(Onze heures trente-trois minutes)
Mme
Hivon
:
Bonjour, tout le monde. Alors, écoutez, je pense qu'aujourd'hui on est face à
un gâchis terrible, à un échec absolument lamentable du système, du système de
justice de manière globale. Et qui est la victime? C'est toute la société
québécoise, c'est toute la recherche de la vérité, cette volonté de pouvoir
aller au fond des choses pour des questions aussi sensibles que la lutte à la
corruption, à la collusion, le respect de nos institutions, de l'éthique la
plus fondamentale qu'on devrait avoir au Québec. Donc, cette espèce de
sentiment de ne jamais être capable de voir des procès qui touchent sur ces
enjeux-là aboutir, je pense qu'il vient nous chercher très, très profondément,
comme citoyens, aujourd'hui au Québec. Puis je dirais que c'est désespérant de
se dire qu'il semble si difficile de faire aboutir des procès le moindrement
complexes au Québec.
Alors, aujourd'hui, j'espère qu'on va
avoir les explications les plus claires, autant des autorités de l'UPAC que du
DPCP, parce que toutes ces parties-là, à travers ces mois et ces dédales de
justice, nous disaient toujours qu'il fallait garder confiance, que les choses
allaient aboutir. Or, on sait à quel point les fuites ont eu des effets
dramatiques et on sait aussi à quel point le choix de certaines stratégies du
DPCP, comme de tenir un procès avec l'ensemble, donc, des accusés, de ne pas
permettre des procès séparés, a aussi amené beaucoup de délais parce que, quand
un amenait une requête, bien, ça avait un impact sur l'ensemble des autres
accusés.
Donc, en terminant, je voudrais aussi dire
un mot sur les fameuses conséquences, de manière générale et globale, de
l'arrêt Jordan. On en vit aujourd'hui un autre contrecoup, un autre séisme, je
vous dirais, après avoir vu des présumés meurtriers être libérés sans aucune
suite, après avoir vu des échecs de procès de motards, de Hell's Angels,
de crimes importants, avortés encore à cause de Jordan. Là, aujourd'hui, on
voit quelque chose qui était au coeur de toute la lutte à la corruption et à la
collusion avorter sans avoir un sentiment de justice. Parce que c'est ça qui
est le plus grave, quand un procès avorte, c'est qu'on est face à un échec. On
n'est pas capables d'aller au fond des choses, et la recherche de la vérité ne
peut pas trouver son aboutissement.
Et nous, je vous rappellerai que, dès 2017,
on avait demandé au gouvernement de l'époque d'invoquer la clause dérogatoire
pour permettre une période pendant laquelle les effets, donc, du jugement
Jordan ne s'appliqueraient pas le temps qu'on réinvestisse puis qu'on ordonne
le système pour réduire les délais. Ça a été toujours refusé. Mais le gouvernement
actuel, sous l'impulsion du ministre de la Justice actuel,
Simon Jolin-Barrette, avait, quelque temps après qu'on ait fait cette
suggestion-là, été dans le même sens, il avait voté avec nous une motion et il
était même allé à déposer un projet de loi privé. Or, une fois rendus au
pouvoir, ils n'ont aucunement donné suite à cette possibilité-là d'invoquer la
clause dérogatoire.
Donc, moi, aujourd'hui, j'espère aussi
qu'on va avoir les explications du ministre de la Justice et du gouvernement
face au fait qu'ils sont restés les bras croisés dans tout ça.
Mme Crête (Mylène) :
Est-ce que vous demandez la démission de Me Annick Murphy du DPCP?
Mme
Hivon
: Je
ne demande pas de démission. Ce que je demande, aujourd'hui, c'est des
explications, c'est un examen de conscience autant des forces policières de
l'UPAC que du DPCP et que cet examen-là se fasse avec une résonnance publique.
