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(Neuf heures dix minutes)
Le Président (M. Laplante): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission permanente des communautés culturelles et de
l'immigration reprend ses travaux aux fins d'entendre des mémoires
relativement à la Charte de la langue française, la loi 101.
Les membres de cette commission sont: M. Ciaccia (Mont-Royal), M.
Dupré (Saint-Hyacinthe), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Fallu
(Groulx), M. Godin (Mercier), M. Gratton (Gatineau), Mme Lachapelle (Dorion),
M. Laplante (Bourassa), M. Leduc (Fabre), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie) et M.
Sirros (Laurier).
Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Doyon
(Louis-Hébert), M. Brouillet (Chauveau), M. Dupré
(Saint-Hyacinthe), M. Gauthier (Roberval), M. Lincoln (Nelligan), M. Martel
(Richelieu), M. Polak (Sainte-Anne) et M. Marx (D'Arcy McGee).
Les mémoires que nous entendrons aujourd'hui sont les suivants:
l'Institut conjoint hospitalier de Montréal, le Congrès juif
canadien, la Commission des valeurs mobilières du Québec et le
Centre de linguistique de l'entreprise.
J'appelle les représentants de l'Institut conjoint hospitalier de
Montréal. Si vous voulez bien présenter...
Procès en français pour les
Franco-Ontariens
M. Godin: M. le Président, avant de commencer, j'aimerais
solliciter l'appui de l'Opposition pour que nous exprimions notre satisfaction
à la suite de la décision du gouvernement ontarien d'accorder,
non seulement par une concession verbale et arbitraire, mais par une loi, le
droit des Franco-Ontariens d'avoir des procès en français dans
les cours de l'Ontario.
M. Gratton: Je m'excuse, mais je n'ai pas...
M. Godin: Je sollicite votre appui pour que nous nous
réjouissions ensemble et que nous manifestions notre satisfaction
à la suite de la décision du gouvernement ontarien de
reconnaître aux Franco-Ontariens, par une loi, le droit d'avoir des
procès en français dans les cours ontariennes.
M. Gratton: Volontiers, M. le Président. Je
félicite même le ministre de le souligner. Cela m'avait
échappé.
Le Président (M. Laplante): Monsieur, si vous voulez bien
vous présenter ainsi que les personnes qui vous accompagnent, s'il vous
plaît!
Auditions
Institut conjoint hospitalier de
Montréal
M. Barkun (Harvey): Merci, M. le Président. M. le
ministre, mesdames et messieurs, je suis le Dr Harvey Barkun, directeur
général de l'Hôpital général de
Montréal. À ma gauche, Me Pierrette Rayle-Gomery,
présidente du conseil d'administration de l'Hôpital de
Montréal pour enfants; Me Alex Paterson, notre conseiller juridique et
professeur adjoint à la faculté de médecine de
l'Université McGill, en jurisprudence médicale. À ma
droite, le Dr Alan Mann, directeur du département de psychiatrie
à l'Hôpital général de Montréal et professeur
titulaire de psychiatrie à la faculté de médecine de
l'Université McGill, et Mme Élaine Séra-fini, directrice
des soins infirmiers à l'hôpital de Montréal pour
convalescents.
Nous sommes là aujourd'hui, représentant quelque 29
hôpitaux anglophones de la région de Montréal et aussi un
hôpital à Sherbrooke. Si vous voulez bien regarder le
mémoire que nous avons envoyé, nous représentons
également trois centres d'accueil.
Le Président (M. Laplante): Vous pouvez continuer,
monsieur.
M. Barkun: Merci, M. le Président. Nous présentons
ce mémoire aujourd'hui au nom d'établissements qui ont tous
reçu le certificat de reconnaissance prévu aux termes de
l'alinéa f) de l'article 113 de la Charte de la langue française,
étant donné qu'ils fournissent tous des services à des
personnes qui, pour la majorité, parlent une autre langue que le
français.
Ces établissements qui, de tout temps, ont entretenu des liens
étroits avec la communauté de langue anglaise dans son ensemble
constituent un vaste échantillon représentatif du système
de santé au Québec. Il s'agit de centres d'enseignement
hospitaliers, d'hôpitaux de soins intensifs, de conva-
lescence, de traitements des maladies chroniques, de maisons de soins
pour les personnes âgées et de centres de traitements
spécialisés. Ces organismes sont étroitement liés
à d'autres établissements du réseau des affaires sociales,
notamment à des centres de services sociaux, des centres d'accueil et
des centres communautaires locaux.
Chaque année, ils offrent leurs services à plus de 1 000
000 de patients. Ces établissements ont un effectif global de plus de 20
000 personnes, administrent un budget total de plus de 500 000 000 $ et offrent
toute une gamme de services à un public composé de 60% à
100% de non-francophones.
Une très longue tradition veut que plusieurs de ces
hôpitaux dispensent des soins aux malades et aux blessés, tout en
enseignant les sciences de la santé. Ils comptent dans leurs rangs
certains des plus anciens établissements hospitaliers du Canada dont la
réputation internationale est de tout premier ordre. Pour eux, la
recherche ne peut être dissociée ni de la pratique ni de
l'enseignement. Ces hôpitaux ont été mondialement reconnus
comme chefs de file de la recherche médicale. Ils ont été
capables de recruter des chercheurs et de réaliser des
découvertes qui ont été appliquées à
l'échelle internationale. Il va de soi que les Québécois
sont les premiers à être informés de ces
découvertes, et également les premiers à en profiter.
Tous nos hôpitaux ont établi des liens très
étroits avec les communautés qu'ils servent et avec la province
où ils exercent leurs activités. Ces communautés comptent
énormément sur les services qu'ils dispensent et nombre de ces
établissements entretiennent des relations suivies avec le reste du
Canada, de l'Amérique du Nord et du monde entier. Le caractère
international de ces hôpitaux et leur renommée profitent à
la population du Québec, dans son ensemble, et ce, de multiples
façons. Dans le domaine médical, le Québec se fait
connaître par des découvertes qui attirent les chefs de file de la
médecine et nous permettent de bénéficier de leur
expérience et de leurs connaissances. Chaque découverte lance de
nouveaux travaux de recherche, ce qui contribue à créer des
emplois. L'importance des retombées économiques directes et
indirectes de tels programmes de recherche et d'enseignement est
évidente.
Tous les établissements présentant ce mémoire
aujourd'hui ont produit un effort authentique et sincère pour se
conformer à l'esprit et à la lettre de la Charte de la langue
française. De grands progrès ont été accomplis au
niveau de la communication verbale et écrite, de l'information au
public, ainsi que dans le recrutement de personnel pouvant communiquer
facilement en français. Nous cherchons à parvenir à un
bilinguisme total dans le but de pouvoir offrir des services en français
à notre clientèle de langue française, en anglais,
à notre clientèle de langue anglaise et, si possible, dans leur
langue aux diverses communautés ethniques. Nous croyons que les
progrès accomplis par nos établissements peuvent être
facilement démontrés. La communication est un
élément essentiel des services de santé. C'est dans leur
propre langue que les malades mentaux, les adolescents, les personnes
âgées et, en fait, tous les malades peuvent recevoir les meilleurs
soins et être traités le plus humainement possible. Il n'est pas
nécessaire de présenter des statistiques ou des preuves aux
Québécois pour les convaincre qu'un enfant blessé dans un
accident, ou devant subir une intervention chirurgicale ou même une
simple injection doit être soigné dans sa propre langue.
Il y a au Québec au moins 700 000 personnes qui
considèrent qu'elles appartiennent à la communauté de
langue anglaise. Il est essentiel pour cette catégorie de population de
recevoir ces services dans les établissements de langue anglaise. Ce
mémoire expose les modifications minimales qu'il conviendrait selon nous
d'apporter à la Charte de la langue française pour que nos
établissements puissent non seulement survivre mais aussi assurer leur
mission.
L'importance de dispenser ces services dans la langue du
bénéficiaire est inséparable de cet objectif. Depuis que
le projet de loi no 1 a été soumis aux
délibérations de l'Assemblée nationale en 1977, rien ne
s'est produit qui puisse nous faire changer d'opinion sur la question.
Cependant, nous sommes également soucieux de sauvegarder les
établissements de langue anglaise, non seulement parce qu'ils ont
toujours fait partie intégrante de la vie et de la culture du
Québec, mais aussi parce qu'ils ont un rôle essentiel à
jouer vis-à-vis de la population de langue anglaise, comme nous l'avons
souligné ci-dessus. Personne d'ailleurs n'irait prétendre que le
gouvernement a l'intention d'éliminer les services offerts dans leur
langue aux personnes de langue anglaise. Toutefois, si la Charte de la langue
française n'est pas modifiée, il est peu probable qu'il y ait
encore au Québec d'ici un certain nombre d'années des
établissements capables de s'acquitter de leur rôle traditionnel,
c'est-à-dire de dispenser des services en anglais.
À notre sens, la Charte de la langue française n'impose
pas le bilinguisme individuel au personnel de nos établissements. Le
fait d'exiger de la part de tous les établissements de la province
qu'ils puissent offrir leurs services dans la langue officielle n'implique pas
que tous les membres du personnel de l'établissement aient à
être bilingues. Certaines opinions ont clairement été
exprimées qui pourraient faire croire que
le bilinguisme individuel est requis. Ce malentendu doit être
dissipé au plus vite. C'est de bilinguisme institutionnel qu'il doit
s'agir, sans quoi nous nous trouvons menacés de perdre de nombreux
médecins réputés dans le monde de la recherche
scientifique, ainsi que plusieurs spécialistes de tout premier plan en
diverses techniques médicales, ce qui entraînerait de graves
conséquences au niveau des soins que nous dispensons.
En plaidant pour le bilinguisme institutionnel, notre souci primordial
est de préserver l'excellence qui constitue la norme actuelle en
matière de prestation de soins de santé dans cette province ainsi
que d'assurer le maintien du réseau de santé de langue
anglaise.
Notre deuxième souci concerne davantage ceux qui travaillent dans
nos établissements et dont la présence est nécessaire si
nous voulons que nos établissements de langue anglaise conservent
à l'avenir leur caractère propre.
À l'heure actuelle, nous pouvons constater que les
employés de nos établissements vivent constamment dans la peur
d'être dénoncés à la commission de surveillance ou
à l'Office de la langue française pour avoir parlé anglais
dans l'exercice de leurs fonctions. Nos administrateurs ont eu connaissance de
cas précis où des infirmières expérimentées
et qualifiées redoutaient de soigner des patients de langue
française et attendaient d'être accompagnées d'un
collègue de langue française pour prodiguer les soins. D'autres
hésitent tout simplement à parler aux patients de langue
française pour éviter une confrontation avec la Commission de
surveillance de la langue française.
Nos établissements emploient un grand nombre de travailleurs non
spécialisés dont la présence est essentielle à leur
bonne marche.
Bon nombre de ces travailleurs craignent que leur poste soit
menacé si la loi n'est pas modifiée d'ici à la fin de
l'année. Ils estiment aussi n'avoir aucune chance de promotion ou de
mutation vu que, du fait de leur âge ou de leur situation personnelle,
ils ne seront jamais suffisamment bilingues pour réussir les tests de
français même si le gouvernement estimait pour sa part, en 1977,
que le bilinguisme était à la portée de n'importe quelle
personne suffisamment motivée.
Un grand nombre d'aides-infirmiers originaires de certains pays
échouent constamment aux tests de français qu'ils doivent
absolument passer pour être engagés ou conserver leur poste, et
ce, malgré des tentatives répétées. D'autre part,
il est injuste de soumettre à des tests de français des
employés qui travaillaient dans nos établissements bien avant
l'institution de ces tests, et qui, maintenant, ne peuvent être ni
promus, ni mutés parce qu'ils ne les réussissent pas.
Il est nécessaire que la loi reconnaisse les droits acquis de
notre personnel, de même que les droits à la mutation, à la
promotion ou à l'emploi des autres membres de la collectivité de
langue anglaise au sein de nos établissements. Il importe que nos
employés puissent continuer à soigner les malades sans se
tourmenter tous les jours pour leur avenir, et que les changements
nécessaires soient apportés pour les rassurer et corriger cette
situation intolérable.
Pour que les établissements de langue anglaise conservent leur
caractère propre, il importe que les réunions, les communications
et les activités quotidiennes puissent se dérouler en anglais.
Cela n'empêcherait d'ailleurs pas ces établissements de dispenser
des soins aux patients de langue française en français, et de
respecter le droit des employés de langue française de
s'acquitter de leurs fonctions en français.
Toutefois, l'article 113f a reconnu le caractère distinct de nos
établissements. D'ici à la fin de l'année, lorsque les
articles 15 et 23 seront appliqués, il se peut que nos
établissements soient francisés au point qu'il n'y ait plus
guère de distinction. Dans ces conditions, l'avenir de l'hôpital
de langue anglaise semble peu brillant.
Je demanderais a M. Paterson de continuer, si vous le voulez bien, M. le
Président.
M. Paterson (Alex): Merci, Dr Barkun. Pour sauvergarder la
vocation traditionnelle de nos établissements, tout en respectant
l'esprit de la loi, nous recommandons que les changements suivants soient
apportés à la Charte de la langue française.
Je suis à la page 6, je vais continuer avec les articles du
chapitre IV sauf l'article 20 que le Dr Barkun va traiter plus tard. Comme il y
a les exceptions, je dois naturellement toucher les articles 70, 89 et les
autres, durant ma présentation.
Premièrement, l'article 14: "Le gouvernement, ses
ministères, les autres organismes de l'administration et leurs services
ne sont désignés que par leur dénomination
française. "Nous recommandons d'ajouter un deuxième alinéa
à cet article, en conformité avec l'article 26 et afin
d'étendre le principe de l'article 70 aux établissements
nouvellement créés: Les établissements reconnus en vertu
de l'alinéa f de l'article 113 peuvent utiliser une dénomination
dans la langue officielle et en anglais." Je dois souligner que cela ne change
presque rien, mais cela réfère automatiquement à l'article
14 sans référence à toutes les autres règles. C'est
clair que ce n'est pas l'article 4 qui dit qu'ils ne sont
désignés que par leur dénomination française. Mais
si vous mettez ensemble les articles 70, 26 et 14, je pense
que ie principe est là; mais on voudrait en être
certains.
Les articles 16 et 17. On n'a pas répété l'article
16 dans le mémoire, mais comme tout le monde est au courant, l'article
16 dit: "...dans ses communications écrites avec les autres
gouvernements et avec les personnes morales établies au Québec."
Maintenant, l'administration n'utilise que la langue officielle. On n'a rien
dit, mais depuis que nous avons préparé notre mémoire, on
a réalisé qu'il y a des échanges entre les hôpitaux
et le gouvernement de la province et également avec le gouvernement des
États-Unis, avec Washington, etc. Vraiment, il n'y a aucun bon sens
à insister que l'Hôpital général de Montréal
et le Royal Victoria écrivent à Washington uniquement en
français. On peut écrire dans les deux langues, mais je pense que
la règle du bon sens, c'est d'écrire seulement en anglais, dans
ces circonstances.
L'article 17. "Le gouvernement, ses ministères et les autres
organismes de l'administration utilisent uniquement la langue officielle dans
leurs communications écrites entre eux." Je pense qu'il n'y a aucun
doute qu'après l'affaire Delaney, c'est la règle; il n'y a pas
d'exception. On trouve cela un peu bizarre - sinon ridicule - quand un
hôpital doit écrire au centre Ville-Marie ou à un autre
centre dans le réseau, qu'il doive écrire uniquement dans la
langue officielle. Ainsi, on suggère un amendement: "Les
établissements reconnus en vertu de l'article 113f peuvent communiquer
entre eux dans la langue officielle ou en anglais."
Quant à l'article 18, il y a énormément de
confusion, si on fait référence aux mémoires
déjà présentés par plusieurs associations. On doit
avoir au moins une clarification. La règle de l'article 18, c'est: "Le
français est la langue des communications écrites à
l'intérieur du gouvernement, de ses ministères et des autres
organismes de l'administration." C'est vrai. Quant à l'article 26, il
leur permet d'utiliser à la fois le français et une autre langue
dans leurs communications internes. On ne parle pas de communications
écrites, mais quand même. Il y a une règle à
l'article 26 qui touche le problème. Si l'article 18 demeure
inchangé et tout particulièrement si l'article 113f n'est pas
prolongé au-delà de 1983, il n'existera pas d'unité de
principe.
Bien que les communications de nature générale entre
l'administration et le reste de l'hôpital ou des centres puissent
facilement s'écrire en français, il s'agit une fois de plus d'un
refus de reconnaître des établissements de langue anglaise ou
d'autres langues, tout spécialement lorsque cette règle
s'étend jusqu'à exiger que les communications internes entre deux
personnes de langue anglaise se fassent dans la langue officielle. Relativement
à l'article 26, ce n'est même pas clair quand la loi dit qu'ils
peuvent utiliser à la fois la langue officielle et une autre langue:
Est-ce que cela veut dire que quand le Dr Mann parle au Dr Barkun, il doit le
faire en français, en anglais ou je ne sais quoi? Mais, au moins, on
doit avoir une clarification et ce qu'on suggère encore, c'est: "Dans
les établissements reconnus en vertu de l'article 113f, les
communications internes entre deux personnes de langue anglaise peuvent se
faire en anglais."
L'article 21, à la page 9 de notre mémoire, touche
à peu près le même principe. "Les contrats conclus par
l'administration, y compris ceux qui s'y rattachent en sous-traitance, sont
rédigés dans la langue officielle. Ces contrats et les documents
qui s'y rattachent peuvent être rédigés dans une autre
langue lorsque l'administration contracte à l'extérieur du
Québec". (9 h 30)
L'article 21 ne tient pas compte des contrats conclus entre les
établissements reconnus en vertu de 113f ou entre ces
établissements et les employés de langue anglaise. Nous
recommandons que les établissements reconnus en vertu de 113f puissent
rédiger des contrats et des documents connexes en français ou en
anglais, selon les voeux exprimés par les parties. Ce n'est pas un
principe extraordinaire parce que c'est déjà dans l'article 55
pour les affaires commerciales.
Finalement, l'article 22: "L'administration n'utilise que le
français dans l'affichage, sauf lorsque la santé ou la
sécurité publique exigent aussi l'utilisation d'une autre
langue." Nous recommandons d'ajouter un deuxième alinéa, en
conformité avec l'article 24: "Les établissements reconnus en
vertu de l'alinéa f) de l'article 113 peuvent afficher en
français et en anglais."
On soumet que, lorsque les centres -selon 113f, si vous voulez -
anglophones ou les centres d'une autre langue que le français
communiquent et quand les personnes de langue anglaise parlent entre elles, la
règle doit être assez souple pour permettre qu'ils puissent se
parler entre eux dans leur langue et qu'il n'est pas nécessaire chaque
fois de le faire dans les deux langues. Je pense qu'avec ces amendements le
débat sur la question d'interprétation va au moins être
réglé, et les principes ne sont pas déjà tellement
extraordinaires suivant la portée générale de la loi. Dr
Barkun.
Une voix: Merci.
M. Barkun: M. le Président, sur la question d'examen de la
connaissance de la langue française, nous avons déclaré
plus haut qu'au sens où nous l'entendons la loi n'exige pas que tout
employé de nos établissements parle français. Alors que la
majorité
des patients auxquels nous dispensons des soins n'est pas de langue
française, il serait tout à fait inefficace et injuste de
suggérer l'application d'une telle formule. Nous espérons
qu'à l'occasion de dialogues qui auront lieu au cours de ces audiences,
les débats concernant le bilinguisme institutionnel de nos
hôpitaux par rapport au bilinguisme individuel de tous nos
employés seront clôturés au profit du bilinguisme
institutionnel. Nous sommes prêts à accepter de nous charger
d'assurer que nos services soient offerts dans la langue officielle -c'est
chose possible - sans pour autant devoir exiger que chaque employé soit
bilingue.
Il ne nous semble pas nécessaire ni justifié de demander
à ceux qui ont terminé leurs études secondaires au
Québec de se soumettre, après avoir été
diplômés, à un nouveau test destiné à
vérifier leur connaissance du français. L'article 84 de la loi
stipule qu'un certificat d'études secondaires ne peut être
décerné à un élève qui n'a pas une
connaissance suffisante du français écrit et parlé, tel
qu'exigé par le ministère de l'Éducation. Dans ces
conditions, comment le gouvernement peut-il, d'un côté, remettre
un tel certificat à un étudiant qui déclare
posséder une connaissance suffisante du français écrit et
parlé, selon les exigences du ministère, et, de l'autre
côté, demander à ce même étudiant de passer un
autre test pour pouvoir travailler dans un hôpital? Toutes les personnes
possédant un certificat de fin d'études secondaires
décerné par la province de Québec devront de toute
évidence être exemptées de ce contrôle.
En ce qui concerne le personnel venant de l'extérieur du
Québec, les tests semblent poser des difficultés
considérables aux aides-infirmières et dans une moindre mesure
aux infirmières. Il est certainement difficile pour des personnes venant
de certains pays d'apprendre le français. Par ailleurs, de grands torts
ont été causés à des personnes qui comprennent
très bien la langue et la parlent couramment mais échouent
néanmoins aux tests. Pour éliminer toute crainte inutile de
discrimination, nous recommandons que les tests soient abolis. Nous
recommandons de remplacer le deuxième alinéa de l'article 20 par
le suivant en conformité avec l'article 23: "Les organismes de services
médicaux et de services sociaux reconnus en vertu de l'alinéa f)
de l'article 113 doivent veiller à offrir leurs services dans la langue
officielle.
M. Mann (Alan): Merci Dr Barkun. Nous sommes maintenant, M. le
Président, à la page 10, en haut de la page. Je voudrais, avec
votre permission, faire la lecture du paragraphe f) de l'article 113 dont on a
beaucoup parlé ce matin. Le paragraphe f) de l'article 113 se lit comme
suit: "L'office doit reconnaître d'une part les organismes municipaux,
les organismes scolaires, les services de santé et les services sociaux
qui fournissent leurs services à des personnes en majorité d'une
langue autre que française et d'autre part, les services qui, dans les
organismes scolaires, sont chargés d'organiser ou de donner
l'enseignement dans une langue autre que le français."
Je ferai maintenant la lecture de l'article 25 qui se lit comme suit:
"Les organismes municipaux et scolaires, les services de santé et les
services sociaux reconnus en vertu du paragraphe f) de l'article 113 doivent se
conformer aux articles 15 à 23 avant la fin de l'année 1983 et
prendre, dès l'entrée en vigueur de la présente loi, les
mesures voulues pour atteindre cet objectif.
Comme nous l'avons déjà mentionné, le paragraphe f)
de l'article 113 reconnaît le caractère distinctif de nos
établissements. Nous ne voulons pas voir ces derniers effrités et
érodés par l'imposition d'une date limite arbitraire telle que
celle qui est stipulée à l'article 25. Nous sommes
persuadés qu'en adoptant la Charte de la langue française, le
gouvernement n'avait pas l'intention d'éliminer les
établissements de langue anglaise qui, depuis très longtemps, ont
joué un rôle important et productif au sein de la
société québécoise. Certains de ces
établissements existent depuis plus de 50 ans, d'autres depuis plus d'un
siècle. Si l'article 25 n'est pas éliminé, plusieurs de
ces établissements pourraient disparaître.
Nous recommandons donc que la dérogation accordée aux
établissements reconnus en vertu de l'article 113f soit prolongée
au-delà de la fin de l'année 1983. Nous sommes également
d'avis que la règle même de l'article 113f devrait être
reconsidérée.
L'obligation d'établir la distinction ainsi que de
préparer des statistiques sur ceux qui parlent une langue plutôt
qu'une autre, au moment où ils viennent demander des soins
médicaux, est inadmissible en elle-même. Il existe certainement
d'autres méthodes plus valables et moins détestables pour
reconnaître que ces établissements ont le droit de déroger
à certaines des clauses de la charte. On pourrait, par exemple, prendre
en considération leurs racines historiques, leur caractère
culturel, le type de communautés auxquelles ils dispensent en
majorité leurs services, leurs relations avec les autres
établissements ainsi que les souhaits de ceux qui,
bénévolement, font partie des conseils, des femmes auxiliaires,
des comités, etc.
A moins d'entreprendre immédiatement l'étude de nouveaux
critères pour reconnaître la catégorie
d'établissements que nous représentons, nous recommandons
vivement d'éliminer l'article 25.
Les établissements que nous représentons ont, de tout
temps, offert des
services médicaux aux personnes qui en avaient besoin, quelle que
soit leur langue. Les changements que nous proposons ne modifient en rien cette
mission. Le personnel de langue anglaise de notre réseau de services de
santé a accompli des progrès extraordinaires en français
et nos établissements les encouragent encore dans ce sens. Comme nous
l'avons déjà souligné, nous sommes par ailleurs
décidés à tout mettre en oeuvre pour conserver nos
établissements et nous croyons que les amendements à la Charte de
la langue française que nous avons proposés plus haut permettront
d'atteindre cet objectif, c'est-à-dire conserver le caractère
culturel de ces établissements.
Si vous me le permettez, M. le Président, je voudrais citer ce
que le premier ministre Lévesque a déjà dit: "Nous sommes
conscients de l'importante contribution passée ou présente des
institutions anglophones au développement de notre société
et nous respectons le désir de la communauté anglophone de
conserver à ces organismes leur caractère particulier."
Je cède maintenant le micro au Dr Barkun.
M. Barkun: Merci, Dr Mann. Avant de conclure, M. le
Président, je voudrais apporter un petit amendement à la page 10,
si vous le voulez bien, à l'article 26, qui se lirait comme suit:
"devrait être éliminé si les articles 14 et 18,
amendés tels que proposés, sont adoptés"
L'enquête réalisée par SORECOM pour le Conseil de la
langue française concernant la situation linguistique de quatre
hôpitaux de langue anglaise à Montréal aboutissait à
la conclusion que personne ne souhaite voir se politiser le débat
concernant l'usage du français dans les hôpitaux de langue
anglaise et certainement pas les patients. Les enquêteurs conseillaient
de chercher d'autres méthodes de négociation pour résoudre
ce conflit en respectant le bien-être des malades et celui des
spécialistes concernés. Nos institutions sont prêtes
à négocier pour trouver une solution à ce conflit
linguistique qui respecterait le bien-être des malades tout autant que
celui des spécialistes concernés. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Laplante): Merci, M. Barkun. M. le
ministre.
M. Godin: Dr Barkun, Dr Mann, Me Paterson, Mme Rayle-Gomery et
Mme Serafini, soyez les bienvenus à cette commission. La qualité
des institutions que vous représentez ici est un fait certainement
reconnu dans l'ensemble du Québec et dans le monde, dans plusieurs cas.
D'ailleurs, je pense que c'est un des hôpitaux membres de votre
association, l'hôpital St. Mary's, qui a obtenu, il y a quelques mois, le
prix
Persillier-Lachapelle qui confirme la qualité des soins qui y
sont donnés. Donc, vous avez atteint un tel degré de
qualité que vous avez de plus en plus une clientèle francophone
qui va chez vous - ce qui existe depuis toujours - parce qu'ils se sentent
mieux chez vous que dans d'autres hôpitaux 100% francophones, ce qui
atteste de la qualité non seulement des soins, mais de la qualité
du caractère partiellement français de vos institutions.
Si je reviens à votre mémoire, je dois dire que vous avez
raison, Me Paterson et Dr Barkun en affirmant que certains articles de la loi
semblent contredire certains autres. Nous avons donc l'intention d'abolir la
confusion qui peut découler de ces contradictions. Ce que je veux dire
par là, c'est que nous ne voulons plus jamais que quelque institution
anglaise que ce soit se croie menacée par l'article 25. Nous voulons que
le caractère anglais des institutions reconnues en vertu de l'article
113f soit consacré et que les articles 14 à 29 soient
aménagés et rédigés de telle manière qu'il
ne soit plus possible aux personnes qui travaillent chez vous de craindre pour
l'avenir des institutions anglaises que vous représentez; surtout, qu'il
ne soit plus possible aux gens de l'extérieur de vos institutions de
répandre, comme certains l'ont affirmé, la rumeur que le
gouvernement du Québec visait à abolir ces institutions. Telle
n'a jamais été l'intention d'aucun gouvernement qui a
siégé ici et encore moins de l'actuel gouvernement du
Québec. Ce que je veux vous dire ce matin, c'est que la
spécificité des institutions reconnues à l'article 113f
sera de façon claire et irréfutable reconnue par des amendements
à ces articles.
En d'autres termes, pour revenir à votre mémoire et
à la partie que Me Paterson a lue, la question de la dénomination
sera éclaircie de façon permanente dans la loi.
Deuxièmement, il n'a jamais été question non plus du
bilinguisme de tous et chacun des employés qui travaillent chez vous;
l'article 20 nous semblait clair là-dessus. Je relis la partie qui vous
concerne: "Pour être nommé, muté ou promu à une
fonction de l'administration -donc, dans les hôpitaux que vous mentionnez
par extension - il faut avoir de la langue officielle une connaissance
appropriée à cette fonction. Ce que cela signifie depuis six ans,
c'est que ne devront connaître le français que ceux qui ont des
contacts avec les patients francophones chez vous, ou avec l'administration. Je
pense que cela ne pose aucun problème. Je vous écoute ce matin et
votre français est meilleur que le mien. Donc, dans vos relations avec
l'administration, c'est-à-dire avec le ministère, il n'y a aucun
problème.
Donc, que ce soit bien clair: le gouver-
nement a fait son lit sur cette question et il nous a
étonné souvent de voir qu'en dépit de la rédaction
de l'article 20 et de l'article 25 il y ait des doutes qui subsistent et qu'on
fasse circuler toutes sortes de déclarations à
l'emporte-pièce qui tendent à faire croire que le gouvernement
avait, en quelque sorte, le fusil sur la tempe des institutions anglophones. Il
n'en est rien et les articles mentionnés seront modifiés en
conséquence.
D'autre part, il n'a jamais été question non plus - et
cela a été dit et répété - que la loi 101
oblige les employés des hôpitaux et des institutions de
santé anglophones à se parler en français. Je veux que
cela soit bien clair et je le dis devant le grand public. Et je souhaite que
les médias, qui ont écrit des choses très positives sur la
loi 101, comme vous le savez, écrivent une autre chose très
positive: il n'a jamais été question d'exiger que la langue
parlée dans les institutions anglophones entre employés ne soit
pas la langue que les employés choisiront. Il n'en va pas de la
même manière, par ailleurs, pour ce qui touche les patients.
Si un patient francophone arrive chez vous, il est également
important que nous nous assurions qu'il ait accès à des services
dans sa langue. Je pense que c'est l'intention de vos institutions de le faire
et que vous n'endossez pas une déclaration d'un autre organisme qui
représente la communauté anglophone qui est venu dire ici qu'un
patient francophone qui va dans une institution anglophone devrait s'attendre
à se faire parler anglais. Je ne pense pas que vous partagiez cette
opinion. Merci, cela me rassure.
Je pense que c'est important de le dire, parce que j'ai lu toutes sortes
de déclarations de ce type, pas seulement au Québec, mais dans
des journaux d'autres régions canadiennes et d'autres pays même.
Il faut que ce soit bien clair: la langue parlée dans vos institutions
est celle que décident ceux qui parlent et non pas le gouvernement.
Deuxièmement, l'affichage interne et externe de vos institutions
c'est le français et l'anglais. Les communications écrites
internes c'est le français et l'anglais. Les communications entre les
institutions, le gouvernement n'a pas terminé sa réflexion sur
cette question. Mais c'est un des points sur lequel nous nous penchons
présentement avec intensité.
En terminant, je vous poserai deux questions. En résumé ce
sont mes remarques par rapport à votre mémoire lequel est
très convaincant et très bien fait et il me semble fort
raisonnable, je vous le dis comme je le pense.
Lorsque vous parlez des tests linguistiques, c'est-à-dire des
examens de français que l'office fait passer aux élèves
sortant du secteur anglais du Québec, vous qui engagez un certain nombre
de ces personnes qui sortent du secteur anglais du Québec, est-ce que
vous avez pu vérifier si leur connaissance du français
appropriée à certaines fonctions est satisfaisante?
M. Barkun: Oui. M. le ministre, d'abord permettez-moi de vous
dire - je crois que je parle au nom de tous mes collègues - que je me
réjouis de vos paroles ce matin et de la façon dont vous avez
accepté notre argumentation. Je suis très content de savoir que
le gouvernement compte reconnaître de façon permanente le
caractère de nos établissements et qu'il pense, comme nous, qu'il
s'agit du bilinguisme institutionnel. Je me réserve peut-être le
droit de revenir deux secondes sur la question des communications
écrites mais je le ferai après la réponse à la
question.
En ce qui concerne le "testing", l'examen de la connaissance de la
langue française, l'article nous a permis depuis longtemps de faire
effectuer nos propres tests. Par l'entremise de l'Institut conjoint hospitalier
de Montréal nous avons élaboré les tests en
français, nous les avons fait agréer par l'Office de la langue
française, comme prévu dans la loi, et, suivant
l'établissement on fait passer les tests. Vous avez tout à fait
raison quand vous parlez du français approprié en ce qui concerne
les postes à remplir. Vous avez plusieurs exemples. Par exemple, tout le
monde sait que depuis quelques années, les hôpitaux du
Québec ont des contraintes budgétaires très importantes.
Par conséquent, à l'intérieur de la convention collective,
nous sommes passés par le fameux "bumping". Tout le monde s'est
demandé, lors du "bumping", s'il fallait faire passer le test à
quelqu'un qui allait d'un poste à l'autre. Après avoir
demandé cela à l'Office de la langue française, nous avons
eu non pas une opinion, mais un écrit de l'Office de la langue
française, disant que pour les mutations ce n'était pas
nécessaire à l'intérieur des conventions collectives.
