(Dix heures quinze minutes)
M. Roberge : Bonjour. Bonne
rentrée parlementaire.
Journaliste : M. Roberge, qu'est-ce
qui va être le plus inquiétant durant cette session parlementaire, Donald Trump
ou l'immigration?
M. Roberge : Bien, je pense
qu'il y a des inquiétudes quand il y a de l'insécurité. M. Trump, avec des
menaces, en ce moment, je vous dirais, sème de l'inquiétude. Mais on travaille
à protéger les Québécois, on travaille à rassurer les Québécois, comme quoi le
gouvernement du Québec, avec tous ses bureaux, notamment aux États-Unis, fait
bien entendre sa voix aux États-Unis à travers toutes ces personnes-là, là, qui
expliquent aux Américains, en réalité, que c'est dans leur intérêt de continuer
de faire des échanges économiques avec le Québec.
Journaliste : Vous voulez
présenter votre projet de loi jeudi, donc, pour proposer un nouveau modèle d'intégration
des nouveaux arrivants. Qu'est-ce qui vous fait dire qu'actuellement les
immigrants ne s'intègrent pas suffisamment ou ne contribuent pas suffisamment à
la société québécoise?
M. Roberge : Bien, je pense
que, malheureusement, le modèle multiculturaliste canadien a pris toute la
place. Beaucoup de personnes au Québec disent : Ah non! Nous, on a notre
modèle, c'est quelque chose qui ressemble à l'interculturalisme. Mais ce
modèle-là d'interculturalisme, plus intéressant que le multiculturalisme, n'a
pas été défini clairement dans des lois, dans des politiques. Il n'y a aucun
mécanisme pour s'assurer qu'on met les gens en relation les uns avec les
autres. Nous, on est une terre d'accueil, on demeure ouverts sur le monde. On
va continuer d'accueillir des nouveaux arrivants. On veut de la diversité sur
le territoire québécois, mais on veut de la mixité. On ne veut pas que les gens
vivent les uns aux côtés des autres. On pense que la ghettoïsation, ça dessert
la cohésion sociale. Avec notre nouveau projet de loi, on va nommer un nouveau
modèle. On va le définir, on va clarifier les règles du contrat social. Et je
pense que ça va être fort utile pour tous ceux qui habitent le territoire
québécois, que ce soit ceux, là, qui sont ici depuis des générations et
générations, ceux qui sont arrivés il y a 10 ans, ceux qui sont arrivés
hier soir.
Journaliste : ...adhérez à la
définition de l'interculturalisme? Là, je veux juste... juste pour bien
comprendre. Est-ce que votre modèle d'intégration va ressembler à
l'interculturalisme?
M. Roberge : C'est un modèle
nouveau. Il y a... sur le territoire québécois, je vous dirais, parmi les
écoles de pensée, parce que j'ai fait quand même pas mal de lectures et de
rencontres, là, depuis plus d'un an pour préparer ce que je présente cette
semaine, il y a des gens qui se réclament davantage de modèles qu'on appelle
l'interculturalisme, qui dit : On met les gens en relation les uns avec
les autres. Je trouve ça intéressant, cette idée-là, c'est meilleur que le
multiculturalisme. Par contre, ça ne définit pas qu'il y a une culture commune.
Ça dit qu'il y a des gens qui arrivent de partout et puis on veut que... on
veut qu'ils se rencontrent, on veut qu'ils se mélangent, on ne veut pas qu'il y
ait de repli sur soi. C'est intéressant, mais il manque la notion de culture
commune. Au Québec, on est plus que l'addition de plein de personnes. Il y a la
culture dans le sens arts et lettres, il y a la culture dans le sens d'art de
vivre. Il y a nos grandes institutions. Et il y a aussi notre modèle
démocratique, il y a notre modèle de laïcité. Donc, ce qu'on ajoute, nous,
c'est l'idée que les gens doivent adhérer à la culture commune, ensuite ils
sont appelés, évidemment, à y contribuer. Et ça, c'est important aussi, les
gens qui arrivent ici apporteront quelque chose.
Journaliste : ...s'ils ne
réussissent même pas à se trouver des cours de francisation?
M. Roberge : Bien, ça, ça
fait partie des choses qu'on va faire. En ce moment, on déploie Francisation
Québec, là, ça sera l'an 3, Francisation Québec. Cette année, on aura
francisé plus de personnes que jamais dans l'histoire du Québec. On va battre,
cette année, le record établi l'an passé, on va franciser plus de 80 000 personnes
au moment où on se parle...
Une voix : ...
M. Roberge : L'an prochain,
on va faire encore mieux. La liste d'attente pour Francisation Québec n'est pas
là parce qu'on ne donne pas assez de cours, la liste d'attente est là parce
qu'il y a trop de gens qui sont arrivés sur le territoire québécois.
