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(Dix heures quinze minutes)
Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il
vous plaît! Je demanderais à chacun de prendre sa place afin que
la commission des affaires sociales puisse procéder à une
consultation générale et tenir des auditions publiques en vue
d'étudier le document intitulé "Pour une politique de
sécurité du revenu".
Auditions
Ce matin, nous recevons à la table des témoins
l'Église unie du Canada, représentée par Mme Faye
Wakeling, Mme Lesley Lee et Mme Gayle Chouinard. Je vous explique nos
règles de procédure. Vous avez 20 minutes ferme pour
présenter votre mémoire et il y a 40 minutes de discussion avec
les membres de la commission. Chaque fois que vous avez une intervention
à faire, je vous prierais de bien vouloir vous identifier avant de la
faire pour les fins de transcription au Journal des débats. Je
vous prierais de vous identifier et de présenter votre
mémoire.
Église unie du Canada
Mme Wakeling (Faye): Mon nom est Faye Wakeling. Depuis sa
fondation, l'Église unie du Canada a été impliquée
dans la lutte pour la justice sociale et nous continuons à travailler
contre les conditions de pauvreté qui sont sévères et
croissantes. Bien que notre Église ne soit pas aussi bien connue
à Québec que l'Église catholique, il est important de
souligner notre implication dans les divers secteurs de notre
société québécoise, particulièrement avec
les travailleurs à bas revenus de beaucoup de centres urbains et de
régions rurales, par notre soutien et nos subventions à beaucoup
de groupes populaires de base partout dans la province.
Je suis personnellement la directrice d'un centre communautaire de
l'Église unie à Montréal, dans le quartier de
Pointe-Saint-Charles, où je travaille directement avec les
assistés sociaux et les assitées sociales, les chômeurs et
les chômeuses, les femmes et les enfants qui seront affectés
directement par la réforme de l'aide sociale telle qu'elle est devant
nous.
Il y a quatre ans, l'Église unie a énoncé une
politique s'appliauant au contexte d'aujourd'hui, s'intitulant "L'Eglise et la
crise économique". On y affirme "que la façon dont notre
société traite les pauvres et les opprimés est pour nous
le test de la présence rédemptrice de Dieu et de la justice
humaine", II s'ensuit donc "que les besoins des pauvres doivent avoir
priorité sur tes désirs des riches, fa liberté des
dominés doit avoir priorité sur la liberté des puissants
et que la participation des marginalisés doit avoir priorité sur
la préservation d'un ordre qui les exclut". Nous chercherons donc une
réforme qui offre des solutions fondamentales pour la promotion de la
dignité humaine.
Nous faisons l'évaluation et la critique du document
d'orientation à la lumière des principes suivants affirmés
par notre Église. Premièrement, nous soutenons l'augmentation du
taux minimal d'aide sociale afin d'assurer que le soutien ne soit pas plus bas
que le seuil de pauvreté de Statistique Canada. Comment pouvez-vous
défendre une autre base que celle-ci? Comment pouvez-vous continuer
à accepter qu'au Québec une famille sur cinq demeure dans la
pauvreté? Actuellement, au Québec, les taux observés en
milieux défavorisés de bébés sous-alimentés
se comparent à ceux des pays du tiers monde. Présentement, dans
certains quartiers défavorisés de Montréal, comme
Pointe-Saint-Charles, la longévité à laquelle on peut
s'attendre est de neuf ans inférieure à celle des quartiers
favorisés.
Deuxièmement, nous affirmons la nécessité
d'introduire un revenu annuel garanti adéquat pour tous nos concitoyens
et toutes nos concitoyennes. Ce n'est pas seulement le montant pour vivre qui
est important, mais aussi la façon dont le système social en
place fonctionne afin d'assurer les moyens de vivre dans le respect et la
dignité des personnes. Le système actuel ne respecte pas la
dignité des personnes et, de plus, le document d'orientation est
basé sur la culpabilité, les soupçons et les punitions des
assistés sociaux et assistées sociales.
Troisièmement, nous demandons une politique et un programme de
plein-emploi comme principe clef pouvant valoriser la contribution humaine de
chacun et chacune. Il y a beaucoup de gens et de congrégations de notre
Église qui ont étudié ce document d'orientation selon ses
perspectives de justice et qui ont écrit à M. Paradis pour
exposer leurs grandes préoccupations face à la reforme
proposée qui annonce une aggravation de la misère humaine et
sociale au Québec. Les membres de notre Église continueront
à faire entendre la voix des pauvres et chercheront vos réponses
en vue d'une plus grande justice, d'une plus grande solidarité et d'une
plus grande compassion sociale.
Mme Lee (Lesley): Je vais continuer. Je suis Lesley Lee, membre
du comité sur la pauvreté et l'économie. Nous
présumons que vous avez lu notre mémoire. Ici, au lieu d'entrer
dans les détails de la réforme, nous voulons regarder la question
suivante: Quelle est la vision de la société qui a dicté
la réforme de l'aide sociale?
Premièrement, c'est une société où
l'économie prime. Puisque la présente réforme de l'aide
sociale a déjà été élaborée en 1984
dans le livre blanc sur la fiscalité des particuliers, je me permets de
citer quelques lignes de ce dernier document car je le trouve très
explicite sur la philosophie qui l'inspire, philosophie qui a d'ailleurs
sous-tendu une réforme identique de l'aide sociale aux
États-Unis.
Sur la page couverture du livre blanc, on lit que c'est - et je cite -
"en protégeant et en stimulant d'abord la création de la richesse
avant de prétendre la partager que les réformes de taxes et de
transferts doivent s'effectuer." L'avant-propos de ce même document
conclut avec la phrase suivante: "II n'y a pas d'espoir pour la justice sociale
dans une économie en décroissance."
Cette vision de la société fait de la croissance
économique une priorité dont la dasse capitaliste constitue le
moteur. Justement, sous prétexte de stimuler le capital, Québec
et Ottawa ont modifié les régimes fiscaux en réduisant
constamment le fardeau fiscal des plus riches de notre société.
Quant aux subventions à l'industrie, le Québec a embarqué
dans une politique de financement de la réussite. Le but est le
même: mettre plus d'argent entre les mains des gros investisseurs.
Dans cette société où la croissance
économique constitue l'objectif et les valeurs ultimes, les personnes
n'ont d'importance que dans la mesure où elles contribuent à
cette croissance économique. Ceux et celles qui ne contribuent pas au
PNB sont rejetés ou marginalisés: les femmes au foyer, les
chômeurs et les chômeuses, les assistés sociaux, les jeunes,
les vieux. Le péché ultime devient la non-participation à
la production monnayable de biens et de services.
La logique de cette vision économique de la société
exige qu'on classifie les citoyens et les citoyennes en deux catégories:
ceux qui contribuent au PNB et ceux qui n'y contribuent pas. Ceux et celles
qui, en raison de l'âge ou d'un handicap sévère, sont dans
l'impossibilité d'y contribuer sont étiquetés inaptes.
L'État en fera des cas de charité tout en les maintenant au
strict minimum et en les isolant du reste de la société, mais
tout en se gardant le droit d'en réduire le nombre si le coût de
leur soutien devient trop onéreux. Je me réfère ici
à la fiche no 11 du document interne de la direction des politiques et
des programmes de revenu. Tous les autres qui ne contribuent pas au PNB sont
déclarés aptes au travail. Ils doivent assurer une participation
minimale au marché du travail pour assurer leur survie et la survie de
leurs dépendants.
Deuxièmement, c'est une société de charité
plutôt que de justice sociale. Le gouvernement du Québec se
présente, dans tous ses documents économiques, comme le grand
dispensateur de charité aux pauvres qui ne font qu'essayer d'en avoir
plus et de tricher l'État. Ces cas de charité aiment tellement
leur condition de dépendance de l'État qu'ils essaient par tous
les moyens d'y rester. L'État se présente comme le père
qui a trop gâté ses enfants et, en bon père de famille,
l'État a décidé qu'un bon coup de pied bien placé
leur ferait du bien.
L'image de l'État paternaliste et charitable fait abstraction des
longues luttes menées au Québec depuis 30 ans pour bâtir
une société non pas de charité, mais de justice sociale.
Les programmes sociaux n'ont jamais été mis en place
spontanément par l'État. Ils sont le résultat de longues
luttes et, à chaque occasion qui se présente, ce gouvernement a
tenté de réduire ou de faire disparaître ces programmes.
L'argent pour nos programmes sociaux vient des poches des citoyens et des
citoyennes du Québec. Quand l'État annonce qu'ils coûtent
trop cher, c'est parce qu'il préfère utiliser notre argent
à d'autres fins.
La récession économique a été le
prétexte pour le gouvernement de trancher dans les programmes sociaux,
mais la supposée relance économique nous fait voir clairement
qu'il n'y a pas d'espoir pour la justice sociale dans une économie en
croissance non plus, car l'État veut faire oublier la justice sociale
avec ses notions de solidarité et de dignité humaine et revenir
à la charité d'y penser par une classe et un État
capitalistes.
Troisièmement, c'est une société où on
blâme les victimes. En plaçant la majorité des
bénéficiaires de l'aide sociale dans la catégorie des
aptes au travail, l'État les présente constamment comme des
personnes qui ne veulent pas travailler et qui ont besoin de mesures punitives
pour les inciter au travail. Les bénéficiaires de l'aide sociale
deviennent les boucs émissaires pour toutes les failles dans le
système économique actuel. C'est le bon vieux jeu de ce qu'on
appelle en anglais "blame the victim". On culpabilise les sans-emploi pour le
fait que le système économique actuel ne peut admettre le
plein-emploi.
On demande une politique de plein-emploi. L'État a répondu
dans le livre blanc que la "désincitation presque totale qui a
été fabriquée par l'aide sociale risque de rendre
illusoire toute politique de plein-emploi et de pleine activité." Donc,
il faut d'abord régler le problème de la désincitation au
travail des assistés sociaux avant de s'attaquer au problème du
sous-emploi. C'est comme si le fait de forcer des milliers de gens à se
battre pour des emplois permettra soudainement la création d'emplois. Le
seul résultat sera la détérioration des conditions de
travail et la "précarisation" de l'emploi pour près de 1 000 000
de personnes qui entreront dans un jeu de chaise musicale pour les emplois au
bas de l'échelle. L'État veut nous faire croire que le
système économique est parfait et que ce sont les gens qui sont
croches, trop exigeants, mal formés, pas assez scolarisés, trop
scolarisés, avec un manque d'initiative et des valeurs improduc-
tives.
Quatrièmement, c'est une société qui convertit la
responsabilité collective en responsabilité familiale. Dans le
document d'orientation l'État a redéfini son rôle social et
a nommé un nouveau responsable pour le bien-être collectif: la
famille. Et je cite ici: "L'aide sociale doit tenir compte des lignes de
solidarité, de responsabilité qui unissent les membres d'une
famille et ne doit pas remplacer les contributions et les fonds de secours
déjà existants dans la famille. L'aide sociale, en effet, ne doit
pas se substituer aux responsabilités parentales et aux obligations
filiales."
Le rôle social de l'État est déchargé sur les
familles. Ceci n'est pas nouveau avec la réforme de l'aide sociale.
Depuis six ou sept ans, au Québec, on coupe de l'argent dans les
services tels que l'éducation et la santé. On refuse de financer
de façon significative les garderies et l'éducation
supérieure. On désinstitutionnalise les malades, les
handicapés, les personnes âgées. On les retourne dans leur
famille. Et l'aide aux parents diminue d'année en année.
Maintenant, l'État veut faire vivre les adultes sans emploi par leur
famille.
Économiquement, c'est facile à comprendre. L'État a
toujours souhaité une unité économique familiale car elle
coûte beaucoup moins cher. Et, quand les individus à
l'intérieur d'un ménage souffrent, l'État peut pointer du
doigt et dire: Ce sont de mauvaises familles, mais ce n'est pas notre affaire.
Avec la réforme proposée, bien des familles n'en auront
même pas assez pour satisfaire leurs besoins essentiels de base mais,
quand les enfants se retrouveront dans les rues à mendier ou à
faire de la prostitution, l'État pourra dire: Mais c'est la faute des
parents qui ne veulent pas travailler. (10 h 30)
Cinquièmement, c'est une société qui n'a pas de
place pour les jeunes. Le sort des jeunes est particulièrement
inquiétant. Comment devien-dra-t-on adulte dans ce paradis
économique? Pas en ayant ses 18 ans, ni ses 21 ans, ni ses 30 ans.
Peut-être à 55 ans? Qui va vouloir mettre au monde un enfant dans
cette société de dépendance familiale? Les parents qui
doivent assumer leurs enfants jusqu'à ce que ces derniers atteignent 55
ans vont sûrement s'assurer que la reproduction s'arrête là.
La prochaine étape - vous y avez sûrement pensé - ce serait
de prendre en considération les revenus des enfants lors de
l'attribution des pensions de vieillesse et de toute autre aide aux personnes
âgées. Quant à la promesse de parité pour les
jeunes, c'est une menterie publique éhontée, et vous le
savez.
Sixièmement, c'est une société qui tourne le dos
à la pauvreté. Pour qu'on n'ait pas de remords comme
société au sujet des pauvres, le gouvernement nous assure dans
son document d'orientation que les pauvres n'ont pas les mêmes besoins
que le reste de la population. Apparemment, cela coûte moins cher aux
familles ou individus pauvres pour se loger et pour se nourrir. De plus, ils
n'ont pas besoin de vie culturelle, de loisir, de fête. Lorsque les
personnes considérées comme aptes au travail sont en
période intensive de recherche d'un emploi, elles n'ont pas besoin de se
laver, de s'habiller, de se transporter ou d'acheter des journaux. Les femmes
enceintes et les familles avec des enfants de moins de deux ans peuvent
s'accommoder de prestations réduites et, par magie, quand les enfants
atteignent l'âge de deux ans, ils n'ont pas besoin de leur mère.
Un peu plus grands, ces mêmes enfants n'ont pas besoin d'articles
scolaires ou de participer aux activités parascolaires ou à des
loisirs, pas de patin, pas de cinéma, pas de lunettes et jamais de
sortie aux vacances.
Cette vision de la société où l'économie
prime, basée sur la charité plutôt que sur la justice
sociale, où on blâme les victimes et où on convertit la
responsabilité collective en responsabilité familiale, où
on n'a pas de place pour les jeunes et où on tourne le dos aux pauvres,
cette vision ne s'est pas développée toute seule et ce
gouvernement a fait des choix.
Mme Wakeling: Faye Wakeling, je vais continuer.
Le Président (M. Polak): Mme Wakeling, je veux simplement
vous rappeler qu'il ne vous reste que trois minutes.
Mme Wakeling: Oui, merci. Nous revenons à ces principes de
base qui, nous le croyons, doivent sous-tendre un système de
sécurité du revenu, à la lumière de la critique que
nous avons faite.
Premièrement, nous soutenons l'augmentation du taux minimal
d'assistance sociale afin d'assurer que le soutien ne soit pas plus bas que le
seuil de pauvreté de Statistique Canada. L'État déclare
ouvertement qu'il n'a pas l'intention d'aligner son aide sur les besoins
minimaux de santé. Les bénéficiaires sociaux doivent
plutôt apprendre à survivre avec le régime
élémentaire dans des logements inadéquats pour les plus
pauvres de notre société. Les inaptes qui n'ont pas la
possibilité de sortir de leur situation doivent endurer la malnutrition
et les conditions abominables de logement qui sont le sort de 10 % des plus
pauvres de notre société et dont le niveau de vie leur est
fixé comme barème. Il est choquant et totalement immoral qu'un
gouvernement puisse déclarer désinstitutionnalisées des
conditions de pauvreté extrême pour une grande partie de sa
population et ce, dans un pays qui se veut civilisé et qui est riche en
ressources de toutes sortes.
Nous sommes scandalisés et troublés que vous choisissiez
de proposer une réforme de l'aide sociale qui ne s'efforce pas de
redresser la situation d'un nombre croissant - plus de 20 % - de ménages
qui vivent dans la pauvreté
dans notre province. Quelle société voulons-nous
bâtir? Quel avenir? Et pour qui? Voulez-vous construire une
société à deux étages: l'un pour les riches,
l'autre pour ceux que l'on condamne à la pauvreté? Nous soutenons
que l'harmonie et la paix sociale se construisent au moyen d'une plus grande
solidarité sociale basée sur la réduction des
écarts de niveaux et des chances de vie.
Deuxièmement, l'introduction d'un revenu annuel garanti
adéquat. L'objectif d'un revenu annuel garanti adéquat est de
fournir la base d'une autonomie financière et de réduire les
dépendances vis-à-vis du système de l'aide sociale. La
réforme proposée procède à contresens de cet
objectif. Par cette réforme, vous semblez vouloir échapper
à votre responsabilité politique et gouvernementale de la
recherche de plus de justice en mettant plus de poids sur les épaules
des pauvres eux-mêmes. Votre document propose un système qui
coupera complètement 17 000 jeunes âgés entre 18 et 24 ans
de l'aide sociale sans considérer la capacité réelle de
leur famille à les soutenir ou leur intention de les soutenir
financièrement. Comment défendre votre recommandation, à
savoir que même les familles qui vivent dans la pauvreté,
c'est-à-dire les familles qui reçoivent le bien-être
social, doivent contribuer un minimum de 100 $ par mois pour chaque
dépendant adulte? Comment défendre votre décision de
perdre des milliers de jeunes? De fait, nous avons tout lieu d'être
inquiets de l'avenir du Québec lorsque les jeunes ne sont pas
considérés comme une richesse de notre société.
Le Président (M. Polak): Mme Wakeling, en avez-vous encore
beaucoup à dire? Votre temps est expiré. À moins qu'on
n'enlève cela, moitié-moitié, sur le temps...
Mme Wakeling: D'accord. Une minute, s'il vous plaît!
Le Président (M. Polak): Oui.
Mme Wakeling: Merci. Le troisième point, le programme de
plein-emploi. Non seulement cette réforme n'est-elle pas liée
à une stratégie prioritaire de l'emploi mais, de plus, cette
réforme proposée grugera encore davantage la stabilité de
l'actuel marché de l'emploi par des mesures telles que la proposition
"grant diversion", des subventions salariales aux employeurs, ce qui risque de
créer des coupures d'emplois existants et de projets d'emplois que
certains qualifiaient de bidons.
La réforme parle d'incitation au travail par des programmes
d'éducation et de formation mais, selon vos fiches, ce ne sera possible
que pour 20 % des personnes admissibles à trouver un emploi,
c'est-à-dire que 60 000 bénéficiaires y participeront.
Dans la documentation supplémentaire, il est expliqué que le
nombre de participants à ces mesures a été plafonné
en fonction de la capacité du gouvernement à offrir de telles
mesures. En même temps, votre réforme se propose de punir et de
culpabiliser tous ceux et toutes celles qui n'ont aucune chance de participer
au programme.
Nous sommes en face d'une pression accrue sur les pauvres de notre
société, puisque la réforme proposée n'assure pas
le bien-être fondamental de nos concitoyens. Nous devons vous exprimer
notre profonde déception. Nous cherchons une réforme qui
s'efforce de répondre aux besoins de la dignité humaine et de la
justice sociale. Nous avons, hélas, trouvé une proposition de
réforme injuste et même cruelle. En enfonçant les pauvres
dans la pauvreté, elle tourne le dos à l'espérance.
Le Président (M. Polak): Merci. La parole est maintenant
au ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je voudrais remercier
l'Église unie du Canada et ses représentantes et pour le
mémoire écrit et pour la représentation verbale. Je pense
que c'est Mme Wakeling qui, au tout début, mentionnait que
l'Église unie du Canada était peut-être moins bien connue
à Québec que l'Église catholique, mais qu'elle oeuvrait
dans les régions du Québec. Je peux en témoigner. Dans la
circonscription électorale que je représente, l'Église
unie du Canada est implantée aux quatre coins et même au centre,
ce qui m'a permis des discussions privilégiées avec certains
membres du clergé de l'Église unie du Canada concernant, oui, la
politique que nous avons devant nous ici aujourd'hui, mais également
concernant d'autres politiques gouvernementales. Vos gens sont impliqués
dans toutes les dimensions des dossiers, qu'il s'agisse de la dimension
économique, de la dimension sociale ou de la dimension religieuse. Ils
ont à coeur le mieux-être de leurs concitoyens.
Vous me permettrez, en commençant, de tenter de vous convaincre
ou de plaider en vue de vous convaincre que le portrait que nous faisons de la
clientèle de l'aide sociale n'est pas celui que vous nous avez
décrit ou que vous avez pensé qu'on vous avait décrit.
À partir des chiffres du mois de mars 1987, on constate que quelque 400
000 chefs de ménage n'avaient comme seul moyen de subsistance que les
prestations de l'aide sociale au Québec.
Quelles sont les caractéristiques de cette clientèle?
À peu près 25 % de cette clientèle, soit 100 000 chefs de
ménage, serait des gens admissibles au programme Soutien financier. Ce
sont des gens qui, pour une longue période de leur vie, sont incapables
de subvenir, bien qu'ils soient productifs dans certains cas... Hier, quelqu'un
a utilisé une expression intéressante: "productifs, mais non
compétitifs sur le marché du travail". Ces 25 % se retrouveraient
admissibles à un programme où leurs prestations seraient
augmentées de quelque 1000 $ par année, comparativement au
système actuel. Cela peut
sembler peu pour des gens qui ont des revenus beaucoup plus importants
mais, pour ces gens-là, il s'agit quand même d'une augmentation
que nous considérons, sur le plan gouvernemental, comme substantielle.
Le coût total net additionnel est de quelque 100 000 000 $ indexés
annuellement.
En ce qui concerne les autres 300 000 ménages, 75 % de la
clientèle dite apte au travail... Vous avez raison de nous mettre en
garde quant à l'utilisation du terme "apte". Bien que ces gens-là
possèdent ce qu'on appelle généralement les
capacités physiques de remplir un emploi, il devient de plus en plus
difficile pour ces personnes et, dans plusieurs cas, impossible de se
dénicher un emploi si l'on tient compte des exigences du marché
du travail au moment où l'on se parle. Cette clientèle de 300 000
chefs de ménage est composée de 36 % d'individus qui sont des
analphabètes fonctionnels, c'est-à-dire que ces
personnes-là ne peuvent même pas prendre connaissance de l'offre
d'emploi que vous retrouvez dans un journal. De plus, 60 % de cette
clientèle n'a pas terminé son cours secondaire. Si vous
énumérez ou si vous faites la liste des offres d'emplois, vous
verrez que, dans une proportion très importante, pour avoir
l'autorisation de poser sa candidature à un emploi qui est ouvert, on
exige d'avoir terminé son cours secondaire. Aussi, 40 % de cette
clientèle - c'est plus particulièrement vrai chez les femmes -
n'a aucune expérience antérieure de travail. Là encore,
pour pouvoir poser sa candidature à plusieurs offres d'emplois, on exige
une expérience antérieure de travail.
C'est donc là la clientèle qui était
bénéficiaire de l'aide sociale en mars 1987 et qui a
diminué depuis ce temps-là. Elle était en augmentation
constante jusqu'en mars 1986. Depuis mars 1986, la clientèle est en
diminution, surtout chez les jeunes.
Nous avons le choix, comme gouvernement, de perpétuer le
système mis en place à la fin des années soixante,
début des années soixante-dix, et de poster à ces gens que
je viens de vous décrire, sur une base mensuelle, un chèque, en
tentant de se libérer la conscience en disant: Nous avons fait ce que la
société avait à faire pour ces gens; nous les
marginalisons, nous les oublions, nous les stationnons en marge de cette
société et nous créons à ce moment-là -
c'est ce que vous avez mentionné dans votre conclusion - presque deux
sociétés au Québec: ceux et celles qui partagent la
richesse ou qui participent à la vie économique et ceux et celles
qui sont complètement laissés de côté.
Nous avons opté, autant pour les personnes qui sont admissibles
au programme Soutien financier que pour les personnes admissibles au programme
APTE et au programme APPORT, pour investir dans leur employabilité de
façon qu'elles aient une chance de se trouver un emploi. C'est 100 000
000 $ - je l'ai indiqué - pour les 100 000 personnes admissibles au
programme
Soutien financier; 45 000 000 additionnels, parce qu'il y a abolition du
programme SUPRET que vous devez sans doute bien connaître et son
remplacement par le programme APPORT, mais à un coût additionnel
de 45 000 000 $ d'argent frais et nouveau également...
En ce qui concerne le programme APTE, c'est un peu un défi que le
gouvernement se lance et lance aux groupes communautaires, au patronat, aux
syndicats ainsi qu'aux assistés sociaux. Le gouvernement ajoute en
argent nouveau et frais 445 000 000 $ sur une base annuelle, si on obtient une
participation à 100 % dans les programmes d'employabilité.
Là-dessus, j'en profite pour vous dire que dans le document que vous
avez cité - j'ai eu à en confirmer certaines parties et à
en nier certaines autres - la partie que vous avez mentionnée, les 20 %
de plafonnement, c'était une... Ce document a été
préparé au ministère tout comme dans le cas du salaire
minimum. On me prépare des documents tous les ans me demandant de ne pas
augmenter le salaire minimum ou me demandant de l'augmenter. Si vous mettez la
main sur les documents préparés qui disent "ne l'augmentez pas",
vous allez dire: Le gouvernement ne l'augmentera pas. Si vous mettez la main
sur le document qui dit de l'augmenter, vous allez dire que le gouvernement va
l'augmenter. Cela fait partie des documents de travail, mais cela n'a
absolument pas été retenu par le ministère que je dirige.
Donc, 445 000 000 $ d'argent additionnel à ce chapitre. (10 h 45)
On ne prétendra pas que notre approche est parfaite et, surtout,
que notre approche ne serait pas utopique s'il ne fallait pas compter sur les
autres secteurs économiques pour la création d'emplois. Mais, de
mois en mois, nous recevons des nouvelles qui, sans être excellentes sur
le plan de la création d'emplois, sont encourageantes. Les
dernières statistiques de février à février sont
les plus récentes, de la semaine dernière, février 1987
à 1988. On a fait la soustraction des emplois perdus, on a
additionné les emplois créés et cela donnait 104 000
nouveaux emplois. La qualité de ces emplois: 99 000 étaient
à temps plein et 5000 à temps partiel. Les secteurs où ces
emplois ont été créés: 43 000 dans le secteur
manufacturier, 24 000 dans les services, 21 000 dans la construction et 21 000
dans le secteur des finances, des assurances et des affaires
immobilières. C'est un peu le décor dans lequel nous nous
situons.
Maintenant, il y a des questions précises auxquelles vous vous
attaquez et qui méritent réflexion de notre part et de votre part
pour qu'on tente de bonifier les principes mis de l'avant. Vous avez
attiré notre attention sur ce que j'appelle la contribution alimentaire
parentale et vous avez dit: Vous exigez une contribution minimale de 100 $
à tous les parents, quels qu'ils soient, etc. Je vous dirai que vous
avez raison dans la description que vous en avez faite. C'est
exact, ce que vous avez dit, sauf que, comme ministre ou comme
gouvernement, nous avons un choix à faire quant à cette
contribution alimentaire parentale. Elle existe, comme vous le savez sans
doute, en ce qui concerne les prêts et bourses aux étudiants, le
système de prêts et bourses aux étudiants. Elle est
identique en ce qui concerne les prêts et bourses aux
étudiants.
Les questions de base que nous nous posons et sur lesquelles j'aimerais
recevoir vos lumières sont les suivantes: Est-ce qu'on peut se permettre
d'avoir, dans le programme de dernier secours qui s'appelle le programme de
sécurité du revenu, un régime plus avantageux pour les
jeunes qui choisissent l'aide sociale que pour les jeunes qui choisissent de
compléter leurs études ou de poursuivre leurs études?
Est-ce qu'on ne risque pas d'attirer ces jeunes du système scolaire vers
l'aide sociale? Première question.
Deuxième question concernant ce même sujet: Est-ce que les
parents dans une société ont des obligations envers leurs enfants
qui doivent différer suivant le choix que l'enfant fait? Est-ce que
l'obligation du parent est différente si l'enfant choisit de
compléter ses études, ou s'il choisit de poursuivre ses
études ou si l'enfant choisit de devenir un assisté social? Sur
ces deux points, j'aimerais avoir votre opinion précise.
Mme Lee: Est-ce que je peux répondre?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, je pose la question aux
représentantes.
Mme Lee: D'abord, j'ai mentionné les choix du gouvernement
et M. Paradis a dit, à deux reprises: Nous avons eu des choix à
faire. Mais les choix que vous présentez sont des choix très
restreints à l'intérieur d'un système qui est
déjà décidé. Si on prend l'exemple... Je vais
revenir aux deux questions, parce que ce sont les mêmes genres de choix,
mais si on prend l'exemple des familles monoparentales qui ont de gros
problèmes qui ont été mentionnés depuis le premier
livre vert sur la politique familiale, si on prend le cas des familles
monoparentales et les coupures qui ont été faites, le choix du
gouvernement, dans ces cas-là, cela a été explicité
d'abord dans les coupures dans la fiscalité où on a dit que le
premier enfant d'une famille monoparentale ne vaut pas un autre adulte dans la
famille, mais peut-être un enfant et demi, environ. En tout cas, on a
décidé de figer la déduction. Dans la réforme de
l'aide sociale, il y a des coupures pour les familles monoparentales.
Le choix de l'État, rendu à ce point-là, est bien
sûr soit de les couper ou de les aider un peu plus, mais on parle de
choix plus fondamentaux que cela. On parte du choix de soutenir les femmes
à l'intérieur des familles, de soutenir l'autonomie
financière des femmes et d'avoir un système fiscal qui ne
pénalise pas les femmes et qui ne transfère pas le fardeau fiscal
à ces femmes, de faire des politiques qui misent sur l'autonomie
financière de tous les individus adultes - à 18 ans, normalement,
c'est l'âge -tandis que toutes nos politiques vont dans l'autre sens.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne voudrais pas vous
interrompre, ce que vous énoncez est un vrai débat, sauf que je
ne sais pas si vous partagez mon opinion mais le forum auquel s'adresse ce
débat en est un de fiscalité globale.
Mme Lee: Mais c'est justement le problème, je trouve.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce que je vous dis, c'est que vous
pouvez me l'adresser. Je vais tenter de faire les représentations
appropriées le plus fidèlement possible à partir de fa
transcription des débats de la commission, s'i y a lieu, à mon
collègue des Finances ainsi qu'au premier ministre, sans doute. Mais une
politique de sécurité du revenu dans le cadre où nous
sommes confinés à la présenter au moment où nous
nous parlons, même si je voulais retenir votre suggestion de modifier le
programme d'aide sociale qui est totalement inadéquat et qui abandonne
les gens dans la pauvreté, au moment où nous nous parlons, j'ai
des difficultés de responsabilités pour vous donner une
réponse qui pourrait vous satisfaire.
Mme Lee: Je pense que c'est là-dessus... J'ai parlé
de la situation au Québec. La réforme de l'aide sociale essaie de
se restreindre seulement à la question de l'aide sociale. Sûrement
qu'au gouvernement vous parlez d'une façon un peu plus large de vos
dossiers individuels. Vous avez des orientations et des objectifs
généraux pour la société québécoise.
Un de ces objectifs ne semble pas être l'autonomie financière des
adultes. Quand je parie de choix, je dis que le gouvernement aurait pu miser
sur des programmes qui assurent l'autonomie financière et, surtout,
l'autonomie financière dans les couples. Il y a des régimes de
toutes sortes qui font que, quand les couples éclatent en divorce ou en
séparation, les femmes avec leurs enfants ne se trouvent pas en
situation de pauvreté, comme c'est le cas dans la majorité des
séparations.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): J'ai trois questions que vos
propos soulèvent. Cela ne me fait rien d'en discuter, bien que ce soit
large. Lorsque vous parlez de l'autonomie des adultes sur le plan fiscal et que
vous nous demandez de tenir compte des couples, en cas de séparation ou
de rupture du couple, afin qu'un des partenaires du couple ne se retrouve pas
complètement abandonné, cela soulève deux questions un
petit peu plus précises. Sur le plan de la fiscalité, au moment
où nous nous parions, nous savons que l'approche n'est pas individuelle
mais
qu'elle est davantage basée sur le couple. Même le
gouvernement se fait poursuivre présentement par un notaire de
Saint-Jérôme sur tout cet aspect de la fiscalité. Comment
pouvez-vous rejoindre en même temps ces deux concepts, couple et
individu, sur le plan de la fiscalité sans avoir deux régimes
fiscaux? En cas de rupture, en cas d'abandon d'un des partenaires du couple,
préconiseriez-vous des expériences telles que celles qui sont
vécues, entre autres, si on regarde simplement du côté du
Canada, au Manitoba, soit la perception des pensions alimentaires par le
gouvernement pour ne pas qu'un des conjoints subisse cette pression
additionnelle?
Mme Lee: Je pense que nous sommes dans un débat qui,
premièrement, me passionne parce que j'ai fait de la recherche sur les
rapports financiers dans les couples et, deuxièmement, qui est
très large. Je vais essayer d'être très brève parce
qu'on a autre chose à discuter.
Dans le cas de la fiscalité, depuis un certain nombre
d'années, je dirais depuis une dizaine d'années au Québec,
on peut faire l'analyse des effets de chaque modification fiscale sur les
femmes. Il y a plusieurs femmes mères de famille qui paient
présentement des impôts comme célibataires. Pourquoi? La
majorité des femmes ont un revenu inférieur au revenu de leur
mari. Toutes les déductions qui deviennent transférables se
retrouvent dans la déclaration du mari. Il y a donc tout cet aspect chez
les femmes qui ont des salaires au bas de l'échelle. On a plusieurs
études au niveau fédéral là-dessus. On commence
à en avoir aussi au niveau provincial qui démontrent que le
fardeau fiscal des plus pauvres, des gens qui paient de l'impôt mais qui
sont au bas de l'échelle, augmente. Il a augmenté
dernièrement au fédéral. On a parlé d'une
augmentation d'environ 82 % ou 85 %. Il y a 850 000 nouveaux contribuables au
niveau fédéral depuis un certain nombre d'années et on vit
la même chose.
Le Président (M. Polak): Mme Lee, excusez-moi. Il ne reste
que deux minutes de votre temps. Peut-être devriez-vous répondre
aux deux questions concrètes qui vous ont été
posées. Si vous le voulez, prenez vos deux minutes ou continuez le
débat.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): La discussion est
intéressante. Je ne veux pas vous ramener aux réponses
directes.
Le Président (M. Polak): Mais il ne reste que deux
minutes.
Mme Lee: Je dois peut-être y revenir parce qu'il y a
d'autres questions très importantes aussi qui sont plus dans le
sujet.
Il y a la question des prêts et bourses. Pour avoir
enseigné à un moment donné dans un cégep, je
connais la situation. La question est que le système des prêts et
bourses est très contesté. Il y a beaucoup de failles et,
justement, il y a la faille des parents qui ne contribuent pas mais qui sont
considérés par le système comme étant capables.
Qu'est-ce qui reste au jeune? C'est d'amener ses parents en cour parce qu'ils
ne le supportent pas. Il n'y a pas de façon de contrôler cela.
Il y a aussi l'idée que les jeunes au Québec, à
partir de 18 ans - ce n'est pas seulement pour les prêts et bourses,
où on peut dire qu'ils ont leur éducation et après cela va
bien aller - tous les jeunes tombent sur le même système qui peut
les garder très longtemps dans une situation de dépendance
financière envers les parents à un moment où les enfants
coûtent le plus cher et où il n'y a aucune aide de la part de
l'État. Moi, j'ai trois enfants en haut de 18 ans et je sais ce que cela
veut dire en termes de perte des allocations familiales. Quand les plus
âgés ont eu 18 ans, l'allocation familiale diminuait de 100 $
chaque fois. Quand un de mes enfants a eu 18 ans et que j'ai perdu 100 $, il a
"scrapé" mon char dans la même semaine.
Donc, ce sont des situations qui nous font dire qu'au Québec il
faut avoir des enfants jeunes. Là, il y a toutes sortes de subventions
maintenant. Je les ai manquées, mais elles sont là. Mais il ne
faut pas avoir des enfants adolescents et des enfants en haut de 18 ans non
plus. Quand je vois que je vis dans une société où ces
enfants-là vont m'appartenir, économiquement, jusqu'à ce
qu'ils trouvent un job, qu'ils y restent pour une couple d'années, ou
jusqu'à ce qu'ils aient un bac ou qu'ils fassent un
bébé... Cela est un autre choix. J'espère que ce n'est pas
cela.
Le Président (M. Polak): Mme Lee, excusez-moi, le temps du
ministre est expiré. La parole est à Mme la députée
de Maisonneuve.
Donc, excusez-moi, mais peut-être qu'elle vous laissera continuer,
elle fait cela très souvent. C'est très gentil.
Mme Harel: Cela me fait également plaisir de vous
accueillir à la commission. C'est notre dixième journée
d'audience aujourd'hui, notre quatrième semaine, et le ministre est
toujours aussi incorrigible. Je lisais dans Le Devoir, ce matin, un
editorial signé par Jean Francoeur qui disait: "II devient de plus en
plus manifeste que la mise en oeuvre de ce projet soulève de
sérieuses difficultés que la pensée magique ne suffira pas
à résoudre."
Peut-être que vous, c'est la première fois que vous
l'entendez, mais, moi, c'est la quatrième semaine que je l'entends
exprimer des bons sentiments. Ici, si la bonne foi se présume, c'est la
mauvaise foi qui se prouve. Les bons sentiments consistent à dire: On ne
va quand même pas continuer à envoyer les chèques sans
s'occuper des gens. Mais je pense qu'il y a une sorte de vraie honte à
faire croire aux gens que c'est pour leur bien qu'on va les couper et les
mettre
dans plus de pauvreté.
Dans la mesure où les mots pour le dire ne suivent pas les moyens
pour le faire, on appelle cela habituellement un discours démagogique.
Dans la mesure où on parle de l'analphabétisme et de la
sous-scolarisation et qu'il n'y a aucun plan, aucune campagne de scolarisation
sur la table, aucune conversation engagée avec le monde de
l'enseignement pour corriger cette situation, comprenez que c'est comme les
litanies de la procession de la Fête-Dieu. Vous vous rappelez quand on
chantait des litanies? Parfois aussi, cela me fait penser à d'autres
sociétés qui, à force de répéter, pensent
que la pluie va tomber. Il n'y a pas de moyens qui sont mis sur la table
présentement, notamment, pour faire face à ces problèmes
de sous-scolarisation qui sont quand même certainement alarmants et au
problème aussi d'un système d'éducation qui a des
déficiences puisqu'il continue d'en produire annuellement. (11
heures)
Je voudrais examiner avec vous, dans votre mémoire, la question
des personnes qui auront l'avantage des programmes APPORT et SUPRET.
J'espère que vous nous laisserez les notes de votre intervention.
Remarquez qu'on aura la transcription, mais je crois qu'il serait
intéressant d'examiner cela avec vous plus à fond. Auparavant,
juste une phrase sur l'employabilité. Le ministre a dit - je le cite au
mot - "Nous avons voulu investir dans leur employabilité". Ici
même, hier, des organismes vous ont précédés; entre
autres, des organismes provenant des régions de Trois-Rivières et
de Nicolet se sont adressés à la commission et ont
expliqué que cela faisait plusieurs mois qu'ils avaient demandé
des travaux communautaires; en janvier, dans un cas. Ils avaient
répété la demande au mois de mai et en août, et
c'est tout dernièrement qu'ils venaient d'obtenir une réponse.
Même l'application des mesures actuelles, du genre travaux communautaires
et autres, à une catégorie de moins de 30 ans avec l'incitation
financière de doubler les prestations, même cela... En tout cas,
la preuve n'est pas faite et le moins qu'on puisse dire, c'est que les
études qui nous permettraient de vérifier qu'il est en mesure de
les offrir, si le ministère en a, il ne les a pas rendues publiques.
Si le ministre était sérieux dans sa volonté qu'il
vous renouvelait d'offrir une pleine participation au coût de 445 000 000
$, il ferait disparaître la catégorie admissible. Pourquoi la
catégorie admissible, sinon pour faire l'antichambre en attendant qu'un
programme soit prêt quand on veut y participer? La catégorie
admissible, c'est quand quelqu'un dit: Je veux, je suis prêt, quand,
où, comment, et qu'on lui dit: Attendez. Sinon, il n'y a pas de raison
d'avoir une catégorie admissible.
