(Onze heures deux minutes)
M. Barrette : Alors, bonjour, tout
le monde. Alors, merci de prendre quelques instants pour participer à ce point
de presse qui va traiter d'un sujet qui, aujourd'hui, dans notre société, est
très important. Alors, comme on le sait, depuis maintenant plus d'un an, nous
avons une loi sur les soins de vie qui est une excellente loi qui est en application.
Et on a constaté à son usage que manifestement cette loi avait été non
seulement bien intégrée dans la population, elle est bien comprise, et on a vu
une utilisation grande d'un des aspects de cette loi qui est celui de l'aide
médicale à mourir.
Alors, on s'attendait tous à ce qu'il y
ait un certain nombre de patients qui demandent l'accès à l'aide médicale à
mourir. Les nombres que nous avons constatés ont été plus grands que prévu. Non
seulement ont-ils été plus grands que prévu, mais émerge de façon très évidente
aujourd'hui un nouveau discours, de nouvelles demandes de la population en
général, nous demandant de nous adresser à la question de la demande médicale
anticipée, à la question de l'élargissement de l'accès de l'aide médicale à
mourir, à la question éventuellement de faire évoluer cette loi.
C'est un sujet qui est complexe, et je dirai
d'entrée de jeu, et c'est ce qui est important, à mon avis, pour moi, c'est qu'aujourd'hui
nous en sommes où nous en sommes pour une raison simple : nous avons pris
le temps de débattre et de réfléchir à ce sujet-là et particulièrement à l'aide
médicale à mourir. On comprendra que l'enjeu principal, malgré tout, demeure
l'accès aux soins palliatifs, et des mesures sont en place pour faire en sorte
que ces soins soient toujours accessibles à la population sur tout le territoire,
mais évidemment, la question de l'aide médicale à mourir, son application, son
élargissement, la question de la demande médicale anticipée devient un sujet
d'actualité. Ça devient tellement le sujet d'actualité que M. François Paradis,
de la Coalition avenir Québec, a demandé un mandat d'initiative à la Commission
de la santé et des services sociaux pour traiter de cet objet-là.
Je le répète, il y a une grande complexité
à ce sujet-là, et nous croyons fermement que, si nous sommes pour nous engager
dans une réflexion sur cet aspect-là, nous devons prendre le temps, exactement
comme on a pris le temps de faire la réflexion sur l'aide médicale à mourir,
sur les soins de fin de vie qui ont résulté dans la loi que nous avons aujourd'hui.
Nous allons répondre à tous les segments
de la population qui nous demandent de commencer une réflexion là-dessus, et je
vous annonce aujourd'hui une démarche en trois points pour commencer la
réflexion sur des bonnes bases. Alors, des bonnes bases, ça signifie qu'il
faut, pour nous, savoir précisément de quoi nous parlons.
Alors, dans un premier temps, nous allons
modifier le mandat qui traite de notre commission sur les soins de fin de vie,
qui est constituée à l'intérieur de notre loi actuelle, qui actuellement
demande... on lui demande de faire l'évaluation des cas où il y a administration
d'aide médicale à mourir, donc si les règles ont été observées tel que prévu
dans la loi. Conséquemment, on comprendra qu'il y a des situations où l'aide
médicale à mourir n'a pas été administrée ou même a été refusée.
Nous allons donc demander à notre
commission de revoir tous les cas où il n'y a pas eu d'administration d'aide
médicale à mourir ou encore s'il y a eu refus d'aide médicale à mourir, pour
deux raisons. Nous disposons aujourd'hui d'un groupe de patients chez qui il y
a une décision qui a été prise, et la décision qui a été prise mérite d'être
documentée. Il ne s'agit pas pour nous de revoir... ou pour la commission,
pardon, de revoir si les décisions médicales ont été appropriées ou non. Il
s'agit de documenter la situation qui prévalait au moment où soit l'aide
médicale à mourir n'a pas été administrée, soit le moment où l'aide médicale à
mourir a été refusée. Pourquoi? Parce que, si les gens parlent aujourd'hui
d'élargissement de critères d'accès à l'aide médicale à mourir, obligatoirement,
les cas à qui on n'a soit pas administré ou soit refusé l'accès étaient dans la
zone d'élargissement évoquée par les gens qui veulent qu'on réfléchisse
là-dessus.
