Point de presse de M. Jean-Martin Aussant, député de Nicolet-Yamaska et de Mme Lisette Lapointe, députée de Crémazie
Version finale
Le jeudi 5 avril 2012, 11 h 31
Hall principal de l'hôtel du Parlement,
hôtel du Parlement
(Onze heures trente et une minutes)
M. Aussant: Bien, merci d'être là, tout le monde. Comme vous l'avez vu, ce matin, j'ai déposé un projet de loi qui, en apparence, est plutôt bref, il y a deux articles dans ce projet de loi là, mais l'impact de ce projet de loi là est immense et, en fait, c'est vraiment dû, comme projet de loi, ça fait longtemps que ça aurait dû être fait. Et, comme je vous le disais, le simple fait que ce soit un très bref projet de loi n'a aucun lien avec le fait que c'est un projet de loi extrêmement important.
Et, quand on parle de victimes d'actes à caractères sexuels et qu'on donne un délai de trois ans pour aller de l'avant dans des procédures civiles, on... en quelque sorte, on ajoute un fardeau sur les épaules de victimes qui, déjà, ont de la difficulté, évidemment, à parler de ça. Il y en a que ça peut prendre cinq ans, 10 ans, 20 ans, il y en a que ça peut prendre toute une vie avant même d'être capable de parler de ce qui leur est arrivé. Donc, on trouve que c'est absolument inacceptable qu'il y ait ce délai, cette prescription de trois ans dans la législation québécoise.
Et d'ailleurs, ce n'est pas une révolution québécoise qu'on fait avec ce projet de loi là, puisqu'on est déjà en retard sur d'autres législations qui ont déjà fait en sorte de corriger cette anomalie-là. Et, pour ceux qui s'intéressent à la chose économique, c'est un projet de loi qui ne coûte absolument rien non plus. Donc, le gros bon sens nous dicte d'adopter ce projet de loi là tout de suite et rapidement, évidemment, en tout premier lieu, pour le bien des victimes elles-mêmes, mais aussi parce que la législation a une faille à ce niveau-là, et il faut la réparer au plus vite.
J'étais très content, ce matin, après le dépôt du projet de loi, de voir que le ministre de la Justice était ouvert et va d'ailleurs lui-même déposer un projet de loi au retour de Pâques, au retour de la semaine de relâche parlementaire, et on espère que le contenu de son projet de loi va se rapprocher de celui-ci pour, comme je le disais, réparer une brèche dans la loi qui nous apparaît très urgente de réparer.
Donc, le déroulement aujourd'hui, je vais laisser la parole, ensuite, à ma députée... ma collègue, pardon, la députée de Crémazie, qui a aujourd'hui posé une question sur ce même projet de loi là. Et, ensuite, il y a certains représentants des victimes qui vont prendre la parole à tour de rôle. J'ai l'ordre d'intervention ici. Ensuite, il y a Mme McCann, Me McCann, qui a été celle qui était à l'origine de ce projet de loi là, qui y travaille depuis un bon moment et qui va être là aussi si vous avez des questions d'ordre un peu plus technique. Moi, je suis économiste, je ne suis pas avocat. Donc, je peux vous parler du principe du projet de loi, mais s'il y a des questions techniques, des questions de comparaison entre des législations différentes au Canada, Me McCann va être là pour toutes vos questions.
Donc, je vais tout de suite laisser la parole à ma collègue de Crémazie, Mme Lisette Lapointe.
Mme Lapointe: Merci. Alors, bonjour à nouveau à toutes les personnes qui sont ici. Il y avait une vingtaine de personnes qui ont été victimes d'agressions sexuelles dans leur vie, souvent pendant leur enfance, qui étaient présentes dans nos tribunes aujourd'hui, et la question que j'ai posée au ministre - ça adonnait bien, là, parce que, bon, j'avais la possibilité de poser une question aujourd'hui - je m'étais préparée parce que je n'étais pas du tout certaine d'avoir une réponse aussi favorable que celle que nous avons eue. Je dois vous dire qu'on a vécu un moment exceptionnel : c'est très, très, très rare qu'on se lève en Chambre pour poser une question et que le ministre nous répond: Écoutez, on est d'accord, on est d'accord, on va agir.
