Définition
Division du territoire en circonscriptions électorales. La responsabilité de diviser le territoire est confiée à la Commission de la représentation électorale en fonction de critères permettant d'assurer la représentation effective des électeurs. Ces critères sont ceux relatifs à l'égalité du vote et au respect des communautés naturelles.
La carte électorale aujourd'hui
Le système électoral majoritaire uninominal à un tour nécessite de diviser le territoire en autant de circonscriptions qu'il y a de sièges à pourvoir. L'Assemblée nationale étant composée de 125 députés, la carte électorale est divisée en 125 circonscriptions.
La division du territoire et l'établissement des limites entre les circonscriptions constituent un exercice délicat. Dans notre système parlementaire, le parti qui réussit à recueillir le plus grand nombre de circonscriptions est celui qui sera appelé à former le gouvernement. En raison de cet enjeu important et des risques élevés de manipulation des frontières électorales appelée gerrymandering, le législateur a confié, depuis 1979, à une commission indépendante du pouvoir politique le soin de dessiner la carte électorale. La Commission de la représentation électorale est présidée par le directeur général des élections du Québec (DGEQ) assisté de deux commissaires nommés par l'Assemblée nationale.
Le nombre de circonscriptions électorales est fixé dans la Loi électorale, il ne doit pas être inférieur à 122 ou supérieur à 125. Ce nombre maximum est atteint depuis 1989. Deux critères majeurs guident la Commission dans la révision de la carte : la représentation effective des électeurs et le respect des communautés naturelles.
La représentation effective des électeurs découle d'un jugement de la Cour suprême du Canada appuyé sur la Charte canadienne des droits libertés1. Il s'agit de maintenir une égalité relative entre les électeurs pour tenir compte de certaines spécificités régionales, tout en évitant que le poids du vote d'un électeur soit disproportionné par rapport à un autre.
La Loi électorale précise que le nombre d'électeurs ne doit être ni supérieur ni inférieur de plus de 25 % de la moyenne des électeurs par circonscription (nombre d'électeurs divisé par 125 circonscriptions). À titre d'exemple, aux élections générales de 2007, 5 650 910 électeurs étaient inscrits sur la liste électorale. La moyenne par circonscription s'établissait donc à 45 207 électeurs. Conséquemment, le nombre minimal d'électeurs par circonscription était fixé à 33 905, alors que le nombre maximal était de 56 509 électeurs. La Commission peut s'écarter de ces règles, auquel cas elle doit le justifier dans son rapport. Par ailleurs, la circonscription des Îles-de-la-Madeleine est désignée dans la loi comme une circonscription d'exception.
Le critère des communautés naturelles repose sur de nombreuses considérations à caractère démographique, sociologique et géographique. Tout en respectant le critère de nature numérique, la Commission dispose d'une marge de manœuvre assez grande dans l'utilisation et l'interprétation de ce critère. La Commission doit préparer une nouvelle proposition de carte électorale toutes les deux élections générales qui suivent la dernière délimitation. Cette proposition fait l'objet d'auditions publiques, puis est discutée à la Commission de l'Assemblée nationale.
Après l'analyse des diverses représentations, la Commission rédige son rapport. Celui-ci fait l'objet par la suite d'un débat de cinq heures à l'Assemblée nationale. Enfin, la Commission établit les limites des circonscriptions et publie la liste des circonscriptions électorales dans la Gazette officielle du Québec. Cette liste entre en vigueur au moment de la dissolution de l'Assemblée nationale si celle-ci intervient trois mois après sa publication.
La carte électorale de 1792
La première carte électorale (1792) est l'œuvre du lieutenant-gouverneur Alured Clarke, qui assume alors les responsabilités du gouverneur en l'absence de ce dernier. Afin de mettre en œuvre le processus menant à la formation d'une Chambre d'assemblée formée de 50 députés, le territoire est divisé en 25 « districts, comtés ou circonscriptions et en villes ou municipalités2 ». On dénombrait alors 21 comtés, 2 cités et villes, elles-mêmes subdivisées en quartiers est et ouest à Montréal ainsi que Basse-Ville et Haute-Ville à Québec, et deux villes et bourgs, Trois-Rivières et William Henry (aujourd'hui Sorel-Tracy)3.
La majorité des toponymes sont évocateurs de ceux de la métropole anglaise comme Devon, Kent, Buckinghamshire alors que les limites géographiques de plusieurs de ces comtés se fondent dans celles des seigneuries. Elles soulignent la colonisation française. Cette carte est restée telle quelle jusqu'en 1829.
