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Version finale

33rd Legislature, 2nd Session
(March 8, 1988 au August 9, 1989)

Tuesday, March 29, 1988 - Vol. 30 N° 12

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le document intitulé 'Pour une politique de sécurité du revenu'


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des affaires sociales se réunit afin de procéder à des consultations générales et tenir des auditions publiques afin d'étudier le document intitulé "Pour une politique de sécurité du revenu." Ce matin, nous recevons à la table des témoins, la Fédération des CLSC du Québec, qui sera représentée par M. Jean-Pierre Bélanger, M. Michel Asselin et M. Pierre Ippersiel. Auparavant, y a-t-il des remplacements, Mme la secrétaire?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Gervais (L'Assomption) sera remplacé par M. Polak (Sainte-Anne).

Le Président (M. Bélanger): Bonjour, M. Polak. Il n'y a pas d'autres remplacements?

La Secrétaire: Non, M. le Président.

Le Président (M. Bélanger): Bien. J'invite le groupe à s'installer. Vous connaissez nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes fermes pour présenter votre mémoire ou son résumé, et il y a une période d'échanges avec les parlementaires par la suite. Je vous prierais, à chaque fois que vous devez prendre la parole, de bien vouloir donner vos noms pour les fins de transcription au Journal des débats. Si vous voulez vous présenter et présenter vos coéquipiers, et procéder à la présentation de votre mémoire, nous vous écoutons. Merci.

Fédération des CLSC du Québec

M. Ippersiel (Pierre): Merci, M. le Président. Merci de nous recevoir comme groupe. En premier lieu, je vous présente, à ma gauche, Jean-Pierre Bélanger, adjoint au directeur général de la Fédération des CLSC, ainsi que Michel Asselin, directeur général du CLSC de Matane.

Nous sommes assez conscients d'arriver à la fin d'un long processus de consultation...

Le Président (M. Bélanger): M. Ippersiel?

M. Ippersiel: Oui, Pierre Ippersiel, président de la Fédération des CLSC.

Le Président (M. Bélanger): D'accord. Je m'excuse.

M. Ippersiel: Donc, nous arrivons comme cela à la fin d'un long processus de consultation, et nous espérons que le responsable de la réforme n'a pas encore arrêté toutes ses déci- sions et qu'il peut encore se laisser influencer, je dirais, de façon particulière dans le contexte de la semaine sainte, mardi de Pâques, où on peut donner une dimension spéciale à nos échanges.

Le Président (M. Bélanger): Vous êtes le 93e groupe; alors, M. le ministre est sûrement encore très flexible.

M. Ippersiel: Merci de cette précision. Pourquoi, peut-être en premier lieu, ce projet de réforme nous intéresse-t-il au plus haut point? C'est pour plusieurs raisons, évidemment. Disons que, de façon générale, les CLSC sont très impliqués auprès de ceux qu'on appelle les bénéficiaires d'aide sociale. Que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural, par l'ensemble de nos services, nous travaillons quotidiennement avec une clientèle qu'on appelle les bénéficiaires d'aide sociale, dans plusieurs sinon dans la majorité de nos programmes. Nous intervenons tant sur le plan individuel qu'au niveau plus collectif ou plus communautaire de certains regroupements. Quand je parle de travail au plan individuel, je fais référence à des programmes comme les travaux communautaires. Par exemple, dans le cadre de notre programme de maintien à domicile, nous avons trouvé depuis quelques années des collaborateurs importants pour poursuivre nos objectifs au sujet du maintien à domicile.

Donc, à plus d'un titre, le réseau des CLSC s'intéresse à ce projet de réforme et s'y intéresse en premier lieu parce que, encore une fois, nous travaillons quotidiennement avec les bénéficiaires d'aide sociale.

Ce projet de réforme nous semble présenter des qualités importantes que nous voulons mentionner. D'abord, le programme de soutien financier apporte aux 95 000 membres des ménages qualifiés de non employables certains allégements ou certaines facilités de gestion. Que ce soit au niveau des contrats qui seront peut-être plus légers, que ce soit au sujet de certaines dispositions telle la carte-santé, nous pensons que ce programme est de nature à améliorer les services. Le programme APTE, malgré certaines imprécisions, comporte, quant à nous, des aspects très positifs.

Sans passer en revue notre mémoire, permettez-moi toutefois de mentionner les points qui nous semblent plus difficiles ou plus faibles, plus imprécis. Dans le contexte de notre présentation, nous en pointerons cinq qui, quant à nous, pourraient faire l'objet de discussions. Avant d'aborder ces cinq points en particulier, permettez-moi une observation plus générale. On a un peu l'impression, à la lecture de tout ce document, que le bénéficiaire d'aide sociale est

toujours considéré comme un individu isolé, un peu comme un ilôt social. On a l'impression qu'il n'est pas très intégré. Qu'il soit en processus de réinsertion sociale où d'intégration sociale, le ton général du projet fait du bénéficiaire d'aide sociale quelqu'un d'assez isolé. Pourtant, la réalité et le vécu voulant que, dans certains villages, on peut quasiment parler de communauté de prestataires d'aide sociale. Cette dimension sociale ou communautaire ou collective est assez absente du projet de réforme.

Les cinq points que nous voulons mentionner de façon particulière sont les suivants: le premier, la distinction qu'il y a à faire entre apte et inapte; en second lieu, certaines ambiguïtés autour des incitatifs du programme APTE; en troisième lieu, toute l'articulation du travail à temps partiel par rapport à quelqu'un qui est bénéficiaire d'aide sociale; en quatrième lieu, les mesures d'emploi, les travaux communautaires en particulier; en cinquième lieu, nous voudrions échanger sur l'aspect communautaire.

Dans un premier temps, nous voulons attirer votre attention sur la distinction apte et inapte qui nous semble essentielle, importante dans toute l'économie, dans toute l'orientation de ce projet de réforme. Vous l'avez sans doute entendue, mais elle nous semble capitale et plus cette distinction sera claire, plus on pourra parler de transparence possible au niveau du projet.

Deux questions nous semblent fondamentales dans cette distinction. D'abord, quels sont les critères qui permettront d'établir si quelqu'un est apte ou inapte? À la lecture du projet de réforme, on les perçoit assez mal. La deuxième dimension: Qui va décider si un bénéficiaire d'aide sociale est apte ou inapte? Est-ce que la décision sera prise par une personne ou par une équipe multidisciplinaire? Ge sont des aspects, à notre avis, qu'il faudrait clarifier. Comme l'indique notre rapport, sur cette question, nous souhaitons qu'un débat se fasse pour essayer d'obtenir un consensus ou une opinion sociale sur ce sujet, encore une fois pour que ce projet puisse jouir peut-être de toute la transparence sociale dont il a besoin pour recevoir un accueil social. Alors, ce premier point, cette distinction entre apte et inapte, quant à nous, doit être faite et mérite qu'on y apporte les clarifications nécessaires.

Pour les deux autres points, je demanderais à Jean-Pierre d'en faire la présentation.

M. Bélanger (Jean-Pierre): Pour ce qui est de l'incitation au travail, on n'a rien contre le principe qui voudrait qu'une personne puisse améliorer son sort en y contribuant de ses propres efforts. Donc, pour ce qui est du principe général, si on veut, de l'incitation au travail, ce n'est pas cela qui nous cause problème, c'est plus quant à la façon dont on perçoit dans le document que ce principe va être mis en oeuvre.

Le principe de l'incitation au travail est introduit de deux façons; il y a deux volets qui font contrepoids l'un à l'autre. Le premier, c'est celui qui veut qu'on coupe la prestation de base, telle qu'on la connaît actuellement; mais, en contrepartie - deuxième volet - qu'on permette aux personnes de gagner jusqu'à 155 $ de revenu de travail par mois, ce qui pose la question: Est-ce que ces gens-là vont vraiment pouvoir avoir accès à un revenu de travail de l'ordre de 155 $? Il nous semble qu'il devrait y avoir plus de garanties. On devrait garantir davantage la possibilité pour les personnes qui sont à l'aide sociale d'avoir accès, de façon réelle, à un revenu de travail de cet ordre.

À cet égard, les CLSC ont fait l'expérience, au cours des dernières années, des différents programmes de travaux communautaires, comme le mentionnait Pierre Ippersiet tantôt. Ces programmes ont permis, dans certains cas, des améliorations réelles de la qualité de vie des personnes âgées à domicile. Grosso modo, la moitié des CLSC sont embarqués dans ce genre de mesures. Ceux qui ne l'ont pas fait, c'est pour différentes raisons, soit des problèmes de recrutement de jeunes bénéficiaires de l'aide sociale, ou des problèmes de "turn-over", si l'on veut, trop rapides de cette main-d'oeuvre. Quant à ceux qui l'ont fait, certains y ont trouvé un apport estimable, comme je l'évoquais. D'autres, cependant, ont eu à faire face à des problèmes comme, par exemple, celui de la limite imposée qui obligeait, après un an de service, à changer les bénéficiaires. Il nous semble que dans plusieurs communautés du Québec, particulièrement ce qu'on évoque dans le document quand on se réfère aux communautés en voie de désintégration sociale, c'est-à-dire celles qui sont en voie de vieillissement rapide et où les ménages, si on veut, les adultes en âge de travailler et d'avoir des enfants ont souvent quitté ces régions... Ce sont donc des communautés très fragiles. Il nous semble qu'au moins dans ces communautés il serait envisageable de développer des programmes d'emploi un peu plus permanent qui permettraient d'assurer une qualité de services aux personnes âgées. Si on n'arrive pas, d'une façon ou de l'autre, à mettre sur pied des mesures de stabilisation des services dans ces communautés, notre impression est que le processus de désintégration sociale va s'accélérer et que, finalement, la société devra un jour ou l'autre en payer le prix.

Dans le cadre de ces mesures, il nous semble que ces emplois, qui pourraient avoir une perspective un peu plus longue qu'une année, devraient, dans le contexte et dans la logique de la réforme, être accessibles non seulement aux jeunes de moins de 30 ans, mais aussi à des bénéficiaires d'aide sociale âgés de 40 ou de 50 ans. Ces derniers ne sont peut-être plus réin-tégrables sur le marché du travail dans d'autres types d'emploi, mais ils pourraient fort bien prendre à leur charge, par exemple, la réalisation

des travaux lourds à domicile, etc. Une brève allusion à ce qui se passe, notamment dans ce secteur, en ce qui a trait aux services de maintien à domicile: il y a une quinzaine d'années, quand ces programmes de maintien à domicile ont commencé à être mis en place, les auxiliaires familiales faisaient des travaux de ménage dans les maisons et préparaient des repas. À cause de l'alourdissement des clientèles, de plus en plus les services deviennent des services d'hygiène personnelle: donner des bains, faire la toilette, etc. Donc, une partie des travaux, qui restent des travaux essentiels au maintien de la qualité de vie des personnes âgées, ne peuvent pas, dans le contexte actuel, être mis en oeuvre. Premièrement, offrir plus d'occasions aux bénéficiaires d'aide sociale de gagner effectivement un revenu de travail jusqu'à environ 155 $ par mois. Deuxièmement, envisager concrètement la possibilité de développer des programmes de travaux communautaires ou d'emplois communautaires, si l'on veut, qui offriraient davantage de permanence.

Un autre aspect qu'on voudrait toucher, c'est celui de l'articulation de la réforme avec le travail à temps partiel. De mémoire, si je ne m'abuse, 1987 est la seule année, au cours des dix dernières, où le nombre d'emplois créés à temps plein a été supérieur à celui des emplois à temps partiel. Particulièrement quand on considère la clientèle de l'aide sociale, il nous semble que la voie du travail à temps partiel est importante dans le processus de réinsertion sociale des bénéficiaires de l'aide sociale aptes au travail. On constate que la réforme permet de gagner jusqu'à 155 $ par mois de revenu de travail. À ce moment-là, le bénéficiaire n'est pas pénalisé; par contre, entre ce montant-là et celui de la pleine prestation, si on comprend le document comme nous l'avons compris, la prestation du bénéficiaire serait réduite de 1 $ pour chaque dollar de revenu de travail. Cela fait que le bénéficiaire a avantage à travailler jusqu'à concurrence de 155 $ par mois; au-delà de a montant, il n'a plus vraiment intérêt à gagnei 1 $ de plus. Il nous semble qu'il y a là un vice caché dans la réforme. Nous trouverions de loin préférable que, continuellement, au cours du processus, Je bénéficiaire ait toujours intérêt à gagner 1 $ de travail de plus, quelle que soit sa situation.

Il nous semble qu'il y aurait des ajustements à faire dans ce sens-là puisque, si on considère que la clientèle de l'aide sociale éprouve des difficultés de réinsertion sur le marché du travail, il peut être plausible, dans bien des cas, que la réinsertion se fasse progressivement: qu'on commence à travailler dix heures par semaines; une fois qu'on a la confiance de l'employeur, on passe à vingt heures par semaine et, une fois qu'on a acquis suffisamment d'ancienneté et qu'un poste se libère ou est créé, qu'on puisse envisager de travailler un plus grand nombre d'heures par semaine. Il me semble qu'il y aurait des améliorations à apporter dans ce sens-là.

J'inviterais maintenant M. Asselin à poursuivre la présentation.

M. Asselin (Michel): Michel Asselin, Matane. Je voudrais peut-être plus vous entretenir sur la question, quand on parle des personnes aptes ou de l'employabilité, des possibilités qui peuvent exister effectivement d'exercer un emploi. Je fais référence davantage à un milieu comme le comté de Matane qui est actuellement, au Québec, le comté dont le revenu imposable est le plus bas, selon les dernières statistiques. Bien sûr, dans un comté comme cela où on attend quand même un grand projet qui... De toute façon, ce ne sont pas les propos ici. Je pense aussi que ...ce qu'on vit dans notre territoire peut ressembler à ce qui se passe dans certaines sous-régions ou certains quartiers en milieu urbain.

Nous avons des chiffres qui démontrent qu'une partie importante, entre autres, des naissances dans notre milieu se retrouvent dans un milieu d'aide sociale, c'est-à-dire que ce sont des bénéficiaires d'aide sociale. Des données démontrent que, dans certaines localités, il y a un pourcentage très important, même peut-être plus important de personnes en état de dépendance sociale que de personnes au travail.

D'autres données nous font de plus en plus peur, dans ce sens que nous sommes maintenant à des deuxièmes générations de bénéficiaires d'aide sociale, c'est-à-dire qu'il y a des milieux où il s'est inscrit une forme de sous-culture qui fait que l'image qu'ont les jeunes, c'est celle du sous-emploi, et il s'est développé toutes sortes de façons de vivre dans le sous-emploi qui puissent leur être acceptables.

Pour nous, la question d'être apte ou inapte en est une de taille, bien sûr, parce qu'en ce qui concerne l'inaptitude, il y a des critères qui sont d'ordre davantage social ou des considérations autres que celles des données très techniques comme l'état de santé. Il y a aussi le fait que la nécessité... Là, on pense de plus en plus à la nécessité d'avoir des travaux d'utilité collective, et à celle d'avoir des budgets qui pourraient être consentis à des groupes, ou à des formes de solutions qui, dans notre milieu, pourraient appuyer les bénéficiaires d'aide sociale, tant en ce qui concerne l'éducation budgétaire que toute l'éducation à la consommation. Actuellement, ces groupes quêtent auprès de Centraide ou d'autres corporations. Les CLSC ont mis sur pied des caisses de dépannage dans certains milieux, parfois avec des groupes avec lesquels ils s'associent par entente avec l'aide sociale, pour arriver à pouvoir répondre à certaines situations urgentes. De plus en plus on se demande, lorsqu'on agit par des palliatifs en cette matière, s'il n'y aurait pas lieu que certaines initiatives soient prises, soient conduites par des groupes populaires ou par des pairs, quand on parle de bénéficiaires d'aide sociale.

Quand on parie de travaux d'utilité collective, c'est bien sûr que chez nous on pense, pour l'ensemble des CLSC, à des travaux dans le cadre du maintien à domicile. Si ces travaux avaient un caractère beaucoup plus permanent, ce serait plus souhaitable que les travaux communautaires dans leur forme actuelle. On pense à des travaux dans le domaine de la protection civile, les travaux publics, la protection de l'environnement. C'est important, en tout cas, d'instaurer cette dimension dans nos milieux. De plus en plus, on voit déserter d'un milieu comme le nôtre la population active. Comme je vous le dis, la norme devient souvent ce qui, socialement, ne paraît pas souhaitable, c'est-à-dire l'inactivité. Je peux vous dire que la préoccupation a beaucoup changé chez les intervenants sociaux et de la santé. On se préoccupe de plus en plus de l'état d'inactivité de nos gens que de leur sécurité du revenu. Je pense que c'est un constat très actuel parce qu'on a remarqué qu'il s'est développé, au sujet de la question de la sécurité du revenu, des façons de se défendre et de se protéger.

Je ne peux pas le crier, mais le fait, par exemple, que les aptes se verraient privés d'un certain montant s'ils n'allaient pas au travail, on sait que, dans certains milieux, il y a toutes sortes de façons de s'en sortir. Entre autres, le travail au noir est très répandu, la chasse et la pêche également, ainsi que l'utilisation de l'environnement à ses propres fins. C'était donc surtout pour insister sur la nécessité de se donner des moyens comme société pour amener nos gens à plus d'activités.

M. Ippersiel: Enfin, pour conclure notre présentation, notre mémoire fait référence, dans sa dernière partie... C'est un peu une demande qu'on fait à savoir que pour la réforme qui sera acceptée, il faudrait s'assurer que les gens qui auront à la mettre en place ainsi que les collaborateurs des gestionnaires de cette réforme aient la formation et l'information nécessaires pour bien la connaître et bien la comprendre. Dans le réseau des CLSC, les gens qui sont à l'accueil psychosocial, chez nous, sont souvent la première porte d'entrée des bénéficiaires de l'aide sociale. Il serait important qu'ils aient une information bien adéquate pour pouvoir répondre aux questions des bénéficiaires.

Voilà, c'était notre présentation, M. le Président. (10 h 30)

Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie, messieurs. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Dans un premier temps, M. le Président, vous me permettrez de remercier les représentants de la Fédération des CLSC pour leur mémoire d'une très grande qualité et pour la présentation verbale effectuée par leurs porte-parole ainsi que les points sur lesquels ils ont insisté.

En commençant, M. le président a men- tionné qu'on se retrouvait le mardi saint et qu'il souhaitait, dans le cadre de la semaine sainte, que le ministre ou les membres de la commission ait les oreilles ouvertes aux représentations. Je vous dirai que, bien que vous soyez le 93e - en tout cas, plus de 90 mémoires ont été présentés - vous avez abordé des points qui n'avaient pas encore, jusqu'à ce moment, été abordés par aucun des organismes qui se sont présentés devant nous et nous découvrons cette innovation même dans les organismes qui sont parmi les derniers à comparaître devant cette commission, ce qui rend ces travaux d'autant plus intéressants et qui facilitent l'ouverture, d'esprit et d'oreilles, des membres de la commission et du ministre.

Pour en revenir rapidement aux points que vous soulevez, vous me permettrez, dans un court préambule, de vous dresser le portrait de cette clientèle que nous avions à l'aide sociale, en mars 1987, qui a diminué depuis sept ans, mais qui conserve quand même les mêmes caractéristiques: clientèle composée de quelque 400 000 chefs de ménage dont la seule source de revenu est un chèque mensuel de l'aide sociale.

Les données dont le ministère dispose nous permettent d'évaluer à peu près à 25 %, soit 100 000 chefs de ménage, ceux ou celles qui deviendraient admissibles au programme Soutien financier. Quant aux quelque 300 000 autres chefs de ménage que l'ont dit aptes au travail, ils possèdent des carences sérieuses qui les empêchent même d'avoir accès au marché du travail. 36 % de cette clientèle dite apte au travail sont composés d'analphabètes fonctionnels. 60 % n'ont pas complété leurs études secondaires. 40 % n'ont aucune expérience de travail antérieure reconnue dans la société. Ce qui fait en sorte qu'il y a plusieurs barrières entre l'assisté social dit apte au travail et le marché du travail, même lorsque les emplois sont disponibles.

Le gouvernement a des décisions ou des choix à prendre. Le gouvernement peut continuer à faire ce qu'il a fait dans le passé: poster un chèque mensuel et tenter de se donner bonne conscience en révisant régulièrement le niveau de ce chèque et en oubliant, en marge de la société, ces quelque 300 000 chefs de ménage au Québec. Ou le gouvernement peut se donner comme défi de tenter d'améliorer l'employabilité de ces gens-là en même temps qu'il continue à s'orienter vers le plein emploi, vers la création nette d'emplois.

Vous posez des questions très précises quant aux programmes et je vais retourner dans le coeur de votre mémoire, à la page 13. Quand vous parlez du programme APTE et de la participation, vous indiquez: "Dans quelle mesure en effet le gouvernement sera-t-il vraiment motivé à poursuivre d'une façon assidue ses efforts d'incitation à l'activité des bénéficiaires d'aide sociale si cela doit en même temps entraîner des coûts substantiels?" La réponse, d'un caractère politique, à cette question est la suivante: La

société québécoise peut en sortir gagnante à moyen et à long terme. Mais vous avez suffisamment d'expérience avec l'appareil gouvernemental pour que cette question soit une des questions les plus sérieuses que vous posiez. Est-ce que vous suggéreriez que le fardeau d'offre des mesures d'employabilité repose sur les épaules du ministère? C'est-à-dire que, lorsque quelqu'un se déclarerait disponible pour une mesure d'employabilité, immédiatement, il reçoive le barème de participation et que le fardeau de lui trouver une mesure de participation repose sur le ministère?

M. Bélanger (Jean-Pierre): Écoutez, tout en essayant de demeurer réaliste, ce n'est pas nécessairement seulement au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu. Il me semble que cela pourrait être un engagement de l'ensemble du gouvernement, mais qu'on sente qu'il y a vraiment une volonté très forte et très concrète de pouvoir offrir des mesures aux personnes quand cela deviendra possible pour elles de s'intégrer au marché du travail.

Vous avez mentionné certaines des caractéristiques des bénéficiaires de l'aide sociale. Il y en a une autre qui, pour nous, est importante. C'est celle de la disponibilité d'emplois concrètement dans les villages ou dans les quartiers des villes où habitent ces personnes. Comme vous le savez, l'emploi n'est pas réparti équitablement dans tout le Québec. Il y a des régions où les emplois fleurissent moins vite qu'ailleurs. Il me semble que la responsabilité du gouvernement devrait être beaucoup plus marquée dans ces régions. Vous savez qu'il y a quelques années, et même au cours des années soixante-dix, a eu lieu aux États-Unis un débat. Je ne me souviens plus du nom des sénateurs qui avaient présenté ce projet de réforme, mais ils garantissaient un emploi de dernier recours. Le gouvernement américain s'engageait à garantir un emploi de dernier recours aux bénéficiaires de l'aide sociale. Il nous semble que, sans nécessairement aller jusque-là, le gouvernement devrait assumer ses responsabilités.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous posez, à la page 16 de votre mémoire, la question clé quant à la détermination de l'aptitude ou de l'inaptitude. Vous soulignez: "On ne peut pas dire que le document de réflexion est très explicite sur la question." Vous n'êtes pas le premier groupe, dans ce cas, à soulever cette question et vous avez posé des sous-questions verbalement: Quelles seront spécifiquement les critères et qui déterminera l'aptitude ou l'inaptitude ou l'admissibilité ou la non-admissibilité à tel ou tel programme? C'est volontairement que le document n'est pas plus précis. Plusieurs groupes nous ont fait des suggestions et, quant aux critères, certains nous ont recommandé une approche strictement médicale. D'autres nous ont recommandé d'autres types d'approches bio- psychosociales, entre autres. Quant à qui doit déterminer, certains parlent du fonctionnaire chargé du dossier. D'autres parient du médecin traitant. D'autres parlent d'un comité multidis-ciplinaire formé de divers intervenants. La position des CLSC concernant les critères de détermination et la ou les personnes qui auront à déterminer, cela nous apparaît important dans ce dossier. Quelle est votre opinion précise?

M. Ippersiel: II y a deux éléments qu'on fait valoir dans ce dossier. D'une part, on pense que les critères doivent faire l'objet d'un débat pour essayer d'aller chercher le maximum de transparence et leur acceptation sociale. Il y a un premier volet majeur, c'est-à-dire la définition des critères et l'acceptation des critères. Pour ce qui est du deuxième volet, dans les CLSC, nous allons toujours opter pour une approche globale et nous pensons que le médecin ne devrait pas être seul à prendre ces décisions. Il y a peut-être des cas où le médecin devrait être seul, mais, de façon générale, nous croyons que, dans ces questions-là, il y a souvent une composante sociale, une composante psychologique, une composante médicale, et il serait difficile, sinon peut-être imprudent, de faire porter cette décision par un seul professionnel. Nous privilégions de loin une approche où plusieurs professionnels pourraient être amenés à prendre une décision.

M. Bélanger (Jean-Pierre): Si vous me le permettez. J'ajouterais ceci à ce que M. Ippersiel vient de dire. On se rend compte, quand vient la question de l'application des critères d'aptitude ou d'inaptitude, de l'importance de l'accès ou non à un revenu compensatoire. C'est plus facile de prendre la décision et dire: Quelqu'un est apte au travail, donc sa prestation est éventuellement réduite, quand on a la contrepartie à offrir, c'est-à-dire la possibilité d'avoir accès à un revenu de travail. Encore une fois, pour ce qui est du principe général qui veut que les gens soient actifs plutôt qu'inactifs chez eux, tout en recevant leur chèque, même si ce chèque est essentiel à leur survie, encore faut-il qu'on ait la possibilité concrète d'avoir accès à ce revenu de travail.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Les deux, M. Bélanger et M. Asselin, ont traité de toute la question des travaux communautaires et de l'utilisation qu'en ont fait certains. Vous avez parlé d'à peu près la moitié des CLSC au Québec. J'ai des questions au plan du fonctionnement pratique. Est-ce que, sur le plan de la gestion du programme, vous avez eu avec les centres Travail-Québec avec lesquels vous avez eu des rapports un service satisfaisant, adéquat, non adéquat, etc., au plan administratif? Deuxièmement, quant au fonctionnement, de quelle façon est-ce vécu dans le quotidien lorsqu'une auxiliaire familiale rémunérée selon les échelles sala-

riales que vous connaissez à l'intérieur des CLSC travaille sur des travaux qui peuvent être différents - j'ai saisi une certaine notion de différence à un moment donné quand il s'agissait de soins personnels ou de travaux ménagers comme tels - en relation étroite avec un participant à des travaux communautaires qui n'a pas la même rémunération ou la même protection au plan des conditions de travail?

M. Bélanger (Jean-Pierre): Pour ce qui est de la collaboration avec les centres Travail-Québec, je pense qu'on peut dire globalement, sans avoir fait une enquête exhaustive auprès de l'ensemble des CLSC, que la situation est très variable d'un endroit à l'autre. Il y a des CLSC où la collaboration a été excellente. D'ailleurs, on mentionne, à ce sujet, à la fin de notre mémoire, l'importance pour les représentants du ministère, de Travail-Québec de pouvoir s'impliquer au plan local dans les stratégies qui sont mises au point. Mon collègue, M. Asselin, pourrait peut-être épiloguer davantage là-dessus.

Donc, à certains endroits, la collaboration va bien. Ailleurs, cela été un peu plus difficile. Je pense que c'est normal pour deux réseaux qui n'ont jamais vraiment appris à travailler ensemble et notamment un réseau, celui de Travail-Québec, qui a subi des transformations importantes au cours des dernières années. Il y aurait beaucoup de choses à améliorer dans ce sens-là, mais il y aurait des expériences heureuses à publiciser davantage, notamment quant à l'implication de certains représentants du ministère dans le développement de projets au niveau local.

Pour ce qui est du fonctionnement concret du programme, à la fois à certains endroits, cela a donné des choses fort intéressantes; en même temps, il ne faudrait pas minimiser, d'autre part, les problèmes qu'on éprouve dans l'application des programmes tels qu'on les a connus. Comme cela s'appliquait uniquement aux jeunes de moins de 30 ans, il y a un taux de "turnover" très élevé chez les jeunes, de telle sorte que, dans certains cas, les CLSC ont abandonné le programme. Dans certains coins, il a été perçu comme un programme de nature essentiellement très temporaire, une espèce de manque d'implication à plus long terme. Si on savait qu'en investissant des énergies dans le développement d'un programme d'utilité communautaire comme celui auquel on faisait allusion tantôt on a une certaine perspective dans le temps, on serait davantage encouragés à consentir ces efforts parce qu'on saurait que, l'année suivante, cela ne tomberait pas à l'eau et qu'il y aurait des chances que cela puisse continuer. Les habilités qu'on fait acquérir aux bénéficiaires d'aide sociale qui embarquent dans ces programmes ne seraient pas perdues au bout d'un an.

On a évidemment fait face à d'autres types de problèmes locaux, notamment des problèmes de nature syndicale avec l'application des conventions collectives et, à ce sujet, il faut dire que les situations ont été très différentes d'un endroit à l'autre. À certains endroits, il a effectivement été possible, compte tenu des problèmes sociaux criants vécus dans ces communautés, de conclure des ententes locales avec le syndicat pour que le CLSC puisse lui-même prendre en charge la gestion de ses programmes de travaux communautaires. Ailleurs, cela n'a pas été possible ou cela n'a pas été nécessaire quand une corporation à but non lucratif existait de façon parallèle au CLSC.

Pour ce qui est de la distinction des tâches entre ce que font les auxiliaires familiales des CLSC et les participants à ces travaux, c'est évidemment une question délicate et il y aurait un travail à faire pour raffiner les différences et peut-être les clarifier davantage. Je vous donnerais cependant un exemple, celui que je vous ai donné de l'auxiliaire qui s'occupait des soins d'hygiène corporelle pendant que le participant au programme s'occupait davantage du matériel ou des travaux ménagers, de peinture, de rénovations mineures ou de déblaiement de la neige l'hiver, etc. Ces choses ont été vécues à certains endroits. Il y a même un cas en particulier - j'oublie malheureusement le nom du CLSC, en milieu rural - où le mode de fonctionnement était grosso modo le suivant: l'auxiliaire familiale se déplaçait dans son auto avec le participant au programme de travaux communautaires parce que c'était la seule façon d'amener le jeune participant au domicile de la personne âgée parce qu'il n'avait pas d'automobile. Il y a donc des endroits où une collaboration concrète s'est développée. Il me semble que, si on avait une perspective un peu plus globale et claire, il serait possible d'aller de l'avant dans ce genre de programme. Michel. (10 h 45)

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, M. Asselin, en complément.

M. Asselin: En ce qui me concerne, ce n'est pas un problème parce que les auxiliaires familiales, c'est un type d'employé un peu particulier. Ils sont souvent issus des milieux. Ils ont été habitués... De toute façon, il y a déjà un programme qui existe par le ministère. Ils ont été habitués de voir des personnes bénévoles travailler à côté d'eux dans le cadre des centres de bénévolat qui existent partout. Là-dessus, de toute façon, actuellement, le maintien à domicile est problématique au point qu'il y a un glissement de la pratique des auxiliaires familiales vers quasiment plus une tâche de préposés aux bénéficiaires. Cela va de soi. Pour eux autres, ils le verraient et ils le voient beaucoup plus comme des gens qui viennent les appuyer, les seconder dans des situations où ils se trouvent surchargés.

Il faut dire que, l'auxiliaire familiale étant à domicile et ne travaillant quasiment pas en établissement, c'est souvent elle qui a la pression du bénéficiaire dans l'état où le bénéficiaire se voit contraint de ce type de service. Je vous

dis que les intérêts à ce niveau, de se voir seconder, sont beaucoup plus importants que ceux de savoir si la tâche va être protégée.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Cela va. En vertu de la règle de l'alternance.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de vous souhaiter la bienvenue, M. Ippersiel. Je pense que vous êtes de Hull. De?

M. Ippersiel: Montebello.

Mme Harel: De Montebello. M. Asselin, M. Bélanger. En prenant connaissance de votre mémoire, je me demandais - et on reviendra sur toute la question du développement des emplois communautaires, du développement des emplois socialement utiles. Cela a été ébauché ici devant la commission, mais à peine, d'une certaine façon. Je pense que ce serait certainement utile qu'on puisse approfondir cette question au plan de notre échange. Mais, si je reviens à votre mémoire, vous dites... À un moment donné, j'avais l'impression ou presque que vous remettiez en question le principe d'universalité des programmes. En fait, c'était à la page 11. Cela ne traite pas que de l'aide sociale. Mais vous faisiez état, notamment, en matière du régime d'allocation familiale ou du régime de sécurité du revenu pour les personnes âgées, du déplacement que ces régimes avaient connu.

Vous concluiez, à la page 12, en disant que le titre du document de la proposition du ministre, avec son contenu actuel, vous semblait quelque peu prétentieux.

Une voix: Le document ou le titre?

Mme Harel: Le titre. Notamment, disiez-vous, dans le contexte du libre-échange, une harmonisation des politiques s'imposait. J'aimerais cela peut-être rapidement vous entendre là-dessus.

M. Bélanger (Jean-Pierre): Personnellement, et je pense que c'est aussi le cas de la Fédération des CLSC, on n'a pas de problème de principe avec l'universalité des services, mais l'universalité, c'est toujours un compromis entre ce que la collectivité est prête à payer et ce que la collectivité est capable de payer en termes de services. Là où j'ai un problème avec l'universalité, c'est quand on note le glissement des programmes de sécurité du revenu, l'échange de fins en cours de route, et que ces programmes en viennent, globalement, à aider davantage les gens à revenus moyens que les gens qui sont maintenant dans ce qu'on peut appeler les nouvelles catégories de pauvreté, c'est-à-dire les personnes âgées seules, les femmes chefs de famille monoparentale, les jeunes, etc. Il nous semble, quant à nous, que, si on voulait vraiment procéder à une véritable réforme de la sécurité du revenu, il faudrait, notamment, tenir compte de toute la dimension fédérale-provinciale puisqu'il y a une grosse partie du gâteau, en cette matière, qui est de juridiction fédérale et que le Québec devrait peut-être profiter de ces intentions de réforme en matière de sécurité du revenu pour aussi rouvrir les débats avec le gouvernement fédéral à ce chapitre, qui a été étrangement silencieux au cours des dernières années en matière, je dirais, de réforme positive de la sécurité du revenu.

Mme Harel: Je pense que c'est un document que vous connaissez certainement bien, celui du Conseil canadien du développement social intitulé: "Un filet de sécurité troué", qui explore tous les programmes de l'aide sociale au Canada. On y dit que les programmes les plus redistributifs sont justement les programmes d'assistance sociale et de supplément du revenu pour les personnes âgées. De tous les programmes que l'on connaît, ce seraient ces deux programmes qui seraient les plus redistributifs.

Dans votre présentation, M. Ippersiel, et vous aussi, M. Bélanger, j'ai cru comprendre que vous aviez pris connaissance de l'étude effectuée par le Conseil des affaires sociales et de la famille sur le Québec coupé en deux, ou presque, qui démontrait que certains quartiers de grandes villes, en particulier celui que je connais bien pour y habiter et le représenter à l'Assemblée, et certaines régions rurales périphériques avaient une situation, à la fois sur le plan démographique et économique, de désintégration et de sous-développement accélérés, pendant que certains autres quartiers et certaines communautés des régions bénéficiaient d'une situation de développement économique et démographique, et qu'à tous égards il y avait une aggravation des écarts entre ces deux groupes de citoyens.

Dans ce contexte, juste une petite remarque. Le ministre, d'entrée de jeu, faisait valoir que, dans le fond, c'était pour cesser de se donner bonne conscience et que, dorénavant, la bonne conscience viendrait de la réduction des prestations. Le ton a vraiment changé maintenant. Les personnes en inactivité ne sont plus victimes du chômage; elles ne sont plus, non plus, des paresseux, elles deviennent des victimes du souci de protection sociale de l'État. C'est par souci trop accru de protection qu'on les empêcherait de voler de leurs propres ailes et de gagner leur autonomie. Il faut donc cesser ou réduire la protection sociale, la sécurité du revenu, pour leur permettre précisément d'acquérir leur autonomie. C'est un nouveau discours. Il est d'ailleurs très bien expliqué dans le document intitulé "Les nouvelles pauvretés, l'environnement économique et les services sociaux", rendu public par la commission chargée d'étudier l'ensemble des services sociaux et des services de santé.

Malgré tout, je ne pense pas que ce soit à ce discours que vous nous appelez quand vous dites, avec raison, que l'inactivité est un drame dans notre société. Je pense, M. Asselin, que vous l'avez bien illustré et que vous nous avez fait comprendre que ce n'est pas parce qu'on est sans emploi qu'on est inactifs. Vous avez donné des exemples de pêche, de chasse, d'autres exemples qui m'ont fait penser que... Finalement, je ne sais plus de quoi on parle. Est-ce que vous parlez d'inactivité non rémunérée ou d'une activité qui n'est pas rémunérée? Si on reprend la question de base... Vous avez fait allusion à des communautés où il y a une forte proportion, des collectivités locales ou rurales ou dans les grandes villes, de personnes qui sont sans revenu de travail - c'est cela qu'il faut comprendre - mais qui sont actives, qui ont des revenus de travail non déclarés.

M. Asselin: Quand je parle d'être inactifs, je parle de gens qui ne contribuent pas, par leur activité, à la production collective.

Mme Harel: Donc, qui ne paient pas d'impôt, vous voulez dire.

M. Asselin: Non pas qu'ils ne paient pas d'impôt, mais qu'ils ne contribuent pas, par ce qu'ils font, ce qu'ils réalisent, à des activités qui soutiennent leur entourage.

Mme Harel: Donc, vous excluez, par exemple, les personnes qui font du bénévolat, qui sont bénéficiaires d'aide sociale et qui sont, soit bénévolement engagées dans des organisations, des groupes...

M. Asselin: Absolument.

Mme Harel: Pour vous, elles jouent un rôle utile.

M. Asselin: C'est exact.

Mme Harel: Bon, parce qu'il y a toute cette question de l'activité et de la notion de...

M. Asselin: Je veux parler, par exemple chez nous, pour un ouvrier qui veut travailler au salaire auquel il aurait droit, il est peut-être de plus en plus difficile de le faire parce que la concurrence est telle, chez les gens en inactivité, qu'il y a beaucoup de travail au noir. C'est facile de faire finir son sous-sol à très peu de frais; c'est peut-être plus facile dans nos régions que dans d'autres régions. On peut multiplier un paquet d'activités comme celles-là qui se font...

Mme Harel: Donc, il faudrait peut-être, à ce moment-là, nécessairement mieux définir ce qu'on entend par une activité socialement utile, puisque tout le monde s'entend pour dire que le travail, c'est la santé. Mais quel travail? Est-ce qu'assu- mer des responsabilités parentales serait un travail reconnu? Est-ce qu'assumer des responsabilités communautaires serait une activité reconnue, etc.? Je pense que dans tout cela...

M. Asselin: Ah oui!

Mme Harel: ...il y a là un aspect important sur lequel j'aimerais avoir votre éclairage.

D'autre part, vous dites dans votre mémoire: "La réforme proposée est en effet encore incohérente: on réduit la prestation de base - à la page 25 - et on accroît l'exemption pour gains de travail afin d'accroître l'incitation au travail. Mais au-delà d'un certain seuil on pénalise. Dans ce contexte, la réduction de la prestation de base risque d'apparaître comme une façon de réaliser sur le dos d'une partie des bénéficiaires les économies nécessaires au financement d'une partie de la réforme."

Vous campez bien le coeur, disons, de l'exercice puisqu'il consiste à ne plus couvrir les besoins reconnus pour les personnes aptes, et les revenus de travail viennent combler en étant additionnés avec des prestations réduites. Les revenus de travail, il faut les voir comme supérieurs à ce qu'ils étaient, mais supérieurs simplement pour pouvoir combler les besoins qui ne sont plus reconnus. Au-delà de ces besoins essentiels reconnus, mais non plus couverts, et qui deviennent comblés par des gains de travail qui sont fictifs, là, M. Bélanger, vous avez bien démonté la mécanique qui est: 1 $ additionnel gagné, c'est 1 $ qui est réduit pour chaque dollar additionnel gagné. Donc, l'incitation s'arrête aux besoins essentiels reconnus. Au-delà des besoins essentiels reconnus, il n'y a plus d'incitation.

Vous avez dit, M. Bélanger, que vous pensiez qu'il fallait toujours qu'il y ait intérêt à gagner 1 $, quelle que soit la situation du bénéficiaire. Jusqu'à quel seuil?

M. Bélanger (Jean-Pierre): Jusque? Mme Harel: Jusqu'à quel seuil?

M. Bélanger (Jean-Pierre): Écoutez, on n'a pas fait les calculs. C'est bien évident que la mise en place d'un régime de revenu minimum garanti - parce que c'est le principe dont on discute, celui qui sous-tend un régime universel de revenu . minimum garanti - à la limite, pourrait coûter très cher. Sans aller jusque-là, il nous semble que le système devrait fonctionner de telle sorte qu'il y ait toujours une incitation, pour le bénéficiaire d'aide sociale, à gagner 1 $ de plus quand il a la chance de le gagner.

Toute la discussion autour des besoins fondamentaux qui sont couverts ou qui ne sont pas couverts, pour nous, ce qui est essentiel, c'est qu'en fin de compte les bénéficiaires aient un montant d'argent suffisant pour pouvoir assumer leurs besoins de base. Que ce montant

vienne de prestations, mais qu'il vienne aussi, en partie, d'un revenu de travail, à la limite, cela ne nous pose pas de problème fondamental. Si on parle d'une exemption pour gains de travail de 155 $ par mois, cela ne représente pas un nombre d'heures de travail qui ressemblerait à de l'exploitation indue des personnes. Ce qu'on pense...

Mme Harel: Vous avez compris, par exemple, dans la mécanique, que ces 155 $ ne sont possibles que s'il y a un refus de participer et, à ce moment-là, lorsqu'il y a des prestations de beaucoup réduites.

M. Bélanger (Jean-Pierre): Oui.

Mme Harel: Les 155 $ additionnés ne viennent que combler les besoins essentiels reconnus qui ne sont plus couverts.

M. Bélanger (Jean-Pierre): Oui. Mme Harel: C'est la mécanique. M. Bélanger (Jean-Pierre): Oui, oui. Mme Harel: D'accord.

M. Bélanger (Jean-Pierre): Disons que dans d'autres situations l'exemption pour gains de travail est réduite, mais on n'a pas voulu entrer nécessairement dans tous ces détails.

