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(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il
vous plaît!
La commission des affaires sociales se réunit afin de
procéder à des consultations générales et tenir des
auditions publiques afin d'étudier le document intitulé "Pour une
politique de sécurité du revenu." Ce matin, nous recevons
à la table des témoins, la Fédération des CLSC du
Québec, qui sera représentée par M. Jean-Pierre
Bélanger, M. Michel Asselin et M. Pierre Ippersiel. Auparavant, y a-t-il
des remplacements, Mme la secrétaire?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Gervais
(L'Assomption) sera remplacé par M. Polak (Sainte-Anne).
Le Président (M. Bélanger): Bonjour, M. Polak. Il
n'y a pas d'autres remplacements?
La Secrétaire: Non, M. le Président.
Le Président (M. Bélanger): Bien. J'invite le
groupe à s'installer. Vous connaissez nos règles de
procédure. Vous avez 20 minutes fermes pour présenter votre
mémoire ou son résumé, et il y a une période
d'échanges avec les parlementaires par la suite. Je vous prierais,
à chaque fois que vous devez prendre la parole, de bien vouloir donner
vos noms pour les fins de transcription au Journal des débats. Si
vous voulez vous présenter et présenter vos coéquipiers,
et procéder à la présentation de votre mémoire,
nous vous écoutons. Merci.
Fédération des CLSC du
Québec
M. Ippersiel (Pierre): Merci, M. le Président. Merci de
nous recevoir comme groupe. En premier lieu, je vous présente, à
ma gauche, Jean-Pierre Bélanger, adjoint au directeur
général de la Fédération des CLSC, ainsi que Michel
Asselin, directeur général du CLSC de Matane.
Nous sommes assez conscients d'arriver à la fin d'un long
processus de consultation...
Le Président (M. Bélanger): M. Ippersiel?
M. Ippersiel: Oui, Pierre Ippersiel, président de la
Fédération des CLSC.
Le Président (M. Bélanger): D'accord. Je
m'excuse.
M. Ippersiel: Donc, nous arrivons comme cela à la fin d'un
long processus de consultation, et nous espérons que le responsable de
la réforme n'a pas encore arrêté toutes ses déci-
sions et qu'il peut encore se laisser influencer, je dirais, de façon
particulière dans le contexte de la semaine sainte, mardi de
Pâques, où on peut donner une dimension spéciale à
nos échanges.
Le Président (M. Bélanger): Vous êtes le 93e
groupe; alors, M. le ministre est sûrement encore très
flexible.
M. Ippersiel: Merci de cette précision. Pourquoi,
peut-être en premier lieu, ce projet de réforme nous
intéresse-t-il au plus haut point? C'est pour plusieurs raisons,
évidemment. Disons que, de façon générale, les CLSC
sont très impliqués auprès de ceux qu'on appelle les
bénéficiaires d'aide sociale. Que ce soit en milieu urbain ou en
milieu rural, par l'ensemble de nos services, nous travaillons quotidiennement
avec une clientèle qu'on appelle les bénéficiaires d'aide
sociale, dans plusieurs sinon dans la majorité de nos programmes. Nous
intervenons tant sur le plan individuel qu'au niveau plus collectif ou plus
communautaire de certains regroupements. Quand je parle de travail au plan
individuel, je fais référence à des programmes comme les
travaux communautaires. Par exemple, dans le cadre de notre programme de
maintien à domicile, nous avons trouvé depuis quelques
années des collaborateurs importants pour poursuivre nos objectifs au
sujet du maintien à domicile.
Donc, à plus d'un titre, le réseau des CLSC
s'intéresse à ce projet de réforme et s'y intéresse
en premier lieu parce que, encore une fois, nous travaillons quotidiennement
avec les bénéficiaires d'aide sociale.
Ce projet de réforme nous semble présenter des
qualités importantes que nous voulons mentionner. D'abord, le programme
de soutien financier apporte aux 95 000 membres des ménages
qualifiés de non employables certains allégements ou certaines
facilités de gestion. Que ce soit au niveau des contrats qui seront
peut-être plus légers, que ce soit au sujet de certaines
dispositions telle la carte-santé, nous pensons que ce programme est de
nature à améliorer les services. Le programme APTE, malgré
certaines imprécisions, comporte, quant à nous, des aspects
très positifs.
Sans passer en revue notre mémoire, permettez-moi toutefois de
mentionner les points qui nous semblent plus difficiles ou plus faibles, plus
imprécis. Dans le contexte de notre présentation, nous en
pointerons cinq qui, quant à nous, pourraient faire l'objet de
discussions. Avant d'aborder ces cinq points en particulier, permettez-moi une
observation plus générale. On a un peu l'impression, à la
lecture de tout ce document, que le bénéficiaire d'aide sociale
est
toujours considéré comme un individu isolé, un peu
comme un ilôt social. On a l'impression qu'il n'est pas très
intégré. Qu'il soit en processus de réinsertion sociale
où d'intégration sociale, le ton général du projet
fait du bénéficiaire d'aide sociale quelqu'un d'assez
isolé. Pourtant, la réalité et le vécu voulant que,
dans certains villages, on peut quasiment parler de communauté de
prestataires d'aide sociale. Cette dimension sociale ou communautaire ou
collective est assez absente du projet de réforme.
Les cinq points que nous voulons mentionner de façon
particulière sont les suivants: le premier, la distinction qu'il y a
à faire entre apte et inapte; en second lieu, certaines
ambiguïtés autour des incitatifs du programme APTE; en
troisième lieu, toute l'articulation du travail à temps partiel
par rapport à quelqu'un qui est bénéficiaire d'aide
sociale; en quatrième lieu, les mesures d'emploi, les travaux
communautaires en particulier; en cinquième lieu, nous voudrions
échanger sur l'aspect communautaire.
Dans un premier temps, nous voulons attirer votre attention sur la
distinction apte et inapte qui nous semble essentielle, importante dans toute
l'économie, dans toute l'orientation de ce projet de réforme.
Vous l'avez sans doute entendue, mais elle nous semble capitale et plus cette
distinction sera claire, plus on pourra parler de transparence possible au
niveau du projet.
Deux questions nous semblent fondamentales dans cette distinction.
D'abord, quels sont les critères qui permettront d'établir si
quelqu'un est apte ou inapte? À la lecture du projet de réforme,
on les perçoit assez mal. La deuxième dimension: Qui va
décider si un bénéficiaire d'aide sociale est apte ou
inapte? Est-ce que la décision sera prise par une personne ou par une
équipe multidisciplinaire? Ge sont des aspects, à notre avis,
qu'il faudrait clarifier. Comme l'indique notre rapport, sur cette question,
nous souhaitons qu'un débat se fasse pour essayer d'obtenir un consensus
ou une opinion sociale sur ce sujet, encore une fois pour que ce projet puisse
jouir peut-être de toute la transparence sociale dont il a besoin pour
recevoir un accueil social. Alors, ce premier point, cette distinction entre
apte et inapte, quant à nous, doit être faite et mérite
qu'on y apporte les clarifications nécessaires.
Pour les deux autres points, je demanderais à Jean-Pierre d'en
faire la présentation.
M. Bélanger (Jean-Pierre): Pour ce qui est de l'incitation
au travail, on n'a rien contre le principe qui voudrait qu'une personne puisse
améliorer son sort en y contribuant de ses propres efforts. Donc, pour
ce qui est du principe général, si on veut, de l'incitation au
travail, ce n'est pas cela qui nous cause problème, c'est plus quant
à la façon dont on perçoit dans le document que ce
principe va être mis en oeuvre.
Le principe de l'incitation au travail est introduit de deux
façons; il y a deux volets qui font contrepoids l'un à l'autre.
Le premier, c'est celui qui veut qu'on coupe la prestation de base, telle qu'on
la connaît actuellement; mais, en contrepartie - deuxième volet -
qu'on permette aux personnes de gagner jusqu'à 155 $ de revenu de
travail par mois, ce qui pose la question: Est-ce que ces gens-là vont
vraiment pouvoir avoir accès à un revenu de travail de l'ordre de
155 $? Il nous semble qu'il devrait y avoir plus de garanties. On devrait
garantir davantage la possibilité pour les personnes qui sont à
l'aide sociale d'avoir accès, de façon réelle, à un
revenu de travail de cet ordre.
À cet égard, les CLSC ont fait l'expérience, au
cours des dernières années, des différents programmes de
travaux communautaires, comme le mentionnait Pierre Ippersiet tantôt. Ces
programmes ont permis, dans certains cas, des améliorations
réelles de la qualité de vie des personnes âgées
à domicile. Grosso modo, la moitié des CLSC sont embarqués
dans ce genre de mesures. Ceux qui ne l'ont pas fait, c'est pour
différentes raisons, soit des problèmes de recrutement de jeunes
bénéficiaires de l'aide sociale, ou des problèmes de
"turn-over", si l'on veut, trop rapides de cette main-d'oeuvre. Quant à
ceux qui l'ont fait, certains y ont trouvé un apport estimable, comme je
l'évoquais. D'autres, cependant, ont eu à faire face à des
problèmes comme, par exemple, celui de la limite imposée qui
obligeait, après un an de service, à changer les
bénéficiaires. Il nous semble que dans plusieurs
communautés du Québec, particulièrement ce qu'on
évoque dans le document quand on se réfère aux
communautés en voie de désintégration sociale,
c'est-à-dire celles qui sont en voie de vieillissement rapide et
où les ménages, si on veut, les adultes en âge de
travailler et d'avoir des enfants ont souvent quitté ces
régions... Ce sont donc des communautés très fragiles. Il
nous semble qu'au moins dans ces communautés il serait envisageable de
développer des programmes d'emploi un peu plus permanent qui
permettraient d'assurer une qualité de services aux personnes
âgées. Si on n'arrive pas, d'une façon ou de l'autre,
à mettre sur pied des mesures de stabilisation des services dans ces
communautés, notre impression est que le processus de
désintégration sociale va s'accélérer et que,
finalement, la société devra un jour ou l'autre en payer le
prix.
Dans le cadre de ces mesures, il nous semble que ces emplois, qui
pourraient avoir une perspective un peu plus longue qu'une année,
devraient, dans le contexte et dans la logique de la réforme, être
accessibles non seulement aux jeunes de moins de 30 ans, mais aussi à
des bénéficiaires d'aide sociale âgés de 40 ou de 50
ans. Ces derniers ne sont peut-être plus réin-tégrables sur
le marché du travail dans d'autres types d'emploi, mais ils pourraient
fort bien prendre à leur charge, par exemple, la réalisation
des travaux lourds à domicile, etc. Une brève allusion
à ce qui se passe, notamment dans ce secteur, en ce qui a trait aux
services de maintien à domicile: il y a une quinzaine d'années,
quand ces programmes de maintien à domicile ont commencé à
être mis en place, les auxiliaires familiales faisaient des travaux de
ménage dans les maisons et préparaient des repas. À cause
de l'alourdissement des clientèles, de plus en plus les services
deviennent des services d'hygiène personnelle: donner des bains, faire
la toilette, etc. Donc, une partie des travaux, qui restent des travaux
essentiels au maintien de la qualité de vie des personnes
âgées, ne peuvent pas, dans le contexte actuel, être mis en
oeuvre. Premièrement, offrir plus d'occasions aux
bénéficiaires d'aide sociale de gagner effectivement un revenu de
travail jusqu'à environ 155 $ par mois. Deuxièmement, envisager
concrètement la possibilité de développer des programmes
de travaux communautaires ou d'emplois communautaires, si l'on veut, qui
offriraient davantage de permanence.
Un autre aspect qu'on voudrait toucher, c'est celui de l'articulation de
la réforme avec le travail à temps partiel. De mémoire, si
je ne m'abuse, 1987 est la seule année, au cours des dix
dernières, où le nombre d'emplois créés à
temps plein a été supérieur à celui des emplois
à temps partiel. Particulièrement quand on considère la
clientèle de l'aide sociale, il nous semble que la voie du travail
à temps partiel est importante dans le processus de réinsertion
sociale des bénéficiaires de l'aide sociale aptes au travail. On
constate que la réforme permet de gagner jusqu'à 155 $ par mois
de revenu de travail. À ce moment-là, le
bénéficiaire n'est pas pénalisé; par contre, entre
ce montant-là et celui de la pleine prestation, si on comprend le
document comme nous l'avons compris, la prestation du
bénéficiaire serait réduite de 1 $ pour chaque dollar de
revenu de travail. Cela fait que le bénéficiaire a avantage
à travailler jusqu'à concurrence de 155 $ par mois;
au-delà de a montant, il n'a plus vraiment intérêt à
gagnei 1 $ de plus. Il nous semble qu'il y a là un vice caché
dans la réforme. Nous trouverions de loin préférable que,
continuellement, au cours du processus, Je bénéficiaire ait
toujours intérêt à gagner 1 $ de travail de plus, quelle
que soit sa situation.
Il nous semble qu'il y aurait des ajustements à faire dans ce
sens-là puisque, si on considère que la clientèle de
l'aide sociale éprouve des difficultés de réinsertion sur
le marché du travail, il peut être plausible, dans bien des cas,
que la réinsertion se fasse progressivement: qu'on commence à
travailler dix heures par semaines; une fois qu'on a la confiance de
l'employeur, on passe à vingt heures par semaine et, une fois qu'on a
acquis suffisamment d'ancienneté et qu'un poste se libère ou est
créé, qu'on puisse envisager de travailler un plus grand nombre
d'heures par semaine. Il me semble qu'il y aurait des améliorations
à apporter dans ce sens-là.
J'inviterais maintenant M. Asselin à poursuivre la
présentation.
M. Asselin (Michel): Michel Asselin, Matane. Je voudrais
peut-être plus vous entretenir sur la question, quand on parle des
personnes aptes ou de l'employabilité, des possibilités qui
peuvent exister effectivement d'exercer un emploi. Je fais
référence davantage à un milieu comme le comté de
Matane qui est actuellement, au Québec, le comté dont le revenu
imposable est le plus bas, selon les dernières statistiques. Bien
sûr, dans un comté comme cela où on attend quand même
un grand projet qui... De toute façon, ce ne sont pas les propos ici. Je
pense aussi que ...ce qu'on vit dans notre territoire peut ressembler à
ce qui se passe dans certaines sous-régions ou certains quartiers en
milieu urbain.
Nous avons des chiffres qui démontrent qu'une partie importante,
entre autres, des naissances dans notre milieu se retrouvent dans un milieu
d'aide sociale, c'est-à-dire que ce sont des bénéficiaires
d'aide sociale. Des données démontrent que, dans certaines
localités, il y a un pourcentage très important, même
peut-être plus important de personnes en état de dépendance
sociale que de personnes au travail.
D'autres données nous font de plus en plus peur, dans ce sens que
nous sommes maintenant à des deuxièmes générations
de bénéficiaires d'aide sociale, c'est-à-dire qu'il y a
des milieux où il s'est inscrit une forme de sous-culture qui fait que
l'image qu'ont les jeunes, c'est celle du sous-emploi, et il s'est
développé toutes sortes de façons de vivre dans le
sous-emploi qui puissent leur être acceptables.
Pour nous, la question d'être apte ou inapte en est une de taille,
bien sûr, parce qu'en ce qui concerne l'inaptitude, il y a des
critères qui sont d'ordre davantage social ou des considérations
autres que celles des données très techniques comme l'état
de santé. Il y a aussi le fait que la nécessité...
Là, on pense de plus en plus à la nécessité d'avoir
des travaux d'utilité collective, et à celle d'avoir des budgets
qui pourraient être consentis à des groupes, ou à des
formes de solutions qui, dans notre milieu, pourraient appuyer les
bénéficiaires d'aide sociale, tant en ce qui concerne
l'éducation budgétaire que toute l'éducation à la
consommation. Actuellement, ces groupes quêtent auprès de
Centraide ou d'autres corporations. Les CLSC ont mis sur pied des caisses de
dépannage dans certains milieux, parfois avec des groupes avec lesquels
ils s'associent par entente avec l'aide sociale, pour arriver à pouvoir
répondre à certaines situations urgentes. De plus en plus on se
demande, lorsqu'on agit par des palliatifs en cette matière, s'il n'y
aurait pas lieu que certaines initiatives soient prises, soient conduites par
des groupes populaires ou par des pairs, quand on parle de
bénéficiaires d'aide sociale.
Quand on parie de travaux d'utilité collective, c'est bien
sûr que chez nous on pense, pour l'ensemble des CLSC, à des
travaux dans le cadre du maintien à domicile. Si ces travaux avaient un
caractère beaucoup plus permanent, ce serait plus souhaitable que les
travaux communautaires dans leur forme actuelle. On pense à des travaux
dans le domaine de la protection civile, les travaux publics, la protection de
l'environnement. C'est important, en tout cas, d'instaurer cette dimension dans
nos milieux. De plus en plus, on voit déserter d'un milieu comme le
nôtre la population active. Comme je vous le dis, la norme devient
souvent ce qui, socialement, ne paraît pas souhaitable,
c'est-à-dire l'inactivité. Je peux vous dire que la
préoccupation a beaucoup changé chez les intervenants sociaux et
de la santé. On se préoccupe de plus en plus de l'état
d'inactivité de nos gens que de leur sécurité du revenu.
Je pense que c'est un constat très actuel parce qu'on a remarqué
qu'il s'est développé, au sujet de la question de la
sécurité du revenu, des façons de se défendre et de
se protéger.
Je ne peux pas le crier, mais le fait, par exemple, que les aptes se
verraient privés d'un certain montant s'ils n'allaient pas au travail,
on sait que, dans certains milieux, il y a toutes sortes de façons de
s'en sortir. Entre autres, le travail au noir est très répandu,
la chasse et la pêche également, ainsi que l'utilisation de
l'environnement à ses propres fins. C'était donc surtout pour
insister sur la nécessité de se donner des moyens comme
société pour amener nos gens à plus
d'activités.
M. Ippersiel: Enfin, pour conclure notre présentation,
notre mémoire fait référence, dans sa dernière
partie... C'est un peu une demande qu'on fait à savoir que pour la
réforme qui sera acceptée, il faudrait s'assurer que les gens qui
auront à la mettre en place ainsi que les collaborateurs des
gestionnaires de cette réforme aient la formation et l'information
nécessaires pour bien la connaître et bien la comprendre. Dans le
réseau des CLSC, les gens qui sont à l'accueil psychosocial, chez
nous, sont souvent la première porte d'entrée des
bénéficiaires de l'aide sociale. Il serait important qu'ils aient
une information bien adéquate pour pouvoir répondre aux questions
des bénéficiaires.
Voilà, c'était notre présentation, M. le
Président. (10 h 30)
Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie,
messieurs. M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Dans un premier temps, M. le
Président, vous me permettrez de remercier les représentants de
la Fédération des CLSC pour leur mémoire d'une très
grande qualité et pour la présentation verbale effectuée
par leurs porte-parole ainsi que les points sur lesquels ils ont
insisté.
En commençant, M. le président a men- tionné qu'on
se retrouvait le mardi saint et qu'il souhaitait, dans le cadre de la semaine
sainte, que le ministre ou les membres de la commission ait les oreilles
ouvertes aux représentations. Je vous dirai que, bien que vous soyez le
93e - en tout cas, plus de 90 mémoires ont été
présentés - vous avez abordé des points qui n'avaient pas
encore, jusqu'à ce moment, été abordés par aucun
des organismes qui se sont présentés devant nous et nous
découvrons cette innovation même dans les organismes qui sont
parmi les derniers à comparaître devant cette commission, ce qui
rend ces travaux d'autant plus intéressants et qui facilitent
l'ouverture, d'esprit et d'oreilles, des membres de la commission et du
ministre.
Pour en revenir rapidement aux points que vous soulevez, vous me
permettrez, dans un court préambule, de vous dresser le portrait de
cette clientèle que nous avions à l'aide sociale, en mars 1987,
qui a diminué depuis sept ans, mais qui conserve quand même les
mêmes caractéristiques: clientèle composée de
quelque 400 000 chefs de ménage dont la seule source de revenu est un
chèque mensuel de l'aide sociale.
Les données dont le ministère dispose nous permettent
d'évaluer à peu près à 25 %, soit 100 000 chefs de
ménage, ceux ou celles qui deviendraient admissibles au programme
Soutien financier. Quant aux quelque 300 000 autres chefs de ménage que
l'ont dit aptes au travail, ils possèdent des carences sérieuses
qui les empêchent même d'avoir accès au marché du
travail. 36 % de cette clientèle dite apte au travail sont
composés d'analphabètes fonctionnels. 60 % n'ont pas
complété leurs études secondaires. 40 % n'ont aucune
expérience de travail antérieure reconnue dans la
société. Ce qui fait en sorte qu'il y a plusieurs
barrières entre l'assisté social dit apte au travail et le
marché du travail, même lorsque les emplois sont disponibles.
Le gouvernement a des décisions ou des choix à prendre. Le
gouvernement peut continuer à faire ce qu'il a fait dans le
passé: poster un chèque mensuel et tenter de se donner bonne
conscience en révisant régulièrement le niveau de ce
chèque et en oubliant, en marge de la société, ces quelque
300 000 chefs de ménage au Québec. Ou le gouvernement peut se
donner comme défi de tenter d'améliorer l'employabilité de
ces gens-là en même temps qu'il continue à s'orienter vers
le plein emploi, vers la création nette d'emplois.
Vous posez des questions très précises quant aux
programmes et je vais retourner dans le coeur de votre mémoire, à
la page 13. Quand vous parlez du programme APTE et de la participation, vous
indiquez: "Dans quelle mesure en effet le gouvernement sera-t-il vraiment
motivé à poursuivre d'une façon assidue ses efforts
d'incitation à l'activité des bénéficiaires d'aide
sociale si cela doit en même temps entraîner des coûts
substantiels?" La réponse, d'un caractère politique, à
cette question est la suivante: La
société québécoise peut en sortir gagnante
à moyen et à long terme. Mais vous avez suffisamment
d'expérience avec l'appareil gouvernemental pour que cette question soit
une des questions les plus sérieuses que vous posiez. Est-ce que vous
suggéreriez que le fardeau d'offre des mesures d'employabilité
repose sur les épaules du ministère? C'est-à-dire que,
lorsque quelqu'un se déclarerait disponible pour une mesure
d'employabilité, immédiatement, il reçoive le
barème de participation et que le fardeau de lui trouver une mesure de
participation repose sur le ministère?
M. Bélanger (Jean-Pierre): Écoutez, tout en
essayant de demeurer réaliste, ce n'est pas nécessairement
seulement au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu. Il me semble que cela pourrait être un
engagement de l'ensemble du gouvernement, mais qu'on sente qu'il y a vraiment
une volonté très forte et très concrète de pouvoir
offrir des mesures aux personnes quand cela deviendra possible pour elles de
s'intégrer au marché du travail.
Vous avez mentionné certaines des caractéristiques des
bénéficiaires de l'aide sociale. Il y en a une autre qui, pour
nous, est importante. C'est celle de la disponibilité d'emplois
concrètement dans les villages ou dans les quartiers des villes
où habitent ces personnes. Comme vous le savez, l'emploi n'est pas
réparti équitablement dans tout le Québec. Il y a des
régions où les emplois fleurissent moins vite qu'ailleurs. Il me
semble que la responsabilité du gouvernement devrait être beaucoup
plus marquée dans ces régions. Vous savez qu'il y a quelques
années, et même au cours des années soixante-dix, a eu lieu
aux États-Unis un débat. Je ne me souviens plus du nom des
sénateurs qui avaient présenté ce projet de
réforme, mais ils garantissaient un emploi de dernier recours. Le
gouvernement américain s'engageait à garantir un emploi de
dernier recours aux bénéficiaires de l'aide sociale. Il nous
semble que, sans nécessairement aller jusque-là, le gouvernement
devrait assumer ses responsabilités.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous posez, à la page 16 de
votre mémoire, la question clé quant à la
détermination de l'aptitude ou de l'inaptitude. Vous soulignez: "On ne
peut pas dire que le document de réflexion est très explicite sur
la question." Vous n'êtes pas le premier groupe, dans ce cas, à
soulever cette question et vous avez posé des sous-questions
verbalement: Quelles seront spécifiquement les critères et qui
déterminera l'aptitude ou l'inaptitude ou l'admissibilité ou la
non-admissibilité à tel ou tel programme? C'est volontairement
que le document n'est pas plus précis. Plusieurs groupes nous ont fait
des suggestions et, quant aux critères, certains nous ont
recommandé une approche strictement médicale. D'autres nous ont
recommandé d'autres types d'approches bio- psychosociales, entre autres.
Quant à qui doit déterminer, certains parlent du fonctionnaire
chargé du dossier. D'autres parient du médecin traitant. D'autres
parlent d'un comité multidis-ciplinaire formé de divers
intervenants. La position des CLSC concernant les critères de
détermination et la ou les personnes qui auront à
déterminer, cela nous apparaît important dans ce dossier. Quelle
est votre opinion précise?
M. Ippersiel: II y a deux éléments qu'on fait
valoir dans ce dossier. D'une part, on pense que les critères doivent
faire l'objet d'un débat pour essayer d'aller chercher le maximum de
transparence et leur acceptation sociale. Il y a un premier volet majeur,
c'est-à-dire la définition des critères et l'acceptation
des critères. Pour ce qui est du deuxième volet, dans les CLSC,
nous allons toujours opter pour une approche globale et nous pensons que le
médecin ne devrait pas être seul à prendre ces
décisions. Il y a peut-être des cas où le médecin
devrait être seul, mais, de façon générale, nous
croyons que, dans ces questions-là, il y a souvent une composante
sociale, une composante psychologique, une composante médicale, et il
serait difficile, sinon peut-être imprudent, de faire porter cette
décision par un seul professionnel. Nous privilégions de loin une
approche où plusieurs professionnels pourraient être amenés
à prendre une décision.
M. Bélanger (Jean-Pierre): Si vous me le permettez.
J'ajouterais ceci à ce que M. Ippersiel vient de dire. On se rend
compte, quand vient la question de l'application des critères d'aptitude
ou d'inaptitude, de l'importance de l'accès ou non à un revenu
compensatoire. C'est plus facile de prendre la décision et dire:
Quelqu'un est apte au travail, donc sa prestation est éventuellement
réduite, quand on a la contrepartie à offrir, c'est-à-dire
la possibilité d'avoir accès à un revenu de travail.
Encore une fois, pour ce qui est du principe général qui veut que
les gens soient actifs plutôt qu'inactifs chez eux, tout en recevant leur
chèque, même si ce chèque est essentiel à leur
survie, encore faut-il qu'on ait la possibilité concrète d'avoir
accès à ce revenu de travail.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Les deux, M. Bélanger et M.
Asselin, ont traité de toute la question des travaux communautaires et
de l'utilisation qu'en ont fait certains. Vous avez parlé d'à peu
près la moitié des CLSC au Québec. J'ai des questions au
plan du fonctionnement pratique. Est-ce que, sur le plan de la gestion du
programme, vous avez eu avec les centres Travail-Québec avec lesquels
vous avez eu des rapports un service satisfaisant, adéquat, non
adéquat, etc., au plan administratif? Deuxièmement, quant au
fonctionnement, de quelle façon est-ce vécu dans le quotidien
lorsqu'une auxiliaire familiale rémunérée selon les
échelles sala-
riales que vous connaissez à l'intérieur des CLSC
travaille sur des travaux qui peuvent être différents - j'ai saisi
une certaine notion de différence à un moment donné quand
il s'agissait de soins personnels ou de travaux ménagers comme tels - en
relation étroite avec un participant à des travaux communautaires
qui n'a pas la même rémunération ou la même
protection au plan des conditions de travail?
M. Bélanger (Jean-Pierre): Pour ce qui est de la
collaboration avec les centres Travail-Québec, je pense qu'on peut dire
globalement, sans avoir fait une enquête exhaustive auprès de
l'ensemble des CLSC, que la situation est très variable d'un endroit
à l'autre. Il y a des CLSC où la collaboration a
été excellente. D'ailleurs, on mentionne, à ce sujet,
à la fin de notre mémoire, l'importance pour les
représentants du ministère, de Travail-Québec de pouvoir
s'impliquer au plan local dans les stratégies qui sont mises au point.
Mon collègue, M. Asselin, pourrait peut-être épiloguer
davantage là-dessus.
Donc, à certains endroits, la collaboration va bien. Ailleurs,
cela été un peu plus difficile. Je pense que c'est normal pour
deux réseaux qui n'ont jamais vraiment appris à travailler
ensemble et notamment un réseau, celui de Travail-Québec, qui a
subi des transformations importantes au cours des dernières
années. Il y aurait beaucoup de choses à améliorer dans ce
sens-là, mais il y aurait des expériences heureuses à
publiciser davantage, notamment quant à l'implication de certains
représentants du ministère dans le développement de
projets au niveau local.
Pour ce qui est du fonctionnement concret du programme, à la fois
à certains endroits, cela a donné des choses fort
intéressantes; en même temps, il ne faudrait pas minimiser,
d'autre part, les problèmes qu'on éprouve dans l'application des
programmes tels qu'on les a connus. Comme cela s'appliquait uniquement aux
jeunes de moins de 30 ans, il y a un taux de "turnover" très
élevé chez les jeunes, de telle sorte que, dans certains cas, les
CLSC ont abandonné le programme. Dans certains coins, il a
été perçu comme un programme de nature essentiellement
très temporaire, une espèce de manque d'implication à plus
long terme. Si on savait qu'en investissant des énergies dans le
développement d'un programme d'utilité communautaire comme celui
auquel on faisait allusion tantôt on a une certaine perspective dans le
temps, on serait davantage encouragés à consentir ces efforts
parce qu'on saurait que, l'année suivante, cela ne tomberait pas
à l'eau et qu'il y aurait des chances que cela puisse continuer. Les
habilités qu'on fait acquérir aux bénéficiaires
d'aide sociale qui embarquent dans ces programmes ne seraient pas perdues au
bout d'un an.
On a évidemment fait face à d'autres types de
problèmes locaux, notamment des problèmes de nature syndicale
avec l'application des conventions collectives et, à ce sujet, il faut
dire que les situations ont été très différentes
d'un endroit à l'autre. À certains endroits, il a effectivement
été possible, compte tenu des problèmes sociaux criants
vécus dans ces communautés, de conclure des ententes locales avec
le syndicat pour que le CLSC puisse lui-même prendre en charge la gestion
de ses programmes de travaux communautaires. Ailleurs, cela n'a pas
été possible ou cela n'a pas été nécessaire
quand une corporation à but non lucratif existait de façon
parallèle au CLSC.
Pour ce qui est de la distinction des tâches entre ce que font les
auxiliaires familiales des CLSC et les participants à ces travaux, c'est
évidemment une question délicate et il y aurait un travail
à faire pour raffiner les différences et peut-être les
clarifier davantage. Je vous donnerais cependant un exemple, celui que je vous
ai donné de l'auxiliaire qui s'occupait des soins d'hygiène
corporelle pendant que le participant au programme s'occupait davantage du
matériel ou des travaux ménagers, de peinture, de
rénovations mineures ou de déblaiement de la neige l'hiver, etc.
Ces choses ont été vécues à certains endroits. Il y
a même un cas en particulier - j'oublie malheureusement le nom du CLSC,
en milieu rural - où le mode de fonctionnement était grosso modo
le suivant: l'auxiliaire familiale se déplaçait dans son auto
avec le participant au programme de travaux communautaires parce que
c'était la seule façon d'amener le jeune participant au domicile
de la personne âgée parce qu'il n'avait pas d'automobile. Il y a
donc des endroits où une collaboration concrète s'est
développée. Il me semble que, si on avait une perspective un peu
plus globale et claire, il serait possible d'aller de l'avant dans ce genre de
programme. Michel. (10 h 45)
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, M. Asselin, en
complément.
M. Asselin: En ce qui me concerne, ce n'est pas un
problème parce que les auxiliaires familiales, c'est un type
d'employé un peu particulier. Ils sont souvent issus des milieux. Ils
ont été habitués... De toute façon, il y a
déjà un programme qui existe par le ministère. Ils ont
été habitués de voir des personnes bénévoles
travailler à côté d'eux dans le cadre des centres de
bénévolat qui existent partout. Là-dessus, de toute
façon, actuellement, le maintien à domicile est
problématique au point qu'il y a un glissement de la pratique des
auxiliaires familiales vers quasiment plus une tâche de
préposés aux bénéficiaires. Cela va de soi. Pour
eux autres, ils le verraient et ils le voient beaucoup plus comme des gens qui
viennent les appuyer, les seconder dans des situations où ils se
trouvent surchargés.
Il faut dire que, l'auxiliaire familiale étant à domicile
et ne travaillant quasiment pas en établissement, c'est souvent elle qui
a la pression du bénéficiaire dans l'état où le
bénéficiaire se voit contraint de ce type de service. Je vous
dis que les intérêts à ce niveau, de se voir
seconder, sont beaucoup plus importants que ceux de savoir si la tâche va
être protégée.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Cela va. En vertu de la
règle de l'alternance.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de
vous souhaiter la bienvenue, M. Ippersiel. Je pense que vous êtes de
Hull. De?
M. Ippersiel: Montebello.
Mme Harel: De Montebello. M. Asselin, M. Bélanger. En
prenant connaissance de votre mémoire, je me demandais - et on reviendra
sur toute la question du développement des emplois communautaires, du
développement des emplois socialement utiles. Cela a été
ébauché ici devant la commission, mais à peine, d'une
certaine façon. Je pense que ce serait certainement utile qu'on puisse
approfondir cette question au plan de notre échange. Mais, si je reviens
à votre mémoire, vous dites... À un moment donné,
j'avais l'impression ou presque que vous remettiez en question le principe
d'universalité des programmes. En fait, c'était à la page
11. Cela ne traite pas que de l'aide sociale. Mais vous faisiez état,
notamment, en matière du régime d'allocation familiale ou du
régime de sécurité du revenu pour les personnes
âgées, du déplacement que ces régimes avaient
connu.
Vous concluiez, à la page 12, en disant que le titre du document
de la proposition du ministre, avec son contenu actuel, vous semblait quelque
peu prétentieux.
Une voix: Le document ou le titre?
Mme Harel: Le titre. Notamment, disiez-vous, dans le contexte du
libre-échange, une harmonisation des politiques s'imposait. J'aimerais
cela peut-être rapidement vous entendre là-dessus.
M. Bélanger (Jean-Pierre): Personnellement, et je pense
que c'est aussi le cas de la Fédération des CLSC, on n'a pas de
problème de principe avec l'universalité des services, mais
l'universalité, c'est toujours un compromis entre ce que la
collectivité est prête à payer et ce que la
collectivité est capable de payer en termes de services. Là
où j'ai un problème avec l'universalité, c'est quand on
note le glissement des programmes de sécurité du revenu,
l'échange de fins en cours de route, et que ces programmes en viennent,
globalement, à aider davantage les gens à revenus moyens que les
gens qui sont maintenant dans ce qu'on peut appeler les nouvelles
catégories de pauvreté, c'est-à-dire les personnes
âgées seules, les femmes chefs de famille monoparentale, les
jeunes, etc. Il nous semble, quant à nous, que, si on voulait vraiment
procéder à une véritable réforme de la
sécurité du revenu, il faudrait, notamment, tenir compte de toute
la dimension fédérale-provinciale puisqu'il y a une grosse partie
du gâteau, en cette matière, qui est de juridiction
fédérale et que le Québec devrait peut-être profiter
de ces intentions de réforme en matière de sécurité
du revenu pour aussi rouvrir les débats avec le gouvernement
fédéral à ce chapitre, qui a été
étrangement silencieux au cours des dernières années en
matière, je dirais, de réforme positive de la
sécurité du revenu.
Mme Harel: Je pense que c'est un document que vous connaissez
certainement bien, celui du Conseil canadien du développement social
intitulé: "Un filet de sécurité troué", qui explore
tous les programmes de l'aide sociale au Canada. On y dit que les programmes
les plus redistributifs sont justement les programmes d'assistance sociale et
de supplément du revenu pour les personnes âgées. De tous
les programmes que l'on connaît, ce seraient ces deux programmes qui
seraient les plus redistributifs.
Dans votre présentation, M. Ippersiel, et vous aussi, M.
Bélanger, j'ai cru comprendre que vous aviez pris connaissance de
l'étude effectuée par le Conseil des affaires sociales et de la
famille sur le Québec coupé en deux, ou presque, qui
démontrait que certains quartiers de grandes villes, en particulier
celui que je connais bien pour y habiter et le représenter à
l'Assemblée, et certaines régions rurales
périphériques avaient une situation, à la fois sur le plan
démographique et économique, de désintégration et
de sous-développement accélérés, pendant que
certains autres quartiers et certaines communautés des régions
bénéficiaient d'une situation de développement
économique et démographique, et qu'à tous égards il
y avait une aggravation des écarts entre ces deux groupes de
citoyens.
Dans ce contexte, juste une petite remarque. Le ministre,
d'entrée de jeu, faisait valoir que, dans le fond, c'était pour
cesser de se donner bonne conscience et que, dorénavant, la bonne
conscience viendrait de la réduction des prestations. Le ton a vraiment
changé maintenant. Les personnes en inactivité ne sont plus
victimes du chômage; elles ne sont plus, non plus, des paresseux, elles
deviennent des victimes du souci de protection sociale de l'État. C'est
par souci trop accru de protection qu'on les empêcherait de voler de
leurs propres ailes et de gagner leur autonomie. Il faut donc cesser ou
réduire la protection sociale, la sécurité du revenu, pour
leur permettre précisément d'acquérir leur autonomie.
C'est un nouveau discours. Il est d'ailleurs très bien expliqué
dans le document intitulé "Les nouvelles pauvretés,
l'environnement économique et les services sociaux", rendu public par la
commission chargée d'étudier l'ensemble des services sociaux et
des services de santé.
Malgré tout, je ne pense pas que ce soit à ce discours que
vous nous appelez quand vous dites, avec raison, que l'inactivité est un
drame dans notre société. Je pense, M. Asselin, que vous l'avez
bien illustré et que vous nous avez fait comprendre que ce n'est pas
parce qu'on est sans emploi qu'on est inactifs. Vous avez donné des
exemples de pêche, de chasse, d'autres exemples qui m'ont fait penser
que... Finalement, je ne sais plus de quoi on parle. Est-ce que vous parlez
d'inactivité non rémunérée ou d'une activité
qui n'est pas rémunérée? Si on reprend la question de
base... Vous avez fait allusion à des communautés où il y
a une forte proportion, des collectivités locales ou rurales ou dans les
grandes villes, de personnes qui sont sans revenu de travail - c'est cela qu'il
faut comprendre - mais qui sont actives, qui ont des revenus de travail non
déclarés.
M. Asselin: Quand je parle d'être inactifs, je parle de
gens qui ne contribuent pas, par leur activité, à la production
collective.
Mme Harel: Donc, qui ne paient pas d'impôt, vous voulez
dire.
M. Asselin: Non pas qu'ils ne paient pas d'impôt, mais
qu'ils ne contribuent pas, par ce qu'ils font, ce qu'ils réalisent,
à des activités qui soutiennent leur entourage.
Mme Harel: Donc, vous excluez, par exemple, les personnes qui
font du bénévolat, qui sont bénéficiaires d'aide
sociale et qui sont, soit bénévolement engagées dans des
organisations, des groupes...
M. Asselin: Absolument.
Mme Harel: Pour vous, elles jouent un rôle utile.
M. Asselin: C'est exact.
Mme Harel: Bon, parce qu'il y a toute cette question de
l'activité et de la notion de...
M. Asselin: Je veux parler, par exemple chez nous, pour un
ouvrier qui veut travailler au salaire auquel il aurait droit, il est
peut-être de plus en plus difficile de le faire parce que la concurrence
est telle, chez les gens en inactivité, qu'il y a beaucoup de travail au
noir. C'est facile de faire finir son sous-sol à très peu de
frais; c'est peut-être plus facile dans nos régions que dans
d'autres régions. On peut multiplier un paquet d'activités comme
celles-là qui se font...
Mme Harel: Donc, il faudrait peut-être, à ce
moment-là, nécessairement mieux définir ce qu'on entend
par une activité socialement utile, puisque tout le monde s'entend pour
dire que le travail, c'est la santé. Mais quel travail? Est-ce qu'assu-
mer des responsabilités parentales serait un travail reconnu? Est-ce
qu'assumer des responsabilités communautaires serait une activité
reconnue, etc.? Je pense que dans tout cela...
M. Asselin: Ah oui!
Mme Harel: ...il y a là un aspect important sur lequel
j'aimerais avoir votre éclairage.
D'autre part, vous dites dans votre mémoire: "La réforme
proposée est en effet encore incohérente: on réduit la
prestation de base - à la page 25 - et on accroît l'exemption pour
gains de travail afin d'accroître l'incitation au travail. Mais
au-delà d'un certain seuil on pénalise. Dans ce contexte, la
réduction de la prestation de base risque d'apparaître comme une
façon de réaliser sur le dos d'une partie des
bénéficiaires les économies nécessaires au
financement d'une partie de la réforme."
Vous campez bien le coeur, disons, de l'exercice puisqu'il consiste
à ne plus couvrir les besoins reconnus pour les personnes aptes, et les
revenus de travail viennent combler en étant additionnés avec des
prestations réduites. Les revenus de travail, il faut les voir comme
supérieurs à ce qu'ils étaient, mais supérieurs
simplement pour pouvoir combler les besoins qui ne sont plus reconnus.
Au-delà de ces besoins essentiels reconnus, mais non plus couverts, et
qui deviennent comblés par des gains de travail qui sont fictifs,
là, M. Bélanger, vous avez bien démonté la
mécanique qui est: 1 $ additionnel gagné, c'est 1 $ qui est
réduit pour chaque dollar additionnel gagné. Donc, l'incitation
s'arrête aux besoins essentiels reconnus. Au-delà des besoins
essentiels reconnus, il n'y a plus d'incitation.
Vous avez dit, M. Bélanger, que vous pensiez qu'il fallait
toujours qu'il y ait intérêt à gagner 1 $, quelle que soit
la situation du bénéficiaire. Jusqu'à quel seuil?
M. Bélanger (Jean-Pierre): Jusque? Mme Harel:
Jusqu'à quel seuil?
M. Bélanger (Jean-Pierre): Écoutez, on n'a pas fait
les calculs. C'est bien évident que la mise en place d'un régime
de revenu minimum garanti - parce que c'est le principe dont on discute, celui
qui sous-tend un régime universel de revenu . minimum garanti - à
la limite, pourrait coûter très cher. Sans aller jusque-là,
il nous semble que le système devrait fonctionner de telle sorte qu'il y
ait toujours une incitation, pour le bénéficiaire d'aide sociale,
à gagner 1 $ de plus quand il a la chance de le gagner.
Toute la discussion autour des besoins fondamentaux qui sont couverts ou
qui ne sont pas couverts, pour nous, ce qui est essentiel, c'est qu'en fin de
compte les bénéficiaires aient un montant d'argent suffisant pour
pouvoir assumer leurs besoins de base. Que ce montant
vienne de prestations, mais qu'il vienne aussi, en partie, d'un revenu
de travail, à la limite, cela ne nous pose pas de problème
fondamental. Si on parle d'une exemption pour gains de travail de 155 $ par
mois, cela ne représente pas un nombre d'heures de travail qui
ressemblerait à de l'exploitation indue des personnes. Ce qu'on
pense...
Mme Harel: Vous avez compris, par exemple, dans la
mécanique, que ces 155 $ ne sont possibles que s'il y a un refus de
participer et, à ce moment-là, lorsqu'il y a des prestations de
beaucoup réduites.
M. Bélanger (Jean-Pierre): Oui.
Mme Harel: Les 155 $ additionnés ne viennent que combler
les besoins essentiels reconnus qui ne sont plus couverts.
M. Bélanger (Jean-Pierre): Oui. Mme Harel: C'est la
mécanique. M. Bélanger (Jean-Pierre): Oui, oui. Mme
Harel: D'accord.
M. Bélanger (Jean-Pierre): Disons que dans d'autres
situations l'exemption pour gains de travail est réduite, mais on n'a
pas voulu entrer nécessairement dans tous ces détails.
