Définition
Instance chargée de la gestion administrative et financière du Parlement de 1876 au 27 avril 1983, date de sa dernière réunion. Elle succède au Comité des dépenses contingentes et est remplacée par le Bureau de l'Assemblée nationale.
La Commission de régie interne est également connue sous les noms de « Commission de l'économie intérieure » ou « Commission d'économie interne »1.
Elle est composée du président de l'Assemblée et de trois ministres. De 1971 à 1983, trois autres ministres désignés comme commissaires suppléants peuvent agir comme remplaçants lors des réunions2.
Historique
Dans la province de Québec, de 1867 à 1875, la gestion administrative et financière de l'Assemblée législative est sous la responsabilité du Comité des dépenses contingentes, formé d'une quinzaine de députés. Le 20 décembre 1875, ce dernier recommande sa propre abolition et son remplacement par une commission composée de l'orateur et de membres du Conseil exécutif3.
Aucun débat sur ce changement n'est rapporté dans les journaux de l'époque. Tel que le souligne l'historien Marcel Hamelin, « il est étonnant que les députés adoptent sans discussion une loi qui accentue considérablement la mainmise du cabinet sur la gestion interne de la Chambre »4. Il est probable que, comme le suggère l'historien Gaston Deschênes, l'on ait considéré comme allant de soi une mesure semblable à celle adoptée par Londres dès 1812 et par Ottawa en 18685. La comparaison entre la loi fédérale et la loi provinciale est d'ailleurs sans équivoque, la seconde étant une copie quasi conforme de la première6.
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Coffret de la Commission de régie interne dans lequel étaient conservés les procès-verbaux de ses réunions. Collection Assemblée nationale
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L'Acte concernant l'Économie Intérieure de l'Assemblée législative et pour autres fins entre en vigueur le 1er janvier 18767. Il institue la Commission de régie interne et lui confie la gestion des sommes nécessaires au fonctionnement de l'Assemblée (indemnités parlementaires, salaires, allocations, papeterie, dépenses contingentes de la Chambre, etc.). La Commission se compose de quatre membres, soit l'orateur de l'Assemblée et trois ministres désignés par l'exécutif. L'orateur assume d'office la présidence de la Commission et, sauf pendant une courte période (1880-1886), sa présence est requise pour en assurer le quorum, qui est de trois membres8. Les ministres désignés doivent, quant à eux, être membres de l'Assemblée législative.
Les trois périodes de la Commission de régie interne
Trois périodes distinctes marquent les activités de la Commission de régie interne. La première s'échelonne de 1876 à 1949, la deuxième de 1949 à 1963 et la troisième, de 1963 à 1983.
La première période : de 1876 à 1949
Au cours de cette période, la Commission est connue sous le nom de « Commission de l'économie intérieure » ou « Commission d'économie interne ». L'exécutif cherche à exercer un contrôle sur la gestion interne du Parlement, qu'il considère pendant longtemps comme l'un de ses ministères. Plusieurs premiers ministres siègent même à la Commission9.
Bien que les premiers commissaires soient désignés dès l'hiver 1876, l'instance n'entreprend véritablement ses activités qu'en août 1878. Elle se consacre alors surtout à l'approbation des factures de fonctionnement de la Chambre.
1880 : conflit entre les pouvoirs administratif et exécutif
Lorsque la composition de la Commission est déterminée en 1875, aucun conflit important n'est anticipé entre les trois ministres et l'orateur puisque ce dernier est généralement issu du parti majoritaire en Chambre. Tout au long de l'existence de la Commission de régie interne, la frontière nébuleuse entre les pouvoirs exécutif et administratif génère toutefois quelques frictions.
Le principal conflit survient en 1880. L'orateur Arthur Turcotte, qui grâce à son vote prépondérant a contribué à maintenir le Parti conservateur dans l'opposition au cours de la période tumultueuse ayant suivi le « coup d'État » de 1878, doit transiger avec des ministres conservateurs au sein de la Commission. Lorsqu'il convoque les ministres à son bureau, ceux-ci refusent et proposent plutôt une rencontre à la salle du Conseil législatif. S'ensuivent alors plusieurs mois de tension, où l'orateur et les ministres tiennent des réunions parallèles en s'arrogeant, de part et d'autre, les pouvoirs de gestion de la Chambre. À la fin du mois d'avril 1880, Turcotte est finalement contraint de plier, car l'exécutif prépare un projet de loi qui permettra légitimement aux commissaires de siéger et de prendre des décisions en l'absence de l'orateur10.