J'aimerais savoir si vous avez des idées sur la question de
l'employabilité. Il y a des groupes qui sont venus ici dire au ministre:
Faites attention, il y a des conditions. Une des conditions, c'est qu'il faut
qu'il y ait de la place sur le marché du travail; sinon, c'est condamner
les gens à se promener d'une mesure à l'autre et il y a, à
ce moment-là, une sorte d'habituation aux mesures. Il faut qu'il y ait
une véritable évaluation des mesures; sans cela, la
qualité va être dévaluée. De plus, cela va devenir,
d'une certaine façon, un discrédit général d'y
participer. Il faut, disent les CEMO, qu'il y ait du personnel
compétent. Il y a incompatibilité de faire jouer à un
agent le rôle de contrôle et en même temps de soutien pour
participer aux mesures.
Parmi les autres conditions essentielles, selon tous les groupes qui
sont venus témoigner, il y a une participation volontaire des
bénéficiaires eux-mêmes, auquel cas l'employabilité
est discréditée. Je ne sais pas si vous avez des idées sur
cette question de l'employabilité puisque c'est là-dedans que le
ministre dit vouloir investir, mais ce serait peut-être bien de lui
indiquer dans quelle voie il faut investir.
D'autre part, je pense, Mme Lee, ne pas interpréter la
réponse que le ministre vous a donnée quand vous parliez de
fiscalité. D'une certaine façon, il a dit: Moi, c'est l'aide
sociale; je peux toujours transmettre cela à mes autres
collègues, mais mon "bag", dans le fond, c'est l'aide sociale. Mais cela
s'appelle quand même une politique de sécurité du revenu;
ou bien le titre est trompeur, ou il faut s'ajuster. Une politique de
sécurité du revenu, ce n'est quand même pas seulement une
réforme de l'aide sociale. C'est pour tout le monde, la
sécurité du revenu. Vous avez peut-être des choses à
dire au ministre là-dessus, notamment sur la pauvreté des gens
qui ne sont pas bénéficiaires de l'aide sociale, mais qui sont
pauvres bien qu'ils travaillent.
Je reviens à votre mémoire en regard des programmes SUPRET
et APPORT. D'abord, une chose m'est apparue à la lecture de votre
mémoire. Vous concevez qu'il y aura, pour les familles monoparentales
qui vont participer à APPORT et qui partagent un logement, une
réduction de 115 $. Dans le document confidentiel rendu public par le
front commun, c'est un montant de 160 $ qui serait finalement affecté
à une famille monoparentale qui partage un logement: 160 $ par famille.
Le ministre a dit que, dans ce document, il y a des choses qu'il
entérine et d'autres qu'il n'entérine pas. Celle-là,
est-ce qu'elle est vraie? Je pense que c'est la bonne occasion qu'il a de nous
le dire parce que 160 $ par famille, deux chefs de famille qui vivent ensemble
avec leurs deux enfants ou trois enfants, c'est, au départ, 320 $.
Je voudrais vous faire distribuer un tableau. Cela ne vous
dérange pas, Mme Lamontagne?
La Secrétaire: Non.
Mme Harel: C'est le tableau qui nous vient du ministère
des Finances qui a calculé les taux
d'imposition des personnes qui vont participer à APPORT - chef de
famille avec un enfant de moins de six ans - selon les revenus de travail
qu'elles vont gagner. Vous pourrez, de toute façon, les examiner plus
à fond mais vous voyez que ce sont des données fournies par le
ministère des Finances.
Pour un revenu de travail de 2000 $, avec les taux d'imposition, c'est
un gain annuel de 67 $.
Le Président (M. Polak): Vous avez une copie pour le
ministre?
Mme Harel: Certainement. Cela me fait plaisir de la lui remettre.
En plus, je l'ai souligné en jaune. Il va se retrouver encore plus
facilement.
Le Président (M. Polak): Pour les autres membres de la
commission aussi.
Mme Harel: II faudrait que Mme Lamontagne fasse faire des
copies.
Cela veut donc dire qu'avec un revenu de 2000 $ il va lui rester 5,91 $
par mois. Si elle va chercher 4000 $, je pense, de mémoire, qu'il lui
reste 21 $ par mois. Mais, là-dessus, je ne pense pas qu'on ait
calculé sa réduction de 160 $ si elle partage son logement. Ce
sont des chiffres... Ce n'est pas moi, ce n'est pas l'Opposition, ce ne sont
pas des groupes, c'est le ministère des Finances qui fournit ces
chiffres. En d'autres termes, cela ne lui rapportera rien du tout.
On pourrait peut-être reprendre avec vous les exemples que vous
donnez dans votre mémoire pour le programme APPORT. Je ne vous pose pas
les questions à vous, mais je ne peux pas penser que le ministre ne peut
y répondre. Quand le programme va-t-il débuter? Dans La Presse
d'aujourd'hui, la ville de Montréal dit que cela va commencer le 5
avril. Le 5 avril, c'est après Pâques. Après Pâques,
c'est dans trois semaines. Est-ce que cela va être rétroactif au
1er janvier? Quand les formulaires du programme SUPRET - parce que SUPRET
existe encore pour ceux qui ont à faire leur déclaration
d'impôt. Les fonctionnaires disent que les formulaires ne seront pas
disponibles avant quinze jours. Le ministre, lui, nous dit quand? Il en est
responsable. C'est un programme de sécurité du revenu. Quand les
formulaires vont-ils être disponibles pour le programme SUPRET de cette
année, pas de l'an prochain? Va-t-il prolonger le programme? La date
limite du 28 avril, cela s'en vient vite. Est-ce qu'il prend l'engagement de
prolonger le programme?
Et je voudrais vous entendre parler de SUPRET. Vous semblez regretter
SUPRET. Le ministre, lui, pense que c'est un bon débarras. Qu'en
pensez-vous?
Mme Lee: Concernant le programme SUPRET, nous partageons les
critiques à son sujet et nous déplorons le fait que le montant
soit retourné presque un an et demi après. Beaucoup de critiques
ont déjà été faites. L'avantage dans le programme
SUPRET, c'est la question de contrôle et de dignité humaine, car
SUPRET est quand même resté un programme lié à la
fiscalité qui est très honorable, plutôt que le programme
APPORT qui est très étroitement lié à l'aide
sociale. Apparemment, en Angleterre, ils ont tenté un programme
semblable à APPORT et très peu de gens admissibles qui sont
allés le chercher à cause de toutes les pénalités
de contrôle. On se demande aussi si les bureaux de l'aide sociale vont
rester ouverts le soir pour les travailleurs qui travaillent le jour et qui ont
à remplir des choses, faire des vérifications, etc.
Alors, on voit ce transfert d'une catégorie de gens... D'abord,
il y a une catégorie de gens qu'on va laisser tomber. Tous les individus
seuls, et on en connaît, qui comptaient sur ce petit supplément du
programme SUPRET ne l'auront plus. Il y a aussi les familles qui vont
être transférées d'un régime peut-être un peu
plus honorable socialement, à un régime qui les introduit
finalement dans tout le réseau de l'aide sociale, avec tous les
contrôles.
Mme Harel: Dans les exemples que vous apportez, vous semblez
conclure que le programme va agir comme un obstacle à la deuxième
personne, presque toujours la femme, pour son retour à l'emploi. Est-ce
là, finalement, la conclusion que vous tirez du programme APPORT?
Mme Lee: II faut d'abord dire que le document est très
mince. Donc, pour les chiffres et pour essayer de comprendre le programme
APPORT, il y a tout le questionnement, à savoir s'il y a quelque chose
entre l'aide sociale et APPORT. Pourquoi quelqu'un adhérerait-il
à APPORT? Il y a très peu de chiffres. On a cherché dans
le dernier budget du Québec dans lequel le programme a été
décrit. On avait encore des questions. On est allé chercher dans
les fiches et c'est peut-être le moment de demander à M. Paradis
ce qui est vrai et ce qui est faux dans ces informations. C'est peut-être
le moment de clarifier cela, parce que beaucoup d'entre nous avons lu aussi que
la coupure, c'était 160 $.
Le Président (M. Polak): Excusez, Mme Lee, le ministre
peut répondre, mais toujours sachant qu'on est limité... Combien
de temps reste-t-il, madame? Il reste cinq minutes. Donc, si vous voulez...
Mme Lee: Mais si Mme Harel le permet, j'aimerais que ce soit
clarifié.
M. Harel: Certainement, moi aussi, absolument. Mais cela ne veut
pas dire qu'il va clarifier. Cela veut dire qu'il va parler.
Le Président (M. Polak): On est ici pour se faire
renseigner.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Lorsqu'on est jugé avant
d'ouvrir la bouche, c'est difficile.
M. Harel: Cela fait quatre semaines. Je ne l'ai pas eu encore, ma
réponse. Tant mieux si je l'ai ce matin.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): En ce qui concerne le programme
APPORT, vous avez raison d'éprouver des difficultés de
conciliation parfaite entre ce que vous retrouvez dans le discours sur le
budget, où le programme a été annoncé par le
ministre des Finances, et ce que vous retrouvez dans le programme de politique
de sécurité du revenu, parce qu'il y a eu entre les deux des
modifications pour harmoniser le programme APPORT avec le programe APTE et le
programme Soutien financier.
Maintenant, je vous préviens immédiatement que cette
harmonisation n'est pas encore complète et qu'elle nécessitera de
la part du ministère des Finances une autre déclaration pour
qu'en 1989 H y ait harmonisation du passage des programmes APTE et APPORT. Tant
que cette déclaration n'aura pas été faite - je n'ai pas
l'autorité de la faire, parce qu'elle relève d'une politique
fiscale - vous allez retrouver des points d'interrogation.
Maintenant, pour ce qui est de l'application du programme pour
l'année courante, oui, le programme sera rétroactif. Oui, les
bureaux seront ouverts en dehors des heures de travail normales, parce que le
programme s'adresse à des gens qui travaillent aux heures
régulières, pour la plupart des cas. Quant au délai
d'annonce, les fonctionnaires m'ont indiqué - je l'avais
déjà indiqué à la commission - que, d'ici à
deux semaines, on devrait avoir des formulaires de disponibles.
J'ai également insisté, comme ministre, pour que le
lancement du programme, vu qu'il touche une clientèle qui est au bas de
l'échelle sur le plan salarial, soit accompagné sur le plan de la
publicité de tout ce que ça prend pour qu'il ait un plus haut
taux de pénétration que SUPRET, parce qu'un des vices du SUPRET a
été d'avoir un taux de pénétration approximatif de
25 %, ce qui est complètement inacceptable.
Mme Harel: Si on reprend avec le programme lui-même...
Évidemment, j'attends pour plus tard la réponse à la
question sur les formulaires du SUPRET de cette année; pour tout de
suite, puisque les gens, c'est maintenant qu'ils remplissent...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...prolongé. Mme Harel:
Oui. Prolongé au 31 décembre?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): On va le prolonger...
Mme Harel: Comme il était au 31 décembre pendant
des années, je ne vois pas pourquoi votre attaché politique
lève les bras en l'air comme si c'était inusité.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne veux pas induire la salle en
erreur non plus. Il y a des déclarations qui sont faites par des
attachés politiques, par des ministres et par des fonctionnaires. Celui
qui a levé les bras est un fonctionnaire et non un attaché
politique.
Mme Harel: Cela ne paraît pas.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne veux pas entrer dans ces
dilemmes. Ce qui est important, c'est que personne ne soit privé du
programme SUPRET à cause de délais administratifs qui se sont
répétés depuis 1979. J'ai rarement entendu quelqu'un les
dénoncer dans le passé, en tout cas, de l'autre côté
de la table.
S'il y a lenteur sur le plan de l'appareil administratif, ce ne dort pas
être le bénéficiaire qui en souffre et les délais
doivent être prolongés d'autant.
Mme Harel: Ils ont toujours été prolongés au
31 décembre. Alors, je tiens pour acquis que ce sera la même
possibilité cette année. On reprend avec le programme
lui-même. Vous dites, dans votre mémoire, qu'un des vices de ce
programme APPORT, c'est que ceux qui gagnent plus auront plus d'aide et ceux
qui gagnent moins auront moins d'aide. Vous faites le calcul avec une famille
biparentale de deux enfants. Vous en faites un avec une famille biparentale
ayant des enfants adolescents.
Là, Mme Lee, ce que vous disiez - je le retrouvais dans le
mémoire - c'est qu'avec des enfants adolescents, ce n'est presque plus
avantageux, le programme APPORT. Cela l'est avec deux enfants s'il y a des
frais de garde à ce moment-là, mais vous faites un calcul
où un couple ayant deux enfants de six et onze ans et un revenu de
travail de 6000 $ recevra 864 $ par an, tandis que la même famille
recevra 3480 $ si leur revenu de travail est de 12 000 $. Je pense que c'est
une des lacunes qu'il faut bien identifier pour pouvoir inviter le ministre
à la corriger si tant est qu'il s'avère exact puisque le
programme... (11 h 15)
Également dans votre mémoire, vous mentionnez qu'en plus
les couples qui travaillent et qui sont sans enfant n'y auront plus
accès. Il y a un groupe qui s'appelle Solidarité populaire
Québec qui, hier, a plaidé le fait que parmi ces couples sans
enfant la majorité - au-delà de 70 %, je pense - a une personne
âgée de 55 à 64 ans, je pense. Ce sont là des
personnes qui ont perdu un emploi à la suite d'une fermeture ou,
encore, 70 % avaient un chef âgé entre 45 et 64 ans.
Souvent, dans ces couples, le marié a été mis à
pied après une longue vie de travail et la femme a peu ou pas
d'expérience. En plus du fait qu'ils sont maintenant totalement exclus
du programme, vous considérez que le programme apporte peu
d'avantages.
Le ministre vous a interrogée tantôt sur la question de la
fiscalité individuelle. Je perue que vous préconisez une sorte de
renversement de manière qu'il y ait un crédit d'impôt
individuel, je crois. Pouvez-vous, en fait, nous en parler un peu plus? Cela a
été à peine échafaudé devant cette
commission. Il y a peu d'organismes qui nous en ont parlé,
finalement.
Le Président (M. Polak): Je m'excuse. Il ne reste qu'une
minute.
Mme Harel: Le député de Sainte-Anne est strict.
Le Président (M. Polak): Décidez-vous vitement
à savoir qui répondra.
Mme Harel: On reviendra peut-être à la question de
la réforme fiscale, mais sur le programme APPORT comme tel allez-vous
recommander aux personnes d'en bénéficier et le
recommanderez-vous aux groupes avec lesquels vous travaillez? Allez-vous leur
recommander de s'y inscrire?
Mme Lee: C'est certain qu'on va leur recommander d'aller chercher
tout ce qu'ils peuvent aller chercher parce que cela va être une question
de survie. On va certainement en aviser le monde. Il n'y a pas de
publicité pour dire aux gens qui ont le SUPRET présentement
qu'ils n'auront plus une cenne l'an prochain. Aussi, il faut leur faire
comprendre les contraintes du programme APPORT en termes de soumission à
tout ce système d'aide sociale.
Mme Harel: Vous avez devant vous les données fournies par
le ministère des Finances. Vous avez l'impression, avec les chiffres qui
sont là, que les familles monoparentales vont pouvoir en
bénéficier avec les gains de travail qu'il leur reste. Je pense
que vous avez cela devant vous.
Mme Lee: Non. Certainement, on n'a jamais vu ces chiffres. On
avait compris, dans le document d'orientation, qu'il n'y aurait aucune
imposition jusqu'à ce qu'on termine le programme APPORT. On pensait que
cela faisait partie de tout le paquet "aide sociale" et qu'à partir du
moment, disons, où on ne recevait plus rien du programme APPORT on
commençait à payer de l'impôt. Mais on s'attendait à
une réforme fiscale dans ce sens parce que, selon les tables
d'aujourd'hui, c'est certainement un problème. C'est un problème
d'interprétation avec la réforme, parce qu'on n'a pas la
réforme de /a fiscalité qui s'assoit à côté
et qui peut nous permettre de voir ce qui va arriver réellement.
Le Président (M. Polak): Je pense qu'on en est venu au
point de vous remercier.
Mme Harel: Oui. Mme Wakeling veut ajouter quelque chose.
Mme Wakeling: Oui, je veux ajouter qu'avec toutes les questions
sur APPORT on a oublié la question fondamentale: Pourquoi avons-nous
besoin d'un programme comme APPORT? Avec le salaire minimum, pour vivre. On ne
répond pas aux questions fondamentales dans notre société
et cela n'aide pas du tout. C'est la question fondamentale. Pour ajuster toutes
les choses avec le salaire minimum, vous avez évité de
répondre à la question suivante: Pourquoi avez-vous choisi un
salaire minimum ou une allocation d'aide sociale en dessous du niveau de
pauvreté maintenant? C'est la question fondamentale avec cet
argument.
Le Président (M. Polak): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: M. le député de Sainte-Anne, j'imagine
que vous m'invitez à conclure?
Le Président (M. Polak): Oui.
Mme Harel: Alors, je vais remercier l'Église unie du
Canada au Québec et vous, particulièrement, Mme Faye Wakeling et
Mme Lee, pour cette expertise devant la commission et aussi pour le travail que
vous faites dans ce quartier que j'ai déjà eu l'occasion de
visiter. Je vous remercie.
Le Président (M. Polak): M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Je tiens à remercier
Mme Wakeling ainsi que Mme Lee. J'ai rapidement saisi que, sur le plan de la
fiscalité, Mme Lee avait une expertise qui lui a permis d'arriver
à certaines conclusions sur l'harmonisation des programmes, entre autres
APPORT, avec la fiscalité qui était juste mais, comme vous l'avez
indiqué, qui commande d'autres annonces gouvernementales pour que vous
puissiez arrimer parfaitement vos chiffres. Là-dessus, je tiens à
vous dire que, même si vous êtes le 57e groupe, vous êtes la
première personne qui l'identifie aussi précisément. Pour
cette précision, je vous félicite et également, pour le
travail que vous accomplissez.
Je terminerai peut-être comme j'ai commencé, en vous
indiquant que toutes les délibérations qui ont eu lieu ici
aujourd'hui seront acheminées à tous les représentants de
l'Église unie dans ma circonscription électorale de façon
qu'on puisse, tant sur le plan local que provincial, poursuivre le
débat. Merci.
Le Président (M. Polak): Je voudrais vous remercier
également, surtout Mme Wakeling qui est très active dans mon
comté, à Pointe-Saint-Charles.
Je demande maintenant au deuxième groupe de prendre place
immédiatement. Entre-temps, je présume... Selon notre
système, un groupe part, le ministre et Mme la députée
disent bonjour, et le deuxième groupe s'installe. Une minute! C'est le
Groupe de recherche éthique sur les politiques sociales.
Nous allons continuer nos travaux. Je demande au ministre de prendre
place aussi. Merci. Je demanderais au porte-parole du Groupe de recherche
éthique sur les politiques sociales de prendre la parole, sachant que
nous avons un délai total de 60 minutes distribuées comme suit:
20 minutes pour votre présentation, 20 minutes pour le ministre et 20
minutes pour l'Opposition. AUez-y - le secrétaire me renseigne beaucoup
- et présentez ceux qui vous accompagnent.
Groupe de recherche éthique sur les politiques
sociales
M. Côté (Guy): Nous ferons les plus grands efforts
pour nous en tenir aux 20 minutes réglementaires. Nous sommes heureux de
pouvoir intervenir devant votre commission. Je suis Guy Côté,
coordonnateur de notre groupe, formateur à l'Entraide missionnaire et
engagé depuis plusieurs années parmi les assistés sociaux.
Je ferai notre présentation et, ensuite, mes collègues
apporteront des précisions.
Si vous consultez la liste des signataires de notre mémoire, vous
verrez que nous faisons notre intervention à partir d'une
expérience concrète, d'une connaissance concrète des
assistés sociaux. Depuis plusieurs années, nous sommes
impliqués parmi eux de différentes manières et nous
intervenons en solidarité avec eux, que ce soit par du travail dans des
organismes communautaires, dans des maisons d'accueil, dans des centres de
formation populaire, dans le domaine de la santé, du logement, des
droits et libertés, auprès des jeunes, des femmes
itinérantes, des mères célibataires ou des
sans-emploi.
Notre angle d'analyse est celui de l'éthique. Il serait en effet
inconcevable de ne pas se poser de question sur la valeur morale d'une
politique qui aura des effets aussi déterminants non seulement sur les
assistés sociaux, mais sur l'ensemble de notre
société.
Comme le disait l'économiste Joan Robinson, "toutes les questions
économiques, à l'exception des plus banales, sont
fondamentalement des questions politiques et toutes les questions politiques
sont fondamentalement des questions morales." Les politiques économiques
et sociales posent, en effet, la question des finalités. Les
décisions que nous prenons collectivement, par l'intermédiaire de
nos élus, sont-elles orientées vers la qualité de vie pour
toutes et tous, vers la solidarité et la coopération, la
dignité et l'autonomie des personnes, l'accès de toutes et tous
aux biens et services? Ou l'allocation de nos ressources est-elle
gouvernée exclusivement par les impératifs de la
productivité, de la compétitivité et de la
rentabilité? Acceptons-nous, comme projet social, le scénario
d'une société duale, cassée en deux, où une
minorité composée des plus forts, des gagnants détiendrait
les pouvoirs, les ressources et les emplois, tandis que la majorité de
la population n'aurait accès qu'à des emplois précaires
à bas revenus ou à l'assistance publique et à la
pauvreté?
On est souvent porté à croire que le principe de la
solidarité est de nature moraliste et philosophique alors que la logique
de la productivité est la seule pratique et opérationnelle. En
réalité, les choses ne sont pas aussi tranchées. D'une
part, la justice et la solidarité sont plus rentables, même
économiquement, que leur contraire. Il n'est pas rentable de sacrifier
le long terme pour des gains apparents à court terme. Ici, l'exemple de
l'environnement devrait nous y faire réfléchir. Nous avons
longtemps tardé à intervenir parce que les "écolo", comme
on les appelait, apparaissaient comme des utopistes. Maintenant, nous sommes
aux prises avec des problèmes qui coûteront encore plus cher
à résoudre, quand ils ne seront pas devenus pratiquement
insolubles. Il en va de même pour l'écologie sociale. Semer
l'indifférence, le mépris ou l'abus des personnes prépare
inévitablement des remous sociaux à plus long terme. Et,
même à court terme, plusieurs des mémoires
déjà soumis à votre commission ont fait apparaître
les énormes coûts sociaux de la réforme proposée qui
se traduiront nécessairement par des coûts économiques.
D'autre part, la logique de la productivité comporte elle aussi
une morale, qui est celle de la récompense. Le revenu, le pouvoir, le
prestige à ceux qui ont la capacité de production et
d'appropriation de la richesse: c'est la morale du plus fort. Sous des dehors
trompeurs, nous croyons que la réforme proposée par le ministre
Paradis endosse, malheureusement, cette morale du plus fort. Le langage
éthique est celui de la responsabilité, de l'autonomie, de
l'équité, mais les effets prévisibles de la réforme
vont dans un tout autre sens qui nous paraît profondément immoral.
L'appauvrissement accru des victimes et l'augmentation des
bénéfices pour les gagnants traditionnels: c'est cette
orientation de la réforme que nous contestons. Nous nous en prenons
à ses fondements mêmes et non seulement à quelques
modalités faciles à corriger.
Et, maintenant, mes collègues vont reprendre cette argumentation
d'une façon plus détaH-lée, en commençant d'abord
par Guy Paiement.
M. Paiement (Guy): Je voudrais commencer par dire qu'à
notre point de vue la dimension éthique ne concerne pas seulement...
Le Président (M. Polak): Pourriez-vous donner votre
nom?
M. Paiement: Guy Paiement.
Le Président (M. Polak): D'accord. Merci.
M. Paiement: Je voudrais commencer par rappeler que la dimension
éthique d'une politique ne concerne pas seulement les finalités,
mais aussi les conditions concrètes de sa mise en place. C'est par
rapport à cet aspect que je voudrais montrer comment, dans quatre champs
déterminés, nous avons des questions sérieuses qui nous
amènent à penser que la politique proposée nous semblerait
irréaliste parce que les conditions concrètes qui la rendraient
possible n'ont pas été mises en place. (11 h 30)
Elle est irréaliste, tout d'abord - plusieurs autres l'ont dit -
parce que pour inciter les gens à retourner au travail il faut qu'il
puisse y avoir des emplois disponibles et en quantité suffisante. Si
l'on songe que les 250 000 ménages estimés aptes s'ajouteront aux
plus de 300 000 chômeurs recensés à la fin d'août et
au début de septembre 1987, on atteint le chiffre d'environ 600 000
personnes en quête de travail rémunéré. C'est du
monde! On a beau avoir eu quelques emplois depuis ce temps-là, le compte
est encore dans le rouge.
Est-il réaliste de mettre en place un système complexe de
contraintes et de contrôles pour inciter des individus vers des emplois
qu'ils ne trouveront pas concrètement? Là-dessus, la fuite en
avant ne nous paraît pas une attitude très rationnelle.
Le deuxième élément: Le gouvernement a bien vu
qu'il faut permettre à un très grand nombre de personnes de faire
le rattrapage scolaire nécessaire et de recevoir la formation
professionnelle adéquate. Plusieurs d'entre nous ont vécu la
situation des personnes qui étaient à Hochelaga-Maisonneuve et
qui n'ont pas pu embarquer dans les derniers projets récents pour la
bonne raison qu'elles n'avaient pas la préparation suffisante.
Je me permets de faire référence au document dont
plusieurs ont fait mention, un document des fonctionnaires mêmes du
ministère, sur les estimations de clientèle et les taux de
participation. Celui-ci prévoit que 7000 personnes seulement pourront
participer aux stages, 20 000 seulement pourront retourner aux études
postsecondaires, 1600 seulement aux études postsecondaires pour les
familles monoparentales, ces différents chiffres reflétant les
capacités actuelles du système. Selon quels critères
allons-nous choisir les personnes qui en arriveront à se disputer les
quelques places disponibles? Est-ce que ce sera la loi du plus fort? Le
ministre a déjà avancé qu'on irait plus loin que ces
possibilités, mais il n'a pas fait la preuve, à notre avis, qu'il
dispose des moyens concrets pour le faire. Une fois de plus, on n'a pas les
conditions concrètes de la politique proposée.
Troisièmement, pour que la réforme puisse fonctionner, il
faut aussi que les divers partenaires économiques s'engagent dans la
création d'emplois nouveaux, productifs et rémunérateurs.
Il faut aussi qu'ils s'engagent relativement à la formation à
donner aux personnes qui se présenteront. Or, de telles ententes n'ont
pas eu lieu. Il y a même fort à parier que les incitations
économiques du gouvernement aboutiront à la mise à pied
d'anciens travailleurs et travailleuses de la part des industries qui seront
alors subventionnées pour fournir du travail peu
rémunéré.
De plus, on sait que les personnes déclarées aptes qui
iront en stage ne seront pas forcément régies par la Loi sur les
normes du travail, ce qui ouvre la porte à des abus faciles. La
concurrence entre travailleurs et assistés sociaux deviendra alors une
autre cause de désordre social. Au lieu de créer la concertation
espérée, le gouvernement ne fera ainsi qu'accroître le
malaise social en favorisant le "bumping", le "rocambolage" d'emplois et,
vraisemblablement, l'irresponsabilité sociale dans les industries.
Le quatrième point: Le gouvernement ne semble pas avoir
actuellement de politique cohérente de création d'emplois qui
permettrait de donner des mains à son objectif de permettre aux
personnes sur le bien-être de retrouver un emploi. Je me permets de citer
le Conseil du patronat qui, pourtant favorable à la réforme,
souligne qu'il faut orienter les efforts vers la création de nouveaux
emplois, "des emplois, et je cite, qui correspondent à des besoins
réels, socialement rentables et, ajoutait-il, il incombe au gouvernement
de créer des conditions pour y arriver". Le Conseil du patronat, par
conséquent, compte sur le gouvernement pour créer des conditions
qui rendraient la création d'emplois possible. On ne peut donc s'en
remettre simplement à l'initiative patronale.
Sans une politique de plein-emploi, l'incitation à retourner au
travail se révélera vite un leurre pour plusieurs personnes. Nous
croyons que nous n'avons pas le droit, comme société, de berner
les plus mal pris de nos concitoyens. Les conditions concrètes pour
l'application de la réforme font défaut, à notre avis,
à ces quatre chapitres. La politique d'incitation à l'emploi
devient ainsi irréaliste parce que parcellaire,
génératrice de faux espoirs, accroissant la compétition et
la concurrence entre pauvres alors qu'on aurait besoin de toute la
solidarité possible. Elle nous paraît donc éthiquement
dangereuse pour les personnes et pour la paix sociale.
À un deuxième niveau, le projet nous paraît encore
inacceptable pour une deuxième raison. Il accentue la division sociale
entre deux catégories de citoyens alors qu'on affirme vouloir la
diminuer. Les premiers, les assistés sociaux, seront encadrés,
surveillés, voire même cul-
pabilisés. Les seconds, les assistés sociaux
privilégiés que sont les compagnies et les corporations,
réclament depuis longtemps et obtiennent qu'on enlève les
irritants, qu'on assouplisse les réglementations, qu'on crée un
climat de confiance.
Dans ce contexte, parler de responsabilité, quand on l'accole aux
assistés sociaux, est tout de suite doublé d'un système de
réglementation et de répression gouvernementales. Pour les
autres, on fait plutôt appel à l'initiative économique
doublée d'une déréglementation gouvernementale et de
conditions qui créent une atmosphère de confiance.
Nous croyons que, s'il faut partir d'un concept fondamental qui aurait
des chances d'être juste pour tout le monde, ce serait bien du concept de
l'initiative économique pour toutes les catégories de ta
population qu'il faudrait partir. Ce qui suppose autre chose que la
répression, mais bien une initiative gouvernementale pour mettre en
place les conditions concrètes dont nous avons parlé. Il nous
paraît inadmissible d'un point de vue éthique, et dangereux sur le
plan social, d'accréditer et de développer ainsi deux
catégories de citoyens, alors que nous avons besoin d'établir
plutôt les conditions d'une solidarité sociale pour aider ensemble
les plus mat pris de notre société.
M. Beaudin (Michel): Michel Beaudin. Je suis professeur
d'éthique sociale à l'Université de Montréal. Nous
venons d'entendre qu'il manquait quatre conditions essentielles pour que la
politique proposée soit réaliste et éthiquement bonne,
mais à supposer qu'on aille quand même de l'avant, qu'elle soit
appliquée, on peut encore l'évaluer à partir des
conséquences prévisibles pour les gens concernés.
De façon intentionnelle ou non, les mesures annoncées
auront dans les faits, croyons-nous, des conséquences néfastes
tant pour les assistés sociaux que pour les petits salariés et
pour la société dans son ensemble. Pire encore, ces mesures sont
proposées au nom de valeurs morales ou éthiques, ce qui veut dire
qu'un nombre considérable de citoyens, déjà
marginalisés par tes mécanismes du jeu de la jungle qu'on appelle
le marché, le seront encore plus au nom de la vertu et par
l'autorité de l'État lui-même. Au lieu de servir de guide
pour le mieux-être des pauvres, les valeurs morales risquent de servir de
justification pour les caler et les stigmatiser.
Voyons un peu ces conséquences. Pour les jeunes, par exemple, la
politique du gouvernement se présente comme équitable envers les
jeunes en leur promettant la parité. Mais le nouveau délai ajoute
encore un retard scandaleux qui manifeste que nous nous conduisons comme si
nous étions les derniers occupants de la planète et comme si les
jeunes n'étaient pas la richesse la plus précieuse d'un peuple.
Se pourrait-il que l'État essaie cyniquement de trafiquer la
santé et l'avenir de ces jeunes contre une poignée de dollars en
"toffant" encore deux années, le temps que le plus gros du contingent
soit passé au-dessus de la barre des 30 ans? Ce n'est pas
équitable pour les jeunes.
Les salariés et les petits salariés en particulier. La
coercition au travail exercée sur les assistés sociaux se fait en
partie au nom de l'équité envers les petits salariés et
prétend leur être favorable. En fait, au lieu d'être
cohérent et de remonter les conditions des petits salariés, dont
le travail ne permet même pas d'atteindre le seuil de pauvreté, le
gouvernement joue de fa comparaison avec le groupe des assistés sociaux
et maintient un écart dit équitable en rabaissant le niveau de
vie des assistés sociaux. C'est un événement par le bas.
Le gouvernement a donc un prétexte pour ne pas hausser le salaire
minimum à un niveau décent et espère que les petits
salariés seront quand même contents parce qu'H y en a qui sont
pires qu'eux.
La politique de coercition au travail pour les assistés sociaux
va gonfler la main-d'oeuvre disponible et aura plusieurs conséquences
négatives sur les salariés par le biais du marché:
pression à la baisse sur les salaires et les avantages marginaux et
retard de la hausse du salaire minimum. Par ailleurs, des entreprises seront
tentées de remplacer les travailleurs réguliers mieux
payés par des assistés sociaux subventionnés. Il y aura
également une plus vive concurrence pour les places disponibles pour la
formation, tout cela, ne l'oublions pas, dans un contexte de concurrence
internationale accrue et de l'éventuel libre-échange que la
population n'a pas encore choisi. C'est Jean de Grandpré lui-même,
président de Bell Canada, qui disait il y a quinze jours que, pour
demeurer compétitives, les entreprises canadiennes devraient serrer la
vis. De fait, la politique de sécurité du revenu prépare
le terrain pour que les assistés sociaux, les petits salariés,
les chômeurs soient mis en compétition pour des emplois trop rares
et se montent les uns contre les autres, alors que les trois groupes sont
structurellement perdants dans l'ordre ou le désordre actuel.
Le troisième groupe: les assistés sociaux. La politique de
sécurité du revenu prétend surtout aider les
assistés sociaux et soutenir leur effort de réintégration
sociale. Le mieux-être prévu pour les inaptes n'est pas vraiment
significatif et il est assorti de nouvelles exigences. Il sert surtout de
prétexte pour laisser libre cours à la coercition au travail
vis-à-vis des aptes et à la détérioration de leurs
conditions de vie à cet effet. Sous prétexte que le travail est
une source d'épanouissement et donc une valeur et un droit, le
gouvernement oriente toute sa politique sur la coercition au travail. Le
travail, c'est une valeur ambiguë. Un emploi mal
rémunéré, précaire et peu utile ne peut que
contribuer à la dévalorisation et à la
déchéance de celui qui l'exerce. Y a-t-il quelque chose de plus
désespérant que d'être contraint à chercher des
emplois qui
n'existent pas? C'est comme si on forçait quelqu'un à
marcher après lui avoir coupé les jambes. Même les emplois
existants sont souvent inaccessibles aux assistés sociaux.
Une telle politique fait comme si les assistés sociaux ne
voulaient pas travailler. La réalité contredit cela. C'est une
conception négative et pessimiste de l'homme qu'on considère
comme naturellement paresseux et à qui il faut donner des coups de pied
quelque part pour qu'il s'aide lui-même. Comment interpréter
autrement les contrôles accrus exercés contre les assistés
sociaux - une blessure qui s'ajoute à la pauvreté - alors qu'en
même temps le gouvernement lève les contrôles et la
responsabilité sociale des entreprises par la
déréglementation et les exemptions d'impôt? On est dur avec
les faibles et conciliant avec les forts. Qui mérite le plus...
Le Président (M. Polak): M. Beaudin, je m'excuse, je
n'aime pas vous interrompre, mais il vous reste une minute.
M. Beaudin: Qui mérite
Le Président (M. Polak): À moins que, comme avant,
on ne vous laisse continuer de part et d'autre; on coupera dans notre temps.
C'est à vous de décider.
M. Beaudin: Est-ce qu'on peut continuer? Merci. Qui mérite
le plus d'être surveillé? Qui menace le plus la
société? Quand il y a de vrais jobs, les assistés sociaux
veulent travailler, mais est-ce qu'on doit choisir des "jobines" incertaines ou
l'aide sociale quand il s'agit d'assurer cette valeur beaucoup plus importante
qu'est la vie et la santé de sa famille? La politique me semble
décrochée de la vraie nature des gens qui ont du coeur et qui ne
demandent pas mieux que de gagner leur vie. Alors, dans ces conditions, avec la
coercition au travail, il ne sera pas surprenant que l'économie continue
d'aller bien et la population mal.
Il y a un autre cas aussi énorme dans le document, il s'agit des
valeurs de retour aux responsabilités familiales, à la
responsabilité personnelle et à l'autonomie. Le gouvernement fait
comme si le contexte était propice à l'exercice véritable
et à la réalisation de ces valeurs. On renvoie les gens à
la charge de leur famille, comme si les familles étaient encore celles
des années cinquante et avaient des ressources financières
suffisantes. On renvoie l'autonomie par le travail comme si on pouvait devenir
autonome par un travail dégradant et payé à un salaire de
crève-faim. On renvoie la responsabilité individuelle comme si la
société permettait de mieux en mieux d'assumer cette
responsabilité. En faisant porter tout le poids de la réforme sur
l'employabilité des individus, c'est comme si on envoyait quelqu'un
à la chasse en lui reprochant de ne pas savoir tirer, alors que le
problème, c'est qu'il manque de gibier. Ce discours sert, en fait,
à justifier le désengagement social de l'État au moment
même où, dans un contexte de concurrence internationale, les
individus ont de moins en moins de prise sur les décisions qui affectent
leurs conditions de vie et de travail. L'État brise ainsi un certain
contrat social des années soixante-dix avec la reconnaissance du
critère du besoin où, au fond, le système reconnaissait
que la pauvreté, c'était une MTS, c'est-à-dire une maladie
transmise socialement. (11 h 45)
Aujourd'hui, l'État donne l'exemple aux entreprises de la
non-responsabilité sociale en faisant des problèmes
économiques des problèmes individuels. Est-ce qu'on va sortir
d'une morale privatisante et culpabilisante où l'État a pris le
relais d'une Église des derniers siècles? Est-ce qu'on est
incapable de voir que la question de la moralité doit d'abord porter sur
le modèle de société et pas seulement sur le comportement
des individus?
Une quatrième série de conséquences touche
l'ensemble de la société. Ce qui est fait aux assistés
sociaux est un révélateur puissant des choix de
société en train de se réaliser. En criant haro sur les
assistés sociaux et en les forçant au travail dans la proportion
même où il y a rareté d'emplois, nous camouflons une
orientation économique axée sur la haute technologie et la
concurrence internationale qui promet du chômage et de la pauvreté
accrue. En faisant comme si les assistés sociaux étaient les
responsables de la crise et les premiers responsables de leur situation, nous
créons des boucs émissaires. C'est regarder la paille dans les
supposés 4 % de fraudeurs et ne pas regarder la poutre des
évasions et des exemptions fiscales des grandes entreprises.
Si nous cédons à ce jeu-là, nous votons pour une
société remise entièrement entre les mains du
marché comme au XIXe siècle, une catastrophe qu'on a dû
corriger au XXe siècle par l'intervention économique et sociale
de l'État. Nous votons pour que les chômeurs, les assistés
sociaux et les petits salariés cognant aux mêmes portes
s'entre-déchirent en se méprenant sur les véritables
responsables de la crise, certaines entreprises qui se frottent les mains
derrière la scène et que le gouvernement a oublié de
contraindre à créer des emplois. Nous votons pour une
société québécoise plus stressée et plus
inquiète; 6 000 000 d'individus sans liens se jetant les uns sur les
autres dans une compétition féroce pour un gagne-pain rare. Nous
votons pour une société disloquée et antisolidaire.
Je termine en disant qu'à notre sens l'État doit faire
quelque chose pour les 10 % de la population déjà
marginalisée économiquement, mais il doit s'attaquer aux vraies
causes et non pas s'attaquer aux assistés sociaux eux-mêmes. La
politique présentée ici mène si loin de ces
objectifs avoués qu'on a l'impression qu'elle vise à
exclure les assistés sociaux de façon encore plus
sophistiquée. Jusqu'ici, ils étaient en marge du système
mais pas très utiles économiquement. Là, on va les
réintégrer au système mais continuer à les
marginaliser, c'est-à-dire qu'ils resteront au bas de
l'échelle.
Il y a ici une question de justice et d'éthique bien plus que de
démocratie. Nous refusons une politique qui condamne à la peine
de mort sociale et au sous-développement les plus pauvres. C'est une
question de société. Si 10 % des gens sont
décrétés sacrifiâmes, tous le sont potentiellement.
Nous optons pour une société où personne n'est de
trop.
