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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Thursday, August 29, 1996 - Vol. 35 N° 11

Consultation générale sur le projet de loi n° 40 - Loi modifiant la Charte de la langue française - ainsi que sur la proposition de politique linguistique


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Table des matières

Auditions


Autres intervenants
M. Jean Garon, président
M. André Gaulin, président suppléant
M. Joseph Facal, président suppléant
Mme Louise Beaudoin
M. Daniel Paillé
M. Pierre-Étienne Laporte
Mme Liza Frulla
M. Camille Laurin
M. David Payne
M. Geoffrey Kelley
Mme Solange Charest
M. William Cusano
Mme Pauline Marois
M. François Gendron
M. Michel Morin
M. François Ouimet
* M. Jean-Guy Plante, Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île
* M. Michel Lemieux, idem
* M. Jean-Paul Perreault, MIF
* M. Bruno Roy, UNEQ
* Mme Nadia Ghalem, idem
* M. Yves Beauchemin, idem
* M. Robert Auclair, ASULF
* Mme Arlene Scher, Fondation pour l'unité canadienne
* M. Nick Auf der Maur, idem
* M. Bram Besner, idem
* M. William Spears, idem
* Mme Lorraine Pagé, CEQ
* M. Henri Laberge, idem
* M. Robert Libman, Ligue des droits de la personne B'nai Brith Canada
* M. Maurice Sadeh, idem
* M. Allan Adel, idem
* M. Steven Slimovitch, idem
* M. Keith Henderson, Parti Égalité
* M. David H. Wood, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures deux minutes)

Le Président (M. Garon): Alors, comme nous avons quorum, je déclare la séance ouverte. Je rappelle le mandat de la commission. Le mandat de la commission de la culture est de poursuivre sa consultation générale et de tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 40, Loi modifiant la Charte de la langue française, ainsi que sur le document de consultation intitulé «Le français, langue commune: promouvoir l'usage et la qualité du français, langue officielle et langue commune du Québec».

M. le secrétaire, y a-t-il lieu d'annoncer des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Facal (Fabre) remplace M. Beaumier (Champlain); M. Laurin (Bourget) remplace Mme Malavoy (Sherbrooke); et M. Gendron (Abitibi-Ouest) remplace M. Morin (Dubuc).

Le Président (M. Garon): Je vais donner lecture de l'ordre du jour. Alors, à 10 heures, Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'île; à 11 heures, Mouvement Impératif français; à midi, M. Julius Grey; à 14 heures, Union des écrivaines et écrivains québécois; à 15 heures, Association des usagers de la langue française; à 16 heures, Fondation pour l'unité canadienne; à 17 heures, Centrale de l'enseignement du Québec; à 20 heures, Ligue des droits de la personne B'Nai Brith Canada; et, à 21 heures, Parti Égalité.

Alors, j'invite immédiatement la Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île à s'approcher à la table des témoins, en lui rappelant qu'elle a une heure pour délibérer. Alors, vous avez normalement 20 minutes, 20 minutes pour le parti ministériel, 20 minutes pour l'opposition officielle. Si vous prenez moins de temps, bien, ils pourront prendre plus de temps pour vous interroger; si vous en prenez plus, ils en auront moins pour vous interroger.

Maintenant, j'ai l'intention aujourd'hui d'appliquer les règles strictement: quand le temps est écoulé, le temps est écoulé. Si on pose des questions puis qu'il n'a pas eu le temps de répondre, le témoin ne répondra pas et on va passer au voisin. Parce que c'est trop facile de faire une intervention de cinq minutes et de poser la question à la fin, alors qu'il nous reste cinq minutes. Alors, comme la question doit être comprise dans le temps de celui qui pose la question, s'il pose sa question à la fin et qu'il n'y a plus de temps pour répondre, je le dirai, puis, à ce moment-là, on passera la question à l'autre parti, quel qu'il soit. Alors, je le dis tout de suite, c'est peut-être mieux... Le but, c'est d'entendre les témoins. Alors, c'est peut-être mieux de poser des questions que de faire des longs préambules, puis, quand on pose la question à la fin, de dire: Bien, maintenant, ça, je m'en fous, sauf que, si on fait ça toute la journée, comme on a des délibérations pendant huit heures aujourd'hui, c'est évident qu'à ce moment-là on n'a plus de contrôle du temps du tout. Alors, c'est pour ça que je devrai appliquer strictement les règles selon le chronométrage que fait le secrétaire, ou les gens qui aident le secrétaire de la commission.

Alors, allez-y. Si vous voulez vous présenter. Le porte-parole de la Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île peut se présenter et présenter les gens qui l'accompagnent et ensuite nous présenter son allocution.


Auditions


Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île

M. Plante (Jean-Guy): Oui. Bonjour. Je m'appelle Jean-Guy Plante. Je suis le président de l'association, et M. Michel Lemieux, ici présent, est le trésorier de l'association. Je voudrais vous indiquer que nous avons ajouté certains éléments. Nous avons dû reformuler un paragraphe des suggestions et nous avons ajouté quatre paragraphes, et ils sont disponibles ici. Je ne sais pas comment on peut vous les faire parvenir.

Notre association s'appelle donc Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île. Nous constituons une des sections de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Cependant, nous tenions à présenter aux membres de cette commission les problèmes particuliers auxquels nous sommes confrontés dans notre région, notre point de vue étant presque unique au Québec, parce que, comme nous l'ont rappelé les gens de l'Outaouais, ils ont aussi leurs problèmes particuliers.

Nous sommes des citoyens de la région de l'Ouest-de-l'Île de Montréal, et, afin de bien comprendre la teneur de nos propos, il faut préciser immédiatement notre environnement géographique. Comme vous pourrez le constater aux annexes, il faut distinguer la partie ouest de la ville de Montréal – qui comprend les quartiers de Notre-Dame-de-Grâce et de Côte-des-Neiges et les villes de Mont-Royal, d'Hampstead, de Montréal-Ouest, de ville Saint-Pierre et de Verdun, entre autres – de la région de l'Ouest-de-l'Île proprement dite, un régionyme qui s'impose de plus en plus dans notre milieu pour désigner les 12 municipalités situées à l'ouest de l'autoroute 13.

Nous n'avons pas inclus ici un portrait culturel de cette région, mais nous tenons à vous informer que, malgré un multitude de petits coups de pinceau linguistiquement français, il n'y a pas de sentiment d'appartenance communautaire francophone. Il y a un danger d'assimilation, et les francophones, fatigués d'être toujours sur la brèche vive, risquent de se laisser glisser vers la mort culturelle en douce. Le futur cégep de l'Ouest-de-l'Île permettra enfin à un millier de jeunes d'étudier en français chez nous. Le nombre s'accroîtra sans doute en recevant des étudiants des environs de Vaudreuil et de l'Île Perrot. Quant au cinéma en français, il faudra attendre encore beaucoup plus longtemps, parce que aucune des 15 salles de la région n'en présente.

L'Ouest-de-l'Île est un endroit agréable à vivre, hormis la question linguistique. Cependant, nous ne tentons pas de remplacer tous les anglophones par des francophones. Nous y vivons heureux et nous poursuivons notre tâche de survivance. Pour nous, nous l'avons maintes fois répété, toute personne qui habite le Québec et veut y demeurer librement est une personne québécoise, et personne n'en est exclu, à moins qu'il ne le fasse de lui-même. Pour notre part, nous réitérons donc que nous aimons demeurer dans l'Ouest-de-l'Île et nous désirons informer certains de nos amis de l'est de la ville, qui n'ont peut-être jamais rencontré un anglophone, que nous n'apprécions pas nous faire dire de manière péjorative et avec un ton méprisant que nous demeurons dans le West Island.

Le projet de loi n° 40 comporte des ajouts intéressants à la Charte de la langue française, notamment l'affirmation de la nécessité d'obtenir des logiciels en français, l'étiquetage des produits en français, la disparition de l'inutile mise en demeure aux contrevenants et l'organisation plus structurée et plus complète de la Commission de protection de la langue française. Ainsi, ce projet améliore certains aspects de la Charte, mais il demeure des points essentiels qui n'y paraissent pas et dont nous aimerions vous parler plus loin.

(10 h 10)

Dans l'Ouest-de-l'Île, la sauvegarde de la langue française constitue une tâche importante. Nous travaillons continuellement et de toutes les manières possibles à cette réalisation. D'abord, nous communiquons avec les commerces dont les textes sont parfois fautifs quant à la qualité de la langue. La plupart de ces commerces acceptent spontanément nos remarques. Mme la ministre, nous nous sommes responsabilisés depuis longtemps et nous sommes heureux d'avoir constaté que vous avez lancé cet appel dans le document «Le français, langue commune». De plus, nous fournissons une aide technique aux citoyens pour formuler des plaintes officielles quant aux raisons sociales, à l'absence de services en français, à l'affichage intérieur et extérieur et à l'étiquetage des produits.

Nous conservons dans nos dossiers les documents de plus de 2 000 plaintes – il y a une erreur dans le document, c'est marqué 2 500, mais c'est bien 2 000 plaintes – différentes qui ont été acheminées à la Commission de protection de la langue française par des citoyens de la région. La langue de service en français, malgré des progrès évidents de disponibilité, constitue encore un problème majeur dans notre région.

Nous écrivons aux commerces où l'on ne peut se faire servir en français, mais il est difficile de faire pression auprès d'eux, car notre demande n'est pas appuyée par la force de la loi comme dans d'autres domaines. En effet, selon la Charte, le service en français est considéré comme étant disponible lorsqu'une personne employée peut parler le français. Le francophone doit donc attendre. De guerre lasse, les francophones, étant la plupart du temps bilingues, ne se formalisent plus et parlent anglais pour plus de rapidité et de commodité. Nous avons souvent réfléchi à ce problème de service, mais nous n'avons trouvé aucun moyen efficace de persuasion, et aucun moyen ayant un effet contraignant ne nous est apparu applicable.

Par exemple, la majorité des cordonneries de notre région sont la propriété de gens ne pouvant s'exprimer en français. Nous avons rencontré des propriétaires de cordonnerie pour leur expliquer que la clientèle francophone ne veut pas discuter philosophie existentielle avec eux, mais simplement pouvoir parler de couture, de réparation, de prix et du jour où le tout sera prêt. Nous leur avons offert de l'aide. Nous leur avons suggéré de dresser une liste des termes usuels à leur commerce. Depuis plusieurs mois, rien n'a changé, et ces commerces ne peuvent nous servir en français, y compris la cordonnerie du centre commercial Fairview.

Ailleurs, le service se résume parfois à des regards, comme dans un magasin de fruits auquel nous avions écrit pour signifier l'absence du français et où le personnel nous écrit maintenant sur un bout de papier le montant à payer. Nos amis de l'est nous disent candidement: Allez donc alors dans un autre commerce. Vraiment peu pratique et très peu intéressant de s'amuser ainsi.

Évidemment, nous nous intéressons aussi à l'affichage commercial. Nous reconnaissons que notre région, en une dizaine d'années, de 1985 à 1995, est passée de l'affichage unilingue anglais à l'affichage unilingue français. Grâce au travail de centaines de citoyens conscientisés à la protection de leur langue et au support technique informatique disponible, nous avons instauré, ceci sans grand éclat médiatique, une transformation étonnante de l'affichage de notre région majoritairement anglophone.

Afin de prouver nos dires, nous avons filmé les principales artères commerciales de la région avec une caméra amateur, et les trois cassettes vidéo que nous avons ici – qui pourraient être ramenées à deux, j'en conviens – et que nous déposons auprès de Mme la ministre constituent un document permanent et exceptionnel. Cela prouve que la Charte de la langue française a été pour nous un outil indispensable, que la Commission de protection de la langue française a été très efficace et que nous, les citoyens, avons travaillé pour la sauvegarde de notre langue dans la région. Hélas! les choses commencent à changer maintenant à un rythme surprenant. Je laisse la parole à M. Lemieux.

M. Lemieux (Michel): La Charte de la langue française nous a été d'un grand secours dans notre région, mais d'autre part elle fait la promotion du bilinguisme par quelques oublis majeurs de réglementation. Ainsi, cette Charte pousse le bilinguisme à sa limite dans la rédaction des bulletins d'information des villes. En effet, l'article 23 stipule que les avis, communications et imprimés destinés au public sont rédigés dans la langue officielle. Ceci s'applique aussi aux villes reconnues comme étant de majorité anglophone, lesquelles conservent cependant le droit de les rédiger aussi dans la langue anglaise.

Dans notre région, la majorité des villes sont des villes reconnues comme étant de majorité anglophone, à l'exception des villes de Sainte-Geneviève, de Sainte-Anne-de-Bellevue et de l'Île Bizard. Cette dernière publie son bulletin en français seulement, mais certains citoyens anglophones exigent maintenant un bulletin bilingue, malgré que la population y soit très majoritairement francophone. Nous sommes devant un vide juridique important, puisque rien ne défend aux villes de distribuer des bulletins bilingues. Donc, toutes les villes du Québec pourraient dès demain matin agir ainsi, et cela, en toute légalité. En effet, l'article 89 de la Charte stipule que, si «la présente loi n'exige pas l'usage exclusif de la langue officielle, on peut continuer à employer la langue officielle et une autre langue». Fin de la citation. C'est là que s'engouffrent des contestataires et des amateurs de bilinguisme à outrance. La plus importante ville francophone de la région subit des pressions énormes pour devenir bilingue.

La population francophone des villes de la région est en augmentation constante et la population des nouveaux Québécois qui n'ont pas le français ou l'anglais comme langue maternelle l'est tout autant. En 15 ans, la population de langue maternelle française augmentait de 22 355 personnes, soit environ 1 500 par année. En pourcentage absolu, cette population s'est accrue de 6 %, tandis que, durant la même période, le pourcentage de la population anglophone chutait de 17,7 %. Les citoyens de langue maternelle autre que les deux langues officielles du Canada doublaient leur nombre absolu et leur pourcentage durant cette même période. Les anglophones ont l'habitude de compter tous ces gens comme étant des citoyens anglophones afin de gonfler artificiellement leur nombre. Comme le veut la Charte actuelle, il est donc nécessaire d'initier à la langue commune, le français, ces citoyens et non plus de les laisser se faire assimiler par la communauté anglophone, comme c'est malheureusement encore le cas dans l'Ouest-de-l'Île.

En examinant bien ces statistiques, on peut constater que deux villes comportent maintenant un plus grand pourcentage de francophones que d'anglophones, soit l'importante ville de Pierrefonds – 39,1 % et 37,8 % – et celle de Roxboro – 40 % et 39,1 %. Il est à noter que cette tendance quant à l'augmentation de la proportion de francophones s'est maintenue au cours des 15 dernières années. Il ne faut pas laisser à ces villes la possibilité de se décrire comme étant soumises à l'article 29.1 de la Charte, car elles agissent comme le font souvent les anglophones, soit en associant ceux ne parlant pas l'une des deux langues officielles du Canada à la communauté anglophone. Ces villes ne doivent pas choisir par elles-mêmes d'utiliser cet article pour maintenir ainsi un bilinguisme municipal. Si cet article n'est pas modifié, les francophones demeureront pour longtemps dans une municipalité bilingue après que la population de langue maternelle aura dépassé largement le cap des 50 %.

L'Ouest-de-l'Île ne compte aucun journal uniquement francophone malgré le fait que plus de 34 % de la population de la région le soit. Durant quelques années, il y en a deux qui sont disparus maintenant, soit le journal Le Riverain et le journal Super Hebdo , qui avait une édition régionale. Les deux journaux actuels publiant en français sont bilingues. Ainsi, le journal Cité Nouvelles s'est bilinguisé en 1988, après plus de 20 ans de parution unilingue française, alors que la population francophone avait plus que doublé durant le même terme.

De plus, Le Reflet de L'Ouest-de-L'Île devient progressivement bilingue depuis quelques mois. Un des responsables de ce journal nous indiquait qu'il devait le faire afin de pouvoir survivre financièrement. En effet, les avis et publications des villes de la région sont bilingues, et il ne pouvait les insérer dans son journal si celui-ci ne devenait pas bilingue. Selon la Charte, le journal doit ajouter des articles en anglais s'il publie de la publicité bilingue. Imaginez: un journal francophone doit devenir bilingue afin de ne pas cesser d'exister!

(10 h 20)

Les journaux francophones, tant ceux de la région que les grands quotidiens comme La Presse et Le Devoir , servent de transporteurs bilingues. Ainsi, La Presse nous sert régulièrement des encarts bilingues, soit le mercredi, le jeudi ou le samedi. L'Office de la langue française ne peut pas intervenir dans un tel cas. L'article 52 demande que la publicité, soit les catalogues, les brochures et les dépliants, soit rédigée en français, mais cet article ne s'applique pas aux journaux, car, selon l'avis de l'Office, ces brochures ne sont pas imprimées par le journal et ne font pas partie intégrante du journal.

Des promoteurs de tourisme de l'Ontario et des États américains voisins du Québec comprennent qu'il vaut mieux publier en français uniquement pour attirer les francophones à les visiter. Cependant, des marchands du Québec à qui nous avons écrit pour leur faire part de notre surprise refusent, eux, de publier uniquement en français dans un journal francophone. Signalons enfin que plusieurs événements culturels de la région de Montréal, par exemple le Festival de Lanaudière, utilisent les journaux pour véhiculer leur promotion bilingue de spectacles.

Les foyers québécois, pas seulement ceux de la région, sont inondés à chaque semaine de publicité bilingue de la part des commerçants. L'article 52 exige que les catalogues, les brochures et les dépliants soient rédigés en français, rien de plus. L'article 89 se pointe dans le paysage juridique, car il stipule que, dans les cas où on n'exige pas l'usage exclusif de la langue officielle, on peut employer à la fois la langue officielle et une autre langue. C'est pourquoi toutes les boîtes à lettres du Québec en entier reçoivent leur ration hebdomadaire de publicité bilingue.

Plusieurs de ces commerces sont la propriété de citoyens d'ici qui se sentent obligés de nous inonder de publicité bilingue. Les auteurs de ce texte avouent candidement avoir appris par le vocabulaire de ces circulaires à nommer des objets de leur existence quotidienne en français, alors qu'auparavant ils le faisaient dans une autre langue. Pourquoi ne faudrait-il pas en faire profiter tous les nouveaux arrivants? Pourquoi remettre entre les mains des amateurs de bilinguisme des moyens pédagogiques aussi puissants et réguliers? De plus, l'imprécision de nos lois linguistiques empêche l'Office de la langue française d'obliger des publicitaires faisant imprimer leurs documents en dehors du Québec à insérer au moins une version en français, comme nous l'avons appris au hasard des plaintes déposées devant la Commission de la protection de la langue française.

Les raisons sociales doivent être en langue française, comme le stipule l'article 63 de la Charte. Pourtant, au premier coup d'oeil, on constate qu'une bonne partie de ces raisons sociales ne comportent aucun mot de français. Certains commerces utilisent le subterfuge des marques de commerce, d'autres s'autorisent des jeux de mots français pour nous abreuver de formules françaises non fonctionnelles. À titre d'exemple, examinons le terme global suivant: «Medical Art Building». Tous les mots de cette expression sont des termes français, selon le dictionnaire, mais le tout est inacceptable en français fonctionnel.

D'autres s'amusent avec l'article 67, qui stipule que «peuvent figurer, comme spécifiques, dans les raisons sociales, les patronymes et les toponymes, les expressions formées de la combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de chiffres ou les expressions tirées d'autres langues». Fin de la citation. Pour paraphraser un commerce existant à Dollard-des-Ormeaux, on pourrait le nommer «Real Truck». Puisqu'on exige une raison sociale française, on la transforme ainsi en «R.E.A.L. T.R.U.C.K.», avec des points après chaque lettre. Le tour est joué, et on obtient de cette façon une raison sociale tout à fait légale.

D'autres nous rappellent un article des règlements afférents à la Charte, l'article 27 du Règlement sur la langue du commerce et des affaires, et ne l'observent pas entièrement en oubliant d'ajouter le générique, tel que requis. Ce règlement indique clairement que «peut figurer comme spécifique dans une raison sociale une expression tirée d'une autre langue que le français, à condition qu'elle soit accompagnée d'un générique en langue française». Fin de la citation.

Comment pourrait-on trouver une façon de permettre d'utiliser une marque de commerce parfois très ancienne ou une raison sociale reconnue tout en obligeant à placer quelque part un terme en français pour montrer que ces commerçants exploitent un commerce dans une province majoritairement francophone? Ces derniers méconnaissent souvent le milieu où ils sont installés, et le français est totalement absent des raisons sociales, comme «On the Rock Garden», ou quasi inexistant, comme dans les commerces «Le Body Shop» et «Le Pet Shoppe», du centre commercial Fairview.

M. Plante (Jean-Guy): Toutes ces manifestations de bilinguisme permis et toléré par la Charte de la langue française ont un rapport avec le message très visible et amplement renforcé par l'affichage bilingue: Il y a deux langues officielles au Québec, employez celle que vous voulez. Le bilinguisme individuel est souhaitable et même enrichissant, c'est évident pour tous les citoyens du Québec et du monde, et les francophones de l'Ouest-de-l'Île en grande majorité parlent les deux langues. Le bilinguisme auquel nous faisons plutôt allusion, c'est celui du bilinguisme institutionnel, celui qui empêche l'intégration des nouveaux arrivants à la société québécoise, celui de l'affichage et celui des petites actions quotidiennes qui endorment en douceur les francophones.

Ensuite, nous avons expliqué les différentes étapes de francisation que nous avons suivies dans notre région. Mais, lorsque le gouvernement du Parti québécois a annoncé publiquement et à grand renfort de médias – dans notre texte, nous avons écrit «de publicité», nous devons évidemment corriger, nous sommes certains que le gouvernement n'a pas fait de publicité à ce sujet, mais les médias ont amplifié, alors nous corrigeons ce mot, donc à grand renfort de médias – qu'il n'avait pas l'intention de modifier la loi 86, la situation a brusquement changé, et les magasins ont rapidement commencé, sous la pression de certains groupes anglophones, à utiliser un affichage bilingue.

Voilà que, par ces déclarations, toutes les améliorations linguistiques de 15 ans de travail lent, pénible et assidu des citoyens sont anéanties. Les francophones de l'Ouest-de-l'Île se sentent abandonnés. Les centaines de travailleurs de la francisation, qui depuis 15 ans travaillent doucement, sans heurt, à franciser cette région majoritairement anglophone, se sentent abandonnés, et, à ce stade, le désir du gouvernement de ne pas faire de vagues et de laisser en place la loi 86 pourrait nous isoler du reste du Québec. En effet, l'Ouest-de-l'Île, les villes situées à l'ouest de la ville de Montréal de même que certains quartiers à l'ouest de la ville seraient susceptibles d'être des quartiers bilinguisés, alors que le reste du Canada serait plus francisé. Nous supplions l'Assemblée nationale de ne pas créer deux Québec, abandonnant ainsi les gens de l'Ouest-de-l'Île.

L'Assemblée nationale doit plutôt informer toute la population du Québec, y compris les anglophones de cette région, du but que visera un éventuel Québec souverain quant à l'élimination du bilinguisme institutionnel, du bilinguisme ambiant et du bilinguisme d'affichage. Voilà le message que devrait véhiculer l'Assemblée nationale. Le souhait de la majorité de la population est pourtant clair et simple. Elle veut obtenir ce que l'histoire, la politique et la géographie ont permis d'installer partout en Amérique du Nord et partout ailleurs dans le monde: un environnement linguistique à son image, tout en étant respectueux des personnes qui vivent avec eux.

Ensuite, nous avons tenté de vous rappeler peut-être des arguments que vous connaissez déjà au sujet de la langue sociologique maternelle et de la langue sociale environnementale. Le droit légal est constamment confronté ici à la réalité sociale du Canada. Reconnaître que nous sommes une minorité en Amérique du Nord, ce n'est pas dévalorisant. Nous demandons seulement à la communauté anglophone de se reconnaître comme telle, de reconnaître aussi que nous sommes une minorité dans cette Amérique, cette grande Amérique anglophone, tout en étant ouverts à cette culture et au monde entier, et comprendre que nous devons imposer des éléments linguistiques qui ailleurs se sont créés naturellement à même le tissu social majoritaire. Il faut que la population cesse de se laisser dévaloriser par les manipulateurs qui s'agitent sur la scène nationale et internationale. Nous avons des raisons solides et nécessaires d'agir ainsi dans le domaine linguistique; cessons d'avoir peur.

(10 h 30)

Il ne nous reste qu'à présenter les propositions formelles de suggestions. La première suggestion, c'est modifier – 7.1, pour ceux qui cherchent le texte – le deuxième paragraphe de l'article 23 de la manière suivante, c'est-à-dire en y ajoutant le mot «uniquement», pour que les villes puissent informer les gens en français seulement, à moins qu'elles ne soient régies par l'article 29.1, évidemment.

Nous vous avons fait distribuer le texte de reformulation du 7.2, parce que notre texte laissait supposer que le pouvoir de l'article 29 doit être remis au gouvernement, alors qu'il est actuellement du ressort du gouvernement. Ce que nous voulions laisser entendre et suggérer à la fois, c'est que le gouvernement ou ses commettants puissent agir sans attendre la demande de l'organisme, particulièrement quand il s'agit de retirer la possibilité d'être soumis à l'article 29.1. Par ailleurs, il nous apparaît nécessaire que le texte de loi soit plus clair à ce sujet, autant pour accorder que pour retirer.

La publicité des villes dans les journaux. Ajouter, après le deuxième paragraphe de l'article 23, le paragraphe suivant: Ils doivent rédiger uniquement dans la langue française les avis, communications et imprimés destinés au public et en assurer la parution dans un journal en français seulement, à moins, évidemment, qu'ils ne soient régis par l'article 29.1, auquel cas il pourront le faire paraître dans une autre langue et dans un média d'information de cette langue.

Les encarts publicitaires dans les journaux francophones. Nous devons admettre qu'il y en a de moins en moins. Cependant, nous devons vous dire qu'à chaque fois que ceci est arrivé nous avons écrit des lettres aux commerces. Et, quand des personnes apportaient de tels encarts publicitaires aux réunions que nous tenions, les gens disaient: Non, ce n'est pas vrai, il n'y a pas de telles publicités bilingues, ça n'existe pas. Nous sommes tellement habitués que nous ne la voyons plus.

Je tiendrais à féliciter les pharmacies Cumberland – ce n'est pas de la publicité, je ne travaille pas pour eux. Ils avaient fait un tel encart publicitaire dans La Presse . Nous leur avons écrit... Je dois avouer que j'ai souvent formulé des critiques publiques à l'endroit de ces gens, il est tout à fait normal que je fasse aussi une constatation publique: après, les encarts qui sont parus dans La Presse étaient unilingues français. Ce n'est certainement pas nous qui avons fait changer ça, mais ils ont compris que c'était par respect pour les francophones qui achetaient le journal. Nous suggérons donc, à la fin de l'article 52, l'ajout de la phrase suivante: «Cela s'applique aux encarts des journaux francophones.»

La cinquième suggestion concerne les circulaires bilingues. À l'article 52, ajouter le mot «uniquement», qui fera en sorte que les circulaires seront uniquement en français. Cela permettra à l'Office de la langue française d'obliger les éditeurs de l'extérieur de la province à respecter la présence du français. Je prierais certaines personnes qui vont crier tout de suite... Il y a des règlements afférents à l'Office de la langue française qui permettent des... j'appellerais ça des exceptions, peut-être, pour les médias d'information ou ceux qui s'adressent aux communautés culturelles – ou ceux qu'on appelait autrefois comme ça.

Les raisons sociales. Nous proposons d'ajouter, à la fin de l'article 63, le paragraphe suivant: «Si, par suite d'autres articles de la Charte – dont nous avons parlé plus loin – la raison sociale n'est pas en langue française ou en français fonctionnel, elle devrait obligatoirement être précédée d'un terme générique français.» Nous faisons aussi la même suggestion pour les marques de commerce.

L'affichage des camions. Nous avons fait une suggestion sans formuler de texte. Parce qu'il faut être très rapide pour remarquer le numéro d'immatriculation – ça demande une rapidité étonnante – nous suggérons que vous rendiez responsables ou que vous informiez au minimum les entreprises de lettrage, et non pas les compagnies, en les informant très adéquatement.

Enfin, nous proposons l'abolition de la loi 86 concernant l'affichage et nous proposons de revenir à l'affichage commercial unilingue français, à l'exception des premières extensions de la loi 101 d'origine. Si nécessaire, le gouvernement utilisera la clause «nonobstant».

Je vous remercie de nous avoir écoutés, et je vous signale la présence de M. Louis-Charles Garon, qui est arrivé un peu après le début.

Le Président (M. Garon): Alors, on va répartir le temps en 15 minutes, 15 minutes pour les deux partis. Alors, Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui, bonjour, M. Plante, M. Lemieux, M. Garon. Il me fait plaisir que vous soyez venus présenter ce mémoire, parce que je dois dire que c'est un travail sérieux, c'est un travail documenté, puis tout ça mérite, bien entendu, réflexion. Je suis très sensible à certaines situations que vous avez décrites.

J'aimerais revenir à la page 8 de votre mémoire, quand vous dites – et vous le dites sur un ton qui est très modéré, mais c'est quand même très dur à entendre, et c'est pour ça que j'aimerais que vous m'expliquiez un peu mieux ce que vous entendez par là – au dernier paragraphe... vous l'avez lu, d'ailleurs, tout à l'heure: «Voilà que, par ces déclarations, toutes les améliorations linguistiques de 15 ans de travail lent, pénible et assidu de ces citoyens sont anéanties.» Et vous dites, après: «Nous supplions l'Assemblée nationale de ne pas créer deux Québec, abandonnant ainsi les francophones du Manitoba québécois que nous sommes.»

Alors, c'est des choses qui veulent dire ce qu'elles veulent bien dire, probablement, mais, vraiment, M. Plante, M. Lemieux, M. Garon, vous pensez sérieusement que c'est ce qui est en train de se produire dans l'Ouest-de-l'Île, que les améliorations linguistiques que vous avez décrites, justement, dans un premier temps, sont en train d'être anéanties actuellement, compte tenu du maintien de la loi 86, et que vous vous considérez comme des francophones du Manitoba québécois? Comme il n'en reste plus beaucoup au Manitoba, ça m'inquiète, parce qu'on sait ce qui s'est passé. Et c'est à ça que vous faites référence, à cette lente assimilation, sur 100 ans, des francophones du Manitoba, ce qui fait qu'aujourd'hui il n'y en a pas 5 % de la population. Puis on connaît, bon, leur situation, qui n'est pas tout à fait la vôtre, si je comprends bien, parce que vous expliquez justement que le nombre de francophones, si j'ai bien compris, globalement, n'a pas diminué et que, même, dans certaines municipalités, donc, il a augmenté.

Mais j'ai bien saisi aussi quand vous avez dit qu'en fait, même si le nombre d'anglophones a diminué, c'est le nombre d'allophones qui a augmenté et que les anglophones ont tendance à additionner leur propre nombre et celui des allophones, de telle sorte que ça gonfle les chiffres au bout de la ligne. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, s'il vous plaît.

M. Plante (Jean-Guy): Évidemment, le mot Manitoba n'est pas péjoratif, mais il faut bien reconnaître que nous sommes peut-être le Manitoba du Québec, sans insulter les gens du Manitoba même. C'est une figure de style, si vous permettez. Quant à dire toutes les améliorations que nous avons pu permettre d'installer, peut-être qu'il faudrait mettre un bémol sur le mot «toutes». Je reconnais qu'on devrait nuancer un peu. Mais, cependant, vous n'êtes pas sans savoir, comme nous l'avons décrit, que la langue de service est un réel problème chez nous et que, quand nous écrivions à des commerçants qui n'avaient que la présentation unilingue anglaise, ils étaient étonnés de voir qu'il y avait des francophones dans leur milieu naturel. Et quelques-uns... parce qu'on donne un numéro de téléphone, on est en contact, on est des gens humains et on veut, je ne dirais pas éduquer ces gens-là, ça serait prétentieux, mais on veut être en contact avec eux pour leur dire: Avez-vous remarqué que nous étions là? Il y a des gens qui commençaient à me parler au téléphone sur un ton absolument désinvolte, disant: Qu'est-ce que vous faites, vous êtes cinq, six ici, là? Bien, j'ai dit: Monsieur, je suis obligé de vous dire qu'on est plus nombreux que ça, mais on n'est pas la majorité et on ne travaille pas à être la majorité. Donc, la langue de service, malgré ce qu'en disent certains, peut avoir un rapport avec l'affichage.

(10 h 40)

L'affichage, si vous avez remarqué, c'est le seul point sur lequel les gens du peuple ont une maîtrise. On ne maîtrise pas la langue de service. On vous a dit: Il n'y a pas de moyens coercitifs, on n'en a pas trouvé, puis je ne pense pas que ça soit possible à mettre en application. Il n'y a pas, quand on est pour la langue de service... on n'a pas de pression de la loi. Et, ça, ça finit par rendre contre. Peut-être que vous allez penser que j'exagère en disant: La disparition de l'affichage unilingue français pourrait avoir de grands effets sur la langue des services. Bon, modérons un peu: il y aura certainement un effet.

Dernière chose, peut-être, pour répondre à ça, parce que c'est une question importante, si vous avez remarqué, nous nous vantons beaucoup d'avoir augmenté le nombre de francophones dans cette partie de l'Ouest-de-l'Île. Mais regardez la langue d'usage, madame. Regardez-la: il y a une différence de 5 000 personnes entre la langue maternelle et la langue d'usage. Et, comme nous vous disions tout à l'heure, quand un francophone, il s'en va dans un magasin où on ne le sert pas en français: Bof! les autres vont s'occuper de la protection de la langue française; moi, je suis pressé, j'ai des courses à faire, et d'autres personnes vont se faire les promoteurs de la langue française.

À titre d'exemple, j'allais avec mon garçon, alors qu'il était un peu plus jeune – maintenant, c'est mon petit garçon – à un endroit pour obtenir une crème glacée. Je comprends suffisamment l'anglais, bien que je ne sois pas bien bilingue. Et le type disait: Numéro «twenty-five». J'ai bien compris que c'était moi, mais j'ai dit: Est-ce que vous avez dit: Vingt-cinq? Là, mon garçon a dit: Hé! je veux ma crème glacée. Que ça soit en anglais, en chinois, je la veux, oublions le restant!

Évidement, je vous donne tous des petits détails qui font que je pense que cet ensemble-là... Quand on parle de brèche vive, vous savez, c'est vrai. Et je connais des francophones qui, maintenant, ont abandonné la culture francophone, ils ne veulent plus rien savoir, ils ne veulent plus parler français, ils ne veulent plus consommer des produits culturels en français. Mais, ça, je ne peux pas vous le prouver, madame, parce que... Comme dans les hôpitaux, quand on avait des difficultés à se faire servir en français... Et j'avais des beaux cas de racisme que j'aurais voulu amener devant les journalistes, mais les francophones de l'Ouest-de-l'Île sont des gens paisibles et doux, ils ne voulaient pas venir. Et, moi, je ne pouvais pas aller devant les journalistes, dire: Écoutez, là, nous avons un cas de racisme. Le journaliste aurait dit: Où sont vos preuves, monsieur? Avez-vous fini de rêver à ça en dormant le soir, là? Alors, c'est la même chose, je ne peux pas vous présenter des francophones qui ont perdu. Je peux vous dire qu'il y en a même qui travaillent pour le gouvernement du Québec qui ont dit: Voulez-vous vous asseoir et oublier tout ça, nous allons disparaître. Je ne sais pas si j'ai répondu un peu à votre question malgré tout.

Mme Beaudoin: Juste un commentaire avant de passer la parole à mon collègue. Vous dites, à un moment donné, en effet, et ça m'a beaucoup frappée, qu'il y a 15 salles de cinéma et qu'il n'y en a pas une qui présente des films en français. Même des beaux films américains, dans leur mauvaise traduction souvent...

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Beaudoin: ...il n'y en a pas un?

M. Plante (Jean-Guy): Non.

Mme Beaudoin: Mais là il y a un problème.

M. Plante (Jean-Guy): Il y en a déjà eu, madame.

Mme Beaudoin: Il y en a déjà eu? Je n'en reviens pas!

M. Plante (Jean-Guy): Mais, attendez, je vais vous expliquer, là, ce qu'il en est. Ils en ont mis. Nous avons écrit à ces commerçants pour leur dire: Vous ne pourriez pas mettre au moins un film en français de temps en temps? Et, quand il y a eu un cinéma qui a ouvert – je ne me souviens plus à quelle place exactement, je pense que c'est la compagnie Famous Players, six salles – nous leur avons écrit. Ils ne nous ont jamais répondu: on n'est pas importants. Nous leur avons dit: Mettez une salle en français, une seule salle, et avertissez, faites de la publicité. Tout le monde fait de la publicité, excepté pour dire qu'il y a un film en français; là, on n'en fait plus. J'ai dit: Avertissez. Et, tout à coup, il y a quelques films français qui sont apparus. Et, un vendredi soir, j'ai eu la plus belle surprise de ma vie. Je voulais aller au cinéma à 20 h 55 – d'habitude, on s'en va à Laval – et là j'ai vu qu'il y avait Indochine , là. En cinq minutes j'étais rendu là, et la salle était aux trois quarts pleine. Je me dis: Mon doux! je crois rêver. Mais, madame, ça n'a pas duré. Il n'y en a plus depuis ce temps-là.

Mme Beaudoin: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Prévost.

M. Paillé: Oui. Vous disiez, là, qu'il y a des gens qui vous disent de rester assis. De rester assis puis l'assimilation, ça commence par la même chose. Est-ce que le rythme de changement... Moi, j'ai l'impression que, depuis... Parce qu'on parle beaucoup, là, de l'affichage, puis l'affichage, ce n'est pas juste physique et visuel, c'est un mode de vie. Pour une entreprise, c'est sa communication avec ses employés, ses clients, ses actionnaires, ses fournisseurs. Mais ce que je crois percevoir, en restant proche de ce que j'appelle le West Island – et ce n'est pas péjoratif, là... Mais est-ce que vous avez l'impression qu'à un moment donné il y avait eu, peut-être dans les années soixante-dix, quatre-vingt, sous la loi 101, l'idée qu'au Québec ça se faisait en français puis que la langue commune, nationale, c'était le français, et que là, maintenant, c'est vos collègues, vos voisins immédiats, allophones ou anglophones, qui reculent, qui ont comme fait le bris, que ce mode de vie français au Québec, là ils se disent: Tiens, si le bilinguisme institutionnel, qui est devenu monnaie courante – les municipalités, le gouvernement aussi – entraîne aussi le bilinguisme fonctionnel...

Moi, j'ai l'impression – puis j'aimerais ça savoir votre opinion là-dessus – qu'il y a eu, à un moment donné, un effet qui avait été accepté par vos voisins, puis que, là, lentement, le bilinguisme institutionnel a entraîné le bilinguisme fonctionnel, puis là, maintenant, il y a comme un recul du côté – je ne parle pas des Galganov – de vos voisins immédiats, paisibles et heureux, qui disent: Bon, bien, là, maintenant, oui, c'est le numéro «twenty-five», puis il la veut, sa crème à glace, puis «that's it». Tenez-vous-le pour dit. Est-ce qu'il y a comme un effet «backlash», un retour?

M. Plante (Jean-Guy): Je me sens très difficilement capable de répondre à l'ensemble de cette question, parce que nous sommes des individus, et il y en a qui nous rapportent toutes sortes de choses. Il est entendu que, occasionnellement, nous rencontrons des gens racistes, mais, fondamentalement, je ne pense pas qu'il y ait eu un si grand retour que ça. Il y a, chez les commerçants qui ont été pressés... Les commerçants du Fairview, vous savez, si vous aviez été là, les gens qui criaient: Écoute, mon commerce va prendre... Même quand on s'appelle Eaton, ce n'est pas intéressant. Et, si vous avez remarqué, dans les vidéos, ces gens-là... Quoique on n'a pas fait l'affichage intérieur, pardon. Ces gens-là avaient laissé l'affichage bilingue jusqu'en septembre... pas septembre, c'est en juin que ça a commencé... jusqu'en juin dernier. Ce n'était sans doute pas un choix de langue, c'était un choix de commodité, c'est tout.

Et je n'ai pas l'impression... Je rencontre, évidemment, des gens qui nous appellent puis, bon, qui nous parlent très rudement, mais la majorité... Rarement ça m'est arrivé, sur 10 téléphones que je reçois, après une conversation d'une demi-heure, que ces gens-là... Huit sur 10, après, ils ne sont pas très contents, mais ils comprennent ce qu'on fait. Et là le contact auprès des gens – je ne peux pas aller rencontrer toute la population – ce qu'on a comme retour, ce n'est pas si désagréable que ça, ce n'est pas si... je cherche un mot prudent à employer... ce n'est pas un refus. Il y en a toujours qui disent: Ah oui! moi, j'aime bien le français, et, deux minutes après, ils continuent à te parler en anglais parce qu'ils ne veulent pas parler français. Ça, on en a. On en a aussi qui ont peur de parler français, de peur des voisins, et ça, c'est réel, hein: Bon, ne parle pas français trop fort, ici: c'est plein d'Anglais. Au contraire, les Anglais, ils parlent l'anglais quand ils veulent, on ne devient pas paranoïaque parce qu'on entend parler Anglais. Et là on peut parler français, nous aussi.

Je voudrais ajouter que, si on faisait une enquête, j'ai l'impression qu'on découvrirait une grande partie des gens, même anglophones, qui sont d'accord même avec l'affichage unilingue français. Mais là je ne voudrais pas, parce qu'il y a certainement des personnes d'organismes anglophones qui vont venir me planter – excusez le jeu de mots, je l'ai entendu assez quand j'étais jeune – qui vont dire: C'est absolument faux. Je pense que, bien au contraire... Comment, pendant 10 ans, au fil des jours, a pu s'installer un affichage unilingue français dans l'Ouest-de-l'Île? Regardez les cassettes. C'est encore mieux que dans des quartiers de Montréal. Et il n'y a pas eu de bombe nulle part, et on n'a pas fait de manifestation au Fairview. Ça veut dire que ces gens-là ont accepté bien des choses. Et, dans le texte que j'ai mentionné, je reconnais que ces gens-là ont fait d'énormes pas. Je ne peux pas dire le contraire, je ne serais pas honnête et je ne serais pas en paix avec moi-même.

(10 h 50)

En même temps qu'il y avait – je voudrais terminer avec ça, parce que je ne pense pas avoir beaucoup d'autres choses à dire – les grandes manifestations dont vous avez parlé tout à l'heure, il y a un commerce, une petite boulangerie qui s'est installée au coin du boulevard des Sources et... j'oublie l'autre rue, là... Brunswick... disons une rue très passante. Il a mis tout son affichage en français et a installé des tables à l'extérieur. Et ce petit commerce, depuis qu'il est ouvert, roule très bien. Je me dis: Bien, il devrait y avoir quelque anglophone qui devrait grimper dans les rideaux: Hé! monsieur, venez faire un tour ici, ça n'a pas d'allure, la boulangerie Exetras, e-x-e-t-r-a-s!

M. Paillé: J'espère que c'est un «plan Paillé».

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Plante (Jean-Guy): J'ai reconnu votre signe, monsieur. Je comprends le langage non verbal, monsieur.

Le Président (M. Garon): Alors, merci. Alors, la parole, maintenant, est au député de l'opposition, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. M. Plante, l'opposition vous remercie pour cet excellent mémoire. Mais, en mon nom personnel, je voudrais aussi vous féliciter pour le travail consciencieux que vous faites depuis 15 ans afin d'assurer la promotion du français dans l'Ouest-de-l'Île. Lorsque j'étais président de la Commission de protection de la langue française – parce que j'ai été président de cette Commission-là – j'ai pu constater – nous nous étions d'ailleurs rencontrés à l'époque – avec quel sérieux vous aviez épousé la cause que vous défendez toujours. Donc, je vous transmets mes félicitations personnelles.

J'aurais maintenant une question à vous poser. Vous recommandez au gouvernement de modifier l'article 52 en y ajoutant le mot «uniquement», ce qui veut dire uniquement en français, donc un renforcement de l'unilinguisme français. Plusieurs recommandations et suggestions du mémoire vont d'ailleurs dans ce sens. Vous seriez donc en faveur d'un renforcement de la loi 101 originelle. Je parle de la loi 101 qui a été parrainée par mon collègue, le député de Bourget. Il faut donc comprendre que vous souhaiteriez que... Ma question est celle-ci: Souhaitez vous l'abrogation de l'article 89, article de la loi 101 originelle, qui ouvrait une fenêtre, une large fenêtre, bien avant la loi 86, n'est-ce pas, sur l'utilisation d'une autre langue? J'ai l'article ici, devant moi. Je ne vais pas vous le relire parce que vous le connaissez aussi bien que moi.

Donc, je répète ma question: Dois-je comprendre que ce que vous souhaitez, en plus de l'abrogation de la loi 86, comme vous venez de nous le dire, c'est l'abrogation de l'article 89, donc une loi encore plus restrictive que la loi 101 originale, et, je le répète, l'abrogation d'un article de la loi telle que parrainée par le député de Bourget, et non par notre ancien collègue, M. Ryan, à l'époque où il parrainait la loi 86? Je pense que c'est très important que vous nous clarifiiez votre pensée là-dessus, parce qu'il y a dans votre mémoire des... disons que j'ai cru comprendre qu'il y avait un souhait de formulé dans votre mémoire, et j'aimerais que vous puissiez le clarifier, ce souhait, à l'intention de mes collègues parlementaires. Merci.

M. Plante (Jean-Guy): M. Laporte, j'admire l'habileté avec laquelle vous m'offrez en pâture M. Laurin. Je pense bien que j'ai beaucoup de respect pour M. Laurin. Je pense bien qu'il doit s'apercevoir qu'il y a peut-être, avec tout le respect que je dois à M. Laurin, qu'il y a peut-être eu, je ne dirais pas des grands oublis, mais des petits oublis qui, à la longue, ouvrent une grande fenêtre. Et, si vous me demandez précisément: Est-ce que nous sommes plus restrictifs que la loi 101, je pense qu'on pourrait ajouter ça, mais j'aurais l'impression d'être un peu prétentieux. Si vous me demandez si je propose d'enlever l'article 89 – c'est bien ça que vous m'avez demandé aussi – je ne pense pas. Malgré que nous l'ayons critiqué, je ne pense pas que nous devrions l'enlever, parce que ça permet au législateur de s'adapter aux circonstances, s'il y a lieu, et particulièrement quand il s'agit d'éléments qui se rapportent aux communautés culturelles. C'est facile de faire des grandes lois... Alors, enlever le 89 totalement? Je pense que la sagesse du législateur avait pensé qu'il était mieux de le laisser là. Mais, avec tout le respect qu'on doit à ce législateur qui a fait la loi 101, nous nous permettons d'ajouter qu'il y a une fenêtre qui s'est ouverte à petits pas et qui ne nous apparaît pas très bonne pour la sauvegarde du français. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question malgré tout.

M. Laporte: Parfaitement, monsieur. M. le Président, est-ce que je pourrais maintenant m'adresser à la ministre de la Culture et des Communications, députée de Chambly?

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Laporte: Mme la ministre, plusieurs des personnes et organismes entendus hier et ce matin la Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île réclament une loi plus restrictive, plus rigoureuse que la loi 101 originelle, celle qu'avait parrainée mon collègue, le député de Bourget. Ma question est la suivante. Vous avez beau dire, Mme la ministre – je vous entendais hier à la télévision – que rien de ce que vous avez entendu jusqu'ici ne vous incite à envisager des changements, à changer votre fusil d'épaule, n'est-ce pas, il me semble qu'on pourrait être justifié de vous demander: Que pensez-vous, Mme la ministre... Que pense la ministre de toutes ces propositions visant...

Le Président (M. Garon): Vous vous adressez à la ministre, mais toujours à travers la présidence.

M. Laporte: M. le Président, qu'est-ce que Mme la ministre pense de toutes ces propositions visant à rendre la Charte encore plus restrictive qu'elle ne l'était dans sa version originelle? Je ne demande pas à la ministre de nous dévoiler ses secrets, mais je pense qu'il faut qu'elle cesse d'essayer de faire croire au public qu'il ne se dit rien dans cette commission parlementaire qui l'ébranle, alors que l'on y entend des choses importantes sur une révision de la loi originelle.

Donc, que vous décidiez de répondre à ma question maintenant, je pense que je n'en fais pas un besoin absolu, mais j'imagine que, dans vos remarques finales, vous voudrez, Mme la ministre, clarifier cette question à l'intention de l'opposition. Merci, M. le Président.

Mme Beaudoin: Est-ce que je peux répondre, M. le Président?

Le Président (M. Garon): Oui.

Mme Beaudoin: Je dois dire que mon attitude, à l'heure actuelle, c'est de tenter... Quand j'ai dit ce que vous venez d'évoquer, j'avais entendu deux groupes seulement, on commençait. Alors, ce que j'avais entendu hier matin... On a eu hier après-midi une séance intéressante; hier matin elle l'était bien sûr aussi. Ce matin, moi, je dois dire que je suis très, très sensible à la situation et, je l'ai dit tout à l'heure très sérieusement, à ce que les francophones de l'Ouest-de-l'Île viennent de nous présenter, mais qu'il est bien clair dans mon esprit qu'il y a une proposition, il y a un énoncé de politique, il y a un projet de loi, mais que la commission parlementaire... Donc, j'écoute, et c'est à la fin de la commission parlementaire, suite à la commission parlementaire, après la commission parlementaire que les conclusions éventuelles pourront être tirées et que, mettant tout ensemble ce qu'on aura entendu de part et d'autre, je serai en mesure de les présenter au Conseil des ministres et, bien sûr, à l'Assemblée nationale, puisque le projet de loi n° 40 est là, amendé ou non, et l'énoncé de politique bonifié. Mais, pour l'instant, il est bien évident, donc, que j'écoute attentivement, que je lis les documents et que j'essaie de poser des questions pour m'éclairer de la meilleure façon possible.

M. le Président, cependant, en terminant, j'aimerais dire une chose: Moi, ce qui m'a surprise, c'est le recul de nos amis d'en face, le recul de nos amis d'en face. Parce que, quand j'entends le député d'Outremont me dire qu'il ne sait plus ce que c'est que le français langue commune, alors qu'il était justement directeur de la recherche à la commission Gendron, que la première recommandation de la commission Gendron avec laquelle il a été solidaire, c'était justement le français langue commune au Québec et que, par ailleurs, en 1990, comme je l'ai expliqué, le Parti libéral a beaucoup participé à cette définition et à ce concept de langue commune... Alors, par conséquent, c'est ce recul qui me fait dire qu'ils sont très mal à l'aise, finalement. Pendant qu'on écoute, vous, vous reculez. Alors, voilà, moi, c'est mes commentaires pour l'instant.

(11 heures)

M. Laporte: M. le Président, est-ce que je pourrais intervenir pour faire une précision? Vous me permettez?

Le Président (M. Garon): Bien, c'est toujours avec la permission des députés, parce que normalement on interroge les témoins. Mais, moi, je n'ai pas d'objection si...

M. Laporte: Mais là la ministre me porte des intentions, n'est-ce pas. Il ne faudrait tout de même pas que ça circule trop largement sur le territoire.

Sur la notion de la langue commune, Mme Beaudoin, je n'ai jamais changé d'avis. Si vous entendez par la langue commune ce que vous répétez maintes fois dans votre texte, qu'il s'agit de la langue de convergence, n'est-ce pas, dans un nombre important de situations d'interface publiques entre locuteurs de différentes langues, je suis d'accord avec vous. Mais, si vous entendez par la langue commune une langue d'usage universel dans tous les contextes publics, eh bien, à ce moment-là, je vous répète que non seulement c'est irréaliste, mais ça pourrait même être dangereux. Et c'est sur ça que je voudrais qu'on s'entende. Donc, dans mon cas, il n'y a aucune ambiguïté, aucune ambivalence, mais c'est dans la notion utilisée qu'il me paraît y avoir un besoin urgent de clarification.

Mme Beaudoin: Si je comprends bien, M. le Président, vous êtes d'accord avec la définition qu'il y a dans l'énoncé de politique.

M. Laporte: Ah non! Non.

Mme Beaudoin: Ah! Vous n'êtes pas d'accord?

M. Laporte: Ah non! Je suis d'accord... Dans votre énoncé de politique, madame, vous oscillez d'une notion à l'autre: vous parlez à l'occasion de langue de convergence, vous parlez à l'occasion de langue commune. Je vous le répète, si vous entendez par langue commune celle dans laquelle les locuteurs doivent converger dans des contextes nombreux de communication publique, je suis dans la... c'est une tendance qu'on observe déjà abondamment au Québec. Mais, si vous entendez par langue de convergence une langue d'usage vers laquelle, universellement, il faudra converger, je pense qu'à ce moment-là vous tombez dans un excès que certains des présentateurs de mémoire vous ont souligné.

Mme Beaudoin: Bon. Alors, M. le Président, pour qu'on s'entende bien... J'ai le réflexe maintenant, ça fait un an... ça fait deux ans. Deux ans. Ça passe vite. Alors, page 35, il y a: «La langue commune correspond alors aux caractéristiques suivantes...» Il y en a trois. Est-ce que l'on s'entend là-dessus?

M. Laporte: Madame, j'ai relu le texte 25 fois et je dois vous avouer – évidemment, c'est peut-être mon niveau de compréhension qui est fautif – que je trouve toujours que vos trois critères de définition pèchent par manque de clarté.

Mme Beaudoin: Ah! Alors, on pourra les lire, les regarder – parce que, quant à nous, c'est très clair – et même les bonifier, puisque nous sommes là pour ça. Alors, vous nous présenterez des amendements à l'énoncé de politique pour clarifier la notion de langue commune.

M. Laporte: Si vous le souhaitez, madame.

Mme Beaudoin: Bien oui, absolument. Alors, on verra si on est d'accord. Mais, pour nous, c'est clair. Et, moi, ce que je vous ai entendu dire hier à Alliance Québec, ce n'est pas ça du tout. Ce n'était pas ça du tout. On pourra relire les...

M. Laporte: Bien, là, madame, il faudrait que vous m'écoutiez plus attentivement.

Mme Beaudoin: Ah! Je vous écoute très attentivement. Je dois dire que, d'ailleurs, j'ai plus appris de choses sur vous hier que sur la politique du Parti libéral, M. le député d'Outremont. Alors, maintenant, je suis très au fait.

Mme Frulla: M. le Président...

Le Président (M. Garon): Alors, comme le temps est écoulé pour le mouvement Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île et comme le député d'Outremont, sur son temps qui est terminé, voulait questionner Mme la ministre... Je n'ai pas eu d'objection, mais je dois rappeler le mandat de la commission: c'est de demander aux gens qui viennent nous rencontrer ce qu'eux en pensent. Nous autres, on va avoir tout le temps de dire ce qu'on pense dans les semaines qui viennent. Alors, je voudrais remercier les représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île.

Et, maintenant, je vais demander aux représentants du Mouvement Impératif français de venir à la table des témoins pour commencer leur présentation, en leur disant qu'ils ont une heure, normalement: 20 minutes pour faire leur allocution, 20 minutes pour les députés ministériels, 20 minutes pour l'opposition officielle, et que le temps qu'ils prennent en plus est soustrait du temps des deux partis, ministériel et de l'opposition officielle, pour poser leurs questions.

Alors, je n'interviens pas pour rappeler, parce que je calcule... je ne me considère pas du tout comme une maîtresse d'école. Je l'ai dit au début, si les gens dépassent leur temps, bien, c'est autant de temps de moins qu'ont les partis pour les interroger; et, s'ils en prennent moins, bien, il y a autant de temps de plus pour les interroger. Parce que le but de la commission, c'est que les témoins viennent nous dire ce qu'ils pensent du projet de loi n° 40 et du document de consultation qui a été déposé par la ministre de la Culture.

