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Version finale

43rd Legislature, 1st Session
(début : November 29, 2022)

Thursday, April 11, 2024 - Édition spéciale

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Table des matières

Journal des débats

(Dix-sept heures cinquante-deux minutes)

Le Vice-Président (M. Lévesque) : À l'ordre, s'il vous plaît! Mmes et MM. les députés, je vous prie de vous lever et de bien vouloir accueillir le premier ministre de la République française, M. Gabriel Attal.

M. Lagacé (Mathew) : Mesdames et messieurs, veuillez accueillir le premier ministre de la République française, M. Gabriel Attal.

Cérémonie protocolaire à l'occasion de la visite officielle du premier
ministre de la République française,
M. Gabriel Attal

Allocution de la présidente de l'Assemblée nationale, Mme Nathalie Roy

La Présidente : Mmes et MM. les députés, veuillez vous asseoir. M. le premier ministre de la République française, chers parlementaires, distingués invités, au nom de tous mes collègues parlementaires, je vous souhaite la plus cordiale des bienvenues au Québec.

Et c'est avec fierté et un profond sens de la responsabilité que je prends la parole aujourd'hui, à l'occasion de la 21e rencontre alternée des premiers ministres français et québécois, pour évoquer la relation exceptionnelle qui unit la France et le Québec. En ma qualité de présidente de l'Assemblée nationale du Québec, je suis honorée de pouvoir partager avec vous quelques réflexions sur cette profonde amitié forgée par l'histoire, la culture et les valeurs communes, telle la laïcité.

Nos deux peuples entretiennent des liens étroits, ancrés dans la richesse de nos héritages. Nos ancêtres ont bravé l'océan pour découvrir de nouveaux horizons qui ont contribué à l'édification de deux nations distinctes aux identités enlacées.

Aujourd'hui, notre relation se matérialise à travers des échanges dynamiques dans de nombreux domaines. La France et le Québec maintiennent des liens forts en matière de culture, d'éducation, de recherche scientifique et de coopération internationale, pour ne nommer que ceux-là. Et puis nos législateurs cultivent de profondes amitiés, solides et soutenues.

À titre de présidente de l'Assemblée nationale du Québec... Et, à ce titre, l'Assemblée nationale et l'Assemblée nationale de la France ont signé une entente de collaboration interparlementaire qui permet aux membres des deux Assemblées de se réunir une fois l'an, en alternance, au Québec et en France, pour y aborder des sujets d'actualité et d'intérêt communs, tels l'intégration des immigrants, les menaces à nos démocraties ou encore l'importance de la place des femmes en politique. Et notre Parlement sera d'ailleurs l'hôte de la 34e édition de cette rencontre la semaine prochaine.

L'Assemblée nationale du Québec et le Sénat français entretiennent aussi une relation active. J'ai eu l'honneur de diriger une délégation de parlementaires du Québec qui s'est rendue à Paris la semaine dernière à l'occasion de notre 16e réunion annuelle.

Incontestablement, la France occupe une place centrale dans le coeur des Québécoises et des Québécois. Bien plus qu'un pays, la France est le berceau de notre langue, de notre culture et de notre identité.

Dans un contexte mondial marqué par l'incertitude, il est essentiel de renforcer les liens qui nous unissent. La France et le Québec ont un rôle majeur à jouer sur la scène internationale en défendant ensemble les valeurs démocratiques qui nous sont si chères.

En terminant, mes chers amis, je voudrais réaffirmer l'engagement indéfectible du Québec envers la France et notre détermination à renforcer encore davantage notre partenariat stratégique. Unis, nous pouvons relever les défis du XXIe siècle et oeuvrer pour un avenir meilleur.

Je vous remercie pour votre attention.

Et j'invite maintenant le premier ministre de la République française à vous adresser la parole. M. le premier ministre, nous vous écoutons.

Allocution du premier ministre de la République française, M. Gabriel Attal

M. Attal (Gabriel) : Mme la Présidente, M. le premier ministre, Mme la vice-première ministre, Mmes et MM. les ministres, M. le chef de l'opposition officielle, MM. les chefs des deuxième et troisième groupes d'opposition, Mmes et MM. les députés, m'adresser à vous, m'adresser à vous, aux représentants des Québécoises et des Québécois, en tant que Français, c'est m'adresser, je crois, plus encore qu'à des cousins, à des soeurs et des frères séparés par un océan mais unis par une langue, une histoire, par une culture et des valeurs communes, car c'est bien la fraternité qui nous lie, une fraternité qui fait partie de l'âme de la République française comme de celle du Québec, une fraternité forgée par des siècles d'une amitié unique, d'une relation privilégiée et de combats partagés, une fraternité qui nous unit, qui nous rassemble, qui crée des liens entre le Québec et la France, des liens que rien ni personne ne pourra rompre, ne pourra faire distendre, ne pourra briser.

M'adresser à vous et, à travers vous, aux Québécoises et aux Québécois est un honneur. Il me touche, tout comme me touche l'accueil chaleureux que vous me réservez. Du fond du coeur, je veux vous en remercier.

• (18 heures) •

Il y a 40 ans, le premier ministre Laurent Fabius venait s'exprimer devant vous, quelques mois après ma nomination... sa nomination. Et vous allez comprendre pourquoi, vous allez comprendre pourquoi. Il y a 40 ans, donc, Laurent Fabius venait s'exprimer devant vous, quelques mois après sa nomination. Il était alors le plus jeune premier ministre de l'histoire de France, et son discours est le dernier d'un premier ministre français devant vous ici, à l'Assemblée nationale. 40 ans plus tard, c'est à nouveau le plus jeune premier ministre de l'histoire de son pays qui a l'honneur de s'adresser à cette Assemblée nationale. J'y vois un symbole.

Toujours, notre histoire commune a été guidée par la jeunesse. Toujours c'est elle qui a su l'animer, la pousser, la raviver.