Malgré les prétentions et les énoncés
éthiques, à savoir: l'équité pour les jeunes et les
petits salariés, l'aide aux assistés sociaux,
l'épanouissement et l'autonomie par le travail et la responsabilisation
personnelle, nous ne croyons pas que cette politique soit éthiquement
bonne, si on en juge par ses conséquences actuelles et
prévisibles. En s'entêtant dans cette direction, le gouvernement
discrédite ses propres politiques et pousse les citoyens à devoir
choisir entre la loi et l'éthique. Si cette politique n'est bonne ni
pour les chômeurs, ni pour les petits salariés, ni pour les
assistés sociaux, ni pour l'ensemble de la société, pour
qui donc est-elle bonne?
Le Président (M. Polak): Je vous remercie. Avez-vous
d'autres intervenants?
M. Beaudin: Oui, une courte intervention.
Le Président (M. Polak): Je n'ai pas dob jection mais le
problème c'est qu'il reste très très peu de temps pour le
dialogue par la suite. C'est à vous de décider ce que vous
préférez.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Combien de temps à peu
près?
M. Leboeuf (Fabien): Trois minutes. Je vais résumer
très brièvement. Mon nom est Fabien Leboeuf, je suis recherchiste
à l'Organisation pour le développement et la paix. Mes
collègues ont expliqué pourquoi, à nos yeux, le projet de
réforme ne répond pas aux besoins des assistés sociaux et
de la société et pourquoi et comment il est contre-productif
socialement. Je voudrais résumer brièvement ce qui nous semble
être des alternatives positives.
Il faut une réforme, oui, mais pas uniquement du régime
d'assistance sociale isolé de son contexte économique et social
et des autres programmes et politiques du gouvernement. Un projet de
réforme responsable doit tenir compte de ces autres programmes et
politiques. Premièrement, le gouvernement doit mettre en place de vastes
programmes concrets de création d'emplois avec les budgets
nécessaires et dans une large concertation des divers ministères
impliqués et de tous les agents économiques et sociaux.
L'employabilité est, à notre avis, une notion creuse s'il n'y a
pas d'emploi.
Deuxièmement, il faut aussi de vastes programmes concrets de
formation de l'ensemble de la main-d'oeuvre et non seulement des
assistés sociaux. La formation des assistés sociaux doit prendre
place dans ce contexte et ces programmes de formation ne doivent pas prendre la
place des prestations; ils ne doivent pas conduire à couper des
prestations. Un régime d'assistance sociale a une autre finalité
qu'un programme de formation de la main-d'oeuvre.
Troisièmement, il faut procéder rapidement à une
véritable réforme de la fiscalité dans deux directions au
moins. Première direction: réduire le plus possible les abris
fiscaux et les évasions fiscales des entreprises et des bien nantis, ce
qui permettrait de financer aussi bien les programmes de création
d'emplois et de formation de la main-d'oeuvre que le régime d'assistance
sociale. Deuxième direction: introduire des mesures fiscales favorables
aux familles sous forme de crédit d'impôt universel substantiel et
remboursable, par exemple, pour les enfants, pour le travail de la mère
à la maison, etc. Il est évident pour nous que cette
réforme fiscale ne doit pas pénaliser ceux et celles qui sont
déjà surtaxés, mais mettre à contribution ceux qui
ont la capacité de payer et qui sont actuellement
sous-sollicités.
Quatrièmement, quant au régime d'assistance sociale
lui-même, il faut aussi le réformer, oui, mais selon des
orientations autres que celles du projet de réforme. Nous appuyons les
revendications des organisations d'assistés sociaux et assistées
sociales qui nous semblent être actuellement les propositions les plus
raisonnables et les plus efficaces socialement.
Soulignons celles-ci en particulier: premièrement, fixer des
prestations suffisantes non pas sur la base de l'employabilité, qui est
un critère subjectif et arbitraire dans lequel on inclut même des
malades et des handicapés, non pas non plus sur la base des
dépenses effectuées par le dixième, le plus pauvre des
petits salariés, mais sur la base des besoins réels des personnes
et des familles en fonction d'un seuil objectif de pauvreté tel que
celui défini, par exemple, par le Conseil canadien de
développement, ou le Conseil national de bien-être social ou
encore Statistique Canada, les trois groupes se rejoignant sensiblement, ce qui
doit montrer le caractère fondé de ce seuil de pauvreté.
Deuxième proposition: indexer les prestations au coût de la vie et
troisièmement, accorder la parité à tous les jeunes de
moins de 30 ans. Quatrièmement, puisqu'on parle beaucoup de la
comparaison entre les assistés sociaux, le salaire minimum et les
prêts et bourses, pour éviter le nivellement dans la
pauvreté, nous proposons plutôt d'augmenter le salaire minimum et
d'augmenter les prêts et bourses.
En conclusion, pour notre groupe de
recherche, un régime d'assistance sociale vraiment éthique
doit reposer sur deux critères: premièrement, son
réalisme, c'est-à-dire la possibilité concrète et
réelle d'être mis en application et, deuxièmement, qu'il
favorise vraiment le mieux-être des personnes visées et non pas
qu'il les mette dans une situation pire qu'avant. Nous convions donc le
gouvernement à reformuler son projet sur d'autres bases et orientations
dans le sens que nous indiquons ici et dans celui des revendications des
assistés sociaux et assistées sociales. Merci beaucoup.
Le Président (M. Poiak): Je remercie les intervenants.
J'expliquerai d'abord que la députée de Maisonneuve s'est
absentée parce que nous sommes à procéder aux
élections des présidents et des vice-présidents de
commission. C'est la seule et unique raison; elle devait s'absenter cinq
minutes, mais elle ne voulait pas vous déranger dans votre
présentation.
Je cède la parole au ministre tout en l'avisant que le temps
qu'on a pris de plus pour la présentation sera enlevé
moitié-moitié sur le temps disponible.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Disons que le groupe n'a qu'une
seule chance de se faire entendre, que le ministre en a plusieurs et que c'est
plus équitable ainsi.
Je remercie le Groupe de recherche éthique sur les politiques
sociales, ses porte-parole et ses représentants. Je déplore le
fait que, pris également dans le carcan du temps, nous n'ayons pu
entendre tout le monde. Vous avez dû faire vite et Mme Ampleman n'a pas
eu le temps de s'adresser à nous.
Vous avez commencé en nous indiquant que vous étiez ici
surtout pour nous parler de votre expérience quotidienne, de votre
implication et de votre vécu quotidien et je vous en remercie. Je vous
dirai que, lorsqu'on mentionne des statistiques, des chiffres en termes de
politique sociale ou de sécurité du revenu, il faut être
prudent. Ce n'est pas facile de concilier l'ensemble de cette documentation qui
existe et nous devons avoir recours à des experts et à des
ressources d'expertise également.
Il y a une tendance qu'on a dénotée chez plusieurs
intervenants qui consiste à additionner, dans une société,
les chômeurs et les bénéficiaires de l'aide sociale. Cela
produit des résultats de distorsion parce que, lorsqu'on connaît
la méthodologie de Statistique Canada pour compiler les taux de
chômage, on comprend facilement les marges d'erreurs qui peuvent se
glisser. Je vous le souligne strictement pour vos interventions futures,
à titre d'information.
Clientèle de l'aide sociale. Ce sont essentiellement ces
personnes qui ont à vivre le système actuel tel qu'il existe,
avec toutes ses lacunes. Si nous prenons nos statistiques, nos chiffres ou
notre nombre du mois de mars 1987 qui, soit dit en passant, a diminué
depuis ce temps, on a à peu près 400 000 chefs de famille
à l'aide sociale qui n'ont que ces prestations pour subvenir à
leurs besoins dans la société québécoise. Il y a 25
% de cette clientèle, soit 100 000 chefs de ménage, qui seraient
considérés admissibles au programme Soutien financier parce
qu'ils répondraient à ces caractéristiques. 300 000 autres
seraient considérés aptes au travail. Je le dis et je le
répète, aptes au travail, mais avec quelles barrières?
Aller à la chasse mais avec quels outils? 36 % des gens sont des
analphabètes fonctionnels; 60 % n'ont pas complété leur
cours secondaire; 40 % n'ont aucune expérience antérieure de
travail. Peut-on leur en vouloir de revenir bredouilles de la chasse ou
même de ne pas avoir envie d'aller à la chasse à un moment
donné? Je dirais, s'il fallait faire des proportions, que c'est la
moitié, pas plus, du défi important qui nous attend comme
société.
Oui, vous avez raison de mentionner qu'il faut qu'un gouvernement
établisse le climat propice à la création d'emplois
valorisants, sécurisants, la meilleure qualité d'emplois possible
et que cela ne donne rien d'améliorer l'employa-bilité d'une
population si ces emplois n'existent pas. Mais peut-on penser qu'on est en
droit, dans une société, de marginaliser tous ces gens et de leur
dire: On s'occupera de vous lorsque les emplois auront été
créés? C'est peut-être l'expérience qu'on a
vécue comme gouvernement et de laquelle on tente de tirer certaines
conclusions dans l'est de Montréal. On se rappelle comment,
politiquement, ce dossier est devenu symbolique à l'occasion de la
dernière campagne électorale entre autres au Québec. Tous
les partis politiques de quelque niveau gouvernemental que ce soit, municipal,
provincial, fédéral, se sont engagés à créer
des emplois valorisants dans l'est de Montréal. Deux ans après,
les gouvernements ont tenu parole. Ils ont créé ces emplois. Sauf
que ces emplois sont allés à des gens qui avaient un niveau
d'employabilité répondant aux exigences de l'entreprise, des gens
qui habitaient ailleurs que dans l'est de Montréal, ce qui fait qu'on se
retrouve deux ans après avec autant d'assistés sociaux, autant de
chômeurs parce qu'on n'a pas su investir dans ces individus. On a
strictement investi dans les entreprises.
On vient de corriger le tir. Mme la députée de Maisonneuve
en a profité à plusieurs occasions pour nous remercier. On
espère qu'en investissant dans l'employabilité des gens de sa
circonscription électorale et des environs, ces gens pourront
décrocher les emplois qui seront créés dans l'est de
Montréal.
Vous avez soulevé un point - je pense que vous êtes
seulement le deuxième groupe à le faire, malgré que vous
soyez quasiment notre 60e groupe d'intervenants - sur lequel j'aurais des
questions précises à vous poser. Il y a un autre groupe qui a
souligné, mais dans une autre perspective, toute la question des
politiques sociales, dont cette politique-ci, dans le cadre du
libre-échange. Vous semblez très réticents. Je
pense que c'est M. Beaudin, peut-être, qui a fait les remarques les plus
précises à ce sujet. Est-ce que, finalement, vous nous dites:
Éloignez-vous du libre-échange si vous voulez avoir des
politiques sociales qui soient plus justes et équitables? (12
heures)
M. Beaudin: Le libre-échange est un cas,
l'accélérateur d'un phénomène plus large qu'est la
concurrence internationale qu'on prend comme une fatalité, comme quelque
chose auquel on ne peut échapper et qui, logiquement, amène
à compresser au maximum le coût de production pour être
concurrentiel avec, d'abord même, les entreprises d'ici et avec les
entreprises étrangères.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je m'excuse, une
précision.
M. Beaudin: Oui.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Voyez-vous davantage d'effets dans
le libre-échange que dans les ententes du GATT?
M. Beaudin: Davantage d'effets pour notre
société?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui.
M. Beaudin: Je le pense parce que c'est une entente
bilatérale avec un puissant voisin. Le rapport est beaucoup plus
inégalitaire que dans un rapport multilatéral. Je pense que les
politiques sociales axées sur l'incitation au travail semblent
être sur mesure pour l'objectif de compétitivité. En ce
sens, elles promettent des souffrances aux gens, je pense. Dans ce sens, je
pense qu'elles seront affectées.
Ensuite, on a dit qu'elles risquaient d'être
présentées comme une concurrence déloyale pour les
entreprises américaines vis-à-vis des entreprises canadiennes. Je
m'explique. Étant donné notre système de politique
sociale, les gens ont une certaine sécurité. C'est moins
développé aux États-Unis. Donc, pour assurer ce minimum,
les entreprises américaines doivent assurer, par le salaire, ce qu'il
faut pour que les gens aient ce coussin que, nous, nous avons ici autrement et
auquel toute la collectivité contribue. Dans ce sens, les entreprises
canadiennes se trouveraient privilégiées par rapport aux
entreprises américaines.
L'autre chose, à propos de la chasse et de
l'employabilité, on est d'accord avec l'employabi-lité, sauf
qu'on trouve que le poids de la réforme porte trop exclusivement sur
l'employabilité et on ne trouve pas que le document est
conséquent. Quand on regarde ce qui doit se passer dans les neuf
premiers mois, si vous visiez vraiment comme grande priorité
l'employabilité, vous admettriez tout de suite tes gens dans des
programmes d'employabilité. Or, vous demandez de rechercher
intensivement un emploi et de trouver n'importe quoi. Ce qui fait qu'en
pratique la priorité, c'est de trouver une "jobine". Là, s'il y a
un échec, on passe à des mesures d'employabilité et,
l'espérons-nous, plus tard à un véritable emploi. Il y a
une inversion qui ne semble pas tout à fait conséquente.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Pour préciser, disons que,
sauf pour les 40 % qui sont une clientèle sans expérience
antérieure d'emploi...
M. Beaudin: Oui, il y a une exception pour un groupe.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...lorsque les gens nous arrivent
à l'aide sociale, généralement, ils ont occupé un
emploi, été victimes d'un congédiement, d'un licenciement
collectif, d'une perte d'emploi quelle qu'elle soit, passé douze mois
sur l'assurance-chômage. C'est à ce moment et dans ce contexte
qu'ils arrivent à l'aide sociale. Maintenant, nous avons prévu ce
que nous appelons des clientèles cibles, mais nous retenons les
arguments que vous avancez.
M. Beaudin: Je pense que cela devrait s'adresser à tout le
monde.
M. Côté (Guy): Sur la question de
l'employabilité, je pense que nous résisterions à nous
faire identifier comme un groupe qui prônerait qu'on attende qu'il y ait
suffisamment d'emplois pour s'occuper des assistés sociaux et encourager
leur employabilité. C'est dans la manière de faire et dans les
mesures coercitives qui accompagnent cette politique que nous avons des
difficultés. Je pense que Fabien aimerait intervenir là-dessus
précisément.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Sur ces difficultés, moi,
je n'ai pas d'objection à ce que Fabien intervienne. J'aurais
peut-être une petite précision à vous apporter qui
contredit un peu un aspect philosophique qui sous-tend votre mémoire et
on est libre de partager mon opinion ou de la discarter. Vous semblez dire
qu'il va y avoir une pression à la baisse à stabiliser le salaire
minimum qui est un des éléments repères que nous utilisons
un peu partout, finalement, dans la politique de la sécurité du
revenu. Si on prend l'expérience passée - parfois, il faut
regarder l'histoire parce qu'on ne réinvente pas la roue chaque fois -
on se rend compte que de 1981 à 1985, pendant une période de cinq
ans, le salaire minimum a été complètement gelé au
moment même où l'on indexait trimestriellement les prestations
d'aide sociale.
Dans l'histoire contemporaine et moderne, on se rend compte que ce n'est
pas nécessairement exact, ce que vous soulignez. Mais davantage depuis
notre arrivée au gouvernement, depuis deux ans, depuis janvier 1986,
toute la
question des deux classes de société dont vous parlez,
ceux et celles qui ont accès au pouvoir, à la richesse, au
travail, etc., et ceux qui seraient marginalisés lorsqu'on les abandonne
sans programme d'employabilité, moi, j'aurais de la difficulté
à m'inscrire en faux contre cette affirmation. Je dirais quand
même qu'il y a eu de la part du gouvernement des allégements qui
se traduisent par des décisions qui ont été prises et
appliquées. Je regardais, pour l'année 1987 qu'on vient de
terminer, qui a bénéficié, à part les
députés, des plus importantes augmentations de salaire dans la
société québécoise, ou de
rémunération. J'ai regardé le salaire minimum. Il y avait
du rattrapage à faire, je le concède, mais il a été
augmenté de 8,75 %. Ce n'est peut-être pas assez. L'aide sociale,
4,1 %. Les travailleurs régis par des conventions collectives au
Québec, en 1987, 3,7 % d'augmentation. Le salaire hebdomadaire moyen,
l'ensemble des travailleurs, syndiqués comme non syndiqués,
augmentation de 2,1 %. Il y a eu, en 1987, entre les travailleurs les mieux
organisés, les mieux rémunérés, les plus
structurés et ceux et celles qui sont au bas de l'échelle, pour
utiliser l'expression, un léger rattrapage. Ce n'est pas suffisant, il
faut continuer à travailler, mais est-ce que ce n'est pas là une
saine orientation? Si, en plus, il fallait que le gouvernement investisse
massivement dans le relèvement des caractéristiques
d'employés habilités, de ceux et celles qui ont été
marginalisés dans le passé, est-ce que ce n'est pas là une
voie souhaitable?
Le Président (M. Polak): Je veux juste vous souligner
qu'il reste deux minutes dans cette partie. Ensuite, ce sera Mme la
députée de Maisonneuve.
M. Leboeuf: Puisque M. le ministre parle, en passant, du salaire
des députés, je n'ai pas suivi la question de très
près, mais il me semble me rappeler que le mot principal qui revenait
dans !e débat à la Chambre, c'était le critère du
besoin, et non pas celui de l'employabilité. J'apprécierais qu'on
l'emploie lorsqu'on parle des assistés sociaux.
En ce qui concerne la formation et l'employabilité, on n'est pas
contre la formation, on n'est pas contre le fait d'aider les travailleurs et
les travailleuses à trouver du travail. On est pour les programmes de
formation, on encourage le gouvernement à en faire 100 fois plus qu'il
n'en fait actuellement, il n'en fait pas beaucoup. On est également
d'accord que l'employabilité soit un critère d'admission à
des programmes de formation, mais on est contre le fait que
l'employabilité soit un critère pour couper des prestations
d'assistance sociale.
Je vais vous donner un exemple concret qui nous est arrivé
exactement hier, à Montréal; c'est celui d'une jeune femme de 29
ans, chef de famille monoparentale, qui a trois enfants, un de sept ans, un de
cinq ans, un de deux ans, qui a une contrainte au travail et ne devrait pas
être déclarée apte au travail. Lorsqu'elle s'est
présentée pour avoir les prestations d'assistance sociale, le
fonctionnaire lui a demandé si elle désirait travailler. La jeune
femme, qui n'est pas au courant de tous les critères et de tous les
fonctionnements d'assistance sociale, a dit: Oui, je suis prête à
accepter n'importe quel job, je suis intéressée à
travailler. Le fonctionnaire, sur la foi de cette déclaration, l'a donc
déclarée apte au travail sans lui dire qu'il n'était pas
nécessaire qu'elle aille au travail. On l'a donc convoquée - pour
les moins de 30 ans, cela existe actuellement - à une entrevue avec un
employeur. Dans les jours qui ont précédé l'entrevue avec
l'employeur, elle a dû subir une intervention chirurgicale pour laquelle
elle a tous les documents, les certificats de médecin et tout. Mais
parce qu'elle n'a pas pu se présenter à l'entrevue avec
l'employeur, le fonctionnaire l'a coupée de 30 $ par mois pour six mois.
Au mois de décembre, ne connaissant pas ses recours, elle n'a pas fait
une demande de révision. En parlant avec elle hier, on a
mentionné cette réalité et, évidemment, elle ne
peut plus maintenant faire une demande de révision puisque les
délais sont passés.
À notre avis, c'est exactement à cela que va servir de
façon objective - je ne parle pas des intentions du gouvernement - le
projet de réforme: il va généraliser, il va "massifier"
les coupures de prestation au nom de l'employabilité. Il ne servira pas
à former le monde, il va servir à couper le monde. C'est le cas
patent de ce qui va se passer avec la réforme.
J'en profite, d'ailleurs, pour faire une proposition, si vous le
permettez.
Le Président (M. Polak): J'accorde le droit de parole
à Mme la députée de Maisonneuve.
Mme Harel:...
Le Président (M. Polak): Continuez, c'est cela.
M. Leboeuf: Donc, cela me semble être le cas concret qui
illustre en quoi le projet de réforme ne peut pas fonctionner. Nous
avons une proposition concrète à faire là-dessus,
précisément pour mettre fin, en grande partie, à cet
arbitraire des fonctionnaires qui sera augmenté par le projet de
réforme. Nous proposons de créer un comité national,
assorti de comités régionaux de vigilance et de surveillance de
l'application du régime d'assistance sociale, qui serait composé
majoritairement d'assistés sociaux et de représentants de
différents organismes de citoyens à but non lucratif et qui
aurait une sorte de pouvoir à la fois de surveillance et une sorte de
pouvoir d'ombudsman. C'est un petit peu comme il existe, par exemple, à
la Communauté urbaine de Montréal un comité de vigilance
ou de surveillance de la police ou bien comme il
existe dans le domaine de la santé un comité des malades,
ou bien comme il existe dans le domaine carcéral, parfois, des
comités de détenus. Tous ces comités-là, dans la
réalité, actuellement n'ont pas les mêmes pouvoirs, n'ont
pas le même fonctionnement, mais il nous semblerait essentiel de mettre
sur pied ce comité de vigilance, de surveillance de l'application et
d'enquête, avec tous les pouvoirs d'enquête et d'intervention, du
régime d'assistance sociale.
Cette proposition-là n'a pas comme objectif de dire qu'avec ce
comité-là le projet de réforme serait vivable, non.
L'objectif n'est pas de troquer ce comité-là contre le projet de
réforme. Le projet de réforme demeure inacceptable, à
notre avis.
Mme Harel: M. le Président...
Le Président (M. Polak): Vous êtes
déjà dans votre temps, Mme la députée de
Maison-neuve?
Mme Harel: Oui. Merci, M. Leboeuf.
Le Président (M. Polak): Juste une remarque
préliminaire: N'oubliez pas les députés dans votre
comité.
Mme Harel: D'abord, les députés ont leur bureau de
comté.
C'est intéressant. Vous savez que plusieurs organismes qui sont
venus devant la commission ont dit: Oui, il est souhaitable qu'il puisse y
avoir, aux fins de prioriser des clientèles, des catégories qui
puissent être faites à l'aide sociale. Par exemple, aux fins de
prioriser... Pour que la durée d'absence du marché du travail ne
soit pas trop longue, qu'il y art des espèces d'activités de
support qui soient données à des femmes qui connaissent des
situations d'échec marital. Qu'il puisse y avoir un support qui leur
soit donné. Mais pas aux fins de diminuer les prestations. Et c'est la
question fondamentale. Et c'est la question d'éthique que vous posez sur
le thème que tout cela est censé être fait pour le bien des
gens eux-mêmes.
J'ai noté, dans vos propos, que vous disiez: "Les mesures sont
proposées au nom de la morale, au nom de la vertu." C'est, dans un sens,
ce qu'fl y a de plus enrageant. C'est fait pour des bons motifs. On peut bien
dire que l'enfer est pavé de bonnes intentions, cela fait partie de
l'éthique aussi, j'imagine. Mais c'est comme si encourager l'assistance,
c'était encourager la paresse et brimer l'autonomie des gens. C'est un
peu comme cela que c'est présenté.
Le cas que vous nous présentez est important. Le ministre, je
pense, pourrait répondre que, lorsqu'une femme chef de famille a un
enfant en bas de six ans, il n'est pas censé y avoir des agissements de
cet ordre-là.
Une voix: Des centaines.
Mme Harel: J'ai cité un cas il y a un mois, au tout
début de la commission. C'était le cas d'une femme chef de
famille qui a deux enfants, trois ans et neuf mois. Le ministre m'a
demandé son nom. Finalement, j'ai rejoint la dame, la jeune femme. En
fait, c'est vraiment une jeune femme qui est en stage et qui a dû,
à quatre occasions, aller à l'hôpital avec les enfants
malades, etc. J'ai demandé: Qu'est-ce que tu préfères?
Elle m'a dit: Je préfère que tu ne le cites pas. Parce que
c'étaient des bonnes intentions. Il voulait vraiment régler son
cas. J'imagine qu'on pourrait faire la même chose avec la personne que
vous avez rencontrée hier. Personnellement, je ne suis pas contre le
fait de régler des problèmes individuels, personnels. Je veux
dire que cela aussi fait partie, sur le plan de l'éthique... Mais il ne
faut jamais oublier les situations collectives. Et je pense qu'en dehors du
fait qu'on pourrait s'en reparler, du cas que vous nous mentionnez, et voir ce
qu'il est possible de faire, il y a une situation collective. C'est plus
celle-là que j'aimerais examiner avec vous maintenant.
Vous nous avez parlé - comment disiez-vous, en fait, vous disiez
- des valeurs qui sont contredites, "les valeurs énoncées qui
sont contredites". J'aimerais peut-être vous entendre sur toute la
question de l'égalité des conjoints, de la valeur familiale, de
l'aspect, à proprement parler, des mesures qui avantagent ou pas les
rôles parentaux. (12 h 15)
II y a un groupe qui s'appelle Solidarité populaire Québec
qui est venu devant la commission, hier, pour nous faire la
démonstration que l'ensemble des mesures visait à avantager un
homme qui assume la responsabilité d'une femme au foyer et des enfants
et avait pour effet de décourager le travail des femmes mariées,
surtout celles qui ont des jeunes enfants, sauf celles qui sont chefs de
famille monoparentale. Cela valait autant pour les mesures sociales, d'aide
sociale, que pour les mesures fiscales.
C'est, finalement, toute une réflexion qu'il faut faire
présentement sur la question de la famille. C'est comme si l'ensemble de
notre échafaudage fiscal était basé sur le paterfamilias,
pourvoyeur qui va travailler, qui apporte l'argent, la mère qui reste
à la maison, les enfants qui sont déduits du revenu du
père jusqu'à ce qu'As soient eux-mêmes en âge de
travailler ou en âge de se marier, pour les filles, en fait, qui,
elles-mêmes, ont un mari qui prend la relève du point de vue de
l'exemption. C'est un peu comme cela que c'est basé.
Il y a toutes sortes d'échafaudages autour de cela. On nous dit
qu'il y aurait 30 % des familles actuellement au Québec qui
s'ajusteraient à ce modèle du père pourvoyeur et de la
mère à la maison. Pour l'ensemble des autres familles, il s'agit
tout à fait d'autre chose. Est-ce que vous avez réfléchi
à ces questions? Est-ce que vous avez des DroDOsitions à nous
faire? Comment
envisager diamétralement, de façon nouvelle, la nouvelle
réalité sociale avec laquelle l'État n'a pas encore
composé?
Mme Ampleman (Gisèle): Je...
Mme Harel: C'est Mme Ampleman. C'est une femme qui va
répondre.
Mme Ampleman: Gisèle Ampleman. D'abord, je voudrais
souligner que, concernant les trois programmes, la réforme fait jouer la
notion de conjoint de fait. Je m'interroge sur la situation de soutien
financier, parce que j'ai donné beaucoup de sessions sur la
réforme et la question m'est posée: Dans une situation de couple
dont un des deux conjoints serait classé inapte/inapte - parce que j'ai
de la difficulté à saisir quels seront les inaptes et quels
seront les inaptes en voie d'employabilité; ce n'est pas très
clair - comment va jouer la notion de solidarité des conjoints? Dans la
situation où un couple serait déclaré inapte/inapte et
dont la conjointe serait déclarée apte et admissible à un
programme, comment va se jouer la solidarité des conjoints?
Mme Harel: Je ne veux pas répondre à la place du
ministre, mais, dans le document d'orientation - il pourra vous le dire comme
il l'a dit à d'autres groupes - ce programme s'adresse aux personnes ou
aux ménages. Donc, les deux personnes. Mais la question, c'est: La
notion de conjoint, à quel moment va-t-elle jouer? Disons qu'elle joue,
comme pour l'ensemble des autres programmes, après un an, normalement.
Je ne me trompe pas, M. le ministre, la relation de conjoint de fait jouerait
pour le soutien financier également après un an?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est la même
définition de conjoint de fait.
Mme Harel: Avant un an, cela ne jouerait pas, mais après
un an le conjoint de fait... La grande question... Oui, à moins que, Mme
Ampleman, vous n'ayez autre chose à ajouter parce que la question de
fond, c'est la suivante. Dans l'ensemble de ce qui est proposé,
admettons, pas admettons, mais convenons - je tiens cela pour acquis, mais on
ne peut pas le tenir pour acquis et c'est certain qu'il faut maintenir cette
revendication - que devant l'ensemble des pressions qui se font et qui viennent
de partout, de toutes les régions et de tous les organismes devant cette
commission, le gouvernement abandonne l'idée de baisser les prestations
sous prétexte d'employabilité. On revient à la question
des conjoints de fait. Sur cette question-là, vous le savez sans doute,
dans toutes les lois actuelles du Québec qui donnent des avantages, des
prestations et des indemnités, c'est après trois années de
vie commune qu'il y a une définition de conjoint de fait. Le document
prévoit un an, mais la vraie question est: Faut-il baser l'ensemble de
nos mesures sur une considération de revenu familial? Le ministre dit
que c'est neutre, neutre, neutre, ces propositions. Je pense, à l'instar
de bien des groupes, que cela renferme une notion de famille. Je me demandais
si vous pouviez nous apporter un éclairage sur cette question.
Mme Ampleman: C'est clair que, dans l'introduction, on revient
à des notions traditionnelles de la famille. On n'a rien inventé
au sujet de la famille. Là, c'est la famille élargie, parce que
quand il met la définition de responsabilité filiale, cela veut
dire aussi qu'on revient au début du siècle, où les
grands-parents étaient responsables de leurs petits-enfants. Est-ce que
cela va signifier aussi que les grands-parents devront être responsables
de leurs petits-enfants qui seront assistés sociaux? Donc, c'est au
chapitre de la famille élargie. D'ailleurs, c'est là aussi qu'on
réalise qu'il n'y a pas beaucoup d'homogénéité
entre les différents projets de loi, entre ce qu'on définit dans
le projet sur la famille et ce qu'on définit par rapport à l'aide
sociale.
Une chose qui me frappe par rapport à l'intervention de M.
Paradis, c'est que, chaque fois qu'il fait référence à
d'autres lois, comme les prêts et bourses, cela veut dire que c'est
toujours pour niveler, pour qu'il y ait un écart, mais j'aimerais cela
aussi voir dans le projet de loi des endroits où on pourrait se
référer à d'autres politiques, et c'est un plus. Je
voudrais vous rapporter, par exemple, ce qu'on donne pour "foyer
d'accueil".
Le Président (M. Polak): Excusez-moi, Mme Ampleman.
Mme Ampleman: Et j'aimerais aussi voir, en ce qui concerne les
analphabètes, ce serait intéressant de se demander: Comment se
fait-il que nous fabriquions des analphabètes fonctionnels?
Peut-être que si nous arrivions à avoir un peu plus de soutien
à la famille, peut-être que si nous ajustions les barèmes
qui sont donnés aux familles d'accueil, peut-être que si on
acceptait d'ajuster les mêmes barèmes...
Mme Harel: D'avoir autant quand c'est ses propres enfants que
quand on garde les enfants des autres.
Mme Ampleman: Oui, et je vais apporter un exemple concret de gens
qui travaillent au DPJ. Quand la famille d'accueil doit se présenter
à la cour, la famille d'accueil, le monsieur, la famille qui perd sa
journée est remboursée et ses transports sont payés, mais
quand cette même famille est assistée sociale, son transport n'est
pas payé et les conditions pour se présenter à la cour ne
sont pas les mêmes. Et ce qui paraît
dans le dossier et dans le jugement, c'est que cette famille est
irresponsable, cette famille ne prend pas soin de ses enfants parce qu'elle n'a
pas eu les mêmes conditions que la famille d'accueil.
Le Président (M. Polak): Excusez-moi, Mme Ampleman, nous
sommes dans la toute dernière minute. Il y a un autre groupe qui nous
attend.
Mme Ampleman: Donc, j'aimerais que la réforme s'ajuste
aussi à d'autres programmes, qui sont un plus, et non pas seulement aux
programmes qui sont un moins.
Le Président (M. Polak): Merci beaucoup. Donc, il nous
reste vraiment les remerciements de part et d'autre.
Mme Harel: C'est intéressant parce que, dans le fond, vous
nous faites voir qu'il y a des effets pervers à nos politiques. La
désintégration famHiaJe peut en être un effet secondaire.
Vous aviez utilisé une expression, "maladie transmise socialement", pour
la pauvreté. Moi, je me fais un petit cahier noir de toutes les
audiences. Je vais vous en citer une que le Carrefour regroupement
d'information et sensibilisation des jeunes employait hier pour le programme
APTE, qu'il s'agissait d'une action pression pour travail d'exploitation. Vous
allez me dire qu'il y a de l'imagination dans l'usage, mais les mots ont un
sens. Les mots ne sont pas innocents.
J'aurais certainement souhaité avoir beaucoup plus de temps,
notamment pour vous interroger sur toute la question de la concurrence
internationale. Les chiffres que le ministre a donnés pour l'an
passé, les taux d'augmentation notamment du salaire hebdomadaire moyen
et des conventions, qui sont bien en deçà des programmes d'aide
sociale, confirment cela, même le préambule de votre
mémoire en termes de pressions qui s'exercent actuellement sur le
marché du travail ici. Alors, je veux vous remercier pour votre
présentation.
Le Président (M. Polak): Merci. M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, je vais profiter
également de l'occasion pour remercier le groupe et ses porte-parole.
Étant donné que je n'ai pas eu la chance ou l'occasion de
m'adresser à Mme Ampleman, je lui demande de comprendre qu'il s'agit
d'un programme de dernier recours et que nous devons éviter, autant que
faire se peut, d'attirer des clientèles, de faire quitter l'école
aux jeunes pour qu'ils viennent chez nous, que les gens au salaire minimum
quittent le marché du travail pour venir à l'aide sociale, etc.
Nous devons éviter cela. Mais vous avez raison d'attirer notre attention
sur d'autres programmes.
Parmi les suggestions qui ont été faites et en les
isolant, bien que vous ne les ayez pas isolées, vous êtes les
premiers, je crois, à nous suggérer la création, entre
guillemets, d'un système d'ombudsman à l'aide sociale. En ce qui
concerne le cas précis, parce que je ne les abandonne jamais lorsqu'il y
a moyen de réparer les erreurs administratives, qui sont
fréquentes, je vais mettre à votre disposition une
attachée politique pour que la personne dont vous avez décrit la
situation soit traitée non pas de façon
privilégiée, mais suivant les lois et les règlements tels
qu'ils devraient s'appliquer dans le système que nous avons
présentement et qui est défaillant à plusieurs
égards. Je vous remercie.
M. Leboeuf: Je pense qu'il y aurait une façon de ne pas
avoir à régler des problèmes individuels, c'est d'avoir
une réforme qui empêche la création de cas individuels
comme cela.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Sur cela, si je puis vous
répondre, si vous avez une politique qui empêche la
création de cas individuels, je vous prie de me la soumettre.
Le Président (M. Polak): Je vais également vous
remercier pour votre mémoire et votre présence. Excusez-moi, mais
le temps nous presse, ce n'est pas notre faute. Savez-vous, Mme Ampleman, le
ministre n'est pas plus loin que le téléphone. Je dis cela de
temps en temps.
J'appelle donc tout de suite le dernier groupe, ce matin, le
Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de
Montréal inc. Donc, je demanderais à nos intervenants qui ont
déjà pris place, seulement pour vous expliquer le
déroulement... Vous avez droit à une heure. Il y a un petit
problème et ce n'est certainement pas votre faute si on a retardé
un peu. M. le ministre, est-ce qu'on peut continuer après 13 heures?
Jusqu'à quand? Jusqu'à 13 h 10, m'a t-on dit. Avez-vous un
empêchement? Il y a élection des présidents et
vice-présidents. Donc, avec la permission de tout le monde, on va y
aller jusqu'à 13 h 10. Voulez-vous vous présenter, Mme la
porte-parole? On va commencer tout de suite.
Réseau d'aide aux personnes seules et
itinérantes de Montréal inc.
Mme Brunelle (Diane): Merci. Diane Brunelle du Réseau
d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal inc. Le
Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de
Montréal inc. oeuvre depuis treize ans auprès d'une
clientèle fortement défavorisée et, par surcroît,
bénéficiaire dans la majorité des cas de l'aide sociale.
Le réseau d'aide regroupe 40 organismes directement impliqués
dans les services aux plus démunis (hébergement, centres de jour,
vestiaires) et 50 membres individuels sensibilisés à la
réalité vécue par la population itinérante. Un
sous-comité du Conseil d'administration du réseau
d'aide a été formé pour étudier le projet de
réforme de l'aide sociale. Nous avons donc privilégié,
dans l'analyse critique de votre document d'orientation, les points qui
risquent d'avoir des répercussions importantes sur la clientèle
que nous desservons.
Le programme Soutien financier. Nous admettons que les conditions de vie
des personnes aux prises avec des problèmes de santé physique
et\ou mentale doivent être améliorées. Cependant, les
barèmes proposés dans la réforme de l'aide sociale
maintiennent ces personnes dans la pauvreté. Ces barèmes sont
établis à partir des dépenses effectuées par les
travailleurs à faible revenu. Les personnes aux prises avec des
problèmes de santé ont des besoins que les travailleurs n'ont
pas: faire déblayer son balcon par autrui, faire livrer son
épicerie. Lorsque le handicap persiste pendant plusieurs années,
il devient difficile de compter sur le bénévolat pour satisfaire
ses besoins.
Nous avons des interrogations sur les critères d'admission
à ce programme. Quels seront les critères d'identification pour
un bénéficiaire connaissant un état de santé
physique et\ou mentale altéré de façon significative
pendant une période relativement longue et, surtout, qui sera
habilité à poser un tel diagnostic? Nous aimerions vous souligner
que les professionnels oeuvrant dans les organismes du réseau d'aide ont
acquis une expertise très spécifique auprès de la
population des assistés sociaux représentée par la
population des itinérants et des marginaux de notre
société.
Vous reconnaissez, dans le paragraphe 4.5, que les agents
socio-économiques se devront de diriger ces défavorisés
vers de l'aide spécialisée une fois les critères de
non-employabilité reconnus. Nous vous rappelons que la reconnaissance du
caractère spécifique de nos interventions peut également
servir à éclairer l'agent socio-économique pour poser son
diagnostic. Pour ce faire, la nouvelle loi devra être suffisamment
flexible pour permettre aux agents de travailler avec les différents
professionnels du milieu. (12 h 30)
Nous avons des doutes que des mesures de développement de
l'employabilité soient efficaces et augmentent la possibilité
pour nos bénéficiaires de se trouver un emploi. Il nous semble
plutôt que leur intégration au marché du travail passe par
l'adaptation du travail à leur situation.
Le programme Action positive pour le travail et l'emploi, le programme
APTE, repose sur les prémisses suivantes: Toute personne sera
présumée employable et disponible pour occuper un emploi à
moins que son inaptitude au travail ou sa non-disponibilité temporaire
ne soit démontrée. Il n'est jamais question des critères
d'évaluation qui seront utilisés, ni d'un mécanisme
d'appel de la décision rendue. Cette situation nous inquiète.
Certaines personnes seules et itinérantes manifestent de sérieux
troubles psychosociaux. Ces problèmes ne sont décelables que par
un examen approfondi. Il nous apparaît donc essentiel que votre
évaluation tienne compte de cette réalité. Encore une
fois, une reconnaissance tangible de nos organismes comme professionnels
autorisés viendraient nous rassurer.
La réforme de l'aide sociale prévoit des barèmes
différents pour les neuf premiers mois d'inscription à l'aide
sociale. Cette période est censée être une période
de recherche intensive d'emploi. Cette période est non justifiée
puisque, si l'on se fie à vos statistiques, 60 % des nouveaux
bénéficiaires prennent plus de neuf mois à quitter l'aide
sociale. De plus, les montants accordés, 405 $ par mois dans le cas
d'une personne seule, sont insuffisants pour couvrir les besoins primaires:
logement, nourriture, etc. Les sans-abri chroniques seront
particulièrement touchés car, dans les faits, il faut soustraire
des 405 $ le montant de 115 $, nouveau barème couvrant les frais de
logement, ce qui donne 290 $ par mois au lieu de 432 $, montant qu'ils touchent
à ce jour.
Votre barème est injuste puisqu'il met sur le même pied les
gens qui refusent de participer aux mesures et ceux qui sont en recherche
intensive d'emploi. Il est dommage que les bénéficiaires de
l'aide sociale doivent attendre neuf mois avant que leur employabilité
ne soit évaluée en profondeur. Cette situation risque
d'entraîner des erreurs et des injustices.
