(Neuf heures trente-trois minutes)
Mme Lamarre : Bonjour.
Alors, on va commenter les chiffres que le ministre a transmis hier, entre
autres, mais, d'une façon aussi assez générale, l'accès en général. Donc, je
vous résumerais ça en disant que le ministre prend soin des chiffres, mais que,
pour les malades, on a encore beaucoup de chemin à faire. Vous vous rappelez peut-être,
mais on a posé une question au feuilleton pour laquelle on a eu une réponse en
novembre dernier sur le nombre de patients qui étaient inscrits au guichet. En
date du 21 septembre 2016, il y avait 492 000 personnes qui
étaient inscrites au guichet. Et on a vu hier qu'à la fin décembre il y avait
encore 486 000 personnes inscrites au guichet. Donc, le guichet,
c'est une forme de stationnement, je vous dirais, où il peut y avoir des gens
qui entrent et qui sortent, mais à un rythme très, très, très léger par rapport
à l'augmentation des inscriptions qui sont notées.
Vous remarquez qu'hier le ministre a même
donné comme exemple que des médecins prenaient l'annuaire téléphonique pour
aller chercher des nouveaux patients pour augmenter leur taux d'inscription.
Bien, l'enjeu, c'est que, s'il y a des patients qui se sont inscrits sur un
guichet, ce sont eux qui devraient être choisis parce que ces gens-là, clairement,
expriment un besoin en termes de consultations avec un médecin, expriment un
besoin d'avoir un suivi avec un médecin. Et on ne peut pas dire qu'actuellement
le nombre de patients qui ont été choisis sur le guichet est vraiment
intéressant et significatif par rapport aux demandes, par rapport aux besoins
que les gens expriment à travers ce guichet-là.
L'autre chose, c'est que j'ai remarqué que
le ministre avait dit qu'il y avait 10 % des médecins qui s'étaient
inscrits au guichet, et, quand on lui a demandé hier : Maintenant, il y en
a combien, de médecins qui se sont inscrits au guichet?, il n'avait pas
l'information. Alors, je pense que c'est important qu'on l'ait, cette
information-là. C'est quoi, le pourcentage des médecins qui se sont vraiment
inscrits au guichet et qui, dans leur recherche de patients qu'ils veulent
inscrire, prennent vraiment en priorité des patients qui se sont inscrits au
guichet? Parce que c'est ça qui détermine le succès ou l'échec du guichet. Le
guichet, si c'est juste une boîte postale où on va mettre notre nom, mais que,
finalement, très peu de gens qui sont pris à partir de ce guichet-là et qu'on
va chercher davantage du bouche à oreille, des patients qui se présentent de
façon aléatoire, bien, on passe à côté d'une priorité, qui est celle de soigner
les malades en priorité. C'est ça qui est notre objectif. Ce n'est pas juste
d'inscrire des gens, c'est d'inscrire des gens qui en ont le plus besoin.
Je vous dirais que, même dans les
statistiques qu'on a vues, l'écart au niveau des objectifs, même au niveau du
taux d'assiduité, il s'amplifie. Alors, je vous ai fait des feuilles. Alors, le
taux d'inscription était à 68 %, en mars 71 %. La réalité était de
71,3 %, on avait un écart de plus 0,3 %. Mais, en juin 2016,
74 %, on avait un écart de moins 1,9 % par rapport au nombre de
patients qu'on voulait inscrire. Et là, en décembre 2006, on est à moins
2,6 % du nombre de patients qu'on veut inscrire. Donc, l'écart, il ne se
rétrécit pas même au niveau de l'inscription.
L'autre caractéristique, eh bien, elle est
assez évidente, c'est que le ministre... Puis on souhaite tous que ça
fonctionne, puis on est conscients qu'il y a beaucoup de médecins qui font des
efforts pour que ça s'améliore. Mais, dans les faits, il faut faire un constat
qui est lucide et qui est réel par rapport aux patients. Alors, ce que ça nous
dit, c'est que les médecins ont un taux d'assiduité important, ils ne sont pas
très loin de leur cible de 80 % pour le taux d'assiduité. Le taux
d'assiduité, c'est le nombre de fois qu'on voit des patients. Mais, si dans
notre bassin de patients on en a beaucoup moins que ce qu'on est supposé avoir,
il en manque 834 000 encore qui doivent être inscrits, il y a 834 000
qui ont zéro accès, puis on a un petit bassin qui, lui, est vu avec le taux
d'assiduité attendu. Alors, on voit bien que l'enjeu, quand on va pouvoir crier
victoire, c'est quand, avec le même nombre de médecins, on va réussir à ajouter
834 000 personnes qui vont être vues avec la même assiduité, avec la
même fréquence. C'est ça, l'enjeu. Alors, c'est un énorme objectif encore qui est
loin d'être atteint. Alors, pour maintenir le taux d'assiduité, bien, il faut
que les médecins donnent autant de services, une aussi grande intensité de
services à 834 000 patients de plus.
