(Huit heures quarante et une minutes)
M. Nadeau-Dubois : Bonjour.
Bien, écoutez, bien sûr, le sujet s'impose de lui-même. Les Américains ont
parlé hier, Donald Trump a gagné.
Mes premières pensées, ce matin, vont pour
les dizaines de millions d'Américains et surtout d'Américaines qui vont, dans
les prochaines années, subir les conséquences de ce deuxième mandat Trump, d'abord
les femmes, bien sûr, dont les droits seront sans doute menacés. Je pense aussi
aux personnes immigrantes. Je pense aux minorités sexuelles aussi, qui
pourraient voir leurs droits reculer dans les prochaines années. Et tout ça, c'est,
pour les progressistes que nous sommes, extrêmement inquiétant. Donc, je pense
que, comme la majorité des Québécois puis des Québécoises, on a la mine basse
ce matin.
Mais, en même temps, j'ai envie aussi de
dire aux Québécois, québécoises que c'est le genre de journée où il faut
apprécier ce qu'on a au Québec, où il faut chérir ce qu'on a construit comme
démocratie puis comme débat public. Malgré tout, malgré nos défis, malgré nos
problèmes, le Québec demeure une société de paix, de démocratie, de respect des
droits, puis ça, c'est précieux, il faut en prendre soin. Tu sais, François
Legault puis moi, on est généralement en désaccord profond sur bien des
affaires, mais on est encore capables d'être dans la même pièce, de débattre
puis, par moment, de trouver des voies de passage. Aux États-Unis, de toute
évidence, le débat public s'est tellement polarisé qu'ils ne sont plus capables
de faire ça. Donc, cette différence québécoise qu'on a encore en Amérique du
Nord il faut la chérir.
C'est important, dans des journées comme
aujourd'hui, de se rappeler que malgré tout, là, cette culture démocratique qu'on
a développée puis qu'on a conservée au Québec, bien, elle est importante, elle
est là, il faut l'apprécier, la chérir, mais j'ai envie de dire : Il ne
faut pas non plus la prendre pour acquise, parce que le Front national est
passé très près du pouvoir en France il y a quelques mois, parce que, là, Trump
vient de gagner aux États-Unis. Il ne faut pas non plus penser qu'on serait, au
Québec, immunisés, ne serait-ce que parce qu'on parle français ou parce qu'on
est différents du reste de notre continent, contre des dérives autoritaires.
Cette démocratie, ce respect des droits, de la dignité humaine qu'on a au
Québec, ces valeurs-là qu'on partage, peu importe nos désaccords, il faut le
protéger puis il faut se mobiliser pour ne pas qu'il y ait de reculs au Québec
sur les droits des femmes, sur notre culture démocratique, sur le respect de la
dignité humaine. Donc, c'est ce qui m'est passé par la tête ce matin en voyant
les résultats.
Puis je trouve ça important de le dire aux
Québécois, Québécoises : On est bien au Québec, c'est vrai, mais
protégeons ça, prenons-en soin, de notre démocratie, parce que ce n'est pas
vrai que c'est à toute épreuve, c'est fragile malgré tout, puis il faut s'en
occuper.
Journaliste : Mais qu'est-ce
que ça dit pour... sur la gauche? Juste pour peut-être préciser.
M. Marissal : Juste vous
faire ça rapidement. Je comprends que le sujet du jour n'est pas le mien, mais
néanmoins il s'est passé quelque chose hier en santé. Je veux simplement vous
dire ce matin que je suis encore un peu étourdi, non seulement par ce qui s'est
passé hier soir aux États-Unis, mais par la volte-face, le triple salto arrière
du ministre de la Santé hier. Je n'ai toujours pas compris ce qui s'est passé,
qu'est-ce qui s'est passé entre 10 heures le matin après notre
interpellation, où il a été d'une clarté exemplaire sur ce qu'il voulait faire
avec le privé en santé, et 2 heures de l'après-midi à la période des
questions. Est-ce qu'il y a eu des téléphones du bureau du premier ministre au
ministre de Santé pour lui dire : Qu'est-ce que tu es en train de faire?
Tu vas trop loin, il faut que tu recules. Je le pratique depuis longtemps,
Christian Dubé, là, je sais qu'il lui arrive de lancer des ballons, mais là la
balloune s'est largement dégonflée, là. Et je ne comprends toujours pas à ce
jour ce qui s'est passé avec cette volte-face spectaculaire hier. Je pense qu'il
doit des explications aux Québécois et aux Québécoises. On aura l'occasion
largement, là, dans les prochains jours, prochaines semaines, prochains mois,
pour... comptez sur moi, pour continuer de poser des questions là dessus. Mais
moi, j'ai besoin de comprendre, là, où est-ce qu'il s'en va, ce gouvernement-là,
avec la santé au Québec. Merci.