Le programme APTE introduit une nouvelle catégorie de
bénéficiaires: les personnes employables mais non disponibles.
Pourquoi pénaliser les gens qui sont temporairement malades, les femmes
enceintes et celles qui ont de jeunes enfants, de même que les personnes
de 55 ans et plus? Les prestations accordées aux personnes non
disponibles ne tiennent pas compte de leurs besoins réels. Nous croyons
que les mesures propres au développement de l'employabilité sont
peu efficaces à accroître la capacité des
bénéficiaires à se trouver un emploi permanent. Ces
mesures auront un grave impact sur le marché de l'emploi, les employeurs
préférant faire appel à des bénéficiaires de
l'aide sociale plutôt que de créer des emplois permanents.
Le programme Stage en milieu de travail fait fi de la Loi sur le salaire
minimum. Les bénéficiaires de l'aide sociale représentent
donc une main-d'oeuvre à bon marché pour les entreprises. Les
mesures proposées par la réforme risquent de venir accentuer cet
état de choses.
La réforme de l'aide sociale prévoit qu'une personne qui
refuse sans raison valable un emploi, de même que celle qui cesse sa
participation sans motif valable à une mesure, sera
pénalisée. Il n'est pas mentionné ce qui constitue une
raison valable. Nous craignons que des bénéficiaires soient
pénalisés injustement, ceci étant dû à la
grande latitude dont ne dispose les agents pour juger de telles situations et
à l'absence de formation adéquate et pertinente.
Les bénéficiaires du programme APTE, en
plus de toutes les coupures dont ils feront l'objet, verront leur
allocation pour leurs besoins spéciaux être réduites sans
que l'on sache exactement ce qui sera coupé.
Le programme APPORT ne s'adresse qu'aux personnes qui ont des enfants
à charge. Il ignore totalement les personnes sans enfant qui ont des
revenus de travail insuffisants. Il a également le désavantage de
soumettre au contrôle de l'État plusieurs travailleurs. Le fait
d'accorder aux parents une aide financière pour compenser une partie des
frais de garde des enfants ne règle pas le problème de trouver
une place dans une garderie ou de trouver une gardienne fiable. Les garderies
existantes ne suffisent pas à la demande.
La parité pour les jeunes de moins de 30 ans n'est
réalisée qu'en apparence. Dans les faits, les jeunes de moins de
30 ans devront se soumettre aux mêmes critères que pour les
prêts et bourses pour obtenir le plein montant. Plus de la moitié
des jeunes de moins de 25 ans subiront des réductions de prestation
à cause des nouvelles règles exigeant une contribution
alimentaire des parents et imposant une coupure des prestations en cas de
partage d'un logement. Cette situation est inacceptable. Le nouveau programme
maintient la discrimination envers les jeunes puisqu'ils sont soumis à
des critères différents d'admissibilité à l'aide
sociale.
Conclusion. Ce qui nous frappe, à la lecture du document Pour
une politique de sécurité du revenu, c'est la
complexité du programme et la sévérité des
contrôles. Le programme divise les bénéficiaires en non
employables et en quatre catégories d'employables. La
concrétisation d'un tel système passe par la
réorganisation complète des structures en place. Le document
prévoit l'amélioration des outils informatisés, l'ajout
d'effectif, l'accentuation du programme de formation du personnel. Nous ne
trouvons nulle part dans le document la comptabilisation d'un tel remaniement.
Nous craignons que les coûts engendrés ne se fassent au
détriment des bénéficiaires de l'aide sociale et que, de
surcroît, la lourdeur du mécanisme administratif engendré
par la réforme rende l'application de la loi encore plus difficile
qu'elle ne l'est actuellement.
Le programme est aussi très coercitif. Tout d'abord, un grand
nombre de bénéficiaires voient leur prestation réduite
quand elle n'est pas totalement coupée, tel le cas de certains jeunes
dépendants. Tous sont soumis à l'obligation alimentaire, ce qui
ne tient pas compte de la situation familiale difficile dans laquelle se
trouvent certains bénéficiaires: violence, inceste, etc.
Les bénéficiaires du programme APTE verront leur
prestation réduite de 115 $ par mois s'ils partagent un logement ou
habitent en chambre. Cette mesure est très sévère
puisqu'elle porte atteinte à la liberté de choix du domicile et
qu'elle annule les économies réalisées, écono-mies
qui sont essentielles aux bénéficiaires. De plus, le document
d'orientation est très vague en ce qui concerne la notion de chambreur.
La chambre étant le principal mode d'hébergement accessible pour
nos bénéficiaires, il est important que ce point soit
clarifié de façon à ne pas pénaliser tous les
chambreurs.
Le programme propose d'augmenter le taux de remboursement de l'aide
versée en trop, alors qu'il est difficile de faire un budget avec les 25
$ par mois qui sont présentement prélevés. Il est aussi
question d'introduire un test de revenu pour les bénéficiaires
habitant en HLM, ce qui est inacceptable. Les neuf mois d'attente et les
réductions de prestation correspondant à cette période
nous semblent également inacceptables. Le critère de comparaison
établi tout au long de la réforme de l'aide sociale est le
salaire minimum, alors qu'on sait qu'il est insuffisant pour permettre à
une personne ou à une famille de subvenir a ses besoins de façon
acceptable.
Plusieurs questions restent sans réponse après la lecture
du document. Quelles seront les coupures dans les besoins spéciaux des
bénéficiaires du programme APTE? Quelles seront les nouvelles
règles d'attribution du remboursement de l'aide conditionnelle? Quel
sera le taux de remboursement de l'aide versée en trop? Qui
évaluera l'employabilité du bénéficiaire?
Qu'entendez-vous par des problèmes de santé temporaires? Est-ce
que les chambres d'hébergement, à moyen et à long terme,
fournies par le YWCA, Le Chaînon ou les OSBL de maisons de chambres,
etc., seront considérées dans la diminution des allocations
mensuelles des chambreurs et des chambreuses? À noter, plusieurs
ressources d'hébergement du réseau d'aide comblent une partie de
leurs dépenses avec une fraction de l'aide sociale de leur
clientèle. C'est donc une conséquence directe pour la survie de
nos organismes et pour la réinsertion sociale des sans-abri, si tel est
le cas. Quels sont les critères qui détermineront le mode
d'évaluation de l'employabilité? Est-ce que les facteurs sociaux,
tels l'alcoolisme, la toxicomanie, le casier judiciaire, seront pris en
considération face aux mesures proposées?
La réforme de l'aide sociale proposée met l'accent sur
l'individu et pas du tout sur les facteurs sociologiques influençant le
marché du travail. Or, il y a plusieurs bénéficiaires de
l'aide sociale qui ont une formation ou de l'expérience de travail, mais
qui ont été victimes des fermetures d'usine, du
déménagement hors du Québec de leur employeur, de la
disparition de leur emploi à cause de l'implantation de la robotique et
de l'informatique, etc. Votre réforme n'apporte pas de solution à
ces chômeurs.
La philosophie de votre document tend à faire porter toute la
responsabilité de la situation des assistés sociaux sur
eux-mêmes, ce qui est complètement irréaliste. À
titre d'intervenants du milieu, nous nous interrogeons également sur le
pouvoir discrétionnaire dont
jouiront les agents socio-économiques lorsqu'il s'agira
d'établir les critères d'employabilité. Nous revendiquons
le droit d'être consultés au moment crucial de la mise sur pied du
nouveau programme.
Nous souhaiterions également que le nouveau texte de loi clarifie
la notion de fiduciaire, à l'article 17, pour la rendre plus
opérationnelle pour les organismes du milieu. Nous aimerions aussi que
l'adresse des organismes du milieu soit reconnue de façon que les
bénéfiaires de l'aide sociale qui sont sans-abri, temporairement
ou en permanence, puissent recevoir leur chèque et ainsi permettre aux
intervenants du milieu de les aider à se réorganiser.
Le succès d'une réforme de l'aide sociale, selon nous, est
dépendant d'une plus juste répartition des gains sociaux de la
collectivité, mais si l'emploi demeure la seule solution permanente pour
se sortir de l'assistance sociale il faudra que le critère de
création d'emplois soit ajouté aux fonds de démarrage et
avantages fiscaux accordés à l'entreprise privée. C'est
plus qu'une réforme de l'aide sociale qu'il faudrait pour
atténuer les disparités sociales. Il faudrait également
une réforme du travail lui-même et une réforme des
préjugés des employeurs, ce que même la réforme la
mieux structurée ne pourra jamais garantir.
Soyez assuré, M. le ministre, de la collaboration de tous les
organismes du réseau d'aide, tant pour la mise sur pied que pour la
concrétisation de la nouvelle loi de l'aide sociale.
Concrètement, cela veut dire qu'on serait intéressé
à faire partie du comité dont le groupe précédent a
parié.
Le Président (M. Polak): Merci. Avez-vous terminé
votre intervention? Je voudrais m'excuser parce que, aux fins des
débats, je pense que je ne vous ai pas donné la chance de vous
présenter. Je pense que c'est Mme Brunelle qui a parlé la
première?
Mme Brunelle: Exactement.
Le Président (M. Polak): Donc, Mme Dutil, la
deuxième.
Mme Dutil (Bibiane): Je n'ai pas parlé.
Le Président (M. Polak): Ah! elle n'a pas
parlé!
Mme Dutil: Pas du tout.
Le Président (M. Polak): Mais vous avez tellement soutenu
ce que l'autre disait que je pensais que vous aviez parlé.
Mme Dutil: Soutien moral.
Le Président (M. Polak): Oui, très bon. M. le
ministre, une question.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président, j'aimerais
remercier le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de
Montréal inc. On me prépare généralement une petite
note me décrivant l'organisme, le nombre de membres, sa
clientèle, ses objectifs, etc. Dans votre cas, je souhaiterais
peut-être que la commission puisse bénéficier de votre
expérience sur le terrain. Ce qu'on m'indique, c'est que votre
clientèle, ce sont des personnes seules et itinérantes de
Montréal. Il y a toutes sortes de chiffres qui circulent. Moi, j'en
citais, lorsque j'étais dans l'Opposition, et sans doute que je les
exagérais. J'en reçois lorsque je suis au gouvernement et sans
doute que je tente de les diminuer. Quelle est votre appréciation, en
termes de nombre, si on prend la grande région de Montréal qui
est le territoire que vous couvrez, des personnes qu'on peut qualifier de
sans-abri et d'itinérantes? Je sais que ce que je vous demande,
étant donné qu'il s'agit de sans-abri et d'itinérants,
c'est une évaluation et une approximation parce que, par
définition, c'est...
Mme Dutil: Cela dépend de la définition que l'on
donne au mot "itinérance". À partir de ce moment, cela laisse
place à plusieurs chiffres. Moi, je ne suis pas en mesure de vous donner
un chiffre exact. Je serais plutôt en mesure de vous parler du
problème social comme tel. En termes de chiffres, Diane, peut-être
que tu aurais...
Mme Brunelle: C'est le Réseau d'aide aux personnes seules
et itinérantes do Montréal inc. qui avance le chiffre de 10 000.
Cela comprend les jeunes, les femmes, les personnes qui sont temporairement ou
en permanence sans abri. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup plus de
personnes qui ont des chambres de temps à autre, qui quittent leur
chambre, qui quittent le Québec et qui reviennent. C'est
extrêmement mobile comme phénomène. Si, nous, on fait
l'ensemble de tous les organismes du Réseau d'aide aux personnes seules
et itinérantes de Montréal inc. qui s'occupe de ces gens, on
évalue cette population à environ 10 000.
Mme Dutil: J'aimerais juste ajouter, si vous le permettez, que le
problème n'est pas un problème de chiffres. C'est un
problème de la gravité de la situation que ces gens vivent. Parce
qu'ils sont sans abri, on ne peut pas les calculer. Donc, on a une idée
du nombre parce qu'ils utilisent nos ressources. Il y en a aussi qui
n'utilisent pas nos ressources, donc, on ne les rencontre jamais. Le
problème à savoir si c'est 3000 ou 10 000, ce n'est pas cela le
problème. C'est le vécu de ces gens. C'est sur cela qu'il faut
s'attarder.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si on revient à ce
vécu, à l'expérience que vous avez vécue à
ce jour avec cette clientèle, quelle proportion ou
quel pourcentage de ces gens que j'appellerais les non inscrits dans le
système ne reçoivent ni de l'aide sociale, ni de
l'assurance-chômage, ni de l'aide de quelque nature que ce soit du
système en place, soit structuré, soit non structuré,
avant d'arriver chez vous? Quel est le pourcentage qui reçoit une aide
sous forme d'aide sociale et est-ce que vous avez des bas salariés qui
se trouvent à utiliser vos services?
Mme Dutil: Moi, je travaille à l'Accueil Bonneau. Je
m'occupe d'hommes. Nous sommes trois intervenants sociaux qui travaillons chez
nous et qui nous occupons de quelque chose que vous ne connaissez
peut-être pas; c'est pour cela qu'on fait allusion dans notre document
à la notion de fiducie. Je suis fiduciaire de 60 assistés sociaux
qui sont des gars sans abri et d'une instabilité chronique. Si je
n'étais pas là pour recevoir leur chèque de
bien-être social et pour l'administrer, ils seraient parmi ceux que vous
venez de nommer, des gens qui ne reçoivent rien. Tous les jours, toutes
les semaines, on m'amène des gens qu'on a ramassés dans le parc,
qui n'ont rien, qui ne sont pas capables d'avoir quoi que ce soit parce qu'ils
ne sont pas suffisamment structurés. Ils ne pourront pas avoir
l'initiative d'aller vers quelque système d'aide social que ce soit, il
faut le faire à leur place. (12 h 45)
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Parmi ces individus, il y a des
gens qui ont eu ou qui souffrent de déficiences. S'agit-il de gens qui
ont subi une politique de désinstitutionnalisation et qui ont
été un peu abandonnés?
Mme Dutil: Cela existe, c'est présent. Mme Brunelle
pourrait le dire pour les femmes et je peux le dire pour les hommes. On calcule
qu'environ 40 % de la clientèle que l'on aide, ce sont des cas
désinstitutionnalisés qui ont un dossier psychiatrique. C'est
énorme. C'est une grosse réalité.
Quand j'ai lu votre document, j'étais presque rassurée
parce que je me disais: Nos gars seront tous non employables, parce qu'ils
ont... À la rigueur, cela nous aiderait, mais notre inquiétude
est à savoir: Qui va déterminer la non-employabilité de
ces gens-là? Si on ne nous consulte pas, nous qui sommes quotidiennement
avec ces cas-là, qui avons le dossier social de ces cas-là, ils
risquent d'être parmi vos personnes aptes à travailler et cela va
être la catastrophe.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Un risque supérieur
à celui-là - c'est peut-être la dernière
intervention que je vais faire parce que le député de
Sainte-Marie souhaite également intervenir... Ils risquent non seulement
sur le plan de la qualification, mais si vous ne les amenez pas ils risquent de
ne jamais être là, d'être dans aucun des programmes,
d'après ce que je comprends.
Mme Dutil: Absolument. C'est pour cela qu'on vous demande la
reconnaissance sociale de ces organismes-là parce qu'il est utopique de
penser que ces gars-là vont aller vers le système, ils n'iront
jamais.
Le Président (M. Polak): Mme la députée de
Maisonneuve, votre droit de réplique.
Mme Harel: À moins que le député de
Sainte-Marie...
Le Président (M. Polak): Quant à nous, on respecte
l'alternance. Donc, si vous voulez poser vos questions, M. le
député de Sainte-Marie, et ensuite...
M. Laporte: C'est juste une observation au début.
Mme Harel: D'accord. Non, vous pouvez y aller.
M. Laporte: C'est pour vous, moi, cela ne me dérange pas.
Cela ne sera pas tellement long. Je voudrais simplement remercier les
représentants du réseau qui sont venus nous rencontrer. C'est un
document ou, à tout le moins, un dossier pour lequel j'ai une certaine
forme d'attachement depuis le 2 décembre 1985. J'ai eu l'occasion,
à plusieurs reprises d'ailleurs, d'aller à l'Accueil Bonneau. Il
y a aussi ceux qui s'occupent de la gestion des maisons de chambres sur la rue
Saint-Hubert qui sont un peu, comme vous l'avez souligné tantôt,
des fiduciaires et qui, eux, je pense, débordent un peu dans le sens
qu'ils font l'administration complète, en donnant tel montant chaque
jour, de 5 $ à 10 $, pour essayer de faire une forme
d'intégration et qui sont suivis aussi sur le terrain. À ce
moment-là, on m'avançait le chiffre, quant aux personnes qui ne
sont pas comptabilisées dans le système, d'environ 350 à
400.
Mme Dutil: Oui.
M. Laporte: C'est ce nombre, environ, qu'on a
évoqué. Vous avez dit beaucoup de choses à
l'intérieur de votre mémoire, que vous avez
résumées. J'ai trouvé cela fort intéressant,
principalement sur l'habitation. On sait que cette clientèle-là
n'a pas de toit, pour une grande partie, ou utilise des refuges ou des endroits
plus particuliers. Vous avez mentionné le cas des HLM, OSBL,
coopératives, de façon générale. Je pense que c'est
une très bonne observation dont on devra tenir compte, à tout le
moins.
Cependant, dans tout ce programme de réforme de l'aide sociale,
il y a une préoccupation par rapport à la clientèle que
vous desservez. Ce qui me vient à l'esprit, dans la définition ou
dans le programme Soutien financier, pourrait-on dire, c'est ce qui
détermine l'aptitude ou
l'inaptitude des gens. Dans votre clientèle, certains souffrent
de toxicomanie ou d'alcoolisme, comment essaie-t-on de définir cela?
Est-ce que c'est défini comme une maladie? À quel stade peut-on
le dire? On pourrait exprimer... J'en ai parlé à plusieurs
reprises, ce n'est pas un acte qu'on pourrait dire... L'alcoolisme est un acte
volontaire. Sans nécessairement entrer dans les détails, car je
ne voudrais pas entrer dans un débat philosophique là-dessus,
quant au contexte sociologique, ce n'est pas un bras cassé ou autre
chose ou un fait extérieur. On pourrait s'exprimer ainsi sur la
définition de la maladie ou sur la désinstitutionnalisation,
entre guillemet, de la maladie mentale.
Comment pourrait-on essayer de définir cela, justement, dans le
cadre de cette réforme par rapport à la clientèle que vous
desservez? C'est tout cet aspect de la clientèle que vous desservez qui
me préoccupe un peu. Est-ce que vous avez réfléchi
à cette dimension, dans le cadre de la réforme et de la
clientèle que vous desservez? Comment la classifier, la définir?
Quelles sont ses formes de gradation? Peut-être pourrait-on la retrouver
à l'intérieur?
Mme Dutil: Pour répondre à la question, dans
l'état où nous recevons ces gens-là, c'est évident
qu'ils sont non employables. Ils n'ont pas de stabilité, à aucun
niveau. L'alcoolisme, chez eux, c'est l'état extrême de cette
maladie. C'est donc une chronicité. Que ce soit une maladie ou une
autre, c'est un état de chronicité qui fait qu'ils ne peuvent pas
s'intégrer dans un système, le plus ouvert soit-il. Ils ont un
travail à la base à faire qui est énorme, qu'on fait
quotidiennement, qui peut amener éventuellement à changer leur
statut de chronicité en personne réadaptable. Mais cela ne se
quantifie pas en termes de temps parce que c'est du travail qui se fait
énormément auprès de chaque individu. C'est comme cela que
nous le voyons.
M. Laporte: Et vous, comment percevez-vous le travail que vous
faites actuellement et les compétences que vous possédez dans ce
domaine, en ce qui a trait à la latitude, aux pouvoirs que les gens
appliqueraient en regard de ce qui est proposé actuellement?
Peut-être que je devrais le poser autrement. Quelle est la forme
d'interrelation et où voyez-vous votre intervention
là-dedans?
Mme Brunelle: Comme on le dit dans le mémoire, les
problèmes vécus par ces personnes sont à ce point
complexes qu'on doute de la possibilité qu'un agent de l'aide sociale,
qui ne connaît pas la personne... Et c'est fait aussi dans un contexte de
contrôle. La personne n'ira pas s'ouvrir à quelqu'un qui a
quasiment un pouvoir de vie ou de mort sur elle. C'est cette personne qui lui
donne son chèque ou pas. Il n'y a pas de possibilité de faire
l'évaluation dans un contexte comme celui-là.
Ce qu'on dit, c'est que ce sont des gens qu'on connaît. On leur
offre des services, donc, on les connaît souvent depuis longtemps. On est
au courant de leurs problèmes psychiatriques, de leurs problèmes
de toxicomanie, d'alcoolisme. Il y a d'autres problèmes aussi.
Tout à l'heure, d'autres groupes parlaient
d'alphabétisation. L'alphabétisation, ce n'est pas si facile que
cela. Moi, je peux faire référence à une femme que je
connais. Elle ne sait ni lire ni écrire. Elle est allée à
l'école, mais elle ne peut pas apprendre à lire, ni à
écrire parce qu'elle n'a pas de mémoire. Elle n'est pas capable
de se souvenir. Donc, elle a dans sa sacoche un paquet de papiers avec son
adresse, son numéro de téléphone. Comment allons-nous
scolariser une personne comme celle-là? Elle a une déficience,
eile n'a pas de mémoire. Elle ne peut pas se souvenir.
Mme Dutil: Ce qu'on demande, en fait, c'est d'avoir une certaine
reconnaissance comme professionnels du milieu, qu'on nous consulte un peu et
qu'on arrête de nous mettre des bâtons dans les roues. On fait
l'évaluation d'une situation, on soumet donc le dossier à l'aide
sociale pour une demande d'aide sociale parce qu'on fait affaire avec des gens
dont l'indigence n'est pas à prouver, je pense, et les agents de l'aide
sociale nous disent: II n'a pas le droit à l'aide sociale, il n'a pas
d'adresse. On se fait dire cela 20 fois par jour.
Quand on vous demande que nos organismes soient reconnus comme adresse
pour les individus qui n'en ont pas, c'est ce qu'on veut dire, qu'on cesse de
se faire mettre des bâtons dans les roues par le système. Si vous
me refusez l'aide sociale pour ce gars-là, cela ne me fait rien. Je vais
aller en révision. Je vais vous prouver son indigence. C'est du temps
perdu parce que l'indigence de quelqu'un qui n'a plus rien, c'est bien facile
à prouver. Par contre, le système étant là avec des
règles, si les agents d'aide sociale qui ont une latitude énorme
à l'intérieur de cela nous mettent des bâtons dans les
roues, on perd notre temps, au lieu d'intervenir, à essayer d'agir
contre le système. On voudrait que la nouvelle loi le prévoit de
façon que cela ne se produise pas, tout simplement.
Le Président (M. Polak): Je pense qu'il est temps
maintenant de passer la parole à Mme fa députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Cela me fait plaisir
également de pouvoir profiter de votre expérience. Le
réseau d'aide s'adresse à des groupes d'accueil autant pour les
femmes que pour les hommes, sauf pour les maisons d'hébergement, sauf la
problématique de la violence conjugale. Est-ce le cas? Les femmes seules
itinérantes ou celles qui ont subi, par exemple, une violence sexuelle,
viol, inceste, c'est votre réseau qui reçoit ces groupes de
femmes, c'est
bien cela?
J'aimerais revenir parce que je lisais dans votre mémoire... Vous
nous parliez, au chapitre de la contribution parentale, des difficultés
que cela pouvait créer, notamment dans les situations familiales
difficiles dans lesquelles se trouvaient certains de vos
bénéficiaires. Vous nous parliez de cas d'inceste, de cas de
violence et cela m'a rappelé effectivement des chiffres assez alarmants
sur l'inceste en milieu familial. Est-ce une réalité avec
laquelle vous avez à travailler quotidiennement à
Montréal?
Mme Brunelle: Moi, je travaille auprès des femmes au YWCA.
Je travaille au service de la résidence. On fait de l'hébergement
à moyen et à long terme. On fait aussi de l'hébergement
d'urgence. Quand on parle du soutien alimentaire de la famille, j'ai tout de
suite en tête une jeune fille que j'ai hébergée il y a un
mois. Elle avait 18 ans et elle avait quitté le foyer familial parce
qu'elle subissait de la violence de la part de son père. Je vois mal
cette fille devoir aller demander à son père 100 $ par mois,
alors qu'elle vit dans une ressource d'hébergement parce qu'elle a
quitté une situation de violence.
Mme Harel: Cette situation n'avait pas été
sanctionnée par une poursuite judiciaire ou par une déclaration
policière. Elle a quitté et elle n'en a pas reparlé. C'est
avec vous qu'elle en a reparlé comme personne-ressource. Mais la
question est celle-ci: Irait-elle se confier à un agent de
bien-être? Comment cet agent de bien-être la recevra-t-H? Avec le
Manitoba, nous sommes les deux seules provinces où les agents ne sont
pas des travailleuses et des travailleurs sociaux. Ils n'ont pas cette
formation qui leur permettrait nécessairement de connaître les
problématiques sociales. C'est l'autre réalité du
Québec. Les agents sont surtout des agents de distribution de
prestations.
Vous disiez tantôt: Vingt fois par jour je me fais refuser
toujours par les mêmes personnes. Pensez-vous qu'elles sont de bonne foi,
mais qu'elles doivent appliquer les règlements ou si c'est parce
qu'elles ne veulent pas... Qu'est-ce qui ne va pas?
Mme Dutil: Ce sont de bons fonctionnaires qui appliquent la loi
à la lettre. Quand on parte de pouvoir discrétionnaire, c'est
parce que vous avez aussi affaire à des gens qui se servent de leur
pouvoir discrétionnaire pour dire que cela fait assez longtemps qu'ils
ont des cas conjoints avec nous. Nous connaissons le travail que vous faites.
Ils sont très collaborateurs. Par contre, nous sommes toujours soumis
à ce qui peut survenir d'un nouveau ou de quelqu'un qui décide
précisément d'appliquer la loi à la lettre. À ce
moment-là, on a toujours à redéfendre les mêmes
points parce que l'ancienne loi... Ce qu'on vous dit finalement, c'est qu'on
s'enfarge encore dans l'ancienne loi. S'il vous plaît, s'il y en a une
nouvelle, essayez d'éviter les erreurs passées.
Mme Harel: D'accord. Avez-vous l'impression que votre
clientèle est sujette à des préjugés en ce qui
concerne la structure de l'aide sociale? Je ne parle pas de
préjugés envers la société, c'est évident,
mais je parle de la part des agents. Avez-vous parfois l'impression qu'H y en a
qui réagissent en disant: Ils ne veulent pas s'aider ou quelque chose
comme ça?
Mme Dutil: C'est inévitable, ça, Mme Harel. Mme
Harel: Ah oui!
Mme Dutil: C'est inévitable. Sauf qu'il y a
peut-être deux bureaux - j'en profite pour le dire ici - d'aide sociale
avec lesquels on fait le plus affaire et qui s'appellent les bureaux 278 et
279. Je considère que ces gens sont des missionnaires.
Mme Harel: Sont-ils sur la rue Ontario? Mme Dutil: Sur la
rue Sainte-Catherine.
Mme Harel: Sur la rue Sainte-Catherine, d'accord.
Mme Dutil: Ce sont des agents d'aide sociale. Il ne faut quand
même pas tous les blâmer. Ils sont des missionnaires, ces
gens-là. Ils sont absolument extraordinaires.
Mme Harel: Absolument. D'accord. Et c'est important qu'on le dise
aussi, je pense...
Mme Dutil: Oui.
Mme Brunelle: Je voudrais juste ajouter, si vous le
permettez...
Mme Harel: ...parce qu'il y en a effectivement plusieurs parmi
eux. Ce n'est pas simple parce que la société qu'ils voient
défiler, c'est une société qui pourrait les amener
à être bien pessimistes, n'est-ce pas? Oui, Mme Brunelle.
Mme Brunelle: Je voulais seulement ajouter quelque chose par
rapport à l'attitude des agents de l'aide sociale. Leur service à
la clientèle est très minable. Pour que les gens puissent parler
à leur agent, il faut qu'ils téléphonent le matin entre 8
h 30 et 9 h 30. S'ils téléphonent après, ils se font
répondre que leur agent est sur la route et de rappeler à 8 h 30
le lendemain. Mais tout le monde doit appeler entre 8 h 30 et 9 h 30 et les
lignes sont toujours toutes occupées. Cela veut dire que la
personne...
Mme Harel: Je vois que le ministre écoute. Vous dites que
présentement, entre 8 h 30 et 9 h 30, c'est le seul temps...
Mme Brunelle: C'est le temps où on demande aux gens
d'appeler leur agent. S'ils appellent après cette heure, on leur demande
de rappeler le lendemain entre 8 h 30 et 9 h 30. Le téléphone est
évidemment toujours engagé pendant cette période. Pour que
la personne ait accès à son agent, il faut qu'une tierce personne
appelle, disons nous autres ou l'Accueil Bonneau. Nous nous identifions comme
étant de telle ressource et, là, on rejoint l'agent. C'est
très humiliant pour les gens. Ils ne peuvent pas régler
eux-mêmes leur situation. Ils doivent passer par quelqu'un d'autre.
Mme Harel: Oui, je le sais. Je ne voudrais pas qu'on se quitte
avant que vous nous ayez parlé de la question des chambreurs. Vous
êtes un des groupes, parmi tous ceux qui vont venir, qui avez
définitivement le plus d'expérience ou d'expertise sur cette
question.
J'aimerais peut-être, juste avant d'examiner cette
question-là... Vous remettez en question le fait que la comptabilisation
d'un tel remaniement - en fait, c'est votre expression dans le mémoire -
pourrait créer vraiment beaucoup de problèmes et vous les
énoncez rapidement. Ce matin, il y avait un article dans un journal,
Le Devoir pour ne pas le nommer, qui disait: "Ce qui nous renvoit
à la problématique des coûts administratifs que comporte
cette réforme et que le document de consultation de M. Paradis semble
tenir pour négligeables."
C'est pourtant...
Mme Dutil: Est-ce que je peux vous répondre
là-dessus? Moi, je ne suis pas une économiste, mais je peux vous
donner mon expérience. Donc, moi, je qualifie ce que je fais à
l'Accueil Bonneau comme travailleuse sociale de travail personnalisé
auprès de cas problèmes et je peux vous donner un ordre de
grandeur. Moi, j'ai entre 60 et 65 dossiers actifs. Vous parlez dans votre
réforme de l'aide sociale de service personnalisé. C'est ce que
vous souhaitez. Cela signifie, M. Paradis, que vous allez devoir multiplier par
dix le nombre de travailleurs dans chaque bureau de l'aide sociale, parce que
si vous calculez qu'un agent a, actuellement, entre 500 et 600 dossiers
chacun... Combien?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Autour de 400.
Mme Dutil: En tout cas, moi, on m'a dit, dans le secteur
où je travaille, qu'il y avait souvent entre 500 et 600 dossiers.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce que je vous donne, c'est une
moyenne. C'est possible que vous en ayez 600 dans un bureau et 200 dans
l'autre.
Mme Dutil: Cela vous donne quand même un ordre de grandeur,
si vous voulez donner un service.
Mme Harel: Disons qu'on est dans l'est, pas dans l'ouest.
Mme Dutil: Disons que, si vous suivez cet ordre de grandeur, cela
veut dire qu'il faut peut-être multiplier par huit le nombre d'emplois
qu'il va falloir créer dans ces bureaux-là pour donner le service
personnalisé. Non?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si la députée de
Maisonneuve m'y autorise, je pense que s'il fallait emprunter cette avenue, ce
serait une mauvaise piste. Ce qu'on finirait par faire, ce serait de
bureaucratiser à outrance le service de sécurité du
revenu. Je pense qu'on a avantage à mettre à contribution les
groupes communautaires plutôt que de grossir de façon très
mathématique la fonction publique.
Mme Dutil: Je vous disais cela parce que, si je me fie à
la réforme, quand j'ai "service personnalisé", je me suis dit: Je
ne sais pas s'il sait à quoi il s'engage. J'avais l'impression que
c'était gros.
Mme Harel: Les chambreurs: il ne faut quand même pas se
quitter avant que vous nous en parliez.
Présentement, une personne assistée sociale qui fait un
revenu en louant une chambre a une réduction de sa prestation, mais la
personne qui est chambreur, elle, n'a pas de réduction. On s'entend,
c'est bien cela? Voilà. C'est-à-dire que c'est la personne qui
fait le revenu qui a les 85 $ de moins. Là, présentement...
Mme Dutil: Excusez-moi, Mme la députée, c'est la
personne... Voulez-vous répéter?
Mme Harel: Oui. C'est la personne, si vous voulez, qui fait le
revenu qui a la réduction. Par exemple, vous êtes assistée
sociale et vous louez une chambre dans votre maison. Là, vous avez une
réduction de votre prestation mensuelle. Mais si vous êtes le
locataire, le chambreur, vous avez le plein montant. Avec la réforme,
vous mettez en garde le gouvernement du fait que votre clientèle, ce
sont des chambreurs. Ce sont des chambreurs qui louent des chambres dans des
maisons de chambres et vous dites: Eux aussi pourraient être victimes de
la réduction de 115 $.
Mme Dutil: Dans...
Mme Harel: Allez-y. En plus de cela, les organismes que vous
représentez offrent eux-mêmes des chambres aux itinérants,
par exemple, et à ce moment-là les personnes qui les habitent
pourraient être coupées de 115 $. C'est cela?
Mme Dutil: C'est que ce n'est pas précis.
Le document de réforme parle de chambreurs sans préciser
si les chambreurs sont des personnes qui louent des chambres dans une maison de
chambres familiale ou des chambreurs qui louent des chambres dans une maison de
chambres. Vous payez comme un loyer, mais vous payez une chambre. Le document
de réforme...
Mme Harel: Ce qu'on connaît, la chambre dans laquelle il y
a un poêle...
Mme Dutil: Pas toujours.
Mme Harel: Pas toujours? Ah! Mon Dieu, oui! Avec le
réfrigérateur et tout, avec la fumée, avec...
Mme Dutil: L'unité de logement qui s'appelle chambre.
Mme Harel: C'est cela.
Mme Dutil: Ce n'est pas spécifié dans le document,
alors, n'oubliez pas de le spécifier dans la loi.
Mme Harel: Je vous remercie d'avoir alerté, finalement, la
commission sur cette question des chambreurs. Elle est extrêmement
importante. À combien évaluez-vous le nombre de chambreurs
à Montréal? Je ne me rappelle plus exactement. Je sais que c'est
assez imposant dans le quartier... Je sais que dans mon quartier, c'est plus de
2000, mais je ne sais pas combien. Avez-vous une idée du nombre de
chambreurs qui louent des unités dans des maisons de chambres?
Mme Dutil: Moi c'est la majorité des gars. C'est ce qu'on
tente de faire avec la majorité des gars dont je m'occupe. Cependant,
c'est un secteur tellement... C'est Pierre Legros, du CLSC Centre-vHIe, qui
aurait pu vous répondre à une question comme celle-là.
C'est le spécialiste dans le milieu. Ce que je peux dire, c'est que
c'est un secteur qui est extrêmement dynamique en ce moment. Il y a la
disparition de maisons de chambres, il y a énormément de
transformation et il y a heureusement l'apparition de certains...
Mme Harel: ...de la vHIe de Montréal.
Mme Dutil: ...logements sociaux tel Cham-bredor et ces choses, ce
qui est très intéressant.
Mme Harel: Je vous remercie d'être venues devant la
commission. Je crois que c'était extrêmement important que vous
veniez représenter une clientèle qui, de toute façon, ne
sait même pas, sans doute, qu'on se réunit aujourd'hui. Je vous
remercie.
Mme Dutil: Merci de votre écoute et on vous
réitère l'invitation de dire qu'on est toujours disponible dans
les étapes subséquentes de la mise sur pied de cette loi. On sera
toujours disponible. Vous n'avez qu'à faire appel à nous.
Le Président (M. Polak): Merci beaucoup. M. le
ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci. On sait que vous avez
déjà une charge de dossiers qui est importante, mais on sait que
ce sont généralement les gens qui sont les plus occupés et
qui ont le plus de responsabilités qui sont les plus disponibles et qui
possèdent cette expérience pratique qui nous est absolument
indispensable si on veut éviter les écueHs majeurs dans
l'application de programmes gouvernementaux de quelque nature que ce soit. Je
vous remercie de votre présentation orale, de même que du
mémoire écrit que vous nous avez soumis, ainsi que des approches
nouvelles et intéressantes que vous avez apportées à cette
commission. Merci pour tout cet éclairage.
Le Président (M. Polak): Merci. Je vous remercie
également, juste en soulignant qu'on vous a visités
déjà avec le ministre Bourbeau, à l'Accueil Bonneau; j'y
étais moi-même et j'ai été très
impressionné par votre travail. Malheureusement, vous n'avez pas eu une
heure complète, mais je pense que vous avez eu beaucoup de sentiments et
beaucoup de compréhension du problème de la part des membres de
la commission.
Mme Dutil: Merci beaucoup.
Le Président (M. Polak): Je vous remercie beaucoup.
Mme Dutil: Merci infiniment.
Le Président (M. Polak): Maintenant, je dois annoncer que
la commission ajourne ses travaux sine die parce qu'il y aura des
élections assez importantes qui auront lieu pour un président et
un vice-président. Je n'ai pas encore reçu les noms des
candidatures et tout le reste, je ne suis plus membre de cette commission non
plus.
Donc, on va demander au président de prendre charge.
(Suspension de la séance à 13 h 8)
(Reprise à 13 h 11)
Élection du président et du
vice-président de la commission
Le Président (M. Sairrtonge): La commission des affaires
sociales se réunit et je constate que nous avons quorum. Je
déclare donc la séance ouverte.
La commission des affaires sociales est
réunie afin de procéder à l'élection du
président et du vice-président de la commission. Je vous rappelle
l'article 134 du règlement de l'Assemblée nationale qui stipule:
"Au début de la première session de chaque Législature, et
au besoin pendant celle-ci, les commissions élisent parmi leurs membres,
pour deux ans, un président et un vice-président." L'article 135:
"Le président et le vice-président de chaque commission sont
élus à la majorité des membres de chaque groupe
parlementaire."
Je vous rappelle que, suivant une décision de la commission de
l'Assemblée nationale ce matin, les votes à la commission des
affaires sociales sont répartis comme suit: neuf membres du
côté ministériel, trois membres de l'Opposition et un
député indépendant. Conformément à l'article
127 du règlement, la commission de l'Assemblée nationale a
arrêté aujourd'hui que la présidence de cette commission
revenait à un membre du groupe parlementaire formant le gouvernement et
que le poste de vice-président revenait à un membre du groupe
parlementaire formant l'Opposition.
Je suis maintenant prêt à recevoir toute proposition de
mise en candidature pour le poste de président de la commission des
affaires sociales. Est-ce qu'il y a un proposeur?
M. Laporte: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Saintonge): M. le député de
Sainte-Marie.
M. Laporte: Après ces excellentes explications qui nous
permettent de bien fonctionner, j'aimerais proposer M. Guy Bélanger,
député de Laval-des-Rapides, comme président de la
commission.
Le Président (M. Saintonge): Très bien. J'ai donc
une proposition. Est-ce qu'il y a d'autres propositions? Il n'y a pas d'autre
proposition. Est-ce que cette motion proposant que M. le député
de Laval-des-Rapides soit élu président de la commission des
affaires sociales est adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Président (M. Saintonge): Adopté à
l'unanimité. Très bien. Mon rôle se termine ici comme
président de l'assemblée en remplacement du président,
mais le mandat de la commission n'est pas acquitté à ce
moment-ci. Je vais inviter le président nouvellement élu à
prendre place et à procéder à l'élection du
vice-président.
Le Président (M. Bélanger): Je remercie le
député de Laprairie et vice-président de
l'Assemblée nationale. J'accepte évidemment.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Bélanger): Est-ce qu'il y a une
proposition pour le poste de vice-président de la commission? On sait
qu'en vertu des ententes qui existent, si le président est de la faction
ministérielle, le vice-président est de l'Opposition. Est-ce
qu'il y a une proposition?
Mme Harel: De ma formation politique, M. le Président,
j'ai l'honneur de proposer le député de Terrebonne, M. Yves
Blais.
Le Président (M. Bélanger): Est-ce qu'il y d'autres
propositions? Est-ce que cette motion est adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Président (M. Bélanger): Adopté.
