Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)
Version finale
12nd Legislature, 1st Session
(March 2, 1909 au May 29, 1909)
Wednesday, May 19, 1909
Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.
Présidence de l'honorable P. Pelletier
La séance s'ouvre à 11 h 05.
Affaire Prévost-Kelly
M. Prévost (Terrebonne) soulève une question de privilège. Il remarque qu'on a fait du zèle pour réunir le comité spécial d'enquête ce matin, après en avoir retardé la convocation si longtemps. Il se plaint que le comité spécial se soit réuni et ne l'ait pas attendu.
Ce comité spécial était convoqué pour 10 heures ce matin. Et il est habituel pour les comités devant siéger à 10 heures de ne commencer le travail que vers 10 h 30. Je suis arrivé à 10 h 15 avec les députés de Joliette (M. Tellier) et de Laprairie (M. Patenaude), membres du comité, et l'on m'a dit que tout avait été fait en cinq minutes. Je ne veux faire aucune insinuation, mais j'ai entendu dire que les autres membres du comité étaient tellement pressés qu'ils ont élu un président avant même que le quorum soit fixé. Quatre membres étaient présents; et lorsque je suis arrivé tout était terminé.
Il a dû réunir quelques documents, ce qui l'a retardé. D'ailleurs, il croit qu'on aurait pu attendre un peu plus pour les députés de Joliette et de Laprairie et pour voir si le député de Terrebonne viendrait. J'avais des documents à produire et à confier au comité.
L'honorable M. Weir (Argenteuil): Je ne comprends pas pourquoi le député se plaint que le comité ait été convoqué pour 10 heures. Quatre membres étaient présents et ils ont attendu jusqu'à 10 h 15. Les propos qu'ils ont tenus à ce sujet n'avaient aucun caractère officiel; on attendait l'arrivée des autres membres, les députés de Joliette et de Laprairie, ainsi que le député de Terrebonne. Le député de Bonaventure (M. Kelly) était présent et nous avons décidé d'ajourner le comité. Aucun tort irréparable n'a été causé au député de Terrebonne, cela est certain. Si on nous avait demandé d'attendre, nous aurions accepté. Le comité est prêt à siéger n'importe quel jour, quand il plaira au député de Terrebonne. S'il veut que le comité siège à 2 h 45 cet après-midi ou à 7 h 45 ce soir, nous serons prêts. Nous avons ajourné le comité à vendredi matin, mais, s'il veut le faire siéger avant cela, nous sommes d'accord. En vertu de quelle règle le comité doit-il attendre indéfiniment que ses membres arrivent?
S'il y avait eu un message de la part de l'honorable député ou de l'un des membres de l'opposition, nous aurions été heureux d'attendre l'arrivée de leurs collègues. Nous ne savions pas qu'ils avaient l'intention de s'y présenter. Je dois vous dire en toute franchise que j'ai entendu des rumeurs qui laissaient entendre qu'ils n'avaient pas l'intention d'assister à la séance.
L'honorable M. Roy (Kamouraska): Le comité a attendu jusqu'à 10 heures et quart. On a envoyé un messager chercher les députés de Joliette (M. Tellier), de Laprairie (M. Patenaude) et de Terrebonne (M. Prévost), mais sans résultat. D'ailleurs, le comité est prêt à se réunir aussitôt que possible pour fournir au député de Terrebonne l'occasion d'assister et de présenter ses motions. J'aimerais que les journaux mentionnent que nous n'avons rien à cacher.
Il prétend que le comité a été informé que le député de Terrebonne ne viendrait pas.
M. Prévost (Terrebonne): Informé par qui?
L'honorable M. Roy (Kamouraska): Je ne sais pas, ç'a été dit. D'ailleurs, le comité n'a pas fait autre chose qu'élire un président.
M. Tellier (Joliette): Le comité spécial était convoqué pour 10 heures. La décision du comité est certainement extraordinaire, sinon inhabituelle. Il est rare que l'on lève une séance de comité simplement parce que certains de ses membres arrivent 15 minutes en retard. Au profit de l'accusé, le député de Bonaventure (M. Kelly), la séance a déjà été ajournée pour quatre jours; et c'est là les remerciements que l'opposition reçoit.
Un retard d'un quart d'heure n'est pas chose extraordinaire dans les comités. Il lui semble qu'on aurait pu attendre, puisque le député de Terrebonne (M. Prévost) était la personne la plus intéressée à être présente1.
M. Kelly (Bonaventure): Si le député de Terrebonne est sérieux, s'il veut s'y mettre tout de suite, qu'il le dise et nous nous rencontrerons à 2 h 45 cet après-midi.
M. Prévost (Terrebonne): Je crois que le député de Bonaventure n'a pas du tout le droit de parler sur ces questions "sub judice" puisqu'il est accusé dans la cause. Il devrait même quitter la Chambre pendant que l'on discute de cette question.
Il voudrait savoir qui a laissé entendre au député d'Argenteuil (l'honorable M. Weir) qu'il (M. Prévost) n'avait pas l'intention d'assister à la séance. Cela est faux. Il explique que, s'il est arrivé en retard à la séance, c'est parce qu'il a dû réunir certains documents qu'il voulait y apporter. Il était prêt et s'y est rendu avec ses documents. Il lui semble qu'on a trop fait diligence.
Quant à reculer, on doit me connaître assez pour savoir que, quand je porte une accusation, je ne recule pas.
Il demande la convocation d'une nouvelle séance.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Elle aura lieu sans retard, à 3 heures cet après-midi.
Rapports de comités:
Comité spécial nommé pour s'enquérir des accusations portées par le député de
Terrebonne (M. Prévost) contre le député de Bonaventure (M. Kelly)
L'honorable M. Weir (Argenteuil): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le premier rapport du comité spécial nommé pour s'enquérir des accusations portées par l'honorable M. Prévost, député de Terrebonne, à la séance du 14 de mai courant, contre M. Kelly, député de Bonaventure. Voici le rapport:
Votre comité a l'honneur de faire rapport qu'il a tenu une séance ce matin, à 10 heures. Étaient présents les honorables MM. Weir et Roy et MM. Tessier et Blouin. M. Kelly, député, était aussi présent. En raison de l'absence de MM. Patenaude et Tellier, membres du comité, et de l'honorable M. Prévost, ce comité s'est ajourné.
M. Oscar Morin a été nommé sténographe "pro tem". À 10 h 15 votre comité a levé sa séance. L'honorable M. Weir a présidé la séance "pro tem".
M. Tellier (Joliette): Je n'ai jamais vu, dans aucun des autres rapports de comités de cette Chambre, des détails semblables à ceux que nous offre ce rapport. Ces détails indiquent bien l'esprit dans lequel on a procédé.
Demande de documents:
Manuels et articles scolaires dans les écoles protestantes de Montréal
M. Finnie (Montréal no 4) propose, appuyé par le représentant de Gaspé (M. Lemieux), qu'il soit mis devant cette Chambre un état démontrant: 1. Quels sont les manuels et autres articles de classe que les élèves assistant aux écoles communes sous le contrôle des commissaires d'écoles protestantes de Montréal sont tenus de se procurer? 2. Quel est le coût de chaque article? 3. Quels en sont les éditeurs et fournisseurs? 4. Les élèves achètent-ils ces objets dont ils ont besoin dans les écoles ou des marchands? 5. Comment les prix sont-ils réglés? 6. Lesdits commissaires d'écoles ont-ils demandé des soumissions pour la fourniture de ces manuels ou de ces articles de classe? 7. Les prix en sont-ils fixés par contrat? 8. Dans la négative, pourquoi ne le sont-ils pas? 9. Lesdits commissaires d'écoles ont-ils tenté récemment d'obtenir ces livres ou articles de classe à des prix moins élevés? 10. Dans l'affirmative, quel a été le résultat de cette tentative? 11. Quelle est la différence de prix entre ces livres et articles de classe et ceux de même nature vendus dans les écoles publiques de Toronto?
Adopté.
Livres de classe dans les écoles protestantes de la province
M. Walker (Huntingdon) propose, appuyé par le représentant de Brome (M. Vilas), qu'il soit mis devant cette Chambre un état démontrant: 1. Quels sont les livres de classe autorisés par le comité protestant du Conseil de l'instruction publique à l'usage des écoles élémentaires protestantes de la province? 2. Quel prix les élèves paient-ils lesdits livres de classe? 3. Ces prix ont-ils été fixés par soumission publique? 4. L'uniformité des livres de classe est-elle appliquée à toutes les écoles des municipalités sous le contrôle des commissions protestantes? 5. Dans la négative, pourquoi? 6. Le coût de ces livres de classe pour chaque élève, dans ces écoles, est-il plus élevé ou plus bas que leur coût par élève dans les écoles publiques d'Ontario? 7. S'il y a quelque différence, quelle en est la cause?
Adopté.
Mode de scrutin en matière municipale
M. Mousseau (Soulanges) propose, appuyé par le représentant de Lévis (M. Blouin), qu'il soit résolu que, vu la refonte prochaine du code municipal, cette Chambre soit d'opinion qu'il est à propos à l'occasion de ladite refonte de modifier la forme de scrutin actuellement usitée en matière municipale et de substituer le scrutin secret au vote ouvert.
Il a déjà, deux ans passés, saisi la Chambre de cette question. Quoiqu'elle semble peu importante, elle est destinée à être très utile et à produire d'excellents résultats. Le scrutin ouvert est une vieille habitude démodée qu'on devrait supprimer au plus tôt. On devrait établir le scrutin secret, où l'électeur est libre et n'est inspiré par aucune considération extérieure. Cette réforme, il l'a réclamée au nom de la sincérité du vote. Car le scrutin ouvert gêne la liberté de l'électeur; il n'ose pas, souvent, voter contre un ami ou un parent. Car son vote est connu. Il entraîne souvent des querelles et des inimitiés. Aujourd'hui, en France, on adopte le scrutin secret. Il espère que la Chambre adoptera cette mesure libérale.
M. Tellier (Joliette) s'oppose à cette résolution. Il ne voit pas la nécessité du scrutin secret à la campagne, où chacun est maître chez soi, règle générale. Quel besoin y a-t-il, dans ces conditions, d'obliger l'électeur à se cacher sous la couverte pour exprimer son vote? Le scrutin secret demande une organisation spéciale: nominations, impressions de bulletins, choix d'une personne très compétente pour prévenir les abus. Le vote au scrutin secret exige de telles connaissances que l'on est obligé de faire venir des personnes compétentes pour en surveiller l'application. Cette réforme fera encourir des dépenses additionnelles aux municipalités. De plus, avec le scrutin secret, il faudra ou prolonger la durée des élections ou multiplier le nombre de bureaux de votation. D'ailleurs, il n'existe pas de plaintes contre le système actuel.
M. Lafontaine (Berthier) croit qu'on devrait laisser les municipalités libres d'adopter le scrutin secret, si elles le jugent à propos. Pour son comté, il est convaincu que la réforme ne serait pas bien accueillie.
L'honorable M. Caron (L'Islet): Pour son comté, il ne croit pas que la réforme serait bienvenue. Il préfère laisser les municipalités libres de choisir leur système de scrutin.
M. Gaboury (Pontiac) se déclare en faveur de l'adoption du scrutin secret.
M. Lévesque (Laval): Quelques municipalités du comté de Laval m'ont demandé d'appuyer cette mesure car le scrutin ouvert a des inconvénients et gêne la liberté. On peut laisser les municipalités libres, mais, pour lui, il serait en faveur de la réforme complète.
M. Robert (Rouville) croit que le scrutin secret ne serait pas utile partout, les municipalités devraient être libres de choisir entre les deux systèmes.
M. Prévost (Terrebonne) fait alors une longue critique de la nomination de M. Gauthier, chargé de préparer la refonte du code municipal. Il demande si ce personnage a été nommé pour le consoler de ses défaites politiques. Il n'a aucune confiance dans la compétence de M. Gauthier. Puis, il approuve la réforme prêchée par le député de Soulanges (M. Mousseau) et félicite celui-ci d'en avoir pris l'initiative. On devrait adopter le scrutin secret pour éviter les inconvénients du système actuel, dont un des principaux est que les élections durent souvent deux jours.
M. Francoeur (Lotbinière): Il faut chercher un moyen de rendre plus libre l'électeur souvent, avec la loi actuelle, obligé de voter en présence des candidats. Il faudrait peut-être prendre le vote ouvert seulement devant les officiers de l'élection. Le scrutin secret aurait du bon, mais les municipalités doivent garder leur liberté de l'adopter ou non.
M. Bernard (Shefford) prend la parole.
M. Giard (Compton) propose, appuyé par le représentant de Charlevoix (M. D'Auteuil), que le débat soit ajourné.
Adopté.
Demande de documents:
Compagnies d'assurance contre l'incendie
M. Leclerc (Québec-Centre) propose, appuyé par le représentant de Québec-Est (M. Létourneau), qu'il soit mis devant cette Chambre copie des documents et de la correspondance concernant les compagnies d'assurance contre l'incendie faisant affaire en vertu de chartes provinciales.
Après avoir pris connaissance, déclare-t-il, du rapport du surintendant des assurances, il a découvert que les compagnies d'assurance mutuelle dans cette province avaient émis 80 000 polices d'une valeur de $80 000 000. Ces polices intéressent au moins 300 000 personnes. Ces compagnies se targuent d'un capital de $2 190 076, tandis qu'en réalité ledit capital n'est que de $523 684; et il est dépassé par leur passif.
Le 31 août 1908, la Canada-Feu, pour n'en citer qu'une, déclarait un surplus de l'actif sur le passif de $157 215. Or à la même date elle devait avoir un déficit d'au moins $10 000. Comme preuve de cet avancé, nous avons la lettre du secrétaire-trésorier de la Canada-Feu au trésorier de la province, en date du 9 février 1909, dans laquelle il déclare que les assurés au comptant ne seront pas payés au plein montant de leur police en cas de perte, à moins de payer d'avance des primes non encore échues.
Pour démontrer que ces compagnies se ressemblent, il cite ensuite l'Équitable. Elle a subi par des incendies des pertes se chiffrant à $32 952 en 1907-1908, et sur ce montant elle doit encore $18 933 qui ne sont pas payés. De plus, sur ce dernier montant, elle refuse de payer une somme de $13 374, ce qui forme, comparé au chiffre total des pertes, soit $32 952, une proportion énorme qui ne s'est jamais vue dans l'histoire des assurances. Il réclame une enquête immédiate et des plus sévères, afin de protéger les personnes qui ont des polices dans les compagnies d'assurance mutuelle contre le feu. Car, à l'heure actuelle, elles ne sont pas capables de mettre de côté la réserve nécessaire au cas de faillite. Si elles n'ont pas même cette réserve, comment pourront-elles acquitter les polices au cas d'incendie?
Il condamne le système de primes de cinq ans, préconisant les primes non gagnées. Il suggère l'adoption d'une loi défendant le paiement des dividendes avant que les compagnies aient $50 000 de réserve. Il est d'autant plus important de s'occuper sans retard de cette question que ce sont, en général, des gens peu fortunés qui ont des polices dans ces compagnies et dont tout l'espoir est dans leurs polices. La situation est pressante et même critique. À moins d'y mettre immédiatement une main ferme, le pays est menacé d'un cataclysme dans le domaine des assurances.
M. D'Anjou (Rimouski) cite le cas d'un assuré de la compagnie Canada-Feu à qui on a demandé, dans l'espace de deux ans, $20 sur son billet de dépôt de $25 quand il ne devait payer que $5 par année. Il cite aussi des circulaires et des lettres de la compagnie qui lui semblent montrer que les affaires sont mal administrées et que les circulaires ne sont pas conformes aux faits. Il demande qu'enquête soit faite afin de protéger les assurés.
M. Francoeur (Lotbinière) croit que le gouvernement doit intervenir dans cette affaire. Il n'a pas confiance dans M. Simar, qui cherche à rejeter sur les épaules du gouvernement la faute du mauvais état de sa compagnie. Il croit qu'une enquête devrait se faire sur cette question.
L'honorable M. Weir (Argenteuil) précise qu'il a déjà déclaré que l'inspecteur des assurances menait une enquête sur cette question.
M. Bernard (Shefford) propose, appuyé par le représentant de Montréal no 5 (M. Gault), que ce débat soit ajourné.
Adopté.
La séance est levée à 1 heure.
Deuxième séance du 19 mai 1909
Présidence de l'honorable P. Pelletier
La séance est ouverte à 3 h 30.
Nomination de trois juges pour le district judiciaire de Montréal
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) demande si le gouvernement se propose de faire quelque chose au sujet de la situation judiciaire à Montréal. Le Parlement fédéral ajourne aujourd'hui sans avoir pourvu au salaire pour de nouveaux juges.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Il ne sera rien fait avant la prochaine session, et le juge en chef ne pourra faire autre chose que de faire appel aux juges de la campagne. La confrérie des plaideurs devra en faire son deuil pour cette année.
Travaux de la Chambre
L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, appuyé par le représentant d'Argenteuil (l'honorable M. Weir), que samedi, le 22 mai courant, il y ait trois séances distinctes comme les jours ordinaires, la première, de 11 heures a. m. à 1 heure p. m.; la deuxième, de 3 heures à 6 heures p. m.; la troisième, de 8 heures p. m. jusqu'à l'ajournement, et que les mesures du gouvernement aient préséance à chacune de ces séances.
Adopté.
Vente et administration des terres publiques et des bois et forêts
L'honorable M. Caron (L'Islet) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité général pour prendre en considération des résolutions concernant la vente et l'administration des terres publiques et des bois et forêts.
Adopté.
