(Onze heures)
M.
Caire
:
Alors, bonjour. Aujourd'hui, on voulait évidemment manifester notre
satisfaction par rapport au point de presse qui a été tenu par un collectif de…
aujourd'hui, là, qui donne son appui à la demande d'enquête sur les contrats
informatiques que nous faisons depuis des mois. Cette voix-là s'ajoute à une
autre voix, celle de l'Association québécoise des technologies, qui regroupe
plus de 500 entreprises, là, dans le domaine privé qui oeuvrent au niveau
technologique, qui elle aussi a joint sa voix à la nôtre pour dire : Ça
prend une enquête sur les contrats informatiques.
Aujourd'hui, en fait, la question qu'on se
pose, c'est : Qu'est-ce qui empêche Martin Coiteux de donner suite à cette
demande-là? Quand on regarde les symptômes, les indicateurs des contrats qui
dépassent les délais, qui dépassent les budgets prévus, et pas qu'un peu, là,
du gaspillage informatique, là; si on prend le fameux Dossier santé Québec,
prévu à 560 millions, qui atteint le 1,5 milliard maintenant; SAGIR,
80 millions, qui a dépassé le milliard, donc des sommes faramineuses qui
sont englouties dans des projets qui dérapent. Et ce n'est pas un phénomène qui
est récent, là. Ceux qui ont une mémoire peut-être un peu plus
institutionnelle, on va tous se souvenir de GIRES, un projet aussi, là, qui a
dépassé le milliard, qui n'a jamais été mis en application parce qu'on n'avait pas
terminé, complété le projet. Et ce qui est inquiétant aussi, c'est que ce n'est
pas tout le projet, c'est tous les projets qui dérapent au gouvernement du
Québec.
C'est impossible, ça ne se peut pas. C'est
impossible qu'au Québec on ne soit pas capables de réussir à développer, à
mettre en place des systèmes informatiques. Avec le talent qu'on a, avec la
connaissance qu'on a, avec la qualité d'informaticiens qu'on a au Québec, il y
a certainement quelque chose qui ne fonctionne pas. Et ce n'est pas normal non
plus qu'on voit toujours les mêmes firmes remporter les contrats, là. Il y a
une très courte liste de firmes qui remportent plus de 90 % des contrats
informatiques.
Alors, je pense que ces symptômes-là, ces
indices-là, commandent qu'il y ait une commission d'enquête, et moi, je pense
que le gouvernement du Québec, le gouvernement libéral, a tout intérêt à ce que
la lumière se fasse sur cette situation-là, parce que c'est des milliards de dollars
qui sont engloutis dans ces systèmes-là qui ne fonctionnent pas, donc qui, en
plus, ne donneront pas les services ou ne seront pas les outils dont on a besoin.
Et c'est l'intérêt du gouvernement, c'est l'intérêt du contribuable, et je ne
vois vraiment pas qu'est-ce qui empêche Martin Coiteux, pourquoi Martin Coiteux
refuse toujours d'aller de l'avant avec cette proposition-là de la Coalition
avenir Québec.
Mme Prince (Véronique)
:
Le Vérificateur général, ça ne suffit pas, d'après vous?
M.
Caire
: Bien,
le Vérificateur général a une expertise sur la gestion des ressources humaines,
financières, très certainement, mais moi, je pense que là on s'en va vraiment
du côté de l'enquête. Qu'est-ce qui s'est passé? Qu'est-ce qui fait, là... Au
moment où l'appel d'offres est lancé par le gouvernement, qu'est-ce qui se
passe? Comment ça se passe? Et du moment où l'appel d'offres est remporté par
une firme, comment ça se passe après ça? Moi, je pense que c'est tout ça qu'il
faut évaluer. Donc, oui, je pense que ça dépasse le mandat du Vérificateur
général sur l'ampleur du mandat et sur l'expertise du mandat.
M. Lacroix (Louis)
:
Est-ce que vous pensez que le crime organisé puisse être... parce que, bon,
tout à l'heure, en conférence de presse, on disait : Il y a les mêmes
ingrédients — vous l'avez dit vous-même, je pense, un peu plus tôt
cette semaine — les mêmes ingrédients qu'on retrouve, par exemple, à
la commission... qui a mené à la commission Charbonneau dans l'industrie de la
construction. Donc, ça, ça implique crime organisé, ça implique financement
politique, ça implique des grandes firmes qui font de la collusion ensemble.