Alors...
M. Blais: M. le Président, M. le Président, il faut
que j'accepte.
Le Président (M. Bélanger): De toute
évidence, oui. Est-ce que vous acceptez?
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Blais: M. le Président, je vais prendre 30 secondes
pour mon acceptation. J'accepte parce que vous êtes le président
de cette commission et que je sais que, dans Laval, il manque beaucoup de lits
de longue durée et que l'école Leblanc pourrait être
transformée en centre d'accueil de lits de longue durée. Vu que
je manque d'école de mon côté, je pourrais avoir mon
école secondaire. Alors, ensemble, dans cette commission, nous pourrons
travailler et j'accepte avec plaisir.
Le Président (M. Bélanger): Vous voyez, M. le
député de Terrebonne, vous faites mention d'un problème
qui me tient à coeur, d'abord, parce qu'il est dans mon comté et
parce que ces transferts touchent directement mes enfants. Étant en
conflit d'intérêts, je me suis abstenu dans ce dossier à
deux mains.
L'ordre du jour étant épuisé, la commission suspend
ses travaux sine die.
(Suspension de la séance à 13 h 15)
(Reprise à 16 h 21)
Auditions (suite)
Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il
vous plaît.
Je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place afin que
la commission des affaires sociales puisse procéder à une
consultation générale, s'il vous plaît, et tenir des
auditions publiques afin d'étudier le document intitulé "Pour
une politique de sécurité du revenu".
Nous recevons comme premier groupe la Ligue des droits et
libertés, qui est présentement installée à la table
des témoins. La ligue est représentée par Mme Louise
Leboeuf, Mme Lucie Bélanger, Mme Myriame Raymond et M. André
Paradis.
Vous connaissez nos règles de procédure. Vous avez 20
minutes ferme pour présenter votre mémoire et il y a environ 40
minutes de discussion avec les parlementaires. Je vous prierais, avant de
passer à la présentation de votre mémoire, d'identifier
d'abord votre porte-parole, de présenter l'équipe et, chaque fois
que l'une ou l'un d'entre vous aura à intervenir, de bien vouloir
s'identifier pour les fins de transcription au Journal des
débats.
Alors, je vous en prie, procédez.
Ligue des droits et libertés
Mme Leboeuf (Louise): Je suis Louise Leboeuf,
vice-présidente de la Ligue des droits et libertés. Je vais faire
la présentation générale mais, dans la partie qui touche
toute la question de la vie maritale, c'est Myriame Raymond, qui est avocate,
qui va apporter les informations et la position de la ligue dans ce domaine.
Les conclusions du mémoire seront apportées par Lucie
Bélanger, qui est à l'autre bout. À ma gauche,
André Paradis, qui est le directeur général de la ligue,
pourra répondre à certaines questions.
La Ligue des droits et libertés trouve que le document sur
l'orientation actuelle du gouvernement concernant sa politique de
sécurité du revenu remet dangereusement en cause des acquis
fondamentaux tels que le droit à l'aide sociale, le droit aux normes
minimales du travail et le droit au travail comme tel. Pour nous, l'État
a le devoir d'assurer à tout citoyen et à toute citoyenne la
satisfaction des besoins de base selon un minimum vital, quelle que soit la
cause de l'insuffisance de son revenu. C'est une question de justice, de
répartition équitable de la richesse collective d'autant plus
imperative que nous assistons à une détérioration
importante des conditions de vie et de travail des classes populaires. On
voudrait rapporter à ce chapitre que, depuis dix ans, le salaire
minimum, par exemple, a été indexé seulement de 27 %,
alors que si on le compare au salaire industriel moyen, l'indexation a
été de près de 80 %. Cela a suivi à peu près
l'indexation du coût de la vie. Ainsi, le document propose, dans son
discours, une justice et une équité mais, dans le fond, c'est
plus l'équité entre les populations les plus pauvres et on veut
plus ramener à la baisse certaines personnes comme les assistés
sociaux qui, depuis les dix dernières années, avaient vu leur
prestation indexée au coût de la vie. Nous, par exemple, dans nos
recommandations, on propose plutôt de réajuster le salaire
minimum. Ce n'est pas en amenant une détérioration des conditions
de vie plus grande que celle qui existe, qui est là en ce moment, qu'on
va régler le problème.
On trouve aussi que, depuis le dépôt du livre blanc sur la
fiscalité des particuliers, il y a déjà des mesures mises
en place qui sont dans le cadre de l'orientation actuelle de la politique de
sécurité du revenu. Par exemple, toutes les modifications qu'il y
a eu concernant la réglementation ont visé essentiellement
à économiser sur les sommes versées aux
bénéficiaires de l'aide sociale, à appauvrir les gens qui
étaient déjà pauvres et à resserrer les
contrôles. On se réfère, entre autres, à tout le
programme des visites à domicile qui a été mis en place,
avec lequel la Ligue des droits et libertés est toujours en
désaccord parce qu'il ne s'agitt pas d'un assentiment véritable
des gens, quand ils laissent entrer des agents d'aide sociale dans leur maison.
La ligue s'inquiète particulièrement d'une aide sociale qui
devient la résultante d'un rapport charitable, du glissement du droit au
travail vers la conscription dans des programmes d'employabilité, d'un
marché de te main-d'oeuvre échappant totalement à la Loi
sur les normes minimales du travail, de l'élargissement des
contrôles tels que ceux subis à l'aide sociale, aux
salariés à faible revenu, par le programme APPORT. On pourrait
parler aussi de l'ensemble des personnes assistées sociales et au
salaire minimum qui vont être surveillées dans tout le programme
de cohabitation. Comment allons-nous faire pour vérifier si les gens
cohabitent réellement? Est-ce la même procédure qui sera
appliquée que celle qui est appliquée actuellement aux femmes
dans les situations de vie maritale?
On est inquiet aussi des remaniements des seuils de revenu minimum
servant à établir les barèmes de l'aide sociale. Il y a
une partie du mémoire qui approfondit plus ce sujet. On trouve
inacceptable que l'échéance soit continuellement reportée
en vue d'accorder des prestations d'aide sociale équivalentes aux plus
de 30 ans et aux jeunes actuellement. Pour nous, à court terme, il faut
vraiment donner la parité de l'aide sociale aux personnes de moins de 30
ans.
On a abordé dans le mémoire certaines questions. On les
définit en quatre parties. Cela ne veut pas dire que ce qu'on n'aborde
pas, entre autres concernant la contribution alimentaire, concernant la
situation des personnes handicapées, concernant la situation
spécifique des jeunes de moins de 30 ans... Ce n'est pas défini
dans le mémoire, mais cela ne veut pas dire qu'on est d'accord avec ce
que la politique de sécurité du revenu avance en termes
d'orientation.
Dans un premier temps, la méthodologie qu'on utilise pour
définir les seuils de revenu minimum. D'après ce qui est dit dans
le document, "le gouvernement veut aider à rétablir des principes
de justice et d'équité pour l'ensemble de la
société" mais, dans les faits, il nous propose de gérer
l'inégalité sur des bases économiques moins avantageuses
pour les pauvres.
La Ligue des droits et libertés remet en question l'approche
choisie par le gouvernement pour déterminer les besoins essentiels et le
montant minimal accordé à chaque ménage.
En fait, le document propose une méthode où on va calculer
le seuil de revenu minimum selon les dépenses de consommation des
familles les plus pauvres. Même les familles dont l'adulte travaille
actuellement au salaire minimum, vivent déjà au-dessous du seuil
de pauvreté. Ils doivent ajuster leurs dépenses de consommation
à un revenu qui est déjà insuffisant. Qu'on prenne cela
comme référence, c'est trompeur parce que cela ne tient pas
compte du type de société dans lequel on vit, d'abaisser un
niveau de revenu pour toute une partie de la population. Pour nous,
l'orientation gouvernementale contribuera à agrandir l'écart
entre les plus pauvres et les mieux nantis de la société.
Il ne faudrait pas non plus oublier le fait que le salaire minimum a
été gelé pendant cinq ans. Ce qui est proposé,
c'est toujours en termes comparatifs pour dire qu'il ne faut pas que les
assistés sociaux aient un revenu supérieur à celui des
gens qui travaillent au salaire minimum. Il faudrait plutôt penser
à faire un rattrapage de ce qui n'a pas été donné
dans les dix dernières années et prévoir que les gens
aient des revenus suffisants. Pour nous, quelqu'un devrait pouvoir travailler
et avoir un revenu qui puisse le faire vivre décemment sans être
obligé de compter sur une prestation d'assistance par laquelle,
finalement, il est surveillé par l'État et les
fonctionnaires.
Le fait que l'on veuille abaisser les niveaux de prestations, pour nous,
cela va généraliser des problèmes qui sont actuellement
vécus par les adultes de moins de 30 ans. Ce qu'on dit aussi, c'est que
si on considère le nombre actuel de prestataires d'aide sociale on
constate qu'il y a 200 000 enfants qui vivent dans des familles qui
reçoivent des prestations d'aide sociale et que cela aura un impact
négatif sur tous ces enfants. On considère qu'il sera plus
difficile aux enfants de sortir du cercle de la pauvreté.
Un autre aspect du document qui nous préoccupe, c'est qu'on parie
beaucoup du développement de l'employabilité, mais on ne parie
pas beaucoup du développement de l'emploi. L'orientation gouvernementale
actuelle repose sur la philosophie que l'emploi est une responsabilité
individuelle, de chaque personne, et, dans le fond, on pourrait dire que toute
personne qui n'arrive pas à trouver un emploi va être
blâmée de ne pas avoir trouvé un emploi, puisque la
responsabilité relève de chaque personne.
Ce qu'on voudrait... Actuellement, on n'a pas vraiment
d'évaluation sérieuse de tous les programmes qui ont
été mis en place pour les jeunes en bas de 30 ans. Finalement,
ces jeunes qui ont participé à ces programmes, est-ce qu'ils se
sont trouve des emplois après leur stage? Il n'y a pas vraiment
d'évaluation sérieuse des programmes. Actuellement, on nous
propose d'étendre ces programmes à l'ensemble des
bénéficiaires qui vont être jugés aptes au travail.
Il y a toutes sortes de critères qui vont faire en sorte qu'on va
déterminer l'aptitude au travail et on va proposer différentes
mesures pour développer l'employabilité. C'est quand même
assez détaillé dans le document. Par contre, on trouve peu de
choses concernant la responsabilité que les employeurs auront. Alors, on
ne sait pas à quelle politique ils seront soumis. S'ils ne
répondent pas aux objectifs de formation d'une main-d'oeuvre plus
qualifiée, à quelle sanction s'exposent-ils? Il n'y a pas
grand-chose là-dessus.
Pour nous, il faut que les programmes de recyclage permettent
d'acquérir de nouvelles connaissances, de développer de nouvelles
aptitudes, mais surtout, en fin de compte, qu'ils débouchent sur un
emploi. C'est quand même une responsabilité que l'État doit
avoir. Actuellement, la politique qui est là, si elle était mise
en place, le travail pour toute une catégorie de la population
deviendrait une condition d'assistance. Alors, pour tous les programmes
où on ne répond pas aux normes minimales du travail et aussi le
programme APPORT, où les gens devront remplir une carte mensuellement,
comme on le demande actuellement aux assistés sociaux... Ils seront
probablement soumis à des contrôles du même ordre que ceux
auxquels seront soumis les assistés sociaux.
Toute personne qui travaille a droit à des conditions de travail
justes et raisonnables. D'autre part, le concept de travail utilisé par
le gouvernement fait abstraction du travail d'éducation de plusieurs
femmes chefs de famille et assistées sociales. Il n'y a pas grand-chose,
actuellement, le travail des femmes a souvent été un travail
invisible et peu reconnu quand ce n'est pas un travail salarié; dans la
société, cela a moins de valeur. La notion de travail, telle
qu'elle est contenue dans le document, fait abstraction du travail que les
femmes réalisent à la maison.
Pour nous, l'orientation actuelle présente davantage de
contrôles qui vont éroder le droit à la vie privée.
Les prestataires d'aide sociale sont actuellement soumis à plusieurs
formes de contrôle dans leur vie privée. Faits et gestes du
quotidien peuvent être remis en question si on les soupçonne de
vie maritale, de travail au noir ou d'un changement de situation qui
entraînerait une diminution des prestations.
Actuellement, il y a dix niveaux de prestation différents. On
pourrait dire que ces niveaux différents légitiment des
contrôles; on trouve déjà qu'ils portent atteinte à
la vie privée des bénéficiaires d'aide sociale. On se
demande si, en en mettant plus de 50, la marge d'erreur et d'arbitraire va
être beaucoup plus grande. Pour ce qui est du rôle que les
fonctionnaires vont pouvoir jouer, à ce moment-là, on va laisser
la place à beaucoup de leurs valeurs, de leurs
préjugés.
Aussi, les bénéficiaires, n'étant pas ou mal
informés, auront de la difficulté à comprendre et à
discerner leurs droits et leurs obligations. La réforme telle que
proposée augmentera la difficulté pour un ou une prestataire de
connaître les comportements qui pourraient devenir illégaux sous
la loi de l'aide sociale.
Myriame Raymond va présenter toute la question de la vie maritale
pour montrer comment l'arbitraire est appliqué, actuellement. Ce qu'on
pense, par rapport à ce que les femmes subissent, entre autres, les
contrôles qui leur sont imposés dans les situations où on
juge qu'elles étaient en situation de vie maritale, cela pourrait
s'élargir à l'ensemble des bénéficiaires de l'aide
sociale, éventuellement, dans la mesure où on veut
vérifier la cohabitation, par exemple, et où on veut
vérifier autre chose. Alors, le droit à la vie privée, en
ce qui nous concerne, on va beaucoup plus y porter atteinte que ce qui existe
présentement.
Mme Raymond (Myriame): Myriame Raymond. La vie maritale sous la
loi de l'aide sociale: L'étude de la plupart des décisions
rendues par la Commission des affaires sociales au sujet de la vie maritale au
cours des cinq dernières années révèle, telle la
pointe d'un iceberg, les conditions difficiles que l'ensemble du système
administratif d'aide sociale impose spécifiquement aux femmes
prestataires.
Premièrement, cette notion de vie maritale baigne dans
l'arbitraire. Aucune définition ni aucun critère de ce qu'est une
vie de couple n'apparaissent à la loi et aux règlements de l'aide
sociale. L'appréciation du genre de vie des prestataires est
laissée au jugement personnel des fonctionnaires tant au niveau local
que régional, entraînant ainsi l'impossibilité pour les
bénéficiaires de savoir si leur vie quotidienne est légale
ou frauduleuse. L'arbitraire, allié aux préjugés sexistes
du rôle de la femme au sein d'une famille mène tout droit à
la discrimination des femmes prestataires de l'aide sociale.
Les situations reconnues comme étant des vies maritales sont plus
nombreuses et plus diversifiées dans le cas d'une femme
bénéficiaire que dans le cas d'un homme. La très grande
majorité des prestataires soupçonnés et accusés par
l'administration de l'aide sociale de vivre maritalement sont des femmes. Bien
que la vie maritale implique nécessairement la présence d'un
homme, ce ne sont pratiquement que les femmes qui doivent rembourser les
montants dus à l'aide sociale pour une soi-disant période de vie
maritale non déclarée.
L'étude démontre également que la
réalité économique des femmes et de leurs enfants n'est
pas considérée. En effet, tant aux bureaux local et
régional qu'à la Commission des affaires sociales on ne se soucie
aucunement de savoir si monsieur pourvoyait réellement aux besoins
économiques de la prestataire et des enfants. Les femmes se retrouvent
donc avec des réclamations allant de 2000 $ à 40 000 $, environ,
pour avoir prétendument bénéficié des largesses
d'un homme. Plusieurs d'entre elles sont toujours bénéficiaires
de l'aide sociale, avec une prestation mensuelle diminuée afin de
rembourser leur réclamation. Les princes charmants qui, soi-disant
faisaient vivre femme et enfant ont disparu comme par enchantement les laissant
plus pauvres que jamais.
La réforme telle que proposée ne changera rien à
cette discrimination vécue par les femmes prestataires de l'aide
sociale. Nous pouvons même ajouter que la notion de vie maritale, telle
qu'utilisée par l'administration de l'aide sociale est et sera une
désincitation directe pour les femmes à intégrer ou
à réintégrer le marché du travail. Travailler au
salaire minimum, à temps partiel, dans un emploi précaire et
devoir rembourser le montant réclamé par l'aide sociale devient
un risque d'appauvrissement trop important pour les femmes et leurs enfants.
D'autant plus qu'une fois sur le marché du travail, si vous n'arrivez
pas à verser régulièrement les paiements mensuels
exigés pour le remboursement de la dette, des intérêts y
seront ajoutés. Après une période de travail, plusieurs
femmes se sont retrouvées à l'aide sociale avec une dette devenue
plus importante.
Pour faire face aux problèmes liés aux notions de
ménage et de conjoint de famille, le document d'orientation indique que,
dans le nouveau système de sécurité du revenu, les
conjoints de fait qui n'auront pas d'enfant en commun seront
considérés comme une entité familiale après douze
mois de vie commune. Sans faire référence à la
durée de vie commune, tant que les critères actuels de
cohabitation, de secours mutuel et de commune renommée continueront
à établir qu'il s'agit de conjoints de fait, tant que les
mécanismes de défense seront les mêmes et tant que les
femmes continueront d'assumer les frais d'une déclaration arbitraire de
vie maritale, la vie maritale demeurera un concept discriminatoire pour les
femmes prestataires de l'aide sociale. Merci.
Mme Bélanger (Lucie): Lucie Bélanger. À la
suite de l'exposé de Louise Leboeuf, portant sur la présentation
générale du mémoire et de la présentation de la
recherche qu'a faite Myriame sur la question de la vie maritale, je
présenterai maintenant les conclusions que la Ligue des droits et
libertés dépose devant la commission.
Alors, à la suite des exposés, H est évident que le
document d'orientation, la ligue ne peut que le rejeter puisqu'il s'agit d'une
politique de sécurité du revenu qui vient renforcer la situation
de pauvreté de l'ensemble des gens déjà pauvres au
Québec. Un premier point qui oblige ce rejet du document, est cette
division des bénéficiaires de l'aide sociale entre aptes et
inaptes au travail, qui ne fait qu'accentuer les contrôles sur les
personnes et les familles à revenu modeste. Ici, nous nous
permettons
d'évoquer le rapport déposé par le Conseil national
du bien-être social, en novembre 1987, qui remet en cause le concept de
la division des bénéficiaires entre aptes et inaptes puisque,
selon le conseil, la mise en place d'une telle procédure se solde par un
renforcement de la pauvreté et un resserrement des contrôles sur
les bénéficiaires.
Le Président (M. Leclerc): II vous reste environ...
Mme Bélanger (Lucie): Deuxièmement, la ligue
souligne comment ce projet d'orientation appauvrit la très grande
majorité des prestataires de l'aide sociale. Ici, je voudrais porter
à votre attention le fait suivant: chez les gens qui arrivent sur l'aide
sociale, on parle de plus 59 % de personnes seules. C'est le pourcentage des
personnes seules qui retournent sur le marché du travail à
l'intérieur des neuf premiers mois. Donc, ces personnes qui n'auront pas
le droit au plein montant de l'aide sociale, ce sont ces mêmes personnes
qui n'auront pas droit au programme APPORT alors qu'elles sont une portion
importante des gens qui utilisent la loi de l'aide sociale selon le sens
même que lui donne le ministre, une loi de dernier recours.
Nous voulons souligner aussi que le document d'orientation favorise le
développement d'un type de travail qui ne permet en aucune façon
l'autonomie économique des personnes, mais qui devient la condition
d'une assistance qui demeure bien en dessous du seuil de pauvreté. Il
s'agit bien davantage de la structuration de la précarité du
travail que d'un débouché sur de véritables conditions de
travail qui permettrait l'"auto-nomisation" des personnes selon le principe
même défendu par le document. Je voudrais ici faire porter
particulièrement l'attention sur quelque chose qu'on ignore totalement
dans ce document: le travail des femmes au foyer. On passe complètement
par-dessus ce travail qui représente plus de 40 % du produit national
brut.
Ce document porte aussi atteinte à la vie privée. Mme
Leboeuf faisait allusion à une situation où l'on voudrait
vérifier, entre autres, le partage du logement ou la vie maritale et
qui, en ce sens, récupère toute forme d'entraide pour encore
appauvrir les populations.
Le Président (M. Leclerc): Je m'excuse, madame, compte
tenu que votre temps est écoulé, je dois demander le consentement
des deux côtés. Vous pouvez continuer. En conclusion, si
possible.
Mme Bélanger (Lucie): Merci. Il me reste ; cinq minutes.
Il va à rencontre de l'autonomie des jeunes et des femmes. Ici, je pense
surtout au principe de la contribution alimentaire qui prolonge de façon
pratiquement indéfinie la dépendance des enfants par rapport aux
parents. Je veux souligner particu/ièrement l'impact sur les
mères puisque des études faites à cet effet en Australie
par Meredith Ewards, en Angleterre par Hilary Land et en Californie, qui ont
été citées par la ministre fédérale à
la Condition féminine, démontrent comment la situation de
pauvreté alourdit particulièrement la tâche des
mères qui sont toujours les principales responsables de la gestion, tant
au plan économique dans la famille qu'au plan de la gestion des rapports
politiques, des rapports affectifs et des rapports psychologiques dans la
famille. Cela aussi est un volet caché d'un alourdissement grave de la
tâche des mères. Cela maintient aussi un concept arbitraire de vie
maritale. Mme Raymond nous a présenté ce point.
C'est pourquoi, pour la ligue, une véritable politique de
sécurité du revenu devrait s'appuyer sur les principes suivants:
le droit de tout adulte à l'autonomie financière. Ici, je
rappelle ce que soulignait Mme Leboeuf: l'importance de faire éclater le
concept traditionnel de travail pour tenir en compte le travail des femmes
à la maison. Cela pourrait être aussi les hommes, quand il y aura
vraiment partage des tâches, et tout autre travail assumé dans le
cadre du travail bénévole, du travail de volontariat. Je pense
même à l'aide sociale en tant que partie intégrante du
droit à l'autonomie financière puisque l'aide sociale, je le
souhaite, ne retournera pas dans le schéma de la
générosité comme c'est malheureusement
évoqué dans le document d'orientation.
Le deuxième principe: le droit à un revenu minimum pour
toute personne dans le besoin, quelle qu'en soit la cause. Ici, on ne fait que
se greffer sur, je dirais, ce qu'ont été les racines de la
réforme de l'aide sociale, le rapport Boucher, qu'évoque le
document lui-même. Car vous savez comme moi que le prix du lait, du pain,
de la margarine, etc., est le même pour tout le monde.
Troisièmement, le droit à un emploi dans des conditions
décentes, c'est-à-dire un emploi où il y a une
sécurité d'emploi, un salaire décent, qui n'oblige pas
à un programme APPORT, nous rendant encore dépendants comme on
pouvait l'être selon la pratique actuelle de la loi de l'aide sociale et
des lois du chômage.
Quatrièmement, des incitations positives au travail. Pour avoir
travaillé et continué à travailler depuis des
années avec des gens bénéficiaires de l'aide sociale, je
sais que ce sont des gens qui veulent travailler pour que, vraiment, ils se
sortent des difficultés dans lesquelles ils sont et non pas pour se
retrouver plus pauvres, comme l'évoquait, entre autres, Myriam
tantôt. (16 h 45)
Autre principe, la solidarité sociale dans les programmes de
sécurité du revenu. Ceci est fondamental. On assiste,
actuellement, à un grave recul des programmes universels, ce qui fait
que, malheureusement, très facilement, les campagnes de
dénigrement face aux assistés
sociaux ont une prise forte dans la population. C'est urgent de remettre
des programmes universels forts et importants pour les familles.
La Ligue des droits et libertés croit qu'il faut, dès
maintenant, faire disparaître la discrimination que subissent les
personnes de moins de 30 ans et ce, non pas seulement en 1989 ou 1990.
Deuxièmement, nous devons prioriser le développement de
l'emploi car l'employabilité n'a aucun sens s'il n'y a pas d'emplois
réels, finalement. Dans des conditions qui respectent les normes
minimales de travail, pour nous, tout programme, stage en emploi, stage en
milieu communautaire doit être soumis aux normes minimales de travail,
comportant un salaire décent et donnant accès à la
syndicalisation.
Troisièmement, il faut augmenter le salaire minimum à ce
qu'il était en 1977, en rapport avec le salaire industriel moyen, et
quatrièmement - les propositions suivantes se tiennent - établir
une base universelle comme le crédit d'impôt dans une politique de
sécurité du revenu.
Cinquièmement, il faut augmenter - je le soulignais - les mesures
universelles de soutien à l'enfant. Nous pensons particulièrement
aux allocations familiales.
Sixièmement, H faudrait ajouter une aide sociale
complémentaire, compte tenu qu'il y aurait un crédit
d'impôt universel, et, septièmement, favoriser l'augmentation des
revenus actuels des personnes assistées sociales, et non pas le
rattrapage - ce qui est demandé, c'est que le montant auquel les gens
ont droit, que les gens ont le droit d'aller chercher par le travail, soit
vraiment un plus, alors que dans le projet de réforme actuel ces
montants ne permettent que de faire le rattrapage, pour rattraper ce que serait
l'aide sociale si elle continuait à être indexée comme
aujourd'hui - par des gains de travail leur permettant d'atteindre les seuils
de pauvreté.
Dernier principe: abolir le concept de "vie maritale* tel
qu'utilisé par la loi actuelle de l'aide sociale. Les personnes, pour
être reconnues comme conjoints et, donc, comme faisant partie d'une
entité familiale, devraient ou être légalement
mariées, ou avoir un enfant en commun et cohabiter, ou avoir vécu
ensemble et se présenter publiquement comme des époux pendant au
moins trois ans. Il s'agit ici d'uniformiser avec d'autres lois, comme celle
sur l'assurance automobile. Merci beaucoup, excusez-moi d'avoir
prolongé.
Le Président (M. Leclerc): II n'y a pas de faute, madame,
puisque vous aviez eu le consentement des membres de la commission. Alors, je
reconnais M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Seulement pour vérifier,
afin que je n'échappe pas de questions importantes, combien me
reste-t-il de temps? Je tiens à remercier la ligue pour son
mémoire et pour sa présentation verbale. Je vais rapidement
tracer le portrait de la clientèle à l'aide sociale, telle
qu'elle existait en mars 1987, en soulignant qu'elle a diminué depuis ce
temps.
En mars 1987, vous retrouviez à l'aide sociale quelque 400 000
personnes responsables de ménage, dont le seul revenu était des
prestations d'aide sociale. Parmi ces chefs de ménage, quelque 100 000,
soit 25 %, sont des gens qui, sur une base continue, ne peuvent subvenir
à leurs besoins de base. Même si le travail existait, ils sont ce
que des gens ont appelé hier productifs ou possiblement productifs, mais
non compétitifs sur le marché du travail.
Vous retrouvez quelque 300 000 personnes responsables de ménage
qui seraient considérées comme aptes au travail; aptes au
travail, mais dans quelles conditions? Donc, 36 % de cette clientèle est
composée d'analphabètes fonctionnels. Ce n'est déjà
pas facile de se trouver un emploi, imaginez lorsqu'on est analphabète
fonctionnel, la barrière que cela peut ériger entre le
marché du travail et son désir de se trouver un emploi.
Il y a 60 % de la clientèle qui n'a pas complété
son cours secondaire, alors qu'on sait que, dans les offres d'emplois,
généralement, on exige le diplôme d'études
secondaires ou le certificat d'études secondaires pour avoir la
possibilité de postuler un emploi.
Aussi, 40 % de ces personnes - il s'agit surtout de femmes - n'ont
aucune expérience antérieure de travail et vous savez
également dans combien de cas on exige des expériences
antérieures de travail. Donc, on se retrouve devant une clientèle
qui a des barrières importantes à surmonter pour avoir la
possibilité d'avoir le droit au travail. C'est un des
éléments qui ont été évoqués par Mme
Leboeuf dès le tout début de sa présentation.
Il y a également d'autres éléments sur le plan de
la réglementation qui rendent le droit au travail quelquefois
théorique ou utopique. Je me souviens, entre autres, avant l'adoption de
la loi 119 dans l'industrie de la construction, que des jeunes ne pouvaient pas
prétendre avoir la possibilité d'avoir le droit au travail dans
l'industrie de la construction et qu'il a fallu enlever cette barrière
que le gouvernement précédent avait installée.
Moi, je suis d'accord avec vous que ce droit doive exister. Le
gouvernement a une responsabilité, par son action, de mettre à la
disposition des gens qui en ont plus besoin les outils nécessaires et de
les aider à abolir ces barrières. Vous nous pariez, avec raison,
du salaire minimum et de sa croissance ou non-croissance au cours des dix
dernières années. Vous mentionnez une augmentation de 27 % depuis
dix ans et, lorsque vous comparez au salaire industriel moyen, c'est une
augmentation de 80 %. Vous nous faites part de vos inquiétudes à
ce sujet.
Je vous indiquerai que vous avez raison et que le rattrapage est quand
même amorcé par l'actuel gouvernement. En 1987, le salaire minimum
a été augmenté de 8,75 % parce que le gouvernement
était conscient qu'il y avait du rattrapage à effectuer quant au
salaire minimum. L'aide sociale a été indexée de 4,1 %.
Pendant ce temps, les travailleurs avec des conventions collectives au
Québec ont obtenu des augmentations de 3,7 % tandis que le salaire
hebdomadaire moyen, le taux de croissance en 1987 est de 2,1 %. Le rattrapage
est loin d'être atteint, mais les actions et les décisions
gouvernementales vont dans le sens du rattrapage que vous souhaitez.
Peut-être une dernière intervention face aux arguments que
nous a présentés Mme Le-boeuf, au sujet de la formation et du
contenu de la formation comme tel. L'objectif du gouvernement, je pense que
vous le partagez, est de s'assurer que les stages aient un contenu de formation
qui soit véritablement un apprentissage positif. L'un des moyens de s'en
assurer - nous vous le soumettrons, vous pourrez nous répliquer si vous
pensez qu'on fait fausse route - serait de faire valider nos stages ou nos
cours de formation par les commissions de formation professionnelle que l'on
retrouve dans toutes les régions du Québec, de faire valider tant
le contenu du cours qu'une vérification à savoir si l'entreprise
l'a vraiment donné. On ne prétend pas que ce soit une garantie
absolue, mais on pense qu'il s'agit peut-être là d'une garantie
additionnelle à ce qu'on retrouve vraiment une formation dans ces stages
et que ces stages ne soient pas ce qu'on appelle du "cheap labor", pour
utiliser une expression qui a été répétée
à plusieurs reprises.
Me Raymond a décrié la situation actuelle du
contrôle, entre autres, de la vie maritale. Je pense que la description
qu'elle nous en a faite est exacte et qu'il nous faut changer cette
définition ou cette attitude. Je l'ai déjà
déclaré publiquement et je le maintiens, le gouvernement n'a pas
affaire dans les chambres à coucher. Maintenant, nous proposons une
nouvelle définition dans le livre vert. À ce jour, certains
groupes de femmes nous ont indiqué qu'il s'agissait là d'une
amélioration à ce qui existe présentement. C'est le cas du
CIAFT. Vous ne semblez pas partager cette notion et c'est sur cela que je veux
vous adresser une question directe.
Vous nous suggérez, ce qui est positif, une définition.
Moi, je veux vous donner tout de suite la réplique des
spécialistes du ministère à votre suggestion pour que vous
ayez tout sur la table, de façon à pouvoir répliquer. Ce
qu'on m'indique, quant à la définition que vous suggérez,
se lit comme suit: Le concept suggéré supprimerait le
critère de recours mutuel dans la définition de vie maritale.
Cependant, ce concept n'exempterait pas de toute vérification
auprès de la clientèle. Il faudrait s'assurer qu'il y a
cohabitation des époux pendant 36 mois alors que, selon le projet de
réforme, on part de 12 mois de cohabitation. De plus, il faut noter que
le critère "de commune renommée se présenter comme
époux" n'est qu'un critère accessoire, actuellement. La ligue
propose de nous faire fouiller davantage dans la vie privée des gens et
même dans leur réputation, puisque la commune renommée est
ce qu'on en dit.
J'aimerais avoir votre réaction sur cette interprétation
qu'ont faite les spécialistes de la définition que vous nous
suggérez de "vie maritale".
Mme Raymond: Disons que cela serait préférable,
d'abord, qu'on ait au Québec, dans toutes les lois, une seule
définition du conjoint de fait pour que tout le monde puisse être
au courant. La différence entre, disons, l'assurance automobile et
l'aide sociale, c'est que c'est avantageux dans le premier cas pour les gens
d'être conjoints de fait. Je m'explique: si j'ai vécu depuis trois
ans avec quelqu'un qui meurt dans un accident d'auto, si je veux avoir de
l'argent, je vais aller, moi, me présenter et prouver que je vis
maritalement. Tandis qu'à l'aide sociale, c'est devenu une fraude, une
lutte, une chasse aux sorcières, sans tenir compte du tout du fait que
les hommes... Vous savez, les hommes, je ne veux pas dire qu'ils sont
nécessairement tous mesquins ou qu'ils ont perdu leur
générosité d'antan, mais les rôles ont changé
et je pense qu'il y a de moins en moins d'hommes qui font vivre les femmes.
C'est aussi beaucoup parce que les hommes n'en ont pas les moyens.
Deuxièmement, de penser qu'un homme peut faire vivre une femme et
des enfants qui ne sont pas les siens, c'est déjà utopique.
Déjà que les pensions alimentaires des maris légaux ne
sont pas trop payées non plus. Alors, la réalité
économique est complètement écartée. Il ne s'agit
pas de savoir si, sur le plan affectif, le fait que monsieur ait apporté
deux jambons dans le mois ou une pinte de lait de temps en temps, cela devient
une vie maritale. Je pense même qu'il faudrait... Le seul moyen que je
trouverais correct dans cette histoire, c'est qu'on puisse prouver
réellement que madame et ses enfants reçoivent, je ne sais pas,
800 $ par mois de monsieur. Donc, elle n'a pas besoin de l'argent de l'aide
sociale. Mais jamais, nulle part... Il y a même un règlement dans
le règlement de l'aide sociale qui dit qu'on devrait calculer la partie
du patrimoine que les membres de la famille apportent ou dilapident. C'est un
règlement qui est complètement ignoré par tous les paliers
juridiques. Ce qui fait qu'on n'a pas à vérifier si,
effectivement, cette femme-là a eu de l'argent de cet homme pour pouvoir
faire vivre ses enfants. La réalité, c'est que le chèque
de l'aide sociale passe toujours pour les vêtements, pour la nourriture
de madame et de ses enfants. C'est elle qui reste la responsable. Monsieur,
qu'il l'ait fréquentée ou qu'il ait vécu réellement
avec la femme, s'il a payé, lui, sa part de la nourriture,
on ne peut pas parler de quelqu'un qui fait vivre une personne à
ce moment-là.
Si on regarde, par contre, quelqu'un qui se fait attraper parce qu'il a
travaillé sans le déclarer on va faire le calcul. On va dire:
Monsieur ou madame - c'est plutôt "monsieur" de ce
côté-là - vous avez gagné 200 $, donc, on va couper
200 $ de votre montant d'aide sociale. Tandis qu'avec la vie maritale, ce n'est
pas à la femme... Vous avez reçu tant d'argent et on va vous
couper. On présume que vous étiez marié dans votre
tête et on présume qu'économiquement vous n'aviez plus
besoin de rien et que monsieur payait tout. Donc, on coupe et on annule
complètement toute la prestation.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Me Raymond, je ne discute pas
l'application du système actuel qui est discutable. Nous sommes devant
une occasion d'améliorer une situation qui est décriée. Je
pense qu'il n'y a pas un groupe de femmes qui soit passé devant nous qui
n'ait pas décrié la définition actuelle. Nous avons fa
possibilité, sur le plan législatif, de changer les
définitions et de les améliorer. Le livre vert sur la
sécurité du revenu en propose une. Vous nous en proposez une dans
votre mémoire que vous nous soumettez. Je vous ai tout simplement
donné la réaction des fonctionnaires. Je ne vous demande
même pas sur le plan légal, puisqu'il ne faut pas se tromper quand
on joue avec ces choses-là, de réagir sur le libellé
immédiatement. Je soulève des inquiétudes. Si vous voulez
qu'on poursuive, même en dehors des travaux de cette commission, la
recherche d'une définition qui serait la plus respectueuse possible des
droits de l'individu, ce que je vous indique, c'est qu'il y a ouverture du
côté gouvernemental.
Maintenant, quant à une question accessoire, la question de la
perception des contributions alimentaires, on se rend compte que chez les
quelque 77 000 femmes monoparentales qui vivent de l'aide sociale, plus de 85 %
d'entre elles ne reçoivent aucune pension alimentaire de leur
ex-conjoint. On sait qu'elles ne sont pas généralement dans la
possibilité même d'aller la réclamer à cause de tout
un contexte. Est-ce que le gouvernement pourrait intervenir sur le plan d'une
perception automatique des pensions alimentaires, un peu comme cela se fait au
Manitoba? Quel est votre point de vue là-dessus?
Le Président (M. Leclerc): Mme Raymond. (17 heures)
Mme Raymond: Ouf! C'est à voir avec les groupes. Cela
pourrait être l'une des solutions: que la dette alimentaire devienne une
dette à l'État, justement, comme cela se fait au Manitoba. Mais,
pour être certain que cela règle le problème des femmes de
l'aide sociale, il ne faudrait pas, par contre, continuer à essayer de
voir si le nouveau "chum" ou le nouvel ami est là aussi pour faire
l'autre partie de l'argent. Cela ne règle pas mon problème, celui
des femmes de l'aide sociale. J'irais même jusqu'à vous demander,
M. le ministre, si, effectivement, en changeant la politique pour la rendre
plus claire, toutes les dettes réclamées en ce moment pour des
soi-disant vies maritales seront effacées?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je reçois chaque semaine,
je pense, de la part des citoyens, des groupes et des députés,
des demandes pour effacer des dettes. La loi ne m'y autorise pas
présentement. Je dois répondre dans chacun des cas qu'il existe
une procédure complexe pour effacer des dettes. Quatre ou cinq
ministères interviennent et peuvent le faire en cas de
décès ou de faillite, et il y a des règles très
strictes qui interviennent dans ces circonstances. Autrement, cela ne se fait
pas. Mais le problème que vous avez soulevé est réel.
Lorsque cela ne se fait pas et qu'on cumule une dette importante, cela
décourage l'individu à retourner sur le marché du travail
parce que la personne se dit: Si j'ai cette dette à rembourser dans le
contexte actuel, je n'ai pas l'intention d'aller travailler à 5 $, 6 $
ou 7 $ l'heure, parce qu'on va exécuter un jugement pas longtemps
après. On a un problème pratique, là.
Comme on m'indique qu'il me reste à peine quatre minutes -
j'aurais aimé, sans faire de suggestion à Mme la
députée de Maisonneuve... Vous devez sans doute avoir une
expérience devant la Commission des affaires sociales; si vous en avez
une et si vous pouviez nous donner une appréciation du travail, des
délais et de la façon dont les dossiers sont traités
à la Commission des affaires sociales, nous aimerions vous entendre
brièvement.
Mme Raymond: Je pense que cela pourrait être un petit peu
long. J'aurais plusieurs histoires à vous raconter, mais vous auriez
peut-être même de la misère à me croire. C'est pour
cela, d'ailleurs, que j'ai accepté l'idée de faire le travail que
j'ai fait en collaboration avec la Ligue des droits et libertés, puisque
je partais de décisions écrites. On ne pouvait plus me dire: Non,
non; ce n'est pas possible. Je dois vous référer tout simplement
à la lecture de La vie maritale sous la loi de l'aide sociale,
que j'espère que vous allez lire. Cela va vous donner une
très bonne idée, effectivement, de ce qui se passe. J'ai lu, pour
les cinq dernières années, des décisions de la Commission
des affaires sociales en cette matière. Cela correspond tout à
fait à la réalité qu'on vit dans la pratique au bureau de
révision et à la Commission des affaires sociales. Avec cette
lecture - c'est 90 pages et cela se lit assez rapidement - cela va vous donner
une très bonne idée.
