Conférence de presse de M. Jean-Pierre Charbonneau, député de Borduas
Son avenir politique
Version finale
Le vendredi 18 août 2006, 11 h 04
Salle Evelyn-Dumas (1.30),
édifice Pamphile-Le May
(Onze heures quatre minutes)
M. Charbonneau: Alors, mesdames messieurs, j'annonce aujourd'hui, après une longue réflexion, que le 15 novembre prochain, jour anniversaire de ma première élection comme député à l'Assemblée nationale du Québec, je quitterai l'arène parlementaire et cesserai d'être le député de Borduas.
Trente ans après mes débuts sur la scène politique québécoise et après 25 ans de vie parlementaire, le temps est venu pour moi de passer le bâton à quelqu'un d'autre. À la veille d'aborder ma 58e année d'existence, je désire récupérer un peu plus de contrôle sur le cours de ma vie et disposer ainsi de plus de temps pour me vouer aux gens que j'aime. Je souhaite de plus me consacrer davantage à certaines activités qui me tiennent à coeur et qui vont me permettre de continuer à grandir, à mûrir autant qu'à m'amener à aider différemment des gens ici ou ailleurs dans le monde.
Depuis un certain temps déjà, je dois dire que le style et le rythme de vie d'un député et d'un militant politique professionnel me sont devenus difficilement supportables, notamment à cause des renoncements inévitables qu'ils impliquent et des limitations qu'ils amènent également. Franchement, je suis fatigué de guerroyer et je ne sais plus supporter les contraintes que l'engagement politique à plein temps impose.
Incidemment, quand on est un représentant du peuple, on ne peut pas s'abstenir d'assurer une présence continue dans son milieu auprès de ses concitoyens et concitoyennes. On ne peut pas agir en dilettante, à temps partiel, en multipliant les désistements et les refus face aux multiples requêtes et invitations. On ne peut pas se permettre d'être impatient ou intolérant face aux demandes et aux complaintes des uns et des autres. Nos capacités d'écoute, d'empathie et de service doivent être constamment au diapason des besoins et des attentes de nos commettants autant que de nos camarades de militance.
J'ai trop de respect pour les gens de mon comté, pour les membres du Parti québécois et pour les compatriotes en général pour rester en fonction alors que le goût d'investir complètement pour assumer mes responsabilités n'est plus là. Je ne suis plus disposé à mettre tout le temps et l'énergie que la politique exige.
Dans la vie de qui que ce soit, il arrive des moments où il faut savoir penser d'abord à soi, rompre les rangs et passer à autre chose, pour un temps ou définitivement. En ce qui me concerne, j'ai déjà quitté l'arène parlementaire une première fois après trois mandats successifs comme député de Verchères et je suis resté à l'écart pendant cinq ans. J'ai effectué un retour en 1994, ce qui m'a permis d'assumer des responsabilités plus grandes et d'agir avec plus de crédibilité et d'efficacité. J'ai pu ainsi aller beaucoup plus loin que dans ma première vie politique et me déployer avec plus d'impact. J'ai toujours agi avec un certaine audace et beaucoup d'indépendance d'esprit, à partir de mes convictions profondes.
Cela m'a amené à déranger parfois, certains diront trop souvent, mais aussi à accomplir certaines actions qui resteront autant d'acquis significatifs, du moins je l'espère. À ce propos, je pense à la création de la Confédération parlementaire des Amériques, à l'élargissement des relations internationales de l'Assemblée nationale et donc de la place du Québec dans le monde, à la revalorisation de la fonction de président de notre Parlement national et du rôle du député, à l'intensification de la réflexion collective sur la nécessité de réformer nos vieilles institutions politiques, de donner un pouvoir décisionnelle beaucoup plus grand aux citoyens et d'agir avec plus d'éthique en politique, tout cela sans compter quelques dossiers majeurs dans ma région, notamment le retour jusqu'à Mont-Saint-Hilaire d'une ligne de train de banlieue qui avait été fermée depuis plusieurs années. Cette fois-ci, mon retrait des feux de la rampe politique se veut plus définitif.
Par ailleurs, compte tenu de la conjoncture, je tiens à dire clairement que ma décision n'a rien à voir avec certaines divergences d'opinions ou d'approches que j'aie eues avec le nouveau chef du Parti québécois, M. André Boisclair. Cela n'a pas vraiment pesé dans la réflexion que j'avais amorcée bien avant son arrivée, notamment à la suite d'une absence de quatre mois pour des problèmes de santé il y a deux ans et demi. Un tel arrêt et aussi une nouvelle réalité familiale ont initié une révision de mes choix de vie et enclenché une réflexion en profondeur.