Est-ce que vous croyez que, ça, ça existe,
par exemple, avec le crime organisé? Est-ce que le crime organisé est dans
l'informatique, à votre avis?
M.
Caire
:
Écoutez, je n'ai pas la certitude, mais je me pose la même question que vous
puis je pense que l'ensemble de la population du Québec se pose cette
question-là, et c'est la raison pour laquelle ça prend une commission
d'enquête. Je veux dire, on a vu, à la commission Charbonneau, ce qu'il en
était, et tout le monde constate que, dans le milieu informatique, on vit les
mêmes problématiques, on a les mêmes symptômes. Les chances qu'on ait la même
maladie sont quand même là.
Alors, la commission d'enquête, à mon
avis, aurait, entre autres, avantage que de répondre à ces questions-là qui
sont tout à fait légitimes et qui méritent d'obtenir une réponse.
M. Lacroix (Louis)
: Est-ce
que... Excuse-moi, juste terminer. Quel est... Vous dites que, bon, le
gouvernement, visiblement, ne veut pas aller de l'avant avec une enquête, là. Ce
n'est pas la première fois qu'elle ait demandée, une enquête sur
l'informatique, là.
M.
Caire
: Ça
fait plusieurs mois qu'on le demande, nous, en Chambre, là.
M. Lacroix (Louis)
:
Plusieurs mois. Alors, quel est l'intérêt du gouvernement à ne pas tenir une
enquête?
M.
Caire
: C'est
une autre excellente question. C'est une question que je me pose aussi.
Qu'est-ce qui fait aujourd'hui que Martin Coiteux, là, qui est à la tête du
Conseil du trésor, qui voit cette hémorragie de gaspillage — je pense
que le terme n'est pas trop fort — de fonds publics et qui, lui, là,
a la mission de contrôler les dépenses, de s'assurer, là, qu'il y a un
resserrement dans la gestion de l'administration, quel est son intérêt à ne pas
aller au bout de la démarche? Quel est son intérêt à ne pas aller chercher
l'information dont il a besoin pour prendre les bonnes décisions.
Alors, on le voit aujourd'hui, là, il
annonce des mesures qui, pour moi, là, c'est du brassage de soupe, là. Ça ne
devrait pas… En tout cas, je ne suis pas sûr qu'il va avoir de gros résultats
avec ça.
Pourquoi se maintenir dans le noir
volontairement? Quand on a un travail à faire, quand on veut faire un ménage,
la première chose à faire, c'est dire : O.K., c'est quoi, l'ampleur de la
tâche? À quoi je m'attaque? Et actuellement…
M. Lacroix (Louis)
:
Selon vous, c'est quoi, la réponse?
M.
Caire
: La
réponse de?
M. Lacroix (Louis)
:
Bien, pourquoi se maintenir dans le noir volontairement?
M.
Caire
: Je ne
le sais pas. Moi, personnellement, là, Éric Caire, demain matin, la coalition
est au gouvernement, je peux vous dire que c'est une des premières choses qu'on
fait, c'est lancer une commission d'enquête sur les contrats en informatique.
C'est une des premières choses à faire. On ne peut pas faire le ménage avec une
moppe sale puis de l'eau souillée. On ne peut pas faire le ménage avec ça.
Alors, il faut s'assurer de ce qu'on a à
faire. Il faut s'assurer de l'ampleur de la tâche. Il faut s'assurer… il faut
savoir exactement à quoi on s'attaque. Et présentement Martin Coiteux ne le
sait pas et ne semble pas vouloir le savoir.
M. Lecavalier (Charles)
:
M. Caire, ce matin, les représentants de la coalition qui ont demandé une commission
d'enquête ou une enquête publique, là, ont souligné que plus de 50 % des
contrats informatiques au Québec sont donnés en sous-traitance. Cette
proportion-là serait de 25 % dans la moyenne de l'OCDE puis 20 % en
Ontario. Est-ce que vous souhaitez que ce pourcentage-là soit ramené, justement,
vers une moyenne plus raisonnable, par exemple, 25 %?
M.