En entrant ici, dans le coeur battant de la démocratie québécoise, je m'imagine, je me rappelle, je dirais même que je me souviens, je me souviens de Jacques Cartier cherchant la route qui mène à l'Asie, longeant les côtes de Terre-Neuve puis la pointe de la Gaspésie. Un an plus tard, il revient, descend pour la première fois, cartographie et décrit les rivages du Saint-Laurent.

Dans ses carnets de voyage, Jacques Cartier semble émerveillé, séduit, saisi, émerveillé face à la nature splendide et nouvelle qui s'offre à lui, émerveillé lors de l'ascension du mont Royal, alors qu'il contemple un monde qui lui était inconnu et qui s'étend à perte de vue. C'était il y a cinq siècles, mais, aujourd'hui encore, ceux qui ont la chance de découvrir le Québec partagent cet émerveillement entre splendeur de la nature, poids de l'histoire et force de la modernité.

Le temps, ensuite, s'accélère. Près d'ici, Samuel de Champlain installe un premier comptoir commercial. Il fonde Québec et crée alors la Nouvelle-France comme une terre de prospérité et d'avenir. Ce temps, déjà, c'est celui de la jeunesse, d'une jeunesse aventureuse qui traversait l'Atlantique pour fonder une nation nouvelle, d'une jeunesse qui s'est battue pendant la guerre de Sept Ans, attachée à la France.

Et puis il y a eu la défaite, une défaite qui résonne ici, à quelques encablures des plaines d'Abraham, une défaite synonyme de douleur et de séparation. Tel est le Québec, né sous le lis, mais ayant grandi sous la rose, pour reprendre les mots que l'on prête souvent à Eugène-Étienne Taché, l'architecte de ce parlement.

Nous aurions pu en rester là, le souvenir lointain d'une nation qui s'était aventurée le long du Saint-Laurent. Peut-être n'en avons-nous pas été loin. En s'adressant à l'Assemblée nationale française, en 1977, René Lévesque avait souligné qu'après plus d'un siècle et demi d'histoire commune commencèrent alors deux siècles où se construisit un fossé d'ignorance et de méconnaissance. Une éclipse de deux siècles, une éclipse coupable, mais une éclipse qui, je le crois très profondément, jamais ne se reproduira.

Pourtant, même durant cette éclipse, c'est la jeunesse qui nous a rapprochés. Ce sont ces soldats, souvent très jeunes, qui ignoraient tout de ce pays d'outre-Atlantique, mais par deux fois qui ont pris les armes, traversé l'océan et combattu pour libérer la France, sur la crête de Vimy, en 1917, lors du raid de Dieppe, en 1942, lors du débarquement de Juno Beach et de toute la campagne victorieuse qui s'ensuivit. Oui, le sang de la jeunesse du Canada, de la jeunesse du Québec a coulé par deux fois pour libérer et sauver la France.

Et, au moment de dire ces mots, je veux avoir une pensée particulière pour le Royal 22e Régiment, héroïque dans la Somme ou à Arras, durant la Première Guerre mondiale, héroïque en débarquant à Marseille, au printemps 1945, un régiment qui a aidé par deux fois à libérer un peuple qui parlait sa langue.

Les années ont passé, et, alors que le Québec menait sa Révolution tranquille, la relation entre la France et le Québec s'est enfin réveillée. C'est l'inauguration par Jean Lesage de la Délégation générale du Québec à Paris, en 1961. C'est André Malraux, initiant un partenariat culturel sans commune mesure.

Nous sommes en 1977, et René Lévesque s'envole pour la France et la séduit. La suite de notre histoire commune, vous la connaissez toutes et tous, ce sont les rencontres alternées entre premiers ministres, ce sont ces échanges constants entre élus et parlementaires, entre gouvernements, avec le président de la République.

Nos peuples se connaissent, s'estiment, s'apprécient. Chaque Québécois sait qu'il pourra trouver sa place en France. Chaque Français sait quel accueil superbe le Québec lui réservera.

Notre relation, ce sont des rencontres, celles de notre jeunesse, bien sûr, les échanges universitaires nourris et nombreux entre la France et le Québec, celles de nos concitoyens de deux communautés, les Québécois en France et les Français au Québec, deux communautés qui se renouvellent, se réinventent et qui, toujours, regardent vers l'avenir. Mais je pense aussi aux échanges entre nos collectivités locales, nos territoires, et je sais combien vous y tenez, M. le premier ministre. Nos élus locaux se respectent, se parlent, cherchent ensemble des solutions face aux grands défis et aux grandes menaces. Je pense évidemment, encore l'été dernier, aux feux de forêt.

Notre relation, c'est celle d'une coopération toujours plus étroite. Innovation, recherche, industrie, économie. Dans tous les secteurs, France et Québec travaillent de concert, partagent des objectifs communs, construisent des solutions d'avenir. Cette coopération, nous la devons notamment à ces femmes, à ces hommes qui se lancent, qui font vivre l'esprit d'entreprendre, si propre au Québec. Vous le savez bien, là aussi, M. le premier ministre, vous qui incarnez par votre parcours cette soif d'entrepreneuriat.

Notre relation, c'est une culture en partage. L'art, la littérature, mise à l'honneur cette année au Salon du livre de Paris, la chanson, l'humour, le cinéma, la création québécoise irrigue la France, et la création française est bien connue au Québec. Nous partageons les mêmes passions, les mêmes mélodies, les mêmes artistes. Ce lien, il est à la fois très collectif, mais aussi infiniment personnel. Chaque Française, chaque Français et, je le crois, chaque Québécoise, chaque Québécois partage ce lien du plus profond de son âme. Ce sont ces Français, ces Québécois qui associent des moments de joie, des moments de douleur, de tristesse à des mélodies bien connues, des chansons bien connues, françaises ou québécoises. Ce sont ces Français, ces Québécois qui ont pu traverser des moments douloureux dans leur vie en bénéficiant des matchs d'improvisation, pour passer des moments difficiles. Ce sont ces Français, ces Québécois qui ont découvert dans les lignes de Dany Laferrière une part de leur identité, de leur rapport au monde. Ce sont ces Français, ces Québécois qui ont découvert une part de leur identité — c'est mon cas, en tout cas — devant des films de Xavier Dolan.

