Définition
Rémunération versée au député.
Il y a deux types d'indemnités : l'indemnité de base, accordée à tous les députés, et les indemnités de fonction, qui sont des sommes additionnelles versées aux titulaires de certaines fonctions parlementaires1.
Les indemnités sont régies par la Loi sur les conditions de travail et le régime de retraite des membres de l'Assemblée nationale (c. C-52.1) et par la Loi sur l'exécutif (c. E-18). Pour des données plus précises sur les sommes actuellement versées, voir la section « Indemnités et allocations » du site de l'Assemblée nationale.
Une indemnité ou un salaire?
Jusqu'au milieu du XXe siècle, l'indemnité porte bien son nom puisqu'il s'agit d'un montant qui dédommage les élus pour les frais liés à cette fonction. La majorité des députés occupe alors un emploi régulier hors des sessions et se consacre à temps partiel au travail parlementaire.
De nos jours, la fonction de député est une activité à temps plein qui exige des ressources financières adéquates. Bien que le terme « indemnité » soit encore en usage, il réfère bel et bien au salaire versé au député.
Par ailleurs, les indemnités doivent être distinguées des allocations parlementaires, qui sont des sommes versées au député pour les dépenses diverses qu'il engage dans l'exercice de sa fonction.
Historique
L'origine de l'indemnité parlementaire remonte en 1774, lorsque l'Acte de Québec institue le Conseil législatif dans la Province de Québec. De 1775 à 1791, chaque conseiller législatif touche une somme annuelle de 100 livres sterling2.
L'Acte constitutionnel de 1791 met un terme à cette pratique. Aucune compensation n'est alors prévue pour les parlementaires dans ce nouveau régime. Dès 1793, le Haut-Canada institue un mécanisme de taxation locale directe en s'inspirant des pratiques traditionnelles de la Grande-Bretagne3. Les habitants de chaque district (circonscription) doivent verser annuellement une somme couvrant diverses dépenses publiques, dont l'indemnité de leurs représentants. Il n'en va pas de même au Bas-Canada, où l'acceptation du principe de l'indemnité parlementaire est beaucoup plus tardive.
L'indemnité parlementaire au Bas-Canada (1791-1841)
La première initiative connue concernant l'indemnité parlementaire des députés remonte à 1799, lorsque Joseph Papineau propose à la Chambre « d'examiner s'il ne serait pas juste que le président et les membres reçussent une indemnité pour leurs frais de voyage, et la perte de leur temps4 ». On rapporte que « cette suggestion fut de suite repoussée avec indignation par la grande majorité ». D'autres tentatives échouent en 1802, en 1807, en 1812, en 1821 et en 18265.
Les partisans de l'indemnité soutiennent que « si les membres n'étaient point payés plusieurs personnes de lumières et de connaissance mais de peu de fortune, se trouveraient privées de pouvoir siéger dans cette chambre6 ». Les opposants affirment quant à eux « que si l'honneur de représenter devenait un objet lucratif, une multitude de fainéans et de vagabonds chercheraient à se concilier l'esprit public, et attirés par l'appas du gain viendraient occuper dans cette chambre des places naturellement destinées pour l'honnête citoyen7 ».
On rapporte que le bloc des opposants à l'indemnité « était composé d'hommes riches ou à l'aise, pour qui ce n'était pas un sacrifice appréciable que d'assister aux sessions sans rémunération » et qui, en outre, résidaient pour la plupart dans la capitale. À l'inverse, pour l'habitant ou le notaire de campagne, « un voyage à Québec et une absence de deux mois entraînaient des dépenses et des pertes pécuniaires incompatibles avec son pauvre revenu8 ».
Au début de la décennie 1830, l'absentéisme des membres est un problème criant et la Chambre doit régulièrement ajourner, faute de quorum. Les pressions en faveur de l'indemnité se font de plus en plus fortes.