Dans plusieurs institutions comme la mienne - je veux surtout parler de
la mienne - l'Hôpital Général de Montréal, on n'a
fait passer le test que lorsqu'il s'agissait vraiment d'un poste très
différent du poste déjà rempli par l'employé. S'il
s'agit d'un poste semblable, le bureau des ressources humaines fait l'interview
du candidat et le poste est rempli. Par conséquent, depuis trois ans, je
crois, pour ce qui est du nombre de tests officiels - je ne vous parle pas des
professionnels qui passent le test par le truchement de leur propre corporation
- à l'intérieur de l'hôpital, nous avons testé trois
personnes. D'autres hôpitaux font... Vous savez, entre faire passer des
tests à tout le monde et à trois personnes, il y a des mesures
qui peuvent varier. Il y a même un
établissement, m'a-t-on dit - je n'ai pas les chiffres devant moi
- qui a fait subir le test à plus de 200 personnes. Les notes de passage
sont différentes suivant les connaissances requises pour remplir le
poste.
À ma connaissance, je crois qu'aucun employé encore ne
s'est opposé au résultat des tests. C'est-à-dire que pour
le déplacement ou le fait de remplir un poste, les gens ont
trouvé que les tests étaient justes malgré le fait que
beaucoup redoutent le simple fait de passer un test. Le système est un
système d'examen à choix multiples. Beaucoup de personnes, dans
notre société, n'ont jamais passé de tests à choix
multiples. Les personnes qui font passer les tests passent beaucoup de temps,
avant le test, pour que la personne, d'abord, soit relaxée et,
deuxièmement, pour qu'elle sache pertinemment de quoi il s'agit. Mais,
à ma connaissance, le fait de passer ces tests avec diverses notes de
passage n'a jamais créé de difficulté. Mais le style est
différent selon l'établissement. Dans certains, on s'assure,
comme on l'a dit dans notre mémoire, que la capacité
française est présente pour soigner nos malades.
M. Godin: J'ai des chiffres qui me viennent de l'institut dont
vous faites partie. Au 6 juin 1983, il y a 233 candidats dans l'ensemble du
réseau qui ont été soumis à ces tests. J'aimerais
avoir une réponse plus précise à la question.
D'après votre connaissance des faits, est-ce que les
diplômés qui sortent du réseau anglais d'enseignement ont
une connaissance suffisante du français? Au fond, si nous appliquons
votre proposition de remplacer les examens au niveau d'âge
supérieur auquel les gens sont rendus quand ils sont chez vous par
l'examen de français au sein du système scolaire anglais, je vous
pose la question: Est-ce que vous croyez que ces examens de français au
sein du système scolaire anglais peuvent permettre à une personne
de travailler chez vous en français si son poste exige une connaissance
appropriée du français?
M. Barkun: Heureusement, M. le ministre, que vous avez dit
à ma connaissance, parce que mes enfants ont suivi l'instruction
française, donc je ne sais pas quelle est leur capacité, suivant
votre question. De mon temps, j'aurais dit non. Quand je suis sorti de
l'école anglaise de Montréal, je savais dire: oui, non, merci
beaucoup. C'est à peu près tout. J'ai l'impression, par le
truchement des amis de mes enfants, que chez les anglophones qui quittent les
écoles secondaires anglaises actuellement, la grande majorité de
ceux qui restent au Québec parle français.
M. Godin: Entre parenthèses, vous avez quitté
l'école avec une connaissance minimale du français mais depuis,
vous vous êtes repris énormément, comme moi d'ailleurs en
anglais. Did it impose on you a special stress or was it easy and rather a
pleasure than a martyr?
M. Barkun: Not at all, Mr. Minister, my wife is French. It was a
pleasure.
M. Godin: Thank you so much. Merci beaucoup. J'ai une
dernière question à vous poser. Pourrais-je savoir quelle mesure
vous prenez face à un patient unilingue français pour vous
assurer, de son entrée à l'hôpital jusqu'à sa sortie
- en meilleure santé, je présume, la plupart du temps - qu'il
pourra faire comprendre et comprendre la seule langue qu'il parle chaque fois
qu'il aura besoin de converser avec un membre du personnel chez vous?
M. Barkun: Dès son entrée, nous avons la garantie
que tout le personnel en matière de première présentation,
soit à l'urgence et au bureau d'admission, etc., est parfaitement
bilingue. Ce sont des gens qui parlent le français comme vous et moi.
Lors de l'arrivée à l'unité de soins, la très
grande majorité - on a fait un inventaire détaillé -a une
capacité totale, à 100%, bilingue: français et anglais.
Dans certaines unités, surtout les quarts de nuit où nous sommes
encore pris avec une convention collective et où nous avons un personnel
permanent, que l'on ne peut pas bouger à cause des clauses de
mobilité, on a pris deux mesures, d'abord on leur a fait suivre des
cours de français. J'ai des chiffres devant moi du nombre de personnes
qui depuis 1974, pas seulement 1977, suivent des cours de français
à l'hôpital. Mais on s'assure surtout qu'au moins deux membres du
personnel dans chaque unité de soins puissent parler en français.
S'il ne s'agit pas directement de l'infirmière qui soigne le malade,
qu'au moins il ait une aide-infirmière, un coordonnateur d'unité,
un infirmier, etc. On s'assure de cela. Donc, on peut vous garantir que la
capacité est de 100%.
M. Godin: Merci.
M. Paterson: M. le Président, puis-je poser une
question?
Le Président (M. Laplante): Oui, allez- y.
M. Paterson: Je dois revenir à l'article 18, parce que si
j'ai bien compris vos remarques, vous avez dit que vous insistez encore sur le
fait que lorsque deux personnes ont des communications écrites à
faire dans un hôpital anglophone ou autre, elles doivent les faire en
anglais et en français. Si je
comprens bien les renseignements de mes collègues, cela a
créé des problèmes. Premièrement, c'est une
duplication; cela prend deux fois plus de temps; deuxièmement, cela a
créé l'impression que ce ne sont vraiment pas des institutions
à caractère différent des autres. Quand deux personnes de
langue anglaise doivent écrire la lettre en anglais, faire une
traduction, quand elles sont capables de le faire ou écrire la lettre
une deuxième fois en français ou le contraire, c'est une question
pratique, mais c'est aussi une question symbolique... Si deux anglophones dans
un hôpital anglophone doivent écrire une lettre deux fois, une
fois en anglais et l'autre en français, cela crée une perception
un peu différente que la perception que vous avez donnée et que
j'accepte totalement. (10 heures)
M. Godin: Vous savez très bien, Me Paterson, qu'il
m'arrive moi-même d'écrire des lettres à des commettants de
mon comté qui sont grecs: je leur écris en français et en
grec, mais vous pensez bien que ce n'est pas moi qui fais la traduction en
grec. Les dix ou quinze ou vingt mots - je ne sais pas trop, cela dépend
des gens que je fréquente, M. le député de Laurier - les
quelques mots que je sais en grec ne me permettent pas malheureusement, pour
l'instant, mais cela viendra peut-être, d'écrire en grec.
Mais au fond votre description de la situation n'est pas conforme aux
faits tels que je les observe au gouvernement ici. Nous écrivons
évidemment une lettre en français, mais toute traduction est
confiée à un bureau de traducteurs. Cela signifie que le stress
n'est pas sur l'auteur de la lettre, mais est transmis à un service de
traduction à l'intérieur du gouvernement qui s'occupe... Le
ministère des Communications au gouvernement ici assume cette fonction,
dans plusieurs langues d'ailleurs, pas seulement en anglais ou en
français.
Ma question est donc la suivante: Est-ce que déjà vous
avez un mini-service de traduction dans divers hôpitaux? La solution que
nous vous proposons - je vais vous en dire la logique parce que cela semble
à certaines personnes comme une aberration -sa logique tient à
ceci: C'est que vous êtes un organisme public subventionné en
partie par des dons, des subventions et des fondations. D'ailleurs les
hôpitaux anglophones sont beaucoup plus développés que
d'autres réseaux hospitaliers au Québec quant à l'appui
que leur donne la population qu'ils desservent. À mon avis c'est un
exemple que l'ensemble des institutions au Québec devraient suivre.
Mais l'idée ou la logique derrière cette option c'est que
nous voulons que le ministère des Affaires sociales, par exemple, ait
accès aux documents de l'hôpital dans la langue officielle. Il est
entendu, si on décrit la situation de la façon dont vous le
faites, Me Paterson, que le Dr Barkun serait obligé de dicter un rapport
médical en anglais et ensuite de le dicter à nouveau en
français. Il est sûr que ce serait un stress pour lui. Il a
d'autres choses à faire dans la vie que de traduire. Mais il y a des
gens dans l'hôpital chez vous, docteur, et dans l'ensemble du
Québec qui se font un plaisir de traduire dans la langue officielle les
documents qui émanent des institutions publiques qui ne sont pas
françaises.
M. Paterson: M. le ministre, je vais commencer mais je veux que
le Dr Barkun termine. Il y a deux questions. Premièrement je pense que
l'exemple d'une lettre entre votre bureau et une personne de langue grecque
n'est pas la situation dont nous parlons, car if your were a Greek minister
writing to a Greek person, that would be the situation we are talking about. We
are not talking about a French-speaking person in our hospital writing to an
English-speaking person. Were are talking about two English-speaking people
compelled to write to each other in English and then to write again in French,
be it through a translation or not. C'est la première chose.
La deuxième chose: vous faites peut-être une distinction
entre un genre de mémo très officiel et d'autres genres de
mémos, mais je ne crois pas que le ministère des Affaires
sociales regarde tous les mémos entre tous les gens dans tous les
hôpitaux. Comme cela, je pense que ce n'est pas vraiment
nécessaire d'avoir tous les mémos en langue française pour
que les gens du ministère des Affaires sociales puissent comprendre. Je
pense vraiment que ce n'est pas à ce niveau. Ce qu'on veut
éviter, c'est qu'on ait un système de traduction pour tous les
échanges entre les personnes de langue anglaise dans les hôpitaux.
Dr Barkun.
M. Barkun: M. le ministre, si je peux suggérer avec notre
pragmatisme anglophone habituel, que la possibilité de communiquer en
anglais soit donnée aux individus... Je ne parle pas des groupements...
Déjà toute note de service qui sort est dans les deux langues, en
français d'abord, et ce depuis des années. Par exemple, j'ai six
adjoints dont trois sont francophones et trois anglophones. Quand
j'écris à M. Mercier qui est directeur des finances je le fais
toujours en français; quand j'écris à Miss Randall qui est
directrice des soins infirmiers je le fais toujours en anglais. Quand
j'écris au Dr Mann, il me semble que rédiger la lettre une
première fois et ensuite la rédiger en anglais, entre individus
de langue anglaise ça n'a pas beaucoup de bon sens. C'est tout ce qu'on
demande; c'est entre individus. On ne demande pas que les rédactions
formelles soient en anglais, pas du tout. Tout cela
devrait être bilingue et d'ailleurs - je n'ai pas pu l'apporter
avec moi parce que la pile était trop haute - les formules
utilisées actuellement à l'Hôpital Général de
Montréal sont complètement bilingues; les formules de laboratoire
sont imprimées comme cela et elles sont bilingues parce qu'on ne sait
pas qui les lira, si la personne sera de langue française ou de langue
anglaise. Deux individus anglais, je crois qu'il serait sensé de pouvoir
leur donner le droit de s'écrire en anglais.
Pour ce qui est de la question de traduction, ce n'est peut-être
pas le forum; je devrais peut-être attendre la tenue de la commission des
affaires sociales pour demander davantage d'argent pour qu'on puisse embaucher
des traducteurs. Je dois vous dire que c'est un travail qui est très
difficile. Devant vous, vous avez le Manuel des procédures des soins
infirmiers; un seul bouquin qui a demandé énormément de
travail parce qu'il est très technique; en plus, vous avez toutes les
autres formules. Nous avons à l'Hôpital Général de
Montréal une personne et demie - je n'aime pas ces mots - qui donne tout
son temps à la traduction, à une traduction qui est parfois
très difficile parce que cela est très technique. Je sais que le
bureau du nursing s'est plaint parce que des formules soumises il y a deux mois
n'avaient pas encore étaient traduites; ces gens-là ont
énormément de travail. En plus, demander à un anglophone
qui écrit à un autre anglophone de faire traduire sa lettre
simplement pour des raisons légales, il me semble que cela n'a pas
beaucoup de bon sens.
M. Godin: Dr Barkun, je note les distinctions qui devraient
être faites éventuellement entre ce qui devrait être dans
les deux langues et ce qui pourrait être en une seule langue, en
l'occurrence l'anglais. Je prends également bonne note de l'ensemble de
vos remarques; nous réfléchirons là-dessus. Je vous
remercie beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
les représentants de l'Institut conjoint hospitalier de Montréal
pour leur mémoire et la sérénité avec laquelle ils
présentent les problèmes auxquels ils doivent faire face
quotidiennement dans leur institution.
J'avais un peu prophétisé que le gouvernement, fort
probablement, ferait une ouverture vis-à-vis des institutions
anglophones et c'est ce que le ministre semble confirmer par les propos qu'il a
tenus au début de cette commission à l'endroit de l'institut
conjoint. Je serais même prête à corriger - je l'ai fait
privément mais pas publiquement, et j'attendrai le dépôt
des amendements - parce que j'étais une des personnes qui avaient la
conviction - c'est peut-être un grand mot - qui avaient l'impression, si
on s'en tenait à la loi telle qu'elle existe, qu'à plus ou moins
long terme - peut-être que ceci n'avait pas été voulu -les
résultats concrets conduisaient à la disparition des institutions
de la communauté anglophone, enfin, les institutions de santé et
de services sociaux. Quand les amendements seront déposés, je
pourrai même le faire publiquement, même si je ne l'ai jamais dit
publiquement, car c'était l'impression que j'avais.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Mme la députée de L'Acadie n'a pas
terminé sa phrase. Qu'est-ce qu'on est prêt à corriger?
Pourriez-vous le dire précisément afin que je puisse
l'entendre?
Mme Lavoie-Roux: Les articles dont vous avez parlé, si
vous les modifiez de telle façon que la survie des institutions de la
communauté anglophone demeure, cette impression que j'avais que
peut-être le gouvernement ou certaines personnes à
l'intérieur du gouvernement, plus ou moins consciemment, se disaient: On
va mettre cela en vigueur... Mais les résultats concrets, en fin de
compte, étaient la disparition du caractère anglophone des
institutions de la communauté anglophone.
M. Godin: Si les amendements vont dans le sens que j'ai
indiqué ce matin, vous corrigerez publiquement et dans le fond de votre
coeur aussi...
Mme Lavoie-Roux: Je l'ai fait privément mais je serais
même prête à le faire publiquement.
M. Godin: C'est noté. Une voix: Soyez prudente.
Mme Lavoie-Roux: J'attends. Sur cela j'aimerais poser deux
questions au ministre, s'il me le permet pour déjà commencer
à...
Une voix: ...
Mme Lavoie-Roux: Oui, j'en ai plusieurs pour eux après. Le
Dr Barkun a interprété et a tiré une conclusion de vos
propos à savoir que désormais il n'était plus question de
bilinguisme individuel, mais de bilinguisme institutionnel. C'est la
formulation qu'on a entendue ici à plusieurs reprises devant cette
commission; bilinguisme individuel versus bilinguisme institutionnel. Est-ce
que c'est vraiment la bonne interprétation que le Dr
Barkun a fait de vos propos, M. le ministre?
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: II les a interprétés correctement, sauf
qu'il ne veut pas que ce bilinguisme institutionnel s'applique aux
communications écrites.
Mme Lavoie-Roux: Alors, il les a interprétés
correctement. Parfait. C'est toujours bien de s'assurer qu'on a tous compris la
même chose.
M. Godin: Ou presque! De ma part c'est 100%, de sa part c'est
presque le bilinguisme institutionnel.
Mme Lavoie-Roux: La deuxième question... Je ne voudrais
pas ici sembler piéger le ministre, parce que je sais que parfois dans
l'ardeur de l'Assemblée nationale, nous avons des réponses
spontanées qui ne correspondent pas toujours à la
réalité. Mais je me souviens d'une question qui lui avait
été posée, probablement à l'occasion du
problème de St. Mary's - je ne veux pas revenir là-dessus - le
ministre nous avait dit à peu près ceci: Je pense que les
anglophones dans les hôpitaux devraient être servis dans leur
langue. Je me demandais si c'était toujours la conviction du ministre.
Enfin, c'est à peu près ceci que vous aviez dit.
M. Godin: Oui, Mme la députée de L'Acadie,
messieurs et mesdames, ma mère est infirmière de sa profession et
mon père était médecin à Trois-Rivières.
J'ai posé la question à ma mère, qui a passé la
majeure partie de sa vie dans un hôpital à Trois-Rivières.
Elle me dit que - Trois-Rivières est à 98% une ville
française, comme vous savez dès qu'une patiente ou un patient
anglophone rentrait à l'hôpital il y avait, depuis 20 ans, un
empressement spontané à affecter à cette personne les
Trifluviens qui parlaient anglais. Cela se faisait spontanément. Je me
suis informé si, à la connaissance du ministère des
Affaires sociales, il y avait eu des cas où un patient anglophone, en
dehors du réseau mentionné, dans les hôpitaux francophones
avait déjà été la victime d'une situation dans
laquelle il n'aurait pas pu parler sa langue. Jamais aucun cas n'a
été porté à la connaissance du ministère
là-dessus. Cela confirmait l'expérience de 20 ans de ma
mère dans un hôpital à Trois-Rivières.
Mme Lavoie-Roux: Alors, cela demeure une conviction personnelle
du ministre que...
M. Godin: Profonde.
Mme Lavoie-Roux: Profonde? Bon, parfait. Je vais maintenant
passer à nos invités.
J'aimerais que vous nous disiez quelles ont été les
conséquences sur le recrutement et sur l'exode du personnel ou des
professionnels, que ce soit dans le domaine de la recherche ou dans le domaine
de la santé en général, de l'application de la loi 101
dans vos institutions.
M. Barkun: II y a eu deux conséquences, Mme la
députée. D'abord, un certain départ et dans des
circonstances très semblables de l'un à l'autre. Des
médecins d'un certain âge - je vous parle de 53 à 58 ou 60
ans - dont les enfants sont grands et ont quitté, sont partis et
beaucoup d'expertise est partie avec eux. Un certain nombre de médecins
sont partis pour des raisons financières, mais je sais pertinemment -
j'ai des cas précis - que des gens sont partis parce que c'était
un obstacle de plus à une vie sereine, à une qualité de
vie. Je dois dire que ce sont des médecins qui possédaient
très peu de français et donc ils sont partis.
À ce moment-là, on cherche à les remplacer et c'est
là que cela devient beaucoup plus grave parce que, pour les remplacer,
Dieu sait que chaque fois qu'on remplace quelqu'un étant donné
que - je m'excuse encore une fois de parler comme cela, mais je parle pour
l'hôpital que je connais et pour la faculté de médecine que
je connais. Chaque fois on fait l'annonce dans plusieurs journaux
médicaux, on attend les réponses des Québécois, les
réponses des Canadiens et ensuite les réponses des autres.
Très souvent les qualifications que nous recherchons se retrouvent
peut-être chez trois, quatre ou cinq personnes qui se trouvent en
Californie, en Angleterre, dans une autre province canadienne. (10 h 15)
J'ai des cas précis de gens qui sont venus pour l'interview et
qui sont pris avec la question de l'instruction de leurs enfants. Je vous parle
de choses récentes. Je vous parle de choses qui se sont passées
il y a environ trois ou quatre mois. Par exemple, il y a le cas d'un
pathologiste mondialement reconnu qui était prêt à venir
remplir le poste de chef à McGill, qui avait deux enfants de neuf et dix
ans et qui ne voyait pas comment il pourrait les mettre à l'école
française. Ce n'était pas quelqu'un qui venait pour trois ans ni
pour six ans, c'était quelqu'un qui venait de façon permanente,
donc, qui ne pouvait pas demander cette dérogation. J'ai encore un cas.
C'est une spécialité où il y a une pénurie terrible
au Québec, l'anesthésie. J'ai deux cas à l'hôpital
de Montréal pour enfants, deux candidats en anesthésie qui, pour
les mêmes raisons -l'instruction des enfants - ont décidé
de ne
pas venir, et j'en passe. Il y en a plusieurs. Il y a des
conséquences graves. Il y en a.
Mme Lavoie-Roux: Vous avez aussi parlé passablement de la
question des tests. J'ai ici quelques statistiques - je ne sais pas à
quel moment ces statistiques ont été données et je m'en
excuse - sur les ordres professionnels où il semble, de toute
évidence, que chez les personnes dont la profession était moins
rémunératrice que d'autres, par exemple, si on opposait les
avocats aux infirmières ou les médecins aux infirmières
auxiliaires, le taux de réussite était beaucoup plus bas chez les
professionnels les moins rémunérés: dans le cas qui me
préoccupe, les infirmiers et les infirmières, les infirmiers et
les infirmières auxiliaires. Il y a eu depuis ce temps des modifications
aux tests. Les taux de réussite qu'on avait à ce moment-là
étaient de 52% pour les infirmières comparativement à 83%
pour les médecins; les infirmières auxiliaires, 37%
comparativement à 92% pour les avocats. Depuis que les tests ont
été modifiés, le taux de passage a-t-il augmenté
dans le cas des infirmières auxiliaires et des infirmiers et
infirmières?
M. Barkun: Si vous me le permettez, madame, je demanderai
à Mme Serafini de répondre à cette question.
Mme Serafini (Élaine): II y a plus d'infirmières
auxiliaires qui passent les tests maintenant que c'était le cas dans le
passé, mais nous avons des préposées aux
bénéficiaires qui ont suivi le cours d'infirmière
auxiliaire, qui ont terminé le cours, mais qui ne sont jamais
allées passer les tests de langue, parce qu'elles avaient peur de ces
tests. On a un potentiel de main-d'oeuvre professionnelle sous-utilisée,
parce que ces personnes ne sont pas allées passer les tests de langue.
Elles avaient peur. C'est le cas de plusieurs. Je n'ai pas de statistiques
précises comme telles. Je travaille dans un petit hôpital, mais on
a quand même trois cas similaires.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais revenir à l'article 20 et
à la question de la mutation. Pour être nommé, muté
ou promu, particulièrement pour les mutations et les promotions à
une fonction à l'intérieur de vos institutions, dans quelle
mesure l'exigence de ces tests vous apparaît-elle objectivement
pénaliser le personnel en place? Vous parlez des droits acquis à
un moment donné dans votre mémoire. Peut-être que si le
ministre voulait réagir... Quelqu'un qui veut être nommé et
qui vient de l'extérieur arrive dans des conditions nouvelles, mais pour
quelqu'un qui doit être promu et muté, dans quelle mesure d'abord,
cela crée une démoralisation chez le personnel - certaines
injustices peuvent-elles être commises, parce que vous avez
peut-être là des gens qui y sont depuis quinze ou vingt ans,
même s'il y a des dispositions dans la loi à savoir qu'on
considérait à la veille de leur retraite ceux qui étaient
à cinq ans de leur retraite? Il y a une autre disposition. J'oublie
à quel article, mais c'est 160 quelque chose. Je ne sais pas dans quelle
mesure cet article pourrait être modifié sans que soit mise en
cause la disponibilité de l'institution à prodiguer des services
en français aux personnes qui s'adressent à vous en
français.
M. Barkun: D'abord, pour répondre à votre question,
ces personnes sont inhibées. Elles sont inhibées même
à postuler pour un poste qui serait vacant. Vous savez, nous avons des
gens qui sont unilingues anglophones et qui sont avec nous depuis 25 ans et 30
ans; ils ne sont pas du tout à cinq années de leur retraite. Ils
ont peut-être 55 ans, 52 ans ou 58 ans. Ils ont encore de bonnes
années à consacrer au service de la population du Québec.
De ces gens, il y en a beaucoup qui ont dit que ce n'est pas la peine parce
qu'ils ont trop peur de ne pas y arriver.
Deuxièmement, comment peut-on s'assurer que les services seront
disponibles dans la langue française? Vous avez, de façon
écrite ici, l'engagement de nos établissements de s'assurer de
cela. Je crois que l'expérience, depuis l'entrée en vigueur de la
loi 101, depuis quelques cas célèbres, a démontré
que la grande partie de la population québécoise francophone ne
se plaint pas des services rendus en français. Nous avons assez
d'expertise, je crois, dans nos directorats de ressources humaines, pour juger
des connaissances de la langue française appropriées au poste
vacant. Chez nous, nous nous en sommes servis à la satisfaction des
malades d'abord et aussi à la satisfaction de nos employés.
Mme Lavoie-Roux: La standardisation des tests a été
abordée hier par la CSN; vous-même y avez touché un peu et
le ministre aussi, je pense, tout à l'heure. Je pense que faire passer
tel type de tests dans une institution et un autre dans une autre institution,
cela peut créer des inégalités. Pensez-vous que les
conditions dans lesquelles ces tests doivent être présentés
devraient être uniformes pour tous les établissements ou s'il
serait préférable de laisser une possibilité de jugement
pratique aux institutions?
M. Barkun: C'est un peu à cause de cette
ambiguïté du système de "testing" - on parle de
fiabilité, on parle de validité des tests, etc. - Mme la
députée, que nous préconisons l'abolition de ces tests. Il
restera
toujours de l'injustice et de la discrimination. Il ne faut pas oublier
que ce sont des individus qui font passer les tests, ce sont des individus qui
font la correction. On doit tenir compte aussi des émotions des gens qui
passent un test suivant la situation. C'est injuste de les faire faire, quand
il y a d'autres critères, par exemple, le diplôme de fin
d'études secondaires. Pour les gens qui entrent au Québec, il va
falloir qu'ils démontrent une connaissance appropriée de la
langue française suivant la corporation à laquelle ils
appartiennent. C'est pour cette raison que nous en préconisons
l'abolition.
Mme Lavoie-Roux: Une autre question. Vous parlez de la
dénomination de vos institutions. Il semble que la loi prévoit,
même si les articles 15 à 23 étaient mis en vigueur, que
vous pourriez garder la dénomination en langue française et en
langue anglaise, tel que mentionné à l'article 26 et à
l'article 70 auxquels vous avez fait référence. Vous parlez de
nouvelles institutions. Est-ce que, depuis 1977, il y a eu de nouvelles
institutions anglophones?
Une voix: Depuis quand? Depuis 1977?
M. Barkun: Depuis l'entrée en vigueur de la loi.
Mme Lavoie-Roux: Depuis 1977, depuis l'adoption de la loi.
Une voix: Je ne le pense pas.
M. Barkun: Je ne le crois pas, madame.
Mme Lavoie-Roux: C'est parce que vous y faites allusion. Vous
voulez cette dérogation pour les nouvelles institutions à venir,
mais, à votre connaissance, il n'y en a pas eu de nouvelles depuis
1977.
M. Paterson: Je pense que, dans le comté de Nelligan, on
parle maintenant...
Mme Lavoie-Roux: Un centre d'accueil.
M. Paterson: ...d'un CLSC. Comme cela, on pourra en avoir un
autre demain.
Mme Lavoie-Roux: Tout à l'heure, Dr Barkun, vous avez fait
la démonstration qu'à l'Hôpital Général de
Montréal vous aviez pris des dispositions pour qu'il y ait vraiment une
disponibilité de services en français à la
clientèle. J'accepte votre démonstration, mais pourriez-vous dire
la même chose de toutes les institutions? Tenons-nous en aux
hôpitaux parce que, évidemment, c'est plus votre champ
d'activités que les centres d'accueil, etc. Est-ce que vous pourriez
assurer, ici devant la commission, que les autres hôpitaux anglophones
ont fait les mêmes efforts et sont rendus au même niveau de
fonctionnement, quant à l'utilisation du français, que
l'Hôpital général de Montréal?
M. Barkun: Je peux répondre pour les hôpitaux,
évidemment. On se rencontre assez souvent. On a discuté
énormément de la loi 101 entre nous. Je sais d'abord que des
efforts énormes ont été faits, mais je peux assurer la
commission que la disponibilité, ce que j'appelle la capacité
française, est présente pour pouvoir fournir les services en
français. Nous sommes très sensibles, et nous l'avons toujours
été, au fait qu'il est très difficile, impossible, qu'il
est très douloureux d'être malade dans une langue
étrangère. Cela m'est arrivé un jour en France avant que
je parle le français et j'en garde encore des souvenirs. Je peux vous
dire - je l'ai apportée - que nous avons à l'Hôpital
général de Montréal une liste de gens qui pourraient
répondre aux malades - je ne prendrai pas le temps de la commission pour
lire toute la liste - en parlant l'arabe, l'arménien, quatre dialectes
chinois, le créole, le hollandais, l'estonien, cinq dialectes des
Philippines, le cri, l'inuit, etc. Nous savons en tout temps où se
trouvent ces personnes, chez elles ou au travail, pour qu'on puisse
répondre dans la langue de la personne qui se présente à
l'hôpital. Je peux vous dire que, si on fait cela pour ces
minorités qui ne sont pas très nombreuses, on le fait
sûrement pour les francophones.
Peut-être que Mme Serafini pourrait répondre davantage pour
un autre type d'établissement comme l'hôpital des
convalescents.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
Mme Serafini: Au centre hospitalier des convalescents de
Montréal, il y a une accessibilité semblable en
différentes langues pour répondre dans la langue du patient qui
se présente chez nous. Si je peux nommer seulement un endroit en
particulier, je sais que dans la cuisine il y a 17 ou 18 langues qui se
parlent. Alors, tout de suite, on peut avoir quelqu'un pour agir comme
interprète auprès des patients. Je pense que c'est important que
chacun soit traité dans sa propre langue.
Mme Lavoie-Roux: Oui, mais ma question était plus
précisément à l'endroit du français. Est-ce que,
par exemple, vous pourriez dire que la démonstration que le Dr Barkun
nous a faite s'applique à l'hôpital de Montréal pour les
convalescents?
Mme Serafini: Oh oui, certainement, cela peut s'appliquer chez
nous.
Mme Lavoie-Roux: Oui. Alors, je vous remercie beaucoup. Je vous
souhaite bonne
chance et on va continuer de suivre le dossier avec beaucoup
d'intérêt quand le gouvernement présentera ses
amendements.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député de Groulx.
M. Fallu: M. le Président, j'aurais des questions de deux
ordres. La première porte sur le type de personnel dont vous
requérez la possibilité de donner des services en
français. On sait, d'une part, que, chez les ordres professionnels, il y
a un certain contrôle sur leur capacité de parler français.
D'autre part, à l'hôpital, il est de notoriété
publique que, très souvent, la première personne à
répondre au patient, à répondre à la cloche, comme
on dit, c'est le préposé. Or, le préposé n'est pas
membre d'un ordre professionnel. Quelle est, de façon
générale, la politique de vos hôpitaux par rapport à
l'usage et à la capacité des préposés de s'exprimer
en français?
M. Barkun: D'abord, M. le député - je parle encore
de l'hôpital que je connais -nous embauchons de plus en plus de
francophones: il n'y a pas de problème, puisque c'est leur langue
maternelle. La politique - en ce qui concerne le contact direct avec les
malades, qu'il s'agisse du préposé au bénéficiaire,
de l'infirmière, etc. - c'est que cette capacité de parler
français soit présente autant que possible avec chacun; mais il
faut absolument qu'elle soit présente géographiquement en tout
temps, c'est-à-dire non seulement à l'endroit mais 24 heures par
jour, 7 jours par semaine, pendant toute l'année. C'est la politique de
l'hôpital et je crois que je peux vous assurer que c'est la politique de
tous nos hôpitaux anglophones. (10 h 30)
M. Fallu: Vous me permettrez de faire état ici du
mémoire de la CSN hier soir à la commission, puisque nous avions
devant nous notamment l'une des représentantes de la FAS, Mme Gail
Campbell. On sait que la FAS-CSN...
Une voix: La Fédération des affaires sociales.
M. Fallu: ...la Fédération des affaires sociales
syndique largement, majoritairement les hôpitaux et les centres d'accueil
anglophones.
M. Barkun: M. le député, il y a de très
grands établissements anglophones où la CSN n'est pas
présente, comme le Royal Victoria, comme le St. Mary's.
M. Fallu: Oui. Ils ont, nous a-t-on dit, quelque 7500
adhérents dans le réseau anglophone.
M. Barkun: II y a de très grands établissements
dans le milieu anglophone...
M. Fallu: Oui, en effet.
M. Barkun: ...où la CSN n'est pas présente. Je vous
dis cela pour les archives.
M. Fallu: D'accord. Tel n'est pas l'objet de nos débats.
L'association a fait quatre remarques et j'aimerais vous les soumettre
très rapidement. Cela porte essentiellement sur l'application de
l'article 20. La première, c'est de pouvoir négocier avec les
employeurs pour déterminer les postes qui nécessitent la
connaissance du français. La seconde, c'est de voir à ce que les
tests soient appliqués de façon uniforme dans toutes les
institutions, notamment que la note de passage, si les tests sont
standardisés, soit la même partout. La troisième, c'est que
l'employé ne soit pas soumis à un nouvel examen à
l'occasion d'un changement d'institution pour occuper un poste similaire. La
quatrième a trait aux cours de langue française; on demande
qu'ils puissent être dispensés aux travailleurs et aux
travailleuses anglophones pendant les heures de travail. On nous a fait
remarquer que ces cours avaient été surtout disponibles pour le
personnel-cadre.
M. Barkun: M. le député, d'abord, pour ce qui est
de négocier les postes qui requièrent le français, je ne
sais pas, avec tout mon respect, si le forum de la commission des
communautés culturelles et de l'immigration est celui pour en discuter.