De quoi parle-t-on? C'étaient des gens qui
avaient des maladies chroniques, qui étaient aptes, qui n'étaient pas en fin de
vie et ainsi de suite. La Commission sur les soins de fin de vie va nous
permettre de jeter un éclairage pratique, terrain, déjà vécu dans plus de la
dernière année pour voir de quoi on parle précisément. Donc, premier volet qui
a une portée documentaire de cas réels, pas du tout théoriques, de cas vécus.
On a la chance d'avoir accès à cette, entre guillemets, banque de données là.
Dans un deuxième temps, nous allons
mandater un groupe d'experts pour amorcer la réflexion sur, justement, les
critères d'élargissement de l'aide médicale à mourir, particulièrement sous
l'angle des personnes inaptes, ainsi que de la demande médicale anticipée. Je
vous le dis, ce n'est pas simple, ce sujet-là. Ce n'est pas un sujet qu'on peut
traiter comme ça en commission parlementaire pendant deux semaines, deux mois.
C'est quelque chose de complexe, qui mérite un début de réflexion, et c'est ce
que l'on veut débuter.
Je reviens un instant sur notre commission.
Notre commission s'adresse à des patients qui, par définition, étaient aptes.
Les experts, on va leur demander à eux d'aller même sur le terrain des gens
inaptes. Les gens nous demandent ça, mais ce n'est pas simple. Inapte quand? À
quel moment sommes-nous vraiment inapte? Est-ce qu'on va ouvrir ça ou on
devrait l'ouvrir? D'abord, par définition, est-ce qu'on devrait l'ouvrir? Si on
l'ouvre, on l'ouvre après quelle étape? À quel moment de l'inaptitude, par
exemple, très inapte, un peu inapte et ainsi de suite? Ce n'est pas simple, et,
s'il y a une chose qui, pour nous, est absolument primordiale, c'est la
prudence dans la réflexion et certainement l'objectivité des données sur
lesquelles on va se baser.
En troisième lieu, il y a justement
l'importance de voir sur quel terrain juridique nous pratiquons ces gestes-là.
Nous avons rencontré, il y a un mois, un nombre d'ordres professionnels qui
traitent de ce type de situation là. Nous avons rencontré, à leur demande,
l'Ordre des infirmières, l'Ordre des pharmaciens, le Collège des médecins,
l'Ordre des travailleurs sociaux, le Barreau du Québec. On les a rencontrés, et
unanimement ils nous ont demandé de poser un geste pour clarifier l'environnement
juridique — je vais le préciser dans un instant — préciser
l'environnement juridique, parce qu'actuellement les ordres professionnels,
dont le mandat est de protéger le public, font face à une difficulté très
grande dans leur capacité de mettre en place des règles, un cadre clair
vis-à-vis leurs professionnels et, au bout de la ligne, pour protéger le
public.
Je m'explique, ce n'est pas compliqué.
C-14 est une loiqui est concurrente à celle de la loi québécoise sur
les soins de fin de vie, qui s'adresse à des situations cliniques différentes
et qui a une phrase qui est problématique, qui est celle du «mort
raisonnablement prévisible». Pour les ordres professionnels… ils sont venus,
les ordres, nous dire : Cette phrase-là, cet élément-là de la loi nous
pose problème parce qu'une mort raisonnablement prévisible, ça ne se définit
pas.
J'ai donc demandé… Je vais donc demander à
ma collègue Mme Stéphanie Vallée de saisir les tribunaux pour apporter une fois
pour toutes une clarification juridique de la signification, de la portée du
segment de la loi C-14 qui mentionne qu'on peut faire ceci ou cela dans la
circonstance spécifique où la mort est raisonnablement prévisible. On va donc
demander à la cour de se prononcer en clarifiant cette notion. Ce n'est pas une
prise de position de notre gouvernement sur quoi que ce soit d'autre. C'est une
prise de position simplement sur la nécessité pour que la législation qui est
actuellement opérante au Canada, le Code criminel, soit claire ou, du moins, le
plus clair possible sur cette notion-là qui, pour les ordres professionnels,
pose un problème majeur.
Donc, aujourd'hui, ce que l'on annonce, c'est
le début d'une réflexion dans un cadre juridique que l'on veut précis. Le cadre
juridique n'est pas précis. On veut qu'il soit précisé, et la réflexion est
celle qui est demandée, à savoir, y a-t-il lieu on non d'élargir l'accès à l'aide
médicale à mourir, dans quelles circonstances, à quelles conditions, chez les
patients aptes ou inaptes, en commençant par, un, réfléchir sur le concept,
deux, en analysant les données dont nous disposons actuellement.
