. Si les institutions l'ont fait, est-ce parce qu'il y a eu
des représentations qui vous ont été faites ou des
plaintes qui ont été portées? Il semble vraiment y avoir
confusion.
M. Godin: On va laisser M. Walker donner son bout de
réponse et je donnerai mon bout de réponse ensuite.
M. Walker: D'accord. On a fait, chez nous, une
interprétation stricte là-dessus. L'exemple que j'ai
donné, du West Island au centre-ville, ce n'est pas une promotion, mais
une mutation, un transfert. Mais c'est un transfert interne au CSS, pour le
même programme. Notre personnel clinique et notre personnel
syndiqué ont dit: Vous êtes trop stricts là-dessus. J'ai le
goût de dire oui, mais une promotion et un transfert dans un autre
milieu, c'est-à-dire entre succurales, dans le milieu institutionnel ou
scolaire, c'est autre chose. Dans un transfert latéral, je trouve que le
"testing" n'est pas applicable et je suis heureux d'entendre que ce point est
laissé à l'administration. (12 h 45)
M. Godin: En fait, Mme la députée, il y a une
entente entre l'office et l'Institut conjoint hospitalier de Montréal,
dont vous faites partie, je crois.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Godin: Sur une période de six ans, il y a eu 288
personnes qui ont été soumises aux tests, ce qui est fort peu par
rapport au nombre de personnes qui ont été mutées, promues
ou nommées pendant sept ans dans l'ensemble du réseau anglophone
du Québec. Mais le principe - je tiens à le répéter
-c'est que la connaissance du français n'est requise que pour une
fonction où le français est requis par l'institut conjoint
lui-même. Ce sont les hôpitaux et les services sociaux qui
administrent leurs propres tests, qui administrent cette propre partie de la
loi ou des règlements...
Mme Lavoie-Roux: Oui, qui décident qui devrait être
soumis aux tests.
M. Godin: ...et qui décident. Il est possible - je dis
cela à la décharge de nos invités - que la présence
de l'article 25 ait créé l'impression que tous les postes,
à compter de la fin de l'année, devraient exiger une connaissance
universelle du français par tous les employés des organismes,
selon l'article 113f. Je vous ai dit l'autre jour que nous allons tenter
d'éclaircir cette question.
Mme Lavoie-Roux: D'accord. M. Godin: Merci.
Mme Lavoie-Roux: Une dernière question. Quel est le
pourcentage de la population francophone que vous devez desservir, parce que ce
sont des protestants?
M. Walker: Des protestants? Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Walker: La religion ne touche pas notre service. Le
pourcentage de francophones...
Mme Lavoie-Roux: Ils relèvent du CSSMM?
M. Walker: Non, la religion n'est pas applicable à notre
service. Nous desservons des gens de toutes les religions. D'accord?
Mme Lavoie-Roux: Oui, mais les francophones protestants vont
où?
M. Walker: Vous voulez savoir si les francophones protestants
vont chez nous? Non.
Mme Lavoie-Roux: Non.
M. Walker: J'aimerais expliquer une chose, Mme Lavoie-Roux. Par
exemple, le pourcentage de notre clientèle francophone est maintenant
entre 15% et 20%, mais nous ne savons pas sur quelle base. Dans notre
mémoire, il y a un mouvement par rapport au conseil régional du
ministère des Affaires sociales de mise en place d'un CSS par
territoire.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Walker: D'accord. C'est basé sur le principe de la
population dans un territoire.
Mme Lavoie-Roux: À ce moment-là, vous auriez
peut-être plus de francophones à desservir.
M. Walker: Oui, nous sommes d'accord avec le principe du
territoire, mais on veut sauvegarder notre service aux clientèles
anglophones à l'extérieur du territoire. Pour ce qui est des
clientèles francophones à l'intérieur de notre territoire,
on dit: Notre capacité en français est limitée et on
trouve la langue très importante. La meilleure façon de pouvoir
desservir les francophones de notre territoire, c'est de garantir un contrat de
services avec le CSSMM pour l'aspect clinique.
Mme Lavoie-Roux: D'accord.
M. Walker: On va continuer d'administrer l'argent, mais on va
s'engager par contrat avec le CSSMM afin d'avoir un meilleur service en
français pour les francophones de notre territoire. C'est pour cette
raison qu'on parle des contraintes socioculturelles. Dans notre mémoire,
on dit: La langue, ce n'est pas seulement des mots, mais des nuances, la
compréhension des cultures, etc. Du point de vue administratif, dans
notre territoire, nous avons l'argent. Avec cet argent, on trouve que c'est
mieux de s'engager par contrat avec des professionnels du CSSMM pour
desservir...
Mme Lavoie-Roux: La population fran- cophone.
M. Walker: ...les clientèles du territoire et l'inverse
pour les anglophones à l'extérieur du territoire.
Mme Lavoie-Roux: D'accord. Je vous remercie. Nous prenons note
chaque jour des bonnes intentions du ministre. On verra au dépôt
des amendements. Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de Gatineau.
M. Gratton: Very simply to say thank you very much for your
appearance this morning. As the Member from L'Acadie has pointed out, we will
be watching the minister very carefully in your absence as starting November
15th.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député. M. le ministre.
M. Godin: "They will buy a microscope." Merci beaucoup, encore
une fois, M. Walker et mesdames, de votre mémoire. Merci beaucoup.
Le Président (M. Gagnon): Merci, mesdames et monsieur, du
Centre de services sociaux Ville-Marie.
J'inviterais maintenant l'Association québécoise des
professeurs de français à prendre place.
Si la commission est d'accord, nous pourrions suspendre nos travaux
immédiatement et recommencer à 14 h 30 au lieu de 15 heures.
Est-ce la suggestion qui est faite?
M. Gratton: Si cela convient à tout le monde, oui.
M. Godin: Est-ce que nos invités sont d'accord?
Le Président (M. Gagnon): Vous êtes d'accord?
Une voix: Nous avons subi les effets des coupures de salaires;
nous préférerions ne pas être coupés dans notre
mémoire.
Une voix: Le message est passé.
Le Président (M. Gagnon): La commission permanente des
communautés culturelles et de l'immigration suspend ses travaux
jusqu'à 14 h 30.
(Suspension de la séance à 12 h 51)
(Reprise de la séance à 14 h 38)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission élue permanente des communautés
culturelles et de
l'immigration poursuit ses travaux aux fins d'entendre tous les
intervenants intéressés par la Charte de la langue
française.
Lors de la suspension de nos travaux, nous étions à
inviter l'Association québécoise des professeurs de
français à prendre place. Vous n'entendez pas bien? Est-ce mieux
ainsi? Ce que je disais, c'est que lors de la suspension de nos travaux pour le
dîner, nous étions à inviter l'Association
québécoise des professeurs de français à prendre
place. En vous souhaitant la bienvenue à cette commission, Mme Belleau,
j'aimerais que vous nous présentiez les gens qui vous accompagnent avant
de nous faire la lecture de votre mémoire.
AQPF
Mme Belleau (Irène): Oui, bien sûr, avec plaisir.
À ma droite, M. Gilles Dorion, professeur à l'Université
Laval, rédacteur en chef de la revue Dialogue et culture - pour ceux et
celles qui ne l'ont jamais vue, je me permets de la montrer - de la
Fédération internationale des professeurs de français et
ancien président de l'Association québécoise des
professeurs de français - c'est mon épaule de droite; à ma
gauche, André Gaulin, professeur à l'Université Laval,
porte-parole des questions linguistiques à l'AQPF et ancien
président aussi de l'Association québécoise des
professeurs de français - je l'appelle mon épaule de gauche;
Denise Picard, vice-présidente à l'Association
québécoise des professeurs de français et moi-même,
Irène Belleau, présidente.
Vous avez trouvé sur votre table de travail une enveloppe dans
laquelle je me suis permis d'ajouter quelques notes complémentaires sur
l'Association québécoise des professeurs de français. Je
voudrais aussi vous dire, avant de vous faire entendre le mémoire, que
l'Association québécoise des professeurs de français
rassemble les professeurs de français de tous les niveaux
d'enseignement: primaire, secondaire, collégial, universitaire et ce,
autant pour l'enseignement du français, langue maternelle que pour
l'enseignement du français, langue seconde, étrangère ou
tierce, comme certains l'appellent.
L'Association s'est toujours profondément et consciencieusement
préoccupée des deux volets de la question linguistique du
Québec. Le premier volet, la question pédagogique, la question
didactique: langue, littérature, l'oral, l'écrit, la grammaire,
l'orthographe, les programmes, le matériel didactique, le
perfectionnement des maîtres, etc. Deuxièmement, la question
politico-socio-linguistique. Elle s'est intéressée aux lois qui
ont déjà concerné la question linguistique: la loi 85, la
loi 63, la loi 22, la loi 28 sur la restructuration scolaire de
Montréal, et la loi 101. Elle travaille toujours à essayer de
trouver quelle est la véritable place et quel est le véritable
rôle de l'enseignement du français au Québec et même
ailleurs.
L'Association québécoise des professeurs de
français s'est toujours aussi profondément et consciencieusement
impliquée dans ces deux volets et au-delà des frontières
québécoises. Comme une langue nationale, ou seconde, ou tierce,
ou étrangère, est intimement liée à une
civilisation, à une histoire, à une culture, l'Association
québécoise des professeurs de français considère
que la place et le rôle d'une langue sont essentiellement liés aux
relations que cette langue entretient avec les autres langues et avec les
peuples qui les parlent: l'espagnol, le russe, l'italien, l'espéranto,
le portugais, etc.
L'acte éducatif, l'acte d'apprentissage d'une langue, comporte,
à n'en pas douter, une dimension culturelle et une dimension
interculturelle. Avec ses moyens, l'AQPF a contribué, depuis
déjà quelques années, à travailler au Québec
et dans la francophonie pour le rayonnement international de l'enseignement du
français. Nous sommes membres de la Fédération
internationale des professeurs de français. Je dirais que nous y sommes
très actifs. Le président du bureau de la FIPF est un
Québécois, M. Émile Bessette. Nous avons des
représentants aux commissions interrégionales de la
fédération internationale et nous préparons, à
l'heure actuelle, le sixième congrès mondial des professeurs de
français qui se tiendra au Québec en juillet 1984.
Nous sommes toujours profondément partisans d'un enseignement du
français moderne et de qualité, dans les écoles
francophones, dans les COFI, dans les classes d'accueil, partout. Avec ses
moyens, l'AQPF travaille au rayonnement international du français. Elle
a développé et développe de plus en plus chez ses membres
le sens de l'universalisation du dialogue des cultures. Et elle réalise,
par le fait même, que sa force repose en bonne partie sur l'avenir de la
langue française au Québec. Cette conviction lui a fait
écrire le mémoire que nous vous livrons aujourd'hui.
On a dit dernièrement que la conscience linguistique des jeunes
Québécois pouvait être dépeinte de la façon
suivante. Au Québec, actuellement, même si sept jeunes sur dix
demeurent optimistes face à la situation du français, il y a 10%
à 32% des jeunes du collégial qui croient que la cause du
français est perdue d'avance, que le français est en perte de
vitesse, qu'il est important pour un francophone d'apprendre l'anglais plus que
de perfectionner son français, que les francophones n'accordent pas plus
d'importance à l'anglais qu'avant, que la situation du français
au Québec ne s'est pas tellement améliorée, que les
anglophones n'utilisent pas plus le français au Québec
qu'avant la loi 101 et que les immigrants vont apprendre davantage l'anglais
que le français. C'est une simple préparation, M. le
Président.
Le Président (M. Gagnon): Ah bon! Nous n'avons pas...
Mme Belleau: Dans quelques minutes nous allons lire le
mémoire. (14 h 45)
Le Président (M. Gagnon): Est-ce que vous avez des copies
de votre texte?
Mme Belleau: C'est une simple préparation au
mémoire.
Le Président (M. Gagnon): Au mémoire.
Mme Belleau: Je n'ai pas le texte pour le remettre. J'aurais
peut-être dû vous prévenir: dans un instant, M. Gaulin vous
lira le texte même du mémoire.
Le Président (M. Gagnon): Cela va.
Mme Belleau: Dans un même moment, nous constatons que la
qualité du français écrit et oral chez les jeunes est de
moins en moins rigoureuse.
Nous avons donc résolu de vous présenter ce mémoire
aujourd'hui en pensant que la situation linguistique du Québec avait
besoin de notre présence ici. La semaine dernière nous avons tenu
un congrès à Montréal où nous avons
réaffirmé notre appui et notre attachement à la Charte de
la langue française. Nous demandons toujours au gouvernement de ne pas
toucher à la loi 101 sinon pour la renforcer dans le sens du
mémoire que M. Gaulin vous livrera maintenant.
M. Gaulin.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. Gaulin.
M. Gaulin (André): Nous avons passé un "errata"
pour les quelques fautes et coquilles qui se sont glissées dans notre
texte, qui sont là peut-être pour rappeler que, comme le disait
Vigneault, notre langue n'est pas châtiée mais punie. Le texte du
mémoire s'appuie sur quelqu'un qui a été au Québec
une sorte d'Albert Memmi de la condition québécoise, savoir
Gaston Miron, prix David de cette année d'ailleurs, que nous citons dans
le mémoire et dont je rappelle la citation tirée des Notes sur le
non-poème et le poème: "Je sais que le non-poème a
détruit en moi jusqu'à la racine, l'instinct même du mot
français." Et le texte se poursuit.
Voici la lecture du mémoire: L'Association
québécoise des professeurs de français est connue au
Québec pour ses positions claires et modérées en faveur
d'un territoire de langue française, peu importe le statut
fédéré ou indépendant de son gouvernement. Au
risque de nous répéter, nous revenons devant cette commission
parlementaire pour témoigner encore de notre volonté de continuer
de construire dans le Canada ou hors de lui un État français au
Québec.
Nous ne croyons pas faire erreur en affirmant que si nous sommes
à nouveau ici aujourd'hui, c'est à cause du Canada Bill, nouvelle
constitution du Canada, à laquelle nous appartenons par force juridique.
Cette constitution - on l'a dit - a rogné sur les pouvoirs
dévolus aux provinces par la constitution de 1867, elle-même
compromis historique fait il y a plus de 100 ans entre deux peuples. Point
n'est besoin d'être analyste politique pour affirmer que la nouvelle
constitution canadienne a dorénavant orienté le pays
appelé Canada vers un gouvernement unitaire et, dans l'usage quotidien,
unilingue anglais, le bilinguisme restant un service individuel propre à
maintenir tout au plus une ethnie française et un usage folklorique de
la langue de Molière et de Miron.
Nous pourrions donc affirmer, pour la forme, être surpris de voir
le gouvernement actuel nous inviter en quelque sorte a rouvrir, pour examen, la
Charte de la langue française, charte pour laquelle existe chez les
Québécois un consensus indéniable, y compris chez les
libéraux. Nous n'ignorons pas pourtant que, s'il en est ainsi, nous le
devons à un changement juridique du rapport de forces. Il n'est pas
insignifiant de rappeler que celui qui, avec une troupe étonnamment
docile, a présidé à l'infléchissement des forces du
"oui" au référendum de mai 1980 a également
participé à la vassalisation du Québec dans la nouvelle
constitution canadienne. En effet, Pierre-Elliot Trudeau a alors renié
intellectuellement l'esprit même de la langue française en ayant
perverti son code de linguistique. Jouant sur l'ambiguïté de la
réalité politique canadienne-française et
québécoise, utilisant les atouts de son prestige et de son
ascendant, mettant à l'appui de son argumentation une publicité
à grands frais qui échappait aux deux comités-parapluies,
M. Trudeau, sans qu'il lui soit demandé des engagements publics et
précis, se permettait d'affirmer à Montréal qu'un "non"
à la question référendaire voulait signifier un "oui" au
renouvellement de la constitution.
Les gens naïfs ayant des responsabilités politiques en ont
été quittes pour constater que non veut dire non, amers,
dupés et déçus.
On pourra donc évidemment s'autoriser d'une autre
exégèse des événements pour affirmer que le
gouvernement du Parti
québécois a laissé tomber son droit de veto et a
amoindri les forces politiques du Québec. Il nous apparaît
plutôt que le Québec a perdu des atouts dans un combat politique
à cause de tous ceux qui n'ont pas obéi à l'instinct
linguistique français lui-même: oui voulant dire oui et non
voulant dire non. Dès lors, le Québec sortait perdant. Pendant
que le Canada anglais refusait de se révolter contre lui-même,
Ottawa et les capitales anglaises ayant les mêmes arcanes, la même
convergence et fondamentalement les mêmes intérêts, le
Québec se trouvait déstabilisé. Alors que le "Canada Bill"
resserrait la gouverne d'un pays de même langue et culture anglaises, le
Québec se retrouvait presque dans un état aussi précaire
que celui qui prévalait au début du gouvernement de l'Union en
1840.
Comment expliquer autrement que nous nous retrouvions ici, aujourd'hui,
en train de rouvrir une opération politique qui, avec le zonage
agricole, appartient à deux des acquis les plus fondamentaux de toute la
révolution tranquille? Comment expliquer autrement que l'actuel
gouvernement semble vouloir se remettre au pilori alors que la Charte de la
langue française rallie autant les libéraux (loi 22) que les
ministériels? Comment expliquer encore que cette réouverture
n'ait pas pour appui des données d'enquêtes scientifiques nous
confirmant que le Québec français n'est plus menacé par
l'assimilation, que le français comme langue de travail a acquis ses
lettres de créance et que les études sur le dernier recensement
canadien de 1981 manifestent à peine un certain redressement des effets
néfastes visés par les lois 22 et 101?
Rien, sinon par une perte du pouvoir francophone qui n'était
pourtant ni intolérant ni vindicatif. Mais une certaine presse
anglophone a fait son chemin, depuis les accusations outrancières de
ceux qui ont comparé ce gouvernement à celui d'Hitler, le Dr
Laurin au Dr Goebbels, jusqu'aux insinuations mêmes d'une certaine presse
francophone froussarde retrouvant l'insécurité issue d'un vieux
colonialisme. Bien sûr, nous dira-t-on chez les adversaires
feutrés de la charte, on ne veut surtout pas remettre en cause la
légitimité d'un Québec français. On voudrait tout
au plus un bilinguisme mitigé même si à Montréal on
refuse dans plusieurs milieux de vous servir dorénavant en
français. On veut tout au plus retourner à la clause Canada pour
des raisons de concordance avec le "Canada Bill", n'ignorant pas que la clause
Canada constitue le premier pas du Québec vers un district bilingue.