Il y a des tables de négociations qui se forment et peut-être que
c'est le moment d'ouvrir ce dossier. Malgré cela, Mme Campbell, qui est
à l'Hôpital général de Montréal, pourra en
discuter. Je crois que dans la province c'est vraiment à la table
centrale qu'il faudrait négocier cela comme faisant partie de la
convention collective.
Deuxièmement, en matière de tests uniformes partout, je
crois avoir répondu a la question de Mme la députée de
L'Acadie en disant que c'est une des raisons pour lesquelles on en
préconise l'abolition. Il est très difficile d'avoir des tests
uniformes partout et les conditions de passage de ces tests ne sont jamais
uniformes. Il y a déjà un certain manque de justice.
Je suis étonné d'apprendre qu'il y a des
établissements qui demandent un nouvel examen lorsque quelqu'un est
muté au même poste d'un hôpital à l'autre. Je serais
tout à fait prêt à recevoir quelqu'un d'un autre
hôpital qui a déjà démontré sa
capacité en français dans un même poste. Je ne vois
vraiment pas l'utilité de demander un nouveau test. Je suis tout
à fait d'accord avec cette proposition.
Quant aux cours pendant les heures de
travail, comme je vous l'ai dit, on a fourni des cours depuis 1974
à nos employés. En 1977, on a eu 172 personnes à
l'Hôpital général de Montréal qui ont suivi ces
cours. Ce n'était pas pendant les heures de travail. On dit que les
cadres les ont eus pendant les heures de travail. Il faut dire que cela a
été moitié, moitié. Ils arrivent à 8 heures,
les cours de français durent jusqu'à 9 heures et une heure
pendant les heures de travail. Mais il faut dire aussi que ces gens n'ont
jamais été remplacés et que, pendant qu'ils suivaient les
cours de français, personne ne faisait leur travail; donc, ils restent
après, sans heure supplémentaire, à terminer le
travail.
Je dois vous dire que Mme Campbell est passée me voir il y a
à peu près un mois avec la proposition qu'elle allait soumettre
en disant: Est-ce que vous soutiendrez le syndicat si on demande au
gouvernement que vous nous fassiez suivre des cours de français pendant
les heures de travail et que vous payiez pour, c'est-à-dire nous fournir
le budget nécessaire pour remplacer ces gens? Il faut les remplacer
pendant ces heures. M. le député, j'ai signé la lettre
tout de suite.
Je crois qu'elle a dit hier soir qu'un établissement avait
signé. Je crois qu'il y en a trois qui ont signé. Mais je ne vois
pas cela comme étant une difficulté, vraiment pas. Encore
là, c'est à négocier surtout au point de vue
budgétaire, parce que nous sommes déjà assez pris, sans
être pris encore une fois. Nous sommes prêts à lancer ces
cours. Lorsqu'on donnait ces cours avant, c'était la Commission des
écoles catholiques qui fournissait les professeurs. Nous fournissions
les espaces, l'amphithéâtre, les salles de cours, l'audiovisuel et
tous les livres. C'est donc dire qu'on est prêt à faire notre
part.
M. Fallu: Je vous remercie de vos précisions.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député de Nelligan.
M. Lincoln: Très brièvement, M. le
Président, parce qu'il est tard et que beaucoup de gens veulent se faire
entendre. Je voulais poser une courte question à M. Paterson. Comme cela
se fait entre le Dr Barkun et le Dr Mann, je parle toujours en anglais à
M. Paterson; alors, je trouve cela plus naturel de lui parler en anglais.
Mr. Paterson, I think there was a reference in your brief and also in
some comments who were made before to scientists, technicians and key people
who want to come into the hospital system and the scientific system of the
hospital network but who cannot because of the language of education of their
children. They would not qualify even if the Canada clause were adopted; these
are people from elsewhere than Canada. What do you suggest, short of the
universal clause? Should there be some kind of exception made for people for
whom it can be shown that they are essential to the network or to research, or
to the progress of science within the American health system?
M. Paterson Mr. Lincoln, I do not like talking about exceptions
to the universal clause because I have always been passionately in favor of the
universal clause. If we have to talk about exceptions, there is no doubt, from
the explanation given, I think, by Dr Barkun, that after advertising in
Québec, outside Québec and around the world, there are
difficulties in certain particular areas and particularly in the very important
high level scientists who can go anywhere in the world. They do not have to
come to Québec, they have the choice. There is no doubt that as long as
those people, from our experience - I think that all my colleagues can attest
to this - do have the option, it is one more argument that we have to overcome
in recruiting them.
Therefore, we certainly strongly would plea that there be an amendment
to the law, first of all, for the universal clause, but if that is not
acceptable, for something better than the Canada clause that would permit us to
recruit anywhere in the world, particularly when those people are not avalaible
in Québec, after we have advertised in Québec and across the
country. In that way, apart from all the other advantages of this province, all
the other advantages of the city and all the other advantages of working at one
of our hospitals, we can eliminate that apparent handicap in recruiting many of
these people.
M. Lincoln: Thank you.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Gratton: Je voudrais simplement remercier nos invités
et leur signaler que l'heure qu'on leur avait accordée s'est
allongée un peu. Souhaitons que nos prochains invités n'en seront
pas trop offusqués. Merci infiniment, mesdames et messieurs.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Merci, mesdames; merci, messieurs. Nous tenterons
d'incarner les engagements pris verbalement ici ce matin. Merci.
M. Barkun: Merci, M. le ministre.
Le Président (M. Desbiens): Merci. J'invite le
Congrès juif canadien à s'avancer, s'il vous plaît.
Bonjour, M. Finestone. Avant de présenter votre mémoire, si vous
voulez bien nous présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il
vous plaît!
Congrès juif canadien
M. Finestone (Bernard): M. le Président, je m'appelle
Bernard Finestone. Je suis le président du Congrès juif canadien
de la région du Québec. À ma gauche, se trouve M. Frank
Schlesinger, vice-président national et aussi président de notre
comité des relations communautaires; à ma droite, le Dr Jim
Archibald, directeur général.
Le Président (M. Desbiens): Merci. Vous pouvez
procéder à la présentation de votre mémoire.
M. Finestone: Me Schlesinger sera notre porte-parole. Je lui
donne le micro.
M. Schlesinger (Frank): Merci, M. le Président. Avant de
commencer, je tiens à remercier la commission parlementaire de nous
avoir invités à présenter notre mémoire et aussi
à présenter les excuses de M. Mayer Levy, notre directeur des
relations communautaires, qui devrait être parmi nous aujourd'hui, mais
qui est malheureusement malade. Ce n'est pas grave, mais il n'a pas pu
venir.
Avant de commencer la lecture de notre mémoire, je tiens à
vous lire l'avant-propos de notre mémoire que l'on a soumis le 2 juin
1977 à une commission semblable. La communauté juive croit que
toute forme d'encouragement doit être donnée à
l'épanouissement de la culture et de la langue françaises, car
cela reflète les aspirations légitimes de la majorité de
nos concitoyens dans la province. Dans notre présentation à la
commission de l'éducation, des affaires culturelles et des
communications de l'Assemblée nationale sur la loi de la langue
officielle, la loi 22, nous avons déclaré que la
communauté juive est unanime dans sa conviction que le langage
prééminent du travail et des communications en cette province
doit être le français. Nous sommes toujours attentifs et
éprouvons une profonde sympathie envers les aspirations linguistiques et
culturelles des Québécois de langue française. La
communauté juive du Québec a, durant les dernières
années, de concert avec d'autres communautés dont la langue de
base est l'anglais, vécu une transformation considérable dans
l'usage et la priorité de l'anglais et du français grâce
à l'adoption plus large du français en tant que langue
d'expression et du travail.
Je termine. Ainsi, la communauté juive reconnaît que
l'avancement pour la langue et la culture françaises est un
développement positif dans cette province. C'est dans ce contexte que
l'on présente notre mémoire aujourd'hui qui est en effet une
prolongation des mémoires que l'on a présentés dans le
passé.
On s'est demandé si dans la situation actuelle je devais lire le
mémoire ou en faire un résumé, mais, vu que notre
mémoire est assez court, je crois que ce serait plus facile de le lire
parce que le résumé serait aussi long que le mémoire
lui-même. Alors, si vous avez des questions - je laisse cela à
votre discrétion - vous pouvez m'interrompre ou attendre à la fin
de mon exposé. Il y a aussi M. Archibald et M. Finestone qui sont aptes
à répondre à vos questions.
Le Président (M. Desbiens): Vous pouvez le lire...
M. Schlesinger: Oui, si vous voulez.
Le Président (M. Desbiens): ...et les questions viendront
par la suite. Allez-y.
M. Schlesinger: D'accordi Merci. Le Congrès juif canadien,
région du Québec, organisme élu démocratiquement,
est le porte-parole officiel de la communauté juive composée
d'environ 105 000 âmes et représente pratiquement tous les
courants d'idées au sein de la communauté.
Lors de la présentation du projet de loi 1 et, par la suite, du
projet de loi 101, le Congrès juif canadien avait souligné que la
préoccupation majeure de la communauté résidait dans le
fait que le projet de loi ne devait pas porter atteinte aux droits des citoyens
et que l'équité, en termes de loi, habitude et usage, soit
maintenue à l'endroit de tous les individus sans distinction. Notre
préoccupation profonde est que la Charte des droits et libertés
de la personne ne devrait pas être supplantée par la loi 101 de
quelque façon que ce soit. Cette préoccupation reflète
l'opinion réfléchie de notre communauté et, par
conséquent, de l'organisme qui représente celle-ci. (10 h 45)
L'épanouissement du français ne devra plus en aucun cas
atténuer les droits et libertés fondamentaux de la personne de
tous les citoyens du Québec.
Quelles qu'aient été les injustices dont d'aucuns ont
dû souffrir par le passé et dont la communauté juive fut
également victime, comme cela s'est si souvent produit au fil de notre
histoire, il n'est pas possible de les redresser par l'adoption de mesures
discriminatoires ayant un caractère coercitif. Les problèmes
culturels et linguistiques du Québec doivent se résoudre par le
biais d'une collaboration plus étroite et d'une meilleure
compréhension de la part de tous les citoyens, sans distinction
d'origine.
Lors de la présentation du projet de loi 1, dont je viens de
faire mention, le Congrès juif canadien, au nom de la communauté
juive, avait déposé un mémoire substantiel. Certaines
modifications avaient été apportées au projet de loi
conformément à notre demande. Nous avons souligné l'ajout
de plusieurs nouveaux chapitres au projet de loi et ceci avait
été fait par le biais d'un aide-mémoire en date du 2
septembre 1977 adressé au ministre du Développement culturel.
Une fois de plus nous saisissons l'occasion qui nous est donnée
pour demander au ministre des Communautés culturelles et de
l'Immigration de bien vouloir à nouveau se pencher sur les modifications
que nous proposons et que nous voudrions bien que le gouvernement apporte
à la loi 101.
Chapitre IV, la langue de l'administration. Nous suggérons
à l'article 14 qu'un second alinéa soit ajouté pour qu'il
soit conforme avec l'article 26. Cet alinéa se lirait comme suit: "Les
établissements reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113
peuvent utiliser une dénomination dans la langue officielle et dans une
autre langue."
L'article 17 oblige les organismes publics, tels que les hôpitaux
reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113, à ne communiquer
entre eux que dans la langue officielle. Nous estimons qu'il serait impensable
de demander à un hôpital dont la langue couramment utilisée
dans l'administration est la langue anglaise de ne communiquer qu'en
français avec un autre hôpital dont la langue d'administration
courante est la langue anglaise, ou de contraindre les hôpitaux
affiliés à l'Université McGill, université dont la
langue d'usage et d'administration est l'anglais, à communiquer avec
celle-ci en français.
Nous recommandons donc d'ajouter un deuxième alinéa
à cet article. Cet alinéa se lirait comme suit: "Les
établissements reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113
peuvent communiquer entre eux dans la langue officielle ou dans toute autre
langue."
L'article 18 stipule que toutes les communications au sein des
établissements publics doivent se faire pour le moins en
français. Toutefois, l'article 26 permet d'utiliser à la fois le
français et une autre langue dans les communications internes. Ces
exigences ne posent pas de problèmes aigus dans les communications
d'ordre général entre l'administration et le reste de
l'hôpital. Toutefois, lorsqu'elles touchent les communications entre deux
anglophones au sein d'un même hôpital, elles font perdre un temps
précieux et entravent souvent l'efficacité des services
médicaux.
Nous recommandons d'ajouter un deuxième alinéa à
cet article. Cet alinéa se lirait comme suit: "Dans les
établissements reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113, les
communications internes entre deux personnes dont la langue d'usage est autre
peuvent se faire dans cette langue."
A la lecture de l'article 20, de vives inquiétudes nous ont
été transmises par des membres de certains ordres professionnels
faisant partie de notre communauté. Il va de soi que les
établissement dont la langue d'usage est l'anglais se doivent d'offrir
leurs services dans la langue officielle. Nous croyons toutefois que cette
responsabilité devrait incomber à l'organisme et non au personnel
sur une base purement individuelle.
Donc, il n'est ni nécessaire ni fondé de demander à
celles des personnes qui ont terminé leurs études secondaires au
Québec de se soumettre, après l'obtention de leur diplôme
de fin d'études secondaires, à un nouveau test destiné
à vérifier leur connaissance de la langue officielle.
Je tiens à vous faire remarquer qu'il y a une faute de frappe
dans notre mémoire à la page 4. Quand on dit: "Nous
souhaiterions", il faut lire: "Nous soulignerions". C'est le premier mot
à la quatrième ligne. Nous soulignerions que l'article 84 de la
loi stipule qu'un certificat d'études secondaires ne puisse être
décerné à l'élève qui n'a pas une
connaissance suffisante du français écrit et parlé. Nous
recommandons donc que toute personne possédant un certificat de fin
d'études secondaires délivré par un établissement
d'enseignement secondaire reconnu de la province de Québec soit
dispensée de tout contrôle supplémentaire.
Pour ce qui est du personnel professionnel venant de l'extérieur
du Québec, les tests semblent poser certaines difficultés. Pour
éliminer toute crainte inutile de discrimination, nous recommandons que
les tests soient abolis et qu'il suffise aux employés concernés
de présenter un certificat qui leur a été
délivré par des écoles reconnues par le ministère
de l'Éducation ou par des organismes agréés à ces
fins.
Nous recommandons de remplacer le deuxième alinéa de
l'article 20 pour qu'il soit conforme à l'article 23. Cet alinéa
devrait se lire comme suit: "Les organismes de services sociaux reconnus en
vertu du paragraphe f de l'article 113 doivent veiller à offrir leurs
services dans la langue officielle."
Chapitre V, la langue des organismes parapublics. À l'article 30
de ce chapitre, nous suggérons que les termes "et les membres des ordres
professionnels" soient supprimés. Il nous est difficile de comprendre la
raison pour laquelle ces termes figurent, étant entendu que les
obligations des membres de l'ordre professionnel sont déjà
traitées ailleurs.
Dans sa version actuelle, l'article 30 pourrait entraîner
l'interdiction du droit du professionnel à l'exercice de sa profession
et ce, en dépit du fait qu'il ait résidé au Québec
depuis de nombreuses années. Dans le même ordre d'idées,
nous réitérons notre demande exposée dans notre premier
mémoire, selon laquelle l'article 41 ne devrait pas s'appliquer à
toute personne membre d'un ordre professionnel à la date où cette
loi est entrée en vigueur.
Nous tenons à rappeler au ministre qu'il avait été
convenu que nul ne perdrait son emploi à la suite de l'application de la
loi 101 et que les articles ci-dessus mentionnés ne pourraient pas
causer de discrimination arbitraire.
Chapitre VII, la langue du commerce et des affaires. Nous avions en son
temps suggéré que les produits kasher importés devraient
être soumis à l'article 52 qui stipule: "L'Office de la langue
française peut, par règlement, indiquer les dérogations
à l'article 51." Nous avions à l'époque remis un
mémoire au ministre du Développement culturel, lui expliquant que
les produits kasher importés et dont l'étiquetage était
uniquement en anglais représentaient une infime partie des produits
vendus dans les établissements au Québec. Les produits kasher
fabriqués au Québec ont tous des étiquettes bilingues et
nous avons essayé de convaincre certains importateurs du souhait que les
produits importés aient aussi des étiquettes bilingues. Nous
demandons donc que l'article 52 soit appliqué aux produits kasher
importés en très petite quantité vu qu'il serait
très onéreux pour les importateurs de mettre des
étiquettes sur ces produits importés.
À l'article 58, nous suggérons que les publicités
commerciales figurant a l'intérieur de tout commerce au détail ou
à l'extérieur dudit commerce dans un entourage immédiat
soient rédigées en français ou bien en français et
dans une autre langue pour autant que le français soit mis en relief, ou
à tout le moins qu'elles soient mises en évidence tant dans une
langue que dans l'autre.
Étant entendu qu'au sein de la communauté juive plus d'une
langue a cours, nous suggérons que les mots figurant aux articles 61 et
62 soient remplacés par le pluriel "les langues".
Quant à l'article 69, nous soutenons une fois de plus qu'il n'est
point nécessaire. La raison sociale constitue l'un des aspects les plus
importants de l'achalandage d'un très grand nombre de petits commerces
au Québec et cet article leur vaudra une expropriation sans
indemnité. Il est de ce fait discriminatoire.
Chapitre VIII, la langue de l'enseignement. Nous réitérons
à nouveau nos regrets au gouvernement qui n'a pas cru bon d'accepter la
suggestion de la dimension canadienne. Lors de la présentation de notre
mémoire en date du 2 juin 1977 au ministre de l'Éducation, nous
avions discuté du contenu de cet article 85 qui n'exprime
malheureusement pas les besoins propres à la communauté juive,
car les personnes de confession juive désireuses d'y envoyer leurs
enfants se trouvent privées du droit de les envoyer dans une
école de leur choix, ce qui empêche de ce fait les personnes en
question d'exercer leur plein droit en matière de religion. Ces
exigences ont été et constituent toujours une source de malaise
sérieux pour la communauté vis-à-vis de ce qui est
perçu comme étant une atteinte directe à la liberté
de religion.
D'autre part, en ce qui concerne le terme "temporaire", ce terme devrait
être défini de façon à accorder au moins cinq ans
aux personnes résidant temporairement au Québec.
À la suite des entretiens que nous avions eus avec le ministre,
nous en avions déduit que, concernant l'article 85, les personnes
désireuses d'envoyer leurs enfants dans les écoles juives
pourraient le faire non pas uniquement sur une base temporaire. Or, nulle part
dans l'article 85 n'est-il fait état de ce besoin propre à la
communauté juive. Il existe souvent des cas où les ministres du
culte ou les spécialistes de l'éducation juive viennent de
l'extérieur du Québec, vu que la plupart des grands
collèges rabbiniques se trouvent aux États-Unis, en Europe ou,
évidemment, en Israël. Or, ces personnes, qui viennent parfois en
vertu de contrats de cinq ans et envoient leurs enfants, avec un permis
spécial du ministère, dans des écoles juives
privées dont la langue d'enseignement est l'anglais, se voient
contraintes après quatre ans de changer la langue d'instruction de leurs
enfants s'ils décident de résider au Québec. Cela
occasionne parfois de grands problèmes aux parents et nous recommandons
que le ministre sursoie à l'application de cet article pour les
personnes de confession juive désireuses d'envoyer leurs enfants dans
des écoles juives privées.
Dispositions diverses. L'article 90 a pour effet de priver les citoyens
qui lisent les journaux anglais d'une protection qui avait été
reconnue par le Code civil de la province de Québec. Cet article doit
être totalement supprimé pour son caractère
discriminatoire.
Dispositions transitoires et diverses. Dans sa version actuelle,
l'article 220 a pour effet de priver de leurs subventions les écoles
juives et les institutions déclarées d'intérêt
public, même si un étudiant non admissible y était admis
par inadvertance. Nous soutenons qu'une école ne devrait pas se voir
refuser des subventions à moins d'un refus flagrant et continu de
respecter la loi,
auquel cas le ministre se devrait d'avoir une certaine
flexibilité et non de prendre une mesure draconienne telle que la
résiliation totale d'une subvention. Nous soutenons que le ministre de
l'Éducation a déjà suffisamment de pouvoirs pour mettre en
vigueur les règlements inhérents à tout projet de loi et
qu'il ne devrait pas disposer de celui-ci en plus.
En conclusion, le Congrès juif canadien voudrait que son
mémoire soit réellement pris en considération comme partie
intégrante des mémoires soumis à la commission de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications en date du 2
juin 1977 et d'un aide-mémoire soumis au ministre d'État au
Développement culturel en date du 2 septembre 1977, documents qui ont
été remis au secrétaire des commissions.
Nous sommes persuadés que les modifications proposées
n'amoindrissent nullement les objectifs formulés par le gouvernement en
regard de la loi 101 et qu'elles permettront au gouvernement d'améliorer
le climat social dans la province de Québec. Nous pensons que, si toutes
nos recommandations sont adoptées, le but de la loi sera des plus
adéquatement atteint, tout en respectant les droits et libertés
de la personne, ainsi que la dignité de tous les citoyens. C'est notre
mémoire.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Godin: M. le Président, dois-je comprendre que M.
Finestone ne dit pas un mot ce matin? C'est tout à fait contraire
à la connaissance que j'ai de lui! Must I understand...
M. Finestone: Je suis certain que M. le ministre va avoir des
questions, et je vais y répondre.
M. Godin: Premièrement, je dois dire que je suis fort
heureux de vous revoir tous trois ici. La dernière fois que nous nous
sommes vus, vous vous en souvenez, c'était pour le dévoilement
d'une plaque. C'est la seule plaque, dans ce parlement, dans cette maison du
peuple que nous avons depuis bientôt deux siècles, qui fasse
état de la présence au Québec d'une autre
communauté que la communauté française. Je suis donc
heureux de vous revoir et d'autant plus heureux que votre mémoire -
comme vous avez pu le constater en écoutant le groupe qui vous a
précédés et mes remarques - se situe dans la foulée
des changements - en grande partie du moins - que le gouvernement
déjà s'était engagé à faire.
Par ailleurs, pour tout ce qui ne touche pas les questions ou les points
déjà abordés par l'association des hôpitaux
anglophones de Montréal, je vais vous poser quelques questions
très brèves. À la page 4, pour éclaircir la
question des examens de français passés par les professionnels
sortis du système scolaire français au Québec, vous
souhaitez que l'article 84 de la loi stipule "qu'un certificat d'études
secondaires ne puisse être décerné à
l'élève qui n'a pas une connaissance suffisante du
français écrit et parlé." Quelle différence
voyez-vous entre votre suggestion et ce qui existe? J'ai mal compris. (11
heures)
M. Schlesinger: Je voudrais souligner qu'il y a une erreur. Il y
a une faute de frappe.
M. Godin: Ahi D'accord. Excusez-moi.
M. Schlesinger: Le mot "souhaiterions" devrait se lire
"signalerions".
M. Godin: Ah! D'accord. Donc, vous estimez...
M. Schlesinger: Nous signalons que... C'est ce qui existe
déjà, oui.
M. Godin: ...que l'article 84 règle le problème des
examens linguistiques.
M. Schlesinger: Oui.
M. Godin: Comme je l'ai dit à un groupe...
M. Schlesinger: Oui, oui, c'est cela.
M. Godin: ...qui vous a précédés ici sur
cette même question, le gouvernement, pour l'instant, est presque
d'accord avec vous là-dessus. Est-ce que le "presque" va sauter d'ici au
15 novembre? On le verra bientôt.
D'autre part, pour ce qui touche les produits kasher, vous avez eu de
longues, nombreuses et très éclairantes discussions avec les
organismes qui appliquent la loi et de l'avis des deux partenaires, aussi bien
vous que l'institution gouvernementale en question, les résultats sont
très positifs. Il y avait eu une entente aux termes de laquelle 90% des
produits devaient avoir des inscriptions bilingues, les 10% couvrant les
produits très peu vendus ou très peu utilisés ou que vous
n'utilisez qu'à l'occasion de fêtes religieuses
particulières. L'entente présente, c'est que 10% des produits
sont exclus du bilinguisme obligatoire d'inscription. De plus, durant les deux
semaines précédant et suivant la Pâque juive, aucune
exigence ne s'applique. Cette formule répond-elle à vos
attentes?
M. Finestone: Oui, on peut vivre avec cela. Cependant, dans
beaucoup d'autres cas que nous avons discutés avec vous, on trouve qu'on
peut faire un arrangement avec le
ministre pour qu'il nous accorde une tolérance, mais les petites
gens qui sont dans la rue n'accordent pas la même tolérance. De
temps en temps, on doit répondre à des demandes de
procédures légales en cour à cause de cela. On pense que,
s'il y avait une disposition de votre part pour accorder cette
tolérance, ce serait beaucoup mieux de la retrouver dans les
règlements. Peut-être que les gens qui appliquent les
règlements sauraient, à l'avenir, qu'ils doivent accorder cette
tolérance.
M. Godin: Am I to understand, Mr. Finestone, that some cases were
brought before the courts?
M. Finestone: We were brought before the commission. I was there
myself about eight or ten weeks ago.
M. Godin: You mean the commission, not the court.
M. Finestone: Well, it looks like a court, Mr. Minister. It acts
like a court.
M. Godin: Okay, because there is a difference. There is a basic
difference. This commission does not have the power to enforce any legislation.
It hears people and then, it makes recommendations to the Department of
Justice. So, it is not exactly a court. It is like here. It is not a court. It
is a hearing committee...
M. Finestone: This...
M. Godin: ...but I understand what you mean by that. You do not
like to be asked questions, especially when you think you have done your share
of the job.
Mon autre question en rapport avec ce problème du bilinguisme des
produits kasher est la suivante. Nous avons observé depuis quelques
années, depuis 1968, je crois, l'arrivée au Québec d'un
grand nombre d'immigrants juifs séfarades francophones. Je pense qu'ils
sont maintenant 20 000 au Québec.
M. Finestone: Oui, 25 000, je pense.
M., Godin: 25 000? C'est une bonne nouvelle. Ceci atteste que le
Québec, malgré tout, reste une terre que beaucoup de gens voient
comme n'étant pas l'enfer que certains décrivent. Je vous poserai
une question très brève. Ils m'ont exprimé à
quelques reprises leur souhait de voir, justement, ces produits - pas
récemment, mais depuis quelques années - et ils sont contents de
voir que la communauté juive a fait un accueil absolument sans
égal à leur demande. La communauté juive a maintenant un
bilinguisme institutionnel et a vécu, au fond, le même processus
de "bilinguisation" que d'autres institutions au Québec, avec
l'arrivée de ces nouveaux citoyens.
La question que je vous poserais - et c'est la dernière - est la
suivante. Est-ce que vous avez toujours l'intention de vous rendre à ces
10% de produits? La marge est très mince, me dit-on, entre la
réalité actuelle et l'objectif sur lequel vous vous étiez
entendus avec les organismes de la charte. Est-ce que les 8% qui restent sont
vraiment un "irritant" ou si c'est en train de se faire?
M. Schlesinger: Pour commencer, il faut souligner que le
Congrès juif canadien a toujours endossé le concept et le but
d'avoir tous les produits kasher étiquetés de façon
bilingue. Tous les produits qui sont faits ici, au Canada ou au Québec,
sont étiquetés dans les deux langues. Le problème est
qu'une grande partie des produits kasher viennent des États-Unis. Le
marché québécois et même canadien est tellement
petit, minime, qu'ils ne peuvent pas, vu l'économie d'échelle,
changer l'étiquetage pour notre marché.
Vous avez raison. Si on peut avoir l'étiquetage bilingue, on le
souhaite autant que vous. Le problème est que nous avons aussi eu des
appels de Juifs séfarades qui disent: Oui, j'aimerais bien que
l'étiquette soit en français et en anglais, mais si on nous donne
à choisir entre le produit en anglais seulement ou ne pas l'avoir, si
c'est kasher, je veux l'avoir même si c'est seulement en anglais. C'est
cela, le problème. Ce sont les besoins de la religion qui imposent de
manger cette nourriture.
Il y a un autre petit problème. Les ententes, les protocoles ou
les pourparlers concernent plutôt les importateurs, mais cela ne concerne
pas nécessairement les détaillants. On peut dire qu'un
distributeur va importer seulement 10% de produits non bilingues et 90% des
autres. Mais le détaillant, lui, n'en sait rien. Il n'est pas au courant
de cela. Il ne peut pas faire ses commandes en fonction de cette entente; il
fait ses commandes selon ce qu'il vend dans son magasin, selon la demande. Il
se peut qu'il ait 40% de marchandise étiquetée en anglais
seulement et 60% d'étiquetage bilingue; ce n'est pas sa faute.
Là, les membres de l'Office de surveillance entrent pour faire - je
n'utiliserai pas le mot "descente" - une visite.
M. Godin: Un inventaire. Ils font un inventaire.
M. Schlesinger: Ils ont leur bouquin, ils font un inventaire et
tout le monde est bouleversé. Le détaillant a l'air d'un criminel
devant les gens qui passent. On se demande ce qui se passe. Il y a tout le
climat créé
par ce genre d'inspection. Il n'y a pas que l'aspect des chiffres, il y
a l'aspect commercial et social.
M. Godin: D'accord, c'est noté, Me Schlesinger.
M. Finestone: Est-ce que je peux ajouter un mot, M. le
ministre?
M. Godin: Oui, allez-y, M. Finestone.
M. Finestone: The problem is to find them. We are in the process,
right now, of sending out a reminder to every retailer who might be involved.
Perhaps we ought to go to the Office de la langue française; they
probably have a better list of the retailers than we do. We are compiling a
list and we intend to remind them of this agreement. So, we are attempting, in
every way we possibly can, to cooperate with the agreement.
I would like to ask Dr Archibald to make a couple of points.
M. Archibald (Jim): M. le ministre, vous avez fait
référence à un pourcentage qui représenterait une
certaine tolérance reconnue de la part de l'office, de la part de la
commission, selon une entente que le Congrès juif canadien
reconnaît, etc. Vous faites référence à ce
pourcentage comme si c'était su, connu et respecté de tous les
individus.
Je dois vous dire que, la dernière fois que nous avons
été invités à comparaître devant la
Commission de surveillance de la langue française, on a parlé
d'un pourcentage; le chiffre a varié pendant la conversation. Nous avons
demandé aux commissaires de nous préciser quel était le
pourcentage qui constituait le critère d'interprétation lors de
ces visites d'inspection. On a également demandé qu'on nous fasse
parvenir un procès-verbal de la rencontre avec la Commission de
surveillance de la langue française. Le président de la
séance a refusé de mettre par écrit, pour la
communauté juive, le pourcentage utilisé comme critère
d'interprétation, primo. Deuxièmement, il a également
refusé de nous remettre un procès-verbal de la réunion.
Cependant, je n'ai pas en mémoire le nombre de fonctionnaires qui
étaient là, mais il y en avait un nombre considérable. Il
me semble que nous aurions pu avoir un procès-verbal pour nous mettre au
courant un peu de la façon dont le règlement allait être
appliqué par les personnes qui sont chargées de faire
l'inspection et d'appliquer les règlements. Or, dans les deux cas, la
demande a été refusée.
Nous sommes, comme vous le voyez d'après le ton de notre
mémoire, tout à fait favorables à l'épanouissement
de la langue et de la culture françaises au Québec. Cependant,
nous devons également vivre dans un climat social où notre
communauté peut s'épanouir et vivre confortablement, en acceptant
les objectifs d'épanouissement du français. Et je trouve que
notre demande de faire une exception dans la loi aurait un effet très
favorable sur le climat social.
M. Godin: C'est noté, Dr Archibald.
Quant à la partie qui touche, à la page 7, l'inscription
des enfants dans une école ou une autre, je vais voir avec mon
collègue de l'Éducation de quelle manière nous pourrions
résoudre ce problème à la satisfaction de la
communauté. Dans la mesure où - je pense que ce serait logique -
le Québec reconnaît, subventionne des institutions scolaires
juives, je pense que cela va de soi que dans ces institutions scolaires il
découle que des règlements tiennent compte de la
réalité concrète vécue par votre communauté
et surtout par ces enfants.
Alors, merci beaucoup, M. Finestone. En ce qui me concerne, j'ai
terminé pour l'instant. Peut-être qu'à la fin je
reviendrai. Merci, M. Schlesinger et Dr Archibald.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier les
représentants du Congrès juif canadien pour être venus
présenter ce mémoire. Au début, vous avez lu
l'avant-propos de vos mémoires en ce qui concerne les lois 22 et 101. Je
pense que, pour résumer la position du Congrès juif canadien, la
langue française doit être la langue prioritaire au Québec
et la langue commune des Québécois. Cela se résume
à cela et donc on n'en parle pas.
J'aimerais seulement poser certaines questions qui touchent vraiment la
communauté juive en tant que communauté juive. Il est
évident que la loi 101 ne vise pas un groupe religieux ou un groupe
ethnique, etc. Les effets de la loi ou des règlements pourraient toucher
un groupe religieux ou un groupe ethnique de façon spéciale, mais
ce n'est pas voulu. Je pense que tout le monde convient que ce n'était
pas voulu, par exemple, de légiférer en ce qui concerne la
nourriture kasher; c'est un accident. D'abord, pour la nourriture kasher, c'est
la même chose dans la loi fédérale. Il y a une loi
fédérale qui exige le bilinguisme, surtout quand cela vient d'un
autre pays. Comment le gouvernement fédéral a-t-il traité
ce problème? C'est pour tout le Canada: Winnipeg, Vancouver, Toronto et
ainsi de suite.
