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(Dix heures neuf minutes)
Le Président (M. French): La commission permanente de la
culture entreprend une deuxième journée de consultation
générale en vue de remplir le mandat qu'elle s'est donné:
l'étude de l'impact des tendances démographiques actuelles sur
l'avenir du Québec comme société distincte.
M. Champagne (Mille-Iles), présent; M. Doyon
(Louis-Hébert), présent; M. French (Westmount), présent;
M. Hains (Saint-Henri), présent et M. Payne (Vachon) présent.
A-t-on distribué l'ordre du jour, Mme la secrétaire?
La Secrétaire: Oui.
Le Président (M. French): L'ordre du jour se lit comme
suit - je vous le lirai lorsque j'en aurai un - d'abord, la
Société nationale des Québécois de l'Outaouais;
deuxièmement, M. Jacques Henripin; à 15 heures, Alliance
Québec, suivie de M. Gary Caldwell. Y a-t-il des commentaires ou des
questions sur l'ordre du jour? Non. C'est adopté. Merci. Je voudrais
demander à M. Charles Castonguay, de la Société nationale
des Québécois de l'Outaouais, de prendre place, s'il vous
plaît:
M. Castonguay, je pense que ce n'est pas la première fois que
vous venez nous voir. Je pense que vous connaissez très bien la
procédure.
Société nationale des
Québécois de l'Outaouais
M. Castonguay (Charles): Je regrette, M. le Président,
mais c'est la première fois que je viens à une commission
parlementaire.
Le Président (M. French): Ah bon! Vous m'étonnez.
Nous allons tout simplement vous inviter à faire quelques commentaires.
Votre mémoire est relativement court: si vous voulez passer à
travers avec nous, cela nous aidera à nous rafraîchir la
mémoire. Après quoi, nous vous poserons les questions qui nous
semblent pertinentes. Évidemment, vous pouvez ajouter tous les
commentaires que vous voulez.
M. Castonguay: Merci, M. le Président. Effectivement, le
mémoire est court. Je crois qu'on pourrait peut-être le parcourir
ensemble assez rapidement, assez efficacement. À la
Société nationale des Québécois de l'Outaouais,
nous avons étudié attentivement le document de travail
intitulé "L'évolution de la population du Québec et ses
conséquences". Nous l'avons trouvé excellent sous plusieurs
aspects. Nous y avons trouvé cependant deux lacunes qui nous
préoccupent particulièrement. D'une part, il n'offre aucune
évaluation sérieuse de l'impact de la scolarisation en
français sur les transferts linguistiques futurs, plus
particulièrement dans un contexte où le français ne
progresserait guère comme langue de travail et où l'anglais
avancerait sur d'autres plans, comme c'est le cas dans l'Outaouais. D'autre
part, le document ne considère aucunement l'impact culturel des
tendances démographiques particulières à prévoir
pour notre région. Nous invitons, par conséquent, la commission
à se pencher sur notre mémoire.
Établissons, d'abord, un minimum d'éléments de
l'histoire récente. Dans son évaluation de la situation des
francophones dans la région de la capitale fédérale, la
commission Laurendeau-Dunton n'a relevé chez les francophones de
l'Outaouais que des problèmes de nature économique. Le
gouvernement fédéral, par la suite, a décidé de
remédier à cette situation en localisant à Hull une
fraction importante de ses ministères et services, sans égard,
cependant, à leur composition linguistique et sans étude d'impact
d'une telle politique sur la vie culturelle de Hull et de l'Outaouais. Qu'il y
ait eu impact ne fait aucun doute. Dès 1974, le conseil municipal de
Hull pria le gouvernement fédéral de changer de politique et
d'affecter à Hull dans l'avenir seulement les départements et
ministères comptant la proportion la plus élevée de
fonctionnaires francophones. Pour vérifier ces dires - je crois que M.
Gilles Rocheleau, maintenant député à l'Assemblée
nationale, était maire de Hull à cette époque - vous
pouvez relire le Droit du 19 juin 1974. Déjà à cette date,
on constatait sur la rue principale de Hull que l'anglais était devenu
la langue véhiculaire. Le conseil municipal a réagi en
s'adressant à Keith Spicer, entre autres, et au gouvernement
fédéral.
Dès le recensement de 1976, les démographes ont
constaté le début d'un nouveau mouvement migratoire d'Anglo-
Ontariens qui élisaient domicile dans la région de Hull.
Nous renvoyons à un document des démographes Réjean
Lachapelle et Jacques Henripin, publié en 1980, où, dans un
tableau, vous avez les détails de l'évolution du bilan migratoire
interprovincial pour l'Outaouais pendant la période de 1966 à
1971 - c'est-à-dire avant la venue des édifices
fédéraux et du remaniement du centre-ville de Hull - et pour la
période de 1971 à 1976.
L'impact sociolinguistique de ces déplacements de lieu de travail
et de lieu de résidence s'imagine facilement. Le document de travail de
la commission - je parle de la présente commission - avance avec raison
"qu'une migration nette positive de grande envergure risquerait de poser des
problèmes d'ordre culturel" à l'ensemble du Québec. Et,
comment donc, pour la conurbation de Hull, déjà en proie à
l'anglicisation par transferts linguistiques au recensement de 1971 et qui a vu
sa population augmenter de 18% en cinq ans, soit un taux de croissance record
pour l'ensemble des conurbations canadiennes majeures pendant la période
1971-1976, plus fort qu'Edmonton et plus fort que Calgary pendant les plus
belles années du "boom" pétrolier! Il y a eu un impact migratoire
majeur pendant la période 1971-1976.
Le gouvernement du Québec a réagi à cette situation
en intégrant à la loi 101 la "clause Québec", qui
obligeait les futurs migrants interprovinciaux au Québec à
inscrire éventuellement leurs enfants à l'école
française. On constata au recensement de 1981 la remontée de la
fraction francophone de la population de la région de Hull à son
niveau d'avant Ies années soixante-dix. Ce rééquilibrage
linguistique du côté québécois n'empêcha pas,
néanmoins, la poursuite de la diminution de la proportion de
francophones dans l'ensemble de la grande région Ottawa-Hull, qui a
baissé régulièrement de 38, 3% en 1961 à 35, 4% en
1981. Là, je parle de l'ensemble de la région qui chevauche la
rivière des Outaouais, qui chevauche la frontière
interprovinciale.
La poursuite de l'anglicisation par la voie de l'assimilation
linguistique dans la région de la capitale canadienne a ainsi plus que
compensé l'embauche en surproportion de francophones à la
fonction publique fédérale pratiquée à la suite du
rapport Laurendeau-Dunton. De fait, en regard des données sur
l'assimilation recueillies au recensement de 1971, les informations sur la
langue d'usage obtenues au recensement de 1981 montrent que l'anglicisation des
francophones dans la région d'Ottawa a atteint un nouveau sommet, soit
un taux d'anglicisation de 25% des jeunes adultes de langue maternelle
française de la capitale canadienne. Je parle de la composante
ontarienne, de la région d'Ottawa, de la région
métropolitaine d'Ottawa. La "clause Québec" semble avoir
contribué à empêcher, pendant cette même
période, l'exportation d'une croissance de l'anglicisation du
côté de Hull. Voilà pour l'histoire récente, du
moins telle que les recensements nous la donnent à voir.
Relevons maintenant quelques facteurs susceptibles d'influer sur
l'évolution future de la population de l'Outaouais et dont certains sont
survenus depuis le recensement de 1981. Premièrement, la nouvelle
constitution canadienne et la Cour suprême du Canada ont depuis aboli la
"clause Québec" pour la remplacer par une "clause Canada" fort
élargie. La quasi-totalité des nouveaux arrivants non
francophones dans l'Outaouais jouiront désormais du libre choix de la
langue d'instruction pour leurs enfants éventuels. La très grande
majorité des migrants non francophones dans l'Outaouais proviennent
effectivement du Canada anglais et non pas d'une migration internationale.
La nouvelle constitution créera même rapidement une
distinction entre francophones: les migrants franco-ontariens dans l'Outaouais
jouiront aussi du libre choix, pour autant que les parents ont
étudié en anglais en Ontario ou que leurs enfants
étudiaient déjà en anglais avant leur
déménagement au Québec. Même parmi la
communauté francophone de l'Outaouais, plusieurs des nouveaux arrivants
sont des Franco-Ontariens dont une partie a étudié en anglais ou
a des enfants inscrits dans des écoles de langue anglaise en Ontario.
Eux auront le droit maintenant, le libre choix à l'école anglaise
ou à l'école française du côté du
Québec alors que les francophones du Québec, nés dans
l'Outaouais ou venus dans l'Outaouais d'autres parties de la province et qui ne
sont pas des migrants internationaux, n'ont pas ce droit. Le consensus social
autour du concept de scolarisation en français comme règle
générale au moins pour les francophones s'en trouvera
graduellement affaibli dans notre région.
Deuxièmement, le gouvernement fédéral a
récemment réitéré sa politique
d'indifférence quant à la proportion de francophones qui seront
affectés aux futurs édifices fédéraux qui seront
construits du côté du Québec. Je renvoie à une
recherche de la journaliste Patricia Poirier, parue dans le Droit en novembre
1983, il y a un an approximativement, où elle a poussé l'exemple
dont nous parlons dans le texte présentement. Par exemple, la rumeur
voulait et veut encore aujourd'hui que le gouvernement fédéral
compte affecter à son nouvel édifice Louis-Saint-Laurent,
présentement en voie d'achèvement à Hull, un fort
contingent du ministère de la Défense nationale qui - je cite le
journal Le Droit - "est loin d'être le ministère où l'on
retrouve le plus grand nombre de francophones ou même d'anglophones
sympathiques à la cause du
français".
Troisièmement, les récents rapports annuels du Commissaire
fédéral aux langues officielles répètent
régulièrement le même constat d'échec: le
français comme langue de travail ne progresse guère, voire plus
du tout, chez les fonctionnaires fédéraux travaillant dans la
région Ottawa-Hull. On constate effectivement, comme nous l'avons
souligné ci-dessus, une progression du taux d'anglicisation des jeunes
adultes francophones à Ottawa de 22% en 1971 à 25% dix ans plus
tard, malgré tous les efforts déployés par le gouvernement
fédéral, la province de l'Ontario et la ville d'Ottawa pour
promouvoir le français dans la capitale du Canada. La politique
fédérale des langues officielles a échoué dans sa
capitale même, si son objectif était de freiner, sinon de stopper,
l'assimilation des francophones. En plus, elle est présentement à
bout de souffle et ne contient plus aucune nouvelle disposition susceptible de
porter un fruit moins amer.
La situation dans la capitale canadienne illustre bien comment la
scolarisation en français, soit dit en passant, si elle n'est pas
appuyée par la francisation efficace de la langue de travail,
n'entraîne pas nécessairement une amélioration de la
position du français dans le domaine des comportements linguistiques au
foyer. Là, je souligne que, depuis de nombreuses années
maintenant, tout francophone qui réside du côté ontarien,
dans la région d'Ottawa, a à sa disposition l'instruction
française à l'école primaire. L'école secondaire
française est aussi à sa disposition, de même que
l'Université d'Ottawa et le collège Algonquin pour les
études postsecondaires. Donc, les francophones ont l'occasion de se
scolariser à peu près parfaitement bien en français, sauf
ceux qui choisissent d'aller en médecine ou dans certains
départements comme les sciences. Là, malheureusement,
l'Université d'Ottawa laisse à désirer pour ce qui est du
bilinguisme.
En plus de cela, des milliers d'enfants anglophones dans la ville
d'Ottawa suivent des cours en français, des cours d'immersion. Je crois
que nulle part ailleurs au pays on ne trouve une plus forte proportion
d'enfants issus de familles anglophones qui se scolarisent en français.
Malgré cette disponibilité et cette pratique de la scolarisation
en français, on constate selon les données du recensement de
1981, une augmentation du taux d'anglicisation des jeunes adultes de langue
maternelle française dans la capitale du pays. C'est un peu un
laboratoire linguistique dont le Québec pourrait tirer profit quant
à sonder l'efficacité possible ou plausible de tel ou tel
élément, par exemple, de la loi 101 au de toute future politique
linguistique.
Nous avons trouvé, je le souligne de nouveau, le document de
travail de votre commission extrêmement éphémère,
extrêmement léger sur ce point: cela se résumait à
dire à trois ou quatre reprises que la situation devrait
s'améliorer pour le français puisque la quasi-totalité des
nouveaux arrivants devront s'instruire, devront envoyer leurs enfants à
l'école française à l'avenir. C'est une pure
hypothèse qui n'est fondée sur aucune analyse dans le document de
travail. Or, il y a dans la région d'Ottawa, depuis l'adoption de la Loi
sur Ies langues officielles, depuis maintenant quinze ans, un laboratoire
linguistique assez intéressant dont on oeut tirer certaines
leçons. Il y a scolarisation en français en abondance dans la
capitale du Canada, mais il y a, malheureusement, augmentation de
l'anglicisation des francophones.
En clair, si le nombre de francophones en poste à Ottawa a
augmenté grâce à la politique d'embauche de la fonction
publique canadienne poursuivie depuis la commission BB, alors que le taux
d'assimilation des francophones à Ottawa a augmenté, comment ne
pas conclure que l'univers sociolinguistique grandement déterminé
par le gouvernement fédéral à Ottawa ne constitue pas en
1981 une meilleure usine d'assimilation des francophones que ce n'était
le cas en 1971? Il y a plus de francophones à Ottawa, l'anglicisation
est plus forte. Rien n'a été réglé; au contraire,
le nombre de francophones qui sont en voie d'assimilation est plus fort
qu'auparavant. Ce n'est pas une réussite.
Quatrièmement, la construction domiciliaire dans la région
de Hull et l'arrivée de nouveaux résidents provenant du Canada
anglais ont repris tout récemment de plus belle. Au mois d'août de
l'an dernier, la ville de Hull venait au cinquième rang des
municipalités canadiennes quant à la valeur totale des permis de
bâtir. D'ailleurs, la ville de Hull fait actuellement campagne
spécifiquement auprès des fonctionnaires (majoritairement
anglophones) qui travaillent dans les édifices fédéraux
situés sur son territoire en les incitant à: "venir habiter
à Hull où ils résideront beaucoup plus près de leur
lieu de travail et où ils pourront acquérir une
propriété neuve à un bien meilleur coût qu'ailleurs.
" J'ai la coupure avec moi, si ça vous intéresse de la
consulter.
Ces avantages sont effectivement bien réels. La ville de Hull
pourrait ajouter que les fonctionnaires anglophones qui choisiraient de changer
de province de résidence pourraient continuer à travailler en
anglais à Hull, commercer en anglais à Hull, scolariser leurs
enfants en anglais à Hull, recevoir leurs services municipaux en anglais
à Hull et, somme toute, continuer à vivre à Hull comme
s'ils étaient en Ontario.
Cinquièmement, on parle de la baisse dans la proportion de
francophones au Canada dans son ensemble, voire de la baisse dans leur nombre
absolu qui proviendra de la stagnation de la population francophone du
Québec et de la baisse déjà amorcée de la
population francophone hors Québec. Nous faisons allusion encore au
document de travail de la présente commission qui prévoyait pour
l'an 2000 ou un peu plus tard, la stagnation des effectifs de l'ensemble du
Québec. On n'y faisait pas de prévisions, bien sûr,pour ce qui est des communautés francophones hors Québec,
mais avec les taux d'assimilation qui y sévissent, on peut certainement
s'attendre que l'évolution qui s'était amorcée au dernier
recensement, un début de baisse dans le nombre absolu des francophones
hors Québec, s'accentue dans les recensements futurs.
Si le Québec ne progresse plus sur le plan du nombre, la
francophonie dans son ensemble au Canada est appelée à diminuer
non seulement en proportion, mais même en nombre absolu. C'est quelque
chose qu'il faut avoir bien clairement à l'esprit, je crois, même
quand on s'interroge sur la situation du Québec. Comme le Québec
est le moteur de la francophonie canadienne, il devrait s'intéresser
à l'ensemble de la situation démographique des francophones au
Canada, en plus de s'intéresser à ce qui se passe à
l'intérieur de ses frontières. Nous sommes peut-être plus
sensibles à cela dans l'Outaouais, parce que nous sommes
précisément sur la frontière avec ce qu'on pourrait
appeler le Canada anglais.
Je reprends: La baisse dans leur nombre absolu qui proviendra de la
stagnation de la population du Québec et de la baisse déjà
amorcée de la population francophone hors Québec en raison de
leur assimilation qui s'accélère entraînera la fin de
l'embauche en surproportion de francophones parmi les nouveaux fonctionnaires
fédéraux à Ottawa, voire la régression de la
proportion de francophones à la fonction publique canadienne à
mesure que d'autres minorités revendiqueront leur part du gâteau.
Leur sous-représentation à Ottawa est désormais
comblée et cette guerre des chiffres, qui a servi temporairement
à renforcer la population francophone dans la région Ottawa-Hull,
ne jouera plus et pourra même se tourner contre elle dans l'avenir.
Voyons maintenant les conséquences prévisibles de ces
facteurs pour l'avenir. D'une part, retenons qu'aussi longtemps que le
français n'aura pas pris toute sa place comme langue de travail, son
utilisation comme langue de scolarisation dans notre région et
vraisemblablement dans d'autres contextes comparables ne pourra assurer une
évolution significative des transferts linguistiques en sa faveur,
c'est-à-dire, plus exactement, moins en sa défaveur. D'autre
part, la disparition de la "clause Québec" devrait entraîner, du
point de vue des considérations fondamentales purement
économiques, une augmentation très importante de la part de la
population de la grande conurbation Ottawa-Hull qui habite du côté
du Québec en regard de celle qui réside du côté
ontarien.
Je ne sais pas s'il y a un morceau de craie. Voici la rivière des
Outaouais. Voici approximativement le développement domiciliaire.
Le Président (M. French): Voulez-vous approcher le micro,
qui est sur la table, très près de vous? Si vous pouviez
l'approcher aussi près que possible, on va essayer de s'assurer que vos
paroles soient bien enregistrées. (10 h 30)
M. Castonguay: Si on représente par ce schéma la
rivière des Outaouais, le développement domiciliaire relatif du
côté du Québec, vous regardez sur n'importe quelle carte de
la région de la capitale fédérale et vous constatez d'un
seul coup d'oeil que la population du côté d'Ottawa est trois fois
plus nombreuse que du côté de Hull. Cela tombe sous le sens que
les futures constructions domiciliaires, en fonction des questions de transport
en commun et d'accessibilité au lieu de travail, etc., normalement,
devraient venir équilibrer cette situation davantage qu'elle ne l'est
maintenant.
La situation est héritée de l'histoire. La ville de Hull
était, comme la ville de Saint-Jean au sud de Montréal ou,
encore, la ville de Trois-Rivières, essentiellement une ville
industrielle, manufacturière. Son moteur économique principal
était la fonction publique fédérale. Or, cette situation a
changé du tout au tout. Comme le savent ceux d'entre vous qui sont venus
dans l'Outaouais voir les transformations du centre urbain de la ville de Hull,
il y a des forces économiques très naturelles qui cherchent
à s'exprimer. Sans un genre de frein ou un genre de filtre, comme une
"clause Québec" ou une mesure semblable, comment éviter
l'équilibrage de la population? Bien sûr, ceux qui vont venir, les
nouveaux arrivants, ne seront pas tous des francophones.
Cette baisse, qu'on peut très facilement prévoir, du poids
relatif des francophones du côté du Québec s'il n'y a pas
de contrôle entraînera une augmentation du léger taux
d'anglicisation qui y sévit déjà. À leur tour, les
pertes dues à l'anglicisation contribueront à baisser davantage
la proportion des francophones et à accroître du même coup
la pression anglicisante. Et voilà engagé le cercle vicieux dans
lequel se trouvent les populations francophones hors Québec. Plus elles
s'assimilent, plus il y a de l'assimilation, parce que plus grande est la
proportion d'anglophones et plus forte est la pression de l'anglais sur
les francophones qui y demeurent encore, ce qui conduit à leur
désintégration ultime.
Comme le document de travail l'a montré si magistralement,
d'ailleurs, il ne faut plus compter sur la surnatalité pour regarnir,
comme par le passé, les rangs décimés par l'assimilation.
Mais pour la francophonie de l'Outaouais et, en même temps, pour celle de
la région de la capitale canadienne, il y a une autre perspective
possible pour l'avenir, une autre voie de solution tout à fait
réalisable pour autant qu'existe la volonté politique
nécessaire. Que le gouvernement du Québec propose au gouvernement
du Canada de réviser sa Loi sur les langues officielles en se donnant,
parmi ses objectifs premiers, celui de mettre fin à l'assimilation
linguistique des francophones dans la région de la capitale
fédérale. Que le gouvernement du Québec invite le
gouvernement fédéral à reconnaître, devant l'exemple
de l'évolution de la situation linguistique dans sa propre capitale, que
la scolarisation en français ne saura arrêter l'assimilation si
elle ne peut s'appuyer sur la garantie de pouvoir travailler en
français, ainsi que le reconnaissait implicitement la commission
Laurendeau-Dunton. Que le gouvernement du Québec invite le gouvernement
du Canada à reconnaître également que, tout comme la
francophonie canadienne doit prendre sa force d'abord et avant tout de la
francophonie québécoise, de même la francophonie de la
région de la capitale canadienne doit s'appuyer d'abord et avant tout
sur la francophonie de sa composante québécoise. Que, par
conséquent, le gouvernement du Québec propose au gouvernement du
Canada de s'engager à redistribuer ses ministères dans la
région de sa capitale de façon à concentrer sur le
territoire de sa composante québécoise le maximum de
fonctionnaires francophones et, dans les meilleurs délais, à
faire du français la langue de travail dans tous les édifices
fédéraux du côté de Hull.
Finalement, en attendant que ces engagements soient remplis à la
satisfaction du gouvernement du Québec, que le gouvernement du Canada
reconsidère les dispositions de la constitution canadienne concernant
l'accès à la scolarisation en anglais dans la composante
québécoise de la région de la capitale
fédérale et qu'il rende au Québec son entière
juridiction en cette matière, jusqu'à ce que l'Assemblée
nationale du Québec en décide autrement.
Si l'ensemble de nos recommandations s'adressent ultimement, par
l'intermédiaire du gouvernement du Québec, à celui du
Canada, c'est qu'en somme c'est le gouvernement du Canada qui a plongé
la francophonie de l'Outaouais dans la crise actuelle, dans l'impasse actuelle.
C'est donc maintenant au gouvernement du Canada de faire preuve de bonne
volonté en réparant ses dégâts.
Je termine en mentionnant deux nouvelles très récentes, M.
le Président, qui sont parues dans les journaux; la première dans
la Presse du vendredi 1er février. Il s'agit d'une interview avec M.
D'Iberville Fortier, le nouveau Commissaire aux langues officielles. "Le
Commissaire aux langues officielles ne croit pas, par ailleurs, qu'il soit
nécessaire d'imposer des quotas pour améliorer la
représentation des francophones dans la fonction publique
fédérale. L'évolution des dernières années
est satisfaisante - ce qui confirme ce que nous disions dans notre
mémoire - selon lui, même s'il reste beaucoup à faire",
probablement au niveau de la promotion des francophones à des postes
plus élevés de la fonction publique et non pas seulement à
des postes subalternes. "Il estime que les progrès futurs en ce domaine,
comme au chapitre de la langue de travail, exigeront un message clair du
nouveau gouvernement Mulroney. Il entend, d'ailleurs, faire des recommandations
générales en ce domaine dans son prochain rapport annuel. Il
précise qu'il ne faut pas s'attendre à des propositions
draconiennes. " "Je ne pense pas - là, on cite M. Fortier - que les
Canadiens souhaitent la révolution en ce domaine. " Ce sont des
nouvelles pour les fonctionnaires francophones québécois qui
travaillent à Ottawa! Ce sont des nouvelles! On ne pense pas que les
Canadiens souhaitent la révolution dans ce domaine, sûrement pas
les Canadiens anglais qui ont opposé une résistance passive assez
efficace merci, dans les dernières années à Ottawa. "Il ne
s'agit pas ici de secouer le pommier de façon exagérée. Ce
n'est pas notre intention de crier au feu s'il n'y a pas de feu. " Mesdames et
messieurs, il n'y a pas de feu! 25% d'assimilation dans la capitale du Canada
et il n'y a pas de feu, selon le commissaire! "Notre intention est de partir
avec ce qui existe - 25% d'assimilation - de le maintenir et de voir comment on
peut l'améliorer. " On voit qu'il manque une volonté politique de
la part du Commissaire aux langues officielles et alors comment donc, de la
part d'un gouvernement fédéral, de changer les choses de
façon à rétablir un minimum de justice linguistique dans
la région de la capitale, tant du côté d'Ottawa que du
côté du Québec. Car actuellement, les agissements du
gouvernement fédéral en cette matière ressemblent en tout
et pour tout à une politique d'homogénéisation de
l'ensemble de la population des deux côtés de la rivière
avec, comme conséquence prévisible, une exportation de
l'assimilation que connaissent les francophones qui résident à
Ottawa du côté du Québec.
C'est assez sidérant d'entendre de tels propos de la part d'un
nouveau commissaire
qui devrait, quand même, en début de mandat, être
tout feu tout flamme pour essayer de faire un peu mieux que ses
prédécesseurs. Les commissaires sortants, MM. Spicer et Yalden
terminaient toujours leur rapport annuel en disant: Le français, langue
de travail, n'a guère progressé à la fonction publique
fédérale cette année. C'est un leitmotiv qui revenait
régulièrement à chaque rapport annuel.
Ce matin, en prenant l'avion, j'ai lu dans le Droit du 6 février,
è la page 2, une manchette: "Des documents n'ont pas été
traduits en français. Des fonctionnaires du ministère des Travaux
publics ont déposé hier au Comité permanent des comptes
publics des Communes une série de documents rédigés
uniquement en anglais, ce qui est non seulement contraire aux
règlements, mais aussi à la Loi sur les langues officielles. " Je
ne vous lirai pas le reste. Voilà quinze ans que nous avons la Loi sur
les langues officielles. Quand on se fie sur les recensements pour essayer d'en
évaluer les fruits, comme nous l'avons dit dans notre mémoire,
les fruits sont bien amers en ce qui concerne l'anglicisation des francophones
dans la capitale du Canada.
Nous envisageons des problèmes avec toute la certitude que peut
apporter l'analyse démoiinguistique des facteurs prévisibles que
seront vraisemblablement dans l'avenir l'augmentation des migrants qui vont
venir élire domicile du côté de Hull, la
libéralisation par la nouvelle constitution canadienne du choix de la
langue d'instruction des enfants et toute l'évolution, finalement, de la
situation avec un Commissaire aux langues officielles qui ne se tient pas
debout pour le fait français, pour le français langue de
travail.
Dans l'ensemble du Québec, les scientifiques et les
décideurs ont perçu les mêmes problèmes, il y a dix
ou quinze ans, avec la commission Gendron. Ils prévoyaient une
dégradation de la position du français si les choses continuaient
comme elles allaient vers la fin des années soixante. Ils ont choisi
deux mesures pour influer sur ces choses: d'une part, obtenir une plus grande
participation dans la sélection des immigrants qui viendraient de
l'extérieur du Canada élire domicile au Québec, ce que le
gouvernement Bourassa, si je ne m'abuse, a bien réussi à obtenir
du gouvernement fédéral à l'époque d'autre part,
ils ont aussi cherché à franciser la langue de travail - tant le
gouvernement Bourassa que le gouvernement Lévesque - de façon
à influer sur les transferts linguistiques. Il y a encore du chemin
à faire dans l'amélioration de la position du français
langue de travail au Québec même.
Pensons maintenant à la situation de la région de
l'Outaouais où nous sommes. Nous sommes - si on peut parler au nom des
francophones - menacés par une immigration qui n'est plus
internationale, mais interprovinciale, qui sera à forte proportion
anglophone, ce qui va augmenter la pression de l'anglais sur les francophones
résidant du côté du Québec, qui sont relativement
à l'abri, aujourd'hui encore, de ce que connaissent les francophones
dans la région d'Ottawa. Il faudrait donc, pour influer sur l'avenir
prévisible, obtenir un meilleur contrôle sur les allées et
venues, tout comme le Québec a cherché à le faire au
niveau national dans les années soixante-dix vis-à-vis du
gouvernement fédéral.
La langue de travail dans les édifices fédéraux, eh
bien, le Québec n'a pas d'emprise directe là-dessus. La loi 101
n'en a pas. Le Québec ne peut commander à la reine. Nous sommes,
à toutes fins utiles, dans la même situation que l'ensemble du
Québec l'était, il y a une quinzaine d'années. Et je pense
que les mêmes mesures qu'ont adoptées les gouvernements du
passé seraient susceptibles d'améliorer les perspectives d'avenir
pour le fait français dans la capitale du Canada, dans l'ensemble de la
région de la capitale fédérale, Ottawa et Hull. Il
faudrait obtenir du gouvernement fédéral qu'il reconnaisse aux
francophones le droit absolu de travailler en français, pas seulement de
scolariser leurs enfants, mais de travailler en français, ou obtenir une
reconnaissance territoriale de la différence que constitue la
société québécoise dans l'ensemble canadien.
Semble-t-il que, dans les négociations à venir, on va
beaucoup appuyer sur la spécificité du Québec. Est-ce que
cette spécificité ne devrait pas être
reflétée dans la région de la capitale du pays et apporter
un deuxième élément de solution en obtenant que le
fédéral accepte de faire du français la langue courante du
travail du côté du Québec, là où il y a des
fonctionnaires qui travaillent actuellement en anglais? Il y aurait des
anglophones qui travailleraient en français du côté de
Hull. II y a beaucoup de francophones qui travaillent en anglais du
côté d'Ottawa. Il y a des anglophones qui même
éliraient domicile du côté de Hull.
La "clause Québec" n'était pas un mur de Berlin. Tout
anglophone qui acceptait, qui voulait faire instruire ses enfants en
français était le bienvenu dans l'Outaouais avec la "clause
Québec. " Ce n'était pas un frein absolu, c'était un
contrôle. Et il y a des anglophones comme cela: si je ne m'abuse, il y a
à peu près le quart des enfants anglophones dans la région
d'Ottawa, du côté de l'Ontario, qui fréquentent des cours
d'immersion en français. Il ne manque pas de nouvelles populations qui
seraient intéressées à venir dans l'Outaouais
québécois travailler en français, scolariser leurs enfants
en français. (10 h 45)
La dynamique linguistique ou socio-
linguistique dans la région de la capitale du Canada est
différente de ce qu'on connaît à Montréal, à
Québec ou ailleurs dans la province. Quand même, le gouvernement
fédéral valorise beaucoup le bilinguisme et une compétence
réelle de pouvoir travailler en français et en anglais. Les
parents anglophones comme les parents francophones en sont convaincus depuis
bien longtemps déjà et cherchent à faire en sorte que
leurs enfants soient bien scolarisés dans les deux langues. Alors, une
mesure qui concentrerait les fonctionnaires francophones, dans la mesure de ce
qui est raisonnable selon le jugement de l'Assemblée nationale, sur la
rive québécoise, qui ferait du français la langue de
travail sur la rive québécoise, chez les employés de la
reine, serait susceptible de créer dans la région de la capitale
Ottawa-Hull un élément dynamique francophone qui aurait un avenir
assuré, alors qu'à l'heure actuelle et de la façon dont
vont les choses, cet avenir ne l'est pas.
Je termine là-dessus et je m'excuse d'avoir été un
peu long. Je m'ouvre à vos questions. Je m'excuse d'être seul,
mais la Société nationale des Québécois de
l'Outaouais n'a pas les fonds d'autres associations. Et me voilà,
exemplaire unique.
Le Président (M. French): Merci, M. Castonguay. M. le
député de Vachon m'a signalé à plusieurs reprises
son intention d'intervenir.
M. Payne: Merci, M. Castonguay. Mes remerciements à la
Société nationale des Québécois de l'Outaouais. On
connaît vos préoccupations depuis plusieurs années.
J'aimerais seulement poser quelques questions, quitte à revenir un peu
plus tard après l'intervention des membres de l'autre
côté.
Est-ce qu'il y a, à votre connaissance, des statistiques qui nous
font part du taux d'attraction de la région de Hull, donc de la ville
métropolitaine, par rapport à l'ensemble du Québec, en ce
qui concerne, d'abord, l'immigration internationale et, deuxièmement,
l'immigration interprovinciale? J'ai déjà ma réponse, et
c'est non. Nous n'avons pas ce genre d'information qui, à mon avis, est
assez capitale. Peut-être que vous pourriez nous en faire le
portrait.
M. Castonguay: Effectivement, M. le député, en ce
qui concerne l'immigration internationale, une fois les immigrants
arrivés au Québec, où vont-ils? Très souvent
ailleurs qu'à Montréal ou, même, ils s'en vont au Canada
anglais. L'analyse, le genre de suivi du cheminement d'un immigrant provenant
de l'étranger, de l'extérieur du Canada, est à faire par
les démographes. On sent que le Québec est en quelque sorte une
plaque tournante. Il y en a beaucoup qui arrivent, mais il y en a beaucoup qui
repartent. Enfin, à vrai dire, je crois que, lorqu'ils partent pour les
États-Unis, là, on les perd pour de bon et c'est même
très difficile de saisir l'émigration internationale.
D'accord?
M. Payne: Oui.
M. Castonguay: Pour ce qui est des immigrants internationaux, le
travail, à ma connaissance, est non existant également, surtout
au niveau d'une région comme l'Outaouais. Cela n'a pas été
fait par petite région comme cela. Mais ne prenez pas ma réponse
comme étant le fin du fin. C'est possible que d'autres personnes
puissent mieux vous renseigner que moi.
M. Payne: J'ai déjà mes idées qui vont,
justement, dans le sens que nous n'avons pas ce genre d'information. Nous avons
une information, bien sûr, sur les départs, sur les sorties. Nous
avons bien des données sur l'émigration internationale et sur la
migration interprovinciale. Ce qu'il serait intéressant d'avoir - je ne
pense pas que ce soit une information que nous ayons - c'est le taux
d'attraction région par région, chez ceux qui restent.
M. Castonguay: Oui. À votre deuxième question sur
la migration interprovinciale, là, je peux dire qu'on est assez
renseigné quand même. Dans le livre de Jacques Henripin et de
Réjean Lachapelle, que nous avons utilisé dans notre
mémoire d'ailleurs, vous trouvez à la page 231 - et je vous en
laisserai quelques exemplaires, des photocopies de la page 231 - un tableau sur
les échanges migratoires interprovinciaux entre la région de
l'Outaouais et l'est de l'Ontario, c'est-à-dire la région
immédiate d'Ottawa, Cornwall, soit le sud-est de l'Ontario, avec les
autres régions de l'Ontario, avec les provinces de l'Atlantique...
M. Payne: Pourriez-vous répéter cela? Je n'ai pas
tout à fait saisi. Ce sont les taux?
M. Castonguay: II n'y a pas de taux. Il y a des chiffres
absolus.
M. Payne: D'accord.
M. Castonguay: À vous de calculer les pourcentages. C'est
mieux, infiniment mieux d'avoir les chiffres que d'avoir des taux, parce qu'on
peut toujours créer des taux; mais, si on ne vous présente que
des taux, vous ne savez pas quels chiffres se trouvent en dessous de ces taux,
n'est-ce pas?