Ces différents exercices là, évidemment,
vont prendre du temps. La Commission sur les soins de fin de vie, nous ne nous
attendons pas à ce qu'elle puisse nous donner des résultats avant au moins un
an. C'est une analyse qui est complexe. Ce n'est pas, encore une fois, une
inspection professionnelle, c'est une analyse sans plus, mais ça va prendre un
certain temps. Le versant juridique, vous comprendrez que, ça aussi, ça prend
un certain temps. Et, pour ce qui est du comité d'experts, je vois difficilement
comment le comité puisse tirer ses conclusions avant, là aussi, certainement
une période d'une année.
Alors, nous voulons commencer la
réflexion, mais la faire, la commencer sur des bases objectives, dans un
environnement qui soit juridiquement précis et de cheminer d'une façon prudente
vers ce que sera les décisions qui seront en concordance avec l'état de la
pensée de la société québécoise ultimement. Voilà. Merci.
La Modératrice
: On va
passer à la période de questions.
Mme Richer (Jocelyne) : Bonjour,
M. Barrette. On aurait pu s'attendre à une commission parlementaire, par
exemple, ou une tournée de consultation pour prendre le pouls de la population.
Pourquoi vous n'avez pas choisi… Vous dites que c'est très complexe, mais, j'imagine,
cette étape-là, elle est incontournable. Est-ce que vous voyez ça dans un
deuxième temps ou quoi?
M. Barrette : Il pourrait,
dans un deuxième temps, y avoir ce à quoi vous référez. Il pourrait ne pas y
avoir ce à quoi vous référez dans un deuxième temps. Mais, dans tous les cas de
figure, on doit établir, à la case départ, un certain nombre de choses. On a
l'avantage, je l'ai dit tout à l'heure, on a environ 250 personnes actuellement
qui ont été l'objet d'une analyse d'une demande d'aide médicale à mourir. Il y
a des gens là-dedans qui ne l'ont pas eu pour toutes sortes de raisons. Mais surtout,
en faisant cette analyse-là, on va pouvoir constater, au moment où les gens
veulent élargir l'aide médicale à mourir, ils étaient où, ces gens-là? Dans
quelle situation clinique étaient-ils? Étaient-ce des gens qui ont demandé
l'aide médicale à mourir sur la base d'une maladie dégénérative qui était très
loin de la fin de vie? De quoi on parle?
Actuellement, dans le discours public, on
le comprend, le discours public, on comprend l'émotion qu'il y a autour de ça.
Mais, dans les faits, si on veut arriver un jour à une décision, puis je ne dis
pas qu'on va arriver à une décision qui va l'élargir, mais si on veut arriver
un jour à une décision, encore faut-il pouvoir se baser sur des situations
précises, vécues. Et on a la chance, dans notre loi, d'avoir ça. Alors, allons
analyser, prendre le temps d'analyser ce de quoi on parle, et ça va permettre
d'alimenter la réflexion.
Quand on tombe du côté de la population
inapte, ça, c'est un autre univers complètement différent, là. L'inaptitude,
là... Et je prends souvent ça comme exemple, les gens font souvent référence à
l'alzheimer. Bien, on sait tous que la maladie d'Alzheimer, c'est quelque chose
de progressif. Il y a des gens qui sont un peu inaptes, momentanément inaptes,
ils reviennent inaptes, et là on progresse vers une inaptitude profonde. Aujourd'hui,
là, je fais une tournée, c'est qui qui va me dire ça, là, exactement où
trancher? Alors, moi, je pense qu'il y a des gens qui se disent : Si, un
jour, je suis alité 24 heures par jour, je ne voudrais pas vivre ça. On peut le
comprendre. Maintenant, entre les deux, là, entre le moment où on commence à
avoir des signes d'inaptitude... où est-ce qu'on tranche, où est-ce qu'on met
la ligne de démarcation?
Alors là, on a quoi? On a des gens qui
sont passés dans la procédure de la loi actuelle, on peut les analyser. Il y a
une réflexion à faire, qu'on va faire faire par des experts, et on va clarifier
l'élément de C-14 qui, lui, dans tous les cas de figure, pose un problème. À la
suite de ça, on pourra engager peut-être une réflexion plus formelle, genre
commission. Mais commençons par le début. Le début, c'est ce que l'on propose aujourd'hui.
Mme Richer (Jocelyne) :
J'aurais une double question.
M. Barrette : Bien sûr.
Mme Richer (Jocelyne) :
J'aimerais savoir... Évidemment, on connaît le vieillissement de la population.
