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Introduction historique-en

25th Legislature, 3rd Session
(November 19, 1958 au March 5, 1959)

Par Jules Racine St-Jacques

Le monde, le Canada et le Québec en 1958-1959

Présage des grands mouvements nationalistes des années 1960 et symptôme d’un certain malaise à l’Élysée, les anciennes colonies françaises, gravitant depuis 1946 dans l’orbite de l’Union française, ruent dans les brancards en 1958-1959. L’insurrection d’Alger, le 13 mai 1958, donne la première semonce d’une émancipation générale et force le retour au pouvoir du général Charles de Gaulle, nommé président du Conseil le 1er juin. Pour régler la crise de l’État français, le héros de la Résistance enclenche l’élaboration d’une nouvelle constitution. La nouvelle charte fondamentale est adoptée par référendum, le 28 septembre 1958, inaugurant par le fait même la Ve République, dont de Gaulle est élu premier président le 21 décembre suivant.

Cette refonte constitutionnelle s’accompagne de certains changements institutionnels. L’Union française, structure chargée de coordonner les activités de l’Hexagone et de ses anciennes possessions coloniales, devient alors la Communauté. Le 23 octobre 1958, de Gaulle offre aux Algériens insurgés la « paix des braves », qui enjoint les forces de l’Armée de libération nationale à désengager le combat, ce que le Front de libération nationale, l’instance politique de l’insurrection, refuse. Entre le 25 et le 28 novembre, dans le sillage de l’Algérie, le Soudan français, puis le Tchad, la République populaire du Congo et le Gabon se déclarent indépendants tout en demeurant à l’intérieur de la Communauté. La Guinée, quant à elle, repousse ce marché et se déclare totalement indépendante le 2 octobre 1958.

Sur le continent nord-américain, la guerre froide continue d’orienter la politique extérieure. Le 12 mai 1958, la signature de l’entente entre le Canada et les États-Unis officialise l’établissement du Commandement de la défense aérospatiale (NORAD), un organisme voué à la détection et à l’identification des objets volants dans et hors l’atmosphère terrestre. Deux mois plus tard, le 7 juillet, le gouvernement américain s’assure un pied-à-terre nordique en faisant de l’Alaska le 49e État des États-Unis d’Amérique. Le 28 du même mois, la National Aeronautics and Space Administration (NASA) est instituée sur la structure du National Advisory Committee for Aeronautics (NACA) pour orienter les travaux en recherche civile et militaire et, plus particulièrement, pour coordonner la recherche et le développement aérospatial; rappelons que l’Union soviétique avait, le 4 octobre 1957, lancé son Spoutnik 1, le premier satellite artificiel de la Terre. La course à l’espace avait commencé. En parallèle, le gouvernement américain est inquiété par la victoire finale de la révolution cubaine, le 1er janvier 1959, sur le régime de Fulgencio Batista. Son leader, Fidel Castro, s’autoproclame chef suprême de Cuba.

À Rome, la mort du pape Pie XII, le 9 octobre 1958, force la réunion du conclave. Au terme de 19 jours de délibérations, les cardinaux s’entendent, le 28 octobre, pour coiffer Angelo Giuseppe Roncalli de la tiare papale. Le 259e pape de l’Église catholique romaine prend le nom de Jean XXIII.

Au Canada, l’année 1958 est marquée par le vote de confiance qu’accordent les électeurs au gouvernement progressiste-conservateur de John Diefenbaker qui, de minoritaire qu’il était en 1957, obtient, le 31 mars 1958, la plus vaste majorité de l’histoire de la Confédération en faisant élire 208 députés à la Chambre des communes contre 49 pour les libéraux de Lester B. Pearson et huit pour la Co-operative Commonwealth Federation (CCF) de Hazen Argue.

Les élections fédérales se déroulent au Québec sur fond de ralentissement économique. Depuis 1956, la croissance d’après-guerre s’essouffle. De 8,8 % en 19571, le taux de chômage grimpe à 11,2 % en 1959, « rappelant les années 1930 aux ouvriers qui ont épuisé leurs prestations d’assurance-chômage2 ». Le déclin économique trouve un bruyant écho, le 29 décembre 1959, lorsque les quelque 75 réalisateurs de la station francophone de Radio-Canada déclenchent une grève. Appuyés par environ 2 000 employés solidaires de leur combat – dont René Lévesque, animateur de l’émission d’affaires publiques Point de mire –, les réalisateurs revendiquent le droit de se syndiquer sous la bannière de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) qui, le 21 septembre précédent, a changé de président, Roger Matthieu succédant à Gérard Picard.

La récession qui afflige l’économie québécoise n’empêche pas les arts en général de continuer à fleurir. En 1958, le journaliste Jacques Hébert et l’imprimeur Edgar Lespérance créent les Éditions de l’Homme, maison qui deviendra l’un des phares du Québec livresque dans la francophonie. Pendant ce temps, chez la prestigieuse maison Bernard Grasset, en France, Yves Thériault publie Agaguk, un roman policier qui se déroule chez les Innus, dans le Grand Nord québécois. Traduit en 10 langues, le roman de Thériault connaîtra un vif succès, se vendant à plus de 300 000 exemplaires. Le milieu théâtral aussi connaît de belles heures depuis la création, par Gratien Gélinas, de la Comédie canadienne. Comme le montre l’historien Robert Rumilly, le comédien et auteur de Ti-Coq bénéficie du soutien financier du gouvernement et de son chef, Maurice Duplessis, dans la mise sur pied de sa compagnie théâtrale3.

 

Les parlementaires

À Québec, devant plus de 800 personnes4, la 3e session de la 25e Législature est déclarée ouverte le 19 novembre 1958. Aux « applaudissements enthousiastes » des députés de l’Union nationale, la Chambre basse accueille trois nouveaux membres issus de trois élections complémentaires tenues dans l’intervalle de la session précédente. Une première élection partielle s’est déroulée le 2 juillet dans le comté de Matane pour combler le départ d’Onésime Gagnon, nommé lieutenant-gouverneur le 14 février précédent. L’unioniste Benoît Gaboury y a battu sans difficulté le candidat indépendant qui lui tenait lieu d’opposition. Après la démission de Paul Spence, député unioniste de Roberval, et du ministre Albiny Paquette, dans le comté de Labelle, les scrutins y sont rouverts le 15 octobre. Les candidats de l’Union sont élus aisément en l’absence d’opposition libérale. Pierre Bohémier l’emporte par acclamation dans le comté de Labelle, tandis que Jean Turcotte succède à Paul Spence dans Roberval. Ces nouveaux venus compris, l’Assemblée législative compte 73 représentants de l’Union nationale, 15 libéraux et trois députés indépendants : Frank Hanley d’une part et, d’autre part, les anciens libéraux, Dave Rochon et Lionel Ross, qui siègent comme indépendants depuis le 20 juin 1957.

Le départ d’Onésime Gagnon et celui d’Albiny Paquette opèrent une ponction notable dans le Cabinet de Maurice Duplessis. Gagnon et Paquette, qui occupaient respectivement les fonctions de ministre des Finances et de ministre de la Santé, jouaient un rôle majeur au sein du gouvernement. Ils sont remplacés au Conseil exécutif par John Bourque et Arthur Leclerc. Ensuite, Jean-Jacques Bertrand hérite du ministère des Terres et Forêts, Daniel Johnson est affecté aux Ressources hydrauliques, et Gérard Thibeault obtient le titre de ministre d’État. Ce remaniement ministériel constitue le changement le plus important du Cabinet de Duplessis depuis l’élection de l’Union nationale en 1944.

Pour diriger les travaux à l’Assemblée législative, Maurice Tellier assume toujours le poste d’Orateur. Tout comme son prédécesseur, Alexandre Taché, Maurice Tellier s’efforce de donner raison au gouvernement à tous les points d’ordre qui sont soumis à son jugement. En remplacement de Daniel Johnson, Germain Caron, représentant de Maskinongé, est désigné par Maurice Duplessis à la vice-présidence. Pour la seizième année consécutive, le poste de greffier est quant à lui occupé par Me Antoine Lemieux dont l’assistant cette année est Edgar Boulet.

Le Conseil législatif voit sa composition changer, à la suite de la mort de Jacob Nicol et d’Alphonse Raymond5. La nomination d’Albiny Paquette pour représenter le district de Rougemont et de John P. Rowat, pour celui de Lorimier, donne 12 conseillers à l’Union nationale, contre neuf libéraux et un indépendant.

Ces nombreux changements font contraste avec la relative stabilité qui caractérise le pan libéral de la Chambre. Car le Parti libéral du Québec est en mutation. Son chef, Georges-Émile Lapalme, qui songeait à démissionner, revient sur sa décision après une longue valse-hésitation. Pour asseoir son autorité, un nouveau congrès à la direction du parti est organisé et, le 10 janvier, Lapalme se lance officiellement dans la course à sa propre succession. Peu après, la défaite des libéraux fédéraux aux élections du 31 mars 1958 incite l’ex-ministre du Nord canadien et des Ressources nationales, Jean Lesage, à quitter Ottawa pour tenter sa chance en politique provinciale. Le vent tourne. Lapalme ne semble plus aussi chaud à l’idée de demeurer à la tête du Parti libéral. Le politicologue Vincent Lemieux soutient même que Lesage ne fait le saut au provincial qu’après s’être assuré que Lapalme ne serait pas candidat au poste de chef du parti6. Comme de juste, le 24 mai 1958, Lapalme annonce qu’il démissionne comme chef du Parti libéral, se retire de la course et se rallie derrière Lesage. Trois autres candidats sont en lice : Aimé Fauteux, René Hamel et Paul Gérin-Lajoie. Le 31 mai, Lesage obtient des délégués une majorité sans appel et devient chef du Parti libéral québécois. Le l3 juin suivant, il démissionne du comté fédéral de Montmagny-L’Islet.

