Définition
Expression désignant les comptes rendus des deux sessions parlementaires de 1890 édités par Narcisse Malenfant.
L'auteur
Narcisse Malenfant commence sa carrière de sténographe en 1881 tout en poursuivant ses études en droit à l'Université Laval. Il ne devient pas avocat, mais pratique la sténographie, notamment au Palais de justice de Québec et à l'Assemblée législative, et ce, jusqu'au 30 mai 18931.
Le 20 avril 1887, à la recommandation du comité spécial chargé d'examiner la possibilité et à quelles conditions publier les débats de l'Assemblée législative2, le gouvernement d'Honoré Mercier engage deux sténographes, Malenfant et Alexandre Bélinge3. Ils s'assoient près de la table du greffier afin de prendre en note les discours en Chambre à l'intention d'Alphonse Desjardins, éditeur subventionné depuis 1882 par le gouvernement pour la publication des débats4.
À la suite de la prorogation de la session (18 mai 1887), Malenfant et Bélinge réclament au gouvernement des honoraires de 2000 $ pour leurs services5. Le gouvernement ne leur offre que 1000 $. C'est le début d'un différend qui se résout un an plus tard. Le 19 juin 1888, les deux sténographes écrivent à Ernest Pacaud pour l'informer qu'ils sont maintenant disposés à accepter l'offre de 1000 $ que le gouvernement leur a proposé l'année précédente « ou tout autre montant que la Chambre voudra bien [leur] voter »6.
Au cours de la séance du 5 juillet 1888, Georges-Honoré Deschênes, député de Témiscouata, demande le dépôt en Chambre de la copie de tout document échangé entre le gouvernement et Bélinge et Malenfant, relativement à leur travail durant la session de 1887. Deschênes demande si les sténographes ont été payés. Mercier, n'ayant probablement pas pris connaissance de la lettre à Pacaud, répond que le gouvernement leur a offert un montant de 1000 $ qu'ils ont refusés. Finalement, Mercier accepte, d'un commun accord avec Louis-Olivier Taillon et Félix-Gabriel Marchand, respectivement chef de l'opposition et orateur de la Chambre, de leur payer la somme de 1000 $7.
Éditeur des débats parlementaires
Malgré ce différend, Mercier confie l'édition du journal des débats à Malenfant pour les deux sessions de l'année 1890. Les Comptes publics ne font pas mention du montant qu'il reçoit pour ce travail8. Le 24 février, Honoré Brunelle Tourigny demande si Malenfant est sténographe à l'emploi du gouvernement et, si c'est le cas, quel est son traitement. Mercier lui répond qu'il n'est ni employé par le gouvernement ni par la Chambre, mais que parfois des présidents de comités l'engagent9.
Les conservateurs de retour au pouvoir en décembre 1891 abandonnent l'aide monétaire pour l'édition des débats instaurée neuf ans auparavant. L'une des raisons invoquées est que « la réduction du déficit » est la priorité du nouveau gouvernement10. Pourtant, le 15 octobre 1892, Louis-Georges Desjardins, greffier de l'Assemblée législative, est engagé pour un travail semblable comme éditeur. En 1895, il publie les débats des sessions de 1892 et de 1893.
Méthodologie de travail
La méthodologie utilisée par Malenfant demeure vague. Rien ne permet de conclure qu'il sténographie les débats pour les convertir ensuite en comptes rendus. Il a probablement regroupé des comptes rendus de journaux, ou eu accès au pool des journalistes de la Tribune de la presse. L'état actuel de la recherche ne permet pas de formuler d'autres hypothèses.
En consultant les quotidiens de l'époque, certains discours des Débats Malenfant - autant ceux de Mercier que des conservateurs - sont identiques à ceux reproduits dans L'Électeur, organe officiel du Parti libéral, fédéral et provincial. À titre d'exemple, l'éditeur rapporte le 11 décembre 1890 de longs discours sur le bill 118 concernant l'abolition du Conseil législatif, propos que l'on retrouve dans L'Électeur avec, dans les deux cas, les mentions des rires et des applaudissements aux mêmes moments11. Plusieurs exemples de ce genre laissent croire que L'Électeur est la principale source de Malenfant.
Si ce quotidien indique clairement avoir emprunté la reproduction d'un discours de Jean Blanchet au Canadien, un concurrent d'allégeance conservatrice, Malenfant, lui, n'indique jamais ses sources mais glane probablement dans l'ensemble du pool. À l'occasion, ses comptes rendus sont identiques à ceux du Canadien12.
A contrario, Malenfant publie en décembre 1890 un long discours de Mercier qui n'est que résumé dans Le Canadien13. Seuls les échanges entre les conservateurs Jean Blanchet et Joseph-Octave Villeneuve sont identiques, mis à part le fait que Malenfant les reproduit en style direct.
Malenfant s'abstient d'ajouter des commentaires personnels dans ses Débats, contrairement à son prédécesseur Alphonse Desjardins.
Les particularités de la source
Les Débats Malenfant sont en réalité une source bien incomplète : elle ne renferme qu'une sélection de discours et ne rapporte que 58 des 62 journées de séances (1041 pages) tenues lors de la première session de 1890, et seulement 34 des 41 jours de la seconde.
Dans chaque édition, Malenfant présente les débats sur une colonne. Les séances se suivent par ordre chronologique et sont séparées les unes des autres par un changement de page. La plupart des échanges sont mis en contexte, c'est-à-dire que Malenfant les place après avoir identifié le sujet dont il est question. La présence d'un index des sujets et d'un index des participants facilite la recherche.