On sait que, dans les années à venir, il y aura de plus en plus de cas, de cas
lourds d'alzheimer, de démence, etc. Selon vous, votre lecture aujourd'hui des événements,
est-ce que la population québécoise est prête à élargir la loi? Et j'aimerais
savoir si vous, personnellement, comme citoyen et comme médecin, si vous pensez
qu'on est rendus là, qu'il faut élargir la loi?
M. Barrette : Bien, la
question, pour moi, et c'est toujours la même chose, la question, pour moi, et
comme médecin et comme ministre de la Santé, est de s'assurer que, un, s'il y a
une réglementation, que cette réglementation-là soit vraiment en synchronisme
avec ce que la population veut.
En même temps, c'est une question de
prudence. Vous savez, le gouvernement n'est pas là pour permettre à la population
de faire ce qu'elle veut en toutes circonstances, le gouvernement est là aussi
pour faire en sorte qu'il y ait une protection du public. Je suis convaincu,
moi, aujourd'hui que la société québécoise, dans sa moyenne, là, dans son
ensemble, pas tout le monde exactement, elle est rendue au point où elle nous
demande de faire cette réflexion-là. Je ne crois pas que la population québécoise
nous demande d'aller vite, je pense que la population nous demande d'amorcer la
réflexion de la façon la plus prudente possible et de s'assurer, comme on l'a
fait avec ce qui existe aujourd'hui, de mettre en place des garde-fous éventuels
si on élargit la chose.
Alors, moi, je pense que, et comme médecin
et comme ministre, que la population est prête à la réflexion. Le meilleur
exemple, c'est évidemment le grand nombre d'aide médicale à mourir qui a été
demandé, qui est beaucoup plus grand que ce que je pensais qui allait arriver.
Et aujourd'hui, il y a des voix qui se lèvent pour dire : Oui, on voudrait
l'élargir. Parfait. Mais comprenez-vous bien, tous et toutes, de quoi on parle?
Moi, je suis convaincu d'une chose, convaincu d'une chose : la population en
général, en moyenne, ne comprend pas exactement de la même manière ce dont tout
un chacun pense. Je ne pense pas, moi, que les gens veulent avoir l'aide
médicale à mourir sur une demande anticipée au premier signe d'inaptitude. Je
ne pense pas que les gens demandent ça. À l'autre extrême, je pense que peut-être
que, oui, ils veulent, quand on est à l'extrême, avoir accès à ça. Mais, entre
les deux, là, il y a une infinité de possibilités et bien malin celui qui
pourrait se lever aujourd'hui puis dire : Voici le texte de loi, là, ou le
texte réglementaire qui nous permettrait d'aller de l'avant.
Alors, moi, ce que je dis, et notre
gouvernement, ce que l'on dit : Prudence. La population nous invite à une
réflexion? Très bien. On la commence, mais on va la faire dans l'ordre, mais
pas simplement dans l'ordre, sous tous les aspects. Parce que l'aspect
juridique est important. Il vient conditionner le reste. On a une base de
données, je l'ai indiqué tantôt, et la réflexion globale sur l'inaptitude est
en soi un nouveau champ de débat, hein? Rappelons-nous d'une chose, la loi
actuelle est une loi qui est basée sur le choix individuel, donc qui commence
par l'aptitude.
Là, on nous demande de réfléchir sur
l'inaptitude et la demande anticipée. C'est un nouvel univers, c'est un nouveau
champ qui exige, à notre avis, qu'on prenne le temps, et c'est ce que l'on
propose. On est très actifs dans notre approche. On s'adresse à l'ensemble de
l'oeuvre, mais d'une façon ordonnée et réfléchie.
M. Laforest (Alain) :
Bonjour, Dr Barrette.
M. Barrette : Bonjour. Bon
vendredi.
M. Laforest (Alain) : Vous
aussi. Je vais vous poser une question. Si possible, j'aimerais avoir une
réponse courte.
M. Barrette : C'est dur sur ce
sujet-là. Vous avez eu maintenant la réponse courte.
M. Laforest (Alain) : Je sais
que c'est difficile. Je sais que c'est difficile. Bon, quelle a été la réaction
de votre caucus quand vous avez amené ce point-là? Parce qu'on sait
actuellement qu'il y a de la résistance dans le caucus d'élargir cette loi-là.