En 1830, John Neilson, l'un des principaux promoteurs, soumet un bill prévoyant le versement d'une indemnité et un montant supplémentaire pour les frais de transport. Ceux en faveur de cette initiative font valoir qu'il s'agit d'une mesure à l'avantage des commettants, considérant « l'inconvénient qu'on avait souvent éprouvé de l'absence des membres » et « la restriction qui était imposée au choix des électeurs9 ». Les détracteurs, menés par Austin Cuvillier, n'y voient « qu'embarras, que disgrâce, que dégradation » et estiment qu'« on allumerait l'ambition dans les comtés éloignés où l'éducation n'avait pas encore fait de grands progrès10 ». Ils allèguent qu'en étant payés, les élus perdront tout droit au respect, qu'ils ne seront plus que des « serviteurs à gages » et que « la chambre ne serait plus une place aussi honorable11 ». Le projet de loi est adopté par la Chambre d'assemblée, mais bloqué au Conseil législatif.
1831 : la première indemnité
Quand Neilson revient à la charge en 1831 avec un nouveau projet de loi, ses adversaires appellent encore une fois au sens de l'honneur et à la respectabilité de la Chambre et des représentants :
L'appas de ces misérables dix schellings va faire de cette chambre, le rendez-vous de gens sans fortune et sans respectabilité; et au nom de la saine politique et du sens commun, y a-t-il rien de plus monstrueux, de plus contradictoire, que des gens qui n'ont rien, soient assemblés pour faire des lois sur les propriétés d'autrui?12
Le projet de loi, adopté par l'Assemblée, est encore repoussé par le Conseil législatif. Devant cette résistance, on propose d'introduire un montant pour l'indemnité dans le « bill des subsides ». Puisqu'il s'agit d'un projet de loi à incidence financière, le Conseil législatif ne peut que l'approuver ou le rejeter dans sa totalité, sans quoi il porterait atteinte aux privilèges de la Chambre. De fait, la Chambre haute est contrainte de l'adopter.
Pour la première fois, en 1831, les députés touchent une indemnité pour le temps qu'ils consacrent au travail parlementaire et leurs déplacements. Celle-ci s'élève à 9 schillings par jour de présence aux séances de la Chambre, ainsi que 4 schillings par lieue pour la distance séparant leur résidence du parlement13.
Puisque le bill des subsides voté en 1831 ne vaut que pour la session courante, rien n'est acquis concernant l'indemnité. Neilson propose donc un autre projet de loi en 1832, qui est lui aussi adopté par l'Assemblée et, à la différence des années précédentes, étudié par le Conseil. Ce dernier y apporte toutefois un amendement, ce qui est mal reçu par les députés. On se dit « bien content de voir ce changement dans les opinions du Conseil, mais il était hors de question de se compromettre et de reconnaître une attaque si frappante contre les privilèges de la Chambre14 ». Conséquemment, l'Assemblée préfère réitérer le stratagème de l'année précédente en usant de nouveau du bill des subsides.
1833 : la première indemnité officielle
Après plusieurs années à débattre de la question, le chemin est tout tracé pour fixer le versement de l'indemnité dans une loi. L'Acte pour accorder une Allouance aux Membres de l'Assemblée est sanctionné le 3 avril 1833, sans grande opposition15. Ce dernier prévoit une somme de 10 schillings pour chaque jour de présence du député en Chambre, et une somme pour frais de voyage. Cette mesure doit être renouvelée puisqu'elle n'est applicable que pour la durée de la 14e législature. En 1835, une autre loi réitère donc à l'identique les modalités de la précédente, et ce, pour la durée de la 15e législature16.
Les députés ne peuvent profiter longtemps de leurs avantages pécuniaires, puisque la Constitution est suspendue en 1838. Le Parlement est remplacé par un conseil spécial jusqu'en 1841.
L'indemnité dans la province du Canada (1841-1867)
Dès la première session de la nouvelle province du Canada en 1841, la Chambre constate que si les députés du Haut-Canada sont assurés de toucher une indemnité grâce à la taxe locale perçue dans leurs districts, aucune loi en vigueur ne prévoit de compensation pour les députés du Bas-Canada. D'emblée, les députés s'entendent pour régulariser la situation, estimant « qu'il était juste que les membres de cette chambre fussent tous sur le même pied17 ».
Le débat porte surtout sur l'origine des fonds d'où sera tirée l'indemnité, à savoir une taxation locale directe ou les fonds publics. La Chambre choisit cette dernière option. Elle adopte le principe général de l'indemnité dans un premier projet de loi, puis prévoit les sommes nécessaires au paiement de la session courante dans un second projet de loi.