Alors, c'est vraiment une situation qui
reste encore préoccupante. Je vous dirais qu'il y a certainement encore des
gens qui sont mis de côté par rapport à cet accès. On est inquiets. Dans la
question, au feuilleton, que j'avais posée, on avait vu qu'il y avait un écart
de huit ans entre le nombre de nouveaux patients inscrits, dans leur âge, et le
nombre de patients qui étaient sur la liste d'attente, sur le guichet. Donc,
les patients un peu plus âgés sont plus sur la liste d'attente du guichet que
les patients plus jeunes. Alors, c'est un peu normal, puis c'est un effet, je
vous dirais, pervers de l'approche du ministre, c'est qu'il veut que ces
médecins-là puissent voir leurs patients huit fois sur 10. Alors, c'est plus
risqué de prendre un patient plus lourd parce qu'il risque d'aller à l'hôpital
plus souvent, il risque d'aller consulter ailleurs et de faire baisser le taux
d'assiduité. Alors, il reste encore beaucoup de chemin à faire.
Vous savez, en 2009, il y avait eu des
états généraux, puis on disait : C'est 25 % des Québécois qui n'ont
pas de médecin de famille. Or, il faut comprendre que l'objectif qui est visé,
là, ce n'est pas 100 % dans les chiffres du ministre, c'est 85 %. Alors,
85 % de 8 millions, c'est 6,7 millions de patients qui sont
visés. On concède déjà qu'on va avoir 1,3 million de citoyens du Québec qui
n'auront pas de médecin de famille. On le concède déjà, là, 1,3, en se
disant : Ces gens-là n'en veulent pas, de médecin de famille. C'est la
présomption sur laquelle la FMOQ et le ministre sont partis, 85 %
seulement des gens qui veulent un médecin de famille. Alors, ça veut dire qu'on
a quand même 1,3 million de Québécois, là, qui ne rentreront jamais dans
les statistiques du ministre. Même quand il va dire : C'est acquis, là,
notre 85 % — mettons qu'on se rendrait jusque-là — il
y aurait 1,3 million de citoyens qui n'auraient pas de médecin de famille.
Et là il en rajoute 834 000. Bien, moi, quand je calcule ça, ça fait
2,1 millions de Québécois qui n'ont pas de médecin de famille.
2,1 millions sur 8 millions, on est encore à 25 %.
Mme Prince (Véronique) :
Là, il y a une épée de Damoclès, là, ça s'en vient vite, quand même, le 31 décembre.
Il faut accélérer le nombre d'inscriptions. Est-ce que vous craignez qu'on
laisse de plus en plus de côté les clientèles plus lourdes en ayant un objectif
plus...
Mme Lamarre : On a cette
crainte-là, on a cette crainte-là. Et la façon de nous démontrer qu'on ne
ferait pas ça, c'est de prendre en priorité les gens qui se sont inscrits sur
le guichet. C'est ça qui devrait être la priorité. Les gens ont signalé leur
besoin de voir un médecin. Alors, ce n'est pas ça qui est fait actuellement,
c'est encore laissé, là...
Et, moi, ce que je vois aussi, je vais
vous dire, l'autre effet... parce qu'il y a des vases communicants dans ça. On
entend beaucoup des médecins dans la soixantaine dire : Écoute, moi, je ne
veux pas jouer dans ce jeu-là, je ne veux pas me soumettre à des calculs de
cette nature-là; moi, j'aime mes patients, je m'en occupe bien depuis des
années — et ça, c'est des médecins qui ont souvent 2 000,
3 000 patients dans leur clientèle — moi, je vais fermer
mon bureau, je vais arrêter ma pratique parce que je ne veux pas être pris dans
ces calculs-là, je ne veux pas m'inquiéter que mes patients, parce qu'ils sont allés
trois fois à l'hôpital, mon revenu va baisser de 30 %. Alors, on l'entend
beaucoup, ça aussi. Et ça, évidemment, ça vient faire que l'impact n'est pas si
positif pour les patients.