Le projet de loi est adopté malgré les protestations de l'opposition. Honoré Mercier dénonce « une grave atteinte aux droits et privilèges du président de cette Chambre, et, en lui, aux droits et privilèges de la Chambre elle-même »11. La loi n'est toutefois jamais mise en pratique et est abrogée en 188612. La présence de l'orateur aux réunions de la Commission demeure dès lors toujours requise et son rôle y devient de plus en plus prépondérant.
La gestion du personnel parlementaire
Le 1er juin 1880, la Commission demande le concours de la Chambre afin de « mettre en pratique l'économie devenue absolument nécessaire13 » applicable aux frais de fonctionnement du Parlement. Selon elle, la diminution des dépenses passe par la réduction du nombre d'employés qui s'élève alors à 82, « nombre beaucoup trop grand pour les besoins de la Chambre, et beaucoup trop dispendieux pour la province ». Le gouvernement dépose un projet de loi visant à réduire de moitié les salaires des employés, considérant que ceux-ci « n'ont de l'ouvrage que pendant la durée de la session et [que], conséquemment, [ils] n'ont absolument rien à faire pendant neuf mois de l'année14 ». La Commission est chargée de fixer le statut (permanent ou sessionnel) et le salaire de chaque employé de la Chambre15.
Au cours des décennies suivantes, la Commission consacre l'essentiel de son temps à gérer le personnel parlementaire. Elle autorise l'embauche des employés, détermine leurs salaires et leurs pensions de retraite, accorde des promotions ou des augmentations, procède à des congédiements. À cette époque, les conditions de travail du personnel parlementaire ne sont pas réglementées et les décisions de la Commission sont, pour la plupart, arbitraires ou partisanes. Pour freiner la croissance des dépenses de la Chambre, la Commission sabre dans le personnel parlementaire. Régulièrement, elle procède à l'embauche de personnel au début de la session et le congédie une fois celle-ci terminée.
La gestion des ressources matérielles
Bien que la Commission confie le contrôle de certaines dépenses occasionnelles de la Chambre à des membres du personnel administratif, dont le greffier et le sergent d'armes, elle conserve la mainmise sur toutes les approbations de paiements. Elle accorde à diverses compagnies les contrats de fournitures de bureau et d'impressions, qui constituent une dépense substantielle et sans cesse croissante. À la fin du XIXe siècle, la Commission autorise les achats nécessaires à l'aménagement de l'hôtel du Parlement (horloges, tapis, canapés et literie pour le personnel devant dormir sur place, etc.). Lors de l'incendie qui détruit l'édifice parlementaire de la côte de la Montagne en 1883, elle gère les réclamations des employés ayant perdu leurs biens personnels et accorde des fonds spéciaux pour remplacer les documents et les ouvrages de la bibliothèque qui ont brûlé.
La gestion des ressources matérielles est cependant difficile, d'autant plus que la Chambre et les départements se côtoient dans le même édifice. Trop souvent, le matériel de la Chambre est utilisé par le personnel des départements, ce que la Commission tente de contrer en réitérant régulièrement l'exigence que tous les comptes lui soient soumis16.
Le fonctionnement du Parlement et les services aux députés
La Commission se prononce très rarement sur les règles encadrant le fonctionnement de l'institution parlementaire. Lorsqu'elle le fait, elle prépare des règlements sommaires concernant la conservation des documents (1886) ou les modalités de paiement des employés (1946), octroie les contrats pour l'exploitation du restaurant du parlement et ordonne « que les boissons y soient prohibées, excepté pendant le déjeuner, le lunch, le dîner et le souper » (1892). Elle chapeaute les rares services aux députés offerts à cette époque et ses décisions ont généralement pour objectif d'en réduire les coûts. Elle abolit par exemple l'affranchissement du courrier des élus et les compense de « quatre piastres en timbres-poste » (1892), réduit le matériel de bureau qui leur est offert (1892) ou restreint l'accès aux appels téléphoniques interurbains (1945). Par ailleurs, l'incendie de 1883 oblige la réimpression des règles et règlements de la Chambre et la Commission en profite pour procéder à leur révision en confiant cette tâche à l'orateur17.