Est-ce que c'est pour ça que vous y allez de cette façon-là, pas de
consultation publique, mais que vous allez vraiment valider techniquement,
parce que c'est un peu ça que vous nous dites, avec des experts pour dire :
Voici où le Québec en est rendu? Est-ce que je comprends bien?
M. Barrette : Alors, je vais
être très précis et très court. J'ai fait, dans les mêmes termes, devant le caucus,
la réflexion que je vous ai faite il y a quelques instants, et j'ai reçu
l'appui, à mon avis, unanime du caucus. Je ne sais pas de quelle division vous parlez.
Je n'ai pas senti de division lorsque j'ai fait ma présentation. Il n'y a pas
eu de division exprimée. Au contraire, les gens étaient très heureux, au caucus,
de constater la prudence de l'approche et la manière de faire cette
approche-là.
M. Laforest (Alain) : Dans un
deuxième temps, ce que je comprends, et en faisant attention de ne pas donner
le nom de la loi parce que les jeunes ne connaissent pas les noms de loi, ce
qu'on comprend, c'est que vous voulez valider le fait que la loi québécoise ne
va pas trop loin par rapport à la loi fédérale. C'est ce que les fédérations
vous ont demandé.
M. Barrette : Les fédérations
ne m'ont rien demandé. Ça, c'était court, hein?
M. Laforest (Alain) : Mais vous
voulez… vous dites que vous allez devant les tribunaux pour demander… Dites-moi
où est la nuance de gris, là, par rapport à la loi fédérale?
M. Barrette : Oui. Alors, ce
sont les ordres professionnels qui ont demandé, vous vous en rappelez, à nous
rencontrer. Les ordres ont demandé à nous rencontrer parce qu'ils avaient un
problème d'encadrement des pratiques professionnelles de leurs membres, et la problématique
vient du fait que la phrase selon laquelle on peut administrer l'aide médicale
à mourir doit se faire à certaines conditions, dont celle voulant que la mort
soit raisonnablement prévisible. Cette condition-là doit être précisée parce
qu'aux yeux des ordres elle est inopérable, inapplicable, elle est trop floue.
Alors, nous allons donc demander à Mme Vallée, la procureure générale, de
saisir les tribunaux pour clarifier la signification, la portée de la notion de
«mort raisonnablement prévisible».
Je peux prendre un exemple. Je vous
prédis, et il est raisonnable de vous prédire à tous et à toutes ici que vous
allez mourir, c'est raisonnable, et moi aussi. Alors, c'est quoi, ça, dans un
contexte d'aide médicale à mourir, une mort raisonnablement prévisible? Y a-tu
quelqu'un, en quelque part, qui peut me faire le dessin pour que je comprenne?
Alors là, on va demander à la cour de nous faire le dessin.
M. Gagnon (Marc-André) :
M. Barrette, qu'est-ce qui a été le déclic pour vous? Bon, parce que la
loi sur l'aide médicale à mourir est en vigueur depuis quand même quelques
années, hein? Est-ce que c'est le cas de Mme Lizotte en février qui, pour
vous, a permis d'accélérer les choses, vous a poussé à l'action?
M. Barrette : Ce cas-là,
M. Brault... Pour moi, le premier ças, ça a été M. Brault. Je n'ai
pas été surpris de voir survenir ce cas-là. Alors, ça n'a pas été un déclic, ça
a été une confirmation de ce que personnellement j'avais moi-même prédit.
Ça ne réglera pas tous les enjeux. Un
nouvel enjeu va surgir tôt ou tard. Alors, il y a eu M. Brault, il y a eu Mme
Lizotte et il y en aura d'autres. On le sait qu'il y en aura d'autres. Et alors,
à un moment donné, les lois sont faites pour aussi protéger le public, et moi,
je trouve cruel d'être inactif devant ces situations-là.
Alors, nous, ce que l'on dit, bon, bien,
voilà, il y a un flou juridique, il y a la population qui exprime fréquemment
son désir qu'une réflexion se fasse; en contrepartie, nous, on considère qu'on
doit être prudents. La conséquence de ça, c'est commençons quelque chose correctement
en n'omettant rien. Alors, on s'adresse à tout, là, actuellement.
M. Gagnon (Marc-André) : O.K.
Vous dites qu'il y en aura d'autres, et justement, dans la population, en ce
moment, là, la démarche que vous annoncez, elle est prudente, elle va être
longue. C'est ce que je décode, c'est ce que je comprends. C'est ce qui
m'apparaît évident, et donc ces gens-là qui doivent endurer des situations
épouvantables, des situations qui sont difficiles, vont devoir continuer
d'endurer ça un peu en quelque part, parce qu'au sein de votre caucus il y a
une certaine division. Je comprends que vous dites : Vous avez l'appui
unanime de votre caucus pour annoncer le plan que vous nous présentez...