Ce qu'il est important de comprendre, c'est qu'on veut s'assurer qu'une victime d'agression sexuelle, qui, souvent, va prendre beaucoup de temps avant de porter plainte, compte tenu de la violence des gestes qui ont été posés à son endroit, que la personne puisse avoir toute la latitude, le temps voulu pour pouvoir obtenir réparation. Dans le domaine criminel, pour poursuivre au niveau criminel, il n'y a pas de prescription. Mais, si on veut obtenir un dédommagement financier, le délai, en ce moment, est de trois ans, ce qui n'a absolument aucun sens. En fait, la victime doit être capable de démontrer qu'elle était dans l'impossibilité d'agir avant. Alors, imaginez, il faut subir des interrogatoires, des contre-interrogatoires.
Alors, je souhaite que très, très rapidement... Puis le ministre a dit qu'il y aurait aussi des consultations particulières, donc des groupes qui s'occupent des victimes pourront venir témoigner, des victimes aussi, sans doute. Alors, j'espère que ça va être adopté très rapidement. On pourrait le faire même cette session-ci, si le ministre l'accepte. Alors, merci.
M. Aussant: Merci, Mme Lapointe. Et, comme Lisette le disait, effectivement, c'est assez rare, à la période de questions, qu'il y a un accord ou une entente comme ça, et ça illustre assez bien le fait que ce dossier-là est vraiment au-dessus de la partisanerie puis que c'est vraiment dans l'intérêt des victimes de procéder rapidement.
Je vais maintenant laisser la parole à certains représentants de victimes qui se sont déplacés ici et je les remercie d'ailleurs d'être avec nous aujourd'hui. Et, en tout premier lieu, je vais céder la parole à Mme Shirley Christensen.
Mme Christensen (Shirley): Alors, bonjour à tous. Tout d'abord, je tiens à remercier Me Julie McCann ainsi que M. Jean-Martin Aussant, député de Nicolet-Yamaska, d'avoir travaillé de concert à mettre sur pied le projet de loi afin d'éliminer le délai de prescription qui a été déposé aujourd'hui à l'Assemblée nationale. J'en profite aussi pour remercier Mme Lisette Lapointe, députée de Crémazie, qui appuie ce projet.
Mon nom est Shirley Christensen. J'ai été moi-même la victime d'agressions sexuelles, de l'âge de six ans à l'âge de huit ans, de Paul-Henri Lachance, prêtre pédophile. J'ai dû me rendre jusqu'à la Cour suprême le 13 octobre 2010 afin de faire valoir mes droits puisque le juge de la Cour supérieure ainsi que deux des trois juges de la Cour d'appel avaient rendus des jugements en ma défaveur pour cause de prescription. J'ai fait parvenir une lettre au ministre de la Justice, M. Jean-Marc Fournier, suite à mon passage en Cour suprême, lui demandant d'abolir le... le délai de prescription, pardon, dans les causes de victimes d'agression sexuelle.
Une victime au Québec a présentement trois ans pour dénoncer son agresseur, ce qui est totalement irréaliste et inconcevable vu le grand choc physique, psychologique et émotif qu'elle subit. J'ai reçu une réponse écrite de la part de M. Christian Veillette, du bureau du ministre, où il est écrit que le ministre est sensible à la cause, qu'il est au courant de mon dossier à la Cour suprême et qu'il mandatera ses juristes afin de regarder ce qui peut être fait à ce sujet. Et rien de concret jusqu'à maintenant n'a été fait au sujet d'un amendement à la loi sur la prescription, enfin jusqu'à ce jour.
Au Québec, si une victime veut poursuivre son agresseur au civil passé le délai de trois ans, elle doit payer pour subir une expertise auprès d'un psychiatre, qui lui coûtera au bas mot 2 000 $, afin de prouver qu'elle n'était pas apte à dénoncer en dedans du délai de trois ans. Dans la majorité des procès au civil pour agression sexuelle passé le délai de trois ans, l'avocat de la défense plaidera que la cause est prescrite et que la victime n'était pas dans l'incapacité totale d'agir. Une victime d'agression sexuelle, qu'elle soit mineure ou non, n'est jamais tout à fait prête psychologiquement à dénoncer son agresseur. Elle est retenue par la peur, la peur des représailles, la peur de ne pas être crue, peur du jugement des autres et elle est paralysée par la honte d'avoir été un objet sexuel et d'avoir été souillée. Et souvent elle éprouvera un profond dégoût d'elle-même, comme ce fut le cas pour moi-même. La plupart du temps, la victime ne fait pas le lien entre les conséquences de ce qu'elle vit suite aux agressions et les agressions qu'elle a subies.
