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Version finale

33rd Legislature, 2nd Session
(March 8, 1988 au August 9, 1989)

Wednesday, March 16, 1988 - Vol. 30 N° 4

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Élection du président et du vice-président de la commission


Consultation générale sur le document intitulé 'Pour une politique de sécurité du revenu'


Journal des débats

 

(Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît! Je demanderais à chacun de prendre sa place afin que la commission des affaires sociales puisse procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques en vue d'étudier le document intitulé "Pour une politique de sécurité du revenu".

Auditions

Ce matin, nous recevons à la table des témoins l'Église unie du Canada, représentée par Mme Faye Wakeling, Mme Lesley Lee et Mme Gayle Chouinard. Je vous explique nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes ferme pour présenter votre mémoire et il y a 40 minutes de discussion avec les membres de la commission. Chaque fois que vous avez une intervention à faire, je vous prierais de bien vouloir vous identifier avant de la faire pour les fins de transcription au Journal des débats. Je vous prierais de vous identifier et de présenter votre mémoire.

Église unie du Canada

Mme Wakeling (Faye): Mon nom est Faye Wakeling. Depuis sa fondation, l'Église unie du Canada a été impliquée dans la lutte pour la justice sociale et nous continuons à travailler contre les conditions de pauvreté qui sont sévères et croissantes. Bien que notre Église ne soit pas aussi bien connue à Québec que l'Église catholique, il est important de souligner notre implication dans les divers secteurs de notre société québécoise, particulièrement avec les travailleurs à bas revenus de beaucoup de centres urbains et de régions rurales, par notre soutien et nos subventions à beaucoup de groupes populaires de base partout dans la province.

Je suis personnellement la directrice d'un centre communautaire de l'Église unie à Montréal, dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, où je travaille directement avec les assistés sociaux et les assitées sociales, les chômeurs et les chômeuses, les femmes et les enfants qui seront affectés directement par la réforme de l'aide sociale telle qu'elle est devant nous.

Il y a quatre ans, l'Église unie a énoncé une politique s'appliauant au contexte d'aujourd'hui, s'intitulant "L'Eglise et la crise économique". On y affirme "que la façon dont notre société traite les pauvres et les opprimés est pour nous le test de la présence rédemptrice de Dieu et de la justice humaine", II s'ensuit donc "que les besoins des pauvres doivent avoir priorité sur tes désirs des riches, fa liberté des dominés doit avoir priorité sur la liberté des puissants et que la participation des marginalisés doit avoir priorité sur la préservation d'un ordre qui les exclut". Nous chercherons donc une réforme qui offre des solutions fondamentales pour la promotion de la dignité humaine.

Nous faisons l'évaluation et la critique du document d'orientation à la lumière des principes suivants affirmés par notre Église. Premièrement, nous soutenons l'augmentation du taux minimal d'aide sociale afin d'assurer que le soutien ne soit pas plus bas que le seuil de pauvreté de Statistique Canada. Comment pouvez-vous défendre une autre base que celle-ci? Comment pouvez-vous continuer à accepter qu'au Québec une famille sur cinq demeure dans la pauvreté? Actuellement, au Québec, les taux observés en milieux défavorisés de bébés sous-alimentés se comparent à ceux des pays du tiers monde. Présentement, dans certains quartiers défavorisés de Montréal, comme Pointe-Saint-Charles, la longévité à laquelle on peut s'attendre est de neuf ans inférieure à celle des quartiers favorisés.

Deuxièmement, nous affirmons la nécessité d'introduire un revenu annuel garanti adéquat pour tous nos concitoyens et toutes nos concitoyennes. Ce n'est pas seulement le montant pour vivre qui est important, mais aussi la façon dont le système social en place fonctionne afin d'assurer les moyens de vivre dans le respect et la dignité des personnes. Le système actuel ne respecte pas la dignité des personnes et, de plus, le document d'orientation est basé sur la culpabilité, les soupçons et les punitions des assistés sociaux et assistées sociales.

Troisièmement, nous demandons une politique et un programme de plein-emploi comme principe clef pouvant valoriser la contribution humaine de chacun et chacune. Il y a beaucoup de gens et de congrégations de notre Église qui ont étudié ce document d'orientation selon ses perspectives de justice et qui ont écrit à M. Paradis pour exposer leurs grandes préoccupations face à la reforme proposée qui annonce une aggravation de la misère humaine et sociale au Québec. Les membres de notre Église continueront à faire entendre la voix des pauvres et chercheront vos réponses en vue d'une plus grande justice, d'une plus grande solidarité et d'une plus grande compassion sociale.

Mme Lee (Lesley): Je vais continuer. Je suis Lesley Lee, membre du comité sur la pauvreté et l'économie. Nous présumons que vous avez lu notre mémoire. Ici, au lieu d'entrer dans les détails de la réforme, nous voulons regarder la question suivante: Quelle est la vision de la société qui a dicté la réforme de l'aide sociale?

Premièrement, c'est une société où l'économie prime. Puisque la présente réforme de l'aide sociale a déjà été élaborée en 1984 dans le livre blanc sur la fiscalité des particuliers, je me permets de citer quelques lignes de ce dernier document car je le trouve très explicite sur la philosophie qui l'inspire, philosophie qui a d'ailleurs sous-tendu une réforme identique de l'aide sociale aux États-Unis.

Sur la page couverture du livre blanc, on lit que c'est - et je cite - "en protégeant et en stimulant d'abord la création de la richesse avant de prétendre la partager que les réformes de taxes et de transferts doivent s'effectuer." L'avant-propos de ce même document conclut avec la phrase suivante: "II n'y a pas d'espoir pour la justice sociale dans une économie en décroissance."

Cette vision de la société fait de la croissance économique une priorité dont la dasse capitaliste constitue le moteur. Justement, sous prétexte de stimuler le capital, Québec et Ottawa ont modifié les régimes fiscaux en réduisant constamment le fardeau fiscal des plus riches de notre société. Quant aux subventions à l'industrie, le Québec a embarqué dans une politique de financement de la réussite. Le but est le même: mettre plus d'argent entre les mains des gros investisseurs.

Dans cette société où la croissance économique constitue l'objectif et les valeurs ultimes, les personnes n'ont d'importance que dans la mesure où elles contribuent à cette croissance économique. Ceux et celles qui ne contribuent pas au PNB sont rejetés ou marginalisés: les femmes au foyer, les chômeurs et les chômeuses, les assistés sociaux, les jeunes, les vieux. Le péché ultime devient la non-participation à la production monnayable de biens et de services.

La logique de cette vision économique de la société exige qu'on classifie les citoyens et les citoyennes en deux catégories: ceux qui contribuent au PNB et ceux qui n'y contribuent pas. Ceux et celles qui, en raison de l'âge ou d'un handicap sévère, sont dans l'impossibilité d'y contribuer sont étiquetés inaptes. L'État en fera des cas de charité tout en les maintenant au strict minimum et en les isolant du reste de la société, mais tout en se gardant le droit d'en réduire le nombre si le coût de leur soutien devient trop onéreux. Je me réfère ici à la fiche no 11 du document interne de la direction des politiques et des programmes de revenu. Tous les autres qui ne contribuent pas au PNB sont déclarés aptes au travail. Ils doivent assurer une participation minimale au marché du travail pour assurer leur survie et la survie de leurs dépendants.

Deuxièmement, c'est une société de charité plutôt que de justice sociale. Le gouvernement du Québec se présente, dans tous ses documents économiques, comme le grand dispensateur de charité aux pauvres qui ne font qu'essayer d'en avoir plus et de tricher l'État. Ces cas de charité aiment tellement leur condition de dépendance de l'État qu'ils essaient par tous les moyens d'y rester. L'État se présente comme le père qui a trop gâté ses enfants et, en bon père de famille, l'État a décidé qu'un bon coup de pied bien placé leur ferait du bien.

L'image de l'État paternaliste et charitable fait abstraction des longues luttes menées au Québec depuis 30 ans pour bâtir une société non pas de charité, mais de justice sociale. Les programmes sociaux n'ont jamais été mis en place spontanément par l'État. Ils sont le résultat de longues luttes et, à chaque occasion qui se présente, ce gouvernement a tenté de réduire ou de faire disparaître ces programmes. L'argent pour nos programmes sociaux vient des poches des citoyens et des citoyennes du Québec. Quand l'État annonce qu'ils coûtent trop cher, c'est parce qu'il préfère utiliser notre argent à d'autres fins.

La récession économique a été le prétexte pour le gouvernement de trancher dans les programmes sociaux, mais la supposée relance économique nous fait voir clairement qu'il n'y a pas d'espoir pour la justice sociale dans une économie en croissance non plus, car l'État veut faire oublier la justice sociale avec ses notions de solidarité et de dignité humaine et revenir à la charité d'y penser par une classe et un État capitalistes.

Troisièmement, c'est une société où on blâme les victimes. En plaçant la majorité des bénéficiaires de l'aide sociale dans la catégorie des aptes au travail, l'État les présente constamment comme des personnes qui ne veulent pas travailler et qui ont besoin de mesures punitives pour les inciter au travail. Les bénéficiaires de l'aide sociale deviennent les boucs émissaires pour toutes les failles dans le système économique actuel. C'est le bon vieux jeu de ce qu'on appelle en anglais "blame the victim". On culpabilise les sans-emploi pour le fait que le système économique actuel ne peut admettre le plein-emploi.

On demande une politique de plein-emploi. L'État a répondu dans le livre blanc que la "désincitation presque totale qui a été fabriquée par l'aide sociale risque de rendre illusoire toute politique de plein-emploi et de pleine activité." Donc, il faut d'abord régler le problème de la désincitation au travail des assistés sociaux avant de s'attaquer au problème du sous-emploi. C'est comme si le fait de forcer des milliers de gens à se battre pour des emplois permettra soudainement la création d'emplois. Le seul résultat sera la détérioration des conditions de travail et la "précarisation" de l'emploi pour près de 1 000 000 de personnes qui entreront dans un jeu de chaise musicale pour les emplois au bas de l'échelle. L'État veut nous faire croire que le système économique est parfait et que ce sont les gens qui sont croches, trop exigeants, mal formés, pas assez scolarisés, trop scolarisés, avec un manque d'initiative et des valeurs improduc-

tives.

Quatrièmement, c'est une société qui convertit la responsabilité collective en responsabilité familiale. Dans le document d'orientation l'État a redéfini son rôle social et a nommé un nouveau responsable pour le bien-être collectif: la famille. Et je cite ici: "L'aide sociale doit tenir compte des lignes de solidarité, de responsabilité qui unissent les membres d'une famille et ne doit pas remplacer les contributions et les fonds de secours déjà existants dans la famille. L'aide sociale, en effet, ne doit pas se substituer aux responsabilités parentales et aux obligations filiales."

Le rôle social de l'État est déchargé sur les familles. Ceci n'est pas nouveau avec la réforme de l'aide sociale. Depuis six ou sept ans, au Québec, on coupe de l'argent dans les services tels que l'éducation et la santé. On refuse de financer de façon significative les garderies et l'éducation supérieure. On désinstitutionnalise les malades, les handicapés, les personnes âgées. On les retourne dans leur famille. Et l'aide aux parents diminue d'année en année. Maintenant, l'État veut faire vivre les adultes sans emploi par leur famille.

Économiquement, c'est facile à comprendre. L'État a toujours souhaité une unité économique familiale car elle coûte beaucoup moins cher. Et, quand les individus à l'intérieur d'un ménage souffrent, l'État peut pointer du doigt et dire: Ce sont de mauvaises familles, mais ce n'est pas notre affaire. Avec la réforme proposée, bien des familles n'en auront même pas assez pour satisfaire leurs besoins essentiels de base mais, quand les enfants se retrouveront dans les rues à mendier ou à faire de la prostitution, l'État pourra dire: Mais c'est la faute des parents qui ne veulent pas travailler. (10 h 30)

Cinquièmement, c'est une société qui n'a pas de place pour les jeunes. Le sort des jeunes est particulièrement inquiétant. Comment devien-dra-t-on adulte dans ce paradis économique? Pas en ayant ses 18 ans, ni ses 21 ans, ni ses 30 ans. Peut-être à 55 ans? Qui va vouloir mettre au monde un enfant dans cette société de dépendance familiale? Les parents qui doivent assumer leurs enfants jusqu'à ce que ces derniers atteignent 55 ans vont sûrement s'assurer que la reproduction s'arrête là. La prochaine étape - vous y avez sûrement pensé - ce serait de prendre en considération les revenus des enfants lors de l'attribution des pensions de vieillesse et de toute autre aide aux personnes âgées. Quant à la promesse de parité pour les jeunes, c'est une menterie publique éhontée, et vous le savez.

Sixièmement, c'est une société qui tourne le dos à la pauvreté. Pour qu'on n'ait pas de remords comme société au sujet des pauvres, le gouvernement nous assure dans son document d'orientation que les pauvres n'ont pas les mêmes besoins que le reste de la population. Apparemment, cela coûte moins cher aux familles ou individus pauvres pour se loger et pour se nourrir. De plus, ils n'ont pas besoin de vie culturelle, de loisir, de fête. Lorsque les personnes considérées comme aptes au travail sont en période intensive de recherche d'un emploi, elles n'ont pas besoin de se laver, de s'habiller, de se transporter ou d'acheter des journaux. Les femmes enceintes et les familles avec des enfants de moins de deux ans peuvent s'accommoder de prestations réduites et, par magie, quand les enfants atteignent l'âge de deux ans, ils n'ont pas besoin de leur mère. Un peu plus grands, ces mêmes enfants n'ont pas besoin d'articles scolaires ou de participer aux activités parascolaires ou à des loisirs, pas de patin, pas de cinéma, pas de lunettes et jamais de sortie aux vacances.

Cette vision de la société où l'économie prime, basée sur la charité plutôt que sur la justice sociale, où on blâme les victimes et où on convertit la responsabilité collective en responsabilité familiale, où on n'a pas de place pour les jeunes et où on tourne le dos aux pauvres, cette vision ne s'est pas développée toute seule et ce gouvernement a fait des choix.

Mme Wakeling: Faye Wakeling, je vais continuer.

Le Président (M. Polak): Mme Wakeling, je veux simplement vous rappeler qu'il ne vous reste que trois minutes.

Mme Wakeling: Oui, merci. Nous revenons à ces principes de base qui, nous le croyons, doivent sous-tendre un système de sécurité du revenu, à la lumière de la critique que nous avons faite.

Premièrement, nous soutenons l'augmentation du taux minimal d'assistance sociale afin d'assurer que le soutien ne soit pas plus bas que le seuil de pauvreté de Statistique Canada. L'État déclare ouvertement qu'il n'a pas l'intention d'aligner son aide sur les besoins minimaux de santé. Les bénéficiaires sociaux doivent plutôt apprendre à survivre avec le régime élémentaire dans des logements inadéquats pour les plus pauvres de notre société. Les inaptes qui n'ont pas la possibilité de sortir de leur situation doivent endurer la malnutrition et les conditions abominables de logement qui sont le sort de 10 % des plus pauvres de notre société et dont le niveau de vie leur est fixé comme barème. Il est choquant et totalement immoral qu'un gouvernement puisse déclarer désinstitutionnalisées des conditions de pauvreté extrême pour une grande partie de sa population et ce, dans un pays qui se veut civilisé et qui est riche en ressources de toutes sortes.

Nous sommes scandalisés et troublés que vous choisissiez de proposer une réforme de l'aide sociale qui ne s'efforce pas de redresser la situation d'un nombre croissant - plus de 20 % - de ménages qui vivent dans la pauvreté

dans notre province. Quelle société voulons-nous bâtir? Quel avenir? Et pour qui? Voulez-vous construire une société à deux étages: l'un pour les riches, l'autre pour ceux que l'on condamne à la pauvreté? Nous soutenons que l'harmonie et la paix sociale se construisent au moyen d'une plus grande solidarité sociale basée sur la réduction des écarts de niveaux et des chances de vie.

Deuxièmement, l'introduction d'un revenu annuel garanti adéquat. L'objectif d'un revenu annuel garanti adéquat est de fournir la base d'une autonomie financière et de réduire les dépendances vis-à-vis du système de l'aide sociale. La réforme proposée procède à contresens de cet objectif. Par cette réforme, vous semblez vouloir échapper à votre responsabilité politique et gouvernementale de la recherche de plus de justice en mettant plus de poids sur les épaules des pauvres eux-mêmes. Votre document propose un système qui coupera complètement 17 000 jeunes âgés entre 18 et 24 ans de l'aide sociale sans considérer la capacité réelle de leur famille à les soutenir ou leur intention de les soutenir financièrement. Comment défendre votre recommandation, à savoir que même les familles qui vivent dans la pauvreté, c'est-à-dire les familles qui reçoivent le bien-être social, doivent contribuer un minimum de 100 $ par mois pour chaque dépendant adulte? Comment défendre votre décision de perdre des milliers de jeunes? De fait, nous avons tout lieu d'être inquiets de l'avenir du Québec lorsque les jeunes ne sont pas considérés comme une richesse de notre société.

Le Président (M. Polak): Mme Wakeling, en avez-vous encore beaucoup à dire? Votre temps est expiré. À moins qu'on n'enlève cela, moitié-moitié, sur le temps...

Mme Wakeling: D'accord. Une minute, s'il vous plaît!

Le Président (M. Polak): Oui.

Mme Wakeling: Merci. Le troisième point, le programme de plein-emploi. Non seulement cette réforme n'est-elle pas liée à une stratégie prioritaire de l'emploi mais, de plus, cette réforme proposée grugera encore davantage la stabilité de l'actuel marché de l'emploi par des mesures telles que la proposition "grant diversion", des subventions salariales aux employeurs, ce qui risque de créer des coupures d'emplois existants et de projets d'emplois que certains qualifiaient de bidons.

La réforme parle d'incitation au travail par des programmes d'éducation et de formation mais, selon vos fiches, ce ne sera possible que pour 20 % des personnes admissibles à trouver un emploi, c'est-à-dire que 60 000 bénéficiaires y participeront. Dans la documentation supplémentaire, il est expliqué que le nombre de participants à ces mesures a été plafonné en fonction de la capacité du gouvernement à offrir de telles mesures. En même temps, votre réforme se propose de punir et de culpabiliser tous ceux et toutes celles qui n'ont aucune chance de participer au programme.

Nous sommes en face d'une pression accrue sur les pauvres de notre société, puisque la réforme proposée n'assure pas le bien-être fondamental de nos concitoyens. Nous devons vous exprimer notre profonde déception. Nous cherchons une réforme qui s'efforce de répondre aux besoins de la dignité humaine et de la justice sociale. Nous avons, hélas, trouvé une proposition de réforme injuste et même cruelle. En enfonçant les pauvres dans la pauvreté, elle tourne le dos à l'espérance.

Le Président (M. Polak): Merci. La parole est maintenant au ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je voudrais remercier l'Église unie du Canada et ses représentantes et pour le mémoire écrit et pour la représentation verbale. Je pense que c'est Mme Wakeling qui, au tout début, mentionnait que l'Église unie du Canada était peut-être moins bien connue à Québec que l'Église catholique, mais qu'elle oeuvrait dans les régions du Québec. Je peux en témoigner. Dans la circonscription électorale que je représente, l'Église unie du Canada est implantée aux quatre coins et même au centre, ce qui m'a permis des discussions privilégiées avec certains membres du clergé de l'Église unie du Canada concernant, oui, la politique que nous avons devant nous ici aujourd'hui, mais également concernant d'autres politiques gouvernementales. Vos gens sont impliqués dans toutes les dimensions des dossiers, qu'il s'agisse de la dimension économique, de la dimension sociale ou de la dimension religieuse. Ils ont à coeur le mieux-être de leurs concitoyens.

Vous me permettrez, en commençant, de tenter de vous convaincre ou de plaider en vue de vous convaincre que le portrait que nous faisons de la clientèle de l'aide sociale n'est pas celui que vous nous avez décrit ou que vous avez pensé qu'on vous avait décrit. À partir des chiffres du mois de mars 1987, on constate que quelque 400 000 chefs de ménage n'avaient comme seul moyen de subsistance que les prestations de l'aide sociale au Québec.

Quelles sont les caractéristiques de cette clientèle? À peu près 25 % de cette clientèle, soit 100 000 chefs de ménage, serait des gens admissibles au programme Soutien financier. Ce sont des gens qui, pour une longue période de leur vie, sont incapables de subvenir, bien qu'ils soient productifs dans certains cas... Hier, quelqu'un a utilisé une expression intéressante: "productifs, mais non compétitifs sur le marché du travail". Ces 25 % se retrouveraient admissibles à un programme où leurs prestations seraient augmentées de quelque 1000 $ par année, comparativement au système actuel. Cela peut

sembler peu pour des gens qui ont des revenus beaucoup plus importants mais, pour ces gens-là, il s'agit quand même d'une augmentation que nous considérons, sur le plan gouvernemental, comme substantielle. Le coût total net additionnel est de quelque 100 000 000 $ indexés annuellement.

En ce qui concerne les autres 300 000 ménages, 75 % de la clientèle dite apte au travail... Vous avez raison de nous mettre en garde quant à l'utilisation du terme "apte". Bien que ces gens-là possèdent ce qu'on appelle généralement les capacités physiques de remplir un emploi, il devient de plus en plus difficile pour ces personnes et, dans plusieurs cas, impossible de se dénicher un emploi si l'on tient compte des exigences du marché du travail au moment où l'on se parle. Cette clientèle de 300 000 chefs de ménage est composée de 36 % d'individus qui sont des analphabètes fonctionnels, c'est-à-dire que ces personnes-là ne peuvent même pas prendre connaissance de l'offre d'emploi que vous retrouvez dans un journal. De plus, 60 % de cette clientèle n'a pas terminé son cours secondaire. Si vous énumérez ou si vous faites la liste des offres d'emplois, vous verrez que, dans une proportion très importante, pour avoir l'autorisation de poser sa candidature à un emploi qui est ouvert, on exige d'avoir terminé son cours secondaire. Aussi, 40 % de cette clientèle - c'est plus particulièrement vrai chez les femmes - n'a aucune expérience antérieure de travail. Là encore, pour pouvoir poser sa candidature à plusieurs offres d'emplois, on exige une expérience antérieure de travail.

C'est donc là la clientèle qui était bénéficiaire de l'aide sociale en mars 1987 et qui a diminué depuis ce temps-là. Elle était en augmentation constante jusqu'en mars 1986. Depuis mars 1986, la clientèle est en diminution, surtout chez les jeunes.

Nous avons le choix, comme gouvernement, de perpétuer le système mis en place à la fin des années soixante, début des années soixante-dix, et de poster à ces gens que je viens de vous décrire, sur une base mensuelle, un chèque, en tentant de se libérer la conscience en disant: Nous avons fait ce que la société avait à faire pour ces gens; nous les marginalisons, nous les oublions, nous les stationnons en marge de cette société et nous créons à ce moment-là - c'est ce que vous avez mentionné dans votre conclusion - presque deux sociétés au Québec: ceux et celles qui partagent la richesse ou qui participent à la vie économique et ceux et celles qui sont complètement laissés de côté.

Nous avons opté, autant pour les personnes qui sont admissibles au programme Soutien financier que pour les personnes admissibles au programme APTE et au programme APPORT, pour investir dans leur employabilité de façon qu'elles aient une chance de se trouver un emploi. C'est 100 000 000 $ - je l'ai indiqué - pour les 100 000 personnes admissibles au programme

Soutien financier; 45 000 000 additionnels, parce qu'il y a abolition du programme SUPRET que vous devez sans doute bien connaître et son remplacement par le programme APPORT, mais à un coût additionnel de 45 000 000 $ d'argent frais et nouveau également...

En ce qui concerne le programme APTE, c'est un peu un défi que le gouvernement se lance et lance aux groupes communautaires, au patronat, aux syndicats ainsi qu'aux assistés sociaux. Le gouvernement ajoute en argent nouveau et frais 445 000 000 $ sur une base annuelle, si on obtient une participation à 100 % dans les programmes d'employabilité. Là-dessus, j'en profite pour vous dire que dans le document que vous avez cité - j'ai eu à en confirmer certaines parties et à en nier certaines autres - la partie que vous avez mentionnée, les 20 % de plafonnement, c'était une... Ce document a été préparé au ministère tout comme dans le cas du salaire minimum. On me prépare des documents tous les ans me demandant de ne pas augmenter le salaire minimum ou me demandant de l'augmenter. Si vous mettez la main sur les documents préparés qui disent "ne l'augmentez pas", vous allez dire: Le gouvernement ne l'augmentera pas. Si vous mettez la main sur le document qui dit de l'augmenter, vous allez dire que le gouvernement va l'augmenter. Cela fait partie des documents de travail, mais cela n'a absolument pas été retenu par le ministère que je dirige. Donc, 445 000 000 $ d'argent additionnel à ce chapitre. (10 h 45)

On ne prétendra pas que notre approche est parfaite et, surtout, que notre approche ne serait pas utopique s'il ne fallait pas compter sur les autres secteurs économiques pour la création d'emplois. Mais, de mois en mois, nous recevons des nouvelles qui, sans être excellentes sur le plan de la création d'emplois, sont encourageantes. Les dernières statistiques de février à février sont les plus récentes, de la semaine dernière, février 1987 à 1988. On a fait la soustraction des emplois perdus, on a additionné les emplois créés et cela donnait 104 000 nouveaux emplois. La qualité de ces emplois: 99 000 étaient à temps plein et 5000 à temps partiel. Les secteurs où ces emplois ont été créés: 43 000 dans le secteur manufacturier, 24 000 dans les services, 21 000 dans la construction et 21 000 dans le secteur des finances, des assurances et des affaires immobilières. C'est un peu le décor dans lequel nous nous situons.

Maintenant, il y a des questions précises auxquelles vous vous attaquez et qui méritent réflexion de notre part et de votre part pour qu'on tente de bonifier les principes mis de l'avant. Vous avez attiré notre attention sur ce que j'appelle la contribution alimentaire parentale et vous avez dit: Vous exigez une contribution minimale de 100 $ à tous les parents, quels qu'ils soient, etc. Je vous dirai que vous avez raison dans la description que vous en avez faite. C'est

exact, ce que vous avez dit, sauf que, comme ministre ou comme gouvernement, nous avons un choix à faire quant à cette contribution alimentaire parentale. Elle existe, comme vous le savez sans doute, en ce qui concerne les prêts et bourses aux étudiants, le système de prêts et bourses aux étudiants. Elle est identique en ce qui concerne les prêts et bourses aux étudiants.

Les questions de base que nous nous posons et sur lesquelles j'aimerais recevoir vos lumières sont les suivantes: Est-ce qu'on peut se permettre d'avoir, dans le programme de dernier secours qui s'appelle le programme de sécurité du revenu, un régime plus avantageux pour les jeunes qui choisissent l'aide sociale que pour les jeunes qui choisissent de compléter leurs études ou de poursuivre leurs études? Est-ce qu'on ne risque pas d'attirer ces jeunes du système scolaire vers l'aide sociale? Première question.

Deuxième question concernant ce même sujet: Est-ce que les parents dans une société ont des obligations envers leurs enfants qui doivent différer suivant le choix que l'enfant fait? Est-ce que l'obligation du parent est différente si l'enfant choisit de compléter ses études, ou s'il choisit de poursuivre ses études ou si l'enfant choisit de devenir un assisté social? Sur ces deux points, j'aimerais avoir votre opinion précise.

Mme Lee: Est-ce que je peux répondre?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, je pose la question aux représentantes.

Mme Lee: D'abord, j'ai mentionné les choix du gouvernement et M. Paradis a dit, à deux reprises: Nous avons eu des choix à faire. Mais les choix que vous présentez sont des choix très restreints à l'intérieur d'un système qui est déjà décidé. Si on prend l'exemple... Je vais revenir aux deux questions, parce que ce sont les mêmes genres de choix, mais si on prend l'exemple des familles monoparentales qui ont de gros problèmes qui ont été mentionnés depuis le premier livre vert sur la politique familiale, si on prend le cas des familles monoparentales et les coupures qui ont été faites, le choix du gouvernement, dans ces cas-là, cela a été explicité d'abord dans les coupures dans la fiscalité où on a dit que le premier enfant d'une famille monoparentale ne vaut pas un autre adulte dans la famille, mais peut-être un enfant et demi, environ. En tout cas, on a décidé de figer la déduction. Dans la réforme de l'aide sociale, il y a des coupures pour les familles monoparentales.

Le choix de l'État, rendu à ce point-là, est bien sûr soit de les couper ou de les aider un peu plus, mais on parle de choix plus fondamentaux que cela. On parte du choix de soutenir les femmes à l'intérieur des familles, de soutenir l'autonomie financière des femmes et d'avoir un système fiscal qui ne pénalise pas les femmes et qui ne transfère pas le fardeau fiscal à ces femmes, de faire des politiques qui misent sur l'autonomie financière de tous les individus adultes - à 18 ans, normalement, c'est l'âge -tandis que toutes nos politiques vont dans l'autre sens.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne voudrais pas vous interrompre, ce que vous énoncez est un vrai débat, sauf que je ne sais pas si vous partagez mon opinion mais le forum auquel s'adresse ce débat en est un de fiscalité globale.

Mme Lee: Mais c'est justement le problème, je trouve.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce que je vous dis, c'est que vous pouvez me l'adresser. Je vais tenter de faire les représentations appropriées le plus fidèlement possible à partir de fa transcription des débats de la commission, s'i y a lieu, à mon collègue des Finances ainsi qu'au premier ministre, sans doute. Mais une politique de sécurité du revenu dans le cadre où nous sommes confinés à la présenter au moment où nous nous parlons, même si je voulais retenir votre suggestion de modifier le programme d'aide sociale qui est totalement inadéquat et qui abandonne les gens dans la pauvreté, au moment où nous nous parlons, j'ai des difficultés de responsabilités pour vous donner une réponse qui pourrait vous satisfaire.

Mme Lee: Je pense que c'est là-dessus... J'ai parlé de la situation au Québec. La réforme de l'aide sociale essaie de se restreindre seulement à la question de l'aide sociale. Sûrement qu'au gouvernement vous parlez d'une façon un peu plus large de vos dossiers individuels. Vous avez des orientations et des objectifs généraux pour la société québécoise. Un de ces objectifs ne semble pas être l'autonomie financière des adultes. Quand je parie de choix, je dis que le gouvernement aurait pu miser sur des programmes qui assurent l'autonomie financière et, surtout, l'autonomie financière dans les couples. Il y a des régimes de toutes sortes qui font que, quand les couples éclatent en divorce ou en séparation, les femmes avec leurs enfants ne se trouvent pas en situation de pauvreté, comme c'est le cas dans la majorité des séparations.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): J'ai trois questions que vos propos soulèvent. Cela ne me fait rien d'en discuter, bien que ce soit large. Lorsque vous parlez de l'autonomie des adultes sur le plan fiscal et que vous nous demandez de tenir compte des couples, en cas de séparation ou de rupture du couple, afin qu'un des partenaires du couple ne se retrouve pas complètement abandonné, cela soulève deux questions un petit peu plus précises. Sur le plan de la fiscalité, au moment où nous nous parions, nous savons que l'approche n'est pas individuelle mais

qu'elle est davantage basée sur le couple. Même le gouvernement se fait poursuivre présentement par un notaire de Saint-Jérôme sur tout cet aspect de la fiscalité. Comment pouvez-vous rejoindre en même temps ces deux concepts, couple et individu, sur le plan de la fiscalité sans avoir deux régimes fiscaux? En cas de rupture, en cas d'abandon d'un des partenaires du couple, préconiseriez-vous des expériences telles que celles qui sont vécues, entre autres, si on regarde simplement du côté du Canada, au Manitoba, soit la perception des pensions alimentaires par le gouvernement pour ne pas qu'un des conjoints subisse cette pression additionnelle?

Mme Lee: Je pense que nous sommes dans un débat qui, premièrement, me passionne parce que j'ai fait de la recherche sur les rapports financiers dans les couples et, deuxièmement, qui est très large. Je vais essayer d'être très brève parce qu'on a autre chose à discuter.

Dans le cas de la fiscalité, depuis un certain nombre d'années, je dirais depuis une dizaine d'années au Québec, on peut faire l'analyse des effets de chaque modification fiscale sur les femmes. Il y a plusieurs femmes mères de famille qui paient présentement des impôts comme célibataires. Pourquoi? La majorité des femmes ont un revenu inférieur au revenu de leur mari. Toutes les déductions qui deviennent transférables se retrouvent dans la déclaration du mari. Il y a donc tout cet aspect chez les femmes qui ont des salaires au bas de l'échelle. On a plusieurs études au niveau fédéral là-dessus. On commence à en avoir aussi au niveau provincial qui démontrent que le fardeau fiscal des plus pauvres, des gens qui paient de l'impôt mais qui sont au bas de l'échelle, augmente. Il a augmenté dernièrement au fédéral. On a parlé d'une augmentation d'environ 82 % ou 85 %. Il y a 850 000 nouveaux contribuables au niveau fédéral depuis un certain nombre d'années et on vit la même chose.

Le Président (M. Polak): Mme Lee, excusez-moi. Il ne reste que deux minutes de votre temps. Peut-être devriez-vous répondre aux deux questions concrètes qui vous ont été posées. Si vous le voulez, prenez vos deux minutes ou continuez le débat.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): La discussion est intéressante. Je ne veux pas vous ramener aux réponses directes.

Le Président (M. Polak): Mais il ne reste que deux minutes.

Mme Lee: Je dois peut-être y revenir parce qu'il y a d'autres questions très importantes aussi qui sont plus dans le sujet.

Il y a la question des prêts et bourses. Pour avoir enseigné à un moment donné dans un cégep, je connais la situation. La question est que le système des prêts et bourses est très contesté. Il y a beaucoup de failles et, justement, il y a la faille des parents qui ne contribuent pas mais qui sont considérés par le système comme étant capables. Qu'est-ce qui reste au jeune? C'est d'amener ses parents en cour parce qu'ils ne le supportent pas. Il n'y a pas de façon de contrôler cela.

Il y a aussi l'idée que les jeunes au Québec, à partir de 18 ans - ce n'est pas seulement pour les prêts et bourses, où on peut dire qu'ils ont leur éducation et après cela va bien aller - tous les jeunes tombent sur le même système qui peut les garder très longtemps dans une situation de dépendance financière envers les parents à un moment où les enfants coûtent le plus cher et où il n'y a aucune aide de la part de l'État. Moi, j'ai trois enfants en haut de 18 ans et je sais ce que cela veut dire en termes de perte des allocations familiales. Quand les plus âgés ont eu 18 ans, l'allocation familiale diminuait de 100 $ chaque fois. Quand un de mes enfants a eu 18 ans et que j'ai perdu 100 $, il a "scrapé" mon char dans la même semaine.

Donc, ce sont des situations qui nous font dire qu'au Québec il faut avoir des enfants jeunes. Là, il y a toutes sortes de subventions maintenant. Je les ai manquées, mais elles sont là. Mais il ne faut pas avoir des enfants adolescents et des enfants en haut de 18 ans non plus. Quand je vois que je vis dans une société où ces enfants-là vont m'appartenir, économiquement, jusqu'à ce qu'ils trouvent un job, qu'ils y restent pour une couple d'années, ou jusqu'à ce qu'ils aient un bac ou qu'ils fassent un bébé... Cela est un autre choix. J'espère que ce n'est pas cela.

Le Président (M. Polak): Mme Lee, excusez-moi, le temps du ministre est expiré. La parole est à Mme la députée de Maisonneuve.

Donc, excusez-moi, mais peut-être qu'elle vous laissera continuer, elle fait cela très souvent. C'est très gentil.

Mme Harel: Cela me fait également plaisir de vous accueillir à la commission. C'est notre dixième journée d'audience aujourd'hui, notre quatrième semaine, et le ministre est toujours aussi incorrigible. Je lisais dans Le Devoir, ce matin, un editorial signé par Jean Francoeur qui disait: "II devient de plus en plus manifeste que la mise en oeuvre de ce projet soulève de sérieuses difficultés que la pensée magique ne suffira pas à résoudre."

Peut-être que vous, c'est la première fois que vous l'entendez, mais, moi, c'est la quatrième semaine que je l'entends exprimer des bons sentiments. Ici, si la bonne foi se présume, c'est la mauvaise foi qui se prouve. Les bons sentiments consistent à dire: On ne va quand même pas continuer à envoyer les chèques sans s'occuper des gens. Mais je pense qu'il y a une sorte de vraie honte à faire croire aux gens que c'est pour leur bien qu'on va les couper et les mettre

dans plus de pauvreté.

Dans la mesure où les mots pour le dire ne suivent pas les moyens pour le faire, on appelle cela habituellement un discours démagogique. Dans la mesure où on parle de l'analphabétisme et de la sous-scolarisation et qu'il n'y a aucun plan, aucune campagne de scolarisation sur la table, aucune conversation engagée avec le monde de l'enseignement pour corriger cette situation, comprenez que c'est comme les litanies de la procession de la Fête-Dieu. Vous vous rappelez quand on chantait des litanies? Parfois aussi, cela me fait penser à d'autres sociétés qui, à force de répéter, pensent que la pluie va tomber. Il n'y a pas de moyens qui sont mis sur la table présentement, notamment, pour faire face à ces problèmes de sous-scolarisation qui sont quand même certainement alarmants et au problème aussi d'un système d'éducation qui a des déficiences puisqu'il continue d'en produire annuellement. (11 heures)

Je voudrais examiner avec vous, dans votre mémoire, la question des personnes qui auront l'avantage des programmes APPORT et SUPRET. J'espère que vous nous laisserez les notes de votre intervention. Remarquez qu'on aura la transcription, mais je crois qu'il serait intéressant d'examiner cela avec vous plus à fond. Auparavant, juste une phrase sur l'employabilité. Le ministre a dit - je le cite au mot - "Nous avons voulu investir dans leur employabilité". Ici même, hier, des organismes vous ont précédés; entre autres, des organismes provenant des régions de Trois-Rivières et de Nicolet se sont adressés à la commission et ont expliqué que cela faisait plusieurs mois qu'ils avaient demandé des travaux communautaires; en janvier, dans un cas. Ils avaient répété la demande au mois de mai et en août, et c'est tout dernièrement qu'ils venaient d'obtenir une réponse. Même l'application des mesures actuelles, du genre travaux communautaires et autres, à une catégorie de moins de 30 ans avec l'incitation financière de doubler les prestations, même cela... En tout cas, la preuve n'est pas faite et le moins qu'on puisse dire, c'est que les études qui nous permettraient de vérifier qu'il est en mesure de les offrir, si le ministère en a, il ne les a pas rendues publiques.

Si le ministre était sérieux dans sa volonté qu'il vous renouvelait d'offrir une pleine participation au coût de 445 000 000 $, il ferait disparaître la catégorie admissible. Pourquoi la catégorie admissible, sinon pour faire l'antichambre en attendant qu'un programme soit prêt quand on veut y participer? La catégorie admissible, c'est quand quelqu'un dit: Je veux, je suis prêt, quand, où, comment, et qu'on lui dit: Attendez. Sinon, il n'y a pas de raison d'avoir une catégorie admissible.

