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Livre blanc et livre vert

Définition

Documents que l'exécutif soumet au Parlement pour exposer un problème d'intérêt public et les mesures administratives ou législatives qu'il entend prendre pour le résoudre (livre blanc) ou qui pourraient être prises pour le résoudre (livre vert).

L'usage des livres blancs et des livres verts au Québec

Dans la pratique parlementaire, le fait pour le gouvernement de désigner un livre blanc ou un livre vert exprime clairement la manière qu'il entend aborder un problème ou une réforme. Au Québec, depuis le milieu des années 1960, le gouvernement publie de nombreux documents particularisés par des couleurs variées telles que le blanc, le vert, le bleu, le rose et l'orange1.

En qualifiant de livre blanc un document, le gouvernement révèle ses intentions. Le livre blanc peut accompagner et expliquer un projet de loi, annoncer une mesure administrative ou exposer un programme qui se réalisera dans une série de textes législatifs. Pour le gouvernement, l'affirmation de certains principes et la divulgation de ses intentions n'excluent pas la tenue de consultations sur le livre blanc et sur le projet de loi qui en découlera.

À la différence du livre blanc, le livre vert est employé lorsqu'aucune position n'est privilégiée ou défendue par le gouvernement. Sur un problème donné, l'exécutif souhaite plutôt lancer la discussion afin qu'une position puisse émerger. Le livre vert est essentiellement un outil de consultation ou un document de travail.

Pour attribuer le nom livre blanc ou livre vert à un document, celui-ci doit habituellement faire l'objet d'un dépôt en Chambre. Cependant, il arrive fréquemment que le gouvernement dépose en Chambre des documents qui ont toutes les caractéristiques du livre blanc ou du livre vert, mais ne sont pas définis comme tel. Ils portent plutôt l'étiquette document de travail, document de réflexion, document de consultation, projet de politique ou même énoncé de politique.

Parfois, des groupes de pression ou des associations désignent comme « livre blanc » un document dans lequel ils présentent ou exposent leur position sur une question qui les concerne directement. Par exemple, le Conseil de presse a publié en 1989 un document intitulé Le livre blanc sur la protection des sources confidentielles d'information et du matériel journalistique2. De son côté, l'Union des municipalités du Québec a entrepris, en 2012, une vaste consultation dans le but de se doter d'un livre blanc sur l'avenir des municipalités3.

Quant aux autres types de livres baptisés d'après la couleur de leur couverture, ils ne sont pas du domaine parlementaire. Il n'existe pas de livre beige, rouge ou rose comme il existe des livres blancs et des livres verts. Par exemple, l'expression « livre beige » a été employée pour désigner une publication du Parti libéral du Québec lancée en janvier 1980, surnommée ainsi en raison de la couleur de sa couverture4. Ce document, qui constituait la réponse libérale au problème constitutionnel canadien, se voulait une réplique au livre blanc du gouvernement du Parti québécois sur la même question.

La tradition britannique

La coutume d'employer le terme livre blanc provient de la Grande-Bretagne. L'histoire des livres blancs se confond avec celle des documents déposés devant les parlementaires par ordre du souverain (by command), en vertu d'une disposition législative ou à la demande des parlementaires eux-mêmes, par « adresse » ou par « ordre ». Ces documents parlementaires (parliamentary papers) permettent aux députés d'exercer leur responsabilité de contrôleurs de l'administration publique.

Avant 1800, ces documents sont peu nombreux et ceux qui méritent d'être diffusés figurent en appendice du Journal of the House. Dans la première moitié du XIXe siècle, les parliamentary papers deviennent plus volumineux et encombrent la table du greffier. Pour y remédier, on les relie avec une matière bleue, d'où l'attribution du nom de livre bleu (blue book). Cette pratique donne naissance à la monumentale collection des blue books5.

A Blue Book is a government report substantial enough to require protective covers. Traditionally these covers are blue, but in recent years [N. D. A., vers 1913] H.M.S. has often used other colours. The term is commonly applied to the reports of Royal Commissions and Departmental Committees. Presumably it came into use when the massive reports of the early Victorian Royal Commissions and Parliamentary Select Committees became a common feature of the political scene. In his novel Sybil published in 1845, Benjamin Disraeli used the term as though it were commonplace: "On another table were arranged his parliamentary papers, and piles of blue books"6.

