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(Quinze heures dix minutes)
Le Vice-Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Un moment de recueillement, s'il vous plaît:
Veuillez vous asseoir.
Affaires courantes.
Déclarations ministérielles.
Dépôt de documents.
M. le ministre de l'Environnement.
Rapport annuel du ministère de
l'Environnement
M. Léger: M. le Président, il me fait plaisir de
déposer le rapport annuel du ministère de l'Environnement pour
l'année 1979-1980.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Rapport
déposé. M. le ministre des Communications.
Rapport annuel de la Société de
radiotélévision du Québec
M. Bertrand: M. le Président, il me fait plaisir de
déposer le rapport annuel pour 1979-1980 de la Société de
radiotélévision du Québec.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Rapport
déposé. Au nom de M. le ministre de l'Énergie et des
Ressources, M. le leader du gouvernement.
Décret concernant la SNA et les Industries 3R
Inc.
M. Charron: M. le Président, au nom de mon collègue
de l'Énergie et des Ressources, j'aimerais déposer deux
décrets du gouvernement: celui qui porte le no 669-81 concernant une
entente d'association entre la Société nationale de l'amiante et
les Industries 3R Inc.
Décret sur un paiement pour des actions de la
SNA
De même que le décret qui porte le no 1103 et qui concerne
un paiement par le ministre des Finances pour des actions de la
Société nationale de l'amiante.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Décrets
déposés.
Dépôt de rapports de commissions élues.
Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi
privés.
M. le leader du gouvernement.
Rapport sur le projet de loi no 254
M. Charron: M. le Président, j'en aurais deux. D'abord, un
projet de loi qui portera le no 254 qui concerne Les Prévoyants du
Canada et La Laurentienne, Compagnie mutuelle d'Assurance. Le projet est
conforme à l'avis, à ce que m'indique le greffier en loi.
Toutefois, trois avis restent à paraître dans la Gazette
officielle et deux avis restent à paraître dans les journaux. Il y
aurait donc lieu de suspendre les règles de pratique à cet
égard. J'en fais motion, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Est-ce que cette motion
est adoptée? M. le leader de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, je
présume qu'on va continuer la publication des avis.
M. Charron: Oui, bien sûr.
M. Levesque (Bonaventure): Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté.
Rapport sur le projet de loi no 202
M. Charron: Également le projet de loi qui portera le no -
un instant, je vais regarder la loi - 202, Loi concernant le Crédit
Lyonnais Canada Limitée. Le projet est conforme à l'avis. Les
avis ont été toutefois publiés après le
dépôt du projet de loi au secrétariat des commissions. Les
avis dans la Gazette officielle du Québec restent à
paraître et deux avis restent à paraître dans les journaux.
Il y a donc lieu de suspendre les règles à cet égard.
Évidemment, la même réponse se donne comme sur l'autre
projet de loi pour ce projet-ci.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader de
l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, est-ce qu'on
peut s'attendre que la publication aura eu lieu lorsque le projet sera
étudié?
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.
M. Charron: Peut-être pas en totalité, s'il en reste
deux à publier, mais il y en aura au moins une des deux d'ici la
convocation de la commission pour étudier ce projet de loi.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté?
Adopté. Donc, le dépôt des rapports concernant la loi 254
et la loi 202 est adopté.
Projets de loi au nom du gouvernement.
Présentation de projets de loi au nom des
députés.
M. Charron: Article a) du feuilleton, M. le Président.
Projet de loi no 254 Première lecture
Le Vice-Président (M. Jolivet): Le député de
Taschereau propose la première lecture du projet de loi privé no
254, Loi concernant Les Prévoyants du Canada et La Laurentienne,
Compagnie mutuelle d'Assurance. Adopté? Adopté.
Le Secrétaire adjoint: Première lecture de ce
projet de loi. M. le leader.
M. Charron: Article b), s'il vous plaît.
Projet de loi no 202 Première lecture
Le Vice-Président (M. Jolivet): Le député de
Vachon propose la première lecture du projet de loi privé no 202,
Loi concernant Crédit Lyonnais Canada Limitée. Est-ce que cette
motion est adoptée? Adopté.
Le Secrétaire adjoint: Première lecture de ce
projet de loi.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du
gouvernement, déférence de ces projets de loi?
Renvoi à la commission des
coopératives et institutions
financières
M. Charron: Oui, je voudrais proposer de les
déférer à la commission des coopératives et
institutions financières, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion est-elle
adoptée? Adopté. Questions orales des députés. M.
le chef de l'Opposition.
QUESTIONS ORALES DES DÉPUTÉS
La situation des caisses d'entraide
économique
M. Ryan: M. le Président, le ministre des Finances
héritait, récemment, de la responsabilité d'une partie des
tâches qui incombaient naguère au ministère des
Institutions financières. On se demandait quelle était la raison
de ce transfert de responsabilités. Il semble bien qu'il aura des
tâches assez lourdes de ce côté-là aussi au cours des
prochains jours.
Je voudrais l'interroger aujourd'hui plus particulièrement au
sujet des caisses d'entraide économique dont on parle beaucoup depuis
quelques jours. Une série de reportages télévisés a
fait état de problèmes qui se poseraient de ce côté
et ces reportages ont entraîné des conséquences assez
sérieuses sur les mouvements de capitaux à l'intérieur des
caisses d'entraide économique. Je pense très important que nous
obtenions du gouvernement a la fois des renseignements précis et des
gages quant à la stabilité de cette institution très
importante au cours des prochaines semaines.
Dans cette perspective, pensant surtout à la
sécurité des épargnes des milliers de citoyens qui ont
confié une partie de leurs avoirs aux caisses d'entraide
économique et au rôle très important qu'ont joué les
caisses d'entraide économique dans notre économie et, en
particulier, dans le développement de nos économies
régionales au cours des dernières années, je voudrais
poser au ministre des Finances une question à plusieurs volets, mais je
pense qu'il me pardonnera d'être peut-être un peu plus abondant que
d'ordinaire dans la formulation des questions. Ce sont toutes des questions qui
vont permettre au ministre des Finances de nous donner un tableau de nature
à rassurer la population ou à nous indiquer des voies de solution
de certains problèmes qui peuvent se poser.
Premièrement, les reportages qu'on a entendus à la
télévision sont-ils exacts et véridiques? Et, s'ils sont
exacts dans une proportion qui peut être variable - je pense que le
ministre est peut-être mieux placé que moi pour en parler - quels
problèmes se posent au sein de cette institution économique?
Depuis quand le gouvernement en est-il informé? Et qu'est-ce qu'il a
fait jusqu'à maintenant pour les résoudre?
Deuxième volet de la question: Quels ont été les
effets des reportages parus ces derniers jours sur la situation
économique des caisses d'entraide économique à travers le
Québec et sur la situation de la fédération
également? On parle de mouvement de retraite de capitaux de l'ordre de
plusieurs millions de dollars seulement dans la journée d'hier. Il
paraît que cela se continue dans
certaines caisses aujourd'hui. On nous dit que d'autres caisses n'ont
pratiquement pas été affectées par ces mouvements. Je sais
que nous, dans Argenteuil, nous avons la Caisse d'entraide économique de
Lachute qui n'a pratiquement pas été affectée. Ce qui est
arrivé, c'est que c'est une caisse solide évidemment, comme tout
ce qui se passe dans Argenteuil.
Troisième volet: Je voudrais demander au gouvernement s'il a
reçu une demande d'aide de la part de la Fédération des
caisses d'entraide économique et sous quelle forme. Est-ce que le
gouvernement se propose de fournir une aide quelconque aux caisses d'entraide
économique et sous quelle forme, encore une fois?
Finalement, quelles garanties le ministre est-il en mesure de fournir
à cette Chambre et au public du Québec quant à la
sécurité des épargnes qui ont été
confiées aux caisses d'entraide économique et quant au rôle
que les caisses vont continuer de jouer au cours des semaines et des
années à venir? Tout le monde tient à ce que ce mouvement
qui a été très vivant ces dernières années
continue de favoriser, par tous les moyens raisonnables, l'expansion de
l'économie régionale en particulier. Le ministre peut-il nous
donner la garantie, grâce à l'action du gouvernement et des
intéressés, évidemment, que ce rôle va continuer de
s'exercer au cours des prochains mois?
Le Président: M. le ministre des Finances.
M. Parizeau: M. le Président, comme il s'agit d'une
question à quatre volets, je demande l'indulgence de cette Chambre pour
être un petit peu plus long qu'on ne l'est normalement en
répondant à une question, mais je pense que le chef de
l'Opposition officielle sera d'accord avec moi qu'étant donné
l'importance du sujet, il faut prendre le temps voulu pour passer à
travers cette question.
Il est exact, bien sûr, que des reportages depuis quelques jours
semblent vouloir mettre en cause la situation présente et l'avenir des
caisses d'entraide. Dans ce qui a été présenté, je
pense, à la télévision, comme d'habitude dans ce genre de
choses, il y a des éléments qui sont exacts, d'autres qui le sont
moins et d'autres qui ne le sont pas du tout. Je pense qu'il est
inévitable, encore une fois, qu'il en soit ainsi. Il y a un
élément qui n'est pas suffisamment ressorti, qui n'est pas
ressorti du tout, qui a même été mis en doute, sauf erreur,
à l'occasion de la première émission, c'est que les
caisses d'entraide sont des organismes rentables. Nous ne nous trouvons pas
placés devant un mouvement qui perd de l'argent, mais qui en fait. Bien
sûr, on peut se poser la question de savoir s'il en fait autant qu'il
devrait en faire ou s'il en fait moins qu'on s'attend qu'il en fasse, mais
enfin! ce n'est pas un mouvement déficitaire. Il faut bien s'en rendre
compte. (15 h 20)
II n'en reste pas moins que ce mouvement a un certain nombre de
problèmes, comme d'autres institutions financières, d'ailleurs,
depuis quelque temps. Pendant des années, les caisses d'entraide ont
proposé à ceux qui souscrivaient leurs parts sociales un
rendement de 10% sur le capital social. Il y a trois ans encore, 10%,
c'était supérieur à tout ce qu'on pouvait obtenir ailleurs
dans les banques, dans les certificats de dépôt, etc.
C'était un rendement très intéressant. Il n'y a pas de
doute que depuis un an ou un an et demi, 10%, ce n'est pas considérable
par rapport à ce qu'on peut obtenir, par exemple, dans les certificats
de dépôt des caisses populaires, des banques ou des compagnies de
fiducie. D'autre part, les caisses d'entraide, selon le rôle qu'elles se
sont donné depuis déjà passablement d'années, ont
fait des prêts à terme, non pas à deux mois ou à
trois, mais sur des périodes un peu plus longues, à des taux
d'intérêt qui sont souvent inférieurs à ceux qu'on
connaît sur le marché à l'heure actuelle. Il n'est donc pas
particulièrement étonnant qu'ayant un rendement un peu
inférieur a ce qu'elles auraient si elles prêtaient aujourd'hui,
elles fournissent sur leurs parts sociales, d'autre part, un rendement
inférieur à ce qu'on pourrait obtenir sur des dépôts
à terme dans d'autres institutions financières ou même dans
leurs propres dépôts à terme comme caisses d'entraide. Cela
les place dans la situation suivante: ou, parce que leurs parts sociales sont
moins attrayantes qu'elles l'étaient par rapport au marché. Elles
vont chercher moins d'argent que d'habitude et, d'autre part, elles ont des
engagements à terme à des taux d'intérêt qui sont
inférieurs au taux du marché. Cela pose aux caisses d'entraide un
problème indiscutable, je pense, de liquidités qu'elles ont
reconnu et dont nous venons de voir les premiers effets, hier.
Ces effets sont - et je pense qu'il est important de le souligner -
mixtes, dans le sens suivant: c'est que le 31 mai est la fin de leur
année financière et, d'autre part, le 1er juin est le moment
où leurs dépôts à terme viennent à
échéance; donc, il est intéressant pour tout le monde
d'attendre la fin de l'année pour ramasser ses intérêts.
Une partie des sorties de fonds hier veut simplement dire que les gens avaient
attendu a la fin de l'année pour récolter leurs
intérêts. Donc, dans les 30 000 000 $, il y a quelque chose qui
est normal. Et puis, d'autre part, il y a indiscutablement quelque chose qui
vient des reportages dont on parlait tout à l'heure.
J'ai eu l'occasion de discuter, depuis maintenant quinze jours ou trois
semaines, avec les caisses d'entraide de leur situation. Elles savaient
très bien que l'échéance du 31 mai ou du 1er juin s'en
venait. Je pense que nous reconnaissons, de part et d'autre, que le mouvement a
besoin, à certains égards, d'être réorienté.
Je pense que devant l'expansion prodigieuse que les caisses d'entraide ont
connue depuis une dizaine d'années, le rôle très important
qu'elles ont joué dans le développement des économies
régionales au Québec, une sorte d'enthousiasme a peut-être
été un peu loin à certains moments. Je pense que les
caisses sont les premières à reconnaître qu'elles doivent
maintenant consolider leur action.
J'ai eu l'occasion de leur poser un certain nombre de conditions assez
astreignantes, je pense, sur le plan d'une prudence élémentaire,
au cours des semaines qui ont précédé aujourd'hui,
moyennant quoi le gouvernement du Québec, lui, sait très bien
qu'il doit, à l'égard de tous les mouvements financiers, de tous
les groupes financiers qui existent au Québec et qui relèvent de
lui, jouer le même rôle que la Banque du Canada joue normalement
à l'égard des institutions financières qui relèvent
du gouvernement fédéral.
Depuis 1935, la Banque du Canada joue à l'égard des
banques à charte, par exemple, un rôle d'appui
systématique. Nous avons vu, à certaines époques, des
banques avoir de sérieux problèmes de liquidités. Je
pense, par exemple, à la Banque d'épargne, il y a quelques
années, à Montréal, à l'occasion d'un rush un peu
irrationnel, un peu ridicule même en un certain sens quand on y pense
quelques années plus tard, sur les dépôts. La Banque du
Canada avait, à ce moment-là, assuré essentiellement les
liquidités dont l'institution en question avait besoin et, au bout de
trois ou quatre jours, ça s'était calmé et c'était
revenu à la normale.
Le gouvernement du Québec doit, à l'égard des
institutions qui relèvent de lui, jouer exactement le même
rôle. Nous n'avons pas eu souvent, par le passé, à le
jouer, encore que nos lois nous le permettent parfaitement. C'est ainsi, par
exemple, que la Régie de l'assurance-dépôts du
Québec permet au gouvernement du Québec de faire des avances de
liquidités à ses propres institutions financières, sans
problème particulier; c'est prévu depuis douze ans. De la
même façon, ces lois qui ont été adoptées il
y a une douzaine d'années permettent au gouvernement du Québec
d'obtenir même du gouvernement fédéral, de la
Société de l'assurance-dépôts du gouvernement
fédéral, des avances en échange. Je dois dire, M. le
Président, que je connais particulièrement ces
négociations pour des raisons un peu privilégiées: j'ai eu
l'occasion de les négocier moi-même il y a douze ans, alors
ça m'embêterait un peu aujourd'hui de ne pas les utiliser.
Donc, nous nous sommes entendus pour faire en sorte que, de la
même façon qu'au gouvernement fédéral on peut
appuyer les banques à charte, nous soyons en mesure, nous, d'appuyer,
sur le plan des liquidités, les caisses d'entraide pour leur permettre
de passer à travers ces quelques journées un peu difficiles.
Je voudrais, et c'est le quatrième volet de la question
posée par le chef de l'Opposition officielle, simplement dire ceci:
Encore une fois, les caisses d'entraide sont rentables. Deuxièmement,
elles ont, comme beaucoup d'autres mouvements financiers, à l'occasion,
des taux d'intérêts très élevés que nous
connaissons, un certain nombre de problèmes passagers.
Troisièmement, contre l'assurance d'une certaine rectification de leur
orientation pour les années à venir, le gouvernement du
Québec joue son rôle de les appuyer sur le plan de leur fournir
les liquidités nécessaires.
Il me reste tout simplement, en terminant, à souhaiter que ce
mouvement qui a joué un tel rôle dans le développement de
la petite et de la moyenne entreprise, surtout dans ce qu'on appelle les
régions du Québec, puisse, une fois ce cap un peu difficile
passé, continuer de jouer le rôle tout à fait essentiel
qu'il a joué depuis quelques années. Merci, M. le
Président.
Le Président: M. le chef de l'Opposition.
M. Ryan: Tout d'abord, M. le Président, je voudrais
rappeler au ministre un aspect de la question auquel il n'a pas répondu,
me semble-t-il. On a évoqué des documents, des rapports
d'étude qui remontent déjà à quelques
années. Par conséquent, les problèmes de fond qu'a
évoqués le ministre ne sont pas nés d'aujourd'hui, ce ne
sont pas des problèmes immédiats. Comment se fait-il que le
gouvernement, selon toute apparence, n'ait rien fait jusqu'à maintenant,
pour rectifier ces situations qui devaient conduire à des
problèmes urgents et graves comme ceux qu'on a connus ces derniers
jours?
Deuxièmement, le ministre dit que le gouvernement serait
disposé à fournir des liquidités au mouvement des caisses
d'entraide pour les aider à traverser la période actuelle. Il a
mentionné la possibilité d'un recours à l'aide
fédérale, à cette fin. Je ne sais pas si j'ai bien compris
ce qu'il a dit tantôt, mais j'ai cru qu'il nous avait parlé de
certaines dispositions de la Loi de la Régie de
l'assurance-dépôts qui prévoient des ententes ou des modes
de collaboration, de ce côté.
Troisièmement, il a été un peu sibyllin quand il a
parlé des conditions qu'il aurait posées au mouvement des caisses
d'entraide
économique afin de rendre cette aide disponible. Il nous a dit:
Je leur ai posé une série de conditions très exigeantes.
Il ne nous a pratiquement rien dit à ce sujet. Est-ce qu'on pourrait lui
demander aussi de quel ordre de grandeur seraient ces liquidités que le
gouvernement serait prêt à fournir aux caisses d'entraide
économique?
Le Président: M. le ministre des Finances. (15 h 30)
M. Parizeau: M. le Président, quant à savoir
pourquoi, non pas le gouvernement actuel, mais les gouvernements, depuis que ce
ministère a été créé, c'est-à-dire
1968, n'ont pas vu venir des phénomènes comme ceux auxquels nous
assistons à l'heure actuelle, c'est peut-être plus de l'histoire
qu'autre chose. Mais si on me demandait personnellement à quoi
l'orientation du ministère des Institutions financières tient
depuis 13 ans qu'il est fondé, je répondrais peut-être:
À travers trois gouvernements, nous avons eu onze titulaires.
Peut-être avons-nous tous à en tirer certaines leçons et
à considérer que dans la gestion des institutions
financières, ici comme partout ailleurs, la continuité a un
certain sens.
Le problème, je pense, que nous avons dans ce monde financier
incertain qu'on connaît à l'heure actuelle, c'est d'en arriver...
Comme gouvernement de province, c'est difficile pour nous parce que nous
n'avons jamais été en contact avec ces problèmes de
banques centrales qui connaissent bien la chose dont nous parlons et qui savent
fort bien, elles, ces banques centrales de pays souverains, que, quand on est
garant, jusqu'à un certain point, de la santé financière
d'un système, être garant, cela veut dire être garant non
pas tous les ans, mais tous les mois et toutes les semaines. Il arrive que des
institutions financières aient des problèmes de cet ordre,
souvent, c'est fréquent. Le problème en est un d'encadrement,
d'observation stricte de certains ratios de liquidité et de suivi
extraordinairement précis dans la façon dont les institutions
financières s'ingèrent ou s'inscrivent dans ce cadre.
Peut-être qu'effectivement, si nous avons tous une leçon à
tirer sur le plan gouvernemental -nous n'avons pas encore à prendre la
responsabilité tous ensemble de tout ce qui se passe - s'il y a
peut-être une leçon à tirer, c'est d'établir une
certaine stabilité sur le suivi des institutions par ces
ministères. Il y a des ministères qui ont une très grande
stabilité, au fond, au Québec. Il y en a d'autres qui en ont une
qui est moindre et peut-être que cela a des conséquences.
Je n'irai pas plus loin là-dessus, sauf noter - pour revenir aux
questions que me posait le chef de l'Opposition - que, si nous parlons de
montants, nous disons essentiellement ceci: sur le plan des liquidités,
s'il faut quelques dizaines de millions de dollars, cela ne présente pas
de problème. S'il faut plusieurs dizaines de millions de dollars, cela
ne présente pas de problème. Le gouvernement de Québec,
après avoir examiné le dossier, croit que la situation est
suffisamment saine et que les correctifs sont suffisamment importants pour que
cela puisse se régler sans difficultés particulières.
Quant à la nature des correctifs, par exemple - là, je ne
veux pas entrer dans trop de détails à cet égard parce
qu'on rentre vraiment dans la gestion des institutions elles-mêmes, mais
enfin on peut quand même en dire un certain nombre de choses - je crois
qu'il est important que les caisses d'entraide les plus rentables - il y en a
de remarquablement rentables, il y en a qui sont vraiment extraordinairement
"performantes" comme institutions - donnent un coup de main à celles qui
battent un peu de l'aile et que ce mouvement des caisses d'entraide ait la
cohésion qu'il doit avoir. J'ai eu à poser un certain nombre
d'exigences à cet égard.
Deuxièmement, je pense qu'il est important que les banques
à charte, à l'égard des caisses d'entraide - après
tout, ce sont leurs prêteurs - jouent un rôle minimal, et j'ai eu
un certain nombre d'exiqences à cet égard. Je pense qu'il est
important que, dans leur politique de prêts à court terme, ces
caisses d'entraide suivent un certain cheminement prudent pendant quelques
mois, plus prudent que d'habitude pour se refaire une liquidité. C'est
le genre de dispositions sur lesquelles j'ai eu à insister depuis
quelques jours. Je suis très reconnaissant à la
Fédération des caisses d'entraide - et à toutes les
caisses d'entraide, d'ailleurs -d'avoir senti qu'il fallait là-dessus
une collaboration aussi étroite que possible pour faire en sorte que
quelque chose de temporaire puisse disparaître très rapidement.
Merci, M. le Président.
Le Président: Dernière question additionnelle.
M. Ryan: II y a juste un aspect sur lequel le ministre n'a pas
répondu, c'est sur la collaboration possible avec le gouvernement
fédéral pour trouver ou fournir ces liquidités dont le
mouvement aurait besoin. Je pense que ce serait intéressant.
Le Président: M. le ministre des Finances.
M. Parizeau: Lorsqu'on a créé la Régie de
l'assurance-dépôts et le ministère des Institutions
financières, j'ai eu l'occasion de négocier au nom du
gouvernement de Québec
je n'avais pas la fonction que j'ai maintenant, mais j'en avais une
autre - un accord en vertu duquel les avances de la Régie de
l'assurance-dépôts du Québec à des institutions
financières pourraient être appuyées sur des avances de la
Régie de l'assurance-dépôts du Canada.
Ceci est important pour la raison suivante, c'est qu'il faut noter qu'il
n'y a aucune régie provinciale d'assurance-dépôts où
que ce soit au Canada. Donc, si des institutions financières, dans
d'autres provinces, ont des problèmes du même genre, elles peuvent
s'appuyer directement sur la Société
d'assurance-dépôts du Canada et elles le font d'ailleurs. Il y a
de multiples exemples. Puisque nous avons une Régie
québécoise de l'assurance-dépôts, je ne vois pas
pourquoi on devrait renoncer à ces appuis financiers du gouvernement
fédéral qui sont fournis dans toutes les autres provinces
directement aux institutions.
Donc, l'accord a été signé il y a 12 ans. En vertu
de cet accord la Régie de l'assurance-dépôts du
Québec fonctionne, appuie les institutions financières qu'elle
doit appuyer et, d'autre part, reçoit l'aide financière
nécessaire d'Ottawa, aide qu'Ottawa fournit directement de toute
façon aux institutions financières dans toutes les autres
provinces. Cela me paraît être une expression - comment dire? - de
justice distributive.
Le Président: Question principale, M. le
député de Nelligan.
Travaux à l'île Rochon
M. Lincoln: Je voudrais poser une question au ministre de
l'Environnement. L'autre jour, dans sa réponse du 27 mai à une
question que je posais sur l'île Rochon, le ministre disait ceci et je
cite: "Ce n'est qu'hier, contrairement à l'affirmation du
député, qu'il y a eu cet empiétement ou ce geste non
conforme aux normes de l'environnement. Dès que ce geste a
été posé, etc.."
Pourtant, ce geste dont parle le ministre était de la même
nature que celui qui se posait continuellement depuis déjà
plusieurs jours et, selon les témoins de l'endroit, depuis
peut-être un mois. Même M. Poirier, fonctionnaire du
ministère, semble contredire le ministre à ce sujet dans la
Presse du 28 mai quand il confirme que le travail durait depuis plusieurs
jours. Le travail de remblayage qui se fait est un travail de grande envergure
impliquant du gros équipement et jusqu'à 25 ou 30 camions
"dompeuses".
En fait, ce travail intensif a débuté l'été
dernier et, en passant, 300 arbres et plus ont été abattus dans
cette région. Ma question est celle-ci: Le ministre peut-il nous dire
pourquoi, surtout à cause de toute la publicité faite à
cet effet, ce travail sans permis du ministère dans une zone inondable
et avant que soit complétée l'étude d'impact, a pu
s'effectuer au vu et au su de tout le monde sans une intervention beaucoup plus
rapide du ministère?
Deuxièmement, le ministre pourrait-il aussi nous expliquer
pourquoi il a fait croire à la Chambre que ce travail venait de
commencer et que son intervention était donc immédiate alors que
les faits démontrent clairement le contraire?
Une voix: Patronage!
Le Président: M. le ministre de l'Environnement.
M. Léger: Je dois rappeler au député que la
question qu'il me posait provenait justement d'une déclaration qui a
paru la journée même sur un remblayage nouveau. C'est sur ce
remblayage nouveau que je lui ai répondu que nous avions
immédiatement émis un télégramme pour aviser les
intéressés d'arrêter de faire un remblayage sans permis.
(15 h 40)
La question qu'il m'avait posée avait amené aussi cette
partie de réponse: C'est sûr que ça faisait plusieurs mois
- je pense que c'est sept ou huit mois - que les promoteurs avaient
demandé un permis à la municipalité de Montréal,
pour faire les travaux qu'ils voulaient faire. Pour tout ce qui touche la
partie environnementale, nous avions obligé les promoteurs à nous
préparer une étude d'impact et nous avons toujours
surveillé les travaux au cas où une portion constituerait du
remblayage illégal. Quand il y avait lieu, comme ce fut le cas la
semaine dernière, nous les avons avisés de ne pas faire un
travail qui était contraire à la protection de
l'environnement.
En ce qui concerne l'étude d'impact, nous venons, je pense, de la
recevoir vendredi ou hier, lundi, et nous allons aviser, en regardant le
contenu de l'étude, s'il y a des demandes particulières
supplémentaires à faire pour s'assurer la protection du
milieu.
Le Président: M. le député de Nelligan.
M. Lincoln: Question supplémentaire. Est-ce que le
ministre pourrait me dire comment il décide de ce qui est un nouveau
remblayage et ce qui est un ancien remblayage? Dans un terrain où du
remblayage se fait tous les jours, où des dompeuses amènent la
terre dans une région inondable sans permis du ministère,
contrairement à la Loi sur la qualité de l'environnement, comment
peut-on décider qu'hier, c'était un nouveau remblayage et
qu'avant-hier, c'était un ancien remblayage? C'est la même
chose qui s'est produite pendant plusieurs jours cette année,
peut-être un mois.
Une voix: Patronage.
Le Président: M. le ministre de l'Environnement.
M. Léger: M. le Président, je pense que le
député de Nelligan aura l'occasion, lors de l'étude des
crédits qui commence demain soir, d'aller dans le détail des
définitions de tous les types de remblayage. Tout ce que je peux lui
dire, c'est que, depuis le début des activités, il y a des
travaux qui peuvent se faire sans permis, d'autres avec permis. C'est entendu
que le remblayage n'est pas acceptable s'il se fait sur les eaux et que
ça peut en contaminer la qualité. Je ne dis pas qu'il y a du
nouveau remblayage, mais il y a eu plusieurs fois des essais de remblayage que
nous avons arrêtés à ce moment-là.
La semaine dernière, quand le député m'en a
parlé, il venait d'y avoir une opération nouvelle de remblayage
parce que, dans les travaux de construction, tous les types de travaux peuvent
se faire et, parfois, ce sont des travaux qui demandent un permis, parfois ce
n'en sont pas. Je pense qu'on pourra en discuter plus en détail au
moment des crédits et répondre à toutes les questions du
député là-dessus.
Le Président: Question principale, M. le
député d'Outremont.
Gaz naturel et isolant toxique
M. Fortier: M. le Président, j'aurais une question
à poser au ministre de l'Énergie et des Ressources. Je voudrais
lui poser une question relativement à une déclaration assez
intéressante qui a été faite par son sous-ministre,
vendredi soir dernier, qui déclarait qu'il faut éviter de
précipiter la conversion des systèmes de chauffage.
M. le Président, c'est une déclaration assez surprenante
puisque les politiques mises de l'avant par le prédécesseur du
ministre actuel étaient qu'il était urgent de faire une
conversion pour réduire notre dépendance vis-à-vis du
pétrole. Par ailleurs, il a indiqué qu'il n'y a pas de politique
au gouvernement à savoir si l'on devrait choisir une forme
d'énergie ou l'autre, c'est-à-dire entre
l'électricité et le gaz naturel. J'aurais trois questions
à poser au ministre.
La première est celle-ci: Est-ce que réellement il y a une
politique en faveur du gaz naturel pour les fins du chauffage domestique?
Est-il vrai, comme l'a indiqué son sous-ministre, que le gouvernement
n'a pas de politique en faveur du chauffage domestique? S'il n'y en a pas,
alors, je comprends le temps qu'il met pour réaliser les projets
concernant le gaz naturel, pour donner les approbations qu'il faut ou pour
intervenir dans ce dossier.
Deuxièmement, j'aimerais savoir quand le gouvernement, à
l'instar de Gaz Métropolitain, aura une politique favorisant la
conversion à l'électricité. Je sais, bien sûr, qu'au
mois de mars dernier le programme existant a été
arrêté, que le tout a été remis entre les mains
d'Hydro-Québec et que, malheureusement, à cause du délai
trop court que lui avait donné le ministre, il ne sera pas prêt
avant l'automne. Mais je crois qu'il est urgent que le ministre nous indique
quelle sorte de programme sera mis de l'avant par Hydro-Québec ou par le
gouvernement du Québec dans ce dossier. Si les politiques
énoncées par le sous-ministre sont fausses, est-ce qu'il a
l'intention de désavouer son sous-ministre dans ce domaine?
Le Président: M. le ministre de l'Énergie et des
Ressources.
M. Duhaime: M. le Président, si la déclaration du
député d'Outremont aujourd'hui au sujet de ce qu'aurait pu dire
ou ne pas dire mon sous-ministre en titre dans ce dossier est aussi
précise que son affirmation concernant les émissions d'actions de
Gaz Métro qu'il faisait la semaine dernière, j'aurai beaucoup de
réserve. Je vais d'abord prendre connaissance de la déclaration
de mon sous-ministre et vérifier avec lui si les dires du
député d'Outremont concordent. Ce que je peux dire cependant, M.
le Président...
Des voix: ...
M. Duhaime: Ce que je voudrais dire, M. le Président,
c'est que c'est assurément l'intention du gouvernement de
privilégier la pénétration du gaz naturel au Québec
et je pense que nous avons déjà dans le passé posé
les grands jalons d'une telle politique de pénétration.
Il y a beaucoup d'éléments dans la question du
député d'Outremont, mais, sur l'essentiel de ce que je crois
pouvoir comprendre, nous comptons toujours pouvoir mettre en application pour
le premier octobre le programme d'efficacité énergétique
que nous confierions à HydroQuébec. Les discussions avec
Hydro-Québec sont toujours en cours quant aux modalités et je
puis dire à l'Assemblée, M. le Président, que je serai en
mesure de saisir le Conseil des ministres - si ce n'est pas demain, ce sera le
10 juin - d'une décision dans ce dossier.
Je dois ajouter un volet important pour l'information de
l'Assemblée, c'est que j'ai eu une première série
d'échanges avec M. Lalonde, le ministre fédéral de
l'Énergie, et
nous tentons très honnêtement d'arrimer la
problématique fédérale d'économie d'énergie
avec ce que nous, de notre côté, avons planifié depuis
déjà un bon bout de temps sur la problématique
d'économie d'énergie. Il est bien certain, que ce soit sur le
plan de la pénétration du gaz naturel au Québec ou encore
que ce soit sur le plan de l'application d'une politique énerqique sur
le plan de l'économie d'énergie, que cela implique
nécessairement au bout du compte une harmonisation de l'ensemble des
formes d'énergie.
Je voudrais rassurer le député d'Outremont en lui disant
que pour autant que je suis concerné, je serai le premier heureux
d'apprendre que le conflit entre les travailleurs du local 144 - si ma
mémoire est bonne - est réglé avec leur employeur et que
nous pourrons aller de l'avant de façon concrète et sur le
terrain pour accélérer et faire avancer le gazoduc en provenance
de l'Ouest.
M. Fortier: M. le Président...
Le Président: M. le député d'Outremont.
M. Fortier: ...je suis heureux d'apprendre que le ministre
privilégiera la pénétration du gaz, ce qui est en
contradiction avec son sous-ministre, mais ce que j'aimerais savoir, c'est
ceci: Dans le programme qui sera soumis au Conseil des ministres et qui,
j'imagine, couvrira, comme il le dit si bien, l'isolation, les économies
d'énergie et également les conversions à d'autres formes
d'énergie, est-ce qu'il peut nous dire s'il y aura des provisions pour
aider les familles qui ont eu le malheur d'utiliser la formaldéhyde
d'urée? Comme vous le savez, la mousse formaldéhyde d'urée
était un produit recommandé par le Bureau des économies
d'énergie.
Une voix: ...
M. Fortier: On nous dit qu'il y a de 20,000 à 50,000
familles qui sont aux prises avec des problèmes très importants
dans ce domaine. Je sais que le ministre pourra nous répondre...
Le Président: Question, s'il vous plaît!
M. Fortier: ...que ce genre de problème relève du
gouvernement fédéral, mais la question que je lui pose est la
suivante: Dans ce programme qui sera soumis au Conseil des ministres, y
aura-t-il une aide pour les familles éprouvées par ce genre de
produit?
Le Président: M. le ministre. M. Duhaime: M. le
Président...
Une voix: Cela relève du fédéral.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Duhaime: ...je vois mal comment on peut faire le lien entre la
question additionnelle qui m'est posée et la question principale, mais,
puisque vous avez permis qu'elle me soit posée, je voudrais dire, au
départ, que j'éprouve énormément de sympathie pour
toutes les familles du Québec qui sont aux prises avec ce
problème.
Je voudrais rappeler au député d'Outremont que la question
qui m'est posée aujourd'hui aurait peut-être dû être
soulevée dans un autre Parlement outre-Outaouais, parce que, si mes
informations sont exactes, ce programme ou cette permission d'utiliser la
formaldéhyde d'urée a été accordée par le
gouvernement fédéral par le biais de la Société
canadienne d'hypothèques et de logement. Je pense que le gouvernement
fédéral a déjà donné des indications selon
lesquelles il était disposé à faire quelque chose, mais,
quand une déclaration comme celle-là vient du gouvernement
fédéral, cela peut vouloir dire zéro comme des millions de
dollars, M. le Président, si on se fie à l'expérience du
passé.
Pour autant que je suis concerné, je pense que le gouvernement
fédéral devrait en porter toute la responsabilité et j'ai
demandé à mes fonctionnaires de me fournir un examen complet de
tout ce dossier. Ce que je vais dire est très bref. Si, à tout
hasard, la responsabilité du gouvernement du Québec était
engagée dans l'utilisation de ce produit isolant qui affecte et qui
risque d'affecter la santé des Québécois et des
Québécoises, particulièrement les enfants en bas
âge, je n'aurai aucune espèce d'hésitation à
recommander au gouvernement du Québec de prendre toutes ses
responsabilités dans ce dossier. Jusqu'à présent,
ça relève exclusivement et essentiellement du gouvernement
fédéral, par le biais de la Société canadienne
d'hypothèques et de logement. (15 h 50)
M. Fortier: Question de règlement, M. le
Président.
Le ministre induit la Chambre en erreur lorsqu'il dit que ce produit est
recommandé uniquement par le gouvernement fédéral. Je
voudrais faire part ici d'un document publié par le gouvernement du
Québec, Bureau des économies d'énergie, programme
d'isolation des maisons, où il est dit ceci: "Quel isolant utiliser?
Vous devez tout d'abord vous assurer que les matériaux que vous utilisez
sont jugés acceptables par le Bureau des économies
d'énergie." Il s'agit là, que je sache, M. le ministre, d'un
organisme du gouvernement provincial et qui inclut, à l'article 5, la
mousse formaldéhyde d'urée. J'aimerais bien que le ministre
prenne ses responsabilités.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît. M.
le ministre.
M. Duhaime: M. le Président, je pense que cette Chambre a
déjà été saisie d'un projet de loi quant à
l'isolation des maisons. Ce que j'entends cet après-midi ne ressemble
pas beaucoup aux propos que tient actuellement le député
d'Outremont. Je répète essentiellement ce que je disais tout
à l'heure, M. le Président. L'utilisation de ce produit qui,
malheureusement, s'est avéré toxique, relève d'abord et
avant tout d'une décision des autorités fédérales
et, en conséquence, elles devraient en assumer toute la
responsabilité.
M. Ciaccia: M. le Président...
Le Président: M. le député de
Mont-Royal.
Édifices convertis en condominiums
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. En l'absence du
ministre délégué à l'Habitation et à la
Protection du consommateur, je poserai ma question au premier ministre. M. le
Président, la loi 107 prévoit la possibilité de convertir
des édifices résidentiels déjà construits en
condominiums, sujets cependant à des critères qui doivent
être prescrits par règlement. On peut se demander pourquoi, la loi
prévoyant ces règlements ayant été adoptée
en 1979, la régie n'a pas encore promulgué de règlement
à cet effet. Cependant, dans un cas particulier, les personnes
intéressées n'ont pas attendu les règlements et ont
trouvé un trou dans la loi. Elles ont effectivement converti un
édifice existant par le moyen du concept d'une propriété
indivise, au grand chagrin des locataires qui se sont trouvés sans
protection face à cette manoeuvre des entrepreneurs et des
propriétaires de l'édifice.
Qu'est-ce que le gouvernement a fait ou entend faire dans ce cas
précis, qui, pour l'information du premier ministre, a été
porté à l'attention du ministre délégué
à l'Habitation et à la Protection du consommateur, pour
protéger les locataires affectés par cette façon de
contourner la loi?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): Tout ce que je peux dire c'est...
Est-ce qu'il s'agit d'édifices à Montréal?
M. Ciaccia: Oui.
M. Lévesque (Taillon): Outremont?
M. Ciaccia: Non, non...
M. Lévesque (Taillon): Est-ce que c'est un cas a
Outremont?
M. Ciaccia: Le cas précis, c'est à
Montréal.
M. Lévesque (Taillon): J'avoue que je vais être
obligé de prendre avis de la question pour mon collègue le
ministre délégué à l'Habitation et à la
Protection du consommateur. J'ai entendu parler du cas, mais je ne commencerai
pas à me lancer sur une pelure de banane, techniquement, tant que je
n'aurai pas eu la chance de vérifier avec M. Tardif qui, normalement,
devrait être de retour demain. Il a été obligé
d'être à Ottawa aujourd'hui pour une conférence
fédérale-provinciale. Je pense que nos amis d'en face et le
député de Mont-Royal en particulier ne s'opposent pas à ce
que nous assistions à des conférences
fédérales-provinciales. Il devrait être de retour demain,
normalement.
M. Ciaccia: M. le Président, question additionnelle.
Le Président: M. le député de
Mont-Royal.
M. Ciaccia: Je comprends, M. le Président, que le premier
ministre veuille prendre avis de ce cas particulier.
M. Lévesque (Taillon): On dit "plusieurs" et ensuite on
dit "un cas en particulier".