M. Schlesinger: Pendant longtemps, il y a eu tolérance de
la part du gouvernement fédéral. On a su qu'il y aura
peut-être quelques problèmes. J'ai entendu dire qu'il y avait un
problème à Vancouver et aussi à un
autre endroit, à Winnipeg ou ailleurs, où le gouvernement
fédéral a suscité des problèmes pour la nourriture
kasher qui arrive sans être étiquetée de façon
bilingue. Mais, si le Québec voit que c'est nécessaire et qu'il
peut prendre les devants dans ce domaine, j'ai fortement l'impression que le
gouvernement fédéral va suivre. C'est peut-être une
occasion pour la province de Québec de démontrer qu'elle est
à l'avant-garde à l'égard des droits humains.
M. Marx: Bien. Donc, le gouvernement fédéral
attend; il exerce une tolérance. On empêche l'importation d'une
caisse, mais on permet l'importation d'une autre?
M. Schlesinger: J'ai l'impression que je pourrais peut-être
rendre plus concret par la suite le fait que, si le Québec exerce une
tolérance envers la communauté juive, le gouvernement
fédéral suivra de près. (11 h 15)
M. Marx: Oui. Une deuxième question sur ce
problème: Est-ce que cela touche d'autres groupes religieux, à
votre connaissance, par exemple, les Chinois qui peuvent vouloir importer
certains produits agricoles, de même que les Hindous, les Musulmans,
etc?
M. Schlesinger: Cela peut toucher divers groupes ethniques, mais
il faut faire une distinction. Dans notre cas, ce n'est pas une question
culturelle, c'est une question de religion. Je ne peux pas parler pour les
Musulmans, ni pour les Hindous. Je crois qu'ils ont aussi quelques
problèmes. Quant à nous, ce n'est pas parce qu'on aime un certain
genre de nourriture, c'est parce qu'on n'a pas le choix. Ceux qui sont
pratiquants doivent manger cette nourriture. C'est la différence.
M. Marx: Je sais que le ministre est de bonne foi dans ce
dossier. Le ministre peut prendre un engagement, mais le filtre est souvent
bloqué. Cela ne va pas jusqu'aux fonctionnaires. Je ne veux pas demander
au ministre de prendre une décision assez compliquée,
aujourd'hui, dans les détails et dans la plomberie. Est-ce qu'il peut
prendre l'engagement qu'on va s'asseoir pour la dernière fois et
rédiger une directive aux fonctionnaires pour dire: C'est cela, enfin on
va régler cela d'une façon ou d'une autre afin qu'on ne reprenne
pas ce débat d'ici un an ou deux?
M. Godin: Est-ce une question que vous me posez?
M. Marx: Oui.
M. Godin: M. le Président, est-ce que je peux
répondre?
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Me Schlesinger qui est avocat me comprendra
parfaitement. Dans la mesure où il s'agit d'une contravention à
la loi générale, il serait difficile pour le gouvernement de
mettre par écrit qu'il contrevient à sa propre loi. Il s'agit
là d'un "gentlemen's agreement" et les paroles valent les actes
écrits.
D'autre part, vous avez fait ce qu'on appellerait "a slip of tongue"
tout a l'heure en parlant de descente, Me Schlesinger.
M. Schlesinger: J'ai dit que je ne voulais pas qualifier cela de
descente.
M. Godin: Mais le Dr Archibald a parlé de visite. "For the
record", comme on dit, il est important de savoir que chaque fois que de tels
inventaires sont faits le Congrès juif canadien et le B'Nai Brith en
sont prévenus d'avance, n'est-ce pas, M. Finestone? Il s'agit de visites
tout à fait kasher, if I may say so.
M. Archibald: If I may say so.
M. Marx: Je n'ai pas voulu demander au ministre de contredire sa
loi par une directive. Je sais qu'il y a d'autres ministres qui font cela, mais
je ne demanderai jamais à un ministre de contourner la loi. Le ministre
de la Justice a la mauvaise habitude de contourner des lois par des
règlements.
Une voix: C'est l'article 52.
M. Marx: À l'article 52, vous avez le pouvoir de faire des
dérogations à l'article 51 par règlement. On vous demande
de régler le problème en utilisant vos pouvoirs et d'adopter le
règlement nécessaire afin que le problème ne se
présente pas une autre fois. Tout ce que vous voulez faire de
grâce, vous pouvez le faire de droit. On demande que ce soit
encadré dans un règlement pour que le problème ne se pose
pas. C'est un "irritant" qui ne fait rien...
M. Godin: Qui irrite. M. Marx: ...qui irrite.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: We will look into it with an open mind.
M. Marx: No. Will you look into it with a sharp pencil?
M. Finestone: I just want to add a word. I appreciate what you
are saying, Mr.
Minister, but we really do not want to turn kasher chicken soup into
bootleg liquor with the prospect of hiding the chicken soup when the inspector
comes. It is our intention to regularize this on your side and on ours. We are
not asking for advance notice so that you can hide the chicken soup. We would
even be prepared, as the responsible organization which comes to you, if you
wish, to send one of our staff with you when you make these visits and show
that we are policing both sides of an agreement. We will be agreeable to
anything like that. It is not our intention to find a way to defeat the law. It
is our intention to find a way to live with it in a way that does not offend
our religion.
M. Godin: Thank you so much. M. Marx: Une dernière
question.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: En ce qui concerne l'instruction dans les écoles
juives, l'instruction séculière est subventionnée à
80%. Je comprends que, dans ces écoles, même si c'est une
école anglaise, il y a environ quatorze heures d'instruction en
français par semaine.
M. Finestone: More.
M. Marx: Environ.
M. Finestone: Plus que cela.
M. Marx: C'est plus que quatorze heures.
M. Finestone: Je pense que c'est seize heures ou seize heures et
demie.
M. Marx: Seize heures ou seize heures et demie. Il y a des
ministres du culte qui viennent à Montréal des États-Unis,
qui veulent avoir une instruction religieuse pour leurs enfants - pour eux, ce
sera souvent la même chose, que ce soit en français ou en anglais
- et le problème que je connais, c'est le site de l'école. Ils
veulent envoyer leurs enfants à une école dans le même
quartier et tout cela. Quand ils ont une exemption de trois ans, ils envoient
leurs enfants à une telle école où il y a, disons,
quatorze ou quinze heures d'instruction en français. Ce n'est pas assez
et, après trois ans, ils doivent envoyer leurs enfants dans une
école juive française qui peut être loin, mais qui ne donne
pas l'instruction religieuse qu'ils veulent avoir pour leurs enfants. Le
problème ne réside pas dans la langue; le problème
réside dans l'instruction religieuse.
M. Finestone: Exactement.
M. Marx: Comment peut-on sortir de ce problème?
M. Schlesinger: Je crois que c'est une question religieuse, comme
vous dites. Ce n'est pas une question de langue. Le judaïsme est une
religion, mais il y a beaucoup de façons de la pratiquer. Un orthodoxe
ne peut pas ou ne veut pas envoyer ses enfants dans une école
conservatrice ou réformée. Il faut que la personne puisse envoyer
son enfant à l'école qui enseigne ou qui dispense
l'éducation dans la ligne de pensée et la religion de cette
personne. Très souvent, dans un quartier, il n'y a pas qu'une seule
école. Si elle veut envoyer son enfant à cette école parce
que la ligne de pensée religieuse est celle qu'elle veut, parce que cela
n'est pas dans les normes de la loi 101, elle ne peut pas le faire.
Pour ces raisons, les gens sont privés du droit d'envoyer leurs
enfants à l'école religieuse où ils aimeraient les
envoyer.
M. Marx: Oui. Pour terminer sur ce point, on veut souligner, M.
le ministre, que ce n'est pas une question de langue, c'est une question de
religion. De toute façon, même si ces enfants sont dans une
école désignée anglaise, ils auront quatorze ou seize
heures de cours par semaine en langue française. C'est peut-être
un autre "irritant" qu'on peut traiter; il y a donc ces deux "irritants":
l'étiquetage et l'école religieuse. Mais la question que je me
pose maintenant est la suivante: Qui va faire le suivi de ce dossier? C'est le
ministre lui-même. Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Presque tout a
été dit. Je voudrais tout simplement remercier les
représentants du Congrès juif canadien d'avoir ajouté
à la présentation de leur mémoire une citation de leur
mémoire de 1977. Je crois que cela a été une excellente
idée de le faire, parce que si le mémoire que vous avez
préparé pour cette commission-ci avait été
présenté sans cet ajout, il aurait peut-être laissé
en suspens la question de savoir si, oui ou non, vous adhérez aux grands
objectifs de la charte du français. Vous avez clarifié cela. Je
vous en remercie.
Nous savons tous - on n'a pas besoin de faire de dessin - qu'il y a au
Québec, en particulier chez les francophones, un certain nationalisme
qui, à travers les diverses périodes de notre histoire, a pris
diverses formes. Chaque apparition, chaque avatar de ce nationalisme
était, évidemment, de nature à susciter de
l'inquiétude chez les groupes
minoritaires et, en particulier, chez nos compatriotes juifs qui, comme
tout le monde le sait, ont eu à souffrir d'une façon atroce d'une
autre forme de nationalisme. On ne s'étonne pas de cette
inquiétude. Après l'élection du gouvernement du Parti
québécois, vous avez eu la sagesse de désigner un
intermédiaire, un lobbyist - et j'emploie le mot dans un sens tout
à fait favorable - M. Yarosky. Je ne sais pas s'il a été
remplacé. J'ai souvent déjeuné à Québec avec
M. Yarosky et il m'a aidé à comprendre beaucoup de choses au
sujet de l'évolution de votre collectivité au Québec. Cela
manifestait chez vous un souci d'être au courant vous-mêmes de
l'évolution du Québec et on ne peut que vous en féliciter.
Je ne peux qu'appuyer les propos du ministre lorsqu'il dit que nous allons
examiner très attentivement les propositions concrètes que vous
faites et je vous remercie.
M. Schlesinger: Merci, M. le député. Si vous me le
permettez, M. le Président, je peux vous affirmer qu'on a l'intention,
pour autant que notre budget le permet, de continuer d'avoir des personnes de
notre communauté ici, à Québec, pour essayer d'expliquer
notre position et de savoir quelles sont les opinions des différents
membres du gouvernement. On veut continuer ce dialogue.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: M. le Président, je n'ai qu'une question. Maybe
I should pose it to Mr. Finestone. Mr. Finestone, often we hear it said that
young anglophone Quebeckers, including those of Jewish descent, are leaving the
province and no longer feel at home. There is a feeling of uneasiness. Do you
have statistics or anything to indicate that it is true and if so, is it
because it was a general trend going from East to West? Does the same thing
take place in New York, for instance? Are people leaving from there? Is the
Jewish Community in New York getting smaller as it gets bigger in Los Angeles?
Is it perhaps for political reasons or, in our particular case in
Québec, does Bill 101 play a big role in it or much less of a role than
one says? The minister seems to believe it is a normal East-West trend. So,
could you just in one minute and a half try to give the feeling that prevails
in your community at this point?
M. Finestone: Mr. President, it is a very tough question. I am an
economical statistician by training, so I know how to play with figures. My
executive director immediately sent me a note saying that it is a 6% decrease
and he can verify that fact. The memoir says that we are 105 000 and, thanks to
the census, we can probably verify that fact. But the minister asked me what
our French composition was, new Jews coming in of the French persuasion. We
have not got a precise fix on it. It is somewhere between 20 000 and 25 000. I
do know that between the 1971 census and the one in 1981, we estimated our
community at 110 000. So, I guess from 110 000 to 105 000, that is where the 6%
comes in.
Being a trained economist, I also will deduct from 105 000, say 20 000,
if you like and that leaves 85 000 of the community, the Anglo-Jewish
Community, which was here when I was growing up, as I understood the Jewish
Community. I do not know what percentage of the 110 000 were French, but not
too many. I will have to say that there is a loss of some 15 000 to 20 000 of
the English-speaking Jews.
Now as to why they go, I grant you all the theories if you like. I have
three sons and they all love Québec and they all speak French. One is
still here; one is in Edmonton wishing he were here and one is in California
wishing he were here. But they cannot get jobs. I guess you could say they
drifted westward, but they drifted where they could get employment. It is a
very complicated subject. If you are looking for a simple answer, I do not have
one. The events of the past ten years have had an effect on everybody and we
are no different from the rest. We are different in religion, but not in other
questions. I know I had occasion to visit Palm Springs, California, not too
long ago and I was delighted to find that my waitress was a French Canadian. We
enjoyed talking in French and I said: How did you find your way here? She said:
There are 4000 of us here. So, it is not restricted to my community.
Le Président (M. Desbiens): Alors, la conclusion, M. le
ministre. (11 h 30)
M. Godin: One of the reasons why we discussed for years and years
with Pechiney Ugine Kuhlmann from France was precisely to help bring your sons
back here and have a job at Becancour.
M. Finestone: I applaude the suggestion.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre
participation aux travaux de la commission.
M. Finestone: Je voudrais seulement ajouter un mot. M. le
ministre, je veux souligner que j'ai vu la plaque qui est au-dessus de
l'escalier avec beaucoup de plaisir et de fierté. Je vous remercie.
M. Godin: Merci.
Le Président (M. Desbiens): J'invite les
représentants de la Commission des valeurs mobilières du
Québec à s'approcher, s'il vous plaît. M. Guy.
CVMQ M. Guy (Paul): Oui, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Et Me
Jean-Pierre Cristel.
M. Cristel (Jean-Pierre): Bonjour.
Le Président (M. Desbiens): Si vous voulez
présenter votre mémoire maintenant. Est-ce que vous entendez en
faire une lecture complète ou si vous allez nous en faire un
résumé?
M. Guy: M. le Président, je crois qu'il serait plus facile
d'en faire la lecture. Je vais quand même sauter quelques paragraphes,
quelques pages, dans certains cas, mais je vais essentiellement lire le texte
qui est ici.
Le Président (M. Desbiens): Allez-y.
M. Guy: Je vous remercie, M. le Président, de nous avoir
donné l'occasion de vous faire part de nos observations sur la Charte de
la langue française.
À titre d'organisme responsable de l'application de la Loi sur
les valeurs mobilières, la Commission des valeurs mobilières du
Québec joue un rôle déterminant quant au contrôle du
marché des valeurs au Québec. La commission tient son mandat du
législateur et a spécifiquement pour mission, conformément
à l'article 276 de la Loi sur les valeurs mobilières, de
favoriser le bon fonctionnement du marché des valeurs mobilières;
d'assurer la protection des épargnants contre les pratiques
déloyales, abusives et frauduleuses; de régir l'information des
porteurs de valeurs mobilières et du public sur les personnes qui font
publiquement appel à l'épargne et sur les valeurs émises
par celles-ci et d'encadrer l'activité des professionnels du
marché des valeurs mobilières, des associations qui les
regroupent et des organismes chargés d'assurer le fonctionnement d'un
marché de valeurs mobilières.
Le 16 décembre 1982, l'Assemblée nationale adoptait la Loi
sur les valeurs mobilières destinée à remplacer
entièrement l'ancienne loi, dont les derniers amendements remontaient
à 1973. Avec la proclamation de l'entrée en vigueur de cette
nouvelle loi, le 19 janvier 1983, le Québec se dota, de l'avis de tous
les observateurs avertis, d'une des lois les plus innovatrices en
Amérique du Nord en matière de valeurs mobilières.
L'introduction de nouveaux recours destinés à protéger les
épargnants de même qu'une gamme accrue de mécanismes
d'information sur tout émetteur assujetti faisant appel à
l'épargne des Québécois ne sont que des exemples sommaires
du caractère innovateur de cette loi.
En quoi l'application ou une révision potentielle de la Charte de
la langue française concerne-t-elle la Commission des valeurs
mobilières du Québec? Voilà une question dont la
réponse, a priori, n'est peut-être pas évidente.
Lorsque l'Assemblée nationale adopta la Charte de la langue
française, le 26 août 1977, elle conféra à cette loi
le caractère universel de charte et exprima ainsi clairement son
intention de faire pénétrer profondément dans tous les
domaines d'activité du peuple québécois l'usage de la
langue française. Ces domaines d'activité incluaient, bien
sûr, l'administration publique, dont la commission fait partie, de
même que les affaires en général où le commerce des
valeurs mobilières a toujours joué, dans notre système
économique, un rôle moteur des plus importants.
La commission n'entend pas, tout au long de ce mémoire, faire la
démonstration exhaustive du handicap dont a longtemps souffert l'usage
de la langue française au Québec dans le domaine des affaires de
même qu'au sein de certains organismes publics. Ce fait est aujourd'hui
d'autant mieux reconnu que des correctifs ont été et continuent
d'être apportés à une telle situation.
Consciente toutefois de ses responsabilités à titre
d'organisme public chargé de l'application d'une loi spécifique,
la commission voudrait néanmoins souligner clairement qu'elle inscrit
son témoignage dans le cadre de sa mission particulière. Il est
relativement facile de comprendre l'intérêt que peut avoir la
Commission des valeurs mobilières du Québec quant à
l'impact de toute législation à caractère linguistique
lorsqu'on réalise l'effet que peut avoir une barrière de langage
sur l'efficacité des mécanismes d'information dont elle a la
responsabilité d'assumer l'administration et qui sont destinés
à protéger les épargnants.
Environ 80% de la population québécoise est francophone et
lorsqu'on analyse en profondeur la nature des mécanismes d'information
mis en place, notamment par la Loi sur les valeurs mobilières, il
devient évident que si on introduit une barrière linguistique
dans ces mécanismes, au niveau de la documentation, l'efficacité
de ceux-ci devient rapidement nulle. À quoi bon, par exemple, obliger un
émetteur de valeurs mobilières à tenir un dossier
d'information détaillé à l'usage des épargnants si
ce dossier n'est pas disponible dans une langue compréhensible par la
majorité de la population du Québec? La commission - on le
comprendra aisément -
attache donc beaucoup d'importance à l'efficacité
réelle des mécanismes d'information mis en place par la Loi sur
les valeurs mobilières. L'Assemblée nationale et le gouvernement
partagent, sans aucun doute, ce souci de maintenir une base solide à la
confiance des épargnants québécois et à
l'activité des entreprises.
L'intérêt de la commission vis-à-vis de la Charte de
la langue française étant donc établi, la commission
indique qu'elle a l'intention de faire porter son témoignage sur deux
plans principaux. Le premier est celui de l'impact de la Charte de la langue
française sur son administration interne à titre d'organisme
public. Le second est celui de l'effet spécifique de la Charte de la
langue française sur les divers mécanismes d'information mis en
place par la Loi sur les valeurs mobilières.
Le premier aspect sur lequel porte ce mémoire est celui de
l'impact de la Charte de la langue française sur l'administration
interne de la Commission des valeurs mobilières du Québec
à titre d'organisme public. La Charte de la langue française
ayant été sanctionnée le 26 août 1977, le Dr Camille
Laurin fut par la suite nommé ministre responsable de l'application de
cette loi par le Conseil des ministres. À ce titre, M. Laurin soumit au
Conseil des ministres, le 28 septembre et le 19 octobre 1977, deux
mémoires dont les orientations furent acceptées par le conseil
lors de sa réunion du 26 octobre 1977.
Une des conclusions principales de ces mémoires était que
l'application de la Charte de la langue française dans l'administration
publique requérait des interventions et des changements qu'il
était important d'entreprendre sans délai. On se souviendra sans
doute que le quatrième chapitre du livre blanc sur la politique
québécoise de la langue française traitait de la
contribution des organismes publics "au redressement de la situation
linguistique du Québec". On y soulignait notamment que l'administration
publique avait un rôle d'entraînement très important
à jouer à la fois pour implanter le français comme langue
de travail dans l'ensemble du Québec et pour améliorer la
qualité du français utilisé partout.
Consciente des handicaps dont souffrait l'usage de la langue
française au sein du monde des affaires québécois, la
Commission des valeurs mobilières du Québec fut
particulièrement sensible à cette volonté de faire
participer activement l'ensemble de l'administration publique à
l'entreprise de francisation que les mémoires adoptés par le
Conseil des ministres explicitaient clairement. A cause de la position centrale
qu'elle occupe au sein du marché des valeurs mobilières
québécois, tant au niveau de l'appel public à
l'épargne par les entreprises que du marché boursier, la
commission était persuadée qu'elle pouvait, par son exemple,
renforcer l'usage de la langue française et, dans certains cas,
entraîner une véritable renaissance de celui-ci.
Toutes les personnes ayant travaillé au sein de l'univers
particulier des marchés boursiers et des placements de titres au
Québec savent combien l'usage du français pouvait y être
encore déficient, même au milieu des années soixante-dix.
La commission désirait donc inscrire ses efforts dans une
véritable perspective de revitalisation de la langue officielle, en
sachant pertinemment que l'histoire enseigne qu'une fois l'usage d'une langue
évacuée du monde des affaires, l'attrait de son utilisation
courante à d'autres niveaux diminue considérablement.
Conformément à la volonté du Conseil des ministres,
la commission créa donc, le 8 février 1978, un comité
d'étude sur l'application de la Charte de la langue française. Ce
comité, qui effectua une analyse linguistique des activités de la
commission, présenta son rapport à la commission le 28 juillet
1978. Je ne reprendrai pas en détail les aspects de l'analyse, sauf que
celle-ci fut approuvée par la commission et que la commission obtint son
certificat de francisation de l'office le 10 novembre 1980.
Aujourd'hui encore, le comité de francisation de la commission
poursuit ses activités. Il contribue notamment à la publication
d'un lexique sur les valeurs mobilières dont la terminologie
financière remplace rapidement l'usage d'expressions anglaises ou
d'expressions françaises boiteuses, la plupart du temps issues d'une
traduction littérale et imparfaite de l'anglais. Ce comité veille
aussi à la diffusion et à l'intégration de ces nouvelles
expressions dans les activités et la correspondance quotidienne de tout
le personnel de la commission.
Lorsqu'on réalise la quantité et l'originalité des
expressions françaises qui furent incorporées dans la
récente Loi sur les valeurs mobilières et de l'impact que
celles-ci commencent à avoir dans le milieu financier, on se rend bien
compte que, lentement mais sûrement, on assiste à ce niveau
à une véritable renaissance de l'usage du français.
La commission constitue donc aujourd'hui un instrument
privilégié de diffusion du français au sein du monde des
affaires québécois.
La commission croit qu'il est important, au-delà du texte
législatif de la Charte de la langue française, de maintenir un
climat propre à l'accroissement de l'usage de la langue française
au sein de l'administration publique. L'impact psychologique de tout projet de
modification des dispositions de cette loi devra donc être
évalué avec soin.
Le second aspect de notre mémoire porte sur l'effet
spécifique de la Charte de
la langue française sur les divers mécanismes
d'information mis en place par la Loi sur les valeurs mobilières. Cet
aspect est, à notre avis, des plus importants et il est à
l'origine des principales recommandations proposées par la commission
dans ce mémoire.
Un des objectifs fondamentaux de la commission est en effet de
régir l'information des porteurs de valeurs mobilières et du
public sur les personnes qui font publiquement appel à l'épargne
ou sur les valeurs émises par celles-ci. Afin d'être en mesure de
remplir adéquatement cette mission, la commission s'appuie sur toute une
série de dispositions que le législateur établit dans sa
loi constitutive, c'est-à-dire la Loi sur les valeurs
mobilières.
D'une façon générale, ces dispositions obligent les
émetteurs assujettis aux obligations d'information de la loi à
soumettre une gamme d'informations très détaillées au
contrôle de la commission et à fournir cette information aux
épargnants québécois afin que ceux-ci puissent effectuer
des choix d'investissements éclairés.
Suit toute une liste de documents qui sont prévus par la Loi sur
les valeurs mobilières, qui sont des documents d'information tout
à fait essentiels aux mécanismes d'information qui sont
prévus par cette loi. Je n'en ferai pas la lecture exhaustive, je pense
que chacun peut en prendre connaissance, mais je vais me contenter d'en
mentionner quelques-uns.
Ainsi, une société qui désire placer des valeurs
mobilières auprès des épargnants doit soumettre au visa de
la commission un prospectus présentant les informations et les
attestations prévues par règlement et révélant tous
les faits importants susceptibles d'affecter la valeur ou le cours des titres
qui font l'objet du placement. Ce prospectus doit être mis à la
disposition des épargnants, afin de les informer adéquatement sur
la valeur des titres concernés.
Également, lorsque la direction d'un émetteur assujetti
convoque une assemblée de porteurs de titres comportant droit de vote,
elle doit leur faire parvenir un formulaire de procuration ainsi qu'une
circulaire en vue de la sollicitation de procuration. La raison d'être
des documents sus-mentionnés est évidemment d'assurer qu'un
minimum d'informations contrôlées soient mises à la
disposition des porteurs de titres afin de leur permettre de prendre des
décisions souvent extrêmement importantes au niveau de la gestion
des émetteurs et ayant une influence parfois considérable sur
leur avenir financier. (11 h 45)
Également, dans le cas des offres publiques d'achat où une
personne tente de prendre ou de renforcer une position dominante,
c'est-à-dire plus de 20% des titres comportant un droit de vote de cet
émetteur, l'initiateur de l'offre a l'obligation de transmettre l'offre
au porteur de titres avec une note d'information établie dans la forme
déterminée par règlement. Il doit déposer ces
documents auprès de la commission et, de plus, il doit les envoyer au
porteur de titres. De plus, le conseil d'administration de la
société visée par l'offre est tenu de faire parvenir au
porteur de titres une circulaire établie dans la forme prévue par
le règlement.
Toute personne ayant un minimum de familiarité avec les offres
publiques d'achat comprendra avec facilité l'importance des documents
d'information ci-haut mentionnés pour tout épargnant
détenant des titres d'une société visée. Une offre
publique d'achat est généralement une opération
très complexe et la décision du porteur d'accepter ou de rejeter
celle-ci doit être prise en ayant un minimum d'informations
précises garanties par la loi sur ses caractéristiques et ses
conséquences probables. Comme il a été clairement
indiqué au début de ce mémoire, la Commission des valeurs
mobilières, à cause de sa vocation particulière, a un
intérêt marqué à assurer l'efficacité des
mécanismes d'information précédemment décrits. Ces
mécanismes d'information furent mis en place avec la sanction même
du législateur et, de l'avis de tous, leur fonctionnement efficace est
le meilleur garant de la confiance que mettent les épargnants
québécois dans le fonctionnement du marché des
valeurs.
La Loi sur les valeurs mobilières du Québec ne contient
pas et n'a jamais contenu de dispositions permettant spécifiquement
à la commission d'exiger que tous ses documents d'information soient
disponibles en français pour le bénéfice des
épargnants francophones. Et, avant 1974, il n'était pas rare de
constater que la plupart de ces documents n'étaient effectivement pas
disponibles en français. L'épargnant francophone était
donc souvent considérablement désavantagé au niveau de
l'analyse de ses choix d'investissement car aucun texte législatif ne
pouvait lui garantir que les mécanismes d'information mis en place par
la Loi sur les valeurs mobilières ne seraient pas, en quelque sorte,
annulés par une barrière linguistique. Il a fallu attendre
l'entrée en vigueur de la Loi sur la langue officielle en juillet 1974
pour voir apparaître dans un texte de loi les premières
dispositions portant sur la langue des affaires au Québec.
Malheureusement, le caractère particulièrement large et
imprécis de ses dispositions se prêtait fort mal au domaine des
valeurs mobilières.
En dépit de nombreuses interprétations contradictoires,
seuls les articles 33 et 35 de cette loi semblaient recevoir une application
quelconque par rapport aux documents d'information exigés à
l'époque par la Loi
sur les valeurs mobilières. Ces articles faisaient notamment
référence aux contrats d'adhésion de même
qu'à la publicité écrite. Certaines analyses juridiques
concluèrent que l'on pouvait probablement associer le prospectus, les
offres publiques d'achat ou d'échange d'actions et la documentation qui
accompagne ces offres soit à des contrats d'adhésion, soit
à de la publicité écrite. Bien que ces opinions juridiques
étaient loin de faire l'unanimité, la commission commença
dès la fin de 1974 à exiger de plus en plus fréquemment
que certains des documents d'information précédemment
mentionnés, dont le prospectus définitif, soient établis
en français.
En prenant cette décision, la commission était très
consciente de l'effet négatif que la barrière linguistique avait
sur l'efficacité de ses mécanismes d'information et elle tentait
ainsi de pallier progressivement cette lacune en s'appuyant, d'une part, sur la
Loi sur la langue officielle et d'autre part, sur les pouvoirs
généraux à caractère discrétionnaire que lui
conférait sa loi constitutive en vue de protéger
l'intérêt public. En prenant cette décision, la commission
était aussi consciente du caractère imprécis des articles
33 et 35 de la Loi sur la langue officielle et du fait qu'un manquement aux
dispositions de ceux-ci ne portait véritablement aucune sanction, sauf
peut-être un recours en nullité coûteux et aléatoire
devant les tribunaux civils.
Lorsque la Charte de la langue française entra en vigueur au mois
d'août 1977, la commission constata une volonté accrue du
législateur d'éliminer, à tous les niveaux, les
barrières linguistiques susceptibles de constituer un handicap pour un
citoyen unilingue francophone au Québec. Malheureusement, plusieurs des
lacunes identifiées dans le chapitre de la langue des affaires de la Loi
sur la langue officielle se retrouvèrent dans celui de la Charte de la
langue française. En effet, les articles 53 et 55 du chapitre VII de la
loi 101, qui semblent recevoir une certaine application pour ce qui a trait au
commerce des valeurs mobilières, comportaient essentiellement les
mêmes lacunes que les articles équivalents dans la Loi sur la
langue officielle.
Je voudrais souligner en passant ici la deuxième phrase de
l'article 55 de la Charte de la langue française qui est très
similaire au deuxième paragraphe de l'article 33 de la Loi sur la langue
officielle. Étant donné la pratique courante d'inclure, à
certains contrats d'adhésion, une clause établissant que le
client a exigé que le contrat soit établi uniquement en anglais,
avant même d'avoir pu véritablement exprimer sa volonté
à cet effet, la commission considère que la deuxième
phrase de l'article 55 de la Charte de la langue française donne
ouverture beaucoup trop facilement à de nombreux abus.
Comme la réglementation de la Charte de la langue
française ne précise aucunement les documents visés par
les expressions "autres publications de même nature "et" documents qui
s'y rattachent" et comme il est difficile, a priori, de concevoir que le
prospectus ou la note d'information soit des documents de même nature que
des catalogues, on comprendra aisément les difficultés
d'interprétation auxquelles la commission dut de nouveau faire face. La
jurisprudence n'apportant à cet égard aucune clarification
additionnelle pour ce qui a trait au commerce des valeurs mobilières, la
commission dut se résoudre à poursuivre la politique qu'elle
avait entreprise en s'appuyant sur une assise juridique presque aussi
fragile.
Dans le cas d'une offre publique, si la commission n'use pas du pouvoir
discrétionnaire que lui confère sa loi constitutive en vue de
forcer l'initiateur à transmettre sa note d'information en
français sous peine de se voir interdire son offre au Québec,
tous les porteurs de titres unilingues francophones seront victimes d'un
désavantage tel qu'ils peuvent être totalement privés des
informations que le législateur a pourtant jugées suffisamment
importantes pour en obliger la diffusion par la Loi sur les valeurs
mobilières.
On comprendra ainsi plus facilement que la Commission des valeurs
mobilières, dont les décisions peuvent être portées
en appel devant les tribunaux civils, puisse se sentir mal à l'aise
d'imposer des exigences linguistiques qu'elle considère essentielles
à l'efficacité des mécanismes d'information de sa loi
constitutive mais qui, d'autre part, ne sont pas clairement établies
dans la loi principale sur la langue française au Québec.
Soucieuse de contribuer à l'établissement de correctifs
à une telle situation, la commission voudrait, en conséquence,
soumettre quelques recommandations qu'elle juge extrêmement importantes
aux représentants de l'Assemblée nationale chargés
d'examiner cette question. Lorsque l'Assemblée nationale
légiféra dans le domaine du commerce et des affaires par
l'entremise de la Charte de la langue française, elle considéra
sans aucun doute qu'il était dans l'intérêt public de
veiller à ce qu'aucune barrière linguistique ne vienne priver la
grande majorité de la population québécoise d'informations
essentielles qui, souvent, n'étaient pas disponibles en
français.
Afin de permettre une meilleure réalisation de cette
volonté, laquelle exprime, croyons-nous, un principe fondamental, la
commission est d'avis que la Charte de la langue française ou sa
réglementation devrait être amendée de façon que
tous les documents d'information prévus à la Loi sur les valeurs
mobilières
soient spécifiquement couverts par celle-ci. À cause du
caractère extrêmement complexe et particulier de certaines
activités sur valeurs mobilières, qu'il serait trop fastidieux de
décrire dans ce mémoire, mais sur lesquelles la commission est
prête à apporter toutes les précisions nécessaires,
un pouvoir de dispense limité devrait être néanmoins
conféré à la commission. Cette dispense aurait pour but
d'éviter que des activités spécifiques, à
caractère exceptionnel, ne pénalisent indûment des porteurs
de titres québécois lorsque certains documents d'information ne
peuvent absolument pas être disponibles en français dans les
délais fixés par la loi.
De plus, la commission croit essentiel d'inscrire dans la Charte de la
langue française, ou dans la Loi sur les valeurs mobilières, une
disposition spécifique l'obligeant à faire respecter certaines
obligations linguistiques visant les documents d'information prévus
à la Loi sur les valeurs mobilières, et ce, dans le cadre de
l'exercice de sa mission particulière.
Ainsi, lorsque la Loi sur les valeurs mobilières oblige un
émetteur à déposer, par exemple, un prospectus, et que la
Charte de la langue française stipule que ce prospectus doit être
établi en français, alors la commission, à titre
d'organisme public, devrait avoir l'obligation précise de ne pas
accorder de visa du prospectus à moins qu'il ne soit établi en
français. Dans une telle situation, si la décision de la
commission était contestée en appel devant les tribunaux civils,
la commission pourrait facilement invoquer en défense l'obligation
spécifique que lui impose la Charte de la langue française, ou sa
loi constitutive, alors qu'actuellement, ce n'est pas clairement le cas.