Au début de votre dernière intervention, vous avez mentionné la question de savoir qui devait porter le fardeau de la preuve, ou qui devait porter le fardeau de la responsabilité de l'employabilité ou de la non-employabilité des personnes. On pense que cela prend un ensemble de mesures et qu'il ne peut pas y avoir d'action cohérente là-dedans si on y va de façon trop sectorielle et trop limitative.

C'est bien évident que des mesures qui ont pour effet d'accroître les habiletés personnelles des personnes, comme leur permettre de terminer leur cours secondaire, d'avoir une première expérience d'emploi ou d'améliorer leur formation professionnelle, ce sont, évidemment, des mesures positives en soi. Il y a une autre dimension qu'on voulait faire ressortir, c'est toute la dimension d'avantages communautaires et collectifs de la dynamique parce que même si, dans plusieurs coins du Québec, on réussit à accroître les capacités personnelles des personnes, dans ces milieux, il n'y aura pas d'emploi; il n'y en aura pas suffisamment pour tous les bénéficiaires d'aide sociale qui sont là. C'est bien évident que les règles du marché veulent que, à long terme, les gens se déplacent pour trouver des emplois, mais il reste que lorsque cela se fait de façon trop rapide dans le temps - c'est ce qu'on évoquait - le tissu social se désintègre progressivement. Les personnes âgées qui continuent à habiter sur ces territoires se sentent seules; elles souffrent de solitude et d'un manque de services, donc elles déménagent en centre d'accueil d'hébergement dans les grandes villes. À ce moment-là, elles sont déracinées de leur milieu d'origine. C'est cette dynamique qui, pour nous, est importante. (11 heures)

L'autre aspect de cette dynamique, c'est la nécessité de tous les regroupements de nature collective qui ont pour effet d'aider ces personnes dans le besoin, donc, les bénéficiaires d'aide sociale, à mieux vivre leur situation, soit se regrouper. Je pense que M. Asselin pourrait vous parler longtemps de la nécessité, par exemple, qui a été ressentie dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, ainsi que dans d'autres régions comme la Côte-Nord, de regrouper massivement les jeunes qui étaient sans emploi et qui avaient à la fois quitté l'école. Pour les jeunes, il y a deux principaux moyens, si on veut, d'intégration sociale dans notre société: c'est ou le travail ou l'école. Alors, quand il n'y a ni l'un ni l'autre ou que vous habitez dans un milieu rural, la situation n'est pas toujours drôle. Donc, ce n'est pas uniquement des mesures dans ces cas qui visent à accroître les capacités des personnes qui vont résoudre l'ensemble des problèmes.

M. Ippersiel: C'est un peu ce à quoi on faisait référence au début quand on disait que le bénéficiaire d'aide sociale est traité comme quelqu'un d'isolé. Si je peux me permettre un exemple pour expliquer ce qu'on veut dire, quand on a étudié le fameux rapport Harnois, il y avait une mesure où on recommandait que des crédits soient débloqués pour favoriser ou stimuler l'approche de groupe. On aurait souhaité retrouver dans le projet de réforme des sommes qui puissent servir à certains groupes pour s'organiser et se donner des services en commun. Tantôt, quand M. le ministre parlait de 36% d'analphabètes, par exemple, chez les 300 000, on sait qu'une approche collective est souvent plus efficace qu'une approche individuelle du côté de l'alphabétisation. Ce sont des mesures comme celle-ci qu'on aurait aimé retrouver dans le projet, c'est-à-dire une dimension communautaire, une dimension cpllective qui permette aux gens de se regrouper, parce que c'est souvent en travaillant ensemble qu'on peut améliorer sa condition et aussi son sort. Cette dimension nous semble un peu absente dans le projet de réforme.

Mme Harel: Vous avez parlé des travaux d'utilités collectives. Je pense que c'est vous, M. Ippersiel? Non, c'est M. Asselin? J'ai pensé que vous aviez fait un stage en France. Je pense que cela existe les TUC, les travaux d'utilités collectives?

M. Asselin: Je n'y suis pas allé.

Mme Harel: Ah, c'est vous-même. Vous en

aviez entendu parler ou si...

M. Asselin: Non, c'est parce qu'on parle présentement, dans notre région, de ces projets.

Mme Harel: Juste, peut-être, avant d'aborder cette question, il y a évidemment une question qui se pose. Je ne sais pas si la Fédération des CLSC aura l'occasion d'y réfléchir, il s'agit de la question, comme vous le soulignez, M. Bélanger, de savoir jusqu'à quel seuil cette incitation positive à gagner un dollar doit rester, jusqu'au seuil du salaire minimum, jusqu'au seuil de pauvreté de Statistique Canada? Sachant que le seuil de pauvreté pour une personne seule, c'est 999 $ par mois et que le salaire minimum est à 689 $ présentement, donc, il y a une différence de 300 $ en moins pour le salaire minimum. Évidemment, l'aide sociale étant en deçà de beaucoup et des deux, et du salaire minimum et de Statistique Canada, chaque dollar gagné additionne), jusqu'à quel seuil d'une certaine façon peut-on l'envisager?

Juste avant que vous répondiez, parce qu'il ne me reste plus de temps, je vais vous poser finalement la question de fond qui est celle du développement des programmes d'emplois communautaires. Cela a été un peu discrédité par toutes les expériences précaires qui se sont multipliées de ce genre de programmes: PDE fédéral, etc. Vous avez parié des travaux en matière de protection civile, d'environnement et de protection publique. Le ministre vous a posé une question très importante tantôt qui était la suivante: Est-ce l'État qui doit assumer la responsabilité d'offrir à la personne qui dit: Je suis disponible, je suis apte, je suis prête, je veux participer, personne qui, dans le projet actuel, se retrouve dans la catégorie admissible, donc, en bas du montant qu'elle obtiendrait si elle participait, parce que l'État ne peut pas lui offrir d'intégrer une classe pour terminer son secondaire V ou parce que la personne a 48 ans, qu'elle a une septième année et que cela ne lui tente pas de retourner terminer un cours secondaire et qu'elle ne pense pas avoir nécessairement le goût de finir... Cela se peut que, pour continuer des études, il faut aussi en avoir le goût, parce qu'il n'y a pas nécessairement les mesures comme, dans certains coins, des stages en entreprise ou parce qu'H n'y a pas de travaux communautaires. Parce qu'il n'y aurait pas l'offre, finalement, la personne serait pénalisée en étant considérée apte, admissible mais sans participer. Là, la question c'est: Est-ce qu'il n'y aurait pas une responsabilité de la part de l'État, puisque l'État se dit prêt - le ministre l'a répété maintes fois - à offrir la totalité à 100 % des personnes aptes qui voudraient y participer, c'est-à-dire environ 445 000 000 $? Est-ce que cet argent, que l'État se dit disposé à utiliser, ne devrait pas l'être pour créer, cette fois, de vrais emplois communautaires, pour créer de vraies activités socialement utiles? Je pense que vous avez quelque chose à dire, M. Asselin?

M. Asselin: Oui. Je pense que, dans une région comme la nôtre - mais je vous dis qu'il y en a d'autres au Québec - l'État a un rôle majeur. Si l'État ne prend pas une espèce de leadership là-dedans, il n'y a pas grand monde qui va le faire.

Ce qui est important, c'est qu'on ait un modèle qui dure. Quand je suis arrivé en Gaspésie, c'était en 1970, dans l'après BAEQ, où on avait fermé des villages. J'étais allé là justement pour travailler sur le plan communautaire à soutenir les gens qui sortaient des villages. Et on est arrivés avec des projets de courte durée qui ont touché tout le secteur du retour à la vie normale - pour certains, cela dira peut-être quelque chose - et des projets de 20 semaines. Il s'est développé aussi une sous-culture où on embarque dans des projets et on débarque, on va chercher du chômage, en tout cas, vous connaissez le discours. Ce qu'on trouve nécessaire, c'est qu'il y ait des projets qui soient de longue durée et de ne pas se dire que c'est là pour six mois ou un an. Si tu fais longtemps, tu feras longtemps.

D'autant plus que je pense que, demain, vous allez recevoir les gens d'Action-travail de notre territoire. Il y a des gens là-dedans qui étaient très actifs et très scolarisés. De toute façon, après un certain temps, s'ils ont développé l'employabilité, ils s'évacuent tout seuls, ris se font connaître, ils se font voir, ils se font apprécier et ils s'en vont. S'ils ne sont pas compétitifs, ils vont peut-être faire deux, trois ou quatre ans de plus. On n'a pas besoin, je pense, de fixer un délai de six mois ou de sept mois parce que, d'abord, c'est très dévalorisant et cela fart projet! Il n'y aucun intérêt à...

M. Bélanger (Jean-Pierre): Pour ce qui est de votre première question, celle relative au seuil qui devrait être couvert, on n'a pas fait d'étude particulière sur un seuH précis. Pour ma part, cela fait à peu près 20 ans que, d'une façon ou de l'autre et régulièrement, on a à analyser toute la question de la sécurité du revenu. J'en suis arrivé, à la longue, à me méfier d'un seuil qui est défini de façon théorique. Je sais que, en fin de compte, les décisions doivent être prises sur des bases réalistes compte tenu des ressources qui sont disponibles.

La direction dans laquelle on doit aller, on la connaît. Elle est déjà exposée en bonne partie dans le document que le ministre a déposé. Même si ce qu'on appelle techniquement le taux de taxation implicite, cela veut dire le taux de réduction de la prestation de l'aide sociale, même si c'était de l'ordre de 80 %, ce serait déjà préférable à un taux de taxation implicite qui est actuellement de l'ordre de 100 %, quand ce n'est pas plus élevé, compte tenu des privilèges que les personnes perdent. Alors, la direction, on la connaît.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, on m'indique qu'il me reste quelques minutes. J'aimerais revenir sur un des éléments que vous avez apportés, soit toute la question du travail à temps partiel où vous rejoignez là, dans un vocabulaire un peu différent, une notion que l'Association des manufacturiers canadiens a évoquée hier: le temps partagé. Je pense qu'il y aurait un certain arrimage à faire entre les deux mémoires sur cette notion de travail à temps partiel et de temps partagé.

Je souhaiterais également avoir le temps de toucher toute la question combien importante de l'harmonisation avec la fiscalité. Vous avez drôlement raison de le souligner. Nous partons d'un système où, après 25 $ de gains mensuels, c'est une taxation à 100 %. Nous croyons l'améliorer dans un certain pourcentage, nous avons même l'impression qu'avec le programme APPORT pour les familles, là où il y a des enfants, il y a une harmonisation qui est complète avec la fiscalité et qu'il n'y a pas ce niveau de taxation, mais que, pour les personnes seules - vous avez raison de le souligner - il y a là un trou, mais il y a toute la question à savoir à quel seuil on doit arrêter à un moment donné pour ne pas que tout le monde dans la société soient des bénéficiaires du programme APTE. Ce n'est pas nécessairement ce qu'on vise, au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.

Vous pouvez répondre brièvement sur ces points, mais la dernière question que je vous adresse, je l'adresserais à M. Bélanger. Il a été question, dans une proportion très importante de mémoires, devant cette commission parlementaire, de la notion du plein emploi. Je sais que vous avez déjà eu l'occasion d'écrire sur le sujet. Ce qu'on nous faisait comme représentation, c'est: Le gouvernement, vous ne prenez pas la bonne direction. Certains nous ont même dit: Oubliez vos notions d'employabilité et ne pensez que plein emploi. Nous avons donné des réponses à ces gens, mais, de quelqu'un qui a déjà longuement réfléchi sur le sujet, jusqu'à écrire, j'aimerais avoir des réactions à cette approche vers le plein emploi.

M. Bélanger (Jean-Pierre): Dans l'ordre ou dans le désordre, pour ce qui est de la question de l'harmonisation avec la fiscalité, cela nous semble effectivement important et cela pourrait, d'ailleurs, être un des points sur lesquels il faudrait rouvrir les discussions avec le gouvernement fédéral.

Pour ce qui est de l'appréciation qu'on fait du programme APPORT, il y a un énorme avantage au programme APPORT par rapport à son prédécesseur, SUPRET, et qui est le suivant, c'est-à-dire que les revenus sont versés en bonne partie sur une base des revenus courants, donc, l'incitation au travail est plus palpable. Je suis content, d'une certaine façon, qu'on puisse en être arrivé là aujourd'hui puisqu'à l'époque, l'idée d'un programme de supplément au revenu de travail pour les petits salariés avait suscité une méfiance telle de la part des organismes qui, dans tout gouvernement, sont chargés de contrôler les dépenses qu'il n'y avait pas eu moyen de l'articuler autrement que de le donner sur la base du rapport d'impôt, une fois que l'année est finie. Donc, l'incitation au travail arrivait souvent quinze mois après le travail réel. L'existence de SUPRET a permis, dans le fond, de voir que ce n'était pas un monstre, cette affaire-là, et que cela pouvait éventuellement être - excusez l'expression anglaise - "manageable" sans trop de problèmes.

Pour ce qui est d'une politique de plein emploi, c'est bien évident que tout le monde est pour la vertu, mais, en ce qui nous concerne, on pense que, de toute façon, ce ne sera pas pour demain matin et qu'il y a un certain nombre de gestes qui doivent être posés. Je veux dire ceux qui défendent - et j'en suis - l'établissement d'une politique de plein emploi... Même dans cette politique, il y a, de toute façon, des mesures de formation des individus. Maintenant, il nous semble que les mesures de nature individuelle qui s'adressent aux individus - c'est ce qu'on a essayé de faire ressortir également ne sont pas non plus, à elles seules, suffisantes pour régler l'ensemble des problèmes. Donc, il faudrait éventuellement faire plus, mais c'est bien évident que ce n'est plus la responsabilité que d'un ministère sectoriel, que cela déborde sur l'ensemble des activités gouvernementales.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier nos invités.

Mme Harel: Oui, M. le Président. Cela me fait d'autant plus plaisir que j'ai eu l'occasion de lire certains travaux sur cette question du plein emploi. Sans doute, quand vous faites appel à la responsabilité d'un gouvernement en matière de sécurité du revenu, là où le bât blesse d'une certaine façon, c'est que ce document ne parle que d'aide sociale, malgré le titre qui porte sur la politique de sécurité du revenu. Alors, il faut certainement souhaiter qu'on puisse aller dans le sens du développement des emplois communautaires ou socialement utiles, ce que vous nous indiquiez ce matin. Je vous remercie pour votre contribution. *

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): À la Fédération des CLSC, à ses porte-parole, je me joins à Mme la députée de Maisonneuve pour dire merci. Je vous dirai également que la première note que j'ai prise et sur laquelle nous n'avons pas eu l'occasion de discuter - mais sur laquelle je

pense que M. le président est revenu en tout dernier - l'aspect communautaire, dans le mémoire, est une suggestion très positive et très intéressante.

Quant aux autres points sur lesquels nous avons discutés, je considère que vous avez, par la qualité de votre mémoire ainsi que la qualité de vos propos, enrichi les travaux de cette commission. Au nom de la commission et du gouvernement du Québec, je vous dis merci.

M. Ippersiel: On espère mettre toute notre expertise commmunautaire à votre service, M. le ministre, si vous avez besoin d'aide.

Le Président (M. Bélanger): La commission des affaires sociales remercie la Fédération des CLSC et invite, à la table des témoins, la Fédération des travailleurs du Québec, la FTQ, qui sera représentée par M. Fernand Daoust, M. Guy Cousineau, M. Michel Chevalier, M. Jacques Toupin et Mme France Laurendeau. Je les invite à prendre place à la table des témoins. (11 h 15)

Je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place, s'il vous plaît. Bonjour aux représentants de la Fédération des travailleurs du Québec. Sans doute, vous connaissez bien nos règles de procédure, mais, à tout hasard, je vous les explique, quand même. Vous avez 20 minutes ferme pour la présentation de votre mémoire et une période d'échanges par la suite, avec nos parlementaires. Je vous demanderais chaque fois que vous devez prendre la parole, de bien vouloir vous identifier pour les fins de la transcription du Journal des débats. Si vous voulez identifier votre porte-parole, présenter votre équipe et procéder à la présentation de votre mémoire, nous vous écoutons avec toute l'attention voulue. Merci.

Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec

M. Daoust (Fernand): Merci beaucoup. Mon nom est Fernand Daoust. Je suis le porte-parole de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. Je voudrais immédiatement corriger cette petite erreur dans l'ordre du jour qui nous a été transmis: on ne parle pas de femmes.

Le Président (M. Bélanger): Je fais amende honorable, j'aurais dû le savoir.

M. Daoust: Bon. Je vais vous présenter ceux qui m'accompagnent: M. Guy Cousineau, vice-président de la FTQ et secrétaire général du Conseil des travailleuses et des travailleurs du Montréal métropolitain; Mme France Laurendeau, du service de recherche de la FTQ, permanente; M. Michel Morasse, permanent de la FTQ pour la région de Québec.

M. le Président, M. le ministre, Mme la députée, MM. les députés, je vais faire cet exposé qui reprend succinctement les points les plus importants de notre mémoire qui a été déposé préalablement.

La FTQ, qui représente au-delà de 450 000 travailleurs et travailleuses syndiqués provenant de tous les secteurs économiques, se devait de se faire entendre devant cette commission. Le projet de réforme du régime d'aide sociale soumis au débat public et qualifié à tort de politique de sécurité du revenu suscite beaucoup d'inquiétude dans nos rangs. En effet, ce n'est pas là un projet qui répond à notre définition d'une véritable politique de sécurité du revenu, puisqu'elle se fait isolément des autres politiques sociales: la politique familiale, les grandes politiques fiscales, les politiques qui ont trait aux services de garde et les politiques de main d'oeuvre.

Le problème no 1: les pénuries d'emplois. De plus, cette réforme ignore le problème no 1 de notre société: les pénuries chroniques d'emplois. Nous sommes intimement convaincus qu'on ne peut procéder à une véritable réforme du régime d'aide sociale sans mettre simultanément en place une politique de plein-emploi. L'emploi et la sécurité du revenu vont de pair, car c'est par le travail rémunéré que la majorité des citoyens et des citoyennes du Québec gagnent leur vie et s'assurent ainsi une sécurité pour aujourd'hui et pour demain.

La FTQ réitère donc son attachement au principe du droit au travail pour tous et toutes comme moyen d'assurer leur subsistance et de participer à la vie collective. C'est pourquoi nous sommes particulièrement attristés du sort que notre société réserve à ceux et à celles qui n'ont pas d'emploi. Les chômeurs et les chômeuses, ainsi que les assistés sociaux et les assistées sociales, dont le nombre s'est accru dramatiquement depuis la récente crise économique, subissent durement les conséquences de celle-ci. Leurs revenus sont très bas et toujours sujets aux changements d'humeur des gouvernements. Leur situation de dépendance et d'exclusion est humiliante. Leur santé physique et mentale est plus sujette à détérioration.

La FTQ ne peut tolérer plus longtemps que l'on relègue à l'aide sociale des hommes et des femmes qui veulent apporter leur contribution à l'édification de la société. En particulier, l'accroissement du nombre de jeunes bénéficiaires est un pur scandale. C'est le gaspillage d'une génération qui se produit sous nos yeux. La FTQ croit fermement que la cause ultime des problèmes de chômage et de pauvreté réside dans l'incapacité de notre économie de générer assez d'emplois pour tous ceux et celles qui veulent travailler. Les bénéficiaires de l'aide sociale ne sont pas responsables des pénuries d'emplois et ils n'ont pas à supporter seuls les conséquences de la crise économique et des politiques gouvernementales restrictives qui ont empêché la croissance du niveau d'emploi.

L'urgence d'une politique de plein-emploi.

Depuis son élection, votre gouvernement n'a rien fait pour rétablir la situation de l'emploi. Bien au contraire, il a démantelé la Table nationale de l'emploi, il a adopté des politiques budgétaires restrictives et s'est retiré graduellement de l'économie par des mesures de privatisation et de déréglementation. De plus, il a renoncé à récupérer du gouvernement fédéral les compétences qui lui reviennent en matière de main-d'oeuvre et de sécurité du revenu, acceptant ainsi un dédoublement coûteux et inefficace.

La FTQ déplore que votre gouvernement ait renoncé à adopter une approche préventive face aux problèmes de chômage et de pauvreté et qu'il mette l'accent sur les caractéristiques individuelles des bénéficiaires de l'aide sociale. Un redressement s'impose d'urgence, mais il ne va pas dans le sens proposé par la réforme. Les recommandations que nous soumettons dans la partie 1.3 de notre mémoire montrent quelle est la voie à suivre.

Un changement majeur de philosophie. La réforme proposée amorce un virage inquiétant pour notre société. Les principes de base qui ont guidé la conception du régime actuel d'aide sociale sont remis en cause. L'aide sociale ne serait plus un droit pour ceux et celles qui sont dans le besoin, mais un privilège pour les pauvres méritants qui sont dans l'incapacité absolue de répondre à leurs besoins à cause d'un handicap physique ou mental grave. La FTQ ne peut accepter que le gouvernement porte un jugement de valeur sur les facteurs qui ont conduit une personne à avoir besoin de l'aide sociale. C'est le besoin et l'incapacité temporaire ou permanente d'y répondre qui doivent demeurer les seuls critères d'admissibilité au régime d'aide sociale.

Le document d'orientation laisse entendre que les assistés sociaux et les assistées sociales jugés aptes au travail sont pauvres parce qu'ils ou elles ont fait le choix de ne pas travailler. C'est ainsi que, sournoisement, le gouvernement laisse entendre qu'il suffit de vouloir travailler pour pouvoir le faire. Nous ne pouvons que condamner cette attitude particulièrement injuste dans un contexte où, même si l'on veut travailler, il n'y a pas assez d'emplois pour tous.

Le gouvernement ne semble pas croire que les bénéficiaires de l'aide sociale sont motivés à travailler. C'est pourquoi il propose un régime qui incite au travail d'une manière plutôt douteuse. Ceux et celles qui ne gagneront aucun autre revenu en sus de leurs prestations ne pourront combler leurs besoins de base établis par le ministère à des niveaux si bas qu'ils frisent l'indécence. Des sanctions sous forme de prestations inférieures à celles que l'on octroie aux personnes inaptes au travail et dont on comprend mal la rationalité seront applicables à la majorité des personnes aptes au travail, moins de neuf mois dans le régime, non admissibles, non disponibles et aux non-participants. On veut punir les personnes de mauvaise volonté, les non-participants, mais on punit aussi tous les autres. Cette rationalité nous échappe complètement à moins qu'elle ne s'explique par la préoccupation de réduire les coûts du régime.

Enfin, le document soupçonne les bénéficiaires de l'aide sociale de ne pas être employables, c'est-à-dire de ne pas avoir les qualifications requises, et de manquer de mobilité. Autrement dit, c'est l'assisté social qui a un problème et qui doit se transformer pour devenir conforme aux exigences du marché du travail. Bien que nous soyons favorables aux mesures destinées à améliorer les compétences des bénéficiaires et des travailleurs comme toutes nos positions sur la formation professionnelle en témoignent, nous croyons inutile d'inciter à participer aux mesures de développement de l'empoyabilité de manière coercitive. Si les programmes sont pertinents et conduisent à de vrais emplois, les bénéficiaires de l'aide sociale vont y affluer. Nous croyons que ces mesures doivent être conçues comme des services offerts à des personnes qui ont besoin de soutien pour s'intégrer au marché du travail. Dans cet esprit, la FTQ a fait, à la section 2.5 du mémoire, des recommandations qui définissent les principes qui doivent servir de base à notre régime d'aide sociale.

Des conséquences désastreuses. Si nous n'avons pas de critiques importantes à propos des programmes Soutien financier et APPORT, nous nous opposons fermement au programme APTE qui aura pour conséquence d'appauvrir les plus pauvres, de créer des classes parmi les bénéficiaires de l'aide sociale, d'augmenter les contrôles et de créer une réserve de main-d'oeuvre à bon marché. Il est totalement inacceptable que le niveau de vie des assistés sociaux et des assistées sociales, déjà au-dessous des seuils de pauvreté, soit abaissé encore davantage. Les nouveaux barèmes semblent destinés à affamer les bénéficiaires de l'aide sociale de façon à les obliger à accepter n'importe quel emploi à n'importe quelle condition et ce, dans un contexte de pénurie grave d'emplois.

Les nouveaux critères d'attribution des prestations sont d'une grande complexité et semblent conçus pour réduire systématiquement le niveau de prestations auquel la personne a droit. Ainsi en est-il de la contribution alimentaire des parents qui, à toutes' fins utiles, exclut du régime un grand nombre de jeunes sans ressources. Il en est de même du partage du logement qui permettrait à des jeunes surtout de tirer meilleur parti de leur maigre prestation et qui entraînerait désormais des coupures importantes.

Nous sommes particulièrement préoccupés de l'application des nouveaux critères reliés à l'aptitude ou à l'inaptitude au travail. Cette distinction qui s'applique déjà aux jeunes de 18 à 30 ans a été vivement dénoncée à maintes reprises. À l'avenir, elle s'appliquerait à tous les bénéficiaires, mais qui va donc décider qu'une personne est apte ou inapte au travail et sur

quels critères va-t-on se baser pour le faire? Cela signrfie-t-il que les personnes jugées inaptes sont condamnées à l'exclusion définitive du marché du travail? Que fait-on alors des revendications des associations de personnes handicapées qui souhaitent que les milieux de travail s'adaptent à leur condition? La distinction entre apte et inapte nous apparaît arbitraire et peu opérationnelle. Elle ne doit en aucune manière servir de base à l'établissement des barèmes. Si nous souhaitons vivement que les personnes en chômage ainsi que les personnes assistées sociales puissent accéder au marché du travail, nous savons que, dans le contexte actuel, un afflux aussi important de main-d'oeuvre va augmenter les pressions à la baisse sur les conditions de travail des personnes en emploi en augmentant la concurrence déjà très vive sur le marché du travail.

Les stages en entreprise et les subventions à l'emploi, qui font partie des mesures de développement de l'employabilité, en habituant les employeurs à ne pas payer directement leurs employés risquent de jouer le même rôle. À cet égard, le gouvernement doit exercer un contrôle serré sur l'usage que font les employeurs des subventions qu'ils reçoivent pour embaucher des personnes assistées sociales. Les fonds publics investis dans ces programmes doivent servir à aider les assistés sociaux et les assistées sociales à réintégrer le marché du travail et non pas à subventionner l'entreprise pour qu'elle fasse plus de profits.

Nous souhaitons que le gouvernement tienne compte des recommandations que nous formulons aux sections 3.4 et 4.5.

Pour conclure, la FTQ souhaite que le gouvernement retire son projet de réforme de l'aide sociale, car elle ne peut accepter un projet qui rend encore plus précaire et plus humiliante ta situation des bénéficiaires de l'aide sociale dans le seul but de réduire les dépenses gouvernementales à ce chapitre. (11 h 30)

Les personnes assistées sociales sont les premières victimes des bouleversements économiques. Le gouvernement doit les aider financièrement et les soutenir par des services adéquats pour favoriser leur intégration au marché du travail. Mais, par-dessus tout, il doit de toute urgence mettre en oeuvre une politique de plein-emploi. La FTQ est prête à collaborer à l'effort collectif si une politique de plein-emploi est enclenchée. C'est pour nous le fondement d'une véritable politique de sécurité du revenu qui garantit à chacun le droit à un niveau de vie décent.

Le Président (M. Joly): Merci, M. Daoust. Je vais maintenant reconnaître M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je remercie la Fédération des travailleurs et travailleuses du

Québec, ainsi que ses porte-parole, et pour son mémoire et pour sa présentation verbale.

Vous me permettrez, dans un premier temps, M. le Président, de dresser le portrait de la clientèle bénéficiant de l'aide sociale telle qu'on pouvait la percevoir en mars 1987: 400 000 chefs de ménage dont le seul revenu est un chèque mensuel d'aide sociale. Parmi cette clientèle, environ 25 % ou 100 000 chefs de ménage seraient admis à l'un des programmes que vous ne semblez pas dénoncer, soit le programme Soutien financier. Les quelque 300 000 autres chefs de ménage, que l'on dit aptes au travail, se retrouvent, pour la majorité d'entre eux ou d'entre elles, dans une situation particulièrement difficile, même s'ils souhaitent travailler.

C'est le cas de 36 % de ces gens qui sont considérés comme analphabètes fonctionnels. Ce n'est pas facile de se trouver un emploi dans la société québécoise lorsqu'on est considéré comme analphabète fonctionnel. C'est également le cas de 60 % de ces 300 000 personnes dites aptes au travail qui n'ont pas complété leur cours secondaire, alors que l'on sait qu'une quantité impressionnante d'employeurs exige le cours secondaire pour avoir la possibilité de poser sa candidature à un emploi. On sait également que 40 % de cette clientèle n'ont aucune expérience reconnue de travail antérieur, ce qui pose des problèmes tout à fait particuliers.

La Fédération des travailleurs et travailleuse du Québec parle de politique de plein emploi et elle accuse gravement et sérieusement le gouvernement de n'avoir rien fait. Je ne peux laisser passer une accusation aussi formelle sans rappeler que la stabilité politique que connaît le Québec depuis la venue du gouvernement libéral, la fiscalité corrigée, les déficits diminués et l'ensemble des décisions gouvernementales prises dans tous les ministères sont imprégnés de cette absolue nécessité de créer davantage d'emplois dans le but de se diriger vers le plein emploi.

Je ne peux passer sous silence, non plus - et j'en profite pour le souligner - l'apport du Fonds de solidarité des travailleurs du Québec qui, selon nous, est un autre élément d'une politique de plein emploi. Je ne pense pas que l'actuel gouvernement ait nui, depuis qui est au pouvoir, à l'essor de ce fonds de solidarité dont le mérite revient naturellement à son père fondateur, votre président, M. Laberge. Cela donne des résultats, quand même, concrets qui se matérialisaient en février 1988, si on compare à février 1987, par la création nette de quelque 104 000 emplois au Québec, dont 99 000 à temps plein et, au cours des mêmes douze derniers mois par une baisse du taux de chômage de quelque 2 % ce n'est pas encore le plein emploi, mais, au-delà du vocabulaire, on se dirige, et c'est l'avis des analystes, dans la bonne direction.

Quant au droit au travail, je ne peux, non plus, passer sous silence l'action de l'actuel gouvernement. Prenons un exemple très concret et très pratique que vous comprendrez rapide-

ment: la question du droit au travail pour les jeunes dans l'industrie de la construction. On sait que, pendant de nombreuses années, les jeunes n'ont pas eu droit au travail dans cette industrie de la construction et, depuis l'adoption de la loi 119, avec laquelle la FTQ - j'en profite pour le souligner - fonctionne et collabore très bien, à ce qu'on me dit, au moment où nous nous parlons, le droit au travail pour ces jeunes est revenu. Et c'est un exemple de droit au travail.

Je ne peux, non plus, passer sous silence les ententes qu'il y a eu entre les deux niveaux de gouvernement depuis l'élection du Parti libéral, et je fais référence spécialement à tout de qui s'est fait en matière de formation professionnelle et aux dernières ententes fédérales-provinciales. Tous les observateurs nous ont dit qu'il y avait eu des gains, et financiers et de juridiction, pour la province de Québec lors de la signature de ces ententes, gains qui ne sont pas complets, mais qui sont, quand même, supérieurs à ce qu'avait pu obtenir le gouvernement précédent sur le plan de la juridiction québécoise.

Maintenant, les questions précises. Vous mentionnez, dans votre mémoire, la question des besoins des personnes qui se retrouvent à l'aide sociale et vous semblez - c'est là ce que j'en retire, ce n'est peut-être pas exact et je vous donne la permission de me corriger - dire que les besoins sont les mêmes pour tous les individus qui se retrouvent à l'aide sociale. Votre fédération est-elle d'avis que les besoins d'une personne qui est condamnée, si vous me permettez l'expression, à long terme à l'aide sociale sont les mêmes que pour une personne qui est de passage à l'aide sociale, sur le plan financier et autres?

M. Daoust: Si vous me le permettez, M. Paradis, je souhaiterais non pas vous donner la réplique, mais faire quelques commentaires à l'égard de ce que vous avez dit au tout début de votre intervention. C'est vrai que nous sommes fort critiques, tout au long du document, à l'égard de ce que nous appelons de temps à autre l'immobilisme de votre gouvernement au sujet de l'emploi. Nos critiques sont sévères. Je pense qu'il faut, de temps à autre, les expliciter. Elles sont sévères parce que, selon nous, votre gouvernement a raté une occasion, qui lui était donnée, entre autres, par la mise sur pied de cette Table nationale de l'emploi, de poursuivre dans le sens de ce qui était amorcé et qui était extrêmement prometteur. Si vous me le permettez - cela ne nous est pas arrivé souvent et il est peut-être important qu'on se rafraîchisse un peu la mémoire - j'aimerais vous lire un communiqué de presse qui a été diffusé le 27 septembre 1985 lors de ce qui a probablement été, et a sûrement été, la dernière réunion officielle de la Table nationale de l'emploi. Nous rappelons, dans ce communiqué, que cette dernière avait été formée en mars dernier - nous sommes en 1985, à ce moment, à quelques mois des élections - "à partir d'une volonté commune des décideurs économiques de se concerter autour d'un objectif unique: accroître l'emploi au Québec. La Table nationale de l'emploi regroupe les principaux partenaires socio-économiques québécois. Présidée par le ministre délégué à l'Emploi et à la Concertation, M. Robert Dean, elle est composée des représentants de la FTQ, de la CSN, de la CSD, de l'Association des manufacturiers canadiens, de la Chambre de commerce du Québec, du Conseil du patronat du Québec, du Mouvement Desjardins et des groupes de femmes." Tous ces groupes, que je viens d'énumérer, sont signataires du document que je vous lis à ce moment-ci. "La Table nationale de l'emploi est l'outil principal d'une démarche nouvelle et systématique en vue de développer les stratégies de plein emploi indispensables au progrès économique et social de notre société. Il est désormais solidement acquis que c'est par une concertation permanente et continue des décideurs économiques que nous pourrons reconsidérer les acquis respectifs, corriger les trajectoires, maximiser l'impact des efforts de chacun et découvrir de nouvelles pistes. "C'est ainsi que les partenaires ont convenu de reconsidérer en profondeur l'impact sur l'emploi: des programmes gouvernementaux d'aide à l'entreprise ou de maintien et de création d'emplois; de l'environnement législatif des entreprises et des programmes de sécurité sociale; des changements technologiques; des politiques commerciales et tarifaires; des programmes de formation professionnelle; des mesures de partage de travail; de la planification des projets "Les partenaires ont aussi décidé d'examiner, dans cette même optique, l'orientation du programme d'assurance-chômage. Dans la conjoncture politique actuelle, les partenaires ont jugé nécessaire - les partenaires, c'est tout le monde au Québec ou à peu près, et vous en étiez, le gouvernement - d'exprimer leur volonté d'assurer la permanence de la Table nationale de l'emploi. Ils adressent, donc, de façon non équivoque - le mot est là, ce n'est pas moi qui l'ai choisi et c'est collectivement qu'on en a convenu - au gouvernement actuel, au prochain premier ministre et au prochain gouvernement - vous en êtes - le message suivant: La concertation pour l'emploi doit transcender les événements politiques et cet outil nouveau qu'est la Table nationale de l'emploi apparaît si essentiel à tous qu'il doit être assuré d'une permanence."

M. le ministre, comprenez notre incroyable désappointement devant les gestes que votre gouvernement a posés au lendemain de son élection, en démantelant et en démantibulant une table de cette importance qui, sur le plan historique, était une première au Québec et annonçait des changements profonds dans la

société québécoise. Vous avez déchiré en morceaux ce qui a été fait pendant peut-être les 12 ou 24 mois qu'a pu siéger cette Table nationale de l'emploi. Nous nous y retrouvions avec le Conseil du patronat et l'Association des manufacturiers, ce qui n'est pas peu faire, qui est même grandiose et qu'il faut souligner. Il y avait là des débuts de concertation sur des sujets comme ceux que vous étudiez, de temps à autre, à la sauvette, et sans aucune espèce de consultation. Là, on mettait tout sur la table et je ne fais pas de jeu de mots avec Table nationale de l'emploi." On s'était drôlement et profondément impliqué, engagé et embarqué, le mouvement syndical. Je m'excuse de vous en parler.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, non...

M. Daoust: On est émotif là-dessus parce qu'on estime que le gouvernement a manifesté une très grande cruauté en se débarrassant de cet instrument.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous n'avez pas à vous excuser de m'en parler. Nous sommes ici pour nous parler très franchement et j'oserais même dire à coeur ouvert. Maintenant, je suis un peu "encarcané" dans le temps. J'ai à peine 20 minutes pour vous adresser des questions sur la politique de sécurité du revenu. Il y a la règle de l'alternance et l'Opposition a également des questions. Je prends bonne note de votre intervention. Je ne pense pas que ce soit le titre ou l'appellation qui vous préoccupe autant que le fonctionnement, les intervenants qui doivent être là, et le mandat. Par rapport aux éléments essentiels, je prends bonne noté de vos interventions quand a l'analyse plus poussée du projet de loi 41 que doit faire le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, et du fait d'inclure possiblement les éléments que vous mentionnez dans le mandat du conseil, le tout garanti par texte législatif, ce qui assure généralement des durées un peu plus longues et profondes.

Maintenant, en vertu de la règle de l'alternance, c'est à Mme la députée de Maisonneuve.

Le Président (M. Joly): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Alors, il me fait plaisir de vous souhaiter, de la part de ma formation politique, la bienvenue à cette commission, M. Daoust, Mme Laurendeau, M. Morasse je crois, et M. Cousineau, en rappelant, M. Cousineau, que vous faites partie de la Corporation de développement économique et communautaire de Hochelaga-Maisonneuve, dans l'est de Montréal, considérant surtout les difficultés de licenciements que vous avez pu connaître dans ce secteur.

Votre mémoire était attendu, d'une certaine façon, avec une sorte d'impatience, ce qui ne signifie pas que nous n'avions pas déjà une indication des orientations dans lesquelles vous vous engageriez. Il était aussi attendu avec beaucoup d'intérêt par l'ensemble du front commun des assistés sociaux et des assistées sociales et des groupes communautaires puisque vous représentez, en grande partie, le mouvement ouvrier organisé dans le secteur privé et pour la nécessaire solidarité qu'il est sans doute essentiel, à ce stade des changements, des développements et des mutations technologiques, d'exprimer entre les personnes qui ont la chance d'occuper un emploi et celles qui ne l'ont pas. (11 h 45)

Le ministre a rappelé, c'est une sorte de litanie, un peu, comme à une procession de la Fête-Dieu - finalement la composition des bénéficiaires, mais il a oublié de mentionner que 33 % des bénéficiaires avaient complété un cours secondaire et qu'ils avaient déjà des acquis au niveau collégial ou universitaire, ce qui est, quand même, un sur trois. Alors, les bénéficiaires qui n'ont pas complété le secondaire sont quand même 60 %. Certaines - il s'agissait de femmes qui représentaient diverses organisations et qui vous ont précédés, là où vous êtes assis - ont fait des présentations absolument exemplaires et extrêmement articulées. Elles nous disaient parfois qu'elles n'avaient pas complété une 7e année ou qu'elles n'avaient pas une formation nécessairement académique, mais qu'elles la compensaient par une expérience de vie qui n'a peut-être pas son équivalence en termes de formation académique. Cela posait le problème des équivalences qui n'est pas encore réglé dans notre société. Rappelons-le, 52 % des bénéficiaires sont des femmes, et le tiers d'entre elles ont plus de 45 ans. Il n'est pas évident que c'est simplement un apprentissage académique qui puisse pallier ou corriger les difficultés qu'elles rencontrent.

Je voulais juste vous le mentionner en vous disant que la Centrale de l'enseignement du Québec, à cet égard, a été très sévère, révélant en commission qu'aucun pourparler n'était engagé avec le ministère de l'Éducation pour corriger cette sous-scolarisation, pour mettre en place un plan de campagne de scolarisation et un plan de campagne d'alphabétisation, et que, bien au contraire, les groupes communautaires qui offraient de tels projets se débattaient avec des difficultés financières qui, loin d'aller en s'amé-liorant, s'aggravaient. Il y a donc là matière à faire réfléchir le gouvernement, malgré ses bons sentiments sur son insensibilité.

Sur la question de l'emploi, je pense que vous avez, à la page 18 très succinctement fart vos recommandations en matière de politique d'emploi et, notamment, en matière de soutien pour qu'il n'y ait pas de perte. Je pense, entre autres, à votre recommandation sur les fermetures d'usines et les licenciements collectifs. J'aimerais que vous profitiez de cet échange pour nous en parler. Je pense que l'augmentation du

nombre de bénéficiaires - et vous le faites valoir dans le document - est souvent inversement proportionnelle à la diminution du nombre de prestataires de l'assurance-chômage. Vous dites que le gouvernement fédéral, par les dispositions prises durant les dernières années, a refilé au gouvernement du Québec, d'une certaine façon, et aux provinces une partie de la facture. Vous recommandez à la page 19 que le gouvernement du Québec récupère le contrôle et les ressources financières en matière de main-d'oeuvre, d'assurance-chômage et de sécurité du revenu. J'aimerais que vous puissiez nous dire un peu quelles sont vos recommandations en ces matières.

Le Président (M. Joly): M. Daoust. Oui.

M. Cousineau (Guy): Mon nom est Guy Cousineau.

Le Président (M. Joly): Merci, M. Cousineau.

M. Cousineau: Par rapport aux fermetures d'usines et à nos politiques contre les licenciements, je pense qu'on a eu l'occasion, à plusieurs reprises dans les dernières années, de déposer des mémoires au gouvernement là-dessus. Je me souviens qu'il y a moins d'un an j'ai rencontré le ministre de l'Industrie et du Commerce, M. Johnson et que je lui ai fait des recommandations. On demandait d'avoir une réglementation beaucoup plus sévère, avec une procédure de justification, qui fasse en sorte que les travailleurs et les travailleuses victimes de licenciement ne soient pas ceux et celles qu'on va retrouver à l'aide sociale de façon rapide. On regarde ce qui s'est passé dans les années 1980 et 1982 et les employés qui avaient perdu leur emploi, on les retrouve aujourd'hui à l'aide sociale parce qu'il n'y avait aucun mécanisme soit de compensation ou soit d'avantages monétaires lorsque les entreprises sont parties. Je regarde ce qui se passe dans le sud-ouest actuellement avec la fermeture de Coleco l'an dernier et de Siemens. Ces gens sont à la veille d'être à l'aide sociale et il n'y a rien qui protège les travailleurs face à des fermetures comme celles-là. Donc, je pense que notre revendication, que vous connaissez, est là et vous devrez, à court terme, agir à cet égard. Il est important que le gouvernement agisse pour empêcher qu'il y ait de nouveaux travailleurs à l'aide sociale.

