(Neuf heures trente-six minutes)
Le Président (M. Copeman): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, chers collègues, ayant constaté le quorum, je déclare ouverte cette séance de la Commission des affaires sociales. Je vous rappelle notre mandat: nous sommes réunis afin de poursuivre la consultation générale et les auditions publiques sur le projet de loi n° 57, Loi sur l'aide aux personnes et aux familles, Bill 57, Individual and Family Assistance Act.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Marsan est remplacé par M. Paquin, député de Saint-Jean, et Mme Richard est remplacée par Mme Maltais, députée de Taschereau.
Le Président (M. Copeman): Merci. Je vous rappelle, chers collègues et ainsi que tous les membres du public qui assistent à nos travaux, que l'usage des téléphones cellulaires est strictement défendu dans la salle, et en conséquence je demanderais à tout le monde qui en font usage de bien vouloir les mettre hors tension pour la durée de la séance.
Nous avons, ce matin, trois groupes à entendre et échanger avec, débutant avec l'Union des forces progressistes de la région de Québec, suivie par l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec et l'Association des groupes d'éducation populaire autonome, région Centre-du-Québec pour terminer la matinée. Et je crois bien également que nous serons convoqués cet après-midi pour entendre trois autres groupes.
Auditions (suite)
Alors, sans plus tarder ? je vois déjà nos représentantes de l'Union des forces progressistes de la région de Québec qui sont assises à la table; bienvenue, mesdames ? Mme Veilleux et Mme Voisine, je vous rappelle simplement les règles de fonctionnement. Vous avez une période maximale de 20 minutes pour faire votre présentation, qui sera suivie par un échange de plus ou moins 20 minutes de chaque côté de la table. En vous souhaitant bienvenue, je vous prie de débuter votre présentation.
Union des forces progressistes,
région de Québec (UFP)
Mme Veilleux (Denise): Merci. Permettez-moi de me présenter, Denise Veilleux, vice-présidente et porte-parole nationale de l'UFP. Et Monique Voisine est membre de l'exécutif de la région de Québec. Elle a été une brave candidate dans Vanier pour l'UFP aux dernières élections.
Alors, mesdames messieurs de la commission, l'UFP est ici pour faire entendre la voix des sans-voix, qui sont les premiers concernés par ce projet de loi, et pour plaider en faveur d'une véritable réforme de l'aide sociale. Notre formation politique recommande le retrait immédiat du projet de loi n° 57 pour deux raisons: premièrement, parce qu'il contrevient à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, loi n° 112, adoptée à l'unanimité par cette même Assemblée et qui devrait servir de barème plancher dans ce débat; deuxièmement, le règlement qui devrait l'accompagner et le baliser manque toujours à l'appel, ce qui empêche une consultation en toute connaissance de cause.
L'absence d'un règlement qui permettrait de connaître les intentions gouvernementales crée un climat d'incertitude. On nous demande de juger sans avoir en main toutes les données. L'actuel projet de loi repose sur une approche qui fait appel à des mesures punitives, comme la réduction des prestations, sous prétexte d'incitation au travail. Or, l'UFP propose une autre vision de l'aide sociale au Québec, une vision qui serait enfin détachée des préjugés et des catégories arbitraires de bons et mauvais pauvres. L'aide sociale n'est pas une question de charité, l'aide sociale est une question de droit.
L'aide sociale ne devrait pas être accordée en vertu de critères arbitraires de mérite mais bien en fonction des besoins et des droits fondamentaux des personnes qui se voient dans l'obligation d'y recourir. Toute réforme de l'aide sociale devrait faire en sorte que les prestations soient suffisantes pour sortir de la pauvreté. Or, ce n'est pas le cas actuellement. Cela suppose un mécanisme d'indexation automatique en fonction des hausses réelles du coût de la vie. Pour l'UFP, le Québec doit viser l'objectif social et politique de pauvreté zéro.
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(9 h 40)
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La loi n° 112 est un barème plancher dans ce débat parce qu'elle a été adoptée grâce au travail sans relâche du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté. Poussés par ce vaste mouvement, tous les partis politiques ont adopté unanimement, en décembre 2002, la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Rappelons donc ici au gouvernement actuel et au ministre Béchard, qui est ici, ce matin, que la loi n° 112 reste en vigueur et qu'elle devrait, aujourd'hui, baliser son action pour une réforme de l'aide sociale. C'est pourquoi la loi n° 112 devrait servir de barème plancher, même si elle ne répondait pas complètement, et nous le rappelons, aux demandes et aux besoins du milieu.
La réforme de l'aide sociale contenue dans le projet de loi n° 57 est une attaque en règle contre la lettre et l'esprit de la loi n° 112. Elle ne respecte pas les engagements spécifiques contenus dans l'article 15 qui propose ? et je vous cite ? «d'abolir les réductions de prestations [...] relatives au partage du logement[...]; d'introduire le principe d'une prestation minimale[...]; de permettre aux adultes et aux familles de posséder des biens et des avoirs liquides d'une valeur supérieure à celle permise lors de l'adoption du plan d'action[...]»; et finalement d'exclure le montant provenant des pensions alimentaires pour enfants.
Mme Voisine (Monique): En ce qui concerne l'abolition des pénalités, d'entrée de jeu, nous reconnaissons que le gouvernement prévoit remplir sa première obligation par rapport à la réforme de l'aide sociale, mais nous dénonçons le fait qu'il attendra avril 2005 avant d'agir. Pourquoi tarder encore alors que les gens continueront de s'appauvrir à cause des pénalités de 75 $, 150 $, voire 300 $ sur des prestations d'aussi peu que 533 $ par mois?
Le principe de prestation minimale va beaucoup plus loin que la seule abolition de pénalités. Le projet de loi n° 57 prévoit des coupures qui ne respectent pas le seuil établi par la prestation de base. Comme en fait foi l'article 77, qui établit les pouvoirs du ministre en matière de recouvrement, le ministre Béchard n'entend pas faire de la prestation minimale un principe fondamental. En plus des régimes particuliers qu'il se laisse la liberté de mettre sur pied, notons que la prime à la participation pourra faire l'objet de coupures.
Le caractère discriminatoire du traitement des pensions alimentaires pour les personnes assistées sociales ne reste plus à démontrer. Rappelons qu'à l'heure actuelle les pensions alimentaires reçues sont soustraites intégralement des prestations d'aide sociale qui sont versées aux mères ou aux pères. Ceci contraste beaucoup avec le traitement réservé aux pensions alimentaires dans le présent régime fiscal, qui s'avère un peu plus logique en cette matière. Effectivement, le régime fiscal actuel ne considère pas les pensions alimentaires comme imposables. La raison en est bien simple, ça doit bénéficier directement aux enfants. Pourquoi alors ne pas faire la même chose pour l'aide sociale au lieu de continuer à en tenir compte dans le calcul des prestations? L'article 15 de la loi n° 112 prévoyait que le gouvernement devait exclure seulement une partie de la pension alimentaire, ce qui est bien loin d'abolir cette discrimination. Le projet de loi n° 57 ne prévoit rien pour remédier au traitement discriminatoire des pensions alimentaires, donc. Les modifications sont ainsi reportées au nouveau projet de règlement dont l'absence ouvre la porte à bien des suppositions.
Pour une aide sociale qui n'attend pas que l'on soit dans la rue... Le système de sécurité du revenu prévu dans l'actuel projet de loi repose sur une philosophie du dernier recours. L'aide sociale est vue comme une bouée de sauvetage, ce qui tend à culpabiliser les personnes assistées sociales. Le règlement actuel de la sécurité du revenu exige des gens démunis qu'ils puisent et épuisent l'essentiel de leurs biens avant de pouvoir toucher une première prestation d'aide sociale. Pour un adulte seul, les épargnes doivent tomber à un niveau aussi bas qu'à peu près 800 $. Le système actuel plonge ainsi les gens dans la plus grande insécurité financière, ce qui contrevient directement à la loi n° 112.
L'indexation des prestations et la prime à la participation. Le projet de loi n° 57 entend créer deux régimes distincts encore: le Programme d'aide sociale pour les personnes n'ayant pas de contraintes sévères à l'emploi et le Programme de solidarité sociale pour tous les autres. Cette division est arbitraire et contestable parce qu'elle jette les bases d'un régime discriminatoire à l'égard des personnes. Bien plus, elle prévoit un traitement totalement inacceptable pour les personnes jugées aptes au travail, puisqu'elles ne verront leurs prestations indexées qu'à 50 %.
Pour l'UFP, il est inacceptable que le gouvernement appauvrisse les personnes qu'il considère comme de mauvais pauvres. Nous contestons la justification du ministre Béchard qui affirme qu'en haussant la prime à la participation le niveau de vie des personnes jugées aptes au travail serait protégé. Cette prime d'attrait au travail est une application très claire du «workfare». En laissant se dégrader des prestations aussi faibles que 533 $ pour les personnes seules, on entend maintenir une pression maximale pour les forcer à se soumettre à des parcours vers l'emploi et l'insertion sociale. Donc, c'est un mythe, l'incitation au travail.
Le projet de loi n° 57 descend en droite ligne de la philosophie, comme je l'ai déjà dit, du «workfare» voulant que les personnes qui reçoivent des prestations de dernier recours doivent montrer patte blanche, subir un contrôle sévère et surtout démontrer leur bonne volonté en entreprenant des démarches pour intégrer ou réintégrer le marché du travail. Pour les inciter, les tenants du «workfare» n'hésitent pas à recourir à des mesures punitives comme baisser les prestations et fixer un nombre maximal de mois pour le versement de l'aide. En outre, ces mesures actives, le «workfare» ? je n'aime pas ce mot-là ? prônent l'utilisation de la carotte. Ces versions plus douces de l'aide sociale font la promotion des primes pour la participation et de mesures d'employabilité ou d'insertion sociale. Or, l'aide sociale, entendons-nous, ce n'est pas le paradis malgré que certains préjugés le laissent croire.
Enfin, les revenus d'aide sociale sont tellement faibles qu'ils n'arrivent pas à combler les besoins essentiels. Le dernier rapport du Conseil national du bien-être social démontre très bien à quel point l'ensemble des provinces canadiennes mais aussi le Québec maintiennent sciemment les personnes assistées sociales dans une situation de pauvreté inacceptable. Pour savoir à quel point les prestations sont insuffisantes, le conseil les compare avec les seuils de faibles revenus établis par Statistique Canada. Pour une personne seule apte au travail qui vit au Québec, le revenu total du bien-être social représente 6 758 $, correspondait, en 2003, au tiers du seuil de pauvreté reconnu qui est 19 795 $. Ceci représente un manque à gagner de 13 037 $. C'est de l'argent.
Les seuils de faibles revenus ne sont pas la panacée, on le reconnaît. Nous les utilisons parce que, malgré leur imperfection, ils ont le mérite d'être conservateurs et de constituer une référence bien établie prouvant l'ampleur des écarts entre l'aide et les besoins. Bon. Si le ministre qui pilote la réforme de l'aide sociale conteste la validité de ces seuils de faibles revenus, bien nous l'invitons à présenter les barèmes à partir desquels il travaille.
Depuis 1993, le gouvernement du Québec ne cesse de réduire systématiquement les prestations d'aide sociale soit en ne les indexant pas, ce qui entraîne une érosion des prestations à cause de la hausse du coût de vie, soit en apportant des modifications au Règlement sur le soutien du revenu. Le dernier rapport du Conseil national du bien-être social démontre très clairement la dégradation ou la stagnation des différentes prestations d'aide sociale. Par exemple, les personnes seules aptes au travail ont perdu 9,8 % de leurs revenus. La baisse a même atteint près de 20 % pour les familles monoparentales et biparentales.
Dans un tel contexte, comment le projet de loi n° 57 peut-il servir des discours sur la dépendance et l'autonomie des personnes? Après une décennie complète de dégradation des prestations d'aide sociale, il est inacceptable que la réforme envisagée prévoie en plus une indexation mais à 50 % pour les personnes aptes au travail. Serait-ce que, dans le langage de la réingénierie de l'État, incitation au travail rime de plus en plus avec appauvrissement?
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(9 h 50)
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Pour l'UFP, il est temps d'en finir avec une vision de l'aide sociale basée sur le mérite pour passer à un régime universel d'aide sociale. La réforme de l'aide sociale proposée par le gouvernement Charest tend à accroître la différence de traitement et de considération entre les pauvres dits méritants et les autres. Les personnes jugées aptes au travail sont jugées coupables de ne pas travailler, sans que le gouvernement tienne compte des causes réelles de ce que les économistes appellent de plus en plus un chômage de longue durée.
Derrière cette conception de la pauvreté et de ses causes se trouvent une série de préjugés. Le projet de loi laisse entendre que les personnes assistées sociales aptes au travail, selon les critères d'un médecin, ne veulent pas réellement travailler pour améliorer leur sort. Une aide trop substantielle développerait chez elles une dépendance face à l'aide sociale. Le projet laisse penser que les personnes assistées sociales seraient responsables de leur sort, mais que la société n'y serait pour rien et qu'elles auraient la responsabilité de s'adapter sans cesse au marché de l'emploi. Le projet de loi laisse enfin entendre que la meilleure manière d'aider les personnes assistées sociales serait peut-être pour l'État de ne rien faire.
La philosophie actuelle de l'aide sociale ne traite pas plus justement les soi-disant bons pauvres. Ils reçoivent toujours une part ridicule de l'ensemble de la richesse collective et se trouvent privés des moyens de mener la vie qu'ils désirent. Par exemple, les personnes dites inaptes au travail touchent actuellement la somme ridicule d'à peine 9 000 $ par année. Elles ont évidemment beaucoup de difficultés ? et ça fait rire certains membres de la commission ? elles ont beaucoup de difficultés à faire reconnaître les besoins de base. En clair, elles sont maintenues dans un état de pauvreté qui nie leurs droits fondamentaux.
Pour l'UFP, le gouvernement Charest doit mettre fin à ce traitement discriminatoire et respecter la Charte québécoise des droits et libertés, sans compter la loi n° 112 qu'il a lui-même adoptée en Chambre. L'article 45 dit expressément ? l'article 45 de la charte ? que «toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d'assistance financière et à des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent». Tout le monde a droit à un revenu décent. La charte reconnaît clairement que ce droit est universel et ne dépend pas de comportements que des gouvernements pourraient arbitrairement juger vertueux ou non.
Pour l'UFP, le projet de loi n° 57 est aussi inacceptable que le statu quo en raison de la loi n° 112 et de la charte québécoise. Pour reprendre l'expression cynique d'Yvon Deschamps, il est grand temps que le ministre Béchard mette un frein à l'immobilisme. Dans ce nouveau débat sur l'aide sociale, l'UFP plaide en faveur d'une conception universelle de la sécurité du revenu. Cette approche devrait permettre d'instaurer des programmes sociaux s'attaquant aussi bien aux causes, effets de la pauvreté afin d'établir les bases d'une société plus juste. Le revenu minimum garanti apparaît ainsi comme une étape préalable à toute amélioration des disparités croissantes entre les classes sociales et les régions. Alors que toutes les formes de la sécurité et de soutien du revenu sont mises à mal ? on pense à la Régie des rentes, l'aide sociale ou l'aide financière aux étudiants ? le revenu minimum garanti s'impose de plus en plus comme moyen de mettre en application le droit à un revenu décent. Il pourrait d'ailleurs mener à un nouveau régime dont l'objectif à moyen terme serait d'établir un revenu de citoyenneté.
Dans le contexte actuel, où la richesse créée est de plus en plus mal répartie et le revenu d'emploi est à la baisse pour une grande proportion des ménages québécois, l'État doit jouer un rôle d'autant plus important dans la redistribution de la richesse. L'UFP s'oppose donc à la réduction substantielle de ce rôle que prévoit la réingénierie néolibérale du gouvernement Charest. Nous prônons au contraire une intervention accrue pour lutter contre la pauvreté et pour garantir une plus grande justice sociale. Parce que le projet de loi n° 57 favorise des reculs pour les personnes démunies, forcées de recourir à l'aide sociale, le ministre Béchard fait fausse route sur toute la ligne.
Nos recommandations sont claires. Comme le projet de loi n° 57 ne constitue pas une base de discussion pour une réelle réforme de l'aide sociale, notamment parce qu'il contrevient à la loi n° 112, que le gouvernement retire ce projet de loi immédiatement.
Que le gouvernement n'entreprenne aussi aucune discussion sérieuse pour un changement de la loi sans le dépôt préalable du règlement qui l'accompagne.
Que le gouvernement mette en oeuvre une réelle réforme de l'aide sociale afin d'instaurer un régime universel de sécurité du revenu, contrairement au présent régime fondé sur des catégories de pauvres, niant les besoins humains fondamentaux.
Que le gouvernement hausse également les prestations d'aide sociale à un niveau décent et prévoie une clause d'appauvrissement zéro qui fixe un mécanisme d'indexation automatique en fonction des hausses réelles du coût de la vie.
Finalement, que le gouvernement mette en oeuvre sans plus tarder l'article 15 de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale par une modification au règlement.
Il est indécent qu'aujourd'hui encore les différentes formes de sécurité du revenu continuent d'être perçues comme un privilège au lieu d'un droit fondamental. Pour mettre fin au discours fataliste sur cette question comme en bien d'autres matières, le gouvernement Charest doit avoir le courage politique de changer ce qui est inacceptable. Merci.
Le Président (M. Copeman): Merci. M. le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.
M. Béchard: Oui. Merci, M. le Président. Mme Voisine et Mme Veilleux, bienvenue à la commission. On a entendu, on a écouté attentivement vos remarques et votre présentation, et ce que j'en comprends, c'est qu'il n'y a pas de terrain potentiel d'entente sur ce projet de loi à moins, je vous dirais, de retourner, je dirais, même au fondement de loi n° 112. Et, même la loi n° 112, j'imagine qu'il y a certains points sur lesquels, entre autres au niveau du barème plancher, que vous avez peut-être certaines divergences. Mais, pour paraphraser mon collègue de Vachon, parfois c'est... lui-même le mentionnait, penser à gauche, c'est plus simple que de gouverner à gauche, comme il disait.
Et c'est effectivement très intéressant, puis je pense qu'il n'y a pas personne qui peut être contre ce que vous amenez. Franchement, je vous le dis, je n'ai pas idéologiquement... je pense qu'effectivement on n'en fait pas assez, il faudrait en donner plus, il faudrait en faire plus. On le fait selon les moyens qu'on a, selon un certain nombre de choix aussi. Et c'est comme je vous dis, parfois il y a beaucoup de beaux principes, de belles choses qu'on souhaite mettre en place, mais, comme le disait mon collègue de Vachon, il y a aussi le test de la réalité dans laquelle on est. Et je suis conscient que vous souhaiteriez plus, mais, si je me fie à votre présentation, même dans loi n° 112, au niveau du barème plancher, j'imagine, la façon dont il est défini ? parce que la loi n° 112 parle d'un barème plancher et non pas d'un barème de couverture des besoins minimaux ou quoi que ce soit ? j'imagine que, même avec cette définition-là de la loi n° 112, vous avez certaines réserves.
Mme Voisine (Monique): Effectivement, la loi n° 112 ne correspondait pas aux demandes des groupes comme le collectif et le Front commun des assistés sociaux, mais, à l'heure actuelle, entre parenthèses, on la considère comme le barème plancher de ce que devrait être l'aide sociale au Québec. Donc, ce qu'on désire vraiment, c'est que les prestations minimales ne soient absolument pas sujettes à des coupures, à des saisies ou à des diminutions de toutes sortes. C'est ça qu'on appelle... On veut que vous fassiez... Les deux côtés, les partis en présence, en 2002, ont voté unanimement pour cette loi n° 112, donc on veut qu'elle serve de plancher à la discussion, qu'on n'aille pas en dessous de la loi n° 112 comme telle. Et, à l'heure actuelle, c'est ce qui est fait. Et ça, je veux bien croire que vos ressources sont limitées, mais imaginez quelqu'un qui vit avec 533 $, c'est ça, avoir des ressources limitées.
M. Béchard: ...si on se fie un petit peu à ce que vous amenez, parce que, quand on a voté, il y a eu le vote sur la loi n° 112, il y a eu aussi un amendement qui visait à nous assurer qu'au niveau du barème plancher que... Parce que, le barème plancher, la loi n° 112 laissait l'ouverture pour le fixer à peu près à n'importe quel niveau. Il faut s'entendre là-dessus, on parlait d'un barème plancher sans dire à quel niveau, et mon collègue Christos Sirros avait déposé un amendement à l'époque pour dire qu'au moins c'était la prestation minimale. Et il y a des gens, dont les gens d'en face, qui n'étaient pas d'accord là-dessus.
Ça fait qu'on part d'un extrême, qu'on recule disons, je ne sais pas, moi, à un barème plancher qui aurait pu être de 80 %, et là, si on va de l'autre côté, vous, vous nous suggérez dans le fond de presque tripler les prestations. Si je comprends votre raisonnement, vous dites qu'il manque 13 000 $ environ, là, donc ça équivaut à peu près à tripler les prestations actuelles. C'est donc dire qu'en termes monétaires ça peut représenter combien de plus, la réforme que vous proposez? Est-ce que ça se chiffre à 500 millions, 1 milliard de plus? Parce que, comme je vous dis, effectivement on peut dire que, côté ressources, on n'en a pas mis assez, mais on a mis 2,5 milliards sur cinq ans. Vous nous suggérez dans le fond d'ajouter un autre milliard par année de plus au niveau des prestations?
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(10 heures)
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Mme Veilleux (Denise): Bien, le ministre dit que votre gouvernement met 2,5 milliards, mais, en réalité, quand on regarde ce 2,5 milliards, premièrement, c'est sur cinq ans, et, d'autre part, le collectif et le Front commun des personnes assistées sociales ont analysé ces chiffres-là et ils ont montré que l'aide sociale elle-même, sur cinq ans, n'a droit qu'à 218 millions, ça veut dire donc 48 millions par année. C'est peu. C'est peu pour les besoins réels qui sont là. Si le ministre pense que... et son gouvernement pense que c'est facile de penser à gauche, de gouverner à gauche, je suis contente de voir qu'il y a un progrès des idées de gauche dans ce gouvernement, et particulièrement dans le Parti libéral. Mais je dois dire que, pour nous, il y a de l'argent. Ce n'est pas une question de manque d'argent. La preuve, par exemple les économies qu'il va faire en indexant seulement à moitié les prestations, il va aller chercher déjà 44 millions de dollars mais dans la poche des pauvres.
Or, nous, ce qu'on propose, puisque vous ouvrez la porte à ça, c'est une réforme de la fiscalité. Vous le savez, la chaire d'études socioéconomiques a montré, par exemple, que la proportion de revenus que l'État tire des entreprises et des particuliers a été inversée sur une période de 30 ans. O.K.? En 1964, les entreprises payaient 61 % des revenus de l'État, apportaient ces revenus-là; les particuliers, 39 %. Or, aujourd'hui, en 2003, les entreprises n'en paient plus qu'à peu près 19 %; et les particuliers, 81 %. Donc, je pense qu'il y a de l'argent en quelque part qui n'est pas versé. Ça, je ne vous parle même pas des reports de centaines de millions de dollars de la part des entreprises qui ne paient pas un sou d'impôt, qui reportent indéfiniment jusqu'à temps qu'elles lèvent les pattes et s'en aillent ailleurs. Alors, il y a moyen, bien sûr. Ici, on est là pour parler du projet de loi sur la réforme de l'aide sociale, les gens les plus démunis. Les gens qui ont l'argent, ils sont ailleurs et ils ne versent pas d'impôts. Alors, nous, si le ministre veut qu'on lui fasse part de notre programme de réforme de la fiscalité, nous en serons heureux.
M. Béchard: Donc, il ne pourrait pas y avoir de réforme de l'aide sociale selon vous sans une réforme de la fiscalité. Tant qu'on n'amènerait pas une réforme de la fiscalité, tant qu'on n'amènerait pas, là, un revenu minimum au niveau que vous le souhaitez, dans le fond la réforme de l'aide sociale, qu'on l'amène de n'importe laquelle façon, tant qu'on ne l'amène pas de cette façon-là, ça n'en vaut pas la peine. Parce que, moi, je... Disons qu'on fait une réforme qui correspond à ce que vous souhaitez, mais qu'en bout de ligne on n'instaure pas le revenu minimum garanti ou on ne se rend pas à tripler la prestation de base comme vous nous le proposez, vous ne serez pas d'accord. C'est ce que j'en comprends.
L'autre élément, il faut faire bien attention. Quand vous parlez du 2,5 milliards, moi, là, le Soutien aux enfants, qui est de 550 millions et dont une grande partie va au niveau des familles, au niveau de la sécurité du revenu, aussi des familles à faibles revenus, moi, je considère ça aussi comme de l'aide, comme aider les gens qui vivent des situations de pauvreté. Alors, j'imagine que, Soutien aux enfants, vous n'êtes pas contre ce programme-là, contre cette mesure-là.
Mme Veilleux (Denise): Certainement pas, monsieur, bien sûr, vous le savez. Et on n'était pas d'accord avec la hausse de 2 $ par jour dans les garderies, les frais de garderie, qui sont un moyen qui permet aux femmes ? pas juste les assistées sociales mais aux femmes en général ? de travailler. Donc, on trouve qu'il y a des contradictions dans votre projet de loi. À l'heure actuelle, vous prétendez inciter les gens à aller travailler en leur enlevant de l'argent qui... C'est déjà en dessous du seuil de pauvreté, et vous leur enlevez de l'argent. Comment vont-ils faire pour s'habiller, se déplacer, se nourrir, se loger? Je veux dire, c'est incompatible avec votre but qui est l'incitation au travail. O.K.?
Pour ce qui est de tripler les prestations, j'aimerais juste rappeler qu'en fait ça équivaut simplement à l'indexation qui aurait dû être faite par le gouvernement précédent, et qui n'a pas été faite, et qui devrait, en toute justice, avec la hausse du coût de la vie... devrait simplement être ramenée... Donc, vous dites tripler, mais, nous, on dit rattraper l'indexation qui n'a pas été faite.
Il y a l'argent aussi qui est au fédéral. Vous vous targuez d'être un parti fédéraliste, que ça renoue de bons liens avec le gouvernement fédéral. Bien, tant mieux! Tant mieux, allez chercher l'argent, les surplus énormes qui sont au fédéral, qui sont notre argent gardé en otage. Voici une source sans faire une réforme immense de la fiscalité. Veux-tu rajouter quelque chose?
Mme Voisine (Monique): Juste pour donner un exemple sur l'indexation, en 1985, les prestations minimales étaient de 440 $. Si on les avait indexées correctement selon l'IPC, ça représenterait 700 $ aujourd'hui. 553 $. Une grosse différence.
Le Président (M. Copeman): M. le député de Vimont et adjoint parlementaire au ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.
M. Auclair: Merci, M. le Président. Mesdames, bonjour. Moi, j'ai certains commentaires que j'aimerais revenir avec vous, parce que vous parlez d'augmenter les prestations, puis c'est un... Moi, je pense qu'il n'y a personne ici, peu importe de quelle façon vous allez nous taxer, qui aime voir la misère dans... Moi, comme député du comté de Vimont, je n'aime pas ça savoir que j'ai des gens dans la misère. J'ai été assez impliqué dans le milieu communautaire, au niveau des banques alimentaires et tout ça, qu'il n'y a personne qui aime ça voir ça, puis ça te déchire tout le temps.
Mais, quand on regarde le système, je suis bien d'accord qu'on a un système qui doit en faire plus pour les plus démunis, il faut s'organiser pour les aider à s'en sortir, hein, parce que le but de l'aide sociale, malgré tout ce qu'on en dit, c'est... Malheureusement, à cause qu'il y a eu de la désinstitutionnalisation, il y a eu beaucoup de choses, de gestes de posés dans le passé qui font en sorte qu'il y a des gens qui se retrouvent sur l'aide sociale ou dans des systèmes, qui ne s'en sortiront pas. Malheureusement, il faut être réaliste là-dessus, qu'ils sont à la charge de l'État, et c'est notre charge comme société ? c'est un choix qu'on a fait ? de prendre soin de ces gens-là. On a aussi le devoir de s'assurer que le potentiel maximum des gens soit également mis à contribution pour toute la société pour justement faire en sorte que les plus démunis... Parce que ces gens-là, selon moi, ils peuvent s'en sortir, il faut trouver des moyens de faire en sorte qu'ils s'en sortent.
Vous utilisez le terme «workfare». C'est un terme que, moi non plus, je n'aime pas parce que l'approche de bonification... On a éliminé, premièrement, tout ce qui s'appelle pénalité. Le coercitif a été éliminé. Malgré ce que se targuent nos collègues d'en face, ils ont maintenu ce processus-là. Le ministre les a enlevés par un choix, parce qu'en éliminant quand même ces pénalités-là on n'a plus personne qui va se retrouver même à 300 $ par mois. Parce que ça, on les a oubliés aussi. Ceux qui avaient des pénalités, il y en a qui disaient: Bien, c'est par refus de s'impliquer, par refus de fournir des documents, etc. On ne regarde pas la réalité tangible de ces personnes-là qui peut-être avaient des incapacités beaucoup plus loin, beaucoup plus lourdes que ça. Donc, là, vous nous taxez de faire du «workfare» en bonifiant en partie ceux qui font des efforts pour retourner sur le marché du travail.
Est-ce que vous pouvez... De votre côté, je comprends bien que vous voulez voir un barème beaucoup plus élevé ou un montant beaucoup plus élevé, mais dites-moi qu'est-ce que vous... de quelle façon, si on élimine... Parce que, moi, j'y crois, au niveau de bonification. Est-ce qu'on devrait augmenter ces bonifications-là? Peut-être que ce serait une autre façon d'aider ces gens-là, encore plus les motiver. Est-ce qu'on devrait mettre... Là, en ce moment, on parle de 150 $. Est-ce que ça devrait être à 300 $? Est-ce que ça devrait être à 500 $? Parce que l'objectif... Vous savez comme moi que, si on les fait bouger, si on les remet en marche ? comme le terme que les fonctionnaires ont utilisé quand je les ai rencontrés ? si on les remet en marche, ces gens-là sortent de leur isolement, côtoient des gens, changent leur mentalité, et c'est un long cheminement. Mais est-ce que vous pensez qu'on devrait bonifier plus, même si vous appelez ça du «workfare»? Moi, je ne suis pas d'accord avec le terme, mais est-ce qu'on devrait bonifier plus? Ça pourrait être une façon de... Parce que je regarde tout l'ensemble de la population aussi qui a un jugement... Vous avez parlé du jugement très sévère de la population envers les gens sur l'assistance sociale. Mais, si on s'organise pour que ces gens-là remettent indirectement... s'impliquent à nouveau, on les ramène, ce ne serait pas une bonne façon de changer ces préjugés-là aussi?
Mme Voisine (Monique): L'idée de la bonification, là, moi, là, je la rattache à la carotte. Tu es un bon pauvre, tu fais ce qu'on te dit, tout ça, tu vas avoir ta bonification, comme vous appelez, hein? Tu vas dans tel secteur, ça va être parfait, tu vas avoir ton... On ne dira pas nanan, là, mais en tout cas c'est à ça que ça me fait penser. Et en plus, moi, quand vous me dites que vous bonifiez, tout ça, ce n'est pas tout à fait la vision que j'ai quand quelqu'un qui va être dans cette situation-là va se voir indexé juste à 50 %. C'est ça que vous appelez une bonification? Quelqu'un qui, parce qu'il a des ressources limitées, va décider d'aller rester chez ses parents pour un bout de temps, 100 $ de moins, c'est ça, des bonifications? Moi, ce n'est pas ma vision, puis ce n'est pas la vision du collectif, puis ce n'est pas la vision du Front commun des assistés sociaux.
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(10 h 10)
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M. Auclair: Mais je vais vous demander... Vous parlez de pénalités. Vous savez, il y a, dans la loi actuelle, un processus ? et c'est un processus du Code civil du Québec ? qui donne le droit... la perception des... les obligations alimentaires. Et cette obligation alimentaire là fait en sorte qu'une personne ? et on ne parle pas d'âge automatique de 18 ans, ça peut aller même plus loin ? a des... les parents, la famille a des obligations alimentaires. Vous savez, on avait éliminé au niveau des grands-parents parce que ça avait un... Bon. Ça n'avait pas de bon sens. On a ramené juste au premier degré, et aujourd'hui quelqu'un qui... un enfant se voit dans l'obligation de poursuivre son parent ou ses parents. S'il ne le fait pas, l'État le subroge, hein? On subroge ces droits, donc l'État va contribuer, va verser le montant. Il dit: Moi, je vais les poursuivre, tes parents, si tu ne veux pas le faire. Pour plusieurs raisons, l'État ne le fait pas. L'État ne l'a jamais fait parce que ça n'a pas de bon sens, hein, on est d'accord.
Mme Voisine (Monique): C'est ça. Pourquoi ça en a, là, présentement?
M. Auclair: Pardon?
Mme Voisine (Monique): Pourquoi ça en aurait, dans le futur, plus de bon sens?
M. Auclair: Je ne vous dis pas que ça en a, mais c'est que, là, on parle de responsabilisation. Quand j'amène ça, c'est que je vous parle d'une certaine responsabilisation. Il y a des obligations alimentaires. On parle des obligations de la société, on parle de l'obligation également des parents, de la famille au complet, et c'est une question de supporter tout ça. Parce que vous êtes très sévère ? en tout cas, moi, je considère ? au niveau de dire qu'on fait... la bonification, c'est le nanan, c'est la carotte. Mais généralement, quand je regarde l'ensemble, c'est des gens que l'on peut techniquement ramener. Il faut les ramener sur le marché du travail pas juste pour la société, pour eux, elles-mêmes, pour même ces personnes-là. Si on les sort de l'isolement, on les sort dans un cercle. Et vous le savez comme moi là-dessus que plus longtemps on va les maintenir sur le niveau de l'aide sociale, la sécurité du revenu, plus longtemps on va les perdre et plus longtemps on va tomber dans un créneau qui va être tellement difficile qu'on va les perdre totalement.
Donc, il faut trouver... On a essayé dans le passé avec le bâton. Le bâton n'a rien donné, on essaie une nouvelle façon qui... Il y en a certains qui disent: Bien oui, mais c'est un retour en arrière. Bon. Ça, c'est comme la mode, hein, les cravates, les cravates larges, les cravates courtes. Bon. Ce n'est pas mauvais, il y a des choses... ce n'est pas mauvais de réessayer dans une nouvelle mentalité. Et, moi, ce que j'aimerais voir avec vous, c'est est-ce que vous êtes contre, est-ce qu'on devrait tout simplement dire: Bon, on met un montant ferme puis maintenant on se fie totalement à la réalité des gens, dire: Bon, O.K., vous avez un montant ferme et, si vous voulez, venez, si vous ne voulez pas, c'est votre choix.
Mme Voisine (Monique): Moi, ce que je pense, c'est que ? puis je pense qu'on a quand même réfléchi là-dessus à l'UFP ? l'idée, c'est de permettre effectivement le retour sur le marché du travail, mais des emplois de bonne qualité, pas du «cheap labor», pas faire de la job des groupes communautaires, tu sais, des choses comme ça, vraiment des emplois qui permettent de sortir de la pauvreté. Puis il y a une autre solution aussi, c'est de hausser le salaire minimum. Donc, il y a des possibilités de faire où est-ce qu'on améliore les situations. Puis effectivement de participer à l'enrichissement collectif, c'est la solution, mais pas une question d'obligation.
Moi, je pense que la pénalité, c'est la question de l'indexation à 50 %. Déjà, ce n'est pas assez indexé pour tenir compte de la réalité de l'IPC, ces gens-là vont encore... ça va représenter une coupure. Donc, vous allez encore faire fausse route. Vous reconnaissez que le bâton officiel n'a pas donné de résultats, mais là c'est une carotte qui est aussi dure qu'un bâton, je vous dirais.
M. Auclair: Juste un dernier commentaire, M. le Président.
Mme Voisine (Monique): Donc, il y a d'autres façons de voir, et, nous, on trouve que ce n'est pas la solution encore.
M. Auclair: O.K. Je comprends votre point de vue. O.K. Moi, j'entends les commentaires de mes collègues d'en face, mais sauf que je voudrais leur rappeler quand même que le taux d'indexation, ils l'ont gelé pendant quatre ans, il n'y en a pas eu, donc on est déjà rendu dans une amélioration. Je ne dis pas que c'est la meilleure amélioration. On se comprend, on aimerait toujours que ce soit pour le mieux. Il n'y a personne qui veut voir des gens rester ou vivre dans des situations difficiles, c'est toute la société qui paie le prix, on est d'accord avec vous.
Mme Voisine (Monique): ...cette volonté-là effectivement, on ne fait pas une question d'indexation à 50 %, on ne fait pas des diminutions de 100 $ pour des gens qui sont déjà au strict minimum, on part de là, du barème plancher, puis on améliore. C'est beau, le discours, il faut faire des choses concrètes pour...
M. Auclair: Vous avez parlé que vous voulez des choses positives, Prime au travail est un outil très intéressant pour permettre justement... Vous parlez du salaire minimum, bien c'est une façon de reconnaître les gens qui posent des gestes concrets, qui veulent s'en sortir. Même si vous me dites que ce n'est pas des salaires de grande qualité, on le sait, de là le gouvernement reconnaît qu'on veut les bonifier avec Prime au travail qui est un moyen de reconnaître ça. C'est un bon début. Est-ce que vous allez être d'accord avec moi que Prime au travail est un outil qui peut être très positif?
Mme Voisine (Monique): Je vous dirais que l'idée de sortir les gens de la pauvreté, c'est qu'ils aient des emplois de qualité avec des conditions de travail respectueuses, un salaire décent et la question du salaire minimum haussé, et je ne reconnaîtrai rien ici.
M. Auclair: Donc, dans le meilleur des mondes, on est d'accord avec vous, dans le meilleur des mondes...
Mme Voisine (Monique): Tant mieux...
M. Auclair: ...mais déjà Prime au travail est un moyen...
Mme Voisine (Monique): On va voir comment vous allez appliquer ça.