Ayant refusé de se présenter lors des trois élections partielles qui ont suivi le congrès libéral, Jean Lesage convainc Georges-Émile Lapalme de demeurer chef de l’opposition même s’il n’est plus chef du parti. Comme George C. Marler avant lui, Georges-Émile Lapalme se retrouve donc dans le rôle ingrat d’assurer l’intérim en Chambre et doit continuellement subir les moqueries de Duplessis à cet égard7. Le chef déchu ne garde pourtant pas d’aigreur de ses derniers jours au front parlementaire lors desquels, comme il s’en souvient lui-même, il a agi « avec désintéressement envers le nouveau chef du parti et avec agressivité envers Duplessis8 ».

 

Duplessis : le poids des années

Le poids des années commence à peser lourd sur le premier ministre. Âgé de 68 ans (il est né en 1890), sa santé faiblissante lui permet de moins en moins de combattre son diabète. L’historien Conrad Black trace un portrait sans complaisance de ce chef vieillissant :

À la fin de 1958, toutefois, il devint évident que sa santé se détériorait. Il était presque toujours fatigué, de mauvaise humeur et distrait. Il essaya de maintenir son horaire habituel, mais n’y parvenait pas avec la même efficacité joyeuse qu’auparavant. Les dossiers en suspens commencèrent à s’accumuler. Il perdait parfois le fil de ses idées au beau milieu d’une phrase et il lui arrivait de faire venir des gens dans son bureau inutilement, puisqu’il oubliait pourquoi. Une tache sombre apparut sur son front et prit de l’ampleur durant l’année 1959, jusqu’à atteindre le diamètre d’une pièce de 25 cents. Ses bras devinrent si maigres qu’on en voyait les tendons; sa peau semblait aussi sèche et fragile qu’un parchemin. Triste spectacle pour ceux qui, après avoir connu le colosse d’antan, le voyaient ainsi dépérir9.

 

Bien au fait de cette fatigue qui accable Duplessis, les députés de l’opposition sonnent déjà le glas de son long « règne ». Jean-Paul Galipeault, représentant libéral de Québec-Ouest, se fait l’écho d’une opinion répandue au sein de l’Union nationale selon laquelle, affirme-t-il, il y a « un nombre de plus en plus grand de partisans de l’Union nationale qui veulent que le premier ministre cède sa place à un autre ». (4 décembre)

Est-ce la prévoyance de sa succession prochaine? L’organigramme du Salon vert, pour la session 1958-1959, place Paul Sauvé à la droite du chef, maintenant qu’Onésime Gagnon est devenu lieutenant-gouverneur. Pour plusieurs observateurs, il ne s’agit là que du cours logique de la hiérarchie installée par l’ancienneté au sein de l’Union nationale10. Il est de notoriété publique que Paul Sauvé est au second rang au sein de l’appareil gouvernemental. Le 21 octobre, lorsque le journal Le Droit publie un fil de presse de la Canadian Press selon lequel « M. Maurice Duplessis, en mauvaise santé, serait sur le point d’abandonner son poste11 », l’article prédit que « la succession se fera entre MM. Jean-Paul Sauvé […] et Daniel Johnson12 ». Le rapprochement symbolique des sièges en Chambre ne fait que renforcer cette impression de la fin prochaine d’une époque.

C’est donc un Duplessis sur son déclin qui entame cette 3e session de la 25e Législature. Cependant, l’âge et la maladie ne suffisent pas à entamer la volonté autocratique du premier ministre. Comme le souligne Lapalme, lors d’un débat sur une loi proposant de faire passer à 10 le nombre d’adjoints parlementaires pour les députés ministériels, c’est encore « le premier ministre qui fait tout, qui mène tout à la place de ses ministres. Lorsqu’un ministre se lève, nous entendons à l’avance l’adjoint parlementaire universel [Duplessis] lui souffler ce qu’il doit dire. Le premier ministre répond au nom de tous ses députés et ministres ». (5 décembre)

Inaltérés sont aussi, selon le chef du gouvernement, les grands principes au nom desquels il continue de se lever en Chambre : autonomie des provinces, libéralisme économique. Faisant fi des nombreuses critiques de l’opposition l’accusant d’édulcorer ses positions autonomistes depuis l’avènement du gouvernement conservateur de Diefenbaker à Ottawa, il réitère pour les dernières fois de sa vie parlementaire ce qui aura été son grand combat : l’autonomie de la province de Québec. Le 27 février, au moment d’un débat sur les subsides du département de l’Instruction publique, son discours, comme poussé sur sa pente naturelle, dévie vers la question constitutionnelle. Fier d’avoir récupéré « une partie de ses droits fiscaux », Duplessis promet que de son vivant, la « province de Québec ne lâchera pas, en ce qui concerne la sauvegarde de ses droits, dans le domaine de l’éducation ». Réfutant les allégations de ses opposants, il relate à ce sujet une récente rencontre avec Louis Saint-Laurent, ancien premier ministre canadien :

Nous avons parlé de la question constitutionnelle et je lui ai dit: « M. Saint-Laurent, regardez-moi bien dans les yeux! Il y a un nouveau gouvernement à Ottawa et je vous affirme que celui qui vous parle va tenir la même attitude sur la question constitutionnelle et fiscale. »

Je n’ai pas failli à la tâche et je ne faillirai pas tant que le bon Dieu me conservera un souffle de vie; mon dernier mot sera : « Je ne lâche pas. » Je ne me rendrai jamais et je ne céderai pas!

 

Et, effectivement, il ne cédera jamais. Jusqu’à sa mort le 7 septembre 1959, Duplessis continuera de clamer à qui voudra l’entendre la primauté des droits de la province en matière d’éducation.

Sur le plan économique, Duplessis, en bon conservateur, préfère toujours la libre entreprise à l’intervention de l’État. Brandissant le spectre du communisme à la moindre velléité d’interventionnisme étatique, il conçoit toute forme de dirigisme économique comme un abus socialisant et rejette en bloc toute forme de subvention normée ou d’octroi statutaire. Le discours du trône se charge d’emblée de rappeler à l’opposition et à la population le souverain dédain qu’entretient le premier ministre à l’égard du « paternalisme étatique13 « :

L’étatisation, sauf dans des conditions exceptionnelles, ne répond pas aux besoins de la province et n’est pas conforme à ses meilleurs intérêts; elle est contraire aux principes démocratiques, à la véritable liberté et à l’esprit d’entreprise. De plus, elle tarirait les sources de revenus requises dans une province en plein essor et compromettrait gravement le pouvoir d’emprunt nécessaire à tous les paliers de l’administration publique.

 

À l’interventionnisme étatique, Duplessis substitue en vérité un interventionnisme politique, voire personnel. Jusqu’à la fin de son dernier mandat, la redistribution des deniers publics se fera informellement, derrière les portes closes de son bureau ou sous le sceau de confidentialité d’une correspondance assidue. Le second tome de Maurice Duplessis et son temps, de l’historien Robert Rumilly, est truffé de ces marques de gratitude exprimées personnellement au premier ministre pour le soutien financier qu’il a apporté de son propre chef à de si nombreuses initiatives avec le produit des taxes et impôts publics. Depuis 1944, les libéraux attaquent le gouvernement de l’Union nationale sur cet aspect de sa politique. Encore cette session, le député Oswald Parent, de Hull, accuse le gouvernement de distribuer les octrois aux commissions scolaires à sa discrétion pour « garder le patronage dans les comtés pour s’en servir à des fins de propagande politique, en faveur de l’Union nationale ». (3 décembre)

Somme toute, en dépit de la maladie et des critiques adverses, Duplessis demeure bien ancré dans son fauteuil de chef en cette dernière année de vie parlementaire. Fort de sa majorité en Chambre, inébranlable dans ses certitudes, il apparaît toujours aussi imposant à son vis-à-vis, Georges-Émile Lapalme.

 

Lapalme, de chef à héraut

À l’ouverture de la session 1958-1959, il y a longtemps que Georges-Émile Lapalme s’est lassé de combattre Duplessis en Chambre14. S’il revient affronter celui qui, de son propre aveu, lui semblait « invincible15 », c’est sous la pression des nombreuses insistances qui lui ont été faites, parce qu’il sent qu’il doit « accomplir ici un devoir ». (25 novembre) Après huit années passées à la tête du Parti libéral, dont cinq en qualité de chef de l’opposition à l’Assemblée législative, c’est un Georges-Émile Lapalme désabusé, mais fidèle à ses engagements et à ses convictions, qui fait son entrée en Chambre, le 19 novembre 1958. De premier concepteur et promoteur d’une idéologie libérale renouvelée, il a choisi de passer à simple héraut des idées qu’un autre que lui clame devant les projecteurs.

Ces idées, Jean Lesage les a clairement exprimées lors d’un congrès libéral le 2 novembre 1958. Cinq mois après son investiture, le nouveau chef de la « Fédération libérale du Québec » met la table pour le repas qu’il entend servir aux Québécois s’ils l’élisent aux élections prévues en 1960. Placé sous le signe de la « Libération », le programme politique des libéraux de Lesage est orienté par trois lignes de force : éducation, travail et agriculture.

En matière d’éducation, ce programme contraste par ses méthodes de gestion transparentes et son principe d’universalité avec l’idéologie de l’Union nationale. Création d’un « fonds de l’éducation », octrois statutaires, gratuité scolaire jusqu’à la 12e année, gratuité des manuels, fréquentation obligatoire jusqu’à 16 ans sont autant de mesures qui tranchent fortement avec la position conservatrice du régime que Lesage se plaît à qualifier d’« occupation duplessiste ».

Sur le plan du travail, Lesage s’engage à établir une commission des relations ouvrières chargée de pourvoir les travailleurs et les employeurs d’un code régissant leurs droits et devoirs. Dans une poussée résolument progressiste pour l’époque, le chef libéral se montre même favorable à l’équité salariale entre les hommes et les femmes.

Enfin, pour relever l’agriculture qui périclite en cette ère d’urbanisation, le programme propose de doubler le prêt agricole maximum à 15 000 $ et de porter l’octroi d’établissement pour jeunes cultivateurs à 1 200 $. Pour favoriser l’initiative des cultivateurs, le Parti libéral promet en outre de subventionner directement ceux qui se porteront volontaires pour améliorer leurs terres par eux-mêmes.