Journaliste : Vous n'allez
pas les retourner chez eux, là. Vous ne ferez pas comme les Américains veulent
faire. C'est-tu-ça votre intention, de retourner les gens chez eux, parce qu'il
y en a de trop?
M. Roberge : S'il vous plaît!
Non, je n'irai pas... je n'irai pas là. On va freiner les arrivées. Les gens
qui sont là vont pouvoir se franciser et on va freiner l'arrivée, notamment, de
personnes temporaires sur le territoire.
Journaliste : M. Roberge, sur
la question des étudiants étrangers, là.
M. Roberge : Oui.
Journaliste : On attend
encore des chiffres pour savoir combien vont être plafonnées les inscriptions
dans les universités, alors que ça commence très bientôt, là.
M. Roberge : Bien, vous allez
avoir très, très bientôt notre décision et notre prise de position suite à
l'adoption en décembre de notre loi sur les étudiants étrangers. Donc, je
travaille vraiment de concert avec mes collègues, à l'Enseignement supérieur et
à l'Éducation. C'est une question de semaines avant que vous ayez les premières
décisions.
Journaliste : M. Roberge,
comment vous expliquer que des étudiants étrangers issus d'Afrique se fassent
lancer des insultes par des enseignants? Et vous avez vu peut-être à Amos et à
La Sarre. Et est-ce que ça correspond à votre modèle d'intégration? J'imagine
que non.
M. Roberge : Bien non.
Absolument pas, voyons donc. Écoutez, jamais on ne soutiendra des
manifestations d'intolérance ou de racisme. Je pense, ça n'a pas sa place au
Québec, absolument pas. Ça doit être dénoncé. Les personnes qui ont manifesté
des sentiments comme ça, là, qu'on pourrait associer au racisme ou à la
xénophobie, doivent être rencontrées. Puis j'imagine qu'il va y avoir des sanctions.
Journaliste : ...obligations
par le... Parce que vous parlez beaucoup des obligations, des immigrants dans
votre modèle d'intégration, mais est-ce que les Québécois nés ici vont aussi
avoir des obligations vis-à-vis les personnes immigrantes?
M. Roberge : Je ne peux pas
donner tous les détails du projet de loi, mais je vous dirais qu'il y a le
principe de réciprocité, c'est-à-dire que les personnes qui arrivent ici
doivent bien prendre conscience qu'ils arrivent dans un endroit où il y a le
français langue officielle, français langue commune, français langue
d'intégration, c'est un ajout important, donc je m'intègre à travers la
maîtrise de la langue, puis, je vous dirais, une obligation morale d'adhérer à
la culture québécoise au sens large, pas seulement arts et lettres, mais il y a
aussi, du point de vue... du point de vue du gouvernement et de la société...
d'accueil, pardon, des devoirs, et là il y aura des détails dans le projet de
loi.
Journaliste
:
...concrètement vous allez vous assurer que ce projet de loi là ou que cette
loi-cadre-là qui va devenir ne reste pas un énoncé de principe, puis que ça se
traduise dans la réalité? Est-ce que vous allez obliger les villes, par
exemple, à appliquer certains modèles ou... ce modèle-là? Qu'est-ce que... ça
va être quoi, la poignée, pour que ça arrive dans la vraie vie, là?
M. Roberge : Bien, je pense
que c'est une très bonne question, parce que, d'abord, on a besoin de refaire
un contrat social. Oui, c'est une question de principe, oui, c'est une
loi-cadre, mais pas seulement. Il va y avoir aussi des mécanismes dans la loi
pour s'assurer que les principes phares de la loi s'articulent et se vivent
dans nos institutions. La mécanique pour y arriver, je vais la présenter jeudi,
avec le projet de loi.
Journaliste : ...M. Roberge,
l'idée qui vous incite à légiférer, c'est quoi? Qu'est-ce qui ne fonctionne
pas, en ce moment, dans l'intégration des immigrants?
M. Roberge : Bien, on a vu...
notamment, un des éléments, le rapport, dernier rapport du Commissaire à la
langue française, qui montrait que les enfants des nouveaux arrivants, donc des
gens qui sont nés au Québec, s'identifiaient moins au Québec que leurs parents,
alors qu'eux ils débarquaient de l'avion. Les enfants nés au Québec, scolarisés
dans les écoles de la loi 101, en français, accordaient moins d'importance
à la langue française et à la spécificité francophone du Québec que leurs
parents, qui, eux, n'étaient pas nés ici. Il y a... il y a quelque chose de
cassé. Je pense qu'on ne définit pas en ce moment, clairement, le contrat
social. On ne l'a jamais énoncé. On ne peut pas reprocher aux gens de ne pas
être au courant de quelque chose qu'on n'a pas clairement défini.