M. Ciaccia: Cependant, le cas particulier que j'ai
mentionné et qui a été porté à l'attention
du ministre se situe à Montréal.
M. Lévesque (Taillon): D'accord.
M. Ciaccia: J'avais demandé ce que le gouvernement
entendait faire dans ce cas particulier. Cependant, parce qu'il y a eu ce cas
particulier de contournement de la loi, il arrive maintenant que pour plusieurs
autres édifices, les propriétaires procèdent de la
même façon: ils contournent la loi. Le président de la
régie a admis que c'est un trou dans la loi. Alors, voici la question
que je pose au premier ministre: Est-ce que vous êtes prêt à
prendre les mesures nécessaires afin que cette pratique cesse?
Même, cela peut être une loi ou un moratoire. Est-ce que vous
êtes prêt à donner instruction, à recommander,
à parler au ministre délégué à l'Habitation
afin que les mesures nécessaires soient prises, parce que, dans ces cas,
il y a plusieurs retraités et des gens qui ne peuvent pas, qui n'ont pas
les moyens d'acheter ces édifices et que la situation est assez
urgente? Alors, êtes-vous prêt à prendre les mesures
nécessaires dès maintenant pour que ce trou dans la loi soit
rectifié et que les locataires qui ont droit à la protection que
la loi voulait leur donner puissent en toute sécurité avoir cette
protection?
M. Lévesque (Taillon): M. le Président, je pense
que le député de Mont-Royal n'y verra pas d'objection - c'est
parce qu'il emploie des mots assez lourds, quand même: contourner la loi,
etc., en l'absence du ministre qui pourrait rectifier certaines choses ou, en
tout cas, atténuer un peu la pesanteur extrême des propos du
député de Mont-Royal - mais l'adjoint parlementaire du ministre
délégué à l'Habitation et à la Protection du
consommateur, le député de Taschereau, pourrait peut-être -
et je pense que ce serait dans l'intérêt public - donner au moins
certaines précisions sur l'ensemble de la question.
Le Président: M. le député de Taschereau et
adjoint parlementaire.
M. Guay: M. le Président, je dois vous dire, d'abord, que
je suis un peu étonné de voir que nos amis d'en face
soulèvent une question comme celle de la copropriété
indivise, eux qui, si ma mémoire est bonne, en commission parlementaire
sur la loi 107, voulaient que nous allions de l'avant avec la
copropriété divise, c'est-à-dire la transformation des
immeubles locatifs en condominiums, ce que nous interdisons à l'heure
actuelle, ce que nous ne permettons pas. Ce n'est pas un détournement de
la loi que de faire de la copropriété indivise. Ce n'est pas la
même chose; c'est une pratique courante depuis plusieurs années
dans le centre-ville de Québec, dans le centre-ville de Montréal
pour des familles, pour des couples, pour des individus d'acheter des immeubles
en copropriété indivise et d'occuper les logements. Ce n'est pas
du tout la même chose que la transformation en condominiums. La
transformation en condominiums implique que chaque appartement d'un immeuble
une fois modifié est taxé comme étant un immeuble au
rôle d'évaluation de la municipalité, ce qui augmente
considérablement les frais d'administration de la
propriété. La copropriété indivise ne permet pas
cela. L'immeuble en entier est taxé comme un seul immeuble; seulement,
il se trouve qu'il y a un certain nombre de propriétaires, trois, s'il y
a trois logements, cinq, s'il y a cinq logements, et que chacun habite les
logements ainsi répartis. Ce n'est pas un contournement de la loi, pas
du tout.
Le problème qui se pose à Montréal, à
Outremont, c'est que cela se fait sur une échelle beaucoup plus grande
que cela n'a été le cas jusqu'à maintenant à
Montréal ou à Québec et que certains courtiers en immeuble
en profitent pour faire une passe financière qui, elle, est certainement
condamnable. Avec l'utilisation de plus en plus répandue de la
copropriété indivise, qui est très différente du
condominium, peut-être qu'effectivement il y a lieu de préciser
les règles du jeu dans le Code civil parce qu'elles sont assez vagues
à l'heure actuelle. Mais il est inexact de dire, comme le
député de Mont-Royal le dit, qu'il s'agit d'un contournement de
la loi, bien au contraire.
Le Président: Fin de la période des questions. M.
le député de Taschereau, j'allais m'adresser à vous,
justement, pour vous dire que j'ai remarqué que vous vous êtes
levé à plusieurs reprises au cours de la période de
questions; je m'engage à vous reconnaître demain matin. Alors, fin
de la période des questions.
Motions non annoncées.
Enregistrement des noms sur les votes en suspens.
Avis à la Chambre.
M. le leader du gouvernement. (16 heures)
Avis à la Chambre
M. Charron: M. le Président, avant de donner le menu du
jour pour l'Assemblée, je voudrais indiquer tout de suite que le projet
de loi sur le fonds minier, qui a été déféré
à la commission parlementaire de l'énergie et des ressources doit
faire l'objet de consultations, comme nous nous sommes entendus à ce
sujet. C'est-à-dire que des organismes que nous avions sollicités
ont manifesté l'intention de venir donner leur avis sur ce projet de
loi. L'Opposition nous a fourni des noms supplémentaires, nous les avons
inclus. J'indique tout de suite que nous entendrons à cette occasion les
représentants de la Fédération des travailleurs du
Québec (Métallos), la CSN, secteur des mines, l'Association des
mines et métaux, le Conseil du patronat du Québec, la Chambre de
commerce du Québec, l'Association des manufacturiers canadiens,
l'Association des compagnies d'assurance sur la personne, l'Association des
compagnies de fiducie, la CSD, et les Mines Noranda Limitée qui ont
aussi demandé à être entendues.
Tous ces organismes ont été convoqués - et c'est
l'avis que je donne à l'Assemblée - pour mardi prochain, le 9
juin, à compter de 11 h 30, c'est-à-dire à peu près
à la fin de la période des questions que nous aurons à ce
moment-là. Si jamais la période des questions devait être
dans l'après-midi mardi, j'en donnerai avis cette semaine et la
séance de la commission parlementaire débutera
régulièrement à dix heures. Mais je voudrais que les
membres de cette commission prennent note qu'ils auront cette journée
de
travail à faire, le mardi 9 juin prochain.
C'est aujourd'hui que doit normalement débuter l'étude des
crédits, M. le Président. Pour faire suite à une entente
survenue en fin de semaine dernière, qui a prolongé
jusqu'à ce jour le débat sur le discours inaugural, il me
faudrait, pour ne pas enfreindre le règlement et permettre le
début des travaux des commissions parlementaires des affaires
municipales et de l'énergie et des ressources dès cet
après-midi, faire motion pour qu'une dérogation à
l'article 128.2 de notre règlement soit permise, afin qu'avant
même la fin du débat sur le discours inaugural ces deux
commissions puissent commencer à siéger tout à
l'heure.
Le Président: Cette motion du leader du gouvernement
sera-t-elle adoptée?
M. Levesque (Bonaventure): Adopté.
Le Président: Adopté. M. le leader.
M. Charron: Je me suis trouvé à indiquer le menu
par le fait même, M. le Président. Il reste deux intervenants dans
le débat sur le discours inaugural, un de l'Opposition et moi-même
qui, au nom du gouvernement, ferai la réplique tout à l'heure.
Lorsque ce débat sera terminé, nous ajournerons jusqu'à 19
h 30 ou 20 heures ce soir; à ce moment-là, nous entamerons ici,
à l'Assemblée, le débat sur le projet de loi no 10 au nom
du ministre d'État au Développement social sur la protection de
la jeunesse.
Ceci devrait nous occuper jusque vers minuit, après quoi nous
ajournerons, si le débat n'est pas terminé, jusqu'à demain
soir. Demain matin et demain après-midi, ce sera le discours sur le
budget.
Je fais motion pour que, pendant que la Chambre s'adonnera au travail
que je viens d'indiquer, se réunissent au salon rouge, jusqu'à 18
heures et de 20 heures à minuit, ce soir, la commission des affaires
municipales, pour l'étude des crédits de ce ministère, et,
à la salle 81-A, la commission de l'énergie et des ressources
pour l'étude des crédits de ce ministère.
Le Président: Est-ce que cette double motion sera
adoptée?
M. Levesque (Bonaventure): Un instant, M. le
Président.
Le Président: M. le leader de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): Simplement une précision au
leader parlementaire du gouvernement. Est-ce que j'ai bien compris qu'une fois
les deux discours prononcés, celui de mon collègue le
député de Jean-Talon et celui du leader, il y aura ajournement de
la Chambre?
M. Charron: Oui, parce que probablement qu'il ne sera pas loin de
17 heures, 17 h 15, 17 h 30... On verra. Laissons le suspense durer.
M. Levesque (Bonaventure): Oui, d'accord. C'est mieux comme cela,
je pense.
Le Président: Est-ce que cette double motion sera
adoptée?
M. Levesque (Bonaventure): Adopté.
Le Président: Adopté.
M. Lalonde: M. le Président.
Le Président: M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
Recours a l'article 34
M. Lalonde: Jeudi dernier, le premier ministre et le ministre de
l'Éducation, ainsi que les leaders, ont concouru pour la tenue d'une
commission parlementaire, semble-t-il, pour entendre les
intéressés concernant les coupures dans les ministères de
l'Éducation et des Affaires sociales.
Est-ce que le leader est en mesure d'informer la Chambre, et la
population aussi, quand cette commission parlementaire sera tenue, qui sera
invité ou aura le loisir de venir s'adresser à la commission
parlementaire et quel genre prendra l'invitation qui leur sera faite?
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du
gouvernement.
M. Charron: M. le Président, il est beaucoup trop
tôt pour ce faire. Le député de Marguerite-Bourgeoys sait
peut-être que les représentants des centrales syndicales ont
demandé un débat avec le gouvernement sur sa politique
budgétaire. Ce débat, semble-t-il, sera - je ne dis pas qu'il
exclut la partie parlementaire - d'abord un débat public à
l'extérieur de cette enceinte. Nous verrons. Ceux qui ont demandé
ce débat les premiers d'ailleurs verront, à la suite de ce
débat, à quel moment, de quelle façon et sous quelle forme
le prolongement parlementaire de ce débat, qui aura d'abord lieu
à l'extérieur d'ici, pourra se faire.
Le Vice-Président (M. Jolivet): En vertu de l'article
34.
M. Lalonde: En vertu de l'article 34 encore, le ministre peut-il
confirmer ce qui
a été dit ici jeudi dernier et ce qui a été
publié après dans les journaux, à savoir qu'il y aura une
commission parlementaire dans les meilleurs délais, c'est-à-dire
avant l'ajournement de la Chambre sur cette question?
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.
M. Charron: Je ne crois pas, M. le Président, qu'il ait
été dit, en aucun temps, que c'était à envisager
dans les meilleurs délais, avant l'ajournement de la Chambre. Le
député n'a qu'à regarder le calendrier des travaux des
commissions, étude des crédits et étude article par
article des projets de loi que nous allons nous mettre à adopter
aujourd'hui, pour savoir qu'il y a vraisemblablement très peu de place
pour un débat de cette importance avant l'ajournement. Si jamais cela
devenait possible, la décision ferme et l'arrangement de cette
convocation de commission parlementaire, si elle a lieu, ne se feront
qu'après le débat public qui est annoncé pour les
prochains jours.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Encore en vertu de l'article 34. Les deux
réponses du leader semblent laisser en suspens la possibilité
qu'il n'y ait pas de commission parlementaire, selon un débat public -
la forme que cela prendrait est assez vague - est-ce que le leader peut
confirmer qu'il y aura une commission parlementaire? Je comprends qu'elle
n'aura pas lieu avant la fin de nos travaux. Elle peut avoir lieu en juillet ou
en août. Est-ce qu'il y aura une commission parlementaire où les
députés et les intervenants - non seulement les centrales
syndicales - seront invités à faire la lumière sur les
effets des coupures?
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.
M. Charron: J'ai répondu du mieux que je pouvais au
député. Je vais répondre encore plus clairement s'il le
faut. Il n'y aura confirmation de cette commission parlementaire qu'à
l'issue du débat public qui est déjà prévu.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Gatineau, en vertu de l'article 34.
M. Gratton: M. le Président, tantôt le leader du
gouvernement a indiqué quels étaient les organismes qui
comparaîtraient mardi prochain relativement au projet de loi sur le fonds
minier. Peut-il nous dire à quel moment les mémoires de ces
organismes parviendront à l'Opposition?
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du
gouvernement.
M. Charron: Je vais m'en informer, M. le Président.
J'aurais cru que c'était déjà fait. Si ce ne l'est pas,
ceux que nous avons en tout cas, s'ils n'ont pas été
communiqués à l'Opposition, le seront dès aujourd'hui.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Mont-Royal, en vertu de l'article 34.
M. Ciaccia: Est-ce que le leader parlementaire pourrait nous dire
à quelle date précise les détails du programme de
l'accessibilité à la propriété seront rendus
publics?
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du
gouvernement.
M. Charron: Je n'ai pas la réponse que souhaite le
député à ce moment-ci. Toutefois, je vais lui dire que,
probablement avant la fin de cette semaine, je serai en mesure de
répondre à sa question quant à la date précise de
publication de ce document.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci. Les affaires du
jour, M. le leader du gouvernement.
M. Charron: Je vous prierais d'appeler la fin du débat sur
le discours inaugural, l'article 1 du feuilleton.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Reprise du débat
sur le message inaugural. M. le député de Jean-Talon.
M. Jean-Claude Rivest
M. Rivest: M. le Président, c'est avec plaisir, au
début de ces remarques, que je me rends à cette tradition qui
veut qu'un député à l'Assemblée nationale vous dise
tout le respect qu'il porte à la présidence, à
vous-même, M. le Vice-Président, ainsi qu'au président de
l'Assemblée et au nouveau vice-président.
Me connaissant tout de même un peu, je sais bien que, au cours de
la présente session comme dans les sessions qui viennent, je mettrai
à épreuve le règlement et votre patience, mais je voudrais
que vous y voyiez ma manière à moi de vous inciter à
présider nos travaux avec la plus grande vigilance. (16 h 10)
Je voudrais saluer et dire toute mon amitié et ma
disponibilité aux électeurs de Jean-Talon qui m'ont
renouvelé leur confiance le 13 avril dernier et dire également
à la population de Québec, en
particulier de l'agglomération québécoise que nous
entendons bien, dans les prochains mois et les prochaines années, porter
une très grande attention à tous et chacun des grands dossiers
qui confrontent notre région. La région de Québec, comme
on l'a dit au cours de la campagne électorale, sera affectée en
raison des limites qui s'annoncent du côté du secteur public; tout
le monde sait que dans la région de Québec une forte partie du
développement économique est axé sur le secteur public.
Nous avons, au cours de la campagne électorale, mes collègues
candidats libéraux et moi-même, insisté pour amener le
gouvernement à se préoccuper davantage du développement
économique de la région de Québec, en particulier en ce
qui a trait à la faveur que l'on doit accorder aux investissements
privés. D'une façon traditionnelle, M. le Président,
dès lors qu'il s'agit d'un investissement privé ou qu'il y a un
projet dans l'air, très rarement dans le passé la région
de Québec a été mentionnée comme un endroit naturel
ou privilégié. Nous voudrions bien, compte tenu, comme je le
disais, de la limite du secteur public et des personnes qui vivent dans la
région de Québec, que nous puissions, comme région, avoir
notre part à cet égard.
M. le Président, je voudrais également dire que de notre
côté, nous comptons volontiers nous associer aux efforts
annoncés par le gouvernement au titre de la revalorisation du travail de
l'Assemblée nationale, en particulier des députés. Je
pense que nous avons tout de même la chance de vivre ici et d'avoir au
Québec un régime parlementaire qui compte sans doute parmi l'un
des plus modernes et des plus évolués. Souvent, les
parlementaires ont l'occasion de rencontrer des collègues
étrangers dans nos associations internationales et ils sont finalement
toujours très impressionnés par l'ensemble des services qui sont
rattachés a l'Assemblée nationale et par la nature, les
méthodes, ainsi que par les procédures du déroulement de
nos travaux.
On conçoit volontiers - et le premier ministre l'a
évoqué en donnant un mandat particulier au député
de Trois-Rivières - qu'il y a encore beaucoup d'amélioration
à apporter de ce côté. Comme d'autres collègues de
notre côté l'ont signalé, le leader du gouvernement, ainsi
que le député de Trois-Rivières peuvent être
assurés de notre collaboration sur ce plan.
Nous aurions aimé, M. le Président, qu'en ce qui concerne
tout le domaine de la réforme électorale le premier ministre
confie ce dossier à un ministre moins chargé étant
donné que c'est le ministre de la Justice, et l'on sait combien les
responsabilités du ministre de la Justice sont lourdes, au Québec
comme ailleurs. Nous aurions aimé que sur le plan de la réforme
de notre droit électoral, en particulier en vue d'assurer, au niveau de
l'Assemblée nationale, une représentation plus concrète
des groupes minoritaires de notre société, ce dossier soit
traité par une personne qui pourrait s'y donner à temps quasiment
plein. Non pas que nous doutions de la bonne volonté ou de la
disponibilité du ministre de la Justice, mais je pense qu'il y va d'une
règle de bon sens et d'un énoncé pratique.
M. le Président, il y a eu, bien sûr, le 13 avril 1981,
où le Parti libéral du Québec a connu un échec qui
est, à bien des égards, extrêmement cruel pour l'ensemble
des militants libéraux qui ont tellement travaillé au cours des
dernières années à renouveler et à rebâtir le
Parti libéral du Québec. Je pense bien que les efforts qu'ils ont
faits alors ne sont pas perdus, parce que, de toute évidence, le Parti
libéral du Québec demeure, au lendemain de cet échec du 13
avril, l'une des deux grandes forces politiques du Québec. Le Parti
libéral du Québec demeure donc cette force politique et c'est une
force politique qui exprime, avec ses faiblesses et ses points forts, un
courant profond de notre histoire. Ce courant, dans notre histoire
québécoise, est davantage axé sur l'ouverture, sur la
confiance que nous avons de pouvoir concurrencer, de pouvoir "performer", si
vous me permettez l'expression, dans une aire ou un espace politique plus large
qui est celui du Canada.
Le Parti libéral du Québec - je pense que son passé
en témoigne - est là également pour témoigner de
cette fierté que nous avons tous d'être des
Québécois. Le Parti libéral du Québec voudrait
également témoigner de cette foi que nous avons dans les valeurs
premières et fondamentales, les valeurs de réforme, de
liberté et de justice qui ont été au cours des quelque
vingt dernières années les grandes lignes de fond du Parti
libéral du Québec. Comme je le disais, nous voulons, comme
libéraux, témoigner, a l'échelle du Québec et
à l'échelle du Canada, de cette conviction que nous avons dans la
capacité des Québécois et du Québec, en particulier
à assumer et à relever dans toute sa plénitude le
défi canadien.
Cette conviction dans cette capacité des Québécois
nous permettra, j'en ai la certitude, de soutenir l'ensemble des exigences que
comporte notre appartenance au régime fédéral canadien.
C'est là, en quelque sorte, le fondement des perspectives qui
caractérisent le Parti libéral du Québec et dans lequel le
Parti libéral du Québec s'est depuis toujours affirmé. Le
chef du parti, M. Ryan, et mes collègues, au cours du présent
débat, ont tous, à leur manière, rappelé ces
orientations de fond du Parti libéral du Québec.
Nous croyons autant que quiconque dans cette chance unique que nous
avons tous
d'être du Québec et nous croyons surtout dans les
possibilités d'avenir du Québec. C'est dans ce sens que nous
entendons continuer de travailler. Accepter l'échec du 13 avril comme
nous l'avons fait et comme je pense que tous les libéraux l'ont fait,
c'est une chose, mais il faut quand même se rendre compte que cela
comporte des exigences encore plus profondes que simplement respecter la
décision majoritaire des Québécois, décision qu'ils
ont prise d'une façon démocratique. Ces exigences comportent pour
tous les libéraux une volonté et une détermination
indéfectible de continuer le combat qui a toujours été
celui du Parti libéral du Québec, de le continuer en cherchant,
comme l'a indiqué le chef du parti dans son discours au début du
présent débat, à approfondir encore davantage les
idéaux et les valeurs qui depuis toujours ont été ceux des
libéraux du Québec. C'est donc l'idée même que nous
nous faisons de la société québécoise et du Canada
qu'il nous faut approfondir ensemble et je sais que tous les libéraux
entendent bien y associer l'ensemble de nos concitoyens.
Un des aspects peut-être majeurs du changement profond qu'a connu
la société québécoise, s'est exprimé au
cours de la campagne électorale. Nous avions une chanson thème
qui commençait par ces mots "Un Québec pour tout le monde". Je
pense que c'est la évoquer un changement profond qui s'est produit dans
notre société en ce qui a trait aux rapports entre la
majorité des citoyens québécois de langue et de culture
française et nos concitoyens, tout aussi québécois que
nous, qui sont de langue autre que le français ou l'anglais, et ceux
aussi qui nous sont venus des pays étrangers. Je pense que bien des
retards que le Québec a pris dans le passé s'expliquaient par
cette méconnaissance de la réalité humaine concrète
du Québec. Nous avons subi des retards considérables à peu
près sur tous les plans parce que cette méconnaissance entre les
deux grandes communautés culturelles du Québec, inscrite
même au Québec, a entraîné des débats
très durs, des débats souvent stériles entre ce que l'on a
appelé de part et d'autre les droits de la majorité et les droits
de la minorité.
Je pense que l'un des changements du contenu de nos discours et de nos
engagements politiques depuis quelques années au Québec, c'est
que l'on accepte de plus en plus dans tous les milieux, fussent-ils les milieux
même les plus nationalistes, d'abandonner cette dynamique dans laquelle
nous étions inscrits, peut-être forcément, compte tenu des
conditions historiques qui ont prévalu au Québec, cette dynamique
où l'un et l'autre groupe, le groupe majoritaire et le groupe
minoritaire, s'engageaient dans une lutte pour le pouvoir. Je pense que,
maintenant, nous avons gagné collectivement, que la
société québécoise a gagné une chose qui,
à mon avis, est une des plus belles choses, une des plus belles
promesses d'avenir, elle a gagné de part et d'autre une volonté
et une capacité, cette volonté que nous avons et cette
détermination que nous avons, tous les Québécois, quelle
que soit notre dénomination linguistique et culturelle, de travailler
ensemble et de nous percevoir -cela est très important - de nous dire
librement et d'être reconnus comme tels, comme d'authentiques
québécois. (16 h 20)
M. le Président, je me réjouis d'appartenir à une
formation politique qui, depuis toujours, a plaidé, dans son sein
même, dans la vie même du Parti libéral du Québec,
cette réalité. J'invite le gouvernement à
accélérer le processus, à tenir peut-être pour
acquis, à mettre dans le concret des choses les intentions que le
ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration évoque
à plusieurs reprises. Il faudra que cette volonté convainque
l'ensemble du gouvernement et qu'elle rejoigne l'ensemble des ministres, en
particulier le ministre d'État au Développement culturel et
scientifique et le ministre de l'Éducation qui, par leurs publications
et leurs discours, contredisent dans la réalité et le vécu
quotidien les aspirations qui ont été évoquées par
le ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.
Une voix: C'est vrai!
M. Rivest: M. le Président, nous entendons, nous de notre
côté - le député de Chomedey l'a indiqué au
ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration - poursuivre
dans cette voie. S'il est un acquis fondamental de cette présente
Législature, nous sommes fiers qu'encore une fois ce soit le Parti
libéral qui témoigne que la représentativité de
notre groupe de parlementaires - je sais que M. Ryan en tire une fierté
personnelle tout à fait légitime -sur ce plan-là, est
quelque chose de formidable, de nouveau et qui annonce la conception et la
définition d'une nouvelle société québécoise
où tous les Québécois pourront, au même titre, se
dire Québécois.
M. le Président, les engagements du Parti libéral du
Québec, de notre équipe parlementaire, ont toujours
été axés, je pense, sur l'idée de
développement, de modernisation et d'humanisation du Québec. Le
Parti libéral du Québec, au lendemain de cet échec
électoral, en voulant dessiner ou esquisser les perspectives d'avenir,
comme le chef du parti l'a fait au cours du présent débat, ne
part pas de rien. Bien sûr, nos adversaires politiques, hélas -
est-ce là le jeu ou enfin les inconvénients du système
politique ou des batailles électorales? - ne
cessent de littéralement caricaturer le Parti libéral du
Québec face à ce que le parti comme tel représente pour la
société québécoise.
Dans ces perspectives d'avenir que nous sommes décidés
à travailler et à concrétiser pour le plus grand avantage
du Québec, le Parti libéral du Québec a un
héritage, il a une tradition indiscutable et il a une loyauté aux
intérêts supérieurs du Québec qui ne se
démentent pas. Qu'on pense simplement, M. le Président, au niveau
des libertés publiques dans l'histoire politique des 20 ou 25
dernières années. N'est-ce pas le Parti libéral du
Québec qui, dans les années cinquante, a mené à
l'échelle du Québec le combat véritable des
libertés? Cette tradition, ces batailles que des hommes comme M. Lapalme
ont menées ont trouvé d'une façon tellement significative
leur concrétisation dans l'adoption par cette Assemblée d'une
Charte des droits et libertés de la personnel Encore aujourd'hui, le
Parti libéral du Québec est celui qui se bat dans l'ordre
constitutionnel contre nos adversaires du Parti québécois pour
affirmer, dans la nouvelle constitution canadienne, la reconnaissance de la
primauté des droits et libertés du citoyen contre l'État,
fusse-t-il l'État provincial ou l'État fédéral. Sur
le plan des libertés, le Parti libéral du Québec a quelque
chose à dire et il entend bien, j'en suis convaincu, continuer de le
dire.
De la même manière, je pense bien que, sans vouloir
être chauvin, lorsque l'on regarde toute l'évolution qu'a connue
le Québec au cours des 20 ou 25 dernières années, la
construction d'un État moderne, de cet État moderne du
Québec, de cette société qui est devenue et qui fait,
autant pour les gens du Parti québécois que pour les
libéraux, notre fierté commune d'appartenir à la
société québécoise, contrairement à ce qu'on
dit à certaines occasions dans les débats parlementaires ou sur
les tribunes électorales, le Parti libéral du Québec a
fait à ce titre sa large part et plus que sa large part. Je pense qu'il
a été l'artisan privilégié et l'artisan premier de
la construction du Québec moderne et, là-dessus, nous n'avons pas
de leçon à recevoir des gens du Parti
québécois.
C'est la même chose, M. le Président, quand on regarde les
ressources humaines. C'est une valeur fondamentale pour le Parti libéral
du Québec, non seulement au plan de la protection des libertés,
mais au plan de la valorisation des personnes, pour les aider à assumer
la plénitude de leur existence, à s'épanouir. N'est-ce pas
le Parti libéral du Québec qui, au détour, encore une
fois, des années cinquante, a mis l'accent sur les ressources humaines
du Québec? L'avenir du Québec se bâtit bien davantage par
ses ressources humaines et les deux grandes réformes qui ont
été faites: la réforme de l'éducation ainsi que la
réforme sociale; l'accès aux services d'éducation et aux
services sociaux, cela a aussi été une réalisation et une
grande ligne de forces du Parti libéral du Québec.
Aujourd'hui, on constate et on lit dans les journaux que, par exemple,
dans l'ordre économique, dans l'ordre social ou dans n'importe quel type
d'activité humaine, on constate avec fierté que les
Québécois occupent de plus en plus la place qui leur revient dans
la société québécoise comme dans la
société canadienne. Quand j'entends ou que je lis certains
commentaires reliant cela à la loi 101, je pense que, d'une façon
beaucoup plus fondamentale, ce qui amène véritablement la
promotion des Québécois, c'est bien davantage la réforme
de l'éducation et l'insistance qu'on a mise sur la formation de nos
ressources humaines.
M. le Président, le Parti libéral du Québec a
été également associé à la croissance
économique. Point n'est besoin d'insister. Je pense qu'il a toujours
affirmé que la base du progrès social et du progrès
culturel, c'est la croissance économique, et c'est là, encore une
fois, la perspective dans laquelle nous allons nous situer. Cette perspective,
le chef du Parti libéral, M. Ryan, en a parlé le soir des
élections du 13 avril, comme ici en cette Chambre. Sur le plan des
libertés individuelles, je pense que nous allons continuer d'affirmer la
primauté des libertés individuelles un peu à la
manière dont notre collègue, le député de Nelligan,
l'a fait d'une façon tellement magnifique lors de son discours en
affirmant - et c'est une valeur proprement libérale .- que cette valeur
est une valeur personnaliste et une valeur humaniste.
Nous ne sommes pas sans nous rendre compte qu'en raison même de la
complexité de notre société, on ne peut simplement
affirmer les libertés individuelles sans, à certains moments,
leur donner leur prolongement naturel par l'organisation des libertés
collectives. Le député de Chomedey donnait comme exemple, et avec
combien de raison, que c'est une chose de reconnaître le droit au
travail, mais que ce droit au travail que nous reconnaîtrions à
chaque travailleur, à chaque femme et à chaque homme qui
travaille au Québec serait à bien des égards illusoire si
nous n'y ajoutions pas des lois et des programmes qui protègent les
libertés collectives, qui reconnaissent aux travailleurs le droit de
s'associer et le droit de négocier librement leurs conditions de
travail. C'est la philosophie du Parti libéral du Québec sur le
plan des libertés et c'est cette philosophie que nous allons continuer
d'approfondir pour la traduire et lui donner une signification concrète
pour l'ensemble de nos citoyens.
De la même manière, autant le Parti libéral du
Québec a été celui qui a construit le secteur public au
Québec, autant,
aujourd'hui, nous sommes parfaitement conscients et le gouvernement
donne des signes, en ce moment, d'être conscient que le secteur public ne
peut pas maintenir le rythme de croissance qu'il a connu dans le passé.
Cela a des significations très concrètes, cela implique que nous
devrions et que nous allons devoir très prochainement nous tourner vers
l'initiative privée non seulement dans le domaine économique,
mais également dans le domaine social pour compléter et pour
donner peut-être, à certaines occasions, beaucoup plus
d'efficacité aux actions qui devront être menées.
J'évoquais tantôt la région de Québec. Je
regarde les jeunes diplômés qui sortent de la région de
Québec. Dans ma génération, les gens qui sont sortis des
universités ont pu se trouver des emplois dans la fonction publique,
dans tout le réseau des affaires sociales et des services de
santé comme dans le domaine de l'éducation, dans l'ensemble des
services. Mais aujourd'hui, aux jeunes diplômés qui sortent des
universités, allez voir combien le gouvernement du Québec offre
d'emplois par rapport à ce que nous avions. D'où vont venir les
emplois pour nos jeunes ingénieurs, nos jeunes techniciens, nos jeunes
spécialistes en informatique, nos jeunes scientifiques? D'où vont
venir ces emplois si ce n'est par le développement d'un secteur
privé dynamique? Cela aussi, c'est une valeur profondément
libérale. (16 h 30)
C'est la même chose dans le domaine social, sur le plan du
principe de l'universalité des programmes dans le domaine de
l'éducation, dans le domaine de la santé et des services sociaux.
Les grandes lois-cadres, les grandes lois comme le bill 60 et tout ça
qui ont jalonné l'histoire politique du Québecl
Aujourd'hui, pour le gouvernement même si son langage et son
discours refusent toujours de l'admettre - chaque fois qu'il y a un
problème administratif quelconque, on dirait que c'est la nation qui est
en péril. Je pense que le gouvernement et le milieu politique, le milieu
de la fonction publique devront désormais abandonner les grandes lois
qui encadrent tout un secteur pour se rendre, dans le concret des programmes,
mesurer l'efficacité réelle de l'argent qui est investi pour
améliorer ça et surtout introduire le principe de la
sélectivité dans nos dépenses sociales, parce que le
secteur public ne pourra pas indéfiniment absorber les dépenses
générales qu'on a faites il y a dix ou quinze ou vingt ans. Cette
sélectivité impose des choix, mais j'espère et je suis
convaincu que le Parti libéral du Québec va voir à ce que
les plus démunis de la société bénéficient
de ce genre de programmes.
Il y a aussi dans notre société - et c'est une valeur
qu'on va devoir promouvoir et dont on devra parler davantage - tous ces
succès passés des quinze ou vingt dernières années
du Québec sur le strict plan de la justice. Prenez, par exemple, la
réforme de l'éducation. Bien sûr, on peut parler de
l'accessibilité générale qui a été
donnée à tout le monde mais on sait très bien, et ces
chiffres ont été cités, que le taux de passage des niveaux
élémentaire au secondaire, secondaire au collégial et
collégial à l'université suit encore, après vingt
ans de réforme scolaire, la structure des revenus et des conditions
socio-économiques des familles. Sur le plan de la justice, on a dit: On
va permettre à tout le monde d'avoir accès à
l'éducation. Mais le fils ou la fille d'un col bleu, aujourd'hui, a
moins de chances que la fille d'un professionnel d'accéder à
l'université. Cela, c'est un problème de société et
un problème fondamental auquel on va devoir trouver la solution.
C'est la même chose au niveau des entreprises. Combien de fois, je
suis sûr que c'est également arrivé aux
députés d'en face, un chef d'entreprise nous dit: Moi,
j'investirais peut-être 10 000 $, 20 000 $, 100 000 $ additionnels dans
mon entreprise; je créerais cinq, dix, quinze, vingt emplois
additionnels mais je n'ai plus de motivation parce que, si je fais ça,
la fiscalité va venir me chercher les profits ou le petit profit que je
vais faire. Cela aussi c'est un problème. On va parler des petites et
moyennes entreprises. C'est un problème qui coûte très cher
en termes de développement actuellement au Québec, le poids de la
fiscalité, sans parler de la bureaucratie et de la réglementation
excesssive sur le dynamisme de nos entrepreneurs, surtout, M. le
Président, qu'en ce moment au Québec nous avons des
entrepreneurs, dans le domaine des affaires, vraiment dynamiques. Ce
choix-là à l'air d'un choix de libre entreprise, etc.
Au Québec actuellement, il y a 40% de tous les étudiants
en administration dans les facultés qui sont des jeunes
Québécois. Déjà notre jeunesse a compris que
c'était du côté du secteur privé que la croissance
et le développement d'une société devaient se faire. Et ce
choix-là, j'espère bien que le milieu politique et les partis
politiques et le gouvernement vont le comprendre et vont le traduire par des
politiques et des programmes qui font confiance à l'entreprise et
surtout qui libèrent l'entreprise de l'ensemble des fardeaux qui
l'accablent.
La même chose, M. le Président, sur le plan de la condition
féminine: permettre à l'ensemble des femmes du Québec de
participer activement; enlever tous les blocages qui ont historiquement
existé au Québec pour permettre aux femmes du Québec
d'assumer, dans toute sa plénitude, leur condition de citoyennes du
Québec et de
participer au progrès du Québec.
Sur le plan des régions, M. le Président,
également, cette idée qui avait circulé et qui a perdu sa
route quelque part dans les années soixante-dix, cette idée qui
était très forte dans les années soixante, avec
l'expérience qui avait été faite dans l'est du
Québec, quelle est la politique du gouvernement en ce qui concerne
l'Abitibi comme région, son développement sur les plans
économique et social, pour lui donner un plan de développement
intégré? On a fait des sommets économiques dans la
région de Montréal. On a annoncé pour la région de
Québec un sommet. Sans cloute qu'il y a là, et je le dis
très franchement, un moyen de remettre la dimension régionale
dans l'ensemble de nos préoccupations politiques. Cela aussi c'est une
perspective d'avenir qui intéresse tous les libéraux et le Parti
libéral du Québec et l'Opposition.
M. le Président, je voudrais dire juste un mot, en terminant, sur
l'économie. On a au Québec un ensemble de programmes qui
distribuent la richesse bien que - il ne faut pas se faire d'illusion, M. le
Président -toutes les études, autant au Canada qu'au
Québec, ont démontré que sur ce plan de la richesse
collective, l'écart entre les riches et les pauvres ne cessait de
s'agrandir. Cela aussi, M. le Président, c'est un problème social
dont il va falloir s'occuper dans l'avenir pour trouver les solutions qui s'y
appliquent. Néanmoins, il reste que, pour simplement financer l'ensemble
de nos programmes sociaux, si on ne se préoccupe pas de créer la
richesse, de mettre pour le vrai, mais vraiment pour le vrai, l'accent sur le
développement économique et de faire confiance au dynamisme de
nos entreprises, je pense qu'on risque de manquer le bateau. À cet
égard, sans doute que la prise de position fondamentale du Parti
libéral du Québec de dire: Nous allons rester à
l'intérieur du régime fédéral, nous allons, sur le
plan économique... Qu'on pense simplement à la question
énergétique, avec toutes les difficultés
constitutionnelles ou juridictionnelles qu'elle comporte, difficultés
sérieuses dont on doit se préoccuper. On se dit, finalement, en
regardant toutes les ressources et les moyens économiques dont dispose
le Canada, pays immensément riche sur ce plan, non seulement en termes
de richesses naturelles, mais pays riche en termes de ressources humaines,
d'expertises dans le domaine économique et riche de par sa
présence sur l'ensemble des marchés internationaux: Pourquoi
irions-nous, comme Québécois, renoncer à cette part que
nous avons dans les dynamismes, les moyens et les ressources au plan
économique du Canada? Pourquoi irions-nous renoncer à cela en
nous lançant dans la voie de la souveraineté? Parce que c'est le
développement même de notre économie qui s'en trouverait
affecté, parce que ces moyens auxquels nous renoncerions, nous ne les
aurions pas pour bâtir ici une économie plus forte et
élargir les programmes de distribution de la richesse qu'on
évoque.
Cela m'amène, M. le Président, à dire un mot de la
question constitutionnelle, des rapports entre le Québec et le Canada.
Je me rappelle avoir lu, au cours du référendum, et avoir entendu
les gens du Parti québécois affirmer qu'ils se situent dans la
continuité historique de la révolution tranquille, avec leur
conception ou leur perception de la souveraineté politique du
Québec. Chose assez curieuse, M. le Président, le premier
ministre n'a parlé dans son discours inaugural que de mettre le cap sur
l'avenir. Tous les "back-benchers", honorables à bien des égards,
se sont fait un devoir d'évoquer et de parler, de dire à cette
Assemblée, comme l'ancien député de Chauveau était
le seul à l'époque à le dire: Nous sommes favorables
à la souveraineté politique du Québec. Seul le chef du
gouvernement du Québec, le chef du Parti québécois n'a pas
eu ce courage, à l'Assemblée nationale, de dire que l'orientation
profonde qu'il évoquait par sa périphrase de la fin de son
discours en parlant de mettre le cap sur l'avenir, cela était la
souveraineté politique du Québec. Pourquoi ne pas le dire?
Moi, je ne conçois pas, honnêtement, que le Parti
libéral du Québec pourrait un jour mettre entre
parenthèses ce qui, pour nous, est l'essentiel de notre démarche,
c'est-à-dire notre appartenance et notre fierté d'appartenir au
Québec et d'appartenir au Canada. J'espère ne jamais voir le jour
où le Parti libéral du Québec mettrait entre
parenthèses la raison d'être de son existence même et de son
orientation.
J'entends encore M. Lesage au moment du référendum,
l'ancien premier ministre, qui a dit - et c'est cela, au fond, le sens de la
démarche - que le sens de la révolution tranquille n'a jamais
été celui de se diriger dans la voie de l'indépendance ou
de la séparation politique du Québec. Il a dit: Tout ce que nous
avons fait alors, cela n'a été que pour permettre aux
Québécois d'assumer et de contrôler dans toute sa
plénitude leur société et d'occuper leur place à
l'intérieur du Canada. C'est cela, le sens profond des efforts qui ont
été faits dans le passé et, que vous aimiez cela ou non,
le Parti libéral du Québec va continuer dans cette voie.
Là-dessus, il peut y avoir eu le 13 avril mais, il y a eu le 20 mai et
le 13 avril n'a rien enlevé au 20 mai. Les Québécois vont
continuer de donner leur plénitude d'adhésion au Québec et
leur plénitude d'adhésion à une réalité
beaucoup plus vaste qui s'appelle le Canada et qui est notre pays. Merci. (16 h
40)
Des voix: Bravo!
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du
gouvernement.