J'aimerais savoir si vous avez des idées sur la question de l'employabilité. Il y a des groupes qui sont venus ici dire au ministre: Faites attention, il y a des conditions. Une des conditions, c'est qu'il faut qu'il y ait de la place sur le marché du travail; sinon, c'est condamner les gens à se promener d'une mesure à l'autre et il y a, à ce moment-là, une sorte d'habituation aux mesures. Il faut qu'il y ait une véritable évaluation des mesures; sans cela, la qualité va être dévaluée. De plus, cela va devenir, d'une certaine façon, un discrédit général d'y participer. Il faut, disent les CEMO, qu'il y ait du personnel compétent. Il y a incompatibilité de faire jouer à un agent le rôle de contrôle et en même temps de soutien pour participer aux mesures.

Parmi les autres conditions essentielles, selon tous les groupes qui sont venus témoigner, il y a une participation volontaire des bénéficiaires eux-mêmes, auquel cas l'employabilité est discréditée. Je ne sais pas si vous avez des idées sur cette question de l'employabilité puisque c'est là-dedans que le ministre dit vouloir investir, mais ce serait peut-être bien de lui indiquer dans quelle voie il faut investir.

D'autre part, je pense, Mme Lee, ne pas interpréter la réponse que le ministre vous a donnée quand vous parliez de fiscalité. D'une certaine façon, il a dit: Moi, c'est l'aide sociale; je peux toujours transmettre cela à mes autres collègues, mais mon "bag", dans le fond, c'est l'aide sociale. Mais cela s'appelle quand même une politique de sécurité du revenu; ou bien le titre est trompeur, ou il faut s'ajuster. Une politique de sécurité du revenu, ce n'est quand même pas seulement une réforme de l'aide sociale. C'est pour tout le monde, la sécurité du revenu. Vous avez peut-être des choses à dire au ministre là-dessus, notamment sur la pauvreté des gens qui ne sont pas bénéficiaires de l'aide sociale, mais qui sont pauvres bien qu'ils travaillent.

Je reviens à votre mémoire en regard des programmes SUPRET et APPORT. D'abord, une chose m'est apparue à la lecture de votre mémoire. Vous concevez qu'il y aura, pour les familles monoparentales qui vont participer à APPORT et qui partagent un logement, une réduction de 115 $. Dans le document confidentiel rendu public par le front commun, c'est un montant de 160 $ qui serait finalement affecté à une famille monoparentale qui partage un logement: 160 $ par famille. Le ministre a dit que, dans ce document, il y a des choses qu'il entérine et d'autres qu'il n'entérine pas. Celle-là, est-ce qu'elle est vraie? Je pense que c'est la bonne occasion qu'il a de nous le dire parce que 160 $ par famille, deux chefs de famille qui vivent ensemble avec leurs deux enfants ou trois enfants, c'est, au départ, 320 $.

Je voudrais vous faire distribuer un tableau. Cela ne vous dérange pas, Mme Lamontagne?

La Secrétaire: Non.

Mme Harel: C'est le tableau qui nous vient du ministère des Finances qui a calculé les taux

d'imposition des personnes qui vont participer à APPORT - chef de famille avec un enfant de moins de six ans - selon les revenus de travail qu'elles vont gagner. Vous pourrez, de toute façon, les examiner plus à fond mais vous voyez que ce sont des données fournies par le ministère des Finances.

Pour un revenu de travail de 2000 $, avec les taux d'imposition, c'est un gain annuel de 67 $.

Le Président (M. Polak): Vous avez une copie pour le ministre?

Mme Harel: Certainement. Cela me fait plaisir de la lui remettre. En plus, je l'ai souligné en jaune. Il va se retrouver encore plus facilement.

Le Président (M. Polak): Pour les autres membres de la commission aussi.

Mme Harel: II faudrait que Mme Lamontagne fasse faire des copies.

Cela veut donc dire qu'avec un revenu de 2000 $ il va lui rester 5,91 $ par mois. Si elle va chercher 4000 $, je pense, de mémoire, qu'il lui reste 21 $ par mois. Mais, là-dessus, je ne pense pas qu'on ait calculé sa réduction de 160 $ si elle partage son logement. Ce sont des chiffres... Ce n'est pas moi, ce n'est pas l'Opposition, ce ne sont pas des groupes, c'est le ministère des Finances qui fournit ces chiffres. En d'autres termes, cela ne lui rapportera rien du tout.

On pourrait peut-être reprendre avec vous les exemples que vous donnez dans votre mémoire pour le programme APPORT. Je ne vous pose pas les questions à vous, mais je ne peux pas penser que le ministre ne peut y répondre. Quand le programme va-t-il débuter? Dans La Presse d'aujourd'hui, la ville de Montréal dit que cela va commencer le 5 avril. Le 5 avril, c'est après Pâques. Après Pâques, c'est dans trois semaines. Est-ce que cela va être rétroactif au 1er janvier? Quand les formulaires du programme SUPRET - parce que SUPRET existe encore pour ceux qui ont à faire leur déclaration d'impôt. Les fonctionnaires disent que les formulaires ne seront pas disponibles avant quinze jours. Le ministre, lui, nous dit quand? Il en est responsable. C'est un programme de sécurité du revenu. Quand les formulaires vont-ils être disponibles pour le programme SUPRET de cette année, pas de l'an prochain? Va-t-il prolonger le programme? La date limite du 28 avril, cela s'en vient vite. Est-ce qu'il prend l'engagement de prolonger le programme?

Et je voudrais vous entendre parler de SUPRET. Vous semblez regretter SUPRET. Le ministre, lui, pense que c'est un bon débarras. Qu'en pensez-vous?

Mme Lee: Concernant le programme SUPRET, nous partageons les critiques à son sujet et nous déplorons le fait que le montant soit retourné presque un an et demi après. Beaucoup de critiques ont déjà été faites. L'avantage dans le programme SUPRET, c'est la question de contrôle et de dignité humaine, car SUPRET est quand même resté un programme lié à la fiscalité qui est très honorable, plutôt que le programme APPORT qui est très étroitement lié à l'aide sociale. Apparemment, en Angleterre, ils ont tenté un programme semblable à APPORT et très peu de gens admissibles qui sont allés le chercher à cause de toutes les pénalités de contrôle. On se demande aussi si les bureaux de l'aide sociale vont rester ouverts le soir pour les travailleurs qui travaillent le jour et qui ont à remplir des choses, faire des vérifications, etc.

Alors, on voit ce transfert d'une catégorie de gens... D'abord, il y a une catégorie de gens qu'on va laisser tomber. Tous les individus seuls, et on en connaît, qui comptaient sur ce petit supplément du programme SUPRET ne l'auront plus. Il y a aussi les familles qui vont être transférées d'un régime peut-être un peu plus honorable socialement, à un régime qui les introduit finalement dans tout le réseau de l'aide sociale, avec tous les contrôles.

Mme Harel: Dans les exemples que vous apportez, vous semblez conclure que le programme va agir comme un obstacle à la deuxième personne, presque toujours la femme, pour son retour à l'emploi. Est-ce là, finalement, la conclusion que vous tirez du programme APPORT?

Mme Lee: II faut d'abord dire que le document est très mince. Donc, pour les chiffres et pour essayer de comprendre le programme APPORT, il y a tout le questionnement, à savoir s'il y a quelque chose entre l'aide sociale et APPORT. Pourquoi quelqu'un adhérerait-il à APPORT? Il y a très peu de chiffres. On a cherché dans le dernier budget du Québec dans lequel le programme a été décrit. On avait encore des questions. On est allé chercher dans les fiches et c'est peut-être le moment de demander à M. Paradis ce qui est vrai et ce qui est faux dans ces informations. C'est peut-être le moment de clarifier cela, parce que beaucoup d'entre nous avons lu aussi que la coupure, c'était 160 $.

Le Président (M. Polak): Excusez, Mme Lee, le ministre peut répondre, mais toujours sachant qu'on est limité... Combien de temps reste-t-il, madame? Il reste cinq minutes. Donc, si vous voulez...

Mme Lee: Mais si Mme Harel le permet, j'aimerais que ce soit clarifié.

M. Harel: Certainement, moi aussi, absolument. Mais cela ne veut pas dire qu'il va clarifier. Cela veut dire qu'il va parler.

Le Président (M. Polak): On est ici pour se faire renseigner.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Lorsqu'on est jugé avant d'ouvrir la bouche, c'est difficile.

M. Harel: Cela fait quatre semaines. Je ne l'ai pas eu encore, ma réponse. Tant mieux si je l'ai ce matin.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): En ce qui concerne le programme APPORT, vous avez raison d'éprouver des difficultés de conciliation parfaite entre ce que vous retrouvez dans le discours sur le budget, où le programme a été annoncé par le ministre des Finances, et ce que vous retrouvez dans le programme de politique de sécurité du revenu, parce qu'il y a eu entre les deux des modifications pour harmoniser le programme APPORT avec le programe APTE et le programme Soutien financier.

Maintenant, je vous préviens immédiatement que cette harmonisation n'est pas encore complète et qu'elle nécessitera de la part du ministère des Finances une autre déclaration pour qu'en 1989 H y ait harmonisation du passage des programmes APTE et APPORT. Tant que cette déclaration n'aura pas été faite - je n'ai pas l'autorité de la faire, parce qu'elle relève d'une politique fiscale - vous allez retrouver des points d'interrogation.

Maintenant, pour ce qui est de l'application du programme pour l'année courante, oui, le programme sera rétroactif. Oui, les bureaux seront ouverts en dehors des heures de travail normales, parce que le programme s'adresse à des gens qui travaillent aux heures régulières, pour la plupart des cas. Quant au délai d'annonce, les fonctionnaires m'ont indiqué - je l'avais déjà indiqué à la commission - que, d'ici à deux semaines, on devrait avoir des formulaires de disponibles.

J'ai également insisté, comme ministre, pour que le lancement du programme, vu qu'il touche une clientèle qui est au bas de l'échelle sur le plan salarial, soit accompagné sur le plan de la publicité de tout ce que ça prend pour qu'il ait un plus haut taux de pénétration que SUPRET, parce qu'un des vices du SUPRET a été d'avoir un taux de pénétration approximatif de 25 %, ce qui est complètement inacceptable.

Mme Harel: Si on reprend avec le programme lui-même... Évidemment, j'attends pour plus tard la réponse à la question sur les formulaires du SUPRET de cette année; pour tout de suite, puisque les gens, c'est maintenant qu'ils remplissent...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...prolongé. Mme Harel: Oui. Prolongé au 31 décembre?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): On va le prolonger...

Mme Harel: Comme il était au 31 décembre pendant des années, je ne vois pas pourquoi votre attaché politique lève les bras en l'air comme si c'était inusité.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne veux pas induire la salle en erreur non plus. Il y a des déclarations qui sont faites par des attachés politiques, par des ministres et par des fonctionnaires. Celui qui a levé les bras est un fonctionnaire et non un attaché politique.

Mme Harel: Cela ne paraît pas.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne veux pas entrer dans ces dilemmes. Ce qui est important, c'est que personne ne soit privé du programme SUPRET à cause de délais administratifs qui se sont répétés depuis 1979. J'ai rarement entendu quelqu'un les dénoncer dans le passé, en tout cas, de l'autre côté de la table.

S'il y a lenteur sur le plan de l'appareil administratif, ce ne dort pas être le bénéficiaire qui en souffre et les délais doivent être prolongés d'autant.

Mme Harel: Ils ont toujours été prolongés au 31 décembre. Alors, je tiens pour acquis que ce sera la même possibilité cette année. On reprend avec le programme lui-même. Vous dites, dans votre mémoire, qu'un des vices de ce programme APPORT, c'est que ceux qui gagnent plus auront plus d'aide et ceux qui gagnent moins auront moins d'aide. Vous faites le calcul avec une famille biparentale de deux enfants. Vous en faites un avec une famille biparentale ayant des enfants adolescents.

Là, Mme Lee, ce que vous disiez - je le retrouvais dans le mémoire - c'est qu'avec des enfants adolescents, ce n'est presque plus avantageux, le programme APPORT. Cela l'est avec deux enfants s'il y a des frais de garde à ce moment-là, mais vous faites un calcul où un couple ayant deux enfants de six et onze ans et un revenu de travail de 6000 $ recevra 864 $ par an, tandis que la même famille recevra 3480 $ si leur revenu de travail est de 12 000 $. Je pense que c'est une des lacunes qu'il faut bien identifier pour pouvoir inviter le ministre à la corriger si tant est qu'il s'avère exact puisque le programme... (11 h 15)

Également dans votre mémoire, vous mentionnez qu'en plus les couples qui travaillent et qui sont sans enfant n'y auront plus accès. Il y a un groupe qui s'appelle Solidarité populaire Québec qui, hier, a plaidé le fait que parmi ces couples sans enfant la majorité - au-delà de 70 %, je pense - a une personne âgée de 55 à 64 ans, je pense. Ce sont là des personnes qui ont perdu un emploi à la suite d'une fermeture ou,

encore, 70 % avaient un chef âgé entre 45 et 64 ans. Souvent, dans ces couples, le marié a été mis à pied après une longue vie de travail et la femme a peu ou pas d'expérience. En plus du fait qu'ils sont maintenant totalement exclus du programme, vous considérez que le programme apporte peu d'avantages.

Le ministre vous a interrogée tantôt sur la question de la fiscalité individuelle. Je perue que vous préconisez une sorte de renversement de manière qu'il y ait un crédit d'impôt individuel, je crois. Pouvez-vous, en fait, nous en parler un peu plus? Cela a été à peine échafaudé devant cette commission. Il y a peu d'organismes qui nous en ont parlé, finalement.

Le Président (M. Polak): Je m'excuse. Il ne reste qu'une minute.

Mme Harel: Le député de Sainte-Anne est strict.

Le Président (M. Polak): Décidez-vous vitement à savoir qui répondra.

Mme Harel: On reviendra peut-être à la question de la réforme fiscale, mais sur le programme APPORT comme tel allez-vous recommander aux personnes d'en bénéficier et le recommanderez-vous aux groupes avec lesquels vous travaillez? Allez-vous leur recommander de s'y inscrire?

Mme Lee: C'est certain qu'on va leur recommander d'aller chercher tout ce qu'ils peuvent aller chercher parce que cela va être une question de survie. On va certainement en aviser le monde. Il n'y a pas de publicité pour dire aux gens qui ont le SUPRET présentement qu'ils n'auront plus une cenne l'an prochain. Aussi, il faut leur faire comprendre les contraintes du programme APPORT en termes de soumission à tout ce système d'aide sociale.

Mme Harel: Vous avez devant vous les données fournies par le ministère des Finances. Vous avez l'impression, avec les chiffres qui sont là, que les familles monoparentales vont pouvoir en bénéficier avec les gains de travail qu'il leur reste. Je pense que vous avez cela devant vous.

Mme Lee: Non. Certainement, on n'a jamais vu ces chiffres. On avait compris, dans le document d'orientation, qu'il n'y aurait aucune imposition jusqu'à ce qu'on termine le programme APPORT. On pensait que cela faisait partie de tout le paquet "aide sociale" et qu'à partir du moment, disons, où on ne recevait plus rien du programme APPORT on commençait à payer de l'impôt. Mais on s'attendait à une réforme fiscale dans ce sens parce que, selon les tables d'aujourd'hui, c'est certainement un problème. C'est un problème d'interprétation avec la réforme, parce qu'on n'a pas la réforme de /a fiscalité qui s'assoit à côté et qui peut nous permettre de voir ce qui va arriver réellement.

Le Président (M. Polak): Je pense qu'on en est venu au point de vous remercier.

Mme Harel: Oui. Mme Wakeling veut ajouter quelque chose.

Mme Wakeling: Oui, je veux ajouter qu'avec toutes les questions sur APPORT on a oublié la question fondamentale: Pourquoi avons-nous besoin d'un programme comme APPORT? Avec le salaire minimum, pour vivre. On ne répond pas aux questions fondamentales dans notre société et cela n'aide pas du tout. C'est la question fondamentale. Pour ajuster toutes les choses avec le salaire minimum, vous avez évité de répondre à la question suivante: Pourquoi avez-vous choisi un salaire minimum ou une allocation d'aide sociale en dessous du niveau de pauvreté maintenant? C'est la question fondamentale avec cet argument.

Le Président (M. Polak): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: M. le député de Sainte-Anne, j'imagine que vous m'invitez à conclure?

Le Président (M. Polak): Oui.

Mme Harel: Alors, je vais remercier l'Église unie du Canada au Québec et vous, particulièrement, Mme Faye Wakeling et Mme Lee, pour cette expertise devant la commission et aussi pour le travail que vous faites dans ce quartier que j'ai déjà eu l'occasion de visiter. Je vous remercie.

Le Président (M. Polak): M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Je tiens à remercier Mme Wakeling ainsi que Mme Lee. J'ai rapidement saisi que, sur le plan de la fiscalité, Mme Lee avait une expertise qui lui a permis d'arriver à certaines conclusions sur l'harmonisation des programmes, entre autres APPORT, avec la fiscalité qui était juste mais, comme vous l'avez indiqué, qui commande d'autres annonces gouvernementales pour que vous puissiez arrimer parfaitement vos chiffres. Là-dessus, je tiens à vous dire que, même si vous êtes le 57e groupe, vous êtes la première personne qui l'identifie aussi précisément. Pour cette précision, je vous félicite et également, pour le travail que vous accomplissez.

Je terminerai peut-être comme j'ai commencé, en vous indiquant que toutes les délibérations qui ont eu lieu ici aujourd'hui seront acheminées à tous les représentants de l'Église unie dans ma circonscription électorale de façon qu'on puisse, tant sur le plan local que provincial, poursuivre le débat. Merci.

Le Président (M. Polak): Je voudrais vous remercier également, surtout Mme Wakeling qui est très active dans mon comté, à Pointe-Saint-Charles.

Je demande maintenant au deuxième groupe de prendre place immédiatement. Entre-temps, je présume... Selon notre système, un groupe part, le ministre et Mme la députée disent bonjour, et le deuxième groupe s'installe. Une minute! C'est le Groupe de recherche éthique sur les politiques sociales.

Nous allons continuer nos travaux. Je demande au ministre de prendre place aussi. Merci. Je demanderais au porte-parole du Groupe de recherche éthique sur les politiques sociales de prendre la parole, sachant que nous avons un délai total de 60 minutes distribuées comme suit: 20 minutes pour votre présentation, 20 minutes pour le ministre et 20 minutes pour l'Opposition. AUez-y - le secrétaire me renseigne beaucoup - et présentez ceux qui vous accompagnent.

Groupe de recherche éthique sur les politiques sociales

M. Côté (Guy): Nous ferons les plus grands efforts pour nous en tenir aux 20 minutes réglementaires. Nous sommes heureux de pouvoir intervenir devant votre commission. Je suis Guy Côté, coordonnateur de notre groupe, formateur à l'Entraide missionnaire et engagé depuis plusieurs années parmi les assistés sociaux. Je ferai notre présentation et, ensuite, mes collègues apporteront des précisions.

Si vous consultez la liste des signataires de notre mémoire, vous verrez que nous faisons notre intervention à partir d'une expérience concrète, d'une connaissance concrète des assistés sociaux. Depuis plusieurs années, nous sommes impliqués parmi eux de différentes manières et nous intervenons en solidarité avec eux, que ce soit par du travail dans des organismes communautaires, dans des maisons d'accueil, dans des centres de formation populaire, dans le domaine de la santé, du logement, des droits et libertés, auprès des jeunes, des femmes itinérantes, des mères célibataires ou des sans-emploi.

Notre angle d'analyse est celui de l'éthique. Il serait en effet inconcevable de ne pas se poser de question sur la valeur morale d'une politique qui aura des effets aussi déterminants non seulement sur les assistés sociaux, mais sur l'ensemble de notre société.

Comme le disait l'économiste Joan Robinson, "toutes les questions économiques, à l'exception des plus banales, sont fondamentalement des questions politiques et toutes les questions politiques sont fondamentalement des questions morales." Les politiques économiques et sociales posent, en effet, la question des finalités. Les décisions que nous prenons collectivement, par l'intermédiaire de nos élus, sont-elles orientées vers la qualité de vie pour toutes et tous, vers la solidarité et la coopération, la dignité et l'autonomie des personnes, l'accès de toutes et tous aux biens et services? Ou l'allocation de nos ressources est-elle gouvernée exclusivement par les impératifs de la productivité, de la compétitivité et de la rentabilité? Acceptons-nous, comme projet social, le scénario d'une société duale, cassée en deux, où une minorité composée des plus forts, des gagnants détiendrait les pouvoirs, les ressources et les emplois, tandis que la majorité de la population n'aurait accès qu'à des emplois précaires à bas revenus ou à l'assistance publique et à la pauvreté?

On est souvent porté à croire que le principe de la solidarité est de nature moraliste et philosophique alors que la logique de la productivité est la seule pratique et opérationnelle. En réalité, les choses ne sont pas aussi tranchées. D'une part, la justice et la solidarité sont plus rentables, même économiquement, que leur contraire. Il n'est pas rentable de sacrifier le long terme pour des gains apparents à court terme. Ici, l'exemple de l'environnement devrait nous y faire réfléchir. Nous avons longtemps tardé à intervenir parce que les "écolo", comme on les appelait, apparaissaient comme des utopistes. Maintenant, nous sommes aux prises avec des problèmes qui coûteront encore plus cher à résoudre, quand ils ne seront pas devenus pratiquement insolubles. Il en va de même pour l'écologie sociale. Semer l'indifférence, le mépris ou l'abus des personnes prépare inévitablement des remous sociaux à plus long terme. Et, même à court terme, plusieurs des mémoires déjà soumis à votre commission ont fait apparaître les énormes coûts sociaux de la réforme proposée qui se traduiront nécessairement par des coûts économiques.

D'autre part, la logique de la productivité comporte elle aussi une morale, qui est celle de la récompense. Le revenu, le pouvoir, le prestige à ceux qui ont la capacité de production et d'appropriation de la richesse: c'est la morale du plus fort. Sous des dehors trompeurs, nous croyons que la réforme proposée par le ministre Paradis endosse, malheureusement, cette morale du plus fort. Le langage éthique est celui de la responsabilité, de l'autonomie, de l'équité, mais les effets prévisibles de la réforme vont dans un tout autre sens qui nous paraît profondément immoral. L'appauvrissement accru des victimes et l'augmentation des bénéfices pour les gagnants traditionnels: c'est cette orientation de la réforme que nous contestons. Nous nous en prenons à ses fondements mêmes et non seulement à quelques modalités faciles à corriger.

Et, maintenant, mes collègues vont reprendre cette argumentation d'une façon plus détaH-lée, en commençant d'abord par Guy Paiement.

M. Paiement (Guy): Je voudrais commencer par dire qu'à notre point de vue la dimension éthique ne concerne pas seulement...

Le Président (M. Polak): Pourriez-vous donner votre nom?

M. Paiement: Guy Paiement.

Le Président (M. Polak): D'accord. Merci.

M. Paiement: Je voudrais commencer par rappeler que la dimension éthique d'une politique ne concerne pas seulement les finalités, mais aussi les conditions concrètes de sa mise en place. C'est par rapport à cet aspect que je voudrais montrer comment, dans quatre champs déterminés, nous avons des questions sérieuses qui nous amènent à penser que la politique proposée nous semblerait irréaliste parce que les conditions concrètes qui la rendraient possible n'ont pas été mises en place. (11 h 30)

Elle est irréaliste, tout d'abord - plusieurs autres l'ont dit - parce que pour inciter les gens à retourner au travail il faut qu'il puisse y avoir des emplois disponibles et en quantité suffisante. Si l'on songe que les 250 000 ménages estimés aptes s'ajouteront aux plus de 300 000 chômeurs recensés à la fin d'août et au début de septembre 1987, on atteint le chiffre d'environ 600 000 personnes en quête de travail rémunéré. C'est du monde! On a beau avoir eu quelques emplois depuis ce temps-là, le compte est encore dans le rouge.

Est-il réaliste de mettre en place un système complexe de contraintes et de contrôles pour inciter des individus vers des emplois qu'ils ne trouveront pas concrètement? Là-dessus, la fuite en avant ne nous paraît pas une attitude très rationnelle.

Le deuxième élément: Le gouvernement a bien vu qu'il faut permettre à un très grand nombre de personnes de faire le rattrapage scolaire nécessaire et de recevoir la formation professionnelle adéquate. Plusieurs d'entre nous ont vécu la situation des personnes qui étaient à Hochelaga-Maisonneuve et qui n'ont pas pu embarquer dans les derniers projets récents pour la bonne raison qu'elles n'avaient pas la préparation suffisante.

Je me permets de faire référence au document dont plusieurs ont fait mention, un document des fonctionnaires mêmes du ministère, sur les estimations de clientèle et les taux de participation. Celui-ci prévoit que 7000 personnes seulement pourront participer aux stages, 20 000 seulement pourront retourner aux études postsecondaires, 1600 seulement aux études postsecondaires pour les familles monoparentales, ces différents chiffres reflétant les capacités actuelles du système. Selon quels critères allons-nous choisir les personnes qui en arriveront à se disputer les quelques places disponibles? Est-ce que ce sera la loi du plus fort? Le ministre a déjà avancé qu'on irait plus loin que ces possibilités, mais il n'a pas fait la preuve, à notre avis, qu'il dispose des moyens concrets pour le faire. Une fois de plus, on n'a pas les conditions concrètes de la politique proposée.

Troisièmement, pour que la réforme puisse fonctionner, il faut aussi que les divers partenaires économiques s'engagent dans la création d'emplois nouveaux, productifs et rémunérateurs. Il faut aussi qu'ils s'engagent relativement à la formation à donner aux personnes qui se présenteront. Or, de telles ententes n'ont pas eu lieu. Il y a même fort à parier que les incitations économiques du gouvernement aboutiront à la mise à pied d'anciens travailleurs et travailleuses de la part des industries qui seront alors subventionnées pour fournir du travail peu rémunéré.

De plus, on sait que les personnes déclarées aptes qui iront en stage ne seront pas forcément régies par la Loi sur les normes du travail, ce qui ouvre la porte à des abus faciles. La concurrence entre travailleurs et assistés sociaux deviendra alors une autre cause de désordre social. Au lieu de créer la concertation espérée, le gouvernement ne fera ainsi qu'accroître le malaise social en favorisant le "bumping", le "rocambolage" d'emplois et, vraisemblablement, l'irresponsabilité sociale dans les industries.

Le quatrième point: Le gouvernement ne semble pas avoir actuellement de politique cohérente de création d'emplois qui permettrait de donner des mains à son objectif de permettre aux personnes sur le bien-être de retrouver un emploi. Je me permets de citer le Conseil du patronat qui, pourtant favorable à la réforme, souligne qu'il faut orienter les efforts vers la création de nouveaux emplois, "des emplois, et je cite, qui correspondent à des besoins réels, socialement rentables et, ajoutait-il, il incombe au gouvernement de créer des conditions pour y arriver". Le Conseil du patronat, par conséquent, compte sur le gouvernement pour créer des conditions qui rendraient la création d'emplois possible. On ne peut donc s'en remettre simplement à l'initiative patronale.

Sans une politique de plein-emploi, l'incitation à retourner au travail se révélera vite un leurre pour plusieurs personnes. Nous croyons que nous n'avons pas le droit, comme société, de berner les plus mal pris de nos concitoyens. Les conditions concrètes pour l'application de la réforme font défaut, à notre avis, à ces quatre chapitres. La politique d'incitation à l'emploi devient ainsi irréaliste parce que parcellaire, génératrice de faux espoirs, accroissant la compétition et la concurrence entre pauvres alors qu'on aurait besoin de toute la solidarité possible. Elle nous paraît donc éthiquement dangereuse pour les personnes et pour la paix sociale.

À un deuxième niveau, le projet nous paraît encore inacceptable pour une deuxième raison. Il accentue la division sociale entre deux catégories de citoyens alors qu'on affirme vouloir la diminuer. Les premiers, les assistés sociaux, seront encadrés, surveillés, voire même cul-

pabilisés. Les seconds, les assistés sociaux privilégiés que sont les compagnies et les corporations, réclament depuis longtemps et obtiennent qu'on enlève les irritants, qu'on assouplisse les réglementations, qu'on crée un climat de confiance.

Dans ce contexte, parler de responsabilité, quand on l'accole aux assistés sociaux, est tout de suite doublé d'un système de réglementation et de répression gouvernementales. Pour les autres, on fait plutôt appel à l'initiative économique doublée d'une déréglementation gouvernementale et de conditions qui créent une atmosphère de confiance.

Nous croyons que, s'il faut partir d'un concept fondamental qui aurait des chances d'être juste pour tout le monde, ce serait bien du concept de l'initiative économique pour toutes les catégories de ta population qu'il faudrait partir. Ce qui suppose autre chose que la répression, mais bien une initiative gouvernementale pour mettre en place les conditions concrètes dont nous avons parlé. Il nous paraît inadmissible d'un point de vue éthique, et dangereux sur le plan social, d'accréditer et de développer ainsi deux catégories de citoyens, alors que nous avons besoin d'établir plutôt les conditions d'une solidarité sociale pour aider ensemble les plus mat pris de notre société.

M. Beaudin (Michel): Michel Beaudin. Je suis professeur d'éthique sociale à l'Université de Montréal. Nous venons d'entendre qu'il manquait quatre conditions essentielles pour que la politique proposée soit réaliste et éthiquement bonne, mais à supposer qu'on aille quand même de l'avant, qu'elle soit appliquée, on peut encore l'évaluer à partir des conséquences prévisibles pour les gens concernés.

De façon intentionnelle ou non, les mesures annoncées auront dans les faits, croyons-nous, des conséquences néfastes tant pour les assistés sociaux que pour les petits salariés et pour la société dans son ensemble. Pire encore, ces mesures sont proposées au nom de valeurs morales ou éthiques, ce qui veut dire qu'un nombre considérable de citoyens, déjà marginalisés par tes mécanismes du jeu de la jungle qu'on appelle le marché, le seront encore plus au nom de la vertu et par l'autorité de l'État lui-même. Au lieu de servir de guide pour le mieux-être des pauvres, les valeurs morales risquent de servir de justification pour les caler et les stigmatiser.

Voyons un peu ces conséquences. Pour les jeunes, par exemple, la politique du gouvernement se présente comme équitable envers les jeunes en leur promettant la parité. Mais le nouveau délai ajoute encore un retard scandaleux qui manifeste que nous nous conduisons comme si nous étions les derniers occupants de la planète et comme si les jeunes n'étaient pas la richesse la plus précieuse d'un peuple. Se pourrait-il que l'État essaie cyniquement de trafiquer la santé et l'avenir de ces jeunes contre une poignée de dollars en "toffant" encore deux années, le temps que le plus gros du contingent soit passé au-dessus de la barre des 30 ans? Ce n'est pas équitable pour les jeunes.

Les salariés et les petits salariés en particulier. La coercition au travail exercée sur les assistés sociaux se fait en partie au nom de l'équité envers les petits salariés et prétend leur être favorable. En fait, au lieu d'être cohérent et de remonter les conditions des petits salariés, dont le travail ne permet même pas d'atteindre le seuil de pauvreté, le gouvernement joue de fa comparaison avec le groupe des assistés sociaux et maintient un écart dit équitable en rabaissant le niveau de vie des assistés sociaux. C'est un événement par le bas. Le gouvernement a donc un prétexte pour ne pas hausser le salaire minimum à un niveau décent et espère que les petits salariés seront quand même contents parce qu'H y en a qui sont pires qu'eux.

La politique de coercition au travail pour les assistés sociaux va gonfler la main-d'oeuvre disponible et aura plusieurs conséquences négatives sur les salariés par le biais du marché: pression à la baisse sur les salaires et les avantages marginaux et retard de la hausse du salaire minimum. Par ailleurs, des entreprises seront tentées de remplacer les travailleurs réguliers mieux payés par des assistés sociaux subventionnés. Il y aura également une plus vive concurrence pour les places disponibles pour la formation, tout cela, ne l'oublions pas, dans un contexte de concurrence internationale accrue et de l'éventuel libre-échange que la population n'a pas encore choisi. C'est Jean de Grandpré lui-même, président de Bell Canada, qui disait il y a quinze jours que, pour demeurer compétitives, les entreprises canadiennes devraient serrer la vis. De fait, la politique de sécurité du revenu prépare le terrain pour que les assistés sociaux, les petits salariés, les chômeurs soient mis en compétition pour des emplois trop rares et se montent les uns contre les autres, alors que les trois groupes sont structurellement perdants dans l'ordre ou le désordre actuel.

Le troisième groupe: les assistés sociaux. La politique de sécurité du revenu prétend surtout aider les assistés sociaux et soutenir leur effort de réintégration sociale. Le mieux-être prévu pour les inaptes n'est pas vraiment significatif et il est assorti de nouvelles exigences. Il sert surtout de prétexte pour laisser libre cours à la coercition au travail vis-à-vis des aptes et à la détérioration de leurs conditions de vie à cet effet. Sous prétexte que le travail est une source d'épanouissement et donc une valeur et un droit, le gouvernement oriente toute sa politique sur la coercition au travail. Le travail, c'est une valeur ambiguë. Un emploi mal rémunéré, précaire et peu utile ne peut que contribuer à la dévalorisation et à la déchéance de celui qui l'exerce. Y a-t-il quelque chose de plus désespérant que d'être contraint à chercher des emplois qui

n'existent pas? C'est comme si on forçait quelqu'un à marcher après lui avoir coupé les jambes. Même les emplois existants sont souvent inaccessibles aux assistés sociaux.

Une telle politique fait comme si les assistés sociaux ne voulaient pas travailler. La réalité contredit cela. C'est une conception négative et pessimiste de l'homme qu'on considère comme naturellement paresseux et à qui il faut donner des coups de pied quelque part pour qu'il s'aide lui-même. Comment interpréter autrement les contrôles accrus exercés contre les assistés sociaux - une blessure qui s'ajoute à la pauvreté - alors qu'en même temps le gouvernement lève les contrôles et la responsabilité sociale des entreprises par la déréglementation et les exemptions d'impôt? On est dur avec les faibles et conciliant avec les forts. Qui mérite le plus...

Le Président (M. Polak): M. Beaudin, je m'excuse, je n'aime pas vous interrompre, mais il vous reste une minute.

M. Beaudin: Qui mérite

Le Président (M. Polak): À moins que, comme avant, on ne vous laisse continuer de part et d'autre; on coupera dans notre temps. C'est à vous de décider.

M. Beaudin: Est-ce qu'on peut continuer? Merci. Qui mérite le plus d'être surveillé? Qui menace le plus la société? Quand il y a de vrais jobs, les assistés sociaux veulent travailler, mais est-ce qu'on doit choisir des "jobines" incertaines ou l'aide sociale quand il s'agit d'assurer cette valeur beaucoup plus importante qu'est la vie et la santé de sa famille? La politique me semble décrochée de la vraie nature des gens qui ont du coeur et qui ne demandent pas mieux que de gagner leur vie. Alors, dans ces conditions, avec la coercition au travail, il ne sera pas surprenant que l'économie continue d'aller bien et la population mal.

Il y a un autre cas aussi énorme dans le document, il s'agit des valeurs de retour aux responsabilités familiales, à la responsabilité personnelle et à l'autonomie. Le gouvernement fait comme si le contexte était propice à l'exercice véritable et à la réalisation de ces valeurs. On renvoie les gens à la charge de leur famille, comme si les familles étaient encore celles des années cinquante et avaient des ressources financières suffisantes. On renvoie l'autonomie par le travail comme si on pouvait devenir autonome par un travail dégradant et payé à un salaire de crève-faim. On renvoie la responsabilité individuelle comme si la société permettait de mieux en mieux d'assumer cette responsabilité. En faisant porter tout le poids de la réforme sur l'employabilité des individus, c'est comme si on envoyait quelqu'un à la chasse en lui reprochant de ne pas savoir tirer, alors que le problème, c'est qu'il manque de gibier. Ce discours sert, en fait, à justifier le désengagement social de l'État au moment même où, dans un contexte de concurrence internationale, les individus ont de moins en moins de prise sur les décisions qui affectent leurs conditions de vie et de travail. L'État brise ainsi un certain contrat social des années soixante-dix avec la reconnaissance du critère du besoin où, au fond, le système reconnaissait que la pauvreté, c'était une MTS, c'est-à-dire une maladie transmise socialement. (11 h 45)

Aujourd'hui, l'État donne l'exemple aux entreprises de la non-responsabilité sociale en faisant des problèmes économiques des problèmes individuels. Est-ce qu'on va sortir d'une morale privatisante et culpabilisante où l'État a pris le relais d'une Église des derniers siècles? Est-ce qu'on est incapable de voir que la question de la moralité doit d'abord porter sur le modèle de société et pas seulement sur le comportement des individus?

Une quatrième série de conséquences touche l'ensemble de la société. Ce qui est fait aux assistés sociaux est un révélateur puissant des choix de société en train de se réaliser. En criant haro sur les assistés sociaux et en les forçant au travail dans la proportion même où il y a rareté d'emplois, nous camouflons une orientation économique axée sur la haute technologie et la concurrence internationale qui promet du chômage et de la pauvreté accrue. En faisant comme si les assistés sociaux étaient les responsables de la crise et les premiers responsables de leur situation, nous créons des boucs émissaires. C'est regarder la paille dans les supposés 4 % de fraudeurs et ne pas regarder la poutre des évasions et des exemptions fiscales des grandes entreprises.

Si nous cédons à ce jeu-là, nous votons pour une société remise entièrement entre les mains du marché comme au XIXe siècle, une catastrophe qu'on a dû corriger au XXe siècle par l'intervention économique et sociale de l'État. Nous votons pour que les chômeurs, les assistés sociaux et les petits salariés cognant aux mêmes portes s'entre-déchirent en se méprenant sur les véritables responsables de la crise, certaines entreprises qui se frottent les mains derrière la scène et que le gouvernement a oublié de contraindre à créer des emplois. Nous votons pour une société québécoise plus stressée et plus inquiète; 6 000 000 d'individus sans liens se jetant les uns sur les autres dans une compétition féroce pour un gagne-pain rare. Nous votons pour une société disloquée et antisolidaire.

Je termine en disant qu'à notre sens l'État doit faire quelque chose pour les 10 % de la population déjà marginalisée économiquement, mais il doit s'attaquer aux vraies causes et non pas s'attaquer aux assistés sociaux eux-mêmes. La politique présentée ici mène si loin de ces

objectifs avoués qu'on a l'impression qu'elle vise à exclure les assistés sociaux de façon encore plus sophistiquée. Jusqu'ici, ils étaient en marge du système mais pas très utiles économiquement. Là, on va les réintégrer au système mais continuer à les marginaliser, c'est-à-dire qu'ils resteront au bas de l'échelle.

Il y a ici une question de justice et d'éthique bien plus que de démocratie. Nous refusons une politique qui condamne à la peine de mort sociale et au sous-développement les plus pauvres. C'est une question de société. Si 10 % des gens sont décrétés sacrifiâmes, tous le sont potentiellement. Nous optons pour une société où personne n'est de trop.

