(Dix-sept
heures cinquante-deux minutes)
Le Vice-Président (M. Lévesque) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Mmes et MM. les députés, je vous prie de vous lever
et de bien vouloir accueillir le premier ministre de la République française,
M. Gabriel Attal.
M. Lagacé (Mathew) : Mesdames et messieurs,
veuillez accueillir le premier ministre de la République française, M. Gabriel
Attal.
Cérémonie protocolaire à l'occasion de la visite
officielle du premier
ministre de la République française, M. Gabriel Attal
Allocution de la présidente de l'Assemblée nationale, Mme Nathalie
Roy
La Présidente :
Mmes et MM. les députés, veuillez
vous asseoir. M. le premier ministre de la République française, chers
parlementaires, distingués invités, au nom de tous mes collègues
parlementaires, je vous souhaite la plus cordiale des bienvenues au
Québec.
Et
c'est avec fierté et un profond sens de la responsabilité que je prends la
parole aujourd'hui, à l'occasion de la 21e rencontre alternée des premiers
ministres français et québécois, pour évoquer la relation exceptionnelle qui
unit la France et le Québec. En ma
qualité de présidente de l'Assemblée nationale du Québec, je suis honorée de
pouvoir partager avec vous quelques
réflexions sur cette profonde amitié forgée par l'histoire, la culture et les
valeurs communes, telle la laïcité.
Nos deux peuples
entretiennent des liens étroits, ancrés dans la richesse de nos héritages. Nos
ancêtres ont bravé l'océan pour découvrir de
nouveaux horizons qui ont contribué à l'édification de deux nations distinctes
aux identités enlacées.
Aujourd'hui, notre
relation se matérialise à travers des échanges dynamiques dans de nombreux
domaines. La France et le Québec
maintiennent des liens forts en matière de culture, d'éducation, de recherche
scientifique et de coopération internationale,
pour ne nommer que ceux-là. Et puis nos législateurs cultivent de profondes
amitiés, solides et soutenues.
À titre de présidente
de l'Assemblée nationale du Québec... Et, à ce titre, l'Assemblée nationale et l'Assemblée
nationale de la France ont signé une entente de collaboration interparlementaire
qui permet aux membres des deux Assemblées de se réunir une fois l'an, en alternance, au Québec et en France, pour
y aborder des sujets d'actualité et d'intérêt communs, tels l'intégration des
immigrants, les menaces à nos démocraties ou encore l'importance de la place
des femmes en politique. Et
notre Parlement sera d'ailleurs l'hôte de la 34e édition de cette
rencontre la semaine prochaine.
L'Assemblée
nationale du Québec et le Sénat français entretiennent aussi une relation
active. J'ai eu l'honneur de diriger une délégation de parlementaires du Québec
qui s'est rendue à Paris la semaine dernière à l'occasion de notre
16e réunion annuelle.
Incontestablement,
la France occupe une place centrale dans le coeur des Québécoises et des
Québécois. Bien plus qu'un pays, la France est le berceau de notre langue, de
notre culture et de notre identité.
Dans
un contexte mondial marqué par l'incertitude, il est essentiel de renforcer les
liens qui nous unissent. La France et
le Québec ont un rôle majeur à jouer sur la scène internationale en défendant
ensemble les valeurs démocratiques qui nous sont si chères.
En
terminant, mes chers amis, je voudrais réaffirmer l'engagement indéfectible du
Québec envers la France et notre détermination à renforcer encore
davantage notre partenariat stratégique. Unis, nous pouvons relever les défis
du XXIe siècle et oeuvrer pour un avenir meilleur.
Je vous remercie pour
votre attention.
Et
j'invite maintenant le premier ministre de la République française à vous
adresser la parole. M. le premier ministre, nous vous écoutons.
Allocution
du premier ministre de la République française, M. Gabriel Attal
M. Attal
(Gabriel) : Mme la Présidente, M. le premier ministre, Mme la
vice-première ministre, Mmes et MM. les ministres, M. le chef de l'opposition
officielle, MM. les chefs des deuxième et troisième groupes d'opposition, Mmes
et MM. les députés, m'adresser à vous, m'adresser à vous, aux représentants des
Québécoises et des Québécois, en tant que
Français, c'est m'adresser, je crois, plus encore qu'à des cousins, à des
soeurs et des frères séparés par un océan mais unis par une langue, une histoire, par une culture et des valeurs
communes, car c'est bien la fraternité qui nous lie, une fraternité qui
fait partie de l'âme de la République française comme de celle du Québec, une
fraternité forgée par des siècles d'une
amitié unique, d'une relation privilégiée et de combats partagés, une
fraternité qui nous unit, qui nous rassemble, qui crée des liens entre le
Québec et la France, des liens que rien ni personne ne pourra rompre, ne pourra
faire distendre, ne pourra briser.
M'adresser
à vous et, à travers vous, aux Québécoises et aux Québécois est un honneur. Il
me touche, tout comme me touche l'accueil chaleureux que vous me
réservez. Du fond du coeur, je veux vous en remercier.
• (18 heures) •
Il y a 40 ans,
le premier ministre Laurent Fabius venait s'exprimer devant vous, quelques mois
après ma nomination... sa nomination. Et vous allez comprendre pourquoi,
vous allez comprendre pourquoi. Il y a 40 ans, donc, Laurent Fabius venait s'exprimer devant
vous, quelques mois après sa nomination. Il était alors le plus jeune premier
ministre de l'histoire de France, et
son discours est le dernier d'un premier ministre français devant vous ici, à
l'Assemblée nationale. 40 ans plus tard, c'est à nouveau le plus jeune premier ministre de l'histoire de
son pays qui a l'honneur de s'adresser à cette Assemblée nationale. J'y
vois un symbole.
Toujours,
notre histoire commune a été guidée par la jeunesse. Toujours c'est elle qui a
su l'animer, la pousser, la raviver.
En
entrant ici, dans le coeur battant de la démocratie québécoise, je m'imagine,
je me rappelle, je dirais même que je me souviens, je me souviens de Jacques Cartier cherchant la route qui
mène à l'Asie, longeant les côtes de Terre-Neuve puis la pointe de la Gaspésie. Un an plus tard, il revient, descend pour
la première fois, cartographie et décrit les rivages du Saint-Laurent.