Alors, si vous voulez, le porte-parole du Mouvement Impératif français peut se présenter, présenter les gens qui l'accompagnent et nous présenter son allocution.

Une voix: Vous feriez un meilleur professeur d'école qu'une maîtresse d'école, humblement.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Non, mais je voulais parler de l'aspect...

Des voix: Ha, ha, ha!


Mouvement Impératif français (MIF)

M. Perreault (Jean-Paul): M. le Président, messieurs, mesdames, c'est avec plaisir que nous avons accepté de venir vous présenter nos commentaires, nos recommandations sur un sujet, un enjeu, je pense, fort important pour l'avenir de la langue française, l'avenir de la francophonie en Amérique du Nord et en terre québécoise. Avant de me rendre plus loin, je vais vous présenter les collègues qui sont avec moi aujourd'hui, deux membres d'Impératif français: Mme Marie-José Gagnon, ici, à ma droite, et M. Benoît Campeau, également membre d'Impératif français.

Vous n'êtes pas sans savoir que, lors des dernières négociations du GATT, les pays francophones ont dû négocier et obtenir une exception culturelle. Je pense que c'est dans cet état d'esprit et dans cette perspective que nous devons regarder la situation de la langue française au Québec, et on doit situer le débat à l'intérieur de cette nécessité évidente d'obtenir ou d'élargir le sens donné, là, à cette exception culturelle lors des négociations du GATT.

Je pense que la situation de la langue française en Amérique du Nord, que l'on a souvent appelée «la bataille du français», nous amène à réfléchir très sérieusement, et c'est la raison pour laquelle nous avons voulu la regarder d'abord dans une perspective, la perspective canadienne, et c'est la première partie du mémoire que vous avez en main. Si vous allez à la page 2 du mémoire, au tableau 1, vous verrez, de toute évidence, que la langue dominante en termes d'assimilation et de transferts linguistiques – et là nous parlons du Canada et du Québec – dans l'ensemble canadien... Nous pouvons facilement voir, là – et ces statistiques proviennent d'un organisme fédéral, un organisme canadien, Statistique Canada – vous pouvez facilement constater que l'assimilation linguistique joue nettement en faveur de la langue anglaise, à un point tel que le nombre de citoyens de langue maternelle anglaise au Canada voit son nombre augmenter de 2 129 330, soit le tiers de la population francophone au Canada, grâce aux transferts linguistiques en provenance des francophones et des allophones.

Vous savez très bien que le gouvernement canadien a une politique de multiculturalisme, mais ce multiculturalisme, examiné à la lumière des statistiques en provenance de Statistique Canada, établit assez clairement qu'il favorise un glissement pour le moins évident vers l'apprentissage de la langue nettement majoritaire.

En passant, j'en profite pour dénoncer ce que nous appelons le faux concept de minorité anglophone. Vous savez, sur un continent où il y a 300 000 000 d'Anglo-Saxons, je ne vois pas comment on peut prétendre à l'existence d'une minorité anglophone, une minorité qui profite du statut qui lui est conféré par la Loi sur les langues officielles pour usurper un statut de minoritaire et réclamer encore plus de pouvoirs pour faire avancer l'anglicisation au sein même du principal foyer de la francophonie en Amérique du Nord qu'est le Québec. Vous allez comprendre avec moi qu'il s'agit d'une véritable manipulation politique qui ne peut nuire... qu'à limiter les dégâts, et vous le voyez dans les statistiques, vécus par la langue française en Amérique du Nord, incluant le Québec.

(11 h 10)

Si vous regardez le tableau 2, encore une fois il s'agit bien d'assimilation, il s'agit bien, encore une fois, de multiculturalisme. Il y a au Canada 16 311 000 citoyens, au recensement de 1991, qui se sont déclarés de langue maternelle anglaise. Et pourtant il y en a 18 440 000 qui déclarent parler principalement anglais à la maison, ce qui vient augmenter... briser l'équilibre – brisé, il était déjà brisé d'avance, là – aggraver le déséquilibre linguistique entre les deux principales communautés. Vous voyez bien que le poids de l'anglophonie canadienne est augmenté de 7,9 % grâce aux transferts linguistiques, alors que le poids des citoyens de langue maternelle française va diminuant, aggravant ainsi encore tout le phénomène de déséquilibre. Juste sur une période de 40 ans, de 1951 à 1991, vous remarquerez, selon les statistiques du même organisme, un organisme fédéral, que le poids relatif des francophones est passé, au Canada, de 29 % à 24 %, une chute de 5 %, ce qui représente à peu près une chute de 25 % du poids relatif des francophones au sein de l'ensemble canadien. Ce n'est pas sans raison que nous avons titré cette partie-ci du mémoire «Le Canada... "anglais"».

Et vous passez au tableau 3. Bien qu'il n'y ait que 16 311 000 citoyens de langue maternelle anglaise, aussi incroyable que cela puisse paraître, il y en a, au Canada, 18 106 760 qui confessent, admettent ne parler que l'anglais. Alors, écoutez, là, je pense qu'en termes de conséquence de la politique des langues officielles, en termes de conséquence du multiculturalisme, en termes de conséquence de la vision d'une seule nation, je pense que les statistiques en elle-mêmes sont troublantes et je vous demande, s'il vous plaît, de sortir des considérations partisanes dans l'examen de cette situation-là. Je pense que c'est en soi suffisamment troublant pour exiger des élus des gestes responsables pour mieux protéger et, j'espère, promouvoir la langue et la culture d'expression française.

L'intégrisme culturel, appelé ici multiculturalisme, remplit donc à merveille son mandat d'intégration au Canada anglais. En termes de connaissance des langues officielles, puisque nous parlons du Canada, l'unilinguisme anglais se porte superbement bien: 91,5 % des anglophones du Canada sont unilingues anglais, alors que 40 % des francophones affirment pouvoir parler anglais. Du point de vue canadien, le bilinguisme est sans contredit une réussite, puisqu'il permet aux anglophones de parler leur langue et aux francophones de parler la langue de l'autre. L'harmonie règne dans ce sens-là.

Les ravages faits à la langue française sont encore plus graves si on examine la situation des francophones du Canada hors Québec. Vous remarquerez qu'au recensement de 1991 il y avait encore 976 000 citoyens se déclarant de langue maternelle française, alors que de ce nombre il n'y en avait que 635 000 qui déclaraient encore parler le plus souvent le français à la maison: un taux d'assimilation de 35 %. Mais vous remarquerez que c'est probablement beaucoup plus élevé, parce qu'il y a plusieurs francophones maintenant qui se disent de langue maternelle anglaise, ayant fréquenté l'école anglaise.

Contrairement à ce que certains esprits cyniques et frondeurs laissent entendre, la langue anglaise se porte à merveille au Canada. La politique canadienne des langues officielles mettant les deux langues sur un même pied est de la poudre aux yeux. Il faudrait plutôt dire que la politique canadienne consiste à mettre les deux pieds sur la même langue. Et vous comprendrez que ce commentaire est fondé sur un constat statistique. Si ce n'était pas l'intention du législateur, il reste que le résultat est troublant. Sous les apparences d'un gouvernement qui cherche à projeter aux yeux de l'opinion canadienne et internationale l'image d'un pays francophone ou bilingue se cache une toute autre réalité: le Canada est anglais.

Regardons maintenant dans la capitale, Ottawa, la capitale des deux langues officielles, la capitale canadienne, qui devrait être un modèle de cohabitation et d'harmonie, un modèle quant au concept canadien des deux langues officielles. L'ensemble canadien se comporte comme sa capitale fédérale. Regardez bien le tableau 5. Alors qu'il y a 202 488 citoyens de langue maternelle anglaise dans la capitale fédérale, Ottawa, il y en a 238 000 qui se disent avoir comme langue d'usage l'anglais, soit un gain de 35 000, 17 %. Le français, capitale fédérale à la frontière du Québec: 52 000 citoyens de langue maternelle française pour 37 000 qui disent encore parler le plus souvent français à la maison, une baisse de 27 %. Encore une fois, je vous demande de sortir du discours partisan. Ce sont des statistiques implacables. C'est ça, c'est une réalité. Je pense qu'il y a un message bien clair et j'espère qu'il sera entendu.

Le tableau 6 montre qu'à Ottawa, tout comme dans le reste du Canada, la majorité se «majorise» de plus en plus, en termes de transferts et de dominance, tandis que la minorité est de plus en plus «minorisée». La langue anglaise s'officialise et la langue française de désofficialise davantage.

Le poids relatif, maintenant, francophones, anglophones et allophones, au sein de la capitale des deux langues officielles, vous verrez qu'encore une fois le poids relatif des anglophones augmente de 11 %, alors que le poids relatif des francophones diminue de 4,56 %.

Si vous regardez au tableau 7, alors qu'il y a 202 000 citoyens de langue maternelle anglaise, de ce 202 000, il y en a 91 % qui confessent ne parler que l'anglais comme langue officielle. Par contre, chez les francophones, il y a 52 000 citoyens de langue maternelle française, il n'y en a qu'à peu près 5 000 qui révèlent ne parler que le français, soit une proportion de 9 %. 97 % des citoyens de la capitale fédérale sont en mesure, peuvent parler anglais. Les anglophones continuent de ne parler qu'anglais, et certains francophones, qui parlent souvent cette langue mieux que la leur, s'en accommodent parfaitement. L'harmonie règne et sert d'exemple à l'ensemble canadien, ou l'ensemble canadien sert d'exemple à la capitale fédérale: «Everything is fine!»

Le gouvernement canadien – et là je cite le Commissaire aux langues officielles – par sa fonction publique fédérale interposée, sert d'exemple à l'ensemble canadien. Corroborant cette réalité, le Commissaire aux langues officielles écrivait dans son rapport de 1994, et je le cite: «Les années passent, mais le dossier de la langue de travail dans l'administration fédérale reste au même point: c'est la langue au bois dormant.» Quels seront les princes qui, par leurs baisers, sauront réveiller la belle – la langue française – et éloigner les mauvais sorts que lui ont jetés de répugnantes sorcières?

Le Canada et sa capitale sont de très mauvais citoyens francophones. Je pense que la preuve, c'est que le Canada anglicise les francophones. Honteux, confus, à notre avis, le gouvernement fédéral cherche à corriger la situation. Comment? Par hégémonie territoriale, en créant sa vaste région de la capitale fédérale, englobant certaines villes et villages du côté québécois, qui, de ce fait, deviennent soumis aux mêmes forces d'assimilation linguistique. Ainsi, la vraie capitale du Canada, Ottawa – qu'il faudrait d'ailleurs appeler capitale fédérale et non pas capitale nationale – peut demeurer unilingue. Si le gouvernement canadien avait voulu sauvegarder le caractère unilingue anglais d'Ottawa, il n'aurait pas procédé autrement.

Et, soit dit en passant, il n'y a pas lieu de s'étonner. Au moment où je vous parle, la Fédération des communautés francophones et acadienne et l'ACFO, l'Association canadienne française de l'Ontario, font des pressions pour qu'on utilise le français au sein même de la capitale fédérale, qui, dans son paysage linguistique, est loin de refléter ce que le gouvernement canadien affirme pourtant vouloir être: la dualité canadienne. Croyez-moi. Et, là-dessus, nous les appuyons, puisqu'il s'agit bel et bien de la capitale canadienne dont il est question.

Je passerai sur le favoritisme et l'iniquité en vous demandant si vous avez le goût de faire des appels à frais virés.

(11 h 20)

Le Québec n'est pas exempté. Le tableau 9: Évolution du poids relatif des francophones et des Québécois. Écoutez, c'est troublant, ça, là. Regardez: francophones, Canada et Québec, le poids passe de 29 % à 24 % sur une courte période de 40 ans – 40 ans, là, c'est court dans l'histoire d'un peuple; le poids relatif des Québécois passe de 29 % à 25 %; et le poids des francophones hors Québec passe de 7,3 % à 4,8 %, toujours sur une brève période de 40 ans.

Au plan linguistique, le Canada se révèle également être un mauvais citoyen québécois. L'influence canadienne a des répercussions dommageables sur l'identité québécoise. Le Canada anglicise le Québec. Il suffit de penser, par exemple, à la langue de travail au sein de la fonction publique fédérale et à tous ses effets d'entraînement en territoire québécois. Le supranationalisme canadien, la théorie d'une seule nation niant l'existence de toute autre nation, affaiblit la vitalité tant nécessaire aux signes distinctifs et aux caractéristiques de la nation québécoise, notamment la langue, et, évidemment, a des effets d'entraînement quant au conflit entre l'approche une langue officielle au Québec et celle de deux langues officielles au gouvernement fédéral.

Également, au Québec, bien qu'il y ait eu progrès, il reste qu'en 1991, selon Statistique Canada, il y a encore 40 % d'Anglo-Québécois qui pratiquent un unilinguisme béat. Imaginez-vous cette pression linguistique que l'unilinguisme anglais exerce au jour le jour, dans le quotidien. Ces gens-là ne sont pas sans avoir d'effets d'anglicisation. Nous connaissons tous, d'ailleurs, des Anglo-Québécois qui sont nés au Québec ou qui s'y sont installés depuis quelque temps et qui, encore aujourd'hui, ne disent pas un seul mot de français, ou refusent de le parler – c'est la même chose.

Bien que représentant 10 % de la population québécoise, la communauté anglophone attire à elle seule 70 % des transferts linguistiques: pas si mal pour une minorité qui se dit non respectée au Québec. Les transferts linguistiques viennent gonfler l'importance de la communauté anglophone de 22 %, comme le montre le tableau 10, vous pourrez remarquer.

Question compromis. Peut-être qu'on peut s'ouvrir à un compromis: je pense que Montréal pourrait être aussi anglaise que Toronto, Halifax ou Vancouver sont françaises. Je pense que ça pourrait être un point de départ de négociation dans l'équilibre linguistique. Ou encore que le Québec pourrait être aussi anglais que Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse ou l'Ontario sont français. D'ailleurs, vous remarquerez les commentaires du président du gouvernement de la Catalogne, qui disait que, lorsqu'il n'y a pas de frontière pour protéger une langue, il faut s'en remettre à ceux qui la parlent et à la législation pour aider et aux politiques linguistiques pour la protéger.

L'avant-dernier paragraphe: le retour au bilinguisme institutionnel. Tout récemment, Eaton, La Baie et Sears – et on pourrait continuer – ont abandonné l'engagement qu'elles avaient pris lors de l'adoption de la loi 86, c'est-à-dire de ne pas retourner à l'affichage systématique en anglais, de ne pas retourner à l'anglicisation systématique. Dans certains cas, leur comportement à l'égard de la protection de la langue française a été modifié uniquement par un seul coup de téléphone. Et imaginez, dans notre cas, combien de travail ça nous a pris pour réussir à faire apparaître, bien des fois, un peu de français sur les vitrines des établissements commerciaux, ce que nous encourageons depuis de nombreuses années.

Là, il y a quelque chose de troublant dans la façon d'agir, entre autres de ces grandes compagnies. Et je pense qu'il est important de leur rappeler l'engagement qu'elles avaient pris, à l'époque du ministre Ryan, qu'elles ne retourneraient pas à l'affichage systématique en anglais. Et ce qui est doublement troublant, c'est qu'actuellement le chantage continue. Sans l'ombre d'un seul doute, le gouvernement du Québec doit adopter une politique linguistique appuyée d'une charte «plus plus» qui relancera la francisation du Québec.

Regardons maintenant la situation de l'Outaouais. Vous savez qu'Impératif français est un organisme qui a son siège social en Outaouais. Ce n'est pas sans raison qu'Impératif français a vu le jour en Outaouais. Je pense qu'il y a une dynamique linguistique, un environnement linguistique, un aménagement linguistique bien particulier dans l'Outaouais. Et, encore une fois, les statistiques viennent montrer, si vous regardez le tableau 13 par exemple, qu'encore une fois les pertes nettes du français – parce qu'on parle de solde net – c'est des pertes, des glissements vers la langue anglaise, même en Outaouais. Et pourtant les anglophones en Outaouais ne représentent que 13,18 % de la population – nous parlons de l'Outaouais, rive québécoise.

Et les transferts linguistiques viennent avantager la minorité qui, là aussi, en Outaouais, affirme être non respectée, et des fois même persécutée, et qui utilise abondamment le faux concept de minorité pour tenter de faire avancer l'anglicisation dans une région où les transferts, le constat statistique des véritables déplacements, en termes de mobilité, ne vient pas avantager la langue française en tous les cas, mais vient avantager la langue anglaise. Même si les anglophones ne représentent que 13,18 % de la population, ils attirent à eux toujours plus de 56 % des allophones, qui optent pour l'anglais comme langue parlée à la maison. Selon certaines personnes qui travaillent dans le secteur de l'intégration des immigrants, elles nous confiaient que ce phénomène d'attirance de l'anglais reprendrait de la vigueur au moment où on se parle.

L'analyse de la situation démolinguistique de la région urbaine de l'Outaouais pose le problème de l'unilinguisme anglophone – il ne faut pas sous-estimer les effets de l'unilinguisme anglophone – et de ses effets sur le milieu ambiant. La fonction publique fédérale, l'ouest du Pontiac, où j'étais lundi – d'ailleurs, vous regarderez dans les coupures de journaux – la Basse-Gatineau, le centre-ville de Hull, Aylmer sont autant de viviers linguistiques où l'anglicisation est sans cesse à l'oeuvre, bien qu'elle soit minoritaire... enfin, minoritaire dans le sens... La population anglophone de l'Outaouais ne voit pas la nécessité de parler le français, si bien que plus de 46 % d'entre elle admet ignorer la langue commune des Québécois. Et, à ce nombre, il faudrait ajouter tous ceux qui refusent de le parler.

Tableau 16. Il faudrait voir – c'est disparu lors de l'impression du texte – «Outaouais» en haut de la première colonne et «Québec» en haut de la deuxième colonne, à la page 11. Vous verrez que, dans le domaine des transferts linguistiques francophones et anglophones, l'Outaouais serait responsable de 53,7 % du solde net des transferts vers l'anglais, langue dominante. La fonction publique fédérale en Outaouais dicte le modèle de société suivi par plusieurs autres. Elle embauche des gens parfaitement incapables de parler français. La langue de travail du principal employeur n'est pas la langue commune du Québec. Ne nous laissons pas distraire: l'Outaouais, tout comme Montréal, a grandement besoin de mesures de protection linguistique cohérentes de la part de toutes les instances responsables. Le discours social contemporain doit résolument en tenir compte.

Par ailleurs, confiner l'enjeu linguistique à la région de Montréal serait inviter les autres régions du Québec à une acceptation de l'érosion culturelle, qui est un phénomène encore plus prononcé, et de l'assimilation linguistique dont elles sont encore aujourd'hui victimes. Nous déplorons que, dans le bilan de la situation de la langue française au Québec en 1995, le Comité interministériel n'ait pas jugé opportun d'analyser séparément l'état du français en Outaouais. Tout en reconnaissant que le Québec, principalement dans sa région métropolitaine, vit une dynamique culturelle inquiétante à maints égards, nous croyons que le Comité aurait dû se pencher également sur la situation précaire du français ailleurs au Québec, notamment en Outaouais.

En incluant l'Outaouais dans le regroupement «Ensemble du Québec» ou «Les autres régions du Québec», le bilan trace une image tronquée de la région outaouaise. Nous affirmons que la situation de la langue française dans l'Outaouais est pire que celle qui, dans le rapport, «Le français, langue commune: enjeu de la société québécoise», est réputée caractériser l'ensemble du Québec et les autres régions du Québec. Région frontalière de l'Ontario, partie intégrante de la région de la capitale nationale, l'Outaouais québécois subit quotidiennement la pression d'éléments linguistiques, économiques et culturels qui lui sont étrangers.

(11 h 30)

Selon la Charte de la langue française – j'en saute – les consommateurs ont le droit d'être informés et servis en français, et les travailleurs ont le droit d'exercer leurs activités en français. Malgré cela, des entreprises outaouaises aussi notoirement visibles que des entreprises exploitant des terrains de golf, des centres de ski, des boîtes de nuit, des restaurants persistent à recruter du personnel incapable de recevoir et de servir les clients en français. Il ne s'agit pas là uniquement de l'affichage, mais de la langue dans laquelle le client est reçu et servi.

Je veux le mentionner en passant, le poids relativement plus lourd de la fiscalité québécoise invite certains Québécois à immatriculer leur automobile dans la région frontalière ontarienne. Les Ontariens choisissant, quant à eux, de vivre au Québec pour tirer parti du coût relativement moins lourd de l'endettement immobilier qui a cours dans cette province font de même. Le sentiment d'appartenance culturelle s'en trouve évidemment profondément affecté, et ça soulève d'autres questions: Où paient-ils leurs impôts, où votent-ils?

Écoutez, nous allons à la page 15, dans le milieu, au centre. Le visage français de l'Outaouais et son appartenance québécoise ne doivent faire aucun doute. En outre, la proximité ontarienne exige que nous nous comportions fièrement comme vitrine française du Québec. En choisissant de s'établir en Outaouais, le nouvel arrivant doit voir et entendre que l'Outaouais est québécois. En bas de la page. L'Outaouais est québécois, et Québec doit se le tenir pour dit. Dans toutes ses décisions, il doit lui faire une part équitable et, lorsque la situation de celui-ci l'exige, adopter les mesures particulières qui s'imposent. De notre point de vue, il est impératif autant qu'impérieux que la législation linguistique soit développée et renforcée.

Nous allons rapidement passer aux recommandations. Il y en a 90. Nous n'en voulions pas 86, mais nous en voulions sûrement plus. Nous aurions aimé arriver à 101, mais enfin, nous en avons formulé 92 – nous en avons ajouté deux autres. Pour bien comprendre le contexte des recommandations, il faut bien savoir qu'une langue est forte à la fois si ce qu'elle véhicule est fort et que la région où on l'utilise est forte. Vous comprendrez mieux l'esprit de l'ensemble des recommandations – qui ne se veulent pas exhaustives.

Entre autres, il est demandé au gouvernement de tenir un discours politique cohérent, affirmant sans détour ni ambiguïté que le Québec est français.

Nous demandons également, à la recommandation 4, un comportement exemplaire de l'administration à l'endroit des droits linguistiques fondamentaux et de la loi.

Nous demandons, et nous sommes d'accord avec cet élément dans le projet de loi n° 40, le rétablissement de la Commission de protection de la langue française.

Nous demandons également de dépolitiser l'application de la Charte de la langue française. Avec la loi 86, beaucoup de pouvoirs qui appartenaient traditionnellement à l'Office de la langue française sont passés au gouvernement, ce qui peut soulever des inquiétudes.

La recommandation 12. Obligation pour l'administration de respecter la loi. Vous allez me dire: Oui, mais c'est déjà existant, sauf que, dans les faits, si vous venez en Outaouais, vous allez remarquer que l'administration ne respecte pas toujours la loi en affichant uniquement en français. Également, encore une fois, nous demandons à l'administration de respecter l'obligation qui l'oblige à communiquer en français avec les personnes morales.

Recommandation 14: affichage public et publicité commerciale. Afficher uniquement en français. Une application graduelle à toutes les entreprises qui emploient plus de 20 personnes de l'obligation de soumettre à l'Office de la langue française des programmes de francisation.

Le point 16, c'est un point important: adoption de mesures adéquates afin d'empêcher l'affichage de marques de commerce anglaises comme raisons sociales. Je pense qu'on touche un problème important. Les Toys'R'Us, les East Side Mario's, les Coffee Time, les Future Shop, ça, ce sont des marques de commerce utilisées comme raisons sociales, et il faudrait peut-être trouver des façons pour limiter l'utilisation de marques de commerce comme raisons sociales.

Nous sommes étonnés que les membres des ordres professionnels ne soient pas tenus de rédiger leurs documents en français. Nous sommes d'accord avec la suggestion d'avoir recours au pouvoir de suspension du certificat de francisation, mais il faudrait que ce soit plus que juste le fait de dire: Vous venez de perdre une médaille. Il faudrait que les sociétés d'État et le gouvernement puissent y ajouter certaines conséquences.

Obligation faite aux entreprises québécoises d'embaucher du personnel parlant français pour combler tout emploi en relation avec les fournisseurs, les usagers et la clientèle.

Obligation pour les entreprises sans succursale – vous allez dire que cette obligation-là existe, sauf qu'elle n'est pas respectée – ou siège social au Québec de respecter comme les autres la Charte de la langue française. Vous avez des entreprises en Outaouais, des entreprises de l'Ontario, qui n'ont aucune succursale, qui viennent distribuer au Québec du matériel publicitaire unilingue anglais. Sans compter que ces entreprises-là viennent nous solliciter chez nous pour qu'on aille acheter chez elles, et elles ne le font pas dans notre langue.

Une recommandation que nous avons ajoutée, c'est l'élargissement de l'accessibilité au service personnalisé de consultation terminologique – je crois que le but de la consultation est de promouvoir l'usage et la qualité du français – par l'abolition du tarif de 5 $ l'appel. Je pense qu'on rappelle bien que la consultation porte bien sur: promouvoir l'usage et la qualité du français. Actuellement, le service personnalisé de consultation terminologique coûte 5 $ à l'usager.

Évidemment, si on a une loi, il doit y avoir des sanctions exemplaires à l'endroit des contrevenants à la Charte.

Également, nous pensons, dans le domaine culturel... On nous rapportait que le nombre de livres par habitant au Québec serait inférieur à ce qu'il est ailleurs au Canada. Alors, on devrait voir à augmenter le nombre de livres et, donc, par conséquent, le nombre de livres en français. Pourquoi ne pas revenir à une situation où il n'existait aucune taxe sur le livre? À mon avis, le gouvernement devrait tenter de créer une situation obligeant les municipalités, toutes les municipalités, à élaborer une politique de développement culturel, ce qui les obligeraient à identifier les priorités, à définir l'avenir et également à réfléchir sur leur rôle dans le domaine de la création et du développement culturel.

Également de voir à accroître le poids des régions au sein du conseil d'administration du Conseil des arts et des lettres du Québec.

Une invitation aux médias et à tout le monde, finalement, aux parents également, à participer à la valorisation de la langue française et de la culture d'expression française.

La clause Canada. Le colmatage des brèches de la Charte qui permet aux enfants des immigrants ou nouveaux arrivants de passer facilement au système scolaire anglais. Il y a l'arrivée de la clause Canada. Il reste qu'il y a quand même au Québec une forte immigration en provenance des autres provinces, et ces gens-là, s'ils ont fait la majeure partie de leurs études, ou l'enfant, en anglais, peuvent utiliser le système anglais. On devrait peut-être trouver des façons, là, pour faciliter le passage de ces jeunes-là à l'école française.

Les COFI. C'est un outil extraordinaire, les COFI, hein. C'est un outil original, c'est un outil extraordinaire, mais je pense qu'on va devoir en valoriser davantage le rôle et le mandat, de telle sorte qu'il remplisse davantage son mandat d'intégration à la société québécoise par l'apprentissage de la langue française chez les immigrants. Alors, les COFI semblent méconnus.

Également, il est demandé à ceux qui oeuvrent dans le domaine de l'accueil des immigrants, de l'immigration, de voir, lorsqu'il s'agit d'interpréter les points d'accessibilité, là, dans la grille d'accueil des immigrants, à favoriser les candidatures francophones ou «francophonisables», de telle sorte... Parce que, écoutez, il y a des statistiques qui établissent... Exemple, on me donne ça, ici: en 1993, par exemple, le Québec a accueilli 30 500 immigrants ne parlant ni français ni anglais ou anglais seulement sur un total de 45 000; 30 500 sur un total de 45 000. Et, ça, ça vient de statistique Québec et Statistique Canada. Alors, le rôle des COFI, là, il faut bien comprendre que, dans l'intégration des immigrants, c'est bien important d'en valoriser le rôle de telle sorte qu'un plus grand nombre y ait accès.

Augmentation du temps consacré à l'enseignement du français aux niveaux primaire et secondaire. Je pense que les états généraux de l'éducation en reconnaissent l'importance également. La responsabilisation de tous les enseignants sur l'importance de leur rôle dans l'apprentissage du français. Encore une fois, les états généraux de l'éducation vont dans ce sens-là.

Il est également demandé que l'on réfléchisse sérieusement à la possibilité de l'enseignement d'une autre langue qu'uniquement l'anglais comme langue seconde à partir du secondaire. Vous savez très bien qu'il y a tout le contexte économique, qui est appelé à se développer davantage, de l'ALENA. D'ailleurs, il y a déjà certaines écoles privées ou certaines écoles publiques internationales qui, déjà, le font.

(11 h 40)

Également, on a parlé de l'unilinguisme anglais au Québec. Il faut donc créer les conditions qui favorisent un enseignement de qualité et l'apprentissage du français comme langue seconde dans le système scolaire anglais; 92 % des Anglo-Canadiens et 40 % des Anglo-Québécois sont unilingues.

Recommandation 47: dans les universités, mise en place des ressources nécessaires à la création de matériel didactique en français afin de répondre aux besoins de l'enseignement. Dans bien des universités et dans bien des collèges, au postsecondaire, encore des fois on retrouve trop souvent du matériel didactique qui n'est pas disponible en français.

Le Président (M. Garon): M. Perreault...

M. Perreault (Jean-Paul): Oui.

Le Président (M. Garon): ...j'ai peur que, si vous vous rendez à 90 comme ça, il n'y aura plus de temps pour les députés pour vous interroger.

M. Perreault (Jean-Paul): Allez-y.

Le Président (M. Garon): Parce que ça fait déjà près de 40 minutes.

M. Perreault (Jean-Paul): Allez-y.

Le Président (M. Garon): Hein?

M. Perreault (Jean-Paul): Oui, oui, ça va, j'imagine que le mémoire...

Le Président (M. Garon): Parce que les députés ont eu votre mémoire.

M. Perreault (Jean-Paul): Le mémoire a d'ailleurs déjà été lu, alors ça va.

Le Président (M. Garon): O.K. Alors, je vais demander à Mme la ministre, tout d'abord.

Mme Beaudoin: Alors, M. Perreault, bonjour, Mme Gagnon, M. Lafond. Je vous remercie pour votre document, parce qu'on voit qu'il a été, et depuis longtemps, d'ailleurs... vous connaissez très bien votre sujet, et je dirais que la profondeur, justement, du mémoire et la qualité de la recherche qui le sous-tend sont impressionnantes. Alors, franchement, je pense qu'on est tous très sensibles à cette situation que vous vivez. Et c'est évident qu'à vous entendre et à vous lire on comprend bien que ce n'est pas l'anglais qui est menacé au Québec, comme vous le dites d'ailleurs si bien, mais la situation du français dans une région frontalière comme la vôtre. Et on a tous, quand même, circulé à Ottawa et dans l'Outaouais, sans y vivre, mais on saisit très bien, avec les explications que vous nous donnez, ce que ça représente.

Un commentaire, puis ensuite une question. De la série de recommandations et de ce que vous avez dit, je retiens que ça recoupe partiellement les mesures préconisées par le gouvernement et par le projet de loi n° 40, dont le rétablissement de la Commission de protection de la langue française. Et je comprends bien, cependant, bien sûr, que c'est incomplet à vos yeux, que vous y ajoutez énormément de choses qu'on va prendre en considération.

Ma question, elle est double. En fait, ces deux recommandations, 59 et 60... Les pressions politiques auprès du gouvernement fédéral et des sociétés d'État afin que le français soit la langue du travail dans la fonction publique fédérale sur tout le territoire du Québec, y compris, bien sûr, dans l'Outaouais, est-ce que vous pensez que ça a des chances d'aboutir et de réussir? Ayant travaillé moi-même pendant trois ans dans une société d'État fédérale à Montréal, où, entre nous, bien sûr, au siège social de Téléfilm Canada, on travaillait en français, mais où, dès que l'on devait communiquer avec le ministère de tutelle, il y en avait toujours au moins un qui ne parlait pas français dans le groupe... Que ce soit un sous-ministre adjoint ou un directeur général, il y avait toujours un unilingue anglophone. Alors, le résultat net, c'est toujours la même chose. Historiquement... Et ça n'a pas beaucoup changé, je crois. J'ai quitté en 1990, ça m'étonnerait beaucoup, beaucoup que ça se soit amélioré. Il est évident qu'à ce moment-là tout se fait en anglais. Bon, alors, je vous pose la question: Est-ce que c'est une proposition que vous faites parce qu'il faut bien la faire, ou est-ce que vous pensez qu'il y a des chances que ça réussisse en faisant je ne sais pas quoi. Quel moyen vous nous proposez?

Et la proposition, la recommandation 60, j'aimerais ça que vous élaboriez quelques instants sur la reconnaissance de la nécessité d'adopter des mesures de francisation particulièrement énergiques dans certaines sous-régions de l'Outaouais. Est-ce que vous voyez des mesures, donc, spécifiques, distinctes de celles de l'ensemble, justement, du Québec?

M. Perreault (Jean-Paul): D'abord, quant à la recommandation 59, je vous dirai que nous avons été particulièrement choqués par l'intervention du premier ministre canadien à l'effet d'appuyer le concept de fausse minorité anglo-québécoise dans ses revendications. On sait très bien que le premier ministre canadien, s'il avait agi de façon responsable, aurait compris que, dans la dynamique nord-américaine, la langue qui a besoin d'être aidée, au moins dans les déclarations par des personnes en position importante comme un premier ministre, c'est la langue française. Et, entre autres, s'il avait voulu poser des gestes concrets pour montrer sa bonne foi, il aurait facilement pu commencer – et nous l'y invitons, d'ailleurs – par la réalité de la cohabitation des langues au sein de la capitale fédérale qui est Ottawa, ainsi que la langue de travail au sein de la fonction publique fédérale, où, là, très souvent, la seule vraie langue de travail est l'anglais. Alors, dans les deux cas, je pense qu'il n'a pas aidé, il n'a pas posé un geste responsable à l'endroit d'une langue qui a besoin de protection additionnelle. Nous parlons d'une langue parlée par 7 000 000 versus 300 000 000, et il n'a pas agi, je dirais, en premier ministre responsable d'un gouvernement. Il a agi en mauvais citoyen canadien, tel qu'on semble vouloir le définir, du moins dans l'image. Et, là-dessus, il faut lui dire, il faut l'inviter à commencer dans sa cour, dans son jardin. Et je pense que, s'il le faisait...

Vous savez, quand je disais tout à l'heure que le Québec devrait être aussi anglais que l'Ontario est français, que la Nouvelle-Écosse est française ou que Terre-Neuve ou la Saskatchewan sont françaises, je pense que, là-dessus, nous devons nous asseoir sur un Québec très français. On peut attendre longtemps, là. Nous serions agréablement surpris du contraire et nous serions agréablement contents de nous tromper. Mais, si on fait la preuve, mais des preuves évidentes et massives, qu'on francise ailleurs et que c'est vraiment possible d'être facilement francophone ailleurs au Canada hors Québec, eh bien, je pense... Alors, écoutez, quand on dit de faire des pressions, je pense qu'on se doit de les faire. Il y a quand même une réalité: il y a des francophones qui travaillent au sein de la fonction publique fédérale et des sociétés de la couronne. On se doit de les appuyer, on se doit d'appuyer la langue française. Quant à l'obtention de résultats, eh bien, écoutez, ça fait 26 ans qu'elle existe, la Loi sur les langues officielles, et on est obligé de conclure que – encore lui-même, le Commissaire, le disait dans son rapport de 1994: c'est la langue au bois dormant. Et c'est lui-même qui l'a dit.

Quant à la recommandation 60, comment peut-on s'y prendre pour des mesures particulièrement énergiques dans certaines sous-régions de l'Outaouais? Mme Beaudoin, je vous répondrais là-dessus que je pense qu'il faut moduler la répartition des ressources selon les besoins des régions. Et, à l'évidence même, il faudra par conséquent que le gouvernement, l'Office, la Commission de protection, les ministères, les bureaux régionaux des ministères en région aient des ressources additionnelles, soient sensibilisés sur l'importance de leur contribution à l'oeuvre importante de francisation et du progrès du français. La politique linguistique du gouvernement devra être plus fortement appliquée. Il devra y avoir plus de ressources en Outaouais, je pense que ça va de soi, et je dirais de même pour Montréal, ou d'autres régions frontalières qui vivent un problème plus évident, là, d'anglicisation.

Le Président (M. Garon): Dr Laurin, mais je vais vous faire remarquer qu'il reste trois minutes.

M. Laurin: Trois minutes. Bien, je veux d'abord profiter de l'occasion pour vous féliciter du travail remarquable que vous faites pour la protection et la promotion du français dans l'Outaouais. Depuis le temps, en tout cas, que je suis dans la vie politique et que je vous observe, je pense que vous avez aidé beaucoup, beaucoup dans ce sens-là. Vous aidez encore beaucoup avec la présentation de ce mémoire extrêmement étoffé, très bien préparé et chargé de recommandations très concrètes que nous allons sûrement étudier avec attention. On pourrait penser, et peut-être que certains le diront, que votre mémoire est alarmiste, mais, moi, je dirais plutôt qu'il décrit une situation alarmante. Et je souscris à votre idée qu'il faudrait faire une étude spécifique de la situation tous azimuts sur la situation du français dans votre sous-région.

(11 h 50)

Ce qui m'a particulièrement préoccupé en vous écoutant, c'est la statistique que vous donnez sur les transferts linguistiques. Malgré que la population anglophone ne constitue que 13,18 % de la population de l'Outaouais, les transferts linguistiques vers l'anglais langue d'usage, chez les allophones, s'établissent à 58 %. C'est vraiment impossible, dans les circonstances, de penser que l'Outaouais peut devenir français au sens où nous l'entendons. Alors, j'aimerais vous demander d'expliciter un peu les vraies raisons, les raisons les plus importantes qui expliquent ce transfert aussi considérable, et, deuxièmement, brièvement, les principales mesures qu'il faudrait adopter pour limiter ces transferts à un niveau plus raisonnable.

M. Perreault (Jean-Paul): Les principales raisons, je pourrais facilement commencer par une – qui est vraie également pour l'ensemble du Québec, mais qui est davantage vraie pour l'Outaouais – c'est l'unilinguisme anglais. Vous savez, quand, dans une région, vous avez une partie importante de la population qui ne parle pas français, ces gens-là, nécessairement, ont un effet d'entraînement quant à l'utilisation de la langue anglaise. Et on sait bien que, chez les francophones, le bilinguisme étant fort et élevé, la tentation d'accommoder l'unilingue est très forte. La présence du gouvernement fédéral, qui peut être vue comme un avantage en termes d'emplois dans la situation actuelle, peut être vue sous forme d'inconvénient du point de vue linguistique et culturel, puisque, dans bien des cas, pour ne pas dire dans tous les cas, la langue de travail au sein de la fonction publique fédérale, et ce, même en territoire québécois, est la langue anglaise.

Également, les effets d'entraînement. Vous avez vu ce qui arrive dans la capitale fédérale. Ça, c'est juste de l'autre côté de la rivière. Vous avez évidemment, encore là, un taux d'unilinguisme qui frise le... je ne me souviens pas, le 92 %, 93 %, je pense, dans la capitale fédérale. Tout ça, c'est quand même une région où les deux communautés vivent, traversent la rivière, et tout ça. Ça a également des effets d'entraînement. La politique sur les langues officielles qui vient contrer l'effet de la politique de la langue officielle du Québec... On me dit d'arrêter.

Le Président (M. Garon): Le temps dévolu au parti ministériel étant écoulé, j'invite le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, nous avons combien de temps?

Le Président (M. Garon): Vous avez jusqu'à 12 h 2.

M. Laporte: Jusqu'à 12 h 2. M. Perreault, nous avons lu votre mémoire, relu votre mémoire avec beaucoup d'attention, parce qu'il contient des statistiques fort éclairantes. Mais ma question est la suivante: N'êtes-vous pas d'accord, M. Perreault, que les statistiques présentées dans votre mémoire témoignent d'une nouvelle tendance à la convergence au français qui pourrait vous rendre un peu plus optimiste que vous semblez l'être? Elles témoignent d'une situation moins alarmante que jugée dans le mémoire.

Je reprends les données de votre mémoire, quelques données de votre mémoire, les unes après les autres. Le tableau 4 nous indique qu'il y a, à l'échelle canadienne, une diffusion du français comme langue de connaissance. La langue maternelle est à 24 %, la population pouvant parler le français est à 31 %, donc une tendance vers la convergence au français comme langue de connaissance.

Au tableau 8, on observe cette même diffusion de la connaissance du français dans la capitale fédérale elle-même. Le tableau est très clair: la langue maternelle, 16,81 %, pouvant parler, 38,71 %. Donc, encore ici, une diffusion de la connaissance du français à l'extérieur du Québec, à Ottawa.

Au tableau 10, il s'agit maintenant du Québec, on observe aussi cette nouvelle tendance qui s'est manifestée ailleurs, et on la voit ici lorsqu'on observe que le français langue maternelle est accompagné du français langue d'usage, une augmentation de 66 %. Et je l'ai mentionné hier et je ne veux pas revenir là-dessus, mais les données de Statistique Canada, que ne contient pas votre mémoire, nous indiquent qu'au Québec, entre 1971 et 1986, il y a eu une augmentation du pourcentage des gens qui utilisent le français comme langue au foyer. Je ne discute pas des causes de ce phénomène, mais je vous dis qu'encore ici il y a convergence au français.

Un autre exemple de cette convergence-là, c'est au tableau 13. Évidemment, je ne veux pas vous consoler, mais je veux vous souligner que la mobilité linguistique vers le français, les pertes nettes du français entre 1981 et 1991 sont passées de 1 520 à 370.

Au tableau 15, on observe exactement cette même tendance lorsque la mobilité linguistique des allophones au Québec passe de 37 % en 1981 à 43 % en 1990. Je dis bien «une tendance nouvelle», parce que, si on regarde la question du point de vue de l'ensemble de la population, évidemment, la force de l'anglais est toujours très apparente. Mais je dis «une tendance nouvelle», et je pense pouvoir dire sans me tromper qu'il s'agit d'une tendance nouvelle qui résulte largement de l'efficience de la loi 101. Et, dans le cas de la capitale fédérale, peut-être même de l'efficience de la loi fédérale.

Donc, je répète ma question: Est-ce que le mémoire, votre mémoire ne contient pas, selon vous, quelques signes d'une diffusion du français, d'une convergence vers le français, qui serait de nature, en tout cas, puisque ça paraît être un phénomène nouveau, à vous rendre et à nous rendre un peu plus optimistes que j'ai cru comprendre que vous l'étiez dans votre rapport? Merci, M. le Président.

M. Perreault (Jean-Paul): Merci, M. le Président. Vous comprendrez avec moi que je ne souscrirai pas aux commentaires de non-réalisme du mémoire, mais, par contre, j'aimerais faire part à M. Laporte que son angélisme m'étonne, nous étonne grandement quant à la situation linguistique en Outaouais québécois et au Québec et quant à la langue française en Amérique du Nord. Ça, ça me trouble, M. Laporte, de la part d'un ancien président du Conseil de la langue française. C'est troublant, c'est inquiétant.

Allez à la page 7 du document, et je pense que le tableau de la page 7 du document dit tout. Je vous demande de sortir du discours partisan et de faire une mesure réelle de l'évolution du poids des francophones au Canada et au Québec, sur 40 ans seulement, M. Laporte, là, du poids relatif des Québécois sur 40 ans seulement. Vous pouvez me dire: Il y a peut-être eu une petite amélioration ici et là, mais là nous parlons d'un constat sur l'ensemble et du poids relatif des francophones au Canada hors Québec. Il y a eu des améliorations ici et là, soit, mais, dans le constat des statistiques globales, il y a lieu, je pense, de rester en état d'alerte. Il n'y a pas lieu, là, de ne pas réfléchir à la nécessité d'améliorer la situation de la langue française et les mesures de protection.

Maintenant, si je vous ramène au jour le jour de l'Outaouais, bien, papa et maman, pour le jeune, s'en vont travailler en anglais à la fonction publique fédérale. Papa et maman, le soir, modèles de société, modèle de parents, vont devoir aller voir un film en anglais parce qu'il n'y a pas de films en français, ou rarement, en Outaouais. Vous entrez dans des commerces, puis là c'est le quotidien, là, vous n'êtes pas reçus et vous n'êtes pas servis en français. Je pense que, si vous le regardez dans le global des statistiques du tableau 9, qui inclut les poches d'amélioration ici et là, et si vous le regardez au jour le jour dans le quotidien de l'Outaouais, bien, moi, je dis: Ce n'est sûrement pas le moment de ralentir les efforts de francisation, en tous les cas du point de vue outaouais puis du point de vue montréalais.

M. Laporte: M. le Président, si vous me permettez, tout ce que je voudrais souligner à l'attention de M. Perreault, c'est que, si les papas et les mamans dont il parle apparaissent dans le tableau 9, il y a néanmoins au Canada et au Québec des papas et des mamans qui ne sont pas de langue maternelle française, mais dont la loyauté au français s'accroît et s'est accrue. C'est ce phénomène que je veux mettre en évidence. Et c'est dans ce contexte que je dis et que je répète qu'il faut voir les choses possiblement sous un jour un peu plus optimiste, parce que votre rapport, je le répète, témoigne d'une diffusion élargie de cette loyauté au français et, moi, sans en tirer des conséquences sur, disons, ce qu'il faut faire du point de vue global, là, je vous dis que, dans votre mémoire, cette élévation de la loyauté, cette convergence au français nous est, je dirais, significativement témoignée. C'est la seule constatation que je veux vous faire, M. le Président, et je pensais tout simplement qu'il était opportun de la faire à partir de la lecture d'un mémoire qui contient, je le répète, des données fort éclairantes sur une situation globale que vous nous avez très abondamment décrite. Merci.

(12 heures)

M. Perreault (Jean-Paul): M. le Président, là-dessus, j'aimerais mentionner à M. Laporte que, oui, il y a des mamans et des papas qui parlent français en Outaouais. J'aimerais également dire à M. Laporte qu'il y a en Outaouais des papas et des mamans francophones qui parlent dorénavant l'anglais à la maison. J'aimerais que M. Laporte reconnaisse également que, compte tenu de l'influence et des pressions linguistiques de cette région-là, il y a bien des papas et des mamans allophones qui ont choisi l'anglais comme langue d'usage à la maison. Et de parler uniquement de ceux qui ont choisi le français, je pense qu'il faut mettre ça dans la perspective de l'ensemble de la mobilité linguistique. Et, dans l'ensemble du dossier de la mobilité linguistique, lorsqu'on fait le constat statistique, il y a eu amélioration de 1981 à 1991, mais il n'en demeure pas moins, M. Laporte, que 60 % des allophones qui choisissent une autre langue à la maison choisissent l'anglais et que les gens qui travaillent dans le secteur nous disent, nous répètent que, depuis quelques années, il y aurait un glissement davantage plus marqué vers l'adoption de la langue anglaise comme langue d'usage chez les allophones non francophones.

Le Président (M. Garon): Madame...

M. Perreault (Jean-Paul): Et ça...

M. Laporte: M. le Président, notre temps est écoulé, puis je pense que je me suis fait bien comprendre, et je remercie M. Perreault.

Le Président (M. Garon): Il y a Mme Frulla qui voulait poser une courte question, là. Il reste peut-être moins d'une minute, alors...

Mme Frulla: M. Perreault, rapidement, vous avez touché un certain point qui, en tout cas, devait nous porter à réflexion, c'est-à-dire les entreprises, effectivement, qui ont une raison sociale... Il y en a de plus en plus, et c'est ce qui fait aussi, en fait, que l'affichage peut aussi paraître plus anglophone. Ces entreprises qui s'établissent ici, au Québec, sont des franchisés, d'ailleurs, et ont comme nom, effectivement, Toys'R'Us, Blockbuster Video, etc. Et, par rapport à ça, vous dites: Bon, bien, on devrait s'y pencher. Est-ce que vous avez étudié des solutions qui sont plutôt pratico-pratiques, autrement dit associer des génériques aux spécifiques? Parce qu'on vit ça, là. Tu sais, autant Pizza Hut, et tout ça, même si c'est annoncé en français à l'intérieur, la raison sociale, donc la grosse affiche, si on veut, effectivement, est plus anglophone, je dirais même américaine.

M. Perreault (Jean-Paul): Vous avez raison. Écoutez, vous avez tout à fait raison. On est bien conscient, et je pense qu'il faut en être conscient, que la volonté en arrière de la Charte de la langue française, c'est de franciser, entre autres, le paysage linguistique du Québec pour donner un message non ambigu, clair, à l'ensemble de la société que le Québec est français. Je pense qu'on détourne, d'une certaine façon, l'esprit de la Charte de la langue lorsqu'on voit des entreprises utiliser leur marque de commerce dans l'affichage. J'invite le gouvernement, les législateurs à réfléchir à des moyens pour que l'on trouve une façon...

Parce que je pense que la loi sur la question des raisons sociales dit bien clairement que l'on favorise l'utilisation de raisons sociales de langue française, sauf que, là, c'est des marques de commerce et, écoutez, il y en a beaucoup, et c'est quand même des commerces importants dans la vie quotidienne de consommateurs que nous sommes, comme Québécois et Québécoises. Vous soulevez une préoccupation importante. Nous la soulevons et nous écouterons avec intérêt les réponses qui y seront apportées, parce que je pense que, là, vous avez raison, et nous sommes d'accord avec vous, vous touchez un point important.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les porte-parole du Mouvement Impératif français de leur contribution et je demande maintenant à M. Julius H. Grey de s'approcher de la table des témoins, en lui disant que nous disposons d'une demi-heure pour l'entendre, selon entente convenue entre les parties. Ça veut dire que M. Grey a 10 minutes pour faire son allocution, les ministériels auront 10 minutes pour l'interroger, le parti libéral 10 minutes, et ce que M. Grey prendra en plus ou en moins sera enlevé ou ajouté aux deux partis politiques, le tout comprenant une demi-heure. M. Grey, à vous la parole.


M. Julius H. Grey

M. Grey (Julius H.): D'abord, j'aimerais remercier le comité, l'Assemblée nationale, de m'avoir donné cette opportunité. J'étais absent du pays et je ne savais pas et je ne connaissais pas la date. J'ai appelé à la dernière minute, et je suis très reconnaissant d'avoir eu, sans avoir préparé ma présentation – j'ai un plan maintenant, que je viens de distribuer – l'opportunité de m'adresser à vous.

N'ayant que 10 minutes – je sais que c'est une demi-heure, mais ça doit être 10 minutes de présentation – je vais m'adresser aux questions que je considère comme les plus importantes. D'ailleurs, du point de vue du droit linguistique, le projet de loi n° 40 me semble apporter des changements relativement insignifiants, sauf en matière d'informatique, où ces changements sont positifs. Il faut faire quelque chose dans l'informatique.

Par contre, le projet de loi n° 40 présente des dangers très graves aux libertés publiques en matière des pouvoirs des inspecteurs sous les articles 174, 175, 176 et 205.1. C'est grave à un point où j'espère que le gouvernement va voir qu'on ne peut pas légiférer ce genre de chose. Je lis: «La personne qui effectue une inspection pour l'application de la présente loi peut pénétrer à toute heure raisonnable dans un établissement. Elle peut notamment examiner tout produit ou tout document, tirer des copies et prendre des photographies. Elle peut à cette occasion exiger tout renseignement pertinent.»

Et après: «Nul ne peut entraver, de quelque façon que ce soit, l'action de la Commission ou d'une personne désignée par elle, la tromper par réticence...» Je pense que c'est la première loi que j'ai lue qui impose la volubilité devant un inspecteur. On n'a pas ce devoir-là devant un inspecteur du fisc. On n'a pas ce devoir-là devant n'importe qui d'autre, mais on a un devoir de ce genre...

On va me dire peut-être que la Charte de la langue française est essentielle, que c'est une chose fondamentale. Peut-être, j'en conviens. Alors, j'ai considéré, j'ai fouillé dans une autre loi peut-être plus fondamentale encore, la Charte des droits et libertés, où on parle des pouvoirs des commissaires de la Commission des droits de la personne, et je vous ai fait des photocopies. Nulle part on ne trouve des pouvoirs semblables. Et l'article 81 dit que, lorsque la Commission estime qu'il y a un danger pour la vie ou la sécurité de l'individu si une pratique continue ou bien s'il y a la disparition des moyens de preuve, elle peut s'adresser à un tribunal d'urgence. Mais sous la loi... Donc, s'il y a un danger pour la vie ou la sécurité de quelqu'un, ça prend une approbation d'un tribunal, mais, s'il y a le crime beaucoup plus grave d'un menu en anglais ou d'une affiche anglaise, on peut se présenter, prendre le document, et toute personne qui n'est pas assez volubile pour l'inspecteur est passible d'une offense: ça ne se peut pas!

Je souligne que ce n'est pas une question linguistique: je serais aussi fâché s'il s'agissait des pouvoirs des inspecteurs municipaux, je serais aussi fâché si on voulait donner ces pouvoirs-là à la police. Il faut le modifier. Il le faut absolument parce que, sinon c'est un litige automatique, un jour. Et vous avez entendu hier des gens qui vous ont dit: Les juges nommés par Ottawa finissent toujours par casser les dispositions de la Charte. Cette fois-ci, ça n'aurait rien à faire avec les juges nommés par Ottawa, c'est une question qui serait la même s'il s'agissait d'un règlement municipal. Il faut modifier cette disposition-là. La volubilité, le devoir de ne pas être réticent, le pouvoir d'entrer à n'importe quel moment, ça doit disparaître.

(12 h 10)

Alors, je propose, à la place de cela, un pouvoir de faire enquête ordinaire, comme toutes les autres commissions, et un pouvoir de s'adresser à un tribunal si quelqu'un cause des difficultés et refuse de collaborer. Je pense que c'est un compromis raisonnable et je pense qu'à ce moment-là on évitera un litige qui n'est pas nécessaire et qui n'a rien à faire avec la loi 101, ou le français, ou l'anglais, ou l'italien, mais qui touche tout simplement le droit à la vie privée.

Je vous ai donné les articles de la Charte canadienne et de la Charte québécoise qui protègent ce genre d'intérêts: il faut qu'ils restent protégés. On ne va pas oublier les règles fondamentales de la démocratie dans l'enthousiasme sur une loi ou une autre loi, n'importe laquelle. On ne l'a pas fait dans la Charte des droits et libertés de la personne, où, moi, j'aurais tendance à être un peu enthousiaste, et je ne pense pas qu'il faille le faire ici. Ça, c'est la première chose, donc. À mon avis, une modification essentielle s'impose. Je vous propose le modèle de la Charte des droits et libertés de la personne, pas plus loin que ça, pas moins loin nécessairement, mais rien de plus.

La deuxième chose. Je voudrais exprimer des doutes. Ça, ce n'est pas une question juridique, le gouvernement peut dépenser l'argent comme il choisit, mais j'ai des doutes sérieux sur la multiplication des organismes de contrôle dans la conjoncture économique et sociale actuelle. Je me demande s'il ne faut pas plutôt investir dans l'enseignement du français dans l'intégration des immigrants. Et cela nous amène à la grande question. Vous avez entendu beaucoup de mémoires, j'ai lu leur résumé ce matin, et je pense que la majorité des gens ont parlé non pas du projet de loi, mais plutôt de la grande question. Il y en a qui sont venus vous dire: Il faut renforcer la loi 101. Il y en a d'autres qui sont venus dire: Il faut l'affaiblir ou peut-être même se débarrasser de la grande partie des articles. Moi, je vous dis: Non, pas du tout, il faut la nuancer. Il y a des choses qui doivent être renforcées, comme, par exemple, l'informatique – je ne commenterai pas plus parce que je suis tellement ignare dans cette matière que je ne pourrais pas vous dire si c'est efficace ou non, comment l'informatique peut fonctionner, mais je pense que le gouvernement a raison de vouloir agir – mais il y a d'autres choses où il faut faire très attention.