M. Barrette : La démarche.
M. Gagnon (Marc-André) :
...la démarche que vous nous annoncez aujourd'hui, mais, vous allez être
d'accord avec moi, il serait faux de dire qu'il n'y a pas une division, au sein
de votre caucus, sur cet enjeu. Il y a quand même une vingtaine de députés dans
votre caucus qui ont voté contre l'aide médicale à mourir en 2014.
M. Barrette : Alors là, moi,
je vais vous inviter à vous méfier des gens qui sont unanimes sur la base d'une
ligne de parti. Sur ce sujet-là, je me méfierai toujours de la véracité de
l'unanimité d'un parti, toujours, parce qu'il n'y a probablement pas de sujet
humainement plus prenant, plus débattable, plus émotif que ce sujet-là. Je ne
conçois pas, moi, qu'on puisse être unanime dans la société sur ce sujet-là. Je
ne le conçois pas. De voir qu'un député, de quelque parti que ce soit, soit
inconfortable, soit contre la loi actuelle, je trouve ça sain. Le contraire, à
mon avis, n'est pas la réponse à offrir à la population.
S'il y a un sujet sur lequel les députés
qui ont une fonction de représentation de leurs électeurs et qui ont une vie
personnelle et intérieure doivent avoir une liberté de vote, bien, c'est bien
ça. Et, à ma connaissance, la démocratie n'est pas un objet d'unanimité, mais
bien de majorité.
Alors, moi, là, quand vous abordez ça sur
cet angle-là, avec tous les égards et tout le respect que je vous dois, je
pense que vous errez. Je pense qu'il faut reconnaître que c'est une bonne chose
d'avoir des gens qui soient contre. Maintenant, la démocratie n'étant pas une
question d'unanimité, ça devient une question de majorité. Plus la majorité est
grande, mieux c'est, et on a une majorité qui est grande, quand on a fait une
réflexion prudente, transparente et exhaustive, ce que nous commençons
aujourd'hui.
M. Gagnon (Marc-André) :
Juste une petite précision. Donc, au bout de la démarche, là, je comprends
bien, pas de ligne de parti. Il n'y a pas de place pour la ligne de parti dans
un enjeu comme ça.
M. Barrette : Sur un sujet
comme celui-là, personnellement, là, je vais parler en mon nom personnel, je
n'engage personne d'autre, en mon nom personnel, c'est un sujet de vote libre.
M. Boivin (Mathieu) : M. le
ministre, pour faire un peu de chemin sur la question de mon collègue, pourquoi
est-ce que vous n'adoptez pas le même modèle que dans le cas de la Loi sur les
soins de fin de vie et impliquez les autres partis politiques dans la
discussion plutôt que d'impartir ça d'une certaine façon?
M. Barrette : Bien, écoutez,
je vous rappellerai qu'au départ il y a eu ce genre de chose là, mais l'élément
sur lequel je vais insister, pour répondre à votre question, nous ne sommes pas
au même moment. On n'est pas au même moment. Quand le sujet des soins de fin de
vie, et particulièrement de l'aide médicale à mourir, est venu sur le terrain politique,
c'était tellement vaste, c'était tellement un changement par rapport à la situation
politique d'avant qu'il y avait lieu, pour cet enjeu-là, de commencer par ça.
Aujourd'hui, on n'est pas à ce moment-là.
On est à plus d'un an d'application d'une loi qui, elle, est le fruit d'une
discussion parlementaire exhaustive qui a duré des années. Aujourd'hui, on
réfléchit sur la façon de faire un pas de plus. Alors, on pense que, sur
l'assise sur laquelle nous sommes, c'est-à-dire la démarche qui a été faite
collectivement, on peut raisonnablement faire cette réflexion-là de cette
manière-là à cette étape-ci. Ça n'exclut pas qu'il y ait ultimement, après tout
ça, un exercice similaire. Ça ne l'exclut pas du tout, mais nous, on pense qu'aujourd'hui,
à cette étape-ci de l'évolution de la réflexion sociétale sur ce sujet-là, la
prochaine étape est celle qu'on propose.