La réforme de 1829
Le processus de délimitation de la carte électorale de 1829 permet pour la première fois à la Chambre d'assemblée d'intervenir sur la question de la représentation. La création d'un comité spécial de la Chambre sur le projet de loi avec l'audition de témoins et la rédaction d'un rapport démontrent l'intérêt des élus sur cette question4. Dans ce rapport, on remarque la volonté d'atteindre un nombre relativement égal de députés par comté en s'appuyant sur les données du recensement de 1825. On prend également en compte le critère d'accès au lieu du vote afin d'en faciliter l'exercice aux électeurs. Enfin, en raison de la poussée démographique que connaît alors le Bas-Canada, on observe qu'il est nécessaire d'apporter des changements périodiques à la carte.
Le Comité spécial a entendu des témoins habitants les townships qui réclamaient un nombre de représentants équivalent aux autres comtés de la province. La nouvelle carte, qui fut sanctionnée le 17 août 1829, fixe le nombre de députés à 84 dans 44 divisions électorales. On constate également l'adoption d'une toponymie largement française. Au moment de la suspension de la Constitution en 1838, 90 députés représentent une population d'un peu plus de 500 000 habitants.
L'Acte d'Union et la carte électorale
Ces avancées en matière de représentation s'estompent avec l'Acte d'Union. En tout premier lieu, l'ancienne province du Bas-Canada voit le nombre de ses représentants réduit de 90 à 42. La nouvelle province du Canada compte 84 députés, soit 42 comtés pour chacune des anciennes provinces. Pourtant, la population du Bas-Canada est de loin supérieure à celle du Haut-Canada. Au fil des années, la population du Haut-Canada surpasse celle du Bas-Canada, mais la répartition égale des représentants entre les deux anciennes provinces demeure même si le nombre de représentants passe de 84 à 130 en 1853.
Les revendications répétées des Clear Grits5, reprises par le Parti réformiste du Haut-Canada en 1857, pour obtenir une représentation à l'Assemblée législative proportionnelle à la population, le Rep by Pop, furent vaines. Les règles fixées par l'Acte d'Union, puis l'usage, pour réviser la représentation exigeaient que toute modification relative au nombre de représentants dût être appuyée par les deux tiers des membres du Conseil législatif et de l'Assemblée législative. La réforme de 1853 permet de réduire uniquement les écarts entre les circonscriptions de chacune des anciennes provinces.
Enfin, après plusieurs tentatives infructueuses, le Conseil législatif devient électif à compter de 1856. À cette fin, il est nécessaire de créer 48 collèges électoraux, soit 24 pour chacune des anciennes provinces du Haut et du Bas-Canada. Ces divisions ont été utilisées après la Confédération pour les nominations au Conseil législatif québécois jusqu'à son abolition en 1968. Elles sont toujours en usage pour la nomination des sénateurs québécois, ceux-ci devant posséder un titre de propriété d'au moins 4 000 $ dans la division où ils sont nommés.
La carte électorale de 1867
La province de Québec créée en 1867 utilise la carte électorale de 1853 avec ses 65 circonscriptions jusqu'en 1890. Cependant, l'article 80 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique impose une protection à 12 comtés à majorité anglophone6. Selon cet article, il ne sera pas possible de modifier les limites de ces circonscriptions à moins qu'une majorité absolue des députés qui représentent ces comtés soient d'accord, réduisant ainsi les possibilités de réforme. Avec une telle contrainte, car ce verrou à la carte électorale sera retiré seulement en 1970, les modifications à la carte électorale se limitent en grande partie à créer de nouvelles circonscriptions afin de refléter la croissance démographique. C'est le cas notamment sur l'île de Montréal et sa banlieue immédiate de même que dans certaines régions périphériques comme l'Abitibi, le Saguenay et le Lac-Saint-Jean.
Le nombre de députés s'établit à 74 en 1890, puis à 75 en 1895 avec la création de la circonscription des Îles-de-la-Madeleine. La représentation augmente jusqu'à 90 députés en 1930, puis est réduite à 86 en 1939. Cette diminution du nombre de circonscriptions est l'œuvre du gouvernement de Maurice Duplessis. Pour procéder à cette réforme, le gouvernement a créé un comité de redistribution des circonscriptions, mais ce comité a siégé à huis clos!
En 1944, le gouvernement libéral d'Adélard Godbout rétablit la situation d'avant 1939. Il ajoute une nouvelle circonscription en scindant la circonscription d'Abitibi en Abitibi-Est et en Abitibi-Ouest. Cette réforme est préparée par le gouvernement sans consultation de l'opposition, sauf à l'occasion de l'étude du projet de loi en comité. Maurice Duplessis divise en 1954 le comté du Lac-Saint-Jean pour former celui de Kénogami-Jonquière en raison du nombre élevé d'électeurs (55 000) et de l'étendue de la circonscription. Le chef de l'opposition, Georges-Émile Lapalme, sans s'objecter à cette division, demande sans succès au premier ministre de faire le même exercice sur l'île de Montréal, où sept comtés comprennent de 55 000 à 100 000 électeurs.