Le vouloir de multiplier le contrôle, de répondre plus aux plaintes retourne toujours à un seul dossier, un dossier qu'il faudrait mettre à côté, c'est la question de l'affichage. Pour comprendre pourquoi l'affichage est une fausse piste, je pense qu'il faut se poser la question: Quel est le but de la Charte de la langue française? La réponse est simple, il y a deux buts. Il y a le but de la protection du français, du maintien du français dans un contexte nord-américain qui peut être très difficile, un but important, essentiel, dont je conviens à 100 %.

Il y a l'autre but, la justice envers tout le monde. L'affichage n'est jamais nécessaire pour la protection, mais pour la survie du français. C'était une question, en 1974, de justice fondamentale. Quand toutes les affiches à Montréal étaient en anglais, c'était injuste, c'était inacceptable, et les gouvernements successifs ont agi pour changer cela. C'était également, à mon avis, injuste, tout à fait injuste, de prohiber la langue anglaise. Il suffisait d'enrayer l'injustice qui existait avant 1974, celle de l'absence du français dans un secteur important de la province. Mais l'affichage n'a aucun lien avec l'autre but, qui est la survie du français. La Cour suprême en a parlé, toutes les instances ont regardé. On ne peut pas prouver qu'en éliminant la langue anglaise des affiches on va accomplir quoi que ce soit, au contraire. C'est pourquoi...

On a l'argument, à mon avis boiteux, qu'il faut faire une leçon aux immigrants pour qu'ils comprennent que le français... Je pense que, si on admet les immigrants, il ne faut pas être paternaliste. On les admet à titre de citoyens égaux, on va leur dire la réalité comme elle est. La réalité veut dire qu'il y a des gens qui parlent anglais, qu'il y a une langue officielle qui est le français et qu'ils devront faire instruire leurs enfants en français, c'est officiel. Mais il n'y a aucune raison pour avoir une forme de spectacle paternaliste pour les convaincre que c'est plus français que ça ne l'est en réalité. Je pense qu'on leur doit la franchise, l'ouverture d'esprit. On va leur dire: Voilà le Québec tel qu'il est, on en est fier. On n'a pas à cacher la réalité québécoise.

L'affichage est donc une question qui ne touche pas la survie du français. Je ne pense pas que le danger est aussi immédiat que les gens le disent, mais je pense qu'il y a une nécessité de protéger de façon permanente une langue très minoritaire sur ce continent, c'est l'éducation. Il faut prendre les fonds que nous avons, qui sont limités, les mettre dans l'enseignement du français pour les immigrants, pour les anglophones et les allophones qui sont déjà ici, peut-être parfois dans nos écoles. Il faut mettre de l'argent dans l'intégration des immigrants et non pas dans les commissions de contrôle de choses comme l'affichage. Si, par hasard, il y a quelques affiches – d'abord, à mon avis, il n'y a aucune défense pour une affiche qui est unilingue anglaise; on peut poursuivre, de toute façon, ça ne change rien – qui se glissent, impunies, ce n'est pas la fin du monde, l'argent serait mieux investi au département de l'éducation.

Cela dit, je touche la troisième question, la question la plus fondamentale, qui ne fait pas partie de la loi n° 40 – on n'aborde pas cette question-là – c'est l'intégration des immigrants, des anglophones et la création d'une société solidaire où les anglophones vont accepter une fois pour toutes que le français doit être protégé, que c'est la langue commune du Québec. Il n'y aura pas de contestation et, par contre, il n'y aura pas non plus de ces allergies à l'anglais qu'on rencontre de temps en temps, qui font mal et qui créent une forme de méfiance de part et d'autre. Les choses, il faut le dire, vont moins bien qu'il y a un an ou deux ans, et je ne veux pas attribuer la faute. Cette loi-là n'en parle pas, n'aborde pas la question d'intégration, de la création d'une société solidaire, c'est-à-dire des activités conjointes, des écoles anglaises et françaises, des rencontres, de la sécurisation des anglophones pour qu'ils sachent que, s'ils parlent le français, ils auront exactement les mêmes droits – comme ça, je n'accuse pas, je ne suis pas ici pour dire que c'est le contraire. Je pense que la situation est beaucoup plus nuancée. Ce n'est pas une situation d'injustice totale, c'est une situation de méfiance. Je ne blâme pas le gouvernement de ne pas avoir abordé cette question-là. Je pense qu'elle s'impose, mais une loi peut toucher une partie et, une autre, une autre partie.

Les gens qui vous ont adressé la parole ont parlé surtout de ces questions-là: du problème du long terme, de la politique linguistique. Il est difficile de ne pas accepter la sincérité des gens qui me précédaient, la sincérité des anglophones qui vous ont dit qu'il y a une injustice, que leurs institutions disparaissent, etc. Il y a certaines choses qui s'opposent. Le gouvernement a dit hier carrément non à ceux qui demandaient la liberté de choix dans l'éducation, je pense que le gouvernement avait raison. Ils doivent dire également carrément non aux intégristes qui veulent à tout prix retourner à l'affichage unilingue, exclusivement unilingue. Il faut montrer à toutes les parties de la population que le gouvernement est finalement le gouvernement de tout le monde, que le gouvernement nuance et que la modération sur cette question va amener à la création d'une solidarité générale. Je ne parle pas de quelques individus qui n'accepteront pas, de part et d'autre – c'est toujours le cas – mais d'une solidarité générale d'une société fondamentalement francophone. Ça va avoir un meilleur effet que la coercition avec des concessions collectives ici et là, quand cela s'impose. La déclaration finale que la question de l'affichage est réglée ne mettra pas, comme j'ai dit, le français en danger de quelque façon que ce soit, mettra fin à un problème épineux et empêchera également la continuation d'une bataille stérile.

Une dernière chose dont je parlerai, c'est la prédominance. Je pense que la Cour suprême a déjà dit: C'est légal. Il n'y a rien qui peut dire que la prédominance n'est pas légale. Il y a quelque chose de bizarre: ce n'est pas raisonnable d'investir de l'argent pour mesurer les affiches. Et d'ailleurs une affiche peut être prédominante sans être deux fois plus grande, et tout cela. Je pense que j'ai trouvé une interprétation des règlements qui va éviter la nécessité de mesurer. Je pense que le règlement dit tout simplement: Est réputée être prédominante une affiche qui est deux fois plus grande. Il ne dit pas que c'est la seule affiche qui sera prédominante. En d'autres termes, les deux tiers pourront être utilisés en défense par quelqu'un qui est accusé, qui dit: Mais c'est deux tiers, c'est réputé, c'est fini. Mais, en tant que prédominance, le concept n'est pas limité à des mesures, à des pouces, c'est une question de bon sens. Est-ce que le français prédomine dans un certain secteur ou non? Ça nous évitera les blagues, les satires, les foudres et, je pense, un processus indigne de mesures et de calculs déraisonnables.

Je pense donc qu'on peut procéder à la création d'une société où le français sera reconnu par tout le monde et où – c'est la dernière fois – on ne changera pas tous les deux ans toutes les dispositions. J'espère que je ne serai pas ici, d'ici 10 ans, expliquant à une autre Assemblée nationale pourquoi les gens se sont fâchés encore une fois au sujet de la langue. Il faut mettre fin aux parties contentieuses de ce débat. Merci.

(12 h 20)

Le Président (M. Garon): Alors, il reste sept minutes pour le parti ministériel et sept minutes pour le parti de l'opposition. Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Deux commentaires rapides et je vais, pour les questions, passer la parole à mon collègue député. Alors, un commentaire. Vous parlez – si je vous ai bien compris, en tout cas – du fait que l'éducation et l'intégration des immigrants ne se retrouvent pas dans le projet de loi n° 40, mais, si vous lisez l'énoncé de politique, il y a quand même tout un chapitre qui s'appelle, justement «Une approche sociale globale». On a voulu distinguer entre l'approche législative et l'approche sociale. Il y a justement toutes ces questions, donc, de conforter les tendances d'intégration des immigrants à la société québécoise – on sait encore quels problèmes ça pose – et de placer la langue au coeur de l'éducation, avec toute une série de mesures. Alors, il faut bien voir qu'il y a des mesures qui sont législatives, il y a des mesures qui n'en sont pas, mais que l'ensemble constitue la politique.

Un autre commentaire rapide, par rapport, donc, bien sûr, à toute cette question d'inspection et de Commission de protection de la langue française. Je vous dis que les dispositions qui sont proposées à cet égard dans le projet de loi n° 40 assurent l'équilibre, de notre point de vue, entre les droits des citoyens et l'application de la loi par le gouvernement, et que ces dispositions ont été rédigées à la lumière de la jurisprudence, dont celle de la Cour suprême. Ces pouvoirs ne sont pas extraordinaires, on les retrouve notamment dans la Loi sur la protection du consommateur. C'étaient mes deux commentaires.

M. Payne: M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon.

M. Payne: Bonjour, Me Grey. Ça me fait plaisir, je pense que je peux vous considérer comme un ami. Vous écrivez beaucoup, on vous écoute attentivement, vous êtes toujours présent lors de chaque discussion, donc je pense que notre amitié mérite la franchise aussi. On a tous remarqué votre intervention, il y a une couple d'années, lorsque vous avez suggéré un historique compromis, et je vous cite presque à la lettre, si je peux mettre la main là-dessus: «Il est clair que les francophones – je vous cite – n'ont aucune intention de tolérer la réanglicisation massive du visage linguistique de Montréal. Il est donc loisible de légiférer dans le but d'assurer une prédominance nette du français. Mais comment?» Vous entrez dans une discussion générale et vous parlez de, après une période d'essai, qui n'a pas eu lieu... «Dans le cas où de tels abus auraient été commis, la preuve – et non la simple spéculation – aurait été administrée qu'une réglementation beaucoup plus restrictive est nécessaire pour garantir cette prédominance dans l'affichage.» Pouvez-vous m'expliquer le sens de cette affirmation dans le contexte de votre intervention de ce matin, où vous mettez en garde le législateur contre une intervention législative? Première chose.

Et, deuxième chose, parce que j'imagine que mon temps va être écoulé plus vite que je voudrais: De quelle façon, spécifiquement – et c'est une question hypothétique, mais c'est tellement crucial – vous pouvez, jusqu'à quel point vous pouvez aller pour promouvoir le français dans l'affichage?

M. Grey (Julius H.): Je veux répondre deux choses. D'abord, à l'honorable ministre, je dirais: Oui, je reconnais qu'on n'a pas abandonné l'éducation. La question que je posais, c'est: Est-ce que l'argent qui va être dépensé sur l'inspection et les choses comme ça ne serait pas mieux investi, encore plus, dans le secteur de l'éducation et de l'intégration des immigrants? J'aimerais également ajouter que l'intégration, ce n'est seulement les immigrants, c'est les anglophones, et il s'agit de les sécuriser quant à leur avenir en français. C'est-à-dire, un individu qui sait parler français doit avoir, par exemple, absolument les mêmes opportunités en matière de fonction publique, la vie publique, et tout ça. Je ne dis pas... J'ai dit: C'est très nuancé maintenant. Ce n'est pas qu'il y ait une situation d'injustice systématique, mais je pense qu'il faut sécuriser la minorité.

Retournant aux questions précises de M. Payne, je dirais la chose suivante: D'abord, l'article, vous l'avez bien cité. Après une période d'essai, une période d'essai raisonnable, si jamais on voyait un retour à l'unilinguisme anglophone massif, à ce moment-là il faudrait revoir. Ce n'est pas le cas, on ne l'a pas essayé, on n'a jamais donné l'opportunité... jusqu'à date, on n'a pas changé non plus, mais ça prend cinq ou six ans pour faire un bilan, surtout quand il n'y a pas de danger à la langue si l'expérience échoue. Comment peut-on assurer la prédominance? Je vous dis que la loi elle-même l'assure en disant: Le français est la seule langue obligatoire, l'anglais et les autres langues sont optionnelles. Il y a donc un élément de prédominance tout de suite. Je pense qu'on pourrait y ajouter, et il faut y ajouter en disant: Le français ne doit pas être plus petit qu'une autre langue. C'est déjà quelque chose. Si l'expérience échoue, on pourrait avoir des choses plus précises, mais, pour le moment, pourquoi ne pas essayer une attitude qui nous empêche d'entrer dans les détails: français obligatoire, les autres tout à fait optionnels, le français ne peut pas être plus petit, puis on essaie pour voir de quoi ça va avoir l'air d'ici cinq ans ou d'ici sept ans? Moi, j'ai beaucoup confiance, j'ai confiance que ça va être tout à fait correct, et je ne pense pas... Comme il n'est pas nécessaire d'attraper chaque individu qui va de Montréal à Québec à 120 km, il n'est pas nécessaire non plus d'avoir chaque affiche illégale, ce n'est pas la fin du monde.

M. Payne: Bon. Alors, juste en concluant, vous avez lu «Le français, langue commune», le document. Seriez-vous d'accord avec moi que votre position, même avec les nuances que vous apportez et même si ça ne correspond pas à ma propre conviction... N'empêche que vous êtes carrément dissident vis-à-vis, par exemple, de la position d'Alliance Québec hier, plusieurs de ses commentaires, soit concernant le français langue commune, soit concernant l'accès à l'école anglaise, et d'autres intervenants à venir dont on lit les mémoires. Comment vous situez-vous? Parce qu'il y a une question sociale ici. Le législateur efface un certain nombre d'interventions. Certains voudraient être plus forts, plus rigoureux à l'égard de la législation restrictive, d'autres veulent être plus souples. Où est-ce que vous vous situez, grosso modo, dans tout ça?

M. Grey (Julius H.): Écoutez, moi, je ne représente personne...

Le Président (M. Garon): M. Grey, c'est parce que le temps dévolu au parti ministériel est terminé.

M. Grey (Julius H.): Oui, la chose que... c'est que je ne représente personne et je pense que je suis effectivement assez nuancé, ce qui peut fâcher les intégristes, d'un côté.

Le Président (M. Garon): Alors, maintenant, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Professeur Grey, c'est toujours un bonheur de vous entendre. J'aimerais, par ailleurs, que vous explicitiez un peu davantage les raisons du jugement d'opportunité que vous posez sur le rétablissement de la CPLF et les pouvoirs attribués aux inspecteurs, parce que la ministre, M. le Président, la ministre, la députée de Chambly, a beau vouloir nous faire accroire que tout ça est inspiré du modèle de la protection des consommateurs, je lui ai dit hier, dans mes notes d'introduction: Lorsqu'on se donne comme objectif une loi visant un élargissement de la loyauté linguistique au-delà des frontières conventionnelles des langues d'usage et des langues maternelles, on n'est pas dans un jeu comparable à celui qui consiste à vouloir protéger la santé, surveiller si les aliments sont avariés, et ainsi de suite.

Donc, et je voudrais vous entendre là-dessus, il me semble que l'objectif de cette loi linguistique est incompatible, profondément incompatible avec ce moyen choisi pour en assurer l'application.

(12 h 30)

M. Grey (Julius H.): Je dirais ce qui suit. D'abord, il n'y a rien qui nous dit que la charte de protection du consommateur est nécessairement constitutionnelle sur tous les points, mais la charte de protection du consommateur est un document qui a généralement l'appui de tout le monde. C'est une loi de nature administrative maintenant. Il s'agit ici d'une loi qui affecte des droits importants et très contestés. Dans ce sens-là, c'est plutôt comme la Charte des droits et libertés de la personne, où il y a beaucoup de contestation et beaucoup d'émotion. On pourrait également ajouter: Il n'y a pas de loi, dans la société, qui est plus importante peut-être que le Code criminel. Sans cette loi-là, on serait dans la forêt primitive. Et pourtant la police n'a pas ces droits-là. Même en faisant enquête sur un crime très important, ils ne peuvent entrer n'importe où, prendre n'importe quel document, etc. C'est beaucoup plus restreint.

Donc, je pense que la question qu'il faut poser, c'est le degré de politisation de la loi. Vous avez là des inspecteurs qui, qu'ils aient raison ou non, ne seront pas accueillis chaleureusement chez ceux chez qui ils viendront. À ce moment-là, il faut être sûr, il faut, si vous voulez, avoir un certain cadre juridique. Il faut avoir une situation où ils auront un mandat, si nécessaire, où l'individu se sent sécurisé parce qu'il y a une signature d'une personne totalement neutre, un juge qui protège tout le monde, qui n'a rien à dire, où il y a un recours.

Je pense que c'est dangereux... Et je répète: Normalement, je suis un avocat de la défense, n'est-ce pas, alors je n'ai pas tendance à favoriser le contrôle, que ce soit en droit municipal, que ce soit en droit criminel. Mais je pense, dans ce cas-ci, que ces dispositions devraient être modifiées, parce que c'est un type d'inspection qui ne se prête pas à un pouvoir très général et très administratif. C'est trop politisé et trop émotif.

M. Laporte: M. le Président, si vous permettez, encore une fois.

Le Président (M. Garon): Oui, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Professeur Grey, vous nous avez bien dit – et je suis parfaitement d'accord avec vous, parce que j'ai examiné cette situation en long et en large – que nulle part on ne trouve de pouvoirs semblables conférés à des inspecteurs dans quelque domaine que ce soit. Est-ce que vous pourriez vous étendre un peu là-dessus?

M. Grey (Julius H.): Oui. Je vais vous dire, j'ai vu des choses comme ça dans les règlements municipaux, mais je les considère comme nuls, et il y en a eu qui ont été annulés. Je pense qu'il y a des pouvoirs qui ressemblent à ceux-là, mais ce n'est pas ce genre d'inspection; il ne faut pas mélanger les poires et les pommes. Je pense que, dans le contexte d'une loi comme celle-ci et de la nature des inspections qui se font, l'opposition à laquelle on pourrait s'attendre, à tort ou à raison et sans prendre position, c'est les juges qui devraient avoir leur mot à dire.

Vous remarquerez que je vous suggère un arbitre neutre. Je ne dis pas que ça doit être la communauté anglophone qui décide, je ne dis pas que ça doit être un organisme de protection du français non plus. Je pense que, dans un contexte où on peut s'attendre à des contestations, l'arbitre le plus sûr et le plus respecté s'appelle «juge», dans ce cas-ci un juge de la Cour du Québec, parce que c'est normal de donner ça à la Cour du Québec. Je pense que c'est la solution. Je pense qu'il y aura beaucoup moins de contestation si la signature du juge apparaît sur un mandat que si un individu vient et dit: Donnez-moi ça, donnez-moi autre chose, faites-moi des photocopies ou laissez-moi faire des photocopies, je veux voir vos dossiers, je veux voir votre bilan. S'il y a un juge qui signe, c'est différent.

M. Laporte: M. le Président, est-ce qu'il nous reste un peu de temps? Mes collègues ont peut-être des questions à poser.

Le Président (M. Garon): Il reste 20 secondes.

M. Laporte: Oh!

Mme Frulla: Me Grey, je voudrais juste vous poser une question, c'est-à-dire une spécification, plutôt. Vous avez dit, si j'ai bien compris, que la communauté anglophone est d'accord et l'a toujours été. Il y a des extrémistes, d'un côté et de l'autre. Alors, ça, évidemment, là, on les élimine. Donc, la majorité est d'accord pour considérer, évidemment, au Québec, le français comme la langue commune, la langue d'usage; qu'on le spécifie comme on veut, on s'entend tous, là, hein? Alors, j'ai bien entendu ce que vous avez dit?

Parce que, souvent, on laisse sous-entendre qu'il y a une difficulté avec la communauté anglophone. Comme je le dis, la majorité... Il y a des groupes qui vont venir nous dire autre chose ici, et d'un côté et de l'autre, mais la majorité de la communauté anglophone – c'est ce qu'on ressent, en tout cas, à Montréal – est d'accord pour considérer le français comme langue commune et langue d'usage.

M. Grey (Julius H.): Je connais très peu de gens, si on leur pose la question de cette façon-là, qui diront non. Je pense qu'il y a un malaise, je pense qu'il y a un degré de colère parfois excessif, parfois non, ça dépend de la question et de la situation.

Je pense également, je vous dirais, que la contrepartie de cela, c'est que la grande majorité des francophones, si on leur pose la question: Êtes-vous contents, par exemple, de l'affichage qui permet aux anglophones se s'exprimer en autant que le français reste là? la majorité des gens sont prêts à accepter ce genre de compromis. D'autant plus que, si vous posez la question à la majorité des francophones, de quelque parti politique que ce soit: Êtes-vous d'accord avec la justice envers la minorité? 99,999 % vont dire oui. C'est la même chose du côté anglophone.

En fait, à Montréal, il n'y a jamais eu de tension entre individus, et je pense que les difficultés qu'on vit aujourd'hui sont quelque peu artificielles. Il n'y a pas eu de changement majeur. Moi, je peux vous dire personnellement que je tiens au français autant que je tiens à l'anglais. Ce serait pour moi une tragédie incroyable... Je pense qu'il y a beaucoup beaucoup de gens qui partagent ce point de vue du côté anglophone. Le français est aussi important dans ma vie quotidienne que l'anglais. C'est essentiel d'avoir le français, et vous trouverez qu'il y a de la bonne volonté, mais ça prendra quelques gestes, quelques gestes relativement anodins de part et d'autre pour amener les gens à voir qu'ils ont un ennemi commun, qui s'appelle le chômage, la pauvreté, et qu'il n'y a rien qui favorise une partie ou l'autre devant cet ennemi-là.

Mme Frulla: Merci.

Le Président (M. Garon): Bien. Je remercie M. Julius Grey de sa contribution aux travaux de consultation de la commission et je suspends les travaux de la commission jusqu'à 14 heures, au moment où nous entendrons l'Union des écrivaines et écrivains québécois. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 37)

(Reprise à 14 h 10)

Le Président (M. Garon): Alors, comme le quorum est arrivé... Ha, ha, ha! Je remarque que ceux qui ont l'habitude de parler du retard des autres sont ceux qui arrivent en retard; mais, qu'est-ce que vous voulez, la nature est ainsi faite. Alors, je ne nomme personne, mais, comme le disait mon professeur, qui potest capere capiat.

Alors, l'Union des écrivaines et écrivains québécois est ici. J'invite le porte-parole à s'identifier et à identifier ceux qui l'accompagnent, en lui disant que vous avez une heure au total, ce qui comprend 20 minutes de présentation, 20 minutes pour le parti ministériel et 20 minutes pour l'opposition officielle. Je vous indiquerai quand on sera rendu à 18 minutes, mais ce qui ne vous oblige pas à prendre seulement 20 minutes. Vous pouvez prendre moins que 20 minutes, vous pouvez en prendre plus, mais ce que vous prenez en plus, bien, c'est autant de temps en moins pour les députés pour vous interroger sur votre présentation. Alors, si vous voulez présenter votre allocution.


Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ)

M. Roy (Bruno): Alors, voici, à ma droite, vous avez Nadia Ghalem, qui est membre du conseil d'administration; à ma gauche, Yves Beauchemin, écrivain. Je voudrais rappeler aussi que l'Union des écrivains est membre du Mouvement Québec français. Nous avons intitulé notre intervention «Le devoir de clarté».

Au Québec, de nombreux malentendus sur la question linguistique marquent depuis longtemps nos débats. Il faudrait d'abord les dissiper pour qu'une réflexion féconde puisse s'amorcer de façon rigoureuse. Certains de ces malentendus sont repris dans la proposition de politique linguistique intitulée «Le français, langue commune». Aussi, dans le cadre du présent exercice, l'Union des écrivaines et écrivains québécois veut s'assurer que les réalités dont il est question dans le document de consultation soient clairement identifiées afin de mieux en mesurer l'impact dans le cadre d'une nouvelle proposition de politique linguistique.

La légitimité du combat linguistique qui prévaut actuellement pour la reconnaissance de la langue française nous paraît acquise depuis des temps immémoriaux. Il faudra bien admettre un jour que le pluralisme d'un Québec moderne, en particulier à Montréal, ne peut effacer la réalité linguistique que nous ont imposée et l'histoire et la géographie. C'est cette histoire et cette géographie que nous voulons pleinement assumer. Aujourd'hui, nous voulons moins exposer notre point de vue, que vous connaissez déjà – ce n'est pas la première fois qu'on se présente à des commissions parlementaires – que répondre au devoir de clarté qu'impose pour tous et toutes la situation linguistique actuelle.

Alors que la loi 101, ainsi que le constate avec regret Guy Bouthillier, porte-parole du Mouvement Québec français, devait être source de force et d'unité, elle est devenue lieu de faiblesse et de division. Il n'y a qu'à s'inspirer de l'actualité pour constater l'absence d'une véritable volonté politique en cette matière. Quant à la proposition de politique linguistique, le projet de loi n° 40, elle contient beaucoup de rappels historiques, un nombre considérable d'intentions honnêtes, des souhaits généreux, des mandats prometteurs, la création de groupes de travail, etc., mais tout cela est malheureusement peu concret. Il n'y est même pas question, par exemple, du destin des commissions scolaires confessionnelles qui auraient pu devenir des commissions scolaires linguistiques, mais qui ne le deviendront pas, comme on sait. Recule-t-on pour mieux avancer? Si l'école est un élément essentiel de cette politique, comme le dit d'ailleurs le document de consultation, on se serait attendu à une réflexion de fond sur cette réalité linguistico-confessionnelle.

Le projet de loi n° 40 prétend mettre la langue française au coeur de l'identité québécoise. Cela ne nous empêche pas de nous demander où ce projet nous conduira s'il devait être adopté, car, contrairement à ce que dit le document de consultation, la proposition de politique linguistique ne s'inscrit nullement dans l'esprit de la Charte de la langue française de 1977, pour la simple et bonne raison que cet esprit n'y est plus. Ce qu'il faut reconnaître, c'est que la Charte de la langue française de 1977 n'existe plus. Rompant avec notre passé de bilinguisme, cette loi voulait pourtant jeter pour l'avenir les bases d'un pays de langue française.

Gregory Baum, professeur de morale sociale à l'Université McGill, le rappelait à l'occasion du débat autour de la loi 86. «La loi 101, avait-il écrit – je cite – constitue une réalisation politique majeure pour le peuple québécois du fait qu'elle remédie à une injustice du passé colonial du Québec.» Fin de la citation. Stéphane Dion peut toujours décerner triomphalement à la loi 86 le titre de grande loi canadienne, tout cela parce que, dans les faits, l'anglais au Québec est une langue officielle et qu'elle sert à souhait l'unité canadienne.

La proposition de politique linguistique qui maintient les modifications de la loi 86 se profile malheureusement avec l'arrière-plan du discours canadien des langues officielles, et je cite: «Une série importante de jugements sont rendus, dont certains exigent des modifications aux dispositions initiales de la Charte et marquent les limites du pouvoir du gouvernement du Québec de légiférer en matiêre de langue. Le texte initial de la Charte de la langue française est modifié à plusieurs reprises pour tenir compte de ces jugements. Force est donc de constater que, sans modifications constitutionnelles ou encore sans son accession à la souveraineté, le Québec ne pourra être totalement maître de sa politique linguistique.» Fin de la citation.

Pourquoi, dans cette proposition de politique linguistique, le gouvernement se soumet-il aux contraintes découlant des jugements des tribunaux? Pourquoi ne choisit-il pas de les contester? Ou alors, s'il le juge à propos, il n'a qu'à se prévaloir de la clause «nonobstant». Si Robert Bourassa l'a fait, qui ne peut le faire? On a l'impression que le gouvernement a abandonné la partie politique. Plutôt que de parler de la langue française, il préfère parler de bilinguisme. Je cite encore: «La politique linguistique du Québec propose une solution originale en distinguant le bilinguisme individuel du bilinguisme fonctionnel.» Peu importent les distinctions, il est toujours question de bilinguisme. Quand on sait que le bilinguisme de l'État est très actif – le gouvernement reconnaît qu'une «certaine atrophie avait gagné l'ensemble de l'administration publique» – il y a de quoi s'inquiéter.

Nous ne sentons pas la volonté gouvernementale de revenir à l'essentiel de la loi 101. La loi 86 a abrogé et modifié 86 articles des 214 de la loi 101. Au total, rappelons aussi qu'elle a subi plus de 200 modifications. L'Union des écrivaines et des écrivains québécois y a vu, lors de son adoption en 1993, un élargissement de l'usage de l'anglais à des fins autres que celle de permettre l'affichage commercial dans les deux langues. Encore aujourd'hui, elle y voit un détournement de sens et ses conséquences néfastes pour l'épanouissement du français au Québec.

Outre l'affichage dans les deux langues, l'analyse de la loi 86 met en évidence ce que les anglophones et les milieux d'affaires ont généreusement obtenu: la bilinguisation du processus législatif et des communications écrites dans l'administration, la perte d'exclusivité de la langue française comme langue officielle dans les décisions d'arbitrage reliées aux conflits de travail, l'accroissement des classes d'immersion en anglais dans les écoles françaises, la validation de la clause Canada de la Constitution canadienne, la perte de pouvoir de réglementation de l'Office de la langue française, le retour à l'égalité juridique du français et de l'anglais, etc. Tout cela est d'autant plus désolant que le Parti québécois, une fois au pouvoir, n'a pas tenu sa promesse d'abroger la loi 86.

Et que trouve-t-on dans son document de consultation, le document du gouvernement? Cette contradiction, et je cite: «Lors de l'adoption de la loi 86 qui modifiait les règles de l'affichage public, on pouvait craindre un recul [...] de la place du français dans l'affichage public. Le bilan montre que ce recul appréhendé ne s'est pas produit. Le gouvernement entend maintenir la présence du français et généraliser encore davantage l'unilinguisme français dans l'affichage.» Fin de la citation. Cet extrait, selon nous, sous-estime la portée réelle de la loi 86, qui est de conduire au bilinguisme.

D'abord, le gouvernement, aidé en cela par les médias, laisse entendre que la portée de la loi de 1993 porte uniquement sur le problème de l'affichage, ce qui, ainsi qu'on vient de le voir, est faux et induit la population à mal évaluer la situation réelle de la langue. Il est curieux que le gouvernement, dans le cadre législatif qu'il propose, veuille généraliser encore davantage l'unilinguisme français. Conserver la loi 86 et souhaiter généraliser l'unilinguisme français dans l'affichage, c'est affirmer à la fois une chose et son contraire. En pratique, les dispositions faussement vertueuses du projet de loi n° 40 maintiennent le caractère bilingue de notre société. La langue française, pourrait-on penser, est un poids trop lourd pour les convictions de l'actuel gouvernement. Il est à se demander si celui-ci a pleinement conscience que la loi 86, adoptée en 1993 par le gouvernement Bourassa, cache un Québec sournoisement bilingue.

(14 h 20)

Pourtant le rapport du Comité interministériel, rendu public le 22 mars dernier, n'exclut ni le risque de la bilinguisation institutionnelle ni même, à terme, le risque de l'anglicisation de Montréal. Le problème est donc réel. D'ailleurs, ce même rapport attribue à notre statut de province les limites imposées par la loi 101 elle-même. En effet, c'est ce statut qui nous empêche de réaliser pleinement l'objectif d'un Québec français. L'organisation politique canadienne est incompatible avec les objectifs de la charte française. Il est bon de rappeler que cette incompatibilité a une histoire.

Dans la «Genèse de la société québécoise», le sociologue Fernand Dumont a bien montré comment la langue française fut une terre où s'est aménagée la survivance d'une société historiquement organisée. En effet, la Confédération a fait de notre peuple une minorité politique, alors que nous étions une majorité démographique de langue française. C'est ainsi que la Confédération canadienne a produit une double allégeance où se démêlent difficilement l'espace linguistique et l'espace territorial. La Confédération a consacré une dualité malsaine. C'est ainsi que la nation politique, le Canada, continue de contredire la nation culturelle, le Québec, laquelle cherche aujourd'hui à devenir une nation politique. Comme on veut faire prédominer la première nation sur la deuxième, la question de la langue reste bien sûr un enjeu fondamental.

La notion de société distincte, écrit Fernand Dumont, a un long passé. Je cite: «Les conceptions de la Confédération [...] oscillent entre la "nation nouvelle" que le Canada est censé incarner et le refuge de la nation canadienne (française) dans la province de Québec. En fait, on concrétise une vieille idée que [...] nous avons vu entretenir depuis la Conquête, chez le conquérant d'abord, chez les Canadiens aussi: celle de la réserve française.» Tout comme la Confédération a consacré l'organisation de deux sociétés, la loi 86 organise le bilinguisme généralisé. Elle tolère le français comme jadis les Britanniques toléraient la réserve française, destinée à la marginalité en attendant sa disparition définitive, bien sûr.

Le bilinguisme prolonge et consacre dans la réalité cette dualité historique qui nous empêche de fonctionner comme une société homogène. C'est ainsi que les articles 7 à 13 de la Charte ont été neutralisés par Ottawa, puis sont disparus lors de l'adoption de la loi 86 parce que précisément ils contredisaient ledit article 133. En matière de langue, entre le Canada et le Québec, l'homogénéité linguistique est impossible. Cette notion de réserve française trouvait son application dans le projet de réforme constitutionnelle, l'entente du lac Meech. Le texte mettait en présence la notion de bilinguisme asymétrique à prédominance anglaise dans le Canada anglais et à prédominance française au Québec. Le Québec serait alors devenu une société qui se distingue par la seule prédominance française de son bilinguisme institutionnel.

Quel principe retrouve-t-on dans l'affichage? Celui de la prépondérance. En lieu et place, l'affichage exige de la Charte de la langue française, devenue la loi 86, la caractéristique dite fondamentale du Canada, qui est le bilinguisme. Que devient la caractéristique fondamentale du Québec? Le bilinguisme aussi. Dans pareil contexte, comment accrocher nos espoirs à l'affirmation claire d'un Québec français? La loi 86, à sa manière, consacre la réserve française imaginée par lord Durham et par tous ceux et celles qui, nostalgiques, s'en inspirent. L'affichage bilingue, en attendant l'unilinguisme anglais.

De la même façon, les amendements contenus dans la présente proposition de politique linguistique nous destinent aussi à la survivance. La très fédérale commission Pepin-Robarts, rappelons-le, trouvait normal que les Québécois n'acceptent plus de se laisser assujettir au bilinguisme officiel de l'article 133 de la Constitution canadienne de 1867.

Comme l'affirme l'écrivaine québécoise Nadia Ghalem, ici à ma droite, les gens apprennent la langue, pas nécessairement la culture. Tous les linguistes du monde le confirment: lorsque sur le même territoire deux langues se côtoient, il y en a une qui disparaît. Il ne s'agit pas de défendre la langue pour la langue, comme le dit encore Nadia Ghalem. Il s'agit de défendre ce reflet, ce corps visible et sensible d'une culture particulière en Amérique du Nord. Nous voulons, de façon pacifique mais avec une volonté agissante, défendre pied à pied ce qui donne une âme à notre peuple et qui lui réfléchit son sens. La langue n'est pas que la langue. Que cela soit clair, vouloir un Québec français ne relève pas d'un ressentiment à l'endroit des anglophones. Il est vrai que les tribunaux ont reconnu que l'affichage unilingue français était contraire à la liberté d'expression. Il est malheureux que ces instances judiciaires aient confondu l'expression commerciale avec l'expression politique ou littéraire.

Nous sommes d'avis, avec le professeur de droit Michel Lebel, que le gouvernement pourrait refuser la solution du bilinguisme dans l'affichage. Je cite: «...c'est une solution qu'un gouvernement aurait le droit de ne pas accepter s'il arrivait à la conclusion non équivoque que la langue de la majorité est sérieusement menacée par une ou des langues minoritaires.» Fin de la citation. Or, c'est précisément le cas, et le gouvernement, dans son document de consultation, en arrive lui-même à cette conclusion: dans la concurrence entre le français et l'anglais, les tendances lourdes jouent encore en faveur de l'anglais. Je cite: «Dans ces circonstances, la politique linguistique est nécessaire pour contrecarrer ces tendances lourdes au profit du français, qui est toujours objectivement menacé dans sa survie et son intégrité.» Fin de la citation.

Or, l'anglais n'est pas objectivement une langue minoritaire, et toute inquiétude pour sa survie relève de la pure fabulation. Les anglophones qui se croient menacés d'extinction exigent, en fait, le respect de leur langue, c'est-à-dire l'affichage bilingue dans les commerces. Ce n'est qu'un début, continuons le combat. Personne n'est dupe.

L'inquiétude qui prévaut au gouvernement est improductive. Le message qu'il envoie aux anglophones, c'est que l'affichage unilingue serait une mesure plus radicale. Et si elle était simplement plus claire? Il y a une mentalité qu'il faut combattre si on ne veut pas que notre langue devienne au Québec une grosse réserve française, affichée de surcroît comme une publicité honteuse. Dans ce domaine, qu'est-ce qui distingue le gouvernement Bouchard du gouvernement Bourassa? Rien, car tous les deux, l'un en adoptant la loi 86, l'autre en ne la retirant pas, se conforment au jugement de la Cour suprême.

Pour l'Union des écrivaines et écrivains québécois, la loi doit affirmer l'existence de la seule langue officielle, qui est le français, la langue commune d'un Québec qui fera aussi de cette langue la langue nationale. La réalité, c'est aussi ce que l'on remarque dans les tendances lourdes auxquelles fait allusion le gouvernement: augmentation des infractions et des plaintes, etc.

S'il faut certes adapter la politique linguistique à l'évolution de la situation de la langue française, il ne s'agit pas d'adapter la loi en fonction de ce qu'on lui a enlevé, c'est-à-dire en fonction de son affaiblissement. L'existence d'un Québec français ne résulte pas d'un accord de circonstance, cette existence résume une longue histoire. Certes, la marginalité – la réserve française – fut le prix de notre survivance, mais Fernand Dumont croit que nous pouvons en tirer une leçon pour l'avenir, et je cite: «S'il est vrai, dit-il, que la langue française est devenue la seule référence collective, il reste à montrer qu'elle n'est pas uniquement une jolie note folklorique dans le concert américain, mais l'outil et le symbole d'une culture créatrice[...]. Ce sera raccorder ce que la survivance avait dissocié, réconcilier la communauté nationale avec un grand projet politique.» Fin de la citation.

(14 h 30)

Dans la refonte à venir de la Charte de la langue française, refonte que nous souhaitons, le gouvernement doit retrouver cette perspective éthique éclairée par les responsabilités historiques afin d'assurer et d'assumer la cohérence de sa vision. Comme peuple, il faut nous débarrasser des étais qui nous maintiennent dans la survivance. Le devoir de clarté nécessite le courage de la liberté.

Le Président (M. Garon): Alors, Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui. Bonjour, M. Roy, madame, M. Beauchemin. Alors, j'aimerais que vous m'expliquiez un peu mieux le raisonnement que vous faites. Disons, on le retrouve à quelques endroits, mais, pour m'éclairer davantage, vous dites, page 2 par exemple, dans votre mémoire: «Pourquoi, dans cette proposition de politique linguistique, le gouvernement se soumet-il docilement aux contraintes découlant des jugements des tribunaux? Pourquoi ne choisit-il pas de les contester?»

Après ça, vous citez – justement, je l'avais lue – une lettre ouverte que le professeur Michel Lebel avait faite dans Le Devoir et dans La Presse , qui dit: «[...] c'est une solution – en parlant justement du choix de refuser le bilinguisme dans l'affichage – qu'un gouvernement aurait le droit de ne pas accepter, s'il arrivait à la conclusion non équivoque que la langue de la majorité est sérieusement menacée par une ou des langues minoritaires.»

Vous dites aussi, concernant le plan, là, de Mme Marois, qu'elle a retiré: «En n'exigeant pas une modification à l'article 93 [...] le gouvernement accepte de rester sous l'empire des dispositions constitutionnelles qui contraignent ses compétences...» Dans le fond, ce que vous nous recommandez, c'est d'aller à Ottawa, bon, dans le cas, bien sûr, des commissions scolaires linguistiques, de demander un amendement à 93. Et, quand vous nous dites de ne pas nous soumettre aux jugements des tribunaux, est-ce que c'est par une voie constitutionnelle ou tout simplement de dire: On ne s'en occupe pas, quelles qu'aient été les décisions de la Cour suprême, on ne les reconnaît pas et on ne les applique pas?

Alors, dans un cas, celui de l'éducation, vous dites... Donc, si je vous comprends bien, il faut amender l'article 93 de la Constitution canadienne et, par ailleurs, concernant les jugements... J'aimerais ça, connaître un peu mieux votre sentiment là-dessus. Et est-ce que vous pensez raisonnable, dans un sens, de renouveler le fédéralisme, comme ça, là? Est-ce que c'est ça que vous nous dites, puisque, bon, il y a eu un référendum, on a eu le résultat que l'on connaît, et puis, en attendant le prochain référendum, la prochaine étape, d'y aller à la pièce, par renouvellement du fédéralisme?

M. Roy (Bruno): C'est parce qu'on part d'un constat, c'est que la loi 101 de 1977 est inopérante. Je dis dans le mémoire qu'au-delà de 200 modifications l'ont complètement dévisagée, d'une part. D'autre part, et là je cite un de vos collègues, et c'est M. Serge Ménard... Il le dit clairement, M. Ménard ne dit pas les choses autrement en rappelant que, dans le difficile débat actuel, et je cite, «les lois linguistiques sont légitimes et directement inspirées des limites imposées par les décisions de la Cour suprême du Canada». Et voilà. C'est que, là, le message qu'on reçoit quand on entend ce genre de chose, c'est qu'il y a une démission, il y a une énergie... La clause «nonobstant» existe. Il faudrait étudier... S'il faut contester la loi – et c'est ça, notre raisonnement – s'il faut contester certaines clauses à Ottawa, allez-y, parce qu'il y a une chose qui est sûre, c'est que la loi 101 est inopérante. Celle qui l'a remplacée... On laisse croire aux gens que la loi 86 a finalement uniquement porté sur l'affichage, ce qui est complètement faux. Je crois que la population a une mauvaise connaissance de la loi 86, et, dans ce sens-là, il faut le dire clairement.

S'il y a un processus de minorisation et d'anglicisation dû à cette loi-là, je pense qu'il faut avoir la conviction d'aller au bout, parce que je crois qu'on est au service, les politiciens et tous ceux qui interviennent dans ce dossier-là, de la population. Et, dans ce sens-là, il y a une nécessité absolue de se donner les moyens d'agir. Et vous n'avez pas les moyens d'agir, parce que la loi bloque un certain nombre de choses. Et c'est dans ce sens-là. À savoir s'il faut absolument aller là ou à dire... Là, je pense que ça reste à évaluer. Le «nonobstant» n'a pas encore été utilisé; on pourrait le faire. Je veux dire, là, il s'agirait de l'évaluer. Mais c'est bien évident, et je conclurais là-dessus, que le meilleur amendement de la loi 101, c'est la souveraineté, comme on l'a déjà dit.

Mme Beaudoin: Oui. Très bien. Très bien, merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Merci, M. le Président. Alors, M. le Président, je suis d'abord heureux de saluer les gens de l'Union des écrivaines et écrivains québécois. Je suis, entre autres, venu à l'Assemblée nationale pour avoir le privilège de les citer au salon bleu; je me fais toujours un plaisir de le faire. Je voulais signaler que notre littérature est enseignée de manière très articulée dans au moins une centaine d'universités dans le monde.

Ce matin, nous avons entendu le témoignage, entre autres, des gens de la Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest-de-l'Île, et il y a une image sur laquelle je suis resté accroché. Ils nous ont parlé du fait que, dans un endroit où on allait acheter des victuailles dans l'ouest de Montréal, pour se faire comprendre quant au prix que ça coûtait, faute de pouvoir communiquer dans une langue ou l'autre, on donnait le prix sur un petit papier. Et, ça, ça m'a rappelé une image de moi, ou de vous quand vous avez été touriste en Turquie ou ailleurs, à montrer combien ça coûte... Alors, je suis resté sur ça. Et je pensais, entre autres, au texte d'Aragon «Un étrange pays dans son pays lui-même», que Miron cite dans «L'homme rapaillé».

On a eu également le Mouvement Impératif français qui est venu nous dire, au fond, que le pouvoir d'attraction n'était plus efficace du côté de l'ouest. Dès qu'on dépasse l'ouest de Montréal, le pouvoir d'attraction n'était plus efficace, c'est-à-dire que les gens s'intégraient plutôt à la langue de l'autre qu'à la langue nationale et commune qu'est la langue française, dans une proportion qui dépasse hautement, disons, ce qu'il est convenu de reconnaître comme notre minorité, la minorité anglophone. Et, là-dessus, il n'y a pas de problème, ils sont 10 %.

Alors, j'ai donné des chiffres hier – je les répète parce qu'ils m'apparaissent très importants – on a dit, à la blague, que Montréal était la plus grande ville française de langue anglaise. Alors, j'ai parlé hier de quelque chose comme 300 000 personnes qui n'ont pas la connaissance du français à Montréal. Mon collègue d'Outremont m'a repris en disant que c'était probablement 379 000 unilingues anglais, ce que je n'avais pas dit, d'ailleurs, j'avais dit «qui ne parlent pas le français», à travers tout le Québec. Je suis allé aux sources, je suis allé aux chiffres, et j'ai remis ça ce matin à mes collègues: ne parlent que l'anglais dans le Grand Montréal-Métro actuellement seulement 295 310 personnes, c'est-à-dire 9,6 % de la population, et ne parlent ni le français ni l'anglais 55 055 personnes, c'est-à-dire 1,8 %. Ce qui veut dire qu'il y a à Montréal 11,4 % de gens qui n'ont pas la connaissance de cette langue que nous appelons commune.

Alors, c'est ma question: Comment est-ce qu'on fait pour fonctionner dans une ville où, finalement, étant donné le pouvoir de l'anglais dans le contexte nord-américain, on est toujours en train d'utiliser, puisque nous sommes très pacifiques, très tolérants, très bienveillants, la langue de traduction? Et vous l'avez montré, je pense: Est-ce que le bilinguisme passerait finalement comme une langue qui nous impose tel code linguistique plutôt que tel autre qu'on veut être une langue commune?

Et le deuxième aspect de ma question, c'est: Comment vous considérez que le français est une langue commune à Montréal? Parce qu'hier on nous a laissé entendre que le français langue commune à Montréal, ça voudrait dire ne pas pouvoir parler le yiddish, par exemple, sur la rue Peel. Est-ce que c'est ça, pour vous autres, une langue commune?

M. Roy (Bruno): Il y a une pratique publique et une pratique privée de la langue, et les exemples que vous donnez, enfin le dernier, entre autres, le yiddish, j'ai l'impression qu'il confond les termes. C'est un peu comme le bilinguisme individuel et le bilinguisme institutionnel. Il faut mettre en perspective historique les choses, mais je pense qu'effectivement la situation telle que décrite – et je pense aux articles de Paillé et Castonguay – n'est peut-être pas rendue à un point de non-retour, mais l'alarme est sonnée, là. Et c'est ça, je pense, qu'il faut absolument que les gens comprennent. C'est que, si ça continue, il va y avoir un point de non-retour, et ça, c'est très grave.

J'élargirai un peu la question pour inclure l'idée que la langue n'est pas que la langue. La langue, c'est aussi l'identité, le peuple, la culture, etc. Et, donc, vouloir absolument considérer la langue comme une langue de communication... Je prendrai ce petit exemple de l'école au secondaire, où j'ai enseigné longtemps, où toute l'approche, l'apprentissage de la langue se faisait par la langue de communication. Et, évidemment, elle était évacuée de toute sa culture, de toutes ses possibilités. On réduisait, en fait, la langue. Et, si la langue n'est que la langue, à la limite, passons tout de suite à l'anglais. Et, donc, l'exemple que vous soulevez m'amène, en tout cas, à faire le lien entre «la langue n'est pas que la langue» et «une langue est soutenue par une culture». Et, pour qu'il y ait une langue commune, il faut aussi qu'il y ait une culture à partager, et c'est par la langue que cette culture va pouvoir être partagée. Mais, si on ne peut partager ni cette langue ni cette culture, c'est clair, à ce moment-là, qu'il y a un danger, comme je disais tantôt, d'un point de non-retour. Et l'inquiétude, c'est ça.

(14 h 40)

Et ce qu'on demande au gouvernement, nonobstant les modalités, c'est d'être clair. On reçoit beaucoup de messages contradictoires. J'ai donné un exemple, tantôt. Le document propose... Au fond, on ne le dit pas clairement, mais il maintient la loi 86; puis que, de toute façon, dans l'affichage, il n'y a pas de problème, mais que son intention, c'est de rendre l'affichage unilingue français. C'est quoi, là? Soyons clairs. Et c'est dans ce sens-là que je dis: Il y a un devoir de clarté qui, lui, va nous mener à un devoir de liberté et d'affirmation.

M. Gaulin: Merci, monsieur.

Mme Ghalem (Nadia): Est-ce que je peux ajouter quelque chose? Je voudrais juste dire que, pour ce qui est de Montréal, le message est clair: s'il y a un affichage en français, s'il y a une culture française, il y a un pouvoir d'attraction. Et, à ce moment-là, on n'assiste pas à cette façon continuelle d'éroder une culture. Puis, considérer comme minorité des gens qui sont dans une culture majoritaire, même hégémonique à l'échelle mondiale, je pense que c'est, quelque part, faire une erreur. Il me semble que nos compatriotes canadiens-anglais eux-mêmes ont intérêt à ce que Montréal soit francophone, à ce que Québec soit francophone, de façon qu'on ne soit pas tous baignés dans le même système, finalement. C'est tout ce que je voulais ajouter.

M. Beauchemin (Yves): Il y a 300 000 personnes et quelque, dans la région de Montréal, qui ne parlent qu'anglais. Bien, si c'est comme ça, c'est parce qu'elles n'ont pas besoin du français. Et la loi 86, en officialisant de nouveau – parce que, ici, au Québec, ça a bien l'air que la devise, ce n'est pas «Je me souviens», mais c'est «Je recommence» – le bilinguisme – c'est un bilinguisme atténué, mais le bilinguisme atténué, ça me fait penser à «un petit cheval est aussi cheval qu'un grand cheval», n'est-ce pas, c'est du bilinguisme – on rend le français inutile.

C'est une infime minorité de personnes qui se donnent la peine d'apprendre une langue comme sport culturel. Les gens apprennent une langue parce qu'ils sont obligés, parce que c'est une nécessité de la vie. Et, s'ils ne sont pas obligés, ils ne le font pas, parce que c'est pénible, l'apprentissage. Les journées ont seulement 24 heures, et puis on a des tas d'obligations. On ne se donne pas ce surcroît-là à moins que ce soit essentiel. Et la loi 86 envoie un message. Moi, j'ai le goût de citer René Lévesque dans sa réponse célèbre à Alliance Québec, quand il disait: À sa manière, chaque affiche bilingue dit à l'immigrant: Il y a deux langues ici, le français et l'anglais, on choisit celle qu'on veut. Et elle dit à l'anglophone: Pas besoin d'apprendre le français, tout est traduit. Un bilinguisme au Québec fait de l'anglais la langue commune de toute l'Amérique du Nord, le véhicule tout-terrain qui permet de se débrouiller en toute circonstance, et fait du français une langue qui va devenir tôt ou tard décorative et inutile parce qu'elle ne remplit plus de fonction.

Et le bilinguisme envoie aussi un autre message, je trouve. D'abord, et forcément, il gêne la francisation, ou il la bloque complètement, des allophones et des anglophones. Et une affiche bilingue, moi, j'ai toujours trouvé que, au Québec, ça veut dire que, puisqu'il y a de l'anglais sur l'affiche, c'est parce que le français ne suffit pas à toutes les exigences de la vie, l'anglais doit venir à la rescousse, il y a quelqu'un qui a besoin de l'anglais parce que le français ne suffit pas. Comment voulez-vous rendre une langue attirante en l'affublant d'une pareille image de faiblesse? Comment voulez-vous la faire aimer et la faire respecter?

Alors, moi, je suis un petit peu surpris, évidemment. La tactique qui semble être adoptée par certains anglophones, évidemment, c'est d'aller aux extrêmes, d'en demander énormément. Alliance Québec, c'est incroyable: ils voulaient la maison et tous les meubles du même coup. Ils demandent 100 pour obtenir 20. Pendant ce temps-là, dans le fond, leur effort vise à conserver la loi 86, qui est très utile parce qu'elle permet de gagner du temps.

En 1995, il y avait 54,5 % de francophones sur l'île de Montréal, et on en perd entre 0,5 % et 0,8 % par année. Un élève de l'école primaire pourrait, sans faire trop d'erreurs, connaître à peu près, si les choses restent telles quelles, si les niveaux d'immigration ne baissent pas énormément, le point de non-retour. Et le point de non-retour, c'est lorsque le français sera minoritaire à Montréal. Alors, là, bien, ça sera une question de temps, de génération, une ou deux, et le Québec aura perdu son centre nerveux et on basculera dans le folklore. Et, moi, je trouve qu'un gouvernement souverainiste – qui, pas plus que les autres gouvernements, ne peut connaître l'avenir – prend des risques graves avec notre langue et notre culture en refusant d'abroger cette loi 86, alors qu'il a le pouvoir de le faire et alors qu'il s'est engagé à le faire.

Je peux citer M. Bouchard lui-même, qui, en mai 1993, disait de la loi 86: «C'est une mauvaise loi, une loi dangereuse qui altère les visées de la loi 101 et qui compromet la sécurité du fait français pour l'avenir.» M. Laurin, l'instaurateur de cette loi, disait au Journal de Montréal , quelques jours avant: «Il faut vraiment être colonisé pour trouver l'affichage bilingue normal. Il faut avoir une longue habitude de la soumission, de la renonciation à sa propre personne pour accepter une chose comme celle-là.» C'est quand même grave, ces déclarations-là. Et, pour moi, elles ne font qu'une chose, c'est de refléter la vérité. Et l'aile parlementaire du Parti québécois disait: La loi 86 marque un recul de 20 ans.

Bien, oui, je recommence. Ce n'est pas des farces, on est en train de rediscuter encore de la nécessité de l'unilinguisme français. Il y a des gens qui vont nous dire: Ah! bien, maintenant, on peut se permettre de donner un peu de liberté linguistique aux gens, parce que, maintenant, les Québécois sont devenus plus matures, ils sont devenus plus sécures, ils se sentent mieux dans leur peau, là. Ça, ça me fait penser, je ne sais pas – excusez l'exemple, qui est un peu simpliste – à un ex-fumeur qui dirait: Maintenant que ma condition pulmonaire s'est améliorée, je peux me remettre à fumer, n'est-ce pas. Ça ne brille pas par l'intelligence. En détruisant les causes qui ont créé notre sécurité linguistique et l'épanouissement linguistique, en empêchant les moyens qu'on a donnés au français pour s'épanouir et atteindre la normalité, bien, on se retrouve à retourner en arrière. Et les mêmes problèmes, comme on le voit, sont en train de resurgir, sans compter – et je termine sur ça – qu'on aiguise l'appétit de nos amis anglophones, diablement.

Vous savez, moi, je trouve que, beaucoup de ces anglophones-là, on les classe en deux parties: les extrémistes et les modérés. Il y a beaucoup de ces modérés, moi, qui m'apparaissent comme tout simplement des extrémistes avec un peu plus de patience. Et, en parlant du mot «extrémisme», je n'aime pas beaucoup la comparaison qu'on fait, vous savez, quand on dit, par exemple, qu'on considère également extrémistes les adversaires de l'unilinguisme français au Québec et ses partisans. Comme si c'étaient les deux bouts du spectre et que, dans le fond, ça supposerait qu'il y a une position médiane idéale où tout le monde pourrait s'entendre. Je regrette, les adversaires de l'unilinguisme français, ou ceux qui font la promotion du bilinguisme, ils mettent en cause l'existence même, à long terme, du français, par le bilinguisme. C'est une démonstration qui a été faite plusieurs fois. Tandis que, nous, avec l'unilinguisme français, on ne met pas en danger l'anglais en Amérique du Nord, à ce que je sache. On n'enlève rien à la minorité anglophone, on n'enlève rien à ses institutions. Elle a accès à toute l'Amérique du Nord, elle a accès au monde électronique de l'anglais qui envahit la terre entière. On ne met pas en cause une culture. Il y a seulement un des deux qui met en cause la culture de l'autre et qui la met en danger, et c'est l'élément anglophone qui refuse deux choses: qui refuse d'être une minorité au Québec et qui refuse de vivre dans un société française.

