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(Dix heures huit minutes)
Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il
vous plaît!
La commission des affaires sociales reprend ses travaux afin de
procéder à l'étude détaillée du projet de
loi 34, Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services
sociaux et d'autres dispositions législatives.
Est-ce qu'il y a des remplacements ce matin, Mme la
secrétaire?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Blais
(Terrebonne) sera remplacé par M. Claveau (Ungava), Mme Harel
(Maisonneuve) par Mme Blackburn (Chicoutimi) et Mme Juneau (Johnson) par M.
Jolivet (Laviolette).
Le Président (M. Bélanger): Merci. Nous en
étions hier à un amendement à l'article 149. 27.
Est-ce qu'il y a des remarques préalables aux travaux?
M. Chevrette: Oui.
Le Président (M. Bélanger): M. le
député de Joliette.
M. Chevrette: Je suggérerais à M. le ministre,
avant qu'on commence nos travaux ce matin, de présenter un bilan sur
l'ensemble de la loi, à savoir comment il la perçoit au moment
où l'on se parle. Après, il me fera plaisir de faire de
même. Après, vous jugerez, M. le Président, si cela vaut la
peine qu'on reste écrasés ici bien longtemps.
Le Président (M. Bélanger): Lourde décision
au président!
M. Dutil: M. le Président, je pense que ce serait la bonne
façon de procéder. Est-ce que j'aurai le droit de
répliquer après l'intervention du chef de l'Opposition?
M. Chevrette: Cela, M. le ministre, je vous avoue qu'on a
toujours un droit de réplique. On peut se relancer, c'est par
l'alternance.
Le Président (M. Bélanger): La coutume veut que le
ministre ait toujours le dernier droit de parole.
M. Chevrette: Je pourrai peut-être le lui laisser au moment
où je quitterai.
Bilan
M. Robert Dutil M. Dutil: M. le Président, la situation,
je pense, est bien connue. Nous avons travaillé depuis maintenant plus
de deux semaines en commission parlementaire sur ce projet de loi et le nombre
d'heures doit dépasser maintenant les 40 heures. L'on sait, parce que
l'Opposition l'a annoncé hier, que, passé minuit, nous n'aurions
pas le consentement de l'Opposition pour adopter le projet de loi à
cette session-ci. Devant cette situation, il m'apparaît difficile de
continuer nos travaux pour l'instant, étant donné les
énormes différends, en plus, qui nous opposent et l'état
d'avancement du projet de loi ne nous permet certainement pas, même si
nous le souhaiterions, de l'adopter article par article d'ici à 13
heures, cet après-midi.
Quoi qu'il en sort, selon ma compréhension, selon ce que je
comprends de l'Opposition quant à son consentement pour l'adoption, de
toute façon, même si nous avions une adoption article par article,
il ne serait pas question d'adopter le projet de loi ce printemps-ci. Nous
avons donc passé 38 heures en étude, il y a eu 14 heures de
consultation, pour un total de 52 heures. C'est une somme appréciable,
mais cela n'a pas permis de résorber les différends qui sont
encore importants et qui vont faire en sorte que nos travaux devront se
poursuivre ultérieurement. Quant à la date de poursuite, ce sera
certainement, à mon point de vue, à l'intersession. Je n'ai pas
de précision à apporter pour l'instant.
Le Président (M. Bélanger): M. le
député de Joliette.
M. Guy Chevrette
M. Chevrette: Ce fut bref. Je pense que le ministre sera beaucoup
plus long dans sa réplique, parce que j'ai l'intention d'en dire un peu
plus long.
Tout d'abord, M. le Président, je vous rappellerai que le projet
de loi a été déposé le 12 mai et que ce n'est que
vers le 8 juin qu'on a appelé ce projet de loi en commission
parlementaire pour audiences publiques. Ce projet de loi a provoqué, je
dirais, à l'exception du RETAQ, une quasi-unanimité pour le
report de cette loi considérée comme un peu mal foutue par
l'ensemble des groupes. Sur le principe, tout le monde est pour la vertu et la
tarte aux pommes, mais, sur le contenu même du projet de loi, ils avaient
tous des réticences, y compris les planificateurs en santé, les
CRSSS, qui demandaient l'élaboration d'une politique préalable
à l'adoption d'un projet de loi.
