Définition
L'expression renvoie à Irénée Vautrin qui, à titre de ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries, s'est fait rembourser par son ministère une paire de pantalons utilisée durant ses visites aux colons d'Abitibi en 1935.
Cette information est dévoilée au printemps 1936 durant une séance du Comité des comptes publics de l'Assemblée législative. Vautrin est notamment accusé par le chef de l'opposition, Maurice Duplessis, d'avoir utilisé des fonds publics à des fins personnelles, et ce, en pleine crise économique.
L'expression fait depuis partie du folklore politique québécois1.
Historique
Le Comité des comptes publics
Le Comité des comptes publics est l'un des onze comités permanents qui émanent de l'Assemblée législative. Ceux-ci sont formés de députés nommés au début de chaque session parlementaire. Il s'agit, en somme, des ancêtres des actuelles commissions parlementaires sectorielles de l'Assemblée nationale. Le Comité des Comptes publics a pour mandat « d'examiner les comptes établissant l'emploi des crédits votés par la législature pour faire face aux dépenses publiques2 ».
Au début de mai 1936, l'opposition menée par Maurice Duplessis obtient que le Comité siège pour examiner les dépenses du ministère de la Colonisation. Le contexte politique est alors tendu au Québec. Les élections générales de novembre 1935 ont ébranlé le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau en raison des gains significatifs de sièges de l'opposition. L'objectif de Duplessis est aussi d'interroger différents témoins dans le but de maintenir la pression politique sur les libéraux, au pouvoir depuis 1897.
Les travaux du Comité, très médiatisés, attirent les foules3. Lors d'une séance, un état détaillé des dépenses fourni par Louis-Arthur Richard, sous-ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries, révèle que l'ancien ministre Vautrin a notamment utilisé l'automobile de fonction à des fins personnelles. D'autres témoins révèlent qu'il aurait réglé « toutes sortes de comptes à même les fonds de son ministère : réparations extravagantes de son bureau, vacances avec sa famille, expéditions de chasse et voyages de golf »4. Les journaux favorables à l'opposition mettent l'accent sur ces dépenses qualifiées de « gaspillage éhonté5 ».
Vautrin, retiré de la vie politique depuis sa défaite électorale de novembre 1935, est entendu devant le Comité le 2 juin pour défendre sa réputation. Devant une salle comble, il apporte des précisions sur ses dépenses, notamment sur l'utilisation de l'automobile, ses voyages et l'aménagement de son bureau6. Puis, vient la séance du 9 juin où Duplessis interroge de nouveau le sous-ministre Richard :
Q. Monsieur Richard, sous le même serment que vous avez prêté, avez-vous eu connaissance que Monsieur Vautrin, l'ancien ministre du département de la Colonisation, a fait payer à même les fonds du département, des habillements pour lui et des habillements pour certains de ses amis?
R. Tout ce que je me rappelle, c'est une paire de breeches dont il s'est servi pour aller dans la forêt.
Q. Combien cela a-t-il coûté?
R. Ça a coûté quelques dollars.
Q. Avez-vous une bonne connaissance que des habillements, accoutrements achetés à même les fonds publics par l'ancien ministre, M. Vautrin, ont été payés à même l'argent du département de la Colonisation?
R. Pour ce qui est des breeches, j'ai la certitude parce qu'il me les a envoyées. Quant au reste, je ne le sais pas, mais je pourrais m'enquérir7.
Personne ce jour-là ne s'attarde sur cette révélation, somme toute anodine. Deux jours plus tard, le 11 juin, le Comité cesse de siéger à la suite de la démission de Taschereau.
Les électeurs sont convoqués aux urnes le 17 août 1936. Durant la campagne électorale, l'Union nationale utilise les culottes à Vautrin « en guise de symbole d'un régime corrompu contre l'adversaire libéral »8. Lors d'une assemblée politique tenue au Stadium de baseball de Montréal, certaines des 100 000 personnes venues écouter Duplessis brandissent des culottes hissées au bout d'un bâton9.
Un symbole politique vivace
L'affaire des culottes à Vautrin, une révélation somme toute anodine, marque durablement l'imaginaire collectif.
Hector Laferté rapporte dans ses mémoires qu'en janvier 1940, le premier ministre Adélard Godbout revoit Vautrin qui lui aurait dit en substance : « Vous savez, l'affaire de mes culottes qui ont fait bien du train dans la province, je vous certifie que je n'ai jamais eu ces culottes, j'ai été le bouc émissaire, et, si on les a eues, c'est Richard et non moi, et je demande que l'enquête des Comptes Publics soit réouverte pour rétablir les faits »10. Godbout ne donne pas suite à la demande.
Au fil du temps, plusieurs députés et journalistes emploient l'expression pour désigner ce qu'ils considèrent être un scandale ou des dépenses exagérées11. À titre d'exemple, parlant de dépenses électorales en voirie, George-Émile Lapalme déclare en 1954 :
Tout le scandale que l'on avait jadis voulu créer avec les culottes à Vautrin avait été un véritable drapeau de ralliement pour l'Union nationale. Le premier ministre s'en souvient. Je pourrais même dire que l'Union nationale s'en est coiffé pendant des années. On en a fait un grand scandale et, pourtant, les culottes ne valaient probablement pas $25, mais plutôt $7,5012.