Derrière la plupart de ces propositions, il y a le patient travail de défrichage idéologique effectué par Georges-Émile Lapalme au cours de son mandat à la tête du parti. Relégué à l’arrière-scène, celui qui aurait souhaité voir ses idées triompher de sa propre main sur le régime de Duplessis devra désormais se contenter de travailler dans l’ombre de Lesage. Mais la vie en coulisse a ses avantages. Le simple militant qu’il est devenu n’a plus à souffrir les injures et les mots d’esprit de son adversaire. Cette idée l’a rasséréné durant ses dernières années de chef de l’opposition : « Maurice Duplessis me laissait maintenant tranquille. Ne prononçant plus de discours, je n’étais plus sa cible. Jean Lesage, perçant dorénavant le paysage, se débattait avec lui. » Pendant la session, en revanche, l’attitude de son rival à son égard continue d’agacer le messager parlementaire qu’est devenu Lapalme. Il se rappelle ainsi que pour semer la discorde au sein de l’opposition, « Duplessis attaquait Lesage et me louangeait. C’était de bonne guerre pour lui, si c’était gênant pour moi16 ». Ayant choisi de revenir en Chambre, Lapalme assume ses responsabilités et continue d’encaisser les coups qui lui sont portés : « Chef parlementaire, mon travail demeurait le même, ni plus, ni moins17 ».

Cependant, la portion de ses Mémoires qu’il y consacre ne rend peut-être pas pleine justice à la réalité de cette dernière session. Son rôle de chef, Lapalme doit désormais le partager en Chambre avec René Hamel. Nommé conseiller stratégique par Lesage, Hamel tient en quelque sorte la fonction actuelle du leader parlementaire : il dirige les travaux de l’opposition et soulève les points d’ordre lorsque les ministériels enfreignent le règlement. Sous un chef autoritaire comme Duplessis, la présence en Chambre d’un tel conseiller aurait certes passé inaperçue. Mais, avec un Lapalme déjà peu porté sur la discipline et diminué par sa destitution à la chefferie du parti, Hamel imprime manifestement sa marque sur la stratégie des libéraux en cette année 1958-1959.

De conciliants et coopératifs qu’ils avaient pu être au cours des premières années de Lapalme à l’Assemblée législative, les libéraux sont devenus désobligeants et retors pendant cette session. Séance après séance, ils proposent des motions d’amendement afin d’entraver la marche législative du gouvernement. Chaque fois que les députés se réunissent en comité des subsides, un nouveau député libéral se lève pour suggérer un amendement qui, si le gouvernement l’adoptait, constituerait un vote de non-confiance. Évidemment, aucun des nombreux amendements proposés n’est accepté par les unionistes, mais le résultat demeure satisfaisant pour les libéraux puisqu’ils parviennent à faire dévier les débats dans la direction souhaitée.

Or, à en juger par la teneur législative du discours du trône, il est raisonnable de se demander si la stratégie de la gauche ne fait pas le jeu de la droite. Car le programme législatif présenté par l’Union nationale ne pèche assurément pas par son ambition.

 

Le discours du trône

Après avoir agi quatorze ans comme trésorier puis comme ministre des Finances (l’appellation a changé en 1952), Onésime Gagnon est devenu, le 14 février 1958, le 20e lieutenant-gouverneur de la province de Québec. En cette année 1958, la succession du pape, les cent ans de l’apparition de la sainte Vierge à Lourdes, le 300e anniversaire du sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré et les 350 ans de la ville de Québec sont autant d’occasions de réjouissances qui placent son premier discours du trône sous le signe du catholicisme triomphant. Certes attristé par la mort du pape Pie XII, le nouveau représentant de la reine au Québec rappelle néanmoins que « l’Église est éternelle » et renouvelle l’assurance de la « filiale soumission » des catholiques québécois à Sa Sainteté le pape Jean XXIII.

Le lieutenant-gouverneur entre dans le vif du sujet. Comme tous les ans depuis 1944, les cultivateurs se voient promettre une hausse du prêt agricole, la multiplication des routes et des efforts supplémentaires pour accroître le drainage et la colonisation. L’électrification rurale, autre rayon d’action majeur de Duplessis en matière de développement, arrivera enfin à son terme cette session. Après quinze ans au pouvoir, «  les travaux, aujourd’hui très avancés » seront complétés.

Le lieutenant-gouverneur poursuit en annonçant deux projets de loi qui constitueront les deux faits saillants législatifs de la session : une nouvelle loi « dont le but et l’effet seront d’autoriser à aider financièrement les étudiants pauvres en argent, mais riches en talents et en esprit de travail » et, d’autre part, une législation « facilitant la construction d’établissements où les personnes âgées et sans foyer pourront demeurer ».

Le menu législatif que dresse le gouvernement par la voix d’Onésime Gagnon apparaît plutôt frugal. Signe d’un gouvernement vieillissant ou en mal d’inventivité, le lieutenant-gouverneur pousse même la redite jusqu’à citer un extrait du discours du trône présenté en 1954 au sujet de l’autonomie provinciale « pour affirmer, une fois de plus, sa politique constante et indéfectible en matière constitutionnelle ».

Le 20 novembre, au lendemain de l’ouverture de la session, l’adresse en réponse au discours du trône est proposée par Pierre Bohémier et secondée par Benoît Gaboury, tous deux issus de milieux ruraux. Les discours qu’ils prononcent versent dans le panégyrique du parti et de son chef. Les deux nouveaux députés se font la voix des cultivateurs pour remercier le gouvernement unioniste des progrès « énormes » qu’il a rendus possibles dans les campagnes québécoises. Parmi « bien d’autres titres », selon eux, l’histoire retiendra de Duplessis qu’il fut « le plus grand protecteur de l’agriculture ».

Le 25 novembre, quand vient son tour de parler sur l’adresse, le chef de l’opposition dresse un portrait fort différent du gouvernement de l’Union nationale. Tout en soulignant les principaux problèmes de l’heure au Québec, il reproche au gouvernement sa courte vue et l’électoralisme qui préside à la moindre de ses décisions. Plus que jamais, le discours du trône lui apparaît déphasé, redondant : « Dans le discours du trône de cette année, je relis simplement les discours du trône des années passées. » Constamment tourné vers son passé, cette gloriole magnifiée à grands renforts de millions dépensés, le gouvernement de Maurice Duplessis, selon Lapalme, « n’est pas capable d’admettre un problème, de l’exposer, de dire ce qu’on entend faire pour y remédier ». Tout grave soit-il, le chef de l’opposition n’obtient pour seule réponse que des badineries sur sa récente démission du poste de chef du Parti libéral. Évoquant Lesage et Hamel, Duplessis se moque de celui « qui remplace ici celui qui l’a remplacé et qui sera remplacé et qui sera remplacé, pour la stratégie et les règlements, s’il ne peut occuper son siège, à un moment donné par celui qui n’a pas réussi à le remplacer au congrès de Québec ».

À la suite de leurs chefs respectifs, les députés oppositionnels et ministériels s’affrontent dans une joute oratoire échelonnée sur six séances. Les uns axent leurs critiques sur le besoin d’un plus grand interventionnisme de l’État; en face, les congratulations des autres rappellent les accomplissements passés. Pendant les quelques jours de « sujets libres » qu’offre l’adresse en réponse au discours du trône – dans un amendement rejeté par la majorité (2 décembre) – , les libéraux signalent leur regret de ne pas lire dans le programme législatif du gouvernement l’intention d’instaurer la gratuité des livres scolaires ainsi que des barèmes de subventions statutaires aux institutions d’enseignement et aux corporations scolaires. Aussi, durant ces six jours, la délicate question de la vente du réseau de gaz naturel par Hydro-Québec affleure à la surface des débats. Mais Duplessis, visiblement méfiant, la relègue sans attendre au rayon des tabous parlementaires. L’amendement proposé le 28 novembre par les libéraux déplorant que le gouvernement refuse d’ouvrir la commission royale d’enquête qu’ils exigent à ce sujet est immédiatement rejeté.

Les libéraux n’entendent pas en rester là. La vente du réseau de gaz d’Hydro-Québec rebondira sur le parquet de l’Assemblée tout au long de la session. Ce que l’on appelle déjà le « scandale du gaz naturel » provoque un premier remous en Chambre, le 4 décembre, au moment où Duplessis propose le vote sur l’adoption de l’adresse. En soi, l’appel du vote de cette motion rompt avec la tradition, car le discours du trône est habituellement adopté à l’unanimité, sans qu’il ne soit enregistré. Les députés de l’opposition sont pris de court. Se tournant vers ses pairs, Lapalme demande ce qu’ils comptent faire. Certains font part de leur intention de voter contre, ce qui entraîne tous les libéraux à voter contre l’adoption du discours du trône pour la première fois de « l’histoire parlementaire », ainsi que Duplessis s’empresse ensuite de le souligner. Conscients de l’émoi que pourrait causer leur décision, René Hamel et Georges-Émile Lapalme tiennent une conférence de presse après la séance pour expliquer leur geste. Le refus qu’ils ont adressé au vote de cette motion répond symboliquement au refus du gouvernement d’ouvrir une enquête sur la vente d’actions de la Corporation du gaz naturel à des membres de la Législature.

 

Les finances publiques

Fier d’avoir soumis les Comptes publics à la Chambre dès l’ouverture de la session18, le nouveau ministre John Samuel Bourque prend le devant de la scène parlementaire, le 20 février 1959, au moment de présenter son premier budget.

Plus direct que son illustre prédécesseur, John Bourque livre un discours factuel qui va droit aux principales allocations des deniers publics. À la différence de Gagnon qui aimait à s’épancher en longues considérations érudites sur l’histoire de Québec, Bourque passe en revue les grands accomplissements du gouvernement – sans oublier de louanger son chef au passage – pour ensuite examiner plus en détail la situation financière de la province.

