Point de presse de M. Marc Bellemare, ministre de la Justice et Procureur général du Québec
Version finale
Le mercredi 17 mars 2004, 15 h 32
Salle Bernard-Lalonde (1.131),
hôtel du Parlement
(Quinze heures trente-deux minutes)
Journaliste: M. Bellemare, quel type d'enquête peut faire le Procureur général du Québec à qui vous avez confié le mandat pour faire la lumière...
M. Bellemare: Comme le Procureur général peut le faire, si le sous-procureur général, à qui j'ai demandé de s'occuper de l'affaire, estime qu'il y a des indices de fraude ou de malversation, il peut décider de demander aux policiers, aux services policiers du Québec de mener une enquête sur la question.
Journaliste: Il n'y a pas tous les éléments? S'il n'y a pas eu d'enquête policière préalable, comment faire la lumière si on n'a pas toutes les ampoules voulues pour éclairer?
M. Bellemare: Bien, écoutez, il faut commencer par quelque chose. Une lettre du président du Parti libéral du Québec, qui a été transmise à mon bureau, j'en ai pris connaissance. À ce moment-là, je peux prendre toutes les informations qui sont à portée de main, comme je peux demander aux services policiers, à la Sûreté du Québec ou à un corps municipal de police de faire enquête si j'estime qu'il y a des éléments qui peuvent permettre de croire qu'un crime a été commis. Sans conclure d'avance qu'un crime a été commis, les services policiers sont là à la disposition du Procureur général qui peut décider d'y avoir recours.
Journaliste: Mais comment se fait-il que ça n'a pas été fait jusqu'à maintenant? C'est des affaires qui sont étalées en public depuis des semaines et des semaines dans certains cas, il a fallu une lettre du président du Parti libéral...
M. Bellemare: Écoutez, moi, j'ai reçu une lettre hier matin du président du Parti libéral du Québec. Moi, j'étais en Europe, je suis arrivé avant-hier soir. Hier matin, j'ai pris connaissance de la lettre et j'ai décidé de l'examiner et de prendre connaissance d'un certain nombre de dépêches qui existaient sur la question, les questions qui avaient été posées en Chambre la semaine dernière quand j'étais absent, un article de La Presse, je crois, également, de mardi, la page A6, si mon souvenir est fidèle, certains éléments, de sorte que je me suis dit: Je vais regarder la question. Et j'ai décidé ce matin, compte tenu qu'il s'agissait d'un élu et de la même formation politique de surcroît, je me suis dit: Dans le but de garantir et de donner à ce système et à ce processus les plus hauts standards de qualité et d'intégrité, de saisir le sous-procureur général, Me Dionne, de la question.
Journaliste: Mais pourquoi vous faites appel justement au ministère de la Justice et non pas à la Sûreté du Québec? ... ce type d'enquête là?
M. Bellemare: C'est, de toute façon, si le sous-procureur général l'estime opportun, ou bien la Sûreté du Québec ou bien un autre corps de police qui va s'en occuper. Il y a deux façons de procéder. Les gens peuvent saisir les services policiers de certaines plaintes, de certains faits, et le Parti libéral du Québec aurait pu s'adresser aux services policiers, ce qu'il n'a pas fait. C'est son affaire. Il a adressé une lettre chez nous, on l'a regardée et on peut décider de demander aux policiers d'enquêter, ce qui n'est pas encore fait, mais ce qui pourrait être fait prochainement.
Journaliste: ...M. Bellemare, il n'y a pas eu de plainte de portée par l'organisme en question?
M. Bellemare: Je n'en ai aucune idée.
Journaliste: Est-ce que le rapport de M. Dionne va être rendu public, et si oui, comment?
M. Bellemare: Le rapport de Me Dionne, comme tous les rapports du Procureur général, ne sont pas rendus publics. C'est l'analyse d'une situation. La décision de demander une enquête est une décision administrative qui relève du Procureur général et le Procureur général reçoit le rapport de police subséquemment et décide de l'analyser. Et s'il estime que ce rapport est suffisamment concluant, il décide de porter des accusations. Mais il peut décider, le Procureur général, après avoir pris connaissance de l'enquête de police qui pourrait être faite, de ne pas porter d'accusation.
Journaliste: Ça veut dire qu'on n'en entendra plus jamais parler à ce moment-là?