Je veux aussi faire un commentaire sur la question que M. le ministre, a posé tantôt à savoir s'il y avait des différences de besoins entre ceux qui sont longtemps ou non à l'aide sociale. Je pense que, quand on est rendu à l'aide sociale, que ce soit pour une semaine, deux semaines, un mois ou quatre ans, il faut un minimum pour vivre. Ce que vous proposez dans les programmes APPORT, APTE et Soutien financier fait en sorte que tout le monde, à notre connaissance, a besoin d'un minimum pour vivre, mais vous ne donnez pas à ceux que vous considérez comme aptes le minimum pour vivre. Vous les forcez, vous les pénalisez, s'ils ne sont pas dans des programmes.

Mme la députée de Maisonneuve a parlé tantôt de votre litanie. Lorsque j'entends les mots "apte ou inapte au travail" ou "prêt à y aller", quand vous me faites la démonstration qu'il y a 36 % d'analphabètes, que 60 % de ces gens n'ont pas leur secondaire V et que 40 % d'entre eux n'ont pas d'expérience de travail, cela fait en sorte que, pour moi, cettre grande majorité est actuellement inapte au travail parce qu'elle n'a pas apprivoisé le travail comme étant une façon de vivre. Je pense que toute politique d'employabilité, toute mesure d'employabilité, doit permettre à ceux qui n'ont pas eu la chance ou qui ont malheureusement été écartés du travail pendant une période plus ou moins longue, d'apprivoiser le travail comme étant un mode de fonctionnement normal dans notre société et non pas les pénaliser en leur coupant leurs prestations parce qu'ils ont malheureusement été écartés du marché du travail ou qu'ils n'ont pas eu la chance d'y participer.

C'est dans ce sens-là que, dans le mémoire de la FTQ, on est contre toute coupure qu'on participe ou non à des mesures d'employabilité. Les mesures d'employabilité doivent permettre à des gens démunis d'apprendre à réapprivoiser ou à apprivoiser le marché du travail. C'est dans ce sens-là qu'on critique le minimum que vous donnez à ceux qui en ont besoin, dans votre programme Soutien financier. Tout le monde a besoin de ce minimum. On sait que c'est bas, que c'est en dessous du salaire minimum et qu'avec le salaire minimum, quand on travaille 40 heures, on est encore loin du seuil de la pauvreté, même si ce sont des chiffres qui viennent de votre ministère.

Mme Harel: Vous dites dans votre mémoire que la principale conséquence de la réforme proposée par le gouvernement est la baisse du niveau de vie. Vous venez de nous l'illustrer pour la catégorie des personnes dites aptes. J'ai noté avec beaucoup de satisfaction, à la page 24, que vous rapportez les témoignages de vos membres qui sont agents d'aide sociale à Montréal et membres du SCFP. Vous rapportez que leur expérience les amène à penser que bon nombre de bénéficiaires seraient à la recherche d'emplois. C'est quand même intéressant d'avoir, pour la première fois, par votre mémoire, l'écho de ce que pensent les agents qui sont sur le terrain. Si on se dit: II faut leur permettre d'apprivoiser le travail, d'une certaine façon, et leur permettre de s'en sortir, vous dites: Oui, mais pas par des mesures coercitives - je pense qu'on se comprend bien - ni en les affamant, parce que vous parlez également des privations dans lesquelles ils seraient. Alors, comment?

Là, je pense que c'est un échange qui est important. Sur le plan de la formation, je pense aux gens de Canadian Steel Wheel, de Canadian Steel Foundries ou aux travailleurs de l'est qui ont été licenciés et qui avaient une formation. Évidemment, dans la réforme proposée, il est question de formation académique générale; il n'y a pas de formation professionnelle. Vous, quand vous parlez de formation, comment envisagez-vous la formation qui devrait être offerte? Quels sont les contacts que vous avez avec la Commission de formation professionnelle? Envisagez-vous que cela passe par les commissions de formation professionnelle? Comment envisagez-vous toute cette question de formation?

M. Oaoust: Sans aucun doute souhaitons-nous que les structures qui sont mises en place au Québec, les commissions de formation professionnelle et les CCR puissent être fortement utilisées pour aborder tous les problèmes de formation professionnelle, parce qu'il y aurait là, au point de départ, présence des partenaires socio-économiques, des gens qui sont les plus intimement mêlés à la réalité du fonctionnement des entreprises, que ce soit du côté patronal ou du côté syndical. Ils peuvent connaître, identifier plus facilement les besoins immédiats et même un peu plus lointains dans tel ou tel secteur économique. Au point de départ, il y a donc des échanges indispensables entre les représentants des syndiqués, les syndicats, et les porte-parole des employeurs dans les entreprises et dans les structures qui les regroupent, les commissions de formation professionnelle et les CCR.

On est maintenant convaincus - là-dessus, on n'apprend rien à ceux qui sont autour de cette table - l'immense majorité des travailleurs et des travailleuses vont être tenus, tout au long de leur vie dans leur milieu de travail, de perpétuellement se recycler, de perpétuellement adapter ou actualiser les disciplines, les connaissances, les techniques qu'ils ont pu acquérir dans le passé, soit avant qu'ils envahissent le marché du travail, dans des écoles de tout type, ou sur le marché du travail. C'est la formation professionnelle qui se donne sur les lieux du travail ou en conjonction étroite avec le système d'éducation du Québec. Là-dessus, nos positions sont quand même assez bien connues. Je les ai énumérées un peu rapidement au début de cette deuxième intervention.

Donc, il y a un besoin, je le répète, de suivre de très près, de faciliter des programmes de toute nature, de venir en aide de part et d'autre aux groupes qui s'y retrouvent et qui étudient ces problèmes, de les encadrer de façon telle que les échanges entre eux seront fructueux et valables.

Mme Harel: Dois-je comprendre que c'est, en fait, une sorte d'admissibilité aux mêmes services offerts pour l'ensemble dos bénéficiaires comme pour l'ensemble des travailleurs qui seraient en chômage, disons, ou qui seraient l'objet d'un recyclage? Mais ce serait un service offert et non pas une punition.

M. Oaoust: Oui. Dans mon esprit, je parlais peut-être un peu plus des travailleurs et des travailleuses qui ont des emplois. Pour les bénéficiaires, essentiellement, notre philosophie de base, c'est que c'est un service, compte tenu du très haut taux de chômage, soit 9 %, 10 % ou 11 %, peu importe, on ne se chicanera pas, on sait que c'est exorbitant. Même si le ministre ne partage pas tout à fait ce point de vue, le taux de chômage - vous le partagez de toute façon - est exorbitant. Alors, compte tenu d'un taux de chômage de cette envergure inévitablement, il ne faut pas être un économiste chevronné pour comprendre qu'il n'y a quasiment pas d'emplois. On est en faveur, à ce moment-ci, qu'il n'y ait pas de mesures coercitives. On veut que les assistés sociaux et les assistées sociales aux prises avec tous les problèmes qu'ils connaissent sentent que ce sont des services qui leur sont offerts et qu'ils n'aient pas en arrière d'eux cette espèce de pression, de coercition, mais plutôt une description d'un service. De toute façon, écoutez, c'est impensable que tout le monde puisse être accueilli dans tous les programmes qu'on a à l'idée. Je m'excuse, M. le Président.

Le Président (M. Joly): M. Daoust, afin de respecter notre règlement, j'aurais besoin du consentement des membres de cette commission pour dépasser l'heure. Est-ce qu'on a le consentement?

Mme Harel: Consentement.

Le Président (M. Joly): Consentement. Merci. Vous pouvez continuer, M. Daoust.

Mme Harel: Merci. En vertu de la règle de l'alternance, j'aurai l'occasion de revenir.

Le Président (M. Joly): On est en temps supplémentaire, temps et demi. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vais revenir, si vous le voulez bien, à la qualité ou à l'expérience qu'on a vécue dans la société québécoise, jusqu'au moment où on se parle, avec les moins de 30 ans, dans un programme avec lequel vous êtes sans doute familiers, les stages en entreprises. Est-ce que vous avez, dans les entreprises où vos militants, et militantes, vos membres, oeuvrent, des appréciations sur le fonctionnement du programme stages en entreprise? Est-ce que c'est considéré comme étant du "cheap labor", si vous me permettez l'expression, ou si c'est considéré comme étant des stages où le contenu formation est valorisant pour la personne qui suit le stage? (12 heures)

Mme Laurendeau (France): France Lauren-deau. On a très peu d'entreprises syndiquées où il y a eu des stages, à ma connaissance. À l'heure actuelle, il y a, quand même, pas mal de gens dans les entreprises syndiquées qui sont sur des listes de rappel. Pour nous, c'est très difficile d'accepter qu'il y ait du travail pour des stagiaires alors qu'on a déjà des personnes qui sont sur la liste de rappel, qui veulent retourner dans l'entreprise, qui sont en chômage et qui peuvent éventuellement tomber sur l'aide sociale. Dans ce sens-là, c'est sûr que la réception, par les syndicats, de stagiaires a parfois été plutôt froide, si cela n'a pas été une opposition.

Dans la mesure où des stages sont conçus comme des moyens d'aider les bénéficiaires de l'aide sociale à s'intégrer au marché du travail, dans la mesure où il y a un contexte de formation, c'est-à-dire que c'est qualifiant et qu'on aide les personnes à retrouver un emploi, à se former, on ne peut pas vraiment s'opposer à cette formule de stages, dans la mesure où, évidemment, il y a une consultation du syndicat en place, quand il y en a un, et où cette consultation tient compte du fait qu'il y a des listes de rappel. S'il y a des listes de rappel, il faut que ce soit des personnes sur les listes de rappel qui soient d'abord rappelées au travail. Il ne faut pas que les stages soient en compétition avec les emplois réguliers. Dans ce sens-là, c'est certain que cela suscite une opposition très grande de la part de nos membres. Dans la mesure où c'est une formation, je pense qu'il pourrait y avoir une réception, si on consulte les syndicats et si on s'assure de ce contenu formation.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que le véhicule de consultation approprié pourrait être les conseils d'administration des commissions de formation professionnelle quant à l'industrie où le stage pourrait avoir lieu, quant au contenu du stage comme tel et quant à l'évaluation du stage?

M. Daoust: II pourrait y avoir et il devrait y avoir intervention de la Commission de formation professionnelle, mais il faudra qu'ultimement les gens sur place dans l'entreprise, l'employeur et le syndicat soient mis dans le coup. Il faut aller au-delà d'une consultation formelle où, de part et d'autre, on s'informe gentiment de ce qui peut arriver et où la décision est unilatérale. S'il y a échange de part et d'autre et qu'au-delà de l'échange on peut préciser un peu, en le qualifiant, ce que doivent contenir de tels échanges, avec tous les détails qu'on pourrait imaginer - et on ne veut pas y entrer à ce moment-ci, mais il faudrait qu'un accord de principe puisse être dégagé - si le syndicat donne son approbation, à ce moment-là, c'est engageant; tout le monde est impliqué et, j'allais dire, quasiment compromis pour que les stages deviennent extrêmement positifs.

Je ne vous cacherai pas qu'il y a des changements de mentalité qui s'imposent dans ce domaine-là. C'est quelque chose, je ne dirais pas, de nouveau, mais les stages en entreprise, dans un contexte de chômage et du danger potentiel que cela peut représenter, impliquent inévitablement des comportements qui doivent être modifiés, des mentalités qui doivent évoluer. Il y a une ouverture du côté syndical là-dessus sans aucun doute. Il y a des oppositions quand la consultation est bidon, quand le syndicat, dans le fond, n'est pas partie prenante, quand pour reprendre ce que France Laurendeau disait, les stages ne sont pas identifiés comme étant qualifiants, valorisants, que c'est une espèce de camouflage pour permettre à l'employeur d'en tirer profit en faisant produire, par les personnes qui y viennent, des biens et services à des prix, salaires et conditions de travail, dans bien des cas, épouvantablement plus bas que ce qu'on retrouve pour les travailleurs de l'usine ou du bureau, qu'ils soient syndiqués ou non. Alors, qu'il y ait un gros contenu de formation, que ce ne soit pas du "cheap labor", qu'il y ait une entente avec le syndicat, voilà quelques conditions indispensables.

Incidemment, je pense que vous n'avez pas tort là-dessus. Vous l'avez mentionné et je vous ai entendu à d'autres reprises et plusieurs le mentionnent: C'est l'un des moyens les plus formateurs pour des gens qui veulent réintégrer le marché du travail; ce n'est pas seulement dans les écoles ou par des cours qu'on peut les stimuler et susciter un intérêt indispensable chez eux. En prenant contact avec la vie réelle dans le milieu de travail, cela ne sera que bénéfique pour ceux et celles qui feront ces stages.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vous remercie, M. Daoust. Il me reste à peine deux minutes. Vous pourrez peut-être revenir en réponse à Mme Harel.

Il y a une question et, pendant que j'ai M. Daoust devant moi, je vais en profiter. Les fins de semaine, on retourne dans nos circonscriptions électorales et on a diverses activités. En fin de semaine dernière, je prenais connaissance des petits journaux du milieu que vous connaissez bien. Je lisais Le Richelieu agricole. Vous avez beaucoup parié de pénurie d'emplois devant cette commission. Un titre m'a fait bondir, en plein milieu d'une commission parlementaire: "Main-d'oeuvre agricole, on anticipe déjà une grave pénurie dans la région. Cela sent la pénurie, voire même la catastrophe du côté de la main-d'oeuvre agricole." Et vous connaissez les problèmes de vos voisins, les pomiculteurs, pour ne pas dire vos propres problèmes, dans certains cas. Le directeur du bureau de placement de Saint-Hyacinthe, M. Desgranges, dit que le pire ennemi des producteurs en cause, c'est l'as-surance-chômage et le bien-être social. M. Desgranges est, d'ailleurs, le premier à le reconnaître. Comme plusieurs, il dit espérer que

des changements seront apportés à ces programmes afin d'inciter les gens sans travail à accepter ce genre d'emplois. On sait que ce sont des emplois qui sont limités dans le temps, on peut les qualifier, etc.

J'ai adressé la même question, hier, à l'Association des manufacturiers canadiens pour avoir ouvertement son point de vue. Je vous l'adresse aussi avec la même ouverture d'esprit. De quelle façon pourrait-on ajuster nos programmes pour effectuer cet arrimage essentiel entre des endroits où il y a pénurie de main-d'oeuvre et d'autres endroits où il y a pénurie d'emploi?

M. Daoust: Là, vous me faites quasiment passer pour un très grand producteur agricole. Je n'en suis même pas un officiellement et formellement. Vous savez fort bien que c'est un de vos bons amis, pour ne pas dire plus, qui...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...s'occupe de vos récoltes.

M. Daoust: Exactement. Bon.

Oui, on a souvent entendu parler de ces problèmes, mais une des lacunes soulevées par la plupart des gens qui sont dans le milieu - et on le sait tous - c'est le fait que le travail agricole est souvent, dans certains cas, de nature extraordinairement passagère. C'est terriblement saisonnier. La récolte des fruits, des pommes ou peu importe dure à peine un mois, un mois et demi. Souvent, les gens disent: Malheureusement, on reçoit des prestations du bien-être social, des prestations d'assurance-chômage et on souhaiterait bien, pendant cette période de trois, quatre ou cinq semaines, arrondir nos fins de mois ou gagner quelque montant, mais on a d'immenses difficultés parce que, si on le fait, on se voit couper les prestations d'assurance-chômage ou on voit nos prestations de bien-être social complètement ou à peu près complètement supprimées.

Tout le monde le dit, il me semble, qu'il y aurait des moyens et des techniques pour aider ces travailleurs agricoles qui n'en sont pas, dans le vrai sens du mot, qui ne sont pas itinérants comme ceux qu'on connaît dans le Sud des États-Unis. Ils sont des travailleurs agricoles, ils font la récolte, la cueillette, pendant, je le répète, deux, trois ou quatre semaines. Ce ne sont pas des montants extraordinairement fabuleux qu'ils viennent cueillir, c'est le cas de le dire, des producteurs agricoles quels qu'ils soient. Peut-être y aurait-il des façons - enfin, les gens le souhaitent et l'expriment - de surmonter ces difficultés, des étalements de revenus sur une période de douze mois, même s'ils sont gagnés pendant trois ou quatre semaines, des considérations tout à fait particulières qui devraient entrer en ligne de compte afin de permettre à l'ensemble de ces gens de travailler. Ils ne sont pas tellement nombreux, non plus; ils sont peut-être quelques milliers au Québec, 3000, 4000 ou 5000, qui, à l'occasion, pourraient venir s'ajouter aux gens qui, de temps à autre, viennent de l'extérieur. C'est un problème assez grave que vous connaissez, parce qu'il arrive que des producteurs agricoles soient obligés de faire venir de la main-d'oeuvre de l'extérieur du Québec pour faire en sorte que leurs récoltes puissent être cueillies adéquatement.

Je n'ai pas de réponse extrêmement précise sur le plan technique, mais je crois qu'il y a là des filons qu'il faut explorer.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci.

Le Président (M. Bélanger): M. Cousineau, vous aviez un complément de réponse.

M. Cousineau: Oui, un complément de réponse. Si, effectivement, votre réforme était une véritable politique de sécurité du revenu, elle pourrait faire en sorte que des travailleurs saisonniers puissent, dans une enveloppe d'une année, se prévaloir de ce travail sans être pénalisés à 100 % sur leur fiscalité ou sur leurs gains de 1 $. Chaque fois qu'ils gagnent 1 $, c'est déduit de leurs prestations. Cela pourrait être une façon. Il y aurait aussi un arrimage à faire avec le fédéral sur le nombre de semaines à avoir avant d'avoir droit au chômage. Quand on parle, dans notre mémoire, de récupérer au Québec l'ensemble de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu, donc, l'assurance-chômage, l'aide sociale et tout cela, c'est qu'ainsi on pourrait avoir une politique fiscale cohérente et cela pourrait être une des façons de régler le problème.

Par rapport à la formation, juste pour un petit complément. Tantôt, vous disiez: Est-ce que cela va se faire avec les CFP, les entreprises? Je pense qu'une des choses, c'est qu'il faut que l'entreprise, les syndicats et les travailleurs, aient comme perspective le développement de l'emploi dans l'entreprise. J'y reviendrai. Je pense que c'est un peu une façon de refermer la boucle. À la Table nationale de l'emploi, on pouvait discuter des perspectives de développement de l'emploi et de la main-d'oeuvre dans l'ensemble des secteurs. Ce n'est pas normal que les CFP soient à la table où on va analyser et voir quels sont les besoins d'emploi dans l'industrie de la chimie ou dans l'industrie du meuble. Je pense que cela pouvait se faire à un autre niveau, à savoir comment cela se développe, quels seront nos besoins de main-d'oeuvre. À partir de là, les CFP pourront faire la formation en fonction d'une région ou de façon complète.

Je pense qu'il faut se donner les outils, les bonnes tables, les bons endroits de concertation pour cela. Je pense qu'il ne faut pas mettre à la mauvaise place les choses qu'on a à faire. Les CFP, les CCR peuvent définir des contenus, des besoins de formation, mais il faut avoir un endroit où on va définir les besoins de main-d'oeuvre...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): L'estimation des besoins.

M. Cousineau: Cela n'existe pas actuellement.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. C'est intéressant, M. Daoust, parce que la même question posée à l'Association des manufacturiers, hier, a finalement donné la même réponse. C'est quand même intéressant de se rendre compte que le ministre a sa solution pour les producteurs agricoles. La solution, c'est de leur dire que le problème, ce n'est ni l'assurance-chômage, ni l'aide sociale, c'est le régime de taxation. C'est un régime qui fait que les personnes qui travaillent sont taxées à 100 %. Il a non seulement la solution, mais il peut même en parler à son collègue du ministère des Finances et il peut même régler ce problème. C'est encore mieux. Parfois, il y a des problèmes dont on ne trouve pas la solution immédiatement.

Je lisais, dans votre mémoire, à la page 24, à la toute fin: "Tout revenu supplémentaire diminue d'autant la prestation d'aide sociale; autrement dit, ce revenu est taxé à 100 %." Et vous donnez des exemples. "Les gains supplémentaires n'améliorent aucunement le sort des bénéficiaires de l'aide sociale. Dans ce contexte, il y a peu d'avantages à percevoir une pension alimentaire ou encore à occuper un emploi à temps partiel ou sur appel." On pourrait mettre occasionnel ou saisonnier.

C'est important. Sinon, on peut compter que le ministre va certainement faire une déclaration pour réhabiliter ses programmes de sécurité du revenu qui se trouvent à être discrédités parce que le vrai problème, c'est un problème de taxation. Certainement qu'on peut compter sur le ministre. Il est certainement convaincu par la réponse que vous lui avez donnée et la même réponse... C'est intéressant, cela me fait penser à ce dont vous nous faisiez part quant à la Table nationale de l'emploi où il y avait moyen de se concerter, même en ayant les pieds dans des milieux différents. (12 h 15)

M. Cousineau a parlé des contenus et des besoins de formation, et de la nécessité de définir les besoins en main-d'oeuvre. M. Daoust, avant qu'on se quitte, parce qu'il me reste relativement peu de temps, j'aimerais discuter avec vous de la création d'emplois. On est à peu près tous conscients que cette création d'emplois exceptionnelle que le Québec a connue n'a pas fait osciller à la baisse le taux de chômage et que, d'autre part, les besoins de formation... Je commence à faire une tournée dans les commissions de formation professionnelle et, malgré toute la bonne volonté que les gens y mettent, parfois, il y a des attentes d'en moyenne un an et demi ou deux ans d'inscription à un cours avant de pouvoir en profiter, parce que les besoins de formation sont établis en fonction de la demande d'emploi et que la demande d'emploi n'est pas nécessairement augmentée par l'offre parce que cela n'est pas magique. J'ai dit au ministre: Ce n'est pas parce qu'il y aurait nécessairement 283 000 familles bénéficiaires sur le marché du travail qu'il va y avoir, par la simple offre d'emploi, le plein emploi.

Quelle est la responsabilité de l'État en matière de création d'emplois, si on parle pour les cinq prochaines années? En matière de création d'emplois pour ces catégories de personnes qui sont en concurrence avec d'autres, qui sont sur l'assurance-chômage, qui sont en formation de qualification ou qui vont sortir des universités, est-ce que l'État a une responsabilité de générer des emplois de type communautaire? Vous étiez là au moment où la Fédération des CLSC terminait sa présentation, concevez-vous qu'il y a lieu de mettre en place de grands travaux de type maintien à domicile, services de garde, ou dans le domaine de l'environnement, de la foresterie? Avez-vous des idées sur cette question?

M. Daoust: On n'a pas cessé de le dire: Le rôle de l'État est fondamental. D'ailleurs, M. le ministre lui-même, au tout début, a dit que nous sommes imprégnés de cette absolue nécessité de créer des emplois. Nous aussi, on partage cette vision ou cet objectif. On sait que l'État est indispensable. On ne peut pas se fier au secteur privé pour la création des emplois. Quand on se fie exclusivement au secteur privé, comme on le fait dans ce pays et dans cette province depuis fort longtemps, on a des taux de chômage comme ceux que l'on vit à ce moment-ci. Il faut donc que l'État intervienne par des politiques de toute nature - ce sont un peu les grands objectifs de la FTQ au sujet d'une politique de plein emploi - par des politiques macro-économiques et micro-économiques, par une présence de l'État, par une absence de privatisation là où les emplois perdent leur qualité et, sinon, disparaissent complètement, par le rejet de cette philosophie qui veut que tout soit déréglementé. En fin de compte, on s'aperçoit que ce sont souvent les emplois qui sont touchés par une politique débridée dans ce domaine.

Alors, c'est un peu tout cela. Que, sur le plan économique, le gouvernement n'ait pas que le seul souci des déficits. On n'a pas cessé de le dire: On a souffert collectivement parce qu'on a cru, à certains moments, qu'il était indispensable que les déficits n'augmentent pas. Nous, on n'a jamais cru que c'était là la voie la plus souhaitable dans un pays comme le nôtre et dans une province comme celle de Québec. Alors, on souhaite des politiques expansionnistes, des interventions de l'État. On l'a mentionné à de multiples reprises à l'échelle du pays ou à

l'échelle du Québec: Lorsque des périodes de récession économique s'annoncent, que les gouvernements prévoient la mise en marche de grands travaux publics de façon peut-être un peu moins spectaculaire que de grands grands travaux publics. Il y a un tas d'interventions comme celles que vous mentionnez qui ont notre appui dans tous les domaines de l'environnement. Je ne veux pas répéter ce que vous disiez. Il y a des besoins inouis qui s'annoncent, qui sont criants dans bien de ces domaines et qui justifieraient l'intervention de dizaines et de centaines de milliers de personnes. Vous en avez mentionné quelques-uns. On n'a pas le temps, évidemment, de préciser et d'aller dans les détails. Mais, oui: on souhaite cela. Somme toute, ce qu'on souhaite, c'est que les gens travaillent et tout le monde souhaite cela. C'est peut-être un vœu pieux, mais on ne souhaite pas que ce soit les libres forces du marché, laissées à elles-mêmes, qui régissent les activités économiques à l'intérieur de notre société, mais que l'État pèse de tout son poids pour faire en sorte que le taux de chômage diminue et qu'éventuellement on connaisse les politiques de plein emploi.

On le répète: On ne pense pas que les politiques de plein emploi puissent être atteintes à moins d'une lourde et très complète implication de l'ensemble des partenaires socio-économiques avec le gouvernement. C'est pour cela qu'on a été et qu'on est toujours déçus de voir que dans ce domaine le gouvernement se frotte les mains gaiement du fait qu'il y a une reprise économique et qu'il y a un peu moins de chômage. Mais, dans le fond, ce qu'on souhaiterait, c'est que ce gouvernement en revienne à mettre sur pied les instruments indispensables pour doter le Québec d'une politique de plein emploi.

Le Président (M. Bélanger): Alors, rapidement, s'H vous plaît.

M. Cousineau: Rapidement. Je pense qu'il ne faudrait pas que les travaux communautaires et que la mise sur pied d'organismes communautaires qui assumeraient des fonctions qui actuellement sont assumées par l'État entraînent une diminution des services déjà donnés par l'État. Actuellement, on parle de désinstitutionnalisation, mais ce qu'on voit apparaître à Montréal, ce sont des groupes communautaires qui remplacent les travailleurs absents auprès des bénéficiaires. Ce sont ces gens, actuellement, qu'on retrouve à l'aide sociale. Ils étaient en institution et aujourd'hui ils sont laissés à eux-mêmes, sans encadrement, sinon celui des groupes communautaires. Dans ce sens, nous allons nous opposer aux travaux communautaires s'ils sont une façon de créer des emplois, mais aussi de dégarnir l'État des services qu'il ne voudrait plus donner. Si on veut remettre cela aux groupes communautaires, on sera contre. Cet hiver, on a vécu une expérience dans un centre qui s'occupait avant d'aller lui-même nourrir les personnes à domicile.

Aujourd'hui, c'est un groupe de bénévoles qui s'en occupe et, cette année, pour la première fois, ils ne sont pas allés donner à manger aux gens parce qu'eux ils n'étaient pas capables de sortir pendant une tempête de neige. Quand c'était l'État et le centre Charron qui s'occupaient de toutes les personnes qui avaient à se faire nourrir, beau temps, mauvais temps, elles avaient leur repas. Cette année, il y a un midi où ces gens ne l'ont pas eu parce que c'est maintenant des bénévoles qui en sont responsables. Un bénévole pendant une tempête de neige, cela se peut que, lui, il n'y aille pas Un employé de l'État, il faut qu'il y aille et l'État trouve des gens pour y aller.

Dans ce sens, il ne faudrait pas que les services de l'État soient diminués pour en ajouter au secteur communautaire. Si l'on pense que la protection de l'environnement, c'est une responsabilité de l'État, il ne faudrait pas que ce ne soit que le secteur communautaire qui en prenne la charge et le développement, parce que cela se ferait de façon archaïque et débridée et il n'y aurait pas de véritable politique. Ce n'est pas l'État qui serait responsable de notre environnement et on pense que c'est l'État qui devrait l'être.

Le Président (M. Bélanger): Merci. Mme la députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier nos invités.

Mme Harel: Oui, merci, évidemment, pour la qualité de votre mémoire. Merci à la Fédération des travailleurs du Québec pour sa solidarité avec les plus pauvres de notre société. Je dirais aussi merci à Mme Laurendeau, qui a, je pense tout au long de ce dossier, maintenu un très grand intérêt pour toute cette question

Le Président (M. Bélanger): Bien M le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): À la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, à M. Morasse, à Mme Laurendeau, à M. Cousineau et à M. Daoust, merci. Vos propos, sur le thème national de l'emploi et sur la philosophie, vont être relus attentivement de façon à tenter de les arrimer ou de les harmoniser avec le projet de loi qui est devant l'Assemblée nationale sur le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre.

M. Cousineau, vous avez parlé de pertes d'emplois. Il y a là deux façons d'agir et vous les avez soulignées: par prévention et, lorsque c'est inévitable, par les moyens curatifs qui sont présentement absents, sauf I assurance-chômage et l'aide sociale. Pour ce qui est des stages en entreprise, il y a le protocole d'entente ou l'entente de principe avec le partenaire syndical dans l'entreprise et l'entrepreneur. Quant aux pommes, il y a un aspect fiscal, mais si j'osais, comme Mme la députée de Maisonneuve, préten-

dre qu'il s'agit là du seul aspect - d'ailleurs, ce n'est pas ce que vous avez fait, ni l'Association des manufacturiers canadiens - ou de la seule réponse à ce problème, les producteurs de pommes me diraient rapidement que je suis dans les patates. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bélanger): Bien. La commission remercie la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et ajourne ses travaux sine die. Nous reprendrons après la période des affaires courantes, soit vers 15 ' heures. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 27)

(Reprisée 15 h33)

Le Président (M. Bélanger): Bonjour. La commission des affaires sociales se réunit aux fins de procéder à des consultations générales et de tenir des auditions publiques afin d'étudier le document intitulé "Pour une politique de sécurité du revenu." Nous recevrons Mme Vesta Wagener Jobidon - j'espère que je l'ai bien dit.

Bonjour, madame. D'après ma liste, vous êtes accompagnée de M. Paul Poirier, de Mme Suzanne Jobidon, de M. Marc Dinel et de M. Jean-Marc Boileau. Vous connaissez nos règles de procédure. On s'était vus, pour discuter de la santé mentale, entre autres. Je vous prierais donc de nous présenter votre équipe et à chaque fois que l'un de vous doit intervenir, de bien vouloir donner votre nom auparavant pour les fins de transcription au Journal des débats. Je vous prierais donc de passer à la présentation de votre mémoire. Vous avez 20 minutes ferme pour le faire. Je vous remercie.

M mes Vesta Wagener Jobidon et Suzanne Jobidon

et MM. Michel Guay, Jean-Marc Boileau,

Marc Dinel et Paul Poirier

Mme Wagener Jobidon (Vesta): D'accord. Merci. Je présente M. Jean-Marc Boileau, là-bas, M. Marc Dinel, Mme Suzanne Jobidon, M. Paul Poirier et notre invité spécial que nous sommes bien heureux d'avoir ici, M. Michel Guay, un expert en réadaptation psychiatrique.

D'abord, je voudrais vous remercier de nous donner l'occasion de présenter ce mémoire. Je crois que nous avons des choses importantes à dire. Je voudrais faire une petite mise au point au début. J'ai reçu de la part de l'Opposition une liste des organismes qui ont soumis des mémoires. Je lui en suis bien reconnaissante. J'ai été bien surprise de nous trouver sur la liste des gens contre. Ce n'est pas exact. Nous considérons que ce projet est conçu essentiellement pour les gens en bonne santé et, comme tel, nous ne sommes ni pour ni contre. En fait, nous croyons que...

Le Président (M. Bélanger): Peut-être une précision. En ce qui a trait à la commission, il n'y a ni pour ni contre. Il n'y a que des gens qui exposent un point de vue et nous les recevons avec grand plaisir.

Mme Wagener Jobidon: Alors, nous ne sommes nullement inscrits officiellement pour ou contre et cela me satisfait. En fait, nous croyons que notre mémoire est constructif. D'une part, nous voulons faire une oeuvre de sensibilisation au fait que les gens qui souffrent de troubles affectifs ou psychologiques ont des besoins spéciaux en matière de réinsertion sur le marché du travail. D'autre part, nous apportons quelques solutions peu coûteuses qui faciliteraient l'intégration au marché du travail. Tout ce que nous disons, en fait, c'est que cette clientèle est mal servie par le système parce que le système ne le connaît pas. Et, avec cette mise au point, nous sommes déjà au coeur du sujet.

Si vous avez lu le mémoire, vous savez que ces jeunes ont un très grand mérite d'être ici. Ils auraient certainement préféré ne pas venir. Je les ai plus ou moins convaincus qu'il fallait que quelqu'un parle pour ces quelque 20 000 malades, bénéficiaires de l'aide sociale, qui sont en train de végéter parce que personne ne s'en occupe.

S'il n'y avait rien à faire avec ces gens-là, et si c'étaient des cas sans espoir, nous ne serions pas ici. Mais c'est tout le contraire, et personne ne semble être au courant qu'il y a chez cette clientèle un potentiel à développer.

Ce que je vous dis, c'est qu'il y a des méthodes éprouvées par lesquelles au moins 5000 bénéficiaires de l'aide sociale pourraient réintégrer le marché régulier du travail. Je crois que c'est un chiffre conservateur. Je ne parlerai pas du pourcentage ici; je suis sûre que vous poserez des questions là-dessus.

Nous ne sommes pas venus pour parler de dollars et de cents du chèque de l'aide sociale. Ce qui est en cause, c'est un principe. Nous reconnaissons que l'État n'est pas trop mesquin, finalement, envers les plus démunis. Nous voulons souligner que, si l'État investissait dans des bonnes méthodes de réadaptation, il n'y aurait pas seulement des milliers de gens de moins qui bénéficient de l'aide sociale, et ce à long terme, mais la qualité de vie de toutes ces gens serait améliorée.

Nous n'avons pas l'intention de lire notre mémoire, il parle de lui-même. Je vais seulement le résumer, et peut-être en réexpliquer les points importants. Je vais passer sous silence quelques aspects de la maladie que nous avons expliqués dans le mémoire. Il y a des choses qu'on peut écrire, mais qui sont finalement trop douloureuses à répéter à haute voix. Je suis sûre que vous comprendrez, vous avez le texte.

Je vais plutôt profiter de l'occasion pour ajouter de nouvelles données qui confirment ce

que j'ai avancé dans ce mémoire. Pour résumer rapidement, nous parions de la nécessité de démystifier la maladie mentale et, en particulier, la schizophrénie. C'est surtout la méconnaissance de cette maladie qui fait que les préjugés persistent.

Nous expliquons aussi que les symptômes de cette maladie viennent d'un déséquilibre biochimique du cerveau. Ces symptômes peuvent en grande partie être contrôlés par des médicaments appropriés. Quelqu'un qui est stabilisé grâce aux médicaments et qui peut fonctionner à peu près normalement dans la communauté n'est pas plus fou que la moyenne de la population et au moins aussi intelligent.

Nous expliquons aussi leur plus grand handicap, le stress, et même la peur du stress. Ce que nous disons, c'est que ces gens n'ont pas peur de chercher un emploi; ils ont peur du stress de l'entrevue. Ils n'ont pas peur de travailler; ils ont peur du stress d'un travail à temps complet. Ils n'ont pas peur de la complexité d'un travail, ils ont peur du stress de l'environnement au travail.

Nous disons aussi que plusieurs se déclareraient aptes au travail s'il était clairement entendu que leur intégration serait lente et progressive et que leurs besoins seraient pris au sérieux. Ce qui est vraiment tragique dans cette situation, c'est que ces gens voudraient travailler et ils le pourraient si leur réadaptation et leur réintégration au travail - il ne faut surtout pas confondre les deux - étaient entreprises d'une façon qui tienne compte de leurs besoins spécifiques. Parce que ces mesures n'existent pas au Québec, non seulement on assiste à un véritable gaspillage humain, mais on prive ces gens d'éprouver de la fierté; on les prive de contacts sociaux et on les empêche de reprendre confiance en eux-mêmes. Et, on ne parle même pas des millions que l'État économiserait à la longue.

C'est surtout dans la deuxième partie du mémoire intitulée "Commentaires et suggestions sur le document d'orientation" que je me suis appuyée sur le vécu et les suggestions des jeunes qui sont ici. Nous avons mentionné plusieurs choses que nous trouvons positives. On pourra peut-être revenir là-dessus à la période des questions, vu que le temps est précieux.

Il y a aussi des choses qui nous inquiètent. Il y a, par exemple, la contribution alimentaire des parents. Nous osons croire que cette mesure, si jamais elle est adoptée, ne s'appliquera pas à nous et nous donnons des raisons. Le fardeau des parents d'un enfant malade mental est reconnu dans le rapport Harnois et il est même question d'un programme de répit pour les parents. Alors, nous vous prions d'en tenir compte. Nous trouvons également que les personnes ayant plus de 30 ans, du fait qu'elles n'étaient pas admissibles aux programmes de travaux communautaires, étaient victimes de discrimination. Mais, entretemps, on m'a dit que cela avait été changé.

Le point le plus important dans cette partie, c'est que nous craignons que toutes les mesures d'intégration proposées dans le document d'orientation auxquelles nous sommes invités à faire partie ne soient pas adaptées à nos besoins, qu'elles soient toutes conçues en fonction des gens en santé, c'est-à-dire qui travaillent à temps complet.

Nous expliquons pourquoi il nous faut du travail ou des stages à temps partiel et même à temps très partiel pour commencer. Nous proposons plusieurs choses peu coûteuses. En tout cas, nous pourrons revenir au moment des questions, si c'est nécessaire. Nous suggérons aussi que le retour aux études supérieures, à temps partiel, soit rendu possible financièrement.

Les choses proposées sont toutes valables, à court et à long termes, mais elles ne s'appliqueraient quand même qu'à une minorité, à ceux qui ont pu bénéficier d'un bon programme de réadaptation ou à ceux qui sont un peu moins malades que les autres. Mais il faut beaucoup plus que cela II faut que les recommandations du rapport Harnois en ce qui concerne la réadaptation psychosociale pour les handicapés psychiatriques soient appliquées. C'est-à-dire que les besoins en réadaptation de ces gens doivent être vus comme un tout. Il y a, bien sûr, la médication; par la suite, H faut un revenu garanti et l'hébergement. C'est le minimum vital, mais ce n'est pas assez. Quelqu'un qui vit dans un logement misérable et qui n'a aucune occasion de sortir de là va crever d'isolement et va finalement faire une rechute. Ce qu'il faut de plus pour empêcher une rechute et pour faire des progrès, n'existe à peu près pas au Québec, à l'exception notable de la Fondation Fafard peut-être dont M. Guay est membre. Ce sont des services de réadaptation qui fournissent des contacts sociaux, des activités valorisantes et finalement du travail. Il est de plus en plus clair que l'intégration au travail est d'autant plus efficace qu'elle est précédée par des méthodes efficaces de réadaptation. (15 h 45)

Cela nous amène à la troisième partie, la plus importante parce qu'il y est question des principes et des méthodes efficaces. Dans cette partie, je donne des références très importantes concernant la recherche sur l'intégration au travail pour les handicapés psychiatriques. Je parie des méthodes de réadaptation qui se sont avérées si efficaces aux États-Unis sous l'administration Reagan, qui pourtant ne brille pas par son humanisme, qu'elles ont été incorporées dans la législation en matière de réintégration au travail. Les besoins spécifiques de cette clientèle sont reconnus dans ces méthodes et les subventions sont accordées partout pour ce qui est appelé en anglais le Transitional Employment et le "Supported Employment", que j'ai traduits provisoirement par "emploi de transition" et "emploi avec soutien". Ces deux programmes reposent sur le postulat qui dit qu'il y a un potentiel à développer chez cette clientèle. C'est

un potentiel qui n'est pas évident à prime abord. Après une hospitalisation, il y a bien des habiletés qui se perdent et qui doivent être réanimées, si on peut parler ainsi. Alors, c'est un potentiel qu'il faut développer lentement. Tout ce que je vous dis dans cette partie, c'est dans l'article que j'ai cité et que je vous suggère fortement de lire. Si c'est nécessaire, je vous propose même d'en faire la traduction bénévolement, tellement je le trouve important.

L'emploi avec soutien, on pourra peut-être en discuter lors de la période des questions. Je voudrais surtout m'arrêter au travail de transition, parce que je le trouve plus important. Ce n'est pas une mesure isolée d'intégration au marché du travail. Ce programme fait partie d'un concept global de réadaptation qui est connu aux États-Unis et en Ontario comme "Clubhouse model", c'est-à-dire un centre de jour du genre club, dont un volet seulement s'appelle "programme d'emploi de transition." Alors, qu'est-ce que c'est au juste, ce travail de transition? Ce sont des contrats de travail à temps partiel entre le secteur privé et le club. Pour vous donner un exemple concret, je vais vous lire le témoignage d'un gérant de magasin Canadian Tire, à Toronto, qui fait affaire depuis nombre d'années avec Progress Place, qui est le nom du club à Toronto. Je voudrais d'abord spécifier qu'il s'agit d'emplois au salaire minimum, pour lesquels un employeur était obligé d'embaucher tout le temps parce qu'il y avait un roulement constant. Essentiellement, ce gérant dit que les gens qui viennent du club veulent travailler. Et c'est déjà un atout parce qu'aujourd'hui, neuf fois, sur dix, il trouve que les gens qui veulent travailler font un bon travail. Au début du programme, il avait peur de la façon avec laquelle se déroulerait l'intégration avec ses autres employés, mais cela a très bien été et ils sont bien acceptés. Il dit pourquoi ce programme est idéal pour le commerce du détail, et je cite: "Nous n'avons pas à former les employés. Quelques-uns sont formés à l'avance, au club. D'autres sont entraînés ici, sur place, par le personnel de Progress Place. Il y a un appui compétent. Lorsqu'il y a un problème, soit avec un employé, soit avec la qualité du travail, c'est le représentant du club qui s'en occupe. Lorsqu'il y a absentéisme, le club s'en occupe aussi. Il y a toujours quelqu'un ici pour faire un travail particulier. Pour ces raisons, je recommande le programme. Nous en sommes très satisfaits et nous avons l'intention de continuer."