Au début de votre dernière intervention, vous avez
mentionné la question de savoir qui devait porter le fardeau de la
preuve, ou qui devait porter le fardeau de la responsabilité de
l'employabilité ou de la non-employabilité des personnes. On
pense que cela prend un ensemble de mesures et qu'il ne peut pas y avoir
d'action cohérente là-dedans si on y va de façon trop
sectorielle et trop limitative.
C'est bien évident que des mesures qui ont pour effet
d'accroître les habiletés personnelles des personnes, comme leur
permettre de terminer leur cours secondaire, d'avoir une première
expérience d'emploi ou d'améliorer leur formation
professionnelle, ce sont, évidemment, des mesures positives en soi. Il y
a une autre dimension qu'on voulait faire ressortir, c'est toute la dimension
d'avantages communautaires et collectifs de la dynamique parce que même
si, dans plusieurs coins du Québec, on réussit à
accroître les capacités personnelles des personnes, dans ces
milieux, il n'y aura pas d'emploi; il n'y en aura pas suffisamment pour tous
les bénéficiaires d'aide sociale qui sont là. C'est bien
évident que les règles du marché veulent que, à
long terme, les gens se déplacent pour trouver des emplois, mais il
reste que lorsque cela se fait de façon trop rapide dans le temps -
c'est ce qu'on évoquait - le tissu social se désintègre
progressivement. Les personnes âgées qui continuent à
habiter sur ces territoires se sentent seules; elles souffrent de solitude et
d'un manque de services, donc elles déménagent en centre
d'accueil d'hébergement dans les grandes villes. À ce
moment-là, elles sont déracinées de leur milieu d'origine.
C'est cette dynamique qui, pour nous, est importante. (11 heures)
L'autre aspect de cette dynamique, c'est la nécessité de
tous les regroupements de nature collective qui ont pour effet d'aider ces
personnes dans le besoin, donc, les bénéficiaires d'aide sociale,
à mieux vivre leur situation, soit se regrouper. Je pense que M. Asselin
pourrait vous parler longtemps de la nécessité, par exemple, qui
a été ressentie dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie,
ainsi que dans d'autres régions comme la Côte-Nord, de regrouper
massivement les jeunes qui étaient sans emploi et qui avaient à
la fois quitté l'école. Pour les jeunes, il y a deux principaux
moyens, si on veut, d'intégration sociale dans notre
société: c'est ou le travail ou l'école. Alors, quand il
n'y a ni l'un ni l'autre ou que vous habitez dans un milieu rural, la situation
n'est pas toujours drôle. Donc, ce n'est pas uniquement des mesures dans
ces cas qui visent à accroître les capacités des personnes
qui vont résoudre l'ensemble des problèmes.
M. Ippersiel: C'est un peu ce à quoi on faisait
référence au début quand on disait que le
bénéficiaire d'aide sociale est traité comme quelqu'un
d'isolé. Si je peux me permettre un exemple pour expliquer ce qu'on veut
dire, quand on a étudié le fameux rapport Harnois, il y avait une
mesure où on recommandait que des crédits soient
débloqués pour favoriser ou stimuler l'approche de groupe. On
aurait souhaité retrouver dans le projet de réforme des sommes
qui puissent servir à certains groupes pour s'organiser et se donner des
services en commun. Tantôt, quand M. le ministre parlait de 36%
d'analphabètes, par exemple, chez les 300 000, on sait qu'une approche
collective est souvent plus efficace qu'une approche individuelle du
côté de l'alphabétisation. Ce sont des mesures comme
celle-ci qu'on aurait aimé retrouver dans le projet, c'est-à-dire
une dimension communautaire, une dimension cpllective qui permette aux gens de
se regrouper, parce que c'est souvent en travaillant ensemble qu'on peut
améliorer sa condition et aussi son sort. Cette dimension nous semble un
peu absente dans le projet de réforme.
Mme Harel: Vous avez parlé des travaux d'utilités
collectives. Je pense que c'est vous, M. Ippersiel? Non, c'est M. Asselin? J'ai
pensé que vous aviez fait un stage en France. Je pense que cela existe
les TUC, les travaux d'utilités collectives?
M. Asselin: Je n'y suis pas allé.
Mme Harel: Ah, c'est vous-même. Vous en
aviez entendu parler ou si...
M. Asselin: Non, c'est parce qu'on parle présentement,
dans notre région, de ces projets.
Mme Harel: Juste, peut-être, avant d'aborder cette
question, il y a évidemment une question qui se pose. Je ne sais pas si
la Fédération des CLSC aura l'occasion d'y
réfléchir, il s'agit de la question, comme vous le soulignez, M.
Bélanger, de savoir jusqu'à quel seuil cette incitation positive
à gagner un dollar doit rester, jusqu'au seuil du salaire minimum,
jusqu'au seuil de pauvreté de Statistique Canada? Sachant que le seuil
de pauvreté pour une personne seule, c'est 999 $ par mois et que le
salaire minimum est à 689 $ présentement, donc, il y a une
différence de 300 $ en moins pour le salaire minimum. Évidemment,
l'aide sociale étant en deçà de beaucoup et des deux, et
du salaire minimum et de Statistique Canada, chaque dollar gagné
additionne), jusqu'à quel seuil d'une certaine façon peut-on
l'envisager?
Juste avant que vous répondiez, parce qu'il ne me reste plus de
temps, je vais vous poser finalement la question de fond qui est celle du
développement des programmes d'emplois communautaires. Cela a
été un peu discrédité par toutes les
expériences précaires qui se sont multipliées de ce genre
de programmes: PDE fédéral, etc. Vous avez parié des
travaux en matière de protection civile, d'environnement et de
protection publique. Le ministre vous a posé une question très
importante tantôt qui était la suivante: Est-ce l'État qui
doit assumer la responsabilité d'offrir à la personne qui dit: Je
suis disponible, je suis apte, je suis prête, je veux participer,
personne qui, dans le projet actuel, se retrouve dans la catégorie
admissible, donc, en bas du montant qu'elle obtiendrait si elle participait,
parce que l'État ne peut pas lui offrir d'intégrer une classe
pour terminer son secondaire V ou parce que la personne a 48 ans, qu'elle a une
septième année et que cela ne lui tente pas de retourner terminer
un cours secondaire et qu'elle ne pense pas avoir nécessairement le
goût de finir... Cela se peut que, pour continuer des études, il
faut aussi en avoir le goût, parce qu'il n'y a pas nécessairement
les mesures comme, dans certains coins, des stages en entreprise ou parce qu'H
n'y a pas de travaux communautaires. Parce qu'il n'y aurait pas l'offre,
finalement, la personne serait pénalisée en étant
considérée apte, admissible mais sans participer. Là, la
question c'est: Est-ce qu'il n'y aurait pas une responsabilité de la
part de l'État, puisque l'État se dit prêt - le ministre
l'a répété maintes fois - à offrir la
totalité à 100 % des personnes aptes qui voudraient y participer,
c'est-à-dire environ 445 000 000 $? Est-ce que cet argent, que
l'État se dit disposé à utiliser, ne devrait pas
l'être pour créer, cette fois, de vrais emplois communautaires,
pour créer de vraies activités socialement utiles? Je pense que
vous avez quelque chose à dire, M. Asselin?
M. Asselin: Oui. Je pense que, dans une région comme la
nôtre - mais je vous dis qu'il y en a d'autres au Québec -
l'État a un rôle majeur. Si l'État ne prend pas une
espèce de leadership là-dedans, il n'y a pas grand monde qui va
le faire.
Ce qui est important, c'est qu'on ait un modèle qui dure. Quand
je suis arrivé en Gaspésie, c'était en 1970, dans
l'après BAEQ, où on avait fermé des villages.
J'étais allé là justement pour travailler sur le plan
communautaire à soutenir les gens qui sortaient des villages. Et on est
arrivés avec des projets de courte durée qui ont touché
tout le secteur du retour à la vie normale - pour certains, cela dira
peut-être quelque chose - et des projets de 20 semaines. Il s'est
développé aussi une sous-culture où on embarque dans des
projets et on débarque, on va chercher du chômage, en tout cas,
vous connaissez le discours. Ce qu'on trouve nécessaire, c'est qu'il y
ait des projets qui soient de longue durée et de ne pas se dire que
c'est là pour six mois ou un an. Si tu fais longtemps, tu feras
longtemps.
D'autant plus que je pense que, demain, vous allez recevoir les gens
d'Action-travail de notre territoire. Il y a des gens là-dedans qui
étaient très actifs et très scolarisés. De toute
façon, après un certain temps, s'ils ont développé
l'employabilité, ils s'évacuent tout seuls, ris se font
connaître, ils se font voir, ils se font apprécier et ils s'en
vont. S'ils ne sont pas compétitifs, ils vont peut-être faire
deux, trois ou quatre ans de plus. On n'a pas besoin, je pense, de fixer un
délai de six mois ou de sept mois parce que, d'abord, c'est très
dévalorisant et cela fart projet! Il n'y aucun intérêt
à...
M. Bélanger (Jean-Pierre): Pour ce qui est de votre
première question, celle relative au seuil qui devrait être
couvert, on n'a pas fait d'étude particulière sur un seuH
précis. Pour ma part, cela fait à peu près 20 ans que,
d'une façon ou de l'autre et régulièrement, on a à
analyser toute la question de la sécurité du revenu. J'en suis
arrivé, à la longue, à me méfier d'un seuil qui est
défini de façon théorique. Je sais que, en fin de compte,
les décisions doivent être prises sur des bases réalistes
compte tenu des ressources qui sont disponibles.
La direction dans laquelle on doit aller, on la connaît. Elle est
déjà exposée en bonne partie dans le document que le
ministre a déposé. Même si ce qu'on appelle techniquement
le taux de taxation implicite, cela veut dire le taux de réduction de la
prestation de l'aide sociale, même si c'était de l'ordre de 80 %,
ce serait déjà préférable à un taux de
taxation implicite qui est actuellement de l'ordre de 100 %, quand ce n'est pas
plus élevé, compte tenu des privilèges que les personnes
perdent. Alors, la direction, on la connaît.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, on m'indique qu'il me reste
quelques minutes. J'aimerais revenir sur un des éléments que vous
avez apportés, soit toute la question du travail à temps partiel
où vous rejoignez là, dans un vocabulaire un peu
différent, une notion que l'Association des manufacturiers canadiens a
évoquée hier: le temps partagé. Je pense qu'il y aurait un
certain arrimage à faire entre les deux mémoires sur cette notion
de travail à temps partiel et de temps partagé.
Je souhaiterais également avoir le temps de toucher toute la
question combien importante de l'harmonisation avec la fiscalité. Vous
avez drôlement raison de le souligner. Nous partons d'un système
où, après 25 $ de gains mensuels, c'est une taxation à 100
%. Nous croyons l'améliorer dans un certain pourcentage, nous avons
même l'impression qu'avec le programme APPORT pour les familles,
là où il y a des enfants, il y a une harmonisation qui est
complète avec la fiscalité et qu'il n'y a pas ce niveau de
taxation, mais que, pour les personnes seules - vous avez raison de le
souligner - il y a là un trou, mais il y a toute la question à
savoir à quel seuil on doit arrêter à un moment
donné pour ne pas que tout le monde dans la société soient
des bénéficiaires du programme APTE. Ce n'est pas
nécessairement ce qu'on vise, au ministère de la Main-d'Oeuvre et
de la Sécurité du revenu.
Vous pouvez répondre brièvement sur ces points, mais la
dernière question que je vous adresse, je l'adresserais à M.
Bélanger. Il a été question, dans une proportion
très importante de mémoires, devant cette commission
parlementaire, de la notion du plein emploi. Je sais que vous avez
déjà eu l'occasion d'écrire sur le sujet. Ce qu'on nous
faisait comme représentation, c'est: Le gouvernement, vous ne prenez pas
la bonne direction. Certains nous ont même dit: Oubliez vos notions
d'employabilité et ne pensez que plein emploi. Nous avons donné
des réponses à ces gens, mais, de quelqu'un qui a
déjà longuement réfléchi sur le sujet,
jusqu'à écrire, j'aimerais avoir des réactions à
cette approche vers le plein emploi.
M. Bélanger (Jean-Pierre): Dans l'ordre ou dans le
désordre, pour ce qui est de la question de l'harmonisation avec la
fiscalité, cela nous semble effectivement important et cela pourrait,
d'ailleurs, être un des points sur lesquels il faudrait rouvrir les
discussions avec le gouvernement fédéral.
Pour ce qui est de l'appréciation qu'on fait du programme APPORT,
il y a un énorme avantage au programme APPORT par rapport à son
prédécesseur, SUPRET, et qui est le suivant, c'est-à-dire
que les revenus sont versés en bonne partie sur une base des revenus
courants, donc, l'incitation au travail est plus palpable. Je suis content,
d'une certaine façon, qu'on puisse en être arrivé là
aujourd'hui puisqu'à l'époque, l'idée d'un programme de
supplément au revenu de travail pour les petits salariés avait
suscité une méfiance telle de la part des organismes qui, dans
tout gouvernement, sont chargés de contrôler les dépenses
qu'il n'y avait pas eu moyen de l'articuler autrement que de le donner sur la
base du rapport d'impôt, une fois que l'année est finie. Donc,
l'incitation au travail arrivait souvent quinze mois après le travail
réel. L'existence de SUPRET a permis, dans le fond, de voir que ce
n'était pas un monstre, cette affaire-là, et que cela pouvait
éventuellement être - excusez l'expression anglaise - "manageable"
sans trop de problèmes.
Pour ce qui est d'une politique de plein emploi, c'est bien
évident que tout le monde est pour la vertu, mais, en ce qui nous
concerne, on pense que, de toute façon, ce ne sera pas pour demain matin
et qu'il y a un certain nombre de gestes qui doivent être posés.
Je veux dire ceux qui défendent - et j'en suis - l'établissement
d'une politique de plein emploi... Même dans cette politique, il y a, de
toute façon, des mesures de formation des individus. Maintenant, il nous
semble que les mesures de nature individuelle qui s'adressent aux individus -
c'est ce qu'on a essayé de faire ressortir également ne sont pas
non plus, à elles seules, suffisantes pour régler l'ensemble des
problèmes. Donc, il faudrait éventuellement faire plus, mais
c'est bien évident que ce n'est plus la responsabilité que d'un
ministère sectoriel, que cela déborde sur l'ensemble des
activités gouvernementales.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier nos
invités.
Mme Harel: Oui, M. le Président. Cela me fait d'autant
plus plaisir que j'ai eu l'occasion de lire certains travaux sur cette question
du plein emploi. Sans doute, quand vous faites appel à la
responsabilité d'un gouvernement en matière de
sécurité du revenu, là où le bât blesse d'une
certaine façon, c'est que ce document ne parle que d'aide sociale,
malgré le titre qui porte sur la politique de sécurité du
revenu. Alors, il faut certainement souhaiter qu'on puisse aller dans le sens
du développement des emplois communautaires ou socialement utiles, ce
que vous nous indiquiez ce matin. Je vous remercie pour votre contribution.
*
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): À la
Fédération des CLSC, à ses porte-parole, je me joins
à Mme la députée de Maisonneuve pour dire merci. Je vous
dirai également que la première note que j'ai prise et sur
laquelle nous n'avons pas eu l'occasion de discuter - mais sur laquelle je
pense que M. le président est revenu en tout dernier - l'aspect
communautaire, dans le mémoire, est une suggestion très positive
et très intéressante.
Quant aux autres points sur lesquels nous avons discutés, je
considère que vous avez, par la qualité de votre mémoire
ainsi que la qualité de vos propos, enrichi les travaux de cette
commission. Au nom de la commission et du gouvernement du Québec, je
vous dis merci.
M. Ippersiel: On espère mettre toute notre expertise
commmunautaire à votre service, M. le ministre, si vous avez besoin
d'aide.
Le Président (M. Bélanger): La commission des
affaires sociales remercie la Fédération des CLSC et invite,
à la table des témoins, la Fédération des
travailleurs du Québec, la FTQ, qui sera représentée par
M. Fernand Daoust, M. Guy Cousineau, M. Michel Chevalier, M. Jacques Toupin et
Mme France Laurendeau. Je les invite à prendre place à la table
des témoins. (11 h 15)
Je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place, s'il
vous plaît. Bonjour aux représentants de la
Fédération des travailleurs du Québec. Sans doute, vous
connaissez bien nos règles de procédure, mais, à tout
hasard, je vous les explique, quand même. Vous avez 20 minutes ferme pour
la présentation de votre mémoire et une période
d'échanges par la suite, avec nos parlementaires. Je vous demanderais
chaque fois que vous devez prendre la parole, de bien vouloir vous identifier
pour les fins de la transcription du Journal des débats. Si vous
voulez identifier votre porte-parole, présenter votre équipe et
procéder à la présentation de votre mémoire, nous
vous écoutons avec toute l'attention voulue. Merci.
Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec
M. Daoust (Fernand): Merci beaucoup. Mon nom est Fernand Daoust.
Je suis le porte-parole de la Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec. Je voudrais immédiatement corriger cette
petite erreur dans l'ordre du jour qui nous a été transmis: on ne
parle pas de femmes.
Le Président (M. Bélanger): Je fais amende
honorable, j'aurais dû le savoir.
M. Daoust: Bon. Je vais vous présenter ceux qui
m'accompagnent: M. Guy Cousineau, vice-président de la FTQ et
secrétaire général du Conseil des travailleuses et des
travailleurs du Montréal métropolitain; Mme France Laurendeau, du
service de recherche de la FTQ, permanente; M. Michel Morasse, permanent de la
FTQ pour la région de Québec.
M. le Président, M. le ministre, Mme la députée,
MM. les députés, je vais faire cet exposé qui reprend
succinctement les points les plus importants de notre mémoire qui a
été déposé préalablement.
La FTQ, qui représente au-delà de 450 000 travailleurs et
travailleuses syndiqués provenant de tous les secteurs
économiques, se devait de se faire entendre devant cette commission. Le
projet de réforme du régime d'aide sociale soumis au débat
public et qualifié à tort de politique de sécurité
du revenu suscite beaucoup d'inquiétude dans nos rangs. En effet, ce
n'est pas là un projet qui répond à notre
définition d'une véritable politique de sécurité du
revenu, puisqu'elle se fait isolément des autres politiques sociales: la
politique familiale, les grandes politiques fiscales, les politiques qui ont
trait aux services de garde et les politiques de main d'oeuvre.
Le problème no 1: les pénuries d'emplois. De plus, cette
réforme ignore le problème no 1 de notre société:
les pénuries chroniques d'emplois. Nous sommes intimement convaincus
qu'on ne peut procéder à une véritable réforme du
régime d'aide sociale sans mettre simultanément en place une
politique de plein-emploi. L'emploi et la sécurité du revenu vont
de pair, car c'est par le travail rémunéré que la
majorité des citoyens et des citoyennes du Québec gagnent leur
vie et s'assurent ainsi une sécurité pour aujourd'hui et pour
demain.
La FTQ réitère donc son attachement au principe du droit
au travail pour tous et toutes comme moyen d'assurer leur subsistance et de
participer à la vie collective. C'est pourquoi nous sommes
particulièrement attristés du sort que notre
société réserve à ceux et à celles qui n'ont
pas d'emploi. Les chômeurs et les chômeuses, ainsi que les
assistés sociaux et les assistées sociales, dont le nombre s'est
accru dramatiquement depuis la récente crise économique,
subissent durement les conséquences de celle-ci. Leurs revenus sont
très bas et toujours sujets aux changements d'humeur des gouvernements.
Leur situation de dépendance et d'exclusion est humiliante. Leur
santé physique et mentale est plus sujette à
détérioration.
La FTQ ne peut tolérer plus longtemps que l'on relègue
à l'aide sociale des hommes et des femmes qui veulent apporter leur
contribution à l'édification de la société. En
particulier, l'accroissement du nombre de jeunes bénéficiaires
est un pur scandale. C'est le gaspillage d'une génération qui se
produit sous nos yeux. La FTQ croit fermement que la cause ultime des
problèmes de chômage et de pauvreté réside dans
l'incapacité de notre économie de générer assez
d'emplois pour tous ceux et celles qui veulent travailler. Les
bénéficiaires de l'aide sociale ne sont pas responsables des
pénuries d'emplois et ils n'ont pas à supporter seuls les
conséquences de la crise économique et des politiques
gouvernementales restrictives qui ont empêché la croissance du
niveau d'emploi.
L'urgence d'une politique de plein-emploi.
Depuis son élection, votre gouvernement n'a rien fait pour
rétablir la situation de l'emploi. Bien au contraire, il a
démantelé la Table nationale de l'emploi, il a adopté des
politiques budgétaires restrictives et s'est retiré graduellement
de l'économie par des mesures de privatisation et de
déréglementation. De plus, il a renoncé à
récupérer du gouvernement fédéral les
compétences qui lui reviennent en matière de main-d'oeuvre et de
sécurité du revenu, acceptant ainsi un dédoublement
coûteux et inefficace.
La FTQ déplore que votre gouvernement ait renoncé à
adopter une approche préventive face aux problèmes de
chômage et de pauvreté et qu'il mette l'accent sur les
caractéristiques individuelles des bénéficiaires de l'aide
sociale. Un redressement s'impose d'urgence, mais il ne va pas dans le sens
proposé par la réforme. Les recommandations que nous soumettons
dans la partie 1.3 de notre mémoire montrent quelle est la voie à
suivre.
Un changement majeur de philosophie. La réforme proposée
amorce un virage inquiétant pour notre société. Les
principes de base qui ont guidé la conception du régime actuel
d'aide sociale sont remis en cause. L'aide sociale ne serait plus un droit pour
ceux et celles qui sont dans le besoin, mais un privilège pour les
pauvres méritants qui sont dans l'incapacité absolue de
répondre à leurs besoins à cause d'un handicap physique ou
mental grave. La FTQ ne peut accepter que le gouvernement porte un jugement de
valeur sur les facteurs qui ont conduit une personne à avoir besoin de
l'aide sociale. C'est le besoin et l'incapacité temporaire ou permanente
d'y répondre qui doivent demeurer les seuls critères
d'admissibilité au régime d'aide sociale.
Le document d'orientation laisse entendre que les assistés
sociaux et les assistées sociales jugés aptes au travail sont
pauvres parce qu'ils ou elles ont fait le choix de ne pas travailler. C'est
ainsi que, sournoisement, le gouvernement laisse entendre qu'il suffit de
vouloir travailler pour pouvoir le faire. Nous ne pouvons que condamner cette
attitude particulièrement injuste dans un contexte où, même
si l'on veut travailler, il n'y a pas assez d'emplois pour tous.
Le gouvernement ne semble pas croire que les bénéficiaires
de l'aide sociale sont motivés à travailler. C'est pourquoi il
propose un régime qui incite au travail d'une manière
plutôt douteuse. Ceux et celles qui ne gagneront aucun autre revenu en
sus de leurs prestations ne pourront combler leurs besoins de base
établis par le ministère à des niveaux si bas qu'ils
frisent l'indécence. Des sanctions sous forme de prestations
inférieures à celles que l'on octroie aux personnes inaptes au
travail et dont on comprend mal la rationalité seront applicables
à la majorité des personnes aptes au travail, moins de neuf mois
dans le régime, non admissibles, non disponibles et aux
non-participants. On veut punir les personnes de mauvaise volonté, les
non-participants, mais on punit aussi tous les autres. Cette rationalité
nous échappe complètement à moins qu'elle ne s'explique
par la préoccupation de réduire les coûts du
régime.
Enfin, le document soupçonne les bénéficiaires de
l'aide sociale de ne pas être employables, c'est-à-dire de ne pas
avoir les qualifications requises, et de manquer de mobilité. Autrement
dit, c'est l'assisté social qui a un problème et qui doit se
transformer pour devenir conforme aux exigences du marché du travail.
Bien que nous soyons favorables aux mesures destinées à
améliorer les compétences des bénéficiaires et des
travailleurs comme toutes nos positions sur la formation professionnelle en
témoignent, nous croyons inutile d'inciter à participer aux
mesures de développement de l'empoyabilité de manière
coercitive. Si les programmes sont pertinents et conduisent à de vrais
emplois, les bénéficiaires de l'aide sociale vont y affluer. Nous
croyons que ces mesures doivent être conçues comme des services
offerts à des personnes qui ont besoin de soutien pour s'intégrer
au marché du travail. Dans cet esprit, la FTQ a fait, à la
section 2.5 du mémoire, des recommandations qui définissent les
principes qui doivent servir de base à notre régime d'aide
sociale.
Des conséquences désastreuses. Si nous n'avons pas de
critiques importantes à propos des programmes Soutien financier et
APPORT, nous nous opposons fermement au programme APTE qui aura pour
conséquence d'appauvrir les plus pauvres, de créer des classes
parmi les bénéficiaires de l'aide sociale, d'augmenter les
contrôles et de créer une réserve de main-d'oeuvre à
bon marché. Il est totalement inacceptable que le niveau de vie des
assistés sociaux et des assistées sociales, déjà
au-dessous des seuils de pauvreté, soit abaissé encore davantage.
Les nouveaux barèmes semblent destinés à affamer les
bénéficiaires de l'aide sociale de façon à les
obliger à accepter n'importe quel emploi à n'importe quelle
condition et ce, dans un contexte de pénurie grave d'emplois.
Les nouveaux critères d'attribution des prestations sont d'une
grande complexité et semblent conçus pour réduire
systématiquement le niveau de prestations auquel la personne a droit.
Ainsi en est-il de la contribution alimentaire des parents qui, à
toutes' fins utiles, exclut du régime un grand nombre de jeunes sans
ressources. Il en est de même du partage du logement qui permettrait
à des jeunes surtout de tirer meilleur parti de leur maigre prestation
et qui entraînerait désormais des coupures importantes.
Nous sommes particulièrement préoccupés de
l'application des nouveaux critères reliés à l'aptitude ou
à l'inaptitude au travail. Cette distinction qui s'applique
déjà aux jeunes de 18 à 30 ans a été
vivement dénoncée à maintes reprises. À l'avenir,
elle s'appliquerait à tous les bénéficiaires, mais qui va
donc décider qu'une personne est apte ou inapte au travail et sur
quels critères va-t-on se baser pour le faire? Cela signrfie-t-il
que les personnes jugées inaptes sont condamnées à
l'exclusion définitive du marché du travail? Que fait-on alors
des revendications des associations de personnes handicapées qui
souhaitent que les milieux de travail s'adaptent à leur condition? La
distinction entre apte et inapte nous apparaît arbitraire et peu
opérationnelle. Elle ne doit en aucune manière servir de base
à l'établissement des barèmes. Si nous souhaitons vivement
que les personnes en chômage ainsi que les personnes assistées
sociales puissent accéder au marché du travail, nous savons que,
dans le contexte actuel, un afflux aussi important de main-d'oeuvre va
augmenter les pressions à la baisse sur les conditions de travail des
personnes en emploi en augmentant la concurrence déjà très
vive sur le marché du travail.
Les stages en entreprise et les subventions à l'emploi, qui font
partie des mesures de développement de l'employabilité, en
habituant les employeurs à ne pas payer directement leurs
employés risquent de jouer le même rôle. À cet
égard, le gouvernement doit exercer un contrôle serré sur
l'usage que font les employeurs des subventions qu'ils reçoivent pour
embaucher des personnes assistées sociales. Les fonds publics investis
dans ces programmes doivent servir à aider les assistés sociaux
et les assistées sociales à réintégrer le
marché du travail et non pas à subventionner l'entreprise pour
qu'elle fasse plus de profits.
Nous souhaitons que le gouvernement tienne compte des recommandations
que nous formulons aux sections 3.4 et 4.5.
Pour conclure, la FTQ souhaite que le gouvernement retire son projet de
réforme de l'aide sociale, car elle ne peut accepter un projet qui rend
encore plus précaire et plus humiliante ta situation des
bénéficiaires de l'aide sociale dans le seul but de
réduire les dépenses gouvernementales à ce chapitre. (11 h
30)
Les personnes assistées sociales sont les premières
victimes des bouleversements économiques. Le gouvernement doit les aider
financièrement et les soutenir par des services adéquats pour
favoriser leur intégration au marché du travail. Mais, par-dessus
tout, il doit de toute urgence mettre en oeuvre une politique de plein-emploi.
La FTQ est prête à collaborer à l'effort collectif si une
politique de plein-emploi est enclenchée. C'est pour nous le fondement
d'une véritable politique de sécurité du revenu qui
garantit à chacun le droit à un niveau de vie décent.
Le Président (M. Joly): Merci, M. Daoust. Je vais
maintenant reconnaître M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je remercie la
Fédération des travailleurs et travailleuses du
Québec, ainsi que ses porte-parole, et pour son mémoire et
pour sa présentation verbale.
Vous me permettrez, dans un premier temps, M. le Président, de
dresser le portrait de la clientèle bénéficiant de l'aide
sociale telle qu'on pouvait la percevoir en mars 1987: 400 000 chefs de
ménage dont le seul revenu est un chèque mensuel d'aide sociale.
Parmi cette clientèle, environ 25 % ou 100 000 chefs de ménage
seraient admis à l'un des programmes que vous ne semblez pas
dénoncer, soit le programme Soutien financier. Les quelque 300 000
autres chefs de ménage, que l'on dit aptes au travail, se retrouvent,
pour la majorité d'entre eux ou d'entre elles, dans une situation
particulièrement difficile, même s'ils souhaitent travailler.
C'est le cas de 36 % de ces gens qui sont considérés comme
analphabètes fonctionnels. Ce n'est pas facile de se trouver un emploi
dans la société québécoise lorsqu'on est
considéré comme analphabète fonctionnel. C'est
également le cas de 60 % de ces 300 000 personnes dites aptes au travail
qui n'ont pas complété leur cours secondaire, alors que l'on sait
qu'une quantité impressionnante d'employeurs exige le cours secondaire
pour avoir la possibilité de poser sa candidature à un emploi. On
sait également que 40 % de cette clientèle n'ont aucune
expérience reconnue de travail antérieur, ce qui pose des
problèmes tout à fait particuliers.
La Fédération des travailleurs et travailleuse du
Québec parle de politique de plein emploi et elle accuse gravement et
sérieusement le gouvernement de n'avoir rien fait. Je ne peux laisser
passer une accusation aussi formelle sans rappeler que la stabilité
politique que connaît le Québec depuis la venue du gouvernement
libéral, la fiscalité corrigée, les déficits
diminués et l'ensemble des décisions gouvernementales prises dans
tous les ministères sont imprégnés de cette absolue
nécessité de créer davantage d'emplois dans le but de se
diriger vers le plein emploi.
Je ne peux passer sous silence, non plus - et j'en profite pour le
souligner - l'apport du Fonds de solidarité des travailleurs du
Québec qui, selon nous, est un autre élément d'une
politique de plein emploi. Je ne pense pas que l'actuel gouvernement ait nui,
depuis qui est au pouvoir, à l'essor de ce fonds de solidarité
dont le mérite revient naturellement à son père fondateur,
votre président, M. Laberge. Cela donne des résultats, quand
même, concrets qui se matérialisaient en février 1988, si
on compare à février 1987, par la création nette de
quelque 104 000 emplois au Québec, dont 99 000 à temps plein et,
au cours des mêmes douze derniers mois par une baisse du taux de
chômage de quelque 2 % ce n'est pas encore le plein emploi, mais,
au-delà du vocabulaire, on se dirige, et c'est l'avis des analystes,
dans la bonne direction.
Quant au droit au travail, je ne peux, non plus, passer sous silence
l'action de l'actuel gouvernement. Prenons un exemple très concret et
très pratique que vous comprendrez rapide-
ment: la question du droit au travail pour les jeunes dans l'industrie
de la construction. On sait que, pendant de nombreuses années, les
jeunes n'ont pas eu droit au travail dans cette industrie de la construction
et, depuis l'adoption de la loi 119, avec laquelle la FTQ - j'en profite pour
le souligner - fonctionne et collabore très bien, à ce qu'on me
dit, au moment où nous nous parlons, le droit au travail pour ces jeunes
est revenu. Et c'est un exemple de droit au travail.
Je ne peux, non plus, passer sous silence les ententes qu'il y a eu
entre les deux niveaux de gouvernement depuis l'élection du Parti
libéral, et je fais référence spécialement à
tout de qui s'est fait en matière de formation professionnelle et aux
dernières ententes fédérales-provinciales. Tous les
observateurs nous ont dit qu'il y avait eu des gains, et financiers et de
juridiction, pour la province de Québec lors de la signature de ces
ententes, gains qui ne sont pas complets, mais qui sont, quand même,
supérieurs à ce qu'avait pu obtenir le gouvernement
précédent sur le plan de la juridiction
québécoise.
Maintenant, les questions précises. Vous mentionnez, dans votre
mémoire, la question des besoins des personnes qui se retrouvent
à l'aide sociale et vous semblez - c'est là ce que j'en retire,
ce n'est peut-être pas exact et je vous donne la permission de me
corriger - dire que les besoins sont les mêmes pour tous les individus
qui se retrouvent à l'aide sociale. Votre fédération
est-elle d'avis que les besoins d'une personne qui est condamnée, si
vous me permettez l'expression, à long terme à l'aide sociale
sont les mêmes que pour une personne qui est de passage à l'aide
sociale, sur le plan financier et autres?
M. Daoust: Si vous me le permettez, M. Paradis, je souhaiterais
non pas vous donner la réplique, mais faire quelques commentaires
à l'égard de ce que vous avez dit au tout début de votre
intervention. C'est vrai que nous sommes fort critiques, tout au long du
document, à l'égard de ce que nous appelons de temps à
autre l'immobilisme de votre gouvernement au sujet de l'emploi. Nos critiques
sont sévères. Je pense qu'il faut, de temps à autre, les
expliciter. Elles sont sévères parce que, selon nous, votre
gouvernement a raté une occasion, qui lui était donnée,
entre autres, par la mise sur pied de cette Table nationale de l'emploi, de
poursuivre dans le sens de ce qui était amorcé et qui
était extrêmement prometteur. Si vous me le permettez - cela ne
nous est pas arrivé souvent et il est peut-être important qu'on se
rafraîchisse un peu la mémoire - j'aimerais vous lire un
communiqué de presse qui a été diffusé le 27
septembre 1985 lors de ce qui a probablement été, et a
sûrement été, la dernière réunion officielle
de la Table nationale de l'emploi. Nous rappelons, dans ce communiqué,
que cette dernière avait été formée en mars dernier
- nous sommes en 1985, à ce moment, à quelques mois des
élections - "à partir d'une volonté commune des
décideurs économiques de se concerter autour d'un objectif
unique: accroître l'emploi au Québec. La Table nationale de
l'emploi regroupe les principaux partenaires socio-économiques
québécois. Présidée par le ministre
délégué à l'Emploi et à la Concertation, M.
Robert Dean, elle est composée des représentants de la FTQ, de la
CSN, de la CSD, de l'Association des manufacturiers canadiens, de la Chambre de
commerce du Québec, du Conseil du patronat du Québec, du
Mouvement Desjardins et des groupes de femmes." Tous ces groupes, que je viens
d'énumérer, sont signataires du document que je vous lis à
ce moment-ci. "La Table nationale de l'emploi est l'outil principal d'une
démarche nouvelle et systématique en vue de développer les
stratégies de plein emploi indispensables au progrès
économique et social de notre société. Il est
désormais solidement acquis que c'est par une concertation permanente et
continue des décideurs économiques que nous pourrons
reconsidérer les acquis respectifs, corriger les trajectoires, maximiser
l'impact des efforts de chacun et découvrir de nouvelles pistes. "C'est
ainsi que les partenaires ont convenu de reconsidérer en profondeur
l'impact sur l'emploi: des programmes gouvernementaux d'aide à
l'entreprise ou de maintien et de création d'emplois; de l'environnement
législatif des entreprises et des programmes de sécurité
sociale; des changements technologiques; des politiques commerciales et
tarifaires; des programmes de formation professionnelle; des mesures de partage
de travail; de la planification des projets "Les partenaires ont aussi
décidé d'examiner, dans cette même optique, l'orientation
du programme d'assurance-chômage. Dans la conjoncture politique actuelle,
les partenaires ont jugé nécessaire - les partenaires, c'est tout
le monde au Québec ou à peu près, et vous en étiez,
le gouvernement - d'exprimer leur volonté d'assurer la permanence de la
Table nationale de l'emploi. Ils adressent, donc, de façon non
équivoque - le mot est là, ce n'est pas moi qui l'ai choisi et
c'est collectivement qu'on en a convenu - au gouvernement actuel, au prochain
premier ministre et au prochain gouvernement - vous en êtes - le message
suivant: La concertation pour l'emploi doit transcender les
événements politiques et cet outil nouveau qu'est la Table
nationale de l'emploi apparaît si essentiel à tous qu'il doit
être assuré d'une permanence."
M. le ministre, comprenez notre incroyable désappointement devant
les gestes que votre gouvernement a posés au lendemain de son
élection, en démantelant et en démantibulant une table de
cette importance qui, sur le plan historique, était une première
au Québec et annonçait des changements profonds dans la
société québécoise. Vous avez
déchiré en morceaux ce qui a été fait pendant
peut-être les 12 ou 24 mois qu'a pu siéger cette Table nationale
de l'emploi. Nous nous y retrouvions avec le Conseil du patronat et
l'Association des manufacturiers, ce qui n'est pas peu faire, qui est
même grandiose et qu'il faut souligner. Il y avait là des
débuts de concertation sur des sujets comme ceux que vous
étudiez, de temps à autre, à la sauvette, et sans aucune
espèce de consultation. Là, on mettait tout sur la table et je ne
fais pas de jeu de mots avec Table nationale de l'emploi." On s'était
drôlement et profondément impliqué, engagé et
embarqué, le mouvement syndical. Je m'excuse de vous en parler.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, non...
M. Daoust: On est émotif là-dessus parce qu'on
estime que le gouvernement a manifesté une très grande
cruauté en se débarrassant de cet instrument.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous n'avez pas à vous
excuser de m'en parler. Nous sommes ici pour nous parler très
franchement et j'oserais même dire à coeur ouvert. Maintenant, je
suis un peu "encarcané" dans le temps. J'ai à peine 20 minutes
pour vous adresser des questions sur la politique de sécurité du
revenu. Il y a la règle de l'alternance et l'Opposition a
également des questions. Je prends bonne note de votre intervention. Je
ne pense pas que ce soit le titre ou l'appellation qui vous préoccupe
autant que le fonctionnement, les intervenants qui doivent être
là, et le mandat. Par rapport aux éléments essentiels, je
prends bonne noté de vos interventions quand a l'analyse plus
poussée du projet de loi 41 que doit faire le Conseil consultatif du
travail et de la main-d'oeuvre, et du fait d'inclure possiblement les
éléments que vous mentionnez dans le mandat du conseil, le tout
garanti par texte législatif, ce qui assure généralement
des durées un peu plus longues et profondes.
Maintenant, en vertu de la règle de l'alternance, c'est à
Mme la députée de Maisonneuve.
Le Président (M. Joly): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Alors, il me fait
plaisir de vous souhaiter, de la part de ma formation politique, la bienvenue
à cette commission, M. Daoust, Mme Laurendeau, M. Morasse je crois, et
M. Cousineau, en rappelant, M. Cousineau, que vous faites partie de la
Corporation de développement économique et communautaire de
Hochelaga-Maisonneuve, dans l'est de Montréal, considérant
surtout les difficultés de licenciements que vous avez pu
connaître dans ce secteur.
Votre mémoire était attendu, d'une certaine façon,
avec une sorte d'impatience, ce qui ne signifie pas que nous n'avions pas
déjà une indication des orientations dans lesquelles vous vous
engageriez. Il était aussi attendu avec beaucoup d'intérêt
par l'ensemble du front commun des assistés sociaux et des
assistées sociales et des groupes communautaires puisque vous
représentez, en grande partie, le mouvement ouvrier organisé dans
le secteur privé et pour la nécessaire solidarité qu'il
est sans doute essentiel, à ce stade des changements, des
développements et des mutations technologiques, d'exprimer entre les
personnes qui ont la chance d'occuper un emploi et celles qui ne l'ont pas. (11
h 45)
Le ministre a rappelé, c'est une sorte de litanie, un peu, comme
à une procession de la Fête-Dieu - finalement la composition des
bénéficiaires, mais il a oublié de mentionner que 33 % des
bénéficiaires avaient complété un cours secondaire
et qu'ils avaient déjà des acquis au niveau collégial ou
universitaire, ce qui est, quand même, un sur trois. Alors, les
bénéficiaires qui n'ont pas complété le secondaire
sont quand même 60 %. Certaines - il s'agissait de femmes qui
représentaient diverses organisations et qui vous ont
précédés, là où vous êtes assis - ont
fait des présentations absolument exemplaires et extrêmement
articulées. Elles nous disaient parfois qu'elles n'avaient pas
complété une 7e année ou qu'elles n'avaient pas une
formation nécessairement académique, mais qu'elles la
compensaient par une expérience de vie qui n'a peut-être pas son
équivalence en termes de formation académique. Cela posait le
problème des équivalences qui n'est pas encore
réglé dans notre société. Rappelons-le, 52 % des
bénéficiaires sont des femmes, et le tiers d'entre elles ont plus
de 45 ans. Il n'est pas évident que c'est simplement un apprentissage
académique qui puisse pallier ou corriger les difficultés
qu'elles rencontrent.
Je voulais juste vous le mentionner en vous disant que la Centrale de
l'enseignement du Québec, à cet égard, a été
très sévère, révélant en commission qu'aucun
pourparler n'était engagé avec le ministère de
l'Éducation pour corriger cette sous-scolarisation, pour mettre en place
un plan de campagne de scolarisation et un plan de campagne
d'alphabétisation, et que, bien au contraire, les groupes communautaires
qui offraient de tels projets se débattaient avec des difficultés
financières qui, loin d'aller en s'amé-liorant, s'aggravaient. Il
y a donc là matière à faire réfléchir le
gouvernement, malgré ses bons sentiments sur son
insensibilité.
Sur la question de l'emploi, je pense que vous avez, à la page 18
très succinctement fart vos recommandations en matière de
politique d'emploi et, notamment, en matière de soutien pour qu'il n'y
ait pas de perte. Je pense, entre autres, à votre recommandation sur les
fermetures d'usines et les licenciements collectifs. J'aimerais que vous
profitiez de cet échange pour nous en parler. Je pense que
l'augmentation du
nombre de bénéficiaires - et vous le faites valoir dans le
document - est souvent inversement proportionnelle à la diminution du
nombre de prestataires de l'assurance-chômage. Vous dites que le
gouvernement fédéral, par les dispositions prises durant les
dernières années, a refilé au gouvernement du
Québec, d'une certaine façon, et aux provinces une partie de la
facture. Vous recommandez à la page 19 que le gouvernement du
Québec récupère le contrôle et les ressources
financières en matière de main-d'oeuvre,
d'assurance-chômage et de sécurité du revenu. J'aimerais
que vous puissiez nous dire un peu quelles sont vos recommandations en ces
matières.
Le Président (M. Joly): M. Daoust. Oui.
M. Cousineau (Guy): Mon nom est Guy Cousineau.
Le Président (M. Joly): Merci, M. Cousineau.
M. Cousineau: Par rapport aux fermetures d'usines et à nos
politiques contre les licenciements, je pense qu'on a eu l'occasion, à
plusieurs reprises dans les dernières années, de déposer
des mémoires au gouvernement là-dessus. Je me souviens qu'il y a
moins d'un an j'ai rencontré le ministre de l'Industrie et du Commerce,
M. Johnson et que je lui ai fait des recommandations. On demandait d'avoir une
réglementation beaucoup plus sévère, avec une
procédure de justification, qui fasse en sorte que les travailleurs et
les travailleuses victimes de licenciement ne soient pas ceux et celles qu'on
va retrouver à l'aide sociale de façon rapide. On regarde ce qui
s'est passé dans les années 1980 et 1982 et les employés
qui avaient perdu leur emploi, on les retrouve aujourd'hui à l'aide
sociale parce qu'il n'y avait aucun mécanisme soit de compensation ou
soit d'avantages monétaires lorsque les entreprises sont parties. Je
regarde ce qui se passe dans le sud-ouest actuellement avec la fermeture de
Coleco l'an dernier et de Siemens. Ces gens sont à la veille
d'être à l'aide sociale et il n'y a rien qui protège les
travailleurs face à des fermetures comme celles-là. Donc, je
pense que notre revendication, que vous connaissez, est là et vous
devrez, à court terme, agir à cet égard. Il est important
que le gouvernement agisse pour empêcher qu'il y ait de nouveaux
travailleurs à l'aide sociale.