M. Claude Charron
M. Charron: M. le Président, je ne vous surprendrai pas en
m'adressant d'abord à vous et en ne manquant pas à l'usage
qu'à peu près l'ensemble de mes collègues ont
respecté jusqu'à ce jour. Je ne pense pas être
prétentieux en disant que, de toutes les promesses de collaboration que
vous avez reçues tout au cours de ce débat, une de celles que
vous attendez le plus, sans aucun doute, est celle de celui qui vous parle
puisque nous avons, plus souvent qu'autrement, l'occasion d'être
appelés à collaborer ensemble. Je vous prie, M. le
Président, de laisser surgir de vous le mouvement de confiance que vous
éprouvez envers moi; je ne vous inviterai pas à être aussi
généreux à l'égard du député de
Bonaventure, qui a été muet comme une carpe au cours de ce
débat, mais je sais aussi que son parlementarisme très
éprouvé est tel que vous devez envisager cette
Législature, avec vos deux vis-à-vis, avec beaucoup de
confiance.
Je crois, M. le Président, que vous pouvez être
assuré, du côté ministériel, en tout cas, comme vous
l'avez été, non seulement de notre respect, mais aussi de ce que
j'ai pu sentir déjà dans les propos de mes collègues, et
j'en suis fier. Nous abordons ce deuxième mandat du gouvernement du
Parti québécois avec, au-delà du respect que nous vous
devons, un sens des responsabilités qui vient très directement du
mandat de confiance que nous avons reçu de la population le 13 avril
dernier. Ce sens des responsabilités doit croître, dit-on, avec la
majorité. Nous sommes plus nombreux ici que nous ne l'étions
lorsque vous avez vous-même annoncé la dissolution de cette
Assemblée. En ce sens, nous devons nous sentir plus responsables, et je
crois que l'équipe qui en est à ses deux premiers mois
déjà est bien partie sous ce signe des
responsabilités.
Parlant de confiance, M. le Président, vous me permettrez aussi
de ne pas échapper à cet usage et, de ce fauteuil, de cette place
que j'occupe à l'Assemblée, de remercier les citoyens du quartier
Saint-Jacques à Montréal qui m'ont donné, pour une
quatrième fois et avant même que j'aie 35 ans, un mandat de
confiance qui m'honore grandement. Il n'y a pas de recette spéciale dans
le comté de Saint-Jacques. Il n'y a pas de mythe. Il n'y a pas de tout
fait. Nous avons fonctionné chez nous, M. le Président, avec la
même carte maîtresse qui, je crois, a été la
meilleure carte de chacun de mes collègues qui sont aujourd'hui des
députés du Parti québécois comme moi. Notre carte
maîtresse, au cours de cette campagne électorale, a sans aucun
doute été la personne du premier ministre. Je lui dois
déjà quatre victoires dans le comté de Saint-Jacques et la
dernière n'a pas fait exception.
M. le Président, je crois pouvoir dire, après ces
années, que si j'éprouve beaucoup de joie à être
connu comme député de Saint-Jacques à l'Assemblée
nationale du Québec, c'est pour une raison bien simple. Je suis
très profondément attaché aux citoyennes et aux citoyens
de ce quartier, à leur mentalité, à leur lutte, à
leur confiance. C'est dans ce quartier de Montréal, au milieu d'eux,
avec mon bureau ouvert à chacun d'eux, en plein centre du quartier, que
j'aime vivre. C'est dans les contacts et les amitiés que nous avons
tracés depuis maintenant onze ans que j'ai accepté et que j'ai
même aimé voir vieillir ma jeunesse. Ils m'ont fait confiance
à un âge où je le méritais à peine. Je leur
ai offert de mettre l'influence et les connaissances qu'ils m'ont permis
d'acquérir au cours de ces années au service du quartier pour un
autre mandat. Ils l'ont accepté plus nombreux que les trois fois
précédentes.
Notre quartier, ce coeur de Montréal, M. le Président, est
devenu le centre d'une grande ville. À ceux qui n'y voient et qui,
malheureusement, n'y verront toujours que du béton ou de l'argent
à faire j'ai témoigné, depuis plusieurs années
maintenant, et je témoignerai tout au cours de ce mandat, au milieu de
l'Assemblée nationale comme au centre du gouvernement, qu'il y a,
contrairement à ce qu'on pense, dans ce centre-ville, la chaleur comme
le talent, la créativité comme le souvenir, le goût de
vivre et l'impatience d'une société qui a confiance en elle.
Saint-Jacques est connu depuis maintenant onze ans. C'est ce coin de
ville qui d'élection en référendum et en élection
n'a jamais trahi sa fidélité au Québec. Je suis
très fier d'être le député de Saint-Jacques dans
cette Assemblée. Centre d'une grande ville, mais aussi centre d'une
île où ont choisi de vivre près de 40% de la population du
Québec. Lorsque dans cette Assemblée nous invoquons les
Québécois ou les Québécoises, deux sur cinq de ceux
dont nous parlons se trouvent - et même plus si on compte la population
de la ville de Laval - dans cet archipel, au milieu de notre fleuve. Ce n'est
pas un indice mineur que de penser que plus de la moitié de la
population du Québec est formée maintenant d'urbains, de
citadins.
Centre d'une grande île, j'ai eu l'occasion, au cours de cette
campagne de mars et avril 1981, d'assumer avec beaucoup de plaisir et de
facilité, je dois dire, la direction d'une équipe de candidates
et de candidats partout sur l'île de Montréal. Cette équipe
de Montréal - je le dis de cette Assemblée parce que je l'ai dit
tout au
cours de la campagne et j'en étais très fermement
convaincu - nous avions dans ces 33 candidates et candidats de l'île de
Montréal autant de qualité humaine en expérience et en
disponibilité que la fameuse brochette de candidats qui nous avait
été promise de l'autre côté pour l'ensemble du
Québec et qui n'est jamais arrivée.
Nous avions rassemblé, sur la seule île de Montréal,
des hommes et des femmes qui étaient prêts et disponibles à
venir travailler ici pour représenter ces 40% de Québécois
et de Québécoises. Ils ne sont pas tous ici, bien sûr, nous
sommes treize comme équipe de la région métropolitaine
ici. Tout le monde sait pourquoi nous ne sommes pas plus nombreux: Nos amis
d'en face, les premiers, et nous aussi, nous le savons très bien, mais
il y a une consolation à cela. Treize pour représenter autant de
citoyennes et de citoyens sur toute l'île? Tant pis! Nous allons faire
notre travail parce que nous avons cette conviction: Si nous sommes ici, c'est
que toutes les militantes et tous les militants de l'île de
Montréal, toutes les candidates et candidats de l'île de
Montréal méritaient autant que nous de venir ici. En
conséquence, nous devons travailler pour eux, aussi bien que nous allons
travailler pour les citoyens et citoyennes qui nous ont élus.
Consolation. Si nous ne sommes que treize - encore une fois, la raison
pour laquelle nous ne sommes que treize n'échappe à personne -
nous avons cette consolation importante, qui peut écorcher certaines
légendes qui existent et qui peuvent vous toucher de près, M. le
Président, je m'en excuse, mais nous représentons ici 68% des
francophones de l'île de Montréal, ce qui fait de l'île de
Montréal la meilleure région du Parti québécois
chez les francophones du Québec. Ce succès, auprès des
citoyens qui ont comme langue maternelle celle dans laquelle nous nous
comprenons cet après-midi, nous le devons sans aucun doute au fait que
nous avons travaillé en équipe, que cette équipe est
encore à l'oeuvre, mais aussi, parce que nous avions su, je crois,
contrairement au vide immense contre lequel nous étions, par la force
des choses, appelés à lutter, dresser un programme
régional pour ces 40% de Québécoises et de
Québécois qui a eu tout l'heur de rencontrer les objectifs et les
souhaits de cette population métropolitaine, dans le domaine social,
dans le domaine culturel et dans le domaine économique. (16 h 50)
Nous avions comme tableau de fond l'immense succès qu'ont
remporté les années de concertation clôturées par le
sommet économique de Montréal juste avant l'élection. Nous
avions cette capacité de présenter à nos concitoyens de
l'île de Montréal un programme concret; c'était un
programme, c'est devenu aujourd'hui un calendrier de travail. Je veux dire aux
citoyennes et aux citoyens de Montréal et à cette immense
majorité des citoyens francophones de Montréal qui nous ont fait
confiance et que nous représentons aujourd'hui que tous et chacun de ces
engagements que nous avons véhiculés à leur bon plaisir,
semble-t-il, et nous en sommes honorés, au cours de la campagne
électorale, nous sommes d'emblée à travailler à les
réaliser. Je dis, sans embages, mais pour que tout le monde le
comprenne, à les réaliser avec les contraintes et à
travers les contraintes que le contexte budgétaire implique à
Montréal comme partout ailleurs dans le Québec.
Un mot, M. le Président, mais un mot que j'espère clair
sur ce contexte budgétaire. Il était impossible de tenir des
engagements électoraux comme l'histoire ou le folklore électoral
du Québec en a laissé de si tristes souvenirs. Les gens à
qui nous nous adressions au cours de cette campagne - ce n'est pas seulement
vrai à Montréal, c'est vrai pour chacun de mes collègues
candidates et candidats qui ont été des représentants du
Parti québécois où que ce soit sur le territoire - les
citoyens, où que ce soit sur le territoire québécois,
auxquels nous nous adressions dans cette campagne électorale
étaient, M. le Président, si vous me permettez cette expression,
des citoyens échaudés. Nous venions de présenter ce budget
difficile présentement en discussion dans cette Assemblée, qui
venait tout juste d'être déposé ici et qui ne cachait pas
la vérité difficile des années qui pointent à
l'horizon; on n'avait pas camouflé. C'était même, a-t-on
dit, faire preuve de témérité ou à tout le moins de
courage - on choisira ce qu'on voudra - que d'avoir donné cette
indication avant même d'aller en élection. Certains nous avaient
dit que ce serait suicidaire de donner l'heure juste aux citoyens
québécois avant même d'aller leur demander un
renouvellement de confiance.
Cela n'a pas été notre opinion. Nous ne nous sentions pas
moralement capables de nous lancer dans cette campagne sans donner cette heure
précise et sans la décrire au cours de la campagne
électorale. Il n'y a pas une région du Québec où je
suis passé, en ce qui me concerne, et j'ai voyagé au cours de
cette campagne... Je sais que mes collègues, là où ils
étaient, parce que j'ai fait des assemblées avec plusieurs de
ceux qui sont ici aujourd'hui, ne cachaient pas non plus à nos
concitoyens québécois que, si nous leur demandions de nous faire
confiance et de nous donner la gouverne, ce n'est pas parce que nous les
amenions au paradis terrestre impossible et fictif; c'est au contraire parce
que ce qui nous pendait au bout du nez allait être des années
difficiles et qu'en conséquence il fallait une équipe ferme, une
équipe stable avec un pilote d'expérience et
dont la fidélité au Québec ne s'est jamais trahie,
pour traverser ces années. Cela a été le langage de notre
campagne électorale et c'est avec ce langage que nous sommes aujourd'hui
80 députés du Parti québécois.
M. le Président, quand je me suis permis de dire tout à
l'heure que les citoyennes et les citoyens auxquels nous nous adressions et qui
nous ont fait confiance n'étaient pas nés de la dernière
pluie, que j'ai même dit qu'ils étaient des citoyens
échaudés, voici ce que je voulais dire. Celles et ceux que nous
avions dans les salles, qui nous faisaient l'honneur de venir à nos
réunions, ceux et celles à qui nous nous adressions par la
télévision, ce sont des gens qui en 1970, M. le Président,
l'année où je suis entré dans cette Assemblée,
vivaient dans une société où le baril de pétrole
à Montréal coûtait 0,70 $. Ce sont des gens qui vivent dans
une société où, onze ans plus tard, le même baril de
pétrole dont nous avons toujours besoin et dont nous aurons toujours
besoin nous coûte collectivement et individuellement, dépendant de
sa source, 35 $. Ce sont des gens qui ont vécu ces années, qui
les ont traversées et qui, lorsqu'on parle d'un contexte
budgétaire difficile, comprennent ce langage, parce que eux-mêmes,
au cours de cette dizaine d'années, et même au cours des quatre
années de notre premier mandat, ont vécu ce que veulent dire
compressions budgétaires, rajustements, retard de certaines
priorités, abandon de certains luxes qu'on croyait pouvoir s'offrir,
obligation de repenser sa vie individuelle, sa vie de couple, sa vie de
famille, abandon de certains projets, en faire surgir d'autres plus modestes,
mais à la mesure du portefeuille. Les gens à qui nous parlions
savaient bien ce qu'ils vivaient individuellement, ou en couple ou en famille
depuis dix ans et que, un jour ou l'autre, l'État
québécois connaîtrait la même heure de
vérité. Le prix du baril de pétrole, ses
conséquences sur la vie économique ont bouleversé la vie
des citoyennes et des citoyens qui nous entendent. Il était bien normal
qu'à un moment, ce temps arrive pour les finances publiques aussi.
Ce temps est arrivé. C'est ce que nous avons dit aux citoyens du
Québec et personne ne peut dire le contraire. On peut développer
des programmes dans des cahiers rouges ou des cahiers jaunes qui pourraient
faire miroiter tout en même temps et pour toujours. Lorsque nos amis d'en
face ont publié ce document factice, ces propos sont tombés dans
l'oreille de sourds, parce que les citoyennes et les citoyens du Québec
savaient bien que le cahier rouge avec lequel on se promenait de comité
d'étude en comité d'étude était un cahier
irréalisable et qu'en conséquence, il valait mieux entendre une
équipe d'expérience, qui indiquait les priorités et qui
disait d'avance ou à peu près aussi clairement que possible les
choix qu'elle allait faire.
M. le Président, pour prendre une image que toutes les
Québécoises et tous les Québécois peuvent
comprendre, nous sommes collectivement, à ce moment-ci, le bateau
québécois, nous sommes cette société qui vit
ensemble et qui est appelée à vivre ensemble sur ce territoire
que nous ne voulons pas quitter et sur lequel nous avons choisi de vivre. Nous
sommes un peu comme un bateau qui, sur notre fleuve, ferait maintenant dos
à l'estuaire de jadis ou à la beauté du golfe qui
apparaît maintenant comme un temps qui ne reviendra plus. Si c'est vrai
que le mot Québec veut dire ce que nos concitoyens amérindiens
nous ont laissé comme vocabulaire, c'est-à-dire passage
rétréci, nous sommes exactement à Québec,
c'est-à-dire que la société québécoise, le
paquebot sur lequel nous vivons tous pour le meilleur et pour le pire, n'est
plus à une époque où tout pouvait lui être
permis.
Tout va se rétrécir en avant de nous et, en ce sens, la
qualité de l'équipage, la qualité du pilote était
l'enjeu du 13 avril dernier, comme nos concitoyens l'ont compris. Mais si cela
se rétrécit, si, avant longtemps, M. le Président, les
récifs, les îles, les rives mêmes vont avoir tendance
à se rapprocher de notre société pour l'obliger à
faire des choix encore plus serrés et encore plus dramatiques
même, à certaines occasions, cette société n'est pas
exempte de problèmes, loin de là, par définition. Quand on
s'engage dans un passage rétréci, à notre tour, comme
toutes les autres sociétés, je veux vous indiquer un certain
nombre de récifs qui nous attendent. Si l'instinct des citoyens du
Québec n'avait pas été aussi sûr qu'il l'a
été le 13 avril dernier et si l'équipage avait
été autre que celui qui assume maintenant la direction des
affaires du Québec pour quatre ans, je ne suis pas sûr que nous
aurions évité ces récifs, et je vous dirai pourquoi tout
à l'heure.
Je vais vous parler d'abord d'un récif qui s'en vient, M. le
Président, et ce n'est pas de la science-fiction politique que je suis
en train d'évoquer dans cette Assemblée. C'est une
réalité qui nous pend au bout du nez. Nous vivons des
compressions budgétaires. On véhicule l'ensemble des mots
"coupures", même si on veut dire par là, dans les faits, des
dépenses qui augmentent moins vite qu'on ne l'aurait souhaité,
mais qui augmentent quand même. À l'horizon, M. le
Président, - et l'horizon est tout proche, c'est avant le printemps 1982
- on va nous indiquer qu'une partie de nos taxes et de nos impôts que
nous envoyons chaque année à Ottawa et qui, traditionnellement,
nous revient d'Ottawa sous forme de partage de programmes dans
l'assurance-maladie, dans l'habitation, dans le développement
agricole.
C'est une partie de nos taxes et de nos impôts que nous sommes
habitués de recevoir, que nous entendons légitimement recevoir,
sur lesquels il y a eu une entente signée pour que nous les recevions,
mais l'heure est déjà indiquée que ces taxes et ces
impôts vont nous revenir moins nombreux qu'auparavant et qu'aujourd'hui
encore. (17 heures)
Autrement dit, ce récif qui nous attend, c'est bien simple, M. le
Président. Pour cette société qui, déjà, du
mieux qu'elle peut, dans la moitié des taxes et des impôts qu'elle
administre, est déjà en train de se soumettre elle-même
à des compressions budgétaires, il y a de mauvaises nouvelles qui
s'en viennent. Le retour de taxes et des impôts que nous attendions de
l'autre côté sera moins élevé et viendra
forcément avec plus de difficultés qu'auparavant. Cela s'appelle
- ça va remplir les journaux, nos concitoyens auront l'occasion de le
lire - les négociations financières avec le gouvernement central
tel qu'il s'engage actuellement. L'heure est indiquée non pas à
un surplus, bien au contraire.
Je vous prédis une chose, M. le Président, c'est que nous
allons vivre dans cette négociation d'argent, c'est-à-dire
combien d'impôts et de taxes vont revenir au Québec de ce que nous
envoyons chaque année, comme citoyens, à Ottawa, le même
scénario que celui que nous avons vécu sur le plan
constitutionnel. Il y aura des pseudonégociations, il y aura des
semblants d'ouverture; on viendra, ministre des Finances, ministre des Affaires
intergouvernementales, premier ministre, parader à tour de rôle,
à dix ou à la pièce, devant le gouvernement central pour
réclamer, invoquer au nom des Québécois que cet argent
doit nous revenir parce qu'il nous permet de maintenir des services essentiels
aux citoyens du Québec. Et puis après, M. le Président,
lorsque le "show" aura eu lieu unilatéralement, sans consultation plus
grande que celle qui aura été fictivement menée et sans
même concertation avec les provinces, on tranchera et on dira: Voici, des
taxes et des impôts que les Québécois paient à
Ottawa, il y a cela qui retourne au gouvernement du Québec, et pas
plus.
Ce qui veut dire, M. le Président, que si j'étais en
mesure de vous sortir aujourd'hui un mémoire Pitfield ou un
mémoire Kirby qui vous décrirait machiavéliquement comment
la négociation constitutionnelle avait été truquée
depuis le début, celle qui va s'engager sur les ressources
financières du Québec, ce récif qui nous guette, est faite
de la même façon; c'est la même texture, la même
farine, parce qu'elle est faite par les mêmes hommes à Ottawa qui
éprouvent à l'égard du Québec comme, semble-t-il,
pour l'ensemble des provinces, le plus souverain des mépris,
actuellement, comme administration locale.
Parlons non seulement de ce récif qui nous attend et qui s'avance
vers les finances publiques québécoises, mais aussi de celui qui
déjà nous préoccupe et que notre navire
québécois tente de contourner depuis bientôt un an, celui
qui s'attaque à la coque même de notre navire, celui des droits de
cette Assemblée à légiférer. Je veux parler du coup
de force constitutionnel dont on attend, même après un an de
palabres, de savoir -question prioritaire, m'auriez-vous dit au début,
mais il a fallu le réclamer pendant des mois - s'il est même
légal ou illégal. Dans le cas où il ne le serait pas, il
semble bien que la conclusion sera facile à tirer. Dans le cas où
il le sera, ce sera à cette Assemblée de réagir. Ce
récif qui nous guette, M. le Président, c'est celui de dire
à cette Assemblée qu'elle n'a plus le droit, que les élus
du peuple québécois n'ont plus le droit, n'ont plus la
juridiction reconnue de légiférer sur des sujets sur lesquels
cette Assemblée légifère depuis qu'elle existe.
C'est-à-dire, par exemple, que nous avons toujours tenu, et nos
ancêtres n'auraient jamais conclu ce pacte si on n'avait écrit
noir sur blanc la question des écoles françaises et des
écoles anglaises du Québec. Qui va à l'école
anglaise et qui va à l'école française au Québec,
c'est ici que ça se décide. C'est selon le climat de la
société, tel que la société l'indique lors des
élections générales du peuple québécois, que
ça se décide. C'est une juridiction exclusivement et totalement
québécoise. Pourquoi, M. le Président? Parce que, c'est
simple, c'est notre santé sociale qui est en jeu. Qu'un gouvernement ici
fasse une mauvaise loi en matière linguistique et vous avez des tensions
raciales, ethniques, sur le territoire de Montréal, que
j'évoquais tantôt, encore plus qu'ailleurs. Que le gouvernement
fasse un bon coup et réagisse comme le peuple québécois
souhaite qu'il réagisse à un moment, et nous vivons dans une
période d'accalmie.
Cette juridiction est un baromètre de la santé
démocratique du Québec. Aucun gouvernement qui s'est
adressé à vous de ce côté-ci de la Chambre depuis
qu'elle existe n'aurait même envisagé de concéder une
parcelle de cette juridiction, tellement c'est la santé du Québec
qui est en cause. Mais voilà, M. le Président, que, si le coup de
force obtient son blanc-seing du côté légal et qu'il
demeure toujours aussi illégitime, voilà ce qui nous arrive.
Voilà que cette Assemblée sera dépourvue de ce
droit-là.
De même, cette Assemblée a toujours tenu comme à la
prunelle de ses yeux à décider entre Québécois de
la protection de nos travailleurs, de leur mobilité, de leur droit de
gagner leur vie dans leur langue, ici au Québec, de leur réserver
des chantiers, de
permettre la croissance économique du Québec par les
Québécois. Il n'y a pas un gouvernement qui a été
de ce côté-ci de la Chambre qui a accepté de céder
une partie de ça. Voilà que ça nous serait enlevé
aussi, parce que la charte ferait que nous serions soumis à une grande
aventure, qui plaît beaucoup, semble-t-il, à certains de nos amis
d'en face, mais qui plairait moins aux travailleurs québécois
s'ils devaient en subir les conséquences.
Ce récif qui s'attaque à notre Assemblée, M. le
Président, nous nous efforçons politiquement, en faisant
même appel au peuple le 13 avril dernier, aussi bien que juridiquement,
en allant jusqu'au tribunal suprême de ce pays, tous les recours ont
été essayés, nous essayons de le contourner. Mais, il est
toujours là. C'est parce que je l'évoque, M. le Président,
et que j'ai souvenir d'avoir saisi cette Assemblée de ce danger, au mois
de novembre dernier, que j'en viendrai à parler de nos amis de
l'Opposition.
Je vous dis ce qui est dit déjà par les tribunaux; la Cour
d'appel du Québec: cinq juges sur cinq ont confirmé que, si le
coup de force fédéral connaissait son aboutissement, il est clair
au yeux des magistrats que la juridiction du Québec serait
diminuée; le tribunal de Terre-Neuve: trois juges sur trois ont
évoqué l'opinion que oui, effectivement, si le coup de force
était réalisé, le Québec aurait moins de pouvoirs
qu'il n'en a actuellement; au Manitoba: quatre juges sur cinq,
déjà, avant même l'avis du tribunal suprême, ont dit
oui, si le coup de force était réalisé, ceux qui sont
élus à l'Assemblée nationale du Québec seraient les
membres d'une assemblée diminuée, rétrécie, plus
petite qu'elle ne l'était même lorsque le Québec, en 1867,
comptait à peine un million et demi d'habitants.
Croyez-le ou non, M. le Président, après avoir vu le
comportement du Parti libéral du Québec l'automne dernier,
après avoir entendu ces gens naviguer de gauche à droite,
à bâbord et à tribord, au cours de la campagne
électorale, et après avoir entendu ce qu'ils ont dit au cours de
ce débat, comme si pour certains la leçon du 13 avril
n'était pas encore entrée - au point que je ferai un effort pour
leur expliquer ce qui leur est arrivé le 13 avril dernier - ils n'ont
pas encore compris. M. le Président, laissez-moi vous dire une chose: il
y a à votre gauche, j'en suis convaincu, des gens qui, il n'y a
même pas deux mois, ont sollicité des citoyens du Québec de
devenir des membres de l'Assemblée nationale du Québec et qui
acceptent que l'Assemblée nationale du Québec diminue pendant
qu'ils sont là. Il y a des gens qui ont sollicité l'honneur de
représenter les Québécois dans une Assemblée dont
les pouvoirs sont protégés depuis 1867 et qui, ici, à leur
première intervention à l'Assemblée, se lèvent et,
après, bien sûr, avoir affirmé leur fierté d'usage
d'être Québécois, se lancent dans les louanges de la charte
des droits et les hommages au souverain chef à Ottawa, en oubliant celui
qu'ils traînent encore. (17 h 10)
M. le Président, il y a, à votre gauche, des gens qui ont
affirmé carrément qu'ils acceptent que le Québec devienne
plus petit qu'il ne l'est dans le Canada. Revenons un moment au 13 avril. Le
revirement, annoncé par le député de Jean-Talon tout
à l'heure dans la conclusion pour son parti, auquel nos amis
libéraux sont maintenant appelés - je n'ai pas de conseil
à leur donner, bien sûr, et je suis probablement le dernier duquel
ils accepteraient d'en recevoir, je le sais aussi, c'est mon droit de livrer
ici une analyse, telle que je la vois, comme militant du Parti
québécois et comme des milliers de citoyennes et de citoyens -
après que le peuple se soit prononcé le 13 avril dernier, est
beaucoup plus profond que vous ne le pensez.
Je les soupçonne, M. le Président, parce que je les
connais, de tenter de régler le bilan du 13 avril de la façon
expéditive avec laquelle ils ont l'habitude de le faire. Depuis 30 ans,
M. le Président, dans ce parti, on a l'habitude, au lendemain d'une
défaite, d'éteindre tout de suite l'examen en profondeur; on
change de chef. Nommez-moi un chef, dans votre parti, depuis 30 ans, qui a
résisté à une défaite. Vous les basculez par-dessus
bord un an, six mois, deux ans après et puis voilà, c'est fait.
L'opération renouveau recommence, on relance une nouvelle organisation,
on est tout à fait tout nouveau tout beau, et on continue à
véhiculer les mêmes affaires.
Ce que j'ai su, M. le Président, c'est que cette opération
délicate est déjà en train de se tramer chez nos amis d'en
face. Je vais vous dire clairement que le Québec de 1981 ne vous a pas
simplement donné l'avis de changer de chef - j'estime, effectivement,
qu'il ne le voulait pas comme premier ministre - il ne vous a pas
signalé seulement de vous relancer dans une nouvelle opération de
maquillage, il ne vous a pas dit non plus que votre défaut était
d'avoir une mauvaise organisation. C'est votre problème, M. le
Président, et c'est leur problème si le grand stratège des
élections partielles dans D'Arcy McGee et Notre-Dame-de-Grâce, ces
victoires éclaboussantes, a été à la fois celui qui
devait conduire le parti à la victoire chez les francophones.
M. le Président, cette analyse est à eux. Ils ont des
structures démocratiques à l'occasion. Ils ont des structures
qu'ils peuvent utiliser et c'est à eux de faire cette analyse. Ce que je
veux vous dire, c'est ce pourquoi vous avez été défaits le
13 avril
dernier. Malgré toute la certitude - elle était belle
à voir, je le dis aux nouveaux de la députation libérale
qui sont ici; n'ayez pas de crainte là-dessus, ils étaient fiers
et ils vous représentaient bien, ceux qui étaient ici l'automne
dernier, dans votre formation politique - que vous aviez de reprendre
possession de ce que vous considérez, chaque fois que vous mettez la
main dessus, comme votre propriété exclusive, cette certitude ne
s'est pas réalisée pour l'excellente raison qu'à compter
de novembre dernier, il est devenu plus clair que jamais - et cela c'est ce que
j'appelle être plus important que de changer de chef ou changer
d'organisateur en chef - qu'on ne sait pas pour qui vous êtes. On ne sait
pas sur quel pied vous allez danser demain. Vous aimez vous pavaner dans le
Québec avec ce merveilleux slogan qui vous a donné des heures de
gloire, j'en suis convaincu, et des succès relatifs dans certains
comtés lors des élections partielles. Vous dites: "Nous
choisissons le Québec et le Canada", ce qui vous permet de courtiser
deux clientèles à la fois, bien sûr. Quand vous êtes
devant une clientèle dont la tendance est plutôt Canada, vous
mettez en évidence le deuxième aspect de la chose et, quand vous
avez une clientèle un peu plus récalcitrante et, je dirais, un
peu plus tentée de donner une poussée au côté
québécois, alors vous faisiez - je dis vous faisiez -miroiter
l'autre aspect.
Très bien, vous avez le droit de choisir le Québec et le
Canada; nous aussi, dans un sens. Nous avions choisi le Canada sur une base
d'égalité, associés entre pays souverains. Vous, vous
choisissez le Canada comme -votre livre beige l'écrit en toutes lettres
-une province parmi dix avec rien de plus que les autres. Bien, c'est votre
choix et c'est notre choix.
Mais il y a une question à laquelle vous n'avez jamais
répondu ou plutôt si. On ne sait jamais comment vous allez
répondre parce que vous répondez de façon contradictoire.
Quand le Québec et le Canada ont des intérêts divergents,
lequel des deux choisissez-vous? Quand cela ne va pas nécessairement
ensemble, le choix, à cause des priorités de l'un et des
priorités de l'autre, vous ne pouvez pas dire que vous choisissez les
deux à la fois. Moi, je vous ai vus dans cette Assemblée, par
exemple, lorsque le gouvernement fédéral, votre parti au niveau
fédéral, s'est lancé dans le vol de la taxe de vente des
Québécois. À ce moment-là, on a
présenté une motion ici et vous l'avez endossée. Je crois
que, ce jour-là, vous avez choisi le Québec. Cela ne vous
coûtait pas cher. Ce n'était pas une bataille à finir. Le
calme était relatif dans le parti. Vous n'aviez pas à calmer les
plus chauds partisans de Trudeau qui vous entourent. En ce sens-là,
c'était vivable comme crise à l'intérieur du Parti
libéral.
Mais quand on vous a demandé de choisir le Québec quand
les pouvoirs de l'Assemblée nationale étaient menacés
à l'automne dernier, on vous a attendus pendant des semaines. Vous avez
multiplié les caucus à n'en plus finir. Cela a donc l'air
difficile dans le Parti libéral du Québec, quand les
intérêts du Canada et du Québec ne sont pas convergents, de
replâtrer les ailes nationalistes, fédéralistes,
trudeauistes! Pendant que le chef de l'Opposition se lamentait sur le coup de
force fédéral, le député de Verdun était
rendu au premier rang du banquet de Trudeau et l'applaudissait à tout
rompre. Pendant que quelques-uns des députés libéraux et,
à ce qu'on a pu savoir par ses révélations mêmes,
Mme l'ex-députée de Prévost étaient remplis
d'émotion à l'idée de devoir voter contre le Québec
avec leurs collègues et se plier à la majorité de leur
caucus, il y avait Larry Wilson, le président de ce parti, qui endossait
le coup de force fédéral. Comment allez-vous replâtrer cela
à un moment donné? Quand le Québec et le Canada ne sont
pas ensemble, comment faites-vous le choix et quelle est votre priorité?
Tant qu'on ne le saura pas... M. le Président, je le dis à
n'importe quel pseudoaspirant à n'importe quel poste dans le Parti
libéral: Ce qui vous a coûté la victoire ce n'est pas le
marketing, ce n'est pas l'organisateur en chef, ce n'est pas parce que vous
aviez "canné" toute votre publicité sous la bande
référendaire ou que vous pensiez l'emporter aussi aisément
que cela. Ce qui vous a coûté la victoire, c'est que, quand on
regarde le Parti libéral du Québec, on ne sait pas si, un jour,
il est avec le Québec et si, le lendemain, il va abandonner le
Québec.
M. le Président, quand Pierre Elliott Trudeau dit, au cours d'une
campagne électorale: Je veux négocier avec M. Ryan, je
m'entendrais mieux et cela irait mieux si je négociais avec le Parti
libéral du Québec plutôt qu'avec le Parti
québécois, cela veut dire quoi, vous pensez? C'est bien
sûr, M. le Président, que Pierre Elliott Trudeau aimerait mieux
négocier avec le Parti libéral du Québec. Avez-vous
déjà vu une balayeuse qui n'aime pas un tapis, M. le
Président?
Des voix: Ah!
(17 h 20)
M. Charron: Avez-vous la certitude que Pierre Elliott Trudeau ne
saurait pas faire de nos amis d'en face des silencieux compagnons parce que
Pierre Elliott a donné son opinion sur le Parti libéral du
Québec. Il a dit, dans un télégramme qu'il a
adressé au premier ministre pour nous féliciter - je n'oserais
pas dire sincèrement - de la victoire du 13 avril: "M. le premier
ministre du Québec, permettez-moi de vous offrir à vous et au
Parti québécois mes plus sincères félicitations
à l'occasion de votre victoire
électorale d'hier." Le texte ne dit pas combien de temps a
été mis entre chaque mot pour l'écrire.
Je lis le deuxième paragraphe. Vous voyez ce bon vieux Canadien
français qui nous représente à Ottawa: "À vrai
dire, dit le premier ministre fédéral, les résultats de
cette élection n'étonneront vraiment que ceux qui ignorent la
prudence légendaire des Québécois qui ont toujours
refusé de mettre tous leurs oeufs dans le même panier." Il est
encore un tantinet rural, notre excellent ami, le premier ministre du Canada:
Le même panier! Ce que votre allié vient de dire, ce que votre
allié que vous adorez, pour lequel vous travaillez lorsqu'il y a des
élections fédérales, pour lequel la structure de votre
parti devient une bouffée dans la machine lorsqu'il y a des
élections fédérales, dit c'est que vous êtes le
même panier, qu'il vous a dans sa poche, qu'il fait de vous ce qu'il
veut, que vous êtes attachés et que quand il voudra que vous
choisissiez le Canada plutôt que le Québec, vous allez faire ce
que vous avez fait au mois de novembre, vous allez abandonner le Québec
et vous allez choisir le Canada. Il dit que vous êtes à sa main,
à sa merci. Les Québécois l'ont vu, ils l'ont senti.
Je ne sais pas si c'est la "prudence légendaire", mais j'aime
mieux la phrase du chef de l'Opposition dans sa réplique au discours
inaugural: Je crois que le peuple, dans sa sagesse historique, disait-il, si je
ne me trompe pas, a reconnu ceux qui travaillaient dans la trame de son
histoire. C'est ça. Vous avez tout abandonné, vous nous avez
accusés de nous être approprié les symboles du
Québec. Oh scandale! des députés libéraux
dénoncent en pleine Assemblée notre appropriation des symboles du
Québec! Qu'est-ce que vous vouliez que nous prenions? Nous sommes
à ce point confiants dans le Québec que nous souhaiterions
même... Nous sommes convaincus que si la totalité de nos taxes et
de nos impôts, nos lois et nos relations extérieures
étaient totalement entre nos mains, nous nous débrouillerions
aussi bien que n'importe quel autre peuple du monde, alors, nous avons pris le
drapeau du Québec et nous le sortons. Lequel vouliez-vous qu'on ait?
Celui de L'Acadie pour nous faire mal? Celui de la Louisiane pour nous faire
peur? Nous avons pris celui qui nous honore, qui flotte au-dessus de cette
Assemblée et qui est celui dans lequel l'immense majorité des
Québécois, lorsqu'ils le voient à l'étranger, se
ressentent et se reconnaissent.
Mais plutôt que de nous attaquer parce que nous l'avons
utilisé, puis-je vous retourner la question: Pourquoi l'avez-vous
caché? Qu'est-ce qui vous a obligés, parce que vous étiez
fédéralistes, à arborer l'unifolié sans le drapeau
du Québec? Pourquoi en est-on rendu que dans vos assemblées c'est
devenu gênant? On est péquiste suspect si on arbore le drapeau
fleurdelisé. Comment se fait-il que dans vos congrès dès
que quelqu'un a une phrase, au micro, qui revendique des pouvoirs pour le
Québec il se sente obligé, s'il ne veut pas se faire huer, s'il
ne veut pas avoir des comptes à rendre, de terminer par une
sérénade fédéraliste qui lui permet de rendre
hommages aux montagnes Rocheuses, en passant? Comment se fait-il que dans un
parti qui nous a donné la fierté d'être
Québécois, lors de la révolution tranquille de 1960, ce
sont aujourd'hui presque des symboles à l'index? C'est votre faute.
Personne ne vous a obligés à abandonner le drapeau
québécois. Personne ne vous a obligés à le faire,
mais c'est parce que vous étiez dans le même panier et parce que
dans le panier où vous vous trouvez, il n'y a qu'un drapeau, il n'y a
qu'un gouvernement qui compte; les autres sont des administrations locales.
Et tant que vous allez travailler... Peut-être pas vous, les
membres de cette Asssemblée, jamais je n'oserai le croire, même si
les indices se multiplient pour ébranler ma plus féroce
crédibilité, mais il ne faut pas aller loin dans la structure qui
vous a fait élire pour que vous sentiez vous-mêmes que cette
structure appartient d'abord à la machine fédérale et
qu'elle vous est prêtée lors des élections provinciales,
mais le coeur du Parti libéral, le "hard core" du Parti libéral,
c'est d'abord et avant tout la machine fédérale
fédéraliste.
En conséquence, ce que vous avez mis en veilleuse, et ce qui vous
a coûté l'élection, c'est votre attachement au
Québec. Comprenez que quelque parti que ce soit, et nous ne sommes pas
éternels ici, je suis même sûr que nous allons commettre un
jour suffisamment d'erreurs pour que les gens souhaitent changer de
gouvernement et c'est tout à fait légitime... mais une chose dont
je suis certain à partir de 1981, c'est qu'il n'y a pas un parti
politique qui va venir ici sans que son allégeance au Québec, sa
fidélité au Québec soit indubitable et qu'elle soit sans
question, parce que le Québec est rendu là au moins.
M. le Président, il me reste la grosse question à poser,
ce défi profond que les électeurs et électrices
québécois ont lancé au Parti libéral. Ce
défi profond d'aller plus loin que la traditionnelle recette du
changement de chef qu'hier, tout le monde vantait et qu'aujourd'hui, tout le
monde poignarde dans le dos.
M. le Président, je vais leur dire que maintenant que votre
faiblesse est si profondément et si publiquement étalée,
est-ce que vous êtes capables de vous ramasser comme
Québécois? Est-ce que vous êtes capables même dans le
même panier d'avoir suffisamment d'audace pour sortir la tête
à l'occasion?
M. le Président, ils sont tous convaincus que c'est le coup de
force constitutionnel, que c'est l'arrogance de Trudeau qui leur a
coûté la victoire. Ils seraient tous ici, ils se voyaient
déjà ici, comme dit la chanson, il y a à peine quelque
temps. Y a-t-il quelqu'un de votre côté - ça va commencer
par là - qui va le dire un jour? Est-il si fort et si grand que
ça sur vous pour que vous acceptiez l'humiliation dans laquelle il vous
traîne depuis le 20 mai? Depuis le 20 mai, vous avez l'air de matelots en
goguette et vous n'avez été consultés en rien sur la
réforme constitutionnelle. Le calendrier s'est fait sur votre
tête. Vous aviez l'air du dindon de la farce, à un moment
donné, au vu et au su de tout le monde. Je ne m'en cache pas,
j'étais un des ministres qui recommandaient au premier ministre de
retarder l'élection au printemps. J'étais sûr qu'à
la longue votre jupon dépasserait; il a non seulement
dépassé, mais il était à ce point peu invitant que
vous êtes dans l'Opposition pour un autre quatre ans.