C'est le témoignage d'un gérant de Canadian Tire à Toronto. J'ai une vidéocassette pleine de témoignages de ce genre, d'hommes new-yorkais qui vont plus loin. Ils décrivent, en plus, combien c'est valorisant pour un patron d'engager de tels gens, combien c'est le "fun" de voir les gens évoluer: quelqu'un arrive au travail trop gêné pour parler et, lentement, après deux, trois semaines, il est apprivoisé et se met à parler et à sourire. Et tout le monde est satisfait de son travail. J'ai des témoignages de membres qui, du fait qu'ils peuvent enfin travailler de cette manière, retrouvent le goût à la vie et reprennent confiance et fierté. Chose curieuse, dans aucun des témoignages des membres sur le travail il n'est question d'argent. Pour eux, c'est tellement important de travailler que l'argent semble secondaire.

Cependant, il est à noter que ce volet "emploi de transition" n'est pas le but final du club ni son objet premier et que, seul, ce programme ne donnera pas les mêmes résultats. Et les résultats sont tellement bons que je vous invite à poser des questions là-dessus à la fin.

Ces clubs sont efficaces parce qu'ils répondent à tous les critères d'une bonne réadaptation psychosociale. Ils fournissent un lieu d'appartenance et ils donnent plein d'occasions d'avoir une interaction avec les autres membres. Tout le travail, à l'intérieur du club, est fait par les membres, côte à côte avec le personnel spécialisé- Us font l'administration, s'occupent de tous les aspects de la cafétéria, de la cuisine, de l'entretien, etc.

Il ne faut pas oublier que vous avez une clientèle qui arrive après une hospitalisation psychiatrique. Ce sont des gens intelligents, souvent hautement scolarisés, mais encore traumatisés et ayant perdu toute confiance en eux-mêmes. Un club, c'est d'abord une place où ils se sentent chez eux. Tous les autres membres ont passé par à peu près la même chose, par les mêmes expériences et il n'y a pas de gêne. Lentement, parfois sur une période de deux, trois ou même cinq ans, en faisant un travail qu'ils se sentent capables de faire, ils reprennent confiance et, finalement, lorsqu'ils se sentent prêts, ils passent au programme "emploi de transition"; c'est un peu comme une graduation. Mais il ne faut pas oublier qu'il y en a un bon pourcentage, quand même, qui ne réussira pas à travailler dans un emploi réguler, le stress étant tout simplement trop grand.

Le Président (M. Bélanger): Je m'excuse, madame, juste pour vous informer qu'il vous reste deux minutes.

Mme Wagener Jobidon: D'accord. J'achève. Parfait. Je voudrais quand même faire référence à la conclusion de notre mémoire où nous parlons du personnel de votre ministère qui est en contact avec cette clientèle. Je vous inviterais à poser vos questions sur les qualifications et attitudes que ces gens devraient avoir.

En terminant, je résume. Nous avons proposé ici des mesures faciles qui peuvent être appliquées immédiatement pour réintégrer au travail à temps partiel ceux qui se sentent prêts et nous vous avons mis au courant des méthodes de réadaptation qui concernent en partie le ministère de la Santé et des Services sociaux, mais aussi votre ministère. Tout cela est compli-

que et nécessitera peut-être une nouvelle politique. Lorsque le rapport Harnois sera mis en application, il est clair que votre ministère aura un rôle à jouer. Entre-temps, nous vous annonçons que nous avons décidé d'établir un centre-jour du genre club ici.

Au CRSSS, on nous a informés que l'argent est rare et on nous a dit d'aller chercher l'argent à plusieurs sources. Alors, je saisis cette occasion pour vous informer que vous recevrez une demande de subvention pour le volet "Emploi de transition" de notre club. Je vous donnerai des chiffres sur les résultats, à la période des questions. Vous allez avoir hâte qu'on commence. Merci.

Le Président (M. Bélanger): Merci, madame. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je tiens à remercier Mme JobkJon et les personnes qui l'accompagnent pour le mémoire. Je n'oserais pas commencer le mémoire, parce que vous avez dit qu'un des principaux problèmes est que le réseau vous connaît mal et que c'est pour cela que, généralement, il vous sert mal. Peut-être dans le but de s'assurer qu'au moins sur le plan de la perception on ait les bonnes perceptions, je vais reprendre la conclusion de votre mémoire. Cette conclusion nous place dans l'esprit que vous souhaitez que l'on ait, autant comme commission que comme gouvernement, pour susciter un débat entre les gens qui vous accompagnent et les membres de la commission.

Vous citez, aux pages 10 et 11 de votre mémoire, une lettre. Vous dites: "En terminant, nous reproduisons un témoignage très pertinent. Puisse-t-il vous inspirer à donner suite à nos demandes dans les plus brefs délais et, à plus long terme, à collaborer avec le ministère de la Santé et des Services sociaux à bâtir un système de services humains et efficaces."

Je cite le témoignage: "C'est vrai, je suis schizophrène et cela me demande une bonne dose d'acceptation de ma maladie pour écrire cela. Cela demande tout un cheminement personnel aussi. "Dans le réseau des relations interpersonnelles et du travail, j'ai appris peu à peu à me faire une place, mais ce n'est jamais fini. J'ai appris à me prendre en main, à devenir autonome. "Au début, je n'acceptais pas ma maladie: je subissais mes crises et j'étais forcé d'être hospitalisé. C'est arrivé fréquemment jusqu'au jour où j'ai pris conscience des symptômes avant-coureurs de ma maladie. Je préviens ma maladie au lieu de la guérir en étant en crise. "Aujourd'hui, je suis suivi régulièrement par un psychiatre et je reçois une médication qui me convient, sans trop d'effets secondaires. Toutefois, cela a pris du temps. Je crois que pour être en santé, il faut une vie équilibrée entre l'amour, le travail et les loisirs. "Des autres, j'attends qu'ils m'acceptent avec mes faiblesses, mais aussi avec mes forces, parce que j'en ai des forces. Je ne veux pas qu'ils fassent tout à ma place, comme si je n'étais pas capable. Surtout, j'attends d'eux qu'ils restent eux-mêmes. "Ne pas avoir d'emploi, cela tue son homme de l'intérieur. C'est important pour moi d'être intégré à la société. J'ai fart affaire avec le projet Arbre, un centre de main-d'oeuvre pour des gens qui ont des problèmes affectifs ou qui sont handicapés mentalement. Si ce n'était du projet Arbre, je n'aurais pas encore d'emploi, je crois. "Je trouve intéressant que l'employeur soit au courant de ma maladie. C'est toutefois tout un apprentissage d'être productif, de vivre la pression du travail et des relations de travail. Il y a en moi maintenant la fierté de celui qui lutte et réussit. "Enfin, on fait beaucoup d'efforts pour rééduquer les handicapés physiques On fait des téléthons pour la recherche. On fait beaucoup moins, à mon avis, pour les maladies mentales et je trouve cela dommage."

C'est dans cet esprit que l'on reçoit votre mémoire. Je vous dirai que, globalement pariant, le programme Soutien financier a été généralement bien reçu par sa clientèle future, sauf que les gens ont exprimé deux réserves, ce dont je tiens à discuter avec vous. La première réserve exprimée a trait à ce qu'on appelle l'étiquetage. Une fois que l'on devient une personne admissible au programme Soutien financier, certains intervenants craignent que cette étiquette dans la société marginalise les gens qui vont porter cette étiquette admissible au programme Soutien financier.

La deuxième remarque qui nous a été adressée quant à ce programme porte sur la question des programmes adaptés. Là, vous rejoignez, pour votre clientèle spécifique, d'autres intervenants également admissibles au programme Soutien financier en nous demandant, comme membres de la commission ou comme gouvernement, de tenir compte des particularités de cette clientèle quand on offre les programmes de réintégration ou de réinsertion, etc. Je pense qu'il y a là une espèce de jonction, quant à vos demandes particulières, avec celles des représentants des 80 000 autres personnes qui pourront bénéficier du programme Soutien financier.

Ma première question porte, justement, sur l'aspect de l'étiquette. Est-ce que vous ne craignez pas cette étiquette aussi comme.. Dans la lettre, vous dites: Cela doit être dénoncé, établi dès le début du dossier avec l'employeur et les intervenants. Et, dès que c'est établi, on peut fonctionner de façon normale. Est-ce que c'est là votre...

Mme Wagener Jobidon: Si la réadaptation et la réintégration au travail sont bien faites, à un moment donné, je crois qu'il y a de bonnes

chances, pour un bon pourcentage de bénéficiaires, de sortir de cette chose et de devenir indépendants. Votre question ne se pose même plus.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Une fois qu'ils sont devenus indépendants, elle ne se pose plus. Mais pendant...

Mme Wagener Jobidon: C'est cela. Ils réintègrent la société. Avant, avec le fardeau qu'ils portent, une petite étiquette de plus comme cela ne dérangera pas du tout. Alors, ce qui dérange... Prenons un exemple très près d'ici. Quelqu'un a oublié d'aller chez son médecin pour faire faire son billet selon quoi il ou elle est inapte au travail. Alors, oup! elle vient de s'installer dans son logement. Là, elle reçoit une notification selon quoi elle sera coupée et recevra juste la moitié. Là, c'est stressant de savoir comment elle va payer son loyer le mois prochain. Bien que ces personnes soient inaptes au travail, elles ont le goût de travailler, si elles pouvaient trouver un emploi à temps partiel. Combien de fois, ma fille ici y est allée. On lui a offert des bons stages intéressants, mais toujours à temps complet. Qu'est-ce que cela donne quand elle sait qu'elle va rechuter si elle travaille à temps complet? C'est pour cela que nous insistons sur le fait que, avec cette clientèle, il faut commencer tranquillement, même très lentement. Parfois, même 20 heures par semaine, c'est trop. Mais en le faisant assez longtemps, on réussit à les sortir du système du bien-être social.

On parle ici d'une clientèle qui ne serait pas, normalement, sur le bien-être social, il ne faut pas oublier cela. Ce sont des gens scolarisés. Une fois sortis du système, ils ne seront pas en compétition avec les gens qui sont ordinairement sur le bien-être social. Si l'État peut investir dans les bonnes méthodes de réadaptation, vous les sortirez du réseau du bien-être social. C'est ce que je veux dire.

J'ai des chiffres ici du résultat d'une étude. Ces clubs dont je vous parle, il y en a par centaines maintenant aux États-Unis et en Ontario aussi. On a fait une étude de l'efficacité de ces emplois de transition dont je parle. Quelqu'un qui a travaillé, après trois ans, peut avoir un taux d'intégration au marché régulier du travail, de 40 %. J'ai essayé d'obtenir des chiffres précis de votre ministère. C'est une chose impossible. Je vous mettrais vous-même au défi de me trouver les chiffres exactes. (16 heures)

II faudrait peut-être spécifier le genre de clientèle. Ce sont des personnes souffrant de troubles psychologiques, c'est le terme poli, qui sont stabilisées avec des médicaments et qui fonctionnent bien en société. J'ai établi ces personnes à environ 20 000. On calcule qu'un pourcent de la population est schizophrène, dont un tiers réintègre la société sans problème et, pour un autre tiers, malheureusement, il n'y a pas grand-chose à faire. Mais un tiers peut réintégrer la société si des mesures de réadaptation sont efficaces. Aux États-Unis, on avance même un chiffre de 66 %. Je ne croirai pas ces chiffres tant que je ne les aurai pas corroborés, mais 40 %, c'est déjà beau. Il me semble que cela vaudrait le "gamble" d'investir dans un club comme cela pendant cinq ans, pour voir ce que cela peut donner. C'est déjà tellement éprouvé. Si M. Reagan a cru bon d'amender sa législation pour incorporer ces concepts dans cela, c'est parce que cela est efficace. Je ne verrais pas pourquoi on s'éterniserait sur des longues études ici, on ne donnerait pas le coup et on ne laisserait pas commencer une chose comme cela.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Dans un premier temps, j'ai une précision à vous apporter. La notion de contribution alimentaire ne s'applique pas au programme Soutien financier.

Mme Wagener Jobidon: Bon, merci.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est sur le plan de la clarification. À la page 5 de votre mémoire, vous nous demandez l'abolition de la limite de temps dans le cadre du programme Travaux communautaires.

Mme Wagener Jobidon: Oui.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est-à-dire que, dans le cas où Travaux communautaires s'appliquerait à Soutien financier, il n'y aurait pas de limite du tout, dans votre perspective. Là, vous nous parlez d'un taux de succès de 40 % après trois ans de participation, etc. Je veux seulement vous sensibiliser au danger que peut-être une personne, s'il n'y a pas de limite de temps - disons qu'un an c'est trop court - s'il n'y a aucune limite de temps, un moment donné, demeure dans un programme de participation jusqu'à sa pension de vieillesse, si on peut utiliser cette expression...

Mme Wagener Jobidon: Oui.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...et que l'objectif de réintégration que vous visez ou que vous souhaitez ne soit pas atteint. En nous demandant de considérer la limite de temps, n'auriez-vous pas une fourchette ou un paramètre à nous indiquer?

Mme Wagener Jobidon: Évidemment, on ne peut pas tout dire ici, n'est-ce pas? J'espère que le rapport Harnois aura des suites et que, éventuellement, on va arriver avec le système de PSI, le Plan de services individualisé, ce qui vous concerne aussi, parce que cela prend des gens spécialisés qui travaillent avec cette clientèle. Si une travailleuse sociale envoie quelqu'un comme cela ici, à une "job" intéressante... Comme ma

fille, par exemple, qui a travaillé au Conseil de la culture comme assistante-secrétaire. C'était agréable, excepté que cela finissait. Je ne suggère pas qu'elle doive rester éternellement à cette "job". D'ailleurs, je ne pouvais tout dire là-dedans, ce n'est pas suggéré parce que les spécialistes dans le domaine disent même que le potentiel de ces gens-là est tellement grand que, avec de bonnes méthodes, on peut arriver à un point où ils peuvent penser à un plan de carrière. Imaginez-vous! Si des choses comme celle-là existent ailleurs, pourquoi laisserait-on végéter du monde ici, dans des petits programmes niaiseux? Il est sûr qu'il faut commencer quelque part et par des petites "jobs" niaiseuses, il faut peut-être même commencer par le macramé, mais on ne veut pas s'éterniser là-dessus.

Quand je parle, je peux vous garantir qu'avec des clubs comme cela à Québec - pas un seulement, cela en prendrait un dans plusieurs grandes ville... Si on peut enlever 40 % des gens sur le bien-être social aux États-Unis, je ne verrais pas pourquoi on ne ferait pas la même chose ici.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Cela va. En vertu de la règle de l'alternance, Mme la députée de Maisonneuve.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Mme Jobidon, je dois comprendre que vous êtes accompagnée par M. Poirier, je crois, M. Dinel - c'est bien cela? - M. Boileau et Suzanne Jobidon. On a parlé de vous, M. Guay, qui êtes une personne-ressource. Je crois donc comprendre que M. Poirier, M. Dinel, M. Boileau et Mlle Jobidon sont des bénéficiaires de l'aide sociale. Est-ce que je...

Mme Wagener Jobidon: Ah! Excusez-moi. M.

Jean-Marc Boileau est la seule exception ici.

D'ailleurs, vous lui faites grandement plaisir, M. le ministre, en lisant son texte. C'est lui qui l'a écrit et c'est sa fête aujourd'hui. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bélanger): Alors, bonne fête!

Mme Harel: J'aimerais bien qu'on puisse discuter avec eux. S'ils vous accompagnent, cela doit être certainement pour permettre un échange avec la commission. Vous êtes regroupés en cohabitant ensemble? Non? Vous êtes regroupés autour d'un projet. Je me demandais si le groupe était membre du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale.

C'est évidemment la sixième semaine que l'on siège et c'est toujours aussi passionnant. Chaque groupe a sa singularité et ses propres caractéristiques et on a eu l'occasion, le privilège d'échanger avec plusieurs groupes de ressources alternatives en santé mentale qui nous ont exprimé un point de vue qui est un peu différent de celui de Mme Jobidon. Ces groupes, notamment celui de la région de Montréal et celui de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, mettaient en cause le risque de voir les personnes confinées à un statut d'inapte et d'inemployable, vu que les mesures allaient certainement être d'abord offertes, étant donné la pratique dans les bureaux d'aide sociale avec des agents qui sont débordés... Le ministre a parlé de 400 dossiers par agent, en moyenne. Certains en ont 500; d'autres, 550. Donc, il y aurait une pratique qui consisterait d'abord à offrir les mesures aux personnes dites aptes, parce qu'elles ont une réduction de prestations qui ne leur permet plus de combler leurs besoins de base. Et les personnes dites inaptes, dans le grogramme Soutien financier, malgré les bons sentiments qui pouvaient être exprimés, n'allaient pas être les premières bénéficiaires des programmes de réinsertion, étant donné qu'elles ont leurs besoins comblés par les barèmes de prestations.

Alors, je dois conclure que la catégorie entre apte et inapte vous agrée. C'est là ma question parce que, tantôt, vous disiez: II faut aider à sortir du système. Les groupes sont venus nous dire: Pour sortir du système, il faut que, lorsqu'on en sort, on n'y soit pas ramené, c'est-à-dire essentiellement maintenir, , quand on est au travail, les besoins spéciaux lorsqu'on est handicapé physique, ou les besoins spéciaux lorsqu'on est en médication, parce que, si on reprend le marché du travail, on n'a plus les besoins spéciaux, on n'a plus le partage du logement.

C'est bien beau que, dans Soutien financier, le partage du logement soit possible. Mais dès qu'une personne s'en sortirait, deux ans plus tard, elle ne pourrait pas partager son logement et serait possiblement entraînée vers la rechute dont vous nous parliez tantôt. Là, la question, c'est: faut-il être préventif ou curatif, d'une certaine façon? Parce que, quand on est dans Soutien financier, c'est qu'on est soigné et, là, il y a des choses qui vont avec cela. On a droit de partager son logement, mais quand on en sort, on est exposé à tout vent, parce qu'il n'y aura plus de besoins spéciaux et de partage de logement.

Mme Wagener Jobidon: C'est cela. C'est un problème très complexe et je pense qu'il va falloir s'asseoir et établir une politique de santé mentale qui inclue cette chose-là. Je suis sûre que M. Guay va me trouver pas mal optimiste. Je ne sais pas s'il voudrait répondre à cela.

M. Guay (Michel): Michel Guay. Ce que vous dites, en fait, est parfaitement vrai: ces personnes-là risquent d'être oubliées, en fin de compte. Des priorités, il va y en avoir beaucoup. Et c'est un peu le problème que vivent ces gens-là depuis des années, d'être oubliés. Ils sont peu, ils sont

assez, mais ils sont peu et ce sont toujours les derniers, en fin de compte. Et je pense qu'il faut absolument que le programme soit souple pour vraiment tenir compte des besoins des individus. Lorsque M. le ministre parlait de norme, tout à l'heure, lorsqu'il disait qu'il faudrait fixer une norme, je pense que la norme doit être souple. Certains, si on parle de réinsertion sociale, font leur réinsertion dans six, huit ou dix mois, mais d'autres personnes la font dans deux, trois ou quatre ans. Je crois que tout devrait être tourné vers les besoins de l'individu. Je comprends que cela devient difficile et complexe. Je comprends qu'il faut fixer des normes quelque part, mais je crois qu'il y a des exceptions et que ces individus doivent être vraiment pris en considération pour ne pas embarquer dans une norme et de la faute de cette norme, se retrouver en milieu psychiatrique. Ils vont se retrouver dans un état de stress assez violent qu'ils devront être hospitalisés de nouveau. Cela se vit et on le voit presque de façon journalière.

Je voudrais maintenant revenir à l'étiquetage. Cela me paraît important aussi. Avec l'expérience, on s'est rendu compte que, lorsque l'employeur est conscient qu'un individu a eu et a toujours certains problèmes, il va être plus tolérant que face à un individu qui n'a pas de problèmes, entre parenthèses, ou est considéré comme normal, entre parenthèses toujours, et envers qui il va être très exigeant même à sa première journée de travail; l'étiquetage, à ce moment-là, ne fait pas peur.

Si on prenait comme exemple les handicapés physiques. Lorsqu'ils se présentent chez un employeur, assez souvent c'est clair pour eux et pour l'employeur. Mais lorsque vous avez fait une psychose, ce n'est pas évident. Et il faut que l'employeur aussi comprenne que, dans cette problématique-là, à un moment donné, peut-être après six mois, il peut vivre une période d'une semaine à quinze jours pendant laquelle les choses sont beaucoup plus difficiles. Et si l'employeur est conscient de cela, il va le ménager, il va lui donner sa chance, if va l'aider, plutôt que de dire: Écoute, tu produis et il faut que tu produises, c'est important. Et cela, c'est une dimension qui, pour ce qui est de l'étiquetage, ne me fait nullement peur.

Mme Harel: C'est vraiment intéressant, votre expertise! Vous savez, devant cette commission se sont succédé des personnes qui ont parlé d'elles comme devant donner lieu à une attention particulière et, appelant, comme vous le faites, M. Guay, à une reconnaissance des besoins individuels. Il y a eu les femmes des communautés culturelles; il y a eu les personnes représentant les nations amérindiennes, qui vivent dans les grandes villes, qui vivent dans nos régions, dans le Sud; il y a eu les représentants des personnes handicapées physiques, celles qui sont désinstitutionnalisées. Il y a d'ailleurs eu des personnes de l'Accueil Bonneau qui sont venues, par exemple, une travailleuse sociale qui était là expliquait que, parmi les 60 personnes qu'elle suivait tous les jours, il y en a 40 qui avaient été des cas de désinstitutionnalisation. Il y a des hommes et des femmes qui ont perdu leur emploi et qui sont en dépression; des chefs de famille monoparentale qui sont en difficulté de séparation, après un échec et un divorce; il y a eu des jeunes qui sont venus ici, qui n'avaient connu que les foyers d'accueil et qui avaient connu...

Tout cela, d'une certaine façon, n'altère en rien le point de vue que vous nous exprimez aujourd'hui. Mais ce que la société doit rechercher, c'est à la fois un plan d'ensemble et le respect des distinctions, mais en prenant en compte que, si on est vraiment bien portant dans notre société, d'une certaine façon, on l'est moins quand on est prestataire d'aide sociale. On l'est moins dès qu'on "tombe", parce que même les gens nous ont fait part de cette expression "tomber" comme si c'était un chemin de la croix, d'une certaine façon. Et on porte sa croix.

Et la question, c'est spécifiquement en regard, disons, d'un projet de réforme qui serait adéquat. Ce projet, selon vous... Parce qu'on dit que 95 % des personnes qui ont une maladie mentale - je ne sais pas si on peut appeler cela comme cela - ou sont en difficulté, en handicap, plutôt, vous appelez cela un handicap psychiatrique, 95 %, je pense, reçoivent de l'aide sociale. (16 h 15)

Mme Wagener Jobidon: Comme je vous le dis, ce sont des chiffres que vous êtes mieux placée que moi pour connaître.

Mme Harel: En tout cas, de la clientèle des ressources alternatives, pas tant que cela.

Mme Wagener Jobidon: Cela m'étonnerait, parce qu'il y en a quand même une grande proportion qui sont encore à l'hôpital.

Mme Harel: Oui. Quand on parle des ressources alternatives, j'imagine que ce sont celles qui sont mises en contact dans les ressources alternatives. Donc, ces personnes, qu'est-ce qu'on peut leur souhaiter? J'aimerais peut-être savoir, pour les fins de notre échange, les jeunes qui sont avec vous, ce qu'ils souhaitent. Ils souhaitent un emploi qui soit respectueux de ce qu'ils sont. C'est cela?

M. Boileau (Jean-Marc): Jean-Marc Boileau. Moi, j'ai commencé à temps partiel. Actuellement, je suis à temps plein. J'ai été aidé par le projet Arbre. Au début, ce qui était difficile, c'est que je reçois une injection à toutes les trois semaines et cela a comme effet secondaire de me rendre plus lent au travail. D'ailleurs, si cela n'avait pas été de la personne-ressource qui m'aidait, j'aurais perdu mon emploi parce que j'étais trop lent. Moi, j'étais content de dire que j'avais une maladie mentale parce qu'il était plus

attentif à moi. J'allais souvent le voir et je lui disais: Est-ce que le rendement et la production sont meilleurs? Il me disait: Ce n'est pas encore cela. L'effet du médicament diminue aussi avec le temps, ce qui fait que je peux récupérer la production.

Mme Harel: Maintenant, vous êtes engagé dans la voie d'un travail à temps plein?

M. Boileau: À temps plein, oui.

Mme Harel: Permanent?

M. Boileau: Possiblement, oui.

Mme Harel: Et c'est le genre de travail que vous souhaitiez accomplir?

M. Boileau: Non, parce que j'ai un diplôme universitaire et je travaille dans la restauration actuellement. Mais disons que cela me satisfait beaucoup.

Mme Harel: Vous êtes content de travailler? M. Boileau: Oui.

Mme Harel: D'une certaine façon. Et vous, je pense monsieur, c'est...?

M. Dinel (Marc): Dinel. Mme Harel: Oui, M. Dinel.

M. Oinel: Moi, je fais des travaux communautaires. Ce sont des travaux assez légers: passer la balayeuse, laver les planchers, tondre le gazon, etc. C'est pour une coopérative de logement. Pour commencer, je trouve que ce n'est pas beaucoup, mais cela me fait prendre un rythme de vie plus normal. Après cela, je viserai un stage en milieu de travail dans mon métier.

Mme Harel: Quel est votre métier?

M. Dinel: Mécanicien. Le problème, c'est que du travail à temps partiel, il n'y en a pas beaucoup. C'est très dur à trouver. Pour aller dans mon métier, c'est tout le temps 40 heures, ou du temps partiel payé en dessous de la table, ou des affaires comme cela. Il n'y a rien de bien sérieux.

Mme Harel: L'autre problème, dans la mesure où vous travaillez à temps partiel et que vous recevez de l'aide sociale, c'est peut-être que vous seriez dans le programme APTE à ce moment-là. Ce serait difficile d'imaginer que vous êtes dans un programme d'inapte.

M. Dinel: C'est que je suis apte à faire de quinze à vingt heures par semaine seulement.

Mme Harel: Vous vous considérez apte à faire de quinze à vingt heures?

M. Dinel: Oui.

Mme Harel: En fait, je ne sais pas si les autres personnes qui vous accompagnent... C'est peut-être juste intéressant, d'abord, de se rendre compte qu'il faut des solutions assez diversifiées pour faire face à une réalité qui est que le marché, parce que c'est évident... Bon, je ne veux pas revenir avec toute la catégorisation entre apte et inapte, mais il est difficile d'imaginer comment va se faire la définition d'inapte. Cela ne peut pas se faire juste sur un dossier, d'une certaine façon, parce qu'il va y avoir une incitation pour plein de gens à vouloir plaider... Je ne parle pas de vous, absolument pas, mais c'est sûr que, s'il y a un avantage réel comparativement à un très grand état de privation, il y a bien des gens qui vont vouloir se faire déclarer inaptes. C'est un peu là qu'est la difficulté. C'est certainement une grande difficulté qui va se présenter dans notre société, parce que la dynamique va être de vouloir être inapte plutôt que de vouloir être apte.

Mme Wagener Jobidon: Excepté pour cette clientèle-là J'ai une vidéocassette du club de Toronto. Tous les membres qui ne sont pas aptes, disons, à travailler productivement font du bénévolat quelques heures par jour, régulièrement. Pour moi, c'est une indication que l'argent n'est pas si important. Il est évident qu'il faut manger, qu'il faut être nourris. Mais ce n'est pas la question de frauder qui que ce soit ou de faire des choses... Ils sont tellement contents de pouvoir faire des choses comme tout le monde que les considérations d'argent deviennent secondaires.

On pourrait souligner autre chose. Paul avait enseigné à temps partiel à un moment donné. C'est à cause du syndicat qu'il a perdu ce travail valorisant et intéressant. Il y a une grosse sensibilisation à faire pour le bénévolat, pour des travaux communautaires à temps partiel et pour des emplois complexes; c'est une chose reconnue. On peut dire que je suis à la fine pointe de l'information en recherche en réadaptation psychosociale aux États-Unis, et une autre chose est reconnue: ce n'est pas la complexité de la tâche qui est en jeu. Ce sont des universitaires. Mais, si on peut les amener à travailler une ou deux heures par jour ou une demi-journée deux fois par semaine, même sur des ordinateurs ou n'importe quoi, et que ce soit valorisant, c'est ce qui est important. L'argent, là-dedans...

Mme Harel: Mais il faut quand même payer son loyer.

Mme Wagener Jobidon: C'est sûr!

Mme Harel: Tantôt, vous disiez que quel-

qu'un qui vit dans un logement misérable et qui n'a aucun moyen de s'en sortir a plus de risques de vivre une rechute. J'imagine qu'il vaut mieux vivre dans un logement confortable et avoir trois repas par jour pour avoir moins de risques de connaître une rechute.

Mme Wagener Jobidon: Si vous vivez isolé dans un condo de luxe, que vous ne parlez jamais à personne parce qu'il n'y a pas d'endroit où aller et que vous n'avez pas un travail valorisant, vous risquez plus de faire une rechute que si vous vivez dans une hutte misérable et que vous avez un club où il y a des amis et une activité valorisante.

Mme Harel: Oui. Écoutez, je ne sais pas, je ne veux pas choisir parce que j'ai l'impression que ce sont les gens qui ont à le vivre qui pourraient faire le choix. Ce n'est ni vous, ni moi. Je vous remercie.

Le Président (M. Bélanger): Merci. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne sais pas s'il me reste un peu de temps.

Le Président (M. Bélanger): Deux minutes.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Deux minutes? On n'a pas entendu les témoignages de M. Poirier et de Mme Suzanne Jobidon. J'aimerais que vous nous racontiez votre cheminement, où vous en êtes rendus et où vous voulez aller.

M. Poirier (Paul): Paul Poirier. J'ai travaillé à des travaux communautaires pendant un an. À 30 ans, je n'étais plus apte à faire les travaux communautaires. Depuis, j'ai 32 ans, cela fait deux ans que je ne travaille pas. Je suis un peu nerveux...

Le Président (M. Bélanger): II n'y a pas de problème.

M. Poirier: ...je n'ai pas trop planifié mon affaire. Cela fait déjà dix ans que j'ai été en institution psychiatrique.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous avez enseigné, à un moment donné, à...

M. Poirier: Oui. Disons que c'étaient de petits groupes, au primaire. J'enseignais à des surdoués. J'ai un bon bagage scientifique; je suis allé à l'université, en génie. Le syndicat a mis sa main là-dedans. Il a dit: Pour un travail donné, c'est tel salaire. L'école n'avait pas les moyens de payer ce salaire, alors, elle a laissé tomber.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que vous pouvez nous indiquer de quelle école il s'agit?

M. Poirier: C'est l'école Sainte-Odile, à Québec.

Mme Harel: Est-ce que c'est une école publique?

M. Poirier: Oui.

Mme Harel: Est-ce que c'étaient des travaux communautaires que vous faisiez?

M. Poirier: Oui.

Mme Harel: Ah! C'étaient des travaux communautaires.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci beaucoup de votre témoignage. Mademoiselle...

Mme Jobidon (Suzanne): Jobidon, Suzanne. Cela fait quatre ans et demi que ma maladie a commencé. Je viens de me décider à faire des stages de travail. J'avais un peu l'embarras du choix, à savoir si je devais dire ou non que j'ai été malade. Finalement, je ne l'ai pas dit et on n'était pas sévères, je faisais un peu l'affaire. J'ai dit que je voulais commencer à temps partiel et on a dit que, pour trois semaines, il n'y aurait pas de problème. C'est viser le travail a temps plein. C'est possible de travailler à temps plein, mais c'est un peu l'environnement qui... Au fond, dans un sens, on souhaiterait que les gens soient au courant et, dans un autre, on ne le souhaiterait pas parce qu'on se dit qu'on est capables de faire comme les autres, nous aussi.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Les travaux, Suzanne, est-ce que c'était un emploi de secrétariat?

Mme Jobidon: C'était aide-secrétaire.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Aide-secrétaire.

Mme Jobidon: C'est un travail communautaire et c'est encore cela que je vais faire.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci.

Le Président (M. Bélanger): Voulez-vous remercier le groupe?

Mme Harel: Certainement. Vous avez apporté, avec le projet de club, quelque chose de pas simplement original, mais qui est sans doute, comme vous le mentiopnez, une voie non seulement de réinsertion, mais de solidarité, d'entraide et d'appartenance très importante. Je suis très contente d'avoir également eu l'information concernant les travaux communautaires. Je crois beaucoup à des travaux communautaires qui se feraient dans les écoles pour soutenir les jeunes

qui sont en difficulté d'apprentissage et qui n'ont pas nécessairement l'appui familial, soit parce que leurs parents ont eu, eux-mêmes, des difficultés avec l'école, ou sont analphabètes. Je crois qu'il y aurait là matière à utiliser des compétences comme la vôtre. Je vous remercie pour votre contribution.

Le Président (M. Bélanger): M le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. Boileau, M. Dinel, M. Poirier, Mme Jobidon, c'était là le 95e mémoire qu'entendait la commission parlementaire des affaires sociales sur le projet de réforme de sécurité du revenu. Pour autant que je suis concerné - et je pense que c'est le cas de la commission - dans le 95e mémoire, nous en avons encore beaucoup appris, et pour cette contribution positive aux travaux de notre commission, au nom de la commission et au nom du gouvernement du Québec, je vous remercie.

Le Président (M. Bélanger): La commission des affaires sociales remercie Mme Jobidon et les personnes qui l'accompagnent pour la qualité de leur témoignage.

J'appelle à la table des témoins le groupe suivant, c'est-à-dire l'Association pour la santé publique du Québec, l'Association professionnelle des criminologues du Québec, la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec, la Corporation professionnelle des diététistes du Québec, la Corporation professionnelle des médecins du Québec et la Corporation professionnelle des travailleurs sociaux du Québec.

C'est un regroupement. Je les invite donc à se présenter à la table.

Le Président (M. Joly) S'il vous plaît! Que chacun reprenne sa place, de façon que nous puissions poursuivre nos travaux.

J'aimerais vous expliquer la règle de procédure. Vous avez 15 - pardon! 20 minutes pour expliquer votre mémoire. J'avais dit 15 mais on reprend avec 20, parce qu'ils semblent insister. De chaque côté, nous aurons aussi un temps à la disposition des parlementaires pour vous interroger.

Aux fins du Journal des débats, pourriez-vous vous identifier chaque fois que vous prenez la parole? Merci.

J'aimerais aussi que le porte-parole identifie les gens qui l'accompagnent.

Corporations professionnelles des y

conseillers et conseillères d'orientation,

des diététistes, des médecins, des

travailleurs sociaux, Association

professionnelle des criminologues et

Association pour la santé publique du Québec

M. Sirois (Alain): M. le Président, M. le ministre, Mme la critique de l'Opposition offi- cielle, Mmes et MM les députés, d'abord nous vous remercions de nous avoir invités à présenter notre document, lequel contient l'essentiel de nos réflexions face au projet de réforme de l'aide sociale. (16 h 30)

Ce document est le fruit du travail conjoint de six corporations et associations professionnelles du Québec. Or, pour représenter le Dr Augustin Roy, président de la Corporation des médecins du Québec, nous avons ici, et ils sont à la suite, le Dr Christine Collin, laquelle représente aussi, à titre de membre du bureau de direction, l'Association pour la santé publique du Québec dont le président est M. Jean-Pierre Bélanger; pour représenter M. Roger Barbeau, président de l'Association professionnelle des criminologues du Québec, nous avons M François Bérard, criminologue; pour représenter M André-G. Boivin, présent dans cette salle, président de la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec, Alain Sirois, conseiller d'orientation et secrétaire de la corporation, et c'est moi-même; pour représenter Mme Danielle Sabourin, présidente de la Corporation professionnelle des diététistes, nous avons Mme Marie-Claire Lepage, diétiste; enfin, pour représenter Mme Hélène Carey Bélanger, présidente de la Corporation professionnelle des travailleurs sociaux du Québec, M. René Pagé, travailleur social et directeur général de cette même corporation. M. Pagé va commencer la présentation du document.

Le Président (M. Joly): Merci S il vous plaît, M. Pagé.

M. Pagé (René): M. le Président, pour débuter notre présentation, l'origine du regroupement des corporations et associations professionnelles a débuté en 1984, autour de préoccupations qu'avaient ces professionnels sur la question des jeunes bénéficiaires de l'aide sociale de moins de 30 ans. Le regroupement des professionnels avait décidé de regarder les conséquences biopsychosociales de cette situation, conséquences qui regroupaient, en fait, les connaissances et l'expertise qu'ils pouvaient avoir de cette situation. Par la suite, au fil des ans, le dossier a évolué et s'est orienté vers une politique de sécurité du revenu. Notre regroupement a continué ses rencontres et ses publications et, depuis 1987-1988, il présente un mémoire conjoint qui est le fruit de ce travail, depuis quatre ans.

Globalement, l'idée que notre regroupement se fait d'une politique de sécurité du revenu nous semble plus large que celle décrite dans le document du gouvernement. Dans ce document, nous voyons plus un ensemble de technicités, mais pas nécessairement un regroupement d'objectifs et de moyens qui viseraient une cohérence de politique gouvernementale plus large, c'est-à-dire une cohérence entre les divers ministères,

entre autres, concernés par toute la question des revenus et des conditions de vie des gens.

On pourrait parler d'une politique plus englobante, une approche qui serait multisec-torielle par rapport aux problèmes de nos concitoyens. À titre d'exemple concret contenu dans la politique de sécurité du revenu, il y a une situation qui nous fait penser un peu à un jeu qu'on connaît tous et qui s'appelle le jeu des échelles et des serpents, qu'on jouait avec un dé et des pions. Prenons la référence de deux bénéficiaires de l'aide sociale jugés aptes selon la politique. Ils décident d'aller vivre ensemble en logement. Ils prennent une échelle, c'est-à-dire qu'ils se donnent des moyens financiers, des moyens concrets pour, peut-être, augmenter leurs chances d'employabilité en se donnant plus de moyens financiers. Ils prennent cette échelle et, deux cases plus loin, ils ont le serpent de la coupure de 115 $ chacun.

Nous ne sommes pas d'accord avec une telle position. Le même exemple de ce jeu d'échelles et de serpents, d'attrapes si on veut, pourrait être servi pour l'ensemble de la responsabilité du gouvernement, entre les différents ministères qui peuvent être concernés par tous les besoins des concitoyens. Il faudrait éviter que ce qu'un ministère fait soit annulé ou changé par ce qu'un autre ministère fait, qu'on évite de se lancer la balle entre ministères et qu'on ait une cohérence interministérielle menée par le gouvernement.

Je vais maintenant passer la parole à M. François Bérard.

M. Bérard (François): Dans le cas de cette présentation de notre mémoire, on m'a assigné la délicate tâche de vous entretenir de deux sujets qui ont particulièrement retenu notre attention. La nécessaire relation entre une politique de sécurité du revenu et une politique de l'emploi, d'une part, et la question des mesures d'employabilité, d'autre part.

Une lecture attentive du document d'orientation nous amène à constater que c'est la question d'emploi qui en constitue la clé de voûte. Tout y est analysé en fonction de celle-ci. De fait, la réforme, avec ses coupures, met beaucoup de pression sur les bénéficiaires de l'aide sociale pour qu'ils se trouvent un emploi. Pour nous, il s'agit d'un virage très important car on semble privilégier l'intégration à tout prix des assistés sociaux sur le marché du travail et ce, même au détriment d'une réponse adéquate à leurs besoins essentiels. Ma collègue, le Dr Collin, aura l'occasion de revenir sur ce dernier point.

Nous avons donc affaire à une politique de sécurité du revenu essentiellement axée sur l'emploi. Paradoxalement, cette réforme ne semble pas être accompagnée d'une quelconque politique de l'emploi et, en ce sens, elle demeure incomplète. En effet, comment peut-on imposer aux assistés sociaux de faire un grand nombre de démarches pour se trouver un emploi si, paral- lèlement à cela, on ne veille pas à la création de nouveaux emplois? Avec les quelque 60 000 emplois qui, semble-t-il, pourraient être disponibles l'an prochain, les 257 000 ménages aptes risquent d'être doublement perdants, n'ayant pas d'emploi et ayant des revenus moindres. La réforme de la sécurité du revenu telle qu'elle se présente à nous, à l'heure actuelle, ne viendra, conséquemment, qu'accentuer les différents malaises et problèmes que vivent les assistés sociaux. Pour éviter une telle situation, il importe au plus haut point que le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu veille, de concert avec ses collègues des ministères à vocation économique, à l'élaboration et à la mise en oeuvre d'une vigoureuse politique de l'emploi ayant le plein emploi comme visée ultime.

Nous sommes conscients des difficultés que représente une telle entreprise car on devra alors mobiliser les différents agents socio-économiques autour de cette politique. Mais une politique de plein emploi, fondée autant sur la création et le maintien que sur le partage de l'emploi constitue, à notre avis, l'assise principale d'une solidarité qui doit se dégager autour de cette question vitale qu'est l'emploi. La réforme de l'aide sociale n'aura été qu'une vaste opération d'appauvrissement collectif pour les assistés sociaux si elle ne débouche pas sur des gestes concrets ayant pour but de démontrer à quel point l'emploi constitue une richesse, voire une valeur inestimable pour notre société.

Par ailleurs, nous réitérons notre appui de principe à l'existence de mesures visant à développer le niveau d'employabilité des assistés sociaux désireux d'intégrer le marché du travail. Le projet de politique semble reprendre à son compte un certain nombre de mesures développées pour les jeunes assistés sociaux, et il les étend à l'ensemble des assistés sociaux. D'une part, nous nous interrogeons fortement sur la capacité du ministère de pouvoir développer un nombre suffisant de places dans ses programmes pour répondre à la demande potentielle. D'autre part, l'énoncé de politique reste trop flou pour que nous puissions nous prononcer, à ce moment-ci, sur le contenu de ces programmes. Toutefois, nous tenons à nous opposer vivement à des formules telles que "Grant Diversion" qui ouvre la porte toute grande à la création d'une véritable catégorie de travailleurs à rabais.

