Seize heures vingt-huit minutes)
M. Bédard: Alors, bonjour. Je viens de prendre connaissance de l'annonce de M. Charest. Je vois que le Québec actuellement vit une crise sans précédent de ses institutions, qui touche directement le premier ministre et le Parti libéral du Québec. Je pense que cette crise est renforcie par le rôle quasi anodin que joue actuellement la ministre de la Justice et Procureur général du Québec. Et son rôle est anecdotique, alors qu'elle devrait être... elle doit être le garde-fou des... et la gardienne des principes et du respect des principes de justice naturelle. Elle s'en fait plutôt la complice de la violation de ces principes. Je pense qu'encore une fois M. Charest, malheureusement, n'est pas à la hauteur de cette crise que vivent les institutions du Québec.
La crise de confiance, vous le savez, je n'ai pas à vous le rappeler, elle est beaucoup plus large que strictement liée au processus de nomination des juges. La crise, elle porte, vous le savez, depuis des mois, presque des années, elle porte, mais particulièrement depuis des mois, sur les contrats dans le domaine de la construction, mais plus élargie, les contrats gouvernementaux. Elle porte sur la collusion et les rapports de collusion qui ont dormi sur des bureaux de ministres pendant des années. Elle porte aussi sur... jusqu'à l'allocation de places en garderie, où les donateurs du Parti libéral ont préséance sur l'intérêt public et l'intérêt des familles du Québec. Cette crise, elle se vit aussi sur les liens qui existent clairement entre l'argent qui est récolté par les collecteurs du Parti libéral et les décisions gouvernementales.
J'ai vu, cette semaine, quelqu'un que je ne connaissais pas avant se vanter d'être le responsable de la nomination du plus haut fonctionnaire du Québec. Cette personne serait même en lien avec le responsable des emplois supérieurs de la fonction publique. Pour quelle raison? À quel titre cet inconnu jouit d'un rôle aussi important dans un gouvernement strictement parce qu'il récolte en moyenne, et lui-même l'a dit, entre 200 000 $ à 400 000 $ par année pour le Parti libéral? Il n'est pas le seul, on sait qu'il y en a d'autres actuellement. On a nommé... j'ai entendu M. Bibeau, M. Marc Bibeau, qui est un grand collecteur du Parti libéral. Ces gens-là ont un rôle important dans le gouvernement. Ils sont même capables de modifier des législations par un seul coup de téléphone, et on ne fait pas enquête sur ces personnes, sur ce contexte qui alimente et qui crée cette crise de confiance. Je vous rappelle actuellement qu'il y a trois ministres qui sont sous enquête par le Directeur général des élections, que le premier ministre, dans ce contexte, reçoit un salaire versé par le Parti libéral et par ses contributeurs. Vous remarquerez aussi que ses principaux collecteurs viennent du domaine de la construction, domaine qui est visé par l'enquête que tout le monde souhaite au Québec. Les FIER sont un autre exemple de mélange entre l'argent public et les intérêts du parti.
Je pense que M. Charest a fait la démonstration que tenir une commission d'enquête, ce n'est pas si compliqué que ça. En dedans de trois jours, on vient de nommer quelqu'un, on vient de lui donner un mandat et lui dire de nous faire rapport dans six mois. Si je suis bien son raisonnement, c'est qu'au moment où on se parle on aurait le rapport de la commission d'enquête. Ça fait huit, neuf mois qu'on l'a demandée, donc on aurait le rapport de la commission d'enquête qui aurait porté sur le secteur de la construction au Québec et plus largement des liens qui existent entre le financement du Parti libéral et les contrats.
Je pense que M. Charest se gagne du temps actuellement sur le dos des Québécois, mais je crois sincèrement qu'il n'a plus l'autorité morale ni la légitimité pour refuser la vérité aux Québécois et refuser cette commission d'enquête, et il devra s'en rendre compte tôt ou tard, j'espère, le plus tôt possible.