Dans
ses carnets de voyage, Jacques Cartier semble émerveillé, séduit, saisi,
émerveillé face à la nature splendide et nouvelle qui s'offre à lui,
émerveillé lors de l'ascension du mont Royal, alors qu'il contemple un monde
qui lui était inconnu et qui s'étend à perte
de vue. C'était il y a cinq siècles, mais, aujourd'hui encore, ceux qui ont la
chance de découvrir le Québec partagent cet émerveillement entre splendeur de
la nature, poids de l'histoire et force de la modernité.
Le
temps, ensuite, s'accélère. Près d'ici, Samuel de Champlain installe un
premier comptoir commercial. Il fonde Québec
et crée alors la Nouvelle-France comme une terre de prospérité et d'avenir. Ce
temps, déjà, c'est celui de la jeunesse, d'une jeunesse aventureuse qui traversait l'Atlantique pour fonder une
nation nouvelle, d'une jeunesse qui s'est battue pendant la guerre de
Sept Ans, attachée à la France.
Et
puis il y a eu la défaite, une défaite qui résonne ici, à quelques encablures
des plaines d'Abraham, une défaite synonyme de douleur et de séparation. Tel
est le Québec, né sous le lis, mais ayant grandi sous la rose, pour reprendre les
mots que l'on prête souvent à Eugène-Étienne Taché, l'architecte de ce
parlement.
Nous aurions pu en
rester là, le souvenir lointain d'une nation qui s'était aventurée le long du
Saint-Laurent. Peut-être n'en avons-nous pas
été loin. En s'adressant à l'Assemblée nationale française, en 1977, René
Lévesque avait souligné qu'après plus d'un siècle et demi d'histoire
commune commencèrent alors deux siècles où se construisit un fossé d'ignorance et de méconnaissance. Une
éclipse de deux siècles, une éclipse coupable, mais une éclipse qui, je le
crois très profondément, jamais ne se reproduira.
Pourtant,
même durant cette éclipse, c'est la jeunesse qui nous a rapprochés. Ce sont ces
soldats, souvent très jeunes, qui ignoraient tout de ce pays
d'outre-Atlantique, mais par deux fois qui ont pris les armes, traversé l'océan
et combattu pour libérer la France, sur la
crête de Vimy, en 1917, lors du raid de Dieppe, en 1942, lors du
débarquement de Juno Beach et de toute la campagne victorieuse qui
s'ensuivit. Oui, le sang de la jeunesse du Canada, de la jeunesse du Québec
a coulé par deux fois pour libérer et sauver la France.
Et,
au moment de dire ces mots, je veux avoir une pensée particulière pour le Royal
22e Régiment, héroïque dans la Somme ou à Arras, durant la Première Guerre
mondiale, héroïque en débarquant à Marseille, au printemps 1945, un
régiment qui a aidé par deux fois à libérer un peuple qui parlait sa langue.
Les
années ont passé, et, alors que le Québec menait sa Révolution tranquille, la
relation entre la France et le Québec s'est enfin réveillée. C'est
l'inauguration par Jean Lesage de la Délégation générale du Québec à Paris,
en 1961. C'est André Malraux, initiant un partenariat culturel sans
commune mesure.
Nous sommes en 1977,
et René Lévesque s'envole pour la France et la séduit. La suite de notre
histoire commune, vous la connaissez toutes
et tous, ce sont les rencontres alternées entre premiers ministres, ce sont ces
échanges constants entre élus et parlementaires, entre gouvernements,
avec le président de la République.
Nos
peuples se connaissent, s'estiment, s'apprécient. Chaque Québécois sait qu'il
pourra trouver sa place en France. Chaque Français sait quel accueil
superbe le Québec lui réservera.
Notre relation, ce
sont des rencontres, celles de notre jeunesse, bien sûr, les échanges
universitaires nourris et nombreux entre la
France et le Québec, celles de nos concitoyens de deux communautés, les
Québécois en France et les Français
au Québec, deux communautés qui se renouvellent, se réinventent et qui,
toujours, regardent vers l'avenir. Mais je pense aussi aux échanges entre nos
collectivités locales, nos territoires, et je sais combien vous y tenez, M. le
premier ministre. Nos élus locaux se
respectent, se parlent, cherchent ensemble des solutions face aux grands défis
et aux grandes menaces. Je pense évidemment, encore l'été dernier, aux
feux de forêt.
Notre
relation, c'est celle d'une coopération toujours plus étroite. Innovation,
recherche, industrie, économie. Dans tous les secteurs, France et Québec
travaillent de concert, partagent des objectifs communs, construisent des
solutions d'avenir. Cette coopération, nous
la devons notamment à ces femmes, à ces hommes qui se lancent, qui font vivre
l'esprit d'entreprendre, si propre au Québec. Vous le savez bien, là aussi, M.
le premier ministre, vous qui incarnez par votre parcours cette soif
d'entrepreneuriat.
Notre
relation, c'est une culture en partage. L'art, la littérature, mise à l'honneur
cette année au Salon du livre de Paris, la chanson, l'humour, le cinéma,
la création québécoise irrigue la France, et la création française est bien
connue au Québec. Nous partageons les mêmes
passions, les mêmes mélodies, les mêmes artistes. Ce lien, il est à la fois
très collectif, mais aussi infiniment
personnel. Chaque Française, chaque Français et, je le crois, chaque
Québécoise, chaque Québécois partage ce lien du plus profond de son âme. Ce
sont ces Français, ces Québécois qui associent des moments de joie, des moments de douleur, de tristesse à des mélodies
bien connues, des chansons bien connues, françaises ou québécoises. Ce
sont ces Français, ces Québécois qui ont pu traverser des moments douloureux
dans leur vie en bénéficiant des matchs d'improvisation, pour passer des
moments difficiles. Ce sont ces Français, ces Québécois qui ont découvert dans
les lignes de Dany Laferrière une part de
leur identité, de leur rapport au monde. Ce sont ces Français, ces Québécois
qui ont découvert une part de leur identité — c'est mon cas, en tout
cas — devant
des films de Xavier Dolan.