Je veux aussi faire un commentaire sur la question que M. le ministre, a
posé tantôt à savoir s'il y avait des différences de
besoins entre ceux qui sont longtemps ou non à l'aide sociale. Je pense
que, quand on est rendu à l'aide sociale, que ce soit pour une semaine,
deux semaines, un mois ou quatre ans, il faut un minimum pour vivre. Ce que
vous proposez dans les programmes APPORT, APTE et Soutien financier fait en
sorte que tout le monde, à notre connaissance, a besoin d'un minimum
pour vivre, mais vous ne donnez pas à ceux que vous considérez
comme aptes le minimum pour vivre. Vous les forcez, vous les pénalisez,
s'ils ne sont pas dans des programmes.
Mme la députée de Maisonneuve a parlé tantôt
de votre litanie. Lorsque j'entends les mots "apte ou inapte au travail" ou
"prêt à y aller", quand vous me faites la démonstration
qu'il y a 36 % d'analphabètes, que 60 % de ces gens n'ont pas leur
secondaire V et que 40 % d'entre eux n'ont pas d'expérience de travail,
cela fait en sorte que, pour moi, cettre grande majorité est
actuellement inapte au travail parce qu'elle n'a pas apprivoisé le
travail comme étant une façon de vivre. Je pense que toute
politique d'employabilité, toute mesure d'employabilité, doit
permettre à ceux qui n'ont pas eu la chance ou qui ont malheureusement
été écartés du travail pendant une période
plus ou moins longue, d'apprivoiser le travail comme étant un mode de
fonctionnement normal dans notre société et non pas les
pénaliser en leur coupant leurs prestations parce qu'ils ont
malheureusement été écartés du marché du
travail ou qu'ils n'ont pas eu la chance d'y participer.
C'est dans ce sens-là que, dans le mémoire de la FTQ, on
est contre toute coupure qu'on participe ou non à des mesures
d'employabilité. Les mesures d'employabilité doivent permettre
à des gens démunis d'apprendre à réapprivoiser ou
à apprivoiser le marché du travail. C'est dans ce sens-là
qu'on critique le minimum que vous donnez à ceux qui en ont besoin, dans
votre programme Soutien financier. Tout le monde a besoin de ce minimum. On
sait que c'est bas, que c'est en dessous du salaire minimum et qu'avec le
salaire minimum, quand on travaille 40 heures, on est encore loin du seuil de
la pauvreté, même si ce sont des chiffres qui viennent de votre
ministère.
Mme Harel: Vous dites dans votre mémoire que la principale
conséquence de la réforme proposée par le gouvernement est
la baisse du niveau de vie. Vous venez de nous l'illustrer pour la
catégorie des personnes dites aptes. J'ai noté avec beaucoup de
satisfaction, à la page 24, que vous rapportez les témoignages de
vos membres qui sont agents d'aide sociale à Montréal et membres
du SCFP. Vous rapportez que leur expérience les amène à
penser que bon nombre de bénéficiaires seraient à la
recherche d'emplois. C'est quand même intéressant d'avoir, pour la
première fois, par votre mémoire, l'écho de ce que pensent
les agents qui sont sur le terrain. Si on se dit: II faut leur permettre
d'apprivoiser le travail, d'une certaine façon, et leur permettre de
s'en sortir, vous dites: Oui, mais pas par des mesures coercitives - je pense
qu'on se comprend bien - ni en les affamant, parce que vous parlez
également des privations dans lesquelles ils seraient. Alors,
comment?
Là, je pense que c'est un échange qui est important. Sur
le plan de la formation, je pense aux gens de Canadian Steel Wheel, de Canadian
Steel Foundries ou aux travailleurs de l'est qui ont été
licenciés et qui avaient une formation. Évidemment, dans la
réforme proposée, il est question de formation académique
générale; il n'y a pas de formation professionnelle. Vous, quand
vous parlez de formation, comment envisagez-vous la formation qui devrait
être offerte? Quels sont les contacts que vous avez avec la Commission de
formation professionnelle? Envisagez-vous que cela passe par les commissions de
formation professionnelle? Comment envisagez-vous toute cette question de
formation?
M. Oaoust: Sans aucun doute souhaitons-nous que les structures
qui sont mises en place au Québec, les commissions de formation
professionnelle et les CCR puissent être fortement utilisées pour
aborder tous les problèmes de formation professionnelle, parce qu'il y
aurait là, au point de départ, présence des partenaires
socio-économiques, des gens qui sont les plus intimement
mêlés à la réalité du fonctionnement des
entreprises, que ce soit du côté patronal ou du côté
syndical. Ils peuvent connaître, identifier plus facilement les besoins
immédiats et même un peu plus lointains dans tel ou tel secteur
économique. Au point de départ, il y a donc des échanges
indispensables entre les représentants des syndiqués, les
syndicats, et les porte-parole des employeurs dans les entreprises et dans les
structures qui les regroupent, les commissions de formation professionnelle et
les CCR.
On est maintenant convaincus - là-dessus, on n'apprend rien
à ceux qui sont autour de cette table - l'immense majorité des
travailleurs et des travailleuses vont être tenus, tout au long de leur
vie dans leur milieu de travail, de perpétuellement se recycler, de
perpétuellement adapter ou actualiser les disciplines, les
connaissances, les techniques qu'ils ont pu acquérir dans le
passé, soit avant qu'ils envahissent le marché du travail, dans
des écoles de tout type, ou sur le marché du travail. C'est la
formation professionnelle qui se donne sur les lieux du travail ou en
conjonction étroite avec le système d'éducation du
Québec. Là-dessus, nos positions sont quand même assez bien
connues. Je les ai énumérées un peu rapidement au
début de cette deuxième intervention.
Donc, il y a un besoin, je le répète, de suivre de
très près, de faciliter des programmes de toute nature, de venir
en aide de part et d'autre aux groupes qui s'y retrouvent et qui
étudient ces problèmes, de les encadrer de façon telle que
les échanges entre eux seront fructueux et valables.
Mme Harel: Dois-je comprendre que c'est, en fait, une sorte
d'admissibilité aux mêmes services offerts pour l'ensemble dos
bénéficiaires comme pour l'ensemble des travailleurs qui seraient
en chômage, disons, ou qui seraient l'objet d'un recyclage? Mais ce
serait un service offert et non pas une punition.
M. Oaoust: Oui. Dans mon esprit, je parlais peut-être un
peu plus des travailleurs et des travailleuses qui ont des emplois. Pour les
bénéficiaires, essentiellement, notre philosophie de base, c'est
que c'est un service, compte tenu du très haut taux de chômage,
soit 9 %, 10 % ou 11 %, peu importe, on ne se chicanera pas, on sait que c'est
exorbitant. Même si le ministre ne partage pas tout à fait ce
point de vue, le taux de chômage - vous le partagez de toute façon
- est exorbitant. Alors, compte tenu d'un taux de chômage de cette
envergure inévitablement, il ne faut pas être un économiste
chevronné pour comprendre qu'il n'y a quasiment pas d'emplois. On est en
faveur, à ce moment-ci, qu'il n'y ait pas de mesures coercitives. On
veut que les assistés sociaux et les assistées sociales aux
prises avec tous les problèmes qu'ils connaissent sentent que ce sont
des services qui leur sont offerts et qu'ils n'aient pas en arrière
d'eux cette espèce de pression, de coercition, mais plutôt une
description d'un service. De toute façon, écoutez, c'est
impensable que tout le monde puisse être accueilli dans tous les
programmes qu'on a à l'idée. Je m'excuse, M. le
Président.
Le Président (M. Joly): M. Daoust, afin de respecter notre
règlement, j'aurais besoin du consentement des membres de cette
commission pour dépasser l'heure. Est-ce qu'on a le consentement?
Mme Harel: Consentement.
Le Président (M. Joly): Consentement. Merci. Vous pouvez
continuer, M. Daoust.
Mme Harel: Merci. En vertu de la règle de l'alternance,
j'aurai l'occasion de revenir.
Le Président (M. Joly): On est en temps
supplémentaire, temps et demi. M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vais revenir, si vous le voulez
bien, à la qualité ou à l'expérience qu'on a
vécue dans la société québécoise, jusqu'au
moment où on se parle, avec les moins de 30 ans, dans un programme avec
lequel vous êtes sans doute familiers, les stages en entreprises. Est-ce
que vous avez, dans les entreprises où vos militants, et militantes, vos
membres, oeuvrent, des appréciations sur le fonctionnement du programme
stages en entreprise? Est-ce que c'est considéré comme
étant du "cheap labor", si vous me permettez l'expression, ou si c'est
considéré comme étant des stages où le contenu
formation est valorisant pour la personne qui suit le stage? (12 heures)
Mme Laurendeau (France): France Lauren-deau. On a très peu
d'entreprises syndiquées où il y a eu des stages, à ma
connaissance. À l'heure actuelle, il y a, quand même, pas mal de
gens dans les entreprises syndiquées qui sont sur des listes de rappel.
Pour nous, c'est très difficile d'accepter qu'il y ait du travail pour
des stagiaires alors qu'on a déjà des personnes qui sont sur la
liste de rappel, qui veulent retourner dans l'entreprise, qui sont en
chômage et qui peuvent éventuellement tomber sur l'aide sociale.
Dans ce sens-là, c'est sûr que la réception, par les
syndicats, de stagiaires a parfois été plutôt froide, si
cela n'a pas été une opposition.
Dans la mesure où des stages sont conçus comme des moyens
d'aider les bénéficiaires de l'aide sociale à
s'intégrer au marché du travail, dans la mesure où il y a
un contexte de formation, c'est-à-dire que c'est qualifiant et qu'on
aide les personnes à retrouver un emploi, à se former, on ne peut
pas vraiment s'opposer à cette formule de stages, dans la mesure
où, évidemment, il y a une consultation du syndicat en place,
quand il y en a un, et où cette consultation tient compte du fait qu'il
y a des listes de rappel. S'il y a des listes de rappel, il faut que ce soit
des personnes sur les listes de rappel qui soient d'abord rappelées au
travail. Il ne faut pas que les stages soient en compétition avec les
emplois réguliers. Dans ce sens-là, c'est certain que cela
suscite une opposition très grande de la part de nos membres. Dans la
mesure où c'est une formation, je pense qu'il pourrait y avoir une
réception, si on consulte les syndicats et si on s'assure de ce contenu
formation.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que le véhicule de
consultation approprié pourrait être les conseils d'administration
des commissions de formation professionnelle quant à l'industrie
où le stage pourrait avoir lieu, quant au contenu du stage comme tel et
quant à l'évaluation du stage?
M. Daoust: II pourrait y avoir et il devrait y avoir intervention
de la Commission de formation professionnelle, mais il faudra qu'ultimement les
gens sur place dans l'entreprise, l'employeur et le syndicat soient mis dans le
coup. Il faut aller au-delà d'une consultation formelle où, de
part et d'autre, on s'informe gentiment de ce qui peut arriver et où la
décision est unilatérale. S'il y a échange de part et
d'autre et qu'au-delà de l'échange on peut préciser un
peu, en le qualifiant, ce que doivent contenir de tels échanges, avec
tous les détails qu'on pourrait imaginer - et on ne veut pas y entrer
à ce moment-ci, mais il faudrait qu'un accord de principe puisse
être dégagé - si le syndicat donne son approbation,
à ce moment-là, c'est engageant; tout le monde est
impliqué et, j'allais dire, quasiment compromis pour que les stages
deviennent extrêmement positifs.
Je ne vous cacherai pas qu'il y a des changements de mentalité
qui s'imposent dans ce domaine-là. C'est quelque chose, je ne dirais
pas, de nouveau, mais les stages en entreprise, dans un contexte de
chômage et du danger potentiel que cela peut représenter,
impliquent inévitablement des comportements qui doivent être
modifiés, des mentalités qui doivent évoluer. Il y a une
ouverture du côté syndical là-dessus sans aucun doute. Il y
a des oppositions quand la consultation est bidon, quand le syndicat, dans le
fond, n'est pas partie prenante, quand pour reprendre ce que France Laurendeau
disait, les stages ne sont pas identifiés comme étant
qualifiants, valorisants, que c'est une espèce de camouflage pour
permettre à l'employeur d'en tirer profit en faisant produire, par les
personnes qui y viennent, des biens et services à des prix, salaires et
conditions de travail, dans bien des cas, épouvantablement plus bas que
ce qu'on retrouve pour les travailleurs de l'usine ou du bureau, qu'ils soient
syndiqués ou non. Alors, qu'il y ait un gros contenu de formation, que
ce ne soit pas du "cheap labor", qu'il y ait une entente avec le syndicat,
voilà quelques conditions indispensables.
Incidemment, je pense que vous n'avez pas tort là-dessus. Vous
l'avez mentionné et je vous ai entendu à d'autres reprises et
plusieurs le mentionnent: C'est l'un des moyens les plus formateurs pour des
gens qui veulent réintégrer le marché du travail; ce n'est
pas seulement dans les écoles ou par des cours qu'on peut les stimuler
et susciter un intérêt indispensable chez eux. En prenant contact
avec la vie réelle dans le milieu de travail, cela ne sera que
bénéfique pour ceux et celles qui feront ces stages.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vous remercie, M. Daoust. Il me
reste à peine deux minutes. Vous pourrez peut-être revenir en
réponse à Mme Harel.
Il y a une question et, pendant que j'ai M. Daoust devant moi, je vais
en profiter. Les fins de semaine, on retourne dans nos circonscriptions
électorales et on a diverses activités. En fin de semaine
dernière, je prenais connaissance des petits journaux du milieu que vous
connaissez bien. Je lisais Le Richelieu agricole. Vous avez beaucoup
parié de pénurie d'emplois devant cette commission. Un titre m'a
fait bondir, en plein milieu d'une commission parlementaire: "Main-d'oeuvre
agricole, on anticipe déjà une grave pénurie dans la
région. Cela sent la pénurie, voire même la catastrophe du
côté de la main-d'oeuvre agricole." Et vous connaissez les
problèmes de vos voisins, les pomiculteurs, pour ne pas dire vos propres
problèmes, dans certains cas. Le directeur du bureau de placement de
Saint-Hyacinthe, M. Desgranges, dit que le pire ennemi des producteurs en
cause, c'est l'as-surance-chômage et le bien-être social. M.
Desgranges est, d'ailleurs, le premier à le reconnaître. Comme
plusieurs, il dit espérer que
des changements seront apportés à ces programmes afin
d'inciter les gens sans travail à accepter ce genre d'emplois. On sait
que ce sont des emplois qui sont limités dans le temps, on peut les
qualifier, etc.
J'ai adressé la même question, hier, à l'Association
des manufacturiers canadiens pour avoir ouvertement son point de vue. Je vous
l'adresse aussi avec la même ouverture d'esprit. De quelle façon
pourrait-on ajuster nos programmes pour effectuer cet arrimage essentiel entre
des endroits où il y a pénurie de main-d'oeuvre et d'autres
endroits où il y a pénurie d'emploi?
M. Daoust: Là, vous me faites quasiment passer pour un
très grand producteur agricole. Je n'en suis même pas un
officiellement et formellement. Vous savez fort bien que c'est un de vos bons
amis, pour ne pas dire plus, qui...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...s'occupe de vos
récoltes.
M. Daoust: Exactement. Bon.
Oui, on a souvent entendu parler de ces problèmes, mais une des
lacunes soulevées par la plupart des gens qui sont dans le milieu - et
on le sait tous - c'est le fait que le travail agricole est souvent, dans
certains cas, de nature extraordinairement passagère. C'est terriblement
saisonnier. La récolte des fruits, des pommes ou peu importe dure
à peine un mois, un mois et demi. Souvent, les gens disent:
Malheureusement, on reçoit des prestations du bien-être social,
des prestations d'assurance-chômage et on souhaiterait bien, pendant
cette période de trois, quatre ou cinq semaines, arrondir nos fins de
mois ou gagner quelque montant, mais on a d'immenses difficultés parce
que, si on le fait, on se voit couper les prestations d'assurance-chômage
ou on voit nos prestations de bien-être social complètement ou
à peu près complètement supprimées.
Tout le monde le dit, il me semble, qu'il y aurait des moyens et des
techniques pour aider ces travailleurs agricoles qui n'en sont pas, dans le
vrai sens du mot, qui ne sont pas itinérants comme ceux qu'on
connaît dans le Sud des États-Unis. Ils sont des travailleurs
agricoles, ils font la récolte, la cueillette, pendant, je le
répète, deux, trois ou quatre semaines. Ce ne sont pas des
montants extraordinairement fabuleux qu'ils viennent cueillir, c'est le cas de
le dire, des producteurs agricoles quels qu'ils soient. Peut-être y
aurait-il des façons - enfin, les gens le souhaitent et l'expriment - de
surmonter ces difficultés, des étalements de revenus sur une
période de douze mois, même s'ils sont gagnés pendant trois
ou quatre semaines, des considérations tout à fait
particulières qui devraient entrer en ligne de compte afin de permettre
à l'ensemble de ces gens de travailler. Ils ne sont pas tellement
nombreux, non plus; ils sont peut-être quelques milliers au
Québec, 3000, 4000 ou 5000, qui, à l'occasion, pourraient venir
s'ajouter aux gens qui, de temps à autre, viennent de
l'extérieur. C'est un problème assez grave que vous connaissez,
parce qu'il arrive que des producteurs agricoles soient obligés de faire
venir de la main-d'oeuvre de l'extérieur du Québec pour faire en
sorte que leurs récoltes puissent être cueillies
adéquatement.
Je n'ai pas de réponse extrêmement précise sur le
plan technique, mais je crois qu'il y a là des filons qu'il faut
explorer.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci.
Le Président (M. Bélanger): M. Cousineau, vous
aviez un complément de réponse.
M. Cousineau: Oui, un complément de réponse. Si,
effectivement, votre réforme était une véritable politique
de sécurité du revenu, elle pourrait faire en sorte que des
travailleurs saisonniers puissent, dans une enveloppe d'une année, se
prévaloir de ce travail sans être pénalisés à
100 % sur leur fiscalité ou sur leurs gains de 1 $. Chaque fois qu'ils
gagnent 1 $, c'est déduit de leurs prestations. Cela pourrait être
une façon. Il y aurait aussi un arrimage à faire avec le
fédéral sur le nombre de semaines à avoir avant d'avoir
droit au chômage. Quand on parle, dans notre mémoire, de
récupérer au Québec l'ensemble de la main-d'oeuvre et de
la sécurité du revenu, donc, l'assurance-chômage, l'aide
sociale et tout cela, c'est qu'ainsi on pourrait avoir une politique fiscale
cohérente et cela pourrait être une des façons de
régler le problème.
Par rapport à la formation, juste pour un petit
complément. Tantôt, vous disiez: Est-ce que cela va se faire avec
les CFP, les entreprises? Je pense qu'une des choses, c'est qu'il faut que
l'entreprise, les syndicats et les travailleurs, aient comme perspective le
développement de l'emploi dans l'entreprise. J'y reviendrai. Je pense
que c'est un peu une façon de refermer la boucle. À la Table
nationale de l'emploi, on pouvait discuter des perspectives de
développement de l'emploi et de la main-d'oeuvre dans l'ensemble des
secteurs. Ce n'est pas normal que les CFP soient à la table où on
va analyser et voir quels sont les besoins d'emploi dans l'industrie de la
chimie ou dans l'industrie du meuble. Je pense que cela pouvait se faire
à un autre niveau, à savoir comment cela se développe,
quels seront nos besoins de main-d'oeuvre. À partir de là, les
CFP pourront faire la formation en fonction d'une région ou de
façon complète.
Je pense qu'il faut se donner les outils, les bonnes tables, les bons
endroits de concertation pour cela. Je pense qu'il ne faut pas mettre à
la mauvaise place les choses qu'on a à faire. Les CFP, les CCR peuvent
définir des contenus, des besoins de formation, mais il faut avoir un
endroit où on va définir les besoins de main-d'oeuvre...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): L'estimation des besoins.
M. Cousineau: Cela n'existe pas actuellement.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. C'est
intéressant, M. Daoust, parce que la même question posée
à l'Association des manufacturiers, hier, a finalement donné la
même réponse. C'est quand même intéressant de se
rendre compte que le ministre a sa solution pour les producteurs agricoles. La
solution, c'est de leur dire que le problème, ce n'est ni
l'assurance-chômage, ni l'aide sociale, c'est le régime de
taxation. C'est un régime qui fait que les personnes qui travaillent
sont taxées à 100 %. Il a non seulement la solution, mais il peut
même en parler à son collègue du ministère des
Finances et il peut même régler ce problème. C'est encore
mieux. Parfois, il y a des problèmes dont on ne trouve pas la solution
immédiatement.
Je lisais, dans votre mémoire, à la page 24, à la
toute fin: "Tout revenu supplémentaire diminue d'autant la prestation
d'aide sociale; autrement dit, ce revenu est taxé à 100 %." Et
vous donnez des exemples. "Les gains supplémentaires n'améliorent
aucunement le sort des bénéficiaires de l'aide sociale. Dans ce
contexte, il y a peu d'avantages à percevoir une pension alimentaire ou
encore à occuper un emploi à temps partiel ou sur appel." On
pourrait mettre occasionnel ou saisonnier.
C'est important. Sinon, on peut compter que le ministre va certainement
faire une déclaration pour réhabiliter ses programmes de
sécurité du revenu qui se trouvent à être
discrédités parce que le vrai problème, c'est un
problème de taxation. Certainement qu'on peut compter sur le ministre.
Il est certainement convaincu par la réponse que vous lui avez
donnée et la même réponse... C'est intéressant, cela
me fait penser à ce dont vous nous faisiez part quant à la Table
nationale de l'emploi où il y avait moyen de se concerter, même en
ayant les pieds dans des milieux différents. (12 h 15)
M. Cousineau a parlé des contenus et des besoins de formation, et
de la nécessité de définir les besoins en main-d'oeuvre.
M. Daoust, avant qu'on se quitte, parce qu'il me reste relativement peu de
temps, j'aimerais discuter avec vous de la création d'emplois. On est
à peu près tous conscients que cette création d'emplois
exceptionnelle que le Québec a connue n'a pas fait osciller à la
baisse le taux de chômage et que, d'autre part, les besoins de
formation... Je commence à faire une tournée dans les commissions
de formation professionnelle et, malgré toute la bonne volonté
que les gens y mettent, parfois, il y a des attentes d'en moyenne un an et demi
ou deux ans d'inscription à un cours avant de pouvoir en profiter, parce
que les besoins de formation sont établis en fonction de la demande
d'emploi et que la demande d'emploi n'est pas nécessairement
augmentée par l'offre parce que cela n'est pas magique. J'ai dit au
ministre: Ce n'est pas parce qu'il y aurait nécessairement 283 000
familles bénéficiaires sur le marché du travail qu'il va y
avoir, par la simple offre d'emploi, le plein emploi.
Quelle est la responsabilité de l'État en matière
de création d'emplois, si on parle pour les cinq prochaines
années? En matière de création d'emplois pour ces
catégories de personnes qui sont en concurrence avec d'autres, qui sont
sur l'assurance-chômage, qui sont en formation de qualification ou qui
vont sortir des universités, est-ce que l'État a une
responsabilité de générer des emplois de type
communautaire? Vous étiez là au moment où la
Fédération des CLSC terminait sa présentation,
concevez-vous qu'il y a lieu de mettre en place de grands travaux de type
maintien à domicile, services de garde, ou dans le domaine de
l'environnement, de la foresterie? Avez-vous des idées sur cette
question?
M. Daoust: On n'a pas cessé de le dire: Le rôle de
l'État est fondamental. D'ailleurs, M. le ministre lui-même, au
tout début, a dit que nous sommes imprégnés de cette
absolue nécessité de créer des emplois. Nous aussi, on
partage cette vision ou cet objectif. On sait que l'État est
indispensable. On ne peut pas se fier au secteur privé pour la
création des emplois. Quand on se fie exclusivement au secteur
privé, comme on le fait dans ce pays et dans cette province depuis fort
longtemps, on a des taux de chômage comme ceux que l'on vit à ce
moment-ci. Il faut donc que l'État intervienne par des politiques de
toute nature - ce sont un peu les grands objectifs de la FTQ au sujet d'une
politique de plein emploi - par des politiques macro-économiques et
micro-économiques, par une présence de l'État, par une
absence de privatisation là où les emplois perdent leur
qualité et, sinon, disparaissent complètement, par le rejet de
cette philosophie qui veut que tout soit déréglementé. En
fin de compte, on s'aperçoit que ce sont souvent les emplois qui sont
touchés par une politique débridée dans ce domaine.
Alors, c'est un peu tout cela. Que, sur le plan économique, le
gouvernement n'ait pas que le seul souci des déficits. On n'a pas
cessé de le dire: On a souffert collectivement parce qu'on a cru,
à certains moments, qu'il était indispensable que les
déficits n'augmentent pas. Nous, on n'a jamais cru que c'était
là la voie la plus souhaitable dans un pays comme le nôtre et dans
une province comme celle de Québec. Alors, on souhaite des politiques
expansionnistes, des interventions de l'État. On l'a mentionné
à de multiples reprises à l'échelle du pays ou
à
l'échelle du Québec: Lorsque des périodes de
récession économique s'annoncent, que les gouvernements
prévoient la mise en marche de grands travaux publics de façon
peut-être un peu moins spectaculaire que de grands grands travaux
publics. Il y a un tas d'interventions comme celles que vous mentionnez qui ont
notre appui dans tous les domaines de l'environnement. Je ne veux pas
répéter ce que vous disiez. Il y a des besoins inouis qui
s'annoncent, qui sont criants dans bien de ces domaines et qui justifieraient
l'intervention de dizaines et de centaines de milliers de personnes. Vous en
avez mentionné quelques-uns. On n'a pas le temps, évidemment, de
préciser et d'aller dans les détails. Mais, oui: on souhaite
cela. Somme toute, ce qu'on souhaite, c'est que les gens travaillent et tout le
monde souhaite cela. C'est peut-être un vu pieux, mais on ne
souhaite pas que ce soit les libres forces du marché, laissées
à elles-mêmes, qui régissent les activités
économiques à l'intérieur de notre société,
mais que l'État pèse de tout son poids pour faire en sorte que le
taux de chômage diminue et qu'éventuellement on connaisse les
politiques de plein emploi.
On le répète: On ne pense pas que les politiques de plein
emploi puissent être atteintes à moins d'une lourde et très
complète implication de l'ensemble des partenaires
socio-économiques avec le gouvernement. C'est pour cela qu'on a
été et qu'on est toujours déçus de voir que dans ce
domaine le gouvernement se frotte les mains gaiement du fait qu'il y a une
reprise économique et qu'il y a un peu moins de chômage. Mais,
dans le fond, ce qu'on souhaiterait, c'est que ce gouvernement en revienne
à mettre sur pied les instruments indispensables pour doter le
Québec d'une politique de plein emploi.
Le Président (M. Bélanger): Alors, rapidement, s'H
vous plaît.
M. Cousineau: Rapidement. Je pense qu'il ne faudrait pas que les
travaux communautaires et que la mise sur pied d'organismes communautaires qui
assumeraient des fonctions qui actuellement sont assumées par
l'État entraînent une diminution des services déjà
donnés par l'État. Actuellement, on parle de
désinstitutionnalisation, mais ce qu'on voit apparaître à
Montréal, ce sont des groupes communautaires qui remplacent les
travailleurs absents auprès des bénéficiaires. Ce sont ces
gens, actuellement, qu'on retrouve à l'aide sociale. Ils étaient
en institution et aujourd'hui ils sont laissés à eux-mêmes,
sans encadrement, sinon celui des groupes communautaires. Dans ce sens, nous
allons nous opposer aux travaux communautaires s'ils sont une façon de
créer des emplois, mais aussi de dégarnir l'État des
services qu'il ne voudrait plus donner. Si on veut remettre cela aux groupes
communautaires, on sera contre. Cet hiver, on a vécu une
expérience dans un centre qui s'occupait avant d'aller lui-même
nourrir les personnes à domicile.
Aujourd'hui, c'est un groupe de bénévoles qui s'en occupe
et, cette année, pour la première fois, ils ne sont pas
allés donner à manger aux gens parce qu'eux ils n'étaient
pas capables de sortir pendant une tempête de neige. Quand c'était
l'État et le centre Charron qui s'occupaient de toutes les personnes qui
avaient à se faire nourrir, beau temps, mauvais temps, elles avaient
leur repas. Cette année, il y a un midi où ces gens ne l'ont pas
eu parce que c'est maintenant des bénévoles qui en sont
responsables. Un bénévole pendant une tempête de neige,
cela se peut que, lui, il n'y aille pas Un employé de l'État, il
faut qu'il y aille et l'État trouve des gens pour y aller.
Dans ce sens, il ne faudrait pas que les services de l'État
soient diminués pour en ajouter au secteur communautaire. Si l'on pense
que la protection de l'environnement, c'est une responsabilité de
l'État, il ne faudrait pas que ce ne soit que le secteur communautaire
qui en prenne la charge et le développement, parce que cela se ferait de
façon archaïque et débridée et il n'y aurait pas de
véritable politique. Ce n'est pas l'État qui serait responsable
de notre environnement et on pense que c'est l'État qui devrait
l'être.
Le Président (M. Bélanger): Merci. Mme la
députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier nos
invités.
Mme Harel: Oui, merci, évidemment, pour la qualité
de votre mémoire. Merci à la Fédération des
travailleurs du Québec pour sa solidarité avec les plus pauvres
de notre société. Je dirais aussi merci à Mme Laurendeau,
qui a, je pense tout au long de ce dossier, maintenu un très grand
intérêt pour toute cette question
Le Président (M. Bélanger): Bien M le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): À la
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec,
à M. Morasse, à Mme Laurendeau, à M. Cousineau et à
M. Daoust, merci. Vos propos, sur le thème national de l'emploi et sur
la philosophie, vont être relus attentivement de façon à
tenter de les arrimer ou de les harmoniser avec le projet de loi qui est devant
l'Assemblée nationale sur le Conseil consultatif du travail et de la
main-d'oeuvre.
M. Cousineau, vous avez parlé de pertes d'emplois. Il y a
là deux façons d'agir et vous les avez soulignées: par
prévention et, lorsque c'est inévitable, par les moyens curatifs
qui sont présentement absents, sauf I assurance-chômage et l'aide
sociale. Pour ce qui est des stages en entreprise, il y a le protocole
d'entente ou l'entente de principe avec le partenaire syndical dans
l'entreprise et l'entrepreneur. Quant aux pommes, il y a un aspect fiscal, mais
si j'osais, comme Mme la députée de Maisonneuve,
préten-
dre qu'il s'agit là du seul aspect - d'ailleurs, ce n'est pas ce
que vous avez fait, ni l'Association des manufacturiers canadiens - ou de la
seule réponse à ce problème, les producteurs de pommes me
diraient rapidement que je suis dans les patates. Merci beaucoup.
Le Président (M. Bélanger): Bien. La commission
remercie la Fédération des travailleurs et travailleuses du
Québec et ajourne ses travaux sine die. Nous reprendrons après la
période des affaires courantes, soit vers 15 ' heures. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 27)
(Reprisée 15 h33)
Le Président (M. Bélanger): Bonjour. La commission
des affaires sociales se réunit aux fins de procéder à des
consultations générales et de tenir des auditions publiques afin
d'étudier le document intitulé "Pour une politique de
sécurité du revenu." Nous recevrons Mme Vesta Wagener Jobidon -
j'espère que je l'ai bien dit.
Bonjour, madame. D'après ma liste, vous êtes
accompagnée de M. Paul Poirier, de Mme Suzanne Jobidon, de M. Marc Dinel
et de M. Jean-Marc Boileau. Vous connaissez nos règles de
procédure. On s'était vus, pour discuter de la santé
mentale, entre autres. Je vous prierais donc de nous présenter votre
équipe et à chaque fois que l'un de vous doit intervenir, de bien
vouloir donner votre nom auparavant pour les fins de transcription au
Journal des débats. Je vous prierais donc de passer à la
présentation de votre mémoire. Vous avez 20 minutes ferme pour le
faire. Je vous remercie.
M mes Vesta Wagener Jobidon et Suzanne Jobidon
et MM. Michel Guay, Jean-Marc Boileau,
Marc Dinel et Paul Poirier
Mme Wagener Jobidon (Vesta): D'accord. Merci. Je présente
M. Jean-Marc Boileau, là-bas, M. Marc Dinel, Mme Suzanne Jobidon, M.
Paul Poirier et notre invité spécial que nous sommes bien heureux
d'avoir ici, M. Michel Guay, un expert en réadaptation
psychiatrique.
D'abord, je voudrais vous remercier de nous donner l'occasion de
présenter ce mémoire. Je crois que nous avons des choses
importantes à dire. Je voudrais faire une petite mise au point au
début. J'ai reçu de la part de l'Opposition une liste des
organismes qui ont soumis des mémoires. Je lui en suis bien
reconnaissante. J'ai été bien surprise de nous trouver sur la
liste des gens contre. Ce n'est pas exact. Nous considérons que ce
projet est conçu essentiellement pour les gens en bonne santé et,
comme tel, nous ne sommes ni pour ni contre. En fait, nous croyons que...
Le Président (M. Bélanger): Peut-être une
précision. En ce qui a trait à la commission, il n'y a ni pour ni
contre. Il n'y a que des gens qui exposent un point de vue et nous les recevons
avec grand plaisir.
Mme Wagener Jobidon: Alors, nous ne sommes nullement inscrits
officiellement pour ou contre et cela me satisfait. En fait, nous croyons que
notre mémoire est constructif. D'une part, nous voulons faire une oeuvre
de sensibilisation au fait que les gens qui souffrent de troubles affectifs ou
psychologiques ont des besoins spéciaux en matière de
réinsertion sur le marché du travail. D'autre part, nous
apportons quelques solutions peu coûteuses qui faciliteraient
l'intégration au marché du travail. Tout ce que nous disons, en
fait, c'est que cette clientèle est mal servie par le système
parce que le système ne le connaît pas. Et, avec cette mise au
point, nous sommes déjà au coeur du sujet.
Si vous avez lu le mémoire, vous savez que ces jeunes ont un
très grand mérite d'être ici. Ils auraient certainement
préféré ne pas venir. Je les ai plus ou moins convaincus
qu'il fallait que quelqu'un parle pour ces quelque 20 000 malades,
bénéficiaires de l'aide sociale, qui sont en train de
végéter parce que personne ne s'en occupe.
S'il n'y avait rien à faire avec ces gens-là, et si
c'étaient des cas sans espoir, nous ne serions pas ici. Mais c'est tout
le contraire, et personne ne semble être au courant qu'il y a chez cette
clientèle un potentiel à développer.
Ce que je vous dis, c'est qu'il y a des méthodes
éprouvées par lesquelles au moins 5000
bénéficiaires de l'aide sociale pourraient
réintégrer le marché régulier du travail. Je crois
que c'est un chiffre conservateur. Je ne parlerai pas du pourcentage ici; je
suis sûre que vous poserez des questions là-dessus.
Nous ne sommes pas venus pour parler de dollars et de cents du
chèque de l'aide sociale. Ce qui est en cause, c'est un principe. Nous
reconnaissons que l'État n'est pas trop mesquin, finalement, envers les
plus démunis. Nous voulons souligner que, si l'État investissait
dans des bonnes méthodes de réadaptation, il n'y aurait pas
seulement des milliers de gens de moins qui bénéficient de l'aide
sociale, et ce à long terme, mais la qualité de vie de toutes ces
gens serait améliorée.
Nous n'avons pas l'intention de lire notre mémoire, il parle de
lui-même. Je vais seulement le résumer, et peut-être en
réexpliquer les points importants. Je vais passer sous silence quelques
aspects de la maladie que nous avons expliqués dans le mémoire.
Il y a des choses qu'on peut écrire, mais qui sont finalement trop
douloureuses à répéter à haute voix. Je suis
sûre que vous comprendrez, vous avez le texte.
Je vais plutôt profiter de l'occasion pour ajouter de nouvelles
données qui confirment ce
que j'ai avancé dans ce mémoire. Pour résumer
rapidement, nous parions de la nécessité de démystifier la
maladie mentale et, en particulier, la schizophrénie. C'est surtout la
méconnaissance de cette maladie qui fait que les préjugés
persistent.
Nous expliquons aussi que les symptômes de cette maladie viennent
d'un déséquilibre biochimique du cerveau. Ces symptômes
peuvent en grande partie être contrôlés par des
médicaments appropriés. Quelqu'un qui est stabilisé
grâce aux médicaments et qui peut fonctionner à peu
près normalement dans la communauté n'est pas plus fou que la
moyenne de la population et au moins aussi intelligent.
Nous expliquons aussi leur plus grand handicap, le stress, et même
la peur du stress. Ce que nous disons, c'est que ces gens n'ont pas peur de
chercher un emploi; ils ont peur du stress de l'entrevue. Ils n'ont pas peur de
travailler; ils ont peur du stress d'un travail à temps complet. Ils
n'ont pas peur de la complexité d'un travail, ils ont peur du stress de
l'environnement au travail.
Nous disons aussi que plusieurs se déclareraient aptes au travail
s'il était clairement entendu que leur intégration serait lente
et progressive et que leurs besoins seraient pris au sérieux. Ce qui est
vraiment tragique dans cette situation, c'est que ces gens voudraient
travailler et ils le pourraient si leur réadaptation et leur
réintégration au travail - il ne faut surtout pas confondre les
deux - étaient entreprises d'une façon qui tienne compte de leurs
besoins spécifiques. Parce que ces mesures n'existent pas au
Québec, non seulement on assiste à un véritable gaspillage
humain, mais on prive ces gens d'éprouver de la fierté; on les
prive de contacts sociaux et on les empêche de reprendre confiance en
eux-mêmes. Et, on ne parle même pas des millions que l'État
économiserait à la longue.
C'est surtout dans la deuxième partie du mémoire
intitulée "Commentaires et suggestions sur le document
d'orientation" que je me suis appuyée sur le vécu et les
suggestions des jeunes qui sont ici. Nous avons mentionné plusieurs
choses que nous trouvons positives. On pourra peut-être revenir
là-dessus à la période des questions, vu que le temps est
précieux.
Il y a aussi des choses qui nous inquiètent. Il y a, par exemple,
la contribution alimentaire des parents. Nous osons croire que cette mesure, si
jamais elle est adoptée, ne s'appliquera pas à nous et nous
donnons des raisons. Le fardeau des parents d'un enfant malade mental est
reconnu dans le rapport Harnois et il est même question d'un programme de
répit pour les parents. Alors, nous vous prions d'en tenir compte. Nous
trouvons également que les personnes ayant plus de 30 ans, du fait
qu'elles n'étaient pas admissibles aux programmes de travaux
communautaires, étaient victimes de discrimination. Mais, entretemps, on
m'a dit que cela avait été changé.
Le point le plus important dans cette partie, c'est que nous craignons
que toutes les mesures d'intégration proposées dans le document
d'orientation auxquelles nous sommes invités à faire partie ne
soient pas adaptées à nos besoins, qu'elles soient toutes
conçues en fonction des gens en santé, c'est-à-dire qui
travaillent à temps complet.
Nous expliquons pourquoi il nous faut du travail ou des stages à
temps partiel et même à temps très partiel pour commencer.
Nous proposons plusieurs choses peu coûteuses. En tout cas, nous pourrons
revenir au moment des questions, si c'est nécessaire. Nous
suggérons aussi que le retour aux études supérieures,
à temps partiel, soit rendu possible financièrement.
Les choses proposées sont toutes valables, à court et
à long termes, mais elles ne s'appliqueraient quand même
qu'à une minorité, à ceux qui ont pu
bénéficier d'un bon programme de réadaptation ou à
ceux qui sont un peu moins malades que les autres. Mais il faut beaucoup plus
que cela II faut que les recommandations du rapport Harnois en ce qui concerne
la réadaptation psychosociale pour les handicapés psychiatriques
soient appliquées. C'est-à-dire que les besoins en
réadaptation de ces gens doivent être vus comme un tout. Il y a,
bien sûr, la médication; par la suite, H faut un revenu garanti et
l'hébergement. C'est le minimum vital, mais ce n'est pas assez.
Quelqu'un qui vit dans un logement misérable et qui n'a aucune occasion
de sortir de là va crever d'isolement et va finalement faire une
rechute. Ce qu'il faut de plus pour empêcher une rechute et pour faire
des progrès, n'existe à peu près pas au Québec,
à l'exception notable de la Fondation Fafard peut-être dont M.
Guay est membre. Ce sont des services de réadaptation qui fournissent
des contacts sociaux, des activités valorisantes et finalement du
travail. Il est de plus en plus clair que l'intégration au travail est
d'autant plus efficace qu'elle est précédée par des
méthodes efficaces de réadaptation. (15 h 45)
Cela nous amène à la troisième partie, la plus
importante parce qu'il y est question des principes et des méthodes
efficaces. Dans cette partie, je donne des références très
importantes concernant la recherche sur l'intégration au travail pour
les handicapés psychiatriques. Je parie des méthodes de
réadaptation qui se sont avérées si efficaces aux
États-Unis sous l'administration Reagan, qui pourtant ne brille pas par
son humanisme, qu'elles ont été incorporées dans la
législation en matière de réintégration au travail.
Les besoins spécifiques de cette clientèle sont reconnus dans ces
méthodes et les subventions sont accordées partout pour ce qui
est appelé en anglais le Transitional Employment et le "Supported
Employment", que j'ai traduits provisoirement par "emploi de transition" et
"emploi avec soutien". Ces deux programmes reposent sur le postulat qui dit
qu'il y a un potentiel à développer chez cette clientèle.
C'est
un potentiel qui n'est pas évident à prime abord.
Après une hospitalisation, il y a bien des habiletés qui se
perdent et qui doivent être réanimées, si on peut parler
ainsi. Alors, c'est un potentiel qu'il faut développer lentement. Tout
ce que je vous dis dans cette partie, c'est dans l'article que j'ai cité
et que je vous suggère fortement de lire. Si c'est nécessaire, je
vous propose même d'en faire la traduction bénévolement,
tellement je le trouve important.
L'emploi avec soutien, on pourra peut-être en discuter lors de la
période des questions. Je voudrais surtout m'arrêter au travail de
transition, parce que je le trouve plus important. Ce n'est pas une mesure
isolée d'intégration au marché du travail. Ce programme
fait partie d'un concept global de réadaptation qui est connu aux
États-Unis et en Ontario comme "Clubhouse model", c'est-à-dire un
centre de jour du genre club, dont un volet seulement s'appelle "programme
d'emploi de transition." Alors, qu'est-ce que c'est au juste, ce travail de
transition? Ce sont des contrats de travail à temps partiel entre le
secteur privé et le club. Pour vous donner un exemple concret, je vais
vous lire le témoignage d'un gérant de magasin Canadian Tire,
à Toronto, qui fait affaire depuis nombre d'années avec Progress
Place, qui est le nom du club à Toronto. Je voudrais d'abord
spécifier qu'il s'agit d'emplois au salaire minimum, pour lesquels un
employeur était obligé d'embaucher tout le temps parce qu'il y
avait un roulement constant. Essentiellement, ce gérant dit que les gens
qui viennent du club veulent travailler. Et c'est déjà un atout
parce qu'aujourd'hui, neuf fois, sur dix, il trouve que les gens qui veulent
travailler font un bon travail. Au début du programme, il avait peur de
la façon avec laquelle se déroulerait l'intégration avec
ses autres employés, mais cela a très bien été et
ils sont bien acceptés. Il dit pourquoi ce programme est idéal
pour le commerce du détail, et je cite: "Nous n'avons pas à
former les employés. Quelques-uns sont formés à l'avance,
au club. D'autres sont entraînés ici, sur place, par le personnel
de Progress Place. Il y a un appui compétent. Lorsqu'il y a un
problème, soit avec un employé, soit avec la qualité du
travail, c'est le représentant du club qui s'en occupe. Lorsqu'il y a
absentéisme, le club s'en occupe aussi. Il y a toujours quelqu'un ici
pour faire un travail particulier. Pour ces raisons, je recommande le
programme. Nous en sommes très satisfaits et nous avons l'intention de
continuer."