Je rappellerai également que les omnipraticiens et les
médecins d'Urgences-santé étaient énormément
déçus du peu d'attrait de cette loi et du peu de souci quant
à la qualité des services de santé et des services
sociaux. On sentait dans ce projet de loi, disaient-ils, une
préoccupation exclusive pour le matériel roulant, mais
presque rien pour la qualité des soins, pour les nonnes minimales de
contrôle de la qualité. On a aussi remarqué que des
syndiqués de la FTQ étaient concernés, ainsi que des
travailleurs qui exigeaient le report parce qu'ils voyaient là une
machination, pour ne pas dire plus, conduisant à un monopole
éventuel dans le domaine des services préhospitaliers d'urgence.
Ils s'y opposaient et ils demandaient même le report dans des
télégrammes au premier ministre, au ministre
délégué à la Santé et au chef de
l'Opposition.
Je dirais que les infirmières étaient inquiètes et
presque tout le monde était inquiet de ce projet de loi qui, au dire de
plusieurs, était un projet de loi négocié et non pas un
projet de loi qui dégage un consensus entre toutes les parties. Il
ressemblait beaucoup plus à un projet de loi négocié et
axé exclusivement en fonction de la crainte de vivre un problème
de relations du travail ou, encore, il constituait un compromis
vis-à-vis d'un groupe de pression.
Le contemu du projet de loi lui-même ne pose pas tellement de
problèmes, je pense, quant à la création de la
corporation, même si l'Opposition a voté contre le fait qu'on y
mette un p. -d. g. Je pense que l'Opposition a fait un excellent travail pour
ce qui regarde le conseil d'administration; mon père dirait: Un maudit
beau travail. À force de parler et à force d'essayer de
convaincre le ministre, trois jours plus tard, devant notre
ténacité, il s'est rendu à la raison, il a accepté
de revenir sur sa décision, il a déposé des amendements et
il a carrément accepté une représentativité plus
directe des groupes.
Là-dessus, je dois le féliciter, tardivement mais
correctement, simplement, d'une façon humble, de s'être rendu
à l'argumentation de l'Opposition qui lui avait fait la
démonstration pendant de longues minutes, de longues heures que le
gouvernement, à toutes fins utiles, nommait tous les
représentants au conseil d'administration et ce n'était pas
là l'objectif. Le ministre s'est rendu à notre demande et a
amélioré sensiblement la situation pour ce qui regarde la
composition du conseil d'administration.
Le ministre a également dû se rendre à
l'évidence, après de longs discours de notre part, qu'il fallait
qu'il introduise dans le projet de loi la notion de contrôle de la
qualité, d'établisse-ment de normes minimales, de standards
minimaux. Je dois lui dire merci, au nom de l'Opposition, d'avoir reconnu que
le projet de loi n'était conçu, à toutes fins utiles, que
pour Montréal, sans souci de la qualité mais beaucoup plus du
matériel roulant. C'était à peu près sa
préoccupation. Je pense qu'en regardant les articles de la Loi sur la
protection de la santé publique et de la loi constituante des services
de santé et des services sociaux il a compris qu'il lui fallait,
pour être crédible, puisqu'il avait lui- même, lors du
discours de deuxième lecture, parlé de l'amélioration de
la qualité des services... Donc, le ministre a présenté
des amendements qui, somme toute, sont perfectibles mais qui, au moins,
représentent un pas en avant dans le contrôle et
l'établissement de normes et le contrôle de services de
qualité.
Ce qui m'avait frappé dans ce projet de loi - d'ailleurs, toute
l'argumentation du ministre se situait en dehors du projet de loi. Il partait
de 825 heures de perfectionnement, mais ce n'était pas inclus dans la
loi. Les 40 000 000 S nécessaires pour sept ans n'étaient
même pas décidés au Trésor. Je ne pense pas que le
ministre avait le corridor suffisamment large pour continuer à parler de
ce sujet avant de passer au Conseil du trésor ou au Conseil des
ministres.
Toujours est-il que sur la qualité, M. le Président,
l'Opposition a réussi à arracher au ministre, c'est le cas de le
dire, des amendements de fond sur le contrôle des services qualitatifs.
Je pense que, comme parlementaires, nous devons tous nous réjouir
d'avoir amené un ministre, peut-être au-delà des consensus
qui ont été pris à l'extérieur, des compromis qui
auraient pu être faits à l'extérieur, à se pencher
sur la qualité. En tout cas, je lui dis merci pour cette partie.