Malgré les prétentions et les énoncés éthiques, à savoir: l'équité pour les jeunes et les petits salariés, l'aide aux assistés sociaux, l'épanouissement et l'autonomie par le travail et la responsabilisation personnelle, nous ne croyons pas que cette politique soit éthiquement bonne, si on en juge par ses conséquences actuelles et prévisibles. En s'entêtant dans cette direction, le gouvernement discrédite ses propres politiques et pousse les citoyens à devoir choisir entre la loi et l'éthique. Si cette politique n'est bonne ni pour les chômeurs, ni pour les petits salariés, ni pour les assistés sociaux, ni pour l'ensemble de la société, pour qui donc est-elle bonne?

Le Président (M. Polak): Je vous remercie. Avez-vous d'autres intervenants?

M. Beaudin: Oui, une courte intervention.

Le Président (M. Polak): Je n'ai pas dob jection mais le problème c'est qu'il reste très très peu de temps pour le dialogue par la suite. C'est à vous de décider ce que vous préférez.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Combien de temps à peu près?

M. Leboeuf (Fabien): Trois minutes. Je vais résumer très brièvement. Mon nom est Fabien Leboeuf, je suis recherchiste à l'Organisation pour le développement et la paix. Mes collègues ont expliqué pourquoi, à nos yeux, le projet de réforme ne répond pas aux besoins des assistés sociaux et de la société et pourquoi et comment il est contre-productif socialement. Je voudrais résumer brièvement ce qui nous semble être des alternatives positives.

Il faut une réforme, oui, mais pas uniquement du régime d'assistance sociale isolé de son contexte économique et social et des autres programmes et politiques du gouvernement. Un projet de réforme responsable doit tenir compte de ces autres programmes et politiques. Premièrement, le gouvernement doit mettre en place de vastes programmes concrets de création d'emplois avec les budgets nécessaires et dans une large concertation des divers ministères impliqués et de tous les agents économiques et sociaux. L'employabilité est, à notre avis, une notion creuse s'il n'y a pas d'emploi.

Deuxièmement, il faut aussi de vastes programmes concrets de formation de l'ensemble de la main-d'oeuvre et non seulement des assistés sociaux. La formation des assistés sociaux doit prendre place dans ce contexte et ces programmes de formation ne doivent pas prendre la place des prestations; ils ne doivent pas conduire à couper des prestations. Un régime d'assistance sociale a une autre finalité qu'un programme de formation de la main-d'oeuvre.

Troisièmement, il faut procéder rapidement à une véritable réforme de la fiscalité dans deux directions au moins. Première direction: réduire le plus possible les abris fiscaux et les évasions fiscales des entreprises et des bien nantis, ce qui permettrait de financer aussi bien les programmes de création d'emplois et de formation de la main-d'oeuvre que le régime d'assistance sociale. Deuxième direction: introduire des mesures fiscales favorables aux familles sous forme de crédit d'impôt universel substantiel et remboursable, par exemple, pour les enfants, pour le travail de la mère à la maison, etc. Il est évident pour nous que cette réforme fiscale ne doit pas pénaliser ceux et celles qui sont déjà surtaxés, mais mettre à contribution ceux qui ont la capacité de payer et qui sont actuellement sous-sollicités.

Quatrièmement, quant au régime d'assistance sociale lui-même, il faut aussi le réformer, oui, mais selon des orientations autres que celles du projet de réforme. Nous appuyons les revendications des organisations d'assistés sociaux et assistées sociales qui nous semblent être actuellement les propositions les plus raisonnables et les plus efficaces socialement.

Soulignons celles-ci en particulier: premièrement, fixer des prestations suffisantes non pas sur la base de l'employabilité, qui est un critère subjectif et arbitraire dans lequel on inclut même des malades et des handicapés, non pas non plus sur la base des dépenses effectuées par le dixième, le plus pauvre des petits salariés, mais sur la base des besoins réels des personnes et des familles en fonction d'un seuil objectif de pauvreté tel que celui défini, par exemple, par le Conseil canadien de développement, ou le Conseil national de bien-être social ou encore Statistique Canada, les trois groupes se rejoignant sensiblement, ce qui doit montrer le caractère fondé de ce seuil de pauvreté. Deuxième proposition: indexer les prestations au coût de la vie et troisièmement, accorder la parité à tous les jeunes de moins de 30 ans. Quatrièmement, puisqu'on parle beaucoup de la comparaison entre les assistés sociaux, le salaire minimum et les prêts et bourses, pour éviter le nivellement dans la pauvreté, nous proposons plutôt d'augmenter le salaire minimum et d'augmenter les prêts et bourses.

En conclusion, pour notre groupe de

recherche, un régime d'assistance sociale vraiment éthique doit reposer sur deux critères: premièrement, son réalisme, c'est-à-dire la possibilité concrète et réelle d'être mis en application et, deuxièmement, qu'il favorise vraiment le mieux-être des personnes visées et non pas qu'il les mette dans une situation pire qu'avant. Nous convions donc le gouvernement à reformuler son projet sur d'autres bases et orientations dans le sens que nous indiquons ici et dans celui des revendications des assistés sociaux et assistées sociales. Merci beaucoup.

Le Président (M. Poiak): Je remercie les intervenants.

J'expliquerai d'abord que la députée de Maisonneuve s'est absentée parce que nous sommes à procéder aux élections des présidents et des vice-présidents de commission. C'est la seule et unique raison; elle devait s'absenter cinq minutes, mais elle ne voulait pas vous déranger dans votre présentation.

Je cède la parole au ministre tout en l'avisant que le temps qu'on a pris de plus pour la présentation sera enlevé moitié-moitié sur le temps disponible.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Disons que le groupe n'a qu'une seule chance de se faire entendre, que le ministre en a plusieurs et que c'est plus équitable ainsi.

Je remercie le Groupe de recherche éthique sur les politiques sociales, ses porte-parole et ses représentants. Je déplore le fait que, pris également dans le carcan du temps, nous n'ayons pu entendre tout le monde. Vous avez dû faire vite et Mme Ampleman n'a pas eu le temps de s'adresser à nous.

Vous avez commencé en nous indiquant que vous étiez ici surtout pour nous parler de votre expérience quotidienne, de votre implication et de votre vécu quotidien et je vous en remercie. Je vous dirai que, lorsqu'on mentionne des statistiques, des chiffres en termes de politique sociale ou de sécurité du revenu, il faut être prudent. Ce n'est pas facile de concilier l'ensemble de cette documentation qui existe et nous devons avoir recours à des experts et à des ressources d'expertise également.

Il y a une tendance qu'on a dénotée chez plusieurs intervenants qui consiste à additionner, dans une société, les chômeurs et les bénéficiaires de l'aide sociale. Cela produit des résultats de distorsion parce que, lorsqu'on connaît la méthodologie de Statistique Canada pour compiler les taux de chômage, on comprend facilement les marges d'erreurs qui peuvent se glisser. Je vous le souligne strictement pour vos interventions futures, à titre d'information.

Clientèle de l'aide sociale. Ce sont essentiellement ces personnes qui ont à vivre le système actuel tel qu'il existe, avec toutes ses lacunes. Si nous prenons nos statistiques, nos chiffres ou notre nombre du mois de mars 1987 qui, soit dit en passant, a diminué depuis ce temps, on a à peu près 400 000 chefs de famille à l'aide sociale qui n'ont que ces prestations pour subvenir à leurs besoins dans la société québécoise. Il y a 25 % de cette clientèle, soit 100 000 chefs de ménage, qui seraient considérés admissibles au programme Soutien financier parce qu'ils répondraient à ces caractéristiques. 300 000 autres seraient considérés aptes au travail. Je le dis et je le répète, aptes au travail, mais avec quelles barrières? Aller à la chasse mais avec quels outils? 36 % des gens sont des analphabètes fonctionnels; 60 % n'ont pas complété leur cours secondaire; 40 % n'ont aucune expérience antérieure de travail. Peut-on leur en vouloir de revenir bredouilles de la chasse ou même de ne pas avoir envie d'aller à la chasse à un moment donné? Je dirais, s'il fallait faire des proportions, que c'est la moitié, pas plus, du défi important qui nous attend comme société.

Oui, vous avez raison de mentionner qu'il faut qu'un gouvernement établisse le climat propice à la création d'emplois valorisants, sécurisants, la meilleure qualité d'emplois possible et que cela ne donne rien d'améliorer l'employa-bilité d'une population si ces emplois n'existent pas. Mais peut-on penser qu'on est en droit, dans une société, de marginaliser tous ces gens et de leur dire: On s'occupera de vous lorsque les emplois auront été créés? C'est peut-être l'expérience qu'on a vécue comme gouvernement et de laquelle on tente de tirer certaines conclusions dans l'est de Montréal. On se rappelle comment, politiquement, ce dossier est devenu symbolique à l'occasion de la dernière campagne électorale entre autres au Québec. Tous les partis politiques de quelque niveau gouvernemental que ce soit, municipal, provincial, fédéral, se sont engagés à créer des emplois valorisants dans l'est de Montréal. Deux ans après, les gouvernements ont tenu parole. Ils ont créé ces emplois. Sauf que ces emplois sont allés à des gens qui avaient un niveau d'employabilité répondant aux exigences de l'entreprise, des gens qui habitaient ailleurs que dans l'est de Montréal, ce qui fait qu'on se retrouve deux ans après avec autant d'assistés sociaux, autant de chômeurs parce qu'on n'a pas su investir dans ces individus. On a strictement investi dans les entreprises.

On vient de corriger le tir. Mme la députée de Maisonneuve en a profité à plusieurs occasions pour nous remercier. On espère qu'en investissant dans l'employabilité des gens de sa circonscription électorale et des environs, ces gens pourront décrocher les emplois qui seront créés dans l'est de Montréal.

Vous avez soulevé un point - je pense que vous êtes seulement le deuxième groupe à le faire, malgré que vous soyez quasiment notre 60e groupe d'intervenants - sur lequel j'aurais des questions précises à vous poser. Il y a un autre groupe qui a souligné, mais dans une autre perspective, toute la question des politiques sociales, dont cette politique-ci, dans le cadre du

libre-échange. Vous semblez très réticents. Je pense que c'est M. Beaudin, peut-être, qui a fait les remarques les plus précises à ce sujet. Est-ce que, finalement, vous nous dites: Éloignez-vous du libre-échange si vous voulez avoir des politiques sociales qui soient plus justes et équitables? (12 heures)

M. Beaudin: Le libre-échange est un cas, l'accélérateur d'un phénomène plus large qu'est la concurrence internationale qu'on prend comme une fatalité, comme quelque chose auquel on ne peut échapper et qui, logiquement, amène à compresser au maximum le coût de production pour être concurrentiel avec, d'abord même, les entreprises d'ici et avec les entreprises étrangères.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je m'excuse, une précision.

M. Beaudin: Oui.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Voyez-vous davantage d'effets dans le libre-échange que dans les ententes du GATT?

M. Beaudin: Davantage d'effets pour notre société?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui.

M. Beaudin: Je le pense parce que c'est une entente bilatérale avec un puissant voisin. Le rapport est beaucoup plus inégalitaire que dans un rapport multilatéral. Je pense que les politiques sociales axées sur l'incitation au travail semblent être sur mesure pour l'objectif de compétitivité. En ce sens, elles promettent des souffrances aux gens, je pense. Dans ce sens, je pense qu'elles seront affectées.

Ensuite, on a dit qu'elles risquaient d'être présentées comme une concurrence déloyale pour les entreprises américaines vis-à-vis des entreprises canadiennes. Je m'explique. Étant donné notre système de politique sociale, les gens ont une certaine sécurité. C'est moins développé aux États-Unis. Donc, pour assurer ce minimum, les entreprises américaines doivent assurer, par le salaire, ce qu'il faut pour que les gens aient ce coussin que, nous, nous avons ici autrement et auquel toute la collectivité contribue. Dans ce sens, les entreprises canadiennes se trouveraient privilégiées par rapport aux entreprises américaines.

L'autre chose, à propos de la chasse et de l'employabilité, on est d'accord avec l'employabi-lité, sauf qu'on trouve que le poids de la réforme porte trop exclusivement sur l'employabilité et on ne trouve pas que le document est conséquent. Quand on regarde ce qui doit se passer dans les neuf premiers mois, si vous visiez vraiment comme grande priorité l'employabilité, vous admettriez tout de suite tes gens dans des programmes d'employabilité. Or, vous demandez de rechercher intensivement un emploi et de trouver n'importe quoi. Ce qui fait qu'en pratique la priorité, c'est de trouver une "jobine". Là, s'il y a un échec, on passe à des mesures d'employabilité et, l'espérons-nous, plus tard à un véritable emploi. Il y a une inversion qui ne semble pas tout à fait conséquente.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Pour préciser, disons que, sauf pour les 40 % qui sont une clientèle sans expérience antérieure d'emploi...

M. Beaudin: Oui, il y a une exception pour un groupe.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...lorsque les gens nous arrivent à l'aide sociale, généralement, ils ont occupé un emploi, été victimes d'un congédiement, d'un licenciement collectif, d'une perte d'emploi quelle qu'elle soit, passé douze mois sur l'assurance-chômage. C'est à ce moment et dans ce contexte qu'ils arrivent à l'aide sociale. Maintenant, nous avons prévu ce que nous appelons des clientèles cibles, mais nous retenons les arguments que vous avancez.

M. Beaudin: Je pense que cela devrait s'adresser à tout le monde.

M. Côté (Guy): Sur la question de l'employabilité, je pense que nous résisterions à nous faire identifier comme un groupe qui prônerait qu'on attende qu'il y ait suffisamment d'emplois pour s'occuper des assistés sociaux et encourager leur employabilité. C'est dans la manière de faire et dans les mesures coercitives qui accompagnent cette politique que nous avons des difficultés. Je pense que Fabien aimerait intervenir là-dessus précisément.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Sur ces difficultés, moi, je n'ai pas d'objection à ce que Fabien intervienne. J'aurais peut-être une petite précision à vous apporter qui contredit un peu un aspect philosophique qui sous-tend votre mémoire et on est libre de partager mon opinion ou de la discarter. Vous semblez dire qu'il va y avoir une pression à la baisse à stabiliser le salaire minimum qui est un des éléments repères que nous utilisons un peu partout, finalement, dans la politique de la sécurité du revenu. Si on prend l'expérience passée - parfois, il faut regarder l'histoire parce qu'on ne réinvente pas la roue chaque fois - on se rend compte que de 1981 à 1985, pendant une période de cinq ans, le salaire minimum a été complètement gelé au moment même où l'on indexait trimestriellement les prestations d'aide sociale.

Dans l'histoire contemporaine et moderne, on se rend compte que ce n'est pas nécessairement exact, ce que vous soulignez. Mais davantage depuis notre arrivée au gouvernement, depuis deux ans, depuis janvier 1986, toute la

question des deux classes de société dont vous parlez, ceux et celles qui ont accès au pouvoir, à la richesse, au travail, etc., et ceux qui seraient marginalisés lorsqu'on les abandonne sans programme d'employabilité, moi, j'aurais de la difficulté à m'inscrire en faux contre cette affirmation. Je dirais quand même qu'il y a eu de la part du gouvernement des allégements qui se traduisent par des décisions qui ont été prises et appliquées. Je regardais, pour l'année 1987 qu'on vient de terminer, qui a bénéficié, à part les députés, des plus importantes augmentations de salaire dans la société québécoise, ou de rémunération. J'ai regardé le salaire minimum. Il y avait du rattrapage à faire, je le concède, mais il a été augmenté de 8,75 %. Ce n'est peut-être pas assez. L'aide sociale, 4,1 %. Les travailleurs régis par des conventions collectives au Québec, en 1987, 3,7 % d'augmentation. Le salaire hebdomadaire moyen, l'ensemble des travailleurs, syndiqués comme non syndiqués, augmentation de 2,1 %. Il y a eu, en 1987, entre les travailleurs les mieux organisés, les mieux rémunérés, les plus structurés et ceux et celles qui sont au bas de l'échelle, pour utiliser l'expression, un léger rattrapage. Ce n'est pas suffisant, il faut continuer à travailler, mais est-ce que ce n'est pas là une saine orientation? Si, en plus, il fallait que le gouvernement investisse massivement dans le relèvement des caractéristiques d'employés habilités, de ceux et celles qui ont été marginalisés dans le passé, est-ce que ce n'est pas là une voie souhaitable?

Le Président (M. Polak): Je veux juste vous souligner qu'il reste deux minutes dans cette partie. Ensuite, ce sera Mme la députée de Maisonneuve.

M. Leboeuf: Puisque M. le ministre parle, en passant, du salaire des députés, je n'ai pas suivi la question de très près, mais il me semble me rappeler que le mot principal qui revenait dans !e débat à la Chambre, c'était le critère du besoin, et non pas celui de l'employabilité. J'apprécierais qu'on l'emploie lorsqu'on parle des assistés sociaux.

En ce qui concerne la formation et l'employabilité, on n'est pas contre la formation, on n'est pas contre le fait d'aider les travailleurs et les travailleuses à trouver du travail. On est pour les programmes de formation, on encourage le gouvernement à en faire 100 fois plus qu'il n'en fait actuellement, il n'en fait pas beaucoup. On est également d'accord que l'employabilité soit un critère d'admission à des programmes de formation, mais on est contre le fait que l'employabilité soit un critère pour couper des prestations d'assistance sociale.

Je vais vous donner un exemple concret qui nous est arrivé exactement hier, à Montréal; c'est celui d'une jeune femme de 29 ans, chef de famille monoparentale, qui a trois enfants, un de sept ans, un de cinq ans, un de deux ans, qui a une contrainte au travail et ne devrait pas être déclarée apte au travail. Lorsqu'elle s'est présentée pour avoir les prestations d'assistance sociale, le fonctionnaire lui a demandé si elle désirait travailler. La jeune femme, qui n'est pas au courant de tous les critères et de tous les fonctionnements d'assistance sociale, a dit: Oui, je suis prête à accepter n'importe quel job, je suis intéressée à travailler. Le fonctionnaire, sur la foi de cette déclaration, l'a donc déclarée apte au travail sans lui dire qu'il n'était pas nécessaire qu'elle aille au travail. On l'a donc convoquée - pour les moins de 30 ans, cela existe actuellement - à une entrevue avec un employeur. Dans les jours qui ont précédé l'entrevue avec l'employeur, elle a dû subir une intervention chirurgicale pour laquelle elle a tous les documents, les certificats de médecin et tout. Mais parce qu'elle n'a pas pu se présenter à l'entrevue avec l'employeur, le fonctionnaire l'a coupée de 30 $ par mois pour six mois. Au mois de décembre, ne connaissant pas ses recours, elle n'a pas fait une demande de révision. En parlant avec elle hier, on a mentionné cette réalité et, évidemment, elle ne peut plus maintenant faire une demande de révision puisque les délais sont passés.

À notre avis, c'est exactement à cela que va servir de façon objective - je ne parle pas des intentions du gouvernement - le projet de réforme: il va généraliser, il va "massifier" les coupures de prestation au nom de l'employabilité. Il ne servira pas à former le monde, il va servir à couper le monde. C'est le cas patent de ce qui va se passer avec la réforme.

J'en profite, d'ailleurs, pour faire une proposition, si vous le permettez.

Le Président (M. Polak): J'accorde le droit de parole à Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel:...

Le Président (M. Polak): Continuez, c'est cela.

M. Leboeuf: Donc, cela me semble être le cas concret qui illustre en quoi le projet de réforme ne peut pas fonctionner. Nous avons une proposition concrète à faire là-dessus, précisément pour mettre fin, en grande partie, à cet arbitraire des fonctionnaires qui sera augmenté par le projet de réforme. Nous proposons de créer un comité national, assorti de comités régionaux de vigilance et de surveillance de l'application du régime d'assistance sociale, qui serait composé majoritairement d'assistés sociaux et de représentants de différents organismes de citoyens à but non lucratif et qui aurait une sorte de pouvoir à la fois de surveillance et une sorte de pouvoir d'ombudsman. C'est un petit peu comme il existe, par exemple, à la Communauté urbaine de Montréal un comité de vigilance ou de surveillance de la police ou bien comme il

existe dans le domaine de la santé un comité des malades, ou bien comme il existe dans le domaine carcéral, parfois, des comités de détenus. Tous ces comités-là, dans la réalité, actuellement n'ont pas les mêmes pouvoirs, n'ont pas le même fonctionnement, mais il nous semblerait essentiel de mettre sur pied ce comité de vigilance, de surveillance de l'application et d'enquête, avec tous les pouvoirs d'enquête et d'intervention, du régime d'assistance sociale.

Cette proposition-là n'a pas comme objectif de dire qu'avec ce comité-là le projet de réforme serait vivable, non. L'objectif n'est pas de troquer ce comité-là contre le projet de réforme. Le projet de réforme demeure inacceptable, à notre avis.

Mme Harel: M. le Président...

Le Président (M. Polak): Vous êtes déjà dans votre temps, Mme la députée de Maison-neuve?

Mme Harel: Oui. Merci, M. Leboeuf.

Le Président (M. Polak): Juste une remarque préliminaire: N'oubliez pas les députés dans votre comité.

Mme Harel: D'abord, les députés ont leur bureau de comté.

C'est intéressant. Vous savez que plusieurs organismes qui sont venus devant la commission ont dit: Oui, il est souhaitable qu'il puisse y avoir, aux fins de prioriser des clientèles, des catégories qui puissent être faites à l'aide sociale. Par exemple, aux fins de prioriser... Pour que la durée d'absence du marché du travail ne soit pas trop longue, qu'il y art des espèces d'activités de support qui soient données à des femmes qui connaissent des situations d'échec marital. Qu'il puisse y avoir un support qui leur soit donné. Mais pas aux fins de diminuer les prestations. Et c'est la question fondamentale. Et c'est la question d'éthique que vous posez sur le thème que tout cela est censé être fait pour le bien des gens eux-mêmes.

J'ai noté, dans vos propos, que vous disiez: "Les mesures sont proposées au nom de la morale, au nom de la vertu." C'est, dans un sens, ce qu'fl y a de plus enrageant. C'est fait pour des bons motifs. On peut bien dire que l'enfer est pavé de bonnes intentions, cela fait partie de l'éthique aussi, j'imagine. Mais c'est comme si encourager l'assistance, c'était encourager la paresse et brimer l'autonomie des gens. C'est un peu comme cela que c'est présenté.

Le cas que vous nous présentez est important. Le ministre, je pense, pourrait répondre que, lorsqu'une femme chef de famille a un enfant en bas de six ans, il n'est pas censé y avoir des agissements de cet ordre-là.

Une voix: Des centaines.

Mme Harel: J'ai cité un cas il y a un mois, au tout début de la commission. C'était le cas d'une femme chef de famille qui a deux enfants, trois ans et neuf mois. Le ministre m'a demandé son nom. Finalement, j'ai rejoint la dame, la jeune femme. En fait, c'est vraiment une jeune femme qui est en stage et qui a dû, à quatre occasions, aller à l'hôpital avec les enfants malades, etc. J'ai demandé: Qu'est-ce que tu préfères? Elle m'a dit: Je préfère que tu ne le cites pas. Parce que c'étaient des bonnes intentions. Il voulait vraiment régler son cas. J'imagine qu'on pourrait faire la même chose avec la personne que vous avez rencontrée hier. Personnellement, je ne suis pas contre le fait de régler des problèmes individuels, personnels. Je veux dire que cela aussi fait partie, sur le plan de l'éthique... Mais il ne faut jamais oublier les situations collectives. Et je pense qu'en dehors du fait qu'on pourrait s'en reparler, du cas que vous nous mentionnez, et voir ce qu'il est possible de faire, il y a une situation collective. C'est plus celle-là que j'aimerais examiner avec vous maintenant.

Vous nous avez parlé - comment disiez-vous, en fait, vous disiez - des valeurs qui sont contredites, "les valeurs énoncées qui sont contredites". J'aimerais peut-être vous entendre sur toute la question de l'égalité des conjoints, de la valeur familiale, de l'aspect, à proprement parler, des mesures qui avantagent ou pas les rôles parentaux. (12 h 15)

II y a un groupe qui s'appelle Solidarité populaire Québec qui est venu devant la commission, hier, pour nous faire la démonstration que l'ensemble des mesures visait à avantager un homme qui assume la responsabilité d'une femme au foyer et des enfants et avait pour effet de décourager le travail des femmes mariées, surtout celles qui ont des jeunes enfants, sauf celles qui sont chefs de famille monoparentale. Cela valait autant pour les mesures sociales, d'aide sociale, que pour les mesures fiscales.

C'est, finalement, toute une réflexion qu'il faut faire présentement sur la question de la famille. C'est comme si l'ensemble de notre échafaudage fiscal était basé sur le paterfamilias, pourvoyeur qui va travailler, qui apporte l'argent, la mère qui reste à la maison, les enfants qui sont déduits du revenu du père jusqu'à ce qu'As soient eux-mêmes en âge de travailler ou en âge de se marier, pour les filles, en fait, qui, elles-mêmes, ont un mari qui prend la relève du point de vue de l'exemption. C'est un peu comme cela que c'est basé.

Il y a toutes sortes d'échafaudages autour de cela. On nous dit qu'il y aurait 30 % des familles actuellement au Québec qui s'ajusteraient à ce modèle du père pourvoyeur et de la mère à la maison. Pour l'ensemble des autres familles, il s'agit tout à fait d'autre chose. Est-ce que vous avez réfléchi à ces questions? Est-ce que vous avez des DroDOsitions à nous faire? Comment

envisager diamétralement, de façon nouvelle, la nouvelle réalité sociale avec laquelle l'État n'a pas encore composé?

Mme Ampleman (Gisèle): Je...

Mme Harel: C'est Mme Ampleman. C'est une femme qui va répondre.

Mme Ampleman: Gisèle Ampleman. D'abord, je voudrais souligner que, concernant les trois programmes, la réforme fait jouer la notion de conjoint de fait. Je m'interroge sur la situation de soutien financier, parce que j'ai donné beaucoup de sessions sur la réforme et la question m'est posée: Dans une situation de couple dont un des deux conjoints serait classé inapte/inapte - parce que j'ai de la difficulté à saisir quels seront les inaptes et quels seront les inaptes en voie d'employabilité; ce n'est pas très clair - comment va jouer la notion de solidarité des conjoints? Dans la situation où un couple serait déclaré inapte/inapte et dont la conjointe serait déclarée apte et admissible à un programme, comment va se jouer la solidarité des conjoints?

Mme Harel: Je ne veux pas répondre à la place du ministre, mais, dans le document d'orientation - il pourra vous le dire comme il l'a dit à d'autres groupes - ce programme s'adresse aux personnes ou aux ménages. Donc, les deux personnes. Mais la question, c'est: La notion de conjoint, à quel moment va-t-elle jouer? Disons qu'elle joue, comme pour l'ensemble des autres programmes, après un an, normalement. Je ne me trompe pas, M. le ministre, la relation de conjoint de fait jouerait pour le soutien financier également après un an?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est la même définition de conjoint de fait.

Mme Harel: Avant un an, cela ne jouerait pas, mais après un an le conjoint de fait... La grande question... Oui, à moins que, Mme Ampleman, vous n'ayez autre chose à ajouter parce que la question de fond, c'est la suivante. Dans l'ensemble de ce qui est proposé, admettons, pas admettons, mais convenons - je tiens cela pour acquis, mais on ne peut pas le tenir pour acquis et c'est certain qu'il faut maintenir cette revendication - que devant l'ensemble des pressions qui se font et qui viennent de partout, de toutes les régions et de tous les organismes devant cette commission, le gouvernement abandonne l'idée de baisser les prestations sous prétexte d'employabilité. On revient à la question des conjoints de fait. Sur cette question-là, vous le savez sans doute, dans toutes les lois actuelles du Québec qui donnent des avantages, des prestations et des indemnités, c'est après trois années de vie commune qu'il y a une définition de conjoint de fait. Le document prévoit un an, mais la vraie question est: Faut-il baser l'ensemble de nos mesures sur une considération de revenu familial? Le ministre dit que c'est neutre, neutre, neutre, ces propositions. Je pense, à l'instar de bien des groupes, que cela renferme une notion de famille. Je me demandais si vous pouviez nous apporter un éclairage sur cette question.

Mme Ampleman: C'est clair que, dans l'introduction, on revient à des notions traditionnelles de la famille. On n'a rien inventé au sujet de la famille. Là, c'est la famille élargie, parce que quand il met la définition de responsabilité filiale, cela veut dire aussi qu'on revient au début du siècle, où les grands-parents étaient responsables de leurs petits-enfants. Est-ce que cela va signifier aussi que les grands-parents devront être responsables de leurs petits-enfants qui seront assistés sociaux? Donc, c'est au chapitre de la famille élargie. D'ailleurs, c'est là aussi qu'on réalise qu'il n'y a pas beaucoup d'homogénéité entre les différents projets de loi, entre ce qu'on définit dans le projet sur la famille et ce qu'on définit par rapport à l'aide sociale.

Une chose qui me frappe par rapport à l'intervention de M. Paradis, c'est que, chaque fois qu'il fait référence à d'autres lois, comme les prêts et bourses, cela veut dire que c'est toujours pour niveler, pour qu'il y ait un écart, mais j'aimerais cela aussi voir dans le projet de loi des endroits où on pourrait se référer à d'autres politiques, et c'est un plus. Je voudrais vous rapporter, par exemple, ce qu'on donne pour "foyer d'accueil".

Le Président (M. Polak): Excusez-moi, Mme Ampleman.

Mme Ampleman: Et j'aimerais aussi voir, en ce qui concerne les analphabètes, ce serait intéressant de se demander: Comment se fait-il que nous fabriquions des analphabètes fonctionnels? Peut-être que si nous arrivions à avoir un peu plus de soutien à la famille, peut-être que si nous ajustions les barèmes qui sont donnés aux familles d'accueil, peut-être que si on acceptait d'ajuster les mêmes barèmes...

Mme Harel: D'avoir autant quand c'est ses propres enfants que quand on garde les enfants des autres.

Mme Ampleman: Oui, et je vais apporter un exemple concret de gens qui travaillent au DPJ. Quand la famille d'accueil doit se présenter à la cour, la famille d'accueil, le monsieur, la famille qui perd sa journée est remboursée et ses transports sont payés, mais quand cette même famille est assistée sociale, son transport n'est pas payé et les conditions pour se présenter à la cour ne sont pas les mêmes. Et ce qui paraît

dans le dossier et dans le jugement, c'est que cette famille est irresponsable, cette famille ne prend pas soin de ses enfants parce qu'elle n'a pas eu les mêmes conditions que la famille d'accueil.

Le Président (M. Polak): Excusez-moi, Mme Ampleman, nous sommes dans la toute dernière minute. Il y a un autre groupe qui nous attend.

Mme Ampleman: Donc, j'aimerais que la réforme s'ajuste aussi à d'autres programmes, qui sont un plus, et non pas seulement aux programmes qui sont un moins.

Le Président (M. Polak): Merci beaucoup. Donc, il nous reste vraiment les remerciements de part et d'autre.

Mme Harel: C'est intéressant parce que, dans le fond, vous nous faites voir qu'il y a des effets pervers à nos politiques. La désintégration famHiaJe peut en être un effet secondaire. Vous aviez utilisé une expression, "maladie transmise socialement", pour la pauvreté. Moi, je me fais un petit cahier noir de toutes les audiences. Je vais vous en citer une que le Carrefour regroupement d'information et sensibilisation des jeunes employait hier pour le programme APTE, qu'il s'agissait d'une action pression pour travail d'exploitation. Vous allez me dire qu'il y a de l'imagination dans l'usage, mais les mots ont un sens. Les mots ne sont pas innocents.

J'aurais certainement souhaité avoir beaucoup plus de temps, notamment pour vous interroger sur toute la question de la concurrence internationale. Les chiffres que le ministre a donnés pour l'an passé, les taux d'augmentation notamment du salaire hebdomadaire moyen et des conventions, qui sont bien en deçà des programmes d'aide sociale, confirment cela, même le préambule de votre mémoire en termes de pressions qui s'exercent actuellement sur le marché du travail ici. Alors, je veux vous remercier pour votre présentation.

Le Président (M. Polak): Merci. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, je vais profiter également de l'occasion pour remercier le groupe et ses porte-parole. Étant donné que je n'ai pas eu la chance ou l'occasion de m'adresser à Mme Ampleman, je lui demande de comprendre qu'il s'agit d'un programme de dernier recours et que nous devons éviter, autant que faire se peut, d'attirer des clientèles, de faire quitter l'école aux jeunes pour qu'ils viennent chez nous, que les gens au salaire minimum quittent le marché du travail pour venir à l'aide sociale, etc. Nous devons éviter cela. Mais vous avez raison d'attirer notre attention sur d'autres programmes.

Parmi les suggestions qui ont été faites et en les isolant, bien que vous ne les ayez pas isolées, vous êtes les premiers, je crois, à nous suggérer la création, entre guillemets, d'un système d'ombudsman à l'aide sociale. En ce qui concerne le cas précis, parce que je ne les abandonne jamais lorsqu'il y a moyen de réparer les erreurs administratives, qui sont fréquentes, je vais mettre à votre disposition une attachée politique pour que la personne dont vous avez décrit la situation soit traitée non pas de façon privilégiée, mais suivant les lois et les règlements tels qu'ils devraient s'appliquer dans le système que nous avons présentement et qui est défaillant à plusieurs égards. Je vous remercie.

M. Leboeuf: Je pense qu'il y aurait une façon de ne pas avoir à régler des problèmes individuels, c'est d'avoir une réforme qui empêche la création de cas individuels comme cela.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Sur cela, si je puis vous répondre, si vous avez une politique qui empêche la création de cas individuels, je vous prie de me la soumettre.

Le Président (M. Polak): Je vais également vous remercier pour votre mémoire et votre présence. Excusez-moi, mais le temps nous presse, ce n'est pas notre faute. Savez-vous, Mme Ampleman, le ministre n'est pas plus loin que le téléphone. Je dis cela de temps en temps.

J'appelle donc tout de suite le dernier groupe, ce matin, le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal inc. Donc, je demanderais à nos intervenants qui ont déjà pris place, seulement pour vous expliquer le déroulement... Vous avez droit à une heure. Il y a un petit problème et ce n'est certainement pas votre faute si on a retardé un peu. M. le ministre, est-ce qu'on peut continuer après 13 heures? Jusqu'à quand? Jusqu'à 13 h 10, m'a t-on dit. Avez-vous un empêchement? Il y a élection des présidents et vice-présidents. Donc, avec la permission de tout le monde, on va y aller jusqu'à 13 h 10. Voulez-vous vous présenter, Mme la porte-parole? On va commencer tout de suite.

Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal inc.

Mme Brunelle (Diane): Merci. Diane Brunelle du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal inc. Le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal inc. oeuvre depuis treize ans auprès d'une clientèle fortement défavorisée et, par surcroît, bénéficiaire dans la majorité des cas de l'aide sociale. Le réseau d'aide regroupe 40 organismes directement impliqués dans les services aux plus démunis (hébergement, centres de jour, vestiaires) et 50 membres individuels sensibilisés à la réalité vécue par la population itinérante. Un sous-comité du Conseil d'administration du réseau

d'aide a été formé pour étudier le projet de réforme de l'aide sociale. Nous avons donc privilégié, dans l'analyse critique de votre document d'orientation, les points qui risquent d'avoir des répercussions importantes sur la clientèle que nous desservons.

Le programme Soutien financier. Nous admettons que les conditions de vie des personnes aux prises avec des problèmes de santé physique et\ou mentale doivent être améliorées. Cependant, les barèmes proposés dans la réforme de l'aide sociale maintiennent ces personnes dans la pauvreté. Ces barèmes sont établis à partir des dépenses effectuées par les travailleurs à faible revenu. Les personnes aux prises avec des problèmes de santé ont des besoins que les travailleurs n'ont pas: faire déblayer son balcon par autrui, faire livrer son épicerie. Lorsque le handicap persiste pendant plusieurs années, il devient difficile de compter sur le bénévolat pour satisfaire ses besoins.

Nous avons des interrogations sur les critères d'admission à ce programme. Quels seront les critères d'identification pour un bénéficiaire connaissant un état de santé physique et\ou mentale altéré de façon significative pendant une période relativement longue et, surtout, qui sera habilité à poser un tel diagnostic? Nous aimerions vous souligner que les professionnels oeuvrant dans les organismes du réseau d'aide ont acquis une expertise très spécifique auprès de la population des assistés sociaux représentée par la population des itinérants et des marginaux de notre société.

Vous reconnaissez, dans le paragraphe 4.5, que les agents socio-économiques se devront de diriger ces défavorisés vers de l'aide spécialisée une fois les critères de non-employabilité reconnus. Nous vous rappelons que la reconnaissance du caractère spécifique de nos interventions peut également servir à éclairer l'agent socio-économique pour poser son diagnostic. Pour ce faire, la nouvelle loi devra être suffisamment flexible pour permettre aux agents de travailler avec les différents professionnels du milieu. (12 h 30)

Nous avons des doutes que des mesures de développement de l'employabilité soient efficaces et augmentent la possibilité pour nos bénéficiaires de se trouver un emploi. Il nous semble plutôt que leur intégration au marché du travail passe par l'adaptation du travail à leur situation.

Le programme Action positive pour le travail et l'emploi, le programme APTE, repose sur les prémisses suivantes: Toute personne sera présumée employable et disponible pour occuper un emploi à moins que son inaptitude au travail ou sa non-disponibilité temporaire ne soit démontrée. Il n'est jamais question des critères d'évaluation qui seront utilisés, ni d'un mécanisme d'appel de la décision rendue. Cette situation nous inquiète. Certaines personnes seules et itinérantes manifestent de sérieux troubles psychosociaux. Ces problèmes ne sont décelables que par un examen approfondi. Il nous apparaît donc essentiel que votre évaluation tienne compte de cette réalité. Encore une fois, une reconnaissance tangible de nos organismes comme professionnels autorisés viendraient nous rassurer.

La réforme de l'aide sociale prévoit des barèmes différents pour les neuf premiers mois d'inscription à l'aide sociale. Cette période est censée être une période de recherche intensive d'emploi. Cette période est non justifiée puisque, si l'on se fie à vos statistiques, 60 % des nouveaux bénéficiaires prennent plus de neuf mois à quitter l'aide sociale. De plus, les montants accordés, 405 $ par mois dans le cas d'une personne seule, sont insuffisants pour couvrir les besoins primaires: logement, nourriture, etc. Les sans-abri chroniques seront particulièrement touchés car, dans les faits, il faut soustraire des 405 $ le montant de 115 $, nouveau barème couvrant les frais de logement, ce qui donne 290 $ par mois au lieu de 432 $, montant qu'ils touchent à ce jour.

Votre barème est injuste puisqu'il met sur le même pied les gens qui refusent de participer aux mesures et ceux qui sont en recherche intensive d'emploi. Il est dommage que les bénéficiaires de l'aide sociale doivent attendre neuf mois avant que leur employabilité ne soit évaluée en profondeur. Cette situation risque d'entraîner des erreurs et des injustices.