Caire
: Clairement,
clairement, clairement, parce que cette surutilisation… Puis vous comprenez que
moi, je viens du milieu de l'informatique, je viens du milieu de la
consultation privée, et donc je pense qu'il y a un intérêt à avoir ce type de
consultants là. Mais je le répète, hein, quand on va en consultation, il y a
deux questions qu'il faut se poser. Est-ce que j'ai l'expertise à l'interne? Si
la réponse est oui, on arrête là. Si la réponse est non, c'est : Est-ce
que j'ai un intérêt, par l'ampleur de la tâche, à développer cette expertise-là
à l'interne? Si je réponds non à ces deux questions là, je vais en
consultation, mais sinon je dois développer cette expertise-là à l'interne. Pour
moi, c'est clair.
Écoutez, juste un peu de mathématiques,
puis je vous donne des ordres de grandeur, là. Actuellement, un technicien en
informatique au gouvernement du Québec, c'est payé… le technicien de… 3, le
plus expérimenté, est payé en moyenne 50 000 $, 56 000 $.
Dans le privé, c'est 75 000 $. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est
que, quand il est donné en ressource à un ministère, la firme va charger deux à
trois fois son salaire. Donc, sur une base annuelle, ça veut dire que ce même
technicien là vous coûte entre 150 000 $ et 225 000 $. Alors,
vous me demandez : Est-ce qu'on a intérêt à réduire le nombre de
consultants puis à développer l'expertise à l'interne? Bien, c'est clair que
oui.
M. Lecavalier (Charles)
:
Mais ces représentants-là, entre autres qui viennent du milieu syndical,
estiment qu'il faudrait embaucher 1 500 informaticiens au gouvernement
pour faire diminuer cette moyenne-là à 25 %. Est-ce que, vous, vous êtes
d'avis qu'il faudrait… peut-être pas 1 500, mais qu'il faudrait embaucher
davantage d'informaticiens?
M.
Caire
: Bien,
je pense que oui parce qu'en fait, si vous engagez un consultant, c'est que
vous avez besoin d'une ressource. Si vous mettez fin au contrat du consultant,
c'est que vous avez développé l'expertise à l'interne. Sur l'ordre de grandeur,
je ne me prononcerai pas parce qu'il faudrait faire une analyse exhaustive,
puis, en tout respect pour mes amis du syndicat, quelques fois, on n'a pas la
même approche quant à l'évaluation des ressources nécessaires pour faire le
travail.
Ceci étant dit, là où ils ont parfaitement
raison, c'est que, si on est… Puis je vous donne un exemple. Le CSPQ a à son
embauche présentement 531 consultants. Alors, si vous dites : Le CSPQ
développe son expertise, ça veut dire qu'ils vont se départir de ces
contrats-là, mais ils vont évidemment ramener cette expertise-là à l'interne.
Donc, au final, oui, vous embauchez, mais… oui, vous embauchez, mais, au final,
ça vous coûte moins cher parce que, comme je vous ai dit tout à l'heure, là,
faites juste imaginer le taux horaire qui est facturé au gouvernement par
rapport à ce que vous payez pour un salarié, puis là vous avez des économies
substantielles et vous possédez votre expertise. Puis posséder son expertise,
ça permet aussi, excusez l'anglicisme, là, mais de challenger l'entreprise
privée.
Moi, je l'ai vécu à la Commission de
l'administration publique, là. Il y a des ministères qui faisaient des
changements informatiques puis il y avait des coûts qui étaient associés à ça,
qui étaient, à mon avis, disproportionnés. Et j'ai eu l'occasion, parce que je
viens du milieu, parce que je connais ça, de dire : Écoutez, là, l'ampleur
de la tâche, là, ce que vous me dites, moi, j'aurais fait ça en tant de temps,
ça aurait coûté tant, puis là vous avez un chiffre qui est tant, qui m'apparaît
nettement supérieur.
Alors, avoir son expertise à l'interne, c'est
un système de sécurité. On l'a vécu avec le MTQ, hein? On n'avait pas les
ingénieurs pour challenger les firmes privées. On engage des firmes privées
pour surveiller la même firme privée à qui on donne le contrat, puis on a vu le
résultat. Alors, pourquoi ce serait différent en informatique? Merci.
(Fin à 11 h 11)