M. Vigneault (Nicolas) :
Vous craignez qu'il y ait beaucoup de gens qui quittent le réseau, tout
simplement? C'est ce que vous dites, là.
Mme Lamarre : Bien, qui
quittent pour la retraite. Pour l'instant, je ne suis pas sûre qu'ils vont
aller au privé. Je ne suis pas sûre, là. Ça, on va voir comment ça va
s'organiser. Ça se pourrait. Ça se pourrait qu'il y en a qui choisissent, des
médecins, dire : Regarde, moi, je quitte complètement ce fouillis-là et je
m'en vais vers quelque chose que je vais contrôler, je vais contrôler mes
intrants puis mes extrants, ce qui serait très dommage. Moi, je pense qu'on a
besoin d'un système public puis les médecins ont aussi bénéficié beaucoup de ce
système public là, donc je pense qu'on doit les garder dans notre système
public. Et donc, à ce niveau-là, moi, je suis inquiète. Je suis inquiète parce
que la dérive... et là on se rend compte qu'à chaque fois qu'un médecin prend
sa retraite le poids de la pression que ça pose sur tous les autres médecins,
de récupérer ces 2 000 patients là pour s'assurer, là, qu'on va
atteindre notre 85 % d'inscriptions, c'est énorme.
Mme Prince (Véronique) :
Bien, ce serait quoi, la solution pour ces médecins récalcitrants là? M. Barrette,
la solution qu'il a trouvée, c'est en coupant dans leur rémunération, ça peut
aller jusqu'à 30 %. Qu'est-ce qu'on aurait d'autre comme solution que ça?
Mme Lamarre : Bien, la
vision du ministre est une vision exclusivement centrée sur les médecins. Et,
tant qu'il va rester comme ça, en ne voyant que les médecins qui font partie de
la solution de l'accès aux soins, ça va être un échec. Je vous le dis, ça va
être un échec, ça ne peut pas fonctionner comme ça. Il y a 834 000 citoyens
qui n'ont pas de médecin de famille, qui doivent en avoir un, et le ministre prétend
qu'une clinique d'infirmières à Montréal-Nord, c'est inutile. La résistance
qu'on a eue sur la clinique SABSA, qui voit 3 000 à 4 000 patients
par année, c'est une vision archaïque, c'est une vision dépassée où on ne fait
pas participer l'ensemble des professionnels de la santé avec des compétences à
mettre au système. On résiste à ça, on les empêche d'apporter leur contribution
puis de faire leur travail qui doit être fait.
M. Vigneault (Nicolas) :
Mais, dans le passé, on avait essayé les CLSC, ça n'avait pas fonctionné, avec
la réforme Rochon, notamment, souvenez-vous. Donc, je reviens avec la question
de ma collègue, c'est quoi, la solution à ce moment-là?
Mme Lamarre : On n'a
jamais donné d'autonomie aux autres professionnels, on n'a jamais donné
l'autonomie. À l'époque des CLSC, on n'avait pas des infirmières praticiennes
spécialisées qui pouvaient être là du lundi au samedi, au dimanche, à offrir
des services à la population, à soigner les otites, les infections urinaires,
le zona, à faire un suivi de diabète si la glycémie est trop haute. C'est ça,
la pratique en 2017, partout dans le monde, là. Si le ministre sort un peu du Québec,
il va voir que c'est comme ça qu'on règle les problèmes d'accès. Et, dans les
autres provinces, ils l'ont fait, dans plusieurs autres pays, au Royaume-Uni,
en Australie, on a fait cette approche-là. Alors, tout le milieu ambulatoire,
toute la première ligne, on doit permettre aux autres de participer davantage,
et ça, ça va libérer du temps pour des médecins, les médecins vont être vus au
bon moment, au bon endroit, pour les bonnes conditions.
Moi, je suis encore estomaquée qu'on ait
encore des médecins qui puissent faire de la vaccination. Ça ne devrait plus
être permis, sauf exception, là, urgente dans un bureau, exceptionnellement.
Mais la vaccination, ça appartient aux infirmières. Dans d'autres endroits, il
y a des pharmaciens qui peuvent en faire. Mais c'est sûr que ce n'est pas
gagnant de permettre qu'il y ait encore du temps médecin consacré là-dessus.