Je souhaite donc au nouveau député de Pointe-aux-Trembles, le nouveau chef de l'opposition officielle, un retour à l'Assemblée nationale à la hauteur de ses attentes et surtout des espoirs que beaucoup ont mis en lui. Son défi est immense, car il englobe un projet fondamental pour le mieux-être collectif, celui de faire du Québec un véritable pays.
En ce qui me concerne, pour la suite des choses, surtout pour la cause de l'indépendance du Québec, j'agirai donc plutôt à l'extérieur qu'à l'intérieur du Parlement ou même d'un parti politique. Cependant, j'ai été, je suis et je demeurerai un citoyen conscient et donc responsable. En conséquence, de temps à autre, je prendrai sûrement la parole et mettrai sans doute l'épaule à la roue. Quand et comment? Je verrai cela en temps opportun, mais pour l'instant j'entends utiliser les prochaines semaines pour clore mes dossiers de député et faire correctement mes adieux à mes concitoyens et concitoyennes de Borduas.
En ce qui les concerne, je dois dire que j'ai une immense dette de reconnaissance à leur endroit. À six reprises, ils m'ont fait confiance pour les représenter à l'Assemblée nationale et assumer le leadership politique dans la vallée du Richelieu. À cause de ça, j'ai pu vivre des expériences inoubliables au Québec et à l'étranger et accumuler des connaissances et des compétences d'une grande valeur. J'espère qu'ils comprendront et accepteront ma décision, même s'ils sont nombreux et nombreuses, au-delà des clivages partisans, à s'être attachés à moi au fil des années. La façon dont les gens de Borduas vont accueillir cette décision m'a d'ailleurs un peu angoissé ces derniers mois, car je les aime et les estime profondément. J'ai finalement fait le pari que, très majoritairement, ils continueront de me supporter. Je vis d'ailleurs avec eux depuis 30 ans et j'entends bien rester avec eux. J'ai été heureux et privilégié de vivre dans ce coin du Québec et de les représenter à l'Assemblée nationale pendant tant d'années.
Alors, voilà ce que j'avais à vous dire ce matin.
Mme Richer (Jocelyne): Merci, M. Charbonneau.
M. Charbonneau: Merci, madame.
Mme Richer (Jocelyne): Première question: Gérard Deltell, TQS.
M. Deltell (Gérard): M. Charbonneau, il y a quelques années, quand vous avez pris votre première retraite parlementaire - je me souviens, c'était ici - vous nous aviez dit à ce moment-là: C'est parce que j'ai l'impression que le Québec n'est pas prêt, l'indépendance du Québec ne se fera pas dans le prochain mandat. Vous nous aviez dit ça en toute franchise, comme on vous connaît bien. Là, aujourd'hui, le PQ, les gens au PQ n'ont de cesse de nous dire: La prochaine élection est dans la poche, puis on va gagner le référendum, donc le pays est à quelques mois, au plus quelques années. Comment ça se fait que vous quittez alors que les gens de votre parti disent qu'on est sur le bord de faire l'indépendance?
M. Charbonneau: Parce que Jean-Pierre Charbonneau, ce n'est pas lui qui va faire la différence, et qu'à un moment donné, au-delà de l'intérêt national ou d'un projet comme celui-là pour lequel on a pu s'investir, on peut penser à soi puis penser que finalement la suite des choses peut très bien se dérouler sans qu'on choisisse d'être un acteur élu. S'il y a un référendum dans les prochaines années, je ne resterai pas devant ma télévision à regarder passer la parade, ça, vous pouvez être sûrs de ça. Alors, c'est clair que je vais m'impliquer. Je suis un indépendantiste, je le suis depuis l'âge de 18 ans puis je pense que je vais mourir indépendantiste. Pour moi, l'indépendance, est-ce que ça va arriver? Je l'espère de tout coeur, le plus vite possible. Mais une chose est claire, c'est que ça devrait arriver. Et c'est ça, la différence entre quelqu'un qui croit à l'indépendance et quelqu'un qui n'y croit pas: moi, je pense que ça devrait arriver, ça aurait dû arriver, et le plus vite que ça va arriver, mieux ça va être. Mais, pour la suite, j'ai même fait inscrire dans le programme, avec d'autres collègues puis d'autres militants, une approche, et on verra comment cette approche-là se déploiera quand le Parti québécois prendra le pouvoir et préparera le prochain référendum. Alors, j'ai indiqué à André Boisclair qu'à ce moment-là il pourra compter sur moi.
Mme Richer (Jocelyne): Bernard Drainville, Radio-Canada.