La commission formule les recommandations présentées dans
ce mémoire avec la conviction profonde qu'elles contribueront à
accorder une meilleure protection aux épargnants francophones du
Québec tout en assurant une stabilité accrue à nos
marchés financiers.
Il doit être souligné qu'étant donné les
dispositions de l'article 89 de la Charte de la langue française de
même que la pratique courante d'établir les documents
d'information visés en anglais, ces recommandations n'affectent
aucunement la qualité de l'information financière
déjà reçue d'une façon régulière par
les épargnants anglophones.
Notons enfin que les frais occasionnés par la traduction de
documents d'information requis par la Loi sur les valeurs mobilières, ne
sauraient constituer un argument sérieux pour aller à l'encontre
des recommandations précédemment mentionnées. Ces frais
représentent en effet un coût marginal pour toute personne faisant
publiquement appel à l'épargne au Québec. Ceci est
d'autant plus vrai depuis que de nouvelles techniques de traduction, utilisant
l'informatique, sont couramment utilisées par la plupart des firmes de
traduction spécialisées.
Afin d'assurer que les effets juridiques des recommandations
précédemment formulées soient atteints, la commission
suggère l'une ou l'autre des propositions suivantes: l°modifier la
Charte de la langue française de façon à couvrir
spécifiquement tous les documents d'information prévus à
la Loi sur les valeurs mobilières; 2°accorder, dans la Charte de la
langue française, un pouvoir de dispense à la Commission des
valeurs mobilières du Québec pour ce qui a trait aux documents
mentionnés précédemment; 3 introduire dans la Charte de la
langue française une disposition obligeant clairement la Commission des
valeurs mobilières à faire respecter ces dispositions de la
charte dans l'exercice de sa mission particulière. Ou, alternativement:
1° modifier la Charte de la langue française de façon
à couvrir spécifiquement tous les documents d'information
prévus à la Loi sur les valeurs mobilières; 2°
dispenser ces dispositions des sanctions prévues à l'article 205
de la charte afin d'éviter un régime de double sanction; 3°
introduire dans la Loi sur les valeurs mobilières une disposition
identique à celle exigeant que les documents d'information prévus
à la Loi sur les valeurs mobilières soient rédigés
en français.
Comme la Loi sur les valeurs mobilières prévoit
déjà, à l'article 263, un pouvoir de dispense restreint,
de même que des sanctions particulières en cas de contravention
à l'une de ses dispositions, la commission accorde une nette
préférence au deuxième choix étant donné sa
simplicité administrative.
La commission s'est contentée de formuler, dans ce
mémoire, des recommandations de principe pour ce qui a trait aux
amendements qu'elle souhaiterait voir apporter à la Charte de la langue
française.
La commission demeure, bien sûr, à la disposition des
représentants de l'Assemblée nationale, à des fins de
consultation, si les recommandations susmentionnées sont retenues et
qu'un texte législatif précis est requis.
Nous vous remercions, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre. (12
heures)
M. Godin: M. le Président, M. Guy, Me Cristel, j'entends
comme une douce musique à mes oreilles l'opinion de gens qui sont du
milieu de la finance, dans son sens le plus précis et le plus concret
et, qui ont réussi à franciser une grande partie du vocabulaire
de ce secteur, d'une part et d'autre part, à
développer une nouvelle conscience linguistique francophone dans
ce milieu.
Je poserai une question. Chaque fois qu'on parle de français,
dans bien des milieux on dit que cela équivaut à freiner et
à empêcher le développement. Est-ce qu'il y a des moyens
pour vous de vérifier la croissance ou la décroissance des
activités dans le domaine des valeurs mobilières au
Québec? Si oui, avec ces moyens pouvez-vous vérifier si, depuis
1971 jusqu'à 1981, prenons une décennie du recensement
malgré l'application de la loi 22 et de la loi 101, puisque c'est bien
clair dans votre mémoire que c'est la loi 22 qui fut la première
loi linguistique portant sur ces questions au Québec qui a
déjà commencé à franciser la documentation, vous
avez noté une augmentation ou une baisse, au total, sur dix ans de
l'activité de la commission des valeurs mobilières au
Québec?
M. Guy: M. le ministre c'est une question à laquelle il
est assez difficile de répondre. Il ne faut pas oublier qu'il y a
certainement eu une croissance de l'activité. Il serait difficile de
relier cette croissance à la loi 101 ou à une autre loi.
M. Godin: Non, non...
M. Guy: II y a eu dans l'économie générale
une croissance de l'activité. Il n'y a certainement pas eu - de cela on
est certain - de décroissance à partir de 1974, quand la loi sur
la langue officielle a été adoptée. Il y a eu une
croissance de toute l'activité du marché des valeurs
mobilières au Québec durant les dix dernières
années, il n'y a aucun doute sur cela. Est-ce que cette croissance
aurait été plus forte ou moins forte s'il n'y avait pas eu la loi
101 ou la loi 22? Je pourrais difficilement le dire. Je ne sais pas si je
réponds bien, si c'est la bonne réponse à la question. Je
ne suis pas sûr.
M. Godin: M. Guy, vous répondez exactement à ma
question mais je la reposerai. Est-ce que la loi 22 et la loi 101 auraient eu
des effets négatifs, d'après vous, sur cette croissance,
comparativement à d'autres commissions semblables dans d'autres
provinces canadiennes, par exemple?
M. Guy: Honnêtement, il y a eu certainement au
départ, en 1974, quand la commission pour la première fois a
exigé qu'un prospectus... Le prospectus c'est le document essentiel que
les entreprises doivent transmettre aux épargnants et qui doit recevoir
l'accord de la commission. Dans le cas où une entreprise veut vendre ses
titres au public en général, la commission, en 1974, a
exigé que le prospectus définitif... Je vais expliquer, cela ne
prendra pas beaucoup de temps.
Habituellement, l'émetteur dépose un prospectus
provisoire, c'est-à-dire un document qui lui permet uniquement de
recueillir des intentions en vue du placement de titres qu'il fera plus tard
avec le prospectus définitif. En 1974, pour la première fois, la
commission a exigé que le prospectus définitif soit en langue
française. C'est évident qu'à ce moment-là, il y a
eu une certaine résistance, nous ne pouvons pas le nier; dans certains
cas, une grande résistance. Les émetteurs se sont pliés
à cela dans certains cas certainement pas avec beaucoup de ferveur, mais
la situation a évolué par la suite. La commission avait dit
à ce moment: On va vous donner un certain temps pour vous ajuster et
après on exigera que le prospectus provisoire soit également
déposé en français. Cela a pris sept ans avant qu'on
arrive à cette étape, en 1981. Là, bien entendu, cela a
créé un peu de résistance. On peut dire qu'aujourd'hui, en
1983, il n'y a plus de prospectus au Québec qui sont
rédigés uniquement en anglais. On a franchi cette étape
sans trop de difficultés et les gens se sont ajustés à
cela. Il y a encore - on n'a pas de statistiques parce qu'on ne peut pas faire
une telle étude - des placements qui se font uniquement en Ontario ou
dans les provinces de l'Ouest. On nous dit qu'une des raisons, c'est le
coût d'établir le prospectus en français au Québec.
Mais je pense qu'il faut vivre avec cela. C'est le prix qu'on doit payer. C'est
un prix essentiel. Mais je pense qu'il y en a de moins en moins, par exemple,
on peut dire cela avec...
M. Godin: On peut en venir à la conclusion que l'argent
n'a pas d'odeur.
M. Guy: C'est cela.
M. Godin: Jusqu'à un certain point. Ma deuxième
question est la suivante: Est-ce que, malgré que la loi dans l'analyse
que vous en faites et la pratique que vous en avez peut permettre à
certaines personnes futées de passer à côté de
certains articles, entre autres, l'article 55, grâce à une clause
imprimée qui fait état d'une entente entre les parties? Est-ce
qu'il y a un grand nombre de cas semblables, à votre connaissance, ou si
c'est marginal?
M. Guy: M. le ministre, je crois que c'est très important.
Cela n'arrive pas dans le cas des prospectus bien entendu parce que, comme je
l'ai dit tout à l'heure, la commission n'accorde pas son visa sur un
prospectus qui n'est pas rédigé en français. Cela
règle la question des prospectus. Il reste tout le côté des
offres publiques qui est un élément extrêmement important
où on offre d'acheter les titres d'une compagnie où
on offre de les échanger pour d'autres. C'est toujours des
opérations très complexes où il est important d'avoir les
informations qui sont exigées par la Loi sur les valeurs
mobilières. Dans plusieurs de ces cas, on note que "l'initiateur"
mettait une clause dans son document à la fin disant que le porteur de
titres avait exigé que le document soit en français. C'est bien
avant qu'on transmette le document à la personne.
M. Godin: En anglais, ...que le document soit en anglais.
M. Guy: ...en anglais. Et bien avant qu'on lui transmette au
moment de l'imprimer. Je pense que ce nombre de cas diminue parce que la
commission, maintenant, dans la plupart des cas, exige que la note
d'information soit en français. Cela existe encore. Il y en avait quand
même un nombre assez important à venir jusqu'à
récemment.
M. Godin: Au moment où on se parle, quelle serait la
proportion du total qui... C'est difficile à dire?
M. Guy: C'est difficile à évaluer, parce qu'il y a
quand même une foule de documents qui n'ont pas à recevoir
l'approbation de la commission. Ils sont déposés auprès de
la commission et cette dernière ne peut pas intervenir ou n'intervient
pas dans une foule de documents. Il serait difficile pour nous
d'évaluer... Je ne voudrais pas essayer de donner un chiffre ou de
donner une réponse qui ne soit pas précise.
M. Godin: Si nous modifiions la loi dans le sens que vous
indiquez de manière que le consommateur francophone de qui on vient
chercher l'argent ici... Si on modifiait la loi pour que ce consommateur ou cet
acheteur, au fond, parce que les gens qui viennent sont des vendeurs et
normalement "the customer is always right", c'est un principe international
élémentaire et qui est maintenant presque aussi important que
l'un des dix commandements de Dieu... on va sûrement entendre dire que si
nous adoptions ce changement proposé, ce serait nuisible aux
Québécois eux-mêmes, parce que cela imposerait une
traduction à des vendeurs. Est-ce que, à cet argument, qui nous
sera probablement fait, vous auriez une réponse à donner
d'avance?
M. Guy: Je pense qu'il y a deux cas, enfin je vais me limiter
à deux types d'activité. Si on parle du prospectus, on a eu cet
argument à maintes reprises dans le passé. La réponse
qu'on donne à cela, c'est que le coût est réellement
insignifiant par rapport à la valeur de l'activité qui est faite
au Québec. J'ai ici quelques chiffres - je ne vais pas vous les donner
tous - mais si on prend un prospectus... Je ne veux pas nommer la
société concernée, mais une grande société
pétrolière qui a placé environ 20% à 25% des
valeurs de ces titres au Québec, dont 28 000 000 $...
M. Godin: 28 000 000 $?
M. Guy: 28 000 000 $, pour établir le prospectus en
français, cela a coûté deux centièmes pour cent de
ce montant, alors de 6000 $ à 12 000 $. C'est réellement
insignifiant par rapport à la valeur des titres qui sont placés
au Québec. Quand on nous donne l'argument, à la commission, que
c'est très coûteux, on pense que ce n'est pas très
coûteux par rapport à la valeur des titres qu'on vend au
Québec.
Il ne faut pas oublier un point extrêmement important et que je
dois souligner, c'est que dans la Loi sur les valeurs mobilières du
Québec, qui est entrée en vigueur en grande partie au mois
d'avril 1983, on a établi le régime du prospectus
simplifié c'est-à-dire que toutes les entreprises qui se
conforment aux conditions prévues à la loi peuvent établir
un prospectus simplifié qui représente... voyez-vous, dans celui
que je vous ai cité, il y a neuf pages, par rapport à un
prospectus ordinaire qui est de 82 pages dans un cas.
Alors, si l'entreprise choisit de se prévaloir du régime
du prospectus simplifié -c'est son choix - son coût est pas mal
réduit, parce qu'il est à peu près de 1% de la valeur des
titres placés au Québec dans le cas d'un prospectus normal. Mais
l'entreprise peut choisir le régime du prospectus simplifié au
Québec, même si elle n'y a pas droit ailleurs au Canada et ainsi
réduire sensiblement ses coûts. Le coût que je vous donne,
c'est bien important parce que l'on va vous répéter... les
coûts que je vous ai donnés comprennent les coûts de
traduction, de vérification juridique après la traduction et
d'impression du prospectus. C'est l'ensemble des coûts que je vous ai
donnés, lesquels sont réellement très minimes.
Dans le cas d'une offre publique, on a une situation un peu
différente, c'est-à-dire que l'on offre d'acheter les titres
qu'une personne détient et de lui donner en contrepartie, dans certains
cas, d'autres titres ou un montant quelconque. C'est pour cela que la
recommandation c'est surtout dans ces cas-là, où la commission
dit qu'elle devrait avoir un pouvoir de dispense pour ne pas pénaliser
indûment un porteur de titres au Québec. On a une foule de
situations, dont une tout récemment, où une compagnie fait une
offre publique d'achat et il y a seulement un porteur de titres au
Québec. Alors, bien entendu, si vous avez un document de 75 pages qu'il
vous faut
traduire pour le transmettre à un porteur de titres au
Québec, eh bien, l'initiateur va tout simplement dire: Je ne fais pas
mon offre au Québec. À ce moment-là, ce serait
réellement un cas où il serait trop coûteux de le faire. La
commission dans ces cas-là et d'après son jugement de la
situation, serait prête à dispenser l'initiateur. Elle dirait:
Dans ce cas, vous pouvez transmettre le document même s'il est
établi seulement en anglais. Alors, ce sont des cas comme ceux-là
qu'il faut...
M. Godin: J'ai une avant-dernière question: Est-ce que ce
pouvoir de dispense devrait être intégré à votre loi
constitutive ou à la loi 101?
M. Guy: Nous trouvons qu'il serait extrêmement difficile
pour nous, et je pense peu souhaitable, d'avoir dans une autre loi un pouvoir
de dispense qui est donné à un organisme différent de
l'organisme qui est chargé de l'application de la loi. On a
déjà dans la Loi sur les valeurs mobilières un pouvoir de
dispense qui existe pour la plupart des dispositions de la loi. Du point de vue
administratif cela nous apparaît une solution beaucoup plus facile.
M. Godin: Ma dernière question: Quelle est la valeur
totale des valeurs mobilières achetées au Québec pour la
dernière année dont vous avez les chiffres sur douze mois?
M. Guy: Vous posez une question...
M. Godin: Donnez-moi un chiffre approximatif.
M. Guy: Je ne l'ai pas avec moi, c'est dommage, parce que la
commission publie un bulletin statistique semestriel. Je ne l'ai pas
apporté. Je m'excuse, je n'oserais pas vous donner un chiffre.
M. Godin: Est-ce de l'ordre de près du milliard?
M. Guy: Certainement, beaucoup plus que cela. Ah oui, plusieurs
milliards.
M. Godin: Plusieurs milliards?
M. Guy: Oui, oui. Mais je n'oserais pas vous donner un chiffre
parce que...
M. Godin: De toute façon, ce qui m'importe c'est...
M. Guy: Je pourrais vous le fournir si vous voulez l'avoir.
M. Godin: ...que la commission se souvienne ici qu'il s'agit de
plusieurs milliards de dollars par année d'actions vendues au
Québec à des citoyens du Québec dont 80% sont
francophones, et qu'il nous semblerait normal qu'autant de consommateurs qui
investissent autant d'argent puissent au moins recevoir des documents dans leur
langue maternelle.
M. Guy: Oui.
M. Godin: C'est ma conclusion. Merci, M. Guy.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député de Nelligan.
M. Lincoln: M. Guy, nous vous remercions de notre
côté de venir nous présenter vos suggestions. Nous nous
réjouissons avec vous, de ce côté-ci, des mécanismes
de protection des épargnants qui ont été apportés
par la nouvelle loi. On se réjouit tous de cette protection. Mais il y a
certains aspects que je voulais préciser avec vous. Je pense qu'en
principe personne ne contestera ici le fait qu'un consommateur au Québec
devrait recevoir des documents en français. Nous sommes tous unanimes
sur ce point de vue là. Mais du point de vue de la mécanique, de
la législation et des contraintes législatives, je voulais
savoir... Par exemple, le plus grand organisme financier qui transige des
valeurs mobilières, la Bourse de Montréal, quelle est son
attitude par rapport à vos recommandations sur les pouvoirs accrus sur
la documentation? C'est ce que j'aurais voulu savoir: Quelle est son attitude
et est-ce que vous en avez discuté avec la Bourse de Montréal?
Est-ce que ces vues représentent celles de M. Lortie, de la Bourse de
Montréal?
M. Guy: Pour répondre à cette question, je pense
qu'il faudrait corriger. Il ne s'agit pas de pouvoirs accrus. La recommandation
de la commission ne vise pas à donner à la commission des
pouvoirs accrus sur les documents d'information qui sont déjà
prévus à la Loi sur les valeurs mobilières. Ces documents
sont déjà prévus, la commission déjà, dans
un avis qu'elle a publié le 25 mars 1983, disait essentiellement: Voici
les règles concernant les documents d'information déposés
auprès de la commission, et on faisait la liste des documents
d'information qui devaient être établis en français.
La commission fait déjà cet exercice. Il ne s'agit pas de
pouvoirs accrus. Tout ce que nous disons c'est que, lorsqu'il y a une loi
principale sur la langue française et que cette loi n'est pas
précise et qu'il y a une loi sur les valeurs mobilières que la
commission applique, c'est-à-dire qu'elle applique aux documents
prévus par cette loi certains critères, si les deux lois ne
concordent pas dans leur interprétation cela
pose des problèmes, auxquels la commission a dû faire face
au cours des dix dernières années. Alors ce n'est pas
d'aujourd'hui. On a toujours dû faire face à des problèmes
de ce côté. C'est ce qu'on demande.
Deuxièmement, on demande qu'il y ait un pouvoir de dispense pour
nous permettre d'apprécier certaines situations où la commission
pourrait dispenser une entreprise ou un initiateur ou un émetteur
d'établir un document en français.
La commission n'a pas discuté avec la Bourse de Montréal
ou avec d'autres organismes du contenu de son mémoire. Je ne pourrais
pas répondre à cette partie de la question à savoir si la
Bourse de Montréal est d'accord ou en désaccord avec notre
proposition.
M. Lincoln: Je suis complètement d'accord avec vous. Ce
mémoire représente l'opinion de la Commission des valeurs
mobilières du Québec mais le fait est que l'instrument principal
de transaction des actions est la Bourse. C'est là où cela se
passe. Alors avez-vous discuté des vues de la Bourse? Il y a
sûrement des relations étroites entre les deux instruments de
valeurs mobilières. Est-ce que vous savez, par exemple, ce que le
président ou la Bourse pense de la question de la documentation, de la
réglementation? Je n'ai pas envie de vous demander de réponse
pour la Bourse mais c'est sûr que si, par exemple, la commission allait
dans un sens et que la Bourse pensait différemment ce serait revenir
à la même chose que vous voulez éviter vous-même.
M. Guy: M. le député, je regrette mais je pense
qu'il faudrait demander à M. Lortie ce qu'il en pense. Je ne le lui ai
pas demandé. Par contre, pour répondre en partie à votre
question, depuis 1974 la commission exige que les prospectus soient en
français. Alors cela remonte presque à dix ans. Depuis ces dix
années la Commission des valeurs mobilières du Québec a
des relations très étroites avec la Bourse de Montréal,
nous avons des communications presque à toutes les semaines sur
différents sujets qui intéressent les deux organismes. Que je
sache - je dis cela sans avoir consulté les gens de la Bourse et cela
pourrait être corrigé par eux - je n'ai pas entendu de cet
organisme des problèmes que l'action de la commission avait
causés depuis 1974. Je pense que la commission a toujours agi avec
discernement et dans certains cas exercé sa discrétion et son
jugement pour faire face à des situations particulières.
Il ne faut pas oublier que la Bourse exige essentiellement les
mêmes documents d'information qui sont exigés par la Loi sur les
valeurs mobilières pour les entreprises qui sont cotées à
la Bourse de Montréal.
M. Lincoln: Je me suis peut-être mal exprimé; je
n'ai pas voulu suggérer qu'il y a eu des problèmes entre la
Bourse et la commission, cela n'est pas de notre ressort. Ce que je voulais
dire c'est que comme la Bourse est l'instrument principal de l'achat et de la
vente des actions... Vous demandez quelque chose qui va plus loin que la
situation actuelle. Par exemple, à la page 26 - c'est là que je
situe un peu ce que je voulais dire - quand vous dites: "Ainsi, lorsque la Loi
sur les valeurs mobilières oblige un émetteur à
déposer, par exemple, un prospectus et que la Charte de la langue
française stipule que ce prospectus doit être établi en
français alors la commission, à titre d'organisme public, devrait
avoir l'obligation précise de ne pas accorder de visa du prospectus
à moins qu'il ne soit établi en français." Ceci donne en
fait à la commission - si cette recommandation était
acceptée par le gouvernement - un genre de veto sur un prospectus. Il me
semble que c'est un pouvoir puissant que vous demandez et qui peut-être -
peut-être que cela ne se passerait pas - causera des
problèmes.
Vous parlez ensuite de problèmes à la cour. C'est dans ce
sens-là que j'ai demandé: Est-ce que cela représente un
consensus du marché financier comme tel ou si c'est purement une
suggestion de la commission en dehors de l'expression du marché
financier?
M. Guy: Ce n'est pas différent de la situation actuelle;
c'est cela que je veux dire. Ce n'est pas un pouvoir de veto que la commission
n'a pas déjà. La commission, déjà en 1974, a dit
qu'elle n'accorderait pas un visa sur un prospectus à moins qu'il ne
soit établi en français, depuis 1974. Ce n'est pas
différent et on ne demande rien de différent. Je ne sais pas si
le sens est bien expliqué mais ce n'est pas différent des
pouvoirs que la commission a actuellement. Elle a le pouvoir d'octroyer ou de
ne pas octroyer un visa...
M. Lincoln: D'accord.
M. Guy: Elle a dit clairement dans un avis publié en 1974
et dans d'autres par la suite qu'elle n'accorderait pas de visa si le
prospectus n'est pas établi en français. Ce n'est pas
différent sauf qu'on dit que la Charte de la langue française,
qui est la loi principale au Québec sur la langue, n'est pas
précise à ce sujet-là. La commission se trouve donc
placée dans une situation difficile où elle applique des
critères qu'elle est autorisée à appliquer par sa loi
constitutive, c'est-à-dire qu'elle peut refuser un visa s'il s'agit de
la protection des épargnants. La commission a déterminé,
il y a déjà dix ans, que la protection des épargnants
exigeait que le document soit en français. Ce qu'on veut dire c'est
qu'il y a
un manque de concordance entre les deux lois. S'il y a une loi
principale sur la langue, ce devrait être la même chose. Je peux
faire une analogie: si un émetteur du Québec déposait un
prospectus uniquement en français en Ontario, il n'irait pas très
loin. La commission de l'Ontario le refuserait immédiatement. C'est un
peu la même chose. L'Ontario n'ayant pas de loi sur la langue, il n'y a
donc pas de conflit entre la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario
et une loi sur la langue parce qu'il n'en existe pas. On dit qu'il y a une
incertitude, un conflit parce qu'il y a une loi principale sur la langue au
Québec. C'est un peu là qu'est le dilemme et c'est cela qu'on
veut essayer de corriger. C'est le but de nos recommandations.
Sur l'autre question, je pense qu'il y a, actuellement, un large
consensus sur la nécessité d'établir ces documents en
français. Je pense que là-dessus il y a une résistance -
je l'ai dit tout à l'heure et je ne veux pas la nier - encore de
certains émetteurs qui veulent venir au Québec et qui ne veulent
pas établir les documents en français. Cela est vrai, mais la
résistance est de moins en moins forte et je pense que si on regarde
dans l'ensemble la communauté financière, il y a un large
consensus sur cette question.
Le Président (M. Desbiens): Cela va? M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. J'ai
écouté avec beaucoup d'intérêt le mémoire de
la Commission des valeurs mobilières du Québec. Je pense, tout
comme mon collègue de Nelligan l'a dit, qu'on n'a pas de chicane avec
les objectifs généraux exprimés là-dedans.
Cependant, il me semble que de l'ensemble du mémoire se dégage
une impression, qu'une dimension importante de tout ce qui concerne les valeurs
mobilières, tels l'épargne et l'investissement, est absente.
C'est-à-dire que le Québec est en concurrence avec d'autres
marchés où des fonds peuvent être obtenus, où des
fonds peuvent être sollicités. Je pense qu'on ne peut valablement
parler de protection de l'épargnant sans en même temps parler des
occasions que peut avoir l'épargnant de placer son argent. Il faudrait
faire attention de faire fausse route en assurant à l'épargnant
une sécurité tellement grande, tellement étanche - c'est
désirable en soi -qu'en même temps qu'on assure cette protection
étanche à toute épreuve on élimine, pour les
Québécois et les Québécoises, dont vous avez le
mandat d'assurer la protection, des sources de placement, des sources
d'investissement.
Je pense, et je le regrette, que c'est une dimension qui est absente
dans le mémoire. La promotion économique des
Québécois doit passer par la possibilité qu'ils ont
d'entrer dans le milieu économique, dans le milieu des investisseurs
importants. Pour cela, évidemment, il faut que l'occasion leur soit
offerte. Je suis complètement d'accord -je vous rejoins totalement et je
rejoins la commission là-dessus - sur le fait qu'il est désirable
et souhaitable que ces occasions soient offertes en français.
Là-dessus, nous pouvons nous entendre facilement. Cependant, je ne
retrouve pas dans votre mémoire cette dimension qui devrait viser
à promouvoir l'accès des Québécois et des
Québécoises à des moyens de financement qui peuvent
être rentables et bénéfiques pour leur promotion
économique.
On connaît les intentions qui ont été
exprimées par le gouvernement de faire de Montréal un centre
bancaire international, de façon que Montréal jouisse d'un statut
particulier et puisse, au niveau financier, jouer un rôle capital. C'est
là un projet qui a été dans l'air un certain temps et qui
possiblement l'est encore. Il ne faudrait pas, en même temps qu'on
caresse un projet comme celui-là, qui, en soi, est valable,
désirable, qu'on se retrouve avec des obligations pour que les gens -
qui finalement vont faire que ce centre bancaire puisse exister
éventuellement - en soient exclus parce qu'ils devront faire face
à des obligations qui seront supplémentaires à des
obligations qu'ils auraient ailleurs. Ce n'est pas à vous que je dirai
que "there is nothing as nervous as 1 000 000 $". Cela change de place
très rapidement et c'est très mobile.
Pour terminer ce bref exposé que je tenais à faire, la
question spécifique que je veux vous poser concerne - c'est important de
le savoir, vous pouvez peut-être nous éclairer là-dessus -
la situation de la Bourse de Montréal qui finalement doit, par ricochet,
vous préoccuper, versus la situation, par exemple, de la Bourse de
Toronto. S'est-elle détériorée? S'est-elle
améliorée? Comment se situe aujourd'hui la Bourse de
Montréal par rapport à ce qu'est devenu, dans l'espace de dix
ans, la Bourse de Toronto? Est-ce qu'il y a eu perte de transactions, perte de
volume considérable de la part de la Bourse de Montréal par
rapport à la Bourse de Toronto? Comment se comparent les deux centres
boursiers?
M. Guy: M. le député, j'aimerais faire quelques
observations au départ. Je pense que le marché des valeurs
mobilières au Québec est relativement inexploité. Il y a
un potentiel au Québec, et il ne peut être nié par aucun
intervenant qui connaît ce milieu. Il y a un potentiel qui est
inexploité au Québec, et je suis sûr que le
développement de ce potentiel passe également par le fait que les
gens, avant d'être intéressés à un marché,
doivent comprendre ce qui se passe dans ce marché. C'est bien important
que les épargnants, sans leur enlever des choix d'investissements... Je
pense que la commission
de ce côté, au contraire, favorise une foule de mesures,
dont le prospectus simplifié, des assouplissements à la loi
concernant les options, l'assouplissement d'une foule de régimes et par
des dispenses qu'elle accorde de façon courante sur des formes
d'investissement, favorise un très grand nombre de choix
d'investissement aux épargnants québécois. Par contre,
avant qu'on puisse développer le potentiel qui existe au Québec
dans le marché des valeurs mobilières, il va falloir
également que les épargnants qui sont sollicités puissent
comprendre les documents qu'on leur envoie. Là-dessus, je fais
l'observation que j'ai faite tout à l'heure. Si un émetteur du
Québec envoie à ses porteurs de titres en Ontario ou en Alberta
son rapport annuel et sa circulaire en vue de la sollicitation de procuration
uniquement en français, je pense qu'il n'aura pas beaucoup
d'intérêt. Je crois que la balle va des deux côtés.
(12 h 30)
En ce qui concerne la Bourse de Montréal, vous soulevez un
problème qui est beaucoup plus vaste que ce mémoire et qui est
beaucoup plus vaste également que la Charte de la langue
française. Il y a eu, dans les dernières années -
peut-être qu'on remonte à dix ans en arrière, je ne le sais
pas, je n'ai pas les statistiques avec moi -une perte de l'activité
à la Bourse de Montréal, ce qui n'a rien à voir avec les
lois linguistiques au Québec. Cela a à voir avec tout un autre
aspect. Cela peut être l'effet du dynamisme d'un marché par
rapport à l'autre. Il y a une foule de facteurs que je ne voudrais pas
énumérer ici. Il me serait difficile de le faire de toute
façon, mais il y a eu par contre dans les dernières années
-et cela, à cause du dynamisme des gens de la Bourse de Montréal,
à cause également de la facilité qu'a la Bourse de
Montréal de dialoguer, de faire approuver ses différents projets
par la Commission des valeurs mobilières du Québec - une
croissance de l'activité à la Bourse de Montréal, mais
j'hésiterais, je pense... D'après moi, les facteurs linguistiques
n'ont pas grand-chose à faire avec cela. C'est de tous autres facteurs
dont on parle, à savoir pourquoi la Bourse de Montréal a
diminué par rapport à la Bourse de Toronto. Mais je pense qu'il y
a un élément qui est nouveau à la Bourse de
Montréal. On essaie de se spécialiser de plus en plus dans des
formes d'investissement qui sont différentes telles que les options et
je pense qu'il y a une certaine remontée qui se fait. Je suis confiant
qu'elle va continuer.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: En conclusion, Me Cristel et M. le président,
nous vous remercions beaucoup de votre contribution et, tel que vous le
suggérez, nous allons mettre en commun nos efforts pour trouver une
formulation qui permette de régler le problème. En reterminant,
je dirai à mon collègue de Louis-Hébert que c'est en 1948
que la Bourse de Toronto a dépassé celle de Montréal et
nous tentons depuis lors de reprendre l'espace perdu. Merci, messieurs.
M. Guy: Merci.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.
J'invite maintenant les représentants du Centre de linguistique
de l'entreprise à s'approcher, s'il vous plaît. Je souhaite la
bienvenue aux porte-parole du Centre de linguistique de l'entreprise. Je
voudrais, au nom de la commission, m'excuser auprès du groupe puisqu'il
y a eu une petite erreur de communication. Je sais que vous aviez
été convoqués au tout début, pour 15 heures cet
après-midi. Quand on a pris la décision, hier, de commencer les
travaux plus tôt ce matin, c'est-à-dire à 9 heures, on a
malheureusement oublié de vous indiquer qu'il fallait être ici
plus tôt. M. André Boutin, vice-président de groupe, si
vous voulez bien présenter les personnes qui vous accompagnent avant de
procéder à la présentation de votre mémoire.
Centre de linguistique de l'entreprise
M. Boutin (André): Merci beaucoup M. le Président.
M. le ministre, mesdames et messieurs de la commission, comme vient de le
suggérer le président, avant de faire état du
mémoire que nous voulons déposer ici aujourd'hui, permettez-moi
de vous présenter les gens qui m'accompagnent. À ma gauche, M.
Guy Laurin, directeur général de la région de l'Est de
Stelco Canada et ancien président du conseil d'administration du Centre
de linguistique de l'entreprise; à ma droite immédiate, M. Michel
Guillotte, directeur général à la permanence du centre
à Montréal; à sa droite, M. Otto Cleyn,
vice-président de la région de l'Est de Texaco Canada et
secrétaire-trésorier au conseil d'administration du CLE; à
sa droite, M. James Mills, directeur de la francisation du groupe Alcan et
membre du conseil d'administration au CLE; à l'extrême droite, Me
Jean Rivard, vice-président des services juridiques chez Bombardier et
aussi membre du conseil d'administration au Centre de linguistique de
l'entreprise.
Comme vous l'avez indiqué, M. le Président, mon nom est
André Boutin; je suis vice-président de groupe chez Northern
Telecom Canada et j'agis depuis maintenant deux ans comme président du
conseil d'administration au Centre de linguistique de l'entreprise. Je sais que
vous êtes pressés par le temps, mais nous avons mis beaucoup
de travail dans la préparation de ce dossier et nous
espérons que vous nous accorderez les quelque trente minutes
nécessaires à la revue de notre mémoire.
Le Président (M. Desbiens): II n'y a aucun
problème.
M. Boutin: On m'a dit que le mémoire était assez
volumineux, que c'était probablement le plus volumineux que vous ayez
reçu. Nous avons fait des efforts importants pour en extraire la
quintessence afin de vous la présenter aujourd'hui dans quelque trente
minutes.