M. Payne: Oui, mais quels chiffres?
M. Castonguay: II y a même, dans ce tableau, des chiffres
qui font état des échanges de l'Outaouais avec d'autres
régions du Québec. En 1971-1976, la période où la
"clause Québec" n'existait pas, où la vague migratoire nouvelle
s'est accusée et où la région de Hull a connu un taux de
croissance de 18%, au premier rang de toutes les régions
métropolitaines pour l'ensemble du Canada pour cette période, en
tout, l'Outaouais a attiré, des autres régions du Québec,
5000 nouveaux résidents net. Il y a évidemment des gens de Hull
qui sont allés prendre des emplois à Montréal ou à
Québec, mais le résultat net des allées et venues est de
5000 en faveur de l'Outaouais dans ses échanges avec le reste du
Québec et de 4300 avec le sud-est de l'Ontario. Donc, dans le triangle,
si vous voulez, Hawkesbury, Cornwall, Ottawa: 4300 net.
II y a eu, bien sûr, des Québécois qui sont
allés à Ottawa ou à Toronto... à Cornwall, pardon,
mais il y en a d'autres qui sont revenus en plus grand nombre. Avec les autres
régions de l'Ontario, comme Toronto, Windsor, Sudbury et le reste, une
migration nette positive, encore là, de 1800. Donc, avec l'Ontario, si
vous voulez faire le total, cela fait 6100 migrants net pendant les cinq
années 1971-1976. Avec les provinces de l'Atlantique, un gain de 400;
avec le reste du Canada, vraisemblablement l'Ouest, etc., un déficit de
200 personnes, ce qui est très faible.
J'ai fait un certain nombre de copies de ce tableau et je vous les donne
tout de suite pour votre information. Il y a d'autres renseignements aussi en
matière de migration, de résultats prévisibles, par
exemple, de l'abolition de la "clause Québec" sur le mouvement des
populations entre les provinces, du côté de Hull et d'Ottawa, en
particulier.
Dans d'autres pages de ce texte, vous trouverez d'autres tableaux
touchant d'autres régions du Québec, notamment la région
de Montréal; mais je m'en tiens à ce tableau seulement parce que
c'est celui-là qui concerne l'Outaouais. Je m'excuse si je n'ai pas fait
assez de copies, il y en a cinq.
Les migrations interprovinciales, on sait de quoi cela retourne pas mal.
Pour les migrations internationales, ce serait plus difficile, plus long, mais
c'est aux démographes de faire le travail.
M. Payne: Ce qui m'intéresse, les taux, au sens de ma
question, sont peut-être plus importants que les chiffres absolus dans le
sens que je voudrais établir le rapport, Ies taux comparatifs entre
l'attraction de la région de Hull et celle de l'ensemble du
Québec. Cela, nous ne l'avons pas.
M. Castonguay: Vous n'avez qu'à prendre ce tableau et vous
avez l'ensemble du Québec. Avec l'ensemble du Québec, c'est un
gain migratoire net de 5000 personnes. Sur quel dénominateur voulez-vous
mettre ces 5000? Ces 5000 figureraient dans le calcul d'un taux comme
étant le numérateur; alors, je ne sais pas trop quel serait le
dénominateur.
M. Payne: En ce qui concerne le solde migratoire, les neuf
derniers mois ont été plus intéressants. Si j'ai bien
compris, vous avez dit moins de 5000, à peu près, pour le solde
migratoire.
M. Castonguay: Excusez-moi. Dans les derniers mois?
M. Payne: Les chiffres des neuf derniers mois de 1984, le solde
migratoire, le solde négatif serait de 8000.
M. Castonguay: Je ne sais pas de quoi vous parlez, je n'ai pas du
tout abordé ce sujet. Vous parlez...
M. Payne: J'avais compris...
M. Castonguay:... d'immigration pour l'ensemble du
Québec.
M. Payne:... que vous aviez dit que le solde migratoire
était d'à peu près 5000. J'étais juste en train de
dire que c'était 8000 pour les neuf derniers mois.
M. Castonguay: Pour les neuf derniers mois. Entre quelles
régions?
M. Payne: Je parle pour l'ensemble du Québec.
M. Castonguay: Oui, mais je ne parlais pas de l'ensemble du
Québec. C'est un fait que l'ensemble du Québec, depuis fort
longtemps d'ailleurs, perd des effectifs nets année après
année au reste du Canada. Sûrement que la région de
l'Outaouais est une région bien exceptionnelle de ce point de vue. Je
peux vous assurer que la construction domiciliaire dans la région de
l'Outaouais bat son plein. Malgré la fin de Corvée-habitation,
etc., il y a encore des terrains qui se vendent et qui s'achètent, des
maisons qui se construisent. Ça va très bien dans l'Outaouais par
rapport au reste du Québec.
Donc, s'il y a déficit pour l'ensemble du Québec, ce n'est
pas le cas dans l'Outaouais. Au contraire, la croissance de la population par
voie migratoire dans l'Outaouais aide à faire en sorte que le
déficit, pour l'ensemble de la province, n'est pas aussi
élevé. C'est un apport positif, si vous voulez, à la
situation migratoire du Québec. Mais, justement à cause de
ça, nous nous trouvons dans l'hypothèse présentée
dans le document de travail "L'Avenir de la
population québécoise" et aussi, finalement,
avancée par la commission Gendron, par les chercheurs Maheux et
Charbonneau qui ont oeuvré pour ladite commission, et par, dix ans plus
tard, le livre de Lachapelle et Henripin, qui ont travaillé pour le
ministre Lalonde, je crois.
S'il y a un apport migratoire positif pour le Québec, ça
peut créer des problèmes d'intégration culturelle des
nouveaux arrivants et c'est le cas dans l'Outaouais. Dans un avenir
prévisible, ça demeurera le cas. Ça ne dépendra pas
d'une conjoncture économique purement québécoise mais le
moteur économique principal est le gouvernement fédéral et
la fonction publique, et, pour autant que l'ensemble du Canada se comporte
moyennement bien sur le plan économique, vous pouvez être
sûrs que la région d'Ottawa, en tant que capitale -Ottawa-Hull -
va toujours aller assez bien. Il y aura toujours assez d'emplois.
La ville de Québec jouit d'un tel statut de capitale et elle s'en
tire relativement bien dans les durs temps économiques que nous passons,
à comparer à d'autres villes québécoises.
Cet apport positif migratoire dans l'Outaouais est un fait réel
dans le passé et il faut absolument s'attendre à ce que ça
continue dans l'avenir.
M. Payne: D'accord. Regardons quelques facteurs de cela. Lorsque
vous constatez que la baisse est de 38% en 1961 jusqu'à 35, 9% en 1981,
quel est votre critère entre la langue maternelle et la langue
d'usage?
M. Castonguay: Voulez-vous répéter?
M. Payne: En page 2...
M. Castonguay: Du mémoire?
M. Payne:... vous dites: "... qui a baissé
régulièrement de 38, 3% en 1961 à 35, 4% en 1981. "
M. Castonguay: Puisque je parle de francophones - le dictionnaire
nous dit que ce sont des gens qui parlent habituellement le français -
ça doit bien être fondé sur la langue d'usage. Mais non,
c'est impossible. C'est la langue maternelle; en 1961, on n'a pas
demandé la langue d'usage. Ce sont des chiffres touchant la langue
maternelle. D'accord?
Si on veut une séquence historique qui remonte jusqu'avant le
recensement de 1971, qui était le premier recensement à poser la
question sur la langue d'usage dans les temps modernes, si vous voulez... Ces
proportions sont sûrement fondées sur la langue maternelle.
Si on utilisait en 1981 la langue d'usage, bien sûr ce serait
moins encore que 35, 4%. Je pense qu'il y a quelque 10 000 francophones
à Ottawa qui ont été anglicisés, quelque chose du
genre.
M. Payne: En 1976, il n'y avait pas de question sur la langue
d'usage à ma connaissance.
M. Castonguay: Non, uniquement la langue maternelle.
M. Payne: Par contre, au dernier recensement il y en avait.
M. Castonguay: En 1981. Aux recensements décennaux, les
grands recensements de 1971 et de 1981. Ce sont les deux seules sources dont
nous disposons actuellement, provenant des recensements, sur la langue courante
utilisée au foyer au moment des recensements.
M. Payne: Je pense que la question est pertinente parce que ce
serait intéressant de faire la comparaison entre la diminution en termes
de langue maternelle, d'une part, et, d'autre part, la différence dans
la langue d'usage dans un écart de 20 ans.
M. Castonguay: C'est impossible pour la langue d'usage, comme je
l'ai dit parce que, malheureusement...
M. Payne: Oui et je vous dis que ce serait bien
intéressant.
M. Castonguay:... on est pris avec les données sur la
langue maternelle en ce qui concerne 1961. Ce serait fort intéressant.
C'est très sûr qu'on observerait une baisse au niveau de la langue
d'usage qui irait en parallèle avec la baisse de la langue maternelle.
Puisqu'il y a anglicisation nette des francophones dans la région
d'Ottawa et dans la région d'Ottawa-Hull dans son ensemble, cela ne peut
pas être autrement. (11 heures)
M. Payne: J'essaie d'imaginer qu'on peut trouver un
critère valable pour les transferts linguistiques si nous n'avons pas
cet outil-là, à savoir la baisse de la langue d'usage chez les
francophones.
M. Castonguay: Lorsqu'on mesure les transferts linguistiques, on
compare, d'une part, langue maternelle...
M. Payne: Oui.
M. Castonguay:... avec langue d'usage, au même recensement.
C'est pourquoi, dans notre mémoire, nous faisons état des
transferts linguistiques en 1971, parce qu'en 1971 les deux questions
étaient posées et on pouvait compter les gens qui étaient
de langue maternelle X et de langue d'usage Y.
On pouvait les comptabiliser. On peut faire des comparaisons avec 1981
parce que les deux mêmes questions ont été posées en
1981.
M. Payne: Exactement. Alors, avec la question telle que
posée en 1981, quand peut-on avoir les premiers résultats,
c'est-à-dire la comparaison entre 1971 et 1981?
M. Castonguay: Cela montre, dans la région d'Ottawa, une
augmentation de l'anglicisation des francophones qui passe de 23% ou 22%
à 25% au plus récent recensement.
M. Payne: D'où vient votre affirmation que le taux
d'anglicisation des jeunes adultes francophones à Ottawa était de
22% en 1971 et est monté jusqu'à 25% en 1981?
M. Castonguay: C'était une analyse. C'est fondé sur
une analyse, selon l'âge, des deux réponses aux questions: langue
maternelle et langue d'usage.
M. Payne: C'est dramatique.
M. Castonguay: II y a des gens qui diraient que ce serait encore
pire que cela, si ce n'était de la Loi sur les langues officielles.
Comment savoir s'ils ont raison?
M. Payne: Une toute dernière question. Quelle est la
proportion actuelle des fonctionnaires qui travaillent à Hull et dont la
langue de travail est l'anglais?
M. Castonguay: Excellente question. J'espère que M.
D'Iberville Fortier, dans son prochain rapport ou son premier rapport annuel,
va nous renseigner sur la chose, ou encore le Conseil du trésor ou
quelque autre responsable fédéral. C'est très difficile
pour nous-mêmes qui sommes intéressés à ces faits et
qui résidons dans l'Outaouais d'obtenir des chiffres, parce que les
chiffres sont, finalement, possédés par le gouvernement
fédéral. Ce ne sont pas nécessairement des choses qu'ils
aiment divulguer.
M. Payne: Cela me passionne. Les efforts de francisation de la
part de l'administration publique canadienne, est-ce qu'on peut les
démontrer? Est-ce qu'on peut faire référence aux efforts?
Je ne parle pas de la loi, je parle des efforts.
M. Castonguay: Je crois que, là, la meilleure source, ce
sont les différents rapports des commissaires aux langues officielles.
Il faut supposer que ce sont des observateurs objectifs et je ne peux que vous
rappeler le leitmotiv qui revient annuellement à la fin de la
discussion, dans ces rapports, touchant la langue de travail: "Le
français n'a progressé guère" ou "le français n'a
guère progressé. " La formule varie, mais le sens est toujours le
même. "Le français n'a guère progressé comme langue
de travail dans la fonction publique fédérale en mil neuf cent...
" Mettez l'année que vous voudrez. Je souligne encore cette nouvelle que
j'ai lue dans l'avion en venant ici. Quinze ans après la Loi sur les
langues officielles, on présente à un comité majeur comme
celui des comptes publics, à la Chambre des communes, des documents
rédigés uniquement en anglais. Ce serait très
agréable si le français était langue de travail sur la
rive québécoise et que, de temps en temps, quelques anglophones
se heurteraient à ce genre de difficultés, soit des textes
rédigés uniquement en français, et qu'ils auraient
à revendiquer que la chose soit traduite en anglais. Ce n'est jamais le
cas et c'est toujours à sens unique, ce problème. C'est un
amoncellement de facteurs de ce genre qui font en sorte que la position du
français subit, tel un rocher, une érosion dans la région
Hull-Ottawa. Dans la vie quotidienne, si ce n'est pas aussi efficace, aussi
simple et aussi expéditif de fonctionner en français qu'en
anglais, eh bien! l'être humain, la chair étant faible, on est
naturellement porté à utiliser la langue dans laquelle on va
pouvoir expédier nos affaires le plus efficacement. Et c'est l'anglais.
Alors, jusqu'à ce qu'il y ait un nouveau souffle à la fonction
publique fédérale -sûrement que les propos de M.
D'Iberville Fortier rapportés dans la Presse de vendredi dernier ne nous
laissent pas croire que ce nouveau souffle viendra de lui - il faudra exercer
d'autres pressions sur le gouvernement fédéral pour qu'il y ait
un nouveau souffle, qu'il y ait un "new deal". C'est le temps maintenant de
faire un "reviewal", et pas seulement de la situation économique. Le
gouvernement conservateur est venu au pouvoir en parlant d'une révision
de fond en comble des dépenses de l'État, et, de tout et de
tout.
C'est, évidemment, passer sous silence le problème
culturel du Canada français. Je dirais que, quinze ans après
l'adoption de la Loi sur les langues officielles du gouvernement
fédéral qui a été adoptée en 1969 -cela fait
maintenant quinze ans - avec les choses que nous savons venant des derniers
recensements, c'est aussi le temps de faire un "reviewal" de la politique
culturelle fédérale en commençant à zéro, en
mettant tout en question, y compris la notion de bilinguisme qui se limite au
niveau des services bilingues. Quelqu'un demande quelque chose, il peut le
recevoir éventuellement. Je ne vous suggère pas de vous
présenter au bureau de postes principal de la ville d'Ottawa. Cela fait
quinze ans que je le fais. Très souvent, malgré que vous ayez
la
"langue de votre choix" qui est là devant vous au guichet, si je
veux être rapide, je dois faire mon courrier en anglais, ce que je fais
très souvent d'ailleurs, naturellement. Parfois, je me lève,
c'est bizarre, puis je suis du côté ontarien et je m'imagine qu'on
peut fonctionner aussi facilement en français qu'en anglais dans cette
capitale. Eh bien! ce n'est pas le cas.
Ce nouveau souffle, je ne sais pas, il faudrait reconnaître
davantage de droits au français de la part du gouvernement
fédéral, ne pas seulement limiter la loi linguistique
fédérale, la planification linguistique à la notion de
service, ce qui devient trop rapidement "Lip service", comme on dit en anglais,
mais de vraiment accorder aussi le droit aux fonctionnaires francophones
travaillant pour la reine de travailler dans leur langue. Pourquoi pas? La
commission BB y faisait allusion; la commission BB proposait qu'au futur
recensement on pose la question: Dans quelle langue travaillez-vous
habituellement? La langue de travail. Cela n'a jamais été
posé au recensement. Comme cela serait intéressant d'avoir ces
données à notre disposition. On n'aurait pas besoin d'attendre le
bon vouloir de telle ou telle officine gouvernementale à Ottawa pour
pouvoir répondre à votre question, M. le député. On
pourrait le faire nous-mêmes.
M. Payne: C'était le sens de ma dernière question
en ce qui concerne la langue d'usage, la langue d'usage du foyer. Mais ce qui
compte, c'est la langue d'usage au travail.
M. Castonguay: C'est certainement un élément
indispensable à qui voudrait bien connaître la situation
linguistique actuelle ou, encore, saisir son évolution, ce que tente de
faire quand même le Conseil de la langue française en ce qui
concerne la position du français et de l'anglais comme langue de travail
au Québec, à partir de sondages. Évidemment, il n'y a pas
de telles choses... Même les données du Conseil de la langue
française en ce qui touche la petite population, relativement parlant,
dans l'Outaouais, on ne peut s'en servir.
Le Président (M. French): M. le député de
Mille-Îles.
M. Champagne: Dans un premier temps, je veux remercier M. Charles
Castonguay de s'être présenté au nom de la
Société nationale des Québécois de l'Outaouais.
Hier, nous avions, de la part d'un groupe d'anglophones de l'Estrie, une
espèce de cri d'alarme. Nous entendons, ce matin, de la part de la
région de la capitale nationale, particulièrement de Hull, aussi
une espèce de cri d'alarme pour dire: Bien, enfin, on se pose des
questions. La survie de la langue française. Tout dernièrement,
le président du Conseil de la langue française, M. Michel
Plourde, lançait aussi, je ne veux pas dire un cri d'alarme, mais disait
que, même après dix ans depuis la constitution de son organisme,
la situation du français au Québec en général et,
à plus forte raison, à Hull, comme vous venez de le
démontrer, demeure préoccupante. Et il ajoute qu'il n'est pas
permis de conclure, en 1985, que le français est devenu la langue
normale et habituelle de travail, de l'enseignement, des communications, du
commerce et des affaires. C'est à cause de cela que, peut-être,
beaucoup de Québécois pensent que, depuis que la loi 101 a
été adoptée, on est en sécurité. On
s'aperçoit que, année après année, la preuve est
faite que la sécurité est "insécure", si vous me permettez
l'expression.
Je vois ici une des recommandations de M. le président du Conseil
de la langue française, qui dit qu'on devrait reconnaître, dans la
constitution canadienne, le caractère distinct de la
société québécoise. Tant qu'on ne reconnaîtra
pas, de part et d'autre, è la fois au Québec - je pense que cela
peut être assuré - et à Ottawa, le caractère
distinct de la société québécoise... Je pense que
de ne pas l'affirmer publiquement, carrément et clairement, cela ne fait
pas avancer les choses. Je cite ici la conclusion d'un editorial de Michel Roy
dans la Presse du 2 février 1985: "Mais cet idéal - celui du
caractère distinct de la société québécoise
-ne sera vraiment atteint que si les anglophones et les allophones
reconnaissent la nécessité du caractère distinct de la
société québécoise en vue d'assurer sa
vitalité et son dynamisme. Les enquêtes indiquent que cette
reconnaissance semble largement acquise. " Nous allons le souhaiter et faire en
sorte que la langue française au Québec, éventuellement,
soit dans une situation moins préoccupante que celle qu'on vit
actuellement.
M. Castonguay, j'aurais une question à vous poser. Du fait
d'avoir adopté la loi 101, du fait de son application dans le domaine
scolaire, entre autres, du fait que les nouveaux immigrants aillent
obligatoirement à l'école française, avez-vous pu
constater que les écoles françaises ont été plus
fréquentées par les allophones ou les anglophones, comme on a pu
le constater à la Commission des écoles catholiques de
Montréal ainsi que dans les commissions scolaires régionales de
l'agglomération de Montréal? Quel est le résultat selon
les statistiques du fait que la loi 101 soit appliquée au point de vue
scolaire à Hull? Est-ce que cela a amené un renversement de la
clientèle comme celui qu'on a connu à Montréal?
M. Castonguay: Quoique je ne suis pas de près le domaine
linguistique,
personnellement - dans mes recherches, je m'en suis tenu pour
l'essentiel à l'analyse des transferts linguistiques - mais je crois
bien qu'effectivement, dans la région de l'Outaouais, la proportion de
jeunes enfants scolarisés en français a augmenté, en tout
cas, depuis cinq ans ou enfin depuis l'adoption de la loi 101 et que la
proportion de jeunes du niveau élémentaire scolarisés en
langue anglaise a baissé effectivement. Je ne peux vous donner davantage
de renseignements que cela. Il y a sûrement des démographes au
ministère de l'Éducation ou encore au Conseil de la langue
française, pour qui c'est le boulot justement de suivre cela, qui
peuvent vous confirmer ce fait. Notamment, je crois que, dans l'Outaouais, tout
récemment, le démographe Michel Paillé, du Conseil de la
langue française, a relevé qu'il y avait davantage d'enfants
anglophones dans les écoles françaises qu'il y avait d'enfants
francophones dans les écoles anglaises dans la région de
l'Outaouais. Ce sont des renseignements datant - je ne me rappelle plus quelle
année - peut-être de l'année scolaire 1981-1982, ou quelque
chose du genre. (11 h 15)
Cela illustre l'intérêt, d'ailleurs, pour les anglophones
de la région de la capitale du Canada de scolariser leurs enfants,
d'obtenir une bonne formation en langue française. Plusieurs de ces
enfants anglophones dans les écoles françaises de l'Outaouais
n'étaient pas obligés d'être là. Ce n'était
pas un résultat de la disposition proprement scolaire de la loi 101,
mais probablement une perception plus générale de la part des
parents de l'intérêt pour leurs enfants, au moins au niveau de
l'école élémentaire, d'obtenir une scolarisation et une
sorte de socialisation aussi avec des copains, des copines francophones pour
leur avenir tant au Québec que pour leur avenir dans la région de
la capitale fédérale où le bilinguisme est un atout. On
parle chez nous comme nulle part ailleurs sûrement du parfait bilingue.
C'est "in", c'est très "in" d'envoyer ses enfants à
l'école française, même du côté d'Ottawa. Ce
serait intéressant d'avoir des statistiques comparatives du genre pour
Ottawa. Ce n'est pas impossible qu'il y ait davantage d'enfants anglophones en
train d'être scolarisés en français à Ottawa que
d'enfants francophones en train d'être scolarisés en anglais, je
ne sais pas. Ce serait intéressant de regarder. En tout cas, il y a des
milliers d'enfants anglophones du Ottawa School Board qui suivent des cours
d'immersion en français.
M. Champagne: Je pense qu'il y a même une mode aujourd'hui
dans certains milieux pour que les enfants puissent apprendre le
français dans des écoles anglaises. J'ai entendu un
témoignage d'un fonctionnaire d'Edmonton qui disait que, dans son
quartier, 97% des parents anglophones avaient décidé qu'il y
aurait enseignement du français de la première à la
sixième année. C'étaient des classes d'immersion. Comme
vous le dites, c'est "in", c'est à la mode. On sent ce mouvement. Cela
peut être à la mode, mais cela ne fait pas en sorte que la langue
du travail soit de plus en plus le français, par exemple. Dans
les...
M. Castonguay: Cela ne semble pas être le cas à la
fonction publique fédérale...
M. Champagne: C'est cela.
M. Castonguay:... parce que c'est sûrement pour les
diplômés, ceux qui terminent leurs études à
l'école anglaise, le principal employeur. On a énormément
valorisé le bilinguisme dans les conditions d'embauche à la
fonction publique fédérale depuis quinze ans. Donc, il y a
sûrement davantage d'aptitudes. On n'a qu'à penser aux millions de
dollars qui ont été dépensés, d'ailleurs, pour
"bilinguiser" des adultes anglophones aux frais des contribuables en les
envoyant ici à Québec pour un séjour d'un an, une
année sabbatique pour apprendre le français, et ensuite reprendre
leur poste à Ottawa. Quand ils sont de retour, constatant qu'ils perdent
l'usage du français qu'ils avaient acquis pendant leur congé
sabbatique à Québec, on leur donne des cours - je ne me rappelle
pas trop bien comment cela s'appelle - mais il y a des professeurs particuliers
affectés, notamment aux cadres, et qui font de la rétention,
c'est-à-dire qu'ils rencontrent le "boss" et parlent le français
pendant une ou deux heures par semaine avec lui, de façon qu'ils ne
perdent pas l'acquis linguistique qu'ils ont obtenu pendant leur immersion en
français. C'est vous dire à quel point ces anglophones bilingues
- hélas! - n'utilisent pas le français comme langue de
travail.
On peut aussi très certainement dire que, malgré les
progrès - nous l'avons déjà dit dans notre mémoire
- pour ce qui est de la scolarisation en français à Ottawa... Il
n'y avait pas, par exemple, dans mon temps à Ottawa, d'écoles
secondaires françaises. Il y avait l'Académie de LaSalle, il y
avait le High School de l'Université d'Ottawa qui donnaient certaines
matières en français. C'est nouveau, c'est relativement
récent. Il y a même maintenant des écoles publiques
élémentaires francophones à Ottawa, chose qui n'existait
pas jusqu'à il y a trois ou quatre ans. La situation s'améliore
constamment pour ce qui est de ce service qu'est l'éducation.
Le Président (M. French): Excusez-moi, M. Castonguay,
question de fait.
M. Castonguay: Oui.
Le Président (M. French): Vous venez de dire qu'il
n'existait pas, jusqu'à il y a trois ou quatre ans, des écoles
publiques francophones à Ottawa?
M. Castonguay: Des écoles élémentaires.
C'étaient des écoles séparées: Ottawa Separate
School Board...
Le Président (M. French): Bon. C'était juste...
À titre de contribuable, j'ai de la difficulté à
distinguer entre les écoles séparées et les écoles
catholiques.
M. Castonguay: D'accord. Toutes catholiques. C'est une autre
province. C'est un autre régime, quoi! Tout récemment, ces
écoles, qui n'étaient pas publiques, le deviennent parce que le
gouvernement de l'Ontario va maintenant les financer, fait déjà
ou fera davantage des écoles séparées. C'est un nouveau
développement.
M. Champagne: Voici, M. Castonguay, peut-être une
dernière observation ou une dernière question. Dans vos
conclusions, vous vous adressez au gouvernement du Québec et
paradoxalement, vous ne dites pas au gouvernement du Québec: Renforcez
la loi 101 dans son application et le reste, vous dites, dans vos
recommandations: que le gouvernement du Québec propose au gouvernement
du Canada - et on fait toujours l'appui au gouvernement du Canada et dans
différentes sphères - qu'il prenne position pour que la situation
linguistique... C'est bien sûr que la capitale régionale va un peu
plus dans le sens du français langue de travail. Vosu demandez que le
gouvernement du Canada fasse en sorte que même dans le choix des
ministères, on choisisse des ministères à caractère
français. Vous mettez toute la balle dans le camp fédéral.
Pourquoi n'êtes-vous pas venu dire ce matin quand même: Renforcez
la loi 101? Je comprends bien que vous vivez à proximité d'Ottawa
et vous faites comme si toute la situation était quand même sur le
dos de la politique fédérale.
M. Castonguay: Aussi longtemps que la ville de Hull était
une ville à caractère ouvrier francophone, il n'y avait pas de
problème. Le problème est venu de ce "face lifting" qui a
été effectué dans le centre-ville de Hull avec
l'implantation vraiment absolument hors de toutes proportions d'édifices
massifs et de populations fort nombreuses pendant les heures de travail qui a
été effectué par le gouvernement canadien. Et du
côté du Québec, je me rappelle avoir assisté,
à la fin des années soixante, dans un sous-sol d'église, a
une assemblée d'information de la part des édiles municipaux qui
nous posaient la question suivante: Êtes-vous en faveur de la venue
d'édifices fédéraux à Hull et du
développement du caractère français de Hull? J'avais
souligné à ce moment que voilà une réponse
plutôt ambiguë. Ne serait-elle pas mieux scindée en deux? On
traite là de deux choses fort différentes et on peut être
en faveur de l'un sans être en faveur de l'autre et l'un ne va pas
nécessairement avec l'autre.
Le gouvernement fédéral n'a jamais attaché
d'importance à la menace qui pourrait naître au fait
français du côté de Hull par la venue de ces gens nombreux
au centre-ville et aussi, naturellement, leur choix éventuel de vouloir
élire domicile, acheter une maison, louer un appartement à
proximité de leur travail pour éviter les embouteillages sur les
ponts aux heures de pointe. C'est tout à fait naturel. La
géographie urbaine plaide en faveur d'un tel développement. Si je
ne m'abuse, au moment où Jean Marchand a ouvert l'une des principales
artères qui a charcuté le centre de la ville de Hull, le
boulevard Maisonneuve, il a affirmé, lors de la coupure du ruban, en
réponse à une question d'un journaliste, quant au problème
que va créer toute cette rénovation urbaine pour la population
francophone: C'est aux francophones maintenant d'apprendre à se
défendre comme ils ont appris à le faire du côté
ontarien. Ce n'est pas une réponse extrêmement responsable ou
intéressée à l'épanouissement du fait
français.
Le gouvernement du Québec - nous en sommes totalement conscients
et reconnaissants au gouvernement - a, de façon temporaire,
cherché à influer sur la situation linguistique en
réagissant avec la "clause Québec" qui, pour nous, était
un garde-fou, une sauvegarde ou un contrôle absolument indispensable et
qui a agi, semble-t-il, efficacement pendant les années que cette clause
a été en vigueur. Nous sommes conscients des critiques qui ont
plu sur le gouvernement du Québec pour avoir adopté cette clause
qui a été qualifiée de tous les noms. Sauf que dans
l'Outaouais, cette clause était, et le demeure jusqu'à nouvel
ordre, tout à fait justifiable et légitime en ce que le fait
français dans l'Outaouais est en état que l'on pourrait qualifier
de légitime défense. Il a été agressé par le
gouvernement fédéral. Le gouvernement du Québec a
essayé d'aider ce fait français dans l'Outaouais. Maintenant,
l'ancien gouvernement fédéral, dans son acharnement, a abattu
également ce contrôle. Il ne nous reste plus rien. C'est pourquoi
nous sommes devant vous ce matin.
Les choses auraient pu se passer autrement si le gouvernement
fédéral avait respecté le caractère francophone de
la population québécoise dans la région de sa
capitale fédérale. Si le gouvernement
fédéral avait, en même temps qu'il avait mis en chantier
ces monuments de béton, affirmé et manifesté un
intérêt ferme, éclairé et persistant à
maintenir le caractère francophone du côté de l'Outaouais
en affectant par exemple les ministères et les services les plus
francophones, comptant la plus haute proportion de francophones, à ces
édifices...
Un des premiers ministères à être situé
à Hull a été le ministère de l'Environnement,
è l'époque à 90% unilingue anglais. Ils parlent
aujourd'hui encore d'envoyer le ministère de la Défense nationale
à Hull - le ministère de la Défense nationale n'est pas
celui où le français a la meilleure cote. On n'a qu'à lire
encore là les rapports des commissaires aux langues officielles - dans
l'édifice Louis-Saint-Laurent, qui va se construire à
proximité du second boulevard principal, de la seconde artère
commerciale principale de la ville de Hull, la seule qui est demeurée,
pendant les heures de travail, une artère francophone, le boulevard
Saint-Joseph. La rue principale, qui a été d'ailleurs
rebaptisée Promenade du Portage, en vertu des Places du Portage, phase
I, II, III et IV, que le gouvernement fédéral a construites, n'a
pas perdu son nom mais a perdu son identité. C'est devenu maintenant la
rue Rideau. C'est aussi simple que cela. Pendant les heures de travail, le
midi, pendant les pauses, les cafés, les commerces et ainsi de suite...
Le Steinberg où j'achetais déjà dans le vieux Hull, car
j'ai vécu dans le vieux Hull pendant quinze ans, a été
relocalisé dans Place du Portage, phase I, au sous-sol.
Évidemment, les fonctionnaires, la clientèle étaient
là. Ils n'avaient même pas à sortir pour s'approvisionner
en yogourts, etc.
Après le déménagement du Steinberg, je me
présente, j'achète, je passe à la caisse. On m'a
demandé "fifteen dollars ninety five cents". La même fille qui
m'avait servi pendant des années au Steinberg du vieux Hull,
j'étais la même personne, j'avais peut-être l'air un peu
plus anglophone ce matin-là, je ne sais pas, mais, spontanément,
elle m'a adressé la parole en anglais. Pourquoi? Parce que le flot de
clients est devenu majoritairement anglophone. C'est l'érosion. Je lui
ai répondu: Eh bien, c'est moi. Regardez-moi. Là, on a
continué l'échange en français par la suite mais cette
transformation de la rue principale a été bouleversante. La rue
Saint-Joseph risque d'y goûter également, si le gouvernement
fédéral ne change pas son fusil d'épaule.
Le gouvernement fédéral, dès le
développement préconisé du côté de Hull -on
ne peut pas être contre du point de vue économique car c'est
très intéressant pour la ville de Hull et ses résidents
d'avoir cette prospérité - aurait pu faire des efforts pour
maintenir et développer la personnalité et l'identité
francophones du côté québécois. S'il l'avait fait,
on n'aurait pas eu ce problème. On n'aurait peut-être pas eu
besoin de la "clause Québec", par exemple, dans notre région.
Cela pourrait être encore le cas. Si le gouvernement
fédéral changeait son fusil d'épaule et disait: Bon,
d'accord. On va maximiser la présence francophone du côté
de Hull parce que la meilleure défense contre l'assimilation, c'est une
concentration des effectifs de la minorité... Ce n'est pas moi qui le
dis, c'est Richard Joy qui l'a dit en 1967. Tous les démographes,
démolinguistiques, apprentis et professionnels le
répètent. Depuis, cela tombe sous le bon sens, pour une
minorité assiégée, la meilleure façon de se donner
des forces et de résister le moindrement, c'est de se regrouper; plus on
est éparpillé, plus on est vulnérable.
(11 h 30)
Le gouvernement fédéral pourrait aussi promouvoir le
français à l'intérieur de ses édifices de
façon beaucoup plus forte qu'il n'ose le faire actuellement et du
côté d'Ottawa. À ce moment-là, un anglophone du
côté d'Ottawa qui regarderait la ville de Hull et penserait
à aller vivre du côté de Hull se dirait: Bon, cela veut
dire probablement que je vais aller travailler en français avec un
paquet de francophones et quand mes enfants auront fini leur scolarisation, ils
vont faire de même. Je ferais aussi bien de déménager
là-bas et d'envoyer mes enfants à l'école
française. C'est déjà un réflexe qui est
présent et qu'on ne me dise pas qu'il y a là matière
à discrimination.
S'il y a des anglophones qui viennent, par exemple, de Toronto, s'il y
en a qui sont à Ottawa, ils peuvent rester où ils sont; s'ils
veulent venir à Hull, qu'ils viennent, mais qu'ils fonctionnent en
français. S'il y en a qui viennent de Toronto pour prendre un emploi
à la fonction publique fédérale, ils ont l'embarras du
choix. Il y a Rothwell Heights, Elmville Acres, Weston, Kanata, Rockliffe, la
ville d'Ottawa, la ville de Vanier, il y a plein de quartiers très
accueillants et très intéressants du côté d'Ottawa
et ils peuvent vivre comme s'ils étaient en Ontario. Mais il devrait y
avoir une différenciation entre les deux rives de l'Outaouais de sorte
qu'un anglophone qui vient du côté de Hull peut s'attendre que son
comportement soit francophone, soit influencé par cette
différence culturelle qu'il y a entre le Québec et le Canada
anglais.
Si le gouvernement fédéral et le gouvernement du
Québec s'accordaient sur cette façon de faire, il n'y aurait
probablement pas besoin de la loi 101, de la "clause Québec".
Peut-être même pas de la loi 101, je ne sais pas. Il faut bien
constater que depuis l'adoption de la loi 101, le gouvernement
fédéral a alimenté la contestation de maints articles de
cette loi
et a contribué, je crois très efficacement, à
affaiblir et même à anéantir complètement tout effet
que la loi 101 aurait pu avoir sur le plan des transferts linguistiques. Quand
on est obligé, en maugréant, de faire scolariser ses enfants dans
une langue, on dit: D'accord, une fois sortis du secondaire, on va voir; on va
les envoyer au cégep anglophone et à une université
anglophone. Et c'est ce qui se passe.