Serait-ce donc là le statut particulier du Québec?
On comprendra donc par notre intervention, M. le Président, que
l'Association québécoise des professeurs de français
s'oppose à toute atteinte de ce qui reste de la loi 101, la Cour
suprême du Canada ayant déjà rogné dessus et le
"Canada Bill" étant pour elle une menace profonde. Si nous intervenons
aujourd'hui en public devant les instances de l'État
québécois, c'est pour réaffirmer notre attachement profond
à la Charte de la langue française toujours garante de la paix
sociale sur ce territoire. On voudra bien nous faire passer pour
extrémistes dans certains milieux. Nous serons alors ces drôles
d'extrémistes du statu quo.
Laissons la charte faire ses preuves. Appliquons-la tout simplement.
L'article 84, par exemple: "Aucun certificat de fin d'études secondaires
ne peut être livré à l'élève qui n'a du
français parlé et écrit la connaissance exigée par
les programmes du ministère de l'Éducation."
Affirmons donc sans complexe qu'ici et maintenant personne n'est
lésé, surtout pas la communauté anglophone qui jouit d'un
statut privilégié comme minorité sur notre territoire. Le
sort qui est actuellement imparti au Québec dans le "Canada Bill" est
trop injuste historiquement pour que nous soyons bourreaux de nous-mêmes.
Nous refusons comme Association québécoise des professeurs de
français que l'on nous intègre de force dans un pays qui,
à ce titre, n'a pas droit à notre respect.
Nous considérons comme illégitime la constitution actuelle
du Canada parce que le Québec français s'y trouve essentiellement
menacé. Aussi profitons-nous de notre passage devant cette commission
parlementaire de l'Assemblée nationale pour demander aux
représentants de notre peuple, de quelque allégeance de parti
qu'ils soient, de ne pas céder au chantage, aussi subtil soit-il. Quant
à nous, à un Québec français, à sa culture,
à son histoire et à son peuple, nous redisons toujours: Oui.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.
M. Godin: M. Gaulin, Mme Belleau, ceux qui vous accompagnent,
bonjour. Nous voulons vous remercier de nous avoir fait part de votre opinion
parce que vous êtes en première ligne pour assurer la place du
français dans l'avenir du Québec. Sans vous, en effet, les jeunes
Québécoises et les jeunes Québécois seraient mal
équipés pour s'insérer dans ce Québec que nous
voulons de plus en plus français. Mes questions seront brèves.
J'aimerais avoir vos opinions, en tant que professeurs de français, sur,
selon vous, les raisons qui font que les jeunes qui sortent de nos
écoles... J'en parle en connaissance de cause pour avoir
été chargé de cours dans une université de
Montréal pendant 18 mois, j'ai fait l'expérience de donner une
dictée, comme on le faisait à l'époque, auprès de
mes étudiants qui avaient entre 18 et 22
ans. J'ai découvert à ma grande surprise que la
qualité du français était d'une pauvreté sans nom.
J'aimerais avoir votre analyse, vous qui êtes sur le terrain, qui
êtes au coeur de la question. Comment expliquez-vous que les jeunes qui
sortent de nos écoles connaissent si peu leur langue maternelle, si peu
la manière de l'écrire?
Mme Belleau: Je voudrais d'abord vous dire merci de votre
témoignage. Bien sûr, nous sommes sur la ligne de front, j'allais
dire en tout premier lieu responsables de l'enseignement du français au
Québec. Nous portons cette lourde tâche. Comme vous l'avez
remarqué vous-même, les jeunes ne sont pas toujours
profondément conscients de la qualité que devrait revêtir
leur propre langue parlée et écrite. Qui en est responsable?
Quelles sont les raisons qui expliqueraient cette situation? Je crois qu'au
premier chef, c'est cette conscience des jeunes qu'il faudrait
développer sur l'importance de la langue pour eux, maintenant et pour
leur avenir. Cela m'apparaît essentiel. Si la langue n'a pas pour eux une
valeur plus que personnelle, si la langue ne revêt pas pour eux une
importance plus grande que personnelle, je doute qu'ils soient
véritablement convaincus de la nécessité de
maîtriser parfaitement leur propre langue. Je dirais que c'est la
première des raisons, c'est la plus importante. Il ne faut pas
travailler dans le vide, il faut que notre enseignement soit assis sur quelque
chose de solide. Cette reconnaissance de l'importance de la langue pour eux, il
est bien évident que ce n'est pas uniquement l'école qui doit la
donner, c'est toute la société, mais c'est aussi le
gouvernement.
Sur le terrain plus pratico-pratique de l'enseignement de tous les
jours, je dirais que comme deuxième raison, c'est l'importance du
perfectionnement des maîtres. Nous avons fait un bon bout de chemin
depuis quelques années, grâce au programme de perfectionnement des
maîtres. Par le phénomène des PPMF dans les
universités, on a véritablement donné un bon coup de
pouce. On a donné un deuxième coup de pouce d'importance aussi,
d'après moi - bien qu'on n'en voie pas maintenant tout à fait les
effets - par l'élaboration, la conception et l'implantation progressive
qui est en train de se faire des nouveaux programmes au primaire, au secondaire
et bientôt aussi au niveau collégial. Je crois que ces nouveaux
programmes implantés au niveau primaire et au niveau secondaire sont
aussi de grande importance pour améliorer autant l'enseignement que
cette conscience de la langue dont je parlais tout à l'heure et qu'on
devrait retrouver chez chacun des jeunes Québécois. (15
heures)
Or, cette importance de la langue, cette importance du perfectionnement
des maîtres, cette importance des nouveaux programmes, cette importance
du matériel didactique à mettre entre les mains des enseignants
et des élèves, il me semble que ce sont des raisons majeures qui
doivent être considérées profondément, j'allais dire
par le ministère de l'Éducation, mais je dirais aussi par le
ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration,
puisque l'enseignement du français ne se fait pas qu'aux parlants
français, il se fait aussi dans les classes d'accueil pour les
immigrants, dans les COFI. Pour nous, à l'AQPF, depuis quelques
années, c'est devenu de plus en plus important, je dirais que c'est
devenu de plus en plus important depuis que la loi 101 a
décrété que les classes d'accueil pour les immigrants
devaient être dans les écoles francophones. Nous ne sommes
peut-être pas encore suffisamment équipés de moyens
véritablement pédagogiques pour cet enseignement, mais je pense
que d'ici à quelques années, nous allons nous équiper un
peu mieux. Je sais qu'il y a un programme de français qui est en train
de s'élaborer au ministère de l'Éducation,
particulièrement au Service aux communautés culturelles, donc
pour l'enseignement du français langue seconde chez les immigrants, dans
les classes d'accueil et dans les classes de francisation. Il nous est apparu
que le premier projet de programme n'était pas suffisamment valable nous
l'avons rejeté d'ailleurs - et nous attendons la deuxième
version.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question,
peut-être que mes collègues veulent aussi ajouter autre chose.
M. Gaulin: M. le ministre, je voudrais rappeler ici les propos de
Jean-Paul Desbiens dans les Insolences du Frère Untel, quand il disait:
"C'est à quatre heures que nous, les enseignants, nous commençons
d'avoir tort." Et je pense que le sort qui est infléchi aux professeurs
de français est toujours le même. J'étais à
Montréal en fin de semaine - il faut que toute une civilisation nous
supporte, sans cela nos efforts sont dérisoires et inutiles, c'est de
l'argent jeté par les fenêtres. Quand on se promène sur la
rue Sainte-Catherine et qu'on ne voit que l'apparence du français, se
trouvant en quelque sorte un peu rassuré parce que l'apparence est
française, nous pouvons nous poser des questions plus profondes. Que
veut dire, par exemple, sur une annonce d'un club de nuit "danseuses
continuelles"? On est porté à envier ces femmes qui sont des
danseuses continuelles. Ce n'est pas du français. Nous avons "danseuses"
qui est un mot français. Nous avons "continuelles" qui est un mot
français. Mais en Belgique, on dirait "danseuses non stop" - ce n'est
pas beaucoup mieux, remarquez - de sorte qu'au
fond, on a une apparence de francisation. Ceux qui n'ont pas
attaché d'importance, par exemple, à la symbolique profonde de
l'affichage français à Montréal, en particulier... Et
là-dessus, le rapport Parent rappelait très bien, en 1964, que
c'est là que se jouait notre sort linguistique et notre poids comme
peuple et comme territoire; si on ne francise pas Montréal, nos gestes
seront toujours des gestes dérisoires.
En deuxième lieu, je pense que la crise de l'enseignement, si on
voulait parler ainsi, si on voulait dramatiser à la manière dont
Lysiane Gagnon l'avait fait à l'époque dans les journaux, cette
crise se pose dans tous les pays du monde. Nous participons, comme l'a dit la
présidente, Mme Belleau, à la Fédération
internationale des professeurs de français. Nous avons vu là des
gens de tous les pays. Nous sommes en réunion chaque année
à Sèvres et nous pouvons remarquer, par exemple, que les Anglais
de Londres se posent la question suivante: Pourquoi les jeunes Londoniens et
les jeunes Anglais d'Angleterre ne savent-ils plus écrire leur langue?
Donc, il y a là aussi, en plus du problème politique qui nous est
propre - le glissement diglossique, etc. - un problème de civilation,
une civilisation tournée vers l'oral, une civilisation tournée
vers la consommation, une civilisation de l'homme mise en morceaux,
parcellaire, de l'homme flash, de sorte qu'il n'y a pas de continuité de
civilisation. Ceci appartient aussi en propre au problème linguistique
qui est le nôtre, en plus, évidemment, des problèmes
pédagogiques propres qu'a soulignés la présidente ou des
problèmes sociopolitiques propres au Québec.
M. Godin: Merci, madame. Merci, M. Gaulin.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. Mme la
députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je voudrais
remercier les membres de l'Association québécoise des professeurs
de français pour leur mémoire. Je comprends que votre mission
quotidienne est d'enseigner le français. Concurremment, votre souci
évident de la qualité du français est fort naturel. C'est
ainsi que j'essaie de m'expliquer certaines affirmations de votre
mémoire puisque - et c'est légitime - vous exercez avec vigilance
la protection du français. Mais je ne puis m'empêcher de trouver
que, dans ce désir que vous avez d'assurer la qualité du
français et de le protéger, vous faites montre, à mon
point de vue, d'un certain pessimisme. Par exemple, vous dites qu'on se
prépare à remettre, ou qu'on remet, au pilori la Charte de la
langue française par l'exercice que nous faisons en commission
parlementaire, depuis deux ou trois semaines, de réviser non pas les
principes fondamentaux de la Charte de la langue française - je pense
que personne ne les a remis en question autour de cette table mais vraiment
d'essayer, après une application de cinq ans, de corriger ce qui
pourrait apparaître comme... quelques-uns ont utilisé le mot
"irritants". D'autres ont parlé de certains "abus" ou de certaines
conséquences qui pourraient sembler abusives dans l'application de la
Charte de la langue française. J'aimerais simplement vous poser une
question. On a parlé beaucoup autour de cette table de certaines
exigences qui, à partir du 1er janvier 1984, seraient
imposées aux institutions anglophones. Je pense particulièrement
à leurs institutions d'enseignement, de services sociaux et de services
de santé. Comment certaines modifications apportées aux
dispositions de la loi, eu égard à ces institutions,
pourraient-elles mettre en péril à un tel point la situation du
français au Québec, ou mettre au pilori la charte du
français? Je vais vous donner un exemple concret. Dans une institution
anglophone où tout le monde parle anglais - je pense surtout que la
survie des institutions anglophones a été reconnue par le
gouvernement actuel et par l'ensemble de la population - le fait que les gens
d'une même langue puissent communiquer entre eux par écrit en
français, je ne vois pas dans quelle mesure reposer ce type de question
à ce moment-ci et dire: Peut-être qu'à l'application, ceci
crée finalement des difficultés ou des irritants qui ne sont pas
justifiés, je ne vois pas, dis-je, comment le fait d'essayer de corriger
des choses, qui à l'usage apparaissent non nécessaires, viendrait
compromettre en quelque sorte le fait français au Québec ou la
survie du français au Québec. Il y a d'autres exemples, mais je
prends celui-ci en particulier.
Mme Belleau: Remarquez que je vous dirai d'abord que si nous
avons utilisé cette expression peut-être un peu forte "mettre au
pilori", c'est parce que lorsque nous avons entendu le ministre des
Communautés culturelles et de l'Immigration déclarer qu'il
voulait rouvrir la loi 101, je vous avoue que nous avons eu peur. C'est ce
sentiment, je crois, qui se reflète vraiment dans cette expression et
dans notre mémoire. Je vous avoue que nous avons véritablement
ressenti une peur, une crainte, de voir rouvrir la loi 101. Bien sûr,
peut-être qu'à ce moment-là on a dit qu'on ne remettrait
pas en question les principes fondamentaux de la Charte de la langue
française. Mais, à partir du moment où on décide de
rouvrir la loi 101, on l'ouvre pour qui, on l'ouvre pourquoi? Et on la referme
où? Où va s'arrêter cette ouverture? C'est cette crainte,
c'est cette peur que nous avons eue de voir peut-être
réaménager la loi 101 dans ses fondements.
Bien sûr qu'il y a peut-être une réglementation
à réviser, a des concordances, comme on dit, à essayer
d'améliorer, de perfectionner.
Tout objet étant susceptible de perfection, on n'a rien contre
cela. Mais nous voulions vous faire part véritablement de notre
inquiétude, de notre crainte, non pas de voir mettre en péril
cette loi 101, mais en tout cas de voir qu'on lui permette de devenir un objet
plus intéressant pour la communauté anglophone. Mais on ne
parlait pas de la communauté francophone québécoise. Dans
quelle mesure cette volonté de rouvrir la loi 101 ne convenait ou
n'était orientée que dans le sens de diminuer les irritations de
la communauté anglophone? C'est à ce point de vue qu'on a eu
peur. Remarquez que, comme je vous le répète, l'expression est
peut-être un peu forte mais nous ne voudrions pas que la loi 101, dans
ses principes, dans sa base, dans ses fondements essentiels soit
changée. C'est cela que nous voulons.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, dois-je comprendre que
fort probablement vous avez dû suivre non pas assidûment, mais de
temps à autre, les débats qui se sont tenus autour de cette table
depuis deux ou trois semaines? Est-ce qu'à ce moment, les craintes que
vous entreteniez dont vous vouliez faire part à la commission sont
diminuées?
Mme Belleau: Je vous avoue qu'au tout début de cette
séance d'audience, nous partagions la même crainte qu'au tout
début quand nous avons écrit notre mémoire et quand nous
avons décidé d'intervenir en commission parlementaire.
Les choses se sont peut-être relativisées un peu depuis une
semaine. On ne veut pas perdre la confiance qu'on a, une certaine
sécurité qu'on a encore par l'assurance que le gouvernement au
pouvoir va garder la loi 101 dans son essence. S'il ne s'agit que de faire des
changements à la réglementation, notre crainte disparaîtra
mais je vous avoue que pour le moment, elle n'est pas complètement
disparue, non. Je n'empêche pas les gens de s'exprimer en anglais, mais
il y a sans doute des lois qui leur permettent de le faire. Il reste que dans
des institutions, dans des moments très importants où la vie
québécoise se manifeste, la vie parlementaire, la vie des
commissions, je considère que nous sommes très tolérants,
que nous laissons pleine liberté de parole aux anglophones. Bien
sûr, qu'il ne faut pas leur enlever. Ils ont leurs institutions, on veut
les conserver, etc. Mais que fera la commission parlementaire? Que fera le
ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration
après la commission parlementaire? J'oserais dire que je vais
réserver un jugement à l'heure actuelle. Je crains toujours un
peu.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, une dernière
question. Je suis un peu étonnée que même ce matin, si je
vous ai bien compris -je ne voudrais surtout pas déformer ce que vous
venez de dire - vous sentiez une certaine gêne ou un certain scandale au
fait que des gens d'expression anglaise puissent venir ici et s'exprimer dans
l'une ou l'autre des langues puisque la langue anglaise est leur langue.
À la page 4 de votre mémoire, vous dites: ..."le Canada Bill -
cela m'étonne que vous ne soyez pas capables de le traduire alors que
cela existe en français pour des professeurs de langue française
-n'ignorant pas que la clause Canada constitue le premier pas du Québec
vers un district bilingue." (15 h 15)
J'aimerais que vous étayiez ceci. Il est vrai que dans la Loi
constitutionnelle de 1980 il y a une clause Canada, mais qui comprend plusieurs
volets, dont deux relevant de la décision de l'Assemblée
nationale de les voir s'appliquer - il faudrait que ce soit sanctionné
par l'Assemblée nationale - et l'autre disant que les enfants des
parents qui ont fait leurs études primaires et secondaires en langue
anglaise pourraient, en venant au Québec, aller à l'école
anglaise. Les statistiques qui nous ont été fournies indiquent
qu'il n'y a pas là de menace, par exemple, à un renversement du
mouvement qui se fait sentir maintenant dans la diminution du secteur
anglophone. Il n'y aurait pas de renversement pour qu'on retourne à une
situation équivalant à celle de 1976. Je voudrais que vous
m'expliquiez comment vous pouvez conclure que le fait qu'on permettrait
à des enfants dont les parents ont fait des études en anglais et
dont la langue finalement... Même au moment du débat de la loi
101, le gouvernement avait dit: Faire ses études primaires en anglais ou
être de langue maternelle anglaise, c'est équivalent - on pourrait
retrouver cela au journal des Débats. Il faudrait en déduire,
compte tenu de leur nombre restreint, qu'on s'acheminerait vers un district
bilingue? Je trouve qu'il y a là aussi, à mon point de vue, une
légère exagération.