Jusque-là, rien ne laisse présager ce qui survient le 16 septembre 1841, jour de l'étude des deux projets de loi. De manière inattendue, le Conseil législatif amende le projet de loi allouant le budget parlementaire et y retranche la totalité du paragraphe relatif à l'indemnité sessionnelle des députés. Pour l'Assemblée législative, l'amendement du Conseil est une atteinte directe à ses privilèges puisqu'il concerne un projet de loi à incidence financière. Ce geste jugé « irrégulier » et « inconstitutionnel » soulève la colère des députés. Le journal L'Aurore des Canadas rapporte une scène rocambolesque :
la chambre fut tellement indignée du procédé du conseil qu'à peine son messager eut-il fait son triple salut à la chambre que le bill, ainsi amendé, fut jeté du pied hors de la chambre avec l'expression de la plus éclatante indignation. Mr. Johnston d'abord, s'empara du bill et lui donna le premier coup de pied pour le jeter en dehors de la barre. Mr. Barthe lui fit aussi l'honneur d'un coup de pied qui fit bondir le bill, jusque sur les talons du messager du conseil; vint après Mr. Parent qui du coup le jeta au bas des escaliers où il fut à l'envi foulé aux pieds par la foule, au milieu des rires de mépris et de dérision générale. Mr. Christie avait donné le signal en criant le premier : kick the bill, ce qui ne fut pas long [...] et ce qui fut répété par tous les échos de la chambre : kick the bill ! devint le cri général, et ne mourut que lorsque le pauvre parchemin eut été sali dans la poussière [...] du parlement18.
Après quelques délibérations, les députés adoptent deux nouveaux projets de loi identiques aux premiers. Le Conseil les adopte cette fois intégralement. Le journal Le Canadien rapporte qu'« on a été agréablement surpris d'entendre [les opposants] avouer qu'ils avaient commis une erreur en votant pour amender un bill d'argent et qu'ils répareraient cette erreur en votant pour le bill qui leur était renvoyé19 ». Les députés peuvent alors toucher une somme de 65 livres sterling pour la session en cours ainsi qu'une allocation de voyage20.
Au cours des années suivantes, les députés votent leur indemnité chaque session par l'intermédiaire de résolutions. Celle-ci demeure de 65 livres sterling de 1841 à 1844, puis augmente à 100 livres sterling pour les longues sessions de 1845 et de 1846. Elle est réduite à 75 livres sterling en 1847, puis à 50 livres sterling en 1848, ces deux sessions étant particulièrement courtes. Certains députés reviennent parfois à la charge pour tenter, en vain, de supprimer l'indemnité21.
1849 : l'indemnité devient permanente
Une nouvelle loi confère un statut permanent à l'indemnité en 184922. Les députés touchent alors 20 schillings par jour, chaque fois qu'ils assistent à une séance de la Chambre ou d'un comité. Ils y ont aussi droit les jours de session où l'Assemblée ne tient pas séance et lorsqu'ils ne peuvent assister aux travaux pour « cause de maladie », pourvu qu'ils se trouvent « dans le lieu où se tient la session ».
Au cours des débats, Louis-Hippolyte LaFontaine propose de limiter le nombre de journées indemnisées, de manière à ce que si les membres « prenaient plaisir à faire perdre le temps de la chambre, par des discours interminables et des répétitions sans fin, ils le feraient à leurs dépens23 ». Cette proposition est repoussée par une large majorité. En conséquence, lorsque la session s'étire sur une période de dix mois au cours de l'année 1852-1853, les sommes requises pour couvrir les frais de l'indemnité doublent.
En 1854, les élus approuvent, par voie de résolution, une bonification de 10 schillings de leur indemnité journalière, qui grimpe alors à 30 schillings par jour. Cette opération est répétée chaque session jusqu'en 1858 en invoquant l'augmentation du coût de la vie dans les capitales24. Des tentatives pour limiter le nombre de jours pour lesquels est versée l'indemnité sont repoussées en 1853 et 185625.
1853 : une indemnité pour les conseillers législatifs
Pendant ce temps, la position du Conseil législatif évolue. Dès le 22 mars 1845, les membres du Conseil réclament une indemnité équivalente à celle des députés en invoquant l'augmentation de la charge de travail et l'absentéisme des membres, mais le gouverneur général Charles Metcalfe repousse leur requête26.