C'étaient les quelques remarques concernant les questions relatives à l'emploi et aux mesures d'employabilité que nous désirions respectueusement vous soumettre aujourd'hui. Je vais maintenant céder la parole à ma collègue, le Dr Collin.

Mme Collin (Christine): Merci.

J'aimerais, quant à moi, aborder maintenant trois de nos sujets de réflexions, de préoccupation également, qui concernent les nouveaux barèmes, l'établissement d'une catégorisation et la formation des agents d'aide sociale.

En ce qui concerne les nouveaux barèmes, nous sommes d'abord préoccupés par le remplacement de barèmes fondés sur les besoins par des barèmes fondés sur les dépenses des ménages classés dans le premier décile de revenus. Nous y voyons une source possible d'aggravation de l'écart entre riches et pauvres. De plus, et très fondamentalement, la diminution du seuil plancher des prestations nous inquiète. Même l'augmentation de l'exemption des gains de travail, une très bonne mesure en soi, ne peut justifier, selon nous, cette réduction. En effet, les prestations de base seraient réduites dans le projet d'orientation à tel point que, dans les neuf premiers mois, pour une personne seule, elles ne couvriraient qu'à peine le logement et l'alimentation. Il est faux de penser que tous les assistés sociaux ou même une majorité d'entre eux vont se trouver un emploi et accéder au total des prestations possibles. Au contraire, suite à la pénurie d'emplois, des prestataires et des familles disposeront d'un montant insuffisant pour combler leurs besoins de base. Cela va compromettre le développement des enfants et la santé physique et mentale de tous. Les conséquences bien connues de la pauvreté qui s'appellent maladie, délinquance, problèmes sociaux, violence, prostitution, etc., nous semblent devoir être prévenues à tout prix, et surtout par l'intermédiaire d'un revenu minimum décent.

Deuxièmement, la question de la catégorisation. Le document d'orientation établit des catégories parmi les prestataires et ces catégories entraînent des différences entre les montants reçus. À nos yeux, seule la catégorisation fondée sur le nombre de personnes dans la famille devrait introduire des différences de montants de prestations parmi les bénéficiaires. La catégorisation proposée: apte et inapte; disponible et non disponible; participant et non participant; dépendant et indépendant, compliquerait beaucoup, selon nous, la mise en oeuvre et risquerait aussi d'établir un potentiel important d'évaluations erronées et, donc, de décisions discriminatoires. De plus, cette proposition nous rappelle une façon ancienne, ou que l'on croyait ancienne, d'accorder des prestations différentes selon que l'on était bon pauvre ou mauvais pauvre. Les bons pauvres seraient ceux qui se plieraient sans problème aux différentes exigences et les mauvais, ceux qui ne le feraient pas. Mais il nous apparaît important de voir pourquoi toutes les personnes prestataires d'aide sociale n'ont pas les mêmes comportements face à ces mesures-là. C'est, à notre avis, parce qu'elles n'ont pas toutes le même vécu ni la même histoire. Si pour certaines c'est un phénomène temporaire et occasionnel, pour d'autres - et cela nous apparaît être la grande majorité - c'est le résultat d'une longue histoire de pauvreté économique, de scolarité limitée, de non-qualification professionnelle, toute situation qui réalise le cercle vicieux de la pauvreté et condamne les personnes qui en sont victimes à subir échec sur échec et frustration après frustration. Dans ce cas, l'énergie nécessaire pour rester participant et volontaire risque d'être considérable et cela explique certainement, en partie du moins, la faible participation des jeunes au programme d'employabilité actuellement.

Il nous semble donc que la réforme doive veiller particulièrement à ne pas pénaliser davantage les plus démunis. Cela signifie qu'à des difficultés supérieures doivent correspondre des ressources supérieures, et que les mesures d'employabilité mises en place doivent en tenir compte et être en particulier suffisamment longues, intenses, adaptées et complètes quand cela est nécessaire.

Enfin - c'est mon troisième point - H nous faut insister aussi sur le besoin de formation des agents d'aide sociale. Le document d'orientation le mentionne et cela nous semble être effectivement une très bonne chose. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le fait que ces agents sont aussi ceux qui contrôlent les budgets ou ont une certaine mission par rapport à des économies possibles du programme. Ces personnes peuvent alors être prises entre deux feux. Pour que ces agents jouent de façon efficace le rôle souhaité et décrit de soutien personnalisé et de conseiller, il faut qu'ils puissent développer des attitudes de respect et de compréhension par rapport à ce que vivent les personnes les plus démunies. Cela doit donc se traduire par une formation appropriée. Il ne doit donc pas s'agir seulement d'une formation technique, et d'une formation de techniques d'employabilité. Il nous semble qu'une politique d'aide sociale doit tenir compte de tout cela, même si cela peut entraîner des coûts supplémentaires. N'oublions pas, en effet, que ce qui sera retiré d'une main aux plus démunis devra leur être remis d'une autre et d'une façon beaucoup plus lourde en termes de services de soin et de services sociaux. Nous sommes bien placés pour le savoir et c'est ce qui nous semble absolument important d'éviter.

Mme Lepage (Marie-Claire): Les choix privilégiés par le gouvernement auront des impacts sur différents sous-groupes de la population. J'aborderai particulièrement la situation des jeunes en milieu scolaire, des jeunes de 18 à 30 ans, des femmes enceintes et, en dernier lieu, la discussion que soulève le logement.

Pour ce qui est des jeunes en milieu scolaire, prenons l'exemple de ce qui se passe sur le territoire du Conseil scolaire de l'île de Montréal. Des programmes d'aide alimentaire ont dû être développés et sont subventionnés par le conseil, car 20 % des jeunes viennent de milieux défavorisés. Très souvent ces jeunes se présentent à l'école sous-alimentés. Soulignons que les fins de mois sont particulièrement difficiles. On sait les effets que cela peut avoir sur la capacité de concentration, le rendement scolaire et, à plus long terme, sur le devenir de l'enfant dans la société et même sur son employabilité. Ce

qu'on doit retenir de la description de cette situation, c'est que la réforme de la politique met en cause une grande partie des parents de ces jeunes et par conséquent les touche directement.

Pour ce qui est des jeunes de 18 à 30 ans, il s'agit d'un sujet souvent discuté, mais pour lequel, jusqu'à maintenant, aucun changement n'a été apporté. Étant donné la situation précaire dans laquelle se retrouvent ces personnes, la parité de prestation a été demandée et il n'y a aucune raison motivant le délai d'une autre année pour appliquer cette mesure. La prestation allouée présentement est loin du revenu minimal favorisant le maintien de la santé et ne peut qu'avoir des répercussions au plan biopsycho-social. De plus, cette situation peut amener les jeunes à adopter des comportements qui les marginalisent. On parle ici de criminalité de survie, de délinquance et d'incarcération, qui représentent des coûts sociaux importants. On note aussi un taux de suicide plus élevé dans ce groupe d'âge. (16 h 45)

En ce qui concerne les femmes enceintes, avec la réforme proposée, grossesse signifie pénalité, et un recul par rapport à l'ancienne politique. Cette dernière prévoyait un supplément de 20 $ par mois pendant la grossesse et reconnaissait l'importance de la grossesse, qui représente effectivement une augmentation des besoins, notamment sur le plan de l'alimentation. La période correspondant à la réduction de prestations, soit les deux derniers trimestres de la grossesse, est une période très importance pour la prise d'un poids adéquat, laquelle est reliée directement au poids de naissance de l'enfant. Ce dernier est sans contredit un indicateur du devenir de l'enfant. La période postnatale est également très importante. Elle correspond à une diminution de prestations, et pourtant elle correspond aussi à une augmentation des besoins alimentaires pour la mère qui décide d'allaiter et, pour la mère qui décide de ne pas allaiter, à des coûts qui doivent être envisagés pour l'achat de préparations commerciales pour nourrissons. Ce mode d'alimentation représente le deuxième choix pour une nutrition optimale de l'enfant, le lait de vache n'étant pas recommandé avant l'âge de six mois.

La question du logement n'est pas la moindre et elle nous préoccupe. Celle-ci est déjà problématique avec la politique actuelle, étant donné la pénurie de logements à prix modique. De plus, les données de la Société canadienne d'hypothèques et de logement permettent d'observer un écart entre les coûts réels et ceux proposés pour la répartition du revenu des bénéficiaires de l'aide sociale. Cette situation peut même être vécue de façon plus difficile dans certaines régions. Dans le document d'orientation, on souligne le désir de favoriser l'autonomie des gens, en maintenant une prestation globale que les personnes vont redistribuer entre les différents besoins de base. Cette approche est en accord avec notre vision, mais un a priori est nécessaire. L'allocation doit être réaliste, car c'est une dépense non compressible qui va influencer le type de logement et la portion normalement attribuée à l'alimentation et aux différents autres besoins. Avec des revenus insuffisants, les pourcentages qui doivent être consacrés aux composantes logement et alimentation correspondent à environ 100 % du budget. Dans le document d'orientation, les moyens pour diminuer les coûts de la vie sont très pénalisés, entre autres si on pense à la coupure à l'égard du logement qui est partagé. Voici donc, M. le Président,...

Le Président (M. Bélanger): Si vous voulez bien conclure, s'il vous plaît.

Mme Lepage: C'est cela. Voici donc, M. le Président, les différents sujets que le regroupe-men des associations et corporations désirait soulever dans le cadre de cette présentation. Nous vous remercions de votre attention.

Le Président (M. Bélanger): Merci. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, je remercie l'Association pour la santé publique du Québec, l'Association professionnelle des crimino-logues du Québec, la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec, la Corporation professionnelle des diététistes du Québec, la Corporation professionnelle des médecins du Québec et la Corporation professionnelle des travailleurs et travailleuses sociaux du Québec, de leur mémoire écrit ainsi que de leur présentation verbale. Puisque plusieurs sujets ont déjà fait l'objet de discussions ou d'échanges avec certaines des corporations à l'occasion de cette commmission parlementaire, je vais immédiatement passer aux recommandations que vous nous adressez et en traiter particulièrement deux avec vous, si vous permettez.

Une s'appelle la parité de l'aide sociale, et on la retrouve à la page 16 de votre mémoire. Vous dites, à la page 16, à 2.5.2.: "Les jeunes adultes. Plusieurs groupes sont intervenus à maintes reprises pour demander la parité pour les jeunes bénéficiaires de l'aide sociale. Nous trouvons inconcevable que le gouvernement attende 1989 pour la réaliser. De plus, nous trouvons irréaliste que le gouvernement force de jeunes adultes à retourner vivre avec leurs parents lorsque ceux-ci sont à l'aise. Il nous apparaît souhaitable que tout jeune adulte puisse voler de ses propres ailes et affirmer son autonomie, pour lui donner l'occasion de faire l'apprentissage de la vie et des difficultés qui y sont inhérentes. Nous nous élevons donc contre la direction proposée qui n'a pour assise que la seule économie d'argent à court terme, et qui ne pourra que desservir l'ensemble de la société en

retardant l'apprentissage d'une vie autonome chez les jeunes adultes à moyen et à long ternies".

Je pense que c'est Mme Lepage qui avait soulevé le sujet de la parité. Donc je lui adresserai la question qui m'est inspirée d'un article paru dans Le Devoir du vendredi 18 mars dernier, et qui posait la question comme suit: "L'interrogation peut se formuler ainsi est-il socialement souhaitable de verser à un jeune de 18 ans le plein montant de l'aide sociale, sans rien changer des caractéristiques des programmes actuels? Il n'existe aucune réponse empirique à cette question. L'hypothèse la plus courante - on l'entend chuchoter même par des gens qui jugent plus prudent de s'enfouir la tête dans le sable chaud de la bonne conscience qui leur sert de philosophie sociale - est que la parité, sans un train de mesures d'accompagnement, serait un geste irresponsable, une invitation cynique à abandonner les études pour les uns, à quitter leur emploi pour les autres, et pour un certain nombre, à cesser toute recherche d'un revenu de travail. Bref, on pousserait des milliers de jeunes dans un piège dont on sait qu'il est difficile de sortir."

Comment réagissez-vous, lorsqu'on met en parallèle votre demande, que je viens de lire, à partir de votre mémoire, et cette réflexion d'un éditorialiste du Devoir?

Mme Lepage: Je pense que, spontanément - H y a d'autres collègues qui pourront répondre aussi - il y a peut-être les deux mouvements du pendule. C'est-à-dire qu'entre ce qu'ils reçoivent présentement, soit les 180 $ et quelques par mois, et la parité, mais associée à aucune autre mesure, il y a peut-être un moyen terme sur lequel on peut discuter.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je pense que ce n'était pas - et je ne veux interpréter ni votre mémoire, ni ('editorial du Devoir - au plan du montant, comme tel qu'on recherchait une demi-parité, ni dans un cas, ni dans l'autre. Je pense qu'on parlait de mesures d'accompagnement qui n'auraient pas les effets négatifs d'inciter les jeunes à quitter l'école pour se retrouver bénéficiaires de l'aide sociale, d'inciter les jeunes à ne pas se rechercher un emploi, d'inciter les jeunes à l'oisiveté comme telle. Je pense un peu que c'était là le sens de l'article. Il n'y avait pas d'escalier ou d'étage pécuniaire. On parlait strictement du principe de la parité.

Mme Lepage: Ce que je veux dire c'est juste qu'avec la parité, à ce moment-là, on aurait besoin de mesures d'accompagnement. Je ne veux pas dire non plus, qu'on devrait couper la parité en deux; il faudrait vraiment qu'il y ait quand même parité pour subvenir à l'ensemble des besoins de base de ces jeunes-là. Mais cela devrait, idéalement c'est sûr, s'accompagner d'autres mesures, quoique, en termes d'employa-bilité, il y a des choses quand même qui ont été amorcées par mes collègues et dont René peut peut-être discuter.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous dites, à ce moment-là, oui à la parité, mais avec des mesures d'accompagnement, pas la parité en vase clos Maintenant, par rapport à toute la notion de contribution alimentaire parentale que vous rejoignez par le biais de la parité - et cela rejoint peut-être une question qui a été posée au début, celle de l'harmonisation interministérielle que vous avez soulevée - vous savez qu'au niveau du programme des prêts et bourses aux étudiants il existe ce qu'on appelle la notion de contribution alimentaire parentale, et vous savez sans doute que celle que l'on retrouverait dans une politique de sécurité du revenu lui est identique, une copie carbone dans le but d'éviter cette incitation pour le jeune à quitter les études postsecondaires et à se retrouver bénéficiaire de l'aide sociale.

Et je vous concéderai, en partant, que le système idéal serait un système de prêts et bourses sans contribution alimentaire parentale, où l'on pourrait retrouver, par la suite, une politique de sécurité du revenu sans que cet élément-là y soit. Mais, en prenant pour acquis que la politique de sécurité du revenu est une politique de dernier recours, est-ce que vous ne croyez pas qu'il y aurait certains dangers à ne pas inclure des éléments que l'on retrouve dans une politique qui veut justement inciter les jeunes à demeurer à l'école? Si on n'inclut pas cette même notion, est-ce qu'on ne risque pas, sur le plan de notre société, d'inciter nos jeunes, au plan financier, à quitter les études à plein temps pour devenir des bénéficiaires de l'aide sociale? Et je ne suis pas le premier à poser la question car, sans même accorder la parité, l'ancien ministre des Finances, en 1984, posait la question.

M. Bérard: À cette question de contribution familiale, je suis un petit peu étonné que vous souleviez la comparaison avec un autre ministère, dans le sens que les comparaisons, habituellement, que vous amenez, d'après ce qu'on a pu lire dans les journaux, sont souvent des comparaisons au fond, où la politique de la sécurité du revenu doit toujours prendre une situation qui est à ce moment-là moins bonne qu'une situation qui existe...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ou égale M. Bérard: ...dans un autre ministère. M. Paradis (Brome-Missisquoi): Égale

M. Bérard: Et, en ce qui nous concerne, on se dit: "II y a des besoins de base qui existent pour l'ensemble des assistés sociaux et, à ce moment-là, s'il y a une harmonisation qui doit se faire, cela doit être beaucoup plus dans le sens

de relever ce qui est indiqué ou amené dans d'autres ministères et non pas de prendre une situation de fait et de dire, pour ce qui est de l'assistance sociale: On va diminuer, finalement, les prestations parce que dans tel autre ministère il y a déjà telle chose. On pense qu'une politique de sécurité du revenu doit être effectivement un moyen pour soutenir les besoins financiers des gens et non pas une façon de dire qu'il doit y avoir des catégories moindres de soutien lorsqu'on est assisté social.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous avez un peu raison dans l'énoncé où vous dites que le programme de sécurité du revenu tient compte des autres programmes gouvernementaux parce qu'il s'agit là d'un programme de dernier recours. Je veux vous ramener sur la question, parce qu'il faut, à un moment donné, prendre des décisions, et pour plusieurs organismes, au moins la moitié, ce n'est pas la première présentation. Peut-être qu'on a eu le temps d'aller un peu plus à fond. Je vais lire une petite citation de la page 236 du livre blanc sur la fiscalité des particuliers. On y retrouve la citation suivante: "Les jeunes de 18 à 20 ans. La politique actuelle concernant les jeunes d'âge scolaire incite peu aux études, particulièrement les jeunes qui sont considérés à la charge de leurs parents aux fins du régime de prêts et bourses. À titre d'exemple, un élève de 18 ans aux études collégiales, demeurant chez ses parents et dont le père gagne un salaire égal au salaire industriel moyen, recevra annuellement un prêt de 1075 $, en vertu du régime de prêts et bourses, alors que, s'il décide de décrocher, il recevra annuellement 1758 $ du programme d'aide sociale. Dans le premier cas, il devra rembourser le prêt obtenu, alors que dans le deuxième il n'aura rien à rembourser. On pourrait citer d'autres exemples où le jeune aura le choix entre une aide financière pour ses études, aucune bourse et aucun prêt si ses parents sont plus fortunés, et un montant de 1758 $ s'il est bénéficiaire de l'aide sociale. À la limite, si ses parents sont bénéficiaires de l'aide sociale, il recevrait 1250 $ en bourse et 1195 $ en prêt s'il est au cégep contre 1758 $ s'il est bénéficiaire de l'aide sociale." Je termine là la citation. Ces chiffres-là sont des chiffres de 1984, mais ils ne tenaient pas compte de la parité, c'est-à-dire de la hausse du montant pour le jeune. Est-ce que vous croyez que, en augmentant la prestation du jeune, on n'augmente pas d'autant, sur le plan financier, cet incitatif dont parlait M. Parizeau en 1984?

Mme Collin: Ce qu'on pourrait vous répondre aussi, c'est qu'il nous semble en fait que si un jeune préfère être assisté social plutôt que de faire des études, à ce moment-là, il y a un problème qui est encore plus fondamental qui est le problème de l'incitation pour des études, qui renvoie aussi au problème de l'emploi par la suite, de la disponibilité par l'emploi. Cela touche évidemment des questions plus larges que celle de la sécurité du revenu seulement. Il nous semble, en tout cas d'un façon générale, pour les jeunes ou d'ailleurs pour l'ensemble de la réforme dont il est question, qu'on devrait plus s'orienter vers des mesures incitatives et que les mesures de type coercitif, finalement, comme celle de couper les revenus à des gens, ne devraient être envisagées vraiment qu'en dernier recours. Autrement dit, il me semble un peu artificiel de faire cette comparaison du revenu d'un jeune assisté social avec le revenu d'un jeune qui est aux études, parce que, du fait qu'on est aux études, on va avoir un avenir, cela est une mesure temporaire. Plus on est scolarisé... Même s'il y a aujourd'hui beaucoup de difficultés à trouver un emploi pour les gens qui ont des diplômes universitaires, il reste quand même que, avec un peu de patience, ils vont avoir une situation professionnelle et financière qui va être acceptable disons. Ce qui n'est pas le cas pour quelqu'un qui va rester bénéficiaire de l'aide sociale et qui, à long terme, n'aura rien, n'aura pas de formation et donc aura encore plus de difficultés à accéder à un emploi décent, à un emploi rémunérateur. Donc, je pense qu'il faut peut-être resituer cela dans cette perspective-là.

De même, dans votre document, il y a quelque chose qui nous est apparu un peu inquiétant. Quand on parle de la dépendance des jeunes, il y a une certaine catégorie de jeunes qui n'a pas à subir ces critères, si j'ai bien compris. On pense, en particulier, aux jeunes mariés, aux jeunes parents, aux jeunes qui ont travaillé deux ans. On pense aussi aux jeunes qui ont un diplôme universitaire. Si j'ai bien compris ce que cela veut dire, c'est que, si l'on considère deux jeunes qui sont dans des familles à revenus à peu près identiques, celui qui a un diplôme universitaire serait immédiatement admissible à l'aide sociale, dans le cas où il n'a pas d'emploi, et ce ne serait pas le cas de celui qui...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce qu'il faut comprendre, c'est que les critères d'indépendance sont les mêmes que ceux du système de prêts et bourses aux étudiants. Moi, ce que je comprends de votre intervention, c'est que vous nous indiquez que la comparaison que l'on fait, dans la réalité, ne tient pas; que la comparaison qui a été faite en 1984 par M. Parizeau était artificielle; et que le fait qu'on l'amène maintenant dans la politique de sécurité du revenu...

Le Président (M. Bélanger): En conclusion, s'il vous plaît.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ... c'est qu'on continue dans quelque chose qui, finalement, n'a pas de base, qui n'a pas de fondement. (17 heures)

Mme Collin: On comprend cela, c'est sûr. On ne peut pas aller jusque-là, on le comprend

tout à fait. Mais il nous semble qu'on pourrait resituer cela dans une perspective plus incitative. Autrement dit, faire des études n'est pas quelque chose d'uniquement contraignant. C'est sûr qu'il peut y avoir un certain nombre de contraintes, mais il y a quand même, au bout de ces études, une amélioration notable de la situation que n'aura pas un jeune qui restera assisté social pendant toute cette période. D'ailleurs, on connaît la difficulté du retour aux études après la période normale d'études, disons. Il s'agit plutôt de tenir compte de cette perspective; c'est ce qu'on voulait soulever.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Il me fait également plaisir d'accueillir le regroupement. C'est un regroupement qui a été connu pour son engagement, son implication publique du côté des jeunes assistés sociaux au moment où un autre gouvernement présidait les destinées de l'Assemblée. Je crois que la fermeté de vos propos, à l'époque, engage à beaucoup d'écoute de la part du gouvernement, puisque les positions que vous exprimez sont le fruit de l'expérience que vous avez sur le terrain.

J'aimerais beaucoup poursuivre cet échange qui est entrepris parce que je pense qu'il révèle bien le genre de cul-de-sac, d'échelles et de serpents illustrés par M. René Pagé. Donc, il y aurait un problème d'harmonisation. Pour qui? Beaucoup de groupes d'assistés sociaux représentés par des femmes chefs de famille assistées sociales vous ont précédés là où vous êtes assis et nous ont dit et ont dit au ministre: Écoutez, M. le ministre, le problème pour nous, c'est que nos enfants n'ont pas les moyens d'aller au cégep; alors, le problème de la contribution parentale, c'est à l'envers qu'il faudrait qu'on le pose parce que notre problème, c'est que, pour des familles à faible revenu, les prêts et bourses, ce n'est pas suffisant pour nos enfants. Hier encore, une dame qui représentait l'OPDS a expliqué qu'après deux sessions son jeune avait dû quitter parce qu'il n'était pas capable d'arriver et H a fallu qu'il recommence à travailler. Donc, un premier problème, celui qui doit aussi alerter la conscience du ministre, il s'agit du problème des jeunes dont les familles sont sur l'aide sociale et qui n'ont pas les moyens d'aller au cégep.

Deuxième niveau de problème, celui de la contribution parentale qui est nécessairement "chargée" - si vous me permettez une mauvaise expression - à tout le monde, en sachant que la contribution parentale, dans les prêts et bourses, n'est pas versée dans 85 % des cas. Ce qui ne l'est pas dans les prêts et bourses devient la norme pour l'aide sociale. Le problème se pose pour qui, finalement, dans l'exemple donné par le ministre? Il se pose pour les enfants de familles à moyen ou à haut revenu qui pourraient exprimer leur indépendance par rapport à leurs parents, dans la maison, en allant chercher de l'aide sociale et en s'en fichant, si vous voulez, d'une certaine façon; cela peut même être un geste de provocation. Prenons cela comme étant une possibilité. Comme le disait le Dr Collin, c'est là un jeune en difficulté, en mésadaptation, qui a des problèmes de relations, peut-être aussi de nombreux problèmes de drogue ou d'autres.

Si le ministre continuait sa lecture, il verrait que, parmi les solutions... Entre autres, la solution n'est pas de le laisser entièrement à la charge de la famille; ce n'est pas une solution à laquelle je souscris. Je vais juste vous la citer parce que c'est une solution qui coûte de l'argent. En quoi consiste-t-elle? Elle consiste à introduire dans le rapport d'impôt une exemption pour enfant adulte à charge. Vous voyez, il y a un coût au bout de cela. Cela veut dire, entre autres, que, dans le rapport d'impôt, il n'y aurait pas simplement une exemption pour enfant mineur; ce serait maintenant pour enfant - il faut dire adulte - majeur à charge. Je ne sais pas à combien c'était évalué. Il y avait certainement quelques millions au bout. J'ai l'impression que la contribution parentale va être écartée, compte tenu du tollé de protestations qui se sont exprimées, non seulement devant la commission, mais durant le congrès du parti qui est actuellement au gouvernement sur la contribution parentale. Mais ce qui peut rester, c'est le test de revenus pour les parents à revenu moyen ou élevé, parce que c'est comme l'idée que c'est normal, si tu as de l'argent, que tu paies pour des enfants adultes. Là-dessus, j'aimerais vous entendre parce que vous parlez d'autonomie des personnes.

Alors, est-il possible - et c'est une autre grande question - de baser un système de sécurité sur l'autonomie des individus, sans pour autant faire une réforme fiscale majeure d'une certaine façon? Comment concevez-vous cette question d'autonomie? J'ai bien compris que Mme Lepage disait au ministre qu'il pouvait aussi s'agir de mesures d'accompagnement qui accompagnaient la parité. Si j'ai bien compris, cela pouvait être des mesures d'accompagnement qui pouvaient avoir un caractère pressant auprès d'un jeune qui s'installerait sur l'aide sociale disons a 18 ans.

Dans votre mémoire, vous dites, à la page 13: "II n'y a jamais eu, au cours des ans, suffisamment de programmes pour tous les jeunes assistés sociaux. De plus, ces programmes ayant une durée limitée et n'assurant pas un emploi stable ramènent quasi invariablement les jeunes à leur maigre prestation." Là, ils les ramèneraient à une prestation un peu plus élevée. Alors, est-ce que le problème concernant finalement toute cette question n'est pas justement que le ministre sait ne pas être en mesure d'offrir les mesures, sait ne pas être capable de les offrir en

donnant la parité aux moins de 30 ans, sait qu'à ce moment-là ce qu'il va leur donner, c'est une allocation sans leur offir pour autant une activité?

Concevez-vous, comme regroupement, qu'il puisse être souhaitable qu'à un certain âge - je pense, entre autres, à 18 ou 20 ans - il soit utile d'engager des fonds de l'État en faveur de la parité mais pour autant qu'il y a une activité ou une participation d'un jeune à des activités, non pas que maintenant cela dépende de l'offre que la parité soit inconditionnelle, mais que le défaut de participation puisse faire diminuer la prestation?

M. Pagé (René): Cela a été la position du regroupement en 1985 dans une lettre ouverte au journal. C'était dans La Presse, je crois. Cela a toujours été notre position. D'autant plus qu'il s'agit effectivement, à l'âge de 18-20 ans, pour ceux qui vont s'orienter sur le marché du travail, d'une période déterminante justement du début d'autonomie, de tout le développement biopsy-chosocial de l'individu, d'un citoyen. Par contre, et c'est pour cela qu'on faisait allusion tout à l'heure à des mesures incitatives, si un jeune décide de partir de chez lui et qu'il perd son emploi, est-ce qu'il va devoir retourner chez lui, dans quelle condition et quelle sera la condition de sa famille? C'est ce que l'on soulevait en page 16. C'était dans ce contexte-là qu'il fallait le comprendre, pour éviter une espèce d'effet de ping-pong, de non-appartenance, de non-encouragement de l'autonomie, d'être dans une situation et de continuer d'y travailler, de s'y développer et de s'impliquer dans des programmes.

Mme Harel: L'occasion est trop belle. Vous êtes directeur général de la Corporation professionnelle des travailleurs sociaux. Vous êtes criminologue, vous êtes médecin. Je suis contente, d'ailleurs, de voir que vous représentez le Dr Augustin Roy. C'est intéressant. Vous êtes au fait des rapports névralgiques entre les humains. Qu'est-ce que vous préconiseriez comme intervention, comme activité, comme projet, disons, pour des jeunes de 18-20 ans qui, certains, auraient comme prespective de vie de s'installer sur l'aide sociale?

M. Pagé (René): Ce n'est pas nécessairement que les gens ont des perspectives de vie de s'installer sur l'aide sociale. Il ne faut pas oublier qu'il existe des conditionnements sociaux, quand même, et qu'il existe les histoires des familles. La pauvreté conditionne à des choses. Un enfant qui n'a jamais vu un ordinateur de sa vie et un enfant qui, parce qu'il est dans une maison privilégiée... J'en connais qui, dès l'âge de six ans, deviennent plus experts que leur père. Ils ont quand même un certain conditionnement à la société de l'an 2000. Si on parle de façon générale, on peut quand même affirmer cela. C'est un exemple flagrant aujourd'hui, des enfants qui partent gagnants à un certain niveau.

Ce qu'on peut dire des programmes incitatifs, on donne l'exemple dans notre document, on parle des programmes SEMO qui bâtissent des programmes spécialisés. J'ai été moi-même dans un conseil d'administration d'un SEMO qui s'appelle l'Arrimage, pour des ex-bénéficiaires psychiatriques de différents hôpitaux de Montréal. J'ai travaillé avec ces gens-là comme travailleur social. J'ai été à même de voir des gens qui avaient des problèmes comme ceux qui étaient assis, ici, à la table et de voir le type de travail qui pouvait être fait. Sauf que l'État doit considérer le fait qu'il y a des coûts qui sont présents, si on prend un agent de travail qui va suivre ces gens, qui va leur faire faire un apprentissage - et dans ce cas-là, c'était avec toute l'équipe multidisciplinaire - un travail de réapprentissage, de retour et d'intégration dans la société. C'est pour cela aussi qu'on parlait de collaboration interministérielle. On s'est souvent débattus entre des politiques d'un ministère et de l'autre, alors qu'on a un bel objectif avec le bénéficiaire et qu'on crée des espoirs et que, souvent, cela peut ne pas fonctionner parce que certaines technicités empêchent ce développement.

On dit, oui, qu'il y ait des programmes spécialisés, il en faut, mais pas nécessairement pour tous les jeunes. Ce ne sont pas tous les jeunes qui ont ces besoins. Mais lorsque les besoins sont présents, les jeunes adultes, les femmes qui décident de retourner sur le marché du travail, les adultes qui n'ont jamais travaillé... Il y a peut-être 100 000 personnes analphabètes au Québec. Est-ce qu'il n'y a pas un conditionnement social, des problèmes a se trouver un emploi si vous ne pouvez remplir une formule d'emploi? C'est pour ce genre de problèmes que nous disons: Attaquons-nous à cela. Mais attention de ne pas faire des mesures qui vont décourager les gens qui sont déjà dans une situation sociale de très grande difficulté, parce qu'ils n'ont pas fait les apprentissages. Qu'on leur fasse faire les apprentissages et ils iront travailler, évidemment.

Mme Harel: Cela m'amène à vous poser la question concernant les agents et l'incompatibilité - vous la décrivez dans le mémoire - de rôle entre le rôle de contrôle et le rôle de soutien. Je ne sais plus à quelle page, je pense que c'est à la page 17 Vous dites: À la fois, ils auront de la difficulté à administrer, à contrôler un budget de prestation afin de limiter les dépenses gouvernementales et en même temps développer une relation d'aide efficace auprès d'une clientèle... Cela m'amène à reprendre la question, pour les jeunes, particulièrement. Parlons des 18-20 ans, par exemple, faudrait-il envisager qu'ils aient à s'inscrire à une ressource qui serait, par exemple, le SEMO pour pouvoir bénéficier de la pleine parité? Des jeunes sont venus ici nous

dire, notamment, que beaucoup de ceux qui ont 19-20 ans et qui sont bénéficiaires de l'aide sociale ont des problèmes physiques, des problèmes réels et qu'ils devraient pouvoir avoir accès à des activités de conditionnement physique. Ils devraient pouvoir avoir accès à plein de choses qui ne leur sont pas accessibles. Et cette activité serait déjà un bon départ. Je me demandais si on ne devrait pas, au moins, faire en sorte qu'ils participent à des activités même physiques.

M. Bérard: Quand vous parlez de programmes SEMO, cela s'adresse à des clientèles habituellement spécifiques, des gens qui ont des problèmes de santé mentale, des problèmes de délinquance, de handicap physique ou autres. Il y a quand même des formules qui ont été développées durant la crise économique où le ministère voyait d'un bon oeil, à cette époque, ce qu'on appelait des clubs d'emploi. À ce moment-là, un club d'emploi peut réunir une catégorie de gens qui n'a pas nécessairement un problème spécifique, mais on peut établir un réseau de solidarité entre les jeunes qui ont entre 18 et 25 ans et qui se rencontrent et échangent entre eux leurs expériences, à savoir comment untel s'y est pris pour faire ses recherches d'emploi, comment untel s'y est pris pour dénicher un emploi. À ce moment-là, le SEMO est une formule qui est intéressante, mais il pourrait y avoir le soutien, de la part du ministère, d'autres formules telles que les clubs de recherche d'emploi. (17 h 15)

Au delà de cela, pour ce qui est des mesures d'employabilité, je pense qu'il y a un message plus fondamental qu'on passe, c'est-à-dire l'importance qu'on doit accorder à la création de véritables emplois, d'abord. Parce qu'il y a des gens qui, même s'ils ont des difficultés, même s'ils sont illettrés, dans le centre de transition pour lequel je travaille, il y a des gens qui ont une 5e, 6e ou 7e année et qui réussissent malgré tout à se trouver des emplois. Ce ne sont peut-être pas des emplois extraordinaires, mais il y a quand même un marché de l'emploi à ouvrir et a développer. Il y a différentes façons, à ce moment-là, qu'on propose, que ce soit par la création de nouveaux emplois ou que ce soit par le maintien d'emplois. Quand on parle, dans le document, de la question de fermeture d'entreprises, vous êtes députée de Maisonneuve, vous savez combien il y a d'entreprises dans votre coin qui ont fermé. Il y a aussi toute la question du partage de l'emploi. Lorsqu'il y a eu la crise économique, il y a eu à un moment donné un mouvement de solidarité qui a été fait. Cela a commencé à la Pratt & Whitney, où des travailleurs proposaient à de plus jeunes de partager du temps de travail. Le gouvernement fédéral est embarqué là-dedans soutenant, moyennant une contribution par l'intermédiaire de l'assurance-chômage, ces initiatives. Ce sont des formules qui nous paraissent intéressantes pour faire en sorte que l'emploi, qui nous paraît être une richesse en soi, puisse être, finalement, partagé aussi entre les citoyens. C'étaient mes commentaires.

M. Pagé (René): Peut-être un dernier commentaire concernant les jeunes adultes, les 18-20 ans. Eeffectivement, non pas tout le temps, mais très souvent, ces jeunes peuvent avoir différents types de problèmes et il faut aller les chercher, faire ce qu'on appelle en anglais du "reach out". C'est important parce que cela risque de conditionner, justement, ces années-là, une bonne partie des autres années et là on peut penser que les gens peuvent y rester plus longtemps. Il y a les mesures d'employabilité, mais il y a aussi la façon dont on le fait. Comme professionnels, c'est ce que nous disons. C'est très important. Il ne s'agit pas juste de dire: Écoutez, on va vous couper. C'est un message, comme on le disait tout à l'heure, qui coupe les énergies finalement et c'est là-dessus qu'on réagit très fortement. Pour avoir vécu avec des gens qui, eux, sont littéralement dans la misère, savoir comment on recrée l'espoir chez un citoyen en disant: Oui, tu vas être capable de refaire les choses c'est tout ce travail avant même de penser que la personne puisse aller à l'emploi. Qu'elle fasse cette démarche et, oui, on va assurer un succès, à ce moment-là, de la politique du revenu.

Mme Harel: La démarche avec qui? Je pense que c'est la question.

Le Président (M. Bélanger): II faudrait remercier le groupe, madame.

Mme Harel: C'est fini. Bon. M. le Président me rappelle qu'il faut que je vous remercie. Je vais le faire avec plaisir.

C'est intéressant et cela laisse en suspens la question: Faire des démarches avec qui, de manière qu'elles soient les plus enrichissantes possibles et qu'elles portent fruit, finalement? Vous rappelez, certainement avec raison, que c'est certainement la perspective de pouvoir occuper un emploi qui peut être la plus motivante pour permettre à un individu de prendre un peu confiance en lui.

Je veux vous remercier comme regroupement. J'imagine un peu ce que cela doit être de travailler avec plusieurs associations, de s'entendre sur un texte, de l'amender et de le faire adopter par chacune des nos associations. Tout cela me permet de vous dire que c'est une contribution importante et que, dans l'avenir comme dans le passé, c'était porteur, d'une certaine façon, d'espoir que des corporations se conjuguent ensemble pour offrir des projets de société mieux articulés. Je vous remercie.

Le Président (M. Bélanger): Merci M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je fais miens en partie les propos de Mme la députée de Maisonneuve quant aux remerciements. Je les adresse plus particulièrement à l'Association pour la santé publique du Québec, à l'Association professionnelle des criminologues du Québec, à la Corporation professionnelle des travailleurs sociaux du Québec et mes re-remerciements à la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec, à la Corporation professionnelle des diététistes du Québec ainsi qu'à la Corporation professionnelle des médecins du Québec.

Le Président (M. Bélanger): La Commission des affaires sociales vous remercie. Je ne referai pas la nomenclature une autre fois...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Laissez-moi travailler, M. le Président.

Le Président (M. Bélanger): J'invite à la table des témoins le Syndicat des travailleurs et travailleuses du CLSC La Source qui sera représenté par Mmes Ginette Careau et Martine Allard.

À l'ordre, s'il vous plaît! Je demanderais à chacun de bien vouloir reprendre sa place. J'invite les représentantes du Syndicat des travailleuses et travailleurs du CLSC La Source à bien vouloir prendre place à la table des témoins. S'il vous plaît, je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place. Je vous remercie.

Alors, je vous explique nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes ferme pour présenter votre mémoire et, par la suite, il y aura une période d'échanges avec les parlementaires. Je vous prierais, chaque fois que vous prenez la parole, de bien vouloir vous nommer, ceci pour les fins de transcription du Journal des débats. Je vous prie de vous présenter, d'une part, et de présenter votre mémoire. Merci.

Mme Allard (Martine): Martine Allard.

Le Président (M. Bélanger): Cela nous fait plaisir.

Mme Careau (Ginette): Ginette Careau du CLSC La Source.

Syndicat des travailleuses et travailleurs du CLSC La Source

Mme Allard: On voudrait, avant de commencer à présenter notre mémoire, dire qu'on est venues ici avec, quand même, une crainte. On se demandait quelle était la pertinence de venir parler ici. La majorité des groupes qui sont venus se faire entendre ici étaient contre la réforme et, malgré cela, on a entendu dire que M. Paradis n'allait quand même pas la mettre sur les tablettes. On se demandait, à un moment donné: Qu'est-ce que cela nous donne de venir? On est à la fin de la commission et, malgré tous les contre, ce n'est pas évident qu'il va en tenir compte. En tout cas, je voulais seulement dire qu'on avait, quand même, des appréhensions à venir. On y a pensé à deux fois et, finalement, on a décidé de venir, quand même.

Le Président (M. Bélanger): C'est tout à votre honneur. On vous en remercie.

Mme Allard: Mon Dieu, que c'est loin! On n'est pas bien...

Le Président (M. Bélanger): Non, vous pouvez parler de loin.

Mme Allard: Oui?

Le Président (M. Bélanger): La réception est excellente. Il n'y a pas de problème.

Mme Allard: Bon, d'accord. Notre mémoire était assez large, mais c'était surtout pour montrer qu'on était en désaccord avec la réforme dans son ensemble. Si on est venues ici, c'est surtout pour parler du programme spécifique APTE, parce qu'on y voyait beaucoup de désavantages, d'abord, à titre de travailleuses d'un établissement de santé et de services sociaux. Aussi, dans un deuxième temps, comme syndiquées, on y voyait beaucoup de désavantages. C'est surtout sur ce programme-là qu'on veut s'exprimer. Je vais présenter comme travailleuse d'un CLSC, nos appréhensions et Mme Careau va parler comme syndiquée.

On pense qu'avec la diminution des prestations de base, avec la coupure pour partage du logement, la contribution alimentaire parentale, le principe de la responsabilité solidaire des conjoints, l'augmentation du taux de remboursement de l'aide versée en trop, etc., on pense que cela aura comme conséquence, entre autres, un plus grand appauvrissement, une détérioration des conditions de vie, une augmentation des problèmes sociaux reliés au stress, à la peur, à la honte et à la culpabilité. Tout cela veut dire que cela va créer des problèmes, comme une hausse de la criminalité, de la délinquance, la surmédicalisation, la dépression, etc.

Au CLSC comme tel, il y en a plusieurs qui nous consultent présentement parce qu'ils sont incapables d'arriver avec leur maigre revenu. Imaginez avec la réforme, si on baisse leurs prestations de base. Nous aussi, on pense que c'est un peu fou de penser que tout le monde va pouvoir aller se chercher 155 $ comme exemption de gain de travail. Comme si, de toute façon, avant de tomber sur l'aide sociale, ils n'avaient pas déjà cherché une "job". On pense que c'est fou de penser qu'Hs vont pouvoir aller se chercher cela. Pour les gens qui vont participer à des mesures de développement d'employabilité, qui vont être à temps plein, on pense aussi que

c'est fou de penser qu'ils vont aller chercher 80 $ en plus d'être à temps plein. Voilà là-dessus.

