(Neuf heures trente et une minutes)
Mme Lamarre : Bonjour. Alors,
ce matin, les gens sont tous vraiment surpris de voir cette révélation à
l'effet qu'un chirurgien a pu, suite à la diffusion de l'émission Enquête,
réussir à soutirer 1,5 million de rémunération pour une année de travail.
En fait, ce qui doit être mis en évidence, c'est qu'il n'y a rien dans ce qui a
été fait par ce médecin-là qui, au mot à mot, est illégal. Il a profité de
primes auxquelles il avait droit. Il a utilisé le système au maximum, c'est-à-dire
qu'il s'est prévalu de sa prime à l'éloignement, de ses primes pour travail de
nuit. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que c'est le résultat des négociations
qui ont été faites entre M. Couillard et M. Barrette et c'est le résultat de négociations
qui n'ont pas été balisées correctement. Il faut mettre des balises. Quand on
offre des primes, il faut, à un moment donné, saturer, arrêter, limiter ces
primes-là, sinon, effectivement, elles conduisent à des dérives, à des
dérapages de cette nature-là.
Alors, c'est très grave. Ce qui ressort,
et on l'avait vu avec les primes Bolduc, c'est qu'il n'y avait pas de limite, il
n'y avait pas d'arrêt, de cran d'arrêt là-dessus. Et, quand on a été au pouvoir
entre 2012 et 2014, pendant 18 mois, déjà, à ce moment-là, Réjean Hébert avait,
lui, mis des balises sur les primes d'inscription, par exemple, en disant :
Il ne peut plus avoir de primes pour plus de 150 nouvelles inscriptions. Ça ne
veut pas dire que les médecins ne peuvent pas admettre, inscrire 200 patients,
mais on ne peut pas payer plus que 150 primes dans cette caractéristique-là de
la négociation, en ce type d'acte là que les médecins peuvent facturer.
Alors, de toute évidence, dans ce
dossier-là, il n'y a pas eu non plus de limites qui ont été mises, il n'y a pas
eu de maximum imposé, et ça a donné lieu à une dérive de cette nature-là.
Mme Crête (Mylène) : Vous
dites qu'il n'y a pas eu rien qui a été fait d'illégal. Donc, ça ne vous
apparaît pas comme étant un cas de fraude, là.
Mme Lamarre : Bien, il a
exploité les limites d'une mauvaise entente, d'une mauvaise négociation. C'est
ça qu'il a fait, ce médecin-là.
Mme Richer (Jocelyne) :
Est-ce que ce n'est pas le directeur de l'hôpital aussi qui aurait dû
intervenir, pour éviter, par exemple, que le chirurgien en question opère la
nuit, les fins de semaine, parce que c'est plus avantageux financièrement?
Est-ce que tout le monde n'a pas fermé les yeux sur...
Mme Lamarre : Bien là, vous
faites référence à un niveau aussi d'autorité, et, dans les hôpitaux, il faut
comprendre les limites de l'autorité que les directeurs généraux ont par
rapport aux médecins. Ils ont une autorité sur l'ensemble des autres professionnels,
mais, par rapport aux médecins, il y a une autonomie par rapport au choix des
actes qu'un médecin fait. Dans certains hôpitaux, ça se fait avec collaboration,
puis on sait que la plupart, là... je veux dire, ça, c'est un cas exceptionnel,
mais il y a une grande majorité de médecins qui travaillent très bien,
comprennent l'esprit de ces normes-là et de ces avantages-là. La prime
nocturne, elle est là pour s'assurer que, si un patient a besoin d'une
chirurgie parce qu'il a eu un accident pendant la nuit ou parce qu'il y a une
détérioration urgente, on doit répondre à cette demande-là. Mais cette façon de
contrôler... il y a vraiment deux chemins parallèles, et, entre autres, on se
rend compte que, dans les hôpitaux de régions éloignées, c'est différent et c'est
très risqué pour les gens de risquer de perdre les médecins.