Nous sommes l'une des seules provinces canadiennes ayant encore ce délai de trois ans qui bloque les victimes d'agression sexuelle. Ce n'est pas de gaîté de coeur que j'ai dû accepter un arrangement à l'amiable avec les avocats de mon agresseur et les avocats du diocèse de Québec. La Cour suprême a rendu une décision en ma faveur obligeant la Cour supérieure à m'entendre, mais cela n'enlevait pas le délai de prescription qui, lui, aurait à nouveau pu être utilisé par les avocats de la défense pour gagner leur cause. Cela m'aurait coûté encore très cher, et j'aurais non seulement pu perdre ma cause, mais devoir ainsi, par la suite, payer les frais de cour des avocats de mon agresseur et du diocèse, ce qui, pour moi, était inconcevable.
Toutes ces longues et pénibles démarches m'ont épuisée, moralement et physiquement. Voilà ce qui attend présentement une victime québécoise d'agression sexuelle qui veut poursuivre son agresseur au civil. C'est pourquoi il est plus qu'important que ce délai de prescription soit aboli et que ce projet d'amendement à la loi qui fut déposé à l'Assemblée nationale ce matin soit adopté, et ce, de façon très rapide, en avril je l'espère, afin que les autres victimes puissent dénoncer leurs agresseurs et les poursuivre au civil sans avoir peur que leurs demandes soient rejetées pour cause de prescription et sans qu'elles aient à subir ce que j'ai subi. Je vous remercie.
Une voix: Merci.
Une voix: Bravo!
M. Aussant: Merci, Mme Christensen. Merci. Je vais céder la parole maintenant à Mme France Bédard.
Mme Bédard (France): Bonjour à tous. Mon nom est France Bédard. J'ai été victime de prêtres. J'ai fondé l'association et je suis la présidente de l'Association des victimes de prêtres. Merci à Mme Julie McCann et M. Jean-Martin Aussant, Mme Lisette Lapointe, de Crémazie... M. Aussant est député de Nicolet-Yamaska. Merci pour votre beau travail. Grâce à vous deux, ce matin, aujourd'hui un projet de loi enfin a été déposé. Il y a...
Ça fait deux ans que nous adressons des demandes au ministre Jean-Marc Fournier, le ministre de la Justice: il est ouvert et il est sensible, et on attend, on attend. C'est assez. Aujourd'hui, enfin, il a dû se prononcer et dire ouvertement qu'il rendra, il va rendre sa décision en avril. Eh bien, j'ai hâte, j'ai hâte au retour des vacances de Pâques. Quelle sera cette décision? Nous l'attendons avec impatience. Nous ne pouvons plus attendre, nous avons assez attendu. Merci.
Enfin, le délai de prescription de trois ans au civil va être aboli. Pour une victime, ce délai de prescription de trois ans représente un mur quasi infranchissable, et j'en sais quelque chose. J'ai eu un procès en décembre. Je souhaite qu'aucune autre victime ne vive ce que j'ai vécu: vivre une deuxième injustice, être traitée comme si c'était moi, la coupable, alors que j'ai été violée quand j'étais mineure.
Les victimes sont lésées par le délai de prescription dans leurs droits parce qu'elles sont bloquées dans l'accessibilité de la justice. Pourtant, ça devrait être accessible à tous, mais, quand on rencontre ce délai de prescription - Mme Christensen, elle a complètement raison - c'est d'énormes frais qu'une victime a à débourser, et, je vous le dis, c'est plus que 2 000 $. Et ce que ça m'a coûté pour essuyer une décision qui a été en ma défaveur, ça m'a coûté très cher, mais le juge a reconnu que j'ai subi une injustice grave, mais il n'a pas le pouvoir de changer la loi. Alors, comme je vous dis, il faut travailler sans cesse, il faut que ce soit aboli pour toutes les personnes qui ont été victimes d'agression sexuelle. On parle de nos enfants, c'est notre priorité. Bâtir un pays avec des enfants qui ont été brisés à leur bas âge, ça devient des personnes qui sont très fragilisées, et ce n'est pas ça qu'on espère pour notre relève.
