Définition
Acte du pouvoir exécutif qui marque la clôture d'une session à l'intérieur d'une législature. La prorogation a pour effet de reporter les activités de l'Assemblée jusqu'à ce qu'elle soit convoquée de nouveau à une date fixée par le gouvernement1.
L'Assemblée peut être prorogée alors qu'elle est réunie en présence du lieutenant-gouverneur ou, lorsqu'elle ne siège pas, par une proclamation. Même si la prorogation est un acte du lieutenant-gouverneur, dans les faits, c'est le gouvernement qui, en vertu d'une convention constitutionnelle, décide de mettre fin à la session.
Avec la prorogation, les séances de l'Assemblée sont reportées à un moment ultérieur.
Effet de la prorogation
Sauf décision contraire de l'Assemblée, la prorogation entraîne la dissolution de toute commission spéciale et annule tous les ordres qui n'ont pas été pleinement exécutés. Elle rend aussi caducs tous les actes de procédure en cours et tout projet de loi qui n'a pas encore été adopté. En langage parlementaire, on dit alors que le projet de loi est mort au feuilleton.
Ces effets ne sont toutefois pas irrémédiables, puisque l'Assemblée peut, avant la clôture de la session, adopter une motion permettant de poursuivre à la session suivante l'étude d'une ou de plusieurs affaires. L'Assemblée peut aussi décider de reprendre l'étude du projet de loi mort au feuilleton à l'ouverture d'une nouvelle session. Sur proposition du leader du gouvernement, elle doit adopter une motion à cet effet avant la troisième séance suivant la fin du débat sur le discours d'ouverture de la session.
La prorogation n'a aucun effet sur la composition des commissions parlementaires permanentes. En outre, la Loi sur l'Assemblée nationale prévoit qu'une commission ou une sous-commission peut siéger même lorsque la session est prorogée2. Toutefois, les commissions parlementaires étant des émanations de l'Assemblée, elles ne peuvent avoir plus de pouvoirs que celle-ci, la clôture de la session ayant les mêmes effets sur leurs travaux qu'à l'Assemblée. Elles ne peuvent donc siéger après une prorogation que si l'Assemblée a préalablement adopté un ordre à cet effet3.
Distinction entre prorogation et ajournement
La prorogation met fin à une session et l'Assemblée ne peut plus se réunir. Cet acte du pouvoir exécutif a pour effet de reporter les activités de l'Assemblée tant qu'elle n'aura pas été convoquée de nouveau à une date fixée par le gouvernement.
Un ajournement ne met pas fin à une session. Il s'agit d'un acte qui met un terme à une séance et fixe le moment où l'Assemblée se réunira de nouveau.
Historique
Province de Québec (1774-1791)
L'Acte de Québec de 1774 établit un Conseil législatif pour la Province de Québec, lequel document précise que chaque session parlementaire sera limitée « entre le premier jour de janvier et le premier jour de mai, à moins de nécessité urgente4 ». Dans les procès-verbaux du Conseil législatif, la première prorogation est inscrite en date du 29 avril 1777, alors que le gouverneur Guy Carleton met fin à la session du Conseil législatif. La formule inscrite dans le registre est la suivante : « His Excellency closed the present Session of the Legislative Council, and was pleased to dismiss the Honorable Members5. »
Le 25 avril 1778, en l'absence du gouverneur, une autre formule de prorogation est employée par le lieutenant-gouverneur Hector Theophilus Cramahé pour mettre fin à la session du Conseil législatif : « The Lieutenant Governor by Order of His Excellency the Governor prorogued the Legislative Council till further notice6. » À quelques variantes près, ce libellé sera employé jusqu'en 1791.
Province du Bas-Canada (1791-1838)
Sous l'Acte constitutionnel de 1791, il incombe au gouverneur de convoquer périodiquement les Chambres et de proroger les sessions selon son bon vouloir7.