Le Président (M. Copeman): Je vais peut-être me permettre une petite intervention. Mesdames, je suis ces questions depuis 10 ans, depuis que je suis ici, au Parlement du Québec. À ma connaissance, il n'y aucun expert, que ce soient des députés actuels dans d'autres vies, que ce soient des chercheurs, qui assimile notre système de prestations de base avec incitatif d'une forme de «workfare», personne au Québec, sauf vous. Aux États-Unis, la définition de «workfare», à travers l'Amérique du Nord, est très différente que celle que vous donnez aujourd'hui. La définition traditionnelle de «workfare», c'est que, pour être éligible à des prestations, point, de base, il faut faire quelque chose. Il faut accepter de travailler, il faut accepter... Ce ne fut pas le cas avec le régime actuel, ni dans les 10 ans passés, ni dans le régime qui est proposé ici. Vous êtes en train de redéfinir le «workfare», ce qui est votre droit, mais ça m'apparaît étirer l'élastique pas mal.
Mme Veilleux (Denise): En l'absence d'un règlement qui serait ici, sur la table, et qu'on aurait pu, comme tous les partenaires sociaux, étudier et voir véritablement les intentions du ministre Béchard, bien vous nous permettrez de nous livrer un peu à quelques spéculations. On craint un retour en arrière. À l'heure actuelle, le projet de loi, tel qu'il est, même sans le règlement, est encore basé sur des concepts de charité, sur des concepts de bons ou mauvais pauvres. Ça ouvre la porte à l'arbitraire. La prise de décision va être faite par les agents d'aide sociale, il y a beaucoup de pouvoirs qui reviennent au ministre et qu'il doit trancher, etc., au lieu qu'on reconnaisse que, quand tu es obligé d'en arriver à l'aide sociale, ce n'est pas par choix, ce n'est pas par plaisir.
Je doute fort que personne ici, dans l'enceinte, ait ? je parle de nos honorables membres ici ? vécu sur l'aide sociale. Moi, j'ai été enfant d'une mère assistée sociale à l'époque où ça s'appelait les allocations des mères nécessiteuses. Je l'ai accompagnée dans un bureau pour demander une aide et je me rappelle que je ne comprenais pas du tout ce qui se passait, mais je me souviens clairement, par exemple, de la honte, de l'humiliation, des larmes de ma mère en sortant de ce bureau-là et je ne l'oublierai jamais.
Je suis aujourd'hui ici pour dire que personne ne devrait avoir à subir l'humiliation quand on a besoin d'aide et qu'on ne doit pas laisser à autrui des critères arbitraires de bon, de mauvais, retourner au travail, ou pas capable, ou ainsi de suite. Il y a un minimum décent parce qu'on est citoyen de ce pays, du Québec, qui est riche, riche en ressources naturelles, riche dans ses gens. Et, moi, je trouve qu'on est passé l'étape de discuter de choses comme ça, de bons ou mauvais pauvres, puis, si vous êtes bons, vous aurez une prime, vous aurez un petit collant dans votre cahier, puis, sinon, bien débrouillez-vous.
Le Président (M. Copeman): Tout ça est peut-être exact, Mme Veilleux, mais, comme je vous dis, là, ça ne correspond pas à la définition du «workfare», même dans l'absence de règlement. Et, dans le passé, Dieu sait, j'ai été critique des gouvernements qui ne déposaient pas des règlements en même temps que l'étude détaillée des projets de loi. On verra l'aboutissement de ce projet de loi, mais quand même, même dans l'absence des règlements, le projet de loi est très clair, la prestation de base existe pour tout le monde, peu importe si on accepte ou pas de faire partie d'un programme incitatif ou quoi que ce soit.
Et c'est la nature, c'est la définition du «workfare» que je conteste dans le sens suivant. Je le répète, tous les experts comprennent ? je crois, à moins qu'il y ait des gens qui veulent me corriger ? que la notion du «workfare», on assimile l'éligibilité à une prestation de base à une obligation. Ce ne fut pas le cas ni au Québec dans les 10 ans passés ni dans le projet de loi n° 57, peu importe l'absence de règlement.
M. le député de Vachon et porte-parole de l'opposition... Pardon, Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais: M. le Président, simple note parce que nous avons été interpellés personnellement. Avant de dire qu'aucun député autour de cette table n'a déjà vécu de l'aide sociale, je pense qu'il faudra un peu mieux vous informer, madame, c'est le cas.
Le Président (M. Copeman): Alors, M. le député de Vachon et porte-parole de l'opposition officielle en matière d'emploi, de solidarité sociale et de la famille.
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(10 h 20)
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M. Bouchard (Vachon): M. le Président, je consacrerai tout mon temps à une conversation avec nos invitées. J'ai une première question à l'effet... Est-ce que vous souhaitez deux systèmes: un système de protection puis un système d'intégration et d'insertion en emploi? Ça, c'est la première chose. Je n'ai pas tout à fait saisi, dans votre mémoire, où est-ce que vous logez à cet égard-là.
Mme Voisine (Monique): Je vous dirais que l'idée, c'est vraiment d'avoir la possibilité de sortir les gens à l'aide sociale, les sortir de la pauvreté. L'idée, c'est ça, l'idée de base.
M. Bouchard (Vachon): M. le Président, vous me permettrez de... Oui, ça, je pense que...
Mme Voisine (Monique): Et je ne pense pas que ce qui est proposé...
M. Bouchard (Vachon): ...quelque part, tout le monde pourrait être d'accord là-dessus, là.
Mme Voisine (Monique): Mais je ne pense pas que ce qui est proposé satisfasse cette condition-là.
M. Bouchard (Vachon): Mais il y a toujours une tension ? si vous permettez ? il y a toujours une tension dans notre système à l'effet des objectifs même de la Loi de l'aide sociale, c'est-à-dire que... Et tous les gouvernements confondus, les discussions autour de ces objectifs ont toujours été extrêmement ardues, à savoir est-ce que c'est un système qui devrait assurer la couverture de besoins essentiels ou c'est un système qui devrait plutôt favoriser l'intégration et l'insertion en emploi, c'est-à-dire le revenu par le travail et l'autonomie financière. Ce projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui opte pour cette deuxième option. Et il semble que, lorsqu'un gouvernement opte pour une option en particulier, l'autre semble être, en tous les cas, quelquefois négligée.
Quelle est votre réaction à l'idée d'avoir deux systèmes, par exemple un système de protection des revenus et un système d'encouragement ou de soutien à l'emploi? J'aimerais vous entendre là-dessus.
Mme Veilleux (Denise): Oui. Je pense que personnellement ce serait bon, à l'heure actuelle, étant donné que justement il y a eu cette tendance à imposer des pénalités lorsque les gens refusaient un parcours, ou ne pouvaient pas y accéder, ou ainsi de suite... Je pense, ce ne serait pas une mauvaise idée de séparer les deux, qu'il y ait un régime de sécurité du revenu, qu'il y ait un revenu minimum garanti indépendamment et qu'ensuite on crée les programmes à côté qui sont des programmes d'accès aux études. Les gens qui veulent se sortir de l'aide sociale, bien souvent une filière possible, c'est justement, c'est d'aller étudier.
Donc, là, malheureusement, le collègue de M. Béchard, M. Reid, vient de rendre les choses un peu plus difficiles pour l'accès aux études pour les gens en général. Mais je pense qu'il y aurait moyen de faire en sorte qu'il y ait des mesures pour favoriser le retour aux études, la formation technique, la formation professionnelle, des choses comme ça et également développer tout le secteur de l'emploi, comme disait Monique tout à l'heure, d'avoir des emplois de bonne qualité, de hausser le salaire minimum. On parle d'incitation au travail. Est-ce qu'une incitation au travail, ce ne serait pas un salaire minimum qui fait en sorte qu'on est au-dessus du seuil de pauvreté? Il me semble que ce serait déjà une incitation en soi.
Donc, à notre avis, ce serait probablement bon de séparer les deux pour pouvoir justement s'éloigner un peu de cette notion de récompense ou de punition liée à l'aide sociale qui est une aide nécessaire. Je ne sais pas si tu veux ajouter quelque chose?
M. Bouchard (Vachon): Concernant le salaire minimum, voilà un autre beau sujet de tension. À chaque fois qu'un gouvernement est tenté d'augmenter le salaire minimum, il y a une école d'économistes qui dit: Ah! Mais attention, pas trop, hein, parce que vous allez décourager l'effort éventuellement des employeurs à offrir des emplois. Vous allez augmenter le chômage parce qu'à un niveau donné du salaire minimum, qui pourrait se situer, selon certains économistes, entre 43 % et 45 % du salaire moyen, vous risquez de créer le chômage. Quel est votre point de vue là-dessus? Où situez-vous le salaire minimum? Quelles sont les craintes que vous partagez ou ne partagez pas à ce sujet-là?
Mme Voisine (Monique): De toute façon, là, les écoles, là, il y en a des deux bords.
M. Bouchard (Vachon): De quelle école êtes-vous?
Mme Voisine (Monique): Nous, nos économistes sont d'un avis contraire et ils se servent d'exemples qui se produisent... D'entrée de jeu, on dit qu'on n'est pas des experts, on n'est pas des économistes, donc on ne s'enlignera pas nécessairement sur des chiffres, des combats de chiffres. Mais ça, il y a des points de vue qui divergent et il y a déjà des pays où est-ce qu'ils ont haussé le salaire minimum, et le scénario catastrophique ne s'est pas réalisé. Donc, là-dessus, on continue à réclamer que le salaire minimum soit haussé et que ce soit pour sortir de la pauvreté, et que ce soit justement un incitatif à aller au travail, et que ça couvre les besoins essentiels. Donc, là-dessus, nous, nos économistes sont vraiment d'une opinion divergente.
Mme Veilleux (Denise): Dans les pays scandinaves, par exemple, je sais que les prestations d'aide sociale pour les familles monoparentales permettent... puis, dans des pays européens, ça permet aux gens d'avoir un niveau de vie bien supérieur à ce qu'on a ici. Et ce ne sont pas des pays qui sont en faillite, hein, on parle de pays prospères, de pays qui ont fait par contre le choix politique et social d'investir là où les gens ont besoin, de voir aux besoins fondamentaux tout en les outillant, tout en offrant à côté ? puis là je suis d'accord avec vous ? une série de programmes qui favorisent l'épanouissement de soi, les études, le retour au travail dans la mesures des capacités. Il y a des gens... On parle de retour au travail, bien souvent on impose un retour au travail 9 à 5 dans un certain type d'emploi. Or, on sait très bien que parfois les gens pourraient retourner sur le marché du travail mais dans un emploi à temps partiel, et ce n'est pas nécessairement reconnu. L'aide sociale instaure à l'heure actuelle des catégories et des idées qui correspondent à des critères qui font abstraction en fait des conditions réelles des gens, et c'est là où on aimerait une plus grande flexibilité.
M. Bouchard (Vachon): Bon. Alors, votre réaction, c'est-à-dire la deuxième partie de votre réaction n'est pas tout à fait sur la question, là, parce que je parlais du salaire minimum, et j'aimerais revenir là-dessus. À quel pourcentage du salaire moyen situez-vous un salaire minimum convenable, acceptable? Quelle zone de risque êtes-vous prêts à fréquenter là-dessus?
Mme Voisine (Monique): Je vous dirais que la question, comme on le dit, là, les chiffres, là, on pourra faire nos études avec... Mais on n'est pas équipés comme le gouvernement, ni l'opposition, pour aller en détail sur ces chiffres-là. Autrement dit, on ne l'a pas chiffré, mais par contre on dit qu'il faut sortir de la pauvreté, il faut que ce soit un niveau adéquat en ce sens-là. Je vous dirais que ça dépend de bien des facteurs, et ça, je ne peux pas vous fournir de chiffres aujourd'hui.
Mme Veilleux (Denise): Mais il y a aussi des choix de société. Récemment, le gouvernement a annoncé 45 millions de subvention à une entreprise qui s'appelle Intrawest, qui va produire des emplois surtout saisonniers, surtout pas très bien payés, etc., pas très hautement techniques, etc. Bon. D'un autre côté, il se revire de bord puis il retire de l'argent dans la poche des plus démunis pour une valeur d'à peu près 44 millions aussi. Il y a des choix à faire. Il y a de l'argent qui circule, tout ça. Le salaire minimum, c'est sûr que ça affecte les employeurs. Ils ne vont pas nécessairement le vouloir, mais on a quand même une marge de manoeuvre, comme gouvernement. Vous avez siégé au gouvernement, vous avez été au pouvoir, vous savez qu'on peut négocier des subventions, on peut négocier des participations. On leur fournit une main-d'oeuvre scolarisée, des infrastructures, on leur fournit des ressources naturelles, des tarifs d'électricité réduits, etc. Nous avons, comme gouvernement, des outils en main. On peut négocier avec des entreprises, il y a moyen de le faire. Et ce n'est pas vrai qu'ils vont faire banqueroute, et ce n'est pas ce que l'on suggère.
M. Bouchard (Vachon): Est-ce qu'en ce qui concerne le revenu minimum garanti vous avez une idée assez précise du niveau auquel vous voulez situer ce revenu minimum garanti? Parce que vous n'êtes pas sans ignorer qu'il y a un certain nombre de personnes qui pourraient être à droite de l'échiquier politique et qui recommandent fortement l'adoption d'un revenu minimum garanti, ça dépend du niveau auquel on le situe, n'est-ce pas? Et donc j'aimerais vous entendre là-dessus. À quel niveau vous le situez? Quelle est la portion de notre produit intérieur brut qu'on devrait y consacrer? Quelle est le budget global qu'il faudrait prévoir investir dans un revenu minimum garanti au Québec pour y arriver? J'aimerais vous entendre un petit peu là-dessus.
Mme Voisine (Monique): Vous autres, au PQ, avez-vous déjà sorti des chiffres là-dessus?
M. Bouchard (Vachon): Moi, je vous pose une question, là, j'aimerais avoir une réponse la plus claire possible. Je ne fais pas de... C'est vous qui témoignez, là, alors j'attends votre réponse. C'est vous qui le... Vous le suggérez dans votre mémoire, n'est-ce pas?
Mme Voisine (Monique): Ce qu'on peut vous dire à l'heure...
M. Bouchard (Vachon): Est-ce que vous le suggérez?
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(10 h 30)
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Mme Voisine (Monique): Oui. À l'heure actuelle, ce qu'on peut vous dire, c'est que l'idée d'un revenu minimum garanti, c'est de sortir de la pauvreté, un revenu qui garantisse la possibilité de respecter les besoins de base, les besoins. Mais là c'est d'établir... On sait très bien que la discussion, c'est d'établir quels sont ces besoins de base là, mais c'est tout simplement de sortir les gens de la pauvreté. Et je vous dirais qu'à l'heure actuelle c'est justement suite à des discussions sur l'ensemble des sommes disponibles qu'on pourrait voir... Mais le principe de base, c'est vraiment de sortir les gens de la pauvreté, et je pense que le projet de loi n° 112, c'était vraiment la philosophie de dire: Dans 10 ans, sur une éventualité de 10 ans, le Québec va devenir le pays, on l'espère, où est-ce que la pauvreté va être exclue, on n'en aura plus. Et c'est avec ce revenu minimum garanti là, dépendamment du contexte économique, dépendamment du contexte politique. Mais là des chiffres, là, franchement, là...
Mme Veilleux (Denise): Bien, comme point de départ...
Mme Voisine (Monique): ...si vous ne les avez pas, nous autres, on ne les a pas non plus, là.
Mme Veilleux (Denise): Non, mais, comme point de départ, on peut certainement consulter le Conseil national du bien-être social, hein...
Mme Voisine (Monique): Effectivement.
Mme Veilleux (Denise): ...qui nous dit: Est-ce que c'est normal qu'une personne seule apte au travail soit à 34 % du seuil de pauvreté, qu'elle ait 13 000 $ en moins? Est-ce que c'est normal qu'un couple avec deux enfants vive avec moins de la moitié du seuil de pauvreté? Pour nous, on pense que c'est minimalement rétablir au moins ça, de dire: Bien, franchement, pour les pauvres, le seuil de pauvreté, c'est le minimum, tu sais? Puis, à l'heure actuelle, ce n'est même pas le cas. On est en deçà. Les pauvres sont condamnés à être même en dessous du seuil de pauvreté. Donc, je pense que...
Puis encore là ce n'est pas des organismes radicaux, là, qui l'avancent, c'est le Conseil national du bien-être social, un organisme indépendant, au fédéral. Et, si Mme Maltais connaît justement l'expérience de l'aide sociale, je compte sur son engagement pour faire en sorte qu'on ait une vraie réforme de l'aide sociale, puisqu'elle l'a vécue, et je m'excuse de ne pas avoir fait mes devoirs là-dessus, mais je croyais que les... mais je n'ai pas entendu d'autres personnes dire qu'elle était passée par cette expérience.
M. Bouchard (Vachon): Non, moi, je pense qu'on ne fera pas une identification de nos vies familiales, là, puis une divulgation de nos vies familiales, chacun d'entre nous.
Mais j'aimerais revoir avec vous le tableau à la page 12 du Conseil national du bien-être social. Est-ce que le seuil de pauvreté dont on parle ici, c'est avant ou après impôts?
Mme Veilleux (Denise): Pardon?
M. Bouchard (Vachon): Le seuil de pauvreté dont on parle dans le tableau, est-ce que c'est avant ou après impôts?
Mme Veilleux (Denise): Ah! Laissez-moi me souvenir, j'oublie, là. Je n'ai pas apporté le document ici. Je crois que c'est après impôts.
M. Bouchard (Vachon): Vous pensez?
Mme Veilleux (Denise): Je crois...
M. Bouchard (Vachon): Vous croyez?
Mme Veilleux (Denise): ...mais c'est vraiment de mémoire, là.
M. Bouchard (Vachon): Parce que ça fait une grosse, ça fait une énorme différence, hein...
Mme Veilleux (Denise): Oui, oui, oui, oui.
M. Bouchard (Vachon): ...et notamment parce que les politiques sociales du Québec ont toujours visé à réduire les inégalités sociales, un petit peu plus, en tous les cas, que toutes les juridictions en Amérique du Nord.
Il y a quand même, là, des différences importantes. Vous êtes sans doute au courant de la dernière mesure de pauvreté, la Mesure du panier de consommation, et, à partir de cette mesure-là, qui tient compte du coût de la vie, le Québec se classe deuxième au lieu de 11e dans le rang des pas bons, là: on est monté de 11e à deuxième en termes de... notre taux de pauvreté dans les juridictions sur l'ensemble du territoire canadien. Alors, il y a quelque chose là qui devrait à la fois...
Moi, ce que j'ai peur, quand on commence à critiquer tous azimuts les efforts de tous les gouvernements en la matière et qu'on ne regarde pas un certain nombre de dispositions, et leurs effets, qui ont été prises au cours des ans et qu'on ne les reconnaît pas... Parce qu'on peut... En effet, en tant qu'opposition officielle, on le fait bien, je pense, puis on le fait peut-être trop au goût du gouvernement, puis, en tant que parti politique, vous le faites sans doute aussi. Mais on a adopté dans ce pays une façon d'entrevoir les efforts que nous avons faits d'une façon assez négative, et, moi, ce que j'ai peur, c'est que la population décroche, qu'elle dise: Bien, si tous les efforts qu'on fait depuis 1969, ensuite 1975, puis ensuite 1989, puis ensuite 1995, si tout ça ne donne rien, qu'est-ce que ça vaut donc d'investir contre la lutte à la pauvreté? Et...
Par conséquent, je ne vous fais pas une invitation personnelle, là, mais je pense vous avoir fait la démonstration assez nette en vous posant des questions, ce matin, que c'est vrai qu'on peut avoir des principes ? et tout le monde en a alentour de cette table ? des principes extrêmement exigeants envers nous-mêmes à propos de la lutte à la pauvreté, mais il faut arriver suffisamment, je pense, informé de ce que ça peut avoir comme impact pour qu'on puisse prendre des bonnes décisions sur... un impact même sur notre capacité financière en tant que pays.
Et tout ce que je veux... ce sur quoi je veux conclure, mesdames, c'est sur le fait qu'il y a un partage des concepts fondamentaux alentour de cette table-là puis il y a une bonne foi partout, il y a une bonne foi partout.
Mme Voisine (Monique): Tout simplement dire que je crois, je reconnais, je pense qu'à l'UFQ on reconnaît ? dans le mémoire on le dit bien ? que les parlementaires ont fait un bon travail concernant la loi n° 112, décembre 2002, bon travail, on s'en tient à ça comme barème plancher et on ne descend pas. Je pense que vous étiez quand même bien informés, ceux qui étaient là en décembre 2002, et vous trouviez que ça avait du bon sens. Donc, on s'en tient à ça et on rejette le projet de loi n° 57 qui va beaucoup à la baisse.
Le Président (M. Copeman): Ça va? Vous voulez poursuivre?
M. Bouchard (Vachon): Non. Tout simplement pour dire que la demande de retrait est formulée par énormément de groupes qui se présentent ici, pour des raisons très différentes les unes des autres et pour certaines raisons communes.
Le Président (M. Copeman): Bien, mesdames, merci beaucoup d'avoir participé à cette commission parlementaire au nom de l'Union des forces progressistes de la région de Québec.
J'invite maintenant les représentants de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec à prendre place à la table et je suspends les travaux de la commission quelques instants.
(Suspension de la séance à 10 h 36)
(Reprise à 10 h 39)
Le Président (M. Copeman): Alors, la commission reprend ses travaux, et c'est avec plaisir que nous accueillons les représentants de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec. M. Leblond, M. Hébert, bienvenue à cette commission. Vous n'êtes pas sans savoir, j'imagine, nos règles de fonctionnement. Vous avez une période maximale d'à peu près 20 minutes... de 20 minutes pour faire votre présentation, qui sera suivie d'un échange d'à peu près 20 minutes de chaque côté de la table. Sans plus tarder, je vous prierais de débuter votre présentation.
Ordre professionnel des travailleurs
sociaux du Québec (OPTSQ)
M. Leblond (Claude): Merci beaucoup. Alors, M. le Président, M. le ministre, Mmes les députées, MM. les députés, membres de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, alors, en tant que président de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec, je me fais le porte-parole des quelque 5 700 travailleurs sociaux et travailleuses sociales, thérapeutes conjugaux et familiaux que nous représentons pour vous remercier de l'opportunité que vous nous offrez de nous prononcer sur le projet de loi n° 57, alors Loi sur l'aide aux personnes et aux familles.
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(10 h 40)
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Je vous rappelle que, par leur travail quotidien sur le terrain auprès des personnes vulnérables sur le plan socioéconomique, les travailleurs sociaux sont des témoins et des acteurs privilégiés pour observer et évaluer les impacts des politiques et des lois qui régissent l'aide sociale. Je souhaite d'ailleurs profiter de cette opportunité pour rendre hommage à leur dévouement et à leurs compétences. Alors, dans la pratique du travail social, nos membres s'inspirent d'un certain nombre de valeurs, dont entre autres la croyance et le respect face à la dignité de tout être humain et la promotion des principes de justice sociale.
Alors, l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux est préoccupé du glissement du support social et juridique entre la personne assistée sociale et l'État. C'est pourquoi nous croyons que toute action ministérielle en lien avec l'assistance sociale doit systématiquement inclure et défendre le respect des personnes vulnérables sur le plan socioéconomique, le respect de leur dignité, de leurs droits économiques et sociaux. Bref, la reconnaissance de leur droit à une qualité de vie décente, comme le reconnaît l'article 45 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qui stipule, et je cite: «Toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d'assistance financière et à des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent.» Notre volonté collective d'assurer à tous les citoyens la couverture de leurs besoins essentiels tels le logement, nourriture, médicaments, vêtements constitue une valeur mobilisatrice pour les travailleurs sociaux. Ainsi, notre connaissance du terrain nous permet d'affirmer que la pauvreté est un déterminant majeur de l'état de santé des citoyens. En effet et contrairement aux postulats de plusieurs projets de loi, c'est le fait de vivre sous le seuil de la pauvreté, pour un grand nombre de personnes, qui conduit à des problèmes psychosociaux graves, et non pas l'inverse.
M. le ministre, les travailleurs sociaux sont fortement préoccupés par l'état d'appauvrissement dans lequel se retrouvent les personnes assistées sociales en général et les jeunes en particulier. Leur état de santé risque de se détériorer, la qualité de leur alimentation risque d'être sacrifiée à d'autres besoins essentiels, et le cercle vicieux s'installe. Comment peut-on en effet s'insérer avec succès dans le marché du travail avec au départ des problèmes de santé physique ou mentale souvent aggravés par des conditions de vie inférieures au minimum requis en Amérique du Nord?
À notre avis, la tergiversation est injustifiable lorsqu'il s'agit de combattre la pauvreté et l'exclusion sociale. Les Québécoises et les Québécois doivent pouvoir compter en dernier recours sur la sécurité d'un revenu minimum garanti par la loi, par un barème plancher intouchable. En ce sens, nous déplorons que le niveau minimum de prestations ne soit plus fondé sur la notion de besoins essentiels et décents que requiert pourtant la dignité humaine et que reconnaît la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Je le répète volontairement, parce que selon nous c'est un éclairage essentiel et incontournable.
Nous considérons que le fait de recentrer l'aide sociale uniquement sur la mise au travail des économiquement faibles et des exclus, dans un contexte de déréglementation et de conditions de travail parfois difficiles, ne permet pas toujours aux citoyens de réintégrer l'économie dans les finalités sociales de la démocratie. L'ordre est préoccupé par la vision que semblent avoir les gouvernements des personnes vulnérables socioéconomiquement et du monde du travail. Trop souvent, on prend pour acquis que toutes les personnes assistées sociales peuvent trouver du travail, pour peu qu'ils y mettent les efforts nécessaires. Cette vision des choses ne tient pas compte du marché du travail et de l'économie du Québec, ni du fait que certaines personnes n'ont pas eu l'opportunité de développer des acquis nécessaires pour y parvenir.
Quand on sait que la qualité et la quantité des emplois sont reliées au contexte de croissance économique, quelles devraient être la part et les responsabilités de l'État dans l'effort de création d'emplois et d'harmonisation? L'État doit favoriser, à nos yeux, à ses citoyens un contexte de travail de qualité, respectueux de leur dignité et de leur droit reconnu. Il s'agit d'un devoir moral auquel l'État ne peut se soustraire. Les mesures de sécurité et d'assistance sociale du Québec ne peuvent plus être uniquement complémentaires à un système économique basé sur la croissance. Elles doivent plutôt être intégrées à une recherche de l'effort démocratique et économique que nous poursuivons depuis l'époque de la Loi d'aide sociale de 1969 et avec la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale que tous les membres de ce Parlement ont adoptée unanimement en décembre 2002.
Pour mieux saisir les enjeux économiques et sociaux qui nous confrontent aujourd'hui, il nous apparaît utile de revenir en arrière brièvement pour revoir ensemble les courants idéologiques qui ont marqué les gouvernements en matière d'aide sociale au Québec.
En 1963, en pleine Révolution tranquille, la publication du rapport Boucher, dont le gouvernement allait s'inspirer pour rédiger la Loi sur l'aide sociale en 1969, introduisait un changement philosophique majeur. Notre société s'ouvrait sur une nouvelle philosophie d'intervention collective positionnant l'État comme acteur central en matière économique et sociale. Le rapport Boucher soumet une nouvelle vision des personnes assistées sociales, vision qui s'inspire de l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et qui stipule, et je cite: «Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires.» Le rapport Boucher nous invite à dépasser nos perceptions spontanées et nos préjugés négatifs afin que nous puissions découvrir des citoyens économiquement faibles là où nous avions l'habitude de voir des indigents et des miséreux. À cet égard, une des recommandations du rapport Boucher propose au gouvernement de reconnaître dans sa législation sociale le principe selon lequel tout individu dans le besoin a droit à une assistance de la part de l'État, quelle que soit la cause immédiate ou éloignée de ce besoin.
Six ans après le dépôt du rapport Boucher, le gouvernement du Québec reconnaît dans une loi, celle de 1969, le principe du droit à l'aide sociale. Ce droit, basé sur le respect de la dignité du citoyen en démocratie et qui intègre la notion de satisfaction des besoins essentiels de façon stable et autonome, ne dura cependant qu'une décennie au Québec. En effet, vers la fin des années soixante-dix, on assiste à une refonte du rôle de l'État et au retour en force des lois du marché.
Le début des années quatre-vingt est le théâtre de transformations structurelles et du glissement des valeurs, au sein du gouvernement. En 1984, la Loi sur l'aide sociale est amendée et on y introduit la notion de personne apte et inapte au travail. Sous un discours en apparence progressif, ce projet de loi engendre une érosion significative du droit à l'aide sociale en introduisant pour la première fois, comme condition d'éligibilité, l'obligation à participer à des programmes d'employabilité.
Cinq ans plus tard, le gouvernement adopte la Loi sur la sécurité du revenu qui réintroduit l'obligation de travailler comme fondement. Et aujourd'hui, en 2004, nous constatons que le degré d'inégalité et d'exclusion s'est nettement accru et accentué, suite notamment aux pressions idéologiques et aux contraintes juridiques et économiques instituées par l'État québécois en matière d'aide sociale, à partir surtout de la seconde moitié des années quatre-vingt.
L'Ordre professionnel des travailleurs sociaux est d'avis que nous assistons à une remise en question de la justice sociale et de la reconnaissance du droit au bien-être. Bien que ce glissement soit observable depuis la fin des années quatre-vingt, nous constatons présentement son accélération. Les travailleurs sociaux croient que nos gouvernements ont des devoirs moraux envers les citoyens en situation de vulnérabilité socioéconomique. Pourtant, ces mêmes gouvernements présument souvent de la désuétude et de l'inefficacité des régimes d'assistance sociale à partir d'arguments d'efficience économique, occultant ainsi le rôle qu'ils doivent jouer au chapitre de la redistribution de la richesse.
À la lumière de ces observations et de ces constats, les travailleurs sociaux sont d'avis que le projet de loi n° 57, bien qu'il parte de bonnes intentions, s'inscrit à contre-courant des fondements et des principes de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale et de l'article 45 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Ce projet de loi va à l'encontre également du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en vigueur depuis janvier 1976, et qui a été élaboré pour mettre en oeuvre la Déclaration universelle des droits de l'homme. On peut y lire ce qui suit, et je cite: «Un niveau de vie suffisant doit être assuré à toute personne, pour elle-même et sa famille. Elle doit être à l'abri de la faim et jouir du meilleur état de santé physique et mental qu'elle soit capable d'atteindre.»n(10 h 50)n Pour toutes ces raisons, nous considérons que ce projet de loi ne permettra pas vraiment au gouvernement du Québec de réaliser une réforme conforme aux requêtes que nous formulons depuis plusieurs années et qui sont en lien direct avec les attentes et les besoins des personnes vulnérables sur le plan socioéconomique. Pourtant, il est devenu plus qu'urgent d'adopter des mesures visant une amélioration des conditions de vie des personnes vulnérables. Ces mesures minimales doivent s'actualiser dès maintenant dans l'attente d'une réforme majeure du régime d'aide sociale, et cette réforme devrait s'effectuer dans le cadre d'une vaste démarche citoyenne dont le noble objectif serait d'éradiquer la pauvreté au Québec.
Donc, vous me permettrez brièvement d'évoquer les principales recommandations qui sont contenues dans notre mémoire. Alors, nous recommandons au ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille de retirer de l'agenda législatif le projet de loi n° 57.
En lieu et place du projet de loi, nous proposons un certain nombre d'amendements à la loi actuelle, amendements dont nous aimerions voir la mise en oeuvre d'ici la fin de la présente année civile. Puisque vous avez notre mémoire en main, je me contenterai de citer seulement quelques-uns. Alors: l'inclusion du principe d'indexation annuelle complète; le rétablissement de la gratuité des médicaments pour toutes les prestations; l'instauration d'une prestation minimale suffisante pour couvrir les besoins essentiels, prestation protégée de toutes coupures et faisant dès lors office de barème plancher; et l'augmentation immédiate du montant des prestations, puisque celles-ci se situent en deçà du minimum vital requis.
Nous recommandons également au gouvernement d'enclencher, dès le début de la prochaine année, un processus de réforme en profondeur de l'aide sociale visant la mise en place d'un régime de garantie du revenu orienté vers un Québec sans pauvreté. Nous souhaitons que ce processus s'étale sur une période de 12 à 18 mois, de façon à favoriser la tenue d'un débat de fond ainsi qu'une large participation citoyenne. Il serait opportun selon nous que le gouvernement convie à cet exercice l'ensemble des groupes mobilisés par la question de la lutte à la pauvreté ainsi que des personnes confrontées à la pauvreté elle-même.
Enfin, nous recommandons que dans l'avenir tout projet de loi et toute nouvelle mesure en matière d'aide sociale fasse l'objet d'un examen d'impacts et que les résultats en soient rendus publics tel que stipulé à l'article 20 de la loi n° 112.
En conclusion, les travailleurs sociaux du Québec invitent le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille ainsi que le gouvernement du Québec à revoir la totalité du projet de loi n° 57 avant de poursuivre sa démarche, d'autant plus qu'une grande partie de la réglementation demeure inconnue aux observateurs externes. Il nous apparaît impératif de poursuivre sur la lancée de la loi n° 112, et l'opportunité est là, M. le ministre, et nous vous enjoignons à la saisir.
Notre société a souvent été à l'avant-garde au chapitre des mesures sociales. L'adoption de notre Charte des droits et libertés de la personne en est un exemple éloquent. Vous avez la possibilité, aujourd'hui, messieurs, comme ministre et comme gouvernement, de repositionner le Québec comme chef de file en matière de droits sociaux. À nous ensemble de faire la démonstration qu'il est possible de concilier économie et justice sociale.
Nous l'avons mentionné plus tôt, et je le répète: Les travailleurs sociaux sont très préoccupés par l'urgence de la situation de pauvreté et d'exclusion qui survit dans notre société. Convaincus de votre engagement à défendre les plus vulnérables, nous vous demandons, M. le ministre, l'élaboration d'un projet de loi phare, guidé à la fois par votre volonté d'efficacité économique mais aussi par votre devoir d'assurer la dignité et la décence, la justice et le respect des droits humains dans le déploiement de l'assistance sociale.
J'invite maintenant mon collègue à illustrer par des situations vécues l'impact de certaines mesures de l'aide sociale.
M. Hébert (Alain): Alors, je voudrais...
Le Président (M. Copeman): M. Hébert.
M. Hébert (Alain): Merci. Je voudrais insister particulièrement sur quelques recommandations que nous formulons à la lumière de ce que les travailleuses sociales et les travailleurs sociaux observent dans le cadre de leur pratique professionnelle de type psychosocial ou communautaire auprès des personnes en situation de pauvreté, et plus particulièrement auprès de celles qui sont visées par le projet de loi n° 57.
Ces personnes auprès de qui nous intervenons, que nous rencontrons dans leur foyer, sont placées dans des situations intenables: difficulté de trouver un logement convenable et à prix raisonnable, isolement, stress constant, manque permanent de ressources, détresse psychologique, désespoir; difficulté de procurer aux enfants les vêtements qu'il faut, les lunchs, les collations; devoir demander à l'école de défrayer telle activité ou de fournir des articles scolaires; pour toutes les personnes, qu'elles soient parents ou non, devoir demander un prêt jusqu'au premier du mois suivant ou se délester de quelques objets précieux à la «pawnshop» du coin pour quelques dollars.
Concrètement, dès le milieu du mois, ces personnes sont confrontées à faire des choix déchirants, comme, par exemple, celui de manger ou de prendre des médicaments, médicaments pourtant prescrits par un médecin pour des raisons de santé et non par caprice. C'est pourquoi nous recommandons le rétablissement de la gratuité des médicaments pour tous les prestataires, une mesure qui nous tient particulièrement à coeur, nous qui oeuvrons pour une large part dans le réseau de la santé et des services sociaux.
Pour ce qui est de la nourriture, encore hier, on nous confirmait, selon une station de radio, que les banques alimentaires du Québec ont vu leur clientèle augmenter de 10 %. Comme professionnels, nous accompagnons des parents, des familles ou des personnes seules de tous âges en nous sentant souvent impuissants face à ces choix déchirants qui doivent être faits simplement pour survivre. Entre collègues, nous nous disons trop souvent, sans pouvoir y remédier, qu'une clé de notre intervention serait un revenu décent qui permettrait aux personnes de faire les choix qui conviennent pour leur propre développement et celui de leurs enfants, lorsqu'il s'agit de parents, et que, pour une partie de la population, ce revenu dépend du régime d'aide sociale. Nous aspirons à ce que l'État nous procure ce levier d'intervention qui ne relève pas du niveau local mais d'une décision qui est de votre ressort.
Comme intervenants communautaires, nous oeuvrons également, dans nos communautés, à soutenir toutes sortes d'interventions directes qui contribuent à atténuer les effets de la pauvreté. Nous sommes, par exemple, impliqués dans de multiples projets ou activités de sécurité alimentaire, tels les cuisines collectives, groupes d'achats, etc. Souvent le fruit d'un travail intersectoriel, dans lequel sont beaucoup impliqués les organismes communautaires, ces initiatives sont louables en soi. Nous les appuyons, nous y souscrivons, nous y participons, sauf qu'alors on ne s'attaque pas aux causes de la pauvreté. En quelque part, à un moment donné, la tendance vers la sortie de la pauvreté débute par une entrée d'argent.
Nous plaidons en faveur de l'indexation complète de toutes les prestations, de leur rehaussement et de leur protection face à toute coupure. Nous savons d'expérience qu'un revenu de base stable permettant de couvrir ses besoins et de conserver un équilibre personnel permet d'envisager de sortir de la pauvreté, par exemple par la participation à des mesures incitatives. En ce sens, des programmes volontaires de formation adaptée et d'intégration graduelle en emploi s'imposent. Encore faut-il qu'ils soient disponibles pour toutes les personnes disposées à s'en prévaloir et dans toutes les régions du Québec.
En outre, d'autres mesures qui affectent positivement les conditions de vie, comme le déploiement de programmes de logements sociaux, devraient être déployées à grande échelle. Elles sont actuellement beaucoup trop timides pour le nombre de personnes en attente.