Au 31 mars 1959, les revenus du gouvernement, pour l’année 1958-1959, s’élèveront à 537 252 000 $ soit une augmentation de plus de 30 000 000 $ sur les revenus de 1957-1958. Compte tenu de la précarité économique qui assombrit l’horizon de croissance nord-américain, le ministre des Finances prend bien soin de préciser que cette évaluation « est sujette à réévaluation » dans les quelque 40 jours à venir. Pour l’année en cours, ces revenus permettront possiblement à la province de bénéficier d’un surplus au compte ordinaire de 91 724 000 $, puisque les dépenses ordinaires ne s’élèveront probablement pas au-delà de 445 528 000 $, en tenant compte du service de la dette publique, qui s’élève à 31 142 000 $. En soustrayant au surplus les dépenses d’immobilisation, au montant de 91 345 000 $, Bourque annonce un surplus global d’opérations de 379 000 $.

Les prévisions budgétaires pour l’année 1959-1960 laissent présager une relative stabilité dans les prochains Comptes publics. En vertu de revenus prévisionnels de 541 895 000 $ et de dépenses ordinaires de 451 643 500 $, le gouvernement pourra se féliciter d’un surplus au compte ordinaire de 90 251 500 $. Soulignons toutefois qu’en soustrayant de cet excédent les charges prévisionnelles imputables en immobilisation, qui s’élèvent à 97 295 000 $, le budget de 1959-1960 serait potentiellement grevé d’un déficit de 7 044 000 $.

Contrairement aux budgets préélectoraux qui l’ont précédé, le budget présenté pour l’année 1959-1960 n’annonce pas une hausse considérable des dépenses à la Voirie. Au contraire, les 101 977 000 $ alloués à ce ministère représentent une baisse de près de 5 000 000 $ par rapport à l’année précédente. La part relative de la Voirie dans l’assiette budgétaire demeure tout de même stable à 20 %. Avec ses 95 277 000 $, le département de l’Instruction publique reçoit, quant à lui, 18 % des dépenses du gouvernement19. Suivent le ministère de la Santé (14 %), le Bien-être social et la Jeunesse (14 %), les Travaux publics (7 %) et l’Agriculture (6 %).

Le reste de la session est consacré au débat sur le budget et sur l’étude détaillée des crédits. Au cours des quelque neuf séances subséquentes, l’opposition attaque non pas tant le budget que les fondements mêmes de l’idéologie unioniste, en proposant, à chaque séance, une motion critiquant le gouvernement sur les différents aspects de sa politique qui surgissent au gré des crédits examinés. La critique la plus exhaustive et recherchée provient sans doute du chef de l’opposition qui, le 24 février, regrette de n’entendre, dans le discours du budget, aucun écho aux recommandations formulées dans le rapport Tremblay sur les problèmes constitutionnels, déposé en 1956 (rapport de la commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels). Prenant ce déni à témoin, il dénonce, comme il l’avait fait durant l’adresse en réponse au discours du trône, l’absence de vision du gouvernement. Dans le règlement du litige constitutionnel « comme dans le domaine économique, agricole, industriel, éducationnel et culturel, le gouvernement n’a, selon Lapalme, aucun programme, aucune planification, aucune orientation ». (24 février)

 

Faits saillants de la session

Si les 220 lois sanctionnées par le lieutenant-gouverneur durant la 3e session de la 25e Législature peuvent sembler être une récolte abondante, en revanche, peu nombreux sont les projets qui s’inscrivent en charnière dans l’histoire législative du Québec. Cette stérilité législative n’est pas passée inaperçue aux yeux du journaliste Pierre Laporte. Au lendemain de la session, ce farouche anti-duplessiste résume sévèrement les accomplissements législatifs du gouvernement :

Le discours du trône qui a inauguré la session laissait prévoir un programme législatif insignifiant et routinier. Rendons cette justice au gouvernement Duplessis qu’il n’a trompé personne, la législation ayant été à l’image de ce texte insipide. Disons même que « les fruits ont passé la promesse des fleurs » car l’ensemble des lois a été plus insignifiant encore et plus routinier qu’on ne l’aurait cru20.

 

Hormis quelques lois qui ressortent du lot, l’année 1958-1959 est surtout marquée en Chambre par l’extraordinaire effort d’obstruction parlementaire déployé par les libéraux. Aucune statistique ne témoigne mieux de ce travail que le nombre d’avis de questions et de motions soulevées à l’Assemblée législative. D’une cinquantaine de questions et de motions par session en moyenne au cours de la décennie 1950, les libéraux font passer ce nombre à 226 avis lors de la session de 1958-1959. Considérant que chaque question et chaque motion engendrent une discussion, on imagine aisément combien cette série d’interruptions dans le processus législatif a pu rendre le travail en Chambre lourd et fastidieux.

En guise de représailles, Duplessis s’efforce d’escamoter aussi souvent que possible la séance du mercredi, que l’usage voue à la présentation des projets de loi initiés par l’opposition. Lorsqu’il ne suspend pas tout simplement la séance, le chef de l’Union nationale fait primer son ordre du jour sur celui des libéraux. Cette tactique revancharde, pratique courante chez Duplessis, irrite les députés de la gauche. À plusieurs reprises au cours de la session, ceux-ci se plaignent de l’incurie du gouvernement à l’endroit des documents, des réponses et des projets de loi que les libéraux voudraient voir apparaître à l’ordre du jour, mais qui restent en suspens.

 

Le scandale du gaz naturel

À l’instar du scandale de la Bersimis, en 1954 c’est une fois de plus le journal Le Devoir qui fournit au Parti libéral la lance avec laquelle il pique Maurice Duplessis sur le parquet de l’Assemblée législative durant cette session21. Le 13 juin 1958, le quotidien tapisse sa une d’un grand titre : « Le Devoir accuse : scandale à la Corporation de gaz naturel de Québec ». Les chefs d’accusation, au nombre de cinq, sont en vérité autant de variations sur le même thème criminel, le délit d’initié22. Selon Le Devoir, des députés ministériels auraient favorisé un petit groupe de promoteurs dans la création, par charte, le 15 juin 1955, de la Corporation de gaz naturel de Québec en leur promettant la vente du réseau gazier d’Hydro-Québec. Le 7 mars 1957, l’arrêté no 203 décide la vente du réseau à la Corporation, qui émet pour près de 40 000 000 $ de titres boursiers le 1er avril suivant. Le 25 avril, le cours des titres – obligations et actions – de la compagnie s’emballe.

Les allégations du Devoir portent à croire que du plus petit député au plus grand des ministres, nombreux sont les membres du gouvernement Duplessis ainsi que des conseillers législatifs qui auraient « spéculé sur des blocs d’actions de la Corporation », de telle sorte qu’ils se seraient érigés à la fois en vendeurs et en acheteurs du réseau de gaz naturel d’Hydro-Québec23. Pendant deux semaines, Le Devoir allonge la liste des accusés. Les ministres, actuels et passés, Antonio Barrette, John Bourque, Onésime Gagnon, Daniel Johnson, Jacques Miquelon, Antonio Talbot, sont pointés du doigt. En se vendant à eux-mêmes un actif – le réseau gazier – d’une société appartenant aux Québécois, ils ont commis, de l’avis du Devoir, une grave félonie.

Comme membres du Cabinet, ils étaient au courant depuis deux ans des tractations entre la province et la Corporation de gaz naturel; d’une façon plus immédiate, ils connaissaient depuis le 7 mars 1957 la teneur des contrats entre les deux parties. Forts de cette connaissance, ils sont parmi les premiers souscripteurs aux titres de la Corporation de gaz naturel. Combien en ont-ils acheté? Nous n’en savons rien. Combien de ministres sont impliqués dans l’affaire? Nous en connaissons huit seulement. Mais nous avons des témoignages sûrs à l’effet qu’au moins une demi-douzaine d’autres en auraient fait autant24.

 

Quelques acteurs tiennent un rôle pivot dans cette affaire. C’est le cas d’Édouard Asselin, qui a joué sur tous les tableaux. En tant que conseiller juridique de la Corporation, il fut chargé de préparer le projet de loi privé, sanctionné le 21 février 1957, intitulé « Loi concernant la vente et la distribution du gaz et la Régie provinciale de l’électricité ». Comme conseiller législatif, il a piloté ce même projet de loi au Salon rouge pour le compte de l’Union nationale et de la Corporation. Et, à titre d’actionnaire directeur de cette compagnie, il a profité de la hausse substantielle des actions à partir du 25 avril25.

La nouvelle, que Le Devoir s’empresse de qualifier d’un « des coups de bourse les plus extraordinaires de notre histoire », se répand telle une traînée de poudre26. L’ancien maire de Montréal, Jean Drapeau27, L’Action catholique, Le Soleil, puis enfin Jean Lesage exigent tous une enquête royale, seule instance qui aurait le pouvoir nécessaire pour accéder aux détails des transactions de vente et de Bourse.

Duplessis, après avoir proféré ses prévisibles insultes indignées au Devoir28, tente de minimiser les dégâts. Le lendemain de la Saint-Jean-Baptiste, il menace de poursuivre le quotidien montréalais en justice. Loin de se laisser démonter par cet avertissement, Gérard Filion, le rédacteur en chef du Devoir, n’y voit qu’une preuve de plus que « le régime est atteint29 ». Le 3 septembre, le chef du gouvernement met sa menace à exécution : il intente une poursuite en cour contre Le Devoir pour libelle diffamatoire et réclame 1 000 $ en dommages et intérêts. Les ministres et députés de l’Union nationale le suivent bientôt, de telle sorte que le 12 septembre, le nombre de poursuites contre le journal s’élève à 16. Ce qui était un scandale accablant pour l’Union nationale se retourne ainsi contre Le Devoir; et, puisque l’affaire se trouve maintenant devant la justice, l’opposition se trouve muselée à l’Assemblée législative et l’affaire, étouffée le temps de la session.