Notre relation, bien sûr, c'est une
langue. Nous parlons français. Le français, c'est notre héritage, c'est notre
identité, c'est notre richesse. C'est
notre singularité quand l'uniformité linguistique serait un affaiblissement, un
appauvrissement, quand elle altérerait notre capacité à penser, à créer,
à exister.
Certains
pensaient sans doute que le français avait vocation à disparaître de la carte
de l'Amérique du Nord. Ils ne connaissaient pas les Québécois, car le Québec a
montré et montre encore ce qu'on peut accomplir quand on refuse de céder
à la fatalité, quand on refuse de croire qu'il y aurait un destin inexorable,
celui de l'effacement.
M.
le premier ministre, je sais que la langue française a encore de beaux jours devant
elle de ce côté de l'Atlantique, mais
je sais aussi que nous devons toutes et tous rester collectivement vigilants.
Vous pouvez compter sur la France pour vous
y aider, pour vous accompagner, pour promouvoir encore la langue française au
Québec. Et, là aussi, c'est par la jeunesse, toujours la jeunesse, que nous triompherons. Nous le voyons, les
concurrences sont là, accélérées par le numérique, les contenus en ligne, qui voudraient nous imposer une
forme d'uniformité, y compris linguistique. Nous devons nous battre. Et le message que je suis venu vous passer ici,
c'est que nous nous battrons. Nous nous battrons pour que chaque enfant,
chaque jeune puisse avoir accès à des livres, des articles, des jeux vidéo, des
films, des séries en français. Nous nous battrons pour que les algorithmes, les
plateformes, l'intelligence artificielle laissent la place qu'il mérite au
français. Nous nous battrons pour que la
jeunesse puisse s'épanouir dans sa langue, la perpétuer, la transmettre. C'est
pourquoi nous signerons demain une
déclaration qui porte sur la langue française et son développement, sur sa
richesse. J'y tiens, et, je le sais, vous y tenez également.
Mme
la Présidente, Mmes et MM. les députés, nos deux nations sont liées par leur
histoire, mais elles resteront liées indéfectiblement grâce à leur jeunesse,
grâce à ces jeunes Françaises, ces jeunes Français pour qui le rêve américain
est un rêve québécois, qui, à force
d'échanges, d'exemples et d'une culture commune, ont le Québec comme horizon.
Nos nations resteront liées grâce à
ces jeunes Québécoises et ces jeunes Québécois pour qui la France est un but,
une aventure européenne, si familière et si lointaine à la fois. Et, si la
France et le Québec avancent ensemble, c'est parce qu'ils regardent vers
l'avenir.
• (18 h 10) •
Je
viens m'exprimer devant vous comme un homme de ma génération. Je suis né en
1989, l'année de la chute du mur de
Berlin. Je n'ai connu ni la guerre sur le sol européen ni l'affrontement des
blocs lors de la guerre froide. Je n'ai pas connu la visite du général
de Gaulle à Montréal. Je n'avais que six ans lors du référendum de 1995. J'ai
grandi, comme tant de Français, avec l'idée
qu'il existait, de l'autre côté de l'Atlantique, un nouveau monde dont la
langue était le français et où l'avenir s'inventait, le Québec, une
terre qui m'avait, j'ai eu l'occasion de le dire, apporté plusieurs de mes
héros, de mes références, de mes rires, une
terre de promesse et d'espoir, d'innovation et de liberté. Pour moi, le Québec,
c'est là où l'on ose.
Il y a cinq ans,
alors que j'étais secrétaire d'État chargé de la jeunesse, je m'étais rendu au
Québec auprès des jeunes de l'Office franco-québécois pour la jeunesse. Je
reste marqué par ces échanges, par l'énergie de la jeunesse québécoise, qui
exigeait de nous de l'action et des solutions face aux défis de leur
génération, de ma génération, par l'engagement de la jeunesse québécoise, qui
voulait tenir la plume de son avenir; marqué par l'audace de la jeunesse québécoise, prête à entreprendre, à innover, à
travailler dur pour accomplir ses rêves. L'appel de cette jeunesse tonne. Il
tonne des deux côtés de l'Atlantique
avec la même force et la même détermination. Alors, nous avons un devoir :
leur répondre, leur répondre ensemble, leur répondre côte à côte, Québec
et France, France et Québec.
Mme la Présidente, M.
le premier ministre, Mmes et MM. les députés, j'ai parlé de notre histoire,
j'ai parlé de notre culture, j'ai parlé de
notre langue. C'est ce à quoi on tente parfois de nous réduire, un passé et une
langue, comme pour dénigrer notre
lien, comme pour le minimiser, comme pour faire croire que cette fraternité
franco-québécoise appartiendrait au passé, mais que l'avenir s'écrirait
ailleurs.
Il y a des pays, il y
a des nations dans le monde qui partagent une histoire, et qui parfois même partagent
une histoire et une langue en commun, mais
il y a une singularité majeure entre la France et le Québec. Pour nous,
l'histoire n'est pas le passé, c'est l'éternité. Cette langue, cette
histoire, nous en sommes fiers, et c'est par cette langue et cette histoire que nous continuons à écrire le présent et que
nous continuerons à écrire l'avenir. Ce ne sont pas, cette langue et cette
histoire, pour nous, des limites. Ce sont des fondements, les fondements de
notre fraternité. Et sur ces fondements grandissent chaque jour, un peu
plus fortes, des valeurs communes qui font la singularité et la puissance de
notre relation.
Nous
partageons une même exigence des droits de l'homme, que nous défendons partout
et tout le temps; un même attachement viscéral à la liberté, et notamment la
liberté d'expression, liberté parmi les libertés et condition nécessaire
à la diffusion des Lumières; un attachement à l'égalité pour toutes et tous, la
recherche de l'égalité entre toutes et entre tous,
je pense notamment à l'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les
pans de la société. Nous partageons la volonté de défendre la démocratie
et de l'affirmer plus que jamais comme un modèle.