M. Gaulin: Je pense, Mme Lavoie-Roux, que le "Canada Bill" est
beaucoup plus que cela. Je ne connais pas beaucoup de fédérations
dans le monde dont une partie prenante ne soit pas signataire. Nous avons
évoqué, en fait, l'infamie que c'est d'être membre d'une
fédération dont on n'est pas signataire. Je n'ai pas à
vous rappeler que même le chef de l'Opposition ne s'est pas rendu
à Ottawa à l'époque pour la proclamation de la nouvelle
charte. Je pense que c'est déjà un premier acquis. On a
rappelé également que le pays, le Canada.... C'est pour
cela, d'ailleurs, que nous disons "Canada Bill", c'est vraiment la constitution
de l'autre contre lequel nous n'avons rien, mais avec lequel nous ne serons
jamais dans la mesure où nous ne serons pas respectés plus que
nous ne le sommes actuellement.
Nous sommes au Canada, dans un pays qui nous traduit constamment. La
clause Canada est justement un bel exemple d'intervention du gouvernement
fédéral, d'un pays fédéré, en principe, qui
vient altérer les droits d'une question relative à une
compétence provinciale: l'éducation. De Charybde en Scylla, en
s'en va vers l'unilinguisme anglais en passant par la bilinguisation. Au fond,
ce n'est rien de moins que demande - si on lit bien entre les lignes et dans la
marge du texte - une certaine communauté anglophone de Montréal
qui n'est peut-être pas représentative de l'ensemble de la
communauté anglophone de Montréal, mais qui fait dans le monde
une discréditation du Québec, de son collectif et de sa loi
101.
Cet été, mon collègue, M. Gilles Dorion, et
moi-même avons donné des cours de littérature
québécoise à Fribourg. Des collègues allemands nous
ont montré l'important journal Spiegel dans lequel il y avait une charge
contre la loi 101. D'où c'est parti et d'où cela vient? Des
collègues de Belgique qui sont passés par Ottawa reviennent
à l'Université Laval et nous disent que nous,
Québécois, avec notre charte, notre langue et notre loi 101,
sommes des empêcheurs de tourner en rond. D'où cela part-il? Et
où cela va-t-il? On voudrait bien, au niveau des règlements -
puisque c'est le point que vous avez touché - être plus
compréhensifs à l'endroit de la communauté anglophone,
mais on voudrait que cesse une campagne de salissage à l'endroit du
collectif québécois.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je m'excuse
auprès de M. Gaulin, mais ce n'était pas tout à fait la
question que je lui avais posée. La question que je lui ai posée,
c'est: Comment l'application de la clause Canada, quant à un de ses
volets, produirait-elle ce bilinguisme ou serait-elle un premier pas vers le
bilinguisme, pour utiliser votre texte d'une façon plus précise?
Ce dont vous parlez, c'est tout le problème qui a entouré le
rapatriement de la constitution; je pense que cela pourrait faire l'objet d'un
autre débat où on pourrait aussi discuter. Dans votre texte
d'ailleurs vous avez essayé de lier les deux. Mais j'aimerais que vous
m'expliquiez si l'offre de réciprocité que le gouvernement du
Québec avait faite aux autres provinces au moment de l'adoption de la
loi 101 n'est pas, à toutes fins utiles, l'équivalent de la
clause Canada dans ce premier volet - je ne sais pas si c'est le premier ou le
deuxième, on pourrait vérifier - telle qu'elle est contenue dans
la loi constitutionnelle.
Mme Belleau: Sur cela, je dirais que oui, au niveau de la clause
Canada. Nous avons déjà étudié la question. Mais
remarquez qu'à l'association, cette question est toujours vue avec, je
dirais, un regard un peu déformant, en ce sens que ce que l'on veut
privilégier et qui soit respecté, c'est la clause Québec.
Dans quelle mesure les statistiques peuvent-elles être
véritablement probantes et peuvent-elles véritablement dire que
la clause Canada n'augmenterait pas le nombre d'élèves qui
choisiraient l'école anglaise? C'est cela votre question.
Enfin, bien sûr que l'on peut sortir des chiffres, mais à
partir du moment où la clause Canada est reconnue et que l'on se base
sur des chiffres possibles, cela ne peut pas être des statistiques
réelles. Au moment où nous supposons que les statistiques
deviendraient véritablement une épreuve pour le Québec,
va-t-on retourner en arrière? Va-t-on dire par exemple: On va
privilégier certains jeunes qui viennent du Manitoba, de la
Saskatchewan, de la Colombie britannique et qui ne respectent pas
véritablement toute la clause Canada? À quel moment va-t-on
arrêter cela? Remarquez qu'encore là je n'ose pas non plus entrer
profondément dans ce débat puisque, pour nous, il est essentiel
que la clause Québec soit respectée.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, ce sera mon dernier mot.
C'est vrai que des chiffres peuvent toujours être remis en question. Mais
quand je vous écoute parler, Mme Belleau, on a l'impression qu'à
ce moment-ci, il n'y a plus aucune planification démographique qui
puisse être faite de quelque nature que ce soit. Pourtant, dans un grand
nombre de domaines, on s'appuie beaucoup sur les prévisions
démographiques. Là, elles peuvent être dans la langue
d'enseignement et dans un autre domaine, du point de vue du vieillissement de
la population, etc., pour faire une planification. Alors, c'est peut-être
un peu facile de dire qu'on ne peut rien conclure parce qu'il n'y a pas de
prévision qui tienne. Enfin, on pourrait continuer d'arguer
là-dessus, mais il reste que jusqu'à maintenant, la science de la
démographie a quand même donné des résultats qui ont
été valables.
Mme Belleau: Est-ce que vous-même, à l'heure
actuelle pourriez, par exemple, avoir une idée de ce que l'on pourrait
faire à supposer que la clause Canada soit reconnue non favorable au
Québec? Avez-vous déjà une idée de ce que le
Québec pourrait faire pour revenir à une situation
antérieure? C'est un peu cela qui nous laisse perplexe. Dans quelle
mesure la situation qui
prévaudrait à la suite de l'adoption de la clause Canada,
si on se rend véritablement compte, démographie aidant bien
sûr, qu'elle n'est pas favorable au Québec? Peut-on revenir en
arrière et dans quelle mesure? A-t-on déjà maintenant une
idée de cette possibilité? Que ferait-on? Va-t-on retourner
à des situations difficiles? Je vous rappellerai simplement - cela m'est
venu à l'esprit tout à l'heure - que l'on a commencé cette
bataille, puisque c'est une véritable bataille, avec la publication du
livre noir en 1970. Cela touchait le caractère politique et le
caractère pédagogique aussi. C'était même
sous-titré de l'impossibilité presque totale d'enseigner le
français. Alors, à partir du moment où la clause Canada
est reconnue, à partir du moment où on n'est pas certain que le
Québec est un véritable territoire francophone
protégé par le gouvernement du Québec, on fait attention,
on se tient sur ses gardes et on ne voudrait pas retomber dans une situation
difficile où il faudrait écrire à nouveau un
deuxième livre noir peut-être encore plus noir que le premier.
Je suis pessimiste; vous m'avez dit vous-même tout à
l'heure que nous avions présenté un mémoire pessimiste.
Oui, j'avoue que mes propos le sont, mais je crois qu'ils rendent compte aussi
d'un état d'esprit qui est vrai, à l'association. Bien sûr
qu'il y a des optimistes, mais je n'hésiterais pas à dire qu'il y
a aussi des pessimistes, à l'association. Je pense que c'est pour cela
qu'on a renouvelé notre appui et notre attachement à la Charte de
la langue française.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): Merci, Mme la
députée de L'Acadie. M. le ministre.
M. Godin: Mesdames, messieurs, je dois dire que, comme
gouvernement, nous comptons sur vous pour assurer non seulement la
qualité du français mais qu'il se répande partout au
Québec et que le plus de gens possible non seulement le parlent mais le
parlent bien.
Seulement pour aller dans le sens de votre pessimisme, les statistiques
qu'on a vues récemment par rapport aux effets de la clause Canada sont
basées sur les chiffres depuis 1977, depuis que la loi 101 existe. Il
est sûr que le nombre de personnes qui viennent des autres provinces a
diminué dans les écoles anglaises à cause de ces lois. Si
elles n'existaient plus, on se rendrait compte qu'on a comparé des
tomates avec des oranges, parce que les chiffres de 1976 à 1981 n'ont
rien à voir avec ceux d'avant 1976. Les vraies extrapolations devraient
tenir compte de la situation d'avant les lois linguistiques. C'est pour cela
que je partage un peu de votre inquiétude quant à l'ouverture
générale de la clause Canada. D'autant plus qu'une clause Canada
qui ne s'accompagnerait pas d'une réciprocité réelle - non
pas une réciprocité de papier comme on a vue au Manitoba - par
des institutions scolaires contrôlées par des francophones dans
chacune des provinces anglaises du Québec, serait, pour nous, illusoire.
Merci.
Le Président (M. Gagnon): Est-ce que vous avez un dernier
mot?
Mme Belleau: Je voudrais remercier la commission permanente des
communautés culturelles et de l'immigration de nous avoir entendus. Je
pense qu'au nom de l'association, je puis assurer la commission permanente des
communautés culturelles et de l'immigration de notre
intérêt profond et pour le Québec, et pour la loi 101, et
pour la Charte de la langue française, et pour la qualité de
l'enseignement du français au Québec et même
au-delà. Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci, mesdames et messieurs de
l'Association québécoise des professeurs de français.
J'inviterais maintenant le Mouvement national des
Québécois à prendre place à la table.
En vous souhaitant la bienvenue, M. Rhéaume, si vous voulez nous
présenter les gens qui vous accompagnent et faire lecture de votre
mémoire.
MNQ
M. Rhéaume (GiUes): M. le Président, M. le
ministre, mesdames, messieurs les députés, la semaine
dernière, j'ai eu l'occasion de me présenter devant vous a titre
de président de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal. Je reviens aujourd'hui à titre de président du
Mouvement national des Québécois - oui, je change de chapeau.
Nous en avons tous plusieurs - afin de démontrer que la position de la
Société Saint-Jean-Baptiste, qui est membre du Mouvement national
des Québécois, n'est pas une position personnelle.
Il me fait plaisir de vous présenter à la commission
parlementaire aujourd'hui le Mouvement national des Québécois qui
regroupe quinze sociétés nationales affiliées dans toutes
les régions du Québec et qui regroupait, au 31 décembre
dernier, près de 150 000 membres. Nous avons ici, la
société de l'Abitibi-Témiscamingue, avec M. Réjean
Beauvais; la société de l'amiante, avec M. Jean-Charles
Gagné, directeur général, la société de la
Capitale, la société de la Côte-Nord, la
société de Trois-Rivières, la société de
l'Est du Québec, la société des Hautes-Rivières, la
société de Lanaudière, la société
Laurentides, qui n'a pas de représentant aujourd'hui; la
Société Saint-
Jean-Baptiste de Montréal, la Société nationale des
Québécois de l'Outaouais, qui n'a pas de représentant
aujourd'hui; la Société Richelieu-Saint-Laurent avec M.
Larochelle, son président; la Société Richelieu-Yamaska
avec Mmes Gervais et Paquet; la Société du
Saguenay-Lac-Saint-Jean avec M. Lucien Bergeron qui est ici avec une
délégation. (15 h 30)
Sont présents à la table avec moi, Mme
Paulette-Michèle Hétu, qui lira le mémoire,
trésorière du Mouvement national des Québécois et
présidente de la Société nationale des
Québécois de Lanaudière, de la région de Joliette;
M. François-Albert Angers, ancien président général
de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et ancien
vice-président du Mouvement national des Québécois; M.
Réjean Beauvais dont j'ai parlé tantôt, de la
Société nationale des Québécois de
l'Abitibi-Témiscamingue; M. Ghislain Jean, de la Société
nationale de l'Est du Québec dont le siège social est à
Rimouski; M. Georges-Henri Fortin, qui est un ancien président de la
fédération, qu'on appelle maintenant le Mouvement national des
Québécois, ainsi que M. René Charette, qui est directeur
général de la Société de Joliettte.
Le Mouvement national des Québécois c'est le nom officiel
de ce qu'on a appelé longtemps la Fédération des
sociétés Saint-Jean-Baptiste. Comme je l'ai dit tout à
l'heure, elle regroupe actuellement 15 sociétés régionales
et près de 150 000 membres. La Société Saint-Jean-Baptiste
de Montréal est membre de cette fédération, et c'est
à titre de président de la fédération,
président du mouvement, que je me présente devant vous
aujourd'hui. Je demande à Mme Paulette-Michèle Hétu de
bien vouloir vous faire lecture du mémoire du mouvement.
Le Président (M. Gagnon): Madame.
Mme Hétu (Paulette-Michèle): M. le
Président, mesdames et messieurs, le Mouvement national des
Québécois mène depuis plus de 35 ans le combat pour la
reconnaissance des droits du peuple québécois, majoritairement
francophone sur son territoire. Il va sans dire que les droits plus
spécifiques de la langue de la nation ont été l'objet
d'une attention, d'une recherche et d'un effort constant du Mouvement national
des Québécois pour sensibiliser la collectivité et pour
tenter de persuader les différents gouvernements de prendre
courageusement leurs responsabilités face à l'urgence de corriger
une situation étouffante et anormale à bien des égards: de
naître et de vivre bilingues dans son propre milieu et de subir une
domination économique et sociale de la part d'une minorité
parlant une autre langue.
Le combat pour la langue mené par les sociétés
nationales a pris le relais unifié des forces vives de la nation
canadienne-française dont les porte-parole ont toujours appuyé
leurs revendications sur deux assises bien établies: Les francophones
d'Amérique constituent un peuple disposant d'un dynamisme interne,
garant de son évolution et de son épanouissement; la
confédération lui assure des droits difficiles à exercer
qui, en plus, lui ont été systématiquement spoliés.
Ce qui s'est passé à la fin du siècle dernier au Manitoba
constitué de Canadiens français, extension de nous-mêmes,
détachés du tronc original et plongés dans un milieu
pré-industriel, nous arrive maintenant ici au Québec dans un
environnement globalisant où les communications sont multipliées
et accélérées.
Nous savons que les francophones du Manitoba ont été
privés de leur droit constitutionnel de recevoir l'enseignement dans
leur langue et que le gouvernement, qui n'a pas redressé ce déni
de justice, a favorisé une immigration massive de non francophones,
empêchant ainsi les Franco-Manitobains d'évoluer normalement en
conformité avec le BNA Act de 1867. En 1983, la nation
québécoise doit vivre sous le choc d'un coup de force du
gouvernement fédéral qui, en rapatriant unilatéralement la
constitution, dota le pays d'une prétendue charte des droits et
libertés qui sabra la Charte de la langue française, loi vitale
que le peuple s'était démocratiquement donnée.
Le peuple du Québec, par son gouvernement et son Assemblée
nationale, a dit non au "Canada Bill" parce qu'il sait bien, entre autres, que
les jugements suprêmes qui découleront de cette nouvelle entente
signée dans son dos lui enlèveront les pouvoirs qu'il avait eus
jusque là en matière d'éducation et de langue pour
rectifier une situation intolérable. Les mesures que l'Assemblée
nationale du Québec a prises en adoptant la loi 101 représentent
un minimum de protection de la langue nationale, sans laquelle les
Québécoises et les Québécois auraient à
subir le malheureux sort de leurs compatriotes du reste de la
Confédération.
Déjà, en 1969, le Mouvement national des
Québécois, dans un mémoire présenté à
la commission d'enquête sur la situation de la langue française et
sur les droits linguistiques du Québec demandait au gouvernement
d'effectuer un relèvement radical de la situation et de définir
clairement et courageusement une politique linguistique et d'y mettre le poids
d'une législation appropriée: "Le gouvernement a le devoir
d'appuyer les justes aspirations de la majorité
québécoise... L'Assemblée nationale a la très
lourde responsabilité de déterminer le statut du français
comme la langue nationale et la langue officielle du Québec. Elle doit
exposer clairement aux investisseurs étrangers dans quel milieu ils
viennent s'établir et à quelles
conditions, au point de vue langue du travail et des affaires, ils
pourront y faire des profits. Voilà la seule façon logique et
lucide de créer le climat de confiance tant recherché par tous
les hommes de bonne volonté."
Les lois 63 et 22, qui sont venues par la suite, ont consacré le
bilinguisme au Québec en se basant sur la fausse prémisse que le
colonialisme linguistique et économique du Québec était
une fatalité. Nous avons combattu - et nous n'étions pas seuls -
ces deux lois adoptées par des gouvernements d'une servilité
quasi "génocidaire" qui, pour la première fois dans l'histoire,
reconnaissaient le Québec comme juridiquement bilingue. Il était
donc urgent que la loi 101 vienne mettre de l'ordre et affirme l'unilinguisme
français du Québec, tout en faisant preuve d'une
générosité envers la langue de la minorité
coloniale, à laquelle peu de peuples ont consenti dans l'histoire de
l'humanité.
Cette affirmation du caractère français de toute notre
activité nationale: le travail, les affaires, l'enseignement, la
justice, la législation, l'administration publique, l'affichage public,
etc., constitue un rempart minimal contre l'intoxication massive du bilinguisme
dont souffrait le Québec et qui ne pouvait mener qu'à son
anglicisation graduelle et inexcusable.
La loi 101 consacre la langue française comme langue distinctive
d'un peuple majoritairement francophone et permet au peuple
québécois d'exprimer son identité.
Le "Canada Act" permet à l'Ontario de devenir unilingue anglais,
mais oblige le Québec à traduire ses lois. La Charte des droits
et libertés du fédéral enlève la compétence
exclusive du Québec en matière d'éducation et de langue
et, conséquemment, l'expression française de l'identité du
peuple québécois est impossible. C'est la réintroduction
du bilinguisme institutionnel, néfaste pour le peuple
québécois qui s'était donné démocratiquement
les moyens de contrer cette érosion nuisible à l'expression de
son identité que constitue le bilinguisme.
Le Mouvement national des Québécois est d'avis
qu'après six ans, la loi 101 n'a pas été appliquée
assez rigoureusement et que, en une si courte période, elle n'a pas
réussi à faire prendre la place qui revient à la langue
française sur le territoire du Québec. Elle n'a pas
été appliquée dans toute son extension possible et n'a pu
infléchir valablement la tendance à l'assimilation galopante qui
nous menace. Les transferts linguistiques ne pourront être valablement
indicatifs que sur une assez longue période. Si la proportion des
francophones étudiant en anglais a diminuée de 2,2% à 1,3%
à l'école publique, elle a augmenté dans les cégeps
de 2,1% à 2,6% et de 6,3% à 7,3% à l'université. Ce
ne sont certainement pas ces deux dernières tendances qui peuvent nous
faire conclure que la Charte de la langue française a atteint ses
objectifs.