On se demandait aussi, dans le document, pourquoi, après avoir donné beaucoup de causes sociales au manque d'emploi - c'est en pages 10 et 11 du document, de la politique - pourquoi après avoir donné des causes extérieures à l'individu, dans le fond, des causes sociales au manque d'emploi, pourquoi, dans la recherche de solutions, c'était seulement basé sur la responsabilité individuelle, entre autres, les mesures de développement d'employabilité. Cela repose vraiment sur la responsabilité individuelle. Il y avait comme un bout qui nous manquait entre les deux. On expliquait des causes qui étaient sociales, donc, hors de l'individu, et on a amené des solutions presque uniquement individuelles. On trouvait que cela clochait quelque part et on n'était pas d'accord. On ne parlait pas non plus d'après les mesures. Qu'est-ce que cela va donner à la fin, après les mesures? Est-ce qu'il y aura plus d'emplois? On ne parle pas vraiment d'une politique de création d'emplois et cela nous inquiétait beaucoup. C'était plus, dans un premier temps, comme travailleuse dans un CLSC.

Maintenant, Ginette va nous présenter comme syndiquée... C'est que nous avons beaucoup d'interrogations et toutes les raisons de croire que cette politique est très dangereuse pour nos acquis et qu'elle ne sera nullement génératrice d'emplois. Elle va vous montrer un petit peu plus ce que sont nos interrogations et sur quoi on se base pour les énoncer.

Mme Careau: Bonjour, je suis Ginette Careau, je suis présidente du Syndicat des travailleurs et travailleuses du CLSC La Source. Ce qui nous préoccupe le plus en tant que syndiqués, c'est que nous ne croyons pas que ces mesures vont aider les gens a quitter l'aide sociale, car elles ne semblent pas être accompagnées d'une véritable création d'emplois. Nous croyons qu'avec ces mesures, les assistés sociaux se retrouveraient avec des emplois sous-payés et deviendraient malgré eux des voleurs de jobs. Nous craignons aussi que les employeurs profitent de tels programmes pour engager de la main-d'oeuvre à bon marché et peut-être, par la force des choses, congédier certains employés occupant des postes non spécialisés, ou encore ne pas créer de nouveaux postes. Par la même occasion, on porte ainsi atteinte à la syndicalisation des travailleurs et aux normes du travail, ce qui est une perte pour les travailleurs et travailleuses du Québec.

Je vous mentionne ainsi nos craintes que nous croyons fondées, car déjà chez-nous, au CLSC, le programme Travaux communautaires est implanté depuis janvier 1988, avec une capacité de quinze participants. Fait à noter cependant, seize auxiliaires familiales ont été mises à pied en décembre 1987 et, lorsque nous prenons connaissance de la formation qui sera donnée aux quinze participantes aux travaux communautaires, c'est-à-dire l'entretien ménager, des cours de cuisine, des cours de premier soins, habituellement ce sont les cours, ce sont les tâches qui sont dévolues aux auxiliaires familiales. Celles qui ont été congédiées ne seront probablement pas réengagées. Iront-elles sur l'aide sociale et ainsi reviendront-elles via les travaux communautaires?

Ce sont les craintes qu'on exprime et on se demande vraiment si cela va créer de nouveaux emplois. On se demandait aussi si les gens qui vont embarquer dans des programmes comme les travaux communautaires, en fin de compte, cela ne leur donnera pas plus un emploi si on regarde... En tout cas, il semblerait, on ne peut pas le prouver, mais cela semble dire que les employeurs vont peut-être se servir de cela, les travaux communautaires, pour engager des gens à bon marché et faire faire des travaux qui, normalement, sont dévolus à des gens qui sont des travailleurs réguliers et syndiqués. Merci.

Mme Allard: Et aussi, on voulait dire, en résumé, que pour toutes ces raisons on vous demande de ne pas mettre en application cette réforme et de bien vouloir ainsi respecter la position exprimée par la majorité des groupes venus se faire entendre ici. Ce n'est pas bien long, n'est-ce pas?

Le Président (M. Bélanger): Bien, c'est partait. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, je vous remercie de votre présentation. C'est intéressant d'entendre, au cours de la même journée, une présidente de syndicat et une travailleuse communautaire dans un CLSC, au même moment où on a entendu, en tout début de journée, la Fédération des CLSC du Québec, qui est venue également nous donner son point de vue en commission parlementaire.

Je peux peut-être commencer de la même façon que j'ai commencé ce matin avec la Fédération des CLSC du Québec, en tentant de vous tracer globalement, et vous devez le posséder individuellement, le portrait du dossier pour l'ensemble de la province, tel qu'il était en mars 1987. Les caractéristiques sont demeurées à peu près les mêmes, sauf que la clientèle a diminué depuis ce temps-là.

À l'aide sociale, en mars I987, vous aviez 400 000 chefs de ménage dont le seul revenu était le chèque d'aide sociale chaque mois. Parmi ces 400 000 chefs de ménage, il y avait à peu près 25 % de la clientèle, soit quelque 100 000, qui seraient admissibles au programme Soutien financier, dont vous avez pris connaissance dans le document "Pour une politique de sécurité du revenu". Les quelque 300 000 autres seraient admissibles au programme dit APTE, parce qu'on considérerait ces personnes-là comme étant aptes au travail. Aptes au travail, oui, mais avec

quelles barrières à surmonter avant de pouvoir y avoir accès, à ce marché du travail? On sait que 36 % de cette clientèle-là, dite apte au travail, est considérée comme étant une clientèle analphabète fonctionnelle. Cela ne t'aide pas beaucoup à te trouver un emploi quand tu n'es même pas capable de lire ou de prendre connaissance d'une offre d'emploi qui est écrite. 60 % de cette clientèle-là n'a pas terminé son cours secondaire, et on sait aujourd'hui combien d'institutions, d'organismes, de compagnies exigent de détenir un diplôme d'études secondaires pour avoir la possibilité de postuler un emploi dans l'entreprise. Et 40 % de la clientèle n'a aucune expérience antérieure de travail reconnue comme telle. (17 h 30)

Cela fait une série de barrières importantes, pour l'individu qui veut travailler, qu'il doit surmonter avant d'avoir une possibilité d'obtenir un emploi. Le gouvernement peut faire, comme il fait actuellement, comme il a fait depuis plusieurs années, soit poster un chèque mensuel à ces gens-là, en tentant de se libérer la conscience et en disant: "Bon, bien j'ai fait tout ce que j'avais à faire. Ou le gouvernement peut tenter de marier - vous avez raison de le souligner - une politique de plein emploi avec une politique d'employabilité aussi.

Sur le plan du plein emploi - je ne veux pas vous empiffrer de statistiques - je vais vous donner strictement ce qu'a apporté au Québec, au cours des douze derniers mois, la stabilité politique des mesures fiscales incitatives à l'investissement des contributions ou des appuis à des initiatives, tels que le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec. Toutes les décisions gouvernementales analysées en fonction de leur répercussion sur la création d'emploi ont donné l'an passé au Québec une création nette - on a soustrait les emplois perdus, on a additionné les emplois gagnés - de quelque 104 000 emplois de plus.

Le taux de chômage a diminué, pendant cette période-là, de 2 %; il est passé de 11 % à 9 %. C'est encore beaucoup trop haut, mais c'est quand même dans le sens d'une politique de plein emploi. Le danger qui nous guette, c'est d'abandonner, en marge de cette croissance économique, de ce développement de la richesse, toutes ces gens, toutes ces personnes qui sont à l'aide sociale, de les mettre complètement de côté, sans leur donner une possibilité ou leur offrir, en tout cas, une possibilité d'améliorer l'employabilité. Et c'est ce que le programme APTE vise.

Vous manifestez des craintes et ces craintes ont été reprises par certains groupes; entre autres, j'ai retenu, moi, une des craintes que vous manifestiez, celle du "cheap labor", si je peux utiliser l'expression. Est-ce que - parce que certains des programmes dont on parle ont quand même été expérimentés chez les jeunes de moins de 30 ans, depuis 1984 - est-ce que vous avez eu connaissance de cas où il y a eu exploitation par l'employeur, des cas de "cheap labor", et dans quelle circonstance cela s'est-il fait? Vous êtes libre de répondre, une ou l'autre, moi, je...

Mme Careau: Non, je veux dire... Vous dites: Avez-vous eu connaissance de "cheap labor" qui peut s'être produit? Je vais vous donner juste l'exemple de ce qui se passe chez nous, dans le moment. On ne peut pas affirmer que les employeurs profitent de ces programmes-là pour faire travailler les gens à plus faible revenu, ils vont prendre toutes sortes de moyens très détournés. Je regarde chez nous, on a seize auxiliaires familiales qui ont été mises à pied en décembre et le programmme Travaux communautaires rentre en janvier et il y a une possibilité de quinze participants. C'est évident qu'on ne peut pas affirmer qu'ils font faire exactement, à l'heure actuelle, le même travail qu'ils feraient faire à une auxiliaire familiale, mais cela se corrige très facilement parce qu'à ce moment-là on change les critères d'admissibilité pour obtenir des services du CLSC. En changeant les critères d'admissibilité, les gens qui demandent des services ne sont plus admissibles, alors, on les réfère aux travaux communautaires, mais cela devient - je prends chez nous pour le CLSC - une façon pour le CLSC de dire: Bon, on donne beaucoup de services à la population, on donne la même chose, les mêmes services, mais ils ne sont pas donnés par les mêmes gens. Ils sont quand même donnés par des gens dont je trouve dommage qu'ils soient moins bien payés; ils n'ont pas d'assurance que, en bout de ligne... Je ne sais pas combien de temps le programme Travaux communautaires peut durer, je ne sais pas s'il y a une limite de temps...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui.

Mme Careau: ...qui va être déterminée. Bon, je ne suis pas au courant s'il y a une limite de temps déterminée...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): II y a beaucoup de gens qui s'y opposent, mais la limite de temps habituellement maximale est de 52 semaines. Mais les revendications sont dans le sens de l'étirer dans le temps. À moins que vous n'en ayez en sens contraire?

Mme Careau: C'est parce que je regarde ces gens-là, au bout de 52 semaines, pendant, qu'ils ont travaillé aux travaux communautaires... D'accord, ils ont pris une expérience de travail, mais je ne pense pas que cela les ferait se faire embaucher ailleurs. Je prends juste l'exemple de chez nous, on semble se servir de cela pour faire des mises à pied, mais on fait faire le même travail par d'autres; moi, j'ai peur que cela arrive.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous avez peut-être une crainte qui est juste. Je tiendrais

à vous dire qu'on a eu des témoignages devant la commission - je ne me rappelle pas le nom des groupes comme tel - en ce sens que les gens qui ont participé dans des travaux communautaires du type de ceux que vous mentionnez ont, par la suite, trouvé des emplois permanents.

Mais je veux surtout rapprocher l'exemple que vous nous donnez de l'exemple que nous donnait ce matin la Fédération des CLSC du Québec. La Fédération des CLSC disait, ce matin: Le travail d'auxiliaire familiale, à cause de l'alourdissement des clientèles, a évolué, en tout cas, dans le plan des soins ou services à domicile. De soins ou services d'ordre matériel, on est passé, à cause de l'alourdissement de la clientèle, à des soins ou des services beaucoup plus personnels, qui s'adressent à la personne. Et ce qu'eux nous disaient dans les expériences qu'ils nous racontaient, c'est que l'auxiliaire familiale, elle, voit son rôle évoluer vers des soins beaucoup plus personnels tandis que le travailleur ou la travailleuse communautaire qui l'accompagne s'occupe des travaux plus domestiques. Je pense que je rends assez bien ce que la Fédération des CLSC nous disait ce matin. Comment réagissez-vous face à cette évolution?

Mme Allard: Sauf que moi je pense qu'avant le travail qui était moins personnalisé, comme vous dites, était quand même fait par des auxiliaires familiales qui, elles, étaient payées, je ne sais pas, 10 $ l'heure ou je ne sais trop. En tout cas, il y avait quand même un revenu décent. Présentement, avec les travaux communautaires, c'est facile de dire: On va prendre les auxiliaires familiales pour faire un travail plus personnalisé et les autres, ce sera par les travaux communautaires, par des jeunes bénéficiaires de l'aide sociale. Sauf que je pense qu'il ne faut pas avoir, en tout cas, il ne faut pas calculer bien longtemps pour comprendre que c'est beaucoup plus intéressant pour des employeurs de resserrer les critères - comme le disait tantôt Ginette - et de prétexter que cela va être un travail moins personnalisé qui va être fait par ces jeunes-là et de les payer beaucoup moins cher. Cela leur revient pas mal moins cher que de payer une auxiliaire familiale à 10 $ l'heure, plus ou moins.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que je dois comprendre de votre intervention que vos craintes vous amènent à conclure qu'il ne devrait pas y avoir de travaux communautaires dans des domaines d'activité comme ceux où vous oeuvrez?

Mme Allard: Je pense que notre crainte est que cela enlève des jobs à des gens. On n'est pas contre les mesures de développement de l'employabilité comme telles, tant que cela s'accompagne d'une création d'emplois et aussi tant que cela n'enlève pas des jobs à des gens qui en ont déjà une, qui vont se retrouver avec un congédiement. Mais, si le fait qu'il y ait ces programmes-là dans des institutions comme un CLSC empêche la création d'emplois, empêche la création de nouveaux postes.. Comme les auxiliaires familiales, on en avait vingt et quelques. On est rendu avec... On a été coupé de seize Je trouve que...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est un exemple intéressant que vous amenez, mais chez vous, les travailleurs et travailleuses, les employés sont représentés au conseil d'administration du CLSC. Vous participez donc, je présume - vous me corrigerez si ce n'est pas correct, ce que je dis - vous participez donc aux décisions sur le plan de l'embauche et sur le plan de la participation au niveau du conseil d'administration, parce que la fédération disait ce matin qu'il y a à peu près 50 % des CLSC qui participaient aux travaux communautaires et 50 % qui n'y participaient pas.

Mme Careau: Non. Vous avez raison quand vous dites que, au niveau du conseil d'administration, les employés sont représentés. Sauf que je vais vous dire tout de suite les réponses qu'on a, que ce soit par le conseil d'administration ou par la direction générale, c'est toujours: coupures budgétaires, coupures budgétaires. Parce qu'H ne faut pas se leurrer, les CLSC sont en déficit à peu près partout. Je pense que cela tombe peut-être dans un autre domaine, du fait qu'Us sont en déficit, ils sont obligés de faire des compressions, alors, ils coupent des postes. Cela, c'est certain. Ce n'est pas plus admissible, mais c'est ce qui se fait à l'heure actuelle parce qu'ils ont des déficits. Tout à l'heure vous parliez du changement de travail qui se fait pour ce qui est des tâches dévolues à une auxiliaire familiale, c'est vrai. Je veux dire que les auxiliaires familiales ont maintenant beaucoup plus un côté communautaire, social, elles vont travailler beaucoup plus personnellement avec le bénéficiaire. Vous dites: Si elles peuvent être accompagnées de quelqu'un des travaux communautaires. Si c'était cela, je vous dirais: d'accord. Mais ce n'est pas cela. Ils ne sont pas accompagnés. Les auxiliaires familiales sont enlevées et beaucoup de services sont donnés aux travaux communautaires. Je ne sais pas si vous...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, non, cela va. Ce que je tentais de faire, c'était de mettre votre témoignage en parallèle avec celui que nous avons reçu ce matin. Je vois qu'il y a des distorsions. Ce n'est pas partout pareil dans l'application.

Mme Careau: Non. Cela peut ne pas être partout pareil. Comme je vous dis, c'est très facile pour les CLSC de dire: Non, on n'embarque pas dans cela, ce n'est pas vrai, les travaux communautaires n'enlèvent pas de travail aux employés réguliers. C'est sûr, ils peuvent même le prouver sur papier. Sauf que nous, on se pose

la question, parce que c'est facile de prouver une chose sur papier, mais en réalité ce qui se passe c'est cela. Moi, je vous dis qu'on a eu seize... On en a quinze qui vont rentrer. En changeant les critères d'admissibilité pour les bénéficiaires, pour les services du CLSC, la direction du CLSC nous dit: Bien, ce n'est pas vrai, cela ne vole pas des jobs aux gens qui sont chez nous, ils n'ont pas droit aux services du CLSC. Mais ils changent les critères.

Mme Allard: Et ils les changent aux deux mois à peu près.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Sur la durée des travaux communautaires, à supposer que cela fonctionnerait aussi bien que la fédération nous l'a dit ce matin avec l'exemple de l'auxiliaire familiale et de la personne qui est en stage. Vous avez traité de la question de la durée et peut-être, contrairement à la majorité des autres groupes que nous avons entendus jusqu'au moment où l'on se parle, vous sembliez indiquer - dites-le-moi si je me trompe - que vous souhaiteriez que ce ne soit pas aussi long, les travaux communautaires, alors que la majorité des représentations qu'on a eues c'était de les étirer dans le temps.

Mme Careau: Ce n'est pas une question de durée, c'est surtout la façon dont c'est appliqué. Si c'était vraiment dans le sens où vous le dites, s'ils sont avec les travaux communautaires pour accompagner...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): La durée, c'est accessoire.

Mme Careau: ...les auxiliaires familiales, et que je vous dis: Mettez cela pendant dix ans, je n'ai rien contre. Ha, ha, ha! Sauf que, pour nous, ce n'est pas le cas.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord. En vertu de la règle de l'alternance, Mme la députée de Maisonneuve.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. C'est fort intéressant. Je suis en train de discuter avec mon recherchiste sur les aspects que vous nous soulevez. Je suis contente de vous recevoir, Mme Allard et Mme Careau. Mme Careau, vous êtes la présidente du syndicat. Est-ce que vous êtes travailleuse sociale?

Mme Careau: Non, je suis secrétaire.

Mme Harel: Vous êtes secrétaire. Cela regroupe l'ensemble des employés du CLSC?

Mme Careau: Oui, sauf les infirmières. Ce sont tous les employés du CLSC sauf les infirmières. Cela comprend les travailleurs sociaux, les travailleurs communautaires, les auxiliaires familiales et tous les employés de bureau.

Mme Harel: Et vous, Mme Allard, vous êtes membre du syndicat, également?

Mme Allard: Oui.

Mme Harel: Vous êtes organisatrice communautaire.

Mme Allard: Remplaçante.

Mme Harel: Remplaçante.

Mme Allard: C'est cela.

Mme Harel: Pour un congé de maternité.

Mme Allard: Non, une année sabbatique.

Mme Harel: Ah bon! C'est vraiment intéressant que vous soyez venues, particulièrement aujourd'hui, au moment où, comme le soulignait justement le ministre, on a examiné cette question du développement d'emplois communautaires avec les représentants de la Fédération des CLSC. D'abord, permettez-moi juste une remarque sur la question de l'emploi. Le ministre a fait référence a la création record d'emplois. Pour le ministre, l'emploi, cela va bien. Par exemple, il reste seulement un petit taux de chômage de 10 %. À part cela, cela va très très bien. Mais, même avec cela, il trouve que cela va bien. Qu'est-ce que ce serait si cela allait mal?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...1981, 1982, 1983...

Mme Harel: Cela peut toujours aller, mais, en plus, le ministre pense que cette situation est là pour durer et même s'améliorer. Pourtant, il sait que les indicateurs économiques démontrent que les ralentissements sont maintenant inévitables dans les économies des pays industrialisés; c'est un cycle. Il y avait d'ailleurs un tableau saisissant - je pense que c'est hier ou en fin de semaine - sur le krach boursier.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): La comparaison avec 1929?

Mme Harel: Ce tableau fait peur. C'est justement une comparaison entre 1929 et 1987, le krach qui a eu lieu dernièrement. D'autres décisions prises ailleurs peuvent avoir beaucoup d'effet sur l'emploi, par exemple, le taux de change. Si notre dollar augmente trop, cela veut dire qu'on va moins exporter et il y aura des conséquences sur l'emploi. Ces conséquences, à 1 %, c'est un gros paquet de gens. Même actuellement, en 1988, cela va bien et il y a 17 % de

chômage en Gaspésie, 15 % dans le Bas-Saint-Laurent, 13 % au Saguenay-Lac-Saint-Jean, 13 % sur la Côte-Nord, 15 % dans les Laurentides et 10 % dans l'Estrie. Il y a des régions pour lesquelles cela ne va pas du tout. C'est embarrassant. Il faut vous dire que le ministre s'est fait parler beaucoup aujourd'hui parce la FTQ est venue lui dire que, s'il pense que l'entreprise va, à elle seule, prendre l'initiative de créer les emplois qu'il nous manque... Il s'est fait rappeler par la FTQ qu'il était, disons - on en a parlé - dans les patates.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Dans les pommes.

Mme Harel: Ha, ha! Dans les pommes. Mais parlons de développement d'emplois communautaires. Les seize auxiliaires familiales mises à pied en décembre étaient-elles engagées de façon permanente, est-ce que c'étaient des employées régulières?

Mme Careau: Non. C'étaient des emplois temporaires qui avaient été créés en avril dernier. C'étaient des surnuméraires qui avaient été engagées, sauf que je veux juste vous mentionner que chez nous le CLSC est ouvert depuis maintenant six ans. Il y a 50 % des employés qui sont surnuméraires et qui travaillent là depuis trois ou quatre ans et qui sont toujours considérés comme ayant des emplois précaires. Ce sont tous des surnuméraires, mais à temps régulier depuis deux, trois ou quatre ans. Alors, pour vous donner une idée, quand on entre comme surnuméraire, on se dit: Je suis là pour un petit bout de temps. Tout le monde est comme cela. Il y a 50 % des employés chez nous qui sont considérés comme surnuméraires et qui sont là depuis deux, trois, quatre ans.

Mme Harel: Mais c'est une gestion... Est-ce à cause de la gestion locale?

Mme Careau: II y a peut-être des problèmes dans la gestion locale. Je ne vous dirai pas non, sauf que ce n'est peut-être pas la place... (17 h 45)

Mme Harel: Non, d'accord. Disons que j'aimerais beaucoup examiner la question. C'est vraiment important, d'une certaine façon. Que serait le développement d'emplois communautaires? La fédération ce matin prenait quand même le soin de les distinguer des travaux communautaires. Quand la fédération parlait de développement de programmes d'emplois communautaires, ce qu'elle voulait c'est ce que M. Asselin de Matane je pense, qui était d'un CLSC disait: II ne faut pas que ce soit temporaire, il ne faut pas que cela ait un caractère simplement de 20 semaines. Il faut que cela puisse sortir de l'étiquette d'assisté et que cela donne un vrai emploi. Il ne parlait pas simplement en matière d'un service de maintien à domicile, il en parlait en matière de protection civile, de protection publique, d'environnement. Il appelait cela des travaux d'utilité collective.

Mais reprenons la question des travaux communautaires. Par rapport à ce que vous vivez, est-ce que la question ne serait pas qu'il y ait des règles du jeu qui soient beaucoup plus claires qu'elles ne le sont présentement? Les grands réseaux, par exemple, la santé, les affaires sociales, l'éducation, ce sont des réseaux qui existent dans tout le Québec et qui pourraient être mis à contribution pour que des personnes puissent être valorisées en étant socialement utiles à la société en partageant des tâches qui seraient utiles. Moi, j'ai toujours rêvé que, dans le réseau de l'éducation, après les heures de classes, il y ait des groupes de leçons et de devoirs qui puissent être offerts à tous les jeunes qui sont en difficulté d'apprentissage, parce que maintenant toutes les études le démontrent, les décrocheurs de secondaire III sont décrocheurs en troisième année. C'est là que cela commence et c'est là même qu'ils sont identifiés. Alors, pourquoi attendre qu'ils décrochent en secondaire III, pourquoi pas leur offrir tout de suite des travaux communautaires? Pourquoi ne pas faire une distinction très nette? L'auxiliaire familiale, c'est toute la question du soin des personnes. On ne peut pas jouer avec cela et personne ne peut s'improviser auxiliaire familiale, mais les travaux communautaires pourraient être des travaux ménagers, des grands ménages. On pourrait faire des distinctions qui soient complémentaires où les uns ne remplacent pas les autres, mais collaborent avec les autres. Dans ce contexte-là, pour vous, est-ce que cela pourrait être une perspective intéressante?

Mme Careau: Comme vous en parlez, comme vous le dites, si cela pouvait être complémentaire c'est sûr que, s'ils font faire beaucoup plus de travaux de soins... Il faut s'entendre, parce qu'il ne faut quand même pas aller trop loin, parce qu'il y a des infirmières, il faut faire attention. Ou, à un niveau un peu plus social concernant les auxiliaires familiales et les travaux communautaires... Dans le fond, on n'est pas contre les travaux communautaires s'ils s'en tiennent à une partie très stricte: les grands ménages, du transport de gens qui ne sont pas capables de se déplacer. Ce ne sont pas les besoins qui manquent. Dans le territoire de l'agglomération de Charlesbourg - nous, c'est le territoire de Charlesbourg - les besoins sont très forts dans toutes sortes de choses, surtout en ce qui concerne les personnes âgées. Nous en avons beaucoup sur le territoire, c'est sûr que cela serait bien si c'était cela. Mais cela serait bien si c'était de la création d'emplois. Je reviens toujours à cela. Je me dis: C'est ce qu'ils font à l'heure actuelle, mais cela ne crée pas d'emploi. Pour créer des emplois cela prend de l'argent. On passe notre temps à se faire dire: On n'en a pas.

Mme Harel: Vous pensez que les emplois tels que transports et grands travaux devraient être des emplois syndiqués, avec des employés du CLSC?

Mme Careau: Ce sont des besoins qui sont demandés...

Mme Harel: Est-ce que la société a les moyens de se le payer? La grande question, c'est: Est-ce que la société a les moyens de se le payer - quand on parle de grands travaux on parle de laver des murs, des choses comme cela, laver des vitres, etc. - sous forme de crédits du ministère de la Santé et des Services sociaux? En contrepartie, si la société dit qu'elle n'a pas les moyens parce que cela veut dire l'impôt est-ce qu'on ne fait rien? C'est tout ou rien, d'une certaine façon: ou ils sont employés du CLSC ou il n'y a pas d'autre activité. C'est comme cela que vous voyez cela?

Mme Careau: Non. Il existe, à l'heure actuelle, des groupes de bénévoles sur le territoire qui font un peu ce genre de travaux, des grands ménages, des transports. De là à demander que cela soit payé par l'État, c'est peut-être aller un peu loin. Mais, quand on regarde la formation qu'ils vont donner à ceux qui vont être sur les programmes de travaux communautaires, ce n'est pas cela. Ce sont les premiers soins, c'est la cuisine, parce que les gens ne sont pas capables... Je regarde un cas qu'on a eu. C'est un monsieur handicapé, incapable de se lever, il a des plaies de lit, donc, changement de pansements, il y a des médicaments à prendre qui doivent être surveillés à différentes heures...

Mme Harel: C'est confié à des stagiaires?

Mme Careau: Au départ, ce dossier a été transféré aux travaux communautaires. Puis il y a eu des "rebounds", les intervenants ont fait comprendre que cela n'avait pas de bon sens que cela aille aux travaux communautaires. Ils ont repris le dossier et ils l'ont envoyé à une auxilliaire régulière. On a peur que ce soit cela qui arrive.

Mme Harel: Vous avez raison de craindre. Ne vaudrait-il pas mieux introduire des règles du jeu qui soient discutées, qui soient convenues entre les parties? Ne vaudrait-il pas mieux discuter avec la CEQ, ouvertement, pas seulement quand les problèmes se posent, comme c'est le cas présentement, mais mettre tout sur la table? Est-ce qu'il ne serait pas mieux de discuter avec la FAS, aussi, pas simplement lorsque le syndicat loge une plainte ou va en arbitrage? Le problème, présentement, c'est qu'il n'y a pas de règle du jeu et les gens se sentent menacés, parce qu'ils n'ont pas de raison de penser que cela va jouer pour eux. Ils ont raison de penser que cela va jouer contre eux.

M. le Président, je vais invoquer la règle de ('alternance pour repasser la parole au ministre.

Le Président (M. Bélanger): II reste une minute et demie au ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je voulais conserver ma minute et demie pour bien vous remercier. Si Mme la députée de Maisonneuve veut poursuivre.

Mme Harel: Alors, vous avez insisté, je pense, dans votre mémoire sur la question de la réduction de 115 $ pour le partage du logement. Vous avez traité de façon plus globale l'ensemble de la réforme, mais c'est un des aspects qui a retenu votre attention. Sachant que vous êtes de Charlesbourg, nous avons reçu en commission des représentantes des Roses du nord qui sont venues nous expliquer le prix élevé des logements à Charlesbourg. Elles sont venues nous illustrer par quelques exemples ce qu'il en coûtait pour se loger avec une seule chambre, etc. Je ne suis pas surprise dans un sens que vous fassiez écho à ce problème parce qu'il y a beaucoup... Les appartements sont disponibles, semble-t-il, à Charlesbourg, il y en a en masse, mais ils sont quasi inabordables tellement ils sont coûteux. Est-ce que c'est cette réalité qui vous a amenées à tenter de sensibiliser le ministre sur cet aspect de la réforme?

Mme Allard: Oui, entre autres. En tout cas, c'est surtout parce qu'on se disait: D'abord à Charlesbourg, comme vous le dites, c'est très cher. Il y a beaucoup de femmes assistées sociales qui déboursent 60 % de leurs revenus pour leur logement. C'est cela. On se disait: Déjà les gens essaient de s'en sortir. C'est un moyen pour s'en sortir mieux. Ils essaient de partager un logement et on leur tape sur la tête en leur disant: On va te couper 115 $, tu t'en sors mieux qt:'un autre assisté social. On trouvait cela vraiment injuste et ce n'est vraiment pas vouloir que les gens s'en sortent.

Mme Harel: Alors, je vous remercie. Je suis assez impressionnée que vous ayez décidé de venir devant la commission comme syndicat, je crois comprendre, pour exposer votre point de vue. Je trouve que c'est là un type d'engagement qui est certainement très louable de la part d'un syndicat et je vous en remercie.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je voudrais remercier Mmes Careau et Allard. Vous vous demandiez au début de votre intervention si vous faisiez bien de venir, finalement. C'est la question un peu existentielle que vous posiez. Ce matin on avait eu le témoignage que les travaux communautaires d'un CLSC fonctionnaient bien et

que c'était complémentaire. En fin de journée, en après-midi ou en fin d'après-midi, on a un témoignage qui nous indique: Cela peut l'être mais soyez prudent et établissez clairement les règles du jeu. C'est la première fois qu'on l'entendait en ce qui concerne les travaux communautaires dans le domaine social pour cette contribution positive à la commission parlementaire des affaires sociales sur l'aide sociale. Au nom de la commission et au nom du gouvernement du Québec, je vous remercie pour cette contribution.

Le Président (M. Bélanger): Bien. Alors, la commission vous remercie de votre participation et suspend ses travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 55)

(Reprise à 20 h 3)

Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des affaires sociales reprend ses travaux afin de procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur le document intitulé "Pour une politique de sécurité du revenu". Ce soir, nous recevons à la table des témoins le CLSC Saguenay-Nord, représenté par Mme Danielle Beaudin-Dufour, Mme Marise Lizotte et M. Jean Richard. Je les prierais de s'avancer à la table des témoins.

J'en profite pour vous expliquer nos règles de procédure. Vous avez vingt minutes fermes pour présenter votre mémoire. Par la suite, il y a aura une période de discussion avec les parlementaires. Chaque fois que vous devrez prendre la parole, je vous prierais de bien vouloir vous identifier aux fins de la transcription du Journal des débats.

Si vous voulez identifier votre porte-parole, présenter les représentants et présenter votre mémoire, nous vous écoutons.

CLSC Saguenay-Nord

Mme Beaudin-Dufour (Danielle): Bonsoir. Je suis Danielle Beaudin-Dufour, usagère et présidente du conseil d'administration du CLSC Saguenay-Nord. Avec moi, Jean Richard, qui est organisateur communautaire, et Marise Lizotte-Gonthier, diétiste au CLSC Saguenay-Nord.

M. le ministre, messieurs les députés, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons lu le document "Pour une politique de sécurité du revenu". Comme vous le savez, le CLSC est un organisme dont la mission comprend aussi bien l'amélioration de l'état de santé d'une population que la réduction des inégalités sociales. Sur le territoire du CLSC Saguenay-Nord, plus de 10 % de notre population vit de l'aide sociale et les bénéficiaires représentent environ 25 % de la clientèle de nos services.

Or, la santé, c'est beaucoup plus qu'une simple question de bonnes et saines habitudes de vie personnelle. Beaucoup d'études et d'analyses ont été faites qui ont révélé qu'il existait une corrélation entre les conditions de vie et les problèmes sociosanitaires. C'est une réalité que nous côtoyons quotidiennement au CLSC Saguenay-Nord. Il y a un lien de cause à effet entre la pauvreté économique, par exemple, et l'espérance de vie; entre des logements insalubres et des problèmes de santé; entre des carences nutrionnelles chez la femme enceinte, et des problèmes de santé, de maladies chez l'enfant; entre la pauvreté et l'augmentation des problèmes sociaux. C'est pourquoi, il nous est apparu essentiel d'examiner de plus près la réforme de l'aide sociale, puisqu'elle va modifier la situation économique d'une partie de notre clientèle C'est pourquoi nous avons aussi joint les rangs de la coalition pour une réforme juste de l'aide sociale au Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui regroupe 40 organismes de notre région.

Enfin, le mémoire que nous allons présenter ce soir va s'attacher plus spécifiquement à l'un des objectifs de la réforme, qui est celui de l'ajustement du programme de l'aide sociale aux besoins des clientèles touchées.

M. le ministre, dans votre document, nous lisons ceci: "Le programme d'aide sociale consiste en une aide de dernier recours accordée aux citoyens qui sont privés temporairement, ou encore à long terme, de moyens de subsistance." On voit aussi, dans le document, que cette aide est accordée en tenant compte du déficit existant entre les ressources dont dispose effectivement une personne et celles dont elle devrait normalement disposer pour satisfaire ses besoins de base. Or, parmi ces besoins de base, nous nous sommes attardés et nous avons voulu mettre l'emphase plus particulièrement sur l'alimentation et le logement, tout simplement parce que ces deux choses regroupent une part considérable de tout budget et, aussi, parce qu'une réponse inadéquate à ces deux besoins conduit directement à l'accroissement de problèmes sociosanitaires. Donc, la question que nous nous sommes posée dans notre mémoire et pour laquelle on va évidemment vous présenter notre réponse est la suivante: Est-ce que la réforme va améliorer significativement la situation économique des bénéficiaires de façon qu'ils puissent satisfaire leurs besoins de base, notamment en ce qui concerne l'alimentation et le logement?

J'inviterais Marise à vous présenter la suite.

Mme Lizotte (Marise): Bonsoir. Marise Lizotte, du CLSC Saguenay-Nord.

Le premier besoin fondamental que nous avons considéré dans notre document est l'alimentation, à savoir: Est-il possible, avec les prestations d'aide sociale, de s'alimenter correctement pour fournir à notre organisme les éléments clés de la santé? Pour nos calculs, nous

avons utilisé les normes du Dispensaire diététique de Montréal, c'est-à-dire qu'à partir des apports nutritionnels recommandés pour les Canadiens en 1975, le dispensaire a établi les coûts d'achat d'un régime nutritif selon les catégories d'individus, étant donné que l'âge et le sexe font varier les besoins nutritionnels, et selon la taille des unités familiales.

Je pense qu'il est très important de noter, par rapport aux choix d'aliments, que les choix et les quantités sont vraiment des stricts minimums et que, par rapport à la variété, il n'y a vraiment pas, dans les choix d'aliments considérés par le Dispensaire diététique de Montréal, de place pour des caprices ou des plaisirs. J'aimerais vous citer quelques exemples. Si on regarde les choix qui sont retenus par le dispensaire, pour le lait ou les produits laitiers, on retrouve le lait et le fromage. Vous ne trouvez pas de yogourt et vous ne trouvez pas de crème glacée. Par rapport aux fruits, ce sont nos fruits traditionnels, c'est-à-dire oranges, pommes, bananes. On ne retrouve pas de kiwis, de pamplemousses, de fraises, d'ananas, etc. Les groupes de légumes sont également conventionnels: pommes de terre, carottes, choux et oignons. Vous ne retrouvez pas de brocolis, de choux-fleurs, de champignons, rien d'exotique. En ce qui concerne les viandes, ce sont évidemment les coupes les moins dispendieuses qui sont retenues. Les oeufs, le beurre d'arachides font évidemment partie intégrante des achats dans les choix du dispensaire. Il n'y a évidemment pas de chips, de chocolats ni de liqueur, c'est évident.

J'aimerais quand même souligner ici que mon intention n'est pas de dénigrer nos aliments traditionnels, mais de vraiment souligner que, dans le choix des aliments du dispensaire, on retrouve un souci méticuleux face aux prix pour considérer à combien peut revenir le coût d'achat hebdomadaire des aliments. En plus, c'est important, dans les résultats que nous obtenons, de considérer qu'il y a des facteurs qui ne sont pas calculés, mais qui augmentent quand même le coût d'achat des aliments. Un premier point: par exemple, les achats d'aliments ne sont pas toujours faits dans les supermarchés quand on songe aux gens qui reçoivent des prestations d'aide sociale. Nos gens vont souvent à l'épicerie du coin où c'est possible de faire "marquer", c'est-à-dire où le propriétaire peut leur faire crédit, ce qui fait que dans ces endroits le prix des aliments est nécessairement plus élevé que dans les supermarchés.

Un deuxième point à considérer, c'est le pouvoir d'achat des assistés face aux spéciaux de la semaine pour, je dirais, les denrées non périssables. Leur pouvoir d'achat est quand même limité, ce qui fait qu'ils ne sont pas en mesure de faire des réserves des spéciaux de la semaine en quantité, au même titre que, très souvent, pour les denrées périssables; ils n'ont pas l'espace de congélation, ce qui fait qu'ils ne peuvent acheter de grandes quantités pour bénéficier de tels ou tels spéciaux.

Un troisième facteur, ce sont les frais de transport qui ne sont pas considérés. Une étude qui avait été réalisée par notre CLSC en 1982 avait démontré que, chez 20 % des bénéficiaires, on avait ajouté un montant de 8,66 $ par semaine pour se rendre et revenir de l'épicerie. En se limitant au nombre minimum requis d'aliments et en comparant les montants obtenus pour 1988 - nos calculs sont basés sur le coût des aliments de janvier 1988; les prix de 1989 ont une majoration de 5 % basée sur un calcul des trois dernières années par rapport à la hausse du prix des aliments - en considérant aussi qu'un maximum de 25 % du revenu disponible doit être dépensé pour l'épicerie, il ressort que, lorsqu'on fait l'analyse du projet, actuellement, en 1988, il y a une seule unité familiale qui arrive dans la norme de 25 % du budget pour l'alimentation. Si on considère la réforme pour les inaptes, il y a encore là une seule unité familiale qui correspond à la norme de 25 %. Si on considère la réforme pour les aptes, il n'y a aucune unité familiale qui entre dans la norme des 25 %. Le chiffre le plus bas que nous obtenions est de l'ordre de 27 % du coût d'achat des aliments par rapport au revenu disponible. Les chiffres les plus élevés, entre autres, avec la réforme pour les aptes au travail, sont de l'ordre de 52 % du budget disponible et, chez les inaptes, ils sont de l'ordre de 41 %.

De plus, si vous considérez la femme enceinte, avec les besoins nutritifs qui sont accrus durant la grossesse, lorsqu'on fait le calcul des dépenses supplémentaires par rapport aux aliments, sur une base mensuelle, nous arrivons à un supplément nécessaire de 30 $ par mois, alors que le supplément alloué, celui qui est prévu dans la réforme, est de l'ordre de 20 $. On a déjà un déficit de 10 $ mensuellement pour la femme enceinte. Nous savons tous que l'alimentation est primordiale pour la santé de la mère et celle du bébé. C'est vraiment fa génération future qui est en jeu. Je crois que les données obtenues face à l'alimentation sont très révélatrices. Jean Richard va nous décrire la situation lorsqu'on y combine en plus les résultats pour le logement. Merci.

M. Richard (Jean): Avec les données qui concernent ce qu'il en coûte au Saguenay-Lac-Saint-Jean pour s'alimenter en 1988 et une projection pour 1989, on a tenté d'estimer les coûts du logement. Pour ce faire, on s'est basé sur les données d'octobre 1987 qui étaient disponibles à la Société canadienne d'hypothèques et de logement, auxquelles on a ajouté 5 % d'indexation. En fait, l'ensemble de nos données sont très conservatrices. Marise en a parlé pour ce qui concerne la question de l'alimentation. En ce qui concerne la question du logement, c'est encore là le strict minimum vital. À titre d'exemple, on va considérer qu'une famille monoparentale avec un enfant va pouvoir se

loger dans un logement de trois pièces et demie, à savoir qu'il y aura seulement une chambre que l'adulte et l'enfant devront se partager. Donc, ce n'est pas du grand luxe là non plus. (20 h 15)

La démarche qu'on a faite a été d'essayer de voir, à partir de ces données, donc, à partir des données sur ce qu'il en coûte pour se loger en 1988 et en 1989, quelle proportion des revenus dont disposent les familles bénéficiaires de l'aide sociale devra être mise pour subvenir à ces deux besoins vitaux. La conclusion à laquelle on en arrive après avoir sorti les chiffres, après avoir calculé les allocations familiales, après avoir calculé les suppléments dans les cas où cela s'applique, par exemple, dans le cas des femmes enceintes en 1988, c'est-à-dire dans la situation actuelle, avant même que la réforme ne soit en vigueur, on se rend compte que tous les jeunes de moins de 30 ans manquent d'argent pour couvrir ces deux besoins de base. Cette réalité n'est pas une nouvelle, je pense, à cette commission parlementaire. À notre avis, on doit regarder l'avenir qui est réservé à ces jeunes, puisque bon nombre d'entre eux seront exclus à cause des critères de dépendance introduits par votre réforme.

À l'heure actuelle, en 1988, on constate également que les unités familiales avec enfants doivent consacrer un pourcentage plus élevé de leur budget. En moyenne, cela donne 89 % du budget - tout près de 90 % - seulement pour se loger et se nourrir. Donc, très peu de place, très peu d'argent disponible pour satisfaire les autres besoins de base: se chauffer, avoir un minimum de loisirs, être capable d'habiller les enfants et de s'habiller soi-même, etc. Les familles sans enfant ont une situation un peu meilleure quoique pas très enviable non plus. Elles doivent consacrer en moyenne 78 % de leur budget; ce sont les données que l'on retire des calculs qu'on a faits pour 1988.

