Définition
Texte législatif émanant de l'exécutif. Contrairement à un acte, à un statut ou à une loi, une ordonnance n'est pas adoptée par une assemblée législative élue.
Sous le Régime britannique, à différentes époques où aucune assemblée législative n'était constituée, des ordonnances ont été rédigées par les gouverneurs durant le Régime militaire (1759-1764), puis adoptées par le Conseil de Québec (1764-1775), par le Conseil législatif de la Province de Québec (1775-1792) et par le Conseil spécial du Bas-Canada (1838-1841).
Définitions anciennes et modernes
Une première définition du mot « ordonnance » se trouve dans le Lex Parliamentaria (1690) :
Il n'y a point d'acte de Parlement qui ne doive avoir le consentement des Lords et des Communes et la sanction royale du roi, et tout ce qui passe en Parlement avec ce triple consentement, a la vertu d'un acte du Parlement. La différence qu'il y a entre un acte du Parlement et une ordonnance en Parlement est que l'ordonnance n'a pas le triple consentement et qu'elle n'est faite que par une ou deux branches de la législation1.
Pareillement, dans l'édition de 1771 de l'Encyclopædia Britannica, « ordonnance » est définie comme étant : « a law, statute, or command of a Sovereign or superior; thus the acts of parliament are sometimes termed ordinances of parliament2 ».
Actuellement, selon Le Robert, le mot « ordonnance » signifie : « Texte législatif émanant de l'exécutif (roi, gouvernement) ». Il a pour synonymes les mots « décret » et « règlement » (anciennement « arrêté en Conseil » et « ordre en Conseil »). Ces concepts correspondent à des décisions réglementaires écrites ou des actes administratifs à portée générale ou individuelle, émanant du pouvoir exécutif3.
Le Régime militaire (1759-1764)
Sous le Régime militaire, le gouverneur James Murray administre le gouvernement de Québec par l'entremise d'ordonnances qu'il fait inscrire dans un registre. Celles-ci sont également lues et affichées à la porte des églises le dimanche4. Les gouvernements de Trois-Rivières et de Montréal sont administrés de la même façon de 1760 à 1764.
Le Conseil de Québec (1764-1775)
Sous le gouvernement civil, les ordonnances sont adoptées par les membres du Conseil de Québec. Différents mécanismes régissent l'étude des projets d'ordonnance. Trois lectures sont requises avant leur adoption et, au Conseil ou en comité législatif, des amendements peuvent être apportés par les conseillers. Pour avoir force de loi, les ordonnances doivent être sanctionnées par le gouverneur. Au demeurant, le 3 octobre 1764, Murray reconnaît comme officielle la publication des ordonnances dans La Gazette de Québec et il oblige, sous peine de sanction, tous les curés à s'y abonner et à lire les ordonnances en chaire au prône dominical5.
Le gouvernement métropolitain se réserve un droit de regard sur la législation produite par le gouvernement de la Province de Québec. À trois reprises, le Conseil privé intervient dans les affaires coloniales pour révoquer des ordonnances. Dans deux des trois cas, ce sont les Lords Commissioners for Trade and Plantations, qui interviennent auprès du roi pour rappeler ces lois.
À noter que l'on calque à l'origine le système métropolitain pour classer les ordonnances en les désignant par l'année du règne du souverain. La première ordonnance est donc adoptée « en ce 17me jour de septembre, Anno Domini, 1764, et dans la quatrième année de notre souverain seigneur George III6 ».
En plusieurs circonstances, la constitutionnalité des ordonnances passées par le Conseil de Québec est mise en doute par le jury d'accusation de Québec dès 1764 de même que par certains parlementaires et légistes britanniques7. D'autant que, selon les instructions royales de 1763, l'administration coloniale devait s'assurer de légiférer en « prenant soin que rien ne sera fait qui pourra en aucune manière affecter la vie, les membres ou la liberté » des habitants8. Or, le fait est qu'il était quasi impossible d'adopter des ordonnances qui n'entraient pas dans cette catégorie.
Jamais non plus, depuis l'établissement du gouvernement civil en 1764, le gouverneur et le Conseil de Québec n'avaient « légalement9 » obtenu le pouvoir de légiférer. Seules des instructions royales, adressées à Murray, le 7 décembre 1763, lui avaient permis d'administrer la colonie à l'aide d'un conseil, et ce, jusqu'à ce que d'autres circonstances autorisent le gouverneur à établir une assemblée législative. De là, les incertitudes soulevées à l'égard même de la constitutionnalité de ce « gouverneur en conseil ».
En 1774, au Parlement de Westminster, les députés britanniques tranchent donc sur la légalité des ordonnances adoptées par le gouverneur en conseil dans la Province de Québec. Les Communes statuent que le Conseil de Québec avait, depuis 1764, outrepassé son simple pouvoir réglementaire.
Pour finir, l'Acte de Québec (1774) confirme que le Conseil de Québec n'avait jamais été investi légalement d'un pouvoir législatif : de sorte que « chacune des ordonnances rendues par le gouverneur et le Conseil de Québec en exercice, relatives au gouvernement civil et à l'administration de la justice » est révoquée et déclarée nulle10.