En 1960, le premier ministre Antonio Barrette subdivise les circonscriptions de Laval et de Saguenay, mais refuse de procéder à une refonte majeure de la carte par un comité parlementaire, telle que l'avait réclamée Lapalme. La circonscription de Laval est une bonne illustration de la croissance démographique dans la région de Montréal et des inégalités de la carte électorale à cette époque. La circonscription de Laval (l'île Jésus et une partie de l'île de Montréal) regroupe 135 000 électeurs aux élections de 1956. En 1960, le comté de Bourget est créé. Il comprend une partie de Laval et compte 87 900 électeurs comparativement à 116 200 à Laval. Deux ans plus tard, aux élections de 1962, Bourget dépasse les 100 000 électeurs alors que Laval atteint de nouveau le cap des 135 000 électeurs de 1956.
Les réformes après 1960
Inscrite au programme du Parti libéral, la réforme de la carte était l'un des nombreux chantiers de ce gouvernement du début des années 1960. Il confie le soin à un comité d'universitaires de faire une étude préliminaire sur la révision de la carte en décembre 19617. Le comité recommande, entre autres, de limiter les écarts positifs ou négatifs entre les circonscriptions à plus ou moins 25 % et de confier la délimitation à un organisme indépendant.
En outre, le comité constate que l'ossature de la carte électorale du Québec est la même qu'en 1853. De fait, aucune refonte majeure n'avait été apportée à la carte si ce n'est des ajustements en fonction de l'augmentation de la population. Le gouvernement forme alors un comité spécial sur cette question en 1962. Reconduit aux sessions suivantes, le comité confie à des non-parlementaires la tâche d'élaborer une proposition de réforme de la carte. Ce sous-comité est formé du président général des élections et de deux personnes proposées par le gouvernement et l'opposition officielle.
Avec la carte électorale de 1965 issue de ces travaux, le nombre de circonscriptions passe de 95 à 108. Tant les membres de la sous-commission que les parlementaires étaient conscients que le travail de révision de la carte restait à faire. En effet, des écarts importants demeurent entre certaines circonscriptions. Cette situation ne peut être renversée tant et aussi longtemps que la question des comtés protégés par l'article 80 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, rendus au nombre de 17, ne sera pas réglée. La victoire de l'Union nationale en 1966, malgré un moins grand nombre de votes attribués à son parti qu'à son principal adversaire, illustre bien les importantes inégalités entre les circonscriptions.
L'abolition des comtés protégés en 1970 ouvre une porte à une réforme en profondeur de la carte électorale. L'année suivante, l'Assemblée nationale forme la Commission permanente de la réforme des districts électoraux. L'entité est chargée de la délimitation de la carte électorale. Cette commission, non décisionnelle, procède au découpage selon les critères fixés dans la loi et veille à ce que le nombre d'électeurs moyen par circonscription s'établisse à 32 000, avec une variation de plus ou moins 25 %. La proposition de la Commission établit le nombre de circonscriptions à 110. Celle-ci fut discutée de long en large par les parlementaires en commission et en Chambre. Le projet de loi est néanmoins adopté sur division.
Il faut préciser que concurremment à la réforme de la carte, le gouvernement avait confié à un comité d'étude8 le soin d'entreprendre une réflexion sur la réforme du mode de scrutin. Ainsi, le débat sur la représentation s'étend au-delà de l'exercice de délimitation de la carte électorale. Les résultats des élections de 1973, en accordant au parti vainqueur une majorité sans précédent de 102 sièges sur 110, confirment le rôle limité joué par la qualité de la délimitation électorale.
En 1979, l'ancienne commission permanente devient Commission de la représentation avec, cette fois, un pouvoir décisionnel sur la délimitation de la carte en fonction de critères précis. Son caractère décisionnel permet à la Commission de dessiner une carte électorale respectueuse des critères de la loi tout en lui permettant de résister aux pressions des parlementaires et des partis politiques. Le nombre cible d'électeurs par circonscription est fixé à 34 000, avec un écart possible de plus ou moins 25 %. L'application de cette règle a pour effet de faire passer le nombre de circonscriptions de 110 à 122.
Avec la Loi sur l'intégration de l'administration du système électoral9 en 1982, le personnel de la Commission est intégré à celui du DGEQ. Le détenteur de la charge devient d'office le président de la Commission. Enfin, dernier changement majeur, le nombre de circonscriptions est fixé à un maximum de 125 depuis 1987. Dès lors, le calcul pour obtenir le nombre moyen d'électeurs par circonscription est obtenu en divisant le nombre d'électeurs par le nombre de circonscriptions.
Pour citer cet article
« Carte électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 27 février 2013.