Maintenant, l'autre dimension aussi qu'on
doit soulever, c'est les mécanismes de contrôle. Vous savez, on est en train de
faire, avec le projet de loi n° 92, une révision des pouvoirs de la RAMQ,
et on a beau, dans ce projet de loi là, donner beaucoup, beaucoup de pouvoirs à
la RAMQ... Moi, j'ai demandé à plusieurs reprises au ministre Barrette :
Allez-vous donner des ressources? Allez-vous donner un peu, beaucoup même, de
ressources financières et de ressources professionnelles pour exercer les
contrôles? On peut bien mettre plein de contrôles potentiels dans un projet de
loi, mais, si on ne donne pas les ressources...
Actuellement, il y a quatre médecins, à la
RAMQ, qui peuvent superviser 11 millions d'actes facturés. Alors, vous
comprenez qu'il n'y a pas un contrôle qui est très, très, très rigoureux, qui
n'est pas... en tout cas, qui n'est pas facile à faire. Et là on a beau faire
des projets de loi en disant : On va demander à la RAMQ de faire ça et ça,
si on laisse encore un budget de seulement quatre personnes, quatre médecins...
ils ont des équipes, c'est sûr, mais ce sont des médecins qui pouvaient
retracer plus facilement ces écarts-là en termes de facturation. Alors, je
pense que là, là aussi, le ministre doit donner un message clair. S'il veut vraiment
nous convaincre qu'il n'a pas permis ce genre d'abus là, eh bien, il faut qu'il
donne un message clair qu'il va donner un mandat et un budget beaucoup plus
élevé à la RAMQ pour exercer le contrôle qu'elle doit faire, qui a été soulevé
d'ailleurs par la Vérificatrice générale.
Mme Crête (Mylène) : Le directeur
général du CISSS a admis à la radio ce matin qu'il aurait dû... bien, que
l'équipe de direction à l'époque aurait dû intervenir dès que ça s'est su que
ce médecin-là faisait ça. Donc, est-ce qu'il n'y avait pas une responsabilité
du centre des services sociaux, quand ça se nommait ainsi, d'intervenir au lieu
de laisser perdurer ça pendant neuf ans?
Mme Lamarre : Bien, en fait,
vous savez que le CISSS et le CIUSSS, là, c'est nouveau, alors, oui, effectivement,
je pense que maintenant cette équipe-là, le conseil d'administration devrait.
Mais vous comprenez que, quand on centralise beaucoup, avant que ce
problème-là, maintenant, soit mis en exergue auprès d'un grand, grand CISSS qui
supervise toute une région comme l'Abitibi, bien, ça se peut que ça ne soit pas
la première priorité. Alors, à force de centraliser, on fait en sorte que les
choses pertinentes sur un endroit, dans un hôpital, ne seront pas nécessairement
priorisées immédiatement.
Mme Crête (Mylène) : Donc, ce
n'était pas une priorité pendant neuf ans, depuis 2007...
Mme Lamarre : De toute
évidence...
Mme Crête (Mylène) : ...parce
que ça, c'était antérieur au CISSS.
Mme Lamarre : Exactement. De
toute évidence, les gens ont considéré qu'ils avaient tellement besoin d'avoir
ce chirurgien, alors là ça revient encore... Tout ça, ça aurait pu se régler,
là. Si le chirurgien avait pu faire certaines chirurgies un certain nombre de
nuits dans des cas d'urgence, mais qu'il avait été balisé, donc on avait
précisé la nature des urgences qui permettaient des chirurgies de nuit, on
aurait réglé ça.
Alors, oui, il y a eu certainement un
laxisme, là, certainement, des gens qui ont laissé passer ça, mais, je vous le dis,
au départ ce sont les ententes. Les ententes sont faites avec une telle
indulgence, avec une telle... sans aucune balise. C'est ça qui est vraiment responsable,
et ça, c'est la pointe de l'iceberg, là, qui ressort, mais c'est vrai partout.
Dans les ententes avec les GMF, le ministre n'a pas été capable d'imposer des
disponibilités. Quand on a un GMF avec 10 médecins, qu'il soit ouvert les cinq
soirs de la semaine, puis qu'il soit ouvert le samedi toute la journée, puis le
dimanche toute la journée, il n'a pas été capable d'imposer ces balises-là.