Le Conseil législatif de la Province de Québec (1775-1792)
Dans l'Acte de Québec, il est édicté que le nouveau Conseil législatif a le pouvoir de légiférer. Les conseillers pourront « mettre plusieurs règlements en vigueur pour le bien-être futur et le bon gouvernement de la province de Québec ». Cependant, le Conseil législatif n'a pas le pouvoir d'imposer des taxes ou des impôts, à l'exception seulement de certaines cotisations applicables à l'entretien des routes et des bâtiments publics. Il n'a pas le pouvoir non plus d'adopter « toute ordonnance concernant la religion ou autre par laquelle pourra être infligée une punition plus sévère qu'une amende ou un emprisonnement de trois mois11 ».
Sous la Constitution de 1774, le pouvoir d'adopter des ordonnances appartient conjointement au Conseil législatif et au gouverneur. Le gouverneur n'est pas membre du Conseil, mais c'est lui qui sanctionne ou réserve les ordonnances adoptées par les conseillers. Enfin, une copie des ordonnances est envoyée à Londres; le Parlement impérial conserve une compétence législative illimitée à l'égard de sa colonie et peut désapprouver toute ordonnance « par décret de Sa Majesté en son conseil12 »
En dernier lieu, un article de l'Acte constitutionnel de 1791 précise que les ordonnances adoptées, de 1775 à 1792, par le Conseil législatif de la Province de Québec demeureront en vigueur dans le Haut-Canada et dans le Bas-Canada. Toutefois, le Parlement de chacune de ces provinces pourra rappeler ou amender ces ordonnances. Ces dernières deviendront alors des statuts.
Le Conseil spécial (1838-1841)
Le 18 avril 1838, après la suspension de la Constitution de 1791, le Conseil spécial est créé pour assister le gouverneur dans ses fonctions. Dans la loi passée à Londres à cet effet, il est indiqué qu'un quorum d'au moins cinq conseillers spéciaux est nécessaire pour que le Conseil puisse adopter de nouvelles ordonnances ou des ordonnances ayant pour effet de modifier des lois adoptées par le Parlement du Bas-Canada. Le Parlement britannique, pour sa part, conserve son pouvoir de désaveu.
Sur le plan législatif, seul le gouverneur a le pouvoir de proposer les projets d'ordonnance. Après délibération, ou étude en comité spécial, les ordonnances sont lues trois fois avant d'être soumises au vote par le gouverneur et ses conseillers.
Pour avoir force de loi, ces ordonnances sont traduites en français et publiées dans la Gazette de Québec, sous l'autorité du gouvernement. Annuellement aussi, de 1838 à 1841, ces ordonnances sont compilées et publiées sous le titre Ordonnances faites et passées par l'administrateur du gouvernement et le Conseil spécial pour les affaires de la province du Bas-Canada.
Depuis l'Acte d'Union (1840) et la Confédération (1867), il n'y plus d'ordonnances pour régir les affaires du gouvernement. Le Parlement adopte des lois (statuts) et, pour sa part, le gouvernement peut également adopter des décrets.
Pour citer cet article
« Ordonnance », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 14 mars 2014.
1
Joseph-François Perrault (trad.), Lex Parlementaria : ou traité de la Loi et Coutume des Parlements montrant leur antiquité, noms, espèces et qualités, Québec, P. E. Desbarats, 1803, p. 352-353. Aujourd'hui encore, « in English Law, an ordinance lacks the three consent required for an Act of Parliament, namely the consent of the Lords, Commons and the Crown and is ordained by one or two of them ». Voir Datinder S. Sodhi (dir.), The Canadian Law Dictionary, Don Mills, Law and Business Publications, 1980, p. 269.
2
Encyclopædia Britannica or, a Dictionnary of Arts and Sciences, compiled upon a new plan [...], vol III, Edinburg, A. Bell and C. Macfarquilar, 1771, p. 442.
5
Christian Blais, Gilles Gallichan, Frédéric Lemieux et Jocelyn Saint-Pierre, Québec : quatre siècles d'une capitale, Québec, Publications du Québec, 2008, p. 160; Edmond Lareau, Histoire du droit canadien depuis les origines de la colonie jusqu'à nos jours, vol. 2, Montréal, A. Périard, 1888-1889, p. 102; Gilles Gallichan, Livre et politique au Bas-Canada, 1791-1849, Sillery, Septentrion, 1991, p. 108.
6
« Ordonnance pour régler et établir le cours des monnoies dans cette province », dans Arthur G. Doughty (dir.), Rapport sur les travaux relatifs aux archives publiques pour l'année 1913, Ottawa, J. de L. Taché, 1915, p. 49. Pour sa part, Jean-Charles Bonenfant écrit plutôt que c'est en 1777 que l'on imita le système de la métropole et que nos lois commencent avec 17 Georges III ou Anno decimo septimo Georgii III Regis. Certes les ordonnances du Conseil de Québec seront déclarées nulles, mais il n'en demeure pas moins que le système de classement est créé en 1764, pour se terminer en 1968. Jean-Charles Bonenfant, « Un droit parlementaire québécois », dans Travaux et communications, vol. II, Académie des Sciences morales et politiques, Montréal, Bellarmin, avril 1974, p. 63-78.
7
Adam Shortt et Arthur G. Doughty (dir.), Documents relatifs à l'histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, Ottawa, T. Mulvey, 1921, vol. 1, p. 189; James Marriott, Plan of a Code of Laws for the Province if Quebec; reported by the Advocate-General, Londres, [s. n.], 1774, p. 48.
12
Henri Brun, La formation des institutions parlementaires québécoises, 1791-1838, Québec, Presses de l'Université Laval, 1970, p. 8.