M. le Président, la question qu'il me reste à leur poser:
Le pouvez-vous? Est-ce que le Parti libéral du Québec peut
travailler, peut choisir le Québec dans le Canada, si vous le voulez,
mais choisir le Québec d'une manière indubitable, le pouvez-vous
avec la structure que vous avez, avec l'alliance que vous avez, avec les amis
embarrassants et encombrants que vous avez? Est-ce que je vais vivre assez
longtemps dans cette Assemblée, j'ai bien la moitié de mon temps
de passé dans cette Assemblée sans aucun doute - je ne cours pas
après le record du député de Bonaventure - pour voir une
fois dans ma vie, avant de partir d'ici, un député du Parti
libéral du Québec qui se lève et qui parle dans les
intérêts du Québec, même si cela doit heurter la
machine fédérale? Est-ce que cela se peut d'espérer du
Parti libéral québécois que cet attachement au
Québec qui devrait être, à mes yeux, la condition
première qu'un jour dans sa vie professionnelle on en vienne à
solliciter d'être un membre de cette Assemblée, un
député du Québec, sans être obligé de mettre
les sourdines, la caution morale, le salut de circonstance à
l'unifolié ou à celui qui l'incarne à Ottawa, du coeur
québécois intervienne dans cette Assemblée et dise: Je
n'accepte pas que ce que mes ancêtres avaient accepté en 1867 et
exigé en 1867 nous soit enlevé. (17 h 30)
Peut-être que l'histoire toute prochaine nous fournira l'occasion
d'entendre ce discours historique s'il est appelé à survenir,
mais je dois dire que les signes avant-coureurs que nous a laissés le
débat sur le discours inaugural ne nous promettent rien de bon à
cet égard, M. le Président. Non. Attention! Ce dont vous avez
besoin, ce n'est pas un nouveau mirage de renouveau, parce que vous avez vu
vous-même au cours de la campagne électorale que le renouveau a
sauté assez vite. Vers la fin de la campagne, on voyait rebondir
Bourassa -toujours de service, pour ne pas se faire oublier - Saint-Pierre,
Castonguay, Toupin et...
Une voix: Camil Samson.
M. Charron: Samson, bien sûr, et comme crémage sur
le gâteau, M. le Président - mais cela, vraiment, on aurait pu
s'en passer - Louis-Philippe Lacroix. Je pense que le renouveau venait d'en
prendre un sérieux coup à ce moment-là. Quand on a vu tous
ces anciens de l'ancien régime réapparaître au cours de la
campagne, je me souviens d'une remarque qu'un citoyen m'a faite à
Shawinigan, dans le comté de mon collègue de l'Énergie et
des Ressources; il m'a dit, en parlant de tous ces revenants, dans le cadre du
renouveau: C'est bien pour dire, c'est la première année que je
vois arriver les corneilles avant les outardes!
Des voix: Ah! Ah!
M. Charron: M. le Président, le renouveau à faire
est plus en profondeur que cela et laissez-moi vous raconter cet incident,
avant de conclure. Incidemment, l'autre jour, par hasard, dans les couloirs de
cette Assemblée, j'ai rencontré un député -on m'a
dit qu'ils étaient plusieurs, mais j'en ai vu un - du Parti
libéral, qui arborait comme moi le symbole de la fête nationale du
Québec. J'ai dit: II y en a un au moins qui a "poigné" la
leçon du 13 avril. C'est nouveau. Mais je veux vous dire, M. le
Président, au cas où vous croiriez que mon analyse s'arrête
là, que je trouve cela très superficiel également comme
vous et vous auriez peut-être meilleure grâce à dire
à votre collègue qu'il ne suffit pas d'arborer un bouton pour
qu'on croie que votre attachement au Québec est revenu. J'ai ici -je
pourrais vous le citer, je l'avais apporté au cas où mon discours
m'y entraînerait -des citations de votre collègue, le
député de Saint-Laurent, le 8 juin 1978 où il nous
dénonçait de faire du 24 juin la fête nationale du
Québec et où il nous traitait de tous les noms. Les temps ont
changé. Je crois qu'il faudrait peut-être raccommoder les
esprits.
Une autre aile quelconque est peut-être en train de naître
dans le Parti libéral, M. le Président. Vous avez raison, madame,
il s'agit d'un geste purement superficiel que posent vos collègues
actuellement et j'espère bien qu'à l'intérieur du caucus,
si vous y avez encore quelque influence, vous saurez lui faire remarquer que le
renouveau qui est demandé maintenant va beaucoup plus loin
que le vocabulaire ou le bouton. Je croirai la sincérité
du député qui arbore le bouton et son attachement au
Québec, pas s'il arbore le bouton, mais lorsqu'on lui demandera s'il
accepte la diminution des pouvoirs de l'Assemblée nationale du
Québec. Qu'il me dise clairement, aussi clairement et
profondément qu'il puisse le ressentir, qu'il ne l'accepte pas, qu'il
n'est pas homme à avoir sollicité d'être élu le 13
avril pour accepter, deux mois après, que cette Assemblée perde
des pouvoirs pour lesquels il a été élu.
Quant à nous, M. le Président, quant aux militants et aux
militantes du Parti québécois, j'endosse l'affirmation qui
était la conclusion du député de Jean-Talon. Bien
sûr qu'il ne nous faut pas, nous aussi, penser que le vote que notre
parti a reçu est un vote en faveur du projet fondamental pour le
Québec que nous véhiculons depuis que nous existons. Pas du tout.
Mais personne ne peut nier, toutefois, que c'est sur cette base que les
militants et les militantes du parti devraient maintenant travailler, à
mon avis. Il s'est agi d'un vote de confiance dans le Québec, sans aucun
doute et en ce sens un vote de confiance dans le Québec,
développé pour le Québec par les Québécois,
c'est un vote qui nous permet d'envisager l'avenir avec
sérénité. Oui, c'est vrai, mais si vous me permettez, M.
le Président, dans les toutes dernières minutes qu'il me reste,
je m'adresse à mes propres collègues, cette fois, je ne veux pas
ajouter à ce que j'ai cru très sincèrement devoir dire
à mes collègues membres du Parti libéral, en m'adressant
plus particulièrement à mes collègues et à celles
et ceux qui, dans tous les comtés du Québec, ont fait que nous
avons tous l'honneur aujourd'hui d'être des députés du
Parti québécois, à celles et ceux qui font le Parti
québécois depuis douze ans, à celles et ceux qui nous ont
donné cette magnifique victoire.
J'ai retrouvé ce qui me manquait, M. le Président, en
allant relire cet extraordinaire écrivain et ce grand militant qu'est
Pierre Vadeboncoeur. Chaque fois que ma confiance a soif, je retourne
m'abreuver chez Vadeboncoeur. Il fallait, M. le Président, que je
retrouve des pages qui s'adressent exactement à nous en ce temps-ci.
Nous, les militants et les militantes du Parti québécois
et de la souveraineté du Québec, il nous faut désormais
plus que jamais insister sur la constance, parce que notre pire travers
national, c'est probablement la fragilité. Je suis persuadé que
nos adversaires le calculent comme un de leurs atouts et ils n'ont pas tort. Je
crois qu'il faut établir clairement, pour les années qui
viennent, qu'il y a une contradiction entre un nationalisme impatient,
ultranerveux, qui voit les réalités dans une optique de
compétition olympique, on gagne, on perd et c'est tout, et, d'autre part
-c'est ce que j'ai découvert, M. le Président, depuis le 13
avril, je vous fais cette réflexion - j'ai découvert que
j'étais à bord, et les citoyens ont voulu que j'aie une place
privilégiée à bord d'un nationalisme permanent,
inébranlable, qu'il nous reste encore à solidifier. Je crois que
le nationalisme québécois chez certains de nos meilleurs
militants, qui me permettront de leur faire ce reproche, n'est pas encore
à la mesure de l'histoire qui nous attend. On est hanté par le
court terme, le référendum n'a pas aidé en ce sens - je
suis prêt à le reconnaître - mais c'était un
rendez-vous qu'il fallait avoir. Tout se passe comme s'il fallait une victoire
rapide, même facile. Cette conception se rapproche d'une autre
conception, d'une opération, comme si c'était un simple
détail à franchir. Ce qu'il faut arriver à créer au
cours de ce mandat - et notre congrès de décembre prochain
devrait être chez nous l'occasion de cimenter cela -ce n'est pas tant un
état d'esprit momentané, une simple conjonction plus ou moins
fortuite de l'opinion publique qui nous dirait un jour: Nous avons
gagné. Je sais que le rendez-vous de l'année dernière
était un rendez-vous important, mais il nous a amenés à
fixer sur lui d'une façon presque morbide, en tout cas, exclusive, et
l'esprit et l'émotivité de notre mouvement.
Si je le dis aussi clairement que cela ce soir, M. le Président,
c'est que je m'en accuse; j'en ai moi aussi subi les contrecoups. Le calcul -
et nous sommes les héritiers d'un vaste mouvement - risque de
s'étrangler dans un passage aussi étroit. Il faut préparer
autre chose, il faut tout préparer. Si le coup de force réussit,
le Québec en a peut-être pour des années de
résistance et de fortunes diverses. Il faut nous occuper, au cours de ce
mandat, non pas à faire la souveraineté du Québec, nous
n'en avons pas le mandat; l'élection du 13 avril ne nous l'a pas
donné non plus. Une chose claire que les citoyens nous ont
signalée quand ils manifestaient leur désir de rester forts,
c'est que l'équipe qui est ici devrait s'appliquer avec l'Opposition, si
celle-ci décide d'y concourir, à rendre le Québec
imprenable. Le temps! Il n'y a qu'une chose à laquelle l'adversaire ne
peut rien, et cela aussi il le sait: le temps, la continuité d'une
politique de fond, toujours la même, appuyée sur une force
démocratique encore plus nombreuse et qui ne bascule pas selon les
aléas d'une victoire ou d'une défaite dans les élections
partielles. Il y aura d'autres élections partielles; les mines que je
vois les annoncent déjà. Il est possible, dans les
circonscriptions où elles auront lieu, que nous les perdions encore,
Soit! C'était onze à zéro, c'est maintenant onze à
un, et c'est la dernière qui a compté.
(17 h 40)
II est capital pour nous, au cours de ces quatre ans, de parvenir
à cette constance, à cette solidité. C'est l'adversaire
qui va faire les faux pas; il en a déjà fait beaucoup: semblant
d'ouverture, refus, coup de force, intimidation, mystification. Rien,
jusqu'ici, n'a prévalu. Si nous sommes ici avec la confiance toute
fraîche des citoyens du Québec, il n'y a pas là
découragement. Rien n'a prévalu dans les tactiques
utilisées par l'adversaire. Quand je parle de l'adversaire, tout le
monde sait bien que par eux, en face, je m'adresse à ceux qu'ils
représentent ici dans cette Assemblée, c'est-à-dire la
vraie tête, le vrai coeur et le vrai leadership de leur parti politique
dont ils sont ici la branche provinciale qui fait ce qu'elle peut, lorsqu'elle
le peut, dans le même panier. Lorsque la liberté lui est
laissée d'agir, elle le fait; lorsqu'elle doit prendre son rang, elle le
prend, mais ce que je souhaite, en tout cas, quels que soient les calculs que
nous puissions faire, M. le Président - et je le dis avec confiance
-c'est que ce soit fait avec confiance.
En ce qui me concerne, si vous le demandiez à des citoyens de
Saint-Jacques que j'évoquais au tout début de mon intervention,
presque deux sur trois m'ont dit le 13 avril que, quant à eux, ils
n'hésitaient pas à répondre à l'invitation du
premier ministre de mettre le cap sur l'avenir.
Merci, M. le Président.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît. Fin
du débat sur le message inaugural. M. le leader du gouvernement.
M. Charron: M. le Président, est-ce qu'on permettrait de
suspendre jusqu'à 19 h 30, alors qu'on veut entamer l'intervention du
ministre d'État au Développement social. Je suis prêt
à me rendre...
M. Levesque (Bonaventure): Non. On va continuer.
M. Charron: On peut continuer? Si jamais, par contre, le discours
du ministre d'État devait se poursuivre jusqu'à 18 h 05 est-ce
qu'il y aurait consentement? On m'a dit que c'était pour quelques
minutes à peine.
Le Président: Oui.
M. Charron: Bien, M. le Président. Je vous prierais
d'appeler l'article 5 du feuilleton, s'il vous plaît.
Projet de loi no 10 Deuxième lecture
Le Président: J'appelle donc la deuxième lecture du
projet de loi no 10, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse.
M. le ministre d'État au Développement social.
M. Denis Lazure
M. Lazure: M. le Président, la Loi sur la protection de la
jeunesse a fait l'objet, depuis quelque temps, d'un certain nombre de critiques
dont plusieurs fondées et un certain nombre, d'autre part, qui
résistent mal à l'examen et qui découlent plutôt
d'un certain préjugé que plusieurs sociétés peuvent
entretenir à l'égard du jeune délinquant aussi bien
qu'à l'égard d'autres groupes de la société, qu'il
s'agisse de malades mentaux ou qu'il s'agisse d'ex-prisonniers.
Je voudrais d'abord rappeler que cette loi no 24 a été
adoptée à l'unanimité par cette Assemblée, ce qui
est quand même un fait assez rare, et elle a été
adoptée à l'unanimité par tous les partis politiques de
cette Assemblée, après de longues discussions en commission
parlementaire. Elle remplaçait une loi datant de 1950. Toutes et tous
étaient d'accord pour revoir cette loi qui accusait un retard d'environ
27 ou 28 ans. Au-delà de 70 amendements furent apportés par le
gouvernement du Parti québécois, au moment où le projet de
loi franchissait les différentes étapes. Cette loi entrait en
vigueur en janvier 1979.
M. le Président, je pense qu'il peut être utile de nous
rafraîchir la mémoire et de lire rapidement un paragraphe des
notes explicatives du projet de loi no 24. Nous remontons à 1977. "Ce
projet vise essentiellement à assurer la protection et la
réinsertion familiale et sociale de tout enfant dont la
sécurité ou le développement est compromis ou qui a commis
un acte contraire à une loi ou un règlement du Québec.
À ces fins, le projet prévoit notamment que les décisions
prises à l'égard d'un jeune doivent tendre à le maintenir
dans son milieu naturel."
Je me permets de citer, M. le Président, une partie d'une lettre
envoyée au journal La Presse, le 19 mai, donc tout récemment, par
un M. Bernard Desjardins de l'équipe locale du comité de la
protection de la jeunesse à Saint-Jérôme. Parce que je
pense que les quelques paragraphes que je vais citer résument
très bien les objectifs de cette loi no 24 et les difficultés
d'application d'une nouvelle philosophie qui est véhiculée, qui
est transmise par cette loi no 24.
Alors, je cite sa conclusion: "Cette loi ouvre la voie à la
création d'approches diversifiées pour aider un jeune à
vivre plus adéquatement dans son milieu. En effet, cette loi
reconnaît aux jeunes et aux parents concernés le droit et la
possibilité de
résoudre leurs difficultés. Elle reconnaît
l'importance pour le milieu de se prendre en charge. Elle demande aux
intervenants et à la communauté de s'impliquer. Elle doit
être améliorée, mais elle doit être aussi comprise.
C'est une loi d'avant-garde, exigeante qui demande un engagement de tous. C'est
le défi à relever, c'est toujours le défi qui nous
attend."
Donc, je disais que cette loi entrait en vigueur un an environ
après son adoption unanime dans cette Assemblée. Pourquoi un an?
Parce que, précisément, nous avons voulu - par ce que nous avons
appelé une mission d'implantation, des représentants des affaires
sociales, des représentants de la justice -aller partout dans les
régions du Québec expliquer cette loi. C'est à ce
moment-là que nous avons rencontré au-delà de 5000
personnes, aussi bien des policiers dans toutes les régions du
Québec que des enseignants dans le réseau scolaire, que des
travailleurs sociaux, des psychologues dans le réseau des affaires
sociales.
Un des éléments fondamentaux de la loi fait en sorte que
toute infraction commise par un jeune est soumise au directeur du Comité
de la protection de la jeunesse. C'est un mécanisme entièrement
nouveau. On va se rappeler qu'autrefois le jeune, dans bien des cas, lorsqu'il
commettait une infraction, était amené au poste de police et,
selon la discrétion du policier, pouvait être relâché
au soin de ses parents, avec certaines recommandations, ou être
déféré, ce qui arrivait très souvent, à la
Cour du bien-être social qu'on appelait autrefois la Cour
juvénile. Un des aspects fondamentaux de la loi no 24 dit que tout
enfant qui a commis une infraction ou dont le développement est
menacé - là, c'est l'aspect protection de la jeunesse - doit
être signalé à un directeur du Comité de la
protection de la jeunesse, qui existe et qu'on retrouve dans chacun des
quatorze centres de services sociaux du Québec. Le directeur du
Comité de la protection de la jeunesse, de concert avec une personne
désignée par le ministère de la Justice, doit
décider si l'infraction commise ou le besoin de protection est tel que
l'enfant doit être déféré au Tribunal de la
jeunesse. Au contraire, si certaines mesures volontaires - des mesures qu'on
dit volontaires, c'est-à-dire discutées avec la famille, avec le
travailleur social ou avec l'école - peuvent être convenues de
part et d'autre sous forme d'une espèce de contrat, l'enfant n'a pas
besoin d'aller devant le Tribunal de la jeunesse. C'est ce qu'on appelle la
primauté de l'intervention sociale par rapport à l'intervention
judiciaire. Cela veut dire que la société veut relever le
défi, en rapport avec la grande majorité des cas signalés
de jeunes qui ont des problèmes de comportement, qu'une approche sociale
pédagogique peut suffire non seulement pour contrôler le
comportement du jeune, mais aussi pour prévenir l'aggravation de tels
comportements. (17 h 50)
Alors, cette période qui s'est écoulée depuis la
mise en vigueur de la loi, un peu plus de deux ans, nous a permis de
dépister, évidemment, certaines corrections qu'il fallait
apporter. Le projet de loi que nous avons déposé ces jours
derniers, le projet de loi no 10, vise essentiellement à
améliorer le fonctionnement de cette loi tout en maintenant, en gardant
cette philosophie fondamentale sur laquelle, d'ailleurs, tous les partis
politiques en cette Chambre ont été d'accord.
J'ai parlé tantôt de certains préjugés ou
même de certaines exagérations qui ont été
placés, si vous voulez, sur le dos de la loi no 24. La loi no 24,
à bien des égards, est devenue un peu le bouc émissaire.
Je veux m'arrêter un petit moment à cette croyance populaire qui a
été véhiculée par des représentants autant
du réseau social que du réseau de la justice, réseau
policier, à savoir que la loi no 24 était responsable de
l'augmentation du taux de délinquance. Or, M. le Président, je
viens de recevoir a l'instant les chiffres les plus récents pour le
Québec et je vais citer d'autres chiffres tantôt. Pour le
Québec, nous avons les chiffres complets pour deux années:
l'année 1979-1980, l'année où la nouvelle loi est
entrée en vigueur, et l'année 1980-1981. Le nombre total de cas
d'enfants signalés à travers tout le Québec en 1979-1980
était de 54,291. Et, tenez-vous bien, M. le Président, pour
l'année 1980-1981, il est de 54,146, contrairement à cette
croyance populaire qui est devenue un gros ballon. Et Dieu sait que ce ballon a
été utilisé aussi durant la campagne électorale; je
pourrais citer un article du journal La Presse où, justement, un
travailleur social de Montréal, après la campagne
électorale, a dénoncé "le charriage qui a
été véhiculé dans les médias par rapport
à toutes sortes de calamités, toutes sortes de problèmes
sociaux qu'on attribuait à la loi 24." C'est un exemple
d'exagération grossière et souvent les gens prennent pour acquis
qu'il y a eu une augmentation de la délinquance depuis la loi 24 et
c'est faux.
Dans ces 54,000 cas, il y en a un certain pourcentage qui se sont rendus
au niveau du tribunal. C'est une autre fausseté qu'on a
véhiculée. Souvent, les gens ont dit: Depuis la loi 24, le jeune
s'en tire sans aucune discipline, sans aucune comparution devant le tribunal et
c'est le manque de contrôle total. Faux. Il y a deux ans, pour la
région de Montréal seulement et la population francophone, les
jeunes qui relèvent du Centre des services sociaux du Montréal
métropolitain, donc, francophones, par opposition à Ville-Marie
ou au CSS juif, de tous les enfants qui ont été signalés
au
directeur de la protection de la jeunesse, 39% ont été
traduits devant le Tribunal de la jeunesse. 39%, ce n'est pas rien. L'an
passé, 51% ont été traduits; donc, une augmentation et non
pas une diminution du nombre de jeunes qui doivent, à cause de leur
comportement "criminel, délinquant", comparaître devant un juge du
Tribunal de la jeunesse.
Dans le magazine Maclean du mois de mai, sous le titre Statistics that's
scared society, il y a un reportage-entrevue du sénateur Florence Bird.
Le sénateur Bird a présidé un comité
fédéral qui a étudié pendant plusieurs mois la
délinquance au Canada. Ce qu'elle a à dire vient confirmer ce que
je disais tantôt: L'augmentation de la délinquance juvénile
qu'on n'a pas ressentie particulièrement depuis deux ans au
Québec, où ça s'est stabilisé, mais cette
augmentation, elle est survenue dans l'ensemble du Canada de 1974 à
1978, rien à faire avec la loi 24; cette augmentation, d'après le
sénateur Bird, était de 60% de 1974 à 1978. Je pense,
personnellement, que ces chiffres sont à peu près conformes
à une réalité, non seulement au Canada, mais en
Amérique du Nord et probablement au Québec aussi.
M. le Président, bien avant que la loi 24 entre en vigueur,
c'est-à-dire janvier 1979, on a assisté à une augmentation
assez impressionnante du taux de délinquance au Canada, y compris au
Québec. Depuis l'entrée en vigueur de la loi 24, on se rend
compte qu'il y a, à toutes fins utiles, stabilité, qu'il y a un
plafonnement et que le nombre de jeunes, qui ont été
signalés, non seulement n'a pas augmenté, mais a diminué
d'une centaine sur 54 000, ce qui évidemment n'est pas tellement
significatif.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que je peux poser une question au
ministre?
M. Lazure: Pardon?
Le Vice-Président (M. Rancourt): Si le ministre veut bien
vous donner la parole.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais simplement vous demander si vous
avez des statistiques pour les années antérieures et si vous
pourriez nous les donner?
M. Lazure: Oui, la seule année antérieure que j'ai
ici dans le même tableau qu'on vient de me remettre, il y a quelques
minutes, c'est l'année 1977. Le nombre d'enfants signalés alors
était de 42 000, mais il faut bien comprendre qu'il s'est
écoulé deux ans entre cette statistique et les deux autres que je
viens de mentionner. C'était 42 000 enfants signalés dont 8400
cas de protection et 3800 cas de délinquance.
M. le Président, on me permettra de citer encore quelques
remarques qui paraissent dans un journal, récemment, Le Journal de
Montréal du 10 avril 1981. Le titre de cet article: La loi 24, une loi
critiquée qui ne commence qu'a grandir. Je pense que l'article en entier
est fort intéressant, mais à cause du temps, je vais en citer
seulement quelques paragraphes. Il s'agit de déclarations des deux
directeurs de la protection de la jeunesse à Montréal, M. Laurier
Boucher, qui est directeur de la protection pour le Centre des services sociaux
Ville-Marie, anglophone, et M. Perreault, directeur de la protection du
côté francophone. Ces deux messieurs disent: "Le taux
d'augmentation de la délinquance est un phénomène social
et ne doit pas être relié nécessairement à loi 24.
Il est malheureux de voir que beaucoup de gens pensent ainsi." Ces deux
personnes se disent très choquées par des critiques qui ont
complètement passé à côté des données
réelles, des données statistiques que j'ai mentionnées
tantôt. Ces deux personnes, ces deux directeurs de la protection de la
jeunesse continuent en disant: "II est vraiment malheureux d'entendre de telles
choses. Il va sans dire que le système, à l'heure actuelle, n'est
pas parfait, mais les résultats sont encourageants. Il ne fallait pas
s'attendre que l'ensemble des intervenants, tels que les policiers, les
travailleurs sociaux, n'aient pas de divergences sur l'application de cette
loi. Les idéologies de base ne sont pas les mêmes." Ce sont les
paroles de MM. Boucher et Perreault. "On peut dire que dans les premiers mois,
on s'est plutôt écrit que parlé. Toutefois, lors de
récentes réunions -c'est en avril 1981 - avec les policiers, nous
avons conclu de discuter des cas beaucoup plus directement. À notre
avis, une difficulté importante, autant pour les administrateurs que
pour les intervenants, est reliée à la méconnaissance de
la loi. Cela peut sembler étrange, mais, à la pratique, nous nous
sommes aperçus que chaque établissement du réseau des
Affaires sociales, pour ne pas dire chaque intervenant, concevait
différemment l'application de la loi. Nous en sommes maintenant à
élaborer une même ligne de pensée", de souligner M.
Perreault. (18 heures)
Et enfin, dernière citation: "Cette loi amène aux jeunes
un grand réconfort." On conclut en disant qu'à toutes fins
utiles, "il s'agit d'une loi qui voulait changer de façon très
radicale une approche qu'adopte une société vis-à-vis des
jeunes qui viennent ou bien enfreindre une loi ou un règlement ou encore
des jeunes qui ont besoin de protection."
Devant les travaux que nous avons pu suivre l'an passé à
l'occasion du colloque qui a été organisé par les
ministères de la Justice, des Affaires sociales et du
Développement social et auquel ont participé
tous les gens concernés dans le milieu. Nous avons recueilli
à ce moment-là plusieurs recommandations, plusieurs
suggestions.
Le projet de loi qui est devant nous aujourd'hui pour étude en
deuxième lecture, je le répète, a pour but de maintenir la
philosophie essentielle sur laquelle tout le monde est d'accord. Ce projet de
loi a déjà été cité comme un modèle
de législation sociale dans d'autres pays. Ce projet de loi a
été cité au Canada, que ce soit au Parlement
fédéral ou dans d'autres Parlements provinciaux, comme une
législation qu'il fallait imiter.
M. le Président, nous disons: À la lumière de
l'expérience, améliorons le fonctionnement et nous verrons,
à l'occasion de l'étude article par article, qu'il y a plusieurs
articles qui viennent encadrer de façon un peu plus serrée, un
peu plus rigide l'application de la loi. J'en donne un exemple. La loi 24
permet au tribunal de décréter un hébergement obligatoire,
l'équivalent d'une cure fermée, d'un internement, à un
jeune de 14 à 18 ans, d'une durée de trois mois, avec
renouvellement, toujours par un juge du Tribunal de la jeunesse, pour un total
de six mois. Cette fois-ci, le projet de loi suggère d'étendre
cette période de trois mois à six mois dans un premier temps,
renouvelable une fois, donc, pour un total de douze mois. Nous passons d'un
total de six mois, dans la loi 24, à un total de douze mois
d'hébergement obligatoire parce qu'on nous a fait comprendre que, pour
bien des jeunes, il était nécessaire d'allonger le séjour
en centre d'accueil pour que les méthodes de réadaptation
puissent porter fruit.
Or, M. le Président, je vous le dis tout de suite, je le dis tout
de suite à cette Assemblée, plusieurs des intervenants, dans le
réseau social autant que dans le réseau de la justice, pensent
que nous devrions allonger encore plus, que nous devrions aller jusqu'à
vingt-quatre mois d'hébergement obligatoire. En d'autres termes, passer
de six mois à vingt-quatre mois. Nous pensons qu'une telle augmentation
du séjour obligatoire est exagérée, et nous proposons de
doubler la durée actuelle de ce séjour obligatoire.
Dernier exemple, si vous voulez, dans l'état actuel de la loi 24,
un jeune qui enfreint un règlement du Code de la route -vitesse
excessive, ou encore, un règlement municipal de stationnement - doit
être signalé au directeur de la protection de la jeunesse et
passer à travers toutes les procédures qui sont assez
compliquées et assez longues. Devant l'avalanche de centaines de ces
jeunes, qui, chaque année, enfreignent un règlement municipal de
stationnement ou encore le Code de la route pour infractions mineures, nous
avons décidé, pour alléger la situation et ne pas nuire
aux autres vrais cas de protection ou de délinquance, d'exclure ces cas
de la loi 24 et ceux-ci iront directement au Tribunal de la jeunesse, sauf dans
le cas de deux types d'infractions graves, c'est-à-dire la conduite
dangereuse et le délit de fuite.
Ceci aura pour effet, dans plusieurs régions,
d'accélérer le cheminement des autres jeunes qui ont
véritablement besoin de protection ou encore doivent être
impliqués à cause d'une infraction à un règlement
ou à une loi.
M. le Président, nous déposons ce projet parce qu'on sait
qu'en décembre l'Assemblée nationale n'avait pas eu le temps
d'adopter le projet de loi no 22, qui est essentiellement repris dans ce projet
de loi no 10. Le projet de loi no 22, qui avait été justement
rédigé à la suite de nombreuses consultations, est
légèrement modifié et, nous le pensons,
amélioré, pour devenir le projet de loi no 10 et nous sommes
à l'avance convaincus que l'Opposition va collaborer à
l'étude minutieuse de ce projet de loi. Nous n'avons pas de position
dogmatique quoi qu'on en pense vis-à-vis de ce projet de loi. Notre
souci majeur est de maintenir la philosophie sociale qui a
présidé à l'élaboration de la Loi sur la protection
de la jeunesse. Nous pensons que l'expérience, qui est très
courte à ce jour, est convaincante, puisque le pourcentage de
délinquance n'a certainement augmenté depuis que la loi est en
vigueur, d'une part, et que, d'autre part, pratiquement tous les jeunes ont pu
être signalés aux différents centres de services sociaux,
ce qui n'était pas le cas avant l'adoption de la loi 24.
Alors, M. le Président, nous serons très attentifs en
commission parlementaire à toutes les suggestions qui pourront nous
être offertes par l'Opposition. Je compte bien que nous pourrons adopter
ce projet de loi avant l'ajournement de l'été, afin que nous
puissions avoir un meilleur fonctionnement de la Loi sur la protection de la
jeunesse. Merci.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Mme la
députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, j'aimerais demander
l'ajournement du débat, s'il vous plaît.
M. Lazure: La suspension.
Mme Lavoie-Roux: La suspension, pardon.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Nos travaux sont
suspendus jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 8)
(Reprise de la séance à 20 h 10)
Le Vice-Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Veuillez vous asseoir.
Reprise de la deuxième lecture du projet de loi no 10, Loi
modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse. La parole est à Mme
la députée de L'Acadie.
Mme Thérèse Lavoie-Roux
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Il me fait
plaisir de participer au débat sur le projet de loi no 10 qui modifie
des dispositions de la loi no 24, intitulée Loi sur la protection de la
jeunesse.
Comme le faisait remarquer le ministre d'État au
Développement social, cette loi fut adoptée en décembre
1977 à l'unanimité de la Chambre. Ce fut là une des
occasions où, d'un côté comme de l'autre de la Chambre, je
crois, nous avons tenté par tous les moyens possibles d'améliorer
cette loi parce qu'elle devait servir, au bout de la ligne, les jeunes de la
société québécoise. Je pense que, sur un sujet
aussi délicat que celui-là, c'était vraiment une occasion
d'aller au-delà des liqnes du parti et c'est dans le même esprit
que je voudrais le faire ce soir. Si je devrai critiquer certaines
négligences du gouvernement, il reste que c'est quand même avec
l'objectif que, peut-être ensemble, nous puissions améliorer le
projet de loi no 10. Même si les propos du leader du gouvernement, qui
ont été assez démagogiquement partisans avant le souper,
pourraient m'inspirer aussi des propos partisans, je m'en abstiendrai et m'en
tiendrai uniquement à ce projet de loi no 10 qui, encore une fois, vient
modifier la Loi sur la protection de la jeunesse.
Je pense qu'il est peut-être bon de rappeler que le travail qui a
conduit à l'adoption de la loi no 24 a été une entreprise
de réforme qui s'est échelonnée sur environ six ans. En
décembre 1972, il y avait eu un projet déposé à
l'Assemblée nationale qui a rencontré passablement de
difficultés, de remarques et de contestation. C'était, quand
même, un effort dans le but de rajeunir la loi qui remontait à
1950 et qui touchait les jeunes. En 1974, l'Assemblée nationale adoptait
une loi concernant les enfants soumis à des mauvais traitements.
À ce moment-là, on assistait à la création du
Comité de la protection de la jeunesse. Il faut dire que cette loi, en
l'absence d'une loi plus globale, a rendu des services très
considérables aux jeunes du Québec. En 1975, l'ancien ministre
des Affaires sociales, mon collègue de Saint-Laurent, avait
présenté un avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse
qui avait d'ailleurs subi l'épreuve de la commission parlementaire et,
finalement, l'élection étant déclenchée, en 1976,
le gouvernement actuel présenta un nouveau projet qui fut adopté
en 1977.
Ce que je veux dire, c'est que cette longue marche ne fut pas une
démarche inutile. Chaque projet de loi a fait évoluer et
progresser la réflexion sur ce problème très complexe de
la protection de la jeunesse. Je pense qu'il faut, à cette occasion,
remercier tous les organismes, tous les citoyens intéressés, tous
les professionnels et les individus qui, constamment, ont suivi cette
démarche des différents gouvernements pour aboutir à la
loi 24. Aujourd'hui, je pense qu'ils continuent de suivre la démarche
que nous faisons présentement par la loi 10. J'aurai l'occasion d'y
revenir.
Il est peut-être bon de rappeler ce qui me paraît être
les deux principes les plus importants qui étaient le fondement de la
loi 24, soit, d'une part, reconnaître l'enfant comme sujet de droit,
c'est-à-dire reconnaître l'enfant comme membre à part
entière de la société, avec des droits et des
libertés fondamentales, malgré sa situation de dépendance.
Les adultes avaient déjà, lorsqu'ils avaient besoin d'aide ou de
protection ou qu'ils étaient reconnus comme délinquants, des
dispositions qui assuraient leurs droits et libertés. Justement parce
qu'on considérait que les enfants étaient très
dépendants de leurs parents, on avait omis, jusqu'à ce
moment-là, de leur reconnaître devant la société -
dans la justice en particulier - ces mêmes droits qu'on reconnaît
aux adultes. Ces droits, entre autres, étaient le droit de demeurer dans
le milieu familial le plus possible, et ceci venait contrer une tendance
malheureusement fort répandue chez nous, pour une foule de raisons que
je ne développerai pas, de très facilement placer des enfants en
institution.
Il ne faut pas oublier que, culturellement, c'est le cas de le dire, et
historiquement, pour plusieurs d'entre nous, et pour des raisons plus ou moins
diverses -peut-être pas les plus jeunes, mais les aînés
l'institution faisait presque partie de l'éducation des enfants. Il y
avait déjà ce modèle chez nous qu'on a continué
d'appliquer mais, un peu plus tard, on l'a appliqué davantage aux
enfants qui présentaient des problèmes ou dont les situations
familiales étaient difficiles. De même, on faisait appel d'une
façon très importante au placement en familles d'accueil, ce
qu'on appelait, à l'époque, les foyers nourriciers. Le
Québec détenait le championnat, si je ne m'abuse; en tout cas il
était presque le champion du placement des enfants en institutions et en
foyers nourriciers. La loi prévoyait aussi comme droits à
l'enfant le droit d'être informé, le droit d'être
consulté et le droit de consulter et d'être
représenté par un avocat au Tribunal de la jeunesse. Je ne
m'étendrai pas davantage sur ces droits. Ce sont simplement des exemples
pour indiquer que ce que la
population a parfois tendance à interpréter comme une
sorte de laxisme vis-à-vis des jeunes est en fait le résultat
d'une évolution heureuse, je pense, des mentalités à
l'égard de la reconnaissance des droits des enfants et des jeunes comme
des individus à part entière.
Le deuxième principe est celui de la déjudiciarisation,
c'est-à-dire limiter au minimum l'intervention judiciaire compte tenu de
l'importance de la dimension sociale des problèmes des jeunes, compte
tenu de la très grande difficulté à faire la distinction
entre les cas où il faut protéger les jeunes contre
eux-mêmes ou encore les jeunes contre certaines interventions. C'est
d'ailleurs ici que se situe le noeud du problème quand on vient dans
l'application de ce principe de déjudiciarisation, M. le
Président. Il y avait d'autres principes, mais je n'y reviens pas. Ces
deux-là m'apparaissent les plus importants.
Le ministre d'État au Développement social avait raison de
rappeler que la loi 24 a été et est encore l'objet de nombreuses
critiques. Je voudrais immédiatement faire valoir quand même les
résultats très positifs que l'application de la loi a eus du
moins en partie. Je reviendrai un peu plus tard sur les aspects
négatifs. Au point de vue de la prévention, je pense que la loi
24 avec les mécanismes et les dispositions qu'elle contenait a permis
une prévention beaucoup plus hâtive par le truchement des
signalements et c'est comme ça qu'on a assisté à une
augmentation considérable de signalements puisque dans la loi on fait
l'obligation à certaines personnes, à certains organismes de
signaler les cas. On a également, comme je le disais tout à
l'heure, permis la reconnaissance des droits de l'enfant. On a établi
des mécanismes de révision plus adéquats qui ont
contré ces séjours trop longs et souvent inopportuns d'enfants en
institution ou dans des familles d'accueil et on a également, je pense,
trouvé des procédures, là où des procédures
judiciaires devaient être utilisées, beaucoup plus
appropriées aux besoins des jeunes.
Quand cette loi fut adoptée à l'unanimité, je pense
que ce fut avec enthousiasme par l'ensemble de l'Assemblée nationale,
mais c'est aussi avec beaucoup de modestie et de prudence qu'elle fut mise en
application; il s'est écoulé probablement deux ans, en fait,
avant qu'elle n'entre en vigueur. Elle n'est entrée en vigueur qu'en
janvier 1979 et il y a eu cette mission d'implantation à laquelle le
ministre a fait allusion tout à l'heure. (20 h 20)
Ceci étant dit, comme le ministre semblait l'indiquer, bien qu'il
ait reconnu qu'il y ait certains problèmes de fonctionnement, tout
est-il aussi positif qu'il a voulu le laisser entendre? Je reconnaissais un peu
l'ancien ministre des Affaires sociales quand on soulevait un problème
dans cette Chambre. Finalement, c'était un peu l'imagination de tout le
monde et les choses allaient généralement bien. Je ne lui
répéterai pas certains incidents pour ne pas soulever de
polémique. Je pense que son approche, qui se voulait positive à
l'égard de la loi 24, a fait déborder son enthousiasme et il n'a
peut-être pas souligné suffisamment les carences que l'on retrouve
dans l'application de la loi 24.
Si la loi 24, à l'heure actuelle, est l'objet de critiques, pas
toujours fondées, c'est exact, je pense qu'il faudrait peut-être
que le gouvernement fasse son examen de conscience. D'une part, dès
avril 1979, cette mission qui devait voir à l'implantation de la loi 24
avait signalé au gouvernement une série d'amendements et de
points particuliers qui auraient dû faire immédiatement l'objet
d'amendements. On peut se demander, à ce moment-ci, pourquoi le
gouvernement a tant tardé à agir, contribuant par le fait
même à augmenter certains problèmes d'application et, ce
qui est encore plus grave, je pense, à inquiéter davantage les
citoyens sur la nature ou l'application de cette loi.
On peut également reprocher au gouvernement, et en particulier au
ministre de la Justice qu'en dépit du fait qu'une réglementation
extrêmement importante était prévue à l'article 132,
entre autres sur la déjudiciarisation, la loi a été
adoptée en décembre 1977; il y a eu la période
d'implantation qui aurait quand même pu aussi permettre
l'élaboration de règlements au moins dans certains domaines
où on avait les données nécessaires. Nous nous retrouvons
à ce moment-ci, en juin 1981, presque trois ans et demi plus tard,
toujours devant l'absence de toute réglementation. Je pense qu'il faut
le dire: Le ministre de la Justice, du moins en ce qui touche les
critères de déjudiciarisation qui n'ont jamais été
établis, à mon point de vue, a manqué à ses
responsabilités.
