(Onze heures quatre minutes)
M. Khadir
: Bon, alors,
bonjour. Merci d'être là. En fait, l'ensemble des observateurs et de l'opposition,
je pense, sont du même avis, cette loi spéciale n'avait pas sa place, n'a pas
sa raison d'être. Le gouvernement aurait pu, au cours des quatre derniers mois,
régler, d'une manière, disons, plus satisfaisante pour l'ensemble des partis et
surtout pour le service public, le conflit qui a emmené 1 100 notaires et
avocats de l'État à être en grève. Nous l'avons répété à maintes reprises, ce
n'est pas dans l'intérêt des deniers publics.
Pendant les quatre mois et plus que les
notaires et les avocats n'ont pas pu travailler, en fait, des dizaines et des
dizaines de contrats, tout près de 900 millions de dollars de contrats ont
été donnés, dont par le ministère du Transports, un ministère où les choses
vont si mal et où il y a tant d'irrégularités que même un ministre, en voulant
se mettre le nez là-dedans, a perdu sa job. Je rappelle le cas de M. Poëti. C'est
ce même ministère là qui a octroyé les trois quarts des contrats dont il est
question. J'ai entendu les députés libéraux hier en Chambre invoquer le fait
que c'est des contrats. C'était le député de Mégantic. Je pense qu'il le
faisait de bonne foi, mais c'est une absurdité. Il disait que c'est des
contrats types qu'on prend puis qu'on applique dans chaque cas.
On sait que, même pour une simple maison,
personne n'accepterait aujourd'hui de vendre sa maison sans un notaire, sans
être sûr, malgré le fait que c'est très standard puis il s'en fait des dizaines
et des dizaines. Invoquer ce genre d'argument là montre à quel point ce
gouvernement est soit de mauvaise foi, soit incompétent. Il y a une attitude
idéologique dans l'approche du gouvernement qui fait qu'ils n'ont pas voulu
entendre ce que les notaires avaient à demander de plus, je dirais, central à
leur quête, parce que je me rappelle très bien, dès le début du conflit, les
notaires et les avocats ont dit : Nos demandes, ce n'est pas salarial.
Notre demande, c'est d'avoir une indépendance dans nos opinions, dans notre
profession sur le plan de notre statut professionnel par rapport à l'État et,
deuxièmement, simplement ne pas être obligés à chaque fois d'aller en
grève ça fait trois grèves en un peu plus d'une dizaine
d'années — et un mécanisme de règlement de conflits qui soit soumis à
un arbitrage, un processus qui fasse en sorte qu'on s'évite ces grèves, qu'on
voit répétées année après année et loi d'urgence après d'urgence.
Et je rappelle à tout le monde que le même gouvernement
avait promis en 2011, une fois la loi d'urgence brandie cette fois-là pour les
rentrer de force, qu'on allait entendre leurs demandes puis prévoir un
mécanisme de règlement des conflits et de révision de leurs conditions de
travail qui soit soumis à un arbitrage, et ils n'ont rien fait pendant ces cinq
dernières années.
Alors, je me demande à qui ça profite, tout
ça, parce que, pendant le temps que ces personnes ont été empêchées de
travailler parce que le gouvernement ne voulait pas entendre raison, des
centaines de millions de contrats ont été donnés avec un parti au pouvoir dont
on connaît les pratiques. Ça fait 14 ans... des Charles Rondeau, des Franco
Fava, des Marc Bibeau, des Bartlett, là, on n'en connaît que quelques noms. Des
dizaines et des dizaines de nominations aux postes de commande de l'État, à
l'intérieur des ministères, où se prennent les décisions les plus importantes
sur les contrats publics, ont été faites par ce gouvernement, et on sait les
relations intimes entre le Parti libéral et les milieux des affaires qui
bénéficie de ces contrats, les firmes de construction, les entreprises de
service-conseil. Je parle des bureaux d'avocats, des bureaux d'architectes très
réputés qui ont des contrats avec ce gouvernement.
Je ne veux pas tous les accuser, mais tant
et aussi longtemps qu'au Québec on n'a pas encore vidé toute la question de
l'octroi des contrats publics et de s'assurer de leur intégrité on peut, en
tout cas, dire qu'en l'absence d'avocats et de notaires pour surveiller ces
contrats-là les deniers publics, les fonds publics sont en danger et ont été
mis en danger pendant quatre mois par un gouvernement qui aurait pu très
bien... Si son intention était d'appliquer une loi spéciale, il aurait pu le
faire il y a quatre mois, parce que c'est réglé, on le sait, la loi va passer.
Cette loi d'urgence, dans les minutes qui vont suivre, dans les heures qui vont
suivre, va passer.
M. Bovet (Sébastien) :
Êtes-vous en train de dire que, sciemment, le gouvernement a laissé traîner le
conflit pour faire profiter les amis du Parti libéral?