Ils doivent patienter jusqu'en 1853 pour obtenir une compensation. Le gouvernement insère une résolution à cet effet dans le bill des subsides, mais l'initiative est mal reçue par les députés, qui envisagent au même moment une réforme majeure du Conseil législatif. Malgré l'objection de nombreux députés, les conseillers obtiennent une somme de 20 schillings par jour, frais de voyage inclus27. Une résolution semblable est intégrée dans tous les bills des subsides au cours des années suivantes, malgré la forte opposition de certains députés.
1859 : un double mode de calcul
Une nouvelle loi institue un important changement en 185928. Deux modes de calcul sont établis en fonction de la durée de la session, soit quotidien ou sessionnel. Tant les députés que les conseillers sont désormais assurés de toucher une compensation de 6 $ par jour de présence si la session ne s'étend pas au-delà de 30 jours ou une indemnité maximale de 600 $ par session si celle-ci dure plus de 30 jours. Cette formule demeure en vigueur pendant plus d'un siècle, jusqu'en 1965.
Jusqu'en 1867, les députés touchent 600 $ par session puisqu'elles durent toutes plus de 30 jours. Il n'y a généralement qu'une session par an, à l'exception de 1863 et de 1865, qui en comptent deux. Conformément à la formule de calcul, les députés touchent 1200 $ au cours de ces années. Les tentatives pour réduire l'indemnité, en 1864 et en 1865, restent lettre morte29.
L'indemnité au Québec de 1867 à nos jours
Dès sa première session en 1867-1868, le Parlement québécois adopte une loi qui reprend à quelques mots près celle de 185930. Elle comporte cependant une différence de taille : alors que l'indemnité quotidienne demeure à 6 $, l'indemnité sessionnelle est réduite de 600 $ à 450 $. On explique cette décision par les incertitudes quant à l'état des revenus et dépenses de la nouvelle province résultant du litige sur le partage de la dette de l'ancienne province du Canada.
Un an plus tard, en 1869, l'indemnité sessionnelle est fixée de nouveau à 600 $, mais pour la durée de la session seulement31. L'historien Marcel Hamelin rapporte que : « un "round robin" endossé par une quarantaine de représentants réclame une rémunération égale à celle que reçoivent les membres des Communes. Au nom de la dignité de la Chambre provinciale, on évoque le fait que les députés du Québec méritent autant que leurs collègues fédéraux32 ». Ces députés ne voient pas « comment une indemnité qui paraît raisonnable à Ottawa devient déplacée à Québec. Penser ainsi contribue à faire des députés provinciaux une classe inférieure [...] ou bien à laisser croire que l'on travaille moins à Québec, [...] que la province n'est pas capable de payer une somme aussi petite33 ». La session suivante, en 1870, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau fixe l'indemnité à 600 $ de façon permanente « afin d'éviter le renouvellement de discussions désagréables et de votes embarrassants pour les députés34 ».
Dès son accession au pouvoir en 1878, Henri-Gustave Joly de Lotbinière s'empresse de réduire l'indemnité sessionnelle à 500 $. La plupart des budgets alloués au fonctionnement de l'Assemblée législative subissent également des compressions en raison du contexte économique difficile.
Le nouveau gouvernement de Joseph-Adolphe Chapleau contourne cette décision en 1882. Il introduit dans les prévisions budgétaires, en sus du montant prévu dans la loi, des sommes « pour défrayer les dépenses de l'indemnité additionnelle » accordée aux députés et aux conseillers législatifs. Les membres du Parlement touchent alors un total de 800 $ pour la session. Aucune somme supplémentaire n'est votée l'année suivante, ce qui ramène l'indemnité sessionnelle à 500 $. En 1884, un autre supplément est introduit dans les prévisions budgétaires, ce qui fait grimper temporairement l'indemnité sessionnelle à 700 $35.
Par voie législative, l'indemnité est portée à 600 $ en 1885, puis à 800 $ en 188836. Le premier ministre Honoré Mercier affirme que c'est avec « répugnance » qu'il consent à accorder ce montant. Il admet cependant que « nous avons beaucoup plus d'ouvrage à faire qu'à l'Ontario. Nous avons l'usage des deux langues, et de plus nos sessions sont toujours plus longues que dans la province voisine. [...] Le fait est qu'il n'y a pas de province où les hommes politiques travaillent plus qu'ici37 ». À cinq reprises de 1893 à 1897, des députés soumettent vainement des projets de loi pour diminuer l'indemnité38.