C'est le témoignage d'un gérant de Canadian Tire à
Toronto. J'ai une vidéocassette pleine de témoignages de ce
genre, d'hommes new-yorkais qui vont plus loin. Ils décrivent, en plus,
combien c'est valorisant pour un patron d'engager de tels gens, combien c'est
le "fun" de voir les gens évoluer: quelqu'un arrive au travail trop
gêné pour parler et, lentement, après deux, trois semaines,
il est apprivoisé et se met à parler et à sourire. Et tout
le monde est satisfait de son travail. J'ai des témoignages de membres
qui, du fait qu'ils peuvent enfin travailler de cette manière,
retrouvent le goût à la vie et reprennent confiance et
fierté. Chose curieuse, dans aucun des témoignages des membres
sur le travail il n'est question d'argent. Pour eux, c'est tellement important
de travailler que l'argent semble secondaire.
Cependant, il est à noter que ce volet "emploi de transition"
n'est pas le but final du club ni son objet premier et que, seul, ce programme
ne donnera pas les mêmes résultats. Et les résultats sont
tellement bons que je vous invite à poser des questions là-dessus
à la fin.
Ces clubs sont efficaces parce qu'ils répondent à tous les
critères d'une bonne réadaptation psychosociale. Ils fournissent
un lieu d'appartenance et ils donnent plein d'occasions d'avoir une interaction
avec les autres membres. Tout le travail, à l'intérieur du club,
est fait par les membres, côte à côte avec le personnel
spécialisé- Us font l'administration, s'occupent de tous les
aspects de la cafétéria, de la cuisine, de l'entretien, etc.
Il ne faut pas oublier que vous avez une clientèle qui arrive
après une hospitalisation psychiatrique. Ce sont des gens intelligents,
souvent hautement scolarisés, mais encore traumatisés et ayant
perdu toute confiance en eux-mêmes. Un club, c'est d'abord une place
où ils se sentent chez eux. Tous les autres membres ont passé par
à peu près la même chose, par les mêmes
expériences et il n'y a pas de gêne. Lentement, parfois sur une
période de deux, trois ou même cinq ans, en faisant un travail
qu'ils se sentent capables de faire, ils reprennent confiance et, finalement,
lorsqu'ils se sentent prêts, ils passent au programme "emploi de
transition"; c'est un peu comme une graduation. Mais il ne faut pas oublier
qu'il y en a un bon pourcentage, quand même, qui ne réussira pas
à travailler dans un emploi réguler, le stress étant tout
simplement trop grand.
Le Président (M. Bélanger): Je m'excuse, madame,
juste pour vous informer qu'il vous reste deux minutes.
Mme Wagener Jobidon: D'accord. J'achève. Parfait. Je
voudrais quand même faire référence à la conclusion
de notre mémoire où nous parlons du personnel de votre
ministère qui est en contact avec cette clientèle. Je vous
inviterais à poser vos questions sur les qualifications et attitudes que
ces gens devraient avoir.
En terminant, je résume. Nous avons proposé ici des
mesures faciles qui peuvent être appliquées immédiatement
pour réintégrer au travail à temps partiel ceux qui se
sentent prêts et nous vous avons mis au courant des méthodes de
réadaptation qui concernent en partie le ministère de la
Santé et des Services sociaux, mais aussi votre ministère. Tout
cela est compli-
que et nécessitera peut-être une nouvelle politique.
Lorsque le rapport Harnois sera mis en application, il est clair que votre
ministère aura un rôle à jouer. Entre-temps, nous vous
annonçons que nous avons décidé d'établir un
centre-jour du genre club ici.
Au CRSSS, on nous a informés que l'argent est rare et on nous a
dit d'aller chercher l'argent à plusieurs sources. Alors, je saisis
cette occasion pour vous informer que vous recevrez une demande de subvention
pour le volet "Emploi de transition" de notre club. Je vous donnerai des
chiffres sur les résultats, à la période des questions.
Vous allez avoir hâte qu'on commence. Merci.
Le Président (M. Bélanger): Merci, madame. M. le
ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je tiens à remercier Mme
JobkJon et les personnes qui l'accompagnent pour le mémoire. Je
n'oserais pas commencer le mémoire, parce que vous avez dit qu'un des
principaux problèmes est que le réseau vous connaît mal et
que c'est pour cela que, généralement, il vous sert mal.
Peut-être dans le but de s'assurer qu'au moins sur le plan de la
perception on ait les bonnes perceptions, je vais reprendre la conclusion de
votre mémoire. Cette conclusion nous place dans l'esprit que vous
souhaitez que l'on ait, autant comme commission que comme gouvernement, pour
susciter un débat entre les gens qui vous accompagnent et les membres de
la commission.
Vous citez, aux pages 10 et 11 de votre mémoire, une lettre. Vous
dites: "En terminant, nous reproduisons un témoignage très
pertinent. Puisse-t-il vous inspirer à donner suite à nos
demandes dans les plus brefs délais et, à plus long terme,
à collaborer avec le ministère de la Santé et des Services
sociaux à bâtir un système de services humains et
efficaces."
Je cite le témoignage: "C'est vrai, je suis schizophrène
et cela me demande une bonne dose d'acceptation de ma maladie pour
écrire cela. Cela demande tout un cheminement personnel aussi. "Dans le
réseau des relations interpersonnelles et du travail, j'ai appris peu
à peu à me faire une place, mais ce n'est jamais fini. J'ai
appris à me prendre en main, à devenir autonome. "Au
début, je n'acceptais pas ma maladie: je subissais mes crises et
j'étais forcé d'être hospitalisé. C'est
arrivé fréquemment jusqu'au jour où j'ai pris conscience
des symptômes avant-coureurs de ma maladie. Je préviens ma maladie
au lieu de la guérir en étant en crise. "Aujourd'hui, je suis
suivi régulièrement par un psychiatre et je reçois une
médication qui me convient, sans trop d'effets secondaires. Toutefois,
cela a pris du temps. Je crois que pour être en santé, il faut une
vie équilibrée entre l'amour, le travail et les loisirs. "Des
autres, j'attends qu'ils m'acceptent avec mes faiblesses, mais aussi avec mes
forces, parce que j'en ai des forces. Je ne veux pas qu'ils fassent tout
à ma place, comme si je n'étais pas capable. Surtout, j'attends
d'eux qu'ils restent eux-mêmes. "Ne pas avoir d'emploi, cela tue son
homme de l'intérieur. C'est important pour moi d'être
intégré à la société. J'ai fart affaire avec
le projet Arbre, un centre de main-d'oeuvre pour des gens qui ont des
problèmes affectifs ou qui sont handicapés mentalement. Si ce
n'était du projet Arbre, je n'aurais pas encore d'emploi, je crois. "Je
trouve intéressant que l'employeur soit au courant de ma maladie. C'est
toutefois tout un apprentissage d'être productif, de vivre la pression du
travail et des relations de travail. Il y a en moi maintenant la fierté
de celui qui lutte et réussit. "Enfin, on fait beaucoup d'efforts pour
rééduquer les handicapés physiques On fait des
téléthons pour la recherche. On fait beaucoup moins, à mon
avis, pour les maladies mentales et je trouve cela dommage."
C'est dans cet esprit que l'on reçoit votre mémoire. Je
vous dirai que, globalement pariant, le programme Soutien financier a
été généralement bien reçu par sa
clientèle future, sauf que les gens ont exprimé deux
réserves, ce dont je tiens à discuter avec vous. La
première réserve exprimée a trait à ce qu'on
appelle l'étiquetage. Une fois que l'on devient une personne admissible
au programme Soutien financier, certains intervenants craignent que cette
étiquette dans la société marginalise les gens qui vont
porter cette étiquette admissible au programme Soutien financier.
La deuxième remarque qui nous a été adressée
quant à ce programme porte sur la question des programmes
adaptés. Là, vous rejoignez, pour votre clientèle
spécifique, d'autres intervenants également admissibles au
programme Soutien financier en nous demandant, comme membres de la commission
ou comme gouvernement, de tenir compte des particularités de cette
clientèle quand on offre les programmes de réintégration
ou de réinsertion, etc. Je pense qu'il y a là une espèce
de jonction, quant à vos demandes particulières, avec celles des
représentants des 80 000 autres personnes qui pourront
bénéficier du programme Soutien financier.
Ma première question porte, justement, sur l'aspect de
l'étiquette. Est-ce que vous ne craignez pas cette étiquette
aussi comme.. Dans la lettre, vous dites: Cela doit être
dénoncé, établi dès le début du dossier avec
l'employeur et les intervenants. Et, dès que c'est établi, on
peut fonctionner de façon normale. Est-ce que c'est là
votre...
Mme Wagener Jobidon: Si la réadaptation et la
réintégration au travail sont bien faites, à un moment
donné, je crois qu'il y a de bonnes
chances, pour un bon pourcentage de bénéficiaires, de
sortir de cette chose et de devenir indépendants. Votre question ne se
pose même plus.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Une fois qu'ils sont devenus
indépendants, elle ne se pose plus. Mais pendant...
Mme Wagener Jobidon: C'est cela. Ils réintègrent la
société. Avant, avec le fardeau qu'ils portent, une petite
étiquette de plus comme cela ne dérangera pas du tout. Alors, ce
qui dérange... Prenons un exemple très près d'ici.
Quelqu'un a oublié d'aller chez son médecin pour faire faire son
billet selon quoi il ou elle est inapte au travail. Alors, oup! elle vient de
s'installer dans son logement. Là, elle reçoit une notification
selon quoi elle sera coupée et recevra juste la moitié.
Là, c'est stressant de savoir comment elle va payer son loyer le mois
prochain. Bien que ces personnes soient inaptes au travail, elles ont le
goût de travailler, si elles pouvaient trouver un emploi à temps
partiel. Combien de fois, ma fille ici y est allée. On lui a offert des
bons stages intéressants, mais toujours à temps complet.
Qu'est-ce que cela donne quand elle sait qu'elle va rechuter si elle travaille
à temps complet? C'est pour cela que nous insistons sur le fait que,
avec cette clientèle, il faut commencer tranquillement, même
très lentement. Parfois, même 20 heures par semaine, c'est trop.
Mais en le faisant assez longtemps, on réussit à les sortir du
système du bien-être social.
On parle ici d'une clientèle qui ne serait pas, normalement, sur
le bien-être social, il ne faut pas oublier cela. Ce sont des gens
scolarisés. Une fois sortis du système, ils ne seront pas en
compétition avec les gens qui sont ordinairement sur le bien-être
social. Si l'État peut investir dans les bonnes méthodes de
réadaptation, vous les sortirez du réseau du bien-être
social. C'est ce que je veux dire.
J'ai des chiffres ici du résultat d'une étude. Ces clubs
dont je vous parle, il y en a par centaines maintenant aux États-Unis et
en Ontario aussi. On a fait une étude de l'efficacité de ces
emplois de transition dont je parle. Quelqu'un qui a travaillé,
après trois ans, peut avoir un taux d'intégration au
marché régulier du travail, de 40 %. J'ai essayé d'obtenir
des chiffres précis de votre ministère. C'est une chose
impossible. Je vous mettrais vous-même au défi de me trouver les
chiffres exactes. (16 heures)
II faudrait peut-être spécifier le genre de
clientèle. Ce sont des personnes souffrant de troubles psychologiques,
c'est le terme poli, qui sont stabilisées avec des médicaments et
qui fonctionnent bien en société. J'ai établi ces
personnes à environ 20 000. On calcule qu'un pourcent de la population
est schizophrène, dont un tiers réintègre la
société sans problème et, pour un autre tiers,
malheureusement, il n'y a pas grand-chose à faire. Mais un tiers peut
réintégrer la société si des mesures de
réadaptation sont efficaces. Aux États-Unis, on avance même
un chiffre de 66 %. Je ne croirai pas ces chiffres tant que je ne les aurai pas
corroborés, mais 40 %, c'est déjà beau. Il me semble que
cela vaudrait le "gamble" d'investir dans un club comme cela pendant cinq ans,
pour voir ce que cela peut donner. C'est déjà tellement
éprouvé. Si M. Reagan a cru bon d'amender sa législation
pour incorporer ces concepts dans cela, c'est parce que cela est efficace. Je
ne verrais pas pourquoi on s'éterniserait sur des longues études
ici, on ne donnerait pas le coup et on ne laisserait pas commencer une chose
comme cela.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Dans un premier temps, j'ai une
précision à vous apporter. La notion de contribution alimentaire
ne s'applique pas au programme Soutien financier.
Mme Wagener Jobidon: Bon, merci.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est sur le plan de la
clarification. À la page 5 de votre mémoire, vous nous demandez
l'abolition de la limite de temps dans le cadre du programme Travaux
communautaires.
Mme Wagener Jobidon: Oui.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est-à-dire que, dans le
cas où Travaux communautaires s'appliquerait à Soutien financier,
il n'y aurait pas de limite du tout, dans votre perspective. Là, vous
nous parlez d'un taux de succès de 40 % après trois ans de
participation, etc. Je veux seulement vous sensibiliser au danger que
peut-être une personne, s'il n'y a pas de limite de temps - disons qu'un
an c'est trop court - s'il n'y a aucune limite de temps, un moment
donné, demeure dans un programme de participation jusqu'à sa
pension de vieillesse, si on peut utiliser cette expression...
Mme Wagener Jobidon: Oui.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...et que l'objectif de
réintégration que vous visez ou que vous souhaitez ne soit pas
atteint. En nous demandant de considérer la limite de temps,
n'auriez-vous pas une fourchette ou un paramètre à nous
indiquer?
Mme Wagener Jobidon: Évidemment, on ne peut pas tout dire
ici, n'est-ce pas? J'espère que le rapport Harnois aura des suites et
que, éventuellement, on va arriver avec le système de PSI, le
Plan de services individualisé, ce qui vous concerne aussi, parce que
cela prend des gens spécialisés qui travaillent avec cette
clientèle. Si une travailleuse sociale envoie quelqu'un comme cela ici,
à une "job" intéressante... Comme ma
fille, par exemple, qui a travaillé au Conseil de la culture
comme assistante-secrétaire. C'était agréable,
excepté que cela finissait. Je ne suggère pas qu'elle doive
rester éternellement à cette "job". D'ailleurs, je ne pouvais
tout dire là-dedans, ce n'est pas suggéré parce que les
spécialistes dans le domaine disent même que le potentiel de ces
gens-là est tellement grand que, avec de bonnes méthodes, on peut
arriver à un point où ils peuvent penser à un plan de
carrière. Imaginez-vous! Si des choses comme celle-là existent
ailleurs, pourquoi laisserait-on végéter du monde ici, dans des
petits programmes niaiseux? Il est sûr qu'il faut commencer quelque part
et par des petites "jobs" niaiseuses, il faut peut-être même
commencer par le macramé, mais on ne veut pas s'éterniser
là-dessus.
Quand je parle, je peux vous garantir qu'avec des clubs comme cela
à Québec - pas un seulement, cela en prendrait un dans plusieurs
grandes ville... Si on peut enlever 40 % des gens sur le bien-être social
aux États-Unis, je ne verrais pas pourquoi on ne ferait pas la
même chose ici.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Cela va. En vertu de la
règle de l'alternance, Mme la députée de Maisonneuve.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Mme Jobidon, je dois
comprendre que vous êtes accompagnée par M. Poirier, je crois, M.
Dinel - c'est bien cela? - M. Boileau et Suzanne Jobidon. On a parlé de
vous, M. Guay, qui êtes une personne-ressource. Je crois donc comprendre
que M. Poirier, M. Dinel, M. Boileau et Mlle Jobidon sont des
bénéficiaires de l'aide sociale. Est-ce que je...
Mme Wagener Jobidon: Ah! Excusez-moi. M.
Jean-Marc Boileau est la seule exception ici.
D'ailleurs, vous lui faites grandement plaisir, M. le ministre, en
lisant son texte. C'est lui qui l'a écrit et c'est sa fête
aujourd'hui. Ha, ha, ha!
Le Président (M. Bélanger): Alors, bonne
fête!
Mme Harel: J'aimerais bien qu'on puisse discuter avec eux. S'ils
vous accompagnent, cela doit être certainement pour permettre un
échange avec la commission. Vous êtes regroupés en
cohabitant ensemble? Non? Vous êtes regroupés autour d'un projet.
Je me demandais si le groupe était membre du Regroupement des ressources
alternatives en santé mentale.
C'est évidemment la sixième semaine que l'on siège
et c'est toujours aussi passionnant. Chaque groupe a sa singularité et
ses propres caractéristiques et on a eu l'occasion, le privilège
d'échanger avec plusieurs groupes de ressources alternatives en
santé mentale qui nous ont exprimé un point de vue qui est un peu
différent de celui de Mme Jobidon. Ces groupes, notamment celui de la
région de Montréal et celui de la région du
Saguenay-Lac-Saint-Jean, mettaient en cause le risque de voir les personnes
confinées à un statut d'inapte et d'inemployable, vu que les
mesures allaient certainement être d'abord offertes, étant
donné la pratique dans les bureaux d'aide sociale avec des agents qui
sont débordés... Le ministre a parlé de 400 dossiers par
agent, en moyenne. Certains en ont 500; d'autres, 550. Donc, il y aurait une
pratique qui consisterait d'abord à offrir les mesures aux personnes
dites aptes, parce qu'elles ont une réduction de prestations qui ne leur
permet plus de combler leurs besoins de base. Et les personnes dites inaptes,
dans le grogramme Soutien financier, malgré les bons sentiments qui
pouvaient être exprimés, n'allaient pas être les
premières bénéficiaires des programmes de
réinsertion, étant donné qu'elles ont leurs besoins
comblés par les barèmes de prestations.
Alors, je dois conclure que la catégorie entre apte et inapte
vous agrée. C'est là ma question parce que, tantôt, vous
disiez: II faut aider à sortir du système. Les groupes sont venus
nous dire: Pour sortir du système, il faut que, lorsqu'on en sort, on
n'y soit pas ramené, c'est-à-dire essentiellement maintenir, ,
quand on est au travail, les besoins spéciaux lorsqu'on est
handicapé physique, ou les besoins spéciaux lorsqu'on est en
médication, parce que, si on reprend le marché du travail, on n'a
plus les besoins spéciaux, on n'a plus le partage du logement.
C'est bien beau que, dans Soutien financier, le partage du logement soit
possible. Mais dès qu'une personne s'en sortirait, deux ans plus tard,
elle ne pourrait pas partager son logement et serait possiblement
entraînée vers la rechute dont vous nous parliez tantôt.
Là, la question, c'est: faut-il être préventif ou curatif,
d'une certaine façon? Parce que, quand on est dans Soutien financier,
c'est qu'on est soigné et, là, il y a des choses qui vont avec
cela. On a droit de partager son logement, mais quand on en sort, on est
exposé à tout vent, parce qu'il n'y aura plus de besoins
spéciaux et de partage de logement.
Mme Wagener Jobidon: C'est cela. C'est un problème
très complexe et je pense qu'il va falloir s'asseoir et établir
une politique de santé mentale qui inclue cette chose-là. Je suis
sûre que M. Guay va me trouver pas mal optimiste. Je ne sais pas s'il
voudrait répondre à cela.
M. Guay (Michel): Michel Guay. Ce que vous dites, en fait, est
parfaitement vrai: ces personnes-là risquent d'être
oubliées, en fin de compte. Des priorités, il va y en avoir
beaucoup. Et c'est un peu le problème que vivent ces gens-là
depuis des années, d'être oubliés. Ils sont peu, ils
sont
assez, mais ils sont peu et ce sont toujours les derniers, en fin de
compte. Et je pense qu'il faut absolument que le programme soit souple pour
vraiment tenir compte des besoins des individus. Lorsque M. le ministre parlait
de norme, tout à l'heure, lorsqu'il disait qu'il faudrait fixer une
norme, je pense que la norme doit être souple. Certains, si on parle de
réinsertion sociale, font leur réinsertion dans six, huit ou dix
mois, mais d'autres personnes la font dans deux, trois ou quatre ans. Je crois
que tout devrait être tourné vers les besoins de l'individu. Je
comprends que cela devient difficile et complexe. Je comprends qu'il faut fixer
des normes quelque part, mais je crois qu'il y a des exceptions et que ces
individus doivent être vraiment pris en considération pour ne pas
embarquer dans une norme et de la faute de cette norme, se retrouver en milieu
psychiatrique. Ils vont se retrouver dans un état de stress assez
violent qu'ils devront être hospitalisés de nouveau. Cela se vit
et on le voit presque de façon journalière.
Je voudrais maintenant revenir à l'étiquetage. Cela me
paraît important aussi. Avec l'expérience, on s'est rendu compte
que, lorsque l'employeur est conscient qu'un individu a eu et a toujours
certains problèmes, il va être plus tolérant que face
à un individu qui n'a pas de problèmes, entre parenthèses,
ou est considéré comme normal, entre parenthèses toujours,
et envers qui il va être très exigeant même à sa
première journée de travail; l'étiquetage, à ce
moment-là, ne fait pas peur.
Si on prenait comme exemple les handicapés physiques. Lorsqu'ils
se présentent chez un employeur, assez souvent c'est clair pour eux et
pour l'employeur. Mais lorsque vous avez fait une psychose, ce n'est pas
évident. Et il faut que l'employeur aussi comprenne que, dans cette
problématique-là, à un moment donné,
peut-être après six mois, il peut vivre une période d'une
semaine à quinze jours pendant laquelle les choses sont beaucoup plus
difficiles. Et si l'employeur est conscient de cela, il va le ménager,
il va lui donner sa chance, if va l'aider, plutôt que de dire:
Écoute, tu produis et il faut que tu produises, c'est important. Et
cela, c'est une dimension qui, pour ce qui est de l'étiquetage, ne me
fait nullement peur.
Mme Harel: C'est vraiment intéressant, votre expertise!
Vous savez, devant cette commission se sont succédé des personnes
qui ont parlé d'elles comme devant donner lieu à une attention
particulière et, appelant, comme vous le faites, M. Guay, à une
reconnaissance des besoins individuels. Il y a eu les femmes des
communautés culturelles; il y a eu les personnes représentant les
nations amérindiennes, qui vivent dans les grandes villes, qui vivent
dans nos régions, dans le Sud; il y a eu les représentants des
personnes handicapées physiques, celles qui sont
désinstitutionnalisées. Il y a d'ailleurs eu des personnes de
l'Accueil Bonneau qui sont venues, par exemple, une travailleuse sociale qui
était là expliquait que, parmi les 60 personnes qu'elle suivait
tous les jours, il y en a 40 qui avaient été des cas de
désinstitutionnalisation. Il y a des hommes et des femmes qui ont perdu
leur emploi et qui sont en dépression; des chefs de famille
monoparentale qui sont en difficulté de séparation, après
un échec et un divorce; il y a eu des jeunes qui sont venus ici, qui
n'avaient connu que les foyers d'accueil et qui avaient connu...
Tout cela, d'une certaine façon, n'altère en rien le point
de vue que vous nous exprimez aujourd'hui. Mais ce que la société
doit rechercher, c'est à la fois un plan d'ensemble et le respect des
distinctions, mais en prenant en compte que, si on est vraiment bien portant
dans notre société, d'une certaine façon, on l'est moins
quand on est prestataire d'aide sociale. On l'est moins dès qu'on
"tombe", parce que même les gens nous ont fait part de cette expression
"tomber" comme si c'était un chemin de la croix, d'une certaine
façon. Et on porte sa croix.
Et la question, c'est spécifiquement en regard, disons, d'un
projet de réforme qui serait adéquat. Ce projet, selon vous...
Parce qu'on dit que 95 % des personnes qui ont une maladie mentale - je ne sais
pas si on peut appeler cela comme cela - ou sont en difficulté, en
handicap, plutôt, vous appelez cela un handicap psychiatrique, 95 %, je
pense, reçoivent de l'aide sociale. (16 h 15)
Mme Wagener Jobidon: Comme je vous le dis, ce sont des chiffres
que vous êtes mieux placée que moi pour connaître.
Mme Harel: En tout cas, de la clientèle des ressources
alternatives, pas tant que cela.
Mme Wagener Jobidon: Cela m'étonnerait, parce qu'il y en a
quand même une grande proportion qui sont encore à
l'hôpital.
Mme Harel: Oui. Quand on parle des ressources alternatives,
j'imagine que ce sont celles qui sont mises en contact dans les ressources
alternatives. Donc, ces personnes, qu'est-ce qu'on peut leur souhaiter?
J'aimerais peut-être savoir, pour les fins de notre échange, les
jeunes qui sont avec vous, ce qu'ils souhaitent. Ils souhaitent un emploi qui
soit respectueux de ce qu'ils sont. C'est cela?
M. Boileau (Jean-Marc): Jean-Marc Boileau. Moi, j'ai
commencé à temps partiel. Actuellement, je suis à temps
plein. J'ai été aidé par le projet Arbre. Au début,
ce qui était difficile, c'est que je reçois une injection
à toutes les trois semaines et cela a comme effet secondaire de me
rendre plus lent au travail. D'ailleurs, si cela n'avait pas été
de la personne-ressource qui m'aidait, j'aurais perdu mon emploi parce que
j'étais trop lent. Moi, j'étais content de dire que j'avais une
maladie mentale parce qu'il était plus
attentif à moi. J'allais souvent le voir et je lui disais: Est-ce
que le rendement et la production sont meilleurs? Il me disait: Ce n'est pas
encore cela. L'effet du médicament diminue aussi avec le temps, ce qui
fait que je peux récupérer la production.
Mme Harel: Maintenant, vous êtes engagé dans la voie
d'un travail à temps plein?
M. Boileau: À temps plein, oui.
Mme Harel: Permanent?
M. Boileau: Possiblement, oui.
Mme Harel: Et c'est le genre de travail que vous souhaitiez
accomplir?
M. Boileau: Non, parce que j'ai un diplôme universitaire et
je travaille dans la restauration actuellement. Mais disons que cela me
satisfait beaucoup.
Mme Harel: Vous êtes content de travailler? M. Boileau:
Oui.
Mme Harel: D'une certaine façon. Et vous, je pense
monsieur, c'est...?
M. Dinel (Marc): Dinel. Mme Harel: Oui, M.
Dinel.
M. Oinel: Moi, je fais des travaux communautaires. Ce sont des
travaux assez légers: passer la balayeuse, laver les planchers, tondre
le gazon, etc. C'est pour une coopérative de logement. Pour commencer,
je trouve que ce n'est pas beaucoup, mais cela me fait prendre un rythme de vie
plus normal. Après cela, je viserai un stage en milieu de travail dans
mon métier.
Mme Harel: Quel est votre métier?
M. Dinel: Mécanicien. Le problème, c'est que du
travail à temps partiel, il n'y en a pas beaucoup. C'est très dur
à trouver. Pour aller dans mon métier, c'est tout le temps 40
heures, ou du temps partiel payé en dessous de la table, ou des affaires
comme cela. Il n'y a rien de bien sérieux.
Mme Harel: L'autre problème, dans la mesure où vous
travaillez à temps partiel et que vous recevez de l'aide sociale, c'est
peut-être que vous seriez dans le programme APTE à ce
moment-là. Ce serait difficile d'imaginer que vous êtes dans un
programme d'inapte.
M. Dinel: C'est que je suis apte à faire de quinze
à vingt heures par semaine seulement.
Mme Harel: Vous vous considérez apte à faire de
quinze à vingt heures?
M. Dinel: Oui.
Mme Harel: En fait, je ne sais pas si les autres personnes qui
vous accompagnent... C'est peut-être juste intéressant, d'abord,
de se rendre compte qu'il faut des solutions assez diversifiées pour
faire face à une réalité qui est que le marché,
parce que c'est évident... Bon, je ne veux pas revenir avec toute la
catégorisation entre apte et inapte, mais il est difficile d'imaginer
comment va se faire la définition d'inapte. Cela ne peut pas se faire
juste sur un dossier, d'une certaine façon, parce qu'il va y avoir une
incitation pour plein de gens à vouloir plaider... Je ne parle pas de
vous, absolument pas, mais c'est sûr que, s'il y a un avantage
réel comparativement à un très grand état de
privation, il y a bien des gens qui vont vouloir se faire déclarer
inaptes. C'est un peu là qu'est la difficulté. C'est certainement
une grande difficulté qui va se présenter dans notre
société, parce que la dynamique va être de vouloir
être inapte plutôt que de vouloir être apte.
Mme Wagener Jobidon: Excepté pour cette
clientèle-là J'ai une vidéocassette du club de Toronto.
Tous les membres qui ne sont pas aptes, disons, à travailler
productivement font du bénévolat quelques heures par jour,
régulièrement. Pour moi, c'est une indication que l'argent n'est
pas si important. Il est évident qu'il faut manger, qu'il faut
être nourris. Mais ce n'est pas la question de frauder qui que ce soit ou
de faire des choses... Ils sont tellement contents de pouvoir faire des choses
comme tout le monde que les considérations d'argent deviennent
secondaires.
On pourrait souligner autre chose. Paul avait enseigné à
temps partiel à un moment donné. C'est à cause du syndicat
qu'il a perdu ce travail valorisant et intéressant. Il y a une grosse
sensibilisation à faire pour le bénévolat, pour des
travaux communautaires à temps partiel et pour des emplois complexes;
c'est une chose reconnue. On peut dire que je suis à la fine pointe de
l'information en recherche en réadaptation psychosociale aux
États-Unis, et une autre chose est reconnue: ce n'est pas la
complexité de la tâche qui est en jeu. Ce sont des universitaires.
Mais, si on peut les amener à travailler une ou deux heures par jour ou
une demi-journée deux fois par semaine, même sur des ordinateurs
ou n'importe quoi, et que ce soit valorisant, c'est ce qui est important.
L'argent, là-dedans...
Mme Harel: Mais il faut quand même payer son loyer.
Mme Wagener Jobidon: C'est sûr!
Mme Harel: Tantôt, vous disiez que quel-
qu'un qui vit dans un logement misérable et qui n'a aucun moyen
de s'en sortir a plus de risques de vivre une rechute. J'imagine qu'il vaut
mieux vivre dans un logement confortable et avoir trois repas par jour pour
avoir moins de risques de connaître une rechute.
Mme Wagener Jobidon: Si vous vivez isolé dans un condo de
luxe, que vous ne parlez jamais à personne parce qu'il n'y a pas
d'endroit où aller et que vous n'avez pas un travail valorisant, vous
risquez plus de faire une rechute que si vous vivez dans une hutte
misérable et que vous avez un club où il y a des amis et une
activité valorisante.
Mme Harel: Oui. Écoutez, je ne sais pas, je ne veux pas
choisir parce que j'ai l'impression que ce sont les gens qui ont à le
vivre qui pourraient faire le choix. Ce n'est ni vous, ni moi. Je vous
remercie.
Le Président (M. Bélanger): Merci. M. le
ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne sais pas s'il me reste un
peu de temps.
Le Président (M. Bélanger): Deux minutes.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Deux minutes? On n'a pas entendu
les témoignages de M. Poirier et de Mme Suzanne Jobidon. J'aimerais que
vous nous racontiez votre cheminement, où vous en êtes rendus et
où vous voulez aller.
M. Poirier (Paul): Paul Poirier. J'ai travaillé à
des travaux communautaires pendant un an. À 30 ans, je n'étais
plus apte à faire les travaux communautaires. Depuis, j'ai 32 ans, cela
fait deux ans que je ne travaille pas. Je suis un peu nerveux...
Le Président (M. Bélanger): II n'y a pas de
problème.
M. Poirier: ...je n'ai pas trop planifié mon affaire. Cela
fait déjà dix ans que j'ai été en institution
psychiatrique.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous avez enseigné,
à un moment donné, à...
M. Poirier: Oui. Disons que c'étaient de petits groupes,
au primaire. J'enseignais à des surdoués. J'ai un bon bagage
scientifique; je suis allé à l'université, en
génie. Le syndicat a mis sa main là-dedans. Il a dit: Pour un
travail donné, c'est tel salaire. L'école n'avait pas les moyens
de payer ce salaire, alors, elle a laissé tomber.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que vous pouvez nous
indiquer de quelle école il s'agit?
M. Poirier: C'est l'école Sainte-Odile, à
Québec.
Mme Harel: Est-ce que c'est une école publique?
M. Poirier: Oui.
Mme Harel: Est-ce que c'étaient des travaux communautaires
que vous faisiez?
M. Poirier: Oui.
Mme Harel: Ah! C'étaient des travaux communautaires.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci beaucoup de votre
témoignage. Mademoiselle...
Mme Jobidon (Suzanne): Jobidon, Suzanne. Cela fait quatre ans et
demi que ma maladie a commencé. Je viens de me décider à
faire des stages de travail. J'avais un peu l'embarras du choix, à
savoir si je devais dire ou non que j'ai été malade. Finalement,
je ne l'ai pas dit et on n'était pas sévères, je faisais
un peu l'affaire. J'ai dit que je voulais commencer à temps partiel et
on a dit que, pour trois semaines, il n'y aurait pas de problème. C'est
viser le travail a temps plein. C'est possible de travailler à temps
plein, mais c'est un peu l'environnement qui... Au fond, dans un sens, on
souhaiterait que les gens soient au courant et, dans un autre, on ne le
souhaiterait pas parce qu'on se dit qu'on est capables de faire comme les
autres, nous aussi.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Les travaux, Suzanne, est-ce que
c'était un emploi de secrétariat?
Mme Jobidon: C'était aide-secrétaire.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Aide-secrétaire.
Mme Jobidon: C'est un travail communautaire et c'est encore cela
que je vais faire.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci.
Le Président (M. Bélanger): Voulez-vous remercier
le groupe?
Mme Harel: Certainement. Vous avez apporté, avec le projet
de club, quelque chose de pas simplement original, mais qui est sans doute,
comme vous le mentiopnez, une voie non seulement de réinsertion, mais de
solidarité, d'entraide et d'appartenance très importante. Je suis
très contente d'avoir également eu l'information concernant les
travaux communautaires. Je crois beaucoup à des travaux communautaires
qui se feraient dans les écoles pour soutenir les jeunes
qui sont en difficulté d'apprentissage et qui n'ont pas
nécessairement l'appui familial, soit parce que leurs parents ont eu,
eux-mêmes, des difficultés avec l'école, ou sont
analphabètes. Je crois qu'il y aurait là matière à
utiliser des compétences comme la vôtre. Je vous remercie pour
votre contribution.
Le Président (M. Bélanger): M le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. Boileau, M. Dinel, M. Poirier,
Mme Jobidon, c'était là le 95e mémoire qu'entendait la
commission parlementaire des affaires sociales sur le projet de réforme
de sécurité du revenu. Pour autant que je suis concerné -
et je pense que c'est le cas de la commission - dans le 95e mémoire,
nous en avons encore beaucoup appris, et pour cette contribution positive aux
travaux de notre commission, au nom de la commission et au nom du gouvernement
du Québec, je vous remercie.
Le Président (M. Bélanger): La commission des
affaires sociales remercie Mme Jobidon et les personnes qui l'accompagnent pour
la qualité de leur témoignage.
J'appelle à la table des témoins le groupe suivant,
c'est-à-dire l'Association pour la santé publique du
Québec, l'Association professionnelle des criminologues du
Québec, la Corporation professionnelle des conseillers et
conseillères d'orientation du Québec, la Corporation
professionnelle des diététistes du Québec, la Corporation
professionnelle des médecins du Québec et la Corporation
professionnelle des travailleurs sociaux du Québec.
C'est un regroupement. Je les invite donc à se présenter
à la table.
Le Président (M. Joly) S'il vous plaît! Que chacun
reprenne sa place, de façon que nous puissions poursuivre nos
travaux.
J'aimerais vous expliquer la règle de procédure. Vous avez
15 - pardon! 20 minutes pour expliquer votre mémoire. J'avais dit 15
mais on reprend avec 20, parce qu'ils semblent insister. De chaque
côté, nous aurons aussi un temps à la disposition des
parlementaires pour vous interroger.
Aux fins du Journal des débats, pourriez-vous vous
identifier chaque fois que vous prenez la parole? Merci.
J'aimerais aussi que le porte-parole identifie les gens qui
l'accompagnent.
Corporations professionnelles des y
conseillers et conseillères
d'orientation,
des diététistes, des médecins,
des
travailleurs sociaux, Association
professionnelle des criminologues et
Association pour la santé publique du
Québec
M. Sirois (Alain): M. le Président, M. le ministre, Mme la
critique de l'Opposition offi- cielle, Mmes et MM les députés,
d'abord nous vous remercions de nous avoir invités à
présenter notre document, lequel contient l'essentiel de nos
réflexions face au projet de réforme de l'aide sociale. (16 h
30)
Ce document est le fruit du travail conjoint de six corporations et
associations professionnelles du Québec. Or, pour représenter le
Dr Augustin Roy, président de la Corporation des médecins du
Québec, nous avons ici, et ils sont à la suite, le Dr Christine
Collin, laquelle représente aussi, à titre de membre du bureau de
direction, l'Association pour la santé publique du Québec dont le
président est M. Jean-Pierre Bélanger; pour représenter M.
Roger Barbeau, président de l'Association professionnelle des
criminologues du Québec, nous avons M François Bérard,
criminologue; pour représenter M André-G. Boivin, présent
dans cette salle, président de la Corporation professionnelle des
conseillers et conseillères d'orientation du Québec, Alain
Sirois, conseiller d'orientation et secrétaire de la corporation, et
c'est moi-même; pour représenter Mme Danielle Sabourin,
présidente de la Corporation professionnelle des
diététistes, nous avons Mme Marie-Claire Lepage, diétiste;
enfin, pour représenter Mme Hélène Carey Bélanger,
présidente de la Corporation professionnelle des travailleurs sociaux du
Québec, M. René Pagé, travailleur social et directeur
général de cette même corporation. M. Pagé va
commencer la présentation du document.
Le Président (M. Joly): Merci S il vous plaît, M.
Pagé.
M. Pagé (René): M. le Président, pour
débuter notre présentation, l'origine du regroupement des
corporations et associations professionnelles a débuté en 1984,
autour de préoccupations qu'avaient ces professionnels sur la question
des jeunes bénéficiaires de l'aide sociale de moins de 30 ans. Le
regroupement des professionnels avait décidé de regarder les
conséquences biopsychosociales de cette situation, conséquences
qui regroupaient, en fait, les connaissances et l'expertise qu'ils pouvaient
avoir de cette situation. Par la suite, au fil des ans, le dossier a
évolué et s'est orienté vers une politique de
sécurité du revenu. Notre regroupement a continué ses
rencontres et ses publications et, depuis 1987-1988, il présente un
mémoire conjoint qui est le fruit de ce travail, depuis quatre ans.
Globalement, l'idée que notre regroupement se fait d'une
politique de sécurité du revenu nous semble plus large que celle
décrite dans le document du gouvernement. Dans ce document, nous voyons
plus un ensemble de technicités, mais pas nécessairement un
regroupement d'objectifs et de moyens qui viseraient une cohérence de
politique gouvernementale plus large, c'est-à-dire une cohérence
entre les divers ministères,
entre autres, concernés par toute la question des revenus et des
conditions de vie des gens.
On pourrait parler d'une politique plus englobante, une approche qui
serait multisec-torielle par rapport aux problèmes de nos concitoyens.
À titre d'exemple concret contenu dans la politique de
sécurité du revenu, il y a une situation qui nous fait penser un
peu à un jeu qu'on connaît tous et qui s'appelle le jeu des
échelles et des serpents, qu'on jouait avec un dé et des pions.
Prenons la référence de deux bénéficiaires de
l'aide sociale jugés aptes selon la politique. Ils décident
d'aller vivre ensemble en logement. Ils prennent une échelle,
c'est-à-dire qu'ils se donnent des moyens financiers, des moyens
concrets pour, peut-être, augmenter leurs chances d'employabilité
en se donnant plus de moyens financiers. Ils prennent cette échelle et,
deux cases plus loin, ils ont le serpent de la coupure de 115 $ chacun.
Nous ne sommes pas d'accord avec une telle position. Le même
exemple de ce jeu d'échelles et de serpents, d'attrapes si on veut,
pourrait être servi pour l'ensemble de la responsabilité du
gouvernement, entre les différents ministères qui peuvent
être concernés par tous les besoins des concitoyens. Il faudrait
éviter que ce qu'un ministère fait soit annulé ou
changé par ce qu'un autre ministère fait, qu'on évite de
se lancer la balle entre ministères et qu'on ait une cohérence
interministérielle menée par le gouvernement.
Je vais maintenant passer la parole à M. François
Bérard.
M. Bérard (François): Dans le cas de cette
présentation de notre mémoire, on m'a assigné la
délicate tâche de vous entretenir de deux sujets qui ont
particulièrement retenu notre attention. La nécessaire relation
entre une politique de sécurité du revenu et une politique de
l'emploi, d'une part, et la question des mesures d'employabilité,
d'autre part.
Une lecture attentive du document d'orientation nous amène
à constater que c'est la question d'emploi qui en constitue la
clé de voûte. Tout y est analysé en fonction de celle-ci.
De fait, la réforme, avec ses coupures, met beaucoup de pression sur les
bénéficiaires de l'aide sociale pour qu'ils se trouvent un
emploi. Pour nous, il s'agit d'un virage très important car on semble
privilégier l'intégration à tout prix des assistés
sociaux sur le marché du travail et ce, même au détriment
d'une réponse adéquate à leurs besoins essentiels. Ma
collègue, le Dr Collin, aura l'occasion de revenir sur ce dernier
point.
Nous avons donc affaire à une politique de sécurité
du revenu essentiellement axée sur l'emploi. Paradoxalement, cette
réforme ne semble pas être accompagnée d'une quelconque
politique de l'emploi et, en ce sens, elle demeure incomplète. En effet,
comment peut-on imposer aux assistés sociaux de faire un grand nombre de
démarches pour se trouver un emploi si, paral- lèlement à
cela, on ne veille pas à la création de nouveaux emplois? Avec
les quelque 60 000 emplois qui, semble-t-il, pourraient être disponibles
l'an prochain, les 257 000 ménages aptes risquent d'être
doublement perdants, n'ayant pas d'emploi et ayant des revenus moindres. La
réforme de la sécurité du revenu telle qu'elle se
présente à nous, à l'heure actuelle, ne viendra,
conséquemment, qu'accentuer les différents malaises et
problèmes que vivent les assistés sociaux. Pour éviter une
telle situation, il importe au plus haut point que le ministre de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu veille, de concert avec
ses collègues des ministères à vocation économique,
à l'élaboration et à la mise en oeuvre d'une vigoureuse
politique de l'emploi ayant le plein emploi comme visée ultime.
Nous sommes conscients des difficultés que représente une
telle entreprise car on devra alors mobiliser les différents agents
socio-économiques autour de cette politique. Mais une politique de plein
emploi, fondée autant sur la création et le maintien que sur le
partage de l'emploi constitue, à notre avis, l'assise principale d'une
solidarité qui doit se dégager autour de cette question vitale
qu'est l'emploi. La réforme de l'aide sociale n'aura été
qu'une vaste opération d'appauvrissement collectif pour les
assistés sociaux si elle ne débouche pas sur des gestes concrets
ayant pour but de démontrer à quel point l'emploi constitue une
richesse, voire une valeur inestimable pour notre société.
Par ailleurs, nous réitérons notre appui de principe
à l'existence de mesures visant à développer le niveau
d'employabilité des assistés sociaux désireux
d'intégrer le marché du travail. Le projet de politique semble
reprendre à son compte un certain nombre de mesures
développées pour les jeunes assistés sociaux, et il les
étend à l'ensemble des assistés sociaux. D'une part, nous
nous interrogeons fortement sur la capacité du ministère de
pouvoir développer un nombre suffisant de places dans ses programmes
pour répondre à la demande potentielle. D'autre part,
l'énoncé de politique reste trop flou pour que nous puissions
nous prononcer, à ce moment-ci, sur le contenu de ces programmes.
Toutefois, nous tenons à nous opposer vivement à des formules
telles que "Grant Diversion" qui ouvre la porte toute grande à la
création d'une véritable catégorie de travailleurs
à rabais.