En comité:
L'honorable M. Caron (L'Islet) propose qu'il soit résolu: 1. Qu'aux conditions et prix fixés par le lieutenant-gouverneur en conseil l'agent des terres, s'il n'y a pas contestation et s'il n'a pas reçu d'instructions contraires du ministre, soit tenu de vendre, après la classification autorisée par l'article 1268a des statuts refondus, tel qu'édicté par la loi 4 Édouard VII, chapitre 13, section 7, les terres propres à la culture et classées comme telles et, avant ladite classification, les terres propres à la culture, à tout colon de bonne foi qui en fait la demande; qu'aucune vente ne puisse être faite pour plus de 100 acres à la même personne par l'agent, excepté si le lot demandé contient, d'après arpentage, plus de 100 acres et pas plus de 125 acres, auquel cas l'agent pourra vendre jusqu'à 125 acres; et que les ventes faites par les agents prennent leur effet du jour qu'elles seront faites, si elles ne sont pas désapprouvées par le ministre dans les trois mois de leur date; mais que si le billet de location renferme quelque erreur de copiste ou de nom, ou une désignation inexacte de la terre, le ministre puisse annuler le billet de location et ordonner qu'il en soit émis un nouveau, corrigé, qui aura son effet de la date du premier.
Il insiste sur l'importance de ne pas accorder les lots au hasard des demandes, mais de grouper les colons. De plus, ce n'est pas dans leur intérêt bien entendu de prendre plus qu'un lot de 100 acres parce qu'ils ne peuvent faire de défrichement sur un plus grand terrain. Quant à la clause donnant au ministère le pouvoir discrétionnaire d'annuler les ventes, elle a été mise dans la loi pour en discuter les mérites. Si la Chambre le croit préférable, nous sommes prêts à la retirer.
M. Prévost (Terrebonne) félicite le député de L'Islet pour la décision prise par le gouvernement. Maintenant, s'il veut aussi retirer la clause empêchant le colon d'avoir plus d'un lot tant qu'il n'a pas obtenu ses lettres patentes sur son premier lot et qu'il n'en a pas défriché la moitié, il sera approuvé par les deux côtés de la Chambre. Il demande que l'on accorde au moins 200 acres au père de famille qui produit une déclaration solennelle qu'il a quatre enfants.
Les ministres refusent.
M. Plante (Beauharnois) demande d'accorder aux colons plus que 100 acres par lot. Chaque lot devrait au moins contenir 160 acres.
M. Sylvestre (Montcalm) montre les conséquences désastreuses que le projet de loi aura pour la colonisation. Il critique fortement le pouvoir discrétionnaire que l'on veut donner au ministre. L'honorable ministre sans portefeuille a eu tort de dire que le but de cette clause était de donner au ministre le pouvoir de refuser des lots aux spéculateurs. La loi actuelle lui donnait déjà ce pouvoir. La raison invoquée n'est donc pas sérieuse.
Quant aux colons, on ne doit pas les soupçonner de mauvaise foi. Du reste, le ministre n'a jamais été fort scrupuleux sur ce chapitre. Il a refusé des lots sans se gêner. On en a une preuve frappante dans le comté de Montcalm où 87 demandes de lots ont été refusées dans les cantons Lussier et Archambeault. Cependant, les lots ont été déclarés propres à la culture par l'ingénieur forestier du gouvernement, M. Piché. Ce fait est prouvé par une réponse à une interpellation contenue dans les procès-verbaux de la dernière session.
Il combat également la clause limitant les lots à 100 acres. Cent acres peuvent être suffisants pour une terre qui est faite. Ce n'est plus suffisant pour une terre neuve. Il est vrai que le colon pourra avoir sa patente au bout de cinq ans s'il a défriché 25 acres, mais il lui faudra défricher la moitié de sa terre avant d'obtenir un autre lot. C'est-à-dire que cela lui prendra 10 ans, car le ministre lui-même a déclaré qu'un colon ne pouvait pas convenablement défricher plus de cinq acres par année. Les enfants qui grandiront dans l'intervalle devront s'éloigner du chef de famille et, une fois cette habitude prise, ils sont vite rendus aux États-Unis.
Il combat aussi la condition de résidence continuelle exigée par le nouveau billet de location. Cette clause est ridicule. La loi veut obliger le colon à défricher cinq acres la première année et à vivre là-dessus. En même temps, on l'oblige à résider sur son lot. Cette obligation l'empêche de faire chantier. Il sera impossible aux trois quarts des colons de se conformer à cette condition. Croit-on qu'un colon qui prend un lot au printemps peut passer l'hiver suivant sur son lot avec la semence de deux à trois acres? Il lui faut vivre et il se fait bûcheron pendant les premiers hivers.
L'honorable M. Caron (L'Islet) se déclare en faveur du pouvoir discrétionnaire permettant au ministre de désigner quels seront les rangs et les lots qui seront d'abord concédés.
Quant à la limite de cinq acres à défricher chaque année, le ministère peut autoriser à faire plus, sur demande justifiée. D'ailleurs, cinq acres, c'est tout ce qu'un colon peut défricher.
Il propose en amendement qu'il soit résolu: 1. Qu'aux conditions et prix fixés par le lieutenant-gouverneur en conseil l'agent des terres, s'il n'y a pas contestation et s'il n'a pas reçu d'instructions contraires du ministre, soit tenu de vendre, après la classification autorisée par l'article 1268a des statuts refondus, tel qu'édicté par la loi 4 Édouard VII, chapitre 13, section 7, les terres propres à la culture et classées comme telles et, avant ladite classification, les terres propres à la culture, à tout colon de bonne foi qui en fait la demande; qu'aucune vente ne puisse être faite pour plus de 100 acres à la même personne par l'agent, excepté si le lot demandé contient, d'après arpentage, plus de 100 acres et pas plus de 125 acres, auquel cas l'agent pourra vendre jusqu'à 125 acres; et que les ventes faites par les agents prennent leur effet du jour qu'elles seront faites, si elles ne sont pas désapprouvées par le ministre dans les trois mois de leur date; mais que, si le billet de location renferme quelque erreur de copiste ou de nom, ou une désignation inexacte de la terre, le ministre puisse annuler le billet de location et ordonner qu'il en soit émis un nouveau, corrigé, qui aura son effet de la date du premier.
Il déclare que, même si le gouvernement maintient toujours sa position face à cette clause, celle-ci sera retirée, car elle avait été insérée afin d'amener la Chambre à exprimer son opinion sur cette question.
M. Prévost (Terrebonne): Le gouvernement, qui a déjà fait preuve de bonne volonté en retirant la clause du désaveu, devrait aller plus loin et biffer les autres clauses qui sont aussi détestables.
M. Tellier (Joliette) et M. Lafontaine (Maskinongé) prennent la parole.
La proposition est adoptée.
L'honorable M. Caron (L'Islet) propose qu'il soit résolu: 2. Que toute personne qui aura obtenu pour fins de colonisation, tant en vertu des lois antérieures qu'en vertu de la loi qui sera basée sur ces résolutions, la quantité d'acres de terre alors permise, ne puisse en obtenir plus tant qu'elle n'aura pas fait émettre des lettres patentes pour les terres qu'elle détient sous billet de location et tant qu'au moins la moitié desdites terres n'aura pas été mise en culture;
3. Que les transports de lots de terre obtenus par la même personne pour plus de 300 acres, soit d'un même propriétaire, soit de différents propriétaires, avant l'émission des lettres patentes, soient nuls et ne confèrent aucun droit au cessionnaire pour le surplus des 300 acres et que la personne demandant l'enregistrement d'un transport doive produire une déclaration sous serment attestant qu'elle n'a pas, au moment où elle fait la déclaration, de billets de location pour des lots de la couronne pour plus de 300 acres, obtenus soit directement de la couronne soit au moyen de transports déjà enregistrés;
4. Que les lots vendus ou autrement octroyés pour fins de colonisation, à dater de la sanction de la loi qui sera basée sur ces résolutions, ne puissent, pendant cinq ans à compter de la date du billet de location, être vendus par le porteur du billet de location, ni autrement aliénés, en tout ou en partie, excepté par donation entrevifs ou par testament, en ligne directe ascendante ou descendante, en ligne collatérale au premier degré ou par succession "ab intestat" et que, dans ces cas, le donataire, le légataire ou l'héritier soient soumis à la même prohibition que l'acquéreur primitif; que tout autre transport d'un lot ne soit valable que s'il a été préalablement autorisé par le ministre, sur preuve, à sa satisfaction, qu'il est dans l'intérêt de la colonisation que ce transport soit fait; et que tout transport fait en contravention avec la présente résolution soit radicalement nul entre les parties et qu'il fasse encourir la révocation de la vente ou de l'octroi du lot;
5. Que l'avis dont il est question dans l'article 1287 des statuts refondus, tel que remplacé par la loi 4 Édouard VII, chapitre 13, section 14, doive contenir la mention que la révocation sera prononcée, s'il y a lieu, en tout temps après 30 jours de la date de l'affichage.
Adopté.
Résolutions à rapporter:
Le comité fait rapport qu'il a adopté plusieurs résolutions, lesquelles sont lues une première fois, une deuxième fois sur division et adoptées sur division par la Chambre.
Il est ordonné que ces résolutions soient renvoyées au comité général chargé de l'étude du bill 36 amendant la loi concernant la vente et l'administration des terres publiques et des bois et forêts.
Demande de documents:
Listes de paie concernant des travaux exécutés dans la paroisse de Saint-Henri de Taillon
M. Carbonneau (Lac-Saint-Jean) propose, appuyé par le représentant de Rouville (M. Robert), qu'il soit mis devant cette Chambre copie de toutes listes de paie concernant des travaux exécutés dans la paroisse de Saint-Henri de Taillon, sur les chemins de front, routes et côtes, depuis 1901 jusqu'à 1908, et spécialement sur les routes 1, 2, 3 et 4 de ladite paroisse.
Adopté.
Lots du canton d'Adstock, comté de Beauce
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) propose, appuyé par le représentant de Montmagny (M. Lavergne), qu'il soit mis devant cette Chambre copie de tous décrets administratifs, rapports, correspondance et documents quelconques relatifs aux lots 32, 33, 34, 35, 37, 38, 39 et 40 du 1er et du 2e rang et aux lots nos 33, 36, 38, 39, 40, 41, 42 et 43 du 3e rang du canton d'Adstock, comté de Beauce.
Adopté.
Succession J. Redpath
M. Langlois (Montréal no 3) propose, appuyé par le représentant de Montréal no 4 (M. Finnie), que l'honoraire payé pour le bill 151 concernant l'achat ou l'expropriation de la propriété appartenant à la succession de feu John Redpath soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill a été retiré.
Adopté.
Article du Soleil au sujet de l'affaire Prévost-Kelly
M. Prévost (Terrebonne) soulève une question de privilège. Il proteste contre la mauvaise foi du journal Le Soleil qui, en dépit de sa protestation faite en Chambre le matin à 11 heures, imprime en première page en gros caractères, l'après-midi, à 3 heures, que le député de Terrebonne n'avait pas osé se présenter le matin à la première séance du comité spécial qu'il a lui-même demandée et que le député de Bonaventure (M. Kelly) avait dû demander au comité de prendre les mesures nécessaires pour forcer son accusateur à comparaître. Cet incident a été expliqué à temps le matin pour permettre au Soleil de rapporter les faits exactement, mais ce journal a préféré mentir délibérément.
Il y a deux ans, le ministre des Travaux publics (l'honorable M. Taschereau) a demandé et obtenu de faire expulser de la galerie de la presse le représentant de l'Événement2 parce que, dans les articles qu'il avait écrits, il avait traité de fous les députés de cette Chambre. J'ai voté avec lui dans cette circonstance. Et voici un journal engraissé, nourri par le gouvernement, Le Soleil, qui, depuis plusieurs mois, me calomnie, m'injure et qualifie de canailleries tous mes actes comme député, qui ment délibérément sur ce qui se passe à la Chambre. Si je ne craignais de retarder la marche de la législature, je ferais la même motion que le député de Montmorency (l'honorable M. Taschereau).
Je pourrais prendre les procédures nécessaires pour faire expulser le représentant du Soleil de la galerie après l'avoir cité à la barre de la Chambre pour avoir dit que le député de Terrebonne avait négligé de se présenter devant le comité chargé d'entendre son accusation contre le député de Bonaventure (M. Kelly) quand, en réalité, il s'y était rendu, mais trop tard. Je ne veux pas aller aussi loin. Mais je demanderai seulement au premier ministre, qui en a le pouvoir, à ceux qui s'y font encenser aux frais de la province, de dire un mot pour ramener ces valets trop zélés, qui sont entretenus par la province, aux règles de la décence; qu'on mette au besoin des muselières à ceux qui aboient, par l'intermédiaire des colonnes de ce journal, contre certains députés de cette Chambre et pour empêcher qu'ils calomnient les députés de cette Chambre. Qu'on ne craigne pas de contrôler les déballés de France qui, pour faire leur cour, étaient le mensonge dans la première page du journal des ministres. Le but évident de l'article dont je parle est de me faire passer pour un calomniateur et un lâche. Si le premier ministre veut dire un seul mot, je sais que les messieurs du Soleil obéiront.
L'honorable M. Gouin (Portneuf) n'a aucune objection à conseiller aux rédacteurs du Soleil un plus grand respect de la députation et à leur dire de rapporter les faits exactement tels qu'ils se déroulent en Chambre, si l'honorable député de Terrebonne veut, à son tour, prier ses amis de l'Événement, journal conservateur de Québec, de surveiller leur langage, d'engager l'Événement à devenir plus impartial et de traiter les députés plus convenablement. Il croit que l'Événement a encore plus besoin de ce conseil que le Soleil.
M. Prévost (Terrebonne): Je n'ai rien à faire avec l'Événement. Je ne suis pas un des puissants du jour et je ne puis rien contre l'Événement, et je ne leur distribue pas de patronage, tandis que le premier ministre peut, s'il le veut, empêcher son organe de mentir effrontément comme il vient de le faire à mon endroit. Je crois que le premier ministre n'est pas sérieux.
L'honorable M. Gouin (Portneuf) réplique que l'opposition veuille bien se charger du message à l'Événement.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) se plaint de la rédaction des procès-verbaux. Il me semble que le devoir du premier ministre est d'imposer à tous les journaux représentés à la législature, et sans distinction de parti, l'obligation de rapporter les faits tels qu'ils se passent. Il rappelle le cas du Standard, journal conservateur de Londres, qui avait calomnié M. Redmond et dont le rédacteur fut cité à la barre des Communes par le premier ministre conservateur, M. Balfour, sans qu'il fût besoin de dénonciation. En Angleterre, M. Balfour n'a pas attendu qu'on lui en fît la demande pour citer à la barre de la Chambre un journaliste de ses partisans. Voilà comment les choses se passent en pays constitutionnel.
Quant à lui, il laisse les journaux libres de faire tous les commentaires éditoriaux qu'ils voudront; il ne leur demande que des comptes rendus véridiques.
Pour une fois, je ferai remarquer une inexactitude à mon égard. Pour ce qui est du Soleil, il est dit dans le même numéro que le député de Montmorency (l'honorable M. Taschereau) a ajourné le débat à ma demande parce que j'étais malade. C'est un autre mensonge que l'honorable ministre peut constater comme moi. Je n'ai pas demandé l'ajournement, hier, pour indisposition, mais je me suis excusé, parce que malade, de ne pouvoir rester pour le discours du député de Montmorency.
L'honorable M. Gouin (Portneuf) se dit surpris d'une telle plainte. L'honorable député de Saint-Hyacinthe aurait pu se passer de nous donner une petite leçon, lui dont le journal favori est le Nationaliste.
Il comprend bien pourquoi des hommes comme le député de Saint-Hyacinthe, habitués de lire le Nationaliste, se scandalisent pour une petite erreur, aussi minime soit-elle. Ils ont le droit d'être très chatouilleux sur les points et les virgules des rapports de journaux.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): J'ai plus souvent admonesté le Nationaliste que l'honorable premier ministre n'a admonesté le Soleil.
Incident Asselin-Taschereau
M. Sauvé (Deux-Montagnes): J'ai été informé que mon ancien confrère en journalisme, M. Asselin, a été arrêté hier soir en Chambre pour assaut sur un ministre de la couronne dans l'enceinte parlementaire. S'il est vrai que M. Asselin a porté atteinte aux privilèges de la Chambre d'une telle façon, je ne peux approuver cela. Je n'ai aucune excuse pour un assaut de ce genre, mais la Chambre a le droit d'avoir tous les renseignements à propos de l'arrestation de M. Asselin en Chambre hier soir. Elle a le droit de savoir pourquoi le prisonnier a été enlevé de la garde de l'Orateur pour être confié à la police provinciale. Je ne veux pas justifier l'assaut commis par M. Asselin sur un ministre, mais à titre de journaliste je désire savoir s'il y a un mode spécial d'arrestation pour les journalistes; je veux seulement savoir pourquoi et en vertu de quel mandat il a été arrêté. Qui a donné l'ordre d'arrêter M. Asselin? Est-ce d'après l'ordre de l'Orateur de la Chambre?
À titre de député, il veut savoir si dans ce cas l'affaire Asselin ne relève pas de la juridiction de la Chambre; alors, pourquoi le promène-t-on de Caïphe à Pilate? Pourquoi l'a-t-on conduit ce matin de la Chambre à la Cour de police? Qui a donné l'ordre de l'enlever de la juridiction de l'Orateur et de le remettre à la Cour de police de la ville, tandis qu'il est supposé être sous le contrôle de l'Orateur? Et pourquoi le maintient-on au secret dans les oubliettes du parlement? Est-ce sur l'ordre du procureur général? Si oui, pourquoi M. Asselin, au lieu d'être tout simplement en prison, est-il détenu aux quartiers de la police provinciale? J'ai entendu dire qu'après avoir été conduit à la Cour de police M. Asselin a été ramené ici, dans les cellules du Parlement. Il voudrait avoir une explication de la part de l'Orateur.