Nous
avons aussi en partage cette place que nous accordons à la laïcité, la laïcité
comme une liberté, celle de croire ou de ne pas croire sans jamais être
inquiété, la laïcité comme une garantie, celle de l'égalité, celle du respect
de chacun, celle de la capacité à
faire corps, à se rassembler, à s'unir, à faire société. On parle souvent de
vivre ensemble. Ce terme n'est pas
galvaudé. Et je sais que la laïcité est la condition pour bien vivre ensemble
et je sais que les Québécoises et les Québécois, que leurs représentants
sont attachés à la laïcité.
Face
à ceux qui font mine de ne pas comprendre ce qu'est la laïcité, qui voudraient
la détourner, faire croire qu'elle est une forme d'arme antireligion, faire
croire qu'elle est une forme de négation des religions, faire croire qu'elle
est une forme de discrimination, nous
répondons que la laïcité est la condition de la liberté, est la condition de
l'égalité, est la condition de la fraternité.
Ces
valeurs, nos valeurs, nous ne devons jamais en avoir honte. Alors,
défendons-les chaque jour avec force, conviction
et courage. Défendons-les sans jamais céder un millimètre à ceux qui veulent
les remettre en cause. Défendons-les, car elles sont au coeur de notre
identité.
L'identité, c'est ce qui fait de vous
des Québécois, de nous des Français, et de chacun d'entre nous des êtres
libres. La défendre, c'est refuser d'être aux marges de l'histoire et
assumer, au contraire, qu'elle s'écrira avec nous, qu'elle s'écrira avec la
France comme avec le Québec. C'est affirmer nos valeurs. Et nous avons plus que
jamais besoin, dans un monde qui tremble,
qui sursaute et qui se transforme, nous avons plus que jamais besoin de nos
valeurs, dans un monde où la démocratie est bombardée en Ukraine, où nos
droits fondamentaux et nos libertés sont menacés par les passions tristes des
populistes, des extrémistes et des défaitistes, de tous ceux qui ne croient
plus en notre avenir et portent la régression
en étendard. Alors, dire qui nous sommes, c'est ce qui nous permet et nous
permettra encore, demain, de ne pas ployer
sous les bourrasques populistes, de ne pas céder à la résignation, de ne jamais
baisser la tête face à certaines pulsions destructrices de notre époque. Je vous le dis, si la géographie ne nous
a pas séparés, alors rien ne le fera, parce que rien ne le pourra.
Mmes
et MM. les députés, alors que la démocratie, le pluralisme, les droits humains
sont assiégés, nous répondrons, nous
répondrons coup à coup, nous répondrons à chaque fois avec plus de force et
plus d'énergie. Et, si nous le faisons, c'est d'abord et avant tout pour
notre jeunesse, pour qu'elle puisse vivre libre, pour qu'elle puisse vivre
mieux. Cette jeunesse québécoise, c'est bien
à elle, à travers vous, que je suis venu m'adresser, car c'est bien pour elle
que nous allons continuer à agir.
C'est bien pour elle que nous devons défendre nos valeurs et les porter haut et
fort, sans honte et sans s'excuser. Pour notre jeunesse, nous avons la
démocratie à protéger, la liberté à défendre, la transition écologique à
réussir, la révolution numérique à mener.
Alors, je vous propose aujourd'hui un nouveau
pacte, un nouveau pacte pour la jeunesse. Faisons de notre relation unique une réponse à ses aspirations. Quand le
monde bouge, je crois qu'il faut souvent regarder le Québec, car c'est ici
qu'une part de l'avenir s'invente. Car le Québec est une terre d'intuition au
développement rapide, voire insolent. Car ici des changements majeurs ont été menés et réussis, je pense notamment à
l'autonomie énergétique que le Québec est parvenu à construire à force de
volontarisme et d'ambition. Ici, on ne connaît pas les destins tracés à
l'avance. Ici, on ne prend jamais «ce
n'est pas possible» pour une réponse. Alors, on se retrousse les manches, on
cherche, on travaille. Cette philosophie, je la partage avec vous. Cet
état d'esprit, c'est aussi le mien. Alors, je vous propose d'avancer ensemble.
Le
défi fondamental de ma génération, c'est la transition écologique. Pas une
terre du globe n'est épargnée par le dérèglement climatique, par la hausse des températures,
par la multiplication des catastrophes naturelles. La France le sait bien, elle qui a subi encore, ces derniers mois,
les inondations comme la sécheresse, les feux de forêt comme les températures
extrêmes. Vous le savez bien, vous qui avez
connu les feux de forêt, les pluies diluviennes et qui venez, je crois, de
traverser un hiver aux températures plus françaises que québécoises. Alors,
nous sommes déterminés à gagner le combat pour la planète. Nous n'avons,
à vrai dire, pas le choix, et nous y parviendrons ensemble.
Vous avez engagé, M.
le premier ministre, un plan pour une économie verte, investi des moyens
majeurs pour la transition énergétique, pour
la décarbonation des transports ou pour la mise en place d'une filière
batterie. Autant de sujets qui font
écho, de mon côté de l'Atlantique, à notre planification écologique et à
France 2030, notre plan d'investissement massif pour décarboner
l'industrie.
Si nous agissons
résolument, nos entreprises travaillent, elles aussi, tous les jours résolument
côte à côte pour faire avancer la transition écologique. Je pense à Air Liquide,
qui, à Bécancour, gère la plus grande unité de production d'hydrogène
décarbonée par électrolyse du monde. Je pense à Alstom, particulièrement
engagée pour accompagner la transition écologique dans les transports des
Québécois. Je pense, en France, à des fleurons québécois comme Boralex et
Innergex, qui se développent et appuient le secteur éolien en France. Nous
partageons cette certitude que la transition écologique
ne doit jamais se faire contre les gens mais avec eux, en leur offrant toujours
des solutions. Nous partageons cette conviction
que la transition écologique marquera l'avènement d'une croissance nouvelle,
verte, porteuse de nouveaux emplois, de nouveaux savoirs, d'innovations
qui changeront nos vies. Les résultats sont déjà là.
