Définition
Fonctionnaire du Conseil législatif chargé notamment de porter les messages du Conseil à l'Assemblée législative.
Cette fonction originaire d'Angleterre disparaît au Québec avec l'abolition du Conseil législatif en 1968.
En anglais, Black Rod peut également renvoyer à la verge noire que porte le gentilhomme huissier dans l'exercice de ses fonctions. Elle est le symbole de sa dignité.
Historique
Origines de la fonction
Les origines de la fonction remontent à l'Angleterre du milieu du XIVe siècle avec la création de l'Ordre de la jarretière (Order of the Garter)1. Le roi Édouard III (1327-1377) et les chevaliers de cet ordre prestigieux défilent lors de processions menées par un officier portant un long bâton d'ébène, la verge noire. Quand l'Ordre se réunit, cet officier est chargé de diriger les chevaliers d'un point de rencontre à un autre et de garder la porte. Cette fonction lui vaut son nom de « huissier », issu du latin médiéval ussarius, signifiant « portier »2.
Au Parlement britannique
D'abord attaché à la maison du roi, l'huissier devient un officier de la Chambre des lords durant le règne d'Henri VIII (1509-1547). C'est le Garter Statute de 1522 qui précise que l'une de ses tâches est de garder les portes du parlement. La verge noire est l'objet qui symbolise son pouvoir. Elle est utilisée et « carried in lieu of a mace, as a symbol of authority, empowering the usher to arrest those offending against the Statutes and Ordinances of the Order of the Garter3 ».
C'est en 1601 que l'on trouve la première mention de l'huissier dans les Journaux de la Chambre des lords. Celui-ci se plaint que c'est le sergent d'armes et non lui qui est chargé de faire comparaître des individus accusés d'atteinte aux privilèges de la Chambre. Finalement, la Chambre décide en 1640 que « all Warrants for apprehending of Delinquents and bringing them before this Honourable Court » seront adressés au seul huissier. Cette procédure ne sera toutefois bien établie qu'à partir de 18284.
En 1971, la fonction de Serjeant-at-Arms de la Chambre des lords disparaît et ses responsabilités sont confiées au gentilhomme huissier de la verge noire5.
Fonctions parlementaires aujourd'hui au Royaume-Uni
Aujourd'hui, le gentilhomme huissier de la verge noire assiste toujours aux cérémonies de l'Ordre de la jarretière. C'est toutefois la seule fonction rattachée à la maison royale qu'il a conservée. Ses autres attributions sont d'ordre parlementaire. Le gentilhomme huissier est responsable de l'ordre, de la sécurité de la Chambre des lords et de l'admission des étrangers comme l'est le sergent d'armes de la Chambre des communes. Il est aussi yeoman, ou garde du corps du roi, et dispose d'un assistant, le yeoman usher. Il est présent lors de l'introduction des pairs. Enfin, il est responsable de l'exécution des mandats d'arrêt lancés par la Chambre contre les individus accusés d'outrage aux privilèges6.
À ce sujet, le célèbre écrivain Walter Scott (1771-1832), dans son roman Peveril of the Peak, a qualifié le gentilhomme huissier de « redoutable fonctionnaire » comparable « à un lion que la Chambre des communes devait nourrir de mandats d'arrêt, puisqu'elle voulait conserver un tel animal7 ». Cette comparaison provient du lion doré décorant le sommet de la verge noire.
En plus de ce travail disciplinaire, le gentilhomme huissier remplit un rôle protocolaire important. En tant que messager de la Chambre haute auprès de l'autre Chambre, il prend une part active au cérémonial d'ouverture du Parlement. Il est chargé de se rendre aux Communes pour signifier aux députés de se présenter à la Chambre des lords pour l'ouverture des sessions, les sanctions royales et les discours du souverain.
Le cérémonial britannique
Le rôle du gentilhomme huissier à la verge noire dans le cérémonial parlementaire a de profondes racines historiques. Quand il se présente à la porte des Communes, on lui en interdit d'abord l'accès :
Traditionally the door of the Commons is slammed in Black Rod's face to symbolise the Commons independence. He then bangs three times on the door with the rod. The door to the Commons Chamber is then opened and all MPs - talking loudly - follow Black Rod back to the Lords to hear the Queen's Speech8.