A ce stade-ci de l'application de la Charte de la langue
française et des instruments qui en assurent l'implantation, le Centre
de linguistique de l'entreprise, évidemment, remercie l'Assemblée
nationale du Québec de lui permettre de lui livrer ses réflexions
relatives à la francisation des entreprises. Remontant à 1972, la
fondation du Centre de linguistique de l'entreprise est antérieure
à l'adoption des premières lois destinées à
régir le processus de francisation au Québec. Organisme sans but
lucratif, entièrement subventionné par le secteur privé,
le Centre de linguistique de l'entreprise offre au monde des affaires
l'assistance technique nécessaire à tous les aspects de la
gestion linguistique. Fortement implanté dans la communauté des
affaires, le CLE compte, en 1983, une centaine d'entreprises membres, employant
quelque 200 000 personnes au Québec.
En tant que conseiller en administration, le personnel du CLE a
contribué, depuis les tout débuts, à l'administration
linguistique du Québec à travers la commission Gendron, l'office,
puis la régie et puis de nouveau l'Office de la langue française.
Le CLE a analysé la situation linguistique d'une soixantaine
d'entreprises pour identifier avec elles les aspects multiples de cette
démarche et élaborer, avec elles, encore une fois, leurs
programmes de francisation. Le personnel du CLE s'est intéressé
très concrètement à la méthodologie de
l'introduction d'un changement et à ses implications juridiques,
techniques, administratives et sociologiques.
Enfin, dans le but d'éclairer la présente commission et
l'opinion publique sur la nature et l'importance des ajustements que la loi 101
exige du milieu des affaires, le centre a procédé, au cours de
l'été, à une importante consultation auprès de ses
membres sur les dispositions de la loi 101 -c'est bien une consultation,
n'est-ce pas? -qui touchent directement et de façon durable le
fonctionnement des entreprises. Vous trouverez en annexe à notre
mémoire les résultats de cette consultation, résultats qui
viennent confirmer l'expérience que le CLE a acquise avec ses membres au
cours des dernières années. Nous voulons donc apporter ici une
contribution pratique qui est fondée sur la réflexion et sur
l'expérience.
D'abord, quelques mots sur le caractère social de la Charte de la
langue française. C'est avec la loi 22 que les milieux
économiques sont devenus définitivement conscients que la
question linguistique faisait partie de la bonne conduite des affaires au
Québec. Depuis, c'est évident, nous avons parcouru beaucoup de
chemin. Les hommes d'affaires et les grandes entreprises acceptent les
principes de base de la loi 101, mais sa mise en application est souvent rendue
difficile par la nature même du milieu des affaires au Canada et au
Québec. Nous sommes aux prises avec une loi qui ne ressemble à
aucune autre, avec un concept qui est tout à fait étranger aux
modes de penser et d'agir en vigueur dans l'espace économique
nord-américain.
Une loi, c'est essentiellement une volonté politique
exprimée à la lumière des différents courants qui
sous-tendent la vie d'une société. La loi 101 s'intéresse
d'abord à un objectif global, qu'elle clarifie dans sa formulation. Elle
s'intéresse beaucoup moins aux modalités d'application qui
apparaissent, elles, très progressivement, au fur et à mesure que
l'on s'efforce de traduire l'objectif de la loi en termes très
concrets.
Un objectif culturel et social comme celui de la loi 101 comporte
inévitablement un coût économique et nous admettons que ce
prix a déjà été jugé acceptable parl'électorat et sanctionné comme tel par les politiciens.
L'objectif de la loi est clair - et c'est celui du Centre de
linguistique de l'entreprise aussi - c'est de faire du français la
langue de travail au Québec. Les programmes d'affirmation du
français doivent faire partie intégrante de la planification qui
est établie, en règle générale, aux niveaux les
plus élevés de la hiérarchie de l'entreprise. Pour
être efficaces, ces programmes doivent s'intégrer à la
réalité de chaque entreprise de manière à
prévenir les conflits avec d'autres priorités que les
gestionnaires doivent respecter, notamment l'efficacité et la
rentabilité.
La Charte de la langue française oblige tous les citoyens, tant
les salariés que les dirigeants d'entreprises, à changer de
mentalité. En effet, malgré le caractère particulier de la
réforme linguistique, les agents chargés par le gouvernement de
veiller à son exécution en surveillent de plus en plus les
résultats en termes concrets, c'est-à-dire en termes qu'ils
peuvent mesurer. Les changements de mentalités, eux, suivent loin
derrière dans leurs préoccupations. C'est compréhensible
parce que c'est beaucoup plus difficile à mesurer. C'est là une
question d'évolution à laquelle personne n'échappe, une
évolution sociale qui n'est pas
encore complétée et que certains agents gouvernementaux
veulent pourtant évaluer aujourd'hui en termes comptables.
L'attitude des francophones, cependant, vis-à-vis de cette loi
linguistique et de l'intervention du législateur est même
très ambivalente. D'une part, les francophones abondent dans le sens
prévu par le législateur; d'autre part, ces mêmes
francophones résistent à l'effort supplémentaire que ce
changement implique.
Lorsqu'une entreprise publie sa politique linguistique, elle
réunit et les cadres et le personnel, explique les objectifs, suscite
des réactions. Elle demande ensuite que la politique soit
appliquée. On ne rencontre pas de réaction fondamentalement
négative lors de ces séances. Par contre, si un an plus tard on
analyse les éléments qui permettent de mesurer à quel
point la politique a été appliquée, on s'aperçoit
que dans certains endroits la politique est parfois restée lettre morte.
(12 h 45)
Quand on gratte plus loin que la surface, on s'aperçoit que la
plupart du temps c'est à cause des problèmes causés par le
personnel, par les êtres humains, par les employés. Notre
expérience démontre qu'en dépit des efforts du
législateur et de la direction de l'entreprise l'implantation effective
des dispositions des programmes dépend encore de l'état d'esprit
des employés.
Les étapes de la francisation ne sont pas faciles à
franchir. Elles exigent beaucoup de temps et coûtent beaucoup d'argent.
Lorsque le négociateur de l'office affecté à une
entreprise a eu le feu vert sur la foi des réponses qui lui ont
été fournies, il lui demande officiellement, trop souvent, au nom
de l'office, d'ajouter des éléments supplémentaires
à son programme.
Franchement, c'est un procédé qui nous répugne.
De plus, les entreprises sont très différentes les unes
des autres et les solutions trouvées par les uns ne devraient pas
nécessairement et ce, sans faire de jeu de mots, faire "office" de
précédents. Laisser croire à l'Office de la langue
française que la formule proposée par une entreprise pourra
trouver application dans d'autres entreprises est très dangereux. C'est
un autre procédé qui nous répugne.
M. le Président, avec votre permission, j'aimerais maintenant
m'attarder à quelques difficultés pratiques d'application de la
Charte de la langue française et de ses règlements. Ces aspects
se regroupent sous les chapitres suivants de la charte elle-même:
premièrement, la langue du travail; deuxièmement, la langue du
commerce et des affaires; troisièmement, la langue de l'enseignement et,
quatrièmement, la francisation des entreprises.
Nos commentaires s'articuleront autour de ces chapitres et porteront sur
la nature et la portée pratiques de la loi elle-même, de ses
règlements et du comportement des agents gouvernementaux dans
l'entreprise.
Premier volet: la langue du travail. On reparlera plus tard, à
l'occasion de nos autres interventions, des aspects soulevés par les
dispositions de ce chapitre. Je passe donc par-dessus pour le moment.
Deuxième volet: la langue du commerce et des affaires. Parlons,
d'abord, des catalogues, brochures et dépliants. L'article 53 de la
charte et l'arrêté en conseil 1947-79, article 15, relatifs aux
catalogues, brochures, dépliants et autres publications ou documents
publicitaires, occasionnent des difficultés sérieuses
d'application - je répète, ce sont seulement des
difficultés d'application - qui sont, à notre avis, hors de
proportion avec l'objectif visé. En effet, beaucoup de personnes
ignorent encore ou comprennent très mal les subtilités du
règlement régissant la distribution de ces documents, diminuant
ainsi de beaucoup l'efficacité réelle dudit article. Franchement,
ces dispositions gagneraient beaucoup à être
simplifiées.
Deuxièmement, les bons de commandes, factures et reçus.
L'article 57 sur les bons de commandes, factures, reçus et quittances
occasionne aussi des difficultés de deux ordres. La première
difficulté tient au délai pour s'y conformer pour les entreprises
dont l'administration est hautement informatisée. Ces difficultés
se sont accrues lorsque certaines entreprises ont récemment
demandé, surtout pour des raisons économiques que nous
connaissons tous, la prolongation des exemptions temporaires qui leur avaient
été accordées. La deuxième difficulté
provient des interprétations et des attitudes parfois contradictoires de
l'Office de la langue française, d'une part, et de la commission de
surveillance, d'autre part.
Étant donné que nous croyons que l'Office de la langue
française est le grand maître d'oeuvre de la mise en application
de la loi 101 et que la commission de surveillance est essentiellement le canal
d'expression des doléances des citoyens, nous exprimons l'avis, M. le
Président, qu'il faudrait très bien coordonner les travaux de la
commission avec ceux de l'office en la matière.
L'affichage public. Les grandes entreprises qui composent le Centre de
linguistique de l'entreprise ont presque toutes, à ce jour, rendu leur
affichage conforme au désir du législateur et n'éprouvent,
en fait, que peu de difficultés pratiques avec cet élément
de la loi.
Les raisons sociales. Les articles de la charte et les articles de
l'arrêté en conseil sur les raisons sociales des entreprises ne
devraient pas poser de difficulté importante.
Toutefois, leur application par certains fonctionnaires de l'Office de
la langue française, ainsi que par des fonctionnaires d'autres
ministères nous amène à formuler ici de sérieuses
réserves. En effet, plusieurs entreprises membres du centre ont fait
l'objet de demandes de la part des autorités gouvernementales pour
modifier leur raison sociale conformément aux règles
d'écriture suggérées par le service des
linguistes-conseils de l'Office de la langue française. Les reproches
étaient strictement d'ordre linguistique.
Étant donné que, dans l'entreprise, la raison sociale est
un des rares sujets qui relèvent presque exclusivement du conseil
d'administration de l'entreprise, le CLE recommande au gouvernement la plus
grande prudence en la matière. En effet, de telles demandes
formulées par l'Office de la langue française ou par qui que ce
soit d'autre sont presque toujours acheminées à
l'extérieur du Québec vers des personnes peu familières
avec ces questions. La réaction en retour est négative. Elle a
pour effet de faire passer la législation linguistique pour abusivement
tracassière et contribue à affecter l'image du Québec
à l'extérieur.
Le troisième volet: la langue de l'enseignement. Outre la
consultation effectuée par le Centre de linguistique de l'entreprise
auprès de ses membres, les opinions exprimées depuis plusieurs
mois par un nombre important d'intervenants socio-économiques et
politiques tendent toutes à élargir le libre accès aux
écoles anglaises du Québec. Ce sujet, M. le ministre, a
déjà été amplement traité et,
sincèrement, nous n'avons rien de neuf à proposer.
J'aimerais maintenant parler du quatrième volet: la francisation
des entreprises. Bon nombre d'entreprises n'ont pas attendu la loi 101 pour
commencer à se franciser. Pour elles, la Charte de la langue
française n'a fait qu'accélérer un processus qui avait
été entamé depuis plusieurs années. Nous
résumerons donc les observations que nous inspire l'administration de
l'article 141 de la Charte de la langue française par l'Office de la
langue française, sans, pour autant, remettre en cause le
bien-fondé de l'intervention législative en ce domaine.
D'abord, les alinéas a et b de l'article 141 dont la redondance
s'est avérée manifeste à l'usage. Il s'agit des seuls
passages de l'article 141 où une formulation simplifiée
s'avérerait utile. En effet, d'un point de vue administratif, ces deux
alinéas font appel aux mêmes mécanismes d'intervention,
à savoir la planification des ressources humaines et, un volet
sous-jacent, la formation linguistique. Il faut savoir que la structure d'une
entreprise est très mobile et que la définition des postes y est
un exercice presque permanent.
Quelques mots sur l'enseignement des langues. L'OLF a demandé
à plusieurs entreprises ce qu'elles entendaient faire pour assurer la
formation linguistique de leurs employés unilingues dans un délai
de six mois et quelles mesures elles prendraient à l'encontre des
élèves qui ne satisferaient pas aux niveaux-cadres qu'il utilise
dans ses analyses et ses rapports. Franchement, nous regrettons que les
questionnaires utilisés par l'Office de la langue française ne
tiennent pas compte des dispositions de l'article 142, ainsi que des
contraintes pratiques qui sont reliées aux employés, citoyens du
Québec, qui sont près de la retraite ou surtout qui ont de longs
états de service.
Quelques mots sur l'utilisation du français comme langue de
communication interne. Il s'agit dans plusieurs cas de changer les pratiques
courantes. C'est une tâche qui répugne aux gestionnaires
francophones comme anglophones parce que les méthodes pour y parvenir
sont assez expérimentales. Il faut admettre que les changements
d'attitude sont lents à venir. Dans les programmes de francisation,
l'Office de la langue française demande maintenant aux entreprises de
fournir, sous forme de tableaux précis, un calendrier des dates
auxquelles les anglophones communiqueront en français avec les
francophones et les dates auxquelles les anglophones communiqueront en
français entre eux. Franchement, M. le ministre, on croit que c'est du
temps perdu.
L'interface avec le siège social ou le centre de recherche. Lors
de la négociation des programmes, l'Office de la langue française
et plusieurs entreprises en sont arrivés à définir des
principes élémentaires de communication en français entre
les sièges sociaux, qu'ils soient situés au Québec ou
à l'extérieur, et leurs établissements au Québec.
D'une façon générale, au Canada, on utilise
traditionnellement l'anglais dans les sièges sociaux; les francophones
et le français y représentent un phénomène
minoritaire. Les dispositions actuelles de la loi 101 vont à l'encontre
de cette réalité. La francisation des sièges sociaux pose
un problème politique de taille, car les pressions exercées sont
perçues comme ultra vires par les sièges sociaux situés
hors du Québec et souvent comme déraisonnables par les
entreprises qui n'ont pas un volume d'affaires ou d'investissements important
au Québec. (13 heures)
Les effets pratiques de cette exigence sont très variables d'une
entreprise à l'autre. Les comparaisons s'avèrent, à toutes
fins utiles, impossibles. Il y a place ici, très
particulièrement, pour une analyse approfondie des réseaux de
communications propres à chaque entreprise. Cette réalité
ne peut se restreindre aux principes généraux appliqués
par l'Office de la langue française dans la négociation des
programmes de
francisation.
J'aimerais dire quelques mots des entreprises de haute technologie. En
1978, un groupe d'entreprises membres du CLE, dans le but d'évaluer la
possibilité de franciser leurs activités, se sont penchées
sur les caractéristiques qui les distinguent et sur les contraintes
linguistiques qui sont liées à la technologie elle-même. Ce
comité a élaboré une définition de ce type
d'entreprises en énonçant les caractéristiques qui les
distinguent. Par la suite, le comité s'est penché sur la nature
des contraintes linguistiques rattachées à la nature de la
technologie utilisée et surtout à celles reliées aux
ressources humaines.
Pour ces entreprises, la langue du client est très souvent le
facteur déterminant. C'est avec plaisir, M. le ministre, que nous
pouvons féliciter, dans ces circonstances, l'Office de la langue
française pour sa collaboration et sa compréhension en la
matière. (Quand c'est dû, c'est dû!)
Quelques mots de la francisation des documents de travail. Traduire
demande des budgets importants, parfois prohibitifs. L'étude,
intitulée L'évaluation des coûts et bénéfices
de la francisation d'un établissement québécois, qui a
été réalisée en mai 1974 pour le compte de la
Régie de la langue française de l'époque, démontre
que c'est le budget de la traduction qui peut être le plus important
lorsque le recours à celle-ci est le moindrement systématique.
Notre expérience est que les coûts de traduction
représentent généralement plus de la moitié des
coûts de francisation. Franchement, nous croyons que la loi 101 n'a pas
pour objectif de créer des emplois de traducteurs; ce n'est pas son but.
Mais il faut admettre aussi que, dans certains milieux, on se demande encore
aujourd'hui si ces coûts sont réellement justifiés. Nous
pouvons cependant, M. le ministre, vous assurer que la vaste majorité
des gens d'affaires qui oeuvrent au Québec considèrent
aujourd'hui que l'usage du français est une composante essentielle du
paysage économique québécois.
Permettez-moi de dire quelque chose des communications avec les
fournisseurs. L'ensemble des préoccupations manifestées par les
entreprises à ce sujet concerne l'obligation qui leur est faite par
l'Office de la langue française d'envoyer une lettre type à leurs
fournisseurs pour leur demander de communiquer dorénavant avec elles en
français. Tout se passe comme si l'Office de la langue française
demandait aux entreprises faisant affaires au Québec de suppléer
par leur influence un travail d'information et de pression qui devrait
être assuré par l'office lui-même. Il peut s'avérer
délicat, voire même impossible, d'imposer une telle exigence
à certains fournisseurs étrangers. C'est le cas, par exemple, des
fournisseurs de produits à haute technologie, de produits très
rares ou, plus simplement, des fournisseurs qui estiment que la taille du
marché québécois ne justifie pas les dépenses de
traduction qu'on leur demande. Pour nous, il est évident, je crois, que
nous préférons avoir la nouvelle technologie au Québec,
fût-elle en anglais, plutôt que de ne pas en avoir du tout.
L'utilisation de la terminologie française. Dans les programmes
de francisation, les entreprises doivent s'engager à fournir à
leurs employés la terminologie française nécessaire
à leur travail, mais dans quelle mesure cette terminologie est-elle
acceptée et utilisée? C'est malheureux, mais c'est un fait que,
pour un grand nombre de travailleurs francophones, travailler en
français équivaut encore aujourd'hui à apprendre une
langue étrangère. Cette contradiction apparente est bien connue
au Québec. Nous connaissons encore plusieurs entreprises dans des
secteurs d'activités très différents où les
employés francophones à qui l'on présente des documents en
français ne les comprennent pas et demandent spontanément la
version anglaise. L'attitude vis-à-vis de la loi linguistique est donc
très ambivalente. Même si les francophones abondent dans le sens
prévu par le législateur, certains résistent à
l'effort personnel subjectif supplémentaire nécessaire au
changement.
Ceci me porte à dire quelques mots sur l'importance du milieu. Le
milieu joue un rôle très important dans l'utilisation de la
terminologie française. L'entreprise peut, en théorie, fournir
à ses employés un maximum de lexiques, de formules et de
documents en français, mais cet effort demeure inutile si les
employés eux-mêmes n'éprouvent ni l'envie ni le besoin
d'apprendre et d'utiliser cette terminologie. Nous croyons que le temps est
venu de concentrer beaucoup plus d'efforts que nous ne le faisons
présentement dans la diffusion massive - et j'insiste sur le mot
"massive" - de la terminologie qui est déjà connue. Il y a
là un nouveau défi auquel l'Office de la langue française
devrait répondre. Nous croyons que le milieu de l'éducation
pourrait aussi s'y intéresser.
Finalement, j'aimerais dire quelques mots des politiques d'embauche, de
promotion et de mutation. Dans leurs programmes de francisation, les
entreprises doivent s'engager à rédiger et à appliquer une
politique d'embauche,, de promotion et de mutation appropriée à
l'usage du français. Au cours des années, l'Office de la langue
française a demandé que le texte de ces politiques lui soit
soumis et, ensuite, qu'on lui remette la liste des fonctions où
l'entreprise exige la connaissance de l'anglais.
Faire approuver la politique d'une entreprise par l'Office de la langue
française constitue, quant à nous, une ingérence dans
la gestion interne de l'entreprise. Pour ce qui est de la remise des
listes à l'Office de la langue française, il s'agit ni plus ni
moins que d'un abus des articles 45 et surtout 46 et 47 de la charte, en ce
sens qu'on demande à l'entreprise de se justifier avant même qu'on
ait posé un seul geste.
J'aimerais maintenant, avec votre permission, M. le Président,
parler pendant quelques instants du rôle des agences gouvernementales. Si
nous avons procédé aussi longuement à
l'énumération de tous les aspects administratifs de la Charte de
la langue française, en en soulignant les difficultés, ce n'est
pas dans un esprit négatif. Nous sommes persuadés que les
objectifs de la francisation sont équitables et réalisables.
Essentiellement, c'est ce à quoi nous nous sommes employés depuis
1972. Toutefois, la loi demande aux entreprises un véritable changement,
qui implique de l'argent, pour les modifications les plus spectaculaires et les
plus superficielles, mais qui implique aussi une modification profonde des
habitudes et des attitudes chez les anglophones, peut-être, mais aussi
chez les francophones pour des modifications qui deviendront
irréversibles. Le rôle du législateur est de fixer
clairement les objectifs et les règles du jeu. On peut espérer
que le résultat définitif des travaux de cette commission
répondra à ce voeu.
Les commentaires que nous avons faits devant cette commission
dénoncent certains abus d'autorité et des interprétations
excessives de la loi de la part de plusieurs fonctionnaires de l'Office de la
langue française ou de la commission de surveillance. Nous tenons,
toutefois, à préciser que, d'une façon
générale, les relations que le Centre de linguistique de
l'entreprise entretient avec la direction de ces deux organismes sont
extrêmement positives. Nous ne comptons plus, après six
années d'application, les échanges parfois musclés, mais
toujours constructifs qui ont permis, d'une part, d'expliquer les contraintes
vécues par nos membres dans la préparation et l'application de
leurs programmes de francisation et, d'autre part, d'interpréter les
exigences de l'office vis-à-vis de nos membres. Les abus
dénoncés, cependant, sont réels. Ils tiennent surtout au
fait que la délégation de l'autorité dans n'importe quelle
administration est un exercice qui est difficile et qui n'a de succès
que dans la mesure où les objectifs fixés, ainsi que les limites
d'action sont énoncés avec précision à toutes les
personnes impliquées.
En ce qui concerne le suivi des programmes et l'émission des
certificats de francisation, nous souhaitons, M. le Président, que
l'Office de la langue française découvre et nous lui avons
déjà offert notre collaboration à cet égard - une
méthode de travail qui permette de mesurer, en termes concrets, le
chemin parcouru et qui se restreigne aux engagements qui ont déjà
été pris par l'entreprise dans les programmes de
francisation.
M. le Président, mesdames, messieurs, membres de la commission,
vous avez déjà consulté notre mémoire et vous savez
que nous avons consulté nos membres et établi plusieurs
statistiques avant de le préparer. Je m'en voudrais donc de passer sous
silence ce volet important de notre mémoire et je vous
réfère, pour ceux qui l'ont, aux pages 62 et suivantes où
nous faisons état des résultats de notre consultation.
Le questionnaire envoyé aux membres comportait cinq sections
touchant la langue de travail, la langue du commerce et des affaires, la langue
de l'enseignement, la francisation de l'entreprise et, enfin, les coûts
directs de la francisation. Le CLE demandait aussi à ses membres de
formuler leurs commentaires sur la loi et ses règlements et sur leur
application par les agents gouvernementaux. Cinquante-sept entreprises ont
répondu à cette consultation. Le siège social d'un peu
plus de la moitié d'entre elles est située hors du
Québec.
La méthode suivie a consisté à exposer très
succinctement les divers points des articles retenus de la loi et de ses
règlements, et de ses aspects administratifs, à demander à
l'entreprise d'évaluer les difficultés pratiques d'application de
ces points en les indiquant comme étant importants ou limités,
puis a se prononcer sur la pertinence d'une révision comme étant
prioritaire, à étudier ou pas nécessaire. (13 h 15)
De l'étude et de l'analyse de cette consultation, il se
dégage deux conclusions principales que nous croyons très
claires. D'abord, que les sociétés membres du CLE qui ont
répondu au questionnaire n'ont que des difficultés minimes et ce,
dans une proportion de 80%, à se conformer aux exigences de la loi 101
en ce qui concerne la langue du travail. Je parle spécifiquement des
articles 41 à 50. En second lieu, on note que les points très
névralgiques signalés par les entreprises sont au nombre de cinq.
Il s'agit des articles de la loi et de ses règlements touchant,
premièrement, l'affichage public en général;
deuxièmement, l'admissibilité à l'enseignement en anglais;
troisièmement, la langue des communications avec le siège social
et la langue des communications administratives, techniques et informatiques;
quatrièmement, la langue des relations avec les fournisseurs de produits
de haute technologie et, cinquièmement, l'utilisation d'une terminologie
française.
Revenons, si vous le voulez bien, sur chacun de ces points, très
brièvement. D'abord, le plus haut degré de préoccupation
apparaît au sujet de la langue des communications techniques, des
communications
informatiques et de l'interface avec le siège social. Trente-neuf
des 53 entreprises qui ont répondu à cette question voient
là d'importantes difficultés pratiques d'application et
quarante-deux d'entre elles concluent au besoin d'une révision.
Remarquons qu'en majorité également les
sociétés membres du CLE voient d'un oeil critique les
stipulations de la loi touchant les relations linguistiques avec les
fournisseurs de produits à très haute technicité et
recommandent certains accommodements.
En ce qui concerne l'admissibilité à l'enseignement en
anglais, c'est avec une majorité de 31 à 18 que les entreprises
consultées estiment importantes les difficultés d'application de
la loi sur ce point. On remarque que bon nombre d'entre elles souhaitent dans
ce domaine l'application de la clause Canada.
Au chapitre de l'affichage public, l'opinion des entreprises
consultées est beaucoup moins claire et plus difficile à
analyser. En effet, neuf d'entre elles estiment que, sur ce point, les
difficultés d'application sont importantes, tandis que 41 jugent ces
difficultés limitées. Mais, en revanche, 21 entreprises sur 57
croient que ce passage de la loi devrait être révisé et ce,
prioritairement.
Une nette majorité d'entreprises qualifient également
comme importantes les difficultés rencontrées dans l'utilisation
d'une terminologie française et réclament certains
accommodements.
Le questionnaire, à la section des coûts directs de la
francisation, demandait aux sociétés membres de fournir une
évaluation globale des coûts directs entraînés par la
francisation de leurs activités depuis 1978, ces dépenses devant
se limiter aux frais de conseillers, au coût de la traduction et au
coût de l'enseignement des langues. Quarante-huit entreprises ont
répondu. La somme totale dépensée au chapitre de la
francisation, aux trois volets ci-haut mentionnés, par les 48
entreprises qui ont répondu au questionnaire du CLE est
supérieure à 42 500 000 $. Ces 48 entreprises emploient ensemble
quelque 100 000 travailleurs québécois. Les coûts
supplémentaires que ces entreprises ont eu à assumer pour faire
affaires au Québec au cours des cinq dernières années est
donc de l'ordre de 425 $ par employé, sur la base des seuls facteurs
retenus par le centre dans sa consultation.
D'une façon générale, on peut évaluer, nous
le croyons, d'une façon assez conservatrice que les coûts
stabilisés sont de l'ordre de quelque 200 $ par tête de pipe par
année pendant la période des deux ou trois ans où ces
entreprises appliquent les principales dispositions de leurs programmes de
francisation et soumettent régulièrement des programmes
d'étape à l'Office de la langue française. Il s'agit
là, répétons-le, d'un coût supplémentaire
à consentir pour faire affaires au Québec.
Précisons, enfin, que cette évaluation est
inférieure, et de beaucoup, à la réalité puisque,
lors de cette consultation, le CLE n'a demandé des informations que sur
certains éléments du coût de la francisation; plusieurs
autres ont été négligés ou ignorés. Je ne
veux mentionner que les frais d'impression, les frais de modification
d'affiches et de panneaux de contrôle, les frais de recherche et de
diffusion de terminologie, les frais de déplacement, de réunion,
etc.
En résumé, à l'exception de quelques sujets
précis, les tendances exprimées dans cette consultation sont
très claires. Une majorité importante n'a que peu de
difficultés à se conformer aux exigences de la loi 101 en ce qui
concerne la langue de travail; d'autre part, nos membres demandent des
changements au niveau de l'affichage public, de l'admissibilité à
l'enseignement en anglais, au niveau de la langue de communication avec le
siège social, de la langue de communication en administration, en
technologie et en informatique, au niveau de la langue des relations avec les
fournisseurs, surtout ceux de haute technologie, et, finalement, au niveau de
l'utilisation de la terminologie française.
Mme la Présidente, le Centre de linguistique de l'entreprise veut
remercier les membres de la commission de l'avoir entendu. Nous sommes
disponibles pour répondre à vos questions.
La Présidente (Mme Lachapelle): Merci. M. le ministre.
M. Godin: Bonjour, M. Boutin, M. Guillotte, M. Cleyn, M. Laurin -
Trifluvien d'origine, je pense - M. Mills et Me Rivard.
Je dois dire que, comme journaliste d'abord, je fréquentais M.
Guillotte parce que je m'intéressais, justement, aux travaux de votre
centre. Je n'ai jamais été déçu, étant de
ceux qui voulaient la francisation du Québec, des efforts que fait le
centre depuis qu'il existe, soit plus de dix ans. La qualité de votre
mémoire aujourd'hui, les fondements sur lesquels il repose,
c'est-à-dire une consultation auprès de vos membres sur le
terrain, m'amènent à dire que cette commission-ci n'aurait
entendu que votre mémoire que déjà elle aurait
été justifiée d'exister.
Effectivement, les cent entreprises que vous représentez et les
200 000 employés qui y travaillent constituent le coeur même de
l'économie du Québec. À cet égard, ce document fera
partie des documents de réflexion de chacun des organismes qui
relèvent de mon ministère. D'ailleurs - je
tiens à vous le dire tout de suite - l'analyse que vous faites
des rapports qui existent entre vos entreprises et les organismes qui
relèvent de la loi 101 est très objective. C'est la raison pour
laquelle je vous dis que nous en tiendrons compte de façon positive.
D'autre part, je pense que vous avez raison, M. Boutin, de comparer
l'activité à laquelle vous avez été associé
de près et plus que tout autre organisme au Québec à une
expérience sociologique. Est-ce que l'implantation - vous me
répondrez à la fin -du système métrique dans
l'ensemble de l'entreprise au Canada ne peut pas se comparer un peu, comme
effets, comme coûts, comme révolution sociologique en quelque
sorte, à l'implantation du français? Vous me répondrez
à cette question quand vous serez prêt.
Aussi, sur un point précis, la langue des échanges avec
les fournisseurs, il existait effectivement jusqu'au printemps dernier une
lettre recommandée et suggérée par l'office qui vous
obligeait à demander à vos fournisseurs hors Québec une
documentation française. À la suite d'une rencontre que nous
avions eue à l'époque et dont j'ai gardé le meilleur des
souvenirs d'ailleurs, parce que c'était encore une fois, comme
aujourd'hui, très concret et très précis, une nouvelle
lettre a été envoyée à vos fournisseurs dans
laquelle vous demandez - je crois que c'est la formulation - Vous nous rendriez
un fier service - à peu près dans ces termes - si vous nous
faisiez parvenir une documentation française, si elle existe.
C'était l'intention du législateur dès le début,
pour des raisons que vous évoquez et qui tiennent à la
délégation et à l'interprétation d'une
délégation qui est faite. Donc, je vous poserai la question:
Est-ce que cet élément de vos cinq recommandations, a
été réglé à votre satisfaction?
Je retiens aussi que vous suggérez qu'il y ait une diffusion
massive, de la part du gouvernement et de ses institutions, de la terminologie
française au lieu de la laisser dormir dans les tiroirs, les ordinateurs
ou les logiciels des banques de terminologie des entreprises ou de
l'État. Je peux vous dire là-dessus qu'il y a déjà
des efforts de faits. J'ai déjà passé des commandes aux
organismes pour que la diffusion massive de cette information soit faite parce
que je pense qu'il est de l'intérêt de tout le monde que
l'opération de francisation se fasse le plus vite possible et,
jusqu'à un certain point, avec l'appui et le soutien du réseau
gouvernemental de diffusion et de l'information.
Vous parlez aussi de l'affichage public dont vous nous dites que cela
n'a pas causé de problème majeur à vos entreprises. Je
m'en réjouis. Vous nous dites aussi que, pour ce qui touche les
relations avec les sièges sociaux, il y a des frottements. C'est
noté en ce qui me concerne. J'aborderai ces questions avec les
organismes qui sont sous ma juridiction, de manière que nous en
arrivions à des solutions qui tiennent compte de la
réalité économique et surtout de la vie de vos
entreprises, tout le monde sachant qu'une entreprise est un être vivant
et que, par conséquent, on ne doit pas la traiter comme si
c'était une simple machine.
Sur la question de la célèbre clause Canada, ce que je
peux vous dire - je l'ai dit, d'ailleurs, à d'autres occasions - c'est
que la réflexion du gouvernement n'est pas terminée
là-dessus. Nous tenterons d'en arriver à une solution qui fasse
que l'application des lois actuelles ne soit d'aucune façon au
détriment du développement économique et industriel du
Québec. Dans la mesure du possible et du raisonnable - je reprends vos
mots, dans l'ensemble de votre mémoire, car je pense que c'est un
mémoire qui aborde les questions et les solutions possibles et
raisonnables - nous tenterons d'en arriver à une solution qui respecte
la constitution canadienne, celle que nous avons signée, et, en
même temps, les objectifs économiques que nous partageons tous. Le
gouvernement se concentre donc présentement sur une solution allant dans
ce sens.
Nous savons très bien que l'Ontario est la principale province
d'où nous proviennent les familles dont vous parlez. Ce sera donc un
point central dans la réflexion du gouvernement dans les semaines et les
jours qui viennent, afin de trouver une solution qui satisfasse l'entreprise et
qui lève ce qui est vu par plusieurs comme une hypothèque au
développement économique de l'entreprise
québécoise.