Notre relation, bien sûr, c'est une langue. Nous parlons français. Le français, c'est notre héritage, c'est notre identité, c'est notre richesse. C'est notre singularité quand l'uniformité linguistique serait un affaiblissement, un appauvrissement, quand elle altérerait notre capacité à penser, à créer, à exister.

Certains pensaient sans doute que le français avait vocation à disparaître de la carte de l'Amérique du Nord. Ils ne connaissaient pas les Québécois, car le Québec a montré et montre encore ce qu'on peut accomplir quand on refuse de céder à la fatalité, quand on refuse de croire qu'il y aurait un destin inexorable, celui de l'effacement.

M. le premier ministre, je sais que la langue française a encore de beaux jours devant elle de ce côté de l'Atlantique, mais je sais aussi que nous devons toutes et tous rester collectivement vigilants. Vous pouvez compter sur la France pour vous y aider, pour vous accompagner, pour promouvoir encore la langue française au Québec. Et, là aussi, c'est par la jeunesse, toujours la jeunesse, que nous triompherons. Nous le voyons, les concurrences sont là, accélérées par le numérique, les contenus en ligne, qui voudraient nous imposer une forme d'uniformité, y compris linguistique. Nous devons nous battre. Et le message que je suis venu vous passer ici, c'est que nous nous battrons. Nous nous battrons pour que chaque enfant, chaque jeune puisse avoir accès à des livres, des articles, des jeux vidéo, des films, des séries en français. Nous nous battrons pour que les algorithmes, les plateformes, l'intelligence artificielle laissent la place qu'il mérite au français. Nous nous battrons pour que la jeunesse puisse s'épanouir dans sa langue, la perpétuer, la transmettre. C'est pourquoi nous signerons demain une déclaration qui porte sur la langue française et son développement, sur sa richesse. J'y tiens, et, je le sais, vous y tenez également.

Mme la Présidente, Mmes et MM. les députés, nos deux nations sont liées par leur histoire, mais elles resteront liées indéfectiblement grâce à leur jeunesse, grâce à ces jeunes Françaises, ces jeunes Français pour qui le rêve américain est un rêve québécois, qui, à force d'échanges, d'exemples et d'une culture commune, ont le Québec comme horizon. Nos nations resteront liées grâce à ces jeunes Québécoises et ces jeunes Québécois pour qui la France est un but, une aventure européenne, si familière et si lointaine à la fois. Et, si la France et le Québec avancent ensemble, c'est parce qu'ils regardent vers l'avenir.

• (18 h 10) •

Je viens m'exprimer devant vous comme un homme de ma génération. Je suis né en 1989, l'année de la chute du mur de Berlin. Je n'ai connu ni la guerre sur le sol européen ni l'affrontement des blocs lors de la guerre froide. Je n'ai pas connu la visite du général de Gaulle à Montréal. Je n'avais que six ans lors du référendum de 1995. J'ai grandi, comme tant de Français, avec l'idée qu'il existait, de l'autre côté de l'Atlantique, un nouveau monde dont la langue était le français et où l'avenir s'inventait, le Québec, une terre qui m'avait, j'ai eu l'occasion de le dire, apporté plusieurs de mes héros, de mes références, de mes rires, une terre de promesse et d'espoir, d'innovation et de liberté. Pour moi, le Québec, c'est là où l'on ose.

Il y a cinq ans, alors que j'étais secrétaire d'État chargé de la jeunesse, je m'étais rendu au Québec auprès des jeunes de l'Office franco-québécois pour la jeunesse. Je reste marqué par ces échanges, par l'énergie de la jeunesse québécoise, qui exigeait de nous de l'action et des solutions face aux défis de leur génération, de ma génération, par l'engagement de la jeunesse québécoise, qui voulait tenir la plume de son avenir; marqué par l'audace de la jeunesse québécoise, prête à entreprendre, à innover, à travailler dur pour accomplir ses rêves. L'appel de cette jeunesse tonne. Il tonne des deux côtés de l'Atlantique avec la même force et la même détermination. Alors, nous avons un devoir : leur répondre, leur répondre ensemble, leur répondre côte à côte, Québec et France, France et Québec.

Mme la Présidente, M. le premier ministre, Mmes et MM. les députés, j'ai parlé de notre histoire, j'ai parlé de notre culture, j'ai parlé de notre langue. C'est ce à quoi on tente parfois de nous réduire, un passé et une langue, comme pour dénigrer notre lien, comme pour le minimiser, comme pour faire croire que cette fraternité franco-québécoise appartiendrait au passé, mais que l'avenir s'écrirait ailleurs.

Il y a des pays, il y a des nations dans le monde qui partagent une histoire, et qui parfois même partagent une histoire et une langue en commun, mais il y a une singularité majeure entre la France et le Québec. Pour nous, l'histoire n'est pas le passé, c'est l'éternité. Cette langue, cette histoire, nous en sommes fiers, et c'est par cette langue et cette histoire que nous continuons à écrire le présent et que nous continuerons à écrire l'avenir. Ce ne sont pas, cette langue et cette histoire, pour nous, des limites. Ce sont des fondements, les fondements de notre fraternité. Et sur ces fondements grandissent chaque jour, un peu plus fortes, des valeurs communes qui font la singularité et la puissance de notre relation.

Nous partageons une même exigence des droits de l'homme, que nous défendons partout et tout le temps; un même attachement viscéral à la liberté, et notamment la liberté d'expression, liberté parmi les libertés et condition nécessaire à la diffusion des Lumières; un attachement à l'égalité pour toutes et tous, la recherche de l'égalité entre toutes et entre tous, je pense notamment à l'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les pans de la société. Nous partageons la volonté de défendre la démocratie et de l'affirmer plus que jamais comme un modèle.