C'étaient les quelques remarques concernant les questions
relatives à l'emploi et aux mesures d'employabilité que nous
désirions respectueusement vous soumettre aujourd'hui. Je vais
maintenant céder la parole à ma collègue, le Dr
Collin.
Mme Collin (Christine): Merci.
J'aimerais, quant à moi, aborder maintenant trois de nos sujets
de réflexions, de préoccupation également, qui concernent
les nouveaux barèmes, l'établissement d'une catégorisation
et la formation des agents d'aide sociale.
En ce qui concerne les nouveaux barèmes, nous sommes d'abord
préoccupés par le remplacement de barèmes fondés
sur les besoins par des barèmes fondés sur les dépenses
des ménages classés dans le premier décile de revenus.
Nous y voyons une source possible d'aggravation de l'écart entre riches
et pauvres. De plus, et très fondamentalement, la diminution du seuil
plancher des prestations nous inquiète. Même l'augmentation de
l'exemption des gains de travail, une très bonne mesure en soi, ne peut
justifier, selon nous, cette réduction. En effet, les prestations de
base seraient réduites dans le projet d'orientation à tel point
que, dans les neuf premiers mois, pour une personne seule, elles ne
couvriraient qu'à peine le logement et l'alimentation. Il est faux de
penser que tous les assistés sociaux ou même une majorité
d'entre eux vont se trouver un emploi et accéder au total des
prestations possibles. Au contraire, suite à la pénurie
d'emplois, des prestataires et des familles disposeront d'un montant
insuffisant pour combler leurs besoins de base. Cela va compromettre le
développement des enfants et la santé physique et mentale de
tous. Les conséquences bien connues de la pauvreté qui
s'appellent maladie, délinquance, problèmes sociaux, violence,
prostitution, etc., nous semblent devoir être prévenues à
tout prix, et surtout par l'intermédiaire d'un revenu minimum
décent.
Deuxièmement, la question de la catégorisation. Le
document d'orientation établit des catégories parmi les
prestataires et ces catégories entraînent des différences
entre les montants reçus. À nos yeux, seule la
catégorisation fondée sur le nombre de personnes dans la famille
devrait introduire des différences de montants de prestations parmi les
bénéficiaires. La catégorisation proposée: apte et
inapte; disponible et non disponible; participant et non participant;
dépendant et indépendant, compliquerait beaucoup, selon nous, la
mise en oeuvre et risquerait aussi d'établir un potentiel important
d'évaluations erronées et, donc, de décisions
discriminatoires. De plus, cette proposition nous rappelle une façon
ancienne, ou que l'on croyait ancienne, d'accorder des prestations
différentes selon que l'on était bon pauvre ou mauvais pauvre.
Les bons pauvres seraient ceux qui se plieraient sans problème aux
différentes exigences et les mauvais, ceux qui ne le feraient pas. Mais
il nous apparaît important de voir pourquoi toutes les personnes
prestataires d'aide sociale n'ont pas les mêmes comportements face
à ces mesures-là. C'est, à notre avis, parce qu'elles
n'ont pas toutes le même vécu ni la même histoire. Si pour
certaines c'est un phénomène temporaire et occasionnel, pour
d'autres - et cela nous apparaît être la grande majorité -
c'est le résultat d'une longue histoire de pauvreté
économique, de scolarité limitée, de non-qualification
professionnelle, toute situation qui réalise le cercle vicieux de la
pauvreté et condamne les personnes qui en sont victimes à subir
échec sur échec et frustration après frustration. Dans ce
cas, l'énergie nécessaire pour rester participant et volontaire
risque d'être considérable et cela explique certainement, en
partie du moins, la faible participation des jeunes au programme
d'employabilité actuellement.
Il nous semble donc que la réforme doive veiller
particulièrement à ne pas pénaliser davantage les plus
démunis. Cela signifie qu'à des difficultés
supérieures doivent correspondre des ressources supérieures, et
que les mesures d'employabilité mises en place doivent en tenir compte
et être en particulier suffisamment longues, intenses, adaptées et
complètes quand cela est nécessaire.
Enfin - c'est mon troisième point - H nous faut insister aussi
sur le besoin de formation des agents d'aide sociale. Le document d'orientation
le mentionne et cela nous semble être effectivement une très bonne
chose. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le fait que ces agents sont aussi
ceux qui contrôlent les budgets ou ont une certaine mission par rapport
à des économies possibles du programme. Ces personnes peuvent
alors être prises entre deux feux. Pour que ces agents jouent de
façon efficace le rôle souhaité et décrit de soutien
personnalisé et de conseiller, il faut qu'ils puissent développer
des attitudes de respect et de compréhension par rapport à ce que
vivent les personnes les plus démunies. Cela doit donc se traduire par
une formation appropriée. Il ne doit donc pas s'agir seulement d'une
formation technique, et d'une formation de techniques d'employabilité.
Il nous semble qu'une politique d'aide sociale doit tenir compte de tout cela,
même si cela peut entraîner des coûts supplémentaires.
N'oublions pas, en effet, que ce qui sera retiré d'une main aux plus
démunis devra leur être remis d'une autre et d'une façon
beaucoup plus lourde en termes de services de soin et de services sociaux. Nous
sommes bien placés pour le savoir et c'est ce qui nous semble absolument
important d'éviter.
Mme Lepage (Marie-Claire): Les choix privilégiés
par le gouvernement auront des impacts sur différents sous-groupes de la
population. J'aborderai particulièrement la situation des jeunes en
milieu scolaire, des jeunes de 18 à 30 ans, des femmes enceintes et, en
dernier lieu, la discussion que soulève le logement.
Pour ce qui est des jeunes en milieu scolaire, prenons l'exemple de ce
qui se passe sur le territoire du Conseil scolaire de l'île de
Montréal. Des programmes d'aide alimentaire ont dû être
développés et sont subventionnés par le conseil, car 20 %
des jeunes viennent de milieux défavorisés. Très souvent
ces jeunes se présentent à l'école sous-alimentés.
Soulignons que les fins de mois sont particulièrement difficiles. On
sait les effets que cela peut avoir sur la capacité de concentration, le
rendement scolaire et, à plus long terme, sur le devenir de l'enfant
dans la société et même sur son employabilité.
Ce
qu'on doit retenir de la description de cette situation, c'est que la
réforme de la politique met en cause une grande partie des parents de
ces jeunes et par conséquent les touche directement.
Pour ce qui est des jeunes de 18 à 30 ans, il s'agit d'un sujet
souvent discuté, mais pour lequel, jusqu'à maintenant, aucun
changement n'a été apporté. Étant donné la
situation précaire dans laquelle se retrouvent ces personnes, la
parité de prestation a été demandée et il n'y a
aucune raison motivant le délai d'une autre année pour appliquer
cette mesure. La prestation allouée présentement est loin du
revenu minimal favorisant le maintien de la santé et ne peut qu'avoir
des répercussions au plan biopsycho-social. De plus, cette situation
peut amener les jeunes à adopter des comportements qui les
marginalisent. On parle ici de criminalité de survie, de
délinquance et d'incarcération, qui représentent des
coûts sociaux importants. On note aussi un taux de suicide plus
élevé dans ce groupe d'âge. (16 h 45)
En ce qui concerne les femmes enceintes, avec la réforme
proposée, grossesse signifie pénalité, et un recul par
rapport à l'ancienne politique. Cette dernière prévoyait
un supplément de 20 $ par mois pendant la grossesse et reconnaissait
l'importance de la grossesse, qui représente effectivement une
augmentation des besoins, notamment sur le plan de l'alimentation. La
période correspondant à la réduction de prestations, soit
les deux derniers trimestres de la grossesse, est une période
très importance pour la prise d'un poids adéquat, laquelle est
reliée directement au poids de naissance de l'enfant. Ce dernier est
sans contredit un indicateur du devenir de l'enfant. La période
postnatale est également très importante. Elle correspond
à une diminution de prestations, et pourtant elle correspond aussi
à une augmentation des besoins alimentaires pour la mère qui
décide d'allaiter et, pour la mère qui décide de ne pas
allaiter, à des coûts qui doivent être envisagés pour
l'achat de préparations commerciales pour nourrissons. Ce mode
d'alimentation représente le deuxième choix pour une nutrition
optimale de l'enfant, le lait de vache n'étant pas recommandé
avant l'âge de six mois.
La question du logement n'est pas la moindre et elle nous
préoccupe. Celle-ci est déjà problématique avec la
politique actuelle, étant donné la pénurie de logements
à prix modique. De plus, les données de la Société
canadienne d'hypothèques et de logement permettent d'observer un
écart entre les coûts réels et ceux proposés pour la
répartition du revenu des bénéficiaires de l'aide sociale.
Cette situation peut même être vécue de façon plus
difficile dans certaines régions. Dans le document d'orientation, on
souligne le désir de favoriser l'autonomie des gens, en maintenant une
prestation globale que les personnes vont redistribuer entre les
différents besoins de base. Cette approche est en accord avec notre
vision, mais un a priori est nécessaire. L'allocation doit être
réaliste, car c'est une dépense non compressible qui va
influencer le type de logement et la portion normalement attribuée
à l'alimentation et aux différents autres besoins. Avec des
revenus insuffisants, les pourcentages qui doivent être consacrés
aux composantes logement et alimentation correspondent à environ 100 %
du budget. Dans le document d'orientation, les moyens pour diminuer les
coûts de la vie sont très pénalisés, entre autres si
on pense à la coupure à l'égard du logement qui est
partagé. Voici donc, M. le Président,...
Le Président (M. Bélanger): Si vous voulez bien
conclure, s'il vous plaît.
Mme Lepage: C'est cela. Voici donc, M. le Président, les
différents sujets que le regroupe-men des associations et corporations
désirait soulever dans le cadre de cette présentation. Nous vous
remercions de votre attention.
Le Président (M. Bélanger): Merci. M. le
ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, je remercie l'Association
pour la santé publique du Québec, l'Association professionnelle
des crimino-logues du Québec, la Corporation professionnelle des
conseillers et conseillères d'orientation du Québec, la
Corporation professionnelle des diététistes du Québec, la
Corporation professionnelle des médecins du Québec et la
Corporation professionnelle des travailleurs et travailleuses sociaux du
Québec, de leur mémoire écrit ainsi que de leur
présentation verbale. Puisque plusieurs sujets ont déjà
fait l'objet de discussions ou d'échanges avec certaines des
corporations à l'occasion de cette commmission parlementaire, je vais
immédiatement passer aux recommandations que vous nous adressez et en
traiter particulièrement deux avec vous, si vous permettez.
Une s'appelle la parité de l'aide sociale, et on la retrouve
à la page 16 de votre mémoire. Vous dites, à la page 16,
à 2.5.2.: "Les jeunes adultes. Plusieurs groupes sont intervenus
à maintes reprises pour demander la parité pour les jeunes
bénéficiaires de l'aide sociale. Nous trouvons inconcevable que
le gouvernement attende 1989 pour la réaliser. De plus, nous trouvons
irréaliste que le gouvernement force de jeunes adultes à
retourner vivre avec leurs parents lorsque ceux-ci sont à l'aise. Il
nous apparaît souhaitable que tout jeune adulte puisse voler de ses
propres ailes et affirmer son autonomie, pour lui donner l'occasion de faire
l'apprentissage de la vie et des difficultés qui y sont
inhérentes. Nous nous élevons donc contre la direction
proposée qui n'a pour assise que la seule économie d'argent
à court terme, et qui ne pourra que desservir l'ensemble de la
société en
retardant l'apprentissage d'une vie autonome chez les jeunes adultes
à moyen et à long ternies".
Je pense que c'est Mme Lepage qui avait soulevé le sujet de la
parité. Donc je lui adresserai la question qui m'est inspirée
d'un article paru dans Le Devoir du vendredi 18 mars dernier, et qui
posait la question comme suit: "L'interrogation peut se formuler ainsi est-il
socialement souhaitable de verser à un jeune de 18 ans le plein montant
de l'aide sociale, sans rien changer des caractéristiques des programmes
actuels? Il n'existe aucune réponse empirique à cette question.
L'hypothèse la plus courante - on l'entend chuchoter même par des
gens qui jugent plus prudent de s'enfouir la tête dans le sable chaud de
la bonne conscience qui leur sert de philosophie sociale - est que la
parité, sans un train de mesures d'accompagnement, serait un geste
irresponsable, une invitation cynique à abandonner les études
pour les uns, à quitter leur emploi pour les autres, et pour un certain
nombre, à cesser toute recherche d'un revenu de travail. Bref, on
pousserait des milliers de jeunes dans un piège dont on sait qu'il est
difficile de sortir."
Comment réagissez-vous, lorsqu'on met en parallèle votre
demande, que je viens de lire, à partir de votre mémoire, et
cette réflexion d'un éditorialiste du Devoir?
Mme Lepage: Je pense que, spontanément - H y a d'autres
collègues qui pourront répondre aussi - il y a peut-être
les deux mouvements du pendule. C'est-à-dire qu'entre ce qu'ils
reçoivent présentement, soit les 180 $ et quelques par mois, et
la parité, mais associée à aucune autre mesure, il y a
peut-être un moyen terme sur lequel on peut discuter.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je pense que ce n'était pas
- et je ne veux interpréter ni votre mémoire, ni ('editorial du
Devoir - au plan du montant, comme tel qu'on recherchait une
demi-parité, ni dans un cas, ni dans l'autre. Je pense qu'on parlait de
mesures d'accompagnement qui n'auraient pas les effets négatifs
d'inciter les jeunes à quitter l'école pour se retrouver
bénéficiaires de l'aide sociale, d'inciter les jeunes à ne
pas se rechercher un emploi, d'inciter les jeunes à l'oisiveté
comme telle. Je pense un peu que c'était là le sens de l'article.
Il n'y avait pas d'escalier ou d'étage pécuniaire. On parlait
strictement du principe de la parité.
Mme Lepage: Ce que je veux dire c'est juste qu'avec la
parité, à ce moment-là, on aurait besoin de mesures
d'accompagnement. Je ne veux pas dire non plus, qu'on devrait couper la
parité en deux; il faudrait vraiment qu'il y ait quand même
parité pour subvenir à l'ensemble des besoins de base de ces
jeunes-là. Mais cela devrait, idéalement c'est sûr,
s'accompagner d'autres mesures, quoique, en termes d'employa-bilité, il
y a des choses quand même qui ont été amorcées par
mes collègues et dont René peut peut-être discuter.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous dites, à ce
moment-là, oui à la parité, mais avec des mesures
d'accompagnement, pas la parité en vase clos Maintenant, par rapport
à toute la notion de contribution alimentaire parentale que vous
rejoignez par le biais de la parité - et cela rejoint peut-être
une question qui a été posée au début, celle de
l'harmonisation interministérielle que vous avez soulevée - vous
savez qu'au niveau du programme des prêts et bourses aux étudiants
il existe ce qu'on appelle la notion de contribution alimentaire parentale, et
vous savez sans doute que celle que l'on retrouverait dans une politique de
sécurité du revenu lui est identique, une copie carbone dans le
but d'éviter cette incitation pour le jeune à quitter les
études postsecondaires et à se retrouver
bénéficiaire de l'aide sociale.
Et je vous concéderai, en partant, que le système
idéal serait un système de prêts et bourses sans
contribution alimentaire parentale, où l'on pourrait retrouver, par la
suite, une politique de sécurité du revenu sans que cet
élément-là y soit. Mais, en prenant pour acquis que la
politique de sécurité du revenu est une politique de dernier
recours, est-ce que vous ne croyez pas qu'il y aurait certains dangers à
ne pas inclure des éléments que l'on retrouve dans une politique
qui veut justement inciter les jeunes à demeurer à
l'école? Si on n'inclut pas cette même notion, est-ce qu'on ne
risque pas, sur le plan de notre société, d'inciter nos jeunes,
au plan financier, à quitter les études à plein temps pour
devenir des bénéficiaires de l'aide sociale? Et je ne suis pas le
premier à poser la question car, sans même accorder la
parité, l'ancien ministre des Finances, en 1984, posait la question.
M. Bérard: À cette question de contribution
familiale, je suis un petit peu étonné que vous souleviez la
comparaison avec un autre ministère, dans le sens que les comparaisons,
habituellement, que vous amenez, d'après ce qu'on a pu lire dans les
journaux, sont souvent des comparaisons au fond, où la politique de la
sécurité du revenu doit toujours prendre une situation qui est
à ce moment-là moins bonne qu'une situation qui existe...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ou égale M.
Bérard: ...dans un autre ministère. M. Paradis
(Brome-Missisquoi): Égale
M. Bérard: Et, en ce qui nous concerne, on se dit: "II y a
des besoins de base qui existent pour l'ensemble des assistés sociaux
et, à ce moment-là, s'il y a une harmonisation qui doit se faire,
cela doit être beaucoup plus dans le sens
de relever ce qui est indiqué ou amené dans d'autres
ministères et non pas de prendre une situation de fait et de dire, pour
ce qui est de l'assistance sociale: On va diminuer, finalement, les prestations
parce que dans tel autre ministère il y a déjà telle
chose. On pense qu'une politique de sécurité du revenu doit
être effectivement un moyen pour soutenir les besoins financiers des gens
et non pas une façon de dire qu'il doit y avoir des catégories
moindres de soutien lorsqu'on est assisté social.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous avez un peu raison dans
l'énoncé où vous dites que le programme de
sécurité du revenu tient compte des autres programmes
gouvernementaux parce qu'il s'agit là d'un programme de dernier recours.
Je veux vous ramener sur la question, parce qu'il faut, à un moment
donné, prendre des décisions, et pour plusieurs organismes, au
moins la moitié, ce n'est pas la première présentation.
Peut-être qu'on a eu le temps d'aller un peu plus à fond. Je vais
lire une petite citation de la page 236 du livre blanc sur la fiscalité
des particuliers. On y retrouve la citation suivante: "Les jeunes de 18
à 20 ans. La politique actuelle concernant les jeunes d'âge
scolaire incite peu aux études, particulièrement les jeunes qui
sont considérés à la charge de leurs parents aux fins du
régime de prêts et bourses. À titre d'exemple, un
élève de 18 ans aux études collégiales, demeurant
chez ses parents et dont le père gagne un salaire égal au salaire
industriel moyen, recevra annuellement un prêt de 1075 $, en vertu du
régime de prêts et bourses, alors que, s'il décide de
décrocher, il recevra annuellement 1758 $ du programme d'aide sociale.
Dans le premier cas, il devra rembourser le prêt obtenu, alors que dans
le deuxième il n'aura rien à rembourser. On pourrait citer
d'autres exemples où le jeune aura le choix entre une aide
financière pour ses études, aucune bourse et aucun prêt si
ses parents sont plus fortunés, et un montant de 1758 $ s'il est
bénéficiaire de l'aide sociale. À la limite, si ses
parents sont bénéficiaires de l'aide sociale, il recevrait 1250 $
en bourse et 1195 $ en prêt s'il est au cégep contre 1758 $ s'il
est bénéficiaire de l'aide sociale." Je termine là la
citation. Ces chiffres-là sont des chiffres de 1984, mais ils ne
tenaient pas compte de la parité, c'est-à-dire de la hausse du
montant pour le jeune. Est-ce que vous croyez que, en augmentant la prestation
du jeune, on n'augmente pas d'autant, sur le plan financier, cet incitatif dont
parlait M. Parizeau en 1984?
Mme Collin: Ce qu'on pourrait vous répondre aussi, c'est
qu'il nous semble en fait que si un jeune préfère être
assisté social plutôt que de faire des études, à ce
moment-là, il y a un problème qui est encore plus fondamental qui
est le problème de l'incitation pour des études, qui renvoie
aussi au problème de l'emploi par la suite, de la disponibilité
par l'emploi. Cela touche évidemment des questions plus larges que celle
de la sécurité du revenu seulement. Il nous semble, en tout cas
d'un façon générale, pour les jeunes ou d'ailleurs pour
l'ensemble de la réforme dont il est question, qu'on devrait plus
s'orienter vers des mesures incitatives et que les mesures de type coercitif,
finalement, comme celle de couper les revenus à des gens, ne devraient
être envisagées vraiment qu'en dernier recours. Autrement dit, il
me semble un peu artificiel de faire cette comparaison du revenu d'un jeune
assisté social avec le revenu d'un jeune qui est aux études,
parce que, du fait qu'on est aux études, on va avoir un avenir, cela est
une mesure temporaire. Plus on est scolarisé... Même s'il y a
aujourd'hui beaucoup de difficultés à trouver un emploi pour les
gens qui ont des diplômes universitaires, il reste quand même que,
avec un peu de patience, ils vont avoir une situation professionnelle et
financière qui va être acceptable disons. Ce qui n'est pas le cas
pour quelqu'un qui va rester bénéficiaire de l'aide sociale et
qui, à long terme, n'aura rien, n'aura pas de formation et donc aura
encore plus de difficultés à accéder à un emploi
décent, à un emploi rémunérateur. Donc, je pense
qu'il faut peut-être resituer cela dans cette perspective-là.
De même, dans votre document, il y a quelque chose qui nous est
apparu un peu inquiétant. Quand on parle de la dépendance des
jeunes, il y a une certaine catégorie de jeunes qui n'a pas à
subir ces critères, si j'ai bien compris. On pense, en particulier, aux
jeunes mariés, aux jeunes parents, aux jeunes qui ont travaillé
deux ans. On pense aussi aux jeunes qui ont un diplôme universitaire. Si
j'ai bien compris ce que cela veut dire, c'est que, si l'on considère
deux jeunes qui sont dans des familles à revenus à peu
près identiques, celui qui a un diplôme universitaire serait
immédiatement admissible à l'aide sociale, dans le cas où
il n'a pas d'emploi, et ce ne serait pas le cas de celui qui...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce qu'il faut comprendre, c'est
que les critères d'indépendance sont les mêmes que ceux du
système de prêts et bourses aux étudiants. Moi, ce que je
comprends de votre intervention, c'est que vous nous indiquez que la
comparaison que l'on fait, dans la réalité, ne tient pas; que la
comparaison qui a été faite en 1984 par M. Parizeau était
artificielle; et que le fait qu'on l'amène maintenant dans la politique
de sécurité du revenu...
Le Président (M. Bélanger): En conclusion, s'il
vous plaît.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ... c'est qu'on continue dans
quelque chose qui, finalement, n'a pas de base, qui n'a pas de fondement. (17
heures)
Mme Collin: On comprend cela, c'est sûr. On ne peut pas
aller jusque-là, on le comprend
tout à fait. Mais il nous semble qu'on pourrait resituer cela
dans une perspective plus incitative. Autrement dit, faire des études
n'est pas quelque chose d'uniquement contraignant. C'est sûr qu'il peut y
avoir un certain nombre de contraintes, mais il y a quand même, au bout
de ces études, une amélioration notable de la situation que
n'aura pas un jeune qui restera assisté social pendant toute cette
période. D'ailleurs, on connaît la difficulté du retour aux
études après la période normale d'études, disons.
Il s'agit plutôt de tenir compte de cette perspective; c'est ce qu'on
voulait soulever.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Il me fait
également plaisir d'accueillir le regroupement. C'est un regroupement
qui a été connu pour son engagement, son implication publique du
côté des jeunes assistés sociaux au moment où un
autre gouvernement présidait les destinées de l'Assemblée.
Je crois que la fermeté de vos propos, à l'époque, engage
à beaucoup d'écoute de la part du gouvernement, puisque les
positions que vous exprimez sont le fruit de l'expérience que vous avez
sur le terrain.
J'aimerais beaucoup poursuivre cet échange qui est entrepris
parce que je pense qu'il révèle bien le genre de cul-de-sac,
d'échelles et de serpents illustrés par M. René
Pagé. Donc, il y aurait un problème d'harmonisation. Pour qui?
Beaucoup de groupes d'assistés sociaux représentés par des
femmes chefs de famille assistées sociales vous ont
précédés là où vous êtes assis et nous
ont dit et ont dit au ministre: Écoutez, M. le ministre, le
problème pour nous, c'est que nos enfants n'ont pas les moyens d'aller
au cégep; alors, le problème de la contribution parentale, c'est
à l'envers qu'il faudrait qu'on le pose parce que notre problème,
c'est que, pour des familles à faible revenu, les prêts et
bourses, ce n'est pas suffisant pour nos enfants. Hier encore, une dame qui
représentait l'OPDS a expliqué qu'après deux sessions son
jeune avait dû quitter parce qu'il n'était pas capable d'arriver
et H a fallu qu'il recommence à travailler. Donc, un premier
problème, celui qui doit aussi alerter la conscience du ministre, il
s'agit du problème des jeunes dont les familles sont sur l'aide sociale
et qui n'ont pas les moyens d'aller au cégep.
Deuxième niveau de problème, celui de la contribution
parentale qui est nécessairement "chargée" - si vous me permettez
une mauvaise expression - à tout le monde, en sachant que la
contribution parentale, dans les prêts et bourses, n'est pas
versée dans 85 % des cas. Ce qui ne l'est pas dans les prêts et
bourses devient la norme pour l'aide sociale. Le problème se pose pour
qui, finalement, dans l'exemple donné par le ministre? Il se pose pour
les enfants de familles à moyen ou à haut revenu qui pourraient
exprimer leur indépendance par rapport à leurs parents, dans la
maison, en allant chercher de l'aide sociale et en s'en fichant, si vous
voulez, d'une certaine façon; cela peut même être un geste
de provocation. Prenons cela comme étant une possibilité. Comme
le disait le Dr Collin, c'est là un jeune en difficulté, en
mésadaptation, qui a des problèmes de relations, peut-être
aussi de nombreux problèmes de drogue ou d'autres.
Si le ministre continuait sa lecture, il verrait que, parmi les
solutions... Entre autres, la solution n'est pas de le laisser
entièrement à la charge de la famille; ce n'est pas une solution
à laquelle je souscris. Je vais juste vous la citer parce que c'est une
solution qui coûte de l'argent. En quoi consiste-t-elle? Elle consiste
à introduire dans le rapport d'impôt une exemption pour enfant
adulte à charge. Vous voyez, il y a un coût au bout de cela. Cela
veut dire, entre autres, que, dans le rapport d'impôt, il n'y aurait pas
simplement une exemption pour enfant mineur; ce serait maintenant pour enfant -
il faut dire adulte - majeur à charge. Je ne sais pas à combien
c'était évalué. Il y avait certainement quelques millions
au bout. J'ai l'impression que la contribution parentale va être
écartée, compte tenu du tollé de protestations qui se sont
exprimées, non seulement devant la commission, mais durant le
congrès du parti qui est actuellement au gouvernement sur la
contribution parentale. Mais ce qui peut rester, c'est le test de revenus pour
les parents à revenu moyen ou élevé, parce que c'est comme
l'idée que c'est normal, si tu as de l'argent, que tu paies pour des
enfants adultes. Là-dessus, j'aimerais vous entendre parce que vous
parlez d'autonomie des personnes.
Alors, est-il possible - et c'est une autre grande question - de baser
un système de sécurité sur l'autonomie des individus, sans
pour autant faire une réforme fiscale majeure d'une certaine
façon? Comment concevez-vous cette question d'autonomie? J'ai bien
compris que Mme Lepage disait au ministre qu'il pouvait aussi s'agir de mesures
d'accompagnement qui accompagnaient la parité. Si j'ai bien compris,
cela pouvait être des mesures d'accompagnement qui pouvaient avoir un
caractère pressant auprès d'un jeune qui s'installerait sur
l'aide sociale disons a 18 ans.
Dans votre mémoire, vous dites, à la page 13: "II n'y a
jamais eu, au cours des ans, suffisamment de programmes pour tous les jeunes
assistés sociaux. De plus, ces programmes ayant une durée
limitée et n'assurant pas un emploi stable ramènent quasi
invariablement les jeunes à leur maigre prestation." Là, ils les
ramèneraient à une prestation un peu plus élevée.
Alors, est-ce que le problème concernant finalement toute cette question
n'est pas justement que le ministre sait ne pas être en mesure d'offrir
les mesures, sait ne pas être capable de les offrir en
donnant la parité aux moins de 30 ans, sait qu'à ce
moment-là ce qu'il va leur donner, c'est une allocation sans leur
offir pour autant une activité?
Concevez-vous, comme regroupement, qu'il puisse être souhaitable
qu'à un certain âge - je pense, entre autres, à 18 ou 20
ans - il soit utile d'engager des fonds de l'État en faveur de la
parité mais pour autant qu'il y a une activité ou une
participation d'un jeune à des activités, non pas que maintenant
cela dépende de l'offre que la parité soit inconditionnelle, mais
que le défaut de participation puisse faire diminuer la prestation?
M. Pagé (René): Cela a été la
position du regroupement en 1985 dans une lettre ouverte au journal.
C'était dans La Presse, je crois. Cela a toujours
été notre position. D'autant plus qu'il s'agit effectivement,
à l'âge de 18-20 ans, pour ceux qui vont s'orienter sur le
marché du travail, d'une période déterminante justement du
début d'autonomie, de tout le développement biopsy-chosocial de
l'individu, d'un citoyen. Par contre, et c'est pour cela qu'on faisait allusion
tout à l'heure à des mesures incitatives, si un jeune
décide de partir de chez lui et qu'il perd son emploi, est-ce qu'il va
devoir retourner chez lui, dans quelle condition et quelle sera la condition de
sa famille? C'est ce que l'on soulevait en page 16. C'était dans ce
contexte-là qu'il fallait le comprendre, pour éviter une
espèce d'effet de ping-pong, de non-appartenance, de non-encouragement
de l'autonomie, d'être dans une situation et de continuer d'y travailler,
de s'y développer et de s'impliquer dans des programmes.
Mme Harel: L'occasion est trop belle. Vous êtes directeur
général de la Corporation professionnelle des travailleurs
sociaux. Vous êtes criminologue, vous êtes médecin. Je suis
contente, d'ailleurs, de voir que vous représentez le Dr Augustin Roy.
C'est intéressant. Vous êtes au fait des rapports
névralgiques entre les humains. Qu'est-ce que vous préconiseriez
comme intervention, comme activité, comme projet, disons, pour des
jeunes de 18-20 ans qui, certains, auraient comme prespective de vie de
s'installer sur l'aide sociale?
M. Pagé (René): Ce n'est pas nécessairement
que les gens ont des perspectives de vie de s'installer sur l'aide sociale. Il
ne faut pas oublier qu'il existe des conditionnements sociaux, quand
même, et qu'il existe les histoires des familles. La pauvreté
conditionne à des choses. Un enfant qui n'a jamais vu un ordinateur de
sa vie et un enfant qui, parce qu'il est dans une maison
privilégiée... J'en connais qui, dès l'âge de six
ans, deviennent plus experts que leur père. Ils ont quand même un
certain conditionnement à la société de l'an 2000. Si on
parle de façon générale, on peut quand même affirmer
cela. C'est un exemple flagrant aujourd'hui, des enfants qui partent gagnants
à un certain niveau.
Ce qu'on peut dire des programmes incitatifs, on donne l'exemple dans
notre document, on parle des programmes SEMO qui bâtissent des programmes
spécialisés. J'ai été moi-même dans un
conseil d'administration d'un SEMO qui s'appelle l'Arrimage, pour des
ex-bénéficiaires psychiatriques de différents
hôpitaux de Montréal. J'ai travaillé avec ces
gens-là comme travailleur social. J'ai été à
même de voir des gens qui avaient des problèmes comme ceux qui
étaient assis, ici, à la table et de voir le type de travail qui
pouvait être fait. Sauf que l'État doit considérer le fait
qu'il y a des coûts qui sont présents, si on prend un agent de
travail qui va suivre ces gens, qui va leur faire faire un apprentissage - et
dans ce cas-là, c'était avec toute l'équipe
multidisciplinaire - un travail de réapprentissage, de retour et
d'intégration dans la société. C'est pour cela aussi qu'on
parlait de collaboration interministérielle. On s'est souvent
débattus entre des politiques d'un ministère et de l'autre, alors
qu'on a un bel objectif avec le bénéficiaire et qu'on crée
des espoirs et que, souvent, cela peut ne pas fonctionner parce que certaines
technicités empêchent ce développement.
On dit, oui, qu'il y ait des programmes spécialisés, il en
faut, mais pas nécessairement pour tous les jeunes. Ce ne sont pas tous
les jeunes qui ont ces besoins. Mais lorsque les besoins sont présents,
les jeunes adultes, les femmes qui décident de retourner sur le
marché du travail, les adultes qui n'ont jamais travaillé... Il y
a peut-être 100 000 personnes analphabètes au Québec.
Est-ce qu'il n'y a pas un conditionnement social, des problèmes a se
trouver un emploi si vous ne pouvez remplir une formule d'emploi? C'est pour ce
genre de problèmes que nous disons: Attaquons-nous à cela. Mais
attention de ne pas faire des mesures qui vont décourager les gens qui
sont déjà dans une situation sociale de très grande
difficulté, parce qu'ils n'ont pas fait les apprentissages. Qu'on leur
fasse faire les apprentissages et ils iront travailler, évidemment.
Mme Harel: Cela m'amène à vous poser la question
concernant les agents et l'incompatibilité - vous la décrivez
dans le mémoire - de rôle entre le rôle de contrôle et
le rôle de soutien. Je ne sais plus à quelle page, je pense que
c'est à la page 17 Vous dites: À la fois, ils auront de la
difficulté à administrer, à contrôler un budget de
prestation afin de limiter les dépenses gouvernementales et en
même temps développer une relation d'aide efficace auprès
d'une clientèle... Cela m'amène à reprendre la question,
pour les jeunes, particulièrement. Parlons des 18-20 ans, par exemple,
faudrait-il envisager qu'ils aient à s'inscrire à une ressource
qui serait, par exemple, le SEMO pour pouvoir bénéficier de la
pleine parité? Des jeunes sont venus ici nous
dire, notamment, que beaucoup de ceux qui ont 19-20 ans et qui sont
bénéficiaires de l'aide sociale ont des problèmes
physiques, des problèmes réels et qu'ils devraient pouvoir avoir
accès à des activités de conditionnement physique. Ils
devraient pouvoir avoir accès à plein de choses qui ne leur sont
pas accessibles. Et cette activité serait déjà un bon
départ. Je me demandais si on ne devrait pas, au moins, faire en sorte
qu'ils participent à des activités même physiques.
M. Bérard: Quand vous parlez de programmes SEMO, cela
s'adresse à des clientèles habituellement spécifiques, des
gens qui ont des problèmes de santé mentale, des problèmes
de délinquance, de handicap physique ou autres. Il y a quand même
des formules qui ont été développées durant la
crise économique où le ministère voyait d'un bon oeil,
à cette époque, ce qu'on appelait des clubs d'emploi. À ce
moment-là, un club d'emploi peut réunir une catégorie de
gens qui n'a pas nécessairement un problème spécifique,
mais on peut établir un réseau de solidarité entre les
jeunes qui ont entre 18 et 25 ans et qui se rencontrent et échangent
entre eux leurs expériences, à savoir comment untel s'y est pris
pour faire ses recherches d'emploi, comment untel s'y est pris pour
dénicher un emploi. À ce moment-là, le SEMO est une
formule qui est intéressante, mais il pourrait y avoir le soutien, de la
part du ministère, d'autres formules telles que les clubs de recherche
d'emploi. (17 h 15)
Au delà de cela, pour ce qui est des mesures
d'employabilité, je pense qu'il y a un message plus fondamental qu'on
passe, c'est-à-dire l'importance qu'on doit accorder à la
création de véritables emplois, d'abord. Parce qu'il y a des gens
qui, même s'ils ont des difficultés, même s'ils sont
illettrés, dans le centre de transition pour lequel je travaille, il y a
des gens qui ont une 5e, 6e ou 7e année et qui réussissent
malgré tout à se trouver des emplois. Ce ne sont peut-être
pas des emplois extraordinaires, mais il y a quand même un marché
de l'emploi à ouvrir et a développer. Il y a différentes
façons, à ce moment-là, qu'on propose, que ce soit par la
création de nouveaux emplois ou que ce soit par le maintien d'emplois.
Quand on parle, dans le document, de la question de fermeture d'entreprises,
vous êtes députée de Maisonneuve, vous savez combien il y a
d'entreprises dans votre coin qui ont fermé. Il y a aussi toute la
question du partage de l'emploi. Lorsqu'il y a eu la crise économique,
il y a eu à un moment donné un mouvement de solidarité qui
a été fait. Cela a commencé à la Pratt &
Whitney, où des travailleurs proposaient à de plus jeunes de
partager du temps de travail. Le gouvernement fédéral est
embarqué là-dedans soutenant, moyennant une contribution par
l'intermédiaire de l'assurance-chômage, ces initiatives. Ce sont
des formules qui nous paraissent intéressantes pour faire en sorte que
l'emploi, qui nous paraît être une richesse en soi, puisse
être, finalement, partagé aussi entre les citoyens.
C'étaient mes commentaires.
M. Pagé (René): Peut-être un dernier
commentaire concernant les jeunes adultes, les 18-20 ans. Eeffectivement, non
pas tout le temps, mais très souvent, ces jeunes peuvent avoir
différents types de problèmes et il faut aller les chercher,
faire ce qu'on appelle en anglais du "reach out". C'est important parce que
cela risque de conditionner, justement, ces années-là, une bonne
partie des autres années et là on peut penser que les gens
peuvent y rester plus longtemps. Il y a les mesures d'employabilité,
mais il y a aussi la façon dont on le fait. Comme professionnels, c'est
ce que nous disons. C'est très important. Il ne s'agit pas juste de
dire: Écoutez, on va vous couper. C'est un message, comme on le disait
tout à l'heure, qui coupe les énergies finalement et c'est
là-dessus qu'on réagit très fortement. Pour avoir
vécu avec des gens qui, eux, sont littéralement dans la
misère, savoir comment on recrée l'espoir chez un citoyen en
disant: Oui, tu vas être capable de refaire les choses c'est tout ce
travail avant même de penser que la personne puisse aller à
l'emploi. Qu'elle fasse cette démarche et, oui, on va assurer un
succès, à ce moment-là, de la politique du revenu.
Mme Harel: La démarche avec qui? Je pense que c'est la
question.
Le Président (M. Bélanger): II faudrait remercier
le groupe, madame.
Mme Harel: C'est fini. Bon. M. le Président me rappelle
qu'il faut que je vous remercie. Je vais le faire avec plaisir.
C'est intéressant et cela laisse en suspens la question: Faire
des démarches avec qui, de manière qu'elles soient les plus
enrichissantes possibles et qu'elles portent fruit, finalement? Vous rappelez,
certainement avec raison, que c'est certainement la perspective de pouvoir
occuper un emploi qui peut être la plus motivante pour permettre à
un individu de prendre un peu confiance en lui.
Je veux vous remercier comme regroupement. J'imagine un peu ce que cela
doit être de travailler avec plusieurs associations, de s'entendre sur un
texte, de l'amender et de le faire adopter par chacune des nos associations.
Tout cela me permet de vous dire que c'est une contribution importante et que,
dans l'avenir comme dans le passé, c'était porteur, d'une
certaine façon, d'espoir que des corporations se conjuguent ensemble
pour offrir des projets de société mieux articulés. Je
vous remercie.
Le Président (M. Bélanger): Merci M. le
ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je fais miens en partie les propos
de Mme la députée de Maisonneuve quant aux remerciements. Je les
adresse plus particulièrement à l'Association pour la
santé publique du Québec, à l'Association professionnelle
des criminologues du Québec, à la Corporation professionnelle des
travailleurs sociaux du Québec et mes re-remerciements à la
Corporation professionnelle des conseillers et conseillères
d'orientation du Québec, à la Corporation professionnelle des
diététistes du Québec ainsi qu'à la Corporation
professionnelle des médecins du Québec.
Le Président (M. Bélanger): La Commission des
affaires sociales vous remercie. Je ne referai pas la nomenclature une autre
fois...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Laissez-moi travailler, M. le
Président.
Le Président (M. Bélanger): J'invite à la
table des témoins le Syndicat des travailleurs et travailleuses du CLSC
La Source qui sera représenté par Mmes Ginette Careau et Martine
Allard.
À l'ordre, s'il vous plaît! Je demanderais à chacun
de bien vouloir reprendre sa place. J'invite les représentantes du
Syndicat des travailleuses et travailleurs du CLSC La Source à bien
vouloir prendre place à la table des témoins. S'il vous
plaît, je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place.
Je vous remercie.
Alors, je vous explique nos règles de procédure. Vous avez
20 minutes ferme pour présenter votre mémoire et, par la suite,
il y aura une période d'échanges avec les parlementaires. Je vous
prierais, chaque fois que vous prenez la parole, de bien vouloir vous nommer,
ceci pour les fins de transcription du Journal des débats. Je
vous prie de vous présenter, d'une part, et de présenter votre
mémoire. Merci.
Mme Allard (Martine): Martine Allard.
Le Président (M. Bélanger): Cela nous fait
plaisir.
Mme Careau (Ginette): Ginette Careau du CLSC La Source.
Syndicat des travailleuses et travailleurs du CLSC La
Source
Mme Allard: On voudrait, avant de commencer à
présenter notre mémoire, dire qu'on est venues ici avec, quand
même, une crainte. On se demandait quelle était la pertinence de
venir parler ici. La majorité des groupes qui sont venus se faire
entendre ici étaient contre la réforme et, malgré cela, on
a entendu dire que M. Paradis n'allait quand même pas la mettre sur les
tablettes. On se demandait, à un moment donné: Qu'est-ce que cela
nous donne de venir? On est à la fin de la commission et, malgré
tous les contre, ce n'est pas évident qu'il va en tenir compte. En tout
cas, je voulais seulement dire qu'on avait, quand même, des
appréhensions à venir. On y a pensé à deux fois et,
finalement, on a décidé de venir, quand même.
Le Président (M. Bélanger): C'est tout à
votre honneur. On vous en remercie.
Mme Allard: Mon Dieu, que c'est loin! On n'est pas bien...
Le Président (M. Bélanger): Non, vous pouvez parler
de loin.
Mme Allard: Oui?
Le Président (M. Bélanger): La réception est
excellente. Il n'y a pas de problème.
Mme Allard: Bon, d'accord. Notre mémoire était
assez large, mais c'était surtout pour montrer qu'on était en
désaccord avec la réforme dans son ensemble. Si on est venues
ici, c'est surtout pour parler du programme spécifique APTE, parce qu'on
y voyait beaucoup de désavantages, d'abord, à titre de
travailleuses d'un établissement de santé et de services sociaux.
Aussi, dans un deuxième temps, comme syndiquées, on y voyait
beaucoup de désavantages. C'est surtout sur ce programme-là qu'on
veut s'exprimer. Je vais présenter comme travailleuse d'un CLSC, nos
appréhensions et Mme Careau va parler comme syndiquée.
On pense qu'avec la diminution des prestations de base, avec la coupure
pour partage du logement, la contribution alimentaire parentale, le principe de
la responsabilité solidaire des conjoints, l'augmentation du taux de
remboursement de l'aide versée en trop, etc., on pense que cela aura
comme conséquence, entre autres, un plus grand appauvrissement, une
détérioration des conditions de vie, une augmentation des
problèmes sociaux reliés au stress, à la peur, à la
honte et à la culpabilité. Tout cela veut dire que cela va
créer des problèmes, comme une hausse de la criminalité,
de la délinquance, la surmédicalisation, la dépression,
etc.
Au CLSC comme tel, il y en a plusieurs qui nous consultent
présentement parce qu'ils sont incapables d'arriver avec leur maigre
revenu. Imaginez avec la réforme, si on baisse leurs prestations de
base. Nous aussi, on pense que c'est un peu fou de penser que tout le monde va
pouvoir aller se chercher 155 $ comme exemption de gain de travail. Comme si,
de toute façon, avant de tomber sur l'aide sociale, ils n'avaient pas
déjà cherché une "job". On pense que c'est fou de penser
qu'Hs vont pouvoir aller se chercher cela. Pour les gens qui vont participer
à des mesures de développement d'employabilité, qui vont
être à temps plein, on pense aussi que
c'est fou de penser qu'ils vont aller chercher 80 $ en plus d'être
à temps plein. Voilà là-dessus.