Le programme APTE introduit une nouvelle catégorie de bénéficiaires: les personnes employables mais non disponibles. Pourquoi pénaliser les gens qui sont temporairement malades, les femmes enceintes et celles qui ont de jeunes enfants, de même que les personnes de 55 ans et plus? Les prestations accordées aux personnes non disponibles ne tiennent pas compte de leurs besoins réels. Nous croyons que les mesures propres au développement de l'employabilité sont peu efficaces à accroître la capacité des bénéficiaires à se trouver un emploi permanent. Ces mesures auront un grave impact sur le marché de l'emploi, les employeurs préférant faire appel à des bénéficiaires de l'aide sociale plutôt que de créer des emplois permanents.

Le programme Stage en milieu de travail fait fi de la Loi sur le salaire minimum. Les bénéficiaires de l'aide sociale représentent donc une main-d'oeuvre à bon marché pour les entreprises. Les mesures proposées par la réforme risquent de venir accentuer cet état de choses.

La réforme de l'aide sociale prévoit qu'une personne qui refuse sans raison valable un emploi, de même que celle qui cesse sa participation sans motif valable à une mesure, sera pénalisée. Il n'est pas mentionné ce qui constitue une raison valable. Nous craignons que des bénéficiaires soient pénalisés injustement, ceci étant dû à la grande latitude dont ne dispose les agents pour juger de telles situations et à l'absence de formation adéquate et pertinente.

Les bénéficiaires du programme APTE, en

plus de toutes les coupures dont ils feront l'objet, verront leur allocation pour leurs besoins spéciaux être réduites sans que l'on sache exactement ce qui sera coupé.

Le programme APPORT ne s'adresse qu'aux personnes qui ont des enfants à charge. Il ignore totalement les personnes sans enfant qui ont des revenus de travail insuffisants. Il a également le désavantage de soumettre au contrôle de l'État plusieurs travailleurs. Le fait d'accorder aux parents une aide financière pour compenser une partie des frais de garde des enfants ne règle pas le problème de trouver une place dans une garderie ou de trouver une gardienne fiable. Les garderies existantes ne suffisent pas à la demande.

La parité pour les jeunes de moins de 30 ans n'est réalisée qu'en apparence. Dans les faits, les jeunes de moins de 30 ans devront se soumettre aux mêmes critères que pour les prêts et bourses pour obtenir le plein montant. Plus de la moitié des jeunes de moins de 25 ans subiront des réductions de prestation à cause des nouvelles règles exigeant une contribution alimentaire des parents et imposant une coupure des prestations en cas de partage d'un logement. Cette situation est inacceptable. Le nouveau programme maintient la discrimination envers les jeunes puisqu'ils sont soumis à des critères différents d'admissibilité à l'aide sociale.

Conclusion. Ce qui nous frappe, à la lecture du document Pour une politique de sécurité du revenu, c'est la complexité du programme et la sévérité des contrôles. Le programme divise les bénéficiaires en non employables et en quatre catégories d'employables. La concrétisation d'un tel système passe par la réorganisation complète des structures en place. Le document prévoit l'amélioration des outils informatisés, l'ajout d'effectif, l'accentuation du programme de formation du personnel. Nous ne trouvons nulle part dans le document la comptabilisation d'un tel remaniement. Nous craignons que les coûts engendrés ne se fassent au détriment des bénéficiaires de l'aide sociale et que, de surcroît, la lourdeur du mécanisme administratif engendré par la réforme rende l'application de la loi encore plus difficile qu'elle ne l'est actuellement.

Le programme est aussi très coercitif. Tout d'abord, un grand nombre de bénéficiaires voient leur prestation réduite quand elle n'est pas totalement coupée, tel le cas de certains jeunes dépendants. Tous sont soumis à l'obligation alimentaire, ce qui ne tient pas compte de la situation familiale difficile dans laquelle se trouvent certains bénéficiaires: violence, inceste, etc.

Les bénéficiaires du programme APTE verront leur prestation réduite de 115 $ par mois s'ils partagent un logement ou habitent en chambre. Cette mesure est très sévère puisqu'elle porte atteinte à la liberté de choix du domicile et qu'elle annule les économies réalisées, écono-mies qui sont essentielles aux bénéficiaires. De plus, le document d'orientation est très vague en ce qui concerne la notion de chambreur. La chambre étant le principal mode d'hébergement accessible pour nos bénéficiaires, il est important que ce point soit clarifié de façon à ne pas pénaliser tous les chambreurs.

Le programme propose d'augmenter le taux de remboursement de l'aide versée en trop, alors qu'il est difficile de faire un budget avec les 25 $ par mois qui sont présentement prélevés. Il est aussi question d'introduire un test de revenu pour les bénéficiaires habitant en HLM, ce qui est inacceptable. Les neuf mois d'attente et les réductions de prestation correspondant à cette période nous semblent également inacceptables. Le critère de comparaison établi tout au long de la réforme de l'aide sociale est le salaire minimum, alors qu'on sait qu'il est insuffisant pour permettre à une personne ou à une famille de subvenir a ses besoins de façon acceptable.

Plusieurs questions restent sans réponse après la lecture du document. Quelles seront les coupures dans les besoins spéciaux des bénéficiaires du programme APTE? Quelles seront les nouvelles règles d'attribution du remboursement de l'aide conditionnelle? Quel sera le taux de remboursement de l'aide versée en trop? Qui évaluera l'employabilité du bénéficiaire? Qu'entendez-vous par des problèmes de santé temporaires? Est-ce que les chambres d'hébergement, à moyen et à long terme, fournies par le YWCA, Le Chaînon ou les OSBL de maisons de chambres, etc., seront considérées dans la diminution des allocations mensuelles des chambreurs et des chambreuses? À noter, plusieurs ressources d'hébergement du réseau d'aide comblent une partie de leurs dépenses avec une fraction de l'aide sociale de leur clientèle. C'est donc une conséquence directe pour la survie de nos organismes et pour la réinsertion sociale des sans-abri, si tel est le cas. Quels sont les critères qui détermineront le mode d'évaluation de l'employabilité? Est-ce que les facteurs sociaux, tels l'alcoolisme, la toxicomanie, le casier judiciaire, seront pris en considération face aux mesures proposées?

La réforme de l'aide sociale proposée met l'accent sur l'individu et pas du tout sur les facteurs sociologiques influençant le marché du travail. Or, il y a plusieurs bénéficiaires de l'aide sociale qui ont une formation ou de l'expérience de travail, mais qui ont été victimes des fermetures d'usine, du déménagement hors du Québec de leur employeur, de la disparition de leur emploi à cause de l'implantation de la robotique et de l'informatique, etc. Votre réforme n'apporte pas de solution à ces chômeurs.

La philosophie de votre document tend à faire porter toute la responsabilité de la situation des assistés sociaux sur eux-mêmes, ce qui est complètement irréaliste. À titre d'intervenants du milieu, nous nous interrogeons également sur le pouvoir discrétionnaire dont

jouiront les agents socio-économiques lorsqu'il s'agira d'établir les critères d'employabilité. Nous revendiquons le droit d'être consultés au moment crucial de la mise sur pied du nouveau programme.

Nous souhaiterions également que le nouveau texte de loi clarifie la notion de fiduciaire, à l'article 17, pour la rendre plus opérationnelle pour les organismes du milieu. Nous aimerions aussi que l'adresse des organismes du milieu soit reconnue de façon que les bénéfiaires de l'aide sociale qui sont sans-abri, temporairement ou en permanence, puissent recevoir leur chèque et ainsi permettre aux intervenants du milieu de les aider à se réorganiser.

Le succès d'une réforme de l'aide sociale, selon nous, est dépendant d'une plus juste répartition des gains sociaux de la collectivité, mais si l'emploi demeure la seule solution permanente pour se sortir de l'assistance sociale il faudra que le critère de création d'emplois soit ajouté aux fonds de démarrage et avantages fiscaux accordés à l'entreprise privée. C'est plus qu'une réforme de l'aide sociale qu'il faudrait pour atténuer les disparités sociales. Il faudrait également une réforme du travail lui-même et une réforme des préjugés des employeurs, ce que même la réforme la mieux structurée ne pourra jamais garantir.

Soyez assuré, M. le ministre, de la collaboration de tous les organismes du réseau d'aide, tant pour la mise sur pied que pour la concrétisation de la nouvelle loi de l'aide sociale. Concrètement, cela veut dire qu'on serait intéressé à faire partie du comité dont le groupe précédent a parié.

Le Président (M. Polak): Merci. Avez-vous terminé votre intervention? Je voudrais m'excuser parce que, aux fins des débats, je pense que je ne vous ai pas donné la chance de vous présenter. Je pense que c'est Mme Brunelle qui a parlé la première?

Mme Brunelle: Exactement.

Le Président (M. Polak): Donc, Mme Dutil, la deuxième.

Mme Dutil (Bibiane): Je n'ai pas parlé.

Le Président (M. Polak): Ah! elle n'a pas parlé!

Mme Dutil: Pas du tout.

Le Président (M. Polak): Mais vous avez tellement soutenu ce que l'autre disait que je pensais que vous aviez parlé.

Mme Dutil: Soutien moral.

Le Président (M. Polak): Oui, très bon. M. le ministre, une question.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président, j'aimerais remercier le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal inc. On me prépare généralement une petite note me décrivant l'organisme, le nombre de membres, sa clientèle, ses objectifs, etc. Dans votre cas, je souhaiterais peut-être que la commission puisse bénéficier de votre expérience sur le terrain. Ce qu'on m'indique, c'est que votre clientèle, ce sont des personnes seules et itinérantes de Montréal. Il y a toutes sortes de chiffres qui circulent. Moi, j'en citais, lorsque j'étais dans l'Opposition, et sans doute que je les exagérais. J'en reçois lorsque je suis au gouvernement et sans doute que je tente de les diminuer. Quelle est votre appréciation, en termes de nombre, si on prend la grande région de Montréal qui est le territoire que vous couvrez, des personnes qu'on peut qualifier de sans-abri et d'itinérantes? Je sais que ce que je vous demande, étant donné qu'il s'agit de sans-abri et d'itinérants, c'est une évaluation et une approximation parce que, par définition, c'est...

Mme Dutil: Cela dépend de la définition que l'on donne au mot "itinérance". À partir de ce moment, cela laisse place à plusieurs chiffres. Moi, je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre exact. Je serais plutôt en mesure de vous parler du problème social comme tel. En termes de chiffres, Diane, peut-être que tu aurais...

Mme Brunelle: C'est le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes do Montréal inc. qui avance le chiffre de 10 000. Cela comprend les jeunes, les femmes, les personnes qui sont temporairement ou en permanence sans abri. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup plus de personnes qui ont des chambres de temps à autre, qui quittent leur chambre, qui quittent le Québec et qui reviennent. C'est extrêmement mobile comme phénomène. Si, nous, on fait l'ensemble de tous les organismes du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal inc. qui s'occupe de ces gens, on évalue cette population à environ 10 000.

Mme Dutil: J'aimerais juste ajouter, si vous le permettez, que le problème n'est pas un problème de chiffres. C'est un problème de la gravité de la situation que ces gens vivent. Parce qu'ils sont sans abri, on ne peut pas les calculer. Donc, on a une idée du nombre parce qu'ils utilisent nos ressources. Il y en a aussi qui n'utilisent pas nos ressources, donc, on ne les rencontre jamais. Le problème à savoir si c'est 3000 ou 10 000, ce n'est pas cela le problème. C'est le vécu de ces gens. C'est sur cela qu'il faut s'attarder.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si on revient à ce vécu, à l'expérience que vous avez vécue à ce jour avec cette clientèle, quelle proportion ou

quel pourcentage de ces gens que j'appellerais les non inscrits dans le système ne reçoivent ni de l'aide sociale, ni de l'assurance-chômage, ni de l'aide de quelque nature que ce soit du système en place, soit structuré, soit non structuré, avant d'arriver chez vous? Quel est le pourcentage qui reçoit une aide sous forme d'aide sociale et est-ce que vous avez des bas salariés qui se trouvent à utiliser vos services?

Mme Dutil: Moi, je travaille à l'Accueil Bonneau. Je m'occupe d'hommes. Nous sommes trois intervenants sociaux qui travaillons chez nous et qui nous occupons de quelque chose que vous ne connaissez peut-être pas; c'est pour cela qu'on fait allusion dans notre document à la notion de fiducie. Je suis fiduciaire de 60 assistés sociaux qui sont des gars sans abri et d'une instabilité chronique. Si je n'étais pas là pour recevoir leur chèque de bien-être social et pour l'administrer, ils seraient parmi ceux que vous venez de nommer, des gens qui ne reçoivent rien. Tous les jours, toutes les semaines, on m'amène des gens qu'on a ramassés dans le parc, qui n'ont rien, qui ne sont pas capables d'avoir quoi que ce soit parce qu'ils ne sont pas suffisamment structurés. Ils ne pourront pas avoir l'initiative d'aller vers quelque système d'aide social que ce soit, il faut le faire à leur place. (12 h 45)

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Parmi ces individus, il y a des gens qui ont eu ou qui souffrent de déficiences. S'agit-il de gens qui ont subi une politique de désinstitutionnalisation et qui ont été un peu abandonnés?

Mme Dutil: Cela existe, c'est présent. Mme Brunelle pourrait le dire pour les femmes et je peux le dire pour les hommes. On calcule qu'environ 40 % de la clientèle que l'on aide, ce sont des cas désinstitutionnalisés qui ont un dossier psychiatrique. C'est énorme. C'est une grosse réalité.

Quand j'ai lu votre document, j'étais presque rassurée parce que je me disais: Nos gars seront tous non employables, parce qu'ils ont... À la rigueur, cela nous aiderait, mais notre inquiétude est à savoir: Qui va déterminer la non-employabilité de ces gens-là? Si on ne nous consulte pas, nous qui sommes quotidiennement avec ces cas-là, qui avons le dossier social de ces cas-là, ils risquent d'être parmi vos personnes aptes à travailler et cela va être la catastrophe.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Un risque supérieur à celui-là - c'est peut-être la dernière intervention que je vais faire parce que le député de Sainte-Marie souhaite également intervenir... Ils risquent non seulement sur le plan de la qualification, mais si vous ne les amenez pas ils risquent de ne jamais être là, d'être dans aucun des programmes, d'après ce que je comprends.

Mme Dutil: Absolument. C'est pour cela qu'on vous demande la reconnaissance sociale de ces organismes-là parce qu'il est utopique de penser que ces gars-là vont aller vers le système, ils n'iront jamais.

Le Président (M. Polak): Mme la députée de Maisonneuve, votre droit de réplique.

Mme Harel: À moins que le député de Sainte-Marie...

Le Président (M. Polak): Quant à nous, on respecte l'alternance. Donc, si vous voulez poser vos questions, M. le député de Sainte-Marie, et ensuite...

M. Laporte: C'est juste une observation au début.

Mme Harel: D'accord. Non, vous pouvez y aller.

M. Laporte: C'est pour vous, moi, cela ne me dérange pas. Cela ne sera pas tellement long. Je voudrais simplement remercier les représentants du réseau qui sont venus nous rencontrer. C'est un document ou, à tout le moins, un dossier pour lequel j'ai une certaine forme d'attachement depuis le 2 décembre 1985. J'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises d'ailleurs, d'aller à l'Accueil Bonneau. Il y a aussi ceux qui s'occupent de la gestion des maisons de chambres sur la rue Saint-Hubert qui sont un peu, comme vous l'avez souligné tantôt, des fiduciaires et qui, eux, je pense, débordent un peu dans le sens qu'ils font l'administration complète, en donnant tel montant chaque jour, de 5 $ à 10 $, pour essayer de faire une forme d'intégration et qui sont suivis aussi sur le terrain. À ce moment-là, on m'avançait le chiffre, quant aux personnes qui ne sont pas comptabilisées dans le système, d'environ 350 à 400.

Mme Dutil: Oui.

M. Laporte: C'est ce nombre, environ, qu'on a évoqué. Vous avez dit beaucoup de choses à l'intérieur de votre mémoire, que vous avez résumées. J'ai trouvé cela fort intéressant, principalement sur l'habitation. On sait que cette clientèle-là n'a pas de toit, pour une grande partie, ou utilise des refuges ou des endroits plus particuliers. Vous avez mentionné le cas des HLM, OSBL, coopératives, de façon générale. Je pense que c'est une très bonne observation dont on devra tenir compte, à tout le moins.

Cependant, dans tout ce programme de réforme de l'aide sociale, il y a une préoccupation par rapport à la clientèle que vous desservez. Ce qui me vient à l'esprit, dans la définition ou dans le programme Soutien financier, pourrait-on dire, c'est ce qui détermine l'aptitude ou

l'inaptitude des gens. Dans votre clientèle, certains souffrent de toxicomanie ou d'alcoolisme, comment essaie-t-on de définir cela? Est-ce que c'est défini comme une maladie? À quel stade peut-on le dire? On pourrait exprimer... J'en ai parlé à plusieurs reprises, ce n'est pas un acte qu'on pourrait dire... L'alcoolisme est un acte volontaire. Sans nécessairement entrer dans les détails, car je ne voudrais pas entrer dans un débat philosophique là-dessus, quant au contexte sociologique, ce n'est pas un bras cassé ou autre chose ou un fait extérieur. On pourrait s'exprimer ainsi sur la définition de la maladie ou sur la désinstitutionnalisation, entre guillemet, de la maladie mentale.

Comment pourrait-on essayer de définir cela, justement, dans le cadre de cette réforme par rapport à la clientèle que vous desservez? C'est tout cet aspect de la clientèle que vous desservez qui me préoccupe un peu. Est-ce que vous avez réfléchi à cette dimension, dans le cadre de la réforme et de la clientèle que vous desservez? Comment la classifier, la définir? Quelles sont ses formes de gradation? Peut-être pourrait-on la retrouver à l'intérieur?

Mme Dutil: Pour répondre à la question, dans l'état où nous recevons ces gens-là, c'est évident qu'ils sont non employables. Ils n'ont pas de stabilité, à aucun niveau. L'alcoolisme, chez eux, c'est l'état extrême de cette maladie. C'est donc une chronicité. Que ce soit une maladie ou une autre, c'est un état de chronicité qui fait qu'ils ne peuvent pas s'intégrer dans un système, le plus ouvert soit-il. Ils ont un travail à la base à faire qui est énorme, qu'on fait quotidiennement, qui peut amener éventuellement à changer leur statut de chronicité en personne réadaptable. Mais cela ne se quantifie pas en termes de temps parce que c'est du travail qui se fait énormément auprès de chaque individu. C'est comme cela que nous le voyons.

M. Laporte: Et vous, comment percevez-vous le travail que vous faites actuellement et les compétences que vous possédez dans ce domaine, en ce qui a trait à la latitude, aux pouvoirs que les gens appliqueraient en regard de ce qui est proposé actuellement? Peut-être que je devrais le poser autrement. Quelle est la forme d'interrelation et où voyez-vous votre intervention là-dedans?

Mme Brunelle: Comme on le dit dans le mémoire, les problèmes vécus par ces personnes sont à ce point complexes qu'on doute de la possibilité qu'un agent de l'aide sociale, qui ne connaît pas la personne... Et c'est fait aussi dans un contexte de contrôle. La personne n'ira pas s'ouvrir à quelqu'un qui a quasiment un pouvoir de vie ou de mort sur elle. C'est cette personne qui lui donne son chèque ou pas. Il n'y a pas de possibilité de faire l'évaluation dans un contexte comme celui-là.

Ce qu'on dit, c'est que ce sont des gens qu'on connaît. On leur offre des services, donc, on les connaît souvent depuis longtemps. On est au courant de leurs problèmes psychiatriques, de leurs problèmes de toxicomanie, d'alcoolisme. Il y a d'autres problèmes aussi.

Tout à l'heure, d'autres groupes parlaient d'alphabétisation. L'alphabétisation, ce n'est pas si facile que cela. Moi, je peux faire référence à une femme que je connais. Elle ne sait ni lire ni écrire. Elle est allée à l'école, mais elle ne peut pas apprendre à lire, ni à écrire parce qu'elle n'a pas de mémoire. Elle n'est pas capable de se souvenir. Donc, elle a dans sa sacoche un paquet de papiers avec son adresse, son numéro de téléphone. Comment allons-nous scolariser une personne comme celle-là? Elle a une déficience, eile n'a pas de mémoire. Elle ne peut pas se souvenir.

Mme Dutil: Ce qu'on demande, en fait, c'est d'avoir une certaine reconnaissance comme professionnels du milieu, qu'on nous consulte un peu et qu'on arrête de nous mettre des bâtons dans les roues. On fait l'évaluation d'une situation, on soumet donc le dossier à l'aide sociale pour une demande d'aide sociale parce qu'on fait affaire avec des gens dont l'indigence n'est pas à prouver, je pense, et les agents de l'aide sociale nous disent: II n'a pas le droit à l'aide sociale, il n'a pas d'adresse. On se fait dire cela 20 fois par jour.

Quand on vous demande que nos organismes soient reconnus comme adresse pour les individus qui n'en ont pas, c'est ce qu'on veut dire, qu'on cesse de se faire mettre des bâtons dans les roues par le système. Si vous me refusez l'aide sociale pour ce gars-là, cela ne me fait rien. Je vais aller en révision. Je vais vous prouver son indigence. C'est du temps perdu parce que l'indigence de quelqu'un qui n'a plus rien, c'est bien facile à prouver. Par contre, le système étant là avec des règles, si les agents d'aide sociale qui ont une latitude énorme à l'intérieur de cela nous mettent des bâtons dans les roues, on perd notre temps, au lieu d'intervenir, à essayer d'agir contre le système. On voudrait que la nouvelle loi le prévoit de façon que cela ne se produise pas, tout simplement.

Le Président (M. Polak): Je pense qu'il est temps maintenant de passer la parole à Mme fa députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Cela me fait plaisir également de pouvoir profiter de votre expérience. Le réseau d'aide s'adresse à des groupes d'accueil autant pour les femmes que pour les hommes, sauf pour les maisons d'hébergement, sauf la problématique de la violence conjugale. Est-ce le cas? Les femmes seules itinérantes ou celles qui ont subi, par exemple, une violence sexuelle, viol, inceste, c'est votre réseau qui reçoit ces groupes de femmes, c'est

bien cela?

J'aimerais revenir parce que je lisais dans votre mémoire... Vous nous parliez, au chapitre de la contribution parentale, des difficultés que cela pouvait créer, notamment dans les situations familiales difficiles dans lesquelles se trouvaient certains de vos bénéficiaires. Vous nous parliez de cas d'inceste, de cas de violence et cela m'a rappelé effectivement des chiffres assez alarmants sur l'inceste en milieu familial. Est-ce une réalité avec laquelle vous avez à travailler quotidiennement à Montréal?

Mme Brunelle: Moi, je travaille auprès des femmes au YWCA. Je travaille au service de la résidence. On fait de l'hébergement à moyen et à long terme. On fait aussi de l'hébergement d'urgence. Quand on parle du soutien alimentaire de la famille, j'ai tout de suite en tête une jeune fille que j'ai hébergée il y a un mois. Elle avait 18 ans et elle avait quitté le foyer familial parce qu'elle subissait de la violence de la part de son père. Je vois mal cette fille devoir aller demander à son père 100 $ par mois, alors qu'elle vit dans une ressource d'hébergement parce qu'elle a quitté une situation de violence.

Mme Harel: Cette situation n'avait pas été sanctionnée par une poursuite judiciaire ou par une déclaration policière. Elle a quitté et elle n'en a pas reparlé. C'est avec vous qu'elle en a reparlé comme personne-ressource. Mais la question est celle-ci: Irait-elle se confier à un agent de bien-être? Comment cet agent de bien-être la recevra-t-H? Avec le Manitoba, nous sommes les deux seules provinces où les agents ne sont pas des travailleuses et des travailleurs sociaux. Ils n'ont pas cette formation qui leur permettrait nécessairement de connaître les problématiques sociales. C'est l'autre réalité du Québec. Les agents sont surtout des agents de distribution de prestations.

Vous disiez tantôt: Vingt fois par jour je me fais refuser toujours par les mêmes personnes. Pensez-vous qu'elles sont de bonne foi, mais qu'elles doivent appliquer les règlements ou si c'est parce qu'elles ne veulent pas... Qu'est-ce qui ne va pas?

Mme Dutil: Ce sont de bons fonctionnaires qui appliquent la loi à la lettre. Quand on parte de pouvoir discrétionnaire, c'est parce que vous avez aussi affaire à des gens qui se servent de leur pouvoir discrétionnaire pour dire que cela fait assez longtemps qu'ils ont des cas conjoints avec nous. Nous connaissons le travail que vous faites. Ils sont très collaborateurs. Par contre, nous sommes toujours soumis à ce qui peut survenir d'un nouveau ou de quelqu'un qui décide précisément d'appliquer la loi à la lettre. À ce moment-là, on a toujours à redéfendre les mêmes points parce que l'ancienne loi... Ce qu'on vous dit finalement, c'est qu'on s'enfarge encore dans l'ancienne loi. S'il vous plaît, s'il y en a une nouvelle, essayez d'éviter les erreurs passées.

Mme Harel: D'accord. Avez-vous l'impression que votre clientèle est sujette à des préjugés en ce qui concerne la structure de l'aide sociale? Je ne parle pas de préjugés envers la société, c'est évident, mais je parle de la part des agents. Avez-vous parfois l'impression qu'H y en a qui réagissent en disant: Ils ne veulent pas s'aider ou quelque chose comme ça?

Mme Dutil: C'est inévitable, ça, Mme Harel. Mme Harel: Ah oui!

Mme Dutil: C'est inévitable. Sauf qu'il y a peut-être deux bureaux - j'en profite pour le dire ici - d'aide sociale avec lesquels on fait le plus affaire et qui s'appellent les bureaux 278 et 279. Je considère que ces gens sont des missionnaires.

Mme Harel: Sont-ils sur la rue Ontario? Mme Dutil: Sur la rue Sainte-Catherine.

Mme Harel: Sur la rue Sainte-Catherine, d'accord.

Mme Dutil: Ce sont des agents d'aide sociale. Il ne faut quand même pas tous les blâmer. Ils sont des missionnaires, ces gens-là. Ils sont absolument extraordinaires.

Mme Harel: Absolument. D'accord. Et c'est important qu'on le dise aussi, je pense...

Mme Dutil: Oui.

Mme Brunelle: Je voudrais juste ajouter, si vous le permettez...

Mme Harel: ...parce qu'il y en a effectivement plusieurs parmi eux. Ce n'est pas simple parce que la société qu'ils voient défiler, c'est une société qui pourrait les amener à être bien pessimistes, n'est-ce pas? Oui, Mme Brunelle.

Mme Brunelle: Je voulais seulement ajouter quelque chose par rapport à l'attitude des agents de l'aide sociale. Leur service à la clientèle est très minable. Pour que les gens puissent parler à leur agent, il faut qu'ils téléphonent le matin entre 8 h 30 et 9 h 30. S'ils téléphonent après, ils se font répondre que leur agent est sur la route et de rappeler à 8 h 30 le lendemain. Mais tout le monde doit appeler entre 8 h 30 et 9 h 30 et les lignes sont toujours toutes occupées. Cela veut dire que la personne...

Mme Harel: Je vois que le ministre écoute. Vous dites que présentement, entre 8 h 30 et 9 h 30, c'est le seul temps...

Mme Brunelle: C'est le temps où on demande aux gens d'appeler leur agent. S'ils appellent après cette heure, on leur demande de rappeler le lendemain entre 8 h 30 et 9 h 30. Le téléphone est évidemment toujours engagé pendant cette période. Pour que la personne ait accès à son agent, il faut qu'une tierce personne appelle, disons nous autres ou l'Accueil Bonneau. Nous nous identifions comme étant de telle ressource et, là, on rejoint l'agent. C'est très humiliant pour les gens. Ils ne peuvent pas régler eux-mêmes leur situation. Ils doivent passer par quelqu'un d'autre.

Mme Harel: Oui, je le sais. Je ne voudrais pas qu'on se quitte avant que vous nous ayez parlé de la question des chambreurs. Vous êtes un des groupes, parmi tous ceux qui vont venir, qui avez définitivement le plus d'expérience ou d'expertise sur cette question.

J'aimerais peut-être, juste avant d'examiner cette question-là... Vous remettez en question le fait que la comptabilisation d'un tel remaniement - en fait, c'est votre expression dans le mémoire - pourrait créer vraiment beaucoup de problèmes et vous les énoncez rapidement. Ce matin, il y avait un article dans un journal, Le Devoir pour ne pas le nommer, qui disait: "Ce qui nous renvoit à la problématique des coûts administratifs que comporte cette réforme et que le document de consultation de M. Paradis semble tenir pour négligeables."

C'est pourtant...

Mme Dutil: Est-ce que je peux vous répondre là-dessus? Moi, je ne suis pas une économiste, mais je peux vous donner mon expérience. Donc, moi, je qualifie ce que je fais à l'Accueil Bonneau comme travailleuse sociale de travail personnalisé auprès de cas problèmes et je peux vous donner un ordre de grandeur. Moi, j'ai entre 60 et 65 dossiers actifs. Vous parlez dans votre réforme de l'aide sociale de service personnalisé. C'est ce que vous souhaitez. Cela signifie, M. Paradis, que vous allez devoir multiplier par dix le nombre de travailleurs dans chaque bureau de l'aide sociale, parce que si vous calculez qu'un agent a, actuellement, entre 500 et 600 dossiers chacun... Combien?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Autour de 400.

Mme Dutil: En tout cas, moi, on m'a dit, dans le secteur où je travaille, qu'il y avait souvent entre 500 et 600 dossiers.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce que je vous donne, c'est une moyenne. C'est possible que vous en ayez 600 dans un bureau et 200 dans l'autre.

Mme Dutil: Cela vous donne quand même un ordre de grandeur, si vous voulez donner un service.

Mme Harel: Disons qu'on est dans l'est, pas dans l'ouest.

Mme Dutil: Disons que, si vous suivez cet ordre de grandeur, cela veut dire qu'il faut peut-être multiplier par huit le nombre d'emplois qu'il va falloir créer dans ces bureaux-là pour donner le service personnalisé. Non?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si la députée de Maisonneuve m'y autorise, je pense que s'il fallait emprunter cette avenue, ce serait une mauvaise piste. Ce qu'on finirait par faire, ce serait de bureaucratiser à outrance le service de sécurité du revenu. Je pense qu'on a avantage à mettre à contribution les groupes communautaires plutôt que de grossir de façon très mathématique la fonction publique.

Mme Dutil: Je vous disais cela parce que, si je me fie à la réforme, quand j'ai "service personnalisé", je me suis dit: Je ne sais pas s'il sait à quoi il s'engage. J'avais l'impression que c'était gros.

Mme Harel: Les chambreurs: il ne faut quand même pas se quitter avant que vous nous en parliez.

Présentement, une personne assistée sociale qui fait un revenu en louant une chambre a une réduction de sa prestation, mais la personne qui est chambreur, elle, n'a pas de réduction. On s'entend, c'est bien cela? Voilà. C'est-à-dire que c'est la personne qui fait le revenu qui a les 85 $ de moins. Là, présentement...

Mme Dutil: Excusez-moi, Mme la députée, c'est la personne... Voulez-vous répéter?

Mme Harel: Oui. C'est la personne, si vous voulez, qui fait le revenu qui a la réduction. Par exemple, vous êtes assistée sociale et vous louez une chambre dans votre maison. Là, vous avez une réduction de votre prestation mensuelle. Mais si vous êtes le locataire, le chambreur, vous avez le plein montant. Avec la réforme, vous mettez en garde le gouvernement du fait que votre clientèle, ce sont des chambreurs. Ce sont des chambreurs qui louent des chambres dans des maisons de chambres et vous dites: Eux aussi pourraient être victimes de la réduction de 115 $.

Mme Dutil: Dans...

Mme Harel: Allez-y. En plus de cela, les organismes que vous représentez offrent eux-mêmes des chambres aux itinérants, par exemple, et à ce moment-là les personnes qui les habitent pourraient être coupées de 115 $. C'est cela?

Mme Dutil: C'est que ce n'est pas précis.

Le document de réforme parle de chambreurs sans préciser si les chambreurs sont des personnes qui louent des chambres dans une maison de chambres familiale ou des chambreurs qui louent des chambres dans une maison de chambres. Vous payez comme un loyer, mais vous payez une chambre. Le document de réforme...

Mme Harel: Ce qu'on connaît, la chambre dans laquelle il y a un poêle...

Mme Dutil: Pas toujours.

Mme Harel: Pas toujours? Ah! Mon Dieu, oui! Avec le réfrigérateur et tout, avec la fumée, avec...

Mme Dutil: L'unité de logement qui s'appelle chambre.

Mme Harel: C'est cela.

Mme Dutil: Ce n'est pas spécifié dans le document, alors, n'oubliez pas de le spécifier dans la loi.

Mme Harel: Je vous remercie d'avoir alerté, finalement, la commission sur cette question des chambreurs. Elle est extrêmement importante. À combien évaluez-vous le nombre de chambreurs à Montréal? Je ne me rappelle plus exactement. Je sais que c'est assez imposant dans le quartier... Je sais que dans mon quartier, c'est plus de 2000, mais je ne sais pas combien. Avez-vous une idée du nombre de chambreurs qui louent des unités dans des maisons de chambres?

Mme Dutil: Moi c'est la majorité des gars. C'est ce qu'on tente de faire avec la majorité des gars dont je m'occupe. Cependant, c'est un secteur tellement... C'est Pierre Legros, du CLSC Centre-vHIe, qui aurait pu vous répondre à une question comme celle-là. C'est le spécialiste dans le milieu. Ce que je peux dire, c'est que c'est un secteur qui est extrêmement dynamique en ce moment. Il y a la disparition de maisons de chambres, il y a énormément de transformation et il y a heureusement l'apparition de certains...

Mme Harel: ...de la vHIe de Montréal.

Mme Dutil: ...logements sociaux tel Cham-bredor et ces choses, ce qui est très intéressant.

Mme Harel: Je vous remercie d'être venues devant la commission. Je crois que c'était extrêmement important que vous veniez représenter une clientèle qui, de toute façon, ne sait même pas, sans doute, qu'on se réunit aujourd'hui. Je vous remercie.

Mme Dutil: Merci de votre écoute et on vous réitère l'invitation de dire qu'on est toujours disponible dans les étapes subséquentes de la mise sur pied de cette loi. On sera toujours disponible. Vous n'avez qu'à faire appel à nous.

Le Président (M. Polak): Merci beaucoup. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci. On sait que vous avez déjà une charge de dossiers qui est importante, mais on sait que ce sont généralement les gens qui sont les plus occupés et qui ont le plus de responsabilités qui sont les plus disponibles et qui possèdent cette expérience pratique qui nous est absolument indispensable si on veut éviter les écueHs majeurs dans l'application de programmes gouvernementaux de quelque nature que ce soit. Je vous remercie de votre présentation orale, de même que du mémoire écrit que vous nous avez soumis, ainsi que des approches nouvelles et intéressantes que vous avez apportées à cette commission. Merci pour tout cet éclairage.

Le Président (M. Polak): Merci. Je vous remercie également, juste en soulignant qu'on vous a visités déjà avec le ministre Bourbeau, à l'Accueil Bonneau; j'y étais moi-même et j'ai été très impressionné par votre travail. Malheureusement, vous n'avez pas eu une heure complète, mais je pense que vous avez eu beaucoup de sentiments et beaucoup de compréhension du problème de la part des membres de la commission.

Mme Dutil: Merci beaucoup.

Le Président (M. Polak): Je vous remercie beaucoup.

Mme Dutil: Merci infiniment.

Le Président (M. Polak): Maintenant, je dois annoncer que la commission ajourne ses travaux sine die parce qu'il y aura des élections assez importantes qui auront lieu pour un président et un vice-président. Je n'ai pas encore reçu les noms des candidatures et tout le reste, je ne suis plus membre de cette commission non plus.

Donc, on va demander au président de prendre charge.

(Suspension de la séance à 13 h 8)

(Reprise à 13 h 11)

Élection du président et du vice-président de la commission

Le Président (M. Sairrtonge): La commission des affaires sociales se réunit et je constate que nous avons quorum. Je déclare donc la séance ouverte.

La commission des affaires sociales est

réunie afin de procéder à l'élection du président et du vice-président de la commission. Je vous rappelle l'article 134 du règlement de l'Assemblée nationale qui stipule: "Au début de la première session de chaque Législature, et au besoin pendant celle-ci, les commissions élisent parmi leurs membres, pour deux ans, un président et un vice-président." L'article 135: "Le président et le vice-président de chaque commission sont élus à la majorité des membres de chaque groupe parlementaire."

Je vous rappelle que, suivant une décision de la commission de l'Assemblée nationale ce matin, les votes à la commission des affaires sociales sont répartis comme suit: neuf membres du côté ministériel, trois membres de l'Opposition et un député indépendant. Conformément à l'article 127 du règlement, la commission de l'Assemblée nationale a arrêté aujourd'hui que la présidence de cette commission revenait à un membre du groupe parlementaire formant le gouvernement et que le poste de vice-président revenait à un membre du groupe parlementaire formant l'Opposition.

Je suis maintenant prêt à recevoir toute proposition de mise en candidature pour le poste de président de la commission des affaires sociales. Est-ce qu'il y a un proposeur?

M. Laporte: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Saintonge): M. le député de Sainte-Marie.

M. Laporte: Après ces excellentes explications qui nous permettent de bien fonctionner, j'aimerais proposer M. Guy Bélanger, député de Laval-des-Rapides, comme président de la commission.

Le Président (M. Saintonge): Très bien. J'ai donc une proposition. Est-ce qu'il y a d'autres propositions? Il n'y a pas d'autre proposition. Est-ce que cette motion proposant que M. le député de Laval-des-Rapides soit élu président de la commission des affaires sociales est adoptée?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Saintonge): Adopté à l'unanimité. Très bien. Mon rôle se termine ici comme président de l'assemblée en remplacement du président, mais le mandat de la commission n'est pas acquitté à ce moment-ci. Je vais inviter le président nouvellement élu à prendre place et à procéder à l'élection du vice-président.

Le Président (M. Bélanger): Je remercie le député de Laprairie et vice-président de l'Assemblée nationale. J'accepte évidemment.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bélanger): Est-ce qu'il y a une proposition pour le poste de vice-président de la commission? On sait qu'en vertu des ententes qui existent, si le président est de la faction ministérielle, le vice-président est de l'Opposition. Est-ce qu'il y a une proposition?

Mme Harel: De ma formation politique, M. le Président, j'ai l'honneur de proposer le député de Terrebonne, M. Yves Blais.

Le Président (M. Bélanger): Est-ce qu'il y d'autres propositions? Est-ce que cette motion est adoptée?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Bélanger): Adopté. Alors...