M. Drainville (Bernard): Il faut mentionner là-dessus, M. Charbonneau: contrairement à mon collègue, je ne sais pas, je pense qu'il y a beaucoup de péquistes, il y en a sûrement qui pensent qu'ils peuvent remporter les prochaines élections puis que le prochain référendum peut être gagné. Il y en a d'autres qui en doutent aussi chez les péquistes et en dehors des rangs péquistes. Qu'est-ce que vous pourriez dire - là, vous tirez votre révérence - comme meilleur argument selon vous pour faire l'indépendance? Puis pas un argument qui risque de convaincre déjà ceux qui le sont, convaincus, mais plutôt ceux qui doutent de la pertinence de ce projet-là, qui trouvent qu'au Québec les choses vont plutôt bien puis qu'on n'a pas besoin de cette incertitude-là, qu'on n'a pas besoin de se créer ce risque-là, qu'il faut continuer dans le système actuel.
M. Charbonneau: Je répondrais à mes compatriotes que le changement, c'est ça qui fait progresser et qu'il faut accepter le risque du changement. C'est drôle, je pensais à ça tantôt, dans mon bureau, puis je parlais à quelques maires - j'ai avisé les maires de mon comté, quelques personnes avant de faire ça publiquement maintenant - et je disais: Bon, bien, finalement, il faut que j'accepte de vivre une période d'incertitude. Quand j'ai quitté la première fois, j'avais un contrat dans la poche, je m'en allais en Afrique puis je savais ce que je ferais. Il n'y avait pas grande incertitude. Là, j'ai beaucoup de désirs, j'ai un certain nombre de goûts puis de projets, mais il n'y a rien qui est attaché, il n'y a rien de signé avec qui que ce soit. Alors, il y a une espèce de période dans laquelle je vais entrer qui est une période d'incertitude, de changement puis d'imprévisibilité, et c'est comme ça qu'on grandit. Les individus grandissent comme ça.
Tous ceux qui s'intéressent à la croissance personnelle vous le diront, partout, dans les entreprises, on fait des cours de management de changement, on amène les gens des entreprises à être capables de vivre les changements parce que les changements sont dans la nature de la vie, et c'est ça qui fait avancer puis progresser. Et je crois que les Québécois vont, à un moment donné, un jour ou l'autre, devoir accepter de faire face aux risques de la vie puis du changement. Pierre Bourgault avait déjà dit que l'indépendance politique, ce n'est pas nécessairement entrer dans un période rose bonbon, mais c'est rentrer dans une période où on va être maître de son destin et qu'on va assumer la responsabilité de sa vie. Alors, on élève des enfants pour qu'ils deviennent indépendants. Et pourquoi? Parce qu'ils existent comme individus. Quand un peuple existe comme entité différente, donc il a une réalité distincte, son destin, c'est le plus possible d'assumer son indépendance.
Il y a des peuples sur la terre, dans l'histoire de l'humanité puis actuellement, qui, pour toutes sortes de raisons, ne sont pas en mesure de faire l'indépendance: parce qu'ils sont trop petits, parce que la situation géopolitique dans leurs régions, dans leurs territoires est telle qu'ils ne peuvent pas aspirer à l'indépendance. Les Acadiens, par exemple, ne veulent pas de ça puis n'y pensent pas. Mais les Québécois, c'est autre chose. Ils ont un État, il n'est pas souverain, mais c'est un État qui a déjà beaucoup de pouvoirs. Ils ont appris des choses en expérimentant la possession de cet État-là depuis 1867 et surtout depuis la Révolution tranquille. Ils se sont déployés beaucoup, il s'agit juste qu'ils acceptent de faire confiance, de se faire confiance puis d'accepter que ce qui les attend, de l'autre côté, il y a peut-être de l'incertitude, mais cette incertitude-là va les faire grandir à tous égards, aux plans social, économique, identitaire, au plan humain, et, moi, je crois que ça va être la chose la plus extraordinaire que cette société-là vivra, quand ça arrivera. Mais ce ne sera pas une partie de plaisir, parce que, quand on devient indépendant puis qu'on quitte la maison, je veux dire, on s'assume. À moins qu'ils s'assument dans le rose bonbon, facile, parce que les parents étaient là avant, puis qu'ils ont un héritage. Nous, on aura à faire des expérimentations et à assumer le changement, mais en n'étant pas si mal, quand on se compare à tout ce qui existe sur la planète actuellement comme situations socioéconomiques.
Mme Richer (Jocelyne): Tommy Chouinard, La Presse.
M. Chouinard (Tommy): Vous dites que vos divergences d'opinions avec André Boisclair n'ont pas vraiment pesé dans la balance, là, dans votre réflexion. Je me souviens qu'au moment de la victoire d'André Boisclair vous aviez dit que c'était au gagnant que revenait la responsabilité de tendre la main aux autres, de rassembler tout le monde. Depuis sa victoire, il vous a au moins contredit ou rabroué à trois reprises. Ça, ça n'a pas pesé dans la balance?