C'était l'ensemble de mes remarques. Je veux dès
maintenant vous remercier de la qualité de votre document. Je veux
également vous réitérer les excuses du président de
vous avoir fait passer plus tôt que prévu. Remarquez que c'est
exceptionnel, car, en général, les gens passent plus tard. Je
vous soulignerai, par ailleurs, que nous sommes très heureux de votre
collaboration, que vous ayez accepté de venir à 12 h 30
plutôt qu'à 15 heures cet après-midi. L'avantage est
qu'à l'heure de votre présentation il n'y a ni hockey, ni
baseball, ni tennis, ni football à la télévision; donc, il
y a peut-être plus de gens qui vous regardent à ce moment-ci que
si vous aviez été en concurrence avec les sports suivis par nos
téléspectateurs québécois.
Je passe donc la parole à l'Opposition, M. le Président,
à moins que M. Boutin ne veuille répondre. Excusez-moi, je vous
avais posé deux questions, M. Boutin. (13 h 30)
M. Boutin: Vous nous avez demandé notre réaction
par rapport au système métrique. Est-ce là-dessus, M.
Laurin, que
vous voulez faire part des réactions?
M. Laurin (Guy-H.): Oui, je pense qu'on est prêt à
reconnaître qu'il y a peut-être un certain parallèle entre
le système métrique et la francisation, mais il y a une
différence très importante: le système métrique ne
pénalise pas singulièrement les entreprises localisées au
Québec. Donc, sur le plan concurrentiel, il n'y a pas d'iniquité
de ce côté.
M. Godin: D'accord.
M. Laurin (Guy-H.): Je pense que l'importance est assez
majeure.
M. Godin: Majeure.
M. Laurin (Guy-H.): Vous avez également dit que nous
avions souligné qu'il n'y avait pas de problème majeur avec la
francisation, mais c'est sur des secteurs bien identifiés dans notre
mémoire.
M. Godin: Oui, d'accord.
M. Laurin (Guy-H.): Vous avez fait un commentaire
général que nous aimerions quand même qualifier dans notre
ensemble.
M. Boutin: Vous avez demandé aussi, M. le ministre, une
réaction par rapport aux nouvelles lettres des fournisseurs. Je vais
demander au directeur général de donner les réactions
là-dessus.
M. Guillotte (Michel): Malheureusement, statistiquement, nous
devons dire qu'il n'y a pas eu d'amélioration. Bien sûr, à
la date où on parle de la chose, il y a moins d'entreprises qui
négocient activement des programmes, il y en a quelques-unes seulement
qui sont en retard. Il y a encore trois semaines, nous avons
négocié un programme de francisation avec une entreprise
où la lettre aux fournisseurs a été effectivement un
problème de discussion majeur. D'autre part, de plus en plus
fréquemment, les entreprises se font demander ou inviter - le ton varie
d'un négociateur à l'autre - non seulement à
émettre des lettres à leurs fournisseurs, mais,
dorénavant, à émettre des lettres à leurs clients.
Si ma mémoire est fidèle, je crois qu'il y a un spécimen
d'une telle lettre qui est annexé au mémoire.
D'un plan pratique, sans doute que le nombre des cas est beaucoup moins
élevé qu'il a pu l'être au cours des trois dernières
années, mais sur le principe de la chose, la situation demeure
entièrement ce qu'elle était auparavant.
M. Boutin: J'aimerais, M. le ministre, offrir à d'autres
gens qui m'accompagnent la possibilité de réagir si le besoin
s'en fait sentir.
Vous nous avez assuré votre support au sujet de la diffusion
massive de la terminologie. Nous en sommes très heureux et nous serons
contents d'en voir les résultats.
Vous nous permettrez de ne pas réagir du tout au sujet de
l'admissibilité à l'école anglaise.
M. Godin: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je voudrais, pour ma
part, féliciter le Centre de linguistique de l'entreprise pour son
mémoire. Ce que je retiens de votre mémoire, c'est que vous
faites une analyse assez complète. Vous ne vous contentez pas de porter
à l'attention de cette commission certains changements dans certains des
articles, mais vous allez plus en profondeur, vous analysez un peu
l'idéologie, les mentalités, les problèmes qui sont
suscités par l'application de la loi. Vous êtes très
positifs dans vos recommandations. Quant à la question de francisation,
vous faites certaines suggestions pour accélérer le processus,
comme la question de la diffusion de la terminologie, mais vous faites aussi
des mises en garde très sérieuses qui n'affecteraient pas les
objectifs de la francisation de la langue de travail au Québec et les
services qui doivent être fournis en français. Ce sont là
des mises en garde assez sérieuses. Je voudrais y revenir tantôt.
Vous démontrez certainement par votre mémoire que c'est possible
de critiquer certains aspects de la loi 101 sans pour autant interpréter
cette critique comme étant contre la francisation, contre la langue de
travail au Québec - le français - et contre le fait que les
Québécois francophones devraient être servis dans leur
langue. Parce que, souvent, devant cette commission, les suggestions ou les
critiques de certains aspects de la loi ou de l'administration de la loi ont
été interprétées par certains intervenants ou
d'autres comme une critique des objectifs. Ce n'est pas cela du tout. Votre
mémoire le souligne admirablement.
J'ai seulement une autre remarque. Les suggestions que vous faites
nécessitent deux choses. Tout d'abord, certains amendements à la
loi. Il n'y a aucun doute que la langue d'enseignement - si ce n'est pas
à cette loi-ci, c'est certainement à d'autres lois du
Québec - est de concordance aussi parce qu'il y a des
ambiguïtés et des contradictions. Les autres recommandations que
vous faites sont d'ordre administratif. C'est la question de l'administration
de la loi. Je vais commencer par quelques
questions sur l'administration de la loi et l'application de cette loi
par les agences gouvernementales.
Vous mentionnez - à la page 58 - le fait de respecter les
engagements conclus et vous soulignez qu'il y a peut-être certains
problèmes. Vous dites aussi - je cite votre mémoire - ce qui
suit: "Dans leur forme actuelle, les outils utilisés par l'office, qu'il
s'agisse de programmes-types de francisation ou de constats de la situation
linguistique, affirment la primauté des règlements linguistiques
sur les lois du marché, la préséance de la bureaucratie
sur l'esprit d'entreprise et la subordination complète de l'entreprise
privée à l'État". Pourriez-vous expliciter un peu plus les
problèmes administratifs dont vous faites état et qui existent
entre les différentes agences du gouvernement comme l'OLF et la
Commission de surveillance de la langue française, ceux que je viens
citer dans votre mémoire?
M. Boutin: Oui, avec plaisir. Le point-clé, le point
essentiel caché à l'intérieur des lignes de la page 58 a
comme titre: constat. Il est tout à fait normal, pour l'exécutant
d'un contrat, d'être le sujet de revues périodiques sur le
progrès de son contrat, des réalisations auxquelles il s'est
engagé. En conséquence, il est tout à fait normal pour
l'Office de la langue française de vouloir, après avoir
négocié ces programmes de francisation, après avoir
réalisé certaines ententes très particulières avec
chacune des entreprises, après six mois, après un an ou deux,
revenir sur ces dossiers pour poser la question: Avez-vous
réalisé vos objectifs?
Les difficultés surgissent cependant dès qu'on veut le
faire: d'une part, les mentalités ont évolué pendant la
période de temps entre le moment de la négociation et le moment
de la constatation; d'autre part, l'entreprise, elle, regarde son programme de
francisation qu'elle a négocié honnêtement, de peine et de
misère et constate qu'il n'est pas facile de mettre tout cela en place.
Il y a bien des entreprises où le programme de francisation a dû
rebondir plusieurs fois au conseil d'administration avant de recevoir une
sanction. Une fois que ces programmes ont été
réalisés et concrétisés dans un engagement
vis-à-vis de l'Office de la langue française par l'entreprise,
celle-ci les considère comme un contrat qu'elle va réaliser.
C'est ce que nous disons dans notre recommandation en haut de la page 58, nous
disons: MM. de l'Office de la langue française, vous êtes les
bienvenus de venir constater - comme le mot "constat" le dit -comment
l'entreprise a exécuté les engagements qu'elle avait pris, mais,
de grâce, ne recommencez pas la négociation, parce que, là,
nous aurons peut-être des effets plus négatifs que positifs. C'est
le message que nous avons transmis. Je sais que nous avons déjà
échangé là-dessus avec les gens de l'Office de la langue
française. Ils ont reconnu beaucoup d'éléments et le
bien-fondé de notre intervention. Nous savons qu'ils se sont
penchés sur le dossier, mais nous n'avons pas encore vu les
résultats, nous les attendons incessamment.
M. Ciaccia: Quand vous parlez de coût additionnel, dans
votre sondage le coût est d'environ 425 $ par employé,
résultant de l'application de la loi. Nous avons été
témoins, hier je crois, du témoignage d'un invité qui nous
a fait part du fait que les exigences pour son entreprise étaient telles
qu'il a cessé les activités dans une de ses filiales. Quel est
vraiment l'impact? Quand on dit 425 $ par employé, pouvez-vous nous
donner un peu les conséquences de cela? Peut-être le gouvernement
ne réalise-t-il pas. Je ne sais pas s'il peut vraiment mesurer ce que
représentent 425 $. Est-ce que cela vous affecte dans la concurrence et
est-ce qu'il y aurait moyen de réduire ce coût, tout en maintenant
les objectifs de la charte?
M. Boutin: Vous avez plusieurs volets à votre question;
elle n'est pas facile.
M. Ciaccia: Nous n'avons pas beaucoup de temps, c'est pour
celai
M. Boutin: D'abord, il est évident qu'il faut bien
regarder la formulation de notre questionnaire. Comme je l'ai dit dans mon
intervention tantôt, nous avons restreint très
spécifiquement certains éléments majeurs de coût.
Nous savions que c'étaient des éléments majeurs, mais nous
les avons restreints à cela. Nous avons demandé strictement quels
étaient les éléments de coût dans ces trois
facteurs. Nous savions, en faisant cela, que l'on en négligeait
plusieurs, mais on savait aussi que l'on prenait les plus importants.
M. Ciaccia: Les coûts peuvent être encore plus
élevés.
M. Boutin: Le chiffre 425 $ que l'on a déterminé
là, c'est simplement les répondants, les employés
québécois des répondants et on a divisé 42 500 000
$ par... cela vient à cela, mais c'est une moyenne. Une moyenne a la
force et la faiblesse de toutes les moyennes. Cela couvre des petits et des
gros et en moyenne il n'y a pas une paire de pantalon qui nous fait. Qu'est-ce
que cela représente pour chaque entreprise la francisation? Cela varie
énormément de rien à tout. Je peux citer certains exemples
et peut-être que les autres personnes qui m'accompagnent pourront en
citer d'autres très rapidement. Je sais pertinemment par exemple que
certaines compagnies ont retiré certains produits
qu'elles offraient au marché québécois plutôt
que de faire face à la traduction des matériels qui
accompagnaient le produit. Je ne pense pas que cela soit à l'avantage
des Québécois.
M. Ciaccia: Cela réduit le commerce et les emplois.
M. Boutin: Cela a été fait. Par ailleurs, on parle
du coût de francisation. Il y a eu des études de faites et je peux
témoigner d'autres entreprises qui ont affecté depuis quelques
années - et elles prévoient continuer cela pendant quelques
autres années - à la francisation quelque chose comme de trois
quarts à 1% de leur chiffre d'affaires québécois. Quand on
sait qu'en moyenne les entreprises font à peu près 5% de leur
chiffre d'affaires en profit, on peut réaliser ce qu'est l'impact. Cela
fait mal au moins pour elles, mais elles ne sont pas toutes comme cela. On vous
a parlé de la moyenne, on parle d'un spectre. C'est pour cela qu'il est
tellement important de faire une négociation casuistique avec l'Office
de la langue française et le laisser le grand maître d'oeuvre avec
le programme de francisation qui est négocié et qui devient
invariablement un accommodement qui se fait entre le possible et le
réalisable. (13 h 45)
M. Ciaccia: Est-ce que je vous comprends bien? Nous dites-vous
qu'évidemment cela va coûter quelque chose pour franciser, que
cela ne peut pas se faire sans coût? Mais nous dites-vous qu'il y a
possibilité, tout en respectant les objectifs de la charte, d'appliquer
la loi d'une façon plus raisonnable et d'une manière qui aurait
comme conséquence d'éviter les exemples que vous venez de nous
fournir? Nous pourrions éliminer les exigences dans ces cas, sans pour
autant enfreindre les objectifs de la charte. C'est ce que vous nous dites?
M. Boutin: La façon la plus effective de réduire
les coûts de francisation c'est d'étaler les
échéanciers. Il y a un momentum actuellement au Québec qui
est irréversible. Notre francisation se fait au Québec et elle se
fait, mais la loi veut l'accélérer. Avec plus d'accommodements,
la même chose va se réaliser, mais, au lieu de traduire des
documents qui, aujourd'hui, ont très peu de réceptivité
chez des employés, nous allons traduire seulement ceux qui vont vers des
employés ou des groupes d'employés qui sont réceptifs, qui
sont capables de les recevoir, et nous allons attendre que la progression
linguistique de notre population se fasse pour traduire le restant. Alors, nous
étalons les coûts; nous ne les changeons pas, nous les
étalons différemment. Les objectifs restent les mêmes.
M. Ciaccia: Je présume que si les coûts de
francisation sont trop élevés, cela doit décourager aussi
de nouveaux investissements, cela doit être pris en considération
par les nouveaux investisseurs qui viennent au Québec.
Dans votre mémoire, vous parlez de la nécessité
d'avoir la connaissance de la langue anglaise. Souvent, quand nous parlons de
cela, de ce côté-ci de la commission parlementaire, nous nous
faisons accuser de vouloir protéger les anglophones et retourner
à l'ancien régime. Je suis heureux de voir...
M. Godin: M. le Président, je ne pense pas que cela ait
été dit depuis les deux semaines que nous sommes ici.
Peut-être à d'autres époques, mais pas aujourd'hui.
Une voix: En d'autres endroits! M. Godin: Je prendrais a
témoin...
M. Ciaccia: Non, c'est vrai que le ministre - peut-être
a-t-il fait certaines insinuations - explicitement ne l'a pas dit
lui-même si clairement que cela.
Vous parlez de la nécessité de connaître la langue
anglaise et, à la page 11 de votre mémoire, vous dites aussi: "On
administre trop souvent la loi 101 sur la base d'une nouvelle façon de
penser, sur une vision fermée de la société
québécoise."
Aux pages 51 et 52, vous dites que, dans certains domaines, il est
essentiel - je crois que ce sera essentiel encore assez longtemps - d'avoir une
connaissance de la langue anglaise et vous reliez cela au contexte
nord-américain. Beaucoup d'intervenants qui viennent ici disent: En
France on parle français, en Belgique on parle wallon et flamand, mais
on semble oublier qu'au Québec il y a le contexte nord-américain
qui, nécessairement, a des conséquences sur une loi
linguistique.
Pourriez-vous expliciter un peu plus votre pensée sur cette
connaissance de la langue anglaise pour, premièrement, les jeunes cadres
- comme vous le mentionnez à la page 51 - pour certains secteurs comme
la technologie et aussi pour le marché en dehors du Québec? Je
regrette d'ajouter beaucoup d'éléments dans ma question, mais
nous sommes un peu limités par le temps et j'essaie de comprimer autant
que possible. Si on ne tient pas compte de la connaissance de la langue
anglaise et des effets que cela aura et a déjà eus sur certaines
entreprises, vous parlez aussi - peut-être pourra-t-on en parler dans un
autre volet - du danger de la régionalisation de l'économie
québécoise.
M. Boutin: Très rapidement, il y a deux commentaires que
nous pouvons faire pour, je crois, répondre à votre question ou
réagir à vos commentaires. Premièrement, je suis
convaincu que tous les gens qui m'accompagnent ici, qui sont des gens
d'affaires avertis, seront d'accord avec moi si je dis qu'en affaires la langue
du client est un véritable veau d'or auquel il ne faut pas toucher.
C'est un diktat du marché. Tant et aussi longtemps que l'homme
d'affaires reste dans le comté de Beauce et qu'il n'en sort pas, il
n'aura pas de problèmes. Mais du moment qu'il va vouloir exporter ses
panneaux plaqués pour mettre devant les meubles, ou des fonds de
chaises, ou quoi que ce soit, il va faire face aux exigences du marché.
Et le marché qui nous entoure est anglais. Ce n'est pas ma faute; il est
là. Alors, c'est l'une des exigences du marché qui nous a fait
dire qu'il fallait reconnaître la réalité des exigences de
l'anglais.
Le deuxième point que je veux soulever a été
couvert, je crois, avec beaucoup plus d'éclat hier, si j'en crois les
comptes rendus journalistiques, par l'intervention qu'a faite Bell Canada. La
progression, les ouvertures qu'on fait à nos jeunes gradués
universitaires dans les entreprises aujourd'hui vont être rapidement
plafonnées si nos jeunes s'imbriquent dans un unilinguisme
français. Hors de tout doute, pour passer certains niveaux des
échelles administratives dans les compagnies dont les marchés
débordent le Québec, la connaissance de l'anglais est non
seulement indiquée, elle est absolument nécessaire. Si nos jeunes
ne le prennent pas, ils limitent leur carrière de leur propre
gré. J'inviterais d'autres membres à donner des réactions
à cet égard. Est-ce qu'il y en a d'autres?
M. Ciaccia: Oui. Vous soulevez un autre point dans votre
mémoire quand vous dites: "II s'agit, enfin, que nos attitudes,
notamment linguistiques, n'aient pas pour conséquence que ces
entreprises exportent leurs effets d'entraînement à
l'étranger." Je présume que vous pourriez expliquer un peu plus
cette donnée.
M. Boutin: Je ne comprends pas...
M. Ciaccia: Dans votre mémoire, à la page 52, vous
dites: "II s'agit, enfin, que nos attitudes, notamment linguistiques, n'aient
pas pour conséquence que ces entreprises exportent leurs effets
d'entraînement à l'étranger." Quand vous dites que
l'accession de cadres francophones aux sphères les plus
évoluées de l'activité technique se fera dans une autre
langue... Vous dites aussi que ce n'est pas contraire à la francisation
de l'entreprise d'avoir la connaissance de la langue anglaise, mais que
voulez-vous dire exactement quand vous dites! "Il s'agit, enfin, que nos
attitudes, notamment linguistiques, n'aient pas pour conséquence que ces
entreprises exportent leurs effets d'entraînement à
l'étranger." Quelle conséquence cela aurait-il pour
l'économie et pour les jeunes Québécois qui veulent
oeuvrer dans l'entreprise privée?
M. Boutin: Le point que nous voulions considérer se
rapporte à l'importance que l'anglais a à l'heure actuelle dans
les secteurs de technologie et de recherche dans le monde. C'est un secteur qui
nous tient tous à coeur avec le virage technologique qu'on veut donner
au Québec et les encouragements qu'on veut apporter à la
recherche, au développement, etc. Il est important que nous ayons la
possibilité d'attirer à ces centres d'excellence les ressources
de fine pointe et les connaissances dont nous avons besoin. Ces connaissance,
nous allons les chercher dans tout le monde où elles existent; parfois
au Canada, souvent aux États-Unis, parfois même à
l'étranger. La langue qui semble dominer en pratique les échanges
dans ces milieux de haute technologie, c'est l'anglais. Il faut l'accommoder,
sans quoi nous ne réussissons pas à attirer ces talents chez
nous.
Par ailleurs, une fois que nos centres d'excellence fonctionnent, si
nous leur imposons un corset linguistique trop rigide, nous allons rendre les
résultats de leurs travaux difficilement exportables vers les
marchés nord-américains. C'est une drôle de race de
bêtes les chercheurs. Il est plus important pour eux de publier que ce ne
l'est de chercher. La publication se fait dans la langue où elle se
fait. IEEE est publiée en anglais, c'est bien dommage.
M. Ciaccia: C'est comme les politiciens.
Une voix: Certains ministres sont comme cela.
M. Godin: C'est-à-dire que pour nous, ce n'est pas
tellement de publier, c'est de parler!
M. Ciaccia: On ne publie même pas, c'est encore pire.
Le Président (M. Desbiens): C'est terminé? M. le
député de Fabre.
M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. Je voudrais
également offrir mes félicitations pour l'excellent
mémoire qui nous est présenté. Je pense également
que c'est, sans aucun doute, un mémoire de grande qualité. C'est
probablement celui qui m'a donné le plus de satisfaction. Il est
complet; il va dans les détails et il est extrêmement bien
présenté.
Pour faire suite à une question du député de
Mont-Royal au sujet des coûts de francisation: vous avez mentionné
une étude qui a eu lieu en 1974. Il y a eu également
une étude de la firme Éconosult, en 1980, qui a
été réalisée auprès de 27 firmes et de 6
administrations publiques et on concluait, de façon
générale, que les coûts s'élevaient à moins
de 0,5% du chiffre d'affaires annuel. Est-ce que cela correspond à peu
près à ce que vous croyez? Que pensez-vous également de
cette consultation?
M. Boutin: Vous me permettrez de ne pas exprimer de commentaires
sur les consultations des autres. Le chiffre que vous mentionnez et les
données mêmes que vous venez de nous citer ne sont pas en
contradiction avec ce que nous avons trouvé dans notre consultation. Un
nombre important des agents ou des personnes morales consultés dans le
questionnaire d'Éconosult comprenait des administrations publiques pour
qui le pourcentage de revenus ne signifie pas grand-chose. Vous arrivez,
même à cela, avec un demi pour cent du chiffre d'affaires. Notre
consultation et les statistiques que j'ai mentionnées tantôt le
situait autour des trois quarts à un pour cent. Alors, on n'est pas pour
fendre les cheveux en quatre. Cela va varier énormément d'une
entreprise à l'autre, hors de tout doute. (14 heures)
M. Leduc (Fabre): Pour faire suite également... Il a
été question à quelques reprises - enfin, à titre
de question ou quelquefois de suggestion - d'appliquer un programme de
francisation aux entreprises qui ont moins de 50 employés. Avez-vous une
opinion sur une telle proposition? Croyez-vous que cela soit réaliste et
souhaitable, que ce soit nécessaire, compte tenu qu'il y a des milliers
de travailleurs et d'employeurs qui ne sont pas soumis à des programmes
de francisation dans ces petites entreprises?
M. Boutin: En un sens, comme réaction un peu
égoïste en tant que président du Centre de linguistique de
l'entreprise, ce serait de dire: Plus il y en aura, meilleures seront les
affaires. (Oui, c'est en risée!). Mais le point le plus important et le
plus significatif à bien comprendre a peut-être deux
éléments, le premier c'est que la très vaste
majorité des entreprises québécoises de 50 employés
et moins sont des entreprises où la francisation existe de facto, si
elle n'existe pas légalement, elle est dans le vécu de tous les
jours. Par ailleurs, j'appréhenderais beaucoup les conséquences
d'obliger les compagnies de moins de 50 employés à passer par le
régime par lequel on a fait passer les grandes compagnies,
c'est-à-dire l'analyse de la situation linguistique - avec
au-delà de 2000 questions auxquelles il faut répondre, avec
quelque 100 pages de documentation qu'il faut y mettre -la négociation
des programmes de francisation, l'établissement de tous les
échéanciers qui vont avec cela, etc. La documentation à
elle seule est assez pour effrayer n'importe qui et, qui plus est, les petites
et moyennes entreprises du Québec n'ont absolument pas les ressources ni
la compétence pour s'engager là-dedans. Cela demande des
ressources, et la grande entreprise s'est donné une expertise comme le
Centre de linguistique de l'entreprise, il y a plus de onze ans,
précisément pour l'aider, elle, la grande, à passer
à travers ces périodes. Même la grande entreprise s'est
dit: Nous n'avons pas, chacun d'entre nous, les moyens de mettre l'expertise
nécessaire sur pied. On va mettre en commun nos ressources. C'est la
grande qui a décidé cela. Alors, la petite n'a absolument pas les
ressources qu'il faut pour cela. Je me dis que déjà, il y a
énormément de francisation qui existe chez la PME. Et, mon Dieu,
qu'on laisse la sociologie, l'explosion démographique
québécoise aller son cours, et l'effet d'entraînement des
grandes va les entraîner de toute façon.
M. Leduc (Fabre): Merci. J'avais une autre question, M. le
Président. Puisque vous avez parlé de ces questionnaires de
l'office, à la page 15 précisément de votre
mémoire, cela me permet de poser immédiatement ma question qui
touche à ce que l'office veut mesurer. Vous en avez parlé. Et
vous êtes assez critique. Vous dites que l'information demandée
n'existe pas sous la forme requise par l'office si tant est qu'elle existe.
Est-ce que vous, en tant qu'expert, que spécialiste, vous avez
proposé un autre type de questionnaire? Est-ce que vous croyez que c'est
possible d'arriver aux résultats que vise l'office, tout en ayant un
autre genre de questionnaire?
M. Boutin: Ma première réaction est la suivante:
Oui, il est possible, et non, il n'est pas nécessaire de changer les
questionnaires. Il s'agirait purement et simplement pour nos fonctionnaires -
et Dieu sait que c'est difficile de faire cela - de leur permettre plus de
latitude dans l'interprétation quotidienne des questionnaires. Quand ils
arrivent à tel chapitre, si vous répondez de telle façon,
cela fera notre affaire. J'ai l'essentiel, même s'il n'est pas capable de
remplir chacun des petits carreaux. Mais je pense que, dans la pratique des
choses, je devrais avoir recours à notre expert de tous les jours, M.
Guillotte.
M. Guillotte: La réponse est oui, effectivement, nous
l'avons fait. Peut-être que cette expérience remonte maintenant au
stade des analyses linguistiques et de la préparation des premiers
programmes. À toutes fins utiles, dans la plupart des entreprises que
nous avons eu à assister en tout cas, il a fallu doubler les
questionnaires de l'Office de la langue française de ques-
tionnaires axés sur les besoins de l'entreprise. Et je
m'explique: axés sur les choses telles qu'elles existent dans
l'entreprise, tel qu'il fallait les comptabiliser et les identifier dans un
milieu donné de façon à agir dessus. Alors, la situation
qui en a résulté est comme suit: on faisait des analyses
mathématiques beaucoup plus en profondeur dans l'entreprise aux fins de
mettre à jour les données qui serviraient à
préparer et à gérer un programme de francisation. Pendant
que nous faisions cet exercice d'une main, il fallait, de l'autre main,
synthétiser cette information et essayer de la faire entrer dans le
cadre des questions posées par l'Office de la langue française
qui, elles, étaient formulées en termes très globaux, dans
le but simplement de fournir aux fonctionnaires de l'office une matière
relativement suffisante pour porter un jugement d'ensemble sur la situation de
l'entreprise et l'opportunité qu'il y avait ou non de lui demander un
programme de francisation. Je ne sais pas si cela répond à votre
question.
M. Leduc (Fabre): Oui, cela y répond en bonne partie. Mais
vous me dites que vous avez fait ces suggestions à l'office.
M. Guillotte: Oui, à l'époque, beaucoup de
fonctionnaires de l'Office de la langue française - du moins dans les
entreprises que nous avons assistées - ont été
informés de cela.
M. Leduc (Fabre): D'accord. Une dernière question. Vous ne
touchez pas beaucoup aux employés, c'est-à-dire que vous parlez
des employés, oui, pour dire qu'ils offrent une certaine
résistance à la francisation. Il y a un problème de ce
côté, mais on sait que dans les entreprises, il y a des
comités de francisation. Vous n'en parlez pas. Est-ce que vous croyez
que ces comités ont joué un rôle important? Est-ce qu'il y
a moyen d'améliorer le fonctionnement de ces comités de
francisation pour qu'ils jouent un rôle plus déterminant? Nous
avons entendu des critiques de la part de travailleurs, notamment dans un
mémoire qui nous a été présenté hier
à savoir que ces comités de francisation étaient, à
toutes fins utiles, nuls ou désertés par les travailleurs. Y
a-t-il moyen d'améliorer le rendement de ces comités de
francisation?
Tout de suite une deuxième question. En ce qui concerne les
travailleurs, est-ce que la francisation des entreprises a eu un effet positif
sur le rendement des travailleurs, sur leur motivation au travail?
M. Boutin: II y a deux volets à votre question. Vous
parlez des comités de francisation. L'expérience des
comités de francisation - comme bien d'autres choses - varie
énormément d'une entreprise à l'autre. Je sais que M. Guy
Laurin veut réagir très spécifiquement à votre
question.
M. Laurin (Guy-H.): Simplement pour souligner
qu'évidemment ceux qui ont fait valoir leurs opinions sont ceux qui sont
intéressés, mais si la grande majorité ne s'est pas
intéressée à la francisation, je ne vois pas comment ils
peuvent venir témoigner du manque d'intérêt. Je m'explique
en ce sens que chaque entreprise avait la décision à prendre de
localiser par usine, par région, ou par établissement.
L'intérêt porté par le mouvement syndical ou par le
mouvement des travailleurs variait d'une place à l'autre, selon qu'ils
étaient dans un secteur complètement francisé ou dans un
secteur anglophone de l'île de Montréal. Mais de là
à généraliser sur la présentation qui a
été faite... Je ne sais pas s'ils avaient fait une expertise du
sujet, mais de là à dire qu'il y a un manque
d'intérêt de la part du comité, ou de la part de la
représentation syndicale ou des employés, je pense qu'on ne peut
pas généraliser de cette façon.
M. Leduc (Fabre): On allait plus loin. On remettait en cause
également l'efficacité du comité, en tout cas en ce qui
concerne la participation des travailleurs. Il y a des travailleurs qui nous
ont dit, par exemple, qu'on ne leur fournissait pas les données dont ils
auraient eu besoin pour véritablement analyser la situation. D'autres
nous ont dit que c'était coûteux, par exemple, de participer
à ces comités de francisation, que cela devait se faire en dehors
des heures de travail. On a eu plutôt des réactions
négatives de la part des travailleurs quant aux comités de
francisation, par rapport à leur participation.
M. Laurin (Guy-H.): Je ne pense pas qu'il faille
généraliser à partir des représentations qui vous
ont été faites sur la question. Si l'employé n'a aucune
décision à prendre sur les mises de fonds, sur l'application de
la loi comme telle, c'est difficile pour lui d'en évaluer le coût,
d'en évaluer les contraintes financières, d'en évaluer les
contraintes de personnel et d'effectif humain. Ils n'étaient pas en
mesure d'en faire l'évaluation, mais ils ont eu l'occasion d'en faire
l'input, si on peut dire. À notre connaissance, dans le secteur de la
grande entreprise, on s'est rallié aux directives de la francisation et
on a eu la contribution requise par l'élément et syndical et
journalier.
M. Leduc (Fabre): Est-ce que vous croyez que la parité
pourrait améliorer le fonctionnement de ces comités?
M. Laurin (Guy-H.): Si vous établissez
la parité de coûts, je serais d'accord. M. Boutin:
Est-ce que je peux...
M. Laurin (Guy-H.): Non, je ne veux pas être malin, mais je
pense que... On veut parler de parité, mais il faut que ce soit la
parité totale; pas la parité dans des secteurs qui nous
intéressent et la responsabilité dans ce qui ne nous
intéresse pas.
M. Boutin: Moi, j'ai vu le taux d'intérêt que les
employés mettent au comité de francisation, j'ai vu une mesure de
la perception des besoins de leur milieu. Il y a énormément
d'entreprises où les comités de francisation ont toutes les
misères du monde à ramasser un groupe de personnes pour s'y
intéresser. Pourquoi, dans le fonds, sinon que l'employé se dit
lui-même, subjectivement: Ce n'est pas pour moi, c'est pour un autre? Il
y en a de ceux-là. Notre bon francophone, lui, pense que la francisation
n'est pas pour lui, c'est pour les autres. Quand on lui présente un
document en français, il n'est pas capable de le lire, mais c'est un
autre problème.
Nous sommes dans un changement social tous ensemble - c'est ce qui est
le particulier de cette loi - et le changement social c'est le changement du
dedans d'un homme ou d'une femme. Cela ne se fait pas par des formules à
remplir.
Mais je voudrais revenir au deuxième volet de votre question, le
rendement et la motivation. Au Centre de linguistique de l'entreprise, nous
l'avons dit lors du colloque sur la langue et les communications du Conseil de
surveillance de la langue, nous n'avons aucune donnée, que nous
considérons valable, nous indiquant qu'il y a amélioration du
rendement de l'efficacité à cause d'un changement linguistique.
Nous sommes au courant de certaines études qui ont été
faites et qui ont indiqué que communiquer en français
améliorait la rapidité et l'efficacité des communications.
(14 h 15)
Après avoir regardé ces études, nous sommes
arrivés à la conclusion que l'essentiel dans une communication
c'était un véhicule commun entre l'envoyeur et le
récepteur. Si ce n'est pas commun, ce n'est pas efficace. Que ce soit en
anglais, en russe, en chinois, en japonais ou en "bits", quand on travaille en
numérique aujourd'hui, cela a peu d'importance. Si celui qui envoie et
celui qui reçoit ne sont pas sur la même longueur d'onde, cela ne
marche pas et il y a beaucoup d'inefficacité entre les deux. Si on veut
qu'une communication soit efficace, il faut que l'envoyeur et le
récepteur soient sur la même longueur d'onde, sinon cela ne passe
pas.