La deuxième période : de 1949 à 1963
Aucun procès-verbal n'a été retrouvé pour la période couvrant de 1949 à 1963. Il est possible que la documentation liée à cette période soit perdue, ou que la Commission n'ait tout simplement pas siégé, et ce, même si des commissaires sont nommés en 1952 et en 195918. En 1949, la Commission confie temporairement des pouvoirs de gestion du personnel parlementaire à l'orateur et cette responsabilité s'est peut-être prolongée au-delà de l'année précisée19. L'exécutif semble aussi s'impliquer en la matière puisqu'au cours de cette période, de nombreux arrêtés en Conseil concernent les conditions de travail du personnel parlementaire.
La troisième période : de 1963 à 1983
La troisième période de la Commission de régie interne débute en 1963. Elle tient quelques réunions en 1963 et en 1964, notamment pour la mise en place du Journal des débats, puis cesse ses activités jusqu'en 1967. La Commission aurait pu tomber en désuétude si on ne lui avait pas attribué de nouvelles responsabilités. Au cours des deux décennies suivantes, le Parlement vit au rythme des réformes et l'instance est appelée à jouer un rôle important dans son processus de modernisation, tandis que ses champs d'intervention se diversifient.
Les missions officielles
En 1967, la Commission s'active lorsque la Chambre lui confie la responsabilité d'autoriser les missions des députés à l'étranger et le versement de leurs allocations de voyage20. Au cours des trois années suivantes, la quasi-totalité de ses réunions, soit une dizaine par année, sont consacrées à l'évaluation de ce type de requêtes. La Commission demeure responsable de l'approbation des missions officielles jusqu'à sa dissolution, en 1983.
Les dépenses contingentes
Comme par le passé, la Commission est responsable des dépenses contingentes de la Chambre. Cette prérogative lui permet d'intervenir dans de nombreux domaines : contrats d'impression et de reliure des publications parlementaires (procès-verbaux, Journal des débats, dépliants d'information, etc.), équipement pour le Journal des débats ou la télédiffusion des débats, dépenses diverses (voitures de fonction, cadeaux protocolaires, cotisations à différents organismes, stages parlementaires, uniformes des employés, vaisselle et vin pour le restaurant Le Parlementaire, etc.). Elle autorise également le remboursement des dépenses du personnel administratif (frais de repas, allocations de voyage, etc.).
Le personnel administratif
Bien que la majorité du personnel administratif soit régie par des lois, principalement la Loi de la fonction publique, une modification législative adoptée en 1971 précise qu'« il est loisible aux commissaires [...] d'y déroger », pourvu que les modalités d'une telle dérogation soient spécifiées21. La Commission exerce ses prérogatives à l'égard de certains corps d'emploi dont elle fixe périodiquement le salaire et les conditions de travail. C'est notamment le cas des pages, des messagers, des gardiens-constables, des chauffeurs ainsi que des employés occasionnels, ceux du restaurant Le Parlementaire et des services de recherche des partis politiques22. L'adoption de lois et de règlements de plus en plus spécifiques réduisent les interventions de la Commission en matière de personnel administratif.
Le personnel de cabinet et les secrétaires de circonscription
La situation est bien différente en ce qui concerne le personnel politique. En 1971, une modification à la Loi de la fonction publique édicte que certains titulaires de fonctions parlementaires peuvent nommer un secrétaire particulier ou un secrétaire particulier adjoint « suivant les barèmes établis selon les commissaires » de régie interne23. La Commission détermine alors les effectifs maximaux attribués aux différents cabinets, puis précise les barèmes de rémunération des secrétaires particuliers et de leurs adjoints24. La Loi lui confie également la responsabilité d'approuver leurs traitements. La Commission doit alors consacrer énormément de temps à ratifier les nombreuses requêtes concernant les nominations et les promotions du personnel de cabinet.
En 1978, la Loi de la fonction publique charge la Commission d'établir, en plus des barèmes de recrutement, de nomination et de rémunération du personnel de cabinet, « les autres conditions de service et de travail » de ces employés25. Le règlement qu'elle adopte en 1979 transfère aux députés la responsabilité de nommer et de révoquer leur personnel, de fixer les effectifs de leur cabinet ainsi que leur rémunération, selon les normes établies26. La Commission de régie interne se déleste ainsi d'une charge de travail imposante, tandis que les députés gagnent en autonomie quant à la gestion de leur équipe de travail.