M. Charbonneau: Non. Non, je l'ai dit. Franchement, avant qu'il arrive, cette réflexion était engagée. Alors, on a eu des divergences, je le dis. Puis, je veux dire, vous poserez la question, ni l'un ni l'autre on va nier que, sur certaines questions, on a eu des divergences. Mais, moi, je suis très conscient que j'ai toujours été dans l'équipe puis, pour un chef, quelqu'un qui était... Tu sais, il y avait les avantages et inconvénients d'une personnalité indépendante, qui dit ce qu'elle a à dire et des fois qui dérange, des fois naïvement, parce que vous me posiez des questions, puis je répondais, puis finalement je me trouvais poigné avec les réponses que je venais de donner spontanément, et parfois aussi je dérangeais volontairement parce que je savais qu'il fallait provoquer des choses pour que les choses bougent. Et je l'ai fait consciemment.
Mais la conséquence de ça, c'est que, dans une équipe, il y a une espèce de nécessité d'avoir de la cohésion dans une équipe. Donc, pour un chef, plus le monde serre les rangs, plus il y a de la discipline, mieux c'est. René Lévesque était bien rebelle quand il était dans le cabinet de Jean Lesage. Il aimait bien mieux que les rebelles se tassent quand il était premier ministre. Et, moi, dans le fond, je comprends très bien que les chefs peuvent, à des moments donnés, avoir été dérangés, mais je ne pense pas que ni André Boisclair ni moi n'étions pas capables de fonctionner ensemble. On a fonctionné depuis qu'il est arrivé, on a eu des rencontres.
M. Chouinard (Tommy): Comment vous le trouvez, André Boisclair?
M. Charbonneau: Bien, je trouve que, dans un processus d'appropriation de sa responsabilité puis de son défi... je pense qu'il n'a pas atteint... Puis il le sait lui-même, puis je pense que personne ne va penser qu'il a atteint la pleine mesure de ce qu'il veut faire puis de ce que les gens souhaitent qu'il fasse. Puis je me rappelle de d'autres aussi qui ont eu un apprentissage difficile puis qui sont devenus des grandes vedettes politiques. Tu sais, Gilles Duceppe, au début, là, ce n'était pas le grand succès, hein, et puis Robert Bourassa non plus, et quelques autres non plus, qui, à un moment donné, en cours de route, dans la fonction, dans la responsabilité, puis d'une certaine façon, dans un apprentissage difficile qui t'oblige à ajuster ton tir, à bonifier ta réalité, ta personnalité, ta façon d'être avec les gens ou ton approche, tes idées, etc...
Je pense qu'il ne l'a pas facile actuellement, puis, d'une certaine façon, ce n'est peut-être pas une mauvaise chose, ni pour lui ni pour le PQ, parce qu'il va... il va sortir de là, je l'espère pour lui et pour la cause du Québec, plus fort et en meilleure capacité de rallier... Parce que sa responsabilité première, ce n'est pas juste de rallier les péquistes, là, ça va être de rallier... Gagner les élections, c'est une chose; faire un pays avec une majorité qui va être là le soir du référendum puis qui va rester là une fois qu'il est solidaire de sa décision majoritaire, c'est ça, le vrai défi qu'il a, lui, et tous les autres. Qu'on soit élus ou pas, quand on est indépendantistes, c'est ça, le défi aussi.
Mme Richer (Jocelyne): M. Charbonneau, lors de la course au leadership, l'été dernier, vous disiez que ce qui était important pour vous, c'était de trouver un faiseur de pays. Après neuf mois de règne de M. Boisclair, est-ce que vous avez l'impression de l'avoir trouvé?
M. Charbonneau: Ce n'est pas à moi à répondre à ça. Je pense que c'est aux citoyens à répondre à ça. Puis ce que je viens de dire à mon avis est assez clair. Il est dans un processus où il apprend à maîtriser sa responsabilité, son défi d'être un faiseur de pays, et encore une fois ce que je vous dis, c'est: Faites attention de juger trop vite. On a souvent la tendance, dans les médias, à juger dans l'instantané en oubliant le passé. Tu sais, on dit souvent: Il faudrait peut-être qu'on ait un peu de perspective. La perspective, c'est regarder plusieurs autres qui ont eu des parcours difficiles puis qui ont eu des débuts difficiles, puis regarder leur finale à la fin. Alors, moi, je ne sais pas quelle finale André Boisclair aura, mais je pense qu'il n'a pas encore donné sa pleine mesure, et, j'espère, pour lui et pour nous, qu'il va... il va y arriver.
Mme Richer (Jocelyne): Mais si, à vos yeux, M. Boisclair incarnait vraiment le chef qui va amener le Québec à la souveraineté, est-ce que vous seriez resté?
M. Charbonneau: Je ne pense pas, parce que je crois que la décision, elle n'était pas reliée à des considérations politiques. À un moment donné, tu peux bien penser que tu vas faire la différence, mais il ne faut pas être... tu sais, il ne faut pas se prendre pour un autre, là, Jean-Pierre Charbonneau ne fera pas la différence.