Pour ce qui est du souci des régions, là, je n'ai pas de
félicitations à lui faire. Il va falloir d'ailleurs, s'il veut
assurer une cohérence entre son discours de deuxième lecture et
ses discours lors de l'étude article par article... Je pense que le
ministre a manqué une belle occasion de démontrer sa
volonté d'instaurer au niveau des régions un service
préhospitalier de soins de qualité. Là-dessus, vous aurez
remarqué que, malgré les discussions, malgré le fait que
moi-même, critique de l'Opposition, j'aie consenti à des
démarches, des heures de travail supplémentaires pour venir
à bout de trouver un terrain d'entente, afin d'avoir une assise
intéressante pour le contrôle de la qualité des services en
région, force nous est d'admettre notre déception - je ne dirai
pas agressivité, parce que c'est beaucoup plus de la déception
profonde - de voir que le ministre n'a même pas accepté de
consentir une seule ressource. Parce que vous avez battu, vous avez
défait hier un amendement proposant la nomination d'un commissaire et
vous aviez défait auparavant une petite régie de trois personnes
pour I ensemble du Québec. Ce sont des citoyens à part
entière, tout comme les autres citoyens du Québec.
Vous n'avez même pas daigné accepter un amendement pour la
nomination d'un commissaire, ce qui m'apparaît bien être le reflet
d'une conception que vous vous faites des régions, à savoir que
parce qu'on est plus tolérant en région, parce qu'on fait moins
de bruit, parce qu'on hurle moins, parce que les moyens de pression, pour
utiliser exactement une expression du ministre, font moins mal en région
qu'à
Montréal... Pourtant, on n'est pas à proximité des
institutions comme à Montréal, on n'est pas à
proximité des établissements comme à Montréal.
Pourtant, vous savez ce qui est arrivé, quel sort on a
réservé à la position de l'Opposition visant à
améliorer la qualité des services en région, à
faire en sorte qu'il y ait un contrôle qualitatif également en
région. On n'aura même pas consenti une ressource de l'État
pour au moins donner l'impression qu'on avait un tantinet de sensibilité
vis-à-vis de ce beau monde.
Quant au principe de l'indemnité pour Montréal, je
continue et je persiste à croire encore ce matin que le ministre n'a
absolument pas compris - ou il a trop bien compris et il n'a pas le mandat pour
le faire - qu'il ne pouvait pas décemment étatiser hypocritement.
Quand on étatise un service, quand on enlève, quand on change la
nature d'une entreprise, il est bien évident, M. le Président,
qu'on se doit de payer la facture. Cela s'est toujours fait. Il n'y a pas un
gouvernement, il n'y a pas un ministère qui s'approprie - même pas
le tout, cela pourrait être une partie - une partie d'un bien, d'une
propriété privée. Un commerce, c'est une
propriété privée, surtout un commerce axé sur des
permis qui ont été payés. C'est tout à fait
inconcevable que le ministre ait changé profondément la nature
même de l'entreprise et n'ait pas encore, au moment où on se
parle, pris de décision quant aux indemnités à payer alors
qu'il change la nature d'une entreprise.
Cela me paraît un autre principe fondamental sur lequel
l'Opposition a crié fort. On a crié fort au point que plusieurs
personnes du RETAQ nous ont dit qu'on défendait les "boss" -
imaginez-vous! - et qu'ils nous avaient donné la caisse
électorale. Je n'en connais pas un maudit dans la salle ici qui ait
donné une "cenne" au financement d'un parti politique. Ce n'est pas pour
cela. On ne s'est pas battu pour défendre des "boss", on s'est battu
pour que justice soit faite, même aux syndiqués de la FTQ qui sont
du monde aussi. On s'est battu parce qu'on croyait à ce qu'ils nous
demandaient et on s'est battu pour des principes. Quel que soit le "boss",
quelle que soit la couleur politique du "boss", quand on modifie la nature
même de la propriété, quand on se permet d'aller
empiéter sur le terrain d'un autre sans le dédommager, on ne va
même pas dans le sens le plus élémentaire du respect de la
propriété.