• (18 h 20) •
En France, sous
l'impulsion du président de la République, nous avons multiplié par cinq le
rythme de baisse de nos émissions de gaz à effet de serre depuis 2017. Rien
qu'en 2023 les émissions de gaz à effet de serre ont diminué, en France, de près de 5 %. C'est un record
pour notre pays. Quant au Québec, là aussi, je le sais, la tendance est à la
baisse, avec des émissions de gaz à effet de serre plus faibles qu'avant
la pandémie et toujours pratiquement deux fois moins d'émissions par personne que la moyenne canadienne. Ces résultats sont
positifs. Ils doivent nous encourager. Ils doivent nous pousser à
poursuivre, à continuer et amplifier nos efforts.
Alors,
innovons ensemble, comme nous l'avons fait en 2023, Année de l'innovation franco-québécoise,
une année qui a permis de mettre en
lumière notre excellence commune notamment dans des secteurs de pointe comme le
quantique, l'hydrogène ou
l'intelligence artificielle. Alors, cherchons ensemble. Continuons à faire
vivre notre coopération scientifique exceptionnelle alors que plus de
200 doubles diplômes existent entre nos universités et nos écoles, que de
nombreux centres de recherche
s'installent, que 20 000 étudiants français viennent chaque année
étudier au Québec. La vitalité de ce partenariat est infiniment précieuse. C'est la garantie d'une culture commune, mais
aussi de projets communs et de solutions communes pour l'avenir. C'est notre avenir qui s'écrit. Et
je veux le dire à nouveau devant les Québécoises et les Québécois qui nous
regardent, les portes des universités françaises sont grandes ouvertes pour les
étudiants québécois qui voudraient venir y faire leurs études.
J'ai
voulu insister sur la transition écologique et sur le rôle que nos deux nations
entendent y mener, mais, pour nos jeunesses, nous devons nous placer à
la pointe de toutes les révolutions pour leur permettre d'avoir le monde à
portée de main. De la recherche fondamentale à l'industrie, de l'écologie
sociale et solidaire jusqu'à la culture, nous sommes résolus, sans naïveté, à ce que nos échanges, nos échanges commerciaux,
nos investissements puissent encore s'accroître.
Nous
savons que l'ensemble des acteurs économiques français et québécois s'y
emploient chaque jour. Nous savons que des
millions d'entrepreneurs, des milliers d'entrepreneurs, des centaines de
milliers d'entrepreneurs français et québécois s'appuient sur la force et la
vitalité de notre relation pour venir s'installer, se développer, qui en
Amérique du Nord, qui en Europe. Alors,
soyons à la pointe des révolutions à venir, à la pointe de l'intelligence
artificielle, à la pointe du
quantique, à la pointe de la transition écologique, énergétique, pour que
l'intelligence artificielle, le quantique, la transition écologique,
énergétique s'écrivent en français. C'est ainsi et ensemble que nous bâtirons
la prospérité nouvelle, la prospérité du XXIe siècle, et elle
rimera avec la francophonie.
Pour
nos jeunesses, soyons sans cesse les artisans et les combattants du progrès,
défendons les droits et les libertés de
chacun, soyons aux avant-postes pour l'égalité, et notamment l'égalité entre
les femmes et les hommes, qui doit être un combat à tous les échelons de
la société. Bâtissons pour notre jeunesse des sociétés qui ouvrent grand les
chemins de l'émancipation, car c'est bien de
cela dont il doit toujours être question, permettre à tous les jeunes du Québec
et de France de choisir et de mener librement leur vie.
Mme
la Présidente, M. le premier ministre, Mmes et MM. les députés, il faut
remonter 40 ans en arrière pour retrouver trace de l'intervention d'un premier ministre de la France devant vous,
devant cette Assemblée nationale du
Québec, je le disais. Depuis 40 ans, la France et le Québec
ont changé, le monde a changé, nos débats, nos défis ont changé, mais une
chose perdure : ce lien unique, ce lien
fraternel. Au fil des ans, notre relation s'est fortifiée. Nous avons construit
des ponts sans cesse d'une rive à l'autre de l'Atlantique, dans un monde
pourtant si prompt au repli sur soi. Nous avons défendu nos droits et nos libertés haut et fort à l'heure où
tant veulent les attaquer. Et ensemble, devant vous j'en fais le serment, nous
continuerons. Nous le ferons en nous
appuyant sur plus de quatre siècles d'une histoire commune, qui nous inspire et
nous apprend. Nous le ferons pour
défendre nos valeurs sans jamais baisser la garde, sans jamais composer avec
ceux qui souhaitent les remettre en cause. Nous le ferons pour notre
jeunesse, pour la jeunesse québécoise, pour la jeunesse française.
Alors,
ensemble, faisons souffler le vent de l'histoire. Ensemble, faisons tonner les
voix de nos jeunesses française et québécoise. Répondons à leur appel.
Soyons à la hauteur de leur exigence. Ensemble, portés par cette relation
unique, montrons au monde que l'avenir s'écrira dans notre langue, avec la
France, avec le Québec.
Comme
l'a dit le général de Gaulle, en 1967, à Québec : «Nous sommes liés par le
présent, nous avons épousé notre siècle.» Aujourd'hui, je le dis ici,
nos jeunesses donnent naissance à l'avenir.
Vive le Québec! Vive
la France! Et vive l'amitié franco-québécoise!
(Applaudissements)
La Présidente : Je
vous remercie, M. le premier ministre.
Je cède maintenant la parole à M. le chef du troisième groupe
d'opposition.
Allocution
du chef du troisième groupe d'opposition,
M. Paul St-Pierre Plamondon
M. St-Pierre
Plamondon : M. le premier ministre de la République française, j'ai
écouté attentivement votre allocution,
émouvante parce qu'elle nous rappelle la force et la profondeur historique des
liens d'amitié qui nous unissent.