M. l'Orateur: Je n'ai pas eu connaissance officiellement de l'incident Taschereau-Asselin hier soir. Je n'étais pas présent lorsque cela est arrivé. Ce n'est pas sur mon ordre que le coupable a été arrêté et incarcéré. Je n'ai signé aucun mandat pour l'arrestation de M. Asselin. Dans ces circonstances, je n'ai aucune responsabilité dans cette affaire. La police provinciale l'a pris sous sa charge et M. Asselin a été incarcéré dans les cellules de la police provinciale qui se trouvent au palais législatif. Elle l'a conduit ce matin du parlement à la Cour de police et l'en a ramené après sa comparution devant le juge Chauveau sans que j'en sois avisé. Je ne suis responsable ni de l'incarcération ni du maintien d'Asselin sous les verrous. Il a tout simplement été informé de l'attentat et des faits ultérieurs.
M. Tellier (Joliette): Je suis heureux que la Chambre ait été saisie de l'incident Asselin par le député des Deux-Montagnes (M. Sauvé), son confrère en journalisme. Je n'ai pas eu connaissance des faits qui se sont passés hier soir, mais, si les rapports qu'on nous a présentés sur l'assaut sont vrais, il n'y a aucun doute que l'acte de M. Asselin doit être considéré comme une grave atteinte portée contre les droits de la Chambre. Un ministre a été assailli. Je regrette beaucoup et déplore l'acte de M. Asselin, s'il l'a commis comme on m'en a informé; la violence n'a jamais de place nulle part, pas plus sur la place publique qu'au parlement, et elle est particulièrement déplacée dans cette enceinte. Je suis le premier à désapprouver un tel acte. Mais je trouve très étranges les événements qui se déroulent ici depuis hier soir. Quel que soit l'acte commis par Asselin et quelque regrettable et injustifiable que soit cet acte, M. Asselin n'en est pas moins un sujet britannique et comme tel il n'en a pas moins le droit d'être traité suivant les lois d'un pays relevant de la couronne britannique.
Il réclame pour celui-ci le privilège de tout citoyen britannique d'être admis à caution à moins qu'il ne s'agisse d'un crime d'une exceptionnelle gravité. Un officier qui procède à une arrestation est obligé de conduire son prisonnier devant le tribunal dont il relève. L'Orateur dit qu'il n'a pas donné l'ordre d'arrêter M. Asselin; qui donc a donné cet ordre? Ou bien il relève de la Chambre ou bien il relève d'un autre tribunal. S'il relève de la Chambre, pourquoi a-t-il été conduit à la Cour de police et pourquoi, depuis hier, n'a-t-il pas encore été traduit à sa barre comme cela se fait ordinairement? Relève-t-il des tribunaux ordinaires? Alors, pourquoi est-il ici?
Pour ma part, je suis d'opinion que son offense est de la juridiction de cette Chambre, mais puisqu'on en a jugé autrement, pourquoi l'a-t-on ramené ici dans les cellules du parlement après l'en avoir enlevé pour le conduire à la Cour de police? Mais, si Asselin relève de la Chambre, je trouve encore plus étonnant qu'il n'ait pas été amené ici, devant le tribunal qui doit le juger. Je serai reconnaissant à l'honorable procureur général s'il veut bien nous éclairer sur le sujet.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) répond que Asselin est un homme comme un autre.
Voici les faits: j'ai été assailli hier soir. Après l'assaut, Asselin a été arrêté par un policier provincial exactement de la même façon qu'il l'aurait lui-même été ou tout autre homme qui aurait commis un assaut semblable contre un citoyen sur la rue: sans mandat. Il a été incarcéré dans les cellules de la police provinciale comme l'aurait été n'importe lequel des prisonniers arrêtés par elle. La cause est entre les mains des autorités policières et la loi suit son cours ordinaire.
M. Asselin, pris sur le fait, n'avait pas besoin de mandat pour être incarcéré. On l'a conduit au poste du parlement, qui est un poste régulier. M. Asselin est actuellement sous la juridiction du magistrat Chauveau, et la Chambre n'a rien à y voir. Deux options s'offraient à lui hier soir après l'assaut commis par Asselin: soit qu'il demande à l'Orateur de lancer un mandat d'arrêt contre Asselin ou soit qu'il s'adresse à un magistrat de police pour qu'il émette un mandat pour assaut simple.
J'ai choisi ce dernier mode d'agir. J'ai usé de mon droit de simple citoyen et j'ai porté plainte contre Asselin devant un magistrat de police; la plainte est pour assaut simple. Ce matin, M. Asselin a comparu devant le juge Chauveau et j'ai déposé une plainte devant M. le juge Chauveau contre lui. M. Asselin a plaidé non coupable et a demandé de fournir caution. M. Chauveau a pris cette demande en délibéré; à lui, à lui seul le droit de décider. M. Asselin a été envoyé en prison jusqu'à vendredi, mais plus tard le juge Chauveau décida de le faire transférer dans les cellules du palais législatif où il serait probablement mieux traité qu'en prison. Asselin est actuellement sous arrêt permanent et reste à la disposition du tribunal. Si Asselin est détenu dans la cave du palais législatif, c'est parce qu'il y a là un poste de la police provinciale.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) condamne tout aussi énergiquement que qui que ce soit l'acte de M. Asselin. L'assaut commis par M. Asselin sur la personne du ministre des Travaux publics (l'honorable M. Taschereau) est-il un attentat aux privilèges de cette Chambre ou non? À son avis, l'offense commise par Asselin est un attentat aux privilèges de cette Chambre et non pas tellement un attentat commis contre la personne du ministre. Je me serais joint au gouvernement pour demander la censure contre l'auteur de l'attentat. Mais l'honorable M. Taschereau a choisi de considérer cette attaque comme étant dirigée personnellement contre lui et donc plus sérieuse qu'une violation des privilèges de la Chambre.
C'est l'affaire du député de Montmorency d'estimer l'attentat contre sa personne plus grave que l'attentat contre son prestige de député. Mais, du moment que le député de Montmorency ne se prévaut pas de son titre de député en saisissant la Chambre de l'affaire, l'acte de M. Asselin devient tout ordinaire, l'assaut simplement d'un monsieur sur un autre monsieur, auquel on accorde une importance qu'il ne mérite pas. Mais, puisque l'honorable ministre a jugé qu'en portant la main sur sa personne Asselin a commis un simple délit justifiable du tribunal de police, pourquoi le prisonnier a-t-il été mis au secret? Pourquoi le juge a-t-il refusé ce matin de remettre en liberté M. Asselin, malgré les cautionnements offerts et qui auraient été acceptés dans toute autre cause semblable? On ne refuse pas cela même aux Italiens qui jouent du couteau dans la rue. Pourquoi le juge Chauveau a-t-il dit qu'il relève d'un tribunal supérieur au sien et a-t-il remis l'instruction de la cause à vendredi pour cette raison? C'est à se demander s'il y a pour les journalistes non à la solde du gouvernement un autre code criminel, un code plus draconien que pour les Apaches ou pour les assassins italiens qui jouent du couteau, ou si la loi britannique doit être suspendue quand des personnages politiques se donnent des tapes. On ne se croirait pas, en vérité, au vingtième siècle!
Mais alors, sur l'ordre de qui Asselin a-t-il été arrêté hier soir? M. l'Orateur nous dit qu'il n'a pas donné d'ordre et j'affirme qu'aucun constable n'était présent lorsque l'incident s'est produit. Olivar Asselin a été arrêté comme assaillant, sur l'ordre du député de Montmorency (l'honorable M. Taschereau), par un constable qui n'était pas présent à l'assaut. Il n'y a pas eu de mandat contre lui. On l'a mis au secret, et M. Alleyn Taschereau, son avocat, a dû obtenir du procureur général une permission particulière pour converser cette nuit durant cinq minutes avec son client. Depuis, trois personnes se sont heurtées aux mêmes ordres formels et on a été jusqu'à interdire au prisonnier l'usage du téléphone. Mais comment se fait-il que l'on ne permette pas au prisonnier de parler à des amis? Si ce n'est qu'un simple assaut, il est étrange qu'immédiatement après l'arrestation de M. Asselin des ordres furent donnés interdisant qui que ce soit de le voir. Asselin est traité plus sévèrement que le pire des malfaiteurs, on lui refuse ce qu'on accorde même aux assassins: le droit de converser librement avec son avocat.
Au vingtième siècle, la mise au secret ne devrait plus exister. Il considère que cette façon de faire équivaut aux méthodes qui ont été abolies par la Révolution française. Le régime du secret auquel on le condamne est un reste de ces temps où les oubliettes étaient en honneur. Et mon honorable ami des Deux-Montagnes (M. Sauvé) a eu raison de dire que M. Asselin a été enfoui dans les oubliettes du parlement.
Puis, il fait un compte rendu historique de l'administration de la justice des deux côtés de l'Atlantique. La mise au secret n'existe plus depuis les Stuarts en Angleterre et depuis la Terreur en France. Napoléon l'avait rétablie à son profit, mais les Bourbons de la Restauration l'ont définitivement abandonnée. M. Asselin est gardé dans les cellules du tsar de Québec tandis que même un meurtrier aurait reçu le droit de parler à son avocat.
Je ne comprends plus bien le rôle du procureur général dans cette affaire, puisqu'il y a eu arrestation illégale sans mandat et qu'il faut parlementer avec un tsar quelconque avant que l'avocat du prisonnier puisse s'entretenir cinq minutes avec son client. Je le répète, nous aurions tous approuvé le gouvernement s'il avait demandé à cette Chambre d'infliger à Olivar Asselin le blâme et la censure, mais nous ne pouvons approuver les mesures d'exception prises contre lui. Il y a déjà eu dans l'enceinte du parlement des scènes aussi scandaleuses, sinon plus, notamment lorsque l'honorable M. Turgeon, l'ami d'aujourd'hui du député de Montmorency, usa contre l'actuel juge en chef du Canada de sévices autrement graves que la tape donnée au député de Montmorency, et personne n'a songé à requérir alors contre l'assaillant l'usage de pareils moyens. Il fait allusion à cette autre scène où l'honorable M. Turgeon fit d'un coup de poing mesurer le plancher à M. Ch. Fitzpatrick dans les corridors de la Chambre. M. Turgeon ne fut pas mis au secret, et on ne lui refusa pas de cautionnement. Pourquoi ne pas le traduire (M. Asselin) à la barre de la Chambre et le sommer de s'expliquer?
Mais il admet toutefois que l'acte en lui-même est scandaleux.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): M. Olivar Asselin a assailli hier un ministre de la couronne. Je ne connais pas les détails de l'affaire, mais le député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa), dans le discours qu'il vient de prononcer à cette occasion, trouve moyen de se servir de procédés fielleux et venimeux. Le député de Saint-Hyacinthe voudrait que tout finisse par des discours. Sans doute qu'il approuve M. Asselin, puisque son désir est que celui-ci, après avoir frappé un ministre de la couronne dans l'exercice de ses fonctions, vienne à la barre de la Chambre vomir un torrent d'injures contre le parti ministériel. Il cherche, par toutes sortes de moyens détournés, à s'adresser au coeur du ministre des Travaux publics, quand il n'a même pas le courage de faire ce que son lieutenant M. Asselin a fait hier soir. Le député de Saint-Hyacinthe porte de lâches attaques contre le député de Montmorency car il n'a même pas le courage de M. Asselin. S'il approuve l'acte de son ami Olivar Asselin, qu'il le dise donc carrément et, s'il le réprouve, qu'il le dise carrément aussi.
Le député de Saint-Hyacinthe croit que c'est peu que d'assaillir un ministre et que cela pourrait se régler par une censure de la Chambre. On s'est trompé si on a cru qu'une pareille affaire pouvait se régler par des discours faits à la barre de la Chambre. Olivar Asselin a été traité comme tout autre coupable l'aurait été. Le député de Montmorency (l'honorable M. Taschereau) a jugé à propos de poursuivre son agresseur en Cour de police, c'est son affaire d'agir comme il l'entend. La Chambre n'a rien à voir avec cette cause qui est entre les mains du juge Chauveau, magistrat de police. Il est connu qu'il y a eu assaut. La procédure suivie est la procédure ordinaire. M. le juge Chauveau a agi selon ses devoirs. Si on trouve que ce dernier ne fait pas son devoir, on n'a qu'à l'accuser devant le ministère et M. Asselin recevra justice, comme tout citoyen.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): L'honorable premier ministre a évidemment perdu son sang-froid car il a coutume de comprendre plus clairement une question. J'ai dit que l'acte d'Asselin est blâmable et que j'approuverais le ministère de le faire blâmer et censurer par la Chambre. Quant au reste de mes observations, je n'ai fait qu'user du droit que possède tout député de s'enquérir et de constater si les lois de son pays sont observées, et l'honorable premier ministre n'a aucunement répondu aux questions que nous avons eu l'honneur de poser à ce propos. Cela ne répond pas aux deux questions que j'ai posées, savoir: Qui a donné l'ordre d'arrêter Asselin hier soir et qui a défendu qu'on lui laisse voir ses amis et son avocat?
La séance est levée à 6 heures.
Troisième séance du 19 mai 1909
Présidence de l'honorable P. Pelletier
La séance est ouverte à 8 h 15.
Messages du Conseil législatif:
M. l'Orateur informe la Chambre que le greffier du Conseil législatif a apporté le message suivant:
Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté le bill suivant avec certains amendements pour lesquels il lui demande son concours:
- bill 95 amendant la charte de la ville Émard.
Charte de la ville Émard
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 95 amendant la charte de la ville Émard.
Les amendements sont lus une première fois.
Rapports de comités:
Comité spécial nommé pour s'enquérir des accusations portées par le député de
Terrebonne (M. Prévost) contre le député de Bonaventure (M. Kelly)
L'honorable M. Weir (Argenteuil): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le deuxième rapport du comité spécial nommé pour s'enquérir des accusations portées par l'honorable M. Prévost, député de Terrebonne, à la séance du 14 mai courant, contre M. Kelly, député de Bonaventure. Voici le rapport:
Votre comité a l'honneur de faire rapport qu'il a élu l'honorable M. Weir son président.
M. Prévost (Terrebonne) soulève une objection contre le laconisme du rapport de la séance de l'après-midi que la commission d'enquête a fait à la Chambre. Il se plaint que le rapport officiel rendu cet après-midi par le comité spécial chargé de l'enquête Prévost-Kelly ne contienne qu'une seule information, soit que le député d'Argenteuil a été nommé président.
Est-ce tout ce que le rapport contient? Au lieu d'un mince procès-verbal sur tout ce qui a réellement été adopté lors des séances de ce comité, la Chambre a le droit de savoir tout ce qui se déroule lors de ces séances. Ce comité est un comité de la Chambre et il est donc obligé de fournir un rapport complet. Une partie des délibérations a été omise. On ne parle pas des deux requêtes soumises par lui et le député de Bonaventure (M. Kelly) à la séance de l'après-midi.
Il demande que les rapports soient complets. Dans l'après-midi on a eu bien soin de mentionner qu'il était absent, de même que les députés de Joliette (M. Tellier) et de Laprairie (M. Patenaude), quand la commission s'est empressée d'ajourner après une séance d'une dizaine de minutes. Il manifeste aussi son étonnement du fait que le député d'Argenteuil (l'honorable M. Weir) a été élu président du comité quand, d'après une entente écrite, il ne devait même pas en faire partie. Le tempérament bouillant du trésorier provincial n'est pas une garantie que le travail du comité sera fait avec calme.
L'honorable M. Weir (Argenteuil) répond qu'il n'y aurait aucun avantage quelconque à rapporter ce qui s'est passé. Il n'y a aucune règle de la Chambre qui exige qu'un comité rapporte tout ce qui s'est fait à chacune de ses séances, ce que réclame le député de Terrebonne. Le rapport contient le sommaire des faits. Seul le rapport final du comité doit contenir le détail complet des délibérations, et ce rapport final les contiendra.
M. Prévost (Terrebonne) cite Bourinot à l'appui de sa demande3. Il tient à ce que tout soit rapporté afin de renseigner le public, car certains journaux rapportent les faits faussement. Le comité a siégé cet après-midi et, à part la nomination du président, on a commencé l'enquête.
L'honorable M. Weir (Argenteuil) fait signe que non.
M. Prévost (Terrebonne): Certainement qu'on a commencé l'enquête. On a présenté des motions à l'effet de soumettre des originaux de 150 à 200 documents concernant la vente des lots dans le comté de Bonaventure et le comité a ajourné afin de donner le temps aux employés de réunir ces documents. Donc, il n'y a pas eu seulement la nomination du président et, cependant, c'est tout ce que mentionne le rapport.
L'honorable M. Weir (Argenteuil): Le député de Terrebonne plaide pour la presse. Mais les journalistes sont admis aux délibérations de l'enquête.