Cette coutume symbolique sert à affirmer l'indépendance de la Chambre des communes devant le pouvoir royal et la Chambre des lords. L'origine de cette tradition remonte à 1641, lorsque le roi Charles Ier fait irruption aux Communes avec 400 hommes d'armes pour arrêter cinq députés. La Chambre fut indignée qu'on ait forcé ses portes et, depuis cette date, elle oblige le gentilhomme huissier à s'identifier avant d'avoir le privilège d'entrer.
Cette tradition a été transplantée dans plusieurs pays qui ont adopté le système parlementaire britannique, dont le Canada9.
Le gentilhomme huissier de la verge noire au Québec
Dès l'ouverture de la première session en décembre 1792, le Conseil législatif du Bas-Canada est pourvu d'un gentilhomme huissier de la verge noire en la personne de William Bouthillier10. De la même façon que son confrère britannique est nommé par le pouvoir royal, le gentilhomme huissier de la verge noire au Québec l'est directement par l'exécutif. Ses fonctions sont toutefois légèrement différentes. En effet, au Conseil législatif de la colonie, le gentilhomme huissier dispose de moins de pouvoirs que le sergent d'armes. Le contraire s'observe à la Chambre des lords11.
Le gentilhomme huissier remplit d'abord et avant tout le rôle de messager du Conseil législatif auprès de l'Assemblée législative. Il a des responsabilités dans l'organisation et le déroulement des cérémonies officielles d'ouverture des sessions parlementaires. Au nom du Conseil législatif, il lance des invitations et assigne à chaque invité son siège, par ordre de préséance, selon le protocole britannique établi en 1878. Cette invitation requiert toujours une réponse, sans quoi l'invité s'expose, s'il se présente, à occuper un siège inférieur au rang de préséance que lui assigne le protocole12.
Notons également qu'à la fin du XIXe siècle, le gentilhomme huissier est présent aux réceptions mondaines tenues par l'orateur du Conseil législatif à l'hôtel du Parlement13.
Le cérémonial
La cérémonie d'ouverture commence quand le lieutenant-gouverneur fait son entrée au parlement. Le gentilhomme huissier le précède dans la salle du Conseil législatif. Une fois le représentant de la couronne assis sur le trône, le gentilhomme huissier reste debout, à l'attention, portant la verge noire sur l'épaule droite et le tricorne sous le bras gauche.
À ce moment, l'orateur du Conseil législatif soulève son tricorne en signe de permission pour prendre la parole et dit dans les deux langues : « Gentilhomme huissier de la verge noire, rendez-vous à la Chambre de l'Assemblée législative et informez cette Chambre que c'est le plaisir de son honneur le lieutenant-gouverneur qu'elle se rende immédiatement auprès de lui dans la salle du Conseil législatif. » Le gentilhomme huissier de la verge noire recule alors vers la porte tout en demeurant face au trône, s'arrête à trois reprises pour saluer, puis se rend à la porte de l'Assemblée législative14.
Comme il est le messager du souverain et suivant la tradition, on lui ferme la porte au nez délibérément. Il frappe alors trois fois avec la verge noire et on lui demande : « Qui est là? » Il s'identifie et on le laisse entrer. Il se rend à la barre de la Chambre en s'inclinant trois fois15. Il arrive que les députés fassent claquer bruyamment le panneau de leur pupitre à chacune de ces révérences16.
Le gentilhomme huissier demande aux députés de venir à la salle du Conseil législatif écouter le discours du trône du lieutenant-gouverneur en ces termes : « Monsieur l'Orateur », ou encore « Messieurs » si la Chambre n'a pas encore élu d'orateur, « son honneur le lieutenant-gouverneur désire la présence immédiate de cette honorable Chambre dans la Chambre du Conseil législatif17. »
Ce message est prononcé en français et en anglais. Si la Chambre n'a pas encore élu d'orateur à ce moment, le gentilhomme huissier retourne à la Chambre haute, puis revient réitérer son invitation une fois l'orateur élu. Chaque fois, après avoir parlé, le gentilhomme huissier s'incline de nouveau trois fois en reculant vers la porte et en ne faisant jamais dos au trône de l'orateur18.
Durant la session, les seules apparitions du gentilhomme huissier servent à demander aux députés d'assister à la sanction royale de lois par le lieutenant-gouverneur à la salle du Conseil législatif. À la fin d'une session, la dernière sanction royale de projets de loi est aussitôt suivie de la prorogation.