Les sociétés nationales affiliées au Mouvement
national des Québécois sont d'avis qu'à ce stade-ci, la
situation du français au Québec n'a pas sensiblement
changé d'une façon favorable et que les dangers d'assimilation
progressive, que la loi 101 a tenté de circonscrire, ne sont pas pour
autant conjurés, et qu'en conséquence, toute dilution du
présent régime linguistique serait absolument néfaste
à la langue, à notre culture et à notre avenir comme
peuple. Le Mouvement national des Québécois estime que la
reconquête culturelle du peuple québécois nécessite
des attitudes fermes et rapides et que des mesures comme la loi 101 doivent
être accompagnées de moyens politiques propres à maintenir
leur légitimité et à les rendre applicables. Pour les
sociétés nationales affiliées au Mouvement national des
Québécois, seule l'indépendance du Québec permettra
à son peuple, à sa langue et à sa culture non seulement de
survivre, mais de s'épanouir normalement. Merci, messieurs.
Le Président (M. Gagnon): Merci, madame. M. le
ministre.
M. Godin: Mme Hétu, M. Rhéaume, M. Angers, M. Fortin, M.
Charette, M. Beauvais et M. Jean, je crois, merci de nous faire part de vos
opinions et de vos inquiétudes par rapport à la francisation du
Québec. Je note, entre autres, à la page 4 de votremémoire, une affirmation qui est faite déjà en 1969
par votre organisme et qui va tout à fait dans le sens de ce que notre
gouvernement a implanté. Vous dites, par exemple, que le gouvernement du
Québec doit exposer clairement aux investisseurs étrangers dans
quel milieu ils viennent s'établir et à quelles conditions au
point de vue de la langue de travail et des affaires ils pourront y fairedes profits. Je peux vous dire que certains groupes ou organismes tentent
de faire croire aux Québécois que l'avenir du Québec passe
uniquement, totalement et automatiquement par le bassin anglophone de capitaux,
d'experts, de savants et d'hommes d'affaires, alors que l'expérience que
le Québec mène depuis que nous avons notre propre juridiction
dans le domaine de l'immigration, depuis l'entente Couture-Cullen, nous permet
d'affirmer aujourd'hui, ici devant vous, que les pays de recrutement
francophone de ces experts, de ces capitaux, de ces savants et de ces
techniques ne sont pas négligeables non plus. Les chiffres que nous
avons montrent que s'il est vrai qu'un certain nombre de personnes ont
quitté le Québec pour toutes sortes de raisons, il y a quand
même, en même temps, 150 000 personnes qui sont sur les listes
d'attente pour
immigrer au Québec, le Québec actuel, le Québec
français, le Québec de la loi 101. Depuis six ou sept ans, 500
000 000 $ d'investissements ont été faits ou engendrés par
des immigrants investisseurs qui savaient, en venant ici, que c'était
dans un Québec français qu'ils s'en venaient. Donc, il ne faut
pas voir le monde de façon unidimension-nelle. Le monde est multiple. Le
monde est vaste. Il y a une concurrence internationale entre les langues et les
peuples. Le Québec étant un terre d'avenir, les gens viennent ici
de partout, au Québec de la loi 101, au Québec français et
ils contribuent grandement à notre développement
économique.
Je voudrais poser une question à M. Angers, qui est le
vétéran des luttes linguistiques au Québec. M. Angers,
dans la mesure où les trois piliers de la francisation du Québec
sont la langue de travail, la langue de l'enseignement et la langue de
l'affichage, à votre avis, lequel des trois points devrait être
prioritaire pour assurer que l'opération francisation
s'accélère et porte tous ses fruits?
M. Angers (François-Albert): Je pourrais difficilement
parler de priorité, parce que ce sont trois domaines qui ont une valeur
propre en eux-mêmes et qui s'épaulent l'un et l'autre. Il est
clair que la langue de travail doit, le plus rapidement possible - mais
justement, c'est peut-être le domaine le plus difficile - devenir la
langue française, d'une façon générale. La langue
d'enseignement, c'est la langue de la formation. Il est clair qu'on ne doit pas
permettre d'aucune façon que puissent aller à l'école
anglaise d'autres que ceux à qui on a reconnu ce droit strict et d'une
façon, d'ailleurs, très large, puisque les prescriptions de la
loi 101 ne limitent pas la fréquentation de l'école anglaise aux
véritables anglophones, mais à des personnes dont les parents ont
suivi l'école en anglais, ce qui permet même à des
Canadiens français d'aller à l'école anglaise d'une
façon légitime, d'après la loi. (15 h 45)
Et la langue d'affichage, c'est la langue de la manifestation culturelle
et du visage français du Québec. Par conséquent, ce serait
un peu paradoxal qu'on dise que la langue de travail est prioritaire et qu'on
laisse l'affichage se faire, soit de façon bilingue, soit en anglais -
enfin, même bilingue - parce que à ce moment-là on donne
tout de suite l'impression que le Québec est un pays bilingue. Or, c'est
la clé du problème: il ne faut pas que l'on croie nulle part que
le Québec est un pays bilingue. Il faut affirmer clairement que le
Québec est un pays français, qui veut rester français et
qui s'affirme français, qui doit donc avoir un visage français.
Je vous avoue que je ne suis pas capable de dire qu'on peut sacrifier l'un des
trois, ou deux des trois. Il faut vraiment faire fonctionner les trois
activités ensemble. L'affichage, c'est peut-être l'aspect le plus
superficiel de la culture, parce que c'est l'aspect extérieur. Mais
c'est le point de départ qui, en donnant à tout le monde,
à tous ceux qui viennent ici l'impression qu'ils sont en pays
français, va les amener à se comporter comme dans un pays
français. Alors que, si on fait un affichage bilingue, ceux qui viennent
ici disent: On peut aussi bien choisir entre l'anglais et le français
dans notre comportement. C'est extrêmement important; c'est fondamental
même.
C'est un peu l'état d'esprit dans lequel je me trouve et dans
lequel, je pense, nous nous trouvons tous. On ne peut pas faire de choix entre
ces trois choses. Il faut les poursuivre systématiquement jusqu'à
ce qu'il soit bien établi par tout le monde, et admis tout d'abord par
la minorité anglophone, qu'elle est en pays français - ce qui est
loin d'être fait comme le prouve ce qui s'est dit devant cette commission
après six ans. Que cette communauté anglophone reconnaisse
finalement qu'elle est en pays français, qu'elle accepte de se comporter
comme dans un pays français, après quoi on pourra voir ce qu'on
peut faire dans l'application de la réglementation qui, à l'heure
actuelle, doit être assez stricte pour que ces gens-là se rendent
compte qu'il n'y a pas moyen de déroger, qu'il faut se comporter comme
dans un pays français. C'est ce que veut le peuple du Québec et
c'est ce qui nous est imposé par la nécessité de notre
survivance. Tout affaiblissement de l'un ou l'autre est un point de
départ vers la glissade et un retour en arrière aux situations
d'avant la loi 101.
M. Godin: Merci, M. Angers. Une dernière remarque qui
appellera peut-être un commentaire. Nous avons constaté dans les
premières années d'application de la loi 101 qu'un grand nombre
de familles qui auraient eu droit à l'école anglaise, familles
anglophones et allophones - quelques milliers dans l'ensemble du Québec
- avaient choisi d'envoyer leurs enfants à l'école
française. Et la raison pour laquelle elles avaient pris cette
décision, c'était qu'il leur apparaissait clair que, pour vivre
et réussir au Québec, il fallait parler français. Moi,
j'ai toujours maintenu que, quand la langue de travail sera dans l'ensemble du
Québec le français, le reste ira de soi; que le véritable
fondement solide d'une langue, c'est quand on peut l'utiliser pour gagner sa
vie.
Il est sûr que la langue d'enseignement a des effets plus vastes
qu'on ne le prévoyait aussi, parce qu'on se rend compte que des parents
arrivés récemment au Québec, qui ne parlaient ni le
français, ni l'anglais, parce que leurs enfants vont à
l'école française, se sont mis, eux aussi, à
l'étude du français pour pouvoir les aider à faire
leurs devoirs en revenant de l'école. Donc, il est sûr que chacun
de ces trois piliers a un rôle plus vaste qu'on ne l'avait prévu
au départ. Mais il m'apparaissait, dès 1977, quand la commission
parlementaire s'était réunie au tout début, que, si nous
francisions le travail, au fond, sur une période d'années assez
courte, le reste s'enchaînerait. C'est sur ce point que j'aurais
aimé avoir votre opinion. Mais, au fond, vous m'avez donné
l'ensemble du portrait et je vous en remercie.
M. Angers: Ce que j'ajouterais, seulement en quelques mots, c'est
qu'à mon sens nous n'arriverons pas à obtenir que la langue du
travail devienne le français de façon générale et
régulière si nous cédons sur les autres points, parce que
précisément on attaque ces points-là à l'heure
actuelle, croyant que ce sont les points les plus faibles, ceux qui permettent
le plus de diviser l'opinion publique. La lutte qui serait perdue ou à
demi-perdue sur l'un ou l'autre des deux terrains amènerait tout
simplement qu'on reprenne la lutte pour faire que les deux langues soient
également reconnues au travail. C'est dans ce sens que cela se tient.
C'est un front commun qui s'avance. À mon sens, vous n'aboutirez pas -
vous avez déjà des difficultés - à franciser la
langue de travail si vous commencez à céder sur les autres points
de la loi qui, avec raison, comme vous le dites, a fait son impression au
début parce qu'on a vu qu'un gouvernement ferme avait eu l'audace de
voter une loi ferme. Si vous ne restez pas fermes, alors les revendications
vont ne faire que se multiplier dans tous les domaines.
M. Godin: En vertu du principe que l'appétit vient en
mangeant. Merci beaucoup, M. Angers.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre.
M. le député de Gatineau.
M. Gratton: M. le Président, j'aimerais simplement
remercier madame et messieurs du Mouvement national des Québécois
d'être venus nous présenter leur mémoire. Il a le
mérite d'être clair et sans ambiguïté quant aux
intentions et quant aux recommandations au gouvernement. De cela je vous en
remercie. Je le respecte et je l'apprécie d'autant plus qu'on n'est pas
toujours habitué à cela de la part du gouvernement.
Je l'ai évoqué au début de nos travaux, je
préférerais de loin qu'on dise exactement ce qu'on veut dans la
loi. Que cela soit clair, que cela soit interprété par tout le
monde de la même façon, que tous se sentent égaux devant la
loi et qu'on sache à quoi s'en tenir. Malheureusement, on a l'impression
- je ne sais pas si vous la partagez, vous pourrez me le dire tantôt en
réaction - quand on lit certains articles de la loi 101 qu'ils sont
très clairs, qu'ils sont très fermes, qu'ils veulent viser
l'objectif de la francisation à tout prix. Mais immédiatement
après on s'aperçoit, soit par le biais de règlements qui
sont illégaux, ou soit par des interprétations qui portent
à confusion... D'ailleurs on n'a toujours pas de réponse à
savoir si on aura ce fameux code d'interprétation de la loi. Je pense
que oui. Le ministre avait l'air ouvert ce matin. Il s'ouvre de plus en plus au
cours de l'après-midi, j'imagine. On a hâte de savoir ce que veut
le gouvernement. Comment pourriez-nous ne pas le traduire dans la loi? Dans
votre cas, vous nous dites: N'y touchez pas, raffermissez s'il le faut. Mettez
cela plus clair encore. Sur cela je vous suis, à condition qu'on sache
quels sont les objectifs du gouvernement. Cela, semble-t-il, on le saura le 15
novembre prochain.
Quant au complément que vous recherchez à la loi 101,
c'est-à-dire l'accession du Québec à
l'indépendance, sur cela aussi j'aimerais cela qu'on fasse un jour ce
débat pour vrai, non pas comme au référendum de 1980
autour d'une question alambiquée qui permettait à un non de
vouloir dire un oui et à un oui un non. Peu importe qui en était
le responsable, le fait demeure que la question n'a pas été
vidée, semble-t-il, sûrement pas à votre satisfaction et je
vous l'avoue franchement, non pas à la mienne non plus. Il semble qu'on
ait un engagement qu'on pourra peut-être régler à la
prochaine élection. Je vous mets en garde, les gens du Mouvement
national des Québécois. Les rumeurs qu'on entend c'est qu'on est
en train de mijoter une autre façon de s'en sortir et de faire
l'élection sur autre chose la prochaine fois. Alors, pour une fois, on
serait ensemble pour surveiller le gouvernement sur cela. En attendant, je vous
remercie très sincèrement de la présentation de votre
mémoire.
Le Président (M. Gagnon): M. Rhéaume.
M. Rhéaume: En ce qui concerne les objectifs de
francisation pour nous, nous souhaitons qu'ils soient le plus clairs possible
et que les moyens préconisés soient utilisés afin qu'on
atteigne le plus rapidement possible la refrancisation du Québec qui est
en train de se faire.
En ce qui concerne notre option nationale qui est celle de
l'indépendance du Québec, nous, les sociétés
nationales, sommes toujours prêtes à faire ce débat
n'importe quand, n'importe où et avec n'importe qui.
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.
M. Godin: M. le Président, en terminant j'aurais quelques
mots pour vous remercier de votre contribution une fois de plus, M.
Rhéaume, et pour vous dire que je n'entrerai pas dans les débats
avec mon collègue et ami de Gatineau sur cela aujourd'hui. Il y aura
d'autres lieux pour le faire. Je suis convaincu que tôt ou tard le peuple
du Québec s'ouvrira les yeux.
Merci beaucoup.
Le Président (M. Gagnon): Merci, mesdames et messieurs du
Mouvement national des Québécois.
J'inviterais maintenant M. Pierre Beaudry à prendre place. M.
Beaudry, je vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez y aller.
M. Pierre Beaudry
M. Beaudry (Pierre): M. le Président, M. le ministre, Mmes
et MM. les députés, je voudrais avec votre aimable permission
faire une brève digression afin de proposer une réflexion sur une
situation qui me paraît pour le moins anormale sinon dommageable à
tous les Québécois. Je veux faire état du fait qu'à
l'occasion même où nous sommes réunis pour étudier
des questions d'ordre vital pour notre peuple, nous constatons, nous les
hommes, que nous sommes encore en majorité et qu'il nous manque
hélas! un concours quantitatif de la part de nos femmes. Je pense que
l'occasion est bien choisie pour justement soulever cette question et souhaiter
qu'à la longue, nous en venions à travailler ensemble en
Québécois et trouver, dans une réunion comme celle-ci,
autant de femmes que d'hommes. L'occasion me paraît d'autant plus propice
qu'il faut quand même reconnaître que c'est grâce à la
femme québécoise si la langue française a
été si bien ou du moins un tant soit peu préservée
au Québec.
Cela dit, j'ai l'honneur de vous présenter mon mémoire.
J'aimerais vous le lire. Ensuite, j'aimerais avoir vos commentaires ou vos
questions.
Autant la connaissance de certaines langues étrangères est
souhaitable en notre époque d'échanges internationaux, autant
l'obligation de vivre simultanément en anglais et en français
constitue pour les francophones du Canada un danger qui peut se
révéler mortel. Car pour un peuple dont les institutions sont,
par le jeu même de la démocratie, inexorablement à la merci
du bon vouloir d'une majorité parlant une autre langue, rien d'autre que
la rigueur la plus résolue ne saurait prévenir l'assimilation. Si
donc pareille rigueur est impossible hors du Québec, sa
nécessité chez nous n'en devient que plus évidente.
S'il est en effet une question qui se dégage clairement des
événements les plus récents, c'est bien que nul n'est
mieux servi que par soi-même. Quand on songe à l'importance
capitale pour les francophones du pays de compter sur la possession en toute
exclusivité des pouvoirs nécessaires à la survie de leur
communauté, il devient évident que toute constitution les
protégeant au gré d'un Parlement composé en immense
majorité de non-francophones leur impose l'obligation de reboubler de
vigilance. Sans même mettre en doute la sincérité des
assurances que nos compatriotes anglophones ne cessent de nous présenter
depuis quelques années, leur prise en charge de nos
intérêts ne devrait pas nous inciter à abandonner les
moyens de défense et d'épanouissement qui nous restent
encore.
Or, parmi ces moyens, il y a l'existence, au Québec, d'un
Parlement majoritairement francophone, un Parlement qui ne saurait donc, sans
risquer la défaite, permettre le recul que constituerait la
ré-installation du bilinguisme qui nous a si longtemps
infériorisés, un bilinguisme qui, étant donné
l'écrasante supériorité de l'anglais sur le continent
nord-américain, ne peut avoir d'autre effet que de nous faire
disparaître, à plus ou moins brève
échéance.
La vertu est une bonne chose. Donc, tout le monde devrait être
pour le bilinguisme, semble-t-on vouloir nous dire. Mais il y a un hic: le
bilinguisme intégral n'est pas une vertu. Au contraire, c'est pour un
peuple minoritaire une situation absolument invivable. Les seuls pays, hormis
le Canada, qui ont jusqu'ici réussi à le pratiquer n'y sont
parvenus qu'en créant des zones linguistiques bien distinctes à
partir d'un état central utilisant les deux ou même, comme en
Suisse, les quatre langues sur un pied de parfaite égalité.
Même alors, cette solution est loin d'être idéale. Elle ne
peut empêcher que, dans les régions - songeons à Bruxelles
- où les gens sont obligés de se côtoyer tous les jours
sans savoir quelle langue employer, l'agacement mène à
l'exaspération. Personne n'est heureux tant qu'une langue ne l'a pas
emporté sur l'autre. Si les seuls méfaits du bilinguisme se
situaient dans des conflits personnels, on pourrait peut-être
espérer qu'ils soient un jour éliminés par la
compréhension. Mais ces conflits ne sont rien, comparés à
l'appauvrissement intellectuel qu'entraîne inévitablement la
cohabitation de deux langues. (16 heures)
S'il est vrai que la langue est un instrument de communication, cette
fonction lui vient d'une particularité encore plus primordiale: son
rôle d'instrument de la pensée. Avec tout le respect que
mérite Boileau, il n'est pas interdit de se demander s'il aurait eu
raison de prétendre chez nous que "ce que l'on conçoit bien
s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément."