M. Blais: M. le Président, M. le Président, il faut que j'accepte.

Le Président (M. Bélanger): De toute évidence, oui. Est-ce que vous acceptez?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Blais: M. le Président, je vais prendre 30 secondes pour mon acceptation. J'accepte parce que vous êtes le président de cette commission et que je sais que, dans Laval, il manque beaucoup de lits de longue durée et que l'école Leblanc pourrait être transformée en centre d'accueil de lits de longue durée. Vu que je manque d'école de mon côté, je pourrais avoir mon école secondaire. Alors, ensemble, dans cette commission, nous pourrons travailler et j'accepte avec plaisir.

Le Président (M. Bélanger): Vous voyez, M. le député de Terrebonne, vous faites mention d'un problème qui me tient à coeur, d'abord, parce qu'il est dans mon comté et parce que ces transferts touchent directement mes enfants. Étant en conflit d'intérêts, je me suis abstenu dans ce dossier à deux mains.

L'ordre du jour étant épuisé, la commission suspend ses travaux sine die.

(Suspension de la séance à 13 h 15)

(Reprise à 16 h 21)

Auditions (suite)

Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît.

Je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place afin que la commission des affaires sociales puisse procéder à une consultation générale, s'il vous plaît, et tenir des auditions publiques afin d'étudier le document intitulé "Pour une politique de sécurité du revenu".

Nous recevons comme premier groupe la Ligue des droits et libertés, qui est présentement installée à la table des témoins. La ligue est représentée par Mme Louise Leboeuf, Mme Lucie Bélanger, Mme Myriame Raymond et M. André Paradis.

Vous connaissez nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes ferme pour présenter votre mémoire et il y a environ 40 minutes de discussion avec les parlementaires. Je vous prierais, avant de passer à la présentation de votre mémoire, d'identifier d'abord votre porte-parole, de présenter l'équipe et, chaque fois que l'une ou l'un d'entre vous aura à intervenir, de bien vouloir s'identifier pour les fins de transcription au Journal des débats.

Alors, je vous en prie, procédez.

Ligue des droits et libertés

Mme Leboeuf (Louise): Je suis Louise Leboeuf, vice-présidente de la Ligue des droits et libertés. Je vais faire la présentation générale mais, dans la partie qui touche toute la question de la vie maritale, c'est Myriame Raymond, qui est avocate, qui va apporter les informations et la position de la ligue dans ce domaine. Les conclusions du mémoire seront apportées par Lucie Bélanger, qui est à l'autre bout. À ma gauche, André Paradis, qui est le directeur général de la ligue, pourra répondre à certaines questions.

La Ligue des droits et libertés trouve que le document sur l'orientation actuelle du gouvernement concernant sa politique de sécurité du revenu remet dangereusement en cause des acquis fondamentaux tels que le droit à l'aide sociale, le droit aux normes minimales du travail et le droit au travail comme tel. Pour nous, l'État a le devoir d'assurer à tout citoyen et à toute citoyenne la satisfaction des besoins de base selon un minimum vital, quelle que soit la cause de l'insuffisance de son revenu. C'est une question de justice, de répartition équitable de la richesse collective d'autant plus imperative que nous assistons à une détérioration importante des conditions de vie et de travail des classes populaires. On voudrait rapporter à ce chapitre que, depuis dix ans, le salaire minimum, par exemple, a été indexé seulement de 27 %, alors que si on le compare au salaire industriel moyen, l'indexation a été de près de 80 %. Cela a suivi à peu près l'indexation du coût de la vie. Ainsi, le document propose, dans son discours, une justice et une équité mais, dans le fond, c'est plus l'équité entre les populations les plus pauvres et on veut plus ramener à la baisse certaines personnes comme les assistés sociaux qui, depuis les dix dernières années, avaient vu leur prestation indexée au coût de la vie. Nous, par exemple, dans nos recommandations, on propose plutôt de réajuster le salaire minimum. Ce n'est pas en amenant une détérioration des conditions de vie plus grande que celle qui existe, qui est là en ce moment, qu'on va régler le problème.

On trouve aussi que, depuis le dépôt du livre blanc sur la fiscalité des particuliers, il y a déjà des mesures mises en place qui sont dans le cadre de l'orientation actuelle de la politique de sécurité du revenu. Par exemple, toutes les modifications qu'il y a eu concernant la réglementation ont visé essentiellement à économiser sur les sommes versées aux bénéficiaires de l'aide sociale, à appauvrir les gens qui étaient déjà pauvres et à resserrer les contrôles. On se réfère, entre autres, à tout le programme des visites à domicile qui a été mis en place, avec lequel la Ligue des droits et libertés est toujours en désaccord parce qu'il ne s'agitt pas d'un assentiment véritable des gens, quand ils laissent entrer des agents d'aide sociale dans leur maison. La ligue s'inquiète particulièrement d'une aide sociale qui devient la résultante d'un rapport charitable, du glissement du droit au travail vers la conscription dans des programmes d'employabilité, d'un marché de te main-d'oeuvre échappant totalement à la Loi sur les normes minimales du travail, de l'élargissement des contrôles tels que ceux subis à l'aide sociale, aux salariés à faible revenu, par le programme APPORT. On pourrait parler aussi de l'ensemble des personnes assistées sociales et au salaire minimum qui vont être surveillées dans tout le programme de cohabitation. Comment allons-nous faire pour vérifier si les gens cohabitent réellement? Est-ce la même procédure qui sera appliquée que celle qui est appliquée actuellement aux femmes dans les situations de vie maritale?

On est inquiet aussi des remaniements des seuils de revenu minimum servant à établir les barèmes de l'aide sociale. Il y a une partie du mémoire qui approfondit plus ce sujet. On trouve inacceptable que l'échéance soit continuellement reportée en vue d'accorder des prestations d'aide sociale équivalentes aux plus de 30 ans et aux jeunes actuellement. Pour nous, à court terme, il faut vraiment donner la parité de l'aide sociale aux personnes de moins de 30 ans.

On a abordé dans le mémoire certaines questions. On les définit en quatre parties. Cela ne veut pas dire que ce qu'on n'aborde pas, entre autres concernant la contribution alimentaire, concernant la situation des personnes handicapées, concernant la situation spécifique des jeunes de moins de 30 ans... Ce n'est pas défini dans le mémoire, mais cela ne veut pas dire qu'on est d'accord avec ce que la politique de sécurité du revenu avance en termes d'orientation.

Dans un premier temps, la méthodologie qu'on utilise pour définir les seuils de revenu minimum. D'après ce qui est dit dans le document, "le gouvernement veut aider à rétablir des principes de justice et d'équité pour l'ensemble de la société" mais, dans les faits, il nous propose de gérer l'inégalité sur des bases économiques moins avantageuses pour les pauvres.

La Ligue des droits et libertés remet en question l'approche choisie par le gouvernement pour déterminer les besoins essentiels et le montant minimal accordé à chaque ménage.

En fait, le document propose une méthode où on va calculer le seuil de revenu minimum selon les dépenses de consommation des familles les plus pauvres. Même les familles dont l'adulte travaille actuellement au salaire minimum, vivent déjà au-dessous du seuil de pauvreté. Ils doivent ajuster leurs dépenses de consommation à un revenu qui est déjà insuffisant. Qu'on prenne cela comme référence, c'est trompeur parce que cela ne tient pas compte du type de société dans lequel on vit, d'abaisser un niveau de revenu pour toute une partie de la population. Pour nous, l'orientation gouvernementale contribuera à agrandir l'écart entre les plus pauvres et les mieux nantis de la société.

Il ne faudrait pas non plus oublier le fait que le salaire minimum a été gelé pendant cinq ans. Ce qui est proposé, c'est toujours en termes comparatifs pour dire qu'il ne faut pas que les assistés sociaux aient un revenu supérieur à celui des gens qui travaillent au salaire minimum. Il faudrait plutôt penser à faire un rattrapage de ce qui n'a pas été donné dans les dix dernières années et prévoir que les gens aient des revenus suffisants. Pour nous, quelqu'un devrait pouvoir travailler et avoir un revenu qui puisse le faire vivre décemment sans être obligé de compter sur une prestation d'assistance par laquelle, finalement, il est surveillé par l'État et les fonctionnaires.

Le fait que l'on veuille abaisser les niveaux de prestations, pour nous, cela va généraliser des problèmes qui sont actuellement vécus par les adultes de moins de 30 ans. Ce qu'on dit aussi, c'est que si on considère le nombre actuel de prestataires d'aide sociale on constate qu'il y a 200 000 enfants qui vivent dans des familles qui reçoivent des prestations d'aide sociale et que cela aura un impact négatif sur tous ces enfants. On considère qu'il sera plus difficile aux enfants de sortir du cercle de la pauvreté.

Un autre aspect du document qui nous préoccupe, c'est qu'on parie beaucoup du développement de l'employabilité, mais on ne parie pas beaucoup du développement de l'emploi. L'orientation gouvernementale actuelle repose sur la philosophie que l'emploi est une responsabilité individuelle, de chaque personne, et, dans le fond, on pourrait dire que toute personne qui n'arrive pas à trouver un emploi va être blâmée de ne pas avoir trouvé un emploi, puisque la responsabilité relève de chaque personne.

Ce qu'on voudrait... Actuellement, on n'a pas vraiment d'évaluation sérieuse de tous les programmes qui ont été mis en place pour les jeunes en bas de 30 ans. Finalement, ces jeunes qui ont participé à ces programmes, est-ce qu'ils se sont trouve des emplois après leur stage? Il n'y a pas vraiment d'évaluation sérieuse des programmes. Actuellement, on nous propose d'étendre ces programmes à l'ensemble des bénéficiaires qui vont être jugés aptes au travail. Il y a toutes sortes de critères qui vont faire en sorte qu'on va déterminer l'aptitude au travail et on va proposer différentes mesures pour développer l'employabilité. C'est quand même assez détaillé dans le document. Par contre, on trouve peu de choses concernant la responsabilité que les employeurs auront. Alors, on ne sait pas à quelle politique ils seront soumis. S'ils ne répondent pas aux objectifs de formation d'une main-d'oeuvre plus qualifiée, à quelle sanction s'exposent-ils? Il n'y a pas grand-chose là-dessus.

Pour nous, il faut que les programmes de recyclage permettent d'acquérir de nouvelles connaissances, de développer de nouvelles aptitudes, mais surtout, en fin de compte, qu'ils débouchent sur un emploi. C'est quand même une responsabilité que l'État doit avoir. Actuellement, la politique qui est là, si elle était mise en place, le travail pour toute une catégorie de la population deviendrait une condition d'assistance. Alors, pour tous les programmes où on ne répond pas aux normes minimales du travail et aussi le programme APPORT, où les gens devront remplir une carte mensuellement, comme on le demande actuellement aux assistés sociaux... Ils seront probablement soumis à des contrôles du même ordre que ceux auxquels seront soumis les assistés sociaux.

Toute personne qui travaille a droit à des conditions de travail justes et raisonnables. D'autre part, le concept de travail utilisé par le gouvernement fait abstraction du travail d'éducation de plusieurs femmes chefs de famille et assistées sociales. Il n'y a pas grand-chose, actuellement, le travail des femmes a souvent été un travail invisible et peu reconnu quand ce n'est pas un travail salarié; dans la société, cela a moins de valeur. La notion de travail, telle qu'elle est contenue dans le document, fait abstraction du travail que les femmes réalisent à la maison.

Pour nous, l'orientation actuelle présente davantage de contrôles qui vont éroder le droit à la vie privée. Les prestataires d'aide sociale sont actuellement soumis à plusieurs formes de contrôle dans leur vie privée. Faits et gestes du quotidien peuvent être remis en question si on les soupçonne de vie maritale, de travail au noir ou d'un changement de situation qui entraînerait une diminution des prestations.

Actuellement, il y a dix niveaux de prestation différents. On pourrait dire que ces niveaux différents légitiment des contrôles; on trouve déjà qu'ils portent atteinte à la vie privée des bénéficiaires d'aide sociale. On se demande si, en en mettant plus de 50, la marge d'erreur et d'arbitraire va être beaucoup plus grande. Pour ce qui est du rôle que les fonctionnaires vont pouvoir jouer, à ce moment-là, on va laisser la place à beaucoup de leurs valeurs, de leurs préjugés.

Aussi, les bénéficiaires, n'étant pas ou mal informés, auront de la difficulté à comprendre et à discerner leurs droits et leurs obligations. La réforme telle que proposée augmentera la difficulté pour un ou une prestataire de connaître les comportements qui pourraient devenir illégaux sous la loi de l'aide sociale.

Myriame Raymond va présenter toute la question de la vie maritale pour montrer comment l'arbitraire est appliqué, actuellement. Ce qu'on pense, par rapport à ce que les femmes subissent, entre autres, les contrôles qui leur sont imposés dans les situations où on juge qu'elles étaient en situation de vie maritale, cela pourrait s'élargir à l'ensemble des bénéficiaires de l'aide sociale, éventuellement, dans la mesure où on veut vérifier la cohabitation, par exemple, et où on veut vérifier autre chose. Alors, le droit à la vie privée, en ce qui nous concerne, on va beaucoup plus y porter atteinte que ce qui existe présentement.

Mme Raymond (Myriame): Myriame Raymond. La vie maritale sous la loi de l'aide sociale: L'étude de la plupart des décisions rendues par la Commission des affaires sociales au sujet de la vie maritale au cours des cinq dernières années révèle, telle la pointe d'un iceberg, les conditions difficiles que l'ensemble du système administratif d'aide sociale impose spécifiquement aux femmes prestataires.

Premièrement, cette notion de vie maritale baigne dans l'arbitraire. Aucune définition ni aucun critère de ce qu'est une vie de couple n'apparaissent à la loi et aux règlements de l'aide sociale. L'appréciation du genre de vie des prestataires est laissée au jugement personnel des fonctionnaires tant au niveau local que régional, entraînant ainsi l'impossibilité pour les bénéficiaires de savoir si leur vie quotidienne est légale ou frauduleuse. L'arbitraire, allié aux préjugés sexistes du rôle de la femme au sein d'une famille mène tout droit à la discrimination des femmes prestataires de l'aide sociale.

Les situations reconnues comme étant des vies maritales sont plus nombreuses et plus diversifiées dans le cas d'une femme bénéficiaire que dans le cas d'un homme. La très grande majorité des prestataires soupçonnés et accusés par l'administration de l'aide sociale de vivre maritalement sont des femmes. Bien que la vie maritale implique nécessairement la présence d'un homme, ce ne sont pratiquement que les femmes qui doivent rembourser les montants dus à l'aide sociale pour une soi-disant période de vie maritale non déclarée.

L'étude démontre également que la réalité économique des femmes et de leurs enfants n'est pas considérée. En effet, tant aux bureaux local et régional qu'à la Commission des affaires sociales on ne se soucie aucunement de savoir si monsieur pourvoyait réellement aux besoins économiques de la prestataire et des enfants. Les femmes se retrouvent donc avec des réclamations allant de 2000 $ à 40 000 $, environ, pour avoir prétendument bénéficié des largesses d'un homme. Plusieurs d'entre elles sont toujours bénéficiaires de l'aide sociale, avec une prestation mensuelle diminuée afin de rembourser leur réclamation. Les princes charmants qui, soi-disant faisaient vivre femme et enfant ont disparu comme par enchantement les laissant plus pauvres que jamais.

La réforme telle que proposée ne changera rien à cette discrimination vécue par les femmes prestataires de l'aide sociale. Nous pouvons même ajouter que la notion de vie maritale, telle qu'utilisée par l'administration de l'aide sociale est et sera une désincitation directe pour les femmes à intégrer ou à réintégrer le marché du travail. Travailler au salaire minimum, à temps partiel, dans un emploi précaire et devoir rembourser le montant réclamé par l'aide sociale devient un risque d'appauvrissement trop important pour les femmes et leurs enfants. D'autant plus qu'une fois sur le marché du travail, si vous n'arrivez pas à verser régulièrement les paiements mensuels exigés pour le remboursement de la dette, des intérêts y seront ajoutés. Après une période de travail, plusieurs femmes se sont retrouvées à l'aide sociale avec une dette devenue plus importante.

Pour faire face aux problèmes liés aux notions de ménage et de conjoint de famille, le document d'orientation indique que, dans le nouveau système de sécurité du revenu, les conjoints de fait qui n'auront pas d'enfant en commun seront considérés comme une entité familiale après douze mois de vie commune. Sans faire référence à la durée de vie commune, tant que les critères actuels de cohabitation, de secours mutuel et de commune renommée continueront à établir qu'il s'agit de conjoints de fait, tant que les mécanismes de défense seront les mêmes et tant que les femmes continueront d'assumer les frais d'une déclaration arbitraire de vie maritale, la vie maritale demeurera un concept discriminatoire pour les femmes prestataires de l'aide sociale. Merci.

Mme Bélanger (Lucie): Lucie Bélanger. À la suite de l'exposé de Louise Leboeuf, portant sur la présentation générale du mémoire et de la présentation de la recherche qu'a faite Myriame sur la question de la vie maritale, je présenterai maintenant les conclusions que la Ligue des droits et libertés dépose devant la commission.

Alors, à la suite des exposés, H est évident que le document d'orientation, la ligue ne peut que le rejeter puisqu'il s'agit d'une politique de sécurité du revenu qui vient renforcer la situation de pauvreté de l'ensemble des gens déjà pauvres au Québec. Un premier point qui oblige ce rejet du document, est cette division des bénéficiaires de l'aide sociale entre aptes et inaptes au travail, qui ne fait qu'accentuer les contrôles sur les personnes et les familles à revenu modeste. Ici, nous nous permettons

d'évoquer le rapport déposé par le Conseil national du bien-être social, en novembre 1987, qui remet en cause le concept de la division des bénéficiaires entre aptes et inaptes puisque, selon le conseil, la mise en place d'une telle procédure se solde par un renforcement de la pauvreté et un resserrement des contrôles sur les bénéficiaires.

Le Président (M. Leclerc): II vous reste environ...

Mme Bélanger (Lucie): Deuxièmement, la ligue souligne comment ce projet d'orientation appauvrit la très grande majorité des prestataires de l'aide sociale. Ici, je voudrais porter à votre attention le fait suivant: chez les gens qui arrivent sur l'aide sociale, on parle de plus 59 % de personnes seules. C'est le pourcentage des personnes seules qui retournent sur le marché du travail à l'intérieur des neuf premiers mois. Donc, ces personnes qui n'auront pas le droit au plein montant de l'aide sociale, ce sont ces mêmes personnes qui n'auront pas droit au programme APPORT alors qu'elles sont une portion importante des gens qui utilisent la loi de l'aide sociale selon le sens même que lui donne le ministre, une loi de dernier recours.

Nous voulons souligner aussi que le document d'orientation favorise le développement d'un type de travail qui ne permet en aucune façon l'autonomie économique des personnes, mais qui devient la condition d'une assistance qui demeure bien en dessous du seuil de pauvreté. Il s'agit bien davantage de la structuration de la précarité du travail que d'un débouché sur de véritables conditions de travail qui permettrait l'"auto-nomisation" des personnes selon le principe même défendu par le document. Je voudrais ici faire porter particulièrement l'attention sur quelque chose qu'on ignore totalement dans ce document: le travail des femmes au foyer. On passe complètement par-dessus ce travail qui représente plus de 40 % du produit national brut.

Ce document porte aussi atteinte à la vie privée. Mme Leboeuf faisait allusion à une situation où l'on voudrait vérifier, entre autres, le partage du logement ou la vie maritale et qui, en ce sens, récupère toute forme d'entraide pour encore appauvrir les populations.

Le Président (M. Leclerc): Je m'excuse, madame, compte tenu que votre temps est écoulé, je dois demander le consentement des deux côtés. Vous pouvez continuer. En conclusion, si possible.

Mme Bélanger (Lucie): Merci. Il me reste ; cinq minutes. Il va à rencontre de l'autonomie des jeunes et des femmes. Ici, je pense surtout au principe de la contribution alimentaire qui prolonge de façon pratiquement indéfinie la dépendance des enfants par rapport aux parents. Je veux souligner particu/ièrement l'impact sur les mères puisque des études faites à cet effet en Australie par Meredith Ewards, en Angleterre par Hilary Land et en Californie, qui ont été citées par la ministre fédérale à la Condition féminine, démontrent comment la situation de pauvreté alourdit particulièrement la tâche des mères qui sont toujours les principales responsables de la gestion, tant au plan économique dans la famille qu'au plan de la gestion des rapports politiques, des rapports affectifs et des rapports psychologiques dans la famille. Cela aussi est un volet caché d'un alourdissement grave de la tâche des mères. Cela maintient aussi un concept arbitraire de vie maritale. Mme Raymond nous a présenté ce point.

C'est pourquoi, pour la ligue, une véritable politique de sécurité du revenu devrait s'appuyer sur les principes suivants: le droit de tout adulte à l'autonomie financière. Ici, je rappelle ce que soulignait Mme Leboeuf: l'importance de faire éclater le concept traditionnel de travail pour tenir en compte le travail des femmes à la maison. Cela pourrait être aussi les hommes, quand il y aura vraiment partage des tâches, et tout autre travail assumé dans le cadre du travail bénévole, du travail de volontariat. Je pense même à l'aide sociale en tant que partie intégrante du droit à l'autonomie financière puisque l'aide sociale, je le souhaite, ne retournera pas dans le schéma de la générosité comme c'est malheureusement évoqué dans le document d'orientation.

Le deuxième principe: le droit à un revenu minimum pour toute personne dans le besoin, quelle qu'en soit la cause. Ici, on ne fait que se greffer sur, je dirais, ce qu'ont été les racines de la réforme de l'aide sociale, le rapport Boucher, qu'évoque le document lui-même. Car vous savez comme moi que le prix du lait, du pain, de la margarine, etc., est le même pour tout le monde.

Troisièmement, le droit à un emploi dans des conditions décentes, c'est-à-dire un emploi où il y a une sécurité d'emploi, un salaire décent, qui n'oblige pas à un programme APPORT, nous rendant encore dépendants comme on pouvait l'être selon la pratique actuelle de la loi de l'aide sociale et des lois du chômage.

Quatrièmement, des incitations positives au travail. Pour avoir travaillé et continué à travailler depuis des années avec des gens bénéficiaires de l'aide sociale, je sais que ce sont des gens qui veulent travailler pour que, vraiment, ils se sortent des difficultés dans lesquelles ils sont et non pas pour se retrouver plus pauvres, comme l'évoquait, entre autres, Myriam tantôt. (16 h 45)

Autre principe, la solidarité sociale dans les programmes de sécurité du revenu. Ceci est fondamental. On assiste, actuellement, à un grave recul des programmes universels, ce qui fait que, malheureusement, très facilement, les campagnes de dénigrement face aux assistés

sociaux ont une prise forte dans la population. C'est urgent de remettre des programmes universels forts et importants pour les familles.

La Ligue des droits et libertés croit qu'il faut, dès maintenant, faire disparaître la discrimination que subissent les personnes de moins de 30 ans et ce, non pas seulement en 1989 ou 1990.

Deuxièmement, nous devons prioriser le développement de l'emploi car l'employabilité n'a aucun sens s'il n'y a pas d'emplois réels, finalement. Dans des conditions qui respectent les normes minimales de travail, pour nous, tout programme, stage en emploi, stage en milieu communautaire doit être soumis aux normes minimales de travail, comportant un salaire décent et donnant accès à la syndicalisation.

Troisièmement, il faut augmenter le salaire minimum à ce qu'il était en 1977, en rapport avec le salaire industriel moyen, et quatrièmement - les propositions suivantes se tiennent - établir une base universelle comme le crédit d'impôt dans une politique de sécurité du revenu.

Cinquièmement, il faut augmenter - je le soulignais - les mesures universelles de soutien à l'enfant. Nous pensons particulièrement aux allocations familiales.

Sixièmement, H faudrait ajouter une aide sociale complémentaire, compte tenu qu'il y aurait un crédit d'impôt universel, et, septièmement, favoriser l'augmentation des revenus actuels des personnes assistées sociales, et non pas le rattrapage - ce qui est demandé, c'est que le montant auquel les gens ont droit, que les gens ont le droit d'aller chercher par le travail, soit vraiment un plus, alors que dans le projet de réforme actuel ces montants ne permettent que de faire le rattrapage, pour rattraper ce que serait l'aide sociale si elle continuait à être indexée comme aujourd'hui - par des gains de travail leur permettant d'atteindre les seuils de pauvreté.

Dernier principe: abolir le concept de "vie maritale* tel qu'utilisé par la loi actuelle de l'aide sociale. Les personnes, pour être reconnues comme conjoints et, donc, comme faisant partie d'une entité familiale, devraient ou être légalement mariées, ou avoir un enfant en commun et cohabiter, ou avoir vécu ensemble et se présenter publiquement comme des époux pendant au moins trois ans. Il s'agit ici d'uniformiser avec d'autres lois, comme celle sur l'assurance automobile. Merci beaucoup, excusez-moi d'avoir prolongé.

Le Président (M. Leclerc): II n'y a pas de faute, madame, puisque vous aviez eu le consentement des membres de la commission. Alors, je reconnais M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Seulement pour vérifier, afin que je n'échappe pas de questions importantes, combien me reste-t-il de temps? Je tiens à remercier la ligue pour son mémoire et pour sa présentation verbale. Je vais rapidement tracer le portrait de la clientèle à l'aide sociale, telle qu'elle existait en mars 1987, en soulignant qu'elle a diminué depuis ce temps.

En mars 1987, vous retrouviez à l'aide sociale quelque 400 000 personnes responsables de ménage, dont le seul revenu était des prestations d'aide sociale. Parmi ces chefs de ménage, quelque 100 000, soit 25 %, sont des gens qui, sur une base continue, ne peuvent subvenir à leurs besoins de base. Même si le travail existait, ils sont ce que des gens ont appelé hier productifs ou possiblement productifs, mais non compétitifs sur le marché du travail.

Vous retrouvez quelque 300 000 personnes responsables de ménage qui seraient considérées comme aptes au travail; aptes au travail, mais dans quelles conditions? Donc, 36 % de cette clientèle est composée d'analphabètes fonctionnels. Ce n'est déjà pas facile de se trouver un emploi, imaginez lorsqu'on est analphabète fonctionnel, la barrière que cela peut ériger entre le marché du travail et son désir de se trouver un emploi.

Il y a 60 % de la clientèle qui n'a pas complété son cours secondaire, alors qu'on sait que, dans les offres d'emplois, généralement, on exige le diplôme d'études secondaires ou le certificat d'études secondaires pour avoir la possibilité de postuler un emploi.

Aussi, 40 % de ces personnes - il s'agit surtout de femmes - n'ont aucune expérience antérieure de travail et vous savez également dans combien de cas on exige des expériences antérieures de travail. Donc, on se retrouve devant une clientèle qui a des barrières importantes à surmonter pour avoir la possibilité d'avoir le droit au travail. C'est un des éléments qui ont été évoqués par Mme Leboeuf dès le tout début de sa présentation.

Il y a également d'autres éléments sur le plan de la réglementation qui rendent le droit au travail quelquefois théorique ou utopique. Je me souviens, entre autres, avant l'adoption de la loi 119 dans l'industrie de la construction, que des jeunes ne pouvaient pas prétendre avoir la possibilité d'avoir le droit au travail dans l'industrie de la construction et qu'il a fallu enlever cette barrière que le gouvernement précédent avait installée.

Moi, je suis d'accord avec vous que ce droit doive exister. Le gouvernement a une responsabilité, par son action, de mettre à la disposition des gens qui en ont plus besoin les outils nécessaires et de les aider à abolir ces barrières. Vous nous pariez, avec raison, du salaire minimum et de sa croissance ou non-croissance au cours des dix dernières années. Vous mentionnez une augmentation de 27 % depuis dix ans et, lorsque vous comparez au salaire industriel moyen, c'est une augmentation de 80 %. Vous nous faites part de vos inquiétudes à ce sujet.

Je vous indiquerai que vous avez raison et que le rattrapage est quand même amorcé par l'actuel gouvernement. En 1987, le salaire minimum a été augmenté de 8,75 % parce que le gouvernement était conscient qu'il y avait du rattrapage à effectuer quant au salaire minimum. L'aide sociale a été indexée de 4,1 %. Pendant ce temps, les travailleurs avec des conventions collectives au Québec ont obtenu des augmentations de 3,7 % tandis que le salaire hebdomadaire moyen, le taux de croissance en 1987 est de 2,1 %. Le rattrapage est loin d'être atteint, mais les actions et les décisions gouvernementales vont dans le sens du rattrapage que vous souhaitez.

Peut-être une dernière intervention face aux arguments que nous a présentés Mme Le-boeuf, au sujet de la formation et du contenu de la formation comme tel. L'objectif du gouvernement, je pense que vous le partagez, est de s'assurer que les stages aient un contenu de formation qui soit véritablement un apprentissage positif. L'un des moyens de s'en assurer - nous vous le soumettrons, vous pourrez nous répliquer si vous pensez qu'on fait fausse route - serait de faire valider nos stages ou nos cours de formation par les commissions de formation professionnelle que l'on retrouve dans toutes les régions du Québec, de faire valider tant le contenu du cours qu'une vérification à savoir si l'entreprise l'a vraiment donné. On ne prétend pas que ce soit une garantie absolue, mais on pense qu'il s'agit peut-être là d'une garantie additionnelle à ce qu'on retrouve vraiment une formation dans ces stages et que ces stages ne soient pas ce qu'on appelle du "cheap labor", pour utiliser une expression qui a été répétée à plusieurs reprises.

Me Raymond a décrié la situation actuelle du contrôle, entre autres, de la vie maritale. Je pense que la description qu'elle nous en a faite est exacte et qu'il nous faut changer cette définition ou cette attitude. Je l'ai déjà déclaré publiquement et je le maintiens, le gouvernement n'a pas affaire dans les chambres à coucher. Maintenant, nous proposons une nouvelle définition dans le livre vert. À ce jour, certains groupes de femmes nous ont indiqué qu'il s'agissait là d'une amélioration à ce qui existe présentement. C'est le cas du CIAFT. Vous ne semblez pas partager cette notion et c'est sur cela que je veux vous adresser une question directe.

Vous nous suggérez, ce qui est positif, une définition. Moi, je veux vous donner tout de suite la réplique des spécialistes du ministère à votre suggestion pour que vous ayez tout sur la table, de façon à pouvoir répliquer. Ce qu'on m'indique, quant à la définition que vous suggérez, se lit comme suit: Le concept suggéré supprimerait le critère de recours mutuel dans la définition de vie maritale. Cependant, ce concept n'exempterait pas de toute vérification auprès de la clientèle. Il faudrait s'assurer qu'il y a cohabitation des époux pendant 36 mois alors que, selon le projet de réforme, on part de 12 mois de cohabitation. De plus, il faut noter que le critère "de commune renommée se présenter comme époux" n'est qu'un critère accessoire, actuellement. La ligue propose de nous faire fouiller davantage dans la vie privée des gens et même dans leur réputation, puisque la commune renommée est ce qu'on en dit.

J'aimerais avoir votre réaction sur cette interprétation qu'ont faite les spécialistes de la définition que vous nous suggérez de "vie maritale".

Mme Raymond: Disons que cela serait préférable, d'abord, qu'on ait au Québec, dans toutes les lois, une seule définition du conjoint de fait pour que tout le monde puisse être au courant. La différence entre, disons, l'assurance automobile et l'aide sociale, c'est que c'est avantageux dans le premier cas pour les gens d'être conjoints de fait. Je m'explique: si j'ai vécu depuis trois ans avec quelqu'un qui meurt dans un accident d'auto, si je veux avoir de l'argent, je vais aller, moi, me présenter et prouver que je vis maritalement. Tandis qu'à l'aide sociale, c'est devenu une fraude, une lutte, une chasse aux sorcières, sans tenir compte du tout du fait que les hommes... Vous savez, les hommes, je ne veux pas dire qu'ils sont nécessairement tous mesquins ou qu'ils ont perdu leur générosité d'antan, mais les rôles ont changé et je pense qu'il y a de moins en moins d'hommes qui font vivre les femmes. C'est aussi beaucoup parce que les hommes n'en ont pas les moyens.

Deuxièmement, de penser qu'un homme peut faire vivre une femme et des enfants qui ne sont pas les siens, c'est déjà utopique. Déjà que les pensions alimentaires des maris légaux ne sont pas trop payées non plus. Alors, la réalité économique est complètement écartée. Il ne s'agit pas de savoir si, sur le plan affectif, le fait que monsieur ait apporté deux jambons dans le mois ou une pinte de lait de temps en temps, cela devient une vie maritale. Je pense même qu'il faudrait... Le seul moyen que je trouverais correct dans cette histoire, c'est qu'on puisse prouver réellement que madame et ses enfants reçoivent, je ne sais pas, 800 $ par mois de monsieur. Donc, elle n'a pas besoin de l'argent de l'aide sociale. Mais jamais, nulle part... Il y a même un règlement dans le règlement de l'aide sociale qui dit qu'on devrait calculer la partie du patrimoine que les membres de la famille apportent ou dilapident. C'est un règlement qui est complètement ignoré par tous les paliers juridiques. Ce qui fait qu'on n'a pas à vérifier si, effectivement, cette femme-là a eu de l'argent de cet homme pour pouvoir faire vivre ses enfants. La réalité, c'est que le chèque de l'aide sociale passe toujours pour les vêtements, pour la nourriture de madame et de ses enfants. C'est elle qui reste la responsable. Monsieur, qu'il l'ait fréquentée ou qu'il ait vécu réellement avec la femme, s'il a payé, lui, sa part de la nourriture,

on ne peut pas parler de quelqu'un qui fait vivre une personne à ce moment-là.

Si on regarde, par contre, quelqu'un qui se fait attraper parce qu'il a travaillé sans le déclarer on va faire le calcul. On va dire: Monsieur ou madame - c'est plutôt "monsieur" de ce côté-là - vous avez gagné 200 $, donc, on va couper 200 $ de votre montant d'aide sociale. Tandis qu'avec la vie maritale, ce n'est pas à la femme... Vous avez reçu tant d'argent et on va vous couper. On présume que vous étiez marié dans votre tête et on présume qu'économiquement vous n'aviez plus besoin de rien et que monsieur payait tout. Donc, on coupe et on annule complètement toute la prestation.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Me Raymond, je ne discute pas l'application du système actuel qui est discutable. Nous sommes devant une occasion d'améliorer une situation qui est décriée. Je pense qu'il n'y a pas un groupe de femmes qui soit passé devant nous qui n'ait pas décrié la définition actuelle. Nous avons fa possibilité, sur le plan législatif, de changer les définitions et de les améliorer. Le livre vert sur la sécurité du revenu en propose une. Vous nous en proposez une dans votre mémoire que vous nous soumettez. Je vous ai tout simplement donné la réaction des fonctionnaires. Je ne vous demande même pas sur le plan légal, puisqu'il ne faut pas se tromper quand on joue avec ces choses-là, de réagir sur le libellé immédiatement. Je soulève des inquiétudes. Si vous voulez qu'on poursuive, même en dehors des travaux de cette commission, la recherche d'une définition qui serait la plus respectueuse possible des droits de l'individu, ce que je vous indique, c'est qu'il y a ouverture du côté gouvernemental.

Maintenant, quant à une question accessoire, la question de la perception des contributions alimentaires, on se rend compte que chez les quelque 77 000 femmes monoparentales qui vivent de l'aide sociale, plus de 85 % d'entre elles ne reçoivent aucune pension alimentaire de leur ex-conjoint. On sait qu'elles ne sont pas généralement dans la possibilité même d'aller la réclamer à cause de tout un contexte. Est-ce que le gouvernement pourrait intervenir sur le plan d'une perception automatique des pensions alimentaires, un peu comme cela se fait au Manitoba? Quel est votre point de vue là-dessus?

Le Président (M. Leclerc): Mme Raymond. (17 heures)

Mme Raymond: Ouf! C'est à voir avec les groupes. Cela pourrait être l'une des solutions: que la dette alimentaire devienne une dette à l'État, justement, comme cela se fait au Manitoba. Mais, pour être certain que cela règle le problème des femmes de l'aide sociale, il ne faudrait pas, par contre, continuer à essayer de voir si le nouveau "chum" ou le nouvel ami est là aussi pour faire l'autre partie de l'argent. Cela ne règle pas mon problème, celui des femmes de l'aide sociale. J'irais même jusqu'à vous demander, M. le ministre, si, effectivement, en changeant la politique pour la rendre plus claire, toutes les dettes réclamées en ce moment pour des soi-disant vies maritales seront effacées?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je reçois chaque semaine, je pense, de la part des citoyens, des groupes et des députés, des demandes pour effacer des dettes. La loi ne m'y autorise pas présentement. Je dois répondre dans chacun des cas qu'il existe une procédure complexe pour effacer des dettes. Quatre ou cinq ministères interviennent et peuvent le faire en cas de décès ou de faillite, et il y a des règles très strictes qui interviennent dans ces circonstances. Autrement, cela ne se fait pas. Mais le problème que vous avez soulevé est réel. Lorsque cela ne se fait pas et qu'on cumule une dette importante, cela décourage l'individu à retourner sur le marché du travail parce que la personne se dit: Si j'ai cette dette à rembourser dans le contexte actuel, je n'ai pas l'intention d'aller travailler à 5 $, 6 $ ou 7 $ l'heure, parce qu'on va exécuter un jugement pas longtemps après. On a un problème pratique, là.

Comme on m'indique qu'il me reste à peine quatre minutes - j'aurais aimé, sans faire de suggestion à Mme la députée de Maisonneuve... Vous devez sans doute avoir une expérience devant la Commission des affaires sociales; si vous en avez une et si vous pouviez nous donner une appréciation du travail, des délais et de la façon dont les dossiers sont traités à la Commission des affaires sociales, nous aimerions vous entendre brièvement.

Mme Raymond: Je pense que cela pourrait être un petit peu long. J'aurais plusieurs histoires à vous raconter, mais vous auriez peut-être même de la misère à me croire. C'est pour cela, d'ailleurs, que j'ai accepté l'idée de faire le travail que j'ai fait en collaboration avec la Ligue des droits et libertés, puisque je partais de décisions écrites. On ne pouvait plus me dire: Non, non; ce n'est pas possible. Je dois vous référer tout simplement à la lecture de La vie maritale sous la loi de l'aide sociale, que j'espère que vous allez lire. Cela va vous donner une très bonne idée, effectivement, de ce qui se passe. J'ai lu, pour les cinq dernières années, des décisions de la Commission des affaires sociales en cette matière. Cela correspond tout à fait à la réalité qu'on vit dans la pratique au bureau de révision et à la Commission des affaires sociales. Avec cette lecture - c'est 90 pages et cela se lit assez rapidement - cela va vous donner une très bonne idée.

Le Président (M. Leclerc): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Votre expertise est à ce point attendue que je voudrais

entrer immédiatement dans le vif du sujet qui est toute la question des conjoints de fait et de la vie maritale. Il y a bien d'autres aspects, évidemment. Je pense que vous nous excuserez de ne pas en traiter, compte tenu du peu de temps. Tantôt, vous interpelliez le ministre en lui disant: Oui mais... Finalement, vous convenez, comme il l'a fait précédemment, que ce sont des notions qui font des femmes des victimes.