(14 h 50)

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Comme... il reste 45 secondes.

M. Laurin: Je vais faire ça vite.

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Laurin: Étant donné la condamnation de l'unilinguisme par la Cour suprême et aussi par le comité des Nations unies, est-ce que vous nous suggérez de revenir quand même à l'unilinguisme, au nom des arguments que vous invoquez?

M. Roy (Bruno): Pour nous, c'est clair, d'autant que la déclaration de l'ONU nous considérait, à la limite, comme une minorité. Si elle nous avait considéré comme une majorité, elle aurait conclu autrement, voyez-vous. Alors, pour nous, c'est clair, il faut se comporter en majoritaires que nous sommes, c'est tout.

Le Président (M. Garon): Alors, merci. Alors, maintenant, le temps dévolu au ministériels étant passé, j'invite le député de l'opposition officielle, le député d'Outremont, à prendre la parole.

M. Laporte: Merci, M. le Président. On en apprend, des choses sur les changements d'opinion de nos collègues du gouvernement, M. le Président. Heureusement que ces gens-là sont venus ici pour nous informer.

Le Président (M. Garon): Je ne me sens pas visé.

M. Laporte: Non, non, pas vous. M. Roy, encore là, je suis pris avec la tâche pénible et odieuse de vous poser des questions qui sont des questions se rapportant aux faits. Par exemple, vous avez mentionné, en citant l'une de vos collègues, que deux langues qui se côtoient... lorsque deux langues se côtoient, l'une disparaît. Le cas de la Catalogne, le cas de Barcelone... Si vous y allez, vous allez constater que la santé du catalan est fort appréciable, et pourtant on y observe une concurrence, une cohabitation, une coexistence de langues. Donc, ce que je dis ici, encore une fois, c'est que, écoutez, on ne peut pas faire circuler toute affirmation, comme ça, sans intervenir. Et la question, c'est: Est-ce que, vraiment, vous maintenez cette affirmation à l'encontre des évidences les plus facilement disponibles sur un cas comme celui-là? Il y en aurait d'autres.

Deuxième question, évidemment, vous faites beaucoup état des travaux du professeur Fernand Dumont. On a parfaitement le droit de choisir ses modèles, mais ce genre de modèle colonialiste, néocolonialiste, qui fait référence à cette notion de réserve française, est une constante de l'oeuvre de M. Dumont dans à peu près tous les textes qu'il a écrits depuis 20 ans. Ça m'étonne que, dans la situation actuelle du Québec, et aussi des rapports entre le Québec et le Canada, on puisse encore véhiculer ce genre de modèle de domination. Tout de même, au Québec, depuis 20 ans, si on regarde les données du Conseil de la langue française, par exemple, le contrôle de l'économie par les francophones s'est beaucoup accru. Si c'est une situation coloniale, monsieur – j'aimerais vous entendre là-dessus – c'est une situation coloniale d'un type fort inusité.

Et, finalement, mais je réserverais peut-être ça pour une intervention ultérieure, je voudrais faire un correctif sur l'intervention de mon collègue, le député de Taschereau, M. le Président, mais je pense que je vais réserver ça pour plus tard, après qu'on aura bien voulu répondre à mes questions.

M. Roy (Bruno): Bien, pour répondre à votre première intervention, la question qui me vient, c'est: À quel prix?

M. Laporte: À quel prix?

M. Roy (Bruno): À quel prix? L'exemple du catalan, entre autres, c'est à quel prix, tout ça? Vous dites qu'ils ont...

M. Laporte: Vous me posez la question?

M. Roy (Bruno): Non, non, non...

M. Laporte: M. le Président, on me pose la question...

M. Roy (Bruno): ...vous avez fait une affirmation. Vous avez fait une affirmation.

M. Laporte: Non, je n'ai pas fait d'affirmation.

M. Roy (Bruno): Moi, je dis qu'il y a une inquiétude profonde et que le français risque de disparaître. Vous dites: Non, non, non, il y a des pays ou l'expérience a été positive. Et je réponds: À quel prix?

Le Président (M. Garon): ...extinction.

M. Roy (Bruno): Voilà. Et là il faudrait aller voir l'histoire. Pujol disait que c'était un combat constant: c'est la même chose pour nous, c'est un combat constant. Et ça n'a rien à voir, à la limite, avec les partis. Et, s'il y a d'autres exemples de réussite, je pense qu'il ne faut pas s'en servir comme une bonne conscience ici, au Québec, parce que le danger, il est réel. Ou le danger n'est pas réel ou il est réel, et il est réel.

Quant à Dumont, moi, je pense que la défense de la langue n'a aucun sens, voire qu'elle est impossible sans la conscience historique. Et de référer à Dumont, c'était simplement de dire que le gouvernement fonctionne encore dans la mentalité de la réserve française. Qu'il cesse de fonctionner dans cette mentalité, c'est tout. Sortez de cette mentalité de la dualité et agissez en souverains. Soyons souverains de nous-mêmes. C'est ça que je dis au gouvernement.

M. Laporte: M. le Président, ces propos s'adressent à la ministre de la Culture et des Communications et pas à moi. Je reviens un peu à mon intervention de ce matin....

Le Président (M. Garon): Vous êtes maître des questions, vous n'êtes pas maître des réponses.

M. Laporte: Non, non, mais enfin peut-être voudra-t-elle réagir à ce genre de propos, mais je voudrais...

M. Roy (Bruno): Un instant, un instant, Yves va compléter mon intervention.

M. Beauchemin (Yves): Est-ce que je peux répondre brièvement aux remarques que vous faites sur le mot «réserve» utilisé par Fernand Dumont? Manifestement, en disant le mot «réserve», ça réfère à une réalité coloniale. Et je ne pense pas que ce soit l'endroit, ici, pour se demander si nous ne sommes pas dans une situation coloniale, à moins que toute l'histoire qu'on nous a enseignée depuis 200 ans soit une totale fumisterie. Je pense même que Jacques Godbout reconnaît qu'il y a eu une bataille pas loin d'ici qui a eu quand même certaines conséquences, vous savez, certaines conséquences politiques et économiques.

À l'Acte d'Union, en 1840, les francophones formaient la majorité de la population; en 1891, ils ne formaient plus que 24 % du Canada, de la population. Le Québec, aujourd'hui, avec toute sa population de toutes origines confondues, il ne représente même plus le quart du Canada, et nous fondons à vue d'oeil. Évidemment, c'est pire à l'extérieur du Québec. Et vous posez des questions, vous vous offusquez que M. Dumont parle de «réserve»? Mais, après le combat de 200 ans, impitoyable et sans merci, qu'on a livré, au Canada, contre le français à l'extérieur du Québec et même à l'intérieur – et un combat qui continue toujours – vous vous surprenez de ça? Mais je suis surpris de cet étonnement d'un homme de votre culture.

M. Laporte: M. le Président, si vous me permettez, j'aimerais maintenant... pas adresser une question, mais disons transmettre une information à mon collègue, le député de Taschereau.

Il vient de nous déclarer que le français à Montréal, le nombre de personnes qui ne connaissent que l'anglais... Mais, écoutez, le gouvernement est privilégié, vous avez des services abondants, des ministères qui peuvent vous informer là-dessus. L'opposition n'a pas ce privilège. J'ai ici des données devant moi. Je l'ai répété ce matin, je le répète: la connaissance des langues officielles pour le Québec entier, 1941 à 1991, le pourcentage en 1991 est de 5,5 %, en 1941 il était de 12,3 %, donc plus de la moitié des personnes qui se déclarent maintenant unilingues anglophones. Pour ce qui est de la région métropolitaine de Montréal, le pourcentage, en 1991, est de 9,6 %, il était de 21,9 % en 1961: déclin rapide de l'unilinguisme anglais à Montréal. Île de Montréal, 1991, le pourcentage, 13,5 %; il était en 1961 de 22,6 %, 22,8 %. Rapide déclin. Île Jésus, 5,1 % en 1991, 12,3 % en 1961. Pour ce qui est de la périphérie de la région métropolitaine, alors qu'il est de 4,3 % en 1991, il était 20,3 % en 1961.

(15 heures)

Donc, écoutez, je reviens toujours là-dessus, c'est-à-dire qu'il faut contextualiser les statistiques qu'on transmet. Je ne nie pas les pourcentages pour 1991, on peut en faire l'évaluation qu'on voudra, mais ce qu'il faut constater, c'est que, dans cette région-là, M. le Président, dans toutes ces régions-là et au Québec, à l'échelle du Québec, l'unilinguisme anglais demeure une réalité sociolinguistique, mais c'est une réalité en déclin, et je termine en disant que c'est une réalité en déclin rapide. Je pensais qu'il était de mon devoir et aussi que c'était opportun pour mes collègues que je les informe de ces statistiques. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Je suis un peu embêté, M. le député de Taschereau demande la permission de vous répondre. Ça prend votre consentement.

M. Laporte: Tout à fait, M. le Président. Mais là c'est que j'ai un collègue qui voulait intervenir malgré tout, là.

Le Président (M. Garon): Vous en avez même deux.

M. Laporte: Alors, à ce moment-là...

M. Gaulin: Rapidement, il m'a interpellé. Normalement, on entend les gens qui sont là; on peut le faire plus tard dans l'étude article par article. Il me redonne exactement les chiffres que je viens de lui donner: 9,6 %, pour Montréal, qui ne parlent que l'anglais. Écoutez, les statistiques, c'est un peu comme un lampadaire pour un robineux: éventuellement, ça sert à le soutenir...

Une voix: Et non pas à l'éclairer.

M. Gaulin: ...alors que ça devrait l'éclairer. Je m'excuse, là.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Frulla: Merci, M. le Président. Brièvement, parce que je veux laisser mon collègue de la communauté anglophone aussi parler.

On parle beaucoup de 9,6 %, effectivement, excepté qu'il y a un fait aussi encourageant, c'est que... encourageant, en fait, c'est en diminution; il ne faut pas oublier ça non plus. Puis là je veux revenir à ma question. On dit que les ménages francophones ont quitté beaucoup Montréal, puis tout ça. C'est vrai, excepté qu'il faut aussi pondérer ça avec le fait que les politiques d'habitation qui ont été décidées par les gouvernements respectifs – on n'a pas été mieux, de part et d'autre, et municipaux aussi – ont fait en sorte que les familles ont quitté pour s'en aller en banlieue. Après ça, il y a eu tout le phénomène d'étalement urbain, etc. Ce qui fait que, vous le savez comme moi, le visage de Montréal a changé, mais pas tellement face à l'anglophone qu'aux multiples communautés culturelles – je me sens très à l'aise, compte tenu de mes origines, pour en parler, hein – qui enrichissent Montréal, mais qui font que le visage même de Montréal a changé.

Ne considérez-vous pas qu'on parle beaucoup aussi français et anglais, mais que, quand on s'en va dans le nouveau Bordeaux, c'est français et arabe? Quand on s'en va dans d'autres quartiers, bien, c'est français et chinois et puis, quand on s'en va dans Côte-des-Neiges, bien, c'est français puis il y a du sikh. Il y a un peu de tout maintenant à Montréal, ce qui donne une coloration très intéressante à Montréal, mais, au niveau du visage français, nous demande d'être aussi vigilants.

Et, à ce fait-là, je trouve que la politique a beaucoup de mérite, parce qu'on parle de beaucoup, beaucoup d'intégration et d'inclusion aussi des immigrants, d'intégration – on en parle aussi – dans le système d'éducation, ce qui fait en sorte que, pour moi en tout cas, la clé de tout ça, à Montréal surtout, ce n'est pas tellement la communauté anglophone en soi, pure, mais c'est beaucoup plus l'intégration, justement, des immigrants, qui sont obligés et, espérons, maintenant, y vont de bon coeur... Et, moi, je pense que oui, compte tenu de mon comté qui est à 52 % communautés culturelles: les gens vont d'obligation à l'école française, mais aussi de bon coeur. Il s'agit de continuer ça, finalement, de telle sorte que les nouveaux arrivants qui peuplent Montréal et le Québec deviennent francophones, s'intègrent à la communauté francophone et le fassent aussi de façon obligatoire, oui, mais incitative. Et, à ce niveau-là, je trouve qu'il y a de grands mérites dans cette politique-là, qui est en continuité, finalement, avec ce qui a été fait jusqu'ici.

Alors, ma question, c'est: Vous ne trouvez pas que la clé est là? Parce que, ce qui m'achale, c'est qu'on polarise beaucoup français-anglais, communauté anglophone-communauté francophone; mais je trouve que Montréal, ces dernières années, ce n'est plus ça. Vous savez, sur le coin d'une rue, il nous arrive souvent de voir ce qu'on ne voyait pas avant: maintenant, il nous arrive souvent de voir trois, quatre communautés culturelles représentées par des gens qui sont là, sur le coin d'une rue. Dans mon comté, moi, il y a neuf communautés culturelles dans une classe. C'est ça, Montréal, maintenant.

Et je trouve que la clé est là: toujours continuer cette intégration des immigrants, surtout à l'école francophone, ce qui n'existait pas dans les années cinquante-huit, où – puis, ça, c'est ma famille, c'est mes cousins, mes cousines, tout ça – on les exhortait gentiment à s'en aller à l'école anglaise parce que, bon, on avait trop d'enfants à l'école française puis que c'était un paquet de troubles de toute façon, de prendre des gens qui ne parlaient pas la langue, là. Je veux dire, c'était ça aussi, la réalité. Là, je parle du vécu. Il me semble que c'est ça, la clé, aussi, pour moi, entre autres, là.

M. Roy (Bruno): Oui. D'un certain point de vue, et si on le regarde d'un point de vue strictement de relations humaines et individuelles, je pense que la dynamique que vous décrivez est tout à fait juste. Nous, on intervient au niveau d'une problématique sociale, à Montréal, qui dépasse les cas individuels et la volonté des individus. En 1991, au Québec, le français réalise un gain net de 66 141 personnes au moyen de l'assimilation actuelle; le gain de 135 603 pour l'anglais est autrement plus impressionnant. Ici, ça nous amène dans une perspective globale qui dépasse les cas individuels. Nous, ce qu'on dit, c'est que, si cette tendance devait se poursuivre, il va y avoir un point de non-retour. Et je pense qu'il faut être suffisamment vigilant et qu'une proposition de politique linguistique soit très claire à ce niveau-là.

Comme je le disais dans le document, ce n'est pas une question de ressentiment, c'est une question de voir le tout et non pas la partie. Et une politique doit s'asseoir sur le tout et non pas sur la partie. En d'autres mots, il y a un centre puis il y a une périphérie. On ne fait pas une politique en fonction des périphéries, il y a un centre. Évidemment, la périphérie va être accrochée au centre, mais le centre du Québec, si je poursuis ma métaphore, le centre, c'est le français, voyez-vous. Nadia voulait intervenir.

Mme Ghalem (Nadia): Oui, ça va être bref. Je voulais simplement dire, pour ce qui est des nouveaux arrivants, je pense que c'est un petit peu comme pour les jeunes, il faut qu'il y ait un message clair. Si on a un pays francophone ou un pays où la langue française est perçue comme allant de soi, normale, courante, on n'aura pas de problème. Je ne vois pas en quoi ça menacerait les autres communautés, parce que, de toute façon, on l'apprend, l'anglais, on y est dans le continent, et les enfants qui sont élevés dans des écoles unilingues francophones deviennent bilingues à l'adolescence. On n'a aucune difficulté à l'apprendre, donc il n'est pas menacé.

Et il y a une autre chose à laquelle je pense pour ce qui est des nouveaux arrivants. Souvent, ils ont quitté leur pays dans la difficulté, puis on leur propose encore d'autres difficultés. C'est un euphémisme quand je parle de difficultés pour ce qui est de... Alors, je pense qu'il faut y penser puis il faut... C'est important d'avoir une culture à laquelle les gens se réfèrent, qui est quelque chose de solide, qui est importante, et puis après, on peut en apprendre, des langues, cinq, six, s'il le faut: ce n'est pas un problème, j'en sais quelque chose. Alors, c'est ça.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Pour revenir sur le nombre de personnes de la communauté d'expression anglaise unilingues, ça m'étonne de voir encore une fois que c'est un geste de méfiance. Si on regarde cette portion de la communauté d'expression anglaise, on va trouver beaucoup de personnes âgées, des personnes qui n'ont pas eu accès à la formation comme il faut en français il y a 50 ans, il y a 45 ans. On a affaire à un problème très sérieux. Je pense que la commission de l'éducation s'est penchée sur ça cette semaine, les décrocheurs de la communauté d'expression anglaise. Parce que c'est évident, si on décroche de l'école, on décroche également des cours de français. Alors, oui, dans ce monde-là, on va trouver du monde avec un taux de chômage très élevé, des personnes qui ont des problèmes d'adaptation très sérieux, peu importe la société, mais surtout la société québécoise, parce qu'en décrochant de l'école on décroche également de la formation en français.

Et, troisièmement, on va trouver, oui, c'est vrai, des personnes qui viennent d'arriver au Québec, parce qu'on n'a pas toutes les choses qu'il faut dans notre société au niveau de la main-d'oeuvre... Moi, j'ai assisté lundi... deux hommes d'affaires, un du Utah, un de l'État du New Hampshire, qui sont unilingues anglais, qui viennent d'ouvrir une usine à Pointe-Claire, qui viennent de créer 120 emplois dans mon comté. Alors, je pense que le fait qu'ils soient là est une bonne nouvelle, mais on va les trouver, à court terme, parmi le 9,5 % des personnes qui ne peuvent pas s'exprimer en français. Mais ce n'est pas une mauvaise nouvelle en soi, et je pense qu'il faut traiter ces données avec un petit peu de prudence.

Je pense qu'il faut reconnaître aussi que, dans mon comté, il y a beaucoup de parents d'élèves admissibles à l'école anglaise qui ont opté, sans coercition, rien, pour envoyer leurs enfants dans une école française. Alors, il y a un grand progrès, dans la communauté d'expression anglaise, dans sa capacité de s'exprimer en français. Alors, je pense qu'il faut avoir un petit peu de souplesse.

(15 h 10)

Alors, quand je lis... Souvent, dans votre mémoire, on parle d'une société homogène. Ce n'est pas une société homogène, et je pense que ce n'est pas souhaitable pour le Québec de devenir une société homogène. Et ça m'étonne de voir une union des écrivains, qui doit, à mon avis, promouvoir la diversité d'opinions, promouvoir un certain débat libre, et tout ça, venir ici et dire que ça doit être homogène, qu'il faut la clause «nonobstant»... Il y a des opinions qu'on ne peut pas tolérer ici. Je dois avouer, M. le Président, que ça m'étonne beaucoup.

M. Roy (Bruno): C'est un exemple de piège, hein. Le sens des mots, on ne l'aurait pas, nous? Vraiment! On parlait de cohésion sociale. Si l'homogénéité veut dire quelque chose, c'est ça, c'est cohésion sociale. Ce n'est pas l'unité au sens où vous le sous-entendez sans le dire. Je pense que, là, vous nous faites dire des choses qu'on n'a pas dites. On parle de cohésion sociale, et c'est tout à fait normal qu'une langue rassemble des gens plutôt qu'elle les divise. Quand quelqu'un arrive ici et qu'il découvre que ça se fait en français, il devrait se réjouir parce qu'il va participer, lui, à une culture nouvelle pour lui-même, et c'est un enrichissement.

Le Président (M. Garon): On vous remercie.

M. Roy (Bruno): Vas-y. Prends...

M. Beauchemin (Yves): Vous laissez entendre que l'Union des écrivains souhaite un Québec homogène, en laissant entendre que c'est un Québec monolithique, un peu «drab», tout de la même couleur, mais ce n'est pas du tout ça. Ça me rappelle certaines critiques de Marcel Côté, là, de la firme SECOR, qui disait que c'était impossible de penser que Montréal pourrait adopter un caractère international s'il restait français. C'est drôle, moi, je suis allé à Paris, puis je trouve que c'est pas mal international, Paris, moi, puis c'est français aussi. Comme si le français ne pouvait pas, par lui-même, s'ouvrir sur le monde puis sur la diversité, comme s'il y avait seulement l'anglais ou, je ne sais pas, peut-être le chinois ou l'espagnol qui pouvaient faire ça, mais que, nous, on ne pouvait pas faire ça. Si on est francophone, ça veut dire nécessairement qu'on se referme sur nous, qu'on devient monolithique. Je ne saisis pas votre raisonnement.

Le Président (M. Garon): Bon...

M. Beauchemin (Yves): Je pense qu'on peut être – puis on l'a montré, puis on le montre encore – chaleureusement ouvert à tout le monde tout en parlant français, qui est notre culture...

Le Président (M. Garon): Je...

M. Beauchemin (Yves): ...et en l'offrant, cette culture, à ceux qui viennent.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, et je veux remercier les représentants de l'Union des écrivaines et écrivains québécois, M. Roy, M. Beauchemin, Mme Ghalem. Et, comme toute bonne chose a une fin...

Alors, je vais inviter maintenant l'Association des usagers de la langue française à venir rejoindre la table des témoins. Alors, l'Association des usagers de la langue française a une heure, c'est-à-dire, normalement, 20 minutes pour faire son exposé, 20 minutes pour le parti ministériel, 20 minutes pour l'opposition officielle. Et, quand vous serez près du 20 minutes, bien, si je vois que c'est pour aller un peu plus loin, je vous ferai signe – parce que, des fois, les gens oublient que ça fait déjà 20 minutes – pour qu'il y ait le maximum de discussion possible avec les parlementaires qui sont venus vous entendre. Alors, j'invite le porte-parole à se présenter, à présenter les gens qui l'accompagnent et à commencer son allocution.


Association des usagers de la langue française (ASULF)

M. Auclair (Robert): À l'extrême gauche, il y a M. François Delorme, qui est le secrétaire de l'Association; à ma gauche, M. Réal Mireault, qui est vice-président à Montréal; à ma droite, Mme Esther Taillon, qui est vice-présidente à Québec; à l'extrême droite, M. Étienne Giasson, qui est trésorier de l'Association. Alors, dans la liste que j'avais envoyée, le nom de M. Mireault n'y était pas parce qu'il n'était pas sûr qu'il soit présent. Ça va? Ah! Robert Auclair, le président. Pardon.

Vous avez probablement remarqué une coquille qui est répétée à quelques reprises dans les premières pages. Il ne s'agit pas du projet de loi n° 140, mais bien du n° 40. Alors, il faut corriger à la fois dans le résumé du mémoire, la première page et la table des matières. C'est toujours 40, évidemment.

Alors, le thème du mémoire, en deux mots: Une grande oubliée, la qualité de la langue. Je dirais que la meilleure preuve, c'est que le projet de loi n'en dit pas un mot. Et la deuxième phrase: Trêve de paroles, passons aux actes. Alors, le document de consultation parle de la qualité, tout le monde en parle parce que tout le monde est pour la vertu, mais on prétend que ça ne se concrétise pas. C'est pour ça qu'on dit: Passons aux actes. Alors, je ne vous lirai pas tout le document au long, là, soyez sans inquiétude.

Alors, l'Association regroupe des gens principalement au Québec. Il y en a même dans l'Assemblée nationale. Elle a été fondée en 1986 parce qu'il y a des gens qui constataient que le souci du statut avait un peu fait oublier le volet de la qualité et que les organismes prévus dans la Charte ne faisaient pas d'intervention concrète dans des cas particuliers. Alors, l'ASULF travaille à l'amélioration de la qualité de la langue publique, de l'administration, des médias. On ne s'occupera pas de la langue de la cuisine ou des chambres à coucher, pour employer une expression de M. Trudeau. Elle vise à s'assurer que les recommandations et les avis de normalisation de l'Office publiés à la Gazette soient suivis dans la vraie vie et ne demeurent pas des voeux pieux, comme c'est le cas actuellement, à notre humble avis. Alors, les efforts portent sur les lois et les règlements. On va y revenir.

Il ne faut pas voir dans notre affirmation un reproche à l'endroit de l'Office, qui a fait un travail considérable, mais qui le fait dans les limites de la Charte et avec les moyens qu'on lui donne. L'ASULF a recours d'ailleurs assez souvent aux offices de l'Office et apprécie grandement l'aide qu'elle reçoit. Elle n'hésite pas à dire qu'elle se sent bien traitée par cet organisme. Bien des gens nous encouragent. Par ailleurs, les promoteurs de la qualité font toujours un travail dangereux, parce qu'on leur rappelle qu'ils font également, eux-mêmes, des fautes.

Également, la notion de qualité n'est pas une notion bien, bien définie si on s'en tient au document de consultation, et la Charte ne prévoit pas d'intervention d'ordre législatif en matière de qualité. Un exemple – ça, c'est un document publié par l'Office de la langue française: «Comment faire appliquer la Charte de la langue française». Et je vous cite une phrase. Alors, on dit qu'est-ce qu'on peut faire: Réclamer, etc. «Par ailleurs, la qualité du français n'étant pas sanctionnée par la loi, l'Office intervient au besoin pour recommander des corrections linguistiques. Toutefois, il ne peut assurer que la situation sera corrigée ou améliorée, l'entreprise pouvant décider ne pas tenir compte des recommandations qui lui sont faites.» Alors, en matière de qualité, l'Office fait des suggestions et des recommandations, mais on peut l'envoyer promener, si vous me permettez l'expression.

Alors, l'objet du mémoire porte essentiellement sur la qualité. On ne parle pas de la langue de l'enseignement. On ne se vantera pas des victoires qu'on a remportées, mais on va vous indiquer plutôt les démarches qu'on a faites, qui ont abouti à des échecs ou à des gains minimes. Et le résultat eût été sans doute différent si un organisme officiel avait eu autorité en matière de qualité pour intervenir. Alors, nous souhaitons des changements, mais nous croyons que des initiatives d'ordre administratif ne suffisent pas, qu'il faut une disposition législative. Alors, une intervention – on dit, au haut de la page 6 – concernant le statut doit nécessairement englober la qualité. Et c'est souvent un aspect qu'on oublie. On met des mots français, mais on oublie l'aspect qualité.

Projet de loi n° 40. Je fais une petite observation. J'ai remarqué avec plaisir que le projet de loi, c'est un détail, c'est «n°», un «n» avec un «o» en position supérieure; ça, c'est un retour à une ancienne tradition qui avait été abandonnée. Le nouveau numéro, c'était 40, c'était 57... Et, quand je regarde votre nouveau projet de loi, je vois que ça commence par 1, 2. Alors, j'ai ici un projet de loi que j'ai conservé religieusement depuis 20 ans, le projet de loi numéro 101, et on voit une petite différence, encore un détail: il y a un «titre premier», il y a un «chapitre premier» puis un «article premier», il n'y a pas un «article 1». Alors, l'Association est intervenue il n'y a pas longtemps auprès des légistes, puis, on nous a dit que ça avait de l'allure. Ils nous ont même dit qu'ils étaient surpris. Ce sont des détails... La Charte de la langue, en 1977, dans sa simple présentation, a une allure un peu différente, et, si vous y retournez, vous la regardez, vous allez voir ça.

Alors, le projet de loi ne comporte aucune disposition sur la qualité et fait renaître la Commission de protection. Alors, pour nous, il s'agit d'un changement de structure qui n'aurait pas d'effet significatif sur la qualité, il va sans dire. J'oublie l'aspect statut, là, ce n'est pas... Certains des administrateurs actuels et d'autres par la suite ont constaté que la structure ne règle pas tout. Les dirigeants ou les dirigeantes comptent énormément. L'Association dépose assez souvent des plaintes pour violation de la Charte quand il s'agit d'unilinguisme anglais autre que l'affichage, mais le traitement de ces plaintes, si on fait une récapitulation, ça peut avoir varié avec les années. Par ailleurs, on n'a pas constaté de différence de traitement à l'Office et à la protection. Ce sont des fonctionnaires qui accusent réception de nos plaintes puis y donnent suite.

(15 h 20)

La qualité. Le document traite à quelques reprises de la qualité. Alors, on dit que ça serait Jean-Denis Gendron qui aurait popularisé cette expression-là pour la première fois, ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas été question de la qualité en France, évidemment. Ce document reconnaît – le document de consultation qui nous a été soumis – que la qualité a souvent été supplantée par le statut et l'usage. Et l'Association va plus loin, elle reprend la citation de Cajolet-Laganière et Pierre Martel dans leur livre sur la qualité du français au Québec: «À sa base, nous croyons que le "statut de la qualité" de la langue n'a pas encore été affirmé par l'État» – et au deuxième alinéa que, des budgets, trop peu sont consacrés à la qualité de la langue. Heureusement, on dit qu'on va insister sur la qualité, on propose à la société québécoise de renouer avec la qualité. On se réjouit de ça.

Par ailleurs, il n'y a rien sur l'aspect qualitatif, et le projet de loi n° 40... Ça s'explique, on ne peut légiférer en matière de qualité. Dans aucun pays on ne peut le faire. Et, lorsqu'on dit que quelque chose se fait en français sans le définir tout simplement parce que cette définition n'est pas du ressort de la loi, ça, ça nous agace puis, franchement, nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec ça, vous allez le voir dans les pages qui suivent.

À un colloque, en 1979, on a reconnu que la qualité de la langue n'était pas incluse dans le champ de compétence de la loi. Alors – «législation en matière de qualité», je suis à la page 9 – on accepte mal cette affirmation-là. L'Association ne voit pas en quoi il serait détestable que l'État intervienne en cette matière, alors qu'on réclame qu'il le fasse en matière de politique culturelle ou de préservation du patrimoine. Guy Rocher disait, au colloque dont je viens de parler, que ça serait curieux de voir un débat à l'Assemblée nationale sur la syntaxe ou la grammaire. Nous n'en demandons pas tant. Cependant, nous ne voyons pas pourquoi l'État n'indiquerait pas ce qu'il entend lorsqu'il édicte qu'un texte doit être en langue française, parce qu'il y en a certains qui prétendent que la norme n'est pas définie et qu'on ne sait pas trop de quel français il s'agit. L'ASULF estime qu'un texte est écrit en français lorsqu'il est conforme aux codes orthographique, grammatical, syntaxique ou lexical qu'on trouve dans les grammaires puis les dictionnaires. Ça serait un objectif clair si la Charte contenait un énoncé de principe de cette façon-là. C'est peut-être affirmer une évidence, mais vous allez voir par les exemples qui viennent que, des fois, il y a des choses qui ne sont pas évidentes pour tout le monde. Et – au haut de la page 11 – il faudrait modifier le processus de la rédaction des lois. Ça, ce n'est pas une modification à la Charte, mais une façon de procéder.

L'action proposée dans l'administration. On vous cite un extrait d'une revue française où on dit que l'administration participe à l'«éminente dignité de la souveraineté nationale», qu'elle impose des mots, des tournures, des expressions et que, compte tenu de son caractère officiel, elle contribue, autant que l'enseignement et l'Académie française, à donner le ton en matière de langage. Alors, c'est une affirmation très sérieuse, très lourde, mais que nous partageons.

Le document suggère de mettre sur pied un comité ministériel qui sera présidé par un sous-ministre, tout ça. Nous disons: Très bien. Ce comité-là va sûrement faire du bon travail, mais à condition que la commission ne vive pas la situation semblable à celle que Gaston Cholette décrit dans son volume «L'Office de la langue française de 1961 à 1974», où il raconte l'histoire de l'Office, où un sous-ministre lui avait dit: Je trouve que tes gars exagèrent, qu'ils ne tiennent pas compte de la bonne volonté... Alors, évidemment, plus ou moins bon français, c'est... Soyez un peu compréhensifs, même si ce n'est pas tout à fait correct.

Et le choix des acteurs, évidemment, il faut que les gens qui appliquent la loi y croient; ça peut être encore une évidence, mais c'est bon de le rappeler. Parce qu'il ne faut pas oublier que l'expérience nous apprend – au haut de la page 13 – qu'il y a effectivement une résistance, sinon une opposition bien perceptible dans certains cas. Quand on veut intervenir, puis dire: Ça, ce n'est pas bon, là, on se fait traiter de préfets de discipline puis on est regardés comme des puristes – ou choisissez d'autres qualificatifs.

Il faut une disposition législative qui permette à la Commission d'affirmer son autorité en face des agents de l'administration, alors que l'Office, actuellement, se contente d'intervenir gentiment puis de faire des suggestions. Et l'on voit mal les dirigeants de la Commission qui s'opposeraient à la volonté d'un ministre ou d'un sous-ministre. Il lui faut – on l'a écrit entre guillemets – un statut blindé. Le Directeur général des élections a un autre statut.

Et la Charte ne fait pas consensus au Québec. Vous l'avez vu par les mémoires qui vous ont été déposés ici, il y a beaucoup d'anglophones qui la contestent, disant qu'il y a des francophones qui trouvent que l'Office est trop sévère, d'autres qu'il n'est pas assez sévère. Alors, la personne qui applique une loi contestée comme ça, qui ne fait pas consensus, a besoin d'avoir un statut sûr. Or, l'article 159 dit: mandat d'au plus cinq ans. Ça peut être cinq mois.

L'action proposée dans le secteur privé. L'Office fait des suggestions, n'intervient pas d'office. Le chef du service de traitement des plaintes – je la cite à la page 14... Parce que l'ASULF a écrit souvent: On va tenter d'améliorer la situation – ça, c'était à ABI Bécancour, la convention collective. Le directeur des ressources humaines a dit à notre préposée qu'il allait rencontrer le président du syndicat et qu'ils allaient en discuter. Compte tenu de cet engagement, notre intervention est terminée, car il s'agit d'une question relative à la qualité... Dans un tel cas, nous devons compter sur la bonne volonté de l'entreprise.

Comme efficacité, on a déjà vu mieux. C'est la loi. Alors, la Charte ne donne pas à l'OLF le pouvoir d'intervenir: voilà la raison toujours invoquée par cet organisme. Et nul doute que ça vient d'un juriste qui ne peut pas concevoir que l'Office dise à quelqu'un de faire une chose s'il n'y a pas une poursuite possible. Toujours l'aspect légaliste de l'affaire. Cette conviction est entrée dans la tête des dirigeants. Et le résultat de cette politique d'abstention est déplorable, à notre avis.

Alors, les exemples, on va passer rapidement. Mais je vais au moins... Le Code des professions a été modifié. Pour une fois, 140 est bon. Ne corrigez pas le 140, à la page 15, c'était le bon numéro. Alors, l'Association avait dit: Remplacer «corporation professionnelle» par «ordre professionnel», qui était d'ailleurs l'expression utilisée dans la Charte de la langue française. C'est la seule suggestion qui a été acceptée. Alors, on suggérait de parler d'«ordre» tout court, de parler du code des ordres professionnels, du tribunal des ordres professionnels, parce que le mot «profession» est utilisé dans le sens anglais, puis l'Office de la langue française nous appuyait là-dessus. Alors, j'ai dit, moi, que le législateur s'est plié au goût ou aux caprices des intéressés. On n'a pas osé intervenir là-dessus.

Et, dans ce même dossier – au bas de la page 16 – on a appris qu'il y avait un ordre professionnel qui s'appellerait le Collège des médecins du Québec. Qui a été consulté? Je ne le sais pas, mais en 1968 le comité d'étude des termes de médecine avait dit: C'est un archaïsme et un anglicisme. Alors, la Loi médicale de 1978 donnait un choix: Vous vous appellerez la Corporation professionnelle des médecins du Québec ou l'Ordre des médecins du Québec. Évidemment, on a sauté sur l'appellation incorrecte, et on a profité... Je ne sais pas comment ça s'est fait, je n'en ai pas entendu parler, toujours que la loi parle de Collège des médecins. Alors, ça, c'est un recul du français qui est l'oeuvre du législateur puis de l'Office des professions. Alors, si vous modifiez la loi, le Code des professions, cette année, vous pourrez peut-être en profiter pour nous ramener avec l'Ordre des médecins, qui est l'expression correcte.

L'avant-projet de loi sur la souveraineté. L'Association avait fait quelques observations, dont une, à savoir que c'était: «Le Parlement décrète» et qu'on suggérait d'employer le mot «édicter», comme on le fait au fédéral. Là-dessus, après avoir écrit bien des lettres, nous avons eu une réponse où l'on dit – au bas de la page 18 – que ce changement semble faire consensus. Et le secrétaire nous dit: Je vais saisir le comité de cette question. Mais on nous rappelle – à la page 19 – qu'il faut que l'article 31 de la Loi sur l'Assemblée nationale soit modifié. Alors, moi, je vous dis: 1996 file à grands pas; pariez sur la date où le changement sera fait.

La Loi sur les compagnies et la Loi sur les assurances. S'il y a des lois qui massacrent la langue, c'en est, surtout la Loi sur les compagnies. Alors, page 20, il y a un sociétaire, un de nos membres, qui reçoit un avis du groupe vie Desjardins-Laurentienne. Il est convoqué à une assemblée générale spéciale en février 1996. Alors, l'ASULF écrit pour leur dire que c'est un anglicisme, de «special meeting», comme «assemblée régulière» est un calque de «regular meeting». Alors, on a reçu une réponse. Regardez ça, dans le milieu de la page 20: En fait, nous utilisions l'expression «assemblée extraordinaire» jusqu'à récemment, mais, vu qu'il y a eu des fusions de compagnies, tout ça, là, nous avons décidé de nous coller... Le législateur utilise l'expression «assemblée spéciale», nous faisons de même. Il nous apparaît souhaitable d'utiliser les termes utilisés dans les textes de loi. En conséquence – page 21 – nous vous suggérons d'adresser votre recommandation à qui de droit au gouvernement. C'est ce que nous faisons. Alors, on a demandé de réviser la décision. Évidemment qu'on n'en aura pas de réponse. Le ministre de la Justice, à qui on a écrit, a accusé réception. Que va-t-il se produire? Qui va être consulté?

(15 h 30)

La Loi sur la Communauté urbaine de Québec. Je vois un avis: «Assemblée régulière». On écrit à M. Larose: encore le même genre de réponse: Mme Lachance dit que c'est dans la Loi sur la Communauté urbaine de Québec. Alors, c'est le bon législateur qui sème les anglicismes.

Dans Le Soleil d'hier, je vois un titre: «Bouchard se fait rassurant». Alors, ce n'est pas ça qui... Au début de l'article, il est question des séances régulières puis des séances spéciales. Alors, on ne peut pas blâmer ni le journaliste ni peut-être les hommes politiques; ils utilisent le vocabulaire que la loi leur met dans la bouche.

Alors, vous avez un certain nombre d'exemples, je vous en fais grâce. Je veux juste vous mentionner, par exemple, des barbarismes comme «être à l'emploi de», puis «extensionner», au bas de la page 22. C'est dans les lois, ça. Alors, quand on dit aux gens que ce n'est pas français, les gens nous regardent...

Alors, je passe sous silence cette page-là. Combien me reste-t-il de temps? Je ne veux pas...

Une voix: Quatre minutes.

M. Auclair (Robert): Quatre! Oh, ma tante!

Une voix: Oui.

M. Auclair (Robert): Page 24, «place d'affaires». Alors, en 1991, on a étudié le projet de loi sur la fiscalité municipale. Il y a eu un débat entre M. Ryan puis M. Léonard, parce que M. Léonard voulait garder «place d'affaires», qui était connu, et M. Ryan disait: Nos conseillers nous suggèrent «lieu d'affaires». Ça, c'est tomber de Charybde en Scylla, ce n'est pas mieux l'un que l'autre. Alors, vous voyez les fautes du Code des professions, des droits et libertés, je passe là-dessus.

Révision globale. M. Cholette rappelle qu'en 1965 le gouvernement – au haut de la page 26 – avait pensé à réécrire en bon français tous les textes de loi – ça voulait dire qu'on avait jugé que le malade méritait une chirurgie générale – mais on y a renoncé. Dans la citation, dans le milieu de la page, il y a le mot «comté»; c'est «comité», évidemment.

Associer juristes et linguistes. Je me permets d'insister: les juristes conçoivent mal que des jurilinguistes leur soient associés pour rédiger les lois. Ils ont la conviction de connaître ça, alors... On nous dit, des fois: La Charte a été rédigée par des linguistes. Ça revient comme une ombre, parfois. Alors, M. Cholette raconte que l'OLF a déjà essayé de s'imposer, dans les années passées. Ça ne s'est jamais concrétisé. Pourtant, nous, nous croyons que, si un texte de loi doit être rédigé correctement, si les linguistes sont pour intervenir, c'est au moment de la rédaction de la loi, pas recevoir le projet de loi, 200 articles, et dire: Regardez donc ça. À ce moment-là, la maison est construite, il est trop tard pour intervenir. Ça, ça ne demande pas une modification à la loi.

Réviser les lois importantes. Bien, si, par exemple, il y a une commission parlementaire sur la sécurité routière, je pense que, si on modifie cette loi-là de fond en comble, bien, c'est le temps d'en profiter et de corriger le vocabulaire.

Corriger des termes dans les lois. J'ai un exemple concret, c'est en 1978, on avait modifié la Loi sur les accidents du travail puis on avait modifié le vocabulaire de base de cette loi-là: «maladies industrielles», «dépendants», puis «compensations», puis «cédules». Il y avait une loi qui remplaçait sept, huit expressions: «réhabilitation» par «réadaptation»... Alors, ça se fait quand on le veut, mais ça prend... Alors, passons aux actes!

Les règlements. On est intervenus pas des centaines de fois, mais des dizaines de fois. Mais chassez le naturel, il revient au galop. On mentionne, à la page 30, ce qui est dit dans le rapport, là, le Code de plomberie puis le Code de sécurité pour les travaux de construction qui renvoient à des normes existant en anglais uniquement. D'après nous, c'est incompréhensible. J'étais au ministère du Travail il y a 20 ans puis je luttais déjà contre ça. En 1996 le même problème existe, alors ça veut dire que ça ne bouge pas vite de ce côté-là.

Les formulaires, page 31. Il y a un formulaire utilisé par tous les fonctionnaires depuis 30 ans, à ma connaissance, rempli de fautes. On est intervenu en 1987, 1990, 1993, puis, à force de demander à l'Office, bien, finalement, en 1994, on nous a dit que le nouveau formulaire serait corrigé. Si vous regardez à la page 32, vous voyez que les auteurs Laganière et Martel vous donnent la liste des changements. Alors, ce qu'on dit, au bas de la page 32, c'est qu'il a fallu qu'intervienne le président, appelé à utiliser ces formulaires dans l'exercice de ses fonctions, quand des milliers de fonctionnaires, y compris des organismes, ont rempli ça pendant des années. Comment expliquer que personne n'ait réagi? Nous avons envie de dire humblement: Si l'ASULF n'était pas là... Alors, c'est inacceptable qu'on doive intervenir puis corriger des formulaires un par un. À ce rythme-là, on va se revoir en 2096. Alors, il faudrait qu'un règlement soit révisé au point de vue linguistique. Tout se tient...

L'affichage public. Alors, évidemment, je vois, par le document de présentation, qu'à la page 34 on parle des affiches unilingues anglaises. Alors, je vous ai donné un certain nombre d'exemples d'affiches dites françaises, mais qui sont du franglais. Je me permets de parler d'une: quand on voit «détour» puis «construction». On avait écrit en 1985 et on avait eu une réponse deux ans après du comité des transports: Notre première préoccupation, c'est la sécurité; «déviation» est plus approprié, mais «détour» est compris par un plus grand nombre parmi les usagers du réseau routier. On est revenu en 1990 – M. Ryan avait formé un comité pour l'affichage – là, on a eu une réponse, qu'on préférait garder ces mots-là pour éviter une bilinguisation de l'affichage. En d'autres termes, c'est de prendre les anglophones pour des imbéciles. Ils vont avoir un mur puis une flèche grosse de même, puis, «déviation», ils ne comprendront pas ça, quand le mot «deviation» puis «deviate», ça se ressemble pas mal. Alors, c'est pour vous dire qu'à trois ans d'intervalle on a des arguments opposés pour refuser. Alors, personne n'intervient pour faire disparaître ces affiches. J'ai encore des lettres de l'Office où on nous dit: On ne peut pas, on va faire des recommandations.

Les raisons sociales. J'en ai cité un certain nombre. M. Jean-Claude Corbeil, à une conférence, à une communication à l'occasion de la fête du français...

Le Président (M. Garon): Vous avez dépassé votre 20 minutes, là.

M. Auclair (Robert): Combien?

Le Président (M. Garon): Vous êtes rendu à 21 minutes. Alors, vous pouvez continuer, mais je vous dis...

M. Auclair (Robert): D'accord, je suis....

Le Président (M. Garon): ...maintenant, on diminue le temps des deux partis...

M. Auclair (Robert): Je suis conscient de ça. Alors, M. Corbeil avait donné une dizaine d'autres exemples. La Justice est là-dedans, l'Office de la langue française puis l'Inspecteur. Alors, moi, je me dis, à la page 37: Le ménage à trois n'a pas fonctionné. Si on ajoute la Commission, ça va être un ménage à quatre; ça va peut-être faire des couples, je ne le sais pas. Mais il faudrait qu'il y ait une autorité en matière de raisons sociales. Pas dire: Ça va là, puis ça va là. On ne sait pas trop qui mène.

Les conventions collectives, bien, moi, pour qui ç'a été le domaine de ma vie, c'est un désastre. Le décret de la construction que je vous cite là, qui a été répété... on a écrit lettre par-dessus lettres aux syndicats, aux employeurs, au ministre du Travail, et tout: on n'a jamais rien changé, même pas une virgule, puis c'est bourré de fautes.

Le personnel enseignant. On a corrigé la convention un peu. Les deux jurilinguistes de l'Office qui ont révisé la convention, ils ont fait un travail ça d'épais, en 1992. Ça dort, ils attendent. Ça a l'air qu'au ministère de l'Éducation on n'est pas trop pressé de ça. Évidemment, au mois d'août, on prépare les mémoires avec les personnes qui ne sont pas en vacances.

D'autres conventions, par exemple... Il y a une erreur à la page 40, dernier alinéa: Il est intéressant de noter que, dans deux cas – ce n'est pas «dans deux ans», évidemment – il y a une personne de l'Office qui est intervenue. ABI à Bécancour, rapidement. Le syndicat est accrédité en 1991. On leur écrit: Faites attention à rédiger une convention correctement. Il y a un conseil d'arbitrage qui fixe la convention. On écrit aux arbitres, on écrit aux avocats. Évidemment, on n'a jamais de réponse, ça ne vaut pas la peine de nous répondre. Alors, on a signé des conventions depuis ce temps-là. On en a une qui va expirer en 2000. Alors, on a demandé à l'Office d'intervenir. L'Office est intervenu puis il nous a dit: Écoutez, oui – je l'ai dit tantôt – on peut faire des suggestions. Alors, ABI, la convention est là, l'Office est impuissant. À la page 42, je dis que, se péter les bretelles, c'est bien beau, mais l'avenir du français est aussi important dans les conventions collectives que dans le monde du travail, que dans l'enseignement.

L'intervention médiatrice, c'est une suggestion qu'on fait, que, dans des cas comme ça, l'Office ait le pouvoir de convoquer les parties puis de leur dire: On veut vous rencontrer pour discuter de la qualité du texte de votre convention. Il n'imposerait rien, mais il imposerait au moins une rencontre, puis les parties pourraient en discuter. Ce serait déjà énorme, alors que, actuellement, ils se foutent de tout, ils ne répondent pas, ou ils disent: On va regarder ça.

La dénomination des syndicats: il n'y a rien dans la Charte. On l'avait déjà fait... Ça avait été recommandé en 1976, ça n'avait pas été retenu. Vous avez quelques exemples à la page 44: les employés cléricaux puis le syndicat des Teamsters. Les trois derniers... Les monteurs d'acier, ça, évidemment, c'est le vocabulaire du décret de la construction: le législateur déteint.

Les partis politiques. Vous avez peut-être vu ça si vous l'avez lu, le «Parti j'en peut pus», M. Pierre-F. Côté, on lui a demandé d'intervenir. Il dit: La loi ne me donne pas... je n'ai pas mandat de surveiller la langue. Tout de même, il est sensible à notre suggestion, parce qu'il a fait un document de travail, récemment, le 12 décembre, où il demande au gouvernement de pouvoir donner des directives sur la dénomination des partis politiques.

Dénomination des lieux. Valleyfield, ça s'appelle Salaberry-de-Valleyfield. Le gouvernement utilise partout «Valleyfield». J'ai celui-là, c'est un document du service de tourisme de cette ville-là, l'annuaire du téléphone... Alors, on a beau se battre... Alors, évidemment, vu que le temps presse... Le Conseil du trésor... Les fonctionnaires qui reçoivent des appels téléphoniques, c'est écrit «Valleyfield». Alors, on nous explique que ce n'est pas possible.

Je parle également, à la page 48, de Vimy-Ridge. Je précise tout de suite que ce n'est pas l'idée d'effacer des dénominations anglaises au Québec, il ne s'agit pas de biffer «Inverness» puis «Kinnear's Mills», qui ont été des communautés anglaises à l'origine. Mais «Vimy-Ridge», c'est la crête de Vimy, puis c'est tous des francophones qui sont dans le coin. Ç'a été construit par une mine. C'est normalisé par la Commission de toponymie. Je trouve que ça fait drôle.

Au bas de la page, Waterloo, la ville de Belgique, qui est devenue au Québec «Waterlou» dans la bouche de tout le monde. Alors, je cite Victor Hugo: «Waterloo! Waterloo! morne plaine! Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine.»

(15 h 40)

La dénomination des bâtiments. Le mot «place» est partout, alors on est intervenu. La Commission de toponymie nous dit: On fait des suggestions, si les gens veulent bien les accepter... L'OLF fait pareil. Alors, je vous le dis au bas de la page 50, c'est Trizec qui est partie avec ça, puis Marathon, Corporation Première, puis Olympia & York, puis Ivanhoé nous bombardent avec des «place». Puis il y a les cours...

Alors, ces entreprises, anglophones pour la plupart, c'est elles qui normalisent dans la vraie vie en pratique, puis elles laissent l'Office normaliser en théorie, prêcher dans le désert, publier des brochures. C'est Jean-Claude Bachand, du Montréal Trust, qui disait que les Québécois savent adapter le vocabulaire aux nouvelles réalités. C'est les gens d'affaires qui normalisent en dépit de l'Office.

Alors, Pierre Beaudry avait fait disparaître, avorter «Place de la Justice», l'ASULF a fait supprimer «Place de la Justice» à Québec. Place de la Cité internationale, qui se construit actuellement sous le nez de l'Office, peut-être à 50 mètres, l'ASULF a demandé à l'Office d'intervenir, et, évidemment, ils vont écrire. Mais Westcliff Management, je ne me souviens plus du nom, Irwin quelque chose, on lui a écrit et il ne nous a jamais répondu. Est-ce qu'il va répondre à l'Office? Peut-être. Je trouve que ce serait impensable qu'il se construise une fausse place en face de l'Office.

Place Victoria, on avait écrit il y a quelques années – parce que ça s'appelait comme ça... Caisse de dépôt qui était... On avait écrit aux locataires: Écrivez à la Caisse de dépôt, écrivez à votre propriétaire. La Commission de protection du temps nous avait dit: Bien, ça regarde l'Office. Heureusement, à ce moment-là, le président de l'Office était intervenu, puis c'est devenu la Tour de la Place Victoria.

Et il y a la Place Saint-Michel, à Jonquière, qui est une boîte rectangulaire qui loge des bureaux du gouvernement, où l'Office était intervenu, puis le proprio, un M. Bouchard, a demandé: Si je ne le fais pas? Bien, l'Office a dit: Il n'y a rien, il n'y a pas d'amende. Bien, il a dit: Je ne le fais pas, parce que ça coûte moins cher. Et aujourd'hui, au moment où je vous parle, il y a des bureaux du fédéral, on voit le drapeau du Canada – j'ai vu ça il y a trois semaines – puis, à côté, il y a le drapeau du Québec, parce que c'est des bureaux du gouvernement du Québec, dont celui du premier ministre. Alors, on loge dans des places, des fausses places.

Alors, la solution, page 53: réintroduire l'article 118, tel qu'il était au début, sur l'affichage public. La normalisation de l'Office, qu'elle s'applique à l'affichage public et que l'Office cesse d'abandonner aux promoteurs privés la normalisation.

La publicité. Bien, les «CLR», là, alors un produit qu'on... les CLR, qu'on nous prononce «Ci-LARE», puis là on nous dit: Le radiodiffuseur veut ça, puis l'annonceur a demandé ça. Alors, c'est nous obliger à parler anglais, de dire «Ci-L-ARE». Et normalement, moi, quand j'étais jeune, on achetait du savon Ivory; ça va peut-être devenir du «Ivory», je ne sais pas. Puis pensez aux «toi russe» – les Toys'R'Us. Moi, si je le prononce tel que c'est écrit, ça fait «toi russe». C'est presque un défi d'obliger un francophone à prononcer des noms comme ça.

Et, souvent, on nous fait remarquer que les Québécois donnent des mauvais exemples. Je vous en donne un, qui est le dernier, parce que je sais que je suis en retard. Vachon, de Sainte-Marie, avait un petit gâteau qui s'appelait le «Carré feuilleté». Alors, il y a un syndicat des travailleurs de la boulangerie, qui était affilié à la FTQ... À un moment donné, ça a disparu, c'est devenu – évidemment, je n'ai pas le gâteau, j'ai mangé le gâteau, mais j'ai gardé l'emballage – «Passion Flakie». Alors, il y a quelqu'un qui a téléphoné. On nous a dit: Il s'agit d'une nouvelle stratégie de Vachon, qui veut bâtir des marques dominantes avec des noms originaux. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que, sur la partie française, l'adresse, c'est Sainte-Marie de Beauce, puis, en anglais, c'est Scarborough. Alors, on dit aux Québécois: Vous autres, «Passion Flakie»... C'est très évocateur.

Il y en a des entreprises qui francisent.

Le dernier alinéa: L'ASULF estime qu'il y a un problème «qu'il mérite», c'est une coquille...

Les recommandations. Que la Charte dise qu'un texte est en français quand il respecte les codes grammatical, syntaxique, lexical.

Les règlements. Pas de règlement s'il n'y a pas de traduction française, ça nous paraît...

À la page 58: rajouter «ainsi que dans l'affichage public», qui a été biffé.

Le pouvoir à l'Office ou à la Commission de convoquer l'employeur puis un syndicat pour dire: Au moins, voulez-vous vous occuper de votre convention collective? Ce n'est pas du français, c'est du charabia.

Donner à la personne qui va diriger la Commission de protection ses coudées franches. Moi, je pense au mandat maximal de cinq ans. La personne qui applique une loi contestée puis pour laquelle le ministre peut se faire interpeller en Chambre – Qu'est-ce que l'Office a fait? Pourquoi il a fait ça? – alors, c'est bon qu'il y ait quelqu'un de blindé.

Le document de présentation qui affirme la création du comité ministériel, nous disons oui.

On signale que, lorsqu'il est question de francisation des entreprises, ça devrait comprendre la qualité. Et je n'ai pas le temps de vous le citer, mais M. Rondeau m'avait dit: On n'a jamais refusé de donner un certificat parce que la convention était mal foutue; ça a l'air français, on passe avec ça.

Associer linguistes et juristes, ça, ce n'est pas la Charte, mais c'est le fonctionnement quotidien.