Finalement, je vous dirais que le processus qui a mené à la nomination de M. Bastarache est vicié à sa base, pour les raisons qu'on a déjà expliquées et qui auraient dû être expliquées au premier ministre par la ministre de la Justice. On ne peut pas être juge et partie. On ne peut pas, comme accusé, choisir son juge et choisir ses accusations. C'est un principe de base, c'est une règle de justice naturelle, mais c'est une règle de justice élémentaire. Vous le voyez encore aujourd'hui, il l'a franchi sans vergogne, sans même hésiter, ce qui fait en sorte que tout le processus qu'il a annoncé tantôt est vicié à sa base. En matière de justice, il devrait s'en souvenir: l'apparence est garante de la justice. Personne n'accepterait d'entrer dans un processus où l'apparence de justice n'est pas respectée à sa base. M. Charest a mis les personnes qu'il nomme, et le processus dans lequel il vient de lancer, dans une situation... sur une patte, et j'espère qu'il se rendra compte qu'il doit maintenant prendre une distance, faire ce qu'on lui recommande, demander à des... On a proposé des noms, vous l'avez vu hier. Un gars comme... qui a... je pense, qui incarne la probité au Québec, le juge Gomery, qui n'est surtout pas, je pense, associé ni au Parti québécois, en tout cas surtout pas au camp souverainiste, mais qui est quelqu'un, je pense, qui incarne cette probité... de définir le mandat, avec le Vérificateur général, donc de définir le mandat d'une commission d'enquête, mais aussi ceux et celles qui seront appelés à y siéger, et là les garanties élémentaires du respect du processus seraient atteintes.
M. Robitaille (Antoine): ...demandez à M. Bastarache de redéfinir le mandat?
M. Bédard: Actuellement, je n'ai pas de commentaire à faire sur M. Bastarache, si ce n'est que vous dire que, malheureusement, le processus dans lequel il a été appelé à siéger est vicié à sa base.
M. Chartrand (Yves): Il y a quelque chose qui m'agace dans ce que vous dites, parce que M. Bastarache, c'est quand même un ancien juge de la Cour suprême, là, c'est quelqu'un qui sait ce que c'est, la justice, et qui sait ce que c'est qu'apparence ou non de justice. J'ai de la difficulté à croire que cet homme-là se prêterait à des jeux politiques partisans pour plaire au gouvernement de M. Charest. Pas vous?
M. Bédard: Bien, et voilà la différence entre l'apparence de justice et les croyances intrinsèques d'une personne ou la qualité d'une personne. M. Charest nous amène toujours sur cette voie. La justice, ça n'a rien... L'apparence de justice, ça n'a rien à voir avec la qualité intrinsèque d'une personne. C'est quelqu'un qui regarde... et ce qu'il dit: Est-ce que les conditions élémentaires de respect de la justice sont respectées? Dans ce cas-ci, M. Charest est au coeur des accusations. C'est lui qu'on traite... qui n'a pas... qu'il a menti aux Québécois, qu'il n'a pas, alors qu'il a été avisé que les collecteurs de fonds contrôlaient le système de nomination, c'est ce qu'a dit M. Bellemare, il n'a pas agi, il a refusé d'agir en disant: C'est normal. C'est lui qui est au coeur de ça, c'est lui qui refusé d'agir. Et là M. Bellemare est allé loin. Qu'on le croie ou pas, il a donné cinq moments au cours desquels il a informé le premier ministre qu'il trouvait cette situation inacceptable. À la base, quelqu'un comme ça qui fait l'objet des, je vous dirais, des pires soupçons, parce que, si ces soupçons s'avéraient vrais, si ces allégations s'avéraient vraies, c'est sûr que ça va entraîner des conséquences irrémédiables pour le premier ministre. Alors, comment se fait-il que c'est le premier ministre qui détermine, qui circonscrit? Vous l'avez... à quel point il tente de circonscrire le plus possible le mandat, mais en même temps qu'il nomme les gens. Alors, au départ, l'apparence n'est pas rencontrée. Et ça n'a rien à voir avec les qualités de juriste de M. Bastarache.