M. Prévost (Terrebonne): Le député d'Argenteuil met les pieds dans les plats pour la centième fois. Il n'a pas parlé pour la presse, mais il désire que le public sache tout ce qui se passe.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) se plaint que le député d'Argenteuil ait modifié le rapport selon qu'il l'entendait et il lui reproche de l'avoir fait différent de celui du matin. Il se déclare lui aussi étonné de voir le député d'Argenteuil président d'un comité comme celui-là. C'est lui qui a fait inscrire dans les procès-verbaux des résolutions prêtant au député de Terrebonne des déclarations que celui-ci récuse. De plus, l'autre soir, lorsque le député de Bonaventure (M. Kelly) voulait que le député de Terrebonne soit expulsé de la Chambre, on sait que le trésorier provincial a failli briser son pupitre en applaudissant; et il était tellement content qu'il a de fait crié de joie quand le député de Bonaventure a demandé la disgrâce du député de Terrebonne. Est-ce là le genre d'homme qu'il faut nommer pour présider le comité chargé de faire enquête sur les accusations du député de Terrebonne (M. Prévost)? Dans de pareilles conditions, le trésorier provincial devait à la décence, sinon de ne pas siéger dans le comité, du moins de n'en pas accepter la présidence.
M. Prévost (Terrebonne) déclare que lui, il n'aurait jamais accepté la présidence dans de telles circonstances.
L'honorable M. Weir (Argenteuil) riposte qu'il ne prendra jamais pour exemple le député de Terrebonne.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Le trésorier provincial pourrait cependant prendre d'autres exemples. Entre autres, celui de l'honorable Edward Blake qui, lorsqu'on a formé à Ottawa la commission relativement à l'affaire du Pacifique, a refusé la présidence pour la raison qu'il avait été un des plus violents dans le cours du débat.
L'honorable M. Weir (Argenteuil): Le député de Saint-Hyacinthe parle d'une chose qu'il ne connaît pas du tout. Le député de Joliette (M. Tellier) a même approuvé ma nomination en tant que président. Quant aux insinuations du député de Saint-Hyacinthe, cela ne le surprend pas, il s'en fait une profession d'attaquer tout le monde. Ce dernier aime beaucoup les insinuations. Partout dans la province, il est reconnu comme un homme qui ne fait que des insinuations et rien d'autre. Il est une disgrâce pour cette Chambre et pour la province.
M. Prévost (Terrebonne) rappelle le député d'Argenteuil à l'ordre. Il n'a pas le droit de faire une pareille déclaration. Il n'a pas le droit de dire qu'un député est une disgrâce pour la Chambre et pour la province.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Je prie le député de Terrebonne de laisser dire. Le trésorier peut dire tout ce qu'il veut à mon sujet. Ce que l'honorable trésorier provincial dit m'est parfaitement égal.
M. Prévost (Terrebonne): J'ai exprimé ma confiance absolue dans les membres du comité d'enquête, mais nous voyons déjà que les dispositions du trésorier provincial indiquent qu'il va être fort difficile de faire l'enquête avec calme. Je suis surpris de voir le député d'Argenteuil siéger comme président. Du reste, il y avait une entente écrite d'après laquelle le trésorier provincial ne devait pas faire partie du comité.
L'honorable M. Weir (Argenteuil): Une entente avec qui?
M. Prévost (Terrebonne): Si je lui prouve qu'il y avait une entente écrite, l'honorable trésorier va-t-il démissionner? Tous les députés savent que l'honorable trésorier provincial n'avait pas assez de pattes pour taper sur son pupitre quand le député de Bonaventure (M. Kelly) a fait sa déclaration. Cet homme-là n'aurait pas dû se laisser nommer président de la commission. De plus, il ne comprend pas suffisamment le français et cela va nous créer une foule d'ennuis.
Il n'a aucune critique à formuler contre le comité, mais il déclare qu'il eût été préférable d'avoir un autre membre anglais sur la commission, moins prompt et moins concerné, le député de Richmond (M. Mackenzie) par exemple. Si l'honorable trésorier se retirait de la commission, ce serait pour le mieux. Nous venons à peine de commencer notre travail et la chicane est déjà engagée à cause de lui.
L'honorable M. Weir (Argenteuil) répond qu'il aurait préféré de beaucoup ne pas être mêlé à ce comité. Cependant, il a été nommé par la Chambre et il accordera entière justice au député de Terrebonne, comme à tous, et cela malgré l'insinuation que ce dernier a portée contre lui. Il est capable d'impartialité et le député de Terrebonne n'a pas raison de se plaindre. Le comité est désireux de rendre justice à chacun et à tous.
M. Tellier (Joliette) attire l'attention de la Chambre sur la manière de procéder du comité spécial. Il critique surtout le fait que le rapport officiel de la séance du matin rendu par le comité spécial précise en grosses lettres que lui-même et le député de Laprairie (M. Patenaude) étaient absents et donne les noms de ceux qui étaient présents. Mais cet après-midi, lorsque le vrai travail a été fait, on ne mentionne rien et, lorsqu'il s'agit des présences, on laisse le tout en blanc. À la deuxième séance, on a présenté des motions, on a élu un secrétaire-archiviste et le rapport n'en fait pas mention. Les deux rapports ont été faits différemment. Pourquoi n'a-t-on pas donné les détails complets de la séance?
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Les rapports de la commission seront plus complets à l'avenir et on ajoutera dans celui de samedi ce qui a été omis dans celui dont on se plaint. Il croit qu'il sera facile de mettre sur le prochain rapport ce qui manque à celui d'aujourd'hui. Si on veut s'entendre à la fin de chaque séance sur la rédaction des rapports, la chose sera facile.
M. Prévost (Terrebonne) déclare qu'il se serait opposé à la nomination du représentant d'Argenteuil (l'honorable M. Weir) à la présidence et qu'il n'aurait pas eu objection à accepter le représentant de Richmond (M. Mackenzie).
Subsides
La Chambre reprend le débat ajourné lundi, le 17 mai dernier, lors de la motion à l'effet que cette Chambre se constitue de nouveau en comité pour prendre en considération les subsides à accorder à Sa Majesté.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): La Chambre a été informée qu'à la suite du débat d'hier soir j'ai été victime d'un inqualifiable attentat. Je ne sais pas s'il entrait dans le plan des nationalistes de m'empêcher de parler, mais, après ce qui s'est passé hier soir, il est tout à fait normal pour moi d'avoir certains doutes. Je n'ai pas la moindre hésitation à dire qu'à mon avis l'assaut commis sur moi par M. Asselin a été prémédité et préparé au cours de la soirée. M. Asselin a passé la soirée dans la tribune des journalistes et, vers la fin de la séance, il est descendu de cette tribune avec l'idée de m'assaillir. Cela ne me surprend pas. Je ne crains pas d'affirmer que le député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa) peut se frapper la poitrine.
Je n'hésite pas non plus à affirmer ici ce soir qu'après toute cette violence, tous ces échanges de basses injures depuis deux ans, après toutes ces campagnes de violence et de calomnie à travers la province dénonçant les ministres et les couvrant d'accusations - campagnes dirigées et inspirées par le député de Saint-Hyacinthe - après tous ces appels à tous les jeunes exaltés de la province, il n'est pas surprenant qu'un homme du genre Asselin, un des disciples les plus dévoués du député de Saint-Hyacinthe, fasse ce qu'il a fait hier soir. C'est vous, Monsieur, vous qui, par vos appels de rhéteur, votre démarche et vos furieuses dénonciations depuis deux ans, c'est vous qui portez la véritable responsabilité de cet acte. M. Asselin est en prison ce soir, mais il n'est peut-être pas le plus coupable. Il n'a fait que suivre les brisées de son chef.
Nous assistons depuis des mois et des mois aux plus détestables excès. Depuis deux ans, le député de Saint-Hyacinthe mène ses infâmes campagnes contre toutes les choses et toutes les personnes les plus respectables de la province. Ils n'ont aucun respect pour qui que ce soit. La magistrature a été traînée dans la boue. Nous avons vu nos juges les plus honorés et les plus respectés se faire attaquer de la plus infâme manière. Nous avons vu le nom de notre représentant du roi, le lieutenant-gouverneur, traîné dans la boue. Les plus odieuses épithètes ont été accolées au nom du gouverneur général et du lieutenant-gouverneur. Les hommes les plus respectables, à quelle profession, à quelle classe de la société qu'ils appartiennent, ont été vilipendés, éclaboussés, attaqués jusque dans leurs affections les plus chères. Nos hommes publics ont été attaqués dans leur intimité, dans leurs professions, à n'importe quelle occasion et partout où le Parti nationaliste pouvait leur lancer de basses injures. Car ce même Parti nationaliste, dont l'honorable député de Saint-Hyacinthe est le digne chef, ne respecte rien de ce qui est respectable dans cette province.
Je n'ai aucune hésitation à dire au député de Saint-Hyacinthe que les appels qu'il a lancés partout, à tous les exaltés de la province et à tous ceux qu'il a réussi à convaincre, trouvent leur conclusion logique avec l'événement qui s'est produit ici hier soir. Il récolte ce qu'il a semé. Le député de Saint-Hyacinthe peut être fier de ses partisans et de leurs actes. Il peut être fier de son oeuvre, c'est tout ce qu'il a fait jusqu'à présent. Leur dernier argument est le coup de poing du lâche. Les disciples d'un tel apôtre devaient en arriver au coup de poing porté en traîtres et même au coup de poignard.
Hier soir, nous étions à parler de Mathys quand nous avons ajourné. J'avais démontré qu'il avait été sinon le faussaire, qu'au moins il savait que la chose se faisait, il savait qui l'avait faite et il attendait la réponse au câblogramme forgé. Cet homme, ce Mathys, qui connaissait l'existence de ce câblogramme forgé et qui y avait participé, qui est-il au juste? J'ai affirmé et j'affirme qu'il est l'homme de confiance et le bras droit du député de Saint-Hyacinthe.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) déclare qu'il a vu M. Mathys qu'une seule fois dans les deux ans.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Cet homme est l'ami du député de Saint-Hyacinthe, celui avec qui il a voyagé non seulement dans Bellechasse, mais en Europe, celui qui a pris part à ses campagnes politiques dans Bellechasse et dans Saint-Jacques et a essayé avec lui de réunir des documents en Belgique.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Pardon. Je dois déclarer à l'honorable ministre que je n'ai pas vu M. Mathys deux fois dans un an. Je l'ai seulement rencontré à Bruxelles, mais je n'ai pas voyagé avec lui. En tout cas, je l'ai fréquenté beaucoup moins que les amis de l'honorable ministre n'ont fréquenté le baron de l'Épine.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Le député est allé en Belgique pour se documenter. Oui, vous l'avez rencontré en Belgique dans le but de le convaincre de vous aider à compléter le travail de diffamation que vous aviez amorcé ici contre tout le monde depuis deux ans, mais que vous saviez ne pouvoir terminer sans son aide. C'est assez pour qu'il vous ait procuré des documents.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Cela est entièrement faux. J'ai refusé les bons offices de M. Mathys pour documentation en Belgique. Même quand il m'a offert de rencontrer des personnages du gouvernement belge, j'ai refusé.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): J'ai l'aveu de M. Mathys qu'il a rencontré le député de Saint-Hyacinthe à Montréal et Bruxelles, qu'il a fait la campagne dans Bellechasse; ça me suffit. Nous avons la preuve qu'un faussaire s'est servi du nom du premier ministre en rapport avec l'élection de Bellechasse. Mathys vous était nécessaire dans Bellechasse. Ce télégramme forgé était nécessaire pour votre élection dans Bellechasse. Mathys, qui travaillait dans Bellechasse, connaissait l'existence de ce télégramme forgé et y a participé. Il y a donc un homme qui était intéressé à ce que le faux se commît et un autre qui a commis le faux. Si un homme a commis un faux en télégramme, il peut en avoir commis qui ressemble à la lettre de Charneuse. Nous avons la preuve qu'un faux a été commis à la connaissance et avec la participation de Mathys. Avons-nous la preuve que c'est le seul faux auquel Mathys ait participé?
En face des serments de M. Turgeon et en face de la preuve que Mathys connaissait le faux, la conclusion s'impose que nous avons mis la main sur le faussaire de la lettre de Charneuse. L'honorable député de Saint-Hyacinthe peut prétendre qu'il préfère les déclarations du baron de l'Épine à celle de l'honorable M. Turgeon. Mais, quant à moi, je n'hésite pas à déclarer ici ce soir qu'il n'y a pas un seul honnête homme dans cette province, en face du faux et du faussaire, qui ait lu le dossier de l'enquête de la commission royale sur l'affaire de l'Abitibi et qui ne sache pas qu'il s'agissait d'une conspiration basée sur une fraude, d'où provient cette fraude, comment elle fut machinée et qui en est le grand responsable. Dire qu'il faut préférer la déposition de de l'Épine à celle de M. Turgeon ne peut être soutenu quand on connaît l'existence du faux câblogramme.
Le député de Saint-Hyacinthe, après avoir démoli les juges Langelier, Lemieux et Cimon, a attaqué la commission royale. Il a déclaré que la commission royale n'avait fait qu'une oeuvre incomplète pour n'avoir pas envoyé de commission rogatoire en Belgique. Or les deux juges Langelier et Charbonneau ont déclaré qu'ils n'avaient pas ce pouvoir. MM. Langelier et Charbonneau sont deux magistrats des plus éclairés, dont la compétence est incontestable. Naturellement, les connaissances légales du député de Saint-Hyacinthe valent mieux. Mais les simples mortels et les autres avocats approuveront les raisons des juges. M. Laflamme, même, s'est montré satisfait de leur décision.
Qui pouvait-on entendre là-bas? En Belgique, on pouvait entendre le baron de l'Épine, MM. Goëthals et De Jardin. De l'Épine a été entendu lors du procès Asselin. Il a été assigné devant la commission royale. On lui a demandé de venir et la commission a ensuite offert de payer d'avance toutes ses dépenses de voyage à de l'Épine. Il a répondu qu'il n'avait pas confiance d'être payé et il a refusé, disant qu'il n'avait pas confiance en la justice canadienne. Il a demandé l'envoi d'une commission et il s'est déclaré prêt à rendre témoignage devant une commission rogatoire, à condition qu'aucun avocat ne l'interroge ni questionne son témoignage. Il eût été ridicule de se rendre à ces conditions. Nous avions ici toute la correspondance du baron.
De Jardin a été interrogé par maître Laflamme et son témoignage donné en public a été un certificat complet d'honnêteté au gouvernement et à l'honorable M. Turgeon. Pas un mot de compromettant pour aucun des ministres n'est sorti de sa bouche. Qu'on scrute sur tous les points ses paroles, on n'y découvrira rien. Il a déclaré que l'affaire devrait se régler entre lui et le baron de l'Épine seulement. Voici d'ailleurs le témoignage de M. Laflamme, avocat, sur cette enquête. M. Laflamme lui-même a reconnu que la commission royale avait procédé avec toute l'impartialité désirable et il l'a exprimé en des termes qui n'admettaient pas d'équivoque. Après la commission, maître Laflamme a rendu à ses collègues du ministère public et aux commissaires un bel éloge pour la latitude qu'ils lui avaient donnée. Il a déclaré que les commissaires avaient accordé aux avocats toute la latitude demandée et qu'il n'avait aucun reproche à faire. Il préfère croire la parole de M. Laflamme que celle du député de Saint-Hyacinthe.
Quant à la caisse électorale, encore une fois M. De Jardin a déclaré que toute transaction à ce sujet devait se faire uniquement avec de l'Épine. D'un autre côté, nous avons dans le dossier une lettre de M. Goëthals adressée au baron de l'Épine, disant que le baron recevait des parts syndicales pour un montant considérable et que c'est lui (M. de l'Épine) qui a mis l'affaire en marche et, par conséquent, qu'il a intérêt à la voir réussir.
Il s'en prend ensuite à la probité et à la foi du baron qu'il accuse le député de Saint-Hyacinthe de faire la base de son argumentation. Les déclarations du baron au procès Prévost-Asselin, sa lettre au député de Terrebonne, ses écrits dans le Chasseur français sont pour l'honorable ministre d'amples matières à citation.
Nous avons à choisir entre deux. Le député de Saint-Hyacinthe a déclaré hier qu'il admettait que le baron était un farceur. Il faut aussi être farceur pour lui donner tant d'importance. Le baron a produit ici des certificats de son évêque pour prouver qu'il était la perle des catholiques; nous avons vu cependant qu'il n'avait pas la foi robuste, qu'il ne croyait pas en Dieu et au serment. Il se proclama plus tard comme libre penseur. Et on veut nous obliger d'admettre que le baron serait venu proposer à M. Turgeon ce marché immoral. Pour admettre la culpabilité de M. Turgeon, il faut admettre que M. de l'Épine a proposé et pris part au marché immoral de carotter ses compatriotes. On a demandé au baron s'il croyait qu'il y avait quelque chose de dérogatoire à l'honneur dans un tel marché. Or, sur cette transaction de carottage, M. de l'Épine a déclaré qu'il n'avait pas d'opinion parce qu'il n'avait pas eu le temps de réfléchir. Ainsi, après avoir contribué à ce marché pendant des mois, il déclare qu'il n'a pas d'opinion à exprimer. Que penser d'un tel homme, d'une si belle âme?
Voici une autre chose intéressante, la lettre du baron disant au député de Terrebonne: "Si vous ne me donnez pas une place au ministère, je vais produire un dossier foudroyant contre vous" et plus loin offrant, en échange d'un emploi, d'activer l'immigration belge en ce pays. Et l'homme qui offrait d'activer l'immigration belge au Canada en leur vantant le pays est le même qui écrit dans les journaux et revues européens que les Canadiens s'enrichissent à exploiter les immigrants. Dans l'un des deux cas, le baron ne dit pas la vérité; c'est donc un menteur. Il est prêt à dire blanc ou noir, selon les circonstances. Quelle confiance peut-on avoir en cet homme, sur le témoignage de qui on base cette fameuse affaire de l'Abitibi?