Confier à une seule autorité l'application de l'article 63, pour ne pas que tout le monde se renvoie la balle, que le protonotaire accepte le «Roi de la scrap», puis toutes sortes de choses.

Et que les organismes dans l'annexe A de la Charte, comme, par exemple, Salaberry-de-Valleyfield, qu'on respecte la loi.

Et, enfin, ça finit par Vimy-Ridge, qui est un cas particulier, mais que je n'ai jamais pu digérer. J'ai dépassé? Merci beaucoup. Excusez.

Mme Beaudoin: Oui.

Le Président (M. Garon): Bon. Alors, comme vous avez pris près de 32 minutes, ça veut dire qu'il va rester 14 minutes aux ministériels et 14 minutes aux députés de l'opposition.

Mme Beaudoin: Très bien, M. le Président. Je peux commencer?

Le Président (M. Garon): Oui, allez-y.

Mme Beaudoin: Merci, M. le Président. Alors, messieurs, Mme Taillon, bonjour. Je trouve fort intéressant en effet que... Je pense que vous êtes le seul groupe qui s'est inscrit à ce titre de la qualité de la langue. Alors, je dois dire que c'est fort intéressant.

Par ailleurs, vous l'avez remarqué, je me suis posé la question quand je vous ai entendu, M. Auclair, dans un premier temps, je me suis demandé si vous aviez lu l'énoncé de politique, mais j'ai bien compris que vous l'aviez fort bien lu. Ce que vous remettez en cause, c'est que, dans la loi, dans le projet de loi, on n'ait rien inscrit en ce qui concerne la qualité de la langue. C'est une vraie question. Mais je voudrais vous en poser une, justement, parce qu'on a expliqué pourquoi on ne le faisait pas, puis, en pages 8 et 9, vous rappelez ce qu'il y a dans l'énoncé de politique à cet égard, et on dit: «La qualité de la langue n'est pas un dossier étranger à la législation linguistique, même si on ne peut légiférer en matière de qualité.» Nous, on a pris ça, en effet, pour acquis. C'est ce que vous remettez en cause et en question. Parce que je comprends bien et je suis tout à fait d'accord... quand vous parlez des projets de loi, quand vous nous faites des remarques sur les règlements, quand vous nous dites franchement que c'est habituellement écrit, enfin souvent, en mauvais français, et puis que vous parlez de la publicité, des conventions collectives, je pense qu'il y a un grand effort à faire.

D'ailleurs, une première question toute petite: Dites-moi, c'est tellement accablant ce que vous nous racontez, est-ce que dans les autres pays francophones c'est aussi mal que chez nous ou est-ce que ce n'est qu'au Québec que c'est comme ça, puis qu'en France, en Belgique francophone, en Suisse romande, c'est beaucoup mieux? Peut-être, hein, peut-être, parce qu'ils vivent dans des environnements où le choc des langues n'est pas le même malgré tout, étant donné qu'ici, 2 % en Amérique du Nord, ce n'est pas la même chose qu'en Europe, où le multilinguisme des petits, des moyens, des grands pays, où la situation géographique et démographique sont fort différents des nôtres. Mais, quand même, en vous écoutant, je me suis posé cette question-là.

Mais ma deuxième question... c'est que vous dites, donc, que votre Association estime qu'un texte est écrit en français – c'est page 9 ou 10 – lorsqu'il est conforme aux codes orthographique, grammatical, syntaxique et lexical contenus dans les grammaires françaises courantes et les dictionnaires généraux de langue française. Est-ce que vous voulez dire que les pièces de théâtre de Michel Tremblay ou les romans de Michel Tremblay ne sont pas écrits en français? Ou est-ce que... Jusqu'où vous allez, en quelque sorte, dans la définition de cette norme, d'une part, et puis de cette obligation, en quelque sorte, d'écrire en français selon ces codes-là? Puis à qui ça s'applique, finalement? Puis qu'est-ce que la loi pourrait dire sur un sujet comme celui-là? Je comprends bien pour la langue de l'administration ou la langue, enfin, utilisée dans les règlements et les projets de loi, etc., mais jusqu'où, là? J'ai peut-être donné un exemple extrême, bien évidemment, mais jusqu'où ça doit aller dans votre esprit?

M. Auclair (Robert): Les autres pays. Alors, je vais vous parler de mon expérience personnelle, puis elle est limitée. Mon premier contact avec les autres pays, ça a été des conventions collectives. Quand j'étais dans la CTCC, devenue la CSN, dans l'industrie du papier, les conventions étaient bilingues, mais l'annexe des emplois, ça, c'était en anglais seulement. Moi, je connais le vocabulaire de certaines industries, mais, dans le papier, j'étais perdu. J'ai fait venir des conventions collectives de Belgique puis de France, et là je suis presque tombé à la renverse. J'ai vu une autre façon de rédiger puis des termes que je n'avais jamais vus. Pourquoi? Parce que c'était rédigé en français, alors que les conventions du Québec... Ouf!

Il faut savoir l'histoire du syndicalisme. C'étaient les Américains qui arrivaient ici. Bien, il y avait un gars qui avait une septième année forte puis c'est lui qui traduisait. Alors, les conventions collectives ont commencé comme ça. Ça fait qu'une convention québécoise, là, ça ressemble beaucoup à une convention canadienne-anglaise ou américaine; c'est la même structure.

(15 h 50)

Quand j'ai découvert les conventions collectives françaises, j'ai appris un vocabulaire que j'ignorais totalement, sur des choses que je croyais françaises, sur lesquelles je ne m'étais jamais interrogé. Alors, je ne peux pas vous dire qu'elles sont mieux. Elles sont rédigées, j'appelle ça, d'une autre façon. Puis j'ai pu constater que les nôtres, c'étaient toujours des calques de l'anglais. Moi, je me rappellerai toujours une phrase, si vous m'en permettez une. Je négociais à Port-Alfred avec un bon gérant, puis, là, j'avais changé la phrase. C'était écrit en anglais: «An employee shall be granted a three-week vacation.» Puis, là, j'avais mis: Un employé aura droit à trois... Puis, là, M. Sweeney m'avait dit: Pourquoi vous ne mettez pas la même séquence? Parce que, du côté français, c'était écrit: Un employé sera gratifié... Puis il n'était pas méchant, le monsieur, mais je lisais l'anglais, puis il aurait voulu que ce soit à peu près rédigé pareil. Alors, ça, c'est une réflexion tout à fait sincère. Mais les gens qui traduisaient: «An employee shall be granted»... Je vous donne cet exemple-là, puis je pense qu'il suffit.

Or, nos conventions, ça a été traduit de l'anglais. Au moins, je peux dire que, des conventions françaises, je m'en suis servi comme modèles, puis je sais que les fonctionnaires de l'Office... D'ailleurs, l'Office a publié un petit vocabulaire que je connais bien, puis on s'était inspiré des conventions française, belge, suisse, puis des conventions internationales de Genève, qui sont toujours en français puis en anglais.

Alors, dans le domaine des conventions collectives, je vous réponds: Oui, il n'y a pas de comparaison. Les lois, tout ça, écoutez, là, je ne m'aventurerais pas là-dedans... Puis la publicité, parce que vous lisez les revues françaises comme moi, ça doit vous tiquer des fois. Ha, ha, ha!

Ah! oui, les codes orthographique et grammatical, définir le français... La Charte s'applique... D'abord, c'est la langue publique. Il ne s'agit pas de la langue... savoir comment rédiger... La langue publique, ça veut dire les lois, les règlements, les décrets, les circulaires, la langue des médias, les journaux. Et, moi, dans la pratique, je n'ai jamais eu de problème, ou très rarement, où on s'est dit: Est-ce que c'est dans le dictionnaire Boulanger, ça, le dictionnaire québécois? Ce n'est pas dans le Robert, parce que ce sont des termes de droit administratif ou des termes de génie. Si on parle de construction, ce sont des termes techniques: ce n'est pas là que le particularisme québécois... On n'a pas tataouiné, là, puis zigonné dans les lois. Alors, vous verriez ces mots-là dans un roman... C'est du langage familier d'un autre...

Mais, dans la langue publique, le code grammatical, bien, qu'est-ce que vous voulez? Le Parti j'en peut pus, il n'aurait pas réussi. D'abord, la tournure, c'est familier. Avec «J'n'en peux plus», on aurait dit, l'orthographe, p-e-u-x; la grammaire, «plus», p-l-u-s – je donne un exemple – les codes se seraient appliqués dans ces cas-là. Que ce soit dans le roman de Tremblay, «j'en peut pus», il me semble qu'on vient de changer de monde. Je vous répète, moi, mon univers, il est large puis il est limité, c'est la langue publique, telle que tout le monde la conçoit, je pense.

Mme Beaudoin: Très bien. Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Rimouski.

Mme Charest: Merci, M. le Président. Bonjour, madame, messieurs.

M. Auclair (Robert): Bonjour, madame.

Mme Charest: Bon, on a parlé beaucoup de qualité de la langue. Moi, j'aimerais vous entendre par rapport à la langue commune, le français comme langue commune. En acceptant, par l'ensemble des Québécois et des Québécoises, que le français soit la langue commune, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que ce serait un élément ou un outil de plus pour nous permettre d'en améliorer la qualité, que ce soit dans le domaine public, administratif ou ne serait-ce que dans les échanges privés ou publics?

M. Auclair (Robert): Je veux m'assurer que je comprends. Est-ce que vous voulez dire que, si notre langue est correcte, ça va être un argument...

Mme Charest: Non...

M. Auclair (Robert): ...positif pour les anglophones qui l'apprennent?

Mme Charest: Ce que je veux dire... Vous avez lu l'énoncé, là, qui a servi à la base pour la politique sur la langue...

M. Auclair (Robert): Oui.

Mme Charest: ...la loi n° 40, où on parle du français au Québec comme langue commune de l'ensemble de tous les Québécois et Québécoises qui partagent le français comme langue d'usage courant, ce qu'on appellerait la langue commune comme telle, et je vous demande si, en reconnaissant ce fait et en devenant une réalité, pour vous, ce serait un outil de plus pour en améliorer la qualité.

M. Auclair (Robert): Écoutez, je ne suis pas sûr...

Mme Charest: Il ne comprend pas mes questions?

M. Auclair (Robert): Moi, je dis: Quand j'étais jeune – parce que je ne le suis plus – je me rappelle que, dans les premières années où j'étais... le bon père directeur nous disait de parler français comme il faut, parce qu'il disait: Les gens de Toronto disent: «We speak Parisian French, not French-Canadian patois.» Alors, ça, ça m'est toujours resté là. Alors, moi, je comprends que, la langue commune, ça doit être un français aussi correct que possible, puis, si on parle une sorte de langue qui n'est pas comprise hors du Québec, je ne vois pas beaucoup, un anglophone ou autre, en quoi il va être motivé à apprendre une langue qui lui permet de s'entendre juste avec ses voisins dans son quartier puis qui ne peut déboucher sur rien. Si c'est ça, là... langue commune, une langue qui a des qualités en soi.

Mme Charest: Langue officielle au Québec, le français comme langue officielle, c'est...

M. Auclair (Robert): Bien, ça l'est, langue officielle. C'est la langue de l'État. Il y a des droits pour l'anglais... Mais la langue commune, si c'est une langue abâtardie, d'après moi, là, on se tire dans le pied. On a intérêt à avoir une langue aussi correcte que possible. Puis il me semble qu'un anglophone qui apprend le français à Montréal, s'il arrive à l'extérieur puis qu'il ne comprend pas, qu'il n'est pas compris, qui est incompris – je ne parle pas de toutes les petites aventures qui peuvent nous arriver, des mots particuliers – il serait déçu, il dirait: Qu'est-ce que j'ai appris? La langue commune, c'est le français, la langue officielle. Peut-être que je ne réponds pas, je pense que vous...

Mme Charest: Non, ça va, là. Je voudrais vous demander une autre question dans un tout autre ordre d'idées. On a parlé, dans le projet de loi, de réinstaurer la Commission de protection de la langue, et vous semblez avoir, en tout cas si j'ai bien lu votre mémoire, des réticences comme de quoi ça n'a pas nécessairement un rôle plus important qu'autre chose. J'aimerais vous entendre de façon plus explicite là-dessus.

M. Auclair (Robert): C'est-à-dire que, là-dessus, ce qu'on dit, quant à la qualité, je ne vois pas ce que ça va changer. Je vois l'ASULF qui écrit, mettons, pour lui demander d'intervenir, à ABI, à Bécancour. On a eu une réponse. Supposons que j'écrirais dans six mois à la Commission de protection... J'écris à un autre organisme, mais, si la Commission n'a pas plus de pouvoirs que l'Office, elle va probablement me répondre: M. Auclair, on peut faire des suggestions, on peut les inviter, mais on n'a pas le pouvoir de les forcer, alors je ne vois pas en quoi ça va changer sur l'aspect qualité.

Sur l'aspect statut, c'est une autre affaire, ça, là. Vous comprenez bien. Puis ce n'est pas parce qu'on ne veut pas s'engager, mais on a dit: On limite... L'Association s'occupe de qualité, alors la Commission de protection... On a déjà écrit à la Commission de protection dans le passé. J'ai des lettres ici, où, par exemple... Je suis allé tantôt, je suis arrêté à l'Université Laval, au pavillon Casault, pour voir si ça avait changé. Si vous allez stationner là, vous allez voir un appareil pour la monnaie, c'est écrit en lettres ça de grosses: «Change». Alors, moi, j'ai écrit à la Commission de protection, j'ai dit: C'est en anglais; corrigez ça. On m'a répondu: Non, vous avez mal lu, monsieur, c'est «Change» en français. Puis, là, on m'a dit: C'est dans le dictionnaire Bélisle; le mot «change» est dans «Le Robert». Je n'en suis pas revenu encore – ça fait plusieurs années – comme réponse. Alors, comme dirait Deschamps: «C'est-y assez fort» de se faire répondre ça!

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Charest: Est-ce qu'on peut croire que la qualité pourrait, en quelque sorte, contribuer à asseoir de façon beaucoup plus formelle le statut de la langue, le français?

M. Auclair (Robert): Moi, je le crois. Je vous réponds oui. Quand je vous ai donné le paquet d'annonces, là, fautives... J'aimerais peut-être mieux qu'un Québécois voit à Montréal: «No parking anytime». Là, il lève les bras en l'air, il dit: C'est en anglais. Mais, là, c'est écrit: «Pas de stationnement en aucun temps». Il avale ça comme du sirop. Puis c'est bon, il ne le voit pas. Alors, c'est insidieux, c'est parler anglais avec des mots français. Je ne dis pas seulement à Montréal, mes exemples viennent aussi de Québec, et je n'ai pas été pêché ça bien loin: à Sainte-Foy, mon petit patelin, j'ai ça.

Alors, si on corrigeait les annonces fautives, si vous voulez, d'abord ça surprendrait un paquet de gens, alors qu'actuellement on ne les voit pas. Puis, même les anglophones, ils apprendraient, ils diraient: Ah! regarde donc ça, c'était de l'anglais, «Detour», ma «déviation» de tantôt, là. Puis il y en a d'autres, hein.

Mme Charest: Merci, M. Auclair. Merci.

Le Président (M. Garon): Alors, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. M. le président, M. le juge, avant de vous poser mes deux questions, je voudrais vous rendre hommage et rendre hommage à votre Association et à tous vos collègues. Le travail acharné, patient, je dirais même entêté de purification et d'authentification de la langue que vous faites depuis aussi longtemps que nous nous connaissons est admirable, et je ne peux pas m'empêcher de vous rendre hommage. Je vous ai vu travailler depuis de nombreuses années et je vous... J'en parle avec émotion, M. le juge Auclair.

(16 heures)

Mes deux questions sont les suivantes. La première, elle vise un peu à compléter des questions qui vous ont été posées antérieurement, c'est plutôt pour mieux vous comprendre. Est-ce que je vous comprends bien lorsque vous dites qu'il ne fait aucun doute qu'en matière de langue, et de langue de qualité, le levier qui vous paraît essentiel, c'est celui du comportement exemplaire de l'État dans ses textes juridiques et administratifs. Mais est-ce que vous souhaitez, en plus de ce comportement exemplaire, que l'État s'engage dans un comportement de décret, de décréter la norme? Je pense qu'il y a une nuance, ici. Je veux savoir si je vous ai bien compris. Parce que, c'est évident, on est tous d'accord avec vous, M. le juge, que l'État doit se comporter d'une façon exemplaire. Mais êtes-vous aussi d'avis que l'État devrait, en plus, procéder par décret pour établir une norme de qualité ou promouvoir une langue de qualité?

M. Auclair (Robert): Le comportement exemplaire, ça va de soi. Si l'État donnait l'exemple, si vous voulez, dans bien des domaines... Il y a un paquet de changements qui ont été faits, d'ailleurs. Il s'agit de rappeler ce que Pierre Vigeant disait il y a une trentaine d'années. Il avait écrit: Le service civil, je ne vois pas le jour où ça disparaîtra. Puis, aujourd'hui, je serais curieux de demander aux gens, dans la rue: Service civil? Ils diraient: Quoi? Pourquoi? Parce que l'État est intervenu – fonction publique – puis il a déraciné une expression qui était incrustée, comme ça. Alors, l'exemple, je n'en discute pas.

Quand vous parlez de décret, vous voyez, moi, je suis parti du concret. Vous allez dire... ABI à Bécancour – alors, c'est du domaine privé, ça, on n'est plus dans le secteur public – ils écrivent n'importe comment. L'Office – vous y étiez probablement dans ce temps-là – a normalisé le mot «place»: ça veut dire un espace... C'est un peu comme quand le pape parle contre la contraception puis que tout le monde «contracepte» à tour de bras.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Auclair (Robert): Alors, l'Office est là puis il fait des belles règles, mais les entrepreneurs, Westcliff Management, Ivanhoé, Marathon, Corporation Première, décident que «place», c'est «plaza». À Sainte-Foy, il y a même un complexe, un centre commercial qui s'appelle La Rue du Campanile. Là, on est rendu aux rues. Pour moi, vous allez avoir des boulevards, bientôt. Alors, ça veut dire que ça débouche où, ça? Qu'est-ce que l'État fait? On dit: C'est ça, mais on ne peut pas intervenir. Mais je me dis: C'est un phénomène d'impuissance. Alors, je ne demande pas d'intervenir beaucoup.

Quand vous dites décréter... L'affichage public, la lettre que je citais, c'était de vous, quand vous dites qu'on avait supprimé... Quand vous êtes intervenu pour la Place Victoria, vous avez dit: La loi a été modifiée, on a supprimé l'affichage public. Si ça avait existé, vous auriez pu dire que vous avez rencontré le proprio, dont j'oublie le nom, que vous l'avez convaincu. Mais vous êtes là presque en suppliant ou en intervenant, puis en étant gentil. Vous auriez pu l'être en même temps, mais lui dire, en plus, s'il avait dit non: Bien, écoute. ça, le mot «place», au Québec, ça ne veut pas dire n'importe quoi, ce n'est pas un perron d'église, puis ce n'est pas n'importe quoi. C'est comme la Place Saint-Michel à Jonquière. C'est évident que, si le premier ministre appelle le bonhomme puis il dit: Écoute, tu es mieux de changer ça, la Place Saint-Michel, sinon on s'en va, M. Bergeron va probablement hésiter. Mais ce n'est pas des procédés normaux, ça.

L'État devrait être capable de dire: Écoutez, une place, c'est un terme odonymique, ça fait partie du vocabulaire public, comme une rue. Est-ce qu'on va appeler une maison «Telle rue»? On ne se comprendra plus. Alors, les décrets, moi... Énoncez le principe que la langue publique, c'est une langue que... le critère. Parce qu'on nous dit tout le temps: Ce n'est pas du bon français. On ne le sait pas. Au moins, énoncez un principe général. Il me semble que ce n'est faire du dirigisme linguistique.

Je pensais que M. Pierre-F. Côté, qui n'est pas, entre guillemets, un nono, ne serait pas le seul... Il n'est pas le seul à faire ce raisonnement-là: Ah, parti politique, moi, j'applique la loi, puis la loi ne me dit pas que je dois regarder la qualité de la langue. Alors, qu'est-ce que vous faites pour... Je veux dire, si vous ne faites pas d'intervention législative, je voudrais voir quels moyens vous allez prendre pour intervenir dans les exemples que j'ai donnés. Allez voir Westcliff Management puis dites: Voulez-vous, s'il vous plaît... C'est peut-être la chanson «Les endormis et les enjôlés», je ne sais pas quoi. Je me dis: Je renonce à cet aveu d'impuissance; c'est une démission. Alors, décret, on peut peut-être dire décret, mais je pense que ce n'est pas un décret... Ça ne fait pas mal trop, trop.

M. Laporte: M. le Président, j'aurais une deuxième question parce que...

Le Président (M. Garon): Allez-y.

M. Laporte: ...le juge Auclair a fait un commentaire que je souhaiterais qu'on retienne, il ne faut pas que ça passe inaperçu. Si je vous ai bien compris, M. le juge, vous avez dit qu'une autorité unique en matière de raison sociale vous semble souhaitable, et j'aimerais vous entendre là-dessus. Parce que nos amis d'en face, dans leur projet de loi n° 40, n'ont pas ce même souci, c'est-à-dire qu'ils fragmentent l'autorité linguistique par la résurrection de la Commission de protection de la langue française, qui pourrait avoir pour effet non seulement de fragmenter l'autorité, mais aussi de générer une concurrence interbureaucratique néfaste. J'espère que je vous ai compris. J'ai trouvé votre commentaire tout à fait pertinent, parce que vous semblez, comme je le suis, le tenant d'un modèle d'autorité unique que je souhaiterais voir investi à l'Office. Et je voudrais avoir votre opinion là-dessus, un commentaire sur votre commentaire, si vous me permettez.

M. Auclair (Robert): Alors, actuellement, il y a trois intervenants: les protonotaires – le ministère de la Justice dans tous les palais de justice; il y a l'inspecteur des institutions financières; et il y a l'Office. J'ai appelé ça un ménage à trois. S'il y a la Commission, ça en fera un de plus. Mais, je veux dire, même le ménage à trois actuel... Les exemples, écoutez, j'aurais pu vous en faire deux pages, d'exemples. Pourquoi? Parce qu'il y a un protonotaire...

À un moment, moi j'ai une cause, une des parties, c'est Paie-maître inc. Pas un mot: ça veut dire que ça a été accepté, ça, par un protonotaire, quelque part. L'Office n'a sûrement pas vu ça. Il y en a une, à la page 30. Attendez un petit peu. General accident indemnité compagnie d'assurance – je ne vous raconterai pas la petite histoire – c'est quelque chose, comme dénomination! Alors, vous écrivez, et là on va vous dire: Ça, c'est le protonotaire. Ce n'est pas venu à l'inspecteur des institutions financières.

L'Office, qu'est-ce qu'il fait, l'Office? Il écrit. J'oserais dire: Je le vois toujours comme suppliant. Il intervient pour dire: Écoutez, M. l'inspecteur, vous êtes chargé... Et, d'ailleurs, l'Office m'a dit qu'il y avait un comité qui avait été mis sur pied pour renouer les relations. Mais le citoyen qui écrit, là... Moi, Le King de la décoration et toutes ces... C'est parce que ce n'est pas fait par les mêmes personnes. Alors, s'il y a la Commission, ça va en faire un de plus. Mais, même à trois...

J'ai un exemple que j'ai apporté; je prévoyais la question. En 1988, j'avais écris, justement pour le mot «change», à la Commission de protection. Alors, la Commission m'a fait sa petite réponse un peu niaise du temps, mais ça m'a au moins dit ceci: «La Commission est chargée de traiter du défaut de respect de la Charte, des questions se rapportant... L'utilisation – écoutez bien ça – même linguistiquement discutable d'une expression française pour désigner un endroit, un objet ou une situation quelconque ne constitue pas, selon nous, une infraction au sens de la loi – et là on me parle du «Petit Robert», mais oubliez ça. Nous croyons qu'il appartient plutôt à l'Office de la langue française de vous prêter main forte.» Prêter main forte, ça ne donnait pas des outils à l'Office; ça lui permettait, à l'Office, d'écrire et de supplier. Alors, c'est ça que j'appelle une impuissance à agir.

Moi, si vous me dites: M. Auclair, on ne modifiera pas la Charte, mais on va avoir le moyen... Pensez à mon Westcliff Management, autrement que d'aller le – j'allais employer un mot «flatter», je ne sais pas trop... à ABI, les conventions collectives, où les gens ne s'occupent pas de vous, où ils ne vous répondent pas... VAW, il à une grosse annonce à l'aéroport de Sept-îles: «Opérant des usines d'aluminium à travers le monde». J'ai écrit deux, trois fois: pas de réponse. Là, j'ai écrit à l'Office, l'Office m'a dit: On va l'inviter à... C'est des affiches publiques, ça. Comment voulez-vous que les gens ne vous parlent pas d'«opérer» un commerce et d'«opérer» un magasin et du profit d'«opération»? On «opère» tout, au Québec. Pourquoi? On a ça sous les yeux, et tout le monde est impuissant.

Je remonte à l'impuissance et je me dis: Si vous n'acceptez pas de modifier la loi, je serais curieux de voir la solution que vous allez avoir pour agir de façon concrète. Pas des histoires de supplier. À ce moment-là, l'Office le fait avec l'autorité morale que notre Association n'a pas. Évidemment, si c'est l'Office... L'autre jour, je me suis plaint à une compagnie de Vancouver, et on m'a demandé ce que c'était, ça, l'Association, si c'était un organisme gouvernemental. Évidemment, si j'avais dit oui, peut-être qu'on aurait été plus soucieux. Alors, l'Office a une autorité morale, mais pas plus et puis... Vous pouvez en parler aux gens de l'Office, les anciens comme les membres actuels. Vous la savez, sa situation.

M. Laporte: M. le Président, est-ce que je pourrais intervenir une dernière fois?

Le Président (M. Garon): Oui.

(16 h 10)

M. Laporte: C'est une question que je me pose depuis longtemps et je me la repose en vous écoutant. J'aimerais vous entendre là-dessus. Je ne mets pas en cause, dans ma question, votre opinion. Est-ce que vous pensez que l'Office pourrait agir plus efficacement si, en plus de son autorité morale, on devait y adjoindre, par exemple, une capacité de récompenser le comportement des locuteurs ou des organisations en donnant, par exemple, disons, des reconnaissances au mérite? J'ai souvent souhaité qu'on ait un budget, par exemple, pour récompenser ces gens qui décident d'aller dans la direction que vous souhaitez. Pensez-vous que ce dispositif d'incitation non seulement moral, mais aussi social pourrait avoir quelque efficacité, dans le contexte où vous oeuvrez depuis tant d'années?

M. Auclair (Robert): Il m'est arrivé de rêver que l'ASULF était riche puis qu'elle organisait un concours, pas pour donner le prix citron, mais pour donner un prix à un organisme, une société qui aurait fait des démarches pour améliorer... Ça se fait, dans la région de Trois-Rivières, je pense, par la société nationale du centre du Québec. On a un concours puis on récompense les gens. Évidemment, c'est une mesure qui peut donner des résultats. Je ne pense pas qu'on puisse l'écarter.

Mais, toujours là, vous êtes dans l'incitation, et je vous répète, moi... Prenez mes exemples. Mme la ministre serait, demain matin, présidente de l'Office. Je lui écris puis je lui dis: Moi, la Place de la Cité internationale, ça me fatigue. Elle n'a pas plus de pouvoir que la présidente actuelle; elle n'en a pas, de pouvoir, sauf de tenter de convaincre que ce n'est pas correct. Puis là on va vous répondre: Ça fait 30 ans qu'on a ce nom-là. C'est toujours ça qu'on me répond. Il y a place Bonaventure, La Place Vertu, la Place Versailles – imaginez-vous que Plaza Alexis Nihon a été corrigé par Place Alexis Nihon, c'était tout un progrès! – Marathon, avec Place Laurier puis Place Sainte-Foy. Alors, ça fait 30 ans, et vous êtes les seuls à vous être plaints – on m'a dit ça à Place Sainte-Foy – vous êtes les seuls. Qui va faire bouger ces machines-là? Si on démissionne, on va dire: Au Québec, une place, c'est un immeuble. En tout cas, je vous le répète, on cherchait des solutions à des problèmes concrets qu'on n'a pas pu résoudre jusqu'à présent.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les porte-parole de l'Association des usagers de la langue française et, évidemment, M. Robert Auclair, son président.

J'invite maintenant les représentants de la Fondation pour l'unité canadienne, en leur disant qu'ils ont une heure pour leur rencontre avec la commission: 20 minutes, normalement, pour présenter votre exposé, ensuite un 20 minutes pour les ministériels et un 20 minutes pour l'opposition officielle. Je vais vous avertir quand ça fera autour de 20 minutes et en vous disant... Ça ne veut pas dire d'arrêter, mais, si vous continuez, c'est autant de temps de moins pour les parlementaires pour vous interroger sur votre présentation.

Alors, j'invite immédiatement le porte-parole de la Fondation pour l'unité canadienne à se présenter, à nous présenter ceux qui l'accompagnent et à commencer son allocution. Le ou la porte-parole, je ne sais pas. Je ne peux pas faire d'impair parce qu'il y a une co-présidente et un co-président.


Fondation pour l'unité canadienne

Mme Scher (Arlene): Mme la Présidente, MM. et Mmes membres de la commission, je désire vous remercier de permettre aujourd'hui à la Fondation pour l'unité canadienne de pouvoir exprimer son argumentation et ses «concerns» en regard du projet de loi n° 40. Je suis avec M. Nick Auf der Maur, M. William Spears et M. Bram Besner. Je vais juste vous lire une page et demie.

In today's world, virtually every government claims to be democratic. Democracy in itself is simply a technique, a way of making certain decisions by accepting the will of the majority. But democracy only becomes a legitimate form of government when it is united with the tradional western ideals of constitutionalism, rule of law, liberty under law and a limited state. The current usage of the word «democracy» implies not only a condition of freedom in which a limited state respects peoples' rights, but also permits freedom of speech, religion and language. It is the pivotal role of democratic governments to guarantee to everybody certain economic and social rights.

The democracy you advocate has become, in political science terms, a tyranny of the majority that consistently votes to override minority rights. The rule of the majority, according to Aristotle, is not always lawful. The majority might take away property, language or religious rights unless the absolute power of the majority is somehow restrained.

Therefore, the rule of law, and not the rule of the majority, must prevail as the former is in the general interests of the entire community. The rule of law, and not of men, is the shield that protects citizens against the abuse of power by laying down a set of procedures governing the use and alleged misuse of coercive power.

Specifically, the Québec Charter of Human Rights and Freedom ensures to each of us the following in the section entitled «Fundamental Rights and Freedoms».

Section 10 reads: «Every person has a right to full and equal recognition and exercise of his human rights and freedoms, without distinction, exclusion or preference based on race, color, sex, pregnancy, sexual orientation, civil status, age except as provided by law, religion, political convictions, language, ethnic or national origin, social condition, a handicap or the use of any means to palliate a handicap.»

Section 10.1 reads: «No one may harass a person on the basis of any ground mentioned in section 10.»

The current discussions to amend the Charter of the French language cannot only be deemed an infringement of individual and collective rights under the Canadian Charter, but it is also indirect violation of section 10.1 of the Québec Charter. The re-establishment of the Commission de protection de la langue française having the authority to «effectuer une inspection pour l'application de la présente loi peut pénétrer à toute heure raisonnable dans un établissement. Elle peut notamment examiner tout produit ou tout document, tirer des copies et prendre des photographies. Elle peut à cette occasion exiger tout renseignement pertinent». If this is not considered harassment and direct infringement of our Charter, then we shudder to think what may be construed as harassment. Merci.

M. Auf der Maur (Nick): M. le Président, membres de la commission. Madame est une citoyene ordinaire inquiète de ce qui se passe à Québec. Elle est issue d'une famille... À leur arrivée à Québec, ils ne parlaient que le russe et le polonais. Mais, comme elle est juive et que, suivant la logique de l'époque, elle était obligée d'aller à l'école protestante, donc anglaise, elle est devenue anglophone. Moi, j'ai été dans à peu près le même cas. Je ne fais pas partie, proprement dit, de ce groupe. Madame a travaillé dans toutes mes élections municipales. Elle ne m'a jamais rien demandé, sauf cette fois: elle m'a demandé de venir faire un appui moral. Alors, je suis ici.

Ma famille vient de la Suisse. Ils sont venus en 1929. Ma famille est catholique. Leur langue maternelle, c'était le schweizer-deutsch, et la deuxième langue, c'était le français. Ils parlaient à peine quelques mots d'anglais. Quand ma soeur aînée a commencé l'école, environ en 1935, c'était l'époque de Lionel Groulx et du nationalisme clérical de l'époque, et Lionel Groulx prêchait la pureté de la race. Quand ma mère a choisi une école pour ma soeur aînée, l'important, c'était de trouver une école catholique. L'école catholique la plus proche de notre famille, c'était l'école Olier, une école francophone. Ma mère a amené ma soeur aînée à l'école francophone. Elle a été refusée parce que Lionel Groulx prêchait, les nationalistes prêchaient la pureté de la race. Alors, on a défilé dans le système anglophone, chez des Irlandais. Alors, notre famille est devenue anglophone, pas par choix, pas parce qu'on a été assimilé par les anglophones, c'est parce que les nationalistes refusaient d'accepter des immigrants avec des drôles de noms, comme le mien.

(16 h 20)

Et c'est la même chose pour beaucoup de Polonais, de Roumains, catholiques. Je parle des années vingt, trente, quarante, cinquante. À l'époque, la deuxième langue, d'habitude, en Pologne, était le français. Ils sont devenus anglophones, pas parce qu'ils voulaient devenir anglophones, mais parce que le nationalisme de l'époque dictait des choses comme ça. Mais l'important pour ma famille, c'était... Et puis, moi, je suis un témoignage de Montréal, parce que ce projet de loi s'applique surtout à Montréal, c'est sur ce qui se passe à Montréal. Ça ne s'applique pas tellement à l'extérieur de Montréal, dans le reste du Québec. Quand j'ai grandi à Montréal, la grande division entre nous, les enfants, n'était pas une division linguistique, français ou anglais, c'était plutôt une division religieuse: catholique, protestant. Pour moi, les Anglais étaient protestants, puis les francophones étaient catholiques puis, moi, j'étais «schizophrenic»...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Auf der Maur (Nick): ...parce que j'étais catholique et puis on parlait anglais. Mais notre famille s'est toujours ralliée du côté francophone parce que c'étaient nos coreligionnistes. Et, quand j'ai commencé à être actif en politique, au début des années soixante, la première fois que je fus arrêté, c'était dans un «sit-in», au restaurant Honey Dew, sur Sainte-Catherine coin Metcalfe. C'était un «sit-in» pour réclamer des menus bilingues, parce qu'à l'époque les menus étaient en anglais seulement. C'est la première fois que j'ai été arrêté. Puis, c'est drôle, 35 ans plus tard, je veux toujours garder les menus bilingues.

Les gens, je pense, de l'extérieur de Montréal, quand on parle de la menace de la langue anglaise, c'est une drôle de menace parce que Montréal a toujours eu un caractère bilingue. Des fois, les francophones étaient bafoués, étaient maltraités, mais ce n'est pas une raison de maltraiter les anglophones, aujourd'hui.

Vous savez, Montréal, quand ça a commencé à être une grande ville, environ en 1810, où elle avait une population d'environ 25 000, jusqu'à vers l'époque de la Confédération, quand la population de Montréal a été de 700 000 – il y avait eu une grande croissance au XIXe siècle – c'était une ville majoritairement anglaise. La langue majoritaire à Montréal était l'anglais. Ça a commencé à devenir majoritairement francophone, comme ville, pas comme village – avant, c'était un village – vers l'époque de la Confédération. Ça, c'est à cause des industries puis de l'immigration des gens ruraux pour les jobs dans les usines et des fabriques à Montréal. L'industrialisation de Montréal a changé Montréal en une ville majoritairement francophone. Mais ça a toujours eu une composante importante cosmopolite et anglaise.

Et ce que je trouve drôle, c'est qu'on dise: Le danger d'être bilingue. On ne peut pas même utiliser le mot «bilingue». Sauf que, du côté ministériel, quand ils se promènent à Washington, New York ou Zurich, ils peuvent vanter le caractère bilingue, puis la capacité de notre force ouvrière de fonctionner dans les deux langues. Ça, c'est O.K. de dire à l'extérieur du Canada: Montréal est bilingue, mais il ne faut pas le dire ici. Parce que c'est une réalité: c'est une ville bilingue, et la composante anglophone est une des forces de Montréal. Montréal a dominé l'économie canadienne pendant presque toute l'histoire de notre pays.

La chose qui nous agace, c'est que les projets de loi comme ça essaient de... C'est tout symbolique, en somme. On sait que ce qui se passe sur l'«infoband» ou dans les médias électroniques est plus important que l'affichage ou les choses qu'on adresse ici. Mais c'est symbolique. C'est symbolique pour les deux côtés, c'est très important pour les deux côtés.

Notre souci, c'est que la présence anglaise soit considérée illégitime. Ce qu'on réclame, c'est qu'elle soit reconnue comme une composante légitime de Montréal. On a l'impression que le gouvernement veut éradiquer tout vestige, toute visibilité de la langue anglaise. C'est ça... Symboliquement, c'est très important, c'est viscéral, ça nous touche au coeur aussi bien que la situation de la langue française vous touche au coeur. Et nos soucis sont aussi légitimes que les soucis des francophones. C'est très important.

La communauté anglophone de Montréal a contribué énormément à l'enrichissement du Québec. Par exemple, en venant ici, je lisais les journaux sur la coupe mondiale de hockey, et on se souvient que le hockey a été créé, fondé à Montréal par les anglophones. Le hockey, qui est notre sport national, c'est le cadeau que le Canada a donné au reste du monde. Il a été inventé par des étudiants de l'Université McGill. Vous savez pourquoi la patinoire a 204 pi de longueur? C'est parce que c'est la longueur entre les rues Stanley et Drummond, où on a construit le premier aréna intérieur en Amérique du Nord, le Victoria Rink. Les dimensions de hockey viennent de là.

Il n'y a pas seulement le hockey. Par exemple, c'est des anglophones qui ont construit le premier golf en Amérique du Nord, le premier club de cyclisme a été fondé par les anglophones à Montréal. Il y a toute une longue liste: le football américain et canadien, inventé par des étudiants de l'Université McGill. C'est McGill qui a introduit le sport à Harvard. C'est pour ça qu'aux États-Unis ils appellent ça les «Harvard rules» pour le football, mais en vérité c'est les «McGill rules».

Alors, la communauté anglophone est légitime à Montréal; c'est la richesse de Montréal. Et puis toute tentative de cacher le caractère anglais de Montréal, c'est stupide, ce n'est pas dans le bon intérêt de tout le Québec, parce que la force de Montréal a toujours été bonne pour l'épanouissement et la grandeur de tout le Québec. Alors, je pense, monsieur, peut-être... l'autre monsieur... Je ne connais pas leur nom. Bram.

M. Besner (Bram): Bram. Mme la Présidente, MM. et Mmes de la commission, je m'appelle Bram Besner, je suis coprésident d'une branche de la Fondation pour l'unité canadienne, à Westmount. Né à Montréal, je suis une deuxième génération canadienne, un homme d'affaires, et ma langue maternelle est l'anglais. La Fondation pour l'unité canadienne est une affiliation de mouvements populaires qui sont toutes des organisations «non-profit» et sans affiliation politique. Tous nos supports financiers viennent de la région et tout le travail est fait par des bénévoles. La raison d'être principale de la Fondation est de garder le Canada comme un pays uni.

The majority of the people living in this Province, francophone, anglophone, allophone, or first-nation, are reasonable people who want to go through their lives in peace, who want to learn about and take advantage of opportunities, who want to get education and medical care for themselves and their children, and who want to make a living for themselves and their families, always having respect for others, no matter what their origin.

Montréal, où la majorité des Québécois non francophones résident, est une fenêtre sur le monde extérieur, en termes de communications et d'opportunités pour l'industrie et le commerce international. Une des choses que les lois 101 et n° 40 contrôlent, c'est la méthode de communiquer. Je pense que nous sommes d'accord pour dire que la communication est l'outil le plus important pour l'industrie, pour le commerce, pour la survie et même pour la simple entente entre individus. Les Québécois ont besoin de pouvoir communiquer entre eux avec le monde extérieur. Vos gens ont besoin de la liberté de communiquer de n'importe quelle manière ou langue nécessaire pour transmettre leur message. Les Québécois sont des gens intelligents, capables de choisir leur langue eux-mêmes. Les lois qui régissent la communication ne font que mettre un frein au progrès.

(16 h 30)

Those non-francophones who still remain living in Montréal, or the Eastern Townships, or the Outaouais, have, in the last 30 years, in respect for their francophone neighbors, invested and continue to invest in education to become much better able to function and communicate in the French language. But non-francophones have learned that the existence of English-language institutions and the continued security of their cultural and economic place in Québec society are being threatened. They see a formerly prosperous society being run into the ground, they see little or no opportunity for careers, and they see an exodus of youth, professionals, jobs, neighbors and friends.

Economists and business people everywhere realize that the language laws and the threat of separation are the main obstacles to our economy. And it is the reason for the huge and ever-increasing unemployment. When will this Government realize that, just at it was the brutal world economy that killed the dream of communism in Russia, fighting the same brutal world economy here with a dream of separation will also prove to be a losing proposition?

Quel est le but de défier ces gens de qui vous avez déjà obtenu du respect? Tout ce que cela fait, c'est de procurer des arguments pour les activistes des deux camps, avides de confrontation. Ou tout ce que cela va faire, c'est de nourrir chez les activistes leur appétit pour la confrontation. Les gens raisonnables vont finir par croire qu'il n'y a rien à gagner à demeurer raisonnable.

Il y a cependant ici une fenêtre ouverte. Supposons que la commission décide que c'est le bon choix, qu'il est mieux de montrer aux Québécois que le gouvernement a confiance dans la population pour faire ses propres choix et laisse les lois telles quelles. Supposons qu'elle renonce à ajouter des contraintes supplémentaires sur le projet en augmentant le nombre d'inspecteurs. Supposons que la commission reconnaît qu'il y a un accroissement dans le respect des francophones et de la langue française et qu'elle croit que cette tendance continue. Nous pourrions alors entrevoir un regain de confiance à travers la province, car le gouvernement montrerait qu'il souhaite agir avec responsabilité. Je vous remercie. M. Bill Spears.

Le Président (M. Gaulin): Alors, je vous signale seulement qu'il vous reste une minute. Vous pouvez toujours dépasser, mais ce sera autant de temps de moins pour l'interpellation.

M. Spears (William): Combien de minutes?

Le Président (M. Gaulin): Allez-y, je vous en prie.

M. Spears (William): Merci. M. le Président, membres de la commission, premièrement, un gros merci. Avant que je donne un petit discours, je vais dire qu'il y a quelque chose qui manque ici, aujourd'hui, c'est un représentant de la communauté anglophone sur votre commission. Et je vais dire pourquoi un représentant de la communauté anglophone sur votre commission... Votre premier ministre a parlé du secteur... Je comprends que vous avez un membre anglophone de l'Assemblée nationale, ici. Bien, moi, je dis un homme d'affaires anglophone. Je ne dis pas ça... C'est avec un sourire, c'est des farces. Mais quelqu'un de la communauté anglophone, ici sur votre commission...

Votre premier ministre, quand il a été au Centaur Theater, à Montréal, il a parlé un peu du secteur. Moi-même, je suis venu. Ça s'appelle Pointe-Saint-Charles. Ça c'est un secteur, madame, messieurs, où on a vécu ensemble, anglophones et francophones. Le père est anglophone et la mère est francophone ou le père est francophone et la mère est anglophone. Moi, je suis un ancien membre d'un conseil de ville, ancien policier et un homme d'affaires. Moi, je n'ai pas eu la chance, comme mes trois enfants, d'apprendre le français à l'école, de bonne heure. Moi, j'ai appris mon français seulement à la septième année. J'ai deux soeurs plus vieilles que moi, elles ne comprennent pas beaucoup le français. Ça, c'est à cause des écoles, ici, au Québec.

Je vais vous dire quelque chose. Pour moi, comme homme d'affaires... Ça va faire 20 ans bientôt qu'on a eu la loi 101. Moi, je vis en français comme un homme d'affaires, mais je vis en anglais aussi. Je ne tombe pas malade quand je parle français. Mais je ne parle pas comme je veux. Je demande, comme un homme d'affaires... Beaucoup sont partis, mes collègues, des hommes d'affaires. Même, j'ai trois enfants: ma plus vieille parle et écrit quatre langues; mon deuxième, trois langues; puis mon premier, trois langues aussi. Ils ne vivent pas à Montréal, les trois habitent à Toronto. The cause: le travail ici.

Les affaires, moi-même, je demande... Moi, je suis un ancien joueur de football professionnel. Je connais le nom de George Springate, un ancien membre de cette... ici, à Québec, il y a longtemps de ça. Bien, moi, je suis un Québécois puis je demande pour les Québécois et les Québécoises: Ne touchez pas à la langue française comme elle est mise, là; commencez à travailler avec nous. Quand je dis avec nous: les hommes d'affaires – pas des grosses compagnies – des petits hommes d'affaires. Comme l'a expliqué le premier ministre quand il a été au Centaur Theater à Montréal, nos mamans avaient commencé comme ça, madame, puis les messieurs. Québec va être sur le meilleur chemin. Il n'y a pas de danger de parler français ici. Il n'y a pas de danger de parler l'anglais ici.

Dans le secteur de Montréal, ce n'est plus le français ni l'anglais, c'est une communauté multiculturelle. Puis la plupart d'eux autres ne parlent pas seulement une langue ou deux, ils parlent trois et quatre langues. On n'a pas besoin de forcer, de travailler comme ça... Mais l'argent, on le dépense comme si, aujourd'hui... S'il n'y en a plus, mettons nos mains ensemble, tous ensemble. S'il n'y en a plus, vivez ensemble. Comme moi. Moi, je suis encore jeune: j'ai seulement 60 ans – puis le bon Dieu n'a pas besoin de moi encore. Je vais vivre longtemps encore.

Comme j'ai fait pour les gens de Saint-Agapit, avec M. Biron... Moi, je me suis battu pour les gens de Saint-Agapit. Puis je crois qu'il n'y avait aucune famille anglaise à Saint-Agapit quand M. Biron était ministre. Bien moi, j'ai travaillé pour mes frères et mes soeurs québécois. Bien, laissez-nous vivre, laissez-nous vivre ensemble. Quand, moi, je viens ici, à Québec, pour le carnaval d'hiver, on a du bon temps. Moi, j'ai des amis au Lac-Saint-Jean, j'ai des amis partout au Québec, puis, au Lac-Saint-Jean, ce n'est pas des amis anglais, c'est des amis francophones. Laissez-nous ensemble travailler pour montrer aux jeunes aujourd'hui comment ils peuvent parler les bons mots en français, pas comme moi.

J'ai des amis qui viennent de France, comme votre mari, madame. J'ai des amis qui viennent de Majorca. Puis ils disent que, moi, je ne parle pas le bon français – bien, j'en sais assez. Laissez-nous montrer à des jeunes aujourd'hui comment on peut parler, même des anglophones puis des francophones, et tout. Puis je demande encore, avant que j'aie fini, s'il vous plaît, à tous: pensez-y deux fois. Ça coûte cher. L'argent, on n'en a plus. Nos gouvernements sont cassés. Les hommes d'affaires sont cassés. Laissez-nous travailler ensemble pour bâtir une province pour tout le monde. Mais, s'il vous plaît, ne touchez pas à la langue française. La manière est placée et placée pour tout le monde. Merci.

Le Président (M. Garon): Alors, je vous remercie. Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, madame, messieurs. Je voudrais d'abord préciser une chose, M. Spears. Si j'ai bien compris, au début, ce que vous nous disiez, c'est qu'il n'y avait pas de représentants de la communauté anglophone...

Une voix: D'hommes d'affaires.

Mme Beaudoin: D'hommes d'affaires. Ah! Très bien.

M. Spears (William): D'hommes d'affaires, madame.

(16 h 40)

Mme Beaudoin: Ah bon! C'est parce que M. Kelley n'est pas un homme d'affaires. Je ne sais pas. Vous étiez professeur peut-être, M. Kelley?

Une voix: ...son c.v.

Mme Beaudoin: ...son c.v. Ha, ha, ha!

M. Spears (William): Je n'ai pas compris.

Mme Beaudoin: Très bien. Non, c'est parce que je me demandais, M. Kelley...

M. Spears (William): O.K. Merci.

Une voix: ...

Mme Beaudoin: Voilà. Et M. Payne... Alors, bref, en tout cas, je voulais être sûre que j'avais bien compris. Je voudrais vous poser une question qui découle de votre mémoire. Je vais vous lire ce qu'il y a dans votre mémoire et vous demander comment vous pouvez affirmer ça. Vous dites, donc, c'est le point 4: «French Québec in a Global Economy. Your proposed legislation, especially as it relates to software and the Internet, is not only oppressive to minorities, but once again you are oppressing Francophones by limiting their access to enter into the global spectrum.» Et vous ajoutez, en bas de cette page: «It would be a grave error to isolate Quebeckers from the rest of the world in your quest for complete francization.»

Alors, je vais vous lire l'article en question, dans le projet de loi n° 40. Je voudrais que vous m'expliquiez comment vous en venez à cette conclusion. L'article, c'est l'article 52.1, projet de loi n° 40: «Tout logiciel, y compris tout ludiciel ou système d'exploitation, qu'il soit installé ou non, doit être disponible en français – virgule – à moins qu'il n'en existe aucune version française.» Ce qui veut donc dire en français comme en anglais et que, s'il n'y a pas de version française, eh bien, ce sera sur les tablettes en anglais, mais que, s'il en existe une, l'on veut que cette version française soit sur les tablettes des grands magasins.

Je vais vous dire pourquoi. C'est que, dans le bilan sur la langue française, l'Office de la langue française nous dit que, dans les grands magasins à Montréal, il n'y a que 32 % des versions existantes en français – elles existent, ces versions-là – qui se retrouvent dans les grands magasins. Elles existent. Pourquoi ne sont-elles pas là pour les consommateurs francophones? Il me semble que c'est raisonnable, que c'est correct. S'il n'existe pas de version française, eh bien, on n'oblige pas à la traduction et on n'empêche pas les logiciels et les ludiciels d'être vendus, à ce moment-là, mais on dit: S'il en existe une, pourquoi ne pas la mettre à la disposition des consommateurs francophones? Alors, j'aimerais que vous m'expliquiez comment vous pouvez écrire ça.

M. Auf der Maur (Nick): On arrive à un consensus pour vous appuyer sur ce point.

Une voix: ...

Mme Beaudoin: O.K. Oui, c'est ça. M. le Président, si on prolongeait, on pourrait peut-être trouver d'autres consensus. Mais je vais laisser la parole à mon collègue.

Le Président (M. Garon): Alors, M. le député de Fabre.

M. Facal: Merci beaucoup, M. le Président. Je vous remercie beaucoup pour votre mémoire, qui a, c'est le moins qu'on puisse dire, le mérite de la clarté. Votre position est très claire. Mais j'avoue que, jusqu'à aujourd'hui, j'ignorais l'existence même de votre organisme. Votre organisme a été fondé quand?

Une voix: La semaine passée?

Une voix: Il «est-u» fondé?

Une voix: Ils vont trouver un consensus.

Une voix: The organization?

Une voix: Yes.

M. Auf der Maur (Nick): Ce n'est pas une organisation bien «cohésive», vous voyez.

M. Facal: Comment dites-vous?

M. Auf der Maur (Nick): Ce n'est pas une organisation bien «cohésive».

M. Facal: Structurée.

M. Auf der Maur (Nick): Structurée.

Une voix: Novembre.

M. Facal: Novembre.

Une voix: Novembre de l'année dernière.

M. Facal: Et il y a combien de membres dans la Canadian Unity Foundation, à peu près?

M. Besner (Bram): We can say that all the associations combined could represent somewhere between 75 000 and 100 000 people.

M. Facal: D'accord.

M. Auf der Maur (Nick): C'est un groupe, de ce que je comprends – moi, je n'en fais pas partie tellement – comme on dit, «an umbrella organization». Tous les autres groupes...

M. Facal: Un comité-parapluie.

M. Auf der Maur (Nick): ...sont affiliés avec ce groupe.

M. Facal: Je comprends. Et la Fondation, si j'ai bien compris, a, comme source de financement, les contributions volontaires des bénévoles qui en font partie. D'accord. Merci.

Dans votre mémoire, il y a un certain nombre de phrases fortes que je veux être sûr d'avoir bien comprises. Par exemple, vous écrivez: «Your proposed amendment cannot be allowed to supersede our freedom of expression, language and religion under the guise of democracy.» Prenons, par exemple, un mot, «freedom of religion». Sentez-vous que, dans le Québec de 1996, pas dans celui du Chanoine Groulx, mais dans celui de 1996, vos libertés religieuses sont menacées «under the guise of democracy»?

M. Auf der Maur (Nick): Non. L'utilisation du mot «religion», c'est comme... La madame veut dire que c'est un des droits fondamentaux, langage et religion, les deux droits... On ne dit pas qu'il y a un problème de religion, ici. Mais on dit que, la liberté de religion étant acceptée par tout le monde, il doit y avoir aussi une liberté d'être vu... la langue, que le langage puisse être visible de la même façon. C'est simplement pour... On ne dit pas qu'il y a un problème de religion.

M. Facal: D'accord.

M. Auf der Maur (Nick): Il y a un manque de religion, des fois, mais...

M. Facal: D'accord. Un peu plus loin, vous écrivez que «no minority groups in the Western world have undergone the kind of oppression that we have had to endure in Québec», ce qui – vous me corrigerez, si je me trompe – se traduirait par: Aucune minorité en Occident n'a dû subir le genre d'oppression que nous avons dû subir au Québec.

Une voix: Ha, ha, ha! Là on peut rire.

M. Facal: Est-ce que vous maintenez cette phrase?

Une voix: Puis les francophones hors Québec?

M. Facal: Do you really think so?

Mme Scher (Arlene): C'est un sentiment, oui.

M. Facal: Un sentiment.

Mme Scher (Arlene): Oui.

M. Facal: Mais est-ce un fait?

Mme Scher (Arlene): Ça change tous les mois.

M. Facal: C'est peut-être un peu exagéré, je vous soumets respectueusement.

Mme Scher (Arlene): Non, pas dans le monde de l'Ouest, non, non.

M. Facal: Pas en Occident. Bon.

Mme Scher (Arlene): What do you think? No? No. Non.

M. Facal: Et, par exemple, si je vous soumettais, simplement à titre d'exercice amical, de comparer, par exemple, la situation, tiens, des francophones du Manitoba, qui sont, «a minority group in the Western world», quelle évaluation comparative feriez-vous de la place de la communauté anglophone au Québec par rapport à celle de la communauté francophone dans l'Ouest du Canada?

M. Auf der Maur (Nick): ...vous dire que... Hey?

Une voix: They don't have laws in Manitoba.

M. Auf der Maur (Nick): ...quand je suis allé à l'école, au high school, chez les frères chrétiens, commission scolaire catholique de Montréal, la première chose qu'on voyait en rentrant dans la bibliothèque, c'était une affiche qui montrait Louis Riel, puis c'était marqué en dessous: «Louis Riel, victime du fanatisme orangiste». Et, si vous me demandez, personnellement, je ne pense pas que le sort des francophones au Manitoba est louable et, d'aucune façon, est acceptable... que c'est une répression.