M. Robillard (Alexandre): Qu'allez-vous faire des conclusions de la commission d'enquête? Vous les commenterez...
M. Bédard: On verra pour la suite. Moi, je vous dis...
M. Robillard (Alexandre): ...endosserez pas, ou quoi?
M. Bédard: Moi, je...
M. Robitaille (Antoine): Parce que, si vous dites que c'est vicié à la base, ça veut dire que ce qui va sortir va être mauvais.
M. Bédard: Moi, je vous ai dit que M. Charest n'avait plus l'autorité morale et n'a plus la légitimité de refuser une commission d'enquête élargie aux Québécois. Alors, moi, je compte que les Québécois vont lui faire entendre raison.
M. Robillard (Alexandre): ...une dimension de financement dans le mandat, là, où on dit que l'enquête, c'est sur des allégations de financement... de trafic d'influence lié aux gens qui financent le Parti libéral du Québec. Est-ce que vous n'avez pas quand même un élément de satisfaction, compte tenu de tout ce que vous avez allégué ces derniers mois?
M. Bédard: Regardez, un élément de satisfaction... Quelqu'un a dit, ça a été rapporté ce matin, sur un coup de téléphone de M. Fava, on a nommé quelqu'un au Tribunal administratif du Québec, alors que le ministère refusait de le nommer. Sur un coup de téléphone! Alors ça, c'est ce qu'on sait actuellement. C'est beaucoup plus large que ça. M. Fava a dit qu'il était responsable de la nomination... puis là on parle d'un collecteur; moi, j'en connais d'autres, je suis sûr que vous en connaissez d'autres, des gros collecteurs. On a nommé M. Bibeau, il y en a d'autres, alors qu'il était responsable de la plupart des nominations sur les sociétés, d'Hydro-Québec en passant par la SAQ, la SAAQ, les agences gouvernementales. Alors, ces gens-là, au Québec, quelles compétences ils ont, si ce n'est que de collecter de l'argent pour le Parti libéral? Quelles compétences ils ont pour avoir un si large pouvoir de nomination? C'est ça que les Québécois veulent savoir, parce que c'est lié strictement au fait qu'ils ramassent de l'argent pour le Parti libéral et pour Jean Charest.
M. Chouinard (Tommy): Allez-vous demander d'être entendu à cette commission d'enquête publique?
M. Bédard: On n'en est pas là. Nous, on en est que... je pense que les Québécois ont droit à la vérité, je pense que la réaction du premier ministre n'est pas à la hauteur de ce qu'ils attendaient, et je souhaite sincèrement, sincèrement, pour nos... le respect de nos institutions... Les Québécois, il faut qu'ils comprennent aujourd'hui que ce n'est pas de gaieté de cœur, ce qu'on fait depuis trois jours. On le fait parce qu'il faut que les Québécois gardent confiance dans leurs institutions. Il faut qu'il y ait une réaction à la hauteur de leurs institutions. Et le seul qui peut le faire, malheureusement, actuellement parce qu'il est majoritaire, c'est Jean Charest. Alors, nous allons garder le même ton, la même... et il est majoritaire actuellement, et c'est ce qui fait... comme il le disait, il a les deux mains sur le volant, mais pour nous mener où? Alors, il faut absolument, absolument continuer à le questionner de façon à ce qu'il rencontre la volonté des Québécois.
M. Robitaille (Antoine): M. Bédard, si vous dites que ça viole les principes de justice naturelle, donc vous avez peut-être un recours. Est-ce que vous iriez, vous, devant les tribunaux pour faire dérailler cette commission-là?
M. Bédard: Les Québécois, actuellement, ils ne sont pas là. Moi, c'est pour ça que j'essaie de... de dire aux Québécois de ne pas perdre espoir. On tombe... on va essayer de ne pas tomber dans des avocasseries pour l'instant, mais plutôt d'aller dans... de rappeler le premier ministre à ses devoirs. Là, il reste une courte période, là. Il y a eu des manifestations sur bien des aspects, il y a une crise de confiance grave. J'essaie d'avoir un discours qui est à la hauteur des institutions et qui dit: Là, M. Charest, la récréation est terminée. Ce n'est pas vrai que vous pouvez mener le Québec comme vous voulez et dire que c'est un enjeu politique, tenir une commission d'enquête sur le domaine de la construction. Ce n'est pas un enjeu politique, c'est rechercher la vérité et c'est faire en sorte que les Québécois retrouvent confiance dans leurs institutions, et c'est là-dessus que je veux aller.