Par opposition, les documents déposés dont l'épaisseur ne justifie pas l'utilisation d'une couverture spéciale portent le nom de white papers7. Il n'existe pas de différence fondamentale entre les white papers et les blue books, sauf la reliure bleue à l'origine de ces derniers8. Les deux appellations n'ont aucun caractère officiel9. Les white papers vont cependant devenir une catégorie plus restreinte de documents parlementaires qui énoncent la politique du gouvernement sur une question donnée :

The practice of issuing these documents developed during the late nineteenth and early twentieth centuries. By and large, the initial role of the white paper was to serve as a strictly informational supplement of existing government policies. Gradually, the papers were used as policy instruments. By 1945 the white paper was incorporated into the legislative process in a regular fashion. The object of presenting these paper was to give Parliament the information needed to provide a basis for judgment on matters of policy. Such presentation also offered the government an opportunity to test the opinion of the members of the House and the public before introducing legislation in its final form10.

Simple document d'information à l'origine, le livre blanc devient une étape normale de la procédure législative. De fait, il est un moyen de prendre connaissance de l'opinion publique avant l'adoption d'une législation, dans la mesure où la position exprimée peut mener à une modification du contenu.

Cette volonté croissante de connaître l'opinion des parlementaires, ainsi que celle de groupes touchés par l'adoption de nouvelles politiques, encourage les administrateurs publics britanniques à recourir à une nouvelle méthode de consultation en avril 1967 avec la parution d'un document commun du Department of Economic Affairs and H.M. Treasury intitulé The Development areas: a Proposal for a Regional Employment Premium. Ce document, publié expressément pour susciter la discussion sur cette question, énonce les premières propositions du gouvernement sans toutefois présenter de fermes déclarations d'intention de sa part.

Le 6 avril 1967, The Times surnomme ce document « The green paper » en raison de la couleur de la couverture et le considère comme une étape vers la publication d'un livre blanc. Harold Wilson, premier ministre du Royaume-Uni de 1964 à 1970 et de 1974 à 1976, apporte des précisions à propos de la différence entre les deux types de livres ainsi que les changements qui surviennent dans le fonctionnement du système parlementaire avec l'utilisation des green papers :

This innovation was designed to enable the Government to put forward a new proposal not as a firm decision of Government but as a question for consultation and public discussion. A White Paper is essentially a statement of Government policy, in such terms that a withdrawal or major amendment, following consultations or public debate, tends to be regarded as a humiliating withdrawal. A Green Paper represents the best that the Government can propose on a given issue, but, remaining uncommitted, it is able without loss of face to leave its final decision open until it has been able to consider the public reaction to it11.

Une dizaine de documents semblables sont publiés de 1967 à 1970 et plusieurs d'entre eux sont effectivement suivis de livres blancs. Cockton fait observer que les livres verts et les documents de travail (consultation papers) appartiennent au même genre, mais ils se distinguent, au Royaume-Uni, du moins, sur certains points12. En particulier, le livre vert vise à stimuler la discussion sur une politique générale en préparation alors que le consultation paper concerne un aspect particulier d'une politique déjà établie.

Au Canada

Au moment de la création du secrétariat d'État à la Guerre et aux Colonies en 1801, les colonies envoyaient déjà de plus en plus de documents à Londres. Puis, dans les années 1820, selon les directives générales de la Couronne, les colonies britanniques nord-américaines commencent à préparer leurs livres bleus. Le ministère des Colonies disposait ainsi d'une source de renseignements précieux et variés sur ses colonies13.

À la Chambre d'assemblée du Haut-Canada, le terme livre bleu désigne la liste des « employés civils » (fonctionnaires) dressée annuellement et déposée by command en Chambre14. À la Chambre des communes, l'utilisation du terme livre bleu est également courante dans la seconde moitié du XIXe siècle. En 1884, Bourinot mentionne déjà cette expression15. Puis, le 5 mai 1887, le député John Charlton fait accepter une motion demandant que les « départements » publient leurs livres bleus sans attendre l'ouverture de la session16. Près de cinquante ans plus tard, Higgins explique la notion de livre bleu dans une revue des publications gouvernementales :

In addition to the annual reports which are presented to Parliament, and issued in a bound series called Annual departmental reports, the same [reports are] previously published bound in blue paper, hence the term « blue book », which is the traditional name used by the English Government for such publications. This is published much earlier than the bound series, which makes it very welcome to libraries [...].The term « blue book » is also applied to special reports issued from time to time and similarly bound17.