Quant à ces enfants, la langue qu'ils vont choisir comme langue
d'usage ou langue de travail, ce n'est pas le gouvernement qui va venir se
mettre les pieds dans l'entreprise ou encore moins dans l'intimité du
foyer. L'évolution souhaitée des transferts linguistiques au
foyer, par exemple, en faveur du français ne s'est pas
matérialisée justement parce que les deux gouvernements ont
été à couteaux tirés. S'il y a maintenant une
nouvelle atmosphère de collaboration, c'est fort bienvenu et cela
pourrait enfin porter certains fruits positifs pour le fait français au
Québec qui, encore au dernier recensement, n'est pas en meilleure
position qu'en 1971.
Pour ce qui est de la langue de travail, il faut se fier aux sondages du
Conseil de la langue française qui montrent qu'il y a une
légère amélioration. Il faut dire aussi qu'il y a moins
d'anglophones sur le marché du travail parce qu'il y a malheureusement
une fraction d'anglophones qui ont quitté le Québec pour toutes
sortes de raisons.
Pourquoi perçoit-on le problème comme étant avec le
gouvernement du Canada? Je crois avoir répondu à votre question.
Mais on s'adresse aujourd'hui au gouvernement du Québec parce que,
jusqu'à maintenant, c'était une fin de non-recevoir, sauf, par
exemple, de la part de personnes dégagées de
responsabilités politiques à Ottawa tel Douglas Fullerton, par
exemple, ancien président de la Commission de la capitale nationale, fin
des années soixante, début des années soixante-dix, qui a
donc présidé à ce bouleversement. Après coup, le
gouvernement Trudeau lui a demandé, en tant que président sortant
de cette commission, de faire une enquête sur le fonctionnement de la
Commission de la capitale nationale et même sur l'aménagement,
l'avenir d'Ottawa-Hull. Dans son rapport, Douglas Fullerton a en quelque sorte
avoué ses erreurs ainsi que les erreurs de ses collègues, ses
planificateurs.
Dans son rapport, on trouve un principe nouveau, un principe de
concentration raisonnable et je cite: "II consiste, en gros, à
promouvoir le regroupement des francophones à l'intérieur
d'enclaves, dans la mesure où c'est pratique. Le principe de
concentration raisonnable risque de paraître rébarbatif à
première vue. On y verra l'érection de murailles là
où l'on tente de les démolir. À cela, je
rétorquerai - c'est Fullerton toujours qui parle - que
l'édification de la compréhension mutuelle entre les cultures
n'est possible que si les parties éprouvent un sentiment de
sécurité quant à leur propre identité; que ce n'est
que lorsqu'une communauté ne craint plus rien qu'elle peut
s'épanouir et que la concentration ou le regroupement représente
le meilleur moyen qu'on ait trouvé jusqu'ici de contrer l'assimilation.
" Cette citation provient de la capitale du Canada, c'est le titre de son
rapport "Comment l'administrer" publié par Information Canada, Ottawa,
1974.
II y a quand même des gens qui ont eu directement à faire
avec les développements, comme M. Fullerton, qui ont
l'objectivité et le courage d'avouer qu'il y a eu erreur et d'avouer que
la solution était pourtant là. C'est la concentration des
effectifs de façon à résister le mieux possible dans la
région de la capitale du pays à l'anglicisation. Ce concept n'a
pas été suivi.
Le Président (M. French): M.
Castonguay, vous avez abordé quelques phénomènes
extrêmement intéressants et multidimensionnels et vous avez bien
fait ressortir toute une série de considérations. C'est
regrettable mais nous n'avons plus de temps. J'aurais voulu poursuivre combien
de pistes que vous nous avez ouvertes et je suis convaincu que mes
collègues auraient aimé faire pareil mais malheureusement nous
avons un autre intervenant.
Il me reste à vous remercier. Vous avez témoigné
avec beaucoup d'émotion ainsi qu'avec beaucoup de connaissances. Nous
apprécions au plus haut point votre présence et la contribution
de la Société nationale des Québécois de
l'Outaouais à nos délibérations. Merci beaucoup.
M. Castonguay: Merci.
M. Jacques Henripin
Le Président (M. French): Je voudrais demander à M.
Jacques Henripin de prendre place. Bienvenue, M. Henripin. Je voudrais tout
d'abord vous dire, de la part de la commission, comment nous regrettons votre
déplacement de novembre qui n'a pas été, pour les raisons
que vous connaissez aussi bien que nous, aussi fructueux qu'on l'aurait voulu.
Encore une fois, nos excuses.
Je pense que vous n'êtes pas étranger au genre de
procédure qu'on suit. À vous de nos présenter votre
mémoire. Je pense que nous serons par la suite très
intéressés à vous poser des questions.
M. Henripin (Jacques): Merci, M. le Président. Je vais
être bref pour la présentation de mon mémoire. J'ai
abordé là-dedans, en gros, trois questions: le problème du
solde migratoire de la province de Québec, le redressement de la
natalité et les
ajustements au vieillissement de la population.
Le Québec se trouve - cela a été bien marqué
dans un livre de quelqu'un qui est près de vous, je pense, M. Matthews -
dans une situation doublement périlleuse par rapport aux autres pays
occidentaux. D'une part, sa natalité a beaucoup baissé, ce qui
est partagé par les autres, mais, d'autre part, il souffre
également d'une saignée dans ses échanges en particulier
avec les autres provinces. Cela explique la faible vigueur démographique
du Québec par rapport au reste du Canada.
Ce que j'ai voulu faire remarquer, ce que j'avais à dire
là-dessus, c'est très court. Je n'ai pas de recette pour
réparer les dégâts. J'ai voulu simplement attirer
l'attention des membres de la commission sur le fait que ceux qui s'en vont, ce
sont surtout des anglophones et des allophones et que si on voulait essayer de
réduire cette saignée-là, c'est à ceux-là
qu'il faudrait s'intéresser.
Je ne sais pas comment on peut leur rendre la vie plus agréable
au Québec, les convaincre d'y rester davantage, en particulier les
jeunes, parce qu'on sait qu'à peu près 25% des jeunes anglophones
quittent le Québec en l'espace de cinq ans à peu près, du
moins c'est ce qui s'est passé entre 1976 et 1981. Je ne sais pas bien
ce qu'il faudrait faire pour leur rendre la vie plus confortable mais
peut-être faudrait-il leur demander et les écouter un peu. Je ne
dirai pas autre chose là-dessus, ce n'est pas le problème qui m'a
davantage retenu.
L'autre maladie du Québec qu'il partage avec les autres et les
occidentaux, c'est la faiblesse de sa fécondité. Il est clair
dans mon esprit qu'il faut essayer de redresser les choses. Je ne dis pas que
la situation est déjà dramatique et que, dès demain, il
faut se hâter de mettre sur pied des mesures tendant à favoriser
la fécondité, mais je pense, par ailleurs, qu'il est grand temps
de s'en préoccuper et de voir un peu ce qu'on pourrait faire si jamais
les choses perdurent. On n'est pas sûr que les choses vont perdurer.
Là-dessus, les avis sont partagés. Les chances sont
peut-être un peu minces, mais il se pourrait qu'il y ait une
espèce de redressement un peu spontané de la
fécondité et je ne pense pas qu'il soit très
considérable de toute façon. Mais, enfin, ce n'est pas une chose
qu'on peut exclure complètement. Si jamais cette faible
fécondité devait perdurer, je pense qu'il est grand temps,
dès aujourd'hui cependant, de voir un peu ce qu'on pourrait faire pour
lui donner un peu plus de vigueur.
Là-dessus, il y a toute une panoplie de mesures qui ont
déjà été prises par un grand nombre de pays,
surtout des pays d'Europe de l'Est et la France, en vue de redresser cette
natalité. Je ne m'attarderai pas sur ces mesures. Elles sont abondamment
décrites dans beaucoup de travaux. Ce sur quoi je voudrais attirer
l'attention des membres de la commission, c'est que, d'une part, elles
coûtent très cher. Ce n'est pas une raison pour ne pas les
appliquer, à remarquer. Je pense qu'il est peut-être aussi
important pour une société de s'assurer qu'elle va se maintenir
dans l'avenir que d'assurer sa défense. Or, on est loin, je crois, de
consacrer autant de ressources au maintien de l'essentiel de la
société, c'est-à-dire sa population. On est loin d'y
consacrer autant de ressources qu'on en consacre à la défense
nationale.
Je signale que cela coûte cher. Ce n'est pas pour vouloir
signifier qu'on doit s'en abstenir pour autant. J'ai bien l'impression que nous
entrons dans une ère où, contrairement à tout ce qui
s'était produit dans le passé, les adultes ne feront plus
à peu près gratuitement des enfants pour la société
à laquelle ils appartiennent. Il va falloir en payer le prix. Il vaut
mieux qu'on s'y habitue, je pense, parce que du train où vont les
choses, c'est comme ça que cela a l'air de se placer. Il faut se faire
à l'idée que tout cela va coûter très cher.
Il y a un autre aspect de ces mesures qui doit être signalé
également. C'est qu'on n'est pas sûr qu'elles soient vraiment
très efficaces. Je ne dis pas pour autant qu'on est sûr qu'elles
ne le sont pas. On est un peu dans le brouillard. On a de multiples exemples
des pays d'Europe de l'Est qui ont appliqué, depuis un bon nombre
d'années, des mesures natalistes, très ouvertement d'ailleurs, et
c'est une des caractéristiques de ces mesures. C'est que les
gouvernements en question n'ont pas caché leurs couleurs et je pense
que, par rapport à cette situation-là, nous en sommes loin quand
je vois que, dans le livre dit vert sur la famille, on n'ose même pas
parler d'un redressement de la natalité. Cela me scandalise. Donc, on a
une pudeur, ici dans ce milieu, absolument extraordinaire à
l'égard de tout ce qui a l'air de vouloir peut-être mettre la
fécondité à flot.
Dans les pays que j'ai mentionnés et les pays d'Europe de l'Est -
c'est le même cas pour la France - les gouvernements se prononcent
ouvertement pour une politique de redressement de la fécondité.
On n'en a pas honte. C'est un premier coup psychologique peut-être
à supporter. Malgré tout cela, ce qui a surtout été
observé dans les pays d'Europe de l'Est, si j'ai bien lu les comptes
rendus que les gens de ces pays-là en ont faits, c'est, à la
suite d'une mesure importante nouvelle de redressement de la
fécondité, une espèce de flambée de naissances, et
puis une rechute progressive, de sorte qu'il faut sans cesse revenir avec une
nouvelle mesure pour redresser les choses. Je ne dis pas que cela n'a pas
d'effet fondamental. On n'a jamais pu le démontrer d'une
façon vraiment tout à fait satisfaisante, l'effet à long
terme. Il y a des effets à court terme. L'effet à long terme n'a
pas pu être démontré. Malgré tout cela, il reste
que, si on regarde la France, qui est un pays quand même plus proche du
nôtre, il est quand même remarquable que ce pays, par rapport
à ses voisins, a réussi à maintenir une
fécondité qui n'est certes pas suffisante pour assurer le
remplacement de ses générations, mais quand même elle est
un peu plus vigoureuse que celle des pays voisins. On ne peut en faire une
preuve mathématique mais c'est tout de même probablement dans une
bonne mesure le résultat des politiques natalistes qui ont
été appliquées par la France depuis plusieurs
années. (11 h 45)
II y a ces mesures classiques auxquelles tout le monde pense quand on
parle de redressement de la natalité. J'ai bien l'impression que le
problème est plus fondamental que cela. Je crois que même si ces
mesures pouvaient apporter un allégement au problème, il reste
que, fondamentalement, il va être bien difficile de convaincre les jeunes
adultes d'avoir trois enfants au moins pour la majorité d'entre eux
parce que c'est ce qu'il faut arriver à réaliser. Il faut que la
majorité des jeunes adultes aient trois enfants. Il va être bien
difficile de les convaincre d'avoir une telle performance s'ils continuent
à faire face à la situation dans laquelle ils sont en ce
moment.
Je pense que si on n'arrive pas à donner aux jeunes adultes des
perspectives un peu plus encourageantes quant au déroulement de leur vie
au cours des dix ou quinze prochaines années, on pourra s'amuser
longtemps à appliquer toutes sortes de mesures, je ne pense pas que ce
sera très efficace.
Cela met en cause bien plus que les mesures classiques de redressement
de la natalité comme les allocations familiales, les congés de
maternité, etc, toutes mesures qui me paraissent tout à fait
justifiées, ne serait-ce que sur un plan social. En fait, cela met en
cause un peu toute l'organisation de la société et deux de ses
secteurs importants: le secteur de l'éducation et le secteur du monde du
travail.
Je pense que... Je ne pourrai vous démontrer cela. Je lis les
journaux comme tout le monde et j'en tire mes leçons personnelles.
L'intuition que j'ai de tout cela c'est que nos écoles forment assez mal
une grande partie des jeunes. Je ne dis pas tous mais une grande partie des
jeunes. On commence à oser parler de la qualité du
français. J'enseigne dans une université. Cela fait plusieurs
années que je constate qu'à peu près un quart des
étudiants ne maîtrisent pas suffisamment leur langue pour pouvoir
construire un raisonnement à peu près correct. Ils n'ont pas
l'outil pour penser. C'est le résultat de nos écoles. Je pense
qu'il y a beaucoup d'ordre à mettre là-dedans.
L'autre grand pan de l'organisation sociale qui est aussi en cause dans
l'éventualité d'une tentative de redresser la natalité,
c'est d'enlever - je présenterai les choses un peu comme cela
peut-être en caricaturant un peu - aux détenteurs du pouvoir sur
le marché du travail cette espèce d'appropriation qu'ils se sont
donnée. Il me semble clair que, dans bien des cas, les syndicats se sont
approprié le domaine sur lequel ils ont une autorité sans trop se
soucier de ceux qui sont à l'extérieur de leur domaine. Cela met
en cause énormément de choses.
Je n'ai pas la compétence pour suggérer des solutions
à cela mais j'ai l'impression que tant qu'on assistera à un
marché du travail, qu'on vivra dans un marché du travail
où de grands morceaux sont dominés par des syndicats ou des
centrales syndicales qui ont aussi peu de souci pour le bien-être de ceux
qui ne font pas partie de leur clientèle, j'ai l'impression qu'il y aura
longtemps des laissés pour compte et en particulier des jeunes qui
n'arriveront pas à s'y insérer. Je ne dis pas que c'est là
le seul vice au fonctionnement de notre système économique mais
celui-là me frappe particulièrement.
Il reste un dernier point que j'ai abordé très rapidement
dans mon texte, c'est celui du vieillissement. Nous n'avons pas le choix, il va
se produire plus ou moins rapidement selon le niveau de la
fécondité. Il va se produire de toute façon. Là, on
n'a pas le choix de l'éviter ou non. On doit essayer d'y faire face le
mieux possible. Ce vieillissement va entraîner - et c'est peut-être
l'aspect de ce vieillissement qui est le plus clair, le plus net parce qu'on
peut mesurer les choses - autour de l'an 2010 ou 2020 -on mange notre bon pain
pour l'instant, notre pain blanc parce que ce vieillissement ne nous a pas
beaucoup affectés mais il va prendre une proportion considérable
dans 20 ou 25 ans. À ce moment-là, on va avoir à faire
face à une augmentation des coûts énormes quant à
l'entretien des personnes âgées. Il faut essayer de réduire
ces coûts. Il y a sans doute plusieurs façons de le faire. L'une,
qui me paraît assez à contre-courant par rapport à
l'opinion la plus répandue en ce moment, mais qui est peut-être
essentielle à la solution de ce problème, c'est d'essayer de
repousser un peu l'âge de la retraite, c'est-à-dire de maintenir
en activité au moins partielle, du moins pour ceux qui le
désirent, les travailleurs qui seraient prêts à poursuivre
leur activité après 65 ans ou 70 ans. On a insisté sur
cette question avec des réclamations absolument irresponsables,
sans aucune considération pour les coûts que cela pouvait
entraîner à propos de l'âge de la retraite qu'on a
souhaité voir s'établir à 60 ans, voire à 55 ans.
Je trouve que c'est complètement irresponsable et que, finalement, si on
se lançait dans une aventure semblable, ceux qui paieront les pots
cassés, ce sont les vieillards de l'an 2010 ou 2020 et par la suite.
Je pense qu'il y a beaucoup d'ajustements à faire. Cela suppose
évidemment un ajustement du monde du travail. C'est sûr qu'on ne
peut pas demander à un travailleur de 70 ans de faire le même
travail que quelqu'un qui en a 40. Il y a un ajustement du monde du travail -il
y a probablement plusieurs facettes; je ne suis pas un spécialiste de la
question - qui devrait se réaliser si vraiment on veut être
accueillant pour les personnes âgées qui désirent
poursuivre leur activité économique un peu plus longtemps que ce
qui se fait maintenant.
Du même coup, j'y verrais d'autres avantages. Un assouplissement
du marché du travail, je pense que cela permettrait probablement plus
facilement de faire une place aux femmes et aux jeunes. Encore là, on
retrouve la domination de ce monde par les adultes masculins qui l'ont
organisé en fonction de leurs propres besoins, de leurs propres
désirs et qui se sont assez peu souciés des conditions dans
lesquelles les autres groupes devaient essayer de s'ajuster pour essayer
d'entrer dans ce marché.
Voilà l'essentiel de ce que j'avais à vous dire. Mon
message, en résumant ce que je voulais surtout dire à la
commission, c'est qu'on devrait pratiquer une politique de population en ce qui
touche le vieillissement de la population, la hausse de la
fécondité. C'est une chose beaucoup plus compliquée que
cela en a l'air au point de départ. Je vous remercie, M. le
Président.
Le Président (M. French): Je vous remercie de la part des
membres de la commission, M. Henripin. J'ai une demande d'intervention de la
part du député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci. Mes premiers mots seront des mots de bienvenue
et de remerciements à l'égard de M. Henripin, qui vient nous
donner son point de vue sur sa vision des problèmes
démographiques auxquels le Québec a à faire face. Une
première partie du court exposé que vous nous présentez,
M. Henripin, porte sur le solde migratoire qui, finalement, constitue une
saignée constante pour le Québec dans le sens qu'il y a plus de
gens qui sortent du Québec, actuellement, qu'il y en a qui y entrent.
Hier, d'autres groupes de personnes sont venus devant nous qui ont soumis
quelques chiffres à notre attention, ce qui nous a permis
d'établir, à ce moment-là, selon les
événements, selon les évaluations qu'elles avaient faites,
que le solde migratoire net interprovincial au Québec, pour les
années qui se sont écoulées entre 1976 et 1981, a
été de l'ordre de 156 000 personnes. Les chiffres soumis pour
l'année 1981-1982 étaient de 25 000 personnes et, après,
de 24 000 personnes. Des chiffres préalables semblaient indiquer 19 000
ou 20 000 personnes pour l'année 1983-1984. En même temps, dans
votre mémoire, M. Henripin, vous établissez clairement
qu'à la source, ces départs du Québec sont des anglophones
et des allophones. Pourriez-vous nous dire si des vérifications ont
été faites quant à la provenance de ces gens qui quittent
le Québec? L'affirmation que vous faites ici dans votre mémoire
est basée sur quelle vérification?
M. Henripin: Ce sont des phénomènes sur lesquels
à peu près tout le monde s'entend, qui sont établis
très clairement et de façon très sûre, grâce
à une question qu'on pose lors du recensement. On demande simplement aux
gens: Où habitiez-vous cinq ans auparavant? On peut, avec une question
comme celle-là, comparer la région où la personne habitait
cinq ans auparavant et la région où elle habite au moment du
recensement et voir un peu si elle a changé de province, par exemple.
Comme on a, par le même recensement, des tas de caractéristiques
dont la langue en particulier, soit la langue maternelle, soit la langue
d'usage, il est facile de classer tout cela suivant la langue des gens. Pour ce
qui est des migrations interprovinciales, ce sont là des informations
relativement sûres. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'erreurs, mais enfin,
elles sont relativement bien établies. Il y a peu de discussion,
à ma connaissance, en tout cas sur cela. Il y en a sur les
échanges migratoires entre le Québec et les pays
étrangers, parce qu'on n'a pas de renseignements directs sur ceux qui
sortent du Québec pour aller dans un autre pays. Ils n'annoncent cela
à personne. Alors, on peut se bagarrer un peu sur les estimations et on
est tenu de faire des hypothèses là-dessus, mais pour les
courants interprovinciaux, il n'y a pas de... Non, c'est tout à fait
simple, ce sont des informations qu'on a quasiment à l'état brut
si on fait les bons tableaux avec les informations du recensement.
M. Doyon: Ce sont des informations extrêmement
intéressantes qui nous éclairent sur le phénomème
lui-même. Hier, mon collègue de Mille-Îles se
réjouissait de voir qu'il y avait, semble-t-il, une diminution. Il
établissait à 30 000 la moyenne pour les années 1976
à 1981, voyait que cela
descendait à 25 000, 24 000, 22 000, 20 000 et tentait d'y voir
là une stabilisation du phénomène migratoire à
l'extérieur du Québec. M. Henripin, compte tenu de
l'identification qu'on fait de la source de ce mouvement migratoire, ne
serait-il pas plus juste de voir dans la diminution de ce solde migratoire le
fait que le potentiel de migrants a rapetissé...
M. Henripin: Oui.
M. Doyon:... que le bassin rapetisse, compte tenu que le nombre
d'anglophones diminue, le nombre des allophones aussi proportionnellement, et
que ce serait là une des explications qu'on pourrait retenir, en tout
cas à première vue, sur cette diminution qui, hier,
réjouissait au plus haut point mon collègue de
Mille-Îles?
M. Henripin: C'est certainement une explication au moins
partielle. C'est sûr que, pour employer votre expression, le potentiel de
migrants anglophones se réduit au Québec, puisqu'en nombre
absolu, les anglophones deviennent de moins en moins nombreux, non seulement en
proportion mais aussi en nombre absolu. C'est sûr qu'à propension
égale à quitter le Québec, il va y en avoir de moins en
moins en nombre absolu. Est-ce que c'est la seule explication? Je ne sais pas.
Il faudrait attendre le recensement de 1986 pour être
éclairés là-dessus, pour savoir si, en termes de taux, par
exemple, cela s'est maintenu ou non. Il me paraît clair qu'il y a eu une
flambée de sorties d'anglophones et d'allophones aussi. On les oublie
souvent, mais ils sortent beaucoup aussi, les allophones du Québec. Ils
sortent moins que les anglophones, mais enfin, il y a quand même une
perte en termes de proportions beaucoup plus importante que l'émigration
nette des francophones, par exemple. Il y a certainement eu une flambée
qui a été liée à l'avènement du Parti
québécois et de la loi 101. Je pense qu'il y a eu un petit
excédent de gens qui sont partis un peu parce qu'il y avait un peu
d'agitation politique. Ils ne se sentaient pas à l'aise, etc. Cela s'est
probablement un peu calmé depuis, mais il reste quand même que la
propension... Vous savez, comme ordre de grandeur, pendant les trois derniers
lustres, les trois dernières périodes de cinq ans qui ont
précédé le recensement de 1981, c'est-à-dire entre
1966 et 1981, c'est, à chaque coup, 15% des anglophones qui avaient
quitté le Québec tous les cinq ans. C'est énorme.
Enfin, puisqu'on parle de cela, la crainte de voir les anglophones du
Québec manger les francophones, cela me paraît loin des
perspectives qu'on peut faire d'une façon un peu raisonnable
aujourd'hui. Ce qui risque d'arriver à la fraction des anglophones au
Québec, c'est qu'elle sera passée d'à peu près 15%
en 1971 à 10% en 2000, avec probablement une réduction des
nombres absolus aussi. Je pense qu'il faut en revenir de nos craintes, que j'ai
partagées d'ailleurs. J'ai été l'un des premiers,
peut-être, dans mes études à attacher le grelot à
propos de cette histoire, pour une raison fort simple: c'est qu'on était
à ce moment-là très mal renseigné sur les courants
migratoires interprovinciaux par langue. On ne les connaissait pas. On faisait
des hypothèses raisonnables là-dessus. On n'imaginait pas que
c'était aussi défavorable aux anglophones, de sorte que les
perspectives qu'on a faites avant 1977 étaient, chez tous les auteurs
que je connais, plutôt alarmistes. On disait: Attention, on risque de
diminuer, etc. Puis est arrivée une nouvelle information que personne ne
soupçonnait et l'attitude normale d'un scientifique, c'est de dire:
nouvelle information, nouveaux calculs. Nouveaux calculs, résultat
différent. J'ai changé d'idée sur cette question. On me
l'a reproché, d'ailleurs. Je suis très fier parce que je trouve
que c'est la caractéristique d'un homme de science que d'être
esclave des faits. (12 heures)
M. Doyon: Oui, je pense que c'est extrêmement
intéressant, extrêmement important, les renseignements que vous
nous fournissez actuellement, M. Henripin. Il est bien sûr que
politiquement, parfois, il peut être avantageux, pour des raisons sur
lesquelles je n'ai pas à insister, de brandir l'épouvantail de la
minorisation francophone au Québec, etc., et de l'empiétement
anglophone, mais comme vous le dites, à l'examen des chiffres, à
l'examen des statistiques, on a une autre vue des choses. Je vous remercie de
profiter de votre passage ici pour le souligner. On a parfois besoin de gens
qui, comme vous, sont des scientifiques pour cesser de réagir purement
émotionnellement et d'avoir au moins des prises de position qui sont
basées sur des faits vérifiables scientifiquement, ce que vous
nous fournissez aujourd'hui.
Il est intéressant de poursuivre le raisonnement que vous faites
où vous faites état des besoins que vous envisagez pour qu'il y
ait véritablement un redressement de la natalité au
Québec. C'est une situation sérieuse et vous nous expliquez que
l'augmentation de la fécondité féminine tient en des
facteurs qui sont autres, qui peuvent aller au-delà de politiques
purement natalistes, qui peuvent avoir des effets immédiats, des effets
peut-être quantifiables à courte échéance, mais
à long terme, il faut aller au-delà et c'est dans ce sens, M.
Henripin, que j'aimerais que vous détailliez, parce que vous recoupez
des renseignements qui nous ont été fournis hier par le Groupe de
travail canadien sur la population où on liait l'augmentation de la
fécondité chez les
couples à une amélioration de toute la situation
économique, de toute la situation environnementale, sociale, culturelle,
de bien-être général qui entoure une famille, qui entoure
un couple et que la décision d'avoir des enfants est reliée de
beaucoup plus près qu'on ne le croit, à première vue,
à une situation d'ensemble, à une société qui est
bien dans sa peau, comme on pourrait dire et où les perspectives
d'avenir sont rassurantes. Est-ce que vous pourriez nous expliquer comment vous
en venez à une conclusion semblable qui rejoint, finalement, celle que
nous faisait M. Charles Nobbé, coordonnateur et consultant sur la
population du GTCP, qu'on a eu hier avec nous.
M. Henripin: J'imagine que M. Nobbé faisait allusion
à une théorie absolument fascinante qui a cours en ce moment, qui
est la théorie dite Easterlin qui ne fait pas l'affaire de tout le
monde, mais qui, du moins pour ce qui est de l'explication du passé,
à l'air de tenir debout, c'est-à-dire l'explication du "baby
boom" suivi d'une chute de la natalité. Il semble bien, en tout cas,
qu'il y a un lien très étroit entre le confort - appelons cela
comme ça - des jeunes adultes, d'une part, et l'intensité de leur
procréation. Cela me paraît, à moi, assez bien expliquer ce
qui s'est passé depuis 40 ans. Le problème, c'est de savoir si
cela va encore expliquer les années qui viennent? On peut penser que
dans une certaine mesure, certes, mais il ne faut pas négliger quand
même des concurrents très sérieux qui se développent
par rapport aux enfants, c'est-à-dire les besoins qu'éprouvent
les jeunes adultes qui sont en concurrence très marquée par
rapport aux enfants. Il y a, d'une part, le travail des femmes. Il se trouve
qu'au début du "baby boom", les jeunes femmes ont consenti dans une
très large mesure à rester chez elles pour élever les
enfants parce que la situation économique de leur mari permettait ce
choix sans trop de dommages. Lorsque la situation économique relative
des jeunes adultes est devenue un peu moins bonne, les jeunes femmes ont
pénétré sur le marché du travail d'une façon
beaucoup plus intense. Pour d'autres raisons aussi, peut-être pas
seulement parce que leur mari gagnait un peu moins qu'autrefois, mais enfin,
pour d'autres raisons. Nous sommes maintenant dans une société
où la majorité, je pense, des femmes mariées travaillent.
Est-ce qu'elles vont consentir à sacrifier trois ou quatre ans de plus
de leur vie affective pour faire un enfant de plus? Cela me permet d'attirer
votre attention sur une argumentation qui est présentée parfois
d'une façon très simpliste par certains groupes de pression. On a
souvent tendance à opposer femme de carrière d'une part et
mère de famille restant chez elle toute sa vie d'autre part. En fait, le
véritable choix sera porté sur le nombre d'années qu'une
femme devra, ou un homme peut-être aussi, mais, enfin, que l'un des deux
parents, disons, et je pense bien que dans la mentalité actuelle ce sera
encore le lot des femmes pour la grande majorité des cas, mais le
problème pour elles sera de savoir combien d'années elles seront
consentantes à sacrifier plus ou moins pour pouvoir élever leurs
jeunes enfants.
Si elles en ont deux et qu'elles décident de les élever
elles-mêmes jusqu'à ce qu'ils aillent à l'école,
elles sacrifient huit ou neuf ans de leur vie active en sacrifice partiel ou en
sacrifice complet, je ne sais pas, car il y a toutes sortes d'ajustements
possibles. Il en reste tout de même 30 ou 35. Ce n'est pas un sacrifice
complet.
Consentir à avoir un troisième enfant, c'est allonger
cette période de trois ou quatre ans. Évidemment, c'est aussi
supporter un fardeau un petit peu plus lourd après que les enfants sont
à l'école parce qu'il faut tout de même s'en occuper,
même s'ils sont à l'école. Enfin, il me paraît un peu
exagéré de présenter le problème comme en
étant un de choix entre rester à la maison toute sa vie ou
travailler toute sa vie. Il y a des ajustements possibles et je pense que c'est
le rôle de la société, le rôle du gouvernement
d'essayer de réduire le plus possible cette concurrence entre le besoin
qu'ont les femmes de travailler à l'extérieur de leur foyer et le
besoin qu'a la société d'avoir trois enfants au lieu de deux.
Je pense que non seulement le gouvernement doit travailler à cela
mais que le monde du travail doit aussi travailler à cela en essayant de
diffuser le plus possible différentes formes de souplesse dans
l'organisation du travail, pas seulement pour les femmes d'ailleurs mais aussi
pour les hommes. Il n'y a rien d'écrit au ciel disant que ce sont
exclusivement les femmes qui doivent toujours s'occuper de leurs enfants. Les
hommes pourraient peut-être y faire quelque chose aussi, de sorte qu'on
pourrait très bien offrir aux deux sexes des régimes de travail
souples. Cela se dessine un peu mais ce n'est pas très
marqué.
D'autres concurrents aux enfants, il y en a toute une kyrielle et ce
sont des besoins qui, autrefois, étaient quasiment inimaginables et qui,
aujourd'hui, sont à la portée des gens comme d'avoir deux
automobiles, d'avoir une maison à la campagne, d'aller faire des voyages
une ou deux fois par année dans les pays étrangers pour prendre
des vacances, etc. Ces choses-là sont devenues, à mon avis - et
on pourrait allonger la liste: manger au restaurant plutôt que de manger
chez-soi et des tas de trucs comme cela - concurrentes aux enfants en termes de
liberté et en termes purement pécuniaires. Je pense que ce sont
des concurrents de plus en plus
sérieux. Il va falloir aussi affronter ces
concurrents-là.
Tout cela pour vous dire que ce qui semble bien avoir été
une explication bonne et simple pour les 40 dernières années,
sera peut-être moins bon et moins simple pour les prochaines. Je pense
qu'il est fondamental et nécessaire d'améliorer le sort des
jeunes adultes. Il. faut aussi, je crois, introduire dans l'organisation de
notre société des nouvelles formes qui permettent en même
temps d'éduquer les enfants et d'entretenir une activité
professionnelle extérieure au foyer. Je pense qu'il y a beaucoup de
travail à faire dans cette direction-là.
M. Doyon: Hier, des personnes qui ont comparu devant nous,
à la suite des questions qu'on leur posait, nous ont affirmé
quelque chose qui m'a un peu surpris à première vue. On parlait
des raisons qui faisaient que des femmes avaient moins d'enfants et quand on
demandait leur raison à ces femmes, elles invoquaient très
souvent la raison économique, que cela coûtait cher d'avoir des
enfants, de les élever, de les habiller, etc. C'était la raison
souvent apportée. Les intervenants qui étaient devant nous
disaient: II s'agit d'une raison qui semble avoir plus ou moins de valeur parce
que l'impact économique est difficilement évaluable. Finalement,
quand les gens veulent avoir des enfants, ils en ont. On disait, au-delà
de cela, qu'il n'est pas sûr que le fait d'avoir un enfant maintenant, en
1984 ou en 1985, soit un fardeau économique plus lourd que de l'avoir eu
il y a 30, 40, 50 ou 60 ans, où on en avait sept, huit, neuf ou dix. La
famille devait s'ajuster et les gens qui étaient devant nous nous
disaient: II n'y a rien qui nous dit que le fardeau économique d'avoir
des enfants à ce moment-là était proportionnellement plus
lourd qu'il ne l'est actuellement. Cela m'a un peu surpris, dans le sens de ce
que vous nous dites actuellement, que les compétiteurs des enfants
à ce moment-là n'existaient pas ou étaient très peu
présents. On ne pensait pas d'aller en Floride tous les ans, on ne
pensait pas aux vacances de ski, on ne pensait pas à une deuxième
maison de campagne, on ne pensait pas aux études universitaires, on
arrêtait en quatrième année, quand on s'y rendait, et on
avait hâte que le fils ou la fille s'occupe de la maison, s'occupe des
champs, très souvent, dans une société qui était en
grande partie agricole.
L'affirmation que des personnes nous ont faite hier m'a un peu surpris.
Il m'apparaît que l'argument économique a probablement plus de
valeur que cela nous a été présenté hier et les
réflexions que vous nous faites sont un peu dans ce sens. Est-ce que
vous seriez porté à faire l'évaluation que finalement,
actuellement, passer de deux à trois enfants ou de trois à quatre
enfants, cela a une implication économique qui est plus grande, plus
importante que cela ne l'était il y a 50 ans quand je suis venu au
monde, par exemple, et que mon père a décidé d'avoir six
enfants plutôt que cinq?
M. Henripin: Moi, je serais porté à le penser. Pour
reprendre d'une autre façon et d'une façon assez courte ce sur
quoi on a l'air d'être tous les deux d'accord, ce n'est pas tellement
parce que le coût des enfants aujourd'hui est plus grand qu'autrefois par
rapport aux revenus, c'est qu'il y a d'autres besoins qui se sont beaucoup
développés et qui font que la concurrence entre ces diverses
satisfactions possibles des jeunes couples, cette concurrence devient de plus
en plus sévère.
Il y a une autre chose à considérer. On
réfléchit toujours à ce problème en termes de gens
mariés qui se posent le problème de savoir combien d'enfants ils
vont avoir. Il y a un problème peut-être énorme qui est en
train de se dessiner, c'est que les gens ne se marient plus et je ne sais pas
pourquoi. C'est un phénomène un peu nouveau. Il y a parfois des
statistiques là-dessus, qui prêtent à des
interprétations peut-être exagérées. Les
démographes ont toutes sortes de mesures dont certaines ne sont pas
très bien représentatives du comportement réel des gens.