Une augmentation des besoins financiers des députés
En 1909, après plus de 20 ans de stabilité, l'indemnité quotidienne bondit à 10 $ et l'indemnité sessionnelle, à 1500 $. Puis, cette dernière grimpe à 2000 $ en 1920 et à 2500 $ en 192839. On fait valoir que « la tâche du député est devenue beaucoup plus lourde » et on souligne « les demandes sans cesse croissantes adressées aux hommes publics et le sacrifice qu'on leur impose de leurs affaires personnelles40 ». On invoque également la démocratisation de la Chambre :
Ce pays n'est pas un pays d'hommes riches. C'est un pays d'hommes pauvres et, si nous devons avoir dans cette Chambre les représentants de toutes les classes, si nous devons avoir le meilleur de la classe ouvrière, si nous devons avoir le meilleur de ceux qui vivent dans les districts ruraux [...] nous devons au minimum voir à ce qu'ils reçoivent assez pour leur permettre de vivre41.
Dès son arrivée au pouvoir en 1936, en pleine crise économique, Maurice Duplessis procède à une diminution de la rémunération des députés de l'ordre de 10 % afin de « donner l'exemple de l'économie », ce qui réduit l'indemnité sessionnelle à 2225 $ et l'indemnité quotidienne à 9 $42. Le chef de l'opposition, Télesphore-Damien Bouchard, dénonce ce qu'il estime être un « bluff politique » et un « bill de camouflage », puisque avec « deux sessions en une seule année, la réduction deviendra une double indemnité, ce qui constitue une augmentation appréciable43 ». Deux sessions de plus de 30 jours ont effectivement lieu cette année-là, ce qui permet aux députés de toucher la somme de 4 750 $44. La compression imposée par Duplessis est de courte durée puisque dès la session de 1938, celui-ci rétablit l'indemnité à 2500 $45. Trois ans plus tard, en 1941, le gouvernement de Joseph-Adélard Godbout la hausse à 3000 $46.
De l'indemnité au salaire
Tant dans l'opposition que de retour au pouvoir en 1944, Duplessis dénonce l'impôt fédéral sur l'indemnité parlementaire. L'opposition déplore quant à elle que « l'indemnité sujette à la taxe ne [...] laisse pas assez pour subsister47 ». Duplessis suggère de diminuer le montant de l'indemnité et d'augmenter l'allocation non imposable de 300 $ que touchent alors les députés pour leurs frais de transport. La loi adoptée maintient l'indemnité à 3000 $ et hausse l'allocation non imposable à 1000 $48.
Cette nouvelle façon de procéder aura des répercussions à long terme. L'allocation non imposable pour frais de représentation, ou allocation de dépenses, est dorénavant perçue comme un complément indissociable de l'indemnité. Par ailleurs, ces deux sommes combinées sont de plus en plus considérées comme un salaire et non plus comme une seule compensation financière49.
Sous la pression de l'opposition, Duplessis procède à une série d'augmentations : au cours des sessions de 1953-1954, 1956-1957 et 1958-1959, il hausse l'indemnité sessionnelle à 4000 $, à 5000 $ et à 6000 $50. L'allocation de dépenses est du même coup bonifiée. Le premier ministre admet qu'« un député qui veut s'occuper de son mandat ne peut guère faire autre chose51 ».
Peu après son arrivée au pouvoir, Jean Lesage poursuit dans cette voie en augmentant d'abord légèrement les sommes allouées aux députés. Il porte l'indemnité quotidienne à 30 $, l'indemnité sessionnelle à 6700 $ et l'allocation de dépenses à 3300 $ en invoquant la charge de travail et les dépenses accrues que doivent assumer les élus52. Ces sommes s'avèrent vite insuffisantes et, dès 1963, Lesage les majore substantiellement. L'indemnité quotidienne est haussée à 100 $, l'indemnité sessionnelle à 10 000 $, et l'allocation de dépenses à 5000 $53. Le premier ministre plaide :
Le rôle de plus en plus vaste que l'État est appelé à jouer dans notre société, le temps de plus en plus long que requièrent les travaux parlementaires accroissent sans cesse les devoirs et les obligations des députés et exigent de leur part une présence et une action constantes. Les députés sont ainsi forcés de délaisser leurs affaires personnelles davantage chaque jour. Les moins fortunés d'entre eux en souffrent énormément, c'est clair; ça les place dans une situation difficile, souvent intenable, et les expose à toutes sortes de tentations auxquelles ils peuvent être amenés à succomber à cause de leurs obligations familiales ou autres. C'est un risque, à mon sens, que ne peut se permettre de courir la démocratie54.