Quand on sait que des compagnies comme Bell Canada, Gaz
Métropolitain ou Hydro-Québec, pour passer sur ton terrain te
paient une indemnité pour ce qu'on appelle une servitude, sans en abuser
- elles viennent peut-être une fois par quinze ans surveiller un poteau -
et elles te dédommagent, je trouve cela, indépendamment de la
couleur politique... Je conseillerais au ministre, s'il ne me croit pas,
d'aller demander l'allégeance des propriétaires. Il va
peut-être s'apercevoir qu'il avait la majorité chez eux et qu'on
était très faible chez eux, nous autres. Ce n'est pas pour cela
qu'on les a défendus, c'est parce qu'on croit fondamentalement au
principe qu'ils appuient et que nous, on appuie. On croit au droit de
propriété privée qui est un droit inaliénable,
inscrit dans tout notre droit et même dans les conventions
internationales, je le rappelle au ministre. Et je suis persuadé que,
lorsqu'ils auront la chance de réfléchir un tant soit peu en
groupe, eux dont la philosophie est la privatisation, ils vont rougir un peu
plus quand ils vont penser à ce qu'ils ont essayé de faire
là-dedans. C'est contraire à leur philosophie même de
gestion. C'est contraire au respect du droit de la propriété. Le
ministre, au moment où l'on se parle, à quelques heures de
l'ajournement, n'a même pas le mandat de présenter une proposition
qui pourrait même accrocher les gens.
Donc, pour tous ces motifs, il est bien évident que je ne me
garrocherai pas avec des bouts de papier, avec la vitesse de l'éclair,
pour adopter un projet de loi qui ne rendrait même pas service au
gouvernement. Encore ce matin, je me suis permis de lire une lettre pour me
convaincre de ce qui arriverait. Vous savez, quand quelqu'un se présente
devant moi et dit: "Si tu ne veux pas le faire, voici ce que je vais te faire
et, tant que tu ne l'auras pas fait, je vais le faire"... Vous lirez la lettre
de Mario Cotton, si cela peut tous vous convaincre, qui que vous soyez,
à Mme Thérèse Lavoie-Roux. Vous allez comprendre un petit
peu dans quel état d'esprit, moi, personnellement, comme exministre
d'abord, mais aussi comme parlementaire, je ne peux accepter que le chantage
soit la règle en usage dans une société dite
civilisée, que le chantage soit la seule norme pour gagner des points.
D'autant plus, M. le Président, que si vous m'aviez prouvé qu'il
y avait urgence à adopter le projet de loi 34 j'aurais été
plus sensible. J'aurais peut-être demandé au ministre de convoquer
un Conseil des ministres spécial pour aller se chercher un mandat. Mais
quand les gens du RETAQ, eux-mêmes assis devant nous, nous disaient "il
n'y a aucun lien entre la négociation et l'adoption du projet de loi
34", j'ai demandé au ministre: M. le ministre, est-ce qu'il y a un lien
entre le projet de loi 34 et la négociation en cours? M. le ministre m'a
répondu, je pense de très bonne foi: "II n'y a aucun lien. "
Quelle est donc l'urgence, comme parlementaires, de se garrocher? Cela
presse? Le feu va prendre dans Montréal, si on n'adopte pas le projet de
loi 34? Je m'excuse, s'il y avait eu urgence en la demeure et si cela avait
été d'une importance capitale pour le contenu des conditions de
travail... Mais ce n'est pas cela; c'est Jean-François Munn qui est leur
porte-parole, un ex-membre de la CSN et du Conseil du trésor. C'est
Lamarche qui va être le prochain p. -d. g. Il semble que la
sécurité se rapproche pas mal. Il faudrait qu'on fasse confiance
a ces gens-là pour la négociation. Mais dire, par exemple: Demain
matin, si je n'ai pas le projet de loi 34, bien je
fais la grève... Eh bien, mon oeil! Mon oeil! Le ministre et le
gouvernement pourront prendre les moyens qui s'imposent, mais, à mon
point de vue, on doit légiférer en toute quiétude,
préparer un projet de loi qui a de l'allure, se rasseoir avec les
intervenants, M. le ministre, je pense que c'est important, dégager un
consensus. La meilleure législation, c'est quand cela vient coiffer un
consensus. Une législation ne vient pas coiffer un compromis avec un
seul groupe dans une société. Une législation doit venir
coiffer un consensus généralisé ou, au moins, un consensus
majoritaire des intervenants.
Dans le présent cas, cette législation irait exactement
à rencontre de ce qu'est une loi. Elle irait à l"encontre d'un
consensus majoritairement contre. Elle ne viendrait que satisfaire un groupe.
Je pense qu'il faut avoir assez de colonne vertébrale, comme
parlementaires, pour ne pas l'accepter. Moi-même, j'ai trouvé cela
- je vous le dis très honnêtement - très
désagréable de travailler dans un climat, dans un contexte
où, chaque minute, les rumeurs nous disaient: II va y avoir une
grève demain matin si vous ne le passez pas. Écoutez une minute!