Trop souvent, on a le sentiment que, quand il y a un échec comme celui-là, du
système, que quand il y a un avortement de procès, que ce soit pour Jordan ou
pour d'autres raisons, il y a une espèce de sentiment d'impunité, qu'on n'est
pas obligé de s'expliquer, que : Que voulez-vous, le système est ainsi
fait, il y a une cause Jordan qui fait en sorte qu'on doit être rendus où on est
rendus. Ce n'est pas vrai, là. Les Québécois n'accepteront pas ça. Il faut se
sortir de ça. Il faut être capable que les autorités aillent au fond des choses
puis nous expliquent qu'est-ce qui s'est passé là-dedans puis comment on peut
en être rendus là aujourd'hui.
Mme Crête (Mylène) :
Quel genre d'examen avec résonnance publique? Est-ce que vous voulez dire une
commission d'enquête?
Mme
Hivon
: Je
ne suis pas dans une commission d'enquête, je veux d'abord entendre les
explications. Vous savez, trop souvent, les autorités se réfugient derrière un
silence, derrière le fait que : Voilà, les tribunaux ont parlé, le système
judiciaire a parlé. C'est très rare qu'on a droit à de véritables explications,
autant des autorités policières que des autorités du DPCP.
Mais là, franchement, là, c'est une
question profonde et viscérale de confiance de la population dans son système
de justice. Aujourd'hui, la grande victime collatérale, c'est la confiance des
Québécois dans leur système de justice. Alors, il faut que les autorités qui
étaient en charge autant de chercher la preuve, de transmettre la preuve,
d'organiser le procès, ensuite les fuites, tous ces éléments-là, ça doit faire
l'objet d'un examen de conscience et d'explications publiques. Comment on a pu
se rendre où on est aujourd'hui?
Et, vous savez, il y a des choix au DPCP, je
vous l'ai dit, mais on a choisi de faire un procès avec tous les accusés ensemble.
Quand la séparation des procès a été demandée, ça n'a pas été mis de l'avant.
Et moi, à l'étude des crédits, année après année, je ramenais ces risques-là de
voir des procès pour collusion et corruption avorter. Je ramenais le risque de
voir le procès Normandeau-Côté avorter. On nous rassurait toujours en nous
disant que tout procédait bien puis que les délais n'étaient pas tous
imputables à la couronne, donc on était très confiant d'aller au fond des
choses. Mais voyez aujourd'hui où on en est.
Donc, c'est ça que je dis, on ne peut pas
se permettre aujourd'hui d'avoir des demi-réponses. Puis moi, je veux entendre
aussi le ministre de la Justice nous dire pourquoi, depuis deux ans que la CAQ
est au pouvoir, ils n'ont pas cru bon de mettre en oeuvre ce qu'ils avaient mis
de l'avant, lorsqu'ils étaient dans l'opposition, à la suite de notre impulsion
pour la clause dérogatoire.
M. Larin (Vincent) : Le
juge a été très dur envers le Projet A, là, cette fameuse enquête du BEI sur
les fuites de l'UPAC. Est-ce que ça prendrait une explication aussi du BEI à
savoir pourquoi c'est aussi long?
Mme
Hivon
:
Oui. Oui, je pense que tout le monde doit s'expliquer parce qu'il y a une
espèce de gros sentiment de gâchis puis il y a un sentiment qu'on reste
toujours sur notre appétit, qu'on n'est jamais capables d'aller au fond des
choses quand il y a des échecs comme celui qu'on vit aujourd'hui. Alors, il
faut que tous les morceaux de la chaîne qui ont fait qu'on se rend aujourd'hui
à cette décision-là et à cet échec-là, qui sont de près ou de loin touchés,
s'expliquent.