Alors, le temps d'attente à l'urgence, il
ne se réduira pas. Les gens sont encore obligés, le samedi après-midi, le
dimanche après-midi, d'aller seulement à l'urgence. Il n'y a que ça qui est
disponible. Donc, on le voit, dans sa façon de négocier, M. Barrette se
présente toujours comme un négociateur expert, mais, dans les faits, il est
très, très, très indulgent et il ne met pas les balises qui garantissent des
contrôles appropriés au niveau des facturations surfacturées de cette façon-là.
Mme Crête (Mylène) : Oui, il y
a eu les ententes, mais il me semble que c'est quand même le gros bon sens, là,
de dire qu'un médecin ne peut pas s'organiser pour faire des interventions
chirurgicales seulement en soirée parce qu'il a une prime, là. Il me semble
que... Est-ce que vraiment ça doit être écrit, là, à la lettre?
Mme Lamarre : Bien, je pense
qu'il faut. Oui, il faut le faire parce que, de toute évidence, si ce n'est pas
écrit, bien, ça peut se faire, on le voit. Les primes, il n'y a personne qui
aurait pensé que des médecins auraient inscrit 1 000 patients dans
une année. Alors, un habile négociateur connaît aussi les potentielles dérives,
et, quand on négocie, on a la responsabilité de bien mettre les limites et
d'anticiper ce genre de dérives là. Tout à fait.
Mme Richer (Jocelyne) : Sur
un autre sujet, Mme Lamarre, est-ce que vous êtes inquiète de la façon
dont évolue la course à la direction au PQ?
Mme Lamarre : Bien, écoutez, la
course, il lui reste quelques jours maintenant. On fait appel vraiment à la
collaboration des gens. Je vous dirais que ce qu'on voit, nous, sur le terrain,
et ce que je regarde, moi, c'est le programme des candidats, des quatre
candidats. Il y a des idées vraiment très, très arrimées avec les besoins de la
population du Québec. Malheureusement, ce n'est pas ça qui ressort, mais on
espère que les derniers jours vont permettre de mettre le focus vraiment sur le
contenu et non pas seulement sur le contenant, parce qu'actuellement c'est
seulement au niveau de la forme, et je pense que ce que les partisans, les militants
du Parti québécois, mais aussi l'ensemble de la population veulent, c'est
vraiment comprendre, entendre des choses.
Vous savez, moi, sur le terrain, là, hier,
j'étais à une réunion pour les patients atteints de lésions médullaires, il y a
une détresse actuellement dans le système de santé. Les gens sont désespérés.
Les coupures ont un effet de cascade. Les gens à domicile ont des heures
coupées de 11 heures, des personnes qui ont des handicaps lourds, qui avaient
des soins à domicile, 11 heures de moins par semaine, des délais de cinq ans
pour avoir accès à des fournitures, à des équipements techniques qui sont
essentiels à leur mobilité.
C'est ça, la vraie vie, c'est ça dont les
gens veulent entendre parler et c'est ça que, dans une course, on devrait
entendre. Et moi, j'ai hâte qu'à travers les débats et à travers les
informations et les sorties, que les candidats fassent... on parle de ces
enjeux-là et que ce soit ça qui ressorte.
Mme Richer (Jocelyne) : Mais
quant au rôle de Mme Ouellet ces derniers jours, selon vous, est-ce qu'elle est
en train de s'exclure du caucus, de faire bande à part, ou si, au contraire, c'est
le caucus ou les autres candidats qui sont en train de l'exclure? C'est quoi
votre lecture?
Mme Lamarre : Bien, écoutez,
je ne veux pas cibler une candidate ou un candidat par rapport à un autre. Ce
qu'on attend, à travers une course à la chefferie, c'est que les gens soient
capables de se mettre en valeur sans discréditer l'organisation. Moi,
j'appelle ça l'Institution, avec un I majuscule. Alors, c'est ça qui doit... c'est
le Parti québécois dans ce cas-là. Donc, je pense qu'il y a une façon de
présenter nos arguments, de se distinguer les uns des autres sur la base
d'arguments qui ne discréditent pas nécessairement un parti.