M. Bellemare: Bien, normalement, le... Moi, hier matin, j'ai émis un communiqué pour dire que j'avais reçu la correspondance; était annexée à ce communiqué la correspondance en question, alors Me Dionne a tous les pouvoirs d'agir. Il peut décider, en fonction de sa compétence et de sa conscience, de faire appel aux services policiers s'ils l'estime opportun et il pourra aviser en fonction des gestes qu'il posera, mais il n'est pas tenu de le faire de par la loi. C'est le pouvoir de demander des enquêtes, d'analyser l'enquête et de décider de l'opportunité de poursuivre ou pas.
Journaliste: Mais comme on nous a dit aujourd'hui qu'on ferait toute la lumière sur cette histoire-là, est-ce que ça veut dire qu'on saura ce qui s'est passé une fois que l'enquête sera terminée?
M. Bellemare: Bien, écoutez, les enquêtes sont, par définition, confidentielles. Ce n'est pas parce que le Procureur général décide de poser des gestes qu'il doit rendre publique sa décision, encore moins le contenu de l'analyse qu'il a faite. Les enquêtes policières sont, par définition, également confidentielles jusqu'au jour où des accusations sont portées, si le Procureur général juge opportun de le faire. Et la règle que les procès étant publics et permettant la publicité des débats et des documents et de la preuve, à ce moment-là, c'est rendu public.
Journaliste: ...que la police n'ait pas enquêté avant?
M. Bellemare: Je n'en ai aucune idée.
Journaliste: Mais est-ce que vous considérez ça normal?
M. Bellemare: Non, non. Écoutez, moi, je suis le Procureur général. La police, ça ne relève pas de moi. Il y a une indépendance totale entre la police et le Procureur général. Le Procureur général peut, s'il l'estime opportun, faire appel aux services policiers parce qu'il n'y a pas d'enquêteur qui travaille pour le Procureur général. Le Procureur général fait affaire avec les services policiers puis il désigne le service policier, lui demande de faire enquête, et le service policier fait enquête.
Mais ça ne veut pas dire que le Procureur général se sent obligé de donner suite au rapport d'enquête. Il y a beaucoup de cas où les rapports d'enquête sont acheminés puis des accusations ne sont pas portées parce que le Procureur général estime que ça ne passe pas le test de la cour.
Journaliste: Ça, dans la mécanique comme telle, il y a quelque chose qui m'apparaît, moi, incongru là-dedans. La question de fond que soulevait Boisclair en Chambre, comment plutôt ne pas penser que le député Bouchard a profité d'une situation exceptionnelle, un simple citoyen dont le nom circule dans les médias, impliqué dans une affaire de fraude présumée, il me semble que la police tout de suite enquête. Comment ça se fait que ça n'a pas été fait dans ce cas?
M. Bellemare: Je ne pourrais pas vous dire que la police enquête nécessairement à chaque fois qu'on pense que... Vous me parlez d'une présumée, c'est une expression que vous utilisez. Moi, j'estime qu'un simple citoyen n'aurait d'abord pas fait l'objet d'autant de publicité, autant de débats. Il est député à l'Assemblée nationale.
Malgré le fait qu'il n'y a pas eu d'accusation, à ma connaissance, de portée à l'heure actuelle, en tout cas pas d'accusation, mais de plainte à la police, M. Bouchard se trouve très rapidement sous les feux de la rampe. Pas parce qu'il est député, parce qu'on lui attribue un certain nombre de comportements ou d'intentions, ce qui n'est absolument pas prouvé au moment où on se parle.
Alors, de penser que, dans les circonstances, un député a bénéficié d'un traitement de faveur, je me demande sur quelles bases on peut tirer une telle conclusion. Parce que le simple fait que l'affaire soit rendue publique à ce point et qu'elle fasse à ce point l'objet de préoccupations de la part des médias n'est pas nécessairement un atout pour lui.
Journaliste: M. Bellemare, est-ce que c'est vous qui allez porter les accusations?
M. Bellemare: Il y a une seule autorité au Québec qui peut porter des accusations, puis c'est le Procureur général du Québec.
Journaliste: Qu'est-ce qui nous garantit, si vous êtes du même parti, que vous allez agir en toute objectivité?
M. Bellemare: Bien, écoutez, le Procureur général du Québec ne fait pas partie du Conseil des ministres. Le Procureur général du Québec est indépendant, il est autonome et il peut prendre des mesures additionnelles pour assurer la confiance du public dans le traitement d'une affaire. C'est ce que j'ai fait aujourd'hui.