Mais ce bâillon judiciaire n’allait certainement pas garder les députés de l’opposition du plaisir de braver l’interdit en narguant le premier ministre et ses acolytes par des allusions plus ou moins directes au scandale. C’est Émilien Lafrance, whip en chef de l’opposition, qui provoque le premier le gouvernement sur l’affaire du gaz naturel. Le 26 novembre, lors du débat sur l’adresse en réponse au discours du trône, le député de Richmond étale sa propre version de l’histoire du parti de l’Union nationale. À peine a-t-il prononcé le mot « scandale » que Duplessis, vif et méfiant, l’interrompt en soulevant un point d’ordre demandant au député de retirer ses paroles sous prétexte qu’il y a « actuellement une motion pour mépris de cour contre un journal et son rédacteur en chef » et qu’on ne peut traiter en Chambre d’une affaire judiciaire ouverte devant les tribunaux. Et Lafrance, toujours aussi goguenard, de répondre : « Ce qui est sub judice, c’est la réputation du premier ministre, qu’il a lui-même évaluée à mille dollars. »

En conformité avec leur stratégie, les libéraux saisissent la moindre occasion d’exciter la sensibilité du gouvernement en soulevant cette affaire. Du 26 au 28 novembre, ils soulèvent point d’ordre par-dessus point d’ordre, afin de maintenir le scandale bien vif dans l’opinion publique. Le 28 novembre, le député de Westmount-Saint-Georges, John Richard Hyde, pousse l’audace jusqu’à proposer un amendement au discours du trône stipulant que les libéraux regrettent que le gouvernement n’ait aucunement l’intention d’instituer une enquête royale sur la vente du réseau de gaz d’Hydro-Québec à la Quebec Natural Gas Corporation.

Le 20 janvier, c’est par le truchement d’une demande de document concernant la vente du réseau que cette affaire refait surface. Soulevant un point d’ordre, Duplessis oppose un ferme refus à cette demande et les libéraux portent ce point d’ordre en appel. Sans surprise, les unionistes l’emportent. Invoquant un règlement rarement mentionné, selon lequel un député ne peut voter une motion s’il se trouve engagé pécuniairement par son contenu, Hyde – encore lui – se lève alors sur une question de privilège afin de demander le retrait des votes des députés qui se trouvent impliqués monétairement dans l’affaire sub judice. Cette façon impudique d’alourdir les débats suscite l’ire des ministériels. Duplessis la qualifie d’« archiridicule » et l’Orateur, non sans quelques contorsions intellectuelles, donne une nouvelle fois raison à l’Union nationale :

La question de privilège soulevée par le député de Westmount s’appuie sur l’article 304 du règlement, portant qu’aucun député n’a le droit de voter sur une question dans laquelle il a un intérêt pécuniaire et direct, excepté si cette question est d’intérêt général. La Chambre a été appelée à se prononcer tantôt sur une décision de l’Orateur, à l’effet que la motion du député de Westmount était irrégulière, parce que se rapportant à une affaire sub judice. Ce n’est pas une question personnelle pour aucun membre de la Chambre de savoir si l’option est ou non sub judice. Le point soulevé à la suite du vote est donc mal fondé.

 

Étouffé en Chambre, le scandale du gaz naturel s’évente peu à peu au cours de la session, malgré les efforts persistants du chef libéral Jean Lesage pour en faire le stigmate d’un régime vieilli et vicié.

En 1960, le gouvernement Lesage instituera une commission d’enquête, présidée par le juge Élie Salvas, pour faire la lumière sur cette affaire. Les conclusions du rapport donneront raison aux accusateurs du Devoir, mais, comme le soulignent les historiens André Bolduc, Clarence Hogue et Daniel Larouche, le « dénouement de cette affaire […] trouvera, somme toute, assez peu d’échos dans le public. Le temps avait fait son œuvre » et Duplessis, mort et enterré, n’était plus là pour se défendre30.

 

Le bill 29 : calmer la grogne de la jeunesse étudiante

Depuis le début de la décennie, le problème du financement des institutions d’enseignement supérieur est au cœur du nœud gordien constitutionnel au Québec. Farouche partisan de l’autonomie, Duplessis refuse les subventions fédérales aux universités, arguant qu’en vertu de la Constitution de 1867 l’éducation est un domaine de juridiction de compétence provinciale. L’impôt sur le revenu des particuliers, instauré par Duplessis en 1954, visait précisément à suppléer l’argent de la province au financement d’Ottawa. Cependant, quelque cinq ans plus tard, en 1958, cette mesure palliative demeure encore et toujours insuffisante pour sortir les universités du marasme dans lequel elles se trouvent. Le 8 janvier 1958, les étudiants joignent leur voix à celle des recteurs et principaux dans un concert de détresse auquel Duplessis ne peut demeurer sourd. Une coalition formée des présidents des conseils étudiants des universités québécoises (PUQ) fait alors publier un mémoire synthétisant l’ensemble des réformes proposées par les différentes associations étudiantes au cours de l’automne.

Le regard posé par le document sur l’épineuse question du financement des universités québécoises marque une radicalisation certaine par rapport aux positions adoptées, dans la dernière décennie, par la population étudiante. L’accessibilité aux études supérieures y est présentée comme un droit universel ne devant être restreint que par l’aptitude des candidats. Trop souvent, la richesse familiale détermine les conditions d’accès des étudiants désireux de poursuivre leurs études aux collèges classiques et aux universités, de telle sorte que ces institutions perpétuent les inégalités sociales de génération en génération. En conséquence, les représentants étudiants sont d’avis que l’État provincial devrait veiller à ce que « les frais de scolarité diminuent progressivement jusqu’à néant » et pourvoir par des bourses – non des prêts – aux carences financières des étudiants infortunés31.

Bien conscients du besoin criant dans lequel se trouvent les universités, les leaders étudiants refusent toutefois que la charité continue de se substituer aux responsabilités de l’État. Idéalement autonomes de toute contrainte extérieure, les universités devraient être financées par les seuls deniers publics. Et, attendu que l’éducation est un domaine de juridiction exclusivement provinciale, seul le gouvernement du Québec devrait octroyer des subventions aux institutions d’enseignement supérieur, et celles-ci devraient être régies par des statuts révisés périodiquement pour s’adapter à la croissance de la population étudiante32.

Telles sont, succinctement résumées, les revendications de la mouvance étudiante au début de l’année 1958. Le 7 février, trois représentants de l’Université de Montréal, Jean-Pierre Goyer, Francine Laurendeau et Bruno Meloche, tentent, au nom de la coalition des PUQ, d’obtenir un rendez-vous avec le premier ministre afin de faire valoir les revendications des 21 000 étudiants universitaires de l’ensemble du réseau québécois dont ils s’instituent porte-parole. Le 20 février 1958, ils n’ont toujours pas reçu de réponse. Le Quartier Latin, un journal étudiant de l’Université de Montréal, coiffe sa une d’un titre irrévérencieux qui dit l’impatience de la jeunesse universitaire : « M. Duplessis se fout de nous33. » Le 7 mars, n’ayant reçu pour seule réponse qu’un refus de les recevoir faute de temps, les trois décident de venir en personne réclamer une entrevue au bureau du premier ministre. Pendant 37 jours consécutifs, ils reviennent à la charge, pour finalement se résigner à rentrer chez eux, à Montréal, déçus de ne pas avoir rencontré le chef du gouvernement, mais satisfaits du retentissement médiatique provoqué par leur opération34.

Leur coalition ainsi rompue, une autre se forme : la Ligue d’action universitaire, sous l’impulsion de Bruno Houle, lui aussi étudiant de l’Université de Montréal. Cette fois, Duplessis accepte de rencontrer les délégués35 même si, de leur propre aveu, ils ne représentent que leur personne36. Le 28 août, les privilégiés ressortent de cette entrevue assurés qu’une loi sera présentée au cours de la session pour augmenter l’aide financière aux étudiants.

Le 26 février, le ministre du Bien-être et de la Jeunesse, Paul Sauvé, présente le bill 29. En vertu de cette « généreuse » loi, annonce-t-il en Chambre, les bourses accordées aux étudiants qui résident à l’université sont portées de 200 $ à 300 $, alors que les étudiants non-résidents, eux, peuvent réclamer jusqu’à 1 000 $. Les étudiants qui poursuivent leurs études à l’étranger voient, quant à eux, leurs bourses augmentées de 1 200 $ à 2 000 $. Puisque, comme le clame Duplessis, celui « qui bâtit une maison paie pour sa maison », ce n’est que justice que les étudiants paient une part de la maison qu’ils construisent pour leur avenir en s’instruisant. Sur le total de l’enveloppe prévue par la loi, 40 % du montant des bourses est donc versé sous forme de prêt, dont le remboursement débute deux ans après la fin des études, à un taux d’intérêt de 3 % – en baisse de deux points de pourcentage.

Reprenant à leur compte l’objectif de gratuité fixé par les représentants étudiants, les libéraux critiquent ce projet en soutenant qu’il n’en fait pas assez pour ouvrir l’accès des études supérieures à toutes les classes de la société québécoise37. C’est la réserve qu’exprime René Hamel, après le discours de Sauvé :

Je crois que le problème doit être discuté à la lumière de l’idéal que chacun partage pour l’éducation. Sommes-nous d’opinion qu’en 1959, dans une province qu’on dit riche et prospère, aucun enfant ne devrait être privé de l’instruction que son cerveau est capable d’absorber à cause d’une question de finance?

C’est notre opinion qu’aucun enfant ne doit être assujetti à ce sort. C’est dans le domaine culturel que nous devons d’abord prendre notre place au Québec et c’est à la lumière de ce principe que nous devons examiner la loi. Est-ce que nous allons permettre qu’aucun enfant soit privé de toute l’instruction que son cerveau et son intelligence sont capables d’absorber? Je ne crois pas. (26 février)

 

Cependant, cette critique ne trouve pas chez Duplessis un interlocuteur réceptif. Aux visions universalisantes de Hamel, Duplessis oppose une lecture froide et fataliste de la réalité humaine et sociale. Si l’on ouvre à toutes les portes des universités, tous voudront y entrer, il ne restera plus suffisamment d’argent pour entretenir les autres infrastructures scolaires et le Québec manquera bientôt de main-d’œuvre moins qualifiée :

Tous ne sont pas faits pour des études supérieures et un peuple qui n’aurait plus d’agriculteurs, d’ouvriers, de mécaniciens, de boulangers, etc., serait bien à plaindre. Il n’y a pas que la santé et l’intelligence qui comptent, d’ailleurs. Il faut aussi de la volonté et des aptitudes. Avec la théorie du député, où va-t-on prendre les ouvriers pour faire fonctionner les usines? Où va-t-on prendre les cultivateurs pour manœuvrer le sol et le faire produire? Il faut donc s’occuper aussi des écoles élémentaires, des écoles d’agriculture, des écoles spécialisées qui ont été aménagées à coups de millions précisément pour aider les fils d’ouvriers et leur permettre de tirer tout le bénéfice possible de l’essor de notre province.