La reconnaissance de la fonction de député comme travail à temps plein
En 1965, devant cette réalité, Lesage augmente l'indemnité des députés à 12 000 $, tout en maintenant celle des conseillers législatifs à 10 000 $. L'allocation de dépenses grimpe quant à elle à 6000 $55.
Le plus grand bouleversement de la nouvelle loi consiste toutefois en une modification du statut de l'indemnité. Désormais, celle-ci se calcule sur une base annuelle et non plus sessionnelle ou quotidienne. L'accroissement de la longueur des sessions et du volume des affaires à traiter, les sacrifices personnels, les exigences financières et l'impossibilité d'occuper un emploi complémentaire justifient notamment la décision de Lesage, qui soutient « qu'à partir de maintenant, les députés, à l'année, seront à la disposition du peuple chaque jour de chaque année, soit en Chambre, soit dans leur comté. C'est devenu aujourd'hui une fonction à plein temps56 ».
Bien que cette modification législative affecte peu la somme versée aux députés, ses implications sont majeures. Le chef de l'opposition Daniel Johnson prédit que « cette base annuelle constitue un changement radical, et nous assistons aujourd'hui à un tournant qui aura probablement de très grandes conséquences dont nous ne pouvons pas, pour le moment, mesurer toute l'ampleur57 ». C'est effectivement le cas. Entre autres choses, le travail parlementaire se professionnalise et les députés, désormais plus soucieux de leurs conditions de travail, voient à l'amélioration des ressources financières, matérielles et humaines dont ils bénéficient. Par ailleurs, l'abolition du Conseil législatif en 1968 confirme leur prédominance au sein du Parlement58.
À la recherche d'une formule indépendante du politique
En 1971, l'indemnité est majorée à 15 000 $ et l'allocation pour frais de représentation, à 7000 $59. Pour la première fois, le montant suggéré n'est pas fixé de façon arbitraire, mais par des experts en finances du ministère de la Fonction publique. Pour Gérard D. Levesque, les modifications ont été apportées « de la façon la plus juste, la plus raisonnable, la plus scientifique possible60 ». Le fait que les députés déterminent leurs propres conditions de travail commence à susciter un certain malaise dans leurs rangs. La nouvelle loi prévoit ainsi une indexation de 4 % pour l'année suivante afin d'« éviter d'arriver, au bout de cinq, six ou sept ans, avec des augmentations qui peuvent, à un moment donné, paraître un peu spectaculaires61 ». L'indemnité grimpe automatiquement à 15 600 $ en 1972. Une indexation de 3 % envisagée en 1973 est quant à elle abandonnée en raison de son impopularité auprès des citoyens.
En 1974, la Commission de régie interne constitue un comité indépendant pour évaluer les indemnités et allocations versées aux parlementaires et en confie la présidence à Jean-Charles Bonenfant. Dans son rapport, le comité souligne notamment qu'« il faut, autant que possible, éviter que [les élus], s'ils doivent être mieux payés, en décident eux-mêmes directement. Le grand public, en effet, éprouve des difficultés à comprendre que les députés soient à la fois juge et partie, dans leur propre cause62 ». Il recommande de rattacher l'indemnité parlementaire au salaire attribué aux cadres de classe 4 de la fonction publique, et de donner à la Commission de régie interne des pouvoirs discrétionnaires en ce qui concerne les allocations parlementaires.
Le gouvernement se montre un peu plus conservateur que le comité Bonenfant. Il privilégie « le plus bas salaire de [la catégorie des administrateurs de classe 4] plus un tiers de l'écart entre le plus bas et le plus élevé », ce qui établit l'indemnité à 21 000 $. Il prévoit également une formule d'indexation complexe basée sur la moyenne des salaires pour l'ensemble des activités économiques au Canada63. Conformément à la nouvelle formule d'indexation, l'indemnité subit une hausse de 8,1 % en 1975, ce qui la porte à 22 700 $.