Nous avons aussi en partage cette place que nous accordons à la laïcité, la laïcité comme une liberté, celle de croire ou de ne pas croire sans jamais être inquiété, la laïcité comme une garantie, celle de l'égalité, celle du respect de chacun, celle de la capacité à faire corps, à se rassembler, à s'unir, à faire société. On parle souvent de vivre ensemble. Ce terme n'est pas galvaudé. Et je sais que la laïcité est la condition pour bien vivre ensemble et je sais que les Québécoises et les Québécois, que leurs représentants sont attachés à la laïcité.

Face à ceux qui font mine de ne pas comprendre ce qu'est la laïcité, qui voudraient la détourner, faire croire qu'elle est une forme d'arme antireligion, faire croire qu'elle est une forme de négation des religions, faire croire qu'elle est une forme de discrimination, nous répondons que la laïcité est la condition de la liberté, est la condition de l'égalité, est la condition de la fraternité.

Ces valeurs, nos valeurs, nous ne devons jamais en avoir honte. Alors, défendons-les chaque jour avec force, conviction et courage. Défendons-les sans jamais céder un millimètre à ceux qui veulent les remettre en cause. Défendons-les, car elles sont au coeur de notre identité.

L'identité, c'est ce qui fait de vous des Québécois, de nous des Français, et de chacun d'entre nous des êtres libres. La défendre, c'est refuser d'être aux marges de l'histoire et assumer, au contraire, qu'elle s'écrira avec nous, qu'elle s'écrira avec la France comme avec le Québec. C'est affirmer nos valeurs. Et nous avons plus que jamais besoin, dans un monde qui tremble, qui sursaute et qui se transforme, nous avons plus que jamais besoin de nos valeurs, dans un monde où la démocratie est bombardée en Ukraine, où nos droits fondamentaux et nos libertés sont menacés par les passions tristes des populistes, des extrémistes et des défaitistes, de tous ceux qui ne croient plus en notre avenir et portent la régression en étendard. Alors, dire qui nous sommes, c'est ce qui nous permet et nous permettra encore, demain, de ne pas ployer sous les bourrasques populistes, de ne pas céder à la résignation, de ne jamais baisser la tête face à certaines pulsions destructrices de notre époque. Je vous le dis, si la géographie ne nous a pas séparés, alors rien ne le fera, parce que rien ne le pourra.

Mmes et MM. les députés, alors que la démocratie, le pluralisme, les droits humains sont assiégés, nous répondrons, nous répondrons coup à coup, nous répondrons à chaque fois avec plus de force et plus d'énergie. Et, si nous le faisons, c'est d'abord et avant tout pour notre jeunesse, pour qu'elle puisse vivre libre, pour qu'elle puisse vivre mieux. Cette jeunesse québécoise, c'est bien à elle, à travers vous, que je suis venu m'adresser, car c'est bien pour elle que nous allons continuer à agir. C'est bien pour elle que nous devons défendre nos valeurs et les porter haut et fort, sans honte et sans s'excuser. Pour notre jeunesse, nous avons la démocratie à protéger, la liberté à défendre, la transition écologique à réussir, la révolution numérique à mener.

Alors, je vous propose aujourd'hui un nouveau pacte, un nouveau pacte pour la jeunesse. Faisons de notre relation unique une réponse à ses aspirations. Quand le monde bouge, je crois qu'il faut souvent regarder le Québec, car c'est ici qu'une part de l'avenir s'invente. Car le Québec est une terre d'intuition au développement rapide, voire insolent. Car ici des changements majeurs ont été menés et réussis, je pense notamment à l'autonomie énergétique que le Québec est parvenu à construire à force de volontarisme et d'ambition. Ici, on ne connaît pas les destins tracés à l'avance. Ici, on ne prend jamais «ce n'est pas possible» pour une réponse. Alors, on se retrousse les manches, on cherche, on travaille. Cette philosophie, je la partage avec vous. Cet état d'esprit, c'est aussi le mien. Alors, je vous propose d'avancer ensemble.

Le défi fondamental de ma génération, c'est la transition écologique. Pas une terre du globe n'est épargnée par le dérèglement climatique, par la hausse des températures, par la multiplication des catastrophes naturelles. La France le sait bien, elle qui a subi encore, ces derniers mois, les inondations comme la sécheresse, les feux de forêt comme les températures extrêmes. Vous le savez bien, vous qui avez connu les feux de forêt, les pluies diluviennes et qui venez, je crois, de traverser un hiver aux températures plus françaises que québécoises. Alors, nous sommes déterminés à gagner le combat pour la planète. Nous n'avons, à vrai dire, pas le choix, et nous y parviendrons ensemble.

Vous avez engagé, M. le premier ministre, un plan pour une économie verte, investi des moyens majeurs pour la transition énergétique, pour la décarbonation des transports ou pour la mise en place d'une filière batterie. Autant de sujets qui font écho, de mon côté de l'Atlantique, à notre planification écologique et à France 2030, notre plan d'investissement massif pour décarboner l'industrie.

Si nous agissons résolument, nos entreprises travaillent, elles aussi, tous les jours résolument côte à côte pour faire avancer la transition écologique. Je pense à Air Liquide, qui, à Bécancour, gère la plus grande unité de production d'hydrogène décarbonée par électrolyse du monde. Je pense à Alstom, particulièrement engagée pour accompagner la transition écologique dans les transports des Québécois. Je pense, en France, à des fleurons québécois comme Boralex et Innergex, qui se développent et appuient le secteur éolien en France. Nous partageons cette certitude que la transition écologique ne doit jamais se faire contre les gens mais avec eux, en leur offrant toujours des solutions. Nous partageons cette conviction que la transition écologique marquera l'avènement d'une croissance nouvelle, verte, porteuse de nouveaux emplois, de nouveaux savoirs, d'innovations qui changeront nos vies. Les résultats sont déjà là.