Journaliste : Oui, sur la
gauche... profondément inquiétant, pour une formation comme la vôtre, de voir à
quel point les positions progressistes, la difficulté à s'imposer, notamment
auprès des populations peut-être plus démunies.
M. Nadeau-Dubois : Bien là,
les États-Unis, ce n'est pas le Québec, là, puis je pense que c'est une grande
majorité de Québécois, Québécoises aujourd'hui qui sont inquiets et qui sont
préoccupés, là. Ça dépasse bien largement les questions partisanes, là. Le
droit à l'avortement, au Québec, c'est une valeur qui traverse les frontières
partisanes. Je pense qu'il y a, globalement, un respect de la démocratie, du
débat d'idées, au Québec, donc, moi, je ne ferai pas d'analyse partisane, ce
matin, mais je... Il y a beaucoup de Québécois, beaucoup de Québécoises, ce
matin, qui ont la gueule de bois, qui se demandent qu'est-ce qui se passe
autour de nous. Puis moi, je partage cette inquiétude-là. Je veux dire, je
parlais à ma blonde, ce matin, on va avoir notre deuxième enfant, bientôt.
Élever une famille dans un monde où il y a des bouleversements comme ça, c'est
inquiétant, puis on a le droit de le dire, quand on est en politique, puis...
Mais je veux aussi dire aux Québécois puis aux Québécoises qu'il ne faut pas
baisser les bras, qu'on a quelque chose de précieux entre les mains, au Québec,
puis qu'il faut, il faut en prendre soin, il faut le chérir, il faut le protéger,
il faut le défendre.
Puis là on va aller en période de
questions, tantôt, puis on va débattre, mais malgré tout, tu sais, ce débat-là,
il est tellement... il est encore sain, puis on est capable encore, au Québec,
d'imaginer un avenir ensemble, même quand on n'est pas d'accord, puis ça, c'est
précieux, puis il faut en prendre soin. Moi, c'est l'appel que je veux lancer
aujourd'hui aux Québécois, Québécoises, c'est : Oui, comptons-nous
chanceux, mais restons vigilants puis prenons soin de ce qu'on a construit
comme projet de société.
Journaliste : ...c'est votre
collègue Haroun Bouazzi qui a tweeté ce matin en disant : «Le bruit des
bottes brunes retentit de plus en plus fort et de plus en plus vite. Est-ce
qu'on assiste à la montée du fascisme aux États-Unis?
Bien, on assiste à une montée de
l'autoritarisme à travers le monde. Le Front national est passé... le Front
national est passé tout près du pouvoir il y a quelques mois. Il y a d'autres
régimes en Europe, Viktor Orban, par exemple, il y a eu Bolsonaro, au Brésil,
il y a Trump. Je veux dire, quiconque...
M. Marissal : ...
M. Nadeau-Dubois : Pardon?
M. Marissal : ...
M. Nadeau-Dubois : ...le
nouveau président argentin. Je veux dire, il y a une montée d'un autoritarisme
qui est inquiétant pour les démocraties à travers le monde. Il faut être
capable de nommer ça. Après ça, le fascisme, ne ce n'est pas une idéologie
théorique, c'est surtout une manière de faire de la politique. Est-ce que M.
Trump a fait des déclarations qui font penser à des discours fascistes dans les
dernières semaines? Je pense que tout le monde s'entend pour dire que oui, la
majorité des spécialistes disent oui. Est-ce que ça va... Après ça, qu'est-ce
qui va se réaliser dans ces déclarations-là, pour vrai, ça reste à voir, puis
l'avenir nous le dira.
Journaliste
: Mais
est-ce que cette menace-là — vous avez dit le Québec... le Québec
n'est pas à l'abri, là — comment elle se manifeste au Québec? Est-ce
qu'il y a quelqu'un qui l'incarne?
M. Nadeau-Dubois : Non, et on
est chanceux, et c'est ça que je veux dire, c'est... En tout cas, au Québec, on
n'est pas... Comment dire? La dérive de la polarisation qui fait en sorte
qu'aux États-Unis les gens ne sont plus capables de se parler, ils font juste
se crier après puis s'insulter... puis, quand je dis les gens, je fais un
diagnostic général sur le climat du débat public. Quand même, on regarde au
Québec, notre capacité à avoir des débats, puis oui, des fois, le ton monte,
mais, je veux dire, on est à des années lumières d'un déchirement social et
démocratique comme ce qu'on observe aux États-Unis depuis plusieurs, plusieurs
années maintenant. Et donc... et on n'en est pas là, au Québec, et ça, c'est
une bonne nouvelle. Il faut juste... Mais il faut être vigilant pour ne pas que
ça nous arrive, parce qu'on n'est pas génétiquement immunisés contre un
affaiblissement de notre démocratie puis de la qualité de notre débat d'idées.