Alors, on le sait maintenant, on en a assez de médecins, on en a autant que
dans les autres endroits en termes de ratio médecin-habitants, mais c'est
qu'ailleurs on a permis que plein d'activités soient faites par d'autres professionnels.
Puis il y a toute la coordination des soins.
On le voit, le ministre a été obligé de faire marche arrière sur son guichet
pour les spécialistes parce que ça a été mis trop de façon précipitée, non
coordonnée, et là on a créé pire que ce qu'on avait avant. On a créé des listes
d'attente. On a créé des disponibilités de spécialistes qui n'avaient pas de
rendez-vous qui s'acheminaient jusqu'à eux.
Alors, il faut faire les choses comme il
faut en santé. Et là je pense qu'on a une accumulation, je dirais, de
brouillons, d'attitudes, là, où le ministre précipite des projets de loi à
toute vitesse, précipite des mesures et après ça il est obligé de faire marche
arrière, il est obligé de dire… On a vu les frais accessoires, le chaos dans
lequel ça nous a conduits.
Alors, moi, je dis : Il y a vraiment…
Les supercliniques, là, c'est encore un peu, là, on parle des deux côtés de la
bouche. On dit : 1er avril, on arrête le financement de toutes les
cliniques-réseaux. Mais en même temps, on dit : Les cliniques-réseaux, là...
Depuis quelques jours, il dit : On ne les fermera pas. Alors, nous, on a toujours
dit : Les supercliniques, ce n'est pas nécessaire, il y a des
cliniques-réseaux qui existent, qui sont déployées. Il y en a même le même
nombre, 50, que les supercliniques que le ministre veut faire. Alors, il veut
juste financer davantage le privé. On peut mettre plus d'argent dans les
cliniques-réseaux, elles fonctionnent bien. Il faut juste ajuster les horaires
d'ouverture, les heures d'ouverture. Et l'argent qu'on met à financer ces supercliniques,
il devrait le mettre dans le réseau. Comment ça se fait qu'on ne peut pas avoir
une échographie après 5 heures dans un hôpital alors que l'échographie est
devenue un test diagnostique de première ligne, je vous dirais?
Mme Fletcher
(Raquel) : En anglais. Yesterday, the Minister
said everything was going according to plan, there were no real major problems.
This morning, you say that's not the case.
Mme Lamarre : In fact, what he said was that «le taux d'assiduité»… it means that
if physicians have a certain number of patients, they see them on a regular
basis, they are available for them. But, in fact, we had 834,000 people
who don't have access to a family physician and who should have, according to
the target that the Health Minister fixed himself. And even these targets are
only 85 % of all the population of Québec. So, his
objective is that 6.7 million people had access to a family physician. So,
at the beginning, he said : 1.2 million, we agree that they don't
need or they don't want to have access to a family physician. But even with the
6.7 million, he still has almost 1 million of Quebeckers who don't have access to a family physician. And he promised that he
will solve the problem before the end of 2017.
Mme Fletcher (Raquel) : But do you think that he won't solve the problem by the end of
2017?
Mme Lamarre : I think that it will be very difficult for physicians, even if they
want to take as much patients as he asked them to take. And also, because the
way, you know, he's asking physicians is pushing physicians make that a lot of
experienced family physicians will retire. They don't want to go in this kind
of, you know… It's a kind of pressure, but not the right pressure that the
Health Minister decided to implement.
Mme Fletcher (Raquel) : And so, just in English, what is the solution?
Mme Lamarre : Sorry?
Mme Fletcher (Raquel) : You mentioned it in French, but, in English, what is the solution?
Mme Lamarre : Taux d'assiduité? It's a kind of compliance.
Mme Fletcher (Raquel) : No, I mean, what is the solution to the problem?
Mme Lamarre : Oh! The solution is that… You know, at the same time as he said
that 800,000 people don't have access to a physician,
he said that one nurse medical clinic, one nurse clinic is useless, is not
necessary.
This is just a way to
show how he is focussed only on medical contribution to health care, only on
medical contribution to first line. And he must let nurses to have autonomy,
other health professionals to take part to this big issue, giving access to the
first-line treatment in Québec.
And, at this moment, we
will have less people going to emergency rooms when they don't need to go
there. But he is reluctant to that, he doesn't want… he shows resistance, you
know, to imply more… other health professionals. So, he is missing one of the
big solutions.
Mme Fletcher (Raquel) : OK, thank you.
(Fin à 9 h 51)