Fait nouveau, à partir de 1793, la formule de prorogation mentionne la date de convocation des Chambres : « Je proroge au nom de Sa Majesté cette Assemblée générale à Lundi, le dix septième jour de Juin prochain, et elle est en conséquence prorogée8. » Comme pour le précédent régime, c'est le gouverneur lui-même - ou le lieutenant-gouverneur en son absence - qui prononce la prorogation.
Un changement survient en 1795. Dorénavant, la prorogation sera énoncée par l'orateur du Conseil législatif et prend la forme suivante9 : « C'est la volonté et le plaisir de son Excellence, que ce Parlement Provincial soit prorogé jusqu'à Lundi, le 15e jour de Juin prochain, pour être alors ici tenu; et ce Parlement Provincial est en conséquence prorogé jusqu'à Lundi, le 15e jour de Juin prochain10. » Il en va de même jusqu'à la suspension de la Constitution en 1838.
Conseil spécial de la Province du Bas-Canada (1838-1841)
À la suite des rébellions de 1837 et de 1838, le gouvernement colonial est remplacé par un régime d'exception11. Un Conseil spécial est formé pour administrer la province du Bas-Canada.
La clôture des six sessions que compte le Conseil spécial diffère chaque fois. Au cours de la première session, qui se termine le 5 mai 1838, la formule de prorogation employée par le président du Conseil est la suivante : « It is the will and pleasure of His Excellency the Administrator of the Government, that this Session of the Special Council be prorogued until Saturday, the sixteenth day of June next; and the Session of the Special Council is hereby according prorogued until saturday, the sixteenth day of June next12. »
Dans les procès-verbaux du Conseil spécial, on ne trouve aucune procédure de prorogation, ni pour la deuxième, ni pour la troisième session. En retour, dans les règlements du Conseil, adoptés le 20 avril 1838, il est indiqué que chaque session du Conseil spécial sera « convened by Proclamation issued under the Great Seal of the Province13 ».
Quant aux quatrième et cinquième sessions, la clôture des travaux est rédigée en ces termes : « His Excellency the Governor General then stated, that the affairs for wich the Council was convened having been conclued, the present meeting is closed, and the Members discharged from further attendance14. » Pour finir, en 1841, la dissolution du Conseil spécial entraîne sa prorogation.
Province du Canada et Province de Québec (1841 à nos jours)
De 1841 à 1867, de la même manière qu'au Bas-Canada, la prorogation est énoncée par l'orateur du Conseil législatif en indiquant la date de la prochaine réunion des parlementaires. Puis, de 1867 à 1968, c'est toujours l'orateur du Conseil législatif qui prononce la clôture de la session dans la salle du Conseil législatif. De 1867 à 1919, la prorogation était énoncée en ces termes : « C'est la volonté et le désir de Son Honneur le lieutenant-gouverneur que cette législature soit prorogée jusqu'à [jour de la semaine], le [Xe] jour [du mois] prochain, pour y être ainsi tenue; cette législature provinciale en est conséquence prorogée au [jour de la semaine], le [Xe] jour [du mois] prochain15. » La déclaration mentionnait la date de convocation des Chambres pour la prochaine législature. Elle sera utilisée pour la dernière fois le 17 mars 1919 par l'orateur du Conseil législatif, Adélard Turgeon.
À partir de 1920, Turgeon utilise une nouvelle formule lors de la prorogation : « C'est la volonté et le désir de Son Honneur le lieutenant-gouverneur que cette législature soit prorogée sine die; et cette législature est, en conséquence, prorogée sine die16. » Cette expression est une locution latine qui signifie que les travaux des Chambres sont suspendus pour une période indéterminée, sans que soit fixée la date de la prochaine réunion de l'Assemblée. La formule a été utilisée systématiquement lors des prorogations de 1920 à 1984.
Après l'abolition du Conseil législatif en 1968, le bref discours de prorogation est prononcé par le président de l'Assemblée nationale. De 1968 à 1984, l'expression sine die est employée puisque la date de convocation de la Chambre demeure indéterminée à l'annonce de la prorogation. Une proclamation de convocation est par la suite publiée par le lieutenant-gouverneur.