Puis, d'une certaine façon, les idées que j'ai émises autour de la façon d'arriver à l'indépendance ces dernières années et de rallier plus large que les membres ou que les voteurs et électeurs, électrices du Parti québécois, peut-être que j'aurai plus de crédibilité à l'extérieur, dans un cadre non partisan, pour poursuivre...
Bon, j'ai, avec un certain nombre de concitoyens de d'autres partis politiques, publié un texte au mois de juin dans un collectif qu'on a appelé Québec-Plus Démocratie. Lysiane Gagnon n'a pas trouvé ça bien bon, mais, ça, qu'est-ce que vous voulez, je n'ai jamais réussi à frapper son imaginaire, mais d'autres ont pu penser, au Québec, qu'il y avait quelque chose là qui était plus large.
Je ne prétends pas que c'est la solution unique. Je crois qu'il y a là quelque chose d'important, et si jamais je peux être utile, je crois maintenant que l'utilité que je pourrai avoir dans l'avenir, et pour la cause nationale, sera peut-être plus à l'extérieur, en étant capable de faire des ponts qu'en étant député à l'Assemblée nationale, avec ou sans responsabilité ministérielle.
M. Deltell (Gérard): ...vous êtes un homme de lettres, vous savez écrire, chaque mot compte. «Cela n'a pas vraiment pesé dans la réflexion par rapport à André Boisclair». Pouvez-vous me définir le «vraiment»?
M. Charbonneau: Ah! Seigneur du bon Dieu! Honnêtement, je n'avais pas d'arrière-pensée. «Vraiment», c'est parce que... Honnêtement, ça n'a pas pesé. «Vraiment», c'est une façon de dire que ça n'a pas pesé dans la balance. Il ne faut pas y voir autre chose qu'une tournure de style. Et encore là, jamais je ne prétendrai qu'André Boisclair et moi, là, on était toujours sur la même longueur d'onde. D'abord, si ça avait été le cas, je l'aurais appuyé à la course à la chefferie.
On a eu des divergences d'opinions. Vous avez fait état tantôt qu'au cours des derniers mois, à certaines occasions, il a dû donner une réplique à des propos que je tenais. Bon, c'est dans l'ordre des choses, c'est lui qui est le chef. Mais, lui et moi, on était capables de passer par-dessus ça, puis on avait passé par-dessus ça. Alors, si j'avais voulu rester, je serais resté. Il ne m'a jamais demandé de partir, il ne m'a jamais montré la porte, il ne m'a jamais, d'une façon ou d'un autre, laissé entendre que ce serait bien si je quittais. Quand Pauline est partie, il y a eu une espèce d'effervescense médiatique autour du fait que M. Boisclair souhaitait que la vieille garde quitte. En tout cas, moi, je ne me suis jamais senti visé. Puis on a eu des conversations privées, personnelles, puis je pense que ça s'est bien déroulé à chaque fois.
Une voix: Il n'a jamais cherché à vous retenir non plus.
M. Charbonneau: Bien, disons qu'il a dit à tous ses députés, plus d'une fois, que tous les députés qui souhaiteraient se représenter auraient son appui, comme chef. Alors, disons que je ne lui ai pas demandé de faveur.
Mme Richer (Jocelyne): Une dernière question en français, Bernard Drainville.
M. Drainville (Bernard): M. Charbonneau, comme député, là, pendant toutes ces années - ça pourrait inclure le premier mandat, là - qu'est-ce que vous avez fait de plus beau, c'est quoi, la réalisation dont vous êtes le plus fier? Puis pas comme président d'un machin, d'une association, tu sais, pas comme ministre, pas comme président de l'Assemblée nationale, comme député, pour le monde de votre comté, c'est quoi, le plus beau coup que vous avez fait? Parce que la fonction de député de nos jours, elle n'est pas toujours très valorisée.
M. Charbonneau: Bien, le plus beau coup, puis ça va aller dans le sens de votre finale de questions, le plus beau coup, c'est d'avoir prouvé à mes concitoyens et concitoyennes depuis 30 ans qu'on peut faire de la politique proprement, d'une façon digne et d'une façon telle que même les gens qui ont voté contre toi se rallient rapidement, collaborent, travaillent sans arrière-pensée et ne cherchent pas, pendant toutes les années où tu es en fonction, à miner ta crédibilité ou à préparer les prochaines élections. Les libéraux puis les autres dans le comté, les adéquistes, les gens de gauche, tout le monde, quand j'étais élu, se ralliait, travaillait de bonne foi. Il y en a même qui ont cessé d'être des militants pour d'autres partis parce que, tant que j'étais là, bon, ils pensaient que ça ne valait pas la peine puis qu'ils n'avaient pas grand chance. Mais en plus ils étaient fiers de leur député. Et, moi, j'ai fait plusieurs campagnes en leur proposant une chose, parce que je ne faisais pas de promesse: je leur proposais d'exercer un leadership.