Et je vois, à l'intérieur du Parti
québécois, tellement de gens, et tellement de talents, et tellement de gens
proches du vrai monde, dans un contexte où actuellement on a un gouvernement
qui est complètement insensible aux priorités, aux préoccupations puis, je vous
le dis, au désespoir de la population; c'est ça dont on devrait entendre
parler.
Mme Richer (Jocelyne) : Mais
est-ce que vous voyez un problème avec Mme Ouellet ces temps-ci ou pas?
Mme Lamarre : Bien, moi, je
laisse la population juger parce que ces déclarations sont publiques. Alors,
les gens jugeront. Est-ce que ce qu'elle dit contribue à faire mieux connaître
le Parti québécois, à donner aux gens envie d'adhérer au Parti québécois? Je
pense que c'est correct de critiquer... en fait, d'avoir une réflexion
critique, mais il faut faire la différence entre la réflexion critique et puis
une critique qui, jusqu'à un certain point, jette le discrédit sur une organisation.
Mme Crête (Mylène) : Est-ce
que M. Lisée a bien fait de l'apostropher au caucus hier?
Mme Lamarre : Je ne répondrai
pas à ça. Ça fait partie du caucus, et le caucus, pour moi, c'est très
important que ça reste... quand on est à huis clos, que ça reste à huis clos.
Ça fait partie des bonnes règles de gouvernance, ça fait partie du fait qu'on
réussit, au sein d'une organisation, à pouvoir dire les vraies choses au bon
moment entre nous et ensuite à ce que publiquement on puisse avoir un discours
cohérent, qui déclare, qui dénonce et qui annonce les vraies réalités, les
vraies positions. Mais ce n'est pas vrai qu'il faut toujours tout régler
publiquement.
Mme Crête (Mylène) : Est-ce
que Dr El-Haddad devrait rembourser l'argent qu'il a perçu en trop en
s'organisant pour faire des interventions chirurgicales de soir, de nuit?
Mme Lamarre : Bien, écoutez,
ça, c'est un peu les limites, là. On le voit, la négociation, comme elle a été
faite, elle fait en sorte... en tout cas, à la lecture qu'on en a, là, c'est
sûr qu'il peut y avoir d'autres éléments qui vont peut-être ressortir, mais si,
à la lecture qu'on en fait à première vue, c'est que les actes qu'il a faits
étaient légalement facturables, je vous dirais que ça va être difficile de
démontrer qu'il a été fautif.
Ceci étant dit... Et puis on se rappelle,
Dr Bolduc n'avait pas vraiment reconnu pleinement, là, qu'il avait fait quelque
chose. Il avait juste utilisé une faille dans le système, une négligence dans
le processus de négociation, de façon extrême.
Mme Crête (Mylène) : J'ai
comme l'impression que vous, je ne veux pas vous mettre des mots dans la
bouche, mais que vous dites que c'est comme normal qu'il n'y ait pas eu de pilote
dans l'avion pendant toutes ces années-là.
Mme Lamarre : Ce qu'on dit, c'est
qu'au niveau des hôpitaux il y a un problème. Il y a un problème parce que,
dans un hôpital, l'autorité par rapport aux médecins, elle n'est pas clairement
définie. Il n'y a pas un seul chef dans un hôpital, il n'y a pas quelqu'un
qui a une autorité et il y a une grande latitude sur certaines activités.
On l'a vu dans le projet de loi n° 20, le ministre a été obligé d'imposer
dans une loi que, lorsqu'il y avait une demande de consultation pour un
spécialiste, ça devait se faire à l'intérieur de deux heures ou de quatre
heures, alors que normalement, ce que vous évoquez, bon, bien, un directeur
général d'un hôpital devrait être capable de regarder ça, puis d'aller voir le médecin,
puis de lui dire : Écoute, il faut que tu répondes à ça. Et là on est
passés par la loi et par les négociations entre les fédérations et le ministre
pour corriger cet écart-là. C'est bon?
Des voix
: Merci.
(Fin à 9 h 45)