Je voudrais simplement vous citer non pas ma propre opinion, mais celle
du Comité de la protection de la jeunesse qui se prononçait, je
pense, en décembre 1980 et qui affirmait: "Le comité
considère donc comme prioritaire la clarification de la notion de
déjudiciarisation et l'établissement de critères
précis pour son application." Je pense qu'on a là une partie du
noeud du problème. Vous vous souviendrez que, dans l'application de
cette loi, de nombreux intervenants - je m'excuse de la redondance -
interviennent. On se trouvait vis-à-vis, entre autres, des
professionnels qui ne partageaient pas toujours les mêmes points de vue,
les uns se réclamant toujours d'une expérience clinique alors que
les autres se réclamaient d'une expérience juridique, si bien
qu'en plus des heurts qu'on devait
normalement ressentir on se trouvait devant une absence totale de
critères qui auraient permis, au moins en grande partie, de diminuer les
conflits et les critiques dont la loi a été l'objet. C'est dans
ce sens, je pense, que la responsabilité du gouvernement a
été assez importante.
On n'a pas, non plus, défini les règlements touchant les
modalités selon lesquelles l'enfant et ses parents peuvent donner leur
consentement pour ce qu'on appelle les mesures volontaires dans la loi. On ne
sait pas de quelle façon l'enfant est protégé quand il dit
oui aux mesures volontaires. Est-ce que vraiment on lui donne le temps
d'exercer sa liberté complètement ou si c'est sur le champ ou
dans quelques heures que l'enfant doit se prononcer dans un sens ou dans
l'autre? Est-ce une approbation verbale? une approbation écrite? est-ce
qu'il peut la révoquer? Enfin, une foule de détails. Mais ce qui
demeure le plus important, M. le Président, dans cette question de
consentement à l'application de mesures volontaires par l'enfant, c'est
que vraiment sa liberté et ses droits soient respectés. C'est
pour ça qu'il aurait été extrêmement important que
les règlements soient énoncés d'une façon
très claire de telle sorte qu'on soit sûr que cette liberté
et ces droits de l'enfant sont respectés en totalité et qu'il ne
donne pas son consentement sous l'influence de pressions indues ou même,
dans certains cas, d'un certain chantage, que ceci provienne des intervenants
sociaux ou juridiques ou même de ses parents. Là-dessus, je dois
dire que le gouvernement n'a pas montré non plus beaucoup
d'imagination.
Il faut également déplorer qu'aujourd'hui, devant la loi
qui nous est présentée, la loi 10, qui sans doute améliore
certains points sur lesquels je reviendrai, le gouvernement, après quand
même deux ans d'application de la loi, alors qu'on a acquis une certaine
expérience, qu'on a un vécu de la loi avec ses problèmes,
ses bons points et ses moins bons points, nous arrive strictement avec la loi
10 qui est une réplique de la loi 22, comme le ministre lui-même
l'a signalé, et qui vient somme toute ne corriger que des points
mineurs, sauf un en particulier qui d'ailleurs soulève beaucoup de
débats. Pourtant, quand vous regardez les protestations ou les
représentations qui nous ont été faites et qui ont
dû être faites au gouvernement également, on s'étonne
que le gouvernement dise: Nous allons de l'avant et nous adoptons la loi
10.
Je ne sais pas si l'ouverture que le leader du gouvernement avait faite,
quand je lui ai demandé s'il y aurait une commission parlementaire,
disant: On n'est pas complètement fermé, ce serait possible...
Comme c'est peut-être ici la seule occasion que j'aurai de faire valoir
les points de vue des personnes qui peut-être seront ou ne seront pas
entendues dans une commission parlementaire qui pourrait être
appelée après le discours de deuxième lecture, comme on en
a fait l'expérience au sujet d'autres lois, je vais au moins vous les
lire rapidement, M. le Président, afin qu'on réalise bien qu'il y
a eu des demandes dans ce sens-là.
Je vous lis ici le télégramme qui a été
adressé par la présidente du Conseil provincial des associations
de femmes diplômées des universités de Montréal qui,
m'a-t-on dit, ont un comité qui, actuellement, travaille à une
révision en profondeur de la loi 24.
Je les cite. "Les amendements proposés à la Loi sur la
protection de la jeunesse ne touchant pas les problèmes fondamentaux de
cette loi, nous espérons et réclamons qu'une commission
parlementaire soit convoquée pour discuter le fond de la loi dont
dépend l'avenir de nos enfants et pas seulement les modalités de
mise en vigueur."
Vous avez également l'opinion de la Commission des services
juridiques qui, elle, a donné une opinion vers la mi-mars, si ma
mémoire est bonne, et qui dit au sujet de la loi 24, la loi 10
étant une réplique de la loi 24: "La Commission des services
juridiques est très déçue de ce projet de loi. En effet,
comme beaucoup d'autres intervenants oeuvrant en matière de jeunesse, la
Commission des services juridiques avait fait connaître aux
autorités gouvernementales les problèmes qu'engendrait
l'application de la loi 24. De plus, la Commission des services juridiques a
préparé à l'intention du législateur un
mémoire faisant état des modifications législatives
nécessaires pour faire de la loi 24 une loi opérationnelle et
qui, en même temps, respecte les droits de l'enfant".
Vous avez également le Barreau. Si on se réfère
à un article du Barreau, une étude qui a paru dans la Revue du
Barreau de novembre - décembre 1980, on y retrouve également un
grand nombre de suggestions extrêmement importantes. On réexamine
la loi 24 sous de nombreux angles. On demande au gouvernement de
réexaminer la loi 24 en profondeur. (20 h 30)
II ne s'agit pas, et certainement pas dans l'esprit de l'Opposition, de
remettre en cause le fondement même de la loi 24 qui, comme nous l'avons
dit tout à l'heure, est d'assurer une meilleure protection, le respect
des enfants, la déjudiciarisation, etc., mais vraiment, quant à
s'attabler pour amender la loi 24, que nous le fassions en profondeur.
M. le Président, au sujet de la loi 10, si je m'en tiens à
la loi 10, je voudrais également vous faire part de plusieurs
représentations qui nous ont été faites. Je suis
sûre que le ministre en a copie. Par exemple, au sujet de l'article 22 de
la loi 10 qui vient modifier l'article 91. C'est celui
auquel le ministre, tout à l'heure, a fait allusion assez
brièvement disant qu'on avait allongé le délai pour le
placement obligatoire en centre d'accueil sécuritaire de trois mois
à six mois et qu'il pouvait être renouvelé à un
an.
M. le Président, j'aimerais que le ministre, dans ses
réponses, nous donne la raison pour avoir maintenu ce délai d'un
an alors que différents groupes, en passant des centres d'accueil aux
familles d'accueil, à la table centrale de consultation et de
concertation qui, j'imagine, doit être un interlocuteur
privilégié du gouvernement -c'est une table centrale de
consultation et de concertation sur la Loi sur la protection de la jeunesse -
toutes ces personnes s'entendent, sans compter d'autres témoignages dont
ceux qui viennent du Barreau d'ailleurs, pour dire qu'il est irréaliste
et qu'il n'est pas sage de mettre une limite de temps.
Je veux quand même dire au ministre, M. le Président, par
votre entremise, que je suis sensible à certaines inquiétudes que
le ministre a probablement, à savoir que, si on impose, par exemple,
deux ans comme certains l'ont suggéré, il y a là danger de
retomber dans les problèmes qu'on a voulu corriger avec la loi no 24.
Mais j'aimerais que le ministre examine la possibilité d'inclure, soit
dans les règlements, soit dans le projet de loi lui-même, la
possibilité d'un mécanisme de révision automatique qui ne
ramènerait pas l'enfant devant le tribunal, mais qui, d'un autre
côté, ne permettrait pas qu'on oublie l'enfant ou qu'on lui impose
inutilement une sentence trop sévère.
Quoi qu'il en soit, ce sont là des personnes qui travaillent
quotidiennement. Il semble y avoir une telle unanimité à
l'idée de ne pas inclure de maximum dans le projet de loi, compte tenu
qu'en vertu de l'article 95, le jeune peut toujours adresser une demande au
tribunal, que le Comité de la protection de la jeunesse peut intervenir
pour faire réviser des décisions, qu'il y a quand même
là certaines garanties que les droits de l'enfant sont respectés.
Mais cela n'est peut-être pas suffisant. Je pense que tous ensemble, on
devrait être assez imaginatif pour trouver un mécanisme de
révision qui, comme je le disais, permettrait d'éviter les abus,
si jamais quelqu'un tentait d'abuser des jeunes dans ces circonstances.
L'Association des centres d'accueil et l'Association des centres de
services sociaux du Québec sont en désaccord complet
là-dessus, et je cite le télégramme qu'elles ont
envoyé au ministre: "Avec l'adoption de l'article 22 du projet de loi no
10 - elles demandent aussi certains autres amendements, mais qui sont plus
mineurs -vous avez cette table de concertation qui suggère
également ces amendements et qui déplore que ne soit pas
amorcée une réforme sur les points fondamentaux concernant la
délinquance, notamment relativement aux sujets suivants: le cas des
jeunes de douze et treize ans, certaines infractions statutaires, le
mécanisme d'orientation en matière de délinquance,
etc."
M. le Président, il y a beaucoup d'autres points faibles que nous
pourrions signaler et qui auraient mérité, à l'occasion de
la présentation d'un projet de loi amendant la loi no 24, d'être
discutés. Par exemple, la révision du rôle du
délégué du ministre de la Justice. À
l'expérience, on réalise que son rôle est à peu
près inutile, pour la bonne raison que celui qui a l'information
privilégiée au point de départ, par la force des choses,
puisque tous les cas sont d'abord signalés au DPJ qui, lui,
délègue, par exemple, l'évaluation du cas à un
professionnel qui peut se retrouver à l'intérieur d'un CSS. Le
représentant ou le délégué du ministère de
la Justice se trouve très dépourvu - et ceci a été
signalé - face à l'autre interlocuteur dont il doit être
capable soit d'appuyer la proposition ou encore de la contrecarrer. Mais dans
les conditions où on fonctionne, il semble bien que ceci soit tout
à fait inadéquat et que, finalement, c'est le directeur de la
protection de la jeunesse, le DPJ, ou la personne déléguée
qui a le gros bout du bâton, comme on dit, dans les décisions. Je
ne dis pas que c'est mal en soi, mais je pense que la loi avait prévu
justement cet équilibre pour assurer davantage les droits des enfants et
on voit maintenant qu'il est compromis.
Un autre reproche qu'on pourrait certainement faire au gouvernement est
celui de ne pas avoir mis en place les ressources nécessaires pour
l'application de la loi 24, ce qui a contribué à causer le chaos
que l'application de la loi a connu au début. Ceci s'est corrigé
par la suite, du moins au plan des intervenants comme dans les CSS. On sait que
les coupures budgétaires, apparemment, seraient de l'ordre de 14 000 000
$ pour les centres de services sociaux, alors que la somme qu'on a mise
à la disposition des centres de services sociaux justement pour
permettre l'application de la loi 24 était de 14 000 000 $. Je ne veux
pas dire que les coupures se feront nécessairement dans ce secteur, mais
on peut se demander s'il n'y a pas des risques que ce qu'on a connu comme
ressources supplémentaires soit, à ce moment-ci, diminué
considérablement.
C'est peut-être davantage sur l'absence des ressources en
hébergement qu'il faut revenir et qu'il faut vraiment déplorer
l'inaction, pour ne pas parler de l'irresponsabilité du gouvernement. Il
existe présentement une carence de ressources institutionnelles
très forte, dans la région sud de Montréal, pour les
jeunes anglophones de
l'ensemble du Québec, pour les jeunes filles ayant besoin de
mesures sécuritaires dans tout le Québec. On pourrait
également parler de l'absence de ressources psychiatriques
adéquates, particulièrement dans certaines régions, pour
les adolescentes et les adolescents. On sait fort bien que ces cas de
protection sont souvent reliés à des problèmes
socio-affectifs ou que ces problèmes socio-affectifs conduisent à
des troubles de comportement sérieux qui ne trouvent pas de solution par
manque de ressources.
Le ministre d'État au Développement social, qui
était ministre des Affaires sociales il n'y a pas longtemps, aime
beaucoup se vanter de ce que son gouvernement a fait dans différents
domaines. Il aimait surtout dénoncer ce qu'il appelait l'incurie du
gouvernement qui a précédé. J'ai devant moi un rapport du
comité sur l'engorgement du réseau sécuritaire,
daté de janvier 1981 auquel a participé M. Robert Lavoie - qui
n'est pas mon cousin - directeur de la réadaptation au ministère
des Affaires sociales. C'est donc un projet d'étude qui a dû
recevoir l'approbation du ministère des Affaires sociales. On peut lire,
dans ce rapport, que la volonté politique s'était
manifestée en 1975 et 1976 quant à la mise en place et à
l'amélioration de la situation d'ensemble du réseau
sécuritaire. Pour la première fois en près de quinze ans,
des moyens valables étaient pris pour rationaliser, organiser, planifier
et qualifier ce réseau de ressources; depuis 1977, c'est-à-dire
depuis l'arrivée du gouvernement du Parti québécois, une
volonté politique nouvelle se manifeste par des objectifs quasi
contradictoires. La planification en cours de réalisation est
arrêtée. Il y a peut-être un de mes collègues qui
reviendra sur ce manque de ressources. D'ailleurs, même si la loi 24 ne
permet pas la détention en prison, on a retrouvé certains jeunes
qui ont dû être détenus en prison pour de courtes
périodes, si vous voulez, parce que justement il y avait ce manque de
ressources. (20 h 40)
Je suis certaine aussi que la population se souviendra des articles qui
ont paru selon lesquels les ressources sont tellement limitées et peu
abondantes que dans des cas d'urgence on a été obligé de
placer des enfants qui requièrent de l'hébergement en motels ou
dans des centres d'hébergement vraiment de fortune. Là-dessus, je
m'explique mal l'inertie du gouvernement. J'entendais le leader du gouvernement
tout à l'heure préparer toute la dialectique que le gouvernement
utilisera probablement dans quelque temps pour nous dire que si au plan
budgétaire il a des difficultés, ce sera le résultat des
mauvaises négociations avec le fédéral. Or, dans le cas
particulier qui nous occupe, il ne peut pas inculper le fédéral,
c'est vraiment le gouvernement actuel du Québec qui n'a pas pris ses
responsabilités.
M. le Président, si on continue de parler de ce manque de
ressources, je pense qu'il faut aussi parler de l'inaction du gouvernement dans
le domaine de la prévention. Je voudrais simplement très
brièvement faire allusion aux coupures budgétaires dans le
domaine social et dans le domaine scolaire. On sait que dans le domaine social,
ce sont les CSS qui ont la responsabilité première de faire la
prévention auprès des familles. Si le gouvernement maintient les
coupures qu'il a annoncées, quoique ce ne soit pas encore officiel, on
réduira le travail de prévention auprès des familles et on
risquera probablement l'augmentation d'institutionnalisation ou encore les
services sociaux ne pourront intervenir auprès des familles que dans les
cas de crise, que dans les cas où la détérioration aura
été faite et, dans ce sens, probablement précipiter et
multiplier l'institutionnalisation des enfants.
Je voudrais également parler, puisque je parle des
responsabilités du gouvernement, de l'inertie du gouvernement
vis-à-vis de l'exploitation des mineurs. Les lois existent, mais elles
ne sont pas appliquées. J'aimerais ici me référer, si vous
me permettez, au colloque qui a été tenu par la
Fédération des femmes du Québec pas plus tard que vendredi
dernier, colloque qui était intitulé: "Volonté politique
et pornographie - c'est le temps d'agir au moins pour protéger les
mineurs." On retrouve dans les conférences qui ont été
données à cette occasion une analyse par Me André
Ruffot-Mondor sur les lois existantes qui pourraient protéger les
jeunes, mais qui ne les protègent pas parce que le ministère de
la Justice ou le ministre de la Justice ne prend pas les moyens pour que ces
lois soient appliquées et protègent d'une façon efficace
nos jeunes. Par exemple, elle dit que de nombreuses dispositions
législatives existent pour intervenir au niveau des enfants
exploités. Elles ne sont pas ou peu utilisées à ce jour.
Elle rappelle la Loi sur les bureaux de placement où il semble clair que
toutes les agences de placement s'occupant de trouver des contrats aux jeunes
dansant nus n'ont pas le permis requis par la loi et agissent
illégalement.
Pourtant ces agences continuent toujours de fonctionner
impunément. Dans la Loi des établissements industriels et
commerciaux il y aurait également des articles qui s'appliquent, mais
ils ne sont pas respectés. Quant à la Loi sur les permis
d'alcool, on se souviendra que lors de l'adoption d'un amendement à
cette loi, mon collègue de Saint-Laurent avait proposé qu'on soit
plus sévère là où on faisait l'exploitation des
mineurs, particulièrement des jeunes
filles, et qu'un détenteur s'expose à perdre son permis.
Jusqu'à maintenant, il semble que les poursuites en vertu de ces
articles sont à toutes fins utiles inopérantes et qu'on peut
continuer de contrevenir à la loi sans qu'on soit importuné. Le
nombre des jeunes filles mineures qui sont exploitées dans ces cabarets
ou dans ces débits n'a pas diminué. Non seulement elles
s'exposent à bien des points de vue, mais surtout elles peuvent devenir
une proie facile pour la prostitution et pour la délinquance.
Ce ne sont que quelques exemples, M. le Président. On peut avoir
une bonne loi. On peut l'améliorer, mais encore faut-il qu'on la fasse
appliquer et particulièrement dans toutes ces lois qui touchent à
la protection des jeunes. On peut avoir la loi 24, mais si à
côté on a une série de lois dont certains des articles ou
certaines dispositions s'intéressent directement à la protection
des mineurs et qu'on ne les fasse pas appliquer, on pourra parler bien
longtemps de la loi 24 ou d'une loi sur la protection de la jeunesse, alors
qu'à côté il y a des lois qui sont, à toutes fins
utiles, inopérantes.
M. le Président, je voudrais simplement vous dire, en terminant
ces remarques, notre volonté de faire valoir les représentations
qui ont été faites de nombreuses sources qui sont indirectement
impliquées auprès des jeunes, de faire valoir très
fortement leur point de vue en commission parlementaire. J'espère
toujours que peut-être on aura une commission parlementaire
réduite comme certaines personnes et organismes l'ont fait valoir. Je
peux vous dire que nous voterons pour la loi 10, parce qu'il s'y trouve
quelques amendements positifs, ne serait-ce que pour montrer... En dépit
des modifications extrêmement mineures qu'on apporte à la loi 24
et qui ne corrigent pas les problèmes de fond, nous allons quand
même voter pour la loi 10 parce qu'entre autres je pense qu'elle inclut
certaines dispositions comme, par exemple, les institutions d'enseiqnement dans
les organismes visés dans la loi - cela m'apparaît très bon
- pour que les institutions d'enseignement prennent aussi leurs
responsabilités à l'égard de la protection des jeunes, que
ce soit établi plus clairement. Il y a également une meilleure
définition des unités sécuritaires. Il y a
également la soustraction à la loi 24 des infractions au Code de
la route et règlements municipaux relatifs à la circulation et au
stationnement.
On peut s'interroger, par contre, sur le fait qu'on se soit
limité à ces infractions spécifiques et qu'on n'y ait pas
inclus des infractions statutaires telles celles reliées à la Loi
sur la protection de la faune, ce qu'on appelle communément le
braconnage, la fréquentation des débits de boisson. Je pense que
ces infractions qui, souvent, mobilisent des énergies
considérables de tous les intervenants de la Loi sur la protection de la
jeunesse allégeraient largement la tâche qui leur est
confiée et leur permettraient d'être plus efficaces auprès
des cas qui en ont besoin. Cela pourrait peut-être être
discuté en commission parlementaire.
Il y a d'autres points qui, je pense, sont importants comme, par
exemple, certaines mesures d'urgence, mais un fait demeure. Parce que le
gouvernement refuse d'examiner plus en profondeur la loi
particulièrement en ce qui touche la délinquance des jeunes
à la lumière de l'expérience vécue et à la
demande de la population, des principaux intervenants de la table de
concertation et de consultation de la Loi sur la protection de la jeunesse, il
risque - et c'est ce qui est grave - de discréditer ou de miner une loi
qui est le résultat d'une longue concertation et de nombreux efforts et
qui, comme le disait le ministre tout à l'heure, nous place au
Québec à l'avant-garde dans le domaine de la protection de la
jeunesse. Il est exact qu'à l'heure actuelle la population se pose des
questions sérieuses, ce qui ne veut pas dire que les principes
fondamentaux de la loi soient mauvais, mais ceci indique clairement qu'il faut
qu'il y ait une révision en profondeur de la loi, qu'on en
réexamine tous les mécanismes et que, le plus rapidement
possible, on nous fasse part de la réglementation que le ministre ou les
ministres veulent appliquer. Je pense que, si on ne le fait pas, ce
préjugé qui n'est pas totalement sans fondement, en dépit
des statistiques que le ministre des Affaires sociales nous a
présentées tout à l'heure... Cela me rappelle d'autres
statistiques où on a eu certains échanges vigoureux dans le
passé. Pour rassurer la population, le ministre des Affaires sociales
nous dit: En 1979-1980, il y a eu 54,291 signalements. En 1980-1981, il y a eu
une diminution de 100, c'est insignifiant; nous sommes encore à 54 146.
Par contre, il reconnaît bien qu'en 1977, il y avait eu 42 000
signalements. (20 h 50)
C'est vrai que, la première année, l'augmentation des
signalements est causée par l'application de la loi, par une meilleure
protection des jeunes en besoin de protections de toutes sortes, mais il reste
qu'on croyait que le nombre de signalements se résorberait, et on reste
toujours avec un nombre de signalements aussi élevé. Je ne veux
pas, à mon tour, faire l'interprétation de statistiques, M. le
Président, mais je trouve peut-être un peu hasardeux de la part du
ministre de tenter, à partir de ces chiffres, de rassurer la population.
Je pense que ce qui rassurerait vraiment la population, ce serait d'abord une
information plus exacte de la loi dans l'ensemble de la population; ce
serait aussi une volonté politique de réexaminer en
profondeur les écueils que, maintenant, on connaît dans la loi, et
je pense que ce serait vraiment malheureux que le gouvernement n'accepte pas de
le faire.
Je souhaiterais que le gouvernement accepte - c'est une proposition que
nous lui faisons - la possibilité de créer un comité
conjoint non partisan auquel seraient associés les intervenants afin de
réexaminer vraiment en profondeur la loi 24. Depuis longtemps, les
membres de cette Chambre, tant du côté ministériel que du
côté de l'Opposition officielle, s'interrogent sur un rôle
plus significatif que pourraient jouer les députés au plan
législatif. Je pense qu'avec la loi 24, nous avons une loi qui,
justement, pourrait se prêter à ce travail conjoint, sans
partisanerie. Je suis certaine que tous et toutes, de ce côté-ci
de la Chambre comme de l'autre, nous ne voudrions pas entrer ou faire jouer la
politique partisane en ce qui touche l'avenir de nos jeunes. Je pense que, s'il
est un terrain où les divergences politiques pourraient s'estomper,
où on pourrait sans hésitation établir un front commun,
c'est celui de la protection de nos jeunes.
Je vois le ministre rétorquer dans sa réplique: Vous nous
reprochez de ne pas aller assez vite et, maintenant, vous nous proposez de
tenir une commission parlementaire qui va réexaminer toute la loi 24 en
profondeur. Je dis au ministre: Nous serions prêts à lui donner
dans la loi 10 ce qui peut en améliorer le fonctionnement temporairement
rapidement. Mais il reste que ce n'est pas un changement réel à
la loi 24 que le ministre d'État au Développement social nous
propose et même les petits changements qu'il propose sont loin de faire
l'unanimité. Or, dans un domaine comme celui-là, il faut au point
de départ s'assurer la collaboration des principaux intervenants. Je
pense que j'ai fait la démonstration à ce moment-ci que tel ne
sera pas le cas. Alors, même cet amendement plus important va
créer davantage de difficultés qu'il va en aplanir.
M. le Président, encore une fois, nous voterons pour la loi 10.
Nous collaborerons en commission parlementaire si ceci entre dans les plans du
gouvernement, mais je refais cette proposition et ceci d'une façon non
partisane, sincèrement et foncièrement dans
l'intérêt des jeunes du Québec. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Nicolet.
M. Yves Beaumier
M. Beaumier: Vous me permettrez sans doute, M. le
Président, étant donné que c'est la première fois
que je prends la parole dans cette Chambre, de saluer très
chaleureusement les gens de mon comté, tous les citoyens et les
citoyennes de Nicolet et de Yamaska qui m'ont accordé toute leur
confiance le 13 avril dernier. J'aimerais leur dire tout simplement que
j'entends les représenter dignement dans cette Chambre et
défendre, chaque fois que ce sera nécessaire et leurs convictions
et leurs intérêts.
Ceci dit, M. le Président, j'aimerais faire à mon tour
quelques remarques sur le projet de loi no 10 et sur la loi qu'il modifie,
c'est-à-dire la Loi sur la protection de la jeunesse. Pour bien
comprendre ces amendements, il faut se replacer, au fond, dans le contexte de
la loi 24. D'une part, on est porté à oublier - et c'est un peu
la nature humaine qui est faite comme ça -que cette loi fut à
l'époque considérée pratiquement comme historique en ce
qu'elle reconnaissait et établissait une fois pour toutes des droits
fondamentaux à l'enfant. Ce dernier était
considéré, enfin, comme une personne humaine à part
entière.
Plus caché, mais non moins évident, cette loi avait comme
objectif d'impliquer davantage et directement la responsabilité de
l'ensemble de la société, pas nécessairement pour se
porter elle-même responsable des maux de ses propres enfants, mais
certainement comme volonté de résoudre, avec les meilleures
chances possibles, les problèmes vécus par nos jeunes. Chacun
trouvait depuis longtemps que l'attitude de notre société devant
ce problème de notre jeunesse en était une d'absence, de solution
simpliste, quand ce n'était pas une attitude d'autruche.
M. le Président, on est porté aussi à oublier que
cette loi s'inspirait d'une vision qui était doublement positive. D'une
part, elle se voulait avant tout une protection contre les préjudices
subis par ce groupe de citoyens qui sont à leur façon plus
démunis que d'autres. J'aimerais rappeler ici que dans son premier
rapport annuel, le président du Comité de la protection de la
jeunesse signalait que dans la première année d'application, sur
50 000 cas qui avaient été portés à l'attention du
comité, 30 000 étaient des cas d'enfants en besoin de protection.
Ce seul argument de la majorité des cas de protection sur les cas de
délinquance justifiait et justifie encore pleinement le
bien-fondé de la loi et l'orientation qu'elle avait prise.
Elle a été également positive parce qu'elle avait
comme objectif, dans le jargon administratif, de déjudiciariser le
comportement des jeunes, ce qui impliquait -et là, il faut bien
s'entendre - non pas d'éviter à tout prix le recours au tribunal
quand c'était nécessaire, mais bien de permettre un choix dans
les différents types d'interventions auprès de ceux qui
étaient temporairement en difficulté et en privilégiant,
bien sûr, et dans l'intensité et
dans le temps, l'intervention sociale plutôt que l'intervention
judiciaire.
Ainsi, cette loi avait deux volets tout aussi importants l'un que
l'autre, la protection des jeunes contre les abus de toutes sortes et la
participation, sans accablement judiciaire inutile, du délinquant
à sa propre réinsertion sociale. À ce sujet, j'aimerais
noter, M. le Président, que pour les cas où nos jeunes avaient
participé à la réhabilitation volontaire, il y avait
environ 5% de récidives.
Ceci établi, ce que propose en somme le projet de loi no 10,
c'est d'améliorer encore cette loi en la bonifiant et en permettant
encore avec plus de sécurité d'atteindre les objectifs qui sont
pour tous la protection de notre jeunesse.
D'une part, ce projet de loi propose l'intégration du milieu
scolaire, des niveaux primaire, secondaire, collégial, aux organismes
impliqués dans la défense des droits, la promotion des
intérêts et l'amélioration des conditions de vie de nos
enfants. L'école devient ainsi un milieu de ressources humaines et
sociales qui s'ajoute aux organismes déjà existants et
prévus par la loi. (21 heures)
D'autre part, dans l'optique de faciliter la réhabilitation de
l'adolescent, trois principales mesures sont mises de l'avant. D'une part, le
directeur général du centre d'accueil pourra désormais
limiter le droit d'un enfant à communiquer avec certaines personnes,
avec droit d'appel évidemment de la part du jeune, si ces personnes ne
peuvent que nuire à sa réhabilitation. Ceci aura pour avantage et
comme effet de couper certains liens qui sont nuisibles lors des étapes
de réhabilitation.
De même, dans les cas d'hébergement volontaire dans une
famille d'accueil ou un centre d'accueil, la période
d'hébergement pourra passer de six mois à un an s'il y a
consentement des parents ou de l'enfant quand il a 14 ans et plus.
Également, et toujours dans le même esprit, dans les cas
d'hébergement obligatoire dans une unité de
sécurité, la période maximale d'hébergement passera
de trois à six mois et pourra même être prolongée
d'une autre période maximale également de six mois.
Tout ceci a comme objectif d'assurer à l'enfant, à celui
qui veut s'en sortir, non seulement le meilleur milieu de
réhabilitation, mais aussi le temps nécessaire et suffisant
à sa réhabilitation, sans pour autant en faire une
incarcération à l'ancienne mode déguisée.
Voilà mon point de vue, M. le Président, et pour
l'essentiel, ce qu'ajoute et améliore le projet de loi no 10. Je mets
également cette Chambre en garde - on en a vu des articles dans les
journaux - contre ceux qui, par préjugé, par mythe ou par
nostalgie d'une certaine société, voudraient revenir en
arrière prétextant un lien entre ce projet de loi et une
pseudo-augmentation du taux de criminalité, un lien qui est non
fondé ni ici ni ailleurs. Certains aimeraient reprendre une ligne un peu
plus dure, un peu plus accablante pour nos jeunes et un peu plus
contraignante.
Nous, M. le Président, notre nid est fait. Nous tenons, les
amendements proposés vont dans ce sens, à continuer à
protéger nos jeunes tout en leur donnant la meilleure chance de veiller
eux-mêmes à leur propre réinsertion sociale. C'est un
défi, c'est un beau défi.
En terminant, M. le Président, et plus profondément, je ne
saurais, quand il s'agit de difficultés rencontrées par notre
jeunesse, distinguer toujours la part de responsabilités qui lui revient
et la part de responsabilités qui revient à la
société. C'est pour cette raison et peut-être pour d'autres
qu'il importe avant tout de faire en sorte que notre société qui
n'est pas sans défauts continue à être
généreuse et aidante. C'est pour cette raison et avec
peut-être moins de torture que semble en avoir Mme la
députée de L'Acadie que je voterai avec plaisir et sans
réticence pour le projet de loi no 10.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Laurier.
M. Christos Sirros
M. Sirros: Merci, M. le Président. Je veux, à mon
tour, parler du projet de loi no 10 et des modifications qu'il apporte à
la loi no 24, Loi sur la protection de la jeunesse. Avant d'aborder le projet
de loi, j'aimerais dire quelques mots sur la loi no 24 elle-même.
Cette loi qui a d'ailleurs été adoptée à
l'unanimité par cette Chambre, il y a au-delà de trois ans,
disait, dans son ensemble, de mettre, d'une part, de l'ordre en matière
de protection de l'enfance dans ce domaine et d'assurer la reconnaissance de
certains droits aux mineurs, par exemple, le droit à la
réinsertion familiale et sociale des enfants dont la
sécurité et le développement étaient compromis.
Dans son ensemble, c'est une loi avec un fondement humain, une loi de
première importance étant donné qu'il s'agit de notre
première ressource, notre jeunesse, et tout le monde qui travaille
auprès des jeunes qui ont besoin de protection est d'accord pour dire
que c'est une excellente loi, une loi qui innove, une loi qui fait, en quelque
sorte, l'envie d'autres gouvernements ou d'autres provinces, comme le
soulignait tout à l'heure le ministre lui-même.
Je souligne pourtant que la loi no 24 est venue changer, de façon
radicale, les méthodes de travail dans le domaine de la protection de la
jeunesse et a nécessité,
d'une part, un apprentissage dans le réseau des affaires sociales
et judiciaires qui travaille avec les jeunes et, d'autre part, la loi a
exigé surtout un changement d'attitude de la part de la
société par rapport à la jeunesse.
Donc, trois ans après son adoption et deux ans après son
application, on a devant nous, aujourd'hui, un projet de loi qui modifie
certains aspects de la loi no 24, Loi sur la protection de la jeunesse. J'ai
parlé tantôt de l'aspect de la protection de la jeunesse qui
touche la majorité des 50 000 cas signalés au DPJ, le directeur
de la protection de la jeunesse. Il y a pourtant un aspect du problème
dont la loi 24 traite, c'est celui du phénomène de la
délinquance. Il faut quand même faire une distinction entre les
cas de protection - il s'agit là des cas d'enfants maltraités,
abandonnés, qui ont des problèmes clairement sociaux - et aussi
les cas de délinquance qui sont des délits ou des infractions au
Code criminel ou aux règlements municipaux, etc.
Je crains simplement qu'en voulant peut-être aller trop de l'avant
dans ce domaine, les auteurs de la loi aient peut-être brûlé
certaines étapes telle, par exemple, la mise sur pied des ressources
appropriées et adéquates en même temps qu'on disait qu'il
fallait signaler tous les cas. On a vu, dans une période d'un an et demi
à peu près avant l'adoption de la loi, qu'il y avait à peu
près 42 000 cas de signalés; le total des cas signalés a
augmenté à 50 000 après l'adoption de la loi. Ce n'est pas
pour dire que la loi est responsable des actes de délinquance ou quoi
que ce soit, c'est simplement parce qu'on a maintenant un meilleur
système de signalement de ces cas et on a vu une augmentation des cas
signalés.
Par contre, on n'avait pas prévu les ressources adéquates
et on a vu, dans les journaux, toutes sortes de choses comme, par exemple, des
enfants hébergés dans un motel avec un gardien de
sécurité au lieu d'un centre d'accueil proprement dit, etc.
Je rappellerai également à la Chambre qu'au moment de
l'application de la loi 24, il y avait toute une publicité qui
était axée à l'époque presque uniquement sur les
droits de l'enfant. Je me rappelle une belle photo d'un garçon et d'une
fille tout souriants avec un slogan qui disait: Maintenant, j'ai ma loi. Il n'y
avait pourtant pas assez d'emphase mise sur le parallèle ou le
complément des droits que sont, évidemment, les
responsabilités. Cette publicité a été
tranquillement retirée du marché, si on peut parler ainsi,
quelques mois plus tard. Le problème de la délinquance comme
telle n'est pas un problème strictement québécois et on
constate, à travers tous les pays industrialisés de l'Occident,
une augmentation de ce phénomène. Il ne s'agit donc pas de dire
que la loi 24 est responsable d'une augmentation de la délinquance, loin
de là. Il s'agit pourtant de s'assurer que nous faisons de notre mieux,
soucieux de l'impact que peut avoir l'adoption à l'Assemblée
nationale de lois de fond comme la loi 24, des lois qui sont en avant de
l'attitude générale, des lois qui se veulent avant-gardistes. Il
faut avoir le souci de s'assurer qu'on est bien conscient des problèmes
qui peuvent en découler.
Le travail peut-être le plus intéressant auquel peut
participer un député ou un législateur est celui de
prendre part à des projets de loi, à des prises de
décision qui tracent effectivement un chemin pour l'avenir, comme l'a
fait la loi 24. À mon point de vue, pourtant, la loi 24 est une loi
avant-gardiste. L'Assemblée nationale ayant voté à
l'unanimité pour cette loi, nous nous retrouvons aujourd'hui, trois ans
plus tard, avec l'occasion de revoir non pas le fond de la loi 24, mais de
revoir la loi 24, comme le soulignait le ministre, pour l'améliorer
d'une façon réelle et substantielle. Le gouvernement nous propose
aujourd'hui de modifier certains aspects de la loi 24. Trois ans après
l'adoption de cette mesure, c'est effectivement le temps d'examiner
l'application de cette loi et de la modifier. Il est pourtant encore plus le
temps, à mon point de vue, d'examiner à la lumière du
vécu de ces trois dernières années les effets de cette
orientation fondamentale qu'on a entreprise avec la loi 24. Ce serait
là, je crois, un geste concret du législateur qui
démontrerait de façon directe son souci pour
l'amélioration de la qualité de la vie dans notre
société moderne par rapport à un problème
très réel, celui de la délinquance juvénile. Or, en
examinant le projet de loi no 10, on constate qu'il n'est pas question vraiment
de quelque modification de fond que ce soit. Il s'agit de changements mineurs,
cosmétiques même dans certains cas et techniques surtout. Ce sont
en qénéral des changements qui permettent une certaine
amélioration de certains aspects de la loi 24.
Ainsi, le gouvernement a choisi de ne pas se soucier du besoin de revoir
après un certain vécu des lois qui ont une si grande importance
que la loi 24. J'aimerais juste parler un peu du pourquoi de cette
nécessité que je vois d'examiner en profondeur la loi 24. Le
projet de loi no 10 n'est qu'une série minime de changements mineurs,
à mon point de vue. Encore une fois, je répète que ce sont
des changements avec lesquels on est d'accord. On ne voit pas d'objection. Il y
en a certains qui vont faire pas mal pour faciliter un peu la
débureaucratisation, si vous voulez, de la DPJ, en particulier la
référence directe au Tribunal de la jeunesse des infractions aux
règlements municipaux et au Code de la route, mais ce n'est pas assez.
(21 h 10)
Je veux juste souligner - pas pour faire des discours psychologiques,
etc - qu'à mon point de vue l'adolescence est une période de
transition dans le cycle de la vie de la personne. La fin de l'adolescence
signifie la fin de la période d'apprentissage qu'est l'enfance,
effectivement, et le début d'une vie comme adulte, c'est-à-dire
une personne qui est totalement responsable de ses actes, une personne qui ne
peut plus se permettre l'innocence gui caractérise peut-être la
jeunesse, et c'est normal. Le temps en soi, d'une part, mais beaucoup plus les
expériences qu'on vit dans cette période d'adolescence, d'autre
part, nous amènent à réussir plus ou moins cette
transition ou à l'échouer totalement. La société,
elle, à mon point de vue, a la responsabilité d'aider autant
qu'elle peut la réussite de cette transition et elle le fait en
soutenant des valeurs positives qui munissent les jeunes d'un bagage personnel
qui leur permet d'apprendre comment s'aimer eux-mêmes, comment aimer les
autres, comment se respecter et respecter les autres, vivre en
société finalement.
La loi 24, effectivement, véhicule plusieurs de ces valeurs
positives envers la jeunesse. Nous sommes pourtant rendus aujourd'hui a un
moment où nous devons nous arrêter, regarder de près cette
loi pour laquelle nous avons tous voté il y a trois ans, écouter
attentivement les personnes et les organismes qui vivent avec le quotidien de
la loi 24 et apporter les ajustements, les correctifs et les vraies
modifications qui s'imposent.
Le projet de loi 10, même si ses propositions sont, en
général, acceptables, mangue le bateau dans ce sens parce qu'il
ne réorganise pas en profondeur la loi 24. Ce ne sont que des
ajustements mineurs, valables en soi, mais qui ne font rien pour permettre une
vraie analyse et une rectification de la situation en matière de
traitement de la délinquance. Je vous donne seulement un petit exemple.
Un des changements proposés augmente la période maximale de la
cure fermée, du traitement clinique de trois à six mois avec une
prolongation d'un autre six mois. Cela veut dire un total de douze mois.
À mon point de vue, c'est une présomption importante de
prétendre qu'un délinquant peut être aidé
exclusivement à l'intérieur d'un an et qu'après un an il
n'y a plus rien à faire, on le remet en liberté. Cela surtout
avec quelques cas - c'est une minorité - de délinquants qui sont
des délinquants bien structurés, des délinquants qui ont
récidivé plusieurs fois et se retrouvent, de temps à
autre, devant la Cour de la jeunesse.
Il serait plus souhaitable, à mon point de vue, de ne pas imposer
de maximum, mais de prévoir peut-être un mécanisme de
révision et de justification rigoureuse de la part des intervenants
sociaux, automatiguement, après un certain délai, si jamais ils
voulaient prolonger cette période maximale, parce que autrement, c'est
comme si on se disait d'avance: Vous avez un an pour régler le
problème. Souvent, ce qui arrive dans des cas particuliers avec des
jeunes délinquants, c'est qu'ils se disent: Bon; Parfait! J'ai
simplement un an à attendre. Après cela, je suis
libéré et effectivement...