J'ai fondé l'Association des victimes de prêtres en 2008 et, depuis, j'ai pris connaissance de l'existence du délai de prescription. La majorité des gens ignoraient cette existence-là, et on s'est donné comme mission de l'abolir. Et il y a des victimes qui nous ont contactés, elles ont rencontré cet obstacle qui était de taille. Nous avons accompagné Mme Christensen jusqu'à la Cour suprême. Je la félicite de son grand courage. L'Association des victimes de prêtres, depuis que je l'ai fondée, j'ai des centaines de victimes qui m'ont contactée. Ce que je peux vous dire, dans les statistiques qui ressortent des agressions sexuelles, une femme sur trois est violée, est agressée sexuellement, un sur six pour les garçons.
Mais, concernant l'association, ce que je peux vous dire - je l'ai dit même avant la Belgique - j'ai trois fois plus de garçons dans l'association qui ont dénoncé des abus sexuels de prêtres et de religieux, parce qu'ils étaient omniprésents dans nos collèges et dans les séminaires. Et il faut que ça change. L'Église et ceux qui les défendent, avec des montants de 600 $ de l'heure, défendent l'indéfendable : l'Église discrédite les victimes, l'Église abandonne les victimes. Ils font tout pour l'affaiblir, j'en sais quelque chose.
Mais, ce que je peux vous dire, à la sortie de mon procès, j'étais loin d'être découragée, j'étais déterminée encore plus que jamais à continuer cette mission que je me suis donnée. Je veux remercier ma famille qui m'appuie. Sans eux, je ne pourrais pas. Et j'invite les victimes, quand elles sont prêtes, parce que dorénavant, les victimes, avec l'abolition du délai de prescription, pourront, quand elles sont prêtes - parce qu'il faut être prêtes pour dénoncer, il faut en ressentir le besoin - elles vont être prêtes, peu importe le temps. 30 ans, 31 ans... Moi, ça fait 40 ans. Avant, j'étais dans l'incapacité d'agir, et c'est Mme Nathalie Simard qui m'a donné le coup qu'il me manquait, et je la remercie.
J'invite les victimes, si elles se sentent prêtes. Maintenant, vous allez avoir plus de... facilité, excusez, à la justice. Je vous remercie.
M. Aussant: Merci, Mme Bédard. Je vais garder le petit déroulement ici. Merci beaucoup. Je vais maintenant céder la parole à M. Frank Tremblay.
M. Tremblay (Frank): Bonjour à tous. Merci d'être présents. Je suis Frank Tremblay. Ce qui vient de se produire un peu plus tôt ce matin, dans le salon bleu, ce n'est rien de plus que l'évolution d'une société. L'agression sexuelle n'a pas de limite d'âge, c'est pourquoi ces grands criminels vont puiser dans toutes les tranches de la population et se rendent jusqu'aux individus les plus vulnérables parmi nous: les enfants.
Il est aujourd'hui temps que notre société se dote d'un outil additionnel pour protéger ces enfants. Les enfants agressés il y a très longtemps ont cessé de grandir à l'intérieur de l'adulte qui les porte. L'actuel projet de loi, qui vient d'être déposé ce matin à l'Assemblée nationale, se veut un outil de protection qui permettrait à l'enfant agressé, une fois devenu grand, d'avoir le droit de demander des comptes à celui ou à l'organisation qui l'a démoli.
Dans le système actuel, le délai de prescription de trois ans donne au criminel et à son organisation qui le représente, le cas échéant, une arme destructrice sans commune mesure : sous le grand principe du droit à se défendre, ces individus ou organisations ont actuellement en leurs mains un pouvoir complètement disproportionné face à l'enfant devenu grand qu'on veut maintenant coincer. La structure actuelle du Code civil, malgré deux refontes passées, permet toujours d'agresser et de violer à nouveau l'enfant qui tente de se relever une fois qu'il prend conscience de l'impact du passage de ces fous dans sa vie.
Voici. Il y a de multiples exemples qu'on pourrait donner sur le processus. Je vais passer... le processus qu'on a à traverser, une fois qu'on décide de dénoncer, puis ce qu'on doit fournir. L'agresseur s'approprie tout de l'enfant lorsqu'il le viole. Ce même agresseur et son organisation, au risque de me répéter, ont actuellement le droit de tout reprendre lorsque l'on dépose une poursuite. Par contre, ils peuvent cette fois le faire de manière structurée et bien... orchestrée, pardon, par de grands cabinets d'avocats. C'est insoutenable pour celui qui a à le subir.