M. Khadir
: Je ne pourrais
jamais prouver ça, mais, quand on voit de la manière dont les négociations ont
été menées, avec l'insouciance, l'irresponsabilité, l'absence totale de
sentiment d'urgence depuis quatre mois, la question se pose : à qui
profite, à qui a profité ce pourrissement, cet enlisement du conflit puis qui
se règle maintenant de manière aussi brutale? Si le gouvernement juge qu'il n'y
a aucune place pour lui d'entendre raison sur la principale demande des
avocats, qui est un arbitrage, bien, il aurait pu invoquer cette loi d'urgence
il y a trois mois.
M. Bovet (Sébastien) : Il n'a
pas voulu simplement donner la chance à la négociation?
M. Khadir
: Bien, s'il
voulait donner la chance à la négociation, encore aurait-il fallu que le
gouvernement négocie de bonne foi et de manière convaincante. Vous avez vu
comme moi que, pendant des semaines et des semaines, les avocats et les
notaires rôdaient alentour de l'Assemblée nationale juste pour demander au
gouvernement d'avancer dans le dossier, de donner une réponse. Non, il y a
quelque chose qui, logiquement, disons, ne passe pas l'épreuve de la logique.
Si c'est vrai que le gouvernement voulait
donner une chance, ça veut dire que le gouvernement aurait été très, très actif
dans le dossier de négociation. Ça aurait été une négociation sans relâche,
sans délai, réponse après proposition, proposition après réponse. Ce n'est pas
ça qu'on a vu.
M. Bovet (Sébastien) : ...peut-être
une épreuve de la logique, mais vous, n'êtes-vous pas dans la théorie de la
conspiration?
M. Khadir
: Bien, non,
ce n'est pas... Regardez, l'existence de la corruption, l'existence d'un
gouvernement post-it bien implanté depuis 14 ans, post-it, et ce n'est pas moi qui
l'a inventé, c'est les gens comme Franco Fava et Charles Rondeau qui sont
venus, devant une commission d'enquête, dire qu'ils fournissaient des listes
pour voir des nominations de leurs gens, des gens qui avaient contribué à la
caisse du Parti libéral.
On n'a pas révisé ces listes-là, il n'y a
eu aucun mécanisme pour revoir qui est où et fait quoi actuellement. Et on sait
qu'un ministre... il ne s'agit pas d'un complot, il s'agit d'une réalité. S'il
y a un complot, c'est le ministre qui a perdu sa job. C'est Robert Poëti qui a
voulu savoir qu'est-ce qui se passe dans le ministère des Transports qui
accorde les trois quarts de ces contrats-là dont on parle et qui a perdu sa job
parce qu'il voulait mettre le nez là où il ne devait pas le mettre.
Alors, expliquez-moi, mon cher M. Bovet,
en quoi est-ce qu'on peut s'autoriser, si on est le moindrement soucieux des
deniers publics, à passer comme ça allègrement sur cette possibilité grave, je
ne le nie pas, que, dans le fond, on ait laissé pourrir la situation parce que
ça fait l'affaire de bien des amis du parti qui sont accrochés aux contrats
publics, qui sont accrochés aux mamelles des contrats publics octroyés par des
amis libéraux au pouvoir, des amis libéraux d'un parti qu'ils ont grassement
financé, et ça, ce n'est pas une théorie du complot, ça a été démontré par le
DGEQ à la commission Charbonneau, par des stratagèmes de prête-noms en
provenance de ces mêmes firmes d'avocat-conseil, de génie-conseil,
d'architecte-conseil, de compagnies de construction et d'entreprises dans le
domaine de l'informatique, et j'en passe.
M. Bovet (Sébastien) : Je me
permets une dernière question, si Maya m'autorise.
Mme Johnson (Maya) : Oui,
oui.
M. Bovet (Sébastien) : Vous
auriez été au pouvoir, dans les souliers du gouvernement libéral, donc un
gouvernement solidaire, vous auriez eu les demandes des juristes de l'État au
point de vue salarial, mais surtout, fondamentalement, sur une question de
principe, là, de processus de négociation, vous leur auriez accordé ce
processus de négociation indépendant?
M. Khadir
: Oui, parce
qu'il y a quelque chose de très raisonné et raisonnable. Ce processus
d'arbitrage permettrait justement d'éviter ce genre de conflits qui surviennent
et qui coûtent très cher à l'État en matière de probité et de conformité des
contrats octroyés qui... Je le répète, suivant le Bureau de la concurrence
canadien, quand il n'y a pas de surveillance dans les processus de contrat
public, à chaque fois que les surveillances manquent, en moyenne, selon
l'estimation du Bureau de la concurrence canadien, ça coûte 10 % de plus.