En terminant, j'aimerais souligner qu'à l'heure où le Québec est confronté à des coûts très importants découlant du système de santé, à l'heure où l'on s'engage résolument, au Québec, dans un vaste chantier visant l'amélioration de la santé publique, et sachant que la pauvreté constitue un déterminant majeur de la santé, ne pas chercher davantage à améliorer le régime d'aide sociale et à rehausser le salaire minimum va selon nous à contresens des objectifs visés par le Programme national de santé publique 2003-2012. Et n'oublions pas que du coût de ces mesures il faudrait déduire les économies réalisées en guise de prévention des problèmes sociaux et de santé. Merci.
Le Président (M. Copeman): Merci. Alors, afin de débuter l'échange, M. le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.
M. Béchard: Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue, messieurs, et merci de vos représentations.
Je veux prendre 30 secondes pour saluer une déclaration de mon collègue de Vachon tantôt, parce que ce n'est pas souvent... qu'on en arrive à ça, mais je veux le saluer, parce que, moi aussi, j'y crois fondamentalement, qu'il n'y a personne autour de la table, ici, qui n'est pas rempli de bonne volonté et qui ne tente pas de faire du mieux qu'on peut. On peut choisir des moyens différents, on peut choisir des outils différents, mais je pense qu'on ne peut pas sous-entendre que quiconque autour de cette table et dans cette Assemblée n'a pas comme objectif premier de tout faire ce qu'il peut et ce qu'il croit pouvoir faire pour améliorer la situation des gens qui vivent des situations de pauvreté. Là, je ferme la parenthèse.
Je veux aussi amener un autre point qui, depuis le début de la commission, me fatigue un petit peu, parce qu'on dit sans arrêt que le projet de loi n° 57 ne répond pas à l'objectif des chartes, ou quoi que ce soit, pour une raison: parce qu'il ne prévoit pas une prestation minimale couvrant les besoins essentiels. À ce compte-là, le projet de loi n° 112, lui aussi, va à l'encontre de ces chartes-là, va à l'encontre de ça, parce que le projet de loi n° 112, là, et je l'ai devant moi, l'article 15 parle «d'introduire le principe d'une prestation minimale, soit un seuil en deçà duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l'application de sanctions administratives, de la compensation du cumul de celles-ci». Il parle d'une prestation minimale, pas d'une couverture des besoins essentiels. Et je ne veux pas entrer dans une guerre légale ou quoi que ce soit, mais il y a une différence entre les deux.
Alors, j'aimerais ça qu'on fasse un petit peu attention quand on vient dire que le projet de loi n° 57, sur ce point-là, va à l'encontre du projet de loi n° 112, parce que ce n'est pas vrai. Je m'excuse, mais le projet de loi va dans le même sens que le projet de loi n° 112. Et, au niveau du projet de loi n° 112, on ne l'amène pas, dans le projet de loi original, la couverture des besoins essentiels.
n(11 heures)n Et je vous le redis, pour faire un lien avec ma première parenthèse: Il n'y a pas personne qui ne voudrait pas en arriver à ça; il n'y a pas personne qui ne souhaiterait pas en arriver à dire que, oui, dans un monde idéal, tout le monde, tous les besoins essentiels de tout le monde seraient couverts. On tente de faire du mieux qu'on peut, de l'améliorer du mieux qu'on peut. On a éliminé les pénalités, on a éliminé un certain nombre de choses. Alors, je veux, je veux vous amener là-dessus, parce que, à ce compte-là, ce que vous mentionnez du projet de loi n° 57 est aussi vrai du projet de loi n° 112 en ce qui a trait à son test des chartes, comme vous le prétendez ou quoi que ce soit. Est-ce que je me trompe, ou...
Le Président (M. Copeman): M. Hébert.
M. Hébert (Alain): Alors, c'est sûr qu'il y a la lettre et l'esprit, hein, dans une loi. Et c'est sûr que, nous, quand on parle de la couverture des besoins essentiels, c'est que... Depuis quatre ans, j'ai été un superviseur clinique, là, dans un établissement du réseau de la santé. Alors, on est constamment confronté au fait, dans la pratique quotidienne des travailleurs sociaux, des travailleuses sociales, que les gens ne parviennent pas ? comment dire? ? à couvrir ces besoins-là, essentiels, ils ne parviennent pas à manger à leur faim, ils ne parviennent pas à avoir les vêtements qu'il faut, ils ne parviennent pas... Alors, on les voit constamment.
Alors, on croit dans le fond... Parce que dans le fond l'idée de la loi n° 112, c'est de tendre vers un Québec sans pauvreté, pas nécessairement de l'éliminer complètement mais de tendre vers. On pense que, pour tendre vers, dans l'esprit de cette loi-là qui a créé beaucoup d'attentes dans nos milieux, on pense que ce serait une base, de vouloir faire en sorte qu'une prestation minimale, telle qu'évoquée à l'article 15 de la loi n° 112, puisse permettre notamment la couverture de ces besoins-là, essentiels. On pense que c'est une base. On ne pense pas nécessairement...
Je n'ai pas suivi tous les débats, tantôt. On ne pense pas nécessairement qu'il faut que la prestation de base permette la sortie nécessairement de la pauvreté mais qu'elle permette au moins la couverture des besoins de base. Mais je comprends que ça peut poser des difficultés au plan économique, mais, compte tenu de ce qu'on voit dans notre pratique, on ne peut qu'apporter ce message-là.
M. Béchard: Je le comprends, mais, moi, ce que je vous dis, c'est qu'en même temps je vous incite à une certaine prudence parce qu'à ce niveau-là ? on peut l'argumenter pendant plusieurs heures ? le projet de loi n° 57 tend à améliorer le revenu des gens. C'est ça, l'esprit. Que ce soit avec prime à la participation ou que ce soit avec l'indexation qui est annoncée dans le plan de lutte et qui sera là, qu'on n'a pas besoin de mettre dans la loi, qui sera dans les règlements mais qui est déjà une volonté et on l'a prouvé, on l'a fait dans le dernier exercice financier, que ce soit par prime à la participation ou... On peut avoir toutes les craintes possibles. Moi, je dis aux gens: Bien, regardez, je veux le définir avec vous autres, est-ce que vous pouvez me suggérer des façons de faire en sorte que prime à la participation va aider les gens et va éviter de tomber dans les pièges que les gens craignent? Que ce soit aussi Soutien aux enfants, que ce soit Prime au travail, que ce soit l'indexation dont on a parlé au niveau du salaire minimum.
Je comprends votre impatience, je comprends le fait que vous souhaiteriez qu'on arrive le plus vite possible, mais est-ce qu'on peut s'entendre sur le fait qu'on tend de plus en plus vers, je dirais, cet objectif qu'on a de, oui, couvrir de plus en plus les besoins essentiels? Et en tout cas ça, là-dessus, moi, je veux qu'on soit très, très prudents, parce que ce n'est pas parce qu'on n'y arrive pas tout d'un coup et qu'on ne double pas ou qu'on ne triple pas les prestations demain matin qu'on ne tend pas vers ça. Alors, je n'aime pas du tout qu'on me dise que le projet de loi n° 57 va à l'encontre de la loi n° 112 parce que ce n'est pas le cas, mais je comprends d'un autre côté que, oui, il y a des moyens d'y arriver.
Mais, juste pour faire un lien au niveau de la couverture des besoins essentiels ? parce que vous en avez glissé un mot dans votre mémoire ? au niveau de toute la question du non-paiement de loyer, vous le voyez, vous le vivez, c'est sans doute dans les problématiques qui reviennent. Comme je l'ai dit, il y a deux tendances. Il y a la tendance de dire: Écoutez, on va permettre la saisie. Ça ne règle pas le problème, là. Je veux dire, je ne pense pas que c'est la solution. De l'autre côté, il y a aussi la tendance que les gens disent: Oui, mais, tant qu'il n'y a pas de moyens pour les propriétaires, ils y vont d'un autre outil parfois qui est tout aussi dangereux, c'est-à-dire celui de tout simplement ne pas louer aux gens qui sont prestataires de la sécurité du revenu. Et donc on arrive là avec un certain nombre de préjugés qui, eux, sont à l'encontre de la loi n° 112 pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Alors, si vous étiez à ma place, là, qu'est-ce que vous feriez au niveau de toute la question du non-paiement de loyer, de l'article 53?
M. Hébert (Alain): C'est sûr que... Moi, je partage en tout cas le constat de tantôt. Pour notre part, en tout cas, on n'est pas sur les intentions, on n'est pas sur... on ne remet pas ici en cause la bonne foi de tout le monde. Et on sait que, sans doute dans les souliers d'un ministre, il n'est pas nécessairement évident ? c'est la même chose pour tous les parlementaires ? de prendre les décisions qui s'imposent dans le cadre d'une multitude de pressions, de solutions impossibles. C'est sûr que...
M. Béchard: Ce n'est pas bon pour les cheveux gris, en tout cas. Ça, je vous le dis.
M. Hébert (Alain): Je n'ai pas de misère à croire ça. Mais au fond c'est sûr que, pour la saisie des loyers... Au fond, il y a quelque chose dans le projet de loi n° 57 qui... Comment dire? On en arrive à un certain constat quand on le lit. On a l'impression qu'il y a toutes sortes de mesures particulières, selon les situations des personnes, et qui sont distinctes pour les gens qui seraient prestataires du régime d'aide sociale par rapport à d'autres citoyens. La question de la saisie des loyers, ça en fait partie. Alors, à ce que je sache, on n'a pas démontré de façon claire et probante que les prestataires d'aide sociale seraient tellement surreprésentés dans le fait de ne pas payer le loyer. Alors, à ce moment-là, pourquoi imposer à cette catégorie-là le fait qu'on puisse saisir ce chèque-là?
Alors, effectivement, pour ce qui est de la question de la saisie des chèques, nous, nous ne recommandons pas d'aller dans ce sens-là, à ce moment-là. Si on avait une recommandation à faire au ministre, on dirait: On pense que ce n'est pas un bon choix. On aimerait par contre, et puis c'est dans l'esprit aussi de la loi n° 112, qu'on puisse mettre en oeuvre... dans toutes les mesures d'aide sociale en matière d'assistance sociale, qu'on accompagne ces mesures-là de campagnes de promotion antipréjugés, appelons ça comme ça. Parce qu'un des grands noeuds, nous, on trouve... en tout cas, sur le terrain, les difficultés dans les solutions à apporter résident dans les préjugés qu'on a de façon spontanée et qui sont colportés envers les personnes qui sont prestataires. Et on aimerait qu'on puisse ? comment dire? ? éliminer le plus possible aussi ces préjugés-là.
Mais, pour ce qui est de la question de la saisie des chèques, on préférerait que cette mesure-là ne soit pas en vigueur et que plutôt on puisse faire un campagne antipréjugés et pour amener les propriétaires à ne pas considérer de fait que, parce qu'ils vont louer un logement à une personne assistée sociale, celle-ci ne paiera pas. En tout cas, moi, je n'ai pas vu d'étude, là, récemment qui montre que ces gens-là sont surreprésentés par rapport aux autres catégories sociales. Il y a quelque chose comme ça dans le projet de loi n° 57.
M. Béchard: Sur un autre point, parce que vous venez d'en glisser un mot aussi, vous avez l'impression qu'il y a trop de programmes spécifiques ou de volonté de mettre en place des programmes spécifiques. Puis je veux vous entendre là-dessus parce que vous êtes en lien constant et régulier avec des gens qui vivent des situations de pauvreté. Et vous faites sans doute le même constat que moi, c'est-à-dire que les gens vivent des situations qui sont très différentes et ont surtout besoin d'outils très différents parfois pour faire face à des situations de pauvreté. Et c'est ça, l'esprit, c'est ça, la volonté. Et, comme je le disais hier, il y a des gens qui, pour toutes sortes de bonnes raisons, peuvent dire: Bien, écoutez, on n'a pas confiance au ministre et on n'a pas confiance en le fait que, si on donne trop de pouvoirs au ministre, ça va bien tourner. Alors, je me plais à imaginer qu'ils ne parlent pas de moi mais d'un autre éventuel ministre passé ou futur, mais, dans bien des cas, ils parlent de moi aussi, mais je ne me fais pas de fête là-dessus. Mais je veux vous dire que c'est une réalité sur laquelle on a dû travailler beaucoup. Parce que, moi, j'y crois, à ça. Je crois fermement qu'on doit mettre en place le plus d'outils les plus différents possible pour aider les gens.
Alors là, on ne peut pas se situer dans un cadre législatif où, à chaque fois qu'il y aura un programme, on devra modifier la loi. Alors, ça amène une nécessaire souplesse face à ces programmes-là. Mais, sur l'approche, là, est-ce qu'on fait bien de faire ça, d'avoir des programmes qu'on veut mettre sur Alternative jeunesse? Que ce soit Solidarité jeunesse, que ce soit Ma place au soleil, conciliation travail-études, moi, je veux qu'il y en ait de plus en plus, de ces programmes-là, et j'y crois. Puis, s'il y a une chose que je souhaite qu'on change au niveau de la sécurité du revenu, c'est celle-là: d'éviter puis d'arrêter qu'il y ait toujours le même et unique programme pour tout le monde, puis que, si tu ne fittes pas dedans, si tu ne rentres pas dedans, ça ne fonctionne pas. Est-ce qu'on s'entend, là-dessus? Et en même temps est-ce que vous comprenez que finalement je n'ai pas le choix d'avoir une certaine souplesse au niveau de la loi pour être capable de le faire au fur et à mesure et selon souvent des idées qui me sont proposées par vous, par vos collègues, par des gens qui vivent avec ces gens-là?
n(11 h 10)nM. Leblond (Claude): M. le ministre, vous nous amenez, là, des questions sur des mesures, sur des éléments très précis du projet de loi, alors que, nous, nous nous sommes situés davantage... Et ce à quoi nous vous invitons à la fois comme ministre et également, là, les membres du gouvernement et les membres du Parlement, c'est de constater le changement dans la façon de voir les personnes assistées sociales au fil des années, de voir où on en est rendu maintenant et éventuellement de faire un débat social sur cette question.
On est passés de l'indigence, les miséreux, aux économiquement faibles. Ensuite, on a défini, en 1984... L'esprit nous amenait à voir les personnes socioéconomiquement plus démunies, à les voir comme des personnes passives qui devaient avoir une obligation de travailler. En 1988, on passe aux personnes qui sont rendues inadaptées, et là on... alors cette dégradation dans la façon de voir et dans le droit des personnes. Et c'est là-dessus, là, qu'on a davantage situé...
L'autre élément, c'est qu'on constate, avec les éléments du projet de loi, que ça ne permet pas aux gens de sortir de la pauvreté et d'avoir accès effectivement au plus nécessaire pour que ceux et particulièrement ceux, là, qu'on voit régulièrement aient les outils, le minimum requis pour effectivement être en mesure de travailler sur les difficultés psychosociales qu'ils vivent, là.
M. Hébert (Alain): Oui, sur ce point précis, je suis assez d'accord avec vous qu'effectivement les gens vivent des situations différentes, qu'ils ont un besoin d'outils différents, et plusieurs programmes que vous avez nommés, Ma place au soleil... en fait, on a une vision plutôt positive de ce genre de programme là. Je dis: Plutôt. Disons que ce n'est pas le temps de faire les nuances maintenant, mais en gros ça peut être des programmes intéressants.
Maintenant, au niveau de la question des programmes particuliers, ce qu'on observe dans le projet de loi n° 57, c'est le maintien de ce qu'on a appelé depuis, écoutez, une dizaine d'années, là, ce n'est pas récent, mais le maintien de catégories de prestataires. On utilisait le terme «catégories de prestataires», et la grande catégorie qui semble perdurer dans le projet de loi est celle qui a été initiée au début des années quatre-vingt-dix, dont on a beaucoup parlé, qui était la catégorie entre les personnes considérées ou jugées aptes au travail et celles n'étant pas jugées aptes, ayant des contraintes sévères ou temporaires à l'emploi.
Et je pourrais vous témoigner, là, au fil des dernières années, pendant mes 10 dernières années d'intervention, de vécu dans le milieu au plan psychosocial, au plan communautaire ? parce que je suis aussi un organisateur communautaire ? des effets dévastateurs, dans le fond, des catégories, de ce que ça crée comme relations de tension entre les personnes elles-mêmes, de ce que ça crée comme dynamique de vouloir, quand on a un certain nombre de difficultés comme personne à s'intégrer sur le marché du travail, quelque part à vouloir évidemment, pour avoir un meilleur revenu, être considérée comme une personne qui a des contraintes sévères. Et là, là, c'est une série de mesures de passées, c'est d'évaluation médicale en évaluation médicale pour démontrer qu'on n'est pas apte à occuper un emploi, que nos contraintes sont sévères. Avant ça, on passe par le temporaire.
Alors, ça inscrit vraiment quelque chose comme dynamique qui n'a pas été intéressante dans les dernières années et on souhaiterait dans le fond que cette notion de catégories là disparaisse pour plutôt parler d'un seuil ? comment dire? ? d'un revenu qui serait minimal pour tout le monde, indépendamment des besoins particuliers, mais auquel on pourrait ajouter, en fonction des situations particulières d'une personne handicapée, d'une personne qui a un problème de santé mentale important, différentes mesures d'appoint, mais on partirait sur une base commune centrée sur la notion de droit. C'est un petit peu la vision qu'on en aurait.
M. Leblond (Claude): Et le nivellement, là, pour en arriver à avoir quelque chose de plus global, on souhaiterait qu'il soit à la hausse plutôt qu'à la baisse. Alors, qu'on veuille faire de l'équité à la baisse nous semble préjudiciable aux personnes. On souhaiterait que l'équité soit davantage à la hausse, là. Je fais référence, M. le ministre, à la décision de coupure pour les personnes assistées sociales qui demeurent dans leur famille, là, alors la recherche d'équité à la baisse.
Le Président (M. Copeman): M. le député de Vimont.
M. Auclair: Messieurs, bonjour. Vos derniers propos m'interpellent un petit peu parce que j'ai fait une tournée, j'ai rencontré des agents sur le terrain dans six régions du Québec. Et, au niveau des contraintes temporaires, entre autres, que vous soulevez... indirectement que vous soulevez, parce que vous parlez du cheminement des gens qui doivent avoir une certaine reconnaissance au niveau médical. Et ce que les agents qui gèrent les programmes, des gens de terrain également, eux, ce qu'ils nous disent, ce qu'ils ont relaté dans leur vécu également, c'est que, malgré le...
Vous savez, quand arrive une contrainte temporaire, ce que la population doit savoir également, c'est que, pendant cette période-là qu'il y a reconnaissance de contraintes temporaires, les prestataires n'ont pas à rendre des comptes et ont une certaine amélioration de leurs conditions. Au moins, il y a un montant qui leur est remis parce qu'ils ne peuvent pas aller chercher... et donc ne sont pas éligibles ou n'ont pas accès à des programmes pour retourner au travail. Et le gros problème... puis vous êtes... Vous, comme travailleurs sociaux, vous faites le cheminement avec ces gens-là, avec les prestataires, donc vous essayez de les sortir de l'isolement. Et là la crainte majeure des agents était la suivante: c'est que, dans divers processus ? contraintes temporaires, par exemple ? les jeunes mères ou les mères, point à la ligne, qui, elles, arrivent, lorsqu'il y a un enfant... Elles sont en arrêt total, elles sont en contraintes temporaires pendant cinq ans. Et ce qui amenait à poser des questions aux agents, c'est: Est-ce que le système ne crée pas un certain problème d'isolement et de... On crée des habitudes. Vous savez, comme travailleur social, vous êtes au courant de cette réalité-là. Donc, on les éloigne du marché du travail également. On veut soutenir, on veut les aider dans leur processus, mais il y a un danger, par le processus de telle reconnaissance, de créer un isolement et l'éloignement.
Parce que le commentaire, moi, qui m'a frappé le plus, c'est que, rendu... Une personne qui est sur l'aide sociale... Et puis je sais que ce n'est pas volontaire, là, on ne choisit pas d'être sur l'aide sociale. Mais une personne qui demeure sur l'aide sociale après 24 mois a un bagage tellement lourd que la réinsertion ? et peut-être là-dessus vous pouvez me dire si c'est une vraie réalité ou ça ne l'est pas ? que la réinsertion devient beaucoup plus lourde et dure à cause qu'il y a un isolement. Il y a tous les facteurs, le quotidien, ils ne sont plus habitués de se lever, de poser des démarches. Il y a une certaine crainte aussi qui naît de ça. Donc, est-ce qu'il ne faut pas faire aussi attention avec cette réalité-là, de contraintes, pour éviter que les gens soient de plus en plus éloignés du marché du travail?
M. Hébert (Alain): C'est un équilibre fragile, hein, dans toute mesure de soutien et par rapport au marché de l'emploi, c'est toujours un équilibre fragile entre faciliter l'insertion ou, comment dire, faire en sorte qu'une mesure, par exemple, ait quelque part un effet pervers, hein, qui va dans le fond à l'encontre de ce qu'on avait souhaité au départ. Ça existe pour toutes les catégories de personnes et non pas juste pour les personnes sur l'aide sociale.
Nous, ce qu'on aurait aimé... Puis c'est quelque chose qui est dans la loi n° 112 dont on devra parler tantôt. Il y a un article dans la loi n° 112 qui prévoit comme un examen d'impact, hein, qui prévoit qu'on va regarder qu'est-ce que va produire, chez les personnes assistées sociales, telle mesure plutôt que telle autre.
Et, dans ce sens-là, c'est un peu pour ça que tantôt on parlait, dans notre mémoire, de l'idée qu'on aurait... En tout cas, on souhaiterait vraiment un vaste processus de consultation qui pourrait débuter assez rapidement, là, au début de la prochaine année, pour intégrer à la discussion les personnes en situation elles-mêmes et des personnes assistées sociales, qui feraient par exemple l'objet des mesures dont vous parlez. Ça serait fort intéressant qu'on puisse avoir autour d'une table, dans le cadre des discussions, les agents qui travaillent dans les bureaux d'aide sociale, qu'on ait des personnes en situation de pauvreté, des gens qui ont déjà vécu la mesure. Les travailleurs sociaux, d'ailleurs, je pense qu'on a comme message aussi, aujourd'hui, que, si on allait dans ce processus-là qu'on souhaite ardemment, on est très, très disponibles à y participer et activement, je peux vous l'assurer. Et effectivement il y a moyen après ça de regarder peut-être des effets pervers possibles de différentes mesures.
Mais, à ma connaissance, pour ce que j'en sais en tout cas comme quelqu'un qui a supervisé cliniquement des travailleurs sociaux, il n'y a pas là nécessairement un problème majeur quand le fait de ne pas être sur le marché du travail survient après un certain nombre d'années où il y a eu du marché du travail avant. La difficulté de réinsertion, on l'observe surtout quand les personnes sont assez tôt dans leur vie sur l'aide sociale et pendant une période assez longue en termes de nombre d'années, et là c'est effectivement plus difficile, effectivement. Mais, dans l'autre mesure, je ne saurais pas dire. Je vois la crainte des agents, mais j'aimerais pousser ça un petit peu plus loin comme réflexion.
Le Président (M. Copeman): Nous aussi mais pas là.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Copeman): M. le député de Vachon.
n(11 h 20)nM. Bouchard (Vachon): M. le Président, alors, M. Leblond, M. Hébert, bonjour. J'ai lu votre mémoire avec beaucoup d'attention. Je lui trouve de très grandes qualités de mémoire institutionnelle et nationale de par l'analyse historique que vous y faites. Moi, j'invite tous les membres de cette commission qui n'auraient pas eu l'occasion de lire dans le détail votre mémoire de le faire parce que vous tracez, vous tracez l'évolution de notre système d'aide sociale à travers les années. Vous retracez cette évolution-là, vous la caractérisez dans chacune de ses périodes. On peut être plus ou moins d'accord sur l'analyse des causes des changements, mais on peut observer les mêmes changements que vous. Et vous observez certainement des changements très importants comme par exemple l'érosion de la notion du droit de couverture des besoins essentiels ou ce qu'on pouvait appeler autrefois et encore aujourd'hui le droit à une vie décente, etc.
Je pense aussi que la rigueur de votre analyse ajoute beaucoup de crédibilité aux recommandations que vous faites, dont celle de retirer le projet de loi, et je voudrais revenir là-dessus parce votre rationnel est intéressant. Vous dites: Dans le fond, nous sommes rendus à une période où le ministre aurait pu choisir d'amender la loi actuelle et de voir, quant à faire une réforme, si les fondements mêmes de notre système québécois n'auraient pas besoin d'être revisités. Dans le fond, c'est ce que vous dites.
Et ça, ça m'apparaît une invitation à la fois rationnelle et raisonnable, et je pense que, venant d'un ordre professionnel comme le vôtre, dont les membres sont en contact quotidien avec la misère et la pauvreté et ses effets, notamment au niveau des tout jeunes enfants... Parce que vous vous occupez évidemment beaucoup de la question de l'abus et de la négligence envers les enfants. Vous voyez très souvent une négligence sociale, dans ces cas-là, parce qu'il y a beaucoup de ces parents qui n'ont pas les moyens de jouer leur rôle correctement tout simplement et qui, sous l'effet du stress et de circonstances, abandonnent la partie, très souvent. Donc, venant de vous, je trouve que cette proposition de retrait et de réflexion nationale autour de cela est une proposition qui devrait être examinée avec sérénité de la part de la partie ministérielle, et nous sommes prêts à le faire avec autant de sérénité avec eux ou avec elles.
Et, si vous me permettez, je vais donc aborder mes questions dans ce contexte-là et je vais vous poser la question suivante: À supposer que le ministre écoute votre requête et dise: Bon, bien, en effet, on a peut-être besoin d'y penser un peu plus, là, puis on va faire quelques amendements à la loi actuelle puis on... Et, en regard des recommandations que vous faites, je pense que vous en faites un certain nombre très précises, quelles seraient les recommandations que vous feriez à une première séance de consultation, dans un débat public, là? Vous êtes appelés à un débat public: Quelle serait votre principale préoccupation, quels seraient votre première recommandation, votre premier élément de réflexion?
M. Leblond (Claude): Au-delà, là, des modifications à apporter à la loi actuelle, là...
M. Bouchard (Vachon): Oui, au-delà des modifications ponctuelles à apporter à la loi actuelle, on ouvre le débat, on prend le temps de cette commission pour dire: Bon, bien, voilà, on fait un débat public tel que vous le réclamez. Quel est votre premier élément à l'ordre du jour?
M. Leblond (Claude): Pour faciliter la poursuite des travaux, je pense qu'on devrait d'abord s'attarder à définir qu'est-ce que c'est, le concept de décence, qu'est-ce qu'on entend comme étant quelque chose de décent au Québec, dans cette société nord-américaine qui est différente, là, d'autres sociétés auxquelles parfois on se compare. Alors, moi, je pense en tout cas que ce serait déjà un élément qui serait aidant, qui pourrait ensuite nous aider à nous positionner par rapport à nos lois qui existent déjà, là, dont la Charte des droits et libertés, là. Je ne sais pas, M. Hébert, si vous avez autre chose, là?
M. Hébert (Alain): Ce serait extrêmement intéressant, c'est sûr, s'il y avait un débat public là-dessus. En tout cas, une première préoccupation qui me vient, c'est sûr qu'on aurait vraiment un intérêt à regarder du côté de qu'est-ce que serait un, un... Parce qu'au-delà des...
J'ouvre une toute petite parenthèse: parce que les programmes qui existent, auxquels on participe, qui sont des mesures indirectes de lutte à la pauvreté, qui portent à plus long terme, on ? comment dire? ? les partage, là, on y travaille. Il n'y a pas de problème de ce côté-là. Mais, à un moment donné, comme je le signifiais tantôt, il y a des espèces sonnantes à un moment donné qui doivent arriver. La pauvreté, c'est vrai qu'on peut la définir de différentes façons: il y a un côté social, un côté culturel, il y a un côté de formation, mais il y a aussi un côté économique, et puis le côté économique, il se traduit en dollars. Alors, on aurait...
En tout cas, une première préoccupation que j'aurais, ce serait de regarder qu'est-ce que ça pourrait être quantitativement, ce revenu minimum qu'on pourrait établir au Québec, qui permettrait de couvrir les besoins essentiels. Et tantôt j'ai entendu, à l'arrivée dans la salle, je ne sais pas exactement quelle était la tournure du débat à ce moment-là...
On parle de mesures. Vous savez, il y a des mesures objectives de seuil de faibles revenus qui sont beaucoup contestées par différents économistes. Bon. Statistique Canada se défend toujours un petit peu de les utiliser à différentes fins. La nouvelle Mesure du panier de consommation, bon, qui est relativement récente, arrive en fait à des chiffres, quand on les compare, qui ne sont pas si éloignés du seuil de faibles revenus. C'est sûr, ça dépend si on considère après impôts, avant impôts.
Mais il serait aussi intéressant d'entendre ? moi, j'aimerais beaucoup ? des personnes douées de raison et de sens qui vivent les situations, comment ils le chiffreraient, avoir des données différentes. Et, dans un deuxième temps, en fonction de quelques hypothèses de chiffres, qu'on puisse analyser les impacts et les effets pervers possibles, peut-être, puis analyser les impacts que ça aurait en termes de coûts sociaux. Ça représenterait quoi, concrètement, en termes de coûts, arriver à tel montant où on pourrait se dire: Ce revenu minimum qui permet aux gens de couvrir les besoins essentiels et d'autres mesures qui tendent à améliorer les revenus et à les tirer vers le haut, ça coûte combien brut et ça coûte combien net?
Alors, on estime à combien par exemple... Puis là je suis vraiment dans un domaine purement financier, parce que j'ai encore à l'esprit toutes les considérations humaines, je ne les oublie pas. Mais, d'un point de vue strictement financier, on pourrait se demander: Ce qu'on économise en soins de santé, ce qu'on économise en hospitalisations, ce qu'on économise en dépressions chez les personnes assistées sociales, ça pourrait se chiffrer à combien? Et ce serait quoi, le vrai coût dans le fond de permettre à ce qu'au Québec on soit une société d'avant-garde et qu'on puisse avoir ce revenu-là qui couvre les besoins essentiels? On en viendrait peut-être... C'est l'hypothèse qu'on fait, mais on en viendrait peut-être à la conclusion que finalement le coût net n'est peut-être pas si élevé pour se permettre en plus d'augmenter la qualité humaine de la vie des personnes et des familles.
Alors, en ce sens-là, il serait intéressant aussi d'avoir comme invités, dans un débat comme ça, des chercheurs en politique sociale, d'avoir des économistes, d'avoir les personnes elles-mêmes qui vivent les situations de pauvreté, de voir les groupes qui travaillent avec ces personnes-là, des groupes communautaires, de voir différentes catégories de professionnels. Moi, j'aimerais beaucoup entendre les médecins qui sont en contact quotidien, par exemple, aussi avec des personnes sur l'aide sociale, qui prescrivent des médicaments et qui savent très bien que la personne ne le fera pas, et c'est pourtant pour des raisons de santé. Je serais curieux de voir qu'est-ce que ces professionnels-là diraient. En tout cas, moi, j'aurais un fort intérêt à regarder, dans un premier temps du débat, ceci.
Bon. Je pense aussi à toutes sortes d'autres concepts sur comment on définit la pauvreté, on peut-u s'entendre là-dessus. Mais j'aurais une préoccupation sur la question du revenu, les impacts, et tout ça, pour répondre à votre question.
M. Bouchard (Vachon): M. le Président, vous parlez abondamment, vous référez abondamment à cette disposition dans la loi n° 112, à l'article 20, sur les études d'impact. Mais, avant de passer à ça, je vais revenir aux études d'impact. Avant de passer à cette question-là, je vais peut-être continuer sur la lancée d'une réflexion plus globale sur le système.
Vous avez constaté, dans votre analyse sociohistorique, là, l'érosion de cette notion de couverture des besoins essentiels ou d'un droit à une vie décente, et on n'est pas sans ignorer, là, qu'à partir de 1969 il y a eu quelques périodes de récession, la crise du pétrole et ensuite trois autres récessions importantes. L'État a fait face donc à une demande accrue de prestations d'aide sociale puis en même temps a fait face à un manque à gagner, étant donné ces récessions. Et on peut imaginer que ces pressions-là sur un système comme celui de l'aide sociale sont énormes.
Est-ce que vous avez imaginé ou discuté dans votre ordre professionnel d'un contrepoison à l'érosion, d'un contrepoison à l'érosion? Qu'est-ce qu'une société comme la nôtre, un pays comme le nôtre peut se donner comme système pour résister le mieux possible à l'érosion du droit? Parce qu'il était affirmé très clairement en 1969. Et vous dites: Dans la loi actuelle, on ne le voit plus nulle part et il a disparu, il s'est affaibli graduellement. Qu'est-ce qu'il faut faire pour éviter ce genre d'érosion?
M. Leblond (Claude): J'aimerais bien avoir la réponse aussi facile que vous exposez la question. Il me semble que c'est effectivement un des éléments majeurs, en arriver à conjuguer les... toute la question, là, des droits et de la justice sociale en lien avec des aspects économiques et des mesures... des différentes mesures.
n(11 h 30)n Alors, comment on doit contrer l'érosion des droits? J'ai l'impression qu'il faut, à un moment donné, comme société, réaffirmer la primauté de certains droits par rapport à d'autres, réaffirmer également la responsabilité de l'État dans son rapport avec le citoyen et de l'équité de ce rapport. Et, après avoir réaffirmé ces éléments-là, c'est certain qu'on devra, et que le gouvernement, et que, nous, comme citoyens, on devra effectivement être en accord avec le fait qu'il y a des choix qui se font et d'autres qui ne se font pas. Mais le débat se sera fait. À la limite, si, comme société, on choisit de redéfinir nos personnes socioéconomiquement faibles comme étant des indigents et des miséreux, bien ce sera au moins clair pour tout le monde, et on fera d'autres choix. Nous, nous pensons qu'il doit être possible de conjuguer la justice sociale avec les enjeux, là, économiques. On n'a pas la solution en soi, on pense qu'on peut faire partie des éléments d'analyse par rapport au développement de ces solutions-là.
M. Hébert (Alain): Vous avez tous d'excellentes questions, hein, je vous dis, vraiment j'aime beaucoup le débat, les questions, les échanges aussi. Par rapport à cette question-là en particulier, j'aimerais, moi aussi, comme mon collègue M. Leblond, avoir la réponse. Mais il y a peut-être une piste en tout cas qui me vient quand j'entends la question. Le droit s'appuie généralement, pour ce que j'en sais... Je ne suis pas du tout un juriste. Il y aurait d'autres personnes dans la salle, que j'ai vues tantôt, qui seraient pas mal plus compétentes que moi pour regarder ce côté-là. Mais, pour ce que j'en sais, le droit habituellement suit la vie, hein, et la vie, ça se base sur des valeurs, sur des projets sociaux.
Alors, comment faire pour sauvegarder le plus possible, pour se prémunir, pour se donner collectivement le plus possible des garanties pour conserver les droits, les droits sociaux, les droits économiques? J'ai l'impression que, quelque part, il faudrait être amenés à dessiner un peu... de façon plus précise ensemble quel est le projet social pour le Québec. On s'en va vers où, comme projet social? Et un projet social, c'est lié à des valeurs de référence, à des valeurs de base et à comment on souhaite les incarner, parce qu'on sait que les valeurs effectivement on peut les interpréter de différentes façons, mais à comment aussi on les incarne.
Alors, moi, ce serait une piste que je verrais pour dire comment, au Québec, on pourrait conserver l'idée des droits, en tout cas se donner toutes les chances de conserver les garanties que nous procure le droit par des références à un projet social et à un énoncé de valeur, appelons ça comme ça, que permettrait, je pense... que, j'espère, permettrait un débat public qui pourrait durer une année à une année et demie et qui pourrait inclure des gens qui pourraient discuter de ça aussi. Quand je parle de projet social, je ne parle pas nécessairement d'un projet ? juste pour qu'il n'y ait pas de confusion ? je ne parle pas nécessairement d'un projet politique au sens strict, mais d'un projet comme société, disons ça comme ça. C'est quand même particulier, ce qu'on est comme société en Amérique du Nord, mais il serait fort intéressant de développer un petit peu plus du côté de ce que pourrait être un projet social pour le Québec, qui inclurait évidemment la notion de lutte à la pauvreté.
Le Président (M. Copeman): Allez-y.
M. Bouchard (Vachon): Une dernière question, M. le Président. Vous faites référence donc à cette idée que le gouvernement, avant d'introduire un changement à la loi actuelle ou d'adopter une nouvelle loi, devrait produire des études d'impact sur la situation actuelle et des études d'impact prévisionnelles sur les dispositions qu'il entend voir adopter. Est-ce que vous avez en tête une ou deux dispositions qui vous inquiètent en particulier et que vous voudriez voir mieux documentées par rapport aux études d'impact? Tout de suite, en partant, je veux simplement souligner le fait que je trouve l'idée excellente.
M. Leblond (Claude): Et je vous dirais que je souhaite... Si effectivement M. le ministre a une étude d'impact par rapport aux modifications ou au projet de loi n° 57, bien on souhaiterait effectivement pouvoir constater peut-être que nos inquiétudes sont démesurées ou non fondées, là. Mais, sur des éléments précis...
M. Hébert (Alain): Deux, comme ça, parmi un certain nombre. C'est une habitude qu'on a, en tout cas, nous autres, comme professionnels, de plus en plus, on nous... J'allais dire «on nous contraint», mais on ne nous contraint pas vraiment, parce qu'on y participe de bon gré et volontairement. Mais on est de plus en plus dans un processus d'évaluation continue de nos actions, de nos mesures, voir si c'est efficace, quel est l'impact réel que ça produit, etc., et on souhaite que, dans toutes les mesures, même à un niveau national, on aille de ce côté-là, du côté de l'étude d'impact, et de toute façon c'est prévu à la loi n° 112 qui est déjà adoptée.