J'ai vu, dans le livre vert sur la famille, par exemple, que 40% - comme ordre
de grandeur, c'est à peu près cela -des hommes ne se marient pas
et à peu près autant de femmes, d'ailleurs, ne se marient pas. Ce
sont des mesures qui ne sont pas fausses, mais elles traduisent mal, je pense,
elles risquent, en tout cas, de mal traduire le comportement réel des
gens. Cela ne veut pas nécessairement dire que 40% des jeunes de 20 ans
à 25 ans aujourd'hui ne se marieront pas au cours de leur vie. De
même pour les femmes.
Cette réserve étant faite, il reste qu'on assiste en ce
moment à l'éloignement des engagements que représente le
mariage, qui se présentent sous une forme religieuse légale ou
parfois même sans loi. Cela me frappe beaucoup de voir qu'une grande
fraction des jeunes, disons, ne veulent pas s'engager à long terme. Je
n'ai pas de solution à cela. Je ne sais pas pourquoi, dans notre
société, les jeunes ne veulent plus s'engager pour plus de deux
semaines.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Doyon: Une autre question, M. le Président, avec votre
permission. Pour revenir au phénomène de migration à
l'extérieur du Québec d'un certain nombre de personnes qui est
quand même important et qui a des effets sur la démographie du
Québec et les problèmes que cela cause, est-ce que vous avez pu
identifier de quelque
façon des efforts concertés qui pourraient être
faits ou qui ont été faits de la part du gouvernement de
façon à retenir chez nous un certain nombre de personnes? Est-ce
qu'il y a quelque chose qui pourrait être fait par les pouvoirs publics
d'une façon ou d'une autre pour, premièrement, identifier les
raisons de départ - j'imagine que ce serait un préalable - et,
deuxièmement, pour voir si, finalement, des irritants qui ne sont pas
très importants - appelons-les comme cela puisque c'est un mot qui a
été mis à la mode à un certain moment - peuvent...
Aux petites causes, très souvent, les grands effets. On pourrait
peut-être envisager - je vous demande votre opinion là-dessus - un
effort concerté, un effort véritable, de la même
façon que vous le suggérez un peu au niveau d'une politique
nataliste, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas de honte de la part de
l'État de mettre de l'avant que l'État verrait d'un bon oeil des
familles qui auraient trois, quatre ou cinq enfants, que ce ne serait pas une
tare, loin de là. Cela pourrait se concevoir. On voit de la
publicité, de la propagande sur tellement de choses, qu'on en verrait
là-dessus et personnellement cela ne me scandaliserait pas du tout et je
n'y verrais pas grand-chose à redire.
De la même façon, est-ce qu'on ne pourrait pas
considérer une espèce d'incitation de la part du gouvernement
à garder les gens qui sont déjà chez nous plutôt
qu'une attitude qui m'a semblé peut-être, au niveau de la
perception, et ne serait-elle qu'au niveau de la perception de la part des gens
qui partent: Vous pouvez partir! et, bien souvent, c'est: Bon débarras!
On ne retient personne chez nous. Est-ce que vous avez des réflexions
sur ce sujet-là? (12 h 15)
M. Henripin: Deux choses si vous voulez. Il m'est arrivé
de poser la question. Je ne vis pas dans un milieu anglais, je ne sais pas
comment les anglophones au Québec sentent les choses. J'ai eu
l'occasion, une fois, de rencontrer un responsable de l'Alliance et j'ai dit:
Qu'est-ce qui vous nuit le plus, qu'est-ce qui vous embarrasse le plus dans la
situation entraînée par la loi 101, par exemple? Il m'a dit: Deux
choses: les écoles, d'une part. Il voudrait bien qu'au moins les vrais
anglophones... Appelons-les comme ça, si vous voulez, ceux qui parlent
anglais depuis plusieurs générations. Je pense qu'il serait
normal que ces gens-là aient le droit d'aller à l'école
anglaise et je ne pense pas que ça menace l'existence des écoles
françaises ni que ça fasse remonter la fraction des
écoliers qui fréquentent l'école anglaise, au niveau
qu'elle a déjà atteint, 16, 6% je pense, si mes souvenirs sont
bons, en 1976. Il y a le problème des écoles; il y a toutes
sortes d'assouplissements qu'on pourrait faire de ce
côté-là. Il faudrait les interroger. Il faut leur demander
ce qu'ils veulent avoir. Je ne le sais pas à leur place.
Il m'a dit une autre chose: la langue de l'affichage. C'est une gifle -
ce n'est pas l'expression qu'il a employée mais j'ai saisi ça -
cette histoire d'affichage. On est obligé de cacher notre langue. J'ai
eu l'impression que ça faisait vibrer les cordes fort sensibles chez ces
gens-là. Nous, les Canadiens français, on a plutôt
l'impression que les Anglais sont des gens froids, qu'ils ne vibrent à
rien mais j'ai l'impression qu'ils sont quand même parfois sensibles
à des choses de caractère affectif.
Je pense que ce sont deux directions qu'on pourrait du moins explorer.
Je n'ai pas de recette, je n'ai pas de solution à apporter, on pourrait
explorer ça.
Il y a autre chose à propos des départs des anglophones.
J'ai attiré l'attention tout à l'heure sur le fait que cette
propension à quitter le Québec était beaucoup plus forte
chez les jeunes. On m'a dit, je ne sais pas, je pense que c'est appuyé
sur des enquêtes, qu'ils ne se sentent pas prêts à
travailler en français, ce à quoi ils pensent qu'ils seront
obligés s'ils restent au Québec. Faute d'avoir suffisamment
appris le français, ils voient leurs chances meilleures s'ils vont
s'établir plutôt dans une province où ils pourront
travailler dans leur langue.
Il y a une solution à ça, c'est de leur apprendre le
français à l'école. Je ne parle pas des classes
d'immersion. Il y en a qui ont pris le taureau par les cornes et qui ont
réglé le problème mais enfin! tous les enfants anglophones
n'iront pas dans les classes d'immersion française mais qu'on donne,
dans l'école anglaise, des outils suffisants pour apprendre le
français. Cela se fait.
Je dirai la même chose pour ce qui est des francophones en ce qui
concerne l'apprentissage de la langue anglaise. C'est désastreux de voir
des étudiants qui arrivent à l'université, à qui on
donne un peu de littérature à lire en langue anglaise et qui nous
reviennent en disant: j'ai pris une heure pour lire trois pages et je ne suis
pas sûr d'avoir compris. Ce sont des textes faciles, pas des textes ardus
à cause de l'aspect technique de certains textes, mais souvent des
textes très faciles et ils ne peuvent pas lire un texte anglais.
J'imagine que les faiblesses de l'enseignement de l'anglais - que je
connais mieux - dans les écoles françaises, on doit retrouver un
peu la même chose en ce qui concerne l'enseignement de la langue
française dans les écoles de langue anglaise.
On a un ministère de l'Éducation pour régler ces
problèmes-là. J'imagine, en tout cas!
Le Président (M. French): Merci. M. le
député de Vachon. M. le député de
Mille-Îles.
M. Champagne: Merci, M. le Président. Dans un premier
temps je veux remercier M. Henripin de s'être présenté ici
devant la commission parlementaire. J'aurais aimé que le
député de Louis-Hébert soit ici parce que je voulais
discuter dans ce sens-là. Je vais prendre une autre question avant.
Une voix: On peut suspendre.
M. Champagne: M. Henripin, dans un de vos volumes, "Les enfants
qu'on n'a plus au Québec", des Presses de l'Université de
Montréal, en 1981, vous aviez publié un tableau sur des types de
mesures favorisant la fécondité et un nombre de réponses
correspondantes. J'aimerais savoir quelles seraient les mesures qui pourraient
favoriser la fécondité. Hier, nous avons entendu des groupes
venant des milieux familiaux qui disaient: Bâtissons une politique
familiale ferme et il n'y aura pas cet empêchement de la
fécondité. D'autres nous ont dit: Ayez une condition
économique de plein emploi et il n'y aura pas de problème
à la fécondité. Je pense que cela va de soi. Est-ce que
vous favoriseriez une politique pronataliste selon le tableau que je vois ici
devant moi dans votre volume? Est-ce que vous iriez plus loin que ces deux
éléments en disant quelles seraient les mesures que,
personnellement, vous favoriseriez pour faire en sorte qu'il y ait une plus
grande fécondité, surtout chez les mères qui ont
déjà deux enfants, un troisième et un quatrième
enfant?
M. Henripin: Les proportions, enfin le tableau auquel vous faites
allusion, c'est le résultat des réponses des gens. Ce ne sont pas
mes idées personnelles sur ce qu'il y aurait à faire. Je pense
qu'il faut regarder avec une grande réserve les réponses que nous
font les gens à des enquêtes comme celle-là. Cela a sans
doute une signification, mais cela ne veut pas dire que si on faisait... On
n'est pas allé très loin dans cette veine, mais on a vraiment
poussé les gens un peu au pied du mur en leur disant: Écoutez!
Qu'est-ce que le gouvernement pourrait faire pour vous convaincre, vous,
d'avoir un enfant de plus? Ils nous disaient une réponse, peu importe,
une mesure quelconque, à savoir l'augmentation de l'allocation
familiale. On revenait à la charge en disant: Si, vraiment, les
allocations familiales étaient augmentées, vous auriez vraiment
un enfant de plus? Là, tout de suite, une bonne fraction se retiraient
et disaient: Je ne sais pas. Ils n'avaient pas bien compris le sens de la
question. Je pense qu'il est relativement facile, en situation d'interview,
pour des gens de dire, comme ça, allègrement: Si les allocations
familiales étaient doublées ou triplées, j'aurais un
enfant de plus. Quand on les pousse un peu au pied du mur, on s'aperçoit
que cela mériterait encore un peu plus de réflexion. Ces
réponses-là n'ont peut-être pas toute la signification
qu'on serait porté à leur donner. De là à dire
qu'elles n'ont pas de signification du tout, il y a une marge. Je n'irais pas
jusque-là, je pense.
Enfin, vous me posez la question. Je vous dirai qu'il y a trois domaines
dans lesquels il faut faire quelque chose d'important. Sur le plan financier,
et il y aurait en plus peut-être tout un ensemble de services à
organiser pour alléger un peu le fardeau des parents, mais des services
en nature, cette fois, et non pas des allocations... Je pense qu'il faut
réaménager la fiscalité. Elle me paraît très
injuste lorsqu'on compare le sort de ceux qui ont des responsabilités
familiales avec ceux qui n'en ont pas. Bien sûr, on a des petites
exemptions de revenu imposable compte tenu des enfants. Elles semblent un peu
menacées en ce moment. Cela me paraît un peu ridicule par rapport
à ce qu'un enfant coûte vraiment. Il y aurait donc un
réaménagement de la fiscalité pour tous les groupes
économiques d'ailleurs. Le propre des prestations familiales,
c'est-à-dire cet ensemble de mesures à caractère un peu
pécuniaire, ou financier en tout cas, qui ont pour but d'égaliser
un peu les niveaux de vie entre ceux qui ont beaucoup d'enfants et ceux qui
n'en ont pas beaucoup, leur caractéristique, c'est qu'elles doivent
être faites pour tous les niveaux de revenu. Ce ne sont pas d'abord des
mesures de lutte contre la pauvreté. Tant mieux si elles ont aussi cet
effet-là. Je n'ai rien contre la lutte contre la pauvreté. Il
faut prendre les mesures qu'il faut pour cela. Mais les prestations familiales
ne sont pas d'abord des mesures de lutte contre la pauvreté. Donc, on
peut priver les gens dont on dit qu'ils sont à l'aise. Ces
allégements fiscaux, par exemple, il faudrait qu'en profite tout le
monde, quel que soit le revenu. Il y a, dans les discussions autour de cela,
des choses qui me frappent beaucoup. On parle de dons faits par un gouvernement
à des individus, à ses citoyens, quand il s'agit simplement de ne
pas prélever quelque chose de plus chez eux. Cela me paraît quand
même un peu fort. Ne pas prendre quelque chose à quelqu'un ce
n'est pas lui faire un don. À ce moment, on pourrait dire que les
gouvernements au Canada donnent des milliards de dollars aux riches parce
qu'ils ne leur prélèvent pas tout ce qui dépasse 25 000 $
par année. Si on veut entrer dans cette logique, on pourrait leur dire
cela. Il me semble qu'il y a une différence entre prélever
quelque chose chez quelqu'un ou ne pas prélever quelque chose chez
quelqu'un et lui faire vraiment un don.
Je ferme ma parenthèse là-dessus. C'est une chose qu'il
faudra réaménager. Je n'ai pas de formule. Vous allez penser
que
j'en ai un peu contre le livre vert sur la famille; c'est vrai que j'en
ai un peu. Là-dedans, il n'est pas fait allusion au système
français. Je ne dis pas qu'il faut le copier mais on pourrait au moins
en parler, le critiquer et, si on n'est pas d'accord, dire pourquoi. C'est un
système un peu particulier qui essaie de tenir compte d'un façon
plus juste, je pense, que chez nous des inégalités entre ceux qui
ont des enfants et ceux qui n'en ont pas.
Il faudrait hausser les allocations familiales et peut-être mettre
l'accent, et un accent très fort, sur le troisième. Les
Français n'en ont pas pour le premier. On pourrait peut-être faire
cette économie aussi. Je ne sais pas. On pourrait y
réfléchir en tout cas.
Enfin, il faudrait - c'est peut-être un peu plus complexe -
aménager d'une façon beaucoup plus satisfaisante les
congés de maternité, pas forcément payés à
98% ou à 95%; peut-être payer une bonne durée à peu
près à 100% du salaire ou quelque chose qui ne serait pas trop
éloigné de 100%. Cela serait à voir. Mais permettre en
tout cas le prolongement pendant une bonne période de ce congé
avec au moins, s'il n'y a pas de subvention à l'appui, la garantie pour
une femme de retrouver son emploi au bout de deux ou trois ans.
C'est dans cette veine que le gouvernement français s'est
dirigé. Si mes souvenirs sont bons, c'est la mesure qui a
été le plus favorisée lors d'une enquête qui a
été faite auprès des adultes français, femmes et
hommes. On leur a demandé d'indiquer leur préférence pour
toute une panoplie de mesures. Ils les connaissent bien puisqu'elles sont
pratiquées chez eux depuis longtemps. Si mes souvenirs ne sont pas trop
inexacts, je pense que la mesure qui a été de loin la plus
favorisée, c'était de pouvoir prolonger le congé de
maternité, même sans traitement.
Il faudrait explorer cela. Ce n'est pas par une enquête sur la
fécondité pendant laquelle on a posé sept ou huit
questions sur les mesures qu'on sait vraiment à quoi s'en tenir. Il
faudrait vraiment explorer d'une façon beaucoup plus poussée,
beaucoup plus fouillée la réaction éventuelle des gens
à un certain nombre de mesures. Tout reste à faire dans ce
domaine.
M. Champagne: Mon autre question est sur ce que M. le
député de Louis-Hébert avançait tout à
l'heure au sujet du solde migratoire; de toute façon, s'il y a des
départs ou des arrivées. Le Groupe de travail canadien sur la
population nous a dit, hier, que depuis quelques années, on a connu le
mouvement Ouest-Est. Il y a plusieurs années, c'était le
contraire. Les gens du Québec, les gens de l'Ontario allaient dans
l'Ouest; les gens du Québec s'en allaient soit en Ontario, soit en
Alberta. Ils s'en allaient dans l'Ouest. Le mouvement est inverse aujourd'hui.
On en a eu la preuve hier. C'est pour cela que je me réjouissais du fait
que le solde migratoire est en régression. Comme je le disais, il y a
quelques années, il était de 30 000 à peu près par
année; il est descendu à 25 000, 24 000 et on parle de 19 000. Je
me dis que cela signifie aussi qu'il y a des gens qui reviennent. Est-ce que
vous avez des statistiques qui font la preuve - enfin, des statisticiens
canadiens en ont parlé hier - qu'il y a un grand mouvement de l'Ouest?
Est-ce que vous avez des statistiques qui font la preuve que ce mouvement va
perdurer ou qu'il est sérieux?
M. Henripin: II existe des statistiques annuelles sur les mouvements
migratoires interprovinciaux. Malheureusement je ne les ai pas à
l'esprit, je ne les ai pas consultées depuis tout récemment. Ce
sont des estimations que fait Statistique Canada en se servant d'un certain
nombre de renseignements de caractère administratif comme les
déclarations d'impôt sur le revenu ou les déclarations de
changement d'adresse pour les bénéficiaires d'allocations
familiales. Avec ces informations, ces gens arrivent à estimer,
année par année, les échanges migratoires entre les
provinces. C'est une publication annuelle. Elle est accessible à tout le
monde. Je ne l'ai pas regardée depuis deux ou trois ans. Je ne suis pas
tellement au courant des toutes dernières valeurs de ce
phénomène.
(12 h 30)
II se peut qu'on assiste effectivement à un retour de gens qui
sont allés se casser le nez dans les provinces de l'Ouest, parce que la
situation semble moins brillante qu'elle ne l'a paru pendant un certain temps.
Qu'il y ait un retour, c'est possible. Est-il permanent ou temporaire? Je ne
pourrais pas vous le dire. Je pense que le recensement de 1986 vous renseignera
là-dessus. Il faudra peut-être attendre les résultats du
recensement de 1986 pour savoir un peu à quoi s'en tenir sur ces
mouvements, cette réduction de l'émigration nette du
Québec vers les autres provinces. Mon pari, c'est qu'elle va se
réduire un peu, je pense.
M. Champagne: Oui.
M. Henripin: Je ne peux pas vous dire que je peux appuyer cela
sur des analyses bien poussées.
M. Champagne: On est quand même inquiet, selon quelques
indices démographiques présentés hier, de constater que la
population du Québec, en 1951, représentait 30% de la population
canadienne et que, dans une vingtaine d'années, en 2006, elle ne sera
que de 23% ou 24%. C'est à cause de cela que c'est
inquiétant.
M. Henripin: Oui.
M. Champagne: Mais il y a un mouvement, le solde migratoire
semble quand même plus rassurant. On a posé la question: Quelles
sont les causes des départs ou du retour?
Une voix: Du retour?
M. Champagne: On a dit qu'il serait quand même
intéressant de savoir pourquoi. Enfin, votre département pourrait
quand même faire une étude là-dessus. La question est
posée. On n'aura peut-être pas la réponse, mais il serait
intéressant d'avoir des réponses à cela.
M. Henripin: Oui, mais je ne peux pas vous les donner.
M. Champagne: C'est cela. M. Henripin: Je m'excuse.
M. Champagne: C'est parce qu'on a dit tout à l'heure que
le débat est peut-être un peu émotif. On parle des faits.
Ce sont des faits; ce sont des chiffres. Je rappellerai simplement que
l'émigration, en 1976, était moins importante que celle des
années 1966 et 1967. Ce sont les faits.
Le Président (M. French): Excusez-moi, M. le
député. Je n'ai pas saisi votre dernière affirmation.
M. Champagne: C'est que, hier, les statisticiens qui se sont
présentés devant nous ont dit que l'émigration,
c'est-à-dire les gens qui sont allés à l'extérieur
du Québec, était plus forte en 1966 et en 1967 que dans les
années 1977, 1978. Cela a été dit hier. Ce sont les faits.
Je donne ma place à une autre personne.
Le Président (M. French): Merci, M. le
député. Je voudrais poursuivre en quelque sorte sur quelques-uns
des sujets qui ont été soulevés. Si vous voulez prendre la
parole, allez-y, M. le député.
M. Payne: Non, allez-y. Combien de temps avons-nous à peu
près?
Le Président (M. French): Nous avons 25 minutes. Si on
laisse de côté la mortalité, M. Henripin, nous avons deux
séries de variables, l'une touchant l'émigration et l'immigration
et, l'autre, la fécondité, essentiellement. Ce qui me passe par
l'esprit, lorsque je regarde ces deux aspects de la problématique de la
population, c'est qu'avec l'immigration et l'émigration, nous avons un
secteur dans lequel nous ne craignons pas l'instrument mais les
résultats sur le plan culturel d'une politique plus agressive en ce qui
a trait à la population au Québec. D'autre part, en regardant la
fécondité, il y a un aspect ou un secteur dans lequel nous ne
craignons pas les résultats, mais l'instrument pour à peu
près le même genre de motif, essentiellement un motif culturel
où les valeurs autres que l'économie, les valeurs qui
relèvent de notre conception de la société
québécoise, ses caractéristiques propres. Je voudrais vous
poser la question en termes assez généraux. Présumant une
politique de population agressive qui veut contrer la diminution prévue
de la population du Québec, une politique de population basée sur
une volonté politique assez nette, en termes pratico pratiques, si on
essayait d'établir pour l'émigration et l'immigration un solde
nul pour le Québec, pourriez-vous me dire la balance entre l'immigration
internationale et la réduction d'émigration, telle qu'on la
connaît dans les deux cas? Quel genre de mécanisme essaierait-on
de mettre ensemble? Quelle serait la part de l'immigration internationale, la
hausse d'immigration internationale ou l'effort de stopper l'émigration
qui serait raisonnable comme équilibre, si on visait cette cible de
solde migratoire nul? Je me rends compte que c'est une question
extrêmement difficile.
M. Henripin: Oui. Je ne suis pas sûr non plus de bien
saisir votre question. Il y a manifestement plusieurs façons d'atteindre
un solde migratoire nul. En jouant, on peut se permettre un solde
négatif du côté des échanges avec les autres
provinces combiné à un solde positif dans nos échanges
avec les pays étrangers. On peut imaginer l'inverse, quoiqu'il y ait
moins...
Le Président (M. French): On peut imaginer l'inverse, mais
l'inverse n'est pas de ce monde.
M. Henripin: L'inverse est moins réaliste.
Le Président (M. French): C'est cela. J'essaie de vous
inviter à vous situer, avec toutes vos connaissances, dans l'ordre du
possible, même si je vous demande un objectif impossible, soit un solde
nul.
M. Henripin: Écoutez, le Québec a une très
longue tradition de solde migratoire négatif. Cela a été
le fait de presque toute son histoire, sauf pendant une quinzaine
d'années après la dernière guerre où on a eu un
solde positif, tout pris en considération. Est-ce qu'on peut revenir
à cela? Moi, je dirais que, fondamentalement, cela dépend de la
santé économique de la province. Des gens vont venir ici si c'est
agréable et si on y fait bien sa vie. Ils vont quitter la province si on
peut plus facilement faire sa vie
ailleurs. Je pense que c'est fondamentalement lié à la
situation économique du Québec comparée aux autres
provinces. II y a une autre...
Le Président (M. French): II n'y a pas de politique
d'émigration ou d'immigration. Il y a une politique économique ou
une situation économique qui dicte, plus ou moins mécaniquement,
une politique de migration.
M. Henripin: J'ai l'impression que c'est à la base de
toute politique d'immigration un peu agressive, pour employer votre expression.
Ce serait d'assurer d'abord que les choses vont bien économiquement au
Québec. On ne pourra pas faire grand-chose sans cela, je pense.
Le Président (M. French): Oui, mais...
M. Henripin: Et, encore une fois, il faut retenir les gens, parce
que ces immigrants internationaux qu'on reçoit, par exemple, et qui,
dans le passé ont largement dépassé les émigrants
qui quittaient le Québec pour d'autres pays... Et il faut bien voir que
ces immigrants venant d'autres pays ont eu aussi une forte tendance à
quitter la province et à aller s'établir dans une autre province.
La perte du Québec est particulièrement grande aussi de ce
côté. Bien sûr, cela ne devient plus une émigration
internationale. Vous avez un immigrant international qui devient un
émigrant interprovincial. Mais la perte a été
considérable dans le passé.
Le Président (M. French): Proportionnellement
considérable...
M. Henripin: Proportionnellement considérable?
Le Président (M. French):... à la dimension de la
communauté allophone québécoise. Ce n'est pas
proportionnellement significatif par rapport au nombre d'anglophones dans les
chiffres de 1976...
M. Henripin: Je ne pourrais pas vous donner cela. Je ne le sais
pas, par langue. Je ne pourrais pas vous dire comment cela s'est passé
pour les anglophones ou pour les allophones.
Le Président (M. French): Autrement dit, il n'y a
essentiellement pas plus d'outils qui relèvent directement d'un ministre
tel que le ministre actuel de l'Immigration et des Communautés
culturelles que ceux qu'il utilise actuellement. C'est plutôt du
côté économique qu'il faut d'abord regarder. Une politique
de population agressive n'a aucun sens à moins d'une reprise importante
sur le plan économique.
M. Henripin: Cela me paraît une condition fondamentale,
essentielle. Maintenant, il n'est pas dit qu'au-delà, il n'y ait pas
encore d'amélioration possible quant à l'accueil qu'on fait aux
immigrants, quant à l'initiation qu'on leur donne à la vie ici,
à l'apprentissage de la langue. Je pense que la suggestion n'est pas
encore parfaite. Il y a certainement des choses à améliorer de ce
côté. Mais je pense que, derrière tout cela, il y a
toujours une condition minimale, une condition essentielle, c'est que la vie
économique soit un peu saine.
Le Président (M. French): II y a eu, l'année
dernière, à peu près 20 000 ressortissants sur le plan
provincial. Il y a eu à peu près 12 000 ou 13 000 entrées
internationales. Je pense que c'est à peu près dans cet ordre de
grandeur. La question que je me pose, c'est: Est-ce possible de faire en sorte
que les deux chiffres se rejoignent quelque part, évidemment, en
diminuant l'émigration et en haussant l'immigration? Je vous pose la
question si, dans un avenir de cinq, dix ou quinze ans, en perspective, il
serait raisonnable d'établir pour le Québec un objectif d'un
solde migratoire nul?
M. Henripin: Raisonnable, oui. Probable, je n'irais pas jusque
là.
Le Président (M. French): C'est comme une politique de
plein emploi. On peut en parler et on peut la poursuivre sans s'imaginer,
hormis quelque chose d'extraordinaire, qu'on va l'atteindre, mais cela ne nous
empêche pas de parler dans certains milieux d'une politique de plein
emploi.
M. Henripin: II y a des problèmes de choix
là-dedans. Il est possible de doubler, de tripler, de quadrupler le
nombre des immigrants qui viennent dans la province de Québec. Vous
n'avez qu'à ouvrir vos portes à l'Afrique, à l'Asie, sans
trop faire de manières et vous allez les avoir, vos immigrants, mais il
va falloir payer un coût pour cela. S'ils ne sont pas adaptés
à la vie économique d'ici, s'ils n'arrivent pas à se
trouver un poste ou un emploi, cela va faire un problème social
énorme et il y a des problèmes de seuil de tolérance. Je
pense qu'on a tendance à se voiler la face devant ces problèmes,
mais ils existent au-delà d'une certaine concentration de personnes. Ce
n'est pas toujours du racisme. On emploie souvent le mot "racisme", je pense,
à tort et à travers. Je vois cela comme de la
xénophobie.
Il y a chez la majorité des gens, sinon tous, une certaine
aversion pour des gens qui ne vivent pas comme eux, quoi, indépendamment
de la couleur de leur peau.
Ils ne parlent pas la même langue. Ils ne font pas la cuisine de
la même façon, je ne sais pas, moi. Ils n'entretiennent pas leur
pelouse comme les autres. Il y a toutes sortes de choses qui font que, bon! on
a tous, je pense, plus ou moins un certain degré d'aversion pour des
gens qui ne vivent pas comme nous. C'est de la xénophobie. Elle existe.
Tant mieux si on peut la réduire, mais je pense que d'ici à
quelques années, on n'arrivera pas à la faire disparaître
et cela entraîne un problème de seuil de tolérance à
l'égard d'immigrants qui ont des habitudes de vie tout à fait
différentes des nôtres. Je ne dis pas qu'il faut les exclure, mais
il y a une limite au nombre de gens. Tout dépend du prix qu'on est
prêt à payer dans ces termes-là aussi pour compenser les
pertes qu'on subit à l'égard des autres provinces. S'il y avait
un moyen, en tout cas, de retenir davantage les gens qui sont
déjà dans nos murs, je travaillerais d'abord là-dessus.
Ceux-là sont déjà adaptés. Il y a tout
bénéfice à les garder, si c'est possible.
Le Président (M. French): Dans le premier secteur, nous
avons la variable immigration et la variable émigration et encore une
fois, vous insistez sur le fait que les instruments qui nous sont disponibles
sont susceptibles d'être plus efficaces et les résultats plus
heureux si nous nous concentrons pour le moment à retenir plus de
Québécois au Québec et à attirer, je
présume, des gens de même arrière-plan social,
éducatif et linguistique à venir au Québec, plutôt
qu'une politique qui serait axée sur plus d'acceptation
internationale...
M. Henripin: Je n'ai rien contre une augmentation des immigrants
si le marché du travail s'y prête.
Le Président (M. French): Pour ce qui est de la
fécondité, dans le déclin démographique auquel le
Québec fait face, quelle proportion, grosso modo, est due à un
comportement dans le domaine de la fécondité différent du
comportement qui existe ailleurs dans les autres provinces canadiennes?
M. Henripin: II n'y a plus de très grande
différence. Assez bizarrement - c'est quasiment un paradoxe, ce que je
vais dire là - si vous regardez le comportement de trois groupes
linguistiques, les francophones, les anglophones et l'ensemble des autres, du
point de vue de la fécondité, au Québec, les francophones
- les francophones mariés, en tout cas, les couples francophones - ont
conservé une petite surfécondité par rapport aux couples
anglophones. Les deux sont largement dépassés par la
fécondité des couples allophones. Dans le reste du Canada,
surfécondité, pas très grande mais elle persiste toujours,
par rapport aux couples anglophones. Mais quand vous regardez le Canada dans
son ensemble, l'espèce de surfécondité que vous trouviez
dans chacun de ces morceaux, vous retrouvez l'ihverse à l'échelle
du Canada parce que le Québec, pour tous ses groupes linguistiques, est
devenu une terre d'infécondité. C'est vraiment quasiment un
miracle. C'est le miracle à l'envers. On a parlé du miracle de
notre forte fécondité d'autrefois, eh bien, le Québec est
devenu une terre d'infécondité pour les francophones, pour les
anglophones et pour les allophones.
Le Président (M. French): Alors, j'ai mal posé ma
question parce que ma question ne touchait pas les différences dans les
comportements reproductifs entre les groupes linguistiques mais bien de la
différence dans la fécondité des couples
québécois et la fécondité observée dans le
reste du Canada.
M. Henripin: Elle est inférieure.
Le Président (M. French): Cela cela. La question que je
voulais poser était à savoir quelle proportion de notre
déclin démographique serait rattrapée ou redressée
si le comportement des Québécois allait rejoindre le comportement
des Canadiens des autres provinces?
M. Henripin: Oh! Pas grand-chose.
Le Président (M. French): Est-ce que c'est minime?
M. Henripin: C'est minime. Les différences de
fécondité, on peut en parler, c'est intéressant, mais,
enfin, ce n'est pas grand-chose maintenant.
Le Président (M. French): Alors, si on veut redresser la
fécondité, on fait face non pas à une situation
québécoise qui est propre à notre société
mais on fait bel et bien face - et je pense que tout le monde l'a dit mais je
voulais juste savoir quelle était la proportion relative - à un
phénomène des pays industrialisés.
M. Henripin: Oui.
Le Président (M. French): On a à peu près
les mêmes moyens, même moins et parfois plus que les pays de
l'Ouest, de l'Europe, etc. On est dans le même bain qu'eux.
M. Henripin: Oui. Tout à fait exact.
Le Président (M. French): De tous ces pays-là, la
France - je sais que vous êtes là, M. le député de
Vachon, je poserai ma
dernière question, si vous me permettez -est le seul pays
démocratique qui a adopté une politique de population dont on
peut dire qu'elle est explicite et définie?
M. Henripin: Oui. Je dirais que le gouvernement français
est le seul gouvernement, à ma connaissance en tout cas, parmi tous les
pays démocratiques, qui a annoncé qu'il était pour un
redressement de la natalité. Cela étant, je pense qu'il faut dire
aussi que, dans certains autres pays, on commence à s'Inquiéter.
Je pense qu'en Allemagne de l'Ouest, on commence à s'inquiéter du
niveau de fécondité mais pas jusqu'au point où un
gouvernement a dit: Nous nous déclarons favorables à une hausse
de la fécondité et nous allons essayer d'établir des
mesures pour y arriver. (12 h 45)
D'ailleurs, la ' France est assez remarquable, d'autant plus que pour
les socialistes, c'était quasiment un reniement par rapport à une
vieille tradition de luttes presque contre ce qu'ils considéraient comme
le natalisme des gens de droite. Le gouvernement socialiste a été
obligé finalement d'embarquer dans cette espèce de courant
typiquement français d'un gouvernement qui se prononce pour le
redressement de la natalité. C'est un peu à l'encontre de
multiples déclarations qu'ils avaient faites avant de prendre le
pouvoir.
Le Président (M. French): Ce n'est pas le seul
exemple.
M. Henripin: C'est un signe d'intelligence, à mon
avis.
Le Président (M. French): Je vous remercie. J'aimerais
continuer mais il nous reste peu de temps. M. le député de
Vachon.
M. Payne: Non, allez-y!
Le Président (M. French); Je m'excuse là, mais il
nous reste peu de temps. Si vous voulez y aller.
M. Payne: Pour revenir un peu en arrière, vos
préoccupations sur le solde négatif migratoire sont bien connues.
Bien sûr, vous avez affirmé à plusieurs reprises dans le
passé que ce sont les anglophones et les allophones qui quittent le
Québec. Vous constatez comme tout le monde que ces tendances sont
établies depuis quelques années. Dans votre mémoire, vous
passez sous silence le fait que c'est en diminution assez dramatique depuis
trois ou quatre ans. Est-ce qu'on pourrait déduire de cela quelques
hypothèses? Si on peut constater, comme on avait tendance à le
faire depuis quelques années, que les taux maintenus de solde migratoire
sont croissants à cause des contraintes linguistiques, dès le
moment où cela diminue, la situation actuelle, est-ce qu'on peut en
déduire le contraire, à savoir que c'est peut-être à
cause du fait que les anglophones ou les allophones maintenant sont beaucoup
plus confortables et prêts à s'accommoder aux contraintes de la
loi 101, d'une part?
La deuxième hypothèse qu'on pourrait peut-être
travailler est que la situation économique étant nettement plus
favorable, comme vous le constatez, ce solde migratoire va continuer de
diminuer. Je vous donne un exemple. Je pense qu'il est important de rappeler
les affirmations du député de Louis-Hébert tout à
l'heure. Si on regarde les chiffres absolus des sorties - on pourra discuter
des taux tout à l'heure. Je pense que c'est bien important pour le
Journal des débats - je vais juste donner les chiffres globaux. Je parle
de sorties interprovinciales. C'est pour le député de
Louis-Hébert que je signale cela. Pour 1972, 1973, 1974, 1975, 1976,
c'était 56 000, 54 000, 51 000, 46 000, 51 000. Pour 1977, 1978, 1979,
1980, 1981, c'était 70 000 - les effets de la loi 101 - bien sûr
57 000, 53 000, 46 000, 44 000 et je continue pour 1982 et 1983, 51 000 et 48
000 sorties interprovinciales.
Il faut voir aussi 1984. Il faut comparer les comparables et donc, on
peut prendre les neuf premiers mois où nous avons 34 000, 33 000 et 33
000 pour les neuf premiers mois de 1982, 1983 et 1984. Les chiffres sont assez
dramatiques. Est-ce que vous avez entamé quelques études pour
vérifier l'hypothèse que peut-être c'était à
cause d'un accommodement plus facile maintenant face aux contraintes de la loi
101 du temps et, d'autre part, le climat économique qui
s'améliore? Toute analyse des études, bien sûr, est
précaire. On peut voir, par exemple, en 1978, que le solde net
migratoire de l'Ontario était plus élevé que celui du
Québec, principalement à cause de l'intérêt de
l'Alberta pour les provinces de l'Est. Je pense qu'il y a deux
hypothèses à souligner ou à analyser de plus près,
à savoir l'accommodement aux contraintes linguistiques ou à la
réalité française au Québec, d'une part, et,
d'autre part, la situation économique qui s'améliore.