Pendant plus d'un siècle à partir de 1867, les prorogations se déroulent toujours en présence des parlementaires assemblés. Puis, à partir de 1985, les prorogations sont faites par une proclamation du lieutenant-gouverneur, toujours sur avis du gouvernement. Une nouvelle formule est employée, combinant à la fois la proclamation de prorogation et celle de convocation. Les parlementaires sont donc informés à l'avance de la prochaine réunion de la Chambre.
Par exemple, en 1985, la prorogation n'est pas prononcée en Chambre, mais par proclamation avec la formulation suivante :
Attendu que l'Assemblée nationale de la province de Québec se trouve convoquée en vue de l'expédition des affaires pour le mardi quinzième jour d'octobre 1985, mais que, pour diverses considérations, Nous avons, sur l'avis du Conseil exécutif de ladite province, jugé à propos de proroger la Législature;
Attendu que cette prorogation ne peut être communiquée à l'Assemblée étant donné l'ajournement de ses travaux;
À ces causes, Nous vous faisons maintenant savoir que vous êtes dispensés de vous réunir le mardi quinzième jour d'octobre 1985, Nous vous convoquons par les présentes pour le mardi 12 novembre 1985 à 14 heures, et en conséquence, vous mandons et ordonnons de vous assembler à cette date, à l'Hôtel du Parlement, en la ville de Québec, pour y expédier les affaires de la province et y examiner, discuter et décider les questions qui vous seront soumises17.
Une exception est à signaler pour la session se terminant le 17 juin 1994. Le lieutenant-gouverneur proroge les travaux de l'Assemblée nationale en Chambre en utilisant l'ancienne formule. Le président de l'Assemblée nationale indique alors que « c'est la volonté et le désir de l'Honorable lieutenant-gouverneur que cette Trente-quatrième Législature soit prorogée sine die. En conséquence, elle est prorogée sine die18 ».
Depuis 1994, le lieutenant-gouverneur, n'a pas prorogé les sessions en Chambre. Il l'a plutôt fait par proclamation en l'absence de l'Assemblée et, donc, l'expression sine die n'a pas été réutilisée.
Pour citer cet article
« Prorogation », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 25 février 2015.
3
À titre d'exemple, le 12 mars 1996, l'Assemblée nationale a adopté la motion suivante : « QUE conformément à l'article 47 du Règlement et malgré la proclamation d'un décret annonçant la clôture de la présente session: la Commission des institutions puisse procéder à sa consultation générale et à ses auditions publiques sur le document de réflexion sur les amendements à la Loi électorale, complétant ainsi le mandat qui lui était confié par un ordre de l'Assemblée le 14 décembre 1995; la Commission des institutions puisse poursuive ses auditions publiques sur le projet de loi n° 133, Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne et d'autres dispositions législatives, complétant ainsi le mandat qui lui était confié par un ordre de l'Assemblée le 15 décembre 1995; la Commission de l'aménagement et des équipements puisse poursuivre ses auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé « Loi sur les sociétés d'économie mixte dans le secteur municipal », complétant ainsi le mandat qui lui était confié par un ordre de l'Assemblée le 14 décembre 1995; la Commission de l'aménagement et des équipements puisse procéder à l'étude détaillée du projet de loi n° 124, Loi modifiant diverses dispositions législatives en application de la Loi sur l'organisation territoriale municipale, complétant ainsi le mandat qui lui était confié par un ordre de l'Assemblée le 14 décembre 1995. »
9
En Angleterre, c'est le Lord Chancellor qui prononce la prorogation au nom du roi. Vraisemblablement, au Bas-Canada, on a voulu calquer cette procédure. House of Lords Journal, vol. 35, 14 juillet 1778, Journal of the House of Lords volume 35: 1776-1779 (1767-1830), p. 515-516.: http://www.british-history.ac.uk/. Selon Wilding et Laundy, le Parlement peut être prorogé par le souverain mais, depuis 1854, « it has always been prorogued by commissioners. » Norman Wilding et Philip Laundy, An Encyclopaedia of Parliament, 4e éd., Londres, Cassell, 1972, p. 618.