Car encore faut-il que les mots voulus soient présents dans l'esprit. Ce
qui,
hélas, est trop souvent l'exception chez nous. Même chez
notre élite, nous avons des comptables, des ingénieurs, des
avocats, des juges et des hommes politiques, qui vivent dans la plus totale
confusion des mots, donc de la pensée.
Comment, en effet, peut-on avoir une pensée lucide quand on
prononce dans la plus sereine inconséquence des incongruités
comme "étude légale", "bureau-chef", "en autant que je suis
concerné", "parler à travers son chapeau", "fausses
représentations", "mail piétonnier", "commande à l'auto",
"à l'année longue", "ajouter l'insulte à l'injure", ou
"à toutes fins pratiques", ou même, en guise de correction fautive
si jamais il en fut, "à toutes fins utiles", quand on confond avocat et
procureur, voûte et chambre forte, statut et loi, plancher et
étage, bouilloire et chaudière, chaudière et seau, temps
et température, place et bâtiment, gicleur et extincteur, soupape
et vanne, valve et robinet, profession et profession libérale,
corporation et société? Comment peut-on collaborer intelligemment
à la formation des jeunes quand on s'affuble fièrement d'un titre
aussi irréconciliablement contradictoire que "professionnel de
l'enseignement" pour bien signaler que l'on n'a pas l'enseignement pour
profession? Quoi d'aussi aberrant que de s'appeler "professionnel du
gouvernement" quand on n'a pas pour profession de gouverner?
Ce simple aperçu de nos difficultés ne peut qu'effleurer
la triste réalité de notre aliénation, tant intellectuelle
que linguistique, puisque mal comprendre les mots, c'est avant tout mal se
comprendre soi-même. Mais d'ici l'audience demandée, il devrait au
moins servir à faire reconnaître les ravages du bilinguisme. Et
surtout, comme dans la plupart des exemples ci-dessus, d'un bilinguisme qui n'a
même pas l'avantage de favoriser la compréhension de l'anglais:
dans cette langue, "car order" veut dire "car order depot" et parle donc d'une
consigne et non pas d'une commande; l'expression "all year long" utilise le mot
"long" comme adverbe et non comme adjectif, et le mot "injury" signifie
"blessure, dommage", de sorte qu'en le traduisant par "injure", on aboutit
à l'incohérence puisque l'on ne se rend même pas compte du
fait que l'on juxtapose deux synonymes dans la plus insignifiante redondance,
alors qu'il suffirait de dire "tourner le fer dans la plaie". Toutes nos
"traductions" de ce genre ne servent qu'à étaler l'ignorance non
pas d'une langue, mais de deux.
Et c'est sur cette note que se terminera ce mémoire: la
nécessité de l'énorme effort qu'il nous reste à
faire pour nous débarrasser, après vingt ans de révolution
beaucoup trop tranquille et cinq ans d'unilinguisme officieusement anglais, des
déformations qu'ont exercées sur nos cerveaux, nos coeurs, nos
yeux et nos oreilles, deux siècles d'accoutumance à une langue,
un esprit, une culture qui, n'étant pas les nôtres, nous ont
presque totalement dépersonnalisés.
Que ceux qui nous présentent le bilinguisme comme une gloire
nationale s'arrêtent à cette grande vérité: Rien
n'est plus nocif que la coexistence des langues, car rien ne peut
entraîner autant de confusion dans les esprits. Que les francophones du
Québec apprennent l'anglais, d'accord; mais seulement comme cela se fait
en Europe, c'est-à-dire à partir d'une bonne connaissance de la
langue maternelle, pour prévenir la confusion. Et pour cela, il faut
à tout prix que leur environnement soit français. Je vous
remercie.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Beaudry. M. le
ministre.
M. Godin: M. Beaudry...
M. Beaudry: Oui, je vous écoute. Excusez-moi, M. le
ministre.
M. Godin: ...je vous ai lu pendant de nombreuses années
dans la Presse où vous livriez vos chroniques. Et comme on dit en
mauvais français: Nous manquons vos chroniques; alors qu'en bon
français, c'est: Vos chroniques nous manquent beaucoup.
M. Beaudry: Ah oui! Je suis bien content.
M. Godin: Je vais vous poser une question qui est plus
générale. À votre connaissance, dans d'autres
régions du monde où on ne vit pas cette coexistence linguistique
de deux ou plusieurs langues comme on la vit ici, est-ce qu'on ne passe pas par
les mêmes problèmes linguistiques? Je lisais récemment dans
une revue américaine à grand tirage que la qualité de
l'anglais aux États-Unis diminuait aussi alors qu'ils ne sont pas en
butte aux mêmes difficultés de diglossie, c'est-à-dire de
coexistence de deux langues sur un territoire donné, que nous ici.
Tout à l'heure, votre prédécesseur à cette
table, le professeur Gaulin, disait qu'en Angleterre... Diglossie, cela vient
du grec, comme vous le savez, M. Sirros...
M. Sirros: C'était pour informer mes collègues, M.
le Président.
M. Godin: Merci beaucoup. À Londres, les enseignants se
plaignent aussi de la baisse de la qualité de l'anglais écrit.
Sur cette question précisément, est-ce qu'il y aurait des causes
identifiables à ce problème, à cette situation dramatique
dans certains cas, d'une part, et quelles seraient les
solutions que vous seriez en mesure de nous proposer en tant qu'expert
en langues?
M. Beaudry: À mon sens, ce qu'on appelle la
dégradation des langues, que vous parliez des États-Unis ou de
l'Angleterre, ne cause aucune espèce de différence parce que la
langue étant avant tout un code, ses modifications sont sans
conséquence pour autant qu'elles aboutissent à un consensus.
Autrement dit, même en France, si on voulait appeler un cendrier une
fourchette, cela n'aurait aucune espèce d'importance si tout le monde
était d'accord.
Ce que je veux dire, c'est qu'au Canada le Québécois est
voué à une langue qui est internationale, mais qui est aussi la
sienne. Il ne faut quand même pas oublier que nous sommes le peuple le
plus authenti-quement français hors la France. C'est un fait historique
que personne ne peut nier et dont nous devons prendre pleinement connaissance
et nous dire: Notre langue est le français, et les déformations
qu'elles a subies, soit par l'influence anglaise, soit par les Allemands, sont
des choses qui nous nuisent. Je vous assure que je ne suis pas du tout partisan
d'une langue régionale parce qu'elle ne nous mènerait à
rien. Surtout dans un continent aussi largement dominé par une autre
langue que l'Amérique, il ne vaudrait absolument rien d'essayer de nous
cantonner dans une langue que d'autres ne comprendraient pas. Le
français est une langue internationale, c'est une des cinq langues des
Nations Unies, c'est la seule aux Nations Unies qui ait un pied de parfaite
égalité avec l'anglais, c'est une langue qui peut nous être
essentiellement utile dans tous les domaines: économique, culturel,
politique. Nous n'avons nullement besoin au Québec de nous laisser
influencer par des méthodes de pensée qui sont anglaises, si
valables qu'elles puissent être dans cette langue.
J'aimerais bien que vous me permettiez d'en arriver à un point
très sensible, M. le ministre, qui vous touche particulièrement.
C'est la qualité de la langue de notre législation. Je vous
assure que ce n'est pas joli. Là-dessus, je ne crois pas que la loi 101
ait pu apporter de remède. Ce qui a manqué, après la loi
101, c'est que nous nous sommes un petit peu endormis en disant: Voici, le
français, c'est notre langue. On n'a plus rien à faire. On n'a
qu'à écarter l'anglais, tout va bien aller.
Il y avait une autre chose qu'il fallait faire aussi. Il fallait se
débarrasser de nos mauvaises habitudes et nous ne l'avons pas fait. Je
vous dis - ce n'est pas un reproche parce que nous sommes tous pris dans le
même marasme - que les lois du Québec sont très mal
écrites. Elles sont écrites dans le style anglais. Je peux vous
montrer une bible de la rédaction rédigée par le juge
Pigeon en 1965 qui s'inspire des règles d'interprétation
d'Angleterre pour rédiger des lois françaises, qui nous parle de
la règle ejusdem generis qui n'a jamais existé en
français, d'une part, et qui, d'autre part, est à l'inverse du
style français puisqu'il s'agit d'interpréter les mots selon une
certaine énumération, ce qu'on ne fait jamais en
français.
Je pense qu'il faut à tout prix que tous les
Québécois commencent par prendre conscience de cette
vérité. Nous avons beaucoup à apprendre. Je dois signaler
ici -remarquez que je le fais pour provoquer une réflexion, non pour
critiquer - que le dernier-né de la législation
québécoise, la Charte des droits et libertés, est
très mal écrit. Vous avez des fautes de syntaxe et de grammaire
et de vocabulaire insupportables.
Dans cette loi, je vais donner un exemple. On parle de la juridiction
des provinces. Le mot "juridiction" s'applique aux pouvoirs des tribunaux, en
français. En anglais, ce sont des pouvoirs, des compétences.
C'est là un exemple. Vous avez un article qui dit "que tout prêtre
ou toute autre personne qui est tenue au secret professionnel ne peut le
dévoiler". Si on a une phrase négative, l'adjectif qui
précède le substantif doit aussi être négatif. Il
faudrait dire: aucun. En français, on n'aurait pas dit cela. On aurait
mis la forme positive, on aurait dit: Est tenu au secret professionnel
quiconque, par sa profession... En fait, c'est une façon de le tourner.
Je vous jure que 50% des articles de nos lois sont rédigés
à l'anglaise.
Je ne peux manquer de protester encore une fois ici ouvertement contre
cette abomination qui s'appelle le Code des professions et qui utilise le mot
"professionnel" dans le sens anglais, qui nous introduit des corporations
professionnelles qui n'ont aucune espèce de sens en français. Si
on comprend le problème des anglophones qui n'arrivaient pas à
définir les professions libérales, ils ont constitué des
Professional Corporations alors que, chez nous, on n'avait qu'à dire
professions reconnues ou libérales. On aurait évité tout
ce dilemme qui fait que, lorsqu'on parle des professionnels au Québec,
on parle des gens qui exercent des professions libérales. Par contre,
dans nos cégeps, on parle d'un collège d'enseignement
général et professionnel et là le mot "professionnel" est
français, c'est-à-dire qui a trait à l'occupation dont on
tire ses revenus. Que ce soit dans la tôlerie des voitures ou que ce soit
comme pharmacien, c'est toujours une profession en français.
On a même des fascicules qui parlent des compagnies, qui devraient
être des sociétés, de services professionnels. On entend
des avocats qui se réunissent en société, qui ont une
personnalité morale et on se demande si c'est légal ou pas, si
c'est
bon. Ce ne sont pas des sociétés de services
professionnels. J'ai une société de services professionnels, tout
le monde a une société de services professionnels. Cette
loi-là, M. le ministre, je l'ai dénoncée en 1971 avant sa
promulgation. J'ai écrit à tous les ministres qui pouvaient
m'écouter et il ne s'est rien passé. On a encore ici le conflit
de parler de professionnels qui n'en sont pas en français. Je vous donne
un bon exemple, si vous me le permettez, un article dans Paris-Match qui
déplorait le nombre d'accidents sur les grandes routes
occasionnés par des poids lourds. On trouvait cela d'autant plus
inexcusable que ces véhicules sont conduits par des professionnels. J'ai
ajouté qu'au Québec on s'imaginait que c'étaient des
avocats qui les conduisent. Le mot "professionnel" veut dire... Justement dans
la loi des... Vous voyez comme cela va loin, parce que, même dans notre
Charte des droits et libertés, on fait la distinction entre les membres
des corporations professionnelles et les personnes qui ont une autre
occupation. On remonte à l'anglicisme "occupation" dont on s'est
débarassé dans le Code de procédure civile il y a 20 ans
et, dans la dernière loi, on ramène un vieil anglicisme.
Si vous me le permettez, je voudrais aussi l'appui de notre gouvernement
pour nous débarrasser de certaines fautes insupportables qui nous font
passer pour les derniers des ignorants. On bâtit des places à
Montréal. On a une Place Canada, on a une Place des Arts, on a une Place
Ville-Marie. Ce ne sont pas des places, ce sont des complexes ou des
bâtiments. La place fait partie de la voirie. Une place c'est comme une
rue. C'est la même chose pour le cours; on a le cours Le Royer. Ce ne
sont pas des bâtiments, c'est une avenue. Si vous habitez rue Sherbrooke,
vous habitez rue Sherbrooke, mais votre bâtiment ne s'appelle pas une
rue. Qu'avons-nous fait avec nos places? Cela est entré dans l'usage
à cause de M. Zenckendorf en 1960 et c'est devenu général.
Je voudrais que le gouvernement du Québec écrive à Air
Canada et lui dise: Cessez de nous faire passer pour des ignorants, ce n'est
pas une place, Place Air Canada. C'est la compagnie Trizec qui avait la Place
Ville-Marie et qui a fait la Place Beaver Hall. C'était joli, Place
Beaver Hall. Je me suis dit: Hourra! On va vendre cela à Air Canada et
ça va bien aller. Bien non, on en a fait une place.
Vous souvenez-vous de l'époque où on se préparait
à bâtir la place de la Justice? J'ai attaqué cela en 1964.
Il y avait des clôtures de sept ou huit pieds de haut sur lesquelles on
avait écrit Place de la Justice. J'ai écrit à tous les
responsables; il n'y avait rien à faire. Un jour, j'ai eu l'oreille de
M. Choquette, Jérôme Choquette, et je lui rends hommage, en trois
minutes, il l'a corrigé.
Cela a été fini. Avec Radio-Canada, c'est à peu
près vers la même époque que j'ai dit sur les ondes de
Radio-Canada qu'il ne fallait pas dire que c'était une place;
Gérard Dagenais m'a appuyé et cela s'est corrigé le jour
même. On a eu le même succès avec le Complexe Desjardins qui
s'appelait la Place Desjardins, mais là, il y a quelqu'un qui a
présumé qu'on pouvait appeler place l'espace intérieur.
C'est de la folie furieuse parce que la place est le contraire de ce qui est
à l'intérieur d'un bâtiment, c'est ce qui est à
l'extérieur. Comment peut-on avoir une rue dans une maison? C'est ce
qu'on a fait au Complexe Desjardins. (16 h 15)
En face du Complexe Desjardins, en face du Complexe Guy-Favreau qui, lui
aussi, devait être une place, mais que j'avais fait corriger, on est en
train d'ériger une place du quartier à 200 logements. Ce sera un
condominium. D'où sort ce mot "condominium"? C'est une bêtise
monumentale, c'est une réalité française. C'est en France
qu'on a commencé à vendre des appartements en
copropriété et je peux vous montrer des journaux français
où on annonce des appartements autant comme autant, sans jamais dire
qu'ils sont en copropriété. Ce n'est pas nécessaire,
comment voulez-vous avoir un appartement autrement qu'en
copropriété? Cela ne se bâtit pas tout seul. S'il s'agit de
maisons, c'est différent, mais le mot "condominium" n'existe même
pas dans notre Code civil et on le voit affiché partout à
Montréal et tout le monde s'en glorifie.
J'ai ici des photos des fautes épouvantables qu'on trouve
à Montréal, la loi 101 n'a pas aidé cela. Je peux vous
inviter à venir avec moi, à partir de la rue Saint-Laurent et de
la rue Saint-Jacques, faire simplement le tour de la Place d'Armes et je vais
vous sortir 300 fautes affichées, des bêtises monumentales. Par
exemple, une indication qui dit: "canalisation sec", pour le "dry pipe system",
c'est une installation d'extincteurs. Oui, parlons des extincteurs. Même
à la porte de la Presse, le grand journal français qui a eu
l'honneur de ma collaboration pendant plusieurs années, on a ce panneau
qui dit: "valves de système de gicleurs"; or ce ne sont pas des
"valves", mais des "vannes"; c'est une vanne, une espèce de gros robinet
qu'on commande manuellement, c'est la vanne; ce n'est pas un système,
mais une installation et ce ne sont pas des gicleurs, mais des extincteurs. Le
gicleur a pour objet de provoquer une explosion dans un carburateur ou
d'alimenter le foyer d'un brûleur à mazout.
Parlant de mazout, j'ai vu dans la Presse, ce matin, à la une: de
l'huile à chauffage. De l'huile à chauffage, "heating oil". Il y
a 35 ans qu'on a condamné cette faute et on la trouve à la une du
plus grand
journal quotidien français d'Amérique. J'en ai
parlé de l'huile à chauffage dans mes chroniques. Savez-vous quel
est le mot français pour huile à chauffage? Tenez-vous bien,
c'est fuel, ce n'est pas mazout; cela a déjà été
mazout qui venait du russe, cela a été changé il y a
à peine 20 ans parce que les Français ont commencé
à s'alimenter à partir d'approvisionnements américains et
le mot mazout subsiste encore dans des expressions comme brûleur à
mazout, chauffage au mazout, mais n'allez pas essayer de voir le mot "mazout"
sur le camion qui va venir vous livrer le produit, ce sera "fuel" qui sera
marqué. C'est un mot aussi justifié que tous les emprunts que le
français décide de faire, comme l'anglais emprunte au
français. C'est une notion qui nous échappe.
M. le ministre, je vous en prie, débarrassez-nous des mots
"arrêt" aux coins des rues, le mot "arrêt" n'a jamais voulu dire
"stop" et ce n'est pas français. Le mot "arrêt", c'est un endroit
où on arrête, vous avez des arrêts d'autobus pour descendre
et faire quelque chose, ce n'est pas l'endroit où on marque une pose, un
moment d'arrêt; avant de repartir. Non seulement le mot "stop" est
français, il est international et ce n'est même pas un mot, c'est
un symbole qu'on utilise dans les pays qui n'ont pas notre alphabet comme la
Chine ou la Russie. Je vous en prie, ne cédez pas à la
démagogie et aidez aux Québécois à retrouver leur
langue, c'est la France qui a imposé le mot "stop" à l'Angleterre
qui disait "halt" jusqu'en 1954. Les Américains ont dit "stop" parce
que, quand ils sont allés en France pendant la grande guerre, ils ont vu
le mot "stop" et ils ont dit: C'est un mot anglais. Mais les Américains
ont très peu d'affinités avec la culture britannique et c'est
facile pour eux de croire qu'un mot est anglais quand il ne l'est pas; mais les
Anglais ne voulaient pas de "stop" dans leur pays. Je vous le jure, il y a eu
des débats. C'est un mot français "stop". C'est ce qui est
l'ironie de notre situation.