M. Henripin: Quelques remarques là-dessus. D'abord je ne
voudrais pas du tout que vous me fassiez dire que la raison principale pour
laquelle les anglophones quittent le Québec c'est parce que le Parti
québécois a pris le pouvoir et, un an après, a
adopté la loi 101. Les découvertes que nous avons faites en 1977
- c'est une pure coïncidence je pense cette similarité de date
entre la découverte qu'on a faite et la discussion sur la loi 101 - sur
l'intensité des courants migratoires par langue entre les
provinces portaient sur la période 1966 à 1971. Donc, bien
avant que le gouvernement actuel ne prenne le pouvoir; bien avant la loi 101.
La saignée que subit le Québec en ce qui concerne les anglophones
et, dans une moindre mesure mais quand même de façon
appréciable, les allophones, ce n'est pas à lier d'abord et avant
tout au nouveau climat qu'a pu introduire le gouvernement actuel dans la
province. Probablement que les événements auxquels je viens de
faire allusion ont accentué un peu, probablement plus pendant les
premières années que pendant les années toutes
récentes et celles qui vont suivre. C'est sûr que ceux qui n'ont
pas pu digérer le PQ au pouvoir, qui n'ont pas pu digérer la loi
101 sont partis déjà. Ceux qui ont réussi à
survivre pendant sept ou huit ans, ma foi! ils ont des chances de pouvoir
survivre encore sept ou huit autres années. Certainement que leur
propension à quitter le Québec est moins forte que ce qui
existait chez un bon nombre d'anglophones, en particulier vers les
années 1977, 1978 et 1979.
Mon pari c'est que l'émigration anglophone et allophone du
Québec se réduira un peu, ne serait-ce que par le bassin qui se
réduit aussi mais peut-être aussi la propension à
émigrer va se réduire de sorte qu'on va assister à des
nombres d'émigrants un peu plus faibles dans l'avenir.
Cela va nous ramener peut-être à des situations semblables
à celles qui existaient avant 1971 qui restent problématiques. Je
ne veux pas rattacher ça uniquement à la loi 101 et au
gouvernement actuel. Il y avait déjà des mouvements bien
implantés qui faisaient que le Québec perdait ses anglophones et
une bonne partie de ses allophones bien avant tous ces
événements-là. Encore une fois, je pense qu'il faut
demander à ces gens pourquoi ils s'en vont et qu'est-ce qu'on pourrait
faire pour les convaincre de rester. Ils sont probablement...
M. Payne: On a fait quelques études comme cela pendant la
commission parlementaire sur la loi 101, c'est-à-dire que c'était
au niveau des intentions de rester ou face à certaines dispositions. Ces
études ont été déposées. C'est plutôt
quand vous dites: Et comme ce sont surtout les anglophones qui partent, on
pourrait leur rendre la vie plus facile. Je ne dis pas qu'il faut supprimer la
loi 101; on pourrait l'atténuer ou atténuer la rigueur de
certaines dispositions de la loi. Ma question, c'est toujours, à savoir
ce qu'est l'effet direct. La question est bien posée par
vous-même. Quel est l'effet direct d'atténuer certaines
dispositions de la loi 101? C'est sûr qu'on pourrait bien avoir quelques
études, quelques analyses, mais je pense qu'on a tendance à
exagérer énormément, particulièrement lorsqu'on
constate que la mobilité d'emploi au Canada, c'est quelque chose qui va
s'accentuer de plus en plus, particulièrement depuis la nouvelle
constitution. Je pense qu'on devrait considérer aussi bien les facteurs
socio-économiques que linguistiques.
L'autre question que je veux vous poser, c'est au sujet de la politique
de la natalité en France. L'histoire a démontré que les
politiques natalistes ont un succès limité. Quelles sont les
dispositions en France qui, d'après vous, avaient un effet remarquable
sur la situation, sur leur situation? Vous mentionnez spécifiquement la
situation de la France comme un avenir.
M. Henripin: Écoutez! Il n'y a pas d'étude qui
permette de faire le partage entre ce qui relève de l'effet de telle
mesure et ce qui relève de l'effet de telle autre mesure. L'impression
que j'ai, et c'est vraiment une impression; c'est une intuition, disons, qui
s'appuie un peu sur les résultats d'enquêtes qui ont
été faites auprès des gens sur les mesures auxquelles ils
tenaient le plus. Je pense qu'il y a certainement deux éléments
qui jouent un rôle en France. C'est la générosité
des prestations familiales. Il n'y a pas que les allocations familiales
versées mensuellement, il y a aussi d'autres types d'allocations comme
les allocations à l'occasion de la maternité qui sont
extrêmement importantes qui, elles, ont un aspect très nataliste.
C'est presque un bonbon que vous présentez aux gens en leur disant: Si
vous faites un enfant, le jour de la naissance ou autour de ces jours, on vous
fait un cadeau de 1000 $. Ces mesures sont souvent vues d'une façon un
peu négative par des gens qui n'aiment pas beaucoup qu'on fasse miroiter
des avantages très ponctuels comme cela pour convaincre les gens d'avoir
un enfant de plus. Je ne sais pas, je vous traduis la réaction que j'ai
entendue.
Il reste que l'ensemble des prestations familiales en France est
très généreux. D'autre part, tous les aménagements
qui ont été faits progressivement pour rendre plus facile aux
femmes en particulier la prise en charge de leurs jeunes enfants lorsqu'elles
travaillent, c'est-à-dire les congés de maternité, cela
aussi me semble probablement tout aussi important que la
générosité des allocations familiales en France. Je pense
que ce sont ces deux moyens qui sont déterminants. Mais c'est une
intuition. Je pense qu'il n'est pas possible de démontrer cela.
Le Président (M. French): M. le député de
Saint-Henri, avec les trois minutes qu'il nous reste.
M. Hains: Oui. Je peux bien commencer. C'est parce que je voulais
dire à M. Henripin que sa conclusion est très courte mais
très dense et qu'elle ouvre la voie,
comme vous le dites vous-même, à beaucoup de solutions dans
le temps et dans le champ. Je voulais seulement vous poser quelques petites
questions très rapides. Vous mettez d'abord en cause des attitudes
morales. Là-dessus, vous glissez avec beaucoup de prudence et de pudeur.
Qu'est-ce que c'est que ces attitudes morales dont vous parlez? Vous dites que
vous ne voulez quand même pas faire un prédicateur.
M. Henripin: Oui. J'y ai un peu fait allusion tout à l'heure en
parlant de la faible prédisposition qu'on trouve chez beaucoup de jeunes
- je ne dis pas chez tous mais chez beaucoup de jeunes - à s'engager
dans une aventure qui risque de comporter des désagréments. Or,
le mariage est une aventure qui risque fort de comporter des
désagréments et qui comporte aussi des avantages, remarquez, mais
qui présente des risques. Cela me frappe de voir cette crainte des
jeunes de s'engager dans des choses qui ne sont pas parfaites. C'en est une. Je
pense que finalement, je vais me faire un peu prédicateur; je n'ai pas
d'objection mais j'ai l'impression que l'épine dorsale du fonctionnement
d'une société ce sont un peu ses convictions morales finalement.
On ne voit pas très bien comment on peut les changer sauf en faisant de
la prédication qui est peut-être parfaitement inutile d'ailleurs.
Je ne sais pas. Je m'excuse de revenir encore sur cet exemple, mais quand vous
avez un livre vert dans lequel vous ne trouvez pas la moindre trace de ce
qu'est une famille normale, on n'a pas osé dire ce qu'est la normale,
quand vous voyez dans les écoles des instituteurs qui vous disent: Nous,
on veut être neutre à l'égard de cela. Je me dis qu'avec
des convictions pareilles, on s'effiloche. Il n'y a pas de
société qui va perdurer si elle n'a pas une morale. Cela peut
être l'une ou l'autre, mais il en faut une. L'absence de morale, je n'y
crois pas. J'ai un peu l'impression que c'est un peu à cela et que cela
s'explique par toutes sortes de circonstances. Il faut dire qu'on en a eu une
pendant longtemps qui a été fort rigide, mais on ne l'a pas
remplacée. J'ai l'impression qu'il y a un vide là et qui fait
que, déjà, on s'est laissé un peu aller.
Il me semble qu'on a eu ici, à l'occasion de certaines
grèves, des comportements qu'on retrouve très rarement dans
d'autres sociétés occidentales, peut-être depuis plus
longtemps que nous déchristianisées ou
décatholicisées, mais qui, quand même avaient eu le temps,
entretemps de faire une espèce de morale. Ce qui me frappe, c'est qu'on
a balancé des convictions, enfin des règles morales qui
s'appuyaient sur des convictions religieuses et qu'on n'a rien trouvé de
bien bon à mettre à la place, et que tout a foutu le camp avec la
croyance religieuse. Enfin, c'est un peu l'impression que j'ai. Je trouve que
les catholiques, à ce point de vue, sont très dépourvus.
Lorsqu'ils ont perdu leur adhésion, lorsqu'ils ont perdu
l'adhésion à l'autorité de leur Église, il n'ont
plus grand-chose à quoi se rattacher. Les protestants ont l'habitude de
converser avec Dieu directement et de se faire une morale personnelle. Je
trouve que cela aide beaucoup lorsqu'on perd la foi, mais je dépasse de
beaucoup ma compétence en disant des choses comme cela.
M. Hains: Je tiens à vous dire que vous venez de nous
livrer en quelques mots la plus belle partie de votre mémoire. Or va
rester avec ce bouquet spirituel. Merci beaucoup.
Le Président (M. French): La commission remercie beaucoup
M. Henripin pour son mémoire et sa présence parmi nous. La
commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures, cet
après-midi.
(Suspension de la séance à 13 h 4)
(Reprise à 15 h 10)
Alliance Québec
Le Président (M. French): La commission de la culture
reprend ses travaux de consultation générale sur l'impact
culturel, social et économique des tendances démographiques
actuelles sur l'avenir du Québec comme société distincte.
Nous souhaitons la bienvenue aux intervenants représentant Alliance
Québec. On va les inviter à s'approcher, s'il vous plaît.
Je reconnais Mme Duff-Caron. Si vous voulez, vous pouvez nous présenter
vos alliés.
Mme Duff-Caron (Catherine): Avec plaisir. À ma droite, M.
Royal Orr, qui est directeur de la recherche. À ma gauche, M. Bill
Floch, qui est animateur.
Le Président (M. French): Je pense que vous êtes
familière avec nos procédés. Je vous invite à nous
faire part de votre mémoire. Nous disposons d'environ une heure et
demie, un peu plus peut-être. Je vous invite à nous faire part de
votre mémoire et de tout autre commentaire que vous jugerez à
propos, après quoi nous passerons aux questions.
Mme Duff-Caron: Merci, M. le Président. M. le
Président, M. le Vice-Président, membres de la commission, nous
sommes très heureux de l'occasion qui nous est donnée de vous
exposer le point de vue d'Alliance Québec portant sur l'avenir
démographique de notre province. Le choix
de la commission de soumettre cette question à l'examen public
est sage et particulièrement indiqué à la lumière
des récentes analyses démographiques entreprises par des
démographes tant du secteur privé que public. À
l'évidence, les résultats de ces recherches sur les tendances
dans l'évolution des populations au Québec nous inquiètent
profondément. Il en ressort un besoin grandissant de l'urgence de
planifier maintenant les besoins d'une population qui, de toute
évidence, sera moins nombreuse, plus vieille et peut-être plus
pauvre.
Le Président (M. French): Avez-vous un autre
mémoire en main?
Mme Duff-Caron: J'ai un mémoire qui essaie de
résumer un peu.
Le Président (M. French): N'avez-vous pas de copies, par
hasard? N'en avez-vous même pas deux copies?
Mme Duff-Caron: On a deux copies.
Le Président (M. French): Donnez-nous donc une des deux
copies, s'il vous plaît, on va la distribuer. Vous pouvez continuer.
Merci. Je m'excuse de vous avoir interrompue.
Mme Duff-Caron: Cela va. Cette planification de l'avenir doit
cependant émaner d'une évaluation nette de l'état actuel
de la question. En préparant notre mémoire en vue de ces
audiences, nous avons été constamment frappés par
l'indigence d'analyses démographiques portant sur la communauté
d'expression anglaise au Québec. Les rares données
gouvernementales disponibles nous ont doublement frappés car elles
mettaient l'accent de façon presque acharnée sur le Québec
d'expression anglaise vu comme une force assimilatrice et rien d'autre.
Notre organisme était très conscient de sa
responsabilité en choisissant de s'exprimer sur les questions
soulevées par les récentes projections démographiques pour
l'ensemble de la population du Québec. Mais nous étions
également sensibles à une responsabilité, tout aussi
pressante, d'examiner et de présenter au public les tendances
démographiques à l'oeuvre au sein de notre communauté
linguistique.
Nous sommes donc convaincus que nous avons été conduits
à d'importantes perspectives sur notre passé et notre avenir
collectif par cet examen de l'avenir de nos propres communautés. Une
étude attentive de la démographie du Québec d'expression
anglaise met vivement en lumière un nombre de facteurs qui expliquent
l'état actuel des choses au Québec tout en faisant ressortir
plusieurs défis qui nous confrontent.
On peut affirmer sans crainte que les problèmes
démographiques des Québécois d'expression anglaise sont
partagés par tous les Québécois. Dans certains cas, comme
la question de la natalité, le problème est à la fois
commun et plus grave. Dans d'autres cas, comme la forte migration
interprovinciale qui nous afflige, nos problèmes précis tiennent
à la perte en ressources humaines qui prive tout le Québec d'un
dynamisme essentiel à son développement.
C'est avec un sens d'engagement ferme à l'avenir du Québec
ainsi qu'à l'importance du processus de recherche et d'échanges
que nous faisons part de nos résultats et de nos perceptions à ce
débat.
Comme nous l'avons dit, un débat fertile doit reposer sur une
compréhension claire de la situation actuelle. Quant aux
Québécois d'expression anglaise, l'une des tendances de
l'ensemble des Québécois a été de considérer
notre communauté comme un ensemble de plus en plus marginal dans la vie
sociale et politique de notre province.
Notre étude démontre en effet que le Québec
d'expression anglaise a diminué tant en nombres absolus qu'en
pourcentage de toute la population au cours des dernières années.
Le recensement de 1981 a indiqué que 809 000 personnes utilisaient
l'anglais au foyer dans cette province ou encore 12, 7% de la population
totale. Ces chiffres étaient respectivement de 887 900 ou 14, 7% en
1971.
Mais, cet inquiétant déclin de notre communauté ne
devrait pas nous faire oublier que les quelque 800 000 personnes d'expression
anglaise qui demeurent au Québec représentent une population plus
importante que celle de provinces du Canada et le statut de minorité -
12, 7% du Québec - qui est le nôtre n'implique pas que nous sommes
une communauté mineure sur la scène québécoise.
Les Québécois d'expression anglaise demeurent un important
élément du tissu social dans presque toutes les régions du
Québec. On retrouve des Québécois d'expression anglaise
par milliers dans des régions comme les Laurentides, l'Outaouais,
l'Estrie, la ville de Québec ainsi que la Gaspésie. À
travers maintes difficultés, ils maintiennent des réseaux
complets d'institutions communautaires. Grâce aux sacrifices et à
l'effort des générations précédentes, ils se sont
construit des églises, des écoles, des bibliothèques, des
théâtres, des collèges, des universités et des
hôpitaux dans des agglomérations populeuses en dehors de
Montréal tout comme dans les coins reculés du Québec. Les
gens d'expression anglaise demeurent fiers de leur contribution à la
fondation et au développement d'une bonne partie du Québec tout
en restant pleinement disponibles à
participer à l'histoire prochaine du Québec.
A Montréal, bien sûr, les Québécois
d'expression anglaise constituent une force sociale, politique et culturelle
d'importance. Dans la ville, la communauté d'expression anglaise est
sans aucun doute le groupe linguistique le plus diversifié, le plus
hétérogène et profondément pluraliste. Les
Montréalais d'expression anglaise connaissent une richesse culturelle et
un esprit de tolérance qui leur sont comme une marque distinctive
constituant une heureuse réussite et une ressource des plus
précieuses pour l'avenir de notre province. La communauté
d'expression anglaise de Montréal et ses nombreuses institutions ont
travaillé fermement et habilement pour faire de la ville un lieu ouvert
et accueillant pour les nouveaux Québécois et cela, pour des
décennies.
Sur le plan social, notre communauté ressemble beaucoup aux
autres. Nous occupons les mêmes emplois, nos salaires sont comparables,
nous connaissons les mêmes niveaux de prospérité et de
pauvreté que ceux de l'ensemble des Québécois. Cependant,
notre communauté diffère des autres groupes au Québec et
cela, sur des plans majeurs. En premier lieu, elle est beaucoup plus mobile que
les autres. Depuis toujours on a vu les personnes d'expression anglaise arriver
et quitter leur lieu de résidence au sein de nos communautés dans
la province. Dans le passé la stabilité et la croissance de notre
communauté ont tenu à cette grande mobilité de personnes.
Récemment, l'arrivée de nouveaux Québécois
d'expression anglaise a brutalement diminué pendant que
l'émigration montait en flèche. Sur une période de quinze
ans, 1966 à 1981, le Québec a connu une renversante perte nette
dépassant 210 000 citoyens de langue maternelle anglaise, plus de six
fois le nombre d'émigrants de langue française maternelle.
Les études démographiques suggèrent que cette
tendance qui, plus que toute autre, menace la survie même du
Québec d'expression anglaise aurait diminué. Nos projections
montrent que les deux prochaines décennies ne devraient pas être
témoins du même type de déclin dont la dernière
décennie a été l'objet. Bien que nos études
n'indiquent pas la disparition à court terme de la communauté
d'expression anglaise, notre communauté et ses institutions ne sont pas
moins confrontées à une lente érosion sociale et
culturelle. Si notre communauté doit avoir un avenir et si les
Québécois d'expression anglaise doivent continuer à
contribuer au développement social de cette province, alors notre
communauté doit en avoir les moyens.
Il faut trouver le moyen de stabiliser les migrations interprovinciales,
il faut élargir l'accès à nos écoles pour les
enfants d'expression anglaise, il faut accéder plus facilement aux
emplois et aux services gouvernementaux et, peut-être plus important
encore, nous avons besoin d'un climat ouvert et accueillant qui suscitera les
investissements et permettra aux personnes et à leurs enfants de vivre
pleinement.
Ces suggestions ne sont ni radicales, ni peu soucieuses des autres
objectifs sociaux et culturels à l'intérieur du Québec. La
projection démographique que nous soumettons aujourd'hui indique
clairement que la population d'expression anglaise ne devrait pas, même
dans des conditions favorables, atteindre son niveau de 1971 en l'an 2001.
Alliance Québec a clairement prouvé qu'un nouveau et large
consensus s'est dessiné au Québec sur les questions
linguistiques. Les sondages SORECOM indiquaient qu'une très forte
majorité de Québécois appuyait les revendications de la
communauté d'expression anglaise sur son droit de gérer et de
contrôler les institutions qu'elle jugeait nécessaires à sa
survivance - notamment les écoles - ainsi que l'accès, en
anglais, aux services gouvernementaux. Les politiciens et ceux qui prennent les
décisions au Québec ne peuvent continuer à
considérer la communauté d'expression anglaise du Québec
comme une menace culturelle mais ils doivent comprendre que notre
communauté constitue un actif social reconnu dans le fragile
équilibre de notre province qui doit, à court terme, affronter
des défis démographiques et économiques
considérables.
Les statistiques montrent que la communauté d'expression anglaise
du Québec se dote de moyens pour assurer, avec le temps, sa pleine
participation dans un Québec où le français constitue le
principal véhicule de communication. Environ deux tiers des personnes
utilisant l'anglais au foyer sont déjà capables de converser en
français et nos écoles et collèges ont mis en oeuvre le
plus complet et le plus fructueux programme d'apprentissage du français,
langue seconde, au Canada. Nos travailleurs, instruits, bien formés et
de plus en plus capables de travailler en français, sont prêts et
impatients d'occuper des emplois dans cette province. Les institutions
d'expression anglaise du Québec, comme les universités et les
hôpitaux, peuvent accueillir leur clientèle d'expression
française et leur rendre les services en français.
Mais une question demeure dans certains esprits, à savoir si les
Québécois d'expression anglaise peuvent ou non agir de
façon positive et efficace dans la définition du caractère
distinctif du Québec comme il s'est peu à peu défini au
cours des deux derniers siècles. Il semble bien que le temps soit venu
de poser résolument une question à nos législateurs. Les
Québécois désirent-ils la présence d'une
communauté d'expression anglaise dans cette province?
II faut maintenant poser de telles questions fondamentales. C'est
aujourd'hui devenu un cliché, mais combien vrai est-il de dire que le
Québec est dans un délicat équilibre tout à
l'avènement d'une nouvelle phase de sa longue et passionnante histoire.
Mais ce n'est pas avec enthousiasme et espoir que nous envisageons cette
époque. Nos attentes sont, au contraire, placées sous le signe de
la réserve et du pessimisme. Au mieux, nous semblons capables de passer
de la peur et du désespoir au simple découragement. Une
inquiétante léthargie politique et intellectuelle nous paralyse.
Chacun affirme qu'à temps nouveau il faut opposer des idées
nouvelles mais, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas défini les
vraies questions, ni circonscrit les vrais problèmes, sans compter la
seule recherche de réponses et de solutions pour le Québec de
demain.
Actuellement, Alliance Québec n'est pas en mesure de soumettre
des propositions pour l'avenir, une sorte de plan qui réconcilierait les
besoins et les aspirations complexes du Québec avec ses ressources et
son potentiel. Nous sommes cependant en mesure de rejeter
catégoriquement l'acceptation passive de la désintégration
lente de la communauté d'expression anglaise et nous rejetons avec plus
de force encore une vision déterministe et pessimiste qui a cours dans
plusieurs milieux et qui voudrait voir le Québec décliner
inexorablement vers l'indigence sociale et économique.
Notre croyance en l'avenir de cette province est totale. Notre
communauté peut assurer tous les Québécois de sa bonne foi
et de sa dévotion. Comme tous les Québécois, cependant,
nous reconnaissons qu'un avenir dynamique repose sur la rapide émergence
d'une volonté politique et sociale qui lancera le Québec sur le
chemin de la prospérité et de l'harmonie.
La réussite de ce nouveau projet politique et social exigera la
mise en oeuvre de toutes les ressources humaines disponibles. Dans le
passé, admettons-le, le niveau de participation des
Québécois d'expression anglaise n'a pas été
suffisamment élevé. Pour des raisons qui, selon les
époques, se situaient en deçà ou au delà de sa
volonté, notre communauté a été absente des
débats politiques et structurels qui ont façonné le
Québec moderne. La formulation des nouveaux objectifs et la recherche de
solutions originales qu'il faut maintenant entreprendre constitueront
l'occasion pour les Québécois d'expression anglaise de
démontrer leur franc dévouement à cette
société.
Plus que jamais, le Québec a besoin de talents et de ferveur pour
affronter les défis démographiques, sociaux et
économiques. Il faudra une action concertée de toutes les
communautés linguistiques pour résoudre au mieux les
problèmes de natalité déclinante, des pertes migratoires
et de stagnation économique.
Alliance Québec s'engage à faire en sorte que les
Québécois d'expression anglaise fassent partie de la
solution.
Avant de peut-être passer à vos questions, j'aimerais
signaler quelques corrections dans notre mémoire dans la version
française, si vous me permettez.
M. Orr (Royal): M. le Président, premièrement,
c'est à la page 29. C'est des erreurs dans les chiffres, à la
page 29. Au deuxième paragraphe, vous voyez, presque à la fin du
paragraphe, 324 000 personnes. Cela doit se lire 210 000.
Le Président (M. French): 210 000 personnes?
M. Orr: C'est cela. Deuxièmement, à la page 30,
dans le tableau 9, sous la section Départs Anglais, le dernier
numéro de cette colonne, c'est 324, pas 224. En tout dernier, en page
35, au bout du paragraphe, on lit: 3267. Cela doit être 3287,
annuellement. Je m'excuse de ces erreurs.
Le Président (M. French): Le 6 devient 8, si j'ai bien
compris. Je remercie Mme Duff-Caron et Alliance Québec pour leur
mémoire et leurs commentaires préliminaires. Je voudrais donner
la parole au député de Vachon. (15 h 30)
M. Payne: Merci, M. le Président, permettez-moi, au nom de
notre formation, de vous souhaiter la bienvenue à la commission de la
culture. Vous faites large état, dans votre mémoire principal,
des transferts linguistiques. Vous dites, si je peux trouver la place! "Nous
remarquons également que, dans ce processus de transfert, ni l'une, ni
l'autre des deux communautés de langue officielle ne soit clairement
avantagée. " Moi, je conteste cela parce que même Henripin, sur
lequel vous vous penchez beaucoup, peut nous indiquer, avec les
références entre 1971 et 1981, si on regarde la langue maternelle
et la langue au foyer, qu'il y a des transferts linguistiques assez
importants.
Par exemple, en 1971 seulement, pour la langue maternelle, il y avait
788 000 personnes contre, langue au foyer, 887 000, ce qui, selon mes calculs,
représente un transfert favorable à l'anglais d'à peu
près presque 100 000, exactement 99 100 transferts linguistiques. On est
d'accord?
M. Orr:... sur notre tableau 12?
M. Payne: Non, c'est le tableau no 2, en page 14.
M. Orr: Est-ce que c'est le mémoire de M. Henripin ou le
nôtre?
M. Payne: Pardon?
M. Orr: C'est le texte de M. Henripin ou le texte d'Alliance
Québec?
Le Président (M. French): C'est le mémoire
d'Alliance Québec. Page 14, tableau 2.
M. Ont D'accord, merci.
M. Payne: Le mémoire no 9M. Comme je vous dis, je me
réfère à Henripin. J'ai fait les calculs moi-même
pour affirmer que les transferts linguistiques sont beaucoup plus favorables au
milieu anglophone. Si on fait la comparaison avec 1971 pour la langue
maternelle et la langue au foyer, on voit tout de suite un écart de
presque 100 000. D'accord?
M. Orr: Pour le français ou l'anglais? M. Payne: Je suis
dans l'anglais.
M. Orrs Oui, c'est vrai, c'est à peu près 11% de la
population, les transferts linguistiques.
M. Payne: II y a un transfert linguistique, en chiffres absolus,
d'à peu près 100 000. D'accord?
M. Orr: Oui.
M. Payne: Si vous faites la comparaison avec le milieu
francophone, en 1971, vous aviez 4 866 000 contre 4 870 000. À toutes
fins utiles, d'accord, c'est négligeable.
M. Orr: On ne dit jamais que la question des transferts
linguistiques est importante, mais nous soulignons que c'est un problème
très complexe qui est en développement. Si vous regardez, par
exemple, ce qui arrive entre 1971 et 1981, vous pouvez voir l'augmentation des
effectifs quant aux transferts linguistiques. Vous allez voir que ce n'est pas
totalement clair qu'une communauté ou l'autre est nettement
avantagée dans ce processus. Une autre chose, c'est que ces chiffres
sont une indication du nombre de personnes qui ont choisi ou qui ont
été forcés d'utiliser une autre langue au foyer que la
langue maternelle. Cela ne dit rien à savoir si c'est l'anglicisation,
l'assimilation ou seulement s'ils ont décidé d'utiliser une autre
langue chez eux.
Ce que nous voulons dire sur la question des transferts linguistiques,
c'est que c'est un problème en plein développement. Vous recevrez
demain, je sais bien, un mémoire de M. Veltman qui indique, par d'autres
sortes d'études, l'impact de l'accès aux écoles, par
exemple, et l'impact que ça a sur la question des transferts
linguistiques.
M. Payne: Est-ce que je peux continuer?
M. Orr: Oui.
M. Payne: Parce que ça m'inquiète. Lorsque vous
dites qui ni l'une ni l'autre des deux communautés de langue officielle
n'est clairement avantagée, je vous demanderais, selon vos remarques,
quels sont vos critères pour un avantage. Je propose, comme un des
critères, que la langue au foyer est un critère
intéressant pour établir que telle ou telle communauté est
avantagée. Pour une raison ou une autre, on utilise dans un certain
nombre de foyers la langue anglaise. Si nous pouvons constater
démographiquement qu'il y a une tendance que cette communauté
soit à la hausse en ce qui concerne la langue au foyer, il y a bien
sûr des avantages assez importants sur le plan
socio-démographique. Je vais terminer parce que je n'ai pas fait la
mention principale. Si c'était presque 100 000 en 1971, soit 99 000, en
faveur de la langue au foyer par rapport à la langue maternelle, en
1981, donc un écart de 10 ans, d'une décennie, c'était 114
200. Si vous regardez, c'est 5 248 400, en 1980-1981 pour la langue maternelle,
et, pour la langue au foyer, 5 256 800; vous avez donc un écart de 114
200. Donc, de toute évidence, ce n'est pas une affirmation politique ou
quoi que ce soit, c'est une question de déduction arithmétique;
on ne peut pas dire que ni l'une ni l'autre des deux communautés de
langue officielle ne soit pas clairement avantagée.
M. Orr: Est-ce que c'est terminé? Est-ce que je peux
répondre?
M. Payne: On va échanger un peu.
M. Orr: D'accord, M. le député. Regardons par
exemple à la page 34 de notre mémoire, où vous avez au
tableau 12 les nombres bruts des transferts d'un groupe linguistique à
l'autre. Vous allez voir, par exemple, comme nous le notons à la page
35, si vous regardez seulement les communautés de langue maternelle
anglaise et de langue maternelle française, l'augmentation des
transferts linguistiques entre 1971 et 1981. Essayez de voir après cela
une sorte de taux de transfert par année. Vous allez avoir ces chiffres
notés à la page 35, soit environ 3304 personnes
transférées annuellement, de langue maternelle anglaise, qui ont
adopté le français. Si vous regardez le même calcul avec la
communauté de langue maternelle française, vous avez environ les
mêmes
montants, soit 3287. Si nous regardons aussi à la page 34
l'augmentation des transferts des autres communautés linguistiques vers
l'anglais et vers le français, vous avez une augmentation entre 1971 et
1981 d'environ 12 000 autres vers le français et 17 000 autres vers
l'anglais. Je sais bien qu'il reste encore inquiétant que cela continue,
mais les transferts ne représentent qu'environ 5000 personnes. Dans
toute la population du Québec, cela est vraiment un très petit
groupe.
Une autre chose. Je sais que les recensements du Canada ne sont pas
vraiment un outil très précis pour évaluer exactement le
taux des transferts linguistiques. Il y a le problème que parfois ces
transferts sont sous-estimés parce que, par exemple, dans des familles
grecques où on continue de parler le grec au foyer, les jeunes parlent
anglais dans la rue avec leurs amis.
Comme M. Veltman va le démontrer demain, oui c'est vrai pour la
communauté grecque, mais, si vous regardez la communauté
portugaise, par exemple, vous allez voir l'impact de ces nouveaux
règlements concernant l'accès aux écoles,
c'est-à-dire que, lorsque vous envoyez un enfant dans une école
anglophone ou francophone, dans la plupart des cas, les enfants commencent
à parler la langue de l'école avec leurs amis, dans les rues.
C'est pour cette raison-ci que nous voulons dire que maintenant la balance est
presque là et nous sommes en train de régler la situation des
communautés des autres langues maternelles face au transfert vers une
communauté ou l'autre. C'est-à-dire qu'il semble que nous
commencions à avoir des résultats des études qui indiquent
que l'acheminement, si vous voulez, des enfants allophones vers la
communauté francophone est en train d'être
réalisé.
M. Payne: Mais je vais vous répondre: Nous vous invitons
à regarder les chiffres de Statistique Canada. Je reviendrais tout
à l'heure sur ce que vous venez de dire. Regardons la page 14.
M. Orr: Oui.
M. Payne: Parce que là c'est beaucoup plus clair. On parle
de Statistique Canada, de langue maternelle, de langue au foyer. Donc, à
la page 34 ce n'est pas du tout clair. Par exemple, a la troisième
colonne, lorsque vous dites...
M. Orr: C'est plus clair parce que cela indique exactement de
quelle communauté à telle autre le transfert est accompli.
M. Payne: Oui, mais je veux que vous répondiez à ma
question d'abord. Je répondrai tout de suite à ce que vous
êtes en train de dire, comment définir votre communauté
anglophone ou la communauté francophone? Est-ce que vous comprenez
là-dedans la langue d'usage et la langue maternelle?
M. Orr: Nous utilisons...
M. Payne: À ce moment-là, vous allez
évidemment gonfler le chiffre.
M. Orr: Comme vous l'avez dit ce matin, c'est malheureux que nous
n'ayons pas une question posée au recensement sur la langue au travail
et les autres questions. C'est difficile des fois de savoir exactement les
montants. Nous avons utilisé - sauf à la page 14, où on
indique une autre sorte de définition synthétique
développée par le Secrétariat d'État - dans le
reste de la mémoire, langue maternelle et langue au foyer.
M. Payne: Alors, regardons cela à la page 14.
M. Orr: Oui.
M. Payne: Comme je vous le dis, si on fait la comparaison entre
la langue maternelle et la langue au foyer, en 1971, vous êtes d'accord
avec moi, il y a un transfert linguitique de 90 000 personnes.
M. Orr: C'est vrai, mais...
M. Payne: Juste un instant!
M. Orr: Oui. C'est à peu près 100 000.
M. Payne: Non, c'est mon tour. Par rapport au français
c'est négligeable, parce que la différence est entre 66 400 et 70
100. J'oublie les 4 000 000. Donc, le transfert pour le français est
négligeable et le transfert entre la langue maternelle, l'anglais, et la
langue au foyer, l'anglais, est favorable à presque 100 000.
M. Orr: Oui, c'est vrai, M. le député,
qu'historiquement la communauté anglophone, la langue anglaise a
attiré plus d'immigrants, par exemple, des
Néo-Québécois, mais ces différences entre ces
numéros ne sont pas une sorte de taux par année, c'est cumulatif.
C'est-à-dire que tous les gens dans leur vie qui ont choisi de changer
d'une langue maternelle à une autre langue au foyer...
M. Payne: Oui.
M. Orr: C'est-à-dire que, si vous avez cette situation et
que le gouvernement ou la société intervient pour changer la
situation, cela va prendre du temps, parce que...
M. Payne: Oui, mais justement...
M. Orrr:... ce n'est pas un taux, c'est cumulatif. Ce sont tous
les gens qui dans leur vie ont décidé de changer de langue. Ce
n'est pas parce qu'on indique que 100 000 personnes, en 1981, ont changé
de langue qu'il y a 100 000 personnes par année qui changent de
langue.
M. Payne: Non, je veux...
M. Orr: C'est une situation qui a un développement avec
une histoire et, si vous commencez à intervenir, comme nous l'avons vu
avec quelques gouvernements ici au Québec, cela prend du temps.