 

Satisfait de sa mesure, le gouvernement n’ira pas plus loin. La loi est sanctionnée à la toute fin de la session. Les étudiants, eux, restent sur leur faim. Dans les enceintes universitaires, le combat pour la gratuité scolaire ne faisait que commencer.

 

De choses et d’autres…

Depuis 1798, les terres occupées aux Îles-de-la-Madeleine appartenaient, par lettres patentes du roi, à l’amiral Isaac Coffin. Les Madelinots étaient donc rentiers sur leurs propres terres, puisque les titres que Coffin avait fait signer à leurs ancêtres ne pouvaient être rachetés. Une loi du gouvernement Taillon, datée du 12 janvier 1895, avait voulu permettre aux habitants de racheter leurs terres, mais la plupart ne possédaient pas le capital nécessaire pour se sortir de leur état de rentiers. Le 18 décembre 1958, le premier ministre est fier d’apporter son aide aux insulaires en voyant le lieutenant-gouverneur apposer la sanction royale sur le bill 20, proposant le rachat des baux emphytéotiques à leur propriétaire, le constructeur montréalais Aaron D. Paltiel, qui les a rachetés d’un héritier de Coffin en faillite. Par cette loi, le gouvernement se porte acquéreur de tous les titres pour la somme de 75 000 $ et offre aux rentiers de racheter leurs terres moyennant le paiement de 45 % du capital correspondant38. (16 et 17 décembre)

Le 9 décembre 1958, le ministre du Bien-être social et de la Jeunesse, Paul Sauvé, consomme la scission de son ministère. Le « travail a tellement augmenté, argue-t-il, qu’il est devenu nécessaire que chaque secteur de ce vaste ministère ait une entité légale distincte ». Se rangeant à son avis, la Chambre adopte à l’unanimité les bills 8 et 9 qui entraînent la création du ministère du Bien-être et celle du ministère de la Jeunesse.

Le même jour, l’Assemblée législative vote unanimement en faveur du bill 14 facilitant l’établissement de foyers pour les personnes âgées. Paul Sauvé, qui présente le projet de loi, explique l’importance de s’occuper des aînés, surtout les plus désargentés. Le gouvernement se propose donc d’investir 15 000 000 $ dans la construction des trois premiers centres d’accueil pour personnes âgées, situés à Saint-Tite, à Courville et à Saint-Damien. Ces foyers accueilleront « des gens qui n’ont pas les moyens de se loger ailleurs, qui n’ont pour toute fortune, la plupart du temps, que leur pension de vieillesse ». Le plus difficile, ainsi que l’explique le ministre, « et le plus important, pour le présent, c’est de recruter le personnel compétent nécessaire pour ces maisons d’accueil ».

Les années d’après-guerre qui ont précédé le remplacement du Parti libéral fédéral par le Parti progressiste-conservateur à la Chambre des communes ont été marquées au fer de la construction nationale39. Sous les libéraux de Louis Saint-Laurent, l’élan fut donné à la formation d’une identité proprement canadienne. Dans cette foulée, les libéraux du Québec estiment qu’il serait temps de doter le pays d’un hymne national officiel. Le 4 mars, ils inscrivent à l’ordre du jour une motion demandant au gouvernement fédéral d’étudier cette question. Sans l’inclure au texte de la motion, Oswald Parent et Dave Rochon mentionnent que leur préférence irait au Ô Canada, du compositeur québécois Calixa Lavallée et de l’auteur Adolphe Routhier, à l’instar de 67 % des Canadiens interrogés par un sondage Gallup. Duplessis refuse toutefois de voter en faveur d’une pareille injonction puisque, selon lui, elle constituerait une ingérence choquante pour les conservateurs de Diefenbaker. Il faudra toutefois attendre le 1er juillet 1980 avant que le Ô Canada soit chanté une première fois en tant qu’hymne national officiel40.

 

Bons mots, faits cocasses

Dans l’enceinte parlementaire se côtoient et même se coudoient des esprits contrastés qui donnent à chaque session sa saveur particulière. L’année 1958-1959 recèle son lot de remarques plus ou moins spirituelles qui dénotent une part de la personnalité des acteurs de la scène politique de l’époque.

Le 15 janvier, un débat sur les règles de sécurité qui devraient être observées lors du branchement et de l’entretien du réseau de gaz naturel donne lieu à un échange entre Lapalme et Duplessis qui fait sourire le lecteur. Alors que le chef de l’opposition critique l’incurie du gouvernement en matière de sécurité publique, Duplessis, comme le rapportent les courriéristes, lit son journal. Lapalme le semonce alors d’un jeu de mots qui a les allures d’une prophétie, quand on sait que le scandale du gaz naturel contribuera à la défaite de l’Union nationale aux élections de 1960.

M. Lapalme (Montréal-Outremont): Le premier ministre est-il à prendre connaissance des cotes la Corporation du gaz naturel du Québec?

L’honorable M. Duplessis (Trois-Rivières) répond qu’il ne s’intéresse sûrement pas aux cotes du chef de l’opposition.

M. Lapalme (Montréal-Outremont): Antérieurement, j’ai incité le gouvernement à faire quelque chose et rapidement. Je crois qu’il est exact de dire qu’il y a une peur générale du gaz naturel. Personnellement, chez moi, j’en ai toujours eu peur.

L’honorable M. Sauvé (Deux-Montagnes): Ce n’est pourtant pas ce qui vous a fait sauter.

M. Lapalme (Montréal-Outremont): Non, mais c’est ce qui va faire sauter le gouvernement.

L’honorable M. Duplessis (Trois-Rivières): C’est une remarque de "saut".

 

Le 27 janvier, après avoir critiqué vertement et longuement le premier ministre sur sa posture courbée devant les industriels sidérurgiques étrangers, Lapalme termine sur ce jeu de mots savoureux : « Nous n’avons pas du tout le même point de vue ni sur le fer, ni sur le laisser-faire. »

Indéniablement, la subtilité de Lapalme tranche avec les manières du député de Montréal-Saint-Louis, Dave Rochon. Le 20 janvier, lors de l’étude des crédits, Lapalme initie une discussion sur l’importance d’ouvrir un bureau du Québec à Paris. Enthousiaste, le chef de l’opposition se montre « convaincu qu’une maison de la province de Québec à Paris reléguerait dans l’ombre l’ambassade canadienne ». Il souhaiterait de tout cœur qu’une telle institution devienne « un merveilleux point de rencontre pour les Canadiens et les Français ». Prenant la parole, Dave Rochon interrompt Lapalme pour manifester un intérêt d’un autre ordre que le sien pour le projet. Une maison du Québec à Paris constituerait pour lui « une occasion de rencontrer Brigitte Bardot ».

 

Critique des sources

Par Jules Racine St-Jacques

Les membres de la Tribune de la presse en 1958-1959

En 1958-1959, la Tribune de la presse s’est agrandie de quelques nouveaux membres : Paul Leduc, du Montreal Star; Charles-Eugène Pelletier, du Droit; Paul-Émile Plouffe, du Nouvelliste; Guy Rondeau, de La Presse canadienne; Ken Stewart, du Quebec Chronicle Telegraph; et Adalbert Trudel, des journaux The Record et Toronto Telegraph. Ce dernier agit d’ailleurs comme vice-président à la Tribune. Il est accompagné dans ses fonctions de Fernand Renault, du Montreal Star, qui est élu premier vice-président alors que Vincent Prince, de La Presse canadienne, assume la présidence. Pour une douzième année consécutive, c’est Henri Dutil, du Soleil, qui détient la fonction de secrétaire. Les autres membres connus de la Tribune sont : Wilbur Arkinson, du quotidien The Gazette; Maurice Bernier, du Montréal-Matin; Langevin Côté, du Globe and Mail; Richard Daignault, de La Presse canadienne; le doyen de la Tribune Calixte Dumas, de L’Action catholique; Pierre Laporte et Marcel Thivierge, du Devoir; Charles-Julien Gauvin et Jacques Monnier, de L’Événement-Journal; Denys Paré, du Soleil; Marc-Edmond Thivierge, de la British United Press; et Jacques Trépanier, de La Patrie.

Les comptes rendus fournis par ces courriéristes ont servi de matière première à la reconstitution des débats de la 3e session de la 25e Législature. Parmi eux, Le Soleil et La Presse ont été utilisés le plus souvent. Prenant part à deux pools distincts, les journalistes de ces deux journaux présentaient leurs chroniques parlementaires en plusieurs articles succincts et séparés.

L’Événement-Journal conservait la présentation traditionnelle des débats, consistant à présenter dans l’ordre les échanges entre les députés, ce qui permettait de reconstituer la chronologie détaillée des discussions et d’y insérer des propos absents des autres journaux.

À l’occasion, Le Temps permettait d’ajouter des passages plus colorés, bien qu’il fût parfois difficile de discerner les faits de l’opinion dans les comptes rendus produits par le journaliste de cet organe médiatique de l’Union nationale.

Le Nouvelliste, le Montréal-Matin, Le Devoir et La Tribune ont tous servi de compléments subsidiaires aux principales sources de renseignements mentionnées ci-haut.

Les journaux de langue anglaise, comme le Montreal Star, la Gazette et le Quebec Chronicle Telegraph, ont apporté quelques brèves précisions à certains débats. Exceptionnellement, ces journaux ont fourni l’entièreté d’allocutions faites en anglais par des députés anglophones.