Justement, je lisais que, si quelqu'un venait à Ottawa, il
pourrait voir le mot "toilet" en anglais, qui vient du français, alors
qu'en France, on a les mots "water closet", expression qui vient de l'anglais.
On a le "art nouveau" en anglais et on a le "modern style" en français.
Il ne faut pas s'en faire, mais chez nous on a érigé que
l'emprunt est un crime. Il n'y a pas de langue qui n'ait emprunté et il
n'y a aucun mot de la langue française, je vous le dis, qui ne vienne
pas directement ou indirectement d'une autre langue parce qu'il n'y a pas de
langue vivante qui ne soit pas faite d'abord d'autres langues.
Je pourrais continuer de la sorte, mais je vous en prie, s'il vous
plaît, donnez-nous des lois en bon français, autorisez des raisons
sociales qui ont du sens en français. Qu'est-ce que vous pensez du
Stationnement de l'Est Alliright Ltée? C'est une raison sociale
française qu'on va afficher à Montréal, on la voit dans le
Complexe Desjardins. Le Stationnement de l'Est Allright Ltée! Et il y a
les Pharmacies Universelles Ltée. C'est au Québec qu'on a
imposé le mot "corporation", qui est un anglicisme insupportable,
après que votre humble serviteur, après 20 ans de lutte, l'eut
fait déloger du vocabulaire légal d'Ottawa. Il y a un dossier
complet. C'était sur mes instances qu'on a corrigé la Loi des
corporations canadiennes pour l'appeler la Loi des sociétés
canadiennes. Trois ans plus tard, le gouvernement du Québec nous
obligeait d'avoir des "Inc." au bout de nos noms. Cela n'a aucune espèce
de sens, "Inc.", comme français, ce n'est même pas une
abréviation reconnue. Je vous le dis, nos sociétés
commerciales devraient s'appeler des sociétés commerciales. Il y
a quelques années, j'ai fondé un bureau - que j'ai maintenant
vendu - qui s'appelait Pierre Beaudry et compagnie, société
à responsabilité limitée. Tous les Français me
demandaient: Pourquoi ne mettez-vous pas SARL? Je n'ai pas le droit. J'ai le
droit de mettre "limitée" à la fin de ma raison sociale. C'est ce
que j'ai fait, "société à responsabilité
limitée", parce qu'en anglais, c'est "limited liability corporation",
quoi qu'on en dise. Qu'on ne vienne pas me dire que ce n'est pas légal.
C'est parfaitement légal. On a fermé la porte au Québec et
il faut que vous vous appeliez "Inc". Et j'ai pleuré. Je vous le dis
bien franchement. Il ne faudrait pas que ces choses se répètent.
Il faudrait qu'il y ait... Je proposerais même la formation d'un
comité d'étude vraiment décidé à nous
débarrasser de l'anglicisation dans nos lois. C'est très
important. On trouve encore des dépendants dans nos lois pour des
personnes à charge. Je vais loin, là. Vous pouvez m'arrêter
maintenant. Permettez-moi...
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Beaudry.
M. Godin: M. Beaudry, j'ai de bonnes nouvelles pour vous. Le
Conseil de la langue française s'est vu confier le mandat
d'étudier le style des documents gouvernementaux, les mémoires
aussi bien que les lois. Donc, ce sont des professeurs de l'Université
Laval qui se sont vu confier ce mandat et qui vont nous faire rapport
bientôt. Donc, on a des correcteurs d'épreuves permanents qui
travaillent maintenant sur des textes qui sont pondus par le
gouvernement...
M. Beaudry: En avons-nous...
M. Godin: ...et j'espère que les résultats iront
dans le sens que vous
souhaitez.
M. Beaudry: ...qui ont étudié en France? C'est ce
qui nous manque. Nous n'avons pas de rédacteurs qui ont travaillé
en France. Nous avons des rédacteurs québécois qui sont
bien intentionnés, mais qui, trop souvent, n'ont pas la formation
requise. Cela se voit dans nos lois. Votre loi 101, M. le ministre, a
été écrite par l'Office de la langue française.
J'espère que lorsque vous allez la refaire, vous la corrigerez. Vous
savez qu'il y a un dossier complet là-dessus. Vous êtes au
courant. Il n'y a aucune espèce de raison pour qu'on ne fasse pas la
différence entre avoir droit à quelque chose et avoir le droit de
faire quelque chose. Quand on voit un texte qui dit "on a droit de faire
quelque chose", c'est du mauvais français. Vous le savez...
M. Godin: Merci, M. Beaudry.
M. Beaudry: ...et il devrait être défendu dans la
loi de dire que "tout Québécois a droit que communiquent avec lui
les gens en français". On ne parle pas ainsi en français, "avoir
droit que". Comme vous le savez, je suis venu me faire des amis. Du
côté libéral, il y a la Loi des corporations
professionnelles que je ne saurais pardonner. Du côté
péquiste, il y a des choses que je n'aime pas, mais nous sommes tous
quand même Québécois et de grâce, sachons voir la
réalité.
Je voudrais terminer sur une dernière note, parce que je pense
que j'ai dû dépasser le temps qui m'était accordé,
je ne le sais pas trop, je n'ai pas regardé ma montre. Je dois vous dire
qu'on parle souvent des dangers de l'assimilation des Québécois.
On voit cela comme une éventualité dangereuse, mais assez
lointaine. Or, je dois vous dire que c'est un fait accompli. C'est triste. Nous
sommes à 75% assimilés à l'anglais et je peux vous le
démontrer n'importe quand à partir, non pas uniquement de nos
textes juridiques, mais de nos textes scolaires, de notre
télévision et de tout ce que nous faisons. Nous pensons, nous
vivons, nous mangeons en anglais, mais la seule note d'encouragement que je
peux vous donner, c'est que c'est à 75%, alors qu'il y a 30 ans,
c'était à 90%. Nous avons donc fait un certain
progrès.
Des voix: Ah! Ah!
M. Beaudry: Essayons de continuer.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député d'Outremont.
M. Fortier: M. Beaudry, on vous remercie pour votre plaidoyer.
C'est un plaidoyer pour la qualité du français qui ne peut pas
être prescrit par une loi, même si elle est de rédaction
plutôt anglaise. Venant d'Outremont, je vous dirai tout de go qu'au
moins, l'administration sortante d'Outremont a fait une très bonne
chose, parce que dans notre municipalité, malgré un
règlement qui oblige les villes à utiliser le mot "arrêt",
dans Outremont, tous les "stop" sont bien des "stop". Ce que vous nous avez
rappelé, dans le fond, c'est que si on veut que le français
survive au Québec, il va falloir changer nos attitudes. Votre plaidoyer
est dans le sens qu'il faudrait rechercher l'excellence et qu'il faut changer
certaines de nos attitudes. Cela m'amènerait à poser une question
puisque les 122 parlementaires de l'Assemblée nationale sont les
premiers à faire des discours pour assurer la survie de la langue
française, alors qu'ils sont eux-mêmes coupables, dans bien des
cas, de nombreuses fautes lorsqu'ils parlent à l'Assemblée
nationale. Je me demandais si une recommandation par extension de ce que vous
venez de nous dire ne serait pas de demander aux parlementaires de mieux parler
le français lorsqu'ils parlent à l'Assemblée nationale.
Peut-être qu'on devrait se donner à nous-mêmes un correcteur
qui serait le premier à nous rappeler les fautes qu'on a commises. En
faisant cette suggestion, que vous pourrez nous faire en tant que
recommandation, je me rappelle que lorsque j'étais au conseil
d'administration de l'Université de Montréal, qui est une
institution française très bien cotée, le recteur
lui-même avait cru bon d'engager une grammairienne qui revoyait tous les
textes sortant de l'Université de Montréal pour s'assurer qu'ils
étaient en bon français. Alors, si l'Université de
Montréal l'a fait, je crois bien que l'Assemblée nationale
devrait donner le ton. Et, ne croyez-vous pas, M. Beaudry, que les
parlementaires qui sont les premiers a revendiquer la survie du français
au Québec devraient être ceux qui donnent l'exemple à la
population du Québec?
Le Président (M. Gagnon): M. Beaudry.
M. Beaudry: Je vous remercie bien. Votre suggestion est
certainement très valable. Je dois cependant vous signaler que c'est une
chose que de vouloir parler français et une autre chose que d'en
être capable. La langue s'apprend par osmose. Nous en avons au moins pour
dix ans avant d'avoir la possibilité d'utiliser cette langue comme si
elle nous était arrivée de naissance. Mais je suis parfaitement
d'accord et s'il faut faire... On m'a déjà traité de
censeur, vous savez. C'est épouvantable, moi, je reprends tout le monde.
Il y en a trop comme moi? Si les gens n'ont pas le droit de parler, ne veulent
pas parler, parce que je les gêne, je les fige, vous savez que ce n'est
pas vrai. Il n'y en a pas beaucoup
comme moi, hélasl Je le dis en toute modestie. Mais le fait est
que nous devrions nous entraider. Si j'ai un ami qui m'entend faire une faute
et qui ne me corrige pas, je considère qu'il n'est pas un ami. Il faut
que je sache que j'ai fait une faute et j'en fais tous les jours.
Mais je pense qu'entre Québécois, nous devons abandonner
cette espèce de douce certitude que nous avons et qui nous met tellement
à l'aise: Mon Dieu, nous sommes francophones. Nous le sommes de
naissance, mais nous avons beaucoup à apprendre et il faut
s'entraider.
M. Fortier: Alors, M. Beaudry, quant à moi, je...
M. Beaudry: Je suis parfaitement d'accord, monsieur.
M. Fortier: Je vous remercie de votre témoignage.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. M. Beaudry signale en
passant l'influence de la télévision et, particulièrement
de la télévision américaine sur notre façon de
parler, notre façon d'agir, et du danger d'assimilation que vous notez
en passant. Je sais qu'il y a des efforts qui se font. On voit des
émissions de télévision importées de France sur la
chaîne française TVFQ. Il y a un certain nombre d'émissions
qui nous arrivent de France. Malheureusement, on s'aperçoit que le
rôle positif que pourrait jouer cette chaîne dans
l'amélioration de notre façon de nous exprimer, ou même
parfois de penser... on traite de sujets qui n'ont aucun rapport avec nos
préoccupations à nous, comme personnes vivant en Amérique
du Nord, au Québec. Voici un exemple. Au cours d'une longue interview
avec quelqu'un qui, à Paris, avait perdu son chien, on donnait le
numéro de téléphone pour les gens qui l'auraient vu
quelque part. Cela passait ici à huit heures du soir. C'était
sûrement intéressant en soi, mais cela ne me permettait pas de
m'identifier beaucoup au programme de télévision. Et je n'avais
aucune chance de voir le chien en question étant donné qu'un
océan nous sépare. Je me demande si le manque d'à-propos
de ce genre de programmes n'est pas de nature à décourager les
téléspectateurs et les auditeurs de puiser aux meilleures sources
du français et, de cette façon, amener une certaine
amélioration de l'expression de leurs idées, de l'expression de
leur façon d'être, ou de leur façon de vivre. J'aimerais
que vous me disiez simplement deux mots à ce sujet.
Le Président (M. Gagnon): M. Beaudry.
M. Beaudry: Je dois vous répondre comme ceci. La
première fois où je suis allé en France, j'ai entendu deux
commères dans un autobus qui parlaient du ménage de leur maison
et j'ai trouvé cela tellement intéressant que j'étais bien
malheureux quand elles sont descendues. Qu'on me parle de... Comment
appelez-vous cette émission? C'était un programme à quel
sujet?
M. Doyon: C'était un programme anodin où quelqu'un
avait perdu son chien...
M. Beaudry: Oui, mais on a besoin de savoir comment parler
français, même dans les domaines anodins, monsieur. Et je ne vous
dis pas que c'est ce qu'il y a de plus intéressant. C'est bien sûr
qu'à la chaîne 99, on est obligé de se contenter de
certaines émissions qui n'ont pu être vendues ailleurs, parce que
Radio-Canada en achète aussi. Mais il reste qu'en général,
c'est très intéressant de suivre cette télévision,
ne serait-ce que de nous trouver dans un milieu véritablement
français où il n'y a même pas de mauvaise publicité.
Parlant de publicité, s'il vous plaît, est-ce qu'on pourrait
demander à nos organismes d'État et à nos services
ministériels d'engager des comédiens qui parlent correctement
pour nous passer des messages? Je n'aime pas entendre Yvon Deschamps nous
parler de son "char"; je n'aime pas cela. Et il n'y a pas beaucoup de
Québécois qui aiment cela. C'est peut-être amusant sur une
scène de théâtre, mais lorsque l'Office de protection des
consommateurs veut me parler, je veux qu'il me parle en bon français:
qu'il me parle de ma voiture. Et je suis certain d'exprimer le voeu de tous les
Québécois. (16 h 30)
Parlons aussi de télévision. Comment se fait-il
qu'à Radio-Québec, on a eu un slogan aussi triste que "l'autre
télévision"? Qu'est-ce que cela veut dire "l'autre
télévision"? C'est négatif à faire pleurer. Vous
avez: "La fierté a une ville", à Montréal. J'avais presque
oublié de vous parler de cela. "La fierté a une ville"; C'est
beau cela, je vous assure. Il ne faut pas être très fier pour
parler comme cela. Vous avez en face de l'hôtel de ville de
Montréal, la ville où M. Drapeau prétend qu'il n'y a aucun
danger parce que la loi a complètement éliminé le danger
d'assimilation, vous avez un mail piétonnier qu'il voit tous les jours.
Le mot "mail" n'est pas français dans ce sens. C'est moi qui l'ai
condamné. Je l'ai condamné c'est un calque du mot "mall". Pour le
mail piétonnier, le "mall", en français on dit la rue
piétonnière. Comme il s'agit de la place de Jacques-Cartier, on a
été embêté on ne savait pas quoi dire, on a mis mail
piétonnier. On n'avait rien à mettre. Il suffit
de descendre une barrière les week-end et la place est interdite
à la circulation mais il fallait mettre des mots et on ne savait pas
quels mots mettre. C'est là que si on avait vu même une
émission aussi anodine que celle dont vous parlez, peut-être qu'on
aurait vu à ce moment un endroit où c'est écrit "rue
barrée". On a appris que des rues sont barrées et non pas
fermées en français. Vous auriez peut-être vu
déviation plutôt que détour, et toutes sortes de choses
qu'on peut apprendre. C'est parce que j'aime à étudier la langue
même a mon âge. On a beaucoup à apprendre avec des
émissions françaises, un infusion de français.
Demandons-nous où nous serions aujourd'hui si M. de Sève ne nous
avait pas fait l'immense cadeau de nous apporter du film français? Si on
n'avait pas eu France-films qu'est-ce qu'on aurait fait? Merci.
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.
M. Godin: Merci, M. Beaudry. Vous avez parfaitement raison de
nous dire que toute émission qui nous vient de France -d'autre part les
chiens savent nager et peuvent peut-être aboutir chez vous dans votre
comté, M. Doyon - toute émission qui vient de France est un cours
de français, en particulier celle de M. Bernard Pivot, Apostrophe, qui
est une pure merveille.
Merci beaucoup, M. Beaudry. Vous dites en terminant: "malgré mon
âge, je m'intéresse toujours au français." Je constate que
c'est de plus en plus que vous vous y intéressez. Je m'en
réjouis.
M. Beaudry: Bien sûr.
Le Président (M. Gagnon): Merci, monsieur. Merci
mesdames.
J'inviterais Impératif français à prendre
place.
Mme Marie Bourgeois si vous voulez bien présenter les gens qui
vous accompagnent et nous faire la lecture de votre mémoire.
Mouvement impératif français
Mme Bourgeois (Marie): D'accord.
À ma droite, M. Jules Fournier, coauteur avec Mme Claire Legault,
à ma gauche. Nous avons été trois à rédiger
ce mémoire.
Tout d'abord j'aimerais vous remercier beaucoup de nous permettre de
venir exprimer des réflexions et quelques recommandations ici concernant
la Charte de la langue française. Après la lecture de notre
mémoire, nous nous ferons un plaisir de répondre à vos
questions.
Même lorsqu'une société reconnaît
l'égalité de deux langues distinctes, il n'en demeure pas moins
que dans les faits, une de ces deux langues a préséance sur
l'autre, étant donné qu'un plus grand nombre de personnes la
parlent.
Or, au Québec la langue parlée par la majorité a
longtemps eu le statut de langue de la minorité. C'est ce que les
immigrants percevaient et nous démontraient quand ils apprenaient
l'anglais plutôt que le français. Il faut ajouter à ceci
que le contexte géosocial favorise tout naturellement l'apprentissage de
la langue anglaise. Cependant, nous croyons qu'il est primordial d'assurer la
survie du peuple francophone pour que celui-ci pense à s'ouvrir au
monde.
Le Mouvement impératif français est un organisme sans but
lucratif, non partisan, qui a vu le jour en 1975. Ses deux principaux objectifs
consistent à promouvoir la langue française et la culture
québécoise à Aylmer, dans l'Outaouais. Même en
travaillant dans une perspective québécoise, le mouvement se
défend bien de se fermer aux différentes cultures
environnantes.
Dans ce mémoire, nos propos porteront principalement sur deux
aspects, savoir: l'assimilation constante des francophones de la région
outaouaise et l'aspect de la Charte de la langue française concernant
plus particulièrement l'affichage et la langue de service.
Le premier volet qui est l'assimilation constante des francophones de la
région outaouaise. Avec une population de 27 000 habitants, Aylmer est
l'une des trois villes urbaines de l'Outaouais. Comme ses deux consoeurs, elle
est en contact étroit avec la région anglophone d'Ottawa.
Depuis 1969, la zone outaouaise a connu une forte expansion
domiciliaire, ce qui a amené plusieurs nouveaux résidents
à Aylmer. Comme l'Outaouais québécois offre des avantages
certains dans ce domaine par rapport à la région de la capitale
canadienne, la majorité de ces nouveaux résidents arrivait de
l'Ontario et était unilingue anglais. La ville devenait dans les faits
une extension de la banlieu d'Ottawa.