• (18 h 20) •

En France, sous l'impulsion du président de la République, nous avons multiplié par cinq le rythme de baisse de nos émissions de gaz à effet de serre depuis 2017. Rien qu'en 2023 les émissions de gaz à effet de serre ont diminué, en France, de près de 5 %. C'est un record pour notre pays. Quant au Québec, là aussi, je le sais, la tendance est à la baisse, avec des émissions de gaz à effet de serre plus faibles qu'avant la pandémie et toujours pratiquement deux fois moins d'émissions par personne que la moyenne canadienne. Ces résultats sont positifs. Ils doivent nous encourager. Ils doivent nous pousser à poursuivre, à continuer et amplifier nos efforts.

Alors, innovons ensemble, comme nous l'avons fait en 2023, Année de l'innovation franco-québécoise, une année qui a permis de mettre en lumière notre excellence commune notamment dans des secteurs de pointe comme le quantique, l'hydrogène ou l'intelligence artificielle. Alors, cherchons ensemble. Continuons à faire vivre notre coopération scientifique exceptionnelle alors que plus de 200 doubles diplômes existent entre nos universités et nos écoles, que de nombreux centres de recherche s'installent, que 20 000 étudiants français viennent chaque année étudier au Québec. La vitalité de ce partenariat est infiniment précieuse. C'est la garantie d'une culture commune, mais aussi de projets communs et de solutions communes pour l'avenir. C'est notre avenir qui s'écrit. Et je veux le dire à nouveau devant les Québécoises et les Québécois qui nous regardent, les portes des universités françaises sont grandes ouvertes pour les étudiants québécois qui voudraient venir y faire leurs études.

J'ai voulu insister sur la transition écologique et sur le rôle que nos deux nations entendent y mener, mais, pour nos jeunesses, nous devons nous placer à la pointe de toutes les révolutions pour leur permettre d'avoir le monde à portée de main. De la recherche fondamentale à l'industrie, de l'écologie sociale et solidaire jusqu'à la culture, nous sommes résolus, sans naïveté, à ce que nos échanges, nos échanges commerciaux, nos investissements puissent encore s'accroître.

Nous savons que l'ensemble des acteurs économiques français et québécois s'y emploient chaque jour. Nous savons que des millions d'entrepreneurs, des milliers d'entrepreneurs, des centaines de milliers d'entrepreneurs français et québécois s'appuient sur la force et la vitalité de notre relation pour venir s'installer, se développer, qui en Amérique du Nord, qui en Europe. Alors, soyons à la pointe des révolutions à venir, à la pointe de l'intelligence artificielle, à la pointe du quantique, à la pointe de la transition écologique, énergétique, pour que l'intelligence artificielle, le quantique, la transition écologique, énergétique s'écrivent en français. C'est ainsi et ensemble que nous bâtirons la prospérité nouvelle, la prospérité du XXIe siècle, et elle rimera avec la francophonie.

Pour nos jeunesses, soyons sans cesse les artisans et les combattants du progrès, défendons les droits et les libertés de chacun, soyons aux avant-postes pour l'égalité, et notamment l'égalité entre les femmes et les hommes, qui doit être un combat à tous les échelons de la société. Bâtissons pour notre jeunesse des sociétés qui ouvrent grand les chemins de l'émancipation, car c'est bien de cela dont il doit toujours être question, permettre à tous les jeunes du Québec et de France de choisir et de mener librement leur vie.

Mme la Présidente, M. le premier ministre, Mmes et MM. les députés, il faut remonter 40 ans en arrière pour retrouver trace de l'intervention d'un premier ministre de la France devant vous, devant cette Assemblée nationale du Québec, je le disais. Depuis 40 ans, la France et le Québec ont changé, le monde a changé, nos débats, nos défis ont changé, mais une chose perdure : ce lien unique, ce lien fraternel. Au fil des ans, notre relation s'est fortifiée. Nous avons construit des ponts sans cesse d'une rive à l'autre de l'Atlantique, dans un monde pourtant si prompt au repli sur soi. Nous avons défendu nos droits et nos libertés haut et fort à l'heure où tant veulent les attaquer. Et ensemble, devant vous j'en fais le serment, nous continuerons. Nous le ferons en nous appuyant sur plus de quatre siècles d'une histoire commune, qui nous inspire et nous apprend. Nous le ferons pour défendre nos valeurs sans jamais baisser la garde, sans jamais composer avec ceux qui souhaitent les remettre en cause. Nous le ferons pour notre jeunesse, pour la jeunesse québécoise, pour la jeunesse française.

Alors, ensemble, faisons souffler le vent de l'histoire. Ensemble, faisons tonner les voix de nos jeunesses française et québécoise. Répondons à leur appel. Soyons à la hauteur de leur exigence. Ensemble, portés par cette relation unique, montrons au monde que l'avenir s'écrira dans notre langue, avec la France, avec le Québec.

Comme l'a dit le général de Gaulle, en 1967, à Québec : «Nous sommes liés par le présent, nous avons épousé notre siècle.» Aujourd'hui, je le dis ici, nos jeunesses donnent naissance à l'avenir.

Vive le Québec! Vive la France! Et vive l'amitié franco-québécoise!

(Applaudissements)

La Présidente : Je vous remercie, M. le premier ministre. Je cède maintenant la parole à M. le chef du troisième groupe d'opposition.

Allocution du chef du troisième groupe d'opposition,
M. Paul St-Pierre Plamondon

M. St-Pierre Plamondon : M. le premier ministre de la République française, j'ai écouté attentivement votre allocution, émouvante parce qu'elle nous rappelle la force et la profondeur historique des liens d'amitié qui nous unissent.