Le Président (M. Leclerc): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Votre expertise est
à ce point attendue que je voudrais
entrer immédiatement dans le vif du sujet qui est toute la
question des conjoints de fait et de la vie maritale. Il y a bien d'autres
aspects, évidemment. Je pense que vous nous excuserez de ne pas en
traiter, compte tenu du peu de temps. Tantôt, vous interpelliez le
ministre en lui disant: Oui mais... Finalement, vous convenez, comme il l'a
fait précédemment, que ce sont des notions qui font des femmes
des victimes.
Ce matin, un groupe est venu nous dire que la notion de "blame the
victim", en fait, c'était une sorte d'application qui était
faite. À ce moment-là, je pense que la question se pose. Prenons
le cas de ceux qui ont des dettes à rembourser en vertu d'un
système qui va être changé parce qu'il était inique.
Vont-ils continuer de devoir les rembourser, en fait? Enfin, c'est une autre
question.
Je voudrais dire quelques mots sur la question de la perception des
pensions pour signaler simplement que la pension ne va pas gonfler du fait
qu'elle est perçue automatiquement. Il faut souhaiter que la perception
soit automatique, mais cela ne va pas la doubler ou la tripler pour autant. Le
montant qui pourrait faire vivre la famille ne se fera pas d'un coup de
baguette magique. Il faut dire que, maintenant, les pensions sont souvent
accordées pour les enfants. Elles ne le sont plus pour les conjointes.
De plus en plus fréquemment, ce sont là des décisions qui
vont dans le sens d'une pension pour les enfants tant qu'ils sont d'âge
scolaire.
D'autre part, au coeur de tout ce problème de la pension, il y a
la question de la perception. Il y a aussi la question de la
désincitation des ex-conjoints à verser une pension qui ne fait
que rembourser l'État. C'est ce qui amenait le Conseil du statut de la
femme à recommander que la pension puisse s'additionner un peu comme une
exemption pour gain de travail jusqu'à l'équivalent, si vous
voulez... Ce serait des exemptions pour gain de travail selon les
catégories, de manière à permettre une sorte d'incitation
à la verser. On revient au coeur d'un sujet qui est très
très très important pour notre commission, mais aussi très
très très important pour l'ensemble des politiques sociales de la
prochaine décennie, supposons, pour ne pas dire plus longtemps. C'est
toute cette question de vie maritale et de conjoint de fait. Il y a des choses
qui sont contradictoires. Si on prend toute la question du système
fiscal, on sait que le système fiscal est beaucoup plus
généreux envers les conjoints de fait qu'il ne l'est envers les
couples mariés. C'est beaucoup plus avantageux d'être conjoint de
fait, quand on en a les moyens, que d'être marié. Par ailleurs,
dans la pauvreté, l'inverse est vrai, c'est-à-dire que c'est
mieux d'être... Non, en fait, c'est la même chose. C'est exactement
la même chose.
J'inviterais le ministre à lire avec moi La vie maritale...,
votre document. Je trouve cela extrêmement intéressant,
à la page 3, entre autres. C'est /a première fois qu'on a
chiffré le coût des choix idéologiques parce qu'on dit
toujours que c'est neutre, c'est neutre. D'abord, vous dites dans votre
mémoire que le problème de la cohabitation va rester le
même, même s'il y a un répit de douze mois. Mais une fois
ces onze mois et trente et un jours terminés, le problème revient
en entier. Je trouve que c'est à la page 3 que ce problème est le
mieux décrit. Vous dites: "Au départ, il est plus avantageux
économiquement pour des adultes d'être considérés
comme des personnes seules." Là, vous en faites la démonstration.
Cela coûte 191 $ par mois pour être un couple quand on est sur
l'aide sociale. Ensuite, vous dites, et c'est important: "Un deuxième
adulte, considéré comme conjoint du premier, vivant au sein d'une
famille est nettement désavantagé." La différence,
à partir de vos chiffres, est de 304 $. J'ai fait la différence.
C'est 304 $. S'il restait à l'appartement d'à côté,
sur le même palier, il aurait 466 $. Mais s'il reste avec son amie qui
est la mère d'enfants dont il n'est pas le père, là, cela
lui coûte 304 $. Ce sont des affections qui coûtent cher, dans un
sens.
Le troisième postulat, à la page 3 - on connaît
celui-là, il est connu - c'est qu'il y a moins d'argent pour un
deuxième enfant et plus rien du tout à partir du
troisième. Pour le deuxième, cela donne 52 $. Comme me disait
quelqu'un dernièrement, cela paie à peine les couches en papier
et les autres achats qu'il faut faire pour un petit bébé.
C'est le point de départ. C'est un peu comme le postulat de base.
Et à partir de ce postulat, tout le reste est comparé parce que
la notion, finalement, c'est une notion qui est dite d'équité en
vertu de ce point de départ. Le point de départ, c'est cela qu'il
faut interroger de nouveau. Est-il équitable qu'il soit plus avantageux
économiquement pour des adultes d'être considérés
comme des personnes seules? C'est cela qu'il faut interroger. Cela veut donc
dire... Il le faut aussi sur le plan de la fiscalité. Est-il
équitable qu'il soit plus avantageux d'être conjoint de fait que
personne mariée? Sinon, on va avoir tendance à essayer de tout
faire entrer comme dans un bocal de poissons, de manière que tout se
conforme à notre point de départ. J'aimerais vous entendre
là-dessus, parce que c'est la première fois que c'est aussi bien
exprimé.
Il y a aussi le quatrième aspect, à la page 5. Vous dites:
"L'administration de l'aide sociale présume des obligations vertueuses
face aux enfants de la part d'un homme adulte cohabitant avec leur
mère." Ce n'est pas neutre parce qu'on présuppose qu'ils ont des
obligations vertueuses parce qu'ils n'ont pas charge légale d'enfants,
ils n'ont pas à leur payer des pensions, mais on présume que la
mère des enfants doit se faire vivre, elle et ses enfants, par son ami.
Alors, j'aimerais vous entendre sur ces questions. Je pense que vous êtes
le premier groupe qui nous apporte ces considérations aussi
clairement.
Mme Raymond: Je vais commencer juste à la petite partie,
à la page 3, et je te laisse aller pour le reste.
L'idée que j'ai eue, à un moment donné, c'est de
m'arrêter et de me dire: Comment cela se fait-il qu'une vie quotidienne,
qu'un choix de vie tout à fait normal soit devenu autant
judicia-risé et puisse devenir une fraude? Comment se fait-il qu'on ait
fait de la vie privée une fraude? C'est essentiellement parce qu'il y a
des différences dans les barèmes de ce type-là. Si on
court après les gens et qu'on leur dit "oui, oui, oui, vous vivez
ensemble", c'est pour leur enlever de l'argent. C'est pour cela que je trouvais
cela important. Si on n'avait pas des différences, des barèmes
comme ceux-là, il n'aurait même pas pu être question de
fraude comme telle. Mais j'aimerais mieux que ce soit Lucie qui réponde,
cela rejoint l'idée aussi de ce qui se passe dans le domaine fiscal.
Mme Bélanger (Lucie): Je pense que tant qu'on
considérera la fiscalité - et il semble que, ce soit de plus en
plus l'accent mis tant au fédéral qu'au provincial - comme
étant basée sur le revenu familial, qui tient pour acquis que la
distribution de la richesse à l'intérieur de Ja famille se fait
automatiquement de façon équitable et égale, on va
effectivement continuer à renforcer et la dépendance et la
pauvreté des femmes et des enfants.
Je fais appel à nouveau à des études parce que je
sais qu'on a cité beaucoup de chiffres. Ces études que je vous
citais tantôt, entre autres celles faites en Californie, nous disent que
si on calculait les revenus à partir non pas du concept du revenu
familial, mais à partir du concept du revenu des individus à
l'intérieur de la famille, on augmenterait de 40 % le nombre de
personnes pauvres. Cela veut dire qu'il y a toute une pauvreté
cachée liée à une fiscalité qui repose sur le
revenu... Je pense qu'il faut aller vers une fiscalité basée sur
les individus. C'est la première chose. On ne peut plus penser la
réalité famille, femmes et enfants, à l'intérieur
du concept traditionnel du mariage avec le pourvoyeur. Il faut absolument s'en
aller vers une fiscalité basée sur les individus.
Je pense qu'ici on rejoint une revendication de longue date de
l'ensemble des groupes de femmes. Cela me paraît fondamental et d'autant
plus urgent, le crédit d'impôt universel, qu'il donnerait une
première base, je n'ose pas dire d'autonomie, parce que vous
n'êtes pas autonome. Si vous avez vu le projet de reforme de la
fiscalité présenté par Ruth Rose en collaboration avec
François Aubry, on dit que la première année il y a une
possibilité de crédit d'impôt universel d'environ 2800 $,
mais c'est quand même une première base d'argent à soi. Il
faudrait absolument que les revenus ne soient pas calculés, pour les
femmes, en fonction du revenu du conjoint.
Une note aussi sur la question de la perception des pensions
alimentaires. Effectivement, on est pour la perception automatique. Cela aussi,
cela fait longtemps que les groupes de femmes demandent la perception
automatique mais, en même temps, il ne faut pas se faire des illusions
quand on parle de la population bénéficiaire de l'aide sociale.
On pourrait élargir, pour l'ensemble de la population, au salaire
minimum et même juste un peu plus haut. On ne réglera pas beaucoup
le problème de la pauvreté des femmes. Absolument pas, parce que
le gars qui a un salaire pauvre, divisé en deux, cela va faire deux
personnes plus pauvres. Plus les enfants, cela va faire quatre, cinq ou six
personnes plus pauvres. Alors, ce n'est pas non plus...
Je ne dis pas qu'il ne faut pas aller vers la perception automatique. La
perception automatique est importante parce qu'il y a déjà une
part d'équité qui se rétablit, mais cela ne peut pas
être la panacée. À ce chapitre, on ne peut pas non plus
avoir comme cela une panacée. Le travail salarié, dans le concept
traditionnel du travail salarié à tout prix, il faut
absolument... On est devant de nouvelles réalités familiales. On
est maintenant devant une nouvelle conscience chez les femmes du droit à
l'autonomie économique comme étant fondamental. C'est une
question de dignité. Je pense que le cas limite de la violence - non pas
limite parce que rare, mais limi-au sens que c'est une situation de violence et
tout cela - nous montre à quel point c'est urgent.
À ce chapitre, je ne crois pas, M. le ministre, qu'on puisse se
replier sur la notion du dernier recours en disant: Elles iront sur le
marché du travail. Surtout qu'on sait pertinemment que ce que les femmes
vont trouver sur le marché du travail, ce sont des emplois
précaires dans des questions très difficiles d'exercice du
travail aussi. Alors, il faut repenser, à mon avis, tout le volet par
rapport à la question de l'aide sociale versus l'autonomie
économique des femmes, versus le travail effectif que les femmes font
à la maison. À ce moment-ci, je vous souligne mon
étonnement de voir que des femmes qui ont des enfants de moins de deux
ans n'auront pas droit au plein montant d'aide sociale. Cela est un exemple
flagrant de la non-reconnaissance du travail fait là.
J'arrête ici. Peut-être que Louise veut ajouter quelque
chose. Une parenthèse: Vous avez souligné, M. le ministre, que 40
% des femmes n'ont aucune expérience pour aller sur le marché du
travail. Je vous soulignerais que c'est un des problèmes, là
aussi, de la non-reconnaissance de l'expérience acquise à travers
le travail de maternage. Cela aussi est un dossier urgent qui est lié au
dossier de l'aide sociale.
Mme Harel: À moins que vous n'ayez quelque chose à
dire, moi, j'ai des choses à vous demander. Je ne sais pas combien de
minutes il me reste. Cinq?
(17 h 15)
Mme Leboeuf: Je ferais peut-être juste un commentaire pour
dire que la question de l'autonomie des individus est importante. Tout l'aspect
de la cohabitation, des montants d'argent qu'on veut aller prélever si
les gens cohabitent, comment va-t-on reconnaître que les gens partagent
un logement? Si les gens sont en bas du seuil de pauvreté, ils vont
s'arranger pour essayer d'économiser le maximum pour arriver à
vivre, puisque les gens mettent déjà 50 % de leurs revenus au
logement et ont trouvé des mécanismes pour mettre un peu plus sur
la nourriture. En tout cas, pour nous, c'est très préoccupant
parce que c'est une atteinte à la vie privée. Par les visites
à domicile, on est entré dans les maisons. Là, on va
entrer dans beaucoup de maisons.
Mme Harel: Oui. J'aimerais reprendre parce que vous avez une
expertise importante dans ces matières. Vous dites: Le crédit
d'impôt. À ce moment-là, évidemment, cela suppose
l'abolition des exemptions, parce que tout notre système est
fondé essentiellement sur le pourvoyeur, la femme qui reste à la
maison, qui est même désincitée et découragée
d'aller travailler parce que le pourvoyeur va perdre son exemption si elle va
gagner un petit revenu. Ce n'est pas surprenant, après, que 70 % des
femmes au foyer qui se retrouvent dans des maisons d'hébergement n'aient
pas d'expérience, disons, de travail salarié. En partie, il y a
un découragement, une désincitation fiscale à ce que les
femmes aillent même se chercher un revenu d'appoint à temps
partiel ou occasionnel, parce qu'on a réduit l'exonération du
revenu qui pouvait être gagné et on a augmenté l'exemption.
Donc, cela supposerait un changement.
Je vous pose la question. Présentement, il y a au gouvernement
une étude sur le partage des biens familiaux. Cela a commencé
précédemment et cela se poursuit. Je suis certaine que, si cela
ne se discute pas actuellement au Conseil des ministres, cela ne devrait pas
tarder. C'est la question du partage des biens familiaux et ce qui arrive avec
les conjoints de fait. Actuellement, les conjoints de fait, comprenez qu'ils ne
veulent pas, ceux qui ont des revenus et des biens, se faire considérer
malgré eux comme légalement mariés et faire tout partager
sans leur consentement. Ils disent: Si on avait voulu partager, on se serait
mariés, notamment selon la société d'acquêts ou par
un contrat. On ne veut pas le faire parce qu'on l'a décidé. C'est
notre volonté de ne pas le faire. Alors, l'État n'a pas à
s'immiscer et à nous imposer à notre place. Donc, quand on a des
biens et des revenus, on plaide pour ne pas avoir un choix dicté par
l'État et pour être reconnu, finalement, sur une base
individuelle.
Mme Raymond: Quand on est pauvre aussi, finalement.
Mme Harel: Oui, oui.
Mme Raymond: Parce que, effectivement...
Mme Harel: Mais quand on est pauvre, on réussit moins
à faire imposer sa revendication.
Mme Bélanger (Lucie): II est sûr que la
fiscalité basée sur l'individu et le crédit d'impôt
universel supposent un remaniement complet d'une fiscalité basée
sur les exemptions pour personnes à charge. Le mot est
déjà affreux par lui-même de considérer des
personnes mariées comme des personnes à charge. Il suppose donc
un crédit adressé directement à la mère,
c'est-à-dire à l'individu parce que ce n'est pas qu'une question
de mère, il suppose un crédit versé directement à
l'individu et non pas un crédit qui, encore là, est
dépendant de la globalité du revenu familial parce que, là
aussi, non seulement les femmes assistées sociales, mais l'ensemble des
femmes se fait piéger. Beaucoup de femmes dont la pauvreté est
cachée parce que le mari a un revenu qui n'est pas nécessairement
extraordinaire - quand on a des revenus de l'ordre de 23 000 $ à 25 000
$ et qu'on a des enfants, on est encore dans les seuils de pauvreté -
elles-mêmes se trouvent pénalisées parce qu'elles n'ont pas
accès.
L'autre problème des exemptions pour personnes à charge -
et on l'a très bien vu dans notre rapport d'impôt de
l'année dernière et on le reverra cette année - c'est
qu'on renvoie au domaine du privé la négociation de la question
économique dans les couples, au sens où le conjoint - la plupart
du temps, c'est le mari qui va chercher l'exemption au Québec - le mari
qui va chercher l'exemption redemande à la femme le chèque
d'allocation familiale. Si vous pensez que cela ne se fait pas en 1988, je peux
vous faire des listes de femmes qui ont eu, quand cela n'a pas
été jusqu'à la menace physique, à remettre leurs
chèques d'allocation familiale. Donc, l'urgence d'une fiscalité
basée sur l'individu est là en 1988, très
présente.
Mme Harel: Oui. M. Paradis, je pense que vous voulez ajouter
quelque chose.
M. Paradis (André): Si un homme peut se permettre
d'ajouter un grain de sel là-dessus.
Cela ramène à une critique. Les questions que vous posez
sur la fiscalité et la mention de la question du crédit
d'impôt, tout ce débat sur la fiscalité ramène
à une critique plus générale qu'on a à
l'égard du projet présenté par M. Paradis. C'est que,
depuis plusieurs années, lorsqu'on a parlé de la réforme
de l'aide sociale, on a toujours envisagé que ce serait dans le cadre
d'une réforme en profondeur de la fiscalité des particuliers. Il
est bien sûr qu'à l'heure actuelle on se retrouve avec une
politique de sécurité du revenu qui est détachée de
cette
réforme. Elle est détachée d'une réforme en
profondeur de la fiscalité. Il n'y en a pas. En tout cas, on dit
vaguement qu'un jour, cela va venir.
Elle est aussi détachée d'une considération,
finalement, du problème de l'emploi dans son ensemble. Je pense que
c'est M. Paradis qui est revenu beaucoup au début sur un aspect central
de la réforme, qui est le développement de l'employabilité
des assistés sociaux. Il n'y a pas de doute qu'il y a un bon nombre
d'assistés sociaux qui vont bénéficier des programmes
d'employabilité. Il y en a qui ont besoin de cela. Mais le
problème avec la politique proposée, c'est que cela devient le
coeur de la réforme de l'aide sociale, l'employabilité des
assistés sociaux, alors qu'il faudrait considérer la question de
l'emploi dans son ensemble, il faudrait considérer la question de la
fiscalité dans son ensemble. Cela impliquerait une réflexion et
un travail beaucoup plus sérieux que ce qui nous a été
présenté jusqu'ici.
Finalement, le défaut de s'attaquer aux problèmes
d'ensemble, le fait de nous arriver avec une réforme très
parcellaire... Les médecins des CLSC sont venus ici et ils nous ont dit
que c'était une réforme très parcellaire qui ne
résout pas les problèmes. J'endosse tout à fait cela. Le
défaut de s'attaquer aux problèmes de fond et d'ensemble font
qu'effectivement on va faire porter dans cette politique la
responsabilité dune situation structurelle, d'un problème de
chômage très grave au Québec et qui perdure depuis au moins
dix ans, par des individus. On a dit tantôt que, dans le cas des
contributions, dans le cas de toute la question de la vie maritale, on
appliquait le principe de "blame the victim". Je pense que ce principe, avec le
projet qui est proposé actuellement par M. Paradis, on va
l'élargir à l'ensemble des assistés sociaux ou, en tout
cas, à tous ceux qui vont avoir le malheur de se retrouver sous
l'étiquette "apte".
Cela nous inquiète. C'est peut-être l'aspect le plus
inquiétant de toute la réforme proposée. Il n'y a pas de
doute que l'augmentation du nombre d'assistés sociaux depuis dix ans est
attribuable au développement du chômage. Or, cela prendrait, pour
résoudre ce problème... Le chômage est lié à
la récession des années quatre-vingts et à la
restructuration industrielle dont on vit de façon très aiguë
les effets dans l'est de Montréal ou dans d'autres régions du
Québec. Le défaut de s'attaquer - cela prendrait la concertation,
le travail coordonné de tous les intervenants du domaine
économique - à cela amène à dire que pour freiner
le développement des coûts du programme d'aide sociale la seule
façon, finalement, c'est de prendre des mesures dans le cadre... La
seule façon de régler le problème, c'est d'essayer de
freiner la croissance du coût des politiques d'aide sociale. Cela ne peut
pas conduire à autre chose qu'un appauvrissement et un resserrement des
contrôles des bénéficiaires de l'aide sociale.
J'aimerais signaler, à l'attention des députés ici,
qu'il y a déjà...
Le Président (M. Bélanger): Je dois vous
interrompre...
M. Paradis (André): Je vais juste ajouter une petite
phrase et je vais attendre une question pour continuer là-dessus.
J'aimerais qu'on me pose la question...
Le Président (M. Bélanger): Pour aucune question
ni... Je vous en prie, très rapidement.
M. Paradis (André): Très courte. J'aimerais juste
mentionner qu'on a déjà l'exemple d'une réforme de l'aide
sociale selon des paramètres semblables à ceux proposés
par M. Paradis. Cela s'est fait en Saskatchewan en 1984. On est en mesure,
à l'heure actuelle, de vérifier les résultats de cette
réforme. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes choses, mais
on retrouve beaucoup les mêmes notions. Si M. Paradis me pose une
question, cela me fera plaisir de revenir là-dessus.
Le Président (M. Bélanger): Malheureusement, c'est
tout le temps que nous avions.
Mme Bélanger (Lucie): Oui?
Le Président (M. Bélanger): II restait deux
minutes. Très brièvement, M. le ministre, parce qu'on
déborde déjà de quinze minutes.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je dirai que je partage l'opinion
de M. Paradis en ce qui concerne le fameux triangle employabiltté,
plein-emploi et fiscalité, mais on peut en parler longtemps, de ce
triangle, et dire: Pas d'employabilité tant qu'il n'y a pas d'emploi,
pas d'emploi tant qu'il n'y a pas de fiscalité, etc., et il n'y a jamais
rien qui se fait. Dire que l'employabilité est au coeur, je pense que
vous avez raison de le dire, mais prétendre, de notre côté,
que ce serait un casse-tête au complet, ce serait une fausseté
également. C'est pour cela qu'il nous faut harmoniser avec la
fiscalité et qu'il nous faut harmoniser également avec la
politique de création d'emplois du gouvernement du Québec.
Maintenant, j'avais une question très précise, en
terminant, à adresser à Mme Bélanger qui a traité
de la question du travail du conjoint au foyer lorsqu'il a un enfant
jusqu'à deux ans. Je vais tenter d'être le plus précis
possible. Est-ce que votre suggestion veut que ce travail soit reconnu comme un
travail de pleine participation à une mesure? Arrêtez-vous
à deux ans ou suggérez-vous l'âge préscolaire?
Mme Bélanger (Lucie): Je pense que non seulement il ne
faut pas arrêter à deux ans... J'ai simplement...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, non, mais...
Mme Bélanger (Lucie): Je l'ai pris à titre
d'illustration, mais il faudrait maintenir et même on pourrait
élargir la norme actuelle, parce que... Il y a ici des mères et
des pères que même la présence jusqu'à... Je crois
d'ailleurs que la loi nous oblige à ne pas laisser un enfant seul
jusqu'à l'âge de quatorze ans. Il faudrait élargir
jusque-là, comme c'est une contrainte à l'emploi et surtout
donner droit au plein montant de l'aide sociale. C'est que cette
femme-là, évidemment, c'est la contradiction... Je suis
obligée de vous dire qu'il faut que vous la considériez comme une
inapte. Mais, là, je rejoins l'absurdité de la distinction apte,
inapte. Rêvons en couleur: supposons que vous ayez aboli la distinction
entre apte et inapte. Je pense que cette femme-là, ces parents-là
devraient avoir droit au plein montant d'aide sociale. Cela peut être un
père, aussi, éventuellement. C'est fondamental. Il y a un apport
social fondamental.
D'ailleurs, le gouvernement libéral actuellement se penche
lui-même sur l'urgence d'une politique familiale.
Le Président (M. Bélanger): Bien. Mme la
députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier le groupe.
Mme Harel: Merci beaucoup. J'aimerais beaucoup entendre parler de
la Saskatchewan. Avez-vous des choses écrites là-dessus?
M. Paradis (André): Oui. Mme Harel: Oui.
M. Paradis (André): À l'Université de
Régina, il y a une équipe de spécialistes...
Le Président (M. Bélanger): Je m'excuse, je ne peux
malheureusement pas. Il nous reste une demi-heure pour entendre l'autre
groupe.
M. Paradis (André): On en parlera après. Mme
Harel: On va en reparler.
Le Président (M. Bélanger): Malheureusement... Mais
je vous suggère d'échanger vos coordonnées et de faire
parvenir les textes à Mme la députée de Maisonneuve. M. le
ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je remercie la Ligue des droits et
libertés, Mme Leboeuf, Mme Lucie Bélanger, M. André
Paradis. Mme Raymond, si on pouvait continuer à discuter de la
définition de vie maritale sur le plan technique, je
l'apprécierais. On demande toujours une collaboration
bénévole aux groupes bénévoles. On en ajoute
toujours. Merci beaucoup de la présen- tation de votre
mémoire.
Le Président (M. Bélanger): La commission remercie
la Ligue des droits et libertés et j'appelle à la table des
témoins le Collectif québécois de recherche et de
formation sur les politiques sociales inc.
Je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place, s'il
vous plaît, afin que nous reprenions nos travaux pour entendre le
mémoire présenté par le Collectif québécois
de recherche et de formation sur les politiques sociales inc. Vous connaissez
nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes ferme, mais
très ferme, au maximum, pour présenter votre mémoire et,
par la suite, il y aura une période de discussion avec les
parlementaires. Je vous demanderais de vous identifier, d'une part, et de
procéder à la présentation de votre mémoire.
Collectif québécois de recherche et de
formation sur les politiques sociales inc.
Mme Ampleman (Gisèle): Je suis Gisèle Ampleman.
J'ai eu l'honneur de partager ces audiences toute la journée. J'ai
déjà écouté, à quelques reprises, les
arguments de M. le ministre. J'aurai aussi l'occasion d'ajuster ce que je n'ai
pas eu le temps de faire ce matin.
Notre collectif est composé de personnes-ressources travaillant
directement avec les personnes assistées sociales de plusieurs
régions du Québec et ce, depuis plusieurs années.
Contrairement à ce qui a été présenté
aujourd'hui, Mme Bilodeau et moi allons essayer, pendant cette heure, de vous
faire entrer dans la réalité de la pauvreté. Il est
sûr que c'est difficile, quand on est bien nanti, quand on a des
privilèges, quand on a l'instruction, de réaliser ce que
ça signifie, de vivre dans des conditions de pauvreté. (17 h
30)
Pour ma part, par mon engagement, d'abord, comme membre d'une
communauté religieuse - soit dit en passant, je suis toujours une bonne
soeur - par mon travail en service social et, par la suite, par mon engagement
avec les personnes assistées sociales dans les organisations de
défense... Présentement, M. Paradis me donne beaucoup de travail
parce que j'ai organisé une session dans tout le Québec pour
donner de l'information aux agents pastoraux, aux intervenants des CLSC et aux
personnes assistées sociales; c'est une session de deux à trois
jours sur le contenu du décret.
Je dis bien décret volontairement, parce que je connais la
différence entre un décret et un projet. Je dis décret
parce que je réalise que la politique est déjà en
application, sans trop me tromper, peut-être à 80 %. Dans un
document confidentiel que j'ai obtenu en janvier 1987, j'ai la stratégie
d'implication du projet de réforme qui dit que cette implantation
devrait s'étendre sur 12 à 18 mois. L'exemple aue ie vais
vous
apporter va être pour signifier que ce qui reste à ajuster,
ce sont les barèmes des aptes et des inaptes. Tout le reste de la
mécanique du projet du livre vert est déjà en application.
Il suffit de faire le tour du Québec pour réaliser qu'il y a
déjà beaucoup de choses. Malheureusement, je n'ai pas beaucoup de
temps mais, si cela vous intéresse, je pourrai peut-être prendre
un mercredi soir pour revenir ici, si vous le voulez, en reparler avec les
députés pour voir comment cela se vit dans le concret.
Depuis plus de 20 ans, je côtoie donc ces gens dans la vie
quotidienne, en partageant leur gîte et leurs repas, parce que quand je
vais donner des sessions en région je demande d'aller coucher dans les
familles assistées sociales. Je connais de l'intérieur ce que
signifient les politiques de coupures qui existent depuis 1973, que signifie
leur humiliation, que veut dire l'exclusion, que veut dire, si vous voulez,
être victimes des préjugés, avec la campagne des boubous
macoutes qui a fait un tort immense.
Ce sur quoi je voudrais attirer votre attention, c'est sur le
phénomène de la pauvreté. En 1973 - c'était
toujours le gouvernement Bourassa - il y avait 100 $ par année pour
acheter des draps, de la literie. Il faut aller coucher dans les familles pour
réaliser qu'il n'y a pas beaucoup de couvertures. Il faut coucher dans
les familles pour réaliser qu'il n'y a pas beaucoup de chauffage.
Parfois, dans certaines familles, j'étais mieux d'apporter mon sac de
couchage. Donc, au lieu d'augmenter de 100 $, nous avons coupé.
Il y avait un montant de 400 $ pour l'achat et la réparation du
mobilier. Je ne vois pas dans le décret d'orientation qu'il y aura une
augmentation, quand on sait que les prix, pour la réparation d'un
réfrigérateur ou d'un poêle, seulement pour faire venir le
réparateur à la maison, cela coûte déjà 35 $.
Cela a été coupé et il n'y a absolument rien
là-dessus. Donc, le phénomène de l'appauvrissement dans le
quotidien est vécu même si on a un beau discours.
On a coupé aussi dans le barème des logements parce que,
quand j'ai commencé à travailler en 1972, les familles qui
avaient cinq enfants pouvaient obtenir un logement à 143 $ par mois.
Cela a été enlevé en 1975 et cela a été
diminué à 85 $ par mois, quand on sait qu'à
Montréal on peut à peine avoir un logement à partir de 325
$ par mois.
Quand je dis que la réforme est déjà mise en place,
je voudrais apporter l'exemple de Marie. J'aurais voulu l'avoir ici,
aujourd'hui, avec moi. C'est au nom de toutes les Marie qui vivent cette
situation que je voudrais donner cet exemple. Marie est une mère de
famille de deux jeunes enfants, qui a quitté sa région à
400 kilomètres de Montréal pour obtenir un emploi chez un ancien
employeur. Elle a déjà dû s'endetter pour
déménager parce qu'elle ne connaissait pas ses droits. Elle a
dû réaménager. Elle a dû donner un acompte sur le
premier mois de loyer, soit les deux tiers de 325 $ par mois. Est-ce qu'on peut
économiser, mesdames et messieurs, quand on est à 50 % en dessous
du seuil de pauvreté?
Que faire pour parvenir à sortir de la misère, à
vous prendre en main, à devenir autonome financièrement, comme le
suggère le décret, quand l'employeur ne vous fait travailler que
21 heures-semaine? Elle est allée dans une institution bancaire et on
lui a donné 21 heures-semaine. Oui, Marie est une femme responsable et
elle veut assumer les frais de garde pour ses deux enfants. Comme il n'y avait
pas de place dans les garderies subventionnées, elle a dû aller
dans une garderie privée. Donc, elle a dû défrayer
elle-même les coûts, donc, augmenter les heures de travail pour
être responsable de sa famille. Oui, le patron, dans sa grande
générosité, lui donne - savez-vous quoi? - un autre temps
partiel de 21 heures-semaine. Donc, cette dame, au lieu d'avoir 35 heures comme
vous et moi, a 42 heures plus la charge domestique. À maintes reprises,
Marie a demandé à son employeur de travailler 35 heures-semaine.
Ce que je constate, c'est qu'il est plus facile de contrôler les
personnes assistées sociales, si vous voulez, que de réglementer
les grosses compagnies, surtout avec le rapport Gobeil et surtout à
l'heure du libre-échange.
Donc, cette jeune dame qui travaille dans une institution rentable - je
vois les profits de cette institution - malheureusement, après six
mois... Vous savez, je donne des sessions aux personnes assistées
sociales et on dit que les personnes assistées sociales n'ont pas
d'instruction, mais elles ont de l'éducation. Après six mois de
cette vie épuisante, Marie craque. Je la visite actuellement en
psychiatrie. C'est le retour au travail des femmes de famille monoparentale et
ses deux jeunes enfants sont en foyer nourricier.
Avec le décret d'orientation, il y aura bien d'autres Marie et il
y a bien peu de mesures réalistes. J'aimerais savoir à combien
vont s'élever les coûts sociaux de cette Marie qui est
hospitalisée actuellement en psychiatrie, de ses deux enfants qui sont
en foyer nourricier, des médicaments qu'elle doit prendre et du salaire
des médecins et des psychiatres. Oui, Marie a fait un effort
sérieux pour s'en sortir. Elle a déménagé des
Laurentides pour venir à Montréal et maintenant, ce qu'elle vit,
c'est l'isolement, elle vit la maladie et elle vit l'absence de ses deux
enfants. En plus, comme elle est divorcée, son mari lui dit: Tu es
allée à l'hôpital psychiatrique. Tu es rendue folle
maintenant. Je vais t'enlever la garde de tes enfants. Donc, cela aide pour le
moral et pour continuer à prendre ses responsabilités. Soit dit
en passant, Marie a des qualifications professionnelles.
Donc, ce projet nous inquiète vraiment. Je vous apporterai un
autre témoignage de Micheline, que j'ai rencontrée la semaine
dernière justement dans le comté du ministre Paradis.
J'étais en session dans cette région. Il y avait 105
personnes à la session et j'ai eu le témoignage de Micheline qui
nous raconte: "J'ai dû demander l'aide sociale à la suite d'un
divorce. Après un an, je me suis inscrite à l'éducation
des adultes de jour, à plein temps. Les études terminées,
n'ayant pas trouvé de travail, j'ai dû retourner sur l'aide
sociale pour quelques mois. Je me suis inscrite à l'université,
à des cours de fin de semaine, et j'ai assumé entièrement
les frais. Ce n'est qu'à la fin du cours que l'agent de l'aide sociale
m'a dit que certaines dépenses étaient payées. Avec toute
cette nouvelle formation, quelle est mon expérience de travail?
Après bien des recherches, j'ai trouvé un projet ouvert à
20 heures-semaine. Le projet terminé, je suis tombée sur
l'assurance-chômage et de nouveau sur l'aide sociale." J'aime beaucoup
l'expression "tombé". Les femmes tombent enceintes, on tombe sur l'aide
sociale et on tombe sur le chômage, sauf que quand je donne mes sessions,
je dis: Quand on tombe, il y a toujours des raisons. Assez souvent, les gens
rient de nous et assez souvent on rit des personnes assistées sociales.
Quand on tombe, il y a toujours des causes. Il y a des causes personnelles. Ce
sont les seules causes que M. Paradis retient dans son décret. Il y a
les causes structurelles et c'est cela qu'il faudrait un peu approfondir.
Donc, notre Micheline quitte, si vous voulez, l'aide sociale et revient
au travail par un PDE, 40 semaines dans une organisation populaire.
Actuellement, elle est sur l'assurance-chômage, toujours pas de travail
en perspective. Et le meilleur, c'est qu'elle ne pourra pas avoir un
deuxième PDE parce qu'elle n'y est pas admissible. Donc, elle retournera
à l'aide sociale. Et Micheline, finalement, où trouvera-t-elle du
travail? Voici la dure réalité du retour au marché du
travail.
Dans le petit décret que j'ai ici, si vous voulez aller sur le
marché du travail et retomber sur l'aide sociale, cela s'appelle le
"concept de piscine". Le concept de piscine, selon une petite note que j'ai
ici, cela veut dire se mouiller et se sécher. Quand on va sur le
marché du travail, on se mouille. Quand on revient à l'aide
sociale, cela a l'air de dire qu'on sèche parce qu'on va devenir de plus
en plus pauvre.
J'aurais beaucoup de cas à apporter parce que, quand je donne les
sessions, il y a des personnes paraplégiques qui viennent me demander ce
qui va arriver. Un monsieur qui a fait une crise d'hypoglycémie,
à la nouvelle qu'il y aurait des coupures, a été deux
jours hospitalisé. C'est ce que je vis depuis le décret. Ce sont
des cas, des personnes qui vivent dans l'angoisse, dans
l'insécurité de voir ce qui les attend parce que c'est
déjà difficile.
Je voudrais maintenant, puisque Mme Bilodeau, qui est une bonne amie
avec qui nous avons travaillé, a fait aussi cet effort de retourner aux
études, qu'elle nous dise, qu'elle nous fasse connaître ce que
signifie le retour aux études pour des familles monoparentales, ce
qu'elle vit, pour essayer de comprendre le vécu des femmes, mais aussi
pour essayer de trouver des solutions qui vont amener les femmes à vivre
dans la dignité et aussi un peu plus dans l'abondance. Je laisse la
parole à Odile.
Mme Bilodeau (Odile): Odile Bilodeau, assistée sociale,
famille monoparentale, mère de trois enfants, dont une fille de 13 ans,
une adolescente, une fille de 9 ans et j'ai un troisième enfant, mais je
ne sais pas trop si je dois le mentionner - il a sept ans - parce que l'aide
sociale ne tient pas compte du troisième enfant dans mes revenus.
Mme Ampleman: J'ai fait la suggestion que M. Paradis pourrait
peut-être devenir son parrain, au troisième qui n'est pas
compté à l'aide sociale.
Mme Bilodeau: Donc, je suis bénéficiaire du
programme de retour aux études depuis septembre. Je vais
présentement au cégep d'Alma en techniques infirmières.
Cela a été une décision qui n'a pas été
facile à prendre. Je demeurais à Roberval avant de me rendre au
cégep, ce qui veut dire qu'il fallait que je déménage
parce que j'étais à 40 kilomètres du cégep. Donc,
avec les 200 $ que l'aide sociale fournit, c'était nettement
insuffisant. Il a fallu que je débourse un surplus. J'ai quand
même décidé de déménager. Je demeurais dans
une coopérative d'habitation auparavant, à 195 $ par mois pour un
6 1/2. Ce qui veut dire que, du côté logement, j'étais
plutôt bien. J'étais hésitante, à prendre cette
décision, mais je me suis rendue à Aima. Je voulais tellement
m'en sortir et sortir de cette roue de pauvreté. Je me suis dit: Je vais
tout essayer, faire tout ce qui est possible pour essayer. J'ai laissé
mon beau logement de 6 1/2, à 195 $ par mois. Je suis maintenant dans un
5 1/2, dans un grand édifice, au 4° étage, à 400 $ par
mois. J'ai doublé.
Présentement, je reçois 824 $, ce qui veut dire qu'il y a
50 % de mes revenus qui passent au logement. Les 100 $ que j'ai parce que je
suis retournée aux études, cela compte seulement quand je suis
aux études. Ce qui veut dire qu'aux mois de juin, juillet et août
je ne les aurai pas. J'aurai 724 $, mais mon logement sera quand même
à 400 $,lui.
Qu'est-ce que cela implique? C'est ce que je vous ai dit tantôt.
Je voulais tellement retrouver mon autonomie, ma dignité, avoir un
revenu décent aussi. J'étais tannée de crever. Je me suis
dit. En tout cas, j'en ai encore pour trois ans à me serrer la ceinture
mais, après, cela va être fini. Je suis sûre, je vais tout
faire pour me trouver un emploi, quitte à déménager au
tiers monde. Peut-être que je ne serai pas mieux là, mais en tout
cas. Je suis prête à tout. Mais ce n'est pas si facile, avec trois
enfants, de retour-
ner aux études et il y a la contrainte économique, aussi.
Je pensais que ce serait mieux que cela.
Naturellement, avec 824 $ par mois, 50 % de mes revenus allant au loyer,
je fais des pieds et des mains pour arriver, mais il y a des mois où je
ne suis pas capable. Il y a des mois où je suis obligée de faire
des choix qui sont difficiles, dans mon coeur de mère. (17 h 45)
Je vais simplement vous donner l'exemple de ce qui est arrivé ce
mois-ci: j'ai une adolescente de 13 ans qui fait de la mononucléose.
Naturellement, elle n'a pas beaucoup de résistance. Elle a eu une grippe
et a fait une bronchite. La pénicilline est payée mais les
sirops, les expectorants, les vitamines, les paramettes qu'elle est
supposée prendre ne sont pas payés. J'en avais pour 29 $. J'avais
le choix entre ces médicaments... J'ai quand même mon autre fille
de 9 ans qui a comme seule activité des cours de natation. Son costume
de bain avait un trou. Je ne pouvais plus l'envoyer aux cours de natation avec
un costume avec un trou d'à peu près un pouce. Quel était
mon choix? Ou je payais les médicaments de ma fille... Parce que mes
revenus sont très serrés. Tout est calculé. Je ne peux me
permettre aucun imprévu. C'était soit payer les
médicaments de ma fille ou acheter un costume de bain à mon autre
fille de 9 ans.