De plus, un establishment anglophone, fortement présent depuis
plusieurs décennies, contrôlait tous les aspects de la vie des
Aylmerois. Impuissante devant un manque d'appui aussi bien moral que politique,
la langue française n'a jamais été en mesure de
s'affirmer. La proximité de l'Ontario, notre éloignement du coeur
du Québec n'ont fait que renforcer la position de la langue de
Shakespeare.
En 1977, la Charte de la langue française vint changer les
règles du jeu. Dorénavant, il n'était plus possible de
vivre en ontarien au Québec. Ne pouvant plus envoyer leurs enfants
à l'école anglaise, une bonne partie de ces Ontariens anglophones
ont choisi de retourner dans leur province d'origine.
La Charte de la langue française venait modifier ce qui, dans
l'ordre établi, était un équilibre normal de deux langues.
C'est-à-dire que la langue anglaise devait avoir une place
privilégiée tandis que le français, facultatif en
plusieurs endroits, ne possédait que peu de valeur culturelle et
économique.
Ainsi, de 1971 à 1981, la population ayant comme langue d'usage
le français est passée de 8470 à 14 770, donc de 48,1%
à 55,7%, alors que durant la période entre 1971, 1976 et 1981, la
population ayant comme langue d'usage l'anglais a évolué ainsi:
en 1971, 51,1% et on se retrouve en 1981 avec 42,8%.
Selon ces données de Statistique Canada, nous pouvons constater
que la population francophone a gagné du terrain. Cependant, pour ce
groupe ethnique, la situation est encore précaire. En effet, si on
ajoute une colonne "langue maternelle" à la colonne de la langue
d'usage, on constate que le groupe anglophone continue à assimiler les
francophones et les allophones.
La population française de langue maternelle se chiffre par 15
685, ce qui représente 59,1%; la population de langue d'usage
française: 14 770, ce qui équivaut à 55,7%, ce qui
représente une perte de 915 et un indice de continuité de
94,2.
Quant à la population de langue maternelle anglaise, elle
représente 9925, ce qui veut dire 37,4%. La langue d'usage: 42,8%, ce
qui représente un gain de 1440 et un indice de continuité de
114,5.
Quant à la population possédant une autre langue,
allophone, le pourcentage est de 3,5% pour ceux ayant une langue maternelle
autre que l'anglais ont le français et une langue d'usage à 1,5%,
ce qui indique un perte de 525 avec un indice de continuité de 43,5.
Quant à l'interprétation de ce tableau, quand on parle de
la langue maternelle, il s'agit de la première langue apprise à
la maison, la langue d'usage étant la langue couramment utilisée
à la maison.
Les articles "gain" et "perte": le gain exprime lorsque le nombre de
personnes qui utilisent une langue est plus élevé que le nombre
de personnes la considérant comme leur langue maternelle; la perte est
lorsque le nombre de personnes qui utilisent la langue est moins
élevé que le nombre de personnes la considérant comme leur
langue maternelle.
Quant à l'indice de continuité, plus de 100 indique que le
groupe ethnique assimile d'autres groupes ethniques et moins que 100 indique
que ces groupes ethniques se font assimiler.
Donc, à la lecture de ce tableau, nous réalisons que,
malgré l'augmentation de leur nombre, les francophones continuent
à se faire assimiler. La charte était essentielle à la
francisation du Québec en 1977. Selon nous, elle l'est encore, car il ne
faut pas se leurrer: malgré les apparences, la majorité
québécoise doit se prémunir contre les pressions venant de
cette mer de 250 000 000 d'anglophones qui nous entourent. La mentalité
d'un groupe se comportant comme une minorité ne se change pas seulement
en six ans. Nous demandons donc de maintenir la Charte de la langue
française en la modifiant pour qu'elle soit plus équitable et
mieux applicable.
Le deuxième volet traite de la Charte de la langue
française, via l'affichage et la langue de service. Au cours des huit
années d'existence d'Impératif français, nous avons fait
plusieurs relevés de l'affichage public à Aylmer et à cinq
reprises, soumis des dossiers complets de commerces ne respectant pas ou la loi
22 ou, depuis 1977, la loi 101 au chapitre de la langue de service et
d'affichage des commerces.
C'est fort de cette expérience que nous présentons ici
quelques réflexions et recommandations concernant l'article 5 et
quelques articles du chapitre VII. Ainsi à l'article 5 qui se lit comme
suit: "Les consommateurs de biens ou de services ont le droit d'être
informés et servis en français", il serait important, à
notre avis, de préciser que le service doit être disponible en
tout temps.
À l'article 51, que je cite: "Toute inscription sur un produit,
sur son contenant ou sur son emballage, sur un document ou objet accompagnant
ce produit, y compris le mode d'emploi et les certificats de garantie, doit
être rédigée en français. Cette règle
s'applique également aux menus et aux cartes des vins. Le texte
français peut être assorti d'une ou de plusieurs traductions, mais
aucune inscription rédigée dans une autre langue ne doit
l'emporter sur celle qui est rédigée en français," pour
éviter certains faux-fuyants, il serait bon d'ajouter: "Quiconque
produit, importe, vend, offre un article ne se conformant pas à cette
disposition contrevient à la loi".
L'article 53: "Les catalogues, brochures, dépliants et autres
publications de même nature doivent être rédigés en
français". Toujours dans le but d'éviter des oublis
fâcheux, on spécifierait: "Quiconque conçoit, offre,
publie, distribue des catalogues, brochures, dépliants et autres
publications ne se conformant pas à cet article contrevient à la
loi".
L'article 57, et je cite: "Les formulaires de demande d'emploi, les bons
de commande, les factures, les reçus et quittances sont
rédigés en français." On complète par: "Quiconque
rédige, offre, distribue des formulaires, des bons de commande, des
factures, des reçus et quittances ne se conformant pas à cet
article, contrevient à la loi."
Quant à l'article 60: "Les entreprises
employant au plus quatre personnes, y compris le patron, peuvent
afficher à la fois en français et dans une autre langue dans leur
établissement. Toutefois, le français doit apparaître d'une
manière au moins aussi évidente que l'autre langue." Le mot
"dans" soulève beaucoup d'ambivalence et est souvent utilisé
à double sens. Il serait bon de préciser la signification exacte
du mot "dans" telle que l'envisage la Commission de surveillance de la
langue.
En ce qui concerne la dernière partie de cet article, et je cite:
"Toutefois, le français doit apparaître d'une manière aussi
évidente que l'autre langue", nous favoriserions plutôt la
formulation suivante: "Toutefois, le français doit prévaloir sur
l'autre langue."
Quant à nos recommandations: afin de combler les lacunes
soulevées dans ce mémoire et toujours dans l'optique de faire du
français la langue vraiment officielle au Québec, le Mouvement
impératif français fait les recommandations suivantes:
premièrement il est primordial d'amender la loi, afin de la rendre plus
facilement exécutoire dans le but d'éviter les
ambiguïtés actuelles qui la rendent inopérante; il est
essentiel d'augmenter le personnel de la Commission de surveillance de la
langue afin que cette dernière puisse fonctionner sur la totalité
du territoire québécois, évitant ainsi la délation
que nous jugeons socialement néfaste; troisièmement, il est
très important que des plaintes soient déposées par le
Procureur général lorsqu'un cas de mauvaise foi évidente
persiste et que des amendes significatives soient infligées afin que la
loi soit prise au sérieux.
Nous concluons donc ainsi: Comment redonner au français le statut
qui lui revient de droit? Comment faire du français la langue d'usage au
travail, dans les affaires, la langue que les immigrants choisissent tout
naturellement pour s'intégrer à la communauté
québécoise? Selon nous, la Charte de la langue française
demeure un outil important pour atteindre cet objectif, ce qui implique
évidemment le maintien de l'affichage unilingue français.
Car, aussi longtemps que le français dans l'esprit des
Québécois n'aura pas le statut de langue principale, aussi
longtemps que les Québécois continueront de passer du
français à l'anglais dès que, dans un commerce, on leur
dit: I do not speak French ou tout simplement à baisser la tête
lorsqu'ils n'ont pas le bonheur de parler l'anglais, la Charte de la langue
française aura sa place chez nous. Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci, madame. M. le
ministre.
M. Godin: Mme Bourgeois, Mme Legault, M. Fournier, ce n'est
peut-être pas un hasard que vous soyez les derniers à
comparaître devant nous et à nous rappeler qu'il faut que le
français soit vu au Québec et qu'il faut éviter de revenir
à cette espèce d'ambiguïté qui existait et qui
donnait à penser aux gens qu'il n'y avait pas de langue au
Québec. Il y en avait tellement qu'il n'y en avait pas. Avec le
résultat que des phénomènes sociaux se sont produits,
l'assimilation étant le pire de ces phénomènes pour la
survie d'une minorité en Amérique du Nord et au Canada, la
minorité que nous sommes.
On voit aujourd'hui les effets de la loi 101 et on en a oublié
les causes. On a oublié les raisons pour lesquelles cette loi a
été adoptée et on a oublié surtout que la loi 101 a
découlé d'un processus de réflexion collective au
Québec qui a duré pendant presque une génération,
pendant presque 20 ans. Votre mémoire nous rappelle l'essentiel de ce
que fut cette réflexion et les objectifs que poursuivait cette
réflexion.
D'autre part sur les points précis que vous soulevez, je suis
d'accord avec le principe de rendre la loi plus claire et plus facilement
exécutoire dans le but d'éviter des ambiguïtés
actuelles qui la rendent inopérante. En ce qui me concerne, je ne vous
dis pas sur quels articles nous interviendrons, mais c'est un des objectifs que
poursuit cette commission et sur lesquels ces travaux nous amènent
à conclure qu'il faut effectivement que la loi soit rendue plus
claire.
Dans votre deuxième recommandation, je m'arrêterai deux
secondes sur le mot "délation". Au fond, ce que vous appelez
délation, c'est une personne qui porte une plainte à un organisme
reconnu de l'État québécois, créé par le
Parlement et dont la tâche, la mission, le mandat est de recevoir de
telle plainte, d'enregistrer le nom de la ou des personnes qui portent la
plainte et de faire enquête. C'est un principe élémentaire
et fondamental de notre droit ici. Il y a un grand nombre d'organismes qui
enregistrent des plaintes formulées par des personnes et qui agissent au
nom de ces personnes. Quand l'intérêt public est en jeu, ce n'est
pas à la personne d'assumer la protection de l'environnement, par
exemple, ou que les limites de vitesse sur les routes soient respectées
ou que les droits de la personne soient respectés, mais c'est à
l'État. Ainsi, dans la loi 101, c'était à l'État de
s'assurer que la loi 101 est respectée.
Il n'est donc pas question pour nous de modifier la règle qui
ferait que ce soit Mme Marie Bourgeois qui serait accusatrice dans une cause de
non-respect de la loi 101. C'est l'État qui doit assumer cela car ce
dont il s'agit, c'est de l'intérêt public et c'est l'État
qui est le gardien de l'intérêt public. Pour moi, le mot
"délation" ne me semble pas bien choisi pour rendre votre idée,
dans la
mesure où il s'agit tout simplement de citoyens qui font leur
métier de citoyens. Chacun doit voir à ce que les lois soient
respectées tant qu'elles existent.
Enfin, le troisième point, il y a des plaintes qui ont
été portées par le Procureur général face
à certains cas de mauvaise foi évidente qui persistent. Chacune
de ces causes devient une cause type et ce n'est que quand chacune de ces
causes-là aura fait son chemin de croix judiciaire, c'est-à-dire
que ce sera rendu jusqu'en Cour suprême, que nous serons en mesure de
voir si d'autres plaintes peuvent être portées. Il est certain que
la phase 2 de la loi 101, si elle s'accompagne d'assouplissements par rapport
à certains principes que j'ai déjà évoqués
ici, s'accompagnera aussi d'un rappel de principes non moins importants
auprès de ce qu'on appellerait les récalcitrants, aussi bien dans
le domaine fondamental de la langue du travail que dans d'autres secteurs. Il
n'est pas question pour nous de renoncer à toute intervention, quelle
qu'elle soit. Nous prendrons des mesures pour que la loi 101 s'applique.
Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le
député de Gatineau.
M. Gratton: J'aimerais remercier Mmes Bourgeois et Legault et M.
Fournier d'être venus nous présenter leur mémoire. Je le
fais avec d'autant plus d'aise que j'avais le plaisir, il n'y a pas si
longtemps, de représenter la ville d'Aylmer qui faisait alors partie du
comté de Gatineau à l'Assemblée nationale et, à ce
titre, j'ai eu l'occasion à quelques reprises d'échanger de la
correspondance et même de souhaiter des débats qui n'ont jamais eu
lieu et qui auraient pu être intéressants. L'offre demeure
toujours ouverte, je suis sûr qu'il en est de même de votre
côté.
Il y a quelques précisions que j'aimerais que vous m'apportiez.
Votre mémoire a le mérite d'être clair lui aussi. Je pense
bien qu'on n'a pas à se poser de questions sur vos recommandations et
sur les conclusions auxquelles vous en arrivez. Quand vous demandez de
préciser, en tout temps, que les services soient disponibles, je
présume que ce doit être parce que cela vous arrive à
l'occasion de vous faire dire: "We do not speak French." Cela vous arrive-t-il
souvent? Dans quelle sorte de commerce? Est-ce que c'est seulement un irritant,
parce qu'on en parle beaucoup de ce temps-ci, ou si c'est une pratique qui est
répandue dans Aylmer?
Mme Bourgeois: Quand on parle d'un service disponible en tout
temps, dans la majorité des commerces à Aylmer, on a la chance
d'être servi en français, mais souvent la première approche
que le commerçant ou la personne qui est au comptoir va avoir avec la
clientèle sera la langue anglaise. Quand il nous arrive de demander un
service en français, on ne tient pas à s'adresser
nécessairement en anglais, souvent on n'a pas, sur place, des gens qui
peuvent nous répondre. On demande à d'autres clients. On aimerait
qu'en tout temps il y ait quelqu'un, pas nécessairement que la personne
soit bilingue, mais que, dans l'établissement, il y ait un autre
employé qui puisse nous donner le même service en français,
en tout temps. Pas se servir de la clientèle, des gens autour, d'un
passant. Même si le commerçant a de la difficulté à
s'exprimer en français, qu'il puisse s'assurer que sa clientèle
peut être servie en tout temps.
M. Gratton: Si je comprends bien, il s'agit surtout de petites
entreprises. M. Fournier voudrait ajouter quelque chose.
M. Fournier (Jules): Je pourrais peut-être préciser.
On peut dire qu'à Aylmer, il y a à peu près maintenant une
dizaine d'entreprises, de petits dépanneurs, de petits restaurants,
où on ne peut pas encore se faire servir en français. Il y a eu
beaucoup de chemin de fait. C'est pourquoi, tantôt, Marie disait qu'on ne
veut pas spécialement que tout le monde parle français; on sait
que, dans des petits endroits, c'est difficile. Mais on aimerait que, sur
place, il y ait au moins une personne qui puisse nous servir en
français, comme la charte nous le garantit.
M. Gratton: Oui, je comprends bien le sens de votre intervention.
Là où j'aurais de la difficulté à l'inscrire, comme
vous le recommandez, dans la loi, c'est qu'on pourrait risquer de brimer la
liberté d'un individu qui voudrait ouvrir un commerce et être
seul. Surtout pour des commerces qui commencent, il arrive qu'on ait une
personne seule qui peut être unilingue anglaise et je ne pense pas que
personne ne veuille imposer le bilinguisme intégral. On pourrait brimer
par cet... Il me semble qu'il devrait y avoir moyen d'obtenir le
résultat que vous recherchez sans pour autant s'exposer à placer
ces personnes dans l'embarras.
M. Fournier: Je peux répondre. Vous avez vu que notre
mémoire était très modéré. Comme je l'ai dit
tantôt, nous ne souhaitons pas que tout le monde parle français,
parce que nous savons que c'est impossible; mais nous travaillons dans une
perspective québécoise et nous croyons important que, dans chaque
établissement, au moins une personne puisse nous servir rapidement en
français. Nous croyons à cela.
M. Gratton: La meilleure façon de s'assurer qu'on obtient
des services en français, surtout quand c'est de la mauvaise
volonté de la part d'un commerçant, c'est de
ne pas y retourner. J'ai l'impression que cela ne prendrait pas grand
temps - compte tenu du contexte d'Aylmer - pour qu'un commerçant
s'aperçoive qu'il y a des problèmes matériels à une
attitude qui serait intransigeante et manifestement négative à
l'endroit des francophones.
Une dernière question. Est-ce que toute cette discussion autour
de la possibilité que des dispositions de la loi 101 soient
amendées par le gouvernement - notamment en ce qui a trait aux services
en français et à l'affichage - vous a amenés - parce que
je sais combien vous êtes actifs dans le domaine - à constater
qu'il y a un relâchement de la part des gens d'Aylmer? Est-ce qu'on se
dit: On va attendre? Par exemple, au point de vue de l'affichage.
M. Fournier: Je peux vous dire que, juste avant l'élection
de 1981, il y avait un relâchement, les gens sentaient un certain
mouvement et cela n'a pas pris grand-chose pour que les gens arrêtent. On
a l'impression que les gens n'ont pas pris le pli, c'est-à-dire que la
plupart des gens maintenant respectent la loi, mais ils le font parce qu'ils
sentent une menace. Aussitôt que la menace ne serait plus là, pour
une raison ou pour une autre, on a l'impression que le pli n'est pas encore
pris; donc, ils retourneraient sans doute à l'affichage anglais. C'est
un milieu difficile.
Mme Legault (Claire): Je pourrais ajouter que des corrections ont
été faites, mais ce sont des corrections qui ne sont que
temporaires. Dans le sens qu'on a masqué avec du ruban gommé des
appellations anglophones, mais ce sont des corrections qui pourraient
facilement être annulées.
Mme Bourgeois: Cela demeure fragile. Mme Legault: Cela
demeure fragile. M. Gratton: Je vous remercie.
Le Président (M. Gagnon): Merci. Mme la
députée de Dorion.
Mme Lachapelle: Mesdames, monsieur, tout d'abord, je voudrais
vous remercier de votre mémoire, je pense qu'il est clair et
précis. J'ai seulement une petite question à vous poser.
À la lecture de votre mémoire, j'ai surtout
accroché - excusez le terme - à l'article 51, quand vous parlez
de modifier cet article en regard des commerces spécialisés dans
la vente d'un seul produit. Avez-vous mesuré l'impact de cette
modification?