On se demandait aussi, dans le document, pourquoi, après avoir
donné beaucoup de causes sociales au manque d'emploi - c'est en pages 10
et 11 du document, de la politique - pourquoi après avoir donné
des causes extérieures à l'individu, dans le fond, des causes
sociales au manque d'emploi, pourquoi, dans la recherche de solutions,
c'était seulement basé sur la responsabilité individuelle,
entre autres, les mesures de développement d'employabilité. Cela
repose vraiment sur la responsabilité individuelle. Il y avait comme un
bout qui nous manquait entre les deux. On expliquait des causes qui
étaient sociales, donc, hors de l'individu, et on a amené des
solutions presque uniquement individuelles. On trouvait que cela clochait
quelque part et on n'était pas d'accord. On ne parlait pas non plus
d'après les mesures. Qu'est-ce que cela va donner à la fin,
après les mesures? Est-ce qu'il y aura plus d'emplois? On ne parle pas
vraiment d'une politique de création d'emplois et cela nous
inquiétait beaucoup. C'était plus, dans un premier temps, comme
travailleuse dans un CLSC.
Maintenant, Ginette va nous présenter comme syndiquée...
C'est que nous avons beaucoup d'interrogations et toutes les raisons de croire
que cette politique est très dangereuse pour nos acquis et qu'elle ne
sera nullement génératrice d'emplois. Elle va vous montrer un
petit peu plus ce que sont nos interrogations et sur quoi on se base pour les
énoncer.
Mme Careau: Bonjour, je suis Ginette Careau, je suis
présidente du Syndicat des travailleurs et travailleuses du CLSC La
Source. Ce qui nous préoccupe le plus en tant que syndiqués,
c'est que nous ne croyons pas que ces mesures vont aider les gens a quitter
l'aide sociale, car elles ne semblent pas être accompagnées d'une
véritable création d'emplois. Nous croyons qu'avec ces mesures,
les assistés sociaux se retrouveraient avec des emplois
sous-payés et deviendraient malgré eux des voleurs de jobs. Nous
craignons aussi que les employeurs profitent de tels programmes pour engager de
la main-d'oeuvre à bon marché et peut-être, par la force
des choses, congédier certains employés occupant des postes non
spécialisés, ou encore ne pas créer de nouveaux postes.
Par la même occasion, on porte ainsi atteinte à la syndicalisation
des travailleurs et aux normes du travail, ce qui est une perte pour les
travailleurs et travailleuses du Québec.
Je vous mentionne ainsi nos craintes que nous croyons fondées,
car déjà chez-nous, au CLSC, le programme Travaux communautaires
est implanté depuis janvier 1988, avec une capacité de quinze
participants. Fait à noter cependant, seize auxiliaires familiales ont
été mises à pied en décembre 1987 et, lorsque nous
prenons connaissance de la formation qui sera donnée aux quinze
participantes aux travaux communautaires, c'est-à-dire l'entretien
ménager, des cours de cuisine, des cours de premier soins,
habituellement ce sont les cours, ce sont les tâches qui sont
dévolues aux auxiliaires familiales. Celles qui ont été
congédiées ne seront probablement pas réengagées.
Iront-elles sur l'aide sociale et ainsi reviendront-elles via les travaux
communautaires?
Ce sont les craintes qu'on exprime et on se demande vraiment si cela va
créer de nouveaux emplois. On se demandait aussi si les gens qui vont
embarquer dans des programmes comme les travaux communautaires, en fin de
compte, cela ne leur donnera pas plus un emploi si on regarde... En tout cas,
il semblerait, on ne peut pas le prouver, mais cela semble dire que les
employeurs vont peut-être se servir de cela, les travaux communautaires,
pour engager des gens à bon marché et faire faire des travaux
qui, normalement, sont dévolus à des gens qui sont des
travailleurs réguliers et syndiqués. Merci.
Mme Allard: Et aussi, on voulait dire, en résumé,
que pour toutes ces raisons on vous demande de ne pas mettre en application
cette réforme et de bien vouloir ainsi respecter la position
exprimée par la majorité des groupes venus se faire entendre ici.
Ce n'est pas bien long, n'est-ce pas?
Le Président (M. Bélanger): Bien, c'est partait. M.
le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, je vous remercie de votre
présentation. C'est intéressant d'entendre, au cours de la
même journée, une présidente de syndicat et une
travailleuse communautaire dans un CLSC, au même moment où on a
entendu, en tout début de journée, la Fédération
des CLSC du Québec, qui est venue également nous donner son point
de vue en commission parlementaire.
Je peux peut-être commencer de la même façon que j'ai
commencé ce matin avec la Fédération des CLSC du
Québec, en tentant de vous tracer globalement, et vous devez le
posséder individuellement, le portrait du dossier pour l'ensemble de la
province, tel qu'il était en mars 1987. Les caractéristiques sont
demeurées à peu près les mêmes, sauf que la
clientèle a diminué depuis ce temps-là.
À l'aide sociale, en mars I987, vous aviez 400 000 chefs de
ménage dont le seul revenu était le chèque d'aide sociale
chaque mois. Parmi ces 400 000 chefs de ménage, il y avait à peu
près 25 % de la clientèle, soit quelque 100 000, qui seraient
admissibles au programme Soutien financier, dont vous avez pris connaissance
dans le document "Pour une politique de sécurité du revenu". Les
quelque 300 000 autres seraient admissibles au programme dit APTE, parce qu'on
considérerait ces personnes-là comme étant aptes au
travail. Aptes au travail, oui, mais avec
quelles barrières à surmonter avant de pouvoir y avoir
accès, à ce marché du travail? On sait que 36 % de cette
clientèle-là, dite apte au travail, est considérée
comme étant une clientèle analphabète fonctionnelle. Cela
ne t'aide pas beaucoup à te trouver un emploi quand tu n'es même
pas capable de lire ou de prendre connaissance d'une offre d'emploi qui est
écrite. 60 % de cette clientèle-là n'a pas terminé
son cours secondaire, et on sait aujourd'hui combien d'institutions,
d'organismes, de compagnies exigent de détenir un diplôme
d'études secondaires pour avoir la possibilité de postuler un
emploi dans l'entreprise. Et 40 % de la clientèle n'a aucune
expérience antérieure de travail reconnue comme telle. (17 h
30)
Cela fait une série de barrières importantes, pour
l'individu qui veut travailler, qu'il doit surmonter avant d'avoir une
possibilité d'obtenir un emploi. Le gouvernement peut faire, comme il
fait actuellement, comme il a fait depuis plusieurs années, soit poster
un chèque mensuel à ces gens-là, en tentant de se
libérer la conscience et en disant: "Bon, bien j'ai fait tout ce que
j'avais à faire. Ou le gouvernement peut tenter de marier - vous avez
raison de le souligner - une politique de plein emploi avec une politique
d'employabilité aussi.
Sur le plan du plein emploi - je ne veux pas vous empiffrer de
statistiques - je vais vous donner strictement ce qu'a apporté au
Québec, au cours des douze derniers mois, la stabilité politique
des mesures fiscales incitatives à l'investissement des contributions ou
des appuis à des initiatives, tels que le Fonds de solidarité des
travailleurs du Québec. Toutes les décisions gouvernementales
analysées en fonction de leur répercussion sur la création
d'emploi ont donné l'an passé au Québec une
création nette - on a soustrait les emplois perdus, on a
additionné les emplois gagnés - de quelque 104 000 emplois de
plus.
Le taux de chômage a diminué, pendant cette
période-là, de 2 %; il est passé de 11 % à 9 %.
C'est encore beaucoup trop haut, mais c'est quand même dans le sens d'une
politique de plein emploi. Le danger qui nous guette, c'est d'abandonner, en
marge de cette croissance économique, de ce développement de la
richesse, toutes ces gens, toutes ces personnes qui sont à l'aide
sociale, de les mettre complètement de côté, sans leur
donner une possibilité ou leur offrir, en tout cas, une
possibilité d'améliorer l'employabilité. Et c'est ce que
le programme APTE vise.
Vous manifestez des craintes et ces craintes ont été
reprises par certains groupes; entre autres, j'ai retenu, moi, une des craintes
que vous manifestiez, celle du "cheap labor", si je peux utiliser l'expression.
Est-ce que - parce que certains des programmes dont on parle ont quand
même été expérimentés chez les jeunes de
moins de 30 ans, depuis 1984 - est-ce que vous avez eu connaissance de cas
où il y a eu exploitation par l'employeur, des cas de "cheap labor", et
dans quelle circonstance cela s'est-il fait? Vous êtes libre de
répondre, une ou l'autre, moi, je...
Mme Careau: Non, je veux dire... Vous dites: Avez-vous eu
connaissance de "cheap labor" qui peut s'être produit? Je vais vous
donner juste l'exemple de ce qui se passe chez nous, dans le moment. On ne peut
pas affirmer que les employeurs profitent de ces programmes-là pour
faire travailler les gens à plus faible revenu, ils vont prendre toutes
sortes de moyens très détournés. Je regarde chez nous, on
a seize auxiliaires familiales qui ont été mises à pied en
décembre et le programmme Travaux communautaires rentre en janvier et il
y a une possibilité de quinze participants. C'est évident qu'on
ne peut pas affirmer qu'ils font faire exactement, à l'heure actuelle,
le même travail qu'ils feraient faire à une auxiliaire familiale,
mais cela se corrige très facilement parce qu'à ce
moment-là on change les critères d'admissibilité pour
obtenir des services du CLSC. En changeant les critères
d'admissibilité, les gens qui demandent des services ne sont plus
admissibles, alors, on les réfère aux travaux communautaires,
mais cela devient - je prends chez nous pour le CLSC - une façon pour le
CLSC de dire: Bon, on donne beaucoup de services à la population, on
donne la même chose, les mêmes services, mais ils ne sont pas
donnés par les mêmes gens. Ils sont quand même donnés
par des gens dont je trouve dommage qu'ils soient moins bien payés; ils
n'ont pas d'assurance que, en bout de ligne... Je ne sais pas combien de temps
le programme Travaux communautaires peut durer, je ne sais pas s'il y a une
limite de temps...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui.
Mme Careau: ...qui va être déterminée. Bon,
je ne suis pas au courant s'il y a une limite de temps
déterminée...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): II y a beaucoup de gens qui s'y
opposent, mais la limite de temps habituellement maximale est de 52 semaines.
Mais les revendications sont dans le sens de l'étirer dans le temps.
À moins que vous n'en ayez en sens contraire?
Mme Careau: C'est parce que je regarde ces gens-là, au
bout de 52 semaines, pendant, qu'ils ont travaillé aux travaux
communautaires... D'accord, ils ont pris une expérience de travail, mais
je ne pense pas que cela les ferait se faire embaucher ailleurs. Je prends
juste l'exemple de chez nous, on semble se servir de cela pour faire des mises
à pied, mais on fait faire le même travail par d'autres; moi, j'ai
peur que cela arrive.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous avez peut-être une
crainte qui est juste. Je tiendrais
à vous dire qu'on a eu des témoignages devant la
commission - je ne me rappelle pas le nom des groupes comme tel - en ce sens
que les gens qui ont participé dans des travaux communautaires du type
de ceux que vous mentionnez ont, par la suite, trouvé des emplois
permanents.
Mais je veux surtout rapprocher l'exemple que vous nous donnez de
l'exemple que nous donnait ce matin la Fédération des CLSC du
Québec. La Fédération des CLSC disait, ce matin: Le
travail d'auxiliaire familiale, à cause de l'alourdissement des
clientèles, a évolué, en tout cas, dans le plan des soins
ou services à domicile. De soins ou services d'ordre matériel, on
est passé, à cause de l'alourdissement de la clientèle,
à des soins ou des services beaucoup plus personnels, qui s'adressent
à la personne. Et ce qu'eux nous disaient dans les expériences
qu'ils nous racontaient, c'est que l'auxiliaire familiale, elle, voit son
rôle évoluer vers des soins beaucoup plus personnels tandis que le
travailleur ou la travailleuse communautaire qui l'accompagne s'occupe des
travaux plus domestiques. Je pense que je rends assez bien ce que la
Fédération des CLSC nous disait ce matin. Comment
réagissez-vous face à cette évolution?
Mme Allard: Sauf que moi je pense qu'avant le travail qui
était moins personnalisé, comme vous dites, était quand
même fait par des auxiliaires familiales qui, elles, étaient
payées, je ne sais pas, 10 $ l'heure ou je ne sais trop. En tout cas, il
y avait quand même un revenu décent. Présentement, avec les
travaux communautaires, c'est facile de dire: On va prendre les auxiliaires
familiales pour faire un travail plus personnalisé et les autres, ce
sera par les travaux communautaires, par des jeunes bénéficiaires
de l'aide sociale. Sauf que je pense qu'il ne faut pas avoir, en tout cas, il
ne faut pas calculer bien longtemps pour comprendre que c'est beaucoup plus
intéressant pour des employeurs de resserrer les critères - comme
le disait tantôt Ginette - et de prétexter que cela va être
un travail moins personnalisé qui va être fait par ces
jeunes-là et de les payer beaucoup moins cher. Cela leur revient pas mal
moins cher que de payer une auxiliaire familiale à 10 $ l'heure, plus ou
moins.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que je dois comprendre de
votre intervention que vos craintes vous amènent à conclure qu'il
ne devrait pas y avoir de travaux communautaires dans des domaines
d'activité comme ceux où vous oeuvrez?
Mme Allard: Je pense que notre crainte est que cela enlève
des jobs à des gens. On n'est pas contre les mesures de
développement de l'employabilité comme telles, tant que cela
s'accompagne d'une création d'emplois et aussi tant que cela
n'enlève pas des jobs à des gens qui en ont déjà
une, qui vont se retrouver avec un congédiement. Mais, si le fait qu'il
y ait ces programmes-là dans des institutions comme un CLSC
empêche la création d'emplois, empêche la création de
nouveaux postes.. Comme les auxiliaires familiales, on en avait vingt et
quelques. On est rendu avec... On a été coupé de seize Je
trouve que...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est un exemple
intéressant que vous amenez, mais chez vous, les travailleurs et
travailleuses, les employés sont représentés au conseil
d'administration du CLSC. Vous participez donc, je présume - vous me
corrigerez si ce n'est pas correct, ce que je dis - vous participez donc aux
décisions sur le plan de l'embauche et sur le plan de la participation
au niveau du conseil d'administration, parce que la fédération
disait ce matin qu'il y a à peu près 50 % des CLSC qui
participaient aux travaux communautaires et 50 % qui n'y participaient pas.
Mme Careau: Non. Vous avez raison quand vous dites que, au niveau
du conseil d'administration, les employés sont
représentés. Sauf que je vais vous dire tout de suite les
réponses qu'on a, que ce soit par le conseil d'administration ou par la
direction générale, c'est toujours: coupures budgétaires,
coupures budgétaires. Parce qu'H ne faut pas se leurrer, les CLSC sont
en déficit à peu près partout. Je pense que cela tombe
peut-être dans un autre domaine, du fait qu'Us sont en déficit,
ils sont obligés de faire des compressions, alors, ils coupent des
postes. Cela, c'est certain. Ce n'est pas plus admissible, mais c'est ce qui se
fait à l'heure actuelle parce qu'ils ont des déficits. Tout
à l'heure vous parliez du changement de travail qui se fait pour ce qui
est des tâches dévolues à une auxiliaire familiale, c'est
vrai. Je veux dire que les auxiliaires familiales ont maintenant beaucoup plus
un côté communautaire, social, elles vont travailler beaucoup plus
personnellement avec le bénéficiaire. Vous dites: Si elles
peuvent être accompagnées de quelqu'un des travaux communautaires.
Si c'était cela, je vous dirais: d'accord. Mais ce n'est pas cela. Ils
ne sont pas accompagnés. Les auxiliaires familiales sont enlevées
et beaucoup de services sont donnés aux travaux communautaires. Je ne
sais pas si vous...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, non, cela va. Ce que je
tentais de faire, c'était de mettre votre témoignage en
parallèle avec celui que nous avons reçu ce matin. Je vois qu'il
y a des distorsions. Ce n'est pas partout pareil dans l'application.
Mme Careau: Non. Cela peut ne pas être partout pareil.
Comme je vous dis, c'est très facile pour les CLSC de dire: Non, on
n'embarque pas dans cela, ce n'est pas vrai, les travaux communautaires
n'enlèvent pas de travail aux employés réguliers. C'est
sûr, ils peuvent même le prouver sur papier. Sauf que nous, on se
pose
la question, parce que c'est facile de prouver une chose sur papier,
mais en réalité ce qui se passe c'est cela. Moi, je vous dis
qu'on a eu seize... On en a quinze qui vont rentrer. En changeant les
critères d'admissibilité pour les bénéficiaires,
pour les services du CLSC, la direction du CLSC nous dit: Bien, ce n'est pas
vrai, cela ne vole pas des jobs aux gens qui sont chez nous, ils n'ont pas
droit aux services du CLSC. Mais ils changent les critères.
Mme Allard: Et ils les changent aux deux mois à peu
près.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Sur la durée des travaux
communautaires, à supposer que cela fonctionnerait aussi bien que la
fédération nous l'a dit ce matin avec l'exemple de l'auxiliaire
familiale et de la personne qui est en stage. Vous avez traité de la
question de la durée et peut-être, contrairement à la
majorité des autres groupes que nous avons entendus jusqu'au moment
où l'on se parle, vous sembliez indiquer - dites-le-moi si je me trompe
- que vous souhaiteriez que ce ne soit pas aussi long, les travaux
communautaires, alors que la majorité des représentations qu'on a
eues c'était de les étirer dans le temps.
Mme Careau: Ce n'est pas une question de durée, c'est
surtout la façon dont c'est appliqué. Si c'était vraiment
dans le sens où vous le dites, s'ils sont avec les travaux
communautaires pour accompagner...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): La durée, c'est
accessoire.
Mme Careau: ...les auxiliaires familiales, et que je vous dis:
Mettez cela pendant dix ans, je n'ai rien contre. Ha, ha, ha! Sauf que, pour
nous, ce n'est pas le cas.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord. En vertu de la
règle de l'alternance, Mme la députée de Maisonneuve.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. C'est fort
intéressant. Je suis en train de discuter avec mon recherchiste sur les
aspects que vous nous soulevez. Je suis contente de vous recevoir, Mme Allard
et Mme Careau. Mme Careau, vous êtes la présidente du syndicat.
Est-ce que vous êtes travailleuse sociale?
Mme Careau: Non, je suis secrétaire.
Mme Harel: Vous êtes secrétaire. Cela regroupe
l'ensemble des employés du CLSC?
Mme Careau: Oui, sauf les infirmières. Ce sont tous les
employés du CLSC sauf les infirmières. Cela comprend les
travailleurs sociaux, les travailleurs communautaires, les auxiliaires
familiales et tous les employés de bureau.
Mme Harel: Et vous, Mme Allard, vous êtes membre du
syndicat, également?
Mme Allard: Oui.
Mme Harel: Vous êtes organisatrice communautaire.
Mme Allard: Remplaçante.
Mme Harel: Remplaçante.
Mme Allard: C'est cela.
Mme Harel: Pour un congé de maternité.
Mme Allard: Non, une année sabbatique.
Mme Harel: Ah bon! C'est vraiment intéressant que vous
soyez venues, particulièrement aujourd'hui, au moment où, comme
le soulignait justement le ministre, on a examiné cette question du
développement d'emplois communautaires avec les représentants de
la Fédération des CLSC. D'abord, permettez-moi juste une remarque
sur la question de l'emploi. Le ministre a fait référence a la
création record d'emplois. Pour le ministre, l'emploi, cela va bien. Par
exemple, il reste seulement un petit taux de chômage de 10 %. À
part cela, cela va très très bien. Mais, même avec cela, il
trouve que cela va bien. Qu'est-ce que ce serait si cela allait mal?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...1981, 1982, 1983...
Mme Harel: Cela peut toujours aller, mais, en plus, le ministre
pense que cette situation est là pour durer et même
s'améliorer. Pourtant, il sait que les indicateurs économiques
démontrent que les ralentissements sont maintenant inévitables
dans les économies des pays industrialisés; c'est un cycle. Il y
avait d'ailleurs un tableau saisissant - je pense que c'est hier ou en fin de
semaine - sur le krach boursier.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): La comparaison avec 1929?
Mme Harel: Ce tableau fait peur. C'est justement une comparaison
entre 1929 et 1987, le krach qui a eu lieu dernièrement. D'autres
décisions prises ailleurs peuvent avoir beaucoup d'effet sur l'emploi,
par exemple, le taux de change. Si notre dollar augmente trop, cela veut dire
qu'on va moins exporter et il y aura des conséquences sur l'emploi. Ces
conséquences, à 1 %, c'est un gros paquet de gens. Même
actuellement, en 1988, cela va bien et il y a 17 % de
chômage en Gaspésie, 15 % dans le Bas-Saint-Laurent, 13 %
au Saguenay-Lac-Saint-Jean, 13 % sur la Côte-Nord, 15 % dans les
Laurentides et 10 % dans l'Estrie. Il y a des régions pour lesquelles
cela ne va pas du tout. C'est embarrassant. Il faut vous dire que le ministre
s'est fait parler beaucoup aujourd'hui parce la FTQ est venue lui dire que,
s'il pense que l'entreprise va, à elle seule, prendre l'initiative de
créer les emplois qu'il nous manque... Il s'est fait rappeler par la FTQ
qu'il était, disons - on en a parlé - dans les patates.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Dans les pommes.
Mme Harel: Ha, ha! Dans les pommes. Mais parlons de
développement d'emplois communautaires. Les seize auxiliaires familiales
mises à pied en décembre étaient-elles engagées de
façon permanente, est-ce que c'étaient des employées
régulières?
Mme Careau: Non. C'étaient des emplois temporaires qui
avaient été créés en avril dernier.
C'étaient des surnuméraires qui avaient été
engagées, sauf que je veux juste vous mentionner que chez nous le CLSC
est ouvert depuis maintenant six ans. Il y a 50 % des employés qui sont
surnuméraires et qui travaillent là depuis trois ou quatre ans et
qui sont toujours considérés comme ayant des emplois
précaires. Ce sont tous des surnuméraires, mais à temps
régulier depuis deux, trois ou quatre ans. Alors, pour vous donner une
idée, quand on entre comme surnuméraire, on se dit: Je suis
là pour un petit bout de temps. Tout le monde est comme cela. Il y a 50
% des employés chez nous qui sont considérés comme
surnuméraires et qui sont là depuis deux, trois, quatre ans.
Mme Harel: Mais c'est une gestion... Est-ce à cause de la
gestion locale?
Mme Careau: II y a peut-être des problèmes dans la
gestion locale. Je ne vous dirai pas non, sauf que ce n'est peut-être pas
la place... (17 h 45)
Mme Harel: Non, d'accord. Disons que j'aimerais beaucoup examiner
la question. C'est vraiment important, d'une certaine façon. Que serait
le développement d'emplois communautaires? La fédération
ce matin prenait quand même le soin de les distinguer des travaux
communautaires. Quand la fédération parlait de
développement de programmes d'emplois communautaires, ce qu'elle voulait
c'est ce que M. Asselin de Matane je pense, qui était d'un CLSC disait:
II ne faut pas que ce soit temporaire, il ne faut pas que cela ait un
caractère simplement de 20 semaines. Il faut que cela puisse sortir de
l'étiquette d'assisté et que cela donne un vrai emploi. Il ne
parlait pas simplement en matière d'un service de maintien à
domicile, il en parlait en matière de protection civile, de protection
publique, d'environnement. Il appelait cela des travaux d'utilité
collective.
Mais reprenons la question des travaux communautaires. Par rapport
à ce que vous vivez, est-ce que la question ne serait pas qu'il y ait
des règles du jeu qui soient beaucoup plus claires qu'elles ne le sont
présentement? Les grands réseaux, par exemple, la santé,
les affaires sociales, l'éducation, ce sont des réseaux qui
existent dans tout le Québec et qui pourraient être mis à
contribution pour que des personnes puissent être valorisées en
étant socialement utiles à la société en partageant
des tâches qui seraient utiles. Moi, j'ai toujours rêvé que,
dans le réseau de l'éducation, après les heures de
classes, il y ait des groupes de leçons et de devoirs qui puissent
être offerts à tous les jeunes qui sont en difficulté
d'apprentissage, parce que maintenant toutes les études le
démontrent, les décrocheurs de secondaire III sont
décrocheurs en troisième année. C'est là que cela
commence et c'est là même qu'ils sont identifiés. Alors,
pourquoi attendre qu'ils décrochent en secondaire III, pourquoi pas leur
offrir tout de suite des travaux communautaires? Pourquoi ne pas faire une
distinction très nette? L'auxiliaire familiale, c'est toute la question
du soin des personnes. On ne peut pas jouer avec cela et personne ne peut
s'improviser auxiliaire familiale, mais les travaux communautaires pourraient
être des travaux ménagers, des grands ménages. On pourrait
faire des distinctions qui soient complémentaires où les uns ne
remplacent pas les autres, mais collaborent avec les autres. Dans ce
contexte-là, pour vous, est-ce que cela pourrait être une
perspective intéressante?
Mme Careau: Comme vous en parlez, comme vous le dites, si cela
pouvait être complémentaire c'est sûr que, s'ils font faire
beaucoup plus de travaux de soins... Il faut s'entendre, parce qu'il ne faut
quand même pas aller trop loin, parce qu'il y a des infirmières,
il faut faire attention. Ou, à un niveau un peu plus social concernant
les auxiliaires familiales et les travaux communautaires... Dans le fond, on
n'est pas contre les travaux communautaires s'ils s'en tiennent à une
partie très stricte: les grands ménages, du transport de gens qui
ne sont pas capables de se déplacer. Ce ne sont pas les besoins qui
manquent. Dans le territoire de l'agglomération de Charlesbourg - nous,
c'est le territoire de Charlesbourg - les besoins sont très forts dans
toutes sortes de choses, surtout en ce qui concerne les personnes
âgées. Nous en avons beaucoup sur le territoire, c'est sûr
que cela serait bien si c'était cela. Mais cela serait bien si
c'était de la création d'emplois. Je reviens toujours à
cela. Je me dis: C'est ce qu'ils font à l'heure actuelle, mais cela ne
crée pas d'emploi. Pour créer des emplois cela prend de l'argent.
On passe notre temps à se faire dire: On n'en a pas.
Mme Harel: Vous pensez que les emplois tels que transports et
grands travaux devraient être des emplois syndiqués, avec des
employés du CLSC?
Mme Careau: Ce sont des besoins qui sont demandés...
Mme Harel: Est-ce que la société a les moyens de se
le payer? La grande question, c'est: Est-ce que la société a les
moyens de se le payer - quand on parle de grands travaux on parle de laver des
murs, des choses comme cela, laver des vitres, etc. - sous forme de
crédits du ministère de la Santé et des Services sociaux?
En contrepartie, si la société dit qu'elle n'a pas les moyens
parce que cela veut dire l'impôt est-ce qu'on ne fait rien? C'est tout ou
rien, d'une certaine façon: ou ils sont employés du CLSC ou il
n'y a pas d'autre activité. C'est comme cela que vous voyez cela?
Mme Careau: Non. Il existe, à l'heure actuelle, des
groupes de bénévoles sur le territoire qui font un peu ce genre
de travaux, des grands ménages, des transports. De là à
demander que cela soit payé par l'État, c'est peut-être
aller un peu loin. Mais, quand on regarde la formation qu'ils vont donner
à ceux qui vont être sur les programmes de travaux communautaires,
ce n'est pas cela. Ce sont les premiers soins, c'est la cuisine, parce que les
gens ne sont pas capables... Je regarde un cas qu'on a eu. C'est un monsieur
handicapé, incapable de se lever, il a des plaies de lit, donc,
changement de pansements, il y a des médicaments à prendre qui
doivent être surveillés à différentes heures...
Mme Harel: C'est confié à des stagiaires?
Mme Careau: Au départ, ce dossier a été
transféré aux travaux communautaires. Puis il y a eu des
"rebounds", les intervenants ont fait comprendre que cela n'avait pas de bon
sens que cela aille aux travaux communautaires. Ils ont repris le dossier et
ils l'ont envoyé à une auxilliaire régulière. On a
peur que ce soit cela qui arrive.
Mme Harel: Vous avez raison de craindre. Ne vaudrait-il pas mieux
introduire des règles du jeu qui soient discutées, qui soient
convenues entre les parties? Ne vaudrait-il pas mieux discuter avec la CEQ,
ouvertement, pas seulement quand les problèmes se posent, comme c'est le
cas présentement, mais mettre tout sur la table? Est-ce qu'il ne serait
pas mieux de discuter avec la FAS, aussi, pas simplement lorsque le syndicat
loge une plainte ou va en arbitrage? Le problème, présentement,
c'est qu'il n'y a pas de règle du jeu et les gens se sentent
menacés, parce qu'ils n'ont pas de raison de penser que cela va jouer
pour eux. Ils ont raison de penser que cela va jouer contre eux.
M. le Président, je vais invoquer la règle de ('alternance
pour repasser la parole au ministre.
Le Président (M. Bélanger): II reste une minute et
demie au ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je voulais conserver ma minute et
demie pour bien vous remercier. Si Mme la députée de Maisonneuve
veut poursuivre.
Mme Harel: Alors, vous avez insisté, je pense, dans votre
mémoire sur la question de la réduction de 115 $ pour le partage
du logement. Vous avez traité de façon plus globale l'ensemble de
la réforme, mais c'est un des aspects qui a retenu votre attention.
Sachant que vous êtes de Charlesbourg, nous avons reçu en
commission des représentantes des Roses du nord qui sont venues nous
expliquer le prix élevé des logements à Charlesbourg.
Elles sont venues nous illustrer par quelques exemples ce qu'il en
coûtait pour se loger avec une seule chambre, etc. Je ne suis pas
surprise dans un sens que vous fassiez écho à ce problème
parce qu'il y a beaucoup... Les appartements sont disponibles, semble-t-il,
à Charlesbourg, il y en a en masse, mais ils sont quasi inabordables
tellement ils sont coûteux. Est-ce que c'est cette réalité
qui vous a amenées à tenter de sensibiliser le ministre sur cet
aspect de la réforme?
Mme Allard: Oui, entre autres. En tout cas, c'est surtout parce
qu'on se disait: D'abord à Charlesbourg, comme vous le dites, c'est
très cher. Il y a beaucoup de femmes assistées sociales qui
déboursent 60 % de leurs revenus pour leur logement. C'est cela. On se
disait: Déjà les gens essaient de s'en sortir. C'est un moyen
pour s'en sortir mieux. Ils essaient de partager un logement et on leur tape
sur la tête en leur disant: On va te couper 115 $, tu t'en sors mieux
qt:'un autre assisté social. On trouvait cela vraiment injuste et ce
n'est vraiment pas vouloir que les gens s'en sortent.
Mme Harel: Alors, je vous remercie. Je suis assez
impressionnée que vous ayez décidé de venir devant la
commission comme syndicat, je crois comprendre, pour exposer votre point de
vue. Je trouve que c'est là un type d'engagement qui est certainement
très louable de la part d'un syndicat et je vous en remercie.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je voudrais remercier Mmes Careau
et Allard. Vous vous demandiez au début de votre intervention si vous
faisiez bien de venir, finalement. C'est la question un peu existentielle que
vous posiez. Ce matin on avait eu le témoignage que les travaux
communautaires d'un CLSC fonctionnaient bien et
que c'était complémentaire. En fin de journée, en
après-midi ou en fin d'après-midi, on a un témoignage qui
nous indique: Cela peut l'être mais soyez prudent et établissez
clairement les règles du jeu. C'est la première fois qu'on
l'entendait en ce qui concerne les travaux communautaires dans le domaine
social pour cette contribution positive à la commission parlementaire
des affaires sociales sur l'aide sociale. Au nom de la commission et au nom du
gouvernement du Québec, je vous remercie pour cette contribution.
Le Président (M. Bélanger): Bien. Alors, la
commission vous remercie de votre participation et suspend ses travaux
jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 17 h 55)
(Reprise à 20 h 3)
Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il
vous plaît! La commission des affaires sociales reprend ses travaux afin
de procéder à une consultation générale et tenir
des auditions publiques sur le document intitulé "Pour une politique de
sécurité du revenu". Ce soir, nous recevons à la table des
témoins le CLSC Saguenay-Nord, représenté par Mme Danielle
Beaudin-Dufour, Mme Marise Lizotte et M. Jean Richard. Je les prierais de
s'avancer à la table des témoins.
J'en profite pour vous expliquer nos règles de procédure.
Vous avez vingt minutes fermes pour présenter votre mémoire. Par
la suite, il y a aura une période de discussion avec les parlementaires.
Chaque fois que vous devrez prendre la parole, je vous prierais de bien vouloir
vous identifier aux fins de la transcription du Journal des
débats.
Si vous voulez identifier votre porte-parole, présenter les
représentants et présenter votre mémoire, nous vous
écoutons.
CLSC Saguenay-Nord
Mme Beaudin-Dufour (Danielle): Bonsoir. Je suis Danielle
Beaudin-Dufour, usagère et présidente du conseil d'administration
du CLSC Saguenay-Nord. Avec moi, Jean Richard, qui est organisateur
communautaire, et Marise Lizotte-Gonthier, diétiste au CLSC
Saguenay-Nord.
M. le ministre, messieurs les députés, c'est avec beaucoup
d'intérêt que nous avons lu le document "Pour une politique de
sécurité du revenu". Comme vous le savez, le CLSC est un
organisme dont la mission comprend aussi bien l'amélioration de
l'état de santé d'une population que la réduction des
inégalités sociales. Sur le territoire du CLSC Saguenay-Nord,
plus de 10 % de notre population vit de l'aide sociale et les
bénéficiaires représentent environ 25 % de la
clientèle de nos services.
Or, la santé, c'est beaucoup plus qu'une simple question de
bonnes et saines habitudes de vie personnelle. Beaucoup d'études et
d'analyses ont été faites qui ont révélé
qu'il existait une corrélation entre les conditions de vie et les
problèmes sociosanitaires. C'est une réalité que nous
côtoyons quotidiennement au CLSC Saguenay-Nord. Il y a un lien de cause
à effet entre la pauvreté économique, par exemple, et
l'espérance de vie; entre des logements insalubres et des
problèmes de santé; entre des carences nutrionnelles chez la
femme enceinte, et des problèmes de santé, de maladies chez
l'enfant; entre la pauvreté et l'augmentation des problèmes
sociaux. C'est pourquoi, il nous est apparu essentiel d'examiner de plus
près la réforme de l'aide sociale, puisqu'elle va modifier la
situation économique d'une partie de notre clientèle C'est
pourquoi nous avons aussi joint les rangs de la coalition pour une
réforme juste de l'aide sociale au Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui regroupe
40 organismes de notre région.
Enfin, le mémoire que nous allons présenter ce soir va
s'attacher plus spécifiquement à l'un des objectifs de la
réforme, qui est celui de l'ajustement du programme de l'aide sociale
aux besoins des clientèles touchées.
M. le ministre, dans votre document, nous lisons ceci: "Le programme
d'aide sociale consiste en une aide de dernier recours accordée aux
citoyens qui sont privés temporairement, ou encore à long terme,
de moyens de subsistance." On voit aussi, dans le document, que cette aide est
accordée en tenant compte du déficit existant entre les
ressources dont dispose effectivement une personne et celles dont elle devrait
normalement disposer pour satisfaire ses besoins de base. Or, parmi ces besoins
de base, nous nous sommes attardés et nous avons voulu mettre l'emphase
plus particulièrement sur l'alimentation et le logement, tout simplement
parce que ces deux choses regroupent une part considérable de tout
budget et, aussi, parce qu'une réponse inadéquate à ces
deux besoins conduit directement à l'accroissement de problèmes
sociosanitaires. Donc, la question que nous nous sommes posée dans notre
mémoire et pour laquelle on va évidemment vous présenter
notre réponse est la suivante: Est-ce que la réforme va
améliorer significativement la situation économique des
bénéficiaires de façon qu'ils puissent satisfaire leurs
besoins de base, notamment en ce qui concerne l'alimentation et le
logement?
J'inviterais Marise à vous présenter la suite.
Mme Lizotte (Marise): Bonsoir. Marise Lizotte, du CLSC
Saguenay-Nord.
Le premier besoin fondamental que nous avons considéré
dans notre document est l'alimentation, à savoir: Est-il possible, avec
les prestations d'aide sociale, de s'alimenter correctement pour fournir
à notre organisme les éléments clés de la
santé? Pour nos calculs, nous
avons utilisé les normes du Dispensaire diététique
de Montréal, c'est-à-dire qu'à partir des apports
nutritionnels recommandés pour les Canadiens en 1975, le dispensaire a
établi les coûts d'achat d'un régime nutritif selon les
catégories d'individus, étant donné que l'âge et le
sexe font varier les besoins nutritionnels, et selon la taille des
unités familiales.
Je pense qu'il est très important de noter, par rapport aux choix
d'aliments, que les choix et les quantités sont vraiment des stricts
minimums et que, par rapport à la variété, il n'y a
vraiment pas, dans les choix d'aliments considérés par le
Dispensaire diététique de Montréal, de place pour des
caprices ou des plaisirs. J'aimerais vous citer quelques exemples. Si on
regarde les choix qui sont retenus par le dispensaire, pour le lait ou les
produits laitiers, on retrouve le lait et le fromage. Vous ne trouvez pas de
yogourt et vous ne trouvez pas de crème glacée. Par rapport aux
fruits, ce sont nos fruits traditionnels, c'est-à-dire oranges, pommes,
bananes. On ne retrouve pas de kiwis, de pamplemousses, de fraises, d'ananas,
etc. Les groupes de légumes sont également conventionnels: pommes
de terre, carottes, choux et oignons. Vous ne retrouvez pas de brocolis, de
choux-fleurs, de champignons, rien d'exotique. En ce qui concerne les viandes,
ce sont évidemment les coupes les moins dispendieuses qui sont retenues.
Les oeufs, le beurre d'arachides font évidemment partie
intégrante des achats dans les choix du dispensaire. Il n'y a
évidemment pas de chips, de chocolats ni de liqueur, c'est
évident.
J'aimerais quand même souligner ici que mon intention n'est pas de
dénigrer nos aliments traditionnels, mais de vraiment souligner que,
dans le choix des aliments du dispensaire, on retrouve un souci
méticuleux face aux prix pour considérer à combien peut
revenir le coût d'achat hebdomadaire des aliments. En plus, c'est
important, dans les résultats que nous obtenons, de considérer
qu'il y a des facteurs qui ne sont pas calculés, mais qui augmentent
quand même le coût d'achat des aliments. Un premier point: par
exemple, les achats d'aliments ne sont pas toujours faits dans les
supermarchés quand on songe aux gens qui reçoivent des
prestations d'aide sociale. Nos gens vont souvent à l'épicerie du
coin où c'est possible de faire "marquer", c'est-à-dire où
le propriétaire peut leur faire crédit, ce qui fait que dans ces
endroits le prix des aliments est nécessairement plus
élevé que dans les supermarchés.
Un deuxième point à considérer, c'est le pouvoir
d'achat des assistés face aux spéciaux de la semaine pour, je
dirais, les denrées non périssables. Leur pouvoir d'achat est
quand même limité, ce qui fait qu'ils ne sont pas en mesure de
faire des réserves des spéciaux de la semaine en quantité,
au même titre que, très souvent, pour les denrées
périssables; ils n'ont pas l'espace de congélation, ce qui fait
qu'ils ne peuvent acheter de grandes quantités pour
bénéficier de tels ou tels spéciaux.
Un troisième facteur, ce sont les frais de transport qui ne sont
pas considérés. Une étude qui avait été
réalisée par notre CLSC en 1982 avait démontré que,
chez 20 % des bénéficiaires, on avait ajouté un montant de
8,66 $ par semaine pour se rendre et revenir de l'épicerie. En se
limitant au nombre minimum requis d'aliments et en comparant les montants
obtenus pour 1988 - nos calculs sont basés sur le coût des
aliments de janvier 1988; les prix de 1989 ont une majoration de 5 %
basée sur un calcul des trois dernières années par rapport
à la hausse du prix des aliments - en considérant aussi qu'un
maximum de 25 % du revenu disponible doit être dépensé pour
l'épicerie, il ressort que, lorsqu'on fait l'analyse du projet,
actuellement, en 1988, il y a une seule unité familiale qui arrive dans
la norme de 25 % du budget pour l'alimentation. Si on considère la
réforme pour les inaptes, il y a encore là une seule unité
familiale qui correspond à la norme de 25 %. Si on considère la
réforme pour les aptes, il n'y a aucune unité familiale qui entre
dans la norme des 25 %. Le chiffre le plus bas que nous obtenions est de
l'ordre de 27 % du coût d'achat des aliments par rapport au revenu
disponible. Les chiffres les plus élevés, entre autres, avec la
réforme pour les aptes au travail, sont de l'ordre de 52 % du budget
disponible et, chez les inaptes, ils sont de l'ordre de 41 %.
De plus, si vous considérez la femme enceinte, avec les besoins
nutritifs qui sont accrus durant la grossesse, lorsqu'on fait le calcul des
dépenses supplémentaires par rapport aux aliments, sur une base
mensuelle, nous arrivons à un supplément nécessaire de 30
$ par mois, alors que le supplément alloué, celui qui est
prévu dans la réforme, est de l'ordre de 20 $. On a
déjà un déficit de 10 $ mensuellement pour la femme
enceinte. Nous savons tous que l'alimentation est primordiale pour la
santé de la mère et celle du bébé. C'est vraiment
fa génération future qui est en jeu. Je crois que les
données obtenues face à l'alimentation sont très
révélatrices. Jean Richard va nous décrire la situation
lorsqu'on y combine en plus les résultats pour le logement. Merci.
M. Richard (Jean): Avec les données qui concernent ce
qu'il en coûte au Saguenay-Lac-Saint-Jean pour s'alimenter en 1988 et une
projection pour 1989, on a tenté d'estimer les coûts du logement.
Pour ce faire, on s'est basé sur les données d'octobre 1987 qui
étaient disponibles à la Société canadienne
d'hypothèques et de logement, auxquelles on a ajouté 5 %
d'indexation. En fait, l'ensemble de nos données sont très
conservatrices. Marise en a parlé pour ce qui concerne la question de
l'alimentation. En ce qui concerne la question du logement, c'est encore
là le strict minimum vital. À titre d'exemple, on va
considérer qu'une famille monoparentale avec un enfant va pouvoir se
loger dans un logement de trois pièces et demie, à savoir
qu'il y aura seulement une chambre que l'adulte et l'enfant devront se
partager. Donc, ce n'est pas du grand luxe là non plus. (20 h 15)
La démarche qu'on a faite a été d'essayer de voir,
à partir de ces données, donc, à partir des données
sur ce qu'il en coûte pour se loger en 1988 et en 1989, quelle proportion
des revenus dont disposent les familles bénéficiaires de l'aide
sociale devra être mise pour subvenir à ces deux besoins vitaux.
La conclusion à laquelle on en arrive après avoir sorti les
chiffres, après avoir calculé les allocations familiales,
après avoir calculé les suppléments dans les cas où
cela s'applique, par exemple, dans le cas des femmes enceintes en 1988,
c'est-à-dire dans la situation actuelle, avant même que la
réforme ne soit en vigueur, on se rend compte que tous les jeunes de
moins de 30 ans manquent d'argent pour couvrir ces deux besoins de base. Cette
réalité n'est pas une nouvelle, je pense, à cette
commission parlementaire. À notre avis, on doit regarder l'avenir qui
est réservé à ces jeunes, puisque bon nombre d'entre eux
seront exclus à cause des critères de dépendance
introduits par votre réforme.
À l'heure actuelle, en 1988, on constate également que les
unités familiales avec enfants doivent consacrer un pourcentage plus
élevé de leur budget. En moyenne, cela donne 89 % du budget -
tout près de 90 % - seulement pour se loger et se nourrir. Donc,
très peu de place, très peu d'argent disponible pour satisfaire
les autres besoins de base: se chauffer, avoir un minimum de loisirs,
être capable d'habiller les enfants et de s'habiller soi-même, etc.
Les familles sans enfant ont une situation un peu meilleure quoique pas
très enviable non plus. Elles doivent consacrer en moyenne 78 % de leur
budget; ce sont les données que l'on retire des calculs qu'on a faits
pour 1988.