M. Payne: On va être très court parce que je
voudrais bien établir ceci. Sur le plan empirique, ou on s'entend ou on
ne s'entend pas. Je prétends qu'il y a un écart
considérable. Deuxièmement, les chiffres que je vous donne en
1981, c'est la même question donc: la langue maternelle et la langue au
foyer, vous avez 114 200. Cela veut dire que malgré les efforts de
l'État pour appuyer le fait français au Québec par le
projet de loi 22 ou par le projet de loi 101, vous avez un transfert
linguistique favorable jusqu'à environ 115 000 dans dix ans et cela,
malgré les efforts les plus fructueux de la loi 101. (15 h 45)
M. Orr: Non, je ne pense pas, M. le député. Il y a
au Québec une situation linguistique avec une histoire dans laquelle
vous trouvez des choses comme l'attraction de la langue anglaise, pour quelques
communautés immigrantes, ethniques. Votre gouvernement a essayé
de régler la situation, primordialement en contrôlant
l'accès aux écoles. Ces jeunes qui sont maintenant dans les
écoles, de n'importe quelle langue maternelle, ne complètent pas
des formules de recensement. Il leur faut du temps pour continuer et
probablement se marier avec des femmes ou des maris francophones, s'ils
fréquentent l'école francophone, et commencer une famille. C'est
après cela qu'ils vont commencer à compléter des formules
de recensement, en 1991 ou quelque chose comme cela. Il faut donc du temps pour
qu'une politique linguistique apparaisse dans ces chiffres.
M. Payne: Je suis d'accord, mais...
M. Orr: Ce n'est pas un outil très précis. Le
recensement, ce n'est pas cela du tout.
M. Payne: Oui, mais...
M. Orr: On n'a qu'un recensement aux dix ans, comme vous le savez
bien, monsieur.
Une intervention comme celle que nous voyons maintenant au Québec
prend du temps, surtout quand elle est destinée directement aux
enfants.
M. Payne: On va essayer le... Le recensement ne s'adresse pas
spécifiquement aux élèves à l'école.
M. Orr: Non. Vous ne posez que deux questions: Quelle est la
langue maternelle? Quelle est la langue au foyer? Regardez par exemple
l'étude de M. Veltman, demain, vous allez voir.
M. Payne: Le phénomène en est un de transfert
linguistique. On fait abstraction de la question de l'école.
M. Orr: Oui, mais la situation linguistique personnelle est
très compliquée. On peut avoir une langue maternelle, une autre
langue au foyer et une autre qu'on utilise sur la rue avec les amis. Il y a
beaucoup de gens...
M. Payne: N'est-ce pas indicatif - c'est cela le
phénomène qu'on essaie d'analyser -si quelqu'un dit: Ma langue au
foyer est l'anglais, l'italien, le portuguais, le grec ou le français?
Le fait même qu'il fait l'affirmation, c'est un commentaire pour les
sociologues et les socio-démographes, n'est-ce pas? C'est cela qu'on
essaie de regarder de plus près. Je veux juste m'entendre sur les
chiffres.
M. Orr: Oui.
M. Payne: J'ai de la difficulté à voir quel est
exactement votre critère lorsque vous affirmez que ni l'une ni l'autre
des deux communautés, francophone et anglophone, n'est
avantagée.
M. Orr: Nous regardons le changement des chiffres entre 1971 et
1981. Nous regardons les transferts de la langue maternelle française
à la langue anglaise au foyer et quelle est la différence durant
cette décennie. Nous avons regardé les mêmes changements
entre les langues maternelles, anglaise et française, comme langue au
foyer. Dernièrement, nous regardions les transferts entre des
communautés d'autres langues maternelles et celles de l'anglais et du
français. Les chiffres ne sont pas exacts, mais ils sont très
proches, surtout quand nous discutons d'une population de 5 000 000. Nous
disons aussi que c'est un problème très compliqué. Nous
n'avons pas vraiment les outils, maintenant, pour évaluer exactement
quelle est la situation avec les transferts linguistiques. Ce que nous voulons
dire, c'est qu'à notre avis, en regardant ces chiffres, c'est une
situation en amélioration
et ce que nous demandons maintenant, c'est une compréhension plus
claire de la question. Comme vous le voyez, dans les chiffres, c'est 11% de la
communauté de langue maternelle anglaise qui a subi des transferts
linguistiques. Nous voulons comprendre quel est ce processus.
M. Payne: Je laisserai là ma cause en vous
référant encore à Henripin. Vous avez là les
chiffres absolus. Je dis que c'est 114 200. En ce qui concerne la question du
bilinguisme chez les francophones et les anglophones, à la page 44, vous
semblez prétendre que les francophones du Québec ont
régressé quant au bilinguisme. Je me demande si - je vais le lire
d'abord: "Le déclin des personnes bilingues chez Ies répondants
de langue maternelle française, pour la même période, tend
à prouver que "la situation par rapport au français"
s'améliore fortement". Je me demande si vous avez pris connaissance
d'une étude de Michel Paillé publiée à la fin de
l'année passée pour la direction des études du Conseil de
la langue française. Cela sort très clairement qu'il y avait
à peu près 253 600 Québécois francophones qui ont
appris l'anglais entre 1971 et 1981.
M. Orr: Nous avons utilisé les statistiques du
rencensement du Canada de 1981. Nous pouvons les vérifier ensemble
après. C'est cela notre source. Je ne connais pas exactement les sources
de M. Paillé. Je suppose que ce sont les mêmes. J'ai lu le rapport
de M. Paillé, mais, malheureusement, cela a paru après la date
limite pour la soumission de notre mémoire.
Je veux regarder cela ensemble, après, M. le
député, mais, à ce moment-ci, nous avons utilisé
les stastistiques de Statistique Canada et c'est tout ce que nous avions comme
ressource, à ce moment-là.
Comme vous voyez dans notre mémoire, plusieurs fois nous avons
utilisé des statistiques et des études du conseil. Nous sommes
conscients que le conseil fait des études qui sont vraiment utiles pour
un groupe comme le nôtre afin de comprendre la situation. Mais,
malheureusement, comme j'ai dit, nous n'avons pas eu l'occasion d'utiliser
cette étude.
M. Payne: J'aimerais que vous la lisiez parce que c'est
intéressant, particulièrement parce qu'elle se penche sur une
étude du Conseil supérieur de l'éducation lorsque, l'an
passé, ils ont déposé un document sur l'enseignement des
langues secondes dans les écoles primaires et secondaires au
Québec. C'est bien important pour Alliance Québec...
M. Orr: Oui.
M. Payne:... parce que le dernier avis du Conseil
supérieur de l'éducation rappelait comment les communautés
anglophones et francophones du Québec expriment, les deux avec force,
leur attente pour un enseignement efficace de l'anglais ou du français,
selon le cas. Ce qui sort de cette étude, c'est qu'elle donne une
augmentation de 20% pour les francophones en ce qui concerne le bilinguisme.
Et, moi comme vous, nous entendons beaucoup à la radio, en anglais
particulièrement, cette affirmation que c'est à la baisse chez
les francophones. Ce n'est pas du tout vrai. Ce n'est pas supporté par
les études. Et l'étude de Paillé est
particulièrement remarquable à cet égard.
M. Orr: Mais, si cela est possible, peut-être pouvons-nous
la regarder ensemble après? Cela nous donnera d'autres informations pour
la prochaine fois.
M. Payne: Cela n'empêche qu'en concluant j'aimerais bien
vous remercier pour l'échange.
M. Orr: Est-ce que je peux ajouter quelque chose, ici? Je vais
aussi noter une autre étude qui a paru après. C'est
l'étude de Gilles Grenier sur la rentabilité des langues sur le
marché du travail. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire
cela...
M. Payne: Oui.
M. Orr:... mais cela indique, je pense bien, qu'il y a vraiment
une situation d'amélioration. Cela indique aux jeunes travailleurs que
c'est de plus en plus possible pour eux de travailler et d'entrer en
compétition par rapport aux salaires avec les bilingues et surtout les
unilingues anglophones. Donc, il y a quelques études qui ont paru
après la date limite de la soumission et qui nous donnent beaucoup plus
d'informations sur le bilinguisme au Québec.
M. Payne: Oui. Cela me rappelle aussi l'étude de
Monière, sur le même sujet, qui a été publiée
l'année précédente.
M. Orr: Je veux seulement dire que nous sommes d'accord que c'est
important pour les groupes comme le Conseil de la langue française de
continuer avec ces études, mais nous voulons dire aussi que c'est
important d'être toujours conscient de la communauté anglophone
dans ces études parce que, des fois, c'est important d'avoir de plus
amples renseignements, peut-être des études qui sont
reliées directement à notre communauté.
M. Payne: Oui, c'est sûr que l'on pourrait...
Le Président (M. French): Écoutez, je regrette de
vous interrompre mais nous avons déjà passé 23 minutes et
il reste quatre autres intervenants. Avec votre permission... Voulez-vous dire
quelque chose en concluant?
M. Payne: Non. Mais je suis le seul de mon côté, M.
le Président...
Le Président (M. French): Oui, je reconnais cela.
M. Payne: Si vous avez quatre autres...
Le Président (M. French): Tout en calculant sur le plan du
temps, on va s'assurer que le temps a été divisé
également. D'accord?
M. Payne: Oui.
Le Président (M. French): Cela veut dire qu'on va revenir
à vous à un moment donné. M. le député de
Marquette. N'oublions pas qu'il y a un député indépendant
qui va quand même prendre du temps qui n'appartient ni à un
côté, ni à l'autre.
M. Proulx: Vous pourriez m'identifier comme le
député de Saint-Jean, cela ferait...
Le Président (M. French): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour, au
nom de l'Opposition officielle, j'aimerais souhaiter la bienvenue aux
représentants d'Alliance Québec qui sont avec nous, cet
après-midi, dans le cadre de notre mandat d'initiative. Je souhaite la
bienvenue aussi à un nouveau député de l'Opposition.
Une voix: Cela est exact.
M. Dauphin: II est dans l'Opposition.
Une voix: De l'autre côté de la table.
M. Dauphin: Plusieurs intervenants avant vous et vous aussi
d'ailleurs, effectivement, avez parlé entre autres de l'exode de
plusieurs anglophones, notamment des jeunes anglophones du Québec vers
d'autres provinces canadiennes ou aux États-Unis, peu importe.
J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus, c'est-à-dire que
j'ai eu à m'occuper des jeunes pendant quatre ans, ici à
l'Assemblée nationale, pour ma formation politique et j'ai eu
également à rencontrer plusieurs jeunes anglophones du
Québec, de la région de Montréal.
Le taux de chômage au Québec chez les jeunes,
évidemment, a toujours varié entre 20% et 25%. Cependant, si on
regarde en Ontario, exception faite du boom albertain, qui est moins boom
aujourd'hui, le taux de chômage chez les jeunes est quand même
assez élevé. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.
Pour quelles raisons quittent-ils le Québec, d'autant plus que ces
jeunes anglophones du Québec se "bilinguisent" de plus en plus, ce qui
à mon point de vue est un avantage autant pour les francophones que pour
les anglophones, si on veut faire des affaires entre autres? J'aimerais avoir
vos commentaires. Pour quelles raisons quittent-ils en aussi grand nombre le
Québec, considérant qu'ils se "bilinguisent" de plus en plus, ce
qui est un avantage pour eux, considérant que le taux de chômage
est très élevé dans les autres provinces canadiennes? Je
me demande la raison...
Mme Duff-Caron: II nous semble que le taux de chômage, ici
au Québec, est plus élevé que dans d'autres provinces de
l'ouest du Canada. Il nous semble que la raison pour laquelle il y a exode,
surtout des jeunes très bien éduqués, avec une formation
universitaire, au niveau du cégep aussi, c'est parce qu'il n'y a pas
d'emploi ici au Québec. Donc, c'est l'économie qui est la raison
primordiale, essentielle. On n'a pas fait d'étude pour savoir la
destination de tous ces jeunes, mais il se peut qu'ils s'en aillent aux
États-Unis aussi, en nombre assez important. Donc, pour répondre
à votre question, essentiellement, je crois que le problème, tant
pour les anglophones que pour les francophones, c'est une question d'emplois;
il n'y en a pas.
M. Dauphin: D'accord. J'aurais une autre petite question.
À la page 25 de votre mémoire, vous faites état des jeunes
femmes anglophones du Québec. Après leur avoir posé la
question si elles désiraient avoir des enfants, on dit: "II est de plus
démontré que les jeunes femmes d'expression anglaise qui
continuent de demeurer au Québec non seulement n'ont pas d'enfant mais
ne fondent même pas de foyer dans une moyenne à laquelle on
pourrait s'attendre. "
Alors, on dit "perspectives économiques"; c'est vrai que cela
joue pour toutes les communautés, non seulement pour la
communauté d'expression anglaise, sans parler aussi du manque de
confiance. Est-ce que vous pourriez élaborer là-dessus? Quand
vous dites "manque de confiance", ce serait une des raisons pour lesquelles
elles ne font pas d'enfant ou qu'elles ne veulent pas avoir d'enfant? (16
heures)
Mme Duff-Caron: Bien, ce sont surtout des hypothèses,
évidemment. J'ai des enfants et je suis une jeune femme du
Québec. Alors, je ne peux pas parler pour celles qui ne veulent pas
fonder un foyer. Mais il nous semble que cela doit être la question
du
manque de confiance. Si je ne peux pas me payer un repas, comment est-ce
que je peux payer un repas à mes enfants? C'est essentiellement une
question, là encore, de certitude financière, de la
possibilité de prédire que d'ici à cinq ans j'aurai assez
à la banque pour que je n'aie pas à travailler afin que je puisse
garder mes enfants ou, si je veux continuer à travailler, est-ce que
j'aurai les moyens de me payer une gardienne ou est-ce qu'il y aura
possibilité de mettre mes enfants dans une garderie? C'est toute une
gamme de raisons, surtout des hypothèses, mais il nous semble que,
principalement, là encore il s'agit d'économie...
Une voix: Question économique.
Mme Duff-Caron:... du sens de l'atmosphère qu'on peut
réussir ici au Québec.
M. Dauphin: D'accord, je reviendrai tantôt, M. le
Président, si vous me dites qu'il y a quatre collègues qui
veulent intervenir.
Le Président (M. French): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. Nous avons eul'occasion, au cours des deux derniers jours, d'examiner tout le
phénomène des migrations hors Québec, le Québec
étant victime - M. Henripin l'a clairement établi ce matin -
d'une saignée considérable de sa population vers
l'extérieur de la province et peut-être l'extérieur du pays
même. M. Henripin a aussi établi qu'il avait identifié...
À une question que je lui posais, sa réponse - et je
résume - fut que c'est de commune renommée qu'une grande
proportion de cette migration est composée d'anglophones et
d'allophones. On a établi, aussi, qu'il y avait eu une évolution
au cours des dernières années qui avait fait passer, depuis 1976,
la moyenne du solde migratoire d'environ 30 000 par année à une
moyenne qui s'approchait plus des 20 000 actuellement. Est-ce que vous avez des
explications concernant ces modifications en ce qui concerne les chiffres qui
sont en train de nous être révélés au sujet des
soldes migratoires? Est-ce que, à votre avis, comme il semble avoir
été établi par d'autres intervenants, la forte proportion
d'allophones et d'anglophones dans ces mouvements migratoires serait une partie
de l'explication du fait que le bassin, le réservoir de migrants
potentiels diminue, ce qui a pour effet de diminuer le total des gens qui
passent à l'extérieur des frontières de la province de
Québec? Est-ce que vous avez des explications sur ces changements qui se
produisent actuellement?
Mme Duff-Caron: Je ne suis pas sûre si j'ai bien compris le
sens de la question. Pour la question de l'exode des jeunes, l'histoire de
notre communauté est qu'il y avait une mobilité assez importante
et constante, une mobilité qui allait dans les deux sens. On attirait
des jeunes des autres provinces ici au Québec et vice versa; les autres
provinces attiraient nos jeunes.
Il y a toujours l'attraction pour les autres provinces du Canada et
peut-être pour les États-Unis. Il y a une attraction
peut-être moindre, maintenant, au Québec. La société
est peut-être vue, de l'extérieur, comme moins ouverte, moins
accueillante et c'est cela qu'il nous faut pour renverser cette tendance, la
perte nette, finalement, résultant de toutes ces migrations. Je ne sais
pas si cela répond.
M. Doyon: Oui, cela répond en partie, mais en d'autres
mots est-ce que vous souscrivez à la proposition qui a été
faite par, entre autres personnes, M. Henripin, ce matin, selon laquelle une
forte proportion des émigrants de la province de Québec,
c'est-à-dire des gens qui quittent la province, est composée - je
parle selon votre expérience et les contacts que vous avez d'anglophones
ou d'allophones? Est-ce que vous souscrivez à cette proposition de M.
Henripin?
Une voix: Certainement, oui, c'est à peu
près...
M. Doyon: À partir de là, est-ce que vous pouvez
nous dire, si vous souscrivez à cette proposition, de quel ordre serait
la proportion de gens qui quittent le Québec sur les 20 000 ou 25 000
annuellement que nous voyons quitter le Québec?
Mme Duff-Caron: Quel pourcentage? Est-ce cela que vous
demandez?
M. Doyon: Oui. Quel pourcentage serait dû au départ
d'anglophones ou d'allophones, si vous pouvez nous éclairer
là-dessus?
M. Orr: C'est à la page 30. Vous avez un tableau qui
indique les différents groupes par la langue maternelle, les soldes nets
et les pourcentages aussi. Vous voyez, par exemple, que cela commence avec
"arrivées", "départs" et, troisièmement "solde". Entre
1976 et 1981, 75% des départs étaient des anglophones, disons des
citoyens de langue anglaise maternelle. C'était encore plus
élevé pour 1971 à 1976, environ 84%.
M. Doyon: Si on accepte qu'il y a effectivement une diminution du
solde migratoire, c'est-à-dire de la perte nette, sèche, de
citoyens du Québec, si on accepte qu'il y a une diminution passant
d'une
moyenne de 30 000 par année à, en 1983-1984, quelque chose
de l'ordre de 20 000 à 21 000, avez-vous des explications à nous
soumettre sur les raisons qui expliqueraient cette diminution du solde
migratoire?
M. Orr: Oui, il y a quelques raisons: On a discuté des
diminutions d'un bassin d'immigrants, mais aussi le boom pétrolier de
l'Alberta a cessé, par exemple, et le pouvoir d'attraction des provinces
de l'Ouest aussi. Il y des taux de chômage très
élevés dans toutes les provinces maintenant. Nos jeunes sont de
plus en plus capables de travailler en français si c'est
nécessaire. Je vous donne une indication de cela, c'est que
récemment l'étude de M. Grenier indiquait qu'en 1981 les jeunes
travailleuses entre 15 et 24 ans étaient bilingues à 74%. Donc,
nos jeunes sont de plus en plus capables de rester ici et de chercher des
emplois. Il n'y a pas les mêmes "opportunités" dans les autres
provinces. Le bassin des immigrants est beaucoup plus restreint, beaucoup plus
petit. Il y a quelques raisons. Cela nous donne le défi d'assurer que
ceux qui décident de rester ici pour n'importe quelle raison auront
l'occasion de profiter d'une telle décision ici, au Québec, et de
vraiment assurer un avenir prospère et non seulement pour les
anglophones.
Le Président (M. French): Merci, M. le
député. M. le député de Saint-Jean.
M. Proulx: Vous avez dit: "Les rares données
gouvernementales disponibles nous ont doublement frappés car elles
mettaient l'accent de façon presque acharnée sur le Québec
d'expression anglaise, vu comme une force assimilatrice. " Quant à moi,
la force assimilatrice envers Ies anglophones, mais elle vient surtout de la
part des Américains, de la culture américaine, de la puissance
américaine, des médias américains, de la radio, de la
télévision et des journaux. C'est cela qui, à mon avis,
est la force la plus dangereuse. Tous nos jeunes Québécois
n'écoutent que la musique américaine et écoutent le
cinéma américain. C'est toute la culture américaine qui,
à mon avis, est une force assimilatrice beaucoup plus que
peut-être le groupe d'expression anglaise de Montréal. Qu'en
pensez-vous? Est-ce que vous partagez un peu mon opinion là-dessus?
Mme Duff-Caron: Oui, j'accepte certainement la déclaration
qu'on fait partie de l'Amérique du Nord et qu'il est sûr que la
musique américaine joue un rôle assez important parmi nos jeunes.
C'est la même chose pour la télévision et les films, le
cinéma.
M. Proulx: La littérature, les journaux.
Mme Duff-Caron: Oui, pourtant on a de bons journaux
français qui viennent de notre milieu, du Québec, mais aussi de
la France. Je ne sais pas où cela va nous amener de constater une telle
influence. On ne peut pas refuser d'accepter que cela existe, peut-être
que la façon est d'encourager encore... On met l'accent sur
l'encouragement de la langue française, l'encouragement des publications
françaises, des programmes à la télévision
française plutôt que la prohibition ou d'essayer d'arrêter
la réception des programmes des États-Unis, qui ont quand
même des choses intéressantes. Cela nous fait apprendre aussi.
M. Proulx: Une autre affirmation qui me surprend, c'est quand
vous dites: "Les Québécois d'expression anglaise demeurent un
important élément de tissu social dans presque toutes les
régions du Québec. " Cela me frappe un peu. Je me demande si ce
n'est pas un peu exagéré. Vraiment le tissu social, avec toutes
les structures et moyens d'éducation sociale, c'est à
Montréal, et vous parlez d'un tissu social dans les Laurentides, dans
l'Outaouais, dans l'Estrie et dans la Gaspésie. Je parlais de Richmond,
hier. Il n'y pas plus que 5% à 6% d'anglophones dans Richmond. Il n'y a
pas beaucoup... Le vrai tissu social anglophone, avec toutes ses structures,
tous ses moyens, toute cette vie sociale, est surtout à Montréal
et dans le West Island.
Mme Duff-Caron: Mais il s'agit de nombres absolus plutôt
que le pourcentage, parce qu'on parle quand même - il me semble que c'est
50 000 personnes dans l'Outaouais et dans les Cantons de l'Est...
M. Proulx: Combien?
Mme Duff-Caron:... il y a 150 écoles anglaises à
l'extérieur de l'île de Montréal. Oui, les nombres ne sont
pas aussi importants s'il s'agit d'un pourcentage de 5%, mais quand même,
lorsqu'on regarde les gens derrière ces chiffres-là, on parle de
50 000 personnes qui sont membres d'une communauté, qui ont leurs
traditions, qui ont leur langue, les traditions...
Une voix: Leur journal.
Une voix: II y en a un seul.
M. Payne:... quotidien, aussi.
Mme Duff-Caron: Oui.
M. Proulx: II y en a un à Sherbrooke.
Le Président (M. French): Le Record.
M. Orr: C'est un bon exemple, les
Cantons de l'Est, parce qu'il y a un réseau des écoles, un
journal quotidien, un hôpital qui reste, une université, un
cégep...
M. Proulx: C'est peut-être la seule région où
le tissu anglophone a un certain...
M. Orr: Même la Gaspésie, par exemple, où il
reste toutes les églises, toutes les écoles, un pavillon
anglophone au cégep de la Gaspésie...
M- Proulx: Oui?
M. Orr: Oui. Dans l'Outaouais, encore, il y a tout le
réseau des écoles, des églises, Heritage Campus, avec le
cégep de l'Outaouais; la Basse-Côte-Nord, c'est 80% anglophone
dans la Basse-Côte-Nord.
M. Proulx: Quelle place?
M. Orr: La Basse-Côte-Nord, c'est-à-dire
Blanc-Sablon, toute la région comme telle.
M. Proulx: Ah! Bon.
M. Orr: Certainement, il existe quelques petites régions
comme le Saguenay ou la Mauricie, où il reste peu de personnes et on a
vraiment des problèmes à maintenir nos institutions. Mais, dans
ces autres régions que nous avons mentionnées, il y a vraiment
une communauté qui est là et qui est prête à
continuer de lutter. Je parle comme estrien moi-même. C'est une chose qui
importe pour moi, mais oui, vraiment, une communauté existe dans ces
endroits.
M. Proulx: Avec un tissu social...
M. Orr: Avec un tissu social, oui.
M. Proulx: II y a une force qui...
Mme Duff-Caron: II y a un désir de continuer aussi
d'exister.
M. Proulx: Oui, mais cela inquiétait M. Scowen. Il
était inquiet pour ceux qui partent des Cantons de l'Est. Lui-même
a quitté les Cantons de l'Est, je pense.
Le Président (M. French): Cela fait pas mal longtemps.
M. Proulx: II a fait son argent là. Vous dites une autre
phrase. Les Montréalais d'expression anglaise connaissent une richesse
culturelle et un esprit de tolérance. Un esprit de tolérance,
cela me frappe un peu. Il y a un petit détail historique, je ne veux pas
insister. J'ai vu un phénomène à l'école
Mont-Royal, la semaine passée, et, quand vous me parlez d'esprit de
tolérance, je me pose des questions. J'ai l'impression qu'à
Montréal les vieilles familles anglophones, depuis 1760, ont vécu
un peu à l'ouest de la rue Saint-Laurent, ont vécu les "deux
solitudes", de Hugh McLennan, autrefois. Vous parlez d'esprit de
tolérance. Combien de fois - je suis beaucoup plus âgé que
vous - quand je suis allé à Montréal, on m'a dit:
"Excuse-me, I do not speak French". Alors, cet esprit de tolérance,
autrefois, n'existait pas. Il a peut-être changé. Il existe
peut-être, vous le représentez peut-être, vous tous, une
nouvelle génération d'anglophones, ou des anglophones qui
viennent de l'extérieur du Québec, qui viennent de l'Ouest, ou
des anglophones qui viennent d'autres pays, qui sont sortis du Québec,
qui sont allés ailleurs, qui sont revenus avec un esprit beaucoup plus
ouvert, comme le vôtre, M. French, vous qui avez fait de grandes
études universitaires, un homme brillant, entre autres. Mais, je vous
dis ceci, cet esprit de tolérance autrefois - je disais que chez les
anglophones il y avait un esprit d'intolérance - je vous pose une
question. Est-ce que la jeune mentalité, les jeunes que vous
représentez, est beaucoup plus ouverte à l'égard de la
culture française, de la civilisation française? Est-ce que vous
traversez la rue Saint-Laurent, de temps en temps, ou bien si vous restez dans
le West Island?
Mme Duff-Caron: Oui, je traverse la rue Saint-Laurent. En plus,
il y a 70 000 anglophones qui habitent à l'est de la rue
Saint-Laurent.
M. Proulx: L'autre côté de la rue Saint-Laurent? (16
h 15)
Mme Duff-Caron: Oui, c'est cela.
Tolérance! Je crois que, dans l'histoire de l'île de
Montréal, il y avait toujours des anglophones qui travaillaient à
côté des francophones. Il y avait peut-être des exceptions.
J'espère qu'il s'agissait d'exceptions. De nos jours, on ne
prétend pas que tout le monde a la même tolérance que nous,
mais cela va des deux côtés, je crois. Et l'intolérance, il
y en a parce qu'il y a l'ignorance. C'est un manque d'éducation, un
manque de connaissances de l'autre communauté.
M. Proulx: Les deux solitudes.
Mme Duff-Caron: Effectivement, c'est cela. Mais je crois que, de
plus en plus, les deux communautés se connaissent, veulent se
connaître. Elles vont réussir à se connaître. Oui, je
crois qu'il y a une évolution...
M. Proulx: Une nouvelle génération. Mme
Duff-Caron:... et une acceptation.
Le fait que les jeunes soient ici, qu'ils sont engagés à
vivre, à demeurer et à participer à la vie du
Québec, c'est certainement... On ne parle plus de tolérance, on
parle du fait qu'on se sent à l'aise dans notre province, on fait partie
de la province de Québec.
M. Proulx: Vous touchez le mot que je voulais dire, le mot
"tolérance" est péjoratif et négatif.
Mme Duff-Caron: Oui.
M. Proulx: Cela veut dire que vous nous tolérez. C'est un
peu... Alors, j'aime beaucoup mieux - vous l'avez dit tout à l'heure -
nous nous acceptons et nous vivons ensemble. Le mot "tolérance" est
quelque peu péjoratif. Est-ce que vous comprenez ce que je veux
dire?
Mme Duff-Caron: Je comprends ce que vous voulez dire et c'est
certainement...
Une voix:... péjoratif.
M. Proulx: Intolérant, oui. M. le Président...
Mme Duff-Caron: Ce n'était pas dans ce sens-là,
peut-être que c'est un mot qui a été mal choisi.
M. Proulx: Cela va.
Vous avez dit qu'il faut élargir l'accès à nos
écoles pour les enfants d'expression anglaise. M. Payne en a
parlé.
Je veux toucher à un autre problème, "il faut
accéder plus facilement aux emplois et aux services gouvernementaux". M.
Scowen aussi a beaucoup parlé de ce problème, je pense. Il a fait
des statistiques assez intéressantes sur le nombre d'anglophones qui
travaillent au parlement. Avez-vous donné les statistiques sur le nombre
de Québécois qui ont des postes supérieurs à
Ottawa? Vous ne pensez pas qu'il y a une espèce de juste
équilibre?
Le Président (M. French): On a fait ce débat ce
matin, M. le député.
M. Proulx: D'accord, je m'excuse.
Le Président (M. French): Vous avez manqué l'expert
de ce sujet, qui est encore parmi nous d'ailleurs.
M. Proulx: M. Castonguay?
Le Président (M. French): Oui, c'est cela.
M. Proulx: C'est un de mes grands amis.
Le Président (M. French): Voilà:
M. Proulx: Vous n'avez pas enseigné au collège
militaire, vous? Non?
Une voix: Voilà!
M. Proulx: Kingston ou Royal Roads?
Une voix: Saint-Jean.
M. Proulx: Saint-Jean. Nous sommes deux collègues, c'est
encore mieux!
Le Président (M. French): Encore mieux!
M. Proulx: C'est un docteur émérite.
Juste une dernière remarque, j'achève, M. le
Président. Les sondages SORECOM indiquaient qu'une très forte
majorité de Québécois appuyaient les revendications de la
communauté d'expression anglaise sur son droit de gérer et de
contrôler les institutions qu'elle jugeait nécessaires à la
survivance, nommément les écoles. J'aimerais bien - je vous dis
cela - que la même chose arrive en Ontario aussi, qu'on puisse, les
francophones, gérer nos écoles. Vous connaissez la lutte qu'on
fait. Est-ce...
Mme Duff-Caron: Mais, effectivement...
M. Proulx:... que vous saisissez le problème qui existe?
Les francophones n'ont pas la commission scolaire. Est-ce que vous êtes
sensible à cela?
Mme Duff-Caron: II y a un jugement à cet effet-là,
de la Cour d'appel de la province d'Ontario, auquel nous étions des
intervenants pour appuyer la demande des Franco-Ontariens d'avoir le pouvoir de
gérance, d'administrer leurs écoles. Le jugement de la Cour
d'appel a accueilli la requête, l'appel des Franco-Ontariens...
M. Proulx: Pour qu'ils puissent avoir leur propre conseil
scolaire.
Mme Duff-Caron: Absolument.
Une voix: C'est cela.
M. Proulx: C'est cela. C'est une lutte... Cela fait...
M. Orr: Que nous avons appuyés comme organisme.
M. Proulx: Vous les avez appuyés?
M. Orr: Oui, dans les cours.
M. Proulx: Je peux continuer, est-ce que j'ai encore du temps, M.
le Président?
Le Président (M. French): Vous avez très peu de
temps, M. le député, si vous voulez résumer.
M. Proulx: Je résume. Une phrase qui me frappe à la
fin, je voudrais que vous nous l'expliquiez. "Nous sommes, cependant, en mesure
de rejeter catégoriquement l'acceptation passive de la
désintégration lente de la communauté d'expression
anglaise et nous rejetons avec plus de force encore une vision
déterministe ou fataliste et pessimiste qui a cours dans plusieurs
milieux qui voudraient voir le Québec décliner inexorablement
vers l'indigence sociale économique. "
Alors, pourquoi le Québec déclinerait inexorablement vers
l'indigence sociale économique? À cause de quoi?
M. Orr: Mais le taux de fécondité... M. Proulx:
Pardon?
M. Orr: Le taux de fécondité, tous les défis
démographiques que nous pouvons voir maintenant, on peut dire le taux
élevé de chômage, le manque d'investissements dans
l'économie, toutes ces choses. Nous voulons dire tout simplement que, si
nous acceptons un avenir restreint, nous allons réussir à gagner
un avenir restreint. Cela prend une volonté politique et une
concertation entre tous les groupes linguistiques de notre province pour faire
face à ces défis ensemble et seulement ensemble. C'est possible,
pour nous, de bâtir la sorte de société que nous voulons
ici au Québec.
M. Proulx: La dernière remarque, à la page 6: "Les
politiciens, ceux qui prennent les décisions au Québec ne peuvent
continuer à considérer la communauté d'expression anglaise
du Québec comme une menace culturelle". Quant à moi, je vous le
dis en conclusion, comme Québécois, comme francophone, c'est
l'influence américaine, à mon avis, dans toute sa culture, dans
toute sa présence et l'empire américain, l'empire culturel,
l'empire économique, l'empire militaire. L'historien français qui
a écrit le livre "L'empire américain", qui a écrit
cela?
Une voix: Servan-Schreiber. Une voix: Claude Julien.
M. Proulx: Merci. Claude Julien a écrit un livre
remarquable là-dessus que je vous recommande de lire. L'empire
américain, l'empire militaire, culturel, économique, social et
même religieux, à cause de toutes les religions qu'on entend le
dimanche à la radio. Je pense que pour nous c'est cela qui est vraiment
la menace et vous, vous faites partie de cette communauté anglophone,
quand même. Quant à moi, c'est cette menace au niveau du
subconscient. Quand nos jeunes enfants écoutent des chansons
américaines et que leur subconscient est imprégné de cette
culture américaine, c'est cela qui est une menace fondamentale pour
notre propre culture et notre propre identité nationale. Est-ce que vous
êtes de mon avis, là-dessus?
Mme Duff-Caron: Tout d'abord j'aimerais bien dire que nous ne
nous considérons pas partie des anglophones américains, de
groupes américains.
M. Proulx: Je parle de civilisation.
Le Président (M. French): II est d'accord avec vous. C'est
exactement ce que vous dites, je crois, M. le député.
Mme Duff-Caron: Ah! bon.
Le Président (M. French): II ne vous accuse pas de
transmettre cette maladie américaine.
Mme Duff-Caron: D'accord. J'ai mal compris alors.
Le Président (M. French): Au contraire, il veut souligner
le fait que vous ne le faites pas.
Mme Duff-Caron: Comme je l'ai dit tout à l'heure,
effectivement, j'accepte la thèse d'une influence très forte et
très importante des Américains. Ce sont les Américains,
leur publicité, leurs programmes de télévision, leurs
journaux, leur musique, le tout.
M. Proulx: Leur présence quotidienne. Mme Duff-Caron:
Oui, dans notre vie.
M. Proulx: On va finir par se tolérer les uns les
autres.
Mme Duff-Caron: Peut-être même... Je comprends.
M. Proulx: Voyez-vous, an a des anglophones avec nous qui
viennent d'Angleterre, ce qui est une richesse, pour nous, extraordinaire,
d'autres qui sont allés étudier à Cambridge, à
Eton. Où êtes-vous allé étudier, M. le
Président. Dites-leur. Cambridge? Eton?
Le Président (M. French): Je ne suis pas assez chanceux
pour être allé à Eton, quand même. Oxford.
M. Proulx: Oxford?
Le Président (M. French): David et moi savons bien que ce
n'est pas possible d'aller à Eton.
M. Proulx: Vous n'êtes pas allé au même
collège que M. Parizeau?
Le Président (M. French): Non, parce qu'il est allé
au London School of Economics.
C'est M. Jacques-Yvan Morin qui est allé à Cambridge.