Une indexation limitée par les interventions
Dès l'année suivante, l'indexation n'a pas lieu comme prévu. La Régie des mesures anti-inflationnistes, nouvellement créée, oppose son veto puisqu'elle la considère comme non conforme aux mesures anti-inflationnistes plafonnant les augmentations de salaire. La Commission de régie interne, appelée à trancher par voie de résolution, décide d'une hausse moins importante que celle qui aurait été automatiquement appliquée et porte l'indemnité à 24 500 $ pour l'année 197664.
Une situation semblable se pose en 1977, mais la Régie n'a plus qu'un rôle consultatif. Après plusieurs mois de tergiversations, la Commission de régie interne suspend la restriction imposée au calcul de l'indexation65. L'indemnité est alors fixée à 27 800 $ en 1977. Exceptionnellement, ce montant demeure le même l'année suivante, conformément à une loi décrétant le gel de l'indemnité pour l'année 1978. René Lévesque juge que la loi de 1974 « a constitué un effort valable pour rationaliser les traitements des parlementaires, mais [...] la formule d'indexation automatique et de multiplication nous semble aujourd'hui, c'est le moins qu'on puisse dire, plutôt excessive66 ».
Afin de corriger la situation de façon permanente, le gouvernement dépose en 1978 un projet de loi visant à indexer l'indemnité parlementaire en fonction de la croissance moyenne des revenus hebdomadaires au Canada, mais en imposant un plafonnement à 6 %67. Ce mode de calcul est appliqué systématiquement de 1979 à 1982, années au cours desquelles l'indemnité passe de 29 488 $ à 35 096 $.
Le Parlement de la fin des années 1970 et du début des années 1980 évolue au rythme des réformes parlementaires. En 1982, la Loi de la Législature est remplacée par deux lois, soit la Loi sur l'Assemblée nationale du Québec, qui traite du fonctionnement du Parlement, et la Loi sur les conditions de travail et le régime de pension des membres de l'Assemblée nationale, qui détermine, entre autres, les modalités applicables à l'indemnité parlementaire. Cette dernière loi prévoit une majoration de l'indemnité à 37 202 $ le 1er avril 1983 et une nouvelle formule d'indexation pour chaque année subséquente, basée sur « le taux d'augmentation de l'indice des prix à la consommation pour le Canada déterminé par Statistique Canada68 ». Cette formule porte l'indemnité à 38 900 $ en 1984 et à 40 400 $ en 1985.
En 1986, le gouvernement interrompt à nouveau le processus d'indexation. Il fixe l'indemnité à 41 800 $ pour l'année courante, ce qui représente une majoration de 3,5 % par rapport à l'année précédente69. Ce pourcentage n'est pas anodin : il s'agit de celui proposé aux travailleurs de la fonction publique, alors en négociations avec le gouvernement. La loi prévoit que la formule d'indexation établie initialement, soit l'indice des prix à la consommation, s'appliquera de nouveau en 1987. Cette année-là, les députés touchent une indemnité de 43 500 $.
Un débat serein et l'espoir d'une solution définitive
En 1987, le Bureau de l'Assemblée nationale met sur pied un comité d'étude extraparlementaire afin de réévaluer la rémunération globale des députés. Il en confie la présidence à Jean-Noël Lavoie70. Le comité constate que les précédentes interventions gouvernementales ont creusé un fossé considérable entre le montant de l'indemnité et le coût de la vie. Il conclut « que la rémunération du député est inadéquate, compte tenu des exigences et responsabilités de la fonction71 » et propose une importante indexation. Le comité recommande que l'indemnité de base du député soit établie à partir de la moyenne entre les échelons le plus bas et le plus haut de l'échelle de traitement des classes d'emploi des cadres supérieurs du gouvernement, ce qui la ferait passer de 43 500 $ à 62 930 $. L'augmentation étant substantielle, le comité suggère de répartir l'ajustement sur une période de trois exercices financiers.
Deux mois plus tard, le gouvernement de Robert Bourassa dépose un projet de loi inspiré de ce rapport, afin de « corriger des lacunes, des anomalies, et même des injustices graves dont sont victimes l'ensemble ou certaines catégories de députés72 ». Plus conservateur que le comité Lavoie, il favorise l'ajustement de l'indemnité à la moyenne du montant le plus bas et de celui le plus élevé de l'échelle salariale des administrateurs de classe 4 de la fonction publique, soit la formule proposée par le comité Bonenfant en 1974. Les députés espèrent ainsi régler la question une fois pour toutes73 .