Je disais donc que les sommes d'argent disponibles pour couvrir les autres besoins sont minimes. Par exemple, dans le cas d'une famille monoparentale, un adulte et deux enfants, on parle de seulement 55 $ par mois pour couvrir ces besoins. On connaît le coût du téléphone simplement et ce qu'il en coûte pour se chauffer, particulièrement chez nous, au Saguenay, avec des hivers très rigoureux. C'est une situation très difficile qu'ont à affronter les personnes assistées sociales, même à l'heure actuelle.

De cette réforme, on espérait des principes qu'elle voulait mettre en place un principe d'équité, un principe de plus grande justice. Or, l'analyse qu'on en fait, les données qu'on a sorties pour comprendre un peu plus dans quelle situation vont se retrouver les personnes assistées sociales en 1989 nous laissent un peu dans l'expectative et nous font craindre le pire par rapport aux conditions de vie des personnes assistées sociales avec lesquelles on travaille chaque jour.

Vous savez sans doute, et ce n'est pas une nouvelle non plus, que la réforme distingue deux catégories importantes de bénéficiaires: les personnes aptes et les personnes inaptes. Donc pour travailler, pour illustrer notre propos, on a pris la situation budgétaire de ces personnes en tenant compte de ces catégories et on a estimé, par exemple, pour les personnes inaptes - c'est le premier exemple qu'on a pris - les revenus de ces personnes en 1989 avec le programme Soutien financier, donc, le programme qui doit couvrir les besoins des personnes inaptes. Bien que le document d'orientation déposé par vous. M le ministre, précise que l'État doit faire plus pour les personnes incapables de subvenir à leurs besoins par leur travail, on se rend compte que la majorité des familles doit consacrer près des trois quarts de ses revenus pour se loger et se nourrir. Ce sont des données disponibles à la page 12 du mémoire qu'on a déposé. La situation la plus enviable pour les personnes inaptes, donc, les personnes pour lesquelles le principe d'incitation au travail n'est pas retenu par votre ministère, à titre d'exemple, cette femme-là seule consacre 66 % de ses revenus pour ces deux besoins, et c'est la meilleure situation qu'on ait trouvée. Est-ce qu'on peut vraiment parler alors d'une plus grande satisfaction des besoins pour les personnes inaptes? On pense que non, d'autant plus que des organismes aussi sérieux que Statistique Canada parlent de pas plus de 55 % à 58 % pour ces deux besoins de base. Ils incluent en plus le logement, pour ne pas que les familles vivent dans une situation de pauvreté et de misère.

On a aussi pris l'exemple des personnes aptes au travail, parce que la réforme est essentiellement axée sur les personnes aptes au travail, c'est-à-dire sur l'objectif d'inciter ces personnes à réintégrer le marché du travail, sur l'objectif de faire en sorte que ces personnes puissent subvenir le plus fidèlement possible à leurs propres besoins par leur propre travail, c'est-à-dire en réintégrant le marché du travail.

Or, on est forcé de constater que la situation la plus difficile est, bien sûr, et vous le savez sans doute pour les personnes qui sont pendant les neuf premiers mois sur le programme Actions positives pour le travail et l'emploi. La même situation peu enviable est partagée par les personnes qui refusent de participer aux mesures de réintégration du marché du travail proposées par vous, M. le ministre. À titre d'exemple, un homme adulte qui participe au programme, donc une personne seule, et qui a les gains de travail maximums permis, bénéficie du meilleur traitement. Alors, c'est le meilleur exemple qu'on puisse trouver pour les personnes aptes et, à notre avis, même cet exemple-là est peu enviable. C'est donc dire que, pour le reste des personnes aptes, y compris les familles avec personnes dépendantes, c'est une situation assez grave.

Cette personne seule, il lui faut dépenser

70 % de ses revenus pour ces deux besoins de base. Or, cette situation n'est rendue possible que si cette personne, en plus de sa participation de 20 heures par semaine, soit dans un stage en milieu de travail, soit dans un programme de rattrapage scolaire, soit dans un travail communautaire, se trouve un travail d'appoint pour aller chercher le gain de travail de 80 $ par mois permis. Donc, en plus de sa participation quotidienne, un travail d'appoint les soirs ou la fin de semaine, tout cela pour 600 $ par mois, soit moins de 150 $ par semaine. C'est ce que le programme APTE impose aux personnes qui doivent réintégrer le marché du travail. Ce sont donc les conditions qui y sont associées. Nous, comme organisme, on ne peut pas souscrire à une telle politique. Je pourrais vous donner d'autres exemples. C'est la démonstration qu'il est très difficile de se nourrir et de se loger convenablement avec la politique que nous avons entre les mains, la politique qui est déposée.

Donc, on a posé la question clairement: Par rapport à la situation actuelle, en 1988, est-ce que le projet de réforme qui est déposé par vous améliore la capacité...

Le Président (M. Bélanger): Je vous demanderais de conclure, s'il vous plaît, le temps est écoulé!

M. Richard (Jean): D'accord. Donc, on s'est posé la question, à savoir si cela améliorait vraiment la situation. Ce dont on se rend compte concrètement, c'est qu'on est forcé, au-delà du questionnement qu'on peut avoir sur la nécessité d'une telle classification apte et inapte, sur les critères et l'interprétation, on s'interroge sur les barèmes utilisés pour inciter les personnes à travailler.

L'augmentation des barèmes, pour les participants, doit être mise en parallèle également avec l'augmentation des dépenses, avec le transport, etc. Or, nous, ce dont on se rend compte, c'est que l'incitation au travail l'emporte sur la satisfaction des besoins fondamentaux et on s'interroge également sur les seuils de pauvreté qui sont utilisés à l'intérieur du document d'orientation. Je vais laisser une conclusion très courte...

Le Président (M. Bélanger): Très rapidement, s'il vous plaît!

M. Richard (Jean): Oui

Mme Beaudin-Dufour: En fait, cela se résume à ceci. On constate que le projet de réforme contient des améliorations, mais malheureusement, on trouve que ces améliorations-là ne parviennent pas à garantir les revenus suffisants pour assurer les besoins fondamentaux des gens, spécialement quand on pense à l'alimentation et au logement. En conséquence, on est persuadé que cela va se traduire par des coûts directs et indirects qui vont être générés tout simplement par les problèmes sociaux et les problèmes de santé qui vont découler du fait que les gens ne seront pas capables de s'alimenter comme il faut, entre autres. Ce qu'on a constaté aussi, c'est que l'ajustement du programme aux besoins de la clientèle est relégué très loin, à notre avis, derrière l'objectif de favoriser l'incitation au travail. Pourtant, on est vraiment persuadé que, pour favoriser l'incitation au travail, une des premières conditions, ce serait, à notre avis, de commencer par donner aux bénéficiaires les conditions minimales pour qu'ils puissent travailler. Cela se résume simplement à cela. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président, je voudrais remercier le CLSC Saguenay-Nord, ainsi que ses porte-parole, autant pour le mémoire écrit que pour la présentation verbale. Vous êtes le troisième groupe de la famille, si je puis utiliser l'expression, des CLSC que nous entendons aujourd'hui. Vous abordez la problématique d'une façon différente de celle des deux autres groupes. C'est ce qui suscitera davantage le dialogue entre les membres de la commission et les porte-parole du CLSC Saguenay-Nord.

Vous me permettrez en débutant de vous tracer brièvement un portrait de la clientèle de l'aide sociale telle qu'on pouvait la décrire en mars 1987 au Québec. Ses caractéristiques sont demeurées les mêmes, bien que le nombre d'assistés sociaux ait sensiblement diminué. En mars 1987, vous aviez 400 000 chefs de famille qui n'avaient comme seule source de revenu que le chèque d'aide sociale pour subvenir à leurs besoins. À peu près 25 % de cette clientèle est composée de personnes qui seraient admissibles au programme Soutien financier, qui sont donc condamnées à l'aide sociale pour une période plus longue. Les autres 75 % qu'on dit aptes au travail sont des gens qui, bien qu'ils souhaitent travailler, ont quand même des barrières importantes à franchir avant d'avoir accès au marché du travail: 36 % de cette clientèle dite apte au travail est considérée comme analphabète fonctionnelle, 60 % de ces gens n'ont pas complété leurs études secondaires et 40 % n'ont aucune expérience de travail antérieure reconnue, ce qui pose une difficulté, même lorsque les emplois existent.

Vous n'avez pas parlé ou traité des programmes d'employabilité, de la formation, de tout cet aspect. Vous vous êtes limités - il faut choisir ses cibles, ses sujets - dans le temps qui était mis à votre disposition, à l'analyse des besoins de base, en insistant sur la question du logement et de la nourriture. Plusieurs groupes sont venus devant cette commission et ont emprunté comme base votre argumentation. Cela a été le cas, entre autres, de ceux et celles

qu'on considérait ou qu'on considère encore comme les spécialistes en la matière, et vous y faites référence, le Dispensaire diététique de Montréal. J'avais donc demandé aux représentants du Dispensaire diététique, ainsi qu'aux fonctionnaires du ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, de tenter d'arrimer les prestations d'aide sociale, telles que proposées dans la réforme, dans le cadre du programme APTE. Disons que le programme Soutien financier pose moins de questions sur le plan des besoins de base, et APPORT aussi. Dans le cas du programme APTE, il s'agit de comparer ce que donnait l'établissement des barèmes suivant la méthode que l'on propose, qui est celle du premier décile des travailleurs à faibles revenus, comparativement à l'ancienne méthode, ou à la méthode actuelle, basée sur le Dispensaire diététique de Montréal. Les résultats préliminaires que nous obtenons, parce que les gens ont travaillé avec célérité d'un côté comme de l'autre et, comme il s'agissait d'experts, il s'agissait de chiffres avec lesquels ils étaient familiers, ces gens nous disent aujourd'hui que l'analyse des deux tableaux démontre que le niveau des besoins à moyen et à long terme, besoins qui comprennent l'alimentation, le logement, l'entretien, les soins personnels, les communications, l'habillement, l'ameublement, les transports et les loisirs, sont adéquatement couverts pour les sans-emploi. Toutefois, et c'est peut-être là que votre intervention soulève des questions additionnelles, pour les besoins à court terme, qui sont l'alimentation, le logement, l'entretien, les soins personnels et les communications, seulement 95 % des besoins essentiels sont couverts. Nous recommandons fermement la couverture de ces besoins à 100 % et ce, pour trois raisons qu'on explicite.

Vous semblez dire que, suivant votre expérience ou vos calculs, la carence ou la différence serait beaucoup plus élevée que celle que le Dispensaire diététique de Montréal nous révèle à la suite d'une analyse poussée de la grille du premier décile des bas salariés. Est-ce que vous avez contacté le Dispensaire diététique de Montréal de façon à tenter d'arrimer vos observations avec les siennes? (20 h 30)

Mme Llzotte: Marise Lizotte, je pourrais répondre à la question.

J'ai contacté le dispensaire au moment de préparer le document pour faire les calculs en fonction des coûts pour janvier 1988. Au point de départ, la technique dont on s'est servi pour évaluer ce que cela coûtait en alimentation est vraiment basée sur le pourcentage d'un montant d'argent disponible. Quand on regarde les coûts, en ce qui concerne la moyenne canadienne - les derniers chiffres que j'ai sont de 1987 - les canadiens dépensent en moyenne 18 % de leur budget à des fins d'alimentation, ce qui fait qu'on a évidemment des groupes... C'est évident que, plus le salaire est élevé, plus le montant consacré à l'alimentation est réduit Certaines familles dont le salaire est très élevé vont dépenser 10 % de leur revenu pour l'alimentation. Si on prend la moyenne canadienne qui est de l'ordre de 18 %, le barème qu'on a utilisé, de 20 à 25 % maximum pour le budget, on s'est vraiment basé sur cela pour arriver à dire: D'accord, les montants que ces gens vont recevoir sont insuffisants pour assurer le minimum par rapport aux besoins nutritifs, parce que la technique que nous avons utilisée est quand même très simple et très logique. On part des besoins nutritifs des gens, on fait le calcul d'après les unités familiales avec les chiffres tout récents du dispensaire et c'est là qu'on arrive à un pourcentage de budget pour l'alimentation qui devient nettement au-dessus d'une norme admise. Si on a une moyenne de 18 % au Canada, cela veut dire que, s'il y en a qui ont 10 %, il y en a qui vont avoir beaucoup plus que cela. C'est dans ce sens qu'on a fait notre calcul. On n'a pas nécessairement vérifié les déciles, mais c'est vraiment en fonction de données très récentes sur le coût des aliments et sur la notion d'un pourcentage du revenu qui doit être consacré à l'alimentation pour que ce soit admissible

M. Paradis (Brome-Missisquoi): II y a toujours deux données qui sont mises dans la balance lorsque les spécialistes font ces analyses. Il y a la question du coût, d'un côté, et, de l'autre côté, il y a la question du revenu que sont les prestations. Est-ce que, dans vos analyses, vous avez tenu compte des barèmes qui sont proposés par la réforme et, également, des allocations familiales? Il y a quelqu'un qui l'a souligné tantôt. Est-ce que vous avez tenu compte des crédits d'impôt pour enfants, des crédits d'impôt foncier, et des remboursements pour les taxes d'huile à chauffage et de gaz naturel?

M. Richard (Jean): Jean Richard. La question des crédits d'impôt n'est pas calculée dans les montants qui sont prévus...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce qui peut amener un écart.

M. Richard (Jean): Oui. Cela peut amener une légère distorsion. Ce n'est quand même pas énorme. Cela n'a pas été fait comme revenu de base. On s'est plus fié au revenu courant, régulier, de chaque mois, à savoir les allocations familiales, dans le cas des ménages qui ont des enfants, et les prestations d'aide sociale. On peut faire des comparaisons et H est important de fouiller cela plus à fond. Il y a des choses à regarder de ce côté-là.

Si on prend l'exemple d'une personne seule qui réintègre des mesures d'employabilité, soit dans le cadre d'un travail communautaire, à quelques dollars près, on maintient les acquis en 1989. Les prestations de cette personne passent

d'environ 513 $ à 520 $, si elle participe; 513 $, c'est le chiffre s'il n'y a pas de modifications d'introduites à la Loi sur l'aide sociale. Or, on demande à cette personne de débourser des montants pour s'habiller - car réintégrer en partie le marché du travail implique des coûts - des montants pour se rendre à son travail. Cela implique également des frais de nourriture plus élevés, le fait de devoir se nourrir sur les lieux du travail, alors qu'on maintient les mêmes montants. Il y a quelque chose qui ne marche pas. La reconnaissance des besoins est problématique. On demande de faire plus avec moins.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne suis pas moi-même un spécialiste dans le domaine, c'est pourquoi j'ai demandé aux gens du Dispensaire diétitique de Montréal, qui ont une façon d'établir le barème, ainsi qu'aux fonctionnaires qui ont retenu le premier décile des travailleurs à faible revenu quant aux dépenses qu'ils consacrent à l'habitation, au logement etc., aux points mentionnés, de tenter d'harmoniser et de voir s'il y avait vraiment des différences substantielles. La conclusion qu'on m'apporte, c'est qu'il n'y en a pas dans le moyen et le long terme, mais il y a 5 % dans le court terme qu'on me recommande de regarder attentivement. Est-ce que vous m'indiquer que je devrais, comme ministre, mettre de côté cette analyse conjointe du ministère et du Dispensaire diététique et en adopter une autre? Le ministre, quel qu'il soit, est pris à effectuer des choix. Est-ce que celui du Dispensaire diétitique vous semblerait raisonnable ou est-ce que vous le rejetteriez également?

M. Richard (Jean): Les données du dispensaire nous semblaient à propos. Ces données, d'ailleurs, ont été actualisées chaque année, depuis 1947, ce qui n'est pas souligné dans le document d'orientation, mais qui est important. L'autre élément, c'est que peu importe la méthode reconnue, si, au bout, il n'y a pas de décision politique pour une plus grande reconnaissance des besoins de base, c'est-à-dire que les barèmes suivent, parce que c'est là le problème... Le problème n'est peut-être pas tellement la méthode pour déterminer les besoins, quoique ce soit important, mais c'est quel type de reconnaissance on fait de cela. Quand on regarde, par exemple, le document de méthodologie qui a été produit par le ministère en 1985, pour fixer le seuil du revenu on se rend compte, dans les besoins à moyen terme, que les questions du téléphone, du remplacement des meubles et du transport en commun ne sont pas reconnues comme des besoins à court terme. Il me semble y avoir là un problème, dans la mesure où on demande aux gens de réintégrer le marché du travail. On ne demande pas cela à long terme, on demande cela à court terme, mais on ne reconnaît pas ces besoins-là comme des besoins à court terme.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Présentement, ce qui serait reconnu comme besoins à court terme - je le répète, qu'on parle de la même chose parce que c'est important dans la méthodologie, c'est cela qui détermine les résultats auxquels on peut arriver - vous avez l'alimentation et le logement sur lesquels vous avez beaucoup insisté, et avec raison. Vous avez également, dans le court terme, l'entretien, les soins personnels et les moyens de communication. C'est là qu'on vous indique qu'il y a une différence globale de 5 %, au moment où on se parle, entre ce qui est proposé à partir des dépenses des travailleurs à faibles revenus et le barème utilisé par le Dispensaire diététique de Montréal.

Mme Beaudin-Dufour: Danielle Beaudin-Dufour. Est-ce que je pourrais ajouter quelque chose? J'aimerais bien voir les résultats de cette étude. J'ai bien hâte de voir. J'imagine que cela va être accessible à un moment donné.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je viens de les avoir.

Mme Beaudin-Dufour: Dans la méthode du Dispensaire diététique de Montréal, on parle du budget de confort minimum. Cela, ce sont vraiment les besoins de base stricts qu'il faut pour survivre. D'accord? Nous, nos calculs, on les a faits à partir de la méthode du Dispensaire diététique de Montréal aussi, mais à partir de ce qu'eux définissent comme nécessaire à l'alimentation. Donc, même à l'intérieur de la méthode du Dispensaire diététique de Montréal, il y a aussi quelque chose spécifiquement sur l'alimentation. C'est ce qui nous a servi de base. Que ces experts aient convenu que, avec la réforme actuelle, quand on regarde les travailleurs qui sont dans le dernier centile, 95 %, ou 110 %, ou 92 % des besoins soient couverts, c'est bien, mais ce qu'on démontre dans notre document, c'est que les gens, actuellement, même avec l'assistance sociale et même avec le projet de réforme qu'il va y avoir là, n'auront pas encore suffisamment d'argent pour manger, pour répondre à leurs besoins et pour se loger décemment. C'est l'essentiel de ce qu'on dit. On pourrait se poser la question à ce niveau-là: Les autres personnes qui sont dans ces 10 %, est-ce qu'elles sont mieux nourries?... J'ai l'impression qu'elles ne sont pas mieux nourries que les gens à l'aide sociale, parce qu'elles ont peu de revenus et qu'elles ont des problèmes de logement.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): À partir strictement des critères de l'alimentation - vous mentionniez qu'il y avait au dispensaire, et vous avez raison de le mentionner, l'élément alimentation - l'étude qu'il a produite le démontre pour un adulte, un adulte et un enfant, un adulte et deux enfants, deux adultes, deux adultes et un

enfant, deux adultes et deux enfants, et cela varie si on compare les travailleurs à faibles revenus, les derniers 10 %: 98 % dans le cas d'un adulte, 100 % dans le cas d'un adulte et un enfant, 95 % dans le cas d'un adulte et deux enfants, 94 % dans le cas de deux adultes, 88 % dans le cas de deux adultes et un enfant et 88 % dans le cas de deux adultes et deux enfants, ce qui donne la moyenne de 95 % à la fin, strictement en ce qui concerne l'aspect alimentation; on le détaille également.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: II est de tradition, quand on cite des études, qu'on puisse les rendre accessibles aux membres de la commission.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, distribuez-les.

Mme Harel: Si c'est possible, j'aimerais bien qu'on puisse faire des photocopies.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je viens de l'avoir. Je n'ai pas d'objection. On parlait tantôt de chiffres récents, c'est l'étude du Dispensaire diététique de Montréal, mars 1988.

Mme Harel: Parce qu'il y a bien des façons de lire des chiffres...

Le Président (M. Bélanger): Alors, le document est déposé.

Mme Harel: ...le ministre l'a démontré vendredi avec le sondage.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce n'était pas correct?

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Paradis (Brome-Missisquoi): S'il y a des choses inexactes, dites-le-moi, c'est le temps.

Mme Harel: Je ne veux pas manger votre temps...

Mme Lizotte: J'aimerais pouvoir éclaicir la situation. Marise Lizotte. Par rapport aux données du dispensaire de Montréal, comme je vous l'ai dit, les chiffres pour le prix des aliments sont de janvier 1988. C'est évident que l'aspect, comme Danielle le mentionnait, du budget de subsistance ou du budget de confort minimum, on n'a pas tenu compte de ces points-là. Vous les avez mentionnés, ce sont le logement, la nourriture, les vêtements, les soins personnels, l'entretien, l'électricité - j'ai la liste ici. Je serais très curieuse de voir dans quelle mesure les experts du dispensaire ont pu réussir à ajuster ou à rajuster les prix pour arriver au pourcentage que vous mentionnez, parce que le prix des aliments, à mon point de vue, n'a pas chuté depuis janvier 1988 à un point tel qu'il puisse expliquer la différence. Je ne comprends pas. Je suis très curieuse moi aussi de voir les nouvelles données qui ont été calculées. En oubliant tout cela, je pense qu'au point de départ le prix des aliments - on peut s'entendre qu'il n'a pas baissé - demeure quand même un point sur lequel la dépense budgétaire est très importante face au montant alloué, que ce soit actuellement ou que ce soit dans la réforme.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): On va vous communiquer une copie des chiffres que nous avons en notre possession...

Mme Lizotte: Ce serait très apprécié.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): de façon que, s'il y a eu des lacunes d'harmonisation entre le Dispensaire diététique et le ministère vous puissiez intervenir, parce qu'il est encore temps de vérifier s'il y a des lacunes. Cela va en vertu de la règle d'alternance

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Alors, merci, M. le Président. Il me fait plaisir de vous accueillir en commission parlementaire. C'est assez impressionnant, ce mémoire que vous nous présentez aujourd hui et le ministre a raison de dire que c'est la première fois que l'on reçoit ici des tableaux qui illustrent, de la façon que vous le faites, les dépenses des ménages. Vous êtes le 98e groupe. Alors, imaginez, on pourrait comme cela continuer, j'ai l'impression qu'on en apprendrait. Mais c'est extrêmement impressionnant parce que cela illustre les difficultés, et avec raison, vous le dites dans votre mémoire, les difficultés réelles rencontrées présentement dans le régime actuel par les familles et celles qu'elles connaîtraient - je le mets au conditionne), vous voyez, parce que les choses deviennent plus incertaines - avec la réforme.

Je n'ai pas en main les chiffres que le ministre a cités qui proviendraient du Dispensaire diététique de Montréal, mais il y a peut-être une constatation qu'il faut faire: Si les comparaisons sont les mêmes en ce qui concerne les besoins de moyen terme et de long terne et si la variation est celle que le ministre a indiquée pour les besoins de court terme, dorénavant, il n'y a qu'une partie des bénéficiaires qui verront comblés leurs besoins de long terme, et seulement les bénéficiaires de la catégorie soutien financier. C'est donc que les bénéficiaires des autres catégories - de la catégorie apte - n'auront plus que des besoins de court terme et de long terme. Alors, indépendamment des chiffres que vous avez indiqués, les barèmes des prestations ne vont pas couvrir le long terme pour les

personnes aptes. C'est la réalité du document. (20 h 45)

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous allez avoir le document dans deux secondes. Vous lirez le texte.

Mme Harel: Non, je n'ai pas besoin d'avoir un nouveau document. C'est dans celui-là qu'il est indiqué que le long terme n'est plus couvert. Donc, nécessairement, ce que le Dispensaire diététique de Montréal est venu démontrer ici... Une chance que j'ai mon petit cahier noir et que je note l'essentiel des propos de chaque groupe, aux mots, en italique. Ils ont dit: Plus il y a d'enfants, plus la perte est grande. C'est le Dispensaire diététique et ce que le dispensaire a démontré, dans un tableau qui a été déposé devant la commission, c'est que chaque catégorie était perdante dans le programme APTE. C'est indépendamment des discussions qu'ils ont pu avoir entre spécialistes sur la catégorie parce que la décision politique du ministre est de ne plus couvrir les besoins à long terme des personnes aptes. Je ne lui apprends rien, j'espère, on finit notre sixième semaine. Je ne lui apprends pas que dorénavant, les familles qui sont majoritairement dans le programme APTE - c'est là où on retrouve majoritairement les familles - ne verront plus leurs besoins couverts, leurs besoins à court, moyen et long terme. Ce sont simplement les besoins à court et moyen terme et vos chiffres sont toujours aussi importants et toujours aussi véridiques en ce qui concerne la part qu'elles auront a consacrer pour combler ces besoins de court terme en regard du revenu dont elles pourront disposer. Il ne faut pas oublier que les besoins à long terme, dans le projet, sont couverts par des gains de travail qui sont hypothétiques. Cela ne veut pas dire que c'est un montant dont elles vont disposer pour pouvoir étaler les dépenses et réduire les pourcentages de ce qu'elles vont devoir consacrer au logement et à l'alimentation. Alors, ce que vous nous présentez, pour la très grande majorité des familles, cela ne changera pas. Ce que le ministre nous présente, c'est finalement bien plus pour la catégorie soutien financier, qui, elle, verrait ses besoins à long terme également couverts par les barèmes avec 25 $ de plus.

Ce que vous nous avez présenté est vraiment un exercice impressionnant. Vous faites valoir qu'en ce qui regarde l'alimentation, les coûts sont sans doute plus élevés pour les régions plus éloignées qui ont des coûts de transport pour l'alimentation. Ici même, par ailleurs, on nous a fait valoir en commission parlementaire qu'à Montréal les chiffres de la SCHL démontraient que les coûts du logement sont plus élevés. Pour un studio, c'était 287 $ à Montréal, pour une chambre 380 $ et pour deux chambres 502 $. Ce sont les chiffres d'octobre dernier.

Est-ce qu'en regard de ces chiffres vous avez réfléchi à la question? Vous avez comme illustré la trappe de pauvreté parce que je dois comprendre, par ailleurs, qu'il n'y a pas les exemptions de gains de travail. Vous avez additionné le barème, plus les allocations familiales, mais pas les exemptions de gains de travail.

M. Richard (Jean): Oui. Les exemptions de gains de travail ont été calculées, c'est-à-dire qu'on a pris des exemples où il n'y avait pas de gains de travail et des exemples où il y en avait pour illustrer les deux situations dans le cas des personnes aptes au travail. Le problème est justement là. Même avec des gains de travail, cela constitue, à notre avis, encore un piège de pauvreté, c'est-à-dire que les besoins à long terme ne sont pas comblés. Même la personne, je dirais, la plus "voulante" dans l'idée que les personnes sont intéressées à réintégrer les mesures d'employabilité, ce qui est le cas, à notre avis, même dans la meilleure des hypothèses, on ne réussit pas à sortir de la pauvreté. Donc, c'est un piège. C'est là qu'il nous semble qu'il y a un choix politique à faire, c'est-à-dire qu'une des conclusions qu'on apporte ici devant la commission, et on pourrait discuter longuement de la détermination des seuils de pauvreté, mais une des conclusions qu'on amène et qu'on semble démontrer dans le mémoire qu'on dépose, c'est que la question de l'incitation au travail s'est faite à tout prix, même au détriment de la satisfaction des besoins fondamentaux. Or, comme organisme qui travaille dans le domaine de la santé, on ne peut pas être d'accord avec un choix politique comme celui-là. C'est pour cette raison, d'ailleurs, qu'on va continuer à être vigilants, en particulier pour le projet de loi qui sera déposé par le ministre et pour les conséquences qu'il entraînera. Environ 9000 personnes vivent de l'aide sociale à Chicoutimi seulement. Comme c'est une bonne partie de la population, c'est le quart de notre clientèle, au CLSC Saguenay-Nord, pour nous, il est d'une extrême importance de continuer à être vigilants, et nous allons le faire savoir publiquement afin d'alerter la population sur les conséquences. .

Mme Harel: Dans vos tableaux, vous avez raison, vous calculez, par exemple, le barème maximal de participants, plus le maximum de gains de travail dans la catégorie participant.

M. Richard (Jean): C'est cela.

Mme Harel: On se rend compte, pour cette catégorie participant plus le maximum de gains de travail, qu'une personne seule est gagnante par rapport à une personne avec enfant. Le ministre vous fait grief de ne pas avoir additionné les crédits d'impôt pour enfant aux autres crédits. Est-ce qu'au CLSC vous avez une expérience en matière de rapport d'impôt actuellement? Je ne sais pas si la situation qui prévaut est la même que celle qu'il m'a été donné de connaître dans Maisonneuve dernièrement.

Finalement, les rapports d'impôt pour les gens qui n'ont rien sont compliqués, cela n'a plus de bon sens. Je me suis rendu compte moi-même, cette semaine, en faisant la comparaison entre ce que j'ai à remplir - malgré mes augmentations - pour faire ma déclaration d'impôt et ce qu'une personne qui ira chercher son crédit d'impôt foncier, son crédit d'impôt pour enfant, son crédit d'impôt de taxe de vente, son crédit d'impôt - qu'est-ce qu'il y a à part ceux-là, il y en a un autre - d'huile... Non? C'est quelque chose d'incroyable. Seulement l'illustrer par les annexes qu'il faut remplir, cela n'a pas de bon sens. Moins on possède, plus c'est compliqué à remplir. Je me demande si les gens vont vraiment chercher ce à quoi ils ont droit avec les crédits d'impôt.

M. Richard (Jean): Je pense qu'il faudra être vigilants et regarder comme il faut les formules pour bénéficier du programme APPORT également. Il y a des contrôles qui y sont assujettis. Je pense que cela vaudrait la peine. Je ne sais si c'est déjà disponible...

Mme Harel: Faites-vous des déclarations d'impôt présentement au CLSC? Avez-vous un service de déclarations d'impôt?

M. Richard (Jean): Non, mais on travaille étroitement avec des organismes du milieu, comme les services budgétaires populaires. Des groupes, dans les paroisses, offrent ce service gratuitement pour les personnes à faible revenu. La réalité dont vous parlez, pour nous, n'est pas nouvelle, la difficulté qu'ont les gens à remplir ces déclarations et, bien souvent, la nécessité d'aller chercher une aide heureusement gratuite dans ces cas.

Mme Harel: Dans votre région, est-ce que les formulaires pour le SUPRET, le programme antérieur qui était offert, sont disponibles?

M. Richard (Jean): Pour le SUPRET? Vous voulez dire à partir de 1988?

Mme Harel: Le SUPRET qui n'existera plus, mais qui existait jusqu'à maintenant. Il a été aboli pour l'année à venir.

M. Richard (Jean): D'accord.

Mme Harel: Mais il peut être inclus dans le rapport d'impôt de l'année 1987 qui doit être terminé le 28 avril. Est-ce que les formulaires sont diponibles, à votre connaissance?

M. Richard (Jean): À ma connaissance, oui. Mme Harel: Les formulaires sont disponibles. M. Richard (Jean): A ma connaissance, oui.

Mme Harel: Vous êtes chanceux, on n'en a pas à Montréal.

M. Richard (Jean): Vous n'en avez pas à Montréal?

Mme Harel: Dans les tableaux que vous nous présentez, on voit bien illustrée la trappe de pauvreté, c'est-à-dire qu'avec un maximum de gains de travail et un maximum de participation, ce sont finalement les besoins à court terme qui sont comblés Prenons deux adultes et deux enfants ou encore un adulte et deux enfants; c'est 79 % des besoins à court terme. Il faut se rappeler que, pour chaque dollar additionnel gagné une fois ces besoins essentiels couverts, avec le projet de réforme, ce serait 1 $ de moins en transfert, sans qu'il y ait une incitation possible au-delà des besoins essentiels Avec le programme APPORT, il faut avoir moins de 300 $ par mois de revenus de transfert, moins de 300 $ par mois d'aide sociale ou d'assurance-chômage pour être admissible au programme APPORT et avoir plus de 150 $ par mois de revenus de travail. Vous comprendrez que pour bien des chefs de famille monoparentale, moins de 300 $ par mois, cela suppose qu'il y ait des revenus de travail qui soient de l'ordre de presque 600 $ par mois pour simplement équivaloir aux barèmes actuels d'aide sociale pour une chef de famille avec un enfant. 600 $ par mois, cela signifie à peu près 7200 $ par année. Pour être admissible au programme APPORT, il faut avoir moins de 300 $ d'aide sociale; sinon, on se retrouve dans le programme APTE, dans la catégorie participant avec un maximum de gains de travail, et on ne peut plus s'en sortir. À la page 18, vous illustrez bien que, même avec le maximum de gains de travail, c'est environ 79 % qu'une chef de famille avec deux enfants devra consacrer au logement, à l'alimentation. Si elle gagne 1 $ de plus, ce ne sera pas pour en faire profiter sa famille, ce sera pour recevoir 1 $ de moins sur son chèque, si elle le déclare. Si elle ne le déclare pas, le pire peut lui arriver. Vous avez d'ailleurs eu des cas de poursuites au criminel dans votre région. Pourriez-vous nous en parler?

M. Richard (Jean): Oui, on peut vous en parler, bien sûr. Ce sont des femmes qui ont été condamnées pour avoir vécu maritalement sans le déclarer. Cela a d'ailleurs fait la manchette des journaux, aux pages 2 et 3, dans la même semaine où 40 organisations populaires, communautaires et syndicales de notre région prenaient position contre la réforme proposée par M. le ministre.

Mme Harel: Y avait-il plusieurs cas ou un seul?

M. Richard (Jean): II y a eu deux condamnations dans la même semaine.

Mme Harel: Condamnations par la Cour des sessions de la paix?

M. Richard (Jean): Oui, des condamnations au criminel. Cela a soulevé tout le débat sur la question de l'autonomie des personnes qui n'est pas reconnue, à notre avis, à l'heure actuelle dans la Loi sur l'aide sociale, à savoir que les prestations ne sont pas basées sur les personnes, mais sur la notion de famille: une notion extrêmement vague. On n'est pas les premiers à en parler, ici, en commission parlementaire; des groupes, comme la Ligue des droits et libertés en particulier, ont soulevé cette question.

Cette question nous a profondément choqués, surtout quand on voit l'arrogance avec laquelle les enquêteurs spéciaux pénètrent dans les domiciles et le mépris qu'ils ont souvent face aux bénéficiaires de l'aide sociale. Cela nous amène à nous interroger profondément sur le sens de cette réforme, et, finalement, sur l'absence d'intention ministérielle déclarée sur la continuité des visites à domicile. Cela nous préoccupe également.

Mme Harel: II y a eu deux condamnations, dites-vous?

M. Richard (Jean): Oui.

Mme Harel: Deux condamnations avec sentence. Quelle était la sentence?

M. Richard (Jean): Une femme a été condamnée à passer, je crois, sous toutes réserves, un mois en prison. Le juge a accepté qu'elle ne fasse qu'une fin de semaine, du fait qu'elle avait un enfant. Le juge a déclaré que c'était la plus grosse fraude de sa vie - il n'avait probablement pas vu grand-chose - parce que c'était une vie maritale non déclarée sur une période d'une année.

Mme Harel: Est-ce qu'il y avait des enfants nés de l'union?

M. Richard (Jean): Je ne pourrais pas vous répondre là-dessus. Je connais la situation et la personne en cause, mais je ne pourrais pas répondre à cette question. Chose certaine, c'est qu'on a mis en lumière, encore une fois, des situations où les femmes n'ont pas droit à leur vie affective sans être totalement dépendantes de leur conjoint. C'est une situation inquiétante, à notre avis. (21 heures)

Mme Harel: La question est très liée à toute la présence ou non d'enfants nés de l'union. Ce qui est totalement de l'ordre de l'inconcevable, c'est qu'on prétende que le mari d'une femme chef de famille devienne son pourvoyeur et celui des enfants dont il n'est pas le père. C'est une autre réalité que celle de deux personnes qui ont des enfants communs nés de l'union.

Est-ce qu'il y avait eu décision de la Commission des affaires sociales avant que cela ne soit porté devant la Cour des sessions de la paix?

M. Richard (Jean): À ma connaissance, non, dans une des situations au moins.

Mme Harel: La personne n'était pas allée en appel devant la Commission des affaires sociales?

M. Richard (Jean): Non...

Mme Harel: Le bénéficiaire?

M. Richard (Jean): Non, c'est cela.

Mme Harel: Ah! D'accord. Parfait, je vous remercie.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre, vous avez deux minutes.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je souhaiterais revenir dans les deux minutes qui restent, parce que vous êtes l'organisme qui avez fait, sur le plan de l'analyse des besoins et des barèmes, sur le plan de chacun des éléments des composantes et de la méthodologie, à part le ministère et le Dispensaire diététique de Montréal, peut-être l'étude la plus détaillée et la plus fouillée, et c'est là-dessus que vous avez axé votre mémoire. On va faire distribuer aux membres de la commission le rapport du Dispensaire diététique de Montréal et on va également vous en remettre une copie. Si vous aviez l'amabilité d'analyser ledit document et de tenter de déceler s'il y a des erreurs dans cette procédure d'administration entre le ministère et le Dispensaire diététique, ou de corriger, si les erreurs sont de votre côté - moi, je ne suis pas le spécialiste qui peut indiquer où sont ces erreurs-là - en tenant compte des dépenses et, comme je l'ai indiqué également, de l'ensemble des sources de revenu, parce que c'est ce que les deux autres organismes ont fait.

Je ne peux cependant pas laisser, sans les commmenter, les quelques remarques que vous avez adressées à l'endroit des agents d'aide socio-économique qui rendent visite aux bénéficiaires de l'aide sociale. Vous avez dit que ces gens-là entraient sans permission, etc. Dans les cas précis qui ont été dénoncés au cabinet, nous avons effectué des vérifications pour nous assurer... Il y a un jugement de la Cour supérieure qui a été rendu dans le cas des visites à domicile et qui a bien établi ce fragile équilibre entre le devoir qu'a le gouvernement de vérifier si l'argent des contribuables est bien dépensé et le droit inaliénable du bénéficiaire au respect de son domicile. Et le jugement, si je peux paraphraser, de la Cour supérieure, était que, pour pénétrer dans le domicile ou la résidence d'un

bénéficiaire, l'agent d'aide socio-économique se devait d'obtenir l'autorisation du bénéficiaire. Ni la partie plaignante ni le ministère ne sont allés en appel dudit jugement, chaque partie se déclarant donc satisfaite de ce jugement de la Cour supérieure.

Maintenant, je ne vous dis pas que c'est impossible qu'il n'y ait pas des cas d'abus, il n'y a rien d'impossible dans les comportements humains. Si vous aviez des cas où la loi a été littéralement violée, parce que ce que la Cour supérieure a indiqué, c'est l'application de la loi je vous saurais gré de nous les transmettre ou de les transmettre à Mme la députée de Maison-neuve pour qu'on s'assure que, oui, te gouvernement remplit son rôle de saine gestion des fonds publics, mais qu'en même temps cela se fait dans le respect de la charte québécoise, de la charte canadienne et de l'interprétation qu'a faite la Cour supérieure de l'application de la Loi sur l'aide sociale.

Merci de votre collaboration.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier le groupe?

Mme Harel: Merci de cette contribution importante et singulière à notre commission.

Le Président (M. Bélanger): La commission des affaires sociales remercie le CLSC Saguenay-Nord et invite à la table des témoins l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc. - c'est comme cela, oui? - représentée par Mme Bernadette Lang, M. Didier Robert et M. Jacques Desrosiers. Alors, je vous invite à la table des témoins.

Je demanderais à chacun de bien vouloir reprendre sa place, s'il vous plaît. Que chacun reprenne sa place afin que nous puissions entendre l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc.

À nos invités de l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc., nos règles de procédure sont les suivantes: vous avez 20 minutes ferme pour présenter votre mémoire et, par la suite, il y aura une période de discussion avec les parlementaires. Je vous demanderais, chaque fois que vous prendrez la parole, s'il vous plaît, c'est très important, de vous nommer pour les fins de la transcription du Journal des débats nos sténotypistes ne vous connaissant pas et ne reconnaissant pas vos voix.

Nous devrons, tout à l'heure, si vous le permettez, accepter une absence de trois minutes du ministre qui doit faire un appel téléphonique très important. C'est la première fois et nous en sommes au quatre-vingt-dix-neuvième groupe. Je pense qu'on peut lui pardonner cette minute-là, qu'H est aussi ministre du Travail et député d'un comté.

Alors, si vous voulez présenter votre porte- parole ainsi que votre équipe et procéder à la présentation de votre mémoire, nous vous écoutons.

Association des amis d'ATD Quart-Monde inc.

M. Desrosiers (Jacques): M le Président, mon nom est Jacques Desrosiers. Je suis de l'Association des amis d'ATD Quart-Monde et membre du Mouvement international ATD Quart-Monde. Je suis accompagné de Mme Bernadette Lang, volontaire permanente du mouvement ATD Quart-Monde et déléguée nationale du mouvement international ici, au Canada.

Est également présent M Didier Robert, qui est aussi volontaire permanent d'ATD Quart-Monde et responsable du Centre de recherche action sur la pauvreté.

Je voudrais immédiatement passer la parole à Mme Lang et lui demander de commencer l'exposé de notre mémoire.

Mme Lang (Bernadette): M le Président, M le ministre, Mme la députée de Maisonneuve, mesdames et messieurs les députés, au nom de l'Association des amis d'ATD Quart-Monde qui, au Canada, représente le Mouvement international ATD Quart-Monde, je voudrais particulièrement vous remercier de nous associer à cette consultation sur le document d'orientation. Permettez-moi, en quelques instants, de nous présenter puisque nous ne nous connaissons pas encore.

Notre mouvement a été fondé en 1957, en France, par le père Joseph Wresinski et sous l'impulsion de quelques familles très pauvres II a révélé l'existence d'une couche de population exclue des circuits économiques, politiques, culturels, spirituels, etc. Cette population s'est donné une identité en prenant le nom de Quart-Monde. L'objectif du mouvement est que ces familles puissent vivre dans la dignité, qu'elles aient les moyens d'élever leurs enfants et de participer, par leur travail, à l'avenir du pays, qu'elles prennent enfin place dans les projets de la société et acquièrent les moyens d'expression et de représentation dont disposent les autres groupes de citoyens.