Journaliste : Mais vous
l'expliquez comment, cette montée du... de l'autoritarisme, vous dites...
M. Nadeau-Dubois :
L'autoritarisme. Bien, tu sais, moi, je... C'est une bonne question. D'abord,
je pense qu'il va falloir regarder aussi les résultats détaillés des élections
d'hier pour voir exactement qu'est-ce qui s'est passé dans l'électorat
américain, mais... puis moi, je me présente devant vous ce matin avec... puis
je me livre, je vous livre le fond de ma pensée, mais je n'ai pas la prétention
d'être un expert ou d'être... ou d'avoir... ou d'avoir toute la... d'avoir les
explications complètes et parfaites sur ce qui s'est passé, mais je vois qu'il
y a une montée de l'autoritarisme. Je vois qu'au Québec on est encore protégés
de ça. Je m'en réjouis puis je lance un appel à ce qu'on prenne soin de notre
débat public puis de nos institutions.
Journaliste : Est-ce que vous
considérez quand même que la gauche américaine a quelque chose à se reprocher
dans le résultat ou ils sont sans faute?
M. Nadeau-Dubois : Hier, on a
assisté à la victoire de Donald Trump et à la défaite des démocrates. C'est les
deux. Je pense que c'est clair, mais moi, je... À matin, là, il n'est pas
encore 9 heures, là, je vais me garder une petite gêne sur les grandes
explications d'exactement ce qui s'est passé hier.
Journaliste : ...il faut
faire attention, vous dites, on n'est pas immunisé. Quels signes il faut faire
attention pour pas que ça nous arrive?
M. Nadeau-Dubois : Bien, le
documentaire... je ne sais pas si vous avez vu le documentaire de Léa Clermont-Dion
qui est sorti il y a quelques jours, quelques semaines, La peur au ventre,
qui documente la montée des discours antiavortement au Québec. C'est inquiétant
de voir ça au Québec. Oui, on a un consensus politique qui tient bon sur le
droit à l'avortement. D'ailleurs, on va déposer une motion aujourd'hui pour le
réaffirmer. Mais il y a, ici et ailleurs, des mouvements qui montent et qui
s'en prennent aux droits des femmes. Puis je ne dis pas ça pour être alarmiste,
c'est un fait. On a au fédéral un parti politique, le Parti conservateur du
Canada, dans lequel il y a plusieurs éléments ouvertement opposés aux droits
des femmes de choisir, au droit à l'avortement. M. Poilievre, dans sa
carrière, a voté à de nombreuses reprises pour restreindre le droit à l'avortement.
Donc, on n'est pas rendu à des attaques frontales, comme celle qu'on voit aux
États-Unis, mais il faudra être très naïf pour penser qu'on vit un peu sur une
autre planète, puis qu'il n'y a aucun danger, puis qu'il ne faut pas être
vigilant sur la protection de ces droits-là.
Journaliste : Vous parlez du
droit des femmes, mais est-ce que sur...
M. Nadeau-Dubois : Oui, je
donne cet exemple-là.
Journaliste : Oui, mais
est-ce qu'il y a d'autres aspects? Sur l'immigration, par exemple, est-ce
qu'aussi il faut veiller à... il faut être attentif à certains signes aussi en
matière d'immigration?
M. Nadeau-Dubois : Il faut
être capable de débattre des questions d'immigration au Québec, on le fait,
puis nous, à Québec solidaire, vous nous avez vus aller dans les derniers mois.
On essaie de le faire en s'appuyant sur les faits, en respectant la dignité des
gens puis aussi en considérant des facteurs comme la capacité d'accueil qu'il
faut considérer. Il faut trouver ces équilibres-là, il faut bien le faire. Mais
on le voit, on l'a vu en France avec le Front national, on le voit avec Trump
aux États-Unis, les discours anti-immigration, ils montent partout à travers le
monde. Puis, encore une fois, il faudrait être naïf pour penser que le Québec
vit sur une autre planète.
Journaliste : ...est-ce que
vous avez entendu, bon, M. St-Pierre Plamondon tantôt, là, qui brandit un
peu la menace d'un afflux massif de millions de personnes, même au Québec, là.
Est-ce que vous pensez que ces inquiétudes sont légitimes? Les partagez-vous?
Puis dans quelle mesure les Québécois devraient s'inquiéter de ça?
M. Nadeau-Dubois : Oui, j'ai
écouté M. Plamondon tantôt. Est-ce que ça m'a surpris de voir...
d'entendre sa réaction? Non. La question de l'immigration, c'est la thématique
principale de M. Plamondon depuis un moment déjà à l'Assemblée nationale.
Lui, c'est de ça dont il a décidé de vous parler ce matin, puis c'est son
choix. Nous, on a d'abord pensé aux femmes qui vont peut-être se faire retirer
des droits. On a des sensibilités différentes puis c'est correct.