Pour finir, les journaux régionaux suivants ont été utiles dans la complétion des dossiers de presse qui servaient à reconstituer les débats. Joliette-Journal, L’Avenir du Nord, L’Éclaireur, La Chronique de Magog, La Frontière, La Gazette de Maniwaki-Gatineau, La Mire, La Nouvelle Revue, La Parole, La Réforme, La Revue de Gatineau, La Revue de Terrebonne, La Rive-Sud, La Terre de chez nous, La Tribune de Lévis, La Voix de l’Est, La Voix de Shawinigan, La Voix des Bois-Francs, La Voix des Mille-Isles, La Voix du Peuple, L’Action populaire, L’Argenteuil, L’Avant-poste gaspésien, Le Berthelais, Le Bien public, Le Bulletin des agriculteurs, Le Canada Français, Le Canadien de Thetford, Le Clairon Maskoutain, Le Courrier de Bellechasse, Le Courrier de Berthierville, Le Courrier de Laviolette, Le Courrier de Montmagny, Le Courrier de Papineau, Le Courrier de Saint-Hyacinthe, Le Dorchester, Le Droit, Le Guide, Le Messager de Verdun, Le Monde ouvrier, Le Nicolétain, Le Petit Journal, Le Peuple, Le Progrès de Coaticook, Le Progrès de L’Islet, Le Progrès de Valleyfield, Le Progrès du Golfe, Le Progrès du Richelieu, Le Progrès du Saguenay, Le Régional, Le Saint-Laurent, Le Salaberry, Le Yamaska - The Yamaska, L’Écho abitibien, L’Écho de Frontenac, L’Écho de Lotbinière, L’Écho de Louiseville, L’Écho de Vaudreuil-Soulanges, L’Écho des Laurentides, L’Écho des Monts, L’Écho du Bas-St-Laurent, L’Écho du Saint-Maurice, L’Étoile du Lac, L’Étoile du Nord, L’Homme libre, L’Opinion de Hull, L’Union des Cantons-de-l’Est, Sherbrooke Daily Record, Sherbrooke Telegram, The Lakeshore News, The Rouanda Monitor, The Rouyn-Noranda Press, The Shawinigan Standard, The St.Maurice Valley Chronicle, The Stanstead Journal.

 

Le politicien et le courriériste

Témoins privilégiés de la scène politique provinciale, les journalistes de la Tribune de la presse se chargent de rapporter les débats de la manière la plus complète possible, tout en se conformant au format et à la tendance politique de leur journal. Ils écrivent sous le regard attentif des politiciens qui, soucieux de leur image et de la vérité factuelle, ne manquent pas de rectifier un fait publié lorsque celui-ci ne correspond pas, selon eux, aux paroles qu’ils ont prononcées. L’année 1958-1959 recèle deux exemples de cette surveillance exercée par les acteurs politiques sur les chroniques parlementaires. Le 27 novembre et le 16 décembre, Maurice Duplessis rectifie des propos publiés respectivement dans Le Droit et Le Nouvelliste. Loin du mépris, ce souci du détail atteste de l’importance que revêtait le travail de journaliste parlementaire durant les années 1950. Dans l’esprit des acteurs politiques, les courriéristes apparaissent comme les dépositaires de la réalité parlementaire; des annalistes de l’histoire en marche, en quelque sorte.

Cependant, la haute estime portée par les politiciens au travail de courriériste avait ses limites. Le plus souvent, cette estime s’arrêtait là où commençait la partisannerie. Le 4 décembre, par exemple, le député unioniste de Québec-Centre, Émilien Rochette, manifeste son mécontentement au journal Le Devoir, concernant une légende qu’il juge « injurieuse », publiée la veille sous une vignette le représentant41. Se portant à la défense de son député contre un journal qu’il abhorre, Duplessis passe devant la Chambre un message que l’on devine adressé aux responsables du Devoir. Il rappelle en effet une loi reproduite dans les statuts refondus de 1941 et « en vertu de laquelle, pendant toute la durée de la session, de même que pendant les 20 jours qui précèdent la session et les 20 jours qui la suivent, tous ceux qui injurient un membre de la Chambre, ou publient des écrits injurieux ou diffamatoires envers un député ou un conseiller législatif se rendent coupables d’outrage à la Législature ». Il se peut, dit-il, « que certains adversaires ne soient pas suffisamment renseignés à ce sujet. Je tiens à avertir les intéressés de l’existence de cette loi. J’espère que certains adversaires en prendront note ». (4 décembre) À l’évidence, la sourde guerre que se livraient Duplessis et Le Devoir depuis la grève d’Asbestos42 était encore loin d’être finie.

Considérant le caractère forcément partiel et parfois partial des propos rapportés, le courrier parlementaire publié chaque jour dans les journaux ne pouvait tenir lieu de preuve officielle du passé discursif de l’Assemblée législative. Comme le souligne un article du Montreal Daily Star cité en Chambre le 14 janvier : « Les comptes rendus des journaux ne sont évidemment pas des comptes rendus officiels. On ne peut s’y référer dans un tribunal ni, pour des fins officielles, dans la Législature43. » Par comparaison, depuis 1875, il existait déjà à Ottawa un journal officiel des débats qui tenait lieu, pour les députés fédéraux, de référence incontestable sur ce qui avait, ou non, été dit à la Chambre des communes.

À Québec, pour le plus grand malheur des libéraux, un tel hansard, avait été abandonné depuis 1893. Georges-Émile Lapalme, à qui ce combat était cher, reprend le flambeau le 13 janvier. Devant l’Assemblée, il cite un extrait d’un article signé par René Duhamel dans La Patrie du 7 décembre 1958 afin de faire entendre au premier ministre les raisons qui devraient le pousser à doter la Chambre d’un tel outil de travail :

Il est curieux de constater que tout le monde admet l’existence d’un hansard pour conserver le texte des débats au Parlement fédéral et qu’il existe de l’opposition à la création d’un hansard semblable au Parlement provincial. Il nous semble que c’est le même principe qui est en jeu, si principe il y a, et que les délibérations de Québec sont aussi importantes, au moins pour notre province, que celles d’Ottawa. Dans une Chambre comme dans l’autre, on y discute de ce qui est de l’intérêt général de la population. On répondra que les journaux font office de hansards; c’est une solution très insuffisante. Malgré leur compétence et leur intégrité, les correspondants parlementaires ne sont pas des sténographes. Le seraient-ils que leurs journaux n’auraient pas l’espace nécessaire pour publier des textes aussi longs et il n’est pas assuré que leurs lecteurs leur en sauraient gré.

Au surplus, le résumé d’un courriériste n’a rien d’officiel; c’est l’interprétation d’un auditeur de bonne foi, pas davantage. Nous reconnaissons volontiers qu’un hansard n’a pas la vogue populaire d’un roman sentimental, là n’est pas la question. Il renferme néanmoins, dans une bonne mesure, l’histoire de la nation au jour le jour. Il comporte d’autres avantages, ne serait-ce que celui d’empêcher des députés de se livrer à des extravagances de langage qu’ils ne souhaiteraient pas voir inscrites à jamais dans un document officiel. Il y a là une source d’informations dont nous aurions tort de nous priver. Si le hansard fédéral rend d’immenses services, nous en concluons très simplement qu’un hansard provincial serait aussi utile et que la population accepterait les dépenses relativement modérées qu’il entraînerait. Il y a là une lacune à combler.44

 

Puisque les journalistes eux-mêmes admettent volontiers que leur travail ne peut se substituer à l’exhaustivité et à l’exactitude d’un journal officiel des débats, Lapalme croit essentiel que le gouvernement reconnaisse la nécessité d’un tel outil de travail pour les députés.

Pour sa part, Duplessis affecte de ne pas voir le déficit démocratique creusé par l’absence de hansard à l’Assemblée législative. À la demande de Lapalme, il oppose son refus habituel, motivé par les dépenses qu’engagerait l’institution d’un journal des débats :

Il y a à Ottawa un Hansard que personne ne lit. On le consulte occasionnellement mais assez rarement. Ce document coûte, au bas mot, $200,000 par année au gouvernement, et le chiffre de la dépense augmentera avec la traduction simultanée. Mais, dans l’ensemble, c’est un gaspillage des fonds publics. Il en coûterait donc environ $200,000 chaque année pour établir ce système à l’Assemblée législative.

Cet argent serait mieux employé s’il était consacré à quelque chose de durable. Ah! si nous avions en Chambre des Démosthène, des Monsabré, des Bossuet ou des Lacordaire, je ne dis pas qu’il ne vaudrait pas la peine de conserver leurs discours pour la postérité. Mais, dans les conditions actuelles, un Hansard n’offrirait pas des avantages qui justifieraient la dépense que sa publication entraînerait, surtout avec les besoins énormes de la province. Pour ma part, j’aime mieux employer cette somme à bâtir des écoles, à aider les pauvres dans les hôpitaux, à venir en aide aux cultivateurs et aux ouvriers, à faire des routes et des travaux publics, ce qui profiterait à toute la population, plutôt que de la faire servir à glorifier nos paroles. (13 janvier)

 

Le hansard attendra une fois de plus. À lire les débats, on comprend pourquoi Duplessis refuse aussi obstinément d’en permettre la création. Le 16 décembre 1958, parions que René Hamel mesure comme nous l’importance d’une telle absence dans la stratégie parlementaire de Duplessis : lorsqu’il attire l’attention de la Chambre sur une inexactitude qu’il voudrait voir corriger dans le procès-verbal de la séance du 11 décembre, Hamel se fait rabrouer par l’Orateur. Mathias Tellier lui rappelle qu’il n’y a « pas de sténographe officiel, au Parlement provincial, pour rapporter les débats, et donc pas de notes sténographiques pour trancher la question. Ce sont les officiers de la Chambre qui prennent note de ce qui se passe. Ils ne peuvent évidemment, dans les circonstances, arriver au mot à mot dans tous les cas ». Hamel devra se résigner à retirer son objection.