Mais deux éléments. Premièrement, la Prime au travail qui, en soi, avec le Soutien aux enfants, n'est pas nécessairement... peut être intéressante. Mais la Prime au travail, est-ce que, par exemple, ça ne pourrait pas avoir des effets pervers et faire en sorte, je ne sais pas, qu'on s'empêche peut-être de sensibiliser et de faire en sorte que, dans le milieu de l'entreprise, on tente de hausser aussi? Par exemple, progressivement, il y a déjà une amorce qui est faite, mais de hausser de façon encore plus substantielle le salaire minimum, toujours... et, je comprends bien, en fonction d'impératifs économiques qui ne sont pas faciles à gérer. Mais il reste qu'actuellement ce qu'on observe dans notre société, on a appelé ça des nouvelles catégories de pauvres, dans les années passées, mais on voit actuellement des gens en situation de travailler à un salaire minimum qui ont toutes les misères du monde, qui n'arrivent pas même à sortir de la pauvreté. Ça aussi, c'est très questionnant.
Alors, la question de la Prime au travail, si on ne l'accompagne pas de mesures de sensibilisation du monde de l'entreprise, de l'ensemble de la population, et si on ne l'accompagne pas d'un effort pour hausser progressivement ce revenu-là, est-ce que ça ne pourrait pas, par exemple, avoir un effet pervers et contribuer ? comment dire? ? à un développement d'une... appelons ça d'une main-d'oeuvre plus à bon marché? C'est parce que j'ai en tête les anciens programmes EXTRA, et tout ça. Et ça, on est à la fois contents de la mesure et en même temps inquiets. Et on se dit: Si on avait un examen d'impact de cette clause-là, on serait davantage rassurés, si on veut, parce que le salaire minimum, on sait actuellement, les observateurs, de façon empirique, on sait qu'il n'est pas suffisant pour sortir de la pauvreté. Les gens, ils le savent très bien, on le voit sur le terrain. Mais en même temps il y a des impératifs économiques.
Alors, qu'est-ce qu'il y a moyen de faire? Je ne suis pas un économiste, je n'ai pas toutes les solutions, là, mais ce qu'on sait, c'est que le Conseil canadien de développement social, qui est un organisme, bon, qui regroupe un certain nombre de chercheurs en politique publique, tu sais, estime autour de 12 $ de l'heure ? ça dépend des endroits évidemment au Canada, là, puis il y a des régions urbaines et des régions rurales et tout ? un salaire minimum qui permettrait de sortir de la pauvreté. C'est sûr que je dirais ça à un entrepreneur, il me dirait: Oui, mais écoute, là, concrètement... Mais, moi, j'aimerais entendre le point de vue de différents économistes de différentes tendances sur ce sujet-là, par rapport au marché, par rapport à la compétition mondiale. Est-ce que c'est si irréaliste que ça? De prime abord, oui, hein? On réagit tous: Eh! Ça n'a pas de bon sens. Mais il faudrait voir. Moi, j'aimerais qu'on regarde ça, qu'on fasse l'examen d'impact.
Une autre préoccupation qu'on a beaucoup, c'est par rapport aux personnes jugées aptes au travail, actuellement. En fait, là, on est, quand on est dans ce groupe-là de personnes, en contact pour notre part avec les personnes les plus pauvres au Québec. Et ces personnes-là sont dans une situation catastrophique. Et c'est pour ça... Quand on parle de sentiment d'urgence, c'est un sentiment d'urgence, comment dire, qui existe déjà depuis un certain temps. C'est que ça devient de plus en plus urgent, parce que la dévaluation de la prestation, au montant où elle est actuellement, et qui se perpétue depuis plusieurs années, là ? on s'entend que ce n'est pas récent ? fait en sorte que ça prend actuellement un caractère vraiment d'urgence. Encore là, de façon empirique, je vous le dis, j'ai parlé à des collègues, je suis en contact avec beaucoup de professionnels, et tout le monde me dit: Écoute, on n'a pas besoin de faire des grandes études, là, on le voit bien que ça n'a pas d'allure. Et c'est ce que les personnes, elles-mêmes, nous disent aussi, là.
Bon. C'est deux domaines dans lesquels j'aimerais voir les études d'impact, parce que dans le fond une indexation partielle, d'un côté... C'est comme un verre d'eau. Il est-u à moitié vide ou à moitié plein? C'est un plus par rapport à avant, mais en même temps, compte tenu de la loi n° 112, on se serait attendu à ce que l'indexation soit complète. Alors, on se dit: Est-ce qu'on n'est pas là dans un domaine possible de préjugés basés sur le fait qu'une personne qui serait apte au travail devrait de toute façon participer à des mesures, même si elles ne sont pas obligatoires? Et on considère que, même si cette prestation-là se dévalue, bien c'est moins grave parce que la personne serait quelque part apte au travail.
Et, dans ce sens-là, je pourrais donner des... peut-être pas des centaines, mais en tout cas plusieurs exemples du fait que les gens qui sont aptes au travail, les premiers, dans leur mode de survie, déploient des efforts épouvantables pour essayer de se sortir de leur situation et pour travailler. Mais parfois effectivement ils sont dans une situation où il y a un certain nombre d'acquis qu'ils n'ont pas et qu'ils devraient avoir pour être dans un marché de l'emploi qui est très compétitif actuellement, et ça prendrait des mesures d'aide. Et les mesures d'aide ne sont pas toujours accessibles en tout cas dans les différentes régions du Québec. Je sais qu'il y a des efforts, dans notre coin de pays où je suis ? parce que j'ai vu le député tantôt de ma circonscription ? il y a des efforts incroyables qui sont faits pour améliorer ces mesures-là, pour les rendre disponibles, etc., mais c'est un besoin très grand, que ça puisse être accessible.
M. Bouchard (Vachon): Bien, je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Je souligne en passant que vous jouez votre rôle d'ordre professionnel à fond, pour connaître votre travail quotidien avec les familles aux prises avec la pauvreté, mais aussi dans votre capacité et votre crédibilité, en tant que groupe, de venir témoigner devant cette commission des besoins de l'ensemble de la société et de l'ensemble des gens que vous servez. Merci.
Le Président (M. Copeman): M. Leblond, oui.
n(11 h 40)nM. Leblond (Claude): Juste un petit élément en lien avec ce que vous venez de dire. Ce rôle-là, et la façon de le faire, de l'exercer... Et le message est sensiblement le même depuis 1969. On a retracé, dans nos dossiers, une position qui avait été développée par, à ce moment-là, la Corporation des travailleurs sociaux professionnels et qui allait dans le même sens. Chaque fois qu'il y a eu des modifications ou des projets de modification à la Loi de l'aide sociale, quel que soit le gouvernement en place, on a tenu le même message par rapport au respect des droits des personnes à leur dignité, et nous pensons qu'effectivement notre lecture, à ce niveau-là, se situe au-delà des débats, là, entre les différents partis politiques.
Le Président (M. Copeman): M. Leblond, M. Hébert, merci beaucoup pour vos réflexions devant cette commission parlementaire au nom de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec.
J'invite les représentants de l'Association des groupes d'éducation populaire autonome, région Centre-du-Québec, à prendre place à la table, et je suspends les travaux de la commission quelques petits instants.
(Suspension de la séance à 11 h 41)
(Reprise à 11 h 42)
Le Président (M. Copeman): À l'ordre! Alors, la Commission des affaires sociales reprend ses travaux, et c'est avec plaisir que nous accueillons les représentants de l'Association des groupes d'éducation populaire autonome, région Centre-du-Québec. M. Labonté, Mme Gélinas, bienvenue. Je vous rappelle nos règles de fonctionnement. Vous avez une période maximale de 20 minutes pour faire votre présentation qui sera suivie par un échange de plus ou moins 20 minutes de chaque côté de la table. La parole est à vous.
Association des groupes d'éducation
populaire autonome, région Centre-du-Québec
(AGEPA?Centre-du-Québec)M. Labonté (Henri-Paul): Alors, bonjour. Je me présente, Henri-Paul Labonté. Je suis coordonnateur de l'Association des groupes d'éducation populaire autonome, Centre-du-Québec. J'ai à mes côtés Isabelle Gélinas, qui est agente de développement dans le même organisme. Moi, je vais présenter un petit peu des éléments de notre région puis je vais présenter aussi des situations de faits de pauvreté. Isabelle va présenter notre analyse et nos recommandations.
Alors, j'aimerais vous rappeler quand même c'est où, le Centre-du-Québec. C'est cinq MRC, soit celles de Nicolet-Yamaska, Bécancour, Drummondville, Arthabaska et de L'Érable. On y retrouve notamment les villes de Drummondville, de Nicolet, de Bécancour, de Victoriaville et de Plessisville. On y retrouve notamment le comté d'Arthabaska, le comté de Drummond, le comté de Nicolet-Yamaska, et d'autres comtés.
La région Centre-du-Québec, elle a 224 017 habitants ? c'est un peu moins que ses voisines de la Mauricie et de l'Estrie ? mais 70 % de cette population se trouve dans les deux MRC d'Arthabaska et de Drummond qui sont aussi les seules à avoir enregistré une croissance ces dernières années. Et nos emplois se retrouvent majoritairement dans le secteur de la production de biens et de services, particulièrement dans le domaine de la fabrication, ce qui fait de notre région une région particulièrement ouvrière.
Le taux de chômage est près de la moyenne du Québec, mais il a augmenté de 1,1 % en 2002-2003. Le taux de faibles revenus ? ce qu'on refuse de nommer seuil de pauvreté ? au Centre-du-Québec est semblable à l'ensemble du Québec mais est plus élevé dans les MRC de Drummond et d'Arthabaska. Le nombre de prestataires d'assistance-emploi était de 14 049 en juin dernier, mais c'est une augmentation de 2,7 % comparé à juin de l'année précédente. Et, en 2002, le revenu personnel par habitant était de 3 000 $ inférieur à l'ensemble du Québec. Et en résumé ça veut dire que le Centre-du-Québec a une population largement ouvrière, avec beaucoup d'emplois précaires sans doute occupés majoritairement par des femmes.
Le taux de pauvreté est dans la moyenne québécoise, mais la moyenne des salaires est beaucoup plus basse que pour l'ensemble du Québec. Il y a donc sans doute beaucoup d'emplois au salaire minimum. Le taux de chômage va en augmentant, ainsi que le nombre de prestataires d'assistance-emploi, ce qu'on peut attribuer aux travailleurs et travailleuses mis à pied mais qui n'ont pas suffisamment de semaines de travail pour avoir droit au chômage, et aussi aux familles monoparentales qui ont des enfants en bas âge et qui peuvent difficilement trouver une gardienne compte tenu des salaires qui leur sont offerts.
Juste vous parler un petit peu maintenant de l'AGEPA?Centre-du-Québec. C'est un regroupement régional d'organismes communautaires qui se définissent comme des groupes d'éducation populaire autonome. Et l'éducation populaire se définit par une approche de justice sociale. C'est avant tout l'éducation par l'action. Les gens apprennent à prendre des responsabilités, à devenir des citoyennes et des citoyens à part entière. L'AGEPA regroupe des organismes sur tout son territoire et elle travaille aussi étroitement avec les différentes tables de pauvreté de la région. Font partie de ces tables un grand nombre d'organismes et de personnes engagés bénévolement dans leur milieu ou des personnes engagées dans la pastorale. Nous avons parmi nos groupes des restaurants populaires, des organismes de distribution alimentaire, des cuisines collectives, des groupes en défense de droits, etc., et l'AGEPA représente les régions au sein du Collectif pour un Québec sans pauvreté, où on suit la démarche depuis le début.
Finalement, on a nos antennes un peu partout dans le milieu où la pauvreté sévit. Nous intellectualisons moins les choses, mais on constate que la réalité quotidienne de la pauvreté est là. Et nous facilitons l'accompagnement dans les démarches d'apprentissage des citoyens et citoyennes qui vivent dans la pauvreté mais qui se considèrent comme des citoyennes et des citoyens à part entière, fiers de l'être et n'ayant surtout pas envie de porter toute leur vie l'étiquette de la pauvreté. C'est davantage en leur nom que nous allons parler.
Et maintenant quelques éléments que je voudrais souligner au niveau du projet de loi n° 57, plus en termes d'effets, en retenant l'article 1 de la loi n° 112, qui parle de s'attaquer aux causes de la pauvreté. Alors, notamment quelques faits, là, dont, moi, j'ai été témoin. L'an dernier, à Drummondville, nous avions rencontré le député de Drummond avec des usagers d'ateliers populaires. Comme il faisait froid ? c'était en novembre ? une femme m'a indiqué qu'elle ne pouvait faire la marche avec nous parce qu'elle n'avait pas de manteau d'hiver et que sa forte taille ne lui permettait pas d'en trouver dans les vestiaires. Un de nous lui a prêté son double manteau, puis elle a pu expliquer ensuite devant le député ses doléances concernant une forte coupure de son chèque d'aide sociale. Elle avait rendez-vous avec un fonctionnaire une semaine plus tard, mais c'est maintenant qu'elle avait froid et faim. Une ligne de solution ici, ce n'est surtout pas de couper dans les postes de la sécurité du revenu, mais c'est de vraiment appliquer la solution d'un seuil plancher pour lequel il ne doit y avoir aucune coupure.
J'ai travaillé pendant six ans pour un groupe d'entraide en santé mentale. La plupart de nos usagers vivaient de l'aide sociale, certains avaient une contrainte sévère, d'autres auraient souhaité l'avoir. Quelqu'un m'avait alors dit: Je ne suis pas fou, mais je voudrais presque l'être pour avoir 200 $ de plus par mois. Dans son cas, cela aurait signifié un logement plus décent, ailleurs que dans les appartements bruyants et insalubres au-dessus des magasins du centre-ville ou aussi ailleurs que demeurer chez leurs parents toute leur vie. Le barème plancher, oui, nous sommes d'accord, mais à un niveau suffisant pour vivre décemment.
Pendant 15 ans, j'ai effectué des consultations budgétaires au sein d'une ACEF. Voici ce que me disaient des femmes monoparentales. Elles pensaient à Noël qui s'en venait, sans doute au panier de provisions qui serait bien mince, aux cadeaux venant des autres, à la maladie possible, sans moyens d'y faire face, et surtout, là, à la charité qu'elles ne voulaient pas. Pour elles, il s'est développé des projets de formation, beaucoup, mais je pense que c'est en grande partie celles-ci qu'on retrouve aussi dans les emplois précaires et au salaire minimum. Oui, je suis une des personnes qui pensent au parcours vers l'emploi, mais emploi et revenu de solidarité ou tout au moins barème plancher doivent être deux choses bien distinctes.
J'ai rencontré plein de gens mis à pied pour fermeture d'usine mais inéligibles à l'aide sociale parce qu'ils avaient trop de biens, trop de liquidités, trop de... Ces cas sont encore trop nombreux aujourd'hui. Mais ce n'est pas ça, le barème plancher, si, pour l'avoir, il faut absolument avoir l'étiquette de pauvreté marquée dans le front. C'est pourquoi nous sommes d'accord avec l'allocation universelle qui est un revenu sans condition, versé à tout individu sans regard à ses ressources financières et d'un niveau suffisant pour le maintenir hors de l'état de pauvreté.
On avait participé aux audiences sur la loi n° 112 ? et ça, on l'avait mis de l'avant ? mais on s'était dit évidemment que ça devait faire partie d'un débat plus à long terme et dans lequel le comité consultatif devait jouer un rôle important, et aussi l'Observatoire sur la pauvreté, pour établir les seuils de pauvreté. Mais, M. le ministre, il n'y a rien de cela à l'horizon présentement.
n(11 h 50)n Chez nous, à Victoriaville, on a travaillé bien fort pour aider tous ces gens dans le besoin. On a développé le restaurant populaire, la sécurité alimentaire. M. Bachand, notre député, qui est présent ici, sait comment c'est très développé, à Victoriaville, ces choses-là. Les cuisines collectives, il y a une dépendance à ces services qui auraient dû être temporaires. Un exemple: en 1982, on a commencé la soupe populaire le midi pour les jeunes sans abri. L'abbé Raymond Roy, initiateur de ce projet et maintenant décédé, avait alors spécifié que, pour lui, c'était temporaire, mais on est en 2004 et ça continue toujours, et j'ai des statistiques comme quoi ça augmente, le nombre de repas servis le midi, d'une façon effrayante, là, depuis les dernières années. Et c'est la même affaire aussi pour la sécurité alimentaire qui augmente le nombre de provisions d'une façon... les paniers de provisions donnés d'une façon extraordinaire, hein? Donc, nos services alimentaires, inutile de vous dire qu'ils sont aujourd'hui débordés.
Et moi qui ai travaillé à développer de nombreux services communautaires depuis plus de 30 ans, bien je dois dire que le milieu communautaire est en train d'être institutionnalisé afin de compenser pour l'État qui ne remplit pas son rôle de redistribution de la richesse. Ce n'est pas ça qu'on vise. Pour moi, les groupes communautaires ont avant tout une mission d'éducation populaire, je le rappelle.
Et en résumé, donc, non au projet de loi actuel tel qu'il est conçu parce qu'il ne s'attaque pas aux causes de la pauvreté, selon l'article 1 de la loi n° 112. Mais oui à des amendements réels à la loi actuelle, sur des aspects urgents qui vont dans le sens d'un Québec sans pauvreté. Oui à une réforme en profondeur de la Loi de l'aide sociale qui doit s'inspirer de la loi n° 112. Non à l'institutionnalisation des groupes communautaires dans un rôle de charité. Oui à leur développement dans un rôle d'éducation populaire autonome, d'«empowerment», d'éducation à la citoyenneté. Oui à un véritable débat public sur le sujet ayant en son centre l'allocation universelle au revenu de solidarité.
Alors, je vous remercie. Ma collègue va maintenant vous présenter notre analyse du projet de loi et nos recommandations.
Le Président (M. Paquin): Allez-y, madame.
Mme Gélinas (Isabelle): Bonjour, M. le ministre, MM. les députés. Je ne suis pas tellement habituée à ce genre de présentation là, alors je vais faire de mon mieux pour être le plus clair possible dans ce que j'ai à dire.
Pour l'AGEPA et pour l'ensemble de la population, il est clair que la prestation de base actuelle, c'est insuffisant pour couvrir les besoins essentiels. En 1985, cette prestation était de 440 $ par mois. Si on avait maintenu cette hausse équivalente au coût de la vie ou du pouvoir d'achat, cette même prestation vaudrait aujourd'hui 700 $.
Je lisais ça tantôt, puis ça me rappelait qu'à cette époque-là j'étais moi-même sur l'aide sociale, avec une petite fille, puis que j'avais un agent d'aide sociale qui m'avait dit: Vous savez, madame, on sait très bien que vous n'avez pas le choix d'avoir un travail au noir, parce qu'avec le montant qu'on vous donne vous ne pouvez pas arriver. Je ne lui ai pas dit que j'avais un travail au noir, puis je ne vous le dirai pas non plus, mais je peux vous dire une chose, c'est qu'il avait raison, à cette époque-là.
Et puis, aujourd'hui, on n'a même pas maintenu le coût de la vie. Ça veut dire qu'à 700 $, même à 700 $ par mois, pour arriver, aujourd'hui, ça prend la dépendance complète aux mesures d'urgence, aux organismes de mesures d'urgence. Moi, je dis que le projet de loi actuel, tel qu'il nous a été présenté, en plus de ne pas nous informer sur les règlements... Donc, c'est très dur d'analyser un projet de loi où on n'a pas les règlements. Je trouve que c'est quelque chose de difficile en tout cas à demander. Je n'ai pas de notions non plus très grandes en économie ni en... mais j'en ai quand même. J'ai un budget à faire à toutes les semaines et à tous les mois avec ma famille puis, si on ne me disait pas combien je vais avoir par semaine, j'aurais de la misère à budgéter mes affaires. Ça, c'est très clair. Et on dit aussi qu'on va avoir une hausse de 50 % du coût de la vie, à tous les débuts d'année, pour les aptes au travail. Ça, ça nous donne un surplus, compte tenu du coût de la vie, de 3 $ par mois pour ceux qui ont le barème de base de 533 $ par mois.
On a notre député libéral dans Arthabaska qui avait fait un effort très louable de tenter de combler le budget d'une personne seule à faibles revenus. Et puis il s'y était prêté de bonne grâce, parce que je suis sûre que ça ne devait pas lui tenter. Et puis, après avoir utilisé toutes les mesures, c'est-à-dire une dépendance complète aux organismes d'urgence ? il était proche du centre d'emploi pour ne pas avoir à payer des frais de transport ? en tout cas, après s'être trouvé aussi un logement à loyer très modique près justement, là, du centre d'emploi puis des organismes d'urgence, des hôpitaux puis, pourquoi pas, d'un éventuel employeur, parce qu'il se trouve une job, il faut aussi qu'il se déplace pour aller travailler, il est arrivé avec un déficit de 8 $ par mois. Je l'ai trouvé bien bon d'être arrivé avec ça. Mais le 3 $ prévu ne comble même pas le 8 $ de déficit, là, tu sais. Ça fait que, malgré tout, j'ai trouvé que c'était un bon acrobate et je l'en félicite. Je sais que M. Bachand est quelqu'un qui est quand même... qui était très fort de travailler pour la pauvreté dans notre comté.
Alors, malgré sa condition géographique et sa condition de pauvreté idéale, il va vivre en exclu pareil parce qu'il n'aura pas les moyens de participer à aucune condition.
Alors, je vais vous faire aussi... J'ai barbouillé des affaires pour aller le plus vite possible parce que je sais qu'on m'a limitée dans le temps. Alors, j'ai regardé un petit peu la loi n° 112, puis la loi n° 112 nous avait promis, à l'article 1, de planifier et de réaliser des actions «pour combattre la pauvreté, en prévenir les causes, en atténuer les effets sur les individus et les familles, contrer l'exclusion sociale et tendre vers un Québec sans pauvreté». Si je vais à l'article 6.2°, on dit qu'on va «améliorer [aussi] la situation économique [...] des personnes et des familles qui vivent dans la pauvreté et qui sont exclues socialement» ? ça revient. Alors, à 6.4°, on favorise «la participation des personnes et des familles en situation de pauvreté à la vie collective et au développement de la société». En 8.6°, on parle de «favoriser [aussi], pour les personnes en situation de pauvreté, l'accès à la culture, aux loisirs et aux sports». Et, à l'article 9.1° ? M. Béchard, particulièrement ? on parle de «rehausser le revenu accordé aux personnes et aux familles en situation de pauvreté, en tenant compte notamment de leur situation particulière et des ressources dont elles disposent pour couvrir leurs besoins essentiels».
Le projet de loi, lui, ce qu'il nous amène vers, en tout cas selon ce qu'on a comme données, c'est une dégradation des conditions actuelles. Il n'y a aucune mesure qui semble vouloir tenir compte d'un barème plancher adéquat permettant aux individus évidemment de couvrir ces besoins essentiels là, de vivre dans des conditions minimales favorisant leur intégration au sein de la société, parce qu'on ne couvre même pas les besoins essentiels.
Dans les articles 3 et 5 de la loi n° 112, on nous a dit qu'il y aurait une stratégie nationale pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, qui serait composée d'un ensemble d'actions. À la lecture ? évidemment, j'ai mes faiblesses aussi ? du projet de loi n° 52, j'ai vu une amélioration tangible par rapport à l'ancienne loi, le gouvernement ne pourra plus couper sur les prestations des personnes qui ne voudront pas participer à des programmes d'employabilité issus de programmes gouvernementaux. Alors, les ensembles d'actions que j'ai vus se limitaient à un, peut-être qu'il y en d'autres que je n'ai pas vus, là, mais en tout cas ce que j'en ai vu.
À l'article 6.1° de la loi n° 112, on nous dit qu'on va «promouvoir le respect et la protection de la dignité des personnes en situation de pauvreté et lutter contre les préjugés à leur égard». À l'article 6.3°, on dit qu'on va «réduire les inégalités qui [nuisent] à la cohésion sociale» et en contrepartie on maintient les catégories «aptes», «contraintes temporaires», «contraintes sévères à l'emploi». Ça perpétue à quelque part une situation de préjugés, et on maintient aussi les inégalités. Moi, personnellement, je pense que, que tu sois à contraintes sévères à l'emploi ou non, tu as le même besoin de manger puis de te loger, en tout cas, puis le 533 $ par mois, quant à moi, ne te rend même pas apte à investir dans ta propre vie. On a des catégories de pauvres méritants, de pauvres non méritants, ce qui est loin de favoriser la solidarité. Au contraire, le projet de loi maintient ces catégories et divise le problème de la pauvreté.
On disait de «reconnaître l'apport des aînés dans la société et soutenir ceux qui sont en situation de pauvreté afin de leur rendre accessible une diversité de services et de programmes adaptés à leurs besoins». Et, pour cette catégorie, quoique j'aie eu ouï-dire tantôt que, selon les règlements qu'on n'a pas, il y avait quelque chose de prévu, mais la liberté 55 se limite à... vous revenez à une situation normale, là, parce que vous n'êtes plus «contraintes temporaires à l'emploi». Alors, il y a une baisse significative de leurs revenus.
n(12 heures)n Les recommandations de l'AGEPA. Évidemment, on recommande, tout comme beaucoup d'autres organismes, le retrait complet du projet de loi, des amendements transitoires à la loi actuelle pour permettre de respecter ce que la loi n° 112 nous avait promis, c'est-à-dire une augmentation significative du barème plancher de l'aide sociale afin de couvrir les besoins essentiels ? et je veux faire la nuance entre couvrir les besoins essentiels et le seuil de pauvreté, parce que c'est deux choses différentes selon moi, en tout cas; d'éliminer les catégories aptes, contraintes temporaires et contraintes sévères à l'emploi ? évidemment, d'adopter des programmes spécifiques pour ceux qui ont des besoins, là, le cas échéant, mais que chacun soit traité sur le même pied d'égalité quant à sa capacité de se nourrir puis de se loger, en tout cas au niveau des besoins; une augmentation annuelle de la prestation à l'équivalent de 100 % du coût de la vie; une protection accrue des avoirs liquides et des biens d'une personne ou d'une famille qui aurait à avoir recours au programme ? ça veut dire de ne pas te ramasser très, très pauvre avant d'avoir le droit d'avoir ton 533 $ par mois; aucune coupure de prestations d'aide sociale pour refus de mesure ou d'emploi ? ça, vous l'avez dans le projet de loi, mais, comme on veut le retrait du projet de loi, on voudrait que ce soit amendé à la loi actuelle ? et l'insaisissabilité des prestations ? la même chose, là, concernant les loyers; l'exemption totale de la pension alimentaire reçue pour un enfant du revenu utilisé pour le calcul de la prestation; et l'élargissement de la notion de gain permis afin de permettre de cumuler des revenus de soutien autres que des revenus de travail.
Donc, le retrait complet du projet de loi n° 57, une réforme complète de la loi actuelle. Il nous paraît crucial de faire une réforme complète de l'aide sociale qui serait cohérente avec la stratégie nationale de lutte à la pauvreté et l'exclusion sociale telle que stipulée par la loi n° 112 adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en décembre 2002.
L'AGEPA, tout comme plusieurs autres regroupements, demande qu'il y ait une réforme complète de la loi actuelle. Cette réforme devrait être le résultat d'une consultation populaire auprès des organismes directement impliqués avec les personnes en situation de pauvreté et d'exclusion sociale et des prestataires du même programme.
Nous rappelons en terminant que la Déclaration universelle des droits de l'homme affirme, dans son article premier, ce qui suit: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.» L'égalité et la liberté en dignité et en droits de toutes et tous est une aspiration fondamentale des Québécoises et Québécois pour le Québec et pour le monde. Tant qu'elle existera, la pauvreté sera un empêchement inacceptable à cette aspiration. C'est l'heure de faire jouer la raison, la conscience et les solidarités. Nous appelons le gouvernement et l'ensemble des parlementaires à en avoir le courage politique. Je vous remercie.
Le Président (M. Copeman): Merci beaucoup, Mme Gélinas, M. Labonté. Alors, afin de débuter l'échange, M. le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.
M. Béchard: Oui. Merci, M. le Président. Bienvenue. Merci de votre présentation et bienvenue, M. Labonté et Mme Gélinas. Et j'ai beaucoup apprécié vos commentaires en ce qui a trait à votre député, M. Bachand. Et vous dire qu'effectivement les efforts qu'il fait chez vous, ne vous inquiétez pas, il les fait aussi à l'intérieur du caucus. Et il met la même pression sur moi que... Mais vous avez l'air fiers de ça, en plus. Alors, je peux vous dire qu'il pousse beaucoup.
Alors, je veux vous dire d'abord que... juste revenir sur quelques points qui ont été mentionnés précédemment, aujourd'hui. J'entends le député de Vachon qui commence à tendre vers le fait qu'on devrait avoir ? comment il a appelé ça? ? une réflexion nationale. Je pense que, gentiment et de façon très amicale, je veux lui dire qu'ils semblent effectivement avoir, de leur côté, beaucoup de sujets à réflexion nationale par les temps qui courent. Mais je veux vous dire que le débat qu'on fait, aujourd'hui, réclame un débat public. C'est un débat public. Il y a un projet de loi qui est là. On a reçu pas loin... de mémoire, au-dessus de 70 mémoires. On va entendre au-delà de 60 groupes. C'est un débat public. Et je remarque, avec joie parfois, avec un peu d'inquiétude d'autres fois, que les présentations portent, oui, sur le projet de loi, mais portent sur beaucoup de sujets qui sont reliés de près ou de loin au projet de loi. Alors, si une commission parlementaire où on reçoit beaucoup de groupes n'est pas une consultation publique, alors je n'ai pas d'autre définition pour décrire ce qu'on fait présentement. C'est une consultation publique.
L'autre chose sur laquelle il faut faire bien attention aussi... Quand on nous demande des études d'impact ou on nous demande de suspendre ou de retarder, il faut faire attention. Il y a un plan de lutte à la pauvreté qui est là, alors est-ce qu'on nous demande de retarder aussi le plan de lutte à la pauvreté, les investissements qui y sont liés?
Et je veux vous amener sur un point aussi qu'il faut faire attention parce que... Ça m'agace un petit peu, depuis le début de la commission, parce qu'on se réfère souvent au projet de loi n° 112, et je constate qu'on veut faire dire au projet de loi n° 112... lui donner certaines vertus qu'il n'a pas, entre autres au niveau du barème plancher, la couverture des besoins essentiels. Ce n'est pas dans le projet de loi n° 112. On parle d'un barème plancher en deçà duquel il ne peut pas y avoir de coupure pour refus d'emploi ou refus de participer à certaines mesures, et, à moins que je ne me trompe, le projet de loi n° 57 se situe à l'intérieur de ça.
Quand vous parliez de certains articles où on doit tendre à améliorer la situation des gens, leur donner des outils, dans le présent projet de loi, on veut mettre justement en place prime à la participation, Soutien aux enfants, qui est une mesure dont malheureusement on ne parle pas assez selon moi dans cette commission mais qui va donner des sommes supplémentaires à toutes les familles, et notamment les familles qui vivent des situations de pauvreté.
Et j'ai aussi pris de votre mémoire l'importance que vous accordiez au fait qu'il faut faire attention aux étiquettes, étiquettes que les gens peuvent avoir. Et une des choses qu'on vise justement avec le programme Alternative jeunesse, au niveau des programmes pour les jeunes, c'est d'enlever cette étiquette-là, que ce soit avec Solidarité jeunesse, que ce soit avec conciliation travail-études, donc il y a un certain nombre d'efforts qui sont faits.
Et je regardais dans votre mémoire, je pense qu'on s'entend là-dessus, effectivement il peut y avoir un monde idéal où on va couvrir tout et tout va être réglé, mais je vous dirais sincèrement que je crois que le projet de loi n° 57 est un pas, est un début, et je comprends qu'on ne peut pas tout couvrir dès le départ mais qu'il y a quand même là un départ qui me semble intéressant.
Et je veux juste vous entendre sur le fait... Est-ce qu'on peut être d'accord sur le fait que, dans la loi n° 112, on parle d'un barème plancher, d'une prestation de base, mais qu'il n'est pas question dans le projet de loi n° 112 d'un barème plancher qui couvre les besoins essentiels?
Mme Gélinas (Isabelle): C'est moi qui l'ai emmené. Moi, j'ai trouvé ça dans mon... pas sur le truc qui s'appelait le projet de loi n° 112, mais sur la loi n° 112 telle qu'adoptée. C'était à l'article... En tout cas, j'ai trouvé ça dedans, et c'était la façon dont c'était écrit. Ou dans le plan d'action. C'était dans le plan d'action. C'était dans le plan d'action, c'est encore pire.
M. Béchard: Mais je ne veux pas... Non, c'est parce que je veux juste qu'on fasse attention. Parce que les gens disent: Le projet de loi n° 57 n'est pas en lien avec la loi n° 112. Et je m'excuse, parce que la loi n° 112, à l'article 15, là, on parle de l'introduction d'un «principe d'une prestation minimale, soit un seuil en deçà duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l'application des sanctions administratives, de la compensation ou du cumul de celles-ci». Et, au niveau de la prestation minimale, on ne parle pas de prestation minimale couvrant les besoins essentiels, on parle d'une prestation minimale.
Et mon collègue Christos Sirros à l'époque avait amené même un amendement pour nous assurer que... Parce que n'est pas défini à combien est la prestation minimale, il aurait pu y avoir des gens qui auraient pu la définir. Disons que la prestation minimale à 80 % de ce qu'elle est actuellement, à la limite ils auraient respecté cet article-là. Je ne dis pas qu'il y a des gens qui l'ont fait, mais peut-être des gens qui voulaient le faire, c'est pour ça qu'il faut faire attention. Parce que mon collègue Christos Sirros avait amené un amendement pour dire que le barème plancher devait être la prestation minimale, actuellement. Il y a des gens qui avaient voté contre. Alors, c'est pour ça. Dans la définition du barème plancher, je veux bien qu'on soit passé à un barème de besoins essentiels puis que les gens disent que c'est fantastique, et tout ça, mais, je veux dire, ce n'est pas parce qu'on n'est pas rendu là que la loi n° 57 ne respecte pas ce départ-là et cet objectif-là d'améliorer la situation des gens qui vivent des situations de pauvreté.
Mais je veux vous entendre aussi sur un autre point. Vous avez dit, au niveau de l'observatoire, là, de la pauvreté, qui n'est pas en place... Et je dirais qu'on a une entente avec l'Institut de la statistique du Québec qui vise justement à définir un certain nombre de choses à suivre, les données. Et, même si l'organisme ne s'appelle pas observatoire, il y a déjà du travail qui se fait là-dessus. Et j'aimerais vous entendre sur un point dont on n'a pas parlé beaucoup ce matin, c'est prime à la participation, parce que j'ai la conviction que l'on doit reconnaître le travail, la participation que certaines personnes font, même si ce n'est pas dans le cadre de programmes qui sont normés, même si ce n'est pas dans le cadre de programmes réguliers. Il y a des gens qui donnent beaucoup dans leur communauté, qui donnent du temps, qui participent à différentes activités, et je veux reconnaître ça dans prime à la participation, et j'aimerais vous entendre là-dessus. Quelle serait la meilleure façon pour vous, là, d'élaborer les critères, les normes de ce que pourrait être prime à la participation?
n(12 h 10)nM. Labonté (Henri-Paul): Bien, premièrement, je pense que... Bien, la question de l'observatoire, moi, je pense que c'était écrit textuellement, ça, dans la loi n° 112, et de ne ramener ça seulement qu'à l'Institut de la statistique du Québec, il me semble que ce n'est pas du tout la même affaire. L'observatoire, ça devait être composé de personnes du milieu, des chercheurs notamment et d'autres gens en mesure d'analyser la pauvreté, hein, alors pour établir finalement, entre autres, la question des seuils de pauvreté. Je ne pense pas que c'est la même affaire dont vous parlez quand vous parlez de l'Institut de la statistique du Québec.
D'autre part, la question du barème plancher, pour moi, ça, c'est important. Moi, je n'ai jamais pensé que ça devait être inclus non plus dans la loi n° 112, mais ce qui est important, c'est qu'il devait y avoir de mis sur pied un comité consultatif qui devait faire ce travail-là. En tout cas, je vous pose la question maintenant par rapport à ça: Est-ce que ça va venir, ce comité consultatif là, bientôt?
M. Béchard: Oui. La réponse, c'est oui. Oui, le comité consultatif va venir. Et je dirais que déjà on a, au point de départ, indiqué que le barème plancher était à 100 % de la prestation actuelle. Alors, oui, le comité consultatif va venir, va regarder ces données-là, faire un certain nombre de recommandations. On est en train de travailler à la mise sur pied du comité consultatif, effectivement. Mais il y a un certain nombre de choses... Pour moi, avant le comité consultatif, il est encore plus important de faire un certain nombre d'efforts, entre autres, pour aller chercher les 2,5 milliards du plan de lutte à la pauvreté. On veut couvrir les besoins essentiels puis y aller à certains besoins de base, là, et ça, on souhaitait le faire, mais le comité consultatif, oui, il y a une volonté de le mettre en place.
M. Labonté (Henri-Paul): Parce que la question de la prime, nous, on n'a pas vraiment analysé ça. Ce qui est bien sûr, c'est que, oui, il y a des gens dans le milieu qui font du bénévolat, il y a des gens qui travaillent sur des projets. On a développé le communautaire sur des projets de Fonds de lutte à la pauvreté, Canada au travail, etc. Et on a maintenu... Par ces programmes-là, on a souvent maintenu... Ça a été souvent des femmes aussi d'ailleurs. Et on a maintenu des femmes, à ce moment-là, notamment monoparentales dans des emplois précaires, etc.
Et donc, moi, la question doit être prise dans le sens de la réflexion qu'on doit faire sur le salaire minimum et la hausse du salaire minimum. Je sais que ça ne fait pas partie du projet de loi n° 57, mais c'étaient des recommandations qui étaient faites par le Collectif pour un Québec sans pauvreté, hein, concernant la hausse du salaire minimum, à une sortie de pauvreté pour une personne seule. Alors, c'est comme ça qu'on doit analyser la question finalement des revenus, aussi.