Journaliste : Mais sur le
fond, est-ce que c'est des inquiétudes qui sont légitimes?
M. Nadeau-Dubois : Bien,
c'est-à-dire que Donald Trump a dit beaucoup de choses sur d'éventuelles
déportations massives. Qu'est-ce qui va vraiment se... comment dire ça,
s'opérationnaliser, dans les faits? Bon, d'abord, ça, ça reste à voir. Est-ce
que, s'il procède à des déportations massives, est-ce qu'il pourrait y avoir
des impacts sur le Québec? Je pense que oui. Est-ce qu'il faut être attentifs à
ça? Oui. Est-ce que c'est préoccupant? Sans doute. Il va falloir avoir un
système d'immigration qui fonctionne bien, où on traite les demandes qui vont
nous être déposées en matière de demandes d'asile, par exemple. Il va falloir
traiter ces demandes-là humainement, dans des délais qui sont raisonnables pour
respecter les droits de tout le monde.
Mais le Québec, comme l'ensemble du
Canada, a signé des conventions internationales en vertu desquelles on a une
responsabilité d'accueillir les gens qui font la démonstration que ce sont des
réfugiés. Je rappelle que la grande majorité des demandes de réfugiés qui sont
déposées au Canada sont acceptées. On est à peu près à trois sur quatre en ce moment.
Donc, il faut que le système fonctionne. En ce moment, il fonctionne mal. Il
faut qu'il fonctionne mieux. Et c'est vrai que, s'il y a des gestes de
déportation aux États-Unis, ça pourrait avoir des impacts sur le Québec.
Journaliste : Do you have some fears that Donald Trump... During this campaign,
there was a lot of anger, intimidation, manipulation, fake news, «misogynie»
and attacks, personal attacks. How do you... Do you have fears that what
Americans chose with this man may also transfer here in Canada, this
intolerance becomes an endurance?
M.
Nadeau-Dubois :
Well, no. In a day like today, I think we have to, first, realize
that our democracy, our civic spirit, our respects for the rights, those are
things that are precious. And we have to appreciate the fact that we have
created, in Québec, a society where those things are important and respected.
We also have to realize that it's fragile, that we need to take care of this,
that we are not immune, as Quebeckers, to the rise of authoritarian politics
that we are seeing around the world. So, I share the angst of a lot of
Quebeckers, but I also want to tell them that we have something good here, in
Québec. We are still able to disagree and sometimes to get mad at each other,
but still continue to imagine a future together. And that is important, but
it's fragile and we have to protect it, to defend it and to nurture it.
I think a lot of
Quebeckers are troubled by yesterday's results, even if, of course, we
recognize and respect them. But now let's... let's work together to... and
let's mobilize ourselves to build a future where democracy, public debate, the
respect of the opinions of others, the respect of truth is at the center of our
public life.
Journaliste :
When you say : Québec is not
immune, just what exactly is your biggest concern following the results last
night?
M.
Nadeau-Dubois :
Québec is not an island, politically speaking, we are influenced by
what is happening around us. We are seeing in Québec and in Canada the rise of
a new generation of discourses that are opposed to the right of women to choose
for their body. We still have a very strong political consensus to protect
those rights, but it would be very candid to think that that consensus is 100%
bulletproof for eternity. That consensus could be weakened, and that's why we
have to nurture it and to solidify it.
Journaliste :
We heard concerns this morning as well
about a possible rise in immigration in Québec following this election. Donald
Trump has threatened to deport people and M. St-Pierre-Plamondon voiced his
concern that there could be a rise in immigration because of that. What... Are
you at all concerned that this could happen?
M.
Nadeau-Dubois :
Well, Mr. Trump said a lot of things about that. What will be
pragmatically applied? Still, we don't know. But, if Mr. Trump goes forward
with these deportation policies, yes, it could have impacts in Québec. Yes, we
should be preoccupied by that. But let me tell you that, even if someone else
had won the election yesterday, we will still be facing, in the next decades,
for example, important waves of climate refugees. So, the issue of migration
waves coming into Québec will continue to be an issue in the next decades. We
have to have a good immigration system that treats those demands humanely, in
an orderly and timely fashion. That's our spirit at Québec solidaire in those
issues since a few years now.
Journaliste :
Do you think... Mr. Legault's team has said
they're prepared for possible protectionism measures from the States. Do you
think... do you think they're doing enough? They've deployed their delegates in
other... in the United States. Are you concerned that there could be an impact
on the economy?
M.
Nadeau-Dubois :
Yes, it's part of our preoccupations. You know, Québec has strong
economic links with the States, with the United States. It's one of our... it's
our first export... export market. So, of course, of course, we are preoccupied
by that, and we will follow this issue closely. Merci beaucoup.
(Fin à 9 h 01)