Le choix, naturellement, a été du côté de la
santé. Je n'avais pas le choix. C'est dur pour une mère de dire a
sa fille de 9 ans - c'était important pour elle, ses cours de natation -
mais il fallait que je le lui dise: Je ne suis pas capable ce mois-ci de
t'acheter un costume de bain. Il faut que j'achète les
médicaments de ta soeur. Pour elle, cela a été très
difficile à accepter. C'est dur à expliquer à une enfant
de 9 ans qu'on n'est pas capable d'acheter un costume de bain. Cela a l'air
niaiseux, comme cela. Cela n'a pas l'air réel, non plus. Mais c'est ce
qui est arrivé. Peut-être qu'au mois d'avril je pourrai le lui
acheter. Mais elle va avoir manqué un cours de natation et ne pourra
plus reprendre le retard perdu. J'espère qu'elle va en faire son deuil.
Je n'ai pas le choix. Je suis obligée de faire cela.
Ensuite, mon Dieu, j'avais préparé un beau document, des
beaux mots à vous dire sur mon vécu. Hier soir, je l'ai pris et
je l'ai jeté à la poubelle. J'ai dit: Non! C'est plein de beaux
mots qui ne veulent dire pour moi que de la pauvreté garantie. J'ai
décidé, en fin de compte, de parler avec mon coeur. C'est pour
cela que c'est un peu mélangé et que cela ne se suit
peut-être pas tellement, mais ce n'est pas grave.
De quoi pourrais-je bien vous parler, à part cela? De ce que je
vis au cégep, au niveau des études? Je dois vous dire que, quand
j'ai décidé de retourner aux études, j'étais
motivée. Je voulais tellement m'en sortir. Je me suis dit que j'allais
l'avoir, mon diplôme. Naturellement, je suis dans les premières.
Pour cette session, je n'ai aucun examen dont le résultat est
inférieur à 90 %. Cela va même à 94 %, 95 %. Ce
n'est pas parce que je ne suis pas intelligente. Avec les notes que j'ai, mes
professeurs m'assurent qu'il n'y a pas de problème de ce
côté. Mais H faut dire que j'étudie beaucoup. Mais
j'étudie à partir de neuf heures le soir. J'ai quand même
le souper à préparer quand j'arrive de l'école, j'ai les
devoirs des trois enfants à vérifier. J'attends qu'ils soient
couchés, vers neuf heures ou neuf heures et demie, parce qu'il faut
quand même que je leur consacre du temps. Mon horaire est de neuf heures
et demie à environ onze heures et demie ou minuit.
En techniques infirmières, il y a de beaux grands mots là
aussi. Il faut qu'on les sache par coeur. Il faut qu'on sache ce qu'Hs veulent
dire. Sans cela, on pourrait avoir des problèmes, si vous êtes
hospitalisé à un moment donné, avec une infirmière
qui ne saurait pas ce que cela veut dire J'ai trois ou quatre heures
d'études tous les soirs. Ce temps-là, il faut que je le donne
aussi. C'est pour vous dire que je suis motivée et que je veux. Ce n'est
pas parce que je ne veux pas. C'est qu'on vit beaucoup de
préjugés et de contrôles.
Le Président (M. Bélanger): Je suis obligé
de vous demander de conclure. Le temps est malheureusement
écoulé.
Mme Bilodeau: C'est dommage parce que je commençais.
Le Président (M. Bélanger): J'ai le consentement.
Vous pouvez continuer quelques minutes.
Mme Bilodeau: C'est pour vous dire que mes 100 $ par mois, pour
les avoir, en fin de compte, ce n'est pas si facile que cela. Parce que le
retour aux études, bon, les livres sont supposés être
payés. Mais cela ne comprend pas les cahiers, les stylos, les
règles, tout ce que cela prend pour aller aux études. Cela ne
comprend pas... Je suis en techniques infirmières. Donc, cela me prend
un uniforme, des souliers, la plaque d'identification, plein d'affaires qui ne
sont pas comprises non plus, et je suis censée me servir de mon petit
montant de 100 $. Mais, déjà, je n'en ai pas assez. Les 100 $
passent au loyer. C'est tout cela que je veux dire. Quand j'ai des livres
à acheter, je les ai à peu près 15 jours ou 3 semaines
après les autres étudiants parce qu'il faut aller demander une
autorisation spéciale. On va au bureau rencontrer l'agent, pour lui
dire: J'ai une liste de livres obligatoires. Il faut lui montrer la liste de
livres. Cela prend une feuille d'autorisation. On retourne au cégep pour
aller faire une estimation des coûts des livres. On retourne au bureau de
l'aide sociale, on nous donne une autorisation. On retourne au cégep
acheter les livres et on retourne au bureau de l'aide sociale pour les faire
payer, les livres. Cela fait plusieurs va-et-vient, quand tu as
déjà
un horaire chargé.
Comme je vous l'ai dit, à partir du mois de mai, cela va
être coupé. Je ne les aurai plus, ces 100 $. Pourtant, mes
obligations vont être les mêmes. Ensuite... Qu'est-ce que j'avais
à rajouter? Ah oui! Naturellement, à partir de janvier prochain,
le programme de retour aux études est pour trois sessions. J'ai lu, dans
votre programme - cela m'a fait rire, en passant - "le manque d'incitation
à retourner aux études". En tout cas, je pense que je n'ai pas
besoin de vous le lire. C'est à la page 15, l'article 2.10. On dit, en
tout cas pour le système de prêts et bourses,, que l'aide sociale
est plus intéressante que le régime des prêts et bourses.
Ce bout-là est vrai, parce que je panique littéralement à
la pensée que je vais être assujettie aux prêts bourses,
déjà qu'avec l'aide sociale je n'arrive pas. Imaginez qu'avec les
prêts et bourses je vais avoir encore moins. Ce que vous proposez, vous
autres, c'est de donner encore moins que les prêts et bourses dans la
nouvelle réforme. Je ne pense pas, moi, que ce soit vraiment une
incitation.
Oui, c'est dit. Je peux vous le lire, si vous ne vous le rappelez pas.
C'est bien dit. Par contre, le nouveau système de sécurité
du revenu devrait également corriger cette situation. C'est cela. C'est
dans le sens que l'aide sociale était plus intéressante que le
régime de prêts et bourses. C'est vraiment appauvrir. Je ne pense
pas que cela va être vraiment une incitation à des femmes parce
que, moi-même, je ne sais pas si je vais continuer, même si j'ai de
bons résultats, même si j'ai le goût de continuer. Comment
vais-je faire, de façon concrète, pour arriver avec les
prêts et bourses? Je ne le sais pas. Je ne sais pas si je vais être
capable de continuer en janvier. Je me pose la question à savoir si je
ne suis pas mieux de retourner encore sur le marché du travail avec un
petit revenu. Moi qui voulais essayer de m'en sortir avec un revenu
décent, je suis encore aux prises avec la même roue de
pauvreté. C'est pour cela que moi, l'incitation... Je me suis dit que M.
Paradis ne sait peut-être pas vraiment ce que veut dire le mot
"incitation". Alors j'ai voulu le chercher pour vous dans le dictionnaire.
C'est le Petit Robert. Je vais vous le lire. Incitation: action d'inciter; ce
qui incite. Conseil, encouragement, exhortation, instigation. Cela, je trouvais
cela intéressant, mais j'ai dit: Mon Dieu, ce n'est pas cela qui se
présente parce qu'on va être encore plus pauvres. J'ai dit: II n'a
pas vérifié. Après cela, quand j'ai lu ce que cela voulait
dire au sens figuré, j'ai dit: Peut-être qu'il a regardé.
Au sens figuré, je vais vous lire maintenant ce que cela veut dire:
Incitation à la révolte, à la violence, excitation,
provocation, incitation au meurtre. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Petit
Robert. Mais c'est vrai que, quand on voit un document comme celui-là on
a envie de vous tordre le cou un peu. En tout cas, c'est à peu
près tout ce que j'ai à dire.
Le Président (M. Bélanger): Bien, je vous remercie.
M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président, je pense
que, compte tenu de l'heure et de façon à ne pas briser la
discussion qu'on pourrait avoir - il reste à peine cinq minutes - on
pourrait peut-être demander s'il y aurait possibilité de continuer
vers 20 heures.
Le Président (M. Bélanger): Bon, voici. Il arrive
que, lorsqu'on dépasse l'heure, à la suite d'une entente on
puisse continuer. Mais, ce soir, ce n'est pas possible entre 18 heures et 20
heures, la majorité des parlementaires ont une autre rencontre entre 18
heures et 20 heures, pour compléter le dossier de la santé
mentale, qui est le dossier précédent de la commission, si vous
voulez. Alors, on n'a pas le choix. Donc, je vous demande s'il est possible
qu'on suspende les travaux à 18 heures ou dans quelques minutes et que
vous puissiez revenir à 20 heures pour la partie discussion avec les
parlementaires.
Mme Bilodeau: Mme Ampleman veut revenir. Moi, c'est impossible.
Je reste au Lac Saint-Jean. J'ai un autobus à prendre à 19
heures. Je suis donc dans l'impossibilité de revenir à 20
heures.
Mme Ampleman: Moi aussi, je viens de Montréal et j'ai une
session demain matin, pour rencontrer des intervenants sociaux sur le projet du
décret de la réforme et leur parler un peu de ce qu'on vit
à la commission parlementaire. Donc, je devrais un peu préparer,
faire un travail de synthèse de la journée. Je ne serai pas
arrivée chez moi avant 23 heures.
Le Président (M. Bélanger): Écoutez...
Mme Ampleman: Je pense qu'on vous a dit l'essentiel, un peu, de
notre message.
Le Président (M. Bélanger): On va donc aller
jusqu'à 18 h 15 et ils attendront, à l'autre réunion.
C'est tout. C'est un compromis malheureux, excusez-moi.
Mme Harel: Lorsqu'on prend un peu de temps avec un groupe qui
précède, finalement, cela rebondit pour tout le reste de la
journée.
Le Président (M. Bélanger): If faut faire une
gestion très serrée du temps. C'est malheureux, mais ce sont les
règles qui nous y obligent.
Mme Ampleman: Je trouve que ce qu'a apporté la Ligue des
droits et libertés...
Mme Harel: Valait la peine. Mme Ampleman: ...valait la
peine. Mme Harel: Merci, oui.
Mme Ampleman: C'est tout le soutien, toute la réflexion
que nous faisons par rapport aux cas concrets.
Le Président (M. Bélanger): D'accord. Si vous le
permettez, je vais passer tout de suite à M. le ministre et, par la
suite, à Mme la députée de Maisonneuve. M. le ministre a
environ six minutes et on passera à Mme la députée.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je veux remercier le Collectif
québécois de recherche et de formation sur les politiques
sociales et, sans préambule, adresser immédiatement une question
à Soeur Ampleman, pour reprendre où on a laissé ce matin,
finalement - c'est Mme Bilodeau qui ramène le sujet par la bande - toute
la question de l'aide sociale, de la contribution alimentaire parentale et du
régime de prêts et bourses aux étudiants. C'est, je pense,
exactement là qu'on s'était laissés cet avant-midi, alors
que vous étiez présente.
On peut - je pense qu'on l'est - être sensibles à des
arguments qui nous sont avancés à partir de situations
particulières et nous tentons - c'est ce que nous avons fait en
commission - de régler chaque situation particulière le plus
possible. Mais lorsqu'on tente de mettre de l'avant une politique... Soit dit
en passant, si elle est en application, vous êtes la première
à m'en informer; je n'en ai pas été informé comme
ministre encore et je peux vous dire que, dans mon comté, ce n'est pas
encore en application parce que je fais du bureau de comté tous les
samedis et je ne peux pas mettre à la disposition de mes gens les
mesures qui sont contenues là-dedans. Si c'est en application ailleurs,
ce n'est pas rendu chez nous. Je vais vérifier avec les autres
députés autour de la table.
On a à prendre la décision suivante. La situation
idéale serait sans doute qu'il n'existe pas de contribution alimentaire
parentale au niveau des prêts et bourses aux étudiants, ni au
niveau de la politique de la sécurité du revenu. D'ailleurs, au
dernier congrès du Parti libéral, il y a eu une résolution
à cet effet qui a été passée pour qu'on
enlève, dans le système de prêts et bourses aux
étudiants, cette notion de contribution alimentaire parentale. Je vous
dis très sincèrement que, personnellement, si elle n'existait pas
au niveau des prêts et bourses aux étudiants, j'aurais une
tendance inouïe à ne pas la mettre dans le système de
sécurité du revenu.
Maintenant, je suis pris avec une situation de fait et ce que mes
experts, mes conseillers me disent, c'est que si je ne maintiens pas cette
contribution alimentaire ou si je n'introduis pas cette contribution
alimentaire parentale au niveau de l'aide sociale, je vais inciter des gens qui
sont actuellement aux études dans le système de prêts et
bourses aux étudiants - je parle des études à temps plein
dans les systèmes réguliers, ce n'est pas votre cas - à
quitter... Vous êtes à temps plein, mais pas dans ce que j'appelle
le système de prêts et bourses régulier, vous êtes
sous le programme de retour aux études postsecondaires chef de famille
monoparentale. Je vais inciter les gens qui seraient au niveau collégial
ou universitaire dans le programme de prêts et bourses aux
étudiants à quitter ce programme de prêts et bourses aux
étudiants et à devenir des gens bénéficiaires de
l'aide sociale. À ce moment, ce ne serait pas nécessairement
rendre service à la collectivité québécoise que
d'inciter des étudiants à quitter les études à
temps plein pour devenir des bénéficiaires de l'aide sociale.
J'aimerais vous entendre sur cette possibilité d'attraction à
l'aide sociale.
Mme Bilodeau: Je ne pense pas que des étudiants... Moi, en
tout cas, je suis étudiante et j'avais la ferme intention de terminer
mon cours. Si j'avais été sous le programme prêts et
bourses... Quand tu as dans la tête que tu veux avoir un diplôme,
je ne pense pas qu'un étudiant, après deux ou trois années
de cégep ou même à l'université, ait le goût
de tout lâcher pour se retrouver bénéficiaire de l'aide
sociale, comme vous le dites, pour avoir des revenus. Là, entre vous et
moi...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): II n'a pas besoin de tout
lâcher, entre vous et moi. Il devient un étudiant à temps
partiel. Il n'est plus admissible aux prêts et bourses aux
étudiants et il l'est à l'aide sociale. Prêts et bourses
aux étudiants, vous le savez, il faut rembourser, en tout cas, la partie
du prêt; l'aide sociale, quant à elle, on n'est pas obligé
de la rembourser. Ce qu'on veut éviter, on vous le dit bien
honnêtement, c'est ce passage des étudiants qui font des
études à temps plein vers, possiblement, l'abandon des
études ou des études à temps partiel pour devenir des
bénéficiaires de l'aide sociale.
Mme Bilodeau: Mais pour être sous le programme de retour
aux études, il faut être à temps plein. Ils ne prennent pas
de temps partiel. Je regrette. On n'en a pas de programme de retour aux
études à temps partiel. Automatiquement, il faut que tout le
monde soit à temps plein.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je pense qu'on ne parle pas de la
même chose. Prêts et bourses, il faut absolument être
étudiant à temps plein pour avoir accès au programme.
Mme Bilodeau: Le programme de retour aux études aussi.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Mais je ne parle pas d'un
passage de votre programme à l'aide sociale. C'est déjà un
programme qui découle du ministère de la Sécurité
du revenu. Je parle des étudiants - c'est le cas de la
majorité
des étudiants québécois - qui sont aux
études à temps plein et qui sont admissibles au programme de
prêts et bourses aux étudiants.
Mme Bilodeau: Oui, je suis d'accord.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ns doivent les rembourser, ces
prêts-là, lorsqu'ils ont terminé. Ils finissent avec des
7000 $, 8000 $, 10 000 $ à rembourser, tandis que la personne qui
abandonnerait son temps plein pour du temps partiel aurait droit à
l'aide sociale, s'il n'y avait pas de contribution alimentaire parentale,
jusqu'au maximum. À ce moment, cela devient non remboursable, etc. C'est
ce qu'on craint comme phénomène d'attraction et c'est pour
cela... (18 heures)
Mme Bilodeau: Cela ne peut pas arriver. C'est ce...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ah! Cela ne peut pas arriver?
Mme Bilodeau: ...que j'essaie de vous expliquer parce qu'il faut
que cela fasse deux ans qu'on est bénéficiaire de l'aide sociale
pour être admissible au programme de prêts et bourses. Est-ce qu'un
étudiant va abandonner ses études pendant deux ans pour les
recommencer après deux ans, à temps partiel, pour avoir le
même revenu qu'il avait quand il était quasiment sous le
régime prêts et bourses, avec un petit peu moins. C'est...
Mme Harel: Bien, au cégep, c'est payé si on n'est
pas à temps plein.
Mme Bilodeau: Cela prend deux ans. Il faut être deux ans
sur l'aide sociale pour avoir droit au programme de retour aux
études.
Mme Harel: II faut payer au cégep, si on n'est pas
à temps plein, si on ne suit pas plus que quatre cours.
Le Président (M. Bélanger): Si vous permettez,
peut-être, pour essayer d'éclairer, supposons que je suis un
étudiant régulier à temps plein. Je suis à
l'université et, à un moment donné, je constate que je
suis en train d'accumuler un paquet de prêts et bourses à
rembourser. Je me dis: Parfait, je vais m'inscrire à temps partiel.
C'est dire que je vais couper mes sessions en deux, je vais en prendre moins.
Je ne suis plus admissible aux prêts et bourses, mais je suis admissible
à l'aide sociale. Donc, je vais moins m'endetter. Cela va me prendre
plus de temps pour finir mes études, mais je ne fais pas de dette.
Alors, ce qui arrive, on sait qu'il y a beaucoup d'étudiants, je connais
des cas qui ont fait cela, justement, pour...
Ce qu'on veut éviter, c'est le transfert du régime
prêts et bourses vers l'aide sociale. Mais, dans votre cas, je comprends
qu'il y a des programmes parce que mon épouse est exactement en train de
faire ce recyclage-là, actuellement, en techniques infirmières,
parce que cela faisait plusieurs années qu'elle avait laissé sa
licence puis...
Alors, ce sont des programmes. Tu n'as pas le choix. Tu ne peux pas
aller à mi-temps. Cela, je le comprends. Mais on parle
d'étudiants réguliers à l'université qui laissent
tomber la moitié des cours pour se prévaloir du bien-être
social et reprendre à un rythme plus ralenti, sans endettement, leurs
études. C'est pour éviter cette mesure-là. Maintenant, il
ne faudrait pas... Ce qu'on constate, c'est que cela semble pénaliser
les autres à l'autre bout; alors, il faudrait peut-être, en tout
cas...
Il y a un message là-dedans que M. le ministre devra
regarder.
Mme Ampleman: Moi j'aimerais bien savoir combien de personnes
cela va-t-il concerner. Parce que, dans mon expérience personnelle, les
enfants, les étudiants qui sont a l'école, des raccrocheurs - pas
des décrocheurs mais des raccrocheurs, parce que le terme est plus
positif - ce sont des enfants d'assistés sociaux. Je pense qu'il y a des
statistiques que, malheureusement, je n'ai pas qui rendent qu'il y a
très peu d'enfants, de jeunes de la classe ouvrière qui arrivent,
si vous voulez, à l'université. Cela serait intéressant de
voir qu'il y en a peu. Je travaille avec les femmes et je travaille aussi avec
les enfants. Quand je disais ce matin, dans mon intervention, qu'il faudrait
peut-être creuser pour voir les causes de l'analphabétisme,
finalement, c'est un manque de soutien. S'il y a des jeunes, s'il y a un manque
de soutien à la famille et s'il y a beaucoup d'enfants, des adolescents,
qui laissent l'école au secondaire, c'est assez souvent parce qu'ils
n'ont pas de linge. La mère n'a pas l'argent, concrètement, pour
permettre à son enfant de continuer d'aller à l'école.
Je pense qu'il faudrait étudier de plus près ce que cela
signifie et les causes. Ce n'est pas toujours parce que les enfants ne veulent
pas aller à l'école, et ce n'est pas parce que les mères
ne sont pas intéressées à leur donner de l'instruction,
c'est parce qu'ils n'ont pas le soutien. On a beau dire que l'école est
gratuite mais, au mois de septembre, je faisais le budget avec des femmes
assistées sociales. Quand cela vous prend, si vous voulez, une petite
calculatrice, quand cela vous prend des espadrilles, quand cela vous prend, je
ne sais pas, un vêtement pour le sport, tous les frais afférents
à l'école, cela a monté à 198 $, tandis que le
ministère donne 35 $, au mois de septembre, d'allocation scolaire. Je
pense qu'au lieu de demander une contribution alimentaire et de se fier
à un programme qui est déjà désuet, puisqu'il dit
que s'il était aux prêts et bourses il l'enlèverait, je
pense qu'on serait mieux de donner un soutien
beaucoup plus important à la famille, pour éviter d'avoir
des analphabètes et pour éviter aussi de la délinquance.
Et pour éviter d'avoir des écoles de raccrocheurs.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vois l'horloge avancer et j'ai
d'autres questions sur lesquelles j'aimerais que vous puissiez faire
bénéficier la commission de votre expérience.
Est-ce que vous travaillez également ou vous oeuvrez
également avec des gens qui sont des salariés à bas
revenus (salaire minimum et un petit peu plus)? Est-ce que vous vivez... Quel
est le pourcentage... Est-ce que, majoritairement, les gens que vous nous avez
décrits sont des gens qui vivent de l'aide sociale? Est-ce qu'il y en a
qui vivent de l'assurance-chômage? Est-ce qu'il s'agit de faibles
salariés? Et, là, je suis conscient que pendant une
période au Québec il a existé le fameux cercle vicieux,
surtout pendant la crise économique, 20 semaines de stage, 52 semaines
d'assurance-chômage, retour à l'aide sociale, reprise du stage,
etc. Mais on est en train de se sortir de ce cercle vicieux. Parmi les gens qui
font appel à vos services, que vous fréquentez, quelle proportion
se situe chez les assistés sociaux, les chômeurs et les bas
salariés?
Mme Ampleman: Je ne pourrais pas vous donner les proportions,
parce que je n'ai pas d'économistes et de statisticiens qui travaillent
pour moi. Ce que je veux vous dire aussi, c'est que dans le projet, dans vos
deux postulats ou votre conclusion, vous dites: Ce qui est important, c'est la
qualification professionnelle. C'est vrai, mais je rencontre aussi... J'arrive
de la vallée de la Matapédia. Il y a une usine de panneaux
agglomérés et pas un travailleur de la vallée n'a
été engagé. Quand on arrive, si vous voulez, je ne sais
pas, ailleurs, à Bécancour, il n'y a personne non plus qui a
été engagé. Et aussi quand les usines ferment, je voudrais
bien vous rappeler que je rencontre des travailleurs de l'usine fermée
qui ont 45 ans, 50 ans, des gens qui ont une expertise de travail, des gens qui
ont un métier, qui ont été des soudeurs. Je pense à
Sorel, je pense à Tracy. Quelles sont les possibilités de
recyclage?
Je voudrais mentionner aussi l'appauvrissement. La semaine
dernière, je rencontrais un monsieur qui a travaillé toute sa vie
dans les mines et, en attendant d'avoir sa prestation de la régie des
rentes, il a été trois mois à l'aide sociale. L'aide
sociale ne lui a pas dit que c'était un prêt. Donc, avec le petit
montant qu'il a eu de l'aide sociale, il s'est endetté. Quand il a
reçu son montant de la régie des rentes, ce n'était pas
assez pour vivre, parce qu'il faut qu'il aille chercher 60 $ à l'aide
sociale. Qu'est-ce qui est arrivé? On lui a dit: Monsieur,
écoutez, vous avez une dette. Il a dit: Une dette? Comment? Je n'ai rien
signé. À 61 ans, ayant travaillé toute sa vie dans les
mines, il a une petite maison et parce qu'elle est évaluée, si
vous voulez, à un peu plus que le montant que vous dites, il va
être pénalisé de 2 %, ce qui va l'appauvrir à tous
les mois. Imaginez-vous que le monsieur est pénalisé de 50 $ par
mois parce qu'il a une dette de 2000 $ avec l'État. Et en plus - il m'a
montré son papier - s'il ne rembourse pas, il est pénalisé
à un taux d'intérêt de 11 %.
Moi, j'aimerais cela, en terminant, peut-être un mercredi soir...
J'ai mis au point, pour les intervenants sociaux, les travailleurs des CLSC -
j'ai fait la province avec une session pour les sensibiliser à la
clientèle qu'ils rencontrent dans les CLSC - un jeu pour faire vivre
pendant une soirée ce qui arrive quand on "tombe" sur l'aide sociale.
Cela serait un rêve que j'aurais de partager, si vous le voulez, cette
session avec vous. Merci.
Le Président (M. Bélanger): Mme fa
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Alors, en fait, M. le Président, c'est
certainement intéressant, cette proposition de Mme Ampleman. Je crois
que ce serait vraiment intéressant qu'on ait l'occasion de la proposer
sérieusement aux membres de la commission et peut-être aussi
à mes collègues. J'insisterais pour qu'ils soient des
nôtres au moment où cela se jouerait.
Bon, d'abord, sur la question, vite, des prêts-bourses. Ou bien le
jeune est indépendant ou il est dépendant, en fonction même
du document d'orientation. Vous, Mme Bilodeau, avez fait un témoignage
extrêmement sincère et extrêmement bouleversant devant la
commission. Je crois que vous avez eu les mots pour le dire et je crois que
c'était vraiment important. Mais vous êtes
considérée comme indépendante en regard des
prêts-bourses; c'est-à-dire que vous seriez même
bénéficiaire, entre guillemets, par rapport aux autres qui, eux,
sont dépendants.
Il reste qu'un jeune qui est totalement indépendant le serait au
sens de l'aide sociale comme il le serait au sens des prêts-bourses. S'il
est dépendant au sens des prêts-bourses, il l'est au sens de
l'aide sociale et, là, cela ne lui donne pas grand-chose. J'ai fait des
tableaux pour montrer que, s'il est dépendant, il a la contribution
parentale de 100 $. Il a sans doute le partage du logement, parce que
"dépendant", cela veut dire, entre autres, vivre chez ses parents, cela
veut dire avoir 115 $ de coupés. Cela veut dire qu'il lui en reste 190 $
par mois. Si c'est là l'avantage de ne pas aller aux études pour
rester sur l'aide sociale, on exclut cela. Je pense qu'il n'y en a aucun,
même au cégep. N'oubliez pas que, quand vous ne faites pas un
cours à temps plein au cégep, il faut que vous le payiez comme si
vous étiez à l'éducation des adultes. Il faut que vous
preniez un cours à temps plein - plus que quatre cours - pour que cela
soit gratuit. Gratuit, encore là, vous savez les autres frais qui sont
à payer. Il serait sur l'aide sociale, mais sans rattrapage scolaire.
C'est juste pour le
secondaire. Il serait sur l'aide sociale. Même comme
indépendant - prenons la meilleure des situations - il a son propre
loyer à payer, etc. Il faudrait qu'il paie ses cours en plus au
cégep. Il faudrait qu'il paie tout le reste, ses livres, etc.
Le ministre n'a pas à s'en faire avec cela. Qu'il ne se fasse pas
de problème avec cela. Ce sont des problèmes que lui apportent
ses fonctionnaires, un après l'autre: des affaires fictives,
conçues dans des bureaux de préfabrication. En
réalité, je lui demande de me donner le nom de cinq personnes qui
vivent cette situation au Québec, où nous sommes 7 000 000 et
où il y a je ne sais combien de jeunes qui étudient et combien de
personnes qui reçoivent l'aide sociale. S'il peut m'en nommer cinq, je
pourrai penser que c'est un problème qui commence à valoir la
peine d'être discuté. À part cela, je trouve que c'est une
affaire préfabriquée.
En ce qui concerne l'exposé que vous nous avez fait, vous nous
avez parlé de Marie et de Micheline. Deux minutes pour vous dire que ce
que vous nous avez décrit, c'est un va-et-vient qui ne va pas cesser
avec le document. On passe d'une mesure d'employabilité ou de retour
à l'école à un retour à l'aide sociale, avec un
PDE, du PDE à l'aide sociale ou à l'assurance-chôma-ge, de
l'assurance-chômage à l'aide sociale.
Mme Ampleman: C'est pour cela que je dis qu'il est
appliqué, le décret.
Mme Harel: La crainte que j'ai... C'est vraiment avec votre
exposé que j'ai découvert que les neuf premiers mois, à ce
moment-là, commencent à signifier quelque chose. Chaque fois, la
personne qui fait l'effort d'essayer, au moins d'essayer une "job" - même
si cela ne marche pas toujours - d'essayer un retour, etc., chaque fois, elle
revient à la case départ. C'est pire avec cette
catégorie-là que ce ne l'était.
En passant, Mme Bilodeau, dans le document, vous avez dû regarder
les chiffres. Avec le système actuel, vous avez 740 $ plus 100 $.
Mme Bilodeau: C'est 724 $ plus 100 $, ce qui monte à 824
$.
Mme Harel: À 824 $.
Mme Bilodeau: En 1989...
Mme Harel: En 1989, vous auriez 740 $ plus 100 $, cela monterait
à 840 $.
Mme Bilodeau: Je pense que c'est 822 $.
Mme Harel: 822 $, cela serait en participant...
Mme Bilodeau: A un programme, ce qui veut dire...
Mme Harel: ...avec la réforme. C'est-à-dire 18 $ de
moins par mois. Cela n'a l'air de rien, 18 $, sauf que 18 $ ...
Mme Bilodeau: Cela serait...
Mme Harel: ...cela finit par faire 206 $ à la fin de
l'année. J'imagine que cela paie beaucoup de cours de natation.
Mme Bilodeau: Cela paierait peut-être un costume de bain
à ma fille.
Mme Harel: Je vous remercie.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre, si vous
voulez remercier le groupe.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Je voudrais remercier
doublement Soeur Ampleman pour ses deux présentations d'aujourd'hui, et
Mme Bilodeau. Je voudrais profiter de l'occasion pour indiquer qu'il s'agit
peut-être d'un problème de fonctionnaire, comme Mme la
députée de Maisonneuve vient de l'indiquer, mais c'est un
problème qui, sans accorder la parité, est décrit à
la page 236 du livre blanc sur la fiscalité de M. Parizeau. Lorsqu'on
ajoute l'élément de parité, on augmente d'autant le
problème. Je vais tenter de vérifier dans la pratique s'il s'agit
de quelque chose de strictement théorique ou si et M. Parizeau et M.
Paradis se sont fait embarquer par des fonctionnaires. Merci beaucoup de votre
attention.
Le Président (M. Bélanger): La commission vous
remercie de votre présentation et suspend ses travaux jusqu'à 20
h 15, ferme.
(Suspension de la séance à 18 h 15)
(Reprise à 20 h 23)
Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Je demanderais à chacun de bien vouloir reprendre sa place afin
que nous reprenions nos travaux, c'est-à-dire une consultation
générale afin d'étudier le document intitulé
Pour une politique de sécurité du revenu. Nous recevons,
ce soir, le groupe des Promoteurs de la Montéré-gie,
représenté par Mme Margaret Brault et Mme Thérèse
Bérubé.
Je vous explique un peu nos règles de procédure. Vous avez
20 minutes, ferme pour présenter votre mémoire et if y a 40
minutes de période de discussion avec les parlementaires. Je vous
prierais donc, avant de commencer, de vous identifier et de nous
présenter votre mémoire mais aussi, chaque fois que vous aurez
à intervenir, soit pour répondre a une question ou pour en poser
une, de bien vouloir donner votre nom avant pour les fins de transcription au
Journal des débats. C'est assez important pour nous.
Alors, je vous prierais de commencer, s'il vous plaît.
Promoteurs de la Montérégie
Mme Brault (Margaret): Messieurs et mesdames les commissaires,
bonsoir. Je me présente, je suis Margaret Brault, promoteur de la
Montérégie. À ma droite, Thérèse
Bérubé, qui est aussi promoteur et qui a participé
à la rédaction du mémoire que vous avez reçu.
Permettez-moi d'abord de vous remercier, au nom de mes collègues,
de l'attention particulière que vous avez portée à notre
mémoire sur l'énoncé de politique de réforme de
l'aide sociale, en nous offrant la chance de venir vous parler ce soir de notre
projet d'implication communautaire. Après avoir reçu le document,
un groupe de promoteurs de la Montérégie s'est réuni afin
de faire une étude et d'apporter les conclusions que vous pouvez trouver
à la fin de notre mémoire.
Dans les prochaines minutes, j'aimerais vous donner un bref
aperçu de notre travail en tant que promoteurs de programmes
d'implication communautaire, ce qui, je pense, vous aidera à comprendre
pourquoi nous avons des craintes vis-à-vis de certains points de la
réforme, c'est-à-dire plus spécifiquement le programme
APTE, celui nous touchant de plus près. Les promoteurs impliqués
sont: Centre d'entraide bénévole de Saint-Amable,
représenté par Mme Thérèse Bérubé,
à ma droite; malheureusement ne pouvant être avec nous ce soir, le
Centre d'action bénévole de Saint-Hubert,
représenté par Mme Ernestine Cyr, coordonnatrice; Projet-Femmes
pour le réveil des assistés sociaux de Longueuil,
représenté par Mme Denise Imbeau qui après maintes heures
de labeur, à partir de tous nos commentaires, nos débats et nos
conclusions, est la personne responsable de la rédaction de notre
rapport.
Je vais maintenant vous donner un aperçu, par promoteur, de ce
que représente le travail de nos projets. Le Centre d'entraide
bénévole de Saint-Amable est un organisme à but non
lucratif offrant des services à la communauté par l'entremise de
bénévoles. La demande accroissante d'aide à domicile se
faisant sentir dans les régions, c'est pour cette raison que l'organisme
a fait appel aux programmes d'implication communautaire. Il a pour objectif
d'offrir à une clientèle plus spécifique des services,
tels que ménage, accompagnement aux rendez-vous médicaux, soins
personnels, c'est-à-dire des soins d'hygiène aux personnes
à domicile, être à l'écoute du
bénéficiaire, accompagnement de personnes en phase terminale,
faire les repas, aide à domicile pour une mère venant
d'accoucher.
Le deuxième groupe, Centre d'action bénévole de
Saint-Hubert, qui est lui aussi un organisme à but non lucratif et qui
offre des services à la communauté par l'entremise de
bénévoles, a mis sur pied un programme d'implication
communautaire ayant comme services deux volets: le premier, c'est l'aide au
maintien à domicile pour personnes âgées et
handicapées, les services rendus étant l'accompagnement des
personnes pour les sorties de magasinage et l'entretien ménager, section
travaux lourds. Le deuxième volet est de niveau administratif,
c'est-à-dire le travaH de secrétariat du réseau de
bénévoles avec possibilité pour les candidats d'avoir une
formation informatique.
Le troisième groupe, Projet-Femmes pour réveil des
assistés sociaux de Longueuil, est lui aussi un organisme à but
non lucratif dont le programme a pour objectif d'offrir à ses
participantes - je dis "participantes" parce que ce sont des femmes qui peuvent
bénéficier de ce programme - la possibilité d'explorer les
différents débouchés en relation avec le marché du
travail et/ou dans le domaine des études, tout ceci en leur donnant une
orientation adéquate en rapport avec leurs capacités,
c'est-à-dire en leur offrant tout au long des cours, des
conférences, des discussions de groupe pour leur donner de l'information
et, par la suite, leur donner la chance de mettre en pratique les acquis en
offrant leurs services aux différents organismes de la région
nécessitant de l'aide. En résumé, c'est tout ce qu'on peut
appeler la formation d'une banque de ressources de bénévolat.
Le quatrième groupe, qui est mon petit bébé depuis
quatre ans, c'est le centre hospitalier Régina de Saint-Hubert qui est
un centre de soins prolongés de longue durée, dont je suis le
promoteur responsable au nom du centre hospitalier. Je travaille comme
ergothérapeute au centre. On a mis sur pied, il y a quatre ans, un
programme d'implication communautaire qui a pour titre: Qualité de vie
et service. Ceci veut dire: avoir la possibilité d'offrir à une
clientèle de soins prolongés une certaine qualité de vie,
c'est-à-dire couvrir les besoins qu'on peut appeler psychosocioculturels
du bénéficiaire, ce qui, malheureusement, n'est pas inclus dans
les services essentiels fournis présentement.
Les services rendus sont: accompagnement aux rendez-vous
médicaux, sorties de plaisance qui peuvent aller des sorties de
magasinage aux sorties de théâtre, pique-niques et le reste, les
visites à domicile de certains de nos bénéficiaires pour
que nos bénéficiaires puissent faire des sorties dune
journée ou plus au domicile qu'ils avaient auparavant, avant d'entrer
chez nous, les activités internes qui varient de la zoothérapie -
notre projet de chien mascotte a été mis sur pied grâce aux
projets de travaux communautaires - aux activités de groupe, botanique,
musicothérapie, attention individuelle et bien d'autres.
Il y a un autre service très important qui est notro camp
d'été pour personnes handicapées. On le fait maintenant
depuis six ans, mais depuis quatre ans, on a l'aide des candidats des travaux
communautaires. À l'intérieur de ce programme
I de camp d'été, si le participant aux travaux
communautaires accepte, on lui donne une formation de préposé aux
bénéficiaires pour qu'il puisse nous aider à assurer les
soins personnels des bénéficiaires durant le camp,
c'est-à-dire que le participant sort avec une formation de
préposé aux bénéficiaires.
Après avoir entendu une description des services offerts par nos
programmes, je crois qu'on peut en déduire que nous, en tant que
promoteurs, devons donner une formation adéquate à nos
participants en relation avec le travail demandé. Malheureusement, cette
formation, à l'intérieur des programmes présents
d'implication communautaire, n'est pas reconnue officiellement. Je dis
malheureusement, je crois que c'est surtout pour les participants. Cela les
aiderait beaucoup si leur acquis des douze mois qu'ils ont vécus
était reconnue. La formation donnée, que celle-ci soit en
animation, en aide à la personne, en aide domestique, en gardiennage, en
accueil, en information, en organisation du travail ou en administration, nous
retrouvons dans tous les cas les buts spécifiques atteints pour nos
candidats, c'est-à-dire: contact et sensibilisation avec une
clientèle spécifique qui va sans cesse en s'accroissant - je
parle des personnes en besoin d'hébergement et du maintien à
domicile - connaissance plus approfondie du matériel de travail
spécifique aux gens handicapés; acquisition d'expérience
pratique de travail de même qu'acquisition d'expérience de travail
d'équipe; finalement, et le non le moindre, encadrement de la
théorie acquise avec la réalité du marché du
travail.
Il est évident que cet échange de services ne peut
fonctionner qu'avec l'accord des deux parties, c'est-à-dire participants
et promoteurs. C'est pourquoi, mesdames et messieurs les commissaires, nous
vous demandons de vous pencher longuement sur le point qui nous
préoccupe le plus, le fait que cette réforme donne aux centres
Travail-Québec toute la manoeuvre d'imposer leurs décisions sans
contrôle ni regard indépendant, autant sur les diagnostics que sur
les offres de services, avec en plus la haute main sur le mécanisme de
sélection de projets. Certaines inquiétudes ont été
posées par différents promoteurs, celle-ci étant: la
diminution des bénéfices pour les participants, l'arbitraire de
l'agent du centre Travail-Québec et la pénalisation en cas de
refus, le blocage à l'admission pour les jeunes vivant chez leurs
parents, les prestations des aptes sans analyse différenciée par
région des coûts réels des activités reliées
au marché du travail, la présentation des chiffres sans une
analyse sérieuse des conséquences des changements de la
fiscalité non seulement au Québec, mais aussi au
fédéral, les postes de travail à créer.
Par conséquent, nous en sommes venus à une conclusion et
à des recommandations, c'est-à-dire: consultation et
création de nouveaux projets par l'ajustement aux changements de
clientèle des participants; collaboration et planification entre les
divers acteurs institutionnels avant l'implantation dans une région,
acceptation de nouvelles règles par les promoteurs et les gestionnaires
régionaux; création du réseau avant l'application de la
réforme pour la clientèle visée; vérification des
jugements évaluais des agents des centres Travail-Québec
concernant l'aptitude et la disponibilité des assistés.
Recommandations: volontariat maintenu, offre incitative, surplus de
prestations pour compenser les coûts réalistes et capacité
d'épargne en prévision de la fin du programme; liberté des
engagements négociés entre promoteurs et participants,
c'est-à-dire pouvoir reconnaître le professionnalisme
déjà existant des promoteurs; participation et collaboration pour
la réorientation des programmes, concertation des agents,
création d'une commission distincte des actuels centres
Travail-Québec; que la loi contienne des dispositions et les
mécanismes de surveillance dans la transition.