À en juger par le nombre de séances, de discours et d'échanges relevés, il semble évident que Malenfant ne conserve que ce qu'il considère comme important. Une comparaison de son travail avec les quotidiens de l'époque révèle que les comptes rendus de ces derniers sont plus substantiels14.
Sur un autre plan, l'absence quasi totale des numéros des projets de loi complique la tâche des lecteurs. Pour les trouver, il faut consulter ceux qui sont conservés aux archives de l'Assemblée nationale. De plus, Malenfant ne relève pas non plus systématiquement les étapes du processus législatif franchies par les projets de loi de la présentation à la sanction. À titre d'exemple, il ne relate que la deuxième lecture du bill 5 relatif au Conseil exécutif15. Afin d'en suivre le parcours, on doit se servir des Journaux de l'Assemblée législative.
Parfois, les étapes des projets de loi mentionnées ne reflètent pas tout à fait ce qui s'est passé en Chambre. Selon Malenfant, durant la séance du 27 mars 1890, Honoré Mercier propose la deuxième lecture du bill 182 concernant les subventions de certains chemins de fer. Dans les Journaux de l'Assemblée législative, la procédure est plus précise : il s'agit plutôt de la troisième lecture du bill, la deuxième ayant eu lieu le 24 mars16.
Malenfant écrit toujours le nom de famille des députés, mais très rarement leur prénom ou celui de leur circonscription; il ne le fait que pour distinguer les députés ayant le même patronyme, comme Auguste et Jules Tessier par exemple. Encore là, il lui arrive d'oublier de le faire, mais grâce à l'index des participants, le lecteur peut retrouver duquel il s'agit.
Les députés faisant ou ayant déjà fait partie du cabinet ministériel sont identifiés par le terme « honorable ». Cette méthode peut semer la confusion, car il ne l'utilise pas de manière constante. Enfin, il anglicise ce terme lorsqu'un parlementaire de ce groupe s'exprime en anglais17.
La couverture des débats de Malenfant dans la deuxième session de 1890 est presqu'en tout point semblable à la précédente. Ce qui la distingue davantage, c'est que pour la première fois, l'éditeur donne les numéros de certains bills. Aussi, il ajoute à la fin du volume deux discours du premier ministre Mercier et deux de Charles Langelier, secrétaire et registraire, prononcés en dehors de la Chambre. Il ne donne pas les raisons pour lesquelles il ne publie que des discours de libéraux18.
En conclusion, le chercheur ne peut pas compter sur la fiabilité des Débats Malenfant en tant que source en raison de ses nombreuses lacunes, de ses irrégularités et, surtout, de son caractère incomplet. Il doit en outre consulter les Journaux de l'Assemblée législative (mais qui ne reproduisent pas les échanges) et retrouver les projets de lois conservés en archives pour connaître la procédure exacte jusqu'à leur sanction.
Une source citée en Chambre
La neutralité des Débats Malenfant est contestée en Chambre (29 décembre 1896) par le premier ministre Edmund James Flynn : « Nous, pauvres députés siégeant dans les froides régions de l'Opposition, nous avions beau faire notre possible, défendre courageusement les intérêts de la province, c'est à peine si l'on nous accordait quelques lignes pour dire que nous avions parlé »19. Pour lui, ces Débats ont été faits dans le but de glorifier le gouvernement Mercier20.
Malgré ces critiques, Flynn n'hésite pas à utiliser les Débats pour justifier la politique de son gouvernement et confondre ses adversaires, citant au besoin des passages des discours de Mercier et du trésorier Joseph Shehyn lors d'un débat sur les subsides accordés aux chemins de fer21.
L'état actuel de la recherche ne permet pas d'affirmer avec certitude que Malenfant favorisait les députés libéraux dans ses comptes rendus. Chose certaine, il rapporte dans son recueil de longs discours prononcés par les députés conservateurs, en anglais comme en français.
Les Débats Malenfant ne sont cependant pas la seule source qui existe pour connaître les débats parlementaires des deux sessions de 1890. Les journaux de l'époque sont aussi complets sinon plus que le travail de Malenfant qui, malgré ses lacunes, a contribué jusqu'ici à préserver de l'oubli une partie de notre mémoire parlementaire.
Pour citer cet article
« Débats Malenfant », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 8 mars 2023.
12
Tel est le cas d'un discours du député conservateur Guillaume-Alphonse Nantel portant sur le budget. Voir N. Malenfant, Débats de la législature de la province de Québec, Première session du septième Parlement de la province de Québec, séance du 12 décembre 1890, Québec, Imprimerie de Belleau & Cie, p. 353-364; « La situation financière de la province de Québec », Le Canadien, 20 décembre 1890, p. 2-3.
13
N. Malenfant, Débats de la législature de la province de Québec, Première session du septième Parlement de la province de Québec, séance du 16 décembre 1890, Québec, Imprimerie de Belleau & Cie, p. 399-418. « Législature provinciale », Le Canadien, 17 décembre 1890, p. 3.
18
Il s'agit d'un discours sur l'ouverture des écoles du soir prononcé par Mercier et Langelier, puis concernant l'ouverture de l'école des arts et métiers par Langelier et le dernier, de Mercier, prononcé au banquet offert par l'alliance française aux Canadiens de passage à Paris. Voir N. Malenfant, Débats de la Législature de la province de Québec, Première session du septième parlement de la province de Québec, Québec, Imprimerie de Belleau & Cie, 1890, p. 562-572.
19
Débats de l'Assemblée législative du Québec, séance du 29 décembre 1896, p. 305, cité par Jocelyn Saint-Pierre, « La publication des Débats, une expérience centenaire », Bulletin de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, vol. 11, no 2, juin 1981, p. 45. Voir aussi G. Gallichan, op. cit., p. 47.