Une chose a dû vous frapper, c'est que ce qu'on reproche à M. Turgeon, ce n'est pas d'avoir échoué, mais d'avoir essayé de faire une transaction qui lui aurait rapporté $60 000 pour la caisse électorale ou pour lui-même. Or tout dépendait de lui. S'il avait voulu, il aurait fait le bénéfice supposé. Si vous lisez la correspondance produite, vous voyez que le transaction a manqué sur les conditions d'établissement. M. Turgeon n'avait qu'à céder sur ces conditions et la transaction se faisait. Or comment se fait-il qu'il a refusé de céder sur les conditions d'établissement? C'est donc, évidemment, qu'il n'était pas intéressé. Car l'affaire a brisé sur les conditions d'établissement, de l'aveu même de M. de l'Épine. Croit-on que, si un homme a à ce point la soif de l'argent pour faire de tels marchés, il reculera et laissera échapper $60 000 au lieu de faire de meilleures conditions, quand la chose lui est possible? Que ce soit le gouvernement qui a refusé de conclure le marché, nous en avons la preuve par le témoignage de M. De Jardin devant la commission royale, du baron au procès Asselin, d'une lettre.
Extrait d'une lettre du baron de l'Épine à l'honorable M. Turgeon, en date du 3 janvier 1907: "On est trop près de s'entendre pour reculer maintenant, puisqu'on n'est séparé que par une question de texte que vous pouvez, au besoin, faire régler par un amendement à la loi au cours de la session."
Extrait d'une lettre du chevalier Goëthals au baron de l'Épine, en date du 29 janvier 1907: "Je regrette que la hâte de votre départ ne m'ait permis de vous donner lecture d'une lettre récemment arrivée, écrite par M. Obalski à M. De Jardin. Cette lettre je ne l'avais pas à ce moment sous la main. En voici le passage principal: "J'ai vu le ministre qui m'a dit avoir écrit au baron au sujet de l'Abitibi. Il a soumis la question des conditions d'établissement aux officiers en loi qui ont déclaré qu'on ne pouvait passer outre. Il étudie la question d'une législation spéciale à présenter au Parlement, mais il craint qu'elle ne soit pas populaire, qu'elle ne soit pas acceptée."
"Si ce pronostic est exact et doit se réaliser, l'affaire de l'Abitibi ne se fera pas, voilà tout. Et cela sera tant pis.
"Voyez-vous, mon cher baron, il est profondément regrettable que le gouvernement canadien n'ait pu ou n'ait pas voulu transiger, séance tenante, sur cette malencontreuse, unique et dernière clause, tandis que M. De Jardin était à Québec au mois de novembre dernier. À ce moment, si on avait pu se mettre d'accord, M. De Jardin signait au nom du syndicat et l'affaire était faite."
M. l'Orateur, j'ai essayé, dans la mesure de mes forces, de mettre les faits au point et de rendre justice à notre collègue M. Turgeon et de montrer ce que valent ses accusateurs. Le député de Saint-Hyacinthe, dans une insinuation qu'en dehors de cette Chambre je pourrais appeler perfide, a parlé cet après-midi d'une scène violente dont les principaux héros étaient l'honorable M. Turgeon et Sir Charles Fitzpatrick. Le député de Saint-Hyacinthe s'est étonné à ce sujet de me voir défendre M. Turgeon. Je lui dirai que mon amitié pour M. Fitzpatrick ne s'oppose pas le moins du monde à ce que j'élève aujourd'hui ma voix pour défendre M. Turgeon. Il peut être certain d'une chose, c'est que Sir Charles Fitzpatrick et M. Turgeon se sont plus d'une fois tendu une main loyale depuis cet incident, et le député de Saint-Hyacinthe a obéi à une bien mauvaise pensée en réveillant ce souvenir. Il a suivi la tactique de son école: la tactique de l'insulte, de la calomnie et du coup de poing.
Ni Sir Charles Fitzpatrick ni le président du Conseil législatif (l'honorable M. Turgeon) n'appartiennent à cette école d'intolérance dont le député de Saint-Hyacinthe est le chef. Ils ont autre chose à faire que d'assouvir leurs rancunes et de s'occuper des calomnies du député de Saint-Hyacinthe; ils sont des amis loyaux.
Je ne parlerai pas plus longtemps, car je crois que la Chambre a quelque chose de mieux à faire que de jeter de la boue à nos hommes politiques. Le gouvernement n'est pas arrêté par l'affaire de l'Abitibi. Il a obtenu le réajustement des subsides provinciaux, voté la loi de la Commission d'utilité publique et la loi sur les accidents du travail et il a créé les écoles techniques. Ce sont des oeuvres qui valent mieux que des discours. Le gouvernement a une oeuvre plus grande à faire que suivre sur leur terrain d'accusation le député de Saint-Hyacinthe et la horde qui l'escorte.
Notre mission n'est pas divine comme celle du député de Saint-Hyacinthe. Nous ne nous battons pas contre des moulins à vent, nous ne marchons pas sur les flots, nous faisons pourtant quelque chose. Si le député de Saint-Hyacinthe veut comparer sa carrière avec celle du plus humble député de la droite, il se trouvera bien petit. Il verra qu'il n'a rien fait, rien produit, rien suggéré, ni ici, ni à Ottawa, ni ailleurs. Je lui souhaite de mettre au service de sa province son talent, son éloquence, mais pour cela qu'il change de programme, de tactique et d'amis, et alors il pourra être utile à sa province.
Il conclut en mettant en garde le député de Saint-Hyacinthe. Celui-ci altère ses talents naturels dans une cause de calomnie, de haine et de mauvaise foi et, s'il n'arrête pas, il perdra toute chance de faire quoi que ce soit d'utile pour sa province. S'il veut essayer de travailler comme un homme, il pourra encore, dans les années à venir, faire quelque chose pour sa province.
M. Tellier (Joliette): L'honorable ministre a cru bon ce soir de commencer son discours en parlant du regrettable incident d'hier soir. Si l'honorable ministre tenait tant à parler, il aurait dû soumettre toute la question devant cette Chambre, le grand tribunal de la nation. Mais il a préféré amener ce débat devant un tribunal plus petit, celui d'une cour de police.
Il déclare d'abord qu'il regrette l'incident de la veille au soir et reproche au député de Montmorency (l'honorable M. Taschereau) de venir sans preuve imputer au député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa) une part de responsabilité dans l'affaire dont il a souffert hier soir. Ce qui est affirmé gratuitement, dit-il, peut être nié gratuitement et je nie hautement la responsabilité du député de Saint-Hyacinthe dans cet incident Asselin.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Il faut prendre mon accusation telle que je l'ai portée. Je n'ai pas dit qu'il eut poussé M. Asselin. J'ai dit que le député de Saint-Hyacinthe, par ses appels aux têtes chaudes de la province depuis deux ans, avait rendu possibles des scènes comme celle d'hier soir.
M. Tellier (Joliette): Je répondrai à l'honorable ministre que le député de Saint-Hyacinthe n'est pas plus responsable de l'incident d'hier soir que le député de Montmorency a prétendu ne l'être des pierres lancées sur la place Jacques-Cartier, à Saint-Roch, contre le député de Saint-Hyacinthe4. Quelqu'un a dit au cours du procès Prévost vs Asselin que l'honorable M. Turgeon avait besoin d'être défendu et beaucoup défendu. Je m'étais dit en voyant mon honorable ami se lever tout à l'heure que l'occasion était bonne pour cette défense. Or, au lieu d'une réponse au discours si documenté du député de Saint-Hyacinthe, le député de Montmorency n'a apporté que des personnalités.
Le député de Saint-Hyacinthe est venu avec des documents officiels qui parlaient et il en a tiré des conclusions que le député de Montmorency pouvait avoir le droit de contester et, de plus, avec ces mêmes documents il aurait pu, si la chose eût été possible, en tirer d'autres conclusions. Au lieu de cela, le ministre des Travaux publics trouve qu'il vaut mieux dire au député de Saint-Hyacinthe que sa carrière a été nulle, qu'elle approche même à sa fin et accumule les injures sur son dos.
Je cherche une réponse aux arguments du député de Saint-Hyacinthe. Deux faits restent indiscutés, qui forment la base de toute cette affaire. Le dossier que le député de Saint-Hyacinthe fait parler montre: 1. Que, 18 mois durant, le gouvernement a conduit des négociations relativement à la vente de 200 000 acres de terrain sans en aviser les Chambres ni le peuple. 2. Qu'un fort pot-de-vin, dont le chiffre varie de $40 000 à $60 000, devait aller à quelqu'un. À qui devait profiter ce pot-de-vin? Voilà le point où les parties se séparent. D'après le baron de l'Épine, l'argent devait aller à M. Turgeon, à la caisse électorale; d'après ce dernier, c'est le baron qui devait tout empocher. Qui faut-il croire? Sans invoquer le témoignage de de l'Épine, le député de Saint-Hyacinthe a démontré que le pot-de-vin devait profiter à M. Turgeon et compagnie. L'honorable ministre, répondant au député de Saint-Hyacinthe, a préféré changer le terrain et dit que nous avons à choisir entre le témoignage du ministre des Terres (M. Turgeon) et celui de de l'Épine, et accuse le député de Saint-Hyacinthe de choisir celui du baron. Mais nous n'avons pas à choisir entre les deux témoignages, le député de Saint-Hyacinthe n'ayant pas parlé de celui du baron de l'Épine.
Le député de Saint-Hyacinthe a délibérément écarté ce dernier témoignage, prétendant qu'avec le dossier qu'il avait devant lui il en avait assez pour faire sa preuve. Le dossier que nous avons accuse. Il s'agissait d'une accusation très grave et l'honorable premier ministre lui-même a reconnu la gravité de cette accusation. Le premier ministre l'a déclaré dans son discours de Saint-Eustache, lorsqu'il disait qu'il fallait une enquête complète et qu'il promettait cette enquête. M. Turgeon a, lui aussi, reconnu la gravité en résignant son siège et en se présentant de nouveau devant ses électeurs. Comment a-t-on fait cette enquête officielle? En n'interrogeant pas les principaux témoins, entre autres, de l'Épine. Nous avons eu la commission royale qui nous a donné le témoignage de M. De Jardin et ce dernier corroborait le témoignage du baron de l'Épine.
La conclusion du député de Montmorency est que M. Turgeon est innocent parce que de l'Épine n'est pas un homme respectable. Parce qu'il y a un M. Lemont qui a écrit un article contre le député de Terrebonne et comploté contre son bienfaiteur, M. Turgeon est innocent. Parce que M. Mathys aurait travaillé à un télégramme faux, M. Turgeon est innocent. Quelles sont les relations de ces prémisses avec la conclusion? Le député de Montmorency s'est fait un argument de l'affaire Mathys, mais quelle relation y a-t-il entre ce fait et les documents du dossier? En quoi ce télégramme qui a été forgé durant l'élection de Bellechasse touche-t-il à la question de l'Abitibi? Lemont et Mathys sont des gens sans aveu? Mais on ne les a pas entendus à l'enquête de la commission royale. Le baron de l'Épine est un athée qui ne croit à rien? Mais on écarte son témoignage. Dès lors, que viennent-ils faire ici?
L'honorable ministre a cité le témoignage du juge Bossé qui a dit que M. Turgeon était sorti du procès Prévost-Asselin avec son honneur intact. Mais l'honorable juge ne pouvait faire autrement. Ce n'était pas le procès d'un témoin que l'on faisait, c'était le procès de M. Asselin, et le juge ne pouvait condamner le ministre des Terres. Ces conclusions ne valent guère comme valeur légale. Comment se fait-il qu'après ce témoignage M. Turgeon donne sa démission et demande une enquête? Il a si bien senti la faiblesse de ce témoignage que c'est après l'avoir entendu qu'il a demandé une enquête. L'accusation serait mal fondée parce que le Nationaliste a été condamné par le juge Cimon. Le juge Cimon a déclaré que le Nationaliste avait eu tort de dire que M. Turgeon s'était parjuré. Je ne trouve pas que ce jugement soit si mauvais que d'aucuns ont bien voulu le dire. Mais le jugement du juge Cimon ne prouve pas que M. Turgeon n'ait jamais essayé de faire du péculat. L'accusation portée était de parjure et non de péculat. On a invoqué le verdict de Bellechasse; M. Turgeon a demandé une enquête dès le début de l'élection; il n'avait donc pas confiance en ce blanchissage.
En suivant le débat fait dans cette Chambre, il est resté dans mon esprit quelques points noirs pour lesquels je voudrais des éclaircissements. Comment se fait-il qu'une option exclusivement personnelle est accordée le 21 décembre5 1905 à de l'Épine avec cette clause: Cette option vous est accordée personnellement et vous ne la céderez qu'avec le consentement du ministre des Terres? Comment se fait-il que le 21 décembre, sans consulter ses collègues, M. Turgeon remettait à de l'Épine un blanc-seing tout signé pour le transport de cette option, port daté de janvier 1906? Pourquoi avait-on eu soin de mettre la date en janvier? Pourquoi ce blanc-seing et, surtout, pourquoi une date fausse sur un document public? Je n'ai encore trouvé personne pour m'expliquer la chose. Il semble que l'honorable ministre aurait dû expliquer ce point noir d'une manière satisfaisante.
Il y a un autre point noir: c'est le prix de vente. Il est prouvé que De Jardin a traité personnellement avec le premier ministre et le ministre des Terres de la couronne (M. Turgeon) et, d'après tout ce que nous voyons au dossier, ils ont discuté toutes les conditions du marché excepté le prix de vente et en août 1906 ce prix n'était pas encore fixé. Je trouve que c'est la chose la plus extraordinaire que l'on peut émettre devant cette Chambre. Il s'agissait d'une transaction bien importante. On parle de tout à l'exception des conditions les plus importantes. Pourquoi prétend-on avoir négocié pendant 18 mois sans s'occuper du prix des 500 000 acres de terre? Il croit ainsi voir par le dossier qu'à la fin des négociations le prix de la concession avait été changé.
Voilà deux points qu'il faudrait résoudre avant tout. Il est évident d'après les documents que M. Turgeon n'a pas dit toute la vérité dans cette affaire. L'honorable ministre des Travaux publics a affirmé que M. Turgeon avait nié qu'il avait reçu la lettre de Charneuse. Il est vrai qu'au commencement de son témoignage M. Turgeon a nié avoir reçu cette lettre, mais un peu plus loin il change ses paroles et il admet avoir répondu à cette lettre. M. Turgeon n'a pas maintenu sa dénégation lorsqu'on lui a montré une lettre signée par lui où il reconnaissait avoir reçu cette lettre. Le débat s'est alors élevé sur un point: le passage de la caisse électorale.
La prétention de de l'Épine pouvait être si facilement réfutée! Il n'y avait qu'à produire la lettre originale. Or cette lettre n'a jamais été produite. Quelle explication satisfaisante en a-t-on jamais donnée pour cette étrange disparition? Le ministre aurait dû nous dire aussi que signifiaient ces lettres PR. L'honorable premier ministre a déjà déclaré que l'on ferait la lumière complète sur cette affaire. Je voudrais qu'on dise que le député de Saint-Hyacinthe a tort lorsqu'il soutient que, dans le passage où l'affaire PR est mentionnée, on faisait allusion aux difficultés du député de Terrebonne (M. Prévost) avec ses collègues. La lumière qu'on attendait, le député de Montmorency ne nous l'a pas apportée. Et la commission royale, comment ne lui a-t-on pas donné les moyens d'interroger les témoins? Comment aucun verdict ni rapport sur l'enquête n'a-t-il pas été soumis par cette commission? Le dossier a été devant la Chambre et le gouvernement n'en a pas confié l'examen à une commission de députés.
Comment se fait-il que, quelques jours avant la convocation des Chambres et juste au moment de discuter cette affaire, l'honorable M. Turgeon ait été pris subitement de neurasthénie, ce qui l'a forcé à aller s'asseoir sur le siège présidentiel du Conseil législatif? Je conclus donc que, sur toute cette affaire, le gouvernement aurait dû faire plus de lumière. L'accusation dressée contre le gouvernement est peut-être injuste, mais elle n'a pas été repoussée de façon satisfaisante. J'ai rempli mon rôle en disant à la Chambre: "Voilà un dossier sur lequel la lumière n'a pas encore été faite. J'attends une réponse claire et nette."
Il est vrai que dans le passé il a déjà eu des concessions à peu près semblables; mais cette habitude a été mise de côté depuis longtemps.
Il termine en disant que tout son rôle se bornait à répondre à l'honorable ministre des Travaux publics et il croit avoir rempli son devoir et avoir démontré d'une manière satisfaisante que le député de Montmorency n'avait pas touché au scandale de l'Abitibi, mais qu'il n'avait traité que de personnalité.
M. Galipeault (Bellechasse): L'affaire en question n'est pas nouvelle. Sujet de discours échevelés, elle a traîné dans un journal dont l'ex-directeur vient encore de faire connaissance avec la paille des cachots. Après avoir exposé, et très succinctement, les diverses phases de la campagne nationaliste relativement à l'affaire de l'Abitibi, il parle de l'épisode: Des jours heureux passent vite et, après un demi-succès, cette pauvre affaire montée de l'Abitibi vécut des jours bien sombres et fort moroses aux alentours du comté de Bellechasse où l'honorable député de Saint-Hyacinthe - et il en a gardé un vague souvenir - avait voulu la transporter.