Puis-je
vous confier que je n'ai pas été ni étonné ni attristé de ne pas vous entendre
prononcer les mots «Vive le Québec libre»? Tous les élus français venus
nous rendre visite depuis ce discours historique sont conscients de la force des mots du général et de l'espoir qu'il a créé à
ce moment. On se doit d'apprécier cette situation particulière pour la France, qui,
d'une part, nourrit avec les Québécois une relation privilégiée, mais qui,
d'autre part, siège aux côtés de son allié canadien à l'OTAN, au G7. Il vous
faut faire preuve d'une grande diplomatie. Nous le savons.
Deux présidents,
Giscard d'Estaing et Chirac, à l'aube de nos référendums, ont usé d'une formule
à la fois habile et fraternelle. La France,
ont-ils dit, accompagnera le Québec dans ses choix. Cela renvoie la
responsabilité là où elle se trouve,
chez les Québécois. Ce sera leur choix à eux seuls. Savoir, comme dans les deux
rendez-vous précédents, que la France
sera à nos côtés revêt une importance capitale. La France peut donner à tous,
et en particulier au Canada, un préavis sur ce que sera sa posture au moment du choix. Vous avez encore un peu
de temps, M. le premier ministre, avant de considérer à nouveau de franchir ce pas, mais cette
pragmatique fraternité est un élément essentiel dans notre rapport de force ici
et dans le reste du monde.
Le
Québec et la France font d'ailleurs face aux mêmes défis sur le vivre-ensemble,
sur la laïcité, sur la promotion de la culture en français, dans un monde qui
est de plus en plus américanisé et anglicisé. C'est entre autres pour cette
dernière raison qu'après une longue période
de latence, depuis le référendum de 1995, un nombre grandissant de Québécois
concluent aujourd'hui que la
francophonie en Amérique n'a aucun avenir si le Québec ne devient pas un pays
rapidement. Ce qui était jusqu'à tout
récemment un débat lointain est aujourd'hui, aux yeux de bien des Québécois, la
seule voie possible pour assurer la survie d'une nation et d'une culture
qui ne représente que 2 % du continent nord-américain.
Sachant,
en définitive, que tout dépend de la volonté du peuple, puis-je évoquer la
possibilité que, dans un avenir pas si lointain, vous soyez celui qui d'abord
jugera légitime de déclarer que la France accompagnera le Québec dans ses choix
et qui, ensuite, qui sait, lorsque les Québécois se seront dit oui, pourra
déclarer enfin : Vive le Québec libre?
Merci de votre
présence, M. le premier ministre.
La
Présidente : Je vous remercie, M. le chef du troisième groupe
d'opposition. Je cède maintenant la parole à M. le chef du deuxième groupe
d'opposition.
Allocution
du chef du deuxième groupe d'opposition,
M. Gabriel Nadeau-Dubois
M.
Nadeau-Dubois : Mme la Présidente de l'Assemblée nationale, M. le
premier ministre de la République française, chers parlementaires, distingués
invités, chers amis. À mon tour, M. le premier ministre, de vous souhaiter la
bienvenue chez nous, dans l'autre Assemblée nationale, à l'occasion de
ces nouvelles retrouvailles entre amis, entre égaux.
• (18 h 30) •
Il y a bientôt 50 ans, René Lévesque
prononçait son fameux discours de Paris. Le Québec et la France faisaient alors le voeu de s'accorder une reconnaissance
mutuelle, non pas d'une métropole à une colonie, non pas d'un pays à une
province, mais d'un peuple souverain à un peuple en voie de l'être.
Si la France a reconnu l'histoire en marche dès
les premiers pas de notre Révolution tranquille, c'est que nous nous reconnaissons l'un dans l'autre. C'est en
France que nombre des bâtisseurs du Québec moderne ont vu l'avenir de
leur jeune nation. C'est au Québec, aujourd'hui, que tant de jeunes Français
construisent leur avenir à eux.
Et
aujourd'hui, lorsque nous regardons devant nous, nous avons les mêmes
inquiétudes, les mêmes défis. Aujourd'hui, le voeu de nos premières
retrouvailles prend tout son sens. L'exception culturelle, celle qui affirme la
France en Europe et le Québec en
Amérique, est assiégée par les GAFAM de ce monde. Affirmons ensemble la
souveraineté culturelle de nos peuples,
car nous savons que cela n'a rien d'un repli, c'est l'expression de notre
attachement à la diversité culturelle du monde entier.
Des deux
côtés de l'Atlantique, dérèglements climatiques et déséquilibres commerciaux
s'abattent sur nos mondes agricoles. Tout en creusant les liens économiques qui
unissent nos nations, trouvons ensemble un nouvel équilibre entre compétition et protection. La souveraineté
économique n'est pas un obstacle à la prospérité, c'est l'expression de notre
respect pour les hommes et les femmes qui la rendent possible.
Qu'elle soit
politique, économique, culturelle ou alimentaire, la souveraineté est
l'aspiration naturelle et légitime de
tous les peuples. Et j'ai confiance que notre amitié perdurera, quels que
soient les choix que fera la nation québécoise quant à son avenir.
Notre amitié sert bien des causes, mais il y en
a une qui est particulièrement chère à la famille politique que je représente en cette Assemblée. La France et le
Québec partagent une longue tradition pacifiste. Alors qu'une catastrophe
sanglante se déroule à Gaza, travaillons
ensemble à faire advenir le jour qu'appelait de ses voeux Jean Jaurès, le
jour où, je le cite, «l'humanité
sera assez organisée, assez maîtresse d'elle-même pour pouvoir résoudre par la
raison, la négociation et le droit les conflits de ses groupements et de
ses forces».
C'est le
destin du peuple français et du peuple québécois. Nous qui avons commencé notre
histoire sur la même page, nous qui nous sommes séparés depuis, puis retrouvés,
c'est notre destin de cheminer ensemble, liés ou, comme on dirait en bon
Québécois, tricotés serré.
Bonjour, M. le premier ministre. Bienvenue au
Québec.
La
Présidente : Je vous remercie, M. le chef du deuxième groupe
d'opposition. Je cède maintenant la parole au chef de l'opposition
officielle.
Allocution du chef de
l'opposition officielle, M. Marc Tanguay
M.