Ce matin, un groupe est venu nous dire que la notion de "blame the victim", en fait, c'était une sorte d'application qui était faite. À ce moment-là, je pense que la question se pose. Prenons le cas de ceux qui ont des dettes à rembourser en vertu d'un système qui va être changé parce qu'il était inique. Vont-ils continuer de devoir les rembourser, en fait? Enfin, c'est une autre question.

Je voudrais dire quelques mots sur la question de la perception des pensions pour signaler simplement que la pension ne va pas gonfler du fait qu'elle est perçue automatiquement. Il faut souhaiter que la perception soit automatique, mais cela ne va pas la doubler ou la tripler pour autant. Le montant qui pourrait faire vivre la famille ne se fera pas d'un coup de baguette magique. Il faut dire que, maintenant, les pensions sont souvent accordées pour les enfants. Elles ne le sont plus pour les conjointes. De plus en plus fréquemment, ce sont là des décisions qui vont dans le sens d'une pension pour les enfants tant qu'ils sont d'âge scolaire.

D'autre part, au coeur de tout ce problème de la pension, il y a la question de la perception. Il y a aussi la question de la désincitation des ex-conjoints à verser une pension qui ne fait que rembourser l'État. C'est ce qui amenait le Conseil du statut de la femme à recommander que la pension puisse s'additionner un peu comme une exemption pour gain de travail jusqu'à l'équivalent, si vous voulez... Ce serait des exemptions pour gain de travail selon les catégories, de manière à permettre une sorte d'incitation à la verser. On revient au coeur d'un sujet qui est très très très important pour notre commission, mais aussi très très très important pour l'ensemble des politiques sociales de la prochaine décennie, supposons, pour ne pas dire plus longtemps. C'est toute cette question de vie maritale et de conjoint de fait. Il y a des choses qui sont contradictoires. Si on prend toute la question du système fiscal, on sait que le système fiscal est beaucoup plus généreux envers les conjoints de fait qu'il ne l'est envers les couples mariés. C'est beaucoup plus avantageux d'être conjoint de fait, quand on en a les moyens, que d'être marié. Par ailleurs, dans la pauvreté, l'inverse est vrai, c'est-à-dire que c'est mieux d'être... Non, en fait, c'est la même chose. C'est exactement la même chose.

J'inviterais le ministre à lire avec moi La vie maritale..., votre document. Je trouve cela extrêmement intéressant, à la page 3, entre autres. C'est /a première fois qu'on a chiffré le coût des choix idéologiques parce qu'on dit toujours que c'est neutre, c'est neutre. D'abord, vous dites dans votre mémoire que le problème de la cohabitation va rester le même, même s'il y a un répit de douze mois. Mais une fois ces onze mois et trente et un jours terminés, le problème revient en entier. Je trouve que c'est à la page 3 que ce problème est le mieux décrit. Vous dites: "Au départ, il est plus avantageux économiquement pour des adultes d'être considérés comme des personnes seules." Là, vous en faites la démonstration. Cela coûte 191 $ par mois pour être un couple quand on est sur l'aide sociale. Ensuite, vous dites, et c'est important: "Un deuxième adulte, considéré comme conjoint du premier, vivant au sein d'une famille est nettement désavantagé." La différence, à partir de vos chiffres, est de 304 $. J'ai fait la différence. C'est 304 $. S'il restait à l'appartement d'à côté, sur le même palier, il aurait 466 $. Mais s'il reste avec son amie qui est la mère d'enfants dont il n'est pas le père, là, cela lui coûte 304 $. Ce sont des affections qui coûtent cher, dans un sens.

Le troisième postulat, à la page 3 - on connaît celui-là, il est connu - c'est qu'il y a moins d'argent pour un deuxième enfant et plus rien du tout à partir du troisième. Pour le deuxième, cela donne 52 $. Comme me disait quelqu'un dernièrement, cela paie à peine les couches en papier et les autres achats qu'il faut faire pour un petit bébé.

C'est le point de départ. C'est un peu comme le postulat de base. Et à partir de ce postulat, tout le reste est comparé parce que la notion, finalement, c'est une notion qui est dite d'équité en vertu de ce point de départ. Le point de départ, c'est cela qu'il faut interroger de nouveau. Est-il équitable qu'il soit plus avantageux économiquement pour des adultes d'être considérés comme des personnes seules? C'est cela qu'il faut interroger. Cela veut donc dire... Il le faut aussi sur le plan de la fiscalité. Est-il équitable qu'il soit plus avantageux d'être conjoint de fait que personne mariée? Sinon, on va avoir tendance à essayer de tout faire entrer comme dans un bocal de poissons, de manière que tout se conforme à notre point de départ. J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que c'est la première fois que c'est aussi bien exprimé.

Il y a aussi le quatrième aspect, à la page 5. Vous dites: "L'administration de l'aide sociale présume des obligations vertueuses face aux enfants de la part d'un homme adulte cohabitant avec leur mère." Ce n'est pas neutre parce qu'on présuppose qu'ils ont des obligations vertueuses parce qu'ils n'ont pas charge légale d'enfants, ils n'ont pas à leur payer des pensions, mais on présume que la mère des enfants doit se faire vivre, elle et ses enfants, par son ami. Alors, j'aimerais vous entendre sur ces questions. Je pense que vous êtes le premier groupe qui nous apporte ces considérations aussi clairement.

Mme Raymond: Je vais commencer juste à la petite partie, à la page 3, et je te laisse aller pour le reste.

L'idée que j'ai eue, à un moment donné, c'est de m'arrêter et de me dire: Comment cela se fait-il qu'une vie quotidienne, qu'un choix de vie tout à fait normal soit devenu autant judicia-risé et puisse devenir une fraude? Comment se fait-il qu'on ait fait de la vie privée une fraude? C'est essentiellement parce qu'il y a des différences dans les barèmes de ce type-là. Si on court après les gens et qu'on leur dit "oui, oui, oui, vous vivez ensemble", c'est pour leur enlever de l'argent. C'est pour cela que je trouvais cela important. Si on n'avait pas des différences, des barèmes comme ceux-là, il n'aurait même pas pu être question de fraude comme telle. Mais j'aimerais mieux que ce soit Lucie qui réponde, cela rejoint l'idée aussi de ce qui se passe dans le domaine fiscal.

Mme Bélanger (Lucie): Je pense que tant qu'on considérera la fiscalité - et il semble que, ce soit de plus en plus l'accent mis tant au fédéral qu'au provincial - comme étant basée sur le revenu familial, qui tient pour acquis que la distribution de la richesse à l'intérieur de Ja famille se fait automatiquement de façon équitable et égale, on va effectivement continuer à renforcer et la dépendance et la pauvreté des femmes et des enfants.

Je fais appel à nouveau à des études parce que je sais qu'on a cité beaucoup de chiffres. Ces études que je vous citais tantôt, entre autres celles faites en Californie, nous disent que si on calculait les revenus à partir non pas du concept du revenu familial, mais à partir du concept du revenu des individus à l'intérieur de la famille, on augmenterait de 40 % le nombre de personnes pauvres. Cela veut dire qu'il y a toute une pauvreté cachée liée à une fiscalité qui repose sur le revenu... Je pense qu'il faut aller vers une fiscalité basée sur les individus. C'est la première chose. On ne peut plus penser la réalité famille, femmes et enfants, à l'intérieur du concept traditionnel du mariage avec le pourvoyeur. Il faut absolument s'en aller vers une fiscalité basée sur les individus.

Je pense qu'ici on rejoint une revendication de longue date de l'ensemble des groupes de femmes. Cela me paraît fondamental et d'autant plus urgent, le crédit d'impôt universel, qu'il donnerait une première base, je n'ose pas dire d'autonomie, parce que vous n'êtes pas autonome. Si vous avez vu le projet de reforme de la fiscalité présenté par Ruth Rose en collaboration avec François Aubry, on dit que la première année il y a une possibilité de crédit d'impôt universel d'environ 2800 $, mais c'est quand même une première base d'argent à soi. Il faudrait absolument que les revenus ne soient pas calculés, pour les femmes, en fonction du revenu du conjoint.

Une note aussi sur la question de la perception des pensions alimentaires. Effectivement, on est pour la perception automatique. Cela aussi, cela fait longtemps que les groupes de femmes demandent la perception automatique mais, en même temps, il ne faut pas se faire des illusions quand on parle de la population bénéficiaire de l'aide sociale. On pourrait élargir, pour l'ensemble de la population, au salaire minimum et même juste un peu plus haut. On ne réglera pas beaucoup le problème de la pauvreté des femmes. Absolument pas, parce que le gars qui a un salaire pauvre, divisé en deux, cela va faire deux personnes plus pauvres. Plus les enfants, cela va faire quatre, cinq ou six personnes plus pauvres. Alors, ce n'est pas non plus...

Je ne dis pas qu'il ne faut pas aller vers la perception automatique. La perception automatique est importante parce qu'il y a déjà une part d'équité qui se rétablit, mais cela ne peut pas être la panacée. À ce chapitre, on ne peut pas non plus avoir comme cela une panacée. Le travail salarié, dans le concept traditionnel du travail salarié à tout prix, il faut absolument... On est devant de nouvelles réalités familiales. On est maintenant devant une nouvelle conscience chez les femmes du droit à l'autonomie économique comme étant fondamental. C'est une question de dignité. Je pense que le cas limite de la violence - non pas limite parce que rare, mais limi-au sens que c'est une situation de violence et tout cela - nous montre à quel point c'est urgent.

À ce chapitre, je ne crois pas, M. le ministre, qu'on puisse se replier sur la notion du dernier recours en disant: Elles iront sur le marché du travail. Surtout qu'on sait pertinemment que ce que les femmes vont trouver sur le marché du travail, ce sont des emplois précaires dans des questions très difficiles d'exercice du travail aussi. Alors, il faut repenser, à mon avis, tout le volet par rapport à la question de l'aide sociale versus l'autonomie économique des femmes, versus le travail effectif que les femmes font à la maison. À ce moment-ci, je vous souligne mon étonnement de voir que des femmes qui ont des enfants de moins de deux ans n'auront pas droit au plein montant d'aide sociale. Cela est un exemple flagrant de la non-reconnaissance du travail fait là.

J'arrête ici. Peut-être que Louise veut ajouter quelque chose. Une parenthèse: Vous avez souligné, M. le ministre, que 40 % des femmes n'ont aucune expérience pour aller sur le marché du travail. Je vous soulignerais que c'est un des problèmes, là aussi, de la non-reconnaissance de l'expérience acquise à travers le travail de maternage. Cela aussi est un dossier urgent qui est lié au dossier de l'aide sociale.

Mme Harel: À moins que vous n'ayez quelque chose à dire, moi, j'ai des choses à vous demander. Je ne sais pas combien de minutes il me reste. Cinq?

(17 h 15)

Mme Leboeuf: Je ferais peut-être juste un commentaire pour dire que la question de l'autonomie des individus est importante. Tout l'aspect de la cohabitation, des montants d'argent qu'on veut aller prélever si les gens cohabitent, comment va-t-on reconnaître que les gens partagent un logement? Si les gens sont en bas du seuil de pauvreté, ils vont s'arranger pour essayer d'économiser le maximum pour arriver à vivre, puisque les gens mettent déjà 50 % de leurs revenus au logement et ont trouvé des mécanismes pour mettre un peu plus sur la nourriture. En tout cas, pour nous, c'est très préoccupant parce que c'est une atteinte à la vie privée. Par les visites à domicile, on est entré dans les maisons. Là, on va entrer dans beaucoup de maisons.

Mme Harel: Oui. J'aimerais reprendre parce que vous avez une expertise importante dans ces matières. Vous dites: Le crédit d'impôt. À ce moment-là, évidemment, cela suppose l'abolition des exemptions, parce que tout notre système est fondé essentiellement sur le pourvoyeur, la femme qui reste à la maison, qui est même désincitée et découragée d'aller travailler parce que le pourvoyeur va perdre son exemption si elle va gagner un petit revenu. Ce n'est pas surprenant, après, que 70 % des femmes au foyer qui se retrouvent dans des maisons d'hébergement n'aient pas d'expérience, disons, de travail salarié. En partie, il y a un découragement, une désincitation fiscale à ce que les femmes aillent même se chercher un revenu d'appoint à temps partiel ou occasionnel, parce qu'on a réduit l'exonération du revenu qui pouvait être gagné et on a augmenté l'exemption. Donc, cela supposerait un changement.

Je vous pose la question. Présentement, il y a au gouvernement une étude sur le partage des biens familiaux. Cela a commencé précédemment et cela se poursuit. Je suis certaine que, si cela ne se discute pas actuellement au Conseil des ministres, cela ne devrait pas tarder. C'est la question du partage des biens familiaux et ce qui arrive avec les conjoints de fait. Actuellement, les conjoints de fait, comprenez qu'ils ne veulent pas, ceux qui ont des revenus et des biens, se faire considérer malgré eux comme légalement mariés et faire tout partager sans leur consentement. Ils disent: Si on avait voulu partager, on se serait mariés, notamment selon la société d'acquêts ou par un contrat. On ne veut pas le faire parce qu'on l'a décidé. C'est notre volonté de ne pas le faire. Alors, l'État n'a pas à s'immiscer et à nous imposer à notre place. Donc, quand on a des biens et des revenus, on plaide pour ne pas avoir un choix dicté par l'État et pour être reconnu, finalement, sur une base individuelle.

Mme Raymond: Quand on est pauvre aussi, finalement.

Mme Harel: Oui, oui.

Mme Raymond: Parce que, effectivement...

Mme Harel: Mais quand on est pauvre, on réussit moins à faire imposer sa revendication.

Mme Bélanger (Lucie): II est sûr que la fiscalité basée sur l'individu et le crédit d'impôt universel supposent un remaniement complet d'une fiscalité basée sur les exemptions pour personnes à charge. Le mot est déjà affreux par lui-même de considérer des personnes mariées comme des personnes à charge. Il suppose donc un crédit adressé directement à la mère, c'est-à-dire à l'individu parce que ce n'est pas qu'une question de mère, il suppose un crédit versé directement à l'individu et non pas un crédit qui, encore là, est dépendant de la globalité du revenu familial parce que, là aussi, non seulement les femmes assistées sociales, mais l'ensemble des femmes se fait piéger. Beaucoup de femmes dont la pauvreté est cachée parce que le mari a un revenu qui n'est pas nécessairement extraordinaire - quand on a des revenus de l'ordre de 23 000 $ à 25 000 $ et qu'on a des enfants, on est encore dans les seuils de pauvreté - elles-mêmes se trouvent pénalisées parce qu'elles n'ont pas accès.

L'autre problème des exemptions pour personnes à charge - et on l'a très bien vu dans notre rapport d'impôt de l'année dernière et on le reverra cette année - c'est qu'on renvoie au domaine du privé la négociation de la question économique dans les couples, au sens où le conjoint - la plupart du temps, c'est le mari qui va chercher l'exemption au Québec - le mari qui va chercher l'exemption redemande à la femme le chèque d'allocation familiale. Si vous pensez que cela ne se fait pas en 1988, je peux vous faire des listes de femmes qui ont eu, quand cela n'a pas été jusqu'à la menace physique, à remettre leurs chèques d'allocation familiale. Donc, l'urgence d'une fiscalité basée sur l'individu est là en 1988, très présente.

Mme Harel: Oui. M. Paradis, je pense que vous voulez ajouter quelque chose.

M. Paradis (André): Si un homme peut se permettre d'ajouter un grain de sel là-dessus.

Cela ramène à une critique. Les questions que vous posez sur la fiscalité et la mention de la question du crédit d'impôt, tout ce débat sur la fiscalité ramène à une critique plus générale qu'on a à l'égard du projet présenté par M. Paradis. C'est que, depuis plusieurs années, lorsqu'on a parlé de la réforme de l'aide sociale, on a toujours envisagé que ce serait dans le cadre d'une réforme en profondeur de la fiscalité des particuliers. Il est bien sûr qu'à l'heure actuelle on se retrouve avec une politique de sécurité du revenu qui est détachée de cette

réforme. Elle est détachée d'une réforme en profondeur de la fiscalité. Il n'y en a pas. En tout cas, on dit vaguement qu'un jour, cela va venir.

Elle est aussi détachée d'une considération, finalement, du problème de l'emploi dans son ensemble. Je pense que c'est M. Paradis qui est revenu beaucoup au début sur un aspect central de la réforme, qui est le développement de l'employabilité des assistés sociaux. Il n'y a pas de doute qu'il y a un bon nombre d'assistés sociaux qui vont bénéficier des programmes d'employabilité. Il y en a qui ont besoin de cela. Mais le problème avec la politique proposée, c'est que cela devient le coeur de la réforme de l'aide sociale, l'employabilité des assistés sociaux, alors qu'il faudrait considérer la question de l'emploi dans son ensemble, il faudrait considérer la question de la fiscalité dans son ensemble. Cela impliquerait une réflexion et un travail beaucoup plus sérieux que ce qui nous a été présenté jusqu'ici.

Finalement, le défaut de s'attaquer aux problèmes d'ensemble, le fait de nous arriver avec une réforme très parcellaire... Les médecins des CLSC sont venus ici et ils nous ont dit que c'était une réforme très parcellaire qui ne résout pas les problèmes. J'endosse tout à fait cela. Le défaut de s'attaquer aux problèmes de fond et d'ensemble font qu'effectivement on va faire porter dans cette politique la responsabilité dune situation structurelle, d'un problème de chômage très grave au Québec et qui perdure depuis au moins dix ans, par des individus. On a dit tantôt que, dans le cas des contributions, dans le cas de toute la question de la vie maritale, on appliquait le principe de "blame the victim". Je pense que ce principe, avec le projet qui est proposé actuellement par M. Paradis, on va l'élargir à l'ensemble des assistés sociaux ou, en tout cas, à tous ceux qui vont avoir le malheur de se retrouver sous l'étiquette "apte".

Cela nous inquiète. C'est peut-être l'aspect le plus inquiétant de toute la réforme proposée. Il n'y a pas de doute que l'augmentation du nombre d'assistés sociaux depuis dix ans est attribuable au développement du chômage. Or, cela prendrait, pour résoudre ce problème... Le chômage est lié à la récession des années quatre-vingts et à la restructuration industrielle dont on vit de façon très aiguë les effets dans l'est de Montréal ou dans d'autres régions du Québec. Le défaut de s'attaquer - cela prendrait la concertation, le travail coordonné de tous les intervenants du domaine économique - à cela amène à dire que pour freiner le développement des coûts du programme d'aide sociale la seule façon, finalement, c'est de prendre des mesures dans le cadre... La seule façon de régler le problème, c'est d'essayer de freiner la croissance du coût des politiques d'aide sociale. Cela ne peut pas conduire à autre chose qu'un appauvrissement et un resserrement des contrôles des bénéficiaires de l'aide sociale.

J'aimerais signaler, à l'attention des députés ici, qu'il y a déjà...

Le Président (M. Bélanger): Je dois vous interrompre...

M. Paradis (André): Je vais juste ajouter une petite phrase et je vais attendre une question pour continuer là-dessus. J'aimerais qu'on me pose la question...

Le Président (M. Bélanger): Pour aucune question ni... Je vous en prie, très rapidement.

M. Paradis (André): Très courte. J'aimerais juste mentionner qu'on a déjà l'exemple d'une réforme de l'aide sociale selon des paramètres semblables à ceux proposés par M. Paradis. Cela s'est fait en Saskatchewan en 1984. On est en mesure, à l'heure actuelle, de vérifier les résultats de cette réforme. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes choses, mais on retrouve beaucoup les mêmes notions. Si M. Paradis me pose une question, cela me fera plaisir de revenir là-dessus.

Le Président (M. Bélanger): Malheureusement, c'est tout le temps que nous avions.

Mme Bélanger (Lucie): Oui?

Le Président (M. Bélanger): II restait deux minutes. Très brièvement, M. le ministre, parce qu'on déborde déjà de quinze minutes.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je dirai que je partage l'opinion de M. Paradis en ce qui concerne le fameux triangle employabiltté, plein-emploi et fiscalité, mais on peut en parler longtemps, de ce triangle, et dire: Pas d'employabilité tant qu'il n'y a pas d'emploi, pas d'emploi tant qu'il n'y a pas de fiscalité, etc., et il n'y a jamais rien qui se fait. Dire que l'employabilité est au coeur, je pense que vous avez raison de le dire, mais prétendre, de notre côté, que ce serait un casse-tête au complet, ce serait une fausseté également. C'est pour cela qu'il nous faut harmoniser avec la fiscalité et qu'il nous faut harmoniser également avec la politique de création d'emplois du gouvernement du Québec.

Maintenant, j'avais une question très précise, en terminant, à adresser à Mme Bélanger qui a traité de la question du travail du conjoint au foyer lorsqu'il a un enfant jusqu'à deux ans. Je vais tenter d'être le plus précis possible. Est-ce que votre suggestion veut que ce travail soit reconnu comme un travail de pleine participation à une mesure? Arrêtez-vous à deux ans ou suggérez-vous l'âge préscolaire?

Mme Bélanger (Lucie): Je pense que non seulement il ne faut pas arrêter à deux ans... J'ai simplement...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, non, mais...

Mme Bélanger (Lucie): Je l'ai pris à titre d'illustration, mais il faudrait maintenir et même on pourrait élargir la norme actuelle, parce que... Il y a ici des mères et des pères que même la présence jusqu'à... Je crois d'ailleurs que la loi nous oblige à ne pas laisser un enfant seul jusqu'à l'âge de quatorze ans. Il faudrait élargir jusque-là, comme c'est une contrainte à l'emploi et surtout donner droit au plein montant de l'aide sociale. C'est que cette femme-là, évidemment, c'est la contradiction... Je suis obligée de vous dire qu'il faut que vous la considériez comme une inapte. Mais, là, je rejoins l'absurdité de la distinction apte, inapte. Rêvons en couleur: supposons que vous ayez aboli la distinction entre apte et inapte. Je pense que cette femme-là, ces parents-là devraient avoir droit au plein montant d'aide sociale. Cela peut être un père, aussi, éventuellement. C'est fondamental. Il y a un apport social fondamental.

D'ailleurs, le gouvernement libéral actuellement se penche lui-même sur l'urgence d'une politique familiale.

Le Président (M. Bélanger): Bien. Mme la députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier le groupe.

Mme Harel: Merci beaucoup. J'aimerais beaucoup entendre parler de la Saskatchewan. Avez-vous des choses écrites là-dessus?

M. Paradis (André): Oui. Mme Harel: Oui.

M. Paradis (André): À l'Université de Régina, il y a une équipe de spécialistes...

Le Président (M. Bélanger): Je m'excuse, je ne peux malheureusement pas. Il nous reste une demi-heure pour entendre l'autre groupe.

M. Paradis (André): On en parlera après. Mme Harel: On va en reparler.

Le Président (M. Bélanger): Malheureusement... Mais je vous suggère d'échanger vos coordonnées et de faire parvenir les textes à Mme la députée de Maisonneuve. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je remercie la Ligue des droits et libertés, Mme Leboeuf, Mme Lucie Bélanger, M. André Paradis. Mme Raymond, si on pouvait continuer à discuter de la définition de vie maritale sur le plan technique, je l'apprécierais. On demande toujours une collaboration bénévole aux groupes bénévoles. On en ajoute toujours. Merci beaucoup de la présen- tation de votre mémoire.

Le Président (M. Bélanger): La commission remercie la Ligue des droits et libertés et j'appelle à la table des témoins le Collectif québécois de recherche et de formation sur les politiques sociales inc.

Je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place, s'il vous plaît, afin que nous reprenions nos travaux pour entendre le mémoire présenté par le Collectif québécois de recherche et de formation sur les politiques sociales inc. Vous connaissez nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes ferme, mais très ferme, au maximum, pour présenter votre mémoire et, par la suite, il y aura une période de discussion avec les parlementaires. Je vous demanderais de vous identifier, d'une part, et de procéder à la présentation de votre mémoire.

Collectif québécois de recherche et de formation sur les politiques sociales inc.

Mme Ampleman (Gisèle): Je suis Gisèle Ampleman. J'ai eu l'honneur de partager ces audiences toute la journée. J'ai déjà écouté, à quelques reprises, les arguments de M. le ministre. J'aurai aussi l'occasion d'ajuster ce que je n'ai pas eu le temps de faire ce matin.

Notre collectif est composé de personnes-ressources travaillant directement avec les personnes assistées sociales de plusieurs régions du Québec et ce, depuis plusieurs années. Contrairement à ce qui a été présenté aujourd'hui, Mme Bilodeau et moi allons essayer, pendant cette heure, de vous faire entrer dans la réalité de la pauvreté. Il est sûr que c'est difficile, quand on est bien nanti, quand on a des privilèges, quand on a l'instruction, de réaliser ce que ça signifie, de vivre dans des conditions de pauvreté. (17 h 30)

Pour ma part, par mon engagement, d'abord, comme membre d'une communauté religieuse - soit dit en passant, je suis toujours une bonne soeur - par mon travail en service social et, par la suite, par mon engagement avec les personnes assistées sociales dans les organisations de défense... Présentement, M. Paradis me donne beaucoup de travail parce que j'ai organisé une session dans tout le Québec pour donner de l'information aux agents pastoraux, aux intervenants des CLSC et aux personnes assistées sociales; c'est une session de deux à trois jours sur le contenu du décret.

Je dis bien décret volontairement, parce que je connais la différence entre un décret et un projet. Je dis décret parce que je réalise que la politique est déjà en application, sans trop me tromper, peut-être à 80 %. Dans un document confidentiel que j'ai obtenu en janvier 1987, j'ai la stratégie d'implication du projet de réforme qui dit que cette implantation devrait s'étendre sur 12 à 18 mois. L'exemple aue ie vais vous

apporter va être pour signifier que ce qui reste à ajuster, ce sont les barèmes des aptes et des inaptes. Tout le reste de la mécanique du projet du livre vert est déjà en application. Il suffit de faire le tour du Québec pour réaliser qu'il y a déjà beaucoup de choses. Malheureusement, je n'ai pas beaucoup de temps mais, si cela vous intéresse, je pourrai peut-être prendre un mercredi soir pour revenir ici, si vous le voulez, en reparler avec les députés pour voir comment cela se vit dans le concret.

Depuis plus de 20 ans, je côtoie donc ces gens dans la vie quotidienne, en partageant leur gîte et leurs repas, parce que quand je vais donner des sessions en région je demande d'aller coucher dans les familles assistées sociales. Je connais de l'intérieur ce que signifient les politiques de coupures qui existent depuis 1973, que signifie leur humiliation, que veut dire l'exclusion, que veut dire, si vous voulez, être victimes des préjugés, avec la campagne des boubous macoutes qui a fait un tort immense.

Ce sur quoi je voudrais attirer votre attention, c'est sur le phénomène de la pauvreté. En 1973 - c'était toujours le gouvernement Bourassa - il y avait 100 $ par année pour acheter des draps, de la literie. Il faut aller coucher dans les familles pour réaliser qu'il n'y a pas beaucoup de couvertures. Il faut coucher dans les familles pour réaliser qu'il n'y a pas beaucoup de chauffage. Parfois, dans certaines familles, j'étais mieux d'apporter mon sac de couchage. Donc, au lieu d'augmenter de 100 $, nous avons coupé.

Il y avait un montant de 400 $ pour l'achat et la réparation du mobilier. Je ne vois pas dans le décret d'orientation qu'il y aura une augmentation, quand on sait que les prix, pour la réparation d'un réfrigérateur ou d'un poêle, seulement pour faire venir le réparateur à la maison, cela coûte déjà 35 $. Cela a été coupé et il n'y a absolument rien là-dessus. Donc, le phénomène de l'appauvrissement dans le quotidien est vécu même si on a un beau discours.

On a coupé aussi dans le barème des logements parce que, quand j'ai commencé à travailler en 1972, les familles qui avaient cinq enfants pouvaient obtenir un logement à 143 $ par mois. Cela a été enlevé en 1975 et cela a été diminué à 85 $ par mois, quand on sait qu'à Montréal on peut à peine avoir un logement à partir de 325 $ par mois.

Quand je dis que la réforme est déjà mise en place, je voudrais apporter l'exemple de Marie. J'aurais voulu l'avoir ici, aujourd'hui, avec moi. C'est au nom de toutes les Marie qui vivent cette situation que je voudrais donner cet exemple. Marie est une mère de famille de deux jeunes enfants, qui a quitté sa région à 400 kilomètres de Montréal pour obtenir un emploi chez un ancien employeur. Elle a déjà dû s'endetter pour déménager parce qu'elle ne connaissait pas ses droits. Elle a dû réaménager. Elle a dû donner un acompte sur le premier mois de loyer, soit les deux tiers de 325 $ par mois. Est-ce qu'on peut économiser, mesdames et messieurs, quand on est à 50 % en dessous du seuil de pauvreté?

Que faire pour parvenir à sortir de la misère, à vous prendre en main, à devenir autonome financièrement, comme le suggère le décret, quand l'employeur ne vous fait travailler que 21 heures-semaine? Elle est allée dans une institution bancaire et on lui a donné 21 heures-semaine. Oui, Marie est une femme responsable et elle veut assumer les frais de garde pour ses deux enfants. Comme il n'y avait pas de place dans les garderies subventionnées, elle a dû aller dans une garderie privée. Donc, elle a dû défrayer elle-même les coûts, donc, augmenter les heures de travail pour être responsable de sa famille. Oui, le patron, dans sa grande générosité, lui donne - savez-vous quoi? - un autre temps partiel de 21 heures-semaine. Donc, cette dame, au lieu d'avoir 35 heures comme vous et moi, a 42 heures plus la charge domestique. À maintes reprises, Marie a demandé à son employeur de travailler 35 heures-semaine. Ce que je constate, c'est qu'il est plus facile de contrôler les personnes assistées sociales, si vous voulez, que de réglementer les grosses compagnies, surtout avec le rapport Gobeil et surtout à l'heure du libre-échange.

Donc, cette jeune dame qui travaille dans une institution rentable - je vois les profits de cette institution - malheureusement, après six mois... Vous savez, je donne des sessions aux personnes assistées sociales et on dit que les personnes assistées sociales n'ont pas d'instruction, mais elles ont de l'éducation. Après six mois de cette vie épuisante, Marie craque. Je la visite actuellement en psychiatrie. C'est le retour au travail des femmes de famille monoparentale et ses deux jeunes enfants sont en foyer nourricier.

Avec le décret d'orientation, il y aura bien d'autres Marie et il y a bien peu de mesures réalistes. J'aimerais savoir à combien vont s'élever les coûts sociaux de cette Marie qui est hospitalisée actuellement en psychiatrie, de ses deux enfants qui sont en foyer nourricier, des médicaments qu'elle doit prendre et du salaire des médecins et des psychiatres. Oui, Marie a fait un effort sérieux pour s'en sortir. Elle a déménagé des Laurentides pour venir à Montréal et maintenant, ce qu'elle vit, c'est l'isolement, elle vit la maladie et elle vit l'absence de ses deux enfants. En plus, comme elle est divorcée, son mari lui dit: Tu es allée à l'hôpital psychiatrique. Tu es rendue folle maintenant. Je vais t'enlever la garde de tes enfants. Donc, cela aide pour le moral et pour continuer à prendre ses responsabilités. Soit dit en passant, Marie a des qualifications professionnelles.

Donc, ce projet nous inquiète vraiment. Je vous apporterai un autre témoignage de Micheline, que j'ai rencontrée la semaine dernière justement dans le comté du ministre Paradis.

J'étais en session dans cette région. Il y avait 105 personnes à la session et j'ai eu le témoignage de Micheline qui nous raconte: "J'ai dû demander l'aide sociale à la suite d'un divorce. Après un an, je me suis inscrite à l'éducation des adultes de jour, à plein temps. Les études terminées, n'ayant pas trouvé de travail, j'ai dû retourner sur l'aide sociale pour quelques mois. Je me suis inscrite à l'université, à des cours de fin de semaine, et j'ai assumé entièrement les frais. Ce n'est qu'à la fin du cours que l'agent de l'aide sociale m'a dit que certaines dépenses étaient payées. Avec toute cette nouvelle formation, quelle est mon expérience de travail? Après bien des recherches, j'ai trouvé un projet ouvert à 20 heures-semaine. Le projet terminé, je suis tombée sur l'assurance-chômage et de nouveau sur l'aide sociale." J'aime beaucoup l'expression "tombé". Les femmes tombent enceintes, on tombe sur l'aide sociale et on tombe sur le chômage, sauf que quand je donne mes sessions, je dis: Quand on tombe, il y a toujours des raisons. Assez souvent, les gens rient de nous et assez souvent on rit des personnes assistées sociales. Quand on tombe, il y a toujours des causes. Il y a des causes personnelles. Ce sont les seules causes que M. Paradis retient dans son décret. Il y a les causes structurelles et c'est cela qu'il faudrait un peu approfondir.

Donc, notre Micheline quitte, si vous voulez, l'aide sociale et revient au travail par un PDE, 40 semaines dans une organisation populaire. Actuellement, elle est sur l'assurance-chômage, toujours pas de travail en perspective. Et le meilleur, c'est qu'elle ne pourra pas avoir un deuxième PDE parce qu'elle n'y est pas admissible. Donc, elle retournera à l'aide sociale. Et Micheline, finalement, où trouvera-t-elle du travail? Voici la dure réalité du retour au marché du travail.

Dans le petit décret que j'ai ici, si vous voulez aller sur le marché du travail et retomber sur l'aide sociale, cela s'appelle le "concept de piscine". Le concept de piscine, selon une petite note que j'ai ici, cela veut dire se mouiller et se sécher. Quand on va sur le marché du travail, on se mouille. Quand on revient à l'aide sociale, cela a l'air de dire qu'on sèche parce qu'on va devenir de plus en plus pauvre.

J'aurais beaucoup de cas à apporter parce que, quand je donne les sessions, il y a des personnes paraplégiques qui viennent me demander ce qui va arriver. Un monsieur qui a fait une crise d'hypoglycémie, à la nouvelle qu'il y aurait des coupures, a été deux jours hospitalisé. C'est ce que je vis depuis le décret. Ce sont des cas, des personnes qui vivent dans l'angoisse, dans l'insécurité de voir ce qui les attend parce que c'est déjà difficile.

Je voudrais maintenant, puisque Mme Bilodeau, qui est une bonne amie avec qui nous avons travaillé, a fait aussi cet effort de retourner aux études, qu'elle nous dise, qu'elle nous fasse connaître ce que signifie le retour aux études pour des familles monoparentales, ce qu'elle vit, pour essayer de comprendre le vécu des femmes, mais aussi pour essayer de trouver des solutions qui vont amener les femmes à vivre dans la dignité et aussi un peu plus dans l'abondance. Je laisse la parole à Odile.

Mme Bilodeau (Odile): Odile Bilodeau, assistée sociale, famille monoparentale, mère de trois enfants, dont une fille de 13 ans, une adolescente, une fille de 9 ans et j'ai un troisième enfant, mais je ne sais pas trop si je dois le mentionner - il a sept ans - parce que l'aide sociale ne tient pas compte du troisième enfant dans mes revenus.

Mme Ampleman: J'ai fait la suggestion que M. Paradis pourrait peut-être devenir son parrain, au troisième qui n'est pas compté à l'aide sociale.

Mme Bilodeau: Donc, je suis bénéficiaire du programme de retour aux études depuis septembre. Je vais présentement au cégep d'Alma en techniques infirmières. Cela a été une décision qui n'a pas été facile à prendre. Je demeurais à Roberval avant de me rendre au cégep, ce qui veut dire qu'il fallait que je déménage parce que j'étais à 40 kilomètres du cégep. Donc, avec les 200 $ que l'aide sociale fournit, c'était nettement insuffisant. Il a fallu que je débourse un surplus. J'ai quand même décidé de déménager. Je demeurais dans une coopérative d'habitation auparavant, à 195 $ par mois pour un 6 1/2. Ce qui veut dire que, du côté logement, j'étais plutôt bien. J'étais hésitante, à prendre cette décision, mais je me suis rendue à Aima. Je voulais tellement m'en sortir et sortir de cette roue de pauvreté. Je me suis dit: Je vais tout essayer, faire tout ce qui est possible pour essayer. J'ai laissé mon beau logement de 6 1/2, à 195 $ par mois. Je suis maintenant dans un 5 1/2, dans un grand édifice, au 4° étage, à 400 $ par mois. J'ai doublé.

Présentement, je reçois 824 $, ce qui veut dire qu'il y a 50 % de mes revenus qui passent au logement. Les 100 $ que j'ai parce que je suis retournée aux études, cela compte seulement quand je suis aux études. Ce qui veut dire qu'aux mois de juin, juillet et août je ne les aurai pas. J'aurai 724 $, mais mon logement sera quand même à 400 $,lui.

Qu'est-ce que cela implique? C'est ce que je vous ai dit tantôt. Je voulais tellement retrouver mon autonomie, ma dignité, avoir un revenu décent aussi. J'étais tannée de crever. Je me suis dit. En tout cas, j'en ai encore pour trois ans à me serrer la ceinture mais, après, cela va être fini. Je suis sûre, je vais tout faire pour me trouver un emploi, quitte à déménager au tiers monde. Peut-être que je ne serai pas mieux là, mais en tout cas. Je suis prête à tout. Mais ce n'est pas si facile, avec trois enfants, de retour-

ner aux études et il y a la contrainte économique, aussi. Je pensais que ce serait mieux que cela.

Naturellement, avec 824 $ par mois, 50 % de mes revenus allant au loyer, je fais des pieds et des mains pour arriver, mais il y a des mois où je ne suis pas capable. Il y a des mois où je suis obligée de faire des choix qui sont difficiles, dans mon coeur de mère. (17 h 45)

Je vais simplement vous donner l'exemple de ce qui est arrivé ce mois-ci: j'ai une adolescente de 13 ans qui fait de la mononucléose. Naturellement, elle n'a pas beaucoup de résistance. Elle a eu une grippe et a fait une bronchite. La pénicilline est payée mais les sirops, les expectorants, les vitamines, les paramettes qu'elle est supposée prendre ne sont pas payés. J'en avais pour 29 $. J'avais le choix entre ces médicaments... J'ai quand même mon autre fille de 9 ans qui a comme seule activité des cours de natation. Son costume de bain avait un trou. Je ne pouvais plus l'envoyer aux cours de natation avec un costume avec un trou d'à peu près un pouce. Quel était mon choix? Ou je payais les médicaments de ma fille... Parce que mes revenus sont très serrés. Tout est calculé. Je ne peux me permettre aucun imprévu. C'était soit payer les médicaments de ma fille ou acheter un costume de bain à mon autre fille de 9 ans.