Je crois en terminant, M. le Président, qu'un vrai service serait
rendu à la loi 24 et que ce serait opportun si le gouvernement optait
pour un débat public par le biais d'une commission parlementaire, comme
le soulignait la députée de L'Acadie, plutôt que s'attarder
seulement sur des corrections mineures qui sont proposées par la loi 10.
Je veux aussi, à mon tour, assurer le ministre que nous, de ce
côté-ci de la Chambre, n'avons aucun désir de retarder ou
de bloquer des modifications qui amélioreront le traitement de la
délinquance juvénile et toute la problématique de la
protection de la jeunesse. Nous désirons pourtant voir le plus de gens
intéressés possible s'impliquer dans cette démarche, parce
que nous croyons que la problématique en question est d'envergure et que
les praticiens, tant les praticiens du service social, de la justice que les
gens ordinaires et que les établissements pourraient beaucoup plus
mettre de l'avant des propositions qui arriveraient à faire en sorte
qu'on aurait une loi beaucoup plus complète encore que la loi 24. Merci
beaucoup, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Chauveau.
M. Raymond Brouillet
M. Brouillet: M. le Président, la Loi sur la protection de
la jeunesse, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée
nationale et sanctionnée le 1er décembre 1977,
révèle l'évolution des mentalités dans notre
société québécoise. Elle incarne un nouvel esprit
dans la perception des responsabilités de la collectivité
à l'égard de notre jeunesse et en particulier de notre jeunesse
en difficulté d'adaptation sociale.
Le titre même de la loi, Loi sur la protection de la jeunesse,
révèle bien l'intention du législateur et l'esprit gui
anime cette loi. Il s'agit bien, en effet, de protéger notre jeunesse en
difficulté et de lui aider, par des moyens appropriés, à
assurer son plein développement et son insertion sociale positive. Les
jeunes visés avant tout par cette loi se trouvent principalement dans
deux catégories: ceux dont le développement physique et mental
est mis en péril par les conditions de vie familiales et sociales dans
lesquelles ils sont placés et, l'autre catégorie, ceux gui ont
commis guelques délits.
Dans le premier cas, M. le Président, le souci premier de
protéger les jeunes a recueilli et recueille encore spontanément
l'unanimité de la population. À cet égard, la loi 24 a
reçu très peu de critiques. Dans le cas des jeunes qui ont commis
quelques délits, nous rencontrons dans certains milieux la tendance
à ne prendre en considération que la protection de la
société, pour ne pas dire une illusoire tranquillité, et
à adopter à l'égard de ces jeunes des mesures proprement
judiciaires. Certains voudraient que cette catégorie de jeunes
relève dans tous les cas et immédiatement de l'intervention
judiciaire qui, au terme, aboutirait à des sanctions de caractère
punitif et imposées d'autorité, voire à
l'incarcération pure et simple.
M. le Président, une telle façon de penser repose sur des
postulats qui révèlent une méconnaissance des conditions
réelles de vie des jeunes. Elle repose en partie sur l'idée que
les jeunes délinquants sont les premiers, sinon les seuls responsables
de leurs attitudes, de leurs comportements et de leurs actes délictueux
vis-à-vis de la société. Elle repose aussi sur cette
idée que la meilleure façon de prévenir le délit,
c'est la menace de sanctions, et celle de prévenir la récidive,
c'est l'imposition de sanctions. C'est, je crois, M. le Président, cette
idée bien ancrée dans la mentalité de beaucoup de gens qui
explique le fait que certains observateurs superficiels établissent un
rapport de cause à effet entre ce que, en jargon, on a appelé la
déjudiciarisation, c'est-à-dire entre la préséance
accordée à l'intervention sociale sur l'intervention judiciaire,
et l'accroissement du taux de criminalité chez les jeunes,
particulièrement durant les dernières années.
Durant la récente campagne électorale, certains
adversaires de la loi, pour ne pas dire du gouvernement actuel, sont
allés jusqu'à présenter cette Loi sur la protection de la
jeunesse comme une loi qui incite les jeunes au crime. M. le Président,
je ne reviendrai pas sur cette interprétation fallacieuse des
statistiques, le ministre d'État au Développement social l'a
suffisamment réfutée lors de son intervention cet
après-midi. J'ai voulu ici seulement indiquer l'idée fausse qui,
à mon avis, conduit à une telle interprétation. (21 h
20)
La façon de penser de ceux qui privilégient l'intervention
judiciaire repose aussi sur une idée étriquée de la
justice, l'idée qui s'exprime dans cette réflexion que nous
entendons bien souvent: II faut que justice se fasse, entendue en ce sens: il a
commis une faute envers la société, il doit maintenant payer sa
dette envers elle. Mais, M. le Président, la question que nous devrions
d'abord nous poser ne concernerait-elle pas plutôt la dette de la
société que nous tous, collectivement, avons contractée
à l'égard de ces jeunes qui sont en difficulté
d'adaptation sociale?
Les conditions familiales désastreuses qui sont souvent le lot de
ces jeunes; les conditions sociales où fusent de toutes parts la
violence et le recel dans le monde des adultes; les conditions
économiques de chômage chronique, qui plongent la majorité
de ces jeunes dans le désoeuvrement et l'écoeurement moral, ces
conditions de vie que ces jeunes n'ont pas choisies, que la
société leur a créées les incitent à adopter
à son égard des comportements de délinquants et des
attitudes agressives.
Nous pourrions comparer leur situation à celle d'un homme que
nous placerions au bord d'un précipice en lui ordonnant de prendre bien
garde de ne pas y tomber, mais en fonçant sur lui avec un bulldozer.
Oui, M. le Président, la société a une dette envers ces
jeunes: celle de corriger la situation dans laquelle ils ont été
plus ou moins contraints de vivre, celle de leur fournir les meilleures
conditions pour favoriser leur réadaptation, pour leur permettre
d'assumer progressivement leurs responsabilités sociales.
Toute réaction violente à leur égard de la part de
la société ne ferait que s'ajouter à la violence qu'ils
ont déjà à y subir. Toute mesure coercitive et punitive
hâtivement appliquée ne ferait qu'accroître leur
agressivité. C'est pour cet ensemble de raisons, M. le Président,
que l'intervention sociale, telle qu'elle est reconnue par la loi 24, doit
continuer à avoir préséance sur l'intervention
judiciaire.
La réadaptation sociale de jeunes délinquants ne passe pas
d'abord par des mesures coercitives, lesquelles tendent à traiter les
jeunes comme s'ils avaient perdu tous droits alors que la société
seule jouirait de tous les droits à leur égard. La
réadaptation sociale suppose avant tout une attitude
compréhensive et généreuse de la société
envers ces jeunes. Il faut leur fournir l'occasion de participer activement
à leur réinsertion sociale, leur fournir les conditions sociales
et juridiques leur permettant de participer de plein gré à leur
réadaptation, leur permettant d'assumer conjointement, avec les
différents agents sociaux, la responsabilité de leur avenir.
Voilà, M. le Président, comment je perçois l'esprit
et les principes qui animent la loi 24. C'est cet esprit qui doit demeurer le
guide de tout amendement proposé à cette loi. Je crois vraiment
que le projet de loi 10, qui est actuellement devant cette Assemblée,
respecte, dans ses amendements, cet esprit présenté dans mon
allocution. Les amendements proposés concernent surtout les
modalités d'application des mesures de réadaptation et de
protection des jeunes en vue d'en assurer une plus grande
efficacité.
En intégrant dans les organismes intervenant dans le cadre de
cette loi les
institutions d'enseignement des niveaux primaire, secondaire et
collégial, le projet de loi élargit le cadre social des
principaux responsables de la protection des jeunes en difficulté. En
reconnaissant au directeur général d'un centre d'accueil le
pouvoir de limiter le droit d'un enfant de communiguer avec certaines personnes
susceptibles de nuire à sa réadaptation, en prolongeant la
durée de l'hébergement volontaire, en renforçant le
caractère confidentiel des dossiers du Tribunal de la jeunesse, pour ne
mentionner que ces quelques amendements, le projet de loi no 10 améliore
considérablement les conditions favorables à la
réinsertion sociale des jeunes.
Je terminerai ma brève intervention en lançant un appel
à tous les principaux responsables auprès des jeunes pour qu'ils
continuent à utiliser, dans un véritable esprit de collaboration,
tous les moyens que leur offre la loi 24 et le projet la modifiant afin de
venir en aide à tous ces jeunes en difficulté, afin de favoriser
chez eux la prise en charge volontaire de leur avenir. À tous les
citoyens du Québec, M. le Président, je tiens à rappeler
que l'avenir de notre jeunesse, c'est notre responsabilité individuelle
et collective et que l'avenir de notre jeunesse, c'est l'avenir de notre
pays.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Mont-Royal.
M. John Ciaccia
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je voudrais toucher
à deux aspects du projet de loi qui se trouvent non seulement dans le
projet de loi no 10 qui est devant nous pour amender la loi 24, mais qui
sous-tendent aussi la loi 24 qui a été adoptée à
cette Assemblée nationale.
Premièrement, comme les représentants de l'Opposition
l'ont déjà déclaré, nous sommes d'accord sur le
principe et les objectifs du projet de loi no 10. C'est une claire
amélioration de la situation qui existait auparavant alors que tous les
jeunes étaient obligés de comparaître devant la Cour du
bien-être social et où il n'y avait pas les moyens qui se trouvent
dans le présent projet de loi pour la protection des jeunes, soit dans
le cas où ils avaient commis un délit ou soit dans le cas
où ils avaient besoin de la protection, de l'aide et de la
possibilité d'avoir cette aide dans leur milieu naturel.
Alors, nous sommes d'accord avec ces objectifs et avec ce principe du
projet de loi. Cependant, il y a deux problèmes que je voudrais porter
à l'attention de cette Assemblée nationale. Premièrement,
c'est le problème constitutionnel. Comme vous le savez, M. le
Président, la question du Code criminel, du droit pénal, c'est de
juridiction fédérale. La loi fédérale concernant
les jeunes délinquants, par exemple, à l'article 8,
prévoit que l'enfant doit être traduit devant la cour pour jeunes
délinquants. Alors, un enfant qui commet un délit peut être
obligé de comparaître devant les tribunaux. Cependant, à
l'article 40 de la Loi sur la protection de la jeunesse, on énonce que,
si une personne a un motif raisonnable de croire qu'un enfant a commis une
infraction à une loi ou à un règlement en vigueur au
Québec, le directeur de la protection de la jeunesse est saisi du cas
avant qu'une poursuite soit engagée.
Autrement dit, nous avons dans la loi fédérale
l'obligation d'un enfant de comparaître devant les tribunaux et nous
avons dans la loi du Québec la discrétion de la part du directeur
de la protection de la jeunesse de décider si l'enfant doit
comparaître devant les tribunaux ou non. Alors, clairement il y a un
conflit et il y a même une ou plusieurs décisions qui ont
déjà déclaré inconstitutionnel cet aspect de la Loi
sur la protection de la jeunesse. Cependant, M. le Président, il est
évident que, dans tout système fédéral, il peut
arriver que certains projets de loi viennent en conflit d'une juridiction
à l'autre. Alors, nous devons nous demander que faire dans le
présent cas. (21 h 30)
Le principe de ne pas obliger catégoriquement le jeune à
comparaître devant les tribunaux, sans exception, je crois que nous
l'acceptons. Nous acceptons ce principe. Nous acceptons le principe
énoncé dans la Loi sur la protection de la jeunesse avec
certaines réserves que je discuterai plus tard, mais c'est un bon
principe. Il vient en conflit avec la loi fédérale. Alors, que
faire? Je crois, M. le Président, qu'il est possible, comme c'est
arrivé dans d'autres cas, de négocier, de discuter avec le
gouvernement fédéral afin que la loi du Québec ait
préséance sur la loi fédérale, que le gouvernement
fédéral amende sa loi et donne le droit au Comité de la
protection de la jeunesse de décider si un enfant, un jeune doit
comparaître devant les tribunaux ou non. C'est une formule semblable, par
exemple, à la formule Saint-Laurent dans le cas des transports. C'est
vrai que le fédéral avait juridiction, mais on a trouvé un
moyen pratique de résoudre le problème pour donner la
décision au Québec. C'est un processus, une suggestion d'ordre
pratique. Je ne pense pas qu'il y ait des principes fondamentaux qui soient en
conflit. Je pense même que les fédéralistes qui veulent
renouveler le fédéralisme acceptent que le droit pénal
doive être le même dans tout le pays. C'est une
nécessité, si on veut être de bonne foi, si on veut
vraiment trouver une solution pour les jeunes, d'adopter cette approche. Je
crois, M. le Président, que ce sera vraiment dans l'intérêt
de la loi du Québec, dans
l'intérêt des jeunes qu'on n'ait pas ce conflit parce que,
à tout moment, une victime d'un délit peut se plaindre et obliger
le jeune à comparaître devant les tribunaux. Ce ne sera pas
nécessairement dans l'intérêt de ce jeune. Dans les
circonstances actuelles, je recommanderais au ministre d'entamer des
discussions avec le gouvernement fédéral non pas pour avoir deux
lois sur la protection de la jeunesse qui sont en contradiction, mais, puisque
tous les représentants dans les milieux concernés acceptent le
principe qui est énoncé dans la loi du Québec, pour qu'on
donne la permission au Québec d'avoir préséance sur cet
aspect pour les jeunes et que le gouvernement fédéral amende sa
loi en conséquence. Je pense que c'est une approche, une recommandation
pratique...
M. Lazure: Est-ce que le député me permet une
question...
M. Ciaccia: Oui.
M. Lazure: ...très brève? J'apprécie
beaucoup les commentaires du député de Mont-Royal et je me
demande s'il irait aussi loin que de nous assurer de l'appui de l'Opposition
dans une telle démarche qui donnerait préséance, à
toutes fins utiles, aux décisions du DPJ, le directeur de la protection
de la jeunesse, donc de la loi no 24, par rapport à la loi
fédérale. Est-ce qu'on pourrait compter sur l'appui de...
M. Ciaccia: Absolument, M. le Président.
M. Lazure: Oui.
M. Ciaccia: Je peux assurer le ministre de lui accorder cet
appui. C'est moi qui fais la recommandation. Je ne vais pas faire une
recommandation aujourd'hui sur ce processus-là et, ensuite, vous dire
non...
M. Lazure: Mais je voulais être sûr que vous aviez
l'accord du caucus aussi.
M. Ciaccia: Écoutez! Soyons un peu raisonnables et
responsables.
Une voix: Vous avez été, depuis quatre ans, contre
tellement de choses.
M. Ciaccia: J'essaie d'éviter de faire de la
politicaillerie. Je vous fais des recommandations de bonne foi, des
recommandations qui peuvent assurer la bonne marche du projet de loi. M. le
Président, c'est sans hésitation que je peux assurer le ministre
de mon entière collaboration sur cet aspect du projet de loi.
Cependant, M. le Président, je voudrais donner une qualification
à cette démarche parce que, pour que le gouvernement
fédéral donne au DPJ, le directeur de la protection de la
jeunesse, cette discrétion, il faut amender l'actuel le projet de loi no
10 pour définir certains critères. La façon dont vous avez
rédigé le projet de loi est absolument arbitraire. Il n'y a aucun
critère pour décider de quelle façon ou dans quelles
circonstances un jeune doit aller devant les tribunaux. Si vous avez des
critères, c'est autant pour la protection du jeune. Combien de
directeurs de la protection de la jeunesse, combien d'agents appliquent la loi?
Vous pouvez avoir, dans un cas, la décision d'aller devant les tribunaux
et, dans un autre cas, la décision de ne pas y aller. Si un jeune en
voit un autre qui, peut-être dans les mêmes circonstances, a un
traitement différent, je ne pense pas que cela encourage le respect des
lois. Je ne suggère pas de dire arbitrairement que tous les jeunes qui
ont commis un délit doivent aller devant les tribunaux. Je pourrais me
référer à certaines recommandations qui ont
été faites par les gens du milieu parce qu'eux aussi voient la
difficulté que le projet de loi actuel présente quand il n'y a
aucun critère, quand il n'y a aucun moyen de déterminer dans
quelles circonstances on doit procéder devant les tribunaux. Le ministre
a donné certains chiffres, 51% des cas signalés vont devant les
tribunaux; l'année précédente, c'était 30%.
Maintenant, c'est 50%, 51%.
Il ne faut pas oublier une chose. On parle de la protection des jeunes
et je suis entièrement d'accord, mais il y a aussi l'augmentation de
l'incidence de la violence. Il y a une augmentation, dans certains milieux, de
la délinquance juvénile. Je ne veux pas faire le lien entre la
loi 24 et cette augmentation parce que je suis persuadé que cela n'a
rien à voir; s'il y a une augmentation dans certains milieux, cela n'a
rien à voir avec la loi 24 actuelle, mais le fait demeure qu'il y a
certaines critiques. Dans certains secteurs, par exemple, dans Mont-Royal, que
ce soit dans le secteur de la ville de Mont-Royal ou dans le secteur de
Côte-des-Neiges, il y a eu une augmentation de la violence. J'ai
assisté à des funérailles dernièrement alors qu'une
personne âgée s'est fait tuer pour 5 $. Cela ne sécurise
pas les gens des environs quand ils voient de tels incidents. Je crois qu'il y
a une responsabilité de la part du gouvernement non seulement de parler
de protection, mais aussi de parler d'obligation et de renforcer cet aspect
d'obligation en incluant dans la loi certains critères qui obligeraient
ou qui donneraient les normes par lesquelles le directeur de la protection de
la jeunesse enverrait les jeunes devant les tribunaux dans certains cas,
toujours sujets à une discrétion, mais tout en ayant certaines
normes, certains critères. Cela éliminerait les critiques
actuelles, les critiques parfois mal fondées. Par exemple, la critique
des corps
policiers, la critique qui suggère de limiter à 16 ans
ceux qui peuvent bénéficier des avantages de la loi; autrement
dit, que tous les jeunes de 16 ans et plus soient traités comme des
adultes. Je ne crois pas que ce soit la réponse. Je pense qu'on doit
maintenir à 18 ans la limite d'âge de ceux qui peuvent se
prévaloir de la Loi sur la protection de la jeunesse.
Une autre recommandation suggère que dans le cas de délit,
quel qu'il soit, dès l'instant où un délit est commis,
automatiquement, cela devrait aller devant les tribunaux. Je ne suis pas
d'accord pour qu'on soit si arbitraire. Je pourrais peut-être vous donner
la liste de certaines recommandations contenues dans un article de la Revue du
Barreau et qui citait les gens qui sont dans le milieu, qui administrent la
loi, qui font certaines recommandations au gouvernement. Si je peux trouver mon
document...
On dit: Nous avons recueilli toutes sortes d'anecdotes de
déjudiciarisation dans le cas de récidive, dans le cas de vol
qualifié, dans le cas d'abus sexuel, etc. Je cite la Revue du Barreau:
"Tout le monde s'accorde à dire qu'il est important de mettre de l'ordre
dans toute cette question." Mais qu'entend-on vraiment par cette assertion?
Cela ne veut pas dire automatiquement d'envoyer aux tribunaux tous ceux qui
commettent des délits. Les recommandations qui ont été
faites - je vais les citer ici - par des membres du Comité de la
protection de la jeunesse sont que des cas soient judiciarisés,
c'est-à-dire que, dans les cas suivants, les jeunes devraient
comparaître devant les tribunaux. (21 h 40)
Premièrement, le jeune qui nie la totalité ou une partie
des accusations qui lui sont reprochées. Dans ce cas-là, un des
directeurs de la protection de la jeunesse dans la région de
Québec suggère qu'on envoie le jeune devant le Tribunal de la
jeunesse. Un autre cas, c'est celui où le jeune est déjà
confié au directeur de la protection de la jeunesse ou aux centres de
services sociaux à la suite d'une ordonnance du tribunal et il est
soupçonné d'avoir commis de nouveaux délits. Autrement
dit, si une personne récidive, le directeur enverrait le cas devant le
tribunal. Un autre cas, c'est celui où le jeune est
soupçonné d'avoir commis un vol qualifié. D'autres cas,
c'est ceux où le jeune est accusé d'homicide, où le jeune
est soupçonné de tentative de meurtre, où le jeune est
soupçonné de voies de fait sur des personnes et, finalement,
où le jeune a accepté des mesures volontaires et, dans les trois
mois qui suivent cette acceptation, ne s'y est pas conformé, bien que
ces mesures volontaires apparaissent adéquates et nécessaires. Ce
ne sont pas nécessairement les critères finals, mais le principe
d'avoir des critères, je crois que cela s'impose dans la loi.
Si le ministre avec le comité conjoint que la
députée de L'Acadie a suggéré peuvent en arriver
à une série de critères qui vont enlever la
décision complètement arbitraire, sans critère, qui est
maintenant confiée au directeur de la protection de la jeunesse, je
crois que cela irait loin pour améliorer l'application de la loi,
enlever les critiques qui parfois sont mal fondées et permettre non
seulement la protection pour les jeunes, mais aussi la protection pour toute la
société.
M. le Président, je crois qu'en conclusion, je voudrais dire
qu'on ne doit pas, et c'est un danger, brutaliser notre société.
Il y a deux façons de le faire. On peut brutaliser notre
société par des lois qui sont trop restrictives, où les
gens se rebellent parce que la loi est vraiment trop sévère. Mais
l'autre façon d'aider à brutaliser la société,
c'est d'avoir des lois qui sont trop permissives, qui n'ont pas vraiment de
moyens d'application et qui laissent les agents et l'administration qui sont
responsables de l'application de ces lois dans une situation où ils
disent: Cela ne me sert à rien d'essayer d'appliquer la loi, elle n'est
pas applicable parce que cela dépend strictement des décisions
arbitraires d'autres personnes.
Les suggestions que je fais ce soir, M. le Président, en cette
Assemblée, sont dans le but d'essayer d'améliorer l'application
de la loi no 24 en mettant de l'ordre dans la question constitutionnelle, en
satisfaisant à cet aspect pour que la loi ne soit pas contestée,
pour qu'un jeune ne soit pas obligé d'aller devant les tribunaux quand
ce n'est pas nécessaire. Deuxièmement, c'est pour la bonifier en
instituant des critères pour décider dans quelle situation un
jeune doit comparaître devant le Tribunal de la jeunesse.
J'espère, M. le Président, que le ministre va accepter ces
recommandations, qu'il va les étudier et qu'il va sincèrement les
mettre en application, parce que je suis persuadé que, si ces
changements sont faits, si ces améliorations sont faites, qu'elles
seront appuyées par ceux qui sont dans le milieu et elles vont aider
à sécuriser toute la population afin que non seulement on ait la
protection pour les jeunes, mais qu'il y ait aussi un esprit. Dans la loi, il y
a certaines obligations que tout le monde doit respecter et, dans ce cas, si on
en arrive à ces objectifs, nous allons protéger les jeunes et
nous allons protéger toute notre société. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Sainte-Marie.
M. Guy Bisaillon
M. Bisaillon: M. le Président, vous me permettrez, au
niveau du débat de la deuxième lecture qui normalement se fait
sur les principes d'un projet de loi, de rappeler les principes de la loi no 24
puisque, fondamentalement, le projet de loi no 10 ne fait qu'apporter des
corrections à une loi déjà existante, sans pour autant en
changer les principes moteurs, les principes directeurs.
On a souvent parlé, depuis le début de ce débat de
deuxième lecture, de l'unanimité de la Chambre au moment de
l'adoption de la loi 24. On a, à certains moments, oublié, M. le
Président, de signaler l'unanimité aussi du milieu face à
la loi 24 à l'époque, l'unanimité des intervenants. Qu'ils
proviennent du milieu judiciaire ou du réseau des affaires sociales,
tous les intervenants étaient aussi d'accord avec les principes
directeurs de la loi 24. On pourrait se surprendre, M. le Président, et
se servir de ce phénomène pour critiquer aujourd'hui la loi 24 et
la loi 10, que, par la suite, des critiques aient été
formulées. Quant à moi, M. le Président, je trouve que
c'est un peu démagogique de se surprendre que, malgré
l'unanimité au moment où on a voté une loi, des critiques
surgissent. D'abord, il faudrait analyser la nature même, le fondement de
ces critiques et vérifier quelles dimensions elles prennent dans le
milieu, appliquées aux jeunes qu'on vise dans cette loi, parce que
fondamentalement, M. le Président, la loi 10 sur laquelle nous sommes
appelés aujourd'hui à voter et la loi 24 autrefois nous forcent,
nous, comme adultes, à nous remettre d'abord en question, nous obligent
à réviser un certain nombre de positions qu'on pouvait avoir,
à prendre conscience aussi de notre responsabilité sociale devant
la jeunesse en difficulté. C'est à la lumière de ces
principes qui doivent nous guider qu'on doit, par la suite, analyser les
critiques qui ont été formulées face à la loi
24.
Il est assez étonnant, M. le Président, de constater que,
malgré le fait qu'on souligne à chaque intervention les critiques
qu'on entend dans le milieu depuis deux ans, jamais on n'a remis en cause les
principes mêmes de ce projet de loi. Ces principes sont doubles:
premièrement, un objectif de protection de la jeunesse et,
deuxièmement, un objectif qui vise à traiter le
phénomène de la délinquance. Dans certains pays, M. le
Président, on se rappellera que lorsque le Parlement vote des lois - et
je pense, entre autres, à certains pays nordiques - ce n'est que deux ou
trois ans après que la loi a été votée par le
Parlement qu'elle est finalement appliquée de façon
définitive. Pendant les deux premières années, on se
préoccupe davantage de vérifier dans le quotidien, dans le
concret, dans l'application de tous les jours si la loi correspond
effectivement ou sert effectivement à régler l'ensemble des
problèmes qu'on prévoyait devoir régler. Lorsqu'on a
appliqué la loi dans le milieu sans qu'elle ait une valeur coercitive,
mais plutôt une valeur incitative; après deux ou trois ans, le
Parlement reconfirme cette loi. Dans le fond, M. le Président, c'est
à peu près l'exercice qu'on fait aujourd'hui. On a voté
des principes, il y a bientôt quatre ans. On les a appliqués deux
ans plus tard, c'est-à-dire depuis 1979 et, après un an et demi
d'application, on revient à la fois pour reconfirmer les principes qu'on
avait votés en 1977 et pour apporter des améliorations, pour
bonifier la loi dans le sens des outils nécessaires au milieu pour
l'appliquer de façon plus adéquate.
Comme l'ensemble de mes collègues, M. le Président, j'ai
rencontré des policiers, des agents de probation, des psychologues ou
des travailleurs sociaux qui, depuis trois ans, m'ont parlé de la loi
24. Je voudrais, cependant, faire une distinction à l'intérieur
des critiques que j'ai entendues. D'une part, les critiques s'adressaient
à l'aspect protection de la jeunesse et ces critiques étaient
loin d'être négatives. Ces critiques visaient plutôt
à dire: C'est un aspect important de la loi. Malheureusement,
l'éclairage n'est pas mis assez souvent sur cet aspect important de la
loi, de sorte qu'on manque d'outils de travail. On n'a pas le temps
nécessaire pour s'attaquer au problème de la protection, de la
prévention. L'autre aspect des critiques s'adresse au traitement de la
délinquance. Quant à moi, M. le Président, et avec bien
d'autres, je m'imagine que ce n'est pas parce qu'un texte de loi existe qu'il
est automatiquement compris. Ce n'est pas, non plus, parce qu'on s'entend sur
les principes de fond que, dans l'application de tous les jours, on les
applique en fonction de l'idée qu'on avait lorsqu'on a adopté la
loi. (21 h 50)
Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, le
deuxième aspect de la loi 24, celui qui traite de ce qu'on appelle la
déjudiciarisation, autrement dit, sortir les cas du tribunal, ce n'est
pas cela, la loi ne prévoit pas cela de cette façon. J'ai
pourtant rencontré un certain nombre de policiers qui m'expliquaient la
loi 24 de cette façon en disant: On ne peut plus rien faire, on n'est
plus capable d'aller devant le tribunal. Ce n'est pas vrai. Le principe qui
existe dans la loi 24, c'est de traiter chaque enfant selon le cas propre
à chaque enfant. Ce n'est pas d'attendre trois ou quatre méfaits
avant de s'adresser au tribunal. Un intervenant peut s'adresser au tribunal
dès le premier délit s'il juge, dans les circonstances, devant
l'enfant qu'il a devant lui, que c'est la procédure à suivre.
Autrement dit, ce que la loi 24 a fait, c'est de laisser à l'intervenant
local le choix, en
fonction de l'enfant, des moyens à prendre. Mais ce n'est pas,
comme on le prétend, de façon automatique sortir l'enfant du
tribunal. C'est sortir l'enfant du tribunal si ce n'est pas le bon moyen et
utiliser tous les autres moyens mis à notre disposition, et placer
l'enfant devant le tribunal si c'est le moyen ou si on juge localement que
c'est le seul moyen mis à notre disposition dans les circonstances.
Dans ce sens, M. le Président, je pense qu'il faut s'opposer
à la mise sur pied de tout critère, de toute norme qui ferait
qu'on reviendrait à la situation qu'on connaissait dans le passé.
C'était quoi, la situation du passé? Un cadre et tout le monde
dans le même cadre. Tu commets un délit, tu passes dans le casier
qui dit que quand tu as commis un délit, c'est là qu'il faut que
tu ailles. C'est clair pour nous, les adultes, mais ça ne tient pas
compte de l'enfant, de ses différences ni des événements
de sa vie qui l'ont amené à commettre une bêtise ou un
méfait. C'est donc personnalisé; c'est ça le principe qui
est important et qu'il faut retenir. Dans ce sens, un certain nombre de
critiques qu'on a entendues prennent une allure tout à fait
différente. Il me semble qu'il faut aujourd'hui rappeler que c'est de
cette façon qu'il faut envisaqer la loi 24 amendée aujourd'hui
par la loi 10.
Je ne voudrais pas, M. le Président, perdre l'occasion de vous
parler d'une expérience personnelle que j'ai vécue face à
la loi 24. II y a bientôt un an maintenant, alors que je me
préparais à me rendre à Québec, passant à
mon bureau de Montréal, j'ai laissé mon automobile
stationnée devant mon bureau de comté, moteur en marche et ce qui
devait arriver est arrivé: deux minutes plus tard, mon auto était
disparue. Les policiers sont intervenus et, à peine trois quarts d'heure
plus tard, on retrouvait mon automobile avec, à l'intérieur,
trois adolescents: 15 ans, 16 ans, 14 ans.
Une voix: C'est votre faute!
M. Bisaillon: La loi 24, justement, M. le Président, a
permis de faire la distinction parmi ces trois adolescents. L'intervenant dans
le dossier, le travailleur social, m'a aussi fourni la possibilité de
les rencontrer. Autrement dit, on a utilisé un des moyens qu'on utilise
régulièrement, mettre en présence les adolescents, les
jeunes qui ont commis un méfait et la personne qui a été
touchée par ce méfait. J'ai trouvé cela formateur non
seulement pour les jeunes à qui ça m'a permis d'expliquer non pas
que c'était grave, j'ai une voiture 1969, ça n'avait pas une
très grande valeur et, d'ailleurs, elle ne m'appartenait pas...
Une voix: C'était une voiture volée.
M. Bisaillon: ... mais ça m'a permis d'expliquer aux
jeunes les inconvénients que ça m'avait créé et les
inconvénients que ça aurait pu créer à d'autres
pendant qu'ils conduisaient mon véhicule. Pour eux, ce
procédé a été efficace; pour moi, ç'a aussi
été efficace. C'est à double sens, ce n'est pas à
sens unique. Cela permet aussi aux adultes de prendre conscience que plusieurs
fois un certain nombre de méfaits sont commis, dans le fond, parce
qu'ils les ont suscités, ils sont à la base d'un certain nombre
de méfaits. Si cette procédure n'avait pas été
possible, si on avait été dans l'ancien système,
automatiquement, c'est à la Cour de bien-être social que les
jeunes auraient été dirigés. De façon automatique,
j'aurais été absent, j'aurais été un demandeur
devant la loi et pas autre chose. Cela m'a permis d'être impliqué
dans le dossier et c'est ça que vise essentiellement la loi 24.
Cette loi M. le Président, amène des corrections qui
viennent du milieu, qui ont été demandées. Bien sûr,
l'ensemble des corrections demandées n'est pas encore dans la loi. Cela
me permet de penser, M. le Président, que, comme la situation
évolue, comme la société évolue et comme les jeunes
changent d'année en année, peut-être que dans deux ans, ou
avant, on reviendra devant cette Chambre pour apporter d'autres modifications
à la loi 24. Pourquoi s'en scandaliser? N'est-ce pas là le
meilleur moyen d'avoir une législation des plus adaptées aux
besoins des citoyens et de la société?
Si on était forcés, M. le Président, obligés
par notre procédure parlementaire de revenir à tous les deux ans
devant le Parlement et de lui soumettre toutes les lois, si on était
obligés de soumettre en commission parlementaire tous les programmes
gouvernementaux, est-on sûrs que toutes nos lois resteraient telles
qu'elles sont écrites actuellement et que tous les programmes
continueraient de fonctionner comme ils fonctionnent actuellement? Il me semble
que c'est un exercice sain de se représenter régulièrement
pour améliorer, bonifier, se servir de l'expérience du milieu et
c'est la démarche qu'on fait aujourd'hui.
Je suis particulièrement heureux de constater que l'inclusion du
milieu scolaire va ajouter dans l'application de la loi 24 un volet qui
était négligé au moment où on l'a votée, de
la même façon que l'exclusion d'un certain nombre de délits
va permettre aux intervenants: travailleurs sociaux, psychologues, de donner
plus de temps au traitement des cas de protection. Moins on aura de temps
à dépenser sur des questions de règlements municipaux ou
de feux de circulation, plus ce temps pourra être consacré
à des enfants maltraités, à des enfants en
difficulté, dont la santé est en danger, dont le fonctionnement
personnel,
dont l'intégrité sont en danger. Les mauvaises langues
prétendent que la meilleure preuve que la loi 24 était mauvaise,
c'est qu'on se retrouve aujourd'hui à y apporter des amendements. On
ajoute même que c'est à cause de la loi 24 que la
criminalité a augmenté.
On pourrait souligner, M. le Président, que le meilleur moyen
d'être certains que la criminalité va continuer d'augmenter, c'est
de laisser de côté les problèmes lorsqu'ils se
présentent à la base, c'est de continuer à ne pas traiter
les cas d'enfants maltraités, de situations familiales difficiles. Si on
ne traite pas ces cas-là, M. le Président, là on aura une
délinquance qui ira en augmentant.
Il me semble que le projet de loi 24 avait vu ce problème et
donnait autant d'importance à l'aspect protection qu'il en accordait
à l'aspect délinquance. Je regrette, M. le Président, que
les parlementaires et que dans le milieu les intervenants professionnels ne
mettent pas plus d'accent ou d'éclairage sur la question de la
protection que sur la question de la délinquance. Bien sûr la
question de la délinquance, M. le Président, ça suscite
beaucoup plus d'intérêt et de passion. Mais, si on pense à
moyen et à long termes, pour une société, la question de
protection de l'individu et, à moyen terme, de la société,
il me semble que c'est tout aussi important.
En terminant, M. le Président, je voudrais souligner que peu
importe de quelle façon on rédigera les lois, peu importe comment
nos lois seront faites, conçues, bâties, jamais elles ne pourront
répondre à l'ensemble des questions qui se posent à des
humains qui vivent des situations. Le principe de la loi 24 permettait à
des intervenants spécialisés de faire cette distinction et il me
semble que c'est dans ce sens qu'on doit continuer. Continuer en impliquant
davantage le milieu dans l'application de la loi 24 corrigée, en en
faisant la promotion, en y apportant l'éclairage que cette loi
mérite d'obtenir. (22 heures)
Pour ce qui est de la suggestion qui a été faite par Mme
la députée de L'Acadie, je dois vous dire que je suis un de ceux
qui favoriseraient grandement le genre de comité qu'elle propose. Il me
semble que si, à l'avenir, on devait effectivement se pencher
sérieusement sur ces questions, il me semblerait normal que des
députés, comme députés et sans appartenance
nécessairement à un parti plutôt qu'à un autre dans
cette Chambre, puissent vérifier avec les intervenants du milieu les
modifications que l'avenir pourrait nous voir apporter à cette loi, dans
les prochaines années.
Pour l'instant, le ministre a été placé comme nous
tous devant un certain nombre de difficultés d'application; cette loi
vise à améliorer au moins en grande partie l'ensemble des
revendications qui avaient été présentées. C'est
dans ce sens, je pense, qu'il faut qu'on se regroupe pour voter le projet de
loi no 10, comme on a voté la loi 24 en 1977, en ne perdant pas de vue
qu'il ne serait pas inutile qu'on se revoie, ici à l'Assemblée
nationale, dans une période de temps d'un an ou de deux ans, pour y
apporter d'autres modifications souhaitées par le milieu et aussi
nécessaires aux personnes qu'on vise dans ce projet de loi, la jeunesse
québécoise. Merci.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Neliigan.
M. Clifford Lincoln
M. Lincoln: M. le Président, je réalise que, dans
nos fonctions comme députés, nous avons chacun des attitudes
partisanes sur certains sujets. On regarde les choses différemment, on a
des attitudes politiques différentes, on approche des positions
fondamentales différemment. Mais, s'il y a une question qui nous rejoint
tous, s'il y a une préoccupation par-dessus tout qui nous rejoint des
deux côtés de la Chambre, c'est vraiment la grande
préoccupation de la justice sociale, les grandes préoccupations
d'ordre social.
Comme le disait l'autre jour, je pense, le député de
Vachon, dans son premier discours à la Chambre, la langue que parle un
chômeur, pour lui, n'a pas d'importance. Si on pense aux malades, la
langue importe peu, la couleur politique importe peu, c'est la même chose
pour les indigents, les handicapés, les vieillards. Une plus grande
préoccupation pour nous tous demeure encore la jeunesse, parce que la
jeunesse, ce sont vos enfants, nos enfants, ce sont les enfants de tous; pour
ceux d'entre nous qui n'ont pas d'enfant, c'est en fait l'avenir, les gens de
demain, le Québec de demain.
Donc, on devrait être spécialement non partisan quand il
s'agit de la grande préoccupation sociale que sont les jeunes parmi
nous. De ce côté-ci, comme l'a souligné la
députée de L'Acadie, qui est responsable de notre groupe
d'affaires sociales, de ce côté-ci de la Chambre, nous sommes 100%
d'accord sur le principe et de la loi 24 et du projet de loi no 10 qui va
amender la loi 24. Il n'y aura aucune querelle sur les principes de ces deux
lois. Au contraire, nous les appuyons d'emblée. Si nous avons quelques
suggestions à faire, ce sont des critiques et des suggestions
très constructives qui veulent, au contraire, apporter des idées
d'ensemble, dire qu'on aurait peut-être dû revoir la chose
après une période de rodage de deux ou trois ans en profondeur et
peut-être même aller un peu plus loin. Ce n'est certainement pas
une critique négative.
Par exemple, nous avons des suggestions à faire. Je suis tout
à fait d'accord avec la députée de L'Acadie que la
période d'hébergement volontaire devrait peut-être se
prolonger au-delà d'un an; peut-être qu'un maximum d'un an, ce
n'est pas assez, peut-être qu'on pourrait laisser cela plus flexible.
J'appuie son projet ou son idée d'une révision automatique qui
serait prévue dans la loi pour des cas semblables. J'appuie aussi
à 100% et je suis très content de voir que le
député de Sainte-Marie l'a appuyée cette proposition d'un
comité non partisan - je ne dis pas bipartite parce qu'il devrait
être non partisan - des deux côtés de la Chambre, de
personnes qui sont intéressées, avec des intervenants
intéressés à la question, pour justement étudier,
dans la plus grande profondeur, comment on pourrait peut-être
améliorer, si possible, parce que toute chose doit être
améliorée, la loi no 24 et les amendements qui sont
apportés par le projet de loi no 10.