Je tiens à remercier particulièrement Me Julie McCann, qui, par sa volonté et son grand dévouement social, a travaillé depuis plusieurs années à ficeler parfaitement ce projet de loi. À grands pouvoirs, grandes responsabilités : vous, messieurs et mesdames les élus, vous avez entre vos mains aujourd'hui la capacité de changer les choses. Il vous incombe donc maintenant de l'utiliser pour faire grandir nos lois et les amener à un niveau qui représente l'époque à laquelle nous vivons. M. Aussant, grâce au fait qu'il a cru à ce projet et au temps qu'il a consacré avec les différents intervenants, peut nous permettre de vivre aujourd'hui avec l'espoir que d'autres enfants agressés ne seront pas à nouveau violés une fois qu'ils auront décidé de dénoncer. Merci, M. Aussant.
Je vous laisse en vous rappelant simplement que l'agresseur d'enfants ou son organisation qui le protège, même face à ces crimes les plus bas, n'ont pas d'allégeance politique. Il ne se soucie pas, au moment où il le démolit, de savoir s'il est péquiste, libéraux, caquistes ou autres. Il l'agresse sans scrupule et le déforme pour le reste de sa vie. Aujourd'hui, messieurs et mesdames les représentants de l'Assemblée nationale, je vous demande de ne pas faire de ce débat un débat politique. La protection des enfants n'est pas politique, elle est sociale. Défendez-nous et permettez-nous de revivre en nous donnant accès à une justice plus humaine. Merci.
M. Aussant: Merci beaucoup, M. Tremblay. Je vais laisser maintenant la parole à M. Tony Doussot.
M. Doussot (Tony): Bonjour. Alors, au nom du comité des orphelins victimes d'abus, les orphelins de Duplessis abusés dans les asiles catholiques pendant l'époque de la «grande noirceur», je tiens vraiment à remercier M. Aussant de ce magnifique projet de loi, simple, court, qui devrait être efficace. Et le ministre n'a plus le choix aujourd'hui. Il a dit qu'il allait le faire, il doit le faire, parce qu'il a attendu depuis très longtemps. Il faut bien comprendre ici, au Québec, les victimes d'agressions sexuelles ont moins de chance qu'ailleurs à cause de ce délai de prescription. Une victime d'agression sexuelle, elle doit surmonter sa solitude, sa peur. Ensuite, elle doit trouver de l'aide, elle doit ensuite passer le barrage de la police, elle doit aller voir un procureur, et il y a des délais de prescription, il y a des procédures dilatoires, il y a des appels encore.
Une victime, elle se retrouve à la fin de ce marathon judiciaire sans un sou. Les orphelins de Duplessis n'ont pas eu la chance d'obtenir justice. Il n'y avait pas de projet de loi. Aujourd'hui, les prochaines... malheureusement, les prochaines victimes, les victimes actuelles pourront obtenir justice... elles pourront obtenir réparation, c'est normal. Ce qui n'est pas normal, c'est qu'on ne l'ait pas fait avant. Ce qui n'est pas normal, c'est qu'on interpelle le ministre de la Justice depuis deux ans. C'est lui qui doit agir, c'est lui qui a le délai de prescription de l'incapacité, il faut qu'il agisse.
Donc, au nom de tous les orphelins de Duplessis, on veut vraiment remercier M. Aussant, Mme Lapointe et Me McCann pour ce beau projet de loi facile à appliquer, court, efficace et qui peut être adopté très rapidement. Merci beaucoup.
M. Aussant: Merci beaucoup, M. Doussot. Avant de passer aux questions, s'il y en a, j'aimerais laisser la parole à la personne sans qui ce projet de loi là n'aurait pas été déposé ce matin, qui a mené le projet d'un bout à l'autre, Me Julie McCann.
Mme McCann (Julie): Bonjour. Je vais être brève. C'est pour ces personnes-là que cette démarche-là a été faite. Ayant moi-même fait plusieurs recherches et beaucoup de travail sur la question de la prescription extinctive, c'était une évidence. Pas besoin d'être une victime d'agression sexuelle pour se rendre compte qu'il y a une injustice dans la loi actuelle.