Le choix, naturellement, a été du côté de la santé. Je n'avais pas le choix. C'est dur pour une mère de dire a sa fille de 9 ans - c'était important pour elle, ses cours de natation - mais il fallait que je le lui dise: Je ne suis pas capable ce mois-ci de t'acheter un costume de bain. Il faut que j'achète les médicaments de ta soeur. Pour elle, cela a été très difficile à accepter. C'est dur à expliquer à une enfant de 9 ans qu'on n'est pas capable d'acheter un costume de bain. Cela a l'air niaiseux, comme cela. Cela n'a pas l'air réel, non plus. Mais c'est ce qui est arrivé. Peut-être qu'au mois d'avril je pourrai le lui acheter. Mais elle va avoir manqué un cours de natation et ne pourra plus reprendre le retard perdu. J'espère qu'elle va en faire son deuil. Je n'ai pas le choix. Je suis obligée de faire cela.

Ensuite, mon Dieu, j'avais préparé un beau document, des beaux mots à vous dire sur mon vécu. Hier soir, je l'ai pris et je l'ai jeté à la poubelle. J'ai dit: Non! C'est plein de beaux mots qui ne veulent dire pour moi que de la pauvreté garantie. J'ai décidé, en fin de compte, de parler avec mon coeur. C'est pour cela que c'est un peu mélangé et que cela ne se suit peut-être pas tellement, mais ce n'est pas grave.

De quoi pourrais-je bien vous parler, à part cela? De ce que je vis au cégep, au niveau des études? Je dois vous dire que, quand j'ai décidé de retourner aux études, j'étais motivée. Je voulais tellement m'en sortir. Je me suis dit que j'allais l'avoir, mon diplôme. Naturellement, je suis dans les premières. Pour cette session, je n'ai aucun examen dont le résultat est inférieur à 90 %. Cela va même à 94 %, 95 %. Ce n'est pas parce que je ne suis pas intelligente. Avec les notes que j'ai, mes professeurs m'assurent qu'il n'y a pas de problème de ce côté. Mais H faut dire que j'étudie beaucoup. Mais j'étudie à partir de neuf heures le soir. J'ai quand même le souper à préparer quand j'arrive de l'école, j'ai les devoirs des trois enfants à vérifier. J'attends qu'ils soient couchés, vers neuf heures ou neuf heures et demie, parce qu'il faut quand même que je leur consacre du temps. Mon horaire est de neuf heures et demie à environ onze heures et demie ou minuit.

En techniques infirmières, il y a de beaux grands mots là aussi. Il faut qu'on les sache par coeur. Il faut qu'on sache ce qu'Hs veulent dire. Sans cela, on pourrait avoir des problèmes, si vous êtes hospitalisé à un moment donné, avec une infirmière qui ne saurait pas ce que cela veut dire J'ai trois ou quatre heures d'études tous les soirs. Ce temps-là, il faut que je le donne aussi. C'est pour vous dire que je suis motivée et que je veux. Ce n'est pas parce que je ne veux pas. C'est qu'on vit beaucoup de préjugés et de contrôles.

Le Président (M. Bélanger): Je suis obligé de vous demander de conclure. Le temps est malheureusement écoulé.

Mme Bilodeau: C'est dommage parce que je commençais.

Le Président (M. Bélanger): J'ai le consentement. Vous pouvez continuer quelques minutes.

Mme Bilodeau: C'est pour vous dire que mes 100 $ par mois, pour les avoir, en fin de compte, ce n'est pas si facile que cela. Parce que le retour aux études, bon, les livres sont supposés être payés. Mais cela ne comprend pas les cahiers, les stylos, les règles, tout ce que cela prend pour aller aux études. Cela ne comprend pas... Je suis en techniques infirmières. Donc, cela me prend un uniforme, des souliers, la plaque d'identification, plein d'affaires qui ne sont pas comprises non plus, et je suis censée me servir de mon petit montant de 100 $. Mais, déjà, je n'en ai pas assez. Les 100 $ passent au loyer. C'est tout cela que je veux dire. Quand j'ai des livres à acheter, je les ai à peu près 15 jours ou 3 semaines après les autres étudiants parce qu'il faut aller demander une autorisation spéciale. On va au bureau rencontrer l'agent, pour lui dire: J'ai une liste de livres obligatoires. Il faut lui montrer la liste de livres. Cela prend une feuille d'autorisation. On retourne au cégep pour aller faire une estimation des coûts des livres. On retourne au bureau de l'aide sociale, on nous donne une autorisation. On retourne au cégep acheter les livres et on retourne au bureau de l'aide sociale pour les faire payer, les livres. Cela fait plusieurs va-et-vient, quand tu as déjà

un horaire chargé.

Comme je vous l'ai dit, à partir du mois de mai, cela va être coupé. Je ne les aurai plus, ces 100 $. Pourtant, mes obligations vont être les mêmes. Ensuite... Qu'est-ce que j'avais à rajouter? Ah oui! Naturellement, à partir de janvier prochain, le programme de retour aux études est pour trois sessions. J'ai lu, dans votre programme - cela m'a fait rire, en passant - "le manque d'incitation à retourner aux études". En tout cas, je pense que je n'ai pas besoin de vous le lire. C'est à la page 15, l'article 2.10. On dit, en tout cas pour le système de prêts et bourses,, que l'aide sociale est plus intéressante que le régime des prêts et bourses. Ce bout-là est vrai, parce que je panique littéralement à la pensée que je vais être assujettie aux prêts bourses, déjà qu'avec l'aide sociale je n'arrive pas. Imaginez qu'avec les prêts et bourses je vais avoir encore moins. Ce que vous proposez, vous autres, c'est de donner encore moins que les prêts et bourses dans la nouvelle réforme. Je ne pense pas, moi, que ce soit vraiment une incitation.

Oui, c'est dit. Je peux vous le lire, si vous ne vous le rappelez pas. C'est bien dit. Par contre, le nouveau système de sécurité du revenu devrait également corriger cette situation. C'est cela. C'est dans le sens que l'aide sociale était plus intéressante que le régime de prêts et bourses. C'est vraiment appauvrir. Je ne pense pas que cela va être vraiment une incitation à des femmes parce que, moi-même, je ne sais pas si je vais continuer, même si j'ai de bons résultats, même si j'ai le goût de continuer. Comment vais-je faire, de façon concrète, pour arriver avec les prêts et bourses? Je ne le sais pas. Je ne sais pas si je vais être capable de continuer en janvier. Je me pose la question à savoir si je ne suis pas mieux de retourner encore sur le marché du travail avec un petit revenu. Moi qui voulais essayer de m'en sortir avec un revenu décent, je suis encore aux prises avec la même roue de pauvreté. C'est pour cela que moi, l'incitation... Je me suis dit que M. Paradis ne sait peut-être pas vraiment ce que veut dire le mot "incitation". Alors j'ai voulu le chercher pour vous dans le dictionnaire. C'est le Petit Robert. Je vais vous le lire. Incitation: action d'inciter; ce qui incite. Conseil, encouragement, exhortation, instigation. Cela, je trouvais cela intéressant, mais j'ai dit: Mon Dieu, ce n'est pas cela qui se présente parce qu'on va être encore plus pauvres. J'ai dit: II n'a pas vérifié. Après cela, quand j'ai lu ce que cela voulait dire au sens figuré, j'ai dit: Peut-être qu'il a regardé. Au sens figuré, je vais vous lire maintenant ce que cela veut dire: Incitation à la révolte, à la violence, excitation, provocation, incitation au meurtre. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Petit Robert. Mais c'est vrai que, quand on voit un document comme celui-là on a envie de vous tordre le cou un peu. En tout cas, c'est à peu près tout ce que j'ai à dire.

Le Président (M. Bélanger): Bien, je vous remercie. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président, je pense que, compte tenu de l'heure et de façon à ne pas briser la discussion qu'on pourrait avoir - il reste à peine cinq minutes - on pourrait peut-être demander s'il y aurait possibilité de continuer vers 20 heures.

Le Président (M. Bélanger): Bon, voici. Il arrive que, lorsqu'on dépasse l'heure, à la suite d'une entente on puisse continuer. Mais, ce soir, ce n'est pas possible entre 18 heures et 20 heures, la majorité des parlementaires ont une autre rencontre entre 18 heures et 20 heures, pour compléter le dossier de la santé mentale, qui est le dossier précédent de la commission, si vous voulez. Alors, on n'a pas le choix. Donc, je vous demande s'il est possible qu'on suspende les travaux à 18 heures ou dans quelques minutes et que vous puissiez revenir à 20 heures pour la partie discussion avec les parlementaires.

Mme Bilodeau: Mme Ampleman veut revenir. Moi, c'est impossible. Je reste au Lac Saint-Jean. J'ai un autobus à prendre à 19 heures. Je suis donc dans l'impossibilité de revenir à 20 heures.

Mme Ampleman: Moi aussi, je viens de Montréal et j'ai une session demain matin, pour rencontrer des intervenants sociaux sur le projet du décret de la réforme et leur parler un peu de ce qu'on vit à la commission parlementaire. Donc, je devrais un peu préparer, faire un travail de synthèse de la journée. Je ne serai pas arrivée chez moi avant 23 heures.

Le Président (M. Bélanger): Écoutez...

Mme Ampleman: Je pense qu'on vous a dit l'essentiel, un peu, de notre message.

Le Président (M. Bélanger): On va donc aller jusqu'à 18 h 15 et ils attendront, à l'autre réunion. C'est tout. C'est un compromis malheureux, excusez-moi.

Mme Harel: Lorsqu'on prend un peu de temps avec un groupe qui précède, finalement, cela rebondit pour tout le reste de la journée.

Le Président (M. Bélanger): If faut faire une gestion très serrée du temps. C'est malheureux, mais ce sont les règles qui nous y obligent.

Mme Ampleman: Je trouve que ce qu'a apporté la Ligue des droits et libertés...

Mme Harel: Valait la peine. Mme Ampleman: ...valait la peine. Mme Harel: Merci, oui.

Mme Ampleman: C'est tout le soutien, toute la réflexion que nous faisons par rapport aux cas concrets.

Le Président (M. Bélanger): D'accord. Si vous le permettez, je vais passer tout de suite à M. le ministre et, par la suite, à Mme la députée de Maisonneuve. M. le ministre a environ six minutes et on passera à Mme la députée.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je veux remercier le Collectif québécois de recherche et de formation sur les politiques sociales et, sans préambule, adresser immédiatement une question à Soeur Ampleman, pour reprendre où on a laissé ce matin, finalement - c'est Mme Bilodeau qui ramène le sujet par la bande - toute la question de l'aide sociale, de la contribution alimentaire parentale et du régime de prêts et bourses aux étudiants. C'est, je pense, exactement là qu'on s'était laissés cet avant-midi, alors que vous étiez présente.

On peut - je pense qu'on l'est - être sensibles à des arguments qui nous sont avancés à partir de situations particulières et nous tentons - c'est ce que nous avons fait en commission - de régler chaque situation particulière le plus possible. Mais lorsqu'on tente de mettre de l'avant une politique... Soit dit en passant, si elle est en application, vous êtes la première à m'en informer; je n'en ai pas été informé comme ministre encore et je peux vous dire que, dans mon comté, ce n'est pas encore en application parce que je fais du bureau de comté tous les samedis et je ne peux pas mettre à la disposition de mes gens les mesures qui sont contenues là-dedans. Si c'est en application ailleurs, ce n'est pas rendu chez nous. Je vais vérifier avec les autres députés autour de la table.

On a à prendre la décision suivante. La situation idéale serait sans doute qu'il n'existe pas de contribution alimentaire parentale au niveau des prêts et bourses aux étudiants, ni au niveau de la politique de la sécurité du revenu. D'ailleurs, au dernier congrès du Parti libéral, il y a eu une résolution à cet effet qui a été passée pour qu'on enlève, dans le système de prêts et bourses aux étudiants, cette notion de contribution alimentaire parentale. Je vous dis très sincèrement que, personnellement, si elle n'existait pas au niveau des prêts et bourses aux étudiants, j'aurais une tendance inouïe à ne pas la mettre dans le système de sécurité du revenu.

Maintenant, je suis pris avec une situation de fait et ce que mes experts, mes conseillers me disent, c'est que si je ne maintiens pas cette contribution alimentaire ou si je n'introduis pas cette contribution alimentaire parentale au niveau de l'aide sociale, je vais inciter des gens qui sont actuellement aux études dans le système de prêts et bourses aux étudiants - je parle des études à temps plein dans les systèmes réguliers, ce n'est pas votre cas - à quitter... Vous êtes à temps plein, mais pas dans ce que j'appelle le système de prêts et bourses régulier, vous êtes sous le programme de retour aux études postsecondaires chef de famille monoparentale. Je vais inciter les gens qui seraient au niveau collégial ou universitaire dans le programme de prêts et bourses aux étudiants à quitter ce programme de prêts et bourses aux étudiants et à devenir des gens bénéficiaires de l'aide sociale. À ce moment, ce ne serait pas nécessairement rendre service à la collectivité québécoise que d'inciter des étudiants à quitter les études à temps plein pour devenir des bénéficiaires de l'aide sociale. J'aimerais vous entendre sur cette possibilité d'attraction à l'aide sociale.

Mme Bilodeau: Je ne pense pas que des étudiants... Moi, en tout cas, je suis étudiante et j'avais la ferme intention de terminer mon cours. Si j'avais été sous le programme prêts et bourses... Quand tu as dans la tête que tu veux avoir un diplôme, je ne pense pas qu'un étudiant, après deux ou trois années de cégep ou même à l'université, ait le goût de tout lâcher pour se retrouver bénéficiaire de l'aide sociale, comme vous le dites, pour avoir des revenus. Là, entre vous et moi...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): II n'a pas besoin de tout lâcher, entre vous et moi. Il devient un étudiant à temps partiel. Il n'est plus admissible aux prêts et bourses aux étudiants et il l'est à l'aide sociale. Prêts et bourses aux étudiants, vous le savez, il faut rembourser, en tout cas, la partie du prêt; l'aide sociale, quant à elle, on n'est pas obligé de la rembourser. Ce qu'on veut éviter, on vous le dit bien honnêtement, c'est ce passage des étudiants qui font des études à temps plein vers, possiblement, l'abandon des études ou des études à temps partiel pour devenir des bénéficiaires de l'aide sociale.

Mme Bilodeau: Mais pour être sous le programme de retour aux études, il faut être à temps plein. Ils ne prennent pas de temps partiel. Je regrette. On n'en a pas de programme de retour aux études à temps partiel. Automatiquement, il faut que tout le monde soit à temps plein.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je pense qu'on ne parle pas de la même chose. Prêts et bourses, il faut absolument être étudiant à temps plein pour avoir accès au programme.

Mme Bilodeau: Le programme de retour aux études aussi.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Mais je ne parle pas d'un passage de votre programme à l'aide sociale. C'est déjà un programme qui découle du ministère de la Sécurité du revenu. Je parle des étudiants - c'est le cas de la majorité

des étudiants québécois - qui sont aux études à temps plein et qui sont admissibles au programme de prêts et bourses aux étudiants.

Mme Bilodeau: Oui, je suis d'accord.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ns doivent les rembourser, ces prêts-là, lorsqu'ils ont terminé. Ils finissent avec des 7000 $, 8000 $, 10 000 $ à rembourser, tandis que la personne qui abandonnerait son temps plein pour du temps partiel aurait droit à l'aide sociale, s'il n'y avait pas de contribution alimentaire parentale, jusqu'au maximum. À ce moment, cela devient non remboursable, etc. C'est ce qu'on craint comme phénomène d'attraction et c'est pour cela... (18 heures)

Mme Bilodeau: Cela ne peut pas arriver. C'est ce...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ah! Cela ne peut pas arriver?

Mme Bilodeau: ...que j'essaie de vous expliquer parce qu'il faut que cela fasse deux ans qu'on est bénéficiaire de l'aide sociale pour être admissible au programme de prêts et bourses. Est-ce qu'un étudiant va abandonner ses études pendant deux ans pour les recommencer après deux ans, à temps partiel, pour avoir le même revenu qu'il avait quand il était quasiment sous le régime prêts et bourses, avec un petit peu moins. C'est...

Mme Harel: Bien, au cégep, c'est payé si on n'est pas à temps plein.

Mme Bilodeau: Cela prend deux ans. Il faut être deux ans sur l'aide sociale pour avoir droit au programme de retour aux études.

Mme Harel: II faut payer au cégep, si on n'est pas à temps plein, si on ne suit pas plus que quatre cours.

Le Président (M. Bélanger): Si vous permettez, peut-être, pour essayer d'éclairer, supposons que je suis un étudiant régulier à temps plein. Je suis à l'université et, à un moment donné, je constate que je suis en train d'accumuler un paquet de prêts et bourses à rembourser. Je me dis: Parfait, je vais m'inscrire à temps partiel. C'est dire que je vais couper mes sessions en deux, je vais en prendre moins. Je ne suis plus admissible aux prêts et bourses, mais je suis admissible à l'aide sociale. Donc, je vais moins m'endetter. Cela va me prendre plus de temps pour finir mes études, mais je ne fais pas de dette. Alors, ce qui arrive, on sait qu'il y a beaucoup d'étudiants, je connais des cas qui ont fait cela, justement, pour...

Ce qu'on veut éviter, c'est le transfert du régime prêts et bourses vers l'aide sociale. Mais, dans votre cas, je comprends qu'il y a des programmes parce que mon épouse est exactement en train de faire ce recyclage-là, actuellement, en techniques infirmières, parce que cela faisait plusieurs années qu'elle avait laissé sa licence puis...

Alors, ce sont des programmes. Tu n'as pas le choix. Tu ne peux pas aller à mi-temps. Cela, je le comprends. Mais on parle d'étudiants réguliers à l'université qui laissent tomber la moitié des cours pour se prévaloir du bien-être social et reprendre à un rythme plus ralenti, sans endettement, leurs études. C'est pour éviter cette mesure-là. Maintenant, il ne faudrait pas... Ce qu'on constate, c'est que cela semble pénaliser les autres à l'autre bout; alors, il faudrait peut-être, en tout cas...

Il y a un message là-dedans que M. le ministre devra regarder.

Mme Ampleman: Moi j'aimerais bien savoir combien de personnes cela va-t-il concerner. Parce que, dans mon expérience personnelle, les enfants, les étudiants qui sont a l'école, des raccrocheurs - pas des décrocheurs mais des raccrocheurs, parce que le terme est plus positif - ce sont des enfants d'assistés sociaux. Je pense qu'il y a des statistiques que, malheureusement, je n'ai pas qui rendent qu'il y a très peu d'enfants, de jeunes de la classe ouvrière qui arrivent, si vous voulez, à l'université. Cela serait intéressant de voir qu'il y en a peu. Je travaille avec les femmes et je travaille aussi avec les enfants. Quand je disais ce matin, dans mon intervention, qu'il faudrait peut-être creuser pour voir les causes de l'analphabétisme, finalement, c'est un manque de soutien. S'il y a des jeunes, s'il y a un manque de soutien à la famille et s'il y a beaucoup d'enfants, des adolescents, qui laissent l'école au secondaire, c'est assez souvent parce qu'ils n'ont pas de linge. La mère n'a pas l'argent, concrètement, pour permettre à son enfant de continuer d'aller à l'école.

Je pense qu'il faudrait étudier de plus près ce que cela signifie et les causes. Ce n'est pas toujours parce que les enfants ne veulent pas aller à l'école, et ce n'est pas parce que les mères ne sont pas intéressées à leur donner de l'instruction, c'est parce qu'ils n'ont pas le soutien. On a beau dire que l'école est gratuite mais, au mois de septembre, je faisais le budget avec des femmes assistées sociales. Quand cela vous prend, si vous voulez, une petite calculatrice, quand cela vous prend des espadrilles, quand cela vous prend, je ne sais pas, un vêtement pour le sport, tous les frais afférents à l'école, cela a monté à 198 $, tandis que le ministère donne 35 $, au mois de septembre, d'allocation scolaire. Je pense qu'au lieu de demander une contribution alimentaire et de se fier à un programme qui est déjà désuet, puisqu'il dit que s'il était aux prêts et bourses il l'enlèverait, je pense qu'on serait mieux de donner un soutien

beaucoup plus important à la famille, pour éviter d'avoir des analphabètes et pour éviter aussi de la délinquance. Et pour éviter d'avoir des écoles de raccrocheurs.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vois l'horloge avancer et j'ai d'autres questions sur lesquelles j'aimerais que vous puissiez faire bénéficier la commission de votre expérience.

Est-ce que vous travaillez également ou vous oeuvrez également avec des gens qui sont des salariés à bas revenus (salaire minimum et un petit peu plus)? Est-ce que vous vivez... Quel est le pourcentage... Est-ce que, majoritairement, les gens que vous nous avez décrits sont des gens qui vivent de l'aide sociale? Est-ce qu'il y en a qui vivent de l'assurance-chômage? Est-ce qu'il s'agit de faibles salariés? Et, là, je suis conscient que pendant une période au Québec il a existé le fameux cercle vicieux, surtout pendant la crise économique, 20 semaines de stage, 52 semaines d'assurance-chômage, retour à l'aide sociale, reprise du stage, etc. Mais on est en train de se sortir de ce cercle vicieux. Parmi les gens qui font appel à vos services, que vous fréquentez, quelle proportion se situe chez les assistés sociaux, les chômeurs et les bas salariés?

Mme Ampleman: Je ne pourrais pas vous donner les proportions, parce que je n'ai pas d'économistes et de statisticiens qui travaillent pour moi. Ce que je veux vous dire aussi, c'est que dans le projet, dans vos deux postulats ou votre conclusion, vous dites: Ce qui est important, c'est la qualification professionnelle. C'est vrai, mais je rencontre aussi... J'arrive de la vallée de la Matapédia. Il y a une usine de panneaux agglomérés et pas un travailleur de la vallée n'a été engagé. Quand on arrive, si vous voulez, je ne sais pas, ailleurs, à Bécancour, il n'y a personne non plus qui a été engagé. Et aussi quand les usines ferment, je voudrais bien vous rappeler que je rencontre des travailleurs de l'usine fermée qui ont 45 ans, 50 ans, des gens qui ont une expertise de travail, des gens qui ont un métier, qui ont été des soudeurs. Je pense à Sorel, je pense à Tracy. Quelles sont les possibilités de recyclage?

Je voudrais mentionner aussi l'appauvrissement. La semaine dernière, je rencontrais un monsieur qui a travaillé toute sa vie dans les mines et, en attendant d'avoir sa prestation de la régie des rentes, il a été trois mois à l'aide sociale. L'aide sociale ne lui a pas dit que c'était un prêt. Donc, avec le petit montant qu'il a eu de l'aide sociale, il s'est endetté. Quand il a reçu son montant de la régie des rentes, ce n'était pas assez pour vivre, parce qu'il faut qu'il aille chercher 60 $ à l'aide sociale. Qu'est-ce qui est arrivé? On lui a dit: Monsieur, écoutez, vous avez une dette. Il a dit: Une dette? Comment? Je n'ai rien signé. À 61 ans, ayant travaillé toute sa vie dans les mines, il a une petite maison et parce qu'elle est évaluée, si vous voulez, à un peu plus que le montant que vous dites, il va être pénalisé de 2 %, ce qui va l'appauvrir à tous les mois. Imaginez-vous que le monsieur est pénalisé de 50 $ par mois parce qu'il a une dette de 2000 $ avec l'État. Et en plus - il m'a montré son papier - s'il ne rembourse pas, il est pénalisé à un taux d'intérêt de 11 %.

Moi, j'aimerais cela, en terminant, peut-être un mercredi soir... J'ai mis au point, pour les intervenants sociaux, les travailleurs des CLSC - j'ai fait la province avec une session pour les sensibiliser à la clientèle qu'ils rencontrent dans les CLSC - un jeu pour faire vivre pendant une soirée ce qui arrive quand on "tombe" sur l'aide sociale. Cela serait un rêve que j'aurais de partager, si vous le voulez, cette session avec vous. Merci.

Le Président (M. Bélanger): Mme fa députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Alors, en fait, M. le Président, c'est certainement intéressant, cette proposition de Mme Ampleman. Je crois que ce serait vraiment intéressant qu'on ait l'occasion de la proposer sérieusement aux membres de la commission et peut-être aussi à mes collègues. J'insisterais pour qu'ils soient des nôtres au moment où cela se jouerait.

Bon, d'abord, sur la question, vite, des prêts-bourses. Ou bien le jeune est indépendant ou il est dépendant, en fonction même du document d'orientation. Vous, Mme Bilodeau, avez fait un témoignage extrêmement sincère et extrêmement bouleversant devant la commission. Je crois que vous avez eu les mots pour le dire et je crois que c'était vraiment important. Mais vous êtes considérée comme indépendante en regard des prêts-bourses; c'est-à-dire que vous seriez même bénéficiaire, entre guillemets, par rapport aux autres qui, eux, sont dépendants.

Il reste qu'un jeune qui est totalement indépendant le serait au sens de l'aide sociale comme il le serait au sens des prêts-bourses. S'il est dépendant au sens des prêts-bourses, il l'est au sens de l'aide sociale et, là, cela ne lui donne pas grand-chose. J'ai fait des tableaux pour montrer que, s'il est dépendant, il a la contribution parentale de 100 $. Il a sans doute le partage du logement, parce que "dépendant", cela veut dire, entre autres, vivre chez ses parents, cela veut dire avoir 115 $ de coupés. Cela veut dire qu'il lui en reste 190 $ par mois. Si c'est là l'avantage de ne pas aller aux études pour rester sur l'aide sociale, on exclut cela. Je pense qu'il n'y en a aucun, même au cégep. N'oubliez pas que, quand vous ne faites pas un cours à temps plein au cégep, il faut que vous le payiez comme si vous étiez à l'éducation des adultes. Il faut que vous preniez un cours à temps plein - plus que quatre cours - pour que cela soit gratuit. Gratuit, encore là, vous savez les autres frais qui sont à payer. Il serait sur l'aide sociale, mais sans rattrapage scolaire. C'est juste pour le

secondaire. Il serait sur l'aide sociale. Même comme indépendant - prenons la meilleure des situations - il a son propre loyer à payer, etc. Il faudrait qu'il paie ses cours en plus au cégep. Il faudrait qu'il paie tout le reste, ses livres, etc.

Le ministre n'a pas à s'en faire avec cela. Qu'il ne se fasse pas de problème avec cela. Ce sont des problèmes que lui apportent ses fonctionnaires, un après l'autre: des affaires fictives, conçues dans des bureaux de préfabrication. En réalité, je lui demande de me donner le nom de cinq personnes qui vivent cette situation au Québec, où nous sommes 7 000 000 et où il y a je ne sais combien de jeunes qui étudient et combien de personnes qui reçoivent l'aide sociale. S'il peut m'en nommer cinq, je pourrai penser que c'est un problème qui commence à valoir la peine d'être discuté. À part cela, je trouve que c'est une affaire préfabriquée.

En ce qui concerne l'exposé que vous nous avez fait, vous nous avez parlé de Marie et de Micheline. Deux minutes pour vous dire que ce que vous nous avez décrit, c'est un va-et-vient qui ne va pas cesser avec le document. On passe d'une mesure d'employabilité ou de retour à l'école à un retour à l'aide sociale, avec un PDE, du PDE à l'aide sociale ou à l'assurance-chôma-ge, de l'assurance-chômage à l'aide sociale.

Mme Ampleman: C'est pour cela que je dis qu'il est appliqué, le décret.

Mme Harel: La crainte que j'ai... C'est vraiment avec votre exposé que j'ai découvert que les neuf premiers mois, à ce moment-là, commencent à signifier quelque chose. Chaque fois, la personne qui fait l'effort d'essayer, au moins d'essayer une "job" - même si cela ne marche pas toujours - d'essayer un retour, etc., chaque fois, elle revient à la case départ. C'est pire avec cette catégorie-là que ce ne l'était.

En passant, Mme Bilodeau, dans le document, vous avez dû regarder les chiffres. Avec le système actuel, vous avez 740 $ plus 100 $.

Mme Bilodeau: C'est 724 $ plus 100 $, ce qui monte à 824 $.

Mme Harel: À 824 $.

Mme Bilodeau: En 1989...

Mme Harel: En 1989, vous auriez 740 $ plus 100 $, cela monterait à 840 $.

Mme Bilodeau: Je pense que c'est 822 $.

Mme Harel: 822 $, cela serait en participant...

Mme Bilodeau: A un programme, ce qui veut dire...

Mme Harel: ...avec la réforme. C'est-à-dire 18 $ de moins par mois. Cela n'a l'air de rien, 18 $, sauf que 18 $ ...

Mme Bilodeau: Cela serait...

Mme Harel: ...cela finit par faire 206 $ à la fin de l'année. J'imagine que cela paie beaucoup de cours de natation.

Mme Bilodeau: Cela paierait peut-être un costume de bain à ma fille.

Mme Harel: Je vous remercie.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre, si vous voulez remercier le groupe.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Je voudrais remercier doublement Soeur Ampleman pour ses deux présentations d'aujourd'hui, et Mme Bilodeau. Je voudrais profiter de l'occasion pour indiquer qu'il s'agit peut-être d'un problème de fonctionnaire, comme Mme la députée de Maisonneuve vient de l'indiquer, mais c'est un problème qui, sans accorder la parité, est décrit à la page 236 du livre blanc sur la fiscalité de M. Parizeau. Lorsqu'on ajoute l'élément de parité, on augmente d'autant le problème. Je vais tenter de vérifier dans la pratique s'il s'agit de quelque chose de strictement théorique ou si et M. Parizeau et M. Paradis se sont fait embarquer par des fonctionnaires. Merci beaucoup de votre attention.

Le Président (M. Bélanger): La commission vous remercie de votre présentation et suspend ses travaux jusqu'à 20 h 15, ferme.

(Suspension de la séance à 18 h 15)

(Reprise à 20 h 23)

Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît!

Je demanderais à chacun de bien vouloir reprendre sa place afin que nous reprenions nos travaux, c'est-à-dire une consultation générale afin d'étudier le document intitulé Pour une politique de sécurité du revenu. Nous recevons, ce soir, le groupe des Promoteurs de la Montéré-gie, représenté par Mme Margaret Brault et Mme Thérèse Bérubé.

Je vous explique un peu nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes, ferme pour présenter votre mémoire et if y a 40 minutes de période de discussion avec les parlementaires. Je vous prierais donc, avant de commencer, de vous identifier et de nous présenter votre mémoire mais aussi, chaque fois que vous aurez à intervenir, soit pour répondre a une question ou pour en poser une, de bien vouloir donner votre nom avant pour les fins de transcription au Journal des débats. C'est assez important pour nous.

Alors, je vous prierais de commencer, s'il vous plaît.

Promoteurs de la Montérégie

Mme Brault (Margaret): Messieurs et mesdames les commissaires, bonsoir. Je me présente, je suis Margaret Brault, promoteur de la Montérégie. À ma droite, Thérèse Bérubé, qui est aussi promoteur et qui a participé à la rédaction du mémoire que vous avez reçu.

Permettez-moi d'abord de vous remercier, au nom de mes collègues, de l'attention particulière que vous avez portée à notre mémoire sur l'énoncé de politique de réforme de l'aide sociale, en nous offrant la chance de venir vous parler ce soir de notre projet d'implication communautaire. Après avoir reçu le document, un groupe de promoteurs de la Montérégie s'est réuni afin de faire une étude et d'apporter les conclusions que vous pouvez trouver à la fin de notre mémoire.

Dans les prochaines minutes, j'aimerais vous donner un bref aperçu de notre travail en tant que promoteurs de programmes d'implication communautaire, ce qui, je pense, vous aidera à comprendre pourquoi nous avons des craintes vis-à-vis de certains points de la réforme, c'est-à-dire plus spécifiquement le programme APTE, celui nous touchant de plus près. Les promoteurs impliqués sont: Centre d'entraide bénévole de Saint-Amable, représenté par Mme Thérèse Bérubé, à ma droite; malheureusement ne pouvant être avec nous ce soir, le Centre d'action bénévole de Saint-Hubert, représenté par Mme Ernestine Cyr, coordonnatrice; Projet-Femmes pour le réveil des assistés sociaux de Longueuil, représenté par Mme Denise Imbeau qui après maintes heures de labeur, à partir de tous nos commentaires, nos débats et nos conclusions, est la personne responsable de la rédaction de notre rapport.

Je vais maintenant vous donner un aperçu, par promoteur, de ce que représente le travail de nos projets. Le Centre d'entraide bénévole de Saint-Amable est un organisme à but non lucratif offrant des services à la communauté par l'entremise de bénévoles. La demande accroissante d'aide à domicile se faisant sentir dans les régions, c'est pour cette raison que l'organisme a fait appel aux programmes d'implication communautaire. Il a pour objectif d'offrir à une clientèle plus spécifique des services, tels que ménage, accompagnement aux rendez-vous médicaux, soins personnels, c'est-à-dire des soins d'hygiène aux personnes à domicile, être à l'écoute du bénéficiaire, accompagnement de personnes en phase terminale, faire les repas, aide à domicile pour une mère venant d'accoucher.

Le deuxième groupe, Centre d'action bénévole de Saint-Hubert, qui est lui aussi un organisme à but non lucratif et qui offre des services à la communauté par l'entremise de bénévoles, a mis sur pied un programme d'implication communautaire ayant comme services deux volets: le premier, c'est l'aide au maintien à domicile pour personnes âgées et handicapées, les services rendus étant l'accompagnement des personnes pour les sorties de magasinage et l'entretien ménager, section travaux lourds. Le deuxième volet est de niveau administratif, c'est-à-dire le travaH de secrétariat du réseau de bénévoles avec possibilité pour les candidats d'avoir une formation informatique.

Le troisième groupe, Projet-Femmes pour réveil des assistés sociaux de Longueuil, est lui aussi un organisme à but non lucratif dont le programme a pour objectif d'offrir à ses participantes - je dis "participantes" parce que ce sont des femmes qui peuvent bénéficier de ce programme - la possibilité d'explorer les différents débouchés en relation avec le marché du travail et/ou dans le domaine des études, tout ceci en leur donnant une orientation adéquate en rapport avec leurs capacités, c'est-à-dire en leur offrant tout au long des cours, des conférences, des discussions de groupe pour leur donner de l'information et, par la suite, leur donner la chance de mettre en pratique les acquis en offrant leurs services aux différents organismes de la région nécessitant de l'aide. En résumé, c'est tout ce qu'on peut appeler la formation d'une banque de ressources de bénévolat.

Le quatrième groupe, qui est mon petit bébé depuis quatre ans, c'est le centre hospitalier Régina de Saint-Hubert qui est un centre de soins prolongés de longue durée, dont je suis le promoteur responsable au nom du centre hospitalier. Je travaille comme ergothérapeute au centre. On a mis sur pied, il y a quatre ans, un programme d'implication communautaire qui a pour titre: Qualité de vie et service. Ceci veut dire: avoir la possibilité d'offrir à une clientèle de soins prolongés une certaine qualité de vie, c'est-à-dire couvrir les besoins qu'on peut appeler psychosocioculturels du bénéficiaire, ce qui, malheureusement, n'est pas inclus dans les services essentiels fournis présentement.

Les services rendus sont: accompagnement aux rendez-vous médicaux, sorties de plaisance qui peuvent aller des sorties de magasinage aux sorties de théâtre, pique-niques et le reste, les visites à domicile de certains de nos bénéficiaires pour que nos bénéficiaires puissent faire des sorties dune journée ou plus au domicile qu'ils avaient auparavant, avant d'entrer chez nous, les activités internes qui varient de la zoothérapie - notre projet de chien mascotte a été mis sur pied grâce aux projets de travaux communautaires - aux activités de groupe, botanique, musicothérapie, attention individuelle et bien d'autres.

Il y a un autre service très important qui est notro camp d'été pour personnes handicapées. On le fait maintenant depuis six ans, mais depuis quatre ans, on a l'aide des candidats des travaux communautaires. À l'intérieur de ce programme

I de camp d'été, si le participant aux travaux communautaires accepte, on lui donne une formation de préposé aux bénéficiaires pour qu'il puisse nous aider à assurer les soins personnels des bénéficiaires durant le camp, c'est-à-dire que le participant sort avec une formation de préposé aux bénéficiaires.

Après avoir entendu une description des services offerts par nos programmes, je crois qu'on peut en déduire que nous, en tant que promoteurs, devons donner une formation adéquate à nos participants en relation avec le travail demandé. Malheureusement, cette formation, à l'intérieur des programmes présents d'implication communautaire, n'est pas reconnue officiellement. Je dis malheureusement, je crois que c'est surtout pour les participants. Cela les aiderait beaucoup si leur acquis des douze mois qu'ils ont vécus était reconnue. La formation donnée, que celle-ci soit en animation, en aide à la personne, en aide domestique, en gardiennage, en accueil, en information, en organisation du travail ou en administration, nous retrouvons dans tous les cas les buts spécifiques atteints pour nos candidats, c'est-à-dire: contact et sensibilisation avec une clientèle spécifique qui va sans cesse en s'accroissant - je parle des personnes en besoin d'hébergement et du maintien à domicile - connaissance plus approfondie du matériel de travail spécifique aux gens handicapés; acquisition d'expérience pratique de travail de même qu'acquisition d'expérience de travail d'équipe; finalement, et le non le moindre, encadrement de la théorie acquise avec la réalité du marché du travail.

Il est évident que cet échange de services ne peut fonctionner qu'avec l'accord des deux parties, c'est-à-dire participants et promoteurs. C'est pourquoi, mesdames et messieurs les commissaires, nous vous demandons de vous pencher longuement sur le point qui nous préoccupe le plus, le fait que cette réforme donne aux centres Travail-Québec toute la manoeuvre d'imposer leurs décisions sans contrôle ni regard indépendant, autant sur les diagnostics que sur les offres de services, avec en plus la haute main sur le mécanisme de sélection de projets. Certaines inquiétudes ont été posées par différents promoteurs, celle-ci étant: la diminution des bénéfices pour les participants, l'arbitraire de l'agent du centre Travail-Québec et la pénalisation en cas de refus, le blocage à l'admission pour les jeunes vivant chez leurs parents, les prestations des aptes sans analyse différenciée par région des coûts réels des activités reliées au marché du travail, la présentation des chiffres sans une analyse sérieuse des conséquences des changements de la fiscalité non seulement au Québec, mais aussi au fédéral, les postes de travail à créer.

Par conséquent, nous en sommes venus à une conclusion et à des recommandations, c'est-à-dire: consultation et création de nouveaux projets par l'ajustement aux changements de clientèle des participants; collaboration et planification entre les divers acteurs institutionnels avant l'implantation dans une région, acceptation de nouvelles règles par les promoteurs et les gestionnaires régionaux; création du réseau avant l'application de la réforme pour la clientèle visée; vérification des jugements évaluais des agents des centres Travail-Québec concernant l'aptitude et la disponibilité des assistés.

Recommandations: volontariat maintenu, offre incitative, surplus de prestations pour compenser les coûts réalistes et capacité d'épargne en prévision de la fin du programme; liberté des engagements négociés entre promoteurs et participants, c'est-à-dire pouvoir reconnaître le professionnalisme déjà existant des promoteurs; participation et collaboration pour la réorientation des programmes, concertation des agents, création d'une commission distincte des actuels centres Travail-Québec; que la loi contienne des dispositions et les mécanismes de surveillance dans la transition.