Puis-je vous confier que je n'ai pas été ni étonné ni attristé de ne pas vous entendre prononcer les mots «Vive le Québec libre»? Tous les élus français venus nous rendre visite depuis ce discours historique sont conscients de la force des mots du général et de l'espoir qu'il a créé à ce moment. On se doit d'apprécier cette situation particulière pour la France, qui, d'une part, nourrit avec les Québécois une relation privilégiée, mais qui, d'autre part, siège aux côtés de son allié canadien à l'OTAN, au G7. Il vous faut faire preuve d'une grande diplomatie. Nous le savons.

Deux présidents, Giscard d'Estaing et Chirac, à l'aube de nos référendums, ont usé d'une formule à la fois habile et fraternelle. La France, ont-ils dit, accompagnera le Québec dans ses choix. Cela renvoie la responsabilité là où elle se trouve, chez les Québécois. Ce sera leur choix à eux seuls. Savoir, comme dans les deux rendez-vous précédents, que la France sera à nos côtés revêt une importance capitale. La France peut donner à tous, et en particulier au Canada, un préavis sur ce que sera sa posture au moment du choix. Vous avez encore un peu de temps, M. le premier ministre, avant de considérer à nouveau de franchir ce pas, mais cette pragmatique fraternité est un élément essentiel dans notre rapport de force ici et dans le reste du monde.

Le Québec et la France font d'ailleurs face aux mêmes défis sur le vivre-ensemble, sur la laïcité, sur la promotion de la culture en français, dans un monde qui est de plus en plus américanisé et anglicisé. C'est entre autres pour cette dernière raison qu'après une longue période de latence, depuis le référendum de 1995, un nombre grandissant de Québécois concluent aujourd'hui que la francophonie en Amérique n'a aucun avenir si le Québec ne devient pas un pays rapidement. Ce qui était jusqu'à tout récemment un débat lointain est aujourd'hui, aux yeux de bien des Québécois, la seule voie possible pour assurer la survie d'une nation et d'une culture qui ne représente que 2 % du continent nord-américain.

Sachant, en définitive, que tout dépend de la volonté du peuple, puis-je évoquer la possibilité que, dans un avenir pas si lointain, vous soyez celui qui d'abord jugera légitime de déclarer que la France accompagnera le Québec dans ses choix et qui, ensuite, qui sait, lorsque les Québécois se seront dit oui, pourra déclarer enfin : Vive le Québec libre?

Merci de votre présence, M. le premier ministre.

La Présidente : Je vous remercie, M. le chef du troisième groupe d'opposition. Je cède maintenant la parole à M. le chef du deuxième groupe d'opposition.

Allocution du chef du deuxième groupe d'opposition,
M. Gabriel Nadeau-Dubois

M. Nadeau-Dubois : Mme la Présidente de l'Assemblée nationale, M. le premier ministre de la République française, chers parlementaires, distingués invités, chers amis. À mon tour, M. le premier ministre, de vous souhaiter la bienvenue chez nous, dans l'autre Assemblée nationale, à l'occasion de ces nouvelles retrouvailles entre amis, entre égaux.

• (18 h 30) •

Il y a bientôt 50 ans, René Lévesque prononçait son fameux discours de Paris. Le Québec et la France faisaient alors le voeu de s'accorder une reconnaissance mutuelle, non pas d'une métropole à une colonie, non pas d'un pays à une province, mais d'un peuple souverain à un peuple en voie de l'être.

Si la France a reconnu l'histoire en marche dès les premiers pas de notre Révolution tranquille, c'est que nous nous reconnaissons l'un dans l'autre. C'est en France que nombre des bâtisseurs du Québec moderne ont vu l'avenir de leur jeune nation. C'est au Québec, aujourd'hui, que tant de jeunes Français construisent leur avenir à eux.

Et aujourd'hui, lorsque nous regardons devant nous, nous avons les mêmes inquiétudes, les mêmes défis. Aujourd'hui, le voeu de nos premières retrouvailles prend tout son sens. L'exception culturelle, celle qui affirme la France en Europe et le Québec en Amérique, est assiégée par les GAFAM de ce monde. Affirmons ensemble la souveraineté culturelle de nos peuples, car nous savons que cela n'a rien d'un repli, c'est l'expression de notre attachement à la diversité culturelle du monde entier.

Des deux côtés de l'Atlantique, dérèglements climatiques et déséquilibres commerciaux s'abattent sur nos mondes agricoles. Tout en creusant les liens économiques qui unissent nos nations, trouvons ensemble un nouvel équilibre entre compétition et protection. La souveraineté économique n'est pas un obstacle à la prospérité, c'est l'expression de notre respect pour les hommes et les femmes qui la rendent possible.

Qu'elle soit politique, économique, culturelle ou alimentaire, la souveraineté est l'aspiration naturelle et légitime de tous les peuples. Et j'ai confiance que notre amitié perdurera, quels que soient les choix que fera la nation québécoise quant à son avenir.

Notre amitié sert bien des causes, mais il y en a une qui est particulièrement chère à la famille politique que je représente en cette Assemblée. La France et le Québec partagent une longue tradition pacifiste. Alors qu'une catastrophe sanglante se déroule à Gaza, travaillons ensemble à faire advenir le jour qu'appelait de ses voeux Jean Jaurès, le jour où, je le cite, «l'humanité sera assez organisée, assez maîtresse d'elle-même pour pouvoir résoudre par la raison, la négociation et le droit les conflits de ses groupements et de ses forces».

C'est le destin du peuple français et du peuple québécois. Nous qui avons commencé notre histoire sur la même page, nous qui nous sommes séparés depuis, puis retrouvés, c'est notre destin de cheminer ensemble, liés ou, comme on dirait en bon Québécois, tricotés serré.

Bonjour, M. le premier ministre. Bienvenue au Québec.

La Présidente : Je vous remercie, M. le chef du deuxième groupe d'opposition. Je cède maintenant la parole au chef de l'opposition officielle.