Je disais donc que les sommes d'argent disponibles pour couvrir les
autres besoins sont minimes. Par exemple, dans le cas d'une famille
monoparentale, un adulte et deux enfants, on parle de seulement 55 $ par mois
pour couvrir ces besoins. On connaît le coût du
téléphone simplement et ce qu'il en coûte pour se chauffer,
particulièrement chez nous, au Saguenay, avec des hivers très
rigoureux. C'est une situation très difficile qu'ont à affronter
les personnes assistées sociales, même à l'heure
actuelle.
De cette réforme, on espérait des principes qu'elle
voulait mettre en place un principe d'équité, un principe de plus
grande justice. Or, l'analyse qu'on en fait, les données qu'on a sorties
pour comprendre un peu plus dans quelle situation vont se retrouver les
personnes assistées sociales en 1989 nous laissent un peu dans
l'expectative et nous font craindre le pire par rapport aux conditions de vie
des personnes assistées sociales avec lesquelles on travaille chaque
jour.
Vous savez sans doute, et ce n'est pas une nouvelle non plus, que la
réforme distingue deux catégories importantes de
bénéficiaires: les personnes aptes et les personnes inaptes. Donc
pour travailler, pour illustrer notre propos, on a pris la situation
budgétaire de ces personnes en tenant compte de ces catégories et
on a estimé, par exemple, pour les personnes inaptes - c'est le premier
exemple qu'on a pris - les revenus de ces personnes en 1989 avec le programme
Soutien financier, donc, le programme qui doit couvrir les besoins des
personnes inaptes. Bien que le document d'orientation déposé par
vous. M le ministre, précise que l'État doit faire plus pour les
personnes incapables de subvenir à leurs besoins par leur travail, on se
rend compte que la majorité des familles doit consacrer près des
trois quarts de ses revenus pour se loger et se nourrir. Ce sont des
données disponibles à la page 12 du mémoire qu'on a
déposé. La situation la plus enviable pour les personnes inaptes,
donc, les personnes pour lesquelles le principe d'incitation au travail n'est
pas retenu par votre ministère, à titre d'exemple, cette
femme-là seule consacre 66 % de ses revenus pour ces deux besoins, et
c'est la meilleure situation qu'on ait trouvée. Est-ce qu'on peut
vraiment parler alors d'une plus grande satisfaction des besoins pour les
personnes inaptes? On pense que non, d'autant plus que des organismes aussi
sérieux que Statistique Canada parlent de pas plus de 55 % à 58 %
pour ces deux besoins de base. Ils incluent en plus le logement, pour ne pas
que les familles vivent dans une situation de pauvreté et de
misère.
On a aussi pris l'exemple des personnes aptes au travail, parce que la
réforme est essentiellement axée sur les personnes aptes au
travail, c'est-à-dire sur l'objectif d'inciter ces personnes à
réintégrer le marché du travail, sur l'objectif de faire
en sorte que ces personnes puissent subvenir le plus fidèlement possible
à leurs propres besoins par leur propre travail, c'est-à-dire en
réintégrant le marché du travail.
Or, on est forcé de constater que la situation la plus difficile
est, bien sûr, et vous le savez sans doute pour les personnes qui sont
pendant les neuf premiers mois sur le programme Actions positives pour le
travail et l'emploi. La même situation peu enviable est partagée
par les personnes qui refusent de participer aux mesures de
réintégration du marché du travail proposées par
vous, M. le ministre. À titre d'exemple, un homme adulte qui participe
au programme, donc une personne seule, et qui a les gains de travail maximums
permis, bénéficie du meilleur traitement. Alors, c'est le
meilleur exemple qu'on puisse trouver pour les personnes aptes et, à
notre avis, même cet exemple-là est peu enviable. C'est donc dire
que, pour le reste des personnes aptes, y compris les familles avec personnes
dépendantes, c'est une situation assez grave.
Cette personne seule, il lui faut dépenser
70 % de ses revenus pour ces deux besoins de base. Or, cette situation
n'est rendue possible que si cette personne, en plus de sa participation de 20
heures par semaine, soit dans un stage en milieu de travail, soit dans un
programme de rattrapage scolaire, soit dans un travail communautaire, se trouve
un travail d'appoint pour aller chercher le gain de travail de 80 $ par mois
permis. Donc, en plus de sa participation quotidienne, un travail d'appoint les
soirs ou la fin de semaine, tout cela pour 600 $ par mois, soit moins de 150 $
par semaine. C'est ce que le programme APTE impose aux personnes qui doivent
réintégrer le marché du travail. Ce sont donc les
conditions qui y sont associées. Nous, comme organisme, on ne peut pas
souscrire à une telle politique. Je pourrais vous donner d'autres
exemples. C'est la démonstration qu'il est très difficile de se
nourrir et de se loger convenablement avec la politique que nous avons entre
les mains, la politique qui est déposée.
Donc, on a posé la question clairement: Par rapport à la
situation actuelle, en 1988, est-ce que le projet de réforme qui est
déposé par vous améliore la capacité...
Le Président (M. Bélanger): Je vous demanderais de
conclure, s'il vous plaît, le temps est écoulé!
M. Richard (Jean): D'accord. Donc, on s'est posé la
question, à savoir si cela améliorait vraiment la situation. Ce
dont on se rend compte concrètement, c'est qu'on est forcé,
au-delà du questionnement qu'on peut avoir sur la
nécessité d'une telle classification apte et inapte, sur les
critères et l'interprétation, on s'interroge sur les
barèmes utilisés pour inciter les personnes à
travailler.
L'augmentation des barèmes, pour les participants, doit
être mise en parallèle également avec l'augmentation des
dépenses, avec le transport, etc. Or, nous, ce dont on se rend compte,
c'est que l'incitation au travail l'emporte sur la satisfaction des besoins
fondamentaux et on s'interroge également sur les seuils de
pauvreté qui sont utilisés à l'intérieur du
document d'orientation. Je vais laisser une conclusion très
courte...
Le Président (M. Bélanger): Très rapidement,
s'il vous plaît!
M. Richard (Jean): Oui
Mme Beaudin-Dufour: En fait, cela se résume à ceci.
On constate que le projet de réforme contient des améliorations,
mais malheureusement, on trouve que ces améliorations-là ne
parviennent pas à garantir les revenus suffisants pour assurer les
besoins fondamentaux des gens, spécialement quand on pense à
l'alimentation et au logement. En conséquence, on est persuadé
que cela va se traduire par des coûts directs et indirects qui vont
être générés tout simplement par les
problèmes sociaux et les problèmes de santé qui vont
découler du fait que les gens ne seront pas capables de s'alimenter
comme il faut, entre autres. Ce qu'on a constaté aussi, c'est que
l'ajustement du programme aux besoins de la clientèle est
relégué très loin, à notre avis, derrière
l'objectif de favoriser l'incitation au travail. Pourtant, on est vraiment
persuadé que, pour favoriser l'incitation au travail, une des
premières conditions, ce serait, à notre avis, de commencer par
donner aux bénéficiaires les conditions minimales pour qu'ils
puissent travailler. Cela se résume simplement à cela. Je vous
remercie beaucoup.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président, je
voudrais remercier le CLSC Saguenay-Nord, ainsi que ses porte-parole, autant
pour le mémoire écrit que pour la présentation verbale.
Vous êtes le troisième groupe de la famille, si je puis utiliser
l'expression, des CLSC que nous entendons aujourd'hui. Vous abordez la
problématique d'une façon différente de celle des deux
autres groupes. C'est ce qui suscitera davantage le dialogue entre les membres
de la commission et les porte-parole du CLSC Saguenay-Nord.
Vous me permettrez en débutant de vous tracer brièvement
un portrait de la clientèle de l'aide sociale telle qu'on pouvait la
décrire en mars 1987 au Québec. Ses caractéristiques sont
demeurées les mêmes, bien que le nombre d'assistés sociaux
ait sensiblement diminué. En mars 1987, vous aviez 400 000 chefs de
famille qui n'avaient comme seule source de revenu que le chèque d'aide
sociale pour subvenir à leurs besoins. À peu près 25 % de
cette clientèle est composée de personnes qui seraient
admissibles au programme Soutien financier, qui sont donc condamnées
à l'aide sociale pour une période plus longue. Les autres 75 %
qu'on dit aptes au travail sont des gens qui, bien qu'ils souhaitent
travailler, ont quand même des barrières importantes à
franchir avant d'avoir accès au marché du travail: 36 % de cette
clientèle dite apte au travail est considérée comme
analphabète fonctionnelle, 60 % de ces gens n'ont pas
complété leurs études secondaires et 40 % n'ont aucune
expérience de travail antérieure reconnue, ce qui pose une
difficulté, même lorsque les emplois existent.
Vous n'avez pas parlé ou traité des programmes
d'employabilité, de la formation, de tout cet aspect. Vous vous
êtes limités - il faut choisir ses cibles, ses sujets - dans le
temps qui était mis à votre disposition, à l'analyse des
besoins de base, en insistant sur la question du logement et de la nourriture.
Plusieurs groupes sont venus devant cette commission et ont emprunté
comme base votre argumentation. Cela a été le cas, entre autres,
de ceux et celles
qu'on considérait ou qu'on considère encore comme les
spécialistes en la matière, et vous y faites
référence, le Dispensaire diététique de
Montréal. J'avais donc demandé aux représentants du
Dispensaire diététique, ainsi qu'aux fonctionnaires du
ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu,
de tenter d'arrimer les prestations d'aide sociale, telles que proposées
dans la réforme, dans le cadre du programme APTE. Disons que le
programme Soutien financier pose moins de questions sur le plan des besoins de
base, et APPORT aussi. Dans le cas du programme APTE, il s'agit de comparer ce
que donnait l'établissement des barèmes suivant la méthode
que l'on propose, qui est celle du premier décile des travailleurs
à faibles revenus, comparativement à l'ancienne méthode,
ou à la méthode actuelle, basée sur le Dispensaire
diététique de Montréal. Les résultats
préliminaires que nous obtenons, parce que les gens ont travaillé
avec célérité d'un côté comme de l'autre et,
comme il s'agissait d'experts, il s'agissait de chiffres avec lesquels ils
étaient familiers, ces gens nous disent aujourd'hui que l'analyse des
deux tableaux démontre que le niveau des besoins à moyen et
à long terme, besoins qui comprennent l'alimentation, le logement,
l'entretien, les soins personnels, les communications, l'habillement,
l'ameublement, les transports et les loisirs, sont adéquatement couverts
pour les sans-emploi. Toutefois, et c'est peut-être là que votre
intervention soulève des questions additionnelles, pour les besoins
à court terme, qui sont l'alimentation, le logement, l'entretien, les
soins personnels et les communications, seulement 95 % des besoins essentiels
sont couverts. Nous recommandons fermement la couverture de ces besoins
à 100 % et ce, pour trois raisons qu'on explicite.
Vous semblez dire que, suivant votre expérience ou vos calculs,
la carence ou la différence serait beaucoup plus élevée
que celle que le Dispensaire diététique de Montréal nous
révèle à la suite d'une analyse poussée de la
grille du premier décile des bas salariés. Est-ce que vous avez
contacté le Dispensaire diététique de Montréal de
façon à tenter d'arrimer vos observations avec les siennes? (20 h
30)
Mme Llzotte: Marise Lizotte, je pourrais répondre à
la question.
J'ai contacté le dispensaire au moment de préparer le
document pour faire les calculs en fonction des coûts pour janvier 1988.
Au point de départ, la technique dont on s'est servi pour évaluer
ce que cela coûtait en alimentation est vraiment basée sur le
pourcentage d'un montant d'argent disponible. Quand on regarde les coûts,
en ce qui concerne la moyenne canadienne - les derniers chiffres que j'ai sont
de 1987 - les canadiens dépensent en moyenne 18 % de leur budget
à des fins d'alimentation, ce qui fait qu'on a évidemment des
groupes... C'est évident que, plus le salaire est élevé,
plus le montant consacré à l'alimentation est réduit
Certaines familles dont le salaire est très élevé vont
dépenser 10 % de leur revenu pour l'alimentation. Si on prend la moyenne
canadienne qui est de l'ordre de 18 %, le barème qu'on a utilisé,
de 20 à 25 % maximum pour le budget, on s'est vraiment basé sur
cela pour arriver à dire: D'accord, les montants que ces gens vont
recevoir sont insuffisants pour assurer le minimum par rapport aux besoins
nutritifs, parce que la technique que nous avons utilisée est quand
même très simple et très logique. On part des besoins
nutritifs des gens, on fait le calcul d'après les unités
familiales avec les chiffres tout récents du dispensaire et c'est
là qu'on arrive à un pourcentage de budget pour l'alimentation
qui devient nettement au-dessus d'une norme admise. Si on a une moyenne de 18 %
au Canada, cela veut dire que, s'il y en a qui ont 10 %, il y en a qui vont
avoir beaucoup plus que cela. C'est dans ce sens qu'on a fait notre calcul. On
n'a pas nécessairement vérifié les déciles, mais
c'est vraiment en fonction de données très récentes sur le
coût des aliments et sur la notion d'un pourcentage du revenu qui doit
être consacré à l'alimentation pour que ce soit
admissible
M. Paradis (Brome-Missisquoi): II y a toujours deux
données qui sont mises dans la balance lorsque les spécialistes
font ces analyses. Il y a la question du coût, d'un côté,
et, de l'autre côté, il y a la question du revenu que sont les
prestations. Est-ce que, dans vos analyses, vous avez tenu compte des
barèmes qui sont proposés par la réforme et,
également, des allocations familiales? Il y a quelqu'un qui l'a
souligné tantôt. Est-ce que vous avez tenu compte des
crédits d'impôt pour enfants, des crédits d'impôt
foncier, et des remboursements pour les taxes d'huile à chauffage et de
gaz naturel?
M. Richard (Jean): Jean Richard. La question des crédits
d'impôt n'est pas calculée dans les montants qui sont
prévus...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce qui peut amener un
écart.
M. Richard (Jean): Oui. Cela peut amener une légère
distorsion. Ce n'est quand même pas énorme. Cela n'a pas
été fait comme revenu de base. On s'est plus fié au revenu
courant, régulier, de chaque mois, à savoir les allocations
familiales, dans le cas des ménages qui ont des enfants, et les
prestations d'aide sociale. On peut faire des comparaisons et H est important
de fouiller cela plus à fond. Il y a des choses à regarder de ce
côté-là.
Si on prend l'exemple d'une personne seule qui réintègre
des mesures d'employabilité, soit dans le cadre d'un travail
communautaire, à quelques dollars près, on maintient les acquis
en 1989. Les prestations de cette personne passent
d'environ 513 $ à 520 $, si elle participe; 513 $, c'est le
chiffre s'il n'y a pas de modifications d'introduites à la Loi sur
l'aide sociale. Or, on demande à cette personne de débourser des
montants pour s'habiller - car réintégrer en partie le
marché du travail implique des coûts - des montants pour se rendre
à son travail. Cela implique également des frais de nourriture
plus élevés, le fait de devoir se nourrir sur les lieux du
travail, alors qu'on maintient les mêmes montants. Il y a quelque chose
qui ne marche pas. La reconnaissance des besoins est problématique. On
demande de faire plus avec moins.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne suis pas moi-même un
spécialiste dans le domaine, c'est pourquoi j'ai demandé aux gens
du Dispensaire diétitique de Montréal, qui ont une façon
d'établir le barème, ainsi qu'aux fonctionnaires qui ont retenu
le premier décile des travailleurs à faible revenu quant aux
dépenses qu'ils consacrent à l'habitation, au logement etc., aux
points mentionnés, de tenter d'harmoniser et de voir s'il y avait
vraiment des différences substantielles. La conclusion qu'on m'apporte,
c'est qu'il n'y en a pas dans le moyen et le long terme, mais il y a 5 % dans
le court terme qu'on me recommande de regarder attentivement. Est-ce que vous
m'indiquer que je devrais, comme ministre, mettre de côté cette
analyse conjointe du ministère et du Dispensaire
diététique et en adopter une autre? Le ministre, quel qu'il soit,
est pris à effectuer des choix. Est-ce que celui du Dispensaire
diétitique vous semblerait raisonnable ou est-ce que vous le rejetteriez
également?
M. Richard (Jean): Les données du dispensaire nous
semblaient à propos. Ces données, d'ailleurs, ont
été actualisées chaque année, depuis 1947, ce qui
n'est pas souligné dans le document d'orientation, mais qui est
important. L'autre élément, c'est que peu importe la
méthode reconnue, si, au bout, il n'y a pas de décision politique
pour une plus grande reconnaissance des besoins de base, c'est-à-dire
que les barèmes suivent, parce que c'est là le problème...
Le problème n'est peut-être pas tellement la méthode pour
déterminer les besoins, quoique ce soit important, mais c'est quel type
de reconnaissance on fait de cela. Quand on regarde, par exemple, le document
de méthodologie qui a été produit par le ministère
en 1985, pour fixer le seuil du revenu on se rend compte, dans les besoins
à moyen terme, que les questions du téléphone, du
remplacement des meubles et du transport en commun ne sont pas reconnues comme
des besoins à court terme. Il me semble y avoir là un
problème, dans la mesure où on demande aux gens de
réintégrer le marché du travail. On ne demande pas cela
à long terme, on demande cela à court terme, mais on ne
reconnaît pas ces besoins-là comme des besoins à court
terme.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Présentement, ce qui serait
reconnu comme besoins à court terme - je le répète, qu'on
parle de la même chose parce que c'est important dans la
méthodologie, c'est cela qui détermine les résultats
auxquels on peut arriver - vous avez l'alimentation et le logement sur lesquels
vous avez beaucoup insisté, et avec raison. Vous avez également,
dans le court terme, l'entretien, les soins personnels et les moyens de
communication. C'est là qu'on vous indique qu'il y a une
différence globale de 5 %, au moment où on se parle, entre ce qui
est proposé à partir des dépenses des travailleurs
à faibles revenus et le barème utilisé par le Dispensaire
diététique de Montréal.
Mme Beaudin-Dufour: Danielle Beaudin-Dufour. Est-ce que je
pourrais ajouter quelque chose? J'aimerais bien voir les résultats de
cette étude. J'ai bien hâte de voir. J'imagine que cela va
être accessible à un moment donné.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je viens de les avoir.
Mme Beaudin-Dufour: Dans la méthode du Dispensaire
diététique de Montréal, on parle du budget de confort
minimum. Cela, ce sont vraiment les besoins de base stricts qu'il faut pour
survivre. D'accord? Nous, nos calculs, on les a faits à partir de la
méthode du Dispensaire diététique de Montréal
aussi, mais à partir de ce qu'eux définissent comme
nécessaire à l'alimentation. Donc, même à
l'intérieur de la méthode du Dispensaire diététique
de Montréal, il y a aussi quelque chose spécifiquement sur
l'alimentation. C'est ce qui nous a servi de base. Que ces experts aient
convenu que, avec la réforme actuelle, quand on regarde les travailleurs
qui sont dans le dernier centile, 95 %, ou 110 %, ou 92 % des besoins soient
couverts, c'est bien, mais ce qu'on démontre dans notre document, c'est
que les gens, actuellement, même avec l'assistance sociale et même
avec le projet de réforme qu'il va y avoir là, n'auront pas
encore suffisamment d'argent pour manger, pour répondre à leurs
besoins et pour se loger décemment. C'est l'essentiel de ce qu'on dit.
On pourrait se poser la question à ce niveau-là: Les autres
personnes qui sont dans ces 10 %, est-ce qu'elles sont mieux nourries?... J'ai
l'impression qu'elles ne sont pas mieux nourries que les gens à l'aide
sociale, parce qu'elles ont peu de revenus et qu'elles ont des problèmes
de logement.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): À partir strictement des
critères de l'alimentation - vous mentionniez qu'il y avait au
dispensaire, et vous avez raison de le mentionner, l'élément
alimentation - l'étude qu'il a produite le démontre pour un
adulte, un adulte et un enfant, un adulte et deux enfants, deux adultes, deux
adultes et un
enfant, deux adultes et deux enfants, et cela varie si on compare les
travailleurs à faibles revenus, les derniers 10 %: 98 % dans le cas d'un
adulte, 100 % dans le cas d'un adulte et un enfant, 95 % dans le cas d'un
adulte et deux enfants, 94 % dans le cas de deux adultes, 88 % dans le cas de
deux adultes et un enfant et 88 % dans le cas de deux adultes et deux enfants,
ce qui donne la moyenne de 95 % à la fin, strictement en ce qui concerne
l'aspect alimentation; on le détaille également.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: II est de tradition, quand on cite des études,
qu'on puisse les rendre accessibles aux membres de la commission.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, distribuez-les.
Mme Harel: Si c'est possible, j'aimerais bien qu'on puisse faire
des photocopies.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je viens de l'avoir. Je n'ai pas
d'objection. On parlait tantôt de chiffres récents, c'est
l'étude du Dispensaire diététique de Montréal, mars
1988.
Mme Harel: Parce qu'il y a bien des façons de lire des
chiffres...
Le Président (M. Bélanger): Alors, le document est
déposé.
Mme Harel: ...le ministre l'a démontré vendredi
avec le sondage.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce n'était pas correct?
Une voix: Ha, ha, ha!
M. Paradis (Brome-Missisquoi): S'il y a des choses inexactes,
dites-le-moi, c'est le temps.
Mme Harel: Je ne veux pas manger votre temps...
Mme Lizotte: J'aimerais pouvoir éclaicir la situation.
Marise Lizotte. Par rapport aux données du dispensaire de
Montréal, comme je vous l'ai dit, les chiffres pour le prix des aliments
sont de janvier 1988. C'est évident que l'aspect, comme Danielle le
mentionnait, du budget de subsistance ou du budget de confort minimum, on n'a
pas tenu compte de ces points-là. Vous les avez mentionnés, ce
sont le logement, la nourriture, les vêtements, les soins personnels,
l'entretien, l'électricité - j'ai la liste ici. Je serais
très curieuse de voir dans quelle mesure les experts du dispensaire ont
pu réussir à ajuster ou à rajuster les prix pour arriver
au pourcentage que vous mentionnez, parce que le prix des aliments, à
mon point de vue, n'a pas chuté depuis janvier 1988 à un point
tel qu'il puisse expliquer la différence. Je ne comprends pas. Je suis
très curieuse moi aussi de voir les nouvelles données qui ont
été calculées. En oubliant tout cela, je pense qu'au point
de départ le prix des aliments - on peut s'entendre qu'il n'a pas
baissé - demeure quand même un point sur lequel la dépense
budgétaire est très importante face au montant alloué, que
ce soit actuellement ou que ce soit dans la réforme.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): On va vous communiquer une copie
des chiffres que nous avons en notre possession...
Mme Lizotte: Ce serait très apprécié.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): de façon que, s'il y a eu
des lacunes d'harmonisation entre le Dispensaire diététique et le
ministère vous puissiez intervenir, parce qu'il est encore temps de
vérifier s'il y a des lacunes. Cela va en vertu de la règle
d'alternance
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Alors, merci, M. le Président. Il me fait
plaisir de vous accueillir en commission parlementaire. C'est assez
impressionnant, ce mémoire que vous nous présentez aujourd hui et
le ministre a raison de dire que c'est la première fois que l'on
reçoit ici des tableaux qui illustrent, de la façon que vous le
faites, les dépenses des ménages. Vous êtes le 98e groupe.
Alors, imaginez, on pourrait comme cela continuer, j'ai l'impression qu'on en
apprendrait. Mais c'est extrêmement impressionnant parce que cela
illustre les difficultés, et avec raison, vous le dites dans votre
mémoire, les difficultés réelles rencontrées
présentement dans le régime actuel par les familles et celles
qu'elles connaîtraient - je le mets au conditionne), vous voyez, parce
que les choses deviennent plus incertaines - avec la réforme.
Je n'ai pas en main les chiffres que le ministre a cités qui
proviendraient du Dispensaire diététique de Montréal, mais
il y a peut-être une constatation qu'il faut faire: Si les comparaisons
sont les mêmes en ce qui concerne les besoins de moyen terme et de long
terne et si la variation est celle que le ministre a indiquée pour les
besoins de court terme, dorénavant, il n'y a qu'une partie des
bénéficiaires qui verront comblés leurs besoins de long
terme, et seulement les bénéficiaires de la catégorie
soutien financier. C'est donc que les bénéficiaires des autres
catégories - de la catégorie apte - n'auront plus que des besoins
de court terme et de long terme. Alors, indépendamment des chiffres que
vous avez indiqués, les barèmes des prestations ne vont pas
couvrir le long terme pour les
personnes aptes. C'est la réalité du document. (20 h
45)
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous allez avoir le document dans
deux secondes. Vous lirez le texte.
Mme Harel: Non, je n'ai pas besoin d'avoir un nouveau document.
C'est dans celui-là qu'il est indiqué que le long terme n'est
plus couvert. Donc, nécessairement, ce que le Dispensaire
diététique de Montréal est venu démontrer ici...
Une chance que j'ai mon petit cahier noir et que je note l'essentiel des propos
de chaque groupe, aux mots, en italique. Ils ont dit: Plus il y a d'enfants,
plus la perte est grande. C'est le Dispensaire diététique et ce
que le dispensaire a démontré, dans un tableau qui a
été déposé devant la commission, c'est que chaque
catégorie était perdante dans le programme APTE. C'est
indépendamment des discussions qu'ils ont pu avoir entre
spécialistes sur la catégorie parce que la décision
politique du ministre est de ne plus couvrir les besoins à long terme
des personnes aptes. Je ne lui apprends rien, j'espère, on finit notre
sixième semaine. Je ne lui apprends pas que dorénavant, les
familles qui sont majoritairement dans le programme APTE - c'est là
où on retrouve majoritairement les familles - ne verront plus leurs
besoins couverts, leurs besoins à court, moyen et long terme. Ce sont
simplement les besoins à court et moyen terme et vos chiffres sont
toujours aussi importants et toujours aussi véridiques en ce qui
concerne la part qu'elles auront a consacrer pour combler ces besoins de court
terme en regard du revenu dont elles pourront disposer. Il ne faut pas oublier
que les besoins à long terme, dans le projet, sont couverts par des
gains de travail qui sont hypothétiques. Cela ne veut pas dire que c'est
un montant dont elles vont disposer pour pouvoir étaler les
dépenses et réduire les pourcentages de ce qu'elles vont devoir
consacrer au logement et à l'alimentation. Alors, ce que vous nous
présentez, pour la très grande majorité des familles, cela
ne changera pas. Ce que le ministre nous présente, c'est finalement bien
plus pour la catégorie soutien financier, qui, elle, verrait ses besoins
à long terme également couverts par les barèmes avec 25 $
de plus.
Ce que vous nous avez présenté est vraiment un exercice
impressionnant. Vous faites valoir qu'en ce qui regarde l'alimentation, les
coûts sont sans doute plus élevés pour les régions
plus éloignées qui ont des coûts de transport pour
l'alimentation. Ici même, par ailleurs, on nous a fait valoir en
commission parlementaire qu'à Montréal les chiffres de la SCHL
démontraient que les coûts du logement sont plus
élevés. Pour un studio, c'était 287 $ à
Montréal, pour une chambre 380 $ et pour deux chambres 502 $. Ce sont
les chiffres d'octobre dernier.
Est-ce qu'en regard de ces chiffres vous avez réfléchi
à la question? Vous avez comme illustré la trappe de
pauvreté parce que je dois comprendre, par ailleurs, qu'il n'y a pas les
exemptions de gains de travail. Vous avez additionné le barème,
plus les allocations familiales, mais pas les exemptions de gains de
travail.
M. Richard (Jean): Oui. Les exemptions de gains de travail ont
été calculées, c'est-à-dire qu'on a pris des
exemples où il n'y avait pas de gains de travail et des exemples
où il y en avait pour illustrer les deux situations dans le cas des
personnes aptes au travail. Le problème est justement là.
Même avec des gains de travail, cela constitue, à notre avis,
encore un piège de pauvreté, c'est-à-dire que les besoins
à long terme ne sont pas comblés. Même la personne, je
dirais, la plus "voulante" dans l'idée que les personnes sont
intéressées à réintégrer les mesures
d'employabilité, ce qui est le cas, à notre avis, même dans
la meilleure des hypothèses, on ne réussit pas à sortir de
la pauvreté. Donc, c'est un piège. C'est là qu'il nous
semble qu'il y a un choix politique à faire, c'est-à-dire qu'une
des conclusions qu'on apporte ici devant la commission, et on pourrait discuter
longuement de la détermination des seuils de pauvreté, mais une
des conclusions qu'on amène et qu'on semble démontrer dans le
mémoire qu'on dépose, c'est que la question de l'incitation au
travail s'est faite à tout prix, même au détriment de la
satisfaction des besoins fondamentaux. Or, comme organisme qui travaille dans
le domaine de la santé, on ne peut pas être d'accord avec un choix
politique comme celui-là. C'est pour cette raison, d'ailleurs, qu'on va
continuer à être vigilants, en particulier pour le projet de loi
qui sera déposé par le ministre et pour les conséquences
qu'il entraînera. Environ 9000 personnes vivent de l'aide sociale
à Chicoutimi seulement. Comme c'est une bonne partie de la population,
c'est le quart de notre clientèle, au CLSC Saguenay-Nord, pour nous, il
est d'une extrême importance de continuer à être vigilants,
et nous allons le faire savoir publiquement afin d'alerter la population sur
les conséquences. .
Mme Harel: Dans vos tableaux, vous avez raison, vous calculez,
par exemple, le barème maximal de participants, plus le maximum de gains
de travail dans la catégorie participant.
M. Richard (Jean): C'est cela.
Mme Harel: On se rend compte, pour cette catégorie
participant plus le maximum de gains de travail, qu'une personne seule est
gagnante par rapport à une personne avec enfant. Le ministre vous fait
grief de ne pas avoir additionné les crédits d'impôt pour
enfant aux autres crédits. Est-ce qu'au CLSC vous avez une
expérience en matière de rapport d'impôt actuellement? Je
ne sais pas si la situation qui prévaut est la même que celle
qu'il m'a été donné de connaître dans Maisonneuve
dernièrement.
Finalement, les rapports d'impôt pour les gens qui n'ont rien sont
compliqués, cela n'a plus de bon sens. Je me suis rendu compte
moi-même, cette semaine, en faisant la comparaison entre ce que j'ai
à remplir - malgré mes augmentations - pour faire ma
déclaration d'impôt et ce qu'une personne qui ira chercher son
crédit d'impôt foncier, son crédit d'impôt pour
enfant, son crédit d'impôt de taxe de vente, son crédit
d'impôt - qu'est-ce qu'il y a à part ceux-là, il y en a un
autre - d'huile... Non? C'est quelque chose d'incroyable. Seulement l'illustrer
par les annexes qu'il faut remplir, cela n'a pas de bon sens. Moins on
possède, plus c'est compliqué à remplir. Je me demande si
les gens vont vraiment chercher ce à quoi ils ont droit avec les
crédits d'impôt.
M. Richard (Jean): Je pense qu'il faudra être vigilants et
regarder comme il faut les formules pour bénéficier du programme
APPORT également. Il y a des contrôles qui y sont assujettis. Je
pense que cela vaudrait la peine. Je ne sais si c'est déjà
disponible...
Mme Harel: Faites-vous des déclarations d'impôt
présentement au CLSC? Avez-vous un service de déclarations
d'impôt?
M. Richard (Jean): Non, mais on travaille étroitement avec
des organismes du milieu, comme les services budgétaires populaires. Des
groupes, dans les paroisses, offrent ce service gratuitement pour les personnes
à faible revenu. La réalité dont vous parlez, pour nous,
n'est pas nouvelle, la difficulté qu'ont les gens à remplir ces
déclarations et, bien souvent, la nécessité d'aller
chercher une aide heureusement gratuite dans ces cas.
Mme Harel: Dans votre région, est-ce que les formulaires
pour le SUPRET, le programme antérieur qui était offert, sont
disponibles?
M. Richard (Jean): Pour le SUPRET? Vous voulez dire à
partir de 1988?
Mme Harel: Le SUPRET qui n'existera plus, mais qui existait
jusqu'à maintenant. Il a été aboli pour l'année
à venir.
M. Richard (Jean): D'accord.
Mme Harel: Mais il peut être inclus dans le rapport
d'impôt de l'année 1987 qui doit être terminé le 28
avril. Est-ce que les formulaires sont diponibles, à votre
connaissance?
M. Richard (Jean): À ma connaissance, oui. Mme Harel:
Les formulaires sont disponibles. M. Richard (Jean): A ma
connaissance, oui.
Mme Harel: Vous êtes chanceux, on n'en a pas à
Montréal.
M. Richard (Jean): Vous n'en avez pas à
Montréal?
Mme Harel: Dans les tableaux que vous nous présentez, on
voit bien illustrée la trappe de pauvreté, c'est-à-dire
qu'avec un maximum de gains de travail et un maximum de participation, ce sont
finalement les besoins à court terme qui sont comblés Prenons
deux adultes et deux enfants ou encore un adulte et deux enfants; c'est 79 %
des besoins à court terme. Il faut se rappeler que, pour chaque dollar
additionnel gagné une fois ces besoins essentiels couverts, avec le
projet de réforme, ce serait 1 $ de moins en transfert, sans qu'il y ait
une incitation possible au-delà des besoins essentiels Avec le programme
APPORT, il faut avoir moins de 300 $ par mois de revenus de transfert, moins de
300 $ par mois d'aide sociale ou d'assurance-chômage pour être
admissible au programme APPORT et avoir plus de 150 $ par mois de revenus de
travail. Vous comprendrez que pour bien des chefs de famille monoparentale,
moins de 300 $ par mois, cela suppose qu'il y ait des revenus de travail qui
soient de l'ordre de presque 600 $ par mois pour simplement équivaloir
aux barèmes actuels d'aide sociale pour une chef de famille avec un
enfant. 600 $ par mois, cela signifie à peu près 7200 $ par
année. Pour être admissible au programme APPORT, il faut avoir
moins de 300 $ d'aide sociale; sinon, on se retrouve dans le programme APTE,
dans la catégorie participant avec un maximum de gains de travail, et on
ne peut plus s'en sortir. À la page 18, vous illustrez bien que,
même avec le maximum de gains de travail, c'est environ 79 % qu'une chef
de famille avec deux enfants devra consacrer au logement, à
l'alimentation. Si elle gagne 1 $ de plus, ce ne sera pas pour en faire
profiter sa famille, ce sera pour recevoir 1 $ de moins sur son chèque,
si elle le déclare. Si elle ne le déclare pas, le pire peut lui
arriver. Vous avez d'ailleurs eu des cas de poursuites au criminel dans votre
région. Pourriez-vous nous en parler?
M. Richard (Jean): Oui, on peut vous en parler, bien sûr.
Ce sont des femmes qui ont été condamnées pour avoir
vécu maritalement sans le déclarer. Cela a d'ailleurs fait la
manchette des journaux, aux pages 2 et 3, dans la même semaine où
40 organisations populaires, communautaires et syndicales de notre
région prenaient position contre la réforme proposée par
M. le ministre.
Mme Harel: Y avait-il plusieurs cas ou un seul?
M. Richard (Jean): II y a eu deux condamnations dans la
même semaine.
Mme Harel: Condamnations par la Cour des sessions de la paix?
M. Richard (Jean): Oui, des condamnations au criminel. Cela a
soulevé tout le débat sur la question de l'autonomie des
personnes qui n'est pas reconnue, à notre avis, à l'heure
actuelle dans la Loi sur l'aide sociale, à savoir que les prestations ne
sont pas basées sur les personnes, mais sur la notion de famille: une
notion extrêmement vague. On n'est pas les premiers à en parler,
ici, en commission parlementaire; des groupes, comme la Ligue des droits et
libertés en particulier, ont soulevé cette question.
Cette question nous a profondément choqués, surtout quand
on voit l'arrogance avec laquelle les enquêteurs spéciaux
pénètrent dans les domiciles et le mépris qu'ils ont
souvent face aux bénéficiaires de l'aide sociale. Cela nous
amène à nous interroger profondément sur le sens de cette
réforme, et, finalement, sur l'absence d'intention ministérielle
déclarée sur la continuité des visites à domicile.
Cela nous préoccupe également.
Mme Harel: II y a eu deux condamnations, dites-vous?
M. Richard (Jean): Oui.
Mme Harel: Deux condamnations avec sentence. Quelle était
la sentence?
M. Richard (Jean): Une femme a été condamnée
à passer, je crois, sous toutes réserves, un mois en prison. Le
juge a accepté qu'elle ne fasse qu'une fin de semaine, du fait qu'elle
avait un enfant. Le juge a déclaré que c'était la plus
grosse fraude de sa vie - il n'avait probablement pas vu grand-chose - parce
que c'était une vie maritale non déclarée sur une
période d'une année.
Mme Harel: Est-ce qu'il y avait des enfants nés de
l'union?
M. Richard (Jean): Je ne pourrais pas vous répondre
là-dessus. Je connais la situation et la personne en cause, mais je ne
pourrais pas répondre à cette question. Chose certaine, c'est
qu'on a mis en lumière, encore une fois, des situations où les
femmes n'ont pas droit à leur vie affective sans être totalement
dépendantes de leur conjoint. C'est une situation inquiétante,
à notre avis. (21 heures)
Mme Harel: La question est très liée à toute
la présence ou non d'enfants nés de l'union. Ce qui est
totalement de l'ordre de l'inconcevable, c'est qu'on prétende que le
mari d'une femme chef de famille devienne son pourvoyeur et celui des enfants
dont il n'est pas le père. C'est une autre réalité que
celle de deux personnes qui ont des enfants communs nés de l'union.
Est-ce qu'il y avait eu décision de la Commission des affaires
sociales avant que cela ne soit porté devant la Cour des sessions de la
paix?
M. Richard (Jean): À ma connaissance, non, dans une des
situations au moins.
Mme Harel: La personne n'était pas allée en appel
devant la Commission des affaires sociales?
M. Richard (Jean): Non...
Mme Harel: Le bénéficiaire?
M. Richard (Jean): Non, c'est cela.
Mme Harel: Ah! D'accord. Parfait, je vous remercie.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre, vous
avez deux minutes.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je souhaiterais revenir dans les
deux minutes qui restent, parce que vous êtes l'organisme qui avez fait,
sur le plan de l'analyse des besoins et des barèmes, sur le plan de
chacun des éléments des composantes et de la méthodologie,
à part le ministère et le Dispensaire diététique de
Montréal, peut-être l'étude la plus détaillée
et la plus fouillée, et c'est là-dessus que vous avez axé
votre mémoire. On va faire distribuer aux membres de la commission le
rapport du Dispensaire diététique de Montréal et on va
également vous en remettre une copie. Si vous aviez l'amabilité
d'analyser ledit document et de tenter de déceler s'il y a des erreurs
dans cette procédure d'administration entre le ministère et le
Dispensaire diététique, ou de corriger, si les erreurs sont de
votre côté - moi, je ne suis pas le spécialiste qui peut
indiquer où sont ces erreurs-là - en tenant compte des
dépenses et, comme je l'ai indiqué également, de
l'ensemble des sources de revenu, parce que c'est ce que les deux autres
organismes ont fait.
Je ne peux cependant pas laisser, sans les commmenter, les quelques
remarques que vous avez adressées à l'endroit des agents d'aide
socio-économique qui rendent visite aux bénéficiaires de
l'aide sociale. Vous avez dit que ces gens-là entraient sans permission,
etc. Dans les cas précis qui ont été
dénoncés au cabinet, nous avons effectué des
vérifications pour nous assurer... Il y a un jugement de la Cour
supérieure qui a été rendu dans le cas des visites
à domicile et qui a bien établi ce fragile équilibre entre
le devoir qu'a le gouvernement de vérifier si l'argent des contribuables
est bien dépensé et le droit inaliénable du
bénéficiaire au respect de son domicile. Et le jugement, si je
peux paraphraser, de la Cour supérieure, était que, pour
pénétrer dans le domicile ou la résidence d'un
bénéficiaire, l'agent d'aide socio-économique se
devait d'obtenir l'autorisation du bénéficiaire. Ni la partie
plaignante ni le ministère ne sont allés en appel dudit jugement,
chaque partie se déclarant donc satisfaite de ce jugement de la Cour
supérieure.
Maintenant, je ne vous dis pas que c'est impossible qu'il n'y ait pas
des cas d'abus, il n'y a rien d'impossible dans les comportements humains. Si
vous aviez des cas où la loi a été littéralement
violée, parce que ce que la Cour supérieure a indiqué,
c'est l'application de la loi je vous saurais gré de nous les
transmettre ou de les transmettre à Mme la députée de
Maison-neuve pour qu'on s'assure que, oui, te gouvernement remplit son
rôle de saine gestion des fonds publics, mais qu'en même temps cela
se fait dans le respect de la charte québécoise, de la charte
canadienne et de l'interprétation qu'a faite la Cour supérieure
de l'application de la Loi sur l'aide sociale.
Merci de votre collaboration.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier le groupe?
Mme Harel: Merci de cette contribution importante et
singulière à notre commission.
Le Président (M. Bélanger): La commission des
affaires sociales remercie le CLSC Saguenay-Nord et invite à la table
des témoins l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc. - c'est comme
cela, oui? - représentée par Mme Bernadette Lang, M. Didier
Robert et M. Jacques Desrosiers. Alors, je vous invite à la table des
témoins.
Je demanderais à chacun de bien vouloir reprendre sa place, s'il
vous plaît. Que chacun reprenne sa place afin que nous puissions entendre
l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc.
À nos invités de l'Association des amis d'ATD Quart-Monde
inc., nos règles de procédure sont les suivantes: vous avez 20
minutes ferme pour présenter votre mémoire et, par la suite, il y
aura une période de discussion avec les parlementaires. Je vous
demanderais, chaque fois que vous prendrez la parole, s'il vous plaît,
c'est très important, de vous nommer pour les fins de la transcription
du Journal des débats nos sténotypistes ne vous
connaissant pas et ne reconnaissant pas vos voix.
Nous devrons, tout à l'heure, si vous le permettez, accepter une
absence de trois minutes du ministre qui doit faire un appel
téléphonique très important. C'est la première fois
et nous en sommes au quatre-vingt-dix-neuvième groupe. Je pense qu'on
peut lui pardonner cette minute-là, qu'H est aussi ministre du Travail
et député d'un comté.
Alors, si vous voulez présenter votre porte- parole ainsi que
votre équipe et procéder à la présentation de votre
mémoire, nous vous écoutons.
Association des amis d'ATD Quart-Monde inc.
M. Desrosiers (Jacques): M le Président, mon nom est
Jacques Desrosiers. Je suis de l'Association des amis d'ATD Quart-Monde et
membre du Mouvement international ATD Quart-Monde. Je suis accompagné de
Mme Bernadette Lang, volontaire permanente du mouvement ATD Quart-Monde et
déléguée nationale du mouvement international ici, au
Canada.
Est également présent M Didier Robert, qui est aussi
volontaire permanent d'ATD Quart-Monde et responsable du Centre de recherche
action sur la pauvreté.
Je voudrais immédiatement passer la parole à Mme Lang et
lui demander de commencer l'exposé de notre mémoire.
Mme Lang (Bernadette): M le Président, M le ministre, Mme
la députée de Maisonneuve, mesdames et messieurs les
députés, au nom de l'Association des amis d'ATD Quart-Monde qui,
au Canada, représente le Mouvement international ATD Quart-Monde, je
voudrais particulièrement vous remercier de nous associer à cette
consultation sur le document d'orientation. Permettez-moi, en quelques
instants, de nous présenter puisque nous ne nous connaissons pas
encore.
Notre mouvement a été fondé en 1957, en France, par
le père Joseph Wresinski et sous l'impulsion de quelques familles
très pauvres II a révélé l'existence d'une couche
de population exclue des circuits économiques, politiques, culturels,
spirituels, etc. Cette population s'est donné une identité en
prenant le nom de Quart-Monde. L'objectif du mouvement est que ces familles
puissent vivre dans la dignité, qu'elles aient les moyens
d'élever leurs enfants et de participer, par leur travail, à
l'avenir du pays, qu'elles prennent enfin place dans les projets de la
société et acquièrent les moyens d'expression et de
représentation dont disposent les autres groupes de citoyens.