D'après Doerr, le premier livre blanc au Canada est publié en 1939 par le ministère des Finances. Il fournit des informations complémentaires au budget18. Or, les premiers véritables livres blancs, soit des documents énonçant une politique gouvernementale, font leur apparition seulement en 194519. Puis, de 1963 à 1968, le gouvernement de Lester B. Pearson utilise cette méthode pour informer le Parlement et le public de ses intentions administratives et législatives, et pour sonder l'opinion des députés et de la population20. Enfin, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau utilise, comme son homologue britannique Wilson, les livres blancs :

[...] for the express purpose of promoting debate and bringing in Parliament and the electorate at an earlier stage of the legislative process. The government has stated that these white papers are not draft legislation, nor unalterable policy commitments. They are to be considered general statements of the government's thinking on a particular subject. Their purpose is to stimulate broad public discussion among interested groups and individuals so that the government can receive direction from those people who will be most affected by the policies. By opening the process at this stage, the government hopes, in the long run, to improve its final legislation21.

L'évolution du livre blanc canadien permet de le situer à mi-chemin entre les white papers et les green papers britanniques. Selon Doerr, il est considéré comme « a policy document, approved by Cabinet, tabled in the House of Commons and made available to the general public22 ». Toutefois, Chapin et Denau estiment que : « [L']on utilise les livres blancs comme des moyens de faire connaître les préférences en matière de politiques du gouvernement avant le dépôt d'une loi au Parlement. La publication d'un livre blanc sert à sonder l'opinion publique touchant telle ou telle politique controversée et permet au gouvernement d'en évaluer l'impact probable23. »

Concernant le livre vert, McMenemy remarque également :

Green paper is a government document which contains legislative proposals for discussion. Governments are not committed to the proposals in green papers, but can use their publication to gauge public opinion. Governments also publish green papers on matters of public interest on which it does not wish to commit itself at present. When a green paper is tabled in a legislature, it is usually sent to a committee which will hold hearings and report to the legislature on the proposals. Subsequently, the government may introduce legislation on the question, or if it wishes to delay further may publish a white paper containing a specific proposal for still further discussion24.

Selon ces définitions, le dépôt en Chambre (qui préfigure une activité au niveau législatif) est un critère décisif pour donner à un document le statut de livre blanc ou de livre vert25.

Pour citer cet article

« Livre blanc et livre vert », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 9 avril 2013.

Faites-nous part de vos commentaires à : encyclopedie@assnat.qc.ca

Notes

1 

Établir une liste de livres blancs ou verts québécois est une tâche ardue, notamment parce que leur repérage est difficile, les documents pertinents ne portant pas nécessairement la mention « livre blanc ». À l'inverse, certains documents sont formellement appelés livres blancs ou verts même si l'appellation est inexacte. Quoi qu'il en soit, le premier document gouvernemental désigné comme livre blanc au Québec aurait été publié par le ministère de l'Éducation en 1964 sous le titre Le développement de l'équipement scolaire régional (son titre initial était : Livre blanc sur le développement et le financement de l'équipement scolaire régional). Le plus ancien livre vert serait le document de travail Pour une politique québécoise des communications, publié en 1971 par le ministère des Communications.

2 

« Ce livre blanc se veut plus qu'une contribution à la réflexion sur la problématique de la protection des sources et du matériel journalistiques comme impératifs reliés à l'exercice de la liberté de la presse. Il se veut un constat du consensus qui existe sur le sujet dans la société québécoise et une demande formelle d'intervention au gouvernement. » Conseil de presse, Livre blanc sur la protection des sources confidentielles d'information et du matériel journalistique, Québec, 1989, 92 p.

3 

Union des municipalités du Québec, Livre blanc sur l'avenir des municipalités : document de consultation, février 2012, 20 p.

4 

Le budget de l'an 1 du Parti québécois (1973) expose la politique budgétaire d'un futur gouvernement péquiste. Il s'agit donc d'un document de même nature que le « livre beige » du Parti libéral du Québec sans toutefois être désigné par cette couleur.