En moyenne, ça veut dire tout. Ça veut dire les extras, ça veut dire les
recours, ça veut dire, disons, les conflits, par la suite, à régler, 10 %
de plus. Alors, calculez 10 % sur 900 millions, là, ça fait
90 millions. Ça fait bien plus que les 30 millions que ça coûterait
pour les cinq ans pour rencontrer les objectifs salariaux.
Mais ce n'est pas de ça qu'il s'agit
centralement. C'est un processus qui confère aussi une certaine indépendance
aux juristes et aux employés de l'État. Moi, je rappelle aux juristes qui nous
écoutent aujourd'hui : Votre employeur, ce n'est pas le gouvernement.
Votre employeur, c'est l'État québécois. Si le gouvernement du Québec n'agit
pas de manière bienveillante dans l'exercice de ses fonctions, qui est de
servir l'État québécois, bien sûr que moi, je m'attends à ce que les serviteurs
de l'État, c'est-à-dire les juristes et les notaires, considèrent que leur
premier devoir de loyauté, c'est à l'État et non au gouvernement, et donc de
dénoncer les anomalies qu'on observe justement dans l'exercice du pouvoir et
notamment dans l'octroi des contrats publics.
Et c'est peut-être ça qui fait peur et mal
au gouvernement libéral. C'est peut-être cet aspect d'indépendance que le
gouvernement ne veut pas entendre parler, parce que cette indépendance
donnerait plus de liberté à nos avocats et à nos notaires de pouvoir exercer
pleinement, je dirais, cette responsabilité, qui est de savoir que leur loyauté
va à l'État et non au gouvernement en place. Et, si le gouvernement en place
agit de manière malveillante, agit de manière irrégulière, agit de manière
malhonnête et use mal des contrats publics et de son pouvoir, bien, ils doivent
le dénoncer. Ça, ça demande une marge de manoeuvre, une liberté que les
notaires et les avocats n'ont pas actuellement.
C'est peut-être ça, je dirais, la clé pour
comprendre le blocage idéologique qu'il y a chez M. Pierre Moreau, qui vient…
Après tout, Pierre Moreau, c'est un ministre à 100 000 $ du
gouvernement Charest. Pierre Moreau est un ministre du suspect numéro un du
scandale de la corruption examiné par la commission Charbonneau. Et c'est sûr
qu'il connaît très bien, en tout cas aussi bien que M. Charest et les autres
éléments de ce gouvernement, à quel point le contrôle, par le pouvoir, sur les
processus est important s'ils veulent rendre les services qu'ils ont toujours
rendus à leurs amis dans le secteur des affaires.
Mme Johnson (Maya) : Mr. Khadir, why are you linking the Government lawyers and
notaries' strike with alleged corruption at the Liberal Party?
M. Khadir
: What is at the core of the request of the notaries
and lawyers is their independence. You know that today, the common
understanding within public service employees is that they have an obligation
of loyalty to the Government, which is a wrong perception. They have an obligation
of loyalty to their employer, and their employer is not the Government, it's the State.
So, if the Government, in the exercise of its responsibilities, commits a… behaves in a manner which is not loyal
to the State by giving contracts to friends of power, as we have seen under the
Liberal Government since last 14 years that they have been in power for most of
the time, of course, the lawyers need the appropriate independence and notaries
to be able to speak out, to be able to denounce these irregularities.
So maybe it's why
Mr. Moreau, the Minister Moreau doesn't want to accept this very
reasonable proposal by a union that says : We don't want anymore the right
of strike, we want a process of negotiation with arbitration but allowing us
also, in the same time, to have appropriate independence in the exercise of our
work. So, if they see a wrongdoing, has we have seen so many… so often times
within the Liberal powers since the last 15 years… Remember, we had a
commission which cost us $50,000,000 just to see in it. We have lost… a
minister has lost his job in trying to sort out what's happening in the Ministry
of Transports. OK.
So, built-in within the
power of the Liberals, there are lots of irregularities, and these lawyers and
these notaries want the appropriate independence to be able to speak out, to be
able to say no when they see that public interest is not appropriately
protected.
Mme Johnson (Maya) : So what kind of message do you think the Government is sending by
tabling back to work legislation, a special law?
M. Khadir
: This special law is just meant to humiliate them, is
meant to bring them back counting on the fact that the Government can, you
know, spin that in fact they're doing that because there are services that are
not being rendered. But the best service that the Government can… if it wants
to render to public interest and the safety of our process of contracts, is to
give the appropriate independence to the lawyers, to the notaries so that they
really exert an independent control over the conformity of contracts so that
we're not being rip off as we have been since 15 years with billions of
dollars of contracts given by this Government to people that maybe weren't
entitled to have those contracts.
(Fin à 11 h 18)