M. Béchard: Sur la question du salaire minimum, on a prévu déjà et annoncé des hausses, des indexations du salaire minimum sur les prochaines années, tout comme les indexations... C'est la première fois qu'un gouvernement s'engage à augmenter le salaire minimum directement sur quelques années, à dire aussi, au niveau de l'indexation des prestations... Puis, je comprends, on peut être d'accord ou pas d'accord avec la formule d'indexation, mais il y en a une. Moi, les gens qui viennent nous dire que c'est moins pour les aptes que pour les inaptes, j'en suis parfaitement conscient, mais c'est mieux que rien. C'est sûr que tu n'as pas besoin d'études d'impact quand c'est zéro. Il y a des gens qui nous demandent: Les études d'impact, ça va être quoi? Quand c'est zéro, c'est moins difficile à analyser. Mais je vous dirais qu'on le fait au niveau de l'indexation. Et je vais vous dire que je n'ai pas la conviction que le plan de lutte à la pauvreté... que la loi est une fin et que tout va être réglé quand ce sera adopté, mais je vais vous dire que j'ai la conviction qu'il s'agit d'un pas de plus dans la lutte à la pauvreté, et j'en suis très fier. Mais je pense que votre député veut aussi poser quelques questions, alors je vais le laisser poser quelques questions.
Le Président (M. Copeman): M. le député d'Arthabaska.
M. Bachand: Merci, M. le Président. Merci, M. le ministre, de me donner l'opportunité de m'adresser à un groupe communautaire pour lequel j'ai beaucoup de respect, les gens aussi qui travaillent à l'intérieur de ce groupe-là. Je veux, devant cette commission, réaffirmer le fait que je crois énormément au travail que les gens font dans ce groupe communautaire là, et je peux vous assurer, devant cette commission, que M. Labonté a la crédibilité qu'il faut dans le milieu et bien au-delà de ça, compte tenu du nombre d'années qu'il s'est consacré à la lutte contre la pauvreté dans le comté. Et je constate que Mme Gélinas aussi a fait ses classes très rapidement, et je suis très heureux de ça. Bienvenue à la commission. Donc, je suis heureux de vous accueillir ici. Vous savez à quel point je suis heureux de vous accueillir ici.
C'est important de venir, les groupes communautaires de chez nous, parce que je le répète à plusieurs reprises que les groupes communautaires chez nous ont une véritable culture, dans les Bois-Francs, et cette culture-là fait en sorte qu'ils se démarquent à certains niveaux comme, par exemple, la résistance à l'institutionnalisation, et ça, c'est fort intéressant. Les groupes communautaires chez nous sont des groupes communautaires qui font en sorte que, M. le Président, et c'est remarquable, ils ne se font pas récupérer par des organisations nationales. Nécessairement, ils ont, comme on pourrait dire, une expertise du milieu, une expertise aussi de conscientisation qui va bien au-delà des prises de position qui sont politiques ou autres. Donc, ils sont capables d'aller bien au-delà de ça. Et ça, c'est tout à leur avantage.
J'ai des questions à vous poser, puis on va en reparler parce qu'on va avoir le plaisir de dîner ensemble ce midi, je vous invite, c'est gratuit. Ça va me faire plaisir de jaser avec vous autres après.
Il y a un élément, dans le projet de loi n° 57, sur l'objectif fondamental du projet de loi. On en a jasé rapidement, mais... Et je sais que ça rejoint, ça, plusieurs valeurs qui sont véhiculées à travers nos groupes communautaires, mais ça achoppe en quelque part, puis j'aimerais mettre le doigt dessus. Il y a un objectif fondamental qui est la valorisation du travail et l'intégration en emploi. Je le sais, je sais, parce que c'est fondamental chez nous, vous l'avez répété en introduction, apprendre à devenir des citoyens à part entière, ça, ça nous appartient chez nous. Ça appartient à M. Normand Maurice, ça appartient à M. Raymond Roy et ça appartient aussi à M. Labonté et à tous ceux qui ont travaillé dans ce sens-là.
La question est très simple: Valorisation du travail et intégration en emploi, vous êtes d'accord ou pas d'accord? Moi, j'ai comme l'impression que, nous, chez nous, on a toujours été d'accord, mais il y a peut-être des modulations. Puis où on pourrait moduler pour que vous soyez très à l'aise avec ça?
Mme Gélinas (Isabelle): Moi, je vais revenir à: couvrir les besoins essentiels. Et je répondrais en même temps à M. Béchard qui disait: Est-ce que je suis d'accord avec la Prime au travail pour... Oui, parce que la Prime au travail pourrait amener de couvrir les besoins essentiels au seuil de pauvreté. Ce que je disais pour... Tantôt, je disais: Couvrir les besoins essentiels est une chose, le seuil de pauvreté est autre chose, en ce qui nous concerne. Si on ne couvre pas les besoins essentiels, c'est socialement et financièrement qu'on va payer pour ça. Et puis c'est là que ça achoppe. C'est là que ça achoppe. Si je n'ai pas d'argent pour arriver, il va se passer quelque chose à quelque part: je vais travailler illégalement; il va y avoir une perte de revenu; je vais aller voler; je vais devenir dépressive; je vais m'en aller à l'hôpital. Mes enfants, qu'est-ce qui va se passer avec eux autres?
C'est un coût social et financier qui ne vaut pas la peine. Je ne pense pas... En tout cas, comme mon prédécesseur disait tantôt, je ne suis pas une économiste, mais faire vraiment l'analyse de coût là-dessus, on serait peut-être surpris de comment on serait gagnants à la limite de couvrir les besoins essentiels. Quand tu es mal nourri, c'est bien de valeur, quand tu manges de la nourriture périmée, tu vas te ramasser à l'hôpital, il y a des bonnes chances. Puis ça, ça coûte cher. Ça coûte plus cher qu'un loyer décent, ça coûte plus cher que d'avoir un bon panier d'épicerie. Pour moi, c'est là que ça achoppe, c'est au niveau de la couverture des besoins essentiels.
Je ne sais pas si M. Labonté veut rajouter quelque chose là-dessus.
M. Labonté (Henri-Paul): Non, mais je voudrais répondre plus précisément à la question. Des mesures d'intégration au travail, oui, on est d'accord avec ça. En quoi on n'est pas d'accord, le milieu communautaire chez nous, en quoi on n'est pas d'accord, c'est qu'on... Si les mesures communautaires d'intégration au travail conduisent simplement à nous remettre ensuite sur l'assurance chômage et sur l'assurance-emploi, etc., ça n'a pas de bon sens. Il y a aussi les salaires que les gens ont lors des mesures d'intégration en emploi, et, à ce moment-là, dans les programmes, là, on ne voudrait pas, nous autres, redévelopper... Ce qui s'est passé, depuis plusieurs années, on a redéveloppé du «cheap labor» par rapport à ça, hein? Ça, on ne veut pas ça, nous autres, c'est bien clair. On veut que ça nous mette en marche vers une sortie de la pauvreté, hein, à plus long terme. On a d'excellents organismes chez nous de formation ? Accès travail, un service d'intégration en emploi pour les femmes, le carrefour jeunesse-emploi ? qui font une mosus de bonne job là-dessus. Mais ils ne peuvent pas, eux autres, créer des emplois qui vont permettre la sortie de la pauvreté. Alors, les conditions, oui, c'est ça, en fait, hein?
M. Bachand: M. le Président, si vous permettez...
Le Président (M. Copeman): Brièvement, M. le député, oui.
M. Bachand: ...j'aurais beaucoup à dire. En tout cas, Ma place au soleil, c'est quelque chose qui a fonctionné très bien chez nous.
n(12 h 20)n J'aurais aimé poser une dernière question à Mme Gélinas parce que je sais qu'elle était touchée personnellement et puis aussi dans son action communautaire. À l'intérieur des programmes, on a un programme qui s'appelle Alternative jeunesse, qui est un programme ciblé qui a discriminé une partie de la population et qui nous permet d'intervenir directement à l'intérieur de ce programme-là. Le programme, il prévoit une solution de rechange qui permettra d'offrir aux jeunes bien davantage qu'un chèque social grâce à une aide active et à un encadrement personnalisé. Comment vous trouvez ça, vous, Mme Gélinas, un programme comme celui-là à l'intérieur même du projet de loi n° 57?
Mme Gélinas (Isabelle): Bien, j'aimerais bien pouvoir en parler plus parce que je trouve qu'il me manque beaucoup de données sur... Je sais que vous allez mettre un programme, mais le petit paragraphe ne me dit pas suffisamment où c'est que ça va mener pour être capable de faire une analyse en tout cas que je jugerais pertinente par rapport à ça. Mais il va me faire un plaisir de vous répondre si vous me donnez éventuellement toutes les informations à ce sujet-là.
M. Bachand: Parfait. Merci, M. le Président. Merci beaucoup.
Le Président (M. Copeman): M. le député de Vachon.
M. Bouchard (Vachon): Mme Gélinas, M. Labonté, bonjour. Deux questions et on devra clore, je pense, parce qu'il ne reste pas beaucoup de temps. Mais la première, c'est: Quelle est la mission de vos organismes? Je vous associe facilement à toute la mouvance qui a amené la création de la loi n° 112, là, puisque vous êtes en mission d'éducation populaire. Mais quotidiennement qu'est-ce que vous faites?
M. Labonté (Henri-Paul): Évidemment, comme on le disait, on travaille étroitement, entre autres, avec les différentes tables de lutte contre la pauvreté de notre région. Donc, évidemment, on va... Nous, on est un regroupement de groupes communautaires. Donc, on va avant tout fournir des outils aux groupes communautaires pour bien accomplir leur rôle d'éducation populaire autonome. Très concrètement, par exemple, ce qu'on a fait par rapport à ça, on a analysé, on a fourni de l'information aux groupes et on les a incités effectivement à se prononcer. On les a incités à rencontrer notre député. C'est des choses comme celles-là qu'on fait d'une façon très concrète. On organise des formations, c'est sûr, des formations plus structurées. Mais en même temps notre approche d'éducation populaire autonome ? moi, c'est ce que je fais depuis 30 ans ? c'est une approche d'éducation par l'action. Donc, on travaille avec les gens aussi sur le terrain.
M. Bouchard (Vachon): Merci. Conséquemment, vous êtes en relation continue avec l'ensemble des ressources et groupes communautaires qui oeuvrent dans votre région et qui ont donc eu l'occasion de faire une première analyse du projet de loi. Est-ce que vous pouvez peut-être nous relater quels sont les éléments de préoccupation principaux des groupes dans votre région par rapport à ces consultations que vous auriez pu avoir, mais surtout par rapport aux interactions usuelles que vous avez avec les groupes, là? Est-ce qu'il y a une préoccupation ou deux qui sont majeures, là, et qu'il vous semble très important de communiquer à l'ensemble des parlementaires?
M. Labonté (Henri-Paul): Une, c'est très clair, puisqu'on... Dans les groupes, ils nous disent: Il faut que ce soit cohérent avec un plan de sortie de la pauvreté dans l'ensemble, et donc il faut que ça permette d'agir sur les causes et non pas juste de mettre des plasteurs sur les bobos. Moi, je pense que ça, c'est le sens de tout ce que les groupes communautaires nous disent. Les gens sont ouverts, sont prêts à collaborer, sont prêts aussi à ce qu'on analyse, puis ils trouvent ça important. On a parlé, nous, de l'allocation universelle ou revenu de solidarité. Ils sont conscients qu'il n'y a pas une formule pour ça, là, mais c'est important qu'il y ait un débat public sur cette question-là. Donc, oui, on admet, nous autres, que ce qui se passe actuellement, au moment présent, c'est un débat public. Mais les débats publics, il faut qu'ils soient plus...
Mme Gélinas (Isabelle): Populaires.
M. Labonté (Henri-Paul): ...plus globaux et plus populaires, que les groupes de base puissent y participer.
Mme Gélinas (Isabelle): Que les personnes concernées aussi puissent participer.
M. Bouchard (Vachon): Mme Labonté, vous avez tout à l'heure fait état des...
Une voix: ...
M. Bouchard (Vachon): Pardon?
Le Président (M. Copeman): Mme Gélinas.
M. Bouchard (Vachon): Gélinas. Excusez. Mme Gélinas, vous avez fait tout à l'heure état d'une approche socioéconomique assez intéressante en rapport avec l'instauration d'un barème plancher qui pourrait couvrir les besoins essentiels, en disant: Finalement, ça ne nous coûterait peut-être pas si cher que ça d'en créer un, puisqu'on pourrait faire, quelque part d'autre, énormément d'économies au niveau de la santé, etc., consommation de médicaments, justice, services de la justice.
Est-ce que vous pensez que le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, dont la mission est de veiller à l'ensemble de l'application de la lutte à la pauvreté, est-ce que vous pensez que c'est la meilleure place à notre Assemblée nationale, dans le gouvernement, que ce soit dans ce ministère-là? Parce que dans le fond ce que vous soulevez, là ? et c'est un des problèmes du ministre, là ? c'est que c'est les autres ministères qui font l'économie des actions qu'il peut poser en tant que ministre dans son ministère à lui, là. Vous voyez un petit peu le problème, c'est que, quand le ministre de la Santé sauve de l'argent, ce n'est pas sûr que ça va revenir dans sa cagnotte, ça va aller dans le fonds consolidé, peut-être, on ne sait pas trop où. Mais qu'est-ce que vous proposez pour renforcer le rôle de n'importe quel ministre qui occuperait ce fauteuil-là? Parce qu'il semble y avoir des problèmes, de son côté, là.
Mme Gélinas (Isabelle): Bien, je ne sais pas comment ça se passe chez vous, mais, moi, chez nous, quand j'économise à une place, là, je réinvestis ailleurs.
M. Bouchard (Vachon): Et?
Mme Gélinas (Isabelle): Ça veut dire que, si j'ai à économiser, par exemple... Si je m'achète une voiture plus économique pour économiser sur l'essence, bien peut-être que je vais investir dans le culturel sur mes enfants. Ça veut dire que je pense que ça appartient au gouvernement, qui est cette belle grande famille, de réadministrer le budget aussi. C'est sûr que ça ne peut pas se faire du jour au lendemain parce que les conséquences, de un, c'est les conséquences à moyen puis à long terme. Malheureusement, les gouvernements sont élus seulement pour quatre ans, puis ils sont réélus... Mais je pense que, dans quatre ans, il peut y avoir des changements très significatifs.
Moi, j'ai des exemples terrains, moi, monsieur. Terrains. Quand je dis «terrains», là, moi, je... Il y a des jeunes autour de moi qui ont arrêté de consommer, par exemple, des drogues et de l'alcool. Ils faisaient ça, eux autres, là, puis ils en vendaient, puis... Bon. Ils faisaient des graffitis, ils pétaient des «tires». Bon. Ils se sont regroupés. C'est un réseau qui s'est fait naturellement. Bien, ces jeunes-là, ils ne pètent plus des «tires», ils ne font plus des graffitis, ils ne vont plus en justice, ils ne se ramassent plus à l'hôpital pour overdose.
C'est sûr que M. Béchard, pour l'instant, il a le budget qu'il a, là, je suis bien d'accord, mais, s'il y avait peut-être un réaménagement... Puis je ne vous dis pas de couper dans la santé, ce n'est pas ça que je vous dis, là, entendons-nous. Ce n'est pas une histoire qui se fait, là, dans un an, dans deux ans, dans trois ans, c'est un projet de société, puis je pense que c'est dans ce sens-là que tout le débat doit se faire, et d'une façon... Et c'est pour ça que le projet de loi n° 57, en soi, ce n'est pas que... On ne peut pas dire à M. Béchard: Yark! C'est mauvais, ce que vous avez fait là, là. Ce n'est pas ça. Mais c'est parce qu'avec le projet de loi n° 112, qui nous guidait pour tendre vers un Québec sans pauvreté, oui, on s'attendait à une réforme majeure de l'aide sociale, une réforme vraiment majeure, mais on s'attendait à ce que le public soit consulté, que les gens concernés soient consultés aussi, que celui qui reçoit de l'aide sociale soit consulté, que... À tous les niveaux, finalement.
M. Bouchard (Vachon): Autrement dit, M. le Président, ce que j'entends de votre part, c'est que le ministre serait plus convaincant encore auprès de ses collègues s'il y avait une véritable mobilisation de l'ensemble de la population.
M. Labonté (Henri-Paul): Oui. Moi, ce que je voudrais rappeler, c'est que la loi n° 112, c'est une loi-cadre, hein? Et donc ça touche l'ensemble des ministères. Si ça touche l'ensemble des ministères, ce n'est pas vrai que, si on sauve de l'argent dans les ministères, il ne doit pas retourner... On doit respecter, au sens et à la lettre, la loi n° 112 là-dessus. Et alors, ça, c'est le message que, moi, je fais parvenir à toute l'Assemblée nationale. C'est votre travail de faire respecter la loi n° 112 dans son ensemble et non pas à partir de principes de coupures budgétaires.
Le Président (M. Copeman): Alors, M. Labonté, Mme Gélinas, merci d'avoir participé, au nom de l'Association des groupes d'éducation populaire autonome, région Centre-du-Québec, à cette commission parlementaire.
Sur ce, j'ajourne les travaux de la commission sine die, mais j'avise les parlementaires, je suggère qu'on écoute attentivement les avis des commissions parce qu'il y a des indications qu'on serait appelés à siéger cet après-midi. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 29)
(Reprise à 15 h 20)
Le Président (M. Copeman): Ayant constaté le quorum, je déclare ouverte cette séance de la Commission des affaires sociales. Je vous rappelle le mandat: nous sommes réunis afin de poursuivre, selon l'ordre de la Chambre, la consultation générale et les auditions publiques sur le projet de loi n° 57, Loi sur l'aide aux personnes et aux familles.
Nous avons trois groupes, cet après-midi. Nous commençons avec, dans quelques instants, Projet Genèse, qui sera suivi par le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec, et nous allons terminer avec le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale. Je vous rappelle que l'usage des téléphones cellulaires est strictement interdit dans la salle et je prierais ceux qui en font l'usage de les mettre hors tension.
Alors, Mme Laine, comme membre du conseil d'administration du Projet Genèse, on vous souhaite la bienvenue. Et je vais brièvement vous rappeler les règles du jeu: Vous avez une période maximale de 20 minutes afin de faire votre présentation qui sera suivie par un échange avec les parlementaires d'à peu près 20 minutes de chaque côté de la table. Sans plus tarder, je vous prierais de présenter les personnes qui vous accompagnent et de débuter immédiatement votre présentation. I can repeat it if it's of any assistance, Mrs. Laine.
Projet Genèse
Mme Laine (Daren): Ça va. Merci beaucoup. Je m'appelle Daren Laine, de Montréal, et nous sommes très heureux d'être ici avec vous, cet après-midi. Et nous sommes du Projet Genèse, de Côte-des-Neiges, de Montréal. Et, ici, j'ai John Kinloch ? oui, c'est ça ? et aussi ici, c'est Denyse Lacelle, du Project Genesis, et, moi, Daren Laine.
Je veux commencer avec un petit mot du Project Genesis. En anglais, ça va?
Le Président (M. Copeman): With pleasure, madam.
Mme Laine (Daren): Merci beaucoup. Project Genesis is a grass-roots community organization founded in 1977 in Côte-des-Neiges, in Montréal. Almost half of its residents are under the poverty line. Project Genesis's main purpose is to help people who suffer from the horrendous pressures of poverty.
The organization consists of a network of store-front advisors, community organizers and volunteers. The store-front advisors help people with their immediate problems. The community organizers are in charge of organizing committees and are helping residents in Côte-des-Neiges advocate for changes in the law. They work on both local community issues and on government law issues.
In my case, I am, I was on welfare for 20 years, and my situation now is that I live in an HLM ? I'm one of the fortunate few in Québec who does ? and one of my major problems is medication, paying for medication, and also the transportation fees. I live 6 km from the food bank, 8 km from my CLSC and 10 km from the welfare office. The problem with the transportation situation is the $60 a month under $533, it's a tremendous amount of money. And, when I have an appointment at the doctor's and I have to pay for medication, it's very difficult for me and sometimes I can't afford the transportation to go to the doctor's. But doctors don't understand a person not having transportation to come to their offices. So, it's very difficult to have doctors' appointments. And the other problem is going to the welfare office. It's very difficult if you don't have any... if I don't have any transportation or people in my area, since we live so far from the welfare office. And, our CLSC, we seldom use it because it's so far away and we can't use their services.
When I speak for myself, as I said, I'm one of the luckier ones, but, in my neighborhood, on my street of Décarie where I live, there's many one... apartments and they run around $480 to $490 a month. So, of course, they will not buy any bus passes or any bus tickets to go to any facilities that will help them. Many of them are in need of Rental Board services and they're unable to use them because it costs $60 for an application. And the other thing is, it's at Pie IX Metro, which is many miles... I don't know how many miles, but very, very, very far from us, and, without a transit system, use of the transport system, they're not able to go.
One of the main problems is the problem of indexation. If we had had indexation, we would not be at $533 today, we would be at $737. I'm also on the Québec Pension Plan because I'm over 60 years old, and I know the Québec Pension Plan indexes us a few times a year. And, if the Québec Government understands that indexation is important to senior citizens, they must also understand that it's important to other citizens in Québec, especially those who are the most poorest: living on $533 a month is not a possibility, as I think anyone would understand.
And the second thing that's happened, the Liberals, when they were campaigning during the election, had promised with Bill 57... was to eliminate the Medical Prescription Plan whereby the... Every time a welfare person has to pay for medication, they have to pay the extra $16 medical... the prescription plan insurance. And it can work up to a maximum of $200 a year. $16 out of $533, again, a month is a tremendous amount of money.
When I lived in private housing, 12 years ago, before I was accepted into the HLM, I was paying 80% of my welfare income for rent and Hydro. Now, a situation that arose after I came into the HLM and, fortunately, I was not a victim of, but the persons who shared their apartment were deducted $50 if they shared their apartment with another person. And anybody who's paying 80% of their welfare check a month for rent certainly would want to be able to share their rent, and to be penalized $50 a month was a tremendous amount of money. But, fortunately, Project Genesis and other organizations were able to convince the Government that this $50 was a terrible penalty to pay and were able to have it eliminated.
n(15 h 30)n Now, under Law 57, there's something that's twice as bad and that is deducting $100 from people who live with their parents. The argument, I think, the minister used here ? I think he's present ? is ? to paraphrase you ? that he would prefer to see people working and that the welfare check should not be as high as a minimum-wage earner. I would put it another way and say that a wage earner should not earn as little as a welfare recipient, which they do do.
But being on welfare is still not your choice. There are many people who would rather work at minimum wage, as we do know in my neighborhood, who even have two jobs at minimum wage rather than be on welfare. If there had been an indexation today, the minimum wage would be much higher also. So, there has been a discrimination against the people who are very poor, and they have suffered greatly by not being treated as any other citizen in Québec by not having an indexation. For instance, in 1980, I was on a welfare workers' program and I was getting $8 an hour; today, the minimum wage is $7.50 an hour.
So, I would just like to conclude by saying that, between the problem of indexation never being taken into account, the... and there is discrimination suffered against the people who are very poor and also the discrimination against poor people where they're not able to take advantage of looking after themselves medically because they have the Prescription Drug Plan that they are forced to pay for at the moment. Thank you very much for your attention.
Le Président (M. Copeman): Thank you, Mrs. Laine. Mme Lacelle.
Mme Lacelle (Denyse): Oui. En résumé, donc il y a, quand on est à l'aide sociale, toute une série de problèmes auxquels on doit faire face puis que Daren, je pense, a présentés avec beaucoup de simplicité et de clarté. Maintenant, le Parti libéral a été élu il y a un peu plus d'un an, et, comme, semble-t-il, ça devient une coutume à chaque fois qu'un parti reprend le pouvoir, il entreprend non pas de régler les problèmes à l'aide sociale, mais de faire une réforme qui bien souvent a l'inconvénient juste de ne rien arranger, et c'est encore ce qu'on constate présentement.
Donc, la réforme qui est sur la table présentement ne règle rien au niveau des prestations, qui est totalement insuffisant, n'inclut pas, à l'intérieur du projet de loi, l'indexation des prestations. Je sais que c'était dans la stratégie qui a été déposée au printemps, mais les stratégies ont cet inconvénient de pouvoir être changées, tout comme les règlements d'ailleurs, très facilement, d'où l'insistance, depuis le début de cette commission, de nombreux intervenants et de nombreuses intervenantes pour dire: Le principe de l'indexation devrait être inclus à l'intérieur de la loi pour donner ce minimum d'assurance aux prestataires de l'aide sociale. Donc, deux problèmes importants.
Le troisième qui vous a été ramené également par de nombreuses personnes, c'est que le projet de loi n'est pas à la hauteur des prescriptions de la loi n° 112 adoptée il y a quelque deux ans. La dernière fois qu'on est venus ici, en commission parlementaire, c'était pour commenter le projet de loi n° 112, lequel depuis a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, bien que loin d'être à la hauteur de nos aspirations et surtout des aspirations de ceux et celles impliqués dans le collectif à l'époque pour une loi sur l'élimination de la pauvreté, devenu depuis le Collectif pour un Québec sans pauvreté.
La loi n° 112 a le mérite d'exister et de fixer des objectifs à atteindre. Maintenant, ces objectifs, pour avoir quelque impact dans la vie des gens, doivent être accompagnés de mesures concrètes. On aurait pu espérer que, tant qu'à déposer un projet de loi sur l'aide sociale, ce projet de loi vienne concrétiser les espoirs qu'a permis la loi n° 112, notamment les espoirs qu'on retrouve prévus aux articles 6 et 7, où est-ce qu'on parle de promouvoir le respect et la protection de la dignité des personnes, de réduire les inégalités, d'améliorer la situation économique et sociale des personnes et des familles, de renforcer le filet de sécurité sociale, de favoriser l'accès à l'emploi, et ainsi de suite. Donc, on a, dans la loi n° 112, une série d'objectifs auxquels malheureusement le projet de loi actuel ne vient pas donner des moyens de se concrétiser. Alors, c'est avec déception que nous recevons le projet de loi n° 57, à ce titre.
Par ailleurs, ce qui est prévu là-dedans, de même que dans la stratégie et dans le budget déposés au printemps dernier par votre collègue M. Séguin, ne vient régler aucune, non plus, des difficultés qu'ont les prestataires à obtenir le soutien dont ils et elles ont besoin de la part d'Emploi-Québec, dont les budgets font face... On est loin de la situation ? quelqu'un l'a mentionné il y a quelques semaines ? de cafouillage qui avait suivi le rapatriement des fonds du fédéral, mais il n'en reste pas moins que, cafouillage ou pas, Emploi-Québec est incapable d'offrir des mesures pertinentes suffisantes à l'ensemble des prestataires qui cherchent des moyens d'améliorer leur situation et de réintégrer le marché du travail. Donc, on n'a rien, dans le projet de loi, qui permette d'améliorer ça, bien au contraire.
Par ailleurs, on a un certain nombre d'autres préoccupations relatives à ce projet de loi. La première concerne la mesure sur la saisie des chèques en cas de non-paiement des loyers. C'est une mesure à laquelle nous nous étions opposés avec férocité lors de son introduction, en 1996, par le gouvernement du Parti québécois, sous la direction, à ce moment-là, de Mme Harel. C'est une mesure qui introduit des principes de discrimination sans précédent entre les citoyens et citoyennes du Québec prestataires de l'aide sociale ou pas prestataires de l'aide sociale. C'est une mesure qui contrevient aux dispositions du Code civil sur les saisies, lesquelles prévoyaient à l'époque qu'un montant de 516 $ était, en 1996, indispensable et donc qu'aucun revenu ne pouvait être saisissable en deçà de ce montant, qui n'est pas indexé, là, c'est presque une prestation totale. Alors, pourquoi est-ce que le gouvernement se donne le moyen, le droit de faire indirectement ce qui directement est interdit par la loi? On vous annonce que, si vous n'avez pas la brillance d'esprit de faire comme M. Boisclair et de ne pas appliquer ça, mieux encore de retirer ça, cette mesure-là, on va la contester devant tous les tribunaux possibles, parce que c'était de la discrimination telle qu'interdite clairement par notre charte.
Autre problème. La situation des personnes assistées sociales est difficile. Chaque personne vit dans l'angoisse à chaque fois qu'il arrive une enveloppe dans la boîte à malle avec la petite fleur de lys du gouvernement du Québec et le nom du ministère, que le nom du ministère n'arrête pas de changer de nom, mais tu t'inquiètes: Est-ce que ça va être ton chèque puis que tout est correct, ou est-ce qu'il va y avoir ton chèque puis il en manque un morceau, ou est-ce que ça va être une convocation au bureau pour tu ne sais pas quoi?
Être à l'aide sociale, c'est vivre constamment dans l'inquiétude. Cette inquiétude-là est renforcée par le fait que l'agent que tu rencontres, lequel a à se débattre avec un ordinateur dont il ne comprend pas toujours le fonctionnement, l'agent que tu rencontres donc a un pouvoir tellement fondamental. C'est cette personne-là qui va décider si, oui ou non, tu vas être capable de payer le loyer, acheter à manger, payer des bottes d'hiver aux enfants quand arrive l'hiver, payer le matériel pour l'école quand arrive la rentrée scolaire, bref c'est cette personne-là qui décide si tu arrives ou si tu es dans une situation que... dans la marde, quoi.
C'est important, dans ce contexte-là, d'avoir l'assurance qu'on a des recours, que, s'il y a une décision qui est prise qui est erronée parce qu'on s'est mal fait comprendre, parce que n'importe quoi... C'est important d'avoir des recours. Le projet de loi affaiblit les recours, déjà minces, dont bénéficient les prestataires d'aide sociale. Le projet de loi prévoit toute une série de programmes à être déterminés par le ministre pour des cibles qu'il détermine où est-ce qu'on ne prévoit pas explicitement de recours. Le projet de loi maintient le droit d'aller en révision, mais, pour une raison obscure, fait disparaître le fait que les agents réviseurs deviennent du bureau de révision. Est-ce que c'est parce qu'on veut abolir le bureau de révision? Est-ce que c'est parce qu'on veut amalgamer toutes les possibilités de recours avec la réforme du droit administratif qui est prévue par un autre projet de loi, lequel a réduit par ailleurs le nombre d'assesseurs au Tribunal administratif du Québec? Bref, c'est quoi, l'intention? C'est très, très, très inquiétant.
Par ailleurs, le ministre affirme, depuis le début de la commission parlementaire, que, s'il abolit le Bureau des renseignements et des plaintes, c'est pour le remplacer par quelque chose. Bien, ce serait intéressant que le quelque chose soit prévu dans le projet de loi, sinon, nous, ce qu'on lit, c'est juste qu'il est aboli. Point.
n(15 h 40)n Ce bureau est intéressant, il est important, il est fondamental pour les personnes, parce que c'est la seule place où tu peux téléphoner pour avoir des informations sur la loi, sur tes droits sans qu'on te demande ton numéro de dossier puis ton nom. C'est important, ça. Si je demande à mon agent: C'est combien exactement que j'ai le droit d'avoir comme gain de travail? Je risque de me faire demander: Ah! Pourquoi, as-tu commencé à travailler? Et là ça enchaîne toute une série de soupçons, d'enquêtes et d'investigations. Alors qu'au Bureau des renseignements et des plaintes tu peux téléphoner pour t'informer, puis on va te répondre, selon ta situation, si c'est 200 $ ou pas. C'est important de préserver cette instance-là qui n'est pas ton agent, qui est neutre, qui donne l'information, point. Ça fait que le ministre, s'il veut nous rassurer, a avantage à modifier et à amender le projet de loi pour inclure par quoi il entend remplacer le Bureau des renseignements et des plaintes, sinon on va continuer à dire qu'il y a un problème majeur là.
Ensuite, là aussi où est-ce qu'on est déçus par le projet par le projet de loi, c'est qu'il y a une série d'annonces qui ont été faites par le gouvernement, au niveau de l'amélioration notamment des biens et des avoirs liquides que peuvent conserver les prestataires, au niveau de montants de pension alimentaire que pourraient conserver les prestataires aussi. Bref, on nous a annoncé toutes sortes de belles choses. On y fait référence vaguement dans le projet de loi, mais on renvoie le tout au règlement. Alors, y aura-t-il des bonnes nouvelles ou pas pour les personnes assistées sociales? On aimerait ça, le savoir, parce qu'autrement que ça, ça reste des promesses, puis on voit ce que vous faites avec vos promesses, vous êtes pareils comme tous les gouvernements: on promet des choses en campagne électorale puis après ça on les reporte, on les reporte, on les reporte. Je fais référence ici au retour à la gratuité pour les médicaments, par exemple. Chez le précédent gouvernement, ça a pris deux mandats pour abolir la coupure pour partage de logement, qui était pourtant un engagement pas dans leur deuxième mandat mais dans le premier. On espère que l'actuel gouvernement ne sera pas aussi long à mettre en application ses promesses électorales.
Ensuite et finalement, l'autre aspect du projet de loi qui, pour nous, n'a pas sa place et qui doit être retiré absolument, ce sont les articles 17, 48 et 74 qui ouvrent la porte aux partenariats public-privé de Mme Jérôme-Forget à l'aide sociale. Pour nous, ça n'a pas sa place ni pour remplacer n'importe quoi au gouvernement et surtout pas pour remplacer l'aide de dernier recours. Ce que ça dit, dans le projet de loi, c'est que, si le gouvernement, si le ministre en fait conclut une entente avec une personne ? il y a une liste assez intéressante ? une association, une société ou un organisme pour soit fournir des soutiens à la réinsertion en emploi, pour fournir des programmes, pour fournir des prestations spéciales, bien le ministre va être réputé les avoir versés sans les avoir versés parce qu'il va avoir conclu une entente avec quelqu'un d'autre.
Ce que ça veut dire, ça, par exemple, c'est que, si j'ai un bébé, j'ai le droit à une prestation spéciale pour m'aider pour acheter le lait maternisé ou pour m'aider à manger mieux pendant que j'allaite. C'est intéressant, c'est un droit, il n'y a pas de questions là-dessus. Tu n'as pas besoin de faire des prières à ton agent d'aide sociale pour qu'il te l'accorde, c'est inscrit. Tu es dans cette situation-là, tu as le droit à une prestation spéciale. Avec le projet de loi, tel qu'il est là, avec les articles tels qu'ils sont là, le gouvernement pourrait, je ne sais pas, moi, convaincre une grande chaîne de pharmacies de faire des dons massifs de lait maternisé aux banques alimentaires, et, plutôt que de me verser mon 50 $, il va me dire: Bien, voici un petit coupon, va à la banque alimentaire de ton quartier, puis ils vont te donner le lait maternisé. C'est ça que ça ouvre. C'est ça, un PPP, à l'aide sociale. Puis ça, c'est ne pas respecter la dignité des personnes, c'est ne pas respecter l'esprit de la loi qui veut qu'on te vienne en aide quand tu en as besoin, puis après ça, comme tout le monde, tu peux partir à la pharmacie acheter la marque de lait maternisé que tu veux. Tu n'es pas obligé de... Tu peux aller à la pharmacie à côté de chez vous plutôt que de traverser la ville pour aller à une banque alimentaire. Donc, ça, cette dimension-là, pour nous, de privatisation de l'aide sociale, c'est absolument à retirer. J'ai...
Le Président (M. Copeman): Mme Lacelle, malheureusement le temps est écoulé...
Mme Lacelle (Denyse): Oh!
Le Président (M. Copeman): ...le temps de présentation, même dépassé légèrement. Alors, M. le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.
M. Béchard: Oui. Merci, M. le Président. Mme Lacelle, Mme Laine, M. Kinloch, merci de votre présentation, de votre présence.
J'entends un certain nombre de commentaires que j'entends depuis le début des audiences, et ce n'est pas parce qu'on les répète que... Moi, je pense qu'il faut faire attention. Il ne faut pas qu'il y ait d'exagérations. Quand on est rendus à laisser entendre qu'on pourrait privatiser l'aide sociale, là, je vous dirais que ça va un petit peu loin.
L'autre élément, je vous dirais aussi que, quand vous parlez des montants de prestations, il n'y en a pas actuellement dans la loi, de montants de prestations. Ce n'est pas là, puis ça va dans un règlement parce que ça évolue, et on n'a pas à réouvrir la loi à chaque fois. Et, quand il y a un règlement, il y a une prépublication. Même là, on l'annonce, le règlement, avant de le prépublier, comme on a fait la dernière fois.
L'autre chose que vous amenez au niveau du Bureau des renseignements et plaintes, là, dans la loi, là, je l'ai relue et il n'est pas inscrit que je vais abolir le Bureau des renseignements et plaintes. On a modifié l'article pour dire qu'on devait prendre... «Le ministre [doit prendre] les mesures nécessaires afin d'assurer la qualité des services offerts. Il doit également établir un processus de cheminement et de traitement des plaintes relatives aux matières visées par la présente loi. Toute personne peut s'adresser au ministre en vue d'obtenir de l'information sur toute matière visée par la présente loi...» Le téléphone que vous faites actuellement pour avoir ces informations-là, vous allez pouvoir continuer de le faire, et ça va être le Bureau de renseignements et plaintes. Il n'y a pas de volonté d'abolir le Bureau de renseignements et plaintes. On veut simplifier la loi, on veut avoir plus de souplesse dans la loi.
Mais il y a un point sur lequel vous m'avez intéressé beaucoup, c'est que vous... Et on reviendra sur la couverture des besoins essentiels, là, par rapport à la loi n° 112, parce que j'en comprends que vous n'êtes pas d'accord non plus avec la loi n° 112 parce que la loi n° 112 ne parle pas de couverture de besoins essentiels. Ce n'est pas de ça qu'elle parle. Et je veux juste, sur un... Quand vous parlez des agents et de la souplesse, et tout ça, vous êtes... C'est parce que, d'un côté, on a un discours où on nous demande d'avoir plus de souplesse, une meilleure loi. D'un autre côté, vous me dites: Dans le fond, on ne peut pas faire confiance aux agents. Il faudrait avoir, là, des critères tellement stricts pour être sûrs, là, qu'il n'y a à peu près pas de place à interprétation de quoi que ce soit. Est-ce que c'est ça que vous... Parce qu'au niveau des agents vous avez l'air à me dire, là, qu'il y a des problèmes à ce niveau-là. J'aimerais ça vous entendre là-dessus.