En résumé, si on peut résumer le tout dans une
phrase, ce serait peut-être: Reconnaissance des agents communautaires
comme co-maîtres d'oeuvre de la réforme. Nous sommes prêts
à partager notre expérience avec d'autres artisans d'une
réforme qui deviendrait alors véritablement une politique de
développement des ressources, une politique de création de postes
de travail, une ouverture vers ce plein-emploi qui, seul, préservera la
dignité des travailleurs.
Je vous remercie beaucoup de votre attention.
Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie.
M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je tiens à remercier Mme
Brault et Mme Bérubé, ainsi que les autres personnes qui ont
participé à sa rédaction, pour le mémoire ainsi que
pour votre présentation verbale.
Je vais tenter de vous dresser, assez brièvement quand même
puisque j'ai eu à le faire à quelques reprises
déjà, le portrait de la clientèle que nous avons à
l'aide sociale ou que nous avions en mars 1987, qui a diminué depuis ce
temps-là mais qui, dans les proportions, est sensiblement la même,
avec les mêmes caractéristiques en tout cas. Sur 400 000 chefs de
ménage à l'aide sociale en mars 1987, à peu près 25
%, 100 000 chefs de ménage, étaient des gens incapables de gagner
leur vie même si on leur en fournissait l'occasion, sur le plan de la
compétitivité et de la production, de façon
régulière. Ces gens-là seraient admissibles au programme
Soutien financier dans la politique de sécurité du revenu.
Quelque 300 000 chefs de ménage seraient des personnes que l'on
considérerait comme aptes au travail, entre guillemets, mais aptes au
travail avec des barrières ou des
lacunes sur le plan de l'employabilité qui ne sont pas faciles
à surmonter. De cette clientèle, 36 % sont
considérés comme des analphabètes fonctionnels et 60 % de
ces individus n'ont pas complété leur cours secondaire. Puis, 40
% - dans ce cas-là, on retrouve une majorité très nette de
femmes - n'ont aucune expérience antérieure de travail
reconnue.
En regard d'une telle situation, le gouvernement a le choix. Il peut
faire ce qu'il a fait dans le passé et poster mensuellement un
chèque à la majorité de cette clientèle, en se
disant: Voici, j'ai fait ce que j'avais à faire, je n'ai plus besoin de
m'occuper de ces gens-là, sauf dans le cas des jeunes en bas de 30 ans
où des programmes de réinsertion ou d'employabilité
existaient. Ou il peut faire preuve d'un peu plus de justice et
d'équité envers ceux et celles qui sont pris à l'aide
sociale pour une longue période de leur vie, le programme Soutien
financier, et, dans le cas du programme APTE, décider d'investir
massivement autant sur le plan financier que, dans le cas des ressources
humaines, dans l'amélioration de l'employabilité de ces individus
de façon à réduire les barrières.
Je pense que le défi est d'une telle ampleur que, si le
gouvernement s'y attaquait seul, sans la collaboration du monde patronal, du
monde syndical et surtout des groupes communautaires impliqués, II
faudrait lancer la serviette avant de l'entreprendre.
Vous êtes un des groupes communautaires impliqués sur
lesquels nous devons compter. Vous nous avez brièvement décrit
votre expérience. Vous avez également manifesté, dans
votre mémoire, certaines réticences. Je pourrais profiter de
l'occasion rapidement pour vous apporter quelques précisions sur
certaines des inquiétudes que vous avez, mais que vous ne devriez pas
avoir, même au moment où on se parle, sans corriger ou apporter de
bonification à la réforme. À la page 6, vous parlez des
100 $ versus les 60 $. Cela semble être un sujet de préoccupation
chez vous. Vous le reprenez à deux ou trois endroits. C'est 60 $
d'allocation de participation plus 40 $ de frais de participation. Cela
maintient, dans la pratique, les 100 $, finalement.
La question des 100 $ de l'employeur, taxés de la
déduction d'assurance-chômage, cela va. Je la comprends. Je la
saisis bien, mais vous dites: "sont taxés directement et tombent
à 80 $ par mois". Vous êtes le premier groupe à nous
présenter cet élément et je vous demanderais d'expliquer
cela un peu tantôt.
Les frais de garde ne seront plus remboursés que pour environ 50
%, c'est-à-dire par l'impôt. C'est dans le cadre du programme
APPORT, mais dans le cadre du programme APTE, les frais de garde demeurent ce
qu'ils étaient, autour de 10 $ par jour. En ce qui concerne APPORT, il
n'y avait aucun frais de garde remboursés aux gens qui étaient
des travailleurs à faibles revenus. On ajoute le remboursement à
50 %.
Ce sont à peu près les éléments que je
pouvais vous donner. Je maintiens ma question pour les 80 $ et je vous demande
en même temps de m'indiquer depuis combien d'années vous
êtes impliqués, quel est le type de clientèle que vous avez
(majoritairement des hommes ou des femmes) et, à la suite du stage
effectué dans vos organismes, ces gens-là, dans quelle proportion
se sont-ils trouvé des emplois permanents par la suite? Est-ce que vous
avez de la difficulté à recruter des candidats ou des candidates?
C'est le genre de questions qui peut nous donner l'information
nécessaire pour mieux adapter nos programmes. Est-ce que la
période est assez longue ou est-ce que c'est trop court, trop long ou
juste approprié? C'est le genre de questions.
Mme Brault: Moi, je suis Margaret Brault, je vais répondre
au nom du centre hospitalier Régina. Je peux peut-être
présenter le centre avant. Le centre hospitalier Régina est un
centre de soins prolongés de longue durée, c'est-à-dire
que les bénéficiaires qui entrent dans le centre y demeurent.
C'est comme une deuxième famille. On a 70 bénéficiaires
chez nous, dont 13 sont des hommes et le reste, des femmes. La majorité,
ce sont des femmes. C'est une clientèle qu'on appelle "lourde", qui est
classée, par les CSSS, A-4, A-5, où le patient a besoin de soins
24 heures par jour.
En ce qui concerne un peu les services, cela fait 4 ans qu'on a le
projet; j'ai commencé au tout début. Il y a eu beaucoup de
modifications en cours de route. On a commencé avec un projet qui
n'atteignait pas nécesairement juste l'animation et on a vu des
inconvénients par rapport au travail de secrétariat ou autre dans
le centre; alors, on a fait modifier. On avait 4 postes dont 2 en animation et
2 qui touchaient plutôt le secrétariat. Cela n'avait pas tellement
fonctionné, alors, j'ai demandé de le modifier pour avoir 4
postes en animation, ce qui peut toucher bien des domaines, si on
considère ce qu'est l'animation en soins prolongés.
Des jeunes sont passés chez nous; la première
année, mes 4 postes ont été comblés. Cela fait 3
ans que mes 4 postes ne sont pas comblés et, depuis un mois et demi, je
n'ai aucun candidat. Je suis au désespoir!
Ce sont les faits réels. C'est pour cela que, dans notre
mémoire, quand on met l'emphase sur les centres Travail-Québec,
c'est qu'on a beaucoup, beaucoup de difficultés avec le recrutement de
nos candidats. Et cela, c'est un fait réel.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous attribuez cela à quoi,
ces difficultés de recrutement?
Mme Brault: Je peux me permettre d'aller assez loin parce que
j'ai eu des échos, même de mes candidats qui sont arrivés
chez nous et qui m'ont dit: Mme Brault, si j'avais écouté
l'agent
de l'aide sociale, je ne serais jamais venu. Alors, j'ai commencé
à me poser des questions car, au début, j'avais un agent avec
lequel tout fonctionnait parfaitement. Du jour au lendemain, pour moi, la
personne travaillait trop bien et a eu une promotion, je ne le sais pas, mais
tous les documents...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si c'est le cas, c'est correct!
L'inverse serait plus inquiétant.
Mme Harel: Elle a fini tout simplement son contrat, puis elle a
reçu son avis de remerciement.
Mme Brautt: C'est cela. Puis tous les documents que j'avais
envoyés à mon centre Travail-Québec - je ne m'en cacherai
pas, c'est le centre de Brossard - toute la documentation que j'avais
envoyée par rapport... On exige chez nous des prérequis. Ce que
j'appelle des prérequis, moi, c'est un peu l'aperçu
général de la personne: débrouillardise, sens de
l'organisation, être capable aussi d'avoir un contact avec une
clientèle spécifique. Ce n'est pas n'importe qui qui va rentrer
et pouvoir travailler dans un centre de soins prolongés. Alors, il y a
quand même du dépistage qui se fait, au début. Et j'avais
envoyé toute cette documentation. Puis, du jour au lendemain, ils
changent d'agent: plus de documentation; tout est perdu, tout est à
recommencer. J'ai fait cela trois fois.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous m'indiquez que vous avez des
postes vacants...
Mme Brautt: Oui.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...si je puis utiliser
l'expression, depuis longtemps.
Mme Brault: Un mois et demi.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Un mois et demi?
Mme Brault: Oui.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Et, présentement, est-ce
que vous avez fait des démarches auprès du CTQ. Qu'est-ce qui
cloche, présentement?
Mme Brautt: On est rendu à un point de blocage. Il y a eu
des démarches; j'ai fait des appels. Ils me trouvent peut-être
fatigante, j'appelle souvent. Même notre coordonnatrice de la
Montérégie a appelé, a fait... Elle a peut-être un
pouvoir de faire pousser, mais elle n'a pas un pouvoir décisionnel comme
tel. Il y a eu des recommandations, il y a eu des plaintes émises
à deux reprises. Là, je suis dans le processus où l'on
attend. Je rappelle demain; je rappelle à peu près tous les deux
jours le centre. Les trois quarts du temps, la personne est trop occupée
pour parler et je continue. Je ne le sais pas, mais j'ai l'impression qu'il y a
eu dans la région une espèce de boycottage des projets en disant
que c'était du "cheap labor". (20 h 45)
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Boycottage par qui? Par le centre
Travail-Québec ou par la clientèle?
Mme Brault: Non, j'ai l'impression qu'il y avait beaucoup de
blocage. D'après les commentaires que j'ai eus de certaines personnes,
cela venait des centres Travail-Québec. Véritablement, on a de la
difficulté.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Mme Bérubé, est-ce
que vous éprouvez les mêmes problèmes?
Mme Bérubé (Thérèse): J'ai absolument
les mêmes problèmes. Cela fait quatre ans qu'on fonctionne avec ce
projet. J'ai droit à quatre filles. À l'heure actuelle, j'ai mes
quatre filles, mais je peux dire que je recrute moi-même parce que je ne
peux pas me permettre d'en manquer, car j'ai beaucoup de travaux à faire
faire. J'ai absolument les mêmes problèmes.
Mme Harel: Vous recrutez vous-même, mais comment?
Mme Bérubé: Disons que par le centre d'entraide,
j'ai...
Mme Harel: Pardon? Excusez.
Mme Bérubé: ...l'occasion de toucher à peu
près à ce qui se rapporte à l'aide sociale, disons des
gens qui ont de la misère à boucler leur fin de mois. Quand je
vois que j'ai besoin d'une fille et que ces gens ne sont pas capables de
boucler leur fin de mois, j'offre du travail en même temps que de l'aide.
Cela marche à tout coup.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Quand vous passez à
côté, cela fonctionne et quand vous passez par le centre, cela ne
fonctionne pas. C'est ce que je retiens de...
Mme Bérubé: Bien...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ou cela fonctionne
difficilement.
Mme Bérubé: Je peux vous dire qu'il y a quinze
jours, j'ai dit au bureau de Travail-Québec que j'avais besoin d'une
fille et on m'a répondu de faire ma publicité, qu'on
n'était pas capable. C'est ce qu'on m'a répondu.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que vous faites appel au
même centre Travail-Québec?
Mme Bérubé: Non. On est... Mme Brault:
C'est Brossard. Mme Bérubé: Moi, c'est Longueuil.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous, c'est Longueuil et vous,
c'est...
Mme Brault: Brossard.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Alors, vous avez raison.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Mme la députée de
Maisonneuve vient de dire: Pauvre ministre! J'ai dit: Oui, vous avez raison.
Les commissions parlementaires permettent de découvrir des lacunes de
fonctionnement et je pense que c'est fait un peu pour cela, également.
Vous nous disiez la vérité.
Une fois que vous avez recruté personnellement ou surmonté
les énormes problèmes de recrutement, une fois que les gens vont
en stage, est-ce qu'à la suite de leur stage ces personnes... Est-ce que
vous faites un certain suivi? Est-ce qu'elles se trouvent un emploi
permanent?
Mme Brault: Pour le centre hospitalier Régina, je dois
dire - je vais toucher du bois -que les jeunes qui sont passés chez nous
ont tous trouvé de l'emploi ou sont retournés aux
études.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Tous?
Mme Brault: Je n'en ai pas eu beaucoup. J'ai eu beaucoup de
boycottage. J'en ai eu huit sur huit, soit de l'emploi ou un retour aux
études. Je fais même le suivi. J'ai des gens qui reviennent comme
bénévoles pour nous donner de l'aide ensuite. Il faut dire qu'on
leur donne la formation. Ils ne sortent pas de chez nous avec rien. Ils sortent
de chez nous avec un bagage pour aider des gens handicapés en animation,
en écoute et il y a ceux qui participent aux camps d'été.
Ils ont même un cours de préposé aux
bénéficiaires. Ils peuvent postuler un emploi là où
on en demande, dans les centres.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que... Mme Brault:
C'est une chance.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...chez les gens que vous avez,
vous remarquez une évolution d'attitude en cours de stage face au
marché du travail, à partir de la première journée
jusqu'à la dernière?
Mme Brault: Peut-être pas à partir de la
première journée, mais je peux vous dire que la première
semaine, il y a beaucoup de craintes. Ils ont peur. C'est surtout en relation
plutôt avec la clientèle. Honnêtement, le stage dure douze
mois. Si je veux être honnête, les jeunes ne peuvent pas
fonctionner seuls à l'intérieur du centre. Alors, cela prend un
minimum de six mois avant qu'ils puissent fonctionner. Une fois qu'ils sont
capables de fonctionner et que tout va bien et qu'on est capable d'avoir un
certain élément de confiance, parce qu'ils travaillent quand
même avec des êtres humains qui ont beaucoup de demandes, les six
mois passent vite après, et on recommence.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord. Cela va.
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Alors, je suis particulièrement contente que
vous ayez préparé ce mémoire et que vous soyez venues
devant la commission, Mme Brault et Mme Bérubé. J'avais eu
l'occasion, au mois de septembre dernier, dans le cadre d'une tournée
qui s'était faite en autobus, dans tout le Québec, de longuement
visiter les promoteurs de la Montérégie. J'ai rencontre Mme
Imbeau. Est-elle coordonnatrice ou est-elle comme vous?
Mme Brault: Denise Imbeau est responsable du Projet-Femmes pour
le réveil des assistés sociaux de Longueil.
Mme Harel: Tandis que vous êtes responsable du projet au
centre hospitalier Régina et Mme Bérubé au Centre
d'entraide bénévole. C'était une rencontre... Beaucoup
d'intervenants... Est-ce que vous n'étiez pas là, Mme
Bérubé?
Mme Bérubé: II me semble que je n'étais pas
là.
Mme Harel: Non. C'était au mois de septembre, l'an
passé. Cela m'avait permis de constater combien vous dites vrai quand
vous dites que, pour la Montérégie, vous avez réussi
à devenir très très crédibles et à offrir
des services qui sont maintenant très reconnus.
Tantôt, le ministre vous a dit textuellement: Vous êtes un
groupe communautaire sur lequel nous devons compter. Quand il vous a dit cela,
j'ai pensé: Tant mieux! Vous avez des conditions dans votre
mémoire et vous exigez que vous, vous puissiez compter sur lui. Ce sont
des conditions dont on pourrait parler ce soir. Une sur laquelle vous insistez
beaucoup dans vos recommandations... Tantôt, le ministre vous demandait:
Est-ce que c'est trop court, trop long? Je crois comprendre que douze mois,
c'est un peu court pour vous?
f Mme Brault: C'est cela.
Mme Harel: Cela prend au moins six mois de formation. Donc, cela
serait trop court, d'une certaine façon.
Mme Brault: Oui. D'ailleurs, on avait déjà fait la
demande par l'intermédiaire de Mme Bourgoin-Granier, notre
coordonnatrice de la Montérégie, de faire une prolongation du
programme, de donner plus de temps.
Mme Harel: Parmi les critères, où on dit: "Est-ce
que c'est approprié?", etc., je crois qu'il y en a un sur lequel vous
insistez beaucoup, c'est le caractère volontaire. Vous revenez dans
votre mémoire au volontariat: volontariat autant pour le promoteur que
pour le bénéficiaire. Je retrouvais, en passant, que dans
plusieurs cas un projet d'implication communautaire avait permis le
départ de la maison sans devoir passer par la rue et sa
déchéance. Je me demandais ce que vous vouliez dire en citant
plusieurs cas. Étaient-ce là des jeunes qui quittaient le foyer
parental ou, en fait, des femmes qui quittaient la maison, après une
séparation? Je me demandais de quoi il était question quand vous
traitiez de i ces cas qui avaient été soutenus au moment d'une
impasse.
Si on revient au caractère volontaire, vous dites ceci, à
la page 7: "Après réflexion, si le facteur du libre choix du
promoteur (et du participant) était aboli, nous serions malheureusement
dans l'obligation de cesser toute participation aux projets
subventionnés. Malheureusement, car nous considérons ces projets
présentement comme des moyens d'échange de services" etc.
Pour vous, le caractère du libre choix, c'est quelque chose
d'essentiel, de fondamental?
Mme Brault: Je peux répondre. Disons qu'en tant que
promoteur, c'est quelque chose d'essentiel. J'espère que la
réforme ne mènera pas à cela, que les candidats nous
soient imposés; j'espère que le promoteur restera libre dans le
choix du candidat qui va rentrer pour travailler. Je parle personnellement,
pour chez nous. Je ne vous ai pas dit que c'est un centre privé
conventionné par le gouvernement. Avant de venir ici, j'ai
discuté longuement avec le propriétaire du centre qui en est le
directeur général. C'est un point qui est maintenu tout au long
et qu'on a maintenu pendant quatre ans. Si je ne peux maintenir la
décision de dire: "Oui, je refuse ce jeune, oui, je l'accepte",
malheureusement, pour la sécurité de nos
bénéficiaires dans le centre et aussi pour le bien-être du
candidat... Je répète encore, comme je l'ai dit tantôt, que
ce ne sont pas toutes les personnes qui peuvent approcher des patients en phase
terminale, ce qu'on appelle les grands malades. Cela demande une formation
assez spécifique.
Mme Harel: Je voyais, ailleurs dans votre mémoire, que
vous considérez que cela peut être un piège pour vous, par
exemple, d'avoir à refuser des participants, qui se verraient imposer
des pénalités du fait qu'ils ne correspondent pas à vos
critères, finalement. Vous, vous voulez avoir le choix sans que les
personnes dont vous ne retenez pas les services soient, elles,
pénalisées. C'est cela que j'ai cru comprendre.
Mme Brault: Bien, cela a été émis par
certains promoteurs, de dire... Est-ce qu'un promoteur... Il y a beaucoup de
promoteurs qui sont bénévoles à l'intérieur
d'organismes. Ce ne sont pas des gens habitués à travailler et
à congédier du monde. Il faut s'entendre: quand on dit qu'on
congédie quelqu'un, cela demande un engagement. Tu y penses comme il
faut et, si j'ai fait que ce jeune-là est à la porte, il y a tous
les sentiments de culpabilité qui penvent venir. Il y en a certains,
vraiment, des promoteurs de la Montérégie, qui ont dit
honnêtement qu'ils ne seraient pas capables de faire face à ce
dilemme, parce que cela demande quand même un bagage...
Mme Harel: Surtout que cela peut dépendre de
prérequis. Chez-vous, par exemple, je voyais la liste, c'est quand
même imposant: permis de conduire, capacité de travailler en
équipe, disponibilité, heures flexibles, être capable
d'établir des bonnes relations avec les personnes, initiative,
imagination, sens de l'organisation, motivation. Vous savez, même pour un
député, je ne suis pas sûre que tous ces prérequis
là sont...
Mme Brault: Non. Cela dépend, cela semble peut-être
bien terrible, quand on voit tout cela énoncé d'un coup, mais ce
n'est pas si extraordinaire que cela. Quand on parle d'imagination ou de
créativité, c'est... Si tu regardes le jeune et tu vois qu'il est
capable de se débrouiller, avec ses deux mains, à faire une
activité avec un patient ou de trouver, je ne sais pas, moi, formidable
qu'un patient puisse encore faire un gâteau à l'intérieur
d'une activité popote dans le centre, bien, c'est cela, de la
créativité et de l'imagination. Ce n'est pas plus que cela. Ce ne
sont pas des affaires qu'on demande au niveau, comme vous le dites,
peut-être, d'un député. Ce sont vraiment les
critères, les prérequis, c'est vraiment sur le plan de
l'animation, de l'attention individuelle, de ('interrelation entre deux
personnes, entre une personne qui est en relation d'aide, qui a besoin d'aide,
et l'autre qui donne l'aide. Mais les services, ce sont des services qui
s'échangent, en fin de compte.
Mme Harel: C'est aussi exigeant chez vous, Mme
Bérubé?
Mme Bérubé: C'est aussi exigeant. Mme Harel:
Oui?
Mme Bérubé: Oui, justement, avec les personnes
âgées, parce que c'est le gros de notre clientèle, les
personnes âgées. Ce n'est pas toujours facile. Ce n'est pas facile
non plus pour les personnes âgées d'accepter les jeunes,
même si on ne leur dit pas que ce sont des projets pour les
assistés sociaux, on ne le dit pas, c'est vraiment compliqué
parfois. Il faut que le jeune montre beaucoup de bonne volonté et je ne
peux pas me permettre de garder un jeune qui ne voudrait pas travailler. Il
faut absolument qu'il soit capable..
Mme Harel: II y a autant de garçons que de filles qui
participent au programme, chez vous?
Mme Bérubé: Chez nous, ce sont des filles
seulement.
Mme Harel: Seulement des filles?
Mme Bérubé: Seulement des filles, parce que je
pense que... Je ne vois pas mes personnes âgées accepter des
garçons pour faire du ménage.
Mme Harel: Et vous, Mme Brault?
Mme Brault: Moi, en moyenne, sur huit, j'ai eu trois hommes par
rapport à cinq femmes.
Mme Harel: À cinq. Vous vous proposez de donner une forme
de certificat d'appentissage?
Mme Brault: Ce qu'on aimerait, et cela, il y a longtemps qu'on le
demande, par les travaux communautaires, parce qu'il faut que je vous dise
qu'il y a d'autres programmes aussi. Il y a les stages en entreprise et
certains programmes où quand la personne quitte après les douze
mois de formation, elle a un certificat d'apprentissage reconnu. Et on aimerait
que par des travaux communautaires... J'ai des stages en entreprise et j'ai pu,
au cours des années, évaluer la différence entre mes deux
programmes. Je vous dis qu'à part certaines formations très
spécifiques - le stage que j'ai présentement, c'est un stage en
entreprise en vue de la formation de préposés en
réadaptation - qui donnent des techniques plus spécifiques
à la personne, le côté général
équivaut à des travaux communautaires. Pour ma part, je trouve
que, c'est injuste pour le jeune, qui fournit un effort pendant douze mois et
qui se force vraiment, qui fait les douze mois du programme et qui s'efforce de
sortir, d'apprendre et tout cela. Il arrive à la fois et c'est comme
s'il n'avait rien fait. Il n'a pas de papier, il n'a rien.
Mme Harel: Mme Bérubé, vous avez dit que vous
recrutiez vous-même.
Mme Bérubé: Oui
Mme Harel: J'aimerais cela que vous nous disiez comment cela se
passe, comment cela c'est passé, c'est récent ou si cela
fait..
Mme Bérubé: C'est assez récent.
Mme Harel: Ce n'était pas comme cela auparavant? (21
heures)
Mme Bérubé: L'année passée, ce
n'était pas la même personne au bureau du centre
Travail-Québec. Cela allait très bien, je lui demandais quelqu'un
et je l'avais subito presto. Depuis le changement de personnel qui s'est
passé là, cela ne fonctionne plus.
Mme Harel: Là, vous avez des contacts vous-même dans
les milieux?
Mme Bérubé: C'est dans ma paroisse, en fin de
compte. C'est par les personnes qui viennent me demander de l'aide, parce que
le centre d'entraide est là pour aider. C'est de cette façon que
je recrute quand j'ai besoin.
Mme Harel: Les personnes que vous recrutez, elles
résistent, elles sont réticentes ou elles acceptent?
Mme Bérubé: Elles acceptent de bon coeur. Mme
Harel: Pour quel motif, Mme Bérubé?
Mme Bérubé: Bien, cela leur permet de boucler leur
fin de mois.
Mme Harel: Parce que cela leur donne combien? Vous parlez d'un
jeune ou d'une famille monoparentale surtout?
Mme Bérubé: Pour ceux que j'ai recrutés,
cela leur donne 200 $ par mois de plus que...
Mme Harel: Elles ont des enfants à ce
moment-là?
Mme Bérubé: Oui.
Mme Harel: Disons, ce sont des femmes chefs de famille?
Mme Bérubé: Et chefs de famille, en haut de 25
ans.
Mme Harel: Cela leur donne 100 $ de besoins spéciaux.
Mme Bérubé: C'est cela.
Mme Harel: Et 100 $ de l'organisme.
Mme Bérubé: C'est cela.
Mme Harel: Mais avec la réforme, elles n'obtiendraient
plus que... Elles obtiendraient moins. Parce que, vous voyez, avec la
réforme, disons qu'une femme chef de famille a 684 $; en 1989, c'est
indexé - il faut prendre des chiffres qui se comparent - elle ajoute 100
$, cela fait 784 $ et elle ajoute encore 100 $. Elle a combien, par exemple,
présentement?
Mme Bérubé: Présentement, cela leur donne
200 $ de plus.
Mme Harel: 200 $ de plus que l'aide sociale?
Mme Bérubé: C'est cela.
Mme Harel: Si l'aide sociale était, par exemple, de 684 $,
cela leur en donnerait 884 $.
Mme Bérubé: C'est cela.
Mme Harel: Et avec la réforme, en participant pleinement,
elles auraient 720 $ plus les 100 $:820 $
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Plus la déduction.
Mme Harel: Quelle déduction?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Pour gain de travail.
Mme Harel: Déduction pour gain de travail. Elles sont en
travaux communautaires. Donc, à ce moment-là, elles auraient 64 $
de moins avec la réforme que ce qu'elles obtiennent maintenant.
J'aimerais cela, pendant qu'on est dans les chiffres, qu'on regarde vos
chiffres de 100 $ à 80 $. Le ministre tantôt a dit - je pense que
c'est à la page 6 - qu'en ce qui concerne les allocations et les
frais... Vous l'aviez pourtant mis pour que cela soit très visible: "ce
qui signifie que les participants perdent leurs 100 $. Seulement 60 $..." Parce
que, selon votre point de vue dans le mémoire, 60 $, c'est l'allocation,
c'est automatique, tandis que les 40 $, ce sont des frais. On dit ici: "II faut
savoir que dans le langage BS, "frais" implique procédure de
vérification et arbitraire d'acceptation." Pourquoi ne pas avoir
laissé les 100 $ d'allocation? Pourquoi avoir mis 60 $ d'allocation et
40 $ de frais, si cela ne veut rien dire?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si cela ne veut rien dire? Cela
veut dire qu'il y a un remboursement, parce qu'on considère que les
frais de quelqu'un qui se déplace, qui va travailler, des
vêtements, des frais de transport, etc., cela s'évalue.
Mme Harel: Mais est-ce qu'il va falloir qu'il y ait
présentation de reçus?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, absolument pas.
Mme Harel: Parce que le mot "frais" fait toujours appel à
reçus, vérifications, contrôle. Je ne me trompe pas,
n'est-ce pas?
Mme Brault: C'est comme cela qu'on l'avait vu, nous.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord, mais ce n'est pas le
cas.
Mme Brault: ...et je suis contente si vous me dites que cela va
être automatique.
Mme Harel: Donc, à ce moment-là, il faut parler de
100 $ d'allocation?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. C'est 100 $ d'allocation et,
si vous le subdivisez, il y a 40 $ de frais et 60 $ d'incitation, mais cela
fait 100 $ et vous n'avez pas besoin, pour la partie des frais, de
pièces justificatives.
Mme Harel: Les 100 $ que vous versez comme organisme, Mme
Bérubé, ils vous viennent d'où?
Mme Brault: Cela vient des montants alloués à la
région de la Montérégie.
Mme Harel: Par le CRSSS? Mme Brault: Par le CRSSS.
Mme Harel: Ces montants-là sont toujours maintenus?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Là, les budgets du
CRSSS...
Mme Harel: Non, non, mais le CRSSS les détient du
ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du
revenu?
Mme Brault: Oui, les budgets viennent du gouvernement.
Mme Harel: Bien oui.
Mme Brault: Mais les budgets varient selon qu'on est un organisme
à but lucratif ou non lucratif.
Mme Harel: Non, non, non. Organisme bénévole, c'est
un autre programme du ministère de la Santé et des Services
sociaux pour obtenir des subventions. Ce sont des travaux communautaires qui
sont régis par d'autres ministères, cela peut être par le
ministère de l'Éducation ou...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Nous, on
verse au ministère, on ne verse pas aux CRSSS... Mme Harel:
C'est cela.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...et, à ce
moment-là, le ministère peut choisir soit les CSS, les CRSSS, les
centres hospitaliers et choisit...
Mme Harel: C'est cela. Il est toujours entendu que le
ministère va verser ces 100 $?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Bien oui. Mme Harel: II
vaut mieux que ce soit dit. Mme Brault: Oui, c'est que...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, mais vous n'avez pas l'air
d'être contente quand on dit oui.
Mme Harel: Au contraire, les bonnes nouvelles me font toujours
plaisir.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Encore des bonnes nouvelles.
Mme Harel: On n'en a pas eu beaucoup.
Mme BrauK: Est-ce que je peux ajouter, sur l'allocation
supplémentaire? Chez nous, au centre hospitalier Régina,
étant un organisme à but lucratif, nous n'avons que 25 $ par mois
par participant. C'est dire que c'est le centre qui fournit les autres 75
$.
Mme Harel: Excusez-moi vraiment, Mme Brault. Vous disiez? Je
m'excuse de vous demander de répéter.
Mme Brauft: Sur le montant de l'allocation supplémentaire
que le promoteur verse, en tant qu'organisme à but lucratif, nous
recevons, nous autres, des allocations supplémentaires de 25 $ par
participant, quand nous avons des participants. Si nous en avons un par mois,
cela fait 25 $ par mois. C'est le centre qui s'engage à verser les 75 $
pour le travail du jeune.
Mme Harel: II n'y a jamais eu de problème pour ce qui est
du CRSSS, à vous autoriser à obtenir des stagiaires, à
vous verser les montants? Parce que, dans d'autres régions, on a vu que
le CRSSS faisait valoir que les fonds étaient limités ou
contingentés, ou qu'il y avait épuisement des fonds. Les
personnes qui étaient promoteurs se faisaient offrir quatre stagiaires
plutôt que neuf. Dans votre cas, en Montérégie, toutes les
demandes ont toujours été honorées par le CRSSS?
Mme Brault: Disons que, dans mon cas - cela a toujours
été le mien - je sais que Mme Bourgoin dit qu'elle a quand
même des restrictions budgétaires et qu'elle doit faire beaucoup
d'études à savoir: quel projet peut fonctionner et quel autre ne
le peut pas. On a quand même des critères de fonctionnement; on a
des rapports mensuels à faire.
Mme Harel: Ce sont des critères internes aux Promoteurs de
la Montérégie?
Mme BrauK: Oui.
Mme Harel: Mais est-ce qu'il y a des restrictions qui viennent du
fait que les budgets sont limités?
Mme Brault: Oui, je crois, si je ne me trompe pas. que Mme
Bourgoin devait refuser des projets, à un moment donné, parce
qu'elle n'avait pas le budget et qu'elle avait déjà des projets
en cours de route qui fonctionnaient très bien. Elle se voyait, dans une
situation, assez mal placée pour dire: Je vais couper pour donner des
nouveaux projets.
Mme Harel: C'est vraiment très intéressant, vous
savez, d'échanger des vues avec des personnes comme vous, qui vivez les
deux pieds dans des projets et qui en connaissez les difficultés
d'application. Cela contrevient à cette idée que quiconque
voulait, chez un jeune de moins de 30 ans, participer à un projet le
pouvait et que c'est plus par paresse, indolence ou d'autres motifs obscurs que
le taux de participation a été si limité. Mais au fur et
à mesure que la commission se poursuit, on se rend compte qu'il y avait
aussi des contraintes, des résistances, qui ont empêché
même des extensions de projet ou des réalisations de projet.
Je ne sais pas s'il me reste encore quelques minutes. Il m'en reste
encore?
Le Président (M. Bélanger): Deux minutes.
Mme Harel: II me reste encore deux minutes. Par souci
d'alternance, je vais passer tout de suite la parole au ministre.
Le Président (M. Bélanger): M. le ministre, il vous
reste cinq minutes.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vais peut-être reprendre
le dernier aspect que Mme la députée de Maisonneuve a
touché: les disponibilités financières. Est-ce que -
là, je m'adresse aux deux personnes qui sont devant moi - vous avez
déjà eu des refus à cause d'un manque de
disponibilité financière pour vos projets?
Mme Brault: Moi, heureusement, non. Mon projet a toujours
été respecté même si je n'ai pas les candidats, mon
projet reste toujours ouvert mais il faut dire que - je peux peut-être
ouvrir une parenthèse - pour les projets qui
restent ouverts, on a quand même des critères à
respecter, comme, je le disais tantôt. On a des rapports mensuels, des
rapports trimestriels sur toutes les activités qu'on fait, les
dépenses qu'on fait. Alors, je pense que la coordonnatrice se penche
beaucoup aussi sur l'efficacité des projets par rapport à
l'administration aussi. On a beaucoup de travail administratif à faire
avec ces projets-là.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Mme Bérubé, vous,
sur le plan financier, est-ce qu'on vous a déjà refusé ou
dit: II manque d'argent, de ressources financières?
Mme Bérubé: Cela n'est pas arrivé, à
l'heure actuelle, mais je pense que je suis dedans. Je ne sais pas ce qu'en
seront les conséquences.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Qu'est-ce que vous voulez dire par
je suis dedans"?
Mme Bérubé: C'est parce que, chez nous, on n'a pas
de transport. Donc, je suis obligée - ces petites filles-là n'ont
pas de char - de leur payer du transport. Avec 100 $ par mois pour couvrir
toutes les dépenses, je vous dis que c'est quelque chose?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Les gens qui participent à
vos programmes, chez vous, viennent dans un rayon d'action de combien, à
peu près, quand vous parlez de transport?
Mme Bérubé: Disons que, pour nous autres, à
Saint-Amable, la paroisse est assez étendue. Cela veut dire qu'on peut
envoyer une fille travailler et on peut avoir trois ou quatre milles à
faire juste pour aller au travail. Je ne peux pas les envoyer à pied,
l'hiver. L'été, elles font de la bicyclette mais, l'hiver, je ne
peux pas faire cela.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est vous qui...
Mme Bérubé: C'est exact. C'est le centre, c'est
le... Je me sers des 100 $ de fonctionnement que j'ai, mais c'est quelque
chose. Je sais que j'ai défoncé mon budget ce mois-ci. Tout
l'hiver, je l'ai défoncé.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous défoncez l'hiver et
vous récupérez un peu l'été.
Mme Bérubé: Par malheur, si on fonctionnait sur un
an, peut-être que j'arriverais.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord.
Mme Bérubé: Mais comme on est par trois mois, j'ai
les trois mois durs, là.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je veux revenir à une
question qui a été soulevée par Mme Brault, à la
fin, sur le plan administratif. Vous sembliez dire qu'il y avait beaucoup de
papiers ou de formules. Est-ce que vous sentez que c'est nécessaire, ces
papiers et ces formules? Est-ce qu'il y en a suffisamment, trop, pas assez?
Pour conserver, quand même, des projets qui ont de la
crédibilité sur le plan du fonctionnement...
Mme Brault: À savoir s'il y en a trop, pour que le projet
fonctionne, d'après moi, non. Parce qu'il faut quand même avoir
des papiers, disons, des statistiques, pour dire ce qui a été
fait et avec quel montant d'argent. Le problème administratif pour moi,
je suis habituée dans ce centre à faire de l'administration,
à remplir des rapports, ce n'est pas quelque chose qui est une
corvée. Je sais que chez certains autres promoteurs qui sont
bénévoles, qui représentent des organismes
bénévoles ou qui n'ont pas du tout eu de formation dans ce qu'on
appelle le travail administratif, rapports, calculs, impôts, même
la question de l'assurance-chômage, pour certains, ils disent: Comment
enlève-t-on cela? Où va-t-on chercher notre numéro? Cela
a-t-il du bon sens? Cela a fait un brouhaha pendant à peu près un
mois, si je ne me trompe pas, avec Mme Bourgoin, puis on a eu des
réunions. Cela dépend. Je pense que c'est relatif à chaque
promoteur. Je crois que, pour que les projets fonctionnent, on doit quand
même maintenir les rapports et tenir des statistiques. Pour cela, je dis
oui.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Bien. Mme Harel: Vous
aussi, Mme Bérubé? Mme Bérubé: Moi aussi, je
suis d'accord.
Mme Brault: Cela prend ça. C'est mon temps.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Bélanger): Mme la
députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier nos
invités.
Mme Harel: II me restait deux minutes, même si j'en ai pris
quelques secondes.
Le Président (M. Bélanger): Je vous en prie.
Mme Harel: Vous dites dans votre mémoire: "La
présomption d'aptitude est en fait une pénalité et le
client - c'est à la page 5, à la fin - doit trouver les moyens de
démontrer l'erreur commise à son endroit s'il le peut." Dans le
fond, vous avez l'impression qu'à partir du moment où il est
déclaré apte, c'est comme si le ciel lui tombait sur la
tête et il est livré à l'arbitraire de qui décide
pour lui. C'est dans ce
sens?
Mme Brault: Oui. ils sont vraiment insécures. C'est la
panique totale quand ils arrivent. M. le ministre soulevait tantôt le
fait qu'on a des illettrés; ils ne sont pas habitués de
travailler, l'insécurité. Il y en a même qui sont
arrivés chez nous au début et qui ne mangeaient même pas
parce qu'ils n'avaient pas d'argent. Ils ne savaient pas où aller
chercher l'argent pour manger. Heureusement, au centre, le médecin offre
les repas gratuitement quand il travaille sur les heures de repas. Chez nous,
c'est un avantage qu'on leur donne. Mais c'est toute la question d'aptitude du
jeune.
Mme Harel: Est-ce qu'il vit seul, celui qui travaille?
Mme Brault: J'en ai eu qui vivaient seuls. J'en ai eu une
récemment qui vivait chez ses parents, qui était un cas
vraiment... Je veux dire que c'est... Ce que j'ai entrepris personnellement, je
suis encore la jeune. Cela fait plus d'un an qu'elle a terminé son
programme. Elle a eu de gros problèmes à l'intérieur du
programme, des problèmes, si je puis dire, suicidaires. J'ai entrepris
de vouloir l'aider. Je la suis encore et elle n'est même plus dans des
programmes de travaux communautaires.
Mme Harel: Mesdames, je veux vous remercier, Mme Brault, Mme
Bérubé. Je ne sais pas si vous retournez en
Montérégie ce soir?
Mme Brautt: Oui.
Mme Harel: Cela veut dire qu'il faut remercier M. Brault. On lui
doit un peu votre présence. Cela a été bien
intéressant. Merci.
Mme Brautt: Merci.
Mme Bérubé: Merci.
Le Président (M. Bélanger): M le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): À Mme Brault et à
Mme Bérubé, pour leur témoignage enrichissant, merci
beaucoup. Si vous pouviez rester cinq petites minutes, j'aurais probablement
quelques précisions à vous demander concernant un des sujets
évoqués.
Le Président (M. Bélanger): La commission vous
remercie infiniment et ajourne ses travaux à jeudi, 17 mars, 10 heures,
même salle.
(Fin de la séance à 21 h 15)