Allocution du chef de l'opposition officielle, M. Marc Tanguay

M. Tanguay : Merci, Mme la Présidente. M. le premier ministre de la République française, nous sommes heureux de vous accueillir ici, à l'Assemblée nationale du Québec, afin de perpétuer une tradition à la mesure de l'amitié qui unit nos deux nations depuis des siècles. Cette amitié, qui s'est construite au fil des soubresauts de l'histoire, est faite de collaboration, de progrès et de fraternité.

Aujourd'hui, au salon bleu, nous sommes réunis pour vous accueillir au nom des Québécoises et des Québécois de toutes les régions du Québec que nous représentons. Par conséquent, sachez que c'est tout un peuple qui vous souhaite la bienvenue chez nous.

Dans le cadre de cette 21e rencontre alternée des premiers ministres québécois et français, nous vous accueillons aussi au nom des 85 000 Français qui vivent chez nous, qu'ils soient étudiants ou travailleurs.

Je rappelle que le dernier premier ministre de la République française à s'être adressé à l'Assemblée nationale fut Laurent Fabius, qui avait été reçu par René Lévesque en 1984. Depuis, nous avons reçu deux présidents de la République française, M. Nicolas Sarkozy, en octobre 2008, dans le cadre des célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec, et M. François Hollande, en novembre 2014.

Le 17 octobre 2008, M. Sarkozy, devant cette Assemblée nationale, disait, et je le cite : «Ce que la France sait au fond d'elle-même, c'est qu'au sein du grand peuple canadien il y a la nation québécoise, avec laquelle elle entretient une relation d'affection comme il en existe entre les membres d'une même famille.»

C'est à l'occasion de cette visite que le président Sarkozy et le premier ministre Jean Charest ont signé l'entente en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles France-Québec. Lors de la visite de M. Hollande, celui-ci disait, au sujet de la relation entre la France et le Québec, et je le cite : «...cette relation, elle est unique. Nous l'avons forgée tout au long de l'histoire.» À cette occasion, le président Hollande et le premier ministre Philippe Couillard avaient rassemblé autour d'eux une centaine d'entrepreneurs français et québécois pour favoriser concrètement les échanges. Le Québec, par la voix de M. Couillard, a alors réitéré le souhait que l'accord de libre-échange Canada-Europe, dont parlait Jean Charest dès 2008, puisse être ratifié. Les événements récents concernant les étapes de cette ratification nous rappellent l'importance de persévérer.

Nous sommes honorés que cette visite soit votre premier voyage officiel hors de l'Union européenne depuis votre nomination comme premier ministre. Je tiens d'ailleurs à vous féliciter pour cette nomination. Votre parcours est inspirant à plusieurs égards pour les parlementaires actuels mais aussi pour celles et ceux qui nous regardent et qui décident peut-être de s'engager un jour dans la vie politique.

Votre approche est basée sur l'atteinte des résultats. Vous disiez récemment, et je vais vous citer : Ma méthode, ma responsabilité est d'être lucide et de dire la vérité, de chercher des solutions et de faire en sorte qu'elles soient mises en place rapidement. Le dynamisme avec lequel vous abordez vos fonctions est un modèle à suivre.

Nous avons une relation Québec-France directe, unique et privilégiée. En culture, c'est le leadership commun de la France et du Québec qui ont mené, en 2003, à la décision de l'UNESCO de rédiger une convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Cette convention a depuis été adoptée ou ratifiée par plus de 80 pays.

Nos liens sont certes culturels, mais ils sont aussi économiques. C'est M. Robert Bourassa qui a développé, en 1994, en collaboration avec le premier ministre français de l'époque, Jacques Chirac, une coopération économique bonifiée entre le Québec et la France.

Sur tous les plans, nos deux nations ont beaucoup à gagner en collaborant étroitement. Dans un monde en constante évolution, il est essentiel que le Québec et la France relèvent ensemble les défis du XXIᵉ siècle, notamment ceux de l'éducation — et nous savons que l'éducation vous est particulièrement chère — de l'intelligence artificielle, de la diffusion de notre culture, du renforcement de nos chaînes d'approvisionnement, de la lutte aux changements climatiques, dont vous avez fait état, et de la promotion, bien évidemment, de notre magnifique langue française.

Notre histoire partagée a déjà démontré que nous nous enrichissons mutuellement à plusieurs chapitres. Je suis donc heureux que vous soyez des nôtres aujourd'hui pour que cette tradition se poursuive, au bénéfice mutuel. Merci, M. le premier ministre, pour votre présence.

La Présidente : Je vous remercie, M. le chef de l'opposition officielle. J'invite maintenant M. le premier ministre du Québec à prendre la parole.

Allocution du premier ministre du Québec, M. François Legault

M. Legault : Mme la Présidente, M. le premier ministre de la République française, Mmes, MM. les membres de la délégation de la République française, MM. les chefs de l'opposition officielle, de la deuxième opposition, de la troisième opposition, Mmes, MM. les députés. Je veux remercier d'abord chaleureusement le premier ministre de la République française, Gabriel Attal, d'avoir, après quelques mois seulement depuis sa nomination... avoir fait le choix de venir au Québec puis de faire ce discours inspirant que vous nous avez livré tantôt. C'est un honneur pour notre nation.

• (18 h 40) •

Et, cette rencontre alternée entre les premiers ministres du Québec et de la France, on ne l'avait pas vue depuis quelques années, pour toutes sortes de raisons, entre autres la COVID, mais c'est une occasion importante de renforcer cette relation directe, privilégiée entre le Québec et la France. C'est une amitié qui m'est très chère comme premier ministre mais aussi comme Québécois.

On le dit souvent, vous le disiez tantôt, les Québécois puis les Français sont des cousins. En fait, bon, nos ancêtres sont des Français, et le Québec est lié à la France depuis le début de son histoire avec Jacques Cartier, avec Samuel de Champlain. En fait, les grands bâtisseurs de notre nation, c'étaient des Français qui sont venus s'installer ici, en Amérique, des explorateurs, des religieuses, des entrepreneurs, des développeurs.