En ce qui concerne l'autre élément, la motivation, je
crois que la loi 101 a fourni à certains de nos francophones, nos
générations récentes de diplômés
universitaires - on commence à en produire - des aspirations assez
légitimes à une croissance rapide dans les échelles
administratives de la grande entreprise. C'est peut-être une motivation
pour eux. J'ai fait état tantôt d'autres facteurs qui entrent en
ligne de compte du côté de l'entreprise quand il s'agit de
sélectionner son personnel. Le critère qui est de loin le plus
dominant est celui de la compétence. J'ai déjà dit
à de jeunes francophones, de jeunes loups, comme on les appelle, qui
avaient espoir de prendre ma place demain: Écoutez, c'est seulement la
compétence qui va vous y mener. Vous ne voulez pas qu'il en soit
autrement. Vous ne voudriez jamais qu'il soit dit, de façon
justifiée, que vous avez votre poste pour une raison autre que la
compétence.
M. Leduc (Fabre): Je vous remercie.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député de Nelligan.
M. Lincoln: M. le Président, je m'excuse parce qu'il se
fait tard. Je sais que les estomacs crient, mais je pense que le mémoire
est tellement important par son ton, son objectivité, son sérieux
et son contenu, qu'on se doit de l'examiner en profondeur. Je m'excuse si nous
avons à vous poser plus de questions encore.
Ce qui m'intéresse surtout, c'est la question que vous avez
abordée pour la première fois dans un mémoire ici, celle
du changement social dont a parlé mon collègue de Mont-Royal. Ce
que vous avez dit, c'est qu'on a imposé un changement social complet et
très important d'un jour à l'autre. Il fallait qu'il se pose et
nous l'acceptons tous. Mais en même temps, en voulant faire le suivi
mécanique de la chose pour la mettre en application, on n'a pas
réalisé qu'on avait créé une révolution. Par
exemple, le ministre a parlé d'une comparaison avec le système
métrique. Vous avez dit, avec justesse, qu'il y a des parallèles;
c'est sûr. Un changement sociologique important comporte des
parallèles. La question fondamentale qu'on a oubliée entre les
deux, c'est qu'ici, on parle de l'application chez des humains. À
l'arrivée du système métrique, ce sont les consommateurs
qui ont eu à changer tandis qu'ici ce sont les travailleurs qui sont
eux-mêmes impliqués. Je pense qu'il y a là une dimension
très importante: on a voulu changer les gens d'un jour à l'autre.
Ce qui m'intéressait de vous demander, ce qui semble se dégager
de votre mémoire c'est de dire: on a créé ce changement
sociologique et social qui devait être apporté, l'Office de la
langue française fait appliquer cela peut-être d'une façon
beaucoup trop régimentée, ritualiste, légaliste et
réglementaire. Vous
dites: peut-être qu'on devrait revoir toute l'affaire de l'Office
de la langue française et du comité de surveillance pour voir
comment cela fonctionne.
C'est cela que je voulais vous demander. J'ai toujours eu une impression
personnelle que le comité de surveillance... Un des aspects
négatifs de la mauvaise publicité que la loi 101 a eue, c'est
l'aspect punitif du comité de surveillance, qui va s'occuper des petites
affiches à Pointe-Claire pour soixante-trois petits commerçants
qui essaient de se débrouiller pour gagner leur vie, alors qu'ils
essayaient de faire des choses...
Vous avez l'air de dire: peut-être qu'on devrait mieux coordonner
les deux. Est-ce que vous avez dans l'esprit qu'on devrait faire un seul outil
d'incitation, plutôt qu'une commission de surveillance qui serait
réglementaire plus un Office de la langue française qui serait
très cadré?
M. Boutin: J'aurais deux réactions, M. le
Président. La première: il ne faut pas en vouloir à
l'Office de la langue française, c'est la loi 101 qui l'a
créé. Non seulement elle l'a créé mais elle lui a
donné la mission, que nous partageons parce que le CLE a
été fondé dans le même but de faciliter la
francisation des entreprises au Québec. C'est son objectif. Dans le cas
de la loi 101, elle a des contraintes que nous n'avons pas au Centre de
linguistique de l'entreprise en ce sens que vous l'avez encarcanée avec
tout un paquet d'articles de loi qui lui disent: Fais cela comme ceci et fais
cela comme ça. Les pauvres gens de l'Office de la langue
française n'ont pas le choix: quand la loi est là, que les
règlements sont là sanctionnés par le
lieutenant-gouverneur en conseil, ils ont les deux pieds coulés dedans
et ils ne sont plus capables de se déménager.
Même s'ils sont d'accord avec des intervenants comme nous, qui
leur font valoir certains aspects - comme vous le disiez tantôt,
"tracasssiers" - du dossier, même s'ils sont d'accord sur le
bien-fondé de nos interventions, etc. ils disent: oui, mais tel article
dit telle chose. Dans la pratique, dans le vécu, les six années
que nous avons eues avec l'Office de la langue française, ces gens se
sont montrés le plus accommodants possible. Si le cheminement de la
francisation dans les grandes entreprises au Québec est aussi
avancé qu'il l'est aujourd'hui, il faut lever son chapeau devant eux
aussi, ils ont fait leur part. Ils ont aidé à tourner des coins
rond, à oublier qu'il y avait des virgules à des places et ils
ont passé par-dessus des articles en regardant de l'autre
côté, etc. On ne s'en vante pas mais cela a été
fait. Cela a été fait pour la bonne cause.
Tantôt, dans l'intervention que j'ai faite, et on en fait dans le
mémoire aussi, on a parlé des relations entre l'Office de la
langue française et le Comité de surveillance. Ils sont mis sur
pied tous les deux par la loi et ils sont encarcanés tous les deux. Ils
ont chacun leur mission.
Nous croyons que dans la pratique des choses - je ne suis pas avocat, je
ne sais pas s'il faut retourner à la loi pour fignoler cela ou pas - il
va être important d'établir une certaine relation entre les deux.
Cela peut se faire dans une réunion avec le ministre et les deux
présidents, je ne le sais pas. Il sera important d'éviter dans le
domaine public un désaccord entre l'Office de la langue française
et le Comité de surveillance. C'est déjà du vécu.
Dans la formulation d'un programme de francisation, par exemple, l'Office de la
langue française arrive à la conclusion que là, avec lui,
on l'a passé à l'essoreuse. On a eu absolument tout ce qu'on
pouvait avoir de cela et on a à peu près le plus qu'on peut
espérer de cette corporation. Ils ont le programme avec les
échéanciers, les réalisations, etc. Il est des
prérogatives de l'Office de la langue française de retarder
l'échéance de certains articles, des choses semblables. Dans le
quotidien du Comité de surveillance, on reçoit des plaintes de
certaines personnes qui disent qu'à tel endroit telle chose n'est pas
traduite. Là il a le choix de faire une des deux choses suivantes, soit
subordonner son intervention au programme de francisation qui a
été réalisé et agréé avec l'Office de
la langue française ou agir directement sur le dossier en disant:
l'article dit telle chose, il faut que cela soit fait.
S'il opte pour le deuxième choix, celui-là est très
dangereux pour les entreprises qui, de bonne foi, ont négocié un
programme et ont pris des engagements fermes et qui se voient par après
remettre le tout en question sur n'importe quelle plainte, de n'importe qui,
n'importe où, n'importe quand, n'importe comment. C'est parfois
inquiétant.
M. Lincoln: M. Boutin, je voulais vous interroger au sujet d'une
remarque que vous avez faite dans votre mémoire sur l'article 142. Je
pense que le John Hospital Institute a parlé de la même chose. Des
gens qui sont affectés par l'âge ou des services de longue
durée. Est-ce que par votre expérience, dans les grandes
entreprises, cela a coûté des promotions, des mutations à
des gens, les applications de la loi? Est-ce que cela a été un
problème? Vous l'avez soulevé tout comme le John Hospital
Institute.
M. Boutin: Je ne peux pas citer de cas spécifiques car je
n'en connais pas. Un anglophone, M. Untel qui s'est vu refuser une promotion
seulement parce qu'il ne connaissait pas la langue française. Je n'en
connais pas. Quand on analyse comme il se
doit ce que les articles de la loi ou les règlements veulent
dire, cette possibilité est très claire et elle est là.
Dans le vécu, personnellement je n'ai aucun cas spécifique. Je ne
sais pas si mes confrères en ont.
M. Lincoln: Dans quel sens votre mémoire parle-t-il de
cela?
M. Boutin: J'en viens à cela. L'article 142 voulait - je
crois - protéger l'acquis des employés de long service dans une
entreprise et surtout ceux qui étaient unilingues anglais.
L'expérience de l'enseignement des langues tant dans le secteur
privé au Québec que dans le secteur fédéral de
l'enseignement des langues dans les ministères et la fonction publique
fédérale a démontré que le pourcentage de
gradués est plutôt faible, que le pourcentage de gradués et
de "graduables" diminue sensiblement avec l'âge. Il est très
difficile de prendre une personne de 45 ans et de lui apprendre à parler
le français du jour au lendemain. On aura des cours de langue qui nous
amèneront à presque rien. Ces gens ont tout de même dix ou
quinze ans de service dans les compagnies. Ils sont là. Ils sont dans
l'organisation. Je ne crois pas que ce soit l'intention du législateur
que nous, l'employeur, on les mette à la porte du jour au lendemain. On
n'a pas l'intention de le faire, de toute façon. Ce sont des gens qui
nous ont donné de bonnes années de service et qui sont encore
compétents aujourd'hui pour réaliser des choses qu'on veut. Mais
c'est difficile pour eux et ce n'est pas leur faute. Aujourd'hui, à
l'âge que j'ai, je ne me vois pas commencer à apprendre le
chinois. La nécessité peut peut-être venir, je ne le sais
pas.
M. Laurin. (Guy-H.) M. le Président, je veux simplement
souligner que notre représentation n'a pas été
complètement orchestrée, et je me permets de contredire mon
collègue. Nous avons des problèmes fréquents de ce
côté. La loi parle de ceux qui approchent de la retraite et de
longues années de service. Mais quelqu'un qui a 52 ans et qui a tout de
même 18 ou 20 ans de service n'entre pas nécessairement dans ces
critères. Or on doit, malheureusement, pour appliquer l'ensemble du
programme de francisation, prendre les mesures nécessaires pour
transférer ces candidats dans nos autres services à
l'extérieur de la province.
M. Lincoln: On m'a dit que cet article de la loi avait
été interprété, par exemple, en termes de service,
dans certains cas, comme 25 ans et près de l'âge de la retraite,
c'est presque une façon de...
M. Laurin (Guy-H.): C'est là le problème de la
loi.
M. Lincoln: Oui.
M. Laurin (Guy-H.): Si on la suit à la lettre, quelqu'un
près de la retraite avec de longues années de service... personne
n'a défini le mot "longues" et personne n'a défini le mot
"près".
M. Lincoln: Cela pourrait être un an. (14 h 30)
M. Laurin (Guy-H.): Ce sont des questions qui se posent et nous,
nous devons faire face à la réalité. Nous avons des
situations dans lesquelles nous avons des gens qu'avant je considérais
comme des cadres d'avancés, mais que maintenant, à mon âge,
je considère comme des jeunes cadres, dans la cinquantaine, qui doivent
encore fournir quinze ans de service. Mais nous ne serions pas en mesure de
répondre aux exigences de notre programme, que nous avons
déposé auprès de l'Office de la langue française,
en maintenant ces gens dans le contexte québécois. Il faut
prendre des mesures et parfois ce sont des mesures
prématurées.
M. Lincoln: Sans doute espérez-vous que l'article 142 soit
clarifié pour mettre tout cela au clair. Là c'est tout à
fait discrétionnaire.
M. Laurin (Guy-H.): J'aimerais mieux qu'on laisse une certaine
flexibilité à l'Office de la langue française. Je crois
que si nous essayons de trop régimenter et de mettre tous les points sur
tous les "i" et de croiser tous les "t", nous n'en sortirons pas, et il sera
impossible de le faire à la satisfaction de tous. Mais si nous laissons
une certaine latitude et une certaine flexibilité à l'Office de
la langue française dans l'exécution du programme, en donnant une
certaine flexibilité à l'entreprise... C'est pour cela que nous
avons souligné qu'il ne faut pas adapter les programmes à toutes
les entreprises, ils doivent s'adapter aux besoins de l'entreprise en
question.
M. Boutin: Ce qui est arrivé, du moins de la façon
dont on peut le reconstituer, c'est que l'article 142 a reçu certaines
interprétations par certains négociateurs en fonction - nous le
croyons - de la ventilation du questionnaire qui faisait état de la
situation linguistique au tout début. Pour des raisons tout à
fait valables, le questionnaire disait: Découpez votre personnel dans
les stratifications suivantes. Il y avait des classifications comme celles-ci:
À moins de cinq ans de la retraite; plus de 25 ans de service. Dans
l'interprétation qui a suivi - on est dans le domaine de
l'interprétation et non dans ce qu'on retrouve dans l'article. On ne
veut pas le voir dans l'article. On croit que l'interprétation devrait
se faire selon la casuistique de l'entreprise. Il n'y en a pas
deux pareilles.
Ce qui est arrivé, c'est que certains négociateurs se sont
accrochés à ces deux chiffres et ils les ont
interprétés.
M. Lincoln: Voici ma dernière question, car le temps
passe. Je pense que c'est important. Je suis biaisé, au départ,
par rapport à cette question des petites entreprises de 50
employés et plus, car cela a été soulevé par un de
nos collègues. Je suis entièrement d'accord avec vous. J'aurais
voulu que la loi aille peut-être dans l'autre sens. Pour les raisons que
vous avez mentionnées, s'il est nécessaire que toutes ces grandes
entreprises se mettent ensemble, comment une entreprise de 100 personnes
peut-elle en endosser le coût? Notre collègue de la Beauce nous
racontait des cas d'entreprises qui ne veulent pas avoir plus de 50
employés car ils savent combien cela coûte.
Vous avez fait une remarque, tout à l'heure, qui va dans le sens
de ce que j'ai toujours pensé, soit que les forces naturelles du
marché vont régler la question pour les petites entreprises. En
d'autres mots, si quelqu'un veut vendre sa marchandise à Québec
en chinois, il ne vendra pas beaucoup de choses.
Je voulais vous citer un passage d'un rapport du Conseil de la langue
française intitulé Les revenus et la langue au Québec, par
Robert Lacroix et François Vaillancourt. Cela m'a beaucoup
frappé. Il y a deux conclusions principales et celle-ci est la seconde.
On dit ceci: Deuxièmement, le jeu des forces naturelles du marché
du travail et du marché des biens et services explique, à notre
avis, une part importante de la diminution de la rentabilité relative de
la connaissance de l'anglais de 1970 à 1978. Les législations
linguistiques québécoises ont également joué un
rôle dans cette évolution, mais ce rôle nous semble moins
important que celui des forces naturelles du marché du travail.
Peut-être que ce n'est pas tout à fait vrai pour la grande
entreprise. Je conçois que la loi 101, puisqu'il fallait un
mécanisme... Pour la petite entreprise, êtes-vous d'accord que
c'est cela la clé de tout et que même si vous aviez une entreprise
avec 100 employés et plus, les forces naturelles du marché vont
la forcer à se franciser? Si ce n'est pas demain, ce sera après
demain ou le jour d'après.
M. Boutin: Les forces du marché sont là. Notre
explosion démographique est là et c'est inéluctable, nous
ne reviendrons jamais en arrière. Vous avez raison.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Très
brièvement, j'aurais une question à poser et une remarque
à faire. La question à M. Boutin est celle-ci: Est-ce que la
société Pratt et Whitney a déjà été
et est à l'heure actuelle membre du Centre de linguistique de
l'entreprise?
M. Boutin: N'est-ce pas choquant? Ma réponse est non.
M. de Bellefeuille: Elle ne l'a jamais été?
M. Boutin: Elle l'a été à un moment
donné.
M. Guillotte: Elle l'a été jusqu'à il y a
deux ans ou trois ans.
M. Boutin: Trois ans, aujourd'hui.
M. de Bellefeuille: Mais elle ne l'est plus depuis ce temps.
M. Boutin: Depuis trois ans, oui.
M. Laurin (Guy-H.): Excusez, est-ce qu'on pourrait savoir la
pertinence avec notre dossier?
M. de Bellefeuille: Demander si une société est
membre de votre centre je crois que c'est une ...
M. Laurin (Guy-H.): ...c'est du domaine public.
M. de Bellefeuille: ...question qui peut être pertinente
selon le jugement de la commission parce qu'il y a des informations qui ont
été livrées à la commission dans des
mémoires qui ont précédé le vôtre
relativement à cette société. Deux des groupes qui se sont
présentés devant nous en ont parlé. Un groupe de
travailleurs de Pratt et Whitney et le président de...
M. Godin: C'est l'Association des manufacturiers canadiens.
M. de Bellefeuille: C'est cela. C'est la section Québec de
l'Association des manufacturiers canadiens, en précisant qu'elle n'avait
pas de mandat pour le faire, mais vu qu'il s'agissait de l'un de ses membres,
elle a voulu le faire. Elle a fait allusion à ce qui avait
été dit antérieurement au sujet de cette
société. Je crois que dans ce contexte, il est intéressant
pour nous de savoir si la société Pratt et Whitney, dont le
programme de francisation a été mis en cause, a été
et est encore membre de votre centre. Je remercie M. Boutin de m'avoir
donné la réponse.
La remarque c'est tout simplement afin que soit versé au journal
des Débats le fait
que M. Boutin, en livrant le mémoire du Centre de linguistique de
l'entreprise, n'en a lu que des extraits. Je l'en remercie et je l'en
félicite parce que nous serions encore là pour le reste de
l'après-midi s'il avait lu au complet un mémoire de 91 pages.
Mais il est important de mentionner ce fait dans le journal des Débats,
à l'intention des chercheurs qui consulteront nos travaux. Hier, on nous
a rappelé l'existence d'une directive de la présidence de
l'Assemblée selon laquelle on ne peut plus verser au journal des
Débats - comme cela se faisait autrefois - la totalité d'un
mémoire dans des circonstances comme celle-là. Les chercheurs
pourront trouver dans les documents du secrétariat, à la
bibliothèque de l'Assemblée nationale, la totalité, le
texte intégral du mémoire, y compris des passages que vous avez
forcément omis de lire comme celui de la page 32 sur la qualité
de la langue. C'est une considération que je juge très
importante. Je suis sûr que le ministre et les journalistes partagent mon
avis là-dessus. Il y a des considérations sur les
carrières pour les francophones, aux alentours de la page 48, que vous
avez aussi omis de lire, des développements plus poussés sur les
questions de coût qui intéressent tout le monde à propos de
la francisation, à partir de la page 53.
Quant à la consultation que vous avez faite auprès de vos
membres, vous l'avez admirablement bien résumée. Il y a
peut-être des gens, dont l'esprit a une tournure un peu plus technique
quant aux méthodes de consultation, qui voudront voir le détail
de la chose. Je tenais à informer tout éventuel chercheur de
l'existence de ces aspects de vos positions. Merci.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Une brève remarque et une question. Le
député de Fabre s'est reporté à l'étude
Éconosult de 1978-1980. C'est la même étude qui avait
démontré que très peu de compagnies avaient attendu les
lois linguistiques avant de commencer leur processus de francisation. Le
député de Fabre disait que cette étude avait
démontré que 0,5% seulement du chiffre d'affaires
représentait le coût de francisation, que cela s'appliquait
à l'ensemble de l'industrie. Pour l'information du député
de Fabre, il y a certains secteurs dans le domaine des affaires où le
profit n'est que de 1,5% du chiffre d'affaires. Quand on dit 0,5%, cela ne veut
vraiment rien dire. Heureusement que les entreprises où le profit est
1,5% du chiffre d'affaires n'ont pas dépensé 0,5% pour la
francisation. C'est juste pour démontrer qu'en
généralisant, on ne donne pas la vraie situation.
En terminant, voici une question à M.
Boutin. Un des objectifs de la loi 101 est d'augmenter la
présence francophone dans les entreprises québécoises.
Est-ce que nous serions justifiés de conclure que, si la loi 101 est
maintenue dans sa présente forme d'application, comme elle est
présentement appliquée, sans amendement - sans changement soit
dans la loi elle-même soit dans les règlements - vraiment la loi
va aller à l'encontre de cet objectif d'augmenter la présence
francophone dans les entreprises québécoises? Je vais citer un
passage de votre mémoire où vous dites, à la page 55: "Le
fait que plusieurs centres de décision ne soient plus situés au
Québec aura un effet certain sur la carrière des jeunes
administrateurs francophones qui sont maintenant prêts à prendre
la relève. De plus en plus, ces derniers seront confinés à
un rôle régional. On ne pourra probablement jamais évaluer
l'ampleur de l'impact socio-économique que représentent ces
postes auxquels les gestionnaires québécois n'auront accès
désormais qu'en s'expatriant du Québec".
En effet, ce que nous pouvons conclure c'est que, si l'on continue dans
la voie où nous sommes présentement, cela va jouer principalement
contre les francophones québécois qu'on veut aider. Je crois que
c'est la Société Saint-Jean-Baptiste qui a porté à
notre attention le fait qu'il y a 13 000 000 de francophones en Amérique
du Nord qui se sont assimilés, qui ont été obligés
de quitter le Québec. Cela va à l'encontre des objectifs
mêmes du gouvernement. Il y a une autre étude qui démontre
que de 1976 à 1981, de ceux qui se sont expatriés du
Québec, il y a 21 000 francophones qui ont fait leurs études
postsecondaires. Alors, est-ce qu'on serait justifié de conclure,
qu'à moins qu'il y ait des changements à la loi 101, dans sa
présente forme et comme elle est administrée, elle ira vraiment
à l'encontre les objectifs du gouvernement et contre la présence
francophone dans les entreprises québécoises?
M. Boutin: Je crois que vous avez posé la question
clé, sans trop faire de jeu de mots. On l'a traitée dans notre
mémoire. Les faits démontrent clairement que les
opérations québécoises de la grande entreprise se sont
beaucoup francisées dans les dernières années. Cela s'est
fait de plusieurs façons. Dans plusieurs cas - cela a aussi
été documenté par certaines études qui ont
été faites - la présence francophone au Québec
s'est réalisée en transportant sous des cieux plus hospitaliers
un certain nombre de postes qu'on ne voulait pas soumettre aux restrictions
linguistiques du milieu. C'est ce à quoi on fait allusion - plus
qu'allusion -très spécifiquement dans notre mémoire.
La question que vous posez est
chatouilleuse. Je crois que - je vais faire attention à ce que je
dis - la loi 101 n'augmentera pas nécessairement les postes francophones
au Québec. La loi 101 a certainement contribué à augmenter
la présence des francophones dans l'industrie. C'est un
phénomène de pyramide, si vous le voulez.
(14 h 45)
Je crois qu'il est déjà acquis qu'il y a de nombreuses
pyramides corporatives qui sont plus petites aujourd'hui qu'elles ne
l'étaient il y a sept ans. À l'intérieur de la pyramide
qui reste au Québec, la présence francophone s'est
améliorée de beaucoup. Les opérations
québécoises sont rendues des opérations de volet
québécois. C'est rendu la région du Québec. On a un
vice-président pour la région du Québec qui oeuvre
entièrement en français. Vous en avez certains devant vous.
M. Ciaccia: Pour l'avenir, la présence...
M. Boutin: Les postes qui ont été tronqués,
qui sont partis, on ne les ramènera pas.
M. Cleyn (Otto C): M. le député, je voudrais
seulement ajouter un autre point en réponse à votre question.
Après ce que M. Boutin a dit, votre question était, si je ne me
trompe pas, plutôt: Est-ce qu'un changement de la loi permettrait un
climat plus favorable au développement général dans la
province de Québec? Je peux exprimer l'opinion du groupe ici, en disant
oui, cela s'appliquerait en tenant compte des recommandations que nous avons
faites. Oui, en faisant ces changements qu'on propose le climat
général, c'est-à-dire le nombre de postes,
l'activité générale serait beaucoup plus moussée au
Québec; conséquemment elle donnerait plus de chances, plus
d'occasions, plus de promotions, et plus d'avancements aux
Québécois.
Une voix: Merci.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député de Gatineau.
M. Gratton: M. le Président, on aurait encore
énormément de questions à poser à nos
invités. Je les en remercie au nom de l'Opposition. Votre contribution
est une de celles qui vont sûrement être les plus retenues par le
gouvernement, par l'Opposition et par ceux qui suivent les travaux de cette
commission. De cela je n'en doute pas.
Depuis combien de temps on fait allusion aux coûts de la
francisation, aux coûts en espèces de dépenses
gouvernementales, aux coûts pour l'entreprise. Pour une première
fois, vous venez nous dire, avec des chiffres assez précis, ce qu'il en
a coûté jusqu'à maintenant, des prédictions ou des
évaluations de ce qu'il en coûtera à l'avenir. Mon propos
n'est pas de dire on ne doit pas dépenser ces montants et vous ne dites
pas cela non plus. Enfin, on peut maintenant parler de quelque chose de
concret. On peut se poser la question: la francisation on y croit, y
croyons-nous à n'importe quel prix? Et avoir au moins une indication du
prix que nous payons.
J'ai compris dans votre mémoire qu'on a dépensé,
dans les 48 entreprises qui ont répondu à votre consultation, 42
000 000 $ sur une période de cinq ans. Vous évaluez le coût
à environ 200 $ par employé pour ces 48 entreprises qui ont
environ 100 000 employés. Donc des dépenses de 20 000 000 $ par
année pour les deux ou trois ans de l'implantation. Cela équivaut
exactement à la somme que dépense le gouvernement de son
côté. Il est important de se rappeler qu'il s'agit seulement de 48
entreprises. Il ne s'agit pas de l'ensemble des entreprises du Québec.
Tout au moins, la démonstration que vous avez faite ce matin est une
réponse concrète à ceux qui viennent dire en commission au
gouvernement: Vous devez aller plus loin, plus vite et y aller avec un peu plus
de muscle. On nous disait cela hier soir. Nous sommes d'accord. C'est sûr
que si on y met plus de ressources, plus d'efforts, plus de coercition, il va y
avoir probablement une francisation plus rapide, mais à quel coût,
à quel prix? Vous êtes mieux de commencer à nous fournir,
et même plus que nous fournir un commencement de réponse... Je
pense que la réaction du ministre l'indique bien, des réflexions
très sérieuses vont être faites au sein du gouvernement.
J'irais même jusqu'à dire: Enfini On pense que cela s'imposait
depuis un bon bout de temps. Pour cela, M. Boutin, messieurs, on vous en
remercie. Finalement, c'est un service que vous rendez à l'ensemble des
Québécois. On ne peut jamais dissocier cet objectif qu'on a tous
de franciser le plus possible le Québec de l'intérêt
économique des Québécois.
Hier, on parlait avec la Société Saint-Jean-Baptiste de
cet exode qu'on a connu, à la fin du dernier siècle, au moment
où, pour des raisons économiques, nos jeunes ne pouvaient pas se
trouver des emplois au Canada. Des Canadiens français se sont
expatriés. On déplorait que quelque 13 000 000 de Canadiens
français sont maintenant assimilés à la majorité
anglophone. Il me semble qu'on devrait faire ce qu'on fait ici, et ce que le
ministre -j'en conviens - fait maintenant sérieusement,
c'est-à-dire se poser la question: Est-ce qu'on n'est pas en train
d'établir une politique linguistique ou de maintenir une politique
linguistique qui pourrait contribuer -en la créant de toutes
pièces et par le seul
fait de la loi 101 - quelque peu à créer un climat
semblable, qui pourrait avoir les mêmes répercussions et qui
serait loin de servir les intérêts des francophones? Ce sont des
choses que vous êtes venus nous dire -avec une façon on ne peut
plus acceptable -en reconnaissant les bienfaits de la loi 101 là
où il y en a. J'admets volontiers qu'il y en a. Vous nous en avez
d'ailleurs fait découvrir quelques-uns et je vous en suis
reconnaissant.
En terminant, M. le Président, j'aimerais remercier d'une
façon un petit peu plus spéciale M. Guy Laurin, qui est un
concitoyen originaire de la ville de Hull dont on est très fier chez
nous pour le poste qu'il occupe, et lui souhaiter bonne chance ainsi
qu'à ses collègues. Merci infiniment, messieurs.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Godin: Je dois vous dire à tous - de ce
côté-ci en tout cas, je présume que de l'autre
côté aussi - que nous aimons beaucoup le style de réponses
que vous nous faites, parce que c'est un style précis, concret et non
dépourvu d'humour. Cela contribue à mieux faire passer certains
messages.
D'autre part, il y a un certain nombre de choses que je tiens à
dire. Vous avez parlé du bilinguisme tout à l'heure, M. Boutin,
et nous avons entendu cette question posée à quelques reprises.
Mon collègue et ami le député de Mont-Royal a
laissé entendre qu'à une certaine époque, pour certains
membres de ce parti, le mot "bilinguisme" était presque une insulte ou
une injure, sinon un mot malpropre. Je dois vous dire que tel n'est pas le cas.
Le nombre de personnes bilingues au Québec actuellement
représente 56% du total canadien. Le nombre de francophones bilingues
est de 1 500 000; le nombre d'anglophones bilingues est de 371 000. En Ontario,
c'est beaucoup moins que cela; on ne compte que 716 000 anglophones bilingues,
donc la moitié du total québécois. C'est peut-être
ce qui explique et ce qui illustre votre propos - je cite des chiffres de
Statistique-Canada - à savoir que le marché- du travail au
Québec est plus dynamique qu'en Ontario. Une des raisons, c'est qu'il y
a une capacité linguistique plus grande ici.
Je reconnais donc l'existence du problème que vous mentionnez. Un
certain nombre de personnes au Québec ont cru que le français
était suffisant pour gravir tous les échelons et ont
peut-être mal apprécié le côté international
des activités de certaines entreprises installées ici. Je suis
persuadé que dès qu'un jeune Québécois francophone,
sortant des HEC ou d'une école d'administration francophone au
Québec, se rend compte de ce qui se passe, il apprend très
rapidement l'anglais. On se rend compte qu'au Québec les francophones
ont un très grand talent naturel pour apprendre l'anglais, talent qui
tient à l'obligation de l'apprendre dans certains cas. Ce n'est pas le
cas de d'autres peuples où, cette obligation n'existant pas, ils ont
moins de talent pour cela, semble-t-il.
D'autre part, je serais d'accord avec vous quand vous dites que ce n'est
pas à l'Office de la langue française qu'il faut s'en prendre, ce
n'est pas à la Commission de surveillance qu'il faut s'en prendre,
à qui on doit imputer des comportements. Nous assumons totalement, de ce
côté-ci de la Chambre, la portée de la loi 101. D'ailleurs,
c'est pour cette raison que nous nous associons totalement aux travaux, aux
méthodes et de l'Office de la langue française et de la
Commission de surveillance. C'est aussi pour cette raison que nous avons
convoqué cette commission parlementaire qui siège depuis
déjà plusieurs jours et qui est fort enrichissante pour tout le
monde. S'il y a des problèmes, c'est nous, les membres du gouvernement,
qui en sommes responsables. C'est pour cela qu'en toute circonstance, je vous
le dis, nous sommes à votre disposition pour regarder de près les
points précis, comme nous l'avons déjà fait.
Je terminerai en citant les propos de mes deux collègues du Parti
libéral. Je me croyais revenu à 1977. À l'époque,
cela se disait beaucoup qu'évidemment cela va être en
français mais il n'y aura plus de job. Cela se disait beaucoup en 1977.
Je ne pensais pas qu'on l'entendrait encore, mais on l'entend. Je vous dirai
que cela se rapproche de ce qu'on appelle en France, le syndrome de Gribouille.
Je ne sais pas si vous connaissez cette fable. Il pleuvait, or Gribouille, pour
ne pas être mouillé, s'est jeté à l'eau. En d'autres
termes, ce que mes deux collègues disent, c'est: Si le Québec
était anglais à 100%, tous les francophones auraient des postes
de commande.
M. Gratton: Là, il s'échappe. Il s'échappe
pour la première fois, mais il s'échappe.
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Godin: Je me suis mis en harmonie, au diapason de vos propos.
Je ne peux pas laisser passer des choses ici sans répliquer à des
propos de ce type-là. Je pense - et vous conviendrez avec moi que j'ai
peut-être raison - qu'il faut envisager les choses -aussi bien M. Laurin,
M. Cleyn, M. Guillotte et vous monsieur le porte-parole et président -
sur une plus longue période si on veut vraiment être
sérieux. Il est certain que les
lois 22 et 101 ont secoué le cocotier. Nous le reconnaissons
parfaitement. Le nouveau chef du Parti libéral le reconnaît aussi.
Il a eu des propos qui sont tout à fait dans le sens des propos que nous
tenons depuis le début de cette commission pendant sa campagne à
la direction du Parti libéral.
Nous croyons qu'il est vrai que des pyramides plus petites existent
maintenant au Québec, et que dans ces pyramides plus petites, il y a
plus de francophones qu'avant. La solution est de bâtir d'autres
pyramides tout simplement. On s'entend là-dessus. Je pense que le
développement que le Québec a connu et va connaître - je ne
citerai que le cas de Pechiney qui va représenter des milliers d'emplois
pour les Québécois de la région de Trois-Rivières
et d'ailleurs au Québec; il y a même des Américains et des
Français qui vont venir travailler ici - la solution, c'est le dynamisme
économique du Québec et nous travaillerons tous ensemble la main
dans la main. On se rencontrera - je vous le répète - aussi
souvent qu'il le faudra pour rendre les choses plus conformes à la
réalité industrielle que vous vivez quotidiennement.
Donc, je vous remercie du fond du coeur et chaleureusement de votre
contribution. Elle est remarquable et nous en tiendrons compte. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Je remercie les membres du
Centre de linguistique de l'entreprise pour leur participation. Après
six heures consécutives d'audition, la commission a bien rempli le
mandat qui lui a été confié. La commission des
communautés culturelles et de l'immigration ajourne ses travaux au
mercredi 2 novembre à 10 heures.
(Fin de la séance à 14 h 58)