M. Proulx: Merci, M. le Président.
Le Président (M. French): Très brièvement,
parce qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps. Je voudrais tout simplement
vous dire que je pense que mon collègue de Saint-Jean vous a
donné une piste importante lorsqu'il a parlé de la menace
américaine, une menace culturelle, puisque justement il ne faut pas
confondre le problème du nombre de non-francophones résidant
à l'intérieur des frontières du Québec avec le
problème de la menace de la culture populaire anglicisante, qui est
essentiellement américaine. Ce sont deux problèmes
différents et le plus rapidement Alliance Québec se mettra
à le dire à ses concitoyens de langue française au
Québec, le plus rapidement ces concitoyens vont commencer à faire
des distinctions importantes pour la population non francophone
québécoise. Je pense que vous ne pouvez pas vous renseigner et
répéter ce message suffisamment parce qu'il devient de plus en
plus évident que ce genre de distinction peut se faire et devrait se
faire. Ce n'est pas à cause du nombre de non-francophones habitant dans
certaines régions du Québec qu'à Jonquière et
à Rimouski il y a des transferts d'écoute vers les postes
américains sur la télévision par câble, par exemple.
Cela, c'est une question extrêmement importante pour les francophones et
pour tous les Québécois et qui n'a strictement rien à
faire avec la problématique populationniste de la culture francophone
telle que vécue dans les années soixante et soixante-dix. Tout
simplement, je vous passe le message encore une fois et je pense que c'est
extrêmement important.
M. Proulx: Donc, on est du même avis.
Le Président (M. French): Certainement et pas pour la
première fois.
M. Proulx: Pas à tous les jours.
Le Président (M. French): C'est ma grande
tolérance. Deuxièmement, je voudrais quand même essayer
d'en venir au message essentiel que vous nous livrez sur le plan des politiques
concrètes. Si je l'ai saisi, c'est que vous endossez le message que nous
avons reçu de M. Henripin et du groupe de recherche démographique
de l'Université de Montréal, à savoir que l'un des volets
ou l'un des instruments importants dans une politique visant à redresser
un avenir plutôt sombre sur le plan de la population pour le
Québec, pour notre société, c'était d'essayer de
conserver plus de Québécois qui sont déjà ici parmi
nous et de réduire les pressions qui ont fait, dans le passé et
peut-être dans l'avenir, mais dans le passé certainement, en sorte
qu'un minimum beaucoup trop élevé de Québécois ont
décidé de vivre ailleurs, la plupart étant des
non-francophones, la plupart étant des anglophones. Vous êtes
d'accord que, parmi plusieurs instruments disponibles pour une politique de la
population du Québec, ce serait certainement d'en savoir plus sur les
raisons de ces départs et, deuxièmement, d'essayer de contrer ou
de changer les politiques gouvernementales et autres, ce qui ferait en sorte
qu'il y aurait moins de pression, ces raisons-là seraient moins
pertinentes aux yeux des immigrants potentiels.
Mme Duff-Caron: Oui, M. le Président et peut-être
même d'une manière plus positive, en voulant dire que l'insistance
doit être sur des moyens positifs qui vont encourager les gens à
rester ici au Québec.
Le Président (M. French): M. le député de
Vachon.
M. Payne: Oui. Simplement pour vous remercier, au nom de notre
formation, de votre mémoire, tout en souhaitant qu'on puisse trouver un
terrain d'entente en ce qui concerne les transferts linguistiques. Cela
m'inquiète beaucoup que cette idée puisse être
répandue dans la communauté anglophone, qu'il n'y ait pas
d'écart entre les transferts linguistiques des deux communautés.
Même M. Henripin lui-même se montrerait très réticent
à accepter l'affirmation que vous avez faite. C'est assez important
parce que, comme je l'ai dit, cela a souvent été répandu
dans le milieu anglophone.
Deuxièmement, j'ai beaucoup de difficulté à
accepter que le taux de bilinguisme n'est pas aussi élevé dans le
milieu francophone. Je vous ai apporté, à l'appui de cela,
l'étude du Conseil supérieur de l'éducation
documentée et commentée amplement par M. Michel Paillé
à la fin de l'année passée. En plus, il est assez
important de répéter ce que nous avons dit à plusieurs
reprises, que le taux net de diminution dans la migration interprovinciale, le
solde net, est significativement à la baisse.
Quelqu'un a posé la question, à savoir -je pense que
c'était en réponse à une question du député
de Louis-Hébert -
comment se fait-il que cela soit maintenu? D'abord, il faut dire comme
prémisse que ce n'est pas maintenu, c'est à la baisse. Par
exemple, je peux vous signaler que, de 1967 à 1971, c'était 56
000 - 50 000 - je parle en milliers - 73 000 en 1970, 63 000 en 1971. Je
pourrais continuer, mais, pour les neuf premiers mois de l'année
dernière, cela a été de 33 000 sorties interprovinciales.
Premièrement, cela est un message qui devrait être souligné
auprès du milieu anglophone et, deuxièmement, en réponse
à la question - je pense que la question a été
faussée par l'Opposition - à savoir pourquoi cela s'est maintenu,
je dis que ce n'est pas maintenu, c'est à la baisse.
Pourquoi est-ce à la baisse? Il serait aussi intéressant
d'ajouter d'autres facteurs. Vous avez dit que c'est non seulement l'effet de
l'après-boom en Alberta - c'est un facteur, c'est sûr - c'est
aussi un facteur qu'il y a du chômage, comme vous l'avez dit, à
l'extérieur du Québec dans les autres provinces, mais aussi il y
a des effets des lois 101 et 22 qui ont une large acceptation dans les milieux
anglophones avec les accommodements apportés par le projet de loi qui
amendait la loi 101 l'année dernière. Vous avez été
une partie importante de l'équipe de révision. Si on pouvait
discuter peut-être à un autre moment de quelques modifications
à apporter à quelques conclusions de votre rapport, on pourrait
bien s'entendre pour refléter la réalité au Québec:
transferts linguistiques, taux de bilinguisme et aussi la nette et
significative diminution du solde migratoire interprovincial depuis les 20
dernières années et spécialement depuis les cinq
dernières années.
M. Orr: Les trois choses, oui. Premièrement, sur les
transferts linguistiques, c'est un problème très complexe et nous
voulons le comprendre beaucoup mieux et peut-être que vous pouvez nous
aider à convaincre le Conseil de la langue française d'investir
des ressources sur une telle question. On ne l'a pas dit aujourd'hui mais nos
sondages indiquent que beaucoup de gens, dans la communauté anglophone,
appuient la nécessité d'avoir des règlements qui
protègent la langue française au Québec. Ce n'est pas une
question de protéger ou de ne pas protéger le français,
c'est une question de protéger la langue française de ce dont les
autres communautés ne semblent pas vraiment menacées. Sur la
question du bilinguisme, vous m'avez donné cette étude, je vais
la lire attentivement et je communiquerai certainement avec vous.
Mme Duff-Caron: J'aimerais bien ajouter, M. le
député, que le document qu'on a présenté
aujourd'hui est un document de base qui va servir à notre
communauté, à notre organisation afin de mieux se définir
et de mieux fixer nos priorités pour demain et l'avenir. On ne va
certainement pas le mettre dans la bibliothèque et dire: C'est fini, on
a fait notre travail. On est toujours en train de nous mettre à jour et
nous sommes certainement très heureux de connaître d'autres
études, de faire d'autres recherches et, comme je vous le disais, de
mettre à jour nos documents parce que cela va servir ànotre communauté aussi. Je vous remercie de vos suggestions.
Le Président (M. French): M. Orr, M. Floch et Mme
Duff-Caron, je vous remercie beaucoup. On apprécie au plus haut point
les ressources que vous avez investies dans la recherche. Nous
apprécions beaucoup votre mémoire et l'échange d'opinions
que vous avez partagé avec nous cet après-midi. Nous
espérons que vous allez trouver dans le rapport de la commission un
apport valable au débat auquel nous participons actuellement.
Mme Duff-Caron: Merci, M. le Président et tous les membres
de la commission.
Le Président (M. French): Nous suspendons pour deux
minutes.
(Suspension de la séance à 16 h 33)
(Reprise à 16 h 40)
Le Président (M. French): À l'ordre, s'il vous
plaît! Je vous invite à prendre place, nous allons recommencer.
Mesdames et messieurs, veuillez prendre place!
M. Caldwell (Gary): M. le Président, est-ce que je devrais
commencer?
Le Président (M. French): S'il vous plaît, M.
Caldwell, cela ferait avancer les choses.
La commission de la culture reprend ses travaux. Notre dernier
intervenant de la journée est M. Gary Caldwell. Je voudrais donc inviter
ceux et celles qui jasent à le faire à l'extérieur de la
salle ou à arrêter.
Bienvenue, M. Caldwell. Je pense que vous connaissez la
procédure. On va vous inviter à faire quelques commentaires au
début, pour ensuite passer aux questions et aux commentaires.
M. Gary
Caldwell
M. Caldwell: Bonjour, M. le Président. C'est effectivement
la première fois que je viens devant une commission parlementaire.
Le Président (M. French): Ah bon!
M. Caldwell: Alors, si je procède d'une façon qui
n'est pas appropriée, vous allez me corriger.
J'ai un mémoire qui est très bref; alors, je vais le
reprendre. Je suis un peu mal à l'aise parce que celui-ci est
effectivement une réflexion. Au moment où je l'ai écrit,
il y avait beaucoup d'intérêt, mais très peu de discussions
autour de cette question démographique. Depuis, on a peut-être une
discussion plus alimentée avec le livre de M. Mathews, parmi d'autres.
Je voulais apporter mon grain de sel pour stimuler une discussion. Mais ce
n'est pas le résultat des études détaillées, c'est
le résultat d'une réflexion sur la question que j'ai suivie
depuis peut-être une vingtaine d'années.
Le rapport en question proclame -c'était le rapport sur les
tendances démographiques - ce qui était appréhendé
depuis un certain temps par des sociologues et des démographes: une
stagnation démographique suffisamment avancée pour qu'un
déclin absolu de la population québécoise soit imminent.
L'éventualité d'un tel déclin est maintenant tellement
reconnue qu'il ne s'agit plus d'en parler, il est plutât question d'y
faire face. Cela est le but de cette très brève intervention.
Pour y arriver, je procède par l'énumération d'une
série d'acquis déjà possédés par la
société québécoise, des acquis qui sont pertinents
face à cette question, pour ensuite passer à une liste de
postulats sur le fonctionnement de cette société - comme vous le
voyez, c'est très prétentieux - québécoise qui
pourraient toucher à cette question, pour finalement dégager une
recommandation. Les acquis. 1) II y a en place, au Québec, un capital
social, humain et physique très considérable en forme
d'écoles, d'hôpitaux, de personnel requis pour livrer les services
sociaux qui en découlent, sans parler de l'énorme investissement
qu'on a fait dans l'éducation. Alors, on a une jeunesse très
scolarisée. Ce capital, créé au prix d'un investissement
collectif considérable, est maintenant sous-utilisé, même
jusqu'au point de mettre en péril le maintien de ce même capital
physique et humain. Quand je dis que cela mettrait en péril le maintien
de ce capital physique, c'est parce qu'il pourrait s'en aller. 2) Québec
a un espace vital qui suffirait à une population beaucoup plus
considérable que la population existante, même de trois à
cinq fois plus grande. Présentement, il y a des régions
entières qui se dépeuplent au point que notre occupation
effective du territoire deviendrait problématique. 3) La
société québécoise jouit maintenant d'une mesure de
protection culturelle - j'ai écrit cela il y a maintenant, plus que six
mois - qui fonctionne et qui est l'objet d'un consensus social, la loi 101. Une
manifestation des retombées de cette mesure, c'est ce qui se passe
à l'école élémentaire française où
les jeunes francophones, allophones, anglophones sont en train de se socialiser
dans la culture québécoise française de demain. Nous nous
dirigeons vers l'école publique commune française - cela va
sûrement soulever des questions - ce qui sera un grand atout en termes de
protection culturelle. Donc, l'école élémentaire doit
figurer au rang des grands acquis. 4) Le Québec a réussi à
rapatrier une certaine juridiction sur l'immigration internationale. Par voie
de cette juridiction, le Québec peut influer sur la quantité et
le type d'immigration.
Troisième pages un certain nombre de postulats. 1) Un
déclin démographique sera désastreux. Nous vivons dans un
environnement économique basé sur l'expansion et, lorsqu'il n'y a
plus d'expansion, c'est la contraction et tout de qui s'ensuit, notamment
l'émigration du Québec. De plus, un déclin aurait aussi
l'effet de miner - même de provoquer un de ces renversements d'opinion
dont la société québécoise est bien capable;
peut-être que c'est cela qu'on est en train de voir, maintenant, face
à la loi 101 - l'élan qui a soutenu l'affirmation nationale de
ces dernières années. 2) Au Québec, depuis au moins 30
ans, l'économie est propulsée par la démographie en
première instance et non le contraire. Autrement dit, sans expansion
démographique, il n'y aurait pas d'expansion économique au
Québec. 3) On ne peut pas influer suffisamment sur la natalité
par intervention étatique pour éviter le déclin
démographique par voie de la natalité. Même avec les 250 $
pour le troisième enfant, je ne suis pas convaincu, pour
l'immédiat, mais peut-être à long terme. 4) Seule une
expansion économique, elle-même conséquence d'une
croissance démographique, peut agir sur la natalité et
l'émigration. Les jeunes couples n'établissent pas de
ménages et plusieurs partent faute d'emplois. 6) Présentement, on
subit les contraintes d'une idéologie en matière d'immigration
qui est très naïve et même nocive à long terme. Il
faudra être capable d'énoncer aux nouveaux venus les règles
du jeu de cette société et la nécessité de s'y
conformer. Faire croire, par souci de respect des droits humains
interprétés abstraitement, que l'immigrant possède les
mêmes droits que le citoyen est une hypocrisie qui risque de mal servir
l'immigrant lui-même sans parler d'un éventuel ressac contre
l'immigration même.
Les conclusions que j'en tire. 1) Le
Québec pourra absorber une immigration beaucoup plus
considérable en rentabilisant son capital social déjà en
place. 2) Une immigration massive serait bénéfique sur le plan
économique, en premier lieu parce qu'elle contribuerait à une
expansion économique par sa simple présence et, en
deuxième lieu, parce que l'immigrant fait preuve d'une vitalité
au plan économique dont la population en place n'est plus capable.
J'affirmerais la même chose pour n'importe quelle juridiction. Ce n'est
pas particulier au Québec. 3) II n'y a pas d'autres moyens
prévisibles d'éviter un déclin démographique, faute
de la découverte au Québec d'une nappe importante de
pétrole. 4) La résistance à l'immigration - et j'admets
que cela est très important - n'est pas fondée et découle,
d'une part, des considérations corporatistes et, de l'autre, des
retombées néfastes d'une complaisance envers une idéologie
libérale naïve.
Recommandation. Que le Québec mette en place un plan Sifton pour
le Québec, qu'on baptiserait le plan "Morin" d'après Rosaire
Morin. Je mentionne le nom de Morin, ici, parce qu'il a écrit un livre
en 1966 où il préconisait l'immigration massive au Québec.
Il a été peut-être le premier à voir l'immigration
comme un facteur positif dans l'avenir du Québec. Ce plan aurait deux
volets: un pour faire en sorte que le Québec accueille au moins 50 000
immigrants par année et, deuxièmement, pour qu'on dépasse
les contraintes d'une vision naïve des droits de l'homme en ce qui
concerne l'immigration. En voulant respecter tous les droits humains de tout le
monde, on finit par n'accueillir personne. C'est tout.
Le Président (M. French): Merci, M. Caldwell. C'est
écrit et livré d'une façon qui est sûre de provoquer
beaucoup de questions. M. le député de Vachon.
M. Payne: Merci, M. Caldwell, au nom de notre formation. Cela
fait longtemps qu'on a eu beaucoup d'échanges fructueux et on
connaît très bien vos contributions au gouvernement, aux
institutions et à différents partis politiques, qui
étaient jugées éminemment fructueuses, je pense.
J'aimerais entrer dans le vif du sujet très vite parce que je
pense qu'on peut avoir une discussion fort intéressante. Je partage
beaucoup l'orientation générale en ce qui concerne l'immigration,
mais j'aimerais mettre le focus pour quelques minutes sur le no 6.
M. Caldwell: Oui. J'ai passé mon texte à
quelqu'un.
M. Payne: Si on peut avoir un échange assez rapide,
voulez-vous nous expliquer un peu "les contraintes d'une idéologie qui
est très naïve et même nocive à long terme"?
M. Caldwell: Pour moi, c'est une question difficile et c'est une
question qu'on n'aborde pas facilement parce que nous avons tous
été éduqués dans une arrière-pensée
libérale où il y a eu des batailles pour gagner ce qu'on
considère comme certains droits humains, mais je prétends qu'on
approche cette question encore d'une façon trop abstraite. Je vais vous
donner un exemple concret. On a, pendant un certain temps, pris comme position
que les sous-économies étaient mauvaises parce que cela faisait
en sorte que les immigrants étaient exploités par des bourgeois
ethniques et que leur mobilité dans la société dominante
était bloquée. Je repose cette question. Peut-être qu'il
existait dans ces sous-économies un canal par lequel les gens trouvaient
un emploi, trouvaient un certain appui dans la société et
apprenaient les règles du jeu de cette société avant
d'être lancés dans la mêlée. En apprenant ces
règles du jeu, ils apprenaient à fonctionner dans cette
société d'une façon qui ne provoquait pas une
réaction dans la société dominante. Je pense qu'on a
tendance à sous-estimer la capacité de l'immigrant de se
socialiser dans une société particulière et de
connaître cette société. Lorsqu'il ne fonctionne pas tout
de suite comme on s'attendrait qu'il fonctionne - parce qu'on a tous nos
exigences, on participe tous dans des sociétés, il y a toujours
des règles du jeu - quand il ne respecte pas ces règles du jeu,
il y a un ressac.
Je donnerai comme exemple le cas du taxi à Montréal. Je
trouve qu'il va falloir réexaminer cette question, d'une part, la
vitesse avec laquelle on peut s'attendre que quelqu'un s'acclimate à
notre société et, d'autre part, jusqu'à quel point on
accorde tout de suite les pleins droits de citoyen à ceux qui sont en
train de gagner leur entrée dans notre société.
Évidemment, cela heurte cette philosophie libérale, mais,
à défaut de respecter ces exigences, on risque d'alimenter une
certaine xénophobie qui est naturelle, qui est normale dans toute
société. Lorsque cela fait trois ans que quelqu'un est ici, il a
tous les droits d'un citoyen. On risque de provoquer une certaine
réaction. Je laisse là la question. Vous voulez peut-être
poursuivre vos questions. La récente décision Boudreau, c'est un
bon exemple où on a érigé une philosophie libérale
dans une charte des droits de l'homme. Finalement, on a vu que c'était
un peu abstrait et quand est venu le moment d'interpréter ces droits en
fonction d'une société particulière, on n'a pas eu les
résultats auxquels on s'attendait.
M. Payne: On ne parle pas d'une idéologie au niveau de
l'État. On parle
plutôt...
M. Caldwell: Oui, même de tous les gens qui font
fonctionner cet État. Je parle d'une idéologie qui est
présente dans toutes les couches qui gèrent cette
société, que ce soient des médecins, des fonctionnaires,
des universitaires. Je pense qu'on ignore les sentiments de ceux qui sont plus
exposés aux réalités économiques et qui, comme
nous, ne sont pas isolés contre certaines pressions économiques.
Lorsqu'eux sont face à l'immigration, face à quelqu'un qui arrive
ici, qui ne respecte pas les règles du jeu et qui en tire tous les
privilèges, on risque de créer des courants de...
M. Payne: Je suis d'accord sur le plan des préjugés
populaires, mais je serais hésitant à dire qu'il y a quelque
chose de nocif dans l'idéologie formelle de l'État lorsque je
vois, en matière d'immigration, les politiques qui nous gèrent.
Moi, j'ai toujours cru, par exemple, que les retombées de l'entente
Cullen-Couture étaient absolument remarquables pour ce qui est de
l'autonomie accordée, après négociations, au
Québec, d'une part, alors que, d'autre part, on laissait la question de
la sécurité et de la santé sous la juridiction du
gouvernement d'Ottawa. La politique d'accueil et les critères qui en
découlent, je pense, témoignent d'un grand libéralisme et
d'une certaine ouverture. Je pense que c'était marqué
particulièrement en ce qui concerne la politique d'accueil auprès
des réfugiés ces dernières années.
M. Caldwell: M. le député, si je peux revenir sur
cette question, je donne comme exemple la philosophie libérale
humaniste, que j'endosse complètement, qui se trouvait dans le document
"Autant de façons d'être Québécois" qui
préconisait, comme mise en place de cette philosophie, un accroissement
des non-francophones dans la fonction publique. Les contraintes
économiques réelles ont eu comme conséquence que le
résultat a été le contraire. Plutôt que d'augmenter,
la proportion est descendue. Je trouve qu'on risque de provoquer un ressac qui
va peut-être limiter notre marge de manoeuvre dans l'avenir pour
étendre le même accueil et la même invitation.
M. Payne: Est-ce qu'on parle de la même chose? On parle de
l'immigration internationale. J'aimerais bien poursuivre cette discussion. Si,
par exemple, on se trouve actuellement aux alentours de 18 000, 19 000 ou 20
000 par année avec une politique - j'ajoute une couple de postulats
à mes considérations - ouverte, si c'est vrai que cette politique
est une politique ouverte, comment pouvez-vous élargir cette politique
pour qu'on puisse en accueillir encore 25 000 par année? Si
c'était 25 000 par année, cela donnerait 250 000 sur une
période de dix ans, ce qui affecterait significativement, c'est
sûr, la situation démographique au Québec, mais ce ne
serait pas une solution miracle.
Selon quels critères devrions-nous modifier notre politique
d'accueil pour accroître le nombre à 50 000 par année?
Est-ce que c'est faisable, en réalité?
M. Caldwell: Je ne sais pas si c'est faisable. Je pense que cela
vaudrait la peine d'en examiner la faisabilité et les moyens qu'on
pourrait prendre pour le faire. Je sais que la plupart diraient que ce n'est
pas faisable parce qu'il n'y a pas d'emplois. C'est une thèse que je
n'accepte pas. Je ne sais pas, M. le député de Vachon, si c'est
faisable, mais je reste convaincu que ce serait souhaitable de trouver les
mécanismes et les façons pour le faire.
Si je prends le cas des Indochinois, qui est un exemple très
intéressant, la société québécoise s'est
mobilisée pour accueillir une population, une certaine immigration. Je
pense que le succès a été considérable dans ce cas.
Cela prendrait sûrement encore une mobilisation, cela prendrait un
programme réfléchi. Par exemple, les Cambodgiens ont
été répartis à travers les provinces; il reste
à voir jusqu'à quel point ils y sont restés. Mais il y a
eu un succès certain des COFI pour l'intégration des Indochinois.
Il faudrait, à partir d'expériences comme celle-là,
dégager des éléments qui feraient que la même chose
serait possible dans l'avenir.
M. Payne: Je peux montrer mes couleurs tout de suite, vous les
connaissez un peu. Je tends, justement, vers une politique plus large
d'accueil. En passant, une petite nuance importante. Lorsque je demandais si
c'est faisable, je ne faisais pas du tout référence à la
faisabilité quant à l'accueil, c'est-à-dire à la
possibilité d'intégration dans le tissu social du Québec,
mais plutôt à la faisabilité parce que la demande
était là et la structure d'accueil. Je voulais savoir s'il y
avait une possibilité de mettre sur pied une structure d'accueil et si
le bassin de ceux qui voudraient venir au Québec existait. Est-ce une
réalité? Est-ce que c'est possible? Je ne suis pas sûr que
c'est le cas. (17 heures)
M. Caldwell: Oui. Là, ce qui entre en jeu, c'est mon
libéralisme. Je suis convaincu qu'il y a des millions de personnes dans
ce monde qui ne demanderaient pas mieux que de vivre dans cette région
du continent où on a l'espace, la paix, le terrain, où nous
sommes à l'ombre de la société la plus dynamique et vitale
du monde. En ce qui me concerne, il n'y a pas de problème à
trouver des candidats. S'il existe des capacités d'accueil, cela est une
autre question. Quant
à la question du nombre de personnes qui voudraient venir, sans
être un expert en la matière, il me semble qu'il y a des gens qui
frappent à la porte des ambassades du Canada chaque jour pour venir
ici.
M. Payne: La question est fort complexe, parce que, lorsque l'on
parle de politique d'accueil, on ne parle pas, dans un premier temps, de
règlements et de politiques formelles; on parle plutôt de la
politique sociale collective. On reprend toute la question de l'ouverture
auprès de ceux qui habitent, actuellement, sur un territoire
donné.
M. Caldwell: C'est cela.
M. Payne: On remet en question tous nos postulats d'une nation,
de l'État-nation également.
M. Caldwell: Oui, je sais. Tout ce problème, je le
connais. Je l'ai vécu, par exemple, dans les Cantons de l'Est avec
l'arrivée des Indochinois. Ce que je suggère, c'est que si on
veut que cette nation continue, il va falloir une certaine expansion
démographique. Et pour cette expansion démographique, je ne vois
pas, malheureusement, d'autre sortie dans le moment qu'une immigration plus
importante. Je pense qu'il va falloir se résigner à cela et faire
en sorte qu'il y ait une immigration plus importante. Je sais que ce ne sera
pas une politique qui sera populaire, politiquement rentable.
Si je peux faire une image de ce que je vois comme processus qui est en
train de se passer, à mesure que la population du Québec stagne
ou rétrécit, ce que nous sommes en train de faire, c'est
réduire le nombre de droits dans la tarte pour qu'on garde chacun notre
portion. Ce qu'il va falloir faire, c'est agrandir la tarte et la seule
façon de le faire, dans le moment, c'est par une expansion
économique qui découlerait d'une certaine poussée
démographique. Pour avoir cela, il faudrait de l'immigration. Je
prétends que les institutions sont en place, maintenant, culturellement,
pour faire en sorte que cette immigration ne soit pas une menace au
caractère culturel distinct du Québec. Je ne suis pas sûr,
mais je prétends que cela existe. Nous avons tous vu l'exemple des
Indochinois qui se sont francisés, dont les enfants sont dans les
écoles francophones.
M. Payne: Beaucoup d'entre eux étaient francophones,
d'ailleurs.
M. Caldwell: Oui, mais pas les Cambodgiens. Évidemment,
cela reste à être confirmé par les études qui sont
en place maintenant, jusqu'à quel point c'est le cas.
Je suis en train de dire, M. Payne, que je ne vois pas d'autre choix. Ce
n'est peut-être pas faisable, mais je ne vois pas d'autre issue. C'est
très pessimiste.
M. Payne: C'est intéressant parce que moi-même, je
suis impressionné par la situation frappante du tiers monde. Je pense
qu'il va falloir absolument remettre en question toutes nos politiques en
matière d'accueil. En mettant ce phénomène en rapport avec
la crise démographique au Québec, je pense qu'on touche le coeur
de la discussion de notre commission. Ce serait tellement facile de mettre de
côté toute considération en ce qui concerne, par exemple,
le libre choix du ressortissant de venir au Québec comme des fantaisies
impossibles. Mais je pense qu'on arrive à cela, fatalement, dans le
monde d'aujourd'hui. À un moment donné, il va falloir poser ce
genre de questions. Je pense que l'exécutif devrait se poser ce genre de
questions.
D'ailleurs c'est frappant que la plupart de nos discussions ici avec les
démographes sont orientées vers une question de solde migratoire
positif ou négatif. Moi-même, je suis le premier coupable de
m'orienter trop vers ce genre de comparaison fastidieuse. Mais, la question
plus large, c'est de savoir quel État on veut se bâtir, bien
sûr, quelle nation on veut se donner, pour être plus
spécifique, et dans quelle mesure l'État peut offrir un
leadership pour diminuer les préjugés face à ceux du tiers
monde qui voudraient venir au Québec.
Je ne sais pas si d'autres membres ont d'autres considérations,
mais on a ouvert une grande, grande question, là.
M. Orr: II pourrait y avoir là, justement, un défi
très important pour le ministre.
M. Payne: Je laisse cela, pour le moment.
Le Président (M. French): Merci, M. le
député.
M. le député de Marquette.
M. Dauphin: Je voudrais, peut-être, dans un premier temps,
vous remercier, M. Caldwell. Je vais aller dans le vif du sujet, moi aussi. Je
comprends le message que vous livrez à cette commission, cet
après-midi. À la page 4, dans vos conclusions, vous dites que
"l'immigrant fait preuve d'une vitalité au plan économique".
J'aimerais juste que vous expliquiez cela davantage.
M. Caldwell: Je pensais à cela en montant et j'ai un bon
exemple. Je maintiens un certain service de secrétariat et j'engage une
secrétaire un jour par semaine. J'ai une
IBM électrique et je n'ai pas de contrat de services, cette
année. Alors, j'ai fait venir le technicien d'IBM pour faire un
nettoyage de ma machine à écrire. Il ne s'est pas fait payer le
temps pour venir, mais il m'a appelé d'où il était avant
et cela lui a pris dix minutes pour venir où je travaille. Pour une
heure, cela a coûté 82 $ pour nettoyer une machine à
écrire. Je suis certain qu'il y a des immigrants, surtout des
Cambodgiens, qui ont appris à manier les instruments japonais et
à les réparer dans les camps en Thaïlande, qui se feraient
un plaisir, qui trouveraient le moyen de nettoyer des machines à
écrire pour moins que 82 $ l'heure.
C'est un exemple. Ce que je veux dire, c'est qu'il y une certaine
innovation, un certain processus créateur qui vient de celui qui n'a pas
été éduqué dans les habitudes d'une
société, dans les acquis d'une société. Il voit
simplement d'autres façons de faire des choses, parce que les
façons qu'on lui a apprises ne sont plus applicables et ne sont pas
celles de la société dans laquelle il se trouve. Aussi, il est
prêt à faire des choses que nous ne sommes pas prêts
à faire et cela produit une activité économique et, dans
notre système de marché, cela a comme résultat une
production supérieure.
M. Dauphin: Je comprends ce que vous voulez dire. Lorsque vous
parlez, un peu plus bas, de "considérations corporatistes", il est bien
évident que les centrales syndicales ou les syndicats, en
général, les comités paritaires nous parlent d'acquis
à la suite d'années et d'années de négociations et
de revendications. Le même exemple peut servir au niveau des jeunes. Il y
a beaucoup de jeunes qui pourraient travailler sur la construction en bas de 20
$ l'heure et qui ne seraient pas enclins à respecter les
règlements de l'Office de la construction ou les règlements
corporatistes. C'est bien sûr qu'on pourrait utiliser ou se servir des
immigrants à des fins comme cela. Maintenant, vous auriez des
objections, style "cheap labor" systématique, à ce
moment-là, à cause de ce que cela impliquerait dans la
société.
M. Caldwell: Oui, et c'est là qu'entre en question ce
postulat que j'ai évoqué d'une interprétation
libérale. Pour les fins de la discussion, j'avancerais que des
sous-économies ethniques avec du "cheap labor", c'est une bonne chose
pour l'économie du Québec. Cela crée des secteurs
d'activité, cela crée des capitaux et cela permet une insertion
dans la société qui n'aurait peut-être pas
été possible autrement.
M. Dauphin: Avez-vous autre chose, M. le Président?
Le Président (M. French): Non. Allez-y si vous voulez
continuer.
M. Dauphin: Non, cela va.
Le Président (M. French): M. Caldwell, comme vous, je
reconnais une agressivité sur le plan économique chez les
immigrants que nous, les Canadiens, qu'on soit anglophone ou francophone, ou
une deuxième génération allophone, ne manifestons pas.
Comme vous, je constate le potentiel économique important qui y
réside. Certainement que les économies du Texas, de la Californie
et de la Floride, par exemple, ont bénéficié
énormément de ce genre de phénomène. Vous
n'êtes pas sans savoir - vous les avez évoquées
vous-même - le genre de réactions que c'est susceptible de
générer. Pourtant, je n'aurais pas dit une réaction
libérale, mais, en tout cas, ne nous chicanons pas. Ce n'est pas parce
que je suis membre du Parti libéral, non plus. C'est une discussion
académique. En tout cas, disons une réaction.
Il y a une question un peu plus fondamentale et c'est une question
qu'avait également évoquée, en quelque sorte, le
député de Vachon. On s'est fait dire par au moins deux
démographes que ce n'était pas l'immigration qui était le
moteur de la croissance économique, que c'était la croissance
économique ici qui permettrait l'immigration. Comme vous, je n'accepte
pas nécessairement ce constat bien que c'est jouer "safe", n'est-ce pas?
Aucun ministre de l'Immigration ne pourrait être critiqué s'il
dit: Écoutez! Notre évaluation par nos experts, c'est qu'on ne
peut pas absorber plus d'immigrants sur le marché du travail; donc, on
préserve les "jobs" pour les Québécois; alors, on
n'accepte pas plus d'immigrants. C'est un discours très viable pour un
ministre de l'Immigration, sauf que vous ne l'acceptez pas.
M. Caldwell: J'admets que c'est une question très
difficile, très technique et c'est une question que se sont posée
plusieurs économistes. C'est une question qui était très
importante dans la discussion sur l'immigration dans les pays
développés. Je ne suis plus sûr que, dans le cas du
Québec, c'est l'expansion économique qui a entraîné
l'expansion démographique. Maintenant, même si j'admets que cela
ne correspond pas aux interprétations reçues dans le milieu
académique et universitaire, j'avance l'hypothèse que l'expansion
économique a suivi l'expansion démographique. Je pense qu'il
existe certaines indications, certaines études; j'en évoque deux
dont une à laquelle j'ai participé. Je suis moins sûr et je
pense qu'on devrait regarder cette question de plus près. Si on regarde
l'histoire du Québec depuis la deuxième guerre - cela ne fait pas
longtemps; une trentaine, une quarantaine
d'années - je pense que c'est l'interprétation, pour ce
qui est d'une analyse causale, pour autant que c'est possible. Ce serait
difficile pour moi d'en faire la démonstration. J'attends que quelqu'un
fasse la démonstration qu'au Québec, c'est l'expansion
économique qui a amené l'expansion démographique. Je pense
que l'hypothèse contraire est aussi soutenable dans l'état actuel
des choses. Mais j'admets que c'est une question très difficile et je me
ferais déclasser très vite par des économistes dans un
débat comme celui-ci. Je suggère qu'on poursuive
l'hypothèse.
C'est une hypothèse que j'ai avancée dans l'article en
question en 1977 et personne ne m'a contredit. C'était une analyse des
indicateurs où on a essayé d'établir une relation causale
- évidemment, ces choses-là ne sont strictement pas possibles -
en essayant de déterminer quel phénomène a suivi quel
phénomène. Tout cela pour dire que c'est une hypothèse et
j'attends que quelqu'un me démontre que c'est l'expansion
économique au Québec qui amène l'expansion
démographique. (17 h 15)
Le Président (M. French): Tout récemment, j'ai
rencontré un dénommé Bruce Scott, professeur au Business
School de Harvard, qui démontrait que, si on compare un certain nombre
de pays de population constante, l'un avec des ressources naturelles et l'autre
sans ressources naturelles, par exemple, l'Iran et la Corée, on voit que
ceux qui n'ont pas de ressources naturelles font mieux que ceux qui ont des
ressources naturelles sur une base de trente ans. Il suggérait que la
raison en était que le bassin de population forçait à un
développement de savoir-faire autochtone que les ressources naturelles
n'exigent pas. Le pays doté de ressources naturelles s'assoyait
effectivement 3ur ses ressources naturelles, essayait de distribuer d'une
façon ou d'une autre, de façon satisfaisante, parmi la population
les revenus découlant de ces ressources naturelles. L'essentiel du
message était: Si vous avez la main-d'oeuvre, vous allez confectionner
tant bien que mal le "know-how", le savoir-faire afin d'accéder à
votre prospérité. Si, par contre, vous vous fiez uniquement sur
les ressources naturelles et sur ce qu'elles offrent de façon quasi
spontanée à un certain nombre de personnes dans le pays, vous
n'allez jamais développer le pays.