Mme Bourgeois: Pourriez-vous reformuler votre question?
Mme Lachapelle: Oui, je vais recommencer. Avez-vous mesuré
l'impact de la modification que vous suggérez à l'article 51 en
regard des commerces spécialisés dans la vente d'un seul produit?
Un exemple, l'électronique. Avez-vous mesuré l'impact d'une telle
modification? (17 heures)
M. Fournier: Je peux vous dire que le texte qu'on a
ajouté, c'est pour pallier la lacune suivante. Nous faisons partie de ce
qu'on peut appeler la frontière, c'est-à-dire que, de l'autre
côté de chez nous, c'est l'Ontario, une autre province. Il arrive
chez nous qu'on prenne un produit quelconque qui est fabriqué en
Ontario, ce qui fait que, lorsqu'on essaie de faire appliquer la loi, autant
l'article 51 que les articles 53 et 57, on se fait dire: Cela a
été fait en Ontario; donc, on ne peut rien faire. La loi n'est
pas applicable en ce moment. La commission de surveillance a beaucoup de
difficulté à la faire appliquer. On n'a pas fait d'étude
d'impact économique et tout. Tout ce qu'on essaie de vous dire, c'est
que la loi est difficilement applicable de la façon dont elle est
écrite. On a eu des conseils, à un moment donné, du
conseil de la surveillance.
Mme Legault: Votre exemple, pour les produits
électroniques, c'est cela. Si le guide explicatif n'est qu'en anglais,
la loi n'a plus de juridiction sur cela.
Mme Lachapelle: Si j'ai bien compris, vous voulez la traduction
française accompagnant les explications et les directives.
Mme Legault: Tout simplement. Mme Lachapelle: Parfait!
Merci.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Bourassa.
M. Laplante: Seulement une courte question. Dans votre
mémoire, à un moment donné, vous dites qu'en 1976 il y a
eu des départs de citoyens de la communauté anglophone qui sont
allés vers l'Ontario. Dans la communauté anglophone qui demeure
ici actuellement, avez-vous senti depuis 1977 une bilinguisation plus grande
des citoyens? Sont-ils un peu plus bilingues qu'ils ne l'étaient
auparavant?
Mme Legault: Ce serait difficile de répondre à
cette question.
M. Laplante: Vous n'avez pas de chiffres, rien?
Mme Legault: Non, pas vraiment. Il n'y a pas eu
d'évaluation qui a été faite de la francisation de la
population anglophone.
C'est difficile à dire.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce oui ou non? Mme Legault: Je ne le
sais pas.
Mme Lavoie-Roux: Vous ne le savez pas?
Mme Legault: On ne pourrait pas le dire. C'est difficile. Je n'ai
pas de chiffres pour avancer qu'il y a eu un changement. Je ne le sais pas.
Mme Lavoie-Roux: Mais nous, c'est drôle, on s'en
aperçoit à Montréal qu'ils sont plus bilingues qu'avant,
si vous, vous n'êtes pas capables de le dire. Je n'ai pas de
statistiques.
M. Fournier: Je pourrais peut-être vous dire que ce qui est
arrivé en 1977, entre autres, c'est que beaucoup d'anglophones sont
repartis en Ontario d'pù ils venaient, parce qu'ils ne pouvaient pas
faire éduquer leurs enfants dans leur langue maternelle. Les anglophones
qui sont restés, pour la plupart, sont ceux qui habitaient ici depuis un
bon bout de temps. Donc, ils n'ont pas été affectés par la
loi 101. Je ne peux pas vous dire s'il y a eu une bilinguisation des gens ou
non. Je ne peux pas vous le dire.
M. Laplante: Le député de Gatineau pourrait
peut-être nous répondre.
M. Gratton: Je vous donnerai cela en vrac demain.
Le Président (M. Gagnon): Un instant! Un instant!
Avez-vous terminé, Mme la députée de L'Acadie?
Mme Lavoie-Roux: Oui, oui. Je n'ai pas de réponse à
ma question, mais cela va.
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre, avez-vous un mot
à ajouter?
M. Godin: Un bref mot pour vous remercier d'être venus ici
de si loin. Non? Ce n'est pas si loin que cela, M. le député de
Gatineau? Parce que nous, à Québec, cela nous paraît loin.
En tout cas, merci d'être venus et soyez sûrs que vos remarques
sont prises en considération par le gouvernement. Merci, monsieur.
Merci, mesdames.
Le Président (M. Gagnon): Merci au Mouvement
impératif français de sa participation à cette commission.
En vous remerciant, je voudrais remercier aussi tous les invités que
nous avons eus depuis une dizaine de jours, puisque vous êtes les
derniers à l'ordre du jour de cette commission. M. le ministre,
avez-vous un mot de la fin?
Conclusions
M. Godin: M. Gratton, peut-être.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Gatineau.
M. Michel Gratton
M. Gratton: M. le Président, très
brièvement, si on me permet à la fin de ces travaux, j'aimerais
d'abord remercier, comme vous l'avez fait à l'endroit de nos
invités, tous nos invités, bien entendu, mais aussi tous les
membres de la commission et particulièrement - il faut le dire - le
ministre pour l'accueil chaleureux qu'il a permis d'offrir à tous nos
invités. De façon plus particulière, je voudrais remercier
ceux de mon parti qui ont travaillé, je pense, dans un climat qui n'a
sûrement pas déplu au ministre et qui a été de
nature à faciliter le plus possible la discussion franche, mais sereine
d'une question qui, jusqu'à il n'y a pas si longtemps, demeurait quand
même parfois explosive.
J'aimerais également remercier le personnel du Secrétariat
des commissions -et en me tournant, je vois un étranger, M. le
Président - qui nous a rendu d'énormes services au cours de nos
travaux, souvent dans des conditions qui ne sont pas tellement faciles. Je
pense qu'on n'exagère jamais en soulignant le travail fort opportun
qu'il accomplit dans la bonne organisation des travaux des commissions
parlementaires.
M. Fortier: Ceux qui font la transcription.
M. Gratton: Je remercie aussi, bien entendu, les gens du journal
des Débats, les cameramen, les "camérapersons", qui ont permis
à un plus grand nombre de citoyens d'être mieux informés
sur la politique linguistique et les services de recherche des deux
côtés. Le ministre est en mesure de savoir jusqu'à quel
point les services de recherche de l'Opposition sont à la fine pointe
des moindres détails. Je lui en ai fourni la preuve en aparté il
y a quelques jours.
Bref, M. le Président, merci à tout le monde et
espérons que, le 15 novembre, on sera en aussi grande sympathie avec le
ministre que nous le sommes présentement.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député de Gatineau. M. le ministre.
Oui, M. le député de D'Arcy McGee?
M. Marx: Vous m'avez demandé de garder mes questions de
règlement pour la fin.
Le Président (M. Gagnon): Je croyais
que vous les aviez posées quand même, au fur et à
mesure.
M. Marx: Non, non, je n'ai pas...
Mme Lavoie-Roux: À la prochaine commission
parlementaire.
M. Marx: La persévérance est une qualité ou
une vertu, ou je ne sais pas quoi.
Ma question de règlement porte sur ceci. Il y a deux ou trois
semaines, j'ai demandé au ministre tous les documents qui sont sur la
liste dont: Office de la langue française, rapport de recherche. Il m'a
promis tous les documents. J'ai eu une rencontre avec quelqu'un du
ministère qui m'a dit qu'il serait difficile de fournir tout cela cette
semaine. Je comprends qu'il faut faire des photocopies, etc. Donc, j'ai fait la
liste d'un certain nombre d'études. C'est une question de
règlement qui vous concerne, M. le Président, parce que la lettre
vous a été adressée ce matin et les études
demandées y étaient attachées. J'ai essayé d'avoir
ce que j'ai demandé et je vois qu'il y a deux études qui manquent
sur les huit ou neuf que j'ai demandées, dont "L'OLF, ses pouvoirs, ses
rôles, sa place". Peut-être que c'est un oubli, un "oversight".
L'autre, d'André Martin, "Profil sociolinguistique et rendement à
l'examen de français de l'Office de la langue française", Service
de la recherche socio-linguistique, OLF, 1983, 143 pages, rapport interne. Je
n'ai pas eu ces deux études. Peut-être que cela est un oubli.
J'aimerais que le ministre m'assure que je vais avoir toutes les autres
études d'ici le 15, le 20 ou le 25 novembre. Si le ministre me donne une
date, je sais que je peux me fier à lui.
Voici le deuxième volet de ma question de règlement. Je
sais que le ministre est beaucoup plus rapide que les juges qui ont souvent
l'habitude de prendre les choses en délibéré pendant six
mois alors qu'il s'agit de trancher une question assez simple. Est-ce que le
ministre va nous fournir le guide d'interprétation, tel que
déjà promis au moins deux fois à cette commission?
J'espère que le ministre pourra nous donner le guide tout de suite
étant donné que ses fonctionnaires sont juste derrière lui
et que je suis certain qu'ils ont tous les documents pertinents avec eux.
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.
M. Godin: Je note le premier volet de la question: "L'OLF, ses
pouvoirs, ses rôles, sa place" et Profil sociolinguistique des personnes
soumises aux tests. Je vais tenter de vous faire tenir ces documents dans les
plus brefs délais. Quant au guide d'interprétation, je vous ai
répondu ce matin et ma réponse tient toujours.
M. Marx: Et les autres documents que vous m'avez promis qui se
trouvent dans cette liste?
M. Godin: Le plus tôt possible.
M. Marx: Cela veut dire quoi?
M. Godin: À la rentrée parlementaire.
M. Marx: Avant Noël?
M. Godin: Avant la rentrée parlementaire.
M. Marx: Ah bon.
Une voix: Donc, avant le 15 novembre.
M. Marx: Et le guide, c'est encore en
délibéré? Faudra-t-il que je pose cette question au salon
bleu chaque jour pendant un mois?
M. Godin: Vous ferez ce que vous voudrez, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Gagnon): Un instant!
M. Marx: Est-ce que le ministre va nous dire...
Le Président (M. Gagnon): Un instant. Un instant.
M. Godin: Non, non, M. le député de Gatineau... M.
le Président.
Le Président (M. Gagnon): Un instant. M. le
député de D'Arcy McGee parlait en vertu d'une question de
règlement. Alors, on va le laisser terminer.
M. Godin: D'accord.
M. Marx: Le ministre a promis. Il a donné sa parole
à cette commission. Est-il en train maintenant de nier et de dire: Ma
parole, cela ne veut pas dire grand-chose: parce que quelqu'un à
l'office m'a dit que cela va embarrasser des fonctionnaires, donc, je ne peux
pas donner cela au Parlement? Il est en train de dire cela. Il a donné
sa parole. Maintenant, on est en commission parlementaire et il est en train de
revenir sur ses paroles. Je trouve cela inacceptable non seulement pour les
membres de la commission, mais aussi pour le président. Il vous a
donné sa parole. Maintenant, il est en train de la retirer et sans nous
fournir une raison qui se tient.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
ministre.
M. Godin: Do not break the furniture, Mr. Member. Je vais prendre
en délibéré le deuxième volet de votre question, je
vous l'ai dit ce matin. Je vous répète ma réponse. Je vais
prendre votre question en délibéré.
M. Marx: "Not good enough". Vous avez promis.
M. Godin: Est-ce que je peux conclure? Est-ce que le
député de D'Arcy McGee a terminé?
Le Président (M. Gagnon): II a terminé. M. le
ministre vous avez la parole.
M. Gérald Godin
M. Godin: Sur le même ton sérieux et amical, je dois
dire, que le député de Gatineau a utilisé pour
décrire les travaux de cette commission, je dois rendre hommage à
chacun des membres de cette commission pour la qualité du travail qui a
été accompli ici. Lors de l'ajournement du 19 octobre, il a
été dit à quelques reprises que les députés
étaient en vacances. Tout le monde a pu constater qu'il s'est abattu
à cette commission un travail considérable et très
sérieux, je tiens à le souligner. De ce côté-ci de
la Chambre, nous nous réunissions tôt le matin et nous terminions
nos soirées tard pour analyser les mémoires et pour nous
préparer pour le lendemain. C'étaient des journées de 15
à 18 heures pendant une dizaine de jours; c'est une masse d'heures
considérable. Je suis sûr que, de l'autre côté, si
j'en juge par la qualité des questions qui ont été
posées, cela a été autant de travail que de ce
côté.
D'autre part, ce qui m'a frappé par rapport à l'autre
commission parlementaire d'il y a six ans à laquelle j'ai
participé, c'est que les échanges étaient beaucoup plus de
ce côté-ci vers nos invités que de ce côté
à l'autre côté ou de l'autre côté à ce
côté-ci, en ce sens que nous n'étions pas ici pour nous
crêper le chignon entre Opposition et gouvernement, mais bien pour nous
informer en toute honnêteté et avec le plus grand sérieux
pour que les amendements à cette loi correspondent à ce que
j'appellerais le nouveau consensus qui existe au Québec sur la question
linguistique.
Aussi, je dis dès maintenant aux entreprises qui sont en voie de
se franciser que les méthodes, les procédures, la documentation
qui accompagnent ces programmes de francisation feront l'objet d'une
évaluation et d'une révision et que cette révision sera
faite conjointement par les représentants de l'Office de la langue
française, les gens de chez nous au ministère et les gens de ces
milieux d'affaires qui ont tout de même, à 93% embarqué
à fond de train dans cette opération de francisation.
Je vais répéter une chose que j'ai dite pendant la
commission, brièvement, si vous me le permettez, M. le Président.
On a fait état des coûts qu'imposait aux entreprises ce travail de
francisation, mais quiconque a étudié l'ergonomie,
c'est-à-dire les conditions de travail et de qualité de vie
à l'intérieur des usines, à l'intérieur des lieux
où les gens travaillent, a pu constater que, partout où
l'employeur respecte ses employés, partout où l'employeur
respecte la culture, la langue, les goûts, l'imagination créatrice
de ses employés, les résultats sont meilleurs, la
productivité est meilleure et le climat qui règne est meilleur.
Quant à moi, je suis persuadé - et j'ai l'intention de faire
approfondir cette question par nos chercheurs - que les coûts de la
francisation assumés par l'entreprise et par le gouvernement - ce sont
des coûts conjoints- sont largement compensés par un sentiment
d'appartenance que les travailleurs doivent ressentir en voyant que leur
employeur commence à les respecter, commence à respecter la
langue qu'ils parlent et commence à tenir compte de leur
spécificité culturelle. C'est un placement extrêmement
rentable pour une entreprise que de respecter ses travailleurs et ses
travailleuses.
Enfin, il reste quelques points à préciser. Je vais
reprendre une citation que j'avais déjà utilisée: Une
langue, c'est un dialecte qui dispose d'un marché. Si le
français, au Québec, n'était pas parlé par 6 000
000 de personnes qui dépensent chaque année des dizaines de
milliards de dollars si le français, en Amérique du Nord,
n'était pas porté par ce poids économique, il n'existerait
plus. C'est dans cette perspective que chaque dollar qui est
dépensé par un francophone en Amérique du Nord, au
Québec, doit trouver de la part de l'entreprise qui lui vend son produit
un respect de son poids économique. Si nous n'accordons pas à
notre poids économique son aspect culturel, son aspect linguistique,
à plus ou moins long terme... Je ne pense pas à demain ni dans
cinq ans ou dans dix ans; je pense à la génération qui
viendra et à celle qui suivra. Je pense que chacune des
générations qui viendra après la nôtre doit
envisager le français comme étant d'abord et avant tout une force
économique. Avec cette force économique, nous devons faire en
sorte que notre langue soit respectée; elle sera respectée dans
la mesure où le Québec sera fort et parlera français.
Le point qui reste et sur lequel nous travaillerons communément
avec le ministère de la Science et de la Technologie, c'est comment
s'assurer que les logiciels, les ordinateurs qui entrent au Québec
respecteront le caractère français du Québec. Ce n'est pas
un mince problème. Il faudra trouver, encore là, un point
d'équilibre concernant le nécessaire accès des
Québécoises et des Québécois aux logiciels
et aux ordinateurs les plus récents qui existent. Il ne faudra donc pas
ériger de barrière de Chine autour du Québec qui
empêcherait l'entrée ici de quelque découverte, de quelque
instrument technique que ce soit. En même temps que ce progrès
technique parvient au Québec, il ne faudrait pas qu'on y laisse notre
culture et surtout notre langue. Nous travaillerons donc, ainsi que plusieurs
de mes collègues, à trouver une solution à ce
problème qui peut s'avérer le problème clé de la
survie du français pour demain au Québec.
En terminant, M. le Président, madame et messieurs de
l'Opposition, de ce côté de la Chambre, nous allons continuer
à travailler pour être en mesure de déposer à la
Chambre, vers la mi-novembre - je ne donne pas de date précise parce que
le député de D'Arcy McGee peut m'intenter une poursuite s'il y a
une heure de retard - le fruit de vos travaux et de nos travaux, car nous les
avons faits conjointement.
Je veux remercier tout le monde: d'abord et avant tout, la loyale
Opposition de l'Assemblée nationale, mes collègues avec qui on a
travaillé la main dans la main, le personnel du Secrétariat des
commissions, les messagers qui nous ont assistés fraternellement et
parternellement pendant cette longue période et, également, le
personnel qui assure la propreté des lieux, qu'on oublie souvent, et qui
fait en sorte que nous travaillons ici dans une atmosphère reposante
pour l'esprit et le cerveau. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. En
terminant, je voudrais dire que la commission qui avait comme mandat d'entendre
tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue
française s'est très bien acquittée de cette tâche
puisque, jusqu'à maintenant, nous avons étudié, nous avons
écouté et nous avons interrogé des invités pendant
68 heures et 20 minutes. On avait environ 60 groupes invités, ce qui
veut dire que des centaines d'invités sont venus nous donner leur
opinion sur la Charte de la langue française. Je voudrais les remercier
encore une fois. Je voudrais remercier les membres de la commission qui m'ont
facilité la tâche comme président. Je voudrais aussi
remercier les employés de l'Assemblée nationale.
En terminant, je voudrais demander au député de Bourassa
de faire rapport à l'Assemblée nationale que la commission des
communautés culturelles et de l'immigration a rempli son mandat.
Sur ce, j'ajourne les travaux sine die.
(Fin de la séance à 17 h 20)