Lorsque les gens, en ce moment, sont...
partout à l'international, veulent améliorer leur sort, veulent venir vivre...
lorsqu'ils arrivent au Québec, là, quand ils sont sur Google, là, quand ils
font des recherches, là, ils arrivent au Canada, dans leur tête, et quand ils
regardent le modèle, bien, ils voient le modèle multiculturaliste. C'est le
temps de changer les choses, c'est le temps de dire que, lorsque vous arrivez
ici, c'est différent. Vous arrivez dans un endroit avec une culture, avec une
nation spécifique, avec des règles de vivre-ensemble qui sont différentes.
Journaliste : Le projet de M.
Legault de déporter 80 000 demandeurs d'asile vers d'autres
provinces, de façon humanitaire, ça en est rendu où?
M. Roberge : Oui, je pense
qu'il faut faire attention aux termes utilisés.
Journaliste : Non, non, non,
c'est les termes que lui-même a utilisés, là. Ce n'est pas moi qui les invente,
là, j'étais là.
M. Roberge : Je reviendrai
sur les termes, là. On continue de penser que ce n'est pas normal que le
Québec, qui représente à peu près 22 %, 23 % de la population
canadienne, accueille maintenant... on est rendus autour de 40 %,
45 % de demandeurs d'asile du Canada. C'est... c'est un fardeau beaucoup
trop élevé. On continue de penser que le Québec a fait plus que sa part. D'ailleurs,
les ministres fédéraux le reconnaissent, le ministre Marc Miller le reconnaît.
Maintenant, une fois qu'on reconnaît un problème, il faut le régler. Donc, on
pense vraiment qu'il doit y avoir une meilleure répartition des demandeurs
d'asile à la grandeur du Canada. Et je sais que le ministre Miller tente de
convaincre, en ce moment, les autres provinces de faire leur part, donc il
reconnaît le problème. Maintenant, il va falloir qu'il y ait des résultats.
Journaliste : Bien, O.K.,
mais je veux juste, pour... Merci de la mise en contexte. Sauf qu'en octobre,
M. Legault a dit qu'il fallait prendre 80 000 personnes qui sont
actuellement sur le territoire québécois en attente de... réponse sur leur
demande de demandeur d'asile... il fallait les prendre et les envoyer vers
d'autres provinces. Il y en avait 160 000, il dit : Il faut en
prendre la moitié. 160, ça fait 80. Il disait que c'était facile... c'était
possible de le faire de façon humanitaire. Combien en a-t-on déportées jusqu'à
maintenant? Et ça en est rendu où, ce projet de M. Legault de transférer des
gens vers d'autres provinces?
M. Roberge : Oui, je ferais
attention aux termes utilisés. Mais, pour l'instant, le gouvernement fédéral,
parce que c'est lui qui doit faire le leadership là-dedans, je vous dirais, n'a
pas répondu concrètement. Dans les déclarations, il reconnaît qu'il devrait
bouger, il tente de convaincre les autres provinces de faire leur part. Il y a
quelques provinces qui disent : Ah! bien, moi, je pourrais en accueillir
500 de plus, 1 000 de plus. Mais c'est à la marge pour l'instant. Je vous
dirais qu'Ottawa n'a pas livré la marchandise...
Le Modérateur : Dernière
question en français.
M. Roberge : ...n'a pas livré
la marchandise encore.
Journaliste : Bien,
justement, à Ottawa... justement, à Ottawa, est-ce qu'ils sont... Ils sont
responsables d'une partie importante de... de l'immigration, là, ce n'est pas
moi qui va vous apprendre ça. Mais est-ce que votre plan va être un peu
dépendant d'Ottawa? Si eux ne ferment pas le robinet, comment on va arriver,
par exemple, qu'on francise tout le monde ou qu'on respecte ce contrat social
là?
M. Roberge : Bien, on est en
train de s'entendre avec eux. On les a fait bouger, d'ailleurs, hein? Il faut
reconnaître que, sur le Programme de mobilité internationale, le PMI — c'est
presque 250 000 personnes sur le territoire québécois en ce moment — il
n'y avait aucune exigence linguistique jusqu'à l'automne dernier. On s'est
entendus avec Ottawa que, maintenant, les renouvellements de permis pour ce
programme-là seront collés sur les règles québécoises avec des exigences
linguistiques pour nos travailleurs étrangers. Ils l'auront aussi pour le
programme Mobilité internationale. C'est une première, d'ailleurs. Ça, je pense
que c'est important de le mentionner. Ensuite, ils se sont engagés à réduire de
100 000 le nombre de ressortissants étrangers en fonction de ce programme
aussi. Donc, 100 000 personnes de moins dans les trois prochaines
années, donc Ottawa, oui, n'a pas livré en termes de répartition de demandeurs
d'asile, mais sur les exigences linguistiques pour le PMI, sur la diminution de
PMI, ils ont pris les engagements qui sont fermes, puis je suis content de les
rappeler aujourd'hui. Donc, on a... on a... on se fait entendre d'Ottawa,
contrairement à certains.