Et puis malheureusement, à cause de Louis Riel, à cause de – c'est ce qu'on dit en anglais – «the Manitoba School Question» de 1880, ça a changé tout le caractère du Canada, parce que, après cet épisode, cette situation... Normalement on aurait dû avoir une migration des francophones vers l'Ouest, mais, à cause de ça, les francophones, les canadiens-français, ont fait une migration vers la Nouvelle-Angleterre au lieu d'aller au Manitoba. Et puis, si je ne me trompe pas, entre les années 1870 et 1920, environ 700 000 francophones, canadiens-français, se sont déplacés vers les États-Unis. Si ces 700 000 personnes s'étaient déplacées vers le Manitoba et la Saskatchewan, le Canada serait un pays bien différent: ce serait un pays bilingue, en fait, pas simplement en théorie.

M. Facal: Dans l'une des dernières pages de votre mémoire, j'ai été frappé par votre insistance sur l'argument selon lequel les difficultés financières que traversent nos gouvernements font en sorte qu'investir un chiffre, que vous estimez à 5 000 000 $ – c'est un chiffre erroné, mais, enfin, passons – pour l'implantation de mesures visant à protéger le français vous apparaît un montant excessif. Savez-vous combien le gouvernement fédéral dépense pour la promotion du bilinguisme au Canada?

Des voix: Ha, ha, ha!

(16 h 50)

M. Auf der Maur (Nick): Le fait, c'est que: Est-ce que ces 5 000 000 $ sont nécessaires? On ne trouve pas que c'est nécessaire. La seule chose, la seule raison que c'est nécessaire, c'est pour donner quelque chose à des nationalistes qui sont un peu fanatiques, qui veulent faire trop de bruit. You're buying peace. Et puis c'est 5 000 000 $ de gaspillage. Tout gaspillage est un gaspillage.

M. Facal: L'intervenant à votre droite est un homme d'affaires qui connaît la valeur de l'argent durement gagné. Alors, pour son information, le gouvernement fédéral a dépensé l'an dernier, à même ses impôts et les miens, 549 000 000 $ pour la promotion du bilinguisme, incluant là-dedans, évidemment, le Commissariat aux langues officielles, il y en a pour 11 000 000 $, le ministère du Patrimoine canadien, il y en a pour 211 000 000 $ et quelques, et ainsi de suite. 550 000 000 $.

M. Auf der Maur (Nick): Monsieur, vous avez raison: ça, c'est pour la promotion de quelque chose. Ici, c'est 5 000 000 $ pour la suppression de quelque chose, c'est pour supprimer la visibilité de la langue anglaise. Alors, promotion et suppression sont deux notions différentes. Ça, c'est une loi qui supprime quelque chose, et ça c'est un gaspillage d'argent.

M. Facal: Encore une fois, je vous reconnais le mérite de la clarté. Je termine, M. le Président. Si vous étiez au gouvernement – comme on dit en espagnol, «God forbid!» – je crois comprendre que la politique linguistique que vous préconiseriez serait la liberté de choix complète, sans aucune restriction.

M. Auf der Maur (Nick): Non.

M. Facal: Non? Ah bon!

M. Auf der Maur (Nick): Et puis je pense que vous devez le savoir, la plupart des anglophones, pas simplement ce groupe-ci, mais tous les anglophones acceptent qu'il y a un changement dans la réalité du Québec, acceptent que le Québec est essentiellement à caractère français. On accepte ça. On accepte les provisions de la loi qui font la promotion de la langue française, tout le monde accepte ça. Et l'obligation de la langue française, tout le monde accepte ça, presque tout le monde accepte ça. On accepte les provisions de la loi qui obligent quelque chose ou qui font la promotion de quelque chose. Mais ce qu'on n'appuie pas, c'est une provision de la loi et des choses qui suppriment une autre langue. C'est ça qu'on n'accepte pas.

Alors, on ne prône pas la liberté de choix; on prône simplement la liberté d'utiliser notre langue et de l'afficher et puis d'être visible, que la majorité accepte la légitimité et la présence des anglophones tout simplement. Puis on ne réclame pas la liberté de choix à l'école totalement, ou des choses comme ça, non. Puis on accepte que le français devrait être de plus en plus la langue de travail. Ça, c'est des choses, la réalité que les gens acceptent. Mais de supprimer et d'essayer d'effacer et de nier la réalité anglophone, on n'accepte pas ça.

M. Facal: Très bien. M. Besner, je crois comprendre que, dans le Toronto Star du 21 juin, vous êtes cité comme ayant déclaré: «If Québec decides to separate, there will be violence.» D'où pensez-vous que cette violence pourrait venir? Qui pourrait l'initier?

Where do you think this violence would come from? Who would initiate it?

M. Besner (Bram): It is my belief that, if Québec should decide to unilaterally separate, the Government of Canada will not accept that as a fact, and that the people who are living in Québec, of which, let's say, for example, 50 % are happy with the idea that they will belong to a separate Québec, and say 50 % – I'm just saying a number – will say: No, we don't want to belong to a separate Québec, we want to belong to Canada... Québec will say: You will pay your taxes to us, and Canada will say: No, no, no, you will pay your taxes to us. And these people will say: We don't know what to do. No matter what we're going to do, we're going to break the law. They will be in an impossible situation, and that's where I think violence will come from.

M. Facal: Et ils prendraient les armes à ce moment.

Mme Scher (Arlene): If I may add something, I'll say: I live right downtown, and, you know, if you saw my street corner, the night after the last Stanley Cup victory, it does not take much... And to look out my window and see on Sainte-Catherine Street riot squad police holding hands to try to push away the crowd over a hockey game...

M. Facal: Je m'en rappelle très bien, madame. Mais il est étonnant de constater que vos exemples de désobéissance civile portent sur le soir de la victoire de la coupe Stanley et non sur le soir du dernier référendum.

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Est-ce que je peux répondre à ça?

M. Facal: Bien sûr que vous pouvez répondre.

Le Président (M. Garon): Non, le temps est écoulé.

M. Facal: Ah!

Le Président (M. Garon): Le temps est écoulé, et, comme nous avons déjà pris du retard parce qu'on a commencé en retard, je vais demander maintenant au député d'Outremont...

M. Laporte: M. le Président, j'aurais une question à l'égard de nos invités, mais, avant de leur poser la question, je voudrais tout de même...

I would like to congratulate you for your frankness of opinion. We may disagree with what you've said, but, in a democratic society, expressing one's mind is a fundamental right. And I do regard your intervention and your speech as signs of great courage, in this National Assembly, where your are obviously invited to speak as Québec citizens. And I would think that, as far as I'm concerned, we have heard so many opinions, in this room, which were, in some respect, but right on the other side of the fence, quite as courageous as yours, but quite the opposite to yours. And, in both cases, I think that it's quite normal that these things are said.

Ma question s'adresse à M. Auf der Maur, qui est vraiment, à ma connaissance, une des personnes, à Montréal, qui connaît le mieux la ville de Montréal. C'est toujours un plaisir de vous lire dans la Gazette , M. Auf der Maur, parce que vous ramassez dans de brefs articles tant de choses et vous nous dites tant de choses que nous ignorons. Mais je voudrais revenir sur cette question que vous avez abordée, parce que, depuis le début de la commission, je m'évertue à essayer de faire clarifier les notions. Ce n'est pas toujours facile. Nos amis d'en face résistent.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: Je voudrais revenir sur cette question de Montréal, ville française. Je pense que, sociolinguistiquement parlant – vous comprenez ce que je veux dire – c'est-à-dire du point de vue de la réalité sociolinguistique ou écolinguistique à Montréal, vous avez parfaitement raison. C'est-à-dire que, si vous prenez, par exemple, les beaux articles qui ont été écrits par l'historienne de l'Université de Montréal, dont le nom m'échappe maintenant, sur le cosmopolitisme montréalais, c'est évident que Montréal, c'est une ville non seulement bilingue, mais une ville qui est linguistiquement et culturellement cosmopolite.

(17 heures)

Mais ce que j'aimerais vous entendre dire ou la question que j'aimerais vous poser, c'est la suivante: Si, au sens où vous l'entendez, Montréal est une ville bilingue, diriez-vous néanmoins, vous qui la fréquentez avec autant d'intimité depuis si longtemps, qu'on y retrouve une large volonté d'y soutenir l'élan qu'a pris le français au cours des 20 dernières années? Et penseriez-vous que, dans ce sens, Montréal est une ville française? Est-ce que vous seriez d'accord avec moi là-dessus?

M. Auf der Maur (Nick): Oui. Vous savez, je ne sais pas qui l'a dit l'autre jour, je pense que c'est le ministre Landry, le ministre de presque tout, il a dit que Montréal doit être aussi française que Toronto est anglaise. Et vous savez, c'est presque la vérité aujourd'hui, Montréal a environ 60 % de gens de langue maternelle française. À Toronto, c'est 62 % anglais comme langue maternelle. Alors, Montréal est aussi française que Toronto est anglaise.

Les grandes villes, partout dans le monde, et spécialement en Amérique du Nord, deviennent de plus en plus cosmopolites et multiraciales. De prétendre garder Montréal dans un frigo et la préserver comme une ville de musée, sans changement, c'est dire qu'on ne veut pas rester une grande ville. On veut être quoi, un musée? Il va y avoir, dans tous les centres urbains du monde, une grande évolution. C'est ce qui se passe. Mais je suis convaincu qu'à Montréal la prédominance française va rester tout le temps.

Ce qui a changé beaucoup dernièrement, les deux, trois dernières décennies, à Montréal, c'est la composition de la population non francophone. Avant, elle était presque à moitié anglaise, des vieilles souches des îles Britanniques ou d'Irlande. Maintenant, ils forment une très minuscule proportion de la population non francophone à Montréal. Il y a de plus en plus des gens avec des drôles de noms, comme moi, au lieu des Smith ou des Wilson, des choses comme ça. La proportion francophone reste toujours environ la même, mais la composition de la portion francophone va changer, va évoluer aussi avec l'immigration. Regardez dans les écoles francophones de Montréal, c'est à peine la moitié qui est de vieille souche, pure laine, québécoise. C'est des nouveaux. Alors, les vieux Anglais sont en train de disparaître, et, du côté majoritaire, la composition a évolué.

M. Laporte: M. le Président, si vous permettez, je voudrais demander encore à M. Auf der Maur de préciser, c'est-à-dire: Est-ce que vous pensez qu'à Montréal, aujourd'hui, on retrouve cette volonté partagée par toutes les communautés linguistiques? C'est le texte de Linteau que je mentionnais tantôt, qu'il nous suggère... parce que c'est un texte dans lequel il en est question. Est-ce que cette volonté partagée de soutenir l'élan du français vers une convergence, vous la sentez?

M. Auf der Maur (Nick): Oui. La grande peur, c'est... Drôlement – je sais que les membres de ce côté ne le pensent pas – chez les minorités, ils pensent que la langue qui est menacée à Montréal, c'est l'anglais, qu'il n'y a pas de menace pour le français, qu'il y a une menace pour la survivance de la langue anglaise. C'est ça, le problème. Mais des gens prétendent, insistent que c'est l'inverse. Ce n'est pas vrai. C'est l'anglais qui est en train de disparaître à Montréal, et, ça, c'est une perte de la force de Montréal.

Le Président (M. Garon): M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président. Je pense que le message qu'on est en train de recevoir ici, par le groupe qui est en train de témoigner, c'est à l'effet que, effectivement, l'ensemble des personnes, qu'elles soient de langue anglaise ou comme moi, qui suis immigrant au Québec, oui, nous acceptons le fait français. Et je suis autant concerné que d'autres de m'assurer que le français au Québec, en Amérique du Nord, puisse jouir de toutes les façons possibles. Ce qui est un peu, je pense, aberrant, puis j'aimerais bien que la ministre comprenne ça, que ce soit au niveau de la communauté anglophone ou que ce soit au niveau des ethnies, il n'y a personne que je connaisse, dans la communauté ethnique, qui est contre l'usage du français. Au fil des années, depuis que je suis ici, à l'Assemblée nationale – maintenant 15 ans – on a adopté toutes sortes de lois qui ont menacé ce qu'on peut appeler... puis, des fois, c'est très difficile à dire si c'est vraiment des droits fondamentaux ou pas. Il demeure que, si on regarde du côté de la ministre de l'Éducation – ici, je suis très content de l'entendre – si on regarde au niveau de ce que le Québec a fait envers les immigrants, pour dire: Parfait, tous les immigrants qui viennent au Québec... Et je suis un de ceux qui souscris à cette mesure gouvernementale à l'effet que ces personnes-là doivent être intégrées dans la majorité francophone.

Mais, quand j'entends les gens qui sont assis à votre droite, M. le Président, qui maintenant se préoccupent à l'effet que ces personnes-là qui ont fait l'effort, justement, de s'intégrer du côté de la majorité francophone... on est scandalisé, de l'autre côté, M. le Président, parce que ces personnes-là, à cause du fait que leurs parents ont peut-être une connaissance de l'italien, de l'anglais ou de l'allemand – et qui continuent de le parler à la maison – parlent en anglais. On a entendu des gens de l'autre côté qui sont scandalisés par le fait qu'il y a des étudiants qui sont dans des écoles francophones puis qui osent parler une autre langue que le français. On entend ça de votre côté, là.

Je pense que, depuis les 15 dernières années, tout le monde a accepté le fait français au Québec. Tout le monde essaie à sa façon de s'intégrer au fait français du Québec. Et je pense que l'objection que M. Auf der Maur a présentée, ce serait presque l'équivalent de dire: La ministre de l'Éducation a un problème de décrochage scolaire, on va punir les décrocheurs. Ce n'est pas ça qu'on fait, ce n'est pas ça que la ministre a fait. Elle met des mesures incitatives pour s'assurer, justement, que ces élèves-là demeurent à l'école, n'est-ce pas, pour qu'ils puissent servir à la société. Puis, ça, j'admire qu'on puisse faire des choses de même.

Alors, au niveau de la francisation, on sait que les groupes ethniques... et j'en suis un de ces groupes ethniques, puis je pense que, même si je fais quelques fautes en français, je me suis assez bien intégré dans la société québécoise... Ce qu'on trouve aberrant, c'est qu'on arrive là pour pénaliser et non pour inciter. Le commerçant sur la rue Saint-Michel, à Montréal – puis ça va mal – qui affiche dans sa vitrine: «Sale 50 %», il ne le fait pas parce qu'il a du mépris, parce qu'il ne respecte pas la langue française. Il ne connaît pas autre chose. Il ne le fait pas parce qu'il n'a pas de respect pour les gens qui sont assis en face de moi, il le fait parce que c'est seulement ça qu'il connaît.

Alors, moi, ce que je dis et ce que je demande aux gens de réaliser, c'est justement quelles sont les mesures incitatives qui vont faire du fait qu'on va assimiler... Puis je suis un de ceux, même si ça surprend des personnes de l'autre côté, qui croient que, justement, le français doit avoir sa place en Amérique du Nord. J'ai toujours dit, pour ceux qui... Je trouve ça étrange que, des fois, des gens à travers le monde soient plus intéressés à sauvegarder un singe de Madagascar parce qu'il est en voie d'extinction, puis qu'on ne soit pas concerné par le fait français au Québec.

En ce qui me concerne, personnellement, j'ai toujours pensé que c'était peut-être plus important de garder une culture, qui est celle que nous connaissons, et qu'on mette des mesures pour, justement, s'assurer que, au lieu que les gens se sentent opprimés... Puis je pense que c'est ça qu'ils nous disent, là. Ce n'est pas une question qu'ils ne sont pas en accord avec le fait français du Québec, c'est cette perception que les gens ont à l'effet qu'on arrive là pour les punir. Et je pense que le ministre des Transports aussi va mettre bien plus d'argent pour instruire les gens qu'il est dangereux de conduire au-delà de 100 km/h, plutôt que d'imposer nécessairement des billets de contravention lorsqu'ils font ça. Alors, c'est ça, le message qu'on reçoit et c'est ça que je pense qu'on veut que vous compreniez, là.

(17 h 10)

Oui, on veut s'intégrer. Oui, je veux m'intégrer. Je pense que je le suis, mais, si je n'ai pas une connaissance de quelque chose... Aidez donc ces gens-là, justement, à s'intégrer, au lieu de prendre des 2 000 000 $, des 3 000 000 $, des 4 000 000 $, des 5 000 000 $ ou des 10 000 000 $ – on n'argumentera pas sur le montant – et au lieu de dire: Oui, on va imposer, on va avoir un organisme qui va aller chercher les fautes, hein. Pour ceux d'entre vous, autour de cette table... Lorsqu'on enseignait, on ne cherchait pas nécessairement les fautes pour punir les gens, on disait: Oui, sur une dictée, il n'a pas fait trois fautes. Peut-être qu'il y a 150 mots qui sont bien écrits.

Alors, essayez d'encourager les gens. Je pense que vous feriez un meilleur travail, Mme la ministre, si, au lieu de prendre ces argents-là, puis d'en envoyer, puis d'essayer de punir, d'identifier des personnes qui sont contre, bien, vous preniez cet argent-là puis vous disiez: Oui, on va mettre des mesures incitatives pour aider ces individus-là à se franciser. Il n'y a personne qui va être contre ça. Personne.

Alors, ma question est fort simple, au groupe qui est devant nous: Est-ce que, selon vous, là, il y aurait des mesures, justement, incitatives qui pourraient faciliter – je pense qu'on est d'accord – la question de la survie du français au Québec?

M. Auf der Maur (Nick): On pourrait dire qu'il y a déjà des mesures incitatives pour assurer la survie du français au Québec, parce que la jeune génération des anglophones, ils sont très bilingues, ils sont très, très à l'aise en français. Sauf qu'il y a une incitation pour eux à quitter le Québec. Les jeunes anglophones bilingues, ils commencent à être la plus grande exportation du Québec. On exporte notre jeunesse à travers l'Amérique du Nord. Ils sont incités.

Je pense qu'il faut trouver quelque chose pour garder cette richesse humaine qu'on est en train d'exporter. Et c'est une perte pour tout le Québec, c'est des gens avec du talent, des gens éduqués. Vous savez, si vous faites une recherche sur les gradués de l'Université McGill des 10 dernières années, je ne connais pas exactement le chiffre, mais je gagerais qu'au moins 50 % ont quitté le Québec. Quel gaspillage de talent! Quel gaspillage d'entrepreneurs! Des pertes de jobs! C'est une perte pour tout le monde. Et, au lieu de venir avec des projets de loi non nécessaires... C'est vu simplement par les anglophones comme une autre vengeance, une «petty-minded punishing», missionnaire...

Alors, malheureusement, c'est l'incitation à quitter le Québec qui existe, et cette loi va inciter les gens encore à quitter le Québec. C'est une perte pour tout le monde. Moi, je n'aime pas le fait que presque tous les amis de ma fille sont en train de partir, de quitter le Québec. Ça, c'est la sorte d'incitation qui vient du gouvernement, et c'est inutile, c'est mauvais pour tout le monde, c'est mauvais pour la majorité et c'est mauvais pour nous. Parce que, moi, j'aime énormément Montréal. Je suis tellement heureux que ma famille ait décidé de venir à Montréal, d'adopter Montréal comme notre ville. Moi, je ne quitterai jamais, mais c'est la jeunesse qui quitte, ce qui est très triste. Il y a une tragédie qui est en train de se dérouler chez la minorité à Montréal, puis je ne comprends pas pourquoi la majorité ne le reconnaît pas.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Je remercie les porte-parole de la Fondation pour l'unité canadienne. Le temps qui vous était imparti est écoulé. Je vous remercie d'être venus nous rencontrer. Il m'a fait plaisir également de vous entendre, M. Nick Auf der Maur. J'ai eu l'occasion de vous lire aussi assez régulièrement et je ne vous avais jamais rencontré en personne. Je ne pensais pas vous reconnaître, parce que, habituellement, vous avez un chapeau.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Alors, j'invite maintenant les porte-parole de la Centrale de l'enseignement du Québec à venir à la table des témoins.

Alors, vous avez une heure à partir de maintenant, c'est-à-dire que, normalement, c'est 20 minutes pour vous, 20 minutes pour les députés ministériels, 20 minutes pour les députés libéraux. Je vous aviserai autour de 20 minutes, mais, si vous voulez en prendre plus, vous avez beau. Ils auront moins de questions de part et d'autre, à ce moment-là, moins de temps pour des questions. Si vous voulez, Mme la porte-parole de la CEQ, présenter les gens qui vous accompagnent.


Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ)

Mme Pagé (Lorraine): Alors, les personnes qui m'accompagnent: à ma droite, M. Alain Pélissier, qui est secrétaire-trésorier de la CEQ; et, à ma gauche, M. Henri Laberge, qui est conseiller à la Centrale.

Alors, je voudrais tout d'abord vous remercier de nous accueillir pour recueillir notre point de vue sur la proposition de politique linguistique du gouvernement québécois. Nous vous avons déjà fait parvenir notre mémoire; je ne doute pas que vous en ayez pris connaissance. Je vais donc limiter ma présentation à un bref rappel des grandes lignes en m'attardant aux recommandations, mais aussi en abordant des questions que nous n'avions pas eu le temps de traiter aussi bien que nous l'aurions voulu dans le mémoire, compte tenu des délais qui nous étaient impartis.

Je tiens à rappeler que la CEQ a appuyé avec enthousiasme l'adoption de la Charte de la langue française en 1977. Elle constituait pour nous une étape incontournable dans la promotion du français en tant que langue nationale et officielle du Québec. Pourtant, nous ne l'avons jamais considérée comme un résultat définitif ou immuable. Il est normal que, selon l'évolution de la société, elle soit réactualisée.

Nous souscrivons à l'idée que la Charte de la langue française soit considérée comme la pièce maîtresse de la nouvelle proposition de politique linguistique, mais nous tenons à préciser qu'il devrait s'agir de la Charte de la langue française restaurée selon son esprit originel, c'est-à-dire faire du français la langue de l'État et de la loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires. Avec les nombreuses mutilations qu'elle a subies depuis 1977, la Charte de la langue française n'exprime plus cet objectif. La proposition de politique linguistique n'affirme pas suffisamment la volonté de restaurer l'esprit initial de la Charte de la langue française, ce que nous déplorons.

La proposition de politique linguistique, tout comme le projet de loi n° 40, s'accommode des contraintes constitutionnelles, alors que, selon nous, il serait important de les dénoncer ouvertement. Qu'il devienne indépendant ou qu'il confirme son adhésion à la fédération canadienne, le Québec devra bien un jour appliquer une politique linguistique qui lui convienne et se libérer de ces contraintes constitutionnelles.

Nous partageons l'approche du gouvernement, qui veut faire du français la langue commune du Québec. Nous souhaitons cependant qu'il soit aussi proclamé comme langue nationale, comme le bien commun de toute la société québécoise en tant que langue commune à tous les groupes qui la composent. C'est par la promotion du français à titre de langue nationale que nous pouvons contribuer à la plus grande égalité possible entre les citoyennes et les citoyens de toutes origines, de toutes les langues maternelles, de toutes les traditions religieuses et de toutes les régions. Tout en respectant la langue particulière de chacun, nous procurons ainsi à la société tout entière l'avantage incontestable d'une langue commune, instrument de communication, de dialogue interculturel, de délibération démocratique accessible à toutes et à tous, ce qui peut s'exprimer en une formule à trois volets: le français partout dans la vie publique, le français pour tout et le français pour tous. L'atteinte de cet objectif exige, bien sûr, que soit inscrit dans les droits linguistiques fondamentaux, pour toute personne domiciliée au Québec et qui n'a pas du français parlé ou écrit une connaissance ou une maîtrise suffisante, le droit à un enseignement et à un soutien pédagogique qui lui permette d'acquérir cette connaissance et cette maîtrise.

(17 h 20)

Au chapitre de la langue de la législation et de la justice, je me limiterai à un bref commentaire. Il ne suffit pas de dire qu'une langue est officielle pour qu'elle soit officielle dans les faits. Ce qui fait qu'une langue est officielle, c'est d'abord le caractère obligatoire de la rédaction en cette langue des textes officiels, et ensuite la règle voulant que l'interprétation de la volonté étatique ne se fasse qu'à partir du texte rédigé en cette langue. Or, les modifications à la Charte de la langue française par la loi 86 de 1993 confèrent à l'anglais le statut de langue officielle. Nous estimons que l'Assemblée nationale doit réaffirmer sa volonté de restaurer, aussitôt que possible, l'esprit et les principes de la loi 101 de 1977 portant sur la langue de la législation et de la justice et que, compte tenu de l'obstacle constitutionnel de l'article 133 de 1867, le gouvernement explore les moyens de lever cet obstacle.

La CEQ est certainement d'accord avec l'objectif affirmé de faire jouer à l'administration publique un rôle exemplaire et moteur dans la promotion de la langue nationale. Nous sommes d'avis que le concept d'administration publique devrait inclure les cégeps ainsi que l'Université du Québec et que les universités privées et les autres établissements d'enseignement privés subventionnés par le gouvernement soient reconnus comme des organismes parapublics. À ce chapitre, nous recommandons que soit rétablie l'exigence d'une connaissance appropriée du français pour accéder à l'avenir à une fonction dans n'importe quel organisme de l'administration; que les conditions d'accès aux professions réfèrent effectivement à une connaissance du français appropriée à l'exercice de la profession. Comment le vérifier? Nous suggérons d'exiger que la personne ne soit réputée avoir la connaissance appropriée du français que si elle répond à l'une des deux conditions suivantes: avoir suivi en français les études postsecondaires qui préparent directement à l'exercice de sa profession ou avoir réussi tous les examens d'admission à la profession administrés en français. Nous recommandons aussi que des mesures énergiques soient prises pour renforcer l'usage du français dans tous les organismes de l'administration et dans les organismes parapublics, de même que pour assurer leur contribution, dans leur champ respectif, à la promotion du français.

La langue du travail est l'un des déterminants les plus efficaces dans la promotion d'une langue commune au sein d'une société. S'il est vrai qu'il faut faire apprendre le français à tous les citoyens pour qu'ils puissent travailler en français, la meilleure façon de les inciter à apprendre le français et à cultiver un français de qualité, c'est de les assurer que c'est bien le français qu'il faut connaître et maîtriser pour trouver de l'emploi, qu'il est possible de travailler en français et qu'en règle générale aucune autre langue que le français n'est requise pour exercer ses activités de travail.

Mais il serait vain de prétendre faire du français la langue de travail pour l'ensemble des travailleuses et des travailleurs et pour tous les types d'emplois sans en faire aussi la langue de la direction et de la gestion des entreprises, la langue des relations du travail, la langue des conventions collectives et du règlement des différends en matière de travail. Or, l'obligation pour l'employeur de communiquer en français avec son personnel a été interprétée par les tribunaux comme ne s'appliquant pas aux communications individuelles. De plus, l'obligation de rédiger en français les sentences arbitrales a été supprimée par la loi 86 de 1993. De même, l'obligation pour les entreprises de détenir un certificat de francisation et de s'y conformer dans la pratique est disparue de la loi. Nous croyons que l'Assemblée nationale ne saurait accorder trop d'importance au renforcement du cadre législatif concernant la langue du travail et des entreprises, que le gouvernement ne saurait en accorder trop aux moyens nécessaires pour faire respecter le cadre législatif.

Nous recommandons donc que l'employeur soit tenu de rédiger en français les communications qu'il adresse à un membre de son personnel, que le certificat de francisation soit obligatoire pour toutes les entreprises et que le fait de ne pas en avoir soit sanctionné, comme c'était le cas dans la loi 101 de 1977. Et enfin, si le gouvernement devait donner une nette priorité à un aspect particulier de la politique linguistique, c'est à la promotion du français comme langue du travail et à la francisation des entreprises qu'il devrait le plus vigoureusement s'attaquer. Les enfants ont beau fréquenter l'école française, quand les parents travaillent en anglais, nos efforts de francisation sont voués à l'échec.

Pour ce qui est de la langue du commerce et des affaires, nous appuyons la proposition ministérielle lorsqu'elle affirme la nécessité de renforcer la protection du consommateur sur le plan linguistique. Cette préoccupation doit se situer elle aussi dans le cadre général de la promotion d'une langue commune. Le français doit devenir effectivement la langue normale et habituelle du commerce et des affaires partout au Québec.

Une préoccupation particulière s'impose en ce qui a trait aux produits informatiques, mais également à d'autres produits d'usage courant qui nous parlent constamment en anglais, qu'il s'agisse d'appareils électroménagers, d'équipement de bureau, de jouets, de vidéos et de jeux de toute nature. Nous recommandons donc que soit établie la règle générale voulant que les produits informatiques de même que tout jouet, jeu, appareil ménager, appareil de bureau dont le fonctionnement repose sur l'emploi d'un vocabulaire autre que français doivent comporter une version française disponible sur le marché québécois dans des conditions au moins aussi favorables que la version dans l'autre langue, quitte à ce que l'Office puisse autoriser des dérogations dont il devra faire état dans son rapport annuel.

Quant à la question de l'affichage, nous croyons que son importance mérite l'attention qu'on lui accorde. Cela, toutefois, ne doit pas se faire au détriment d'autres dimensions plus structurantes pour l'avenir du français au Québec, telles la langue du travail et la langue d'enseignement. Force nous est de constater que la loi 86, qu'on nous avait présentée comme un gage de paix linguistique, n'a pas produit cet effet. Les événements récents nous l'ont confirmé, et nous ne croyons pas que le phénomène Galganov est un cas isolé. Voyons ce qui vient de se passer à la Gazette , pour donner une autre illustration.

Enfin, quiconque circule dans les rues de Montréal est en mesure de constater que le bilinguisme est en progression, ce qui, nécessairement, entraîne une régression du français. Et je ne parle pas d'une progression du bilinguisme dans des quartiers anglophones, je parle de la progression du bilinguisme dans des quartiers allophones, ce qui est tout à fait différent.

Dans ce contexte, nous recommandons donc que, dans la mesure où l'action gouvernementale sera renforcée au chapitre de la langue du travail et de la langue d'enseignement, à la condition que des dispositions efficaces soient prises pour assurer une réelle progression du français comme langue du commerce et des affaires, les normes actuelles relatives à la langue de l'affichage public de nature commerciale puissent être maintenues, mais cela s'accompagnant de l'obligation, pour le gouvernement, de les faire respecter et de procéder à un bilan sévère, juste, rigoureux, d'ici un an. Advenant que ce bilan indique que l'esprit de la loi n'est pas respecté et que l'on assiste, dans les faits, à une bilinguisation de l'affichage, comme nous le craignons – et je vous dirais que nos affiliés de la région de Montréal ne le craignent pas, mais ils en sont certains – il faudra procéder à un resserrement des règles relatives à l'affichage et revenir à l'unilinguisme français.

Quelques mots, maintenant, au sujet de la langue d'enseignement. Un des aspects les plus contestables de la loi 86 de 1993 consistait en l'adaptation de notre législation linguistique aux dispositions constitutionnelles sur la langue d'enseignement. La loi 86 avalisait une violation flagrante de l'autonomie du Québec en matière d'enseignement. L'article 23 de la Charte canadienne accorde le droit à tout citoyen ou à toute citoyenne dont un seul de ses enfants a reçu ou reçoit l'enseignement en anglais n'importe où au Canada d'inscrire tous ses enfants résidant au Québec à l'enseignement anglais. Cela signifie qu'il suffirait, pour quelqu'un qui veut contourner l'intention première de la loi 101, d'inscrire, ne fut-ce que pour un an, un de ses enfants à l'école anglaise dans une autre province pour que, par le fait même, tous les autres enfants de la famille acquièrent le même droit de recevoir l'enseignement en anglais à l'école publique du Québec. De même, il lui suffirait d'inscrire un de ses enfants à l'enseignement en anglais dans une institution privée non subventionnée au Québec pour atteindre le même résultat.

Autre élément pernicieux de la loi 86: la loi permet l'enseignement en anglais à la demande de l'un des parents, et non plus à la demande du père et de la mère, comme le prévoyait la loi de 1977. Lorsqu'il y a désaccord entre les deux parents, ce n'est pas le français qui triomphe, c'est l'anglais. C'est comme l'ancienne règle: le masculin l'emporte sur le féminin. Dans ce cas-là, c'est l'anglais qui l'emporte sur le français.

(17 h 30)

Une autre modification apportée par la loi 86 autorise l'utilisation de l'anglais comme langue d'enseignement dans le réseau français d'enseignement par le biais de l'immersion. En indiquant que l'enseignement des diverses disciplines pourra se donner en anglais pour favoriser l'apprentissage de l'anglais, on relègue au second plan l'objectif propre à chacune des disciplines. Quand on apprend les mathématiques, c'est pour apprendre les mathématiques et, quand on apprend l'histoire, c'est pour apprendre l'histoire, ce n'est pas pour apprendre l'anglais. Ordonner l'enseignement des disciplines à l'apprentissage de l'anglais, c'est pervertir la finalité de l'enseignement de ces matières. Introduire l'immersion en anglais à l'école française, c'est transmettre aux enfants d'immigrants le message que, pour vivre au Québec, il est indispensable d'avoir de l'anglais une connaissance et une maîtrise de même niveau que celles exigées en français. Nous demandons à l'Assemblée nationale de retirer l'article 72 actuel, le troisième alinéa autorisant à l'école francophone l'enseignement en anglais dans diverses disciplines.

Nous demandons également au gouvernement de prendre au sérieux son engagement à améliorer la maîtrise d'un français de qualité par les élèves des deux réseaux linguistiques. Un tel engagement doit se traduire par des programmes appropriés, par des budgets, par du temps à consacrer à l'enseignement du français, par l'enrichissement de nos bibliothèques scolaires, par une plus grande attention à la qualité du français dans les manuels scolaires de toutes les disciplines et par un plus grand investissement dans la formation des maîtres de français. J'aimerais préciser ici que, malgré tout leur engagement et toute leur bonne volonté, les enseignantes et les enseignants ne parviendront pas à faire acquérir à leurs élèves la maîtrise d'un français oral et écrit de qualité si la famille et les médias, notamment, ne valorisent pas la qualité du français oral et écrit. En m'en venant à l'Assemblée nationale, je voyais ici, sur Grande Allée, un restaurant qui affichait «Planet glaciaire», «Planet» sans «e». Vous avez probablement vu comme moi à la télévision le commercial de la chaîne Metropolitain qui nous explique que c'est tout un «deal».

La loi actuelle est également beaucoup trop permissive en ce qui a trait à l'enseignement en anglais dans le cas de séjours temporaires au Québec.

Dernier aspect sur lequel j'aimerais attirer votre attention: l'article 81 de la loi actuelle, qui permet aux enfants éprouvant des difficultés graves d'apprentissage d'être dispensés de fréquenter l'école française sans même qu'on établisse que leurs difficultés découlent du fait qu'ils reçoivent l'enseignement en français. Ce même article 81 permet de retirer de l'école française des élèves qui n'ont aucune difficulté, mais parce que leur frère ou leur soeur en ont eu. Nous ne voyons vraiment pas de justification à une telle pratique. Nous demandons donc la reformulation de l'article 81 pour préciser que l'exemption s'adresse à l'enfant dont la difficulté grave d'apprentissage a un rapport direct avec le fait que l'enseignement lui est dispensé en français.

Enfin, je ne saurais conclure cet exposé sans dire quelques mots sur la question des structures scolaires. C'est une habitude, me direz-vous; d'autres diront que c'est une obsession. Quoi qu'il en soit, le milieu scolaire doit être vu comme un lieu d'intégration des communautés à une même société globale, un lieu où les enfants de langues maternelles diverses ont l'occasion de se fréquenter pour mieux se connaître, apprendre à vivre ensemble en français. Pour contribuer pleinement à la promotion du français comme langue commune, l'école québécoise doit être une école d'intégration et non de ségrégation, ce qui implique la déconfessionnalisation complète du système scolaire. Nous ne le répéterons jamais trop: toute tentative de réforme du système scolaire québécois sous l'empire des dispositions constitutionnelles actuelles est vouée à l'échec. Il faut dès maintenant, sans relâche, dénoncer ces contraintes et revendiquer que le Québec en soit libéré.

En conclusion, la proposition de politique linguistique du gouvernement contient plusieurs éléments avec lesquels nous sommes d'accord. Certaines omissions nous inquiètent. Toutefois, nous sommes en total désaccord avec le fait que le gouvernement ne semble pas remettre en cause les amputations infligées à la loi 101 par la loi 86. Nous sommes également en désaccord avec le fait que le gouvernement s'accommode trop bien des contraintes imposées au Québec par les articles 93 et 133 du BNA Act de 1867 et les articles 23 et 29 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le projet de loi n° 40 propose de rétablir la commission de surveillance de la langue française. Ce qui nous importe plus encore, c'est la volonté réelle de faire reconnaître et appliquer le statut du français au Québec. Cette volonté doit être visible dans le texte de la loi si on veut la faire appliquer. À quoi bon un organisme d'application musclé si la loi est pleine de trous et si son rôle consiste à faire appliquer le bilinguisme? Mais il n'y a pas, pour nous, de honte à nous doter d'organismes efficaces de mise en oeuvre, d'application et de surveillance d'une loi. On le fait pour d'autres lois, et c'est une exigence de la démocratie que de faire appliquer les lois. L'essentiel de notre message, c'est que la Charte de la langue française a besoin d'une refonte en profondeur. Des ajustements mineurs ne sauraient nous satisfaire. Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui. Mme Pagé, messieurs, bonjour. Merci d'être venus nous rencontrer. Votre mémoire est fort pertinent et fort intéressant, et j'y note quand même un certain nombre de points de convergence, même si j'ai bien compris, Mme Pagé, que vous nous dites, d'une part, que c'est insuffisant, incomplet et que vous préféreriez une refonte complète plutôt qu'un projet de loi comme celui qui est sur la table, parce que vous y décelez des oublis ou des manques.

Mais je voudrais vous poser une question assez précise. Je dois dire que vous nous incitez à nous engager dans la voie de négociations constitutionnelles, si j'ai bien compris. C'est parce que vous pensez que le prochain référendum va être dans plusieurs années, dans un autre 15 ans, ou est-ce parce que vous pensez que... Ha, ha, ha! En d'autres termes, vous dites: En effet, ou bien on reste dans la fédération canadienne ou bien il y a la souveraineté. Mais, dans un sens, s'engager dans ce type de négociations constitutionnelles, est-ce que vous pensez sérieusement, réalistement que, si on décidait de suivre votre avis éclairé, ça se ferait rapidement, spontanément, surtout que ce n'est pas des petites choses? Là, c'est l'article 133, c'est la loi... c'est ce qui concerne la justice, la législation, etc. Mais, vous, vous pensez qu'il faut aller dans ce sens-là et sur le fond et sur la forme: sur le fond dans un premier temps, exactement ce que vous voudriez qu'il y ait au bout de ça; et, sur la forme, que ça prenne la forme, si nécessaire, de négociations constitutionnelles que nous devrions entreprendre rapidement. Est-ce que c'est bien ça?

Mme Pagé (Lorraine): Vous comprendrez, Mme la ministre, que, n'étant pas au gouvernement, je ne sais pas quand sera le prochain référendum...

Mme Beaudoin: Ha, ha, ha!

Mme Pagé (Lorraine): ...alors je ne peux pas présumer des choix qui seront faits. Mais je crois que nous ne pouvons pas passer sous silence les contraintes constitutionnelles qui nous sont imposées. À partir du moment où le gouvernement, de façon claire, indique qu'il y a un certain nombre d'articles de la Constitution canadienne soit de 1867, soit de 1982 qui imposent des contraintes empêchant le Québec de se doter d'une politique linguistique cohérente et efficace ou de procéder à une réforme correcte de ses structures scolaires, faute que le gouvernement du Québec le fasse, cela permet aux vis-à-vis fédéraux de dire à peu près n'importe quoi sans se sentir obligés de passer à l'action.

Et, quand on pose la question des changements constitutionnels, je serais portée à dire que le fardeau de la preuve n'est pas chez nous, il est chez ceux qui nous expliquent qu'il y aurait bien moyen de tout changer ce qui ne nous conviendrait pas. Mais je pense qu'il faut avoir le courage de poser ces questions, ce qui n'a pas été fait dans le passé. Et, si les réponses ne viennent pas, si les réponses ne viennent pas de façon satisfaisante, je ne crois pas que cela viendrait nuire de quelque façon que ce soit aux débats que nous aurons à faire à un moment donné sur l'avenir du Québec.

Mais on ne peut pas non plus continuer à nous donner des lois linguistiques qui prennent pour acquis que les contraintes sont là et qu'on s'en accommode pour un certain temps en attendant d'arriver à un autre choix politique qui pourrait être différent de celui du maintien du lien fédéral. Alors, c'est dans cette perspective-là que nous nous plaçons. Mais nous croyons que, à force de ne pas mettre en évidence les difficultés constitutionnelles, on accrédite presque sans le vouloir mais de façon très efficace que, dans le fond, il n'y en a pas véritablement, de problème dans la Constitution canadienne. Mais il y en a, particulièrement sur le dossier linguistique, sur le dossier des commissions scolaires linguistiques.

Prenons l'exemple de la loi, de la justice. Simplement rétablir les dispositions de la loi 101 ne nous mènerait nulle part, ça retournerait devant les tribunaux et ce serait invalidé, comme ça l'a été dans le passé, parce que le ver est dans la pomme: c'est l'article 133 de la Constitution de 1867. Il faudra bien le mettre en évidence et le dire. Alors, c'est ce que nous avons voulu vous communiquer comme préoccupation, et nous pensons que le temps est venu de dire les choses.

(17 h 40)

Mme Beaudoin: En terminant, je trouve assez intéressante la façon dont vous avez présenté vos priorités, si je puis dire: la langue de travail, la langue de l'enseignement, l'affichage, etc., avec les balises que vous y avez mises tout au long de la présentation de votre mémoire, et je dois dire que j'ai trouvé ça fort intéressant et fort pertinent. M. le Président, j'ai terminé, personnellement.

Mme Marois: Ça va?

Le Président (M. Garon): Oui.

Mme Marois: Alors, M. le Président, ça me fait plaisir de vous saluer et d'être présente pour cette présentation. J'ai un certain nombre de questions que je veux soulever. J'apprécie, évidemment, beaucoup d'éléments que vous avez soulevés en matière de qualité du français et d'apprentissage du français. Deux questions bien brèves et précises, entre autres sur l'immersion. Dans le fond, c'est l'immersion en anglais – en vue de l'apprendre, bien sûr – mais par la voie de l'apprentissage des matières de base. Si, plutôt que de ne pas le permettre, on l'ouvrait pour apprendre une autre langue que l'anglais, comme par exemple l'espagnol, et qu'on le balise dans certaines circonstances, dans certains occasions, à un certain niveau scolaire... Parce que je pense qu'on partage sûrement ce même objectif, à savoir que ce qu'on souhaiterait pour nos enfants, c'est non seulement qu'ils soient bilingues, mais qu'ils soient trilingues et même plus si c'était possible. C'est au niveau des institutions que l'on souhaite que le français soit la langue d'usage, la langue commune et ce que vous appelez la langue nationale. Alors, sur ça, entre autres... Parce qu'il y a un souhait, il y a une attente du côté des parents, et je me dis: Est-ce qu'il y a lieu de se priver d'un moyen, plutôt que de le baliser pour l'utiliser, ce moyen-là?

Et la question des séjours temporaires. J'essayais de voir les chiffres. Je n'ai pas tous les chiffres avec moi, mais ça reste des nombres assez peu élevés que les gens en séjour temporaire. Je voudrais bien comprendre ce que vous suggérez. Est-ce que je comprends que vous suggérez que s'applique la même règle qui s'appliquerait pour un citoyen canadien hors Québec qui viendrait étudier au Québec et dont les enfants auraient déjà étudié en anglais dans leur province d'origine? J'aimerais ça comprendre ce que vous voulez dire par là.

Mme Pagé (Lorraine): D'abord, sur l'immersion, je vais vous dire que, pour la CEQ, la valorisation de l'apprentissage des langues, c'est une dimension fort importante que nous avons traitée dans notre Politique d'éducation interculturelle, parce que nous croyons que, au Québec, trop longtemps on a associé le fait d'apprendre une autre langue au fait d'apprendre l'anglais. Or, il y en a d'autres, langues, et simplement notre environnement économique, maintenant, prêche bien, par exemple, pour l'apprentissage de l'espagnol. C'est l'exemple que vous donniez.

Mme Marois: C'est ça.

Mme Pagé (Lorraine): Par ailleurs, nous avons encore, malgré tout, des réserves d'ordre pédagogique sur les formules d'immersion ou de bain linguistique, et là je m'explique. Quand on fait de l'immersion ou du bain linguistique – c'est la même chose – on enseigne... Pas tout à fait. En immersion, on enseigne les matières dans une langue. Et là j'ai donné les fondements pédagogiques qui nous amenaient à avoir des réserves là-dessus. Quand on apprend la géographie, c'est pour apprendre la géographie, pas pour apprendre l'anglais ou l'espagnol. Donc, on a des réserves d'ordre pédagogique à ce niveau-là.

Dans la formule des bains linguistiques, qui est différente, on concentre l'enseignement des autres matières pendant certaines années et, à partir souvent de la sixième année, on offre l'enseignement de l'anglais de façon très concentrée, très intensive, et là cette formule pourrait s'étendre à d'autres langues. Le problème qu'on a avec cette formule-là, c'est qu'elle repose sur une sélection rigoureuse des élèves, c'est-à-dire que c'est des élèves qui ont été très bons en français, en mathématiques, qui ont réussi à faire leur parcours scolaire en cinq ans plutôt qu'en six avant d'entrer en bain linguistique, et là ça amène vraiment des difficultés dans l'organisation scolaire, parce qu'on met sur pied un autre type d'école sélective et parfois au détriment de l'école commune du quartier ou du village.

Il faut trouver des stratégies pédagogiques pour rendre plus efficace l'enseignement des langues, que ce soit l'anglais ou l'espagnol, et nous sommes tout à fait ouverts à travailler sur cette question-là. Mais nous avons des réserves sérieuses autour de l'immersion pour les raisons que j'ai données au plan pédagogique et, pour les formules de bains linguistiques, à cause de la sélection que cela suppose.

Sur la question des séjours temporaires, de façon plus précise à la question que vous avez posée, M. Laberge va répondre, mais je voudrais insister sur une dimension qui pour nous est très importante: les personnes qui viennent en séjour temporaire, ce qu'on nous explique souvent, c'est que ce sont des personnes qui travaillent pour des multinationales, qui sont appelées à se déplacer et ainsi de suite. Ce sont souvent des personnes, donc, qui vont d'un pays à l'autre, d'un endroit à l'autre et qui habituellement, quand elles arrivent, n'ont pas vraiment de problème avec l'anglais. Arrivées au Québec, c'est l'occasion qu'on leur fournit d'avoir accès à la deuxième langue internationale, qui est le français. Je ne comprends pas pourquoi on est aussi frileux quand vient le temps d'expliquer à des gens qui viennent en séjour temporaire au Québec que ça donne la chance à leurs enfants d'apprendre une autre langue internationale, qui est le français. On est presque gêné de leur dire qu'ils vont aller étudier en français, comme si c'était un péché ou une calamité. À notre avis, c'est une chance qu'ils ont de venir dans un endroit en Amérique du Nord où une deuxième langue internationale s'enseigne dans les écoles publiques. Et, sur la question plus précise, M. Laberge, pour compléter.

M. Laberge (Henri): Bon, si j'ai bien compris votre question, c'est que vous vouliez savoir si on faisait une distinction entre les citoyens canadiens et les autres. Oui, bien...

Mme Marois: C'est-à-dire, si vous suggériez qu'on applique la même règle qu'on applique à l'égard d'un citoyen canadien. Par exemple, pour quelqu'un qui viendrait d'un pays d'origine britannique ou du Commonwealth, où on parle et enseigne l'anglais, qu'on applique à ce moment-là cette règle qui s'applique pour un ressortissant canadien.

M. Laberge (Henri): D'accord. Oui, si c'était limité à ceux qui sont d'origine anglaise, ce serait déjà un progrès.

Mme Marois: C'est ça que vous voulez signifier par votre proposition.

M. Laberge (Henri): Oui. Alors, ce qu'on dit, nous, c'est que, lors d'un séjour temporaire, premièrement, il n'est pas obligatoire qu'ils aillent en anglais, surtout que ces gens-là, dans leur pays d'origine, bien souvent, ce n'est pas en anglais qu'ils recevraient l'enseignement. Alors, pourquoi? Parce que, dans la disposition actuelle, ça s'applique même aux francophones. Un Belge ou un Français qui arrive ici recevrait l'enseignement en anglais, alors que chez lui il le recevrait en français.

Mme Marois: Oui.

M. Laberge (Henri): Deuxièmement, ce qu'on dit, c'est que celui qui a reçu son enseignement au titre du séjour temporaire ne devrait pas être considéré comme ayant reçu l'enseignement en anglais au Québec pour les fins de l'application de l'article 73.

Mme Marois: Ça va. Je comprends.

M. Laberge (Henri): Et ça, ça nous apparaît plus important que le reste, parce que, à ce moment-là, ça nous permettrait d'être plus souples sur la durée, parce qu'on saurait que les conséquences, à l'avenir, ne seraient pas dangereuses.

Mme Marois: Très bien. Je vous remercie.

M. Gendron: Il «reste-tu» un peu de temps?

Le Président (M. Garon): Pardon?

M. Gendron: Il «reste-tu» un peu de temps?

Le Président (M. Garon): Oui, il reste du temps.

Mme Marois: Il y a d'autres collègues qui veulent poser des questions.

Le Président (M. Garon): M. le député de Nicolet.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Bonjour, madame, bonjour, messieurs. Juste deux courtes questions: Premièrement, est-ce que vous faites une distinction entre langue nationale et langue commune dans votre texte? Et le deuxième volet de ma question concerne la qualité du français, parce que j'ai enseigné durant 20 ans, puis je vais l'élaborer un petit peu plus tard. Mais j'aimerais que vous répondiez à la première.

Mme Pagé (Lorraine): D'abord, vous savez, les pays où la langue officielle et la langue nationale ne constituent pas la langue commune, c'est dans d'anciennes colonies où, l'indépendance étant faite, on a gardé comme langue officielle, parfois avec le caractère de langue nationale, la langue du colonisateur. Mais la langue commune, celle qui est parlée par l'ensemble de la population, en est une autre. On voit ça dans certains pays d'Afrique, par exemple, où la langue officielle, la langue nationale est en principe le français: une bonne proportion de la population ne parle pas le français, mais tout le monde parle le wolof, pour donner cet exemple-là.

(17 h 50)

Nous croyons que, dans une société comme le Québec, il doit y avoir une coïncidence entre la langue officielle, la langue nationale et la langue commune. Ça ne veut pas dire – parce que, là, il y a toutes sortes de choses qui se disent, entre autres ce que Mme Gagnon écrit dans ses articles dans La Presse – que, parce qu'on dit que le français, c'est la langue commune, on va aller vérifier quelle langue ils parlent dans leur chambre à coucher. Là, il ne faut pas devenir fou. Ce n'est pas ça qu'on dit. On dit qu'il y a une langue qui doit être commune à tous les Québécois et à toutes les Québécoises si on veut vraiment bâtir le dialogue interculturel.

Quand on va dans les provinces de l'Ouest, il y a des francophones, il y a des anglophones, mais je vais vous dire que, en Saskatchewan, même s'il y a des francophones, tous les gens habitant la Saskatchewan parlent l'anglais. Il y en a une, langue commune: c'est la langue du dialogue entre les communautés. Il faut qu'au Québec la langue commune, ce soit le français et non pas une autre langue. Malheureusement, dans nos écoles à Montréal, présentement, la langue commune de la cour de récréation et des corridors est l'anglais dans bien des cas et non pas le français. Donc, il y a vraiment des efforts à faire à ce titre-là. J'espère que j'ai précisé cette dimension-là.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Ça va. Très bien.

Mme Pagé (Lorraine): Et maintenant vous aviez une question sur la qualité du français.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Oui. Ayant enseigné, comme je vous le disais tantôt, durant 20 ans... J'enseignais l'histoire, et on me remettait des travaux, des fois, qui étaient remplis de fautes. Je pense que c'est facile d'accuser des professeurs ou des enseignants, de dire: Bon, bien, la qualité du français, elle est assurée par les professeurs, sauf que j'ai vu des méthodes d'enseignement... Entre autres, mes enfants ont eu quatre méthodes différentes au primaire.

J'ai vu aussi, durant mon enseignement au secondaire, une politique que vous défendiez au niveau du français. Exemple, quand j'enseignais l'histoire, je ne pouvais pas, durant... Autrement dit, les étudiantes qui me remettaient des travaux en histoire, je ne pouvais pas les évaluer en français, parce que, quand on fait de l'histoire, on fait de l'histoire, on ne fait pas de l'évaluation en français. J'aimerais ça que vous clarifiiez ça.

Mme Pagé (Lorraine): Vous allez probablement être content – ha, ha, ha! – d'apprendre que la CEQ a fait des représentations l'année dernière auprès de la ministre de l'Éducation sur les nouveaux programmes de français qui s'apprêtaient à être lancés au niveau secondaire, parce que nous avions la conviction que ces programmes comportaient des lacunes importantes au niveau de l'enseignement systématique de la grammaire. Apprendre le français, c'est apprendre un mécanisme. On apprend les mathématiques avec des règles bien précises, puis on apprend le français de la même façon. On ne peut pas apprendre la règle du pluriel au hasard des lectures et des situations d'apprentissage, comme ils appelaient ça à un certain moment. Nous avons fait des représentations parce que nous croyions que la philosophie qui était sous-jacente aux programmes de français pendant plusieurs années ne conduisait pas à une réelle maîtrise du français.

Nous avons fait ces représentations à la ministre, elle verra les suites qu'elle y accorde, mais, pour nous, il y a effectivement des efforts à faire autour de la question de la maîtrise du français. Il faut bien sûr que les élèves d'une école se sentent responsables de la qualité du français parlé et écrit à l'école, que l'ensemble des enseignants se sente responsable de la qualité du français enseigné, parlé et écrit à l'école, mais ça ne pourra pas être que l'affaire de l'école. Les parents ont un rôle important à jouer, les médias d'information. Ouvrez vos journaux le matin, puis lisez, puis amusez-vous à faire la correction: vous en avez pour quelques heures. Donc, il y a un effort à faire du côté de la qualité du français.

Mais, en même temps, on ne peut pas faire de la seule question de la qualité du français le débat linguistique au Québec, ce n'est pas possible. On peut bien avoir une très belle langue, bien parlée, bien écrite, si on est de moins en moins nombreux à la parler, si on ne travaille jamais dans cette langue-là et si on ne communique pas entre nous dans cette langue-là, elle sera belle, mais elle mourra comme le latin.

M. Laberge (Henri): Sois belle et tais-toi.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont. Ah... Oui.

M. Laporte: Merci, M. le Président. Mme la présidente, mes collègues et moi-même avons lu et relu votre mémoire avec grande attention et grand intérêt. Nous en avons parlé, nous en avons discuté, étant donné l'importance de l'organisme que vous représentez, mais nous avons toujours deux questions sur lesquelles nous manquons de réponses.

La première question, vous y avez répondu déjà en partie suite à l'intervention de la ministre, mais je vous la repose: Faut-il comprendre que vous jugez que la loi n° 40, mais également la proposition de politique de la ministre, sont insuffisantes et nettement insuffisantes?

Mme Pagé (Lorraine): Oui!

M. Laporte: Donc, sur cette question-là, la réponse est claire. La deuxième question concerne l'article 89, que vous connaissez sûrement, aux Dispositions diverses du chapitre IX. Est-ce qu'il faut comprendre l'économie de vos recommandations pour les interpréter voulant dire que, l'article 89 – qui, comme vous le savez, rend légale l'utilisation de l'autre langue, comme on dit dans le texte, dans un bon nombre de contextes, de domaines régis par la loi 101, y compris pour un certain nombre des articles prévus pour l'administration... Est-ce qu'il faut comprendre que vous souhaiteriez que cet article – qui n'est pas issu, je le répète, de la loi 86, c'est vraiment la loi originelle de notre collègue de Bourget – soit abrogé?