Entretemps, en 1974, une modification législative confie à la Commission la tâche d'établir les barèmes et normes concernant le « traitement d'un secrétaire dans le district électoral »27. Elle bonifie considérablement leurs conditions de travail au cours des années suivantes.
Les services de recherche des partis politiques
En 1971, la Loi modifiant la Loi de la Législature alloue pour la première fois des ressources financières « pour fins de recherches par les partis actuellement représentés à l'Assemblée nationale »28. La Commission procède régulièrement à l'indexation de ces montants et réévalue les sommes accordées aux services de recherche lorsque des changements surviennent dans la composition de la Chambre ou le statut des députés.
Les services aux députés
À l'inverse de la première période de son existence, la Commission de régie interne facilite cette fois la mise en place et le maintien de services pour les députés ou les partis politiques, dont les abonnements aux journaux (1973), l'impression de documents promotionnels ou la revue de presse l'Argus (1977). Reflet de l'époque, elle autorise même le service gratuit de café dans les fumoirs (1976) et permet à un coiffeur d'utiliser gratuitement un local au parlement considérant « qu'il rend un service très utile aux membres de l'Assemblée nationale » (1980)29.
Les allocations parlementaires
En 1974, un comité extraparlementaire chargé d'étudier les indemnités et allocations des députés suggère de confier une partie de leur réglementation à la Commission de régie interne. Celle-ci gagne ainsi d'importants pouvoirs. En plus des frais de communication, déjà sous sa responsabilité depuis 1971, elle est chargée d'établir « les conditions, les barèmes et les modalités » des allocations pour déplacements et dépenses de voyage, le bureau de circonscription, le traitement des secrétaires de circonscription, les dépenses de logement à Québec, ainsi que l'allocation de présence en commission parlementaire30. Elle adopte le premier Règlement concernant les allocations des membres de l'Assemblée nationale le 17 avril 1975.
Dans son rapport, le comité extraparlementaire estime cependant « qu'il est délicat de donner autant de pouvoirs à la Commission de régie interne »31. C'est pourquoi la loi lui impose l'obtention de l'avis d'un comité indépendant pour modifier le règlement sur les allocations32. Ce « comité des sages » donne son avis une dizaine de fois sur les modifications proposées, la Commission prenant acte de ses recommandations.
La modernisation administrative et la mise en place du Bureau de l'Assemblée nationale
Au cours des années 1970 et 1980, la gestion de l'Assemblée devient une tâche de plus en plus complexe, les commissaires ne peuvent plus l'assumer seuls. Le personnel administratif est appelé en renfort pour assurer le suivi des dossiers. Sur recommandation d'un rapport sur l'organisation administrative, le secrétaire général de l'Assemblée nationale devient secrétaire de la Commission de régie interne le 27 janvier 197733. Par ses décisions, la Commission joue un rôle important dans le processus de modernisation administrative de l'Assemblée. Elle élabore les nombreux règlements régissant le fonctionnement de l'institution parlementaire. Elle réduit par le fait même la pertinence de ses interventions dans plusieurs domaines au profit du secteur administratif, qui gagne en autonomie.
En 1979, une grande réforme parlementaire est entreprise en vue d'assurer un meilleur équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif. Un rapport d'étape présenté cette année-là le souligne :
La raison d'être de l'Assemblée, en tant qu'entité administrative, c'est avant tout de dispenser aux députés tous les services dont ils ont besoin pour remplir leurs tâches variées. Pour que ce particularisme propre à l'Assemblée soit vraiment respecté, il faut que son autonomie soit complète et que l'actuelle commission de régie interne, formée de membres de l'exécutif, cède la place à un comité ou organisme créé par les députés et constituant une véritable direction collégiale de l'Assemblée nationale34.
L'idée de soustraire la gestion de l'institution parlementaire à l'exécutif afin de la remettre entre les mains des députés se concrétise en 1982 par l'adoption de la Loi sur l'Assemblée nationale35. La Commission de régie interne est remplacée par le Bureau de l'Assemblée nationale, lequel est composé de députés issus des différents partis politiques.
La Commission de régie interne tient sa dernière réunion le 27 avril 1983.
Pour citer cet article
« Commission de régie interne », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 17 juillet 2014.