M. Boivin (Mathieu) : M. le
ministre, vous nous avez dit que vous souhaitez être prudent plusieurs fois,
qu'il ne faut pas aller trop vite, que c'est nécessaire. Dites-moi quel est
l'écueil qu'il faut éviter? Pourquoi est-ce qu'une décision émotive, pourquoi
est-ce qu'une décision trop rapide porterait beaucoup de dangers? Dites-moi le clairement
qu'est-ce qu'il faut éviter.
M. Barrette : Bien, j'ai été, je
pense, très clair dans l'exemple que je vous ai donné précédemment.
L'élargissement de l'aide médicale à mourir, tel que demandé par la CAQ, l'élargissement
de l'aide médicale à mourir nous amène sur le territoire de, un, la demande
médicale anticipée et, de deux, l'inaptitude. Ce sont deux sujets, deux angles
qui ont été évacués du débat précédent. Alors, avant d'aller là, là, encore
faut-il comprendre où nous sommes actuellement.
Alors, où sommes-nous? On est dans un environnement
juridique qui a une imprécision, je pense que vous l'avez bien compris. On va
analyser ce qui s'est passé. On en a eu, des cas comme ça. On va montrer à la population,
c'est de ça qu'on parle, et on va faire une réflexion sur ce pour quoi je pense
que les divers intervenants sur la place publique n'ont pas nécessairement
réfléchi en détail.
La demande médicale anticipée sur la base
de l'inaptitude, c'est quelque chose de complexe. Ça ne peut pas se faire du
jour au lendemain. Je vais reprendre l'exemple que j'ai donné, là. Je comprends
que certains d'entre vous vont trouver que ma réponse est trop longue, mais je
vais la reprendre quand même. Demandez à n'importe qui : Voulez-vous avoir
l'aide médicale à mourir si vous êtes inapte? La plupart des… peut-être pas la
plupart des gens, mais nombreux vont être les gens qui vont dire oui. Oui,
mais c'est quand inapte? C'est quand? Je vous le dis, là, allez voir les
médecins, quand on tombe, par exemple, dans la maladie d'Alzheimer, on n'est
pas, jour 1, comme vous et moi, dans une conversation, le lendemain, on
est inapte, on est dément. On n'est pas comme ça. C'est progressif.
Avant d'arriver à l'étape que les gens se
font… l'image que les gens se font de l'inaptitude qu'ils ne veulent pas vivre…
ils ne veulent pas la vivre, avant d'arriver là, il y a un grand laps de temps
et une évolution clinique. Ce n'est peut-être même pas soluble, cette
solution-là, ce problème-là. Ce n'est peut-être même pas soluble tel qu'on ne
peut pas résoudre ça. Mais commençons par faire la réflexion prudemment et on
ira à la prochaine étape ultérieurement si ça arrive.
M. Bussières (Ian) : M.
Barrette, de votre point de vue, vous parlez beaucoup d'inaptitude, de démence,
est-ce qu'on va analyser aussi maladies dégénératives comme, exemple, sclérose
en plaques, dont plusieurs se font refuser une demande d'aide à mourir?
M. Barrette : Vous avez tout à
fait raison. Vous avez tout à fait raison, absolument. Mais ça, voyez-vous, le
frein à ça, actuellement, il n'est pas du côté de notre loi, il est du côté de
la fameuse phrase : la mort raisonnablement prévisible.
Le cas dont vous parlez, la situation dont
vous parlez, elle serait gérable par les ordres professionnels s'il n'y avait
pas le flou, l'imprécision de la signification de mort raisonnablement
prévisible. Le patient qui souffre de sclérose en plaques… On a vu une personne
souffrant d'une maladie dégénérative aller récemment à une émission de variétés
exposer sa situation. Bien, lui, son frein, là, son frein à lui, c'est la
phrase qui dit : la mort raisonnablement prévisible. C'est ça, son frein,
ce n'est pas la réflexion sur l'inaptitude.
Je suis content que vous me posiez la question
parce que vous montrez qu'il y a plusieurs angles à cette problématique-là.
C'est pour ça qu'on met de l'avant une démarche à trois volets : le volet
aptitude fin de vie; le volet inaptitude, soit fin de vie, soit anticipé; et le
volet où il n'y a pas, de toute évidence, une mort raisonnablement prévisible.
Vous savez que le dénominateur commun de tout ça, c'est la souffrance. On ne
débat pas sur la souffrance, on débat du moment circonstanciel où on y a accès,
et actuellement il y a un certain nombre de freins. Vous voyez la complexité
des différents angles, et c'est ce à quoi on veut s'engager.