Mme Pagé (Lorraine): ...votre question. M. Laberge, pour y répondre.

M. Laberge (Henri): Nous n'avons pas parlé de l'article 89 dans notre mémoire, et je pense que l'article 89 est un article qui est justifié, dans le sens que c'est la règle générale que ce qui n'est pas interdit est permis. C'est tout simplement une précision de cette règle générale qui est une règle fondamentale en démocratie, que tout ce qui n'est pas interdit est permis. Alors, ça veut dire, ça, que, quand le législateur impose que le français soit utilisé, ça n'exclut pas qu'on puisse utiliser une autre langue. Mais, quand le législateur précise que ça doit se faire uniquement en français, bien, à ce moment-là, c'est uniquement en français. C'est une façon de clarifier la portée de l'ensemble de la loi, avec laquelle nous sommes d'accord, mais à condition, évidemment, que dans le reste de la loi on soit vigilant pour voir les conséquences qu'entraîne l'application de l'article 89. Ça suppose qu'à chaque endroit on se demande: Est-ce qu'on veut vraiment que ce soit uniquement en français ou que ça puisse l'être en d'autres langues?

M. Laporte: M. le Président, juste une dernière précision. Il faut donc comprendre que vous souhaitez que cette large fenêtre à l'endroit d'une autre langue qui nous est ouverte par l'article 86, très large fenêtre vous savez, soit maintenue, soit laissée ouverte toute grande. Et on se demandait, en lisant votre texte, si c'était bien le cas, parce qu'il nous semblait que parfois vous songiez non pas à fermer complètement la fenêtre, mais disons à la fermer un peu. Donc, là, on vient d'avoir une précision: vous voulez que la fenêtre reste grande ouverte.

M. Laberge (Henri): Oui, puis je pense qu'il n'y a personne qui a demandé de fermer cette fenêtre-là, à ma connaissance. Alors, nous non plus.

M. Laporte: Alors, si vous permettez un dernier point, c'est donc à dire qu'il restera, dans la refonte de la loi que vous nous proposez, une certaine marge de bilinguisme institutionnel, si j'ai bien compris.

Mme Pagé (Lorraine): J'ai bien précisé que, pour nous, la langue de l'administration devait reposer sur l'unilinguisme français. Pour nous, ça, il n'y a pas...

M. Laporte: Eh bien...

Mme Pagé (Lorraine): ...d'hésitation à dire ça. D'ailleurs, dans les autres provinces canadiennes, les choses se déroulent en anglais même s'il peut y avoir certaines dispositions pour les francophones. Mais le Québec n'est pas une société bilingue.

M. Laporte: M. le Président, en dernier lieu, je le répète, si ce que Mme la présidente vient de nous dire est ce qu'elle pense vraiment, je pense qu'il va falloir abroger l'article 89.

Le Président (M. Garon): Alors, maintenant, le député de Marquette m'a demandé la parole, mais, en vertu de notre règlement, ça prend un consentement. Est-ce qu'il y a consentement?

M. Gendron: Adopté.

Le Président (M. Garon): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, Mme Pagé, messieurs. L'implantation des commissions scolaires linguistiques est une priorité du gouvernement, et la ministre avait mis de l'avant trois moyens pour atteindre cet objectif. Deux moyens étaient d'ordre constitutionnel, l'autre – rapport Kenniff – a été abandonné. À la page 36 de votre mémoire, vous recommandez au gouvernement qu'il s'emploie à nous libérer des contraintes de l'article 93 de la Constitution canadienne. Pourriez-vous me spécifier quels moyens vous recommandez au gouvernement? Parce qu'il y en a deux: l'un des moyens, l'abrogation de 93, implique une modification multilatérale avec plusieurs provinces; l'autre, la modification, telle que mise de l'avant par MM. Proulx et Woehrling, que nous avons endossée, implique une modification bilatérale, le Québec avec le gouvernement fédéral.

(18 heures)

On connaît les déclarations du premier ministre à l'effet qu'il ne voulait pas s'engager dans des modifications multilatérales. Alors, j'aimerais connaître, premièrement, quel moyen vous recommandez. Et deuxièmement, si vous recommandez l'abrogation, qui implique une modification multilatérale, qu'adviendra-t-il de la réforme des structures scolaires qui est en partie au coeur des états généraux sur l'éducation, s'il y a immobilisme de ce côté-là? Parce que vous dites au gouvernement: Abandonnez votre objectif d'implanter des commissions scolaires linguistiques si vous ne réussissez pas à nous libérer des contraintes de l'article 93.

Mme Pagé (Lorraine): Alors, le gouvernement du Québec doit mettre tout en oeuvre pour nous libérer des contraintes de l'article 93. Aucun gouvernement québécois n'a osé poser la question de l'article 93. On ne l'a pas fait dans les cinq conditions de Meech, on n'en a pas parlé à Charlottetown, on pourrait parler de Victoria, faire toute l'histoire des pourparlers constitutionnels: tous les gouvernements qui se sont succédé n'ont jamais posé la question de l'article 93. Et toutes les tentatives de réforme scolaire se sont heurtées au même cul-de-sac, parce que, pour se conformer aux contraintes de 93, on accouche – si je peux me permettre d'utiliser ce terme-là – d'une réforme qui n'a pas de sens. Donc, il faut poser la question de l'article 93.

Deuxièmement, si j'étais premier ministre du Québec ou si j'étais la ministre de l'Éducation, ce que je ne suis pas, je poserais la question de la modification à l'article 93, qui repose sur la meilleure approche, c'est-à-dire celle des discussions multilatérales. Si le gouvernement du Canada constate que c'est impossible de procéder selon une approche multilatérale, il nous l'expliquera d'abord, il nous expliquera pourquoi on nous explique que c'est bien facile de nous accommoder de la Constitution canadienne, mais qu'il n'est capable de rien faire, puis il nous proposera une approche bilatérale sur laquelle il sera capable de nous donner des garanties. Mais là, à force de ne pas poser la question, on n'a jamais la réponse, puis à force de ne pas avoir de réponse, on ne peut rien faire.

Mais je voudrais être claire, en terminant: pour nous, mieux vaut ne pas faire de réforme que de faire une réforme qui s'enfonce dans les contraintes imposées par l'article 93. Nous en sommes rendus là. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé toutes sortes de scénarios, pas faute d'avoir étudié la question – ça doit être à peu près la cinquantième fois que je viens à l'Assemblée nationale et que je parle, dans le salon rouge, de l'article 93. Mais c'est le constat que nous faisons: tentative après tentative, nous devons aborder la question de l'article 93, l'aborder de la façon qui nous donne le plus de garanties. Celle qui nous donne le plus de garanties, c'est de garder la première partie de l'article 93, qui dit que le Québec a le pouvoir exclusif en matière d'éducation. Si, ça, ça ne marche pas, ceux qui ne peuvent pas faire ça nous diront ce qu'ils peuvent faire. Puis, si on constate qu'il n'y a rien qui peut se faire, on dira à la population québécoise qu'on ne peut rien faire et qu'en conséquence il faut passer à une autre sorte de stratégie.

M. Ouimet: Si vous me permettez, la conséquence quant aux états généraux sur l'éducation par rapport aux deux moyens, là, les deux moyens sont lourds de conséquences, ont un impact direct au niveau des états généraux sur l'éducation et de la réforme de notre système scolaire.

Mme Pagé (Lorraine): Moi, je ne suis pas présidente de la Commission des états généraux non plus, mais, quand nous irons aux états généraux la semaine prochaine, nous allons défendre cette position-là. Je sais que beaucoup d'autres groupes la défendront avec nous – probablement pas la CECM, mais en tout cas beaucoup d'autres – et que nous pourrons convaincre les commissaires de présenter à la ministre un rapport qui va dans ce sens-là. Et, moi, je crois que la ministre de l'Éducation, appuyée sur une recommandation des états généraux qui viendrait témoigner d'un consensus social qui amènerait le gouvernement du Québec à prendre des initiatives dans ce sens-là et à mandater le premier ministre du Québec pour poser cette question-là... Je vois difficilement comment le gouvernement du Canada et les autres provinces pourraient se soustraire à leurs obligations de satisfaire le consensus qui s'exprime dans la société québécoise.

M. Ouimet: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président. Puisque la centrale des enseignants du Québec regroupe la grande majorité des enseignants du Québec – 80 %, si je ne me trompe pas – je vais plutôt véhiculer mes questions, justement, sur... Mme Pagé parlait des fondements pédagogiques. Il est sûr et certain que, dans l'acte pédagogique dans une classe, il y a plusieurs facteurs qui font qu'au bout de la ligne vous avez des connaissances qui sont transmises, d'une part, du professeur, et d'autre part, bien reçues de l'élève en question. Ça, c'est un fondement pédagogique. C'est sûr qu'il y a plusieurs autres facteurs, que ce soit le milieu social, que ce soit du côté économique, que ce soient toutes sortes de situations qu'on peut rencontrer dans le milieu où l'on vit. Mais j'ai toujours cru que, si j'avais besoin d'un plombier pour faire du travail chez moi ou bien que je voulais apprendre un peu de plomberie, je m'adresserais à un plombier. Si je voulais apprendre un peu d'électricité, je m'adresserais à un électricien qui connaît bien le domaine. Si je veux apprendre à cuisiner, bien, j'aimerais bien qu'un cuisinier me dise, ou que le professeur me dise que, si je mélange l'ail avec l'huile d'olive, par exemple, et que je garde ça trop longtemps, ça devient un poison. On veut s'adresser à des experts. Bon.

La question de l'affichage, qu'il soit unilingue, multilingue ou quoi que ce soit, là, ça ne change rien pour le petit bonhomme qui est parti, ces derniers jours, de chez lui pour se rendre à l'école, parce qu'il n'a pas encore appris à décoder, justement, ce qui est sur les affiches, dans les magasins, ainsi de suite. Il n'a pas appris ça, lui, encore. Alors, je dois dire que, si on est vraiment préoccupé du côté... Parce que, depuis qu'on siège ici, depuis des années, à l'Assemblée nationale, tout le monde est préoccupé du fait français. Je suis un de ceux qui sont préoccupés par le fait français. Bon. Sauf qu'on entend un peu tout partout puis on se lamente de part et d'autre que la qualité de l'enseignement du français dans nos écoles, c'est pitoyable. C'est pitoyable. Sans aller dans tous les facteurs – parce que je suis d'accord qu'il y a beaucoup de facteurs, justement, qui influencent cet acte pédagogique – si on demande à un professeur de culture physique, n'est-ce pas, d'enseigner la culture physique, ou si on demande à quelqu'un d'enseigner de la chimie, on présume – puis c'est notre responsabilité aussi de s'en assurer – que le prof ou l'individu qui va enseigner dans un domaine donné connaît bien sa matière. Alors, on présume aussi, dans notre système scolaire... Puis notre président, ici, va être certainement d'accord avec ma prochaine question. C'est à l'effet que je pense qu'on doit présumer que la personne qui enseigne la chimie connaît son sujet, connaît sa matière, que la personne qui enseigne les mathématiques, elle doit connaître sa matière, et que la personne qui enseigne le français, langue première ou même langue seconde ou quoi que ce soit, doit bien connaître sa matière.

Il y a eu toutes sortes de déclarations, toutes sortes d'études qui ont été faites à l'effet que, de ce côté-là, notre système scolaire fait en sorte qu'on a certaines difficultés. Et on a entendu beaucoup de commentaires à l'effet que beaucoup de professeurs de français échoueraient des tests de français. Alors, ma question est très simple: Est-ce que, en tant que représentante de la CEQ, dans le souci de l'amélioration et considérant aussi que, pour pouvoir bien transmettre une matière, il faut la connaître avant de pouvoir la transmettre, nonobstant toutes les autres choses qui peuvent nous empêcher de le faire de la bonne façon... mais fondamentalement, si je veux essayer d'enseigner de la géographie, il faut que je connaisse, moi, en tant qu'individu, un peu la géographie de cette province, de ce pays, de ce monde. Et après ça, une fois que j'ai ça comme base, n'est-ce pas, là, je vais essayer d'avoir toutes sortes de moyens pour intéresser les élèves, par, justement, des moyens audiovisuels, ainsi de suite, pour m'assurer que ça soit vibrant dans la classe. Est-ce que, dans cette optique-là, vous pouvez nous dire, Mme Pagé, si vous êtes d'accord avec ce qui est annoncé par quelques-uns à l'effet qu'un professeur, avant qu'on lui donne la possibilité d'enseigner le français, on doit l'assujettir à un test de français?

(18 h 10)

Mme Pagé (Lorraine): Alors, d'abord, il faut améliorer la maîtrise du français. Je l'ai dit tout à l'heure, ça commence par – en première année, ça – la conception des programmes qu'on a. Quand on a, pendant des années, dispensé des programmes qui, à notre avis, ne favorisaient pas la maîtrise du français, on arrivait au cégep, on arrivait à l'université puis les lacunes étaient là. Donc, il faut réformer les programmes pour nous assurer qu'ils vont permettre l'acquisition d'une plus grande maîtrise du français.

Par la suite, il y a les mécanismes que l'on connaît pour vérifier la maîtrise du français. Ça passe par des examens nationaux quand on finit à l'école secondaire, ça passe par des examens dans les collèges avant d'avoir son D.E.C. et ça passe par des examens dans les universités. Il y a d'autres choix qui pourraient être faits. Je me rappelle d'avoir dit au ministre de l'Éducation, M. Ryan, à l'époque, que je trouvais tout à fait inconcevable qu'un étudiant en formation des maîtres à l'université ait plus d'heures de cours en enseignement religieux qu'en français. Et pourtant les dernières modifications qu'il avait apportées au programme de formation des maîtres visaient à faire qu'ils aient une obligation de formation en enseignement religieux, ce qui faisait que, en même temps, on passait moins de temps dans l'apprentissage du français.

Par ailleurs, vous le savez, la plupart des commissions scolaires, devant la situation de l'emploi, procèdent à une sélection à l'embauche, et la maîtrise du français est un élément qui est considéré par bon nombre de commissions scolaires quand elles procèdent à l'embauche. Donc, il y a des mécanismes qui sont déjà en place. Mais il y a des efforts qu'il faut faire autour de l'apprentissage du français, et nous avons fait plusieurs représentations dans ce sens autour de la réforme des programmes et dont la ministre est tout à fait au fait.

M. Cusano: Mme Pagé, je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites au niveau du fait que l'apprentissage commence au début, et tout ça, sauf que, moi, ma question est plus précise que ça, hein, ma question est plus précise que ça. C'est à l'effet que, nonobstant le fait qu'il y a des personnes qui enseignent puis qu'on leur a mal enseigné, elles, pendant qu'elles étaient à l'école, qui ont fréquenté le primaire, le secondaire, l'universitaire, il demeure que tout le monde, beaucoup de gens constatent qu'il y a des professeurs qui enseignent le français actuellement – je ne parle pas de nouvelle embauche – et leur connaissance du français est comme la mienne – puis ce n'est pas trop, trop fort, la mienne. Alors, moi, je ne me verrais jamais, M. le Président, enseignant le français langue première dans une école. Je n'ai pas ces compétences-là, je n'ai pas la connaissance du français assez bien pour ça, Mme Pagé.

Alors, moi, ce que je dis: Parmi vos milliers d'enseignants qui enseignent le français langue première dans nos écoles, qui ont été mal formés – ce n'est pas de leur faute, mais ils ont été mal formés, ils ne connaissent pas le... Pour contribuer, justement, à cette amélioration du français, êtes-vous prête à recommander à la ministre qu'avant que quelqu'un soit autorisé à enseigner le français dans une classe, n'importe où au Québec, il doive avoir certaines connaissance minimales?

Mme Pagé (Lorraine): Écoutez, M. le député, moi, je peux vous dire que la qualité du français écrit et parlé par les professeurs de français au Québec est non seulement comparable à la qualité du français parlé et écrit par la population, mais qu'elle est, dans la grande majorité des cas, supérieure.

Deuxièmement, s'il y a eu des lacunes dans l'enseignement et l'apprentissage du français et que des personnes sont en emploi, il y a des mesures de renforcement ou de correction à l'égard de la maîtrise du français. La CEQ est un employeur. Il nous arrive parfois de donner certaines formations pour améliorer la qualité du français parlé ou écrit de certains de nos employés qui ont à produire des textes ou à faire des interventions publiques. Ce travail-là, c'est aussi une responsabilité de l'employeur. Mais par ailleurs il y a des institutions d'enseignement qui décernent des diplômes, des certificats. Et, quand quelqu'un a suivi son cours, a eu ses diplômes jusqu'à l'université, a passé un examen à l'embauche, a été sélectionné à l'embauche, bien, là, s'il y a un employeur qui a échappé ses responsabilités, la responsabilité qui lui reste après, c'est de donner le soutien et le renforcement linguistique, si nécessaire.

Le Président (M. Garon): Le temps dévolu aux parties est écoulé. Je remercie les porte-parole de la Centrale de l'enseignement du Québec d'être venus nous rencontrer pour la consultation, et je suspends les travaux jusqu'à 20 heures, au moment où nous entendrons la Ligue des droits de la personne B'nai Brith Canada.

(Suspension de la séance à 18 h 15)

(Reprise à 20 h 7)

Le Président (M. Garon): Alors, comme nous avons quorum, nous allons reprendre nos travaux avec la Ligue des droits de la personne B'nai Brith Canada. Vous avez une heure, donc, normalement: 20 minutes pour faire votre exposé, 20 minutes pour les députés ministériels, 20 minutes pour les députés de l'opposition officielle. Si vous en voulez moins, vous avez le droit, ils auront plus de minutes pour vous interroger. Si vous en prenez plus, ils en auront moins. Alors, vous avez tout le temps. C'est à vous, commencez votre exposé.


Ligue des droits de la personne B'nai Brith Canada

M. Libman (Robert): M. le Président, mon nom est Robert Libman, je suis le directeur régional de la Ligue des droits de la personne B'nai Brith Canada pour la région du Québec. Je vous présente les membres de notre délégation: à ma gauche, Me Steven Slimovitch, un membre de l'exécutif de la Ligue des droits de la personne; Me Allan Adel, qui est le président pour la région du Québec de la Ligue des droits de la personne B'nai Brith et, à ma droite, Maurice Sadeh, il est membre de l'exécutif de la Ligue des droits dans la région du Québec. Alors, on va commencer avec M. Maurice Sadeh.

M. Sadeh (Maurice): Bonsoir, mesdames, bonsoir messieurs. B'nai Brith fut fondé il y a 150 ans en tant que force de ralliement des Juifs d'origines diverses, de caractéristiques religieuses variées et de milieux socioculturels différents. C'est la première organisation internationale de service communautaire et, de nos jours, elle est connue comme la plus importante organisation juive au monde. Présente activement dans 50 pays répartis sur six continents, B'nai Brith dessert 500 000 membres.

B'nai Brith Canada réunit dans un esprit de camaraderie des Juifs et des Juives au service de la communauté pour lutter contre l'antisémitisme et le racisme, au Canada comme à l'étranger. L'organisation développe des programmes variés de bénévolat, la formation de futurs leaders, les oeuvres de charité, les représentations auprès des pouvoirs publics et les relations gouvernementales. La Ligue des droits de la personne est l'organe majeur de défense des droits de B'nai Brith. L'expertise de la Ligue est reconnue en ce qui concerne les groupes organisés d'extrême droite et leurs activités au Canada. La Ligue est intervenue à la Cour suprême du Canada dans les poursuites pour propagande haineuse et agit à titre d'organisme-ressource dans des programmes de sensibilisation en matière d'antiracisme élaborés pour les commissions scolaires, les organisations judiciaires, les corps de police et d'autres organismes publics.

La région du Québec de B'nai Brith Canada se compose d'un réseau de loges comptant plusieurs milliers de membres concentrés pour la plupart dans la région de Montréal. Les loges de Montréal sont engagées activement dans les services bénévoles à la communauté, entre autres la distribution de paniers de nourriture aux plus démunis pendant les Fêtes, l'assistance et l'organisation d'un certain nombre d'oeuvres charitables, notamment le Téléthon annuel des étoiles.

(20 h 10)

Ce mémoire a été rédigé par les membres du comité d'action politique de la région du Québec. Une première copie a été distribuée pour consultation et commentaires à tous les présidents des loges ainsi qu'aux dirigeants élus de l'organisation. Suite à ce processus de consultation, le présent document a été rédigé sur la base de suggestions formulées au comité.

B'nai Brith Canada a participé dans le passé aux consultations des commissions de l'Assemblée nationale et a fait des représentations dans les dossiers de la loi 22, de la loi 101, de l'accord constitutionnel du lac Meech et d'autres projets de loi touchant les questions de droits de la personne. Historiquement, notre organisme s'est opposé à certaines dispositions des lois linguistiques du Québec qui, à notre avis, empiètent sur les droits individuels. Trois tribunaux du pays ont reconnu de façon unanime, ainsi que les Nations unies, que le gouvernement du Québec n'a pas démontré que de telles restrictions étaient nécessaires à la préservation et à la promotion de la langue française ou de la culture au Québec et que ces limites linguistiques violent les droits fondamentaux des Québécois. Notre organisation croit fermement que la langue française et la culture québécoise peuvent être préservées, protégées et renforcées sans recourir à l'affaiblissement des autres langues. Pour les raisons ci-haut mentionnées, nous avons entrepris de soumettre un mémoire sur le projet de loi n° 40. Nous sommes sérieusement préoccupés par certains aspects du projet de loi ainsi que par le message qu'il véhicule et le climat social que son adoption pourrait créer.

Certaines conditions sous-jacentes nous ont guidés dans la préparation de ce mémoire. Bien que la promotion active de la vitalité du français et de la culture française au Québec soit souhaitable et doive être encouragée, la langue n'est pas en danger de disparition. Nous croyons que certains apôtres de la langue sont parfois allés trop loin en dépeignant le sort du français comme étant inéluctablement précaire au Québec. Ce point de vue, qui ne se justifie en rien considérant le rayonnement et la vitalité de la culture québécoise, crée une insécurité au sein de la population et alimente la division et l'acrimonie dans la société.

Nous remarquons en particulier que: jamais dans l'histoire une langue n'est disparue dans une société disposant d'un système d'éducation gratuit et obligatoire de cette langue; malgré des taux de natalité décroissants au Québec, le pourcentage des Québécois francophones s'est maintenu bien au-dessus de 80 % durant les 100 dernières années; le respect du français par les non-francophones et la francisation des entreprises au Québec doivent être encouragés non par la coercition, mais par des mesures incitatives et un renforcement positif.

Nous suggérons la carotte plutôt que le bâton. Nous suggérons aussi la promotion de l'amour du français et non pas la suppression d'autres langues. Nous soutenons le principe établi dans la décision rendue dans la cause Ford par la Cour suprême du Canada qui reconnaissait l'importance et la légitimité du projet de société visant la protection du visage français au Québec, mais qui jugeait que l'interdiction faite à l'usage d'autres langues dans l'affichage outrepassait les limites raisonnables du droit à la liberté d'expression garantie dans une société libre et démocratique. La perception voulant que le Québec ait subi un glissement progressif vers le bilinguisme depuis l'adoption de la loi 86 est tout à fait contraire à la réalité. Le droit du citoyen au respect de sa vie privée et à la protection contre les fouilles et les saisies abusives est un droit fondamental dans toute société civilisée.

M. Robert Libman, à votre tour.

M. Libman (Robert): Notre organisation s'objecte fortement à la recréation de la Commission de protection de la langue française. Quel que soit le raisonnement proposé, le projet de loi n° 40 est perçu comme un geste agressif qui vise à aliéner davantage les membres des communautés minoritaires. En dépit des accomplissements et de la contribution que la communauté juive a apportés à la société québécoise – ce dont nous sommes fiers, et cela ajouté à notre volonté de continuer à participer à ce développement au XXI° siècle – force est d'admettre que la communauté juive est malheureusement profondément troublée par la perte d'une génération au cours des deux dernières décennies. La communauté juive s'est réduite à un point tel qu'il n'y a pas une seule famille, aujourd'hui, dont au moins un des membres n'ait quitté le Québec de façon permanente. Les statistiques révèlent que la communauté juive est plus durement touchée par ce phénomène que les autres groupes, cela en dépit du fait que presque les trois quarts des membres anglophones de notre communauté parlent français. De plus, la plupart de ceux qui quittent sont jeunes, instruits et bilingues. Il est vrai que la conjoncture économique joue un rôle dans ces départs, mais, pour nous, l'impulsion à quitter le Québec est directement liée au climat politique incertain et à un fort sentiment d'aliénation provoqué par la loi 101.

Pour bon nombre de Québécois, la loi 101 est perçue comme un moyen d'affirmation du français et de la culture québécoise. Nous sommes d'avis que c'est un objectif du gouvernement tout à fait opportun et légitime. Cependant, certains des moyens mis en oeuvre dans la loi 101 pour atteindre cet objectif, soit l'usage limité de l'anglais dans l'affichage public ou l'accès restreint à l'école anglaise, sont discutables et sont perçus comme un effort d'affirmation du français au détriment de l'anglais. La langue d'affichage a toujours été l'aspect symbolique de la loi 101 qui concrétise le mieux la perception prévalant, à savoir que notre langue est reléguée à une catégorie de seconde classe.

Dans le document de consultation accompagnant le projet de loi n° 40, la première phrase de l'avant-propos souligne que la langue est au coeur de l'identité. Si tel est le cas, le fait que notre langue doive être, en vertu de la loi, assujettie à la langue de la majorité rend notre identité nettement inférieure à celle de la majorité.

La resurection des inspecteurs de la langue réveille les éléments les plus visibles et les plus hostiles du débat linguistique. En dépit de l'opinion qui a cours dans notre communauté, soit que la loi 101 devrait être assouplie afin de contrer le déclin de notre communauté, bon nombre de nos membres avaient fini par s'y résigner. Le rétablissement de la Commission perturbe ce prétendu équilibre et constitue le pire signal à envoyer aux minorités en ce moment.

Cela nous révèle aussi que le discours du premier ministre au Centaur n'était rien de plus qu'un exercice de relations publiques. Des membres de notre organisation ont pris part à cet événement largement publicisé. Nous y sommes allés avec un certain degré de scepticisme, comme, d'ailleurs, les autres membres de l'auditoire, mais, malgré tout, nous avons prêté l'oreille et reconnu que M. Bouchard avait posé un geste intéressant, si ce n'est un geste positif. La réaction de la plupart des membres des communautés culturelles était celle de croire que les actes en disent plus long, et nous avons attendu de voir quelles actions concrètes suivraient le discours. Malheureusement, la volte-face effectuée par le gouvernement en soumettant le projet de loi n° 40 non seulement efface tout progrès, si modeste soit-il, que le premier ministre a pu réaliser, mais contrarie vivement les communautés minoritaires. Cela suggère alors que la prestation du premier ministre n'était qu'un spectacle destiné à berner les communautés culturelles dans leur naïveté, ou peut-être que M. Bouchard est incapable de résister aux pressions des éléments les plus radicaux de son propre parti. Nous espérions sûrement davantage de la part du premier ministre.

Notre organisation, et certainement la communauté juive du Québec, s'objecte fortement au message véhiculé par le projet de loi n° 40. Le texte de loi renforce la perception que la langue principale de notre communauté est une menace qui doit être reléguée à un statut de seconde classe et que des inspecteurs viendront nous débusquer dans le cas où nous n'acceptons pas ni n'affichons pas notre infériorité.

De plus, dans le cas même où on accepterait qu'un mécanisme soit mis en place afin de faire respecter la loi et que la Commission tenterait simplement de persuader en douceur afin d'assurer la conformité à la loi, cela n'élimine pas le fait que, pour plusieurs, la création même des inspecteurs de la langue semble risible et absurde. Elle nuit à l'image du Québec sur la scène internationale. Dans le cas d'un petit commerce privé comptant une poignée d'employés et situé dans un quartier qui est presque exclusivement anglais, il est ridicule que des restrictions soient imposées quant aux directives, aux affichettes et autres signes destinés à près de 90 % de la clientèle. Voir ensuite les inspecteurs du gouvernement faire irruption un beau jour dans le magasin et avoir un accès illimité aux dossiers est une intrusion brutale. C'est également une recette assurée pour réveiller les tensions, les conflits et qui pourrait même donner lieu à de vifs affrontements, alors que la tentation de mettre les inspecteurs à la porte sera forte, particulièrement dans le cas des petits commerçants qui arrivent à peine à joindre les deux bouts.

Nous croyons que ce projet de loi illustre le sérieux retard que le gouvernement accuse dans le dossier de la langue par rapport au Québécois moyen qui, de façon consistante, a démontré dans un sondage d'opinion après l'autre un degré de tolérance bien plus grand pour ses compatriotes québécois. Nous sommes d'avis que la réduction de la visibilité de l'anglais, que ce soit en l'éliminant entièrement dans l'affichage public ou en faisant prédominer nettement le français dans les affiches, en aucune manière n'affirme, ne protège ou ne renforce la langue française.

Je voudrais maintenant passer la parole à Me Adel, qui va formuler les critiques suivantes, couvrant certains articles du projet de loi n° 40.

(20 h 20)

M. Adel (Allan): Concernant l'article 2, les logiciels. Le principe visant à s'assurer que tous les logiciels soient disponibles en français est une initiative positive et un moyen significatif pour promouvoir la vitalité de la langue et de la culture françaises. Cependant, un aspect important doit être clarifié. L'article 52.1, dans ce chapitre, déclare: «Tout logiciel, y compris tout ludiciel ou système d'exploitation, qu'il soit installé ou non, doit être disponible en français, à moins qu'il n'en existe aucune version française.»

Des interprétations différentes de cet article sont possibles. Si la version française d'un logiciel est au stade de la production et n'est pas encore disponible dans les magasins, cela veut-il dire, selon l'article 52.1, que la version anglaise devra être retirée des tablettes ou bien ne sera pas rendue disponible au Québec jusqu'à ce que la version française soit prête et qu'elle soit livrée au Québec? Nous ne saurions soutenir cette disposition si cela implique que la distribution d'un logiciel en anglais sera retardée parce qu'une version n'est pas prête au Québec. Afin d'éviter toute ambiguïté, nous proposons l'insertion, après le premier alinéa de l'article 52.1, du paragraphe suivant: «Aux fins de cet article, une version française d'un logiciel est censée exister lorsqu'elle est disponible pour livraison au marché québécois.»

Le second alinéa de l'article 52.1 ajoute: «Les logiciels peuvent être disponibles également dans d'autres langues que le français, pourvu que la version française soit accessible dans des conditions, sous réserve du prix, au moins aussi favorables», etc. Il revient ultimement au fabricant de décider si les coûts de production d'un logiciel pour le marché québécois sont justifiés. Si une telle demande existe au Québec, tout fabricant s'assurera que le produit soit disponible. On pourrait assister à des situations où un détaillant de logiciels considérerait que la version française d'un logiciel spécifique n'est pas en demande en raison soit de la différence de prix entre les versions française et anglaise soit de la clientèle particulière qui fréquente son magasin. Le projet de loi devra établir clairement que les détaillants ne sont pas nécessairement obligés de garder en inventaire tous les logiciels en français, même lorsque la demande pour ces logiciels n'existe pas, et cela de la même façon qu'un cinéma qui passe un film en anglais n'est pas obligé de passer simultanément la version française du film si cette version est disponible.

Les mots «des caractéristiques techniques au moins équivalentes», dans le deuxième alinéa de cet article, soulèvent un problème assez sérieux. Imaginons le scénario courant qui suit, alors qu'un logiciel est disponible et distribué dans les deux versions, française et anglaise. Le fabricant met ensuite sur le marché une nouvelle version améliorée, initialement en anglais seulement. Les détaillants disposeraient alors de l'ancienne version du logiciel en français et d'une version plus avancée du même logiciel en anglais. Cela pourrait être considéré comme une violation à l'exigence de la loi, à savoir qu'une version française d'un logiciel doit posséder des caractéristiques techniques au moins équivalentes à la version anglaise. Si tel est le cas, il deviendrait tout simplement illégal de vendre au Québec la version anglaise améliorée d'un logiciel, à moins que la version française améliorée du même logiciel ne soit disponible ou jusqu'à ce qu'elle soit accessible. De plus, les inspecteurs de la langue recevront-ils alors une formation en informatique leur permettant de déterminer si les caractéristiques techniques décrites, par exemple, sur les boîtes des deux logiciels sont équivalentes? Un inspecteur pourrait-il obliger à contacter les manufacturiers à Seattle, en Californie ou au Japon, par exemple, afin de se renseigner sur certains produits?

Les effets potentiels qui pourraient résulter de ce problème sont contraires à l'esprit général de ces dispositions, qui est celui d'assurer que le consommateur québécois ait accès à des logiciels en français lorsqu'ils existent. Nous ne croyons pas que l'intention du législateur a été d'interdire la distribution de logiciels en anglais à moins qu'une version française ne soit disponible ou jusqu'à ce qu'elle le soit. Afin d'éviter une telle anomalie, nous proposons que les mots «et possède des caractéristiques techniques au moins équivalentes» soient supprimés, avec la conviction qu'un manufacturier de logiciels qui choisit de mettre sur le marché un produit en français ne voudrait pas offrir un produit d'une qualité inférieure.

D'autre part, cet article pourrait être modifié afin qu'il soit clairement défini qu'aux fins de l'article une version améliorée d'un logiciel est considérée comme un logiciel différent de la version précédente. Comme nous l'esquissions précédemment, l'intention sous-jacente dans l'article 2 est positive et pourrait même s'accompagner d'une plus grande initiative. Le gouvernement du Québec pourrait, par des incitatifs, encourager les entreprises existantes ou stimuler la création d'une industrie locale dans le but de traduire ou de concevoir des logiciels en français. Tout le monde en bénéficierait. Ceci n'est qu'un exemple de la manière dont la langue et la culture françaises pourraient être affirmées et renforcées, et cela, sans imposition ni acrimonie.

Dans le cas où ces articles du projet de loi n° 40 seraient maintenus, il se pourrait qu'on assiste à des résultats contraires à ceux recherchés. Plutôt que d'inciter au développement de logiciels en français, ces articles pourraient bien avoir pour effet de pousser les utilisateurs à se procurer leurs logiciels sur d'autres marchés, ceux du Vermont, de New York ou de l'Ontario, là où de tels règlements restrictifs n'existent pas. Les conséquences seraient telles que les consommateurs, quelle que soit leur langue, utiliseraient des logiciels en anglais.

Me Steven Slimovitch.

M. Slimovitch (Steven): Les article 171 et 172 donnent le pouvoir à la Commission de déléguer de très vastes pouvoirs à toute personne, cela sans délimiter clairement ces pouvoirs ni imposer préalablement des restrictions nécessaires à la protection du citoyen. On se demande pourquoi on attribuera autant de pouvoirs à un enquêteur ou à un inspecteur que ceux conférés à un commissaire d'enquête. L'article 171 déclare que «la Commission peut désigner, généralement ou spécialement, toute personne pour effectuer une enquête ou une inspection». Quelle est la portée de cette désignation générale? Un nombre limité d'individus seront-ils employés à cette fin, ou la Commission désignera-t-elle d'une manière générale tous les Québécois et Québécoises qui voudront se porter volontairement à la défense de la langue?

Le projet de loi confère à la Commission les pouvoirs des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête. Cela inclut-il le droit d'assigner des témoins à comparaître? Qu'arrivera-t-il si une personne citée à témoigner ne se présente pas à son audience devant la Commission? Dans ce cas-là, la Commission a-t-elle le pouvoir de condamner un témoin pour outrage à la cour? Nous croyons que le législateur devrait définir clairement tous les pouvoirs conférés à la Commission ainsi que les dispositions pénales qui s'appliquent le cas échéant.

Par rapport à l'article 174, les pouvoirs conférés aux membres de la Commission ou à toute personne mandatée par la Commission sont pratiquement ceux d'un État policier. Des fonctionnaires pourront faire irruption dans des commerces sans mandat de perquisition, ils n'auront pas à prouver la recevabilité de la cause, et enfin nulle part dans le texte de loi la protection des documents secrets ou confidentiels n'est garantie, ni le droit d'inspection des documents saisis par la personne mise en cause.

Le Président (M. Facal): Monsieur, vous venez d'atteindre la vingtième minute. Je vous inviterais à essayer, peut-être, de conclure, car, d'une part, le règlement prévoit une vingtaine minutes, et, d'autre part, si vous continuez trop longtemps, cela réduira d'autant les échanges. D'accord?

M. Libman (Robert): Pas de problème. On va prendre quelques autres minutes pour conclure.

Le Président (M. Facal): Bien sûr. Si vous voulez poursuivre.

M. Slimovitch (Steven): Oui. L'article 174 déclare que la personne qui effectue une inspection peut à cette occasion exiger tout renseignement pertinent. Cet article semble excessivement général, sans obligation de la part de la Commission d'établir la pertinence d'une cause ou d'aviser le citoyen des motifs de la perquisition. Aucun mécanisme n'est prévu ni pour établir la pertinence ni pour la contester s'il y a lieu. Une fois saisis, ces documents pourront-ils faire l'objet d'une demande d'accès à l'information? Comment la Commission prévoit-elle utiliser et protéger ces documents?

De plus, que signifie le «certificat attestant sa qualité»? Et quelles sont les démarches à suivre pour obtenir un tel certificat? Quel est le but de la perquisition des lieux et la capacité d'examiner tout document, de tirer des copies et prendre des photographies? Est-ce là une perquisition d'ordre administratif ou est-ce une perquisition visant à accumuler des preuves contre le propriétaire d'un établissement? Ce sont là toutes des questions qui exigent des réponses. Il est essentiel que les pouvoirs de perquisition et saisie s'accompagnent de règles définies et d'un mécanisme de protection adéquat qui assureront les citoyens du respect de leur vie privée et de leur droit d'être protégés contre des pouvoirs excessifs ou abusifs.

(20 h 30)

M. Libman (Robert): Et pour conclure, M. le Président, en 1993, lorsque la loi 86 fut adoptée pour permettre l'utilisation des autres langues dans l'affichage commercial et abolir la Commission de protection de la langue française, toutes les tentatives de l'opposition officielle d'alors visant à rallier l'opinion publique contre ces changements sont restées vaines. La majorité des Québécois à l'époque, et comme l'attestent les nombreux sondages d'opinion qui ont suivi depuis, ont fait preuve d'un grand degré de tolérance qui dépasse de loin celui de certains de nos représentants élus. Bon nombre de Québécois sont prêts à fermer les yeux devant des infractions mineures et anodines à la loi. Dépêcher des inspecteurs dans la ville dans l'espoir de dénicher quelques infractions mineures à la loi 101 est un gaspillage de l'argent des contribuables et un geste d'hostilité gratuit.

Par exemple, M. le Président, j'ai copie ici de deux lettres qui ont été envoyées aux propriétaires dans le centre d'achats Cavendish. On faisait grand état de certaines inspections qui ont été faites récemment dans le centre d'achats Cavendish. Et je vous donne quelques exemples du genre de plaintes, du genre d'infractions qui existent. Il y avait une lettre à une boutique de fleurs, qui dit: «Près de la caisse, divers messages concernant les modes de paiement sont bilingues, sans nette prédominance du français.» Ça, je vous rappelle, c'est dans le centre d'achats Cavendish, où 80 % des clients sont des anglophones.

Une autre vérification, effectuée en mai 1996. On parle des infractions. Écrit à la main: «Soupe du jour: pea and vegetable. Menu du jour: kafta and pita, two spicy burgers served with salad. Happy Mother's Day.» Ça, c'est le genre d'infraction qui est mis sur une liste des infractions qui existent. Voilà quelques exemples comment nos fonds publics sont gaspillés, effectivement.

En ce qui a trait, M. le Président, aux violations flagrantes à la loi, telles que de grandes affiches extérieures en anglais seulement, nous reconnaissons la volonté d'assurer la conformité à la loi. Nous croyons cependant que l'Office de la langue française peut maintenir la surveillance de la situation, comme cela a été le cas durant les trois dernières années. Et Nicole René, la présidente de l'Office de la langue française a elle-même déclaré publiquement que le rétablissement de la Commission de protection de la langue française n'était pas nécessaire.

Juste en conclusion, M. le Président, le premier ministre Bouchard a souvent exprimé le besoin de solidarité, dans la société, pour faire face aux nombreux défis qui nous attendent. Notre organisation est d'avis que le projet de loi n° 40 causera plus de tort que de bien au Québec, tant sur le plan économique que sur les plans politique et social. La société québécoise peut difficilement se coincer dans un autre débat sur la langue.

Nous croyons que le premier ministre, en cédant aux éléments radicaux du Parti québécois, a fait passer les intérêts des purs et durs de son parti avant l'intérêt public. Nous espérons que les membres de la commission de la culture seront de notre avis pour reconnaître que le message sous-jacent du projet de loi n° 40 s'accorde mal avec les nobles aspirations d'une société prête à la concurrence et à relever les défis d'un millénaire nouveau. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Facal): Merci. Alors, on m'informe que chaque parti a droit à 17 minutes. Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui, bonsoir, M. Libman. Messieurs, bonsoir. J'aimerais, M. Libman, comprendre un peu mieux, je dirais, la portée de votre mémoire. Ça ne fait qu'un an que je suis dans le dossier linguistique, alors je voudrais savoir: Est-ce que, en 1974, au moment de l'adoption de la loi qui faisait du français la langue officielle, vous vous étiez – enfin, votre organisation – opposés, au moment de l'adoption de la loi 101? Est-ce que ça avait été la même chose lors de la loi 178 et même de la loi 86? Honnêtement, je ne sais pas quelles ont été vos positions tout au long de ces années-là. Parce que ma question fondamentale, elle est celle-là: Est-ce que vous reconnaissez, je dirais, la légitimité à quelque gouvernement que ce soit, au Québec, de légiférer dans le sens de la protection de la langue française? Et ça a commencé, je pense, la première... enfin, il y a eu la loi 63 avant ça, mais, enfin, de triste mémoire, quant à moi... Alors, disons, à partir de 1974, la loi 22, etc. Ou est-ce que vous êtes pour le libre choix complet en matière linguistique? Quelle est la position, donc, générale depuis 25 ans?

M. Libman (Robert): Depuis 25 ans... Tout d'abord, en 1974, j'avais 13 ans, effectivement. Mais je peux vous dire, évidemment, que la préférence de notre organisation, c'est de ne pas avoir du tout de loi linguistique. Mais, ceci étant dit, on accepte certains aspects, on se résigne à certains aspects de la loi. Et on a souligné le fait que nous appuyons la décision Ford, en 1988, qui dit que le gouvernement a le droit de légiférer pour maintenir un visage français au Québec. C'est une limite raisonnable pour qu'un gouvernement légifère que le français doit être sur toutes les affiches, mais sans interdiction des autres langues. On peut accepter ça, et c'est le message sous-jacent de la loi 86. Et je pense que pas seulement notre organisation, mais la communauté anglophone du Québec a accepté et s'y résigne, à cette réalité qu'il n'y a pas de mal pour un gouvernement de légiférer la présence du français sur une affiche, mais sans l'interdiction des autres langues.

Mme Beaudoin: En ce qui concerne l'affichage, donc, en effet, votre position est claire. Mais, quand vous dites... La loi 101, vous vous y étiez opposé, je présume, à l'époque, au moment de l'adoption, votre organisation. C'est important, parce qu'à partir du moment où on dit: Le français est la langue officielle au Québec depuis, donc, 1974, il y a des conséquences. Ce n'est pas qu'une pétition de principe, c'est vraiment parce qu'en découlent ensuite... puisque le Québec n'est pas officiellement bilingue. Alors, c'est clair que découlent de cet article de la loi 22 un certain nombre de conséquences. C'est un peu ça que je voulais vous demander. Est-ce que votre position générale, à vous, à votre organisation, c'est que le Québec devrait être bilingue?

M. Libman (Robert): Comme j'ai dit tantôt, et je pense que c'est assez clair dans notre mémoire, nous ne croyons pas que les lois sont nécessaires pour ça. On a donné un exemple typique, pour stimuler des entreprises québécoises, pour fabriquer, préparer les logiciels en français, par exemple. On peut trouver une multitude de façons de promouvoir, de stimuler, d'animer la vitalité de la langue française au Québec, sans avoir des lois spécifiques, des lois pour légiférer l'accès aux écoles anglaises ou des lois pour légiférer l'affichage. Nous ne croyons pas que c'est absolument nécessaire.

Mme Beaudoin: D'accord. Une dernière question, avant de passer la parole à mon collègue, justement concernant les logiciels. J'ai écouté avec intérêt et attention ce que vous en avez dit. Je veux au moins vous rassurer sur un point. C'est évident dans notre esprit – et on verra si on peut améliorer et, si oui, comment, la formulation – qu'aussi longtemps que la version française n'existe pas, ce n'est pas dans le processus de production... je veux dire qu'on peut donc vendre une version uniquement en langue anglaise, au Québec, aussi longtemps que n'existe pas quelque part dans le monde une version française. Le mot «existe» est très important.

Je voudrais tout simplement terminer en vous parlant du cinéma. Vous avez fait, je pense, une allusion au cinéma. Vous savez que, depuis... D'ailleurs, c'est Mme Bacon... et je pense que Mme Frulla avait renouvelé cette entente avec les majors américains, une entente qui a du bon et qui a eu quelques effets, peut-être qui n'étaient pas recherchés... Mais cette entente dit que, depuis plusieurs années, donc, au Québec, les majors américains ne peuvent pas sortir un film en anglais seulement. C'est que la version française doit être – pas dans le même cinéma et à la même heure, je comprends bien ça, que ce n'est pas simultanément... Au Québec disons, à Montréal en particulier, lorsque la version anglaise sort sur nos écrans, il y a une version française. Et c'est une entente formelle que Mme Bacon avait signée avec Jack Valenti et qui est toujours en oeuvre.

L'effet pervers, c'est qu'on regarde de plus en plus de films américains, que ce soit en français ou en anglais, et qu'il y a de moins en moins de place sur nos écrans pour des cinématographies nationales diverses, ce qui est malheureux. Parce que, à part le Festival des films du monde, on en voit de moins en moins, des films allemands ou des films espagnols, etc., parce que les Américains prennent toute la place. Mais, ceci étant, ça a été signé et puis je pense que ça a du bon sens. Alors, pour les logiciels, mutatis mutandis, on peut dire que c'était la même chose, à peu près, que l'on désire.

(20 h 40)

M. Libman (Robert): Mais est-ce qu'il y a une interdiction de faire passer à l'écran un film anglais au Québec si la version française n'est pas encore disponible ou traduite?

Mme Beaudoin: Ah, si la version française... Ils sont obligés... Ils ont accepté, si vous voulez. Ça a été excellent pour l'industrie du doublage québécois, parce que, ce qui se passait auparavant, c'est que la version française était faite en France et qu'elle sortait sur les écrans français beaucoup plus tard que la version anglaise sur les écrans québécois. Ça sortait en anglais au Québec et puis en français en France, disons, trois mois plus tard. Alors, la version française arrivait au Québec en même temps qu'en France. Et là ça a été excellent pour l'industrie du doublage. Vous demandrez à Astral communications: ça a permis de doubler sinon de tripler leur chiffre d'affaires, à ceux qui font du doublage au cinéma. Alors, oui, tout à fait. Puis, ça a été signé en bonne et due forme par Mme Bacon quand elle était ministre de la Culture.

M. Adel (Allan): Si vous me permettez, je pense que c'est important de souligner aussi que, dans le cas du cinéma, c'est, disons, l'autorité morale du gouvernement du Québec et la société du Québec, les consommateurs du Québec, peut-être, qui ont réalisé cette entente. C'est la raison pour laquelle il y a eu une entente avec Jack Valenti et les distributeurs de cinéma.

Par contre, dans le cas de logiciels, on remarque que le gouvernement ou la Législature prévoit de procéder par voie de la loi pour atteindre certains objectifs. Et nous soulignons ou nous suggérons que c'est toujours mieux de procéder de la première façon, de la façon dont Mme Bacon a procédé, que de la façon plus extrême de la loi.

Le Président (M. Facal): M. le député de Vachon.

M. Payne: Effectivement, c'est une discussion intéressante. La ministre a parfaitement raison. Dans le fond, ce n'était pas Mme Bacon, c'était le ministre Clément Richard; c'était en 1984, et j'étais l'adjoint parlementaire au ministre des Affaires culturelles.

Des voix: Non, non.

M. Payne: Non, non. Et c'était assez intéressant, parce que Valenti est venu, il a fait son exposé et puis il a dit: Moi, je suis contre l'interventionnisme. Le porte-parole de l'opposition, c'était Richard French, qui est maintenant un dirigeant de Bell Canada, et puis ça été un débat assez musclé. Lui est venu très rapidement, il est parti après une demi-heure et il a fait son petit spectacle, son point de presse. Et il y avait une unanimité, à l'Assemblée nationale, ici, au salon rouge. C'était très intéressant comme débat, parce que ça avait beaucoup de ressemblance avec la discussion à l'heure actuelle.

Et je vous salue, M. Libman, car je fais beaucoup d'émissions avec vous, avec beaucoup de plaisir. Encore, c'est très musclé. On n'est jamais en accord, mais c'est toujours très civilisé. Vous êtes à temps plein pour CJAD, comme animateur; c'est extraordinaire. Et vous êtes en politique aussi. Vous étiez député. Donc, vous avez beaucoup d'expérience comme législateur et comme homme public.

Ma question à vous, sous forme d'échange un peu amical, c'est que, demain matin, vous êtes premier ministre. Pour paraphraser Andie Warhol, si vous avez deux minutes: «What is your linguistic policy» pour maintenir la majorité en Chambre?

M. Libman (Robert): I don't follow the question. To keep a majority in the House?

M. Payne: What I'm saying is: If you're Premier of Québec tomorrow... Forget about the Centaur, forget about the B'nai Brith, forget about the P.Q. or the Liberals, or whatever, forget about the Equality Party. Somehow, or by a freak, you've been elected...

M. Libman (Robert): A freak of... Yes, a freak of nature?

M. Payne: ...you're in the House...

M. Libman (Robert): Like perhaps the weather might affect the economy, something like that.

M. Payne: C'est très sérieux, parce que, si quelqu'un présente une position, on prend pour acquis... Et je respecte Robert Libman beaucoup. C'était quoi, les prémisses de votre politique linguistique? Je peux vous provoquer avec quelques exemples, pour vous taquiner, mais je préfère vous entendre sur les grandes lignes, les postulats d'une politique linguistique.

M. Libman (Robert): J'aimerais vous répondre concernant mes opinions personnelles là-dessus, mais je suis ici comme représentant d'une organisation. Je préfère répondre aux questions spécifiques sur le mémoire, sur le projet de loi n° 40. La question de mes préférences personnelles ou de la façon que je vais manufacturer une loi linguistique ou non, ou chérir les lois linguistiques au Québec, c'est une autre question, c'est une question personnelle.

M. Payne: J'accepte ça. Permettez-moi quand même de poser la question: Le projet de loi 86, l'appuieriez-vous, si c'était sur le parquet aujourd'hui?

M. Libman (Robert): J'ai voté contre la loi 86 à l'époque, en 1993. Mais, encore une fois, je vous parle comme quand j'étais député. Je suis ici comme représentant d'une organisation. On a dit dans notre mémoire que le concept même d'une législation qui assure un visage français au Québec en appuyant les décisions fortes est acceptable. On peut accepter ça. Notre communauté a déjà accepté, s'est résignée à cette réalité qu'on doit mettre les affiches françaises. Mais, si nous voulons mettre...

M. Payne: La loi 178, c'était une tentative, à mon avis banalisée, mais, quand même, c'était une tentative honnête d'apporter quelques assouplissements. Là encore, le législateur a fait un effort pour chercher un minimum, les balises d'un consensus au Québec. Et je pense qu'il faut prêter la bonne foi au Parti libéral. Lorsqu'ils étaient au pouvoir, ils ont tout fait un peu comme vous, avec des idéologies peut-être différentes.

N'empêche que je pense qu'il y a un certain nombre, comme je vous dis, de postulats de base qui nous unifient. On a parlé de la paix sociale; peut-être que c'est une anomalie, peut-être que c'est une banalité, mais c'est très sérieux. Il y a quelque chose, il y a encore quelque chose. Ils vont sûrement voter contre notre projet de loi, comme, nous, on a voté contre leur projet de loi, mais il y a beaucoup, à l'intérieur de tout cela, qui nous unifie.

M. Libman (Robert): Mais, si on...

M. Payne: Pouvez-vous nous rejoindre un peu ou est-ce que vous répudiez au complet ces...

M. Libman (Robert): Je ne suis pas 100 % sûr que je vous suis, mais la loi 178 n'était pas un compromis acceptable. Elle a maintenu l'interdiction de l'anglais sur les affiches extérieures. Tous les tribunaux du pays... Et on fait référence souvent seulement à la Cour suprême du Canada, mais il ne faut pas oublier que c'était la Cour supérieure du Québec, la Cour d'appel du Québec, qui aussi, unanimement, ont décidé que ces restrictions concernant l'article 58, à l'époque de la loi 101, sont allées trop loin et n'étaient pas acceptables et, comme on dit dans nos mémoires, le Comité des droits des Nations unies aussi. Alors, ce n'étaient pas seulement nous, ce n'étaient pas seulement les membres de la communauté anglophone qui ont cru que la loi 178 n'était pas un compromis acceptable.

M. Payne: Ma dernière question. C'est très bref. Vous avez souvent dit à CJAD, et je trouve que c'est impressionnant, que vous faites la promotion du français, c'est-à-dire que vous acceptez le principe de la promotion du français. J'avais toujours envie... et je vous ai posé la question la dernière fois qu'on a eu une entrevue pendant une heure. C'était: De quelle façon vous considérez qu'à l'heure actuelle vous faites la promotion du français?

M. Libman (Robert): Je ne suis pas ici comme animateur de CJAD, mais je pense que notre mémoire est très clair. La décision Ford ou même le statu quo à la loi 86 fait la promotion, donne un visage français partout au Québec en légiférant que le français est nécessaire et obligatoire sur les affiches, mais sans l'exclusion des autres langues. On donne un exemple...

M. Adel (Allan): J'aimerais ajouter aussi que, pour promouvoir le français au Québec, ça peut être fait de beaucoup de façons. Le gouvernement du Québec peut encourager l'utilisation du français, du français de qualité, avec la vie économique: il subventionne les compagnies, il a beaucoup de relations avec les compagnies, et aussi par l'amélioration de la qualité de l'éducation, l'instruction dans les écoles françaises et dans l'enseignement d'une deuxième langue, le français, dans les écoles anglaises. Il peut le faire de cette façon-là et, comme nous avons mentionné dans notre mémoire, concernant les logiciels, en incitant une industrie de logiciels, par exemple, dans la traduction de logiciels anglais ou d'autres langues en français. Ça peut être une industrie, au Québec, qui peut être encouragée par le gouvernement et par les agences du gouvernement, qui va promouvoir le français au Québec et va promouvoir l'économie du Québec aussi.

(20 h 50)

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. C'est au tour de l'opposition officielle. M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, si vous me permettez, avant de poser mes questions à nos invités, j'aimerais faire un commentaire sur les propos du député de Vachon. Vous savez peut-être, M. le Président, que j'ai été très près de Mme Bacon, en tant que son conseiller technique sur ces questions de langue et de culture. Et, ainsi que l'a dit la ministre, je pense qu'il ne faudrait en aucune façon sous-estimer l'influence que Mme Bacon a eue dans ces ententes, qui a été absolument déterminante.