Mme Lacelle (Denyse): D'une part, on a eu une période ? puis ça change tout le temps ? où est-ce que chaque prestataire avait son agent d'aide socioéconomique qui s'occupait de vérifier, là, la quantité de personnes dans la famille, puis est-ce qu'on est bien dans la bonne catégorie, puis est-ce qu'on a bien le bon montant de chèque. Puis, en créant Emploi-Québec, c'est ce qu'on a fait et par ailleurs des agents d'aide au niveau de la formation et de la réinsertion en emploi. Donc, tu ne parles pas à la même personne, et ça, c'est une bonne chose et c'est un principe à maintenir.
Maintenant, sur la souplesse, ça dépend de quoi on parle. On a connu une période où on avait des programmes précis. C'était le cas avec la loi introduite par votre gouvernement dans la dernière époque où est-ce qu'il y avait des programmes: il y avait les programmes EXTRA; il y avait Rattrapage scolaire; il y avait Retour aux études postsecondaires pour les chefs de familles monoparentales; il y avait les bons d'emploi, bref une série d'affaires précises où est-ce que les prestataires avaient une idée de ce qui était disponible et pouvaient intervenir auprès de leur agent en disant: Regarde, moi, je n'ai pas fini mon secondaire V. Rattrapage scolaire, je pense que ce serait une bonne idée. Tu peux-tu me trouver une place là-dedans? Certains programmes étaient excellents, et c'était le cas notamment du Retour aux études postsecondaires pour les jeunes mères. Celui-là par ailleurs était coûteux, ça fait qu'il n'y avait tellement pas de monde qui y avaient accès qu'il n'y a même pas d'évaluation du taux de succès du programme. Tout ça pour dire qu'il y avait quelque chose de clair.
Depuis, on a un flou artistique où est-ce que tu as toutes sortes de mesures possibles. Personne ne les sait exactement. Tu as toujours le sentiment que, tu sais, entre moi puis elle, puis elle, là, on peut arriver avec des mêmes intérêts mais on va avoir un traitement différent selon la perception que l'agent a de nos besoins. Ça, c'est une difficulté. Alors, nous, on trouve ça intéressant qu'il y ait des programmes qui soient clairs, qui soient définis. Après ça, qu'il y ait les possibilités d'ajuster des programmes puis d'introduire de la souplesse, c'est correct, mais à partir de quelque chose, pas à partir du flou total. Ça, c'est une des choses.
Par ailleurs et ça m'amène à vous parler de la division... des catégories supplémentaires de programmes que vous instituez avec le projet de loi. On avait déjà la catégorie «apte» et «soutien financier». Vous introduisez maintenant un programme à part pour les jeunes, Alternative jeunesse, et vous ouvrez la possibilité à d'autres catégories de programmes en fonction de clientèles cibles définies par le ministre. Ça aussi, c'est inquiétant. C'est comme... Qu'est-ce qui t'est assuré, sur quoi tu peux compter dans la vie? C'est important de savoir ça, d'une part.
Par ailleurs, quand il y a des programmes qui sont bons... Et vous avez mentionné avec raison le programme, par exemple, qui permet l'alternance études-travail, c'est vrai que c'est un bon programme. Mais pourquoi à partir de 24 ans tu n'y as plus droit? Pourquoi ce ne serait pas un programme qui est là de réinsertion à l'emploi, qui puisse s'appliquer à toute personne à qui ça convient? La jeune mère de 27 ans que son jeune, son bébé, vient de rentrer à l'école, ça pourrait l'intéresser, elle, alternance études-travail. Pourquoi elle n'y aurait pas droit?
On peut-u avoir quelque chose qui est là, une boîte à outils qui est connue des gens, quitte après ça à adapter à une situation précise: Est-ce qu'on peut rentrer en janvier plutôt qu'en septembre? Est-ce qu'on peut adapter le remboursement des frais de transport au fait que, bon, tu sais, tu n'as pas exactement le bon kilométrage par rapport à la distance où tu es supposé d'aller mais tu as un handicap, tu as un problème avec ton dos? Bien, on peut-u prendre ça en considération puis te l'accorder pareil? D'accord pour ce genre de souplesse là. C'est important de le faire, puis c'est ce genre de technicalité qui induit à juste titre la critique des programmes mur à mur. Mais, de passer du mur-à-mur au total arbitraire, ce n'est pas une amélioration puis c'est ça qu'on craint.
Par ailleurs, vous m'avez...
M. Béchard: Mais... Oui. Est-ce que je peux poser...
n(15 h 50)nMme Lacelle (Denyse): ...appelée à ne pas exagérer sur la privatisation de l'aide sociale. Bien, moi, je le lis, hein: «Le ministre peut également conclure des ententes avec des personnes, associations, sociétés [...] afin de favoriser la mise en oeuvre de ces programmes...» Bien là, c'est quoi qu'on dit? «Le ministre[...], s'il a conclu une entente avec une personne, une association [...] afin de couvrir autrement le besoin qui nécessite une prestation spéciale, ne pas verser le montant de cette prestation.» C'est privatiser l'aide sociale. Je ne vous accuse pas de vouloir confier l'aide sociale à Power Corporation, peut-être à des organismes communautaires, mais c'est privé pareil, quoique sans but lucratif.
M. Béchard: Oui. Merci de votre longue réponse. Je veux juste revenir sur les programmes jeunesse. Vous vous rendez compte que tout ce que vous venez dire là, pour faire ça, là, ça prend de la souplesse parce que je ne peux pas revenir ici changer la loi à toutes les fois qu'on va changer un programme ou changer quelque chose qu'on veut offrir. Par exemple, là, si je le mets dans la loi que conciliation travail-études, là, c'est 16-24 ans, à un moment donné, si on se dit que ça pourrait marcher pour les 16-30, il va falloir revenir ici modifier la loi?
C'est parce que je pense qu'il y a une petite tendance à l'exagération côté de la souplesse totale. Ces programmes-là sont de base, basés... il n'y a pas... On ne coupe personne, on a enlevé les pénalités. Ça, personne... J'ose imaginer que vous trouvez que c'est une bonne nouvelle, que c'est une bonne idée. Mais j'imagine effectivement qu'on passe plus rapidement sur les points positifs que sur les points négatifs. Mais, sur les programmes, là, comme conciliation travail-études, Ma place au soleil, Solidarité jeunesse, on part de la prestation de base. C'est le même régime pour tout le monde à la base, et après on offre des options selon les besoins. On n'enlève rien, il n'y a pas... Et même, dans certains cas, moi, je vous dirais que, sur travail-études, peut-être. C'est un projet pilote, on essaie. Il y a de très bons résultats présentement; il deviendra peut-être un programme permanent. Et peut-être qu'on élargira les âges, mais, pour faire ça, ça prend un certain niveau de souplesse. Alors, c'est pour ça qu'il y a un peu le paradoxe, là, de l'entre-deux.
Mais je veux aussi vous entendre sur la couverture des besoins essentiels. Parce que, quand je disais, par rapport à la loi n° 112, là... Moi, quand on me dit que le projet de loi n° 57 ne correspond pas à la loi n° 112, je dirais qu'il ne correspond peut-être pas à ce qu'on voudrait de la loi n° 112 ou ce qu'on souhaiterait entre autres au niveau de la prestation des besoins essentiels. Mais ce n'est pas parce qu'il ne correspond pas au même niveau de prestation qu'on souhaiterait qu'il n'est pas dans l'esprit de 112. Au niveau des articles 6 et 7 entre autres, prime à la participation, les programmes qu'on veut offrir pour aider les gens à s'en sortir, sans pénalité s'ils refusent, de façon volontaire, dans mon esprit, moi, ce n'est pas loin de la loi n° 112. Alors, je comprends qu'il peut y avoir certaines zones grises, mais, en bout de ligne, il faut faire attention. Et il y a peut-être certains... Moi, je l'ai dit, il y a des amendements qu'on peut apporter, il y a des choses qu'on peut faire pour clarifier et éviter qu'il y ait des mésententes, mais je ne crois vraiment pas qu'on soit si loin que ça de la loi n° 112. Je suis d'accord avec vous, je voudrais peut-être... La loi n° 57, d'abord, c'est une loi. On ne peut pas tout régler dans une loi, tout d'un coup, là, dire que la prestation, on va la prendre là puis on la met là en dedans de six mois. On ne peut pas réparer en six mois les neuf dernières années, mais je vous dirais que je pense que c'est un pas dans la bonne direction.
Alors, je veux vous entendre un peu sur la couverture des besoins essentiels, vous la voyez à quel niveau: Au niveau d'indexation qu'il aurait dû y avoir depuis quelques années puis qui était à zéro? Au niveau, comme on nous a proposé ce matin, là, de tripler la prestation de base? À quel niveau vous la voyez, vous, la couverture des besoins essentiels?
Mme Lacelle (Denyse): Tout d'abord, répondre à votre commentaire précédent: On ne vous demande pas, M. le ministre, d'introduire à l'intérieur de la loi les programmes qui pourraient être offerts par Emploi-Québec; ce ne serait effectivement pas une bonne idée. Ce que je veux vous faire comprendre, c'est que, en introduisant dans le projet de loi plusieurs catégories de prestataires, on laisse croire donc, si on prend la peine de préciser ces catégories, qu'il y aura des traitements différents en fonction des catégories, sinon c'est inutile de les préciser. Alors, c'est pour ça qu'on attire votre attention sur la nécessité d'offrir des programmes et des services à tout le monde, indépendamment de la catégorie dans laquelle on veut bien les classer. C'est pourquoi cette multiplication de catégories dans le projet de loi nous inquiète. C'est la première des choses.
Deuxièmement, sur les besoins essentiels. En 1996, en annexe de son livre vert, Mme Harel faisait un calcul un petit peu rapide de c'était quoi, les besoins essentiels pour une personne seule. Elle oubliait plusieurs aspects: elle oubliait des bouts de transport, elle oubliait l'assurance médicaments qui était, qui venait d'être introduite par son gouvernement. Bref, elle oubliait toutes sortes d'affaires. Mais, malgré ces oublis, elle parlait de 667 $ par mois. Ça monterait, si ça avait été indexé, ça, ça monterait à 782 $ par mois présentement, toujours en oubliant les 16 $ d'assurance médicaments, les frais de transport, et ainsi de suite. Donc, ça vous donne une indication.
Sur la non-indexation, vous avez un petit tableau à la page 6, je pense, de notre mémoire, qui fait état de la non-indexation non pas seulement depuis neuf ans, mais depuis 1988. Donc, juste rattraper ça, il faudrait augmenter les chèques de 208 $ par mois tout de suite, ce qui serait possible d'ailleurs si on décidait de consacrer à l'aide sociale une partie du milliard en baisses d'impôts promis par le gouvernement. Ça permettrait d'avoir cet argent-là drette là.
M. Béchard: ...
Mme Lacelle (Denyse): Oui. Ce n'est pas tout allé là, entre vous puis moi. Mais, une chose certaine...
M. Béchard: Bien, c'est 550 millions de Soutien aux enfants, 220 millions de Prime au travail, et, moi, je me plais souvent à le dire: S'il n'y avait pas eu cet engagement-là au niveau des baisses d'impôts et diminution du fardeau fiscal, il n'y aurait pas eu de plan de lutte à la pauvreté, il n'y aurait pas de Programme de soutien aux enfants.
Mme Lacelle (Denyse): En tout cas, sur cette question, le Projet Genèse a salué la décision du gouvernement de ne pas livrer sa promesse de baisser les impôts de 1 milliard l'année passée. On encourage le gouvernement à aller de l'avant avec le report de ça. On a besoin de ces milliards-là pour faire face aux dépenses auxquelles on est confrontés. On trouve beaucoup plus important d'investir dans les programmes sociaux que de baisser les impôts encore. Et on a invité le ministre des Finances, en consultation prébudgétaire l'année passée, à oublier cette promesse-là qui compromet la capacité de l'État d'intervenir dans les champs qui lui sont dus. Donc, sur la prestation de base, c'est ça: donc, un minimum de 782 $ nous ramènerait au taux d'aide sociale qu'on avait en 1988 lors de l'adoption de la loi 37 par le gouvernement libéral.
Maintenant, l'autre aspect sur lequel on voulait attirer votre attention, puis John voulait le faire, c'est sur le montant de la prestation et... bon, on sait que c'était hors d'ordre, mais sur le projet de règlement que vous avez déposé pour modifier la loi actuelle sur l'aide sociale et la coupure. Tu veux y aller?
M. Béchard: Juste avant que vous ne commenciez, surtout que vous changez de sujet, là, en dehors de la loi, j'ai un Conseil des ministres spécial, à 4 heures, de quelques minutes. Alors, je demanderais une suspension et je reviendrai dans quelques minutes.
Le Président (M. Copeman): Alors, on va suspendre quelques instants afin de permettre à M. le ministre d'assister à un Conseil des ministres spécial. Ça ne devrait pas tarder.
Alors, je suspends les travaux de la commission quelques instants.
(Suspension de la séance à 15 h 58)
(Reprise à 16 h 10)
Le Président (M. Copeman): Alors, la Commission des affaires sociales reprend ses travaux. Et malheureusement, au moment où on a été obligé de suspendre, je pense que M. Kinloch voulait ajouter quelque chose. Est-ce que c'est toujours... Non, ça va? Je sais que le député de Saint-Jean aimerait intervenir, alors allez-y, M. le député.
M. Paquin: Merci, M. le Président. Mesdames messieurs, bienvenue. Bienvenue à la commission parlementaire. Moi, j'aurais une question à poser à Mme Lacelle, parce que c'est madame qui a abordé le sujet tantôt, une question qui est excessivement délicate, M. le Président, je tiens à le préciser. Mais je crois qu'il faut en parler parce que, dans la population en général, on parle de cette chose. On en parle d'ailleurs depuis plusieurs années puis on en parle régulièrement, et récemment j'ai rencontré des gens à mon bureau qui m'ont parlé à différentes journées. Il y a des gens qui avaient des idées différentes sur le sujet, et je veux parler de la fameuse saisie des chèques pour les gens qui ont la sécurité du revenu ou bien du fait que, s'ils ne paient pas leur loyer ? et là je sais que c'est très délicat ? le propriétaire qui leur a loué un logis n'a pas de recours directement.
En fonction de qu'est-ce que j'entends, là... Je veux qu'on me comprenne bien puis je tiens à préciser que je suis parmi ceux ? et je pense que c'est la majorité des Québécois et des Québécoises ? qui sont favorables à ce que les gens les plus démunis du Québec reçoivent de l'aide au maximum possible, bien entendu en fonction des moyens qu'on a. Mais l'interrogation que j'ai, pour avoir entendu certains intervenants dans mon coin... Ils disent un peu ceci: Le fait qu'il y a une pénurie de logis, le fait qu'il n'y a pas assez de loyers à prix modique ? malgré que le gouvernement en a annoncé 16 000 nouveaux, je crois, là, récemment, qui est au-delà de qu'est-ce qu'on avait promis dans notre programme électoral ? le fait qu'il y ait une pénurie de loyers, les gens qui sont sur la sécurité du revenu ont de la difficulté à se trouver un logis, et il paraîtrait ? je dis bien «paraîtrait» ? qu'une partie de cette difficulté-là vient du fait que les propriétaires ne sont pas trop, trop incités à leur louer le logis parce qu'ils n'ont pas de recours si jamais il arrive un non-paiement.
Il faut bien comprendre que, moi, dans mon esprit, ce n'est pas parce qu'on est sur la sécurité du revenu qu'on ne paie pas notre loyer. Je veux bien comprendre ça, mais on sait tous qu'il y a un pourcentage de gens qui abusent de ça. Ce n'est pas le fait qu'ils sont sur la sécurité du revenu, hein, c'est le fait que la façon d'agir ou la façon qu'on paie nos choses, ça ne va pas à l'épaisseur de notre porte-monnaie selon moi, mais loin de là.
Comment voyez-vous ça, vous? Est-ce que c'est possible que les gens qui sont pénalisés parce que malheureusement ils sont sur la sécurité du revenu puis qu'ils ont une difficulté à trouver un logis parce que l'autre partie, qui est le propriétaire, dit: Bien, écoutez, moi, là, j'ai de la misère un peu avec ça, malgré qu'ils n'ont pas le droit de refuser, c'est bien clair, là... Je pense que c'est bien clair, mais apparemment qu'il y a toutes sortes de méthodes qu'ils emploient. Puis je ne sais pas... je ne les approuve pas, loin de là, mais, par contre, d'une autre façon, quand on parle que c'est discriminatoire, est-ce qu'on le regarde des deux façons?
Avez-vous un moyen à nous suggérer qui améliorerait cette situation-là due au fait, je l'ai bien expliqué, là, qu'il y a une pénurie de logis, due au fait qu'il y a des gens qui sont sur la sécurité du revenu qui doivent aller vers des propriétaires indépendants pour avoir des logis? Comment est-ce que vous voyez ça? Avez-vous une suggestion? Parce que c'est beau qu'on en parle, puis on en parle, puis on en parle, puis on en parle depuis des années... Et c'est malheureux parce que la veuve et l'orphelin, là, ça existe au Québec. Moi, j'en suis très conscient et, je le dis, je ne suis pas le seul. Mais des fois elle est pénalisée parce que certaines personnes dans le système ont abusé, ils ont fait des choses incorrectes vis-à-vis des propriétaires, et c'est elle qui est pénalisée. Y a-tu un moyen de s'en sortir de ça puis pouvoir avantager... premièrement, de pouvoir que le propriétaire paie son loyer, moi, je pense que c'est normal... qu'il reçoive son loyer, mais je pense que c'est encore plus normal que les personnes qui sont mal prises peuvent s'en trouver un, logis, par les temps qui courent.
Le Président (M. Copeman): Mme Lacelle.
Mme Lacelle (Denyse): Alors, je suis sensible, M. le député, à votre préoccupation puis au souci de vouloir protéger les personnes assistées sociales contre la discrimination que trop souvent elles subissent. C'était aussi un des arguments de Mme Harel lorsqu'elle a introduit cette mesure-là en 1996, ce qui nous a amenés à lui dire que, si c'était parce qu'elle nous aimait beaucoup qu'elle voulait nous traiter ainsi, on aimerait mieux qu'elle nous aime moins. Ça fait que je serais portée à répéter la même chose.
Il y a de la discrimination au moment de la recherche de logement, c'est évident, et, dans une période de pénurie comme nous vivons depuis trois, quatre ans, c'est encore plus le cas. Cela dit, la mesure qui est proposée par le gouvernement dans le projet de loi n° 57 n'est pas une solution. Ce que ça fait, c'est que ça assure le propriétaire qu'après avoir subi un non-paiement de loyer il va pouvoir ? peut-être en acceptant de garder le locataire fautif ? récupérer une portion de ce qui lui était dû et non pas l'entièreté. Dans bien des cas, c'était ce qui devait arriver de toute façon avec les dispositions qui avaient été mises sur la table à l'époque. Ça fait qu'on ne règle pas le problème, bien au contraire, en mettant de l'avant cette disposition de saisie des chèques. Tout ce qu'on fait à mon sens, c'est de jeter de l'huile sur le feu entre les propriétaires et les locataires, on ne règle pas le problème.
Maintenant, si on veut aider les locataires à se prémunir ou à pouvoir se défendre davantage face à la discrimination qu'ils rencontrent, comme d'ailleurs les personnes membres de minorités visibles, les personnes ayant une orientation sexuelle minoritaire ou les personnes qui ont de nombreux enfants... Bref, il y a beaucoup, beaucoup de situations qui nous amènent à vivre la discrimination, je ne pense pas que c'est une mesure qui règle le problème.
On pourrait cependant renforcer les pouvoirs d'enquête de la Commission des droits de la personne. On pourrait également sensibiliser les propriétaires au fait que peut-être qu'ils peuvent prendre en considération non pas le statut... la condition sociale des personnes, mais peut-être leurs références. Puis, moi, je sais, pour travailler avec des personnes assistées sociales en quantité depuis 11 ans au Projet Genèse mais une bonne vingtaine d'années en général, que l'immense majorité font tout ce qu'elles peuvent pour, d'abord et avant tout, payer leur loyer. Et ça, des références de ton ancien propriétaire, il me semble que c'est la plus éloquente des démonstrations de ta bonne volonté dans la vie puis de la conscience que tu as que, oui, il faut payer le loyer. C'est vrai que les propriétaires qui mettent des logements à louer devraient pouvoir avoir leurs logements, c'est dans ce type de société là qu'on vit. Cependant, l'autre chose que peut faire le gouvernement aussi ? et vous le faites ? c'est d'investir dans le logement social, qui demeure la seule bonne réponse au problème de logement des personnes à faibles revenus. Je vous reviendrais là-dessus d'ailleurs avec la nécessité de remettre sur pied un programme d'habitation à loyer modique.
Le Président (M. Copeman): ...M. le député, on l'a déjà dépassé. Alors, M. le député de Vachon et porte-parole de l'opposition officielle en matière d'emploi, solidarité sociale et de famille.
M. Bouchard (Vachon): Mme Laine, Mme Lacelle, M. Kinloch, bonjour. Est-ce que d'après vous cette loi est amendable? Par quel bout commencer?
Mme Lacelle (Denyse): Par quel bout commencer? Le plus simple, ce serait peut-être de recommencer tout au complet puis se demander qu'est-ce qu'on veut vraiment améliorer par rapport à la loi actuelle, parce que ça pourrait être un bon départ. C'est peut-être une réponse plus facile que de faire le tour de l'ensemble des articles qu'il faudrait modifier.
M. Bouchard (Vachon): Et, si ce n'était pas le cas, s'il fallait continuer à travailler avec ce projet de loi, quelle serait votre première recommandation?
Mme Lacelle (Denyse): Ma première recommandation, ce serait de laisser tomber toute cette volonté de multiplier les catégories de prestataires. La deuxième recommandation, ce serait de préciser bien davantage toute la question des recours. Ça ne se peut pas qu'on soit tant de monde à mal lire puis mal comprendre ce qui est écrit dans le projet de loi. Ce serait de retirer les dispositions qui portent sur la saisie des chèques. Ce serait de retirer les articles dont je vous parlais tantôt, les articles 17, 48 et 74 qui ouvrent la voie à une privatisation de l'aide sociale. Il pourrait y en avoir d'autres, mais ce serait long.
Cependant puis pendant qu'on est là-dessus, sur ce qu'il faut garder puis pas garder, je pense qu'il faudrait aussi ne pas garder le projet de règlement qui a été déposé à peu près en même temps que s'ouvrait la commission, notamment sur la disposition qui... deux dispositions. Celle qui ramène la coupure de partage de logement pour les personnes qui habitent chez leurs parents, on vient d'abolir cette mosus de coupure-là, puis là le ministre la ramène. Et on veut insister là-dessus d'autant plus qu'on travaille dans un quartier très multiethnique, la disposition du projet de règlement qui impose un délai de carence de trois mois aux immigrants indépendants, ça doit absolument être retiré. Ça va conduire à un cauchemar tant au niveau de situations tragiques vécues par les familles elles-mêmes qu'en termes administratifs, parce que, ce n'est pas compliqué, hein, on va aller en appel sur le dénuement total avec... en appel du pouvoir discrétionnaire du ministre sur chaque mosus de famille qui va se faire refuser. On vous avertit d'avance, ça va être le cas, ça fait que vous n'auriez rien réglé.
n(16 h 20)nM. Bouchard (Vachon): Est-ce que vous pouvez commenter plus longuement, en particulier sur cet aspect-là du projet de règlement publié le 21 septembre? Dans votre population, là, dans Côte-des-Neiges ? je connais assez bien le quartier ? vous avez évidemment affaire à une population de très forte proportion immigrante, des familles qui sont très souvent en voie d'adaptation à une nouvelle communauté, une nouvelle société et très souvent des familles qui sont en état de détresse économique. Alors, pouvez-vous commenter plus longuement cette disposition du projet de règlement dont vous avez fait état?
Mme Lacelle (Denyse): Bien sûr. Le ministre a raison quand il affirme que la Loi sur l'immigration prévoit que les immigrants dans la catégorie immigrants indépendants doivent avoir des avoirs liquides qui correspondent grosso modo à trois mois de prestations. C'est un fait, puis ils l'ont, ils sont acceptés sur cette base-là. Le jour qu'ils débarquent de l'avion ou du bateau ou qu'ils passent la frontière d'une manière ou d'une autre, qu'ils s'installent, il faut qu'ils se trouvent un logement. Ils se font immédiatement demander un mois d'avance de loyer. Ça fait qu'ils ont deux loyers à payer le même mois. Il faut qu'ils se meublent, il faut qu'ils s'habillent en fonction du climat d'ici. C'est réglé, en dedans de deux semaines, les avoirs liquides en question sont complètement siphonnés. Puis là tu n'as pas encore payé de cartes d'autobus, les enfants ne sont pas inscrits à l'école, puis il n'y a pas un mosus de cahier d'acheté. Ça fait que les familles se tournent vers l'aide sociale, elles n'ont pas le choix.
Vous avez, si je ne m'abuse, collaboré à différentes études sur la situation des personnes assistées sociales ? d'autres chercheurs l'ont fait également ? qui démontrent que, bien qu'ayant à dépendre de la sécurité du revenu assez rapidement au moment de leur arrivée, les personnes immigrantes, très rapidement, s'insèrent en emploi. C'est notre «cheap labor», hein, les immigrants, soyons clairs. Mais c'est, il me semble, humainement inacceptable de les accepter ici puis de leur dire: Pendant trois mois, mange tes semelles de bottines.
M. Bouchard (Vachon): Quelle est d'après vous la proportion des gens qui s'adressent à votre organisme et qui pourraient être touchés par ce type de mesure? Est-ce que c'est important?
Mme Lacelle (Denyse): C'est très important. Chez nous, au Centre des services individuels, il y a quelque chose comme une cinquantaine de personnes par jour qui se déplacent pour avoir accès à nos services puis probablement autant qui téléphonent. De cette centaine donc de contacts, d'interventions quotidiennes, sûrement plus de la moitié s'adressent à des personnes qui sont issues de l'immigration. Là-dessus, combien de nouveaux arrivants? Il est plus difficile de vous répondre. Cependant, ce qu'on sait des nouveaux arrivants qui viennent chez nous, c'est qu'ils font face à des difficultés énormes, multiples. Il faut que tu te trouves, que tu te comprennes dans une société qui, dans beaucoup, beaucoup de cas, est diamétralement opposée à celle dont tu proviens.
C'est le cas d'autant plus que, dans les dernières années, on a connu des vagues d'immigration beaucoup d'Europe de l'Est, d'Europe centrale, du Sri Lanka, du Bangladesh, de nombreux pays africains, liées aux déchirements qui se produisent là-bas. Ces gens-là doivent faire face à des défis qui sont considérables et ils ont besoin d'être soutenus non seulement dans les premiers trois mois ou dans les premiers trois ans, mais dans tout le processus d'intégration. Et, malheureusement, le présent gouvernement comme le précédent font largement défaut d'être à la hauteur de la tâche. Ça fait que de prétendre qu'on va relever une partie des défis démographiques du Québec en comptant sur l'immigration, bien c'est faire ça bien, bien, bien mal avec une mesure comme celle qui est présentement proposée.
M. Bouchard (Vachon): Est-ce que les familles dont vous parlez, ce sont des familles jeunes? Ont-ils de jeunes enfants? Est-ce que vous avez une petite idée des caractéristiques de ces familles dont on parle?
Mme Lacelle (Denyse): On a de tout, une variété de personnes. Dans beaucoup de cas, tu as l'un ou l'autre des conjoints chef de ménage qui va être admis comme immigrant indépendant et qui par la suite va parrainer le restant de sa famille, tu as des personnes seules, tu as des jeunes qui se présentent tout seuls, tu as des familles avec cinq, six, sept, 12 bébés. On a vraiment un éventail de situations puis qui, dans tous les cas, nécessitent un soutien.
M. Bouchard (Vachon): Lorsque vous avez soulevé... Vous me permettrez de changer de sujet, vous faites la démonstration dans votre mémoire, là, de l'effet de la non-indexation des prestations et, en même temps, vous dites que le projet de loi n° 57 ne prévoit pas la pleine et automatique indexation des prestations. Donc, il faut lire qu'une des recommandations, ce serait d'introduire sans doute cette précaution dans les textes de loi. Le ministre a déjà dit que les dispositions d'indexation se retrouveraient dans les règlements. Est-ce que ça vous rassure?
Mme Lacelle (Denyse): Pas du tout. On a vu ça dans des règlements précédents. On l'a vu apparaître, disparaître, apparaître, disparaître selon la bonne volonté du ministre. On sait que, pour modifier un règlement, il suffit d'un avis de 45 jours après publication dans la Gazette officielle. Pour nous, ce n'est pas une protection suffisante.
Par ailleurs, l'indexation dont le ministre a parlé en déposant la stratégie au printemps est une indexation à deux vitesses, hein, une indexation presque pleine pour les personnes qui sont considérées soutien financier inaptes au travail et la moitié de cela pour les personnes aptes. Donc, on nous annonce qu'on ne va pas indexer les personnes aptes vraiment. On nous annonce qu'à partir du taux qui est aujourd'hui le taux des prestations, au fur et à mesure que les années s'accumulent, ces personnes-là vont voir leur très, très, mince, maigre, fragile niveau de vie être grugé encore par une indexation qui n'est pas complète.
Nous, on veut une indexation complète au coût de la vie, en fonction de l'IPC et non pas de l'indice un peu tordu qu'a introduit le ministre Séguin dans la déclaration de revenus l'année passée. Puis on veut que le principe d'indexer soit introduit dans la loi. Pas le montant de l'indexation, ça, le montant, ça change à chaque année, mais le principe qu'à chaque année, au 1er janvier, l'ensemble des prestataires vont voir leurs chèques indexés au coût de la vie pour arrêter de s'appauvrir. Pour nous, c'est fondamental.
M. Bouchard (Vachon): Quelle est d'après vous la motivation ou le modèle qui inspire le ministre à adopter une demi-indexation pour les personnes aptes au travail?
Mme Lacelle (Denyse): Bien, je pense que, malgré les affirmations du ministre, c'est la même conception punitive que celle qu'il dit vouloir remettre en question. Toi, tu es apte, on ne va pas t'aider vraiment, tu vas continuer à t'appauvrir. Non seulement on te laisse pauvre, mais tu vas le devenir de plus en plus. Ça fait qu'envoie, grouille, va travailler.
M. Bouchard (Vachon): Et est-ce que vous pensez que... Ce que vous dites dans le fond, c'est que l'indexation ou la demi-indexation serait vue comme un outil de motivation ou d'incitation. Quel autre modèle pourriez-vous suggérer?
Mme Lacelle (Denyse): Pour inciter les gens à retourner au travail?
M. Bouchard (Vachon): Non, j'arrête là. Quel autre modèle pourriez-vous suggérer d'indexation?
Mme Lacelle (Denyse): Bien, le même que la Régie des rentes du Québec. Simple.
M. Bouchard (Vachon): Et est-ce que vous pensez que ça contreviendrait à une approche d'incitation?
Mme Lacelle (Denyse): Non, pas du tout. Regardez, sur l'incitation, entendons-nous, les gens à l'aide sociale, dans leur immense majorité, ne sont pas heureux d'être là et veulent améliorer leur situation. Ils ont besoin, dans certains cas, qu'on les aide un peu, puis les aider un peu, c'est, entre autres choses, arrêter de favoriser les pertes d'emplois, comme le gouvernement l'a fait en modifiant l'article 45 du Code du travail l'année passée, par exemple, comme on le fait à chaque fois qu'on rogne dans les services publics puis qu'on fait disparaître des emplois, comme on le fait quand on ne remplace pas les emplois qui se perdent par... Quand on laisse aller l'attrition puis qu'on ne remplace pas, on fait perdre des emplois, hein, qui sont autant de possibilités en moins pour des personnes de se trouver une job. On ne le fait pas quand on ne met pas en place les mesures, les coups de pouce nécessaires pour finir l'école, pour faire un stage, pour avoir ses expériences de travail à l'extérieur du pays reconnues.
Je sais que Mme la ministre Courchesne fait de louables efforts sur cette question-là, on l'en félicite. Il reste des croûtes à manger. On a des médecins à l'aide sociale dans notre quartier, des architectes et des ingénieurs. C'est triste, hein? Mais ces gens-là ont besoin d'un petit peu d'aide pour pouvoir participer, prendre leur place dans cette société. C'est de ça qu'on a besoin. On n'a pas besoin du bâton, on n'a pas besoin de la carotte. La volonté des gens est là, il s'agit d'enlever les obstacles auxquels ils font face.
M. Bouchard (Vachon): Est-ce que vous pensez que le niveau d'écoute que vous avez présentement dans cette Assemblée garantit une modification substantielle du projet de loi?
Mme Lacelle (Denyse): Non, mais ça, je suis habituée, à chaque commission parlementaire c'est pareil.
M. Bouchard (Vachon): Merci.
Le Président (M. Copeman): Mme Lacelle, Mrs. Laine, Mr. Kinloch, thank you very much on behalf of Project Genesis for having participated in this parliamentary commission. Merci beaucoup d'avoir participé à cette commission parlementaire.
J'invite les représentants du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec de prendre place à la table et je suspends les travaux de la commission quelques instants.
(Suspension de la séance à 16 h 29)
(Reprise à 16 h 32)
Le Président (M. Copeman): Alors, la Commission des affaires sociales reprend ses travaux, et ça nous fait plaisir d'accueillir les représentantes du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec. Je ne sais pas qui est la porte-parole principale...
Mme Saint-Germain (Lucie): Lucie Saint-Germain.
Le Président (M. Copeman): Mme Saint-Germain, bienvenue. Vous connaissez probablement nos façons de fonctionner. Vous avez une période maximale de 20 minutes pour faire votre présentation, qui sera suivie par un échange de plus ou moins 20 minutes avec les parlementaires de chaque côté de la table. Je vous demanderais de présenter les personnes qui vous accompagnent et de débuter immédiatement votre présentation.
Regroupement des groupes populaires
en alphabétisation du Québec (RGPAQ)
Mme Saint-Germain (Lucie): Alors, bonjour, M. le Président et les membres de la commission. Je vous présente Louise Picard, qui est coordonnatrice adjointe au Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec; je vous présente, à ma gauche, Danielle Arcand, qui est animatrice en alphabétisation dans un groupe populaire en alpha; et je vous présente Lucie Frino, qui est une participante en alphabétisation.
Le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec, on représente 76 groupes. Donc, on est un petit peu implantés un peu partout à partir des Îles-de-la-Madeleine, en Abitibi, au Saguenay? Lac-Saint-Jean, Montréal et les environs.
On a choisi d'aller avec des témoignages: un témoignage d'une participante et un témoignage d'une animatrice en alphabétisation qui travaille avec des participants en alphabet et qui sont sur l'aide sociale. Si on a choisi le témoignage, ça ne veut pas dire que c'est un cas, que c'est un groupe, alors vous allez devoir multiplier. Si on a choisi ces témoignages-là, c'est parce que ça ressemble à plusieurs groupes, et plusieurs régions, et à plusieurs personnes qui sont aussi sur l'aide sociale.
Évidemment, on vous le dit dès le départ... Je sais qu'on va me revenir après: Pourquoi que vous voulez le retrait de la loi n° 57? On n'est pas les premiers, ça fait plusieurs qu'on passe, il y en aura d'autres. Alors, on ne reviendra pas là-dessus, on le demande dès le départ. Nous, on trouve qu'il n'y a pas d'avancées significatives auxquelles on aurait pu s'attendre d'une loi sur l'aide sociale. Louise Picard va nous présenter un petit peu c'est quoi, pour nous, l'analphabétisme et la pauvreté, qu'on retrouve que c'est une lutte indissociable. Alors, Louise.
Le Président (M. Copeman): Mme Arcand.
Une voix: Pardon?
Mme Picard (Louise): Au Québec...
Le Président (M. Copeman): Picard, excusez-moi. Mme Picard, excusez-moi.
Mme Picard (Louise): Oui, ça va. Au Québec, l'analphabétisme touche plus de 1 million de personnes, ce qui constitue pour nous un véritable problème social. Trouvant sa source dans les inégalités sociales, l'analphabétisme se perpétue dans le système d'éducation et provoque l'exclusion d'une grande partie de la population. Pour le RGPAQ, la lutte à l'analphabétisme et la lutte à la pauvreté sont intimement liées, voire indissociables. D'ailleurs, au RGPAQ, nos interventions se sont développées, au cours des 30 dernières années, autour d'une vision précise de l'analphabétisme selon laquelle les causes de ce problème sont en grande partie d'ordre social: pauvreté, marginalisation, exclusion étant les éléments d'un cercle vicieux qui perpétue l'analphabétisme.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que, dans la plupart des pays, analphabétisme et pauvreté vont de pair. Ce n'est surtout pas le fruit du hasard. L'analphabétisme est à la fois un problème personnel et le symptôme d'une situation économique, politique, sociale et culturelle qui est difficile. Il n'est donc pas surprenant non plus de constater, dans la plupart des statistiques, qu'un lien est établi entre bénéficiaires de l'aide sociale et faibles lecteurs: un bénéficiaire sur deux n'a pas de cinquième secondaire.
En tant que mouvement qui voit à la défense des droits des personnes peu alphabétisées et en tant qu'acteur luttant pour l'amélioration de leurs conditions de vie, le RGPAQ ne peut endosser aucune loi, mesure ou programme qui viserait ou qui aurait pour conséquence l'appauvrissement des personnes peu alphabétisées. Actuellement, les personnes bénéficiaires de l'aide sociale ne vivent pas, elles survivent. Lorsque toute l'énergie est consacrée à la survie, peu de temps demeure pour exercer l'ensemble de ses droits, dont le droit à l'éducation, qui constitue un puissant moteur d'émancipation individuelle et sociale. Par conséquent, être bénéficiaire de l'aide sociale représente un obstacle majeur au droit de s'alphabétiser et à l'ensemble des droits sociaux qui nous sont reconnus.
Une voix: Euh... Lucie.
La Présidente (Mme Charlebois): Oui, madame, allez-y.