Un député, ce n'est pas un maire, il n'a pas un pouvoir de décision. Dans une communauté, dans un comté, on ne peut pas décider que... Par exemple, quand je parlais du train de banlieue tantôt, c'est un pouvoir d'influence que j'ai exercé, ce n'est pas... La décision, c'est le ministre des Transports puis le premier ministre à l'époque qui ont décidé. Je suis allé les voir, j'étais président de l'Assemblée nationale, je suis même intervenu publiquement pour interpeller le ministre des Transports de l'époque puis j'ai mis de la pression. J'ai eu l'appui de Bernard Landry, qui était ministre des Finances, de Lucien Bouchard, qui était premier ministre, mais ce que j'ai fait, c'est que j'ai exercé un leadership.
Et le leadership, quand on est député, c'est d'être capable de rassembler les gens, de rassembler les maires, de rassembler les forces d'une communauté, à un moment donné, autour d'un certain nombre de projets concrets de développement économique, social, culturel, communautaire et des fois aussi pour faire en sorte que des crises se résolvent autrement que par l'affrontement. Moi, j'ai eu à mettre des gens les uns les autres autour de la même table. Par exemple, dans des questions où il y avait des conflits reliés à des façons de voir le développement économique et l'environnement, j'ai assis les gens autour d'une même table et j'ai essayé de faire en sorte qu'on développe des consensus.
Il y a deux conceptions quand on est en politique ou quand on regarde l'actualité. Il y a des gens pour qui la recherche du consensus puis du compromis, c'est de la bêtise parce que ça ne fait pas une société aussi affirmée, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait des débats fermes, puis que la recherche d'un consensus, ça fait mièvre un peu, puis ça fait mi-figue, mi-raisin. Moi, je crois au contraire que la démocratie, c'est fondé sur la recherche, au départ, de consensus. Quand ce n'est pas possible, on fait l'affontement, mais, quand on peut trouver un terrain d'entente où les uns et les autres se sentent confortables puis n'ont pas l'impression que c'est l'autoritarisme qui s'impose comme ligne d'approche, je crois que c'est ça qui est le mieux.
Moi, je ne crois pas avoir exercé dans le milieu un leadership d'autorité. Quand j'étais plus jeune député, dans ma première vie politique, j'ai eu à un moment donné des affontements avec des militants, parce que, dans le PQ, vous savez, on a souvent des débats, puis on en a eu depuis la naissance du parti, et dans certains cas on avait des conflits. Je me rappelle qu'à des moments donnés j'ai bousculé du monde et, avec le temps, j'ai compris que ce n'était pas la bonne façon de faire les choses. C'est pour ça que je disais tantôt, là: à l'égard de l'indépendance, ce qu'on vise, c'est de faire un pays pour la majorité, pour l'idéal pour tout le monde. Pour créer une majorité, il faut que du monde qui aujourd'hui ne partagent pas les mêmes opinions, qui ne sont pas dans les mêmes partis politiques puissent être capables de s'asseoir, puis de regarder l'avenir, puis de se dire: Bon, bien, finalement, on a plus en commun que de choses qui nous divisent.
Quand on regarde sur la scène internationale actuellement puis depuis toujours qu'est-ce qui fait la différence entre une situation de paix, de prospérité, de progrès puis une situation de conflit, d'affrontement, de destruction, c'est la capacité ou non de se parler puis d'accepter des compromis puis des consensus.
Mme Richer (Jocelyne): On passe à l'anglais. Kevin Dougherty.
M. Charbonneau: Vous me connaissez, ma maîtrise de la langue de Shakespeare est moins bonne, mais allons-y.
M. Dougherty (Kevin): Toutes les questions en anglais et en français.
M. Charbonneau: O.K.
M. Dougherty (Kevin): Alors, vous avez constaté que M. Boisclair a des problèmes au départ de sa chefferie, comme a eus M. Duceppe, comme M. Bourassa aussi. Avez-vous un mot de conseil pour M. Boisclair, comment il peut, je ne sais pas, être plus à l'aise?