Mme Johnson (Maya) : Hello, Mr. Barrette. Can you just start by explaining the measures
that will be implemented to provide a framework, if you will, for this renewed
debate about medical aid in dying?
M. Barrette : And you're right to say… to present it that way, it is about a
framework. That's what it is.
What we see today and
what we hear from the public in general is that we see more and more situations where people, patients would have
liked to have access to medical aid in dying and we're hearing people asking us
to address situations that are
outside the boundaries of the Québec law. So what we answer to them is that : OK, you're asking us
to reflect on this issue, everything that is outside the boundaries of our law,
we say yes to the reflection and we announce that we will do it.
The framework will be
threefold. First of all, we will ask our own commission, within the boundaries of our law, to review all instances where
medical aid in dying was not implemented for whatever reasons. It is not about
making a judgment of the rights or the wrongs of doctors who did not provide
medical aid in dying, but just to document what was the situation of those patients at that moment
in their lives to present to the population : Look, this is what we're talking about, those patients were
outside the boundaries of our law and this is what you're asking us, to address
the outside of our boundary situations. We have a number of patients already documented that we can
reflect upon.
The second angle, the
second aspect of what we want to address is precisely patients who are not able
to ask for it, those inapt patients for whatever reasons, mainly dementia. So
we want to start a reflection on that and also advance consent, advance… I
don't remember the proper word, you know, but demands that are made years
before a clinical situation
occurs. We want to have a reflection on that.
And third and not the
least, we want the court… I will ask my colleague Mrs. Vallée, who is Justice Minister, to go to court, to ask the
court to precise, to add precision, to define more precisely exactly what the
law means by reasonably foreseeable death. This is something that we want to do
because each professional body came to us asking that. They asked us to take a
measure that will make it so that the courts are clear on the meaning of that specific
phrase in C-14. Because today professional bodies are coming to us, the Collège des médecins, l'ordre des
infirmières, des pharmaciens, they came to us and said : This is so
unclear that we have difficulties to set rules and regulations for our own
professionals to govern themselves in those given situations. That is what we need to have an answer to before we go further.
So we're addressing the
problem, if we can call that a problem. I think we should call that an issue.
We're addressing the issue in all possible angles. It's going to take certainly
over a year to have data on which we will decide to go on further, if we decide
to go on further. We will see when we will have that data at the end of the
process.
Mme Johnson (Maya) : And you've repeated and stressed the importance about being prudent
and cautious as you go forward with this. Can you just explain why it's so important
to be careful as you go through this process?
M. Barrette : Caution, to me, is of the essence. Why? And that's certainly, from
a personal and medical perspective, on my part… Very often, we hear people
asking for provisions in the law that will allow them to have access to medical
aid in dying if they are suffering from severe Alzheimer disease, if they're
suffering from severe dementia. OK. When is that the case, when myself, when I, as a physician, know
very well that dementia, Alzheimer disease, is a progressive disease? There is
a day where everybody is, like you and I, talking with each other today, and
then, there are early signs of dementia, less early, mild, moderate, severe,
but, in that time span, there are moments where those patients will be totally aware, totally in a moment where they are living their lives
as before and moments where they will be more symptomatic.
So where do the people
who really want to cut the line? I don't have the answer to that. So it is one
thing to hear people saying : If I am in a severe dementia state,
bedridden 24 hours a day, I want to have access to that if I have notified by
law my will for instance. This is on thing. But what about in between? This is
not an easy task. So we need to be extremely cautious about that, so that's the
reason why, as a government, we will not take any step before there is an
extensive reflection on that. And that reflection on that issue has to occur in
a judiciary state that is clear. So, judicially, things are not clear because
of what I said previously.
Mme Johnson (Maya) : And just one final question. If you could just take us back to the
day when you found out about this man in Montréal who is charged with the
alleged mercy killing of his wife who is suffering from Alzheimer's and who had
apparently requested medical aid in dying. I recall you describe that as a very
sad situation.
M. Barrette :
It was a very sad situation, but this is symptomatic of what is not existing in
our jurisdiction. This is one… This is because of that example, others, that
people come out and say : Maybe we should start a reflection on other
issues that go wider than what we have today within our law. We agree with
that. What we agree on is that, yes, we can enter more advanced reflections but
it is not time for us. We don't have the data neither than knowledge, the
collective knowledge today to make a decision, so caution is of the order, and
that's what we are offering the population today, a cautious reflection,
transparent and opened on all aspects of that issue. Alright? Thank you. Merci.
(Fin à 11 h 42)