Tanguay : Merci, Mme la Présidente. M. le premier ministre
de la République française, nous sommes heureux de vous accueillir ici, à l'Assemblée nationale du Québec, afin de
perpétuer une tradition à la mesure de l'amitié qui unit nos deux
nations depuis des siècles. Cette amitié, qui s'est construite au fil des soubresauts
de l'histoire, est faite de collaboration, de progrès et de fraternité.
Aujourd'hui,
au salon bleu, nous sommes réunis pour vous accueillir au nom des Québécoises
et des Québécois de toutes les régions du Québec que nous représentons. Par
conséquent, sachez que c'est tout un peuple qui vous souhaite la
bienvenue chez nous.
Dans le cadre
de cette 21e rencontre alternée des premiers ministres québécois et
français, nous vous accueillons aussi au nom des
85 000 Français qui vivent chez nous, qu'ils soient étudiants ou
travailleurs.
Je rappelle
que le dernier premier ministre de la République française à s'être adressé à
l'Assemblée nationale fut Laurent Fabius,
qui avait été reçu par René Lévesque en 1984. Depuis, nous avons reçu deux
présidents de la République française,
M. Nicolas Sarkozy, en octobre 2008, dans le cadre des célébrations
du 400e anniversaire de la ville de Québec, et
M. François Hollande, en novembre 2014.
Le
17 octobre 2008, M. Sarkozy, devant cette Assemblée nationale, disait,
et je le cite : «Ce que la France sait au fond d'elle-même, c'est qu'au sein du grand peuple canadien il y a la
nation québécoise, avec laquelle elle entretient une relation
d'affection comme il en existe entre les membres d'une même famille.»
C'est à l'occasion de cette visite que le
président Sarkozy et le premier ministre Jean Charest ont signé l'entente en matière de reconnaissance des qualifications
professionnelles France-Québec. Lors de la visite de M. Hollande, celui-ci
disait, au sujet de la relation entre la
France et le Québec, et je le cite : «...cette relation, elle est unique.
Nous l'avons forgée tout au long de l'histoire.» À cette occasion, le
président Hollande et le premier ministre Philippe Couillard avaient rassemblé autour d'eux une centaine
d'entrepreneurs français et québécois pour favoriser concrètement les échanges.
Le Québec, par la voix de M.
Couillard, a alors réitéré le souhait que l'accord de libre-échange
Canada-Europe, dont parlait Jean
Charest dès 2008, puisse être ratifié. Les événements récents concernant les
étapes de cette ratification nous rappellent l'importance de persévérer.
Nous
sommes honorés que cette visite soit votre premier voyage officiel hors de
l'Union européenne depuis votre nomination
comme premier ministre. Je tiens d'ailleurs à vous féliciter pour cette
nomination. Votre parcours est inspirant à plusieurs égards pour les parlementaires actuels mais aussi pour
celles et ceux qui nous regardent et qui décident peut-être de s'engager
un jour dans la vie politique.
Votre
approche est basée sur l'atteinte des résultats. Vous disiez récemment, et je
vais vous citer : Ma méthode, ma responsabilité
est d'être lucide et de dire la vérité, de chercher des solutions et de faire en
sorte qu'elles soient mises en place rapidement. Le dynamisme avec
lequel vous abordez vos fonctions est un modèle à suivre.
Nous avons
une relation Québec-France directe, unique et privilégiée. En culture, c'est le
leadership commun de la France et du
Québec qui ont mené, en 2003, à la décision de l'UNESCO de rédiger une
convention sur la protection et la
promotion de la diversité des expressions culturelles. Cette convention a
depuis été adoptée ou ratifiée par plus de 80 pays.
Nos liens
sont certes culturels, mais ils sont aussi économiques. C'est M. Robert
Bourassa qui a développé, en 1994, en
collaboration avec le premier ministre français de l'époque, Jacques Chirac,
une coopération économique bonifiée entre le Québec et la France.
Sur tous les
plans, nos deux nations ont beaucoup à gagner en collaborant étroitement. Dans
un monde en constante évolution, il est essentiel que le Québec et la
France relèvent ensemble les défis du XXIᵉ siècle, notamment ceux de l'éducation — et nous savons que l'éducation vous est
particulièrement chère — de
l'intelligence artificielle, de la diffusion de notre culture, du renforcement de nos chaînes d'approvisionnement, de
la lutte aux changements climatiques, dont vous avez fait état, et de la
promotion, bien évidemment, de notre magnifique langue française.
Notre
histoire partagée a déjà démontré que nous nous enrichissons mutuellement à
plusieurs chapitres. Je suis donc heureux
que vous soyez des nôtres aujourd'hui pour que cette tradition se poursuive, au
bénéfice mutuel. Merci, M. le premier ministre, pour votre présence.
La
Présidente : Je vous remercie, M. le chef de l'opposition
officielle. J'invite maintenant M. le premier ministre du Québec à
prendre la parole.
Allocution du premier ministre
du Québec, M. François Legault
M.
Legault : Mme la Présidente, M. le premier ministre de la
République française, Mmes, MM. les membres de la délégation de la
République française, MM. les chefs de l'opposition officielle, de la deuxième
opposition, de la troisième opposition, Mmes, MM. les députés. Je veux
remercier d'abord chaleureusement le premier ministre de la République française, Gabriel Attal, d'avoir,
après quelques mois seulement depuis sa nomination... avoir fait le choix de
venir au Québec puis de faire ce discours inspirant que vous nous avez livré
tantôt. C'est un honneur pour notre nation.
• (18 h 40) •
Et, cette rencontre alternée entre les premiers
ministres du Québec et de la France, on ne l'avait pas vue depuis quelques années, pour toutes sortes de raisons,
entre autres la COVID, mais c'est une occasion importante de renforcer cette
relation directe, privilégiée entre le Québec
et la France. C'est une amitié qui m'est très chère comme premier ministre mais aussi comme Québécois.
On le dit
souvent, vous le disiez tantôt, les Québécois puis les Français sont des
cousins. En fait, bon, nos ancêtres sont des Français, et le Québec est
lié à la France depuis le début de son histoire avec Jacques Cartier, avec
Samuel de Champlain. En fait, les grands
bâtisseurs de notre nation, c'étaient des Français qui sont venus s'installer
ici, en Amérique, des explorateurs, des religieuses, des entrepreneurs,
des développeurs.