M. Charbonneau: Ce serait un peu prétentieux de ma part de donner des conseils, mais, disons, un vétéran qui a 30 ans et qui s'adresse à un chef qui... Je ne sais pas s'il avait l'âge de voter quand j'ai commencé en politique, André. Écoutez, je viens de dire des choses, je pense, importantes. Je crois que ce qui est important, c'est de s'éloigner de l'autoritarisme. On n'impose pas ses vues, on rallie, on tricote, on essaie de rassembler le plus possible, puis quand on veut faire un pays, c'est encore plus vrai. C'est clair que, quand on est dans une dynamique de gouvernance puis qu'on est en responsabilité puis en autorité, parfois il faut trancher puis parfois... Je veux dire, c'est ça, la responsabilité politique. C'est qu'à un moment donné il y a des périodes de discussion, de débats, de recherche de consensus puis il y a à un moment donné une période où il faut constater, puis, quand il n'y en a pas, de possibilité, on a à choisir. Est-ce qu'on y va pareil? Est-ce que ça vaut vraiment la peine, par exemple dans certains cas, de diviser la société sur certains enjeux, certaines questions? Est-ce qu'on va vraiment marquer un progrès significatif ou s'il ne faut pas renoncer puis attendre ou faire autre chose. Puis, dans certains cas, il faut y aller, il faut accepter de bousculer ses concitoyens et concitoyennes.
C'est une question, tu sais, d'intuition, de dosage, mais ce qui est clair, c'est que, si on utilise la manière forte ou l'imposition de points de vue puis le décret, tu sais, si on décrète son autorité, si on l'impose, je pense qu'on n'arrive pas à faire ce qui doit être fait dans une société moderne où les citoyens sont, malgré tout ce qu'on peut dire puis ce que j'ai dit aussi, plus informés qu'ils l'ont été à d'autres époques de l'histoire et qui ont une capacité aussi de réagir puis de ne pas aimer se faire bousculer. On le voit un peu actuellement. Le gouvernement actuel, alors que dans l'opposition ils tenaient un discours semblable à celui que je tiens - je me rappelle de Jean Charest qui nous reprochait cet autoritarisme - tu sais, quand on était au gouvernement, mais, depuis qu'il est en fonction, je pense qu'il a tout oublié ce qu'il avait dit quand il était dans l'opposition. Puis, qu'est-ce qui explique actuellement sa déconfiture dans l'opinion publique, c'est ce rejet à un moment donné que les citoyens ont de dirigeants qui veulent leur rentrer dans la gorge de force des changements qu'ils ne veulent pas ou qu'ils n'ont pas eu le temps d'apprivoiser suffisamment.
Et c'est clair que la démocratie, là, la dictature éclairée puis l'autoritarisme, pour certains ça se conjugue avec l'efficacité. Ça va plus vite. Il y en a qui aiment ça aller vite, puis c'est clair que la politique, c'est aussi un lieu où il faut aller vite parce que les médias nous jugent vite, parce que les gérants d'estrades nous jugent vite puis parce que les mandats électoraux ne sont pas éternels. Tu sais, quand tu as trois ans, quatre ans pour que les gens à un moment donné... avant un prochain rendez-vous électoral, il y a un espace temps, là, qui n'est pas toujours en adéquation avec un temps plus grand qui serait nécessaire pour que des choses s'installent dans une société. Tu sais, il y a des changements qui requièrent plus qu'un temps électoral pour qu'ils se développent puis qu'ils s'installent dans une société, ça, c'est la difficulté de la démocratie, aussi, alors, on est toujours pris à jouer avec ces deux dilemmes-là ou ces deux éléments-là.
M. Dougherty (Kevin): Une autre question. Pourquoi aujourd'hui, le 18 août?
M. Charbonneau: Pour une raison très simple, c'est que j'avais choisi de le faire le 25 août parce qu'il y avait un caucus qui avait été convoqué le 30 et 31 août, il a été devancé à la semaine prochaine, le 23 et le 24. Et je voulais, un, l'annoncer avant le caucus d'une part, puis, deuxièmement, le nouveau chef de bureau de Radio-Canada télévision le sait puisqu'il était un citoyen de mon comté jusqu'à récemment. Moi, j'ai un hebdo régional qui est un journal qui gagne, presque à chaque année toujours, le prix du meilleur hebdo au Québec, et que je respecte beaucoup puis qui m'a accompagné sans flagornerie pendant les 30 ans et, eux, ils publient le samedi. Et alors, je n'avais pas grand choix. Alors, c'était comme aujourd'hui, un vendredi, pour que, dans le fond, au moins pour la presse écrite, il soient d'égal à égal. Ils savaient bien que, pour la presse électronique, ça venait de s'éteindre, il y aurait comme une journée de décalage, mais c'est essentiellement pour ça, là.
Mme Richer (Jocelyne): D'abord, une question là-bas, là.
Journaliste: C'est Catou. Catou. Bonjour. Vous vous exprimez tellement bien en français, mais on travaille en anglais. Can you explain...
M. Charbonneau: Je vais essayer de dire ça, mais ça ne sera pas aussi bien, je pense.
Journaliste: On va s'essayer. Can you explain why you are giving up politics after 30 years?