Journaliste : En dernière,
vous répondez quoi...
M. Roberge : Une dernière.
Journaliste : ...vous
répondez quoi à ceux qui croient que vous agitez cette carte de l'identité
parce que ça peut être payant comme...
M. Roberge : Bien, c'est
n'importe quoi. Parce qu'écoutez lors du premier mandat du gouvernement de la
Coalition avenir Québec, on a posé le geste d'adopter la loi 21 alors que
nous étions premiers dans les sondages, et de très, très loin. On a fait la
même chose avec la loi 96. On a renforcé la Charte de la langue française.
Donc des gestes phares identitaires pour assurer le modèle québécois, on les
pose, peu importe les sondages. On les a déjà posés alors qu'on était numéro 1
de très loin. Maintenant, on est numéro 2 dans les sondages, nos valeurs
ne changent pas en fonction des derniers sondages.
Des
voix :
...
Journaliste :
...on Québec's society are extremely
clear in Bill 21 and the Québec Charter of the French language. So, what are
you doing more? What concretely your bill will change something if the values
and principles are clear in those past legislations?
M. Roberge :
Well, we are building a new social
contract and we want it to be pretty clear. We want it to be clear for all
people coming from outside of Québec as immigrant, we want it to be clear for
people who identify themselves as members of cultural minorities. We want them
to commit to embracing and contributing to our values, our culture, who we are.
And what set-up, as a nation, with the multiculturalism from the Canada, which
is there for like half a century, it's not that clear. «Multicultusalisme» says
that the Canada has the obligation to promote the diversity, which is good, but
to promote all the identities, all the culture, all the languages and with the
«multiculturalisme», there's no such a thing like a common culture, a Canadian
culture or a Québec culture. With our plan, with our bill, we will be pretty
clear : we are a nation, we have a «culture», we have some democratic
values, men and women are equal, and people coming here must accept that. And
after, we want them to contribute to the society. So, this is complete...
completely new, and this is really different from what's the Canada is saying.
Journaliste :
But how is it different exactly? What
are you trying to preserve more concretely? I understand this... There's a lot
of people, I assume, that don't understand this definition of multiculturalism.
So, can you explain just what exactly are you trying to change?
M. Roberge :
Well, I've read the... excuse me. Well,
I have read the multiculturalism politic, which have been made in 1971. I've
read the bill, multiculturalism bill, and there's nothing about a common
culture, there's nothing about common languages. So, this is a huge difference.
We are saying that we exist as a nation and we want to continue to do so. And
we want people to understand where they arrive, to understand that there is a
nation here, a Québec's nation, there is a language here, there is a culture,
there are some identity, and they are welcome here but they must embrace this
culture and then contribute, add their own way and...
Journaliste :
How do you want them to contribute?
Journaliste :
But why are you doing this now? Was
there any specific event that led to this? Why? Why table an additional bill
now?
M. Roberge :
Well, it's about time. It's about time.
We say... We see that we have a lot of difficulty in some schools, we see that
people are staying with their own group, and we want some more diversity, and
we want people to go and to talk to each other. We don't want some ghettos. We
want one society.
Journaliste :
...how you want newcomers to contribute
more? This is not clear in your message today. How do you want them,
concretely, to contribute more to Québec society?
M. Roberge :
We want them to go outside their
communities and go speak with us, discuss with us. We want to see them and
our... les fêtes de quartier, we want to see them at la Fête nationale du
Québec. We want to see them within our shows, we want to see them in... in our
movies. We want to see them everywhere. They are welcome.
Journaliste :
The first thing... the first thing that
some people have said about this already is : How exactly are you going to
take a statement of principles like this and actually apply it? Now, in French,
you just said the bill will include mechanisms. What is the nature of those
mechanisms? Are you talking more regulations? How are you going to apply these
principles?
M. Roberge :
Well, this is a really good question,
but I can't tell right now because I don't want to make... which we call in
French «un outrage au Parlement», so there's a lot of
things I can't say about those big principles, our goals, but how we will do it
and what are the details of the bill, I can't say right now, because I want to
respect the institution of Assemblée nationale.
Journaliste
: Do many Quebeckers actually understand the concept? I even know
professors that don't understand the concept of interculturalism.
M. Roberge : I think so. I've read, like, 20 articles only in the past year, 20
articles and chronicles about the problem with the multiculturalism in Québec
in each and everyone of your media. So, I think... il y a une soif pour cette
chose-là, we need a new social contract. Thank you. Merci beaucoup, tout le
monde.
(Fin à 10 h 34)