C'est contraire à l'esprit même du climat de travail pour un
législateur. C'est de prendre, d'une certaine manière, le
Parlement en otage, ce qui est tout à fait à l'opposé de
l'article 55 de la Loi sur l'Assemblée nationale, paragraphe 10.
À plus forte raison quand ils prennent les usagers en otage,
c'est là qu'on devrait se raidir davantage et ne pas plier, parce que si
on plie une fois, cela lui permettra d'ajouter seulement un paragraphe de plus
dans sa lettre à Mme Lavoie-Roux: Nous avons fait des moyens de pression
administratifs et nous les y avons amenés. On aura l'air, devant
l'histoire, d'une "gang" de crétins, de fous, de sans colonne, de
mollusques, qui n'ont pas réalisé qu'ils avaient un devoir
fondamental à jouer devant l'ensemble des citoyens du Québec.
Dans le respect de tous les groupes impliqués, c'est ma position ce
matin. J'ai le regret de vous dire qu'il est impossible, à l'heure
actuelle, d'en arriver à la conclusion de l'adoption article par article
de ce projet de loi, c'est clair.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre. M.
Robert Dutil
M. Dutil: Alors, M. le Président, le chef de l'Opposition
a donné son point de vue sur plusieurs sujets que nous avons
débattus et sur lesquels nous ne sommes pas d'accord. Je veux revenir
sur certains d'entre eux, c'est fondamental, c'est important, plus
particulièrement sur celui des régions. Le débat sur les
régions n'a pas fait un grand débat, si on regarde l'ensemble des
heures qui ont été passées en commission parlementaire,
mais, hier, on s'est aperçu que le débat a tourné autour
de ce que pourrait être le contrôle - ce que préconisait
l'Opposition, c'était une régie ou un commissaire - beaucoup plus
que sur notre volonté exprimée dans le projet de loi quant
à l'instauration de centrales de coordination.
L'annonce - et je ne peux les dissocier, personnellement - qu'a faite le
gouvernement de la réforme qu'il entend mettre en place n'est pas
nécessairement touchée par le projet de loi, mais elle est fort
importante pour les régions. Je parle en particulier de la
stabilité de l'emploi et du rehaussement de la formation. Il y a deux
ans et demi, nous n'avons pas pris le système ambulancier dans les
régions plus fort qu'il ne l'est aujourd'hui. Nous l'avons pris comme il
l'était, pour des raisons historiques - et je ne veux pas revenir sur le
passé - mais nous l'avons pris comme il était. Je viens d'une
région et je sais comment le transport ambulancier était dans les
régions: à certains endroits, de qualité très
correcte, à d'autres endroits, de qualité très
médiocre et très pénible. (10 h 30)
Je conçois, avec le nombre d'intervenants qui sont
impliqués là-dedans, qu'il y ait une résistance au
changement quand on annonce une réforme de cette importance, d'autant
plus que, justement, le climat des relations du travail a apporté
beaucoup de méfiance entre les parties, c'est-à-dire les
détenteurs de permis et les employés particulièrement.
Cela rend les choses difficiles à faire comprendre parce qu'il y a eu
beaucoup de confusion dans la perception des discussions que nous avions. Mais
nous avons décidé d'aller de l'avant dans une réforme qui
améliorera, au premier égard, la qualité du service en
région. C'est ce que nous avons décidé et c'est ce qui n'a
pas été compris de la part de l'Opposition. Je comprends qu'on a
eu des discussions, qu'on aura des discussions et que ces discussions-là
sont importantes pour comprendre les concepts.
Je suis heureux de voir que le chef de l'Opposition a reconnu,
contrairement à ce que mentionnait le député de
Laviolette, que le ministre était capable de discuter, de comprendre et
de demander si nécessaire. Je suis heureux de constater cela. Il le
reconnaît et c'est important. C'est ce que j'ai toujours fait dans tous
les travaux que j'ai faits. La question la plus importante n'est pas de savoir
qui aura tort ou raison. C'est de savoir quel projet de loi nous aurons et si
ce projet de loi, pour la qualité des services préhospitaliers,
pour ce qui le concerne ici, sera adéquat?