Enfin, quand le lieutenant-gouverneur quitte la salle du Conseil législatif, le gentilhomme huissier le précède tandis que les députés retournent en Chambre siéger.
Les vêtements du gentilhomme huissier
Au Parlement britannique, le gentilhomme huissier porte une redingote noire, une culotte noire allant jusqu'aux genoux, des bas de soie, des chaussures noires à boucle d'argent, une épée dans un fourreau noir, un tricorne, un sac à perruque pendu au dos et la verge noire tenue dans la main droite. Il porte également des manchettes et un jabot de dentelles, ainsi qu'une chaîne d'or (chain of office) décorée du blason de l'Ordre de la jarretière19.
L'habillement du gentilhomme huissier accompagné de la verge noire. BAnQ, fonds Ministère des Communications
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Au Québec, son habillement est semblable à l'exception de la chaîne d'or, symbole d'un ordre qui n'existe qu'au Royaume-Uni.
Réforme parlementaire et abolition de la fonction
La remise en question du cérémonial traditionnel à partir de 1960 est un aspect important de la réflexion menant à la réforme des institutions parlementaires. Jean-Charles Bonenfant, directeur de la Bibliothèque de l'Assemblée législative et l'un des principaux inspirateurs de cette réforme, estime que si le rôle du gentilhomme huissier a sa place à Westminster, il est désuet et vide de sens dans le contexte québécois20. Finalement, l'abolition du Conseil législatif le 31 décembre 1968 fait disparaître la fonction.
Sans aller aussi loin que le Québec, le Parlement britannique a lui aussi limité les allées et venues du gentilhomme huissier de la verge noire entre les Chambres. Par le Royal Assent Act du 10 mai 1967, l'officier ne se présente plus aux Communes que le premier et le dernier jour de la session parlementaire.
Cette réforme est l'aboutissement de protestations énergiques des députés contre les interruptions provoquées par le gentilhomme huissier lors d'importants débats. Selon la tradition, la Chambre devait alors suspendre ses travaux pour que ses membres se rendent en procession assister à la sanction royale à la Chambre des lords 21.
À Ottawa, la fonction existe encore et le gentilhomme huissier de la verge noire agit lui aussi comme messager du Sénat à la Chambre des communes22. Le 20 octobre 1997, Mary C. McLaren est la première femme nommée à ce poste. En conséquence, le Sénat à propose que le titre soit modifié afin de le rendre plus neutre. C'est ainsi que le « gentilhomme huissier de la verge noire » devient l'« huissier du bâton noir »23.
Liste des gentilshommes huissiers de la verge noire au Québec de 1792 à 1968
Dix personnes ont occupé la fonction de gentilhomme huissier à la verge noire dans l'histoire du Québec.
William Bouthillier, 1792-1823
Robert-Anne D'Estimauville, 1823-1831
John St. Alban Sewell, 1831-1839
Frederick Starr Jarvis, 1839-1852
René Kimber, 1852-1867
Olivier Vallerand, 23 mai 1857 (commission temporaire en l'absence de Kimber)
Samuel Staunton Hatt, 1867-1901
Frank Pennee, 1901-1904
Arthur Saint-Jacques, 1904-1948
Pierre Gelly, 1948-1968
La tradition anglaise voulant que cette fonction soit occupée par des militaires de carrière a été généralement observée, seuls René Kimber et Arthur Saint-Jacques ont fait exception24.
Pour citer cet article
« Gentilhomme huissier de la verge noire », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 22 mai 2014.
12
En 1878, le comité des devoirs du greffier des parlements statue qu'il est « du devoir du Lord Great Chamberlain, avec le concours du gentilhomme huissier à la verge noire, de recevoir les souverains, les princes et les personnages royaux qui visitent la Chambre des lords, pendant les séances de la Chambre, et de donner les instructions nécessaires aux huissiers et à la police » dans ces circonstances. Erskine May, Parliamentary Practice, p. 356, cité par Damase Potvin, Aux fenêtres du parlement de Québec, Québec, Les Éditions de la Tour de Pierre, 1942, p. 71. Potvin cite probablement la 13e édition de cet ouvrage, soit celle publiée en 1924.