D'ailleurs,
quand vous sortirez, tantôt, si vous regardez devant notre parlement, vous
allez voir des statues, vous allez
voir Champlain, Maisonneuve, Marguerite Bourgeoys, Marie de l'Incarnation,
Frontenac, Jean Talon. Donc, c'est grâce à ces personnages, entre autres, qu'on
a réussi, depuis plus de 400 ans, à construire une nation moderne, une
nation qui est un des meilleurs endroits au monde pour y vivre.
Donc, quatre
siècles plus tard, les liens entre le Québec puis la France restent
indestructibles, et ça marque une amitié qui est sincère, qui est
profonde. Il n'y a aucune autre nation au monde avec qui on a des rapports
aussi fraternels.
Il y a
beaucoup de choses qui nous rassemblent, bien sûr, d'abord, la langue
française, même si vous avez un drôle d'accent, là.
Je veux, à
mon tour, confirmer ce que vous avez dit tantôt. Demain, on va signer ensemble
une déclaration commune sur la langue
française. Et je suis vraiment fier de pouvoir compter sur la France comme
alliée dans notre combat pour renverser le déclin du français en Amérique.
Merci de cet appui.
Je le
rappelle à chaque occasion, le Québec, c'est le seul État en Amérique où on a
une majorité de francophones. C'est une grande fierté, mais c'est aussi
une grande responsabilité, pour nous-mêmes mais aussi pour les prochaines générations. Notre langue est en situation
minoritaire sur le continent. Le français sera toujours vulnérable en Amérique.
Pour moi, c'est donc un devoir de tout faire pour que dans 400 ans on
parle encore français ici, au Québec.
Notre premier
défi, puis on a eu la chance d'en discuter tantôt, c'est toute la question de
l'immigration. Dans les dernières années, le Québec a dépassé, malheureusement,
sa capacité d'accueil pour les nouveaux arrivants, puis ça a un impact certain sur l'avenir du français mais aussi
sur nos valeurs. Et je comprends aussi, surtout du côté des valeurs, que c'est
un défi, en France. J'ai entendu le président Macron, en début d'année, dire
qu'il voulait gouverner, et je le cite, pour que la France reste la France. Bien, je peux vous dire que je me
suis retrouvé dans cette déclaration, puis moi aussi, je veux gouverner
pour que le Québec reste le Québec.
L'autre défi
qu'on a, puis vous en avez parlé, c'est la place de la culture puis du français
à l'ère du numérique. Nos deux nations
ont la chance d'avoir des artistes de talent, on a des gens qui font de la
musique, des films, des séries exceptionnelles, mais encore faut-il que les gens,
surtout les jeunes, y aient accès facilement. Netflix, Spotify, ce sont des
plateformes américaines. Ce qu'on nous
montre en premier, ce sont des produits américains. On en parlait tantôt, c'est
vrai aussi en France. C'est pour ça qu'on se parle puis qu'on va se
parler, dans les deux jours, de découvrabilité. Pas simple à dire, comme mot, mais très important. Donc, ça
veut dire quoi? Ça veut dire qu'il faut s'assurer que nos oeuvres soient
représentées équitablement, que l'accès soit
facile, même encouragé, donc, pour que nos jeunes et les moins jeunes puissent
continuer de rire, de pleurer, de rêver en français.
Au-delà de la langue, on partage aussi des
valeurs fondamentales. Je pense, bien sûr, à la laïcité. Depuis 1905, c'est inscrit dans la loi en France. Au Québec, on
a commencé à faire ce choix dans les années 1960 puis on a ancré ce
principe dans une loi, la loi n° 21, en 2019. Et, au Québec, on n'est pas allés aussi loin que la France,
on a interdit le port de signes religieux seulement pour les agents de l'État
qui sont en position d'autorité. Ce n'est pas un choix qui est accepté par tout le monde, c'est la même chose en
Europe, mais je sais que, sur la laïcité, le Québec et la France parlent d'une
seule voix.
Donc, la
grande force de l'amitié franco-québécoise, c'est cette langue, cette culture,
ces valeurs qu'on partage, mais, cette
force-là, on aurait intérêt à s'en servir davantage pour améliorer nos échanges
commerciaux. Je vois Roland Lescure, là, puis c'est un message pour lui. Actuellement, les échanges
commerciaux entre le Québec et la France, c'est seulement 6 milliards de dollars par année. Ce
n'est pas assez. Ce n'est pas assez, Pierre. On peut faire mieux. Le Québec
doit devenir la porte d'entrée en
Amérique du Nord pour les entreprises françaises, et la France doit devenir la
porte d'entrée vers l'Europe pour les entreprises québécoises.
Maintenant,
on ne peut pas parler, en 2024, d'économie sans parler de transition
énergétique. Nos deux nations sont engagées
à avoir une économie carboneutre d'ici 2050. Au Québec, on est déjà ceux qui
ont les GES par habitant les plus bas
en Amérique du Nord. La France est aussi parmi les meilleurs en Europe, quoi
qu'en disent certains groupes. Et je pense qu'on peut apprendre un de
l'autre pour faire encore mieux.
Donc, encore
une fois, un grand merci pour votre visite, pour votre discours inspirant
devant l'Assemblée nationale. C'est
un honneur de recevoir le premier ministre français dans la maison de notre
démocratie, qui tient justement son nom de l'Assemblée nationale française. Aujourd'hui et pour toujours, la France
et le Québec sont unis par un lien fraternel qui est inscrit dans notre
histoire, dans notre identité. Et la France reste pour le Québec, pour le seul
État francophone en Amérique, un allié essentiel dans le concert des nations.
Merci, M. le premier ministre.
La Présidente : Je vous remercie, M.
le premier ministre.
Alors, cela met fin à cette cérémonie
protocolaire à l'occasion de la visite du premier ministre de la République
française. Bonne fin de soirée à tous.
(Fin à 18 h 50)