Le chef de l'Opposition a mentionné aussi un autre point fort
important dans nos discussions, c'est-à-dire les pressions qui
étaient exercées, lors de nos discussions. Je reviens
là-dessus parce que, lundi matin, à la suite d'une proposition du
chef de l'Opposition que je n'ai pas hésité à accepter et
que j'ai réitérée au cours de la journée, nous
avons décidé de suspendre nos travaux justement parce qu'il y
avait des moyens de pression. Et, quand le chef
de l'Opposition dit que nous ne résistons pas à des moyens
de pression indus, je pense que nous avons fait la preuve cette
journée-là qu'il était inacceptable et intolérable
- ce sont les deux mots qu'il a prononcés... Il m'a demandé mon
opinion là-dessus et il a ajouté légal"; à ce
moment-là, je pensais qu'il y avait eu illégalité. Je dois
dire que, selon les vérifications que nous faisons, il ne semble pas que
cela ait été le cas, mais il n'en demeure pas moins inacceptable
et intolérable que, pour accélérer le processus de
législation, surtout dans un domaine où la santé et la
sécurité de la population peuvent être mises en danger, on
utilise des moyens de pression. C'est pourquoi nous avons accepté de
suspendre nos travaux jusqu'à ce que les services en entier soient
rétablis sur le terrain. Et cela a fait que nous avons perdu une
importante journée de discussion pour le progrès de nos
travaux.
Quant aux indemnités, je renvoie le chef de l'Opposition les
parlementaires, ici, et tous les gens qui nous écoutent, aux
procès-verbaux, où je n'ai jamais dit que s'il y avait
expropriation il n'était pas question d'y avoir des indemnités.
Ce que j'ai posé comme question, c'est: Quel est l'ordre de changement,
la nature? Quel est l'ordre de changement de rentabilité des
entreprises? Nous cheminions dans ce dossier-là et nous n'avons pas eu
le temps d'aborder cette question. Ce matin, le chef de l'Opposition a dit que
je ne déposais pas les amendements parce que nous n'en avions pas. Ce
n'est pas le cas. Je ne dépose pas d'amendements parce qu'il est inutile
d'en déposer puisque nous n'avons pas, à ce moment-ci, la
possibilité, je pense, d'en discuter plus avant. Lors de la reprise de
nos travaux, nous pourrons, au fur et à mesure que se développera
la situation et que les travaux de la commission se poursuivront, je le
souhaite, dans l'intersession, faire les amendements qui pourraient sembler
appropriés. Mais de nous accuser de vouloir faire une expropriation sans
indemnités, c'est faux.
Quant à la province, je pense que les amendements qui ont
été apportés ont démontré notre
volonté de laisser l'entreprise privée avec une
sécurité la plus importante possible dans le secteur du transport
ambulancier. Quant à Montréal, évidemment, la situation se
présente sous un jour différent et difficile. À
Montréal, on vit, depuis de nombreuses années, une situation qui
est pénible pour l'ensemble des intervenants et nous pensons
sincèrement que le projet de loi pourrait amener non seulement une
meilleure coordination, mais également des diminutions de tensions
importantes dans le système.
M. le Président, le report de notre projet de loi à
l'automne ne nous empêchera pas de poser certains gestes qui peuvent
l'être en toute légalité en dehors du projet de loi. Je
pense, entre autres, là où le climat sera favorable, à la
stabilisation de l'emploi. Cela n'empêchera pas de continuer à
travailler avec la même ardeur que nous le faisons actuellement pour
mettre en place les modèles de formation et pour s'assurer que les
échéances que nous avons déjà annoncées
soient respectées. Cela retardera probablement, potentiellement,
vraisemblablement, toutefois, les projets pilotes quant aux centrales de
coordination.
J'aurais souhaité que nous puissions y travailler dès
maintenant, mais c'est reporté à cet automne. C'est une
échéance qui est reportée. Mais le report de
l'échéance - et c'est ce qu'il est important de comprendre - ne
met pas en cause la réforme que nous avons annoncée. Il la
retarde. Nous aurons des discussions à l'intersession. Nous ferons les
bonifications en collaboration avec l'Opposition, si nécessaire, et
après discussion. C'est cela le processus parlementaire.