Mme Frino (Lucia): Bonjour. Mon nom est Lucie Frino. Je suis une mère de famille de 44 ans. Je suis seule avec mes deux enfants, une qui est malade, elle prend deux pompes et des médicaments. Je vais souvent à l'hôpital avec elle. Je prends moi-même des médicaments. Ça me coûte 16,66 $ par mois de ma poche.
J'ai travaillé, en 1993, comme caissière, agent de sécurité et travail général de bureau. En 1993, je me suis mariée, j'ai eu deux enfants. En 1998, je me suis séparée. En 1999, je suis tombée sur l'aide sociale. J'ai fait une dépression. Depuis, j'essaie de faire vivre mes enfants le mieux que je peux.
En 1999, je réalise que je ne sais pas lire et écrire. Une de mes filles commencera l'école, et je ne pouvais pas l'aider dans son français. C'était difficile de se trouver un emploi. On demande de l'expérience ou le secondaire V, et je ne sais pas compléter une formule.
En 2001, j'ai été acceptée en alphabétisation au CEDA dans un programme de l'aide sociale. Je ne savais pas mon alphabet, je ne savais pas lire. Maintenant, je sais un peu mais pas assez pour me trouver un emploi. Je fais beaucoup de progrès, mais ce n'est pas assez, en trois ans, que je peux apprendre à lire et écrire. Jusqu'en juin dernier, j'avais droit à un supplément pour participer à un programme et un paiement, ils me payaient mon transport.
n(16 h 40)n Cette année, je suis retournée voir mon agent comme d'habitude, et elle m'a dit: C'est fini, le CEDA. Je dois aller ailleurs. Elle me dit de... une école plus grosse. Pourquoi? Au CEDA, je me dis, c'est des petits groupes, c'est à mon rythme. Je me sens respectée, ça me convient. Quand on est bien en quelque part, quand ça va bien, quand on avance, quand on apprend bien, beaucoup, pourquoi aller ailleurs? Je suis allée dans une grosse école pour passer un test de classement. Il y avait plein de monde, je ne comprenais rien. J'ai paniqué et je suis partie.
Je ne reste pas à la maison à rien faire. Je continue d'aller au CEDA apprendre, mais ça me coûte de l'argent. Dans mon frigo, jusqu'en... j'avais deux litres de lait et un demi-pain avant l'arrivée de mon chèque. Depuis ce temps, j'ai eu trois rendez-vous avec mon agent. Je suis allée expliquer la situation à chaque fois, et, hier, lors de mon dernier rendez-vous, elle m'a dit qu'elle respectait la loi et que je devais accepter aller ailleurs. Est-ce que je suis une personne qui ne veut pas s'en sortir ou est-ce que c'est mon agent ou la loi qui ne veut pas que je m'en sorte? Merci de m'avoir écoutée.
La Présidente (Mme Charlebois): Mme Arcand, allez-y.
Mme Arcand (Danielle): Je me présente, Danielle Arcand. Ça fait six ans que je suis animatrice en alphabétisation au CEDA qui est un groupe populaire en alphabétisation. Le CEDA offre des ateliers d'alphabétisation depuis plus de 30 ans dans un quartier dans le sud-ouest de Montréal, plus particulièrement Saint-Henri?Petite-Bourgogne. Il y a 30 ans, on retrouvait, dans ce quartier-là, beaucoup d'emplois non spécialisés dans les usines le long du canal Lachine. D'ailleurs, plusieurs personnes analphabètes qui sont dans nos ateliers présentement y avaient un emploi. Mais, depuis ce temps-là, les usines ont fermé, et les gens ont eu de plus en plus de difficultés à retrouver un travail, et la majorité des gens se sont retrouvés sur l'assistance-emploi.
Au CEDA, présentement, dans nos ateliers, il y a 35 personnes qui suivent des ateliers. La majorité sont des bénéficiaires de l'assistance-emploi. 17, entre autres, sont sur la mesure Alphabétisation-implication sociale. La moyenne d'âge des gens est de 48 ans, et on a, entre autres, aussi des personnes de 55 ans et plus qui, avec le projet de loi n° 57, vont perdre leur statut de contraintes temporaires à l'emploi et vont donc se faire couper de 113 $ par mois.
Pour les autres personnes qui ne sont pas sur une mesure ou sur un programme, s'alphabétiser, c'est s'appauvrir parce que la personne défraie elle-même son transport. Alors, juste à Montréal, venir assister à nos trois ateliers de français, alors, par semaine, c'est quand même 11 $. C'est six billets d'autobus, c'est 11 $ à Montréal. Comme tout le monde, ces gens-là doivent aussi s'habiller et se payer des bottes. Puis, comme tout le monde, à la pause ces gens-là aiment bien se payer un café. Et nos participants, ce n'est pas des personnes qui sont inactives, qui ne veulent pas s'en sortir, mais c'est des gens qui sont actifs. Mais apprendre à lire et écrire dans un contexte de pauvreté, c'est avoir l'obligation, entre autres, de faire la file peut-être trois heures devant une banque alimentaire à chaque semaine. Ce n'est pas des conditions qui facilitent l'apprentissage.
Les gens qui viennent au CEDA aussi et qui ne seront pas sur une mesure, ce qu'on apprend dans le projet de loi, c'est qu'ils n'auront pas la pleine indexation avec la nouvelle loi. Donc, ils vont encore s'appauvrir. Nos participants n'ont aucune marge de manoeuvre financière. Alors, quand leur réfrigérateur pète, bon, bien, ils vont en avoir pour des mois à essayer de se relever financièrement parce qu'ils n'ont pratiquement pas d'argent de côté.
On se rend compte aussi qu'il y a une grande méconnaissance de la réalité des personnes analphabètes. S'imaginer qu'on peut apprendre à lire et écrire en trois ans, ce n'est vraiment pas connaître la problématique. La personne qui vient au CEDA arrive avec une histoire de vie qui est plutôt misérable: les échecs scolaires, de la honte, un manque d'estime de soi puis de confiance en soi. Elle est convaincue qu'elle n'est pas bonne puis, toute sa vie, elle s'est fait dire qu'elle avait la tête dure puis qu'elle était niaiseuse. Alors, apprendre à lire et à écrire, c'est se déprogrammer, c'est croire qu'on est capable d'apprendre, c'est reprendre confiance en soi puis c'est avoir plus d'estime pour soi.
Présentement, les gens qui sont dans nos ateliers sont vraiment loin du marché du travail, mais vraiment loin. Les exigences sont beaucoup trop élevées puis presque inaccessibles pour la majorité des personnes qui sont dans nos ateliers de lecture et d'écriture. Il y a de moins en moins de types d'emploi qu'on peut faire sans savoir lire et écrire, ce type d'emploi là a disparu. On ne peut quand même pas tenir la personne responsable de l'évolution des moyens de production de la société. C'est comme les rendre responsables du fait que le travail au pic puis à la pelle n'existe plus.
On scrape la vie de milliers de gens en laissant croire qu'il y a encore des emplois pour tout le monde. En plus, quand tu peux... Et souvent aussi les participants doivent prouver leur très bonne volonté à leurs agents parce qu'on les suspecte, la plupart du temps, d'être des fraudeurs potentiels. Et ils doivent prouver le fait qu'ils sont des bons pauvres, des bons pauvres, parce que, quand leur agent d'aide à l'emploi leur dit... en tout cas leur laisse entendre qu'eux connaissent bien qu'est-ce qui est bon pour eux et qu'il les promène d'un programme à l'autre, bien ça démotive nos participants que d'être promenés d'un programme à l'autre lorsqu'ils sont sur l'assurance-emploi. Alors, je vous remercie.
La Présidente (Mme Charlebois): Allez-y, Mme Saint-Germain.
Mme Saint-Germain (Lucie): Oui. Alors, pour nous, le projet de loi n° 57, ça ne répond pas aux obligations mentionnées par la loi sur la pauvreté, sauf sur un article, là ? M. Béchard va être content parce que je le mentionne ? qui abolit les pénalités en cas de refus d'une mesure ou d'un emploi. Par contre, le projet de loi cède aux préjugés en obligeant les personnes assistées sociales dites aptes au travail à prouver qu'elles veulent vraiment travailler en acceptant n'importe quoi pour avoir droit à un peu plus d'argent.
Paradoxalement, plus la Loi sur l'aide sociale a insisté sur l'obligation des prestataires de prendre le plus court chemin vers le marché du travail, plus les budgets de l'aide à l'emploi ont diminué d'année en année. Et je pense qu'il faut être réaliste aussi, il faut le dire qu'il n'y a pas d'emplois pour tout le monde puis il faut arrêter de rendre les gens coupables et responsables de leur propre non-emploi quand la société aussi en fait est aussi responsable. Le projet de loi n° 57 nous ramène à l'arbitraire des régimes particuliers d'avant la première Loi sur l'aide sociale, en 1969, tout en perpétuant les travers inacceptables du régime de l'aide sociale actuel comme, par exemple, la non-reconnaissance d'un barème plancher qui couvrirait les besoins essentiels.
Alors, pour toutes ces raisons, il faut changer la loi actuelle sur l'aide sociale bien évidemment et faire en sorte qu'elle présente les caractéristiques suivantes: une loi qui assure une prestation de base commune, comme je l'ai dit tantôt, couvrant les besoins essentiels; une loi qui laisse tomber la division arbitraire basée sur l'aptitude présumée au travail, génératrice de préjugés, qui reconnaît plutôt les limitations fonctionnelles des personnes, leurs besoins particuliers et les coûts supplémentaires que cela occasionne; une loi qui respecte la dignité des personnes; une loi qui améliore les recours; une loi qui distingue bien la finalité de l'aide financière, qui est de couvrir les besoins essentiels, de celle de l'aide à l'emploi ? quand les gens viennent dans nos groupes, qu'ils reçoivent quelques dollars en plus, ils s'en servent pour survivre parce qu'ils n'en ont pas assez; une loi qui encourage la participation citoyenne lors des processus de conception... par exemple, si vous recommenciez votre projet de loi n° 57, on pourrait y participer, puis on pourrait participer à des discussions, puis on pourrait vous aider peut-être; une loi qui simplifie les règles et améliore les communications avec les personnes ? pour les personnes analphabètes, c'est très difficile de comprendre, quand ils reçoivent un papier de l'aide sociale, souvent ils ne comprennent pas, ils pensent: Est-ce qu'ils sont en train de me couper?, j'ai peur, j'ai... bon, et ce n'est pas facile à comprendre aussi, les règlements sont extrêmement compliqués; une loi qui élimine les mesures discriminatoires.
Je pense qu'on est rendu aux conclusions.
Mme Picard (Louise): Oui. Beaucoup de personnes qui ont des difficultés en lecture et en écriture reçoivent des prestations d'aide sociale ? le témoignage aussi d'autant Lucie et Danielle le prouve ? mais il y a de moins en moins de place pour elles dans la société. Elles vivent de façon précaire, sont marginalisées et sont exclues.
n(16 h 50)n Le gouvernement du Québec ne tient pas compte des besoins essentiels des personnes les plus pauvres et continue de les appauvrir, ce qui est inacceptable. Avec son projet de loi n° 57, il rate une occasion d'améliorer leur sort. Par conséquent, ce projet de loi doit être retiré, et des amendements doivent être apportés à la loi actuelle sur l'aide sociale. La situation actuelle nous préoccupe au plus haut point, et ? je terminerai là-dessus ? force nous est de constater que l'augmentation de la pauvreté et l'insignifiance des moyens mis en oeuvre pour la contrer ne feront qu'accentuer les problèmes sociaux, dont celui qui est au coeur de nos interventions, c'est-à-dire la lutte à l'analphabétisme. Merci.
La Présidente (Mme Charlebois): Merci. Maintenant, nous allons débuter la période d'échange, et je vais permettre à M. le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille d'échanger avec vous.
M. Béchard: Merci, Mme la Présidente. Mme Picard, Mme Saint-Germain, Mme Frino, Mme Arcand, merci de votre présentation, merci de votre présence ici. Et je veux vous remercier d'avoir souligné le changement de régime du... Parce que vous nous dites qu'on oblige les gens à participer, je dirais qu'on a enlevé le caractère punitif. Avant, quand ils refusaient de participer, on les pénalisait. Selon moi, ce n'est pas une solution qui était valable, et je vous dirais qu'on a changé ça, puis j'en suis très fier. Et je suis conscient aussi que le projet de loi n° 57 ne peut pas satisfaire l'ensemble de vos recommandations, l'ensemble de vos demandes.
Et, quand vous dites que vous aimeriez participer au processus d'élaboration du projet de loi, c'est ce que vous faites aujourd'hui, c'est ce qu'on fait aujourd'hui. C'est un débat, c'est une présentation de mémoire, c'est ça, l'élaboration d'une loi. On n'est pas à l'article par article. On a déposé un projet de loi, on est là pour vous entendre, entendre les groupes. On va en entendre plus de 60, je crois, d'ici la fin des auditions. Alors, c'est un débat, c'est un débat public, et j'espère qu'il n'y a rien que vous me dites aujourd'hui, ici, que vous ne me diriez pas si on avait une autre forme de consultation. Vous participez à l'élaboration du projet de loi, il n'est pas terminé. Je me suis montré ouvert à ce qu'il y ait des modifications, à ce qu'il y ait des amendements qui soient apportés pour le clarifier. Mais je ne crois pas qu'il serait opportun ? et ça ne correspondrait pas à ce qui est notre choix et ce qu'on veut faire ? de modifier la philosophie comme telle, même la philosophie qui est à la base du projet de loi, c'est-à-dire le plan de lutte à la pauvreté et qui découle aussi de la loi n° 112 sur l'élimination de la pauvreté et l'exclusion sociale.
Je veux vous dire qu'il faut être... Puis vous m'avez sans doute entendu le dire, mais, comme tous les groupes viennent le dire, je le redis aussi à tous les groupes: Au niveau du barème plancher, il faut faire bien attention. Je comprends que ce qui est là actuellement, ce n'est pas la demande que vous avez au niveau d'un barème qui couvrirait les besoins essentiels, comme vous en parlez aux pages 7, 8, 9 de votre mémoire, mais ce n'est pas parce qu'on ne se rend pas là qu'on ne respecte pas la loi n° 112, parce que la loi n° 112 prévoyait un barème plancher en dessous duquel on ne pouvait pas descendre et ne parlait pas, je dirais, de couverture des besoins essentiels. Alors, je veux juste le rappeler parce que, pour moi, c'est bien important. Et je suis conscient, et je vous ai entendues, je le sais et je le comprends très bien que vous souhaiteriez avoir plus. Et je regarde, à date, là, dans les demandes qui nous sont faites, c'est des demandes qui varient, juste au niveau des prestations, entre 500 millions puis 1 milliard par année. Uniquement au niveau des prestations. On a fait, je pense, un grand bout, et indirectement, avec Soutien aux enfants, il va y avoir un autre bout de fait aussi. À partir du 1er janvier, il y a des sommes supplémentaires qui vont arriver.
L'autre chose dans laquelle... Il y a deux points majeurs sur lesquels j'aimerais vous entendre, c'est au niveau des programmes particuliers. Quand vous mentionnez, dans votre mémoire, qu'on revient à l'arbitraire des régimes particuliers des années soixante, je trouve que c'est un petit peu gros, parce que l'admissibilité, à ce moment-là, était arbitraire, à moins que je me trompe. Présentement, l'admissibilité est là, tout le monde est admissible, et on ne remet pas en question l'admissibilité. Je veux bien que ce ne soit pas suffisant, mais l'admissibilité de base n'est pas remise en question et n'est pas au même niveau que les régimes qui existaient dans les années soixante.
L'autre point sur lequel je veux vous entendre, c'est parce que, dans vos expériences, dans ce que vous faites, j'imagine que vous utilisez des méthodes qui sont parfois différentes, qui s'adaptent aux individus, qui s'adaptent à la réalité des gens. Je veux faire la même chose, je veux qu'on fasse la même chose. Entre autres, au niveau des jeunes, il faut commencer quelque part. Et, vous savez, on ne peut pas... on n'a pas des moyens financiers illimités non plus, alors il faut commencer quelque part, et c'est ce que je veux faire au niveau des programmes pour les jeunes, au niveau d'Alternative jeunesse, mettre en place des programmes qui correspondent à certaines réalités, à certains besoins. On le voit avec conciliation travail-études, il y en a que c'est ce programme-là dont ils ont besoin, d'autres que c'est Ma place au soleil, d'autres que c'est Solidarité jeunesse. Et, pour mettre ça en place, j'ai besoin de cette flexibilité-là. Mais je ne peux pas être d'accord avec vous quand vous me dites qu'on revient à l'arbitraire des années soixante, parce que tout le monde a sa prestation de base, tout le monde a... On enlève les coupures en cas de refus de participation, refus d'emploi. C'est un pas énorme qu'on a franchi, et ça, je veux vous remercier de nous l'avoir dit.
Mais comment je pourrais mettre en place, comment on pourrait mettre en place des programmes particuliers, des programmes qui répondent aux besoins, entre autres, des jeunes? On va voir, je n'exclus pas le fait d'y aller avec des programmes différents pour répondre aux besoins des gens dépendamment de leur âge, mais comment on pourrait mettre tout ça en place si on n'a pas cette marge de manoeuvre là, si on n'est pas capable d'avoir cette souplesse-là dans la loi pour les mettre en place?
Mme Saint-Germain (Lucie): Bon. Écoutez, moi, je pense qu'il y a un réel problème, là, parce, peut-être, qu'on ne parle pas le même langage. Les personnes qui viennent dans nos groupes, je dirais qu'ils ont une moyenne d'âge de 42 ans. O.K.? Quand je regarde la loi n° 57, je ne pense pas qu'ils soient là-dedans, ils ne sont pas dans les catégories que vous visez. Parce que, quand on met des catégories, ça veut dire qu'on va aider plus des personnes que d'autres. On va aider plus les jeunes, on va aider plus les familles, on va aider plus... Ça fait que ça veut dire qu'on en laisse de côté.
Puis, quand vous dites: On ne coupe pas, bien non, vous ne coupez pas, mais vous n'augmentez pas. Pour moi, ça égale à une coupure parce que, depuis 1988 ? je pense que le groupe avant moi l'ont dit, là ? il y a eu un appauvrissement épouvantable des personnes sur l'aide sociale. Ce qui valait 400 quelques dollars dans le temps, aujourd'hui il vaudrait 741 $. Ça veut dire que, depuis plusieurs années, ils se sont appauvris. Si vous indexez seulement une partie des gens, les bons... Parce que, moi, j'appelle ça comme les bons pauvres qui vont dans un programme, qu'il existe, qu'il n'existe pas.
L'exemple de Lucie tantôt, par exemple, qu'elle, elle va dans un groupe d'alphabétisation, elle est en train de vouloir s'en sortir. Elle est bien, là, elle apprend et tout ça, mais malheureusement son programme, on a décidé qu'elle savait assez lire et écrire puis on a décidé qu'après deux ans... Il y a des agents même qui disent, des fois: Six mois, tu vas en avoir assez, toi. Un an, tu vas en avoir assez. Mais pourquoi? Comprenez-vous? Alors, il y a une incompréhension du besoin, et de laisser à l'arbitraire ou de laisser le ministre... Moi, ça me fait un petit peu rire quand vous dites: Le ministre va... C'est le ministre qui va décider. C'est le ministre qui va décider. C'est le ministre... Moi, j'ai le goût de vous dire: Est-ce que vous faites du 9 à 5 partout? C'est qui, ça, le ministre? Comprenez-vous? Moi, j'aimerais comprendre c'est qui, le ministre.
Quand l'agent répond à la personne, qu'il dit: Regarde, tu as suffisamment été en alphabétisation au CEDA, tu vas t'en aller à la commission scolaire, là où tu as eu des échecs voilà bien des années puis tu n'as pas le goût d'y retourner parce que tu es sûr que tu n'es pas capable d'apprendre dans cette grosse école-là, est-ce que c'est le ministre qui me répond? Et, quand l'agent dit à un autre: Bien, là, toi, tu vas t'en aller dans une friperie, tu vas aller faire du bénévolat pour quelques dollars de plus, est-ce que c'est le ministre qui me répond? C'est qui? Comprenez-vous? Et c'est là que, pour moi, il y a trop de... Quand on dit qu'il y a trop d'arbitraire, c'est qu'on ne sait pas qui va décider, c'est qui, le ministre. Là, aujourd'hui, c'est vous, puis, au prochain changement de ministre, ce sera un autre ministre. Puis, au prochain changement de gouvernement, ce sera encore un autre ministre, et ce sera finalement... Comprenez-vous? Il y a quelque chose, pour moi, qui n'est pas clair là-dedans. Peut-être que vous allez m'éclairer vous-même.
n(17 heures)n Quand vous dites aussi un débat, un débat, oui, on arrive avec quelque chose... Vous nous avez envoyé un projet de loi n° 57, il n'y avait pas les règlements. Il manque beaucoup de choses dans ce projet de loi là. Il n'y a pas de clause d'impact, par exemple. À chaque fois que vous prenez une décision, est-ce que ça appauvrit les gens? Et puis, moi, je vous dis, là, si vous ne donnez pas d'indexation à tout le monde, vous les appauvrissez. Moi, quand je n'ai pas d'indexation dans mon salaire, je m'appauvris. Alors, les personnes qui ont de moins en moins, qui ne sont pas capables de payer leur loyer, qui ne sont pas capables de se nourrir, qui courent tout le temps, tout le temps à chercher à manger, moi, je trouve qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Ils s'appauvrissent quand même. Ce n'est pas parce que vous ne les punissez pas que vous les... Mais vous ne leur donnez pas un bonbon. C'est tout.
M. Béchard: Mais soyons aussi... reconnaissons que... parce que ça me fait toujours... C'est que, quand on regarde le niveau des prestations, je vais le répéter encore une fois, il y a eu quatre années de suite où il y a eu zéro indexation. Quatre années.
Une voix: ...
M. Béchard: C'est ça. Alors, je comprends que peut-être que le niveau d'indexation ou la méthode d'indexation peut vous déplaire, mais c'est mieux que zéro. Et c'est pour ça que j'ai toujours un petit pincement quand j'entends les gens d'en face dire, la larme à l'oeil, que c'est épouvantable, la méthode d'indexation. C'est simple que la leur était plus simple à compter, c'était zéro. Alors, ça, là-dessus, je veux vous dire que j'en suis conscient. J'aimerais ça avoir la possibilité d'indexer à 10 % ou à 15 %, il faut regarder les marges de manoeuvre aussi qu'on a. Et, je vous dis, sur le projet de loi n° 57, sur le plan de lutte à la pauvreté, sur le niveau de prestations, je suis d'accord avec vous qu'on n'atteint pas le niveau final que vous voudriez, mais je pense qu'on fait un petit pas en avant.
Mais il y a un point sur lequel j'aimerais beaucoup vous entendre parce que je pense que ça pourrait peut-être amener... Puis vous allez peut-être dire que ça n'a aucun bon sens aussi, mais, au niveau de prime à la participation pour différentes implications... Puis je vous le demande, là, vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas demandé de nous éclairer ou de nous proposer des choses. Prime à la participation, là, à moins que vous soyez contre le principe de base, mais comment on pourrait mettre en place ce programme-là? Il y a quelques... C'est autour de 58 millions, je crois, là, à terme, là, qui est prévu là-dessus. Comment on pourrait l'utiliser du mieux possible, cet argent-là, au niveau de prime à la participation, pour nous assurer que peut-être des gens qui vont chez vous, des gens avec qui vous travaillez puissent voir cet aspect-là et que... Vous allez peut-être me faire part de tous les aspects potentiellement négatifs, là, parfait, mais comment on peut mettre en place ce programme-là pour qu'il réponde le mieux possible à vos attentes?
Mme Saint-Germain (Lucie): Bon. Écoutez, je pense qu'il faut mettre plus que 58 millions. Savez-vous qu'est-ce que... En tout cas, je pense qu'on a de la misère à s'expliquer. C'est que, moi, je n'ai rien contre les primes à la participation, au contraire, hein? Ça coûte de l'argent, aller travailler... Mais ce serait encore mieux un emploi, là, bien rémunéré, c'est certain. Je n'ai rien contre ça. Mais ce que je sais, c'est que, nous, même s'il y a des primes actuellement, qu'on appelle ça un programme, disons, à la participation, plusieurs ne peuvent pas parce que, quand on arrive, par exemple, disons, dans la région de la Gaspésie ? ça, ce n'est pas nécessairement la Gaspésie, mais disons en Gaspésie ? le groupe d'alphabétisation veut avoir un programme sur l'alphabétisation et l'implication sociale, là il se fait répondre: On a été coupé, on n'a pas d'argent, hein? On n'a pas d'argent, on ne peut pas. Ce n'est pas notre priorité, nous autres, dans notre ville, dans notre région, donc vous ne pouvez pas avoir de programme.
Alors, là, moi, je pense qu'il y a comme un leurre à dire une prime à la participation quand il n'y en aura pas beaucoup qui vont y aller. Puis celui qui n'ira pas, lui, on ne lui donnera pas l'indexation complète parce qu'on considère, entre guillemets, qu'il ne veut pas participer. Comprenez-vous? Il n'y a pas suffisamment d'argent pour tout le monde. Si vous voulez vraiment que les gens participent, il faut mettre de l'argent de plus. 58 millions, ce n'est pas suffisant.
J'en profiterais pour poser une petite question. Le 55 ans, là, il me semble que vous ne répondez jamais à ça. Les personnes qui ont 55 ans, j'aimerais ça savoir, est-ce qu'ils vont être coupés, oui ou non?
M. Béchard: Non.
Mme Saint-Germain (Lucie): Est-ce qu'ils vont continuer à être temporaires... c'est ça, contraintes temporaires à l'emploi?
M. Béchard: Ils ne se feront pas couper. Ils ne se retrouvent pas dans la loi, ils vont se retrouver dans le règlement, mais il ne se feront pas couper.
Mme Saint-Germain (Lucie): Ils vont... Répétez.
M. Béchard: Ils ne sont pas dans la loi, ils vont se retrouver dans le règlement, mais ils ne seront pas coupés. Je l'ai dit à plusieurs reprises.
Mme Saint-Germain (Lucie): On va suivre ça de près.
M. Béchard: Mais revenons sur prime à la participation. Puis juste une chose, tantôt, quand vous disiez le ministre, inquiétez-vous pas, quand il y a des problèmes, quand ça va mal, peu importe qui parle en mon nom, ça revient toujours sur mon bureau et c'est toujours de ma faute. Alors, ça, c'est clair, je ne veux pas vous dire que... il n'y a pas d'ambiguïté à ce niveau-là.
Je veux poursuivre sur prime à la participation, parce qu'effectivement le souhait serait qu'il y en ait pour tout le monde, mais, dans l'application de prime à la participation, qu'est-ce que vous seriez prête, vous, à reconnaître comme étant une participation? Moi, je disais: Des fois, oui, il y a des gens qui vont participer au sein de programmes, de groupes, par exemple, peut-être dans votre organisme ou... Et est-ce qu'on peut aussi penser à reconnaître une participation communautaire dans les municipalités, dans les quartiers, dans les différents groupes? Est-ce que, pour vous, ça pourrait être une avenue intéressante aussi pour prime à la participation?
Mme Saint-Germain (Lucie): Écoutez, je ne peux pas vous dire ça comme ça, il faut le regarder de plus près. Peut-être que oui. C'est sûr que pour nous, par exemple, les personnes qui viennent dans nos groupes qui ne sont pas capables de se payer le métro ou la gardienne, voyez-vous, si on payait ce que ça coûte pour venir dans nos groupes, bien ce serait déjà quelque chose, là.
M. Béchard: O.K.
Le Président (M. Copeman): Mme la députée de Soulanges.
Mme Charlebois: Merci, M. le Président. Je remarquais que votre organisme, comme d'autres organismes précédemment, mentionne qu'il ne voit aucune avancée avec le projet de loi n° 57. Est-ce que vous pourriez me dire si vous ne voyez pas une différence entre des indexations qui n'ont pas eu lieu pendant quatre ans, alors qu'il y en a eu lieu cette année? Vous pouvez parler de l'indexation partielle ou... Bon. Vous êtes plus ou moins d'accord, puis j'entends vos préoccupations, je reçois le message que vous nous avez fait part par rapport à ça, mais il y a déjà eu une indexation, on parle d'indexation partielle.
Mais par ailleurs l'abolition des mesures coercitives, c'est quand même un point positif. Quand vous dites: Aucune avancée, est-ce qu'on ne pourrait pas reconnaître qu'il y a quand même un certain bout de chemin qui est fait, qui peut-être ne va pas où se situent vos espérances, mais il faudrait... Ça me choque l'oreille un peu d'entendre: Aucune avancée. Je vais être franche avec vous, là. Puis ce n'est pas parce que je considère que tout est la perfection même dans le projet de loi n° 57 et que je considère que les gens qui sont en situation de pauvreté ne font pas d'efforts, au contraire. Et ce n'est pas une situation qui est facile à vivre. Pour avoir côtoyé des organismes communautaires pendant un certain nombre d'années, je sais que ces personnes-là sont en situation difficile, et ça, c'est évident.
Mais j'aimerais ça vous entendre entre... la différence entre aucune avancée... et à tout le moins reconnaître que l'abolition des mesures coercitives est là, qu'il y a eu une indexation dès cette année. Et c'est comme si c'était, honnêtement, péché de favoriser aussi des mesures incitatives. C'est ce que je perçois, là, c'est comme si c'était effrayant d'inciter les gens à participer pas nécessairement toujours au travail, mais à contribuer dans des organismes communautaires ou toute autre chose que vous pourriez nous suggérer d'ailleurs.
Mme Saint-Germain (Lucie): Oui. Bon. Écoutez, d'abord vous êtes un petit peu dans l'erreur parce que nous avons relevé le fait que, dans le projet de loi n° 57, on était contents qu'on a enlevé les mesures coercitives. Je l'ai dit tantôt, j'ai même félicité M. Béchard.
Mme Charlebois: J'ai entendu, mais j'ai entendu aussi: Aucune avancée.
Mme Saint-Germain (Lucie): Oui. Bon. Pour ce qui est de... J'ai dit «significative», en passant. En plus, quand vous revenez sur la question de l'indexation partielle, c'est partiel. Donc, il y a un problème. Ça ne veut pas dire que parce que, pendant quatre ans, il n'y en a pas eu avant... Il y a tellement de rattrapage à faire, là, tellement de rattrapage, c'est... Bon. Écoutez, tant mieux s'il y a une indexation, mais ce n'est pas suffisant, c'est ça qu'on dit. Et il faut qu'il y en ait pour tout le monde.
n(17 h 10)n Parce que pourquoi... Par exemple, là, Lucie, tantôt, dans son témoignage, hein, elle fait... Vous dites: Les mesures incitatives. Elle était dans une mesure incitative au CEDA. Là, on a décidé que c'était suffisant, que ça faisait assez longtemps qu'elle allait là, hein? Elle est allée, là. Vous comprenez? Elle est allée dans cette mesure incitative. Elle ne sait pas suffisamment encore lire et écrire, mais là on a décidé que c'était suffisant, qu'après trois ans on ne donne pas plus d'argent. C'est ça que ça fait. Si les mesures incitatives sont vraiment réelles puis qu'elles répondent vraiment aux besoins, il n'y en a pas, de problème. Mais c'est quand qu'on dit: Moi, je sais que, toi, tu sais assez lire et écrire, maintenant tu vas aller là. Ou: Moi, je sais que tu n'apprends pas suffisamment, là, là, tu vas aller là. Ce n'est même plus volontaire, en plus, on te dit où tu dois aller. Comprenez-vous? Elle veut s'en sortir, mais les obstacles, elle les vit aussi à l'aide sociale. Elle ne les vit pas juste dans sa famille, dans la société, elle les vit aussi là.
Ce qu'on dit: Si vous voulez vraiment des mesures incitatives, bien qu'elles soient vraiment réelles, pas juste avec quelques millions pour quelques personnes. Il faut que ce soit pour tous ceux qui en veulent. Et ça, ce n'est pas simple comme ça. Quand ça fait trois fois, quatre fois que tu cognes à l'aide sociale puis que tu attends ton tour, puis ton tour vient, puis, après quelques années, on dit: Bon, bien, O.K., c'est le tour d'un autre maintenant... Je le sais que ce n'est pas comme ça, là. Je le sais que les agents sont... Je n'accuse pas les agents. Ce que je dis, c'est que l'aide sociale, c'est comme ça qu'elle est faite actuellement et qu'il faut la changer plus qu'elle est, là, plus que qu'est-ce que vous proposez dans la loi n° 57.
Le Président (M. Copeman): Ça va? M. le député de Vachon.
M. Bouchard (Vachon): Merci, M. le Président. Mme Saint-Germain, Mme Arcand, Mme Frino et Mme Picard, bonjour. Pour en revenir au témoignage de Mme Lucie Frino et à la réaction aux commentaires que Mme Saint-Germain a faits, je me rappelle qu'il y a de cela quelques mois, là, j'ai visité votre organisme, puis on avait discuté d'une tendance qui avait l'air à se dessiner de développer les programmes en alphabétisation un peu plus en contexte de commission scolaire que dans des organismes populaires. J'aimerais m'informer de ça au point de départ, là, qu'est-ce qui est advenu de ce diagnostic-là. Je pense qu'il y avait une crainte, là, à l'époque, là. Enfin, j'aimerais savoir ce qui est advenu de vos programmes et de la capacité d'accueil dans vos programmes, là.
Donc, je vous donne le temps d'y réfléchir, mais, pour en revenir au témoignage de Mme Frino, ce que vous dites dans le fond, c'est qu'il y a des personnes qui pourraient tirer avantage d'une durée plus longue, par exemple, dans un programme d'alphabétisation, mais que, lorsqu'un agent identifie que le progrès serait suffisant pour que cette personne-là puisse éventuellement aller vers d'autres cours, on signifie à la personne qu'on ne la supporte plus dans le programme. Donc, on ne paie plus pour les services rendus par l'organisme et on la dirige vers d'autres programmes. Dans votre réaction, ce que j'ai perçu, c'est qu'il y avait une zone d'arbitraire là qui était exercée par l'agent, que vous pourriez, autrement dit, décider autrement à partir d'autres critères, et que la personne était laissée à elle-même pour éventuellement se diriger vers ces autres programmes. Alors, qu'est-ce que vous suggérez exactement au ministre dans des circonstances semblables?
Mme Saint-Germain (Lucie): Est-ce que vous demandez à madame...
M. Bouchard (Vachon): La personne qui voudra bien.
Mme Saint-Germain (Lucie): C'est parce que ça fait partie des problèmes, des fois, des personnes qui ont de la difficulté à lire puis à écrire, c'est aussi des mots qu'on utilise qui sont très difficiles à comprendre. «Arbitraire», tu sais, pour elle, là, qu'est-ce que ça veut dire? C'est fou, mais j'ai oublié votre question.
M. Bouchard (Vachon): Bon.
Mme Saint-Germain (Lucie): Je sais que j'ai l'air folle, là, mais... Toi, tu peux-tu y aller?
M. Bouchard (Vachon): Non, non, mais reprenons, reprenons l'expérience, là.
Mme Saint-Germain (Lucie): Oui.
M. Bouchard (Vachon): Alors, Mme Frino suit des cours. Elle fait un progrès. L'agent identifie le progrès. Étant donné le progrès, il dit: Maintenant, on ne subventionne plus votre présence au groupe, on vous suggère d'aller à la commission scolaire, dans un autre cours de formation. Je ne connais pas la nature du cours, là, mais dans un autre cours. Mme Frino nous dit: Je ne me sentais pas prête à faire ça, c'est trop gros pour moi. Alors, qu'est-ce que vous suggérez dans les circonstances?
Mme Saint-Germain (Lucie): Bien, c'est de continuer à aller au CEDA.
M. Bouchard (Vachon): Oui, mais qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans le système, là?
Mme Saint-Germain (Lucie): Bien, O.K. C'est parce que qu'est-ce qui arrive, là, par exemple, les personnes qui travaillent au... Peut-être que Danielle pourrait répondre, même. Danielle va plutôt répondre.
Le Président (M. Copeman): Mme Arcand.
Mme Arcand (Danielle): Dans le cas de Lucie, c'est que son agent trouve qu'elle est trop confortable. Alors, après trois ans, les agents d'aide à l'emploi, pour eux ? après trois ans à un endroit ? tu devrais avoir tout appris ce que tu avais à apprendre puis passer à autre chose. Apprendre à lire et à écrire, ce n'est pas vrai, ça ne prend pas trois ans quand tu es obligé d'apprendre que la lettre a s'appelle a, qu'un l avec un a, ça fait la, avec e, ça fait le, tu pars de très, très loin, tu as 44 ans, tu n'as pas l'esprit à ça comme un jeune de six ans. Tu as des problèmes dans la vie de tous les jours, tu as des problèmes d'argent, tu as tes enfants, ça fait que tu n'as pas l'esprit disponible comme un enfant, là. Donc, apprendre à lire à 40 ans, ce n'est pas comme apprendre à lire à six ans. Lucie, elle, elle sait qu'est-ce qui est bon pour elle, elle veut apprendre à lire et à écrire, c'est une... Elle a la motivation, puis là son agent, ce qu'il lui dit, c'est que, non, ça fait trois ans. Tu ne peux pas rester plus de trois ans sur ton programme, tu dois passer à autre chose, va faire du bénévolat. Mais elle veut apprendre à lire et à écrire, elle aimerait ça, à un moment donné, savoir lire et écrire suffisamment, sauf que la situation dans laquelle elle est est complètement démotivante parce qu'elle doit passer à autre chose.
Mme Saint-Germain (Lucie): ...
M. Bouchard (Vachon): Est-ce que... Oui, madame. Excusez-moi.
Mme Saint-Germain (Lucie): Le programme qu'on parle, ça s'appelle Alphabétisation-implication sociale, et ce programme-là, normalement... en tout cas, les fonctionnaires acceptent que ça aille jusqu'à trois ans et pas plus. C'est comme si on pouvait apprendre à lire puis à écrire en trois ans. Quand on est un adulte, c'est... Quand tu as toutes sortes des problèmes, et tout ça, tu n'apprends pas à lire et à écrire en trois ans. Et il y a un problème dans le programme lui-même. O.K.?