En résumé, si on peut résumer le tout dans une phrase, ce serait peut-être: Reconnaissance des agents communautaires comme co-maîtres d'oeuvre de la réforme. Nous sommes prêts à partager notre expérience avec d'autres artisans d'une réforme qui deviendrait alors véritablement une politique de développement des ressources, une politique de création de postes de travail, une ouverture vers ce plein-emploi qui, seul, préservera la dignité des travailleurs.

Je vous remercie beaucoup de votre attention.

Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie.

M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je tiens à remercier Mme Brault et Mme Bérubé, ainsi que les autres personnes qui ont participé à sa rédaction, pour le mémoire ainsi que pour votre présentation verbale.

Je vais tenter de vous dresser, assez brièvement quand même puisque j'ai eu à le faire à quelques reprises déjà, le portrait de la clientèle que nous avons à l'aide sociale ou que nous avions en mars 1987, qui a diminué depuis ce temps-là mais qui, dans les proportions, est sensiblement la même, avec les mêmes caractéristiques en tout cas. Sur 400 000 chefs de ménage à l'aide sociale en mars 1987, à peu près 25 %, 100 000 chefs de ménage, étaient des gens incapables de gagner leur vie même si on leur en fournissait l'occasion, sur le plan de la compétitivité et de la production, de façon régulière. Ces gens-là seraient admissibles au programme Soutien financier dans la politique de sécurité du revenu. Quelque 300 000 chefs de ménage seraient des personnes que l'on considérerait comme aptes au travail, entre guillemets, mais aptes au travail avec des barrières ou des

lacunes sur le plan de l'employabilité qui ne sont pas faciles à surmonter. De cette clientèle, 36 % sont considérés comme des analphabètes fonctionnels et 60 % de ces individus n'ont pas complété leur cours secondaire. Puis, 40 % - dans ce cas-là, on retrouve une majorité très nette de femmes - n'ont aucune expérience antérieure de travail reconnue.

En regard d'une telle situation, le gouvernement a le choix. Il peut faire ce qu'il a fait dans le passé et poster mensuellement un chèque à la majorité de cette clientèle, en se disant: Voici, j'ai fait ce que j'avais à faire, je n'ai plus besoin de m'occuper de ces gens-là, sauf dans le cas des jeunes en bas de 30 ans où des programmes de réinsertion ou d'employabilité existaient. Ou il peut faire preuve d'un peu plus de justice et d'équité envers ceux et celles qui sont pris à l'aide sociale pour une longue période de leur vie, le programme Soutien financier, et, dans le cas du programme APTE, décider d'investir massivement autant sur le plan financier que, dans le cas des ressources humaines, dans l'amélioration de l'employabilité de ces individus de façon à réduire les barrières.

Je pense que le défi est d'une telle ampleur que, si le gouvernement s'y attaquait seul, sans la collaboration du monde patronal, du monde syndical et surtout des groupes communautaires impliqués, II faudrait lancer la serviette avant de l'entreprendre.

Vous êtes un des groupes communautaires impliqués sur lesquels nous devons compter. Vous nous avez brièvement décrit votre expérience. Vous avez également manifesté, dans votre mémoire, certaines réticences. Je pourrais profiter de l'occasion rapidement pour vous apporter quelques précisions sur certaines des inquiétudes que vous avez, mais que vous ne devriez pas avoir, même au moment où on se parle, sans corriger ou apporter de bonification à la réforme. À la page 6, vous parlez des 100 $ versus les 60 $. Cela semble être un sujet de préoccupation chez vous. Vous le reprenez à deux ou trois endroits. C'est 60 $ d'allocation de participation plus 40 $ de frais de participation. Cela maintient, dans la pratique, les 100 $, finalement.

La question des 100 $ de l'employeur, taxés de la déduction d'assurance-chômage, cela va. Je la comprends. Je la saisis bien, mais vous dites: "sont taxés directement et tombent à 80 $ par mois". Vous êtes le premier groupe à nous présenter cet élément et je vous demanderais d'expliquer cela un peu tantôt.

Les frais de garde ne seront plus remboursés que pour environ 50 %, c'est-à-dire par l'impôt. C'est dans le cadre du programme APPORT, mais dans le cadre du programme APTE, les frais de garde demeurent ce qu'ils étaient, autour de 10 $ par jour. En ce qui concerne APPORT, il n'y avait aucun frais de garde remboursés aux gens qui étaient des travailleurs à faibles revenus. On ajoute le remboursement à 50 %.

Ce sont à peu près les éléments que je pouvais vous donner. Je maintiens ma question pour les 80 $ et je vous demande en même temps de m'indiquer depuis combien d'années vous êtes impliqués, quel est le type de clientèle que vous avez (majoritairement des hommes ou des femmes) et, à la suite du stage effectué dans vos organismes, ces gens-là, dans quelle proportion se sont-ils trouvé des emplois permanents par la suite? Est-ce que vous avez de la difficulté à recruter des candidats ou des candidates? C'est le genre de questions qui peut nous donner l'information nécessaire pour mieux adapter nos programmes. Est-ce que la période est assez longue ou est-ce que c'est trop court, trop long ou juste approprié? C'est le genre de questions.

Mme Brault: Moi, je suis Margaret Brault, je vais répondre au nom du centre hospitalier Régina. Je peux peut-être présenter le centre avant. Le centre hospitalier Régina est un centre de soins prolongés de longue durée, c'est-à-dire que les bénéficiaires qui entrent dans le centre y demeurent. C'est comme une deuxième famille. On a 70 bénéficiaires chez nous, dont 13 sont des hommes et le reste, des femmes. La majorité, ce sont des femmes. C'est une clientèle qu'on appelle "lourde", qui est classée, par les CSSS, A-4, A-5, où le patient a besoin de soins 24 heures par jour.

En ce qui concerne un peu les services, cela fait 4 ans qu'on a le projet; j'ai commencé au tout début. Il y a eu beaucoup de modifications en cours de route. On a commencé avec un projet qui n'atteignait pas nécesairement juste l'animation et on a vu des inconvénients par rapport au travail de secrétariat ou autre dans le centre; alors, on a fait modifier. On avait 4 postes dont 2 en animation et 2 qui touchaient plutôt le secrétariat. Cela n'avait pas tellement fonctionné, alors, j'ai demandé de le modifier pour avoir 4 postes en animation, ce qui peut toucher bien des domaines, si on considère ce qu'est l'animation en soins prolongés.

Des jeunes sont passés chez nous; la première année, mes 4 postes ont été comblés. Cela fait 3 ans que mes 4 postes ne sont pas comblés et, depuis un mois et demi, je n'ai aucun candidat. Je suis au désespoir!

Ce sont les faits réels. C'est pour cela que, dans notre mémoire, quand on met l'emphase sur les centres Travail-Québec, c'est qu'on a beaucoup, beaucoup de difficultés avec le recrutement de nos candidats. Et cela, c'est un fait réel.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous attribuez cela à quoi, ces difficultés de recrutement?

Mme Brault: Je peux me permettre d'aller assez loin parce que j'ai eu des échos, même de mes candidats qui sont arrivés chez nous et qui m'ont dit: Mme Brault, si j'avais écouté l'agent

de l'aide sociale, je ne serais jamais venu. Alors, j'ai commencé à me poser des questions car, au début, j'avais un agent avec lequel tout fonctionnait parfaitement. Du jour au lendemain, pour moi, la personne travaillait trop bien et a eu une promotion, je ne le sais pas, mais tous les documents...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si c'est le cas, c'est correct! L'inverse serait plus inquiétant.

Mme Harel: Elle a fini tout simplement son contrat, puis elle a reçu son avis de remerciement.

Mme Brautt: C'est cela. Puis tous les documents que j'avais envoyés à mon centre Travail-Québec - je ne m'en cacherai pas, c'est le centre de Brossard - toute la documentation que j'avais envoyée par rapport... On exige chez nous des prérequis. Ce que j'appelle des prérequis, moi, c'est un peu l'aperçu général de la personne: débrouillardise, sens de l'organisation, être capable aussi d'avoir un contact avec une clientèle spécifique. Ce n'est pas n'importe qui qui va rentrer et pouvoir travailler dans un centre de soins prolongés. Alors, il y a quand même du dépistage qui se fait, au début. Et j'avais envoyé toute cette documentation. Puis, du jour au lendemain, ils changent d'agent: plus de documentation; tout est perdu, tout est à recommencer. J'ai fait cela trois fois.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous m'indiquez que vous avez des postes vacants...

Mme Brautt: Oui.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...si je puis utiliser l'expression, depuis longtemps.

Mme Brault: Un mois et demi.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Un mois et demi?

Mme Brault: Oui.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Et, présentement, est-ce que vous avez fait des démarches auprès du CTQ. Qu'est-ce qui cloche, présentement?

Mme Brautt: On est rendu à un point de blocage. Il y a eu des démarches; j'ai fait des appels. Ils me trouvent peut-être fatigante, j'appelle souvent. Même notre coordonnatrice de la Montérégie a appelé, a fait... Elle a peut-être un pouvoir de faire pousser, mais elle n'a pas un pouvoir décisionnel comme tel. Il y a eu des recommandations, il y a eu des plaintes émises à deux reprises. Là, je suis dans le processus où l'on attend. Je rappelle demain; je rappelle à peu près tous les deux jours le centre. Les trois quarts du temps, la personne est trop occupée pour parler et je continue. Je ne le sais pas, mais j'ai l'impression qu'il y a eu dans la région une espèce de boycottage des projets en disant que c'était du "cheap labor". (20 h 45)

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Boycottage par qui? Par le centre Travail-Québec ou par la clientèle?

Mme Brault: Non, j'ai l'impression qu'il y avait beaucoup de blocage. D'après les commentaires que j'ai eus de certaines personnes, cela venait des centres Travail-Québec. Véritablement, on a de la difficulté.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Mme Bérubé, est-ce que vous éprouvez les mêmes problèmes?

Mme Bérubé (Thérèse): J'ai absolument les mêmes problèmes. Cela fait quatre ans qu'on fonctionne avec ce projet. J'ai droit à quatre filles. À l'heure actuelle, j'ai mes quatre filles, mais je peux dire que je recrute moi-même parce que je ne peux pas me permettre d'en manquer, car j'ai beaucoup de travaux à faire faire. J'ai absolument les mêmes problèmes.

Mme Harel: Vous recrutez vous-même, mais comment?

Mme Bérubé: Disons que par le centre d'entraide, j'ai...

Mme Harel: Pardon? Excusez.

Mme Bérubé: ...l'occasion de toucher à peu près à ce qui se rapporte à l'aide sociale, disons des gens qui ont de la misère à boucler leur fin de mois. Quand je vois que j'ai besoin d'une fille et que ces gens ne sont pas capables de boucler leur fin de mois, j'offre du travail en même temps que de l'aide. Cela marche à tout coup.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Quand vous passez à côté, cela fonctionne et quand vous passez par le centre, cela ne fonctionne pas. C'est ce que je retiens de...

Mme Bérubé: Bien...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ou cela fonctionne difficilement.

Mme Bérubé: Je peux vous dire qu'il y a quinze jours, j'ai dit au bureau de Travail-Québec que j'avais besoin d'une fille et on m'a répondu de faire ma publicité, qu'on n'était pas capable. C'est ce qu'on m'a répondu.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que vous faites appel au même centre Travail-Québec?

Mme Bérubé: Non. On est... Mme Brault: C'est Brossard. Mme Bérubé: Moi, c'est Longueuil.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous, c'est Longueuil et vous, c'est...

Mme Brault: Brossard.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Alors, vous avez raison.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Mme la députée de Maisonneuve vient de dire: Pauvre ministre! J'ai dit: Oui, vous avez raison. Les commissions parlementaires permettent de découvrir des lacunes de fonctionnement et je pense que c'est fait un peu pour cela, également. Vous nous disiez la vérité.

Une fois que vous avez recruté personnellement ou surmonté les énormes problèmes de recrutement, une fois que les gens vont en stage, est-ce qu'à la suite de leur stage ces personnes... Est-ce que vous faites un certain suivi? Est-ce qu'elles se trouvent un emploi permanent?

Mme Brault: Pour le centre hospitalier Régina, je dois dire - je vais toucher du bois -que les jeunes qui sont passés chez nous ont tous trouvé de l'emploi ou sont retournés aux études.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Tous?

Mme Brault: Je n'en ai pas eu beaucoup. J'ai eu beaucoup de boycottage. J'en ai eu huit sur huit, soit de l'emploi ou un retour aux études. Je fais même le suivi. J'ai des gens qui reviennent comme bénévoles pour nous donner de l'aide ensuite. Il faut dire qu'on leur donne la formation. Ils ne sortent pas de chez nous avec rien. Ils sortent de chez nous avec un bagage pour aider des gens handicapés en animation, en écoute et il y a ceux qui participent aux camps d'été. Ils ont même un cours de préposé aux bénéficiaires. Ils peuvent postuler un emploi là où on en demande, dans les centres.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que... Mme Brault: C'est une chance.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...chez les gens que vous avez, vous remarquez une évolution d'attitude en cours de stage face au marché du travail, à partir de la première journée jusqu'à la dernière?

Mme Brault: Peut-être pas à partir de la première journée, mais je peux vous dire que la première semaine, il y a beaucoup de craintes. Ils ont peur. C'est surtout en relation plutôt avec la clientèle. Honnêtement, le stage dure douze mois. Si je veux être honnête, les jeunes ne peuvent pas fonctionner seuls à l'intérieur du centre. Alors, cela prend un minimum de six mois avant qu'ils puissent fonctionner. Une fois qu'ils sont capables de fonctionner et que tout va bien et qu'on est capable d'avoir un certain élément de confiance, parce qu'ils travaillent quand même avec des êtres humains qui ont beaucoup de demandes, les six mois passent vite après, et on recommence.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord. Cela va.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Alors, je suis particulièrement contente que vous ayez préparé ce mémoire et que vous soyez venues devant la commission, Mme Brault et Mme Bérubé. J'avais eu l'occasion, au mois de septembre dernier, dans le cadre d'une tournée qui s'était faite en autobus, dans tout le Québec, de longuement visiter les promoteurs de la Montérégie. J'ai rencontre Mme Imbeau. Est-elle coordonnatrice ou est-elle comme vous?

Mme Brault: Denise Imbeau est responsable du Projet-Femmes pour le réveil des assistés sociaux de Longueil.

Mme Harel: Tandis que vous êtes responsable du projet au centre hospitalier Régina et Mme Bérubé au Centre d'entraide bénévole. C'était une rencontre... Beaucoup d'intervenants... Est-ce que vous n'étiez pas là, Mme Bérubé?

Mme Bérubé: II me semble que je n'étais pas là.

Mme Harel: Non. C'était au mois de septembre, l'an passé. Cela m'avait permis de constater combien vous dites vrai quand vous dites que, pour la Montérégie, vous avez réussi à devenir très très crédibles et à offrir des services qui sont maintenant très reconnus.

Tantôt, le ministre vous a dit textuellement: Vous êtes un groupe communautaire sur lequel nous devons compter. Quand il vous a dit cela, j'ai pensé: Tant mieux! Vous avez des conditions dans votre mémoire et vous exigez que vous, vous puissiez compter sur lui. Ce sont des conditions dont on pourrait parler ce soir. Une sur laquelle vous insistez beaucoup dans vos recommandations... Tantôt, le ministre vous demandait: Est-ce que c'est trop court, trop long? Je crois comprendre que douze mois, c'est un peu court pour vous?

f Mme Brault: C'est cela.

Mme Harel: Cela prend au moins six mois de formation. Donc, cela serait trop court, d'une certaine façon.

Mme Brault: Oui. D'ailleurs, on avait déjà fait la demande par l'intermédiaire de Mme Bourgoin-Granier, notre coordonnatrice de la Montérégie, de faire une prolongation du programme, de donner plus de temps.

Mme Harel: Parmi les critères, où on dit: "Est-ce que c'est approprié?", etc., je crois qu'il y en a un sur lequel vous insistez beaucoup, c'est le caractère volontaire. Vous revenez dans votre mémoire au volontariat: volontariat autant pour le promoteur que pour le bénéficiaire. Je retrouvais, en passant, que dans plusieurs cas un projet d'implication communautaire avait permis le départ de la maison sans devoir passer par la rue et sa déchéance. Je me demandais ce que vous vouliez dire en citant plusieurs cas. Étaient-ce là des jeunes qui quittaient le foyer parental ou, en fait, des femmes qui quittaient la maison, après une séparation? Je me demandais de quoi il était question quand vous traitiez de i ces cas qui avaient été soutenus au moment d'une impasse.

Si on revient au caractère volontaire, vous dites ceci, à la page 7: "Après réflexion, si le facteur du libre choix du promoteur (et du participant) était aboli, nous serions malheureusement dans l'obligation de cesser toute participation aux projets subventionnés. Malheureusement, car nous considérons ces projets présentement comme des moyens d'échange de services" etc.

Pour vous, le caractère du libre choix, c'est quelque chose d'essentiel, de fondamental?

Mme Brault: Je peux répondre. Disons qu'en tant que promoteur, c'est quelque chose d'essentiel. J'espère que la réforme ne mènera pas à cela, que les candidats nous soient imposés; j'espère que le promoteur restera libre dans le choix du candidat qui va rentrer pour travailler. Je parle personnellement, pour chez nous. Je ne vous ai pas dit que c'est un centre privé conventionné par le gouvernement. Avant de venir ici, j'ai discuté longuement avec le propriétaire du centre qui en est le directeur général. C'est un point qui est maintenu tout au long et qu'on a maintenu pendant quatre ans. Si je ne peux maintenir la décision de dire: "Oui, je refuse ce jeune, oui, je l'accepte", malheureusement, pour la sécurité de nos bénéficiaires dans le centre et aussi pour le bien-être du candidat... Je répète encore, comme je l'ai dit tantôt, que ce ne sont pas toutes les personnes qui peuvent approcher des patients en phase terminale, ce qu'on appelle les grands malades. Cela demande une formation assez spécifique.

Mme Harel: Je voyais, ailleurs dans votre mémoire, que vous considérez que cela peut être un piège pour vous, par exemple, d'avoir à refuser des participants, qui se verraient imposer des pénalités du fait qu'ils ne correspondent pas à vos critères, finalement. Vous, vous voulez avoir le choix sans que les personnes dont vous ne retenez pas les services soient, elles, pénalisées. C'est cela que j'ai cru comprendre.

Mme Brault: Bien, cela a été émis par certains promoteurs, de dire... Est-ce qu'un promoteur... Il y a beaucoup de promoteurs qui sont bénévoles à l'intérieur d'organismes. Ce ne sont pas des gens habitués à travailler et à congédier du monde. Il faut s'entendre: quand on dit qu'on congédie quelqu'un, cela demande un engagement. Tu y penses comme il faut et, si j'ai fait que ce jeune-là est à la porte, il y a tous les sentiments de culpabilité qui penvent venir. Il y en a certains, vraiment, des promoteurs de la Montérégie, qui ont dit honnêtement qu'ils ne seraient pas capables de faire face à ce dilemme, parce que cela demande quand même un bagage...

Mme Harel: Surtout que cela peut dépendre de prérequis. Chez-vous, par exemple, je voyais la liste, c'est quand même imposant: permis de conduire, capacité de travailler en équipe, disponibilité, heures flexibles, être capable d'établir des bonnes relations avec les personnes, initiative, imagination, sens de l'organisation, motivation. Vous savez, même pour un député, je ne suis pas sûre que tous ces prérequis là sont...

Mme Brault: Non. Cela dépend, cela semble peut-être bien terrible, quand on voit tout cela énoncé d'un coup, mais ce n'est pas si extraordinaire que cela. Quand on parle d'imagination ou de créativité, c'est... Si tu regardes le jeune et tu vois qu'il est capable de se débrouiller, avec ses deux mains, à faire une activité avec un patient ou de trouver, je ne sais pas, moi, formidable qu'un patient puisse encore faire un gâteau à l'intérieur d'une activité popote dans le centre, bien, c'est cela, de la créativité et de l'imagination. Ce n'est pas plus que cela. Ce ne sont pas des affaires qu'on demande au niveau, comme vous le dites, peut-être, d'un député. Ce sont vraiment les critères, les prérequis, c'est vraiment sur le plan de l'animation, de l'attention individuelle, de ('interrelation entre deux personnes, entre une personne qui est en relation d'aide, qui a besoin d'aide, et l'autre qui donne l'aide. Mais les services, ce sont des services qui s'échangent, en fin de compte.

Mme Harel: C'est aussi exigeant chez vous, Mme Bérubé?

Mme Bérubé: C'est aussi exigeant. Mme Harel: Oui?

Mme Bérubé: Oui, justement, avec les personnes âgées, parce que c'est le gros de notre clientèle, les personnes âgées. Ce n'est pas toujours facile. Ce n'est pas facile non plus pour les personnes âgées d'accepter les jeunes, même si on ne leur dit pas que ce sont des projets pour les assistés sociaux, on ne le dit pas, c'est vraiment compliqué parfois. Il faut que le jeune montre beaucoup de bonne volonté et je ne peux pas me permettre de garder un jeune qui ne voudrait pas travailler. Il faut absolument qu'il soit capable..

Mme Harel: II y a autant de garçons que de filles qui participent au programme, chez vous?

Mme Bérubé: Chez nous, ce sont des filles seulement.

Mme Harel: Seulement des filles?

Mme Bérubé: Seulement des filles, parce que je pense que... Je ne vois pas mes personnes âgées accepter des garçons pour faire du ménage.

Mme Harel: Et vous, Mme Brault?

Mme Brault: Moi, en moyenne, sur huit, j'ai eu trois hommes par rapport à cinq femmes.

Mme Harel: À cinq. Vous vous proposez de donner une forme de certificat d'appentissage?

Mme Brault: Ce qu'on aimerait, et cela, il y a longtemps qu'on le demande, par les travaux communautaires, parce qu'il faut que je vous dise qu'il y a d'autres programmes aussi. Il y a les stages en entreprise et certains programmes où quand la personne quitte après les douze mois de formation, elle a un certificat d'apprentissage reconnu. Et on aimerait que par des travaux communautaires... J'ai des stages en entreprise et j'ai pu, au cours des années, évaluer la différence entre mes deux programmes. Je vous dis qu'à part certaines formations très spécifiques - le stage que j'ai présentement, c'est un stage en entreprise en vue de la formation de préposés en réadaptation - qui donnent des techniques plus spécifiques à la personne, le côté général équivaut à des travaux communautaires. Pour ma part, je trouve que, c'est injuste pour le jeune, qui fournit un effort pendant douze mois et qui se force vraiment, qui fait les douze mois du programme et qui s'efforce de sortir, d'apprendre et tout cela. Il arrive à la fois et c'est comme s'il n'avait rien fait. Il n'a pas de papier, il n'a rien.

Mme Harel: Mme Bérubé, vous avez dit que vous recrutiez vous-même.

Mme Bérubé: Oui

Mme Harel: J'aimerais cela que vous nous disiez comment cela se passe, comment cela c'est passé, c'est récent ou si cela fait..

Mme Bérubé: C'est assez récent.

Mme Harel: Ce n'était pas comme cela auparavant? (21 heures)

Mme Bérubé: L'année passée, ce n'était pas la même personne au bureau du centre Travail-Québec. Cela allait très bien, je lui demandais quelqu'un et je l'avais subito presto. Depuis le changement de personnel qui s'est passé là, cela ne fonctionne plus.

Mme Harel: Là, vous avez des contacts vous-même dans les milieux?

Mme Bérubé: C'est dans ma paroisse, en fin de compte. C'est par les personnes qui viennent me demander de l'aide, parce que le centre d'entraide est là pour aider. C'est de cette façon que je recrute quand j'ai besoin.

Mme Harel: Les personnes que vous recrutez, elles résistent, elles sont réticentes ou elles acceptent?

Mme Bérubé: Elles acceptent de bon coeur. Mme Harel: Pour quel motif, Mme Bérubé?

Mme Bérubé: Bien, cela leur permet de boucler leur fin de mois.

Mme Harel: Parce que cela leur donne combien? Vous parlez d'un jeune ou d'une famille monoparentale surtout?

Mme Bérubé: Pour ceux que j'ai recrutés, cela leur donne 200 $ par mois de plus que...

Mme Harel: Elles ont des enfants à ce moment-là?

Mme Bérubé: Oui.

Mme Harel: Disons, ce sont des femmes chefs de famille?

Mme Bérubé: Et chefs de famille, en haut de 25 ans.

Mme Harel: Cela leur donne 100 $ de besoins spéciaux.

Mme Bérubé: C'est cela.

Mme Harel: Et 100 $ de l'organisme.

Mme Bérubé: C'est cela.

Mme Harel: Mais avec la réforme, elles n'obtiendraient plus que... Elles obtiendraient moins. Parce que, vous voyez, avec la réforme, disons qu'une femme chef de famille a 684 $; en 1989, c'est indexé - il faut prendre des chiffres qui se comparent - elle ajoute 100 $, cela fait 784 $ et elle ajoute encore 100 $. Elle a combien, par exemple, présentement?

Mme Bérubé: Présentement, cela leur donne 200 $ de plus.

Mme Harel: 200 $ de plus que l'aide sociale?

Mme Bérubé: C'est cela.

Mme Harel: Si l'aide sociale était, par exemple, de 684 $, cela leur en donnerait 884 $.

Mme Bérubé: C'est cela.

Mme Harel: Et avec la réforme, en participant pleinement, elles auraient 720 $ plus les 100 $:820 $

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Plus la déduction.

Mme Harel: Quelle déduction?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Pour gain de travail.

Mme Harel: Déduction pour gain de travail. Elles sont en travaux communautaires. Donc, à ce moment-là, elles auraient 64 $ de moins avec la réforme que ce qu'elles obtiennent maintenant. J'aimerais cela, pendant qu'on est dans les chiffres, qu'on regarde vos chiffres de 100 $ à 80 $. Le ministre tantôt a dit - je pense que c'est à la page 6 - qu'en ce qui concerne les allocations et les frais... Vous l'aviez pourtant mis pour que cela soit très visible: "ce qui signifie que les participants perdent leurs 100 $. Seulement 60 $..." Parce que, selon votre point de vue dans le mémoire, 60 $, c'est l'allocation, c'est automatique, tandis que les 40 $, ce sont des frais. On dit ici: "II faut savoir que dans le langage BS, "frais" implique procédure de vérification et arbitraire d'acceptation." Pourquoi ne pas avoir laissé les 100 $ d'allocation? Pourquoi avoir mis 60 $ d'allocation et 40 $ de frais, si cela ne veut rien dire?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si cela ne veut rien dire? Cela veut dire qu'il y a un remboursement, parce qu'on considère que les frais de quelqu'un qui se déplace, qui va travailler, des vêtements, des frais de transport, etc., cela s'évalue.

Mme Harel: Mais est-ce qu'il va falloir qu'il y ait présentation de reçus?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, absolument pas.

Mme Harel: Parce que le mot "frais" fait toujours appel à reçus, vérifications, contrôle. Je ne me trompe pas, n'est-ce pas?

Mme Brault: C'est comme cela qu'on l'avait vu, nous.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord, mais ce n'est pas le cas.

Mme Brault: ...et je suis contente si vous me dites que cela va être automatique.

Mme Harel: Donc, à ce moment-là, il faut parler de 100 $ d'allocation?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. C'est 100 $ d'allocation et, si vous le subdivisez, il y a 40 $ de frais et 60 $ d'incitation, mais cela fait 100 $ et vous n'avez pas besoin, pour la partie des frais, de pièces justificatives.

Mme Harel: Les 100 $ que vous versez comme organisme, Mme Bérubé, ils vous viennent d'où?

Mme Brault: Cela vient des montants alloués à la région de la Montérégie.

Mme Harel: Par le CRSSS? Mme Brault: Par le CRSSS.

Mme Harel: Ces montants-là sont toujours maintenus?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Là, les budgets du CRSSS...

Mme Harel: Non, non, mais le CRSSS les détient du ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu?

Mme Brault: Oui, les budgets viennent du gouvernement.

Mme Harel: Bien oui.

Mme Brault: Mais les budgets varient selon qu'on est un organisme à but lucratif ou non lucratif.

Mme Harel: Non, non, non. Organisme bénévole, c'est un autre programme du ministère de la Santé et des Services sociaux pour obtenir des subventions. Ce sont des travaux communautaires qui sont régis par d'autres ministères, cela peut être par le ministère de l'Éducation ou...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Nous, on

verse au ministère, on ne verse pas aux CRSSS... Mme Harel: C'est cela.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): ...et, à ce moment-là, le ministère peut choisir soit les CSS, les CRSSS, les centres hospitaliers et choisit...

Mme Harel: C'est cela. Il est toujours entendu que le ministère va verser ces 100 $?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Bien oui. Mme Harel: II vaut mieux que ce soit dit. Mme Brault: Oui, c'est que...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, mais vous n'avez pas l'air d'être contente quand on dit oui.

Mme Harel: Au contraire, les bonnes nouvelles me font toujours plaisir.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Encore des bonnes nouvelles.

Mme Harel: On n'en a pas eu beaucoup.

Mme BrauK: Est-ce que je peux ajouter, sur l'allocation supplémentaire? Chez nous, au centre hospitalier Régina, étant un organisme à but lucratif, nous n'avons que 25 $ par mois par participant. C'est dire que c'est le centre qui fournit les autres 75 $.

Mme Harel: Excusez-moi vraiment, Mme Brault. Vous disiez? Je m'excuse de vous demander de répéter.

Mme Brauft: Sur le montant de l'allocation supplémentaire que le promoteur verse, en tant qu'organisme à but lucratif, nous recevons, nous autres, des allocations supplémentaires de 25 $ par participant, quand nous avons des participants. Si nous en avons un par mois, cela fait 25 $ par mois. C'est le centre qui s'engage à verser les 75 $ pour le travail du jeune.

Mme Harel: II n'y a jamais eu de problème pour ce qui est du CRSSS, à vous autoriser à obtenir des stagiaires, à vous verser les montants? Parce que, dans d'autres régions, on a vu que le CRSSS faisait valoir que les fonds étaient limités ou contingentés, ou qu'il y avait épuisement des fonds. Les personnes qui étaient promoteurs se faisaient offrir quatre stagiaires plutôt que neuf. Dans votre cas, en Montérégie, toutes les demandes ont toujours été honorées par le CRSSS?

Mme Brault: Disons que, dans mon cas - cela a toujours été le mien - je sais que Mme Bourgoin dit qu'elle a quand même des restrictions budgétaires et qu'elle doit faire beaucoup d'études à savoir: quel projet peut fonctionner et quel autre ne le peut pas. On a quand même des critères de fonctionnement; on a des rapports mensuels à faire.

Mme Harel: Ce sont des critères internes aux Promoteurs de la Montérégie?

Mme BrauK: Oui.

Mme Harel: Mais est-ce qu'il y a des restrictions qui viennent du fait que les budgets sont limités?

Mme Brault: Oui, je crois, si je ne me trompe pas. que Mme Bourgoin devait refuser des projets, à un moment donné, parce qu'elle n'avait pas le budget et qu'elle avait déjà des projets en cours de route qui fonctionnaient très bien. Elle se voyait, dans une situation, assez mal placée pour dire: Je vais couper pour donner des nouveaux projets.

Mme Harel: C'est vraiment très intéressant, vous savez, d'échanger des vues avec des personnes comme vous, qui vivez les deux pieds dans des projets et qui en connaissez les difficultés d'application. Cela contrevient à cette idée que quiconque voulait, chez un jeune de moins de 30 ans, participer à un projet le pouvait et que c'est plus par paresse, indolence ou d'autres motifs obscurs que le taux de participation a été si limité. Mais au fur et à mesure que la commission se poursuit, on se rend compte qu'il y avait aussi des contraintes, des résistances, qui ont empêché même des extensions de projet ou des réalisations de projet.

Je ne sais pas s'il me reste encore quelques minutes. Il m'en reste encore?

Le Président (M. Bélanger): Deux minutes.

Mme Harel: II me reste encore deux minutes. Par souci d'alternance, je vais passer tout de suite la parole au ministre.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre, il vous reste cinq minutes.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vais peut-être reprendre le dernier aspect que Mme la députée de Maisonneuve a touché: les disponibilités financières. Est-ce que - là, je m'adresse aux deux personnes qui sont devant moi - vous avez déjà eu des refus à cause d'un manque de disponibilité financière pour vos projets?

Mme Brault: Moi, heureusement, non. Mon projet a toujours été respecté même si je n'ai pas les candidats, mon projet reste toujours ouvert mais il faut dire que - je peux peut-être ouvrir une parenthèse - pour les projets qui

restent ouverts, on a quand même des critères à respecter, comme, je le disais tantôt. On a des rapports mensuels, des rapports trimestriels sur toutes les activités qu'on fait, les dépenses qu'on fait. Alors, je pense que la coordonnatrice se penche beaucoup aussi sur l'efficacité des projets par rapport à l'administration aussi. On a beaucoup de travail administratif à faire avec ces projets-là.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Mme Bérubé, vous, sur le plan financier, est-ce qu'on vous a déjà refusé ou dit: II manque d'argent, de ressources financières?

Mme Bérubé: Cela n'est pas arrivé, à l'heure actuelle, mais je pense que je suis dedans. Je ne sais pas ce qu'en seront les conséquences.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Qu'est-ce que vous voulez dire par je suis dedans"?

Mme Bérubé: C'est parce que, chez nous, on n'a pas de transport. Donc, je suis obligée - ces petites filles-là n'ont pas de char - de leur payer du transport. Avec 100 $ par mois pour couvrir toutes les dépenses, je vous dis que c'est quelque chose?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Les gens qui participent à vos programmes, chez vous, viennent dans un rayon d'action de combien, à peu près, quand vous parlez de transport?

Mme Bérubé: Disons que, pour nous autres, à Saint-Amable, la paroisse est assez étendue. Cela veut dire qu'on peut envoyer une fille travailler et on peut avoir trois ou quatre milles à faire juste pour aller au travail. Je ne peux pas les envoyer à pied, l'hiver. L'été, elles font de la bicyclette mais, l'hiver, je ne peux pas faire cela.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est vous qui...

Mme Bérubé: C'est exact. C'est le centre, c'est le... Je me sers des 100 $ de fonctionnement que j'ai, mais c'est quelque chose. Je sais que j'ai défoncé mon budget ce mois-ci. Tout l'hiver, je l'ai défoncé.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous défoncez l'hiver et vous récupérez un peu l'été.

Mme Bérubé: Par malheur, si on fonctionnait sur un an, peut-être que j'arriverais.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord.

Mme Bérubé: Mais comme on est par trois mois, j'ai les trois mois durs, là.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je veux revenir à une question qui a été soulevée par Mme Brault, à la fin, sur le plan administratif. Vous sembliez dire qu'il y avait beaucoup de papiers ou de formules. Est-ce que vous sentez que c'est nécessaire, ces papiers et ces formules? Est-ce qu'il y en a suffisamment, trop, pas assez? Pour conserver, quand même, des projets qui ont de la crédibilité sur le plan du fonctionnement...

Mme Brault: À savoir s'il y en a trop, pour que le projet fonctionne, d'après moi, non. Parce qu'il faut quand même avoir des papiers, disons, des statistiques, pour dire ce qui a été fait et avec quel montant d'argent. Le problème administratif pour moi, je suis habituée dans ce centre à faire de l'administration, à remplir des rapports, ce n'est pas quelque chose qui est une corvée. Je sais que chez certains autres promoteurs qui sont bénévoles, qui représentent des organismes bénévoles ou qui n'ont pas du tout eu de formation dans ce qu'on appelle le travail administratif, rapports, calculs, impôts, même la question de l'assurance-chômage, pour certains, ils disent: Comment enlève-t-on cela? Où va-t-on chercher notre numéro? Cela a-t-il du bon sens? Cela a fait un brouhaha pendant à peu près un mois, si je ne me trompe pas, avec Mme Bourgoin, puis on a eu des réunions. Cela dépend. Je pense que c'est relatif à chaque promoteur. Je crois que, pour que les projets fonctionnent, on doit quand même maintenir les rapports et tenir des statistiques. Pour cela, je dis oui.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Bien. Mme Harel: Vous aussi, Mme Bérubé? Mme Bérubé: Moi aussi, je suis d'accord.

Mme Brault: Cela prend ça. C'est mon temps.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve, si vous voulez remercier nos invités.

Mme Harel: II me restait deux minutes, même si j'en ai pris quelques secondes.

Le Président (M. Bélanger): Je vous en prie.

Mme Harel: Vous dites dans votre mémoire: "La présomption d'aptitude est en fait une pénalité et le client - c'est à la page 5, à la fin - doit trouver les moyens de démontrer l'erreur commise à son endroit s'il le peut." Dans le fond, vous avez l'impression qu'à partir du moment où il est déclaré apte, c'est comme si le ciel lui tombait sur la tête et il est livré à l'arbitraire de qui décide pour lui. C'est dans ce

sens?

Mme Brault: Oui. ils sont vraiment insécures. C'est la panique totale quand ils arrivent. M. le ministre soulevait tantôt le fait qu'on a des illettrés; ils ne sont pas habitués de travailler, l'insécurité. Il y en a même qui sont arrivés chez nous au début et qui ne mangeaient même pas parce qu'ils n'avaient pas d'argent. Ils ne savaient pas où aller chercher l'argent pour manger. Heureusement, au centre, le médecin offre les repas gratuitement quand il travaille sur les heures de repas. Chez nous, c'est un avantage qu'on leur donne. Mais c'est toute la question d'aptitude du jeune.

Mme Harel: Est-ce qu'il vit seul, celui qui travaille?

Mme Brault: J'en ai eu qui vivaient seuls. J'en ai eu une récemment qui vivait chez ses parents, qui était un cas vraiment... Je veux dire que c'est... Ce que j'ai entrepris personnellement, je suis encore la jeune. Cela fait plus d'un an qu'elle a terminé son programme. Elle a eu de gros problèmes à l'intérieur du programme, des problèmes, si je puis dire, suicidaires. J'ai entrepris de vouloir l'aider. Je la suis encore et elle n'est même plus dans des programmes de travaux communautaires.

Mme Harel: Mesdames, je veux vous remercier, Mme Brault, Mme Bérubé. Je ne sais pas si vous retournez en Montérégie ce soir?

Mme Brautt: Oui.

Mme Harel: Cela veut dire qu'il faut remercier M. Brault. On lui doit un peu votre présence. Cela a été bien intéressant. Merci.

Mme Brautt: Merci.

Mme Bérubé: Merci.

Le Président (M. Bélanger): M le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): À Mme Brault et à Mme Bérubé, pour leur témoignage enrichissant, merci beaucoup. Si vous pouviez rester cinq petites minutes, j'aurais probablement quelques précisions à vous demander concernant un des sujets évoqués.

Le Président (M. Bélanger): La commission vous remercie infiniment et ajourne ses travaux à jeudi, 17 mars, 10 heures, même salle.

(Fin de la séance à 21 h 15)

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