Le processus parlementaire, s'il était clair qu'aucune
bonification, aucune modification n'est jamais apportée à un
projet de loi, serait une farce monumentale. Le processus parlementaire de
l'étude article par article, c'est justement pour permettre le
débat, pour voir, par le choc des idées, jusqu'où on peut
bonifier un projet de loi, jusqu'où on peut améliorer les choses
ensemble, de façon honnête, je dirais d'une façon, autant
que faire se peut, la moins partisane possible. Le chef de l'Opposition a dit
que la plupart des groupes étaient contre la réforme. Je le
réfère à la consultation particulière où la
plupart des groupes, bien que craignant un changement, voulant s'assurer que
certaines modalités du changement soient respectées,
émettant quelques réserves sur le projet de loi, nous ont dit
qu'une réforme était nécessaire, que c'est dans ce
sens-là qu'il fallait aller.
C'est évident qu'en consultation particulière, M. le
Président, les groupes n'insistent pas, durant l'heure dont ils
disposent, sur les points sur lesquels ils sont d'accord, même si cela
représente la majorité d'un projet de loi, mais ils insistent sur
ce qu'ils estiment être ses faiblesses. C'est ça, une consultation
particulière, c'est pour vérifier ce que les groupes estiment
être une faiblesse. De ce côté-là, je pense que nous
avons également apporté, durant le débat de 52 heures que
nous avons eu, plusieurs correctifs quant aux modalités.
Voilà pour notre opinion. Nous nous rejoignons sur un point
important: la législation doit se faire en toute quiétude, sans
moyens de pression indus, surtout pour la santé et la
sécurité de la population. Je pense qu'on doit faire appel au bon
sens qui est l'apanage de la majorité des gens qui oeuvrent dans le
système de transport ambulancier. Ce n'est pas en mettant la
santé et la sécurité de la population en jeu qu'il y aura
des choses à gagner au plan législatif. Ce n'est pas un moyen
acceptable ni un moyen tolérable. Voilà, M. le
Président.
Le Président (M. Bélanger): Merci.
Dans la mesure où vous acceptez que M. le ministre puisse
répliquer après, à la fin, M. le député.
M. Chevrette: Oui, oui, il n'y a pas de problème. Je
voudrais faire deux ou trois remarques à la suite de celles qu'a faites
le ministre et il pourra répondre, je le permets. Ce n'est pas à
moi à le permettre, c'est à vous de lui donner le droit de
parole.
Le Président (M. Bélanger): Non, mais
c'était pour vous en informer.
M. Guy Chevrette
M. Chevrette: Premièrement, M. le Président, je
pense qu'on doit souligner certaines erreurs dans la démarche de ce
projet de loi. J'ai l'impression qu'on a quand même manqué le
bateau pour une semaine ou quinze jours de législation. Ce projet de loi
a été déposé le 12 mai et il est arrivé en
consultation, je pense, le 8 ou le 9 juin. C'est l'un des motifs pour lesquels
on n'a pas réussi à boucler la boucle sur l'ensemble du
projet.
Deuxièmement, il est évident que le consensus est
difficile à faire, même chez les libéraux, ne nous
leurrons-pas, sur un projet de loi aussi fondamental qui met des principes en
cause - en tout cas en discussion. On a assisté ici à des
débats quand le député de Chambly, par exemple, a
montré ses réticences quant au droit de propriété
ou quand Mme la députée de Deux-Montagnes a dit qu'elle se
sentait mal à l'aise au point où elle a dit faire confiance
à son ministre et qu'elle est allée se rasseoir toute mal. Ce
n'est toujours pas parce qu'elle était trop à l'aise avec ce
projet de loi. Combien de députés libéraux nous disaient,
dans les couloirs: Ce projet de loi est mal foutu pour ce qui regarde certains
points. Les uns, c'était pour la région parce qu'ils disaient:
Oui, ma région est démunie. D'autres disaient: C'est pour
l'indemnité.
Je pense qu'il y a eu véritablement, dans les deux formations
politiques, M. le ministre, des discussions profondes sur certains principes
fondamentaux. C'est ce qui explique que la démarche ne puisse pas
être aussi rapide quand, de part et d'autre, il y a des discussions de
fond sur des principes fondamentaux à l'intérieur même des
formations politiques qui se réunissent en caucus spécial pour
étudier un projet de loi. Ce n'est pas le cas quand il s'agit de projets
de loi... Vous avez tenu au moins deux caucus pour parler seulement de
ça. Hier, à 14 heures, si vous n'en avez pas parlé, il y
en a qui m'ont menti et il y en a d'autres qui m'ont également menti
quand vous vous êtes réunis la semaine passée à 18
heures.