Maintenant, il y a certains agents qui acceptent, hein, qui comprennent la situation, qui disent: C'est vrai, écoute, on va t'aider, puis tu vas continuer, tu vas aller plus loin. Ça, c'est de l'arbitraire, ça, comprenez-vous? Un autre agent va dire: Oui, bien, là, un an tu en as assez. Mais l'agent, lui, est-ce que c'est un spécialiste de l'alphabétisation? Mais non, ce n'est pas un spécialiste de l'alphabétisation. Quand il contacte le groupe qui eux autres sont des spécialistes en alphabétisation puis qui disent: Regardez le progrès qu'il a fait, c'est ça, il faudrait qu'il en fasse encore plus, l'agent, lui, il croit ou il ne croit pas, dépendamment, hein, il veut, il ne veut pas. Alors, c'est ça de l'arbitraire, aussi.
Et il faudrait aussi faire confiance aux groupes qui font de l'alphabétisation, c'est eux autres, les spécialistes. C'est sûr qu'on est plus porté à faire confiance aux commissions scolaires parce que ça fait partie du système, mais, nous, on a prouvé... Puis justement en s'en venant en auto après-midi, Danielle disait: Mais, nous, notre monde, ils ne partent pas de nos groupes, ils restent. Est-ce que c'est un problème qu'ils restent? Dans les commissions scolaires, aujourd'hui, souvent ils quittent après un mois, deux mois, ils ne se sentent pas bien. Nous, ils restent. Alors, ils sont trop confortables, on va les couper.
Il faudrait peut-être regarder ça puis il faudrait peut-être voir est-ce qu'il faut absolument être dans un programme. Pourquoi on ne leur donne pas de l'argent suffisamment puis pourquoi qu'on ne leur paie pas leurs billets de métro, et puis tout? Et puis ils pourraient venir dans nos groupes. Maintenant, c'est qu'ils s'appauvrissent tellement année après année, ils sont de moins en moins capables de venir même dans nos groupes. Puis ça, il faut le dire.
M. Bouchard (Vachon): Sur la question de l'indexation, vous déplorez la demi-indexation, là, pour les gens qui sont aptes. Je pense que le ministre devrait être assez sensible à cet argument-là parce que jadis, lorsqu'il y a eu une annulation d'indexation, il réclamait la pleine indexation. Alors, il a sans doute une oreille attentive à vos réclamations. Mais est-ce que cette disposition-là va avoir des effets directs sur la capacité des gens qui vous fréquentent d'améliorer leur sort, notamment en vertu des objectifs que vous avez en alphabétisation?
Mme Saint-Germain (Lucie): C'est bien certain, parce que, regardez, là, actuellement ces personnes-là viennent dans nos groupes. Quand elle disait tantôt, Danielle, que, dans un groupe en alphabétisation, tu as: la personne qui est sur un programme, elle est assise à côté de celui qui n'est pas dans un programme, puis un qui va se faire indexer et l'autre qui ne se fera pas indexer. Il va être dans le même groupe, il va avoir les mêmes objectifs: un qui va en avoir, l'autre n'en aura pas. Parce que ce qu'il faut dire, que les gens aiment venir dans nos groupes apprendre à lire puis à écrire, ils vont venir quand même, vous comprenez, hein? Puis ils vont être en maudit après l'aide sociale qui les empêche de venir...
Mme Frino (Lucia): ...
Mme Saint-Germain (Lucie): O.K. Vas-y.
n(17 h 20)nMme Frino (Lucia): O.K. Comme qu'elle dit, là, j'ai été trois fois rencontrer mon agent. C'est beau de lui expliquer que 15 heures, c'est assez pour moi, non, elle, elle ne veut rien savoir, elle veut que j'aille au Centre Champlain, une plus grande école. J'ai dit: Écoute, j'ai déjà essayé le test de classement, j'ai paniqué, j'ai parti. On était ? ah, je te dis vite, vite, là ? 10 personnes. Je ne suis pas capable de travailler avec 10 personnes. La preuve, elle n'avait pas assez de temps pour nous répondre à tout. Mais, comme vous voyez, j'ai parti de zéro et je lis aujourd'hui. Mais écrire, je ne sais rien écrire. C'est gênant de dire un peu, mais ça ne veut pas dire que je suis niaiseuse ou folle, parce que j'ai fait des grosses démarches. J'ai une enfant qui est très malade, je suis trop proche de l'école. J'ai fait les démarches pour qu'elle soit sur l'autobus d'école à cause qu'elle est asthmatique, qu'elle ne peut même pas être dehors à moins 15 °C. C'est juste pour vous prouver...
Mais j'ai été chercher de l'aide chez Danielle, j'ai été chercher de l'aide à mon autre prof, Nathalie. Pourquoi? Je ne sais pas écrire? Je ne savais même pas lire quand j'ai rentré au CEDA, je ne savais même pas A B C D, je ne savais rien de ça. Puis en arrivant là à 15 heures... Puis, quand tu pars de là, je m'en vais aller à la maison. Je n'ai pas fini encore, je continue avec mes enfants, mais c'est bon de partir du CEDA, aller à la maison et savoir que j'ai appris mes alphabets, que je peux aider mon enfant.
Mais là, cette semaine, j'ai été à mes cours de... Mais, la semaine prochaine, je ne peux pas vous garantir que je peux y aller, ils ne veulent pas m'aider, le centre d'emploi. Mais ce n'est pas que je ne veux pas... Bien, je suis motivée et je veux foncer, mais je veux juste qu'ils m'aident, qu'ils paient le transport. Mais d'arrêter, ça va me faire reculer, pas avancer. Ils veulent que j'avance. En faisant ça, ils ne me feront pas avancer, ils me font reculer.
Puis ce n'est pas que je n'ai pas essayé, j'ai même pris un rendez-vous pour faire un classement dans une autre école. J'ai pris la date, et tout. J'ai appelé mon agent, je lui ai dit: Écoute, tu veux que j'aille à cette école-là, j'ai dit, je vais y aller, mais je n'y vais pas avec ma volonté. C'est-u une place à aller quand une personne va contre sa volonté? Bien, là, elle, elle dit: Correct, calmez-vous. Bien, ce n'est pas que je ne veux pas y aller, je veux y aller, mais 25 heures par semaine puis plus que j'arrive à la maison, j'en ai encore un autre deux heures de français et anglais à faire avec mes enfants. C'est ça. Merci.
M. Bouchard (Vachon): Merci beaucoup, madame.
Le Président (M. Copeman): Mme Saint-Germain, Mme Picard, Mme Frino, Mme Arcand, merci beaucoup d'avoir participé à cette commission parlementaire au nom du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec.
J'invite maintenant les représentantes du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale de prendre place à la table et je suspends les travaux de la commission quelques instants.
(Suspension de la séance à 17 h 22)
(Reprise à 17 h 24)
Le Président (M. Copeman): Alors, la Commission des affaires sociales reprend ses travaux, et c'est avec plaisir que nous accueillons les représentants du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale. Je vois, il y a un changement dans la délégation, parce que, moi, j'avais le nom de quatre femmes. Mais, de toute façon, je vais vous demander de vous présenter et de présenter les personnes qui vous accompagnent. Par la suite, vous avez une période de 20 minutes pour faire votre présentation qui sera suivie par un échange d'à peu près 20 minutes de chaque côté de la table avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.
Regroupement des ressources
alternatives en santé mentale
du Québec inc. (RRASMQ)
Mme Rousseau (Ginette): Bien, merci. D'abord, mon nom, c'est Ginette Rousseau. Je travaille au Regroupement des ressources alternatives depuis deux ans et je suis accompagnée de deux personnes: Dominique Alfonsi et de Sally Robb. On est trois personnes.
D'abord, peut-être quelques mots de qui est le regroupement et ce pour quoi on est là aujourd'hui. Et, suite à ça, j'ai vais laisser mes deux collègues vous parler de leur expérience de c'est quoi, vivre dans la pauvreté.
Peut-être, d'abord quelques mots sur le regroupement. Je n'irai pas dans le détail du mémoire qu'on vous a présenté. Peut-être, grosso modo, on tient d'abord à vous remercier de nous permettre de s'exprimer devant vous. Pour nous, c'est une forme de consultation. On y reviendra, de toute façon. J'ai entendu M. Béchard tantôt puis j'aimerais ça pouvoir ajouter des choses là-dessus.
D'abord, on tient à vous féliciter pour l'initiative du barème plancher. Je pense que les groupes communautaires, depuis des années, demandaient ces changements-là au niveau de l'aide sociale. Ça fait qu'on tient à vous féliciter. Effectivement, c'est quelque chose auquel on tenait énormément, à ce qu'il n'y ait plus de coupures, de saisies, de ponctions dans le chèque d'aide sociale.
Puis j'irais plus en termes de qui est le regroupement. D'abord, on est un regroupement de 120 ressources qui sont un peu éparpillées partout au Québec, qui sont de différents ordres mais qui travaillent tous en santé mentale, ce qui fait que c'est des gens qui ont été hospitalisés en psychiatrie qui se retrouvent dans nos ressources, entre autres des ressources d'hébergement, des ressources de crise, des ressources d'entraide, des ressources de répit, des ressources d'intégration au travail, dont on en a une quarantaine qui font partie de notre regroupement, c'est plus du tiers de notre membership. Ce qui fait que j'y reviendrai là-dessus de toute façon plus tard concernant des suggestions pour améliorer le projet de loi.
On doit par ailleurs, je pense, malheureusement vous dire qu'on demande le retrait de ce projet de loi là. On pense que ça ne répond pas du tout à ce que le projet de loi de la loi n° 112 qui avait été présenté l'automne dernier ou l'hiver dernier, je ne me souviens plus très bien...
Mme Robb (Sally): ...décembre 2002.
Mme Rousseau (Ginette): Décembre 2002, Sally vient de me rappeler. Ça ne correspond pas du tout à ce qu'on souhaitait. On pensait qu'il allait y avoir, entre autres, beaucoup de mesures qui allaient diminuer les préjugés, et ce qu'on voit dans votre projet de loi, c'est que ça les augmente, ce qui fait en sorte que, pour nous, c'est un peu dommage. Puis, bien, ce qu'on demande par ailleurs, c'est peut-être l'amendement dès maintenant de la Loi de l'aide sociale pour la conformer à l'esprit visant à lutter vraiment contre la pauvreté et aussi l'exclusion sociale. Parce qu'il faut voir que les gens qui viennent, qui sont au regroupement, qui font partie des ressources, c'est des gens majoritairement qui bénéficient de l'aide sociale... à plus de 80 % de nos membres qui sont des gens à l'aide sociale, ce qui fait qu'ils vivent beaucoup dans la pauvreté.
J'attirerais peut-être votre attention sur un certain nombre de choses. Pourquoi on est ici? Bien, je pense qu'il y a un lien très étroit à faire entre les problèmes de santé mentale et la pauvreté. Et, pour nous, le projet de loi et tout ce qui concerne les préjugés, entre autres, bien on pense que toute la question de l'estime de soi est très diminuée de par les préjugés. On a juste à ouvrir le radio et entendre des lignes ouvertes sur les bénéficiaires à l'aide sociale, et, bon, Les Bougons en sont un autre exemple où on véhicule énormément de préjugés, et le projet de loi va dans ce sens-là aussi.
Ce qui fait en sorte qu'il faut voir que l'estime de soi, qu'est-ce que ça fait, bien ça crée des facteurs très importants de dépression, ça crée, pour certaines personnes, des problèmes de toxicomanie, d'alcoolisme, de criminalité et de suicide, ce qui fait que... Vous connaissez déjà la problématique de suicide au Québec. Ce qui fait que, sans travail, salaire ni revenu, l'image que renvoie la société est très négative et reflète le mépris des autres, en particulier ceux qui dépendent de l'État pour vivre. Ce qui fait que... Pas pour vivre, je dirais davantage pour survivre, parce que vivre avec 500 $ et quelques sous par mois, je ne sais pas, en tout cas, ici, à Québec, mais, en tout cas, dans toutes les régions du Québec, entre autres à Montréal où les taux de logement... De toute façon, mes collègues vont vous en parler, on dépense plus de 50 % à 60 %, chez mes collègues, de leurs revenus en logement en ce moment, ce qui fait que ça ne laisse plus beaucoup de sous pour le reste du mois.
n(17 h 30)n Toute la question de la honte, je pense que c'est un risque. Ce n'est peut-être pas un facteur, mais c'est un facteur de risque de mauvaise santé mentale. Et on sait très bien que les coûts astronomiques du système de santé en ce moment, peut-être qu'on pourrait faire de grandes économies si on s'attardait davantage à la pauvreté, ce qui fait en sorte que ça aurait un impact sur le budget de la santé qui serait moins élevé, puis on pourrait réinvestir cet argent-là dans les prestations d'aide sociale.
Peut-être un dernier sur les facteurs environnementaux. Vous savez que la santé physique et mentale est très interreliée aux conditions de vie, ce qui fait en sorte qu'on déplore beaucoup... Il y a quand même plusieurs études qui démontrent très bien que toute la question de la santé mentale, il y a des liens à faire avec l'impossibilité de prévoir l'avenir, l'insécurité de ne pas savoir, après le 15 du mois, si on va manger pour souper. Toutes ces questions-là font en sorte que ça crée un stress énorme chez les gens, et c'est très difficile de penser à aller travailler le lendemain matin ou encore essayer de se trouver un emploi quand on vit des situations de pauvreté de ce genre-là.
Ce serait un petit peu là-dessus que... Je continuerais peut-être en termes de... Tantôt, on a parlé de quel genre de programmes, une des choses qu'on suggère, qu'on essaie de promouvoir, c'est toute la question d'enlever toutes les catégories. On pense que tous les gens devraient avoir accès à tous les programmes. On ne comprend pas, ça fait à peu près 15 ans qu'on vient à des commissions parlementaires, j'ai relevé des mémoires d'il y a 15 ans où on vous demandait d'enlever les catégories d'apte et inapte au travail. Pour nous, ça ne crée que davantage d'exclusion sociale quand on sait que les gens, ça leur prend un diagnostic, que ce soit un médecin qui donne les diagnostics en santé mentale pour avoir le soutien financier, et on se retrouve avec des jeunes de 20, 25 ans, qu'est-ce qu'ils aspirent dans la vie, c'est d'avoir le soutien financier pour avoir un chèque un peu plus élevé que 500 $ par mois. Je trouve, c'est très déplorable, et il y a sûrement des façons d'améliorer cette loi-là qui vont faire en sorte que les questions d'apte et inapte au travail vont être éliminées. Et aussi tous les programmes qui s'adressent à des catégories très ciblées de 18-30 ans, vous allez voir, j'ai deux personnes ici qui sont dans la quarantaine et puis qui voient passer les beaux petits programmes mais qui n'y ont jamais accès, ce qui fait en sorte que ça aussi, on déplore ça.
Un plus dans le projet de loi ? on tient à le mentionner, ça faisait longtemps qu'on travaillait à ça: nous sommes heureux de l'initiative instaurant un barème plancher puis d'autre part on est très heureux du Programme de solidarité sociale où on nous parle de... C'est vraiment des suggestions où tous les... Nous, ce qu'on souhaite, c'est que tous les bénéficiaires de la sécurité du revenu sans exception aient droit à tous les programmes ? pour nous, c'est très important ? et offrir à ce moment-là des formations adéquates qui permettent finalement aux personnes... et toujours dans des mesures volontaires, ça, c'est ce qui nous apparaît... On ne peut pas imaginer que les gens soient obligés à faire des programmes. On sait très bien que des gens qui font du travail qu'ils n'aiment pas, bien souvent ils se rendent malades. Ce qui fait en sorte que pour nous ce n'est pas du tout une façon de régler les problèmes.
Puis aussi toute la question de mesures d'orientation, de formation, d'intégration à l'emploi. D'ailleurs, je vous invite fortement... On a une quarantaine de ressources au Québec qui travaillent depuis une quinzaine, même une vingtaine d'années dans des programmes d'employabilité, qui sont dans de l'intégration par le travail, et ils travaillent dans toutes sortes de programmes, et ça fonctionne très bien. Mais c'est toujours dans des mesures volontaires où les gens sont accueillis chaleureusement et où ils travaillent à leur rythme. Ce qui fait en sorte que je vous invite à visiter ces ressources-là, vous allez voir qu'il y a quand même des initiatives très intéressantes au Québec, en ce moment, de projets qui fonctionnent à ce niveau-là.
Dernière petite chose, bien, en tout cas, on aurait besoin d'éclaircissements sur l'article 60. C'est un libellé qui est flou, qui nous interroge énormément parce qu'il y a beaucoup d'intrusion à la vie privée, qu'on pense. Et aussi toute la question de la confidentialité, on aimerait ça vous entendre là-dessus parce que ça, ce n'est pas très clair.
Et puis, bon, bien, ça fait des années qu'on le répète, toute la question de la situation des femmes et la pauvreté, bon, les conditions par rapport aux femmes victimes de violence et les familles monoparentales... je pense qu'on répète dans notre mémoire ? ça fait plusieurs fois qu'on en parle ? qu'une mesure très concrète, une suggestion très concrète, ce serait que chaque personne ait droit à son chèque. On déplore toujours l'idée du chèque commun de couple, là. On ne pense pas que ce soit une avancée très grande au Québec à ce niveau-là. Je terminerais là-dessus.
Ah! Dernière chose, article 53, la prestation versée au locateur, on déplore tout à fait ce recul important. Je pense que c'est un article qui n'avait jamais été mis en vigueur, puis il y a des raisons pour lesquelles il n'avait jamais été mis en vigueur, c'est qu'elles sont discriminatoires, de l'avis de la Commission des droits de la personne. Et puis son application nous apparaît pratiquement impossible, ce qui fait en sorte qu'on demande absolument le retrait de cet... Et par ailleurs on va insister davantage sur l'urgence de voir construire 8 000 logements sociaux par année au Québec. On trouve que c'est probablement plus une mesure qui va favoriser une meilleure qualité de vie pour les personnes que de saisir le chèque des personnes qui va aller vers le propriétaire. Parce qu'il faut peut-être vous mentionner que les gens qui sont à l'aide sociale, qui vivent en ce moment dans des familles d'accueil privées... vous savez que, s'il y a une indexation de 5 $ ou 10 $, bien, le mois suivant, le propriétaire de la maison de famille d'accueil, naturellement, augmente leur location, la vie dans laquelle ils sont, dans leur maison, du même montant sinon plus, ce qui fait que la personne en elle-même n'a jamais plus de sous dans ses poches malgré les indexations qu'on considère importantes à avoir mais qui n'ont pas beaucoup d'effet sur plusieurs personnes.
Finalement, médicaments gratuits, on va répéter un peu. On considère qu'il y a une surconsommation de médicaments au Québec, mais quand même on trouve ça important que les personnes, tout le monde puisse avoir accès à des médicaments gratuits quand la personne en a besoin. Même si on déplore le fait de la surconsommation, je pense que c'est un élément de santé et qui est important à ce niveau-là. Bon.
Je pense que peut-être la dernière petite chose qui nous apparaît aussi importante, c'est toute la question de la clause d'impact. À toutes les fois que le gouvernement fait des lois, on ne voit pas beaucoup de choses là-dessus.
Autre dimension, on considère que le gouvernement a toujours un rôle très important à jouer dans la redistribution de la richesse collective, et c'est probablement par le régime de fiscalité que ça peut se faire, ce qui fait qu'on invite vraiment le gouvernement à se pencher sur ça. Du fait des finances publiques qui semblent être de moins en moins grandes, on vous invite à regarder le régime de fiscalité pour que le cinquième des plus pauvres soient moins pauvres. Ce qui fait que je vais laisser la parole à Sally. Sally va faire un petit témoignage sur qu'est-ce que c'est que de vivre à l'aide sociale en 2004. Je te laisse la parole.
Mme Robb (Sally): Bonjour. Je m'appelle Sally Robb. J'ai 43 ans. Je vis dans un un et demie qui était un ancien motel. Il coûte 380 $ par mois. Je paie à peu près 50 % de mon revenu de l'aide sociale sur mon loyer, là, et je peux vous dire que c'est déprimant, ça me déprime beaucoup. J'essaie de faire le mieux que je peux, de sortir chaque jour de là-bas, parce que, si je ne le fais pas, je m'en vais devant la télévision et regarder la télévision toute la journée. Je ne me sens pas chez moi là. Pour moi, c'est une place pour dormir, manger et regarder la télévision. C'est tout. Je ne me sens pas pantoute chez moi là.
n(17 h 40)n Je vais parler un peu de mon vécu. J'ai été obligée de confronter le préjugé d'infériorité plusieurs fois pour plusieurs années, plus que 30 ans de ma vie, à cause que le monde pensait que j'étais trop paresseuse, que j'étais débile, que j'étais trop naïve, à cause que mes réflexes mentaux et physiques n'étaient pas assez vite. Et je vis encore les effets secondaires de ça, et il y a encore des moments que je vis encore qui me rappellent de ces années-là. Et, quand ça arrive, là, ça m'arrive, ces moments-là, je m'isole de plus en plus parce que je suis peur. Je suis vraiment, vraiment, vraiment peur. Je suis peur de rejet, je suis peur d'exclusion, je suis peur que des hommes vont me penser que je suis débile.
Pour moi, le préjugé, c'est une forme d'abus psychologique parce que ça affecte la santé mentale d'une personne dans un sens très, très négatif où éventuellement, surtout si cette personne est confrontée avec ces préjugés-là ou ce préjugé-là durant plusieurs années, cette personne va finir de croire ce même préjugé, le préjugé d'infériorité. Et, quand on se croit qu'on est inférieur des autres, on n'est pas ouvert à savoir qu'on est quelque chose de contribuer, une contribution à faire. Parce que tout le monde a leur propre contribution à faire, unique à eux, et on ne peut pas, on ne le voit pas. On est inférieur, on ne peut pas faire ça, on peut faire rien. On ne peut pas donner une contribution si on est inférieur. Et tout le monde perdent là-dedans, pas juste la personne qui est confrontée avec ce préjugé-là, parce que les autres ne bénéficient pas de leur richesse, de la contribution que cette personne a là-dedans. Et, pour moi, c'est vraiment triste, ça. C'est vraiment triste, parce que, si on ouvre notre coeur et savoir ça, on peut construire des belles, belles, belles choses, des belles choses. Mais on ne le fait pas parce qu'on est... «you know».
Quand j'entends des personnes, le public «at large» et les membres de ma famille parlent de la santé mentale, et tout ça, je pense qu'ils se voient juste ça. La personne a une difficulté de santé mentale, la personne a un handicap, on se voit juste ça. Mais personne n'est pas juste des difficultés en santé mentale. Une personne a toutes sortes d'autres parties dans lui-même, et on ne sait pas, «you know», on ne sait pas, et... «Oh boy!»Une voix: ...les suggestions.
Mme Robb (Sally): Des suggestions. Pour moi, moi, je suis d'accord d'arrêter les catégories. C'est sûr et certain, ça n'aide pas pantoute. Et des programmes volontaires, et qu'on a un choix. Ce qui me fait peur avec les programmes, c'est qu'on est obligé d'aller. Et il va y avoir les programmes qui vont traiter des gens comme des débiles. Mon expérience, j'ai vécu ça personnellement, et je voyais ça quand j'ai fait beaucoup de bénévolat avec des personnes diagnostiquées en déficience intellectuelle. C'est comme: Oh! Ce pauvre débile, on va l'aider de faire des choses, des petites choses simples comme mettre des lettres dans des enveloppes. Ça, c'est...
Le Président (M. Copeman): Mme Robb, je dois vous arrêter quelques instants. Les cloches sonnent pour nous appeler à un vote au salon bleu. Et ils vont continuer à sonner jusqu'à ce que le vote soit tenu, alors je suis dans l'obligation de suspendre les travaux de la commission. Avant de le faire, je vais demander le consentement immédiatement des membres de la commission afin de poursuivre après 18 heures, afin de terminer l'échange avec nos invités. C'est à vous de décider évidemment, mais... Il y a consentement pour dépasser 18 heures? On verra la période nécessaire pour terminer l'échange, mais c'est ça.
Alors, malheureusement, je suspends les travaux de la commission pendant quelques minutes. Ça va peut-être nous prendre une dizaine de minutes de compléter le vote, puis les parlementaires vont revenir à ce moment-là. C'est une obligation qui nous est imposée d'aller voter évidemment au salon bleu. Alors, je suspends les travaux de la commission.
(Suspension de la séance à 17 h 47)
(Reprise à 18 h 6)
La Présidente (Mme Charlebois): Alors, nous allons reprendre nos travaux. Si vous voulez poursuivre, Mme Robb, sur...
Mme Robb (Sally): Alors, je vais vous lire un petit poème que j'avais écrit, là. J'ai des copies à vous remettre, si vous voulez, à la fin, là.
La Présidente (Mme Charlebois): D'abord, nous allons récupérer les copies et nous les transmettrons aux membres de la commission, après examen évidemment. Maintenant, est-ce que vous avez terminé votre présentation?
Mme Robb (Sally): ...le poème, il s'appelle... le titre, c'est J'suis pas en caoutchouc:
«Mes bras et mes jambes ne sont pas en fer
ni en fibre de verre, [ils] sont faits de chair
[et] de sang et d'os;
«Mon coeur n'est pas en caoutchouc mais
? oui, tu l'as deviné ? de chair et de sang;
«Mon cerveau n'est pas une machine
comme un ordinateur
il n'est pas construit de petits
microprocesseurs ou de conducteurs;
«Mon cerveau ? encore une fois ?
est une partie vivante de moi
il s'ouvre et ne se ferme pas
d'un clic ou d'une touche;
«J'suis pas un robot sur lequel t'as
l'ultime contrôle;
«J'suis pas du tout dupe, j'suis pas une poire
à qui tu peux tout faire accroire;
«Alors, avant de me discarter
comme un deux de pique
oublie pas, mon ami:
«J'suis peut-être pas aussi sophistiquée
intellectuellement que tu l'es;
«J'suis peut-être pas capable de m'exprimer
aussi bien que tu le fais;
«Mais j'suis pas un petit rien du tout;
«Si tu m'écartes ainsi sans vraiment
me connaître comme
un être vivant, vibrant
une personne
c'est exactement qui j'suis
tout comme toi
mon ami;
«Tu passes à côté de bien des choses
à admirer ou pour simplement
t'inspirer;
«Ça, ce serait b'en dommage;
«Toute cette richesse juste devant toi et
t'es trop aveugle pour la voir;
«Pauvre toi, tu ne peux pas reconnaître la substance
quand tu l'aperçois parce que
«Tu mesures la valeur de tout en dollars
et en cennes et en logique
l'argent est le combustible de tes idées et
tes actions;
«Oui, c'est tellement dommage;
«Dommage pour toi.» J'ai écrit ce poème en anglais et j'avais des amis qui ont fait la traduction, excuse-moi si c'était...
n(18 h 10)nLa Présidente (Mme Charlebois): Merci beaucoup pour la présentation. Nous allons tout de suite débuter les échanges parce qu'on a déjà dépassé le temps imparti pour la présentation. On est déjà hors délais, là. Si vous voulez, vous pourrez échanger pendant les périodes, là, d'échange, là. On avait 20 minutes pour la présentation du mémoire, là, puis on l'a déjà dépassé de beaucoup.
Mme Rousseau (Ginette): Peut-être juste vous mentionner... Sally est notre représentante au regroupement pour le Collectif pour l'élimination de la pauvreté, et, elle aussi, elle participe à une troupe de théâtre, dans Villeray, qui travaille sur le logement social, qui s'appelle Je m'en mêle. C'est un projet...
Mme Robb (Sally):Je m'en mêle.Mme Rousseau (Ginette):Je m'en mêle. C'est ça. Et Dominique, que j'aurais beaucoup aimé qu'on puisse entendre son témoignage, est membre du conseil d'administration au Regroupement des ressources alternatives et aussi membre d'une ressource alternative à Montréal, qui s'appelle Solidarité alternative en santé mentale. Je tenais juste à le dire.
La Présidente (Mme Charlebois): Mais probablement qu'il pourra intervenir avec les parlementaires. Alors, M. le ministre, si vous voulez bien débuter la période d'échange.
M. Béchard: Oui. Bien, merci beaucoup. Je veux vous remercier de votre témoignage. Puis effectivement votre témoignage a été plus long que le temps imparti, et je pense qu'on l'accepte, je n'ai aucun problème avec ça. Ce que je vais faire puis ce que je vous propose pour qu'on entende peut-être le troisième témoignage, je vais répondre à certaines des questions que vous avez posées rapidement, et peut-être qu'après, là, je pourrais vous donner quelques minutes de mon temps pour qu'on puisse vous entendre.
D'abord, vous dire que je suis très content de voir, au niveau du barème plancher, que vous en êtes satisfaits. Alors, tant mieux, il faut continuer. Ce n'est pas une fin, le plan de lutte à la pauvreté, le projet de loi n° 57, là, ce n'est pas la fin de tous les efforts de tous les gouvernements pour les 100 prochaines années en ce qui a trait à la lutte à la pauvreté et l'exclusion sociale. C'est un pas, et qui peut-être, pour certains, paraît plus petit, pour d'autres paraît plus grand, mais c'est un pas.
Deuxièmement, je voulais vous dire: Au niveau de la prime à la participation, quand vous souhaitez qu'elle soit accessible et qu'il s'agisse de mesures volontaires, oui, on a enlevé le caractère de pénalité et, oui, on souhaite que ce soit des mesures qui soient volontaires, que les gens puissent y participer.
Au niveau de l'article 60 du projet de loi, sur la continuité de services, ça ne concerne pas l'approche médicale. Je vous dirais que ce qu'on vise plutôt, c'est qu'entre les ministères on ait une continuité de services, qu'on soit capable de faire en sorte que quelqu'un vient soit au ministère de l'Emploi, Solidarité sociale, Famille, au ministère de la Santé, au ministère de l'Éducation, mais qu'on arrête de dire aux gens: Non, tu n'es pas à la bonne porte. C'est ça qu'on vise, on veut s'assurer d'avoir une continuité de services. Mais on ne remplacera pas le ministère de la Santé au niveau du diagnostic ou de l'approche, c'est vraiment une continuité de services.
Sur l'article 53, je vous dirais que, oui, on l'a ramené au niveau du logement, on l'a ramené pour entendre des propositions. Il n'est pas en application, je vous dirais que je n'ai pas l'intention de le mettre en application tel quel, mais je veux qu'on en parle, parce qu'il y a des problèmes dans les deux côtés. On peut bien dire que les gens vont se faire saisir le chèque, je suis parfaitement d'accord qu'il ne restera pas grand-chose après ça, sauf que d'un autre côté il faut aussi parler du problème. Il y a bien des fois, il y a des préjugés, puis il y a des gens qui ne louent pas parce qu'ils se disent qu'ils n'ont pas de recours. Alors ça, c'est l'objectif de la commission.
Et je veux vous donner peut-être, là, les quelques minutes, là, que je mets de mon temps pour... Si vous pouvez nous parler en deux, trois minutes de votre témoignage, moi, je suis prêt à laisser mon temps à ce niveau-là. On est là pour vous écouter. Alors, vous avez sûrement l'occasion de nous écouter et de nous entendre sur beaucoup d'autres points, alors là on va vous écouter.
La Présidente (Mme Charlebois): M. Alfonsi.
M. Alfonsi (Dominique): Absolument. Bien, je vous remercie. Mon nom est Dominique Alfonsi. Je suis à l'aide sociale depuis quatre ans.
M. Béchard: À condition de ne pas être trop dur avec moi non plus, là. C'est ça, la condition.
M. Alfonsi (Dominique): Non, non. Non, non, non. Ça dépend. Je suis diplomate, rassurez-vous. Donc, je suis à l'aide sociale depuis quatre ans, je suis apte au travail, moi, donc ce qui fait un peu la différence de témoignage avec Sally, tantôt. J'ai 51 ans, c'est-à-dire qu'à 47 ans, suite à un burnout, je me suis retrouvé, en fin de chômage, sur l'aide sociale. Et ma demande rejoint un peu mes deux collègues, c'est: Je voudrais qu'il y ait accessibilité à ces programmes à tout âge, donc. Et à date, disons, malheureusement je n'ai pas pu en bénéficier, parce que, bon, les 18-30 ans sont réservés aux 18-30 ans, etc. Donc, je rejoins ce qui a été dit précédemment, et j'aimerais, disons, voir des choses en ce sens, parce que je pense qu'on a une expérience, on peut, je pense, nous réaiguiller quelque part, je pense qu'on est capable encore de faire quelque chose, il me semble, et c'est important pour moi de le dire et de le nommer, comme on dit, hein? Ca va, donc. Et voilà en gros ce que j'avais à dire, et je vous remercie de m'avoir accordé de votre temps.
La Présidente (Mme Charlebois): M. le député de Vachon.
M. Bouchard (Vachon): Oui. Merci, Mme la Présidente. Mme Rousseau, Mme Robb et M. Alfonsi, une seule question, c'est pour me démêler un peu, dans le fond. Mme Rousseau, vous avez en même temps dit que ce projet de loi devait être retiré, mais en même temps vous dites: Il y a un certain nombre de trucs qui ont l'air pas trop mal, là, notamment pour les personnes qui sont sans contraintes... qui sont avec contraintes sévères à l'emploi, donc c'est comme s'il y avait une contradiction dans votre demande devant la commission. J'aimerais ça avoir un éclaircissement là-dessus.
Mme Rousseau (Ginette): Bien, pour nous, d'abord et avant tout, toute la question du barème plancher, c'est un des éléments essentiels. Deuxième des choses, on ne veut plus de catégories, ce qui fait que la question d'apte et inapte, on veut que tous les programmes soient accessibles à tout le monde, ce qui fait en sorte qu'on diminue les préjugés de part le fait qu'on ne fait plus de distinction entre les inaptes et les aptes au travail.
Par ailleurs, toute les questions des programmes, on considère que ça fait longtemps que les gens qui étaient inaptes au travail n'avaient pas accès à ces programmes-là, et là, dans ce qu'on nous présente, ils vont y avoir accès d'une certaine façon, là. En tout cas, c'est sûr que ce n'est pas parfait ? M. Béchard en a parlé ? il y a de l'amélioration à y avoir autour de ça, mais pour nous le premier critère serait qu'il n'y ait pas de catégories, ce qui fait en sorte que les gens ont accès à tous les programmes, que ce soient les programmes pour les aptes au travail ou les programmes pour les inaptes. Parce que vous savez qu'il y a plein de gens qui sont diagnostiqués en santé mentale puis qu'à ce moment-là ils sont considérés inaptes, et ces gens-là souhaitent encore faire quelque chose, souhaitent encore contribuer à notre société, et en ce moment, jusqu'à tout récemment, ils n'y avaient pas accès, ce qui fait que maintenant ils pourraient y avoir accès. Et pour nous c'est un plus parce que, comme vous l'avez mentionné, ces deux personnes qui sont à côté de moi sont très impliquées dans plusieurs organismes bénévolement, ils ne sont pas rémunérés pour ce travail-là, mais je pense qu'ils enrichissent la collectivité, et c'est dans ce sens-là qu'on veut que l'élargissement des programmes soit fait sur tous les plans.
J'aimerais attirer l'attention peut-être sur la mention que M. Béchard a mentionnée plus tôt, qu'il y ait des programmes à l'intérieur des municipalités et autres. Pour nous, je pense qu'en ce moment il y a un réseau d'organismes communautaires qui existe au Québec qui est très riche, et, plutôt que de repartir des programmes ailleurs, dans d'autres instances qui n'ont pas beaucoup d'expertise au niveau des gens qui sont les plus démunis ou encore qui essaient de se réinsérer socialement dans leur communauté... Ce n'est pas beaucoup les vocations des municipalités jusqu'à date. On considère que ce serait beaucoup plus intéressant que ce soient les organismes communautaires, qu'on augmente les budgets de missions de base des organismes pour qu'ils puissent enrichir la collectivité par toutes sortes de programmes, par toutes sortes... plutôt que de multiplier encore une fois d'autres programmes gérés par des municipalités, alors qu'il existe au Québec en ce moment un réseau extraordinaire d'organismes communautaires.
Et j'invite M. Béchard à regarder tout ça. Je pense qu'en ce moment ils sont en train de revoir le programme SOC, ce qui fait que j'invite fortement... Parce que les gens qui sont les plus isolés, qui vivent le plus de détresse, quand ils sortent de l'isolement puis qu'ils sont impliqués dans des organismes communautaires, bien leur qualité de vie est améliorée et leur santé de même, ce qui fait qu'on aurait probablement des économies importantes au niveau du système de santé qui coûte en ce moment 17 milliards ? vous êtes tous au courant de ça ? ce qui fait que ces économies-là pourraient servir à rendre accessibles... pour répondre au moins aux besoins vitaux des gens, qui nous apparaissent cinq choses: un logement, de la nourriture, des vêtements et avoir accès à un système d'éducation ? il m'en manque un ? et probablement contribuer finalement soit par du travail rémunéré ou pas, parce que ce n'est pas vrai que tous les gens peuvent être sur le marché du travail et être productifs à 35 ou 40 heures- semaine.
Je m'arrête là-dessus parce que...
Mme Robb (Sally): À propos, les programmes ? excuse-moi, M. Camil Bouchard ? à propos, les programmes, je suis d'accord avec l'accessibilité beaucoup, mais aussi la question volontaire aussi, que ces programmes... prendre compte de l'expertise des personnes elles-mêmes et leurs capacités, leurs intérêts et leurs limites et ne pas les regarder, comme je disais tantôt, des pauvres débiles, parce que pour moi ça, c'est quelque chose que je suis vraiment... vraiment, c'est une peur énorme et mentale que je veux...
M. Bouchard (Vachon): Mme la Présidente, je pense que le message de Mme Robb a été parfaitement entendu. C'est très efficace, on comprend très bien la nature du message. Je vous remercie.
La Présidente (Mme Charlebois): Merci, M. Alfonsi, Mme Rousseau et Mme Robb, pour la présentation de votre mémoire. Et, sur ce, la commission ajourne ses travaux au mardi 26 octobre 2004, après les affaires courantes. Merci.
(Fin de la séance à 18 h 20)