D'ailleurs, quand vous sortirez, tantôt, si vous regardez devant notre parlement, vous allez voir des statues, vous allez voir Champlain, Maisonneuve, Marguerite Bourgeoys, Marie de l'Incarnation, Frontenac, Jean Talon. Donc, c'est grâce à ces personnages, entre autres, qu'on a réussi, depuis plus de 400 ans, à construire une nation moderne, une nation qui est un des meilleurs endroits au monde pour y vivre.

Donc, quatre siècles plus tard, les liens entre le Québec puis la France restent indestructibles, et ça marque une amitié qui est sincère, qui est profonde. Il n'y a aucune autre nation au monde avec qui on a des rapports aussi fraternels.

Il y a beaucoup de choses qui nous rassemblent, bien sûr, d'abord, la langue française, même si vous avez un drôle d'accent, là.

Je veux, à mon tour, confirmer ce que vous avez dit tantôt. Demain, on va signer ensemble une déclaration commune sur la langue française. Et je suis vraiment fier de pouvoir compter sur la France comme alliée dans notre combat pour renverser le déclin du français en Amérique. Merci de cet appui.

Je le rappelle à chaque occasion, le Québec, c'est le seul État en Amérique où on a une majorité de francophones. C'est une grande fierté, mais c'est aussi une grande responsabilité, pour nous-mêmes mais aussi pour les prochaines générations. Notre langue est en situation minoritaire sur le continent. Le français sera toujours vulnérable en Amérique. Pour moi, c'est donc un devoir de tout faire pour que dans 400 ans on parle encore français ici, au Québec.

Notre premier défi, puis on a eu la chance d'en discuter tantôt, c'est toute la question de l'immigration. Dans les dernières années, le Québec a dépassé, malheureusement, sa capacité d'accueil pour les nouveaux arrivants, puis ça a un impact certain sur l'avenir du français mais aussi sur nos valeurs. Et je comprends aussi, surtout du côté des valeurs, que c'est un défi, en France. J'ai entendu le président Macron, en début d'année, dire qu'il voulait gouverner, et je le cite, pour que la France reste la France. Bien, je peux vous dire que je me suis retrouvé dans cette déclaration, puis moi aussi, je veux gouverner pour que le Québec reste le Québec.

L'autre défi qu'on a, puis vous en avez parlé, c'est la place de la culture puis du français à l'ère du numérique. Nos deux nations ont la chance d'avoir des artistes de talent, on a des gens qui font de la musique, des films, des séries exceptionnelles, mais encore faut-il que les gens, surtout les jeunes, y aient accès facilement. Netflix, Spotify, ce sont des plateformes américaines. Ce qu'on nous montre en premier, ce sont des produits américains. On en parlait tantôt, c'est vrai aussi en France. C'est pour ça qu'on se parle puis qu'on va se parler, dans les deux jours, de découvrabilité. Pas simple à dire, comme mot, mais très important. Donc, ça veut dire quoi? Ça veut dire qu'il faut s'assurer que nos oeuvres soient représentées équitablement, que l'accès soit facile, même encouragé, donc, pour que nos jeunes et les moins jeunes puissent continuer de rire, de pleurer, de rêver en français.

Au-delà de la langue, on partage aussi des valeurs fondamentales. Je pense, bien sûr, à la laïcité. Depuis 1905, c'est inscrit dans la loi en France. Au Québec, on a commencé à faire ce choix dans les années 1960 puis on a ancré ce principe dans une loi, la loi n° 21, en 2019. Et, au Québec, on n'est pas allés aussi loin que la France, on a interdit le port de signes religieux seulement pour les agents de l'État qui sont en position d'autorité. Ce n'est pas un choix qui est accepté par tout le monde, c'est la même chose en Europe, mais je sais que, sur la laïcité, le Québec et la France parlent d'une seule voix.

Donc, la grande force de l'amitié franco-québécoise, c'est cette langue, cette culture, ces valeurs qu'on partage, mais, cette force-là, on aurait intérêt à s'en servir davantage pour améliorer nos échanges commerciaux. Je vois Roland Lescure, là, puis c'est un message pour lui. Actuellement, les échanges commerciaux entre le Québec et la France, c'est seulement 6 milliards de dollars par année. Ce n'est pas assez. Ce n'est pas assez, Pierre. On peut faire mieux. Le Québec doit devenir la porte d'entrée en Amérique du Nord pour les entreprises françaises, et la France doit devenir la porte d'entrée vers l'Europe pour les entreprises québécoises.

Maintenant, on ne peut pas parler, en 2024, d'économie sans parler de transition énergétique. Nos deux nations sont engagées à avoir une économie carboneutre d'ici 2050. Au Québec, on est déjà ceux qui ont les GES par habitant les plus bas en Amérique du Nord. La France est aussi parmi les meilleurs en Europe, quoi qu'en disent certains groupes. Et je pense qu'on peut apprendre un de l'autre pour faire encore mieux.

Donc, encore une fois, un grand merci pour votre visite, pour votre discours inspirant devant l'Assemblée nationale. C'est un honneur de recevoir le premier ministre français dans la maison de notre démocratie, qui tient justement son nom de l'Assemblée nationale française. Aujourd'hui et pour toujours, la France et le Québec sont unis par un lien fraternel qui est inscrit dans notre histoire, dans notre identité. Et la France reste pour le Québec, pour le seul État francophone en Amérique, un allié essentiel dans le concert des nations.

Merci, M. le premier ministre.

La Présidente : Je vous remercie, M. le premier ministre.

Alors, cela met fin à cette cérémonie protocolaire à l'occasion de la visite du premier ministre de la République française. Bonne fin de soirée à tous.

(Fin à 18 h 50)

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