Depuis cette date mémorable elle semblait être ensevelie dans le domaine de l'oubli le plus reculé, d'où ne purent la tirer même les dernières élections provinciales. Soudain, elle se releva plus palpitante d'intérêt que jamais, à l'occasion du départ de l'honorable député de Saint-Hyacinthe pour la Belgique. Mais, cette fois, il a changé de tactique. L'épée de Damoclès se suspendait une fois de plus sur la tête des membres du gouvernement et menaçait encore et l'ancien ministre des Terres (M. Turgeon) et l'honorable député de Terrebonne (M. Prévost). Dans l'esprit des agitateurs de cette question, le procès Prévost-Asselin, le témoignage du baron de l'Épine, l'élection de Bellechasse, les procès et les condamnations du Nationaliste, la rencontre des députés de Saint-Hyacinthe et de Terrebonne à Saint-Jérôme, voire même le télégramme forgé au nom du premier ministre pour assurer l'écrasement de l'ancien ministre des Terres dans Bellechasse, tout cela n'allait être qu'une pâleur à côté des sensations nouvelles et diverses que nous réservait l'honorable député au retour de son excursion.
Le voyage se fit, l'honorable député revient sur nos bords et si comme autrefois l'on ne se disait pas: "Quelqu'un de grand va naître", on se chuchotait au moins: "Quelque chose de terrible va surgir." Et, depuis le commencement de la session, M. le Président, on a agité la timbale et il ne s'est pas passé une semaine sans que les feuilles nationalistes eussent à annoncer: "Et on parlera de l'Abitibi et on réserve des surprises."
Nous avons prêté une attention toute religieuse aux remarques de l'honorable député de Saint-Hyacinthe traitant de ce vieux sujet qu'il n'a pu rajeunir en dépit des meilleurs efforts. La ritournelle est toujours la même: non seulement il n'a pas songé à y ajouter de nouveaux couplets, mais il a dû se restreindre, il a cru devoir rengorger une partie des accusations qu'il portait si allégrement en dehors de l'enceinte législative, lorsqu'il trompait la foule. Il a même changé son fusil d'épaule de peur d'atteindre dans sa charge son allié d'hier, le député de Terrebonne, qui naguère à ses yeux était bien le pelé, le galeux d'où venait tout le mal. Il nous a même affirmé que la probité de ce dernier n'avait jamais été mise en doute et, pourtant, c'est bien de lui dont il disait à Beauceville que si l'honorable premier ministre s'était décidé plus tôt à jeter son cadavre à la mer il pourrait maintenant compter sur l'appui de tous les honnêtes gens.
Il analyse ensuite le premiers discours du député de Saint-Hyacinthe qui devait traiter d'abord de la question administrative et ensuite des soupçons qu'avaient fait naître les négociations relativement au territoire de l'Abitibi et, suivant sa louable habitude, le député de Saint-Hyacinthe a fait de ces deux points un mélange inextricable où personne n'a pu le suivre et d'où il n'a pu sortir lui-même, s'étant vu dans l'obligation de demander l'ajournement du débat pour ressaisir ses idées et se reprendre le lendemain. Le député de Saint-Hyacinthe a bien peu traité de la question administrative; il a préféré s'en tenir à son thème favori: les insinuations et les injures contre l'ancien ministre des Terres. En dépit de ses efforts, de sa jonglerie avec les chiffres et de la torture qu'il a fait subir aux documents pour leur donner un sens absurde, il est resté un fait acquis: c'est que cette affaire de l'Abitibi, si elle n'était pas la plus odieuse machination tramée dans l'ombre pour perdre un honnête homme, serait la farce la plus monumentale des temps politiques modernes, amplifiée encore par l'honorable député de Saint-Hyacinthe. S'il y a un crime dans cette affaire, il a été empêché par celui qu'on accuse. Voilà bien une accusation qui ne tient pas debout.
Il analyse le second discours du député de Saint-Hyacinthe qu'il dit être le plus extraordinaire, le plus rempli de contradictions étonnantes. Le député de Saint-Hyacinthe a parlé six heures et demie. Il a oublié de conclure ou, plutôt, la seule conclusion à laquelle il en est arrivé, c'est qu'il n'y avait pas dans cette affaire de caisse électorale, annihilant par là toute sa campagne nationaliste depuis deux ans et faisant disparaître la raison d'être de son discours. Après avoir prêté à l'honorable M. Turgeon tous les mauvais instincts et les pires intentions, il a fini par en faire l'éloge le plus ébouriffant, admettant sa loyauté, le proclamant chevalier sans peur et sans reproche, lui admettant les qualités d'un homme d'État et déclarant que l'honorable M. Turgeon était sincère quand il réclamait que toute la vérité fût faite dans l'enquête de la commission royale.
Il ajoute que l'honorable M. Turgeon ne pouvait être mieux vengé que par ces paroles qui proclament toute son innocence. C'est la plus belle revanche, la défense de l'accusé par l'accusateur. Il flagella les dernières paroles du député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa) quand celui-ci a admis avoir parlé avec exagération. Il lui a fait remarquer que la position contradictoire qu'il a prise dans son discours en proclamant d'abord l'honorabilité de M. De Jardin, puis en affirmant ensuite que le témoignage de ce dernier et ceux des ministres affirmant qu'il n'avait jamais été question entre eux de caisse électorale exigée par de l'Épine étaient absurdes. Le député de Saint-Hyacinthe proclame que de l'Épine est une canaille et un farceur et il est le seul témoin dont il ne révoque pas en doute le témoignage, et il cherche tout le temps à le faire corroborer. Il dit qu'il n'entend pas se servir du témoignage de de l'Épine, mais que vaut la lettre de Charneuse, un simple brouillon, si elle n'est pas appuyée par ce témoignage? Il dit plus loin qu'il n'a jamais voulu avoir de relations avec le baron; pourquoi vient-il au dernier moment avec une déclaration de la baronne qui vient prendre la défense de son mari? Si ce n'est pas le baron qui la lui a fait parvenir, c'est peut-être le fameux M. Mathys qui déjà reconnu faussaire peut aussi être un expert en écriture, et le député de Saint-Hyacinthe devrait se défier d'un pareil document ridicule à sa face même, nous montrant le baron plus canaille qu'on l'aurait cru puisque à l'avance il s'est assuré du concours de son épouse pour le jour où son imposture serait découverte. Je n'ai jamais connu de criminel ou misérable qui n'ait eu le secours de son épouse aux jours de détresse. On parlera désormais de l'affaire de l'Abitibi comme on parle aujourd'hui de ces nombreux scandales, au nombre de 40, que l'on imputait en 1879 à Sir Henry Joly de Lotbinière, qui a pourtant laissé la réputation de l'homme public le plus respecté, comme on parle des fraudes gigantesques imputées à Mercier en 1892 et qui ont provoqué la déchéance du Parti conservateur dans cette province. Il y avait longtemps que la fabrique de scandales de nos amis de la gauche n'avait pas opéré.
En certains quartiers, on se prenait à regretter le défaut d'exploitation d'une aussi jolie industrie et on songeait sérieusement à la faire revivre. Il fallait guetter une occasion, l'entrée des nouveaux alliés dans la politique provinciale fut le prétexte et, en effet, ils étaient bien dignes de s'associer à ceux qui de temps immémorial par les mêmes moyens se sont toujours acharnés à détruire le Parti libéral et les meilleurs hommes de ce parti. On ne se montra pas trop fiers sur le choix de la pièce, les victimes furent désignées, l'une à Montréal, le député de Terrebonne, et l'autre à Québec, l'honorable M. Turgeon. On varia quelque peu les acteurs et, au sénateur Landry comme metteur en scène, on adjoignit pour tenir les principaux rôles deux figures nouvelles et de triste mémoire, Lemont et le baron de l'Épine. Inutile de faire leur portrait, l'honorable ministre des Travaux publics les a peints sur le vif et le député de Saint-Hyacinthe même s'est chargé de les faire connaître.
Il est bon de savoir, cependant, que le baron de l'Épine sur lequel on avait jeté les yeux pour ce triste rôle est celui qui, venu sur nos bords après avoir gaspillé une fortune considérable en Belgique en ne passant pas tout son temps, je suppose, à quérir des certificats d'évêques et après avoir été ramassé chez M. Gigault, où il était garçon d'écurie, après avoir reçu l'hospitalité et la protection de l'honorable M. Turgeon, après avoir voulu carotter ses coassociés belges d'une somme de $60 000, a non seulement épié jour par jour les pas et mouvements de son protecteur, mais a compilé toutes les écritures, a tronqué les documents, en a fabriqué d'autres et a vendu le tout, lettres confidentielles et privées, documents forgés, à tant la ligne, aux pires adversaires de l'honorable M. Turgeon.
En un mot, à quoi se résume cette affaire et quelle est la preuve apportée contre l'ancien ministre des Terres? Les nationalistes se sont faits accusateurs, le fardeau de la preuve leur incombait. On a accusé l'ancien ministre des Terres d'avoir voulu faire payer au syndicat belge, acquéreur de 200 000 acres de terrains dans l'Abitibi, en sus du prix de vente, un pot-de-vin de 30 cents l'acre, soit $60 000. Qu'on le remarque, il s'agit d'un crime d'intention; il s'agit d'un péché de désir car les négociations n'ont jamais résulté et il appert que c'est l'ancien ministre lui-même qui en a empêché la réalisation.
Toute la preuve consiste en la demande de M. de l'Épine au syndicat belge d'une somme de $60 000 en sus du prix de vente et dans le brouillon de la prétendue lettre de Charneuse où il est question de caisse électorale. Nous admettons la demande de M. de l'Épine, mais elle ne peut constituer qu'une présomption. De même que le prétendu brouillon de la lettre de Charneuse ne fait aucune preuve sans le témoignage de M. de l'Épine sur lequel on ne veut pas s'appuyer et pour cause. Tout ceci est détruit: 1. Par l'affirmation solennelle de l'ancien ministre des Terres qui dit n'avoir jamais reçu pareille lettre et nie tout ce qui concerne la caisse électorale ou pot-de-vin.
2. Par le témoignage de M. de l'Épine lui-même qui ne veut pas soutenir jusqu'au bout que la lettre de Charneuse était semblable au brouillon qu'il a produit.
3. Par toute la correspondance pendant 15 mois de l'ancien ministre avec le baron, dans laquelle on ne trouve pas la moindre allusion à une caisse électorale ou à une somme quelconque à être payée pour pot-de-vin. Pourtant, dans cette correspondance il y a des lettres privées et confidentielles, et il n'est pas possible si l'accusation était vraie que l'ancien ministre qui devait être anxieux de toucher une somme de $60 000 et qui devait avoir la plus grande confiance dans le baron n'eût pas glissé quelques mots dans quelques lettres ayant trait à cette affaire.
4. Par la correspondance de M. de l'Épine à Turgeon où il n'est fait aucune allusion à cette somme pour caisse électorale, si ce n'est dans ce prétendu brouillon de Charneuse.
5. Par l'option donnée par le ministre, en décembre 1906, relatant les conditions de la vente. C'est le 2 décembre 1905 que M. de l'Épine pour la première fois parle de caisse électorale au syndicat. En 1906, le ministre aurait donc combiné cette affaire depuis longtemps et il n'est pas possible que, désireux de toucher cette somme, joli denier pour un pauvre homme, il ait fait des conditions si sévères au syndicat, car il s'exposait à faire manquer l'affaire qui en effet a manqué.
6. Par le fait que c'est le ministre lui-même qui a empêché la réalisation du marché en ne voulant pas céder sur les clauses de l'établissement, lesquelles ont été la seule cause de la rupture des négociations; voir témoignage de l'Épine, témoignage De Jardin et témoignage Turgeon.
7. Dans le fait que de l'Épine, de son chef, en 1906 a pris sur lui de changer lui-même sans consulter personne les conditions de paiement du pot-de-vin; voir son témoignage. Si le ministre des Terres était intéressé à cette somme, pourquoi n'a-t-il pas été consulté?
8. Par le fait que le baron, reconnu une canaille, était venu ici pour négocier des affaires, refaire sa fortune et que, d'après lui, il ne devait pas même toucher une commission dans cette transaction.
9. Par les lettres de M. Goëthals où il parle à de l'Épine de ses déceptions de 1906.
10. Par le fait que le député de Saint-Hyacinthe lui-même en arrive à la conclusion qu'il n'avait pas été question de caisse électorale en cette affaire.
11. Par le fait que de l'Épine, prévoyant ce qui pourrait arriver, a pris la précaution de s'assurer la complicité de son épouse à qui il aurait montré sa lettre contenant un marché aussi honteux et ce, pour couvrir son imposture.
12. Par le fait qu'un faux a déjà été commis en cette affaire et c'est un ami des accusateurs qui est le criminel.
13. Par le fait que le baron, accusé par les journaux d'avoir voulu carotter ses co-associés, a pris une action de $10 000 et l'a laissé tomber.
14. Par le fait que tous ceux qui ont eu quelque chose à faire avec cette transaction ont reconnu l'innocence de l'honorable ministre des Terres: A. Le juge Bossé; B. Le juge Cimon; C. Le juge Lemieux; D. Les électeurs de Bellechasse; E. Les électeurs de la province; F. Les membres du syndicat belge. M. De Jardin laisse voir à 10 endroits différents de son témoignage qu'il tient de l'Épine pour un carotteur et qu'on ne lui a donné une espèce de certificat de bonne foi seulement après avoir été menacé de poursuites judiciaires et parce que, dit-il, nous ne pouvions avoir de preuves certaines, mais tout de même nous avons gardé pour nous nos impressions personnelles.
15. Il jure de plus que le baron avait toujours été très explicite et avait toujours exigé d'être payé personnellement en cette affaire.
Le député de Saint-Hyacinthe a dit que Turgeon avait nié l'existence du syndicat. C'est faux; il en parle à 10 endroits différents dans son témoignage. Il déclare même connaître certains membres. Il déclare simplement qu'il ignore si le syndicat est réel ou fictif et il avait bien raison puisque la feuille syndicale ne mentionne qu'un syndicat d'études formé pour deux ans au plus, au capital simplement de $25 000, et que le syndicat réel pour l'achat des terrains n'était pas encore légalement constitué. On dit dans quelques lettres: Turgeon semble presser la conclusion de l'affaire. Ceci ne démontre qu'une chose, c'est qu'il avait foi dans cette transaction pour sa province. Est-il étonnant après cela que les juges en soient venus à la conclusion que les accusations portées par le Nationaliste, etc., contre l'honorable Turgeon, colportées par le député de Saint-Hyacinthe et consorts étaient de la calomnie la plus noire? Après le procès Prévost-Asselin où l'ancien ministre des Terres a été exonéré; après l'enquête de la commission royale; après les condamnations du Nationaliste, l'élection de Bellechasse, il faut que la haine contre l'honorable ministre Turgeon ait été bien profonde pour que l'on ait continué le même système de dénigrement et que l'on tente encore devant cette Chambre de ressusciter les mêmes procédés.
Cette fameuse affaire montée consacrera l'une des plus grandes injustices des temps politiques modernes. Heureusement, le peuple ne s'est pas laissé abuser, et il a dû être bien consolant pour l'ancien ministre de rencontrer de si fortes sympathies partout au plus fort de l'orage. Je me rappelle encore le témoignage d'admiration donné à ce grand citoyen par une population de 50 000 personnes, assemblées au marché Saint-Pierre pour saluer le chef du Parti libéral revenant d'Angleterre, et je n'hésite pas à dire que l'ovation si spontanée offerte par cette foule à l'honorable M. Turgeon fut plus chaleureuse encore que celle qui salua Sir Wilfrid Laurier. On sentait que la population voulait protester contre les lâches attaques dont il avait été victime. L'ancien ministre des Terres était le dernier homme à être accusé de péculat. Entré pauvre dans la politique, porteur d'immenses talents, il en est sorti dans la même condition de fortune, mais les mains nettes et la conscience tranquille, jouissant de l'estime et de la considération de tous. Ainsi que la vertu le crime a ses degrés et ce n'est pas vers le terme d'une carrière qu'un homme honorable consent à renier tout son passé, son nom, celui de sa famille et sa réputation. Qu'on ouvre les annales politiques depuis 10 ans, on verra que, si l'ancien ministre a eu des adversaires, il n'a jamais compté de détracteurs. Qu'on fouille sa vie, on n'y trouvera pas de télégrammes forgés au nom d'un premier ministre pour accabler un adversaire et gagner déloyalement une élection. L'honorable M. Turgeon a fait sensiblement honneur à son nom, à sa race, à sa province et à son pays. L'histoire impartiale, en citant ceux de nos meilleurs concitoyens qui au cours de leur carrière publique se sont montrés hommes d'État et ont déployé les qualités du vrai civisme, saura donner à l'ancien ministre la place qui lui appartient et, M. le Président, je suis convaincu d'une chose, c'est que, si parmi des détracteurs grands ou petits il en est dont les noms doivent rester, ils feront suite au sien dans la postérité.
M. Bernard (Shefford) demande la parole en même temps que le premier ministre.
M. l'Orateur donne la parole au député de Portneuf (l'honorable M. Gouin) en disant: Je regrette beaucoup de priver l'honorable député de Shefford du plaisir de faire la petite commission que lui a confiée le député de Saint-Hyacinthe.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Depuis deux ans, j'attendais sur le parquet de la Chambre le fier paladin, l'immolateur de réputations, celui qui a voulu être l'assassin politique de l'honorable M. Turgeon sur le parquet de la Chambre, le Méphisto au sourire sarcastique qu'est le chef du Parti nationaliste. Depuis deux ans, j'avais hâte au jour où je le verrais dans cette Chambre incapable de continuer à s'accommoder d'insinuations versées au cours de six heures d'exagérations. Depuis deux ans, le député de Saint-Hyacinthe parcourt le province en lançant des insinuations contre mon vieil ami et collègue, l'ex-ministre des Terres et Forêts. Mais, jusqu'à maintenant, je n'avais jamais eu la chance de lui faire face dans cette Chambre et de lui dire la vérité sur cette affaire de l'Abitibi à propos de laquelle il ne répand depuis deux ans que des faussetés. Nous avons vu son sourire de Méphisto, nous avons vu son sourire ironique, mais de ces preuves irréfutables qu'on nous annonçait depuis des mois et des mois, qu'avons-nous entendu? Rien.