Je comprends que c'était difficile pour le ministre qui,
théoriquement - et je veux bien faire comprendre ça aux gens de
la presse qui écoutent - avait tous les moyens légaux et
parlementaires pour procéder à l'adoption de la loi. Le ministre,
exactement comme son collègue, le ministre du Tourisme, l'a fait en
haut, avec le poids du nombre, aurait très bien pu faire adopter sa loi.
Cela aurait pris, un, deux, trois, bingo! après que les règles
furent suspendues ou la motion de clôture. Il aurait très bien pu
procéder à l'adoption de son projet de loi.
Donc, la conclusion, c'est que, si le projet de loi n'est pas
adopté, c'est plus profond, c'est au-delà de la capacité
physique parce que la capacité physique, le gouvernement en place, avec
99 députés, bientôt 101 en Chambre, n'a aucune raison pour
dire: Mon projet de loi n'a pas été adopté parce que
l'Opposition a parlé longtemps. Le projet de loi n'a pas
été adopté parce que le gouvernement a jugé qu'il
n'utiliserait pas le poids du nombre pour faire adopter cette loi. Je pense
qu'il est important que tous les gens comprennent que, sur la
possibilité théorique, le gouvernement avait tous les moyens de
faire adopter ce projet de loi, toute la capacité; malgré tout le
travail qu'on aurait pu faire, on aurait pu nous imposer le bâillon.
Je crois qu'il est sage de la part du ministre d'avoir laissé la
discussion libre sur un projet de loi aussi fondamental, aussi important pour
la collectivité, d'autant plus que le ministre savait très bien
qu'il n'y avait pas d'urgence à agir et que, du fait de prendre le temps
qu'il faut pour discuter à fond ce projet de loi, on ne mettait rien en
péril.
Je voudrais parler dans le même sens que le ministre à la
fin. On gagne beaucoup plus à respecter le processus démocratique
qu'à le braver. Quand on brave le processus démocratique pour ses
seules fins personnelles, il y a danger que cela retourne contre soi.
Personnellement, j'inviterais ceux et celles qui auraient le goût, par
frustration mais non pas par raison... À court terme, du fait que le
projet de loi ne soit pas adopté aujourd'hui, il n'y a personne qui perd
un cent sur son chèque de paie, il n'y a pas un patient qui se verra
plus mal traité demain matin, il n'y a pas un technicien qui sera
brimé demain matin en laissant aux parlementaires le temps de faire un
travail sérieux, consciencieux pour trouver, si possible, un consensus
majoritaire, comme le disait le ministre.
J'inviterais aussi, comme le ministre l'a fait de façon plus
subtile que moi peut-être, ceux et celles qui seraient tentés de
se payer une dose de défoulement à analyser d'abord les gains et
les pertes à court terme des gestes qu'on pose et des obligations
qu'engendrent de tels gestes de la part de l'État.
Quant à nous de l'Opposition, M. le ministre, je dois vous
assurer qu'on collaborera avec le gouvernement pour que les usagers ne soient
affectés en rien, quelles que soient les décisions que vous
prendrez.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.
J'en conclus que nous en sommes au terme. Avant de clôturer les
travaux de la commission, je voudrais d'abord remercier... Si vous me
permettez, M. le député de Joliette, je voudrais d'abord
remercier tous les députés, les parlementaires des deux
formations qui ont participé au débat. Même si le
débat était très émotif et que la fatigue de fin de
session échauffe parfois les esprits, je dois vous remercier pour
l'excellente collaboration que vous avez donnée à la
présidence dans le sens où les débats se sont toujours
déroulés d'une façon très acceptable dans
l'enceinte de ce Parlement, et même fort respectueuse de chacune des
personnes. Dans ce sens, je vous en remercie.
Je voudrais remercier aussi tout le personnel qui nous entoure. On
oublie souvent qu'à une commission parlementaire il y a les
parlementaires, mais il y a une série de personnes, comme Mme Harvey,
comme le personnel technique, comme les pages, Mme la secrétaire, qui
font un travail colossal. Une commission, c'est un gros appareil, et je
présume, selon ce qu'on a laissé entendre tout à l'heure,
que nous nous retrouverons au mois d'août sur le même sujet.
J'espère qu'on pourra continuer nos travaux avec la même
qualité de débat. Je vous remercie, je souhaite de bonnes
vacances à ceux qui prennent des vacances et la commission ajourne ses
travaux sine die.
(Fin de la séance à 10 h 46)