M. Payne: ...subséquent.

M. Laporte: Maintenant, M. Libman et ceux qui vous accompagnent, j'aimerais vous poser deux ou trois questions. Les deux premières questions sont plutôt brèves et simples, la troisième est un peu plus complexe, parce qu'elle concerne la partie de votre mémoire sur les logiciels et ludiciels. Si j'ai bien compris, tout comme nous, vous êtes favorables à la réglementation en matière d'usage des langues, mais défavorables à la prohibition.

M. Libman (Robert): Effectivement, c'est l'opinion qu'on avance dans notre mémoire.

M. Laporte: Donc, nous sommes parfaitement d'accord.

M. Libman (Robert): Pas nécessairement favorables, mais on accepte ça. Ce n'est pas quelque chose qu'on va promouvoir, ce n'est pas quelque chose que nous préférons, mais on l'accepte.

M. Laporte: En second lieu, si j'ai bien compris le troisième paragraphe de la page 11, ce que vous nous dites, finalement, c'est ce que nous avons dit nous-mêmes durant cette commission, c'est-à-dire que vous n'êtes pas opposés à l'existence d'une fonction de contrôle, mais vous souhaiteriez que cette fonction de contrôle soit modifiée en fonction des constatations que vous avez faites et aussi qu'elle soit logée à l'Office de la langue française.

M. Libman (Robert): Qu'au moins on maintienne ces pouvoirs, avec l'Office de la langue française.

M. Laporte: Passons maintenant à la question qui est un peu plus complexe. Avant de la poser, j'aimerais faire une brève préface, encore là, si vous me le permettez, M. le Président, en m'adressant au député de Vachon. Nous sommes ici dans l'opposition, mais il ne faudrait pas faire accroire au public que, parce que nous sommes dans l'opposition et que nous sommes opposés, et fermement opposés, au projet de la ministre ou aux choix de la ministre qui nous paraissent déraisonnables, nous ne sommes pas, néanmoins, opposés à ses choix qui nous paraissent raisonnables. Et, dans le cas des logiciels et des ludiciels, je pense que vous allez bien voir que, là-dessus, nous sommes prêts à vous appuyer largement, avec peut-être certaines modifications.

N'étant pas moi-même illettré dans ce domaine de l'informatique – j'ai aussi beaucoup, comme on dit, tripoté de cette question-là durant les longues années de mon séjour à la direction des organismes linguistiques – j'ai fait dernièrement une petite enquête auprès de détaillants à Montréal. Ces enquêtes m'ont amené à la perception d'un problème que je vous soumets, et j'aimerais avoir votre réaction là-dessus. D'une part, je dois dire que je suis ravi d'apprendre que, comme vous le dites dans votre mémoire – vous le dites très bien – «le principe visant à s'assurer que tous les logiciels soient disponibles en français est une initiative positive et un moyen significatif pour promouvoir la vitalité de la langue française et la culture française». Je pense que, là-dessus, votre opinion est très claire et je pense qu'elle est très honorable.

Maintenant, il y a un petit problème que vous n'avez pas identifié dans vos commentaires, même si je trouve que vos commentaires sont extrêmement pertinents, puisque, finalement, vous êtes, à ma connaissance, jusqu'ici, le seul organisme qui ait abordé cette question-là. Le problème est le suivant. Vous savez que, dans le domaine des logiciels et dans celui des ludiciels, la popularité d'un produit s'érode très rapidement, «popularity is rather short». On me dit, par exemple, que, dans le domaine des ludiciels, un ludiciel qui aurait été en demande sur le marché sur une période de deux ans, après deux ans, est plus ou moins disparu du marché, la demande s'est érodée, la demande est devenue très faible.

Il y a donc des détaillants qui m'ont dit: Écoutez, ce projet nous convient, mais il pose une difficulté. Et je vais essayer de la décrire aussi clairement que possible. À cause de cette érosion de la popularité des produits, les détaillants choisissent le plus souvent de conserver en inventaire un petit nombre de logiciels, un très petit nombre de logiciels. Et, étant donné que, dans beaucoup de cas, les logiciels qui sont en américain sont des logiciels qui sont à meilleur marché que des logiciels qui sont en français – qui sont souvent faits sur le marché européen, pour la distribution sur le marché européen, qui est un marché multilingue – les détaillants ont donc tendance à vouloir limiter leur inventaire de ces produits de popularité diminuée au minimum pour des raisons de rentabilité.

Et ce qu'on m'a dit, c'est que cet article-là pose le problème suivant. C'est que, étant donné ce besoin, pour des raisons de rentabilité, de maintenir au minimum les inventaires et étant donné les considérations de prix que j'ai mentionnées tantôt, les détaillants ont tendance à préférer retenir en inventaire des logiciels américains, parce que c'est ceux-là qui leur sont donnés le plus souvent et c'est ceux-là qu'ils peuvent vendre moins cher, donc pour une meilleure rentabilité.

Les détaillants m'ont donc dit: Le problème, c'est que nous allons devoir doubler nos inventaires pour un très petit nombre de produits. Dans certains cas, il s'agit d'un produit, d'un seul produit. Et, étant donné le marché, la concurrence très vive qui existe entre les détaillants sur ces produits, il devrait en résulter des problèmes de coûts d'inventaire, disons de coûts d'inventaire inutiles. Et, à ce sujet, ils n'ont pas fait de recommandations sur la façon dont les modifications pourraient être apportées, mais, néanmoins, je pense que des consultations pourraient avoir lieu à cet effet et qu'on pourrait peut-être améliorer l'article 51 pour éviter ce risque d'une rentabilité diminuée de la part des détaillants.

Donc, ma question est: Pensez-vous qu'il y a là un problème? Et, si vous pensez qu'il y a un problème et que j'ai pu l'exposer clairement, avez-vous une suggestion à faire à la ministre dans le but, disons, de gérer ce risque d'une façon efficace?

M. Adel (Allan): Je trouve que c'est intéressant, le logiciel, comparé à d'autres produits. Un logiciel peut être produit ou manufacturé très vite. Ce n'est pas comme une automobile ou une machine, ou un appareil, quoi que ce soit, où ça prend une usine pour fabriquer quelque chose. Un logiciel, ça se fait instantanément, presque. Donc, c'est une des raisons pour lesquelles, je crois, ce n'est pas nécessaire pour un détaillant de garder un inventaire important. Parce que, si le détaillant trouve qu'il y a une demande, peut-être pendant les Fêtes ou quoi, quand il vend beaucoup de produits, il peut renflouer l'inventaire dont il a besoin dans un très, très proche délai.

Donc, je pense que ça, c'est particulier pour les logiciels. Je pense qu'un détaillant qui est un bon homme ou femme d'affaires va équilibrer les économies qu'il va avoir en minimisant son inventaire et les ventes qu'il va perdre. Quand un consommateur francophone va venir à la porte et demander Windows en français, pourquoi il ne l'aurait pas en inventaire? Il va perdre une vente si un autre détaillant, deux rues plus loin, peut fournir ce produit au consommateur.

(21 heures)

Bien, je pense que le marché économique est très fort, plus fort, peut-être, qu'on pense, et règle les problèmes, règle beaucoup de problèmes d'une façon naturelle, sur le plan économique.

M. Laporte: M. le Président, je pense que le commentaire est intéressant. En tout cas, je vous dis que cette question, c'était plutôt... le problème était posé pour les ludiciels plutôt que pour les logiciels. Si vous prenez des logiciels du type de Windows, évidemment le problème se pose un peu différemment.

Je voudrais terminer, M. le Président, si vous me permettez, par un commentaire sur les réserves que le B'nai Brith a exprimées relativement au projet de la ministre sur les logiciels. En relisant très attentivement le document préparé par la ministre sur sa proposition de consultation, je pense qu'il y a là-dedans une idée fructueuse voulant que l'application de la politique soit à la fois une question de législation et une question d'action sociale. Et je me demandais si vous seriez d'accord avec l'opinion que j'ai là-dessus: Est-ce qu'un bon nombre de problèmes que vous mentionnez, en plus des correctifs que vous suggérez qui sont probablement très adéquats, est-ce qu'une partie de ces problèmes ne pourrait pas être résolue par des interventions, par une action conjuguée dans des alliances stratégiques, par exemple avec d'autres grands ensembles linguistiques, que ce soit la francophonie ou d'autres grands ensembles linguistiques, auprès des producteurs eux-mêmes? C'est-à-dire que, si le gouvernement du Québec adoptait à l'égard de ces produits une attitude proactive en allant rencontrer ces grands producteurs – vous savez qu'en 1986 il y a eu une réunion à Rome, où les grands producteurs ont accepté le multilinguisme en matière de production de logiciels... Donc, je me demandais si, par des actions sociales, comme celles que la ministre envisage dans son document, il ne serait pas envisageable, possible de gérer un peu mieux, plus efficacement les risques que vous avez mentionnés dans votre excellent mémoire?

M. Adel (Allan): Je pense que ça fait beaucoup de bon sens, et peut-être qu'on trouvera, si on regarde ailleurs, qu'il y a d'autres juridictions qui soulèvent peut-être les mêmes «concerns», comme vous avez mentionné, dans la francophonie, dans les organisations internationales. Donc, de procéder de cette façon-là, ça peut éviter la mauvaise réception qu'une telle loi ou certaines parties d'une telle loi ou d'un projet de loi peuvent recevoir auprès des communautés culturelles ici, au Québec. Ce n'est peut-être pas nécessaire du tout.

M. Laporte: M. le Président, je ne sais pas si mes collègues ont des commentaires, sinon je voudrais vous remercier de vos commentaires et vous répéter que nous les avons trouvés particulièrement pertinents, parce que c'est un problème complexe et il y a eu jusqu'à date, jusqu'à maintenant assez peu de personnes qui ont bien voulu nous éclairer là-dessus. Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les représentants de la Ligue des droits de la personne B'nai Brith Canada d'avoir contribué à cette consultation en venant nous rencontrer ce soir. J'invite maintenant les représentants du Parti Égalité à venir prendre place à la table des témoins en leur disant qu'ils ont une heure, c'est-à-dire normalement 20 minutes pour faire l'exposé... On va attendre un peu, là.

Alors, je fais savoir aux gens du Parti Égalité qu'ils ont une heure à partir de maintenant, c'est-à-dire normalement 20 minutes pour faire leur exposé, 20 minutes pour les ministériels, 20 minutes pour les libéraux. Alors, si le porte-parole peut se présenter et nous présenter la personne qui l'accompagne et commencer immédiatement son exposé.


Parti Égalité

M. Henderson (Keith): Bonsoir, mesdames et messieurs. Je m'appelle Keith Henderson, je suis le chef du Parti Égalité, et, à gauche, David Wood, avocat.

Donc, en 1969, le gouvernement unioniste du Québec brisa plus de 200 ans de tradition en déclenchant une guerre linguistique avec sa loi 63. Le gouvernement libéral intensifia la guerre en 1974 avec sa loi 22, et ce fut l'escalade en 1977, avec le gouvernement péquiste, par la loi 101. Les libéraux l'intensifièrent de nouveau en 1988 avec la loi 178, mais reculèrent légèrement en 1993 avec la loi 86. Maintenant, en 1996, le gouvernement péquiste recommence à chauffer le débat avec la loi n° 40.

Pendant plus de 200 ans avant 1969, le français et l'anglais avaient presque toujours été sur un pied d'égalité devant la loi, et des gouvernements successifs du Québec se comptaient parmi les plus ardents défenseurs du bilinguisme. Malheureusement, les deux langues n'étaient pas égales en matière d'opportunité, et les raisons économiques, religieuses et mythologiques de ce fait sont encore controversées. Ce qui est d'une pertinence plus immédiate, c'est l'occasion actuelle de réviser la guerre linguistique, maintenant vieille de presque 30 ans. La langue française au Québec est-elle plus en sécurité ou moins en sécurité qu'en 1969? Plus particulièrement, à la lumière de la loi n° 40, la sécurité s'apprécie-t-elle en comptant et en mesurant des enseignes?

En 1970, l'année après le début de la guerre et pour la première fois dans l'histoire, le taux de fécondité au Québec tomba en bas de 2,1, le chiffre magique que les démographes nous déclarent être essentiel pour le maintien d'une population stable. Il reste en bas de 2,1 depuis, parfois chutant jusqu'à 1,4, le troisième plus bas au monde. Dit brutalement, les Québécois ne veulent plus avoir assez d'enfants pour survivre. Pourquoi? N'est-il pas la responsabilité du gouvernement de s'acharner pour l'obtention d'un climat économique où les couples peuvent choisir librement s'ils veulent ou non élever une famille? Si la liberté économique existe, la biologie ne ferait-elle pas le reste?

En 1975 et en 1976, le taux de chômage à Montréal était inférieur à la moyenne canadienne. À partir de 1977, avec l'adoption de la loi 101, le taux de chômage à Montréal grimpait au-dessus de la moyenne canadienne, où il est toujours demeuré depuis, parfois dangereusement au-dessus. Monty Berger publia une liste de plus de 700 sièges sociaux qui ont quitté Montréal depuis la loi 101, ordinairement pour enrichir Toronto. Quelque 300 000 anglophones ont suivi avec leurs capitaux. Quand les victimes de la loi 101 seront dénombrées, très peu se trouveront parmi la poignée de commerçants anglophones qui voulaient afficher dans les deux langues. Les vraies victimes seront les milliers de Québécois, majoritairement francophones, en chômage à Montréal parce que leurs compagnies et leurs clients sont partis.

N'est-il pas la responsabilité du gouvernement de s'acharner pour l'obtention d'un climat économique où tous les citoyens peuvent prospérer, sans égard à la race, la langue ou la religion? Si les francophones sont prospères, ne peut-on avoir confiance en eux pour protéger leur propre langue? Le gouvernement croit-il pouvoir protéger la langue française sans protéger la prospérité des francophones qui la parlent? La langue et la culture appartiennent-elles au peuple ou au gouvernement? Sont-elles nourries par des écrivains, des chansonniers et des artistes ou par des politiciens et des fonctionnaires? Il est temps de réfléchir sur ces questions et sur les stratégies que doit poursuivre tout gouvernement responsable.

Si les gens veulent protéger leur race, leur langue ou leur religion, la dernière chose à faire est d'attaquer d'autres races, d'autres langues ou d'autres religions. L'attaque mène à la contre-attaque, et la guerre menace la sécurité de tout ce que les deux côtés veulent protéger. Les lois linguistiques du Québec ont été condamnées par les Nations unies comme incompatibles avec la charte de cette organisation. Elles ont été condamnées par la Cour suprême du Canada comme incompatibles avec une société libre et démocratique.

N'y a-t-il pas lieu de croire que la stratégie suivie par des gouvernements successifs du Québec est suicidaire en plus d'être injuste? N'est-il pas vrai que la vraie menace à la langue et à la culture françaises au Québec provient non pas des méchants Anglais, mais des politiciens mal avertis?

(21 h 10)

Sur la question de la langue des enseignes publiques, le troisième paragraphe de l'article 17 de la loi 86 se lit maintenant: «L'affichage public et la publicité commerciale [...] peuvent également être faits [...] en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.» Le Parti Égalité continue à noter avec satisfaction l'élimination de l'interdit de visibilité publique d'autres langues dans l'affichage commercial ainsi que les déclarations publiques de certains ministres du cabinet, notamment Serge Ménard, à l'effet que le gouvernement n'essaiera plus jamais d'instaurer un affichage français général et unilingue dans la province. Néanmoins, nous notons aussi le quatrième paragraphe de l'article 17 de la loi 86, qui se lit actuellement: «Toutefois, le gouvernement peut déterminer par règlement [...] les cas, les conditions ou les circonstances où l'affichage public et la publicité doivent se faire uniquement en français ou peuvent se faire sans prédominance du français ou uniquement dans une autre langue.»

Le Canada, comme vous le savez, est signataire du protocole international sur les droits civils et politiques, dont le paragraphe 19 garantit la liberté d'expression. Il est ainsi la responsabilité du fédéral de s'assurer que les termes du protocole soient respectés à travers le pays, y compris le Québec. En avril, devant le comité sur les droits humains de l'ONU... et nous citons leur décision datée du 31 mars 1993: Le gouvernement du Québec a déclaré que l'activité commerciale comme l'affichage public extérieur ne se situe pas dans la portée de l'article 19. Le Comité ne partage pas cette opinion. L'article 19, paragraphe 4 doit être interprété comme incluant toute forme d'idée ou d'opinion subjective capable d'être transmise aux autres et qui est en conformité avec l'article 10 portant sur les nouvelles et renseignements, sur l'expression commerciale et la publicité ou sur les oeuvres artistiques, et il ne doit pas être limité aux moyens d'expression politique, artistique ou culturelle. De l'avis du Comité, l'élément commercial d'une expression prenant la forme de publicité extérieure ne peut pas avoir l'effet de retirer cette expression de la portée des libertés protégées. Le Comité n'est pas d'accord non plus qu'une des formes d'expression mentionnées ci-haut puisse être assujettie à des degrés de limitation variables de sorte qu'une certaine forme d'expression souffrirait de restrictions plus larges que d'autres. Fin de la citation.

Donc, s'autoriser à «déterminer par règlement [...] les cas, les conditions ou les circonstances où l'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire uniquement en français», c'est placer la loi québécoise en violation des obligations du Canada de faire respecter des droits internationalement protégés dans ce pays, dont la liberté d'expression commerciale, tel qu'en fait foi la décision de la Cour suprême en décembre 1988. Les tribunaux canadiens successifs n'ont pas décidé que l'anglais ou d'autres langues pourraient s'écrire au-dessus des portes de magasins, mais non pas sur des panneaux-réclame. Ces tribunaux n'ont pas décidé que l'anglais ou d'autres langues pourraient s'écrire dans les vitrines de magasins, mais non pas sur les côtés des autobus. Les tribunaux canadiens ont décidé que la liberté d'expression appartient à tous, commerçant ou non, partout au Canada, sur vitrine ou panneau-réclame. Le rapport interministériel sur la situation de la langue française dit que «l'aménagement linguistique au titre de la langue du commerce et des affaires traduit à peu de choses près les balises fixées par la Cour suprême». Cette affirmation est inexacte.

Le gouvernement du Québec devrait noter aussi le désaccord du Comité de l'ONU, selon qui aucune des formes d'expression ne peut être assujettie à des degrés de limitation variables. Ceci veut dire qu'en vertu du droit international le Québec ne peut proscrire l'anglais sur des panneaux-réclame extérieurs, pas plus qu'il ne peut proscrire la poésie en anglais. Les restrictions sous le quatrième paragraphe de l'article 17 de la loi 86 actuellement en vigueur ne passent pas le test des limites raisonnables imposé par la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu'elles ne sont pas compatibles avec les obligations internationales du Canada ou du Québec. Le Québec ne peut continuer de bannir l'anglais des panneaux-réclame, des métros, des côtés des autobus et prétendre ne pas discriminer parmi ses résidents sur la base de la langue ou prétendre se conformer à ses obligations internationales. Il ne peut non plus invoquer la clause «nonobstant» pour protéger le quatrième paragraphe de l'article 17 de la loi 86 contre des contestations judiciaires, puisque, d'après l'argument d'admissibilité présenté au comité des droits humains de l'ONU par la ministre de la Justice, Kim Campbell, en avril 1991, l'obligation du Canada est de s'assurer que l'article 33 – la clause «nonobstant» – n'est jamais invoqué dans des circonstances qui sont contraires au droit international. L'article 33 ne pourrait jamais être invoqué pour permettre des actes clairement prohibés par le droit international.

La conclusion est inéluctable. Le quatrième paragraphe de l'article 17 de la loi 86 octroie au gouvernement du Québec le pouvoir de restreindre illégalement des droits internationalement protégés, dont la liberté d'expression commerciale. Dans son rapport, la Commission nationale sur l'avenir du Québec prétendait qu'en cas de sécession la garantie principale des droits minoritaires dans la province reposait sur le Protocole international relatif aux droits civils et politiques dont le Québec était signataire. Quand l'ONU demanda au Canada si un traité international ou une convention, après ratification, faisait partie du droit national sous le système légal du Canada, le Canada répondit que, si le traité ne pouvait être mis en application sous le droit canadien existant ou par action administrative, alors la législation devait être adoptée par le palier de gouvernement compétent, fédéral ou provincial, afin de mettre en application les termes du traité au Canada. Presque 20 ans après l'adoption de la loi 101, cette législation n'est pas encore en place.

Le Parti Égalité recommande, par conséquent, que le gouvernement du Québec agisse sans délai pour faire accorder la Charte de la langue française avec les obligations internationales du Canada et du Québec par l'abrogation du quatrième paragraphe de l'article 17 de la loi 86. Selon les mots du comité des droits humains de l'ONU, nous continuons de faire appel à l'État partie pour remédier à la violation de l'article 19 du protocole par un amendement approprié à la loi.

Le Parti Égalité s'oppose aussi à certains autres éléments du rapport interministériel sur la situation de la langue française. À la page 15, les auteurs affirment, parmi les principes de base de la politique linguistique: «La langue française, au Québec, n'est pas un simple instrument d'expression mais un milieu de vie. Nous vivons en français, nous pensons et nous créons en français. Notre société et ses institutions sont françaises depuis des siècles.» Ces affirmations sont déplorables, fausses et racistes, oui, même racistes. Ce n'est pas tous les Québécois qui pensent, vivent et créent en français. Ils le font dans beaucoup de langues, y compris l'anglais. La société québécoise et ses institutions ne sont pas exclusivement françaises et ne l'ont jamais été. Elles comprennent beaucoup de langues, dont les langues et les cultures autochtones, occupant ce sol avant toutes les autres.

Le rapport interministériel sur la situation de la langue française affirme également: «Il ne sera donc plus question d'un Québec bilingue.» Et, à part de ça: «Le français sera la langue officielle du Québec et la langue commune de tous les Québécois.» Ces affirmations sont fausses. Le français n'est pas la seule langue officielle du Québec. L'article 133 de la Constitution canadienne garantit que l'anglais est aussi une langue officielle du Québec. Les tribunaux doivent entendre des causes en anglais. Les lois doivent être publiées en anglais. L'anglais est une langue officielle des débats à l'Assemblée législative de cette province. Le Québec est bilingue, comme le sont une majorité des membres du cabinet du gouvernement actuel, parce que l'anglais et d'autres langues font partie intégrante de la société depuis des générations.

(21 h 20)

Le Parti Égalité note aussi que le jugement de la Cour suprême en 1988 donnait au gouvernement québécois le pouvoir de réglementer la langue des enseignes publiques, même au point d'exiger que le français figure non seulement sur toute enseigne publique, mais qu'il y soit nettement prédominant. Il est important de souligner que la Cour suprême ne recommandait pas que toutes les enseignes contiennent un français nettement prédominant. Elle a simplement démarqué la nette prédominance comme étant l'extrême auquel le gouvernement pouvait légalement aller. Le Parti Égalité recommande, même si le gouvernement du Québec peut insister sur la nette prédominance dans les grands magasins au détail et les franchises, que les petites entreprises soient laissées libres pour déterminer l'affichage approprié basé sur l'appréciation des commerçants de leur propre clientèle. Le gouvernement peut considérer l'exemple d'une petite entreprise gérée par quelques nouveaux immigrés de la Chine dans le quartier chinois de Montréal. Ces entrepreneurs devraient être libres d'afficher uniquement en chinois si telle est leur préférence.

Le Parti Égalité note aussi que la Cour suprême n'a jamais défini le sens précis du terme «nette prédominance» et, à notre connaissance, la définition n'a jamais été testée devant les tribunaux. Le gouvernement du Québec définit la nette prédominance par la formule deux tiers un tiers, c'est-à-dire que le français de l'affichage public doit être deux fois plus gros que d'autres langues ou que les enseignes en français soient deux fois plus nombreuses. Nous considérons ces définitions irrationnelles et impossibles d'application. Elles mènent à une police équipée de rubans pour mesurer, à une incompréhension de la loi, au potentiel pour des infractions absurdement nombreuses et au maintien de tensions linguistiques. Une définition plus acceptable de «nette prédominance» serait tout simplement d'insister que là où le français est requis sur l'affichage public il figure à gauche des autres langues ou verticalement au-dessus. Le Parti Égalité recommande que le gouvernement du Québec adopte ces définitions. Les règlements actuels envoient un message désagréable à l'effet que le français est, en quelque sorte, supérieur aux autres langues et que les autres langues doivent s'incliner devant la primauté du français. De tels messages dans une démocratie tolérante et avancée sont embarrassants et répréhensibles et ils témoignent davantage de l'insécurité du gouvernement que de la beauté et de l'importance de la langue française.

Puisque les auditions sont conçues autant pour la loi n° 40 que pour les considérants plus généraux du livre «Le français, langue commune», le Parti Égalité recommande, en terminant, que le gouvernement considère une référence à la Cour d'appel du Québec pour clarifier certains aspects constitutionnels de la loi n° 40 et cela afin d'éviter des contestations judiciaires inutiles et une publicité encore plus adverse que le gouvernement reçoit actuellement chez nous et ailleurs.

L'article 2 a trait à la vente de logiciels, dont certains proviennent du commerce international ou interprovincial. Nous croyons que cette partie de la loi n° 40 pourrait entrer en conflit avec l'article 91.2 de la Constitution, qui donne au fédéral une juridiction exclusive en matière de la réglementation des échanges et du commerce.

L'article 12 a trait, entre autres choses, au pouvoir des gens faisant l'inspection de tout établissement, sans mandat de perquisition, d'«examiner tout produit ou tout document – pertinent ou non? y compris des opinions juridiques confidentielles émanant des avocats de l'établissement? – tirer des copies et prendre des photographies». Le Parti Égalité croit que cette partie de la loi n° 40 entre en conflit avec l'article 8 de la Charte canadienne des droits qui dit: «Chacun a le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.»

Finalement, le Parti Égalité demande, en conclusion, comment la politique linguistique du Québec ait pu tant s'éloigner des valeurs du monde moderne. Serait-il possible que la réponse se trouve dans l'incompréhension révélée dans le rapport du comité interministériel lorsqu'il cite la politique linguistique du Québec en 1977 alléguant: «La "Confédération" canadienne défavorise les francophones. Le Canada anglais rêve toujours d'assimilation. Pour lui, la survivance française est une anomalie.» On n'a qu'à comparer le Québec avec la Louisiane pour se rendre compte de la fausseté de la première phrase. On n'a qu'à se rappeler comment des Parlements majoritairement anglophones ont fait du français une des langues officielles du Canada, du Québec, du Nouveau-Brunswick et du Manitoba pour se rendre compte de la fausseté de la deuxième phrase. La survivance du français n'est pas vue par le Canada comme une anomalie, mais comme la conséquence naturelle des efforts délibérés pour le préserver tant par les anglophones que par les francophones. Les différences entre les groupes linguistiques se concentrent sur les moyens et sur les méthodes, mais non pas sur les buts. Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Merci, M. le Président. M. Henderson, M. Wood, bonsoir.

Je dois dire que, en effet, le ton est donné dès la première phrase de votre mémoire: «En 1969, le gouvernement unioniste du Québec brisa avec plus de 200 ans de tradition en déclenchant une guerre linguistique avec sa loi 63.» Et je pense qu'enfin tout le restant est dans le même sens. Je dois dire que je connaissais un peu vos positions avant ce soir, mais je vois que vous allez, en effet, assez loin, parce que... Est-ce que je me trompe en disant que vous étiez disposés – et l'êtes-vous encore? – à faire appel au pouvoir de désaveu du gouvernement fédéral à propos de la loi 86 ou, enfin, d'une ou l'autre loi?

M. Henderson (Keith): On a demandé au gouvernement fédéral d'utiliser ce pouvoir, mais c'est impossible maintenant parce que la loi 86 était adoptée, et sur les livres, depuis plus d'un an. Donc, le pouvoir de désaveu ne s'applique plus.

Mme Beaudoin: Ah bon! C'est une question de prescription tout simplement. C'est une question de temps, alors.

M. Henderson (Keith): Non. Ce que nous voulons, c'est que le gouvernement du Canada respecte ses obligations internationales et que le gouvernement du Québec fasse la même chose. Pas plus.

Mme Beaudoin: Bon. Alors... Bon. Très bien. Et je vois que vous liez les problèmes économiques du Québec aux lois linguistiques en disant – c'est quand même assez extraordinaire, je dois dire – que, exactement l'année où la loi 101 a été adoptée... vous dites: Bien, voilà, il y a eu augmentation du taux de chômage. Mais est-ce que vous ne reconnaîtriez pas que peut-être que c'est chronologiquement un hasard? La reprise de contrôle – peut-être même la prise de contrôle, parce qu'il n'y en avait jamais eu – par les francophones d'une partie de l'économie du Québec et le fait que, justement... Une des raisons à la base même de la loi 101 – et c'était, je pense, dans la politique, à l'époque, énoncé comme tel – c'était pour rééquilibrer économiquement la place des francophones, justement parce qu'on s'était aperçu, et toutes les enquêtes le démontraient, que les francophones étaient ceux qui, sur leur propre territoire, étant majoritaires au Québec, gagnaient le moins, enfin ils étaient en avant-dernière position, je pense, sur ce plan socioéconomique avant l'adoption de la loi 101.

Puis, justement, le rapport interministériel que vous citez remarque que c'est un des grands progrès, un des grands accomplissements, finalement, depuis 20 ans – et d'ailleurs le député d'Outremont en a parlé à quelques reprises dans les journaux récemment – que les francophones avaient atteint cette espèce d'équilibre avec les anglophones. En fait, peut-être qu'un anglophone bilingue gagne un peu plus qu'un francophone unilingue ou, enfin, l'inverse, là, mais, enfin, on avait atteint à peu près un certain équilibre.

(21 h 30)

Mais vous ne pensez pas que la loi 101, justement... Est-ce que vous pensez ou non que la loi 101 ait pu avoir un effet positif à cet égard pour cette majorité francophone? Parce que vous laissez entendre que ce retard économique du Québec est dû à des raisons religieuses, à des raisons même mythologiques et que, donc, on avait inventé un peu tout ça dans notre imaginaire de francophones, qu'il n'y avait pas de véritable problème et donc que la loi 101 n'a pas eu cet impact, l'impact que je viens d'indiquer sur la situation économique globale des francophones au Québec.

M. Wood (David H.): Mme la ministre, vous permettez que je réponde à cela?

Mme Beaudoin: Oui.

M. Wood (David H.): On ne parle pas d'un recul économique du Québec, mais d'une dégringolade de l'économie du Québec à partir de nos chicanes linguistiques. Et je crois que la loi 101, avec tout le respect que je dois à ses auteurs, a commis une erreur fondamentale. C'est-à-dire, je me souviens très bien des années soixante, où les francophones se plaignaient, avec raison, que les anglophones avaient des privilèges, et des priorités, et des avantages. À cette époque-là, ils demandaient l'égalité, ils savaient qu'à mesure égale ils avaient autant de talent que n'importe qui, ils pouvaient réussir aussi bien que n'importe qui. Et qu'est-ce que le gouvernement a fait? Il n'a pas écouté le public francophone. Au lieu de dire «égalité», il a dit... En effet, le message donné par la loi 101, c'est: On va vous donner une priorité. C'est comme si on avait dit au public francophone: Vous ne pouvez pas marcher sans béquilles, on vous fournira des béquilles. Je crois que la psychologie était erronée dès le départ.

Mme Beaudoin: Oui, je reconnais bien, M. Wood, la thèse de M. Trudeau, à l'effet, que, individuellement, je veux dire... bon, qu'il n'y a pas de droits collectifs en quelque sorte, qu'il n'y a que des individus dont l'addition forme une espèce de tout ou une collectivité quelconque, mais qu'il ne peut pas y avoir de droits collectifs et qu'il n'y a pas la nécessité de droits collectifs d'aucune façon et d'aucune manière. Là-dessus, vous savez, je pense que la population du Québec a répondu un peu à ça en élisant le Parti québécois à quelques reprises, comme vous savez. Alors, quand vous me dites: Non, la population francophone ne demandait pas ceci ou ne demandait pas cela. On peut quand même dire que les citoyens du Québec dans leur ensemble, sans faire de distinction donc, ont quand même élu un gouvernement du Parti québécois à plusieurs reprises. Ça doit être parce qu'ils pensaient quand même que ce gouvernement ou que ce parti avait quelque allure ou quelque sens et puis qu'il fallait faire confiance, justement, à la démocratie, parce que nous sommes élus démocratiquement. Nous avons donc, les uns et les autres d'ailleurs, que ce soit l'Union nationale, le Parti libéral ou nous-mêmes, adopté ces lois fort démocratiquement. Je pense que vous devez le reconnaître.

Mais je dois dire que cette thèse que l'on retrouve... Mais, franchement, quand on commence en disant que, à partir du moment où la Révolution tranquille... À partir de Jean Lesage, où la modernisation du Québec s'est produite, cette affirmation du fait français au Québec a été concomitante à la Révolution tranquille puis à la modernisation du Québec, et, vous, vous nous dites qu'en 1969, justement, «200 ans de tradition en déclenchant une guerre linguistique avec sa loi 63». Je dois vous dire que, honnêtement, c'est contraire à tout ce que l'histoire nous montre et nous démontre, puis on pourrait en discuter longuement mais après, parce que je vais laisser la parole à mon collègue qui a des questions à vous poser.

Le Président (M. Garon): M. le député de Fabre.

M. Facal: Oui, merci, M. le Président.

M. Wood (David H.): Est-ce que je peux?

Une voix: Oui.

M. Wood (David H.): Au lieu de répondre à l'histoire, parce que c'est toujours controversé, je me permets de souligner qu'un droit collectif est un droit qu'on ne peut pas exercer individuellement. Exemple, le droit de vote est un droit individuel, mais le droit d'élire est un droit collectif, à moins d'être la seule personne sur la liste électorale. Quand on parle de droits individuels, toutes les chartes des droits individuels, que ce soit aux États-Unis ou au Canada, viennent de la célèbre Déclaration des droits de l'homme de la Révolution française. Notre Charte est une francisation tardive de notre Constitution.

M. Henderson (Keith ): J'ajoute tout simplement que, si le gouvernement, et je parle de n'importe quel gouvernement, veut encourager ici, au Québec, le français, il n'y a pas de problème avec le Parti Égalité. Encourager quelque chose, on élit les gouvernements pour faire des choses comme ça. Mais priver vos voisins des droits, c'est une autre chose. Et il faut, comme j'ai dit dans le mémoire, accorder la loi québécoise avec nos obligations internationales. Et c'est clair, parce que toutes sortes de comités se sont prononcés là-dessus: la situation actuelle n'est pas en conformité avec la décision de l'ONU, et il le faut.

À part de ça, il y a le fait, et c'est incontestable, que 300 000 anglophones ont quitté le Québec. C'est plus élevé que ça, parce que c'est à peu près 400 000, mais ils sont remplacés par d'autres qui sont venus ici, c'est évident. Mais, quand même, c'est une perte de 300 000 anglophones dans un espace de 20 ans. Ça, c'est une grande perte pour n'importe quelle communauté et, pour le Québec, une perte économique. Donc, ce qu'il faut faire, d'après nous autres, ce n'est pas seulement encourager le français, qui est un but qui est important, mais encourager aussi la communauté anglophone à rester ici, à rester au Québec. C'est important aussi, et on fait ça en garantissant, d'une manière claire, transparente, les droits internationalement protégés.

Le Président (M. Garon): M. le député de Fabre.

M. Facal: Merci, M. le Président. Alors, voici un autre de ces mémoires qui a vraiment le mérite de la clarté. Vous avez établi que toutes les actions législatives depuis 30 ans s'apparentent, pour vous, à un acte de guerre et qu'il y a une relation de cause à effet entre nos débats linguistiques et notre situation économique. Fort bien. Dans votre cas, ce qui est intéressant, c'est que vos positions en matière linguistique sont une conséquence directe et logique de vos positions politiques et constitutionnelles. J'aimerais donc intervenir sur ce deuxième volet. Deux courtes questions. Selon vous, est-ce que les Québécois sont libres de définir leur statut politique? Première question. Et deuxième question: Si, lors d'un prochain référendum, il se dégage une majorité en faveur du Oui, que devrait faire le gouvernement fédéral?

M. Henderson (Keith): Je vais essayer de répondre très brièvement, parce que c'est une question assez large. Premièrement, oui, le peuple québécois a le droit à l'autodétermination dans le contexte de la nation canadienne, qui est notre nation. Et on bénéficie, tous les Québécois, de ce droit à être libres d'élire n'importe quelle sorte de gouvernement ici, au Québec. Et on le fait. C'est un pays démocratique, une province démocratique.

Deuxièmement... Rappelez-moi la seconde question, et j'essaierai de vous répondre brièvement.

M. Facal: Si...

M. Wood (David H.): Si, lors d'un prochain référendum...

M. Henderson (Keith): ...qu'est-ce que le gouvernement doit faire? Le gouvernement doit insister sur la primauté du droit, la règle du droit ici, au Canada. Ça veut dire qu'il n'est pas question d'une déclaration unilatérale de l'indépendance. Pas question. On négocie nos différences et on négocie... Si on décide de partitionner le Canada, un choix tragique, immédiatement et logiquement on entre dans la tragédie des discussions des frontières du Québec, des frontières de ce nouvel État. C'est ça.

M. Facal: Donc, vous reconnaissez au peuple québécois le droit de prendre toutes les décisions, sauf une: la décision d'éventuellement quitter le Canada.

M. Henderson (Keith): Non.

M. Facal: Non?

M. Henderson (Keith): Non, je ne dis pas ça du tout. Je dis que les Québécois sont libres de prendre cette décision. Mais ça a pris le consentement de tous les Canadiens pour former ce pays, ça va prendre le consentement de tous les Canadiens pour le déchirer.

M. Facal: D'accord. Mais, concrètement, que demanderiez-vous au gouvernement fédéral de poser comme geste au lendemain d'un vote majoritaire en faveur du Oui? Quel appel lanceriez-vous au gouvernement fédéral?

M. Wood (David H.): Pouvez-vous préciser la question référendaire, parce que ça pourrait affecter la décision?

Des voix: Ha, ha, ha!

(21 h 40)

M. Facal: Michel.

Le Président (M. Garon): Il ne reste pas trop de temps.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Oui, j'aimerais... Je me suis amusé à sortir...

Le Président (M. Garon): M. le député de Nicolet, brièvement.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): ...des petits mots qui m'ont frappé dans votre mémoire puis qui m'ont agacé un peu. Vous parlez de «briser» à la page 1, vous parlez aussi de «mythologie», ensuite de «guerre linguistique». Ensuite, vous parlez de «biologie», de «victimes». Vous dites ensuite, à la page 4: «L'attaque mène à la contre-attaque», «à la guerre». Vous parlez de «suicide», d'«injustice», de «méchants Anglais», ensuite de «l'interdit», à la page 4. Et on continue. À la page 8, vous parlez de «racistes» et vous finissez, à la page 10, par la phrase suivante: «De tels messages, dans une démocratie tolérante et avancée, sont embarrassants», etc. Où elle est, votre tolérance à vous?

M. Henderson (Keith): Je ne comprends pas la question. Voulez-vous répéter la question?

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Je viens de vous citer au moins 10 mots...

M. Henderson (Keith): Oui, oui.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): ...qui, à mon humble avis, sont un peu forts et exagérés...

M. Henderson (Keith): Oui.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Et, dans votre conclusion, vous nous parlez de «tolérance».

M. Henderson (Keith): Oui.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Moi, je vous demande: Où elle est, votre tolérance à vous?

M. Henderson (Keith): ...beaucoup de mots, on peut faire des extraits complètement dans l'autre sens. On parle de la beauté de la langue française, de l'importance de la langue française. On parle de la tolérance, d'une démocratie avancée. On parle de toutes sortes de choses positives. Donc, faire un petit bilan de toutes les choses négatives et dire: Voilà, c'est un mémoire négatif, sans égard à toutes les choses positives que nous disons, c'est travestir, c'est une déformation du mémoire... Donc, je vous invite à considérer que nous proposons des choses assez rationnelles, tout simplement, tout simplement...

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Même le mot «racistes»?

M. Henderson (Keith): Non, non, j'ai utilisé le mot «racistes» dans un contexte, et le contexte est clair. Quand on prive une minorité des droits reconnus sur le plan international et qu'on dit qu'on ne le fait pas, ça, c'est une position raciste. Ce n'est pas acceptable. Je ne dis pas que tous les péquistes sont des racistes; pas du tout. Je dis que la position est fausse, que ce n'est pas acceptable. Pas les péquistes, pas les membres du gouvernement.

Donc, je suis ici pour discuter d'une manière civilisée, d'une manière rationnelle avec vous tous, et il ne faut pas déformer le message qui est important et simple, et simple, et je le... Non, non, juste pour le souligner, j'ai cité des décisions internationales de l'ONU sur des questions importantes, je les ai citées et j'ai essayé de vous faire penser peut-être que la loi qui existe n'est pas en conformité avec ces standards internationaux et de vous inviter à changer la loi dans l'esprit de ces décisions. Ce n'est pas une position raciste, une position qui est extrême. C'est une position très rationnelle.

M. Wood (David H.): Je peux ajouter quelque chose à la réponse. C'est que le principe qu'on veut exprimer, c'est que la discrimination, qu'elle soit basée sur la race, la langue ou la religion, c'est le même fléau. Il y a le mot... on aurait pu dire peut-être «racisme» et ses analogues, parce que la langue française ne nous donne pas les adjectifs appropriés en matière de langue ou de religion.

Le Président (M. Garon): Bon. Alors, le temps des ministériels est écoulé. Maintenant, c'est le tour du parti de l'opposition officielle avec, en tête, le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, si vous me le permettez encore une fois, j'aimerais, avant de poser la question à nos invités, faire un commentaire sur une affirmation de Mme la députée de Chambly et exercer, encore une fois, ma fonction pédagogique.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: Vous disiez, Mme la ministre, à propos des revenus de travail des groupes linguistiques, qu'un certain équilibre entre francophones et anglophones avait été atteint. Mme la ministre, plutôt que d'«un certain équilibre», il faudrait dire «un équilibre certain».

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: Faites-moi la faveur, madame, de prendre les «Indicateurs» du Conseil de la langue française, à la page 41, édition 1995, ou 1994. Je vous cite les chiffres pour vous éviter de vous embarrasser de ces choses, n'est-ce pas.

Francophones bilingues, anglophones bilingues, 1985, pour l'ensemble du Québec: l'indice de revenus pour les francophones bilingues est de 106; pour les anglophones bilingues, il est de 97. Pour Montréal métropolitain, les indices sont équivalents, 107 et 107. Dans des articles que j'ai publiés à l'occasion d'une controverse avec une éditorialiste de La Presse , j'ai bien expliqué les raisons techniques de cette équivalence. Pour ce qui est des autres régions, encore là, vous observez que le poids est de 108 pour les bilingues francophones et de 107 pour les bilingues anglophones. Donc, il y a un équilibre certain plutôt qu'un certain équilibre. Je pense que les données du Conseil sont à ce sujet les seules données fiables que nous possédons et je vous les signale.

Mme Beaudoin: Et c'est dû à quoi?

M. Laporte: À quoi, madame?

Mme Beaudoin: Bien, ce relèvement, justement.

M. Laporte: Ah! ce relèvement... À ce moment-là, comme je le disais à M. Castonguay, je pense que discuter de ça, ce serait plus à propos de le faire dans un colloque ou dans un séminaire à l'université.

M. Facal: Que de guerres opposées depuis 20 ans!

M. Laporte: Mais j'ai déjà écrit des choses là-dessus, le Dr Laurin les connaît, et je dois vous dire qu'il y a très certainement une bonne partie de ce rééquilibrage qui est, évidemment, de la responsabilité de la loi 101, de la politique linguistique, nous en convenons.

Mme Beaudoin: C'est exactement ça que je voulais dire.

M. Laporte: M. Henderson, je dois vous dire, contrairement à nos collègues d'en face, que je partage votre indignation relative aux propos que vous citez à la page 8 de votre texte, n'est-ce pas. Dans mes notes préliminaires, j'ai moi-même dénoncé le recours à une expression qui sous-tend un rapport d'endogroupes et d'exogroupes, à nous autres et à eux. Et, comme je l'ai mentionné à Mme la ministre à ce moment-là, je souhaiterais vivement que ces propos soient corrigés, parce que je peux, disons... en me plaçant de votre point de vue, dans votre situation, je comprends que vous soyez indigné.

Par ailleurs, j'ai hésité à le faire durant quelques minutes, mais il me semble que, des qualificatifs que vous utilisez dans la même page, celui de «déplorables» m'apparaît tout à fait juste, celui d'«affirmations fausses» m'apparaît aussi tout à fait juste, mais celui d'«affirmations racistes», je vous avoue que je trouve que c'est peut-être un label excessif.

M. Henderson (Keith): Je vais faire un petit commentaire là-dessus. Imaginez donc si le fédéral publiait une politique linguistique utilisant des phrases comme celles-ci: La langue anglaise au Canada n'est pas un simple instrument d'expression, mais un milieu de vie. Nous vivons en anglais, nous pensons et nous créons en anglais. Notre société, ses institutions sont anglaises depuis des siècles. Comment... Si vous disiez, dans une telle situation, qu'un gouvernement fédéral est raciste pour parler d'une telle manière, moi, je pense que cette critique serait absolument juste, parce que ce n'est pas vrai.

M. Laporte: M. le Président...

M. Henderson (Keith): Et c'est complètement injuste envers les autres dont nous ressentons exactement la même chose.

M. Laporte: Je comprends votre indignation. Ce n'est pas là-dessus que j'ai des réserves. Je me place dans votre...

M. Henderson (Keith): Vous avez dit que le mot «raciste» est extrême.

M. Laporte: Non, non, ce que je dis...

M. Henderson (Keith): Mais je vous dis qu'un francophone...

M. Laporte: Monsieur...

M. Henderson (Keith): ...aurait dit exactement la même chose dans la situation inverse.

(21 h 50)

M. Laporte: Pas moi, monsieur, pas moi. Moi, j'ai...

M. Henderson (Keith): Si j'étais francophone, j'aurais dit ça.

M. Laporte: J'ai dit, à l'occasion de... Je ne voudrais pas engager un débat avec vous là-dessus, mais je pense qu'on peut parler, comme je l'ai dit, d'ethnocentrisme. On peut même parler – et là, à ce moment-là, il s'agit d'une barrière encore plus raide, plus dure – de «linguicentrisme» ou de «lingocentrisme». Mais l'expression «racisme», si on s'en tient, par exemple, aux analyses de cette notion qui ont été faites par Lévi-Strauss dans un exposé très célèbre devant les Nations unies, enfin, on peut diverger d'opinions, n'est-ce pas. Je ne voulais pas... Mais je trouve que... enfin, il me semble qu'il faut se prémunir d'utiliser des labels qui pourraient paraître excessifs. Enfin, c'est mon opinion.

Par ailleurs, je dois vous dire que le mémoire contient, évidemment, des propositions que l'opposition officielle juge intéressantes et, à certains moments donnés, des propositions provocantes, n'est-ce pas, et c'est tout à fait... à cette heure-ci de la soirée et après ces longues délibérations, je pense qu'être provoqué, ça peut être utile.

Il y a tout de même une autre affirmation que vous faites, et là, encore ici, c'est plus qu'une question d'opinion, c'est une question d'expérience. Je dois vous dire que, depuis un mois que mon chef de parti m'a désigné comme critique officiel de l'opposition sur la question de la loi n° 40, j'ai beaucoup voyagé à Montréal. J'ai beaucoup visité des centres d'achats, beaucoup visité des grands espaces commerciaux. Je pense que j'en ai trop visité: ça m'a coûté une fortune de frais de taxis, en passant. Quand vous dites que «nous considérons – et vous parlez ici des définitions plus ou moins opératoires du concept de prédominance – ces définitions irrationnelles et impossibles d'application», je dois m'inscrire en faux là-dessus, parce que, si vous visitez Montréal de ce temps-là, d'est en ouest et du nord au sud, en vous promenant d'un grand établissement, d'un petit établissement à l'autre, vous allez constater – et les données du Conseil le démontrent, les données que nous avons obtenues, par ailleurs, le démontrent – que l'application du principe de prédominance, c'est pas mal étonnant de constater jusqu'à quel point ça marche.

Je suis allé à Fairview, je suis allé à Rockland, je suis allé dans d'autres centres d'achats. Évidemment, je suis allé chez Future Shop, je suis allé chez Club Price, chez Blockbuster Video, je suis allé dans tous ces établissements dont Mme Beaudoin voudrait bien pouvoir traduire les noms – elle pourrait même donner un prix pour que quelqu'un se mette au travail: la nette prédominance du français est, à ma connaissance, très largement répandue et, comme les rapports du Conseil le montrent, dans bien des cas, cette nette prédominance prend la forme d'un unilinguisme français volontaire, aussi fort répandu.

Évidemment, là, vous, c'est une question d'expérience. Peut-être que vous avez visité des... Je ne les ai pas tous visités. Il y en a peut-être que je n'ai pas visité, que vous avez visité. Mais je trouve que, quand vous dites: «Nous considérons ces définitions irrationnelles et impossibles d'application», disons que j'ai quelques doutes là-dessus. D'autant plus, comme vous savez, que j'ai été très actif dans les décisions qui ont été prises à cet effet, donc je les ai prises en sachant, en présumant que ça marcherait, n'est-ce pas. Je me considère comme un acteur assez rationnel; mes collègues d'en face le savent.

Donc, je voudrais vous entendre. Ma question, c'est: Vous vous appuyez sur quelle base factuelle, empirique, observationnelle, pour faire cette affirmation?

M. Henderson (Keith): M. Wood a un mot à dire, mais je veux juste ajouter ce mot, ici. Moi-même, j'ai fait exactement ce voyage subjectif dont vous avez parlé, et je peux constater qu'il y a beaucoup d'exemples d'enseignes ici, au Québec, et surtout à Montréal, où l'anglais et le français sont de même grandeur. Les infractions, selon la loi... mais un petit commerçant, il ne savait pas exactement ce qu'il fallait faire. C'est complètement irrationnel d'essayer d'établir une définition qui demande un ruban à mesurer pour être certain que la prédominance est là. Et il y a des infractions partout à Montréal. Je suis sûr que le gouvernement le sait très bien.

M. Laporte: Non, non, non, M. le Président. Si vous me permettez, M. Henderson, là-dessus, on n'est pas d'accord.

Le Président (M. Garon): Vous devriez faire le voyage ensemble.

M. Laporte: Je pense que c'est...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: C'est ce que j'allais lui proposer.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: Après cette commission parlementaire, puisqu'il va en être question, si vous voulez voyager avec moi, je serais ravi de le faire, d'autant plus que ça nous permettra de prendre encore un café ensemble. Mais, si vous prenez l'exemple de Future Shop, par exemple...

Le Président (M. Garon): Vous pourriez inviter le député de Jeanne-Mance, c'est un spécialiste du taxi.

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: En autant qu'on ne prenne pas le train, on est correct.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: À Future Shop, sur la rue Sainte-Catherine, à côté du cinéma Parisien, vous entrez dans cet immense établissement nouvellement ouvert et vous voyez qu'il y a deux grandes affiches qui sont une en français et une en anglais et qui sont des affiches d'équivalence. Mais, par ailleurs, le reste des centaines d'affiches qu'on retrouve dans le même établissement sont uniquement en français. Donc, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un cas de prédominance.

M. Henderson (Keith): Mais, M. Laporte, si, comme commerçant anglophone, je voulais ériger un panneau-réclame de 16 m², la loi m'impose d'ériger deux autres panneaux en français pour être en conformité avec la prédominance nette. C'est complètement absurde. Ou même peut-être un gros panneau-réclame deux fois plus large que le panneau-réclame en anglais. Je sais très bien que, maintenant, la loi indique clairement que, si j'érige un panneau-réclame à l'extérieur de mon magasin et que je mets de l'anglais là-dessus, je ne suis pas un criminel, mais j'ai brisé la loi. C'est complètement absurde. Mais ces définitions-là mènent à des absurdités, des absurdités. Et M. Wood a un mot à dire.

M. Wood (David H.): J'ajoute juste deux mots, si vous me permettez, sur la règle de deux en français et un en anglais. Imaginez un instant comment le monde rira de nous si, à la porte de chaque toilette publique, il fallait trois enseignes, deux en français et une en anglais.

M. Laporte: Mais, M. le Président, juste un dernier commentaire. D'abord, M. Henderson, si vous voulez, dans une dizaine de jours, on voyagera ensemble à Montréal, vous pourrez certainement m'apprendre des choses que j'ignore. Mais ce que j'aimerais vous rappeler, c'est que, dans la bonne vieille tradition démocratique libérale, on fait toujours confiance à l'intelligence du peuple. Et ce qu'on trouve à Montréal en matière de prédominance, c'est un peuple intelligent. Bien sûr, les absurdités que vous venez de mentionner pourraient se produire, mais l'intelligence du peuple à Montréal, du décideur est telle que, moi, ces absurdités-là – et je vous convie à retourner en voyage avec moi – je n'en ai pas vu.

M. Henderson (Keith): Mais l'absurdité, c'est que, si un commerçant met le français, d'après moi, nettement prédominant, au-dessus de l'anglais, la première chose qu'on voit, c'est le français. Et de mettre la même chose en anglais, même grandeur, dans l'autre position, ça, c'est un acte qui est contre la loi. Ça, c'est une... Oui! Oui! Excusez, c'est contre la loi parce que ça doit être deux fois plus large, et, si c'est la même grandeur, c'est contre la loi qui existe maintenant – une loi adoptée par un gouvernement libéral, il faut le dire.

Donc, j'ai proposé, au nom du Parti Égalité, une autre définition, que je trouve plus rationnelle. Tout simplement dire au commerçant: Le français, c'est le premier, au-dessus de l'anglais, si vous voulez afficher en anglais. Ce n'est pas nécessaire qu'un commerçant à Chicoutimi ou même dans la ville de Québec, où la prédominance des francophones est net... Ce n'est pas nécessaire qu'on ait des affiches en anglais dans la ville de Québec ou à Chicoutimi. Mais, à Montréal, où il y a une minorité assez large d'anglophones, si on voit une enseigne avec le français qui est au-dessus de l'anglais, même grandeur, est-ce que ça nuit à l'identité francophone du Québec? Je ne pense pas.

M. Laporte: M. le Président, peut-être que vous pourriez utiliser votre grande influence dans ce parti pour convaincre la députée de Chambly de m'aider financièrement dans ces voyages que je souhaiterais entreprendre avec M. Henderson à travers la ville de Montréal. Puis-je peut-être espérer que vous pourrez me donner un coup de main là-dessus? M. le Président?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Normalement, vous avez votre allocation de député que vous pouvez utiliser comme vous voulez. Vous avez une allocation de voyage.

Une voix: Vous vous adresserez au Bureau de l'Assemblée.

Le Président (M. Garon): Vous demanderez un montant spécial au Bureau de l'Assemblée.

M. Laporte: Ah bon! D'accord.

Le Président (M. Garon): Et votre collègue de Jeanne-Mance est un spécialiste du Bureau de l'Assemblée.

Mme Beaudoin: Aussi.

Des voix: Ha, ha, ha!

(22 heures)

M. Laporte: Je suis nouveau là-dedans, alors je m'excuse.

Le Président (M. Garon): Alors, comme nous sommes arrivés à 22 heures et à la fin des délibérations... Tout en vous disant que, ceux qui aimeraient continuer, il y a beaucoup de terrasses libres ce soir parce qu'il fait plus frais, ce sera plus difficile de chauffer le débat...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Mais je vous remercie d'être venus nous rencontrer, le Parti Égalité, et d'avoir apporté votre contribution à cette consultation.

J'ajourne les travaux au mardi 3 septembre 1996, à 10 heures du matin, et vous êtes convoqués sans autre préavis.

(Fin de la séance à 22 h 1)


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