M. Charbonneau: Because I'm tired to fight and because I'm tired to have no control about my life. And this... and this profession - because I think you can use the word «profession» when you are in politics since 30 years - I think you don't control your agenda, and now it's too tough for me, I want to have more time to do something else. For me, politics is not all my life. I have some other interests in life. I have a new family, a new reality - a new personal reality - and I think now I give enough as a professional politician. But I will stay a conscientious citizen and so I will be always responsible. So, some time, probably I will speak, probably some persons don't want that, but, you know, I will probably speak some time. And I will, probably and surely, if there is another referendum, be there also. And there are no secret reasons, I put all my reasons on the table, this morning.
Journaliste: I have another question for you. We could sort of describe you as part of the Old Guard, with René Lévesque... Well, I have two questions: How may of you are there left from that era, from 1976?
M. Charbonneau: With me, there is only one other member elected with me, in 1976, it is François Gendron. And, you know, it's a good example: François has stayed in the National Assembly without interruption. It's not like me, I made three mandates. I left for Africa, and, after that, I make a comeback and I finished my third mandate and my second life. And, François, you know, is there with no interruption and he decided, last week or two weeks ago, to stay. It's correct for him, it's correct for me, you know, because we have different realities, different lives, different prospective of the life, and that's all.
Mme Richer (Jocelyne): Dernière question. Caroline Plante.
Mme Plante (Caroline): I have a question for you. Because you lived through two referendums and 30 years of a sovereignty fight, what advice do you have for somebody who wants to join the sovereignist movement, the politician who will replace you?
M. Charbonneau: You know, for the next referendum, I hope it will not be a partisan operation. It's very important to open, you know, the approach and to reserve a big place for the other persons. You know, you can say: If a small party has, you know, a small back-up from the public opinion, it's not very important for the election issue, but for the referendum, it's very important, you know. 8%, 5%, probably you don't make the difference in the election, except in certain ridings, but you can make the difference for the referendum. So, the attitude with these people...
And, you know, the PQ never won an election with absolute majority. So, you cannot make a country, a new country and you cannot make independence without a real majority, a strong majority, small perhaps but strong. And to build this majority is very important to have an opening approach and not a partisan approach.
Mme Plante (Caroline): Mr. Charbonneau, did you feel pushed out by André Boisclair? Because we know that your relationship with the new leader hasn't always been great.
M. Charbonneau: No. No. No, like I told you before, I decide to leave because, after 30 years, I want a different life. I cannot accept anymore this kind of life for the next years. You know, it's too heavy for me, and I have no pleasure now with this - how do you say «contrainte»? - restriction. And, if you go in this field, you must accept these restrictions. And, when you are not ready to accept and to live with these restrictions, I think, the time is ready to... is coming to... There are some other things.
Mme Plante (Caroline): There has been, well, quite a few departures, veterans quitting the party in the last two months. Do you worry about the party? Do you worry that a young party won't be as efficient?
M. Charbonneau: I'm not worried, really. You know, the challenge is always the same in politics. It's always - how do you say? - a "recommencement" and it's like the life, you know. There are some ups and some downs, and sometimes the ups are very long and very high, and sometimes they are short, and it's the same thing for the down.
Mme Plante (Caroline): Down?
M. Charbonneau: No. Last month, it was not very easy. I think now, with the partial election, this week, we can see probably another situation start. But I'm not - how do you say? - a "devin". Alors... I cannot say what's up in the next months, but I think... I will say it in French, you know, because I practiced martial arts since many years, and my first sense says: Tu ne dois jamais sous-estimer un adversaire. C'est toujours préférable de surestimer un adversaire. Alors, si j'avais un conseil à donner à André Boisclair puis à tous les autres: Ne pas sous-estimer ni Jean Charest ni qui que ce soit d'autre en face ou à côté.
Mme Plante (Caroline): Can I just ask you to share with us your proudest achievement?
M. Charbonneau: Can you repeat?
Mme Plante (Caroline): Your proudest achievement in the span of your career.
M. Charbonneau: Yes, I'm proud.
Mme Plante (Caroline): But what would be, you know, your proudest achievement?
M. Charbonneau: The way or the kind I do my job. I think I made the demonstration that the people are not... ne devraient pas... don't have a bad opinion always for politicians. In this profession, there are good people, and many people work very hard for the public service, and I think I proved to my constituents and to the people in general, in Québec, that it's possible to make politics correctly, with ethic, with vision, with leadership, with honesty, and I think the people like politicians who give the truth and they say what they think. You know, sometimes, people who comments politic reality are very ironic with me or some other politicians because I said directly some things, but, you know, in the same time, curiously, they always reproach to the politicians to have two kinds of language. I never had this kind of attitude. I always said what I think.
Mme Richer (Jocelyne): Merci, M. Charbonneau.
M. Charbonneau: Voilà! Merci beaucoup.
(Fin à 11 h 43)