La mesure additionnelle, c'est d'assurer à ce processus les plus hauts standards d'intégrité publique, et l'affaire est confiée au sous-procureur général, qui s'appelle Louis Dionne, un homme qui a été sous-ministre adjoint à la Sécurité publique et sous-ministre à la Justice, qui est un homme d'une intégrité absolue et d'une grande crédibilité. On ne peut pas demander mieux, dans les circonstances, à mon avis.
Journaliste: ...le Procureur général ne fait pas partie du Conseil des ministres. Vous dites... Le sous-procureur.
M. Bellemare: Le ministre de la Justice...
Journaliste: Oui.
M. Bellemare: ...fait partie du Conseil des ministres. Le Procureur général ne fait pas partie du Conseil des ministres.
Des voix: ...
M. Bellemare: C'est ça, c'est la même personne.
Journaliste: L'ubiquité est un don qui...
M. Bellemare: Non, non. Le ministre de la Justice fait partie du Conseil des ministres. Le Procureur général ne fait pas partie du Conseil des ministres, en ce sens que l'institution du Procureur général n'est pas tenue à la même obligation, une question de loyauté, de fraternité, de collégialité, avec les autres membres du Conseil des ministres. C'est ça que je veux dire. Donc, l'expression est à l'effet que le Procureur général ne fait pas partie du Conseil des ministres et ne participe pas à des délibérations, ou qu'elles soient de nature partisane, ou dans le cadre du gouvernement, ou d'un caucus, ou quoi que ce soit qui pourrait avoir trait à une affaire dont il est saisi en tant que Procureur général. C'est un statut un peu particulier, mais dont je m'accommode très bien.
Journaliste: How far can M. Dionne go in launching an investigation on his own, before he has to refer to the police. I mean, I just want to know what his powers and responsibilities are about that.
M. Bellemare: M. Dionne has all the powers. He can ask for the assistance of the police. If he thinks that there were any kind of crime that has been committed, if he suspects any kind of derogation, he can ask the police to make an inquiry on...
Journaliste: ...powers of inquiry, his own powers of inquiry, before he...
M. Bellemare: The only powers he gets are to ask the police to investigate on the case.
Journaliste: But how can he make that determination? What powers does he have to arrive at that point where he says: Do I, or do I not call on an inquiry?
M. Bellemare: Oh! There's no specific criteria. If he thinks that there is an opportunity to make an investigation, he cannot make the investigation by himself - he's not a policeman - but he can ask to the Sûreté du Québec or any kind of... any municipal body to...
Journaliste: ...read the newspapers? I mean, what is he going to do before, as a first step? I don't understand. If he can't do an investigation, but the police can do, what can he do? I mean...
M. Bellemare: He received a letter from the Liberal Party of Quebec, he has access to a certain quantity of texts, allegations, and he can decide that this matter has to be investigated by the police. That's all. As he receives... I receive, everyday, many letters from people saying that... «Oh! Somebody did this, or this, or this», «This is criminal, this is criminal». It's not exceptional for me to receive this kind of letters. The letter from the Liberal Party of Quebec was neutral. They said that there was... they think that I had to be informed of this situation, that's all. And Mr. Dionne can decide that he will ask the police assistance.
Journaliste: ...very well in French that he can't, you know, Mr. Dionne can't reveal what he finds. If he doesn't find, it does not go any further. But on the other hand, it comes back to the political question. You know, your Government was elected on a platform calling for entre autres, Un gouvernement intègre et transparent. So, at some point, politically, you have to say, or you or the Premier or somebody has to say what's happened, no?
M. Bellemare: Yes, but the National Assembly is not a court. It's not functioning according to the same rules.
Journaliste: I understand that...
M. Bellemare: You know that this man, Mr. Bouchard, has the same rights that you have and that I have, if I'm accused of committing a crime. So, it's normal that, when it's the hands of the Attorney General of Québec or the sub-Attorney General of Québec, we're talking about the possibility... investigation, the possibility of accusation, criminal accusation. So, we are not talking about the same kind of discussions and allegations that we heard in the National Assembly last week and this week.
Journaliste: But, at some point, the Government has to say something, one way of the other, no?
M. Bellemare: Yes, but the Government is the Government. We're talking about political concerns but when it's in my hands as Attorney General of Québec, it has to respond to judicial and courts criteria.
Merci.
(Fin à 15 h 44)