Voilà deux ans qu'on bave sur la réputation de l'honorable M. Turgeon et qu'on cherche à le ruiner dans l'opinion de ses concitoyens. Je sais d'où partent les coups. Il y avait longtemps que le Parti conservateur n'avait utilisé son arme favorite, le scandale, qui avait fait sa fortune au temps du Matin et de l'Avant-Garde. Il a voulu la ressusciter en profitant des révélations d'un maître-chanteur belge, irrité de n'avoir pu arriver à ses fins.
Pour celui-ci, dit-il en pointant le député de Saint-Hyacinthe, l'heure de la rétribution est venue. Je puis dire que son discours fut un fiasco. Je n'ai qu'une heure à parler et je me propose de bien l'employer. Si j'avais eu à faire ce discours au début de la session, je l'aurais fait sur un autre ton.
Au commencement du discours de sept heures prononcé par le député de Saint-Hyacinthe, je croyais qu'assagi par son séjour dans cette Chambre il prononcerait autre chose que des insinuations et des hypothèses soulignées par le rire sardonique de sa figure de Méphisto. Je croyais qu'après avoir vécu quelques mois avec des hommes intelligents comme ceux qui composent l'Assemblée législative le député de Saint-Hyacinthe discuterait la question de l'Abitibi sérieusement et mettrait les faits devant le public honnêtement, sans cacher la vérité comme il l'a fait pendant les six heures de son discours. Mais dans cette longue harangue, qu'avons-nous entendu de nouveau? Rien. Rien qui n'ait été dit dans cette campagne de calomnies poursuivie depuis deux ans par le député de Saint-Hyacinthe et les bandits qui l'entourent.
Je serai bref et n'apporterai que quelques arguments faibles, comparés à ceux de mon honorable ami des Travaux publics (l'honorable M. Taschereau), mais sincères. Je ne veux pas parler six heures. Je n'ai ni la force physique ni le courage d'imposer à la Chambre ce supplice, surtout après celui que le député de Saint-Hyacinthe lui a imposé. Il suffira de raconter brièvement les faits pour détruire tout l'échafaudage dressé par le député de Saint-Hyacinthe durant son discours de six heures. Je vais faire un bref résumé de l'affaire de l'Abitibi. Je prendrai la question à l'origine, je la résumerai et je dirai aussi clairement que possible ce qui en est.
Dans cette affaire de l'Abitibi, le gouvernement voulait tout simplement établir une colonie belge. En 1905, il y a eu, à Liège, une exposition générale où nous avons envoyé pour nous représenter l'homme le plus distingué, le plus brillant de la race française au Canada que la province de Québec ait produit: l'honorable M. Turgeon. Il alla nous représenter dans ce beau pays. Il alla dire aux Belges ce que nous avions de bon et de beau: les richesses de nos mines, le nombre de nos pouvoirs d'eau, l'immensité de nos forêts; il alla leur dire aussi notre vaillance, nos enthousiasmes et nos espérances. Après cette visite, quelques capitalistes de Belgique vinrent nous demander de leur vendre des terrains dans la province. Ils étaient représentés par celui qui est appelé le baron de l'Épine. Survient donc ici le baron de l'Épine qui, le 21 décembre 19056, écrit à M. Turgeon, lui demandant pour eux une option pour 200 000 acres de terres dans cette partie de la province connue sous le nom d'Abitibi. M. Turgeon lui répond qu'il soumettra la question à ses collègues. Je ne ferai pas tout l'historique de l'affaire, je me contenterai de donner les termes de l'option offerte par le gouvernement.
Le 21 décembre 1905, M. Turgeon donnait au baron de l'Épine l'option de 200 000 acres dont j'ai parlé, à 70 cents de l'acre, signifiant les conditions auxquelles serait faite la concession de terrain. Les acheteurs s'engagèrent à remplir toutes les conditions d'établissement imposées au colon. Les pouvoirs d'eau restaient à la province. Quant aux droits de coupe, même après l'émission des lettres patentes, ils devaient être payés non durant 5 ans, 10 ans ou 20 ans, mais à perpétuité au gouvernement. Les droits de mines n'étaient pas accordés aux concessionnaires. Ils seraient soumis à la loi commune, et tout explorateur pouvait aller explorer sur tout le territoire et exploiter ensuite.
Le député de Joliette (M. Tellier) a eu pour la première fois un point noir, ce soir, au sujet de la remise de cette option comme au sujet du nom du syndicat et de la date de l'option. Il a prétendu que M. Turgeon a commis un faux en laissant un blanc-seing dans l'option. Depuis deux ans que l'on discute cette question, que l'on asperge la province d'accusations et d'insultes, c'est la première fois qu'on attaque cette option qu'on dit avoir été en blanc. C'est sur cette option que depuis deux ans le député de Saint-Hyacinthe se base pour accuser M. Turgeon de parjure dans toute la province, qu'il parcourt suivi de sa caravane. Il prétend qu'il y a faux parce que M. Turgeon a donné au baron de l'Épine la permission de transférer son option et que cette option était ou postdatée ou que la date était laissée en blanc, quand le baron de l'Épine lui-même avait demandé cela parce qu'il devait aller en Europe et qu'il ne devait être rendu là que beaucoup plus tard.
Je ne sais pourquoi certaines gens tiennent tant dans cette province et sont tellement portés à vouloir poser le titre de faussaire au front d'hommes distingués, de valeur, d'hommes respectables et respectés, et cela sans aucune justification autre que l'espoir d'atteindre à un portefeuille.
M. Turgeon a maintes fois expliqué comment l'option fut donnée au baron. Ce dernier, ce farceur, comme dit le député de Saint-Hyacinthe, l'a lui-même expliqué. Le 21 décembre 1905, M. Turgeon donnait les conditions de la vente, ajoutant que l'option ne pourrait être transportée sans son consentement; M. de l'Épine partait alors immédiatement pour l'Europe et il demandait une permission de transporter son option. Il savait qu'il n'y arriverait qu'en janvier 1906 et, en conséquence, faisait dater l'option de janvier. Cette permission fut donnée et de l'Épine alla faire légaliser la signature du ministre par le consul de Belgique à Québec, lequel, entre parenthèses, n'était pas M. Mathys. Où se trouve le faux dans cette affaire? Le baron de l'Épine n'a jamais dit que cette option constituait un faux parce qu'il sait bien le contraire.
Je pratique le droit devant tous les tribunaux depuis 25 ans et je crois connaître la loi autant que l'étudiant de 20 ans pour qui j'ai présenté un bill d'admission à l'étude. Or j'ai lu et relu cette option, la permission de transport et tous les statuts. J'ai lu le code civil et le code criminel. Il est vrai que je n'ai pas le don de l'omniscience particulière au député de Saint-Hyacinthe. Je suis peut-être un naïf ou un ignare, mais je n'ai jamais compris où était l'irrégularité et comment on pouvait conclure à un faux. Il faut beaucoup de bonne volonté pour voir là un point noir; cela peut rester un point noir pour les aveugles volontaires, qui s'obstinent à ne pas voir, et il faut être de ceux qui tiennent à ternir une brillante réputation, de ceux qui veulent détruire à tout prix M. Turgeon, mais qui ne réussiront pas en dépit de tous leurs efforts, en dépit de toutes leurs manoeuvres.
Après six mois, l'option du 21 décembre est renouvelée aux mêmes conditions. L'option fut soumise au syndicat. Plus tard, lors du renouvellement de cette option, on a prétendu que nous avions changé les conditions et que nous aurions été disposés à vendre à 30 cents l'acre. Il n'y a rien de plus inexact, et sur ce point j'accepterai de prendre la parole du député de Joliette s'il veut seulement prendre la peine de lire tout le dossier. Si, au cours de la vacance qui va commencer, il a le temps de parcourir ce volumineux document à tête reposée, je suis convaincu que l'an prochain il dira comme nous. Il fait l'éloge de l'intégrité du député de Joliette. Quand il reviendra, il ne répétera pas que le prix a été réduit de 70 cents à 30 cents l'acre. Il est vrai que le baron de l'Épine a essayé de nous faire accepter une proposition différente, mais nous avons refusé de la considérer. Le témoignage de messieurs Turgeon, De Jardin et des autres ne corrobore pas le sien. À l'appui de cette affirmation, vous n'avez qu'à consulter le témoignage de M. Turgeon et des autres ministres devant la commission royale ou bien celui de M. De Jardin. Aucun ministre ni même M. De Jardin n'a dit ou laissé entendre que le prix avait été diminué. Parce que de l'Épine proposa des réductions, ce n'est pas une raison de prétendre que le gouvernement a voulu sacrifier la province. Il n'est pas un mot dans le dossier qui justifie cette prétention.
Voici d'ailleurs le témoignage du baron de l'Épine lui-même au procès Prévost-Asselin, pages 222 et 223 du dossier:
Q. Vous avez dit que les négociations ont été rompues ou que vous n'êtes pas tombé d'accord avec M. Turgeon au sujet des conditions de défrichement?
R. C'est exact.
Q. M. Turgeon voulait que l'on défrichât un dixième dans l'espace de trois ans?
R. Je crois que ce sont les conditions de la loi.
Q. Vous n'étiez pas disposé à accepter?
R. Pas directement.
Q. Et, sur cela, vous ne vous êtes pas entendus?
R. C'est bien cela.
Q. Vous vouliez mettre, imposer cette condition à vos colons, mais vous ne vouliez pas que le gouvernement imposât cette condition au syndicat?
R. C'est exact.
Q. Et c'est à cause de cela que vous ne vous êtes pas entendus?
R. Oui, monsieur.
Si le député de Joliette (M. Tellier) avait lu tout le dossier, il n'aurait pas tenté de justifier le témoignage du baron de l'Épine. Les négociations ont duré jusqu'en 1906. Ce qui n'a pas empêché le député de Saint-Hyacinthe de prétendre dans son premier discours que les négociations avaient été rompues par un désaccord sur le prétendu pot-de-vin.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Ce n'est pas ce que j'ai dit. Mais j'ai prétendu que la rupture avait eu lieu sur l'affaire PR.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Pardon, c'est ce que vous avez dit le premier soir où vous avez fait un fiasco, et vous vous êtes couché là-dessus. Il est vrai que vous vous sentiez malade et vous avez demandé l'ajournement afin de pouvoir rassembler vos idées dans le désarroi desquelles vous ne vous compreniez même plus, et le lendemain, après vous être reposé, vous êtes revenu avec votre figure et votre sourire nous exprimer d'autres opinions dont je parlerai tantôt.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): M. l'Orateur, je pourrais, si je le voulais, exiger que vous rappeliez le premier ministre à l'ordre.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Les fréquentes volte-face du député de Saint-Hyacinthe me rappellent exactement cette personne dont on disait dans cette enceinte: Quand il se lève pour parler, il ne sait pas ce qu'il va dire; quand il parle, il ne sait pas ce qu'il dit et, quand il reprend son siège, il ne sait plus ce qu'il a dit. Je laisse la députation juger entre nous. Dans son premier discours, il a prétendu que la rupture a été causée par un manque d'entente sur le pot-de-vin.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Je me lève sur un point d'ordre; j'ai déclaré n'avoir pas dit cela et le premier ministre doit prendre ma parole. Le premier ministre me fait dire des choses que je n'ai pas dites et lui pas plus qu'un autre n'a le droit de me faire dire ce que je n'ai pas dit.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): C'est parfait. Il prétend ne pas l'avoir dit. Je dis que toute la députation l'a entendu faire cette déclaration et moi aussi. Cependant, s'il dit qu'il ne l'a pas dit, je suis obligé d'accepter sa parole, c'est la règle de la Chambre. Mais il laisse à la Chambre de juger s'il l'a dit ou non. Je vais établir par des documents et non par des enfilades de mots formant des phrases qui grisent.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Des paroles qui prouvent.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Comment! Des paroles qui saoulent.
M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Je dis des paroles qui prouvent...
(On entend plusieurs applaudissements dans la galerie. Un constable empoigne un manifestant.)
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Lâchez-le, je vais détruire son idole.
M. l'Orateur ordonne au sergent d'armes de faire évacuer la galerie.
L'honorable M. Gouin (Portneuf) demande à l'Orateur de ne pas faire sortir ceux qui ont applaudi.
Laissez-les plutôt entendre la fin de mon discours, cela modifiera peut-être leur manière de voir. Le député de Saint-Hyacinthe a dit que la question du prix avait été changée et que les conditions d'établissement avaient été allégées. Sans recourir à une enfilade de mots sonores, je dis que jamais la question de prix n'a varié et il n'a jamais été question pour nous de changer les conditions d'établissement. Si le syndicat n'a pas continué ses négociations, c'est que nous avons refusé de changer les conditions d'établissement, conditions que nous n'avons pas voulu faire plus douces pour de gros capitalistes belges que pour un colon canadien.
Le 22 novembre 1906, le baron de l'Épine adressait à la demande de M. De Jardin la lettre suivante à l'honorable M. Turgeon:
Québec, ce 22 novembre 1906
À l'honorable M. A. Turgeon, ministre des Terres et Forêts de la province de Québec
Monsieur le Ministre,
Je me permets de vous soumettre les bases nouvelles auxquelles je désire recevoir du gouvernement de Québec un contrat d'achat portant sur: un bloc de terrains d'environ 250 000 acres net, c'est-à-dire après déduction de 10 pour cent pour non-valeurs diverses et de 5 pour cent pour chemins; la propriété sera limitée aux eaux basses des lacs et rivières. Ce bloc de terrains a été exploré par MM. J. Obalski et John Thompson; il est situé au nord du lac Askigash; il sera délimité de façon à être traversé dans toute sa longueur par la rivière Hurricane jusqu'au-delà (en aval) du premier rapide et dans toute sa largeur par la ligne du Transcontinental.
Le prix d'achat sera fixé à 30 cents, payables sans intérêt en huit années, la première de celle-ci avant le 30 juin 1907, contre remise d'un titre provisoire donnant droit de jouir, d'exploiter et de disposer de la propriété.
Les annuités suivantes seront payables dans le courant du mois de juin de chaque année, jusqu'à parfait paiement, époque à laquelle me sera remis un titre définitif de la propriété.
Toutefois, il est entendu que ces paiements pourront être anticipés, auquel cas le titre définitif sera donné quand le prix d'achat aura été entièrement versé.
L'arpentage sera à nos frais; toutefois, j'aurai à me mettre d'accord avec le gouvernement au sujet des lignes de base. J'aurai un droit de préférence pour l'achat à prix égal de toutes les chutes d'eau d'un développement inférieur à 1000 chevaux. Le bois existant sur le domaine sera ma propriété; toutefois, les droits de coupe prévus par les règlements seront acquittés sur le bois de commerce.
Je me soumettrai aux lois et règlements concernant les mines. Je m'engage à créer des centres de colonisation et à y donner gratuitement des emplacements pour cimetières, constructions d'églises et d'écoles, ainsi qu'à établir des chemins, le tout dans le but d'attirer des colons, au fur et à mesure de l'achèvement du Transcontinental. Je m'engage en outre à stipuler dans tous les actes de vente de terrains agricoles que mes acheteurs devront se conformer aux conditions d'établissement prévues par la loi.
Dans le but de mettre en valeur des terrains submergés aux hautes eaux, je me propose de faire des travaux pour assécher ces terrains, en faisant disparaître, en tout ou en partie, les obstructions qui existent dans le premier rapide de la rivière Hurricane.
J'ose espérer, Monsieur le Ministre, que le gouvernement voudra bien considérer les fortes dépenses qui m'incombent, les travaux d'assèchement, la création des chemins, des octrois gratuits mentionnés plus haut qui doivent forcément amener l'occupation et le défrichement graduel de cette région en dedans des dix ans qui suivront le parachèvement du Transcontinental, comme satisfaisant entièrement aux conditions d'établissement prévues par la loi.
Faculté me sera donnée de substituer des tiers, en tout ou en partie, à mes droits et obligations. Il est entendu que je ne pourrai en aucun cas être déchu de fait des droits que me conférera le contrat d'achat que je sollicite.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma plus haute considération.
(Signé)
Baron de l'Épine
Et, en réponse à cette lettre, l'honorable M. Turgeon adressait la suivante au baron de l'Épine:
Québec, 31 décembre 1906
M. le baron de l'Épine,
Charneuse, Bièvre, Belgique
Mon cher baron,
J'ai reçu votre lettre du 15 et suis heureux d'apprendre votre bonne traversée. L'affaire de l'Abitibi a mal marché depuis votre départ. Le procureur général a fait rapport que la loi ne permettait pas la vente du domaine public aux conditions mentionnées dans votre dernière lettre et qu'il fallait des pouvoirs additionnels de la législature. Tout a donc été ajourné à la prochaine session, et je ne crois pas qu'il y ait aucune chance de réussir...
Agréez, mon cher baron, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
(Signé)
Adélard Turgeon
Voilà. Le gouvernement n'a pas voulu se rendre aux conditions des Belges et l'option est tombée et le projet n'a pas été réalisé. Les négociations ont été rompues parce que l'honorable M. Turgeon n'a jamais voulu transiger sur les conditions d'établissement. Il aurait fallu pour cela un amendement à la loi. C'est là la seule raison pour laquelle cette option est devenue caduque. C'est ce refus du ministre qui fit échouer le projet de créer ici une colonie belge. Le député de Saint-Hyacinthe, lui, en a jugé autrement. L'autre soir, avant la conclusion précipitée de son discours, le député de Saint-Hyacinthe, regardant son voisin de gauche de son oeil jupitérien, a demandé comment ces négociations n'avaient pas abouti.