Cette hausse équivaut à un rattrapage de 21,4 % et fait passer l'indemnité de base à 52 788 $, le 1er janvier 1988. Au cours des années suivantes, l'indexation se poursuit automatiquement.
L'austérité financière
Le montant de l'indemnité subit des variations au gré des coupures imposées dans la fonction publique dans la décennie 1990. Comme une partie des fonctionnaires québécois, les députés subissent un gel temporaire de leur indemnité pendant les six premiers mois de 1992, puis celle-ci est de nouveau rétablie en 1993 selon les modalités des années antérieures. Cependant, une nouvelle modification législative réduit presque aussitôt le taux d'indexation, désormais fixé à 99 % de la moyenne du montant le plus bas et de celui le plus élevé des salaires des administrateurs publics de classe 4.
En 1997, à l'instar du salaire des employés de la fonction publique, l'indemnité parlementaire est diminuée de 6 % et chute de 63 469 $ à 59 661 $. Le 1er juillet 1998, elle est de nouveau indexée74.
De nouvelles études
Une nouvelle évaluation de l'indemnité est effectuée en 2000 par un comité extraparlementaire. Celui-ci constate que, en raison des interventions gouvernementales précédentes, l'indemnité parlementaire est de 18 % inférieure au salaire des administrateurs de classe 4. Estimant que « l'indemnité de base des députés ne permet plus de garantir à ces derniers une rémunération appropriée et adaptée aux exigences actuelles de cette fonction », le comité propose une hausse de 10,5 % de cette somme. De plus, il recommande de détacher l'indemnité du salaire des administrateurs de classe 4, dont les conditions de travail (sécurité d'emploi, possibilité de toucher un boni, etc.) ne sont pas applicables à la réalité des élus75.
Suivant les recommandations du comité, la loi fixe l'indemnité à 69 965 $ rétroactivement au 1er juillet 2000, et prévoit une majoration de 2,5 % les 1er janvier 2001 et 200276. Le gouvernement ne retient pas la recommandation du comité extraparlementaire de confier à un comité semblable, tous les trois ans, la responsabilité d'évaluer les conditions de travail des députés. Il favorise plutôt une indexation automatique de l'indemnité en modifiant légèrement la formule de calcul. Dorénavant, l'indemnité de base augmente selon le « pourcentage de majoration des échelles de traitement du corps d'emploi des cadres supérieurs de la fonction publique ». Cette formule est toujours en vigueur aujourd'hui.
L'ajustement annuel automatique est suspendu de 2010 à 2012 lorsque le gouvernement impose un gel de l'indemnité d'une durée de deux ans dans le cadre d'un plan global de retour à l'équilibre budgétaire. Bien que l'opposition combatte le projet de loi, elle accueille favorablement la mesure visant à geler l'indemnité77.
En 2013, un autre comité consultatif indépendant se penche sur les conditions de travail des élus et tente d'établir « la rémunération juste pour la fonction de député », tout en reconnaissant le caractère délicat de l'exercice. Pour atteindre ce but, le comité procède à une série de comparaisons salariales avec les députés des autres assemblées canadiennes et avec des types d'emplois comparables dans la fonction publique et parapublique. De plus, il fait appel à une firme externe spécialisée dans ce type d'évaluation salariale.
À la lumière des données recueillies, le comité conclut que l'indemnité de base du député devrait être fixée au maximum de l'échelle de traitement du niveau 4 de la catégorie des dirigeants et des membres d'un organisme ou d'une entreprise du gouvernement. Par ailleurs, en plus de proposer une bonification de l'indemnité de base, le comité recommande d'y intégrer un montant équivalent à l'allocation annuelle de dépenses non imposable et d'abolir cette dernière. Selon ces propositions, la rémunération totale d'un député aurait été de 136 010 $ pour l'année 2013, au lieu de l'indemnité de 88 186 $ à laquelle s'ajoute l'allocation non imposable de 16 027 $. En juillet 2014, aucune suite n'avait été donnée au rapport du comité78.
Pour des informations sur les sommes actuellement versées, voir la section « Indemnités et allocations » du site de l'Assemblée nationale.
Pour citer cet article
« Indemnité parlementaire », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 11 août 2014.