(Quatorze heures dix minutes)
M. Grandmont : Donc, merci
beaucoup d'être là aujourd'hui. On aimerait réagir aux deux projets de loi qui
ont été déposés simultanément par les ministres Julien et Guilbault.
D'abord, juste dire une chose, là, quand
même, qui est assez claire pour moi, là. Ça fait 15 ans, là, que je
travaille dans le milieu du transport collectif, que je suis ces enjeux-là de
façon très proche, que je travaille avec les différentes organisations, j'ai
même créé des organisations en lien avec le transport collectif, je peux vous
dire une chose, c'est que l'engouement, là, pour le transport collectif, ce n'est
pas quelque chose de nouveau. C'est loin d'être quelque chose de nouveau. Les
gens en ont besoin depuis longtemps, les gens l'utilisent depuis longtemps et
les gens cherchent des moyens ou cherchent la lumière qui leur permettra d'avoir
des nouveaux services, une amélioration des services dans le temps, depuis
plusieurs années. Ça fait longtemps que des gens circulent dans les transports
collectifs au Québec et qu'ils se sentent comme une classe sardine, une classe
de deuxième zone, pour des citoyens qui, malheureusement, ne reçoivent pas les
services adéquats pour se déplacer.
Donc, notre objectif, nous, là, c'est de
regarder un peu ces deux projets de loi là puis de voir si ça va permettre d'améliorer
les services pour le monde, pour les gens qui se lèvent le matin puis qui vont
travailler, pour les gens qui vont à l'école, au cégep ou à l'université, pour
mes enfants qui vont l'utiliser, qui l'utilisent déjà, pour les gens qui vont
reconduire leurs petits à la garderie. C'est quelque chose d'important. C'est
quelque chose qui est fondamental. C'est... Ce n'est pas un droit
officiellement reconnu, c'est un droit économique et social, mais ça reste
quand même qu'il y a beaucoup... il donne ce pouvoir-là. De se déplacer à
faible coût est une façon de pouvoir pourvoir à ces autres droits là.
Je suis très d'accord avec la ministre qu'on
doit livrer des projets de transport collectif. Je n'ai pas mon petit tableau
avec moi, là, qui montrait, finalement, que la CAQ n'a pas livré beaucoup de
projets depuis son arrivée à l'Assemblée... au gouvernement, en 2018, mais c'est
clair qu'être à leur place, moi, je serais gêné. Je serais vraiment gêné du
nombre de projets de transport collectif qu'ils ont livré, parce que le bilan
était... est absolument à zéro, en fait. Il n'y a pas de projets qui ont été
initiés et livrés par le gouvernement de François Legault, donc c'est très
gênant.
Et ce qu'on observe aujourd'hui, avec le
dépôt de ces deux projets de loi et la création de l'agence Mobilité Infra
Québec, bien, c'est un pattern, hein? C'est une... C'est une façon de faire qu'on
voit souvent à la CAQ : on n'arrive pas à livrer des projets, on n'arrive
pas à régler des problèmes, on crée des structures en espérant que ça aille
mieux. Bon. C'est le choix qu'ils ont décidé de faire. On l'a vu en santé, on l'a
vu en éducation, également.
Ce n'est pas le choix qu'on aurait fait. On
aurait peut-être été vers la création de quelque chose, d'une équipe à l'intérieur
du ministère des Transports du Québec. Ils ont fait le choix de créer une
agence à côté. C'est leur choix. Maintenant, on travaillera, on collaborera
avec eux autres pour s'assurer que les résultats, qu'on espère à la fin de
cette... de ces... de l'étude de ces projets de loi là, mènent à une meilleure
livraison, à une plus rapide livraison de projets de transport collectif.
Donc, accélération de la livraison des
projets de transport collectif, oui, mais pas n'importe comment. Nous, on veut
s'assurer que ça ne se fasse pas au détriment des Québécoises et des Québécois.
Puis, un des risques qu'on entrevoit actuellement c'est une privatisation des
services de transport collectif au Québec.
La première des choses, c'est dans le
projet de loi de M. Julien. D'abord, l'article un. Contrairement à ce qu'il a
dit tout à l'heure en conférence de presse, là, l'article un dit que le
gouvernement du Québec pourrait faire... dans sa stratégie, là, d'acquisition,
pourrait faire affaire avec des partenaires privés, autant pour la
construction, l'entretien et l'exploitation des services. Ça, appliqué au
transport collectif, là, ça veut dire une privatisation des projets de
transport collectif. Ça veut dire le retour des partenariats public-privé.
Et ça, ça ne se fait pas nécessairement à
l'avantage des citoyens du Québec, là, loin de là. Rappelons-nous, là,
pourquoi, dans les années 90, on a municipalisé les services de transport
collectif. C'est parce que c'était rendu n'importe quoi puis ça coûtait des... Il
y avait des coupures de services, il y avait une augmentation des prix sans bon
sens pour les usagers du transport collectif. Regardez comment ça va mal
actuellement dans le transport interurbain, c'est exactement ça. C'est des
services privés qui sont offerts et malheureusement, bien, on a des services
qui diminuent et des prix qui augmentent de façon éhontée. Donc, déjà un
premier risque.