Voilà deux ans qu'il accusait les administrateurs de la province d'être des voleurs, ayant voulu carotter un syndicat belge. On parcourt toute la province avec des harangues incendiaires, tentant de la soulever. Après avoir fait ce jeu pendant deux ans, voilà que hier seulement on a découvert la raison pour laquelle nous n'avons pas consenti à faire marché ferme avec le syndicat belge; c'est, nous a-t-on appris, que nous avions peur de l'affaire Prévost.
M. l'Orateur, à 40 ans il est possible d'être naïf et innocent, mais, après tout, il y a des degrés de naïveté et je n'aurais jamais cru qu'un homme de l'âge du député de Saint-Hyacinthe, qui a plus de 41 ans, un homme qui sait lire et écrire, un homme qui a même été étudiant en droit, un homme de sa lignée, serait assez naïf pour venir ici, poursuivant son système de viles insinuations basées sur les témoignages de prétendus voleurs et menteurs, essayer de jeter dans le coeur d'un de mes anciens collègues un poison grossier et de le tourner contre un ancien collègue dans l'espoir d'être le seul à jouer le rôle d'assassin politique afin de recueillir une certaine gloire pour son très cher Parti nationaliste; et sans doute dans l'espérance qu'il le couvrirait d'un petit manteau et lui ferait ainsi oublier les accusations qu'il a portées continuellement contre lui dans les deux dernières années. Si, jusqu'à ces derniers jours, le député de Saint-Hyacinthe ne connaissait pas encore ce dont il parlait, que lui sert d'avoir 41 ans, de savoir lire et écrire, de poser au prophète et au rempart de l'honnêteté?
Pour montrer la fausseté de ses prétentions, passons en revue l'affaire Prévost. Le député de Saint-Hyacinthe a commencé par dire que M. N. K. Laflamme m'a rendu service en fermant les lèvres à M. De Jardin dans son témoignage sur cette affaire, ajoutant que M. Laflamme est mon grand ami, le tout naturellement assaisonné d'un tas d'insinuations. Je ne sais quelle estime M. Laflamme a pour moi. Je le tiens pour un avocat distingué. J'ai connu M. Laflamme au barreau; il ne m'a rendu d'autres services que ceux de confrère à confrère; je ne lui ai rendu d'autres services que ceux d'un confrère. Je ne lui ai jamais demandé de faveur et il ne m'en a jamais demandé. Quand le député de Saint-Hyacinthe prétend que M. Laflamme n'a pas voulu me nuire en n'interrogeant pas M. De Jardin sur l'affaire Prévost, il continue son petit système d'insinuation qui ne prendra pas dans cette Chambre.
Une déclaration écrite de M. Laflamme démontre que la prétention du député de Saint-Hyacinthe est entièrement fausse. Il lit ensuite la lettre de M. Laflamme qui oppose un démenti formel à l'affirmation du député de Saint-Hyacinthe. M. Laflamme, qui ne s'était pas gêné pendant six mois pour mener campagne contre nous, a fait dire à M. De Jardin tout ce que celui-ci savait7. Le député de Saint-Hyacinthe a également prétendu que j'avais voulu faire débloquer la transaction avec les Belges parce que je craignais que le député de Terrebonne possède certains documents compromettants pour moi.
En se basant sur le dossier rédigé sur l'affaire de l'Abitibi, il (M. Gouin) démontre que M. De Jardin lui-même a déclaré que, pendant toutes les négociations, il ne fut jamais question de l'affaire Prévost. Après avoir vécu pendant quelques jours avec le baron qui avait voulu faire chanter le député de Terrebonne, M. De Jardin avait appris les difficultés qui existaient entre ces deux hommes et c'est pourquoi il a pu faire une allusion à l'affaire Prévost dans sa correspondance. Si j'avais cru, comme on le prétend, que l'honorable député de Terrebonne avait à faire contre moi et mes collègues des révélations foudroyantes, nous n'aurions certainement pas laissé échapper l'affaire, nous nous serions protégés. Or elle ne s'est pas faite et le député de Saint-Hyacinthe prétend encore qu'elle a raté par peur de l'affaire Prévost. Cela manque immensément de logique et surtout de vérité, puisque c'est la clause d'établissement qui fit tomber les négociations. Mais il n'y a pas eu tant de complications pour amener la rupture des négociations. Nous nous sommes simplement contentés de consulter nos experts en loi qui nous ont dit que les Belges devaient, avant tout, se conformer aux lois existantes. L'opinion légale de l'assistant procureur général avait tout arrêté, ce fonctionnaire ayant déclaré qu'on ne pouvait accorder aux Belges ce qu'on refusait aux colons de la province de Québec.
Cette histoire d'une affaire Prévost ne repose sur rien. Maître N. K. Laflamme, en habile avocat qu'il est, a essayé de l'appuyer sur le témoignage de M. De Jardin et sur le mien. Il n'a pu réussir. M. De Jardin a simplement dit qu'il avait eu l'impression qu'il s'agissait de l'affaire Prévost. Il n'y avait rien dans la lettre dont on parle et, si maître Laflamme avait été certain qu'il ne s'agissait nullement du député de Terrebonne, il n'aurait pas empêché M. De Jardin d'expliquer ce que voulaient dire les lettres PR. De mon côté, je n'ai jamais fait d'admission de cette nature, malgré les questions et transquestions de l'avocat. Cette assertion, en somme, ne repose sur rien, et la députation jugera si elle doit tenir compte des chimères d'une folle du logis, qu'elle loge chez le juriste de Saint-Hyacinthe ou ailleurs, ou des témoignages sous serment que nul n'a démentis.
Le député de Saint-Hyacinthe prétend que nous aurions voulu cacher cette affaire. Il prétend que j'ai caché un document, que j'ai lu une option pour une autre. J'ai expliqué déjà cette erreur de dates, mais qui n'en fut pas une sur les faits. La véritable option, celle dont j'ai donné les détails à Saint-Eustache, a été produite pendant la session de 1906, c'est un document public que je n'aurais pu remplacer par un autre. En 1907, nous avons produit un dossier au sujet des concessions de l'Abitibi et on verra figurer dans ce dossier l'option et toutes ses conditions.
Le député de Saint-Hyacinthe a trouvé un autre point noir. En tant que chef du Parti nationaliste, il n'a pas hésité à utiliser les colonnes du Nationaliste pour lancer une attaque lâche et diffamatoire contre le juge Cimon parce que ce dernier avait condamné ce journal lorsqu'il avait accusé M. Turgeon d'avoir commis un parjure en déclarant qu'il ne connaissait pas les membres du syndicat belge. Le député de Saint-Hyacinthe soutient, à l'encontre du juge Cimon, que M. Turgeon s'était parjuré en disant qu'il ne connaissait pas les membres du syndicat belge; il dit cela seulement pour couvrir de son aile protectrice son organe Le Nationaliste et l'excuser de ses accusations et protester contre ses condamnations.
En outre des affirmations de M. Turgeon, de M. De Jardin, je citerai un témoignage désintéressé, l'opinion d'un journal conservateur de cette ville qui n'a pas l'habitude d'être tendre pour l'honorable M. Turgeon, je veux dire l'Événement, qui a déclaré que cette connaissance n'avait pas été prouvée et, de plus, importait peu. Voici ce que disait l'Événement, le 8 février 1908, à propos du témoignage de l'honorable M. Turgeon: "Mais ces déclarations de M. Turgeon au sujet de l'existence du syndicat et de la connaissance qu'il en avait ont toujours été par nous considérées comme un incident sans importance. Les déclarations de M. Turgeon à ce sujet ne constituent pas un parjure."
Que l'on pèse entre l'Événement et le député de Saint-Hyacinthe. Le député de Saint-Hyacinthe a prétendu que la commission royale n'avait pas fait son devoir parce que nous l'en avions empêchée. Ses idées ont assez varié. Ce n'est pas ce qu'il prétendait à son assemblée du Monument National, à Montréal, quand il disait que le gouvernement avait fermé la bouche aux commissaires. C'était une de ses périodes les plus longues et les plus sonores. Quand il parle à la députation, ce n'est plus la même prétention; c'est que nous avons empêché une commission rogatoire d'être nommée pour aller en Belgique. Seul un homme malhonnête pourrait dire que le député de Saint-Hyacinthe était sérieux lorsqu'il a fait ses prétentions sur cette question hier soir et avant-hier soir. Ses prétentions varient à chaque jour et à chaque heure.
Il arrive minuit, Monsieur l'Orateur, et c'est pourquoi, remettant à plus tard les autres explications sur la question qui nous occupe actuellement, j'emploierai les quelques minutes qui nous restent à une question plus personnelle; je les emploierai à répondre aux attaques du député de Saint-Hyacinthe contre moi.
L'honorable député de Saint-Hyacinthe a terminé son discours de six heures en faisant l'éloge de mon ami M. Turgeon; il a reconnu que l'ex-ministre des Terres était au-dessus de tout le mal qu'il avait pu dire et, par ricochet, il a trouvé moyen de conclure que j'avais été lâche et égoïste, moi le modeste administrateur que je suis.
Depuis ces deux dernières années, le député de Saint-Hyacinthe me poursuit partout dans la province en lançant contre moi des attaques à la fois calomnieuses et sournoises, me traitant de lâche et d'égoïste. Soit. Si c'est être lâche et égoïste que défendre ses amis contre les haineux, les calomniateurs, les assassins, les salisseurs de réputations et les accusateurs du genre du député de Saint-Hyacinthe; si c'est de l'égoïsme et de la lâcheté de travailler jour et nuit à la défense de ses collègues qui sont accusés de crimes tels que ceux attribués aussi lâchement à M. Turgeon par le député de Saint-Hyacinthe et sa caravane de ratés, eh bien, je suis un lâche et un égoïste!
Le député de Saint-Hyacinthe m'a traité de lâche. Si c'est être lâche et égoïste d'endurer deux ans toutes les calomnies qu'un baveur déverse partout dans la province dans le seul but de salir et ternir la réputation de ses concitoyens et de me chasser du pouvoir en s'assurant un portefeuille pour lui-même, eh bien, je suis un lâche! Si c'est de la lâcheté d'avoir attendu deux ans avant de pouvoir lui faire face sur le parquet de cette Chambre et de l'obliger à faire des accusations précises au lieu d'insinuations vagues et méchantes afin que je puisse lui répondre directement et faire connaître la vérité à la population de la province, eh bien, je dois confesser que j'ai été lâche! Dussé-je porter les qualificatifs de lâche et d'égoïste devant toute ma race, ma province, mes enfants, après avoir entendu ses discours d'hier soir et d'avant-hier soir, je suis heureux qu'il soit établi officiellement - pour ceux qui me suivront - que j'ai donné au député de Saint-Hyacinthe la chance de faire ce discours ici et de dire ce qu'il pensait de M. Turgeon.
Dans son discours de sept heures, le député de Saint-Hyacinthe a prononcé cette phrase: "Ici, l'iniquité se ment à elle-même." Après avoir traité M. Turgeon de parjure et de carotteur, pris de remords, à la fin, il en est venu à faire son éloge. Et à ce propos permettez-moi de vous rappeler un souvenir personnel: En l'entendant, il m'a rappelé un épisode d'un voyage que je fis il y a deux ans au pays des ancêtres. Je visitais en France avec des amis un superbe et historique château des environs de Blois, qui date de Louis XII. Le cicérone qui nous conduisait et qui nous détaillait les beautés de ce monument nous montra, entre autres, la salle des gardes de ce vieux château. Là, au-dessus d'une monumentale cheminée, nous apercevons un grand tableau représentant Henri III de France qui portait la barbe comme l'honorable député de Saint-Hyacinthe la porte. Ce Henri a en plusieurs points l'apparence du député de Saint-Hyacinthe. La coupe de sa barbe est la même; au front il y a quelque chose de cet orgueil ancestral, inconnu du commun des mortels et que, dans notre pays, nous ne rencontrons pas chez le député de Saint-Hyacinthe. Cet après-midi, je regardais dans mon cabinet une reproduction de ce portrait et j'y trouvais un reflet de vanité géniale, et à en analyser les ressemblances je pensais que notre Henri 1er de Montebello, empereur de la Petite-Nation, était peut-être l'héritier direct d'Henri III de Navarre. Connaissant les belles qualités de coeur haineux de Henri III, et tout son fiel et sa jalousie baveuse, je me suis dit: Sûrement, c'est bien l'aïeul de notre Henri de Montebello. Dans une autre salle attenante à celle du corps de garde, le cicérone nous montra un autre portrait d'un Henri. C'était celui d'Henri de Lorraine, duc de Guise, surnommé le balafré. Le cicérone nous expliqua que dans cette salle les sicaires du roi Henri III de Navarre8 - encore un Henri - avaient assassiné un roi, celui dont nous voyions le portrait. Puis il nous montra la porte par laquelle les sicaires de Henri III étaient entrés pour assassiner ce valeureux soldat. Il nous montra aussi l'autre porte par où s'était glissé Henri III pour venir contempler son oeuvre et l'endroit où le prince, au milieu des huit assassins aux épées encore dégouttantes de sang, s'était écrié en se penchant sur le corps du grand capitaine étendu sur les dalles: Je ne l'aurais jamais cru si grand!
Cette exclamation, le député de Saint-Hyacinthe l'a répétée hier soir lorsque, après avoir injurié et voulu assassiner de réputation l'honorable M. Turgeon, il s'est écrié: Je ne croyais pas que M. Turgeon fût si grand quand après avoir tenté tous les efforts pour le renverser et l'anéantir, je constate qu'il est encore debout. Le député de Saint-Hyacinthe a dit qu'il lui fallait au moins une séance spéciale pour traiter de l'affaire de l'Abitibi et que son but était de faire connaître la vérité à la population de la province. Mais c'est la population de cette province qui réclamait une explication en Chambre, après toutes ces harangues de "husting"; c'est elle qui a forcé le député de Saint-Hyacinthe à faire cette confession, qui l'a obligé à faire face à la Chambre et qui a prouvé la véracité de cette phrase: "Tôt ou tard, la vérité se fait jour."
L'honorable député de Saint-Hyacinthe s'est confessé ici hier soir et, en l'entendant avouer, à la fin de son discours, les grandes qualités de M. Turgeon, son courage et sa sincérité, je me disais que la Providence fait bien tout ce qu'elle fait et qu'elle avait bien arrangé les choses, elle qui pousse tous les coeurs, les bons comme les mauvais, à confesser à une certaine heure la vérité et qui force les criminels torturés de remords à crier leurs crimes, comme le député de Saint-Hyacinthe l'a fait hier soir. C'est la saine opinion publique qui a forcé le député de Saint-Hyacinthe à faire un pareil discours, à venir faire cette confession, qui l'a amené au pilori auquel il s'est cloué pendant deux soirs consécutifs et auquel l'histoire implacable et juste le tient rivé à jamais avec ses compagnons de chaîne, les ratés du Parti nationaliste.
Messieurs, il est minuit, c'est aujourd'hui fête9. En conséquence, il propose, appuyé par le représentant d'Argenteuil (l'honorable M. Weir), que ce débat soit de nouveau ajourné.
Adopté.
Travaux de la Chambre
L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, appuyé par le représentant d'Argenteuil (l'honorable M. Weir), que, lorsque cette Chambre s'ajournera aujourd'hui, elle soit ajournée à vendredi prochain, à 11 heures a. m.
Adopté.
La séance est levée à minuit cinq.
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NOTES
1. À ce moment, un page apporte à M. Taschereau une gerbe de roses, envoi des députés libéraux, comme témoignage d'estime au ministre des Travaux publics et protestation contre l'assaut de M. Asselin. Cette présentation fut saluée d'applaudissements prolongés et vigoureux de la droite pendant plusieurs minutes.
2. Il s'agit du journaliste Jean Dumont; on lui avait interdit l'accès à la tribune des journalistes parce qu'il avait écrit une série d'articles injurieux à l'endroit des députés de la législature. Voir à ce sujet la séance du 1er mars 1907.
3. Le député a sans doute cité la section VI du chapitre XIV.
4. M. Tellier fait allusion à une tumultueuse assemblée politique tenue à Saint-Roch en 1907 et où des fidèles de M. Taschereau avaient lancé des pierres aux orateurs nationalistes.
5. L'Action sociale avait cité la date du 21 novembre et tous les autres journaux ont indiqué la date du 19 décembre, mais selon la correspondance de M. Turgeon cette option a été accordée le 21 décembre.
6. Après avoir vérifié les documents de la commission royale d'enquête sur l'affaire de l'Abitibi, nous avons constaté que c'est M. Turgeon et non M. de l'Épine qui a écrit une lettre le 21 décembre 1905. Selon le contenu de cette lettre, M. de l'Épine aurait écrit à M. Turgeon le 28 novembre 1905.
7. Le Canada rapporte ici des propos contradictoires. Selon ce journal, M. Gouin aurait lu le témoignage de M. De Jardin dans lequel on voit qu'au moment où M. De Jardin voulut parler de l'affaire Prévost M. Laflamme déclara que ce n'était pas nécessaire. M. Gouin aurait ensuite ajouté: "Ainsi, ce M. Laflamme, qui a fait la campagne pendant six mois contre mes collègues, c'est lui qui ne veut pas que M. De Jardin parle de l'affaire Prévost."
8. M. Gouin semble confondre Henri III, roi de France, et Henri III de Navarre devenu par la suite Henri IV, roi de France. C'est Henri III de France qui fit assassiner le duc de Guise.
9. Il s'agissait de la fête de l'Ascension, alors fête légale.