Représentant des familles parmi les plus défavorisées, le mouvement s'est efforcé de devenir partenaire partout où la lutte pour la dignité humaine, pour les droits de la personne est prise en considération. Et c'est au nom des familles du quart-monde que le mouvement a progressivement été consulté par les principales organisations internationales, comme l'ONU, l'UNESCO, le BIT, la Commumauté économique européenne, la Banque mondiale, etc., et par des instances publiques nationales, comme les commissions parlementaires en Suisse, en Belgique, ou le Conseil économique et social en France. Au Canada, et plus particulièrement au Québec, depuis six ans, nous n'avons pas songé à susciter nous-mêmes une organisation de familles très

pauvres, tant la vie associative y est déjà riche et dynamique. Il s'agira donc bien plus, pour nous, de nous appuyer sur cette vie associative et de chercher à établir des échanges d'expériences. Cette tâche se trouve facilitée au Québec qui a une vie démocratique que bien d'autres pays pourraient nous envier. L'existence de la présente commission en est la preuve.

Le mouvement essaie, au Québec comme ailleurs, de créer une alliance dans tous les secteurs de nos sociétés et particulièrement avec ceux et celles qui sont engagés dans cette même voie, à savoir faire échec à la misère. Il repose sur des volontaires permanents qui, ensemble, choisissent d'unir leurs compétences, leur destinée à celles des familles les plus démunies. Ces volontaires se forment en permanence à la connaissance et à l'action en milieu défavorisé. Le mouvement ATD Quart-Monde, par son institut de recherche, a pour objectif d'apprendre et de retransmettre l'histoire du quart monde. Il tente d'analyser les mécanismes de l'exclusion et de promouvoir des solutions. C'est ainsi que le père Joseph Wresinski en tant que membre du Conseil économique et social français, a pu réaliser un rapport sur la grande pauvreté et précarité économique et sociale. Ce rapport, voté à une très large majorité en 1987, fait aujourd'hui l'objet d'une expérimentation dans treize départements pilotes. C'est donc en nous appuyant également sur ce rapport et pour partager cette expérience que nous présentons ce mémoire.

Le but commun des plus démunis et de leur expérience de vie, ainsi que de toutes les réformes les concernant ne peut être que de vouloir détruire la condition de misère et ceci, grâce à un support adéquat et à des mesures non • plus parcellaires, mais globales.

Nous sommes convaincus que le projet de réforme entre dans cet objectif de réduction des inégalités et de destruction de la misère. Mais les moyens proposés peuvent-ils y parvenir? Résistent-ils à une confrontation avec les situations réellement vécues par les plus démunis? Accepterons-nous de prendre comme critère d'efficacité la réussite de la réforme avec les plus démunis, c'est-à-dire avec ceux et. celles qui vivent les situations les plus inacceptables? Une réforme qui réussit à mettre fin aux situations les plus injustes ne serait-elle pas la mieux armée pour réussir face aux autres situations de précarité?

Pour notre part, nous n'attendons pas d'une politique de sécurité du revenu qu'elle vienne, à elle seule, à bout de la misère. Mais nous attendons qu'elle garantisse la sécurité du revenu et qu'elle atteigne l'objectif qu'elle s'est fixé.

M. Robert (Didier): Nous vous proposons, M. le Président, de poursuivre notre contribution autour de trois points. Le premier point porte sur la difficulté d'une telle réforme du fait des situations vécues par les plus démunis. Le second point s'arrête sur certaines dispositions qui semblent présenter des risques graves pour l'avenir des plus démunis. Le troisième point envisage comment cette réforme pourrait servir de support à une politique d'ensemble, de lutte contre la pauvreté et de prévention des précarités. Choisir de réussir avec les plus démunis, avec ceux et celles qui vivent les situations les plus inacceptables, est vraiment difficile, mais existe-t-il un autre choix? De façon certaine, agir en permanence contre les injustices les plus graves demande une volonté politique car plusieurs obstacles sont à surmonter. Le premier obstacle provient du nombre important de personnes et familles qui dépendent durablement du bien-être social. Nous ne revenons pas sur les chiffres, ils figurent dans le document d'orientation. Le second obstacle provient du lien maintenant établi entre pauvreté durable et cumul de plusieurs précarités dans des domaines comme le logement, la formation et l'état de santé. Et la dépendance qui en résulte empêche les personnes concernées de parvenir à reconquérir leurs droits et à réassumer par elles-mêmes leurs responsabilités. (21 h 15)

Vous le savez - le document d'orientation en fait également état - ce cumul de précarités ne frappe pas du tout au hasard. Lorsqu'une personne ou une famille se trouve déjà confrontée à des difficultés, lorsque son niveau socio-économique est déjà affaibli, toute nouvelle précarité qui surgit risque d'en entraîner d'autres. C'est alors que les précarités se renforcent.

L'absence de sécurités en vient à compromettre un véritable exercice des droits et c'est bien cela qui rend la réforme difficile. Les personnes et familles durablement sur le bien-être social ne sont plus alors véritablement citoyennes. Elles ne peuvent plus assumer leur responsabilité de parents, de locataires ou de demandeurs d'emploi sans qualification.

Cette réflexion sur les atteintes à la citoyenneté pour cause de pauvreté fait l'objet de travaux, vous le savez, à l'ONU, à Genève, au Conseil de l'Europe et dans plusieurs pays industrialisés. La pauvreté ainsi progressivement reconnue pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une violation des droits de la personne. Par exemple, que représente le droit de voter lorsqu'on est sans domicile ou le droit de circuler lorsqu'on est obligé d'aller d'un logement insalubre à un autre? Que représente le droit à l'autonomie, lorsqu'on est analphabète, ou le droit à l'expression lorsqu'on vit les yeux baissés dans la peur d'être contrôlé, mal compris ou bien de voir son électricité coupée? Le droit à l'égalité ne serait-il pas aussi à garantir pour tes minorités les plus démunies?

Afin de contribuer au choix des dispositions définitives de la réforme, il nous semblait important de rappeler que le cumul des précarités et la vie en dehors des droits de tous obligent les plus démunis à se forger une expérience de

survie dans des conditions très précaires. Ils connaissent la dépendance du chèque mensuel ou la dépendance des soupes populaires et des comptoirs alimentaires et vestimentaires dont malheureusement le nombre ne cesse de croître. En fait, ce que nous pourrions interpréter parfois comme un refus de s'en sortir est peut-être une grande sagesse des intéressé, celle de préserver le fragile réseau de survie qu'ils ont tissé tant que ne sont pas réunis des moyens pour faire des projets au-delà du lendemain. Cela peut se traduire, par exemple, par l'acceptation d'un petit travail temporaire, non qualifié et non reconnu, et le refus d'une formation dont l'issue semble encore incertaine.

Si vous le souhaitez, nous reviendrons sur l'importance, à notre sens, de se fier à l'expérience de résistance à la misère des plus démunis eux-mêmes. C'est une référence fondamentale pour notre mouvement.

Beaucoup a été dit sur les dispositions du projet de réforme. Nous voudrions nous arrêter sur quelques points, en tenant compte des modifications que M. le ministre est déjà déterminé à apporter. Nous l'avons dit, la réforme ne peut, à elle seule, venir à bout de la misère, mais elle peut garantir la sécurité du revenu. Dans ses dispositions actuelles, cette garantie semble encore incertaine, précaire et soumise à plusieurs arbitrages. Par exemple, sera-t-il possible, avec des prestations réduites, de parvenir au bout d'un apprentissage de la lecture et de l'écriture, ou au bout de l'acquisition d'une première qualification?

Pour inciter à la promotion, faudra-t-il pénaliser celui qui accepte de cohabiter avec une autre personne démunie dans un logement souvent trop petit? Faudra-t-il transformer ou risquer de transformer la famille en terrain de conflits en obligeant des jeunes à retourner chez leurs parents pour la seule raison que ceux-ci pourraient subvenir à leurs besoins? Afin d'envisager une promotion, il nous semble que le plancher de ressources devrait rester un minimum en dessous duquel personne ne doit descendre, et non pas un maximum auquel il faudrait ramener toutes les personnes qui recourent à l'aide sociale.

Nous voudrions ajouter encore qu'une trop grande complexité des procédures et une multiplicité de statuts réduiraient fortement le temps dont disposeraient les travailleurs sociaux pour remplir leur mission première d'accompagnement social. Là encore, les familles les plus démunies nous ont appris que, lorsque la pauvreté dure depuis trop longtemps, nous leur devons un accompagnement social. Elles y ont droit, tout comme elles ont le droit, d'ailleurs, si elles le désirent, de vivre en famille. Dans tous les pays où nous sommes implantés, des parents, et souvent parmi les plus exclus des droits, nous disent leur volonté d'avoir les moyens d'assumer leurs responsabilités de parents, c'est-à-dire d'assurer un avenir meilleur à leurs enfants.

Aussi semble-t-il primordial de veiller à ce que des parents ne soient pas contraints, par exemple, de se déclarer séparés pour moins voir leurs enfants souffrir du manque de ressources. Nous avons malheureusement constaté combien des conditions de vie trop précaires finissent par avoir raison de la famille.

À propos de la distinction entre aptes et inaptes, nous sommes heureux que M. le ministre souhaite tenir compte des craintes d'étiquetage émises par les organisations des handicapés. Permettez-nous de prolonger cette réflexion en soulignant que ceux qui cumulent le plus de précarité, sans avoir de handicap reconnu, risqueraient progressivement d'être jugés inaptes dans les faits. Ils subiraient eux aussi un étiquetage. En effet, comment qualifier d'aptes au travail, et même d'inaptes, des personnes à qui on n'aurait pas donné auparavant les moyens d'exercer leurs droits à un logement décent, à l'éducation et à la formation? En fait, ceux et celles que la misère aurait le plus usés, c'est-à-dire ceux et celles qui doivent être prioritaires dans nos projets, recevraient comme un dernier coup qui les ferait se conformer à l'étiquette que nous leur aurions donnée, l'étiquette d'inapte ou celle d'apte, mais seraient considérés après quelques mois comme incapables de trouver un emploi.

À plusieurs reprises, nous avons fait état de l'avancé de la compréhension sur la dépendance des droits entre eux. C'est précisément sur cette question d'interdépendance des droits et des politiques que nous voudrions évoquer très brièvement le travail effectué par le Conseil économique et social en France. Le constat est courageux, mais, M. le Président, je ne renie pas mes origines en disant qu'il n'est pas à la gloire du pays concerné puisque le CES a tout d'abord été conduit à découvrir et à reconnaître qu'en France les droits de la personne n'étaient pas respectés pour les plus démunis. Face à ce constat, il a cherché à comprendre comment les précarités s'accumulent et à démontrer cette interdépendance des droits et de leur violation. Il est apparu que, lorsqu'un droit fondamental comme celui de se loger n'est pas respecté, les autres droits ne sont plus accessibles. Une personne assistée sociale l'exprimait ainsi récemment: pour avoir un logement, on a besoin d'argent, mais pour avoir notre argent du bien-être social, on doit avoir un logement. Le Conseil économique et social a donc fondé ses propositions sur le constat selon lequel l'interdépendance des droits nécessitait une approche globale comprenant des politiques en divers domaines: le logement, la santé, l'éducation, la formation et, dans toute la mesure du possible, l'emploi.

L'ensemble des propositions mériterait d'être étudié. Nous ne retenons que deux recommandations directement liées au projet de réforme. Tout d'abord, la nécessité de mettre en place un accompagnement social approprié et, en

ce sens, les programmes de formation personnalisée pourront donner des résultats très positifs, mais la formation de ceux et celles qui devront concevoir et appliquer ces programmes sera vraiment déterminante. Le second point, c'est la nécessité de garantir une sécurité minimum des ressources, mais comme un élément de sécurité vraiment préalable, pour qu'une famille puisse s'engager dans un processus d'insertion.

De l'avis de notre mouvement, l'enjeu pour les plus démunis est aujourd'hui double. Il convient d'aboutir à une réformé de la politique de sécurité du revenu qui assure vraiment cette sécurité, mais il convient d'engager une réflexion et une action pour que soit expérimentée et adoptée une politique globale et permanente de lutte contre la pauvreté. En tant que mouvement de familles parmi les plus démunies, nous nous permettons de formuler cette proposition: dans l'état actuel des connaissances en matière de lutte contre la pauvreté, et compte tenu de la réflexion et des pratiques innovatrices développées au Québec, particulièrement dans le cas de très nombreux groupes communautaires, pourquoi une loi-cadre ne serait-elle pas envisagée? Une telle loi-cadre pourrait définir des politiques à engager pour prendre en compte les plus démunis en ce qui concerne leur droit au logement, à la santé, à l'éducation, à la formation et, bien sûr, dans toute la mesure du possible, à l'emploi. Ces politiques supposeraient, comme nous le disions il y a quelques instants, la garantie d'un accompagnement social et, bien sûr, la sécurité du revenu. On pourrait penser qu'une telle loi sera étudiée dans le cadre d'une commission pluridisciplinaire, une commission parlementaire. Il est certain que les défenseurs des droits de la personne, et notamment la Commission des droits de la personne, devraient être associés à une telle réflexion.

En conclusion, nous voudrions dire notre confiance dans la volonté des plus démunis de continuer à résister à la misère et à la combattre. Ils ont trop souvent prouvé cette volonté aux 300 volontaires permanents de notre mouvement répartis dans le monde, ainsi qu'aux intervenants avec lesquels nous travaillons ici, au Québec. Nous avons également confiance dans la volonté du gouvernement de faire de la lutte globale et permanente contre la pauvreté une priorité pour toute la province. Le Québec pourra, une fois de plus, donner l'exemple. Nous vous remercions, M. le Président, de nous avoir écoutés. Merci.

Le Président (M. Thuringer): Merci. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Je souhaiterais remercier l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc. et leurs porte-parole, autant pour la qualité du mémoire écrit que pour la qualité de la présentation verbale. Je repren- drai, dans un premier temps, les propos qui ont terminé votre exposé verbal lorsque vous avez parlé de lutte à la pauvreté. Il faut toujours se méfier, dans une société, de cet écart qui peut se dresser entre ceux et celles qui profitent de la croissance économique et qui augmentent leur richesse en laissant au bas de l'échelle ceux et celles qui sont laissés en marge du progrès ou du développement économique. Cette ligne de pauvreté ne se situe pas nécessairement et absolument en ce qui concerne la clientèle actuelle de l'aide sociale. Elle peut également inclure, dans certains cas, des travailleurs à faible revenu, des travailleurs ou des travailleuses qui détiennent des emplois précaires dans la société, etc. C'est à cette clientèle au bas de l'échelle que le gouvernement, depuis deux ans, prête une attention tout à fait particulière. Je vais vous donner quelques exemples pratiques d'actions ou de gestes qui ont été posés de façon à s'assurer que l'écart ne continue pas à se creuser, mais qu'au contraire il y ait un rapprochement.

En 1987, au Québec, le salaire minimum a été haussé de 8,75 % sur une base annuelle. L'aide sociale a été haussée de 4,1 % sur une base annuelle. Les gens qui ont négocié des conditions de travail par le biais de conventions collectives ont reçu des augmentations en moyenne de 3,7 % et, quant à lui, le salaire hebdomadaire moyen au Québec a connu une croissance de 2,1 %. On se rend compte à partir de ces statistiques que les gens qui étaient à l'aide sociale et au salaire minimum ont connu une croissance en pourcentage plus importante que les gens qui étaient bien représentés sur le plan des négociations par voie de conventions collectives, ou l'ensemble de la population qui reçoit une rémunération dans la société.

Les indications que nous avons, pour l'année 1988, vont dans le même sens. Il faut continuer à aller dans le même sens parce qu'il y a du rattrapage à faire et parce que la crise économique du début des années quatre-vingt a frappé beaucoup plus durement ceux et celles qui se retrouvaient au bas de l'échelle que ceux et celles qui pouvaient plus facilement l'absorber. (21 h 30)

Ayant fait ces remarques, j'en viens à la conclusion de votre mémoire écrit, cette fois-ci. Vous concluez de la façon suivante, vous nous dites: "En ayant mis en place une politique fondée sur le droit à la sécurité du revenu, dès 1970, le Québec était en avance sur de nombreux pays. On ne peut imaginer qu'au lieu de renforcer cette politique de sécurité du revenu par des actions d'éducation, de formation et d'accès à l'emploi, il revienne à des pratiques qui portent atteinte aux droits de la personne. Nous avons confiance dans la volonté des plus démunis de continuer à combattre la misère. Nous voulons croire dans la volonté du gouvernement de faire

de la lutte globale et permanente contre la pauvreté une priorité pour toute la province."

Vous touchez là ce que nous prétendons, à tort ou à raison, être le coeur du programme APTE que nous proposons aux bénéficiaires de l'aide sociale. Vous avez parlé dans votre document écrit, et vous l'avez traduit verbalement, de l'importante question du droit à l'égalité dans la société. Nous avons de la difficulté à nous imaginer, au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, que ce droit à l'égalité d'obtenir un emploi rémunérateur et valorisant existe pour nos quelque 300 000 bénéficiaires de l'aide sociale qu'on dit aptes au travail, mais qui sont des analphabètes fonctionnels. Nous avons de la difficulté à croire que les 60 % de notre clientèle dite apte au travail, qui n'ont pas complété leurs études secondaires de base, ont accès à l'égalité quand vient le temps de poser leur candidature à un emploi, alors qu'on sait que c'est une exigence minimum. On a de la difficulté à croire, au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, que quelqu'un qui n'a aucune expérience de travail reconnue a une possibilité ou une chance à l'égalité pour obtenir un emploi lorsqu'il y a création d'emplois, comme c'est le cas au Québec depuis les deux dernières années.

Nous avons décidé d'investir en matière d'éducation pour les gens à qui cela convient, en matière de formation et d'accès à l'emploi. Les programmes que nous avons expérimentés dans le passé, chez notre clientèle de 30 ans et moins, s'appellent Stages en milieu de travail, Travaux communautaires et Retour aux études postsecondaires pour les chefs de famille monoparentale. Ce genre de programmes permet d'augmenter ce que vous appelez le revenu de base. Ce que le gouvernement offre, ce n'est pas une économie d'argent, s'il y a participation pleine et entière à ces programmes d'amélioration de l'employabilité, à ceux-là et à d'autres, c'est une dépense additionnelle de quelque 445 000 000 $ sur une base annuelle de sorte que, comparés au système actuel, tous les barèmes sont augmentés sauf dans le cas des chefs de famille monoparentale qui participaient déjà à un programme comparé. Ceux qui ne participaient pas voient également leur barème augmenté. Est-ce que l'on fait fausse route en modifiant la base de notre système pour tenter de l'approcher de la clientèle qui a évolué? La loi de 1970 traitait - elle avait été précédée du rapport Boucher - d'une clientèle qui, pour les trois quarts, était considérée comme incapable de travailler, alors que la clientèle de 1987, et davantage celle de 1988, est considérée comme capable de travailler. Même aujourd'hui, avec l'évolution technologique, des personnes ou des individus que l'on considérait traditionnellement Incapables de travailler sont maintenant considérés capables. C'est sur cotte orientation et sur l'ajout des montants d'argent que le gouvernement serait prêt à consacrer que j'aimerais avoir vos réactions comme organisme. J'adresse la question aux porte-parole, au singulier ou au pluriel, qui veulent ou qui voudront bien y répondre.

M. Robert: Nous vous remercions, M. le ministre. Vous avez soulevé beaucoup de points importants. C'est sûr que les exemples de réduction des écarts que vous avez donnés sont absolument fondamentaux parce que tout le monde connaît cet accroissement des écarts dans nos sociétés. Ce qui nous amène à nous interroger sur chaque réforme et sur ce projet de réforme, ce sont justement ceux qui sont victimes de l'écart le plus grand et depuis le plus longtemps. En fait, c'est certainement là que le défi à relever est le plus dur. Tout ce que vous avez évoqué sur la nécessité de rapprocher les clientèles, etc., ce sont des politiques qu'il faut absolument mener, sinon, ceux qui sont au pied de l'échelle sociale verront leur nombre augmenter. Nous nous préoccupons beaucoup de savoir comment on va redonner une chance à ceux qui, déjà, depuis le plus de temps, se trouvent au pied de l'échelle. Je me permettais de dire que ce n'était pas un constat glorieux, pour un pays comme la France, de constater qu'on n'y respectait pas les droits de la personne, mais il a fallu passer par ce constat. Vous avez rappelé tout à l'heure les chiffres, le nombre d'analphabètes, le nombre de personnes sans formation. Quand vous êtes dans cette situation, il est sûr qu'avoir le droit de voter, avoir le droit de s'exprimer, cela ne veut plus dire grand-chose. Donc, on s'interroge et on se dit: Là, on est dans une société qui se réclame des droits de la personne et il y a quand même une question qui nous est posée. C'est pour cela qu'on se demande comment, dans le projet de réforme proposé, ces personnes pourront franchir la première marche. C'est pour cela que certaines mesures nous inquiétaient; on les a mentionnées. On se dit qu'il faut certainement, en dessous d'un certain seuil, commencer à garantir à une personne la possibilité de faire un nouveau projet sans déjà envisager certaines pénalisations si elle ne peut pas s'engager dans un programme. Vous voyez, il nous semble qu'il y a là une question qui est vraiment posée pour parvenir à ce que les plus démunis s'en sortent véritablement.

Je voulais juste donner l'exemple d'un autre pays qui nous a beaucoup fait réfléchir, c'est la Suède. En fait, on disait que le Québec était dans les permiers, mais la Suède a encore été de l'avant pour instituer un revenu minimum. Les Suédois sont partis du raisonnement que les pauvres étaient des riches sans argent et ils se sont dit: On va garantir un revenu et le problème sera résolu. Ce qui fait que s'est développée en Suède, on en a été témoins sur le terrain, toute une politique - le mot est fort, mais c'est la vérité - vraiment très répressive par rapport aux plus démunis. On se disait On leur a garanti un revenu et ils ne s'en sortent pas. Il est sûr

que la réflexion sur le cumul des précarités, sur le fait que, quand vous n'avez pas un logement où les enfants peuvent faire leurs devoirs, c'est difficile de réussir à l'école, etc., n'était pas assez poussée, ce qui fait que les plus démunis et leurs organisations n'ont pas pu dire: On nous a donné de l'argent, mais le reste n'a pas suivi.

Alors, nous voudrions vraiment que le fait qu'il y a des gens qui soient durablement à l'aide sociale, au Québec, ne nous conduise pas à dire: Ce n'est pas la solution, mais qu'on aille vraiment jusqu'au bout des actions complémentaires. Je ne sais pas si vous sentez ce qui nous... C'est vraiment cela qui nous préoccupe dans le projet qui se prépare actuellement.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous nous avez donné l'exemple de la Suède. Je tente de décoder un peu le message que vous voulez nous transmettre. Si vous donnez de l'argent sans les autres mesures d'accompagnement, et cela rejoint l'une de vos conclusions, vous risquez d'avoir l'effet contraire, finalement, d'abandonner les gens avec l'argent qui sera dépensé et de créer, dans la population, une réaction qui serait négative. Est-ce que, d'après ce que vous en savez, les Suédois ont apporté des correctifs à cette politique, et avec quels résultats?

M. Robert: II est encore trop tôt pour parler des résultats, mais, actuellement, ils sont vraiment en train de mettre en place des politiques de formation. Vous pourriez certainement, beaucoup mieux que nous, les interroger directement. Il y a une expérience intéressante parce qu'elle a une durée, mais elle a vraiment été très dure à vivre pour les personnes concernées. Cela a ancré dans la population - là, je parle de l'opinion publique - l'idée que les plus pauvres ne voulaient pas s'en sortir et voilà, on leur donne de l'argent et ils ne s'en sortent pas. C'est vraiment très grave parce qu'il y a déjà suffisamment le poids de la misère pour ne pas ajouter un regard....

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que vous connaissez assez bien nos programmes dits d'employabilité pour les comparer à des expériences vécues ailleurs, soit là où vous êtes présents, en Amérique ou en Europe? Je parle des programmes d'employabilité qui s'adressaient spécifiquement aux 18-30 ans et qui s'adressent encore spécifiquement aux 18-30 ans.

M. Robert: Vous savez, on est des... Pardon?

M. Desrosiers: Ce que je pourrais dire là-dessus, vous faites référence aux programmes qui s'adressent présentement aux 18-30 ans, c'est qu'on n'a pas suffisamment de données pour comparer par rapport à ce qui s'est fait en Europe, et des choses comme cela, parce que, pour ces programmes-là, même s'ils ont quelques années, on n'a pas encore de données. Par exemple, on sait que certains de ces programmes ont mieux marché que d'autres qui marchent moins bien, et tout. À ce stade-ci, je ne pense pas qu'on soit en mesure de vous apporter une réponse satisfaisante là-dessus, finalement.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): II existe quand même deux niveaux d'analyse sur ce qu'on peut comparer d'un programme: la définition du programme, c'est-à-dire son aspect théorique et, par la suite, son application pratique. Vous avez sans doute raison sur le deuxième aspect, mais, quant à la conception théorique desdits programmes, est-ce que vous avez une base de comparaison avec ce qui se fait surtout en Europe?

M. Robert: Vous nous posez une question. Il faut qu'on travaille. On ne voudrait pas avancer, comme cela, des choses pas suffisamment fondées. On a les matériaux et on pourrait tenter d'apporter des éléments. Ce qui nous...

M. Paradis (Brome-Missisquoi):... tendance à abuser des gens qui, déjà, donnent beaucoup de leur temps et de leur talent pour des causes. Ce qu'on pourrait faire, du côté du ministère, c'est de vous donner des descriptions, sur le plan technique, des programmes que l'on administre présentement ici. À travers vos contacts internationaux, si vous pouviez sommairement nous mentionner nos carences, nos faiblesses ou nos points forts à la suite des expériences qui ont été vécues ailleurs, cela nous permettrait de comparer ce que les machines officielles gouvernementales se sont échangé avec des gens qui oeuvrent à l'extérieur du monde gouvernemental, et ce serait très intéressant.

En vertu de la règle de l'alternance, Mme la députée de Maisonneuve.

Le Président (M. Thuringer): Allez-y.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Ce sont certainement des questions de fond que vous nous invitez à discuter avec vous. J'aimerais peut-être reprendre là où le ministre vient de laisser. Essentiellement, pour nous illustrer l'expérience de la Suède, vous avez... je caricature à peine en disant: Ils ont offert de l'argent sans offrir les autres mesures d'accompagnement. La question est de savoir si, dans ce projet gouvernemental, on offre les mesures d'accompagnement, puisqu'on sait qu'on n'offre pas d'argent. En d'autres termes, là où la Suède disait "offrez de l'argent sans les autres mesures d'accompagnement", le projet ministériel, à l'égard des personnes dites aptes, offre les mesures d'accompagnement, mais les taux d'imposition restent "confiscatoires" si quelqu'un veut définitivement s'en sortir en essayant d'occuper un emploi quelconque, à temps partiel, occasionnel... Dans l'esprit de la population, l'idée que les pauvres ne veulent pas travailler vient en

partie du fait que, s'ils travaillent, les travaux qui leur sont disponibles sont des travaux qui, très souvent, sont moindres que les barèmes des prestations qu'ils peuvent percevoir parce que ce sont des travaux qui n'assurent pas nécessairement un emploi régulier.

Une des premières mesures pour modifier la perception que la population peut avoir, c'est certainement de ne pas "désinciter" les pauvres à occuper un emploi chaque fois qu'ils le peuvent en les pénalisant du fait d'aller chercher, de confisquer d'une certaine façon, les montants qu'ils peuvent acquérir au-delà des prestations qu'ils ont.

Je ne sais pas comment cela s'est passé en Suède, je ne sais pas s'il y avait une incitation qui était de l'ordre de permettre de garder des gains de travail au-delà des besoins essentiels du strict minimum. (21 h 45)

La deuxième question, c'est: Est-ce qu'on offre les mesures d'accompagnement? Je pense que c'est une question extrêmement importante à laquelle, jusqu'à maintenant, le ministre n'a pas répondu, sauf de dire qu'il y avait un bar ouvert: si les personnes le voulaient, si la demande était de 100 %, les dépenses additionnelles seraient de 100 %. On appelle cela un "bar ouvert", c'est une mauvaise expression, mais c'est "on se sert..."

M. Paradis (Brome-Missisquoi): On se sert à volonté.

Mme Harel: On se sert à volonté. Sauf que, ce que le ministre sait, c'est que - pour prendre le même mauvais exemple - les tablettes ne sont pas garnies, les bouteilles ne sont peut-être pas totalement vides, mais à moitié pleines sûrement. Il est fort possible que, disons, pour continuer le mauvais exemple la clientèle qui va se présenter va être d'autant plus importante qu'on va élargir à 243 000 ménages des programmes qui étaient seulement offerts à environ 48 000 d'entre eux, 84 000 plutôt, mais dont un certain nombre, une vingtaine de mille seulement bénéficieraient.

Je ne veux pas mettre en doute les bons sentiments du ministre, mais quand il dit qu'il investit en matière d'éducation, de formation et d'accès à l'emploi, moi, je le mets au défi, s'il veut vraiment investir, de le prouver en mettant sur la table ces 445 000 000 $ qu'il dit que son gouvernement est prêt à mettre à la disposition des ménages aptes, et à les mettre sur la table pour vraiment entreprendre, avec les partenaires sociaux du monde de l'éducation, un vrai projet de campagne de scolarisation et d'alphabétisation avec les groupes communautaires, pour entreprendre un vrai programme de formation en matière de main-d'oeuvre, pour entreprendre un vrai programme d'accès à des emplois communautaires qui pourraient être générés. Il va arriver, à un moment donné, une minute de vérité dans tout cela parce que, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'analyser les barèmes, je comprendrais que non, mais il y a une catégorie qui s'appelle "admissible". C'est la catégorie où on dit au client d'attendre et de ne pas entrer dans le bar parce que les bouteilles sont vides. C'est, vous allez me dire, un mauvais exemple, mais je pense que l'opinion publique est capable de comprendre qu'on juge un projet, non pas aux bons sentiments, mais aux effets qu'il produit. Les effets, ce sont sans doute plus ceux de l'ordre de ceux que vous avez décrits dans votre mémoire quand vous dites, je pense que c'est à la page 7, que cela sera un facteur d'exclusion, l'étiquetage entre apte et inapte, et vous considérez que cette distinction constitue pourtant la plus grosse faille, qu'elle aboutirait nécessairement, dans les faits, à un classement, à un étiquetage des pauvres.

J'aimerais vous entendre sur ces mesures d'accompagnement. Que doivent-elles être, selon vous, ces mesures d'accompagnement qui soutiennent une démarche vers une sortie de la pauvreté?

M. Robert: Vous nous avez posé une question énorme. Et je crois que... Enfin, c'était un de nos premiers soucis, vous l'avez vu, de ne pas hésiter à rappeler - et c'est quand même forts d'une expérience qui en vaut d'autres - que vouloir vraiment détruire la misère c'est une tâche monumentale, mais on n'a pas le choix parce qu'elle est inacceptable. Alors, c'est pour cela que je trouve la question difficile. Nous allons tenter de donner quelques éléments. L'inquiétude de fond, vous l'avez dit, c'est que les plus pauvres, à la fin, soient jugés, parce qu'effectivement on jugera au résultat, cela c'est absolument sûr. Cela nous permet de donner une indication qu'on n'a pas abordée, c'est qu'il y a certainement un gros travail de sensibilisation à faire au niveau de l'opinion publique parce que, nous les premiers, avant de vraiment rencontrer les plus démunis, on avait, comme beaucoup, ce que j'appellerais des clichés, et les plus pauvres nous ont amenés complètement ailleurs. Ils nous ont montré que, finalement, vivre dans la misère c'est un exploit chaque jour. On voit tellement les difficultés, les failles, le fait qu'en étant hors des droits les plus démunis en arrivent souvent à être dans leur tort, et objectivement dans leur tort. Donc, on voit cet aspect-là, et finalement on ne voit pas toujours la prouesse d'un père et d'une mère de famille, ou d'une mère seule, pour arriver à ce que la maison tourne à peu près. Donc là, il y a certainement une sensibilisation importante à faire. Cela aidera à comprendre qu'on met du temps à tomber vraiment durablement dans la misère, mais qu'il faut aussi accepter qu'il faut du temps pour en sortir.

Sur l'accompagnement, il y a peut-être deux types d'accompagnement. Il y a cet accompagnement social qui est, vous parlez dans votre

projet d'un programme de formation personnalisée qui sera une sorte, si nous avons bien compris, de contrat entre l'intéressé et un partenaire, où l'un et l'autre s'engageront à quelque chose. Mme Harel pose les questions: Est-ce qu'il y aura assez de programmes? Est-ce qu'il y aura assez de personnes? C'est sûr que c'est une question de fond parce qu'un accompagnement personnalisé, il n'y a rien de plus exigeant et il le faut. Donc, il y a ce type d'accompagnement.

Quant à l'autre aspect - et c'est peut-être là où vous l'avez vu dans notre document - on tenait à dire qu'on ne voulait pas accuser une réforme de la sécurité du revenu de ne pas détruire la misère. Elle ne le peut pas. C'est pour cela qu'on se permettait de proposer cette idée d'une réflexion plus globale. Si le ministère de l'Éducation, par exemple, ne prend vraiment pas la question en main et ne se dit pas: Comment va-t-on s'attaquer à l'analphabétisme dès le départ? Comment va-t-on permettre qu'il y ait un lien entre l'école et le milieu familial de l'enfant?... Nous, on connaît beaucoup d'enfants. Parfois, il se passe des choses à la maison que l'enfant n'ose pas raconter à l'école. C'est comme s'il changeait de monde entre l'école et la maison. Donc, il faut qu'il y ait un travail comme celui-là au chapitre de l'éducation.

On a été aussi très intéressés par un rapport sur la santé, "Naître égaux en santé", qui montre tous les problèmes culturels liés à la santé. Il faut vraiment une mobilisation dans ce domaine. Vous voyez, je pourrais continuer. C'est là qu'il y a vraiment un ensemble de mesures à mettre en route. Sinon, on risquera de s'accuser mutuellement de choses sur lesquelles on n'a pas une véritable prise. Cela ne nous empêche pas de dire, dans le domaine de la sécurité du revenu - je pense que M. le ministre acceptera qu'on dise cela - qu'il faudrait certainement arriver à ce que cette sécurité ne soit pas soumise à trop de conditions. Il y a un moment où on a besoin de savoir si demain, après-demain et le mois prochain, il va y avoir de quoi vivre. Alors, il y a une responsabilité dans le domaine de la sécurité du revenu.

C'est pour cela qu'on s'est permis de lancer une idée qui nous dépasse. Bien sûr, ce n'est pas un organisme comme le nôtre qui peut réfléchir à une telle loi. Est-ce que cela vous paraîtrait possible et comment verriez-vous que soit poussée une telle, réflexion qui, d'après ce qu'on perçoit dans différents pays, est quand même, la voie qui s'ouvre de la manière la plus sûre?

Mme Harel: Vous parlez de la loi-cadre? M. Robert: Oui.

Mme Harel: C'est cela. Est-ce que cela a été légiféré ailleurs? Est-ce que cela existe déjà?

Est-ce qu'on peut avoir accès à de la documentation législative sur cela?

M. Robert: Nous terminions notre intervention orale en disant que le Québec donnerait l'exemple, c'est-à-dire qu'il y a un travail de pionnier à faire. Mais il n'est pas complètement le pionnier, en ce sens que la France - pour revenir à ce rapport dont on parlait - a commencé, elle, d'une façon très pragmatique. Ce qui a été décidé, c'est de dire: On va prendre une douzaine de départements qui seront volontaires et, à petite échelle, on va essayer d'expérimenter une politique globale pendant trois ans. Ces expérimentations ont démarré le mois dernier. Le but c'est, à la fois, d'expérimenter et de préparer le travail législatif. C'est une piste, mais il y a à innover. C'est sûr.

Mme Harel: Quand vous dites "une approche globale", c'est avec l'ensemble des ressources des ministères de l'Éducation, de la Santé et des Services sociaux et de l'Habitation. C'est là une approche globale pour des populations locales? C'est cela?

M. Robert: C'est cela. Chaque ministère, sans oublier celui de la Culture, a une part de budget. Je prends l'exemple de mon pays. En France, ce qui se passait perpétuellement, c'est que les plus démunis étaient renvoyés aux Affaires sociales. Le pas qu'on essaie de franchir, c'est de dire: II faut que le ministère du Logement et le ministère de la Culture se disent: Comment mes politiques vont-elles aller jusqu'aux plus démunis? C'est un peu cela, l'idée: que personne ne se décharge des plus démunis. Tout le monde est citoyen et tout le monde a le droit à la culture.

Mme Harel: C'est intéressant. Sur la première page du mémoire, l'objectif, à ATD Quart-Monde, c'est: "Sans priorité aux plus défavorisés, il n'y a pas de justice possible". Cela m'a rappelé que la justice, ce n'est pas nécessairement l'égalité sans apostrophe, la légalité. Très souvent, j'ai eu l'impression que, dans tout ce projet de réforme, on visait la légalité des droits, et qu'on allait avoir comme conséquence l'aggravation des inégalités, d'une certaine façon, tant la recherche de la légalité entre les droits, par exemple, une recherche qui fait qu'on va comparer les prestations reçues par un couple aux prestations de deux personnes seules en voulant harmoniser les deux personnes seules au couple ou en voulant harmoniser la contribution parentale des prêts et bourses à la contribution parentale du régime d'aide sociale... En fait, toute une harmonisation se fait dans la recherche de la légalité des ressources, dois-je dire, mais en ne tenant pas compte qu'il y en a qui sont plus égaux que d'autres dès le départ et que, si on maintient fa légalité entre les inégaux, on aggrave, d'une certaine façon, l'inégalité.

Mais on est dans une société qui n'en est pas encore à ce niveau de réflexion. Je pense,

par exemple, dans les classes, au ratio maître-élèves. Tous les intervenants du réseau de l'éducation, que ce soit les syndicats, le gouvernement ou les commissions scolaires, s'entendent pour penser qu'il faut un seul ratio dans tout le territoire. C'est cela, la justice, tout le monde est pareil, sans prendre en considération que ce n'est pas la même chose d'enseigner dans une classe où tous les enfants ont un ordinateur à la maison que d'enseigner dans une classe où il n'y en a aucun qui a accès au cinéma, le dimanche. Mais ce principe de "tous pareils" conduit le Québec, finalement, à constater que les inégalités s'aggravent, malgré la Révolution tranquille des années soixante qui, elle, a établi le principe de la légalité pareille, si vous voulez, dans les ratios, dans les accès aux services publics: assurance-maladie, CLSC et autres. En tout cas, je voulais simplement vous le signaler et peut-être vous laisser le mot de la fin sur cet objectif que vous poursuivez.

Le Président (M. Bélanger): Si vous me le permettez un instant, compte tenu de l'heure, est-ce que j'ai le consentement pour poursuivre les travaux?

Mme Harel: Consentement.

Le Président (M. Bélanger): Consentement, merci. Allez-y, je vous en prie. Il y a des formalités comme celle-là.

Mme Lang: En conclusion, on voudrait certainement, encore une fois, vous remercier de nous avoir permis cette contribution et de nous avoir aidés à avancer dans notre réflexion. Vous avez souligné l'égalité - I'- qui nous tient beaucoup à coeur et ce qu'on a toujours voulu faire passer, c'était justement que cette égalité, en fait, était peut-être une inégalité dans le sens où elle nous poussait à donner le plus à ceux qui avaient le moins, alors que, partout ailleurs, c'est le contraire. Quand vous avez un compte en banque, si vous avez un peu d'argent, on vous fait confiance, on vous en prête encore. Si vous n'avez pas d'argent en banque, il est très difficile d'avoir un prêt. Notre société est un peu comme cela et les plus pauvres en sont l'exemple vivant. Si on pouvait avancer tous ensemble dans cette démarche... On voudrait aussi vous remercier parce qu'on a vu combien cette rencontre à laquelle vous nous avez conviés, c'était un signe que la démocratie, ici, ne se mesure pas toujours au nombre de votes recueillis. Oui, la démocratie n'est pas un vote, mais une idée où la vie et la pensée de chacun comptent et y compris celles des plus démunis. Alors, on voudrait vous remercier et on espère pouvoir continuer à faire partie de cette vie démocratique.

Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie, madame. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je voudrais conclure en vous disant que cet échange d'idées a été, en ce qui concerne le ministère, le ministre et la commission, enrichissant. Je m'en voudrais de ne pas souligner une autre idée qui apparaît à votre mémoire, mais que nous n'avons pas eu l'occasion de discuter. Compte tenu de la présence du ministre délégué à la Famille à nos travaux ce soir, je tiens à attirer l'attention des membres de la commission sur la page 7 de votre mémoire, où vous traitez de "La famille: facteur de promotion sociale à soutenir", et où vous dites: "Nous voudrions également souligner l'importance d'assurer une promotion de la famille dans toute réforme touchant les plus démunis. Nous ne le faisons pas au nom des principes, mais parce que les plus pauvres nous redisent sans cesse, dans tous les pays où nous sommes implantés, leur volonté d'assurer un avenir meilleur à leurs enfants." Je pense que ce propos-là, les membres de la commission vont le retenir et, pour l'avoir inscrit à votre mémoire, je vous félicite!

Mme Lang: Après, on s'engage à faire le travail que vous nous avez proposé de faire.

Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie, madame. Alors, Mme la députée de Maison-neuve, est-ce que vous voulez remercier nos invités?

Mme Harel: Oui, je vais les remercier peut-être avec la conclusion de ce chapitre sur la famille, où vous dites: Quelle que soit la volonté de rester ensemble, il convient de rappeier que des conditions de vie trop précaires finissent par avoir raison de la famille. J'espère que le ministre délégué à la Famille pourra méditer sur cette conclusion.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président, maintenant, je comprends davantage pourquoi on les appelle les amis d'ATD Quart-Monde inc. Pour le tout le travail que vous avez consacré - déjà, j'ai le mandat, moi, de vous confier du travail additionnel d'analyse de programme - au nom du gouvernement du Québec et au nom de cette commission parlementaire, pour votre contribution positive, merci.

Le Président (M. Bélanger): Alors, la commission des affaires sociales remercie l'Association des amis d'ATD Quart-Monde inc et ajourne ses travaux jusqu'à demain 10 heures, où nous recevrons notre centième groupe. Merci.

(Fin de la séance à 22 h 5)

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