Ça fait effectivement deux ans que des lettres sont envoyées au ministre. Je lui avais moi-même envoyé une lettre, au ministre de la Justice, en lui offrant mon aide. Donc, il aurait pu bénéficier de ce projet de loi là l'année dernière. Je remercie M. Aussant d'avoir accepté d'être porteur du projet. Je remercie infiniment aussi Mme Lapointe d'avoir accepté d'interpeller le ministre avec, bien, espérons-le, peut-être une réaction positive et rapide au retour du congé de Pâques. Merci.
M. Aussant: Est-ce qu'il y a des questions pour l'un ou l'autre des intervenants?
Journaliste: Ce serait pour vous, M. Aussant. D'abord, est-ce que vous avez senti, de la part de M. Fournier, qu'il allait annuler le délai de prescription ou qu'il y aurait peut-être un risque qu'il soit tout simplement allongé, par exemple, de trois ans à six ans? Est-ce que... Comment vous décodez ce qu'il a dit?
M. Aussant: Bien, c'est la grande question qu'on se pose actuellement. On a vu son ouverture à déposer un projet de loi dont le titre se rapproche un peu du sujet du projet de loi que j'ai déposé aujourd'hui, mais il reste à savoir le contenu, et on le saura en même temps que tout le monde, quand il va être déposé, parce qu'évidemment il ne va pas parler du contenu avant de le déposer devant les parlementaires. Donc, on espère que son projet de loi va dans le même sens que le nôtre et non que ça va être une solution édulcorée ou partielle à un problème qui est vraiment entier.
Journaliste: Est-ce que... Parce que, là, on parle du délai de prescription pour poursuivre au civil.
M. Aussant: Oui.
Journaliste: Les victimes aussi peuvent recevoir de l'argent de l'État via l'IVAC, et, si je ne m'abuse, il me semble que le délai de prescription à l'IVAC est juste d'un an. Donc, je ne sais pas, est-ce que, vous, vous n'auriez pas pu profiter de ça pour demander aussi des modifications à l'IVAC? Parce que l'ex-bâtonnière, Madeleine Lemieux, qui avait formulé un rapport concernant la modernisation de l'IVAC, disait que le délai de prescription d'un an n'était pas acceptable.
M. Aussant: Bien, ce projet de loi là s'attaque au Code civil. En fait, il veut réformer le Code civil. Quant à l'IVAC, je ne sais pas si Me McCann veut préciser des éléments?
Mme McCann (Julie): En fait, la démarche qui est entreprise ici ne visait pas effectivement l'IVAC, c'est surtout pour permettre aux victimes qui ont des recours en cours... Vous savez, en ce moment, il y a beaucoup de recours collectifs qui ont été autorisés pour des victimes d'actes à caractère sexuel, puis, le problème qu'on voit venir, c'est qu'avant même de pouvoir entendre ces recours collectifs là on va probablement passer au peigne fin chacune des personnes visées par le recours collectif pour essayer de lui opposer la prescription. Donc, l'urgence d'agir était en réaction à ces recours collectifs là et aussi permettre de redonner le droit des victimes, à qui on a nié le droit... de le réactiver. Et la manière de le faire, c'était par le biais du Code civil du Québec. Et, avec les moyens et les ressources qu'on a, le nombre de personnes que je suis, qui a travaillé sur le projet, je m'en suis tenue au Code civil du Québec.
Journaliste: Et, une précision aussi, est-ce qu'il n'y avait pas possibilité de demander un effet rétroactif jusqu'à un certain point?
Mme McCann (Julie): Effectivement, il y a ça dans le projet de loi. Donc, il y a deux dispositions: une où on annule complètement le délai de prescription lorsque la victime d'actes à caractère sexuel était mineure; l'autre disposition, c'est un renversement de fardeau de preuve, où c'est l'agresseur qui devrait démontrer que la personne agressée pouvait poursuivre avant. Donc, on facilite la preuve de la victime. Ça envoie un message au tribunal aussi de se dire qu'on va être plus favorable à entendre la victime sur le fond, donc au procès, et non pas comme dans ce que Mme Christensen a subi, se rendre jusqu'à la Cour suprême pour obtenir l'autorisation de s'adresser au tribunal pour faire la preuve qu'elle a effectivement a été agressée ou abusée sexuellement.