Cela va un peu dans le même sens. C'est-à-dire que si on
permet à un certain nombre de personnes de développer
économiquement leur niche quelque part dans une économie assez
complexe comme la nôtre, tôt ou tard, ils vont réussir
à décrocher une niche intéressante et à
l'exploiter.
M. Caldwell: Oui, c'est une ligne de pensée qui va dans le
sens de l'hypothèse que je soumets. J'aimerais ajouter, pour ne pas
paraître simpliste devant cela, que j'admets
l'interpénétration de l'expansion économique et de
l'expansion démographique. Il y en a plusieurs qui l'ont
répété ici: Quand les jeunes peuvent former des
ménages, ils le font, ils ont des enfants et ils n'émigrent pas
du Québec. C'est sûr qu'il y a une
interpénétration.
Je pense que le temps est venu d'examiner l'hypothèse
sous-jacente à ce que vous rapportez de Scott, c'est-à-dire
qu'avec un potentiel humain plus dense il y aurait un seuil critique qui ferait
en sorte qu'il y aurait une activité économique qui
découlerait de cela. L'expansion économique découlerait de
ce seuil critique démographique, surtout quand il y a expansion; par la
suite, cela entraîne une autre expansion démographique. Nous
sommes dans la situation où, maintenant, le taux de croissance de la
population québécoise décline assez vite et on risque de
ne pas atteindre ce seuil et cette densité qui est le résultat
d'une certaine vigueur, d'un certain sens de l'avenir qui vient d'une
expansion, mais aussi de la complexité du nombre de personnes qui sont
là. C'est paradoxal au moment où on avait tant investi sur le
capital humain.
Le Président (M. French): Un autre problème qui a
été souligné devant nous a été le
problème de l'émigration - et je m'empresse de vous dire que ce
n'est pas uniquement Alliance Québec qui l'a mentionné - d'un
certain nombre de ressources humaines. Vous avez évoqué par le
biais le même problème, sauf que vous n'avez pas insisté,
comme M. Henripin et comme le Groupe de recherche sur la démographie de
l'Université de Montréal, sur la possibilité, d'abord, de
faire une recherche afin de savoir quels sont les vrais motifs du départ
des Québécois qui décident d'aller s'installer, je
suppose, surtout en Ontario et, dans un deuxième temps, sur la
possibilité d'essayer d'agir sur ces facteurs.
De votre côté, est-ce que vous voyez cela comme
étant utile? Ayant étudié un certain nombre de
communautés anglophones en évolution au Québec, est-ce que
vous croyez plutôt que, la tendance ayant acquis une inertie ou un
"momentum" historique, aucun changement de politique gouvernementale ne saurait
influer?
M. Caldwell: Bien que j'admette l'importance des facteurs
politiques comme la législation linguistique, le sentiment d'isolement,
si j'étais obligé de m'accrocher à un facteur
déterminant, je choisirais facilement l'économie. Pour moi,
l'émigration du Québec se fait lorsque les conditions
économiques sont pires ici qu'ailleurs; lorsque les conditions
économiques sont meilleures ailleurs qu'ici, à l'inverse, c'est
la même chose. Les gens quittent dans un processus qui est normal: il y a
une mobilité de la main-d'oeuvre parce qu'ils ne peuvent pas trouver
d'emploi ici. L'histoire du Québec est assez éloquente à
cet égard. A mon avis, le facteur le plus important pour adoucir ce
courant d'émigration serait une certaine expansion économique.
Cette expansion économique dépendant elle-même d'une
certaine croissance démographique, alors, on se retrouve dans un cercle
assez vicieux. L'émigration mine ce seuil critique démographique
qui produirait une certaine expansion économique. Par manque de cette
activité économique, il y en a qui partent. La seule chose qui
nous sauve, c'est quand cela devient pire ailleurs. Les gens arrêtent de
quitter le Québec lorsque c'est pire ailleurs. L'AIberta est un bon
exemple.
À mon avis, l'émigration du Québec, que ce soit
francophone ou anglophone... Les francophones ont tendance à
sous-esti-mer l'émigration francophone. Comme intellectuels, on
hésite à reconnaître des phénomènes comme le
courant vers la Floride qui, sans être étranger à cette
influence américaine dont parlait le député de
Saint-Jacques... Excusez?
M. Proulx: Vous avez dit Saint-Jacques ou Saint-Jean?
M. Caldwell: Saint-Jean, je m'excuse. Pour moi, la question est
avant tout économique et cette question économique, dans le cas
du Québec, dépend du maintien d'une certaine croissance
démographique.
Le Président (M. French): M. le député de
Saint-Jean. Vous n'avez pas demandé à intervenir?
M. Proulx: Monsieur avait dit Saint-Jacques.
Le Président (M. French): J'ai compris, mais je pensais
que vous vouliez intervenir.
M. Proulx: J'écoute attentivement. J'apprends.
M. Caldwell: M. le Président, est-ce que je peux faire une
réflexion?
Le Président (M. French): Allez-y.
M. Caldwell: Je dois admettre que mon mémoire est un peu
émotif, mais j'aimerais parler un peu de ce que je vois dans l'Estrie.
Je vis dans l'Estrie et je suis là depuis 1971. Rien n'a bougé
dans l'Estrie depuis 1971 et surtout la campagne est en train de se
dépeupler. Je vois ce paradoxe d'un paysage qui, en termes mondiaux, est
très riche en ressources en terres cultivables, en lots, en espace, qui
est situé entre deux des grandes métropoles du monde occidental,
Montréal et New York, où on a tout ce qu'on peut souhaiter sur la
surface du monde: paix, ressources, prospérité, services sociaux.
Il n'y a personne qui meurt de faim ou de peur dans cette région et
c'est en train de se vider. Il faut vraiment se poser des questions. Si ce
même processus gagne le Québec en général pour ce
qui est de la nation, il y a des préoccupations sérieuses.
M. Proulx: Quelle région se vide dites-vous?
M. Caldwell: Le sud et l'est de Sherbrooke.
M. Proulx: Pour quelle raison? Est-ce que ce sont les anglophones
qui quittent ou les francophones?
M. Caldwell: Les deux et j'aimerais insister là-dessus.
Par exemple, on ignore le fait que la population des cultivateurs anglophones
au Québec a mieux résisté au déclin rural entre
1971 et 1981. Entre 1971 et 1981, la population des cultivateurs francophones a
subi un déclin de 13% et les anglophones 2%. Cet exode des
régions périphériques est aussi le fait des
francophones.
M. Proulx: Est-ce que je peux parler, M. le Président?
Le Président (M. French): Allez-y, M. le
député.
M. Proulx: On ne reste pas loin. De Saint-Jean à
Sherbrooke, il y a à peu près 70 milles. Les belles fermes
existent à peu près de Saint-Eustache jusqu'à Farnham et
Granby. À part cela, je pense que les fermes, chez vous, ce ne sont pas
des belles fermes comme on en rencontre dans notre région, dans ce qu'on
appelle le triangle d'or, dans la vallée du Richelieu.
Le Président (M. French): Le chauvinisme local encore!
M. Proulx: Pardon?
Le Président (M. French): Je vous taquine. Allez-y, M. le
député. Je disais: Le chauvinisme local encore!
M. Proulx: Ce n'est pas du chauvinisme local. C'est comme cela
que vous allez apprendre des choses. Vous êtes allé à
Oxford. Vous êtes un gars de Montréal, sortez un peu à la
campagne. Les plus belles fermes sont dans notre région. Les plus
belles fermes, c'est dans la région de Saint-Eustache, la
région de Pierre de Bellefeuiile, dans cette région. Dans la
région de Laprairie, Huntingdon, ce sont les plus belles fermes qu'il y
ait.
M. Dauphin: Les plus belles fermes ou les plus belles femmes?
M. Proulx: Fermes et femmes aussi. Il y a des belles femmes
aussi.
Le Président (M. French): Le député de
Marquette pense souvent aux femmes.
M. Proulx: II peut y avoir un exode dans ce sens. Il y a un autre
phénomène qui arrive, c'est que, je l'ai dit l'autre fois, il y a
beaucoup de fermiers qui vendent leur ferme à des étrangers
suisses-allemands. Je ne sais pas si vous avez le même
phénomène chez vous. Aussi, il y a beaucoup de gens -je pourrais
nommer des parlementaires, ici -qui ont des maisons de campagne à
Sherbrooke et dans la région, des fermes qui sont transformées en
maisons d'été. Ce sont des "gentlemen-farmers", des gens
hautement connus ici dans cette boîte.
Des voix: Nommez-les.
M. Proulx: Non. Il y a beaucoup de cela chez nous, vous savez
cela, des fermes qui se sont vendues, il y a 15 ou 20 ans, 15 000 $, 25 000 $
ou 30 000 $ et aujourd'hui cela vaut 150 000 $. Vous êtes au courant de
ce phénomène.
M. Caldwell: Oui.
M. Proulx: Est-ce exact?
M. Caldwell: Ce phénomène joue, mais il y a aussi
des villages qui se dépeuplent.
M. Proulx: Pour ce qui est des anglophones, je me demande si,
pour un jeune anglophone qui vient de Sherbrooke et qui veut progresser dans la
société, qui est ambitieux, qui va à l'université
et qui va à Montréal, la voie normale pour accéder aux
postes les plus hauts dans la société, ce n'est pas d'aller
à Montréal. Ce n'est pas là que sont les études, ce
n'est pas là qu'est le milieu, ce n'est pas là que sont toutes
les structures d'accès afin de monter dans la société? Il
n'y a pas ce phénomène?
M. Caldwell: Ce phénomène a sûrement
joué et toute une catégorie, en moyenne, d'anglophones n'existe
plus parce que ce phénomène a tellement joué. Il existe,
comme y faisait allusion Royal Orr avant, une population rurale anglophone pour
laquelle ces canaux de promotion sociale n'existaient pas avant,
c'est-à-dire la catégorie de personnes dont vous parlez. Cela
n'inclut pas, cela n'englobe pas la totalité de la population. Lorsqu'on
parle de ce dépeuplement, évidemment c'est relatif. Certaines de
ces régions sont restées stagnantes, c'est-à-dire qu'il
n'y a pas eu de décroissance, mais, dans d'autres, il y en a eu. Ce
processus était plus important dans les Cantons de l'Est en
région rurale chez les francophones que chez les anglophones.
M. Proulx: Quelle est l'université chez-vous, à
Sherbrooke? C'est Lennoxville?
M. Caldwell: II y a une université anglophone, Bishop,
à Lennoxville.
M. Proulx: Bishop. Est-ce que c'est une université dont la
clientèle augmente, est stable ou diminue?
Le Président (M. French): Ce n'est pas une
clientèle locale, je pense.
M. Caldwell: Non, ce n'est pas une clientèle locale.
Le Président (M. French): C'est une clientèle
montréalaise surtout, je pense.
M. Caldwell: Oui. Les universités anglophones du
Québec ne se sont pas intéressées tellement à la
population anglophone indigène jusqu'à dernièrement, M. le
député. Les universités anglophones du Québec -
sauf, peut-être, Sir George Williams - McGill et Bishop n'étaient
pas tellement intéressées à l'essor de la population
anglophone indigène.
M. Proulx: Elles étaient intéressées
à quelle population?
M. Caldwell: McGill s'intéressait à une
clientèle internationale. Bishop s'intéressait à une
clientèle assez restreinte en termes de couches sociales.
M. Proulx: Lesquelles?
M. Caldwell: Celles auxquelles vous faisiez allusion, tout
à l'heure, qu'on trouvait à Westmount dans le passé.
M. Proulx: Concordia?
M. Caldwell: Concordia, c'était différent avec Sir
George Williams; elles avaient une vision très différente.
M. Proulx: Plus populaire en un sens, oui?
M. Caldwell: Oui.
Le Président (M. French): Plus
allophone aussi.
M. Caldwell: Oui.
Le Président (M. French): Plus francophone.
M. Caldwell: Oui.
M. Proulx: J'ai un étudiant à Saint-Jean qui va...
Comment s'appelle l'école d'agriculture anglophone à
Montréal?
Le Président (M. French): Macdonald.
M. Proulx: Macdonald. C'est une institution anglophone.
Le Président (M. French): Qui fait partie de
l'Université McGill, d'ailleurs.
M. Proulx: C'est cela. Il y a 16 étudiants dans la classe
et 16 étudiants francophones...
Le Président (M. French): C'est complètement
francophone.
M. Proulx:... et le professeur est francophone.
Le Président (M. French): C'est complètement
francophone.
M. Proulx: C'est un drôle de phénomène.
Est-ce que cela vous surprend, M. le Président?
Le Président (M. French): Non, cela ne me surprend pas. M.
Caldwell, probablement, le sait aussi bien que moi, mais l'évolution a
fait en sorte que l'institution se francise quasi naturellement. Je pense
qu'elle est à 80% ou 90% francophone actuellement, puisque les jeunes
anglophones qui ambitionnent d'avoir leur propre terre et tout cela ont un peu
tendance à se tourner vers les opportunités éducatives de
Guelph ou d'autres institutions de l'Ontario et à poursuivre leur
carrière ailleurs. Je ne sais pas si c'est absolument le cas.
Peut-être que notre invité connaît mieux la situation. (17 h
30)
M. Caldwell: Je vais me désister à commenter cette
question; je ne me sens pas assez bien placé. Mais j'aimerais revenir
à cette question de la dépopulation rurale. Évidemment,
pendant une période, dans ces régions
périphériques, où il y a eu une expansion du secteur
public, on a pu absorber la population francophone. Mais à moins d'une
expansion économique parallèle ou aussi importante dans l'avenir,
les jeunes francophones vont être obligés de quitter le
Québec, comme ils l'ont fait entre 1971 et 1975. On n'est pas à
l'épreuve d'une importante émigration francophone, de nouveau, si
la situation économique devait s'aggraver. Ce n'est apparemment pas le
cas cette année. Mais je pense qu'on n'attache pas assez d'importance
à l'étendue de l'émigration du Québec
francophone.
Le Président (M. French): M. le député.
M. Proulx: On parlait des Cantons de l'Est, c'est un peu notre
région et la vôtre; ce n'est pas loin l'une de l'autre. Je dois
dire que chez nous il s'est bâti deux écoles primaires: à
Saint-Luc, une école de 2 000 000 $ et à L'Acadie, paroisse de
Saint-Jean, il s'est bâti une école de 2 000 000 $. À
Montréal, il se ferme des écoles, je pense,
régulièrement, alors que sur toute la rive sud la population
augmente. Est-ce que c'est la même chose chez vous? Est-ce qu'il y a de
la construction d'écoles? C'est stable? Mais chez nous, construction de
deux écoles primaires. Cette année cela m'a étonné.
Ce sont deux de mes réalisations dans mon comté.
M. Payne: On a ouvert quatre écoles dans cinq ans.
M. Proulx: Pardon?
M. Payne: On a ouvert quatre nouvelles écoles dans cinq
ans.
M. Proulxs Primaires? M. Payne: Primaires. M. Proulx: Chez
vous!
M. Payne: Trois écoles primaires et un agrandissement
d'école secondaire.
M. Proulx: Voyez-vous, on n'est pas loin de chez vous,
comprenez-vous? Saint-Jean et chez vous, ce n'est pas loin.
M. Caldwell: Oui, mais, M. le député, vous
êtes quand même à l'ouest de l'axe Granby-Sherbrooke. Vous
êtes à l'ouest de cet axe-là. Vous êtes plus proche
de Montréal. Je parlais de la région qui était à
l'est et au sud de Sherbrooke.
M. Proulx: C'est loin. M. Caldwell: Oui.
Le Président (M. French): Cela doit être le
problème, si c'est loin.
M. Proulx: Pardon?
Le Président (M. French): Est-ce qu'il y a d'autres
régions au Québec qui subissent le même sort? La
Gaspésie, par exemple?
M. Caldwell: Ce n'est pas une question sur laquelle je me sens
bien renseigné, mais j'ai nettement l'impression qu'il y a certaines
régions périphériques, comme la Gaspésie et
peut-être l'Abitibi, où on a de la difficulté à
soutenir une croissance démographique.
Le Président (M. French): Y a-t-il des fermes vacantes et
des villes réellement vidées?
M. Caldwell: Oui. Faites le tour de La Patrie, Notre-Dame, Bury,
Sawyerville, Scotstown, dans ces villages, il existe maintenant des maisons
abandonnées, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans. Vous
pouvez acheter d'énormes maisons dans ces villages pour 4000 $ ou 5000
$; elles valaient de 15 000 $ à 20 000 $ il y a dix ans. Il y a dix ans,
il y a eu, effectivement, une pression démographique, des gens qui
venaient de Montréal, qui voulaient s'établir à la
campagne. Mais cette pression démographique n'est plus là et on
voit les conséquences au niveau économique, à l'ouest et
au sud de Sherbrooke. J'étais frappé, j'ai fait le tour de cette
région-là, il y a quelques semaines. Je l'avais fait en 1971,
juste avant de m'établir dans cette région. Il y a
réellement un sentiment de déclin qui n'existait pas à ce
moment-là. H y a beaucoup de facteurs. La consolidation agricole y est
pour quelque chose. Maintenant, il y a une crise agricole. Il y a la
fécondité qui est un facteur, c'est certain. Il y a le
déclin de certains secteurs mous et il y a le sort de toute l'industrie
forestière. Il y a un ensemble, une gamme de facteurs. Mais
n'empêche que je me trouve devant le paradoxe d'une région, pour
parler de ressources naturelles, où nous avons tout, c'est une
localisation privilégiée en termes mondiaux et cela se vide. On
voit de grands espaces où il n'y a plus personne.
Le Président (M. French): Cela me touche plus
particulièrement puisque le premier French s'est rendu à
Québec via Sawyerville. Donc...
M. Proulx: Le premier French. C'est vous, cela?
Le Président (M. French): Voilà! M. Caldwell:
Et Island-Brook.
M. Proulx: Votre ancêtre, c'est un Français ou un
Anglais?
Le Président (M. French): C'était un
Américain.
M. Proulx: Un Américain?
Le Président (M. French): Oui.
M. Proulx: Vous êtes mélangé pas mal!
Le Président (M. French): C'est cela. Allez-y, M. le
député.
M. Proulx: Vous parlez de La Patrie. Je suis allé à
La Patrie, c'est tout proche des lignes américaines.
M. Caldwell: Oui.
M. Proulx: C'est très loin des grands centres. C'est loin
de Sherbrooke comme centre...
Le Président (M. French): C'est loin, c'est
établi!
M. Caldwell: C'est cela.
M. Proulx:... culturel, universitaire et tout cela. C'est
à quelques milles des lignes américaines, je pense. Je dois dire
que, pour les gens qui restent là, évidemment, s'il y a un jeune
qui pense à l'avenir, que pense-t-il? Le jeune qui veut étudier,
qui veut aller à l'université, il pense à s'en aller
à Sherbrooke ou il pense à s'en aller à
Montréal.
Une voix: Oui.
M. Proulx: Maintenant, est-ce qu'il y a beaucoup de gens chez
vous, dans cette région, qui vont encore travailler aux
États-Unis? Est-ce que cela existe encore? Parce que La Patrie, c'est
à cinq ou six milles des frontières du New Hampshire. C'est
cela?
M. Caldwell: Oui. C'est cela. Il y a beaucoup de gens qui vont
travailler aux États-Unis, dans l'industrie forestière.
M. Proulx: Est-ce que les gens déménagent aux
États-Unis, dans ce coin-là? Est-ce que les gens s'en vont aux
États-Unis ou bien s'ils y vont pour travailler?
M. Caldwell: Oui. Les liens économiques sont assez
importants. Il y a des gens qui travaillent aux États-Unis lorsqu'ils ne
trouvent pas de travail au Québec.
M. Proulx: II y a une belle expérience à faire
à La Patrie, ceux qui vont là, la fameuse côte.
M. Caldwell: Oui.
M. Proulx: Comment cela s'appelle-t-il?
M. Caldwell: Magnétique.
M. Proulx: La côte magnétique. Alors, il y a deux
côtes magnétiques au Canada, une en Nouvelle-Ecosse et l'autre
à La
Patrie. Vous arrivez là et vous avez l'impression que votre auto
est de même et votre auto est de même. Alors, vous avez
l'impression que vous montez, mais vous descendez. N'est-ce pas?
M. Caldwell: C'est vrai. Mon fils m'a amené là, il
y a trois semaines.
M. Proulx: Pardon?
M. Caldwell: Mon fils m'a amené là pour voir cela,
il y a trois semaines. C'est vraiment extraordinaire et on ne prend pas assez
note de cela.
Le Président (M. French): Cela nous prend des
entrepreneurs exotiques pour l'exploiter.
M. Proulx: Monsieur, je passe tous mes étés ici. Je
ne vais pas à la Marceloupe, moi. Je visite mon Québec, de fond
en comble. Il me reste deux choses à visiter: la Baie-James et les
Îles-de-la-Madeleine. J'ai visité toutes les régions du
Québec et cette fameuse côte magnétique. Mais il n'y pas
grand monde dans ce coin-là.
Le Président (M. French): Pour moi, il n'a pas
visité Westmount, par exemple.
M. Proulx: J'y suis ailé dimanche. Je m'ennuyais et je
suis allé passer le dimanche après-midi à Westmount.
C'était bien tranquille.
Le Président (M. French): Vous faites bien.
M. Caldwell.
M. Caldwell: En passant, La Patrie était une colonie, un
site de colonisation pendant les années trente.
M. Proulx: C'était un quoi?
M. Caldwell: Un site de colonisation. C'était une des
fameuses colonies des années trente. La Patrie a été
établie pendant les années trente comme une colonie.
M. Proulx: À cause de l'influence des
évêques.
Le Président (M. French): Par Vautrin. En culottes.
M. Proulx: On s'en souvient, lors de la crise, les
évêques disaient: Allons conquérir les fermes. On les
envoyait en Abitibi et on les envoyait dans cette région.
M. Caldwell: C'est cela.
M. Proulx: Est-ce que vous faites allusion à ce
phénomène? Les terres, en Abitibi, ce n'est pas fameux non plus;
ils ont des problèmes particuliers au point de vue de la production
agricole, je pense.
M. Doyon: On pourrait souligner, M. le Président, qu'il y
a Piopolis, dans ce coin, qui a été fondée par les
zouaves, Piopolis qui existe sur le bord du lac Mégantic...
M. Proulx: Qu'est-ce que c'est cela?
M. Doyon:... et qui n'est pas surpeuplée non plus.
M. Proulx: C'est une ville.
M. Doyon: C'est un très bel endroit par contre. Piopolis
est une municipalité...
M. Proulx: Par les zouaves.
M. Doyon:... qui a été fondée par les
zouaves, oui. Les terrains ont été donnés par le
gouvernement pour récompenser les zouaves d'être allés
défendre le pape.
M. Proulx: Quel pape?
M. Doyon: Je ne me souviens plus de quel pape c'était.
M. Proulx: En 1871, c'était Léon XIII.
Le Président (M. French): M. le
député...
M. Doyon: Là on est loin de la démographie.
Le Président (M. French):... le "travelog" est fascinant.
Je voudrais tout simplement revenir à un autre volet de votre
exposé, M. Caldwell, c'est votre optimisme quant à
l'efficacité de l'éducation et de la socialisation en
français des goupes divers qui se trouvent actuellement à
l'école française.
M. Caldwell: Oui.
Le Président (M. French): Avez-vous des données
là-dessus? Avons-nous des données là-dessus? Nous allons
entendre, bien sûr, M. Veltman, demain. Je sais qu'il travaille
là-dessus. Avez-vous d'autres données qui nous permettraient
d'avoir des assises quelque peu?
M. Caldwell: Non. Je sais qu'il y en a d'autres et ce serait
intéressant de les entendre. Ce que je dis, c'est très subjectif;
c'est ce que j'ai lu dans d'autres sources, ce que j'ai vu dans les
écoles des Cantons de l'Est. Je voulais souligner qu'il y a là un
fait nouveau dans l'histoire du Québec: il y a des
immigrants qui s'introduisent dans cette société par la
voie de l'école française. La loi 101 a voulu cela et,
jusqu'à un certain point, cet objectif, il me semble, a
été atteint. Si c'est effectivement le cas, l'immigration ne
serait peut-être pas la menace qu'elle était dans le passé
quant au caractère culturel du Québec.
Justement, les fermiers dont on parlait tout à l'heure, les
fermiers suisses-allemands, tous leurs enfants passent par l'école
francophone parce qu'ils tombent sous le coup de la loi 101. C'est un fait
nouveau pour cette région et je soupçonne que, jusqu'à un
certain point, c'est le cas à Montréal. Évidemment, pour
que cela se réalise, pour que cette percée se concrétise,
il va falloir un certain enthousiasme et une certaine confiance dans la
population francophone du Québec. Il va falloir qu'elle n'abandonne pas
cet effort d'affirmation au moment où les immigrants ont
été francisées. Évidemment, ils étaient
contraints de le faire, mais ils vont se sentir trahis si la population
francophone décide que certaines contraintes ne sont plus
nécessaires, s'ils perdent leur propre confiance dans l'avenir de cette
société. Si ces immigrants ou ces enfants d'immigrants ne
trouvent pas d'emploi au Québec, ils vont regretter cela. S'ils trouvent
des emplois, au Québec, en français, ils vont être
rétrospectivement heureux du fait qu'ils ont été
socialisés à l'école en français.
Ce que je voulais souligner, M. le Président, c'est que je trouve
que c'est un phénomène extraordinaire, nouveau et inédit
dans l'histoire du Québec et auquel peut-être on n'a pas assez
porté attention. Je sais qu'il y a beaucoup d'études en cours sur
cette question. Je sais que cela se présente autrement à
Montréal où il y a de grandes concentrations d'un groupe ethnique
dans une école. Ce n'est pas le cas dans les Cantons de l'Est. Ce qu'on
a vu de la francisation des Suisses allemands, des Suisses français, des
Indochinois, des Allemands et mêmes les nouveaux anglophones, c'est
quelque chose qu'on n'aurait pas cru possible il y a quinze ans.
M. Proulx: Qui sont les nouveaux francophones? Ils viennent
d'où? Qui sont-ils? Viennent-ils du Québec ou d'ailleurs?
M. Caldwell: Les Suisses francophones, par exemple.
M. Proulx: Les Suisses francophones.
Le Président (M. French): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: M. Caldwell, dans votre exposé, vous nous faites
le raisonnement suivant, qu'on ne peut pas parler d'expansion
économique, au Québec sans une démographie qui est
elle-même en expansion et qui est positive.
M. Caldwell: Oui.
M. Doyon: D'un autre côté, vous nous dites que, pour
avoir une immigration significative et qui va servir à cette expansion
économique, il faut que cette expansion économique soit
déjà sur place.
M. Caldwell: Non, je n'ai pas dit cela. C'est justement la
discussion que M. French et moi avons eue. C'est évident, la plupart des
gens disent: Pour avoir des immigrants, il faut avoir des emplois à leur
donner. C'est cela que le gouvernement du Canada est en train de faire
maintenant. Au Canada, depuis un certain nombre d'années, on mesure
l'immigration en fonction des emplois disponibles. Sans nier
l'interdépendance des deux phénomènes, je suis en train de
suggérer que l'expérience a peut-être
révélé que l'immigration a servi à créer des
emplois et que, peut-être même, on se soucie trop des emplois
disponibles. Ils vont peut-être créer des emplois. Si on accepte
ce postulat qu'il faut une certaine expansion démographique avant
d'avoir l'expansion économique, on devrait penser à la
possibilité de simplement accueillir plus d'immigrants, ayant confiance
que cela amènera l'expansion économique.
M. Doyon: Vous êtes prêt à briser le
cercle...
M. Caldwell: C'est cela.
M. Doyon:... en prenant le risque d'une expansion
démographique par la voie de l'immigration, si nécessaire.
M. Caldwell: C'est cela.
M. Doyon: Permettre l'intégration de ces immigrants quitte
à prendre la gageure que les emplois et l'expansion économique
s'ensuivront.
M. Caldwell: C'est cela, surtout étant donné que
nous avons tant investi dans des infrastructures sociales qui peuvent
être rentabilisées et qu'on n'a plus d'enfants. Je dramatise. On a
des hôpitaux, on a des écoles, on a des routes, on a des
institutions, on a des travailleurs sociaux qu'on a formés et qu'on ne
peut plus engager. On a tout cet investissement collectif qui ne sert pas et on
risque de le perdre aussi. On peut exploiter cet acquis qu'on a
déjà en prenant ce risque.
M. Doyon: Est-ce que vous êtes prêt à
convenir, comme certains intervenants préalables, que le Québec,
comme toutes les
sociétés industrialisées, est, finalement, en
compétition avec d'autres sociétés du monde
occidental...
M. Caldwell: Oui.
M. Doyon:... pour cette ressource première limitée,
évidemment, qu'est la population humaine? On est en concurrence les uns
avec les autres et à ce moment on devrait orienter notre demande de
ressources humaines, si vous voulez, du côté des pays avec
lesquels on n'est pas en compétition, des pays en voie de
développement, disons, c'est-à-dire que ni l'Allemagne, ni
l'Angleterre, ni la France ne sont prêts à se voir
dépeupler au profit du Canada ou du Québec... (17 h 45)
M. Caldwell: C'est cela, oui.
M. Doyon:... puisqu'on est en concurrence avec eux. Est-ce que,
de ce côté, il n'y a pas un risque d'intégration plus
difficile? C'est un peu indécent de parler dans ce sens, mais, pour
qu'un immigrant devienne rentable pour la société à
laquelle nous appartenons, il faut qu'il puisse être
intégré. Si on prend quelqu'un qui est trop loin de ce qu'est
notre société, les difficultés d'intégration sont
accrues.
M. Caldwell: C'est sûr et c'est une question de
degré. Ces difficultés sont là, je les accepte. Il n'y
aura plus d'immigration importante de l'Europe; il y a très peu de Grecs
qui arrivent, par exemple. Je prends le cas des Indochinois. C'est une
situation ponctuelle qui s'est présentée, on a sauté sur
l'occasion et nous avons maintenant une certaine population indochinoise au
Québec qui présente des difficultés d'intégration.
C'est une minorité qu'on dit visible. Est-ce que nous allons
réussir à le faire? Je ne le sais pas.
Je prétends qu'on peut faire mieux qu'on n'a fait, à peu
près 15 000 par année, je crois, donc à peu près un
tiers de l'objectif, pendant cinq ans. On peut peut-être faire mieux
qu'on n'a fait lorsque l'enjeu est tellement important et lorsqu'on a le
capital social pour le faire, lorsqu'on a le personnel pour le faire
maintenant. Le COFI est un bon exemple. Le COFI n'existait pas avant. Le COFI
est entré en fonction avec les Indochinois. On a les ressources pour le
faire et on est devant un enjeu démographique où ce serait
souhaitable qu'on le fasse. Je suggère qu'il vaut la peine de se pencher
sur la possibilité de faire beaucoup plus qu'on n'a fait
dernièrement.
M. Doyon: Quitte à prendre le risque, mais il faut
équilibrer les coûts-bénéfices, évidemment,
pour la société. Vous penchez du côté de la
thèse qui veut que les avantages qu'on a des chances de retirer d'une
arrivée plus considérable de personnes qui viendraient de ces
pays seraient finalement, au bout de la ligne, en bout de course,
bénéfiques pour la société
québécoise.
M. Caldwell: Oui, je prétends que le risque est moins
élevé maintenant qu'il y a vingt ans alors que l'immigration
passait à peu près toute du côté anglophone. La
société québécoise s'est organisée pour que
ce ne soit plus le cas. Maintenant, on peut prendre ce risque si,
effectivement, on s'est organisé pour que l'immigration ne devienne pas
anglophone tout de suite.
J'ajouterais qu'il n'est pas question de décider en toute
quiétude si on veut prendre un risque ou non. Je pars du postulat que,
sans expansion démographique, l'avenir de la société
québécoise n'est pas rose parce que l'histoire nous a
montré que, lorsqu'on entre dans ce cycle de déclin, les
francophones vont partir. Qu'est-ce qui retient les francophones?
Une voix: Pour où?
M. Caldwell: Pour l'Amérique. Lorsqu'ils ont
été socialisés, comme le député de
Saint-Jean l'a signalé, si les Américains les accueillent, s'ils
leur permettent d'entrer, ils vont partir.
M. Doyon: Finalement, le choix véritable n'existe pas.
M. Caldwell: Pour moi, il n'y a pas de choix véritable en
attendant une hausse de la fécondité.
Le Président (M. French): M. le député de
Saint-Jean.
M. Proulx: Une question précise. J'ai parlé
à mon collègue, à ma droite, et il me disait que dans son
comté quatre écoles ont fermé depuis un an.
M. Dauphin: Trois ou quatre ans.
M. Proulx: Depuis quatre ans, quatre écoles. Chez nous, il
se bâtit deux écoles de 18 classes dans ma région. Chez
vous, est-ce que les écoles ferment? Est-ce qu'on en construit? Est-ce
qu'on en ferme? Est-ce stable? C'est la seule façon, je pense, de juger
de la natalité.
M. Caldwell: La population scolaire décline dans le
Québec. Il y a des démographes ici à qui pourrait
s'adresser cette question. Dans notre région, le déclin
démographique au niveau de l'école est assez marqué et
c'est pour cela qu'on a des professeurs en disponibilité au
Québec. Sur l'ensemble du Québec, on en a combien?
27 000 professeurs en disponibilité?
M. Proulx: On a dit qu'il y en avait 5000, à peu
près. Au début de l'année, on en a 5000 et, en septembre,
ils sont tous placés.
Le Président (M. French): C'est-à-dire qu'il n'y a
pas de professeurs essentiellement en disponibilité, d'après
vous, M. le député de Saint-Jean.
M. Proulx: Sur la liste, il y en a 60, mais, en octobre ou en
novembre, ils sont tous placés. Des professeurs disponibles, sur une
tablette, cela n'existe pas.
M. Caldwell: Mais pour parler de notre région, il y a
contraction de la population scolaire francophone et anglophone. Je ne me
risquerais pas pour l'ensemble du Québec, mais il me semble qu'au niveau
secondaire il y a une contraction importante au Québec.
Le Président (M. French): 600, nationalement, M. le
député.
M. Proulx: Répétez, 600?
M. Payne: En disponibilité?
M. Proulx: Où.
M. Payne: Dans le Québec.
M. Proulx: Professeurs anglais ou français?
M. Payne: L'ensemble.
M. Proulx: Au début, l'an passé, on disait qu'il y
en avait 5000.
M. Caldwell: II ne faut pas oublier que, lorsque l'on parle de
professeurs en disponibilité, on engage très peu de nouveaux
professeurs. Il y en a qui meurent ou qui prennent leur retraite. Le fait qu'il
y ait plus de professeurs en disponibilité ne reflète pas
totalement la contraction du corps enseignant.
M. Proulx: Oui, et il y a beaucoup de députés qui
sont professeurs et qui vont retourner dans l'enseignement aussi!
Le Président (M. French): Ah oui, cela est un
problème sérieux qui va s'aggraver après les prochaines
élections.
M. Caldwell: Oui, parce que dans une société
à caractère corporatiste, ces députés ont maintenu
leurs privilèges. Alors, ils peuvent revenir à leur poste et ils
empêchent d'autres jeunes de relever ces défis.
Une voix: Cela n'est pas drôle pour les
élèves!
Le Président (M. French): M. Caldwell, je veux vous
remercier. Cela a été fort intéressant, fort provocant. Je
pense que vous pouvez constater par le nombre et la variété des
questions que vous avez stimulé nos imaginations et que vous avez
réussi à nous intéresser au plus haut point. Merci.
M. Caldwell: Merci de m'avoir donné le privilège de
venir ici.
Le Président (M. French): La commission ajourne ses
travaux à 10 heures, demain matin.
(Fin de la séance à 17 h 52)