John Richard Hyde connaît lui aussi la frustration d’être incapable de prouver indubitablement les torts du gouvernement, faute de compte rendu officiel. Le 14 janvier, il tente, en vain, de faire reconnaître à Maurice Duplessis ses propres paroles, prononcées le 28 novembre précédent. Malgré la preuve que fournit le procès-verbal de cette séance quant aux propos de Duplessis, celui-ci nie tout. Hyde doit donc couper court à son plaidoyer et, une fois de plus, Duplessis se sort de cette escarmouche sans égratignure. Hamel, cependant, n’en reste pas là. Selon lui, la « Chambre a été trompée ». Exaspéré par les pirouettes rhétoriques que fait Duplessis pour ne pas reconnaître la vérité, il s’entête à le prendre en défaut : « À un moment donné, nous avons apporté les témoignages de 15 journaux, et le premier ministre a répondu que ces journaux s’étaient tous trompés. Aujourd’hui, nous nous basons sur les documents officiels de la Chambre et le premier ministre déclare : "Je n’ai pas encore dit ça." C’est, selon lui, M. l’Orateur qui s’est trompé. Ce qui est vrai, c’est que la déclaration du premier ministre constitue une insulte à M. l’Orateur de l’Assemblée. » (14 janvier) Toutefois, avec la complicité indéfectible de l’Orateur, les récriminations de l’opposition, aussi criantes de vérité soient-elles, ne parviennent toujours pas à faire plier Duplessis.

Il faudra attendre 1964 pour voir l’Assemblée législative du Québec instituer le Journal des débats et redonner à la mémoire parlementaire québécoise le dépôt officiel qu’elle n’aurait jamais dû quitter.

 

Note de l’introduction historique et de la critique des sources

1. John A. Dickinson et Brian Young, Histoire socio-économique du Québec, Sillery, Septentrion, 1995, p. 294.

2. Desmond Morton, « Crises d’abondance », Histoire générale du Canada, Montréal, Boréal, 1990, p. 604.

3. Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, T. II : 1944-1959, Montréal, Fides, 1973, p. 628-629, 646 et 684-685.

4. Quatre cents invités et 400 spectateurs étaient attendus à l’ouverture de la session. « L’ouverture de la 3e session du 25e Parlement marquée de faste et de grande distinction », L’Événement, 20 novembre 1958, p. 1.

5. « Conseillers assermentés », Le nouvelliste, 20 novembre 1958, p. 1.

6. Vincent Lemieux, Le Parti libéral du Québec : Alliance, rivalités et neutralités, Québec, PUL, 2008, p. 74.

7. George C. Marler avait agi à titre de suppléant intérimaire pour Adélard Godbout à la suite de la démission de celui-ci, en 1948. En 1950, lorsque Georges-Émile Lapalme se fit reconnaître comme chef du Parti libéral du Québec, Marler continua de jouer son rôle de chef de l’opposition à l’Assemblée législative, et ce, jusqu’en 1953, après l’élection de Lapalme dans le comté d’Outremont.

8. Georges-Émile Lapalme, Mémoires, T. II : Le vent de l’oubli, Montréal, Leméac, 1970, p. 235.

9. Conrad Black, Maurice Duplessis, Montréal, Éditions de l’Homme, 1999, p. 511.

10. R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 668.

11. Cette nouvelle est citée par Ibid., p. 666.

12. Le Droit, cité par le journal Le Devoir, 21 octobre 1958, p. 1.

13. L’expression est de Louis Massicotte, Le Parlement du Québec de 1867 à aujourd’hui, Québec, PUL, 2009, p. 83.

14. La défaite de son parti aux élections de 1956 semble avoir eu raison de la ténacité déjà ébréchée de Lapalme. Dans ses mémoires, il confie ses impressions, au lendemain de cette défaite : « Le courage doit-il être motivé? Pour moi, il n’y avait même plus de mirage pour le soutenir. Incapable de me juger (qui le peut?), je croyais cependant ne pas me tromper sur le jugement des autres à mon sujet. » G.-É. Lapalme, Le vent de l’oubli, p. 213.

15. Ibid., p. 181.

16. Ibid., p. 235.

17. Ibid.

18. Agissant ainsi depuis la session de 1955-1956, le gouvernement de Duplessis se targue d’ailleurs de faire montre d’une générosité et d’une diligence inégalée dans l’histoire parlementaire québécoise puisqu’il permet, comme le souligne Duplessis cette année, aux députés « d’étudier le rapport avant sa discussion » .(19 novembre)

19. Notons que le discours du ministre annonce des dépenses de 129 612 000 $, une somme qui inclut probablement des montants qui ne sont pas détaillés ailleurs dans les débats.

20. Pierre Laporte, « Tel un figuier stérile, l’Union nationale n’a pas produit de fruits », Le Devoir, 9 mars 1959, p. 3. Notons toutefois que le Montréal-Matin, journal unioniste confirmé, dressait un bilan fort contrastant de la session 1958-1959, lui qui, ce même 9 mars 1959, retenait de cette « autre session fructueuse de la législature », « un immense travail de la part des représentants du peuple » et « plusieurs mesures de grande importance ». « Autre session fructueuse de la Législature », Montréal-Matin, 9 mars 1959, p. 4.

21. Du 20 au 25 janvier 1954, Pierre Laporte, journaliste au Devoir, publie une série de reportages sur les travaux en cours à la rivière Bersimis, où Hydro-Québec s’affaire à construire deux nouveaux barrages. S’appuyant sur les témoignages d’ingénieurs démissionnaires, Laporte dénonce les dépenses inutiles et les malversations comptables auxquelles se livrent les responsables du projet. À Québec, Georges-Émile Lapalme harcèle Duplessis aussi longtemps que possible avec cette affaire, qui embarrasse manifestement le chef de l’État québécois. Voir : Le Devoir, 20-25 janvier 1954, p. 1 et Les débats de l’Assemblée législative, 24e législature, 2e session, séances du 12 janvier et du 2 au 4 février 1954.

22. Voir : Jacques Lacoursière, Histoire populaire du Québec, 1896 à 1960, Sillery, Septentrion, 1997, p. 396-398, pour une explication éclairante du scandale et l’énumération des chefs d’accusation.

23. Gérard Filion, « La démission des ministres s’impose », 14 juin 1958, p. 4.

24. Gérard Filion, « L’aboutissement naturel d’un système », Le Devoir, 28 juin 1958, p. 4.

25. « Brasseurs d’affaires politiciens et politiciens brasseurs d’affaires », Le Devoir, 18 juin 1958, p. 1.

26. « La nouvelle fait sensation dans tout le pays », Le Devoir, 16 juin 1958, p. 1.

27. Drapeau a été élu maire de Montréal une première fois en 1954. Il a exercé cette fonction jusqu’en 1957, avant d’être réélu de 1960 à 1986.

28. Le 15 juin, le premier ministre harangue Mario Cardinal, alors jeune journaliste au quotidien le plus en vue du moment : « Je n’ai pas le temps de lire un journal canaille, puant, putride et cancéreux. » Mario Cardinal, « Le premier ministre fait "une colère noire" devant dignitaires et journalistes ». Le 27 juin, il fait expulser Guy Lamarche, autre jeune journaliste du Devoir, de sa conférence de presse hebdomadaire et bannit tout représentant du quotidien qui a débusqué le scandale de ses allocutions rituelles.

29. Gérard Filion, « Le régime est touché », 16 juin 1958, p. 4.

30. André Bolduc, Clarence Hogue et Daniel Larouche, Québec, un siècle d’électricité, Montréal, Libre Expression, 1984 (1979), p. 256.

31. Nicole Neatby, Carabins ou activistes? L’idéalisme et la radicalisation de la pensée étudiante à l’Université de Montréal au temps de Duplessis, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1997, p. 223-224.

32. Ibid.

33. Julien Aubert, « M. Duplessis se fout de nous », cité par Ibid., p. 223.

34. Mentionnons au passage que Francine Laurendeau qui a fait carrière comme journaliste artistique est la fille du célèbre journaliste au Devoir André Laurendeau, et que Jean-Pierre Goyer deviendra ministre dans le cabinet fédéral de Pierre Elliott Trudeau.

35. Aux étudiants de la Ligue, Duplessis aurait répondu qu’il se « donne toujours la peine de recevoir les gens qui savent vivre », faisant allusion aux précédents représentants étudiants qu’il avait fait patienter pendant plus d’un mois. Cité par R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 656.

36. Pierre Laporte, « Entrevue de deux heures avec les délégués de la Ligue d’action universitaire », Le Devoir, 29 août 1958, p. 1.

37. Le 2 décembre 1958, René Hamel a suggéré un amendement au discours du trône en faveur de la gratuité scolaire et de l’établissement d’octrois statutaires aux universités. Les libéraux reviendront sur le sujet lors du vote des crédits le 27 février 1959.

38. Voir, à ce sujet, R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 670.

39. À propos des efforts de nation-building déployés par le gouvernement central, on consultera, parmi une bibliographie foisonnante : Richard Day, Multiculturalism and the History of Canadian Diversity, Toronto, University of Toronto Press, 2000, 257 p. et Eva Mackey, The House of Difference, Toronto, University of Toronto Press, 2002, 199 p.

40. Avant 1980, même si le Ô Canada avait droit de cité, le God save the Queen demeurait l’hymne officiel au Canada. Pour plus de détails, on consultera le site officiel de l’hymne. Patrimoine canadien, « Hymne national du Canada », http://www.pch.gc.ca/pgm/ceem-cced/symbl/anthem-fra.cfm#a2 [en ligne le 20 août 2009].

41. « Une motion pour mépris de cour est signifiée à Émilien Rochette », Le Devoir, 3 décembre 1958, p. 1.

42. Selon Suzanne Clavette et Robert Comeau, le point de rupture entre le premier ministre et le quotidien indépendant se situerait en 1949, pendant les événements de la grève de l’amiante à Asbestos. Suzanne Clavette et Robert Comeau, « Grandeur et misère d’un antiduplessisme de 1947 à 1959 », dans Robert Lahaise, Le Devoir, reflet du Québec au 20e siècle, Montréal, HMH, 1994, p. 356.

43. The Montreal Daily Star, « Hansard for Quebec », 29 novembre 1958, p. 10, cité par Lapalme durant la séance du 14 janvier 1959.

44. La Patrie, « Pourquoi pas un Hansard? », 7 décembre 1958, cité par Georges-Émile Lapalme.