5 

James G. Ollé, An Introduction to British Government Publications, 2e éd., Londres, Association of Assistant Librarians, 1913, p. 58; Norman Wilding et Philip Laundy, An Encyclopaedia of Parliament, 4e éd., Londres, Cassell, 1972, p. 145; Le comte de Franqueville, Le gouvernement et le parlement britannique, t. 3; La procédure parlementaire, Paris, Rothschild, 1887, p. 257-263.

6 

J. G. Ollé, op. cit., p. 48.

7 

Loc. cit.; S. C. Hawtrey et H. M. Barclay, Abraham and Hawtrey's Parliamentary Dictionary, Londres, Butterworths, 1970, p. 5; Wilding et Laundy, op. cit., p. 787.

8 

Abraham et Barclay définissent ainsi le livre bleu : « A term loosely applied to government publications bound in a blue paper cover. Broadly speaking, the bulkier papers are issued in this form because of their size, so it follows that a blue book, like a white paper, may be any form of government publication ». S. C. Hawtrey et H. M. Barclay, op. cit., p. 43.

9 

Seule l'expression white papers apparaît dans le classique ouvrage d'Erskine May et cela, dans les récentes éditions (voir 19e éd., 1976, p. 255).

10 

Audrey D. Doerr, « The role of white papers », The Structure of Policy-Making in Canada, Toronto, MacMillan, 1971 p. 180.

11 

Harold Wilson, The Labour Government, 1964-1970: A Personal Record, Londres, Weidenfeld and Nicolson and Michael Joseph, 1971, p. 380. Au contraire de Wilson, McMenemy estime en 1995 que « withdrawing a white paper after a period of "study" is less an embarrassment to a government than withdrawing a legislation ». Voir John McMenemy, The language of Canadian Politics: A guide to Important Terms and Concepts, Wilfrid Laurier University Press, 1995, p. 321.

12 

Peter Cockton, « Green Papers », Ford List of British Parliamentary Papers, 1965-1974, Together with Specialist Commentaries, Nendelh, KTO Press, 1979, p. XXXV-XXXIX.

13 

Phillip Buckner, « Le ministère des Colonies et l'Amérique du Nord britannique, 1801-1850 », Dictionnaire biographique du Canada, vol. VIII, Québec, Presses de l'Université Laval, 1985, p. xxx.

14 

L'index des Journaux de la Chambre d'Assemblée du Haut-Canada, compilé par Todd et couvrant les années 1825 à 1840, indique que cette appellation était utilisée dès 1824. L'absence d'index cumulatif nous empêche d'en dire autant pour le Bas-Canada, mais un sondage rapide dans les journaux permet de retracer le livre bleu de 1834 (Journaux, 1835, p. 166). La même liste existe sous le même nom dans les années 1850 (Journaux de l'Assemblée législative du Canada, 11 octobre 1852) et à la veille de la Confédération. Voir Olga Bernice Bishop, Publications of the Government of the Province of Canada, Ottawa, 1963, p. 88-89.

15 

John George Bourinot, Parliamentary procedure and practice, Montréal, Dawson, 1884, p. 274.

16 

House of Commons Debates, 5 mai 1887, p. 295. Voir Arthur Beauchesne, Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, Toronto, 4e éd., Caswell, 1964, p. 184.

17 

M.V. Higgins, Canadian Government Publications, a Manual for Librarians, Chicago, American Library Association, 1935, p. 8-9.

18 

A. D. Doerr, op. cit., p. 181.

19 

Loc. cit.

20 

Ibid., p. 182-184.

21 

Ibid., p. 185.

22 

Audrey D. Doerr, The Role of White Papers in the Policy-making Process: The Experience of the Government of Canada, Carleton University Press, 1973, p. 56.

23 

Henry Chapin et Denis Deneau, La participation des citoyens au processus d'établissement des politiques d'intérêt public : l'accès au processus d'établissement et le processus proprement dit, Ottawa, Conseil canadien de développement social, 1978, p. 39.

24 

Ibid., p. 125.

25 

Cet article a été inspiré par les travaux pionniers de Gaston Deschênes, Le Parlement de Québec: histoire, anecdotes et légendes, Sainte-Foy, Multimondes, 2005, p. 153-160.