Représentant des familles parmi les plus
défavorisées, le mouvement s'est efforcé de devenir
partenaire partout où la lutte pour la dignité humaine, pour les
droits de la personne est prise en considération. Et c'est au nom des
familles du quart-monde que le mouvement a progressivement été
consulté par les principales organisations internationales, comme l'ONU,
l'UNESCO, le BIT, la Commumauté économique européenne, la
Banque mondiale, etc., et par des instances publiques nationales, comme les
commissions parlementaires en Suisse, en Belgique, ou le Conseil
économique et social en France. Au Canada, et plus
particulièrement au Québec, depuis six ans, nous n'avons pas
songé à susciter nous-mêmes une organisation de familles
très
pauvres, tant la vie associative y est déjà riche et
dynamique. Il s'agira donc bien plus, pour nous, de nous appuyer sur cette vie
associative et de chercher à établir des échanges
d'expériences. Cette tâche se trouve facilitée au
Québec qui a une vie démocratique que bien d'autres pays
pourraient nous envier. L'existence de la présente commission en est la
preuve.
Le mouvement essaie, au Québec comme ailleurs, de créer
une alliance dans tous les secteurs de nos sociétés et
particulièrement avec ceux et celles qui sont engagés dans cette
même voie, à savoir faire échec à la misère.
Il repose sur des volontaires permanents qui, ensemble, choisissent d'unir
leurs compétences, leur destinée à celles des familles les
plus démunies. Ces volontaires se forment en permanence à la
connaissance et à l'action en milieu défavorisé. Le
mouvement ATD Quart-Monde, par son institut de recherche, a pour objectif
d'apprendre et de retransmettre l'histoire du quart monde. Il tente d'analyser
les mécanismes de l'exclusion et de promouvoir des solutions. C'est
ainsi que le père Joseph Wresinski en tant que membre du Conseil
économique et social français, a pu réaliser un rapport
sur la grande pauvreté et précarité économique et
sociale. Ce rapport, voté à une très large majorité
en 1987, fait aujourd'hui l'objet d'une expérimentation dans treize
départements pilotes. C'est donc en nous appuyant également sur
ce rapport et pour partager cette expérience que nous présentons
ce mémoire.
Le but commun des plus démunis et de leur expérience de
vie, ainsi que de toutes les réformes les concernant ne peut être
que de vouloir détruire la condition de misère et ceci,
grâce à un support adéquat et à des mesures non
plus parcellaires, mais globales.
Nous sommes convaincus que le projet de réforme entre dans cet
objectif de réduction des inégalités et de destruction de
la misère. Mais les moyens proposés peuvent-ils y parvenir?
Résistent-ils à une confrontation avec les situations
réellement vécues par les plus démunis? Accepterons-nous
de prendre comme critère d'efficacité la réussite de la
réforme avec les plus démunis, c'est-à-dire avec ceux et.
celles qui vivent les situations les plus inacceptables? Une réforme qui
réussit à mettre fin aux situations les plus injustes ne
serait-elle pas la mieux armée pour réussir face aux autres
situations de précarité?
Pour notre part, nous n'attendons pas d'une politique de
sécurité du revenu qu'elle vienne, à elle seule, à
bout de la misère. Mais nous attendons qu'elle garantisse la
sécurité du revenu et qu'elle atteigne l'objectif qu'elle s'est
fixé.
M. Robert (Didier): Nous vous proposons, M. le Président,
de poursuivre notre contribution autour de trois points. Le premier point porte
sur la difficulté d'une telle réforme du fait des situations
vécues par les plus démunis. Le second point s'arrête sur
certaines dispositions qui semblent présenter des risques graves pour
l'avenir des plus démunis. Le troisième point envisage comment
cette réforme pourrait servir de support à une politique
d'ensemble, de lutte contre la pauvreté et de prévention des
précarités. Choisir de réussir avec les plus
démunis, avec ceux et celles qui vivent les situations les plus
inacceptables, est vraiment difficile, mais existe-t-il un autre choix? De
façon certaine, agir en permanence contre les injustices les plus graves
demande une volonté politique car plusieurs obstacles sont à
surmonter. Le premier obstacle provient du nombre important de personnes et
familles qui dépendent durablement du bien-être social. Nous ne
revenons pas sur les chiffres, ils figurent dans le document d'orientation. Le
second obstacle provient du lien maintenant établi entre pauvreté
durable et cumul de plusieurs précarités dans des domaines comme
le logement, la formation et l'état de santé. Et la
dépendance qui en résulte empêche les personnes
concernées de parvenir à reconquérir leurs droits et
à réassumer par elles-mêmes leurs responsabilités.
(21 h 15)
Vous le savez - le document d'orientation en fait également
état - ce cumul de précarités ne frappe pas du tout au
hasard. Lorsqu'une personne ou une famille se trouve déjà
confrontée à des difficultés, lorsque son niveau
socio-économique est déjà affaibli, toute nouvelle
précarité qui surgit risque d'en entraîner d'autres. C'est
alors que les précarités se renforcent.
L'absence de sécurités en vient à compromettre un
véritable exercice des droits et c'est bien cela qui rend la
réforme difficile. Les personnes et familles durablement sur le
bien-être social ne sont plus alors véritablement citoyennes.
Elles ne peuvent plus assumer leur responsabilité de parents, de
locataires ou de demandeurs d'emploi sans qualification.
Cette réflexion sur les atteintes à la citoyenneté
pour cause de pauvreté fait l'objet de travaux, vous le savez, à
l'ONU, à Genève, au Conseil de l'Europe et dans plusieurs pays
industrialisés. La pauvreté ainsi progressivement reconnue pour
ce qu'elle est, c'est-à-dire une violation des droits de la personne.
Par exemple, que représente le droit de voter lorsqu'on est sans
domicile ou le droit de circuler lorsqu'on est obligé d'aller d'un
logement insalubre à un autre? Que représente le droit à
l'autonomie, lorsqu'on est analphabète, ou le droit à
l'expression lorsqu'on vit les yeux baissés dans la peur d'être
contrôlé, mal compris ou bien de voir son
électricité coupée? Le droit à
l'égalité ne serait-il pas aussi à garantir pour tes
minorités les plus démunies?
Afin de contribuer au choix des dispositions définitives de la
réforme, il nous semblait important de rappeler que le cumul des
précarités et la vie en dehors des droits de tous obligent les
plus démunis à se forger une expérience de
survie dans des conditions très précaires. Ils connaissent
la dépendance du chèque mensuel ou la dépendance des
soupes populaires et des comptoirs alimentaires et vestimentaires dont
malheureusement le nombre ne cesse de croître. En fait, ce que nous
pourrions interpréter parfois comme un refus de s'en sortir est
peut-être une grande sagesse des intéressé, celle de
préserver le fragile réseau de survie qu'ils ont tissé
tant que ne sont pas réunis des moyens pour faire des projets
au-delà du lendemain. Cela peut se traduire, par exemple, par
l'acceptation d'un petit travail temporaire, non qualifié et non
reconnu, et le refus d'une formation dont l'issue semble encore incertaine.
Si vous le souhaitez, nous reviendrons sur l'importance, à notre
sens, de se fier à l'expérience de résistance à la
misère des plus démunis eux-mêmes. C'est une
référence fondamentale pour notre mouvement.
Beaucoup a été dit sur les dispositions du projet de
réforme. Nous voudrions nous arrêter sur quelques points, en
tenant compte des modifications que M. le ministre est déjà
déterminé à apporter. Nous l'avons dit, la réforme
ne peut, à elle seule, venir à bout de la misère, mais
elle peut garantir la sécurité du revenu. Dans ses dispositions
actuelles, cette garantie semble encore incertaine, précaire et soumise
à plusieurs arbitrages. Par exemple, sera-t-il possible, avec des
prestations réduites, de parvenir au bout d'un apprentissage de la
lecture et de l'écriture, ou au bout de l'acquisition d'une
première qualification?
Pour inciter à la promotion, faudra-t-il pénaliser celui
qui accepte de cohabiter avec une autre personne démunie dans un
logement souvent trop petit? Faudra-t-il transformer ou risquer de transformer
la famille en terrain de conflits en obligeant des jeunes à retourner
chez leurs parents pour la seule raison que ceux-ci pourraient subvenir
à leurs besoins? Afin d'envisager une promotion, il nous semble que le
plancher de ressources devrait rester un minimum en dessous duquel personne ne
doit descendre, et non pas un maximum auquel il faudrait ramener toutes les
personnes qui recourent à l'aide sociale.
Nous voudrions ajouter encore qu'une trop grande complexité des
procédures et une multiplicité de statuts réduiraient
fortement le temps dont disposeraient les travailleurs sociaux pour remplir
leur mission première d'accompagnement social. Là encore, les
familles les plus démunies nous ont appris que, lorsque la
pauvreté dure depuis trop longtemps, nous leur devons un accompagnement
social. Elles y ont droit, tout comme elles ont le droit, d'ailleurs, si elles
le désirent, de vivre en famille. Dans tous les pays où nous
sommes implantés, des parents, et souvent parmi les plus exclus des
droits, nous disent leur volonté d'avoir les moyens d'assumer leurs
responsabilités de parents, c'est-à-dire d'assurer un avenir
meilleur à leurs enfants.
Aussi semble-t-il primordial de veiller à ce que des parents ne
soient pas contraints, par exemple, de se déclarer séparés
pour moins voir leurs enfants souffrir du manque de ressources. Nous avons
malheureusement constaté combien des conditions de vie trop
précaires finissent par avoir raison de la famille.
À propos de la distinction entre aptes et inaptes, nous sommes
heureux que M. le ministre souhaite tenir compte des craintes
d'étiquetage émises par les organisations des handicapés.
Permettez-nous de prolonger cette réflexion en soulignant que ceux qui
cumulent le plus de précarité, sans avoir de handicap reconnu,
risqueraient progressivement d'être jugés inaptes dans les faits.
Ils subiraient eux aussi un étiquetage. En effet, comment qualifier
d'aptes au travail, et même d'inaptes, des personnes à qui on
n'aurait pas donné auparavant les moyens d'exercer leurs droits à
un logement décent, à l'éducation et à la
formation? En fait, ceux et celles que la misère aurait le plus
usés, c'est-à-dire ceux et celles qui doivent être
prioritaires dans nos projets, recevraient comme un dernier coup qui les ferait
se conformer à l'étiquette que nous leur aurions donnée,
l'étiquette d'inapte ou celle d'apte, mais seraient
considérés après quelques mois comme incapables de trouver
un emploi.
À plusieurs reprises, nous avons fait état de
l'avancé de la compréhension sur la dépendance des droits
entre eux. C'est précisément sur cette question
d'interdépendance des droits et des politiques que nous voudrions
évoquer très brièvement le travail effectué par le
Conseil économique et social en France. Le constat est courageux, mais,
M. le Président, je ne renie pas mes origines en disant qu'il n'est pas
à la gloire du pays concerné puisque le CES a tout d'abord
été conduit à découvrir et à
reconnaître qu'en France les droits de la personne n'étaient pas
respectés pour les plus démunis. Face à ce constat, il a
cherché à comprendre comment les précarités
s'accumulent et à démontrer cette interdépendance des
droits et de leur violation. Il est apparu que, lorsqu'un droit fondamental
comme celui de se loger n'est pas respecté, les autres droits ne sont
plus accessibles. Une personne assistée sociale l'exprimait ainsi
récemment: pour avoir un logement, on a besoin d'argent, mais pour avoir
notre argent du bien-être social, on doit avoir un logement. Le Conseil
économique et social a donc fondé ses propositions sur le constat
selon lequel l'interdépendance des droits nécessitait une
approche globale comprenant des politiques en divers domaines: le logement, la
santé, l'éducation, la formation et, dans toute la mesure du
possible, l'emploi.
L'ensemble des propositions mériterait d'être
étudié. Nous ne retenons que deux recommandations directement
liées au projet de réforme. Tout d'abord, la
nécessité de mettre en place un accompagnement social
approprié et, en
ce sens, les programmes de formation personnalisée pourront
donner des résultats très positifs, mais la formation de ceux et
celles qui devront concevoir et appliquer ces programmes sera vraiment
déterminante. Le second point, c'est la nécessité de
garantir une sécurité minimum des ressources, mais comme un
élément de sécurité vraiment préalable, pour
qu'une famille puisse s'engager dans un processus d'insertion.
De l'avis de notre mouvement, l'enjeu pour les plus démunis est
aujourd'hui double. Il convient d'aboutir à une réformé de
la politique de sécurité du revenu qui assure vraiment cette
sécurité, mais il convient d'engager une réflexion et une
action pour que soit expérimentée et adoptée une politique
globale et permanente de lutte contre la pauvreté. En tant que mouvement
de familles parmi les plus démunies, nous nous permettons de formuler
cette proposition: dans l'état actuel des connaissances en
matière de lutte contre la pauvreté, et compte tenu de la
réflexion et des pratiques innovatrices développées au
Québec, particulièrement dans le cas de très nombreux
groupes communautaires, pourquoi une loi-cadre ne serait-elle pas
envisagée? Une telle loi-cadre pourrait définir des politiques
à engager pour prendre en compte les plus démunis en ce qui
concerne leur droit au logement, à la santé, à
l'éducation, à la formation et, bien sûr, dans toute la
mesure du possible, à l'emploi. Ces politiques supposeraient, comme nous
le disions il y a quelques instants, la garantie d'un accompagnement social et,
bien sûr, la sécurité du revenu. On pourrait penser qu'une
telle loi sera étudiée dans le cadre d'une commission
pluridisciplinaire, une commission parlementaire. Il est certain que les
défenseurs des droits de la personne, et notamment la Commission des
droits de la personne, devraient être associés à une telle
réflexion.
En conclusion, nous voudrions dire notre confiance dans la
volonté des plus démunis de continuer à résister
à la misère et à la combattre. Ils ont trop souvent
prouvé cette volonté aux 300 volontaires permanents de notre
mouvement répartis dans le monde, ainsi qu'aux intervenants avec
lesquels nous travaillons ici, au Québec. Nous avons également
confiance dans la volonté du gouvernement de faire de la lutte globale
et permanente contre la pauvreté une priorité pour toute la
province. Le Québec pourra, une fois de plus, donner l'exemple. Nous
vous remercions, M. le Président, de nous avoir écoutés.
Merci.
Le Président (M. Thuringer): Merci. M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Je souhaiterais remercier
l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc. et leurs porte-parole, autant
pour la qualité du mémoire écrit que pour la
qualité de la présentation verbale. Je repren- drai, dans un
premier temps, les propos qui ont terminé votre exposé verbal
lorsque vous avez parlé de lutte à la pauvreté. Il faut
toujours se méfier, dans une société, de cet écart
qui peut se dresser entre ceux et celles qui profitent de la croissance
économique et qui augmentent leur richesse en laissant au bas de
l'échelle ceux et celles qui sont laissés en marge du
progrès ou du développement économique. Cette ligne de
pauvreté ne se situe pas nécessairement et absolument en ce qui
concerne la clientèle actuelle de l'aide sociale. Elle peut
également inclure, dans certains cas, des travailleurs à faible
revenu, des travailleurs ou des travailleuses qui détiennent des emplois
précaires dans la société, etc. C'est à cette
clientèle au bas de l'échelle que le gouvernement, depuis deux
ans, prête une attention tout à fait particulière. Je vais
vous donner quelques exemples pratiques d'actions ou de gestes qui ont
été posés de façon à s'assurer que
l'écart ne continue pas à se creuser, mais qu'au contraire il y
ait un rapprochement.
En 1987, au Québec, le salaire minimum a été
haussé de 8,75 % sur une base annuelle. L'aide sociale a
été haussée de 4,1 % sur une base annuelle. Les gens qui
ont négocié des conditions de travail par le biais de conventions
collectives ont reçu des augmentations en moyenne de 3,7 % et, quant
à lui, le salaire hebdomadaire moyen au Québec a connu une
croissance de 2,1 %. On se rend compte à partir de ces statistiques que
les gens qui étaient à l'aide sociale et au salaire minimum ont
connu une croissance en pourcentage plus importante que les gens qui
étaient bien représentés sur le plan des
négociations par voie de conventions collectives, ou l'ensemble de la
population qui reçoit une rémunération dans la
société.
Les indications que nous avons, pour l'année 1988, vont dans le
même sens. Il faut continuer à aller dans le même sens parce
qu'il y a du rattrapage à faire et parce que la crise économique
du début des années quatre-vingt a frappé beaucoup plus
durement ceux et celles qui se retrouvaient au bas de l'échelle que ceux
et celles qui pouvaient plus facilement l'absorber. (21 h 30)
Ayant fait ces remarques, j'en viens à la conclusion de votre
mémoire écrit, cette fois-ci. Vous concluez de la façon
suivante, vous nous dites: "En ayant mis en place une politique fondée
sur le droit à la sécurité du revenu, dès 1970, le
Québec était en avance sur de nombreux pays. On ne peut imaginer
qu'au lieu de renforcer cette politique de sécurité du revenu par
des actions d'éducation, de formation et d'accès à
l'emploi, il revienne à des pratiques qui portent atteinte aux droits de
la personne. Nous avons confiance dans la volonté des plus
démunis de continuer à combattre la misère. Nous voulons
croire dans la volonté du gouvernement de faire
de la lutte globale et permanente contre la pauvreté une
priorité pour toute la province."
Vous touchez là ce que nous prétendons, à tort ou
à raison, être le coeur du programme APTE que nous proposons aux
bénéficiaires de l'aide sociale. Vous avez parlé dans
votre document écrit, et vous l'avez traduit verbalement, de
l'importante question du droit à l'égalité dans la
société. Nous avons de la difficulté à nous
imaginer, au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, que ce droit à l'égalité
d'obtenir un emploi rémunérateur et valorisant existe pour nos
quelque 300 000 bénéficiaires de l'aide sociale qu'on dit aptes
au travail, mais qui sont des analphabètes fonctionnels. Nous avons de
la difficulté à croire que les 60 % de notre clientèle
dite apte au travail, qui n'ont pas complété leurs études
secondaires de base, ont accès à l'égalité quand
vient le temps de poser leur candidature à un emploi, alors qu'on sait
que c'est une exigence minimum. On a de la difficulté à croire,
au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du
revenu, que quelqu'un qui n'a aucune expérience de travail reconnue a
une possibilité ou une chance à l'égalité pour
obtenir un emploi lorsqu'il y a création d'emplois, comme c'est le cas
au Québec depuis les deux dernières années.
Nous avons décidé d'investir en matière
d'éducation pour les gens à qui cela convient, en matière
de formation et d'accès à l'emploi. Les programmes que nous avons
expérimentés dans le passé, chez notre clientèle de
30 ans et moins, s'appellent Stages en milieu de travail, Travaux
communautaires et Retour aux études postsecondaires pour les chefs de
famille monoparentale. Ce genre de programmes permet d'augmenter ce que vous
appelez le revenu de base. Ce que le gouvernement offre, ce n'est pas une
économie d'argent, s'il y a participation pleine et entière
à ces programmes d'amélioration de l'employabilité,
à ceux-là et à d'autres, c'est une dépense
additionnelle de quelque 445 000 000 $ sur une base annuelle de sorte que,
comparés au système actuel, tous les barèmes sont
augmentés sauf dans le cas des chefs de famille monoparentale qui
participaient déjà à un programme comparé. Ceux qui
ne participaient pas voient également leur barème
augmenté. Est-ce que l'on fait fausse route en modifiant la base de
notre système pour tenter de l'approcher de la clientèle qui a
évolué? La loi de 1970 traitait - elle avait été
précédée du rapport Boucher - d'une clientèle qui,
pour les trois quarts, était considérée comme incapable de
travailler, alors que la clientèle de 1987, et davantage celle de 1988,
est considérée comme capable de travailler. Même
aujourd'hui, avec l'évolution technologique, des personnes ou des
individus que l'on considérait traditionnellement Incapables de
travailler sont maintenant considérés capables. C'est sur cotte
orientation et sur l'ajout des montants d'argent que le gouvernement serait
prêt à consacrer que j'aimerais avoir vos réactions comme
organisme. J'adresse la question aux porte-parole, au singulier ou au pluriel,
qui veulent ou qui voudront bien y répondre.
M. Robert: Nous vous remercions, M. le ministre. Vous avez
soulevé beaucoup de points importants. C'est sûr que les exemples
de réduction des écarts que vous avez donnés sont
absolument fondamentaux parce que tout le monde connaît cet accroissement
des écarts dans nos sociétés. Ce qui nous amène
à nous interroger sur chaque réforme et sur ce projet de
réforme, ce sont justement ceux qui sont victimes de l'écart le
plus grand et depuis le plus longtemps. En fait, c'est certainement là
que le défi à relever est le plus dur. Tout ce que vous avez
évoqué sur la nécessité de rapprocher les
clientèles, etc., ce sont des politiques qu'il faut absolument mener,
sinon, ceux qui sont au pied de l'échelle sociale verront leur nombre
augmenter. Nous nous préoccupons beaucoup de savoir comment on va
redonner une chance à ceux qui, déjà, depuis le plus de
temps, se trouvent au pied de l'échelle. Je me permettais de dire que ce
n'était pas un constat glorieux, pour un pays comme la France, de
constater qu'on n'y respectait pas les droits de la personne, mais il a fallu
passer par ce constat. Vous avez rappelé tout à l'heure les
chiffres, le nombre d'analphabètes, le nombre de personnes sans
formation. Quand vous êtes dans cette situation, il est sûr
qu'avoir le droit de voter, avoir le droit de s'exprimer, cela ne veut plus
dire grand-chose. Donc, on s'interroge et on se dit: Là, on est dans une
société qui se réclame des droits de la personne et il y a
quand même une question qui nous est posée. C'est pour cela qu'on
se demande comment, dans le projet de réforme proposé, ces
personnes pourront franchir la première marche. C'est pour cela que
certaines mesures nous inquiétaient; on les a mentionnées. On se
dit qu'il faut certainement, en dessous d'un certain seuil, commencer à
garantir à une personne la possibilité de faire un nouveau projet
sans déjà envisager certaines pénalisations si elle ne
peut pas s'engager dans un programme. Vous voyez, il nous semble qu'il y a
là une question qui est vraiment posée pour parvenir à ce
que les plus démunis s'en sortent véritablement.
Je voulais juste donner l'exemple d'un autre pays qui nous a beaucoup
fait réfléchir, c'est la Suède. En fait, on disait que le
Québec était dans les permiers, mais la Suède a encore
été de l'avant pour instituer un revenu minimum. Les
Suédois sont partis du raisonnement que les pauvres étaient des
riches sans argent et ils se sont dit: On va garantir un revenu et le
problème sera résolu. Ce qui fait que s'est
développée en Suède, on en a été
témoins sur le terrain, toute une politique - le mot est fort, mais
c'est la vérité - vraiment très répressive par
rapport aux plus démunis. On se disait On leur a garanti un revenu et
ils ne s'en sortent pas. Il est sûr
que la réflexion sur le cumul des précarités, sur
le fait que, quand vous n'avez pas un logement où les enfants peuvent
faire leurs devoirs, c'est difficile de réussir à l'école,
etc., n'était pas assez poussée, ce qui fait que les plus
démunis et leurs organisations n'ont pas pu dire: On nous a donné
de l'argent, mais le reste n'a pas suivi.
Alors, nous voudrions vraiment que le fait qu'il y a des gens qui soient
durablement à l'aide sociale, au Québec, ne nous conduise pas
à dire: Ce n'est pas la solution, mais qu'on aille vraiment jusqu'au
bout des actions complémentaires. Je ne sais pas si vous sentez ce qui
nous... C'est vraiment cela qui nous préoccupe dans le projet qui se
prépare actuellement.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous nous avez donné
l'exemple de la Suède. Je tente de décoder un peu le message que
vous voulez nous transmettre. Si vous donnez de l'argent sans les autres
mesures d'accompagnement, et cela rejoint l'une de vos conclusions, vous
risquez d'avoir l'effet contraire, finalement, d'abandonner les gens avec
l'argent qui sera dépensé et de créer, dans la population,
une réaction qui serait négative. Est-ce que, d'après ce
que vous en savez, les Suédois ont apporté des correctifs
à cette politique, et avec quels résultats?
M. Robert: II est encore trop tôt pour parler des
résultats, mais, actuellement, ils sont vraiment en train de mettre en
place des politiques de formation. Vous pourriez certainement, beaucoup mieux
que nous, les interroger directement. Il y a une expérience
intéressante parce qu'elle a une durée, mais elle a vraiment
été très dure à vivre pour les personnes
concernées. Cela a ancré dans la population - là, je parle
de l'opinion publique - l'idée que les plus pauvres ne voulaient pas
s'en sortir et voilà, on leur donne de l'argent et ils ne s'en sortent
pas. C'est vraiment très grave parce qu'il y a déjà
suffisamment le poids de la misère pour ne pas ajouter un regard....
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que vous connaissez assez
bien nos programmes dits d'employabilité pour les comparer à des
expériences vécues ailleurs, soit là où vous
êtes présents, en Amérique ou en Europe? Je parle des
programmes d'employabilité qui s'adressaient spécifiquement aux
18-30 ans et qui s'adressent encore spécifiquement aux 18-30 ans.
M. Robert: Vous savez, on est des... Pardon?
M. Desrosiers: Ce que je pourrais dire là-dessus, vous
faites référence aux programmes qui s'adressent
présentement aux 18-30 ans, c'est qu'on n'a pas suffisamment de
données pour comparer par rapport à ce qui s'est fait en Europe,
et des choses comme cela, parce que, pour ces programmes-là, même
s'ils ont quelques années, on n'a pas encore de données. Par
exemple, on sait que certains de ces programmes ont mieux marché que
d'autres qui marchent moins bien, et tout. À ce stade-ci, je ne pense
pas qu'on soit en mesure de vous apporter une réponse satisfaisante
là-dessus, finalement.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): II existe quand même deux
niveaux d'analyse sur ce qu'on peut comparer d'un programme: la
définition du programme, c'est-à-dire son aspect théorique
et, par la suite, son application pratique. Vous avez sans doute raison sur le
deuxième aspect, mais, quant à la conception théorique
desdits programmes, est-ce que vous avez une base de comparaison avec ce qui se
fait surtout en Europe?
M. Robert: Vous nous posez une question. Il faut qu'on travaille.
On ne voudrait pas avancer, comme cela, des choses pas suffisamment
fondées. On a les matériaux et on pourrait tenter d'apporter des
éléments. Ce qui nous...
M. Paradis (Brome-Missisquoi):... tendance à abuser des
gens qui, déjà, donnent beaucoup de leur temps et de leur talent
pour des causes. Ce qu'on pourrait faire, du côté du
ministère, c'est de vous donner des descriptions, sur le plan technique,
des programmes que l'on administre présentement ici. À travers
vos contacts internationaux, si vous pouviez sommairement nous mentionner nos
carences, nos faiblesses ou nos points forts à la suite des
expériences qui ont été vécues ailleurs, cela nous
permettrait de comparer ce que les machines officielles gouvernementales se
sont échangé avec des gens qui oeuvrent à
l'extérieur du monde gouvernemental, et ce serait très
intéressant.
En vertu de la règle de l'alternance, Mme la
députée de Maisonneuve.
Le Président (M. Thuringer): Allez-y.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Ce sont certainement
des questions de fond que vous nous invitez à discuter avec vous.
J'aimerais peut-être reprendre là où le ministre vient de
laisser. Essentiellement, pour nous illustrer l'expérience de la
Suède, vous avez... je caricature à peine en disant: Ils ont
offert de l'argent sans offrir les autres mesures d'accompagnement. La question
est de savoir si, dans ce projet gouvernemental, on offre les mesures
d'accompagnement, puisqu'on sait qu'on n'offre pas d'argent. En d'autres
termes, là où la Suède disait "offrez de l'argent sans les
autres mesures d'accompagnement", le projet ministériel, à
l'égard des personnes dites aptes, offre les mesures d'accompagnement,
mais les taux d'imposition restent "confiscatoires" si quelqu'un veut
définitivement s'en sortir en essayant d'occuper un emploi quelconque,
à temps partiel, occasionnel... Dans l'esprit de la population,
l'idée que les pauvres ne veulent pas travailler vient en
partie du fait que, s'ils travaillent, les travaux qui leur sont
disponibles sont des travaux qui, très souvent, sont moindres que les
barèmes des prestations qu'ils peuvent percevoir parce que ce sont des
travaux qui n'assurent pas nécessairement un emploi régulier.
Une des premières mesures pour modifier la perception que la
population peut avoir, c'est certainement de ne pas "désinciter" les
pauvres à occuper un emploi chaque fois qu'ils le peuvent en les
pénalisant du fait d'aller chercher, de confisquer d'une certaine
façon, les montants qu'ils peuvent acquérir au-delà des
prestations qu'ils ont.
Je ne sais pas comment cela s'est passé en Suède, je ne
sais pas s'il y avait une incitation qui était de l'ordre de permettre
de garder des gains de travail au-delà des besoins essentiels du strict
minimum. (21 h 45)
La deuxième question, c'est: Est-ce qu'on offre les mesures
d'accompagnement? Je pense que c'est une question extrêmement importante
à laquelle, jusqu'à maintenant, le ministre n'a pas
répondu, sauf de dire qu'il y avait un bar ouvert: si les personnes le
voulaient, si la demande était de 100 %, les dépenses
additionnelles seraient de 100 %. On appelle cela un "bar ouvert", c'est une
mauvaise expression, mais c'est "on se sert..."
M. Paradis (Brome-Missisquoi): On se sert à
volonté.
Mme Harel: On se sert à volonté. Sauf que, ce que
le ministre sait, c'est que - pour prendre le même mauvais exemple - les
tablettes ne sont pas garnies, les bouteilles ne sont peut-être pas
totalement vides, mais à moitié pleines sûrement. Il est
fort possible que, disons, pour continuer le mauvais exemple la
clientèle qui va se présenter va être d'autant plus
importante qu'on va élargir à 243 000 ménages des
programmes qui étaient seulement offerts à environ 48 000 d'entre
eux, 84 000 plutôt, mais dont un certain nombre, une vingtaine de mille
seulement bénéficieraient.
Je ne veux pas mettre en doute les bons sentiments du ministre, mais
quand il dit qu'il investit en matière d'éducation, de formation
et d'accès à l'emploi, moi, je le mets au défi, s'il veut
vraiment investir, de le prouver en mettant sur la table ces 445 000 000 $
qu'il dit que son gouvernement est prêt à mettre à la
disposition des ménages aptes, et à les mettre sur la table pour
vraiment entreprendre, avec les partenaires sociaux du monde de
l'éducation, un vrai projet de campagne de scolarisation et
d'alphabétisation avec les groupes communautaires, pour entreprendre un
vrai programme de formation en matière de main-d'oeuvre, pour
entreprendre un vrai programme d'accès à des emplois
communautaires qui pourraient être générés. Il va
arriver, à un moment donné, une minute de vérité
dans tout cela parce que, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'analyser
les barèmes, je comprendrais que non, mais il y a une catégorie
qui s'appelle "admissible". C'est la catégorie où on dit au
client d'attendre et de ne pas entrer dans le bar parce que les bouteilles sont
vides. C'est, vous allez me dire, un mauvais exemple, mais je pense que
l'opinion publique est capable de comprendre qu'on juge un projet, non pas aux
bons sentiments, mais aux effets qu'il produit. Les effets, ce sont sans doute
plus ceux de l'ordre de ceux que vous avez décrits dans votre
mémoire quand vous dites, je pense que c'est à la page 7, que
cela sera un facteur d'exclusion, l'étiquetage entre apte et inapte, et
vous considérez que cette distinction constitue pourtant la plus grosse
faille, qu'elle aboutirait nécessairement, dans les faits, à un
classement, à un étiquetage des pauvres.
J'aimerais vous entendre sur ces mesures d'accompagnement. Que
doivent-elles être, selon vous, ces mesures d'accompagnement qui
soutiennent une démarche vers une sortie de la pauvreté?
M. Robert: Vous nous avez posé une question énorme.
Et je crois que... Enfin, c'était un de nos premiers soucis, vous l'avez
vu, de ne pas hésiter à rappeler - et c'est quand même
forts d'une expérience qui en vaut d'autres - que vouloir vraiment
détruire la misère c'est une tâche monumentale, mais on n'a
pas le choix parce qu'elle est inacceptable. Alors, c'est pour cela que je
trouve la question difficile. Nous allons tenter de donner quelques
éléments. L'inquiétude de fond, vous l'avez dit, c'est que
les plus pauvres, à la fin, soient jugés, parce qu'effectivement
on jugera au résultat, cela c'est absolument sûr. Cela nous permet
de donner une indication qu'on n'a pas abordée, c'est qu'il y a
certainement un gros travail de sensibilisation à faire au niveau de
l'opinion publique parce que, nous les premiers, avant de vraiment rencontrer
les plus démunis, on avait, comme beaucoup, ce que j'appellerais des
clichés, et les plus pauvres nous ont amenés complètement
ailleurs. Ils nous ont montré que, finalement, vivre dans la
misère c'est un exploit chaque jour. On voit tellement les
difficultés, les failles, le fait qu'en étant hors des droits les
plus démunis en arrivent souvent à être dans leur tort, et
objectivement dans leur tort. Donc, on voit cet aspect-là, et finalement
on ne voit pas toujours la prouesse d'un père et d'une mère de
famille, ou d'une mère seule, pour arriver à ce que la maison
tourne à peu près. Donc là, il y a certainement une
sensibilisation importante à faire. Cela aidera à comprendre
qu'on met du temps à tomber vraiment durablement dans la misère,
mais qu'il faut aussi accepter qu'il faut du temps pour en sortir.
Sur l'accompagnement, il y a peut-être deux types
d'accompagnement. Il y a cet accompagnement social qui est, vous parlez dans
votre
projet d'un programme de formation personnalisée qui sera une
sorte, si nous avons bien compris, de contrat entre l'intéressé
et un partenaire, où l'un et l'autre s'engageront à quelque
chose. Mme Harel pose les questions: Est-ce qu'il y aura assez de programmes?
Est-ce qu'il y aura assez de personnes? C'est sûr que c'est une question
de fond parce qu'un accompagnement personnalisé, il n'y a rien de plus
exigeant et il le faut. Donc, il y a ce type d'accompagnement.
Quant à l'autre aspect - et c'est peut-être là
où vous l'avez vu dans notre document - on tenait à dire qu'on ne
voulait pas accuser une réforme de la sécurité du revenu
de ne pas détruire la misère. Elle ne le peut pas. C'est pour
cela qu'on se permettait de proposer cette idée d'une réflexion
plus globale. Si le ministère de l'Éducation, par exemple, ne
prend vraiment pas la question en main et ne se dit pas: Comment va-t-on
s'attaquer à l'analphabétisme dès le départ?
Comment va-t-on permettre qu'il y ait un lien entre l'école et le milieu
familial de l'enfant?... Nous, on connaît beaucoup d'enfants. Parfois, il
se passe des choses à la maison que l'enfant n'ose pas raconter à
l'école. C'est comme s'il changeait de monde entre l'école et la
maison. Donc, il faut qu'il y ait un travail comme celui-là au chapitre
de l'éducation.
On a été aussi très intéressés par un
rapport sur la santé, "Naître égaux en santé", qui
montre tous les problèmes culturels liés à la
santé. Il faut vraiment une mobilisation dans ce domaine. Vous voyez, je
pourrais continuer. C'est là qu'il y a vraiment un ensemble de mesures
à mettre en route. Sinon, on risquera de s'accuser mutuellement de
choses sur lesquelles on n'a pas une véritable prise. Cela ne nous
empêche pas de dire, dans le domaine de la sécurité du
revenu - je pense que M. le ministre acceptera qu'on dise cela - qu'il faudrait
certainement arriver à ce que cette sécurité ne soit pas
soumise à trop de conditions. Il y a un moment où on a besoin de
savoir si demain, après-demain et le mois prochain, il va y avoir de
quoi vivre. Alors, il y a une responsabilité dans le domaine de la
sécurité du revenu.
C'est pour cela qu'on s'est permis de lancer une idée qui nous
dépasse. Bien sûr, ce n'est pas un organisme comme le nôtre
qui peut réfléchir à une telle loi. Est-ce que cela vous
paraîtrait possible et comment verriez-vous que soit poussée une
telle, réflexion qui, d'après ce qu'on perçoit dans
différents pays, est quand même, la voie qui s'ouvre de la
manière la plus sûre?
Mme Harel: Vous parlez de la loi-cadre? M. Robert:
Oui.
Mme Harel: C'est cela. Est-ce que cela a été
légiféré ailleurs? Est-ce que cela existe
déjà?
Est-ce qu'on peut avoir accès à de la documentation
législative sur cela?
M. Robert: Nous terminions notre intervention orale en disant que
le Québec donnerait l'exemple, c'est-à-dire qu'il y a un travail
de pionnier à faire. Mais il n'est pas complètement le pionnier,
en ce sens que la France - pour revenir à ce rapport dont on parlait - a
commencé, elle, d'une façon très pragmatique. Ce qui a
été décidé, c'est de dire: On va prendre une
douzaine de départements qui seront volontaires et, à petite
échelle, on va essayer d'expérimenter une politique globale
pendant trois ans. Ces expérimentations ont démarré le
mois dernier. Le but c'est, à la fois, d'expérimenter et de
préparer le travail législatif. C'est une piste, mais il y a
à innover. C'est sûr.
Mme Harel: Quand vous dites "une approche globale", c'est avec
l'ensemble des ressources des ministères de l'Éducation, de la
Santé et des Services sociaux et de l'Habitation. C'est là une
approche globale pour des populations locales? C'est cela?
M. Robert: C'est cela. Chaque ministère, sans oublier
celui de la Culture, a une part de budget. Je prends l'exemple de mon pays. En
France, ce qui se passait perpétuellement, c'est que les plus
démunis étaient renvoyés aux Affaires sociales. Le pas
qu'on essaie de franchir, c'est de dire: II faut que le ministère du
Logement et le ministère de la Culture se disent: Comment mes politiques
vont-elles aller jusqu'aux plus démunis? C'est un peu cela,
l'idée: que personne ne se décharge des plus démunis. Tout
le monde est citoyen et tout le monde a le droit à la culture.
Mme Harel: C'est intéressant. Sur la première page
du mémoire, l'objectif, à ATD Quart-Monde, c'est: "Sans
priorité aux plus défavorisés, il n'y a pas de justice
possible". Cela m'a rappelé que la justice, ce n'est pas
nécessairement l'égalité sans apostrophe, la
légalité. Très souvent, j'ai eu l'impression que, dans
tout ce projet de réforme, on visait la légalité des
droits, et qu'on allait avoir comme conséquence l'aggravation des
inégalités, d'une certaine façon, tant la recherche de la
légalité entre les droits, par exemple, une recherche qui fait
qu'on va comparer les prestations reçues par un couple aux prestations
de deux personnes seules en voulant harmoniser les deux personnes seules au
couple ou en voulant harmoniser la contribution parentale des prêts et
bourses à la contribution parentale du régime d'aide sociale...
En fait, toute une harmonisation se fait dans la recherche de la
légalité des ressources, dois-je dire, mais en ne tenant pas
compte qu'il y en a qui sont plus égaux que d'autres dès le
départ et que, si on maintient fa légalité entre les
inégaux, on aggrave, d'une certaine façon,
l'inégalité.
Mais on est dans une société qui n'en est pas encore
à ce niveau de réflexion. Je pense,
par exemple, dans les classes, au ratio
maître-élèves. Tous les intervenants du réseau de
l'éducation, que ce soit les syndicats, le gouvernement ou les
commissions scolaires, s'entendent pour penser qu'il faut un seul ratio dans
tout le territoire. C'est cela, la justice, tout le monde est pareil, sans
prendre en considération que ce n'est pas la même chose
d'enseigner dans une classe où tous les enfants ont un ordinateur
à la maison que d'enseigner dans une classe où il n'y en a aucun
qui a accès au cinéma, le dimanche. Mais ce principe de "tous
pareils" conduit le Québec, finalement, à constater que les
inégalités s'aggravent, malgré la Révolution
tranquille des années soixante qui, elle, a établi le principe de
la légalité pareille, si vous voulez, dans les ratios, dans les
accès aux services publics: assurance-maladie, CLSC et autres. En tout
cas, je voulais simplement vous le signaler et peut-être vous laisser le
mot de la fin sur cet objectif que vous poursuivez.
Le Président (M. Bélanger): Si vous me le permettez
un instant, compte tenu de l'heure, est-ce que j'ai le consentement pour
poursuivre les travaux?
Mme Harel: Consentement.
Le Président (M. Bélanger): Consentement, merci.
Allez-y, je vous en prie. Il y a des formalités comme
celle-là.
Mme Lang: En conclusion, on voudrait certainement, encore une
fois, vous remercier de nous avoir permis cette contribution et de nous avoir
aidés à avancer dans notre réflexion. Vous avez
souligné l'égalité - I'- qui nous tient beaucoup à
coeur et ce qu'on a toujours voulu faire passer, c'était justement que
cette égalité, en fait, était peut-être une
inégalité dans le sens où elle nous poussait à
donner le plus à ceux qui avaient le moins, alors que, partout ailleurs,
c'est le contraire. Quand vous avez un compte en banque, si vous avez un peu
d'argent, on vous fait confiance, on vous en prête encore. Si vous n'avez
pas d'argent en banque, il est très difficile d'avoir un prêt.
Notre société est un peu comme cela et les plus pauvres en sont
l'exemple vivant. Si on pouvait avancer tous ensemble dans cette
démarche... On voudrait aussi vous remercier parce qu'on a vu combien
cette rencontre à laquelle vous nous avez conviés, c'était
un signe que la démocratie, ici, ne se mesure pas toujours au nombre de
votes recueillis. Oui, la démocratie n'est pas un vote, mais une
idée où la vie et la pensée de chacun comptent et y
compris celles des plus démunis. Alors, on voudrait vous remercier et on
espère pouvoir continuer à faire partie de cette vie
démocratique.
Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie,
madame. M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je voudrais conclure en vous
disant que cet échange d'idées a été, en ce qui
concerne le ministère, le ministre et la commission, enrichissant. Je
m'en voudrais de ne pas souligner une autre idée qui apparaît
à votre mémoire, mais que nous n'avons pas eu l'occasion de
discuter. Compte tenu de la présence du ministre
délégué à la Famille à nos travaux ce soir,
je tiens à attirer l'attention des membres de la commission sur la page
7 de votre mémoire, où vous traitez de "La famille: facteur de
promotion sociale à soutenir", et où vous dites: "Nous voudrions
également souligner l'importance d'assurer une promotion de la famille
dans toute réforme touchant les plus démunis. Nous ne le faisons
pas au nom des principes, mais parce que les plus pauvres nous redisent sans
cesse, dans tous les pays où nous sommes implantés, leur
volonté d'assurer un avenir meilleur à leurs enfants." Je pense
que ce propos-là, les membres de la commission vont le retenir et, pour
l'avoir inscrit à votre mémoire, je vous félicite!
Mme Lang: Après, on s'engage à faire le travail que
vous nous avez proposé de faire.
Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie,
madame. Alors, Mme la députée de Maison-neuve, est-ce que vous
voulez remercier nos invités?
Mme Harel: Oui, je vais les remercier peut-être avec la
conclusion de ce chapitre sur la famille, où vous dites: Quelle que soit
la volonté de rester ensemble, il convient de rappeier que des
conditions de vie trop précaires finissent par avoir raison de la
famille. J'espère que le ministre délégué à
la Famille pourra méditer sur cette conclusion.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président,
maintenant, je comprends davantage pourquoi on les appelle les amis d'ATD
Quart-Monde inc. Pour le tout le travail que vous avez consacré -
déjà, j'ai le mandat, moi, de vous confier du travail additionnel
d'analyse de programme - au nom du gouvernement du Québec et au nom de
cette commission parlementaire, pour votre contribution positive, merci.
Le Président (M. Bélanger): Alors, la commission
des affaires sociales remercie l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc et
ajourne ses travaux jusqu'à demain 10 heures, où nous recevrons
notre centième groupe. Merci.
(Fin de la séance à 22 h 5)