Dans un deuxième temps, comment est-ce qu'on met en application cette loi là, donc, c'est par le biais d'une disposition fenêtre, donc, de permettre aux victimes dont le recours a été rejeté dans le passé de bénéficier d'un délai de deux ans pour réactiver leur recours, s'il a été rejeté, effectivement, sur la base de la prescription. Et donc, cette fenêtre-là, c'est quelque chose qui s'est déjà fait ailleurs aux États-Unis, là. Donc, au Delaware, en Californie, entre autres, quand on a voulu abolir le délai de prescription, c'est ce qu'on a offert aux victimes. Donc, je me disais qu'on devrait être au moins aussi généreux envers les victimes québécoises. Donc, c'était l'idée.
Journaliste: Mais, dites-moi donc, ça veut dire que, pour Mme Bédard ou Mme Christensen, éventuellement, il y aurait une opportunité de se représenter devant le tribunal?
Mme McCann (Julie): Effectivement, donc, parce que la question de la prescription ne serait plus la question de fond, elle ne serait plus le moyen de défense à invoquer pour que le recours soit rejeté. Mais, en fait, il pourrait être rejeté si on faisait l'absence de dommages, ce qui manifestement doit être assez difficile à faire, compte tenu de la nature des gestes qu'ils ont subis.
Journaliste: Donc, c'est un espoir pour vous aussi, Mme Bédard ou Mme Christensen? Avez-vous un petit mot à dire là-dessus?
Mme Christensen (Shirley): En fait, j'aurais dit probablement plus pour Mme Bédard parce que...
Une voix: ...
Mme Christensen (Shirley): Oui. J'aurais dit probablement plus pour Mme Bédard que pour moi-même, parce que, moi, il y a eu un règlement hors cours. Alors, je ne peux plus poursuivre puisque j'ai accepté le règlement hors cours. Mais je le souhaite de tout coeur à Mme Bédard et aux autres victimes, M. Tremblay entre autres.
Mme Bédard (France): Oui. J'étais assez émue d'apprendre qu'il y avait possibilité pour moi. Mais, ce que je peux vous dire, j'avais décidé de porter ma cause en appel et j'étais déterminée à continuer parce qu'il y avait vraiment eu injustice à la décision de mon procès. Et, ce que je peux vous dire, j'ai hâte de dire un jour: Le Québec, c'est l'enfer pour les pédophiles. Parce qu'ici, je l'ai dit souvent : Le Québec, c'est le paradis pour les pédophiles. Mais je rêve au jour où je vais dire: Le Québec, c'est l'enfer pour les pédophiles. Puis bravo pour nos enfants!
Alors, c'est une grande journée pour nous aujourd'hui. Je remercie les personnes, Mme McCann, M. Aussant, Mme Lapointe, du beau travail. Et, au nom de toutes les victimes d'agression sexuelle, c'est un moment inusité aujourd'hui, ce qui s'est passé, ce qui s'est vécu, ici, à l'Assemblée nationale, et c'est à retenir, cette journée-là. Merci.
Le Modérateur: M. Boivin.
M. Boivin (Simon): Une petite question pour Mme McCann: Sur un plan un peu plus politique...
Mme McCann (Julie): Oui.
Journaliste: ...le bruit court que vous êtes tentée par une candidature pour l'Option nationale dans la région de Québec. Je me demandais si c'était, un, effectivement le cas et, deux, si vous aviez un comté en tête?
Mme McCann (Julie): Allez-vous voter pour moi? Je vous dirais qu'il y a des belles annonces qui s'en viennent pour le parti, mais, aujourd'hui, je tiens à ce qu'on laisse la place aux victimes pour ce dossier-là. Et surtout que ça fait, pour ma part, six ans que je travaille là-dessus, donc, pour moi, c'est l'aboutissement de quelque chose. Je veux que ce soit vu comme une démarche citoyenne. Donc, quand on est un citoyen, quand on a une idée, quand on a un point à faire valoir, quand on réussit à le vendre puis qu'il y a un député qui accepte d'être porteur, un député qui accepte de poser des questions, bien, pour moi, c'est un grand moment d'initiative citoyenne puis, pour le reste, ça ne tardera pas, faites-vous-en pas.
Une voix: Bravo!
Mme Lapointe: Bravo! Merci.
M. Aussant: Merci beaucoup, tout le monde.
Des voix: Merci.
(Fin à 11 h 58)