M. Chartrand (Yves): Est-ce que vous êtes loin de... est-ce que vous êtes encore loin de réclamer des élections, devant la situation actuelle? Vous n'avez pas franchi encore ce pas-là, mais est-ce que vous êtes loin de ça encore?
M. Bédard: Ce que je vous dis actuellement... Peu importe dans quel parti on est, là, quand on voit les institutions frappées comme ça, là, hein... Là, c'est la justice d'un côté, le premier ministre, l'Exécutif au complet, puis on a un premier ministre qui s'amuse actuellement, qui n'est pas à la hauteur. Il n'y a personne qui trouve ça drôle, moi le premier.
Alors, c'est sûr qu'on vient... Vous me voyez à l'Assemblée, il y a des fois, effectivement je suis découragé. Puis, je n'acte pas, là, je suis littéralement découragé. Quelles sont les conséquences pour Jean Charest d'avoir une telle attitude? Je ne le sais pas, ce sera à lui à les assumer. Mais le temps presse pour lui, mais pas seulement pour lui, là, pour tous ceux et celles qui ont à coeur les institutions du Québec. Et là il y en a deux des principales qui ont été atteintes: la justice et la démocratie.
M. Chartrand (Yves): En parlez-vous dans votre caucus, dire: Bien, là, on est rendus là, il faut demander la démission de ce gouvernement-là et des élections générales pour vider politiquement la question? Vous devez...
M. Bédard: Je sors d'un caucus où les gens effectivement sont découragés de voir l'attitude du premier ministre. Et ils disent: Le pire, c'est qu'on est tous un peu... Quand le premier ministre n'est pas à la hauteur, on en a les conséquences, nous autres aussi, dans nos comtés, parce que la population, elle vient découragée de sa démocratie. Alors, elle nous le dit à nous autres aussi, puis il y a même des fois qu'elle va nous associer. Ça a pris six mois avant que les gens, des fois, nous reprochaient de ne pas assez demander cette commission d'enquête là. Là, maintenant qu'on ne l'a pas, je ne veux pas qu'ils nous reprochent de ne pas l'avoir, parce qu'ils ont droit à ça.
Alors, l'esprit du caucus, c'est le découragement. Pourquoi? Parce que Jean Charest, il n'est pas à la hauteur. Il n'est pas à la hauteur puis, aujourd'hui, il en fait encore la démonstration.
M. Chouinard (Tommy): Vous parlez d'autorité morale puis de légitimité que n'a plus le premier ministre, qui a été élu il y a, quoi, fin 2008...
Journaliste: Un an et quelques mois.
M. Bédard: Oui. Un an et trois mois.
M. Chouinard (Tommy): ...democratie a encore un sens, là... s'il n'a plus la légitimité de refuser, c'est parce qu'il n'est plus apte à...
M. Bédard: Parce qu'il n'a plus la légitimité. Parce que, lui-même, il s'est placé en situation où il ne l'avait plus. Que ce soit par rapport à son salaire, par rapport aux modifications des règles de conflit d'intérêts qu'il a faites au sein du Conseil des ministres, aux règles qu'il a dictées, que chaque ministre doit récolter 100 000 $ pour rester au Conseil des ministres puis en disant: Tout ça, ça se fait ailleurs. C'est faux.
Jean Charest a ramené les conditions éthiques vers le bas en pensant nous associer à de telles pratiques douteuses. Nous n'en sommes pas. Et là il faut qu'il soit... au moins qu'il se réveille, qu'il se rende compte que les conséquences pour lui, c'est une chose, mais là ça a des conséquences sur la confiance du public envers ses institutions. Chacun des députés du Parti québécois l'a subi dans son comté, et les gens en ont ras le bol, et là ça comprend les députés. Merci.
(Fin à 16 h 42)