On n'aura jamais assez d'unités sécuritaires. On n'aura
jamais assez de centres d'accueil. Dans mon comté, par exemple, il
manque d'unités sécuritaires, il manque de soins psychiatriques
pour les jeunes. Au Québec, la délinquance augmente - je ne fais
aucun lien, excusez-moi, entre la loi no 24 et la délinquance - mais le
nombre de lits dans les centres d'accueil et les unités
sécuritaires a été réduit, en proportion, d'environ
2500. À Montréal, c'est d'à peu près la
moitié. Le nombre de lits est réduit par rapport à la
délinquance qui augmente. C'est un problème de fond qui ne
cessera jamais. On n'aura jamais assez de centres d'accueil, on n'aura jamais
assez d'unités sécuritaires, on n'aura jamais assez de
travailleurs sociaux.
J'aurais voulu parler d'un autre aspect qui, il me semble, se rapproche
très près de ce projet de loi, qui est vraiment la base de toute
la loi. On parle de protection et la protection, c'est essentiel. Je suis tout
à fait d'accord avec le député de Sainte-Marie qu'on
devrait mettre l'accent sur la protection, mais en même temps on devrait
peut-être parler beaucoup encore de prévention parce que ce qui
amène la protection, c'est justement le manque de prévention. De
ce point de vue, je suis tout à fait d'accord et je suis très
content, très à l'aise de voir qu'on a introduit dans les
amendements à la loi la question des centres d'enseignement et des
collèges parce que justement il faut apporter une politique de
collaboration très étroite avec le système éducatif
pour que, justement - on n'éliminera jamais la délinquance - on
puisse réduire la délinquance et peut-être prévenir
certains cas. Au lieu que ce soit 54,000, même si on diminuait de 4000,
ce serait encore mieux. Si on diminuait de 14,000, ce serait encore bien mieux.
Je pense qu'on peut le faire parce que la délinquance ne commence pas
à quatorze ans. La loi prévoit 14 ans à 18 ans. Cela
commence peut-être à cinq, six ou sept ans. Ces cas, si on le
demande aux éducateurs, on les voit de très près quand les
enfants sont très jeunes.
Par exemple, je pense qu'on peut faire une comparaison entre les
écoles où on a des activités qui continuent après
la période d'instruction à l'école, des activités
pour les sportifs et les non-sportifs, des écoles où les
professeurs et les conseillers continuent à s'impliquer après les
heures normales de cours. Dans ces endroits, on remarque certainement moins
d'usage de la drogue, moins de délinquance et moins de violence. J'ai
travaillé au sein d'un comité d'école pendant plusieurs
années où nous avons pu faire cette constatation très
profonde. C'est une constatation qui s'impose parce que justement elle est
très importante. Je pense que nos écoles ferment beaucoup trop
tôt, que nos jeunes ne sont pas assez occupés et ne sont pas assez
impliqués. On peut les protéger, mais il faut d'abord les
intéresser. Il faut d'abord les impliquer dans des activités qui
vont les intéresser: activités sportives pour ceux qui peuvent
faire du sport, activités non sportives pour ceux qui ne peuvent pas en
faire. Il y en a tellement auxquelles on peut penser. Maintenant, on renvoie le
problème, on renvoie la balle aux municipalités qui ont justement
à faire des programmes de loisirs. Il faudrait qu'il y ait une
concertation entre les loisirs, les municipalités, les écoles et
tous ces ministères qui sont impliqués dans la jeunesse
même.
Les étés sont une autre source de problèmes.
L'école finie, les enfants sont laissés pendant parfois trois
mois tout à fait à eux seuls. Bien souvent, les parents
travaillent. Comment ne pas penser alors qu'un jour ou l'autre cela va conduire
à la délinquance? Il faut justement qu'il y ait là aussi
des programmes d'été beaucoup plus soutenus, pas un petit
programme qui est fait au pied levé par une municipalité ou une
autre, sans orientation définie, sans planification
étudiée. Il faudra justement qu'on fasse une concertation au
niveau de la prévention en profondeur, des projets communautaires
où, par exemple, les familles seront impliquées. (22 h 10)
Je voyais une statistique que m'a montrée ma collègue, la
députée de Jacques-Cartier, qui a été dans le
milieu de l'éducation pendant plusieurs années, démontrant
justement que dans nos écoles il y a un conseiller pour 400
étudiants. C'est tellement pénible, cette statistique! Comment,
après cela, peut-on prévenir les cas qui vont justement devenir
des cas de protection?
Tout à l'heure, je demandais à un de
mes amis quelle était la contrepartie, dans le milieu
francophone, du YMCA. Il m'a dit: La seule chose à laquelle je puisse
penser, c'est la Palestre nationale. Même là, dans une grande
province comme le Québec, dans une grande région comme
Montréal, nous avons peut-être deux organismes, dans certains
centres, qui s'occupent justement des loisirs sportifs et non sportifs pour
toute notre population de jeunes, pour tous nos jeunes adultes. Ce serait
intéressant de savoir combien coûtent les YMCA et la Palestre
nationale en comparaison de toutes nos unités sécuritaires, nos
travailleurs sociaux, toute cette administration immense qu'on est
obligé de créer pour la protection. On aurait peut-être pu
mettre un peu plus d'arqent dans la prévention.
On parle, par exemple, du chômage chez les jeunes; 17 jeunes sur
100 sont en chômage. Là aussi il y a une relation avec la
délinquance parce que si des jeunes sont en chômage, il vont
traîner sur les routes. Là aussi, il faut qu'on ait des programmes
établis avec les municipalités pour donner du travail aux jeunes,
pour leur donner au moins du travail à temps partiel pour les aider
à s'occuper, à s'occuper de plus jeunes qu'eux-mêmes,
peut-être.
Je suggérerais l'idée d'un comité, qui a l'air de
recevoir une bonne acceptation des deux côtés de la Chambre, soit
élargi pour rejoindre le ministère des Affaires sociales, le
ministère de la Justice, le ministère de l'Éducation, le
ministère du Loisir et celui des Affaires municipales parce qu'ils sont
tous impliqués dans la protection de la jeunesse. Je suggère
qu'on pense peut-être un peu plus loin que la loi 24, qu'on pense
à un genre de charte de la jeunesse qui irait beaucoup plus loin qu'une
loi de la protection, que ce soit une loi de protection, une loi qui rejoigne
la protection, l'aspect judiciaire et les grandes lignes d'une politique de
priorités et de planification pour la jeunesse et de prévention
de la délinquance juvénile. Je pense qu'il faut que ça
aille aussi loin que ça; même si ça prend plusieurs
années, il faut essayer. Je suggérerais cela au ministre avec
tout le respect que je lui dois et dans un esprit constructif. Peut-être
qu'on pourrait y songer pour l'avenir. Merci.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Verchères.
M. Pierre Charbonneau
M. Charbonneau: Après un certain nombre d'années
d'existence de la loi 24 et après un peu moins d'années
d'application de cette loi, après des discussions depuis un certain
nombre de mois à l'extérieur de cette Chambre, après
quelques heures de discussion ici, à l'Assemblée nationale, je
pense qu'un diagnostic général peut être posé sur la
loi 24 qui fait à peu près l'unanimité de tout le monde.
En fait, c'est une bonne loi qui a soulevé et qui soulève encore
des problèmes d'application, mais c'est une loi qui, fondamentalement,
mérite d'être conservée dans son essence même et
à laquelle il importe d'apporter des modifications dans un esprit le
plus constructif et le moins démagogique possible.
Malheureusement, dans les discussions ou les débats qui ont eu
cours à l'extérieur de cette Chambre depuis quelques mois, on a
parfois entendu des pointes de démagogie qui dénaturaient la
compréhension qu'on pouvait avoir de la loi 24 et de sa portée.
Heureusement, depuis quelques heures on assiste ici... En tout cas, moi,
personnellement, depuis quatre ans et demi comme député à
l'Assemblée nationale, j'assiste à un des débats les plus
intéressants, les moins partisans et les plus élevés qu'il
m'a été donné d'entendre dans cette Assemblée
nationale. Je dois rendre hommage autant à mes collègues de
l'Opposition qu'à mes collègues du côté
ministériel; je pense que, depuis quelques heures, on a mis le maximum
d'efforts de chaque côté de la Chambre pour faire en sorte que ce
débat se situe au niveau où il doit se situer en rapport avec le
problème qui nous concerne tous. Mon intervention se voudrait
plutôt, M. le Président, une espèce de résumé
qui permette aux gens qui, à l'extérieur de cette Chambre,
écoutent les débats et sont intéressés par la
question de situer un peu la problématique de l'ensemble de la loi 24 et
de la loi 10 qui est devant nous. Je pense qu'il y a deux types de
problèmes d'application qui ressortent de la loi 24, en particulier en
ce qui concerne la délinquance juvénile. Il y a d'abord les
problèmes techniques et, reliés aux problèmes techniques,
les problèmes de ressources que plusieurs députés de
chaque côté de cette Chambre ont mentionnés.
Les problèmes techniques, dont certains trouvent leur solution
dans le projet de loi no 10, M. le Président, on peut en mentionner
quelques-uns. Les périodes d'hébergement volontaire obligatoires
pas assez longues. L'engorgement dans les centres d'accueil et dans les
comités de protection de la jeunesse. Les communications trop
permissives dans certains cas qui ont facilité la manipulation de jeunes
par des éléments de l'extérieur. L'absence aussi de
certains intervenants importants comme les gens dans le milieu scolaire. On
pourrait ajouter d'autres problèmes techniques qui sont reliés
à la rédaction même du projet de loi no 24 et à son
contenu. Ces problèmes, comme je le soulignais, trouvent en partie leur
solution dans le projet de loi no 10 et d'autres problèmes techniques ne
trouvent pas encore
malheureusement leur solution dans le projet de loi qui est devant nous
actuellement.
Il y a également reliée à ces problèmes
techniques qui soulèvent des problèmes d'application toute la
question des ressources humaines, ressources physiques et, bien sûr,
ressources financières. Je ne pense pas qu'on doive imputer la
responsabilité fondamentale du problème des ressources uniquement
au gouvernement, à un gouvernement quel qu'il soit. Le
député de Nelligan et d'autres avant lui ont, je pense à
bon droit, fait ressortir qu'il y a un problème de société
global. Il y a des choix globaux. Je pense que le député de
Nelligan avait raison de dire qu'on n'aura jamais assez de centres d'accueil,
qu'on n'aura jamais assez de services psychiatriques, qu'on n'aura jamais assez
de travailleurs sociaux. En fait, les problèmes sociaux qui sont
engendrés par le type de société dans lequel on vit,
société qui elle-même crée ces problèmes en
bonne partie, exigent des ressources physiques, humaines, financières
telles qu'il y a beaucoup de place pour l'amélioration. Il va
peut-être falloir, a un moment donné, qu'on cesse d'entendre dans
cette Chambre et à l'extérieur l'argumentation suivante qui est
souvent invoquée lorsqu'on parle de problèmes sociaux: On met
trop d'argent dans le social et pas assez dans l'économique.
Si, autour de questions comme la protection de la jeunesse, on en arrive
de chaque côté de cette Chambre à s'entendre sur
l'importance des problèmes sociaux dans notre société, sur
l'importance qu'il faut y consacrer des sommes considérables, qu'il faut
y consacrer des énergies physiques, humaines et financières
importantes, on va peut-être pouvoir finalement trouver des solutions
plus facilement qu'on peut les trouver actuellement parce que c'est un
problème politique et quelque gouvernement que ce soit qui est
appelé à la tête de l'État a à faire face
à ces problèmes politiques de choix. Est-ce qu'on met plus
d'argent dans le social? Est-ce qu'on va mettre plus d'argent pour engager des
travailleurs sociaux? Est-ce qu'on va mettre plus d'argent pour construire des
centres d'accueil? Est-ce qu'on va mettre plus d'argent pour se doter de soins
psychiatriques? Est-ce qu'on va mettre plus d'argent dans la prévention,
dans des animateurs, dans des maisons pour les jeunes? Ou est-ce qu'on va
mettre plus d'argent pour aider aux entreprises, pour développer
certains secteurs économiques? Est-ce qu'on va continuer à
opposer ces choix les uns aux autres continuellement comme on le fait depuis
des années, sinon peut-être des générations? (22 h
20)
Autour, M. le Président, de ces problèmes techniques, de
ces problèmes de ressources, il y a aussi reliés à la loi
24 tous les problèmes de perception et de mentalité. On a dit
à juste titre, je pense, qu'on a beaucoup mis en relief les droits des
jeunes en rapport avec la loi 24 et peu mis en relief, en fait, presque
passé sous silence les responsabilités que les jeunes ont en
regard de cette loi, mais en général dans la
société. Cela a amené un certain nombre de
problèmes de perception et, entre autres, ces problèmes ont
été mentionnés par le président du Comité de
protection de la jeunesse du Québec, Me Jacques Tellier, dans une
communication qui date déjà d'il y a presque un an. Il disait:
"Une telle compréhension de la part des jeunes qui sont concernés
par des problèmes de délinquance, entre autres, engendre le
climat que connaissent certains centres d'accueil où le jeune refuse
d'entrer activement dans un processus de rééducation et fait son
temps en attendant de pouvoir exercer son droit à faire réviser
sa situation. On connaît les conséquences d'une telle attitude:
effets d'entraînement chez les autres jeunes, abus des procédures
de révision, délais interminables et stériles,
démobilisation des éducateurs et, finalement, inefficacité
complète du séjour en centre d'accueil. Il n'y a pas uniquement
les jeunes qui ont une mauvaise perception de la loi, une mauvaise perception
de leurs responsabilités." Me Tellier soulignait qu'en bonne partie, la
population en général a aussi, malheureusement, une mauvaise
perception de cette loi et cette perception négative, mauvaise dans bien
des milieux s'est aggravée par ce que j'appelais tantôt certaines
pointes de démagogie qui ont eu cours pendant les derniers mois à
l'extérieur de cette Chambre, lorsqu'on faisait état de la loi 24
et de ses problèmes d'application.
La députée de L'Acadie avait raison, je pense, plus
tôt dans cette soirée, de réclamer une meilleure
information. Je pense que le débat qui a cours depuis quelques heures
est peut-être un des éléments moteurs ou un des
éléments qui vont peut-être déclencher, à
partir de maintenant, une information plus adéquate. Heureusement,
l'Assemblée nationale a maintenant l'avantage d'être le point de
mire de milliers de Québécois et de Québécoises
à travers la télévision. J'ai l'impression qu'on pourrait
faire encore oeuvre utile si on continuait de poursuivre ce débat dans
le même ton que celui où il a commencé, parce que cela va
permettre à beaucoup de gens de comprendre la portée
véritable de la loi 24, d'abandonner un certain nombre de
préjugés, de mieux comprendre où se situent les
problèmes d'application en regard de cette loi et ce qu'on doit faire
pour corriger ces problèmes d'application à court terme, à
moyen terme et dans un processus de plus long terme.
Il y a aussi un certain nombre de problèmes de mentalité
qui ont été soulevés
par différentes personnes. Par exemple, il y a plusieurs mois, un
an et demi à peu près, le directeur de la protection de la
jeunesse de la région de Trois-Rivières soulignait, entre autres:
"Ce qui est le plus difficile à changer en regard de cette loi, de la
loi 24, ce sont les mentalités. Il faut compter au moins sur cinq ans
pour que ces mentalités, disait-il, changent d'une façon
positive, mais néanmoins la loi 24, ajoutait-il, a permis de bonnes
interventions, a permis d'identifier certaines de nos limites qui demandent
l'intensification de nos efforts..." Et il continuait dans ce sens.
Un criminologue du nom de Jean Lajoie disait, pour sa part: "La loi 24
exigeait et continuera d'exiger des changements profonds et consistants dans
les mentalités, dans les comportements et dans les pratiques
professionnelles; en bref, une transparence à tous les niveaux qui n'a
pas encore été unanimement acceptée par les milliers
d'intervenants impliqués par la loi quotidiennement. Le problème
essentiel de la loi 24, disait le criminologue Jean Lajoie, c'est ça et
rien d'autre, c'est-à-dire un problème de mentalités et en
particulier un problème de mentalités auprès des gens qui
ont la première responsabilité d'appliquer la loi, de travailler
quotidiennement avec les jeunes à différents niveaux."
On pourrait aussi donner l'exemple qui a été donné
par le directeur de la protection de la jeunesse de la région de
Trois-Rivières où, par exemple, des avocats de la défense
défendent les jeunes dans une optique traditionnelle à tout prix
sans s'interroger sur la portée exacte de leur approche traditionnelle
de juristes et sans se demander si, comme avocats, ils ne pourraient pas rendre
un plus grand service à leurs clients s'ils adoptaient une attitude
moins traditionnaliste, moins avocassière.
À ces problèmes de mentalité, d'application et de
perception de la loi de la part des professionnels qui ont à l'appliquer
se greffe toute la question des critères précis de
judiciarisation ou de déjudiciarisation qui ont été
abordés tantôt, notamment par le député de
Mont-Royal. Ces problèmes de critères de judiciarisation ou de
déjudiciarisation ont été notamment soulignés lors
de différents colloques régionaux organisés par la
Société de criminologie du Québec, mais il n'est pas
certain, quand on analyse les interventions lors de ces colloques
régionaux, qu'il faille maintenant s'engager dans la voie de
définir très précisément les critères.
Peut-être faut-il encore un temps de réflexion pour faire en sorte
qu'un consensus plus véritable se dégage de la part des
intervenants qui ont à ppliquer la loi quotidiennement pour
qu'éventuellement les critères - dans certains cas, on souligne
qu'il serait utile d'avoir certains critères précis - soient
adaptés aux réalités auxquelles sont confrontés les
gens dans le milieu. Le gouvernement, je pense, doit présenter - et il
l'a fait jusqu'à maintenant -ce projet de loi avec humilité, sans
prétendre que c'est la panacée au problème de la
délinquance juvénile ou même aux problèmes
d'application qui sont engendrés par la loi 24.
Personnellement, j'aurais préféré et
souhaité un examen plus en profondeur de toute la problématique
de la délinquance juvénile dans la société. Je ne
crois pas, cependant, qu'il était possible avant aujourd'hui et qu'il
est encore possible à court terme de faire ce débat global, cette
discussion en profondeur sans menacer, d'autre part, si on n'agit pas à
court terme, l'application de la loi et la façon dont elle est
reçue par beaucoup de gens dans notre société. Il fallait
peut-être agir à court terme et, dans ce sens, je crois qu'il faut
accueillir favorablement le projet de loi no 10. Il ne répond pas
à toutes les attentes, encore que là il faut être conscient
que ces attentes sont souvent contradictoires. Quand on analyse les demandes ou
les critiques qui sont formulées par les gens dans le milieu, par ceux
qui ont appliqué la loi 24, par ceux qui travaillent quotidiennement
avec les jeunes, en particulier les jeunes délinquants, on se rend
compte qu'il n'y a pas unanimité et que ce ne serait peut-être pas
une bonne approche que de vouloir se précipiter et bousculer les
choses.
Le député de Sainte-Marie avait raison de dire
tantôt qu'un processus de révision permanente d'un certain nombre
de lois fondamentales devrait être engagé c'en est une loi
fondamentale, la Loi sur la protection de la jeunesse. On a fait un certain
rodage. Quand on achète une automobile, on rode le moteur et, par la
suite, on fait des ajustements, et périodiquement on doit faire des
ajustements si on veut garder le moteur en bonne condition. J'ai l'impression
que c'est le genre de loi qui va se retrouver périodiquement devant
l'Assemblée nationale. Dans le fond, c'est une bonne chose.
J'avais préparé mon intervention avant même que mon
collègue de Sainte-Marie fasse la sienne. Moi aussi, je pense que je me
dois d'accueillir favorablement la suggestion de la députée de
L'Acadie. Je pourrais même ajouter que j'espère que cette
suggestion sera concrétisée le plus rapidement possible et qu'on
franchira une étape rapidement. Immédiatement après
l'adoption du projet de loi no 10, je pense qu'il y aurait avantage à ce
qu'un certain nombre de personnes de chaque côté de cette Chambre
se réunissent, peut-être même d'une façon informelle,
et que dès maintenant ou prochainement, avant même qu'on parte, de
chaque côté de la Chambre, pour les vacances d'été,
il y ail un certain
calendrier ou un certain échéancier d'organisé pour
embrayer cette réflexion permanente qui doit être faite plus en
profondeur à la fois de la loi 24 et de l'ensemble des problèmes
reliés à la délinquance juvénile dans notre
société.
D'une certaine façon, quand on analyse le problème de la
délinquance juvénile - ç'a été ma
démarche personnelle, j'ai été étudiant en
criminologie, c'est à travers des problèmes de criminalité
que je me suis personnellement politisé et sensibilisé à
une multitude de problèmes dans notre société, et cela m'a
amené finalement à faire de la politique - ou même le
problème de la criminalité en général dans notre
société ou dans n'importe quelle société, on en
arrive inévitablement à faire de grandes discussions, des choix
fondamentaux et peut-être des examens de conscience qui nous
amènent parfois à modifier de façon complète nos
perceptions souvent traditionnelles, souvent acquises, sans même qu'on
sache pourquoi, sur une multitude de problèmes structurels dans notre
société.
M. le Président, je termine ici mon intervention. Je pense que,
de chaque côté de la Chambre, on doit voter pour le projet de loi
no 10, mais on doit aussi poursuivre la réflexion. Les gens qui nous
écoutent, les gens qui sont dans le milieu et qui attendent de
l'Assemblée nationale une intervention rapide pour corriger un certain
nombre de problèmes d'application attendent que s'engage un processus de
réflexion plus en profondeur à la fois sur cette loi et sur
l'ensemble du problème, entre autres, de la délinquance
juvénile dans notre société. Merci. (22 h 30)
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Marquette.
M. Claude Dauphin
M. Dauphin: M. le Président, je tiendrais d'abord à
vous dire que je souscris également au principe du projet no 10 et
qu'effectivement, si nous voulons débattre le projet de loi no 10, il
nous faut parler plutôt de la loi 24.
En guise de préambule, M. le Président, il va de soi que,
pour nos jeunes et surtout notre jeunesse québécoise, d'avoir une
loi particulière traitant de ces jeunes comparativement à la loi
d'application générale. Car, même parmi les membres de
cette Chambre, je suis persuadé que presque nous tous, dans notre
jeunesse, nous avons commis certaines erreurs ou que nous avons eu un
problème de comportement à un moment donné, ce qui peut
nécessiter un traitement spécial ou particulier pour nos jeunes
dans ce domaine.
J'aimerais - je note, pour rassurer le député de
Verchères, que j'ai une note positive sur le projet de loi - attirer
l'attention du ministre d'État au Développement social, qui
parraine ledit projet de loi no 10, sur les témoignages qu'on entend
souvent de la part des forces constabulaires ou de certains policiers qui, a
tort ou à raison, nous disent souvent qu'ils n'ont plus à
arrêter les jeunes délinquants car, aussitôt qu'on les
arrête, le lendemain, on les retrouve sur la rue encore une fois, et
peut-être en train de commettre les mêmes larcins. J'aimerais
attirer l'attention du ministre ainsi que du ministre de la Justice sur
l'éventualité de peut-être mieux expliquer aux forces
constabulaires et aux policiers comment ils doivent appliquer cette loi 24. II
va de soi que ce sont les premiers à voir à l'application de
cette loi et je pense qu'il serait impérieux, dans
l'intérêt du Québec et de notre jeunesse
québécoise, que les policiers puissent appliquer la loi et
comprennent mieux le rôle qu'ils auraient à jouer.
Brièvement, j'aimerais également, vous donner un
témoignage personnel, en tant qu'avocat, sur un fait survenu et avant
que je siège à cette Chambre. Je pratiquais le droit et j'ai eu
l'occasion de défendre de jeunes délinquants dans des
procès au Tribunal de la jeunesse, plus particulièrement à
Kirkland, là où il y a un Tribunal de la jeunesse. J'aimerais
vous dire, premièrement, que des avocats de pratique privée, il
n'y en a plus dans cette région qui vont au Tribunal de la jeunesse. Les
travailleurs sociaux nous appellent régulièrement pour nous
demander et nous supplier d'agir pour des enfants, des jeunes, dans des cas de
procès de délinquance car tous ceux qui s'y trouvent sont des
avocats de l'aide juridique. Je ne veux pas dire que les avocats de l'aide
juridique sont moins bons que les avocats de pratique privée, mais
ceux-ci sont débordés, M. le Président. J'ai
été à même de constater à plusieurs reprises
qu'un avocat de l'aide juridique avait vingt procès dans la même
journée parce que les avocats de la pratique privée ne sont plus
intéressés à y aller, et pour différentes raisons.
Premièrement, c'est que c'est remis constamment. Non seulement c'est
remis constamment, mais si, à l'occasion, il n'y a pas de
sténographe français, c'est remis à une semaine. On se
rend la semaine subséquente, c'est encore une fois remis pour une raison
ou pour une autre, alors que vous savez que, dans le secteur privé, il y
a toujours une question de rentabilité dans un bureau d'avocat. C'est la
raison, à mon sens, pour laquelle on ne les y retrouve plus.
Je pense que, pour attirer encore une fois l'attention du ministre
d'État au Développement social, il y aurait lieu en ce qui
concerne l'administration du Tribunal de la jeunesse, d'y apporter certains
correctifs.
Tous mes collègues qui m'ont précédé
ont parlé de l'essentiel du projet de loi no 10. En terminant, M.
le Président, je tiens tout simplement à vous dire que, pour la
jeunesse québécoise, il y va de l'intérêt
supérieur de toute la collectivité et de nos jeunes de voir
à améliorer la situation. J'envisage, au même titre que la
députée de L'Acadie, éventuellement une commission
parlementaire ou un comité mixte non partisan afin de réviser en
profondeur ladite loi 24 pour y apporter tous les correctifs
nécessaires.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Viau.
M. William Cusano
M. Cusano: Merci, M. le Président. Lorsqu'on parle de la
protection de la jeunesse, nous avons tous une obligation non seulement envers
un système punitif humanitaire ou un système de
réhabilitation, mais nous avons tous une obligation ultime envers un
système de prévention. Je suis d'accord sur la plupart des
changements mineurs proposés par le projet de loi no 10 devant nous. Je
souhaitais un examen plus profond de la loi 24. Je souhaite également
que le ministre de l'Éducation nous fasse des propositions touchant la
prévention dans le milieu scolaire, particulièrement en ce qui a
trait à l'abandon scolaire qui, dans un contexte d'emploi
extrêmement difficile pour les jeunes, risque souvent de les mener
à des comportements de délinquants. Y a-t-il un moyen de
prédire, de corriger, de prévenir et de diminuer la
délinquance auprès des jeunes adolescents par le biais de
l'école? Le milieu des décrocheurs est-il le milieu favorable
à la délinquance? Qui, dans l'école, va s'occuper de faire
de la prévention? Il y a plusieurs projets qui ont été
pilotés à travers le Canada, dans la province de Québec et
j'aimerais présenter ici particulièrement le projet qui a
été piloté dans une école polyvalente de Granby,
ici dans la province de Québec.
Tout le monde à peu près dans l'école a
accepté de s'impliquer dans ce processus, et surtout les professeurs.
D'abord, l'école s'est donnée une formule d'encadrement
d'élèves où la majorité des professeurs acceptent
une tâche de tuteur. Dans ce rôle, chaque professeur doit
établir et entretenir des relations de compréhension et
d'encouragement avec les élèves dont il devient le conseiller.
C'est donc à l'intérieur de cette formule facilitante et
très peu coûteuse que s'est développée la
stratégie d'intervention et de prévention. Le projet se poursuit
depuis trois ans et les résultats observés sont
intéressants. Il y a eu une baisse de taux d'abandon et même on
peut dire une baisse de délinquance juvénile. Mais comment le
ministère de l'Éducation du
Québec réagit-il à tout cela? Des progrès
ont été marqués - il faut l'admettre - depuis quelques
années et le plus important est peut-être l'entente conclue entre
l'État et les enseiqnants lors des négociations menant à
la signature de la convention de 1976. Cette entente assure un accroissement du
rôle de l'enseignant en prolongeant son action bien au-delà de
l'enseignement proprement dit.
Ainsi, 10% de sa charge de travail ont été
consacrés à des activités d'encadrement de
récupération de vie étudiante et de surveillance. Il
faudrait dans les ententes à venir s'assurer que cette participation
soit augmentée au-delà de 10%. Mais, nous pourrions aussi, en
même temps employé du personnel additionnel. On nous a dit l'autre
jour qu'un grand nombre de professeurs seront en disponibilité au mois
de septembre prochain. On parle d'environ 5000 à 6000 professeurs qui
seront en disponibilité et qu'on pourrait utiliser, à l'exemple
de la polyvalente de Granby.
J'ose souhaiter que le gouvernement soit en mesure d'utiliser davantage
par le biais de la nouvelle négociation le potentiel professoral qui se
meurt en demeurant en disponibilité, pour apporter des corrections
radicales et une prévention réelle à la délinquance
potentielle de nos écoles.
Merci beaucoup.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Rousseau.
M. René Blouin
M. Blouin: Merci, M. le Président. J'ai tenu très
brièvement à participer à ce débat, principalement
parce que j'ai oeuvré pendant au-delà de huit ans auprès
de jeunes en difficulté d'adaptation dans une institution de
rééducation. Je crois que le sujet que nous touchons aujourd'hui
est d'une très grande importance. Je suis d'ailleurs très heureux
que ce sujet soit abordé sans partisanerie politique et qu'il soit
traité avec tous les égards qu'il mérite.
Si je peux formuler un souhait, M. le Président, je
n'espère qu'une chose, c'est que si nous avons, dans les semaines qui
viennent, certains débats fondamentaux à tenir, ils se tiennent
dans le même esprit d'absence de partisanerie politique dans les
meilleurs intérêts du Québec et de ses citoyens. (22 h
40)
Ces modifications à la loi 24, M. le Président,
s'inscrivent dans une démarche qui veut que les interventions
auprès des jeunes collent à la réalité. Ce que je
veux dire par là, M. le Président, c'est que non seulement nous
sommes appelés maintenant à modifier la loi 24, mais
j'espère que nous aurons à nous pencher à nouveau sur ce
sujet dans les
mois et dans les années qui viennent, car c'est un sujet qui
méritera toujours d'être suivi et qui méritera toujours
d'être amélioré et d'être amendé pour coller
davantage à la réalité et pour aider les intervenants et
les jeunes qui en bénéficient à pouvoir progresser et se
réadapter à la vie normale.
Évidemment, ce n'est pas le projet de loi no 10 qui
réglera les problèmes affectifs et sociaux des enfants. Mais je
crois que les éléments qui sont modifiés par ce projet de
loi permettront aux intervenants sociaux, en les utilisant avec beaucoup de
parcimonie, d'agir avec plus d'efficacité dans certains cas
spécifiques.
J'énumérerai, M. le Président, très
rapidement cinq aspects du projet de loi no 10 qui, je crois, pourront aider
les intervenants sociaux à agir plus efficacement auprès de la
jeunesse en difficulté.
D'abord, le projet de loi permettra au directeur général
de certaines institutions de limiter le droit d'un enfant à entrer en
contact avec certaines personnes. Puisqu'il est vrai que, dans certains cas
spécifiques, certaines personnes ont été à
l'origine des problèmes que vivent les enfants, il est vrai
également que, dans certains cas, l'élimination de contacts pour
un temps donné avec cesdites personnes peut favoriser la
rééducation de ces enfants.
J'espère - et je n'entretiens pas de crainte à cet
égard, mais je veux le souligner - que cette disposition de la loi sera
utilisée avec beaucoup de précaution et qu'elle ne permettra pas
à certains éducateurs de pouvoir éviter de reprendre
contact avec certains milieux qui ont parfois engendré des
difficultés d'adaptation chez des jeunes, mais que cela ne sera
utilisé que dans les cas où on sera certain qu'un contact
spécifique peut nuire à l'évolution de l'enfant. Je
répète qu'on ne s'en servira pas, surtout pas pour éviter,
dans certains cas, d'entrer en contact, par exemple, avec les milieux naturels
de l'enfant.
Deuxièmement, et je rejoins la première idée que
j'ai exprimée, il est heureux que cette loi permette au Tribunal de la
jeunesse de trancher directement certains cas qui ne touchent pas la
délinquance profonde. Je suis assez porté aussi à
être d'accord avec Mme la députée de L'Acadie qui
souhaiterait que ces dispositions législatives soient étendues
à d'autres sujets qui ne sont pas non plus de la délinquance
profonde et auxquels il est inutile d'accorder trop d'importance, ce qui peut
même, dans certains cas, créer une situation qui, pour l'enfant,
prend une importance démesurée par rapport au geste qu'il a
posé et peut ne pas l'aider à se situer justement par rapport au
comportement qu'il a utilisé.
Dans le même esprit, je crois aussi que la prolongation de
l'hébergement volontaire peut, dans certains cas, être très
utile pour aider l'enfant à se rétablir de façon plus
définitive avant d'être réintégré dans son
milieu, afin qu'il ait acquis des forces plus grandes qui lui permettent
souvent de tenir le coup et de poursuivre son évolution.
Je n'insisterai pas longtemps non plus pour donner mon accord sur le
fait que les dossiers du Tribunal de la jeunesse doivent conserver un
caractère de stricte confidentialité. Je crois que cela permet
d'éviter que certains enfants soient marqués à vie lorsque
les dossiers commencent à s'étendre trop. Le fait que les
dossiers demeurent très confidentiels permet dans beaucoup de cas aux
enfants de s'en tirer plus facilement lorsqu'ils sont dirigés vers des
attitudes plus positives.
Le dernier élément sur lequel j'interviendrai très
brièvement est la disposition législative qui permettra, dans
certains cas encore une fois, comme on fait passer la limite de six mois
à un an, de prolonger l'hébergement en institution
sécuritaire. Cette mesure peut être indiquée dans certains
cas, mais il faut éviter aussi d'en abuser. Dans la mesure où un
enfant fait partie d'un système sécuritaire, et qu'on le fait de
façon prolongée, il est dangereux d'hypothéquer son
évolution et de faire en sorte qu'il se conditionne à ce genre de
vie et qu'ensuite il ait beaucoup de difficultés à s'en sortir.
Je crois qu'à cet égard la limite d'un an fixée dans la
loi fait preuve de prudence, et je suis tout à fait d'accord avec cette
limite. Au-delà de cette période, il pourrait y avoir des
conséquences sur lesquelles on pourrait difficilement revenir par
rapport à l'évolution de l'enfant, à l'encadrement qu'on
lui aurait fourni, et qui l'aurait habitué à vivre dans un milieu
sécuritaire et à développer des habitudes qui font
qu'à un moment donné il a de la difficulté à s'en
sortir et à réintégrer les milieux normaux.
Je conclurai très rapidement en rappelant que je souhaite que les
dispositions de la loi ne soient utilisées que dans des cas
exceptionnels et que la ligne de conduite, la philosophie même de la
rééducation des jeunes délinquants s'oriente davantage en
termes de contacts avec les milieux naturels et les enfants. Le rôle des
éducateurs doit se concentrer sur le contact avec les milieux naturels
pour que ces milieux qui, de toute façon, ont le plus d'influence sur
l'enfant, soient amenés, eux aussi, à évoluer avec
l'enfant afin que quand on donne un coup de pouce à un enfant ce ne soit
pas comme une jambe de bois inutile quand il retourne dans son milieu naturel.
L'évolution de l'enfant devrait être suivie en parallèle
avec l'évolution de la famille et du milieu naturel qui lui permettra
ainsi de réintégrer ce dernier de façon harmonieuse.
Je crois - et je termine là-dessus - que
c'est en pénétrant les milieux naturels et en les
comprenant mieux - ce n'est pas toujours facile de part et d'autre, ce n'est
pas toujours facile pour les éducateurs qui ont souvent des
préjugés à l'égard des milieux naturels des enfants
et ce n'est pas toujours facile non plus pour les milieux naturels qui ont
souvent des réticences à l'égard des éducateurs -
qu'on arrivera à axer le travail de rééducation en ce sens
pour que ce travail de rééducation puisse se baser sur les
milieux naturels de l'enfant. Je crois que c'est la seule façon
d'améliorer de façon solide et de la façon la plus
définitive possible la situation de l'enfant en lui permettant de
réintégrer la vie normale et de vivre en harmonie avec les
autres. Merci, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Saint-Laurent. (22 h 50)
M. Claude Forget
M. Forget: Lorsque le ministre du Développement social, M.
Marois à l'époque, a présenté la deuxième
lecture de ce projet de loi il y a près de quatre ans, il s'est
félicité de présenter une loi qui était -j'utilise
presque ses propres mots - le fruit de la volonté de collaboration de
ses deux collèques, le ministre de la Justice et le ministre des
Affaires sociales, qui, selon lui, aurait permis, pour la première fois
d'atteindre à un consensus véritable dans la formulation d'un
projet de loi et dans sa présentation à l'Assemblée
nationale. Le ministre, à l'époque, avait fait un tableau des
difficultés nombreuses et soutenues qu'avaient connues les efforts
antérieurs de légiférer dans un domaine aussi complexe et
aussi délicat. Il présentait la solution qui est dans le fond
indirectement débattue aujourd'hui comme étant la réponse
à la recherche d'un équilibre. Tout le monde, je crois, est
sensible au fait que deux préoccupations sont en présence dans la
législation relative à la protection de la jeunesse, deux
préoccupations également légitimes qui, en plus de
représenter des orientations en quelque sorte philosophiques, sont en
quelque sorte aussi incorporées par deux groupes de professionnels dont
les formations et les attitudes divergent.
L'une de ces attitudes vise à assurer à la
société une mesure adéquate de protection et Dieu sait que
l'évolution que l'on observe aujourd'hui du côté de ce
qu'on appelle communément la délinquance juvénile montre
que la société a besoin de protection puisque des jeunes menacent
la sécurité des citoyens tout autant ou presque du moins que le
font les adultes eux-mêmes. Lorsque les rues de nos villes deviennent un
endroit de danger, une menace pour les citoyens et citoyennes,
particulièrement les gens âgés, mais pas exclusivement
ceux-là, je crois que la société que nous
représentons ici a le droit de s'interroger à savoir si cette
préoccupation de protection de la société, de maintien
d'un certain ordre, d'une certaine sécurité a suffisamment de
poids dans l'ensemble du processus. Mais, à tout
événement, il s'agit d'une préoccupation
légitime.
L'autre préoccupation est également légitime, mais
elle est orientée tout à fait différemment. Il s'agit,
pour ceux qui s'en font les avocats, d'insister sur le caractère
particulier des circonstances qui entourent la vie du jeune, de l'adolescent,
circonstances diverses qui font, par exemple, que, dans un grand nombre de cas,
il vit encore sous l'autorité parentale. Il est donc susceptible
d'être influencé par son milieu familial qui, la plupart du temps,
pour ne pas dire toujours, ne partage pas, bien sûr, les orientations
délictuelles ou déliquantes du jeune et est tout disposé
à participer par son éducation à sa
réorientation.
Ces préoccupations sont aussi animées par le sentiment que
la société face aux jeunes a un devoir particulier de veiller
à sa rééducation, à son orientation parce que, ne
serait-ce qu'en termes d'intérêt collectif, le jeune a un avenir
beaucoup plus long devant lui et s'il n'est pas effectivement
réformé dans son comportement, la menace qu'il représente
pour la sécurité de notre société, pour ses
concitoyens, est d'autant plus importante, d'autant plus prolongée. Il y
a donc certainement des préoccupations qui jouent: la présence
d'un milieu familial, le caractère particulièrement
influençable de l'enfant, le potentiel qu'on devine en lui de
rééducation et de réorientation qui fait que ceux qui
veulent développer une approche dite sociale ont une très bonne
cause à défendre et la défendent effectivement avec
beaucoup de persuasion et beaucoup de force de conviction.
Le secret dans ceci comme dans bien d'autres choses, c'est d'assurer un
équilibre et, pour me rapporter encore une fois aux propos du ministre,
les félicitations qu'il adressait au gouvernement à
l'époque en disant: Voici enfin une solution qui est
équilibrée, c'est un jugement qu'il nous faut peut-être
aujourd'hui réviser un peu à la lumière de
l'expérience acquise depuis quatre ans.
Il me semble effectivement que l'équilibre qui a
été obtenu au sein du Conseil des ministres et au sein du
gouvernement était peut-être beaucoup plus un équilibre des
institutions, des groupes professionnels et des hiérarchies
administratives en présence qu'un véritable équilibre dans
le concret des décisions qui sont prises face aux jeunes qui se
présentent devant le directeur de la protection de la jeunesse. C'est un
équilibre qui, je pense, est central dans l'ensemble de la loi et
qu'il
faut assurer à tout prix.