Sur cette question du coût exact, des recherches menées dans les Comptes publics de 1935-1936 ne révèlent aucune mention de cet achat. De leur côté, députés et journalistes ne s'entendent pas sur son coût au fil du temps : en Chambre, il varie de 2 $ à 12,50 $13. Dans la presse écrite, on passe de 4 à un peu moins de 10 $14. Pour donner un ordre de grandeur, La Gazette du Nord, journal d'Amos, annonce au printemps 1935 qu'une paire de breeches se détaille à 2,79 $ en spécial dans un magasin local15.
Dans la culture populaire
L'expression « culottes Vautrin » est ravivée avec la série Duplessis, écrite et scénarisée par Denys Arcand puis diffusée à partir du 8 février 1978 à l'antenne de Radio-Canada16. Le premier épisode, Les Comptes publics, montre Duplessis interrogeant Vautrin qui défend son intégrité. Il finit par affirmer en gage d'honnêteté avoir redonné à son ministère le pantalon, un bien public payé par le gouvernement, alors qu'il aurait bien pu le garder. Cette scène fictive redonne de la vigueur au symbole pour quelque 1,7 million de Québécois qui regardent la série, sans parler des visionnements subséquents17.
Plus récemment, soit le 27 mars 2012, les culottes à Vautrin a fait l'objet d'un rendez-vous au Tribunal de l'Histoire, spectacle présenté par la Commission de la capitale nationale du Québec au Palais Montcalm. Intitulée Le scandale des culottes à Vautrin, la représentation a mis en scène des acteurs incarnant les protagonistes de l'époque. Un témoin expert, l'historien Réjean Lemoine, est intervenu au profit du public et d'un jury, composé de 12 personnes choisies dans la salle, chargé de trancher si Vautrin méritait le sort que lui a réservé l'Histoire18.
Pour citer cet article
« Culottes à Vautrin », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 12 mars 2024.
2
Ces comités sont les ancêtres des actuelles commissions parlementaires sectorielles que compte l'Assemblée nationale. Louis-Philippe Geoffrion, Règlement annoté de l'Assemblée législative de Québec, Québec, Dussault & Proulx, 1915, art. 386, 389 et 390.
3
« L'hon. M. Vautrin est le seul témoin de la séance d'hier », L'Action catholique, 3 juin 1936, p. 8; Jules Racine St-Jacques, « Le Comité des comptes publics de 1936 », Bulletin de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, vol. 47, no 1, 2018, p. 12.
4
Conrad Black, Duplessis, L'ascension, Montréal, Éditions de l'Homme, 1977, p. 200.
9
« Cent mille personnes ont acclamé Duplessis au Stade », L'Illustration nouvelle, 13 août 1936, p. 2. On rapporte aussi un défilé après la victoire de l'Union nationale durant lequel « la culotte à Vautrin » est exhibée. « Manifestation des "nationaux" à St-Hyacinthe », Le Devoir, 19 août 1936, p. 3.
10
Hector Laferté, Derrière le trône. Mémoire d'un parlementaire québécois (1936-1958), Septentrion, Sillery, 1998, p. 155. Vautrin tente d'attribuer la propriété du pantalon au sous-ministre Richard, mais ce dernier ne semble pas accompagner le ministre en Abitibi durant sa seule visite de la région en août 1935. Voir les comptes rendus détaillés dans Le Soleil, « M. Vautrin en tournée au milieu des colons », 17 août 1935, p. 11; La Gazette du Nord, 23 août 1935, p. 1 et Pierre Trudelle, L'Abitibi d'autrefois, d'hier et d'aujourd'hui, Amos, Chez l'auteur, 1937, p. 245-246.
11
Voir par exemple les Débats de l'Assemblée législative, 9 avril 1937, p. 575-576, 3 mars 1960, p. 837, 18 janvier 1961, p. 455, Journal des Débats Commissions parlementaires Commissions permanentes des affaires municipales et de l'environnement Étude du dossier olympique (1), 23 août 1976, p. B-4225 et Journal des débats de la commission permanente des finances publiques, Études des crédits des ministères des Services gouvernementaux, 26 avril 2006, CFP-6, p. 17.
13
Débats de l'Assemblée nationale, 28 novembre 1984, p. 1117. Voir aussi Journal des débats Commission parlementaires, Commission permanente de l'aménagement et des équipements, 7 décembre 1993. CAE-5629, et Journal des débats Commission parlementaires Commission permanente de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation, Motion de sous-amendement proposant d'entendre aussi la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval, 9 décembre 1986, CAPA-1013.
14
« Les culottes à Vautrin », Le Droit, 12 mars 1987, p. 4. « Décès de l'ancien ministre Vautrin », La Presse, 5 février 1974, p. A2. En 1992, Lucien Bouchard raconte n'avoir jamais été aussi blessé et humilié que le jour où des journaux ont évoqué la « culotte à Vautrin » à propos d'une facture d'une vingtaine de dollars qu'il avait soumise au ministère de la Justice pour la location d'un pantalon de cérémonie, pourtant obligatoire pour comparaître devant la Cour d'Appel de Terre-Neuve, où il représentait le gouvernement du Québec. L. Bouchard, À visage découvert, Montréal, Boréal, 1992, p. 135.
17
« Si Duplessis m'était conté... », Le Nouvelliste, 18 mars 1978, p. 10. Les besoins de la dramatisation expliquent probablement que le personnage de Vautrin fasse cet aveu, alors qu'il provient plutôt de Richard.
18
« Les culottes à Vautrin », Le Soleil, 27 mars 2012, p. 35. « Le scandale des culottes à Vautrin », Info-Culture, 15 mars 2012.