C'est grave, ce qu'on vit aujourd'hui, je
veux dire, le Québec a vécu une forme de traumatisme collectif avec toute la
corruption, la collusion, le sentiment qu'il y avait tellement d'éléments
pourris dans le système. Alors, quand on n'est pas capable d'aller au fond des
choses, bien, c'est toute la confiance qui est effritée. Et la seule manière de
rebâtir un tant soit peu ça, c'est qu'on soit capables d'avoir des
éclaircissements, d'avoir de la lumière, d'avoir le sentiment qu'il y a
quelqu'un qui s'indigne aussi à nos côtés, la population, qu'il n'y a pas juste
nous, mais que les autorités policières et judiciaires s'indignent également et
que le DPCP comme l'UPAC sont capables de faire leur examen de conscience.
Donc, c'est ça qu'on leur demande. Parce
que, trop souvent, il n'y en a pas, d'examen de conscience. Je ne sais pas si
vous vous rappelez, mais moi, je n'ai pas entendu un très grand examen de
confiance... un très grand examen de conscience quand il y a eu un procès d'un
allégué meurtrier qui est tombé, quand le mégaprocès des Hells est tombé. Donc,
à un moment donné, je veux l'entendre.
Mme Crête (Mylène) :
Ce serait quoi, le meilleur forum pour faire ça?
Mme
Hivon
:
Bien, moi, dans un premier temps, là, ce que je leur demande, c'est de prendre
la parole publiquement, de faire une conférence de presse et de s'expliquer.
Journaliste
: ...
Mme
Hivon
:
Bien, autant l'UPAC que le DPCP. Et je veux entendre aujourd'hui le ministre de
la Justice également. C'est lui, hein, au Québec, l'ultime responsable de la
justice. Donc, il doit nous dire aussi, quand, lui, il pose un regard sur
comment les choses se sont déroulées du point de vue du DPCP, est-ce que tout
ça était correct, est-ce qu'il y a un examen aussi qui doit être demandé des
choix qui ont été faits par le DPCP. Puis je m'attends à ce que la ministre de
la Sécurité publique fasse la même chose par rapport à ce qui s'est produit
avec l'UPAC, les fuites, les choix qui ont été faits, donc tout ça qui nous
mène à ce terrible échec-là. Donc, la première chose que je veux, c'est ça.
On est conscients que, là, il y a un délai
d'appel. Mais il ne faut pas non plus se réfugier... une fois que la décision par
rapport à l'appel va être prise, il ne faut pas se réfugier derrière le fait
que l'on ne sera plus dans le moment de la journée de l'avortement du procès
pour ne pas donner suite et des explications claires aux Québécois. Je pense
que c'est la moindre des choses que les Québécois ont le droit d'avoir.
Mme Crête (Mylène) :Qu'est-ce que vous avez pensé du fait que le procureur du DPCP,
justement, n'a pas voulu donner d'explications ce matin?
Mme
Hivon
:
Bien, voilà. Donc, vous savez, la population ne peut pas toujours être laissée
dans le noir et avoir le sentiment que les autorités n'ont pas de comptes à
rendre. En même temps, je reconnais qu'il y a un délai d'appel, donc je
reconnais que c'est quelque chose qui doit être tenu en compte. Mais on ne peut
pas se contenter de commentaires laconiques comme on a vu ce matin. Il faut des
explications. Il faut sentir à quel point ils prennent au sérieux l'échec qui
est vécu aujourd'hui.
Parce que, vous savez, c'est comme ça que
l'on parle de... Vous allez trouver que je sors un peu du sujet, mais c'est
tout le temps la même chose, que l'on parle de violences sexuelles ou que l'on
parle de procès pour corruption ou de collusion, quand il y a des échecs comme
ceux-là, bien, à moment donné, c'est toute la société qui s'en ressent puis qui
sent qu'on n'a pas l'air de prendre au sérieux ces enjeux-là qui, pour elle, la
population, sont tellement sérieux.
Donc, moi, j'invite les autorités qui ne
sont pas sous le feu des caméras et des journalistes à chaque jour à prendre
les devants puis à dire que c'est leur responsabilité de s'expliquer
publiquement.
La Modératrice
: Merci.
(Fin à 11 h 45)