J'aimerais, à ce sujet, revenir sur les propos que j'ai tenus
à l'époque, parce que, même si nous avons, à
l'époque, endossé en quelque sorte ce projet de loi, nous ne
l'avons fait qu'avec une certaine réserve vis-à-vis des
orientations que le gouvernement et le ministre du Développement social
de l'époque avaient prises quant à cette question
d'établir justement un équilibre entre les préoccupations
de protection de la société et les préoccupations sociales
pour utiliser l'expression que tout le monde connaît.
Je relis la citation, elle est brève, M. le Président. Je
disais: "Je m'interroge personnellement à savoir si, en voulant placer
sous le chapeau du directeur des services sociaux ou, plus correctement, du
directeur de la protection de la jeunesse dans les centres de services sociaux
toutes les responsabilités qu'un projet antérieur attribuait aux
comités locaux d'orientation, on ne les place pas dans une situation
difficile, en quelque sorte, de conflit, - j'ose à peine dire de conflit
d'intérêts, à cause des connotations du terme - en les
faisant juge et partie dans l'orientation qu'on doit faire assumer à un
jeune entre la voie judiciaire et la voie de réadaptation sociale. "Le
centre de services sociaux est, malgré tout, juge et partie dans cette
version de la loi qui est devenue la loi 24. Il se peut que la participation
d'un délégué du ministre de la Justice suffise à
rétablir l'équilibre des considérations, mais il faut bien
avouer que nous partons d'une situation de fait où bien des gens se
posent des questions quant à la capacité des services sociaux
d'assumer complètement toute la responsabilité qui leur est
propre. Combien plus de questions et d'interrogations soulève ce
défi qui leur est lancé d'agir en plus comme arbitres entre
eux-mêmes et le système judiciaire. "Je ne fais - pour continuer
la citation - que poser la question, parce que je ne crois pas que personne ait
actuellement, c'est-à-dire en 1977, la réponse à cette
question. Ce qu'il est important de souligner, c'est que le gouvernement, par
une telle attitude, fait un peu un saut dans l'inconnu, qu'il prend un pari
quant à la capacité des centres de services sociaux, des
directeurs de la protection de la jeunesse d'assumer sans reproches graves une
telle responsabilité. L'avenir seul pourra nous dire si ce pari est
justifié. J'ai quelques doutes personnellement. Le danger que l'on
court, ce n'est pas seulement que l'on porte un jugement défavorable sur
les centres de services sociaux, c'est qu'on porte un jugement
défavorable sur la loi ou l'esprit même qui a
présidé à l'élaboration de cette loi, etc."
Je crois, M. le Président, que l'on peut effectivement
aujourd'hui tirer une leçon de l'expérience. Je pense que cette
leçon vise précisément cette innovation de dernière
heure qui a été introduite dans la loi 24 et qui a mis de
côté une formule qui avait fait l'objet d'une consultation fort
complète et je dois dire également, dans tous les milieux
intéressés de l'époque, d'un certain consensus et qui
visait à situer ailleurs que dans les mains du directeur de la
protection de la jeunesse la décision capitale, à savoir si, face
à un délit commis par un mineur, on allait ou non judiciariser,
pour employer ce jargon, c'est-à-dire si on allait référer
ce mineur devant les tribunaux, de manière qu'ils procèdent
normalement selon leurs règles ou si on allait éviter le
processus judiciaire parce qu'il apparaissait inapproprié et abusif,
étant données toutes les circonstances qu'on connaissait, il
apparaissait inefficace, étant données, encore une fois, des
possibilités autres qui semblaient apparentes ou évidentes
à ceux qui devaient prendre la décision. Si cette décision
est prise par un groupe de personnes qui n'ont pas d'intérêt
professionnel immédiat à justifier un point de vue ou un autre,
il était apparu à bien des gens à l'époque que
cette décision serait prise plus sainement, qu'elle refléterait
mieux les préoccupations d'équilibre auxquelles je faisais
allusion plus tôt, c'est-à-dire non seulement des
préoccupations de démontrer jusqu'à la limite même
les possibilités d'une certaine approche de réadaptation sociale,
mais la nécessité également de tenir compte des
intérêts plus larges de la société qui, parfois, est
dans une situation d'avoir à imposer des normes de comportement dans le
but de maintenir un certain ordre, une certaine sécurité
publique. (23 heures)
Or, ce n'est pas ce que le gouvernement a créé à
l'époque, il a créé plutôt un comité informel
composé de deux personnes, dont le partenaire senior semble toujours
avoir été le directeur de la protection de la jeunesse ou son
délégué, et le partenaire junior, moins
expérimenté, moins capable d'affirmer son orientation et le point
de vue qu'il était nommé pour défendre puisqu'il
était, de façon beaucoup plus occasionnelle, beaucoup plus
accidentelle, impliqué dans ce processus d'avoir à
défendre l'autre point de vue sans expertise à sa disposition,
contrairement au premier, et sans, non plus, l'appui d'une politique ou d'une
orientation claire qui aurait pu venir du ministère de la Justice, mais
qui, semble-t-il, n'en est jamais venu. On a nommé des
délégués du ministre de la Justice, on les a
laissés dans la nature, en quelque sorte, sans appui et sans aide, de
sorte qu'ils en étaient réduits, semble-t-il du moins, à
prendre des décisions selon leur bon jugement face à des
professionnels dont c'était beaucoup plus évidemment le pain
et
le beurre quotidiens.
Les décisions qui en ont résulté, on les
connaît un peu, malgré tout, à travers certaines
statistiques que d'autres, probablement, ont citées avant moi, à
travers également des dossiers qui se sont perdus en route, des
signalements qui ont résulté, selon les statistiques qui sont
contenues dans un article de la Revue du Barreau de décembre dernier,
des signalements qui sont restés lettre morte dans à peu
près la moitié des cas et devant une situation où il
semble bien que tout un pan de l'équilibre a été
complètement perdu de vue.
Je pense, M. le Président, que ce projet de loi, comme mes
collègues l'ont souligné avant moi, répond à
certaines préoccupations de caractère technique, administratif ou
autre. Il est probable que, dans une certaine mesure, certains aspects mineurs
de l'application de la Loi sur la protection de la jeunesse vont trouver
quelques solutions modestes à travers ces amendements. Mais il est clair
que, tant qu'on ne se résoudra pas à réviser, à
revoir ce que l'on appelle l"'intake", c'est-à-dire la décision
d'orienter l'enfant d'une façon ou d'une autre vers le processus
judiciaire ou vers un processus non judiciaire, tant que cette décision
ne sera pas autrement située qu'elle ne l'est dans le moment, on va
revivre presque éternellement, malgré les meilleurs efforts des
uns et des autres, les difficultés, le déséquilibre que
nous remarquons actuellement.
Je voudrais en terminant, M. le Président, souligner qu'il me
semble que toute cette discussion sur, d'une part, l'approche sociale et,
d'autre part, l'approche judiciaire, qui est une distinction tout à fait
valable, nous fait parfois déborder - est-ce par négligence de
langage ou par confusion de l'esprit? je ne sais pas - sur une absence de
distinction qui devrait être présente à tous les esprits.
Il me semble que, très souvent, lorsqu'on parle de
déjudiciarisation, on assimile cela à la réhabilitation.
C'est-à-dire qu'il semble y avoir dans l'esprit des gens une
identité entre la déjudiciarisation, c'est-à-dire la
non-utilisation des tribunaux judiciaires, du processus judiciaire, et une
tentative de réhabilitation. Je crois qu'il s'agit là d'une
distinction que l'on manque totalement entre deux aspects fondamentalement
différents.
En somme, je pense que, lorsqu'il s'agit de criminalité ou de
délinquance, quelle que soit la voie qui est utilisée - ceci vaut
autant pour les adultes que pour les adolescents ou pour les jeunes - la
réhabilitation du sujet, si vous voulez, est dans tous les cas
l'objectif poursuivi. Qu'on le fasse par la voie judiciaire ou qu'on le fasse
par la voie d'une intervention dite sociale, il reste que l'objectif ne peut
être autre chose que la réhabilitation.
Assimiler la réhabilitation à l'approche sociale, à
la déjudiciarisation, c'est un abus de langage, c'est une confusion qui
est regrettable parce qu'elle simplifie à l'excès un
problème qui est beaucoup plus complexe que celui-là. Parfois, il
est évident, et les recherches les plus récentes en criminologie
tendent à le démontrer, que la meilleure voie, le meilleur chemin
vers la réhabilitation consiste justement dans la judiciarisation d'un
délit puisque, et cela a été démontré
à plusieurs reprises, dans bien des circonstances, c'est la
quasi-certitude d'une punition appropriée et proportionnelle au
délit qui constitue la meilleure garantie que ce comportement
délictuel ne se répétera pas. Au-delà de toutes les
théories que l'on peut avancer, et qui d'ailleurs, fort malheureusement,
ont bien peu d'appui dans des faits et des études
contrôlés, on est forcé de constater que dans un grand
nombre de cas, particulièrement lorsqu'on se trouve en face d'offenses
graves, en face d'un comportement délinquant très
caractérisé, il n'y a pas d'autre voie pour assurer
précisément la réhabilitation que de laisser la justice
suivre son cours normal.
Dans les cas où la déjudiciarisation s'impose, M. le
Président, je pense qu'il faut chercher sa valeur non pas dans
l'application de quelque théorie de réadaptation ou de
rééducation on a souvent bien peu de preuves sur
l'efficacité de leur fonctionnement - mais dans simplement la
simplification d'une situation concrète qui n'appelle pas d'autres
complications qu'une intervention auprès de la famille, que la
surveillance, l'approbation, etc., qui peut être exercée par
d'autres moyens que le mécanisme judiciaire. Je pense que nous avons
tous eu connaissance, de la part d'adolescents, de jeunes, de comportements
qu'il est convenu de caractériser comme étant beaucoup plus des
bêtises de jeunesse que de véritables délits.
Le véritable sens de la déjudiciarisation, ce n'est pas de
donner leur chance à des théories plus ou moins fumeuses sur la
capacité d'une éducation spécialisée à
modifier les comportements, mais tout simplement, la déjudiciarisation
est basée sur la réalisation que chez les jeunes, il y a une
distinction réelle à faire, qui demande cependant l'exercice d'un
jugement très sûr, entre des comportements qui sont
véritablement délictuels et qui devraient, dans ce cas-là,
sans hésitation emprunter la voie de la judiciarisation, et les
comportements disons aberrants non calculés, qui n'ont pas, de par leur
nature et de par les caractéristiques du délinquant, la
probabilité d'être répétitifs. Ils appartiennent
à un certain comportement que, bien sûr, personne dans cette
Chambre n'osera avouer avoir eu à l'époque de leur vie où
ces
remarques s'appliquaient à eux, mais que dans notre for
intérieur, on doit bien reconnaître que la jeunesse s'accompagne
parfois de certains comportements, disons moins faciles à
contrôler et à prévoir.
C'est dans cet esprit que la judiciarisation doit être
interprétée, M. le Président, et je pense que si l'on
évite de simplifier trop le problème en mettant de
côté les bons qui vont faire l'éducation et la
rééducation des enfants en dehors du processus judiciaire, et les
mauvais qui cherchent à le punir en utilisant la voie normale du recours
judiciaire pour les délits caractérisés, on pourra faire
un pas immense pour solutionner un problème qui demande et demandera
toujours au-delà des textes de loi, et ceci, je pense, trop de gens dans
la critique des textes de loi sont portés à l'oublier, un
jugement, une attention et un dévouement absolument sans égal et
qui ne peuvent pas être remplacés par les textes aussi bien
rédigés qu'ils soient.
Je vous remercie.
M. Boucher: M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Rivière-du-Loup. (23 h 10)
M. Jules Boucher
M. Boucher: M. le Président, je suis très heureux
d'intervenir brièvement dans le présent débat sur un sujet
me tenant à coeur particulièrement, celui de la protection de la
jeunesse. En effet, ayant eu à travailler pendant 16 ans pour le centre
de services sociaux de ma région, auprès des jeunes, mon
expérience me permet d'évaluer l'importance que revêt le
présent projet de loi que nous avons à discuter, car il s'agit
d'une loi qui touche la jeunesse québécoise. De nos jours, on ne
saurait trop insister sur la nécessité de donner à nos
jeunes en difficulté les meilleurs outils possible pour résoudre
les problèmes auxquels ils doivent faire face dans notre
société moderne où l'éclatement de la famille
traditionnelle a provoqué des remous et des changements dont les enfants
sont les premiers à ressentir les difficultés d'adaptation.
Avant de commenter le projet de loi no 10, qu'il me soit permis
d'apporter certains commentaires sur la loi 24, celle de la protection de la
jeunesse. J'aimerais, M. le Président, souligner l'importance de cette
loi. Rappelons tout simplement que cette loi fut adoptée le 19
décembre 1977 à l'unanimité des membres de cette Chambre,
remplaçant ainsi une loi vieille de 27 ans. Cette loi fut mise en
application le 15 janvier 1979; donc, elle a déjà deux ans
d'existence. Cette loi veut déjudiciariser la protection de la jeunesse,
humaniser le processus judiciaire pour les jeunes.
Durant l'année se terminant le 31 mars 1980, 55 000 signalements
ont été reçus par les 14 directions de la protection de la
jeunesse au Québec et plus de 33 000 cas concernaient des enfants
perçus comme en besoin de protection, c'est-à-dire des enfants
négligés, abandonnés, privés, maltraités,
battus, exploités, etc. Donc, la loi 24 a permis un plus grand
engagement social. Plusieurs de ces signalements venaient soit de la
parenté, soit des voisins. Il est certain que, pour diminuer ce nombre
de jeunes en difficulté, cela demande la participation de tous les
citoyens. On peut donc dire que, sans cette loi, un nombre imposant d'enfants
seraient demeurés sans secours dans le genre de difficultés que
j'ai mentionnées.
On parle beaucoup de la délinquance chez les jeunes et on oublie
un aspect majeur de la loi, celle des enfants maltraités. Oui, M. le
Président, il s'agit bien d'une loi qui favorise la
réhabilitation des enfants en difficulté et non pas qui aide
l'enfant à commettre de nouveaux délits. La criminalité
chez les jeunes au Québec a augmenté, dit-on. Elle a
augmenté chez les adultes aussi. Elle a augmenté en
Amérique du Nord aussi. Est-ce la faute de la loi 24 si la
criminalité augmente chez les adultes et, forcément, chez les
jeunes? L'exemple entraîne, comme dirait ma grand-mère. Donc,
à mon avis, il serait injuste d'accuser une loi d'avant-garde et aussi
efficace que la loi 24. C'est tout simplement de la démagogie.
Il est certain que, dans chaque loi, il y a des améliorations
à apporter et c'est à l'application des lois que l'on peut le
mieux dépister ces manquements. C'est pourquoi le gouvernement,
après deux ans d'application de la loi 24, a jugé bon d'y
apporter certaines modifications. Ces modifications ne changent pas l'objectif
de la loi, mais tout simplement en modifient certains aspects, qui se sont
avérés à la pratique, inadéquats, tout en y
ajoutant des amendements rendant la pratique plus efficace.
Le projet de loi no 10 veut impliquer le milieu scolaire dans la
protection de la jeunesse. Cette initiative est souhaitable, car le milieu
scolaire est près de l'enfant et peut mieux cerner les besoins de ce
dernier. Un des articles de ce projet de loi mentionne que le directeur
général d'un centre d'accueil peut limiter le droit d'un enfant
de communiquer avec certaines personnes, ce que la loi no 24 ne permet pas
actuellement. Le directeur général rencontrant, tous les jours ou
presque, les enfants qui lui sont référés est en mesure de
mieux cerner leurs besoins et de remarquer si telle personne nuit à leur
réadaptation. Donc, cet amendement améliore les moyens pour
réadapter l'enfant et, d'autre part, l'enfant peut aller en appel de
cette décision devant le Tribunal de la jeunesse.
Le projet de loi no 10 veut faciliter le fonctionnement du Comité
de la protection de la jeunesse principalement en ce qui a trait au Code de la
route. La majorité des infractions au Code de la route et des
infractions aux règlements municipaux relatifs au stationnement ou
à la circulation causées par un jeune seront soumises
immédiatement au Tribunal de la jeunesse. Il est évident, M. le
Président, que le Comité de la protection de la jeunesse ne peut
traiter en même temps ce genre d'infractions et les cas d'enfants
maltraités. Le comité doit traiter, chaque semaine, un nombre
extraordinaire de cas. Donc, en le déchargeant des infractions au Code
de la route, cela lui permet de s'occuper plus activement des cas d'enfants
maltraités. Nous croyons que cet amendement démontre la
volonté du gouvernement de mieux servir la jeune population du
Québec en lui donnant les moyens de se défendre.
Mentionnons, toutefois, que le délit de fuite et la conduite
dangereuse devront passer par le Comité de la protection de la
jeunesse.
Pour rendre la loi no 24 encore plus efficace, on apporte, dans le
projet de loi no 10, un amendement qui permet au Comité de la protection
de la jeunesse de déléguer une partie de ses pouvoirs, soit celui
de réexamen, enquête et arbitrage, à un sous-comité,
ce qui, naturellement, a pour effet de décharger le Comité de la
protection de la jeunesse et de faciliter l'application de la loi no 24.
En conclusion, M. le Président, nous sommes certains que le
projet de loi no 10 ne fait qu'améliorer l'application d'une loi qui
est, à notre avis, d'une nécessité primordiale dans toute
société qui se respecte et surtout qui respecte l'enfant.
En terminant, j'émets le souhait que la population du
Québec participe plus activement aux objectifs de la loi no 24 qui sont
ceux de viser au bien-être des enfants. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Sainte-Anne.
M. Maximilien Polak
M. Polak: M. le Président, depuis que je suis ici, je n'ai
jamais vu tant d'unité en cette Assemblée. Je dois vous dire que
je me sens un peu comme un travailleur au sein d'une équipe de nuit,
parce qu'il est déjà 23 h 15. J'ai fait un comptage rapidement.
Je pourrais peut-être présenter une motion de blâme et on
pourrait peut-être même réussir parce qu'il n'y a pas trop
de gens qui sont prêts à écouter mon petit discours.
Il n'y a pas de doute que personne n'a l'intention de discréditer
la loi no 24 et le projet de loi no 10. Tout de même, on dit que le
projet de loi no 10 n'est pas allé assez loin. Il y a une expression
dans le pays d'où je viens - c'est un très beau pays qui
s'appelle la Hollande, les Pays-Bas; pas de chicane de langue, on parle
français, hollandais, allemand et anglais - qui est la suivante: "Ik
hoop miet dot de minister geboote heeft gegeven aan een dode muis." Je vais
traduire pour ceux qui ne comprennent pas. Je n'espère pas que le
ministre a donné naissance à une souris morte.
J'ai étudié le projet de loi no 10 et, pour ce qui me
concerne, je crois que les changements sont plutôt de nature
cosmétique. D'ailleurs, le ministre a parlé, cet
après-midi, d'amélioration de fonctionnement de la loi. Au nom de
mes électeurs du comté de Sainte-Anne, j'ai un message à
livrer à cette Assemblée. On m'a demandé de soulever,
devant le ministre qu'on respecte beaucoup, le point suivant qui suscite tout
de même beaucoup d'intérêt: le vandalisme dans les
écoles. (23 h 20)
Vous savez, j'étais, jusqu'à l'élection du 13
avril, membre de l'exécutif du Conseil scolaire de l'île de
Montréal qui est en charge de toutes les commissions scolaires de
l'île de Montréal. Je pense avoir une connaissance personnelle du
vandalisme dans les écoles. Dans beaucoup de commissions scolaires, dans
les écoles francophones et anqlophones, il y a des cas où des
jeunes entrent, font du vandalisme et terrorisent les autres jeunes pour
ensuite revenir le lendemain. Ils n'ont rien fait, ils ne sont pas punis, ils
n'ont rien parce que les policiers ont peur de leur toucher. Il y a le
problème qu'ils reviennent et c'est un problème grave qui a
été constaté. Je pense que le ministre est au courant de
cela.
On m'a demandé de faire mention, par exemple, de l'opinion d'un
corps policier. De temps en temps, on considère les corps policiers
d'une manière dérisoire parce que les policiers sont des gars qui
contrôlent avec un bâton, etc. Tout de même, je connais aussi
des policiers individuellement, dans la ville de Montréal, qui
s'occupent des jeunes, qui sont très intéressés à
protéger et les jeunes et les autres membres de la
société. Ils se sont spécialisés dans la protection
des jeunes et ils travaillent à cela; mais ils n'ont pas toujours les
outils nécessaires pour le faire en vertu de la loi.
Ensuite, il y a le problème de la sécurité dans nos
villes, dans nos rues, dans le métro; tout le monde est au courant. Le
député de Mont-Royal en a fait mention, je n'ai pas besoin de
répéter ses arguments.
Il y a le problème des personnes âgées qui, de temps
en temps, subissent de graves préjudices à cause des attaques,
etc. Il y a le problème des parents aussi. Je suis avocat à
Montréal et je connais le cas d'un parent,
par exemple, dont le fils, à West Island - je n'ai
évidemment pas besoin de donner le nom - avait fait un vol par
effraction. Le père le savait parce qu'il avait constaté que le
petit gars, à un moment donné, avait une grande boîte
pleine de bijoux. C'était la récolte de deux semaines de travail.
Le père a voulu éviter que son fils sorte de la maison. Il y a eu
une petite bataille parce que le fils disait: Je pars à minuit. Le
père disait: S'il vous plaît, ne pars pas, reste ici, je ne veux
pas que tu sortes parce que je sais ce que tu vas faire, encore un autre vol
par effraction. Il y a eu une petite bataille entre les deux et le père
a déchiré la chemise du fils. Le fils a dit: Là, je vais
t'avoir. Il est allé avec sa chemise devant le juge de la cour de
protection des enfants, la Cour de bien-être social auparavant, et on a
dit au père: Attention, cela peut devenir une affaire de voies de fait.
C'est vrai, ça existe.
Donc, dans ces droits, après deux ans, je pense qu'il faut
évaluer la situation; qu'est-ce qui existe, quelle expérience
a-t-on vécue, nous tous? Depuis que j'ai été élu,
je suis ici, je suis toujours à l'Assemblée parce que je veux
comprendre vos sages décisions; j'ai écouté le ministre et
tous les autres députés pour apprendre le plus rapidement
possible. J'étais ici à 18 heures et j'ai écouté le
ministre. Il a mentionné que la loi était en vigueur depuis 1979
et qu'il y a eu un laps de temps entre l'adoption de la loi et sa mise en
vigueur parce que le ministre et ses officiers ont consulté 500,000
personnes par des rencontres.
Des voix: 5000.
M. Polak: Parfait. Excusez-moi, M. le ministre. 5000 personnes
pour expliquer exactement les implications de la loi 24. Il a dit que les
problèmes, on règle ça dans la loi 24 parce qu'il y a une
espèce de contrat, une intervention sociale. Exactement comme le
député de Sainte-Marie l'avait dit quand son automobile a
été volée par trois jeunes. J'étais très
impressionné par l'expérience parce qu'on a fait une
espèce de contrat. Il m'a expliqué pourquoi ils l'ont
volée, il a accepté cela, etc. Cela, je le comprends, il y a des
avantages, mais, de temps en temps, ça ne va pas assez loin.
Le ministre a dit qu'il y avait des corrections à apporter, c'est
pour ça qu'on a déposé le projet de loi no 10. Le ministre
a mentionné des chiffres, il a mentionné qu'il y avait 54,000 cas
d'enfants signalés. J'espère ne pas faire d'erreur cette fois et
que c'est bien 54,000. Mais il n'a pas parlé des cas des enfants qui ne
sont pas signalés à cause du fait que très souvent les
corps policiers disent: On ne peut rien faire, laissez cela, peut-être
qu'ils ne reviendront pas demain. Soyez calme et cela va s'arranger. Cela
existe, il y a beaucoup de cas, à part les 54,000, qui n'ont pas
été signalés, qui n'ont pas été
rapportés.
Ensuite le ministre a dit qu'il y avait le colloque. Je suis tout
à fait en faveur d'un colloque ou l'avis de deux directeurs de la
protection de la jeunesse. On a fait un rapport, il y a eu un colloque de ceux
qui ont de l'expérience dans le domaine pour ensuite arriver à
une certaine conclusion qui a eu comme résultat le projet de loi no 10.
Mais comme la députée de L'Acadie m'a dit tout à l'heure,
on demande un peu plus que cela. On demande maintenant soit un comité
non partisan ou parlementaire, indépendamment de l'orientation
politique, pour justement demander aux gens du milieu de nous dire quelle est
leur expérience. Ce n'est pas toujours le directeur de la protection de
la jeunesse qui a le plus d'expérience dans ce domaine. Je respecte
beaucoup son opinion. Je pense qu'il y a d'autres opinions. Il y a l'opinion
des parents, de la commission scolaire, des corps policiers, de toutes sortes
de groupements qui veulent peut-être expliquer ce qu'ils ont vécu
avec cette loi depuis deux ans.
Donc, pour revenir à l'exemple que je donnais ou le proverbe des
Pays - Bas, je n'espère pas que le ministre a donné naissance
à une souris morte. Je voudrais dire qu'après avoir entendu les
interventions de tous ces corps, pas dans un colloque, mais devant une
commission parlementaire ou devant un groupement neutre, où on peut
poser des questions, pas entre nous autres, mais vraiment avoir un
échange d'opinions, honnêtement et objectivement, peut-être
qu'on va recevoir des opinions un peu différentes de ce qui a
été dit jusqu'à maintenant. Peut-être qu'on en
viendra à la conclusion que le ministre devra, même si c'est
pénible et douloureux, donner naissance à une souris vivante avec
un peu de dents, de sorte que la souris, de temps en temps, puisse mordre si
besoin en est. Merci beaucoup, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Avant de donner la parole
à M. le ministre, comme vous avez fait mention de la sagesse de la
présidence, je tiendrais à vous mentionner, M. le
député de Sainte-Anne, que le quorum en cette Chambre, au moment
où il y a deux commissions parlementaires qui siègent, est de 20.
Il y avait 35 personnes au début de l'intervention. Simplement pour la
sagesse... M. le ministre d'État au Développement social.
M. Denis Lazure
M. Lazure: M. le Président, comme plusieurs des deux
côtés de cette Assemblée, je me réjouis de
l'atmosphère qui a accompagné, qui a sous-tendu nos
débats
depuis plus de trois heures ce soir. Je veux remercier mes
collègues de ce côté-ci de la Chambre, les
députés du parti ministériel, et aussi les
députés du parti de l'Opposition. J'ai remarqué que
plusieurs ont parlé en partant d'expériences personnelles, que ce
soit dans la pratique du droit, dans la pratique de l'éducation
spécialisée, dans la pratique du service social. Dans cette veine
de confidences, M. le Président, je me dois de faire quelques
révélations aussi sur l'intérêt tout à fait
personnel que j'ai eu à piloter ce projet de loi comme j'avais eu aussi
le plaisir, le privilège, en 1977, de seconder mon collègue, qui
était au Développement social à l'époque, qui est
maintenant au Travail, ainsi que mon collègue de la Justice qui est
toujours à la Justice.
Cet effort depuis 1977 pour moi, M. le Président, c'est une
continuation d'un vieil intérêt qui remonte non pas à 1977,
mais à 1957, Hôpital Sainte-Justine, psychiatrie infantile. Je le
dis en abandonnant pour de bon toute coquetterie devant cette Assemblée.
Donc, il y a plus de 20 ans, M. le Président, j'ai eu le
privilège, le plaisir de travailler - à certains moments, avec la
députée de L'Acadie aussi; je m'excuse, mais elle était
beaucoup plus jeune que moi, M. le Président, à cette
époque - auprès de jeunes délinquants, auprès de
jeunes mésadaptés. J'ai même travaillé pendant cinq
ou six ans à la Cour du bien-être social, à la clinique de
la Cour du bien-être social. Inutile de vous dire, M. le
Président, que c'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai suivi
chacune des paroles qui ont été prononcées ce soir, autant
par les députés du côté ministériel que par
les députés de l'Opposition. (23 h 30)
Je veux rendre hommage aussi à mon prédécesseur au
Développement social qui est maintenant ministre du Travail, pour avoir
piloté cette loi tout à fait innovatrice, cette loi complexe, et
à mon collègue qui est encore à la Justice, qui y
était à l'époque. Je veux dire tout de suite à
cette Assemblée que la suggestion de la députée de
L'Acadie est extrêmement valable. Je me suis empressé d'en
discuter avec le leader de l'Assemblée et nous avons convenu de
réagir au nom du gouvernement en acceptant cette proposition,
c'est-à-dire en acceptant de former un comité parlementaire non
partisan qui, de façon à peu près permanente, se penchera
sur la loi 24 telle qu'amendée par la loi 10 et proposera fera des
suggestions au gouvernement, à la suite de rencontres qui se feront avec
les gens des deux réseaux ou des trois réseaux, devrais-je dire.
En effet, c'est une amélioration apportée par la loi 10 que
certains ont mentionnée, mais pas suffisamment à mon goût,
à savoir l'introduction de l'éducation, du réseau
scolaire, plus précisément, comme un troisième
réseau dans l'application de cette loi et surtout dans la
prévention de toute délinquance.
Donc, nous acceptons - les modalités pourront être
discutées avec le parti de l'Opposition par les voies normales - de
former un tel comité et nous acceptons aussi la proposition du
député de Mont-Royal. C'est vraiment beaucoup, M. le
Président; non seulement un climat serein et positif, mais le parti de
l'Opposition qui présente deux propositions valables dans la même
soirée, je pense que c'est un record.
Sérieusement, M. le Président, nous acceptons aussi de
reprendre les discussions avec le gouvernement fédéral. Il y a
déjà eu, mais elles remontent à quatre ans, des
représentations par écrit au gouvernement fédéral
qui faisaient état, justement, de l'incohérence et des
contradictions entre les deux lois, la vieille loi - j'allais dire
libérale, je m'excuse - fédérale qui date d'au-delà
de 50 ans...
Une voix: C'est la même chose.
M. Lazure: On me dit que c'est la même chose, non. En toute
honnêteté, ce n'est pas tout à fait la même chose.
Cette loi date de plusieurs années, M. le Président. Je vous
donne un exemple de son caractère complètement
dépassé. Cette loi, qui a été évoquée
par le député de Mont-Royal et qu'il connaît bien,
établit à sept ans l'âge de la responsabilité
criminelle. Notre loi a établi à quatorze ans l'âge de la
responsabilité criminelle. L'âge de raison.
M. le Président, je vais traiter rapidement trois ou quatre
aspects des interventions, avec la permission de la députée de
L'Acadie. Je suis sûr qu'elle va me l'accorder. Quelques remarques sur
les ressources. On a critiqué l'incurie du gouvernement quant aux
ressources. Je pense que c'est injuste. Nous avions prévu, dès la
première année de l'application de la loi, la dépense
d'au-delà de 5 000 000 $ pour embaucher du personnel dans les centres de
services sociaux. Dans l'espace de deux ans, M. le Président, nous avons
consacré 14 000 000 $ à l'embauche de plus de 500 personnes dans
les différents centres de services sociaux du Québec, et dans les
directions de la protection de la jeunesse, soit au-delà de 500
professionnels. Je n'appelle pas cela de l'imprévoyance. Au contraire,
je pense qu'aucun projet de loi, en tout cas dans le domaine social, à
ma connaissance, n'a été accompagné d'autant de
préparation - j'ai parlé de la tournée qui a duré
un an, tantôt, la tournée d'information et d'autant de
prévisions financières. Nos prévisions ont dû
être rajustées à la hausse, j'en conviens. J'ajouterai
aussi que, dans le domaine de la prévention, notre gouvernement a
commencé, M. le Président,
depuis deux ans, à financer un réseau de maisons de jeunes
au Québec. Le ministère des Affaires sociales finance
actuellement une quinzaine de maisons de jeunes et a l'intention de continuer
à développer un réseau de maisons de jeunes parce que nous
sommes convaincus que ces maisons peuvent avoir une influence heureuse quant
à la prévention de la délinquance.
Les ressources en lits. Quelques députés de l'Opposition
ont parlé, en particulier, de l'insuffisance du nombre de lits dans la
région de Montréal. Mais, M. le Président, sans aucune
partisanerie, je dirais qu'un des facteurs qui expliquent la diminution du
nombre de lits surtout chez les anglophones dans la communauté
anglophone de Montréal, c'était le rapport Batshau. On se
souviendra que le rapport Batshau, découlant d'une commission qui avait
été commandée par le gouvernement Bourassa à
l'époque, a dit en toutes lettres - je mets qui que ce soit au
défi de prouver le contraire - qu'il y avait trop de lits, ou de centres
d'accueil de jeunes dans la région de Montréal. Le rapport
Batshau se trompait quand il disait cela. Il avait raison cependant quand il
disait: II faut développer d'autres ressources que les lits. Il y a eu
une amorce pour développer d'autres ressources que des lits, des
ressources alternatives où on peut traiter le jeune délinquant
non seulement en le gardant 24 heures par jour, mais en le voyant quelques
heures par jour, comme on traite un malade dans une clinique externe
d'hôpital ou comme on traite un malade en chirurgie ou en
médecine, comme patient de jour.
Deuxième remarque, M. le Président: des mesures
volontaires, on en a parlé très peu. Je pense qu'un des
succès les plus réconfortants de la loi 24 à ce jour a
été précisément de s'assurer - parfois, c'est
seulement le directeur de la protection de la jeunesse, parfois, c'est de
concert avec la personne nommée par le ministère de la Justice -
que les mesures volontaires qui sont acceptées par le jeune, sa famille
et le voisinage se déroulent comme prévu. Dans la région
de Montréal, on a constaté que seulement 5% de tous les jeunes -
c'est plus que la moitié des jeunes qui ont été
signalés qui bénéficient de mesures volontaires - ont
récidivé, ont de nouveau été signalés, si
vous voulez, à la direction de la protection de la jeunesse. Quant
à nous, ce succès des mesures volontaires nous apparaît
probablement l'avenue la plus prometteuse et je souhaiterais, pour ma part,
que, lorsque les gens du réseau des affaires sociales ou du
réseau de la justice parlent de la loi 24 de ses insuccès ou de
ses succès, on parle plus de ces mesures volontaires de façon que
la population en devienne mieux informée.
Troisièmement, M. le Président, l'hébergement
obligatoire. Je termine avec cet avant-dernier point en faisant un appel
à tous nos collègues du réseau des affaires sociales, du
réseau de la justice et à la population en général
pour qu'on continue de faire confiance à cette amélioration de la
loi 24. La, je m'adresse plus particulièrement aux travailleurs du
réseau des affaires sociales et à ceux de la justice qui, encore
aujourd'hui, nous faisaient une représentation assez catégorique
en disant: II faut absolument que vous allongiez la durée de
l'hébergement obligatoire pour le jeune, de six mois qu'il est
maintenant, à 24 mois. Nous proposons douze mois dans notre projet de
loi. C'est un compromis que nous proposons, mais pas un compromis de faiblesse,
un compromis qui part de la conviction, nonobstant l'éloge de la
punition qui vient d'être fait par le député de
Saint-Laurent - je regrette qu'il soit parti - notre conviction, comme la
conviction de la plupart de ceux et de celles qui ont parlé ce soir - je
suis sûr que c'est aussi la conviction de l'ensemble des travailleurs du
réseau - c'est que la très vaste majorité des jeunes peut
être réhabilitée non seulement en hébergement
obligatoire, qu'il aille jusqu'à douze mois ou vingt-quatre mois, mais
surtout dans leur milieu naturel que ce soit à l'école, dans le
voisinage ou encore dans un service externe d'un centre d'accueil.
À ce sujet-là peut-être faut-il s'auto-blâmer,
nous le gouvernement actuel, pour ne pas avoir stimulé encore plus qu'on
ne l'a fait, les centres d'accueil de jeunes à développer des
services de jour. Nous avons essayé, mais je dois avouer que cela a
été un succès mitigé. Moi, je fais appel surtout
aux travailleurs du réseau social. Au lieu de miser de façon un
peu magique sur ces fameux vingt-quatre mois d'hébergement obligatoire,
qui deviennent une condition sine qua non pour le traitement de certains
délinquants, selon eux, j'espère qu'on va plutôt accepter
cette formule des douze mois, qui est quand même deux fois plus que le
séjour actuel, et qu'en même temps on va ouvrir des services de
jour, des services externes pour traiter un plus grand nombre de jeunes sur une
base non obligatoire et sur une base externe.
La deuxième revendication majeure des groupes qui nous ont
envoyé des messages ces jours-ci, nous ne pouvons pas M. le
Président, l'accepter; parce qu'elle voudrait que nous baissions
l'âge de la responsabilité criminelle du jeune de 14 ans qu'il est
actuellement, à 12 ans. Nous sommes convaincus que ce serait un retour
en arrière, justement un retour dans la direction qu'a eue durant 40 ans
la loi fédérale qui établit à sept ans l'âge
de la responsabilité criminelle. Dans la plupart des pays d'Europe, y
compris le beau pays de la Hollande, patrie du député de
Sainte-Anne, l'âge de la responsabilité criminelle du jeune
est de 14 ans, sinon 15 ans, sinon 16 ans. Alors, moi, je dis, M. le
Président, au nom du gouvernement aux collègues du réseau:
De grâce, acceptez de continuer un essai honnête de cette loi 24
avec toutes les améliorations que nous apportons aujourd'hui. Nous
allons mettre sur pied ce comité permanent parlementaire qui va
continuer...
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, question de
privilège ou de règlement. Je n'ai jamais parlé d'un
comité permanent, j'ai parlé d'un comité conjoint pour
réexaminer en profondeur la loi.
Une voix: II n'y a pas de privilège dans cela.
Mme Lavoie-Roux: II y a une différence.
M. Lazure: Vous vouliez avoir le privilège de
m'interrompre.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Allez-y.
M. Lazure: M. le Président, je m'excuse auprès de
la députée de L'Acadie si j'ai légèrement
faussé sa pensée. Nous voulons tout simplement donner une suite
favorable à sa suggestion. Que le comité soit temporaire,
semi-permanent ou semi-temporaire, peu importe; l'essentiel, c'est de continer
à l'intérieur de ce comité ce travail de réflexion
de façon non partisane, comme nous l'avons fait ce soir. En terminant,
M. le Président, je veux de nouveau remercier tous les membres de cette
Assemblée et je veux souhaiter comme eux et comme elles que cette
amélioration apportée à la Loi sur la protection de la
jeunesse contribuera à diminuer de façon importante le taux de
délinquance au Québec. Merci.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci, M. le ministre.
Cette deuxième lecture du projet de loi no 10, Loi modifiant la
Loi sur la protection de la jeunesse est-elle adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. M. le
député de Joliette.
Renvoi à la commission des affaires
sociales
M. Chevrette: Avec le consentement du leader de l'Opposition, je
voudrais proposer que ce projet de loi soit déféré
à la commission des affaires sociales, en assurant l'Opposition que le
ministre de la Justice participera à cette commission.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Est-ce que cette motion
est adoptée?
M. Levesque (Bonaventure): Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté.
M. Chevrette: C'est ce qu'on dit.
Le Vice-Président (M. Jolivet): C'est cela.
M. Chevrette: Oui, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): J'ai bien compris
commission conjointe des affaires sociales...
M. Chevrette: De par le leader, je tiens l'engagement de
déférer ce projet de loi à la commission des affaires
sociales, en assurant la commission que le ministre de la Justice y participera
de plein droit. C'est ce que le leader me demande de vous transmettre.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cela va? Adopté?
C'est bien cela? Adopté.
M. Levesque (Bonaventure): Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Nous ajournons
désormais les travaux.
M. le député de Joliette, vous faites la motion
d'ajournement.
M. Chevrette: M. le Président, je propose l'ajournement
à demain 10 heures en rappelant que les travaux de l'Assemblée
seront les suivants: le budget jusqu'à 18 heures demain soir et à
20 heures, projet de loi sur le Palais des congrès.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion d'ajournement
est-elle adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. Ajournement
des travaux à demain 10 heures.
(Fin de la séance à 23 h 46)