D'autre... L'autre risque qu'on voit, là,
puis on a... c'est vraiment une réaction à chaud, on n'a pas regardé dans le
détail chacun des projets de loi, mais, au niveau de la composition des... du
conseil d'administration de Mobilité Infra Québec, on voit là-dessus qu'il y a
neuf sièges qui sont réservés, d'abord à... au P.D.G., au directeur
général puis au sous-ministre des Transports. Jusque là, tout va bien. Mais les
six autres postes sur le conseil d'administration peuvent être donnés à
n'importe quel entrepreneur qui travaille dans le milieu privé et qui pourra
représenter son secteur d'activité économique. Il y a une expertise
intéressante là-dedans, là, mais on peut quand même se poser la question :
Cette personne-là, elle représente qui? Est-ce qu'elle représente les citoyens
et les citoyennes du Québec, est-ce qu'elle représente les usagers qui
utilisent le transport collectif ou elle représente son industrie? Moi, ça me
pose beaucoup de questions, quand même. Et on aura évidemment ces jases-là avec
la ministre.
Donc, moi, je pense que, de la façon qu'on
regarde le projet... les deux projets de loi, il risque d'y avoir, s'il
n'y a pas des balises assez claires qui sont mises à l'intérieur de ces deux
projets là, il risque d'y avoir une... une privatisation assez forte des
transports collectifs au Québec. Et ça, ça se fera malheureusement au détriment
des citoyens et citoyennes du Québec, qui pourraient avoir à payer plus cher
ultimement pour des transports collectifs.
Maintenant, un point sur la collaboration
avec les villes. Ça, c'est un point qui nous apparaît important. Rappelons-nous
que les villes ont la compétence de l'occupation de leur territoire, c'est
elles qui décident de l'aménagement de leur territoire. Là, ce qu'on voit,
c'est que, d'une part, Mobilité Infra Québec sera tenue de consulter les
municipalités, les instances régionales sur l'aménagement du territoire, mais
ne sera pas tenue de collaborer ou de se conformer aux schémas d'aménagement,
par exemple, qui pourraient exister dans une municipalité ou au Plan
métropolitain d'aménagement et de développement d'un... d'une communauté
métropolitaine. Donc, consultations, mais après ça, on peut faire passer
n'importe quel projet n'importe où, avec des risques de créer des nouveaux
quartiers qui n'étaient pas prévus dans l'aménagement des municipalités ou des
communautés... des communautés métropolitaines. Il y a un risque là
d'imposition, de façon très verticale, très autoritaire, d'une... d'un
aménagement du territoire, à travers l'imposition, finalement, de projets de
transport collectif sur des axes qui ne feraient peut-être pas l'affaire des
municipalités.
L'autre chose, c'est que, la ministre, je
l'écoutais parler pendant sa conférence de presse, puis elle disait qu'elle
se... elle avait... elle se donnait le pouvoir d'imposer un cadre financier aux
municipalités. Je trouve ça particulièrement inquiétant. Il y a des règles qui
existent depuis des années sur le financement des projets de transport
collectif, et malheureusement, on dirait que la ministre veut se donner la
marge de manœuvre pour être capable de changer ces règles-là et de les imposer.
Je pense que les municipalités sont déjà assez accotées au niveau financier, on
n'a pas à ajouter indûment, là, des contributions, finalement, à des projets de
transport collectif sur lesquels, en plus, elles n'auraient pas beaucoup de
pouvoir. Donc, je trouve ça tout à fait important de le souligner.
Reste aussi un enjeu important. On a donc
deux projets de loi qui visent à accélérer la réalisation et la livraison de
projets de transport collectif, avec tous les... toutes les mises en garde, en
fait, ou tous les éléments qui nous semblent pour l'instant inquiétants, mais
ça ne règle rien non plus sur les services de transport collectif existants,
actuellement. Oui, c'est bien beau, puis on en veut, des nouveaux projets de
transport collectif, mais il faut être capables de faire rouler ce matériel
roulant là, il faut être capables d'avoir des chauffeurs, des chauffeuses qui
les font avancer, et donc il faut avoir...
Comme je le disais, à travers ça, on a des
réponses aux 622 millions de dollars de déficit anticipé actuellement
dans les sociétés de transport du Québec. Ce qu'on a vu de... Ce qui a été
déposé aujourd'hui n'est absolument pas une réponse à cet enjeu crucial là, qui
risque de nous amener vers soit des coupures de services soit des augmentations
de tarifs importantes. Je prends le temps de le rappeler parce que c'est
deux enjeux très séparés. Il ne faut juste pas oublier que l'enjeu du
financement des services, au Québec, en transport en commun, n'est absolument
pas réglé par cette proposition-là.
Donc, nous, l'analyse qu'on va en faire à
chaud, c'est celle-là. On va évidemment collaborer avec le gouvernement pour
s'assurer que les projets de transport collectif se fassent dans une
orientation, dans une perspective de bien commun, c'est-à-dire qu'on va
augmenter l'offre de service de transport collectif pour les citoyens et les
citoyennes du Québec, s'assurer qu'ils aient les bons projets pour se déplacer,
pour continuer d'aller au travail le matin, continuer d'aller à l'école,
continuer d'aller porter les enfants à la garderie. C'est un enjeu important,
les transports collectifs, c'est la clé de voûte de notre lutte aux changements
climatiques, et évidemment, on va continuer de suivre ça avec beaucoup,
beaucoup, beaucoup d'attention. Merci beaucoup.
(Fin à 14 h 19)